La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques: Le Dimar aux XVIIIe et XIXe siècle 2343129886, 9782343129884

Ce livre aborde l'histoire sociale, économique et politique de la vallée du fleuve Sénégal (appelé Tulde Dimat ou D

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French Pages 274 [263] Year 2018

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La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques: Le Dimar aux XVIIIe et XIXe siècle
 2343129886, 9782343129884

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LDUpJLRQ de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, appeléH 7XOGH'LPDW ou Dimar, grâce à ses riches pâturages et terrains de cultures de GpFUXH attira des migrants foulbé, wolof et maures qui y cohabitèrent avec des autochtones lébou et sereer.  XVIIIe siècle, des érudits musulmans pulaarophones et wolophones                                           Podor. Ils négocièrent leur réinstallation avec le Lam Tooro et l’Almaami du FXuta Tooro, puis nouèrent une alliance stratégique avec les autorités traditionnelles locales yalaalbe et wodaabe. !   "                  #        $"    % &   &   #     besoins pressants de la France de terres cultivables dans la vallée du Sénégal,  #             '(  Boubacar Kane, chef du Dimar de 1820 à 1851, joua un important rôle politique    #    ) ' Le livre aborde l’histoire sociale, économique et politique de cette partie de la Sénégambie à travers un croisement des sources orales et écrites. Il revient sur la vie des relations politiques dans la vallée du Sénégal dans la première moitié du XIXe"     #     #     '( **   Dimar fut à la fois une terre de résistance multiforme à la colonisation française et $   #      *   "   '!*     $     + #(-+/ &  % 3' Cette situation poussa ces derniers à d’abord y renforcer leur présence militaire,  4#   + 6797'

Mamoudou SY, dit Abdoulaye Toly, est un historien formé au département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et à l’Amsterdam Institute for Social Science Research de l’université d’Amsterdam. Chercheurenseignant à l’UFR des sciences sociales de l’université El +adji Ibrahima Niass de Kaolack, il fait partie du Moving Matters Programm de l’AISSR de l’université d’Amsterdam. Auteur de plusieurs autres publications, il est membre du comité de pilotage du projet d’écriture de l’Histoire générale du Sénégal.

Etudes africaines Série Histoire Photographie de couverture de l’auteur : vue de ville de Kaédi (République de Mauritanie) à partir de la rive gauche du fleuve Sénégal.

ISBN : 978-2-343-12988-4

28,50 €

Mamoudou Sy

Le Dimar aux xviiie et xixe siècles

Etudes africaines

Série Histoire

Mamoudou Sy

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques Le Dimar aux xviiie et xixe siècles

Préface d’Ousseynou Faye

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques

Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions Ousseynou FAYE, Les tirailleurs sénégalais entre le Rhin et la Méditerranée (1908-1939), 2018. Jean-Paul MWENGE NGOIE, L’enfant, cet oublié du divorce ou de la séparation parentale en Afrique subsaharienne, 2018. Laurent GAMET, Le droit du travail ivoirien, 2018. Bakary CISSÉ, L’épreuve orale de culture générale, Préparation aux concours d’entrée de l’ENA et de la Fonction publique, Tome 1 : Connaissance de l’environnement ivoirien ; Tome 2 : Problèmes majeurs de la société contemporaine, 2018. Jacques KABEYA I. TENDA, Entreprises publiques, en République Démocratique du Congo, La nécessité d’un cadre de bonne gouvernance axée sur la responsabilisation et la performance, 2018. Diensia Oris-Armel BONHOULOU, Le terrorisme international existe-t-il en Afrique noire ?, Essai, 2018. Augustin RAMAZANI BISHWENDE, Di-Kuruba Dieudonné MUHINDUKA (dir.), Les Bavira entre tradition et modernité, 2018. Claude KAYEMBE-MBAYI, Verrous et contrôles constitutionnels en Afrique. Pour des mécanismes efficients, 2018. Marie Romuald POUKA POUKA, Politiques publiques et PME au Cameroun. Les impacts de la Bourse de sous-traitance et de partenariat sur la performance des PME dans le secteur industriel, 2018. Issofou NJIFEN, Allocation des ressources humaines et stratégies des acteurs sur le marché du travail, Concept de surqualification et évidence empirique au Cameroun, 2018. Marie Désirée, SOL AMOUGOU, Minoration linguistique, Causes, conséquences et thérapie, 2018. Michel MOUKOUYOU KIMBOUALA, Le rôle des classes nominales dans le fonctionnement des langues bantoues. Le cas du kibeembe, une variante du kikongo, 2018. Saikou Oumar BALDE, Élections et démocratie locale en Guinée, 2018. Caroline PACHECUS, Médias, mondialisation et diversité culturelle. Le cas de l’Afrique subsaharienne, 2018.

Mamoudou SY

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques Le Dimar aux XVIIIe et XIXe siècles

Préface d’Ousseynou Faye

Du même auteur « De l'Oubli aux usages politiques. La Grande Guerre au Sénégal au temps du centenaire », août 2015, publication en ligne sur le site internet de l’Institut Guerre et Paix de l’Université Paris-1 Sorbonne. « Sultan Njoya (1876-1933), Seydina Limamoulaye (1843-1909) et Simon Kimbangu (1887-1951) : des acteurs dans la réhabilitation de la personnalité négro-africaine », in Le Roi Njoya, créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, Harmattan Cameroun, 2014, p. 49-62. « La diffusion de l’islam dans l’espace ouest-africain de la seconde moitié du 19e siècle à 1960. Contraintes et opportunités », in Simon Kimbangu, Le Prophète de la libération de l’Homme noir, tome II, sous la direction de Mbokolo Elikia et Sabakinu Kivilu, Harmattan RDC, 2014, p. 173-210. « La prise en otage d’un officier français (3 mai 1854–8 juillet 1854). Une réaction africaine face au projet de réoccupation de l’escale de Podor (moyenne vallée du Sénégal) », in Waterways and Colonies. France and its empire (17th – 20th centuries), éditeurs Mickael Augeron et Robert Duplessis, Les Indes Savantes, Paris, 2010, p. 6377. « Tribus ou descendants de ‟chorfas” ? Représentations de populations sénégambiennes au XIXe siècle », in Tous les hommes sont-ils égaux? Histoire comparée des pensées raciales 1860-1930, (Oldenbourg Verlag Munchen, 2009), éditeurs Carole Reynaud Paligot, Institut d’Histoire du Temps Présent (CNRS) et la fondation de la Shoah Memory, p. 31-43. École française contre daara au XIXe siècle. La volonté de civiliser les peuples de la Sénégambie au XIXe siècle, ISITA (Institute for the Study of Islamic Thought in Africa), Northwestern University, Evanston, Illinois, USA, avril 2009, p. 5-17. Les bibliothèques islamiques du Fuuta Tooro : un moyen de production, de transmission et de conservation du savoir ISITA, NWU, Illinois, 2008, 19 p. Quelques rayons des lumières de l’Islam au Fuuta Tooro. L’histoire, à partir des sources orales, de quelques personnages ou foyers islamiques des localités du Fuuta Tooro de Dagana à Gangel Soulé. 20 p., ISITA, NWU, Illinois, USA. Esclavage et élites politiques Fuutankoobe 1776-1806), (15 pages, série B de l’IFAN), Dakar, tome LIII, 1-2, 2009-2011, p. 99-109. Capitaine Mamadou Racine Sy (1838-1902). Un maître d’école coranique au service du deuxième bataillon du Régiment de Tirailleurs Sénégalais, International Institute of Social History, Amsterdam, 2012, 17 p.

© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-12988-4 EAN : 9782343129884

Remerciements Ce travail a bénéficié du soutien de beaucoup de personnes que je ne pourrais hélas pas toutes citer mais je ne peux manquer de mentionner les noms de quelques-uns : Ousseynou Faye, Boubacar Barry, Yoro Fall, Oumar Diagne, Saïdou Abou Kane, Amadou Sarr, Seydou Madani Sy, Butch Ware, Rebecca Scott, Charles Becker, Benjamin Steck, Aderrahmane Ngaȉdé, Mor Diaw et Mahécor Diouf. Je remercie : - l’IISG d’Amsterdam et le Professeur Marcel Van der Linden, - le département d’Anthropologie de l’Université d’Amsterdam et le Moving Matters Programme de l’Amsterdam Institute for Social Science Research, Je n’oublie pas ma famille, mon épouse et mes enfants, les parents, amis et alliés, - les membres de l’Association Elimane Boubacar Kane. Paris, Avenue Maréchal Gallieni, le 22 juillet 2017

Dédicace Je dédie ce travail à -mes grands parents Elimane Abou Kane, Dieynaba Ciré Kane, Ciré Diao Sy et Toly Dialo Kane, -à ma mère Adja Fatimata Abou Kane, -à mon oncle et tuteur Saïdou Abou Kane et à tous les parents, amis et voisins de Thiès, - à mon épouse et à mes enfants Saïdou Elimane Kane, Billy Abdoulaye Toly et Aïssata Thilaye Sy, -à mes frères, sœurs et à tous les parents, - aux collègues des Cours Privés Djinda Thiam des Parcelles Assainies de Dakar, Lycée Seydina Limamoulaye de Pikine, CEM de Nguéniène, CEM Djibril Diaw de Thiès, Département d’Histoire de l’UCAD de Dakar, CIEE de Dakar, IISH d’Amsterdam et AISSR de l’Universiteit van Amsterdam.

A la mémoire des professeurs Saïdou Kane dit Moustaph Boly (1947-2006) et Hamidou Dia (1953-2018)

Préface La vallée du fleuve dans le jeu des échelles politiques Ma rencontre avec Mamoudou Sy, l’auteur de ce livre, s’est déroulée dans un contexte difficile. En effet, il m’a contacté au lendemain du décès (survenu en 1995) de mon collègue et ami Mouhamed Moustapha Kane, excellent chercheur formé par l’historien américain David Robinson. L’objet de la rencontre, avec celui qui était à l’époque un jeune étudiant inscrit au second cycle pour produire un mémoire de recherche d’histoire moderne et contemporaine, a porté sur ma disponibilité à exercer les fonctions de directeur de recherche. Ce que j’avais promptement accepté à l’époque. Il ne pouvait en être autrement, car il s’agissait, avant tout pour moi, d’honorer la mémoire d’un collègue, d’un excellent universitaire qui manifestait une passion remarquable pour tout ce qui porte sur la recherche en sciences sociales. En sus, ayant produit en 1980 un mémoire de DEA, consacré à ce que j’ai appelé le mouvement dimarien (réductible à une entreprise de réforme de l’islam lancée en 1906-1908 par Ali Yoro Diaw, préconisant par ailleurs l’effacement par les armes de la présence coloniale), je ne pouvais qu’appuyer l’achèvement de son travail de recherche. Faisant preuve de constance et de pugnacité dans son parcours de chercheur junior, Mamoudou Sy a réinvesti le Dimar, Dimat ou Touldé Dimat comme analyseur lorsqu’il a décidé de s’inscrire en thèse. Il s’est tourné de nouveau vers moi afin que je l’accompagne dans cette nouvelle aventure exaltante. J’ai volontiers accepté sa demande d’accompagnement scientifique car il est pétri d’humanité. Avenant, modeste et sérieux dans le travail, il fait partie de ces interlocuteurs instillant le positif dans l’entre soi et donnant davantage force au principe d’altérité qui est au fondement de tout acte de langage. Au terme d’années de recherches passionnantes et enrichissantes, il a produit une excellente thèse de doctorat d’histoire moderne et contemporaine. Sa version remaniée est présentée, ici, sous forme de livre. Une fois de plus, Sy m’a sollicité pour que je l’accompagne dans cette aventure éditoriale. Ce que j’ai bien entendu accepté. C’est ce qui explique la rédaction de la présente préface. Situé à l’ouest du Toro, une province du Fouta sénégalais (par opposition au Fouta Djallon), le Dimar est un foyer de vie encore méconnu. Même si l’on sait que certains de ses habitants ont migré, dès le XVe siècle, au Kabada. Autrement dit, le parcours migratoire ainsi dessiné ferait apparaître l’espace dimarien comme un des nombreux lieux de rebondissement dans la circulation des hommes, de leurs idées et de leurs avoirs. Pourrait-on dire autre chose si l’on décidait de valider les récits locaux sur le peuplement qui 9

présentent le ressort territorial de l’actuelle Syrie comme le point de départ des primo-migrants ? Même devenu un espace–enjeu et un espace-conflit à la suite de la construction du barrage de Diama, qui influe sur la délicatesse des relations de voisinage du Sénégal avec l’Etat-frontière mauritanien, le Dimar demeure une construction territoriale peu référée lorsqu’il s’agit de questionner la vallée du fleuve Sénégal. Sont surtout mis en scène, dans les différents exercices de convocation de sujets comme la migration de travail, la mise en valeur agricole, la valorisation du patrimoine historique, la sociologie électorale, etc., des lieux historiques comme le Toro, le Damga et le Nguénar. En d’autres termes, l’occurrence relative à l’appellation Dimar est encore relativement faible dans l’onomastique véhiculée dans les discours publics et dans la littérature savante. Sous ce rapport, le travail de recherche continu de Mamoudou Sy peut se lire comme un projet d’inversion, de décentrement. L’appartenance de Sy à la communauté territoriale du Dimar induit certainement son investissement dans un projet qui se fait jeu de décentrement. Lequel a le mérite de consacrer l’efficace du pari de l’innovation et du rebours. Mais, le choix d’un analyseur qui appelle aussi « l’histoire du je » s’inscrit dans une démarche partagée par quelques historiens sénégalais et consistant à écrire ou réécrire l’histoire de leurs origines. Ce qui fait qu’une figure d’histoire de l’appartenance est proposée dans cet ouvrage, dont l’auteur a parfaitement intégré la nécessité de réussir la mise à distance de l’objet exposé et étudié. Par ce choix, Mamoudou Sy dispose d’atouts de taille : la connaissance intime de sa société, la maîtrise de son parler dominant, la capacité à dessiner les conditions de (re)production des récits de mémoire qui y circulent, l’aisance avec laquelle il peut collecter certains de ces textes, son initiation à l’archivistique et sa maîtrise des règles du traitement historien du document d’archives où est consigné le rapport du Dimar à la politique de la canonnière et de l’assujettissement du colonisateur français fort remarqué pour son inclination à la rapine. La combinaison de ces figures de savoir et savoir-faire et des référents des logiques d’appartenance a probablement renforcé la détermination de l’auteur à vouloir produire un texte de qualité qui reconstitue et questionne l’histoire du Dimar moderne et contemporain. Avec ce livre, se trouve posée une question essentielle : la place du Dimar dans l’histoire du Fouta septentrional1. Même si l’hypothèse qui voudrait en faire une satrapie est irrecevable, l’on notera que la construction et l’exercice de ce rapport dominant qu’est l’Etat, repérables à travers la vie et l’œuvre du personnage-leader appelé Elimane Dimar, actualisent la nécessité de revisiter quelques-unes des conclusions tirées en matière d’histoire politique. Se trouvent ainsi posées, concomitamment à la question de son statut politique, non seulement la pertinence des façons de nommer le 1

Nous le différencions ainsi du Fouta méridional ou Fouta Djallon.

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politique (« théocratie » « royaume », « roi », « royauté », etc.), mais aussi et surtout la fiabilité des jeux cartographiques et des rapports de suzeraineté/vassalité dessinés pour de « grands ensembles » comme le Fouta et le Djolof. L’approche impérialocentrée, qui valorise le raccourci et conforte l’adepte du panafricanisme, parcourt la reconstitution du passé de la Sénégambie et de l’Afrique de l’Ouest. L’histoire des grands ensembles2, d’ailleurs produite à partir des traditions de ce qui est assimilé au centre, prend largement le dessus sur celle des prétendus « nains » politiques. Est ainsi négligé le jeu d’échelles qui doit présider à l’écriture ou à la réécriture de l’histoire politique de ces parties du monde, de ces mondes africains entrés en contact (de longue durée) avec les caravanes et les caravelles de l’ailleurs. L’intérêt de ce livre réside également dans le fait que son auteur ne perd pas de vue la nécessité de revoir la composition de cette architecture estampillée par l’empire, de relire une pareille histoire en procédant au décentrage. Son texte est traversé par cette exigence de rupture historiographique. Le mode de l’énonciation en pointillé caractérise son écriture mettant aussi en exergue le fait que le Dimat se présente à la fois comme un berceau de second rang de populations sénégambiennes, un foyer de métissages ethniques, un pays-frontière assimilable à une zone de transition écologique, une plate-forme de passage migratoire ou encore à un refuge de bandits de grands chemins. Foyer originel des Lébou et Sereer, dont les descendants (portant les Ndong, Dior, Thiène, Faye, Tine, Thiaw et Fédior) habitent encore ses villages actuels-comme Fanaye-, le Dimar exhibe une histoire caractérisée par l’originalité de son espace politique, particulièrement de son armature institutionnelle et par la polarité de sa diplomatie. Mamoudou Sy montre bien que le conflit et la paix ont rythmé les rapports de voisinage entre le Dimar et le Waalo, les émirats maures du Trarza et du Brakna et le pouvoir colonial de Saint Louis du Sénégal. De ces derniers scénari, qui se veulent œuvre de vie ou œuvre de mort, l’auteur de ce livre retient, au-delà de la possibilité de faire apparaître le Dimar sous les traits d’une politie, un fait essentiel : la complexification. Cette figure de procès estampille, au cours du XIXe siècle, les relations entre le personnel politique dimarien et la puissance française, initiatrice de nombreuses campagnes de rapine et surtout gestionnaire d’une entreprise de réorientation économique. Rappelons-le, un tel réajustement, axé autour de la mise en valeur agricole, a été provoqué par le besoin de trouver une alternative économique à la traite négrière. En effet, le Dimar a été un marché d’entrepôts, d’échanges et de circulation de captifs. Son histoire est intimement liée à la pratique de l’esclavage domestique. Mais, pour en revenir à cette histoire de 2

Elle correspond en gros à celle des empires, qui est un des principaux objets d’étude de l’école anglosaxonne des relations internationales.

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complexification, Sy raconte l’interventionnisme français, dessine son caractère protéiforme, insiste surtout sur son offre de collusion faite aux élites gouvernantes dimariennes, pointe la vocation de force d’expédition dévolue à l’armée coloniale. Ce faisant, il convoque la bataille de Dialmath de 1854. Ce front de guerre, ouvert par les Français adeptes du grignotage territorial, fait l’objet d’une narration relativement minutieuse. Ses préparatifs, son déroulement et ses conséquences sont au cœur de l’histoirebataille de l’auteur du livre. Une autre figure de la complexification du rapport à la chose politique est constituée par l’implantation à Fanaye, en janvier 1859, d’un camp d’observation militaire fonctionnant aussi comme un centre de commandement des opérations d’endiguement du « djihadisme » omarien. En s’investissant à fond dans l’écriture de l’histoire du Dimar, Mamoudou Sy entend remplir une mission d’actualité : répondre à une demande mémorielle, celle-là même qui consiste à dresser la biographie d’Ḗlimane Boubacar Kane. Il le présente comme un personnage à la longévité exceptionnelle (1721-1851) qui se distingue, par ailleurs, par un long règne. En sa qualité de gouvernant de premier rang, ce dernier est censé avoir présidé aux destinées du Dimar pendant une cinquantaine d’années. Reprenant à son compte la théorie du « vivre ensemble » de Hannah Arendt, qui implique la réussite de la diffusion d’une idéologie de consentement, Sy s’attache à montrer que les populations du Dimar ont fédéré leurs efforts afin de tisser des réseaux intellectuels, culturels, économiques et sociaux, de prendre leurs destinées en main et de construire, in fine, un destin collectif. Sa bifurcation qui le conduit à s’intéresser à la politique par le bas montre des communautés aux origines diverses faire corps pour accepter d’être gouvernées harmonieusement, trouver les consensus nécessaires à l’adoption de modes d’habiter, de cohabiter dans la paix, d’agir face aux défis, de laisser leur empreinte sur le tissu de la vie des relations sous-régionales, etc. En définitive, par cette contribution, faite sous forme de livre, Mamoudou Sy porte à la connaissance des historiens, des lecteurs passionnés d’histoire, ou encore d’acteurs sociaux en quête d’histoire du sens des pans entiers du passé du Dimar. Coincé entre le Walo et le Toro, deux lieux historiques relativement bien connus, ce pays-frontière a suivi dans la période moderne et contemporaine des trajectoires qui figurent l’hétérodoxie en révélant la complexité du rapport au temps et au politique des populations de la vallée du fleuve Sénégal. Professeur Ousseynou Faye

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Avant-propos Ce livre retrace l’histoire d’une entité socio-politique dont une importante composante s’est beaucoup déplacée dans l’espace SaharoSahélien avant de s’établir à la fin du XVIIIe siècle en Sénégambie septentrionale dans l’aire sénégalo-mauritanienne, à la confluence des provinces du Waalo, du Djolof, du Trarza et du Tooro. Cet espace appelé Dimar par les Français, Dimat ou Tulde3 Dimat par les autochtones est un terroir attrayant dont les habitants qui se nomment dimatnaaƃe parlent un pulaar au ton lent et ont des coutumes assez singulières, fruits de leurs pérégrinations. Ce petit territoire qui est la partie occidentale du Fuuta Tooro, se compose d’une trentaine de villages et hameaux répartis de part et d’autre du fleuve Sénégal entre les villes actuelles de Dagana et de Podor d’ouest en est, et se trouve de nos jours partiellement dans le sud de la Mauritanie et le nord du Sénégal. La période étudiée est assez longue, elle va de la préhistoire à la seconde moitié du XIXe siècle. Nous n’hésitons cependant pas à sortir de ces bornes chronologiques. Nous analysons les conditions d’émergence de cette entité sociopolitique née de la rencontre de deux communautés (les autochtones et les migrants) aux origines diverses certes, mais dont les ressortissants ont su mettre à profit les avantages de leur position géographique, les ressources foncières et végétales locales. Ces communautés se concertèrent pour installer des chefferies villageoises, consolidèrent au début du XIXe siècle les bases de leur autonomie politique, économique et militaire lorsque le pouvoir central Fuutanke semblait être incapable d’imprimer son autorité sur cette zone marginale. Elles ont vécu des évènements plus ou moins heureux : migrations, réinstallation, traites esclavagistes locale, arabe et atlantique, colonisation française avec des batailles sanglantes, payement forcé de l’impôt colonial, imposition de la culture de l’arachide, l’impact local du jihad et du fergo omarien... Le Dimar est le pays natal de trois grandes figures historiques liées à l’histoire de l’islam en Sénégambie : Elimane Boubacar Kane né à Dimat Rewo, El Hadji Malick Sy né à Gaya et Ali Yoro Diop né à Fanaye. Il est le pays d’origine d’Abdel Kader Kane de Kobbilo. Il est la terre d’adoption de Tafsir Diabiri Diallo un pullo originaire du Bosseya qui s’installa d’abord aux alentours du lac de Guiers avant de se fixer à Diawbé près de Diagnoum. Le Dimat de la rive droite est le pays natal de la maman de Khaly Amar Fall4 3 Tulde ou Tulel est un terme pulaar qui signifie élévation, colline. Tulde Dimat signifie par conséquent la colline de Dimat. Cette appelation fait allusion à un ancien site montagneux ou élevé sur lesquel vécurent les dimatnaaƃe. 4 Il est né en 1555 et est mort en 1638.

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fondateur de l’université de Pire. Il est un grand pays d’émigration de marabouts qui se sont réinstallés un peu partout dans la Sénégambie. L’objectif de ce livre est de montrer comment des migrants et des autochtones se sont alliés pour construire un système de gouvernance globalement équitable. Comment un des leurs chefs, Elimane Boubacar Kane fraichement réinstallé à Dialmathie ou Dialmath sur la rive gauche du fleuve Sénégal à la fin du XVIIIe siècle émergea pour devenir au début du XIXe le principal leader politique de la moyenne Vallée du Sénégal. Nous mettons à la disposition du grand public une version de Asko Kanhanbe Dimat, la généalogie des Kane descendants de Ayel Abdallah, notamment de la descendance des frères Hamet Dowdy et Lamine Dowdy qui, du Dimar mauritanien s’est dispersée en Afrique Occidentale. Il s’agit en réalité de la généalogie d’une importante partie de la population de la Sénégambie composée de pulaar, wolof, maures, manding, bambara qui sont apparentés aux Kane s’ils ne portent pas toujours ce patronyme. Nous dressons l’asko ou la généalogie complète d’Elimane Boubacar Kane. Nous présentons aussi Abdel Kader Kane. Ces deux personnages sont contemporains de Muhammad’ Ali vice-roi d’Egypte5. Nous faisons une synthèse des différentes origines géographiques qui sont attribuées aux migrants dimatnaaƃe. Nous ne sous-estimons pas les éléments autochtones pour lesquels nous revisitons l’histoire et l’organisation sociale du Mboda ou Mbodangou (pays des Peul Wodaaƃe qui a existé dans le même espace avant l’arrivée des migrants) ainsi que celles des autres communautés wolof et sereer qui y ont accueilli les dimatnaaƃe. Ce travail aborde la vie des relations entre le Dimat et ses voisins plus exactement entre le Dimat et le Waalo, le Dimat et les Français, le Dimat et le Fuuta Tooro et enfin le Dimat et El Hadji Omar Tall. Il aborde un aspect peu connu dans l’histoire du Jihad d’El hadji Omar Tall. Ce dernier combina, à partir de septembre 1858 un recrutement et une guérilla intense dans une partie du Fuuta Tooro dont le Dimar. Il destitua les chefs pro-français et installa des chefs acquis au Jihad, tout en procédant à une campagne de propagande antifrançaise. Les nouveaux disciples recrutéscandidats au fergo se formaient militairement en guerroyant déjà dans le Fuuta Tooro. Ils procédaient à des saisies de biens pour alimenter le budget de guerre. Les Français réagirent alors. Nous reconstituons grâce aux archives le face à face décisif entre les djihadistes et le commandant de Dagana et ses alliés qui eut lieu sur les berges du marigot Ngalanka près de Dialmath en décembre 1858. N’eut été la médiation du marabout Tafsir Diabir Diallo, le Dimar aurait basculé dans le camp omarien.

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Fahmy Khaled, Muhammad’ Ali et la nation égyptienne, Bonaparte et l’Egypte : l’Égypte: Feu et lumières, Paris: Institut du Monde Arabe, 2008, pp. 324-329.

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Le livre montre aussi que les éleveurs Foulbé et les sédentaires Wolof furent dans le Tulde Dimat parmi les premiers à répondre à l’appel au jihad omarien. Sur le plan méthodologique, nous tenons compte des remarques de Mamadou Fall6, lesquelles nous permettent d’abord de revoir le concept avec lequel nommer le pays communément appelé Dimar ou Dimat ou Tulde Dimat ; ensuite d’insister sur les facteurs internes moteurs de l’histoire7. Le Dimar n’était pas un Etat indépendant, mais un lieu-dit, une province du Fuuta Tooro qui n’a pas fourni d’Almaami du Fuuta, ni de candidat à l’Almimayat. Le Dimar dut, à la fin du XVIIIe siècle, se réadapter aux changements dans les modes de relation économique, dans l’orientation des réseaux commerciaux. Nous insistons sur trois notions qui jalonnent l’histoire des dimatnaaƃe à savoir la migration, la négociation et les conflits armés. L’un de leurs derniers conflits armés, la bataille de Dialmath de 1854, fut en leur défaveur. Ce fut cette défaite contre les Français qui entraîna un déclin progressif du Grand Dimat matérialisé en avril 1858 par la sécession des deux grands villages wolofophones que sont Gaya et Bokhol, puis l’annexion pure et simple de la province dans le giron colonial en juin 1858. Nous analysons les processus de mutations et de ruptures. Ceux- ci portent8 d’abord sur les mutations sociales et politiques, en second lieu sur les relations entre le Dimat et le Fuuta Tooro d’une part et entre le Dimat, le Trarza, le Walo et la France d’autre part. Notre souci est de mettre en évidence cette construction politique, née à la fin du XVIIIe siècle, lorsque des migrants appelés, les dimatnaaƃe (ceux de Dimat ou Dimar) venus de la rive droite du fleuve Sénégal, négocièrent et obtinrent des chefs politiques du Tooro, des Foulbé Yalaalƃe et de l’Almaami du Fuuta Tooro, le droit de s’installer dans une zone interstitielle marginale. Les nouveaux migrants mirent à profit la position géographique avantageuse de leur nouveau site et nouèrent des relations commerciales avec les peuples africains voisins et même les commerçants européens longeant le fleuve Sénégal.

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Fall Mamadou, L’Etat postcolonial post-atlantique entre terroirs et réseaux transculturels en Sénégambie XVIIe–XXe siècles : approche méthodologique, Annales de la Faculté des lettres et sciences humaines, 2-3, 1998, pp.75-89. 7 Lire Seck Ogo, La singularité du pouvoir politique traditionnel en Afrique : exemples comparés des sociétés wolof et bantu, Annales Africaines, Nouvelle série, volume 1, décembre 2014, Harmattan Credila, pp 183- 212. 8 « Historians focus on particular sets of events for their own sakes, they do not treat them as cases which exemplify some overarching theory. At the same time, they try to connect particular events to the whole universe of human thought and action. Most important, historians aim to describe and explain change, they want to show how one situation gave way to or was transformed into another. A consciousness of change and transformation is really the essence of historical way of thinking »., Humphreys R. S., op. cit., p. 2.

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Ce travail permet de dater le processus de changement du chef africain charismatique, partageant les pouvoirs selon une charte précise en un chef de village ou de province autoritaire, à la gestion patrimonialiste et homme lige des autorités coloniales françaises. Il confond souvent ses propres biens et avec ceux de la communauté. Comme le bradage récurrent des ressources foncières en 1764 et en 1817 au Kajoor puis en 1819 au Waalo sur fond de corruption passive. Il est l’ancêtre du chef de canton colonial qui à son tour engendra un type de dirigeant politique du Sénégal indépendant. Ce fut cette catégorie d’élite politique qui affecta 20.000 hectares en 2010 à un consortium italien dans la vallée du Sénégal. La réaction populaire fut à l’origine des évènements sanglants de Fanaye d’octobre 2011. Ce livre nous édifie sur l’ancienneté des relations économiques, diplomatiques et militaires entre la France et les constructions politiques sénégambiennes. Mais aussi il montre le caractère récurrent de l’immixtion française en Afrique dans ces différents domaines. La France s’est trop intéressée aux questions sécuritaires, ce depuis le temps des compagnies commerciales aux XVIIe-XVIIIe siècles. Nous remontons aux origines, contextes et mobiles de cette politique interventionniste française en Afrique au sud du Sahara. Nous décortiquons les méthodes quelquefois peu orthodoxes utilisées par le gouverneur de la colonie, pour freiner l’avancée rapide en Sénégambie du parti djihadiste d’El Hadji Omar Tall, le représentant de la Tidjania en Afrique Occidentale. En 1857, la France et les djihadistes se frottèrent violemment à Médine dans le Haut Fleuve. Elle voulut alors empêcher une nouvelle attaque djihadiste d’envergure dans le bas Fuuta Tooro et dans le Waalo. Alors, sur le plan strictement stratégique, le gouverneur de la colonie établit le camp militaire avancé d’observation de Fanaye en janvier 1859 pour contenir la menace djihadiste, ce par des actions militaires et le renseignement. Les mêmes motivations justifient les interventions françaises au Mali et dans le Sahel à partir de janvier 2013 avec l’opération Serval remplacée depuis aout 2014 par l’opération régionale Barkhane. Sur le plan militaire encore, la bataille de Dialmath de 1854 que nous relatons et qui est l’une des toutes premières campagnes militaires françaises au sud du Sahara nous édifie sur les différentes stratégies des combattants africains, leur technique d’attaque et de défense relatées dans les rapports de l’Etat-major Français. Cette bataille fut à l’origine de la destitution du colonel gouverneur Protêt critiqué par ses pairs de l’État-major pour sa mauvaise approche tactique à l’origine du nombre élevé de morts côté français. Le Dimat se singularise dans l’histoire de la Sénégambie par deux actions originales : la prise en otage d’un officier de la marine française de mai à juillet 1854 et un exil massif et brusque de la majeure partie de la population de Dialmath en 1862 afin de refuser le paiement de l’impôt colonial. 16

Ce livre nous permet aussi de mesurer la profondeur de la pensée économique française. En effet, on perçoit une attitude constante, une volonté farouche de sauvegarder les intérêts de ses compagnies commerciales, de ses nationaux et des besoins de son économie métropolitaine en produits ‘exotiques’. Souvent, ce fut au détriment des intérêts de ses interlocuteurs africains. Sur le plan géopolitique, dès le début du XIXe siècle, la France se positionne comme médiatrice dans les conflits intra-africains. Le livre est basé sur une exploitation croisée des sources écrites et orales. Les sources orales9 sont constituées d’interviews, de causeries recueillies entre 1993 et 2017. Les sources écrites sont des manuscrits en arabe et en français, des documents d’archives consultés aux Archives nationales du Sénégal (A.N.S.) pour la période allant de 1817 (2B4) à 1908 (1D 170, 13G116). Nous avons aussi consulté plus de 110 dossiers des séries B (sousséries 2B 1 à 2B64, 3B60 à 3B97 et 5B), la série D (sous-série 1D7, affaires militaires), la série G, avec les sous-séries 1G, 18G, etc. Une autre source est constituée des manuscrits privés (manuscrits de Tékane), un village du Dimar se trouvant en Mauritanie du sud et qui constituent une importante source écrite produite par les autochtones. Ils relatent la trajectoire migratoire des dimatnaaƃe depuis la Syrie jusqu’à Dialmath. Nous ignorons cependant les conditions de leur élaboration et de leur transmission. Leur degré d’authenticité reste difficile à juger. Il y a aussi les documents écrits retraçant les généalogies auxquels nous avons fait recours et qui nous ont permis de construire des arbres généalogiques de différentes familles du Dimat. Nous avons pu avoir une version de l’Asko Kanhanbe Dimat, la généalogie des Kane descendants d’Ayel Abdallah dont l’auteur est Saïdou Abou Kane Mawdo. On comprendra ainsi facilement la répartition dans la sous région ouest africaine des descendants de Hamet Diouldo Kane des termes suddu, galle et reedu. Nous avons trouvé pertinent de mettre en exergue la généalogie. Nous nous excusons à l’avance pour les éventuelles erreurs ou confusions. Il y a aussi les sources imprimées, par exemple les relations de voyage.Le Dimar a été traversé par les voyageurs européens. Anne Raffenel, dans Voyages dans l’Afrique Occidentale exécutés en 1843 et 1844, nous donne des informations sur les villages riverains du fleuve Sénégal, sur des événements socio-politiques tels que la prise d’un ‘prophète’ par Brou en 1829, les potentialités économiques des villages de Gaya, Bokhol, Fanaye Waalo, etc., la végétation locale, l’organisation sociale du Fuuta Tooro10, etc. 9 « Il y a des choses à prendre et à laisser dans la tradition orale »., Amadou Makhtar M´bow, ancien directeur général de l´UNESCO, émission ‘‘Regard de la RTS’’, Dakar, mai 2003. 10 Ce récit de voyage fait par cet officier de la Marine, membre de la société de géographie et de la société d’ethnologie de Paris entrait dans le cadre d’une mission d’inspection des rives du fleuve Sénégal de

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Gaspard Mollien11 a lui aussi traversé le Fuuta Tooro au début de l’année 1818. Il publia en 1820 à Londres une relation de voyages intitulée Travels in the Interior of Africa. Il ne fit aucune remarque particulière concernant le Dimar. William Gray12, un anglais dans ses relations de voyages intitulées Travels in West Africa publiées en 1825, fit des témoignages importants sur la coalition montée par Ḗlimane Boubacar en 1820. Un séjour à Indiana University à Bloomington nous a permis de consulter les Archives of Traditional Music et d’exploiter les entretiens oraux en pulaar faits par David Robinson au Fuuta Tooro en 1968. James Philip Johnson n’y a pas déposé ses cassettes qui concernent le département de Podor (le Tooro et le Dimat13). La littérature spécialisée se compose des travaux de nos prédécesseurs sur le Waalo, le Fuuta Tooro, le Kajoor, le Gajaaga. Cependant ils ont tous effleuré l’histoire des dimatnaaƃe. Nous les comprenons bien, l’écriture de l’histoire de l’Afrique en général et de la Sénégambie en particulier, requiert comme le dit bien Harouna Amadou Ly dans l’avant-propos de sa monographie sur Saldé Tébégout, une écriture de l’histoire locale, ‘celle d’une contrée, en s’attachant á toutes les investigations possibles ; cela a l’avantage, á moyen ou long terme, par le biais d’un maillage méthodique et systématique, d’aider á lever le voile sur le passé de tout ou partie d’un pays14’. Il y a l’ouvrage du professeur Oumar Kane publié en 2004 qui est une sorte de compilation de ses recherches pionnières sur le Fuuta Tooro dont il a le mérite d’être le plus grand spécialiste15. Il présente très bien le Dimat sur le plan géographique, il dresse une courte biographie d’Elimane Boubacar Kane et de Tafsir Diabiri16. El Hadji Amadou Sèye, dans sa monographie consacrée au Walo Brack, nous donne des informations très intéressantes sur l’histoire du Waalo et de ses voisins17. Cependant, les archives coloniales ont été partiellement Saint-Louis à Bakel. Voir comment la vallée du Sénégal pourrait être insérée dans le nouveau projet économique français. 11 Mollien G., Travels in the Interior of Africa, London, 1820. 12 Gray Major W. and Staff Sergeon D., Travels in Western Africa, London, 1825, pp. 351- 352. 13 Communication personnelle de David Robinson, East Lansing, juillet 2001. Les informateurs de Robinson abordaient souvent des thèmes liés à l’origine des Kane et sur leur migration dans le Dimar et le reste du Fuuta. 14 Ly Harouna Amadou, Saldé-Tébégoutt : métropole sénégalaise du pays des Dialloubé, entre mythe et réalité, Harmattan 2015, 272 pages. 15 Kane Oumar, La première hégémonie peule : le Fuuta Tooro de Koli Tengella á Almaami Abdul, Karthala, Presses Universitaires de Dakar, 2004, 670 pages. 16 De la page 533 à la page 534 pour Elimane Boubacar Kane et pour Tafsir Diabiri de la page 534 à la page 535. 17 Sèye El Hadji Amadou, Walo Brack, Editions Maguilen, 459 pages.2010

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consultées. Pour les Archives Nationales du Sénégal il a seulement consulté la période allant du 25 septembre 1846 au 26 juin 1878 et pour les Archives Françaises de 1861 á 1878. Il était donc nécessaire de consacrer au Dimat une monographie. C’est un travail qui doit être régulièrement amélioré et mis à jour en fonction des critiques, remarques et des sources nouvelles. Le livre est divisé en trois parties. La première partie étudie le milieu. L’accent est mis sur les potentialités écologiques, le proto-peuplement, les facteurs environnementaux qui expliquent les mouvements de populations vers ce site et enfin l’organisation sociale des différentes communautés. La seconde partie aborde les conditions de la construction d’une organisation politique de type villageois, de la consolidation du pouvoir des marabouts issus de la migration et, enfin, la troisième partie traite de la vie de relations avec le Walo, le Trarza, le Brakna, Saint-Louis.. On perçoit dans cette partie l’ancienneté de l’implication ou l’ingérence française dans les règlements des conflits en Afrique, cela dès la phase d’avant la colonisation proprement dite, bien avant ce qui va se passer dans la période coloniale ou postcoloniale (Côte d’Ivoire, Mali, RCA, etc..). L’analyse des conflits internes entre les élites politiques locales du Tulde Dimat d’une part, entre le Tulde Dimat et Saint-Louis, d’autre part constitue l’essentiel de la troisième partie. Cela est dû à la disponibilité des sources.

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Première partie

Le milieu et ses occupants

Chapitre I : Le milieu et ses potentialités écologiques Il n´est pas possible d´entreprendre une étude sur le Dimat sans replacer cette province dans le contexte d´ensemble que constitue la Sénégambie18. Le Dimat se définit par sa position stratégique centrée autour du bassin de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, dans une situation intermédiaire entre d´une part le Sahara et la savane et d´autre part le delta et la haute vallée.

I. Toponymie et situation géographique A-TOPONYMIE

On désigne sous le nom de Tulde Dimat, Dimat ou Dimar, le pays compris entre le Trarza, le Waalo, le Tooro et le Djolof. Il doit son nom au fait que le site de Dimat Rewo, en Mauritanie méridionale, se trouvait sur une colline ou monticule appelée tulde en Pulaar.19 Le Tulde Dimat, au moment de sa plus grande extension, occupait un territoire à cheval sur les deux rives du fleuve Sénégal. Le déplacement de ses frontières est intimement lié à son histoire dominée par la volonté de contrôler de riches terres. Deux toponymes en sont révélateurs. Le premier, Dialmath, serait dérivé de l’expression Pulaar joli majja (celui qui s’engouffre dans cette forêt touffue s’y perd), faisant allusion d´abord à la végétation luxuriante du site d’installation, ensuite aux risques qu´encouraient tous les candidats à l´installation dans ce milieu. Le second Bokhol, signifie en wolof l’idée d’insertion, de recasement de nouveaux migrants dans un espace disputé et providentiel.20 L’imprécision de l’onomastique21 est due, à notre avis, au fait que les vrais fondateurs des villages réoccupés ou co-occupés par les dimaatnaaɓe ont dû migrer ou se fondre dans les groupes ethniques wolof et Pulaar. Un

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Barry B., La Sénégambie du XVe au XIXe siècle, Traite négrière, Islam et conquête coloniale, Paris, Harmattan, 1988. 19 L’altitude serait de 45 mètres seulement. Lire Lericollais A., Diallo Y., Santoir C., Peuplement et cultures de saison sèche dans la vallée du Sénégal, note explicative N° 81, Paris, Orstom, 1980, p. 3. 20 Du terme wolof boxxu qui renvoie à une réinstallation de ces migrants venus de la rive droite du Sénégal. 21 Aussi avons nous préféré nous limiter à quelques tentatives de traduction.

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exemple ou une piste de recherches est l’existence d’un village ou d’un quartier nommé Thiangaye en pays sereer. Le Tulde Dimat est un terme polysémique. Son contenu peut signifier : - une expression géographique, qui renvoie à un territoire composé d’un ensemble de localités s’étendant des alentours du lac R’kiz au nord et jusqu’à une vingtaine de kilomètres au sud de l’axe Dimat Diéri-Fanaye Diéri ; - différents groupes ethniques ayant en commun des réseaux multiformes et occupant une zone de contact Sahel-Sahara de dispersion et de rencontre interraciale; - une expression transculturelle faisant allusion à un ensemble d’usages et de coutumes. On parle d’une manière générale du aada22 du Tulde Dimat. On fait aussi allusion au teŋe Dimat c’est-à-dire la dot selon la pratique du Dimat, appliquée dans la moyenne vallée; - un territoire politique et social ayant connu dans le temps et dans l’espace plusieurs capitales. Ses principaux villages et campements situés sur la rive gauche du fleuve Sénégal étaient au XIXe siècle d’ouest en est : Dagana (sa partie dite musulmane par opposition à sa partie non musulmane), Gaya et ses campements de foulbé, Réfo, Bokhol, Fanaye Waalo Ancien, Fanaye Waalo Nouveau, Thiangaye, Diamndiaye, Diagnoum, Dialmath, Langobé ( village aujourd’hui disparu), Thillé Boubacar, Pendao, Ndiayéne, Figo, Thiéwlé, Diammel Diéri, le campement des foulbé Borobé et Soonaaƃe Bootol, Niandane, Fanaw, le campement foulbé de Niandane, le campement des foulbé Breïkat et Lobboudou. Les campements foulbé 23 du jeeri comme Mbiddini24, de même que des villages pulaar ou wolof de la rive droite comme Gani, Tékane, Sokam, Lobboudou Bakaw, Niakwar, Dar Salam et Gawdal. B- SITUATION GÉOGRAPHIQUE

Le Tulde Dimat fait partie intégrante du Fuuta-Tooro dont il constitue la province la plus occidentale. Territoire situé sur la marge de quatre provinces, ses limites et dimensions sont imprécises. 22

C´est-à-dire un ensemble de règles propres à la communauté. Yéro Koty Arona Lobboudou Diallo interviewé à Diardé Koylé le 8 octobre 2001 par le Mopaf (monde pastoral et fulbe), groupe de recherche du West African Research Center. 24 Ce village signifie en réalité Biddini qui veut dire en arabe avec la religion. En juillet 1869, Ardo Amar chef des Wodaaƃe proposa à Amadou Sheikou Ba de s’y retirer en raison de sa position stratégique. Le chef Wodaaƃe promit de l’y rejoindre ainsi que tous les mécontents du pays. Voir A.N.S., Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, Dagana le 12 juillet 1869, pièce 104. 23

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Le Tulde Dimat est limité à l’est par le Tooro dont l’axe Taredji-Nianga est admis par convention comme la frontière. A l’ouest, le Tulde Dimat est limité par la province du Waalo, dont la localité de Dagana sert de frontière politique25. Les ‘frontières’ du nord et du sud sont très imprécises car jouxtant des zones habitées par des transhumants. Elles sont très usitées car leur traversée permettait d’atteindre les célèbres universités de Shinguetti en pays maure et de Pire Saniokhor en pays wolof. Cependant, il est généralement admis que, lors de sa plus grande expansion, le Tulde Dimat englobait le bassin du lac R’kiz situé dans l’actuelle Mauritanie méridionale qu’il va disputer au Trarza à la fin du XVIIIe siècle. La frontière méridionale est, elle aussi, mouvante, même si le village de Mbiddini peut être considéré comme la limite. Il faut cependant préciser le caractère relatif de ces limites qui ne sont pas en fait des frontières, car les populations n’hésitaient pas à les franchir pour aller dans leurs champs, les pâturages, les lieux de cueillette, d’études et de pèlerinage, etc.

II. Relief, climat, sols et végétation A- LE RELIEF

Il présente un modelé plat et monotone, de nombreux cours d´eau, des dépressions naturelles constamment remplies d´eau et constituant des bassins de rétention naturels. Les réserves hydriques sont renforcées annuellement par les eaux de crue et de pluies. L’ensablement, plus ou moins épais, n´existe pas au sud ; la faiblesse et l’irrégularité des pluies augmentent dans la direction opposée. La couverture végétale est dominée par les épineux et les graminées.

25 Ceci permet d’affirmer l’inexactitude du propos d’Amadou Wade selon lequel le marigot Ngalanka et de Bedindy constituent la frontière entre le Waalo et le Dimat. Cette idée a été reprise par Barry B., Lire « Chronique du Waalo sénégalais (1186 ?-1855) », par Wade A. (1886-1961), traduite du Wolof par Bassirou Cissé , publiée et commentée par Monteil Vincent, Bulletin de l’IFAN , tome XXVI, série B, n° 3-4 , juillet-octobre 1964, p. 462. Des limites reprises par El Haji Amadou Sèye dans son livre dont nous donnons les références dans une autre note de bas de page.

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B- LE CLIMAT

Le Tulde Dimat participe aux mêmes caractéristiques climatiques et biogéographiques que le reste du Sénégal septentrional, qui se situe dans la zone soudano-sahélienne. Celles-ci se caractérisent par une pluviométrie irrégulière (entre 400 et 200 mm de pluie par an), mais suffisante pour mener à terme la maturité des récoltes de céréales26. - Les potentialités écologiques Un réseau hydrographique assez dense Le réseau hydrographique confère à cette partie de la Vallée de puissants traits originaux. La crue du fleuve Sénégal et de ses défluents permet une irrigation naturelle des terres entre octobre et fin janvier. Les principaux défluents du fleuve Sénégal sur la rive droite sont : le Thiallakh, le N’diader, le Bell, le Cheyal, l’Aftout es Saheli, le Gouère, le Garak, le Sokam, le Laoueïja, le N’diawane, le Koundi et le Kiraye. 26

Michel P., Naegele A. et Toupet Ch., « Étude biologique du Sénégal septentrional », Bulletin de l’IFAN, tome XXXI, série A, N°3, juillet 1963.

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Le Sokam et le Laoueïja sont les plus principaux défluents qui alimentent le lac R’kiz (35 kilomètres de long sur 4 kilomètres de large dans sa partie centrale). Leurs longueurs respectives sont de 40 et 44 kilomètres. Les défluents secondaires sont le Khamlach qui se divise en deux bras (le Tambass et le Gnonker) et le Skeïkim27. Les défluents que sont le N’diawane, le Sokam et le Ngalanka et des dizaines d’étangs temporaires ou saisonniers se transforment en hivernage en étendues d’eau qui configurent des poode (zones insubmersibles).Ils ont une faune ichtyologique très riche avec de nombreuses espèces piscicoles. Ainsi que de nombreux animaux piscivores (oiseaux et reptiles). Le choix de ce site densément desservi par des cours d´eau répondait à deux préoccupations : - la satisfaction des besoins en terres cultivables, ressources aquatiques, pâturages, etc. - la protection contre d’éventuels pillards. C’est ainsi que le marigot Ndiawane protégeait le village de Tékane ; celui dit Koundi, les villages de Niakwar, Barwadé, Gourel Kadiar (aujourd´hui disparu), Mboul, Fada, Gawdal et, enfin, Djolli. Dialmath est protégé par la boucle formée par le marigot Ngalanka et les caaɗli (cours d’eau non permanents) Lakk et Yondol situés respectivement au sud, au sud-ouest et au nord. Fanaye Waalo(nouveau) était protégé par le Ngalanka, ainsi que Gourel Thiangaye, dont les habitants avaient en partie abandonné leur premier site de la rive droite du Sénégal, pour fonder le village de Thiangaye ancien puis l’actuel Thiangaye. C- UNE RICHESSE ÉCOLOGIQUE ET PÉDOLOGIQUE AVÉRÉE

En traçant un axe orienté dans le sens nord -sud de Risga à Tatki, on note l’existence de deux écosystèmes : le premier est la zone inondable constituant le waalo avec des sols argileux28, alluviaux, hydromorphes et sableux qui servent de supports morpho-pédologiques à la diversité des pâturages fréquentés après les récoltes et où poussent des graminées à la fois annuelles et pérennes. Ces pâturages, très riches, sont entretenus par la

27 Projet de gestion intégrée des ressources en eau et de développement des usages multiples dans le bassin du fleuve Sénégal (PGIRE 2), Etude de caractérisation de la pêche continentale et de l’aquaculture dans les wilayas du Gorgol et du Trarza, République Islamique de Mauritanie, Rapport final, Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, Août 2016. 28 Lericollais André, Diallo Yveline, Santoir Christian, op. cit., p. 9.

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qualité du réseau hydrographique qui offre de faciles abreuvoirs au cheptel et à la faune29. Le second écosystème, la zone non inondable (jeeri ou seeno) est une vaste étendue sableuse qui s’étend vers le sud et le nord. Dans cet écosystème, on trouve des pâturages composés de graminées annuelles, de végétaux ligneux (arbres, arbustes et lianes) utiles à l’alimentation des troupeaux, surtout vers les mois d’avril et mai. On y distingue des pâturages de seeno, de baljool (zone sablo-argileuse), de jejengol (glacis de contact entre la zone d’inondation et le jeeri) et de mares temporaires. D- UN AGENDA RURAL CHARGÉ

Selon Jean Trochain, « au Sénégal... les indigènes admettent un plus grand nombre de saisons30 ». Les populations distinguaient, par des repères astrologiques et éoliens, cinq saisons. Une répartition des activités était spécifiquement réservée à chacune d’elles. Ces activités consistaient en une exploitation des terres et des eaux de la plaine alluviale (le waalo), l’utilisation de l´espace sahélien (le jeeri). La richesse écologique permettait aux populations de s’adonner donc à des activités agricoles, pastorales et halieutiques. On avait une association avec une dominante selon la localité ou la saison comme : agriculture-pêche, agriculture-élevage, culture de décrue et culture sous pluie, chasse-cueilletteculture des champs de berges... Durant le ndunngu (hivernage), de juin à octobre, dont les quantités de précipitations variaient entre 400 à 200 mm/an, on avait l’abondance pour le bétail qui trouvait de l’eau et de l’herbe avec les pâturages verdoyants. Les mares temporaires se remplissaient d’eau. Dans le waalo, les étangs étaient à leur plus haut niveau et tendaient à se joindre aux marigots. C’est la saison de la chasse aux caïmans organisée sous forme de fiifiire (battues) dirigées par les Subalbe. Durant cette période d’ilam (crues), les villageois s’adonnaient à la capture des meyooji (poissons qui, sous la pluie, sortent du fleuve et se meuvent sur la terre argileuse). La densité des pâturages dépendait de l’importance des pluies. Les pâturages abondants sont appelés ladde aaɓnde31. Pendant le kawle, saison de transition de novembre à décembre qui précède la saison sèche, on assiste aux récoltes des champs du jeeri, au retour des migrants vers leurs villages du waalo qu’ils avaient délaissés pour 29

En 1904, une notice sur le cercle de Dagana établie par l’administrateur René Manetche signale l’existence des lions, chacals, hyènes, autruches, caïmans, etc., parmi la faune du cercle. Lire A.N.S., 1 G 289, Notice sur le cercle de Dagana, par l’administrateur René Manetche, 1904. 30 Trochain J., Contribution à l’étude de la végétation du Sénégal, Paris, Larose, 1943, p. 194. 31 Le déficit est appelé ladde sooñde.

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surveiller leurs champs. Le remplissage des greniers prévalait durant cette période qui est celle de la décrue sous le double effet de l’arrêt des pluies et de l’action des vents secs. Se déroule aussi la cueillette. Elle porte d’abord sur des céréales comme le paggiri beeli (panicum humile) dans le waalo, le riz du waalo ou maaro weendu (oryza barthii). Elle porte, ensuite, sur la cueillette des fruits et feuilles d’arbres. On peut citer, parmi les végétaux le baobab (andansonia digitata), le jujubier (ziziphus mauritania), le dayeeje (nymphae lotus), le kelli (grewia bicolor), le gijile (boscia senegalensis) et le mucceteeki (balanites egyptiaca). C’est, enfin, la saison sportive par excellence, ponctuée par des combats de lutte simple inter ou intravillageois. Ils débutaient après les fêtes de la moisson. Le dabbunde, de décembre à mars, est la saison du froid et des cultures de décrue du waalo. L’opération culturale principale est le semis, que peuvent effectuer les membres d’une famille nucléaire dans un type de coopération complexe restreinte (un homme, sa femme et ses deux enfants)32. Cependant, certains villageois préfèrent aller habiter au milieu de leurs champs.33 Comme l’avait remarqué le commandant de Dagana : « Ils (les villageois) sont tous à leurs lougans34 pour les soigner et les empêcher surtout d’être dévorés, le jour par les oiseaux et la nuit par les quadrupèdes herbivores qui fourmillent dans le Dimar » 35. Dans le jeeri, il n’y avait plus d’eau dans les mares et les pasteurs devaient se rapprocher du fleuve Sénégal ou des marigots. Les éleveurs venaient camper dans le jejengol où les animaux trouvaient de l’herbe verte. Avec l’accord des chefs de village, les troupeaux pouvaient pénétrer dans les champs du jeeri fraîchement abandonnés. Ils y trouvaient une nourriture abondante : rejets de petits mil, fanes de doliques, écorces de melon d’eau, herbes résiduelles accompagnant les cultures. Cette opération est le ñaayngal (vaine pâture). Le ceeɗu, qui se déroule d’avril à mai, est la saison la plus sèche avec des températures tournant autour de 40° C, avec des vents chauds, desséchants (mbooy ou harmattan) et en provenance de l’est. C’est le temps de la cueillette du suc des pattuki (acacia sénégalensis ou gommier) qui procure la gomme arabique dans le jeeri et du gawdi, (le fruit du gonakié) dans le waalo. Durant cette période, les éleveurs transhumaient vers des lieux plus verdoyants : lacs de Guiers et de R’kiz, zone tampon entre le marigot Ngalanka et le fleuve Sénégal, les mares de Guoléte, Tawame, 32

Lericollais A. et Schmitz J., op. cit., 1984, pp. 440-446. Ce qu’on appelle en pulaar lulyaade. C´est-à-dire les champs ou kolaade en pulaar. « Tous les maîtres du Fuuta depuis les Denianke, ont fait de la terre un instrument politique »., Ba A, op. cit., p. 85. 35 ANS, 13G101, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, Dagana le 17 avril 1863, pièce 117. 33 34

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Mbalngane, etc. Ils abandonnaient leurs campements de saison de pluie pour s’occuper de leurs champs du waalo où ils se mêlaient aux sédentaires. Selon Mamadou Hamadoune :« Nous les Wodaaƃe …avions beaucoup de bêtes, ça ne nous empêchait pas de cultiver, nos greniers étaient remplis de mil » 36. Ardo Moussa Diéri 37 précise que les Wodaaƃe restaient trois mois dans le waalo pour surveiller leurs champs contre les singes, phacochères « qui déracinent les tiges pendant la nuit puis il y a les oiseaux et avec les voisins on fixe la date de la récolte38 ». Environ deux tiers de la population active se dispersaient dans les kolaaɗe du waalo, s’occupant ainsi soigneusement de leurs champs. Vers la fin du ceedu, il existe une courte saison intermédiaire appelée ceed seele dominée par la préparation des sols des terrains de culture du jeeri. Les villages du jejengol et du jeeri commençaient à recevoir le retour des migrants ou des saisonniers venus ou revenus des villages du waalo. Les animaux domestiques des villageois se rabattaient sur les plantes annuelles et leurs fruits surtout le caski (acacia albida). Les bêtes de somme : chevaux et ânes étaient laissés en divagation : c’est le birgu. Le demminaare, qui dure de mai à juin, est une saison de transition qui précède les pluies (mai-juin). On a un retour à l’humidité, apportée par la brise maritime qui souffle. Appelée baar, elle contraste avec un vent de provenance méridionale : le jigoor ou la mousson. Les populations s’affairaient à la réfection de leurs habitations. Elles utilisaient trois matériaux : le bois, l’argile et la paille. Le bois est tiré des arbres du kelli (grewia bicolor), du ciluki (acacia raddiana), du gonakier. Il sert à confectionner les charpentes. L’écorce du nammadi (bauhinia rufescens) sert à la fois de cordes et lianes. Les hautes herbes poussant autour des beeli (mares) et des caali (étangs) sont utilisées pour tisser des couvertures des cases, des nattes, portes. Il s’agit du ciwgal et du sembaan (vétiver ou vitiveria nigritina). Les cases avaient (et ont encore) une charpente en bois et en paille qui repose sur une murette en banco. Les murs étaient (re)peints avec de l’argile rougeâtre (kaajaar) et blanchâtre. Les femmes faisaient des dessins, des figures géométriques ou humaines sur les murs. Les portes des cases du Tulde Dimat étaient en général orientées vers le nord, parce que pendant la saison des pluies, l’eau de la pluie y entrait moins que lorsque la porte était orientée vers le sud. La direction ouest-est n´est pas bonne parce que les rayons solaires peuvent pénétrer en force. 36 Mamadou Hamadoune, retraité de l’administration, ancien Ardo Wodaaƃe, interviewé par Alain Faliu, Diabobé, 18 août 1976. 37 Ardo Moussa Dieri, chef de village des Wodaaƃe II, interviewé par Alain Faliu, Kadiogne, 15 et 16 août 1976. 38 Ardo Moussa Dieri, informateur déjà cité (inf. cit.).

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Le demminaare, est aussi une période propice à la chasse et à la cueillette car les populations étaient en général libérées de toute contrainte agricole. Elles cueillaient les feuilles de baobab dans le jeeri, le boru ou l’indigo (indigofera suffruticosa) et le coton sauvage servent pour la confection de tissus en cotonnades teintes. Les éleveurs, grâce à leur capacité d’observation des astres, repéraient rapidement les zones ayant déjà reçu leur première pluie : appelée ngatamaare et s’apprêtaient à migrer vers le sud. E– LES MODALITÉS D’EXPLOITATION DES RESSOURCES DU MILIEU

Les communautés locales avaient un cheptel bovin, ovin, caprin, camelin et ânin. Les Foulbé sont de grands éleveurs de bovins appartenant à l’espèce «bos indicus» appelé bœuf à bosse en référence à la bosse adipeuse sur le garrot. Les chiens et chats étaient élevés pour lutter respectivement contre l’insécurité et les rongeurs très nombreux dans la contrée. Les sédentaires élevaient en priorité les ovins et caprins, moins encombrants. L’élevage de type extensif, fondé uniquement sur la pâture de la végétation naturelle sur les bords du lac R’kiz, était pratiqué par les Foulbé et les Maures semi-nomades. Des milliers d’hectares, constituant une immense réserve fourragère y étaient disponibles pendant la saison sèche. Il y a une importante couverture végétale, constituée principalement d’une herbe connue sous le nom de siiwre ou gazon (kylliga squamulata), qui forme un tapis très compact sur les berges et se prolonge même dans l’eau.Les sédentaires y maintenaient le plus souvent quelques éléments du cheptel qui étaient alors retenus dans un parc situé dans la concession. Le tufundi39 (quai) permet dans ce milieu amphibie d’abriter les pirogues et les biens et personnes devant traverser les cours d’eau. Il existait par exemple sept lieux de traversées (tuffuli)40 à Dimat-Dialmath: tufundi Fakkar, tufundi njulibbi, tufundi Guéthie, tufungel jaltaabe ou kaggu jane, tufunguel Mamoudou Ali, tufundi Langoobe et tufundi Elimane. Les quais de débarquement et de transit les plus usités et garantis mystiquement par le jaaltabe Dimat étaient le tufundi Guéthie et le tufundi Jaaltabe41. À ces lieux précis, était garantie la sécurité des personnes et des biens chargés dans les embarcations. Le tufundi, seul lieu autorisé pour la traversée des pasteurs transhumants qui payaient une taxe en nature, était la

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Le tufundi est aussi une étape à fonction commerciale pour l’échange de produits locaux (mil, grains de pastèques, gomme arabique, bois de chauffe) et étrangers venant de Saint-Louis et acheminés par les traitants. 40 Il s’agit du pluriel de tufundi. 41 C’est en général à ces points où s’arrêtaient les barques venant de Saint-Louis appelés marigotiers.

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porte d’entrée dans l’espace fulvio-lacustre. Le jaaltabe42, qui en était le principal gérant, ordonnait les périodes de fiifiire (chasse aux caïmans) et indiquait les tronçons du marigot interdits de pêche, etc.43 L’agriculture se déroulait sur le falo ou champ de berges et les kolaaɗe du waalo (terrains de culture de décrue). Ces champs sont situés sur les deux rives du fleuve Sénégal et des marigots, sur un espace exigu et convoité. Le falo, terrain généralement très en pente longeant le lit mineur du fleuve,44 abrite plusieurs variétés de cultures : maïs, niébé, courges, citrouilles, patates douces, tomates, tabac... Selon Abdourahmane Ba, « les Toucouleurs disent falo falotoo ko heege » (le falo empêche la famine)45. Les kolaade du walo très disputés sont partagés entre leurs propriétaires Foulbé, Tooroƃƃe, Waylube et Awlube. Des Gallunkooƃe avaient reçu une donation en terres d’Elimane Boubacar Kane46. Selon Baye Ousmane Diagne, les Gallunkooƃe avaient des kolaade dans le jeeri, il y a le kolangaal Raaja (entre Diagnoum et Dimat Diéri). Dans le waalo, on peut citer les kolaade de Bouss, Sabéré Alwaly, Ndondoudji, Hamet Yéré, Diamnguel, Diagnebé, Jalkoodjé, Sileye Gaye et Diagnoum Guéssé47. La répartition des pale et des kolaade du waalo nous renseigne sur la hiérarchie sociale qui existait dans le passé et nous éclaire aussi sur la succession des vagues de peuplement48. Les Tooroƃƃe se partagent la majorité des parcelles dont des foulbé seraient les vrais propriétaires jusqu’à un passé récent. Un seul falo appartenant réellement aux Waylube a été répertorié à Dimat.

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Il s’agit d’une double façon de rationaliser d’une part les ressources du milieu et d’autre part de pouvoir contrôler la remise du lacci noro espèce de taxe destinée à Elimane. Aly Bocar N´diaye, inf. cit. 44 Wane M., « Réflexion sur le droit de la terre Toucouleur », Bulletin de l’IFAN, série B, tome XXXXII, 1980, pp. 92-96. 45 Ba A., Le Takrur, op. cit., p. 87. 46 Lorsqu’ Elimane Boubacar Kane épousa Mariam Asta Sy, il fit des donations de gese (champs de cultures) à ses accompagnateurs Gallunkooƃe. Il s’agit de champs de culture de décrue situé à Toodel, Diamnguel et après à Diagnoum Guessé. Voir interviews Coumba Dada Kane et Dieynaba Ciré Kane, interviewées à Diagoum en septembre 2002 par Saïdou Abou Kane. 47 Entretien avec Baye Ousmane Diagne réalisé le 15 Avril 2012 à Dimat Diéry. Propos recueillis et transcris en français par Amadou Yéro Sarr, professeur d’Anglais, censeur du Lycée de Gaya. 48 Les Waylube avaient un kolangal à eux exclusivement. Il s’agit de Samba Hakoundi, près du kolangal Doundi Belli (Samba Akoundé de la carte de A. Léricollais), (les îles de l’étang) qui étaient dans une zone de dépression, donc facilement inondable. Il est situé à l’est de Dialmath. Contrairement à ce qu’affirme Jean Schmitz, des groupes statutaires autres que les Toorobé, Sebbe, Subalbe possédaient des kolaadé facilement submersibles. Dans le jeeri, le kolangal des Waylube était situé au nord de l’actuel village de Dimat Dieri. Le Farba waylube devait coordonner la main d’œuvre et la répartir entre la forge et les travaux champêtres dans le dieri qui exigent une mobilisation permanente d’une force de travail. Le second kolangal des Awlube dans le Waalo est Aly Diaawo. Dans le dieri, leur kolangal est Wendou Ndjobb. Les griots avaient aussi leur cheptel bovin, ovin et caprin obtenu souvent auprès de généreux donateurs. 43

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Les kolaade du jeeri étaient moins disputés que ceux du waalo par des villageois qui valsaient entre le nord et le sud. Diagnoum Saaré, par exemple, était habité par des exploitants agricoles venus du waalo49 et élevaient en même temps les chevaux utilisés lors des campagnes militaires. Le jeeri ou l’espace de prédation et d’élevage extensif était le lieu de rencontre des cueilleurs de feuilles de baobabs, de fruits, de chasseurs et éleveurs transhumants ou semi-transhumants. C’est un vaste espace dont les limites variaient selon l’importance de la quantité de pluie tombée. La cueillette de la gomme arabique était effectuée dans les forêts du jeeri. 50 L’extraction du matériau de construction des maisons en banco ou de confection d’objets de poteries se faisait sur les dorumaaji. Chaque quartier avait son jinnde (dépotoir d’ordures ménagères)51. Le dow wuro est l’espace utilisé pour se soulager. Chaque quartier utilisait le bois le plus proche. Par exemple, le quartier Fakkar de Dimat Dialmath avait pour principale destination le Yondol situé à l’est du village, zone dépressive et couverte de végétations. À la périphérie, se trouvaient aussi les cimetières qui reflétaient la ségrégation sociale52.

Conclusion L’existence de bons sites d’habitation, de vastes terrains de culture de décrue non défrichés, la richesse de la flore et de la faune sont des atouts naturels du Tulde Dimat. Il s’y ajoute la possibilité de se prémunir contre les pillages grâce au réseau hydraulique assez dense. Les ressources du milieu assez abondantes étaient soumises à une gestion rigoureuse supervisée par les chefs de communautés ou de campements.

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Ils avaient à leur disposition des captifs. Vuillemin Desiré G., Essai sur le gommier et le commerce de la gomme dans les escales du Sénégal, Dakar, Clairafrique, 1962. 51 Sira Guèye Kane, inf. cit. 52 Il y avait un cimetière pour les aristocrates situé au nord nommé jakke et un cimetière pour les autres groupes statutaires et les hommes libres appelé Lakk. 50

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Chapitre II. Autochtones et migrants : les réseaux en mouvements L’histoire de la Sénégambie est marquée par la triple dynamique de convergence, d’intégration et de dispersion de populations dans la vallée qui sous-tend l’histoire de cette région depuis des millénaires. Sans entrer dans le débat passionné relatif aux origines des populations, nous aborderons la problématique du peuplement ancien avant de nous focaliser sur les communautés venues s´installer au XVIIIe siècle dans la marge qu’est le Tulde Dimat.

I. Le proto-peuplement A- UN IMPORTANT SITE NÉOLITHIQUE

La Sénégambie septentrionale recèle des sites préhistoriques qui attestent l’ancienneté de la présence humaine. Sur la rive droite du fleuve Sénégal, l’Institut Mauritanien de Recherches Scientifiques (I.M.R.S.) a collecté, en 1978 sur les bords du lac R’kiz, des poteries à engobes et sans engobes, des pipes, des fusaïoles et plusieurs figurines zoomorphes en céramique.53 La tradition orale et les documents écrits54 s’accordent sur le fait qu’il existait un peuplement premier le long de la Vallée du Sénégal donc le Tulde Dimat. L’identification des peuples ayant devancé les migrants du XVIIIe siècle renvoie à des critères professionnels55 vagues, voire subjectifs. Selon le traditionniste Farba Amayel Mbaye de Kaédi : « Autrefois dans le Bosséa (Fuuta Tooro oriental), il y avait deux types d’habitants : le pêcheur et le berger. Le berger engendra le peul et le toorodo; le pêcheur engendra le ceddo » 56. Boubacar Sadio Sow, un Peul du groupe des Wodaaƃe, soutient que les premiers « occupants de Ndiayène, appelés sous le nom générique de Njaaynaaɓe, étaient très farouches et avaient peur des étrangers.Ils se 53

Institut mauritanien des recherches scientifiques, Nouakchott, dépôt rapport 1978. Diop Louise-Marie, « Evolution de la population de l’Afrique noire de la préhistoire au milieu du 20e siècle », Afrique Noire : Démographie, sol et histoire, Paris, Présence Africaine / Khepera, 1996, pp. 5 et suivantes. 55 Boubacar Sadio Sow, ancien ardo Wodaaƃe, interviewé par Alain Faliu, Kadiogne, 16 août 1976. 56 Farba Amayel Mbaye, interviewé par D. Robinson, Kaédi, 8 mars 1968. 54

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terraient dans les grottes, c’étaient des pêcheurs ». D’autres informateurs font allusion à ces habitants des cavernes57. Selon El Hadji Bocar Ba, « à Horéfondé et à Hayré Ndiouf habitaient auparavant des Ndaw et des Niang qui vivaient dans des cavernes » 58. Au Boundou, ces hommes et femmes qui habiteraient dans des grottes sont appelés faduɓe59. Les différents récits font allusion à l’attrait que suscite l’abondance des ressources hydriques, dont le rôle est central dans les sociétés agropastorales sahéliennes. Si la référence à son abondance est récurrente dans ces discours sur l’identification des peuples devanciers des dimatnaaƃe, c’est que les pêcheurs et les bergers ne peuvent pas s’en passer dans leurs activités économiques respectives. En fait, nous sommes en présence de communautés ayant des agendas différents mais usant d’un même espace. Elles finiront par trouver des plages de convergence en s’insérant dans des réseaux communs. Cependant, n’idéalisons pas le passé. Chaque ressortissant d’une communauté donnée essaie de minorer le statut de celle qui l’aurait devancée. C’est le cas des Foulbé Wodaaƃe qui qualifient les populations qui les ont précédés de « sauvages ». Au Fuuta Tooro, c’est le groupe appelé Toorodo, constitué en dernier lieu par un processus de recomposition sociale, qui se charge lui-même de reconstituer à son avantage la succession des vagues de peuplement. Farba Amayel Mbaye, essaie de créer un lien historique et sociologique entre les habitants anciens et actuels du Fuuta Tooro. Dans le cas du Boundou, par exemple, les griots sont chargés de faire passer le message du nouveau groupe dirigeant (les sissibe) en qualifiant les autochtones de mécréants qu’on devait humaniser en les convertissant à l’islam60 . Ă Diomandou, dans le Tooro, le récit de fondation des trois villages de Diami Mbayla, Diomandou et Thialaga est lié à l’existence d’un villageatelier de la métallurgie du fer. Des centaines de personnes se rassemblaient sous un grand tamarinier ombrageux pour battre le fer d’où le nom du lieu57

Ibrahima Ndiaye, toorodo, infirmier à la retraite, interviewé par Mamoudou Sy et l’équipe du MOPAF, N´diayene-Pendao, octobre 2001. Ba El Hadji Bocar interviewé à Kaédi le 5 mars 1968 par D. Robinson. 59 Demba Sembelou interviewé à Sénoudébou le 12 mars 1968 par Philip D. Curtin. 60 Selon Demba Sembelou, le marabout Malick Sy s’installa dans un espace presque vide où vivaient les fadube qui se dispersèrent à cause de la venue de leurs nouveaux voisins. Le marabout se battit contre des djinns avant de fonder le premier village des Sissibe à Fisa. Le fait de qualifier cette zone d’inhabitée est assez évocateur de l’état d’esprit de ce discours qui sous-tend que les populations autochtones sont des sauvages. 58

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dit Diami Mbayla (la forge sous le tamarinier). Ce fut un gros bourg qui chaque année faisait circoncire 100 jeunes enfants61. La communauté vivait fondamentalement de la chasse dont les fusils et balles étaient fabriqués localement par les forgerons-chasseurs de Diami Mbayla. Les deux autres activités étaient l’élevage et la pèche. La mémoire collective retient que les trois pères fondateurs étaient respectivement chasseur, éleveur et pêcheur. Selon Mamoudou Oumar Ba, de Thialaga, c’est en 1270 que les habitants de ce bourg, après concertation se donnèrent un chef appelé jom mangu(le doyen). Un pêcheur du nom de famille Wade fut choisi et on le nomma par contraction Diomandou mais son vrai nom est Mame Wade. Il était un pêcheur et vivait au bord du fleuve Sénégal dans un campement. Il était facile de le localiser et de solliciter ainsi son arbitrage. Les notables se donnaient alors rendez-vous chez le jom mangu o. Mame Wadu ou Wade vient-il du Waalo ? Est-il un descendant de Mbagne Wade qui a régné au Waalo entre 1258-1267 ? Pourquoi a-t-il migré ? Pourquoi est-il devenu pȇcheur dans le Tooro? Dans le Tulde Dimat, Baye Ousmane Diagne qui appartient au groupe des Gallunkooƃe affirme que ces derniers sont à l’origine de la découverte du site de Dialmath. Compte tenu de ces observations, nous pouvons conclure que le débat reste ouvert. Est-ce que les informateurs de nos interlocuteurs avaient la capacité à se souvenir de cette période assez reculée ? Dans le cas spécifique du Tulde Dimat, ces populations ‘anciennes’ seraient-elles les ancêtres des actuels porteurs des patronymes Diack, Diaw, Thiaw, Tine, Faye, Dia, etc., du Tulde Dimat ? Seraient-elles les ancêtres des communautés subalɓe ou jaawɓe ? Les premiers nommés étaient des pêcheurs, les seconds des pasteurs. Madiakhaté Cissé Kane essaie d’être précis en affirmant qu’« au début il n’y avait que deux communautés dans le Fuuta Tooro : le ceɗɗo et le pulaar ». Cependant, cette tentative reste limitée puisque ceɗɗo signifie en pulaar toute personne ou communauté non pulaarophone. Cette tentative d’identification des premiers occupants est assez répandue dans le Soudan occidental. Ce qui est sûr, c’est la permanence du phénomène de superposition de vagues de migrants.

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Interview 2 avec Mamoudou Oumar Ba en la présence d’Imam Amadou Moktar Sakho, Hamédine Wade, Seydou Mbodji, Hamidou Boubou Sakho et Mamadou Sy le 30 décembre 2014 à Diomandou. Thème : récit de fondation des villages de Diami Mbayla, Thialaga et Diomandou. Les relations entre les groupes sociaux dans le Fuuta Tooro.

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Dia Oukka ou Dia Ogo aurait séjourné, selon Delafosse, en un point de la rive droite situé à hauteur de Dimat et y aurait fondé un village appelé Lammobé dont les ruines sont encore visibles62. Ce village serait-il celui de Langobé aujourd’hui disparu mais à sa hauteur, il y a toujours un quai. B- INTÉGRATION DES COMMUNAUTÉS DANS DES RÉSEAUX

Les sources orales indiquent que dans le Hoore Fowru, l’ancienne appellation du Tulde Dimat, les communautés étaient réparties en plusieurs chefferies. La communauté des Pignaane contrôlait une aire de commandement s’étendant de part et d’autre du marigot de N’galanka grâce au commerce de produits agricoles et cynégétiques63. Un exemple d’intégration : les Pignaane La communauté des Pignaane était dirigée par une reine. Elle a eu entre autres, une reine célèbre nommée Yelli Mousoka, Yelli Fanaye Kobiri Pignaane ou Koumbiri Pignaane64. Ces noms composés renvoient-ils à une appellation réelle ou reconstruite ? Yelli semble faire allusion à une déformation d’Ely, un prénom maure ou berbère. Ce prénom revient souvent dans les arbres généalogiques locaux. Quant à Mousso, il s’agit d’un mot bambara qui signifie la femme. Ka est un patronyme typiquement peul. Pignaane semble être un mot sereer. Koumbiri et Kobiri sont dérivés de Kumba, prénom répandu chez les Sereer, Soninké, Pulaar, Wolof et Maures. Est-ce la même que la première reine du Fuuta Tooro qui porterait le nom de Koumba et aurait régné 15 ans et serait destituée par Dia Ogo ?65 À notre avis, ces prénoms composés attribués à cette reine sont un condensé de l’histoire de la Vallée du Sénégal faite de rencontres, de métissages et de dispersions. Ils rendent difficile l’identification ethnique de cette communauté. C’est peut-être pourquoi la mémoire collective les a remodifiés pour magnifier la symbiose inter communautaire. La communauté des Pignaane habitait dans un territoire ayant pour épicentre la confluence du fleuve Sénégal et du marigot de Ndor et comprenant précisément les anciens villages de Mbédindi, Dégounguel (qui en serait la capitale), Niakhawar, Niorguol et Toufoundé Welim Diop. 62

Cité par Ba A., op. cit., p. 16. Selon une légende ce marigot encore appelé N’dor doit sa naissance à un coup de corne qu’un taureau de la reine Koumbiri Pignaane aurait donné à une butte de terre argileuse. 64 Ibrahima Ndiaye, inf. cit. 65 C’est pourquoi on parle de Fuuta He Kummbari, selon Thierno Pathé Mbow dit Abdourahmane, interviewé à Matam le 5 mars 1968 par D. Robinson. 63

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Les chefs de la communauté des Pignaane, en même temps grands prêtres de la religion traditionnelle, portaient les patronymes de Thiaw ou Tine. Les porteurs de patronyme Diop, Diaw et Fédior, qui composent le reste de la population, seraient des Sereer et des Lébou d’origine. Cette construction politique aurait existé entre les XIe et XVIe siècles. Les Pignaane étaient-ils intégrés dans le Niamandirou ou plus tard dans le Tékrour ? Avaient-ils subi l’hégémonie de l’empire du Mali, du royaume de Kingui ou Diara ? 66 La reine avait-elle fait acte d’allégeance au roi du Djolof comme le prétend Yoro Dyao ? 67 Dans le Hoore Fowru les populations anciennement établies eurent des expériences variées. Il y a, en premier lieu l’appropriation de nouvelles langues, ce qui entraîne ainsi l’intégration dans de nouvelles communautés linguistiques68, le wolof et le pulaar notamment. Amadou Wade place vers la fin du XIIe-début XIIIe siècle la naissance de la langue wolof. Il affirme que « les gens de Mengeny, ceux du Sine et du Walo, sous la direction de Ndyadyan, composèrent un dialecte, qui est la langue des Wolofs (dafar sen wakh, moo-di wakh-u wolof) » 69. Il reconnaît que Ndiadiane, fils de Fatimata Sall, n’était pas un djinn et qu’il parlait le pulaar, car la première phrase qu’il prononça en s’adressant à Baat Boye fut : kalandyi tati (trois cales) 70. Nous remarquons une contradiction dans la mesure où Baat Boye aurait répondu à Ndiadiane dans la langue wolof, supposée jusqu’ici non existante. Ensuite, Amadou Wade nous rapporte les propos de Meysa Wali Dione : « Tout mon État, le Siin, tous mes sujets, les Sérères, sont à lui (Ndiadiane Ndiaye). Dites-le lui» 71. Enfin, il dit que les

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« Pendant une période indéterminée, couvrant au moins une partie du XIVe siècle, le Takrur avait dépendu de l’empire du Mali. La domination du Mali semble avoir été prolongée par celle du royaume du Jara à la fin du XVe siècle. », Boulègue J., Le Grand Djolof XIII-XVI e s., Paris, Editions Façades/Karthala, 1987, pp. 22-23. 67 « Le nouveau roi du Djolof reçut les soumissions, accompagnées d’un tribut égal, des chefs des différents pays qui formèrent l’empire Dyolof et qui sont : le Waalo, le Dyolof, le Cayor, le Bawool, le Siin, le Saloum, la province du Fuuta, limitrophe du Waalo, et appelée aujourd’hui Dimar, et les provinces du Bambouck voisines du grand désert du Ferlo qui sépare ce pays du Djolof »., Gaden H., op. cit., p. 15. 68 « Il semble que la langue wolof, ainsi que l’essentiel des institutions politiques et sociales ait pour foyer d’origine le Waalo qui est considéré comme le berceau de la civilisation wolof ». Barry B., op. cit. p. 47 89 Cheikh Anta Diop, souligne que le wolof serait né de la déformation du sérère par des éléments étrangers, originaires tous du Bassin du Nil. Le Djolof aurait donné son nom à la langue et au peuple qui allaient naitre de ce métissage. C’est pourquoi, dit-il, les Peuls appellent encore les Valafs les Djolfubé. Lire Nations Nègres et Culture, tome 2, pp.493 et suivantes. 69 Monteil V., op. cit., 1966, p. 31-32. 70 Cette phrase est du pulaar, ibid, p. 30. Cependant elle a été mal transcrite. Il s’agit de katanne ku tati, ce qui signifie que les cales doivent être au nombre de trois. 71 Monteil V., op. cit., p. 31.

