La thèse: Un guide pour y entrer... et s'en sortir 2760636844, 9782760636842


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French Pages 344 [348] Year 2016

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Table of contents :
Introduction
PREMIÈRE PARTIE La thèse en devenir
Chapitre 1 Pourquoi faire une thèse?
Avant: pourquoi se lancer dans un doctorat?
Pendant: les facteurs internes et externes influençant la motivation
CHAPITRE 2 Dynamique des paramètres décisionnels pour la réalisation d’une thèse
CHAPITRE 3 La direction de recherche
CHAPITRE 4 L’intégration dans un contexte universitaire étranger
CHAPITRE 5 De la pratique professionnelle à la thèse : retour réflexif sur un parcours de recherche
CHAPITRE 6 La thèse et l’argent
CHAPITRE 7 « Maman, as-tu bientôt fini tes devoirs ? » Expérience d’une mère monoparentale
CHAPITRE 8 La conciliation études doctorales et famille
DEUXIÈME PARTIE la thèse telle qu’elle se fait
CHAPITRE 9 Une bonne thèse… c’est quoi ?
CHAPITRE 10
Formuler – et reformuler – la question de recherche
CHAPITRE 11 La thèse-création
CHAPITRE 12 Les enjeux psychologiques de la thèse
CHAPITRE 13 Se discipliner dans la rédaction
CHAPITRE 14 Syndrome de la page blanche et anxiété de performance
CHAPITRE 15 Travailler avec un directeur de thèse
CHAPITRE 16 Écrire une thèse dans une langue autre que la sienne
CHAPITRE 17 La thèse sous forme d’articles
CHAPITRE 18 Les isolements du parcours doctoral
CHAPITRE 19 La soutenance, entre épreuve et couronnement
TROISIÈME PARTIE et puis après ?
CHAPITRE 20 La dépression d’après-thèse
CHAPITRE 21 De la thèse au marché du travail
CHAPITRE 22 Mettre fin à sa thèse : une éventualité à ne pas négliger
CHAPITRE 23 La profession de chercheur d’établissement
CHAPITRE 24 Multidisciplinarité et doctorat
Références par chapitre
Liste des collaborateurs
Table des matières
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La thèse: Un guide pour y entrer... et s'en sortir
 2760636844, 9782760636842

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un voyage, on la quitte comme un songe. Passé le cap des généralités, chaque expérience est singulière et il y a autant de raisons d’entreprendre une thèse qu’il y a d’étudiants

Bernheim • Noreau

La thèse… on l’aborde comme une aventure, on la vit comme

sous la direction de Emmanuelle Bernheim et Pierre Noreau

inscrits au doctorat. Si les motivations sont innombrables, les difficultés et les joies de la trajectoire se ressemblent et guide pour les autres. Comment choisir un directeur de thèse ? Qu’y a-t-il au début et à la fin du tunnel ? Que faut-il faire pour s’en sortir indemne ? Ce livre rassemble les expériences d’étudiants qui ont, pour l’essentiel, soutenu leur thèse au cours des cinq dernières années, dans l’un ou l’autre champ des sciences sociales et humaines. Il aborde différents aspects pratiques du projet doctoral, depuis sa conception aux choix personnels et professionnels qui suivent sa réalisation. Il manquait un ouvrage sur les conditions matérielles, personnelles et relationnelles de la thèse, le voici ! Emmanuelle Bernheim est titulaire d’une double formation en sciences sociales et en droit. Elle est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS). Pierre Noreau est professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en droit public. Il est politologue et juriste de formation et œuvre dans le domaine de la sociologie du droit.

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La thèse • Un guide pour y entrer… et s’en sortir

ceux qui les ont connues peuvent faire de leur expérience un

La thèse U n g u i d e pou r y e ntr e r … et s’ e n so rti r

isbn 978-2-7606-3684-2

Couverture : Saint Jérôme dans son étude Jan van Eyck, Detroit Institute of Arts, (domaine public)

Également disponible en version numérique

www.pum.umontreal.ca

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Les Presses de l’Université de Montréal

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Sous la direction de Emmanuelle Bernheim et Pierre Noreau

LA THÈSE Un guide pour y entrer… et s’en sortir

Les Presses de l’Université de Montréal

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hèque et

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Vedette principale au titre :

La thèse : un guide pour y entrer… et s’en sortir



Comprend des références bibliographiques.



ISBN 978-2-7606-3684-2

1. Thèses et écrits académiques - Guides, manuels, etc. I. Bernheim, Emmanuelle, 1976II. Noreau, Pierre, 1958- .

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LB2369.T43 2016      808.06’6378      C2016-941240-7

Mise en pages : Folio infographie ISBN (papier) : 978-2-7606-3684-2 ISBN (PDF) : 978-2-7606-3685-9 ISBN (ePub) : 978-2-7606-3686-6 Dépôt légal : 3e trimestre 2016 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2016 Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

imprimé au canada

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Introduction

La thèse… On l’aborde comme une aventure, on la vit comme un voyage, on la quitte… comme un songe. Passé le cap des généralités, chaque expérience est singulière. Rien ne semble ressembler à rien, et pourtant. Les difficultés et les joies de la trajectoire se ressemblent et ceux qui les ont connues peuvent faire de leur expérience un guide pour les autres. C’est l’objet de cet ouvrage collectif. Il y a autant de raisons d’entreprendre une thèse qu’il y a d’étudiants inscrits au doctorat. Si ces motivations sont innombrables, c’est la conviction qu’on ne peut pas vivre sans l’avoir terminée qui explique qu’on arrive à l’ache­ ­ver. Ainsi, un jour, on lève les mains du clavier, la tête encore bourdonnante de mots : « Oh là là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées ! » C’est terminé ! Sur le moment, on ne se souvient plus des angoisses et des difficultés du parcours. Pourtant, tout cela a bien eu lieu. Puis, par touches successives, on se remémore les étapes une à une. Au-delà de la spécificité des disciplines, des choix théoriques et des conflits de méthodes, les embûches que rencontrent les doctorants sont souvent les mêmes. C’est pourquoi l’ouvrage que nous proposons aujourd’hui est structuré à partir de l’expérience d’étudiants1 et présente un ensemble de textes courts qui abordent les différents aspects pratiques et souvent problématiques du projet doctoral, depuis sa conception jusqu’aux choix personnels et professionnels qui suivent sa réalisation. Les 1. Dans le présent ouvrage, le masculin, neutre, inclut le féminin, malgré le fait que les étudiantes sont en nombre supérieur aux étudiants dans la plupart des domaines.

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auteurs sollicités ont pour la plupart soutenu leur thèse au cours des cinq dernières années, dans l’un ou l’autre champ des sciences sociales et humaines. L’ouvrage est d’abord destiné à un public nord-américain. Plusieurs ouvrages récents traitent des mêmes questions en contexte européen2. Il aborde des questions qui, à un moment ou un autre, s’imposent au candidat qui envisage la thèse ou y est déjà engagé : Qu’y a-t-il au début et à la fin du tunnel ? Comment s’en sortir indemne ? Il manquait un ouvrage sur les conditions matérielles, personnelles et relationnelles de la thèse. On a tenté ici de rapporter l’expérience de ceux qui ont connu les difficultés et les joies du travail intellectuel au troisième cycle, sans pour autant verser dans l’autobiographie. Il s’adresse d’abord aux étudiants comme aux directeurs et directrices de thèse les plus expérimentés, parce qu’il traite, en définitive, de la condition étudiante contemporaine. Les étudiants de deuxième cycle pourront eux aussi en tirer profit, alors qu’ils rédigent leur mémoire de maîtrise. On a voulu éviter les développements de nature épistémologique, parce qu’ils sont souvent propres à chaque discipline et dépendent de choix qui ne peuvent se faire que dans le cadre d’échanges continus avec le directeur ou la directrice de thèse. Il s’agit essentiellement d’un ouvrage de référence, qu’on peut lire dans le désordre. Le plan de l’ouvrage suit cependant le cours des questions qui se succèdent généralement pendant la démarche doctorale. Il est composé de trois parties qui traitent successivement de la thèse en tant que projet de vie, de la thèse telle qu’elle se fait, et de la thèse une fois terminée, la thèse… et puis après. La première partie de l’ouvrage, « Un projet de vie », traite de dimensions trop rarement abordées, qui pourtant traversent de part en part la vie de la majorité des étudiants. Plusieurs de ces questions se posent avant même l’en­ trée de l’étudiant au troisième cycle : pourquoi faire une thèse, quels grands choix sa réalisation implique-t-elle, notamment sur le plan des compétences, du calendrier et des ressources de ceux qui s’y engagent ? Comment choisir un directeur de thèse ou s’intégrer dans un contexte universitaire nouveau, voire étranger ? Comment passer sans trop de heurts du monde de la pratique professionnelle au milieu universitaire ? Comment financer ses études docto2. On consultera notamment : Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions EHESS, 2013, 360 p. Lire également : Michel Beaud et coll., L’art de la thèse. Comment préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse de doctorat ou tout autre travail universitaire à l’ère du Net, Paris, La Découverte, 2006, 208 p.

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rales et répondre aux exigences matérielles de la vie courante ? À quelles conditions peut-on combiner thèse et parentalité et poursuivre la rédaction d’une œuvre importante tout en répondant aux exigences de la vie familiale ? Comment envisager l’isolement auquel tout doctorant doit inévitablement faire face ? Toutes ces questions peuvent être abordées à l’avance ou à n’importe quel moment de la trajectoire doctorale. Dans tous les cas, l’expérience de ceux qui ont eu à y répondre peut servir à ceux qui se les posent aujourd’hui. La seconde partie de l’ouvrage, « La thèse telle qu’elle se fait », traite du cœur même de la démarche doctorale. Encore ici, les questions soulevées se posent dans le cours normal de la recherche et de la rédaction. À quoi reconnaît-on une bonne thèse et que cherche le lecteur exigeant ? Comment construire une question de recherche structurante pour l’ensemble de la démarche doctorale, et exploiter de façon à la fois critique et productive la littérature de votre domaine de recherche ? Quels sont les avantages et les inconvénients de la thèse par articles par rapport à la thèse « classique » ? Comment se discipliner dans l’écriture et vaincre le syndrome de la page blanche ? Comment travailler avec le directeur de thèse que l’on a choisi ? Comment parvenir à écrire sa thèse dans une autre langue, à mener à bien la rédaction d’une thèse multidisciplinaire ou qui combine à la fois les exigences de l’analyse et de la création artistique ? Et alors que l’aventure tire à sa fin, comment franchir la dernière étape du parcours et réussir sa soutenance de thèse ? La troisième partie de l’ouvrage, « La thèse… et puis après », projette le doctorant vers l’avenir. Existe-t-il une vie après la thèse, et pour quoi faire ? Lorsqu’on abandonne la thèse, est-ce qu’on tombe de haut ? Comment l’impossible peut-il devenir une réalité ? Et lorsqu’on la termine, que trouve-t-on devant soi ? Le marché du travail nous attend-il quelque part et comment s’y préparer ? Peut-on envisager de travailler hors du monde universitaire, en milieu de pratique ? Lorsqu’on a réalisé une thèse mobilisant plusieurs disciplines, comment éviter de se retrouver en plein no man’s land professionnel et institutionnel ? Cet ouvrage reste inévitablement incomplet. Plusieurs autres thèmes pourraient encore être exploités utilement : les stratégies de publication de la thèse, la coopération scientifique et la propriété intellectuelle, la thèse en contexte de recherche-action, les stratégies de passage à la carrière universitaire, la poursuite d’une carrière au collégial, etc. Il est fort probable que la parution de cet ouvrage suscitera la suggestion de nombreux autres thèmes.

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*** Les statistiques sur la destinée des titulaires d’un diplôme doctoral laissent entrevoir qu’on continuera longtemps à compter plus de doctorants que de postes de professeur d’université ou de chercheur de haut niveau. Se pose ainsi le problème de la pertinence des études doctorales pour plusieurs de ceux qui s’y engagent aujourd’hui. Cette conception comptable des choses est cependant oublieuse d’aspects beaucoup plus profonds. Le travail doctoral ne se justifie pas par le fait qu’il permet à l’institution universitaire de se perpétuer en formant une nouvelle génération d’universitaires pareils à l’identique. Il trouve plutôt son sens dans la construction intellectuelle des doctorants et le renouvellement continu des connaissances. La thèse est l’une des dernières grandes aventures dans lesquelles un esprit singulier peut s’engager. Le thésard s’y confronte à lui-même, à ses limites et à ses possibilités. Pour celui qui s’engage en thèse, le but à atteindre est bien celui-ci : aller au bout de soi-même. Bien sûr, il faut reconnaître les dimensions collectives du savoir. Mais nous savons tous que les idées germent quelque part. Il arrive de temps en temps qu’on rencontre un étudiant inquiet de s’être engagé un peu inconsciemment à vaincre l’Annapurna, mais on ne rencontre jamais un docteur en sciences sociales ou en sciences humaines se plaindre d’y être parvenu. Se demander si le nombre des étudiants au doctorat est trop élevé aujourd’hui, c’est comme se demander si une société peut compter trop de personnes capables de réfléchir systématiquement à un problème ou à une question. Dès lors que cette question survient, tout est perdu. Enfin, nous sommes convaincus que tous les auteurs de cet ouvrage s’associeront à nous pour remercier le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour sa collaboration dans la recherche d’auteurs récemment diplômés capables de généraliser et d’objectiver leur propre expérience pour la rendre utile à d’autres. Un merci particulier à Normand Labrie, directeur scientifique du FRQSC au cours des dernières années, dont la complicité a été essentielle. Des remerciements également aux Presses de l’Université de Montréal et plus particulièrement à Nadine Tremblay pour son ouverture, sa détermination et son savoir-faire. Tous ses conseils nous ont été utiles.

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PREMIÈRE PARTIE

la thèse en devenir

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chapitre 1 Pourquoi faire une thèse ? Christelle Lison et Annick Bourget

Le 8 avril 1998, l’Université de Montréal invitait Hubert Reeves à prononcer la conférence de clôture du colloque sur les études supérieures. Au cours de celle-ci, l’illustre scientifique a déclaré : Il fallait être mourant pour sécher un cours. Quand nous étions fiévreux ou grippés, nous nous bourrions d’amphétamines et nous allions à l’université. Je me souviens que nous allions faire du ski avec nos professeurs le samedi. Au sommet, il nous arrivait de discuter de certains problèmes de physique ou de mathématiques. Nous sortions nos papiers et en débattions sur-le-champ. J’avais l’impression d’être dans une version contemporaine de l’agora grecque. Peut-être à cause du nom de la montagne : Greek Peak. (Sauvé, s. d., s. p.)

Probablement nombreux sont les étudiants qui ont des papillons dans le ventre en lisant cette citation… Pourquoi ? Sans doute parce que pour plusieurs d’entre nous, doctorants ou docteurs, tout ne s’est pas toujours déroulé avec autant de passion que pour le célèbre doctorant de Cornell. En repensant à nos propres parcours, nous avons découvert que nos motivations respectives étaient fort différentes. L’une d’entre nous, Québécoise de souche, était installée dans une vie de famille agréable. L’autre, tout juste débarquée de son Europe natale, venait découvrir le Nouveau Monde. Pourtant, nous avons toutes deux pris le même chemin pour arriver somme toute à la même destination… Enfin, presque !

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Dans ce texte, nous amènerons les étudiants à se questionner sur deux des trois grands moments de l’aventure doctorale, soit « l’avant » et « le pendant ». D’abord, « avant » d’amorcer des études aux cycles supérieurs, il importe de comprendre ce qui nous pousse à entreprendre un doctorat 1. Ensuite, « pendant » la période plus ou moins longue et plus ou moins sinueuse qui mène à la soutenance de thèse, il devient par moment indispensable de se rappeler quel est le moteur qui nous motive à poursuivre. Finalement, bien que nous n’abordions pas explicitement ce troisième moment dans le présent chapitre, et ce, quoique la question se pose assez tôt dans le cheminement, il s’avère essentiel de se projeter « après » le doctorat, en énumérant les possibilités d’avenir que permet le diplôme de Philosophæ Doctor (Ph. D.)2. D’apparence simpliste, ces trois moments sont charnières et méritent une réflexion approfondie pour quiconque souhaite se lancer dans l’aventure doctorale. Au sens littéraire, une aventure est « une entreprise comportant des difficultés, une grande part d’inconnu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle participent une ou plusieurs personnes » (Larousse, s. d., s. p.). Nous considérons que l’exercice en vaut la peine, car le parcours doctoral influencera inévitablement la carrière professionnelle et, indirectement, la vie personnelle de toute personne qui l’entame. Nous proposons des extraits d’entrevues semidirigées menées auprès de doctorants3 et de docteurs aux parcours multiples ainsi que quelques éléments issus d’écrits scientifiques sur le thème de la motivation4 aux études supérieures. Avant : pourquoi se lancer dans un doctorat ?

Qu’est-ce qui vous pousse à entreprendre un doctorat ? Vos parents sont-ils des « académiques », pour qui les études doctorales vont de soi… ou êtes-vous la première personne de votre famille à accéder à ce niveau de scolarité ? Votre 1. Le terme de doctorat est utilisé tout au long de ce chapitre dans le sens du parcours menant au titre de Philosophæ Doctor. 2. Voir le chapitre de Jean Gabin Ntebutse dans cet ouvrage pour le troisième moment. 3. Les noms employés dans le présent chapitre sont fictifs afin de préserver la confidentialité des participants. 4. Nous ne souhaitons pas ouvrir le débat sur le fait de savoir s’il faut parler de la motivation ou des motivations. Nous utiliserons ici le concept au singulier en considérant que la motivation peut se décliner au pluriel. Voir le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy dans cet ouvrage.

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P ou rquoi fa i r e u n e t h è se ? • 15

plan de carrière est-il clair et vous inscrivez-vous avec conviction au doctorat ? Ou, au contraire, vous n’avez aucune idée de ce que vous ferez dans la vie, alors vous poursuivez tout bonnement vos études ? Vous avez des enfants et vous estimez que le fait d’être aux études vous accordera la flexibilité nécessaire5 ou, au contraire, sans enfant, voire sans conjoint, vous estimez que le moment est idéal pour vous investir à fond dans les études ? Vous êtes jeune et sans expérience et vous cherchez à développer une expertise ou, au contraire, vous faites un retour aux études pour mettre à profit votre expérience ou réorienter votre carrière ? La liste de telles dichotomies est infinie et les nuances sont également innombrables. Afin de maximiser les chances d’aller jusqu’au bout du processus, il est important que le doctorant se pose des questions dès le départ, probablement même avant son inscription en thèse, et qu’il comprenne les conséquences de ses choix. Comme le mentionne Vanessa, « [l]e doctorat, c’est aussi une posture intellectuelle […] je me rends compte que je suis trop utilitariste. Je trouvais ça bien intéressant de travailler sur une auteure québécoise du 20e siècle, mais je n’ai jamais su vraiment à quoi cela allait me servir. Je n’avais pas de projet professionnel, tout ce que je voulais, c’était apprendre. » Cette réflexion illustre le type de motivation que peut avoir un étudiant. Si la question de l’orientation a été étudiée par plusieurs auteurs sur l’entrée à l’université, peu de recherches se sont penchées sur la poursuite d’études aux cycles supérieurs. L’une des hypothèses que nous posons pour expliquer cette situation est celle de la réussite dans le système scolaire, présente chez la plupart des personnes rencontrées dans le cadre des entrevues semi-dirigées : « Si j’avais eu un parcours difficile, j’aurais peut-être pris plus de temps pour y réfléchir. Mais là, on dirait que les choses sont allées de soi, presque malgré moi » (Fanny). Cette question, que l’on pourrait voir sous l’angle de l’engagement, nous semble déterminante. Afin de comprendre le genre de motivation nécessaire à la réalisation d’un doctorat, il semble utile de faire un tour du côté de la psychologie du développement humain, une discipline qui explore notamment les relations entre les changements et la continuité dans une trajectoire de vie. Le choix d’entreprendre ce parcours doctoral s’inscrit évidemment dans cette trajectoire. 5. Voir les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay dans cet ouvrage.