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locuteurs de cette nouvelle langue (le wolof) devinrent maîtres d’un État qui devint un vaste empire puissant et dominateur(le Jolof)72. À notre avis, même si le berceau originel de la langue wolof se situe, selon la tradition orale à quelques dizaines de kilomètres en amont (Mboyourou gar)73, le Hoore Fowru fait partie de la première aire de recrutement de ses premiers locuteurs et d’éclosion de la culture wolof. Autrement dit, la wolofisation74 des anciens locuteurs d’autres langues aurait débuté dans la vallée avant de suivre les communautés migrantes notamment dans le Kajoor, le Bawol, le Sine et le Saloum75. Je ne reviens pas sur le débat relatif aux origines du pulaar 76. En tous les cas, la communauté pulaarophone du Hoore Fowru, est issue de groupes différents. Le Tulde Dimat, à travers, par exemple, le répertoire de ses griots constitue un bel exemple de répertoires en pulaar et en wolof. Un autre constat : c’est le fait qu’une importante communauté de Sereer et de Lébou allait rester dans cet espace, en gardant sa langue, ses us et coutumes, s’opposant donc à l’assimilation et une partie à l’islamisation comme nous le montre la disposition et la toponymie des quartiers à Fanaye, Thiangaye, Diagnoum, etc. Cette communauté devenue au moins bilingue à la suite d’une longue cohabitation, de mariages intercommunautaires, continua à pratiquer la religion du terroir. C’est le cas à Fanaye où ses descendants sont porteurs des patronymes Thiaw, Tine, Faye, Thiéne (déformation de Sène), Dior, Ndiom ou Fédior, entre autres. Une autre expérience est constituée par la migration massive des populations réfractaires à toute forme d’intégration/assimilation vers le sud du Tulde Dimat. Leurs destinations furent la région du Cap-Vert, le Sine, le Saloum, le Bawol, la Casamance, etc. 77 C’est le cas de Aldiouma Thiaw, ancêtre de tous les Thiaw de Fanaye, des Ki-Thiaw des sereer dits noon de

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Ibid, p. 32. Selon Boulègue J. (ibid.), il s’agit de Gar, un ancien village proche de Rao dans le Waalo, alors que Wade Amadou (op. cit., p. 31-32) parle de Mengeny.Je remercie M. Amadou Bakhao Diaw qui a bien voulu corriger l’orthographe de certains termes. 74 L’expression est de Jean Boulègue. 75 « Les Wolofs se seraient constitués à la faveur de l’existence de l’empire de Ndiadiane Ndiaye où se seraient fondus plusieurs groupes (soosé, sereer, Pulaar) pour donner naissance à la langue et au peuple Wolof », Diop A. B., La société Wolof, tradition et changement, les systèmes d’inégalités et de domination, Paris, Karthala, 1981, p. 17. 76 Ba A., op. cit., p. 59. 77 « L’archéologie semble confirmer la présence et l’ancienneté des Sereer sur la vallée. Le site de Guédé (Ceekel) présente la particularité d´avoir autour de lui une légende encore vivace selon laquelle le village fut occupé par les Sereer avant l’arrivée du Lam Tooro»., Ba A., op. cit., p. 55. 73

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Fandène et environs dans la région de Thiès et des lébou de la région de Dakar78. Comme dernier type d’expérience, on a une intégration/assimilation qui se fit d’abord par la religion musulmane. Ce fut le cas sous le règne des derniers Pignaane, qui auraient joué un rôle important dans l’islamisation d’une partie de leur communauté de Fanaye. Cependant, contrairement à ce que prétend la « tradition orale », les dimatnaaƃe ne sont pas les premiers à les islamiser. Leur action a été prépondérante au XVIIe siècle lors de la « guerre des marabouts » avec les « deux neveux de l´Elimane Dimar, Seydou Hountou Racine (Seydou Hountou et Oumar Ly) qui vont être envoyés chez les lébous et les sérères dirigés par les Pignaane pour y faire triompher les idéaux du parti musulman » 79. Mais, il ne faudrait pas exagérer l’ampleur de cette islamisation. L’intégration se fit ensuite par des alliances matrimoniales. Ceci a été observé à Fanaye. Nous aurons ainsi deux réseaux religieux chacun avec ses membres, son clergé et ses lieux de culte distincts. Les convertis à l’islam se voient confier dans le réseau des charges dans les domaines religieux, politique, économique et militaire. La principale conséquence de cette intégration/assimilation est l’abandon par les populations anciennes de leur parler et croyances originels. Un premier pas venait d´être franchi dans le processus de construction d´une nouvelle communauté. Cette œuvre de remodelage du tissu social se renforça aux siècles suivants (comme nous le verrons lorsque les communautés dominées maintenant par les marabouts s’installent de part et d’autre du fleuve Sénégal élargissant le réseau d’échanges).

II. Les communautés installées dans le Tulde Dimat à la fin du XVIIIe siècle : une harmonie favorisée par des réseaux multiformes cimentés par la pratique de l’islam La dernière vague migratoire à s’installer dans le Hoore Fowru venait de la rive droite du fleuve Sénégal donc un plus au nord, entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle. Elle était composée de Wolof et de Pulaar porteurs d’un ordre socio-politique déterminé. Le point commun de ses membres est une islamisation complète et ancienne. Une spécialisation de plus en plus vers 78 79

Saïdou Kane, inf. cit., mars 2004. Sy A., op. cit., p. 44.

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l’enseignement coranique. Nous faisons ci-dessous, le point des versions écrites et orales relatant cette vague migratoire. A- LES SOURCES ÉCRITES

Les manuscrits de Tékane80 ou l’origine septentrionale des migrants La migration des dimatnaaƃe est abordée par un texte de deux pages manuscrites écrit en arabe et conservé à Tékane par la famille d’Amadou Sy Mamadou. On y indique l’itinéraire suivi par les dimatnaaƃe . Il y a aussi l’énumération des principales localités traversées de la Syrie son point de départ à Dialmath un de ses points de fixation ou de redéploiement. Le cadre chronologique n’est pas cependant précisé. Le premier itinéraire est le suivant : Dimeshf Sham, la Palestine (la localité n’est pas précisée), Port Saïd, Alexandrie, Tunis, Tanger, Rabat, Marrakech, Sous, Shinguetti, Tindik Semi, R’kiz, Rachid (Dimat Rewo), Dialmath (Jolimajja). Le second itinéraire ressemble à celui emprunté par les Peuls et dressé par M. Delafosse. 81 Il fait passer les dimatnaaƃe par la lisière du Sahel82. L’origine orientale selon Siré Abbass Soh et Shaykh Moussa Kamara Siré Abbass Soh83 propose, lui aussi, une origine arabe syrienne aux Kane du Dimat, aux Sy et aux Djigo. Les Djigo se disent être des descendants de communautés commerçantes contrôlant des réseaux nord-sud de commerce de produits céréaliers. Ils étaient de valeureux commerçantscaravaniers-guerriers.

80 Les manuscrits de Tékane sont constitués d’un cahier manuscrit conservé à Tékane, en Mauritanie méridionale par la famille Sy. 81 Delafosse Maurice, op. cit., pp. 198-236. 82 Delafosse Maurice leur donne une origine judéo-syrienne et prétend qu’elles auraient atteint le Tékrour au début du IXe siècle. Après avoir adopté la langue des « Toucouleurs », le pulaar, seraient devenues par la suite l’ethnie peul différente de celle des Toucouleurs. Ce point de vue se fonde sur des préjugés car rien ne permet d’affirmer que c’est le peul qui a emprunté la langue Pulaar au Toucouleur., in Soh S. A., op. cit., p. 176, note 1. 83 « Quant aux eliman Dimat, aux eliman de Mbolo, aux tyerno de Koli-Seli, aux eliman-Duga, aux eliman de Nega, au père de l’imam ´Abdul Kader (c´est-à-dire Hammadi fils de d´Abdullahi fils de ´Ali ), aux tyerno-Tyevel, à la famille de Modi-Nalla, aux eliman de Tyoday, aux tyerno de Mbolton qui résident au village de Anyam-Godo et à la maison de Geda du village de Tyubalel, ils tirent leur origine de Damas en Syrie»., Soh S. A., op. cit., pp. 111-112.

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Soh précise que les Kane sont des « Koraïchites d’origine »84. Abdel Kader Kane descend, selon lui, de Hamet Diouldo Kane, originaire d’une famille Koraïchite apparentée aux Omeyyades85. Shaykh Moussa Kamara n’y trouve rien d’« étonnant, puisque les Soudaniens sont originaires de la Syrie et le fondateur de Damas, Dimshaq, était un descendant de Cham » 86. Mais il nie le fait qu´ils soient de race blanche. Il reprend une mythologie, à savoir la création d’une ville arabe par un noir, Cham. Par ailleurs, il est le seul à faire de Dimshaq un être humain. Les autres informateurs en font un lieu-dit87. L’origine méridionale des dimatnaaƃe : les thèses du capitaine Flize et de Assane Marokhaya Samb L’origine méridionale des habitants de Dimat a été exposée en premier lieu par un officier français.88 Selon Flize, « le Dimar, composé primitivement de Ouolofs de la race Niang, est originaire du Cayor, où elle habitait autrefois dans un village qui existe encore sur la limite du Cayor et du Baol… Les Guedj abandonnèrent le Cayor et préférant devenir tributaires des Trarzas, s’établirent alors sur la rive droite où ils élevèrent un autre Dimar situé sur les bords du Lac R’kiz. Quelques temps après, Abdel Kader, après avoir battu les Maures, obligea la race des Niang à se réinstaller sur la rive gauche. Par suite d’émigrations forcées ils vinrent enfin dans le Fuuta où ils édifièrent le troisième Dimar, plus connu sous le nom de Dialmathie qui date d’une centaine d’années environ » 89. Assane Marokhaya Samb, un griot traditionniste, citant un certain Cheikh Tacko Diop, apporte un nouvel éclairage qui nous permettrait de dater et de connaître les causes d’un probable mouvement de populations du Kajoor vers la vallée du Sénégal. Voici les causes de cette migration : « Le remplacement de Yacine Boubou par Maram Ngalgou a provoqué de sérieux problèmes dans le Kajoor pour être même à l’origine de la bataille de Khéléré90 entre le marabout Khaly Ndiaye Sall et le Damel Déthialaw 84

. Soh S. A., op. cit., pp. 111-112. Soh S. A., op. cit., p. 176, note 1. Schmitz J., op. cit., p. 402 87 Les versions de Siré Abbas Soh, des Dimatnaabe, entre autres. 88 En 1858, Flize avait mené une enquête sur le terrain publiée dans le Moniteur du Sénégal et dépendances. N° 110, 4 mai 1858. Auparavant, en 1854, il « aurait mené une mission secrète d´espionnage à Dialmath qui lui permit d´être distingué par Protêt et d´étrenner son épaulette de sous lieutenant ». Saint-Martin Y., Le Sénégal sous le second Empire, Naissance d’un empire colonial (18501871), Paris, Karthala (« hommes et sociétés»), 1989, p. 259. 89 Flize L., « Le Dimar », Moniteur du Sénégal et dépendances, numéros 110 et 117, 1858. 90 Majhemout Diop est plus précis. Il indique que le marabout originaire de Guédé est cadi du Kajoor et que la bataille de Khéléré est en réalité la troisième confrontation armée entre les deux camps. Lire Diop 85 86

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Maram Ngalgou ... Ainsi, Khaly Ndiaye Sall… provoqua la bataille en lui demandant d’embrasser la religion musulmane. Déthialaw dut refuser et la bataille de Khéléré éclata sans plus tarder, bataille au cour de laquelle, le Damel Déthialaw Maram Ngalgou trouva la mort » 91. Déthié Maram ou Déthiélaw aurait régné de 1681 à 1683 et fut tué au combat par le marabout Ndiaye Sall92. Ce dernier fut tué par le Bour Saloum Makhouredja Djodjo Diouf, qui devint en 1684 le premier Bour Damel. C’est probablement ce qui causa le retour au Fuuta Tooro des partisans du marabout toucouleur. En réalité les marabouts comme les aristocrates avaient activé les réseaux transethniques de solidarité à travers la Sénégambie, entrainant un face à face entre le dar al islam et le dar al harb. Cette intervention d’un roi du Saloum au Kajoor constitue en tous les cas un épisode de la longue et difficile tentative d’expansion de l’islam à travers la Sénégambie. Il met en exergue un exemple de mécanisme intra-africain de résistance à la poussée musulmane. La « guerre des marabouts » (16731677), est plus connue, et est marquée par une implication de forces étrangères à la sous-région entrainant la défaite des marabouts. Cependant, en examinant les listes royales du Kajoor dressées par Yoro Dyao93 et L.A.G. Colvin,94 il est fait cas de Déthié Maram et non de Déthiélaw qui aurait, lui régné entre 1693 et 1695 ou 1697. Flize aurait considéré les habitants du Kajoor qui ont suivi leurs ex-alliés au nord comme les fondateurs de Dimat Réwo. Ses informateurs auraient confondu les membres du contingent dimatnaaƃe envoyé au Kajoor pour épauler les partisans de Nasr al Din avec des réfugiés politiques du Kajoor se réinstallant plus au nord. Flize et ses informateurs auraient généralisé l’origine méridionale de quelques familles venues du Kajoor ou du Djolof comme les Niang à tout le Dimat95. Certains migrants wolof, étaient d’anciens étudiants à la célèbre université de Pire dans le Kajoor, puis en y dispensant des cours, partirent s’installer dans le Fuuta Tooro auprès de leurs oncles paternels, leurs anciens condisciples, maîtres ou beaux-parents. Et ce M., Histoire des classes sociales dans l’Afrique de l’ouest, tome 2 : le Sénégal, Editions logiques sociales / Harmattan, pp. 34-35. 91 Samb E. A. M., Cadior Demb, essai sur l’histoire du Cayor, Dakar, N. E. A, 3eme édition revue et corrigée, 1981, p. 23. Selon la liste royale qu’il propose, il y a un autre Diethalaw Bassine qui a régné de 1693 à 1697. 92 Monteil V., op. cit., p. 76. 93 Liste de Dyao Yoro, in Moniteur du Sénégal et dépendances, 1864. Cette liste a été remaniée par d’autres auteurs tels que Faidherbe L.L.C., 1883; Sabatié P., 1925; Duguay – Cledor A., 1931; Diouf M., 1990 etc. 94 Colvin L. A. G., «Kayor and its diplomatic relations with Saint- Louis du Senegal, 1763-1861», [Ph. D.History], Columbia University, 1972, p. 393. 95 La famille d’Elimane Dimat Elimane Saïdou Mawdo serait originaire de Mbacké Bawool, de la localité de Bangadjie plus précisément. Selon Saïdou Kane, inf. cit.

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fut dans les deux sens. Ces nouveaux venus furent considérés alors comme des migrants appartenant à la grande vague de migration. En vérité, la permanence des mouvements de populations ainsi que les changements statutaires qu’ils engendrent ont créé une confusion sur les origines et le statut réels des peuples du Soudan96. Flize comme Samb ont du se fier à la version d’une famille ou d’un groupe de familles pour en faire un mouvement massif de migration. Flize et Samb n’avaient pas mesuré le dynamisme des relations entre les familles, les communautés, les maîtres, disciples en éducation islamique, formation dans les métiers de griot, forgerons, etc. La circulation des produits agricoles, cynégétiques, des copies de livres ou manuscrits en arabe, des armes et surtout du cheptel. Ces va-et-vient incessants entre le nord et le sud, l’est et l’ouest de la Sénégambie rendent difficile de donner une origine exacte à un mouvement migratoire dans une société en perpétuel mouvement. B- LES SOURCES ORALES

Elles sont composées de trois types de documents émanant de Fuutankooƃe. Il y a d’abord celui qui donne une origine syrienne aux dimatnaaƃe. Ses défenseurs se subdivisent en deux sous-groupes : les originaires ou résidents du Tulde Dimat et les non originaires du Tulde Dimat. Ensuite, le deuxième lot qui ne donne pas une origine précise. Enfin, le troisième lot attribue une origine indienne aux dimatnaaƃe. Farba Amayel Mbaye97 est catégorique sur leur origine syrienne. Il fait passer leur trajectoire migratoire par la Mecque, les ramène à Diamak Sam (sic), les installe au nord près de Kaédi à Gouré Yoima, d’où ils chassèrent les autochtones, les fait passer ensuite vers Diawlé entre Néré Waalo et Diorbiwol. Il attribue un même ascendant agnatique aux Kane Seguellé et

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C’est le cas des Guèye originaires de la Vallée du Sénégal mais qui ont migré vers le Bawool ensuite, sont repartis s’installer au Fuuta Tooro. Voici leur récit d’origine narré par Téne Guèye et Hamat Haby Guèye de Kaédi (Mauritanie): « Nous venons du Bawool où nous étions des rois dénommés Tègne … Après le Bawool, nous nous sommes installés à Gaya. Les Guèye étaient des aristocrates et ignoraient la pêche. Ils sont restés à Gaya où ils ont vu des pêcheurs. Ils ont demandé ce qu’étaient les phénomènes que les pêcheurs retiraient de l’eau. Les pêcheurs répondirent que c’étaient des poissons. Demba Guèye dit: « quand on vient dans un milieu étranger, il faut toujours s’adapter aux activités des habitants ». Ils commencèrent à pêcher et devinrent pêcheurs. Ils quittèrent Gaya et vinrent à Diaranguel où ils restèrent pendant 60 ans, pour venir ensuite à Kaédi par la suite. Lorsqu’ils y arrivèrent, ils trouvèrent Farmbal dans un lieu appelé Karembal, les Diagaraf habitaient à Hayré Ndiouf … Il existait beaucoup de respect entre les Téne et Farmbal car tous les deux étaient rois ». Histoire de Kaédi narrée par Téne et Hamat Haby Guèye interviewés par David Robinson le 6 avril 1968, Archives of Traditional …op. cit.. 97 Farba Amayel Mbaye, interviewé par Robinson en 1968.

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aux Kane Hamet Diouldo. Selon Tafsirou Kane,98 Hamet Diouldo Kane, après avoir effectué le pèlerinage à la Mecque, fit halte à son retour par Gao, ensuite séjourna à Chinguetti dans l’Adrar Mauritanien auprès des maures Idaw Ali. Un descendant de Soulé Mamoudou Nalla, cité par Shaykh Moussa Kamara,99 nous livre une version assez proche. Hamet Diouldo, originaire de Damas, aurait été engagé à la Mecque par l’Askya Moussa (sic)100 venu en pèlerinage. Celui-ci le fit ensuite partir à Gao pour lui confier l’éducation de ses enfants. Après la mort de l’Askia, il quitta Gao pour Tombouctou où convergeaient des étudiants maures Oulad Dawal (Dawalin Koobe). Il s’installa à Shinguetti, ensuite à Néré, près de Kaédi, pendant un an. C’est par la suite qu’il se rendit à Dimat Réwo, en Mauritanie méridionale où il épousa Aysata Djigo comme seconde épouse et put ainsi faciliter son intégration sociale. De la première union, naquit Fatimata Hamet Diouldo Kane, et de la seconde, Ali Hamet Diouldo Kane. Saïdou Kane, dit Moustaph Boly,101 propose lui aussi l’origine syrienne des dimatnaaƃe. Sa version est plus riche, car il donne le vrai mobile de leur migration liée à la participation à une expédition militaire vers l’Afrique. Ces migrants qui auraient subi plusieurs métissages au cours de leur déplacement, entrèrent en contact avec un certain Oqbat ben Nafi vers l’ouest. Mais Kane ne précise ni le lieu, ni l’année de la rencontre. Ils s’établirent selon lui, à Djenné vers le VIIIe siècle, puis à Koumbi Saleh où le patriarche de la communauté fut chargé de la direction de la mosquée, avec le titre d’Elimane Gani.102 Kane fait coïncider cette période avec l’ère des Manna103. C’est sous les Askya qu’Hamet Diouldo Kane et sa progéniture se seraient dispersés dans toute l’aire Soudano-Sahelienne occidentale. La Mauritanie méridionale, avec Dimat-Rewo, fut l’épicentre de micro- migrations dans tous les sens. Cette version de Saïdou Kane 104 reprend le thème de l’étranger avisé,105 mais y apporte une nuance. Hamet Diouldo, requis par l’Askya, n’est pas un arabe, mais un métis de l’union d’une peule et d’un arabe. Son texte cède à la tentation des Foulbé à se rattacher aux conquérants arabes réels ou 98 De la famille des Kane de Daw, appelés Kane Modi Nalla. Communication personnelle du professeur Oumar Kane, Dakar, juillet 1996. 99 Schmitz J., op. cit. , p. 425 et suivantes. 100 Voici encore un anachronisme ! On a associé un titre et un prénom de deux souverains célèbres Kankan Moussa (1312-1337) et Askya Mohamed (1493-1538) qui ont régné sur des États différents à diverses époques. Les titres Mansa et Askya étant confondus. 101 Saïdou Kane, inf. cit. 102 Saïdou Kane, inf. cit. 103 De 1000 à 1300 après J.-C. 104 Feu Saïdou Kane, ressortissant du Touldé Dimat, était chercheur à l’I.M.R.S. à Nouakchott. Prisonnier politique, rescapé de la prison de Walata, il vivait en exil en Europe. Il est decédé le 28 septembre 2006 suite à un accident de la circulation. 105 Robinson D., La guerre Sainte d’Al Hajj Umar, Paris, Karthala, 1988, p. 84.

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supposés de l’Afrique du nord. 106 Il concorde avec la version de Shaykh Moussa Kamara quant au lieu d’implantation nommé Ganduéga ou Djaabal Ganduéga, dans le Regueibat. Kane, a-t-il repris la version de Kamara sans pour autant le citer? Seydou Amadou Kane107 précise que les dimatnaaƃe, originaires de Dimat Sam en Syrie, formaient un détachement armé au nombre de soixantedix régiments. Chaque régiment108 était une unité de combat dite koyngal konu. Ses membres, très pieux, orgueilleux et hégémoniques109 firent des expéditions à travers l’Afrique du nord. Mais cet informateur ne donne cependant aucun renseignement sur les localités traversées avant l’installation en Mauritanie méridionale. Pour cet espace, il cite comme lieux-dits : Tindik-Sémi, Gani, puis Dimat-Réwo où ils auraient séjourné pendant deux cents ans. Ces localités se trouvent sur les bords du lac R’kiz. Madiakhaté Cissé Kane reste un informateur très prudent quant à l’origine des clercs du Dimat110. L’origine indienne des dimatnaaƃe Selon cette thèse, les Peul et les Indo-dravidiens sont des fractions d’un même peuple originel. Elle est développée par les linguistes tels que M. Ndiaye111. Ce dernier a consacré sa thèse de doctorat de troisième cycle sur la parenté linguistique entre les langues ouest africaines (pulaar en particulier) et indiennes (le dravidien plus précisément)112. Cette origine indienne est reprise par un informateur, Ibrahima Racine Kane 113 qui affirme « que les dimatnaaƃe viennent de l’Inde où ils ont jusqu’à présent leurs parents qui portent le patronyme Khan ».

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Marty P., Etudes sur l’Islam et les tribus du Soudan, Paris, E. Leroux, 1920. Feu Seydou Amadou Kane interviewé à Diagnoum en juin 1993 par Mamoudou Sy. Descendant d’Elimane Boubacar Kane, il était installé à Diagnoum où il devint le premier chef de village en 1987, se séparant officiellement de Dialmath dont le chef de village Elimane Abou Kane, mon grand père maternel résidait à Diagnoum. Ce dernier fut chef de village de Dimat ou Dialmath du 03 juin 1949 au 29 février 1982. 108 Tabalde en pulaar. 109 Seydou Amadou Kane, inf. cit. 110 Madiakhaté Cissé Kane, inf. cit. 111 Lire Ndiaye Mamadou, « Contribution à l’Etude de l’Unité Culturelle et Linguistique des Peuples Negro-Africain et Indo-Dravidien », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, U.C.A.D., n² 18, N.E.A., 1988, pp. 187-198. 112 Communication orale faite le 13 mai 2004 à Dakar. 113 Ibrahima Racine Kane, Toorodo, interviewé par M. Sy, juillet 1996, Guédiawaye ; Abou Coura Seck Gallounké, interviewé à Grand-Yoff, avril 2002. 107

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III. Des généalogies reconstruites : l’identité en question De nombreuses populations non arabes, islamisées vont s’adonner à une tentative de reconstruction identitaire. Nous constatons que « l’universalité et la fermeté de ces traditions … dépassent les Kounta et les autres maures, mais sont aussi répandus dans toutes les [tribus] peul » 114. Nous pensons que les dimatnaaƃe sont les descendants des anciennes populations sahariennes, puis sahéliennes se sont déplacées selon la disponibilité des pâturages et des terrains de culture. Ayant adopté l’islam assez tôt, elles remplacèrent progressivement le bâton de berger par la tablette du marabout en inventant une nouvelle généalogie. Selon Shaykh Moussa Kamara, « les gens de Hamet Diouldo Kane avaient appris la science avant leurs frères cités plus haut (les Foulbé) et étaient devenus depuis toujours des musulmans et des érudits. Ils furent plus les premiers à devenir Tooroƃƃe, ce groupe de clercs musulmans qui allait conquérir le pouvoir. Leur généalogie n’empêche pas que les gens de Hamet Diouldo Kane aient la même origine que tous ces peul car les arabes étaient des bergers et nomades comme les peul le sont » 115. Mais Kamara lui-même accepte le principe que les dimatnaaƃe soient des noirs originaires de la Syrie. À propos de ses arguments linguistiques avancés pour prouver les origines foulbé des dimatnaaƃe, il nous a été possible de constater l’existence jusqu’à nos jours dans le Tulde Dimat des prénoms cités par Kamara comme Koumbé, Peindé, Demmbé, Joulé, Rekké ... 116.Quant à l’affirmation selon laquelle le titre de Jom Dimat aurait précédé celui d’Elimane Dimat, nous avons toujours entendu les visiteurs de la concession de notre grand-père maternel dire « Jom Dimat’ en » 117, c’està-dire les propriétaires de Dimat. Cela prouve que des groupes autres que les Tooroƃƃe ont eu à exercer à un moment donné le pouvoir dans certaines localités. Les récits écrits et oraux sont animés d’un souci de rattacher les dimatnaaƃe à la famille du prophète de l’islam. Est-ce la manifestation d’un plagiat ou une falsification des récits des origines d’une autre communauté? Si plagiat

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Ibrahima Racine Kane, … op. cit. Schmitz J., op. cit., 1998, p. 412. Aïssata Elimane Abou Kane, Toorodo, interviewée à Diagnoum par Mamoudou Sy, juin 1993. 117 Y-a-t-il une analogie entre ce titre et les titres politiques que sont Jaa ogo pris dans le sens de maître du village d´Ogo, qui serait l’équivalent du Laman Sereer, du Dugutigi manden, du Tapsba des Mossi c´est à dire maître des terres ? A. Ba, op. cit. p. 92. 115 116

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il y a, s’agit-il de l’itinéraire des Sy qui se disent descendants d’un certain Shems Eddin ? 118 Nous pensons qu’il y a eu des réaménagements généalogiques au XVIIe siècle avec l’afflux massif des Maures dans les territoires de la rive droite. Les premières matrices de ces réaménagements seraient renforcées aux XVIIIe et XIXe siècles.

Conclusion La question de l’identité des premiers occupants du Tulde Dimat reste controversée. L’analyse des mouvements de populations est rendue difficile par l’indigence des sources, les présupposés idéologiques et enfin la projection sur le passé de l’histoire récente. Cependant la ressemblance des sites anciens de la Vallée du fleuve avec ceux de l’Adrar, du Tagant et de l’Awker dans le désert mauritanien semble jalonner les vrais itinéraires suivis par les migrants dimatnaaƃe depuis le Sahara un de leurs foyers originels. Au XVIIIe siècle, les populations autochtones et migrantes animées d´une réelle volonté de vie commune se trouvent engagées dans un défi de construction d´un nouveau territoire social et politique.

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Amadou Sy Baïdy, inf. cit.

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Chapitre III. Société et pouvoir politique Le Tulde Dimat est une construction politique de la Sénégambie où des groupes ethniques différents co-gèrent l’espace social et économique. Deux facteurs ont catalysé cette intégration. Il s’agit des enjeux liés à l’occupation et l’exploitation des riches terres et pâturages du waalo et de l’islamisation ancienne qui a atténué les divergences ethniques et raciales. Cependant, les sociétés en présence, inégalitaires, distinguent les individus suivant le statut de la famille à laquelle ils appartiennent. Les principaux groupes ainsi constitués aux XVIIIe et XIXe siècles aident à comprendre l’architecture sociale qui préside dans cet espace au choix des élites ainsi que les facteurs expliquant leur émergence. Ils ont su établir des relations qui transcendent leurs différences culturelles.

I. Les sociétés et réseaux en présence E

A- L´ORGANISATION SOCIALE AVANT LE XVIII SIÈCLE

Des pasteurs transhumants convertis à l’islam, se fixèrent au début du XVIe siècle dans le sud mauritanien et envoyèrent leurs enfants dans les écoles coraniques. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, ils s’installèrent définitivement autour du lac R’kiz119, cohabitèrent avec d’autres communautés sédentaires120 et transhumants. Dans cet espace géographique, la vie sociale s’organisait dans le galle/ kër, qui est l’unité familiale et le cadre de la vie quotidienne.121 Le lignage leňol/xeet comprend tous les descendants d’un ancêtre commun suivant la filiation patrilinéaire, chez les Pulaar et matrilinéaire chez les Wolof et Sereer. Il existait des jom galle/borom kër (patriarche) pour chacun des segments de lignage. Tous les membres portent le nom du lignage comme dernier nom, c’est le yettoode/ sant.

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La superficie couverte par le lac est de 20.000 hectares en année de forte crue. Lire Lericollais A., Diallo Y., Santoir C., op. cit., p. 3. La présence sereer et wolof y est attestée par la toponymie : le lac R’kiz est appelé Kadjar par référence au sable rouge, Amoul Ndox, Bareina etc… Le lac R’kiz aurait une toponymie Sereer Xoomak qui signifie la grande eau. Il y a une véritable stratégie d’occupation des terres entourant le lac. La fondation, l’emplacement et la composition des villages obéissaient à une logique de contrôle des terres. La propriété du sol du lac Rkiz était collective. La communauté poly-ethnique occupait plusieurs villages de culture habités soit par des Pulaar, des Wolof ou des Maures exclusivement ou ensemble. C’est pourquoi une localité pouvait avoir plusieurs appellations. Ainsi Touldi Souyoumi s’appelait aussi Toulel Sobolene ou encore Seout El Ma. Autour de Rachid s’égrenaient des villages occupés par un ou plusieurs lignages. 120

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Chaque concession familiale comprenait plusieurs ménages. Par extension, le mot galle a pris un sens abstrait en désignant les membres d’un même lignage : les grands parents, les fils, les belles-filles et les petitsenfants. Par exemple, les Kane de Thiangaye appartiennent au galle Lamine Dowdou122. Les mariages inter-ethniques allaient être un moyen efficace de tisser un puissant réseau trans-ethnique. Un chef de village, choisi dans la branche ainée de la famille fondatrice, devait gérer les terres communautaires et régler les litiges fonciers. Il devait aussi organiser l’exploitation des ressources lacustres et pastorales de son territoire, en cas de guerre, recruter et mobiliser les combattants et les mettre à la disposition d’Elimane Dimat. Il était entouré d’un conseil de notables pour débattre des problèmes importants. B-

LES GROUPES SOCIAUX EN PRÉSENCE DEPUIS LA FIN DU XVIIIE

SIÈCLE

Les exigences de l’environnement imposent aux groupes sociaux du Tulde Dimat les modalités d’une vie où la parenté et la structure de l’organisation sociale constituent des réponses à toutes les épreuves123. Cela ne signifie pas qu’il y a un manque de démocratie encore moins une inhibition totale de l’individu dans la communauté124. Le cas des Pulaar La société pulaar, organisée à l’image d’un triangle, comprend plusieurs statuts125. Le groupe des nobles occupait le pôle supérieur du triangle. Il fournit l’élite politique et religieuse du Tulde Dimat. On distingue le groupe des Foulbé éleveurs semi-sédentaires ou transhumants, les Tooroƃƃe, agriculteurs-sédentaires126 parmi lesquels se recrutaient les clercs de la religion musulmane, les Subalbe et, enfin, les Gallunkooƃe, agriculteursguerriers-chasseurs que l’on peut assimiler aux Sebbe du Fuuta central et oriental.

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Les Kane de Thiangaye descendent de Lamine Dowdou (Dowdy) Yéro, frère à Hamet Dowdou Yéro encore appelé Hamet Diouldo. Lamine Dowdou partit s’installer à Thiangaye et, est dans l’histoire du Touldé Dimat, l’auteur de la deuxième grande scisssion des Kane. Ses descendants sont nommés les Hel Lamine Lamine. 123 Surtout pour les activités agricoles, pastorales et cynégétiques. 124 Ba Oumar, « La démocratie en pays toucouleur », centre des hautes études administratives sur l’Afrique et l’Asie modernes, Paris, 9 juillet 1964, p. 1, [mémoire de Brevet C. H. E. A. A. A. M. ]. 125 Wane Y., Les Toucouleur du Fuuta Tooro (Sénégal) Stratification sociale et structure familiale, Dakar, IFAN, « Initiations et études africaines » n° XXV, 1969, p. 30. 126 Wane M., « Réflexion sur le droit de la terre Toucouleur », Bulletin de l’IFAN, série B, tome XXXXII, 1980, pp. 92-96.

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Le second sommet du triangle est occupé par les artisans. On distingue les forgerons, boisseliers, travailleurs de la peau, ceux qui vivent de la parole: griots ou laudateurs, etc. Le cas des Foulbé Wodaaƃe Les lejji fulbe (groupes) sont nombreux dans le Tulde Dimat. Il y a entre autres les Breykat, Kiraynaaƃe, Jaawƃe, Yalaalƃe, Ururƃe, Sowoonaƃe, Sumanaaƃe, Ngendarnaaƃe, Bakarnaaƃe, Bisnaaƃe et enfin les Wodaaƃe127. Le Mboda ou Bodangou128, leur territoire social de la moyenne vallée du Sénégal, compte trois principaux sous-groupes que sont les Jasarnaaƃe, les Torjonaaƃe et les Tasarnaaƃe. Ils sont subdivisés en segments de lignages maternels appelés cuuɗi. Les Jasarnaaƃe constituent le sous-groupe des aristocrates. Ils portent le patronyme Sow. Les Torjonaaƃe sont des jagge (notables). Leur doyen est appelé jom jembu. 129 Les Wolof Les Wolof connaissent une stratification sociale à trois niveaux à savoir geer, ñeño et jaam. Les geer sont les nobles garmi et les hommes libres qui sont des marabouts, des paysans, etc. Dans les localités wolof du Dimat, il n’existait pas une opposition entre la communauté musulmane et l’autorité politique locale130. C’est-à-dire que les marabouts wolof constituaient en même temps l’élite politique. Cette situation prévalut, à notre avis, avec l’avènement des leaders politiques locaux portant les titres de Seriñ ou Elimane. Depuis le XVIe siècle, lorsque la communauté cléricale musulmane dimatnaaƃe s’installa autour du lac Rkiz, on note un afflux vers les écoles qui eut pour conséquence la naissance d’une élite maraboutique wolof qui ne versait pas de redevances à Elimane Dimat, encore moins au Brak, ou au Buur ba Djolof. C’est Abdel Kader Kane qui aurait parrainé la réinstallation d’une partie de la communauté 127

Du terme pulaar wodaade qui signifie éviter et s’applique aux objets et aux activités taboues. Selon cette version, à l’époque de la dispersion des Foulbé à partir de Asnde Balla et sur le chemin de Ndiayène, les populations autochtones désignaient ces pasteurs par les termes de wodaabe pour avertir ceux qui avaient l’intention de les attaquer. Mal leur en aurait pris car ces étrangers sortaient toujours vainqueurs des combats. Ils étaient en effet des wodaabe, marqués d’un woda(totem). 128 Le terme désigne à la fois la société et le territoire des Fulbe Wodaabe. Il s’étend entre Podor et Richard Toll. 129 MM. Hanson et Robinson ont mal traduit le titre Jom jembu dans une lettre incitant les Wodaabe à émigrer vers Nioro. Ils le confondent avec le titre politique Jom et pensent qu´il s´agit d´une personne nommée Jibi Samba. Lire Hanson J. and Robinson D., After the Jihad, The reign of Ahmad Al-Kabir in the western Sudan., Michigan State University Press, East Lansing, 1991, p. 116. Lire ANS, 13 G103, pièce 9. 130 Coulon C., Le prince et le marabout, 1980, pp. 16 et suivantes.

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wolophone musulmane sur la rive gauche du fleuve Sénégal entre Dagana131 et Fanaye Diéri. Selon El Hadji Tidiane Diop132, sous le magistère d’Abdel Kader Kane (1776-1807), le Brak du Waalo et l’Almaami du Fuuta Tooro se rencontraient fréquemment pour discuter des questions de voisinage au lieudit Dialowali situé à trois kilomètres environ à l’est de Dagana. Une année, au moment de cette concertation annuelle, Tafsir Ndari Diop, du village de Mbilor Taak perdit son cheval et fit distribuer une déclaration de perte rédigée en langue arabe. La missive fut lue par Abdel Kader Kane133. Ce dernier fut impressionné par le haut niveau de maîtrise de l’arabe de son auteur. Il demanda à le rencontrer à Dialowali et envoya des émissaires à Mbilor. Tafsir Ndari Diop se rendit à Dagana. Abdel Kader Kane lui dit qu’avec son haut niveau d’érudition, il ne devait pas rester à Mbilor. Qu’il devait s’installer à Dagana. Almaami Abdel Kader le nomma Qadi et l’assura de son soutien car lui était vieux et sage. Abdel Kader Kane l’encouragea à continuer de travailler pour le rayonnement de l’islam. Le Brak lui aussi proposa à Tafsir Ndari Diop de se réinstaller à Nder134. Tafsir Ndari Diop fit savoir aux deux souverains qu’il n’avait pas de terrains à cultiver à Dagana. Sur le champ, les trois hommes montèrent sur leurs chevaux et Brak lui offrit un terrain de cultures. Ils procédèrent à la délimitation entre le Fuuta Tooro et le Waalo. Un baobab fut pris comme repère. Une mosquée fut construite à ses côtés. Tafsir Ndari Diop fut chargé de l’imamat de la mosquée. Sa concession se trouvait dans le territoire Fuutanke. Le Brak retourna à Nder. Abdel Kader Kane à Kobilo. Tafsir Ndari Diop repartit à Mbilor pour organiser le déménagement de son école coranique à Dagana. Certains membres de sa famille ne l’ont pas suivi dans son déplacement. Il faut préciser cependant qu’à Dagana existait déjà une communauté musulmane bien organisée et soudée. Elle avait une mosquée qui était sous la direction des Diack, à Ndiatène. Au-delà du cȏté anecdotique, l’histoire de cette famille nous donne un exemple de la capacité d’anticipation des conflits entre les souverains africains ; ici entre le Brak et 131 Une enquête effectuée par le commandant de Dagana en 1856 confirme l’existence de deux chefs pour Dagana : Serigne Dagana et Diomb Nakh. Serigne Dagana était nommé par l’Almaami du Fuuta et Diomb Nakh par Pourthi (le Brak ?). Il donnait au premier un cheval et au second une pièce de guinée. Il était chargé de la justice. Il avait d’autres revenus. C’est en janvier 1855 que le gouverneur Faidherbe exigea à Ndatté Yalla d’interdire la nomination d’un Serigne Dagana par Almaami. Lire ANS, 13G1100, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, Dagana le 03 mai 1856, pièce 154; ANS, 13G100, Correspondance du gouverneur à la reine Date Yalla, 14 janvier 1855. 132 El hajji Tidiane Diop, Imam Mosquée de Dagana, Dagana le 7 decembre 2005. 133 Ses parents sont originaires de Sémmé dans le Fuuta Tooro oriental. Ils avaient quitté ce village il y a environ quatre siècles. 134 Le thème de l’érudit muslman qui est invité à se réinstaller dans un nouvel espace est récurrent en Sénégambie. Tafsir Diabiri Diallo de son exil du Booseya se serait installé dans les environs du lac de Guiers, en milieu non musulman. Il serait invité alors par l’Almaami du Fuuta Tooro à se rapprocher de la communauté musulmane. Alors il se réinstalla près de Diagnoum, fondant Diawbé, un village indépendant et de Diagnoum et de Dialmath.

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l’Almaami. Mais aussi et surtout du respect que les individus avaient de la religion de l’autre, jusqu’à accepter qu’il puisse entretenir sa vivification. Cet aspect d’anticipation des conflits, de planification de la réinstallation de cette famille Diop est ignoré dans l’historiographie actuelle. D’ailleurs, Dialowali est perçu dans la mémoire collective comme un champ de bataille ! Un autre grand enseignement à tirer est que la diffusion de l’islam est une œuvre trans-ethnique. Elle n’est l’apanage d’aucune ethnie ou d’aucun groupe social. Il y a cependant deux images classiques en Sénégambie qui reviennent dans le discours de Tidiane Diop : le saint qui émerveille ses lecteurs par le niveau élevé de son arabe écrit et la délimitation de l’espace octroyé qui se fait à dos de cheval. Des migrants wolof en provenance du Kajoor, de l’intérieur du Waalo et du Djolof vinrent s’installer dans cette marge politique, même s’ils n’étaient pas musulmans. Ce fut le cas des membres de la famille du Buur ba Djolof, venus se réfugier à Dagana en 1871 parce que Lat Dior les forçait à se convertir à l’islam135. De paisibles badolo 136(bas peuple), pour ne pas à tout moment être pillés par leur propre souverain faisaient aussi partie des migrants non musulmans en terre d’islam. On assistait à un intense mouvement de populations sous-tendu par des raisons diverses, animé par différents réseaux. Des prêcheurs, maîtres d’écoles coraniques et commerçants originaires du Tulde Dimat reçurent l’autorisation de s’établir ailleurs, ce de la part des monarques locaux qui restaient pour la plupart des non musulmans. Ces monarques pouvaient les utiliser comme secrétaires, conseillers, protecteurs mystiques. Ils pouvaient même nouer des alliances matrimoniales entre eux. Les localités où résident ces marabouts, possèdent des complexes islamiques composés d’écoles coraniques et de champs faisant vivre et occuper les apprenants. Ces complexes islamiques sont des zones sécurisées inattaquables où les chasseurs d’esclaves ne devaient pas opérer, les personnes qui s’y réfugient quelles qu’en soient les raisons ne doivent être ni poursuivies, ni vendues comme esclaves. L’une des premières zones musulmanes sécurisées en Sénégambie est la zone de Toundou Pire avec son université fondée au début du XVIIe siècle (entre 1603 et 1611) sous le règne du Damel Makhourédja Kouli Fall. Les fondateurs de l’université de Pire sont des aristocrates wolof qui avaient renoncé à la chose politique et ne devaient pas lorgner le fauteuil du Damel.

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ANS, 13G104, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, 1871, n. n. Selon la définition de Amadou Wade, Wade A., in Monteil V., op. cit., p. 20.

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Un autre exemple de pacte entre les politiques et les religieux est constitué par la communauté diakhanké, qui dans le Soudan occidental est l’une des premières entités à élaborer une véritable charte de neutralité politique. Celle de la Haute Guinée était basée dans le Baté autour de la ville de Kankan avec des lettrés appelés maninka-Mori dont la première vague s’installa au XVIe siècle. Elle réaffirma son ancrage dans cette voie neutre lors du passage d’El Hadji Oumar Tall à Touba en 1846 par la voix de Tassilima, un des successeurs de Karamoko Ba, célèbre érudit en sciences islamiques. Les zones réservées exclusivement aux musulmans étaient nombreuses. Dans certaines provinces, les musulmans s’installaient à la périphérie. Souvent ils bénéficiaient de terrains offerts par le monarque pour service rendu (en wolof des terres appelées leww). Ils vont dans certaines parties des provinces constituer l’essentiel de la population. Les Maures dans le Tulde Dimat L’organisation sociale de la société maure est influencée par un environnement hostile marqué par la recherche effrénée de points d’eau et de pâturages. Il en découle une mobilité spatiale exacerbée par le rôle important joué par l’islam dans le classement et la distribution des statuts sociaux. Les Maures ou beydan étaient organisés en tribus dont chacune jouait un rôle spécifique découlant de l’activité exercée par la majorité de ses membres. Cependant, selon A.W. Ould Cheikh l’opposition guerrier/marabout, héritée du mouvement almoravide fut mise en place dès la fin du XVe siècle, donc bien avant la guerre des marabouts137. Les manuscrits de Tékane ont énuméré les principales tribus qui nomadisaient autour du lac R’kiz. Ce sont les oulad Rizg, oulad Bou’ali, oulad Aïd, oulad Dayman et Lekteybat. Les tribus se classaient selon leur rôle, dans l’un des grands trois groupes suivants. Les deux premiers fournissaient les élites politiques et religieuses: les guerriers, les lettrés, les tributaires. Il faut y adjoindre trois autres catégories socio-professionnelles : les iggawin (musiciens-chanteurspanégyristes), les m’allmin (artisans), (bijoutiers, forgerons, bûcherons, savetiers) dont les femmes travaillent le cuir. On avait enfin, les haratin138, anciens esclaves (pas toujours) affranchis. 137

Ould Cheikh A. W., « La société sanhaja méridionale au XVe siècle. Autour d’une correspondance en provenance du Takrur », Masadir, Cahier des sources de l’histoire de la Mauritanie, cahier n° 1, Université de Nouakchott/ Université de Provence, 1994, pp. 5-37. 138 « As in the savanna, servile peoples can be divided into two groups. The true slaves called abd in Arabic, iklan in Tamacheq. The second category is often defined as freed slaves. They are called Haratin among the Beydan and Bella among the Tuareg. The transition from Abd to Haratin or Bella was not automatic… Slaves, Haratin and Bella was subject to raids, drought and epidemics. », Klein Martin A., «

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Le groupe transversal des captifs A côté de la traite arabe ou transsaharienne et de la traite transatlantique, la Sénégambie a souffert de l’esclavage intra-africain139. Le Dimar fut, à la fois un marché émetteur et récepteur de captifs. Son histoire est intimement liée à la pratique de l’esclavage domestique. L’esclavage domestique faisait partie intégrante de la structure économique et sociale parce qu’il était légitimé et justifié dans ces sociétés islamisées, ce aussi bien chez les maures que chez les négro-africains (pulaar, wolof, etc.). Les captifs occupaient le plus bas niveau dans la hiérarchie sociale140. Ils étaient subdivisés en plusieurs catégories.141 Leur origine géographique n’est pas fixe. Chez les maures le terme hartani ou haratine qui les désigne a un double sens : il peut signifier un esclave affranchi (c’est le sens étymologique du mot) mais aussi toute la communauté victime de l’esclavage maure, qu’elle soit affranchie ou encore esclave142. Chez les pulaar, on appelle globalement maccube tous ceux qui appartiennent à ce groupe social qu’ils soient affranchis récemment ou très longtemps. Ces esclaves venaient d’autres provinces du Fuuta Tooro, de l’arrière-pays wolof et sereer, mais surtout des pays mandé ou du Macina143. Chaque leniol, chaque suddu du Fuuta Tooro en général a ses esclaves. Les esclaves pouvaient avoir leurs propres maccube appelés macaca (esclaves d’esclaves)144.

Slavery and French Rule in the Sahara », Slavery and colonial rule in Africa, edited by Suzanne Miers and Martin Klein, Frank Cass, 1999, p. 75. 139 Lire la synthèse sur ce thème émanant de Lovejoy P. E., Transformations in Slavery. A history of slavery in Africa, Cambridge University Press, 1983 (réedition), 337 p. 140 Ould Saleck El-A., Les Haratins, Le paysage politique mauritanien, Paris, L’Harmattan, 2003,154 pages; Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme, Harmattan, 2015,191 pages. 141 Chez les Pulaar nous avons selon Majhemouth Diop : « les Galounké (esclave), Dimadio (esclave de case), Tiodado (esclave de traite) et le Beit al mal (esclave de la couronne». Lire M. Diop, op. cit, p. 1719. Mais dans le Tulde Dimat, les Gallunkoobe ne sont pas des esclaves. 142 Ould Ciré Mohamed Yahya, La Mauritanie.., op. cit., page 15. 143 À partir du début du jihad Omarien, le pays mandé devint le premier marché émetteur d’esclaves vers le Fuuta Tooro. 144 Interview 2 avec Mamoudou Oumar Ba en la présence d’Imam Amadou Maktar Sakho, Hamédine Wade, Seydou Mbodji, Hamidou Boubou Sakho et Mamadou Sy le 30 décembre 2014 à Diomandou.

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Chez les Wolof nous avons les jaam (esclaves), jaam juddu (esclaves de case), jaam Sayor (esclaves de traite), jaam jaam (esclaves d’esclaves), jaami buur ou fekk bayil (esclaves de la couronne)145. Les esclaves étaient capturés à la guerre, mais le plus souvent achetés dans des marchés localisés un peu partout en Sénégambie146. Certains personnes sont devenues esclaves parce qu’elles furent vendues par leurs propres parents, leur souverain, leur maitre d’école coranique147. D’autres versèrent volontairement le sang d’un homme ou d’une femme libre et à cause de cet acte, elles se sont volontairement asservies. Le type d’esclavage domestique que l’on avait dans la Vallée du Sénégal était violent à tous les niveaux. Il résulte d’un rapport de force brutal où le plus fort réduit en captivité puis en esclavage le plus faible. Cela peut découler d’une attaque concertée ou d’un combat entre deux royaumes voisins ou d’une guerre civile ou au sein d’un royaume. Les Jihad et autres guerres de religion des XVIIIe et XIXe siècles ont été accompagnés d’un commerce intense d’êtres humains. Les Pulaar disent «dahado laaba konu» (c’est l’individu fait prisonnier de guerre puis réduit en captivité à la suite d’une bataille et qui est vraiment capable de narrer son déroulement)148. Les Pulaar, conscients de cet état relatif de liberté en Afrique, le résument par l’expression « burado fof ko jiyaado » : « toute personne dominée physiquement devient esclave de celui ou celle qui l’a dominé ». Une informatrice nous a donné des détails importants. En effet, son oncle Bilali d’origine bambara lui a raconté que c’est à la suite d’une attaque (njannu) qu’il a été capturé alors qu’en compagnie de sa maman, son 145

Diop Majhemouth, op. cit, p. 17-19. En général, les descendants des esclaves de la Sénégambie ne veulent parler de prime abord de leur passé servile. Nous avons repris l’entretien du 21 octobre 1976 du sociologue Alain Faliu de l’IRD avec Salif Diallo de Kadiogne qui donne des informations sur son statut social, ses origines et ses activités : « Je m’appelle Salif…Mon père s’appelait Moussa Hawa Mamadou, ma mère Coumba Fatouma Tamboura est originaire du Macina. Son père s’appelle Samory Demba Dado. Il pratiquait le tissage et la pêche. Il est resté à Nioro, tous mes parents sont restés à Nioro. Depuis ma naissance, j’ai toujours été berger, je suis un Bodado, j’appartiens aux Wodaaƃe. Je sais que, à ma naissance j’étais captif. J’ai su aussi que mon grand-père a été vendu et la captivité c’est la vente, même un diom (un aristocrate) peut devenir un maccudo s’il est vendu. La plupart de ceux des captifs ici ont leurs parents à Nioro. » Ce dernier point confirme les propos de P. E. Lovejoy: One pagan state that was a major supplier of slaves was the Bambara state of Segu, located on the banks of the Niger River and founded in the early seventieth century in the wake of Songhay’s disintegration (Lovejoy P. E., op. cit. p. 72). 147 Comme ce fut le cas de Mamoudou Dada, vendu par son maitre d’école coranique à Dar Salam (Sud Mauritanie). Interview Aissata Elimane Abou Kane, Diagnoum le 20 septembre 2014. 148 Le commandant de Dagana se plaignait du fait que les dimatnaaƃe s’empressaient d’acheter avec leurs récoltes des captifs bambara ou du Boundou qui s’évadaient à la première occasion. Cependqnt des ex esclaves qui s’étaient « rachetés » restèrent dans le Tulde Dimat. Beaucoup d’esclaves du village de Dialmath étaient d’origine bambara. Ils furent ‘achetés ‘jusqu’au début du XXe siècle. Ils connaissaient, pour la plupart leur passé et les conditions de la capture de leurs parents ou grands-parents. Lire ANS, 13G 102, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, 1864, n. n. 146

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oncle et sa sœur qui s’appelle Coumba, ils s’étaient cachés dans une case149. Ils entendirent le bruit des chevaux qui arrivaient à vive allure. Leur maman leur demanda d’entrer sous les koofe (étagères en bois). Ils s’y blottirent. Lorsque la clameur des agresseurs s’estompa, Bilali sortit jeter un coup d’œil au-devant de la case ; alors malchanceux, son regard croisa celui d’un des assaillants qui ameuta les autres. Il demanda à ses parents de se blottir. Il fut capturé sans résistance et transporté sur le dos d’un cheval. L’informatrice dit avoir oublié le vrai nom de famille de son oncle mais dans le Dimat, il fut nommé Diallo. Son père s’appellait Thiémokho et sa mère Ma. Il vint dans le Dimat étant un grand gaillard. Il devint esclave. L’informatrice dit avoir appris à chanter et à compter en bambara. Elle sait toujours compter en bambara jusqu’ à 10. Dans toutes les localités, les captifs assistaient leurs maitres : les esclaves des forgerons travaillaient dans la forge de leur maitre, ceux des Subalbe (pêcheurs) pêchaient, en plus de la culture de la terre. Ceux des pasteurs gardaient le troupeau. Chez les Maures, ils étaient polyvalents. Les captifs pouvaient être logés dans la même concession que leur maitre. Ils pouvaient aussi habiter dans un quartier spécifique. Ils avaient tous leurs propres lopins de terres, leur cheptel, etc. L’une de leur activité annexe était le tissage des fils de coton, d’où l’adage qui dit « maccuɗo mo sañataa nafataa150», c’est-à-dire que l’esclave qui ne tisse pas n’est d’aucune utilité. Nous sommes à un moment où il n’était pas évident de se procurer du tissu. Pour rentabiliser au maximum les captifs, ils devaient une fois revenus dans la concession du maitre se mettre à tisser des pagnes. Les captifs pouvaient accéder à des fonctions importantes, surtout dans l’armée et le service du protocole d’Elimane Dimat. Dans le Bodangou ils avaient moins de prérogatives151. Au Walo, le roi avait de proches collaborateurs qui sont d’origine servile152. Il s’agit du beuk negg njuurbel, de l’alkaati et du jalige. Le beug negg njuurbel était le chef 149

Entretien avec Peinda Toly Dia, Diagnoum le 16 septembre 2015. Thème : Destinée de Coumba Demba femme libre devenue esclave ; sa descendance. 150 Chez les Foulbé fouladou, on fait une distinction entre le maccudo et jiyaado. Le maccudo est celui qui a été acheté et/ou fait prisonnier lors d’une guerre ou qui, par peur d’être vendu, est venu se réfugier auprès d’une famille influente. Alors que le terme jiyaado mieux toléré a été introduit dans ce milieu au temps d’Alpha Moolo Baldé pour désigner les esclaves libérés. Lire N’Gaidé A., « Conquête de la liberté, mutations politiques, sociales et religieuses en haute Casamance. Les anciens maccube du Fuladu (région de Kolda, Sénégal) »., Figures Peules , Botte Roger, Boutrais Jean et Schmitz Jean (sous la direction de), Karthala, Paris, 1999, p. 153. 151 « Maccube never achieved complete assimilation into fulbe society, remaining maccube even after formal manumission». Lire Clark A. F., « The ties that bind »: Servility and Dependency among the Fulbe of Bundu (Senegambia), c. 1930 s. to 1980s. in Slavery and colonial rule in Africa, op. cit., p. 93. 152 Sèye El Hadji Amadou, Waalo Brack, op. cit, pp. 55 et 56.

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des captifs de la couronne. L’alkaati était le ministre délégué du Brack, son représentant auprès du directeur des compagnies commerciales ou du gouverneur du Sénégal. Le jalige était l’économe du royaume du Walo. Dans le Tulde Dimat, certaines localités du jeeri et du jejengol étaient peuplées majoritairement de captifs. On peut citer Diagnoum, les campements foulbé situés au nord de Bokhol que sont Wendou Thiaski, Bellel Gawdi, Rimbakh, Boubou Laamou, Mapodji, Belli Kari et Ari Wélé (entre Dagana et Richard Toll). L’esclave africain face au déni éternel de la liberté et de l’égalité La fille née kordo (esclave) par hérédité parce que ses parents n’ont pas racheté sa liberté en se défaisant ‘de la corde de la captivité’ est victime de nombreuses discriminations153. En se mariant, elle ne reçoit pas la même dot que la fille libre. Si au cours de son mariage son mari meurt, elle observe la moitié de la période de veuvage fixée par la charia (soit 2 mois et 05 jours au lieu de 4 mois et 10 jours)154. L’esclave qui ne s’est pas racheté(e) court le risque de ne pas être enterré(e) dans le cimetière du village. C’est pourquoi il y avait souvent un cimetière spécial ou un carré réservé spécifiquement aux esclaves ou aux inconnus dans le cimetière de certains villages. Ses enfants n’héritent pas de ses biens qui reviennent à son maitre. Les enfants nés sous la captivité peuvent jusqu’à sept ans recouvrer leur liberté en se faisant racheter par leurs parents dans le cadre de la négociation de rachat global. Une femme esclave mariée qui allaite peut racheter sa liberté et celle du bébé. Le paiement du montant du recouvrement de la liberté est échelonné sur 7 ans. Il s’agit en général de cheptel ou de produits agricoles. L’esclave pouvait aussi acheter un ou des esclaves pour se libérer de son maitre. Si l’esclave n’arrive pas à s’acquitter du montant fixé, il/elle reste esclave et devra reprendre à zéro le paiement du montant fixé de commun accord. Sa progéniture doit alors négocier individuellement avec ses maitres pour entamer le processus de mise en liberté. La fille ex esclave qui s’est rachetée, peut alors prétendre recevoir une dot équivalente à celle d’une fille libre mais ne change pas pour autant de statut social. Elle peut cependant être enterrée dans le cimetière du village. Ses enfants peuvent hériter ses biens. Elle reste gordo ou esclave. Comme le précise Salif Tamboura :’’ Je suis un maccudo (esclave) même si mes 153

Tous les détails légaux concernant l’esclavage se trouvent dans le chapitre 13, pages 558 et suivantes, lire Eldjazaïri Aboubaker-Djaber, La voie du musulman, chapitre 13, les rapports sociaux, 569 pages, réédition 1997. 154 Interview Aïssata Elimane Kane. Diagnoum le 20 septembre 2014. Thème esclavage dans le Dimar, biographie d’Aïssata Samb.

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parents se sont rachetés ce que nous appelons sodtaade c’est-à-dire qu’ils ont vendu leurs biens pour donner au maitre le produit de cette vente. Même en se rachetant comme ça, on ne supprime pas vraiment l’état de maccudo, on devient parent du maitre mais le nom de maccudo demeure155. Un couple composé d’une femme gordo et d’un mari maccudo qui ne s’est pas racheté est considéré comme un couple d’esclaves. Sa descendance aussi. A la mort du mari, ses biens et sa progéniture appartiennent au maitre. Une pérennisation des structures politiques, sociales et économiques héritées du passé esclavagiste Les esclaves en milieux maure ou négro africain ont subi de par la force, un changement à la fois statutaire et culturel. L’esclave est conscient qu’il a été forcé de vivre dans un milieu qui lui est étranger, qu’il parle une langue qui lui est souvent étrangère, qu’il porte un nom de famille qui n’est pas le sien. Dans le village de Diomandou, mes interlocuteurs m’ont donné l’exemple d’un esclave qui avait refusé de porter le nom d’emprunt donné par son maitre. Ces descendants vivent encore dans le village et portent leur nom de famille bambara156. Le maccudo est conscient d’avoir perdu son identité d’origine, mais se bat pour se réadapter dans sa nouvelle société, souvent difficilement. C’est pourquoi dans de nombreux villages du Fuuta Tooro, les esclaves avaient leur quartier spécial, préférant conserver leurs pratiques culturelles originelles. S’ils ne sont pas victimes d’une ségrégation géographique. En milieu maure, les haratines sont victimes d’un double racisme : un racisme lié á leur statut d’anciens esclaves et l’autre lié á la couleur noire de leur peau. Les haratines ont subi un changement de civilisation comme les Antillais ou les Afro-Américains157. Ils ignorent leur société d’origine. En pays pulaar, les ex captifs sont aussi victimes de discrimination et de stigmatisation sociale. Ils ont souvent des problèmes d’accès à la terre dans leurs terroirs. Ils s’affirment de plus en plus sur l’échiquier économique et politique. Ils ont profité de nouvelles opportunités qu’offrent l’école, la fonction publique coloniale puis postcoloniale, l’avènement de la démocratie, la migration nationale mais surtout internationale pour jouer les premiers rôles. Ils s’organisent dans des associations de descendants d’esclaves qui prennent en charge toutes les difficultés auxquelles ils font face. Les structures sociales semblent cependant être figées.

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Entretien d’Alain Faliu avec Salif Diallo. Kadiogne le 21 octobre 1976. Interview 1 avec Imam Moktar Sakho, Mamoudou Oumar Ba, Hamédine Wade, Seydou Mbodji, Hamidou Boubou Sakho, Mamadou Sy le 30 décembre 2014 à Diamandou. 157 Ould Ciré Mohamed Yahya, La Mauritanie.., op. cit.,pages 21-22. 156

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Endam Bilali est une des plus grandes associations de descendants d’esclaves dans la Vallée du fleuve Sénégal qui regroupe les anciens jagge158. Il y a une tendance de plus en plus marquée dans le Fuuta Tooro prônant la rupture totale entre ex maitres et ex esclaves. De ne plus faire comme Salif Diallo : ‘Nous, nous sommes des sodtiibe (ex captifs), mais nous ne refusons pas de fournir du travail comme avant, nous continuons à le faire. Le maccudo peut être utilisé pour faire des courses, aller couper du bois, il est envoyé à droite et à gauche pour faire des courses du maitre et ça se passe comme ça pour nous jusqu’à présent, mais le nom demeure159.’ Plusieurs associations et organisations non gouvernementales existent coté mauritanien. Les jeunes descendants d’esclaves font face aux dures réalités du système post esclavagiste. Il leur est plus difficile, surtout coté mauritanien de s’insérer dans la vie active. Défaire la corde de la captivité Le premier défi auquel est confronté un maccudo ou une kordo est de recouvrer sa liberté. Celle-ci n’a rien à voir avec les mesures légales prises par le colon ou l’Etat mauritanien post colonial. Il s’agit d’une démarche personnelle et privée entre le maitre et son ex esclave. Sans le rachat, soditaade, l’ex esclave reste discriminé(e). Les autorités coloniales furent incapables de faire appliquer la loi relativement à l’abolition officielle de l’esclavage domestique au début du XXe siècle. Pire, il y a une continuation sous une forme déguisée de l’esclavage domestique. Un autre fait impressionnant est que jusque dans les années 1980, dans le Dimat, des maccube continuaient à négocier avec leurs anciens maitres leur ‘affranchissement’. Ils n’étaient plus esclaves mais certains restaient catalogués jusqu’à présent comme ‘non rachetés’ par la mémoire collective. Le gouverneur général Merlin avait pourtant pris les devants en prenant une circulaire le 20 aout 1904, portant application du décret du 10 novembre 1903 et tendant à empêcher aux africains de créer une justice clandestine chargée de régler les questions de captivité en AOF. Mais hélas une justice parallèle va subsister. Les maccube tenaient à laver leur honneur en restituant aux descendants des acheteurs de leurs ascendants leurs ‘biens’. Ce faisant, ils se pouvaient se regarder les yeux dans les yeux car résidant généralement dans le même village ou dans la même contrée. La situation reste encore très compliquée dans toute la zone sahélosaharienne160. 158

Un autre terme par lequel on désigne un captif. Entretien Alain Faliu avec Salif Diallo. Kadiogne le 21 octobre 1976. 160 Biram Dah Abeid: Esclavages, traites et abolitions en Mauritanie. Histoire et actualité, Leiden African Studies Association Lecture, Université de Leiden, Leiden 11 avril 2017. Ce fut sur mon 159

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La discrimination entre ex captifs Au sein du groupe des esclaves, il y a une classification liée à des critères tels que les origines sociales, le degré d’intégration, l’ancienneté du rachat des parents ou grands-parents. Il y a une différence entre un maccudo dont les deux parents se sont totalement rachetés et un maccudo ou une kordo dont seulement la mère ou le père s’est racheté. Le statut ou le rang social du maitre est aussi important dans la classification des captifs. Par exemple entre un esclave d’une famille royale et un esclave d’une famille de griots ou de pêcheurs. Les macaca ou leurs descendants occupent le bas de l’échelle sociale. Ce qui fait que tous les descendants d’esclaves ne se marient pas entre eux. Les maccube victimes du tripatouillage de la liste dans le recrutement des soldats de l’armée française ou des élèves de l’école coloniale (lomtineede, toƃƃeede) Il arrivait que des maccube ‘prennent la place’ des enfants ou des neveux de leurs maitres choisis pour l’enrôlement dans l’armée ou l’école française. Les chefs de canton ou de village étaient complices de ces manœuvres. Il arrivait aussi que le chef de canton ou de village par pure jalousie vis-à-vis d’un ses parents torooƃƃe, fasse recruter dans l’armée un jeune maccudo au futur prometteur afin de briser sa carrière ou de diminuer les sources de revenus de son maitre. C’est le cas de Mamadou Mamoudou Diallo un jeune esclave de Diagnoum enrôlé dans l’armée française à la place d’un proche parent de son maitre habitant le village de Thiangaye. Devenu tirailleur sénégalais, il participa à la première guerre mondiale et mourut en Europe161. Les changements dans les relations de travail à la fin du XVIIIe siècle La migration des dimatnaaƃe et leur réinstallation sur la rive gauche du Sénégal eurent pour conséquence une importance accrue donnée à la culture des céréales : mil, sorgho et des grains de dene (pastèques) dont la récolte était écoulée facilement auprès des pasteurs maures, foulbé mais aussi des traitants européens qui venaient également régulièrement se ravitailler en animaux domestiques. La forte demande africaine et européenne en produits agricoles mais aussi en bois de chauffe eut pour incidence une augmentation invitation, en collaboration avec IRA Nederland que le co-fondateur de SOS Esclaves présenta cette conférence. Il y a aussi SOS Esclaves de Boubacar Ould Messaoud. 161 Interview avec Peinda Toly Dia, Diagnoum le 16 septembre 2015. Thème : Destinée de Coumba Demba femme libre devenue esclave ; sa descendance.

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de la population servile. On peut même avancer qu’elle était majoritaire. Celle-ci pouvait exécuter toutes sortes de travaux même si l’agriculture était sa principale occupation. Par ailleurs, la question de la restitution des captifs du Tulde Dimat se trouvant en gage à Saint-Louis devint en 1848 le sujet récurrent dans les correspondances entre Elimane Dimat et le gouverneur de la colonie du Sénégal. Lorsque la France abolit l’esclavage, elle demanda à tous les habitants de l’intérieur qui avaient des esclaves à Saint-Louis, de venir les reprendre. Nous ignorons pourquoi ils y séjournaient. Ils semblaient être des esclaves domestiques ou peut-être des gages de dettes contractées auprès des grands négociants pour le bénéfice d’Elimane Dimat sous forme de produits de première nécessité, de tissus, papier… Il y a aussi, selon les documents d’archives, des esclaves qui étaient volés par les membres des équipages traversant le Dimat ou d’autres qui s’évadaient tout simplement et allaient se réfugier à Saint-Louis. Pour tirer un maximum de profit de cette masse prête à changer de statut qui vadrouillait dans les rues de Saint-Louis ou d’un autre un poste français, les Français en firent des employés rémunérés. Faidherbe, nommé gouverneur du Sénégal en 1854, enrôla dans l’armée beaucoup d’esclaves libérés puis astreints à un engagement militaire, comme cela se faisait pour la main-d’œuvre servile employée à des tâches civiles d’abord comme laptots, maîtres de langues, policiers, cuisiniers... Pour l’effectif de la compagnie indigène, Faidherbe demanda en décembre 1856 au commandant de Dagana de racheter 40 captifs bambara de Podor ou environ qui y avaient été vendus moins de deux ans auparavant. Ce faisant, il voulait, dit-il, ‘maximiser leur agressivité envers leurs anciens maîtres’162. Les habitants de la Vallée du Sénégal ont voulu faire persister la pratique de l’esclavage domestique et ce jusqu’au XXe siècle. C’est un des rares points sur lesquels les chefs du Fuuta Tooro, du Waalo, du Trarza, du Gajaaga avaient un point de convergence. L’Almaami du Fuuta Tooro adressa en 1886 au gouverneur de la colonie du Sénégal une correspondance afin de plaider pour le maintien des esclaves. Il argumentait ainsi : « Dans le Fuuta, nous sommes un peuple cultivateur et travailleur et nos travaux tomberaient en souffrance, si nous étions privés de captifs demeurant entre

162 Lire ANS, 3B77, Correspondance du gouverneur au commandant de Podor, en date du 15 décembre 1856, pièce 40. Cependant, en septembre 1857, Faidherbe fit renvoyer 12 hommes qui étaient pressentis pour être incorporés dans la compagnie des tirailleurs sénégalais au motif qu’ils sont captifs. C’est que, disait-il, « dans cette nouvelle formation de qualité, la qualité de captif est un obstacle pour y entrer »., Lire ANS, 3B77, Correspondance du gouverneur au commandant du poste de Médine, en date du 10 septembre 1857, pièce 127.

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nos mains et aussi nous voulons avoir le droit de les reprendre 163». Il faisait allusion aux esclaves qui s’évadaient pour rejoindre les postes français.

II- La distribution sociale du pouvoir : le cas du Bodangou et de Dialmath À la fin du XVIIIe siècle, dans l’espace s’étendant de Dagana Serigne à l’ouest jusqu’à Tarédji à l’est, apparait une nouvelle construction politique dont le caractère reste à définir. Dialmath, sa capitale, ressemblait à bien des égards à une cité cosmopolite avec les micro-migrations qui donnèrent naissance à deux catégories de populations : celles autonomes et celles qui lui étaient rattachées politiquement. C’est que ces mouvements internes de populations avaient été le détonateur du déplacement d’une frange importante de la population de la rive droite du Sénégal sur la rive gauche en faisant éclater le cadre villageois lignager et engendrèrent de nouvelles localités ou renforcèrent les anciennes. De nouvelles responsabilités avec de nouvelles charges qui pouvaient être politiques, sociales, religieuses ou techniques virent le jour. La nouvelle construction politique se voulait être un modèle de démocratie représentative. L’exercice des deux principales charges du pouvoir local, chef de territoire et chef de village, était fixé selon des critères bien précis. Les communautés (Foulbé semi- nomades autonomes, Foulbé transhumants et Wolof sédentaires) reconnaissaient l’autorité morale d’Elimane Dimat. A- LE CAS DU BODANGOU OU MBODA: LE PAYS WODAAƂE

Les Wodaaƃe sont des pasteurs installés dans cette zone riche en pâturage des siècles auparavant. Le pays est nommé Mboda ou Bodangou. Son étendue dépasse le Tulde Dimat. À l’échelle du Bodangou, vivent trois groupes socio-professionnels que sont les éleveurs, les cultivateurs et les pêcheurs164. Les groupements étaient appelés cuuɗi ou galleji (littéralement 163

Lire ANS, 13G 142, Correspondance de Almamy Mamadou Lamine, Almamy du Fuuta et tous les notables de son pays sans exception au gouverneur, Saint-Louis, en date du 25 février 1886, pièce 18. 164 « The distinction between the ´´ pastoralist ´´ and the ´´mixed farms´´ was not as sharp as is sometimes imagined. Many of the so-called pastoral societies cultivated crops, although specialization was quite common, whereby different sections or sexes within the same society, or different communities in a articulated agro-pastoral region, specialized in either cross farming or livestock rearing. This was obscured by the tendency among the researchers to ignore women, who remained behind cultivating crops and running the household economy and to put pastoralists in imaginary worlds of splendid isolation ». Zeleza P. T., A modern economic History of Africa, vol. 1. The nineteenth century, Codesria, Dakar, 1993, p. 110.

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« cases ») et concernaient les individus issus d’une même lignée. Selon Mamadou Lam un griot des Wodaaƃe, certains cuudi détenaient la fonction régnante depuis le XVIe siècle et il y avait « parmi eux des lions qui ne cherchent qu’à régner et d’autres qui n’en sont pas capables » 165. Les cuuɗi ou galleji régnant résidaient principalement à Ndiayène, Houdoud et Hombo. Les trois principaux cuuɗi étaient suudu yoni, suudu sammba et suudu jeeri. Le pouvoir était en général dévolu à un de leurs ressortissants. La diversité des activités exigeait l’existence d’un chef régulant le calendrier d’exploitation des ressources agropastorales du territoire. Le ñayngal, ouverture des champs après la fin de la récolte, était décrétée par l’Arɗo. Cet ordre était répercuté au niveau des chefs des différentes composantes par le canal des réseaux de communication. L’Ardo Wodaaƃe est un jom wuro (chef de village), un mawɗo leñol (chef de lignage) et un mawɗo hinnde (chef de ligue)166. Chaque année, il parcourait son territoire pour recueillir les amendes gardées par son représentant à la suite de peines infligées pour diverses infractions (adultère, crimes, etc.)167. Il reconnaissait la tutelle de l’Almaami du Fuuta Tooro en lui remettant un impôt annuel de sept chevaux de valeur. L’Arɗo avait des bras droits qu’il choisissait lui-même dans les groupements sebbe (guerriers), wambaaƃe (artistes) ou maabube (tisserands). L’Arɗo était élu par les lamminoɓe (grands électeurs), grands électeurs du Bodangou. Il s’agit du mawɗo Jasarnaaɓe, du mawɗo Torjonaaɓe appelé jom jembu, du mawɗo Belngel, du mawɗo Tasarnaaɓe et de jom Njaayeen (représentant les populations autochtones pêcheurs, chasseurs et migrants originaires du Djolof). Il était choisi parmi les Jasarnaaɓe dont l’ascendance remontait à quelques sept générations168. Leur doyen d’âge était le mawɗo Jasarnaaɓe. Sur le plan de la préséance protocolaire, au niveau médian se trouvaient deux notables : le jom jembu, doyen de la fraction des Torjonaaɓe et le jom Njaayen chef des populations non Foulbé. Ces deux notables étaient associés à l’exercice du pouvoir à titre consultatif. Le jom jembu devait introniser le nouvel Arɗo, lui remettre les insignes du pouvoir : une lefol (écharpe), un laafa (bonnet) et un sawru (bâton de commandement). L’Arɗo le consultait régulièrement169 ; il pouvait le destituer. 165

Mamadou Lam, inf. cit. 1976. A notre avis, dans le Fouta Tooro occidental, Elimane Dimat n’a pas écarté Ardo Wodaaƃe et d’autres dignitaires foulbé qui continuaient à exercer leur autorité. Lire un point de vue contraire dans l’article de Kane O., Les unités territoriales…, art. cit., p. 627. 167 Boubacar Sadio Sow, inf. cit. 168 Ce sont les jasarnaabe qui sont répartis en trois principales cuudi que sont : suudu yoni, suudu samba et suudu jeeri. 169 Salif Sow, bodado, ancien agent d’administration interviewé en octobre 2001 à Dagana par le MOPAF. 166

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Ensuite, suivaient, par ordre de préséance, les chefs des différents groupes statuaires exerçant une fonction précise. D’une façon symbolique, l’arbre généalogique des Wodaaƃe laisse apparaître une parenté les liant à d’autres groupes socio-professionnels170. Cet arbre généalogique reflétait l’état d’esprit d’interdépendance qui prévalait entre les pasteurs nomades ou semi-nomades et les populations sédentaires qui devaient leur confectionner des instruments aratoires, des armes blanches. Les canaris étaient fabriqués par les épouses des Waylube (forgerons). Les griots jouaient le rôle de gardiens des traditions, de diplomates, de plénipotentiaires et d’amuseurs publics. Les guerriers se chargeaient de la sécurité des enclos du bétail et des terrains de parcours et de transhumance. Cette complémentarité, justifiée par un arbre généalogique au tronc commun, était huilée par des visites fréquentes de l’un des ressortissants d’un groupe chez l’autre en cas de besoins. Comme le confirme un informateur: « si on vient voir le baylo pour confectionner un bracelet, un collier etc., on ne paye pas ; les waylube (forgerons) nous rendent ensuite visite dans nos campements s’ils ont un mariage ou une fête musulmane à célébrer. Alors on leur donne une chèvre, un cabri, un mouton ou un taureau. Il y a un très grand respect entre les waylube et les wodaaƃe. Quand un Peul se marie, le baylo est appelé pour recevoir des cadeaux » 171. Il y avait ainsi un réseau très huilé de solidarité et de bonne entente entre des groupes venus d’horizons divers vivant dans un même espace. Les relations entre les Wodaaƃe et les Wambaaƃe sont clientélistes. Les premiers devant répondre aux sollicitations des seconds. Les Wambaaƃe pouvaient se marier avec les forgerons, mais pas avec les Wodaaƃe. Les différents groupes socio-professionnels avaient chacun un responsable, choisi souvent en raison de son âge et de sa sagesse. Il s’agit de malaw ou mawɗo lawɓe (chef des boisseliers), de farba mbaal (chef des captifs), de farba awlube (chef des griots), de mawdo wambaaɓe (patron des wambaaɓe) et de farba waylube (chef des forgerons). Ces responsables étaient les interlocuteurs, les relais entre l’Arɗo et leur communauté respective.

170 D’après M. Lam, « du même arbre généalogique descendent les griots des wodaabe, les forgerons, les bûcherons, les wambaaƃe ñañobe (musiciens, joueurs de ñanoru ou riti en wolof), les wambaaƃe hodobe (musiciens instrumentalistes de la guitare peul) et les jambarebe (guerriers)».Voir Mamadou Lam, inf. cit. 171 Omar Seydou Sow, bodado, interviewé à Touldé Diabobé, le 6 octobre 2001 par le MOPAF.

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Chez les Wodaaƃe, les pêcheurs, les esclaves et les Tooroƃƃe étaient exclus de l’arbre généalogique recomposé172. Les pêcheurs habitaient le plus souvent au bord des cours d’eaux ou à Pendao, village proche de Ndiayène, où ils furent rejoints par les migrants Tooroƃƃe, venus à la fin du XVIIIe siècle. Cela expliquerait leur non insertion dans l’arbre généalogique. B- LE POLITIQUE À DIALMATH : UN POUVOIR PARTAGÉ

Comme le souligne Brahim Diop173, une bonne compréhension de la société sénégambienne passe par l’étude de son habitat. Le mode d’occupation permettant d’observer avec une relative clarté la mise en place entre groupes socioprofessionnels, des rapports sociaux. En 1854, la population du village de Dialmath était estimée à environ 5000 habitants, composés exclusivement de migrants ayant choisi le site pour des raisons diverses. Le village bénéficiait d’un mythe d’inviolabilité. Le village de Dialmath était ouvert à tous les groupes sociaux, tous les groupes ethniques jouaient leur partition à un niveau de l’échelle politique. Cependant, le mode d’occupation à l’intérieur du village et à l’intérieur de chaque concession est marqué par une différenciation symbolique, une ségrégation spatiale s’exprime dans la disposition des concessions et quartiers. L’habitat était groupé, en une seule grappe certainement une modification pour faire face aux traites arabe et négrière. Le boisement villageois était composé d’arbres offrant de l’ombre sous laquelle les femmes organisaient des séances de pilage de céréales locales. Les habitations sont rondes, rectangulaires ou carrées aux murs formés d’un treillis de tiges entrelacés recouvert d’argile ou de briques en banco. Celles des familles dites aristocratiques étaient centrées autour de la mosquée. La localité était densément peuplée, comme le prouve le surnom collé par la tradition à Dialmath : jenga diir. Elle abritait des espaces d’information, des lieux de diffusion du savoir, d’exercice du pouvoir, et de concertation statutaire ou communautaire. Dialmath était lié à un réseau de villages par des pistes et des quais. Il était un important centre de transit dans le commerce interrégional entre la côte atlantique, la savane et le Sahara.

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« Dans le Massina, les nyeenyBe sont considérés comme faisant partie de la communauté peul (pulaaku) et une légende très connue rapporte même que les peul nobles (fulbe) et les nyeenyBe sont les descendants du même couple ancestral ». Voir Gardi B., « Des ´´ingénieurs traditionnels´´ au Mali, quelques remarques sur les ´´gens de caste´´ ... », Les ethnies ont une histoire, op. cit., p. 94. 173 Lire Birahim Diop, « Habitat et occupation du sol dans l’espace sénégambien (Ier-XVIIIs). Evolution des recherches et perspectives . », Revue sénégalaise d’histoire, nouvelle série, № 2-3, 1996-1998, pp.4574

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Parmi les études sur la relation entre la politique et le contrôle du foncier, Shaykh Moussa Kamara174 s’est intéressé aux nobles; Jean Schmitz175 au kolangal pour voir comment s’y projetaient les différents groupes statutaires. Ces auteurs excluent les groupes statutaires des Waylube et des Awlube des propriétaires de kolaade. Tel n’est pas le cas dans le Dimat. Le village de Dimat-Dialmath176 avait un ensemble d’institutions et de charges ouvertes à toutes les composantes de la communauté. Il abritait la capitale d’une construction politique née d’un processus de négociation. Rappelons que chaque groupe statuaire avait au moins une charge sociale ou politique qui lui était confiée par la communauté. Il lui revenait de choisir, en son sein, la personne la plus apte à exercer cette fonction. Le critère le plus utilisé dans le choix du chef était la séniorité. La structure de concertation supra-statutaire est le hinnde qui désigne un groupement de personnes appartenant à la même caste ou de grandes familles locales,177 englobant une véritable « clientèle », à savoir les gens des « castes » dites inférieures178. Cette structure de concertation supra-statutaire, qui aurait vu le jour au XVIe siècle sur les bords du lac R’kiz, se subdivisait en hinnde maalnaaɓe et hinnde Fakkar179. Les maalnaaɓe qui se chargeaient de gérer les réseaux commerciaux, le transport et de la gestion du Ngallu (les ressources publiques), incluaient aussi les forgerons et les Tall. Le Fakkar regroupait les Kane dessaisis des tâches de direction de la mosquée et d’enseignement dans les foyers islamiques au profit des Seck et des Sy. Le nombre des kinle ou kille (pluriel de hinndi) qui élisaient Elimane Dimat fut au nombre de quatre à partir d’une période que nous sommes incapables de préciser. Il y avait le hinnde Kanhanɓe qui regroupait les Kane, Sy, les étrangers, les Gallunkooƃe et Satidiibe. Le hindi Jiggooɓe regroupait les Djigo, Sy, Ndiom, Ly, Diallo, Sow, Baal, Gaye, Dia et Thiam. Le troisième représentait le hinndi Geygeyɓe polarisant les Guèye et Ly principalement. Enfin, il y avait le hinndi Maali ou Subalbe. On y retrouvait 174

Schmitz J., op. cit.,1998, p. 52-53. Schmitz J., op. . cit. , 1998, pp. 531 et suivantes. 176 Seydou Amadou Kane inf. cit., 1993 ; Aly Bocar Ndiaye inf. cit., 1996 ; Atick Barro cadre à la SODEFITEX, juillet 1996 ; Aissata Elimane Abou Kane inf. cit., 1998 ; Mamadou Abdoulaye Sy inf. cit., 1994 ; Seydou Abdoulaye Sy inf. cit. 1996 ; Aly Tacko Ly inf. cit. 2001; Saïdou Abou Kane inf. cit. 2002 et El Hadji Doudou Sarr inf. cit. 2002. 177 Wane Yaya, op. cit. , p. 30 178 Selon Kamara, c’est à Rachid (la troisième capitale des dimatnaaƃe) que les Bumeyaabé, Dajinkoobé, les Moodi Nalla et leurs semblables, ainsi que les gens (ahl) de Khasso les avaient quittés. Schmitz J., op. cit., 1998, p. 426. 179 Amadou Sy Amadou, inf. cit. 175

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les Gaye, Ndiaye, Faye et Diack. Chaque hinndi avait son propre réseau de concertation et de prise de décision connecté à un niveau supra-statutaire. C-LES GRANDS DÉTENTEURS DE CHARGES Elimane Dimat La première charge politique est assurée par Elimane Dimat. Il est l’autorité morale de la communauté musulmane, le premier des marabouts. Il n’y a pas de commandements territoriaux. La charge élimaanale était dévolue, jusqu’à l’avènement d’Elimane Boubacar Kane, à des érudits en sciences islamiques. Après sa mort, les Elimane devinrent de moins en moins érudits180. Dans le processus menant au choix d’Elimane, on remarque une forte implication des Sy Galle Sinthiou. L’élu appartenait obligatoirement aux Kanhanbe, descendants d’Hamet Diouldo Kane. Cet honneur, dévolu aux Sy, est une charge symbolique. Les Sissibé étaient répartis en deux grandes branches : les Sy Dimat et les Sy Cooyri qui seraient les descendants de Shams Eddine. Le nouvel Elimane, choisi par l’assemblée du Dimat (Bootu ou Mbootay Dimat), devait recevoir les insignes royaux constitués d’un turban (Kaala) des mains du doyen d’âge de la famille des Djigo, qui devait l’introniser. La cérémonie se tenait dans la concession de l’imam de la mosquée de Dimat.

Le jagaraf Dans la nomenclature administrative locale, le jagaraf était un personnage important. Chef de protocole d’Elimane Dimat, son conseiller181, son ministre plénipotentiaire, il était choisi au sein du groupe statuaire des Gallunkooƃe. À l’origine, la charge était détenue par les Thiam182. Mais avec les phénomènes de migration et d’intégration, d’autres populations vinrent s’installer dans le Dimat et accédèrent à cette charge. C’est le cas par exemple des Sarr, venus du village de Diatar [plutôt de Souima ou Souyouma] avec l’une des épouses d’Elimane Boubacar Kane, Mariam Asta Sy. Parmi ses accompagnateurs il y avait deux frères Gallunkooƃe (Ndiaye Fatimata Sarr et Seydou Fatimata Sarr) qui jouèrent un rôle important dans

180 A.N. S., 3B77, Correspondance des notables de Pendao au gouverneur de Saint-Louis, en date du 4 novembre 1859. 181 El hadji Doudou Sarr, gallounké, jagaraf Diagnoum, interviewé à Diagnoum par M. Sy, 19 avril 2002. 182 Voici une charge dont la définition exacte reste controversée. Au Waalo, bëkneg était un serviteur, un domestique du Brak, le chef des captifs de la couronne. Lire Monteil V., op. cit., p. 36.

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l’entourage d’Elimane Dimat183. Ainsi, Yéro Daddé Sarr fut nommé chef des armées avec le titre de Bees184. Ce fut dans un contexte de troubles avec le Waalo.

Le jagodin Au Dimat le jagodin, choisi au sein du groupe des Gallunkooƃe, était un haut fonctionnaire. Il jouait, entre autres, un rôle mystique consistant à encadrer les nouveaux circoncis185. À notre avis, ce notable fit les frais du réaménagement de l’appareil de gouvernance locale. Il fut rétrogradé au profit du jagaraf. La charge est probablement la survivance d’une fonction occupée par d’anciens fonctionnaires de l’empire du Mali qui seraient d’origine malinké (ou assimilés comme tel). Cette hypothèse peut être mise en parallèle avec la revendication des Gallunkooƃe d’être des descendants des Sebbe qui sont les guerriers de Koly Tenguella.

Le jaaltabe Pilier de l’appareil gouvernemental local en temps de paix comme en temps de guerre, maître des eaux, il gérait le territoire fluvial et lacustre du Dimat ainsi que le matériel y afférent186. Choisi au sein du groupe statutaire des pêcheurs par l’épouse d’Elimane Dimat187, il portait le patronyme Ndiaye. Grâce à ses connaissances mystiques, transmises par ses ascendants ; il devait, par exemple, par des incantations, sécuriser les quais autorisés, organiser la circulation des biens et des personnes. Son rôle consistait donc à limiter les noyades, neutraliser les crocodiles, lamantins et hippopotames, attirer les poissons dans son domaine fluvial. En cas de brouille avec Eliman, il provoquait des lâchées de caïmans, des séries de noyade, pénurie de poissons, etc. Ce pouvoir magique faisait de lui, un proche collaborateur du roi 188.

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El hadji Doudou Sarr, inf. cit. Il s’agit d’un mot arabe qui signifie porte-drapeau, brave courageux. Un titre porté par certains chefs Bacha ou Pacha. Lire Ba O., « Glossaire des mots étrangers passés en poular », Bulletin de l’IFAN, tome XXXV, série B, n° 3, juillet 1973, p. 680. 185 Alassane Faty Diawo Kane, toorodo, agent de la poste à la retraite, interviewé à Dakar, 1994. 186 C’est-à-dire les pirogues, pagaies, filets utilisés lors des campagnes collectives de traversées ou pendant les excursions militaires. 187 Cet honneur dévolu à la femme montre, s’il en est besoin, que le genre féminin appartient aux sphères de décision de la communauté. 188 Aly Bocar Ndiaye, pêcheur, Jaaltabe de Dimat, interviewé le 19 avril 2002 au quai de Dimat Waalo pour le compte de l’émission Xew-Xew Demb de la RTS. 184

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Elimane jumaa Imam de la grande mosquée, il était issu de la famille Sy du Dimat. Choisi en raison de ses connaissances islamiques et de sa maîtrise de la sharia (loi islamique), il était aidé dans ses tâches quotidiennes par le salaa (porte-parole appartenant au groupe statutaire des griots). Le premier faisait appel au second pour répercuter toutes les informations intéressant le village et dont la diffusion était autorisée par Elimane Dimat. Il avait le choix entre une communication ciblée (par concession ou par espaces de rencontres collectives) et une communication à haute voix par déplacement à travers le village (yeynude). Dans tous les villages du Tulde Dimat, les annonces se faisaient en Pulaar et en wolof : à côté de Dimat ko jam kooy le crieur public ajoutait Dimat’o degluleen. Le gouverneur Blanchot, nommé à la tête de la colonie du Sénégal à la fin du XVIIIe siècle, va reproduire ce modèle de communication en ayant un crieur public wolof qui répercutait dans les rues de Saint-Louis les grandes mesures.

Les autres titulaires de charge Les autres groupes statutaires socio-professionnels sont bien représentés dans l’appareil de gouvernement local. On peut citer le farba awluɓe ou le chef des griots choisi au sein des Awluɓe189. Les forgerons avaient pour chef le farba wayluɓe. Chaque fraction de pasteurs foulbé était dirigée par un Arɗo Foulbé qui devait coordonner le déplacement du cheptel de ses sujets avec Elimane Dimat. Sous le règne d’Elimane Boubacar, le chef des Foulbé Sowoonaƃe, Bootol Sammba Haako était devenu un des principaux plénipotentiaires du Dimat avant de rejoindre El Hadji Omar Tall.

189

N’gounda Sa Ndiaye Seck, griot, Farba Dimat, interviewé le 19 avril 2002 par M. Sy pour le compte de l’émission, Xew Xew Demb de la RTS.

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D- LES LIEUX DU POUVOIR

Le galle Elimane Dimat L’espace central du pouvoir politique était la résidence de la principale autorité du Tulde Dimat dit galle jom Dimat’en (la concession des propriétaires du Dimat), située au quartier dit Dingraal Bawdi190. Elle était le lieu de réunion de l’assemblée du Dimat (botu Dimat) ou conseil des chefs de Kinle. Il cordonnait un vaste réseau multiséculaire aux limites élastiques du commerce de biens, des idées, de diffusion de l’islam. Dans les correspondances officielles, on voit apparaître dans le libellé des lettres l’expression « Elimane et l’assemblée du Dimat ». Cette résidence accueillait les hôtes politiques de marque, jusqu´au règne de Elimane Dimat Elimane Boubacar Kane, un dudal/daara réputé dans la sous-région191. Un hôtel hébergeant les grands commerçants et les grands saints de passage.

190

Aïssata Elimane Abou Kane, toorodo, interviewée par M. Sy, Diagnoum, juin 1993. Mais supplanté par celui des Sy descendants de Shems Eddin qui va devenir le nouvel espace du pouvoir de l’islam. 191

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Tableau 1: Répartition des Kane de Dimat en suddu, galle et reedu. Source Saïdou Abou Kane, Thiès, novembre 2004 Sans remonter jusqu’ à Chérif Abdallah, on peut retenir que : Yéro est le père de :

Ousmane Yéro Dowdy Yéro Nalla Yéro Gningou Yéro Mbiskit Yéro

Première scission : Nalla Yéro ancȇtre des El Modi Nalla dont la descendance s’établit vers Guérou en Mauritanie, au Mali et dans le Fouta Tooro oriental

Deuxième scission : Les enfants de Dowdou ou Dowdy Yéro : Lamine Dowdou et Hamet Dowdou. Lamine Dowdy s’établit à Thiangaye. Sa descendance est appelée Hel Lamine-Lamine.

Troisième scission : Les enfants de Racine Hamet Dowdou sont : Hountou Racine, Thiobol Racine, Daouda Racine, Fadoum Racine. Thiobol partit à Pendao et donna Reedou Thiobol (Galle Maliam).

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Quatrième scission : Hountou Racine eut comme enfants Seydy Hountou et Ousmane Hountou. Ousmane Hountou donna naissance à N’diaye Ousmane et à partir de ce N’diaye, apparait le Galle N’diaye

Cinquième scission : Seydy Hountou est l’ascendant de Boubacar Seydy et Demba Seydy qui donna son prénom au soudou Demba. A partir de Saïdou Boubacar, le Seydy devient Saïdou. Remarque : Les ressortissants de Galle N’diaye et Suudu Demba sont de la mȇme génération, ce sont les petits fils de Hountou Racine.

Sixième scission : également de la mȇme génération : Boubacar Seydy eut : a) Saïdou Boubacar qui inaugura le Reedou Saïdou b) Dialo Boubacar qui donna Suudu Dialo En résumé les migrations et alliances donnèrent : 1- Hel Modi Nalla ou Nallankoobé, 2- Hel Lamine-Lamine , 3- Rédou Thiobol ou Gallé Maliam, 4- Gallé N’diaye, 5- Soudou Demba, 6- Rédou Saïdou, 7- Soudou Dialo

Le Galle Sissibé La concession des Sy ou la demeure des « maitres de la mosquée » était située au quartier dit Leegal dingraal bawdi. Elle était le site de trois fonctions sociales. La première, en rapport avec l’hébergement des descendants du prophète en tournée de quête d’aumône, des candidats au pèlerinage à la Mecque, des écoles coraniques qui se déplaçaient, consistant en un contrôle de la circulation des intellectuels musulmans. La charge était dévolue aux Sy qui jouaient le rôle de diplomates culturels, la pérennisation du pouvoir par les hommes du savoir. On leur confiait l’éducation des jeunes citoyens192. Le dudal/ daara, centre de formation islamique polyvalent, tirait des revenus supplémentaires des aumônes, de la confection de gris-gris anti-balles, anti192

Les marabouts disposaient d’une main d’œuvre importante qui les aidait dans les travaux champêtres (waalo et jeeri). Cela permettait aux jeunes almube/taalibabe de se former pour la vie active en plus de leur formation intellectuelle.

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armes blanches que prisait la population193. La dernière était d’ordre judiciaire. La concession des Sy abritait les audiences du tribunal musulman dirigées par l’Elimane juma Dimat. Les Sy avaient la lourde mission de veiller au respect de la sharia et de la légalité institutionnelle en cas de vacance du pouvoir. Le site du chef de village par intérim Appelé galle Geygeyebe, il était le lieu de l’intérim où habitait la personne chargée d’assurer l’intérim du pouvoir Elimanal. Ce pouvoir était dévolu au doyen d’âge des Guèye. Ces développements contredisent l’affirmation de Shaykh Moussa Kamara selon laquelle les « Lydoubé Seydi Biran assuraient la vacance du pouvoir » 194. L’intérim était pour une période de quatre-vingt-dix jours. Le doyen d’âge de la famille des Guèye était aussi le mawdo hinnde Fakkar. Certaines sources font du Bawol/Kajoor son territoire d’origine195. Cela découle de la complexité des mouvements des populations. Selon Yoro Dyao, Demba Guèye, un dignitaire Waalo-Waalo, fut le premier souverain du Bawol à porter le titre de Teigne, d’où l’expression Bawol Demba Guèye196. Les Guèye du Dimat avaient des connaissances mystiques liées, entre autres, au traitement des morsures de serpents et des piqures de scorpions. Les Guèye sont-ils des descendants de la première aristocratie locale de la vallée : les Dia Ogo. Sont-ils alors d’anciens roi-forgerons ? 197 Y a-t-il une analogie entre la fonction des Guèye dans le Tulde Dimat et celle du Farba dans le Kajoor où le nouveau souverain inaugurait son règne en remettant symboliquement le pouvoir au chef des forgerons ? 198 La forge : une haute école pratique des métiers du métal L’espace de production technologique et de conservation du savoir indigène est le galle wayluɓe ou galle mbayla situé au quartier Fatoungou, 193

Beaucoup de daara semblent maintenant avoir inversé la tendance en comptant d’abord sur les aumônes. 194 Kamara S. M., op. cit., p. 693. 195 Selon cette source, les Guèye et les Dia seraient venus au Touldé Dimat en même temps que Racine Hamet Diouldo, lorsqu´il revenait d’études du Kajoor. Racine Hamet Diouldo aurait donné à l’un des Guèye une de ses sœurs comme épouse. 196 Fall R., « Le royaume du Bawol du XVIe au XIXe siècle », thèse de doctorat de 3 e cycle, Université de Paris, 1983, pp. 37-40. 197 Selon Lam A.M., l’idée que le forgeron a été le premier roi historique de l’Etat à l’instar de Ptah en Egypte est conservée dans beaucoup de sociétés. Lam A.M., Les chemins du Nil , op. cit., p. 102. 198 Pour une journée seulement. Lire Diouf M., « Forgerons wolof du Kajoor, forgerons sereer de Sine et du Diegueme: de l’époque pré coloniale à nos jours », thèse de doctorat de 3 e cycle, EHESS, Paris, 1983, p. 190.

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près de la mosquée. Les wayluɓe probablement descendants des populations autochtones de Dimat 199 avaient un doyen d’âge exerçant la fonction de Farba Waylube et portant le patronyme Thiam. Sa demeure, formée de plusieurs concessions, jouait une fonction à la fois sociale, politique, technologique et magique. Sur les plans social et politique, c’était le lieu de rencontre des Waylube qui y organisaient leur concertation et y exerçaient le droit de prendre des décisions pour ce groupe statutaire. Sur le plan technologique, le galle wayluɓe était un atelier de fabrication de bien d’équipement: matériel de cavalerie, armes à feu ou blanches (coupe-coupe, couteaux, sagaies,etc.), outils aratoires (hilaires, daba), parures (or, argent) etc. La forge est une école où les jeunes Waylube étaient initiés à la métallurgie du fer et au travail des métaux précieux. Réputés détenir un immense savoir indigène appelé gaande ɓaleeɓe, les forgerons assuraient la bonne marche du Tulde 200en dotant ses défenseurs d’un matériel de combat et aux paysans du matériel aratoire. Le galle Awlube : haute école de la parole et de la verve Les individus chargés de la conservation d’une bonne image des familles régnantes, la préparation du rite festif et de la transmission de la mémoire habitaient le galle awluɓe ou la grande concession des griots sise au quartier de Dingraal Bawdi. Son doyen d’âge, le farba awluɓe201 était l’instructeur principal des apprenants202. Son atelier musical et d’apprentissage de la rhétorique, de transmission de savoirs (mémorisation de généalogies, chants, manipulations des instruments musicaux comme le hoddu, les courges, etc.). Les hauts faits d’armes y étaient narrés et codifiés aux apprenants suivant une pédagogie particulière. À l’approche d’une campagne militaire, de nouvelles chansons épiques (le Yela) étaient créées afin d’exalter l’ardeur des combattants203. 199

Sira Guèye Kane, toorodo, interviewée à Thiès, octobre 2002. Sur le plan économique les Waylube tiraient des revenus substantiels de la vente de leurs produits finis aux cultivateurs, aux Fulbe, aux pêcheurs. Ils s’adonnaient cependant fondamentalement à la culture de leurs champs du Waalo et du jeeri. Les Waylube partageaient leurs concessions avec leurs captifs. 201 Le galle awlube s’occupait principalement de la culture des champs du Waalo et du jeeri. Le farba awlube était le coordonnateur des travaux agricoles. Les griots du Dimat étaient réputés grands cavaliers. Ils cohabitaient avec les mabube et appartenaient au Hinnde Maali. 202 N’gounda Sa Ndiaye Seck, inf. cit. 203 Le Yéla appartient aux Deniyankoobe qui ne pouvaient plus se maîtriser lorsque sa mélodie sortait de la bouche des Sebbe. C’est sous le règne des Almaami que les griots s’en sont accaparés mélant chansons et claquements de calebasses. 200

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Certaines prestations des Awlube se faisaient dans la demeure d’un Toorodo, d’un Gallunke ou d’un ñeño. Dans ce cas, on déclinait l’arbre généalogique de la famille ou de la personne ciblée. La prestation était précédée d’une déclamation composée d’un mélange de mots wolof ou pulaar qui peut par exemple débuter ainsi : wouley ñaay ngay… (… a fendu le bois …) ñiiwa alaa gaynako (l’éléphant n’a pas de berger…). Ces prestations qui participaient de la conservation du pouvoir politique, étaient tolérées par les clercs. Elles pouvaient être mises à profit par certains membres de l’élite politique pour apporter des rectificatifs dans le texte oral des griots.

Conclusion Le Tulde Dimat grâce à ses ressources écologiques a accueilli des populations humaines qui ont une organisation sociale marquée par une volonté d’association de toutes les franges socioprofessionnelles. La réinstallation sur la rive gauche des migrants va renforcer l’organisation initiale. Alors s’engage un nouveau challenge démocratique avec les populations autochtones.

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Deuxième partie

Le Tulde Dimat de la conquête à la consolidation du pouvoir des Elimane Dimat, fin XVIIIe siècle – 1817

Chapitre I. Le management d’un espace marginal Envisager la question du management de ce terroir rebaptisé Tulde Dimat, c’est procéder à une analyse d’un concept : le deeyi laamii ou négocier pour s’installer dans un espace marginal et y exercer les pouvoirs politique et spirituel. À la fin du XVIIIe siècle, l’accès au vaste domaine foncier agricole et pastoral ainsi qu’au leadership politique a émané de plusieurs formules dont le point commun est une alliance entre les élites politiques locales et les clercs musulmans migrants204. Cela entraîna la mise sur pied d’un mode de gouvernance négocié, transsethnique et d’inspiration islamique. Le fondement et la symbolique du pouvoir résultent d’un équilibre entre le fonds coutumier pré- islamique et les apports islamiques205.

I – L’émergence d’un nouveau régime dans un espace marginal grâce aux alliances A- LA NÉGOCIATION DES ÉLITES

La formation du Tulde Dimat en tant que construction politique est le fruit d’un processus dont on connaît assez bien le déroulement. Il s’agit de l’histoire de la négociation pour le contrôle et la pérennisation du pouvoir par une élite religieuse dans un espace transculturel disputé. Cet espace est la croisée des chemins entre voyageurs à pieds, à cheval, à pirogue, pèlerins, pasteurs et chasseurs se rendant dans les toutes directions. Le principal mobile de la réinstallation des dimatnaaƃe dans cet espace est économique. Au début du XVIIIe siècle, la compétition pour l’accès à la terre et à l’eau devenait intense entre les communautés vivant autour du lac Rkiz. Elle aboutit à l’émergence de certaines familles de clercs musulmans wolof et pulaar qui contrôlaient le pouvoir politique et fondèrent par leur maitrise des sciences coraniques, une dynastie de marabouts noirs autour de ce lac.

204

« Il est évident qu’une étude historique définissant une société donnée à un moment particulier des temps pré-coloniaux suffit, comme le montre par exemple le travail de Vansina J. sur les Tio de Mbé, à occuper plusieurs années »., Lire Dupré G., Un ordre et sa destruction, Paris, Éditions de l’ORSTOM, 1982, 446 p. 205 C’est le cas de beaucoup de constructions politiques de l’Afrique de l’Ouest, voir Kane O., « La symbolique du pouvoir: la religion des princes dans la tradition et dans l’histoire Ouest-africaine », Revue Sénégalaise de Philosophie, 15-16, 1992, p. 141.

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L’imam de la grande mosquée du village de Rachid206 fut choisi comme doyen de la communauté chargé de diriger la prière du vendredi et de juger les différends. Une construction politique structurée était née. La communauté faisait face à un surpeuplement, voire une situation conflictuelle permanente avec ses voisins maures venus du nord207. À l’image du reste de la Sénégambie, les migrations rythment l’histoire. Souvent les premiers occupants, rejoints par les nouveaux arrivants, furent obligés de se retirer comme les Sereer le firent dans la Vallée et comme les Soose le firent lorsqu’ils furent rejoints par les Sereer dans cet espace et plus tard dans le Sine et quand ces derniers subirent la domination wolof ont été obligés de se retirer laissant derrière eux de nombreux villages désertés208. L’imam de Rachid avait multiplié les initiatives pour trouver une alternative à la forte concentration humaine. Ses démarches débouchèrent sur des pourparlers entre les clercs du Tulde Dimat Réwo (Rachid), les autorités politiques de la rive gauche (Lam Tooro, Ardo Foulbé209) et l’Almaami du Fuuta Tooro. Ces négociations faisaient suite à la découverte, sur la rive gauche du Sénégal par le chasseur Alwaali Diagne, un gallunke, d’un site à faible densité de peuplement, bien protégé par des cours d’eau, riche en faune et en réserves foncières facilement inondables210. Ce récit de fondation est embelli avec l’implication des deux principales composantes de la communauté du Tulde Dimat que sont les Tooroƃƃe et les Gallunkooƃe. D’après les sources orales locales, c’est à la suite de la confirmation de l’abondance des ressources qu’Elimane Dimat envoya une 206

À la fin du XVIe siècle, une partie de la descendance de Hamet Diouldo reçut l’ordre d’installer des foyers islamiques en Sénégambie. Dawda Racine, petit-fils de Hamet Diouldo, partit s’installer au Kajoor, fondant les localités de Keur Samba Kane, Kanène Ndiob, etc. Racine Hamet Diouldo fonda aux alentours du lac Rkiz le village de Dimat Réwo. 207 Au XVe siècle, les Hassanes franchirent la Seguia Al Hamra qui était jusque-là l’extrême limite méridionale de leurs courses à travers le Sahara. Ils se répandirent en Mauritanie en trois groupements issus des fils de Hassane que sont Oudeï, Hamma et Delim. Paul Marty, l’un des précurseurs de l’étude des mobiles et des conséquences de ce glissement des Maures vers le fleuve du Sénégal utilise l’expression de « descente de la Mauritanie ». Ce glissement prend fin au XVIe siècle lorsqu’ils se sédentarisent aux alentours du lac R’kiz en Mauritanie méridionale. Ils vont avoir accès aux terrains avoisinant le lac moyennant le paiement d’un droit de culture aux communautés noires autochtones. 208 Lire Brahim Diop, op. cit., p. 50. 209 Samba Boubacar Haako, un chef pullo jalalo (singulier de Yalaalbe) apparenté à Elimane Seydou a participé activement à l’installation des dimatnabe sur le site qui servait de campement de transhumance à sa communauté pendant la saison sèche. 210 D’autres sources précisent que c’est de Ngan-go situé au nord de Guédé qu’Alwaali Diagne est parti explorer les terres fertiles situées à l’ouest. C’est en ce lieu où les dimatnaaƃe auraient séjourné pendant trois ans que la maman d’Elimane Boubacar aurait trouvé la mort.

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députation à Abdel Kader Kane, Almaami du Fuuta Tooro, pour obtenir la permission de défricher l’immense espace dit Joli-Majja. Cependant l’espace était dejà habité, il y avait un degré d’organisation socio-politique de certaines populations anciennes de la rive gauche comme les Loyrounabé et les Harmanabé211 alors que les qualités guerrières et diplomatiques des dimatnaaƃe sont toujours mises en exergue. Cette ignorance volontaire de l’existence de ‘peuples premiers’ est à mettre sur le compte de la volonté de minimiser leurs prétentions légitimes sur les réserves foncières, notamment les riches terres du waalo. Cela ne diminue en rien le caractère assez original de la genèse de cette entité politique de la Sénégambie septentrionale. Ces populations anciennes furent-elles des actrices déterminantes dans les négociations d’installation ? Étaient-elles inorganisées politiquement à cette époque ? Leurs leaders politiques avaientils migré vers le sud ? Étaient-ils des vassaux des Satigi ? Les élites politiques locales allaient favoriser certes l’installation des dimatnaaƃe, mais en tenant compte d’abord de leurs intérêts. Le Lam Tooro, par exemple, l’une des principales autorités politiques de la zone, accepta leur établissement dans cette zone interstitielle. Son implication n’est pas aussi désintéressée car il était en train de disputer le leadership politique à deux Ardo : celui de Guédé village et celui du village d’Eddi, les maîtres traditionnels du Tooro aux temps des Satigi. Le Lam Tooro profita de la recomposition politique initiée par l’Almaami212. Il dut aussi mesurer le danger encouru en cas de mauvais voisinage avec cette école coranique toujours en mouvement qu’est le Tulde Dimat. C’est que les principaux interlocuteurs des dimatnaaƃe, détenant aussi une solide expérience historique de la migration devaient, par conséquent, être sensibles à la sollicitation de ces candidats à la réinstallation. Ces considérations ne devraient pas masquer les calculs stratégiques qui sous-tendent ces négociations ayant donné lieu à un accord de siège. En d’autres termes, un double défi était lancé aux dimatnaaƃe lors de ces négociations. Le premier : ils devaient sécuriser cet espace marginal, redouté à cause de l’abondance de la végétation et des cours d’eau et reconnu 211

Les appellations utilisées pour nommer les populations autochtones sont nombreuses. Le chef de la communauté dimatnaaƃe recevait régulièrement des gigots d’éléphants (Asaale ňiiwa) de leur part. Amadou Seydou Kane, inf. cit. 212 C’est que les Lam Toro ont connu quelques difficultés d’insertion. Les Sall, originaires d’un pays appelé Bahel, « ont cohabité pendant un certain temps avec les peuls de Guédé Wuro dont ils auraient appris la langue. Lorsqu’ils commencèrent à contester l’autorité des ardos ils furent invités à quitter le village. Ils allèrent s’installer à Guédé Saaré où ils trouvèrent les Gallunkobé, Sebbe de la famille Kamara qui en sont les chefs avec le titre de jagodine. Guerriers éprouvés, ils ont progressivement étendu leur influence sur l’ensemble du Toro. Ils ont pris alors le titre de Lamtoro ». Voir Kane O., « Les unités territoriales du Fuuta Toro », Bulletin de l’IFAN, tome XXXV, série B, n° 3,1973, p. 615.

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comme une zone de non droit prisée par les aventuriers. Le second était de pouvoir contrôler ces populations hétérogènes et peu islamisées. On peut présumer que c’est après avoir confirmé le respect de ce cahier des charges que les clercs se firent autoriser à s’y installer. Les sources orales font aussi allusion à une compétition âpre qui opposa la communauté des Kane de Dimat à celle des Kane de Thiangaye, leurs cousins, et portant sur le contrôle du même domaine foncier agricole. En définitive, on assiste à un départ programmé, sans précipitation aucune malgré la vitalité économique du bassin du lac Rkiz et à une installation négociée des dimatnaaƃe sur la rive gauche213. E

B- LES ALLIANCES ENTRE LES ÉLITES À LA FIN DU XVIII SIÈCLE

À la fin du XVIIIe siècle, les populations autochtones et les migrants vivaient dans un même territoire composé d’une trentaine de villages. La gestion des affaires politiques résultait d’un compromis, d’une concertation. Ce concept, le deeyi laamii comprend deux étapes. La première est la négociation au sommet entre l’Almaami, les élites politiques de la rive gauche et les dimatnaaƃe. Elle s’est déroulée à la fin du XVIIIe siècle. La seconde, effectuée entre les marabouts, les autres migrants et le résidu de la population autochtone, se tint une fois la réinstallation devenue effective. Le deeyi laami, cette nouvelle stratégie déployée par marabouts de la Sénégambie septentrionale pour continuer à exercer leur leadership, a été utilisée concomitamment ou après d’autres stratégies d’accaparement ou de 213

Située aux confins du Waalo-Toro-Djoloff-Trarza, la région du lac R’kiz était un croisement des voies méridiennes trans-sahariennes et sahéliennes, ainsi que l’axe de navigation du fleuve Sénégal qui lui est perpendiculaire. Sur le plan des échanges, la région du lac R’kiz était impliquée aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le commerce sahélo-saharien et atlantique. Les traitants européens s’y rendaient régulièrement. La Courbe nous donne une idée des produits locaux : « il arriva plus de 500 marchands tant nègres que maures qui apportèrent du mil et des fèves dans des toulons ou peaux de bœuf. Afin que personne ne crût être trompé, le maître du village (serigne Kaajaar) et quelques marabouts y furent toujours présents (dans la barque)…nous renvoyâmes plus de 500 personnes sans traiter, parce qu’il n’y avait plus de places ». Lire Cultru P., Premier voyage du sieur Delacourbe fait à la côte d’Afrique en 1683, Paris, Éditions Champion et La Rose, 1913, pp. 98-99. La communauté dimatnaaƃe était insérée dans un vaste réseau d’échanges entre des zones économiques complémentaires. En plus du commerce de produits céréaliers, des peaux de bêtes, des esclaves, de la gomme arabique étaient échangés. Les Djigo (certains informateurs trouvent un rapport entre ce patronyme et le terme pulaar désignant l’achat de graines en période de soudure: jigore) étaient spécialisés dans le cadre du commerce des céréales vers les régions désertiques du nord, en pays arabo-berbere. Selon El Hadji Issaha Doro Djigo, les Djigo sont originaires de Dimask Sham. Les Djigo sont parmi les 7 familles qui ont fondé le village de Dimar. Les Djigobé qui prenaient le risque d’effectuer de longues et périlleuses excursions pour procurer à la communauté les vivres dont elle était en manque. Les Djigobé ou Djigoré (qui signifieraient en poular commerçant ou marchand) se nommaient auparavant Kane. Les Djigo furent ainsi associés aux affaires de la cité de Dimat Réwo. Lire El Hadji Issaha Doro Djigo, Origine de la famille Djigo, Cité Castors Villa 99, Dakar, Sénégal, 40 pages manuscrites, non publié, non daté.

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conservation du pouvoir. Parmi elles, nous citerons le lewi laamii, c’est-àdire défricher un territoire pour en devenir le propriétaire. Dans ce cas, les descendants de cet individu ou de ce groupe sont alors appelés lawake, terme qui fait allusion au droit d’antériorité (law ou très tôt). Elimane Demba Elimane, le fils de Elimane Boubacar Kane, fit référence à ce concept pour contester la prétention des Foulbé Wodaaƃe d’être les propriétaires des terres du Tulde Dimat214. La seconde stratégie que l’on peut citer est le janngi laamii, qui introduit la notion d’accession au pouvoir grâce à l’érudition, pratiquée par les marabouts-politiciens du Tulde Dimat Réwo autour du lac Rkiz depuis le XVIe siècle. La troisième stratégie est le felli laamii, faisant référence à la conquête du pouvoir ou à sa conservation par l’usage de la violence. Cette stratégie fut utilisée selon les manuscrits de Tékane pendant deux siècles par les habitants du Tulde Dimat Rewo pour faire face à l’arrivée massive des Maures autour du lac R’kiz. Un nommé Amar Kane délimita les territoires respectifs des communautés noires et blanches : il s’agit de l’ebol amar (édit d’Amar). Ensuite, il y eut l’usage de la violence lorsque les élites politiques durent faire face à la menace hégémonique des Maures Trarza et des Français de Saint-Louis à partir de la fin du XVIIIe siècle. C’est fort de cette expérience politique que les marabouts nouvellement réinstallés sur la rive gauche du Sénégal appliquèrent les modalités de partage du pouvoir dans les villages du Tulde Dimat. Le village qui fait figure de modèle est celui de Thiangaye. Thiangaye, un village autonome du Tulde Dimat Thiangaye était localisé jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à l’intérieur des terres inondables entre le fleuve Sénégal et le marigot Ngalanka215. 214

Selon Elimane Demba Elimane Kane, fils d’Elimane Boubacar : « l’ Almamy Abdel Kader confia à mon grand père Elimane Seydou, puis à mon père Elimane Boubacar, les terres qui nous sont disputées aujourd’hui par les peuls Wodaabe malgré la défense de l’Almamy qui, à leurs prétentions, répondit que le terrain ayant été complètement abandonné par eux, qu’une moitié de leur tribu s’était fixée à Guilogne (sic) et que la deuxième moitié réfugiée dans une autre contrée, ils avaient laissé les terres vides et inoccupées. Qu’Elimane Seydou et Elimane Boubacar se sont consacrés à défricher, à cultiver, à rendre en un mot ces terres habitables et qu’il y a lieu de considérer ce pays, comme la propriété des Elimane en raison de leurs efforts ». Lire A.N.S., 13G118, Correspondance d’Elimane Demba Koudédia à son oncle Bou El Mogdad, reçu à Saint -louis, mars 1880. La version d’Elimane Dimat Demba Koudédié dit Elimane Demba Elimane Kane est corroborée par la tradition orale: « à notre arrivée ici à Dimat– Dialmath, il n’y avait qu’une étendue de forêts entrecoupée d’étendues d’eau. Ce sont nos grands parents qui se mirent à défricher les lieux ». Voir interview Amadou Sy Amadou, Imam de la mosquée de Dimat Diéri, avril 2002, inf. cit. 215 Situé aujourd’hui sur les bords de la route nationale.

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Ce village indépendant du Dimat est dirigé par les Kane, descendants de Lamine Dowdou216. Selon Elimane Abdoul Thiadjel, ses habitants originaires de Thiangaye Réwo s’y étaient établis en 1741. Le chef du village porte le titre d’Elimane Thiangaye. Les Diaw devaient introniser le nouvel Elimane Thiangaye217. Leur origine n’est pas connue avec exactitude. Ne faudrait-il pas faire la différence entre les Diaw issus du substrat autochtone, les Diaw qui ont quitté le Waalo dès le XIIIe siècle (entre 1271 et 1278 selon Amadou Wade218et Vincent Monteil219) et les Diaw originaires du Waalo réfugiés dans le Fuuta Tooro au XIXe siècle, suite à la conquête de leur pays ? Ces derniers seraient les descendants de Madické Diaw, originaire de Ndombo dans le Waalo et s’installèrent à Thiangaye vers 1810220. La disposition de l’habitat en grappe autour de la mosquée s’expliquait par une volonté des Kane de se prendre en charge sur le plan sécuritaire. Thiangaye n’avait pas une force armée. Thiangaye était composé de plusieurs quartiers221 dont au centre, se trouvait celui des aristocrates (Tooroƃƃe-Kanhanbe), dont les concessions entouraient la mosquée. Entre le quartier des Tooroƃƃe et le marigot Ngalanka situé au nord, se trouvait le Soubalo ou quartier des pêcheurs qui y vivaient avec leurs captifs. Ils étaient ainsi proches de leur domaine d’activité qu’est le marigot Ngalanka. Les Kiraynaaƃe habitaient au sud du village. Plusieurs indices font d’eux les descendants d’une population anciennement installée dans cette zone, originaires de Thiankone Hiraye, installés à Thiangaye entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle. Cet emplacement serait d’ailleurs l’ancien centre du village. Aux extrémités, c’est-à-dire à l’est et à l’ouest, se trouvaient les quartiers des captifs. À l’est, c’est le Legal horbe (quartier des captifs d’origine maure). À l’ouest, c’est le quartier Mbambara qui abritait une population servile d’origine bambara. L’occupation des marges du village a une signification à la fois symbolique et pratique : les esclaves sont les sentinelles du village. D’origine étrangère, ils étaient plus à l’aise entre eux. Le village ne disposait pas de griots, ni de forgerons. Des captifs y exerçaient cette dernière profession. La proximité de Fanaye et de Dialmath 216

Boubou Gaye, captif, 55 ans, interviewé à Thiangaye en novembre 2002 par Mamoudou Sy, Ya Coumba Dada Kane, 83 ans, toorodo, interviewée à Diagnoum en novembre 2002 par Mamoudou Sy. 217 Voir en pièce annexe la liste des Elimane de Thiangaye. 218 Wade Amadou, op..cit., p. 39. 219 Monteil Vincent, op. cit., pp. 121 et suivantes. 220 Chérif Kane, inf. cit. 221 Vincent Monteil a produit un plan de Thiangaye mettant en exergue la discrimination sociale et spatiale sans pour autant le commenter. Monteil V., L’Islam Noir, Paris, Édition du Seuil, 1971, p. 274.

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permettait l’approvisionnement en outils aratoires. Les Subalbe et des esclaves affranchis assimilés jouaient un rôle très important dans la localité. Thiangaye avait deux cimetières : un cimetière pour les aristocrates à l’ouest et un cimetière des esclaves à l’est du village. Le village de Pendao Pendao est une ancienne localité qui doit son nom à une femme saltigué222 nommée Penda Aaw. Les populations autochtones seraient les Soos et les Sereer auxquels se joignirent des migrants originaires du Djolof. Vers le début du XIXe siècle, certains habitants de Dimat-Dialmath effectuèrent une micro-migration vers le sud et s’installèrent près du hameau des autochtones, principalement deux lignages des Kane et leurs alliés. Une partie des migrants effectua une seconde micro-migration vers le nord pour s’installer à Tékane223. Les migrants qui sont restés se concertèrent avec les autochtones pour concevoir une charte politique marquée par une réelle volonté de vie commune. La direction du village fut alors confiée aux Kane originaires de Dimat. Le village fut alors regroupé autour de deux blocs. Le premier, le Hinndé Maalnabé, regroupait les Kane Galle Ndiaye, un segment de lignage des Kane de Dimat, les Dieng et les Diack. Les Tall sont les chefs de hinnde. Le second regroupe le Fakkar encore appelé Reedu Cobol (Galle Maliam)224. Il regroupe les Kane Reedu Cobol (Galle Maliam), les Sy et les Djigo. À l’image de Dimat-Dialmath, les Kille vont éclater en cinq puis six groupes donnant ainsi les hinnde des Djigobé, des Maalnabe, des Kanhanbe et enfin, des Tall qui sont les jagge. Le cinquième est le hinnde des Diagne qui regroupe les Gallunkooƃe. Ce sont les Diagne qui exercent la fonction de jagaraf. Le farba awlube est choisi au sein des griots. Le village de Pendao resta jusqu’à la fin du XIXe siècle sous la dépendance de Dialmath comme le précisait le directeur des affaires politiques de la colonie du Sénégal au commandant du cercle de Dagana: « Pendao appartient au chef de Dialmath, Mamadou Kane son chef s’efforce de le rendre indépendant oubliant qu’il n’en est que le mandataire. Mon avis 222

C’est -à- dire douée de connaissances mystiques. Aliou Kane, un notable de Pendao, partit s’installer à Tékane en 1869. Nous sommes en présence d’un phénomène récurrent dans l’histoire du Fuuta Tooro : la scission d’un segment de lignage. Ce fut le cas d’Ousmane et d’Abdoul Omar Nalla Modi Kane qui quittèrent avec leurs proches Dar Al Salam pour s’installer à Koundel. Ou bien d’Ismael Nalla Omar Modi et ses proches qui, revenant d’exil de chez les Maures Touabir s’installèrent à Dollol puis à Kahé, entre Maghama et Fimbo. Les Kane Modi Nalla d’après le Asko Dimat (généalogie du Dimat) descendent de Nalla Yéro (frère de Dowdou Yéro). Ils se sont installés principalement dans le Fuuta Tooro oriental, dans le Gidimakha, sur les bords du Kharakhoro, etc.

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est que Dialmath et Pendao fassent partie de la même commune » 225. En 1881, le village devint indépendant de Dialmath, suite à la déliquescence de la fonction d’Elimane Dimat226. Fanaye, un village indépendant de Dialmath227 Selon les traditions d’origine228, Fanaye était composé de six entités. Il s’agit de Toullel Kadjé, Degounguel Koumbiri Pignane avec les hellobé (Kelly) et Kamarabé (Camara), Diama Guéthie avec les Guèye Guèye bé (Guèye) et les Ndiaybé (Ndiaye), Gharb baké avec les Sakhobé (Sakho), Diouwdé N’doro avec les Salsalbé (Sall) et enfin de Niorgol avec le Soubalo ou le quartier des pêcheurs229. Au début du XIXe siècle, le village était localisé sur les bords du marigot Ndoro appelé aussi Ngalanka. Le village avait connu de hauts faits d’armes. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Français encouragèrent la création d’un autre village appelé Fanaye nouveau, par opposition à celui qu’ils appelaient Fanaye ancien. Village de transition entre un peuplement à dominante pulaar à l’est et un peuplemnet majoritairement composé de wolof à l’ouest, Fanaye constitue un concentré humain de la Sénégambie. La charte politique du village230 était un compromis entre une population autochtone concentrée dans son fief, le Dialagne, une sorte de rappel de pratiques antéislamiques. Elle portait des patronymes tels que Kelly, Baal, Tall, Sall, Diop, Sakho, Sambou et Ndiaye. Une population musulmane résidait à Bir jama ou le quartier des musulmans avec les patronymes Ly, Ba, Sy... Le chef du village portait le titre d’Elimane Fanaye. Il a pour patronyme Ly. Ce sont les Sakho et les Kelly qui intronisaient le nouvel Elimane Fanaye. Le bokineg lui mettait la couronne sur la tête. Le salaa assurait l’intérim en cas de vacance du pouvoir. Il portait en général le patronyme de Ndiaye. Les Sy assuraient la fonction de Qadi ou juge musulman. Les Ba celle d’imam de la mosquée. Le jagaraf compagnon d’Elimane Fanaye portait le patronyme de Ndiaye ou de Thiam. 225

ANS, 13G 139, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, en date du 29 mars 1881. Un chef proche de ses administrés devait pouvoir collecter avec plus d’efficacité l’impôt. 227 Voir en pièces annexes la liste des patronymes de Fanaye, la liste des compagnons de Shayku Omar et celle des Elimane Fanaye. 228 Mamadou Lamine Bakadjié Ly, inf. cit. 229 Mamadou Saïdou Fedior et Ousmane Lawkel Ly interviewés à Fanaye, novembre 2001 par M. Sy. 230 C’est en 1869 que Fanaye s’est séparé officiellement de Dimat- Dialmath. Ce sont les Français qui encouragèrent cette scission afin de favoriser un parti local opposé à Amadu Sheikou Ba qui avait fait du Touldé Dimat sa base de repli. Lire ANS, 13G103, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 3 septembre 1869. 226

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Gaya, un village wolof du Dimat Gaya est un village formé par des wolof originaires de la rive droite du fleuve Sénégal231. Gaya, était selon Raffenel un « grand village du Fuuta sur la rive gauche… habité par d’habiles pêcheurs dont les femmes préparent et vendent à nos navires de traite le produit de pêche de leurs maris » 232.Le peuplement s’est renforcé de migrants wolof venus de Dimat-Dialmath du quartier dit Kajar,d’autres du Kajoor et du Djolof. Ces composantes nouèrent une alliance et se partagèrent le pouvoir. Le chef du village porte le titre de Serigne Kadjar et a pour patronyme Fall. C’est grâce à ses qualités de diplomate qu’il fut choisi comme chef de village de Gaya. Les Guèye et les Lo devaient l’investir. La tradition orale fait un rapprochement entre le rôle joué par Ndiadiane Ndiaye, fondateur du royaume du Waalo et celui du chef des migrants Kajoor-Kajoor.Cependant à notre avis, le premier chef de Gaya n’est pas originaire du Kajoor mais de la Mauritanie du sud d’où les Fall ont pour origine. D’ailleurs notre informateur situe l’exil du Kajoor-Kajoor vers le début du XIXe siècle, en ce moment, la chefferie de Gaya était déjà aux mains des Fall, originaires des environs du lac R’kiz. Une partie de la communauté maraboutique wolof qui habitait la rive droite du fleuve Sénégal se réinstalla sur la rive gauche à la fin du XVIIIe siècle sur recommandation d’Abdel Kader Kane233. Thillé Boubacar, un ancien campement de Foulbé Yalaalƃe Thillé Boubacar234 fait partie des plus anciennes localités habitées du Tulde Dimat. Au substrat autochtone se sont superposés d’abord des Foulbé Yalaalƃe, anciens administrateurs des Deenyankooƃe, ensuite d’autres groupements Peul et, enfin, des migrants venus de Dimat-Dialmath.

231 ANS, 13G104, Correspondance commandant de Dagana au gouverneur, en date du 5 novembre 1869, pièce 249. Les gens de Ganar d´après l’appellation du commandant de Dagana. Le Serigne Kajar apparaît dans un document datant du XVIIe siècle. Kajar est l’appellation de l’ancien site du village. 232 Raffenel A., Voyages dans l’Afrique occidentale française, 1843-1844, Paris, Arthur Bertrand, 1846, pp. 22 et suivantes. 233 Les Kane de Sine Lèye Kane s’identifient à Modiène. Mais Ndande semble ȇtre le point de départ de leur dispersion dans le Cayor et mȇme au delà. Sine Lèye Kane selon Mame Mor Kane signifie apercevoir quelque chose. Le village avait une école coranique célèbre. 16 villages ont été fondés par les migrants. Les plus importants étant Kanène Ndiob, Dimar Kane, Keur Samba Kane. Du Cayor, les Kane, se dispersèrent au Baol, Sine, Saloum, Kabada, etc. Selon Mame Mor Kane, des Kane ont suivi Maba Diakhou. A la mort de ce dernier, il eut une micromigration . Une partie se réinstalla vers le sud, dans la colonie anglaise de la Gambie. Des enfants des Kane furent adoptés par les missionnaires et devinrent des chrétiens. M. Kane dit avoir rencontré un pasteur gambien du nom de Kane. Source : Mame Mor Kane professeur arabe CEM Djibril Diaw de Thiès, avril 2015. 234 Bakary Hawo Thillé Bâ, 70 ans, interviewé à Thillé Boubacar le 8 novembre 2001 par M. Sy.

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Des migrants musulmans s’installèrent dans ce lieu alors dirigé par une aristocratie réputée répulsive à l’islam. Ils arrivèrent à nouer une alliance avec elle. Les Foulbé Yalaalƃe, continuèrent à exercer le pouvoir et portaient le patronyme Ba. Ils avaient comme titre Joom Bawtungol. Le chef de village était intronisé par les Diack. Thillé Boubacar attira des populations venues de l’arrière-pays septentrional dans le waalo. Le village souffrit de la cohabitation avec les Foulbé Wodaaƃe, des voisins installés principalement à Kadiogne et Ndiayène. Le cas du village de Ndiayène Saaré Cette localité est habitée par des migrants aux genres de vie variés (pasteurs, pêcheurs, cultivateurs). Ce village est encore appelé NdiayèneWodaaƃe. Il résume la complexité de la mise en place du peuplement dans la Vallée du fleuve Sénégal.235 La première vague d’immigrants vient du Djolof d’origine wolof, porte principalement les noms Ndiaye, Mbengue et Niang. Elle est devenue poularophone. Une deuxième vague, constituée de pasteurs foulbé partit du Fuuta Tooro oriental, transita par le Djolof et le Waalo. Une troisième vague de pasteurs foulbé vient d’Asndé Balla. À la fin du XVIIIe siècle, des migrants originaires de Dimat s’ajoutèrent à ces populations. Ardo Ndiayène favorisa l’installation de familles maraboutiques venues de Dimat Dialmath ou d’ailleurs236. L’aspect le plus remarquable de l’installation des migrants Wodaaƃe est la rigueur de leur contrôle territorial. Celui-ci repose sur l’installation de campements qui se définissent toujours par rapport au village de départ de leur fondateur et l’accaparement des pâturages pérennes ou saisonniers le long desquels se font les défrichements des champs du jeeri ou du waalo. Ce mode de colonisation en habitat semi-dispersé a permis aux Wodaaƃe de constituer un territoire élastique politique et social appelé Bodangou. La gestion concertée des ressources naturelles du nouveau cadre d’implantation et l’islamisation progressive des migrants entraînèrent le processus d’intégration et d’assimilation d’avec les populations autochtones237. Les Foulbé Wodaaƃe, à l’image des Tooroƃƃe, établis dans ce nouveau site développèrent une stratégie d’alliance avec les populations

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« Les premiers occupants sont des pêcheurs sebbe ». Boubacar Sadio Sow. inf. cit. Comme c’est le cas de Modi Alimou grand marabout originaire du Fuuta Djallon, de Laliya plus précisément qui épousa une Bodado appartenant aux Diassarnabé. Il s’installa à Ndiayène dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1875, un marabout tidjane ancien partisan d’Amadu Sheikou Ba revint s’installer dans ses environs malgré l’opposition des autorités françaises. Lire Schmitz J., op. cit., p. 18. 237 Turner Matthew D., « Labor process and the Environment: The Effects of Labor Availability and Compensation on the quality of Herding in the Sahel », Human Ecology, vol. 27, N° 2, 1999, pp. 267292. 236

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autochtones, les migrants venus du sud et du nord ainsi qu’avec le régime des almaami238.

II- L’Islam et ses référents dans la consolidation du pouvoir A- L’INFLUENCE DE L’ISLAM

Le hijra ou migration sur la rive gauche, dans un espace sous peuplé et marginal, donna naissance à une nouvelle élite politique et religieuse. Une communauté qui prend corps dans un espace réductible à un environnement humain présumé « païen », une zone pionnière à mettre en valeur. La construction politique des dimatnaaƃe ne risquait-elle pas de créer une sorte de dyarchie ? En effet, il apparut une dualité du pouvoir entre le chef de la communauté cléricale du Tulde Dimat et l’Almaami du Fuuta Tooro. La grande innovation est la place dévolue à l’islam et ses référents. En faisant la genèse de l’Elimanat du Dimat, on se rend compte que c’est d’abord le savoir islamique qui fut à la base du passage de Hamet Diouldo Kane du statut de berger à celui de leader de la communauté à celui d’imam, ensuite de son emprise sur un groupe hétéroclite dans le sud mauritanien. C’est aussi la possession commune d’une érudition islamique qui facilita la constitution d’un vaste réseau d’alliances maillant les Sy, Ndiom, Seck, Niang, Fall, Guèye, Sakho, Lo, Ba, Diack et Djigo, dont les descendants s’étaient éparpillés dans toute la Sénégambie dès la fin du XVIe siècle239. Ils y créèrent une zone franche islamique, s’érigèrent en médiateurs sociaux. Ils prirent la défense des faibles. Une de leur prérogative renvoie à la fonction du sultan, qui a une autorité de juger et prendre des décisions [ismal-sultan-yaqu’a al Kull man la-hu al qada’wa’l-hukm’]240. Il y a une analogie dans les tâches dévolues aux clercs 238 Comme le corrobore cette assertion : « These are communauties originating in an alliance between free fulbe and free sedentary farmers in the recent pre-colonial or colonial past often there is an oral tradition describing the founding members of the society as free lineages which voluntary decided to settle together with their slaves. They are also characterized by originating with concepts of interdependence and cooperation »., Wilson W., « The fulani model of sustainable agriculture : situating Fulbe nomadism in a systemic view of pastoralism and farming », Nomadic Peoples, n° 36/37, 1995, p. 41. 239 Il s’agit du concept de janggi laami. 240 Ibn Roushd, al –Jadd, Abou al-Walid Mouhammad b. Ahmad, Al –Bayan wa –l –tahsil wa-l-sharh wal –tawjih wa-l-ta-lil fi masa’il al mustakhraja, ed., Mouhammad al Hadji et al., 18 vols. Islamic Area Studies Working Paper n° 3, Tokyo, Japan, p. 1.

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dimatnaaƃe devenus guides politiques avec celle du wali (gardien) de Médine qui jouait à la fois un rôle de qadi et de gouverneur241 (amir) [wali al Madina mithl al qadi wa l amir]. 242 B- UN POUVOIR TRANSSETHNIQUE

Le Tulde Dimat se présentait, comme une terre de rencontre interraciale et inter-ethnique.243 Il renfermait aux extrémités occidentale et orientale un peuplement à dominante wolof (dans les localités de Dagana Serigne, Ndieurba, Gaya, Bokhol et Niandal ou Nianga-Niandane), sur la rive droite, quelques localités à peuplement majoritaire pulaar (Tékane et Gani étaient les plus importantes) et au centre, un peuplement pulaar sédentaire et semi-nomade. La juxtaposition des titres et des noms de village sert d’indicateur historique, anthropologique et ethnique. Seriñ de (Dagana, Gaya, Bokhol et Niandiane), Elimane de (Fanaye, Thiangaye, Pendao et Dimat-Dialmath), Arɗo des (Soonaaƃe, Breykat, Sumanaaƃe, Kiraynaaƃe et Wodaaƃe) et Joom Bawtungool renvoient à une élite politique wolof et pulaar. Hormis les campements foulbé semi-nomades, tous les chefs de village avaient acquis à l’origine leur titre de la maîtrise de la science coranique. Même les Ardo devinrent des défenseurs zélés de l’islam. L’organisation politique se trouve calquée sur le modèle de l’État islamique au temps du prophète Mohamed. Les Français décrivirent le système politique dimatnaaƃe comme étant l’œuvre de musulmans « fanatiques et orgueilleux, [qui] doivent à la pratique des lois du Koran des garanties dont manquent leurs voisins du Waalo et du Kajoor, soumis aux seuls caprices des chefs grossiers et despotes, mais ils (les Elimane Dimat) ont aussi poussé à l’excès, les vices qu’engendre l’islamisme » 244 . D’une manière générale, on assiste à un partage du pouvoir entre des familles foulbé et wolof qui prirent une part active dans la prise du pouvoir 241

Utbi al Qurtubi Abu’Abd Allah Muhammad al, Al –Mustakhraja min al –asmi’a al-ma’rufa bi –l’Utbiyya, in Ibn Rush al Jadd, Bayan, in Yanagihashi Hiroyuki, op. cit., pp. 3-4. À Rachid, l’organisation administrative et judiciaire était au début entre les mains d’Elimane Dimat. On assista alors à un transfert de la charge de l’imamat de la mosquée couplée à la fonction de Qadi aux Sy descendants de Shams Eddine, compagnon de Hamet Diouldo Kane. 243 « Dimar was the theater of heavy propaganda and recruitment for umar’s holy war in the 1850’s. It was along agricultural wolof population as well as significant pastoral Fulbe». Lire Robinson D., 2000, op. cit., p. 195. 244 Moniteur du Sénégal et dépendances, op. cit., 4 mai 1858. 242

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politique par les marabouts d’abord sur la rive droite puis construisirent un réseau très important une fois réinstallés sur la rive gauche. Ce qui est remarquable, c’est que dans aucun village, il n’a été rapporté un clivage inter-ethnique, une confrontation violente entre autochtones et nouveaux arrivants. Ce sont plutôt les migrants venus de l’est et ceux venus du nord qui se disputèrent vers la fin du XIXe siècle la direction du canton du Dimar245. Le pouvoir n’était pas auparavant exercé exclusivement par un groupe ethnique ou une famille.

III. Les fondements du pouvoir des Elimane Dimat A- LES FONDEMENTS DE LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE

Dans le Tulde Dimat, la principale source de revenus est la redevance, perçue sur les kolaaɗe du waalo (cuvettes de décrue) ou les champs du jeeri (zone insubmersible). Elle est versée aux familles ayant défriché ou reçu en cadeau les terres d’Almaami Abdel Kader Kane. Il s’agit du caatal ou l’asakal (dîme coranique) remis aux représentants de Elimane ou des autres familles dirigeantes, une redevance qui devait être acquittée au début (njoldi) 246 ou à la fin du cycle agricole (asakal). Elimane Dimat percevait, selon un administrateur français nommé Cadeot, des coutumes du Brak du Waalo 247. Ne s’agit-il de l’ancien tribut versé par le Brak au Satigi du Fuuta Tooro et qui s’élevait à quarante-trois captifs et des bœufs à livrer tous les quatre ans248. Les autres formes de solidarité249 et de déférence sont le ɗoftal (journée de travail gratuit volontaire pour la communauté), le hoore kosam (don de lait) fait par les éleveurs de préférence le jeudi soir à l’intention des morts, le kawgal (droit de pêche dans un marigot ou une mare située dans un terrain appartenant à un propriétaire reconnu)250. Elimane Dimat recevait aussi un laaci nooro (la partie charnue entourant la queue de crocodile) de chacune de ces espèces abattues dans les cours d’eau du Dimat. 245 ANS, 13G119, Correspondance des notables du canton du Dimar au gouverneur, mai 1884. Lire Ganier G., « Maures et Toucouleurs, sur les deux rives du Sénégal. La mission de Victor Ballot auprès de Sidi Ely, roi des Maures Braknas, février-juin 1884 », Bulletin de l’ IFAN, tome XXX, série B, n° 1, 1968, p. 207. 246 Le commandant de Dagana signalait au gouverneur de Saint-Louis en 1864, que « les chefs du Dimar perçoivent encore un droit, le ndioldi, usage établi du temps de l’Almaami qui consiste à ne pas laisser commencer la culture du gros mil sans payer cette espèce de dîme ». Lire ANS, 13G102, Commandant de Dagana au gouverneur, Dagana, pièce 28, en date du 2 juillet 1864. 247 ANS, 2B15, Correspondance du gouverneur de la colonie au ministre, Saint-Louis, août 1833, pièce 100. 248 Barry B., 1985, op. cit., p. 159. 249 Ba O., op. cit. 250 Les Subalbe devaient au moins fournir le produit de la prise du troisième jour de la semaine.

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Le Tulde Dimat tira un gros avantage de sa position stratégique à la fois de carrefour commercial et de voie de passage obligé vers la haute vallée du Sénégal. Elle ne conféra pas cependant à son chef une coutume annuelle. Elle permit l’ouverture d’un nombre important des points de traite (entre africains ou entre européens et africains). Les traitants de Saint -Louis, qui venaient jusque dans les villages se trouvant le long du marigot de Ngalanka, devaient payer une taxe au Jaaltaɓe (chef du quai), dès qu’ils accostaient. Appelées escales, ces lieux de transactions des céréales, du dene/beref et de la gomme arabique se trouvaient sur les rives du Sénégal et du Ngalanka251. Il s’agit, entre autres, de l’escale sur la rive droite du Sénégal à hauteur de Fanaye, de celle située à hauteur de Bokhol, entre Tékane et Gaya, de Toufoundi Demba Guèye et enfin, de celle dite du Coq, sur la rive droite du Sénégal à hauteur de Loubnguel (luɓde)252. Ce lieu- dit le cachot par les Français, était un moyen de pression qu’Elimane Dimat allait user et souvent abuser dès le début du siècle dans ses relations avec Saint-Louis. Comme le confirme cette dépêche officielle française: « Malheur au navire qui s’aventurait dans ce redoutable détroit, si l’on n’avait pas satisfait, dans le courant de l’année, toutes les exigences des chefs du pays. Il ne tardait pas à être attaqué par des ennemis nombreux et invisibles…253» Elimane Dimat recevait le ƴiyal 254(gigot ou un autre organe de chaque animal égorgé dans le village lors d’une cérémonie). Le biwol était échangé entre les Kane et les Gallunkooƃe. Le koyangal (gigot) entre les Gallunkooƃe de patronyme Dia et les Tooroƃƃe de patronyme Guèye. Le tiers des droits collectés par le Jaltaaɓe Dimat (chef des pêcheurs-bateliers) revenait à Elimane Dimat255. 251 Le commerce de la gomme fit, l’objet de plusieurs traités entre la France et les provinces riveraines du fleuve Sénégal. En vertu des traités conclus par Faidherbe en 1858, et élargis par Brière de L’isle en 1879 et 1880, les rois des Trarzas et des Braknas devaient protéger le commerce de la gomme sur les deux rives. Avant l’application du décret du 22 mars 1880 qui libéralise son commerce, la gomme n’était vendue que dans des escales déterminées sur la rive gauche du Sénégal. Lire Ganier G., op. cit., p. 184. 252 Il doit son nom aux épaves de navires et des corps de soldats en putréfaction abandonnés régulièrement en ce lieu. Selon les traditions locales, Saydou Boubacar y avait fait couler soixante dix navires. On interdisait aux jeunes de se baigner dans ce lieu, afin de ne pas s’accrocher aux épaves de bateaux. Les sources orales ajoutent que sous le règne d’Elimane Boubacar Kane trente navires y ont été coulés. Ce qui donne en tout cent navires coulés ! Même si ce chiffre paraît trop excessif, les sources archivistiques françaises mettent en exergue le danger qu’encouraient les Français dans cette partie du Dimat. 253 Moniteur du Sénégal et dépendances, op. cit. 254 En 1859, le meurtrier d’Abdoul Boli Kane expliquait que l’une des raisons de sa colère est qu’Elimane Dimat soit venu dans sa maison (chez Elimane Saydou) pour réclamer sa part d’un bœuf immolé. Il s’agit de Mamadu Seydou Kane dit Mamadou Dada, futur chef de canton du Dimar. 255 Aly Bocar N´diaye, Jaaltabe Dimat, inf. cit.

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L’épouse d’Elimane Dimat avait droit dans chaque foyer à dix sacs de farine de céréales après la récolte, pour préparer le repas256. Les hôtes de passage, les déshérités pouvaient ainsi être pris en charge par l’Élimane. Ces prestations constituent des formes de solidarité qui impliquaient la participation de tous les groupes sociaux sans exclusif. Elimane Dimat devait recueillir et gérer cette contribution en vue d’établir un stock céréalier communautaire pour faire des dons aux nécessiteux et le redistribuer en cas de disette257. C’est dans le cadre de cette solidarité entre les différents membres de la communauté qu’il faut noter cet échange d’organes d’animaux immolés entre les Ba et les Kane, les Gallunkooƃe et les Kane, les Sy et les Gallunkooƃe258 et enfin entre les Guèye et les Gallunkooƃe. B- LES FONDEMENTS DE LA PUISSANCE MILITAIRE

C. Young 259énumère la détention de moyens hégémoniques et de sécurité parmi les critères d’existence d’une construction politique. Ici le moyen hégémonique était l’armée. Cependant l’ouvrage militaire défensif que constituait la muraille (tata) de Dialmath, un moyen de prévention des attaques ainsi que le boowre gajaate, l’école de guerre ont pu rendre longtemps Dialmath imprenable. L’armée d’une marge ou d’une marche ? Le Tulde Dimat avait une armée permanente. L’armée, fut d’abord l’affaire de toute la population active masculine exclusivement. Elimane Dimat était un marabout combattant au premier rang. Tout individu de sexe masculin, d’âge adulte et en état de porter les armes, était susceptible de servir sur le champ de bataille. Il devait répondre aux ordres de mobilisation lancés par Elimane Dimat et exécutés par les marabouts Sisiiƃe (porteurs du patronyme Sy) par tirage au sort si la mission ne nécessitait pas l’engagement de beaucoup de combattants. Les marabouts porteurs du patronyme Sy étaient exemptés de faire la guerre si la campagne ne demandait pas beaucoup d’hommes,260 car leur mort pouvait créer un vide dans la chaîne de transmission des connaissances islamiques accumulées 256

Kamara C. M., Zuhuur ul Baasatiin fii Ta´rikh is sawaadiin (Intisarul-Mawtuur fii Dhikri Qabaa ´il Fuuta Tuur ), Histoire du Tooro, 2 vol, Cahiers 2 et 3, Fonds Cheikh Moussa Kamara, Dakar, IFAN, manuscrit composé entre 1923 et 1924, pp. 682-700. 257 Saïdou Abou Kane, toorodo, enseignant à la retraite, interviewé par M. Sy, Thiès, décembre 2002. 258 Échange de Biiwol. 259 Ces neuf conditions sont : « Territory, population, sovereignty, power, law, the state of nation, the state as an international actor, the state as an idea, the state as a historical actor ». Lire Young C., The African colonial state in comparative perspective, New Haven & London, Yale University Press, 1994, p. 35.. 260 Amadou Sy Baïdy, toorodo, imam de la mosquée de Dimat Waalo, interviewé à Dimat Waalo par M. Sy et Amadou Sèye, avril 2002 pour le compte de l’émission Xew-Xew demb de la RTS, mai-juin 2002.

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depuis des générations et qui constituaient le socle du pouvoir théocratique261. Il s’agit certainement d’une exagération de la place des Sy. En vérité, tous les grands marabouts sans exclusif étaient susceptibles d’être ménagés. Les annales militaires du Tulde Dimat ont retenu le nom de deux marabouts qui se sont illustrés sur le champ de bataille en 1785 à Tawami et en 1796 à Bounghoowi262. Tous les groupes sociaux participaient aux campagnes militaires263. Les marabouts jouaient par exemple un rôle de protection mystique des combattants, de confection de gris-gris anti-balles, de niɓɓinirdi (camouflage mystique) et istixaar (prédiction) sur les éventuels obstacles à surmonter lors de la campagne. La fonction de l’armée du Tulde Dimat est de défendre et de sécuriser le territoire contre les menaces extérieures. Elle est aussi l’instrument de force dans les relations extérieures d’une construction politique marginale. Le noyau de l’armée est formé par les Gallunkooƃe. La structure militaire du Tulde Dimat paraît donc avoir été dans sa fonction guerrière, une organisation de défense du Dar al islam, plutôt que de conquête et de recherche de butin. L’école de guerre et l’ouvrage défensif : le boowré gajaaté et la muraille (tata) de Dialmath Les dimatnaaƃe ont une longue tradition guerrière. Cet acquis devait être entretenu. Cela explique l’existence d’une école de formation des combattants ainsi que la construction d’une muraille qui servait de continuum aux obstacles naturels comme les cours d’eau et les mares. Ces obstacles empêchaient un accès facile à la capitale. Le boowre gajaate est l’espace de formation et d’entraînement des combattants. Il était situé à environ deux kilomètres au sud-ouest de Dialmath. L’emplacement de boowre gajaate est stratégique car les appelés 261 Saïdou Abou Kane, Mamadou Ousmane Guèye et Mamadou Ndiom, interviewés en août 2002 à Dimat par M. Sy. 262 Il s’agit selon la tradition orale de Barka Sy et Elimane Dimat Hamédine Boubacar Kane. Le premier se serait illustré à la bataille de Tawami en tuant l’émir des Trarza en 1785, le second a été tué en 1796 à la bataille de Bounghowi (Bounkhoye prés de Khombole dans le Kajoor). 263 Par exemple, les forgerons confectionnaient des armes, les Subalbe mettaient à la disposition de l’armée leurs pirogues équipées, les griots participaient au combat soit en tant que combattant soit en tant qu’animateurs chantant pour exalter l’ardeur guerrière des troupes. Les chevaux étant réquisitionnés pour les meilleurs cavaliers.

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pouvaient facilement le rallier en provenance de l’est (Pendao, Nianga), du nord (Dimat-Dialmath) et de l’ouest (Thiangaye, Diagnoum, Fanaye, Bokhol, Gaya, Dagana, Langoobe ...) C’est un terrain nu sur lequel ne poussait aucune végétation. Les jeunes Gallunkooƃe encadrés par le bees (général de l’armée) constituaient les moniteurs de l’armée. Le contenu de la formation était constitué de modules tournant autour de la course. Elle se faisait à pieds, à cheval et dans l’eau264. D’où l’existence d’un corps d’élite de la cavalerie qui profitait de la platitude du modelé. La cavalerie joue une fonction capitale dans les opérations commando nécessitant une rapidité d’exécution à but offensif ou défensif. Les séances d’entraînement amphibie avec des exercices physiques sur et sous l’eau se faisaient avec l’aide des Subalbe. Le boowre gajaate est un lieu interdit de fréquentation dès la tombée de la nuit. C’est aussi la place réservée pour les ‘au revoir’ entre voyageurs et accompagnateurs. La muraille (tata) de Dialmath ou damango265 est l’ouvrage d’art militaire cernant une partie de Dialmath. Il s’étendait surtout sur le côté occidental du village, à partir de Diakké jusqu’à Lakk et s’arrêtait sur les berges du Ngalanka. Le damango serait construit au début du XIXe siècle et mesurait trois mètres de largeur pour neuf mètres de hauteur. C’est un mélange composé de bouse de vache, de bois, de branchages qui rendait invulnérables aux canons cet ouvrage militaire. Nous n’avons aucune description sur le nombre de portes de la cité et du matériau avec lequel on les a confectionnés266. Est-ce un ouvrage militaire construit sur ordre des leaders de la révolution Toorodo ? Nous pensons que non. Il montre que, contrairement à ce qu’affirme Mamadou Diouf, la fortification était connue dans l’histoire de la Sénégambie267. D’ailleurs A. A. d’ Almeida, qui longea au XVIe siècle les berges du fleuve Gambie, nous signale la présence de nombreuses forteresses entourées de palissades, formées de grosses pierres et soutenues 264 Le Tulde Dimat avait une cavalerie. La population organisait régulièrement des courses de chevaux et de la fantasia. Le Tulde Dimat subissait des fois des raids menés par des voleurs d’enfants et il revenait aux cavaliers d’aller reprendre les enfants volés. 265 Le tata fut renforcé en 1854 avec la participation des villageois venus de sept localités différentes du Tulde Dimat. À propos du dispositif défensif des dimatnaaƃe, Flize notait à la suite d’une mission d’espionnage militaire menée en 1854 pour le compte de l’armée francaise à la veille du départ de l’expédition de Podor que « Dialmath est le plus et le mieux fortifié de leurs villages ». 266 Le rempart de Sidjlmassa achevé en 814 avait par exemple 12 portes dont 8 de fer, Lire Monteil V., « Al Bakri (Cordoue 1068), Routier de l’Afrique blanche et noire du Nord-Ouest », Bulletin de l’IFAN, tome XXX, série B, 1968, n² 1, p. 42. 267 Diouf M., op. cit., p. 101.

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par des terrassements. Le tata de Dialmath a été construit presque avec les mêmes matériaux si l’on en croit Faidherbe qui en fit ultérieurement la description268 C -LES PILIERS INSTITUTIONNELS DU POUVOIR ELIMINAL

Le duɗal/daara Les piliers institutionnels du Tulde Dimat reposaient sur le duɗal/daara, qui est un espace de formation et de reproduction des lettrés ou Tooroƃƃe. Il s’agit d’un terme polysémique, qui réfère à la fois une continuité et une rupture sociologique et politique de ces communautés agro-pastorales. Le duɗal/daara désigne non seulement le feu allumé dans l’endroit de parcage du troupeau, mais aussi le feu allumé pour éclairer les tablettes dans un centre de formation islamique ouvert par un érudit musulman dans sa concession ou en face. Dans les deux cas, il est éclairé la nuit par un feu de bois allumé pour sécuriser le bétail, permettre aux femmes de traire les vaches ou brebis ou aux almudu (élèves) de lire leurs tablettes en bois. Le lait et les livres sont gardés dans une armoire appelée Kaggu. On est en présence d’une réadaptation fonctionnelle du pasteur à sa nouvelle vocation de clerc. Cette réadaptation concerne aussi un espace partagé profane, le dingiraal/penc (place publique) qui après les 5 prières quotidiennes ou celle hebdomadaire du vendredi, se mue en un espace ou les fidèles se concertent appelé Mbaar jamaa269. Cette place devient momentanément un continuum de la mosquée. Le Mbaar jama, le nouvel arbre à palabre Espace de formation religieuse et politique, le Mbaar jamaa est la principale place publique de Dialmath. Cette place était située en face de l’entrée principale de la grande mosquée. Haut lieu de formation à la vie citoyenne, la discrimination sociale y est interdite. Le lieu de rencontre entre le poullo gaynako (transhumant) et le poullo sédentaire. Le Mbaar jamaa remplace l’arbre à palabre, assure une familiarité entre des citoyens issus de différents fedde (classe d’âge) et kinle. Il est un lieu de rencontres, d’échanges, de partage et de mise en pratique des modèles de solidarité. Des informations à portée locale y sont transmises après les cinq prières quotidiennes. Des nouvelles « nationales » y sont annoncées après la prière

268 Voir A.N.S., 1D7, rapport…, art. cit., Selon Faidherbe un officier du génie qui s’y connaît très bien, les piquets étaient mélangés avec de l’argile et plantés verticalement. Il fut impressionné par la solidité de l’ouvrage lors de la bataille de Dialmath en mai 1854. Nous y reviendrons plus amplement. 269 Souvent dans le Fuuta Tooro, la place publique fait face à la mosquée.

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hebdomadaire du vendredi270. La mosquée de Dialmath rayonnait sur près de 40 kilomètres, en polarisant les populations du Tooro occidental, du Waalo et du Trarza méridional. Le salaa (porte-parole de la communauté) y fait office de nantinoowo (crieur public, relayeur de l’information). Les thèmes abordés étaient variés : progression de la crue fluviale, baptême, décès, mariage, travaux communautaires, perte d’un animal ou d’un troupeau, épidémies, campagne militaire, etc. Le lieu était ombrageux et entouré d’une murette en banco. Un canari suspendu sur une fourche en bois d’une hauteur d’environ 1,50 mètre faisait office de borne-fontaine publique. D’autres canaris, posés à même le sol, étaient rangés juste à l’intérieur de la mosquée dans un coin, afin de recueillir les aumônes quotidiennes en graines de céréales crues. Il était le réceptacle public des aumônes 271(sadak) recommandées en vue de conjurer le mauvais sort (sécheresse, éclipse lunaire, etc.), le lieu de lecture et de tafsir (traduction du coran) ou de tout autre texte liturgique272. C’est devant une assistance nombreuse que les copistes lisaient à haute voix le livre à reproduire. L’auteur ou le spécialiste de ce livre emprunté indiquait les fautes grammaticales ou d’orthographe, les omissions... Le Mbaar Jamaa est le lieu d’exécution des peines découlant du jugement du Qadi avec des séances publiques de lapidation qui jouaient le rôle de normalisation et de dissuasion sociales. Ce pilier du régime des Elimane devait naturellement être fréquenté par les différents marabouts qui ont séjourné à Dialmath.273

270 « French officials not only noted the reading of Arabic letters by Umarian agents, but occasionally they paraphrased the contents of the letters. These summaries often were based on the testimony of Fulbe leaders attended public readings of Arabic recruitment letters. », Hanson J. H., op. cit., p. 83. 271 Cette façon de conjurer le mauvais sort reste encore vivace chez les Fuutankooƃe . 272 « The discussion of oral testimony reminds us that the Arabic recruitment letters required translation for the vast majority of Fulbe to comprehend their meaning »., Hanson J. H., op. cit., p. 83. 273 Il s’agit des émissaires d’El Hadji Omar ou ceux de ses fils incitant la population à migrer vers le Soudan occidental. En 1866, Alpha Samba Oua venu de Ségou y lut une lettre du chef Wodaaƃe Moctar Sogui appelant les dimatnaaƃe à migrer. Le commandant de Dagana signale « qu’en janvier 1868, des prières importées de chez El Hadji Omar ont été faites en commun contre les infidèles à Dialmath, Thiangaye et Fanaye. Cette formule de malédiction est propagée par le nommé Ali Ndongo ». Lire ANS, 13G103, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 25 janvier 1868, pièce 62. Selon El Hadji Amadou Barro interviewé par M. Sy à Thilène (Dakar) le 19 août 2001, Aly N’dongo serait l’un des premiers tidjane du Tulde Dimat.

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Conclusion Des marabouts migrants, à la recherche de terres de culture et de pâturages, se transformèrent en propagateurs de la religion musulmane, en enseignant le coran autour du dudal ou daara. Ils se déplacèrent à la fin du XVIIIe siècle sur la rive gauche du Sénégal où ils nouèrent, grâce à leurs talents de négociateurs, de nouvelles alliances leur permettant d’exercer le pouvoir. 274 Ils bénéficièrent du parrainage du régime almamal, construisirent un régime multi-ethnique et théocratique s’appuyant sur une armée bien entraînée. Ils devaient maintenant consolider leur pouvoir.

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Boubacar Sadio Sow, inf. cit.

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Chapitre II : Le Dimat et la consolidation du pouvoir des Elimane Ce chapitre traite de la vie des relations dans la Vallée du Sénégal. Des contacts entre le Dimat et ses voisins. Il étudie surtout la phase de la cohabitation, de l’alliance et de la coopération entre les marabouts du Tulde Dimat et ceux du Fuuta Tooro, puis l’indépendance politique progressive d’avec leur tuteur en mettant en évidence le contexte géopolitique qui permit au Tulde Dimat d’émerger ainsi en tant que nouvelle entité à cheval sur les deux rives du Sénégal275.

I- L’ islam, ses saints et ses lieux saints comme référents A- IDÉOLOGIE DE CONSERVATION DU POUVOIR ET ENJEUX DES RECONSTRUCTIONS IDENTITAIRES

Les nouvelles élites politiques du Tulde Dimat ont procédé à des réaménagements généalogiques pour se donner de nouveaux ancêtres276. En effet, l’introduction de l’islam en Afrique subsaharienne a modifié le comportement des individus face à leur origine et identité. Certains groupes humains ont changé totalement leur identité en se donnant le nom de leur convertisseur et ce, en supprimant toute autre référence à leur identité passée277. Une reconstruction identitaire pour magnifier les origines des clercs Les clercs Torooƃƃe se sont « partagés » des lieux dits ou des personnages célèbres dans le monde musulman. Il s’agit manifestement d’une stratégie de légitimation et de conservation du savoir et du pouvoir qu’ils ont pu acquérir (janngi-laamii). Prenons l’exemple de quelques familles.

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Cette séquence de l’histoire locale ressemble à bien des égards à celle de l’histoire politique du Sénégal qui vit le PDS cohabiter avec le PS de 1991 à 2000 en faisant l’apprentissage du pouvoir, puis de le lui ravir à la suite d’élections démocratiques. 276 « La saisie de l’origine des Toucouleurs est une des questions centrales de toute recherche sur le Takrur ou le Fuuta Toro. C´est une question difficile, compliquée à la fois par l’état actuel des enquêtes et la forte dose d´investissement idéologique qu´elle occasionne ». Ba A., op. cit., p. 60. 277 Devisse J., « Islam et Ethnies... », op. cit., p. 106.