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Chercher à comprendre en quoi ce parcours s’inscrit dans la continuité de qui nous sommes et, en parallèle, quels changements celui-ci engendrera pour nous permettre de poursuivre notre développement personnel et professionnel constitue un exercice initial pertinent et utile. « Le principe des études supérieures, c’est qu’on y apprend à apprendre », souligne Hubert Reeves en conclusion de son intervention au colloque mentionné plus haut. C’est sans le moindre doute vrai. Peut-être est-ce pour cette raison que certains étudiants prennent le chemin du doctorat sans se poser beaucoup de questions : « Je dois bien avouer que je ne savais pas vraiment quoi faire avec une maîtrise en biologie, alors j’ai décidé de poursuivre mon doctorat. Aujourd’hui, avec le recul, je prends conscience que j’ai toujours été intéressée par la recherche, mais je ne suis pas certaine que j’avais pris en considération tous les tenants et les aboutissants de ma décision. […] Si je n’étais pas devenue professeure, j’avoue que je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait. » (Fanny) Si cette absence de projet professionnel n’est pas surprenante, nous devons souligner qu’elle peut avoir des conséquences plus ou moins heureuses sur l’étudiant. « Clairement, je me suis lancée dans une thèse parce que je ne trouvais pas de job. Mais je ne pourrais pas dire que c’était une vocation, loin de là ! » (Vanessa) Et c’est peut-être l’une des causes de l’abandon de son doctorat en littérature, parce que comme le souligne Schlanger (1997, p. 77), quand « on a une vocation, on la suit, on s’y consacre, on la remplit, on lui est fidèle, on ne la trahit pas, on lui sacrifie tout ». Mais peut-on réellement parler de vocation quand on commence un doctorat ? Je n’irais pas jusque-là. Mais je pense que c’est tout de même une croyance forte en soi et en ses compétences pour y arriver. Je me souviens que tout au long des séminaires que j’ai suivis pendant ma thèse, j’étais un peu surpris de voir que certains étudiants venaient là un peu par dépit ou par hasard, sans trop savoir pourquoi. Je ne dis pas qu’il faut se fixer un seul objectif et ne jamais en déroger, mais je pense que cela prend une certaine conviction. (Nicolas)

Ou du moins une certaine réflexion, pourrait-on ajouter. Aujourd’hui, Nicolas poursuit sa carrière dans le secteur privé. « Je n’ai jamais eu pour ambition de devenir professeur. Je ne pense pas que c’est la seule raison de se lancer dans un doctorat. En fait, je crois même que si c’est la seule motivation de quelqu’un, il prend un sacré risque. » Si de nombreux étudiants semblent

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s’inscrire dans un programme de troisième cycle, soit le doctorat, pour devenir des « académiques », il demeure important d’avoir un « plan B »6. Dans mon domaine, la communication, je sais qu’il n’y aura pas forcément de place pour tous les gens qui souhaitent embrasser la carrière universitaire. Considérant cela, il est essentiel d’avoir d’autres portes de sortie ou d’autres avenues qui nous conviennent. Sinon, à moyen terme, on risque de trouver la vie difficile ». (Christophe, actuellement étudiant au doctorat)

Cette question est sans le moindre doute liée à celle de l’entrée sur le marché du travail. En effet, à l’heure actuelle, même avec un doctorat, les gens ne peuvent être assurés de trouver aisément un emploi dans leur domaine. Sébastien, un doctorant en génie qui est déjà engagé comme professeur dans une faculté québécoise, considère même qu’en fonction du domaine, ça peut être complètement l’inverse : « Comme ingénieur, tu n’as pas besoin d’avoir un doctorat. Si la compagnie qui t’engage n’a pas de branche recherche et développement, elle peut très bien considérer que tu es surqualifié. Dans ce cas-là, ton doctorat, c’est presque un handicap. » Évidemment, la surqualification ne touche pas uniquement les étudiants ayant un doctorat et cette situation a finalement peu évolué depuis vingt ans, malgré ce qui est parfois véhiculé dans les médias. Il y a donc de multiples raisons pour lesquelles un étudiant peut décider d’entreprendre des études doctorales. Par ailleurs, cette formation pourrait même avoir des effets positifs inattendus : « Selon Grossman (2006), les connaissances qu’un individu acquiert au cours de sa formation influencent ses décisions, que ce soit par rapport à son travail, à sa santé, à ses activités de loisirs, à sa sexualité et à ses relations avec ses enfants » (Litalien, 2014, p. 4). Et la société en tant que telle bénéficie elle aussi de retombées non négligeables. Évidemment, rares sont les étudiants qui invoquent la société comme bénéficiaire directe. « C’est pour moi que j’ai choisi de faire un doctorat. Je voulais me prouver que j’étais capable de le faire » (Nicolas). En fait, ce jeune professionnel considère avec le recul qu’il disposait des qualités requises pour faire des études de cycle supérieur, et ce, sans trop savoir de quelles qualités il s’agit : « C’est difficile de nommer précisément ce qu’il faut ; je me répète, mais je crois 6. Voir les chapitres de Jean Gabin Ntebutse et de Sophie Couture dans cet ouvrage.

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que ce qu’il faut avant tout, c’est y croire ! » Dans cet extrait, Nicolas fait, d’une certaine manière, allusion au carburant qui nous alimente tout au long de la réalisation du doctorat : la motivation… Si la question de la motivation nous paraît essentielle, nous considérons que la conscience des enjeux en est une autre d’importance ! Les nouveaux étudiants au doctorat envisagent souvent le Ph. D. comme un magnum opus, un projet de recherche brillant qui culmine dans un grand travail7. En repensant à nos parcours respectifs, nous avons constaté que nous ne savions pas précisément au départ ce qu’était faire un doctorat ou être doctorant. Et c’était le cas de toutes les personnes que nous avons rencontrées : « … faire de la recherche » (Fanny) ; « … continuer à travailler avec mon directeur » (Magalie) ; « … travailler sur une auteure qui me passionnait » (Vanessa) ; « … avant tout, une étape vers autre chose » (Nicolas)… Bref, la plupart des personnes que nous avons interrogées n’avaient pas de réelles idées du processus à suivre ni du produit final. Ce point nous semble pourtant essentiel. Pendant : les facteurs internes et externes influençant la motivation

Qu’est-ce qui alimente l’envie de poursuivre et de terminer un doctorat ? Est-ce par goût d’étudier, de faire de la recherche, par passion pour une discipline ou un sujet en particulier ? Par besoin de spécialisation, d’approfondissement des connaissances, de compréhension d’un phénomène précis ? Pour obtenir une promotion ? Pour satisfaire un désir de valorisation personnelle ou de prestige ? Pour accéder à un milieu de travail stimulant ? Pour faire carrière dans le milieu universitaire, en recherche en entreprise ou dans le secteur public ? Par exigence pour pratiquer une profession ? Pour réaliser un plan de carrière ou, plus simplement, pour accroître les chances de dénicher un emploi ? Comme nous l’avons mentionné précédemment, s’engager dans un cheminement doctoral constitue une aventure, généralement heureuse et fructueuse, mais non sans longueurs, sans périodes de stress, sans surprises, sans moments de découragement, et parfois même non sans déceptions8. Ainsi, il 7. « Entering students often think of a PhD as a “magnum opus”, a brilliant research project culminating in a great work » (Petre et Rugg, 2012, p. 2). 8. Voir les chapitres de Christine Vézina et de Virginie Mesguich dans cet ouvrage.

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est important de déterminer quel facteur constituera notre phare pour maintenir beau temps mauvais temps le cap sur la destination. Dans les écrits scientifiques, différents modèles se rapportent au concept de la motivation. Aux études supérieures, comme à tous les niveaux de scolarité, la motivation est influencée par des facteurs internes comme la reconnaissance de la part de l’individu de la valeur d’une activité spécifique et le fait que l’activité soit satisfaisante en elle-même. La motivation vient du plaisir venant de l’activité elle-même de sorte qu’une personne motivée intrinsèquement n’aura pas besoin d’une récompense ou d’un incitatif externe pour se mettre en action. Ainsi, un étudiant intrinsèquement motivé poursuit ses études supérieures dans un objectif de satisfaction et d’accomplissement personnels. (Knutsen, 2011, p. 45, notre traduction)

À l’opposé, la motivation extrinsèque consiste en une motivation créée par un stimulus externe. L’individu est motivé à agir en fonction d’objectifs ou d’incitatifs externes au comportement lui-même. Ces objectifs ou ces incitatifs sont les récompenses qui servent de motivation à atteindre l’objectif principal. (Knutsen, 2011, p. 45, notre traduction)

Les doctorants et les docteurs qui ont accepté de faire part de leur expérience ont mis le doigt sur divers facteurs internes (autonomie, objectifs personnels et professionnels, conscience des défis liés au doctorat, habiletés de gestion du temps et habiletés de communication à l’oral et à l’écrit, etc.) et externes (équipe de direction9, information sur les enjeux liés au doctorat, accès à des ressources, notamment financières…) ayant influencé leur cheminement. Parmi ces différents facteurs, la mise à l’épreuve de l’autonomie de l’étudiant semble incontournable10 : C’est pour cette raison que j’ai lâché le doctorat. J’avais l’impression d’être seule dans mon bateau, de faire une thèse pour faire une thèse. J’en suis même arrivée au point de me dire que je m’accrochais pour mon directeur, parce qu’il croyait en moi et qu’il m’avait aidée à obtenir une bourse. Mais au final, je ne la voulais pas vraiment cette thèse. Aujourd’hui, j’enseigne la discipline que j’ai choisie dans une école et cela me convient parfaitement. (Magalie) 9. Voir le chapitre de Christelle Lison dans cet ouvrage. 10. Voir le chapitre de Louise Boisclair dans cet ouvrage.

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Reconnaissons qu’il n’est pas toujours facile de savoir pourquoi on se lance dans des études supérieures et moins encore dans un doctorat, ni de comprendre pourquoi on persévère. Au fil de conversations anodines avec nos collègues professeurs, nous avons pu constater qu’eux non plus ne savaient pas toujours exactement ce qui les avait poussés dans cette direction. Mais ce fait peut allonger les études, ce qui est l’une des causes d’abandon du doctorat. Soulignons d’ailleurs que parmi les personnes qui entreprennent un doctorat, « seulement la moitié […] obtiendront le diplôme convoité » (Litalien, 2014, p. 1), et que celles qui l’abandonnent le font en général après plusieurs années d’études. C’est parfois en cours de route que les étudiants découvrent ce qui est attendu d’eux : « J’avoue que je ne savais même pas que j’avais des cours à faire. Je pensais que c’était beaucoup plus individuel que ça » (Sébastien). En effet, selon les disciplines, les étudiants auront un parcours plus ou moins balisé. Mais dans tous les cas, les personnes s’inscrivant en doctorat doivent y consacrer le temps nécessaire. « Si ta thèse c’est un peu comme ton hobby, tu ne la finiras jamais », a souligné Vanessa. Cette affirmation, qui peut sembler choquante, est pourtant bien vraie. La première qualité d’une bonne thèse est d’être finie… ce qui ne signifie pas que l’on doive la terminer envers et contre tout. Abandonner son doctorat ne veut pas dire que l’on n’est pas capable de le réaliser, mais parfois en cours de chemin, on comprend que ce n’est pas ce que l’on souhaite faire réellement11 : « Et ce n’est pas plus grave que ça. Personne dans mon entourage proche ne m’a jugée. Mon père m’a dit : ce qui compte, c’est que tu fasses quelque chose qui te plaise. La thèse ça ne me plaisait plus, ce n’est pas plus compliqué que ça » (Vanessa). Parmi les qualités nécessaires pour maintenir sa motivation, retenons la capacité de gérer le temps (et la planification du parcours)12, critère d’ailleurs mentionné par les directions de thèse. Et que dire des capacités cognitives et métacognitives attendues de tout doctorant, de même que des aptitudes de communication tant orale qu’écrite. En fait, si nous devions faire ici la liste de toutes les qualités requises, il est probable qu’aucun étudiant ne pourrait, ou ne souhaiterait, s’inscrire dans un programme de doctorat ! Il ne s’agit donc 11. Voir le chapitre de Virginie Mesguich dans cet ouvrage. 12. Voir le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy dans cet ouvrage.

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pas de cocher, dans une liste des qualités requises, celles que l’on pense avoir, mais plutôt de se questionner sur la motivation et les moyens dont on dispose pour s’engager dans une telle aventure et la mener à terme. En ce sens, le doctorat sera une occasion de mettre à profit ses qualités, de mettre en lumière ses limites et de rebondir sur celles-ci afin de développer de nouvelles compétences. Il importe également de considérer les aspects concrets, comme le financement ou la réputation de l’université dans laquelle on souhaite s’inscrire13. En effet, les universités ne s’équivalent pas toutes. Par exemple, les conditions de réalisation d’un doctorat en chimie peuvent varier fortement d’une université à l’autre et ne renvoient pas nécessairement à| la même spécialisation, au même encadrement, à la même qualité d’enseignement ou aux mêmes facilités en ce qui a trait à la disponibilité des ressources humaines, matérielles et financières : « Avec le recul, je ne regrette pas du tout mon choix d’université et de programme, mais j’avoue que j’aurais pu ou même dû magasiner un petit peu plus » (Nicolas). D’autres facteurs, internes et externes, sont mentionnés dans les écrits en lien avec la motivation envers les études supérieures. À l’interne, il y a le sentiment d’auto-efficacité ou l’autodétermination, le degré de maturité, les traits de personnalité ou les attitudes individuelles. À l’externe, mentionnons la période d’adaptation nécessaire pour s’intégrer à la vie universitaire ou encore les expériences professionnelles antérieures14. L’expérience d’apprentissage semble également constituer un facteur externe important. Celle-ci inclut, par exemple, les méthodes pédagogiques mises en place par les professeurs, leur disponibilité, la qualité de leur supervision15 ou encore le soutien institutionnel offert en lien avec l’accès aux ressources comme la bibliothèque, l’accès en ligne ou encore les infrastructures. Le facteur de motivation intrinsèque le plus important est la possibilité de croissance personnelle (to advance my personal growth) alors que le facteur de motivation extrinsèque le plus important serait l’augmentation du degré d’employabilité de l’étudiant (to increase my job opportunities). Ce tour d’horizon ne se veut bien évidemment pas 13. Voir les chapitres d’Emmanuelle Bernheim et de Nanette Neuwahl dans cet ouvrage. 14. Voir le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau dans cet ouvrage. 15. Voir les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau dans cet ouvrage.

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exhaustif. Néanmoins, il invite à prendre le temps de bien cerner les objectifs personnels et professionnels poursuivis. Tout ne doit pas être déterminé à l’avance : les objectifs peuvent changer en cours de route. Nous évoluons, les aléas de la vie nous amènent à prendre des décisions, à faire des choix et parfois à y renoncer. Néanmoins, chaque succès et chaque épreuve que l’étudiant rencontrera devraient lui permettre de se questionner sur son niveau de motivation, son engagement, et de facto, alimenter sa persévérance. *** Aujourd’hui, d’une certaine manière, le doctorat peut être vu comme un rite de passage au sens où l’entend Van Gennep, un chemin obligatoire pour devenir quelqu’un parmi les pairs « académiques ». Ce ne fut pas toujours le cas, et selon les disciplines, ce ne l’est pas encore. Oui, le processus doctoral est un passage, et quoi qu’il arrive, qu’on l’abandonne ou le termine, rapidement ou à la suite d’une longue période de temps, on peut être assuré d’en sortir transformé. Se lancer dans cette aventure, c’est accepter de ne plus jamais regarder le monde avec les mêmes lunettes. Le parcours doctoral étant avant tout un apprentissage, il est normal de ne pas tout maîtriser dès l’entrée dans son programme et de trouver certains moments plus difficiles que d’autres. C’est le rôle de la direction de recherche d’aider les étudiants et d’autres doctorants, en partageant les façons qu’ils ont trouvées pour traverser les périodes plus délicates, peuvent aussi aider. Quel que soit le parcours, c’est en le suivant qu’on le découvre. Aucun de ceux que nous avons rencontrés ne referait exactement la même chose, « parce que c’est toujours après que l’on sait ce que l’on aurait dû faire » (Fanny).

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chapitre 2 Dynamique des paramètres décisionnels pour la réalisation d’une thèse Élias Rizkallah et Shirley Roy

Tout étudiant qui entreprend une thèse de doctorat est d’abord animé par le désir d’approfondir sa connaissance d’un sujet et, ce faisant, de contribuer au débat d’une communauté scientifique. Parce qu’il s’agit d’un projet de recherche, ni l’issue ni le sentier à emprunter ne sont parfaitement prévisibles ; c’est probablement pour cela qu’il s’agit d’une aventure passionnante. Est-ce à dire, pour autant, que la personne qui fait le choix d’amorcer une thèse de doctorat doit faire table rase de ce qui existe ? Que les paramètres de l’aventure ne se dessinent que chemin faisant ? Même si certains seraient tentés de répondre affirmativement à ces questions, nous pensons, au contraire, qu’il y a certains paramètres communs en ce qui a trait aux décisions à prendre, tout en admettant que la réalisation d’une thèse comporte à la fois du nouveau et de l’ancien, des découvertes et des reprises de thèmes déjà partiellement explorés, des allers-retours, de l’emballement et du découragement. Mettant ici volontairement en suspens les facteurs environnants (p. ex., la [co]direction de la thèse, les cours à suivre, les interactions entre les pairs, le soutien familial et amical, le réseautage, les publications), notre réflexion portera sur ce que nous nommons des foyers de décisions cruciales à la réalisation de la thèse et qui se veulent des dimensions incontournables en regard desquelles des choix doivent être faits et continuellement réévalués. Certains

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paramètres influencent la dynamique interne qui régit la finalisation d’une thèse, et c’est sur eux que nous souhaitons attirer l’attention des doctorants. Leurs traitements ici ne constituent pas un guide de réponses, mais seulement des pistes de réflexion, car dans le processus menant à l’achèvement de la thèse, chacun doit trouver ses propres solutions et les mettre en œuvre. Commençons par la fin, soit par une proposition qui comprend les paramètres ou foyers de décisions inscrits au cœur de la thèse : la résolution de la problématique (P) de recherche d’une thèse nécessite, de la part d’un étudiant qui se situe dans une temporalité de parcours (T), des connaissances/ compétences (C) en fonction de ressources (R) (finances, motivation, temps)1. Ces paramètres constituent un ensemble de variables qui interagissent dans un équilibre dynamique que le candidat doit chercher à maintenir tout au long du déroulement des activités incluses dans le processus de thèse. Ils ne sont pas de même nature et n’ont pas le même poids dans les décisions à prendre ; cela dit, ils sont interdépendants, complémentaires et essentiels à la réalisation de la thèse. L’intérêt de définir ces paramètres et leurs dynamiques est lié au fait qu’ils sont, malgré leur simplicité, absents de la majorité des manuels de méthodologie et de présentation de la thèse. Pourtant, le parcours de la thèse est marqué par un ensemble de décisions qui ne dépendent pas exclusivement de la qualité scientifique de ce qui sera produit, mais aussi d’une certaine pertinence pragmatique. Tenir compte de ces paramètres et de leurs dynamiques permet de prendre des décisions plus éclairées, même si le candidat qui emprunte ce chemin pour la première fois n’en est pas tout à fait conscient. La problématique de recherche (P)

La problématique est le paramètre dont la variation (modification, reformulation) affectera le plus tout le processus ainsi que les décisions à prendre, 1. Nous nous plaisons entre nous à ériger cette proposition au niveau d’une « équation » sous la forme artificielle suivante : P (T) = , où P est la problématique, T la temporalité de parcours, C les compétences/connaissances, et R les ressources : motivation [m], finances [f], et temps [t] (temps physique). Cette équation évoque le caractère « universel » des dimensions dont il faut tenir compte, mais leur concrétisation nécessite des choix et des décisions singulières et adaptées.