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Le premier cas porte sur les Kane, qui font remonter leurs origines les plus lointaines à Ayel, père de Bilal, père de Yéro, père de Dowout, père de Hamet Dowout encore appelé Hamet Diouldo Kane. Ayel aurait quitté Damas pour s’installer au Macina, puis à Rachid, Tulde Gassama (Tendagassamé), enfin il se fixa à Ndjibeniyidi qui comptait sept mosquées. Les sources orales sont évasives sur l’identité de ses ascendants agnatiques. Les manuscrits de Tékane n’y font pas allusion. S.M. Kamara dit ne pas les connaître même s’il se contredit, en rapportant les propos d’Aïssata Elimane Mamadou Dada Kane278. Siré Abbas Soh fait allusion à un « roi Foulane nommé Aïl... Il régnait dans le Hodh mauritanien. Il a été tué par les troupes de Boubacar Ben Amar à Akraa El Bergl où il a encore son tombeau » 279. Paul Marty souligne que les termes Macin, Ahel Macin ou Masna renvoient à un ensemble de populations qui forment depuis des siècles une partie des habitants de Chinguetti, Tichit, Tigba et Walata. Il précise « que ces groupes humains sont des nègres même si certains d’entre eux sont métissés » 280. Nous pensons que l’arbre généalogique des Kane a été changé, à partir de Yéro Hilal ou Yéro Bilal, qui serait devenu le premier marabout de la communauté. Nous ne pensons pas que Hamet Diouldo soit le premier à se convertir à l’islam comme le laisse croire S. M. Kamara. Le second exemple concerne les Ly, qui auraient pour ancêtre Qadim Ely281. Le troisième est celui des Sy qui auraient pour ascendant un certain Shems Eddine. T.P. Mbow, plus explicite nous donne une version qui correspond à la perception que ces populations ont de leurs récits d’origine : «… les deux branches de Ly sont apparentés aux Blancs. Leur ancêtre fut Diam Diam Fadala… Thierno Wanewanebé et Thierno Sadel descendent de Weyndé Dieng... Ils sont originaires de l’Egypte. Les Kane sont originaires de Dimask Sam/Damas. Thierno Tilleré, Elimane Belinabé, Tapsirou Hamat Ndiaye Hane et Amar Bella Racine sont des descendants de Mouhamadou Bousmiyou, un compagnon du prophète Mohamed. Ardo Ururƃe, Thierno Siwol-Nabadji et Ardo Bantou sont des descendants d’Ougbatou Boun Amri, un compagnon du prophète. Thierno Ngapougou, Barobé Diakel et les Silla 278 Aïssata Elimane Mamadou Dada Kane, citée par S.M.Kamara, dit vaguement que : « les dimatnabé se sont installés au Macina pendant très longtemps avant de quitter ce pays ». 279 Soh S. A., op . cit., p. 134. 280 Marty P., Chronique de Walata et de Néma, Paris, Éditions Leroux, 1921, p. 6. 281 À l’image des grandes familles Toorobé, les Ly déroulent un long arbre généalogique qui les rattache à de célèbres tribus arabes. Comme chez les Kane avec Hamet Diouldo Kane, c’est à partir de Diam Ly que se fit la dispersion de ses enfants à travers la Sénégambie : Diouma Diam Ly s’installa à Saldé Tébégout, Mbarane Diam Ly à Fanaye et Thilogne, Al Hassan Diam Ly à Saldé Tébégout, Ibrahim Diam Ly à Donaye, Yakouba Diam Ly à Mboyo, Ali Diam Ly à Pété, Mamadou Diam Ly à Diaba, Mboyeydou Diam Ly à Dara Halaybé, Omar Diam Ly et Youssouf Diam Ly à Thilogne, Mollé Diam Ly à Diaranguel, Fatimata Diam Ly à Halwar et enfin Ifra Diam Ly devint poullo. Voir interviews Dieynaba Ciré Kane et Coumba Dada Kane à Diagnoum, inf. cit.

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sont des anciens Sarakollés et disent que leur ancêtre fut Hamdiatou Boun Abdoul Motalib un autre compagnon du prophète. Elimane Rindiaw est originaire de Médine, ses ancêtres sont de Bagdad. Thierno Siwol Agnam est originaire d’un lieu nommé Sowoïla, un marigot qui se trouve près de Médine en Arabie. Son ancêtre fut le courageux Oumar Ibn Khattab aussi un compagnon du prophète » 282. C’est un fait fréquent en Sénégambie où souvent on fait référence à des hommes prestigieux. Une tradition orale wolof, encore vivace, fait allusion au premier du roi du Bawol, du clan matrilinéaire gejj et qui s’appelait Kayamangha283. Or les gejj ont accédé tardivement au trône, à la fin du XVIIe siècle ! Selon Jean Boulègue, l’attribution du lignage gejj au premier souverain procède d’une tentative de ‘rehaussement’ de la dynastie issue de Lat Soukabé284. Assane Marokhaya Samb, déroule à son tour, un arbre généalogique des Damel du Kajoor très « recherché » sur lequel figurent Noé, des émirs du Trarza et Brakna, des Bour Djolof, Sine et Waalo ainsi que de Satigi et d’autres personnes de moindre envergure285. Les prénoms Hilal, Bilal, Aayel et Shérif, que déroulent les généalogistes, ne sont pas seulement des prétentions à une ascendance arabe mais aussi une revendication d’une appartenance ancienne au Dar al islam. Certains informateurs du Tulde Dimat pensent que Bilal, Hilal et Bella sont une seule et même personne286. On retrouve le cas de figure évoqué avec Yelli Moussoka, Yelli Fanaye Kobiri Pignaane ou Koumbiri Pignaane. Bilal est souvent cité par les Noirs qui se présentent comme les descendants de ce premier muezzin (du prophète) de l’islam. Les récits sur les origines des Mandingues ressemblent à ces exemples287. B-LES FOULBÉ WODAAƂE ET LA RECONSTRUCTION IDENTITAIRE

Les Wodaaƃe du Tulde Dimat, d´après le récit fait par M. Lam,288 descendent de Dad, l’un des quatre fils d’Ougoubal. Dad est le père de 282

Thierno Pathé dit Abdourahmane Mbow, inf. cit. A.N.S., 1G296, Rocaché, « Monographie du cercle de Thiès », 1904. 284 Boulègue J., op. cit. pp. 39-40 285 Samb A.M., op. cit., pp. 34-37. 286 Abdel Qadir Kane et Seydou Amadou Kane, notamment. 287 Devisse J., op. cit., p. 114. 288 M. Lam est un griot des Wodaaƃe. Voir Mamadou Lam, inf. cit. 283

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Makam, père de Bodowal Boun Makam qui eut quatre fils289 porteurs des patronymes Ba, Barry, Diallo et Sow. Les quatre frères du couple mixte (un Arabe et une Peul) auraient donné naissance à tous les porteurs des autres patronymes foulbé290. Le fait d’attribuer ces patronymes291 n´est pas fortuit. Leurs homonymes sont les fondateurs d´entités islamiques en Afrique occidentale aux XVIIIe et XIXe siècles292. Koli Tenguéla Ba s’est illustré dans le Soudan occidental vers la fin du XVe siècle293. Ibrahima Sori Barry fut un célèbre général de l´armée de Karamoko Alpha au Fuuta Djalon dans les années 1760-1770. Selon S.M. Kamara, Souleymane Baal appartenait à la tribu des Wodaaƃe294et il porterait en réalité le patronyme de Barry ou Ba295. Abdel Kader, le premier Almaami élu du Fuuta Tooro, se nomme Kane, l’équivalent du patronyme Diallo. Les concepteurs des récits d’origine de ces élites voulaient légitimer leur ‘supériorité’ sur leurs voisins. La reconstruction généalogique liant les Wodaaƃe au Lam Tooro, légitimerait leur ancienne souche noire et, par-là même, démontrer facilement leur lien de parenté avec les Ndiaye, venus du Djolof et descendants de Ndiadiane Ndiaye (le fils de Fatimata Sall de Guédé). Tout comme Boubacar Boun Amran, avec ce personnage emblématique, rattaché au mouvement almoravide, les Wodaaƃe se donnent une origine métisse. Ces quatre « ancêtres » frères seraient des agents de diffusion de l’islam dans le Bilad-al-Sudan et en même temps des descendants d’un compagnon du prophète296. Le risque que l’on peut avoir avec ce discours construisant un 289 Que sont Sangré Bodowal, Makam Bodowal, Heddeldé Bodowal et Mbathiam Bodowal. C’est de Mbathiam Bodowal que sont issus les Wodaaƃe et les Ourourbé. Nangué Mbathiam serait l’ancêtre des Jasarnaabe. Il se maria à une femme apparentée à Ndiadiane Ndiaye. De ce mariage naquit Demba Nangué Mbathiam Bodowal Boun Makame encore appelé Demba Djogi Diémé Diouré Kadang Djolof Ndiadiane ou Demba Diogui. Demba Nangué eut Dioundé Diémé qui avait au moins onze autres frères de même père. Il était le plus jeune et fut élu premier Ardo des Wodaaƃe. 290 Ahmed Baba parle de quatre groupes Foulani : Diakité, Sidibé, Sangaré, Diallo. Lire Devisse J., op. cit., p. 113. 291 « On passe ainsi de la désignation vague d´un groupe à celle plus précise d´une Kabila, symbolisée par un nom qui l´individualise durablement»., Ibid. 292 Au Boundou, Fuuta Djallon, Fuuta Tooro, Macina et Sokoto. 293 Ces États furent classés comme « païens » au XVIIe siècle par les auteurs du Tarikh al Sudan et du Tarikh al – Fettash. L´un des chefs, Tenguella Ba était qualifié de « prophète maudit ». Lire Houdas O., Ta´rikh al Sudan, Houdas éd., Paris, 1964, pp. 58 et suivantes. 294 Ou bien à celle des Ourourbé. 295 Schmitz J., 1998, op. cit., pp. 315-316. 296 Les quatre frères, d’après le récit des origines, étaient partis en Arabie afin de retrouver leur père rentré dans son pays natal après une campagne militaire en Afrique. La venue des quatre enfants en terre arabe a été prédite par le prophète de l’islam, Mohamed. À l´image du retour de Jésus à la fin des temps pour sauver le monde. Le père ayant assisté à l’éclosion de l’islam dans le pays des noirs, les enfants une fois retournés en Foulayo (au pays des Foulbé) devaient continuer son action. Ce rattachement au prophète ou ses compagnons est revendiqué par les Wodaaƃe du Niger. Selon cette version, les Peul Wodaaƃe seraient issus d’un couple de bergers au service du prophète, abandonné à lui même à la suite d’une grossesse non

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arbre généalogique rattachant les Wodaaƃe à des référents islamiques prestigieux, consiste à écourter drastiquement l´existence des Foulbé en tant qu’ethnie297. Le texte met en exergue la témérité des quatre Wodaaƃe qui auraient accepté de mourir pour voir le prophète298. Il insiste sur leur réaction violente lorsque le bâton, objet à usage multiple, fut touché par le compagnon du prophète299. Le texte ne précise pas le rapport ou le rang social des frères. Il met en parallèle leur courage et l’attitude « poltronne » des Arabes lorsqu’il s’est agi de trouver des martyres pour mourir en l’honneur du prophète300. Nous sommes en présence d’un modèle de réajustement généalogique post-islamique encore tenace dans la mémoire collective301. L’analyse de ce récit permet aux Wodaaƃe d’être à l’aise dans leur cohabitation avec les marabouts. En se créant une place de choix au centre du monde islamique302, ils se mettent au même niveau que leurs voisins Tooroƃƃe du Fuuta Tooro qui s’attribuent aussi une origine proche orientale. Ainsi, ils légitiment leur prétention historique à asseoir une hégémonie dans

désirée. Ce qui explique la mobilité des enfants issus de cette union. Selon Amadou Daou, Peul bodado du Niger, interviewé au West African Research Center par le Mopaf, janvier 2002. 297 « L´ethnie peut être définie comme un ensemble stable d´êtres humains, constitué historiquement sur un territoire déterminé, possédant des particularités linguistiques, culturelles et psychiques communes et relativement stables, ainsi que la conscience de leur unité et de leur différence des autres formations semblables ( conscience de soi), fixée dans l´auto-appellation (ethnonyme) »., Bromlei Y., « Processus ethniques en URSS », Études ethnologiques en URSS, n° 4, Éditions du Progrès, Moscou, 1983, p. 10. 298 Amadou Daou, peul bodado du Niger, inf. cit. 299 La version sur le récit des origines faisant référence au bâton, n´est pas fortuite. Les chefs de tribus peuls ont pour symbole le bâton taillé dans une plante appelée nelbi. Et comme le dit O. Kane « dans la pure tradition païenne, le pouvoir plus ou moins sacralisé résulte d´un contrat entre le fondateur d´une dynastie et la divinité protectrice... La gémination et le pacte entre Ilo et le serpent Caamaaba étaient la garantie de la prospérité et de l´abondance du troupeau de Ilo. La violation du pacte par la femme de Ilo aurait entraîné la disparition totale du troupeau avec Caamaaba, n´eut été l´utilisation du bâton de nelbi pour retenir une infime partie du troupeau qui avait suivi son maître dans les eaux ». Dans la hiérarchie sociale peul le plus gradé portait le titre de satigi. Il était le responsable du culte de Dundari ou Geno, dieu suprême et des divinités secondaires comme Kumen et Foroforoudou, dieux de l´élevage. Il détermine le rythme des transhumances des troupeaux, préside aux sacrifices rituels. Au Gajaaga, comme au Fuuta Tooro sous les satigi, le bâton de commandement est lié à la nature essentiellement militaire du pouvoir. Enfin le bâton est l´instrument du pâtre conduisant son troupeau. Lire Kane O., op. cit., p. 154. 300 D´ailleurs l’origine sémantique de l’appellation des Peul Wodaaƃe proviendrait de leur courage légendaire. Wod veut dire en pulaar un interdit, ici, ces peul sont assimilés à « des durs à cuire », des gens qu’il faut ménager à cause de leur courage. 301 Fall Y., « Les Wolof au miroir de leur langue : Quelques observations », op. cit., pp . 117-123. 302 À propos des reconstructions identitaires des Peul, Hanson insiste sur leur volonté de se donner des origines islamiques : « allusions to the early years of Islam often are accompanied by narratives which construct genealogies running back to Arab commanders associated with the Muslim conquest of North Africa»., Hanson J. H., op. cit., p. 83. Paul Marty a lui aussi remis en cause la prétention des Kounta et des Foulbé à descendre de Oqba Ben Nafi et de Oqba Ben Amir. D’après des sources arabes qu’il cite, Oqba Ben Amir n’avait pas dépassé l’Égypte.

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un espace partagé303. Des auteurs ont amplement étudié les réaménagements des généalogies opérés par les Foulbé304.

II. Se battre ou s’entendre avec les voisins A- LE CONTRÔLE DE LA VIE ÉCONOMIQUE DE LA MOYENNE VALLÉE DU SÉNÉGAL COMME ENJEU GÉOPOLITIQUE

Le Fuuta Tooro, grâce à ses kolaaɗe, fut un bassin céréalier très convoité. Ses voisins avaient profité de l’instabilité politique (entre 1724 et 1745), causée par des crises de succession entre Samba Gueladio Djégui et Konko Boubou Mousa305 pour s’immiscer dans ses affaires intérieures. C’est le cas des guerriers Hassane employés en tant que mercenaires rémunérés en céréales. Samba Gueladio Djégui, leur premier allié les engagea lors de la bataille de Bilbassi. En octobre 1785, eut lieu une bataille à dimension sous-régionale et dont le principal enjeu économique était le contrôle du bassin de la moyenne vallée du Sénégal. Elle opposait la coalition composée du Trarza, du Waalo et du Kajoor, dirigée par Ely Al Kowri, Fara Peinda Tegua Rella Mbodj et Amari Ngoné Ndella, et le camp regroupant le Fuuta et le Tulde Dimat Réwo306. Les sources concordent sur le lieu de l’affrontement situé au nord de Dagana, à Nasra Leyyat ou Nassar. Plus exactement entre Bitadjri et Diaalo307. Il eut lieu en 1785-1786 ou 1786-1787. S.M. Kamara fixe à 37.400 le nombre des soldats Fuutankooƃe308. Au-delà du côté anecdotique, la bataille de Nassar est un marqueur des convoitises liées au contrôle du vaste domaine foncier agricole et pastoral de 303

Il s’agirait d’un conquérant arabe venu en campagne militaire en Afrique du nord. Selon Robinson D., il y a eu plusieurs Ouqba. Le modèle de Sokoto fait allusion par exemple à trois Ouqba ! Robinson D., 1988, op. cit. pp. 85-90. 304 Lam A. M., op. cit, pp. 144 et suivantes. 305 « La principale conséquence de la guerre des marabouts est que la victoire des guerriers hassanes sur les marabouts leur assurait la suprématie politique pendant des siècles. Elle a aussi permis l’émergence des deux émirats Brakna et Trarza qui vont constituer grâce à leur connexion avec Saint-Louis, un danger permanent pour les États du fleuve Sénégal et quelquefois pour le commerce de Saint Louis »., Barry B., 1985, op. cit., Paris, Karthala, p. 132. 306 Les dimatnaaƃe étaient encore sur la rive droite. L’armée du Fuuta traversa le fleuve Sénégal par le village de Thielao dans le Tooro, le contingent du Touldé Dimat l’intégra dans une localité de la Mauritanie méridionale appelée Aftout. 307 Selon les manuscrits de Tékane, les deux armées se rencontrèrent entre Bitadjri et Diaalo vers Nassar. La bataille se déroula entre Al Zohr et Al Asr. 308 Kamara C.M., op. cit., p. 178.

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la zone allant du lac R’kiz au lac de Guiers, du contrôle des voies commerciales, de rivalités entre partisans et adversaires de la poursuite des traites des noirs. L’enjeu fondamental était de détenir le monopole du commerce légitime ou non avec les compagnies commerciales européennes. L’affrontement de Nassar ou Tawami d’octobre 1785 peut être interprété comme une violation de l’ebol amar conclu après une série de dix-huit batailles entre les dimatnaaƃe et les Maures309. Même si ses causes immédiates sont connues310, on ne peut pas écarter l’implication des puissances étrangères en vue de se repositionner sur le plan diplomatique et commercial. Le soutien accordé par les Anglais, Français et Marocains à l’émir Trarza Ely Al Kowri ne pouvait procéder que d’un marchandage. C’est que les retombées économiques, liées au contrôle des riches terres entourant les nombreux cours d’eau et de leur espace commercial, étaient énormes. La cohabitation fraternelle multiséculaire allait être compromise par la question de la gestion des terres cultivables, des pâturages et des forêts d’acacia311. En fait, cette région fut le lieu de rencontre de deux communautés ayant des similitudes : amour des verts pâturages, de riches terres et pratique de l’esclavage domestique. Est-ce la raison pour laquelle certains chercheurs font de cette zone historique de contact une poudrière permanente ? Ils font des relations intercommunautaires autour du bassin du Sénégal des rapports fréquemment conflictuels et hégémoniques312.

309 Les manuscrits de Tékane décrivent dans les détails la chaude cohabitation de 200 ans entre les dimatnaaƃe et les Oulad Rizg et font état de dix huit batailles qui les ont opposés. C’est après la dixhuitième bataille qu’a eu lieu Ebol Amar. Le chef de la communauté dimatnaaƃe, Amar, aurait dit à ses voisins maures : « confinez-vous au nord, et nous au sud, si vous refusez ce partage, nous nous battrons et Allah rétablira la paix ». Les sources locales insistent sur deux faits majeurs : d’abord les Oulad Rizg avaient vaincu les anciennes populations noires et les ont obligés à se déporter sur la rive gauche : « ce sont ces gens qu’on trouve aujourd’hui entre Ndar et Falémé d’ouest en est et entre le fleuve Sénégal au nord et l’océan atlantique au sud ». Ensuite elles précisent que les dimatnaaƃe et les Oulad Rizg se sont entendus sur une paix au nom de leur religion commune. Cependant la source rend confuse l’identification ethnique et raciale des dimatnaaƃe. Elle identifie l’appartenance à la race noire des premiers belligérants des Oulad Rizg. Elle indique plus loin que les dimatnaaƃe « séjournèrent 120 ans aux alentours du lac après quoi des querelles les ont opposés aux arabes ». Les sources semblent exclure alors les migrants dimatnaaƃe des communautés arabe et noire. Que sont-ils alors ? Des berbères ? Les sources n’insistent que sur leur appartenance ancienne à l’islam et leur aptitude guerrière avérée qui les permit de se défaire de la puissante tribu Oulad Rizg. 310 Siré Abbas Soh attribue les causes de la bataille à un refus de l’Émir Trarza de pourvoir à l’Almaami Abdel Kader des chevaux de guerre pour faire le jihad. Ely Al Kowri aurait déchiré la lettre de l’Almaami. 311 Une zone de cueillette et de chasse très prisée. 312 Il s´agit du fameux mythe de « l’invasion arabe » auquel s´est attaqué le géographe Y. Lacoste. Ce mythe expliquerait la crise économique et sociale qui frappe le Maghreb au XIe siècle par l’invasion des tribus arabes venues d´Orient. Par analogie, certains chercheurs ont voulu l’appliquer à l’Afrique Occidentale. Voir Lacoste Y., Ibn Khaldun -Naissance de l’histoire passé du Tiers monde, Paris, Maspero, 1981, 2 vol.

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Cette perception ne tient pas en compte les données géopolitiques313, culturelles et économiques314. Le contexte géopolitique exigeant des Fuutankooƃe l’instauration d’un état d’urgence permanent fut la cause de la baisse du niveau de l’éducation islamique.315 L’autre fait explicatif est l’insuffisance, voire l’impossibilité, de garder toujours un nombre suffisant de captifs. Ainsi les clercs étaient constamment dans les champs, au grand préjudice de l’érudition. Les manuscrits de Tékane apportent un nouvel éclairage à l’historiographie qui véhiculait l’idée selon laquelle les clercs dimatnaaƃe avaient fui la rive droite pour éviter les représailles des Maures Trarza, à la suite de la bataille de Tawami de 1785316. Ils précisent aussi que la décision de départ fut prise après la cession d’une partie des terres du lac aux Oulad Rizg317.

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Une autre idée reprise dans la littérature fait du Fuuta Tooro un vassal des Émirats maures. Quelles sont les causes de cette mauvaise interprétation? C’est que la décomposition de la confédération Brakna au XVIIIe siècle avait entraîné une individualisation des rapports entre les tribus maures et certaines provinces du Fuuta. Ce système égalitaire de coopération a été perçu d’abord par Raffenel, ensuite par Kamara et d’autres chercheurs comme une domination. Ils ont attribué à chaque village ou chaque province du Fuuta Tooro un chef maure. Un autre problème réside dans la définition du terme mudo Horma qui a duré moins d’un siècle. C’est pour mettre fin à cette situation que le parti nationaliste Fuutanké des deux rives du fleuve Sénégal engagea une lutte de libération nationale de 1770 à 1775 sous la direction de Thierno Souleymane Baal. Le flambeau fut repris par Abdel Kader Kane qui impulsa un double changement dans les relations avec les Maures. D’abord il inversa la tendance et fit payer à ces derniers un tribut. Ensuite il engagea une nouvelle politique militaire en impulsant la création de villages faisant face aux parties peu profondes du fleuve Sénégal. Ce sont des villages check point. Sa stratégie consistait à installer des camps de guerriers professionnels Fuutanké en face des parties guéables du fleuve. 314 Krupper présente l’histoire de la Mésopotamie ancienne comme une série d’invasions successives et distinctes perpétrées par des peuples nomades : d’abord les Akkadiens aux III et IIe millénaires, puis les Amorrhéens, ensuite les Araméens aux XIII-XIVe siècles et enfin les Arabes. Lire Krupper J.R., in « Rôle des Nomades dans l’Histoire de la Mésopotamie Ancienne », Journal E.S.H.O., II, part. I, janvier 1959, p. 123. 315 Contrairement à celui du Fuuta Djalon. Lire Robinson D., op. cit., 1988, pp. 82 et suivantes. 316 « Lorsque les Maures furent convaincus qu´il n´existait pas pour eux de sécurité de la part du Fuuta du Tooro à moins de payer tribut, ils se décidèrent à apporter à l´imam en guise d´impôt de nombreux présents tels que d´excellents chevaux et, en outre de cela, des ustensiles que fabriquent les Maures, et il en fut ainsi jusqu´au temps de l´imam Mohammadou fils de l’imam Birane, sans pour cela qu´il y ait eu main-mise du Fuuta sur leur pays »., Soh S. A., Chroniques du Fuuta sénégalais, op. cit. ,pp. 48-49. 317 Le prix était de soixante chevaux de race. Les manuscrits précisent que les dimatnaaƃe n’en ont reçu que seize. Lire Manuscrits de Tékane, p. 1. Selon Issaha Doro Djigo, au moment de quitter le lac Rkiz, une transaction commerciale portant sur 30 chevaux eut lieu entre Almamy Abdel Kader Kane et l’Emir du Trarza. 10 chevaux restent impayés. Lire Issaha Doro Djigo, op. cit., p.35.

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B- S´ALLIER PUIS ROMPRE AVEC LE POUVOIR ALMAMAL

Après avoir bénéficié du soutien logistique et humain des dimatnaaƃe en 1785, Abdel Kader Kane318 les invita à rejoindre la rive gauche du Sénégal.319 Les sources orales et archivistiques insistent sur le rôle décisif d’encadrement d’Abdel Kader Kane afin de faciliter la bonne intégration des dimatnaaƃe sur la rive gauche320. Ces relations étaient sous tendues par des facteurs importants. Le premier est leur appartenance au même ancêtre.321 Le second est le partage commun de l’expérience de la migration. Abdel Kader Kane, à l’image des dimatnaaƃe est issu d’une famille cléricale qui s’est beaucoup déplacée dans l’espace sénégambien. Comme Elimane Boubacar, il a perdu sa mère sur la route de la migration322. Enfin, il s’agit de la commune fréquentation de l’université de Pire par Abdel Kader Kane et Elimane Boubacar Kane. Ce dernier aurait appartenu à la même promotion que Souleymane Baal323, Thierno Saydou Tall de Halwar père d’El Hadji Omar324. Abdel Kader Kane, en acceptant de diriger le Fuuta Tooro en 1777-1778, posa des conditions dont la violation causa l’échec de la révolution théocratique. Il exigea que les grands électeurs du Fuuta Tooro, les jaagorɗe, qui sont, selon son expression :«des princes sans instructions s’engagent à obéir aux gens du savoir et exécuter leurs ordres lorsque ces derniers se 318

Amadou Sy Amadou, toorodo, inf. cit. Ce que précise la mémoire collective à travers les expressions pulaar Kiram et Endam: c’est-à-dire par esprit de corps et de solidarité. 320 A. R. S., 13G119, lettres de notables du Dimar au gouverneur, 29 mai 1884, pièce 35. 321 Il s’agit de Hamet Diouldo Kane. Il est évident que l’organisation sociale des Pulaar est caractérisée par l’intensité de la parenté entre familles. Selon le Asko Dimat, Abdel Kader est le fils de Aysata Padel, fille de Padel Boubou Hamet Diouldo. 322 De la Mauritanie méridionale, ses parents se réinstallèrent sur la rive gauche du fleuve Sénégal à Kobillo, ensuite ils migrèrent au Saloum à Pafa exactement où mourut son père. Du Saloum, le reste de la famille se rendit au Boundou où décéda sa maman. De cette localité, les membres de la famille élargie se rendirent à Diamwelli puis à Houlndé. C’est de ce village qu’Abdel Kader partit étudier à Pire au Kajoor. 323 Lorsque Souleymane Racine appelé Thierno Souleymane Baal prit la tête du mouvement de libération du Fuuta Tooro vers 1770, il avait, à l’image des clercs du Touldé Dimat, préconisé la mise sur pieds d’un réseau dense d’imams choisis en raison de leur connaissance islamique. Il encouragea la construction de mosquées à travers le Fuuta Tooro. Les dimatnaaƃe, depuis Tindik Sémi, en avaient sept dans leurs principales localités. Il mit fin au tribut que les Fuutankooƃe versaient aux Maures depuis des dizaines d’années. Il prit lui-même la tête de l’armée de libération nationale et repoussa les Maures beydanes vers le Nord des rives du Sénégal. Malgré les multiples pressions de ses compagnons, Thierno Souleymane Baal avait juré par son maître et par le lait de sa mère Maymouna fille de Youmou Dieng fille de Lamine Birane, qu´il ne serait pas Almaami. C’est en combattant les Maures que Souleymane Baal trouva la mort à Toummberé-Djingué dans le Brakna après deux années de lutte intense. Souleymane Baal serait d’après les traditions du Dimat, lui aussi un descendant de Hamet Diouldo par Kadjata Koudédié fille de Koudédié Racine Hamet Diouldo Kane. 324 Séga Niang, inf. cit. 319

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seront mis d’accord sur un problème ». Il invita les Fuutankooƃe à l’union des cœurs et des esprits, notamment entre les Yirlaabé et les Bosseyaabé, exigea la poursuite de la lutte contre la traite négrière325 et adressa une correspondance à Blanchot en 1789 en ces termes : « nous vous prévenons que tous ceux qui viendront chez nous, y faire la traite (négrière) seront tués ou massacrés, si vous ne nous renvoyez pas nos enfants » 326 . Il exigea que les lettrés le remettent sur la bonne voie, s’ils voient qu’il est dans l’erreur. Abdel Kader fit du village d’Appé la capitale almamale pendant deux ans. Des sages Fuutankooƃe lui firent cette remarque très pertinente : « à partir de la tour d’Appé, tu ne peux pas surveiller les oiseaux des champs de Fanaye » 327. L’Almaami décida alors de déménager et, avec certains notables à Thilogne, localité choisie comme nouvelle capitale almamale328. Il s’y installa à coté d’Ali Mamoudou, Ali Sidi et Ali Doundou. Ce trio constitua, quelques années plus tard, le noyau du mouvement de contestation de son autorité. La tâche de destabilisation avait été facilitée par un certain nombre de circonstances dont la première est le coup d’arrêt de Bounghoowi329 où un nombre impressionnant de combattants Fuutankooƃe furent tués ou faits prisonniers (Elimane Dimat Hamidine Boubacar, alors commandant du contingent des dimatnaaƃe, Thierno Thioukayel Kane, Siré Dara Dia...) Abdel Kader Kane et Ali Doundou furent faits prisonniers au Kajoor. L’équipe dirigeante du nouveau régime théocratique était décimée. Abdel Kader Kane resta en captivité pendant une période que les sources situent de quelques mois à trois ans et fut libéré dans des conditions obscures. Durant sa captivité, la rumeur de son exécution avait été propagée au Fuuta par ses collègues marabouts. Hamet Baal de Boodé fut même choisi comme nouvel Almaami. C’est que le contrôle du pouvoir politique du Fuuta était devenu un enjeu, une source d’acquisition de prébendes dont profitaient l’Almaami, les grands électeurs et les hauts fonctionnaires du régime. 325

« Rien ne pourrait ôter de l’idée des Foulhes, qu´en défendant la traite des noirs, les européens ont été déterminés par leur exemple. Ils sont fiers de nous avoir devancés dans la carrière de la raison, de la justice et de l’humanité». Baron Roger, Keledor, histoire africaine, Paris, Moreau, 1829, p. 209. 326 Lettre de l’Almamy Abdel Kader à Blanchot, Mars 1789, colonie, f 3/62 folio 225. Voir en page annexe l’intégralité de la lettre. 327 Séga Niang, inf. cit. 328 C’est ainsi que Dewa Arwa Agne et d’autres Elfekki partirent avec lui. Ainsi que des habitants de Sinthiou Bammambé dont Mouhamadou Wahabou Talla. Lire Schmitz J., op. cit., 1998, p. 326. 329 En 1796, après une série de victoires sur les Maures, les Bambara, les Soninké et les Wolof du Waalo, Abdel Kader s’engagea à convertir de force le Damel Amari Ngooné. Ce dernier pourvu en armes par les négriers de Saint-Louis, Gorée et Rufisque entraîna dans un piège l’armée du Fuuta avec la complicité « d’un peul de la tribu des Wodaaƃe » selon la tradition orale. Il s’agit en fait dix ans après Tawami, d’un remake de l’immixtion des puissances européennes dans les affaires africaines. La coalition dirigée par le Damel se jeta sur les 30 000 soldats Fuutankooƃe qui, d’après Lamiral, étaient assoiffés et fatigués des suites d’une longue marche. Lire Lamiral, L’Afrique et le peuple afriquain considérés sous tous les rapports avec notre commerce et nos colonies, Paris, Dessenne, 1799, p. 173.

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L’Almaami Hamet Baal avait déjà commencé à mailler son réseau de perception de la dîme qui est l’une des principales sources de revenu de l’Almaami. C’est sur le chemin du retour qu’Abdel Kader croisa Elimane Sawa Kouddi Kane de Mbolo Birane qui venait d’être nommé percepteur de la dîme à Thilouki. Il se remémorait certainement des gages de fidélité que lui firent les notables du Fuuta Tooro une vingtaine d’années plutôt. Le respect de la charia et l’expansion du Dar al islam étaient abandonnés. Il fut cependant rétabli dans ses fonctions d’Almaami et ainsi renaissait l’espoir d’un nouvel envol. Mais à Thilogne, « les trois Ali » commencèrent à comploter contre lui. Ce sont les Denyankooƃe, pourtant déchus du pouvoir politique par Souleymane Baal, qui attirèrent son attention sur le fait que le pays avait désormais deux chefs à la fois : l’un tenant conseil pendant le jour (lui), l’autre la nuit (le groupe des comploteurs) selon Séga Niang. Il lui était désormais difficile de rester à Thilogne qui fut, de par son choix, la capitale du Fuuta pendant vingt-trois années. On assista, dès lors, à une cristallisation de l’opposition à l’Almaami facilitée par trois facteurs. D’abord, les chefs traditionnels locaux n’apprécièrent plus sa présence. Ensuite, l’intransigeance dont il fit montre dans l’application de la sharia, symbole de l’instauration d’un ordre légal islamique, précipita l’augmentation en quantité et en qualité de ses ennemis. Ce fut le cas entre autres d’Elimane Thiodaye et d’Ali Doundou Kane330. Un groupe dirigé par Thierno Mollé Amadou Mokhtar, Thierno Balla Thioyri Kane et Elimane Thiodaye affronta ouvertement Abdel Kader Kane entre Siwol et Agnam Barga331. Enfin l’alliance entre les membres de l’ancien régime denyankooƃe et certaines grandes familles maraboutiques fit vaciller son règne. Pour des raisons de sécurité, l’Almaami se réinstalla à Kobilo en 1798, sur les terres que les Satigi avaient données à son grand-père Lamine Maat Abdoul Ali. Ce vaste mouvement de rébellion était un mauvais signe pour la révolution voulue et souhaitée par tous les Fuutankooƃe. Cette défection d’une frange des marabouts allait sûrement remettre à plus tard la réalisation d’un ordre légal islamique dans cet espace géographique.

330 Il avait été sanctionné pour avoir séjourné pendant plus d’un mois à Néré, dépassant le délai imparti par Almaami. Ses protégés avaient été victimes de la sentence de la main coupée pour vol. Selon Séga Niang, inf. cit. 331 « (Almamy Abdul) came into conflict with his allies of the first hour , powerful lords from fulbe families who were close to older tradition of pastoralism and autonomy», Robinson D., 2000, op. cit., pp. 20-21.

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Un des piliers du régime almamal, le jaagorgal Ali Doundou « travailla » Ali Sidi pour qu’il se mette du côté des frondeurs. Ce dernier refusa, mais quelques jours après, ses protégés furent condamnés à mort par Almaami Abdel Kader dans une autre affaire332. Il rejoignit le camp des frondeurs. Il s’y ajoute qu’en 1803, le gouverneur Blanchot avait affiché son opposition à l’Almaami du Fuuta. Désormais, tous ses adversaires agirent ouvertement en engageant des actions concertées en vue de le chasser du pouvoir. Ils se rassemblèrent à Galoya pour lui donner l’estocade. L’Almaami devint alors une sorte de paria, se déplaçant de village en village, tantôt hébergé par les Denyankooƃe, les Hayrankooƃe et les Xasonke, ceux-là même contre qu’il combattit pour l’instauration d’un régime islamique en Sénégambie septentrionale. Désormais, ses principaux protecteurs furent les marabouts du Gajaaga et du Guidimakha. Les conspirateurs multipliaient leurs attaques contre lui et ses nouveaux alliés333. Les deux camps s’affrontèrent à Lougguéré Pooli Bodedji, vers Kaédi en Mauritanie méridionale. Les alliés de l’Almaami furent vaincus, ce dernier se sauva et traversa à la nage le fleuve Sénégal. Il fut rattrapé et tué à Gouriki en avril 1807, à l’âge de 80 ans 334. Avec la disparition violente du second leader du mouvement de libération nationale qui régnait de Ndiorol à Dagana, le régime almamal était affaibli à jamais. Ses successeurs furent incapables d’atteindre les idéaux de justice et d’équité qui avaient présidé sa création. Comme le souligne S. M. Kamara, « quand les victoires se multiplièrent et que les richesses devinrent abondantes, les sujets renoncèrent à leur serment et se divisèrent. Ils commencèrent à exprimer leur mécontentement envers leur Khalif et se mirent à côté des renégats, des infidèles et des pays conquis et tuèrent l’Almaami, capturèrent sa famille et ses gens et jetèrent ses livres » 335 . L’échec de l’Almaami Abdel Kader Kane est dû à plusieurs facteurs. Il s’agit, entre autres, de l’étirement du Fuuta sur plus de cinq cents kilomètres, donc difficile à contrôler par un souverain au personnel administratif réduit 332

Thierno Seydou Kane, inf. cit. Avaient-ils violé le pacte fondateur de la révolution ou bien est-ce que c’est Abdel Kader Kane qui a accumulé des erreurs ? En tous les cas, voici les recommandations dictées par Souleymane Baal : « Je ne sais pas si je vais mourir dans cette bataille, [mais] si je meurs, nommez [à ma place] un imam savant, pieux et ascète, qui ne s’intéresse pas à ce monde : si vous constatez que ses biens s’accroissent, destituez-le et dépouillez-le de ses biens : et s’il refuse d’abdiquer, combattez-le et chassez-le afin qu’il n’établisse pas une tyrannie dont ses fils hériteraient. Remplacez-le par un autre, parmi les gens du savoir et de l’action, de n’importe quel clan. Ne laissez jamais le pouvoir à l’intérieur d’un seul clan afin qu’il ne devienne pas héréditaire. Mettez au pouvoir celui qui le mérite, celui qui interdit à ses soldats de tuer les enfants et les vieillards sans force, de déshabiller [violer] les femmes et à plus forte raison de les tuer ». 334 Une seconde version précise qu’Abdel Kader a été tué par l’armée du Boundou à Gouriki avec la complicité des Bambara. Lire Kamara C. M., La vie d´El hadji Omar, traduit de l’arabe par Amar Samb, Dakar, Éditions Hilal, 1975, p. 173. 335 Cheikh Mouhamed Abdoul Raabi, cité par Kamara C. M., op. cit., 1998, p. 309. 333

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et aux moyens de communication limités. Ensuite de l’encerclement du Fuuta tant au nord qu’au sud, qu’à l’est par des peuples s´adonnant régulièrement aux pillages. Il y a aussi la mort ou la vente aux négriers de milliers de combattants et de marabouts lors des guerres menées au Trarza, Waalo, Hayre Ngaal, Kajoor et Boundou, etc. Sa détermination à instaurer un ordre légal islamique fit qu’il était sévère dans l’application de la sharia. Cela augmenta les mécontents qui, en se fédérant, organisèrent une série de complots fomentés au début par les lignages Ly et Kane de Thilogne et de Dabiya. Sa longévité au pouvoir, presque trente ans de règne, dilua son autorité largement entamée par la défaite de Bounghoowi. Un autre facteur non moins important est que les électeurs et les éligibles appartenaient principalement aux régions centrales et orientales du Fuuta. Enfin, l’isolement de plus en plus accentué du Tulde Dimat, sa base affective naturelle fit qu’il lui fut impossible de se constituer une garde rapprochée lorsque sa vie fut menacée. Le Tulde Dimat va se démarquer du régime almamal suite à la mort violente de son parrain. La déviation de la ligne politique originelle et la fréquence de la vacance du pouvoir créèrent les conditions d’une autonomie progressive du Tulde Dimat. Cette évolution politique ressemble à celle du Fuuta Djalon où au XIXe siècle, l’autonomie des provinces s´accrut aux dépens de l’autorité centrale 336.

III- Elimane Boubacar Kane A- L’HOMME

Elimane Boubacar Kane est une figure historique du Fuuta. Pour comprendre l’émergence du pouvoir élimanal dont il fut le principal architecte, il est indispensable d’analyser le contexte général qui prévalait à l’époque.

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Robinson D., 1988, op. cit., p. 60.

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Un arbre généalogique recherché ? La progéniture de la descendance directe de Elimane Boubacar Kane337 1- Mamadou Saïdou dont la maman Fadoum Dialo Kane du village de Thiangaye fut mariée en secondes noces à Elimane Baïdy à Thiangaye 1. Haby Fadoum 2. Hamidine Kowri 3. Fatimata Mamadou Saïdou 2- Saïdou Elimane dont la maman Maïram Aste Sy de Diatar,était mariée en premières noces à Souyouma 1. Dialo Dada 2. Abou Dada 3. Mamadou Dada 4. Kadiata Dada 3- Mamoudou Elimane de Maïram Aste 1. Abou Coumbé 2. Tacko Aïssata 3. Malado Aïssata 4. Mamadou Saïdou Mamoudou dit Boubacar Mamoudou 4- Demba Elimane de Diawo Diop du Waalo 1. Saïdou Elimane Demba 2. Aïssata Kane 3. Fadoum Demba 4. Famar Kane Elimane 5. Mamoudou Elimane 6. Aly Kane 7. Mamadou Bachir 8. Diawo Elimane 9. Amadou Saïkou 5- Souleymane Elimane fils de Khari Diagne de Dimat (a rejoint le jihad omarien ) 6- Karass Elimane de Maïram Aste (mort jeune à Dialowali) 7- Fadoum Elimane de Aïssata Elimane Gani de Gani 1. Amadou Moctar 2. Mamoudou Ali 3. Maïram Kane 4. Métou Kane? 5. Aïssata Kane 8- Guéthie Elimane de Aïssata Kane Elimane Gani 337

Il s’agit d’un arbre généalogique qui mixte différentes sources orales. Il peut différer légèrement de celui présenté en pages annexes ou de celui detenu par certaines familles.

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1. Peinda Guéthie 2. Coumba 3. Toly Kane 4. Koudedié 5. Abou 6. Alpha 7. Mamadou Saïdou* 8. Saïdou 9- Nimzat Elimane de Maïram Aste 1. Saïdou Nimzat 2. Mamoudou Nimzat 3. Karass Nimzat 4. Tabakaly Nimzat 5. Maïram Nimzat 10- Koumba Houlèye ? ……………………………………………………...…………………….. Elimane Boubacar Kane est un arrière-petit-fils de Hamet Diouldo Kane. Il descend de lui par Racine Hamet Diouldo Kane. De par les alliances matrimoniales de ses parents, il serait apparenté à de nombreuses familles de la sous-région. Ainsi, par sa grand-mère Koudédié Ly originaire de Fanaye, il se rattache aux Ly de Fanaye, Halwar, Thilogne, Mboyo, Saldé, Donaye, Pété, Diaba, Diaranguel et Dara Halaybé. Il est apparenté aux Djigo de Dimat desquels est issue sa maman Koumba Houléye dite Adoum Demba Kane338. Il se rattache aux Thiaw de Fanaye desquels appartient sa grand-mère maternelle Peindé Guanangué Thiaw339. Par sa grand-mère Houléye Rélla, sœur de Djoubboudou Rélla, il se rattache aux Tall de Halwar, Sassel Talbé, Dioudé Diabé, Pendao, Fanaye ; aux Niang de Nianga, du Djolof et du Walo. Sa maman serait la cousine de Saydou Ousmane, père d’El Hadji Omar Tall. Par ses grands-parents, certains généalogistes le rattachent aux Foulbé Yalaalƃe de Gamadji, de Bawtungool et du Damga. En effet, Koudédié Ba est la fille de Kagnéri Yettoum Sogui Afo Wéllé Sogui Maligua Guedal et de Bonko Hola Nima Tenguéla (sœur de Booli Hola Nima et mère du satigi Boubou Booli). Elimane Boubacar Kane serait l’arrière-petit-fils de Kagneri Yettoum340.

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Koumba Houlèye dite Adoum Demba Kane est la fille de Houlèye Boukari Djigo, la petite fille de Boubou Ali Djigo. Les Thiaw du Fuuta se sont dispersés dans toute la Sénégambie occidentale. Les Thiaw du Touldé Dimat descendent principalement de Aldiouma, Ndiaye, Dethié, Lamine et Ganiangué Thiaw. 340 C’est avec la collaboration de Samba Boubacar Haako des Yalaalbé de Thillé Boubacar que les dimatnaaƃe ont pû s’installer à Dialmath qui était ancien campement de bergers. 339

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Abdel Kader Kane, fils d’Ali Hamet Diouldo Kane et d’Aysata Padel, est son neveu au 4e degré. Il est apparenté aux familles royales du Djolof et du Trarza. Par Oumkala Birane, la sœur de Lamine Birane, mère de son aïeul Saydou Boubacar Seydou Hountou Racine Hamet Diouldo Kane dont le père Boubacar Seydou Hountou Racine a pour mère Waranka Dali Djiléne Mbaye Sargane, fille d’un aristocrate du Djolof. Mais la mère de Seydou Hountou Racine Hamet Diouldo Kane est Khadidjétou Mint Amar de la famille des Emir du Trarza. Enfin, par sa grand-mère paternelle, il est rattaché encore une fois au Djolof et au Waalo. Sa grand-mère paternelle s’appelle Wakkha, fille de Djaddine Niang un des plus grands marabouts de son temps originaire du Djolof et ancêtre des Niang du Djolof et du Fuuta.

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Ces liens de parenté ont-ils été reconstruits en vue de rapprocher ces familles342? Elimane Boubacar343 serait donc issu de ce vaste réseau d’alliances englobant aussi bien les Foulbé, Tooroƃƃe, Maures et Wolof de la Sénégambie septentrionale. Son père Elimane Saydou Boubacar était le grand Imam de Dimat Réwo, autorité, religieuse, sociale et politique. En ce moment-là, les Fuutankooƃe vivaient sous l’autorité des Satigi, Lam Tooro, Ardo et Joom. Un âge controversé L’âge réel d’Elimane Boubacar est controversé. Les informateurs sont partagés en trois groupes, lui donnant un âge différent. Le premier groupe lui donne une courbe de vie allant de 1721 à 1821, soit 101 ans. Le second344, l’attribue 100 ans mais précise qu’il est né entre 1738 et 1743 et qu’il est mort deux ans avant la bataille de Dialmath qui eut lieu en 1854345. Le troisième groupe soutient qu’il a vécu de 1721 à 1851, soit de 130 ans. Tous ces informateurs avancent qu’il a participé à l’élaboration de la révolution Toorodo (1771-1776), à la bataille de Dialowali (1820) et qu’il est contemporain de Souleymane Baal346.

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Fils de Hamet Diouldo Kane. C’est vers la première moitié du XVIIe siècle que les populations noires, dont les Tall, traversèrent le fleuve Sénégal. Elles se fixèrent sur la rive gauche. Lire Tall M. L., Un islam militant en Afrique de l’ouest au XIXe siècle. La Tijaniya de Saïku Umar Futiyu contre les pouvoirs traditionnels et la présence coloniale, Paris, ACCT /IFAN, 1991, p. 78. 343 Voir son arbre généalogique en pièces annexes. 344 Elimane Abdoul Thiadjel Kane de Thiangaye est un des plus grands défenseurs de cette thèse. Il affirme qu’Elimane Boubacar s’est installé à Dialmath à l’âge de 42 ans. Si on situe la migration des dimatnaaƃe entre 1785 et 1789, on peut en déduire qu’Elimane fut centenaire. 345 Parmi les défenseurs de cette thèse, notons aussi Saydou Abou Mawdo et Elimane Abou Kane. 346 Encore appelé Demba Maymouna Youmma Lamine Birane, ce leader de la révolution des marabouts va épouser Mariam Asta Sy avant que Elimane Boubacar Kane ne la remarie. 342

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Une date de décès précise : octobre 1851 Si sa date de naissance exacte est sujette à controverse, celle de sa mort, se situe incontestablement dans le mois d’octobre 1851. Certains informateurs soutiennent que sa mort survenue en mars n’a été divulguée qu’en octobre afin de ne pas pousser les français à envahir le Dimar! Trois indices montrent qu’il ne serait pas décédé en mars 1851. D’abord, le rapport de voyage effectué sur les bords du fleuve Sénégal par le directeur des affaires extérieures de la colonie du Sénégal, il est mentionné ceci : « J’ai quitté l’escale du coq le soir du 28 avril 1851 à minuit. Je suis parti à Risqueye (Risga) où j’ai mouillé pour aller à Galmathie (Dialmath). J’ai vu Éliman Dimar, il est très bien disposé pour nous et il m’a promis de me donner deux otages avant la levée de l’escale. Je n’ai pas voulu les demander de suite pour ne pas le heurter. Je m’en suis tenu à ses promesses. Je suis retourné à Saint-Louis le 2 mai 1851 347». Ensuite, la première correspondance de son successeur Elimane Dimar Dialo Boubacar parvenue au gouverneur le 28 octobre 1851 clôt ainsi le débat: « le but de cette lettre est pour vous faire connaître que j’ai remplacé l’élimane décédé aujourd’hui. Je ne désire que la paix et la tranquillité. Vous serez mes enfants. Je serai votre père. Vous serez avec moi comme l’était avec vous Elimane Boubakar. Moi aussi je serai comme il l’était avec vous autres. Vous savez que chaque chef lorsqu’il commande aime que cela aille bien chez lui pendant la durée de son commandement… Les odabe et Serigne Ngang (Nianga) dépendent de nous » 348. Enfin, selon la tradition orale, sa mort est survenue juste à la fin de l’hivernage349. Le contexte géopolitique à sa naissance Elimane Saydou Boubacar vivait avec sa cousine Koumba Houléye à Dimat Réwo lorsque naquit Boubacar. Elimane Saydou Boubacar était un enseignant en sciences islamiques. Le Dimat, éprouvé par sa cohabitation avec les Trarza, était menacé par les pillards Ormans d’origine marocaine. Ali Chandora (1703-1727), son puissant voisin, subissait une double pression externe et interne. Du côté du Fuuta, Boubacar Siré s’allia aux Ormans pour réclamer le paiement de 7 ans de tribut en 1722 au Waalo. 347 A.N.S., 13G 33, Rapport d’un voyage dans le fleuve par le directeur des affaires extérieures, en date du 2 mai 1851. 348 Lettre de Dialo Boubacar, lire A.N.S., 3B96, Correspondance d’Elimane Dialo Boubacar au gouverneur, en date du 28 octobre 1851, pièce 26. 349 Communication orale de Mamadu Seydou Kane, Diagnoum, 27 mars 2004.

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C’est dans ce contexte de tension sous-régionale que naquit Boubacar Koumba Houléye dit Bajjo Koumba Houléye ou le fils unique de sa mère. Une enfance légendaire L’enfance de Boubacar350, comme celle de tous les grands hommes, est auréolée de récits, vérité pour les uns, légende pour les autres mais qui ont le mérite de situer le personnage dans son milieu. Elle se déroula à Dimat Réwo, dans un milieu érudit depuis des générations et marqué donc par la ferveur religieuse du foyer paternel. Koumba Houléye entourait son fils d’une grande affection. Selon Oumar Kane, il était intelligent, réfléchi et courageux351. Dès ses premières années d’école coranique à Dimat Réwo, il manifesta le désir de percevoir le sens profond des choses. C’est Elimane Saydou Boubacar son père qui lui donna lui-même l’éducation coranique de base jusqu’à l’âge de 15 ans. Selon certaines sources, il serait parti de sa propre initiative auprès des marabouts réputés pour leur érudition, à Toumbouctou selon les uns, à Pire Saniokhor selon les autres. La quête de l’érudition: le Kajoor ou le pays maure ? Boubacar aurait étudié à l’université de Pire352. Cadet de sa promotion, il serait contemporain d’Ali Doundou. C’est à Pire que les talibaaɓe (élèves) reçurent la prédiction qu’ils allaient fonder une nouvelle entité islamique dans le Fuuta Tooro. Il y a un désaccord quant à l’identité de l’auteur de cette prédiction. De l’avis de Le Chatelier, les Fuutankooƃe ont oublié certains détails de cette histoire intellectuelle à cause de leur changement confrérique à partir du milieu du XIXe, de la Tarikha Qadriya à la Tidjaniya. Selon James Johnson, leur marabout de Pire serait soit Ibrahim Kane, originaire du Dimat, soit Tafsir Amadou Ibra, du Tooro.353 Tafsir Amadou Kane serait selon Thierno Hadramé Mamoudu Dia, le maître de la promotion. Il est né d’un père originaire de Dimat et d’une maman mauresque. La tradition orale dimatnaaƃe attribue la prédiction à Khali Amar Fall qui serait parmi les professeurs de Boubacar à Pire; il lui aurait dit ceci: 350

Dans le « Dirwal-magfar fi r-addi’an es’ saihi’Omar ou la Cuirasse et le Casque d’acier pour défendre Cheikh Omar », l’auteur dit qu’El Hadji Omar et Elimane Boubacar Kane étaient deux imams considérables qui n’avaient pas leurs pareils parmi les blancs (de Mauritanie). Ce récit, poursuit l’auteur du livre, je l’ai entendu dire par Ibn Ahmiddama el- Bouhasni, qui habitait dans ce pays dont il connaissait en expert les habitants». Lire Kamara C. M., op. cit., 1975, p. 146. 351 Kane O., op. cit., p. 681. 352 Où il avait été un condisciple d’Abdel Kader, Sileymane Baal, Tafsir Hamat Lewa, Dramane Sall Tenanta Jangobe, Elimane Lewa Amadou Niang de Soringo, Thierno Mollé Ly de Thilogne, Alfa Mamadou Samba, Abdoul Karim Daff de Séno Palel et Alfa Amar Seydi Yéro. 353 Johnson J. P., op. cit., p. 488.

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« tu auras en même temps le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel pendant longtemps »354. Ce qui n’est pas vrai car Khali Amar a vécu à cheval entre le XVIe et le XVIIe siècle. En tous les cas, les professeurs de l’université de Pire viendraient principalement du Bas Fuuta, c’est-à-dire du Tooro et du Dimat355. Selon Amadou Moktar Kane de Dimat Diéry, la première école de Pire se trouvait dans le sud de la Mauritanie actuelle. On a dû aussi confondre les membres des différentes promotions qui se sont succédé à Pire. A. Le Chatelier pense que les leaders de la révolution contre les Denyankooƃe s’étaient inspirés de la pensée d’Abdel Karim Al Maghil, réformateur musulman du XVe siècle hostile aux « mécréants » et au sectarisme356. Toujours est- il que le contexte politique du Fuuta à l’époque poussa Boubacar et les autres talibés à prendre conscience de leur rôle historique. Aussi ils jurèrent de renverser le régime des Denyankooƃe dès leur retour au bercail357. Si Elimane Boubacar étudia à Pire, c’est que cette université tenait une place particulière dans la mémoire collective des musulmans de la Sénégambie septentrionale. Cependant, cette université était concurrencée par celles se trouvant dans le Fuuta Djalon. C’est dans ce pays qu’Abdel Kader Kane et Thierno Thioukayel auraient appris une science secrète appelée Jiakshaiyyu dont ils se servirent pour détrôner le régime des Satigi.358 Selon James Johnson, en dépit de la réputation de produire d’excellents clercs, le contenu pédagogique de l’école de Pire était relativement simple. On y enseignait le fighr (jurisprudence), le luga (langue) et le qawaa’id (grammaire arabe).

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En réalité, le principal professeur de la promotion serait Demba Fall. À propos des universités islamiques établies en pays wolof, L. G. Colvin, se référant à l’enquête orale menée sur le terrain en 1969 à Pir et Kokki, avance ceci : « Mbakhol was the earliest wolofized Mandinka center, far from the then prominent Djolof capital of Yang-Yang, the emerging capitals Mbul, Lambaye and Kahon, and the trade routes linking them to the rivers and seaports. .. In the seventeenth and eighteenth centuries an increasing number of the clergy were Torobde from Fuuta Toro. A substantial number of the most learned was also Wolof. The main centers, even for Tukulor clerics, were in the Wolof country of Kajoor, far to the south of the centers of power in their own country. The two main centers at this time were at Pire, Sagnakhor, to the southwest of the capital of Mbul, and Koki in the far northeast province of Njambur,bordering Waalo and Fuuta Toro. Their funding luminaries were Amar Fall and Matar Ndoumbe respectively, powerful Wolof clerics of noble origin who had been trained among the Torodbe followers of Berber revolutionary Nasir al-Din». Colvin L. G., Religion and Power in Senegambian Islam, p. 62. 356 Le Chatelier A., L’islam dans l’Afrique occidentale, Paris, Steinhel, 1899, p. 135. 357 Ibrahima Sériba Thioub interviewé à Matam le 29 octobre 1967 par D. Robinson. 358 Notamment l’université de Timbo. Lire Al Hadji Ismaïla Sam, jawando, interviewé à Kanel par D. Robinson, 12 mars 1968. 355

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La fin des pérégrinations et le retour au bercail La dernière phase de la paideia islamique de Boubacar se termine par un retour à Dimat Réwo, vers 1770-1771. Il avait la réputation d’être un Waliyu359. Sa renommée l’avait précédé dans la sous-région360. Il ouvrit un duɗal (centre de pédagogie islamique) à Dimat. Il y enseignait aussi bien le fighr (jurisprudence), la sharia (loi islamique) en plus de la formation islamique traditionnelle. Boubacar attirait les talibaabe surtout pour les enseignements de la loi et du dogme islamique361, s’adonnait à la culture de ses champs, entouré de sa famille. Des alliances matrimoniales stratégiques Boubacar allait agrandir, par ses alliances matrimoniales, le cercle de son influence d’abord religieuse, ensuite politique lorsqu’il devint chef du Dimat. Ses épouses proviennent en majorité hors du village de Dialmath. Ces mariages lui permirent de mailler un réseau dense d’alliances. Sa première épouse fut une de ses cousines (issue des Kane de Dimat) du nom de Fadoum Dialo Boubacar Koudédié. De cette union, naquirent Mamadou Saydou Elimane362 et Aminata Elimane. Divorcée d’avec Elimane Boubacar, Fadoum Dialo se remaria à Thiangaye.363 Avec Mariam Asta Sy364 de Diatar, la veuve de Sileymane Baal et de Hamédine Sy, il eut Saydou Elimane, 365Nimzatt Elimane, 366Karass 359

Le Walyou est en islam, celui qui atteint un degré de perfection dans la connaissance de Dieu. On attribue à Elimane Boubacar des dons surnaturels. Voici un exemple : « … Almaami Mamadou Birane Wane se réfugia après sa destitution à Dimat, chez Elimane Dimat. Les deux hommes se saluèrent … plus tard Mamadou dit à son hôte : j’ai remarqué quelque chose chez toi ! Lorsque les gens viennent te saluer, tu en reçois certains très chaleureusement tandis qu’avec d’autres, quand tu leur serres la main, tu la retires brusquement. Pourquoi cela ? Elimane convoqua ses conseillers et leur dit : gens du Toro, avez-vous remarqué quelque chose de particulier quand les gens viennent me saluer ? Ils répondirent par non. Elimane Dimat reprit, voilà ce que j’ai toujours dit, les Fuutankobé sont plus éveillés que nous. Voyez cet homme-là, qui n’a fait que quelques jours ici mais a pu remarquer quelque chose que vous ignoriez. C’est-à-dire il y a des gens qui portent bonheur et d’autres qui ne le portent pas. Lorsque je serre la main de ces derniers je sens des démangeaisons sur la paume de la main et aussitôt je la retire… »., Ma Diakhaté Cissé Kane, interviewé chez lui à Agnam Siwol le 3 mars 1968 par D. Robinson. 361 Il est étonnant de ne pouvoir retrouver aucune œuvre (littéraire, historique,...) écrite par Elimane Boubacar Kane. Il aurait rédigé un routier célèbre que venaient consulter des candidats aux voyages. Ce qui dénote de son expérience pour le voyage. 362 Il est l’aîné de la famille. Un handicap visuel précoce l’empêcha de s’impliquer dans les affaires politiques. 363 Elle se remaria avec Elimane Hamidine Moctar Kane de Thiangaye. De cette union naquit Amadou Moctar. Fadoum Dialo décédée, Elimane Hamidine Moctar se remaria avec Dieynaba Dialo. Ils eurent, entre autres enfants, Elimane Baydi Kane, qui devient chef de village de Thiangaye en 1866. 364 Elimane Boubacar l’aurait marié en secondes noces, elle s’était auparavant mariée avec Thierno Souleymane Baal. Elle est originaire de la communauté des Seylobé. Les Kane de Dimat et les Sy de Diatar ont eu à cohabiter ensemble en Mauritanie méridionale. Mariam Asta Sy aurait amené le lengurru ou fête nuptiale à Dimat. 365 Encore appelé Saydou Mariam Asta ou Amadou. En octobre 1851, il signe ainsi une correspondance adressée au gouverneur : « Amadou Ben Elimane Seydou, élève de Mohamed El Akhil …» Il devient 360

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Elimane367 et Mamoudou Elimane368. De son union avec Aysata Kane Elimane Gani du village de Gani, il eut Fadoum Elimane et Guéthie Elimane. Il épousa une gallunke nommée Khary ou Gnaka Diagne, qui eut un enfant unique appelé Souleymane Elimane. Il se maria aussi à Diaw Diop Fatim Yamar de la famille royale des Brak du Waalo. Elle est la mère de Samba Elimane, Demba Elimane369 et Sokone Elimane. Enfin, avec Koudédié Ly de Diaba, Elimane Boubacar eut Koumba Elimane et Fatimata Elimane. B- ELIMANE DE POUVOIR

BOUBACAR KANE ET L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU PÔLE

Au début du XIXe siècle, la déliquescence du long magistère d’Abdel Kader était manifeste, et la déviation du mouvement islamique, une réalité indéniable. Cette situation facilita les tendances centrifuges des provinces périphériques. Les dimatnaaƃe profitèrent du chaos politique pour s´affranchir de la tutelle du Fuuta. Elimane Boubacar Kane se défit aussi du tutorat des autorités locales Foulbé. La trajectoire politique du Tulde Dimat ressemble à celle du pays Lébou qui entreprit entre 1795 et 1815 une lutte de libération pour accéder à son indépendance vis-à-vis du Kajoor, fondant un régime dominé par la famille maraboutique des Diop de Kokki370. À la différence que les Lébou avaient durent se battre pour se défaire de l’autorité du Damel. Elimane Dimat en 1852 et meurt en exil à Saint-Louis en 1859. Une partie de sa descendance vit à SaintLouis. 366 Elle aurait épousé un Shaykh Khadri. Elle aurait donné son nom à l’actuelle localité de Nimzatt en Mauritanie. Ainsi que tous les lieux-dits Kadriyya portant ce nom. 367 Il meurt à Dialowali en 1820 après s’être illustré lors de l’attaque de Nder. 368 Fils cadet de la famille (si l’on se réfère à une chanson composée par sa mère en son honneur), il s’installa à Diagnoum pour bien veiller sur les captifs de l’Élimanat. Il devient un personnage célèbre du Tulde Dimat et fut proposé pour devenir chef de village de Bakhao en 1864. 369 Encore appelé Elimane Demba Koudedjé (dont il est l’homonyme), il vécut intensément. Il émigra à Nioro avant de revenir à Dialmath avec beaucoup de captifs dont le plus célèbre fut Falinkoro. Il devint Elimane Dimat puis fut proposé chef de canton du Dimar. Il s’opposa aux Foulbé Wodaaƃe qui voulaient s’approprier les terres remises aux Tooroobé par Almaami Abdel Kader Kane. En 1904, il s’opposa encore au tracé de la frontière qui divisait le canton du Dimar en deux parties distinctes. Il fut déporté en Casamance. Libéré, il participa en 1908 au mouvement anti-francais de Aly Yéro Diop de Fanaye dit Konyel Aly. Ce dernier s’est inspiré de Shaykh Ahmadou Bamba qui était auparavant interné dans le Dimar (à Seout El Ma prés du lac R’kiz de juin 1903 à mai 1907), en Mauritanie méridionale. Le Shaykh séjourna entre autres lieux, dans les campements de Tamtamaghazen et Seout El Ma. Lire Samb A., op. cit., p. 438. 370 Il s’agit du ‘pays’ lébou ayant à sa tête Dial Diop, le principal maître d’œuvre de son indépendance. Voir Diouf M., op. cit., pp. 102-103. Les Lébou occupent un territoire à cheval sur les régions de Thiès et de Dakar.

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Le Dimat, allait désormais vivre en marge de l’autorité de l’almamiyat371 sous le règne d’Elimane Boubacar. Comme le souligne Steff, « les maîtres locaux, grands marabouts et grands propriétaires fonciers étant de véritables souverains de fait » 372. Ex-correspondant local de l’Almaami Abdel Kader, il ne tarda pas à s’imposer sur la scène politique régionale, grâce à la convergence de plusieurs facteurs favorables. Le premier est le fait que ses parents avaient migré sur la rive gauche, imitant ainsi le hijra du prophète de l’islam. Son bagage intellectuel lui avait donné une forte renommée auprès des autres marabouts du Fuuta, des pays maures et wolof. Ses longues pérégrinations à la quête du savoir et de l’expérience politique aiguisèrent son sens politique. Enfin, en raison de la position stratégique du Dimat, il devint interlocuteur incontournable sur l’échiquier politique local. Elimane Boubacar et l’émergence du Tulde Dimat Le Tulde Dimat doit son rayonnement à Elimane Boubacar Kane. Il a su bâtir et consolider son pouvoir, à l’image d’Ousmane Dan Fodio373, de Shaka 374 et de Moshweshwe375. Cependant, ces trois leaders ont fondé au début du XIXe siècle des entités politiques qui se sont appuyées en général sur une communauté spécifique et ont souvent usé de la violence pour s´imposer. C’est-à-dire sur les éléments Haoussa-Foulani, Zoulou et Sotho. Le Tulde Dimat, a fédéré sous la bannière de l’Islam des groupes et sous-groupes Foulbé, Wolof et Sereer. On 371

Le régime des Almaami. D’après le Capitaine Steff qui a réalisé une enquête sur la tenure foncière dans la vallée du Sénégal en 1913-1914. 373 Ousmane Dan Fodio, fondateur au Soudan central du califat de Sokoto, il régna de 1804 à 1817. Voici son itinéraire: « When Yunfa became Sarkin Gobir in 1801-1802, Uthman still hoped to bring about a more Islamic society by persuasion and example. Nonetheless, relations between the jama´a and the court got worse rather than better and erupted in fighting in 1804. The community moved away from the gobir armies (the hijra or “emigration”), constitued an ambryonic state by electing Uthman as their leader (his first title was imam, later he became caliph or commander of the faithfull) and declared the jihad of the sword against the Sarkin Gobir and the followers. In thus, Uthman and his supporters consciously initiated the pattern of Muhammad, who left a hostile Mecca for, Medina, conquered Mecca and central Arabia and established state»., in Robinson D. et Smith D. (sous la direction de), Sources of the African past, case studies of five nineteenth-century african societies, « The jihad of Uthman and the Sokoto caliphate », New York, toExcel, 1999, pp. 122-158. 374 Shaka, bâtisseur de l’État Zulu entre le Drakensberg et l’océan indien, régna de 1816 à 1828: «…The Zulu state which emerged from this destruction was for more cohesive and centralized than Dingiswayo´s confederation. Shaka was the supreme commander exercising direct, personal control over affairs throughout his reign.», in Robinson D. et Smith D. (sous la direction de), op. cit., « Shaka, Dingane and the forging of the Zulu state », pp. 1-39. 375 Moshweshwe régna de 1820 à 1870. Il fut le fondateur sur le versant occidental du Drakensberg de l’État du Leshoto: « Moshweshwe´s victory over the N´debele in 1831 ended a decade of disruption and pushed his prestige to new heights. He was no longer a chief but the “Great chief” or King, who called on his subjects for labour, occasional tribute and military service ... At the same time Moshweshwe sought a more direct and substantial relationship with white»., in Robinson D. et Smith D. (sous la direction de), op. cit., « To build a nation: the story of Moshweshwe », op. cit., pp. 41-79. 372

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peut se demander pourquoi Elimane Boubacar n’avait pas cherché à être jaagorgal ou Almaami du Fuuta Tooro ?376 1800 ou 1801 : un début de règne difficile La séquence de vie d’Elimane Boubacar allant de 1721 à 1801 ou de 1751 à 1801 reste mal connue. Selon les sources orales, la migration vers la rive gauche fut menée par trois frères dont les descendants se relayèrent sur le trône. Il s’agit de Dialo Boubacar Koudedié, Seydi Boubacar Koudedié et Demba Boubacar Koudedié. Elimane Hamidine Boubacar qui régna de 1789 à 1796 fut remplacé après sa mort, survenue sur le champ de bataille de Bounghoowi, par Demba Boubacar Samba Kane. Elimane Boubacar succéda à Demba Boubacar Samba Kane en 1801. Son accession au pouvoir avait semble-t-il soulevé quelques remous entre les lignages dominants qui portent le nom de suudu ou galle,377 notamment son cousin germain Hamidine Dialo dit Guidado fils d’un ancien chef du village de Dimat Réwo. Elimane Boubacar Kane avait bénéficié de la proximité de son père avec les Foulbé de Thillé, les co-parrains de l’installation des migrants à Dialmath378. Il y a eu la rupture avec le village de Thiangaye. Après trois années de cohabitation avec Elimane Dimat, Thiangaye nomma Hamidine Moktar comme Elimane Thiangaye379. Sur le plan sous-régional, beaucoup de dimatnaaƃe furent tués ou capturés lors de la bataille de Bounghoowi en 1796. La défaite du parti musulman fut mise à profit par l’administration française qui tenta de signer une nouvelle convention de coutumes plus avantageuse avec le Fuuta Tooro. C - ELIMANE BOUBACAR, UN PRÉCURSEUR DE L’UNITÉ D’ACTION DES PEUPLES DE LA SÉNÉGAMBIE FACE À LA PREMIÈRE EXPÉRIENCE D’UNE AGRESSION EUROPÉENNE: JUILLET ET AOUT 1805

La migration des dimatnaaƃe de la rive droite vers la rive gauche obéissait à des mobiles économiques et politiques. 376

Entre 1810 et 1820, une dizaine d’Almaami se sont succédés dont certains n’ont régné que quelques mois. 377 Le Suudu Demba (descendants de Demba Seydy), le Reedu Saydou (descendants de Saydou Boubacar) et le Suudu Dialo (descendants de Dialo Boubacar Seydy) constituent respectivement les cinquième, sixième et septième scissions des Kane. 378 Dont le site appartenait autrefois aux Peul Yalaalbé. 379 Élimane Ibra Kane dit Abdoul Thiadjel interviewé à Thiangaye en 1974 par Johnson J. P.

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La volonté française d’atteindre l’hinterland de la Sénégambie septentrionale sans s´acquitter du paiement d’une coutume déboucha sur un face à face sanglant dont le village de Fanaye fut le théâtre. Au passage, soulignons que les évènements sanglants de Fanaye Diéry du mercredi 26 octobre 2011 sont les quatrièmes dans lesquels ce village est directement lié, si on comptabilise le mouvement insurrectionnel dit Konyel Aly Yéro Diop de 1908 dont Dagana fut le dramatique épilogue380. Le nouvel Elimane Dimat tenait à faire valoir ses droits sur cette portion du Fuuta381. Le 29 juillet 1805, 29 hommes de l’équipage d’une goélette, et 7 hommes d’une chaloupe (des Français et leurs employés) qui avaient échoué près de Fanaye, furent tués à la suite de violentes échauffourées. Le 2 août, le gouverneur Blanchot voulut se venger de l’affront et fit partir un détachement de soldats avec 2 canons de campagne de 80 mm, 600 noirs de Saint-Louis et 12 bâtiments382. Dans le Fuuta Tooro occidental, l’expédition brûla quelque 12 villages et fit beaucoup de captifs. Le 17 août, le capitaine Ribet, commandant en chef de l’expédition voulut s’emparer du village de Fanaye. Les assaillants furent repoussés par la remarquable organisation militaire des dimatnaaƃe et ils regagnèrent difficilement leurs navires. Le bilan fut lourd : 15 tués, dont le capitaine Ribet et 18 blessés. Ce fut la première confrontation militaire directe entre les dimatnaaƃe et les Français. Elimane Boubacar et l’assemblée du Dimat reprirent l’initiative diplomatique en acceptant de conférer avec le gouverneur de Saint-Louis, François Blanchot de Verly (1735-1807). Les notables du Dimat adressèrent aussi une lettre à Abdel Kader Kane l’informant des initiatives qu’ils avaient prises.383Blanchot, était lui aussi, traumatisé par la perte de l’un de ses meilleurs officiers. Les deux parties avaient senti le besoin de rétablir des relations commerciales normales. Blanchot accueillit favorablement, en novembre 1805, l’offre de dialogue des dimatnaaƃe. L’échec de l’attaque française a pour conséquence l’acceptation de l’ouverture de négociations entre le gouverneur et Almaami Abdel Kader. Une convention de coutumes fut adoptée le 4 juin 1806. Les Français désormais rencontrèrent sur la route du haut du fleuve, à l’aval de Dagana un nouvel interlocuteur très coriace. La tension politique était exacerbée par l’annonce que les commerçants français de Saint-Louis et le gouverneur avaient vendu les personnes prises durant 380

Le mercredi 26 octobre 2011, une réunion du conseil rural de Fanaye (aujourd’hui une commune) tourne à l’affrontement entre adversaires et partisans de l’affectation de 20.000 hectares de terres á des promoteurs italiens investissant dans les biocarburants. Le bilan fut de deux morts et une vingtaine de blessés. 381 « La constitution même de l’État toucouleur où les Almamy n’étaient pas toujours capables de faire respecter leur autorité comporte le risque de voir chaque petit souverain, chaque chef de village ignorer ou oublier les clauses des traités en vigueur ». Lire Saint-Martin Y., L’Empire toucouleur et la France, un demi-siècle de relations diplomatiques (1846-1893), Université de Dakar, Dakar, 1967, p. 53. 382 Cultru P., Histoire du Sénégal du XVIe siècle à 1870, Paris, Larose, 1910, pp. 293-294. 383 Johnson J. P., « The Almamate of Fuuta Toro, 1770-1836: a Political History », Madison, University of Wisconsin, 1974, pp. 344 et suivantes.

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l’expédition de 1805, malgré les demandes pressantes de rachat faites par Elimane Dimat. La première confrontation sanglante entre Français et dimatnaaƃe permit aux premiers de se rendre compte qu’à l’argument militaire devait être substitué des relations diplomatiques afin d’assurer le passage de leurs navires.

Conclusion Elimane Boubacar a assis son autorité d’une façon graduelle. Après s’être défait de la tutelle du Fuuta Tooro, il a su malgré un environnement sous-régional instable s’aménager un espace de sécurité et de stabilité grâce à des institutions solides.

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Troisième partie

La lutte pour la préservation de l’ordre islamique (1807-1862)

Chapitre I : Contre toutes velléités hégémoniques (1807-1837) La réinstallation d’une partie des dimatnaaƃe sur la rive gauche du Sénégal s’était faite dans un contexte géopolitique et économique marqué par le retour des Français à Saint-Louis après l’intermède anglais. Les dirigeants du Tulde Dimat manœuvrèrent pour tirer un grand profit de cette situation pendant que les Français étaient préoccupés, d’une part, par les mutations politiques internes et, d’autre part, par les transformations économiques imposées par le marché mondial. Elimane Dimat devint dès le début du XIXe siècle, un acteur de premier plan dans la vie politique de la Vallée du Sénégal. Il défendit ses intérêts en engageant avec ses voisins un cycle discontinu de période de paix et de conflits ayant de multiples soubassements, le plus souvent économiques et religieux. La colonie du Sénégal joua, tantôt un rôle de belligérant, tantôt celui de médiateur dans les affaires interafricaines.

I- Le Tulde Dimat face au retour des Français dans la moyenne vallée du Sénégal (1807-1817) A- LA MONTÉE EN PUISSANCE DU TULDE DIMAT

Les dimatnaaƃe consolidaient leur assise économique sur la rive gauche. Alors que les Français pressés par l’Angleterre devaient trouver une alternative à la traite des esclaves384. En janvier 1817385, le colonel JulienDésiré Schmaltz (1771-1827) proposa un vaste plan de colonisation agricole calqué sur le système hollandais de Java. Quant à la situation politique sousrégionale, il disait qu’elle était des plus favorables à l’implantation des Français. Il manifesta le désir de rencontrer l’Almaami du Fuuta Tooro Youssouf Ly à Podor dans la province du Tooro le 10 février 1817. Le principal sujet à l’ordre du jour était de discuter des moyens à utiliser pour 384

Ainsi face à la condamnation de la traite négrière depuis 1791, les Français proposaient des solutions nouvelles en vue de développer le commerce avec l’Afrique. Jean Baptiste Léonard Durand (1785-1786) envisageait la mise en valeur des terres des rives du Sénégal. Un plan de colonisation agricole rédigé en 1802 par un auteur anonyme suggéra une solution à la crise du commerce colonial. 385 Lorsque la France récupéra ses anciens établissements, Julien Schmaltz, le commandant et administrateur du Sénégal, fut chargé d’examiner les ressources que la colonie pouvait offrir pour la culture. Les Anglais de 1809 à 1816 n’avaient rien fait pour développer les points de traite du fleuve, le commerce de la gomme se faisait à Portendick, et celui des produits du Soudan nigérien en Gambie. Faire de cet ensemble de comptoirs en ruines une colonie de culture réclamait des moyens importants même si le milieu des planteurs était bien représenté au ministère de la marine.

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éviter la guerre entre le Fuuta et le Kaarta. En réalité, Schmaltz cherchait des partenaires pour la réalisation de son plan de colonisation agricole au Fuuta. Schmaltz se rendit à Podor, à la date indiquée. L’Almaami et l’armée du Fuuta étaient en guerre contre le Kaarta dans le haut Sénégal. Face à cette absence, Schmaltz fit d’Elimane Boubacar son nouvel interlocuteur386. La phase de coopération avec les Français démarrait sous de beaux auspices. Elimane Boubacar s’entretint avec Youssouf à Diaba dans son village. Ce dernier lui assura qu’il le soutiendrait pour le bien des populations de Saint-Louis et du Fuuta. Youssouf lui promit, qu’après les négociations, Schmaltz pourrait exploiter les terres du Fuuta à sa guise dans le pays, sauf à Fort Saint-Joseph dans le haut fleuve. Schmaltz affirmait avoir convaincu Elimane Dimat de l’avantage de la construction d’établissements agricoles français dans le Tulde Dimat. Elimane Dimat déclara qu’il n’avait pas besoin du consentement de l’Almaami pour céder le vaste domaine foncier s’étendant de Réffo à Nianga. Cette assurance a été confirmée par les chefs du Tooro lors d’une réunion387. En fait, cette offre d’une zone franche économique entrait dans le cadre d’une stratégie bien mûrie de mutation économique des dirigeants du Tulde Dimat. Le gouverneur de la colonie projetait d’y construire deux postes militaires pour la protection du commerce et des plantations388. Elimane Dimat avait promis de lui fournir autant de travailleurs que de besoin389. En octobre 1817, la phase de coopération entre le Dimat et les Français touchait probablement à sa fin. Schmaltz envoya le 9 octobre, de SaintLouis, le convoi annuel de navires de commerce français en direction de Ngalam (Haut-fleuve), une date tardive pour un tel départ car le niveau des eaux de crue du fleuve Sénégal commençait à baisser car la saison des pluies venait de se terminer. En route, le convoi prit Elimane Boubacar à son bord pour porter des messages supplémentaires à l’Almaami du Fuuta. Les Fuutankooƃe en guerre avec les Kaartanke refusèrent de laisser passer le convoi craignant qu’il ne transporte des armes destinées à leurs adversaires. Elimane Boubacar obtint l’autotisation de passage du convoi, suite à des négociations. Mais à cause de la baisse du niveau des eaux du fleuve, les navires retournèrent à Saint-Louis sans atteindre leur destination.

386

Johnson J. P., op. cit., p. 345. Monteilhet J. J., « Documents relatifs à l’histoire du Sénégal, Mai 1819 », Annuaires et Mémoires du B. C. E. H. S. A. O. F., 1916, pp. 72-73. 388 Ibidem, pp. 71 et suivantes. 389 Ibid. 387

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Les relations cordiales se refroidissaient sensiblement390. Les Français continuaient cependant à faire confiance à Elimane Boubacar. Ils ne purent entreprendre de représailles contre le Fuuta Tooro et dans une large mesure, ils dépendaient de sa collaboration pour réussir dans le commerce et les projets agricoles. Schmaltz prit le temps d’écrire à Elimane Boubacar en juin 1818 pour lui recommander le sieur de Melay, qui allait diriger la prochaine expédition vers le Gajaaga (Haut-fleuve). Elimane Dimat et les Français s’étaient engagés dans un marché de dupes. Le premier consolidait son pouvoir, les seconds voulaient réussir leur reconversion économique. En août 1818, le sieur de Fleuriau suggéra au Ministre de la marine et des colonies, une alliance avec l’Almaami du Boundou pour nommer Elimane Boubacar chef du Tooro et séparer cette province du reste du Fuuta Tooro391. Ce plan était en conformité avec les projets de plantations agricoles que les Français prévoyaient de concentrer dans le Dimat et le Tooro. Ils cherchèrent la collaboration de l’Almaami Hamadi Aysata Sy du Boundou392. BFRANÇAIS

LA FIN DE L’ENTENTE CORDIALE ENTRE LE DIMAT ET LES

Les Français, davantage préoccupés à rétablir des relations commerciales avantageuses avec le haut fleuve, firent escorter le convoi du Ngalam par des navires armés en 1818. Le chef de convoi avait reçu des instructions très fermes de forcer le passage en cas de mesures dilatoires des Fuutankooƃe à Saldé. Almaami Youssouf Ly fit de nouvelles offres à Schmaltz à propos des terres cultivables et de la main d’œuvre. La mort du grand électeur (Jaagorgal) Ali Doundou au début de 1819 rendit caduque ces offres393.

390

L’administration française manifesta son manque de confiance en demandant à Gaspard Mollien, en début 1818 et plus tard Caillié, d’éviter de traverser le Fuuta « un pays de forcenés et de voleurs ». De Paris où il se trouvait, Schmaltz commenta la suggestion de Fleuriau sur requête du ministre des colonies en approuvant l’idée et en déclarant qu’il lui en avait déjà parlé comme favorable aux intérêts français. Il disait que le moment n’était pas mûr pour une telle initiative puisqu’il y avait déjà un Lam Tooro pour gouverner le Tooro et que les relations qu’Elimane Boubacar entretenait avec le gouverneur, le traitement préférentiel et les avantages qu’il recevait d’eux, occasionnaient trop de jalousies chez les autres chefs pour que les Français puissent espérer l’imposer comme chef du Tooro sans recourir à la violence. 392 Ce dernier était en mauvais terme avec l’Almaami du Fuuta Tooro qui l’avait empêché de percevoir ses coutumes et faire le commerce avec les Français en 1817. 393 Al Hadji Ismaïla Sam, inf. cit. 391

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II - De la négociation à la confrontation armée A- OÙ IMPLANTER LES ÉTABLISSEMENTS AGRICOLES PRÉMICES D’UN LONG CONFLIT :1818-1819

? LES

Schmaltz abandonna brusquement ses projets économiques sur le Fuuta et décida de les réaliser au Waalo394. Il évoqua plusieurs raisons à ce changement brutal en procédant à une analyse de la situation géopolitique sous-régionale395. Schmaltz y vit la double occasion de trouver, d’une part, les terres dont il avait besoin pour les plantations et, d’autre part, d’entamer de façon permanente la position des Trarza qui avaient si souvent menacé le commerce et créé une instabilité politique dans le bas Sénégal396. Elimane Dimat tentait lui aussi de profiter de la guerre civile au Trarza qui avait affaibli ses voisins maures397. Schmaltz, ne pensait point que le changement de ses plans pouvait bouleverser ses rapports avec les Fuutankooƃe. Le Waalo constituait une alternative inespérée à la mise en œuvre de ses projets agricoles. Il citait des réactions d’autorités locales impressionnées par les retombées positives d’une association avec les Français et qui demandaient l’implantation d’établissements agricoles sur leur territoire moyennant le paiement annuel d’une coutume. Le développement qui précède montre que l’argument de Georges Hardy selon lequel Schmaltz s’est rabattu sur le Waalo faute d’un accord avec les Fuutankooƃe est contestable398.

394

Le colonel Schmaltz revint au Sénégal en reprenant ses fonctions en février 1819 après quatorze mois d’absence pour mettre en œuvre le plan de plantations agricoles. Lire Monteilhet J. J., « Documents relatifs à l’histoire du Sénégal, Mai 1819 ». Annuaires et mémoires du B. C. E. H. S. A. O. F., 1916, pp. 71 et suivantes. 395 Les chefs du Waalo, soumis depuis 1775 aux attaques des Trarza, avaient besoin d’un allié pour les libérer de cette mauvaise passe. Les Trarza étaient divisés et affaiblis par une lutte de succession interne et par la guerre contre les Maures voisins. L’émirat des Trarza vivait depuis le début du XIXe siècle la première crise effective de succession de son histoire, consécutive au transfert du pouvoir de la branche aînée à la branche cadette. À partir de 1810, Mohamed El Kowry tenta de reprendre le serwal blanc symbole de l’émirat Trarza. Il bénéficiait de l’aide des Oulad Damane, Idaweis, puis du Waalo et des Français. Lire W. Sa’d, M. Al-M., « Les Rapports entre la France et le Trarza au temps de la colonisation agricole (1818-1831). Un texte de l’inspecteur des cultures E. Brunet »., in Masadir, Cahier des sources de l’histoire de la Mauritanie, cahier N° 1, Nouakchott, 1994, p. 53. 396 Monteilhet J. J., « Documents relatifs à l’histoire du Sénégal, Mai 1819 », Annuaires et mémoires du BCEHSAOF, 1916, p. 71. 397 Quel était le contexte politique ? L’Émir Amar Ould Moktar n’était pas le chef légitime des Trarza. L’autorité lui avait été confiée à la mort de Ely Kowri tué en 1785, en attendant que Mohamed El Kowri son fils eut atteint un âge avancé. Amar refusa de rendre le pouvoir. Amar Ould Moktar chercha et obtint l’aide d’Elimane Boubacar. D’autant plus que Mohamed El Kowri prétendant au trône des Trarza a offert son concours à Schmaltz et signé avec lui un traité le 15 novembre 1819. Mohamed El Kowri s’engageait en effet à renoncer à toute espèce de droit sur le Waalo. 398 Hardy G., La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854, Paris, Larose, 1921, pp. 86 et suivantes.

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Elimane Boubacar, interprétant négativement la décision de Schmaltz, reconsidéra ses relations avec Saint-Louis. Le premier traité de colonisation agricole fut signé à Ndiao le 27 janvier 1817. Il octroyait aux Français un immense domaine foncier contre le payement d’une forte coutume au Brack et aux principaux chefs du Waalo. En décembre 1817, Schmaltz partit pour la France. Revenu en mars 1819, il voulut mettre en pratique son plan et conclut le second traité de Ndiao le 8 mai 1819. Ce changement de politique économique constituait une menace pour les voisins du Waalo399. L’importance des revenus des chefs du Walo provoqua immédiatement la réaction des Maures Trarza poussée par une ‘jalousie manifeste’ selon El Hadji Amadou Sèye400. Le traité menaçait les propriétaires d’esclaves car il entrainait un changement dans les relations de travail. Il faisait apparaitre le travail rémunéré, jusqu’ici inconnu en Sénégambie continentale. Julien Schmaltz signifia au Brak que désormais il ne devait payer aucun tribut à ses voisins en vertu de la protection française. En septembre 1819, Elimane Boubacar s’allia aux Maures Trarza pour attaquer le Waalo. Il alerta par des messages les chefs des provinces voisines sur les projets des Français de les prendre en tenailles à partir de leurs nouveaux postes de Bakel et Dagana.401 Le choix porté sur le Waalo risquait de déstabiliser l’échiquier géopolitique sous-régional402. B- LE STATUT DE LA LOCALITÉ DE PAIX SOUS-RÉGIONALE

DAGANA: UNE AUTRE MENACE À LA

Le gouverneur projetait de faire de la localité de Dagana le centre gouvernemental et économique français dans le bas Sénégal, au point de promouvoir l’idée d’un transfert du siège de l’administration et du commerce de Saint-Louis vers ce bourg. Schmaltz ne prit pas la peine de demander à quiconque la permission pour la construction d’un fort et ne souleva même pas la question de l’autorité de l’Almaami du Fuuta sur une partie de la localité. Schmaltz ignorait que le Fuuta Tooro s’étendait jusqu’à Dagana Serigne et que par conséquent Almaami devait être informé de tout ce qui touche à cette localité. Le Lam Tooro et l’Almaami élevèrent tous les deux des prétentions sur Dagana. Les Maures Trarza aussi revendiquaient que : « Dagana est un 399

La coutume annuelle s’élevait à environ 10358, 64 francs aux principaux chefs du pays ainsi qu’une promesse de protection contre les voisins. En effet, le Waalo payait un « tribut de 4. 000 francs par an aux Trarzas ». Lire Barry B., op. cit., p. 223. 400 Sèye, El Hadji Amadou, Walo Brack, op. cit., p. 141. 401 Johnson J. P., op. cit., pp. 394 - 395. 402 Cette réaction hostile des voisins du Waalo fut l’une des causes de la réduction des dépenses pour 1820 (1.200.000 francs au lieu de 2000.000 francs).

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village appartenant aux Ahl Mouhamad Bebana, il n’est ni à vendre ni à prêter » 403. Elimane Dimat aussi s’indigna vivement que la décision française fut prise sans qu’aucune autorité réclamant des droits sur cette localité ne soit consultée404. Mais l’indignation s’accrût lorsqu’il devint clair que les Français avaient l’intention de changer les rapports politiques et économiques dans la sous-région. Le revirement de Schmaltz réussit d’abord à rapprocher Amar Ould Moktar du Trarza, Elimane Dimat et le Lam Tooro. Ensuite, on assista à une dynamique unitaire des différentes provinces du Fuuta qui augurait peut-être d’une prochaine unité d’action du Lam Tooro, d’Almaami et d’Elimane Dimat. Mais les chefs du Tooro qui étaient favorables à l’idée d’attribuer des concessions agricoles aux Français, s’alarmèrent des projets de ces derniers de bâtir, sans leurs ordres, un poste à Dagana405. Le commandant Schmaltz vit la main d’Elimane Boubacar derrière leur changement d’attitude. Il l’accusa « de leur avoir donné des conseils dangereux et perfides » 406. Schmaltz fit désormais d’Elimane Thioffi, le chef d’un village de la proche banlieue de Podor, son intermédiaire avec les autorités almamales du Fuuta Tooro. Schmaltz avait échangé, selon James P. Johnson, en terme d’influence et de statut un poids lourd par un personnage beaucoup moins représentatif407. Après avoir été élu Almaami du Fuuta en septembre 1819, Birane Wane du village de Mboumba renouvela les prétentions Fuutankooƃe sur la localité de Dagana. Face à ces protestations, Schmaltz leur répondit que le fort de Dagana devait seulement garantir la paix et qu’il le construisait sur requête du Waalo ravagé par des pillards venant du Trarza. Mais l’angoisse de Schmaltz à propos de l’influence d’Elimane Boubacar était évidente. Il disait en substance être mécontent d’Elimane «…qui, soit par envie, soit par turbulence de caractère, soit par ambition, soit par un motif de préférence donné aux Maures sur son propre pays, avait fait passer les Trarzas dans son village » 408. Schmaltz usa du soutien presque forcé de l’Almaami pour désamorcer l’opposition du Lam Tooro Djiby et d’Elimane Boubacar à un poste français à Dagana. Les Français avaient un poste opérationnel au Gajaaga et comptaient sur le transport fluvial pour son approvisionnement. Mais Birane 403

ANS, 9G1, Correspondance d’Amar ould Moktar au gouverneur, en date du 14 Mai 1821. Il y exerçait une autorité morale et militaire. 405 ANS, 2B4, Correspondance du gouverneur à Almamy et aux principaux chefs du Fuuta, Saint-Louis, en date du 2 septembre 1819, n. n. (non numéroté) 406 Ibid. 407 Johnson J. P., op. cit., p. 467. 408 ANS, 2B4, Correspondance du gouverneur à Almamy et aux principaux chefs du Fuuta, Saint-Louis, en date du 2 septembre 1819,n. n. 404

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était incapable d’insuffler à Elimane et aux autres leaders du Fuuta une attitude positive à l’égard des Français. Schmaltz s’était gravement mépris de la situation qui régnait au Fuuta où les jaagorɗe (grands électeurs) tiraient les ficelles du pouvoir. En novembre 1819, il rompit les liens officiels avec le Fuuta Tooro et chercha l’alliance des Brakna en cas de conflit. Le Waalo subissait les exactions des dimatnaaƃe et des Trarza à cause de l’insistance de Schmaltz qu’il ne devait plus verser de tribut à ses deux voisins409. Schmaltz rendit compte au Ministre des colonies qu’en décembre 1819, les chefs du Fuuta (central et oriental) lui ont renouvelé le désir de trouver un arrangement, de garder les droits payés par les traitants. Mais, face au chef du Dimat, il était incapable de conclure un accord. Les Trarza, utilisés souvent comme épouvantails, étaient en pleine guerre civile. L’Almaami lui, disposait d’une petite marge de manœuvre, car son fils était à Saint-Louis, parmi les otages du Fuuta. Plusieurs fois, Schmaltz lui demanda de punir Elimane Boubacar car « de tels individus dans le pays de Tooro finiront tôt ou tard à entrainer une rupture fâcheuse, à l’état actuel des choses, entre les deux pays » 410. Il promit ensuite de se rendre à Podor dans le courant du mois de janvier 1820. C- LA RENCONTRE DE PODOR ET LA MISE SUR PIED D’UNE COALITION AFRICAINE ANTI-FRANÇAISE

Des négociations en vue d’entrevoir le futur des relations francoafricaines furent engagées à Podor. Elles semblaient mal parties. Elimane Dimat ne pouvait tolérer le changement d’alliance de Schmaltz. Il était clair maintenant que les projets agricoles ne pouvaient réussir sans la collaboration des chefs du Fuuta. La rencontre de Podor s’ouvrit dans une atmosphère assez lourde. Durant deux jours, Schmaltz et Almaami attendaient chacun la visite de l’autre. Schmaltz fit enfin le premier pas. Il fut décidé que les négociations se feront par personnes interposées, pour le Fuuta, les négociateurs en chef étaient l’imam Siré et Thierno Mollé. Les sieurs Alain et Devès étaient les délégués français. L’imam Siré déclara qu’on avait fait craindre aux Fuutankooƃe par deux lettres écrites, l’une par un Maure des environs de Bakel, l’autre par Elimane Boubacar Kane, les méfaits de l’installation des Français dans le haut-Fleuve et à Dagana411. 409

Barry B., constatait que « ... que le pillage des maures au Waalo à la suite des guerres dont ce pays fut le théâtre pendant la colonisation agricole, prolongea les effets de la traite négrière de la période précédente », in Barry B., Le royaume du Waalo, op. cit., p. 233. 410 ANS, 2B4, Correspondance du gouverneur à Almamy et aux principaux chefs du Fuuta, en date du 2 septembre 1819. 411 ANS, 2B4, Correspondance du gouverneur à Almamy et aux principaux chefs du Fuuta, en date du 2 septembre 1819, non numéroté.

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Au deuxième jour des négociations, tous les délégués du Fuuta s’étaient retrouvés pour étudier les propositions faites par les Français à leurs émissaires. Les négociations étaient empreintes d’une grande nervosité, les chefs fuutankooƃe étaient divisés en deux camps. Almaami Birane représentait le parti favorable à une entente avec les Français, alors que les chefs du Bosséa et Elimane Boubacar représentaient le parti hostile à une conciliation. Elimane Boubacar souhaitait le départ des Français du Fuuta. Il les accusait de vouloir encadrer le territoire du dar al islam par des postes militaires établis « chez les polythéistes au Waalo et au Kaarta ». La tentative timide d’une conciliation échoua lorsqu’en pleine négociation, l’armée du Dimat attaqua un navire français entre Dagana et Podor. Almaami Birane, travaillé par les ‘faucons’, finit par donner à Schmaltz un ultimatum pour que les Français quittent Dagana et Bakel, rendent les otages ou que le gouverneur se rende à Dagana « pour prouver sur le champ de bataille qui des Français ou des Fuutankooƃe étaient maitres du village » 412 . D- LES TALATAY NDER, DES MOMENTS DE VIOLENCE

: 1774 ET 1820

Le Waalo, à l’image des autres constructions politiques de la Sénégambie a connu des conflits sanglants d’origine interne ou externe. C’est le cas de deux évènements tragiques appelés talatay Nder (mardi de Nder) qui se sont déroulés dans cette localité un mardi, en moins d’un demisiècle d’intervalle. Ils ont deux points communs: leur extrême violence et l’élément féminin injustement mêlé au conflit en fut une victime collatérale. El Hadji Amadou Sèye nous donne des détails intéressants sur le premier talatay Nder. Nder était depuis septembre 1733 la capitale du royaume du Waalo, la troisième après Ndiourbel et Ndiandje413. Le premier talatay Nder, un épisode sanglant d’une longue guerre civile en cours dans le Waalo : novembre 1774 Le premier talatay Nder aurait eu lieu le 13 novembre 1774 et serait une séquence d’un long conflit interne au Waalo selon M. Sèye. Cependant il y a erreur de date de sa part car le 13 novembre 1774 correspond à un dimanche. 412 ANS, 2B4, Correspondance du gouverneur à Almamy et aux principaux chefs du Fuuta, en date du 2 septembre 1819, n. n. 413 Yérim Code Fara Bone qui fut brack de 1775 à 1776 avait transféré la capitale à Nteu.Khouma a été aussi la capitale du Waalo.

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Il y a dans l’année 1774, deux mardis datés du chiffre 13 à savoir le mardi 13 septembre et le mardi 13 décembre 1774. Ce fut un triste épisode d’un violent conflit de succession qui perdura tout le long du XVIIIe siècle entre les trois grandes familles tejjek, loggar et joos du Waalo414. Le brack Yerim Ndatté fut tué ce jour. Mais c’est surtout la suite des évènements qui fut « fâcheuse, désagréable, douloureuse appelée Talatay Nder ou le mardi fatidique de Nder415». La valeureuse Linguère Ko Ndama avait préparé des mets pour permettre aux combattants des deux camps (ses proches parents) de bien se restaurer après les sanglants affrontements. Au soir du 13 novembre 1774, à la fin des hostilités, Mambodji Coumba Khedje le vainqueur du défunt brack entra triomphalement dans la capitale Nder, fit coucher la Linguère et l’égorgea416. Mambodji Coumba Khedje fut lui-même assassiné, quelques jours plus tard, le jour de la célébration de son intronisation sur le chemin du retour de Ndiourbel, par un tueur à gages entre les villages de Ronkh et Wassoul. Elimane Dimat, initiateur de la coalition anti-française à l’origine du second talatay Nder : février-mars 1820 Le second talatay Nder a pour cause une initiative extérieure au Waalo. Il s’agit de l’attaque orchestrée par une coalition armée formée dans le Fuuta Tooro occidental, et qui fit mouvement vers l’ouest, arriva facilement devant Dagana, puis pénétra dans le Waalo, détruisant six à huit villages dont Nder la capitale, le mardi 7 mars 1820.Ce fut le dénouement tragique d’une épreuve de force entre une coalition qui s’opposait à l’aristocratie locale waalo-waaalo alors favorable à l’implantation des Français sur ses terres par le biais de la colonisation agricole. Elimane Dimat avait profité d’une réunion tenue en janvier 1820 à Podor pour démarcher la mise sur pied de cette vaste coalition anti-française comprenant le Dimat, le Fuuta Tooro, le Trarza, le Brakna et le Kajoor et des waalo-waalo musulmans hostiles au projet agricole français. Les chefs du Boundou avaient aussi été contactés pour faire partir les Français de Bakel ce, avec la collaboration du Guoye417.

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Sèye El Hadji Amadou, Walo Brack, op. cit. p. 115 Ibid. Ibid. 417 Il faut relativiser le point de vue de R. Rousseau selon lequel cette coalition semblait être plus importante par la largeur du front de l’opposition aux Français que par le nombre des soldats mobilisés. Lire Rousseau R., « Étude sur le Oualo », op. cit., p. 149. 415 416

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Le Brak du Waalo était absent de sa capitale, Nder. Son épouse et les notables échappèrent à la furie des coalisés en se mettant sous la protection des navires français. D’après un décompte fait par Schmaltz, le Waalo aurait perdu 150 hommes : 50 morts et 100 prisonniers418. Yoro Dyao mit cette attaque sur le compte des Trarza sous la conduite d’Amar Ould Moktar aidé par leurs alliés du Dimat et, il ajoute : « à la honte de tomber aux mains des Maures et des Toucouleurs, un grand nombre [de] femmes, [dont] la Linguère Awo Fatim Yamar419, préférèrent se bruler vives dans une grande case sur la proposition de l’une d’elles, Mbarka, favorite de la princesse » 420. Cette version est reprise par la mémoire collective. Il faut regretter le carnage humain, surtout les victimes collatérales, à savoir les femmes et les enfants. Face à cette tragédie, le Waalo réagit421. Dialowali : lieu-dit ? Champ de bataille ou arbre à palabre ? Nous avions déjà évoqué ce lieu-dit défini par El Hadji Tidiane Diop comme un arbre à palabre. Selon une autre version, Dialowali422 serait forgé à partir de la racine Dialo, le prénom d’un général de l’armée du Dimat, cousin d’Elimane Boubacar qui avait l’habitude de passer la nuit à ce lieudit, situé à trois kilomètres à l’est de Dagana encore appelé «Jaabbe Fakande». Les interprétations divergent à propos de l’évènement historique qui y aurait eu lieu en mars 1820. Il ne s’agissait pas d’une confrontation directe entre le Waalo et les troupes de la coalition. Après la sanglante attaque de Nder, les coalisés brulèrent Mbagam, Ndiaw, Gawdel pour chasser du Waalo les notables ayant cautionné la présence française. Les troupes, très fatiguées et sur le chemin du retour, décidèrent de passer la nuit à Dagana. Le Seriñ Dagana Moustafa Niang, représentant d’Elimane Boubacar, leur intima l’ordre de regagner Dialmath immédiatement pour des 418 D’après feu Saïdou Kane dit Moustaf Boli, l’attaque avait coïncidé avec la formation, sur ordre de la linguére Fati Yamar, dans les bois sacrés de Nder, de 100 talibés. Ils devaient renforcer l’armée du Waalo. C’est alors qu’arriva une colonne de fantassins du Dimat commandée par Dialo Kane et Mbathiori Djigo. Un autre détachement emprunta la voie fluviale dans des pirogues. La cavalerie rallia Timbéye Ndioursi par la terre ferme. Les trois ailes de l’armée se rencontrèrent devant Nder. 419 La Linguère Awo Fatim Yamar Khouriyaye Mbodj serait la mère de Ndatté Yalla. Yoro Dyao est né en 1847 et est mort en 1919. Il est donc membre de l’aristocratie locale. Il fait partie de la deuxième promotion de l’école des Otages et a servi comme intermédiaire colonial. 420 Rousseau R., « Étude sur le Oualo », op. cit., p. 149. 421 Le Briok Mbagnick s’allia à l’héritier légitime des Trarza Mohamed El Kowri, et avec le concours de Schmaltz, mobilisa les rescapés des armées battues à Ntiaggar et à Nder, renforcés par les Maures El Guelbas. 422 « L’Almamy et le roi des Trarzas ayant levé une nouvelle armée furent battus à Dialoowali »., Rousseau R., op. cit., pp. 150-151.

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raisons de sécurité. Ils obtempérèrent. Quelques instants plus tard, arriva un groupe de retardataires composé de onze combattants dirigés par Karass Elimane Boubacar venant de Penda Yayaké et Waker, qui n’était pas au courant des ordres de Seriñ Dagana423. La bande joyeuse bivouaqua au lieudit Dialowali, imitant ainsi le général Dialo Boubacar Demba424. Yerim Mbagnick et ses hommes les y trouvèrent et les massacrèrent425. Ce que les griots waalo waalo chantèrent par la formule : ‘Jaalowali fayna Nder426’ E- ELIMANE BOUBACAR ACCUSÉ PAR LE GOUVERNEUR DE D’ÊTRE AU SERVICE DES ANGLAIS

SAINT-LOUIS

Schmaltz prenait la coalition anti-française pour une pure perfidie d’Elimane Boubacar « jaloux et revanchard qui avait incité la coalition à l’action, mécontent de la perte de sa position dans les plans français427». C’est par des présents et en lui montrant Dagana et Bakel comme la cause prochaine de l’abolition de son escale qu’il avait entrainé Hamédou dans la coalition et l’avait fait renoncer aux avantages de la traite de l’année428. Il s’agissait d’un revirement d’alliance car un mois plus tôt, le roi des Brakna était venu à Saint-Louis pour négocier un soutien pour continuer la guerre contre les Maures de la tribu des Dowiches, avoir une nouvelle coutume annuelle pour son fils ainé et contrôler à lui seul les escales des Dowiches et des Brakna. Schmaltz lui avait promis d’accomplir ses vœux à condition qu’il se tienne bien disposé à son égard. Schmaltz, catégorique, affirma qu’Elimane Boubacar s’était allié à une puissance étrangère, «… une nation rivale que nous avons toujours vue peu scrupuleuse sur les moyens pourvu que le résultat lui fut utile » 429. Schmaltz accusa l’Angleterre qui aurait dû acheter trop cher un succès qui devait nuire 423

Saïdou Kane, inf. cit. La bataille de Dialowali serait un engagement classique, une bataille frontale et programmée. Les mobiles et les acteurs divergent d´avec la version des dimatnaaƃe : « Le Brak Amar Fatim Borso se batttit contre l’Almami Biram, venu du Fuuta pour tenter de le convertir à l’islamisme (dyeem ko tuub-loo)… Le brak ayant consenti, la rencontre eut lieu à Dialowali, d´où les toucouleurs, battus s´enfuirent .», Monteil V., op. cit., p. 64. 425 Il y eut un seul rescapé, Saydou Sadjo Hawo Ba, un gallunke. En effet, quelles que soient les circonstances de cette embuscade, Elimane Boubacar y perdit son fils Karass Elimane et ses meilleurs soldats gallunkoobe. 426 Cette expression est souvent utilisée par les griots. En 1724, le béthio Malikhoury après s’être rebellé, contre son cousin et compagnon d’exil le brack Yerim Mbagnick Aram Bakar, incendia Ross Béthio à l’annonce de sa destitution. Yerim Mbagnick réagit énergiquement en incendiant plusieurs villages dont Poume. Les griots chantèrent alors : ‘Pum fayna Rosso’. Lire Sèye El Hadji Amadou, Walo Brack, op. cit., p. 100. 427 ANS, 2B5, Correspondance du gouverneur au ministre, Saint-Louis, en date du 27 mars 1820, dépêche n° 82. 428 De la moitié desquels la confiance des habitants avait déjà fait jouir Hamédou par des avances sur les coutumes. 429 ANS, 2B5, Correspondance du gouverneur au ministre, Saint-Louis, en date du 27 mars 1820, d. c. n°82. 424

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à la France. Pour étayer la thèse d’une alliance entre Elimane Boubacar et les Anglais, il mit en exergue l’accord de ces deux lettres, l’une d’Elimane Boubacar, l’autre d’un Maure de Bakel430. L’anglais William Gray qui se trouvait en ce moment-là en mission dans le haut fleuve serait, dans son raisonnement, le conseiller des coalisés431. L’utilisation des moyens comminatoires traditionnels fit en partie disloquer la coalition432. En juillet 1820, Schmaltz projeta, puis annula une expédition militaire sur Dialmath433.

III. Elimane Dimat contre toutes velléités hégémoniques sur le Waalo : 1820-1837 A- LE TULDE DIMAT ET LA VOLONTÉ HÉGÉMONIQUE DES MAURES

Au début du XIXe siècle, le conflit hégémonique qui avait débuté soit le long de la côte atlantique434, soit autour du lac R’kiz se poursuivait le long de la vallée du fleuve Sénégal. Il mettait aux prises sept entités politiques par plénipotentiaires interposés. Il s’agit du Dimat, du Brakna, de Saint-Louis, du Trarza, du Fuuta Tooro, du Waalo et du Tooro. Les Maures Brakna furent les premiers protagonistes du Tulde Dimat. Ils s’opposèrent à Elimane Boubacar Kane suite à la rupture de l’alliance nouée en 1820435. L’émir Hamédou accusa Elimane Dimat d’être le seul responsable de l’attaque des navires français entre Fanaye et Podor436. Il annonça son désir d’attaquer Dialmath, mais ne cachait pas sa crainte de

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Ibidem. Dans son livre Travels in West Africa, il écrivit que le seul et vrai motif de l’attaque concertée contre les Français était « la colère des africains contre l’occupation française de Dagana sans l’accord du Fuuta et des maures ». Lire Gray W., Travels in West Africa, pp. 351- 352. 432 Les Bambara étaient en général opposés au Fuuta et les Idaw Aich au Brakna 433 ANS, 3B4, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 14 juillet 1820, dépêche n° 367. 434 En 1679, les Français lancèrent une expédition contre le Kajoor, le Bawool et le Sine, imposant à ces provinces la cession d’une bande côtière d’une profondeur de six lieues, la reconnaissance du monopole français sur leur commerce extérieur, la suppression de tous les droits perçus par les souverains et l’acceptation des tarifs imposés par la compagnie. Lire Boulègue J., op. cit., p. 173. 435 A la suite des incidents nés du refus des Fuutankooƃe de les laisser repartir avec des prisonniers Wolof faits durant l’offensive de la coalition. 436 En juin 1821, le commandant signa avec le roi des Brakna Hamédou un traité qui reconnaissait la propriété française sur les terres du Waalo. Lire ANS, 13G 138, Correspondance Ahmadou roi des Brakna au ministre, 27 mai 1821, pièce 11. 431

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probables représailles militaires437. Hamédou promit de laisser le gouverneur de Saint Louis construire le fort de Dagana438. Les Maures Trarza furent les seconds protagonistes des dimatnaaƃe surtout face à leur volonté hégémonique sur le Waalo. Les Français semblaient la cautionner puisque par un traité signé le 7 juin 1821, ils versaient à la place du Waalo le tribut de 100 bœufs aux Trarza. Cet acte juridique consacrait la reconnaissance par la France de la mainmise des Trarza sur le Waalo. Le roi des Trarza lui aussi cédait les terres des deux rives du Sénégal situées maintenant dans son territoire au commandant du Sénégal439. Mais le contrôle de l’escale de Portendick dont l’ouverture entrainait une hausse des prix de la gomme constituait un enjeu important440. Ce port contrôlé par les Anglais permettait aux Trarza d’y écouler une partie de la récolte de la gomme arabique. Le capitaine de vaisseau de Lecoupé, au moment de négocier avec Amar, conclut une convention secrète par laquelle un jeune prince Trarza, Mouhamet Fall, promettait de faire partir les Anglais de Portendick ou à intercepter les caravanes de gomme qui s’y rendaient441. François Pellegrin, un mulâtre de Saint-Louis était le principal intermédiaire dans la signature du traité et de la convention secrète442. Les Trarza voulaient contrôler la rive gauche comme l’a avoué Ould Leighat un de leur prince à Elimane Boubacar à l’escale du désert. Ils voulaient enfin que les Français suppriment l’escale des Dowiches et abandonnent leurs postes de RichardToll et de Dagana. Le Tulde Dimat constituait un écueil dans le maillage d’un vaste réseau pro-français dans cette partie de la vallée du Sénégal. Les dimatnaaƃe perçurent nettement les ambitions des Français et des Maures d’être maîtres des rives du Sénégal. Elimane Boubacar réagit vigoureusement en rappelant au gouverneur que le contrôle des achats dans «… mes escales ne regarde ni les Brakna, ni les Trarza, au contraire, il me concerne moi personnellement » 443. Les voisins du Tulde Dimat pouvaient-ils mesurer l’effort déployé par

437

Il signala aux Français que ses sujets qui étaient dans le Djolof transiteraient dans le Dimat. Lire ANS, 3B23, Correspondance d’Oblet au gouverneur, en date du 19 août 1822, dépêche n° 39. 438 Cet ouvrage défensif situé sur la rive gauche du fleuve Sénégal devait servir à protéger les essais de culture de coton et d’indigo. Il comprend une redoute carrée en maçonnerie et des bâtiments qui peuvent recevoir une trentaine d’hommes. 439 ANS, 13 G 16, Correspondance en date du 25 août 1821, pièce 5. 440 ANS, 13G138, Correspondance d’Elimane Dimar au gouverneur, Dialmath, en date du 28 novembre 1834. 441 L’existence de cette escale date du dernier quart du XVIIème siècle. Les Hollandais après leur départ d’Arguin y commerçaient. Par le traité de la Haye de 1727, ils cédaient à la France leurs droits de traite sur les côtes mauritaniennes en contrepartie d’une indemnisation financière. Lire W. S’ad M. Al-M., op. cit., pp. 64, 65 et 66. 442 Mouhamet Fall fut exécuté à Portendick par le fils aîné du roi des Trarza en mars 1822. 443 ANS AB46, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 17 décembre 1834, pièce n°18.

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cette entité pour s’adapter aux nouvelles conditions économiques et politiques de la moyenne Vallée ? B- L’IMPACT POLITIQUE DES RIVALITÉS COMMERCIALES ET DE LA MÉDIATION FRANÇAISE

L’Almaami du Fuuta et le Lam Tooro s’apprêtaient à attaquer le roi des Brakna444. Le Trarza et le Dimat se préparaient à se battre à cause des rivalités commerciales. Caille, chargé de régler le différend445 entre les deux parties, trouva un arrangement entre les Trarza et Élimane Dimat.446 La situation conflictuelle entre le Dimat et les Brakna persistait. En mai 1837, il a fallu encore l’intervention de Caille, pour qu’Elimane Boubacar leur restitue des marchandises et esclaves enlevés par ses ressortissants. Devant l’alliance des Fuutankooƃe avec des Maures du haut fleuve, Hamédou dut se réfugier chez les Trarza447. Une autre cause des tensions entre les provinces riveraines du fleuve Sénégal était le problème de la délimitation réelle de leur frontière respective. Comme le notait Guillet, « ce principe qui fait l’objet de la guerre du Fuuta et tend sourdement à poser le fleuve du Sénégal comme limite réelle entre la Négritie et la Mauritanie ne peut échapper à la perspicacité peu commune de Mohamed El Habib, c’est ce qui excite son vif intérêt et lui fait rechercher notre amitié » 448. Saint-Louis ajouta une nouvelle dimension au conflit avec le cas de Portendick qu’il tenait à être maître449. Elimane Boubacar travailla les chefs du Fuuta et du Tooro pour les entraîner dans la guerre contre Hamédou, roi des Brakna450. Au Fuuta, l’instabilité politique persistait, Almaami Birane Wane destitué, Baba Ly un marabout influent du village de Diaba, le remplaça. Il prit prétexte du problème des coutumes perçues par le roi des Brakna sur 444

Ce conflit, dû au partage des coutumes sur la gomme récoltée au Fuuta, risquait de menacer le bon déroulement de la traite. Saint-Louis devait intervenir pour éviter l’arrêt du commerce. La guerre était d’autant plus inopportune pour Saint-Louis que le Fuuta abondait cette année en mil, denrée qui commençait à manquer dans les postes du fait de la sécheresse de 1836. 445 En passant près de Dialmath, il prit à bord de son navire Elimane Dimat. Mohamed El habib, absent à l’escale, fut remplacé par le prince Ould Leighat et par Moktar Sidi. 446 ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 21 avril 1837, dépêche n°110. 447 Cet exemple nous permet d´une part de montrer que les rapports entre les Fuutankooƃe et les Maures étaient tantôt favorables aux uns et tantôt aux autres, d´autre part il arrivait que les Noirs et les Maures nouent des alliances. 448 ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 7 juin 1837, dépêche n°155. 449 Ibid. 450 ANS, AB46, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du janvier 1837 pièce n° 34.

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toutes les gommes récoltées sur la rive droite pour lui déclarer la guerre. Caille et le gouverneur se rendirent dans le Fuuta et finirent par convaincre Almaami qui se réconcilia avec Hamédou. Baba Ly451, reconnut dans une correspondance que la guerre contre les Brakna était causée par Elimane Boubacar « … pour satisfaire quelques sentiments personnels… » 452. Elimane Boubacar, ayant perdu l’alliance du chef du Fuuta, fit une proposition très alléchante à Mohamed El Habib pour recréer un nouveau cadre d’alliance. Sa stratégie consista à lui proposer la destruction de l’escale des Brakna afin de centraliser sur son propre pays tout le commerce de la gomme dans le bas fleuve453. Le plan d’Elimane Boubacar devait porter préjudice aux traitants de Saint-Louis qui avaient intérêt à ce que les escales soient nombreuses et gérées par des propriétaires différents. Saint-Louis intervint en août 1837 en convoquant le roi des Brakna. C- LE TULDE DIMAT ET LE WAALO : LA PAIX OU LA GUERRE

?

Les sources archivistiques mettent en exergue l’action diplomatique de Lecoupé envers les Maures Trarza et Brakna pour expliquer l’accalmie politique en Sénégambie septentrionale. La tradition orale nous donne un éclairage permettant de saisir les éléments facilitateurs. Brak Amar Fatim Mborso Mbodj du Waalo et Elimane Boubacar Kane auraient regretté les événements sanglants et malheureux de Nder et de Dialowali. Elimane Dimat aurait alors marié une femme Waalo-Waalo nommée Diaw Diop. Cependant, selon une autre version, elle ne serait pas la propre fille d’Amar Fatim Mborso Mbodj et Elimane Dimat ne l’avait pas épousé après Dialowali. Si Elimane Dimat est né réellement en 1721, il se serait marié à cette dame à l’âge de 99 ou 100 ans. Ce qui semble donner raison à ceux qui pensent qu’il est né vers 1741. Diaw Diop Fatim Yamar est originaire du village de Ndiangué aujourd’hui phagocyté par la ville industrielle de Richard Toll. Le mariage est donc vraisemblablement plus vieux que Dialowali. Il constituait, à côté des traités et pactes, un puissant moyen de consolidation de la paix et du bon voisinage. En mai 1822, des négociations entre le Waalo et le Dimat furent ouvertes à Dagana. La France, médiatrice, tenait à la signature d’un accord de paix454. Mais le baron Roger disait ne pas vouloir reconnaître l’indépendance de fait

451

Il serait le premier Almaami à monter à bord d’un navire français. ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 1er septembre 1837, pièce 100. ANS, 13G138, Correspondance d’Elimane Dimar au ministre, en date du 17 décembre 1834, pièce n° 18. 454 « D’autant plus que la guerre civile qui menaçait les Trarza, rend cet arrangement plus désirable que jamais »., Lire ANS, 3B23, Correspondance du gouverneur au commandant de Dagana, mai 1822, n°11. 452 453

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du Dimat d’Elimane Boubacar vis-à-vis du Fuuta Tooro et s’opposa à la signature d’un traité455. Le refus de Saint-Louis de signer un traité officiel avec Elimane Dimat influa négativement sur le cours des relations diplomatiques sous-régionales. Le contexte géopolitique était lourdement chargé. En novembre 1822, à la suite de l’assassinat de deux de ses ressortissants dans le Waalo, Elimane Dimat menaça le Brak de représailles en avertissant au passage la France. Saint-Louis fit appel à la société civile pour la recherche de la paix. C’est ainsi que le 17 mai 1823, des hommes d’affaires et notables, les sieurs Alin, Pellegrin456 et Amar Bellel conférèrent pour le gouverneur avec Elimane Dimat. Saint-Louis contraignit le Waalo à conclure un arrangement avec Dialmath. Elimane Boubacar persistait à vouloir envahir le Waalo. En juin 1823, le commandant de Dagana déclara avoir reçu deux de ses lettres dans lesquelles il demandait à Saint-Louis de ne pas intervenir, car ses intérêts n’étaient pas menacés457. Le gouverneur adressa une correspondance au commandant de Dagana lui ordonnant de forcer « le Walo à négocier avec Elimane Boubacar sinon, je ne les aiderais pas en cas d’attaque » 458. La France, soucieuse de la défense de ses intérêts dans le Waalo, dévoilait carrément sa politique qui consistait à sauvegarder ses acquis et rester neutre dans les différends entre Africains. Elle imposa la « pax franca »459. Devant les menaces d’Elimane Boubacar, le commandant de Dagana signala au gouverneur, que les chefs du Waalo avaient quitté Dagana pour se retirer vers l’intérieur de la province. Dans la bourgade, il ne restait que des notables musulmans dirigés par Seriñ Dagana nommé par l’Almaami. Le conflit entre le Dimat et le Waalo était assez complexe.

455 Il argumentait ainsi: « Je désire qu’il n’y ait pas entre moi et lui de traité direct. Il suffit qu’il passe avec le Waalo des conventions que je puisse approuver et je leur donnerai volontiers un assentiment authentique s’ils le désirent ». Pourquoi la France ne voulait-elle pas reconnaître le Dimat ? Ne le considérait-il pas comme un voisin encombrant et hostile à ses projets ? Lire ANS, 3B23, Correspondance …, art. cit. 456 Il était hostile à la colonisation agricole et se faisait appeler le roi des mulâtres. 457 ANS, 3B23, Correspondance Elimane Boubacar au gouverneur, Saint-Louis, en date du 9 juin 1823, dépêche n°24. 458 Ibidem. 459 « Les différents traités signés avec les toucouleurs, les braknas, et les trarzas faisaient de la France la garante de la paix dans le fleuve »., Barry B., op. cit., p. 225.

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D- ELIMANE BOUBACAR JIHADISTES :1828-1830

S’OPPOSE

AUX

NOUVELLES

OFFRES

La première offre religieuse de son ancien talibé. On assista à l’apparition en Sénégambie occidentale de nouvelles offres religieuses favorisées par la crise sociale, économique et politique. Mohamed Amar originaire du Tooro qui se proclamait Mahdi, s’était de bonne heure distingué dans l’étude des sciences religieuses à l’école de deux maîtres vénérés El Hassan Thierno et Elimane Boubacar460. Tous les marabouts du pays s’étaient prononcés pour lui et acceptaient la réforme qu’il prétendait imposer, excepté Elimane Boubacar.461 Quelles sont les raisons ? Elimane Boubacar, son maître, appartenait à la confrérie sijaliu. Il s’opposait à l’offre d’une nouvelle affiliation confrérique, probablement la Tijaniyya. Mohamed Amar échoua dans son entreprise au Fuuta à cause de la formation d’une coalition dirigée par Elimane Boubacar, Almaami Youssouf et les Brakna462. Cette coopération entre Youssouf et Elimane Boubacar suggère la gravité de l’alarme qu’ils ont dû sentir devant la puissance du Mahdi463. La rébellion du Diawdine Madiaw Khor Aram Bakar Diaw au Waalo et l’attitude d’Elimane Boubacar Kane Comme l’a bien remarqué Boubacar Barry, « la conséquence majeure de la colonisation agricole a été l’accentuation de la crise politique concrétisée par la rébellion du Diawdine Madiaw Khor contre le Brak Fara Peinda Adam Sall et la tentative de Diilé de fonder un royaume théocratique à l’image du Fuuta » 464. Elimane Dimat dans sa volonté de dominer le Waalo intervint d’abord dans cette première crise politique. À la mort de Yérim Mbagnick en 1827, Fara Peinda Adam Sall Mbodj monta sur le trône du Waalo avec l’appui de la Linguère Ndjëmbeut Mbodj. Ce fut la fin de la politique de redressement du pays pris en tenaille par la France, le Dimat et le Trarza. Deux partis se formèrent dans le Waalo465. Les 460

Le Châtelier A., L’islam dans l’Afrique occidentale française, Paris, Steinhel, 1899, p. 147. ANS, 1G8, Correspondance de Duranton, Exploration du Kaarta, 1824-1829. 462 ANS, 2B13, Correspondance du gouverneur au ministre, Saint-Louis, en date du 25 février 1829. 463 C’est ainsi que Mohamed Amar rejoignit une tribu des Maures sur la rive droite où il s’adonnait à l’enseignement du coran. Il retourna au Tooro où il se signala à la fin des années 1850 comme un allié sûr des Français. 464 Barry B., op. cit., p. 243. 465 ANS, 3E8, Procès-verbal de la séance du conseil du gouvernement, en date du 19 février 1830. 461

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provinces voisines prirent position dans le conflit. Kherfi Khari Daaro prit les armes contre le Brak Fara Peinda Adam Sall466. Kherfi Khari Daaro s’allia au Diawdine Madiaw Khor Aram Bakar Diaw lui-même soutenu par les Maures Trarza et Elimane Boubacar467. L’alliance entre Elimane Boubacar et Madiaw Khor Aram Bakar Diaw s’explique par la proche parenté de ce dernier avec Diaw Diop. Madiaw Khor Aram Bakar Diaw se rapprocha alors du Dimat et installa son quartier général à Dagana où «son ami, l’Eliman Boubakar, lui fit savoir qu’il rassemblait pour l’aider les forces du Dimar »468. Monsérat ajoutait qu’Elimane Boubacar profitant de la guerre civile pour se venger du Waalo, « vint la main armée offrir (sous la marque de médiateur) ses services à un parti qui finit par accepter » 469. Une nouvelle offre jihadiste. La tentative de prise du pouvoir au Waalo par Diilé Fatim Thiam Coumba Diomboss : mars 1830 En mars 1830, Diilé Fatim Thiam Coumba Diomboss, un marabout ressortissant du groupe social des forgerons et originaire du Kajoor, tenta d’envahir le Waalo, profitant de cette phase de désorganisation politique et sociale, pour établir un régime régi par la sharia. Il y avait une permanence des offres religieuses dans la Sénégambie. Depuis des siècles, des hommes ont souvent usé des armes dans l’espace sénégambien pour étendre le dar al islam, tenté de s’emparer du pouvoir politique ou dénoncer les pratiques de ceux qui le détiennent. Les différentes versions s’accordent sur le fait que le conflit interne qui opposait le Brak Fara Peinda Adam Sall Mbodj au Diawdine Madiaw Khor Aram Bakar Diaw facilita sa progression dans le Waalo. Selon Yoro Dyao, c’est l’alliance entre Madiaw Khor Aram Bakar Diaw, Elimane Boubacar et le gouverneur qui vint à bout du « prophète Diilé » 470. L’opposition d’Elimane Dimat aux menées de Diilé Fatim Thiam Coumba Diomboss et de Mohamed Amar donne de lui, l’image d’un marabout hostile aux réformateurs musulmans. Son opposition à Diilé s’expliquerait-elle par sa crainte de voir l’accession au pouvoir d’un allié du Kajoor et de surcroît non membre du parti ‘traditionnel’ des marabouts ? 466

Ibid. Selon une autre version, Madiaw Khor Aram Bakar Diaw aurait tenté d´imposer l’ancien Brack Fara Peinda Adam Sall Mbodj réfugié dans le Kajoor au détriment de Kherfi Khari Daaro. Lire Monteil V., op. cit., pp. 65-66. 468 Rousseau R., op. cit., pp. 133-211. 469 Barry B., « Mémoire Inédit de Monsérat sur l’histoire du Nord du Sénégal de 1818 à 1839 », Bulletin de l ´IFAN, tome XXXII, série B, N°1 1970, p. 18. 470 Rousseau R., op. cit., p. 155. 467

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Son attitude, a poussé Madina Ly Tall à émettre ce point de vue : « même le chef du Dimar Elimane Boubakar considéré comme le plus puissant et qui avait été pendant longtemps très redouté à Saint-Louis, avait perdu beaucoup de son indépendance depuis qu’il avait accepté l’aide des troupes françaises contre le marabout Mohamed Omar ». Mme Tall a confondu Diilé avec Mohamet Omar. Ensuite Elimane Dimat n’avait pas reçu une aide française ni pour combattre le Mahdi en 1828, ni pour repousser Diilé en 1830. Pour connaître le rôle joué par Elimane Boubacar, on peut recourir à sa lettre datée de 1850471. Elimane Boubacar Kane y énumère rétrospectivement les faits concernant l’affaire Diilé472. Après avoir raconté le fil des évènements depuis son entrée dans le Waalo, il poursuivait: « les gens du Waalo voyant cela se réfugièrent à Dagana. Moi, je m’y rendis par terre et arrivé au passage Dombo, j’ai remporté la victoire sur l’armée du faux prophète et je l’ai fait prisonnier…»473. Elimane Dimat profita de ces menaces de déstabilistion pour fortifier son influence sur le Waalo où il était en concurrence avec les Maures et les Français.

IV. Vers la paix définitive entre Elimane Boubacar et le Waalo ? (1830-1837) A- LE WAALO HÉSITE ENTRE MOHAMED EL HABIB ET ELIMANE BOUBACAR

La période allant de 1830 à 1837 est marquée sur le plan géopolitique par une intense bataille de positionnement entre le Trarza et le Dimat au Waalo474. Elimane Dimat s’ingéra davantage dans les affaires politiques de cette province sujette à des troubles graves475. Selon Monsérat, depuis Dialowali, « Elimane n’avait pu trouver l’occasion de se venger de sa défaite. Il concentra sa vengeance jusqu’en 1834 en profitant … de cet abandon et de la guerre civile et suivant l’exemple des Maures, il commença par être exigeant, il ne resta spectateur que tant qu’ils eurent les moyens de lui adresser des ressources » 476. 471

ANS, 13G139 Correspondance d’Elimane Boubacar au gouverneur, Dialmath, 1850, pièce n°52. « Le Brak sachant que la cause était perdue, quitta le Waalo et alla dans le Kayor en passant par Saint-Louis, où il eut un entretien avec le gouverneur, à qui il demanda son aide pour chasser du Waalo le marabout Dilö Fatim Tyam ». Monteil V., op. cit., p. 66. 473 ANS, 13G139, Correspondance d’Elimane Boubacar au gouverneur, Dialmath, 1850 pièce n°52. 474 Les instructions données par le gouverneur à son agent Caille résument à elles seules la situation : « Elimane Boubacar est un vieux fourbe qui détestant aussi bien les Maures et les Waalo-Waalo exigera beaucoup si on lui accorde trop d’importance dans les évènements ». Lire ANS, 3B51, Instructions du gouverneur pour M. Caille, non daté. 475 ANS, 13G139, Correspondance d’Elimane au gouverneur, Dialmath, 1850, pièce n°52. 476 Barry B., op. cit., pp. 19 et 20. 472

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Le Waalo hésitait à choisir le voisin avec lequel il devait s’allier. Elimane Dimat ayant épousé une Waalo-Waalo devait-il utiliser cette alliance pour s’immiscer davantage dans les affaires du Waalo ? B- LE MARIAGE DE NDJËMBEUT MBODJI AVEC MOUHAMED EL HABIB ET SES IMPLICATIONS GÉOPOLITIQUES (1833)

En août 1832, les Waalo-Waalo alliés du Trarza «... décidèrent entre eux de proposer à la princesse Ndjëmbeut de donner sa main au Roi des Trarza » 477. Le mariage fut célébré le 18 juin 1833. Ce mariage pouvait-il mettre désormais le Waalo à l’abri des pillages des Maures Trarza? Les conséquences géopolitiques du mariage entre la princesse du Waalo et le roi des Trarza effrayaient Saint-Louis et Dialmath. La présence Trarza risquait de s’y renforcer dans le court terme. À moyen terme, la perspective d’une progéniture masculine issue de cette union mettrait les trônes du Waalo et du Trarza entre les mains d’un seul souverain478. Le mariage de Ndjëmbeut risquait de porter un coup à l’influence politique et religieuse d’Elimane Boubacar sur le Waalo. Elimane Dimat, réalisant cette nouvelle donne, réagit promptement en déclarant alors la guerre au Waalo. Il joua sur les rivalités lignagères479 en soutenant les Joos, la famille meen de Kherfi Khari Daaro480. Le mariage exacerba la guerre civile car Elimane Dimat était aussi effrayé par ses conséquences économiques, notamment les risques de voir les Maures s’accaparer des mines de sel du Gandiol, de piller des bâtiments échoués sur les côtes du fait de la barre, de perturber le commerce d’échanges, le transport vers le Ngalam et l’approvisionnement en denrées alimentaires. En somme, il s’inquiétait d’une probable remise en cause du précaire équilibre géopolitique sous-régional. Kherfi Khari Daaro, se trouvant à Saint-Louis en ce moment, devint optimiste quand il apprit le mariage car une partie des Waalo-Waalo en était mécontente. En ce moment-là, il était vivement appelé par « Elimane

477

Ibid. p. 256. ANS, 2B15, Correspondance du gouverneur de la colonie au ministre, Saint-Louis, en date du 7 août 1833. 479 Trois familles meen avaient seules les prérogatives de fournir des chefs au Waalo à savoir les Joos, les Tejjek et les Loggar. Les Joos étaient longtemps en guerre contre les Tejjek auxquels appartiennent Ndjëmbeut et son oncle Fara Peinda Adam Sall Mbodj. 480 « Le rapprochement entre le gouverneur Quernel et Elimane Boubacar eut pour conséquence une destruction complète du Waalo ». Barry B., op. cit., pp. 257-258. 478

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Boubacar du Fuuta qui n’attendait que son arrivée pour marcher sur Fara Peinda, en se faisant une arme puissante de la présence de son rival » 481. Le gouverneur de la colonie, le sieur Saint-Germain tenta de faire enlever Fara Peinda et Ndjëmbeut par des troupes du Dimat. Il se rendit à Dagana le 21 juillet 1833 en compagnie de Kherfi Khari Daaro et dépêcha aussitôt un émissaire auprès d’Elimane Dimat, le pressant de venir immédiatement, afin de s’emparer de Fara Peinda et de sa nièce. Le gouverneur ne réussit pas à obtenir les 100 cavaliers de l’armée du Dimat qu’il avait requis pour exécuter son plan car les conditions d’implication du Dimat n’étaient pas clairement fixées. C- UN OUTIL DE RESTAURATION DE LA PAIX SOUS-RÉGIONALE TRAITÉS DE PAIX D’AOÛT ET SEPTEMBRE 1835

: LES

Pour rétablir la paix, les Français et les Maures se donnèrent rendez-vous à Dialmath pour conférer avec Elimane Dimat. Par deux traités et par des clauses contenues dans l’article 3 du premier (avec les Trarza) et l’article 2 du second (avec le Waalo) finalement paraphés à Saint-Louis, le gouverneur pressait ses deux alliés à conclure la paix avec Elimane Boubacar482. Madina Ly Tall commente ainsi les faits : « sauvé par les troupes de Saint-Louis..., il [Elimane] ne fut même pas associé aux traités de paix conclus avec eux par le gouverneur, le 30 août et le 4 septembre 1835 et dut recourir à sa médiation pour mettre un terme aux attaques de ceux-ci » 483. Nous ignorons où et quand Elimane Dimat a été sauvé par les troupes de Saint-Louis. Sa non-invitation à la signature des accords de paix ne signifiait nullement un manque de considération des Français à son égard. La France, n’avait pas intérêt à réconcilier toutes les parties en conflit dans la vallée du fleuve Sénégal. Ainsi, c’était de bonne guerre que Saint-Louis écarta Dialmath, lors de la convocation à Saint-Louis des chefs du Waalo et du Trarza484. Cela n’avait diminué en rien la position d’Elimane Dimat sur l’échiquier géopolitique sous-régional. En 1835, il manifesta sa colère suite à l’assassinat d’un de ses ressortissants dans le Waalo. Il demanda « la venue du gouverneur ou d’un fondé de pouvoir pour régler le problème afin d’éviter autant que possible d’avoir des querelles » 485. 481

ANS, 2 B15, Correspondance du gouverneur au ministre, Saint-Louis, en date du 7 août 1833, pièce 98. ANS, 13G1, Traité du 30 août 1835, pièce 131. 483 Tall M. L., op. cit., p. 163. 484 Cela, il est vrai, ne plût pas à Elimane Boubacar qui déclarait, en 1850, à propos de la signature de ce traité de paix : « Vous avez fait la paix avec eux sans moi, vous n’avez rien fait pour moi dans cette affaire, au contraire, vous m’avez trahi puisque vous m’avez fait la paix sans mon consentement »., Lire ANS, 13G139, Correspondance d’Elimane Boubacar au gouverneur, Dialmath, 1850, pièce n°52. 485 A.N.S., 13G138, Correspondance d’Elimane Boubacar au gouverneur, Dialmath, 1835, pièce n°29. 482

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D- LE TRAITÉ DE PAIX DE DAGANA DU MANIFESTATION DE LA PAX FRANCA

10 MARS 1837 : UNE

Le 10 mars 1837, un traité de paix fut conclu entre le Lam Tooro, Elimane Boubacar et tous les chefs du Dimat, Gaya, Bokhol et Seriñ Dagana en présence du gouverneur Guillet, qui en était le facilitateur. Le traité de paix a été fait en exécution de celui du 4 septembre 1835 passé entre la France et le Waalo. Il devait mettre fin aux hostilités ouvertes depuis l’installation des Français à Dagana. La paix est conclue sur des nouvelles bases : « dans le cas où une offense, un dommage serait commis dans un pays au préjudice de l’autre, le chef du pays où le préjudice sera commis devra faire appel à la loi et non se faire justice lui-même. Si des différends opposent les deux pays, … le gouverneur interviendra comme médiateur » 486 . Mais le traité ne précise pas devant quelle juridiction ce différend sera soumis. Saint-Louis se rendait de plus en plus incontournable dans la résolution des conflits dans la vallée du fleuve Sénégal. D’ailleurs, Mohamed El Habib demanda aussi au gouverneur de servir d’intermédiaire entre lui et Elimane Boubacar. Les deux protagonistes se rendirent à Saint-Louis pour la conclusion de la paix en fin mars 1837. Le traité de paix devait assurer une situation paisible favorable au commerce. En mars 1837, Elimane Boubacar, chef du Dimar qualifié par le gouverneur Guillet de « l’homme le plus important de toute la Négritie » 487 s’entretint avec ce dernier à Dagana sur la situation politique générale dans la vallée. Le Waalo de son côté désirait la conclusion de la paix sous les auspices de la France488. Les négociations se terminèrent par la rédaction du traité du 10 mars 1837, à la satisfaction des deux parties » 489 . Guillet se rendit à l’escale des Trarza où l’attendait Mohamed El Habib. Il voulait faire appliquer l’article 03 du traité du 30 août 1835 pour que la France puisse « conserver sa supériorité sur les peuples de l’intérieur ainsi que son indépendance commerciale dans des contrées où la guerre est difficile à soutenir et si préjudiciable à tous les intérêts490 ». La conclusion

486

ANS, 13G1, Traité de paix entre Lam Tooro et le Waalo, pièce 139. ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, 20 mars 1837, dépêche n°84. 488 Fara Peinda Adam Sall Mbodj était absent de Dagana à cause de son grand âge. Mais Guillet mit en exergue la destruction totale du Waalo du fait de la guerre. Lire ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, 20 mars 1837, dépêche n°84. 489 Ibidem. 490 ANS, 2B17, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 20 mars 1837, pièce 50. 487

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de l’accord fut reprogrammée à Saint-Louis où un rendez-vous fut donné aux deux parties par le gouverneur491.

Conclusion Le Tulde Dimat faisait, quelques années après sa réinstallation, une entrée diplomatique et militaire fracassante dans la vie des relations dans la vallée du fleuve Sénégal. Il lui a même été attribué un rôle historique d’organisateur au début du XIXe siècle de la première résistance concertée à la présence européenne en Sénégambie. Le Tulde Dimat était désormais autonome du Fuuta Tooro. Il commença alors à nourrir de réelles ambitions hégémoniques en défendant ses intérêts au Waalo, en s’opposant aux velléités économiques, politiques des émirats maures et même en rejetant de nouvelles offres religieuses qui voulaient instaurer un régime théocratique dans le Waalo. C’est qu’Elimane Boubacar sut, à la fois utiliser plusieurs atouts : son aura politique, son âge, son statut d’érudit musulman, la position stratégique de son pays et une politique habile de mariages pour consolider son hégémonie et mieux défendre ainsi ses intérêts.

491

Il est intéressant de noter la similitude du mode de règlement de ces conflits africains du XIXe siècle et ceux des XXe et XXIe siècles. Les Français semblent avoir acquis depuis belle lurette une expérience leur permettant de pousser les Africains à la conclusion de la paix...

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Chapitre II : S´allier ou disparaître du paysage politique sous-régional : 1840-1858 De 1840 à 1858, la vallée du fleuve Sénégal, plus particulièrement le Dimat, connut des mutations dues à des facteurs internes (mort d’Elimane et avènement d’un nouvel Elimane Dimat) et externes (changement de la ligne politique de Saint-Louis vis-à-vis de ses voisins africains, visites de Shaykou Omar). Les leaders successifs du Dimat, Elimane Boubacar puis Elimane Saydou vont s’adapter au nouveau contexte géopolitique marqué par l’opposition entre les Français et El Hadji Omar Tall. Celle-ci va influencer sur le cours de la vie des relations sous-régionales.

I. Une alliance circonstancielle du Dimat avec SaintLouis :avril 1840- 1846 A- ELIMANE BOUBACAR ET LE CHANGEMENT DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DANS LE FLEUVE :1840- 1845

La nouvelle ligne politique initiée par Guillet et le capitaine Caille fut suivie sans réserve par la plupart de leurs successeurs. Ce qui ne manqua pas de créer un état permanent de tensions, dont l’incident qui éclata en 1840 fut un exemple de la profondeur des malentendus492.La France décida de négocier en envoyant le capitaine Caille, qui sollicita le concours de certains chefs du Fuuta Tooro, dont Elimane Boubacar qui accepta de servir de médiateur et d’expert en droit musulman. La délégation arriva le 22 avril 1840 au soir à Palédi, un tribunal fut mis sur pied. L’Almaami et les Fuutankooƃe étaient accusés par les Français de complicité de meurtre et de vol. Elimane Boubacar et d’autres marabouts étaient chargés de rendre la justice selon la sharia ou loi musulmane. Les pourparlers traînèrent en longueur. Il s’agit d’une autre facette dans les relations entre Elimane Dimat et Saint-Louis493. 492

Cette année, la traite fut bonne, les navires lourdement chargés de produits africains s’ébranlèrent vers Saint-Louis. Arrivés à Saldé, plusieurs d’entre eux furent obligés de diminuer leur chargement et les déchargèrent sur de petits navires supplémentaires. Sur quelle base alors compter les coutumes ? Fallait-il comptabiliser les petits navires ? Devant le refus des traitants de payer ce que les Fuutankooƃe considéraient comme leurs droits, les navires furent attaqués. Le bilan fut de deux morts côté Fuutanké, et un mort côté français et plusieurs blessés. Les Fuutankooƃe emportaient 600 pièces de guinée pour le prix du sang. Saint-Louis avait le choix entre essayer de se venger ou négocier pour obtenir des réparations. Lire ANS, 2B18, Correspondance du gouverneur au ministre, en date du 19 août 1840, dépêche n° 240. 493 A. N S., 13G138, Correspondance de Caille au gouverneur, en date du 3 mai 1840.

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B- L’OCTROI D’UNE PENSION À ELIMANE BOUBACAR, UN ACTE EN CONTRADICTION AVEC LA NOUVELLE POLITIQUE DE SAINT-LOUIS :AVRIL

1842 Le nouveau gouverneur de Saint-Louis inaugura dès 1842 une sévère ligne politique vis-à-vis de ses voisins, suivie en cela par ses successeurs. Le gouverneur Bouet augmenta la force de frappe de la garnison de Saint-Louis. Il projeta d’établir des comptoirs fortifiés494 et d’étendre la colonie vers le sud. La sécurisation du comptoir de Mérinaghen495 à la frontière du DjolofDimat-Waalo et Kajoor, semblait être liée à l’origine de l’octroi d’une pension alimentaire à Elimane Boubacar. C’est de Saint-Louis qu’Elimane reçut en avril 1842 de de Montaguies de la Roque, la promesse d’octroi d’une coutume (dont l’ancien bénéficiaire était Ardo Besdaly, un Peul des environs de Dagana, qui en fut dessaisi en 1840) pour cause « de mauvaise conduite envers les Français ». Était-ce une façon d’encourager Elimane Boubacar Kane à exercer une pression sur les Brakna pour permettre la destitution de Moktar Sidi ? Les Français voulaient-ils faciliter le passage des produits du Dimat, du Djolof vers le comptoir de Merinaghen suite à l’opposition du Kajoor face à l’instauration de ce nouvel axe commercial ? 496 Était-ce une façon de convaincre Elimane Boubacar des avantages qu’il pourrait tirer de l’instauration de relations pacifiques avec la France ? Nous pensons à cette dernière hypothèse. Saint-Louis était en contradiction avec sa nouvelle politique tendant à mettre fin aux coutumes. Cette phase de coopération allait être consolidée par la signature d’un traité, en juillet 1843497. Elimane Boubacar devait protéger efficacement le commerce au Sénégal498. Le gouverneur Bouët annonça en octobre 1843 l’ouverture d’un marché de mil à Dialmath. Il demanda à Elimane de prendre des dispositions pour que

494 En réalité, ce sont des recommandations de Monserat reprises par Soret qui en plus de l’annexion du Waalo, préconisait la construction de fortins à Kheune, Ronkh, renforcer les garnisons de Richard Toll, Dagana. Lire Mémoire de remise de service à monsieur le gouverneur Charmasson par Soret, 14 avril 1839. 495 Il s´agit d´un projet qui remonte à 1789 et concrétisé par Bouet en octobre 1842. Pour assurer la sécurité du commerce le long du fleuve Sénégal, il proposa un programme en trois points : démembrer le Fuuta, mater les Maures, dominer le Waalo. À long terme, il envisageait même pour satisfaire les doléances des traitants, la suppression des escales et leur remplacement par des établissements fortifiés : Dagana et Podor dans le bas fleuve, d’autres dans le Fuuta central et le Waalo. 496 Diouf M., op. cit., pp. 148-149. 497 A. N S., 13G1 et 13G9/5 pièce 33 Al/2 chemises 13 (2 originaux, 1 copie), traités. 498 Au mois d’octobre 1843, un traité similaire fut conclu entre Saint- Louis et les Trarza.

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les lieux de perception de la taxe n’excèdent pas deux et les coutumes pas plus de six coudées par transaction499.

II. Une alliance stratégique avec El Hadji Omar :1846- 1858 A- ELIMANE BOUBACAR PARRAINE LA NOUVELLE OFFRE RELIGIEUSE LORS DU PREMIER PASSAGE DE SHAYKOU OMAR :1846-1847

Vers la fin de l’année 1846, El Hadji Omar entreprit un voyage de retour vers le Fuuta qu’il avait quitté depuis une vingtaine d’années. Selon Thiam, « ... l’aller et le retour du pèlerinage du Cheikh, le compte en est à vingt années complètes » 500. Selon la tradition orale Tapsir Diabiri Diallo, un marabout pullo réinstallé à Diawbé partit à la rencontre du Shaykou venant du côté de Saint-Louis à Thiangaye501. Il aurait assisté à ses prêches et en sortit subjugué par la profondeur et la pertinence du message. Il décida alors d’accompagner El Hadji Omar jusqu’à Dimat-Dialmath, résidence d’Elimane Dimat502. Omar séjourna quelques jours à Dimat en compagnie de Tapsir Diabiri. Il lui fit savoir que désormais, « il s’appelle Tapsir Jabanaado (celui dont les prières sont exaucées) » 503. Shaykou Omar et Elimane Boubacar avaient le même idéal qu’est le combat pour le triomphe de l’islam en terre africaine. Même si les deux marabouts n’étaient pas de la même confrérie religieuse504. Le Fuuta renfermant d’autres leaders politiques et religieux qui devaient être contactés, il fut convenu de les rassembler à Halwar pour une concertation nationale devant déboucher sur la conclusion d’un pacte d’alliance stratégique. El Hadji Omar partit pour Halwar via Guédé accompagné d’Elimane Boubacar et d’une suite nombreuse. Pour mieux rapprocher les grandes familles du village, il logea chez les Thiam, ses cousins. C’est à Guiraye que se tint la réunion de concertation des leaders politiques et religieux du Fuuta. 499

Bouët nomma un directeur des affaires extérieures en fin 1845, chargé des affaires extérieures de Saint-Louis. Ce fonctionnaire aura fort à faire car des rumeurs faisant état de l’arrivée imminente d’El Hadji Omar Tall circulaient à Saint-Louis. 500 Tyam M. A., La vie d’El Hadji Omar, traduit du pular et annoté par Gaden H., Paris, Institut d’ethnologie, 1938, pp. 24-25, versets 132 à 134. 501 Amadou SY Baidy, inf. cit. 502 El hadji Doudou Sarr, inf. cit. 503 « C’est-à-dire celui dont toutes les prières sont exaucées »., Ngoudou Sa N’Diaye Seck, inf. cit. 504 El Hadji Omar était revenu auréolé de son long périple du titre de Shaykou de la Tijaniyya, Elimane Boubacar restait sijaliu. Selon El Hadji Amadou Baro, interviewé le 19 août 2001à Thilène, Dakar.

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Les premiers qui répondirent à l’appel Omarien furent (en dehors d’Elimane Boubacar Kane), Alfa Oumar Thierno Bayla Wane de Kanel, Alfa Oumar Thierno Mollé Ly de Thilogne, Alfa Abbass et Thierno Ahmadou du Nguénar. II étaient accompagnés d’une suite nombreuse, qui comptait beaucoup de jeunes. Le Shaykou prêcha pour un retour à un islam débarrassé de toutes les survivances païennes. Il leur exposa également les fondements de la Tijaniyya avant de terminer par un appel à l’union. Le projet omarien cadrait bien avec le combat que menait Elimane Boubacar. La tradition a gardé un beau souvenir d’une rencontre marquée par des échanges de bons procédés. El Hadji Omar l’avait trouvé très vieux, il serait même devenu aveugle. Il regretta beaucoup son absence à l’accomplissement de la guerre sainte (jihad). Il fit savoir que n’eut été son âge, il aurait suivi le Shaykou et porterait tout tronc d’arbre qu’il aurait coupé. Shaykou Omar lui rendit la politesse et lui répliqua qu’il n’abattrait que les troncs d’arbres indiqués par Elimane Boubacar. Pour montrer son acceptation du projet Omarien, il mit son fils Souleymane Elimane Boubacar au service du jihad505. Il devint une des premières recrues dans le Fuuta Tooro occidental. BELIMANE SAYDOU D’ALLIANCE AVEC SHAYKOU OMAR DANS LE TULDE DIMAT :1858

SCELLE

UN

NOUVEAU

PACTE

TALL LORS DE SON SECOND PASSAGE

Sept années après la mort d’Elimane Boubacar, El Hadji Omar projeta d’effectuer une visite dans le Fuuta Tooro, mais le contexte géopolitique avait changé506. En cette année 1858, le Shaykou avait en face de lui les Français avec qui il s’était battu un an plus tôt à Médine. Elimane Boubacar, l’un des facilitateurs de son rapprochement avec les marabouts du Fuuta Tooro occidental, était mort. Dans leurs forts de Dagana et Podor, les Français se préoccupaient des menaces d’El Hadji Omar et de ses partisans. Ils se renseignaient grâce à leurs espions sur sa progression vers son pays natal. En avril 1858, les espions français l’avaient localisé à Kénièba à l’est507. Au mois de juin 1858, El Hadji Omar et sa suite étaient localisés à Nguidjilogne, selon le chargé du courrier au fort français de Bakel qui synthétisait aussi les rapports oraux des espions. Le chef de village de 505

Mettre un fils du chef à la disposition du Shaykou était un moyen subtil de mettre à sa disposition le maximum de combattants du Dimat. 506 « Umar Tal´s 1858-1859 hijra campaign might have created local conditions of population crisis in regions such as Dimar, where Fulbe herders migrated in large numbers to escape recruitment in the valley ». Hanson J. H., op. cit., p. 78. 507 La localité où Faidherbe fondait désormais son espoir de relance économique de la colonie, grâce aux mines d’or. Lire A.N.S., 13G120, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 12 avril 1858, pièce 102.

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Wouro Mahdiyou s’était porté volontaire pour informer le commandant de Podor des mouvements du Shaykou. Il informa le commandant de l’arrivée dans le Tooro d’une quarantaine de cavaliers d’El Hadji Omar. Elimane Abdoul Boli, le rival d’Elimane Saydou au poste d’Elimane Dimat, ne fut pas en reste pour informer les Français. Il se déplaça jusqu’à Podor pour informer le commandant du fort. Optimiste, le commandant de Podor entrevoyait déjà un El Hadji Omar qu’on aurait déclaré persona non grata dans son pays natal. Il le « voyait repoussé et délaissé de toute part et ne tardera pas à amener son pavillon et à mettre son sort entre vos mains, comme le font l’Almamy et Ely »508. Le commandant de Podor recrutait de plus en plus d’espions qui lui indiquèrent que le Shaykou maillait son réseau à travers des séances de propagande tenues dans les mosquées509. De son côté, le commandant de Podor informa le gouverneur que de Pété, El Hadji Omar aurait fait des propositions d’alliances à Bira Yamba du Djolof.510 Faidherbe et ses collaborateurs adressèrent une série de correspondances pour dénigrer le Shaykou aux rois ou notables du Kajoor,511 aux habitants du Ndiambour512, aux tribus de l’est du Sahara,513 aux chefs des pays Wolof, au Bour ba Djolof514... Le contenu est le même : « El Hadji a détruit tout le pays de l’Est. Comme il n’y a plus de villages, du mil, de troupeaux et de pillages à faire que dans ce pays … (sic). Ce sont vos biens qu’il veut. Si vous êtes assez sots pour vouloir vous laisser faire…»515. Pour mieux convaincre ses correspondants, le discours faisait allusion à l’étiquetage ethnique : « les toucouleurs du Fuuta qui n’ont ni travaillé, ni fait du commerce depuis trois ans, sont dans la plus grande misère. Ils ont 508 A.N.S, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 13 juin 1858, pièce 105. 509 Selon Amadou Mahdiyou un des espions engagés par les Français, les vieillards Fuutankooƃe auraient fait aux jeunes recrues ces recommandations: « Si l’on vous a appelé pour faire la guerre au Fuuta, refusez et revenez près de nous. Si c’est pour aller dans le Kaarta, refusez également. Si c’est pour faire la guerre aux blancs, aux maures, au Djolof ou au Kajoor, il faut obéir »., Lire A.N.S., 13G140, Correspondance de Madihou au gouverneur, Wouro Mahdiyou, 1858, pièce 22. 510 ANS, 13G140, Correspondance du commandant de Podor au gouverneur, Podor, en date du 14 septembre 1858, pièce 110. 511 A.N.S, 3B91, Correspondance de Flize à Damel, en date du 3 juillet 1858, pièce 8 ; Correspondance de Faidherbe à Damel, en date du 3 février 1860, pièces 64/65, en date du 15 mars 1860 pièce 57. 512 ANS, 3B91, Correspondance de Faidherbe aux gens du Ndiambour, en date du 1er septembre 1858, pièce 9, en date du 17 septembre 1858, pièce 56 versos, Correspondance de Faidherbe aux maures Sidi Makhmoud, 3B92, Correspondance de Faidherbe à Sidi Mouhamed en date de août 1858. 513 ANS, 3B92, Correspondance de Faidherbe aux tribus de l’Est, 1859, lettre n°1. 514 ANS, 3B92, Correspondance de Faidherbe, en date du 1er septembre 1858, pièce 22 verso. 515 ANS, 3B91, Correspondance de Faidherbe aux gens du Ndiambour, Saint-Louis, en date du 1er septembre 1858, pièce 9.

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dévoré tous les pays de l’Est, tiédos ou marabouts. …les toucouleurs voudraient venir dévorer les pays ouoloffs qui sont riches parce qu’ils travaillent et font du commerce. Mais les ouoloffs ne les laisseront pas faire et nous irons au secours des ouoloffs...» 516. Le Fuuta n’est pas omis dans cette campagne anti-omarienne. Faidherbe et son bureau arabe adressèrent aussi une lettre circulaire à des ressortissants de certains groupes sociaux en les citant nommément517. Faidherbe les avertit que s’ils laissent El Hadij Omar prêcher et recruter des talibés chez eux pour attaquer les pays Wolof, il leur déclarerait immédiatement la guerre …Il précisa que : « les ouoloffs et les français ne font qu’un, qui touche aux uns touche aux autres…» Ces menaces firent sans effet, car l’avant-garde de l’armée omarienne était déjà signalée dans le Tulde Dimat. COMARIENS

L’OCCUPATION DU TULDE

DIMAT

PAR LES TALIBAABE

La présence des talibaabe d’El Hadji Omar dans le Tulde Dimat eut lieu à partir de juillet 1858. Cette séquence peu connue de l’histoire du jihad omarien révèle qu’avant de rallier l’est, les combattants avaient déjà fait leur preuve dans le Fuuta Tooro occidental en menant une guérilla intense518. Ils entreprirent des actions contre les intérêts commerciaux français et contre les autorités locales favorables à Saint-Louis. Bien que la traite touchait à sa fin, ils entravèrent d’abord l’action des marchands de bœufs ou de mil venant s’approvisionner de Saint-Louis ou de Dagana, dans le Dimar. Les talibaaɓe voulaient créer un blocus économique pour asphyxier l’ile de Saint Louis. Abdoul Boli, chef du Tulde Dimat, imposé par les Français, ne put rétablir l’ordre dans le pays. Il fit, à plusieurs reprises appel en renfort aux hommes du commandant du poste militaire français de Dagana. De l’aveu même des Français, Abdoul Boli « a peu de force à sa disposition ou du moins il compte peu sur les siens » 519. Le commandant de Dagana, débordé, s’en remit au gouverneur pour voir quelle solution apporter face à l’occupation du Tulde Dimat par l’avantgarde de l’armée d’El Hadji Omar. Il fut question de mobiliser des cavaliers volontaires à Dagana, Bokhol et Gaya et de se rendre dans le pays d’Abdoul

516 ANS, 3B92, Correspondance de Faidherbe aux chefs et habitants ouoloffs, Saint-Louis, en date du 1er septembre 1858, pièce 22 verso. 517 ANS, 3B96, Correspondance de Faidherbe aux chefs du Fuuta, Torodos, Tiouballos et Poulos, SaintLouis, en date de… juillet 1858, pièce 6 recto. 518 Voir en pièce annexe VI, une liste de talibaabe ayant effectué le jihad. 519

ANS, 13G100, Correspondance du commandant de Dagana à Flize, Dagana, en date du 25 juillet 1858, pièce 197.

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Boli.520 Les officiels français commençaient à douter réellement des capacités de leur allié. Cependant, le commandant tenait à remuer le cocotier, il écrivit à Elimane Boli pour lui demander de compter d’abord sur lui-même pour faire face aux talibaaɓe omariens. Mais le parti nationaliste Fuutanke d’inspiration islamique était de loin majoritaire dans le pays, terrain social favorable aux prédicateurs. Le 25 juillet 1858, les talibaaɓe omariens du Dimat, aidés par leurs partisans de Ndioum et de Guédé firent une descente musclée à Ndiayène. Ils y entravèrent l’activité des traitants. Ils s’en prirent violemment aux patrons et laptots de navires qui achetaient du mil au quai du village521. Ils tirèrent en l’air des coups de feu et essayèrent de mettre à terre les embarcations chargées de mil. C’est que les talibaaɓe voulaient mettre fin aux relations multiformes que les Fuutankooƃe entretenaient avec Saint-Louis, ses ressortissants et agents de toute sorte qui étaient dans la Moyenne vallée. Les coups de feu tirés en l’air démontrent leur désir d’avertir d’abord avant de sévir. Mais ce qui a le plus étonné et inquiété le commandant de Dagana, c’est le fait que, personne dans le village n’ait voulu se mêler des échauffourées, sauf « qu’à la fin cependant quelques vieillards s’interposèrent » 522. Abdoul Boli fut appelé de Thiangaye. Arrivé à Ndiayène, il trouva le calme revenu. Le commandant de Dagana connaissait désormais la force de chaque camp. Il fit cette observation au gouverneur: « bien qu’on essaie de me le cacher, les populations du Dimar sont travaillées par les envoyés du faux prophète, elles flottent entre la crainte qu’elles ont d’Almaami et le désir qu’elles ont de ne pas déplaire à monsieur le gouverneur » 523. Le choix de Ndiayène par les soldats omariens n’est pas gratuit. C’est en 1858, le plus grand village du jeeri dans le Tulde Dimat, excentré par rapport au marigot Ngalanka, donc pas à portée des tirs de canons des bateaux à vapeur. Les talibaaɓe, fins stratèges connaissaient bien l’action dévastatrice de l’artillerie française. Le commandant de Dagana promit de s’impliquer davantage pour pallier la peur ou le manque de volonté que la population avait à l’égard des combattants omariens. Il promit un soutien logistique aux villages riverains 520

Ibid. On retrouve toutes proportions gardées, des traits de ressemblance dans la tactique utilisée par des organisations islamistes contemporaines, à savoir vouloir imposer la rupture de toute relation avec l’Ĕtat ou les Occidentaux. Que ce soit par le biais du commerce ou de l’éducation. 522 ANS, 13G100, Correspondance du commandant de Dagana au gouverneur, pièce 198, Dagana, en date du 31 juillet 1858, n. n. 523 ANS, 13G100, Correspondance du commandant fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du juillet 1858, pièce 198. 521

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du marigot Ngalanka. Cela, précisa-t-il, dans le but d’assurer la sécurité des embarcations des traitants qui s’approvisionnaient en mil. Il émit l’idée de mettre sur pied des milices villageoises qui jalonneraient toutes les localités situées au bord du Ngalanka pour alerter Dagana en cas d’attaque d’envergure. Il suggéra enfin la mise à contribution d’une brigade de 25 spahis accompagnés de 25 cavaliers pris dans les villages de Dagana, Bokhol et Gaya, qui patrouilleraient le Tulde Dimat régulièrement. Le commandant Faron décida en août 1858 de renforcer la garnison de Dagana avec 25 tirailleurs supplémentaires commandés par l’adjudant Jacquet. Ceux-ci furent appuyés par 20 fantassins spahis pour remplacer les volontaires locaux peu disposés à se mettre en action. En septembre 1858, les talibaaɓe omariens décidèrent de mener des incursions jusqu’aux alentours des forts de Dagana et de Richard Toll. C’est ainsi qu’un commando enleva 1000 bœufs et 750 moutons.524 Le commandant de Dagana avec l’aide de ses spahis, tenta sans succès, de rattraper les talibaabe et leur butin. C’est que les membres du commando agissaient en milieu connu. Ils razziaient leurs propres parents qui transhumaient dans ces contrées et qui refusaient de rallier le camp omarien. Après avoir guetté les talibaaɓe deux jours durant en face d’un campement peul, le commandant regagna Dagana bredouille. Débordé par ses sorties répétées, il fit appel à son collègue de Richard Toll. Il projeta d’organiser une randonnée dans le Tulde Dimat en compagnie d’une centaine de cavaliers afin de mater les pillards. Le commandant Ardin d’Elteil était décidé à donner au commandant de cet escadron des moyens suffisants pour réprimer ces attaques. Les prises effectuées par les talibaaɓe étaient destinées à renforcer le troupeau du Shaykou parqué à Oréfondé pour être acheminé à l’est, en compagnie des nouvelles recrues. En ce mois de septembre 1858, Shaykou Omar était, lui, à Pété. Ses talibaaɓe eux, continuaient leur razzia aux alentours des forts français. Deux chevaux furent pris à Réffo en fin septembre. Ils devaient être acheminés à l’est pour renforcer la cavalerie omarienne. Un commando, sous la direction d’Hamet Bonko razziait dans la zone trans-frontalière du Djolof et du Waalo. Le commandant de Dagana ordonna aux Peul de Gaya et de Bokhol d’aller s’installer à Galodjina afin de faire cesser les pillages. Le gouverneur par intérim, Robin craignait au début d’octobre 1858 une probable installation d’El Hadji Omar dans le Tulde Dimat. Ses alliés étaient 524 ANS, 13G100, Correspondance du commandant fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 14 septembre 1858, n. n.