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puisqu’elle correspond à l’intrigue que la thèse tente de résoudre. Souvent abordé dans les manuels de méthodes de recherche, le processus menant à sa définition et à sa construction reste difficile à saisir pour l’étudiant, mais aussi à expliquer par les spécialistes en méthodes. La formulation de la problématique (P) peut aller d’un simple écart (Chevrier, 2009) entre les connaissances antérieures et souhaitées (p. ex., remettre en question les pratiques d’accueil des personnes ayant des problèmes de santé mentale à la suite d’une modification du cadre législatif les concernant) à la mise en énigme (Lemieux, 2010) de ce qui est communément admis à propos d’un sujet (p. ex., alors que l’on constate, chiffres à l’appui, une diminution du nombre de crimes violents dans notre pays, comment expliquer que l’on assiste à une expansion du discours sur la violence ?), d’un phénomène (p. ex., alors que les mouvements indépendantistes dans certains pays d’Europe sont en expansion, comment expliquer que le mouvement indépendantiste au Québec soit, quant à lui, en perte de vitesse) ou d’une œuvre (p. ex., saisir les lignes de continuité, de distanciation et de fracture dans l’œuvre de Robert Castel depuis Le psychanalysme en 1973 jusqu’à La montée des incertitudes en 2009). La résolution de la problématique nécessite aussi une confrontation à un matériau invoqué ou provoqué2. Au-delà de la simple recension des écrits, elle doit présenter une pertinence scientifique à laquelle s’ajoute, dans plusieurs cas, une pertinence sociale (hors débat scientifique). Quelle que soit la forme de la problématique, c’est d’elle que seront déduits les questions, les objectifs et les hypothèses ou pistes de recherche3. Pourquoi alors la considérer comme la variable ayant le plus d’influence sur les décisions à prendre ? D’une part, elle n’atteint le stade d’une constante que tardivement dans le processus ; plus encore, elle est revisitée par le doctorant à chaque ébranlement provoqué par le matériau de recherche ou les résultats préliminaires. D’autre part, toute modification dans la formulation de la problématique a nécessairement des conséquences sur tous les autres paramètres 2. Un matériau peut exister indépendamment de l’activité du chercheur (matériau invoqué ou inerte, voire données secondaires) mue par sa problématique, soient des traces informant l’objet de recherche. Il peut aussi dépendre de la création d’un dispositif de collecte de données (p. ex., entrevues, questionnaires, traitements, prélèvements) pour spécifiquement répondre à la question de recherche. 3. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Pierre Noreau et de Carmella Cucuzzella.

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(connaissances et ressources disponibles), alors que l’inverse est beaucoup moins fréquent. Par exemple, la non-accessibilité à un matériau de recherche ou à un outil d’analyse peut affecter la formulation d’un problème, sans pour autant qu’il faille tout reformuler. Il est souvent possible d’avoir recours à diverses astuces dans la construction du dispositif de recherche afin d’atteindre autrement les objectifs poursuivis (p. ex., matériau analogue, méthode d’analyse différente, etc.). À l’inverse, changer complètement la problématique aura inévitablement plusieurs conséquences : une nouvelle planification du temps, le développement d’une autre expertise ou même, dans certains cas, un changement de directeur de thèse. Associer à la problématique la célèbre formule de Machiavel « la fin justifie les moyens » appelle nécessairement la reformulation proposée par Maritain : « les moyens peuvent modifier la fin » (c’est nous qui soulignons). En revanche, l’instabilité et la détermination relative de la problématique confèrent à cette dernière une sorte de « charme discret » : lors de la rédaction finale, on peut toujours la retravailler4 en fonction du chemin parcouru, tout en respectant les caractéristiques imposées pour son exposition (c.-à-d. les critères de présentation de la thèse). En somme, la problématique reste, tout au long du processus, une sorte de phare qui rappelle au candidat la direction qu’il a choisi de suivre à un moment de son parcours, et ce, en tenant compte de quelques spécificités. Et pour filer la métaphore, le chemin à parcourir tiendra compte des intempéries, les difficultés ne seront évaluées qu’une fois en mer, le moment d’arrivée à bon port est prévisible mais non contrôlable, les ajustements des gréements seront constants… La temporalité de parcours (T)

La temporalité de parcours inscrit une thèse de doctorat dans la durée, celle relative au niveau d’avancement (développement) du candidat à l’égard de ce qui est attendu. Il importe de distinguer cette dimension de la ressource temporelle identifiée comme le temps physique (le petit « t »). En effet, en nous 4. Une problématique est très modulable, et à cet égard comparable aux morceaux d’un jeu de LEGO.

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inspirant des œuvres de Piaget et de Bergson, nous envisagerons la durée comme l’expérience vécue du temps, et non comme un temps physique, discontinu, linéaire, répétitif voire prévisible et mesurable. Cette distinction repose sur deux éléments. D’une part, dans le cadre d’une thèse, la temporalité de parcours revêt un aspect relatif et non absolu et, par conséquent, elle ne constitue pas une ressource périssable. Si le temps physique prévu pour faire une thèse est officiellement de quatre ans, il y a pendant ces années plusieurs moments charnières (p. ex., le développement de la problématique, la confrontation au matériau par le truchement d’un modèle opérationnel, l’interprétation globale synthétisant tous les résultats). Dans l’expérience du candidat, les moments charnières ont statut d’événement ayant un effet accélérant ou décélérant sur le parcours final, tandis que sur le plan du temps écoulé (temps physique), ils n’ont aucun effet précis. Ainsi, l’acte par lequel on saisit une problématique (passage de l’objet pressenti à l’objet d’étude) dure de courts instants (temps physique), mais il a un impact incommensurable sur le reste de la thèse. Les décisions prises par le candidat et par son directeur tiennent compte davantage de l’étape d’avancement de la thèse (inscription, projet, prétests, collecte de données, analyse, rédaction, etc.), soit la temporalité de parcours, que du nombre de mois résiduels impartis pour finir la thèse ou pour demander un délai, par exemple. Ainsi, si la collecte de données (provoquées) entamée sur un terrain précis ne donne pas les résultats préliminaires attendus, il serait peu opportun de changer de terrain, étant donné l’importance de l’étape franchie. Cependant, à l’étape subséquente, un ajustement des types d’analyses sera à prévoir. D’autre part, la temporalité s’inscrit dans une logique développementale liée à la maturité acquise par le candidat au fur et à mesure de l’évolution du travail de thèse. Le parcours dans le temps prend alors non pas une forme linéaire, mais celle d’une spirale ascendante où les événements précédents ont une influence sur ceux qui suivent, temporalité où le candidat reconstruit constamment ses idées développées à des moments antérieurs sous l’influence de concepts acquis ou refaçonnés ultérieurement. Ainsi, un candidat qui a une idée claire du sujet de sa thèse avant même de s’inscrire au programme, ou qui s’inscrit en thèse à la mi-trentaine (au lieu du début de la vingtaine) en ayant en tête un projet de recherche précis et lié à ses expériences, est déjà à

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un point d’avancement différent de ses pairs, et la forme de son parcours s’en trouve affectée. Lors d’une décision, il faut ainsi garder à l’esprit le niveau de base à partir duquel le candidat s’engage dans une piste de recherche. En somme, pour faire écho à Martineau (1991, cité par Morhain, 2006, p. 113) dont les travaux s’inscrivent dans un contexte de psychologie développementale, « la durée de vie [ici d’une thèse] n’est pas tant un corpus biodégradable, s’écoulant inexorablement et continûment, elle est une tresse de temporalités (hétérochrones) : un réseau de moments, de passages, d’étapes, fait d’accès et de répits, d’accélérations et d’immobilisations, d’anticipations et de régressions ». La temporalité à laquelle nous faisons référence ici amène donc à concevoir le parcours comme peu réversible, non répétitif, non complètement prévisible, mais davantage comme un parcours créatif et constructif. Ainsi, les différents paramètres, leurs dynamiques et leurs répercussions sur les décisions trouvent leur repère dans la temporalité de parcours (T) et non dans le temps physique (Rt). Elle joue le rôle d’une sorte de tableau de bord qui permet au candidat et à son directeur de maintenir l’équilibre dynamique des décisions en fonction de l’ensemble des paramètres et des étapes franchies. Les connaissances/les compétences (C)

Divers apprentissages nécessaires à la résolution de la problématique (P) interviennent durant le processus de réalisation de la thèse5. Ils se déclinent en deux composantes, les connaissances (savoirs) et les compétences (savoirfaire), qui ne sont pas si simples à distinguer. De fait, on ne s’approprie pas un savoir-faire sans un certain savoir (p. ex., avoir des notions de mathématiques pour faire des statistiques) ; et un savoir-faire est généralement nécessaire pour acquérir un savoir (p. ex., lire une œuvre pour se l’approprier). Par ailleurs, les connaissances et les compétences ont la particularité d’être bicéphales dans la temporalité de parcours (T) car elles ont toujours un complément d’ignorance (¬C) qui s’amenuise au fur et à mesure de l’avancement des travaux. En effet, dans tout nouvel apprentissage, le candidat part d’un point précis sur la spirale de la temporalité de parcours (T), supposant 5. D’ailleurs, une thèse abandonnée n’est pas une thèse sans apprentissages, c’est un processus qui n’a pas atteint son terme (l’obtention du diplôme) même s’il a été jalonné d’une multitude d’enseignements.

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un niveau préalable de connaissances et de compétences (C). La part d’ignorance (¬C) est donc la partie de connaissances et des compétences qui lui reste à acquérir pour finalement, et en partie, résoudre la problématique (P). Retenons que la part d’ignorance ne correspond pas uniquement à la maîtrise d’un savoir ou d’un savoir-faire autonome (p. ex., maîtriser une batterie de techniques d’analyse), elle renvoie aussi à l’apport incertain de cette acquisition dans la résolution de la problématique (P). Par exemple, même si un candidat juge opportun d’explorer les Social Network Analysis dans le cadre d’une problématique « relationnelle » en ayant recours à des entretiens de groupe, il peut s’avérer que l’appropriation de cette famille d’analyse n’est pas applicable au matériau effectif : par exemple, la thématique manquait d’enjeux et n’a pas suscité suffisamment d’interaction dans le groupe. Parfois, en cours de route, il peut s’avérer moins coûteux de rebrousser chemin que de continuer. Certains moyens (pré-enquêtes ou prétests sur des micro-échantillons non représentatifs, consultation d’experts dans le domaine, etc.) permettent d’entrevoir les difficultés (¬C) avant d’être trop avancé sur le parcours et d’avoir inutilement épuisé des ressources. En somme, à tout moment du processus, savoir reconnaître le niveau de ses connaissances, de ses compétences, mais aussi de ses faiblesses, permet d’affiner les décisions à prendre. Prenons l’exemple d’une problématique qui nécessite la conception d’une modélisation mathématique ou bien la maîtrise d’une approche analytique lourde (p. ex., une analyse phénoménologique, discursive) par un candidat qui n’est pas très à l’aise avec les sciences formelles ou des techniques dont l’utilisation même6 nécessite l’appropriation d’un bagage théorique. Dans ce cas, à moins que cela ne constitue aussi un objectif de formation poursuivi par le candidat, il est plus opportun d’ajuster la problématique et ses objectifs afférents. Sinon, combler les déficits (¬C) nécessitera un énorme coût en ressources (R), alors qu’il y a des moyens moins lourds (p. ex., modélisation statistique ou analyse thématique, respectivement) qui sont à la portée (ratio C/¬C) du candidat.

6. Certaines approches d’analyse reposent elles-mêmes sur des cadres théoriques préalables (pas des procéduriers) que l’on doit acquérir avant leur emploi sur un matériau précis et ce, indépendamment de l’objet d’étude et de son cadre théorique. D’autres approches analytiques sont ouvertes, dans le sens où les résultats découlent d’un ensemble d’opérations dont le produit est à interpréter seulement en fonction du cadre théorique de l’objet d’étude.

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Les ressources disponibles (R)

Les décisions à prendre lors de la réalisation d’une thèse de doctorat ne dépendent pas uniquement de la pertinence du problème de recherche et des apprentissages nécessaires menant à sa résolution. Comme pour tout projet, le candidat a recours à des moyens qui lui assurent le passage à l’action ; c’est ce que nous appelons les ressources. Celles-ci ont comme caractéristique principale d’être périssables et elles doivent être évaluées sous ce registre au moment des décisions à prendre. Nous distinguons trois types de ressources, dont l’une peut être qualifiée d’intrinsèque (la motivation) et les deux autres d’extrinsèques (l’argent et le temps)7. La motivation (ou ressources motivationnelles, Rm)

Généralement, la motivation d’un candidat à s’inscrire à un doctorat s’incarne dans l’intérêt qu’il porte à un thème ou à un sujet qu’il souhaite approfondir8. Dans le cadre d’un projet de thèse, cet intérêt impose, paradoxalement, une distanciation par rapport aux pré-connaissances et une décentration du regard sur l’objet « idéal ». En effet, plus le candidat avance dans sa thèse, plus le passage de l’objet « idéal » à l’objet d’étude (Gérard, 2010) se matérialise, même si ce dernier ne sera pas non plus exactement l’objet final de la thèse. Le candidat vit souvent cette étape comme un appauvrissement par rapport au projet initial de la thèse, ce qui peut affecter sa motivation à continuer, jusqu’au moment où il passera à l’étape suivante : l’émergence du « véritable objet de la thèse ». Arrivé à cette étape souvent proche de la rédaction, la motivation sera à son zénith car le candidat se sera approprié l’objet, et l’ensemble des morceaux du casse-tête lui feront désormais sens. Dans l’évolution de l’objet de la thèse, il y a donc forcément une étape de deuil. Celle-ci est vécue différemment selon les candidats, mais elle affecte toujours la motivation. En fait, le parcours de la thèse crée lui-même les conditions amenant le candidat à abandonner sa perception initiale de la richesse de l’objet « idéal ». Ce même parcours permettra la saisie d’un objet « nouveau » 7. Faute de place, nous avons renoncé à traiter de certaines ressources importantes dans la réalisation de la thèse, dont le réseau familial et amical, etc. 8. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christelle Lison et Annick Bourget.

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qui devra se réinscrire dans un appareillage conceptuel signifiant et partageable par la communauté scientifique. Ce détachement des aspirations et des connaissances antérieures, souvent de l’ordre de l’imaginaire9, fait en sorte que l’étape du deuil dure plus ou moins longtemps. Cela dit, elle constitue aussi des sources de motivation à exploiter (Xypas, 2012), par une canalisation de l’énergie qui peut mener à une conscientisation. Parfois, le fait de se confronter à un matériau étranger au champ privilégié par un candidat (p. ex., pour une thèse en psychologie, autour du concept de passion, examiner des données de terrain en anthropologie) ou d’amorcer des lectures théoriques dans un domaine d’études connexe (p. ex., la didactique des langues étrangères pour une problématique en sociologie du langage vernaculaire) permet de favoriser cette conscientisation. En reconnaissant l’imaginaire comme contrainte puis comme source à mobiliser, chaque candidat peut avancer dans la réalisation de sa thèse sans épuiser ses ressources motivationnelles. La motivation joue aussi un rôle dans les décisions à prendre à un niveau plus concret. Chaque nouvelle piste de recherche nécessitant l’acquisition de connaissances substantielles, tout retard imprévu dans la réalisation d’une étape, toute indisponibilité des données d’analyse, toute insatisfaction répétée de la qualité du résultat10, voire des pépins de tout genre (p. ex., rupture avec le directeur, temps des études allongé en raison d’enjeux personnels) puisent dans les ressources motivationnelles du candidat, et les épuisent parfois. Celui-ci peut en venir à remettre en question la poursuite de son entreprise. Dans ce sens, il convient de prendre toutes les décisions en fonction de la ressource capitale qu’est la motivation, rééquilibrée par l’ajustement de la problématique (P) inscrite dans une temporalité (T), d’autant qu’elle sera mise à l’épreuve à divers moments. Plusieurs manières permettent de renflouer cette ressource quand elle est au plus bas : une relecture de sections de la thèse par des pairs ou d’autres experts, un retour sur une autre section de la thèse 9. En effet, une composante importante du choix de l’objet de la thèse est d’ordre symbolique et s’inscrit dans l’imaginaire. En croisant des éléments des œuvres de Durand sur l’imaginaire anthropologique (héroïque et mystique) et de Ricœur sur l’imaginaire social (utopique et idéologique), Xypas (2012) a proposé une typologie mettant en avant le rôle de l’imaginaire autant comme obstacle que comme ressource dans la problématisation de la thèse de doctorat. 10. Souvent à l’origine de la formule commune prononcée par les directeurs de thèse : « une bonne thèse est une thèse terminée ».

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mise en suspens depuis un certain temps, une période provisoire de retrait du travail sur la thèse, une réévaluation de ses objectifs ou, ultimement, une suspension de la thèse. Les ressources matérielles et financières (Rf)

Parmi les moyens nécessaires à la réalisation de la thèse, le candidat pensera évidemment aux ressources matérielles et financières. Tout étudiant qui entame un parcours doctoral a réfléchi à ces questions et, au-delà de la hauteur des revenus nécessaires pour assurer le quotidien et les frais liés aux différentes étapes de réalisation de la thèse, c’est la source des revenus et leur régularité qui pèsent le plus sur les décisions. La disponibilité des ressources financières assurant la subsistance permet de se concentrer sur la thèse, mais la provenance de cet argent a également une influence indéniable11. Les sources internes au cadre universitaire (bourses, assistanat de recherche ou d’enseignement, charge de cours ou formation, etc.) ont l’avantage de maintenir le candidat dans des tâches connexes, évitent ainsi le dispersement et permettent d’acquérir des compétences (C) liées au travail universitaire. Cela dit, leur accès est souvent difficile car elles sont relativement restreintes (bas taux d’obtention des bourses, absence dans plusieurs universités de programmes systématiques d’attribution de ressources financières destinés aux candidats admis, etc.). Les sources de financement externes à l’université ont certes le mérite d’exister et de permettre au candidat de bénéficier d’une expérience de travail en parallèle. Cela dit, elles multiplient les lieux d’investissement, et les contraintes, externes à l’horaire des études et aux tâches liées à la thèse, prennent souvent le dessus. En fonction du protocole choisi pour l’acquisition et le traitement du matériau de recherche (location d’équipement, construction du dispositif de collecte, conversion des données, accès à des données protégées, transcription de données, etc.), il faut prévoir des sommes d’argent plus ou moins importantes. Cela dit, dans tous les cas de figure, il faut réserver de l’argent pour les frais liés aux aspects matériels de la thèse (impression, achat de volumes, déplacements, etc.). Il faut aussi prévoir certaines sommes pour la participation 11 Voir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim dans cet ouvrage.

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à des formations complémentaires, qui, mieux que l’autoformation, permettent d’acquérir une compétence (C) utile à la résolution de la problématique (P) (p. ex., perfectionner la maîtrise d’une langue étrangère, apprendre un langage de requête dans une base de données, maîtriser l’utilisation d’un logiciel rare pour l’analyse des données). Il va sans dire que les ressources financières et matérielles ne sont pas synonymes de thèse complétée et de qualité12. Cela dit, elles sont essentielles à sa réalisation et leur régularité doit être au rendez-vous. Ces ressources ont donc un poids important dans la planification et dans les choix effectués pour l’aboutissement du parcours de doctorat. Le temps (ou les ressources temporelles, Rt)

Les ressources temporelles, périssables et non relatives, prennent la forme du temps physique effectif nécessaire à la réalisation des diverses étapes de la thèse. Elles sont généralement considérées en termes d’écart entre le début et le moment du dépôt de la thèse. Mais l’une des particularités de cette ressource est que chacune des activités puise dans cette ressource, que les décisions prises soient bonnes ou pas. Or, des éléments intermédiaires ont aussi leur rôle à jouer ; nous nous limiterons ici aux plus prégnants. Mentionnons d’abord quelques moments assez chronophages dans une thèse de doctorat, que les nouveaux candidats ont tendance à sous-estimer. Indépendamment du rapport entre connaissances acquises et compétences à développer (C/¬C) et au-delà de la construction de la problématique (P) difficile à estimer, il y a la collecte et l’analyse des données13, soit la constitution et la sélection du matériau de recherche et tout le travail que le candidat doit effectuer en amont et en aval pour répondre à sa question de recherche. L’accessibilité et la production des données analysables entament 12. Les personnes ayant encadré des thèses peuvent aisément se rappeler de quelques cas où l’obtention d’une bourse importante ou la présence de revenus substantiels réguliers (externes ou internes) peut, paradoxalement, être associée à un désengagement dans la thèse, voire à son abandon. 13. La distinction entre collecte et analyse des données, quoique commode sur le plan analytique, n’est pas si évidente sur le plan opératoire ; pour preuve la multiplication des termes qui les confondent dans les manuels de méthodes : prétest, pré-enquête, prétraitement, préanalyse, etc.

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aussi les ressources temporelles (Rt), que ce soit pour du matériau invoqué (p. ex., des données secondaires) ou plus encore pour du matériau provoqué (produit par le chercheur). Les raisons sont nombreuses : recrutement (échantillonnage), transcription, transformation, prétraitement, sources légalement ou socialement protégées, ampleur du corpus, etc. Dans le cas de matériau provoqué, les décisions doivent aussi compter sur l’obtention du certificat éthique qui impose une évaluation externe, et donc des délais non négligeables. Pour ce qui est de l’analyse des données, le temps (Rt) entamé est lié à la nature de l’analyse, aux moyens et souvent aux diverses étapes nécessaires pour aboutir à des résultats qui permettent des interprétations solides et signifiantes en lien avec la problématique (P). Ainsi, dans un même protocole de recherche, combiner des analyses statistiques et des approches qualitatives demande plus de temps qu’une analyse n’employant qu’une seule de ces démarches. Même s’il faut faire appel à plus d’un type d’analyse, comme recourir à la théorie de la mesure pour les probabilités et à la théorie des graphes pour les Social Network Analysis, ou faire une analyse des discours et une analyse issue d’observations de terrain, on ne manquera pas de puiser tout autant dans la ressource temporelle (Rt). Enfin, les moyens d’analyse puisent aussi dans cette ressource. Par exemple, le recours à l’informatique permet d’optimiser les calculs, de faciliter la réutilisation, d’organiser les données et de diversifier les représentations des résultats (graphes, tableaux, etc.). Ces opérations sont autant de moyens permettant d’aboutir à des interprétations signifiantes, et bien que ce soit plus rapide que lorsqu’il faut recourir à des opérations manuelles (p. ex., les données d’analyse ne peuvent être que des traces naturelles ou des prises de notes), le temps s’épuise tout autant, ne serait-ce que pour acquérir la maîtrise des outils (p. ex. logiciels) en question. Les choix des modes de collecte et des types d’analyse doivent donc peser dans la planification, mais toujours en fonction de la problématique (P). *** Les divers paramètres que nous avons évoqués dans ce texte sur les foyers de décisions qui mènent à la réalisation d’une thèse de doctorat doivent être pensés et manipulés dans une sorte d’équilibre dynamique. L’aspect dynamique renvoie au fait que les décisions à prendre doivent toujours être évaluées

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selon le moment du parcours, en lien avec ce qui a été fait et ce qui reste à réaliser. La notion d’équilibre a trait à l’interdépendance fondamentale de l’ensemble des paramètres ; à ce titre, la description d’un paramètre est souvent appuyée sur la description d’un autre. Le maintien d’un équilibre dynamique nécessite donc de tenir compte des natures diverses de ces paramètres, de leurs interrelations et de leur pondération variable selon le moment où la décision est prise. Ainsi, au moment n de prendre une décision (p. ex., choisir un terrain), le candidat doit se rappeler où il se situe dans la temporalité du parcours (T) ; certaines décisions prises trop tôt dans l’évolution de la problématique (P) risquent d’être contre-productives. Aussi ce choix doit prendre en considération les ressources (motivationnelles [m], financières [f] et temporelles [t]). Si, par exemple, le terrain d’enquête est situé hors du pays (p. ex., pour une problématique comparative de relations interculturelles), celui-ci doit être soigneusement préparé, car même si cette préparation puise dans la ressource temporelle (Rt), elle aura finalement des incidences bénéfiques sur les autres ressources (matérielles et financières [Rf]). À l’inverse, un terrain mal préparé puisera de manière significative dans les ressources motivationnelles (Rm) et financières (Rf), mais aussi, au bout de la ligne, davantage dans les ressources temporelles (Rt). Si l’on veut maintenir l’équilibre dynamique au moment n, certaines décisions doivent être pondérées, voire réorientées. Ainsi, pour poursuivre avec le même exemple, est-il possible de maintenir la problématique (P) en l’ajustant à la modification concomitante du terrain ? De fait, observer des interactions interculturelles dans des milieux locaux très précis, comme certains quartiers ou centres communautaires propices, évite le recours à un milieu situé hors du pays tout en préservant les ressources matérielles et financières (Rf) pour d’autres moments du parcours. En somme, en essayant de résoudre la problématique (P), le candidat doit se souvenir qu’il se situe de toute façon à un point de la spirale de temps de son parcours (T), avec un ratio donné de connaissances et de compétences (C/¬C). Combler ce ratio va inévitablement puiser dans les ressources (R), qui vont s’épuiser tout au long de l’avancée du projet ; il faut bien planifier leur utilisation pour s’assurer d’en conserver pour le temps des décisions cruciales. Il convient donc de garder en tête qu’en général : plus on avance dans le parcours (T), plus les parts d’ignorance (¬C) diminuent, mais les ressources (R)

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aussi. En chemin vers la résolution de la problématique (P), à tout moment (T), on sous-estime ce qu’on ignore (¬C) ; à tout changement de la problématique (P), il y a forcément un changement dans les connaissances et les compétences (C), ce qui nécessite à nouveau d’évaluer les effets sur les ressources (R). Rappelons enfin qu’il est toujours possible, voire nécessaire, d’ajuster la problématique (P) tout au long du processus pour conserver l’équilibre dynamique dans les décisions.

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chapitre 3 La direction de recherche  Christelle Lison

Tristan est allé jusqu’au bout de son doctorat alors que Loïc l’a abandonné1. Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que le voyage a été somme toute agréable pour l’un et que l’autre en ait gardé un goût amer ? Et si l’une des raisons pour les deux était la même : le choix de la direction de thèse… À l’instar d’autres établissements d’enseignement supérieur, l’Université Laval met en garde les étudiants contre un choix de direction de thèse fait au hasard : L’encadrement dont vous bénéficierez sera très déterminant dans le déroulement de vos études supérieures. Un bon choix de directrice ou de directeur, ainsi qu’une bonne gestion de cette relation, constitue un élément crucial pour la réalisation de votre projet de recherche. Il est donc préférable de vous attarder à réfléchir à certains facteurs devant être pris en compte dans le choix de la direction et de ne pas laisser ce choix au hasard. (Mimeault et Thibodeau, 2005, s. p.)

En publiant ce genre de message, les universités affirment qu’elles invitent les étudiants à réfléchir à leur choix de direction. Mais les étudiants ont-ils pleinement conscience de l’importance de ce choix ? Si ce n’est peut-être a posteriori… Alors que la décision de s’inscrire dans un programme de doctorat devrait être très importante, certains étudiants la prennent parfois parce qu’elle leur 1. Nous désirons remercier Constance Denis, l’une de nos étudiantes au doctorat, pour l’aide précieuse qu’elle nous a apportée dans la rédaction de ce chapitre.

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semble logique au terme d’un premier cheminement en recherche. Ils ont terminé une maîtrise et ont aimé faire de la recherche. Ils ont travaillé sur un sujet qui les a passionnés et ils ont envie de l’approfondir. Ou alors ils ne savent pas que faire d’autre… Quelle que soit la raison principale qui les pousse à entreprendre un doctorat, elle les amènera à choisir très (trop ?) rapidement une direction de thèse. Mais comment choisir la directrice ou le directeur de thèse « parfait » ? Faut-il penser codirection ou comité d’encadrement ? Ou miser sur une seule personne ? Quelles sont les règles administratives du programme dans lequel l’étudiant souhaite s’inscrire2 ? Dans tous les cas, quels sont les critères pour choisir la ou les personnes qui vont les accompagner tout au long de ce processus, heureux souvent, douloureux parfois ? Et comment faire pour que cela fonctionne et que ce mariage ne devienne pas un enfer quotidien ? Ce chapitre a pour but d’aider les étudiants à prendre le temps, avant de choisir une direction de recherche, de réfléchir à leurs besoins et aux stratégies les plus adéquates pour faire le meilleur choix possible. Quant à ceux qui rencontrent des difficultés dans leurs études doctorales déjà amorcées, il pourra peut-être leur permettre d’y voir plus clair et éventuellement de mettre en place des conditions qui leur soient plus favorables. Concrètement, ce chapitre a été construit d’une part à partir de cinq entretiens que nous avons menés auprès de personnes3 ayant terminé leur doctorat (trois) ou l’ayant abandonné (deux), et d’autre part à partir de textes scientifiques et professionnels. Un constat

Au Québec, la plupart des programmes de doctorat ont, comme première finalité, la formation des chercheurs et des futurs professeurs d’université. C’est en fait l’occasion de former à la recherche par la recherche. Or le taux d’abandon des étudiants inscrits au doctorat est de 50 %. Ce qui fait dire à 2. Certains programmes imposent que l’étudiant inscrit au doctorat ait un comité d’encadrement, dans d’autres programmes cela est impossible, et dans d’autres encore, la codirection est obligatoire. Bref, cet élément est à prendre en considération avant même l’inscription dans un programme. 3. Les noms utilisés dans le texte sont fictifs afin d’éviter que les personnes puissent être reconnues.

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Romainville (2000, p. 11) que « la question de l’échec dans l’université de masse ne peut se réduire à celui des étudiants de premier cycle ». Toutefois, ce taux varie considérablement selon le domaine d’études : les disciplines des sciences naturelles, de la santé et du génie présentent généralement de meilleurs taux de diplomation (environ 70 %) que celles des sciences humaines et sociales (environ 45 %)4. Parmi les facteurs explicatifs évoqués par les étudiants qui ont abandonné leur doctorat, ou encore avancés parmi ceux qui l’ont étiré sur un temps très long, le principal semble être la direction de recherche5. Plusieurs écrits soulignent même qu’il s’agit de la variable la plus importante. Bien sûr, la relation d’encadrement, qui est avant tout pédagogique, implique une responsabilité partagée entre le directeur ou le comité d’encadrement et l’étudiant, mais de manière asymétrique certainement, ainsi que le soulignent divers auteurs. Dès lors, il importe de s’assurer d’être dirigé par une personne qui comprend les rôles et les responsabilités d’une direction. Comment s’y prendre ?

Si The PHD Comics6 est aussi populaire auprès des doctorants, ce n’est pas un hasard. C’est que ces quatre étudiants au doctorat qui veulent sortir du soussol de l’université pour accéder au sommet de l’enseignement et de la recherche, c’est l’histoire de plusieurs : « Quand tu le lances dans un doctorat, c’est certain que tu espères devenir quelqu’un […]. Comme tous les jeunes qui étaient dans le laboratoire, j’espérais faire une trouvaille qui allait me permettre de faire avancer la science » (Quentin, étudiant ayant terminé son doctorat récemment dans le domaine des sciences dites « dures »). Pour y parvenir, la première stratégie de Quentin a été de choisir un directeur de renom. Lorsque j’ai commencé mon baccalauréat, j’ai rapidement compris que je ne voulais pas tellement aller sur le marché du travail. J’ai fait quelques stages, mais ça ne me plaisait pas plus que ça. Alors je me suis inscrit en maîtrise recherche. J’ai aimé ça, j’ai fait des trucs intéressants. Quand j’ai eu terminé, il m’a semblé 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Virginie Mesguich. 5. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 6. Il s’agit de bandes dessinées illustrant la vie d’étudiants inscrits au doctorat à l’Université de Stanford. Elles sont réalisées par Jorge Cham (http://phdcomics.com).

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normal d’aller au doctorat. Mon directeur avait un projet intéressant, je me suis inscrit dedans. Mais ce n’était pas mon sujet de recherche à proprement parler.

À la lecture de cet extrait, nous comprenons que Quentin ne s’est pas posé beaucoup de questions pour choisir son directeur de recherche : « J’étais satisfait de ce que j’avais vécu à la maîtrise, je ne vois donc pas pourquoi cela m’aurait tout d’un coup questionné. » Trouver une direction de recherche peut se réaliser dans deux situations différentes. On peut connaître déjà sa direction, comme c’est le cas de Quentin, ou non. Dans le premier cas, la marche à suivre pour rencontrer la direction peut sembler simple : il suffit à l’étudiant de lui écrire un courriel ou de lui passer un coup de téléphone pour lui mentionner qu’il souhaite continuer à travailler avec lui et solliciter une rencontre pour en discuter. Dans le deuxième cas, la marche à suivre peut être plus ardue. Si l’étudiant n’a pas de direction potentielle « en tête », il peut visiter les profils des professeurs que la plupart des universités publient sur leur site Internet. Il peut également rencontrer le responsable du programme pour lui demander conseil. Celui-ci pourra l’aiguiller en fonction de sa thématique de recherche. S’il connaît des étudiants inscrits dans le même programme que lui, l’étudiant pourra également discuter avec eux. Par la suite, l’étudiant devra prendre contact avec la personne qui lui semble la plus intéressante, que ce soit par courriel ou par téléphone, puis la rencontrer en personne afin de valider divers éléments comme la thématique de travail, le type de recherche, le rythme de publication, etc. Toutefois, bien que cela puisse sembler plus facile, il importe de souligner que le fait de connaître déjà la direction potentielle n’est pas garant de la qualité de la relation d’encadrement. C’est ce que nous apprend Léa : « Cela ne s’était pas très bien passé avec ma directrice à la maîtrise. Je l’avais bien aimée dans un cours et je m’étais dit que ce serait agréable de travailler avec elle. Mais finalement, je ne savais pas trop ce que cela voulait dire faire une maîtrise recherche et ce qui était vraiment attendu de moi. » Sa maîtrise s’est donc étirée dans le temps et sa relation avec sa directrice s’est détériorée. « À la fin, je faisais tout pour l’éviter et je voulais qu’on communique uniquement pas écrit pour avoir des traces de ce que je devais faire. » Elle a alors décidé, lorsqu’elle s’est lancée dans le doctorat, de proposer à sa nouvelle directrice ce que l’on peut appeler un contrat d’accompagnement, une charte ou encore une déclaration de thèse.

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La déclaration n’est pas une procédure administrative : c’est plutôt un cadre pédagogique qui se propose de responsabiliser les étudiants, de leur assurer la meilleure formation et les meilleurs atouts pour développer leurs connaissances, réussir leurs travaux de recherche et les compléter dans les meilleurs délais. La déclaration est un outil et un aide-mémoire des engagements et des modalités convenues entre l’étudiant et les professeurs concernés. (Université de Sherbrooke, 2009, s. p.) Je ne savais pas que ça portait un nom, mais en faisant des recherches sur Internet, j’avais découvert que cela se faisait dans d’autres universités. Je ne voulais pas prendre de chance, je voulais que ce soit écrit quelque part. Un ami m’avait aussi conseillé d’enregistrer nos rencontres, mais j’avais peur que ça soit un peu trop. Ce que je voulais moi, c’était m’assurer que ça allait mieux se passer que la première fois. (Léa)

En fait, l’objectif d’une entente de ce type est de permettre tant à l’étudiant qu’à la direction de se poser les bonnes questions dès le départ : qu’attend-on l’un de l’autre ? En matière d’objectifs ? De rencontres ? D’encadrement ? Quelles sont les stratégies attendues quant à la production ou à la rétroaction ? Notons qu’à tout moment, il est possible de mettre en place une entente de ce type. Léa a soulevé un autre enjeu : « La question du temps entre la remise de mon document et le retour des commentaires, c’était pour moi un point important. Je voulais que les choses soient claires. Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas se passer quelque chose qui retarde le feedback, mais je ne voulais pas attendre des mois sans savoir ce qui se passe. » Établir des règles claires permet non seulement au directeur, mais aussi à l’étudiant de partir sur des bases saines et de s’ajuster au besoin, même s’il paraît évident que la négociation doit prendre fin à un moment donné. Exprimer les enjeux est également essentiel pour que chacun sache dans quoi il s’engage : « Moi, comme je venais de l’étranger et que c’était un investissement pour moi des études au Québec, je voulais que cela se passe bien, j’ai tout de suite mis cartes sur table » (Tristan). Établir un accord d’encadrement favorise 1) l’organisation méthodique du travail, 2) l’optimisation du temps et de l’énergie, 3) l’établissement d’une communication claire, et 4) la création d’un sentiment d’appartenance. Bien que d’aucuns se questionnent sur le réel pouvoir de négociation de l’étudiant, nous pensons que c’est dès la ou les premières rencontres que les discussions doivent avoir lieu.

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42 •  l a t h è se : u n gu i de p ou r y e nt r e r… et s’e n s orti r TA B L E AU 3.1

Liste de vérifications pour l’accord d’encadrement

Perceptions préalables aux études supérieures  Motivations à entreprendre vos études

o

Perceptions quant à vos forces et vos faiblesses en lien avec vos études

o

Attentes professionnelles réciproques

o

Plan de carrière

o

Objectif quant à la durée des études

o

Perceptions quant à l’adéquation entre votre sujet de recherche et le domaine de recherche de la direction potentielle

o

Autres :

o

Compétences1 attendues au terme de vos études  Établir des liens organiques ou dynamiques entre la recherche, la formation et la pratique, en saisir l’application dans son champ de recherche et développer ses capacités d’intervention dans ce cadre

o

Approfondir ses connaissances en méthodologie de la recherche, que celle-ci soit de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée ou de la recherche-action

o

Approfondir ses connaissances dans son champ de recherche

o

Analyser de façon critique les résultats scientifiques publiés par des personnes dont les compétences sont reconnues dans son champ de recherche

o

Contribuer de façon originale à l’avancement des connaissances dans un domaine de l’éducation

o

Concevoir, élaborer et mener à terme de façon autonome un projet original de recherche, de création ou d’intervention dans son domaine en accord avec les règles éthiques en vue d’assumer ses responsabilités de chercheuse ou de chercheur

o

Rédiger des articles ou des ouvrages conformes aux normes scientifiques et linguistiques attendues

o

Développer sa capacité de bien communiquer les résultats de ses travaux à l’occasion de séminaires, de colloques ou de conférences

o

Autres :

o

Plan d’études 

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Cours obligatoires, facultatifs, au choix et à option

o

Nombre de cours total

o

Nécessité des cours pour la formation

o

Rythme du cheminement

o

Autres :

o

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L a di r e ction de r e c h e rc h e • 43 Esquisse du programme de travail et de l’échéancier  Nommer les étapes classiques du travail à accomplir

o

Discuter des exigences des deux parties pour chacune des étapes

o

S’accorder sur un échéancier temporaire

o

Proposer un diagramme de Gantt (Quinton, 2008)

o

Comparer l’échéancier temporaire avec celui d’autres étudiants ou d’autres diplômés

o

Autres :

o

Modalités d’encadrement  Rôles et responsabilités des deux parties

o

Attentes des deux parties

o

Rôle et place de l’étudiant dans le groupe de recherche (si nécessaire)

o

Déroulement des rencontres (fréquence, durée, ordre du jour, compte rendu)

o

Rédaction d’un carnet de recherche (à l’usage des deux parties)

o

Évaluations formatives trimestrielles (avancement des travaux et qualité de l’encadrement)

o

Rédaction d’écrits pour publication et possibilité d’une thèse par articles

o

Autres : 1. À modifier en fonction des compétences attendues du programme dans lequel l’étudiant s’inscrit. Celles qui sont présentées ici sont celles du doctorat en éducation de l’Université de Sherbrooke (2015). Source : Tiré et adapté de Prégent (2001, p. 62-64).