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inquiets. Le commandant de Podor les rassura et leur fit savoir qu’El Hadji Omar était à Oréfondé. Le gouverneur donna l’ordre de tuer les talibaaɓe d’El Hadji Omar qui seraient pris.525 Le directeur des affaires extérieures dût lui aussi descendre sur le terrain. Jugeant que l’affolement de certains habitants du Tulde Dimat était exagéré, il préconisa l’instauration de patrouilles régulières par le bateau à vapeur « le crocodile » dans le Ngalanka. Il informa le commandant de Dagana de la marche vers l’ouest de l’avant-garde des troupes omariennes qui devaient attaquer le Djolof et le Kajoor. 526 Il réitéra les mesures de prudence données aux commandants de Dagana et Podor. Au début du mois de novembre 1858, un calme précaire régnait dans le Tulde Dimat. Le commerce du petit mil, provenant de la récolte des champs du jeeri527, se faisait dans les villages riverains du marigot Ngalanka. D - EL HADJI OMAR TALL AU FUUTA TOORO OCCIDENTAL TRIOMPHE DU MOUVEMENT DE LIBÉRATION NATIONALE

: LE

Le retour d’El Hadji Omar était comme une aubaine pour les partisans de la revivification du parti nationaliste Fuutanke. El Hadji Omar débuta son œuvre rédemptrice en limogeant Almaami Mamadou Birane dès son arrivée à Oréfondé. De cette localité, il se rendit à Pété où il s’installa dans le courant de septembre 1858. Il convia à une réunion tous ceux qui voulaient « l’aider à châtier le Fuuta qui ose méconnaître son autorité » 528. Son appel ne devait pas tomber dans l’oreille d’un sourd, une partie du Fuuta Tooro subissait depuis bientôt une dizaine d’années les effets d’une cohabitation forcée avec les Français. La venue du Shaykou était une bouée de sauvetage pour les régimes almamal et élimanal dont la souveraineté est menacée par la signature du traité de paix de juin 1858. C’est pourquoi le leader du camp hostile aux Français, Elimane Saydou fut l’une des premières autorités locales à se rendre auprès du Shaykou. Il resta à ses côtés, à Ndioum pendant 18 jours529. L’objet de la visite portait principalement sur les modalités de l’exil général vers l’est des Fuutankooƃe ou le fergo. C’est à Ndioum qu’eut lieu la grande réunion des notables fuutankooƃe. El Hadji Omar leur ordonna de partir immédiatement pour Nioro dans le

525 ANS, 3B77, Correspondance du gouverneur Robin au commandant fort de Dagana, Dagana, en date du 12 octobre 1858, pièce 71 verso, n°17. 526 ANS, 13100, Correspondance de Flize à bord du Basilic, en date du 14 octobre 1858, pièce 111. 527 La culture sous pluie, qui débute précocement dans cette partie de la Sénégambie. 528 ANS, 13G120, Correspondance du commandant fort de Podor (Teisser) au gouverneur, Podor, en date du 14 septembre 1858, pièce 110. 529 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Dagana Ardin d’Elteil au gouverneur, en date du 14 décembre 1858, pièce 207.

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Sahel530. Elimane Saydou, membre du parti nationaliste fuutanke, avait certes fait acte d’allégeance à El Hadji Omar mais refusa de migrer. Il ne s’agissait pas d’une opposition au projet du Shaykou. C’est que les dimatnaaƃe établis sur la rive gauche du Sénégal à la suite d’une longue pérégrination, étaient sûrement fatigués d’entamer un nouveau mouvement migratoire. Cette position était partagée par la majorité des notables du Dimat présents à la réunion de Ndioum531. Face au refus des notables dimatnaaƃe de rallier Nioro, le Shaykou leur lança ce défi : « habitants de Dimar, vous refusez de quitter votre pays, mais je jure que si vous ne le quittez pas, les blancs vont vous faire des captifs » 532. Ce à quoi ils répliquèrent : « oui, mais nous préférons notre pays à ceux que nos pères n’ont pas vus » 533. Il nous est difficile cependant de comprendre les réelles motivations qui les ont poussés à décliner l’offre d’émigration. El Hadji Omar n’avait pas besoin d’user d’une pédagogie particulière pour les convaincre des dangers encourus dans ce voisinage avec les Français. Maintenant ce sont des bateaux-canonniers qui effectuent des patrouilles dans la Vallée. Et de temps en temps des villages sont brûlés aux coups de canons sans aucune sommation. Afin de redonner du courage à ses alliés, le commandant de Dagana organisa une visite dans le Tulde Dimat. Il fut accueilli à Fanaye le 10 décembre 1858 par son représentant local Abdoul Boli Kane. Le 11 décembre 1858, le commandant et ses partisans entamèrent leur tournée dans le Tulde Dimat avec une vingtaine de cavaliers. Ils visitèrent Thiangaye, Diagnoum, puis le village de Langobé dont le commandant signala qu’il était abandonné. Puis, ils se rendirent à Dialmath. Lorsque la population de Dialmath sut que le commandant était en face de leur localité, elle se déporta sur les lieux en compagnie d’Elimane Saydou. Ce fut l’occasion d’une démonstration de force et de popularité du chef légitime qui négociait pourtant un virage difficile dans son magistère. Elimane Saydou avait sonné la mobilisation des combattants de l’armée du grand Dimat. Ainsi, subitement des cavaliers convergèrent vers Dialmath venant de Thillé Boubacar, Ndiayène, des campements Foulbé environnants et aussi de Dialmath même. 530

Lire ANS, 13 118, Correspondance des notables du Dimar au gouverneur, en date du 11 juillet 1859, pièce 39. ANS, 13G136, Correspondance des braves gens du Toro au gouverneur, 11 juillet 1859, pièce 33. 532 ANS, 13G1188, Correspondance des notables du Dimar au gouverneur, en date du 14 novembre 1859, op. cit., pièce 51. 533 Ibid. 531

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Le commandant du poste de Dagana Ardin d’Elteil et Abdoul Boli furent alors cernés par plus de 600 hommes armés qui décrivirent un arc-de-cercle, la plupart à dos de cheval. Elimane Dimat était accompagné de plusieurs notables qui représentaient le noyau dur des partisans d’El Hadji Omar. Ardo Wodaaƃe et ses cavaliers s’écriaient : « c’est aujourd’hui que nous nous battrons, nous allons voir un peu de toubabs » 534. Le commandant débordé, fit mettre ses hommes sur leurs chevaux et s’en remit à la médiation de Tapsir Diabiri Diallo chef de Diawbé et aussi à Elimane Thiangaye « qui sont très respectés dans le pays. Ils allèrent de leur propre mouvement audevant d’un groupe principal. L’explication dura assez longtemps et enfin ils revinrent, amenant avec eux Elimane Saïdou » 535. Le commandant de Dagana lui signifia que la seule autorité reconnue par les Français est Abdoul Boli. Mais était-ce un rappel ou une annonce ? Elimane Saydou savait-il réellement ce que son rival Abdoul Boli allait démarcher fréquemment à Dagana, puis à Saint-Louis entre février et juin 1858 ? En tous les cas, la réponse d’Elimane Saydou fut très brutale. Il fit savoir à Ardin d’Elteil que les Français voulaient s’emparer de son pays et leur faire quitter leur religion. Que lui, était un allié d’El Hadji Omar. Le Tulde Dimat s’affichait comme le défenseur du dar al islam. Le commandant put, grâce à Tapsir Diabiri et Elimane Thiangaye, se défaire de l’étau des forces nationalistes dimatnaaƃe. Il y avait cependant un goût d’inachevé dans cette rencontre où planaient l’ombre de Faidherbe et d’El Hadji Omar, les deux véritables acteurs de la tragédie qui se jouait, par alliés interposés en face de Dialmath. Elimane Saydou n’avait pas su profiter de son avantage en hommes pour attaquer le commandant et ses hommes. Ce dernier s’était montré trop conciliant et au sortir de ce bourbier, avait dû écourter la tournée qu’il se proposait de mener de part et d’autre du Tulde Dimat. Il n’avait pas daigné aller à Ndiayène fief des Wodaaƃe, ni à Niandane. Les deux parties avaient remis à plus tard leur confrontation536. En tous les cas, cette réaction passive avait irrité une partie des accompagnateurs d’Elimane Saydou, plus précisément l’avant-garde des troupes d’El Hadji Omar et Ardo Wodaaƃe. Elimane Saydou avait-il tenu parole face aux promesses faites devant El Hadji Omar? On peut le douter si on se fie aux déclarations guerrières d’Ardo Wodaaƃe qui «avait juré lors de

534 Le terme toubabs signifie les Blancs spécifiquement les Européens ou exactement ici les Français dans les langues sénégambiennes. ANS, 13G100, op. cit., pièce 207. 535 Ibid. 536 « Les Européens ne se sont jamais lancés de gaieté de cœur dans un affrontement de grande envergure avec les umariens ». Robinson D., 1988, op. cit., p. 208.

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son séjour auprès d’El Hadji Omar de faire le plus de mal possible aux Blancs » 537. À travers cet incident, on peut présumer que les deux principales autorités politiques du Tulde Dimat, Elimane Dimat et Ardo Wodaaƃe étaient entièrement acquises à la cause d’El Hadji Omar et au jihad. Cependant, reste à savoir pourquoi ils ont repoussé l’appel au hijra ? Pragmatique, El Hadji Omar va profiter de leur soutien pour consolider son emprise sur les populations locales en prélevant la dîme et en remaniant la chefferie. E- EL HADJI OMAR ÉTABLIT SON AUTORITÉ AU OCCIDENTAL : L’ENJEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

FUUTA TOORO

El Hadji Omar procéda à des nominations et destitutions de charges politiques dans le Fuuta Tooro occidental. En avait-il la légitimité ? En route pour l’Est, il devait prélever une réserve en céréales et en cheptel, avoir des alliés politiques capables, une fois qu’il s’est éloigné de l’Ouest, de lui recruter des troupes fraîches et dévouées. Le remaniement politique donna la configuration suivante : les Selobe eurent comme nouveau chef Lam Tooro Hamet, Ardo Hamadi Fayol fut nommé par le Shaykou chef des Peul Ururƃe, Ardo Demba qui s’était distingué à Dialmath, fut confirmé chef de tous les Peul Wodaaƃe. L’urgence pour ces chefs était la collecte de la dîme, le 1/10ème en mil de la récolte, qui devait être rassemblé au niveau de chaque village ou campement puis être acheminé à Hayré Lao où se trouvait le magasin central Omarien538. À la mi-décembre, Ndiayène avait déjà versé 250 matar de mil, Niandane 150 moutons. Le chef de Thiangaye avait partagé la dîme en deux parties égales : l’une gardée chez lui, l’autre part envoyée à l’Almaami, mais en réalité à El Hadji Omar,le marabout des marabouts, le redresseur du mouvement Fuutanke d’inspiration islamique. À Diagnoum, la dîme fut divisée en deux parts : l’une gardée par Elimane Dimat qui est aussi le chef de Diagnoum, l’autre part envoyée à El Hadji Omar.

537 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 18 décembre 1858, pièce 208. 538 ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 17 décembre 1858, pièce 119.

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À Langobé, Dialmath et Ndiayène ce sont les talibaabe d’El Hadji Omar qui se chargèrent de la perception et de la manutention de la dîme. Selon le décompte fait par le commandant de Dagana, au mois de décembre 1858, seuls trois villages obéissaient à Elimane Abdoul Boli et reconnaissent son autorité. Les autres villages obéissaient à Elimane Saydou Kane dont « le mauvais esprit s’est retrempé dernièrement aux conseils d’El Hadji Omar : les quelques émissaires qui l’accompagnaient agissant au nom du prophète, ont répandu la terreur dans le pays » 539. El Hadji Omar s’était d’ailleurs rapproché de Podor. Il s’était déjà installé à Hayré Lao, puis au début de janvier 1859 à Ndioum dans le Tooro. El Hadji Omar se préparait à descendre dans le Tulde Dimat540. Face à une invasion prochaine du Fuuta Tooro occidental, les Français déployèrent une action à la fois diplomatique et militaire pour essayer d’endiguer l’extension du réseau omarien en Sénégambie occidentale. La présence d’El Hadji Omar était effective en mi-janvier 1859. Le Shaykou avait une suite estimée par les officiels français entre 1500 et 1600 hommes. L’Almaami Mamadou Birane Wane, bien que destitué, le suivait. El Hadji en bon stratège, ordonna aux villages du Tooro et du Dimar riverains des cours d’eau, voie de passage des navires et autres embarcations des traitants, de se retirer vers le jeeri au sud pour ne pas commercer avec les Français 541. Le Shaykou préconisait ainsi un boycott ou du moins un commerce contrôlé par ses hommes. L’enjeu étant la perception par ses talibaaɓe d’une taxe, hors de la zone de portée des canons des bateaux à vapeur. Shaykou Omar profita de son séjour à Ndioum pour intensifier la propagande pour le hijra et le jihad. La population cible étant les jeunes et les adultes. Les places publiques des mosquées ou Mbaar Jamaa étaient les points de contact entre les prêcheurs et leur auditoire. Cependant, hormis cette intention claire, les Français et leurs espions ne savaient pas quelle était la destination prochaine du Shaykou. Le Djolof ? Allait-il attaquer Podor ? Allait-il se rendre à Dialmath ? La tension atteignit son paroxysme à Podor. Les Français encouragèrent les actes de violence à l’endroit des talibaaɓe d’El Hadji Omar. C’est ainsi que le 19 janvier, un d’entre eux fut sauvagement assassiné aux alentours du fort de Podor542.

539

ANS, 13G 100, op. cit., pièce 208. Moniteur du Sénégal, mardi 25 juin 1859, n°148, 4ème année. ANS, 13G 120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 19 janvier 1859, pièce 114. 542 ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 25 janvier 1859, pièce 115. 540 541

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F- LE CAMP MILITAIRE D’OBSERVATION DE FANAYE. UN BOUCLIER FRANÇAIS CONTRE L’AVANCÉE D’EL HADJI OMAR : JANVIER-MAI 1859

Pour stopper la marche d’El Hadji Omar vers l’ouest, le gouverneur intérimaire Robin, sur ordre de ses supérieurs, installa un camp d’observation à Fanaye placé sous le commandement du capitaine Baussin543. Les Français voulaient, d’une part dissuader les populations à rallier le Shaykou en bloquant son avancée, d’autre part permettre aux opposants au hijra de venir trouver refuge à ses alentours. Enfin, ils pensaient que c’était un moyen de permettre à Abdoul Boli et ses amis de rétablir leur autorité. En fin janvier 1859, Robin dut lui-même se rendre dans le Dimat pour galvaniser ses troupes et ses alliés africains. Il emmena avec lui une grande quantité d’eau de vie, du vin et de la quinine. L’Almaami du Fuuta était, malgré lui, dans la suite d’El Hadji Omar à Ndioum. Il dépêcha en catimini auprès du gouverneur un émissaire pour lui renouveler ses protestations d’amitié.544 Un renfort de troupes françaises fut également envoyé à Mérinagen pour fermer la grande route de l’intérieur qui y passe et menant au Gandiole, au Djolof et au Kajoor. Cela dans l’esprit des officiels français pour donner « à nos alliés, ses ennemis, la plus grande confiance »545. Dans les cours d’eau du Tulde Dimat, les bateaux à vapeur patrouillaient régulièrement546 pour dissuader les partisans d’El Hadji Omar. Les Français, grȧce au renseignement militaire furent informés par leurs espions vers la fin du mois de janvier 1859 que le Shaykou se préparait à quitter Ndioum et à repartir finalement à l’Est. Son butin de guerre ayant été acheminé au fur et à mesure à Hayré Lao. La colonne expéditionnaire de Fanaye reçut l’ordre d’organiser des patrouilles jusqu’à Niandane, afin de précipiter, le départ du Shaykou de Ndioum et d’entraver un probable envahissement du Tooro. Un incident qui eut lieu au début du mois de février 1859, s’ajouta au mystère qui plane sur les non-dits des relations entre le Shaykou et les Français. En mission de patrouille vers l’Est, la colonne de Fanaye, n’osa pas ou ne voulut pas atteindre Dialmath, violant sa lettre de mission fondamentale. L’intérimaire Robin ne tarda pas à adresser une demande d’explication au capitaine Baussin. Robin dit approuver l’attitude de son 543

Ce camp devait se composer de 59 soldats d’infanterie, 150 tirailleurs sénégalais, 25 spahis, 30 laptots d’élite commandés par M. Marty, 80 tirailleurs, 10 canonnières avec 2 obusiers, un bâtiment régulièrement en croisière entre Fanaye et Risga et enfin 3 autres bâtiments qui patrouillaient régulièrement dans le Dimar à savoir « le Griffon », « le Crocodile » et « la Bourrasque ». Lire ANS, 3B79, Correspondance de Robin au commandant de Podor, Saint-Louis, en date du 22 janvier 1859, pièce 1. 544 Moniteur du Sénégal et dépendances, mardi 1er février 1859, N°194, p. 18. 545 Moniteur du Sénégal et dépendances, 1er février 1855, op. cit. 546 Sur leur propre initiative ou à l’appel de leurs alliés comme le chef du village de Moctar Salam qui demanda qu’on laisse en rade un bateau à vapeur en face de son village.

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agent, si elle résultait d’une crainte que le face à face avec Elimane Saydou, se terminerait par un conflit qui ferait basculer la population du Dimar dans le camp omarien. Cependant, Robin ne put dissimuler sa colère face au comportement du commandant du corps assimilable à une couardise. Robin reconnut qu’Elimane Saydou avait plus de partisans que son rival dans le Tulde Dimat547. Abdoul Boli était l’homme des Français, il fallait par conséquent neutraliser Elimane Saydou « bien qu’il ait beaucoup de partisans » 548. G-VERS UN DIALMATH?

AFFRONTEMENT

ENTRE

PRO

ET

ANTI-FRANÇAIS À

En mi-février 1859, Faidherbe adressa une lettre circulaire aux chefs riverains de la vallée, leur annonçant qu’il est « revenu pour achever d’anéantir nos ennemis c’est-à-dire Al Hadji et ses partisans » 549. El Hadji Omar quitta Ndioum le 26 février 1859 en passant par Nianga Edy. En mimars 1859, il était localisé à Golléré550. Le 25 mars 1859, on signalait sa présence à Mboumba551. Il s’était fixé à Oréfondé au début du mois d’avril pour préparer le grand départ vers l’Est. Les candidats au hijra originaires du Tooro et du Dimat le suivaient. La population fut cataloguée par Faidherbe en partisans et adversaires du Shaykou : en pro et anti-français. À ceux qui sont restés neutres, il les avertit qu’ils paieront « cher un jour ou l’autre »552. Les chefs des villages de Wouro Mahdiyou et Dialmath, montraient quant à eux le plus grand zèle dans leur soutien à Faidherbe dans le premier semestre de l’année 1859. Faidherbe adressa une correspondance au ton très acerbe aux populations du Tooro en leur demandant de comparer l’état de leur pays avant et après le passage d’El Hadji Omar553. Il leur disait qu’El Hadji Omar « était synonyme de désolation, de destruction et de misère 554».Les plans français étaient dirigés contre les partisans d’El Hadji Omar dans le Fuuta et contre les partisans d’une unité d’action des Fuutankooƃe. 547 ANS, 3B79, Correspondance de Robin au commandant du camp d’observation de Fanaye, SaintLouis, en date du 6 février 1859, pièce 7. 548 ANS, 3B77, Correspondance de Robin au gouverneur, 6 février 1859, pièce 7. 549 Il énuméra la panoplie d’armes et d’équipements de guerre qui devaient l’appuyer dans son œuvre de destruction massive. 550 ANS, 13G120, Correspondance du commandant Teisser au gouverneur, Podor, en date du 14 mars 1858, pièce 120. 551 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 30 mars 1858, pièce 121. 552 A.N.S., 3B96, Correspondance de Faidherbe, lettre circulaire, Saint-Louis, en date du 14 février, 1859, pièce 6 verso. 553 ANS, 3B96, Correspondance de Faidherbe aux gens du Toro, Saint-Louis, en date du 5 avril 1859, pièce 7, dépêche n°2. 554 Lam Toro Hamet, ayant suivi le Shaykou, en mi-mars, le Tooro lui cherchait un remplaçant.

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Les Français firent recours à la déportation et au meurtre pour briser le mouvement de libération nationale d’inspiration islamique555. Ainsi l’assassinat des talibaaɓe fut encouragé dans le Fuuta, ainsi que celui de ses émissaires dans le Kajoor, le Djolof, le Waalo, etc. Les Maures de l’Est, les Bambara et certaines populations de la Sénégambie orientale furent encouragés à massacrer les caravanes des candidats au hijra.556 À côté d’un nombre inconnu de talibés anonymes massacrés dans leur village ou en terre étrangère, il eut un lot de talibaaɓe conduits à Saint-Louis, jugés puis déportés loin de leur patrie. En avril 1859, six individus du Dimat et du Waalo, dont le nommé Carrel de Doué, talibaaɓe d’El Hadji Omar à qui il était reproché d’entraver la traite fut condamné à la déportation à Cayenne en Guyane Française en avril 1859.557 Deux autres talibaaɓe originaires de Fanaye, porteurs de lettres d’El Hadji, furent arrêtés, conduits à Saint-Louis, jugés puis déportés au Gabon en Afrique centrale pour deux ans : il s’agit d’Aly Khoudia et Amadou Baal. Mais il restait le cas d’Elimane Saydou qui, depuis juin 1858 n’entrait plus dans le schéma politique des Français. 558 La venue d’El Hadji Omar avait élargi le fossé de leur contentieux à la fois politique et religieux. L’avenir d’un Tulde Dimat indépendant était remis en question.

Conclusion Le Tulde Dimat a su négocier cette période difficile de son histoire en nouant tour à tour deux alliances. La première était contre-nature mais nécessaire pour surmonter des difficultés conjoncturelles. La seconde, plus logique par rapport à sa ligne de conduite, fut concrétisée lorsque Shaykou Omar revint au Fuuta en 1847 et en 1858-1859. Elimane Boubacar puis son fils Elimane Saydou l’aidèrent à recruter des combattants. Mais les Français tenaient désormais à contrôler la Vallée du Sénégal et l’affrontement fut inévitable.

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Comme le souligne Schwarz « l’exploitation et la domination brutales auxquelles seront soumis dorénavant les noirs exigent qu’ils soient considérés comme brutes ». Schwarz A., op. cit., 1980, p. 12. ANS, 3B96, Correspondance du gouverneur aux tributs de l’Est., op. cit. 557 ANS, 3E28, Procès verbal de la délibération du conseil d’administration, Saint-Louis. 558 « Il fallait détruire le réseau de collecte de la dîme sur la récolte mis sur pieds par le cheikh et qui devait être acheminé à un dépôt central »., Robinson D., 1988,op. cit. p. 216. 556

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Chapitre III. Des conflits majeurs à la fin de l´ordre légal islamique dans le Tulde Dimat : 1854-1862 Introduction La période allant de 1854 à 1862 est une ère d’instabilité dans le Dimat, la tradition orale l’appelle jamaanu fitna. Le Tulde Dimat connut d’abord un conflit opposant deux prétendants à l’Elimanat aboutissant à une dyarchie qui fragilisa ses institutions. Cette séquence de son histoire est marquée par une série de crises qui déboucha sur une très longue période de cafouillage dans l’organisation politique, économique et administrative. Les gouverneurs Faidherbe puis Jauréguiberry firent du Tulde Dimat un laboratoire d’expérimentation d’une politique coloniale coercitive. Le peuple, face à l’incapacité des élites politiques, opposa de nombreuses formes de résistances au fait colonial. Elles eurent une intensité graduelle et furent parfois originales.

I. Les conflits dans le Tulde Dimat de 1854 à 1857 A- ELIMANE SAYDOU FACE À LA NOUVELLE POLITIQUE DE LA COLONIE DU SÉNÉGAL :1852-1857

La deuxième moitié des années 1850 correspondent aux règnes de Dialo Boubacar (1851-1852) et d’Elimane Saydou559 (1852-1858). La colonie du Sénégal cherchait à dominer les provinces riveraines du fleuve Sénégal560. Le Tulde Dimat était désormais entre des mains moins expertes suite au décès d’Elimane Boubacar. Les dimatnaaƃe s’étaient réinstallés sur la rive 559

Les correspondances émanant d’Elimane Saïdou, conservées aux Archives Nationales du Sénégal, sont consignées pour la plupart dans le registre 13G118. Les correspondances des commandants de postes de Dagana et Podor, (13G100, 13G118 et 13G120), les rapports des chefs d’État major de la campagne de Dialmath (1D7), les correspondances de l’enseigne de vaisseau Lebrun lors de sa capture (1D7) et les lettres émanant des chefs de Fanaye, Nianga, Bokhol, Gaya, Tékane et de Dagana nous ont permis d’avoir quelques informations supplémentaires. 560 Le milieu du XIXe siècle coïncidait avec la faillite du comptoir du Sénégal, le commerce de la gomme n’étant pas parvenu à bien s’organiser. La commission interministérielle chargée d’étudier les problèmes de la colonie avait pourtant bien diagnostiqué le mal. A son avis, le Sénégal semblait être destiné à un riche et fécond développement mais que cela était subordonné aux conditions suivantes : retour du commerce de la gomme à la libre concurrence, développement des zones d’influence, rétablissement d’une politique énergique contre les peuples riverains du fleuve Sénégal. Il a fallu que les traitants exercent une pression en rédigeant deux pétitions en 1851 pour exiger l’exécution du projet de 1844 d’érection de deux établissements fortifiés.

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gauche du fleuve Sénégal pour profiter des terres arables fertiles et surtout faire prévaloir leur droit de passage à tout navire traversant leur pays. Seulement pour les traitants de Saint-Louis, il n’était plus question de payer et mieux, il fallait que la France se venge des revers subis dans ce pays depuis la fin du XVIIIe siècle. En réalité, le gouverneur de la colonie du Sénégal, Auguste-Léopold Protêt (1808-1862) était dans une mauvaise posture ; pressé d’une part par les traitants qui le taxaient de manquer de courage et d’autre part les fonctionnaires du ministère des colonies qui lui recommandaient d’être prudent561. Les conditions sécuritaires tout au long du fleuve Sénégal et ses affluents préoccupaient au plus haut point les Français. Protêt exigea des provinces riveraines du fleuve une démarcation de plus en plus prononcée avec les Émirats maures. Elimane Saydou avait pourtant montré le désir de vivre en bonne intelligence avec Saint-Louis562. Il était déterminé à jouer le même rôle que son père sur la scène politique sous-régionale563. Le nouveau contexte géopolitique ne semblait pourtant pas perturber Elimane Saydou, qui s’immisçait dans la crise de succession des Brakna, qui couvait depuis 1841, mais s’intensifia en 1849 avec l’émergence de trois prétendants. Elimane Saydou défia son rival l’Émir des Trarza Mohamed El Habib en se rangeant contre son poulain Mohamet Sidy. En décembre 1852, il demanda au gouverneur de Saint-Louis de ne plus verser la coutume des Brakna à ce dernier : « celui qui lui donne la coutume dans ce moment a perdu ses biens. » Le 23 janvier 1854, Protêt, de retour de congé de la France, trouva dans son bureau à Saint-Louis une série de plaintes des commerçants se lamentant des attaques de leurs pirogues et bateaux dans le Fuuta Tooro564. Il fallait augmenter les postes militaires dans la vallée du Sénégal et rétablir celui de Podor tombé en ruines depuis belle lurette565.

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Dès 1842, Bouet Willaumez proposa un plan de sortie de crise. La création en 1845 de la direction des affaires intérieures était un début d’application de ces mesures. Ce service devient le lien entre les chefs africains et le gouvernement de Saint-Louis. Hamet Ndiaye Anne (1813-1873) puis Doudou Seck dit Bou El Moghdad (1826-1880) devinrent alors, en tant qu’interprètes-rédacteurs des correspondances départ/arrivée vers les autorités locales de la vallée, les piliers du bureau arabe de l’administration coloniale à Saint-Louis. 562 ANS, 13G118, Correspondance d’Elimane Saïdou au gouverneur, Dialmath, en date du 19 août 1852, pièce 7. 563 Lire ANS, 13G118, Correspondance d’Elimane Saïdou au gouverneur, Dialmath, en date du 27 décembre 1852, pièce 11. 564 Ce jugement sec montre les relations heurtées que le gouverneur entretenait avec une partie des traitants. 565 « C´est que la décennie 1850-1860 ouvrait une nouvelle période dans l´histoire de la Sénégambie. On assiste à l’avènement de l’arachide et à l’émergence d´intérêts économiques très importants dans la colonie, avec les maisons commerciales bordelaises et marseillaises qui pouvaient dorénavant non

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Le Tulde Dimat, se préparait à parer à toute attaque. Il mobilisa ses combattants et répara des pièces de canons prises aux Français durant les confrontations antérieures566. Elles étaient au nombre de 7. Mieux, 7 des principaux villages du pays avaient mobilisé une main d’œuvre pour ériger des fortifications autour de Dialmath formées par plusieurs gros troncs d’arbres, consolidés entre eux avec de l’argile et du sable567. Dès le 16 février 1854, Protêt se plaint de l’état d’esprit des commerçants de Saint-Louis poussant à la guerre : « ce n’est pas seulement un établissement à Podor qu’ils demandent ... C’est une domination générale de 200 lieues à la ronde, un rêve creux, que quelques commerçants font ingénument…». Le parti favorable à la guerre prenait le dessus du côté des Français. L’expédition s’ébranlait le 17 mars 1854 pour Podor568. Faidherbe commença alors la construction du nouvel ouvrage militaire. Au début de mai 1854, le capitaine Teisser réceptionna le fort de Podor construit en 40 jours. Le corps expéditionnaire pouvait reprendre le fleuve pour SaintLouis. Il devait s’arrêter à Dialmath pour satisfaire la revendication de la puissante corporation des traitants, remise à plusieurs reprises à plus tard569. B- L’ATTAQUE DE CONTENTIEUX

DIALMATH DE 1854 : LE DÉNOUEMENT D’UN LONG

La première expédition programmée en juillet 1820 devait attaquer Dialmath de nuit, la seconde tentative date de juillet 1849 lorsque le gouverneur Baudin voulut détruire le village de Dialmath par les troupes de l’expédition qui venait de brûler Fanaye570. Pour justifier cette attaque, Protêt prétexta que « les populations du Dimar qui, au lieu de conserver la neutralité qu’elles s’étaient engagées à garder, avaient été les premières à nous attaquer lors du passage du corps expéditionnaire au cachot, devaient

seulement supporter un arrêt temporaire des transactions commerciales mais inciter aussi à des expéditions militaires dans une perspective à long terme ». Diouf M. op. cit., pp. 171-172. 566 Les espions français n’avaient pas pu cependant préciser la provenance des canons mais il s’agit probablement de ceux laissés sur le terrain à Fanaye, d’abord en août 1805 et ensuite en juillet 1849. 567 Les 7 villages sont : Dialmath, Fanaye, Pendao, N’diayène, Gaya, Bokhol et Niandane. Lire à propos du tata ce document. A.N. S., 13G100, Correspondance du commandant poste de Dagana au gouverneur, en date du 27 février 1854, pièce 106. 568 Avec 2000 hommes ainsi répartis : 1000 européens, 1000 indigènes composés de soldats, de volontaires de Saint-Louis (Guet Ndar, quartiers Nord et Sud, Bambara, Peul et Wolof), 100 animaux, 200.000 briques d’argiles, 2000 tonneaux de charbon de terre, de la nourriture, une dizaine de navires, de chalands et de pirogues. 569Yves Saint-Martin consacre un long développement à cette expédition et ses conséquences, « A partir de l’affaire de Dialmath, Protêt devint la cible d´une campagne que dirigent les négociants européens groupés autour de Marc et Hilaire Maurel »., Lire Saint-Martin Y., op. cit., pp. 221-231. 570 Pour se venger des nombreuses pertes subies par les Français dans le Touldé Dimat, au cachot notamment.

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être punies »571. Alors, il fallait détruire Dialmath « la ville sainte, capitale du Dimar, située à 3 lieues dans l’intérieur,… Dialmath n’avait jamais été attaquée par les Français et avait repoussé les Maures plusieurs fois » 572. Le corps expéditionnaire fut ré-embarqué à Podor le 4 mai 1854. Le lendemain, 5 mai, il arrivait devant le village de Doué. Il quitta ce village le 6 mai à 6 heures du matin pour débarquer devant Fanaye à 10h et ½ et entamer ainsi une campagne de trois jours avec 2 bataillons composés de marins et de fantassins, de volontaires et de l’escadron de spahis, le train comprenant 50 animaux porteurs et le matériel d’ambulance. Le 7 mai 1854, le corps expéditionnaire quitta Fanaye et fit demi-tour pour se rendre au village de Dialmath dès 5 heures et ½ du matin jouant sur l’effet de surprise. Après plus de 6 heures de marche, il arriva à Dialmath sous une chaleur de 40° à 45°, par le côté ouest. Les artilleurs eurent du mal à installer leurs pièces de batterie pour pilonner le village. C’est que le village était bâti sur une position stratégique pour parer à toute attaque573. La cavalerie du Dimat, par un feu nourri, empêchait les artilleurs du corps expéditionnaire de prendre position à l’aise. Une fois installée, l’artillerie ouvrit le feu. Faidherbe avoua « avoir tiré contre la muraille en terre près de 100 obus qui la traversaient sans l’abattre ». C’est que les obusiers de montagne ne pouvaient faire des brèches d’une certaine étendue dans le tata parce qu’un piquet renversé n’entraînait pas ses voisins574. Selon Faidherbe, deux pièces d’artillerie étaient utilisées côté dimatnaaƃe. Les espions signalèrent à l’Etatmajor français qu’elles étaient actionnées par un ancien employé de la maison de commerce Rabaud du nom de Demba Tacko575. Les deux pièces de canon firent feu plusieurs fois selon Faidherbe. Après un moment de panique et sur exhortation du chef d’État-major et de son adjoint, les troupes françaises furent formées en 3 colonnes d’assaut par peloton. Au centre, l’infanterie ayant derrière elle, le premier peloton du génie (réduit à 10 hommes) muni d’outils. À gauche le bataillon des marins et laptots de la flottille, à droite le demi-bataillon des marins de la section extérieure. 571

ANS, 1D7, Protêt, Rapport du chef d’état major sur l’affaire de Dialmath, pp. 308-312. Ibidem. 573 Le tata fermait les faces du village non munies de barrières naturelles ou de cours d’eau, le côté occidental, notamment. Il y avait à l’est « un bois assez épais et à gauche le marigot qui contournait les faces Est et Nord »., Lire 1D7, rapport, 308-312. 574 Selon Faidherbe, les piquets étaient mélangés avec de l’argile et plantés verticalement. 575 Rentré après la bataille à Saint-Louis, il fut formellement identifié par le commandant de Dagana qui promit de mettre la main sur lui. Ce fait a été ignoré par les chercheurs. Pour M. Yves Saint-Martin, « C´est entre 1858 et 1881 que l’existence des canons dans les armées des chefs toucouleurs a été signalée ». Saint-Martin Y., « L’artillerie d´El hadji Omar et d´Ahmadou », Bulletin de l’IFAN, série B, tome XXVII, N° 3-4, 1965, p. 560. 572

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Les volontaires de Saint-Louis devaient marcher à l’extrême gauche et à l’extrême droite en dehors des 3 colonnes. Les troupes ainsi disposées s’ébranlèrent à travers quelques-unes des brèches dans le village abandonné par les femmes et les enfants576. Les assaillants reçurent un feu épouvantable et franchirent une bonne distance dans le village sans tirer un seul coup de feu. Selon Faidherbe, les volontaires de l’armée française ne s’étaient pas montrés braves comme ils l’étaient d’ordinaire. Cela tenait, disait-il, au préjugé répandu que « Dialmath ne pouvait être pris, ensuite à ce qu’ils ne nous avaient suivis qu’à contre cœur dans le Dimar ; et peut-être aussi à ce qu’ils avaient déjà perdu beaucoup de monde dans le commencement de l’attaque où ils s’étaient montrés téméraires » 577. Dans la mêlée, le gouverneur Protêt dut descendre de son cheval pour encourager les troupes, ainsi que Faidherbe. Le corps expéditionnaire investit finalement le village. Sa cavalerie entra en action pour sabrer les défenseurs au galop et les spahis déchargèrent leurs fusils à deux coups à bout portant, le plus souvent sur le dos des combattants578. « Le village est à nous, mais il nous avait coûté cher » déclarait Faidherbe. Protêt, le chef d’état-Major de l’expédition chiffrait les pertes françaises à 12 morts et 122 blessés, sur les 650 hommes de la troupe régulière. Pourquoi n’avait-t-il comptabilisé les pertes des volontaires ? Pourquoi les troupes françaises n’ont pas pu libérer leur officier qui se trouvait en captivité à Dialmath? Pourquoi le corps expéditionnaire n’avait-il pas repris ce ‘trophée’ que le Dimat cachait ? 579 C’est le commandant de Podor qui leva un coin du voile sur ce qui fut le désastre de Dialmath : « les gens du Dimar… ont prétendu qu’ils nous avaient tué un grand nombre d’hommes, qu’ils avaient fait brûler 180 de nos morts, que n’ayant plus de bois pour brûler les autres qui étaient encore plus nombreux, ils avaient creusé deux grands trous, dans lesquels ils les avaient enterrés et qu’ils avaient avec eux 8 officiers prisonniers » 580. Étaitce de l’intoxication ? Cependant depuis sa géole, l’officier français Lebrun proche des hostilités, précisait que : « j’ai eu beaucoup d’inquiétude pour mes camarades le jour de la bataille. D’après le rapport des gens du pays, il y avait eu plus de 200 576

Ils avaient été évacués vers le jeeri à Pendao, notamment pour laisser le village aux combattants. Ils emmenèrent avec eux l’officier français Lebrun, otage du Dimat. 577 Faidherbe 1D7 rapport, op. cit, pp. 308-312 . 578 Comme souligné par les officiers supérieurs dans leurs rapports respectifs. 579 C’est-à-dire l’officier pris en captivité. 580 ANS, 13G120, Correspondance de Lebrun au commandant de Podor au gouverneur, Dialmath, en date du 21 mai 1854, pièce 1.

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hommes tués dont cinq officiers. Je faisais certainement la part de l’exagération, mais malgré tout, j’avais le cœur navré de la perte de tant de monde » 581. Nous sommes en présence de deux sources d’informations qui donnent sensiblement le même bilan. Les Français avaient manifestement sousestimé leurs pertes. Un indice de la débandade est donné par Lebrun : « ils sont venus me montrer une foule de choses, ayant appartenu à l’armée expéditionnaire et entre autres choses, 3 chevaux de spahis, dont deux leur sont inutiles car ils ne peuvent pas les monter. J’ai vécu 5 ou 6 jours avec le biscuit ramassé sur le champ de bataille » 582. À propos des victimes du côté de Dialmath, Lebrun avance le chiffre de 20 à 25 hommes. Il affirme avoir vu beaucoup de blessés et un seul assez gravement à la jambe et à l’épaule. L’officier, très prudent, précise cependant : « il est difficile d’apprécier583 leurs pertes car il y avait à Dialmath des gens de plusieurs villages ». Le corps expéditionnaire quitta Dialmath le 7 mai à 7 heures du soir, emmenant les 150 blessés et malades. Ils furent acheminés à Saint-Louis via le quai de Risga situé à environ deux heures de marche au nord de Dialmath. Un contingent moins éprouvé se dirigea dans le Tooro pour attaquer cette province soupçonnée d’avoir appuyé militairement le Dimat584. Pourquoi aller attaquer le Tooro alors qu’on a atteint l’objectif initial à Dialmath ? Fanaye, Bokhol et Gaya furent à leur tour incendiés par les troupes qui repartaient à Saint-Louis, au motif qu’ils avaient envoyé des troupes pour s’attaquer aux Français lors du débarquement du corps expéditionnaire à Podor. L’expédition de Dialmath instaura un long débat quant à sa planification stratégique et fut à l’origine de la destitution de Protêt par l’ampleur des pertes subies et elle favorisa la montée en puissance de Faidherbe qui

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ANS, 13G120, Correspondance de Lebrun au commandant de Podor, Dialmath, en date du 23 mai 1854, pièce 2. Ibidem. 583 ANS, 13G120, Correspondance de Lebrun au commandant de Podor, Dialmath, pièce 3. 584 La tradition orale des dimatnaaƃe attribue l’entrée des troupes du corps expéditionnaire dans Dialmath à la trahison d’un espion qui aurait informé les Français que leurs munitions étaient épuisées. C’est ainsi qu’Elimane Boubacar Kane, décédé depuis 1851, aurait fait une apparition sur le champ de bataille. Il aurait empoisonné les eaux de la mare avoisinant le bivouac des Français, causant la mort de plusieurs soldats. 582

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accabla son supérieur hiérarchique dans son rapport d’Etat-major585. Les traitants firent à leur tour un lobbying intense à Paris en sa faveur586. C- UNE FORME ORIGINALE DE PROTESTATION CONTRE LA PRÉSENCE FRANÇAISE : LA PRISE EN OTAGE D’UN OFFICIER DE LA MARINE FRANÇAISE : 03 MAI 1854-08 JUILLET 1854

C’est un commando dimatnaaƃe d’une cinquantaine de soldats qui se rendit le 3 mai 1854 à Podor. Voulait-il attaquer le fort ou le village de Thioffi dont le chef avait un différend avec Elimane Saydou ? En tous les cas, le commando était en embuscade dans les environs du fort. C’est de là que trois hommes se détachèrent d’un bois et entrèrent dans un champ de niébé où ils croisèrent l’enseigne de vaisseau Lebrun accompagné d’un soldat noir. Les 2 groupes se saluèrent et se dépassèrent. Mais à partir de ce moment, les choses allèrent très vite, selon Lebrun, un des soldats du Dimat, « un solide gaillard de 5 pieds 6 pouces au moins, après m’avoir salué et dépassé, me prit au collet par derrière », les deux autres neutralisèrent l’officier français. Le soldat noir réussit à s’échapper et à s’enfuir en direction du fort de Podor, non sans avoir essuyé quelques coups de feu. Alors les trois soldats du détachement dimatois se réunirent pour entraîner Lebrun vers le bois où se trouvait le reste du commando. Lebrun fut dépouillé de son caleçon, de sa vareuse, de sa chemise, de ses souliers et de sa montre. Le commando se scinda en plusieurs groupuscules pour désorienter les éventuels poursuivants. Seuls six hommes s’occupèrent d’escorter Lebrun en direction de Dialmath. L’enlèvement de l’enseigne de vaisseau Lebrun entrait dans le cadre de la lutte contre la réinstallation française sans autorisation préalable dans le Fuuta Tooro occidental, confirmant ainsi l’une des missions de défense du dar al islam dévolue à l’armée du Dimat. Il s’agissait d’un haut fait d’armes tant dans sa planification et son exécution tactique587. Une bonne technique de camouflage permit au commando de s’infiltrer jusque dans un bois avoisinant le fort flambant neuf où bivouaquaient plus de deux milles hommes. L’observation scrupuleuse du mouvement des soldats français, la sortie du bois d’un détachement de trois hommes et la neutralisation des deux soldats du corps expéditionnaire munis chacun d’une arme à feu, sont les révélateurs de la qualité des combattants 585

Saint-Martin Y., op. cit., pp. 221-231. Du côté dimatnaaƃe, Elimane Saydou sortit revigoré de la bataille de Dialmath, son pouvoir et son autorité ne furent pas contestés. Sur le plan politique, d’après le commandant du poste de Podor après la bataille de Dialmath, Elimane Saydou disputa le pouvoir à l’Almaami du Fuuta, nouvellement élu ! Il se sentait capable de rétablir l’ordre légal islamique dans le Fuuta Tooro. 587 1D7, ANS, Correspondance de Lebrun au gouverneur, Dialmath, en date du 14 juin 1854, pièce 216. 586

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du Dimat. L’éclatement du commando à Podor et son regroupement au bord du marigot Ngalanka attestent de la bonne coordination d’ensemble de ces combattants588. Les mesures sécuritaires dont avait bénéficié Lebrun dénotaient qu’il était perçu comme un moyen d’échanges dans la crise des relations géopolitiques locales. Elimane Saydou veilla personnellement sur les conditions de sa détention. Le fait que Lebrun ait été placé dans quatre ou cinq cases pourrait être dû au refus opposé par leurs propriétaires de cohabiter avec un non musulman. Le choix porté sur la famille de Cécilé n’était pas fortuit. Originaire de Podor, elle avait plus d’affinité avec les Européens. D’ailleurs selon Lebrun, cette bonne dame avait un enfant mulâtre qui travaillait au fort de Podor589. Elimane Saydou Kane lançait un double défi aux Français : d’abord faire étalage de sa capacité de nuisance et ensuite leur montrer qu’il est mécontent des actes posés à Podor. Il se murmurait que les Français avaient acheté l’emplacement du fort de Podor à Elimane Thioffi Ibrahim Kane chef de Podor590. En échange de la libération de l’officier, il réclama, selon le gouverneur, la continuation des coutumes accordées autrefois à Elimane Boubacar et la remise des prisonniers du Dimat gardés à Saint-Louis591. La réclamation par Elimane Saydou d’avantages autrefois accordés à Elimane Boubacar montre qu’il tenait à se hisser au même niveau, sinon le dépasser en matière de carrure politique. Profitant lui aussi de cette occasion, l’Almaami du Fuuta voulut récupérer à son avantage l’affaire Lebrun. Il donna l’ordre à Elimane Saydou de ne pas libérer l’officier et adressa une correspondance au gouverneur pour exiger « le paiement de Podor » 592. Cette affaire avait fini de prendre une nouvelle dimension. Désormais l’affaire Lebrun constituait une alternative inespérée de règlement de la crise que traversait le mouvement de libération nationale fuutanke depuis le début

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Lebrun, otage du Dimat, fit allusion à la présence de combattants wolof lors de la bataille de Dialmath. Ce sont ceux-là qui l’ont sauvé d’une agression quasi mortelle. C’est cela qui poussa Elimane Saydou à placer Lebrun dans sa propre concession. Ibrahim et Abdoulaye étaient chargés de veiller sur sa sécurité. La nuit, ils se couchaient devant la porte de sa case, leurs fusils aux poings. Un esclave était mis à la disposition de Lebrun. Il assurait le courrier entre le fort de Podor et Dialmath. Emmenant journaux, vin, huile, sucre et lettres. Lebrun lui-même reconnut le haut degré d’humanisme des dimatnaaƃe après sa libération. 590 Thierno Aly Gaye, interviewé par David Robinson, inf. cit. 591 Les prisonniers de guerre auxquels il fit allusion étaient les combattants du Dimat déportés par le corps expéditionnaire. Mais, il y avait des ressortissants du Dimat installés à Saint-Louis qui ont été aussi mis aux arrêts. Leur nombre n’est mentionné nulle part. Lire ANS, 13G120, Correspondance du commandant du poste au gouverneur, Podor, en date du 9 juillet 1854, pièce 18. 592 D’ailleurs, il quitta sa résidence du Fuuta Tooro, accompagné de tous les principaux chefs du pays au nombre de 8 à 10 et chacun d’eux était escorté d’au moins une centaine d’hommes, d’après le courrier de Bakel. Cette impressionnante délégation se rendit dans le Fuuta Tooro occidental afin de prendre langue avec le gouverneur. 589

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du XIXe siècle593. Dans le Tulde Dimat l’affaire Lebrun fut gérée en collégialité par les notables des villages du grand Dimat. Seriñ Nianga et Seriñ Bokhol furent les principaux négociateurs du Tulde Dimat. Ainsi cette prise d’otage avait réussi à recréer dans le Dimat un espoir de rédemption. Elimane Saydou était lui aussi conscient des retombées géopolitiques du dossier. Il savait qu’il tenait une belle occasion pour redorer son blason. Ce dossier pouvait-il tempérer les tendances sécessionnistes des villages occidentaux du Dimat ? Se sentant abandonnés à eux-mêmes, n’avaient-ils pas tenté de se placer sous la protection des Français en septembre 1851 ? Mais Elimane Dimat ne sut pas, pour sa part, profiter au maximum de l’opportunité qu’il avait à négocier au prix fort la libération de Lebrun. Non pas en valeur pécuniaire mais en retombées politiques. Il fut certainement victime de la manipulation de la famille de Cécilé594. Ainsi, Ibrahim et Abdoulaye, bannis de Podor, avaient une occasion de se racheter vis-à-vis des Français. Ibrahim va s’imposer comme le principal négociateur du Tulde Dimat595. Lebrun fut libéré sans aucune sérieuse contre partie et remis en juillet 1854 au commandant du navire le « Marabout » avec une délégation du Dimat composée de 11 personnes dont le chef de Bokhol Boubacar Sèye, de notables de Nianga et en la présence d’Ibrahim et Abdoulaye.

II. Les relations entre le Tulde Dimat et la France au lendemain de la libération de Lebrun : juillet 1854décembre 1857 A- UNE NOUVELLE SOURCE DE CONFLIT : LES DÉSERTIONS DE SOLDATS NOIRS DES FORTS DE PODOR ET DE DAGANA

Dans la correspondance annonçant la libération de Lebrun, le commandant de Podor faisait aussi cas de la désertion de deux soldats noirs du nouveau fort de Podor596. En post-scriptum, il ajoutait: « les deux 593

Les dimatnaaƃe voulaient monnayer leur action, faire de cette affaire un moyen de règlement de l’impasse politique. 594 Le commandant de poste recevait régulièrement le courrier Massamba dans le fort de Podor. Il lui donnait volontiers du vin et cela certainement faisait délier sa langue! 595 Cela était dû au fait qu’il comprenait bien français. Le futur maître de langue de l’Émir des Brakna à leur escale était ainsi très à l’aise dans le milieu politico-commercial. 596 Il avait en ce moment 150 hommes de troupes sous son commandement.

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déserteurs ont été arrêtés par des gens du Dimar, je pense qu’ils vont être rendus … Tout le monde m’assure qu’il sera difficile de conserver des soldats Toucouleurs à Podor. Tous déserteront tôt ou tard » 597. Ainsi sera-til ! Les désertions vont se multiplier. Les Français vont alors indemniser les chefs africains qui s’impliquaient dans la restitution des déserteurs. Entre juillet 1854 et décembre 1854, quelque 12 désertions furent enregistrées dans le fort de Podor. Profitant de la présence dans le Tooro de l’Almaami, Ardo Bootol et Ardo Wodaaƃe partirent se plaindre auprès de lui de la remise en liberté de Lebrun sans leur accord. Almaami ordonna de ne plus rendre les déserteurs gardés à N’dioum et à Guédé, se réservant le droit de les remettre lui-même, main à main, au commandant de Podor. Il tenait à en faire une source de revenu financière et un moyen de pression diplomatique. Cela exaspérait le gouverneur Protêt qui fit dans une correspondance à El Hadji Omar Tall, une prière pour la réussite de son œuvre et entrevut une possibilité d’alliance avec lui en vue de « lutter contre les injustes du Fuuta » 598. Il faisait allusion aux chefs du Fuuta Tooro qui monnayaient la restitution des déserteurs. Du côté du Tulde Dimat, le directeur des affaires extérieures, en tournée à Podor, prit Ibrahim à bord de son navire599. Mais l’officiel français le soupçonnait d’être envoyé auprès de ses parents pour les encourager dans leur attitude hostile aux Français et les convaincre à soutenir les Maures Brakna. Elimane Dimat dépêcha à Dagana une mission dirigée par Boubacar Sèye chef de Bokhol et Mandiaye Sall ex-laptot de Saint-Louis établi à Fanaye, en vue de négocier avec le représentant du gouverneur dont l’absence au rendez-vous de Dialmath est due à la montée des eaux de crue du Sénégal. Le commandant du poste de Dagana leur donna une réponse évasive. Ce qui mécontenta les émissaires. Selon le commandant du fort, le chef de Bokhol représentait « le fanatisme haineux de ces populations ». L’ex-laptot, le « type prudent du laptot de Saint-Louis ». Les émissaires conclurent alors que les Français ne voulaient pas négocier. Un commis du fort, Mamour Ndiaye, chargé de s’approvisionner en petits ruminants dans le Dimat, fut arrêté par le chef de Bokhol. Il fut conduit à Dialmath avec les 30 moutons achetés dans un campement de bergers peul et traduit devant le tribunal musulman qui prononça son expulsion du territoire du Dimat. Elimane Dimat ordonna aussi le blocus du poste de Dagana. Il interdit la vente des bestiaux aux postes français et aux navires des traitants. Elimane Dimat envoya un émissaire à Dagana pour relancer les pourparlers de paix. Le commandant du poste exprima le souhait du gouverneur de la reprise des 597 ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 9 juillet 1854, pièce 9. 598 ANS, 3B92, Correspondance de Protêt à El Hadji Omar, Saint-Louis, en date du 1er septembre 1854, pièce 5 verso. 599 Devenu ministre de l’Émir des Brakna, il venait souvent à Dialmath rendre visite à ses parents.

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négociations de paix. Mais il faisait un double jeu car au même moment, il ordonna aux chefs de Dagana de ne plus recevoir des gens du Dimar dans leur village « sous peine d’être traités comme ennemis eux-mêmes s’il arrivait quelque trahison » 600. Il se mit aussi à travailler les chefs de Gaya dans le but de briser la coalition anti- française. Il envoya des émissaires auprès de certains chefs de la province en vue de connaître leur position dans l’éventualité du renouvellement des hostilités. L’un des griefs soulevé par les Français était le vol répété des troupeaux de leurs établissements de Richard Toll, Merinagen et Dagana601. B- LA LIBERTÉ DE CIRCULATION MÉRIDIENNE ENTRE LES DEUX RIVES DU SÉNÉGAL MENACÉE PAR LE NOUVEL ORDRE FRANÇAIS

Le 16 janvier 1855, les villages de Gaya et Bokhol furent attaqués et incendiés par les troupes françaises. Les pirogues et les matériels de pêche des villageois confisqués. Cet acte visait à décourager, voire enrayer la circulation des populations d’une rive à l’autre du fleuve Sénégal. Le bilan fut de 1 mort à Gaya et de 7 morts et 18 prisonniers à Bokhol. Ce regain de violence est à mettre à l’actif de Faidherbe qui voulait imposer par le feu et par le sang, sa politique de paix. Il fit aussi attaquer et brûler Tékane par un contingent de volontaires du Waalo soutenu par un bateau à vapeur français602. Les notables de Tékane, choqués par cet acte odieux, protestèrent énergiquement603. Rappelons que ce sont des dimatnaaƃe qui n’avaient pas suivi le mouvement migratoire de la fin du XVIIIe siècle ou bien qui se sont rétablis sur le versant droit du fleuve Sénégal. Il en est de même d’autres villages comme Gani, etc. Le gouverneur Faidherbe donna l’ordre aux officiels français d’informer les captifs de la province du Dimat qu’ils pouvaient s’évader et rejoindre les postes français sans être enrôlés dans l’armée. Faidherbe entreprit une politique de déstabilisation du Tulde Dimat. En guerre contre le Waalo, il engagea un bras de fer contre les Tejjek, la famille meen de la reine Ndatté Yalla qu’il expulsa du Waalo. Il leur reprochait leur alliance avec les Maures Trarza et le Tulde Dimat. C’est ainsi que de nombreux Waalo-Waalo partirent en exil dans le Tulde Dimat et au 600

ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 12 décembre 1854, pièce 134. Les problèmes récurrents de vol poussèrent Flize à se rendre à Dagana. Il prit langue avec un émissaire du Lam Tooro qui se trouvait à Dialmath en ce moment. Il lui avait promis, en son nom et en celui des chefs du Dimat et du Fuuta Tooro, de rendre dans un délai de 5 jours les soldats déserteurs et les bœufs volés. 602 ANS, 13G118, Correspondance des habitants de Tékane : Demba Guethié, Saïdou Kane, Alioune Kane, Samba Kane, Boubakar Sadio à monsieur le gouverneur, Tékane, en date du 4 août 1855, n. n. 603 ANS, 13G120, Correspondance de Faidherbe, pièce 34. 601

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Kajoor604. Selon un décompte fait par Serigne Nianga en mars 1855, « les villageois du Waalo réfugiés dans le Dimar viennent de Ndombo, Tiago, Dialakhar, Keur Mbaye, Todde, Mbilor et une partie de Dagana.605 ». Les villages du Tulde Dimat, principalement Gaya, Refo, Ndieurba et Bokhol, qui sont wolophones, craignant des représailles françaises, avaient chassé de chez eux les réfugiés du Waalo qui se réinstallèrent à Fanaye et à Dialmath606. Le gouverneur de la colonie du Sénégal demandait au chef Tulde Dimat d’interdire le passage des Maures sur son territoire607. Il voulait entraver la circulation des personnes et des biens entre le nord et le sud de la Vallée. Au mois de mai 1855, le gouverneur réitéra sa volonté de démarcation nette entre les territoires maures situés à la lisière du désert et ceux des noirs bordant la Vallée. Il voulut faire des rebords nord de la Vallée du fleuve une frontière artificielle. Il manda le directeur des affaires extérieures d’indiquer les populations à ménager608. Durant l’année 1855, un parti anti-maure voulut imposer un nommé Elimane Haby Kane comme Elimane Dimat. Le commandant de Dagana jubilait en l’annonçant au gouverneur.609 L’obsession de Faidherbe à séparer les Maures des Fuutankooƃe ne se limitait pas seulement au Dimat610. Répondant à une offre d’alliance de Serigne Kokki Diop contre les Ceddo du Kajoor, Faidherbe se demanda s’il n’allait pas être trahi, « comme les walowalo l’ont fait en s’alliant aux maures » 611. Elimane Dimat Elimane Saydou, pour sa part, fit savoir sans ambages à Faidherbe sa stratégie politique basée sur l’instauration de relations 604

Beaucoup de migrants Waalo-Waalo habitants dans le Touldé Dimat ont rejoint la province en ces moments difficiles. Ils sont devenus poularophones. Des poularophones se sont installés au-delà de Fanaye et sont devenus wolophones. Ils ont des patronymes Wellé, Sy, Sow, Diallo… 605 Les villages du Dimar qui ont reçu les gens du Waalo sont : Diagnoum, Thiangaye, Langobé, ThilléBoubacar, Ndiayène et Fanaye Diéri. Lire ANS, 13G120, Correspondance du commandant du poste de Podor au gouverneur, en date du 9 mars 1855, pièce 37. 606 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, en date du 1er décembre 1855, pièce 151. 607 Les Français ignoraient que le Touldé Dimat était une voie de passage des transhumants, commerçants et marabouts maures dans leurs déplacements méridiens vers le Kajoor, Bawool, N’diambour, Djolof, etc. 608 S’adressant aux habitants du Waalo, il les avertit en ces termes : « je vous l’ai dit déjà et je vous le répète, le Waalo sera séparé des Trarzas ou bien il sera désert »., ANS, 3B91, Correspondance de Faidherbe à Ndatté Yalla, Saint- Louis, en date du 9 mai 1855, pièce 16. 609 ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 13 juillet 1855, pièce 50. Le règne d’Elimane Haby fut bref. 610 En juillet 1855, il fit savoir au Damel du Kajoor : « que j’ai juré de délivrer ce pays des noirs, des maures. Pourquoi le Cayor a-t-il un maure pour ministre ? Est-ce qu’il n’y a pas des ouolofs capables et qui méritent la confiance » ? 611 ANS, 3B91, Correspondance de Faidherbe au Damel, Saint -Louis, en date du 13 juillet 1855, pièce 20.

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équilibrées avec ses voisins quelle que soit la couleur de leur peau et en toute liberté. Il était comme son père Elimane Boubacar ou Simon Kimbangu612 fier d’ȇtre un Africain libre. En mars 1857, une altercation, survenue à une réunion des chefs du Fuuta à Mboumba, opposait Elimane Saydou à Lam Tooro au sujet des Brakna. Elimane Saydou leur fit savoir qu’il a toujours mobilisé son armée pour la cause des autres et lorsque la guerre a été déclarée, on l’a toujours laissé seul à la soutenir, qu’il n’a jamais reçu de coutume et ce n’est pas maintenant qu’il fera la guerre pour en avoir613. En mai 1857, les Français envoyèrent des volontaires à Dagana afin de traquer les Maures originaires de la rive droite qui s’y trouvaient. Ils devaient, dans leur chasse à l’homme blanc, être appuyés par les populations locales. Les habitants de Bokhol, Fanaye et Gaya montrèrent peu d’empressement à rejoindre les milices anti-Maures. Dagana par exemple fournit seulement 9 hommes sur les 40 promis par le chef de village614. Dans les plans du gouverneur, le centre nodal du dispositif contre la libre circulation des Maures était l’axe Fanaye, Bokhol et Gaya. Les habitants de Gaya, dont le quai était très fréquenté comme point de traversée du fleuve Sénégal, lui avaient promis de « repousser vigoureusement les maures » 615 .En juin 1857, lorsqu’un contingent Trarza transita par le Tulde Dimat pour aller razzier dans le Waalo et le Kajoor, une délégation composée d’Elimane Dimat, Elimane Fanaye et Elimane Thiangaye se rendit sous leur campement et notifia à leur chef de quitter immédiatement les lieux616.SaintLouis s’appuya sur les notables du Tulde Dimat pour empêcher les Maures Trarza de se rendre sans permission sur la rive gauche. 612

Simon Kimbangu, est un grand chef religieux chrétien africain. Son nom signifie : « celui qui révèle les choses cachées ». Il est né à Nkamba, dans le Congo-Central (République Démocratique du Congo) le 12 septembre 1887 et est mort le 12 octobre 1951 à Lubumbashi. Le 10 Septembre 1921, il fit une prophétie dont la portée dépasse le Kongo et concerne tout Homme Noir. Comme Elimane Saydou, Simon Kimbangu est mort en déportation… Nous avons eu l’honneur de séjourner dans la ville de Nkamba sa capitale spirituelle baptisée la nouvelle Jérusalem. Lire M'Bokolo Elikia et Sabakinu Kivilu (éditeurs), 2014, Simon Kimbangu, le prophète de la libération de l'homme noir, 2 tomes, Paris, Harmattan. 613 Elimane Saydou s’était opposé à une alliance du Fuuta avec Mohamed Sidi des Brakna. Ce dernier était venu voir Almaami avec un cadeau de trois chevaux afin de monter une coalition anti-française. Le roi des Brakna s’était déjà entendu avec Mohamed El Habib. Lire Moniteur du Sénégal et dépendances, Journal officiel, 2ème année. 614 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 28 mai 1857, pièce 157. 615 Un camp militaire fut implanté à Floissac sous la direction de M. Roman. Les Français encouragèrent aussi des razzia dans les campements maures de la rive droite. Les Maures se vengèrent sur les populations de la rive gauche par des contre-razzia. Mais en décembre 1857, le commandant de Dagana, Canard, déclarait avoir crée un bouclier efficace contre les Maures. Lire ANS, 13G 100, Correspondance de l’officier commandant le poste au gouverneur du Sénégal au sujet des villages de Fanaye, Bokhol, Gaya et Dagana, Dagana, en date du 29 décembre 1857, pièce 189. 616 ANS, 13G118, Correspondance d’Elimane Dimar, Elimane Fanaye, Elimane Thiangaye au commandant Teisser, en date du 19 juin 1857, pièce 28.

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III. Les conflits dans le Tulde Dimat de 1858 à 1859 A- LA PERSISTANCE DES MENACES DE DISLOCATION DES RÉSEAUX TRANSCULTURELS : GAYA ET BOKHOL ANNEXÉS PAR LA FRANCE EN JANVIER 1858

Le démembrement progressif des réseaux séculaires était en bonne voie. La dislocation du Tulde Dimat, longtemps souhaitée par les Français, se matérialisa en janvier 1858 lorsque les chefs de villages de Gaya et Bokhol décidèrent de leur propre gré de se donner « à la France…, en présence d’une députation nombreuse, composée des principaux habitants … qui étaient venus exposer les vœux de toute la population » 617. Les retombées économiques et politiques du ralliement de ces deux villages au cercle de Dagana intéressaient les Français618. Durant la période allant de janvier à mars 1858, les maisons de commerce françaises Maurel et Chaumet ont à elles seules traité à Dagana ou à Bokhol plus de 200 000 kilos de beref (grains de pastèques). Les Français misaient sur cette denrée pour obtenir de l’huile végétale alimentaire jusqu’à ce qu’ils se rendirent compte de la faiblesse de sa teneur en calories. La précocité des récoltes sous pluie de cette partie du Tulde Dimat permettait aussi aux traitants de spéculer sur les prix des denrées agricoles619. Les habitants des villages de Gaya et de Bokhol firent des excursions sur la rive droite du fleuve Sénégal pour cueillir de la gomme arabique dans les forêts d’acacia sénégalensis ou de gommiers. En février 1859, 300 tonneaux de gommes y furent cueillis.620 Quel était le degré d’implication des traitants dans le ralliement de ces villages dans le giron français ? Qui a fourni des armes aux 30 ou 40 hommes de Gaya et Bokhol qui firent 4 expéditions aux alentours du Lac R’kiz contre des campements maures ? 621

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Moniteur du Sénégal et dépendances, mardi 14 janvier 1858, 3ème année, n° 95, p. 4. Ce « sont d’excellents cultivateurs, et leur pays est très riche en mil. Ils payaient, jusqu’à dans ces dernières années, la dîme à l’Almaami du Fuuta leur ancien suzerain, et de tribus assez considérables aux maures Trarza. C’est encore une riche proie enlevée à ces derniers ». Ibid. 619 C’est pourquoi, le marché de Dagana dépassait dès la seconde moitié du XIXème siècle les possibilités agricoles de la région. Dès 1857, Gaya, Bokhol et Fanaye accueillent des traitants qui s’y installent. Lire Delaunay, D., « Migrations et pénétration de l’économie marchande dans le Waalo (région du fleuve Sénégal) », ORSTOM, Paris, octobre 1985, pp. 23- 24. 620 ANS, 13G101, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 2 mars 1850, pièce 5. 621 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 23 mars 1858, pièce 190. 618

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Le ralliement de ces deux villages wolophones pourrait aussi s’expliquer par la proximité du fort de Dagana et par le fait qu’ils soient établis sur un territoire transculturel, difficilement contrôlable puisque situé sur les marges du dar al islam. Ces populations étaient installées, rappelons-le, sur des terres données par l’Almaami du Fuuta Tooro622. On pourrait reprocher au chef du Tulde Dimat de manquer de rigueur dans sa stratégie de conservation de l’intégrité de son territoire. En rattachant ces localités au cercle de Dagana, les Français voulaient d’abord mettre fin à la solidarité et à la communion transethnique qui prévalait au sein de cette partie de la Sénégambie. Le ralliement de Gaya et Bokhol à la France n’est pas une reddition, mais un calcul politique juste des chefs de ces deux villages qui se trouvaient de plus en plus isolés entre un Waalo annexé par les Français mais entièrement affaibli par les Maures, et un Dimat traversant une zone de turbulence. Ce sont donc des pressions extérieures qui poussèrent ces villages à s’allier à la France. C’est pourquoi ils vont saisir la première occasion pour se remettre aux côtés du grand Dimat. L’annexion de ces deux villages eut pour conséquence immédiate une déstructuration des mécanismes traditionnels de règlements de conflit entre cultivateurs et éleveurs. En mars 1858, le commandant de Dagana fit face à une fronde des Peul de son cercle qui se plaignaient d’être injustement sanctionnés à la suite de l’empiétement de leur cheptel dans un champ de niébé. Ils adressèrent une réclamation au gouverneur qui la répercuta au commandant. Les officiels français ne savaient pas comment gérer ces genres de conflits qui leur sont inconnus. Cela était dû au fait que l’administration française avait fait entrer en vigueur une réglementation défavorable aux éleveurs. Dans la zone, les Peul étaient majoritairement éleveurs et les Wolof majoritairement cultivateurs.

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Dans les circonstances que voici, selon un document que nous avons retrouvé dans les archives nationales du Sénégal : « Il y a environ 140 années, le village de Réffo était habité par des wolofs qui louaient à l’Almamy les terrains qu’ils cultivaient le Diom Ross percevait les coutumes au nom de son chef ou désignait un individu de son choix qui prenait le titre d’Almamy…Quelques années après, l’Almamy Abdel Kader dans la guerre qu’il fit aux maures, ayant fait passer tous les villages qui étaient sur la rive droite à la rive gauche, donna aux gens de Cayar (lac R’kiz) le terrain qu’ils occupent actuellement ».D’après une enquête menée par le commandant de Dagana, confirmée par Boubacar Sèye le chef de Bokhol et le saltigué Kann, les terrains de culture de Réffo s’étendent depuis Bokhol jusqu’à Dagana et occupent toutes les plaines de gros mil entre ces deux villages. Lire ANS, 13G100, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 22 décembre 1858, pièce 209.

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Les Français ignoraient l’existence de stratégies multiséculaires locales de règlement des conflits entre éleveurs et cultivateurs dans cet espace partagé. B- LE DÉBUT DU RÈGNE CONCOMITANT DE DEUX ELIMANE DANS LE TULDE DIMAT : FÉVRIER 1858-AOÛT 1859

En février 1858, Abdoul Boli l’ami des Français proclama être le nouvel Elimane Dimat légitime ce, dans une correspondance au gouverneur que : « nous vous faisons connaître que nous avons été nommé Elimane par notre peuple… Nous sommes derrière vous et nous vous suivons. Nous exécuterons tout ce que vous désirez » 623. Le Tulde Dimat eut deux Elimane qui se disputèrent la légitimité, prétendirent parler et agir au nom des populations. Le commandant de Dagana, reçut le 02 avril 1858 la visite d’une délégation de chefs comprenant « le nouvel Elimane Abdou Boli, accompagné des chefs de Fanaye et de Thiangaye » 624, venue faire acte d’allégeance au gouverneur. Le Moniteur du Sénégal est plus explicite quant à l’objet de cette visite et le statut social des visiteurs : « Elimane Abdoul Boly, Elimane Fanaye et Elimane Thiangaye sont venus demander au nom du Dimar à se donner à la France. Nous ne sommes pas encore assez sûrs que l’opinion unanime du Dimar soit favorable à cette proposition » 625. Les Français étaient conscients que la population du Dimat lui était majoritairement hostile comme le signale cet extrait de correspondance : « l’ancien Elimane a encore bon nombre de gens pour lui, Elimane Abdoul Boly a peu de partisans » 626. Optimiste, l’officiel français avançait que les chefs de la province ne tarderont pas à se rallier à lui. Pour mettre en confiance son nouvel allié, il le mit séance tenante en rapport avec des hommes de Gandon venus rechercher leurs parents vendus comme esclaves dans le Dimat. Le commandant, dans des prévisions hyper optimistes, affirma que les habitants du Dimat étaient conscients, que leur avenir, sans la protection de la France, paraît sombre. Il renouvela à Abdoul Boli les conditions posées par le gouverneur pour l’excellence des nouvelles relations entre Dialmath et Saint-Louis627. 623

ANS, 13G118, Correspondance d’Abdoul Boli au gouverneur, Dialmath en date du 16 février 1858, pièce 32. 624 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 11 avril 1858, pièce 191. 625 Moniteur du Sénégal et dépendances, 3ème année, n°107, mardi 13 avril 1858, p. 3. 626 ANS, 13G100, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 11 avril 1858, pièce 191. 627 Il s’agissait de l’interdiction faite aux Noirs de passer sur la rive droite, d’accueillir ou de laisser passer les Maures sur leur territoire. De l’interdiction faite aux Noirs et surtout à leurs captifs de se livrer à la cueillette de la gomme arabique sur la rive droite, de la restitution des déserteurs et des malfaiteurs qui se réfugieraient dans le Tulde Dimat.

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Elimane Saydou n’était pas resté inactif face à la volonté française d’instaurer une alternance politique forcée dans le Dimat au seul motif qu’il leur fallait un homme acquis à leur cause. Elimane Saydou expliqua au gouverneur pourquoi il avait gardé à Dialmath les captifs originaires de Gandon. Il réaffirma sa volonté de rester en paix avec les Français et enfin nia être l’allié des Maures en invitant le gouverneur à nuancer ses accusations628. Les Français cherchaient des alliés pour consolider le camp hostile aux Maures et à El Hadji Omar Tall. C’est qu’entre les deux Elimane prétendant agir au nom du Tulde Dimat, Faidherbe avait décidé comme critère de choix de celui qui allait devenir son allié, le plus enclin à accepter les rigoureuses conditions fixées depuis août 1855. Pour le jauger, Faidherbe fixa un rendezvous à Elimane Saydou au début de juin 1858 à Risga. Elimane Saydou, fin stratège n’honora pas le rendez-vous. Voulait-il montrer à Faidherbe qu’il n’était pas demandeur de cette entrevue ? L’attitude d’Elimane Saydou mit Faidherbe dans tous ses états. Il publia par l’entremise du commandant des escales, une lettre circulaire où précisait-t-il : « d’après la conviction que j’ai acquise qu’il y a deux partis dans le Dimar et que celui d’Elimane Seydou nous est hostile, nous ne reconnaîtrons à l’avenir que Abdoul Boli pour chef du Dimar, nous le soutiendrons contre le parti contraire » 629. Très remonté contre Elimane Saydou, Faidherbe prit une série de mesures coercitives à son endroit : « Elimane Seydou et ses parents ne seront plus reçus dans nos postes. Vous écrirez une lettre aux chefs du Dimar pour leur annoncer cette décision et vous protégerez les partisans d’Elimane Abdoul Boli en toutes circonstances » 630. Sur le plan commercial, à partir d’avril 1858, les traitants achetant du mil dans le Dimat, furent interdits désormais d’acheter la gomme en dehors de Podor et de Dagana. En juin 1858, 943 kilos de gomme arabique appartenant à un habitant de Gaya furent confisqués. Sur le plan politique, Elimane Samba Ly de Fanaye se disait lui aussi disposé à se ranger du côté des Français.

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« Beaucoup de nouvelles que vous apprenez sur mon compte sont très fausses, n’écoutez ni les calomniateurs, ni les menteurs ». ANS, 13G118, Correspondance d’Elimane Saïdou Kane au gouverneur, Jalmac, en date du 24 avril 1858, pièce 34. 629 ANS, 3B77, Lettre circulaire de Faidherbe au commandant des escales, Podor, en date du 7 juin 1858, pièce 46. 630 Ibid.

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C- LE CAMP PRO-FRANÇAIS OFFRE LE DIMAT À FAIDHERBE

: 18 JUIN 1858

Le traité de paix conclu à Saint-Louis le 18 juin 1858 entre Louis Faidherbe gouverneur de la colonie et Elimane Abdoul Boli a été fait et signé en trois exemplaires. En la présence et avec l’assentiment d’Elimane Fanaye et d’Elimane Thiangaye. Il est le troisième que Faidherbe signa avec les pays voisins de la colonie du Sénégal631. Il est à la fois synonyme d’annexion du Tulde Dimat à la colonie et une déclaration d’indépendance, de cette partie extrême occidentale du Fuuta Tooro. Ce, sous la direction d’un chef imposé par ces mêmes Français. Ces derniers savaient, depuis le temps d’Elimane Boubacar, que les Almaami du Fuuta n’exerçaient aucune autorité réelle sur le Dimat. Ce n’est pas vraiment le Dimat mais Elimane Abdoul qui venait d’être reconnu comme le chef officiel du Dimat pro-français. Faidherbe a volontairement utilisé des termes ambigus comme « protection et protecteur». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le démembrement du grand Fuuta Tooro était inscrit parmi les priorités des gouverneurs successifs de SaintLouis632. Faidherbe délimita la zone tampon qui devait être un espace de sécurité « compris entre le marigot de Ngalanka et le marigot du Doué ». Les villages de Dagana-Serigne, Gaya et Bokhol, partie intégrante du Fuuta devaient en être définitivement séparés. C’est cet ensemble de villages qui déclarait « se séparer complètement du Fouta…par l’organe du chef qu’ils ont choisi ». Cette décision renvoie à la lettre circulaire du 7 juin 1858 où Faidherbe annonçait sa volonté de soutenir désormais Abdoul Boli. Dans le traité de paix franco-brakna du 10 juin 1858, signé avec Mohamed Sidy roi des Brakna, allié de Mohamed El Habib des Trarza, il est stipulé à l’article 1 « que le roi des Brakna s’engage, en son nom et aux noms de ses successeurs, à exercer la plus grande surveillance pour empêcher les courses et pillages de ses tribus sur la rive gauche du fleuve, au-dessus de

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Après les traités signés avec le Brakna, Trarza en l’espace de deux mois. Voir en pièce annexe IV, l’intégral du traité. 632 « L’échec de la colonisation agricole en Sénégambie, la fin de la traite négrière, le marasme économique, cause du déclin du commerce de la gomme, ouvraient une ère de recherches tous azimuts de l’administration coloniale pour développer les activités commerciales dans toutes les régions possibles : il fallait sortir la colonie de sa léthargie et l’adapter à la nouvelle conjoncture économique»., Diouf M., op. cit., p. 148.

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Moctar Salam, dans le Dimar et dans le Djolof, dont il reconnaît le gouverneur du Sénégal pour protecteur »633. Le contenu de l’article 1 est flou et même contradictoire. Comment Faidherbe pouvait-il réellement se déclarer protecteur du Dimat sans la signature officielle d’un traité de protectorat ? Comment une indépendance pouvait-elle être associée à une mise sous tutelle ? Pourquoi les Français font-ils appel à un étiquetage ethnique pour nommer la partie occidentale du Dimat (Gaya et Bokhol) qui, depuis janvier 1858 s’était volontairement séparée du Dimat ? La confusion apparait encore dans le premier paragraphe de l’article 1 du traité entre la France et le Trarza du 20 mai 1858 signé à Saint-Louis et aussi de son article 2 où il est stipulé que « le roi des Trarza reconnaît en son nom et aux noms de ses successeurs que le gouverneur du Sénégal est le protecteur des États Ouolofs du Dimar, du Djolof, du Ndiambour et du Cayor…» Ici l’expression « États ouolofs du Dimar » 634 renvoie aux 3 villages que sont Bokhol, Gaya et Dagana Serigne. La référence à l’ethnie n’était jusque-là pas fréquemment utilisée pour l’identification des entités politiques africaines. En mai 1858, était-ce le seul moyen de nommer le Dimat pro-français ? 635 En signant ce traité, les Français tentaient de régler leurs préoccupations politiques, commerciales et sécuritaires636. Le gouverneur était plus explicite dans le dernier paragraphe du traité car il y reprenait la lettre et l’esprit de sa circulaire en reconnaissant : « l’indépendance de ce nouvel État, ainsi que le chef Abdoul Boly qu’il s’est nommé, et lui accorde sa protection ». L’interprétation de cette phrase reste problématique. La protection estelle accordée à l’allié Abdoul Boli en personne ou au territoire du Dimat ? Cette protection est-elle synonyme de protectorat au sens juridique du terme? Il s’agit d’une confusion entretenue par Faidherbe et lorsque les circonstances furent favorables, il l’interpréta à sa guise. Cet article 1er résume le dessein que Faidherbe nourrissait vis-à-vis du grand Fuuta Tooro qu’il tenait à démembrer s’il trouvait en son sein des complices. 633

Sow A., op. cit., 252 p. Ibid. 635 Pour reprendre l’expression des notables wolof de Gaya et Boxol. 636 La sécurité de la colonie a toujours préoccupé les Français. « Déjà en 1854, Faidherbe proposait à Protêt l’annexion du Ganjool et du Tuube. A son avis, c´était le seul moyen de mettre fin aux razzias des troupeaux et d´assurer la sécurité des commerçants sénégalais et des cultivateurs du Ganjool »., Diouf M., op. cit., p. 185. Les objectifs visés semblent être les mêmes dans le Dimar. 634

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Le Moniteur du Sénégal du 22 juin 1858 révélait que : «…pendant qu’Al Hadji travaille le Fuuta dans l’Est, nous parvenons, de notre côté, à l’entamer dans l’Ouest. L’Elimane Dimar, reconnu par nous, et qu’il ne dépendra plus de l’Almaami de changer à son gré, est Elimane Abdoul Boly…»637. Devant le conseil d’administration de la colonie, Faidherbe disait que « la déclaration du Dimar est d’une grande importance, c’est un commencement de démembrement du Fuuta » 638. La portée du traité Dans son rapport d’Etat-major sur la bataille de Dialmath639, Faidherbe notait que Dialmath, avait la réputation d’être imprenable640. Protêt lui aussi ajoutait que c’était l’occasion pour les Français de battre les populations les plus nombreuses et les plus guerrières du Sénégal641. La France devait s’atteler à récupérer ces excellents combattants pour les enrôler dans son armée. Dans l’article 2, Abdoul Boli s’engageait à ne plus faire du Tulde Dimat « un refuge de brigands ». Faidherbe ignorait que l’organisation sociale et politique du Tulde Dimat, favorisait une intégration très rapide des étrangers642. L’article 2 réglait une ancienne préoccupation française : en août 1855 déjà, Faidherbe posait un problème juridique à Elimane Saydou : «… si les Maures faisaient du tort à mes sujets sur le territoire du Dimar, je serais obligé de m’en prendre au Dimar, car chaque nation est responsable de ce qui se passe dans son territoire » 643. L’article 3 prenait en compte une des recommandations du plan du gouverneur capitaine de vaisseau Louis Edouard Bouet-Willaumez de 1844644. L’article 4 fait allusion à des préoccupations sécuritaires. Le Tulde Dimat a été depuis son redéploiement sur la rive gauche du Sénégal à la fin 637

Moniteur du Sénégal et dépendances, mardi 22 juin 1858, n°117, p. 4. ANS, 3E 27, Saint-Louis, Délibération du conseil d’administration, en date du 31 juin 1858, n°6, traité de paix avec le Dimar, pp. 173-174. 639 Qui l’a en partie propulsé à la tête de la colonie du Sénégal. 640 ANS, Rapport du Chef d’état-major de l’Expédition, op. cit. 641 ANS, 1D7, Rapport du Chef d’état-major de l’Expédition, le chef de bataillon d’infanterie de marine, chef d’État-major, op. cit. 642 S’y ajoute que le Soudan occidental a toujours été une terre d’hospitalité. Aussi il y avait à Dimat des quartiers regroupant des Maures, le quartier des Wolof et le quartier des nouveaux migrants (Sinthiane). En plus des quartiers mixtes. 643 ANS, 13G118, Correspondance de Faidherbe à Elimane Saïdou Kane, Saint-Louis, en date du 6 août 1855, pièce 5. 644 En priorité il s’agissait de supprimer le plus tôt possible les coutumes de l’État. Ce sont de vieilles doléances des traitants que le gouverneur était en train de satisfaire car ils ont largement participé à sa montée en puissance. 638

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du XVIIIe siècle un danger pour les Français qui le traversent en période de brouille politique645. Les navires étaient en effet attaqués. Comme le soulignait Flize : «… les gens de Saint-Louis ne parlent qu’avec un sentiment de chagrin et de dépit, de nombreuses pertes que les gens du Dimar leur ont autrefois fait essuyer en hommes et en biens » 646. Faidherbe exigea d’Abdoul Boli la protection des sujets français et de leurs biens dans son pays et réciproquement647.