Le fait que l’étudiant puisse dès ce moment-là prendre sa place et établir une véritable relation dyadique est l’un des facteurs qui augmentent la satisfaction des étudiants face à l’encadrement reçu par le directeur. Comme l’illustre le tableau 3.1, nous pouvons imaginer une sorte de liste des éléments à discuter lors de la première rencontre avec la direction, soit avant le début réel de la relation d’encadrement. Les critères à prendre en considération

Les critères à considérer dans le choix d’une direction de recherche varient selon les différentes ressources et les personnes consultées, mais ce qui revient de façon presque systématique, c’est le thème, la personne et le lieu. En plus de ces critères, nous pensons que la méthodologie en elle-même devrait également

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être considérée comme un élément important. Nous avons questionné les cinq personnes rencontrées pour savoir sur quels critères elles avaient fondé leur choix d’un directeur. Pour deux d’entre elles, les choses semblent s’être passées sans réel questionnement : dans un cas comme une suite logique de la direction de la maîtrise (Quentin) et dans l’autre sur la base d’un conseil reçu de quelqu’un qui avait eu cette personne comme directeur (Thaïs). Aujourd’hui, je me rends compte à quel point c’était une mauvaise idée. Je ne connaissais pas vraiment cette personne. Dès la première rencontre, il semblait évident qu’elle allait me diriger parce que je venais au rendez-vous, mais je n’ai pas posé de questions. Quand les choses ont commencé à mal aller et que j’en ai parlé autour de moi, je me suis rendu compte que mon directeur et moi, on n’avait pas du tout les mêmes stratégies. J’attendais quelque chose de lui, et lui il attendait autre chose de moi. Mais on ne s’est jamais vraiment parlé. Quand je suis arrivée au bout du financement et que je n’étais nulle part, il a fallu prendre des décisions. Mais même là, on est restés sur un certain non-dit. Aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir abandonné le doctorat, mais quand je pense au temps et à l’argent dépensé pour rien, c’est un peu dommage. (Thaïs)

Autrement dit, la relation peut se dégrader avec le temps, et ce, pour diverses raisons. Si certains étudiants ne semblent pas avoir posé beaucoup de questions, d’autres au contraire ont fait un choix très réfléchi, mais qui n’a pas nécessairement porté fruit : Ce que j’ai choisi au départ, c’était un groupe de recherche bien précis. J’avais lu des articles de chercheurs de ce groupe pendant ma maîtrise, ça collait avec ce qui m’intéressait. J’ai écrit à plusieurs professeurs de ce groupe, je leur ai envoyé un brouillon de projet qui m’intéressait et j’ai pris des rendez-vous. Je voulais vraiment choisir la personne avec laquelle j’allais travailler. J’ai visité le site Internet du groupe, regardé les publications des différentes personnes. J’ai même discuté avec des étudiants qui avaient ces différentes personnes comme directeurs. (Loïc, étudiant en sciences humaines qui a abandonné son doctorat)

Loïc a donc mis en place tout ce qu’il fallait pour que cela fonctionne bien. Et pourtant cela n’a pas marché. Tout fonctionnait bien sur papier, mais dans la pratique, j’ai découvert que les étudiants n’étaient pas toujours respectés. Sans bourse, j’ai dû accepter des contrats peu intéressants. Je ne me sentais pas reconnu comme étudiant au doctorat. J’ai clairement dit que ce n’est pas ce que je voulais

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faire et mon directeur m’a dit qu’il fallait que je réfléchisse à savoir si j’étais fait pour un doctorat. Je n’en revenais pas. Nos rapports se sont tendus et c’est lui qui a gagné. J’ai abandonné. Je ne me sentais pas bien accompagné et j’avais l’impression que tout le monde me prenait un peu pour le grincheux de service. C’était donc inenvisageable de chercher un autre directeur dans ce groupe de recherche. J’ai pris quelques contacts, mais ça n’a pas abouti. Aujourd’hui, j’ai encore envie de faire un doctorat. Mais j’ai comme l’impression que je ne trouverai jamais le directeur que je veux, en tout cas pas dans cette université.

Lorsque nous avons demandé à Loïc s’il avait réfléchi à la possibilité de prendre une codirection, il a rapidement souligné que c’était un élément qu’il n’avait pas considéré au départ, et dont son directeur ne lui avait pas parlé, mais qui aurait pu faire la différence. Tristan, pour sa part, a changé de pays pour pouvoir réaliser le doctorat qui l’intéressait. Je voulais travailler sur une thématique bien particulière et je ne trouvais personne de calibre dans mon pays d’origine. Alors j’ai choisi d’immigrer au Québec pour pouvoir réaliser mes études doctorales. Et je n’ai aucun regret ! J’ai choisi l’université, la personne et le sujet. Ça a été déterminant pour la suite de ma vie. Si je suis professeur aujourd’hui, c’est grâce à ce choix que j’ai fait très consciemment. Depuis, je conseille toujours aux étudiants de bien réfléchir parce que c’est le début ou la fin de quelque chose.

Ces différents exemples montrent l’importance de valider certains éléments avec la direction de recherche potentielle avant de la choisir ou non. Mais il faut être conscient d’une chose : il n’existe pas de mariage parfait ! La relation d’encadrement, comme toute relation humaine, comprend des avantages et des désavantages. Ainsi, au moment de choisir sa direction de thèse, il faut que l’étudiant détermine ce qui lui importe le plus. Les réponses sont multiples et diffèrent d’une personne à l’autre. A priori, on peut certainement dire que la compatibilité des personnalités est un élément central dans le choix d’un directeur de thèse. Mais ce n’est évidemment pas le seul. Plusieurs dimensions d’une même personne peuvent en effet expliquer le choix d’une direction de recherche et elles n’ont pas le même poids selon les étudiants. Ainsi, il serait possible de définir des profils en fonction de ce que l’étudiant cherche et de ce dont il a besoin (voir figure 3.1).

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46 •  l a t h è se : u n gu i de p ou r y e nt r e r… et s’e n s orti r F I G U R E 3.1

Dimensions du profil d’une direction de recherche

Expertise du contenu Aide rédactionnelle

Aide méthodologique

Scientifique Gestion du temps

Gestion des ressources

Soutien

Institutionnelle

Relationnelle Communication

Organisation Connaissance du programme

Intérêt

Par exemple, une direction pourrait être choisie pour son expertise relativement au contenu alors qu’une autre le serait plutôt pour le soutien et la communication qu’elle établit dans le cadre de ses relations d’encadrement. Dans certains cas, la codirection pourrait être privilégiée de manière à combler différents besoins, associant par exemple un spécialiste du domaine (dimension scientifique) avec une direction plutôt versée dans l’encadrement de la démarche (dimension institutionnelle) tout en ayant un intérêt soutenu pour la problématique ciblée par l’étudiant (dimension relationnelle). Certaines combinaisons pourraient alors permettre « d’accéder au meilleur des deux

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mondes », à condition que les différents acteurs comprennent leurs rôles, et que ceux-ci soient explicités, et ce, dès la première rencontre. Au final, la première chose pour un étudiant est donc de se connaître. Qu’est-ce qui l’intéresse ? Pourquoi s’est-il inscrit aux études supérieures ? De quoi a-t-il besoin ? Qu’attend-il d’un directeur ? Qu’est-ce qui lui a plu dans sa relation d’encadrement précédente ? Qu’aurait-il aimé améliorer dans cette expérience ? L’étudiant devrait également se questionner sur son style d’apprentissage. Quel type d’étudiant est-il ? Est-il indépendant ? À quelle fréquence souhaite-t-il rencontrer son directeur ? Est-il autonome ? A-t-il besoin de structure ? Ces questions permettront à l’étudiant de savoir quel style d’encadrement concorde le mieux avec sa personnalité (Prégent, 2001 ; Reis, 2000)7. Deuxièmement, le choix de la direction de recherche doit être fait en fonction du stade de développement de la carrière de l’étudiant, de ses objectifs professionnels et personnels. Jeunes et moins jeunes, les professeurs s’avèrent des directeurs potentiels intéressants pour différentes raisons. Il faut donc que l’étudiant se questionne. Qu’est-ce qui lui importe le plus : la disponibilité, l’expérience, l’enthousiasme ? Quelle(s) dimension(s) privilégie-t-il : scientifique, institutionnelle, relationnelle ? Quel est son plan de carrière ? A-t-il besoin d’un mentor expérimenté ou accepte-t-il de travailler avec quelqu’un qui est aussi en processus de développement professionnel ? À ce propos, l’un des prédicteurs de la capacité d’un directeur à encadrer un étudiant est de l’avoir déjà fait. En effet, les expériences personnelles antérieures ont un poids important dans le développement des compétences d’encadrement des professeurs. Mais, par ailleurs, un directeur qui débute est parfois plus impliqué, à cause justement de son « inexpérience ». Et il évoluera au fur et à mesure de son expérience. Troisièmement, il est important que l’étudiant se renseigne sur la personnalité de sa direction de recherche potentielle8. « La personnalité du directeur de recherche aura un retentissement profond sur votre travail : sa spécialité, l’orientation de sa réflexion, jusqu’à ses préférences politiques, tout cela peut 7. Voir les chapitres de Christelle Lison et Annick Bourget et d’Élias Rizkallah et Shirley Roy dans cet ouvrage. 8. Voir les chapitres d’Emmanuelle Bernheim et de Nanette Neuwahl dans cet ouvrage.

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énormément influencer votre [thèse] » (Greuter, 2013, s. p.). Pour vérifier les affinités existantes, l’étudiant peut discuter avec sa direction potentielle des éléments précédemment mentionnés. Afin de combler les éléments manquants, il peut également envisager avec lui la possibilité d’ajouter des membres à l’équipe de recherche (codirection ou comité d’encadrement). Un dernier élément important est certainement la compétence scientifique dans le domaine de recherche. Toutefois, Greuter (2013, s.  p.) croit qu’il faut choisir quelqu’un qui connaît le domaine « concerné, sans être pour autant le spécialiste incontesté de la question ; ainsi y aurait-il pour lui moins d’implication personnelle ». En effet, l’étudiant ne doit pas perdre de vue que sa direction de recherche est là pour lui permettre d’avancer dans sa recherche, et que c’est bien lui qui réalise son doctorat et non pas sa direction. *** La relation étudiant-direction est forcément asymétrique puisqu’elle met en présence des personnes aux statuts et aux pouvoirs inégaux. Mais cette relation sollicite toujours « l’idée d’un cheminement en commun (processus, développement séquentiel dans le temps) » (Paul, 2004, p. 50-51), avec les concessions que cela implique, d’autant plus que l’étudiant voit souvent avant tout le produit et le directeur, le processus. Certains étudiants se plaignent du peu d’encouragement, du manque d’intérêt vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur recherche, de l’absence d’aide de la part du directeur en cas de difficultés, du manque de possibilités de publier, du manque de disponibilité, etc. Un déséquilibre est en effet possible considérant le temps qu’un étudiant consacre a priori à sa thèse de doctorat et celui qu’un directeur accorde à l’encadrement par rapport à ses autres tâches. D’autres étudiants, par contre, ont la chance de voir leur parcours doctoral être un déclencheur de développement professionnel. Au regard des multiples difficultés tant universitaires que personnelles que les étudiants peuvent rencontrer au cours de leur cheminement, le choix de la direction de recherche prend tout son sens. Le fait d’en changer aussi, parce que l’étudiant et le directeur évoluent, ainsi que leurs besoins et leurs attentes. En tant que jeune professeure d’université, nous avons rencontré à plusieurs reprises des

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étudiants qui souhaitaient que nous les dirigions parce que quelqu’un leur avait dit que nous étions « une bonne directrice ». Cela nous déconcerte toujours… Certes, il n’existe pas de mariage parfait, mais il existe des alliances plus fructueuses que d’autres. Ce sont parfois des petits riens ou presque qui font la différence comme dans le cas de Tristan, Loïc, Quentin, Léa et Thaïs.

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chapitre 4 L’intégration dans un contexte universitaire étranger Nanette Neuwahl

Dans beaucoup de pays du monde, les universités s’internationalisent de plus en plus. Par exemple, le programme Erasmus permet aux étudiants européens de faire l’expérience d’une année de formation dans un autre pays d’Europe. La mobilité internationale des étudiants y est fréquente et plus ou moins institutionnalisée. Ailleurs dans le monde, l’internationalisation des universités augmente aussi, généralement avec l’ouverture des pays à la mondialisation. Les universités souhaitent participer à cette mouvance, car la diversité d’idées et de vues y est considérée en soi comme un vecteur de recherche et de développement de connaissances et de savoir-faire. Les déplacements internationaux de chercheurs, surtout aux cycles supérieurs, ne sont plus exceptionnels, même à l’échelle mondiale. Dans les pays de l’Occident, où la population est de plus en plus diversifiée, il peut être difficile de distinguer les étudiants étrangers. Pourtant, il importe de réfléchir aux défis qu'ils doivent relever, afin de trouver les réponses adaptées à leur situation et favoriser leur réussite. Les étudiants en déplacement international rencontrent souvent des problèmes d’ordre culturel, social ou pratique plus importants que les étudiants du pays d’accueil – qui peuvent eux aussi se trouver en situation de déplacement ou dans un contexte non familier.

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Ces constats justifient l’inclusion dans ce livre d’un chapitre dédié aux étudiants internationaux et aux défis particuliers rattachés à leur statut. Comme le suggère Pierre Noreau ailleurs dans cet ouvrage, le directeur de thèse peut aider le chercheur à surmonter certaines des difficultés auxquelles font face les étudiants en contexte de mobilité. Toutefois, pour mieux les aider, le directeur de thèse doit évidemment reconnaître les différents obstacles qui peuvent se présenter tout au long du cheminement de ces nouveaux étudiants. Dans un ouvrage intitulé Thesis and Dissertation Writing in a Second Language. A Handbook for Supervisors, Paltridge et Starfield1 offrent une multitude de conseils aux directeurs de thèse et de mémoire, proposent des stratégies pour favoriser l’inclusion des nouveaux venus et assurer leur succès, notamment en ce qui concerne les doctorants allophones. Pour ces derniers, la barrière linguistique peut être considérable. Il en est question plus spécifiquement dans un autre chapitre de ce livre2. Surviennent cependant d’autres difficultés que la langue. On aborde ici les ajustements de nature culturelle ou sociale. Le succès de l’étudiant étranger dépend aussi de sa capacité à développer, dès son arrivée, les rudiments d’une communication interculturelle. Cette situation exige de lui qu’il reconnaisse rapidement les caractéristiques générales du contexte où il doit s’intégrer, ainsi que les différences qui opposent les attentes mutuelles – des différences rarement verbalisées, qui peuvent engendrer un certain nombre d’asymétries. Aujourd’hui, les universités favorisent le développement d’une culture de recherche propice à l’accueil des étudiants étrangers, ce qui aide considérablement à surmonter les obstacles réels ou perçus. Toutefois, l’étudiant devra se rendre compte que son environnement d’accueil n’est pas nécessairement en mesure de combler tous ses besoins. Malgré la meilleure volonté du monde, il est difficile de prévoir tous les obstacles. Qui plus est, la question des responsabilités respectives du candidat et du personnel de l’université est rarement explicitée. Comment peut-on soutenir davantage l’étudiant étranger ? Certes, les difficultés et la perception des inconvénients varient d’un étudiant à l’autre et d’une université à l’autre. Il n’est certainement pas possible de trouver des 1. Brian Paltridge et Sue Starfield, Thesis and Dissertation Writing in a Second Language. A Handbook for Supervisors, Routledge, New York, 2007. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Nanette Neuwahl sur le défi d’écrire sa thèse dans une langue seconde.

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réponses adéquates et valides pour toutes les situations. Ce chapitre fait un tour d’horizon des considérations les plus immédiates favorisant un séjour agréable du chercheur et, le cas échéant, de sa famille, dans le nouvel environnement d’accueil. L’idée est non seulement d’alerter les professeurs au sujet des défis qui attendent les étudiants internationaux, mais aussi de soulever des aspects qui pourront faire l’objet d’interrogations de la part de ceux-ci auprès de leurs futures universités. Les relations avec l’enseignant

Un nouvel étudiant en déplacement international peut avoir accumulé un bagage culturel très différent des étudiants qui demeurent depuis longtemps dans le même pays, ce qui peut mener à des surprises dans un groupe ou dans le cadre des rapports interpersonnels. Au risque de consacrer des stéréotypes souvent exagérés, on peut tout de même rappeler la réalité de certains de ces aspects, qui, pour un étudiant international, peuvent avoir d’importantes conséquences. Tout d’abord, les rapports entre enseignant et étudiant peuvent varier selon les traditions. Généralement, dans la tradition universitaire occidentale, les rapports entre directeur et doctorant, bien qu’empreints de respect mutuel, sont souvent assez cordiaux. De plus, il n’est pas rare qu’un directeur de recherche tutoie son étudiant et le traite presque comme un confrère, surtout lorsqu’il s’agit d’un doctorant. Le processus qui mène à la thèse de doctorat vise en effet à élever le nouveau chercheur à un niveau d’autonomie qui fera de lui un universitaire à part entière ; une attitude condescendante n’est pas propice à la réalisation de cet objectif. Sur un autre plan, le doctorant est lui-même une précieuse source d’informations, d’innovation et d’échanges pour le directeur, qui profite à son tour de l’apport du doctorant pour élargir ses références intellectuelles. La soif de connaître et le plaisir de la discussion sont pour lui une raison supplémentaire de se montrer accueillant et cordial. Dans d’autres traditions, notamment sur le continent asiatique, où les rapports sociaux sont plus hiérarchisés, l’enseignant est pratiquement vénéré, de sorte qu’un rapport de quasi-égalité entre le maître et son disciple est inimaginable ; les rapports avec un directeur de thèse dans un pays occidental peuvent de ce fait sembler déstabilisants pour un étudiant d'origine asiatique. Ces rapports d’égalité sont plus facilement acceptés par des

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doctorants expérimentés, plus avancés en âge, ou qui bénéficient eux-mêmes du statut de professeur dans leur pays d’origine. Dans un contexte favorable à la mondialisation de la recherche, il faut rester attentif à ce genre de distinctions. Elles se traduisent parfois dans le comportement et l’attitude des étudiants et des professeurs. Un comportement inattendu peut ainsi conduire à une rupture de la communication. D’ailleurs, on ne communique pas que verbalement, et plusieurs réactions se passent de mot. Pour un étudiant allemand, par exemple, un silence dans une conversation avec son directeur peut être une invitation à un nouvel échange ; pour un étudiant chinois, cela peut au contraire être le signe que la leçon est terminée, de sorte que la situation laisse l’étudiant et le directeur sur leur faim. Cet aspect n’est pas simplement une question de savoir-vivre ; il peut également avoir un effet sur le contenu et sur l’évaluation du travail. En général, selon la tradition d’éducation qui prévaut sur le continent asiatique, il n’est pas habituel pour les étudiants de remettre en question le contenu des enseignements proposés par leurs professeurs. La tradition universitaire occidentale favorise à l’inverse le développement et l’expression du sens critique, même envers les enseignants. Cette capacité critique est placée à un très haut niveau dans l’ordre des apprentissages, elle est considérée comme un signe d’autonomie intellectuelle et l’expression d’une pensée indépendante. Dans d’autres traditions, on considère comme une exigence élémentaire qu’une thèse trouve appui sur l’œuvre du directeur de recherche, alors que la majorité des professeurs occidentaux accordent assez peu d’importance à l’idée que leurs propres travaux soient cités ou non dans la thèse de leur étudiant. Les rapports entre les hommes et les femmes peuvent également jouer un rôle dans l’équilibre des relations entre étudiant et professeur. Lorsqu’une femme nord-américaine dirige la recherche d’un étudiant africain, elle devra être sensible au fait que celui-ci ne sera pas toujours disposé à lui confier spontanément certains problèmes auxquels il fait face. Du moins la relation de confiance mutuelle sur laquelle est généralement fondée une interaction constructive entre professeur et étudiant peut-elle alors se heurter à des limites qui ne pourront être dépassées que dans la foulée des rapports de longue durée. Bref, il convient de rester sensible aux composantes culturelles susceptibles d’influencer les rapports entre directeur et étudiant, ainsi qu’à leur effet sur le succès de leur collaboration, sans même que ces situations dépendent de la

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volonté des personnes concernées. Ces considérations s’ajoutent souvent à d’autres, tout aussi importantes pour l’apprenti chercheur, par exemple la détermination du rythme des rencontres de supervision. Est-il décidé par le candidat ou le directeur ? Nous y reviendrons un peu plus loin. La situation personnelle du doctorant

Les situations ainsi que les parcours des chercheurs et des étudiants étrangers sont extrêmement variés. Ils diffèrent surtout par l’expérience universitaire et par des circonstances personnelles et sociales souvent impossibles à comparer. Ainsi, le doctorant étranger arrive parfois seul, ou au contraire accompagné de sa famille, dans un contexte qui diffère considérablement de son pays d’origine, ce qui ajoute des défis et des complications qui peuvent le rendre plus vulnérable que les candidats qui n’ont pas à vivre en contexte étranger. Des problèmes d’adaptation et de compatibilité peuvent surgir : la solitude, l’exclusion et l’incertitude sont souvent le lot des étudiants étrangers3. La conciliation études-famille4 peut présenter des difficultés beaucoup plus importantes pour ces candidats que pour ceux qui restent au pays. Elle met parfois en péril le succès de leur projet, notamment s’il s’agit d’un travail intellectuel de longue haleine, comme c’est le cas au niveau doctoral. Le directeur de thèse n’est pas nécessairement au courant de la situation personnelle de ses étudiants internationaux, et il ne se sent pas toujours tenu de détecter ces difficultés, encore moins de les aider à les surmonter. Même si les universités permettent la direction de thèse à distance, une fois la scolarité terminée et l’examen de synthèse réussi, l’éloignement du candidat apporte inévitablement ses propres complications, y compris celles de l’accès aux ressources et au soutien continu qu’on attend généralement d’un directeur de thèse. Plus l’université a l’habitude d’accueillir des étudiants internationaux, plus le candidat sera en mesure de trouver un soutien, sous une forme ou une autre, au sein de l’institution. Ainsi, la majorité des universités québécoises ont un Bureau de services aux étudiants ou un Bureau des étudiants étrangers,

3. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina. 4. Voir dans cet ouvrage les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay.