IV. Le double dénouement tragique du bicéphalisme :1859 - 1862 A- L’ENLÈVEMENT D’ELIMANE JUIN 1859

SAYDOU ET SES CONSÉQUENCES :

Une colonne française partit de Saint-Louis. Elle arriva à Podor à 4 heures et ½ du matin après avoir attaqué sur son passage les Maures Brakna et razzié des milliers de bêtes. De là, elle appareilla le 18 juin 1859, à 6 heures du soir pour Risga où elle devait opérer un nouveau débarquement. Elle devait se rendre à Dialmath, résidence du chef allié d’El Hadji Omar et l’enlever. La colonne expéditionnaire était composée de 125 hommes d’infanterie de marine commandés par le capitaine Millet, 400 tirailleurs sénégalais, 50 spahis à pieds, sous la direction du sous-lieutenant Alioune Sall, 20 artilleurs sous la direction du lieutenant Huché de Conté, 100 laptots sous la direction du capitaine Picot, le service de l’ambulance. Ces hommes étaient répartis dans 4 bâtiments à vapeur : « la Bourrasque », « La Couleuvrine » qui sont des canonnières, les avisos à vapeur « le Serpent » et « le Basilic » sous le commandement supérieur de M. Ravel lieutenant de vaisseau, capitaine de « la Bourrasque ».

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Faidherbe n’avait-il pas évalué les pertes subies par les traitants dans le Fuuta à 200.000 Francs et prétendu compenser cette perte par la prise de l’emplacement de Matam ? 646 Moniteur du Sénégal et dépendances, 4 mai 1859, n°110, p. 3. 647 L’article 5 autorise les Français à couper du bois et faire paître leur bétail dans le Touldé Dimat et réciproquement. Les bateaux à vapeur qui sillonnaient le fleuve Sénégal, puis les navires naviguant dans l’océan et plus tard les trains de la voie ferrée Dakar-Saint-Louis devaient être pourvus en bois de chauffe. La Vallée du fleuve Sénégal avait d’importantes espèces végétales dont les bois étaient coupés et arrimés en stères au bord du fleuve Sénégal. La région ayant un climat instable, souvent le tapis herbacé était insuffisant autour des postes français, c’est pourquoi il fallait aller chercher du fourrage ailleurs. L’article 6 confirme les objectifs visés à travers ce traité de paix qui doit servir de base « aux relations politiques et commerciales entre le Dimar et la France ».

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Les troupes entrèrent le 19 juin 1859 à Dialmath. Les assaillants, profitant de l’effet de surprise, cernèrent le village sous les ordres du commandant Faron. Un peloton de tirailleurs sénégalais commandé par Benech et le peloton de spahis sous les ordres d’Alioune Sall accompagnés de l’interprète Tiécoura pénétrèrent dans le centre de la capitale, dans la principale concession des Kane pour chercher Elimane Saydou qui était à la mosquée. Malgré le caractère secret de l’opération, il y eut de la résistance. Il fut pris et conduit de force à Saint-Louis le 19 juin 1859. La capture d’Elimane Saydou avait pour objectif de disloquer le camp des alliés d’El Hadji Omar et séparer le Dimat définitivement des Maures. Mais la finalité de cette expédition était l’annexion pure et simple du Dimat648. Il s’agit d’une violation flagrante du traité signé un an plus tôt et dans lequel la France avait prétendu reconnaître l’indépendance du Dimat. Pourquoi profiter de l’enlèvement de l’Elimane légitime pour faire flotter le drapeau français sur Dialmath et faire « porter le burnous d’investiture à Elimane Abdoul Boly qui le désigne à tous comme un chef nommé par le gouverneur et non plus indépendant » ? Pourquoi cette reculade ? Ainsi les résultats de cette courte campagne ont dépassé les espérances des Français649. La colonne expéditionnaire est allée au-delà de sa mission initiale. Les Français s’attendaient- ils à une résistance très âpre ? L’enlèvement d’Elimane Saydou marquait un tournant dans la trajectoire du Tulde Dimat, annexé purement et simplement à la France sans qu’aucune négociation n’ait eu lieu. Après Gaya, Bokhol, ce fut le tour de Dialmath, la capitale du Dimat qui est soustraite du territoire Elimanal qui se rétrécit comme une peau de chagrin. Cette déportation ne fut pas la première, ni la dernière. Il y aura es cas de Cheikh Ahmadou Bamba, Samory Touré, Simon Kimbangu, etc. Il y a, à coté de ces célèbrités des milliers de déportés à Gorée, en Afrique centrale, dans les Antilles françaises ou en Nouvelle Calédonie650.

L’enlèvement d’Elimane Saydou, homme politique et religieux, fut un événement inédit dans le Tulde Dimat651. Conduit à SaintLouis, il ne fut pas mis en prison, mais placé en résidence surveillée

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Moniteur du Sénégal et dépendances, mardi 21 juin 1859, n° 169. Ibid. 650 Pour la Nouvelle Calédonie, il s’agit principalement d’Algériens mais aussi des Marocains et Tunisiens qui étaient des prisonniers politiques ou des relégués. 651 Dans la Vallée du Sénégal, le premier enlèvement d’un chef opéré par les Français remonte en 1844. Il s’agissait d’un prince des Brakna qu’ils déportèrent au Gabon. Jusqu’ici les enlèvements se faisaient à la suite de guet-apens ou de rendez-vous donné dans un bateau. 649

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chez Hamat Ndiaye Anne, Qadi et président du tribunal musulman652. Les chefs du Tulde Dimat étaient à la fois inquiets et étonnés. Le commandant de Dagana signala avoir reçu la visite d’Elimane Fanaye, juste après la déportation de son collègue et proche parent. Le commandant fit part au gouverneur de l’intention des partisans d’Elimane Saydou d’envoyer une députation à Saint-Louis. Les premiers à réagir furent les élites politiques et religieuses du Tulde Dimat qui activèrent leur réseau de solidarité ; il s’agit en l’occurrence Elimane Thiangaye, Elimane Fanaye, Seriñ Nianga, Ardo Wodaaƃe, Joom Jemmbu, Joom Bawtungol, Ardo Kiraye et Tapsir Diabiri Diallo de Diagnoum653. Les chefs wolof, fulbé et tooroƃƃe attestèrent du haut degré de nationalisme et de piété d’Elimane Saydou qui a préféré rester dans le Fuuta Tooro occidental au lieu de suivre le fergo omarien654. Elimane Saydou fut à notre avis aussi bien incompris par El Hadji Omar que par Faidherbe. Il était un homme libre, un double résistant aussi bien à l’appel du réformateur musulman Fuutanke655, qu’à celui de l’offre d’alliance de Faidherbe. Les élites du Dimat mettaient en exergue cette double incompréhension comme le catalyseur de la chute d’Élimane Dimat. Elles implorèrent alors le chef de la colonie de ne pas écouter « les paroles des hommes dépravés, corrompus, des imposteurs qui s’interposent entre vous deux » 656. Les notables terminèrent leur correspondance sur un ton de

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Selon une version de la tradition orale, Ḗlimane Saydou Ḗlimane Boubacar déporté à Saint-Louis, puis mis en résidence surveillée, se serait marié à Fatimata Ndiaye Sellé Seck, une proche parente à Bou El Mogdad Seck. De cette union serait née entre autres Dioumel Kane. Elle se serait mariée à un membre de la famille Kounta. Ahmed Bachir Kounta journaliste à la retraite (RTS) est issu de cette famille. 653 Elles rédigèrent une lettre collective parvenue à Saint-Louis le 11 juillet 1859 en même temps que celle des leaders du Tooro. Les chefs du Touldé Dimat débutèrent leur lettre par un témoignage unanime sur le rôle central de Elimane Saydu comme défenseur de l’islam, représentant local du mouvement de libération nationale Fuutanke et porte drapeau de l’étendard de l’islam. Les notables précisèrent aussi que : « le but de cette lettre est de vous dire qu’Elimane Seydou est un vrai croyant, pieux, juste et loyal qui ne fait aucun mal aux musulmans, qui ne pille pas le bien des autres et qui s’occupe de ce qui est utile à la religion et à notre intérêt. Lorsqu’Al Hadji est venu à Ndioum, il réunit tout le monde pour un palabre. Al Hadji leur ordonna de partir immédiatement pour Nioro, tous promirent de lui obéir et il n’y eut qu’Elimane Seydou seulement qui refusa de quitter son pays »., Lire ANS, 13G118, Correspondance des notables du Dimar à Faidherbe, Dialmath, en date du 11 juillet 1859, pièce 39. 654 El Hadji Omar s’étonna lors de la rencontre de Ndioum pourquoi Elimane Saydou préférait décliner l’offre de hijra, déclarant : « le gouverneur n’est que mon voisin qui ne m’empêche pas d’adorer Dieu et qui ne me fera pas changer de religion : mais je préfère rester dans mon pays plus tôt que d’aller à Nioro et je veux y mourir comme mon père y est mort » L’argumentaire d’Elimane Dimat a certainement était mal traduit. Par le terme religion il faisait allusion à l’affiliation confrérique. Lire ANS, 13G118, Correspondance des notables du Dimar à Faidherbe, Dialmath, en date du 11 juillet 1859, pièce 39. 655 Qui était persuadé que son pays natal était souillé. 656 ANS,13G118, Correspondance des notables du Dimar à Faidherbe, Dialmath, en date du 11 juillet 1859, pièce 39.

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regret : « si nous avions su ce qui est arrivé aujourd’hui, tous les gens du Tooro auraient suivi Al Hadji à plus forte raison le Dimar » 657. Le même jour, le gouverneur reçut la pétition des notables du Tooro qui louèrent l’excellence de leur relation de bon voisinage avec le gouverneur. Était-ce vraiment sincère ? Ils demandèrent la libération d’Elimane Saydou, attestèrent eux aussi qu’il est un homme qui s’occupe activement des intérêts du pays658. Les co-signataires de la troisième lettre-pétition (des notables de Dialmath, de l’Ardo Wodaaƃe et de Tapsir Diabiri Diallo659) demandèrent encore une fois la libération d’Elimane Saydou : « nous supplions Dieu, son Prophète et nous vous prions de nous rendre Elimane Seydou pour qu’il puisse retourner chez lui près de sa femme et de ses enfants où il ne sera occupé qu’à adorer Dieu, où il ne se mêlera d’aucune affaire…»660. Soulignons cependant le silence observé par Abdoul Boli qui n’a pas réagi par écrit après l’arrestation de son rival661. Les populations de Dialmath662, vivant pour la première fois l’enlèvement d’un chef, crurent en son assassinat663. Elles diagnostiquèrent ainsi le malheur qui frappait leur pays : « les agitateurs ont cherché et entretenu à brouiller Elimane Seydou et son cousin et beau-frère Abdoul Boli » 664. B- L’ASSASSINAT D’ELIMANE ABDOUL BOLI. LES CIRCONSTANCES ET LES CONSÉQUENCES DE LA MORT DU LEADER PRO-FRANÇAIS : AOÛT 1859

Un ensemble de facteurs explique le raidissement et l’extrémisme des deux camps entraînant l’assassinat d’Abdoul Boli le mercredi 31 août 1859 657

ANS, 13G118, Correspondance des notables du Dimar à Faidherbe, Dialmath, en date du 11 juillet 1859, pièce 39. 658 Apparemment Elimane Saydou était à cette rencontre de Ndioum le porte-parole des délégations du Tooro et du Dimat. Lire ANS, 13G136, op. cit., pièce 44. 659 Elle est parvenue à Saint-Louis le 27 juillet 1859. 660 ANS, 13G118, Correspondance des gens de Dialmath, des chefs Wodaabe et de Tapsir Diabir au gouverneur, Dialmath, en date du 27 juillet 1859, pièce 44. 661 Il devait être certainement dans l’embarras. La déportation de son beau-frère exacerbait la tension née d’une longue rivalité lignagère qui a débuté au lendemain de la mort d’Elimane Boubacar Kane. De même on n’a aucune trace de la réaction des chefs de Bokhol et Gaya qui étaient très liés à Elimane Saydou. En tous les cas, le poids réel de chaque camp était maintenant connu. 662 Comme le reconnurent plus tard Mamoudou Elimane Boubacar (père de Boubacar Mamoudou dit Abou Koumbé qui est le père de notre grand-père maternel Elimane Abou Kane chef de village de Dialmath), Elimane Fanaye, Elimane Thiangaye et Elimane Ndiaye Samba de Dialmath dans une lettre collective adressée à Hamat Ndiaye Anne et Bou El Mogdad Seck. 663 ANS, 13G140, Correspondance des chefs du Dimar à Bou El Mogdad, 1860, pièce 100. 664 Les autres signataires de la lettre sont : Alioune Kane fils d’Elimane Maali, Elimane Amadou Kardiata, Elimane Ndiaye, etc.

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par Mamadou Seydou (ou Saydou) Kane dans la mosquée de Dialmath. Quelles en sont les circonstances ? Ainsi, face aux rumeurs faisant état de la mise à mort de son père, le jeune Mamadou Saydou Kane dit Mamadou Dada alors âgé de 19 ans environ décida d’aller s’informer à Saint-Louis sur le sort réservé à son père. En route, entre Dialmath et Fanaye, il tomba dans un guet-apens tendu par un commando de trois Maures armés. Il réussit à en sortir indemne, mieux il maîtrisa l’un d’entre eux. Le Maure reconnut être un tueur à gages engagé par Elimane Abdoul Boli pour 100 pièces de guinée. Selon Mamadou Seydou, Abdoul Boli, le frère de sa mère aurait cherché, après avoir été la cause de l’enlèvement de son père, à le faire tuer. Il cite alors trois témoins à charge qui sont des notables du Dimat : Younouss Kane, Amadou Ndiaye et Aliya Djigo. Alors Mamadou Seydou renonça à son voyage sur Saint-Louis et se rendit aussitôt à Bokhol. De cette localité, il rappliqua à Dialmath pour s’en prendre au nouveau chef du Dimat. A Dialmath, Mamadou Seydou et sa famille continuaient à subir d’autres exactions. Voici un exemple donné par le neveu lors de son interrogatoire : « … quelques jours après, on me dit que mon oncle est parti à Diagnoum pour s’emparer de tous les captifs de ma famille, les chefs peuls dont Ardo Amar s’interposèrent. Trois jours plus tard, on avait tué un bœuf chez moi, Abdoul Boly vint réclamer les reins qui, d’après nos usages, appartiennent toujours au chef du village ». C’est ainsi que le neveu rentra dans le village de Dialmath. Nous sommes en plein hivernage, le village presque vide, les hommes étaient dans les champs du jeeri, il ne restait dans les concessions que les vieillards, femmes et enfants665. Il tira à bout portant sur son oncle et le tua. Le gouverneur informé par le commandant de Dagana, envoya une délégation à Dialmath666. Le commandant de Dagana dépêcha lui aussi à Dialmath les chefs du Waalo Fara Peinda, Demboye et Samba Diène667. Ces trois notables restèrent trois jours à Dialmath exigeant que leur soit livré l’assassin. Ce sont ces chefs du Waalo qui vinrent faire la police judiciaire. Le commandant de Podor fut aussi alerté. Mamadou Seydou Kane lui, partit loin se réfugier à Mboumba auprès de l’Almaami du Fuuta. Il fut capturé par un de ses oncles, un frère d’Abdoul 665

ANS, 13G118, Correspondance des chefs du Dimar au gouverneur, Dialmath, en date du 13 septembre 1859, pièce 46. ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor, Podor, en date du 6 septembre 1859, pièce 126. 667 ANS, 13G118, Correspondance des chefs du Dimar au gouverneur, Dialmath, en date du 13 septembre 1859, pièce 46. 666

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Boli et ramené à Dialmath le 15 septembre 1859668. Il fut transféré à Dagana. Selon une autre version, c’est auprès de son marabout Shaykh Sidya qu’il avait trouvé refuge en Mauritanie. C’est le saint homme qui le livra aux Français, non sans demander à Faidherbe de l’acquitter669. C- LES CONSÉQUENCES POLITIQUES : LE DIMAT ENFIN COLONISÉ PAR LA FRANCE

L’assassinat d’Abdoul Boli clôturait la fin sanglante des rivalités lignagères exacerbées par des alliances et contre alliances externes au Tulde Dimat. Faidherbe prit une série de sanctions pécuniaires et politiques au lendemain de l’assassinat d’Abdoul Boli. A quel titre le fit-il ? Certainement qu’il appliquait l’article 1 du traité du 18 juin 1858670. Ce furent des mesures inédites, qui firent école dans l’histoire coloniale de la Sénégambie671. Faidherbe programma l’exécution du meurtrier à Dialmath. Il requit le paiement par la population de Dialmath d’une amende de 100 bœufs et 100 gros d’or pour avoir laissé commettre le crime et n’avoir pas arrêté l’assassin672. Il ordonna la saisie de tous les biens d’Elimane Seydou. La famille d’Elimane Saydou Kane fut expulsée du Dimat. Leurs maisons démolies et les emplacements donnés à d’autres. Le fils d’Abdoul Boli673 fut nommé chef du Dimat, mais vu son jeune âge, les notables pro-français du Dimat devaient se rendre le 20 octobre 1859 à Dagana pour choisir un nouvel Elimane qui ne devait pas, selon Faidherbe, être un proche d’Elimane Saydou. Mais que ce nouvel Elimane doit déclarer se soumettre à l’autorité française. Ce nouveau chef provisoire arborera le pavillon tricolore sur sa concession et le « Dimar sera considéré par nous 668

L’Almaami lui fit savoir certainement, sur un ton de regret, que s’il voulait vraiment échapper à toute traque, il n’avait qu’à rejoindre la rive droite. Lire ANS, 13G120, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Podor, en date du 20 septembre 1859, pièce 127. 669 ANS, 3B29, Délibération du conseil d’administration, Saint-Louis, en date du 05 mai 1862, pièce 243. Il y a analogie entre son acte et celui de Khadim Bousso qui trouva réfuge dans la ville sainte de Touba afin de profiter de la protection de son marabout après son évasion de prison en 2003. 670 Lequel reconnaît Elimane Abdoul comme Elimane Dimat et lui accorde sa protection. 671 Il dépêcha sur le terrain son directeur des affaires intérieures accompagné de 200 volontaires commandés par le capitaine Négroni. Il leur donna comme instruction de se rendre à Dagana pour embarquer Mamadou Seydou Kane et le commandant de Dagana. Ensemble ils devaient se rendre à Risga, le quai de débarquement le plus proche de Dialmath. Sur place, une commission militaire composée de tous les officiers présents devait constater l’identité et la culpabilité de Mamadou Seydou Kane. Cela fait, Mamadou Seydou Kane sera fusillé par les parents d’Elimane Abdoul Boli ou, en cas de refus, par des laptots du navire l’Africain, en présence des habitants de Jalmac que l’on fera venir à Risga. 672 Moniteur du Sénégal ..., n° 182, mardi 20 septembre 1859, pièce 174. 673 Il s’agirait selon les recoupements généalogiques faits par Saydou Abou Kane, du nommé Bokar Sokone Kane.

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comme province française, sauf l’approbation du ministre » 674. Certains habitants du Dimat furent envoyés à Risga et à Loboudou Doué comme colons agricoles. La première mesure, l’exécution extrajudiciaire de Mamadou Seydou ne fut pas effective675, le meurtrier fut acheminé à Saint-Louis le 06 juin 1861. Entre temps, Faidherbe demanda au commandant de Dagana d’ouvrir une enquête pour savoir si l’interprète Amadou Kane676 en service au poste, un parent au meurtrier, n’avait pas tenté de le faire évader677. Mamadou Seydou Kane fut traduit en mai 1862 devant le conseil d’administration de la colonie678. La cinquième mesure, la plus importante, posait le dernier jalon qui faisait perdre au Tulde Dimat toute initiative politique. Ainsi le chef politique du Dimat disparaissait en même temps que l’autonomie du Tulde Dimat. D- LA MORT DU CHEF LÉGITIME EN DÉPORTATION. MORT NATURELLE ? SES CONSÉQUENCES : OCTOBRE 1859

ASSASSINAT OU

C’est par une lettre circulaire, datée du 28 octobre 1859 que Faidherbe annonça sans trop de détail la mort à Saint-Louis d’Elimane Saydou679. Le décès en déportation du chef légitime fut un prétexte avancé par la population de Pendao, pour demander désormais à former un village indépendant de Dialmath680. 674

ANS, 13G118, Correspondance de Faidherbe au directeur des affaires intérieures, Saint-Louis, en date du 23 septembre 1859, pièce 54. 675 Cela apparemment à la suite de la médiation du marabout Shaykh Sidia, guide religieux du meurtrier. D’ailleurs, faire fusiller Mamadou Seydou par les parents d’Abdul Boli signifie le faire fusiller par les siens. Cela serait impossible dans le contexte sociologique local. Est-ce que d’ailleurs Mamadou Seydou fut effectivement conduit à Risga ? En tous les cas, les officiels français cherchaient à agrandir le fossé entre les différentes familles régnantes du Touldé Dimat. 676 Il appartient à la famille Kane, originellement nommée Diallo, originaire de Sinthiou Diongui dans le Yirlaabé-Ebiabé.Selon Aboubakry Kane, ancien deputé, interviewé par Mamoudou Sy, Dakar, Sacré Cœur II, mercredi 28 janvier 2009. 677 ANS, 3B79, Correspondance de Faidherbe au commandant de Dagana, en date du 7 octobre 1859, pièce 19. 678 Il fut condamné à l’exclusion de la colonie pour un temps illimité. Transféré à Gorée en mai 1862, il fut interné au Gabon pendant une vingtaine d’années. Il revint à Dialmath. Il fut autorisé à fonder le village de Dar Salam aujourd’hui appelé Dar Sénégal situé en face de Dar Mauritanie et de Gourel Moussa. Il devint chef de village de Dialmath, puis chef de canton du Dimar. Le paiement de l’amende se fit de même que les confiscations des biens du chef. 679 Il précisa qu’il « est mort de dysenterie ». De par la réaction épistolaire des chefs du Dimat, l’on peut présumer que la nouvelle province française du Fuuta Tooro occidental était en émoi. Lire ANS, 3B97, Lettre circulaire de Faidherbe aux chefs du Dimar, n°3, Saint-Louis, en date du 20 octobre 1859. 680 La tentative de redeploiement vers Tékane sur la rive droite, témoignait aussi du sentiment d’instabilité, de désolation qui prévalait dans le Touldé Dimat. Comme le dit l’adage, « qui ne sait pas là où il va, retourne d’où il vient ». C’est pourquoi certains habitants du Tulde Dimat avaient rejoint la rive droite du fleuve Sénégal. Au plus fort de la tension entre Elimane Saydou et Elimane Abdoul Boli,

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Les habitants de Dialmath adressèrent une pétition au gouverneur, pour dénoncer le comportement de leur nouveau chef de village, Elimane Dialo, frère d’Elimane Abdoul qui avait confisqué tous les biens d’Elimane Saydou à savoir ses terres, captifs, livres et maisons681. Ils l’avertirent qu’ils, ne sont pas des « gens à ne pas souffrir le mal et nous ne voulons sortir que morts de notre pays plutôt que de l’abandonner » 682. Le peuple prenait en charge sa défense et exigeait de Faidherbe la fin du recours aux hommes de paille : «vous devez empêcher ceux que vous avez nommés de nous faire du tort… » 683.

V. Le Tulde Dimat et l’apprentissage de la dépendance : 1859-1861 A- LA RÉSISTANCE AU FAIT COLONIAL

Le Tulde Dimat ressentit durement son entrée dans la colonie du Sénégal avec notamment le paiement d’une amende dont nous ignorons les modalités de la perception et de la clé de répartition. En tous les cas, les gens du Dimat s’acquittèrent de l’amende de 100 bœufs qui furent acheminés au fort de Dagana. Le commandant prit en charge les bœufs à raison de deux pièces de guinée l’un, ce qui faisait 200 pièces de guinée de petite filature.684 Faidherbe souhaitait que cette valeur soit convertie en argent et la somme mise à la disposition du directeur des affaires intérieures pour être déposée au nom du fils d’Abdoul Boli dans une caisse qui puisse servir les Faidherbe ordonna à Flize, le directeur des affaires intérieures, de raser complètement le village, par une colonne française, appuyée par le bateau à vapeur « Le griffon ». Les cases brûlées, leurs occupants évacués de force et déportés. Ne s’arrêtant pas seulement à enrayer cette tentative de repeuplement de la rive droite, Faidherbe obligea les populations à payer une lourde amende. ANS, 13G118, Correspondance de chefs de Pendao au gouverneur, Pendaw, en date du 4 novembre 1859, pièce 48. 681 ANS, 13G118, Correspondance des notables du Dimar, Dialmath, en date du 26 décembre 1859, pièce 52. 682 ANS, 13G118, Correspondance des notables du Dimar, Dialmath, pièce 32, op. cit. 683 Ibid. 684 Faidherbe ne savait pas quoi faire de ces amendes. Il décida que les 100 gros d’or collectés dans le Touldé Dimat, sous forme d’anneaux d’or, de bijoux soient remis gracieusement à Elimane Dialo Kane pour l’aider à construire une petite maison à Risga, comme celle de Samba Diène. Le gouverneur s’engagea dans un premier temps à prendre en charge les travaux de maçonnerie, mais dut se rétracter. Ce sont en réalité des boucles d’oreille, des bagues et bracelets des femmes qui ont été ainsi remis aux Français, les hommes ne portant pas dans cette société islamisée de bijoux en or. Faidherbe (un ancien d’Algérie) ne cherchait-il pas à créer un choc psychologique général quand on connaît l’attachement des femmes à leurs bijoux reçus en général sous forme de dot ? Lire ANS, 3B84, Correspondance du commandant du fort de Dagana à l’ordonnateur, Dagana, 16 février 1860, pièce 13.

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intérêts de ce compte à un taux raisonnable jusqu’il eut atteint sa majorité. Faidherbe suggéra alors à Elimane Dialo d’offrir aux propriétaires de ces bijoux de les leur rendre, à condition qu’ils fournissent des matériaux ou des journées de travail : « quel que soit l’emploi qu’il en fera, dites-lui que c’est à lui particulièrement que le gouverneur donne cet or » 685. Faidherbe qui tenait à faire du fleuve Sénégal une frontière séparant les Maures des Noirs, voulait que Risga soit une sorte de tour d’observation du mouvement méridien des Maures686. Il demanda « aux chefs du Dimar, Bokhol, Réffo et Gaya de tuer impitoyablement tout maure armé sur la rive gauche » 687. Quant à l’argent destiné au fils d’Abdoul Boli Kane, le gouverneur dut changer d’avis. Il en fit un autre usage688. B- LE FOSSÉ SE CREUSE ENTRE LE PEUPLE ET SES DIRIGEANTS

La disparition presque à quelques mois d’intervalle d’Elimane Dimat Abdoul Boli et d’Elimane Saydou Kane créa l’émoi et la désolation dans le Fuuta Tooro occidental. En janvier 1860, Boubacar Sèye chef de Bokhol lui aussi disparaissait. Il était un personnage politique de premier ordre sur l’échiquier politique local689. Un vide politique s’installait dans le Tulde Dimat confirmant les dires des notables de Pendao dans leur argumentaire de séparation d’avec Dialmath. Ils disaient : « maintenant les bons chefs sont partis, il ne reste que les mauvais qui gâtent la nation et nous ne désirons pas qu’ils la gâtent. Il ne reste de leur côté que les enfants et des enfants pour gouverner c’est un grand malheur pour nous… mais ils gouvernent mal. Maintenant nous demandons à être séparés d’avec eux pour que ce malheur ne nous arrive pas…»690. On assista à la naissance d’un phénomène qui ira s’amplifiant à savoir la déstructuration de l’organisation sociale, politique et économique dû à un mauvais choix des chefs. Le cas le plus éloquent est celui du village de 685

ANS, 3B79, Correspondance de Faidherbe au commandant du fort de Podor, Saint-Louis, en date du 20 juin 1860, pièce 10. En fait, Faidherbe semblait poursuivre l’œuvre d’Abdel Kader Kane en érigeant le dernier village de surveillance d’un gué sur la rive gauche. 687 ANS, 3B79, Correspondance de Faidherbe au commandant du fort de Dagana, Dagana, en date du 7 juin 1860, pièce 9. 688 D’abord les 200 pièces de guinées furent revendues à M. Granges, un négociant établi à Dagana, à raison de 12 francs l’unité ce qui donna 2 400 francs ; 100 francs furent gracieusement remis à l’interprète Tiécoura pour un voyage qu’il effectua au Bas de la côte. C’est lui-même qui avait pénétré avec le souslieutenant Alioune Sall, dans la concession d’Elimane Saydou pour le capturer. Les 2300 francs furent versés au trésor en attendant que la colonie en fasse une demande de crédits extraordinaires qui servirent à la construction de l’école de Bakel. Ainsi l’argent et l’or des dimatnaaƃe étaient utilisés à d’autres fins. Le Tulde Dimat commençait, en un court laps de temps, à payer un lourd tribut à la présence coloniale. 689 Il fut par exemple le principal négociateur entre le Tulde Dimat et la France lors de l’enlèvement de Lebrun. 690 ANS, 13G118, Correspondance des chefs de Pendao , art. cit., pièce 48. 686

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Dimat-Dialmath où Abdoul Boli avait été intronisé Elimane Dimat sans l’avis de l’assemblée du Dimat. Il n’était pas à la hauteur comme l’avoua le Moniteur du Sénégal: « Abdoul Boly… Il faut le dire, n’avait pas l’énergie nécessaire dans sa position » 691. Elimane Dialo, son successeur fut choisi en raison de son acceptation de la domination de la France sur son pays. Les officiels français avaient certainement la conviction de s’être trompés sur leur choix qui n’était pas sans doute le meilleur. Ils tenaient à bien gérer leurs relations avec les populations de la Haute Vallée692, sécuriser la route de Kénièba et confiner les Maures sur la rive droite. En tous cas, dans le Bas fleuve, Elimane Dialo n’appliquait pas bien les recommandations de Faidherbe de tuer impitoyablement tout Maure armé rencontré sur la rive gauche. Au contraire, il hébergeait des tribus du Trarza qui lui payaient en contrepartie un tribut de 8 captifs par an. Il s’y ajoute des différends qu’il avait avec des chefs foulbé qui contestaient son autorité. Faidherbe avait lui, en ligne de mire, la recherche d’une solution menant à une paix durable dans ses relations avec El Hadji Omar693.La paix rétablie dans le Haut fleuve694, restait le problème de la sécurisation du flux méridien entre les deux rives du fleuve Sénégal. En remettant à Elimane Dialo, les 100 gros d’or, le gouverneur voulait d’abord, fermer l’axe Risga-Loboudou Doué, lieux de passages des Maures sur le fleuve Sénégal, mais aussi de beaucoup de voyageurs, marabouts, commerçants maillant leurs réseaux multiséculaires. Ensuite, il encourageait son poulain à rester dans le camp français en lui montrant les bienfaits de leur alliance695. Enfin, Faidherbe voulait faire mieux que Souleymane Baal et Abdel Kader Kane, les leaders historiques du mouvement de libération Fuutanke qui n’avaient pas pu fermer complètement cette voie de passage caractérisée par 691

Moniteur ..., op. cit., n°182. En août 1860, devant le conseil d’administration de la colonie, il pavoisait presque en rendant compte des négociations de paix entreprises depuis fin mai 1860 avec Thierno Moussa, gouverneur omarien de la province du Diombokho sur autorisation d’El Hadji Omar. En juillet 1860, la délégation du gouverneur omarien du Diombokho se rendit au fort de Bakel pour négocier au nom de Thierno Moussa avec le commandant dudit fort. Il fut conclu une trêve, une liberté de circulation réciproque dans les territoires omarien, français et leurs alliés respectifs. 693 « Aucun original authentique n´a été conservé du traité ainsi conclu. Le texte... dont nous disposons est d´abord privé de tout préambule énonçant, comme il est d´usage les noms et qualités des hautes parties contractantes... il serait logique de considérer cet acte ‘‘comme une note verbale »., Saint -Martin Y., 1967, op. cit., p. 101. 694 ANS, 3E29, Procès verbal de la délibération du conseil d’administration, Saint-Louis, séance en date du 21 août 1860. 695 Ce que des historiens américains appellent ‘the bargains of collaboration’. 692

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un sol très argileux impropre à l’établissement d’habitations pérennes. Le site étant en effet une cuvette facilement inondable, même en année de faible crue. Elimane Dialo, un chef imposé par Faidherbe, pouvait-il réaliser la prouesse d’installer des dimatnaaƃe dans cette contrée enclavée et insalubre ? 696 C -LES ‘NOUVEAUX CHEFS’ : LE CULTE DE LA COLLABORATION ET DE LA JOUISSANCE PERSONNELLE DU POUVOIR

Le début de la décennie 1860 coïncidait avec l’éclosion d’une nouvelle espèce de chefs africains, issus en général des familles dites aristocratiques et qui ont été choisis comme assistants des Français en raison de leurs défauts plutôt que de leurs qualités. Comment par exemple, malgré la promesse faite de restitution ou de rémunération en or, les dimatnaaƃe ont refusé d’aller habiter à Risga ? Refusant de cohabiter avec leur chef, les populations vont plus tard refuser d’exécuter ses ordres, de lui remettre la dîme, de payer l’impôt, de participer à la levée de volontaires, etc. Il y avait un ressort qui s’est brisé dans le fonctionnement des appareils politiques locaux. Le deeyi laami n’était plus pratiqué. Il n’y avait plus ce lien charismatique entre le souverain et son peuple. Mbaye Guèye affirmait que le roi, dans les sociétés africaines pré-coloniales, était considéré comme un Dieu dont la puissance surnaturelle et le charisme devaient apporter aux populations la prospérité697, il devait être symbole de barke et de bayre synonymes de prospérité et de charisme, tout à l’opposé de ces chefs générateurs de malheurs et de divisions, réduits au rang d’informateurs des Français. Analysant la situation politique et s’étant rendus compte de leur mauvais choix, ces derniers voulurent rectifier le tir en proposant dans un premier temps de nommer Mamoudou Elimane Kane, comme chef du Tulde Dimat. Mais ils se ravisèrent. N’ayant pas pu trouver un homme qui sied à leur politique, les Français choisirent alors, vu le manque d’emprise d’Elimane Dialo sur les autres villages du Tulde Dimat, sur Dialmath même, de le dégrader au rang de simple chef de village. Cette décision semble être liée à l’annexion du Tulde Dimat à la colonie du Sénégal.

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En fin juillet 1860, le directeur des affaires intérieures, en tournée dans le Fuuta Tooro occidental, dit avoir trouvé 5 à 6 hommes avec leurs femmes et enfants avec une dizaine de cases construites sur les deux sites. Flize précisa qu’Elimane Dialo lui avait avancé comme prétexte de ce sous peuplement, la récolte tardive du gros mil dans les champs du Waalo. Une fois qu’elle sera terminée, les populations ne manqueraient pas de s’y implanter. En réalité, les populations avaient boycotté leur Elimane, malgré l’échange proposé à savoir, travail contre restitution de l’amende. 697 Guèye M., « Le Pouvoir Politique en Sénégambie des Origines à la Conquête Coloniale», revue d’histoire d’outre-mer, Paris, tome LXVIII (1981), n° 250, 251, 252, 253, pp. 380-381.

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Le 9 décembre 1861, le commandant de Dagana réunit tous les chefs du Tulde Dimat et leur fit savoir que désormais Elimane Dimat est le chef non pas de province, mais seulement du village de Dialmath698. D’après le commandant de Dagana, Elimane Dialo, « l’ex chef du Dimar lui-même, ayant reconnu ses torts a témoigné la plus vive reconnaissance par tous les égards qu’on a eus pour lui » 699. Ainsi était posé un des derniers actes dans la dislocation définitive du Dimat. D- LA POPULATION DU PERSONNEL : JANVIER 1862

DIMAT ET LE PAIEMENT DE L’IMPÔT

En août 1861700, le conseil d’administration arrêta l’établissement au Sénégal et dépendances le paiement d’un impôt personnel à partir de janvier 1862701. Cet arrêté allait entraîner des conséquences économiques, sociales et culturelles négatives702. Il introduisit un changement forcé de la monnaie d’échanges703, en imposant les pièces de monnaie à la place des monnaies traditionnelles africaines ou de la guinée déjà assez usitée704. Elle entraina aussi des changements dans les relations de travail.

698 Ce chef de village va cependant continuer à commander Pendao jusqu’en 1881, Langobé (presque abandonné en 1858), Diagnoum (jusqu’en 1981). 699 ANS, 13G101, Correspondance du commandant de Dagana au directeur des affaires intérieures, Dagana, en date du 15 décembre 1861, pièce 52. 700 Le paiement de l’impôt marqua le début de la désarticulation économique des sociétés africaines. Le dérèglement de l’économie africaine débuta au XVIe siècle avec le contact entre l’Afrique côtière et les compagnies mercantiles européennes. En Sénégambie, il s’est surtout intensifié dans la seconde moitié du XIXe siècle lorsque les États pré-coloniaux furent progressivement annexés et colonisés. Le conseil d’administration de la colonie arrêta que l’impôt personnel sera fixé à l’équivalent de 3 jours de travail, en citant les localités et anciens États pré-coloniaux concernés. L’article 4 de l’arrêté précise que, l’impôt sera acquitté en argent dans les centres urbains. Les populations rurales payeront en coton évalué selon la mercuriale de Saint-Louis. L’article 5 indique que, dans les zones comme le Tulde Dimat, ce sont les chefs de village en collaboration avec le directeur des affaires indigènes et le commandant de cercle, qui se chargeront de sa collecte. Il est mentionné que tout contribuable (homme, femme…) qui ne s’en acquittera pas dans les délais de 3 mois sera poursuivi. L’article 12 lie la liberté de circulation à l’acquittement de la côte personnelle. 701 ANS, 3E29, Délibération du conseil d’administration, 5ème séance, Saint-Louis, en date du 9 août 1861. 702 Dépêche datant du 7 septembre 1860, n°147, du Ministère de l’Algérie et des colonies, destinée à la direction de l’administration coloniale, portant notification du décret du 4 août 1860, relatif à l’établissement dans la colonie du Sénégal de l’impôt de l’enregistrement et du timbre. 703 « The most widespread currency zone was that of the cowrie shell, which was used in much of West Africa ». Lovejoy P. E., op. cit., p. 104. 704 « The rudimentary elements of a market economy, particulary money, existed for centuries before the colonisation of Africa. . Among the currencies which had been in use in precolonial africa were gold dinars or mithqals, gold dust, cloth money, copper rodes, iron, cowries and manillas. The inadequacies of these precolonial currencies had become very serious by the nineteenh century and they began to decline rapidly, ... At the same time the European currencies, particulary Bristish and French, were coming increasingly into use». Ake C., op. cit., pp. 32-33. Lire Zeleza P. T., op. cit., pp. 370-396.

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L’acquittement subsidiaire de l’impôt en coton ou en arachide poussa les populations rurales à bouleverser leurs habitudes culturales où ces spéculations étaient auparavant limitées705, voire inconnues706. En janvier 1862, le gouverneur Jauréguiberry déclarait que Saint-Louis était disposé à acheter le coton de qualité à 0,30 centimes le kilo comme fixé par la mercuriale.707 Analysant le contexte sociologique général, le commandant de Dagana entrevoyait des problèmes dans la perception de l’impôt personnel dans son cercle en fondant son argumentaire sur le fait que les populations locales commerçaient en guinées et non en argent. Les habitants du Tulde Dimat, disaient avoir eu connaissance de l’ordre qui leur était donné de payer chacun 1,50 franc mais sollicitèrent qu’on leur accorde des circonstances atténuantes : «…permettez-nous de nous acquitter au moyen de mil, pistaches etc. car l’argent est très rare dans notre pays » 708. Flize leur demanda d’exiger que tout ou partie du paiement de leurs récoltes se fasse en argent 709. Saint- Louis était pour l’abandon de la guinée comme moyen d’échanges et poussait les populations à davantage cultiver l’arachide. Dans le Waalo voisin, le mil était accepté comme moyen de paiement. Le gouverneur précisa que les denrées agréées par la France comme moyen de paiement devront être de bonne qualité, au prix de la dernière mercuriale de SaintLouis, mais diminué de 20% pour les frais de transport ! Le premier trimestre touchant à sa fin, le gouverneur accorda un sursis d’un mois aux gens du Dimar. En avril 1862, se posa un autre problème. Le mil acheminé à Saint-Louis au titre de l’impôt personnel ne trouva pas d’acquéreur. En faisant le point, le commandant de Dagana fit savoir au gouverneur que si « les villages de

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« Thus the colonial currency was tied to that of the colonising power, and the money supplies were determined mainly by the social and economic forces in the metroploe, particulary the demand for the colony´s exports». Ake C., op. cit., p. 35. 706 Le cotonnier, une plante sauvage dans la contrée, jouait cependant un rôle central dans la confection des habits grâce à la filature de ses fibres. 707 ANS, 3B80, Gouverneur au commandant de l’arrondissement de Richard Toll, janvier 1862, pièce 1. 708 ANS, 13G118, Pétition des gens du Dimar au gouverneur, reçue à Saint-Louis à la date du 7 mars 1862. Les officiels de Saint-Louis voulaient pousser les habitants du Touldé Dimat à changer brutalement leur moyen d’échanges et de production agricole. Sentant que le vœu était sur la voie de se réaliser, Flize, le directeur des affaires intérieures, tira davantage sur la corde. Dans la réponse adressée aux dimatnaaƃe, il leur fit savoir que le gouverneur étant sensible à leur situation et que pour l’année en cours, (1862), l’impôt personnel pourrait être soldé au moyen de mil, arachides ou guinées. Il ne manqua pas de préciser que ces denrées devaient être de bonne qualité. Qu’elles devaient être achetées au prix actuel en vigueur au marché de Saint-Louis. Flize ajouta qu’à l’avenir, l’impôt personnel sera payé en argent ou en coton de belle espèce, seule marchandise acceptée par le gouverneur. 709 ANS, 13G118, Correspondance de Flize aux chefs du Dimar, Saint-Louis, en date du 13 mars 1862, pièce 55 verso.

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Dagana, Gaya, Réffo et Bokhol s’en acquittaient facilement, il n’en était pas de même pour les habitants du Dimar qui refusaient de le payer » 710. Face à cette situation, le commandant fit convoquer à Dagana tous les chefs de village récalcitrants de la province. Les Peul Breykat furent dépossédés de 120 moutons. Pour dissuader la population, un commissaire de police fut envoyé dans le Dimar pour mesurer le mil que les chefs de village devaient livrer au poste. Ardo Wodaaƃe fut sommé de parcourir les différents campements peul pour prélever l’impôt personnel711. Pour punir les éleveurs récalcitrants, Jauréguiberry demanda au commandant de Richard Toll d’aider le commandant de Dagana à opérer une saisie de troupeaux de Peul Wodaaƃe qui nomadisaient dans le bas fleuve712. Le gouverneur interdit à ces derniers de se venger de pillages commis par les Brakna713. Il prévint aussi qu’ils ne seront pas indemnisés. Au mois de mai 1862, Ardo Wodaaƃe dut donner encore 39 moutons comme rallonge de l’amende. Les amendes furent élargies aux autres villages du Dimat qui refusaient de payer l’impôt. Pour échapper à son paiement, une partie de la population du Tulde Dimat et du Waalo tenta de se réinstaller dans les anciens villages de la rive droite. Cinq mois après le début de l’établissement de l’impôt, son recouvrement posait d’énormes problèmes. À Dialmath, le malaise persistait. Elimane Dialo vint à la rencontre du commandant de Dagana le 4 juin 1862 pour lui annoncer que 3 habitants de Dialmath et 3 habitants de Pendao avaient quitté leurs localités. Ils étaient accusés d’avoir engagé les habitants de ces deux villages à refuser de payer l’impôt. Dans le cercle, des semences d’arachides furent distribuées pour la campagne agricole 1862-1863714. Le gouverneur approuva les dispositions sécuritaires draconiennes prises à l’égard des Maures et le dispatching des graines d’arachides pour qu’elles soient ensemencées.715 Déjà, le commandant de Dagana envoya « quelques

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ANS, 13G101, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 1er avril 1862, pièce 62. 711 Il effectuait annuellement une tournée pour prélever la dîme de l’Almaami du Fuuta. 712 ANS, 3B80, Correspondance de Flize au commandant de Richard Toll, en date du 15 mai 1862, pièce 5. 713 Le 17 mars 1862, le bilan était de 50 bœufs et 90 moutons pris de force. 714 ANS, 3B80, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, 1862, pièce 71. 715 ANS, 3B80, Correspondance du gouverneur au commandant du fort de Dagana, Dagana, en date du 9 juillet 1862, pièce 21.

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barriques de pistaches716 à distribuer comme graines aux villages du Dimar en les engageant à faire des essais de cette culture »717. Ainsi, à la déstructuration sociale et politique, s’ajouta une désarticulation de l’économie locale718. E- UNE AUTRE FORME DE RÉSISTANCE DE LA POPULATION DU TULDE DIMAT OU L’EXIL COLLECTIF DES HABITANTS DU DIMAT : JUILLET 1862AOÛT 1862

Le 11 juillet 1862, le gouverneur fut informé que « tous les habitants de Dialmath et de Pendao ont émigré le 11 courant à l’exception des deux chefs : Elimane Dialo et Elimane Saydou719 et les gens qui leur sont dévoués » 720. Ce ne fut pas la première fois dans l’histoire de la Sénégambie que cette forme de protestation fut utilisée. L’exode, comme mode de résistance a été pratiqué par exemple par les habitants du Gandiol en 1852-1853 pour protester contre les agissements du Damel721. En décembre 1853, ce furent les populations du Ndiambour qui prirent la route de l’exode pour aller s’installer à Saint-Louis et au Waalo, essentiellement dans la région de Merinagen, contrôlée par la colonie du Sénégal. Les dimatnaaƃe s’étaient réinstallés à Nianga Edy, dans un territoire non contrôlé par les Français. Nous n’avons pas d’éléments fiables pour interpréter le choix de Nianga Edy. Etaient-ce à cause des proches liens de parenté entre les habitants de ce village et ceux du Tulde Dimat ? En effet, les Kane sont très apparentés aux Niang. Était-ce dû à des raisons stratégiques ou symboliques? 722 En 1862, ce village n’était pas concerné par le paiement de l’impôt. Le fait que ce village soit à l’abri de canonnières, serait un critère supplémentaire de son choix. L’exode de la presque totalité des habitants de Dialmath, Pendao et Thillé Boubacar est un hijra, fait dans le modèle islamique. La population au contact d’un voisin qui menaçait son intégrité physique, religieuse et économique préféra 716

C’est-à-dire de l’arachide. ANS, 3B80, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, pièce 20. « The dependence of the colony´s prosperity on the export demand of the metropole reinforced not only the export orientation of the colony, ... but also compelled its specialisation on primary products, a specialisation which further reinforced its organic unit with the metroplolitan economy »., Ake C., op. cit., p. 35. 719 À ne pas confondre avec leurs homonymes, anciens chefs de village qui étaient dejà morts, tous les deux. 720 ANS, 13G101, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 14 juillet 1862, pièce 72, n°77. 721 Diouf M., op. cit., p. 159. 722 Le village d’ Nianga Edy fut en 1858 le symbole du refus du fergo omarien. 717 718

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s’éloigner. La pétition des exilés du Dimat de par son contenu place le Tulde Dimat parmi les pays qui ont très tôt opposé aux Français une résistance tant idéologique que militaire723. Le respect de la souveraineté du peuple est posé en clair. Les menaces qui pesaient sur la pratique de la religion islamique sont mises en tête de l’argumentaire. Le commandant de Dagana délégua dans le Tulde Dimat un commissaire de police qui enquêta sur ses véritables mobiles. Voici la traduction littérale du rapport : « les gens de Tooro ont engagé ceux du Dimar à rentrer dans leur pays, mais ces derniers ont refusé en répondant: que nous n’avons pas confiance aux chrétiens: car nous avons une cause qui nous contraint à avoir peur. Nous avons cherché à ce qu’ils fassent pour nous une chose qui nous engage à rentrer dans notre pays. Nous avons réclamé nos parents, nos enfants et maisons qui sont en leur pouvoir, et qu’ils nous déchargent de l’impôt personnel. Cela se faisant, nous rentrerons dans notre pays. Si cela n’a pas lieu, nous ne pouvons supporter ce qui a toujours été repoussé par nos ancêtres. Car la loi d’un peuple ne doit être changée par un autre peuple tendant à une autre loi différente, et ce qui nous emmène l’impôt personnel peut nous charger d’autre chose, aussi, tout ce qui tend à cela peut-être évité avant qu’il n’arrive724 ». Au niveau de la forme, après les élites traditionnelles, désormais c’est la masse populaire qui prend en charge sa propre défense. Cette dernière posait trois conditions pour un retour d’exil : d’abord la possibilité de pouvoir continuer à pratiquer l’islam, ensuite la libération des prisonniers faits pendant les campagnes françaises de 1849, 1854, 1858 et 1859 et enfin la suppression de l’impôt personnel ou de toute forme de manifestation de la perte de souveraineté. Le peuple tenait à son indépendance et posait un préalable : « la décharge de l’impôt personnel, la remise (….) de ce que nous réclamons et nous lui jurons (au gouverneur) de ne plus quitter notre territoire, ou bien, que cela se maintienne, nous nous séparerons de lui et nous nous éloignerons » 725. L’attitude du peuple a été fortifiée par la nouvelle d’une défaite française à Mbirboyan 726. Le commandant de Dagana projeta, puis annula de se rendre dans le Dimat pour faire exécuter les ordres donnés par le gouverneur. Il prit 723

ANS, 13G101, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 14 juillet 1862, pièce 72, n°77. Lire ANS, 13G101, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, Dagana, en date du 14 juillet 1862, pièce 72. Dépêche n° 77. 725 ANS, 13G101, op. cit., pièce 72. 726 Devant le Fuuta et d’une prise de deux vapeurs. 724

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prétexte du petit nombre du personnel de la garnison de Dagana, insistant sur le fait qu’il n’est pas possible de compter sur les volontaires. Le chef de village de Dimat lui aussi était confronté à un problème de personnel. Il n’avait plus avec lui cet appareil administratif qui secondait Elimane Dimat. C’est que dans le pays, la population ne voulait plus être mêlée dans ces situations qui lui sont étrangères. Pourquoi aider le chef de village alors que la dîme lui appartient exclusivement ? Pourquoi aider les Français à se battre alors qu’ils ont leurs soldats qui vivent avec eux dans leurs forts ? Nous sommes ici aux sources du déficit de la conscience citoyenne actuelle qui est la cause du manque d’efficience des Etats de l’Afrique. Elimane Dimat manquait désormais d’assise populaire, de légitimité ou de charisme pour pousser la population au travail. Les exilés étaient en train de tenter de raviver le réseau translocal pour mener la résistance face à la pénétration coloniale avec comme maîtres d’œuvre Ardo Edy, Ardo Guédé, Demba Koudédié727 et Mamoudou Elimane728. Un commando dirigé par Demba Koudédié et Aly Amadou729 s’attaqua aux navires français à hauteur de Niandane. Un détachement de 25 hommes attaqua le village de Ndormboss. Un autre commando partit razzier le Djolof. En fin août, le commandant de Dagana fit part au gouverneur de son inquiétude. Il lui faisait constater que le pays de Dimat était en permutation730. Que c’était à chaque instant de nouvelles alertes. Les chefs du Dimat restés au pays et les officiels français savaient que les exilés tramaient quelque chose dans le Tooro, base arrière du parti nationaliste fuutanke. F- LA BATAILLE DE BOKHOL, L’ULTIME TENTATIVE DE RECOUVRER LA LIBERTÉ D’INITIATIVE : SEPTEMBRE 1862

Ce haut fait d’armes était l’aboutissement dramatique d’une initiative diplomatique de grande envergure731. Il semble que l’objectif fondamental des leaders fuutankooƃe était d’entrer en négociation avec le gouverneur732. 727

Il s’agit de Demba Koudédié dit Demba Elimane Boubacar. Il s’agit du père d’Abou Koumbé Kane. C’est le fils d’Ardo Nianga Edy. 730 Le pays était en permutation au sens propre comme au sens figuré : « The african economy become incoherent, incapable of autocentric growth and dependent »., Ake C., op. cit., p. 38. 731 Elle est restée cependant méconnue. Nous l’avons reconstituée avec les documents d’archives nationales du Sénégal (A.N.S.) avec les registres 13G121, 13G136 et 2B33 principalement. 732 Dès juin 1862, le parti nationaliste fuutanke initia une procédure de destitution de l’Almaami Mamadou qui, à leur avis, n’était pas à la hauteur, suite à son inaction face au démembrement du Fuuta 728 729

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Aliya Djigo, un notable du Tulde Dimat, fut dépêché le 16 août 1862 par Ardo Nianga Edy et Ardo Guédé auprès de l’Almaami pour négocier un soutien politique, logistique et humain733. Le 18 août 1862, Mamoudou Elimane Boubacar se rendit à son tour auprès de l’Almaami entouré des principaux chefs du Fuuta. Il leur remit une lettre émanant des Selobé, des exilés du Dimat, des Wodaaƃe, d’Ardo Guédé et Ardo Nianga Edy qui se donnaient entièrement au Fuuta Tooro et se disaient disposés à redonner à l’Almaami les privilèges qu’il avait auparavant dans leur pays734. Ils énumérèrent les actions militaires déjà menées contre les Français735 et invitèrent l’Almaami à venir les délivrer du joug français. L’Almaami était peu disposé à répondre positivement à leur sollicitation, mais Abdoul Bocar Kane et quelques-uns de sa suite le poussèrent à soutenir le parti nationaliste Fuutanke. Galoya fut le lieu de formation de ce front du refus. Le 28 août, une autre entrevue eut lieu à Nianga Edy avec la présence des principaux chefs du Tooro qui se dirent prêts à prendre les armes et à s’allier à l’Almaami736. Au début du mois de septembre 1862, Alfa Amadou Thierno Demba Ly et ses nouveaux alliés avaient fini de s’imposer sur la scène politique fuutanke, pour la première fois, un tijan devenait Almaami du Fuuta.737 Alfa Amadou Thierno Demba Ly procéda à un remaniement du personnel politique738. Il mit ses hommes de confiance aux postes clés.. C’est ainsi que Lam Tooro Samba Fatimata fut nommé chef du Tooro et Mamoudou Elimane Kane, petit frère d’Elimane Saydou, fut nommé chef du Dimat. Les nouveaux promus faisaient maintenant partie de sa suite. Les partisans d’un Fuuta Tooro réunifié semblaient être majoritaires. Le commandant de Podor inquiet, mobilisa l’un de ses informateurs, le chef de village de Thioffi, Ibrahim Kane. Il le dépêcha auprès d’Ardo Nianga Edy pour en savoir un peu plus sur les plans du parti nationaliste Tooro et la construction d’un fort à Matam. L’Almaami Mamadou se réfugia d’ailleurs à Hayré. Au même moment, les tractations se poursuivaient pour élargir le camp anti-français. Un élément catalyseur de la mise sur pied de ce vaste front fut la réinstallation à Nianga Edy des anciens partisans d’Elimane Saydou, hostiles aux Français, avec armes et bagages. Ils firent jonction avec Abdoul Bocar Kane du Booseya allié à des guerriers professionnels maures. 733 Au cas où ils seraient attaqués dans le Tooro par le gouverneur. 734 ANS, 13G147, Correspondance du commandant poste de Saldé au gouverneur, Saldé, en date du 20 août 1862, pièce 60. 735 Ils citèrent par exemple l’assassinat d’un homme chargé du prélèvement de l’impôt personnel. 736 ANS, 13G121, Correspondance du commandant du poste de Dagana au gouverneur, en date du 28 août 1862, pièce 26. 737 Son accession au pouvoir poussa l’ancien Almaami à se réfugier à Boki. Lire ANS, 13G147, Correspondance du commandant de Saldé au gouverneur, Saldé, en date du 10 septembre 1862. 738 Il nomma ses hommes de confiance et destitua ses adversaires.

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fuutanke et essayer d’entraver son exécution. Ardo Nianga Edy lui fit cette confidence imagée qu’il rapporta à son commanditaire : « tu vois, je ne peux plus les tenir. Je suis le torrent. Tout le Tooro est dans le même état, tous les chefs veulent se replacer sous la domination de l’Almamy»739. En effet, le torrent s’était formé et consolidé. Il s’écoulait dans le sens est-ouest, prenant la direction de Dagana, avec aux devants Abdoul Bokar Kane du Bosseya, Almaami Alfa Amadou Thierno, un chef maure de la tribu des Oulad Aïd ainsi que les principaux notables et chefs du Tooro et du Dimat. L’armée du Fuuta était signalée le 19 septembre 1862 en bivouac entre Mbantou et N’diayène. Son initiative, était cependant plus diplomatique que militaire740. L’Almaami « disait partout dans le pays, qu’il voulait traiter de la paix avec le gouverneur, mais à une condition : que les choses soient mises sur l’ancien pied » 741. Le gouverneur lui, ne prit pas à la légère cette nouvelle initiative diplomatico-militaire fuutanke742. Il prit des mesures sécuritaires draconiennes et urgentes743. À Podor, le commandant du fort mobilisa sa garnison et leva des volontaires. Il demanda à Amadou Shaykou de Wouro Mahdiyou d’en prendre le commandement. La colonne venant de Saint-Louis fut scindée en deux. Un détachement fut pré-positionné à la frontière du Dimat et du Tooro à l’entrée du marigot de Doué pour se jeter sur les arrières de l’armée du Fuuta et l’autre partie constituée de volontaires du Waalo, de la banlieue de Saint-Louis était à l’ouest pour attaquer l’avant-garde des troupes fuutanke. Le gouverneur qui se disait convalescent se rendit lui-même sur le terrain. À Doué, ses espions l’avaient prévenu que l’intention de l’Almaami qui s’est dirigé sur Fanaye était de l’attendre dans cette localité. Dans le but certainement d’entamer des pourparlers pour la restauration du grand Fuuta. Face à ce nouveau contexte géopolitique, il se passa alors un évènement qui perturba les plans français744. Constatant que l’Almaami traversait sans 739

ANS, 13G121, Correspondance du commandant de Podor au gouverneur, en date du 3 septembre 1862, pièce 29. 740 De l’aveu même du commandant de Podor. 741 ANS, 13G121, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, en date du 23 septembre 1862, pièce 31. 742 Qui rappelle à bien des égards l’affaire de Nder de 1820. 743 Un corps expéditionnaire fut levé. Entassé dans les navires, il appareilla vers le Fuuta occidental. Il se composait de 200 hommes d’infanterie, 190 tirailleurs indigènes, 80 spahis, 31 artilleurs, 15 sapeurs de génie, 100 laptots et de 300 volontaires civils de Saint-Louis et banlieue. 744 Elimane Dialo, allié de Saint-Louis prévint dans un premier temps le commandant de Dagana de l’imminence de l’arrivée de l’Almaami. Il demanda des secours conséquents et prévint de la défection presque totale de ses gens. Le commandant lui proposa de venir trouver refuge au fort de Dagana. Mais il ne savait plus quel camp soutenir. Son cœur balançait entre la restauration d’un grand Fuuta Tooro sous la

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problème le Fuuta occidental, malgré la présence dissuasive de la canonnière « le crocodile », Elimane Dialo alla le trouver et lui remit son manteau de commandement ainsi que le drapeau français. Sa reddition fut imitée par celles d’Ardo Wodaaƃe Diadjé, Elimane Pendao et Elimane Thiangaye ! Du côté du Tulde Dimat occidental, au peuplement à dominante wolof, considéré comme complètement soumis à la France depuis janvier 1858, le parti nationaliste fuutanke d’inspiration islamique avait comme représentant principal le marabout Alfa Samba Diop Kokki qui accueillit l’Almaami à Bokhol745. L’Almaami, entouré de marabouts, de notables était invité à Bokhol par un collègue746, privilégiait-il de prime abord l’option militaire ? Nous pensons que non. Il semble plutôt raisonnable de penser que c’est le gouverneur Jauréguiberry, du reste très dur dans ses relations avec les pays de la Vallée qui écarta toute possibilité de concertation et de dialogue avec l’imposante délégation du Fuuta Tooro. Il paraît clair aussi que dans le camp de l’Almaami, il y avait des extrémistes qui préféraient la guerre. De qui vint l’initiative de l’affrontement ? Almaami, choisit pour des raisons tactiques de se déporter à 7 kilomètres environ au sud de Bokhol, vers la mare de Loumbel sur un terrain parfaitement favorable à la guérilla, car pourvu de hautes herbes, de termitières et de broussailles facilitant le camouflage. La colonne française se redéploya vers Bokhol en longeant le fleuve Sénégal, puis le marigot Ngalanka et appareilla vers 3h et ½ de l’après-midi du 22 septembre 1862. Elle se déplaça en carré, l’escadron placé au centre. Elle parvint au champ de bataille vers 5h 15mn. Le combat dura environ une heure de temps. Le bilan officiel fut du côté des troupes françaises de 13 morts et 16 blessés. Du côté fuutanke le bilan fut contradictoire. Le gouverneur dit avoir compté 37 cadavres sur le champ de bataille747. D’après le commandant du fort de Saldé les pertes fuutankooƃe s’élevaient à 57 morts. Selon le commandant de Podor citant le négociant Mambaye Fara Biram Lo de Podor, il y eut 60 morts dont trois notables : Thierno Mollé de Thilogne, Alfa Siré de Dabia Odedji et Ibrahim Djigo de Dialmath. Les Oulad Aïd, tribu guerrière des Maures, perdirent trois de leurs combattants. Abdoul bannière de l’islam et l’imposition du fait colonial français qui avait causé une instabilité politique, économique et sociale dans son pays. 745 ANS,13G105, Correspondance du commandant du fort de Dagana, en date du 27 mars 1870, pièce 41, d. n° 88. 746 En 1870, Alfa Samba Diop candidat au poste de chef de village de Bokhol fut écarté à cause du rôle qu’il joua en 1862. Il fut ainsi, ironie du sort, victime de son passé de résistant. 747 Bokhol abrite, presque au mȇme endroit, ironie de l’histoire, une grande centrale solaire . Inaugurée en octobre 2016, cette infrastructure est le fruit du partenariat public-privé, mais aussi de la coopération nord-sud.

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Bokar Kane fut blessé au talon748. Il fut fait un nombre impressionnant de prisonniers de guerre. Les combattants du Dimat qui se sont le plus illustrés furent Elimane Dimat Elimane Dialo Kane749, Elimane Thiangaye, Boubacar Hamet chef des Gallunkooƃe de Dimat. Ils furent tous arrêtés, acheminés à Saint-Louis et traduits devant le conseil d’administration de la colonie, puis déportés respectivement à Gorée et au Gabon750. Boubacar Mamoudou de Diagnoum fut condamné à 7 ans de déportation au Gabon751. À l’image de Faidherbe, Jaurégiberry lui aussi joua sur la carte ethnique en faisant envahir le Fuuta Tooro par des volontaires du Waalo conduits par Samba Diène, Samba Gouma, Mercure et Dawour Niang qui pillèrent les villages, restèrent dans le pays pendant plus d’un mois, emportant, bijoux, animaux, captifs , etc. En fait, ils pillaient leurs voisins avec la bénédiction des Français752. Le directeur des affaires intérieures ordonna de laisser se réinstaller les exilés qui le souhaitent. Mais une fois sur place, ils devaient cependant être prévenus qu’ils auront à s’acquitter d’une amende dont le gouvernement se réserve de fixer le montant. Certaines personnes fichées discrètement par les Français furent autorisées à se réinstaller dans leurs villages respectifs, en attendant, selon le gouverneur, « on s’en emparera plus tard » 753. Les leaders du mouvement de libération du Fuuta Ardo Nianga Edy, Ardo Guédé et les chefs du Dimat, restés cachés, tenaient tête au gouverneur. Ce dernier, exaspéré, leur promit à plusieurs reprises de les traquer « comme des bêtes de fauves et ne leur donnerait du répit que lorsqu’ils n’auront plus 748

ANS, 13G136, Podor, en date du 8 août 1862, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, pièce 8 et pièce 71. 749 Elimane Dialo fut exclu de la colonie pour un temps illimité. Il ne revint jamais. 750 Boubacar Mamoudou dit Abou Koumbé de Diagnoum fut particulièrement visé. Dans le réquisitoire, il lui fut reproché d’avoir reconnu et dénoncé deux espions envoyés par le commandant de Dagana dans la suite de l’armée de l’Almaami qui bivouaquait à Nennete en route pour le Dimar. Les deux espions furent décapités séance tenante. 751 Par 4 voix sur 7 des jurés. 752 Malgré l’appui français, les volontaires n’osèrent pas attaquer Ardo Nianga Edy et Ardo Guédé. L’Almaami avait rejoint son village Diaba, le 29 septembre 1862. Les volontaires du Waalo pillèrent les villages du Tulde Dimat avec l’assentiment du commandant de Dagana et du gouverneur de la colonie. Ainsi, Ndiayène fut complètement pillé puis incendié pour avoir accueilli Almaami et sa suite. Jauréguiberry imposa une amende payable dans un délai de trois mois aux villages du Tulde Dimat. La clé de répartition des amendes était la suivante : Thiewlé : 10 bœufs, Langobé : 20 bœufs, Diagnoum : 5 bœufs, Niandane : 10. Pendao et Ndiayène ont été selon le commandant de Dagana « suffisamment pillés et brûlés le 23 septembre ». 753 ANS, 3B80, Correspondance du directeur des affaires intérieures au commandant du fort de Dagana, en date du 20 octobre 1862, pièce 23.

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une case pour s’abriter, ni une femme pour piler le mil, ni une vache pour leur fournir du lait. J’en ferai un exemple terrible pour les révoltés » 754. Parallèlement, il fut autorisé à des Peul pro-français d’aller piller leurs parents qui leur sont hostiles. Leurs captifs furent informés qu’ils pouvaient s’enfuir et rejoindre Podor ou Dagana pour recouvrer la liberté.755 Le gouverneur fit savoir à ceux qui revenaient d’exil que « désormais, s’ils veulent se nommer un chef religieux dans le pays, je ne m’y opposerai pas, à certaines conditions bien entendu, mais comme maître du pays, comme chef politique, ils n’auront jamais que le gouverneur » 756. Le gouverneur comprenait le désir de ces populations qui voulaient être dirigées par un chef gouvernant selon les préceptes coraniques. Le parti nationaliste fuutanke avait perdu la bataille, mais pas la guerre. Il se soumettait, du moins provisoirement, en attendant que d’autres circonstances lui donnent l’occasion d’aspirer à la satisfaction de ses vœux. Le 26 novembre 1862, le commandant de Dagana signalait que presque tous les chefs de village de sa circonscription étaient venus lui assurer de leur fidélité à la France, le chef de Ndiayène en profita pour demander des grains de mil pour les semer, parce que précisa le gouverneur, « il n’a plus rien, nous lui avons tout brûlé » 757. Ainsi s’installait, pour longtemps un nouveau rapport de force marqué par la main noire tendue, causé par une opération de destruction massive délibérée. Le 3 décembre 1862, le bateau « le Grand Bassam » transportait à Gorée les prisonniers de guerre du Dimat dont le conseil d’administration de la colonie du Sénégal avait prononcé l’exclusion hors de son territoire. D’après les instructions ministérielles, ils devaient d’abord être enfermés au fort de l’ile de Gorée jusqu’à ce qu’une occasion se présente pour leur déportation au Gabon. Dans ce bateau, qui voguait vers Gorée avec d’autres ressortissants anonymes du Dimat, partaient certainement ceux-là mêmes qui étaient capables, par leur hargne, leur initiative militaire et politique de rétablir le système précolonial758. 754

ANS, 3B80, Correspondance de Jauréguiberry au commandant du fort de Dagana. ANS, 13G 101, Correspondance du commandant du fort de Podor au gouverneur, Dagana, en date du 9 novembre 1862, pièce 90. 756 ANS, 3B 80, Correspondance du gouverneur au commandant du fort de Dagana, Saint-Louis, en date du 14 octobre 1862, pièce 24. 757 ANS, 13G 101, Correspondance du commandant du fort de Dagana au gouverneur, en date du 26 novembre 1862, pièce 51. 758 Les hommes du refus du Fuuta s’étaient dispersés à travers l’Afrique occidentale. Les uns rejoignirent El Hadji Omar, les autres se réinstallèrent sur la rive droite du Sénégal. Il y aussi la grande masse des exilés volontaires dans le Kajoor, Bawool, Sine, Casamance, Guidimakha, Boundou, Khasso, etc. Sans compter ceux-là tués ou déportés lors des sanglantes batailles ou échauffourées de 1796, 1805, 1849, 1854, 1859 et en 1862. 755

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Conclusion Le Tulde Dimat a vécu de 1854 à 1862, sous le magistère des gouverneurs Faidherbe, puis Jauréguiberry des évenements tragiques: la bataille de Dialmath, la dyarchie à la tȇte de la province suivie d’une disparition brutale des deux rivaux. Ses relations avec la France durant ces huit années constituent un condensé de faits rares dans l’histoire de la colonisation en Afrique. On peut citer deux exemples que sont l’enlèvement d’un officier français et l’exil d’une frange de la population. Ces deux actions sont des moyens de résistance utilisés pour endiguer l’avancée française dans le dar al islam de la Sénégambie septentrionale. Les populations du Tulde Dimat ne sont pas restées amorphes. Elles firent feu de tout bois pour se défaire de la présence française. Elles se battirent contre les Français en 1854 à Dialmath puis en 1862 à Bokhol. Elles furent conscientes de l’avantage qu’il y avait d’avoir des armes lourdes, c’est pourquoi elles se servirent en 1854 des canons récupérés lors de l’attaque de Fanaye de 1805. Ils furent réparés et actionnés par des artificiers locaux.

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Conclusion générale L’histoire du Tulde Dimat du XVIe siècle à 1862 constitue un cas intéressant de l’évolution d’une entité politique africaine. Nous avons croisé les sources pour décrire le processus d’occupation et gestion de cet espace interstitiel appelé d’abord Hoore Fowru puis du Tulde Dimat. Nous avons abordé l’histoire de tous les groupes sociaux qui y vivaient. Nous avons présenté les chartes politiques de certains villages. Nous avons aussi présenté l’arbre généalogique de certaines familles. Nous avons agrandi la perspective en étudiant la vie des relations dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal durant la première moitié du XIXe siècle. Nous avons mis en exergue le caractère violent de la conquête coloniale dans le Tulde Dimat. Les constructions politiques africaines ont en effet beaucoup souffert du fait colonial. Cependant, ce passé douloureux ne devrait pas nous servir de prétexte pour toujours pleurer et justifier tous nos maux actuels. Nous devons en tirer des leçons nous aidant à faire face aux défis présents et à venir. « Étudiez des problèmes et non des périodes », conseillait à des étudiants de Cambridge, le grand historien et pédagogue de l’histoire Lord Acton. C’est par rapport à ce conseil que nous avons pensé utile de revenir sur quelques problèmes très importants pour la connaissance du passé des sociétés africaines établies principalement dans la vallée du Sénégal. Nous avons montré que le Dimat eut un destin assez original et s’était adapté aux circonstances géopolitiques locales jusqu’à la fin de la décennie 1850, lorsqu’il subit les contrecoups des rivalités lignagères exacerbées par les intrigues de Saint-Louis. Nous avions donc pour ambition de retracer la courbe de vie de cette province, dont l’existence était jusqu’ici mal connue. L’Afrique regorgeait d’innombrables entités socio- politiques pré-coloniales dont il faudra retracer le cheminement de chacune d’elles qui pourrait receler une originalité dans sa genèse, ses fondements ou la gestion des pouvoirs locaux. Aussi, c’est à travers l’étude du plus grand nombre d’entre elles qu’on pourrait réaliser une synthèse fiable de notre histoire. Au niveau africain, ce travail en est à ses balbutiements. Au Sénégal nous avons le projet d’écriture de l’histoire générale du Sénégal des origines à nos jours. Nous avons déroulé presque trois siècles d’histoire du XVIIe au XIXe siècle en l’organisant autour de deux pôles principaux. Dans le premier pôle, nous avons d’abord montré que le Dimat s’est construit dans une zone marginale ayant d’immenses potentialités 213

écologiques, des terres fertiles de décrue du Walo ou Shemama. Ensuite que la convoitise que suscita leur partage entraîna par ricochet une course vers la légitimité politique liée à la revendication d’une arabité plus hypothétique que réelle. Les prétentions concernent aussi bien les groupes sociaux. Nous avons clos le débat sur les origines orientales et avons été encouragés dans cette prise de position par Ciceron, qui exigeait de l’historien que « la première loi qui s’impose à lui est de rien oser dire qu’il sache faux, la seconde d’oser dire tout ce qu’il croit vrai ». Le second pôle est centré autour des stratégies d’accession, de conservation et de partage des pouvoirs. Il ressort de notre étude que des populations venues d’horizons divers, ont noué une alliance négociée débouchant sur le partage des ressources naturelles, des pouvoirs temporel et spirituel. Ce sont des arrangements que le régime elimanal sous Elimane Boubacar notamment avait réussi à échafauder, malgré les particularismes. Au lendemain de sa disparition, nous assistâmes à une réanimation des tendances séparatistes. C’est que la déstructuration économique, sociale et politique du Tulde Dimat, dans la seconde moitié du XIXe siècle, était accélérée par les nouvelles perspectives géo-économiques liées à la culture de l’arachide et le recentrage de la politique française dans la Vallée du Sénégal. Le Tulde Dimat a eu, en l’espace de quarante deux ans, de 1820 à 1862, des relations diplomatiques multiformes avec la France. Plusieurs phases peuvent être décelées. La première phase, faite de rapprochement, est marquée par les pourparlers de projet de colonisation agricole entre janvier 1817 et janvier 1820. La France, face à l’interdiction de la traite négrière atlantique, cherchait en effet des terres pour la culture de plantes tropicales. Julien Schmaltz contacta Elimane Boubacar qui accepta de mettre à la disposition des Français les terres s’étendant entre Dagana et Nianga. Une seconde phase faite à la fois d’opposition et d’alliance qui débuta en janvier 1820 fut causée par le rapprochement entre la France et le Waalo qu’Elimane Boubacar interpréta comme une menace pour la survie des entités politiques de la Sénégambie. Le Tulde Dimat initia alors une coalition anti-française qui envahit le Waalo en mars 1820. De 1820 à 1842, Elimane Boubacar intervint régulièrement dans les affaires intérieures du Waalo. Pour arrêter les attaques des dimatnaaƃe dans ses forts, le gouverneur de Saint-Louis noua une alliance tactique avec Elimane Boubacar, ponctuée par l’octroi d’une coutume en 1842.

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La troisième phase est marquée par la volonté française de contenir la poussée musulmane. C’est la recherche d’un allié dans le Dimat en la personne d’Elimane Abdoul Boli et la conclusion d’un traité de paix en 1858. Le contact direct entre le Dimat et la France est marqué par un recours à la violence symbolisé par des confrontations militaires directes qui débutèrent par les attaques sur Fanaye (1804, 1805 et 1849), la bataille de Dialmath (1854), l’enlèvement du chef du Tulde Dimat en 1859 et enfin la bataille de Loumbel (1862). La France joua sur les rivalités lignagères pour déstabiliser le Dimat à partir de 1858. Désormais le pouvoir d’Elimane Dimat, Elimane Saydou, est de plus en plus contesté par Elimane Abdoul Boli le chef intronisé et reconnu par les Français. La crise au sommet du pouvoir fut réglée dans la douleur avec la déportation du chef légitime et l’assassinat de l’allié des Français en 1859. Les relations géopolitiques intra africaines dans cette partie de la Vallée furent marquées par la rivalité Trarza-Dimat au Waalo. Nous avons montré, à travers l’exemple du Tulde Dimat, la genèse du fait colonial. Ce fut l’ouverture d’une parenthèse qui devait être refermée au lendemain de la proclamation de l’indépendance de la République du Sénégal. Mais hélas, nous constatons, que jusqu’à présent, elle reste grandement ouverte. Il est grand temps de repenser des constructions politiques africaines équilibrées et adaptées aux réalités universelles. Cependant, tout n’a pas été reluisant dans le Dimat précolonial. À côté d’une islamisation précoce, subsistent des pratiques condamnables comme la forte hiérarchisation sociale et la pratique de l’esclavage domestique.

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Annexes ANNEXE I. LISTE DES ELIMANE THIANGAYE SELON ABDOUL QADIR KANE, ANNOTÉE PAR M. SY 1- Elimane Ndiaye. Serait-il le premier Elimane ? 2- Elimane Oumar Hountou 3- Elimane Amadou Aldiouma 4- Elimane Hamidine Hountou 5- Elimane Hamidine Moctar. Contemporain d’Elimane Boubacar Kane, il aurait régné 37 ans. 6- Elimane Baïdy ? ou (Samba Dieynaba)? Dans les archives nationales, il est signalé la mort de Samba Dieynaba, à l’infirmerie du poste de Dagana le 26 novembre 1865. Deux frères, cousins du défunt Elimane : Amadou Elimane Hamidine dit Baydi Elimane et Seydou Kane se portèrent candidats. Le commandant de Dagana précisa au début de l’année 1866 que Thiangaye avait choisi comme chef Amadou Elimane Hamidine dit Baydi Elimane frère aîné de Seydou Kane chef provisoire. En novembre 1868, Seydou Kane demanda l’autorisation de refonder Thiangaye ancien situé entre le Ngalanka et la rive gauche du fleuve Sénégal. Mais, il ne sembla pas réussir à attirer beaucoup de candidats. En 1883, le commandant proposa sa révocation et son remplacement par Amadou Lamine Kane. 7- Elimane Amadou Lamine Ndiaye Kane. À partir de 1883 8- Elimane Khaassoum Kane 9- Elimane Hamidine Ciré Kane 10- Elimane Baydi Kadiata Kane 11- Elimane Mamadou Saydou Altiné Kane. Aurait régné 6 ans. 12- Elimane Bocar Kane (1). Aurait régné d’ abord moins d’un an 13- Elimane Mamadou Ousmane Kane 14- Elimane Amadou Lamine Bakadjé Kane 15- Elimane Bocar Kane (2). Revint au pouvoir et régna de 1942-1974 16- Elimane Abdoul Thiadjel Kane 1974-1992 17- Elimane Amadou Demba Toly Kane de 1992 à 2009 18- Elimane Madani Kane de 2009 à 2015 19- Elimane Hamdal Kane depuis 2017 NB : Elimane Ndiaye Kane (1) et Elimane Oumar Hountou Kane (2) sont une seule et même personne.