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qui peut faciliter leur intégration5. Cela étant, il faut reconnaître que l’université ne constitue pas pour autant une agence d’assistance sociale. Compte tenu de ces considérations, il est important que l’étudiant qui se déplace dans un autre pays s’informe, auprès de l’institution où il s’inscrit, des services offerts aux étudiants étrangers, sans trop préjuger de la disponibilité des bourses d’études, des charges d’enseignement rémunérées qu’il pourrait donner, des ressources en recherche, etc. Il en va de même de l’aide à l’installation, comme le soutien à l’obtention d’un visa ou d’un logement pour le candidat et sa famille. Dans la même veine, il peut être tout à fait indiqué de s’informer de l’existence d’associations vouées au soutien des étudiants étrangers ou même de communautés d’étudiants issus du même pays ou de la même région. C’est très souvent par cet intermédiaire que l’intégration à une nouvelle société d’accueil sera facilitée. Une grande part des renseignements utiles à l’intégration des étudiants étrangers restent implicites et se transmettent de bouche à oreille. Parler avec d’autres étudiants étrangers reste une importante source d’information. Des attentes implicites souvent déçues

Chez les doctorants étrangers, diverses attentes peuvent naître à l’égard de la direction de thèse6. Celles-ci portent tantôt sur le rôle du directeur, tantôt sur celui de l’étudiant. Elles visent notamment l’initiative et la décision tout au long du déroulement de la recherche et de la rédaction. En cas de doute, le directeur et l’étudiant devraient discuter de leurs attentes mutuelles. Dans l’exemple de questionnaire qui suit (tableau 4.1), le directeur et le candidat expriment leurs attentes en répondant aux mêmes questions, en fonction d’une échelle graduée de 1 à 5, où le chiffre 1 exprime une attente vis-à-vis du directeur et 5, vis-à-vis du candidat au doctorat. Ils peuvent par la suite comparer leurs réponses et en discuter. Un questionnaire de ce type, dûment complété, peut servir de base à une discussion entre le directeur et le candidat lors d’une de leurs premières 5. Pour ne donner que trois exemples, on consultera les sites de l’Université de Montréal : www.bei.umontreal.ca, de l’Université Laval www2.ulaval.ca/futurs-etudiants ou de l’Université du Québec à Trois-Rivières : https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/gscw031? owa_no_site=1337. 6. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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L'échelle de la perception Sujet/ domaine d’études C’est la responsabilité du directeur de thèse de choisir un thème prometteur.

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C’est la responsabilité de l’étudiant de choisir un thème prometteur.

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L’étudiant a le droit de choisir une perspective théorique qui entre en conflit avec celle du directeur de thèse.

Le directeur de thèse devrait guider l’étudiant dans l’élaboration d’un horaire et d’un programme de recherche.

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L’étudiant doit être capable d’établir un horaire et un programme de recherche en fonction de ses besoins.

Le directeur de thèse doit s’assurer que l’étudiant a accès aux moyens, aux matériaux et au soutien nécessaires pour compléter sa recherche.

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L’étudiant doit trouver les moyens, les matériaux et le soutien nécessaires pour compléter sa recherche.

En fait, la perspective théorique choisie dépend du directeur de thèse.

Contact/ implication Le rapport entre l’étudiant et son directeur doit être strictement professionnel et des relations personnelles ne peuvent pas se développer.

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Des relations personnelles étroites sont indispensables pour une bonne supervision.

C’est le directeur qui doit prendre l’initiative pour fixer une rencontre.

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C’est à l’étudiant d’initier les rencontres avec son directeur.

Le directeur doit fréquemment vérifier si l’étudiant prend du retard et s’il travaille tout le temps.

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L’étudiant doit trouver sa façon de faire sans avoir à rendre des comptes quant à l’emploi de son temps.

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Un directeur doit soutenir son étudiant indépendamment de son opinion sur les aptitudes de ce dernier.

Le directeur doit interrompre le projet de thèse s’il pense que l'étudiant n'est pas en mesure de le mener à bien

La thèse/ le mémoire Le directeur doit garantir que la thèse est finie à temps.

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À condition qu’il travaille régulièrement, l’étudiant peut prendre tout le temps qu’il lui faut pour finir le travail.

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58 •  l a t h è se : u n gu i de p ou r y e nt r e r… et s’e n s orti r Le directeur a une responsabilité immédiate au regard de la méthodologie employée et du contenu de la thèse.

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Un étudiant est entièrement responsable de s’assurer que la méthodologie et le contenu de la thèse sont conformes aux exigences de la discipline.

Le directeur doit aider l’étudiant dans la rédaction si ce dernier a des difficultés, et doit faire en sorte que la présentation soit parfaite.

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L’étudiant a la pleine responsabilité de la présentation de la thèse, y compris en ce qui concerne la grammaire et l’orthographe.

Le directeur doit régulièrement demander à l’étudiant de lui soumettre des ébauches de chaque partie de sa thèse ou de son mémoire pour les commenter.

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C’est toujours l’étudiant qui demande des commentaires de son directeur.

Source : D’après tableau The perception scale de Brian Paltridge et Sue Starfield, Thesis and Dissertation Writing in a Second Language, A Handbook for Supervisors. New York, Routledge, 2007, p. 38. (Traduction libre de l’auteur.)

recontres. Si un tel questionnaire n’est pas fourni par l’université, par le directeur ou par son département, le candidat pourra au moins s’inspirer de ce modèle pour poser des questions à son directeur. Il peut être particulièrement utile pour les étudiants qui viennent de l’étranger. La préparation aux examens et la contestation des notes

À l’étranger, on constate vite combien les cultures de communication peuvent différer selon les traditions universitaires. Par exemple, les Britanniques encouragent la création de petits groupes de tutorat. En France, du moins dans la plupart des universités, plus le groupe est large, moins la situation particulière de chaque étudiant peut être prise en compte. Néanmoins, les outils numériques, et particulièrement Internet, aideront le doctorant à trouver des réponses à plusieurs questions, notamment en ce qui a trait aux exigences spécifiques des professeurs, de la faculté et de l’université par rapport à l’évaluation de ses progrès. Bien qu’en principe les mêmes règles s’appliquent à tous, il est utile de dire un mot sur l’effet déstabilisant de certains modes d’évaluation inhabituels pour l’étudiant. Ainsi, l’échelle servant à l’évaluation des travaux ou des examens

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et la répartition des notes sur cette échelle peuvent varier considérablement d’une tradition à l’autre, de même que la transparence des évaluations, la nature et la quantité de commentaires fournis par l’évaluateur. Les procédures d’appel contre une évaluation décevante varient également d’un système à l’autre et parfois d’une institution à l’autre. Certaines facultés exigent systématiquement la double évaluation de tous les examens, d’autres permettent seulement une procédure d’appel en cas d’erreurs manifestes dans l’appréciation faite des travaux ou des examens par le professeur. En principe, toutes ces procédures se valent, et elles comportent toutes des avantages et des inconvénients. On fera bien, cependant, de s’informer des pratiques en vigueur dans chaque environnement universitaire, surtout si on étudie dans un nouveau pays. Les bourses d’études et le travail universitaire

Beaucoup d’étudiants étrangers veulent savoir s’ils peuvent proposer leur candidature pour l’obtention de bourses d’études, au même titre que les citoyens du pays d’accueil7. Ces bourses touchent, selon le cas, l’exonération des frais de scolarité, le financement de leurs études ou la réalisation de leur recherche sur le terrain. En l’absence de bourse, la majorité des étudiants ont avantage à s’informer de leur droit de travailler en tant qu’assistant de recherche ou d’enseignement, auprès de la direction de leur unité académique de rattachement, département ou faculté selon le cas. Il n’y pas de règle uniforme à ce sujet. Chaque juridiction établit ses propres normes en la matière. En Europe par exemple, pour certaines bourses, une règle interdit toute forme de discrimination fondée sur l’origine nationale des étudiants européens. Au Canada, à quelques exceptions près, les bourses du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada ne sont offertes qu’aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents. Au Québec, les bourses du Fonds de recherche Québec, Société et culture (FRQSC), sont généralement destinées aux résidents québécois. Tout étudiant québécois qui envisage d’entreprendre des études à l’étranger devrait supposer que des règles équivalentes existent dans d’autres pays. Par conséquent, le doctorant est plus susceptible de recevoir une bourse de son propre pays que de son pays d’accueil. 7. Voir plus généralement dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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Cela étant, il se peut que des bourses particulières soient offertes, par un professeur disposant de fonds de recherche importants ou de « fonds de tiroir », ou encore venant d’un programme de bourses destiné aux étudiants œuvrant dans son domaine de recherche, sans considération pour la nationalité des candidats. C’est également le cas de certaines bourses offertes par les facultés chargées des études supérieures et postdoctorales de certaines universités. Le nombre de ces bourses est généralement limité et, dans la mesure du possible, leur attribution ne doit pas interférer avec les conditions de la présence de l’étudiant au pays. Il faut également éviter qu’une bourse vienne compromettre la conduite de sa propre recherche ou la poursuite de son parcours universitaire. Le cumul de plusieurs bourses différentes pourrait ainsi devenir problématique. L’attribution d’une bourse peut en effet être assujettie à l’exécution d’un certain nombre de tâches ou de prestations, qui peuvent nuire à la conclusion de la thèse en raison du temps qu’elles exigent. Sur un autre plan, l’acceptation d’une bourse peut être conditionnelle à l’obligation de se consacrer entièrement à la rédaction de la thèse, et par conséquent, de n'occuper aucun emploi rémunéré pendant la période où elle est accordée. Si on est titulaire d’un visa étudiant, on peut aussi envisager de travailler à temps partiel au sein de l’institution universitaire, lorsque le statut sur le territoire l’autorise (visa étudiant ou résidence permanente)8. Travailler hors campus

La possibilité pour un étudiant étranger de trouver un emploi en dehors de l’environnement universitaire est habituellement très limitée pour des questions de visa. Un visa étudiant ne permet généralement pas de trouver un véritable emploi hors de l’université. Au Canada, on peut à certaines conditions obtenir un permis de travail pour étudiant. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les juridictions. Dans la plupart des pays, si on veut interrompre ses études pour gagner de l’argent légalement, il faut changer la nature de son visa et demander un visa de travail. Les démarches sont spécifiques et compliquées, puisque le pays d’accueil a déjà accordé au candidat un visa étudiant, selon les règles qui régissent son système d’immigration. Il est plus facile de changer de statut après les études qu’en cours de rédaction. 8. Voir : www.cic.gc.ca/francais/etudier/travailler.asp.

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Travailler sans autorisation, ou illégalement, est tout à fait déconseillé aux détenteurs d’un visa étudiant ou aux membres de leur famille. Ils risquent l’expulsion. Par ailleurs, les travailleurs illégaux sont généralement vulnérables et susceptibles d’être exploités par des employeurs peu scrupuleux qui profitent de la situation. Les accommodements raisonnables

Pour quiconque vient de l’étranger, les lois, les règlements et les coutumes du pays d’accueil peuvent être déconcertants, voire incompréhensibles. Non seulement ces référents diffèrent d’un pays à l’autre, mais plusieurs restent implicites et ne peuvent être saisis qu’après plusieurs années. Ces réalités anthropologiques et sociologiques ne sont pas insurmontables et ne remettent pas en cause la place de la diversité des modes de vie. Le respect des coutumes religieuses et culturelles des minorités est en effet au fondement de la démocratie contemporaine. En phase avec la diversité d’origine des étudiants et la mobilité des idées et des populations, l’université doit montrer une certaine capacité d’adaptation. Ainsi, on tient de plus en plus compte des contraintes religieuses dans l’organisation des examens ou dans le port de signes religieux. Par exemple, voici un extrait des lignes directrices sur les accommodements religieux adoptées par l’Université d’Ottawa9 : 1. L’Université d’Ottawa valorise la diversité de sa communauté et souhaite régulariser ses pratiques en ce qui concerne l’accommodement des observances religieuses des étudiants. Afin de faciliter le traitement des demandes pour l’accom­­­modement des observances religieuses, le Service du registraire informe les doyens chaque année au mois de mars, des dates des fêtes religieuses les plus souvent citées pour l’année scolaire suivante. 2. En vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, toute personne a droit à un traitement égal en matière de services sans discrimination en raison de la croyance. La Commission ontarienne des droits de la personne entend par croyance une « croyance religieuse » ou une « religion », ce qui est défini par un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et 9. Université d’Ottawa, Lignes directrices sur les accommodements scolaires pour les observances religieuses des étudiants. Voir : www.uottawa.ca/enbref/15-accommodements-religieux.

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des pratiques, pourvu que ces convictions et que ces pratiques soient entretenues et observées de façon sincère. Le terme croyance ne comprend pas les convictions profanes, morales, éthiques ou politiques. 3. Ces lignes directrices décrivent un processus pour traiter les observances religieuses qui entrent en conflit avec les exigences scolaires mises à l’horaire d’un étudiant. Elles visent à répondre aux besoins des étudiants en ce qui concerne leurs observances religieuses tout en s’assurant que l’accommodement ne compromet pas l’intégrité du cours ou du programme d’étudess. Il est à noter que le terme « accommodement raisonnable » utilisé dans ces lignes directrices dépend des faits et des circonstances de chaque cas. 

Ainsi, même s’il est presque inévitable que des cours ou des examens soient, de temps à autre, organisés dans des périodes qui ne conviennent pas à tout le monde, il est souvent possible de demander une reprise en suivant une procédure établie. Le port de signes religieux, tel le voile islamique, est souvent toléré, du moins au Québec. Cela dit, le principe des « accommodements raisonnables » connaît des limites, notamment si ces derniers constituent une infraction aux lois, une menace pour la santé ou pour l’ordre public, mais également si les contraintes associées à ces accommodements imposent des exigences excessives, soit parce qu’elles supposent une dépense exagérée, qu’elles contraignent de façon démesurée le fonctionnement de l’institution ou portent atteinte à la sécurité d’autrui10. Ainsi, la participation à certaines activités sportives ou le travail en laboratoire peut exiger le port de vêtements adaptés et exclure, par exemple, le port du voile ou du turban. Comme toutes les situations ne peuvent pas être réglementées à l’avance, il est inévitable que des questions jusque-là non envisagées se posent de temps à autre. Dans tous les cas, une bonne communication est importante pour permettre l’intégration d’un étudiant dans son nouvel environnement. Par exemple, le maintien des conditions d’attribution d’un visa fait partie des exigences rattachées au respect de l’ordre public, selon la définition qu’en font les autorités du pays d’accueil. Lorsqu’un étudiant ne fréquente plus l’université dans laquelle il est inscrit, il risque l’expulsion du pays dès que les autorités 10. Consulter notamment à ce propos le site de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : www.cdpdj.qc.ca/fr/droits-de-la-personne/responsabilitesemployeurs/Pages/accommodement.aspx.

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en sont informées, et l’université peut être tenue de signaler cette absence régulière aux autorités. Pour éviter les complications, on comprend qu’il faut toujours informer sa faculté ou son unité de recherche de ses déplacements et des raisons d’une éventuelle absence. *** Heureusement, l’étudiant étranger n’est pas par définition condamné à la marginalité ou à l’isolement. Dans la plupart des grandes universités, il existe des associations pour les étudiants internationaux. Leurs activités permettent à ces étudiants de se réunir pour partager leurs expériences et leurs informations, participer à des activités académiques, culturelles ou sportives, et prendre part à l’organisation d’initiatives destinées à l’accueil d’autres étudiants étrangers. Se joindre à un centre de recherche établi favorise également les interactions entre étudiants et professeurs, tant sur le plan des études que sur le plan personnel. Se sentir entouré de personnes partageant les mêmes intérêts fait partie intégrante des joies de l’expérience universitaire. Pour conclure, il faut mentionner que le séjour à l’étranger peut être plus difficilement vécu par la famille que par celui qui poursuit des études doctorales ou postdoctorales. Ce projet doit donc faire l’objet d’une réflexion commune, bien avant le départ. Il faut notamment réfléchir à l’intérêt d’établir toute la famille dans un nouveau pays durant la période de la recherche et se demander s’il ne convient pas mieux d’envisager sa venue après l’obtention du diplôme. Si la famille du doctorant vient vivre avec lui dans un nouveau pays d’accueil, le défi de l’intégration peut présenter d’importantes difficultés, et les autres membres de cette famille peuvent se sentir plus isolés et plus marginalisés que lui. Si le candidat au doctorat ne peut disposer d’un travail rémunéré, notamment en raison de son visa étudiant, la situation financière et matérielle de la famille peut se trouver compromise. Ne bénéficiant pas d’un espace d’intégration aussi stimulant que lui à l’université, les membres de sa famille seront portés à cultiver les liens qui se tisseront en fonction de la vie scolaire et des réseaux familiaux ou communautaires. Il est possible que le candidat au doctorat trouve difficile de répondre à toutes les attentes, c’est-àdire de concilier la vie familiale avec les exigences d’une participation active à la vie universitaire. Par contre, si la famille décide de ne pas s’installer avec

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le doctorant et de rester au pays, il faudra prévoir des déplacements plus fréquents et coûteux pour éviter les difficultés d’une séparation familiale prolongée. Cette situation contribuerait inévitablement au sentiment de solitude du doctorant. Il faut donc réfléchir très attentivement à tous ces éléments avant de se lancer dans cette grande aventure qu’est de s’intégrer dans une nouvelle communauté universitaire. Cela étant, il ne faut jamais oublier que d’autres étudiants l’ont déjà fait et qu’ils sont généralement en mesure de donner des conseils sur les problèmes et les solutions possibles.

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chapitre 5 De la pratique professionnelle à la thèse : retour réflexif sur un parcours de recherche Dalia Gesualdi-Fecteau

La volonté de commencer un doctorat peut s’expliquer par différentes raisons. Cette motivation peut découler du souhait d’approfondir ses connaissances à l’égard d’un champ d’études ; l’objet de recherche se précisera alors généralement en début de cursus. D’autres, impliqués dans la pratique professionnelle, entameront leur doctorat en ayant en tête un questionnement bien spécifique et relativement prédéfini. La thèse constituera alors une occasion de faire un trait d’union entre deux univers, soit celui, plus connu, de la pratique et celui, plus étranger, de la recherche scientifique. Tel fut mon cas. Au moment d’entreprendre mes études doctorales, j’étais avocate au sein d’un organisme administratif chargé de la mise en œuvre et de la surveillance des normes minimales d’emploi au Québec. À ce titre, je devais représenter des salariés non syndiqués devant diverses instances juridictionnelles, des tribunaux de première instance jusqu’à la Cour suprême du Canada. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai dû intervenir auprès de travailleurs migrants. J’ai constaté que malgré une littérature qui décriait unanimement les conditions de travail de cette main-d’œuvre, très peu d’entre eux se plaignaient formellement de violations de leurs droits au travail. Une question en était donc venue à me tarauder : si ces travailleurs avaient si peu recours

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aux protections conférées par le droit du travail, pouvait-on considérer que cet ensemble normatif constituait, pour cette main-d’œuvre, un rempart utile ? C’est donc en tant que praticienne préoccupée par l’enjeu de l’accès effectif aux bénéfices du droit du travail que j’ai décidé d’entreprendre un doctorat en droit. Pour entrer de plain-pied dans l’univers de la recherche scientifique, je devais transformer une préoccupation professionnelle en objet de recherche1 ; il me fallait également choisir un ancrage théorique et une posture méthodologique. Or, pour les praticiens, cette voie de passage que représente la thèse est parfois agitée ; naviguer sur celle-ci exige un travail constant de réflexivité et d’ajustement. Si le doctorat est susceptible d’agir comme médiateur identitaire, il importe que les praticiens soient également conscients des avantages et des inconvénients liés à leur position. De la pratique professionnelle à la recherche scientifique : le doctorat comme médiateur identitaire

Le praticien, la praticienne, peut se définir comme une « personne qui connaît et exerce la pratique d’un art, d’une technique, qui connaît la pratique et la procédure2 ». On peut définir la « pratique » comme l’usage de règles, de méthodes ou de procédures dans le but de résoudre un problème3. Cela dit, les praticiens ne forment pas un groupe homogène : on les retrouve au sein des différentes sous-disciplines des sciences sociales ainsi qu’en sciences naturelles et dans le domaine des arts4. Ces personnes partageront toutefois généralement comme point commun d’aborder la recherche scientifique avec l’empreinte de leur vécu expérientiel. Les praticiens qui s’engagent dans un cursus doctoral vont ainsi se retrouver aux confins de deux habitus. Le doctorat sera l’occasion pour les praticiens intéressés par la recherche scientifique de se familiariser avec d’autres outils et 1. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Carmella Cucuzzella et Sophie Couture. 2. Centre national des ressources textuelles et lexicales. Récupéré de www.cnrtl.fr/lexicographie/praticien. 3. Claude G. Thomasset, « Pratique du droit », dans A. J. Arnaud et al. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 468. 4. Sur la thèse-création, voir le chapitre de Marie-Hélène Breault dans cet ouvrage.

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d’autres cadres référentiels que ceux avec lesquels ils ont l’habitude de composer. À cet égard, l’acquisition de connaissances théoriques et méthodologiques facilitera la prise d’une certaine distance avec l’univers de référence. Les praticiens devront alors accepter de changer de « disposition ». Ces derniers connaissent par la pratique et peuvent ne pas « savoir saisir ce savoir de manière abstraite5 ». Afin de situer leur objet dans un champ d’études, ils devront choisir une posture théorique. Cette étape revêt une importance capitale car les repères théoriques mobilisés agiront comme un « liant » entre la question de départ, les hypothèses qui en découlent et le cadre méthodologique préconisé. On doit ainsi envisager la posture théorique comme « une carte provisoire du territoire6 » composée, d’une part, de connaissances générales sur le phénomène que l’on s’apprête à étudier et, d’autre part, de repères interprétatifs qui guideront l’analyse des données. Au début de leur parcours doctoral, les praticiens peuvent être intimidés par l’océan de concepts et de notions avec lesquels ils doivent jongler et qui s’éloignent considérablement de leur univers de référence premier. Le sentiment d’imposture n’est jamais bien loin et il est impératif de le surmonter. Pour ce faire, on établira avec soin un programme de lecture structurant. La participation à des cercles de lecture et à diverses activités d’intégration à la recherche saura contribuer à une meilleure maîtrise des outils conceptuels. Les praticiens doivent également accepter d’établir une distinction entre leur « terrain professionnel » et leur « champ d’études ». Or, passer de son « terrain professionnel » à un champ d’études exige un acte d’objectivation et de distanciation7. Pour ce faire, il faut d’abord prendre soin d’éviter d’appréhender le projet de recherche scientifique dans une perspective strictement utilitariste ; l’objectif d’une thèse de doctorat ne devrait pas être de résoudre un problème professionnel précis. Les praticiens devront élaborer leur posture épistémologique de façon plus holistique en conciliant « l’action de compréhension et

5. Jean-Pierre Herniaux, « Action, construction du savoir et formation », dans Expérience et formation : question de formation, Namur, Érasme, 1997, p. 102. 6. Pierre Paillé et Alex Mucchielli, Analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 2003, p. 44. 7. C’est ce que plaide Luc Albarello, Devenir praticien-chercheur : comment réconcilier la recherche et la pratique sociale, Bruxelles, De Boeck, 2004, p. 42.

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l’action de transformation du monde8 ». La directrice ou le directeur de thèse sera, à cet égard, un allié indispensable qui devra parfois signaler à l’étudiante que le « jupon dépasse ». Les praticiens doivent également comprendre que la recherche scientifique suppose de questionner et de remettre en cause les schémas d’action et les pratiques développés par les acteurs au cœur de leur recherche ; une telle remise en cause peut parfois même concerner leurs propres référents ou réflexes professionnels9. Cette étape de distanciation peut s’avérer particulièrement difficile lorsque la recherche se déroule dans le milieu de travail même de l’étudiant et que ces « acteurs » sont ses collègues ou de proches collaborateurs avec lesquels il transige sur une base régulière. Si les praticiens qui s’engagent dans la voie de la recherche scientifique doivent accepter de composer avec les usages d’un nouvel univers, il n’est toutefois pas nécessaire ni même souhaitable qu’ils se dépouillent de leur « identité expérientielle ». Selon Ruth Canter Kohn, les praticiens qui s’insèrent dans l’univers de la recherche scientifique peuvent valablement adopter trois stratégies : ils peuvent compartimenter leurs identités, osciller entre celles-ci ou veiller à une gestion dialogique de ces identités, en assumant la coexistence de ces deux positions10. Bien que l’idéal soit de tendre vers une « hiérarchie enchevêtrée » mais harmonieuse des identités, l’auteure rappelle qu’il est bien probable que les praticiens passent d’une stratégie à l’autre et ce, en fonction du stade de la recherche. En définitive, la recherche scientifique et la pratique ne constituent pas des univers contradictoires ou dichotomiques. La « simultanéité des positions » n’implique pas nécessairement la confusion ; le défi consiste à créer « un équilibrage dialectique » où « se mêlent et s’articulent internalisme et externalisme11. » La thèse constitue donc une sorte de rite de passage au cours duquel les praticiens prennent graduellement leurs distances par rapport à leur groupe 8. Bernard Wentzel, « Praticien-chercheur et visée compréhensive. Éléments de discussion autour de la connaissance ordinaire », Recherches qualitatives, 47, 2011, p. 48. 9. Voir le chapitre de Pierre Noreau dans cet ouvrage. 10. Ruth Canter Kohn, « Les positions enchevêtrées du praticien-qui-devient-chercheur », dans Marie-Pierre Mackiewicz (dir.), Praticien et chercheur. Parcours dans le champ du social, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 34. 11. Albarello, supra note 7, p. 29.

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d’origine12. Ce sera aussi grâce au processus de la thèse que ces doctorants se revendiqueront graduellement « [d’]une nouvelle identité constituée de l’inter­ action entre ses deux mondes13 ». Mais si le doctorat peut effectivement constituer un puissant médiateur identitaire, il est indispensable que les praticiens prennent acte des avantages et inconvénients qui sous-tendent leur position. Pratique professionnelle et recherche scientifique : avantages et obstacles d’un dialogue

Les praticiens qui commencent un programme doctoral choisissent donc de pénétrer un nouvel univers. Une transition s’opère : ils ne sont plus seulement des praticiens, mais ils ne sont pas non plus des chercheurs à part entière. Or, cette « position » pour le moins singulière peut comporter certains avantages et inconvénients qu’il convient d’envisager. Le processus de superposition des univers : les atouts d’une expérience pratique

L’univers « pratique » peut s’avérer très opaque pour quiconque y est extérieur. Les doctorants qui ont une expérience pratique préalable peuvent avoir acquis une fine compréhension des structures organisationnelles des acteurs auxquels ils s’intéresseront. L’expérience pratique peut également faciliter la compréhension du vocabulaire technique et autoréférentiel employé par les professionnels, ce qui permettra de réaliser d’appréciables économies de temps. Superposer l’univers pratique à l’univers scientifique aidera également les doctorants « à voir l’invisible14 ». Certains schémas d’action, apparemment sans importance, peuvent être constitutifs d’anomalies signifiantes dans un contexte de recherche. Les doctorants disposant d’une expérience pratique 12. Cette idée est empruntée à Françoise Clerc et Serge Tomamichel, « Quand les praticiens deviennent chercheurs », Recherches & Éducations, no 8, 2004. Récupéré de http://rechercheseducations.revues.org. 13. Catherine Lavergne, « La posture du praticien-chercheur : une analyse de l’évolution de la recherche qualitative » dans Actes du colloque Bilan et prospectives de la recherche qualitative Recherches qualitatives, no 28, 2007, p. 29. 14. Claire St-Martin et al., « La réflexivité chez le doctorant-praticien-chercheur. Une situation de liminalité », Interrogations, no 19, 2014. Récupéré de www.revue-interrogations.org.

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préalable seront en mesure de leur accorder une plus juste importance et de les situer adéquatement. Il arrive que le projet de recherche doctoral soit encouragé par l’institution à laquelle les praticiens sont professionnellement rattachés. C’est là un atout indéniable qui permettra aux doctorants d’accéder à leur terrain de recherche avec plus de facilité et d’obtenir peut-être plus aisément des ententes de collaboration. La connaissance préalable du « terrain » de la recherche et des personnes qui y collaboreront, directement ou de façon incidente, favorisera également l’établissement d’un lien de confiance avec celles-ci. Cet accès privilégié pourra se révéler fort efficace lorsque les doctorants devront obtenir, au cours de la collecte de données, des précisions quant à certaines pratiques, institutionnelles ou individuelles, mises en avant par l’acteur ou ses agents. Un tel contexte évitera également que l’étudiant s’engage dans une voie sans issue ou sans intérêt. Le processus de conciliation des deux univers : l’importance d’aborder certains enjeux

La question de l’aménagement des temps sociaux (personnel, professionnel et scolaire) devrait être envisagée et ce, au tout début du cursus doctoral. En effet, sur le plan pratique, se posent souvent des enjeux de conciliation travailétudes, et plus généralement de travail-études-vie personnelle. Chercher à concilier ses occupations professionnelles et des études doctorales peut s’avérer un sérieux casse-tête. Lorsque l’emploi occupé exige des déplacements ou requiert que l’on s’ajuste à un horaire variable ou imprévisible, il faut absolument négocier des aménagements de la tâche de travail avec l’employeur. Dans les faits, l’étudiant devra non seulement participer à ses cours, mais aussi disposer d’assez de temps pour faire ses lectures et ses travaux. S’il est envisageable de terminer la scolarité doctorale tout en occupant un emploi à temps plein, la collecte de données, l’analyse et la rédaction exigeront une interruption momentanée des activités professionnelles. Sur le plan scientifique, les praticiens peuvent rencontrer d’autres formes de contraintes étroitement liées à leur rapport à l’objet de recherche. Si, comme on l’a mentionné, la connaissance préalable du « terrain » sur lequel se déploiera la recherche peut constituer un atout, les doctorants qui disposent d’une

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connaissance du milieu de la recherche devront procéder, à chaque étape de la recherche, à un audit de leur subjectivité. Comme le souligne très justement Alain Rabatel, « mieux vaut se connaître, non seulement pour éviter les dénis – l’illusion naïve de la liberté, de l’indépendance et de l’objectivité –, mais surtout pour pouvoir se méfier de soi15 ». Sans toutefois nier l’incidence de cette pratique préalable sur leur choix d’objet de recherche, les doctorants doivent faire montre d’une grande vigilance, que ce soit lors de l’élaboration de la problématique de recherche, à l’occasion de la collecte de données ou lors de l’analyse et de la présentation des résultats. Cette exigence impose que les a priori engendrés par la pratique professionnelle soient systématiquement remis en question. Or ce que « l’éthique » de la recherche exige n’est pas de connaître le degré « d’implication » par rapport à l’objet, mais plutôt d’apprécier l’importance de cette implication dans « [ses] appartenances, références et non-références, [ses] participations et non-participations, [ses] surmotivations et démotivations, etc.16 ». La connaissance relativement intime de l’objet de recherche imposera qu’on mobilise des stratégies de recherche adaptées à cette réalité17. Si le recours à la triangulation permet aux chercheurs d’objectiver leurs propres interprétations, il permet également d’enrichir l’analyse par la confrontation des résultats obtenus de différentes sources18. On peut envisager plusieurs techniques de triangulation : la triangulation des données, du chercheur, théorique et méthodologique 19. Deux types de triangulation nous semblent toutefois particulièrement appropriés pour les doctorants qui disposent d’une expérience pratique préalable. Il s’agit de la 15. Alain Rabatel, « L’engagement du chercheur, entre éthique d’objectivité et éthique de subjectivité », Argumentation et analyse de discours 1, 11, 2003, p. 3. 16. René Lourau, « Implication et surimplication », La Revue du MAUSS, no 10, 1990, p. 112. Cité par Claire St-Martin et al., « La réflexivité chez le doctorant-praticien-chercheur : une situation de liminalité », Interrogations 1, 19. Récupéré de www.revue-interrogations.org. 17. Sur la question du travail de réflexivité du chercheur, voir Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité. Cours au Collège de France 2000-2001, Paris, Raisons d’agir, 2001. 18. Lorraine Savoie-Zajc, « L’entrevue semi-dirigée », dans Benoît Gauthier (dir.), Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2009, p. 358. 19. Voir Norman K. Denzin, « Triangulation », dans John P. Keeves (dir.), Educational Research Methodology and Measurement : an International Handbook, Toronto, Pergammon Press, 1988, p. 511.

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triangulation des données et de la triangulation méthodologique. La triangulation des données vise à inclure différentes sous-dimensions à l’analyse, comme le temps, l’espace et les individus. Ainsi, lorsque ces trois sous-dimensions sont combinées, cette stratégie de recherche assure une meilleure prise en compte du caractère évolutif du phénomène étudié (triangulation temporelle), permet de diversifier les milieux et les contextes (triangulation spatiale), et tend vers une combinaison des niveaux d’analyse, soit l’individuel, l’interactif et le collectif (triangulation par combinaisons de niveaux)20. En somme, grâce à l’élargissement des sources de données, la triangulation des données permet une meilleure mise en relief de l’originalité et de l’envergure du point de vue recueilli. Si la triangulation des données vise la diversification des sources de données, la triangulation méthodologique consiste à diversifier les méthodes de collecte21. Il s’agira, par exemple, de combiner l’analyse de sources documentaires à des contenus d’entretiens semi-dirigés ou à des données tirées de l’observation. Il se peut que les enjeux connus, qui découlent de la connaissance préalable de l’objet de recherche, concordent avec ceux qui se présentent lors de l’organisation de la collecte et de l’analyse des données : toutefois, il est important de ne pas succomber à la tentation de procéder à des raccourcis. Ainsi, il est indispensable qu’aucune donnée ne soit, a priori, écartée. Même si les praticiens estiment disposer d’une connaissance préalable de ces sources, la conduite d’une recherche systématique fondée sur l’exploitation d’un cadre d’analyse bien construit peut réserver des surprises. Lorsque la collecte des données s’effectue auprès de personnes avec lesquelles les doctorants ont l’habitude d’interagir sur le plan professionnel, il faudra soigneusement éviter la confusion en rappelant l’objet précis de l’échange, le tout avec simplicité. Finalement, au stade de l’analyse des données, les conclusions de la recherche devront nécessairement être soutenues par les données recueillies. Une fois de plus, le recours à la triangulation des données facilitera cette tâche. « Si l’oubli de la subjectivité est coûteux, son déni aussi22. » Il n’en demeure pas moins que toutes les recherches sont situées ou inscrites dans une histoire, un champ, et sont « marqué[e]s par les conditions mêmes qui influent sur les 20. Nous empruntons ces définitions à Lorraine Savoie-Zajc, « Triangulation », dans Alex Mucchielli (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996, p. 261. 21. Ibid. 22. Rabatel, supra note 15, p. 3.

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objets de recherche et la prétendue indépendance des chercheurs »23. Ainsi, « tout chercheur se trouve affecté d’un coefficient de déformation inconsciente, d’origine psychosociologique, qui dépend du milieu dans lequel il a vécu, de son éducation mais aussi de son hérédité, de sa personnalité et de son histoire24. » S’il importe de s'interroger sur les conséquences possibles engendrées par la « localisation » préalable de toute personne menant une recherche, il en est de même pour les doctorants imprégnés d’une expérience pratique. *** La pratique génère et oriente la recherche de façon « dialogique et récursive25 ». Ainsi, les praticiens qui s’engagent dans un cursus doctoral ne doivent pas appréhender la recherche scientifique et la pratique comme deux solitudes : ces deux univers sont susceptibles de s’alimenter mutuellement. Les praticiens doivent donc s’immerger dans les cadres référentiels propres à la recherche scientifique et recourir à ceux-ci comme rampe de lancement pour amorcer leur propre travail réflexif. À l’issue d’un cursus doctoral, il se peut que l’on accède à un statut de chercheur à temps plein en obtenant, par exemple, un poste de professeur dans une institution universitaire26. Tel fut mon cas. Est-ce que cette transition m’imposa d’abandonner mon identité de praticienne ? J’estime que non. Je demeure fondamentalement attachée à cet univers qui nourrit encore ma réflexion théorique. J’ai toutefois l’humilité de reconnaître que le passage des années ne sera pas sans conséquence sur ma connaissance du cadre dans lequel se déploie l’intervention des praticiens de mon champ disciplinaire. En effet, les contraintes et les stratégies qui déterminent les paramètres de leur action changent rapidement et sans préavis ; aucun système n’est immuablement réglé. Afin de rester un tant soit peu branchée sur cet univers, je conduis la plupart de mes recherches en partenariat. Cette transition professionnelle imposa toutefois que je m’ajuste à un envi­­ronnement tout à fait différent : l’autonomie intellectuelle quasi totale conférée par la liberté académique m’obligea à revoir mon rapport au travail. 23. Ibid. 24. Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, 10e éd., Paris, Dalloz, 1996, p. 302. 25. Lavergne, supra note 13, p. 30. 26. Ou en milieu de pratique : voir le chapitre de Sophie Couture dans cet ouvrage.