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ANNEXE II. LISTE DES ELIMANE DIMAT AUX XVIIIE ET XIXE SIÈCLES RECONSTITUÉE PAR ARCHIVISTIQUES

LA

COMBINAISON

DES

SOURCES

ORALES

ET

Sources : Combinaison des listes de Feu Dialo Seydou Kane et Feu Elimane Sana Kane avec les documents d’archives. 1- Elimane Saydou Boubacar Kane 1741 à 1789 2- Elimane Hamédine Boubacar Kane 1789 à 1796 Il serait le premier Elimane Dimat -Dialmath.Il est mort à la bataille deBounghoowi. 3456-

Elimane Demba Boubacar Kane 1796 – 1801 Elimane Boubacar Kane 1801 – 1851 Elimane Diaalo Boubacar Kane 1851 – 1852 Elimane Saydou Elimane Boubacar Kane août 1852 - juin 1859 Ce fils d’Elimane Boubacar, partisan d’El Hadji Omar, a séjourné en 1858 pendant plus de 2 semaines auprès du Shaykou, mais refusa l’idée du fergo. À partir de 1855, les Français lui cherchèrent des rivaux. En juin 1859, il fut enlevé à Dimat par un détachement français commandé par le lieutenant Faron et le sous-lieutenant Alioune Sall. Il fut interné à Saint-Louis au sein de la famille du Qadi Hamat Ndiaye Anne (1813 - 1879). Il mourut en octobre 1859 à Saint-Louis, officiellement de dysenterie. 7- Elimane Haby Guéthie Kane septembre 1855 - janvier 1858 C’est une dépêche du commandant de Podor qui annonça la déposition d’Elimane Saydou et la nomination d’Elimane Haby Guéthie Kane en septembre 1855. À partir de 1855, jusqu’en 1859, le Dimat eut en même temps au moins deux Elimane. 8- Elimane Abdoul Boli Kane dit Abdoul Hamédine Diaalo février 1858 - août 1859 Suite à l’accroissement des partisans d’El Hadji Omar dans le Dimar, Faidherbe choisit un allié en la personne d’Abdoul Booli et signa avec lui un traité de paix et de commerce en juin 1858. Il fut assassiné le 31 août 1859 dans la mosquée de Dialmath 9- Elimane Diaalo Hammadou Kane octobre 1859 - septembre 1862 Ce cousin d’Abdoul Boli a été nommé Elimane Dimat sur décision de Faidherbe. Mais en septembre 1862, il a rallié l’Almaami Amadou Thierno Demba Ly qui se battit contre les Français à Loumbel (Bokhol). Il lui remit son manteau de chef de village et le drapeau français. Pour cette raison, il fut déchu et traduit devant le conseil d’administration de la colonie en décembre 1862. Il fut condamné à une exclusion illimitée de la colonie. 218

10- Mamoudou Elimane Kane octobre 1862 - début 1863 Ce fils cadet d’Elimane Boubacar fut proposé comme chef de village en Novembre 1861 par le directeur des affaires intérieures et ensuite par la population. Après la bataille de Loumbel il fut intronisé par l’almaami du Fuuta. 11- Elimane Ndiaye Samba dit Ndiaye Hamédine Dialo Kane mars 1863 février 1869 Ce cousin d’Abdoul Boli fut proposé Elimane Dimat en mars 1863 par les habitants de Dimat qui ne s’étaient pas exilés à Nianga Edy. Il mourut de choléra en1869. 12- Elimane Hamédine Kane dit Hamédine Demba Boubacar Demba Kane mars 1869 - juillet 1871 Intérimaire puis chef de village titulaire, il fut révoqué « pour manque de rigueur face à Amadou Sheikhou ». 13- Elimane Demba Koudedjé Kane dit Elimane Demba Elimane août 1871 - mars 1883 Fils d’Elimane Boubacar Kane et de Diaw Diop de N’diangué (Waalo), cet homonyme de Demba Koudédié (un cousin d’Elimane Boubacar Kane) fut nommé chef de Dialmath, Pendao et Langobé à la fois. Il fut surtout choisi pour ses potentielles capacités à endiguer l’influence grandissante d’Amadou Sheikhou dans le Dimar. Il s’était exilé pendant 8 ans à Nioro (1862 à 1870). Ayant épousé la fille de Samba Diene du Waalo (Takar Diena), Aysata Sy de Tékane et Aysata Famata Kane de Thiangaye. Il fut révoqué en 1883 et envoyé pour internement, pendant un certain temps à Dagana. 14- Le cas de Mamadou Dada Kane dit Thierno Mamadou Seydou Kane Il ne fut pas Elimane Dimat élu par le mbotu Dimat mais à partir d’avril 1883 , il créa une situation confusion. Fils d’Elimane Saydou Kane, il fut exilé au Gabon pendant 20 ans après avoir assassiné son oncle Abdoul Boli Kane. Instruit et ami des Français, il fut proposé pour de nombreuses raisons chef de village de Dialmath en mars 1883 puis chef de la province du Dimar. En février 1884, il fut nommé chef de canton du Dimar. 15- Elimane Bocar Dialo Kane 16- Elimane Abdoul Dada Kane 17- Elimane Dialo Daddé Kane (6 à 7 ans) 18- Elimane Aboul Kadiata Kane 19- Elimane Mamadou Yéyya Kane (14 ans) 20- Elimane Baidy Youmaissé Kane (2 à 3 mois) 21- Elimane Hamidine Bocar Dialo Kane de 1943 à 1949 22- Elimane Abou Kane de 1949 à 1980 23- Elimane Boubacar Dialo Kane dit Sana de 1980 à 2003 24- Elimane Oumar Abdoul Kadiata Kane de 2003 à 2016 25- Elimane Aly Kane Demba Mamoudou Elimane depuis juin 2017 219

ANNEXE III. TRAITÉ PASSÉ ENTRE BOUËT-WILLAUMEZ GOUVERNEUR DU SÉNÉGAL ET ELIMANE BOUBACAR CHEF DU PAYS DU DIMAR, AUX CONFINS DU TORO, LE 05 JUILLET 1843 Par devant Monsieur Bouët-Willaumez, gouverneur du Sénégal, Monsieur Caille, Chef du bataillon et Monsieur Alin, Maire de Saint-Louis d’un côté, et Elimane Boubacar, de l’autre, il est convenu ce qui suit : Article 1 Voulant reconnaître la fidélité et l’attachement à la France dont Elimane a donné preuve depuis longtemps, il lui est accordé une coutume. Conformément aux ordres de Monsieur Montaguies de la Roque en date du 29 mai 1842, elle se compose d’une partie des objets concédés précédemment au Montel d’Ardo Besdaly et d’un fusil, 5 kilos de poudre et de 2 kilos 934 de cassonnade provenant de la coutume d’Ardo Besdaly luimême. La coutume d’Elimane sera donc constituée comme suit : 1 Fusil à 2 coups 2 pièces de Guinée 3 barres de fer longues 2 Fusils de traite 5 Kilos de poudre 2 Kilos 934 de cassonnade 25 Balles 25 Pierres à feu Article 2 Cette coutume s’éteindra à la mort d’Elimane Boubacar que Dieu veuille en éloigner le moment. Article 3 De son côté Elimane Boubacar s’engage à favoriser de tous ses moyens le commerce du Sénégal avec son pays : à ne pas souffrir qu’il soit porté la moindre atteinte et à observer une neutralité parfaite si des hostilités venaient à éclater entre le Sénégal et quelque nation que ce fut. Article 4 Si le pays d’Elimane restait indépendant après sa mort, le Gouverneur du Sénégal verrait s’il y a lieu à continuer la coutume à son successeur, dans le cas où ce dernier donnerait des preuves de son attachement au Sénégal, de sa toute puissance sur le pays dont il hériterait et de la parfaite neutralité en cas de guerre. Signé Le Gouverneur du Sénégal et Dépendances : Bouët, Messieurs Caille et Alin

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ANNEXE IV. LE TRAITÉ DE PAIX CONCLU À SAINT -LOUIS LE 18 JUIN 1858 AVEC ELIMANE ABDOUL BOLI DU DIMAR Sous le règne de Napoléon III, Empereur des Français, L. Faidherbe, lieutenant-colonel du génie, officier de la Légion d’honneur, gouverneur du Sénégal et dépendances, a conclu le traité suivant avec Elimane Abdoul Boly, chef du Dimar : Article 1er : Tous les villages compris entre le marigot de N’dor ou Galanka et celui de Doué, réunis sous l’autorité d’Elimane Abdoul Boly, et formant la province du Dimar, déclarent, par l’organe du chef qu’ils ont choisi de se séparer complètement du Fuuta. Le gouverneur reconnaît l’indépendance de ce nouvel État, ainsi que le chef Abdoul Boly qu’il s’est nommé, et lui accorde sa protection. Article 2 : Abdoul Boly s’engage à ne pas permettre que des étrangers, réfugiés dans son pays, viennent commettre aucun méfait sur les territoires annexés à la France. Si cela arrivait, il se reconnaît responsable du dommage causé et promet de livrer les coupables à la justice des Français. Article 3 : Le commerce continuera à se faire dans le Dimar, par les sujets Français, tant à terre que sur les navires, sans qu’il soit exigé des traitants ou commerçants aucun tribut, coutume ou cadeau, de quelque nature et sous quelque forme que ce soit. De leur côté, les gens du Dimar pourront circuler librement, avec leurs produits, dans tous les pays Français, sans qu’il leur soit réclamé aucun droit ou tribut. Article 4 : Elimane Abdoul Boly s’engage à protéger les sujets Français et leurs biens dans son pays, comme ses sujets et leurs biens sont protégés dans les pays Français. Il promet de rendre bonne et prompte justice pour tout délit qui serait commis par un des habitants de son pays au détriment d’un sujet Français. Article 5 : Les Français pourront couper le bois et faire paître le bétail sur le territoire du Dimar. De leur côté, les sujets d’Elimane Abdoul Boly jouiront des mêmes avantages dans les pays soumis à la France. Article 6 : Sont abrogées toutes les dispositions antérieures au présent traité qui servira seul, à l’avenir, de base aux relations politiques et commerciales entre l’État indépendant du Dimar et les Français. Fait et signé, en triple exemplaire, à Saint-Louis, le 18 juin 1858. Signé : Faidherbe Signé : Abdoul Boly Celui, qui ces présents lira, saura qu’Elimane Abdoul Boly accepte tout ce qui est stipulé dans le présent traité. Elimane Fanaye et Elimane Thiangaye donnent aussi leur assentiment aux conditions ci-dessus, et tous s’engagent, en leur nom et au nom de leurs sujets, à ne jamais rien faire de contraire à ce traité. Le traité de paix fut conclu à Saint-Louis le 18 juin 1858 entre Louis Faidherbe gouverneur de la colonie du Sénégal et Elimane Abdoul Boly. Il a été fait et signé en trois exemplaires. En la présence et l’assentiment d’Elimane Fanaye et d’Elimane Thiangaye.

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ANNEXE V. LES PATRONYMES DE FANAYE ET LEURS ORIGINES Fédior* Ndiaye Kane Ba Sy Tine Gaye Ly Guèye Baal Gadio Sall Diallo Dior Lom Babou Diouf Djigo Thiaw N’dong Mbodj Béye Mar Mbow Gako Seck Diamé Taguourlo Sambou Aane Kelly Diop Kamara Dia Guissé Ndjim Gadjiga Faye

viennent du Niamandirou759, Djolof Dimat Ururƃe Souyouma /Halwar Sereer Doungel Thilogne Djolof Boodé Sébbé, Mboyo, Pété Guédé Wodaaƃe Sébbé/ Wolof Sebbe Lébu Sereer Dimat Sereer Sereer, Fuuta Wolof, Garack Waylube,Guéme Yalla Waylube,760Fuuta Waylube,Fuuta Cordonniers, Fuuta Griots, Dimat Cordonniers, Fuuta Cordonniers, Fuuta Toorodo Pété Fuuta, Saaré N’dogou Wolof,Subalbe, Toorodo, Kokki Captifs, Tooroƃƃe Tooroƃƃe, Foulbé Tisserands, Fuuta Diawando, Thilogne Laobé, Orgo Sereer

759 Niamandiru, ancien nom du Fuuta, dit le « pays sans faim, le pays de l’abondance ». Arrivés au Djolof, ils s’allient au Bour ba Djolof. Puis ils lui proposent d’habiter dans le sud de son pays: «Naňu feete ci joor jii» lui dirent-ils en langue wolof. Ce qu’il accepta. 760 Ils n’étaient pas auparavant des forgerons. Souvent les migrants prennent la caste de leurs épouses.

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Fall N’dim Thiam Thiello Soumaré Thiène (Séne) Sow Mbaye Deh Sarr Diakité Sakho Koné Tall Lam Diaw Toumbou761 Touré Niass Konté Lo N’diongue /N’diom Niang

761

Tooroƃƃe, Maures Diawando Forgerons Dimat, Sebbe Dimat, Sebbe Nianga, N’guenar Wodaaƃe, Réwo, Egypte Captifs, Fuuta Fulbé Pêcheurs, N’gawlé Maures Toubé, Bakel, Fuuta Bambara,Sénégal oriental Tooroƃƃe, Halwar Captifs, Fuuta Tooroƃƃe, originaires de Waalo Brak Thilogne Tooroƃƃe Pêcheurs, Wolof Pêcheurs Pêcheurs Pêcheurs Leggal Diaddine Niang

Ils étaient auparavant de patronyme Touré.

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ANNEXE VI. LE FUUTA TOORO OCCIDENTAL ET LE FERGO OMARIEN : UN EXTRAIT DE LA LISTE DES JAMBAR OU COMPAGNONS DE SHAYKOU OMAR TALL ORIGINAIRES DE FANAYE (SOURCE MAMADOU BAKADIÉ LY) 1- Diéri Lamin Thiaw

mort au jihad omarien

2- Abdoul Houdaké

s’établit à Dinguiraye

3- Abdourahmane Ba

s’établit à Koniakary

4- Bocar Baal

revint à Fanaye

5- Aly N’dongo

revint à Fanaye

6- Salla Bocar Ba

revint à Fanaye

7- Ndiaye Demba Ly

s’établit à Koniakary

8- Bassirou Toumbou

revint à Fanaye

9- Alfa Hamat Tine

s’établit à Dinguiraye

10-Demba Sakké Gako

s’établit à Madina Mayel

11- Sidiki Gaye

s’établit à Dinguiraye

12- Souleymane Anne

migra vers le Soudan occidental à deux reprises

13- Abdoulaye Ndiaye

revint à Fanaye

14- Hassane Ndiaye

revint à Fanaye

15- Moussa Djigo

revint à Fanaye.

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ANNEXE VII. LISTE DES ELIMAAN FANAYE (SOURCE MAMADOU BAKADIÉ LY) 1- Elimane Saïdou Sammba Ly Mbaraane 2- Elimane Racine Saydou 3 - Elimane Samba Doullo 4- Elimane Racine Goumbo Bocar762 5- Elimane Saydou Ndiaye Atoumane 6- Elimane Racine Saydou Ndiaye Atoumane 7- Elimane Demba Samba Doullo 8- Elimane Ousmane Elimane Samba Doullo 9- Elimane Bocar Ousmane 10- Elimane Amadou Kadjata 11- Elimane Landji 12- Elimane Mamadou Saydou Amadou 13- Elimane Mamadou Demba Samba Doulo 14- Elimane Samba Mayé 15- Elimane Babaly Ndiaye Demba 16- Elimane Oumar Ly Ndiaye Demba 17- Elimane Babaly Koumbaye 18- Elimaan Racine Ly dit Landji 19- Elimane Hamedine Siman 20- Elimane Souleye Ndiaye 21- Elimane Sick Elimane Oumar 22- Elimane Mamadou Elimane Babaly 23- Elimane Racine Saydou Ndiaye Atoumane.

762

Elimane Racine Goumbo Bocar est le fils de Fadoum Racine Hamet Diouldo Kane. Les dimatnaaƃe le nomment Racine Fadoum.

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ANNEXE VIII. LA SAGA DES SARR : UNE HISTOIRE RACONTÉE PAR YÉRO DADDÉ SARR ET MAMADOU NDIAYE SARR DE DIAGNOUM

Lorsque Chems Eddine dit Diam Sy vint pour répandre l’islam en Mauritanie du sud, il a trouvé l’ancêtre des Sarr dans les environs de ce qui allait devenir Souyouma Toulel Réwo situé sur la rive droite du fleuve Sénégal. En ces temps, tous les habitants de cette contrée vivaient dans des grottes. Ils partaient à la chasse le matin et revenaient dans leurs grottes avec leurs prises. Chems Eddine et l’ancêtre des Sarr nommé Gnoguidiaw se concertèrent et trouvèrent un terrain d’entente pour cofonder et codiriger un village. Chams Eddine fut nommé chef de village et Gnoguidiaw, désigné comme son diagaraf. Voici la généalogie de ce dernier qui est l’ancêtre d’une partie des Sarr gallunkoobe du Tulde Dimat :

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Samba Aly Sarr dit Samba Tacko Mboum fut chef de village intérimaire de Souyoum Toulel Rewo pendant 7 ans, lorsque les Sy qui assuraient la fonction eurent un problème pour choisir un des leurs. Samba Aly, en compagnie de son ami et confident Ibra Aly Sy un des dignitaires de la famille Sy, trouvèrent la mort à la bataille de Diaba. Leurs corps furent ramenés par les esclaves de Samba Tacko Mboum et enterrés à Souyoum Toulel Réwo. Voici la descendance de Samba Aly Sarr dit Samba Tacko Mboum : Samba Aly Sarr dit Samba Tacko Mboum et Fatimata Barro de Dimat eurent Ndiaye Fatimata dit Ndiaye Samba et Saydou Samba. Ndiaye Fatimata Sarr eut un fils du nom de Yéro Dadé Sarr. Yéro Dadé Sarr et son épouse Hawe Mariam Diop eurent les nommés Amadou Yéro Dadé Sarr, Daddé et Mariam Yéro Daddé Sarr. La descendance de Amadou Yéro Daddé Sarr

Amadou Yéro Daddé et son épouse Mariam Sarr eurent deux enfants : Ndiaye Amadou et Saïdou Amadou Sarr dit Saïdou Sarrel. Saïdou Amadou Sarr dit Saïdou Sarrel et Aïssata Aly Lom de Fanaye eurent comme enfants Mariam dite Gnaka décédée très tôt, Mamadou Saïdou dit Doudou, Ndiaye Saïdou dit Demba et Abdoulaye dit Molo Sarr. Son second fils Ndiaye Amadou et son épouse Coumba Ayssé Diagne eurent dix enfants que sont Fatimata Barro, Daddé Ndiaye, Amadou Yéro, Haw Mariam, Mamadou Ndiaye, Fadoum Sarr(Diatar), Khady Sarr, Saïdou Sarr, Kardiétou Sarr, Aïssata Sarr(Diatar). Yéro Daddé est bien le fils de Ndiaye Amadou mais sa maman est Aïssata Aly Lom. Ce sont ces Sarr que l’on trouve essentiellement aujourd’hui à Diagnoum et Dimat Diery. La descendance de Saydou Fatimata, le second fils de Samba Tacko Mboum

Le second fils de Samba Tacko Mboum est Saydou Samba Tacko Mboum qui eut une fille unique du nom de Pendé Saydou Samba qui eut à son tour une fille du nom de Tacké Peindé Saydou Samba qui eut entre autres fils Hamet Tacké et Amadou Sarr ancien animateur à Radio Mauritanie.

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La descendance de Tacké Peindé se trouve aussi à Fanaye, avec Fadoum Sarr qui eut comme descendant Samba Ndjadiri. Les autres Sarr de Dimat

Il s’agit chez les Gallunkooƃe de la famille d’Amadou Sarr radio Mauritanie, de Baye Malick Sarr. Il y a des Sarr subalbé (pécheurs) : Hamath Daddé Sarr et Guélaye Sarr ainsi que leur descendance. Il y a d’autres Sarr appartenant à d’autres groupes sociaux: Madi Tabo Sarr, Ndiaye Silèye Sarr, Ibrahima Diéry Sarr. Le rôle joué par Ndiaye Fatimata Sarr dans le mariage d’Elimane Boubacar avec Mariama Asta Sy et ses conséquences

Ndiaye Fatimata a beaucoup joué dans le mariage d’Elimane Boubacar d’avec Mariam Asta qui résidait à Diatar. Devenue célibataire, elle avait beaucoup de prétendants parmi les Sy et autres familles torobé du Fuuta. Lorsque le mariage fut scellé, Ndiaye Fatimata devint un confident d’Elimane Boubacar Kane. Cependant tout Souyouma fut fâché contre lui, l’accusant d’avoir manœuvré pour Elimane Boubacar, au détriment des prétendants locaux. En guise de sanction, les notables proclamèrent la saisie de tous ses biens fonciers (champs de cultures et habitations) à Souyouma. Ils en firent un ‘Bayti’ c’est-à-dire, versé à la propriété du village. Elimane Boubacar, en réaction lui offrit des terres dans le Dimat; il déménagea un de ses proches parents pour le loger, il destitua le diagarafDimat qui était de la famille des Thiam pour le nommer à sa place au poste stratégique de chef du protocole. Dès lors, les Sarr jouèrent un rôle primordial dans le Dimat en exerçant une double fonction diplomatique et guerrière ; à l’image de tous les Gallunkooƃe du Dimat. Selon Yéro Daddé, c’est grâce à Mariam Asta que les Sy devinrent imam de la mosquée de Dimat. Avant, cette fonction était exercée par les Ba, Tall et Kane.

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ANNEXE IX. LISTE DES SERIGNE KADIAR DE GAYA

Un mixage des listes de M. Zayid Fall, instituteur à la retraite demeurant à Dagana et de Boubacar Bitty Lokho Fall demeurant à Gaya et des documents d’archives coloniales consultées à Dakar. Ordre, nom du Serigne Kadiar, date approximative de son règne et annotations 1 Serigne Kadiar Mandikou Fall Coura Guèye 1786 - à une date non précisée. Il serait le premier Serigne Kadiar après un mouvement migratoire des Gaya Gaya en provenance de Dimat Dialmath, se terminant par leur installation sur ce site. 2 Serigne Kadiar Moussé Fall Coura Guèye 3 Serigne Kadiar Yokh Fall Oumou 4 Serigne Kadiar Mafall Rokhaya Mbodj : C’est sous son règne que les habitants du village adressèrent une lettre au gouverneur réaffirmant leur amitié aux Français. 5 Serigne Kadiar Mandikou Fall Noor Mbodj : il aurait régné à partir de 1854. 6 Serigne Kadiar Mangoné Fall Youmma Awa : il aurait régné de 1857 à 1860 si nous nous référons aux sources archivistiques françaises. En 1857, fut créée ou rouverte, selon une dépêche du Moniteur du Sénégal, l’école de Dagana et les enfants des environs de Dagana donc de Gaya furent forcés de la fréquenter afin de contrecarrer leur enrôlement dans les écoles coraniques dites Daara. En janvier 1858, c’est sous sa conduite que le village de Gaya se plaça volontairement sous la protection française, selon une dépêche du Moniteur du Sénégal. Le village, jusqu’ici lié à Dialmath par de multiples liens multiséculaires, fut rattaché au cercle de Dagana. Jusqu’en 1860, selon les archives coloniales, Mangoné resta chef de village. Mais en février 1860, le différend entre lui et Mabok son rival s’envenime selon le commandant de cercle qui en parle dans une correspondance adressée au gouverneur de la colonie. Voir 13G101 folio 19. 7 Serigne Kadiar Mabok Fall Awa Mbodj : il aurait régné à partir de décembre 1861 selon une correspondance du commandant de cercle adressée au gouverneur. Voir 13G 101, folio 52. 8 Serigne Kadiar Mokhtar Fall : il aurait régné de 1863 à 1875. Mais il semble avoir eu au moins un intermède. La deuxième moitié du 229

19e siècle est marquée dans cette partie de la Sénégambie qui est gérée désormais par la France par l’exacerbation des tensions lignagères, une compétition pour l’accès aux fonctions de chef de village ou de canton. Mais un pouvoir qu’on exerce par procuration au nom des intérêts de la France. A la moindre déviation, au moindre doute d’un engagement sans failles, le chef est viré ou bien on suscite une crise à partir du chef de lieu de cercle ou de la capitale de la colonie … C’est le cas ici à Gaya où ce notable fut imposé chef de village alors que l’assemblée du village avait porté son choix sur un autre notable. En mars 1866, Samba Diène un ‘facilitateur de l’expansion française’, un nouveau métier dans la famille des aristocrates, né de la présence européenne entreprit une campagne à Dagana et SaintLouis afin de rattacher Gaya, Bokhol et Réffo au canton de Khouma. Serigne Kadiar Mokhtar Fall s’y opposa. Pour cette raison, il fut révoqué et remplacé par Baydaro Fall qui avait promis d’accepter le projet de Samba Diène. En septembre 1866, Mabok un autre ancien chef de village de Gaya et ses partisans quittèrent Gaya pour se rétablir sur la rive droite à Khéou près de Sokam, rétablissant cet ancien village. Le roi des Trarza lui avait remis 15 chèvres laitières, selon le commandant de cercle, afin de l’encourager dans cet acte de déviance aux autorités locales et coloniales. Nous sommes devant un cas de résistance passive assez fréquent dans l’histoire coloniale. En fin octobre 1866, Mabok fut mis aux arrêts par le commandant de cercle et envoyé à Saint-Louis pour y purger une peine de prison pour acte de rébellion et immigration illégale. Son fils Mamadou Fall Mabok partit voir le roi des Trarza pour lui demander un soutien. Afin d’empêcher le flux migratoire vers Khéou, le commandant de Dagana fit saisir les pirogues des candidats à la micro migration. Serigne Kadiar Mokhtar Fall fut à son retour révoqué pour les raisons suivantes. Le 27 juin 1870, une délégation de notables de Gaya se rendit à Dagana pour exiger la révocation de Mokhtar Fall et son remplacement par Baydaro Fall car, selon leurs dires, en six ans, une partie des habitants du village avait rejoint Khéou et Gani (dépêche ANS 13G 106, folio 67). En décembre 1871, une autre délégation de notables de Gaya se rendit à nouveau à Dagana mais le commandant n’accéda pas à leur désir car, à son avis, c’est un

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complot ourdi par un certain Hount Fall qui visait la chefferie locale (ANS 13G 106, folios 67 et suivantes). 9 Serigne Kadiar Baydaro Fall : il aurait régné de 1870 à 1875. Il s’agit d’un come back suite certainement à son acceptation des désirs de Saint-Louis c’est-à-dire arrêter le mouvement migratoire des Maures et autres habitants noirs vers la rive droite et augmenter les recettes perçues à travers le paiement de l’impôt personnel. 10 Serigne Kadiar Mamadou Fall Mabok. Est-il le même que Mamadou Fall Koura, Mamadou Fall Anta cités dans la liste de Zayid Fall ou d’un certain Amadou Fall souvent cité dans les archives coloniales ? En tous les cas, il aurait régné à partir de 1876 jusqu’en 1879 au moins. En réalité c’est lui qui fut proposé chef de Gaya dès février 1874 à la place de Baydaro Fall. C’est en janvier 1876 qu’il fut nommé officiellement chef de village et installé par le commandant de Dagana en mai 1876 à Gaya. Pourquoi ce retard ? Il fut révoqué en septembre 1879 par le commandant de Dagana. Certainement parce que ne remplissant plus le cahier de charges des Français. 11 Serigne Kadiar Hount Fall Lobé Seck : il aurait régné de 1879 à novembre 1883, assurant quelque fois l’intérim. 12 Intérim assuré par le Serigne Daara Mayoro Wellé. Depuis quand ? Pourquoi ? En juin 1886, le sieur Mayoro Wellé, intérimaire se rendit à Dagana pour annoncer au commandant de cercle que Gaya s’est donné un nouveau chef de village du nom de Abi Fall à la place de l’ancien chef révoqué par le commandant de cercle Laudes (13G113, folio 59). 13 Serigne Kadiar Abi Fall ou Abi Fall Wakkha chef nommé en juin 1886. 14 Serigne Kadiar Hountou Fall nommé en janvier 1887. 15 Serigne Kadiar Alioune Fall 16 Serigne Kadiar Yokh Fall Awa 17 Serigne Kadiar ? non connu 18 Serigne Kadiar ? non connu 19 Serigne Kadiar ? non connu 20 Serigne Kadiar Ndaraw Fall dit Ndaraw Guédé 21 Serigne Kadiar Boubacar Fall dit Bocar Dueguéne qui aurait régné de 1915 à 1916. 22 Serigne Kadiar Modou Fall dit Mokhtar Ndickou Tacko de 1916 à 1918. 23 Serigne Kadiar Abdou Fari Gaye de 1918 à 1924. 231

24 25 26 27 28 29

Serigne Kadiar Modou Siré Abi de 1924 à 1925. Serigne Kadiar Yokh Fall Diaw Guèye de 1926 à 1935. Serigne Kadiar Moussé Fall Mariama Guèye de 1935 à 1963. Serigne Kadiar Abdou Fall Anta de 1963 à 1973. Serigne Kadiar Modou Fall Yoro de 1973 à 1997. Serigne Kadiar El Hadj Rawane Fall depuis février 1998.

ANNEXE X : ASKO OU ARBRE GÉNÉALOGIQUE DES KANE DU TULDE DIMAT ET DU FUUTA TOORO. SOURCE : SAÏDOU ABOU KANE MAWDO ET SAÏDOU ABOU KANE, PROFESSEUR DE MÉCANIQUE AUTOMOBILE, 10E THIÈS, SÉNÉGAL

N.B. : L’arbre généalogique a été présenté sous forme de tableaux numérotés présentant l’ascendant male ou femelle et sa descendance. Quelquefois, les deux ascendants sont présentés en même temps. Il arrive qu’une meme personne soit présentée deux fois : du cŏté paternel et du cŏté maternel. Il y a des omissions dans l’énumération de la descendance de certaines familles. En outre, il y a désaccord quant au nombre d’enfants de certaines personnes. C’est le cas de Yéro Hilal, de Hamet Diouldo, etc. Les personnes n’ayant de pas de descendance sont suivies par la lettre N ou n signifiant néant. Il y a certainement des erreurs que nous rectifierons. Liste des arbres généalogiques présentés

10.1 : 10.2 : 10.3 : 10.4 :

ascendants et descendants d’Ayel Abdallah et de Yéro Hilal. descendants de Dowdy Yéro descendance de Lamine Dowdy (Thiangaye) descendance de Hamet Diouldo Kane et Takko Nango Sooya (pullo bodaado) 10.5 : descendance de Racine Hamet (Dimat) 10.6: descendance d’Amar Hamet 10.7: descendance de Boubou Hamet 10.8 : descendance d’Aly Hamet Diouldo Kane 10.9 : descendance de Hountou Racine 10.10 : descendance de Boubacar Seydy dit Boubacar Koudedié

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10.1 : ascendants et descendants de Yéro Hilal.

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10.2 : descendants de Dowdy Yéro

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10.3 : descendance de Lamine Dowdy (Thiangaye)

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10.4 : descendance de Hamet Diouldo Kane et Takko Nango Sooya (pullo bodaado)

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237

N.B. : Hountou Racine eut deux enfants que sont Seydy Hountou et Ousmane Hountou. Ousmane Hountou eut un seul fils nommé Ndiaye Hountou ou Ndiaye Ousmane qui forma le galle Ndiaye. Seydy Hountou eut quatre garçons que sont Boubacar Seydy dit Boubacar Koudedié, Demba Seydy (qui donna le suudu demba), Malick Seydy et Ibra Seydy.

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3. Mamadou Lam, griot des Wodaaƃe, Kadiogne, 18 août 1976. 4. Mamadou Hamadoune, retraité de l’administration, ancien Ardo Wodaaƃe, Diabobé, le 18 août 1976. 5. Alioune Sow, entretien N°1, retraité de l’administration, Dagana, le 20 octobre 1976. 6. Thierno Amadou El Hadji, Marabout, Thiewlé le 21 octobre 1976. 7. Salif Diallo, captif des Wodaaƃe, Kadiogne, le 21 octobre 1976. 8. Aly Sow, cultivateur et éleveur, Thioukounguel, le 22 octobre 1976. 9. Alfa Harouna, cultivateur et éleveur, Kadiogne, le 22 octobre 1976. 10. Boubou Sow, notable de Kadiogne, Kadiogne, le 24 octobre 1976 11. Boubakar Sadio Sow ancien ardo Wodaaƃe, Kadiogne, le 21 octobre 1976. 12. Amadou Ly dit Douze, secrétaire du chef d’arrondissement de Thillé Boubacar, Thillé Boubacar, le 24 octobre 1976. 13-Ardo Younouss Sow, chef de village des Wodaaƃe I (Diabobé), Dagana le 26 octobre 1976. 15-Alioune Sow entretien N°2, retraité de l’administration, Dagana, le 26 octobre 1976. Interviews réalisées par le laboratoire de recherches MOPAF (AROA/CROA/WARC par Mamoudou Sy et Loukoumana) en octobre 2001 sur les Wodaaƃe de l’arrondissement de Thillé Boubacar Amadou Boubou Sow directeur d’école à Pékesse, Pékesse, le 1er octobre 2001. 2. -Ardo Yéro Koty Arona Laboudou, Ardo de Diardé Koylé, Diardé Koylé, le 8 octobre 2001. 3-Ardo Oumar Seydou Sow, chef de village de Wodaaƃe I, Diabobé, le 6 octobre 2001. 4-Ardo Mousa Diery Sow, chef de village de Wodaabe II, Tulde Hambour, le 6 octobre 2001. 5- Harouna Diallo, Ardo de Tatki, Tatki, le 21 octobre 2001. 6-Yéro dit Salif Sow, retraité de l’administration, Dagana, le 02 octobre 2001. 7-Mamadou Ousmane Ba dit Mamadou Kadam, Kadiogne, le 3 octobre 2001 8-Ibrahima Ndiaye, infirmier retraité, Ndiayéne, deux séances : Ndiayène les 4 octobre et 6 octobre 2001. 1.

Interviews réalisées par Mamoudou Sy 1- Saïdou Abou Kane dit Ciré Dieynaba, professeur de mécanique automobile à la retraite, plusieurs séances (entre 1993 et 2017), Thiès. 254

2- Saïdou Kane dit Moustapha Boly, cassette audio destinée à Thierno Bokaar Daddé Kane, Daartol Tulde Dimat (Histoire du Dimar), Hollande, janvier 1993. Thèmes : Origine des Dimatnaaƃe, trajectoire migratoire, installation autour du lac R’kiz, migration sur la rive gauche, le Dimat face aux Français et ses voisins africains. 3- Elimane Abdoul Thiadjel Kane, ancien chef de village de Thiangaye, août 1989. Thèmes : Origine des Kane, partage des terres et les conditions de leur réinstallation sur la rive gauche du fleuve Sénégal. 4- Abdoul Qadir Kane, Thiangaye, 6 juin 1993, Dakar 1996 Thèmes : Généalogie des Kane, Sy, Ly, liste des Elimane Thiangaye 5- Aïssata Elimane Abou Kane dite Coumbodou, Diagnoum,Interview 1, 04 janvier 1998 ; Thèmes : les Killé du Dimat, organisation sociale et politique ; Interview 2, le 20 septembre 2014, Diagnoum. Thème : esclavage dans le Fuuta Tooro, les conditions d’affranchissement et le processus selon la loi musulmane, Biographie de Aissata Samba. 6- Elimane Seydou Amadou Kane, chef de village de Diagnoum, Diagnoum, juin 1993 Thèmes : Origine des Kane, l’installation à Dimat-Dialmath, les Killé, Elimane Boubacar, Demba Koudédié et son retour de Nioro 7- Mamadou Abdoulaye Sy, enseignant retraité, Thiès,10ème RIAOM, séance du 22 mai 1994 Thèmes : Killé Dimat-Dialmath, organisation sociale et politique ... 8- Alassane Faty Diao Kane, postier retraité, Dakar, août - septembre 1996. Thème : Killé Dimat -Dialmath ... 9- Atick Baro, cadre de la SODEFITEX à la retraite, plusieurs séances en 1994 et 1995. Thèmes : Origine des Dimatnaaƃe, les Killé, les castes du Dimat… 10- Saïdou Abdoulaye Sy, instituteur à Ndiawar, Dakar, le 10 septembre 1996. Thèmes : les castes du Dimat, les Killé... 10-Mamadou Saïdou Fedior, Fanaye, le 19 novembre 2001. Thème : les Killé de Fanaye, la charte politique du village... 11-Mamadou Lamine Bakadié Ly, Fanaye, novembre 2002. Thème : les Killé de Fanaye, liste de tous les patronymes de Fanaye, liste des compagnons d’El hadji Omar Tall. 12-Ousmane Lawkel Ly, Fanaye, le 19 novembre 2001. Thème : l’ancienne organisation de Fanaye. 13-Boubou Gaye 55 ans, Thiangaye, le 20 novembre 2001. Thème : charte politique de Thiangaye 14-Coumba Dada Kane, 83 ans, Diagnoum, le 21 novembre 2001. Thème : charte politique Thiangaye et Pendao. 15-Haw Koro Kane, 80 ans, Diagnoum, le 21 novembre 2001. 255

Thème : charte politique Pendao. 16-Bakary Hawo Thillé Ba, 70 ans, Thillé Boubacar, le 18 novembre 2001. Thème : charte politique Thillé Boubacar. 17-Aly Bocar Ndiaye, Jaaltabe Dimat, Dakar 08 février 1994 et Dimat Waalo, avril 2002. Thème : Les Killé de Dimat, le rôle du Jaaltabe. 18- Feu Atoumane Kane, ancien chef de canton, ancien administrateur civil, Dimat Diéri, 12 juin 1993 et octobre 2002. Thème : Origines de Dimat, organisation politique. 19-Imam Mamadou Amadou Sy, Imam de Dimat Diéri, Avril 2002. Thème : Les Sy et Elimane Boubacar Kane, la micro-migration des Dimatnaaƃe. 20- Imam Amadou Baïdy Sy, Imam de Dimat Waalo, Avril 2002. Thème : Rencontre Elimane Boubacar et El Hadji Omar à Dimat Waalo. 21- El hadji Doudou Sarr, Diagaraf Diagnoum, Diagnoum, Avril 2002. Thème : La rencontre entre El hadji Omar, Tapsir Diabiri Diallo, Elimane Boubacar et El Hadji Omar à Dialmath. 22-Penda Sokone Kane, Dimat Diéri, Avril 2002. Thème : Elimane Boubacar Kane et ses dons surnaturels... 23-Ngoundou Sa Ndiaye Seck, Gawlo Dimat, Avril 2002 Thème : La rencontre entre Elimane Boubacar, Tapsir Diabiri Diallo et El Hadji Omar Tall à Dimat Waalo. 24-Amadou Diam Guèye, Dimat Diéri, Avril 2002. Thème : Les Killé du Dimat, présentation du Hindi Guèye-gueybé. 25- Aly Tacko Ly, Dimat Diéri, Avril 2002. Thème : Les 2 Killé originels du Dimat. 26- Sira Guèye Kane dite Mayo, Dimat Diéri et Thiès, Novembre 2001 et Juillet 2002. Thème : les Killé de Dimat, les groupes sociaux ... 27- Amadou Barro, Thilène Médina, Dakar, 20 août 2001. Thème : La transmission du Wird tijan dans le Dimat, rencontre Elimane Boubacar et El Hadji Omar Tall, la migration des Dimatnaaƃe, la séparation de Gaya du Dimat. 28- Babacar Fall, professeur éducation plastique, originaire de Gaya, Thiès, novembre 2000. Thème : organisation de Gaya, origine de ses habitants... 29- Samba Fadoum dit Nama Sall à Thiès, décembre 2002. Thème : les Killé du Dimat. 30-Abdoulaye Diom Ba, ex-directeur de l’école Amadou Assane N’doye exThiers, Dakar Plateau, Dakar, Juillet 1994. Thème : Histoire des Foulbé, leurs relations avec les Tooroƃƃe. 31- Peinda Toly Dia, Diagnoum, le 16 septembre 2015. Thèmes: esclavage, la destinée de Coumba Demba Dabo femme libre devenue esclave, sa descendance. 256

32- Moktar Sako vice Imam de Diomandou en la présence de Hamédine Wade, Seydou Mbodji, Hamidou Boubou Sakho et Mamadou Sy, le 30 décembre 2014, Diomandou. Thèmes : origine du village, les kille, historique de l’association locale Endam Bilali. 33- Mamoudou Oumar Ba en la présence de Moktar Sakho, Hamédine Wade, Seydou Mbodji, Hamidou Boubou Sakho et Mamadou Sy, le 30 décembre 2014, Diomandou. Thèmes : origine des villages de Diami Mbayla, Diomandou et Thialaga, esclavage dans le Fuuta Tooro, les catégories de maccube, définition du mot ceddo / sebbe, les kille. Fond Robinson, Répertoire des interviews sélectionnées et consultées à Indiana University-USA (Archives of Traditional Music, Bloomington) en juin-juillet 2001. Les titres et sous- titres des interviews sont de David Robinson 1- Cassette Bani Guissé, 12B -13B, Agnam Siwol, 13 mars 1968. Thème : Le Jihad Omarien. 2- Thierno Seydou Kane, Thilogne. a- le 4 mars 1968, Thème : N’diack Moctar Ly, Université de Pire, Almaami Birane Wane contre Youssouf Ly. b- le 29 janvier 1968, Thème : généalogie des Kane très floue parce que basée sur le livre de Siré Abbas Soh. c- le 30 janvier 1968, Thème : les chevaux d’Abdoul Bocar Kane. 3- Thiam Ali Gaye chez Samba Ndiaye, Matam, le 5 mars 1968, séance 5 en présence d’Ibrahima Sériba Thioub. Thème : N’diack Moctar, rapport Ali Bouri et Bara fils de Mahdiyou, assassinat de N’diack ... 4- Thierno Pathé Mbow dit Abdourahmane de Belinaybé, Matam, le 5 mars 1968.Thème : Liste des Almaami du Fuuta, origine des Ly, Wane, Dieng, Kane, Silla, histoire des Denyanké. 5- Amadou Wendou Nodi Ndiaye, Matam, le 6 mars 1968. Thème : El Hadji Omar à Horéfondé, la liste des Rijad al Kubra (compagnons) d’El Hajji Omar Tall. 6- Séga Niang à Nguidjilogne : - le 7 mars 1968 : Thème : origine du Fuuta et de Ngidjilogne, des Toorodo, Abdel Kader et le complot, les Kane de Dabiya, Alfa Amar et les électeurs, Youssouf et Amat Délo, Abdoul Bocar, Demba Tall et Shaykh Mamadou Mamoudou. - le 9 mars 1968 (plusieurs séances) : Thème : séparation du Dimar du Fuuta Tooro, installation de Abdel Kader à Kobilo, fondation de Ngidjilogne, l’après Bounghoowi... 7- Anne Thierno Aliou Yoro Baal à Nguidjilogne, le 8 mars 1968. 8- Yaya Lamine Agne et Baba Hamidou Agne, Gawol, le 8 mars 1968.

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9- Farba Amayel Mbaye, Kaédi, le 8 mars 1968.Thème : les deux groupes ayant peuplé originellement le Fuuta (les pêcheurs et les bergers), généalogie des Kane Seguelé... 10- Thierno Dahirou Anne, Tiléré le 9 mars 1968.Thème : les Thierno Tileré, le wird, Almaami Mamoudou Mamoudou de Ngidjilogne. 11- Kane, Al Hadji Ahmadou Sileye, imam de Kobbilo, Kobbilo, 9 mars 1968. Thème : La vie d’Abdel Kader Kane… 12- Aly Gaye Thiam, Matam, Séance 1et Séance 2, les 21 janvier 1968 et 23 janvier 1968.Thème : les Denyanké, Samba Geladjo Diégui, Bilbassi, le Yélla, les relations entre Ibra Almaami Wane et Abdoul Bocar Kane, entre Ibra Mahdiyou et Lam Tooro, l’assassinat d’Abdoul Boli Kane, Affaire Abel Jeandet, les Wane, le Dimat et les Français. 13- Al Hadji Ismaila Sam, Kanel, le 29 janvier 1968, chez Abdou Salam Kane.Thème : Almaami Youssouf, élection des Almaami, le Wird, généalogie des Kane, Ly, Wane, Ndongo, Agne… 14- Thierno Mollé Hamidou Racine Ly, ex-chef de village, Thilogne le 31 janvier 1968. Thème : les Ly et leur origine égyptienne. 15- Thierno Yaya Sy, Thilogne chez Thierno Saidou Kane, le 31 janvier 1968. Thème : généalogie du Fuuta à partir d’un document en Arabe en possession des Sy. 16- Samba N’dianor, Bokidiawé, le 1 er février 1968. Thème : histoire des Sebbe, histoire de Bokidiawé, histoire de Balaadji. 17- Ibrahima Sériba Thioub, Matam, le 29 octobre 1967. Thème : Almaami Abdoul, Souleymane Baal, la chute des Deenyankooƃe. 18- Bani Guissé, HoréFondé, le 2 mars 1968. Thème : Ali Doundou, Abdoul Bocar, Shaykou Omar à Hoorefondé. 19- Sala Amadou Ka, Mamadou Ciré Djim et Bani Guissé à Agnam Wouro Siré, le 2 mars 1968. Thème : passage de Shaykou Omar au Fuuta Tooro. 20- Al Hadji Demba Bella BA, Asndé Balla, 3 mars 1968. Thème : Souleymane Baal, Almaami Abdoul et le complot. 21- Ma Diakhaté Cissé Kane, Agnam Siwol, le 3 mars 1968 et le 4 Avril 1968. Thème : Séance1 : Origine de Siwol et du mot Agnam, le Boosséya, Youssou et Amat Délo, Almaami Sada, les Tooroobé, Almaami Abdoul, la création de l’almamat, faiblesse des autres Almaami, droit et pouvoir mystique des Almaami, les qualités des gens du Booseya .Les Thiéddo et Peul ; Almaami Mamadou Birane Wane dans le Dimar chez Elimane Boubacar. Séance 2 : Origines des Kane, processus de changement de patronyme… 22- Al Hadji Touré, Bowel Sarr et Ibrahima Sériba Thioube, Matam, le 12 Mars 1968. Thème : Histoire de la famille Touré et d’autres familles commerçantes, Matam, Histoire de Abdel Kader, des Denyanké ... 23- Al Hadji Ismaila Sam, Kanel, le 12 Mars 1968. Thème : Thierno Thioukayel et Almaami, partage des terres du Fuuta ... 258

24- Farba Boudo Gaye, Waranka Barka Diom Ba, Abdoul Salam Ba, Hamédine Kane, Matam, le 13 Mars 1968. Thème : Histoire de Matam, généalogie, retour Fergo, ... 25- Diom Mamadou Ba, Horéfondé, le 4 Avril 1968. Thème : Youssouf, Birane, les Kane, les Wane, généalogie de Jom Jalaňol ... 26- Mamadou Elimane Athié, Rindiaw, le 5 Avril 1968. Thème : Origines des Denyankoobé, le parti musulman, Bocar Ali, Shaykou Omar, le Koubbal, etc. 27- El Hadji Bokar Ba, Kaédi, le 5 Avril 1968. Thème : Généalogie de sa famille, Alfa Amar et les autochtones N’dao. 28-Tène Guèye, Hamet Habi Guèye, Mamadou Bocar Ly. Thème : La migration des Guèye du Baol au Fuuta et leur changement de caste, l’origine mecquoise des Ly, la migration des Ndiaye du Djolof au Fuuta Tooro. Fond Phiip D. Curtin 1- Demba Sembélou, Sénoudébou, le 12 Mars 1966. Thème : histoire des Sissibé, les Sissibé et leurs voisins. 2- Mody Hamidou Bodjel. Thème : Généalogie des forgerons, Mabo du Boundou … Interview réalisée au CROA pour le compte du Mopaf sur les Wodaaƃe Amadou Daou poullo Bodado du Niger, Dakar, le 16 janvier 2002. III-DOCUMENTS D’ARCHIVES Archives Nationales du Sénégal (Building administratif Dakar) 1- Série B: Correspondance Générale 2B2 à 2B30: Correspondance départ du gouverneur du Sénégal au Ministre 1815-1852. 2- Sous-série 3B: Correspondance départ du gouvernement du Sénégal à toute personne autre que le ministre 3B4 à 3B96: Correspondances avec les officiers de rivière, les chefs du Toro, Dimar, Fuuta: 1822-1863. 3B66 à 3B89, 1846-1870 : Correspondance du gouverneur avec divers chefs indigènes.

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3B79, 1859-1861, Correspondances des postes du bas fleuve, commandant de Podor inclus. 5B12 à 5B14: Correspondance Directeur des affaires extérieures au Gouverneur. Série E: Conseils et Assemblées. Sous-série 3E 3E8: Procès verbal de la séance du 19 février 1830, des 8 et 9 mars 1830 (affaire Diilé). Sous- Série 1D: Affaires Militaires 1D3: Expéditions militaires sur le Sénégal (Dagana, Richard -Toll, Podor, Bakel) 1831-1839. 1D4: Expédition de Fanaye: 1849 1D7 : Expédition de Dialmath : 1854/ Affaire Lebrun 1D7 : Expédition du Fuuta : 1862-1863 Série G. Politique et administration générale Sous-série 1G: études générales 1G2: Expédition du major Gray. 1G6: Voyage du Ngalam 1823. 1G8: Exploration du Kaarta 1824-1829 (affaire du Mahdi). Sous- série 13G: Sénégal, affaires politiques et musulmanes 13G1, 13G2, 3G9: Traités avec les chefs indigènes de la vallée : 1785-1883. 13G22-13G33 : Situation dans le Sénégal 1785-1845, 1847-1885. 13G99-13G100 : Dagana: Rapport au Gouverneur et au Directeur des affaires extérieures: 1817-1833, 1846-1858. Sous- série 13 G : Affaires politiques, administratives et musulmanes du Sénégal de 1782 – 1880 13G99: 1817-1833 : Instructions du gouverneur Renault de Saint- Germain pour le commandant de poste. 13G100: 1846-1858: Dagana

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TABLE DES MATIERES Remerciements .............................................................................................. 5 Dédicace ......................................................................................................... 7 Préface ........................................................................................................... 9 Avant-propos ............................................................................................... 13

Première partie Le milieu et ses occupants ................................................................ 21 Chapitre I : Le milieu et ses potentialités écologiques ............................. 23 I. Toponymie et situation géographique ................................................... 23 a-Toponymie ............................................................................................. 23 b- Situation géographique ......................................................................... 24 II. Relief, climat, sols et végétation ............................................................ 25 a- Le relief................................................................................................. 25 b- Le climat ............................................................................................... 26 c- Une richesse écologique et pédologique avérée ................................... 27 d- Un agenda rural chargé ......................................................................... 28 e– Les modalités d’exploitation des ressources du milieu ........................ 31 Conclusion ................................................................................................... 33 Chapitre II. Autochtones et migrants : les réseaux en mouvements ...... 35 I. Le proto-peuplement ............................................................................... 35 a- Un important site néolithique .............................................................. 35 b- intégration des communautés dans des réseaux ................................... 38 Un exemple d’intégration : les Pignaane ............................................. 38 II. Les communautés installées dans le Tulde Dimat à la fin du XVIIIe siècle : une harmonie favorisée par des réseaux multiformes cimentés par la pratique de l’islam ........................................................................... 41 a- Les sources écrites ................................................................................ 42 Les manuscrits de Tékane ou l’origine septentrionale des migrants .... 42 L’origine orientale selon Siré Abbass Soh et Shaykh Moussa Kamara 42 L’origine méridionale des dimatnaae : les thèses du capitaine Flize et de Assane Marokhaya Samb ................................................................. 43 b- Les sources orales ................................................................................. 45 L’origine indienne des dimatnaae ...................................................... 47 III. Des généalogies reconstruites : l’identité en question ....................... 48 Conclusion ................................................................................................... 49 Chapitre III. Société et pouvoir politique ................................................. 51 I. Les sociétés et réseaux en présence.................................................... 51 a- L´organisation sociale avant le XVIIIe siècle ....................................... 51 261

b- Les groupes sociaux en présence depuis la fin du XVIIIe siècle .......... 52 Le cas des Pulaar.................................................................................. 52 Le cas des Foulbé Wodaae ................................................................. 53 Les Wolof .............................................................................................. 53 Les Maures dans le Tulde Dimat .......................................................... 56 Le groupe transversal des captifs ......................................................... 57 L’esclave africain face au déni éternel de la liberté et de l’égalité ..... 60 Une pérennisation des structures politiques, sociales et économiques héritées du passé esclavagiste .............................................................. 61 Défaire la corde de la captivité ............................................................ 62 La discrimination entre ex captifs ........................................................ 63 Les maccube victimes du tripatouillage de la liste dans le recrutement des soldats de l’armée française ou des élèves de l’école coloniale (lomtineede, toeede) .......................................................................... 63 Les changements dans les relations de travail à la fin du XVIIIe siècle ... 63 II- La distribution sociale du pouvoir : le cas du Bodangou et de Dialmath ...................................................................................................... 65 a- Le cas du Bodangou ou Mboda: le pays Wodaae ............................... 65 b- Le politique à Dialmath : un pouvoir partagé ....................................... 68 c-Les grands détenteurs de charges........................................................... 70 Elimane Dimat ...................................................................................... 70 Le jagaraf.............................................................................................. 70 Le jagodin ............................................................................................. 71 Le jaaltabe ............................................................................................ 71 Elimane jumaa ...................................................................................... 72 Les autres titulaires de charge.............................................................. 72 d- Les lieux du pouvoir ............................................................................. 73 Le galle Elimane Dimat ........................................................................ 73 Le Galle Sissibé .................................................................................... 75 Le site du chef de village par intérim................................................... 76 La forge : une haute école pratique des métiers du métal .................... 76 Le galle Awlube : haute école de la parole et de la verve .................... 77 Conclusion ................................................................................................... 78

Deuxième partie ................................................................................ 79 Le Tulde Dimat de la conquête à la consolidation du pouvoir des Elimane Dimat, fin XVIIIe siècle – 1817 ......................................... 79 Chapitre I. Le management d’un espace marginal.................................. 81 I – L’émergence d’un nouveau régime dans un espace marginal grâce aux alliances ................................................................................................ 81 a- La négociation des élites ....................................................................... 81 b- Les alliances entre les élites à la fin du XVIIIe siècle........................... 84 Thiangaye, un village autonome du Tulde Dimat ................................. 85

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Le village de Pendao............................................................................. 87 Fanaye, un village indépendant de Dialmath ....................................... 88 Gaya, un village wolof du Dimat .......................................................... 89 Thillé Boubacar, un ancien campement de Foulbé Yalaale ............... 89 Le cas du village de Ndiayène Saaré .................................................... 90 II- L’Islam et ses référents dans la consolidation du pouvoir ................. 91 a- L’influence de l’islam ........................................................................... 91 b- Un pouvoir transsethnique .................................................................... 92 III. Les fondements du pouvoir des Elimane Dimat ................................ 93 a- Les fondements de la puissance économique ....................................... 93 b- Les fondements de la puissance militaire ............................................. 95 L’armée d’une marge ou d’une marche ?............................................. 95 L’école de guerre et l’ouvrage défensif : le boowré gajaaté et la muraille (tata) de Dialmath .................................................................. 96 c -Les piliers institutionnels du pouvoir eliminal ..................................... 98 Le dual/daara...................................................................................... 98 Le Mbaar jama, le nouvel arbre à palabre ........................................... 98 Conclusion ................................................................................................. 100 Chapitre II : Le Dimat et la consolidation du pouvoir des Elimane .... 101 I- L’ islam, ses saints et ses lieux saints comme référents ................. 101 a- Idéologie de conservation du pouvoir et enjeux des reconstructions identitaires............................................................................................... 101 Une reconstruction identitaire pour magnifier les origines des clercs ............................................................................................ 101 b-Les Foulbé Wodaae et la reconstruction identitaire .......................... 103 II. Se battre ou s’entendre avec les voisins ............................................. 106 a- Le contrôle de la vie économique de la moyenne vallée du Sénégal comme enjeu géopolitique ...................................................................... 106 b- S´allier puis rompre avec le pouvoir almamal .................................... 109 III- Elimane Boubacar Kane ................................................................... 113 a- L’homme ............................................................................................ 113 Un arbre généalogique recherché ? ................................................... 114 Un âge controversé ............................................................................. 116 Une date de décès précise : octobre 1851 .......................................... 117 Le contexte géopolitique à sa naissance ............................................. 117 Une enfance légendaire ...................................................................... 118 La quête de l’érudition: le Kajoor ou le pays maure ? ....................... 118 La fin des pérégrinations et le retour au bercail ................................ 120 Des alliances matrimoniales stratégiques .......................................... 120 b- Elimane Boubacar Kane et l’émergence d’un nouveau pôle de pouvoir ............................................................................................... 121 Elimane Boubacar et l’émergence du Tulde Dimat ............................ 122 1800 ou 1801 : un début de règne difficile ......................................... 123 263

c - Elimane Boubacar, un précurseur de l’unité d’action des peuples de la Sénégambie face à la première expérience d’une agression européenne: juillet et aout 1805 .................................................................................. 123 Conclusion ................................................................................................. 125

Troisième partie La lutte pour la préservation de l’ordre islamique (1807-1862) 127 Chapitre I : Contre toutes velléités hégémoniques (1807-1837) ........... 129 I- Le Tulde Dimat face au retour des Français dans la moyenne vallée du Sénégal (1807-1817) ............................................................................. 129 a- La montée en puissance du Tulde Dimat ............................................ 129 b- La fin de l’entente cordiale entre le Dimat et les Français ................. 131 II - De la négociation à la confrontation armée ...................................... 132 a- Où implanter les établissements agricoles ? Les prémices d’un long conflit :1818-1819................................................................................... 132 b- Le statut de la localité de Dagana: une autre menace à la paix sousrégionale ................................................................................................. 133 c- La rencontre de Podor et la mise sur pied d’une coalition africaine antifrançaise .................................................................................................. 135 d- Les talatay Nder, des moments de violence : 1774 et 1820.............. 136 Le premier talatay Nder, un épisode sanglant d’une longue guerre civile en cours dans le Waalo : novembre 1774 ................................. 136 Elimane Dimat, initiateur de la coalition anti-française à l’origine du second talatay Nder : février-mars 1820 ............................................ 137 Dialowali : lieu-dit ? Champ de bataille ou arbre à palabre ? .......... 138 e- Elimane Boubacar accusé par le gouverneur de Saint-Louis d’être au service des Anglais ................................................................................. 139 III. Elimane Dimat contre toutes velléités hégémoniques sur le Waalo : 1820-1837 ................................................................................................... 140 a- Le Tulde Dimat et la volonté hégémonique des Maures .................... 140 b- L’impact politique des rivalités commerciales et de la médiation française .................................................................................................. 142 c- Le Tulde Dimat et le Waalo : la paix ou la guerre ? ........................... 143 d- Elimane Boubacar s’oppose aux nouvelles offres jihadistes :1828-1830 ................................................................................................................ 145 La première offre religieuse de son ancien talibé. ............................. 145 La rébellion du Diawdine Madiaw Khor Aram Bakar Diaw au Waalo et l’attitude d’Elimane Boubacar Kane .................................................. 145 Une nouvelle offre jihadiste. La tentative de prise du pouvoir au Waalo par Diilé Fatim Thiam Coumba Diomboss : mars 1830 .................... 146 IV. Vers la paix définitive entre Elimane Boubacar et le Waalo ? (1830-1837) ................................................................................................ 147 a- Le Waalo hésite entre Mohamed El Habib et Elimane Boubacar ...... 147

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b- Le mariage de Ndjëmbeut Mbodji avec Mouhamed El Habib et ses implications géopolitiques (1833) .......................................................... 148 c- Un outil de restauration de la paix sous-régionale : les traités de paix d’août et septembre 1835 ........................................................................ 149 d- Le traité de paix de Dagana du 10 mars 1837 : une manifestation de la pax franca................................................................................................ 150 Conclusion ................................................................................................. 151

Chapitre II : S´allier ou disparaître du paysage politique sousrégional : 1840-1858 ....................................................................... 153 I. Une alliance circonstancielle du Dimat avec Saint-Louis :avril 18401846 ............................................................................................................ 153 a- Elimane Boubacar et le changement de la politique française dans le fleuve :1840- 1845 .................................................................................. 153 b- L’octroi d’une pension à Elimane Boubacar, un acte en contradiction avec la nouvelle politique de Saint-Louis :avril 1842............................. 154 II. Une alliance stratégique avec El Hadji Omar :1846- 1858 .............. 155 a- Elimane Boubacar parraine la nouvelle offre religieuse lors du premier passage de Shaykou Omar :1846-1847 ................................................... 155 b- Elimane Saydou scelle un nouveau pacte d’alliance avec Shaykou Omar Tall lors de son second passage dans le Tulde Dimat :1858......... 156 c- L’occupation du Tulde Dimat par les talibaabe omariens ............... 158 d - El Hadji Omar Tall au Fuuta Tooro occidental : le triomphe du mouvement de libération nationale ......................................................... 161 e- El Hadji Omar établit son autorité au Fuuta Tooro occidental : l’enjeu économique et politique .......................................................................... 164 f- Le camp militaire d’observation de Fanaye. Un bouclier français contre l’avancée d’El Hadji Omar : janvier-mai 1859 ....................................... 166 g-Vers un affrontement entre pro et anti-français à Dialmath? .............. 167 Conclusion ................................................................................................. 168

Chapitre III. Des conflits majeurs à la fin de l´ordre légal islamique dans le Tulde Dimat : 1854-1862 ................................................................ 169 Introduction............................................................................................... 169 I. Les conflits dans le Tulde Dimat de 1854 à 1857 ................................ 169 a- Elimane Saydou face à la nouvelle politique de la colonie du Sénégal :1852-1857 ................................................................................ 169 b- L’attaque de Dialmath de 1854 : le dénouement d’un long contentieux .............................................................................................. 171 c- Une forme originale de protestation contre la présence française : la prise en otage d’un officier de la marine française : 03 mai 1854-08 juillet 1854 ........................................................................................................ 175

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II. Les relations entre le Tulde Dimat et la France au lendemain de la libération de Lebrun : juillet 1854-décembre 1857 ................................ 177 a- Une nouvelle source de conflit : les désertions de soldats noirs des forts de Podor et de Dagana ............................................................................ 177 b- La liberté de circulation méridienne entre les deux rives du Sénégal menacée par le nouvel ordre français...................................................... 179 III. Les conflits dans le Tulde Dimat de 1858 à 1859 ............................. 182 a- La persistance des menaces de dislocation des réseaux transculturels : Gaya et Bokhol annexés par la France en janvier 1858 ......................... 182 b- Le début du règne concomitant de deux Elimane dans le Tulde Dimat : février 1858-août 1859............................................................................ 184 c- Le camp pro-français offre le Dimat à Faidherbe : 18 juin 1858........ 186 La portée du traité .............................................................................. 188 IV. Le double dénouement tragique du bicéphalisme :1859 - 1862...... 189 a- L’enlèvement d’Elimane Saydou et ses conséquences : juin 1859..... 189 b- L’assassinat d’Elimane Abdoul Boli. Les circonstances et les conséquences de la mort du leader pro-français : août 1859 .................. 192 c- Les conséquences politiques : le Dimat enfin colonisé par la France . 194 d- La mort du chef légitime en déportation. Assassinat ou mort naturelle ? Ses conséquences : octobre 1859 ............................................................ 195 V. Le Tulde Dimat et l’apprentissage de la dépendance : 1859-1861... 196 a- La résistance au fait colonial .............................................................. 196 b- Le fossé se creuse entre le peuple et ses dirigeants ............................ 197 c -Les ‘nouveaux chefs’ : le culte de la collaboration et de la jouissance personnelle du pouvoir............................................................................ 199 d- La population du Dimat et le paiement de l’impôt personnel : janvier 1862 ........................................................................................................ 200 e- Une autre forme de résistance de la population du Tulde Dimat ou l’exil collectif des habitants du Dimat : juillet 1862-août 1862 ....................... 203 f- La bataille de Bokhol, l’ultime tentative de recouvrer la liberté d’initiative : septembre 1862 .................................................................. 205 Conclusion ................................................................................................. 211

Conclusion générale ....................................................................... 213 Annexes ...................................................................................................... 217 Annexe I. Liste des Elimane Thiangaye selon Abdoul Qadir Kane, annotée par M. Sy ................................................................................... 217 Annexe II. Liste des Elimane Dimat aux XVIIIe et XIXe siècles reconstituée par la combinaison des sources orales et archivistiques ..... 218 Sources : Combinaison des listes de Feu Dialo Seydou Kane et Feu Elimane Sana Kane avec les documents d’archives. .......................... 218

266

Annexe III. Traité passé entre Bouët-Willaumez gouverneur du Sénégal et Elimane Boubacar chef du pays du Dimar, aux confins du Toro, le 05 juillet 1843 .............................................................................................. 220 Annexe IV. Le traité de paix conclu à Saint -Louis le 18 juin 1858 avec Elimane Abdoul Boli du Dimar .............................................................. 221 Annexe V. Les patronymes de Fanaye et leurs origines ......................... 222 Annexe VI. Le Fuuta Tooro occidental et le fergo omarien : Un extrait de la liste des jambar ou compagnons de Shaykou Omar Tall originaires de Fanaye (Source Mamadou Bakadié Ly) ................................................. 224 Annexe VII. Liste des Elimaan Fanaye (Source Mamadou Bakadié Ly) ................................................................................................................ 225 Annexe VIII. La saga des Sarr : une histoire racontée par Yéro Daddé Sarr et Mamadou Ndiaye Sarr de Diagnoum.................................................. 226 La descendance de Amadou Yéro Daddé Sarr ................................... 227 La descendance de Saydou Fatimata, le second fils de Samba Tacko Mboum ................................................................................................ 227 Les autres Sarr de Dimat .................................................................... 228 Le rôle joué par Ndiaye Fatimata Sarr dans le mariage d’Elimane Boubacar avec Mariama Asta Sy et ses conséquences ....................... 228 Annexe IX. Liste des Serigne Kadiar de Gaya ...................................... 229 Annexe X : Asko ou Arbre généalogique des Kane du Tulde Dimat et du Fuuta Tooro. Source : Saïdou Abou Kane Mawdo et Saïdou Abou Kane, Professeur de mécanique automobile, 10e Thiès, Sénégal ...................... 232 Liste des arbres généalogiques présentés ........................................... 232

Bibliographie................................................................................... 241 I- Sources écrites ......................................................................................... 241 Ouvrages, sources imprimées ................................................................. 241 II-Sources orales ......................................................................................... 253 Interviews réalisées par Alain Faliu (ORSTOM) sur les Wodaae de l’arrondissement de Thillé Boubacar en 1976.................................... 253 Interviews réalisées par le laboratoire de recherches MOPAF (AROA/CROA/WARC par Mamoudou Sy et Loukoumana) en octobre 2001 sur les Wodaae de l’arrondissement de Thillé Boubacar ........ 254 Interviews réalisées par Mamoudou Sy .............................................. 254 Fond Robinson, Répertoire des interviews sélectionnées et consultées à Indiana University-USA (Archives of Traditional Music, Bloomington) en juin-juillet 2001. Les titres et sous- titres des interviews sont de David Robinson................................................................................... 257 Fond Phiip D. Curtin .......................................................................... 259 Interview réalisée au CROA pour le compte du Mopaf sur les Wodaae ....................................................................................... 259 III-Documents d’archives ....................................................................... 259 Archives Nationales du Sénégal (Building administratif Dakar) ....... 259 267

L’histoire aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

Les origines chrétiennes de la démocratie moderne La part du Moyen Âge

Georges Jehel

Le passage de la démocratie antique à la démocratie moderne s’est réalisé par l’intermédiaire du Moyen Âge. Après la chute de l’Empire romain en Occident, les évêques se substituèrent aux pouvoirs civils défaillants. Les ordres monastiques posaient les bases d’une gestion collective ouvrant sur le parlementarisme par recours aux élections. Dans le même temps s’opérait une révolution intellectuelle qui suscita l’essor de la pensée critique dans l’université, alors aux mains du clergé... (Coll. Historiques, série Travaux, 23.00 euros, 216 p.) ISBN : 978-2-343-12608-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-004237-9 Non-violence : combats d’hier et de demain Non-violence et traits culturels et identitaires dans le monde globalisé du XXIe siècle

Sous la direction de Madhu Benoit et Jean-Pierre Benoit

La frêle silhouette de Gandhi, la haute stature du pasteur Martin Luther King ou les bras ouverts de Nelson Mandela, rendu à la liberté après vingt-sept ans de prison, font partie de la grande geste de l’humanité, gravée dans tous les esprits à travers le monde. Trois hommes qui ont en commun d’avoir entraîné le peuple dans une lutte victorieuse, sans armes et sans violence. En ce début du XXIe siècle, ensanglanté par le terrorisme et des guerres atroces, la « non-violence » n’est-elle plus qu’une image d’Épinal ? Huit auteurs explorent ici l’histoire contemporaine à travers les luttes non violentes. (Coll. Discours identitaires dans la mondialisation, 17.50 euros, 164 p.) ISBN : 978-2-343-12313-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-004203-4 Chroniques d’hier et de demain Publiées dans le journal La Croix (1988-2011)

Clergerie Jean-Louis

Pendant un peu plus de vingt ans, de 1988 à 2011, l’auteur a collaboré au quotidien La Croix, où il analysait, en toute liberté mais également avec la rigueur de l’universitaire, l’actualité nationale, européenne et internationale. Voici l’ensemble de ses chroniques regroupées selon des axes nationaux, européens et internationaux, qui gardent toute leur pertinence. (30.00 euros, 298 p.) ISBN : 978-2-343-12094-2, ISBN EBOOK : 978-2-14-004356-7 Géographie du souvenir Ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah

Chevalier Dominique - Préface de Denis Peschanski

La mondialisation des mémoires de la Shoah, telles que représentées dans des musées et des mémoriaux nationaux, constitue une caractéristique majeure des dimensions contemporaines de ce phénomène. Ce livre présente tout d’abord ces nombreux lieux du souvenir, leur géographie mais aussi leur insertion dans leur environnement urbain. C’est donc à la fois à un panorama des

musées et mémoriaux de la Shoah dans le monde que ce livre convie le lecteur, mais aussi à une analyse sensible de la manière dont ils sont pratiqués et insérés dans la ville. (Coll. Géographie et cultures, 22.00 euros, 244 p.) ISBN : 978-2-343-12443-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-004093-1 Dix ans d’histoire maritime (2007-2016)

Lemaître Vincent

Vous découvrirez dans cet ouvrage les temps fort de l’histoire maritime de ces dix dernières années en parcourant la marine de commerce, la vie économique des ports, la pêche, la plaisance, la marine de guerre, la protection de l’environnement, les textes nationaux et internationaux qui ont été adoptés et leurs conséquences. L’auteur s’attache aussi à évoquer les accidents, les naufrages, les pollutions les plus marquantes. Au-delà de l’Hexagone, les thèmes de la piraterie, de la lutte contre les narcotrafics, du traitement de l’immigration sont notamment abordés. (14.00 euros, 122 p.) ISBN : 978-2-343-11730-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-004292-8 Poséidon Ébranleur de la terre et maître de la mer

Andrieu Gilbert

En étudiant Poséidon, on s’aperçoit que les légendes ont surtout servi à imposer un état d’esprit tout en écartant ce qui pouvait contredire l’ordre nouveau que les aèdes voulaient imposer. Les dieux servent surtout à justifier un art de vivre. Ainsi, cerner la personnalité de Poséidon ne consiste pas à en faire un portrait saisissant, mais à comprendre les mortels qui lui ont donné des fonctions particulières. (21.50 euros, 212 p.) ISBN : 978-2-343-12088-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-003937-9 Archéologie de la pensée sexiste Du Moyen Âge au XXIe siècle

Labrecque Georges

Bien des oeuvres révèlent, dans divers domaines de la pensée, le mépris adressé à la femme et inspiré de manuscrits remontant à l’Antiquité. Du Moyen Âge à aujourd’hui, des femmes ont voulu dénoncer ces injustices dans des documents d’autant plus remarquables qu’elles ont été peu nombreuses à prendre la plume. Quelle sera la relève au XXIe siècle ? Cet ouvrage propose de nombreux manuscrits et montre que les préjudices subis aujourd’hui par les femmes plongent leurs racines dans un passé lointain et se manifestent sous diverses formes. (42.00 euros, 484 p.) ISBN : 978-2-343-12339-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-003975-1 Les campeurs de la République

Lefeuvre-Déotte Martine

le Groupement des campeurs universitaires (GCU) est aujourd’hui la plus importante association de campeurs en Europe avec 50 000 adhérents qui sont collectivement propriétaires d’une centaine de terrains. Bénévole, solidaire et autogestionnaire, ce mouvement, créé en 1937 dans l’élan du Front populaire, aménage bénévolement de jolis terrains pour y vivre l’été. L’auteure a mené son investigation au cœur de cette microsociété, ouverte aujourd’hui à tous ceux qui partagent ses valeurs fondatrices : humaines, laïques, solidaires et conviviales. (Coll. Esthétiques, série Culture et Politique, 24.50 euros, 240 p.) ISBN : 978-2-343-12210-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003917-1 Leçons du temps colonial dans les manuels scolaires

Coordonné par Pierre Boutan et Sabeha Benmansour-Benkelfat

La colonisation a régulièrement fait partie des contenus d’enseignement pendant cette période historique, comme après les indépendances. Les douze contributions réunies ici portent sur l’enseignement de l’histoire, mais aussi sur celui des langues : langue des colonisateurs, langue des colonisés… Elles étudient les variations selon les publics visés, les matières enseignées, les auteurs

et les éditeurs. Les exemples sont tirés en priorité des relations entre France et Algérie, avec une étude sur la Tunisie et le Maroc. (Coll. Manuels scolaires et sociétés, 25.50 euros, 240 p.) ISBN : 978-2-343-11598-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003837-2 Archéologie des interfaces Une approche de saisie et d’explication des systèmes socioculturels

Elouga Martin

L’archéologie des interfaces est une approche des sociétés que propose l’auteur. Il s’agit de partir des faits observés sur le terrain pour reconstituer les interactions sociales et les rapports hommemilieu, ainsi que les activités qui en résultent et dont les traces structurent les sites. (17.50 euros, 160 p.) ISBN : 978-2-343-10421-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-004130-3 La tradition juive et sa survivance à l’épreuve de la Shoah (Tome 1)

Feinermann Emmanuel

Exilé et dispersé parmi les nations, le peuple juif a été confronté deux millénaires durant à l’expérience de la survie. À l’aube du XXe siècle, il entrevoit enfin l’ère des grandes espérances. Sa survie dépendait, en premier lieu, de la chance et du sens donné à la vie avant le cataclysme hitlérien : une vie intérieure riche et catalysée par une forte culture et une foi religieuse profonde. Cet ouvrage revient donc sur la survivance de la tradition juive face à la prise du pouvoir par Hitler. (39.00 euros, 494 p.) ISBN : 978-2-343-09860-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-004021-4 La tradition juive et sa survivance à l’épreuve de la Shoah (Tome 2)

Feinermann Emmanuel

Ce deuxième tome étudie le comportement humain et religieux dans les situations extrêmes sous la dictature hitlérienne. Afin d’assurer la survivance de la tradition juive, forts de leur expérience millénaire de la souffrance, les Juifs européens entrèrent en résistance spirituelle dans les lieux d’enfermement : ghettos, bunkers, camps de concentration et d’extermination. Dans cet univers de fin du monde, certains « métiers » imposés par les nazis ont en effet débouché sur la survie, et c’est donc ce que tente de mettre en avant cet ouvrage. (39.00 euros, 448 p.) ISBN : 978-2-343-12327-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-004022-1 Mais comment en est-on arrivé là ? La terre de 4 000 à 4,5 milliards d’années

Rouffet Michel

De l’Ancien Testament aux derniers calculs pour déterminer l’âge de la Terre, les chiffres varient considérablement : 4 000 ans, 75 000 ans, 4,5 milliards d’années... L’auteur raconte et démontre non seulement comment l’estimation de l’âge de notre planète a évolué au cours des siècles, mais également comment des points de vue si divergents peuvent converger et se retrouver complémentaires. Avec lui, nous découvrons que science et religion ne sont pas forcément aussi opposées que l’on pourrait le croire. (Coll. Acteurs de la Science, 23.50 euros, 236 p.) ISBN : 978-2-343-10343-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-002270-8 Archéologie de la pensée sexiste L’Antiquité

Labrecque Georges

Les œuvres de l’Antiquité révèlent à la fois le mépris et l’éloge adressés à la femme dans des domaines fort différents (théologie, morale, littérature, droit, philosophie, etc.), qui se sont développés dans diverses régions du monde. L’humanité a ainsi hérité d’une multitude de manuscrits très riches, encore qu’ils soient presque tous rédigés par des hommes bien souvent

sexistes avant la lettre. Cet ouvrage propose une relecture des œuvres principales de l’Antiquité et montre que les préjudices et les maux subis par les femmes en ce début du XXIe siècle plongent leurs racines dans un passé très lointain. (37.50 euros, 368 p.) ISBN : 978-2-343-10502-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-002249-4 Dictionnaire amoureux des dieux de l’Olympe

Andrieu Gilbert

Si les dieux sont amoureux, il ne faut pas oublier qu’ils ne sont que le produit des poètes et que leurs amours sont imaginées par des hommes. C’est donc en observant comment les dieux vivent leur passion, comment ils se comportent, que nous pouvons imaginer comment vivaient nos ancêtres du temps d’Homère et d’Hésiode. En regroupant les amours divines, l’auteur nous offre un délassement agréable et instructif. (24.50 euros, 242 p.) ISBN : 978-2-343-10839-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-003671-2 Histoire des Huns

Daniarov Kalibek

L’Histoire des Huns dresse un tableau saisissant de l’histoire de ce peuple mystérieux, les Huns, depuis leur apparition à la chute de leur empire, survenue après la guerre menée par Attila en Europe (453 apr. J-C). Chercheur kazakh de renom, l’auteur présente ici une nouvelle analyse et synthèse de la culture hunnique. Il s’appuie sur des sources rares et inédites qui le conduisent à affirmer notamment que les Huns étaient des ancêtres probables du peuple kazakh. (25.00 euros, 276 p.) ISBN : 978-2-343-09492-2, ISBN EBOOK : 978-2-14-001332-4 1789 : les colonies ont la parole Anthologie Tome 1 : Colonies ; Gens de couleur Tome 2 : Traite ; Esclavage

Biondi Carminella - Avec la collaboration de Roger Little

Cette anthologie regroupe tous les écrits et les discours de l’année 1789 au sujet des colonies, des gens de couleur (tome 1), de la traite et de l’esclavage (tome 2). Voici un ensemble de controverses passionnées et passionnantes de l’époque où aucun Noir n’est admis (comme à la Conférence de Berlin, un siècle plus tard). ((Tome 1 – Coll. Autrement Mêmes, 25.50 euros, 218 p.) ISBN : 978-2-343-09854-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-001623-3 (Tome 2 – Coll. Autrement Mêmes, 23.00 euros, 280 p.) ISBN : 978-2-343-09855-5, ISBN EBOOK : 978-2-14-001622-6 Antiquité, Art et Politique

Sous la direction de Bouineau Jacques

Le lien entre ces différentes contributions se trouve dans l’utilisation de l’œuvre d’art comme vecteur politique, l’Antiquité sert de fil directeur et de multiples domaines artistiques sont concernés. Les domaines couverts sont les mondes anciens, l’Antiquité classique, le monde musulman, le monde slave et la culture européenne de l’époque moderne et contemporaine. (Coll. Méditerranées, 33.00 euros, 318 p., Illustré en noir et blanc) ISBN : 978-2-343-09346-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-001407-9

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LDUpJLRQ de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, appeléH 7XOGH'LPDW ou Dimar, grâce à ses riches pâturages et terrains de cultures de GpFUXH attira des migrants foulbé, wolof et maures qui y cohabitèrent avec des autochtones lébou et sereer.  XVIIIe siècle, des érudits musulmans pulaarophones et wolophones                                           Podor. Ils négocièrent leur réinstallation avec le Lam Tooro et l’Almaami du FXuta Tooro, puis nouèrent une alliance stratégique avec les autorités traditionnelles locales yalaalbe et wodaabe. !   "                  #        $"    % &   &   #     besoins pressants de la France de terres cultivables dans la vallée du Sénégal,  #             '(  Boubacar Kane, chef du Dimar de 1820 à 1851, joua un important rôle politique    #    ) ' Le livre aborde l’histoire sociale, économique et politique de cette partie de la Sénégambie à travers un croisement des sources orales et écrites. Il revient sur la vie des relations politiques dans la vallée du Sénégal dans la première moitié du XIXe"     #     #     '( **   Dimar fut à la fois une terre de résistance multiforme à la colonisation française et $   #      *   "   '!*     $     + #(-+/ &  % 3' Cette situation poussa ces derniers à d’abord y renforcer leur présence militaire,  4#   + 6797'

Mamoudou SY, dit Abdoulaye Toly, est un historien formé au département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et à l’Amsterdam Institute for Social Science Research de l’université d’Amsterdam. Chercheurenseignant à l’UFR des sciences sociales de l’université El +adji Ibrahima Niass de Kaolack, il fait partie du Moving Matters Programm de l’AISSR de l’université d’Amsterdam. Auteur de plusieurs autres publications, il est membre du comité de pilotage du projet d’écriture de l’Histoire générale du Sénégal.

Etudes africaines Série Histoire Photographie de couverture de l’auteur : vue de ville de Kaédi (République de Mauritanie) à partir de la rive gauche du fleuve Sénégal.

ISBN : 978-2-343-12988-4

28,50 €

Mamoudou Sy

Le Dimar aux xviiie et xixe siècles

Etudes africaines

Série Histoire

Mamoudou Sy

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques

La vallée du fleuve Sénégal dans le jeu des échelles politiques Le Dimar aux xviiie et xixe siècles

Préface d’Ousseynou Faye