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En effet, mon quotidien professionnel n’est plus régulé par des exigences « externes » strictement établies par un supérieur immédiat. Je peux désormais planifier mon programme de recherche en fonction de mes valeurs et des enjeux qui me passionnent. Si mes évaluations de performance reposaient jadis sur le nombre de dossiers traités chaque année et sur la qualité des rapports que j’entretenais avec les clients que je représentais, l’appréciation de mon travail repose désormais sur la qualité de mon enseignement, sur mon engagement communautaire (au sein de l’université et à l’extérieur de celle-ci), ainsi que sur mes capacités de chercheure. Il s’agit là d’un important changement paradigmatique pour une praticienne habituée à des échéanciers très serrés, à un cadre spatio-temporel excessivement imprévisible et à de nombreuses interactions quotidiennes. Au-delà de ces ajustements, je lutte encore contre l’impression (généralement erronée) que la communauté scientifique, cette nébuleuse aux contours indéfinis, envisage mon cursus et mon apport avec une certaine suspicion27. Cette impression résulte certainement de mon propre parcours et du rapport parfois conflictuel entre l’engagement dans la pratique professionnelle et l’investissement dans la recherche fondamentale s'y rapportant. En effet, il arrive que les praticiens perçoivent les chercheurs comme insensibles aux réalités du terrain, dont ils méconnaîtraient les exigences et les réalités. De leur côté, les chercheurs réagissent parfois vivement à l’opacité que les « pratiques » imposent à la recherche scientifique en refusant de s’y associer28. Il importe d’approcher les acteurs du terrain en ayant pour objectif de situer leurs pratiques et leurs stratégies, sans toutefois préjuger de la valeur de cellesci. Le « terrain » de recherche doit être abordé avec sensibilité et en faisant l’effort de saisir la généalogie des orientations de ses protagonistes. Ce faisant, les chercheurs seront plus susceptibles de rallier les praticiens à leur projet. La légitimité de l’approche épistémologique mise en avant par les praticienschercheurs gagne du terrain. À mon avis, la conjonction du regard interne, jeté par les praticiens, au regard externe des chercheurs, est riche et scientifiquement porteuse. 27. Pierre Bourdieu disait d’ailleurs que la solidarité liant les savants et la science les prédisposent à parfois professer la supériorité de leur savoir : Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980, p. 47. 28. Nous adhérons à cette idée, qui fut avancée par Clerc et Tomamichel, supra note 12.

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chapitre 6 La thèse et l’argent Emmanuelle Bernheim

Au-delà de la passion pour la recherche, s’engager dans des études de troisième cycle implique d’importantes décisions pragmatiques. Mener à terme une thèse en sciences humaines ou sociales constitue un investissement personnel considérable, auquel on consent sans trop savoir s’il se soldera par l’obtention d’un poste de professeur ou de chercheur. Cet investissement de temps, d’énergie et d’argent a des répercussions importantes sur les autres sphères de la vie professionnelle et personnelle et nécessite souvent des sacrifices. Le financement des études est un enjeu majeur pour tout étudiant qui envisage de s’inscrire dans un programme de doctorat. Avec une moyenne d’âge autour de trente ans1, les étudiants de troisième cycle ont souvent un parcours professionnel et des responsabilités qui compliquent leur engagement dans des études à temps complet. Les politiques d’accès aux études postsecondaires font le plus souvent l’impasse sur le contexte économique avec lequel les étudiants universitaires doivent composer et ce, spécialement au doctorat : augmentation du coût de la vie, surtout pour le logement et l’alimentation, et revenus stagnants2. 1. Tomasz Gluszynski et Valerie Peters, Enquête auprès des titulaires d’un doctorat : profil des diplômés récents, Statistique Canada, Ottawa, 2005, p. 9. 2. En 2003-2004, les étudiants universitaires à temps plein comptaient sur au moins trois sources de revenus parmi lesquelles l’emploi et les programmes de prêts et bourses. Joseph Berger et Anne Motte, « L’accès aux études postsecondaires : surmonter les obstacles », Options politiques, novembre 2007, p. 4-5.

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La thèse est donc, jusqu’à un certain point, une question d’argent. C’est pourquoi les étudiants de doctorat doivent élaborer des stratégies tout au long de leur parcours doctoral. Ces stratégies passent tant par les moyens de financement que par les mesures à mettre en place pour limiter les dépenses. La situation financière des doctorants

Le parcours doctoral est jalonné de différentes formes de stress – associées à la compétition, à la réalisation du projet de thèse, à l’incertitude quant à l’avenir professionnel. La situation financière et l’investissement requis constituent bien souvent une pression supplémentaire. En plus de devoir financer leurs études et assumer diverses dépenses relatives à la vie quotidienne, les doctorants considèrent souvent leur investissement comme une injonction à la réussite3. Si le fait d’avoir accès à des sources de financement ne garantit pas l’obtention du diplôme, les conditions financières constituent néanmoins un facteur déterminant pour ce qui est de la persévérance aux études de troisième cycle4. Il faut en moyenne six ans et demi pour obtenir un doctorat en sciences humaines et sociales et la moitié des étudiants abandonnent en cours de programme5. Tous n’entament pas leurs études doctorales dans les mêmes conditions sociales et économiques et, en général, les étudiants provenant d’un milieu plus favorisé ont tendance à moins s’endetter pour terminer leur programme d’études. Les doctorants qui ne bénéficient d’aucun soutien institutionnel et qui doivent financer seuls leurs études ont jusqu’à deux fois moins de chances d’obtenir leur diplôme. Le fait de travailler hors de l’université ou d’étudier à temps partiel, ce qui limite la capacité à obtenir des bourses en raison des 3. Julie Rochette, Le stress et l’épuisement chez les étudiants au doctorat en psychologie, essai de troisième cycle présenté à l’Université du Québec à Trois-Rivières, 2012, p. 12. 4. David Litalien, Persévérance aux études de doctorat : modèle prédictif des intentions d’abandon, Thèse en sciences de l’orientation, Université Laval, 2014, p. 24-26 ; Jérémie Cornut et Vincent Larivière, « Docteurs et doctorants en science politique au Québec (1997-2010) », Politique et Sociétés, vol. 31, no 3, 2012, p. 70. 5. Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, Le doctorat en question, Montréal, 2008, p. 39.

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critères d’admissibilité, a une incidence directe sur la persévérance et l’abandon6, en plus de prolonger les délais d’obtention du diplôme. La majorité des doctorants sont indépendants de leurs parents, vivent en couple ou en colocation. Environ 41 % d’entre eux ont accès à un financement institutionnel pour la réalisation de leur travail de recherche, par leur université ou par un organisme subventionnaire (« bourses d’excellence ») ; 18 % travaillent sur le campus comme auxiliaires d’enseignement ou de recherche. Environ 15 % reçoivent une aide de la part de leur directeur de recherche et la même proportion travaille à l’extérieur de l’université ; 7,5 % reçoivent des prêts et bourses du gouvernement provincial et 6 % une contribution familiale. Près de 20 % des doctorants ont des enfants à charge, ce qui a évidemment une influence directe sur leurs besoins financiers7. Les parents étudiants sont plus nombreux à s’inscrire aux études à temps partiel8. Toutes les sources de financement ne se valent pas au regard de la persévérance, de la diplomation et de l’insertion professionnelle. Le financement institutionnel est un facteur déterminant, alors que les deux tiers des doctorants non financés abandonnent leur programme ; ceux qui le terminent prennent un an de plus que leurs collègues qui bénéficient d’un tel soutien9. Le travail à l’université, et plus particulièrement dans la recherche plutôt que dans l’enseignement, que le doctorant soit boursier ou non, présente encore plus d’efficacité. Il facilite l’intégration dans le milieu universitaire en forçant l’interaction avec les membres du corps professoral et les autres étudiants, permet le développement d’un réseau de contacts et est souvent à l’origine de publications scientifiques et de conférences10, parfois en collaboration, ce qui 6. Litalien ainsi que Cornut et Larivière, supra note 4. 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dominique Tanguay. 8. Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, Les sources et les modes de financement des études supérieures – 2007, Montréal, 2007, p. 17, 18, 39 [Les sources] ; Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, La relation entre les bourses des doctorants et le rendement en recherche, l’impact scientifique et l’obtention des diplômes, Montréal, 2011, p. 8 [La relation]. 9. D’après le Conseil national des cycles supérieurs et la Fédération étudiante universitaire du Québec, « on ne peut pas évaluer si cela est dû à leur rang plus élevé dans le classement des organismes subventionnaires – et ainsi les résultats antérieurs « prédoctoral » ou « l’excellence » – ou si c’est un effet de la bourse en soi » : La relation, ibid., p. 17. 10. Soulignons cependant que les doctorants ne signent pas nécessairement les articles qu’ils contribuent à produire : Cornut et Larivière, supra note 4, p. 77.

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contribue à bonifier le CV du chercheur11. Les études statistiques montrent une relation linéaire entre la publication d’articles scien­­tifiques par les doctorants et la diplomation, quel que soit le soutien financier institutionnel12. En ce qui a trait à l’insertion dans le milieu de la recherche, la multiplication des programmes doctoraux, des inscriptions au doctorat et des titulaires d’un diplôme doctoral contribue à une dure concurrence entre les étudiants, qui sont évalués par rapport à leur performance. Aussi, pour trouver un poste dans le domaine de la recherche, il est nécessaire d’avoir un CV bien garni13, ce qui demande encore du temps pour préparer des articles et des conférences, seul ou dans le cadre des travaux d’une équipe de recherche14. Il peut alors être intéressant, lorsqu’on en a les moyens, de repousser stratégiquement la diplomation pour participer à un projet de recherche – il revient à l’étudiant d’évaluer si l’investissement en vaut la peine. Les stratégies de financement des études doctorales

Il est essentiel d’entamer la réflexion sur les stratégies de financement le plus tôt possible au début des études doctorales. Certains financements institutionnels peuvent être obtenus avant même le début des cours, sous réserve de l’admission du candidat dans le programme choisi. Deux modalités de financement sont à distinguer, bien qu’elles ne soient pas exclusives : le financement institutionnel et privé, le plus souvent sous forme de bourses, et le financement par le travail rémunéré. Évidemment, le fait de bénéficier d’un financement institutionnel permet de faire des choix stratégiques en matière de travail rémunéré en priorisant les contrats les plus avantageux du point de vue de l’expérience. Le financement octroyé aux doctorants pour mener leur projet à terme peut être de deux ordres : il provient soit de l’université ou des organismes subventionnaires, soit d’une entreprise, d’une fondation ou d’un organisme. Dans le premier cas, le financement est généralement offert sous forme de 11. Ibid., p. 72, 75 ; Litalien, supra note 4, p. 24-25. 12. Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, La relation, supra note 8, p. 15. 13. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse. 14. Cornut et Larivière, supra note 4, p. 72.

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bourse d’excellence, en fonction de la qualité du projet et du dossier universitaire du doctorant. Dans le deuxième cas, le financement dépend le plus souvent de l’objet de la recherche et tous les projets n’ont pas l’égale possibilité d’en bénéficier. Évidemment, le fait d’obtenir un financement privé peut parfois remettre en cause l’indépendance du chercheur et les termes de l’entente de financement doivent être négociés à l’avance. En général, les programmes de financement ne sont accessibles qu’aux étudiants à temps plein. Le financement institutionnel

Il peut être judicieux de se renseigner sur les possibilités de financement interne aux universités avant même de faire des demandes d’admission car leurs modalités diffèrent grandement d’une institution à l’autre. Dans certains programmes, tous les étudiants admis reçoivent des bourses d’accueil ; parfois, ce ne sont que quelques étudiants ; dans d’autres cas, les bourses d’excellence sont distribuées par voie de concours. La possibilité, ou non, d’obtenir du financement au sein même de l’université constitue un facteur à prendre en compte pour le choix du programme de doctorat, au même titre que le choix de la direction de recherche, de la présence d’unités de recherche ou de la spécificité du programme. En plus des financements accordés par le département ou la faculté de rattachement, les unités de recherche ainsi que l’institution elle-même offrent aussi certaines bourses. Des critères supplémentaires peuvent s’ajouter à celui de l’excellence, tels qu’un domaine de recherche spécifique, l’implication dans le projet de recherche d’un professeur ou les besoins financiers. Certaines bourses servent à soutenir l’étudiant en rédaction ou en fin d’études et ne peuvent être obtenues qu’au cours de la troisième ou de la quatrième année de doctorat. Bien souvent, un versement de la bourse se fait au moment du dépôt de la thèse. Les doctorants peuvent également bénéficier de bourses pour séjour à l’étranger ou pour permettre la participation à des colloques. Les organismes subventionnaires fédéral et provincial sont une autre source importante de financement institutionnel. L’organisme auprès duquel l’étudiant doit déposer sa demande dépend de son domaine de recherche ; cependant, il ne faut pas tenir pour acquis que les organismes qui relèvent des catégories « Sciences sociales et humaines » ou « Société et culture » sont néces-

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sairement ceux qui ont compétence pour traiter des demandes de bourse provenant de ces disciplines. Pour tous les organismes subventionnaires, l’admissibilité des demandes fait l’objet de lignes directrices strictes ; elle peut donc être plus difficile à établir pour les projets situés aux confins de plusieurs disciplines. Avant d’entreprendre la rédaction d’une demande de bourse souvent complexe, il vaut mieux communiquer avec les organismes par courriel ou par téléphone. Pour une même année universitaire, un doctorant ne peut soumettre qu’une demande à un organisme fédéral et une autre à un organisme provincial. Il ne peut présenter le même projet à plusieurs organismes fédéraux ou provinciaux en même temps, ni soumettre à un organisme fédéral ou provincial un projet déjà financé par un organisme du même ordre de gouvernement. Mis à part quelques exceptions, les programmes de bourses des organismes subventionnaires s’adressent aux citoyens ou aux résidents permanents au Canada. Les étudiants étrangers peuvent bénéficier de programmes spécifiques, comme les bourses d’exonération des frais de scolarité attribuées par le Gouvernement du Québec. Au fédéral, trois organismes financent les études supérieures : le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Au CRSNG, « la recherche doit viser principalement l’avancement des connaissances dans l’un des domaines des sciences naturelles ou du génie » ; au CRSH, « les résultats prévus de la recherche doivent, avant tout, accroître les connaissances sur l’être humain, les groupes et les sociétés – leur façon de penser, de vivre et d’interagir entre eux et avec le monde » ; et aux IRSC, il faut que « les résultats de la recherche améliorent la santé ou aient une incidence sur la santé, ou encore qu’ils permettent d’offrir de meilleurs produits et services de santé ou de renforcer le système de santé au Canada » (www.science.gc.ca). Au Québec, trois fonds de recherche ont pour mission de « promouvoir et de soutenir la recherche [dans leur domaine respectif], la mobilisation des connaissances et la formation des chercheurs » (www.frq.gouv.qc.ca) : le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT), le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS).

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Dans tous les cas, l’évaluation des demandes est fondée sur l’excellence du dossier universitaire, l’aptitude à la recherche (démontrée dans le CV) et la qualité du projet de recherche, notamment son originalité, sa contribution à l’avancement des connaissances, la pertinence de la méthodologie proposée et sa faisabilité15. L’évaluation des demandes est faite par des comités multidisciplinaires à partir du dossier préparé par l’étudiant, mais aussi des lettres de recommandation fournies à l’appui de sa candidature. Idéalement, une de ces lettres devrait être écrite par le directeur du mémoire de maîtrise et une autre par le directeur de thèse, s’il est déjà désigné au moment de la demande. L’octroi d’un soutien financier de la part des organismes subventionnaires est assorti de contraintes concernant le cumul des bourses et le nombre d’heures de travail rémunéré par session. Il est important de vérifier les conditions particulières de chaque programme de financement. Le financement privé

Certaines fondations offrent des programmes de bourses, le plus souvent dans des champs précis de recherche. Les critères d’évaluation des candidatures sont les mêmes que pour le financement institutionnel, mais le fait de bénéficier d’une bourse d’un organisme subventionnaire fédéral ou provincial est souvent un critère d’exclusion. Certaines bourses sont ponctuelles (octroyées une seule fois) alors que d’autres financent l’entièreté des études doctorales16. Certaines fondations, en plus d’offrir des bourses, soutiennent les étudiants par un programme de mentorat17. En fonction du domaine de recherche, les doctorants peuvent faire des demandes de financement ou de soutien à des organismes privés – entreprises, institutions ou organismes parapublics, voire communautaires. Dans ce cas, le financement est octroyé en fonction du champ et des objectifs de recherche et l’organisme privé peut avoir des attentes en ce qui concerne l’orientation de 15. Le programme de Bourses d’études supérieures du Canada géré par les trois organismes fédéraux ne vise pas le « finance[ment d’]un plus grand nombre d’étudiants, mais [à] augmenter le financement obtenu par les étudiants jugés “plus prometteurs” ». Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, Les sources, supra note 8, p. 55. 16. Voir par exemple : la Fondation Desjardins (www.desjardins.com) ; la Fondation Chagnon (www.fondationchagnon.org). 17. Voir par exemple : La Fondation Trudeau (www.fondationtrudeau.ca).

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la recherche. Ce genre de financement peut dépendre de la mise en place d’une collaboration entre l’étudiant et l’organisme dans l’élaboration du projet ou dans l’inclusion d’un volet « recherche-action » à la recherche initiale. Contrai­ rement aux contraintes imposées par les programmes de financement institutionnels, ce genre de financement privé ne limite pas le doctorant dans ses activités de travail rémunéré. Le financement par le travail rémunéré

Les activités reliées à un travail rémunéré peuvent se dérouler à l’intérieur ou à l’extérieur de l’université. Les restrictions qui s’appliquent aux étudiants qui bénéficient de financement institutionnel ne se posent généralement pas de la même façon dans les deux cas de figure. Le travail à l’intérieur de l’université

Le milieu universitaire offre des emplois variés dans les domaines de l’enseignement, de la recherche ou de l’administration. Certains contrats sont attribués par voie de concours et c’est souvent par l’entremise du service de placement étudiant que l’information est diffusée. Bien souvent cependant, les professeurs engagent des étudiants qu’ils connaissent ou qui leur sont recommandés par des collègues. Parler avec son directeur de recherche de sa volonté de trouver un travail sur le campus peut faciliter les démarches d’emploi. Tous les emplois n’exigent pas le même investissement personnel. Les contrats d’auxiliaire d’enseignement ou de correcteur prévoient une liste de tâches simples et un nombre d’heures déterminé par session. Ils procurent une certaine stabilité financière, mais le potentiel d’apprentissage et d’expérience y est limité. Les charges de cours offrent au contraire la possibilité d’acquérir une expérience de préparation de cours, d’enseignement et d’évaluation des apprentissages qui s’avère précieuse dans un CV de chercheur. Elle implique cependant de nombreuses heures de lecture, de rédaction et de préparation et il faut s’attendre, pour une première charge de cours, à passer la majorité de son temps à préparer son enseignement. De même, l’implication dans un projet à titre d’assistant de recherche peut impliquer un investissement personnel variable. Quelquefois, les tâches

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sont circonscrites de façon claire et se limitent à la recherche et à l’analyse documentaire ou à la collecte de données de terrain ; dans d’autres cas, les tâches peuvent être variées et modifiées en cours de contrat. Certains professeurs confient à leurs assistants la conduite d’une partie de la recherche mais procèdent eux-mêmes à l’analyse et à la rédaction : le travail de l’étudiant se limite alors à des fonctions de recherche techniques ou administratives. Parfois, le professeur propose une réelle collaboration de recherche, ce qui implique un véritable investissement personnel dans le projet, mais débouche le plus souvent sur des publications ou des conférences en commun. Dans tous les cas, avant de s’engager dans un contrat d’assistanat de recherche, il faut s’assurer que les contributions réelles seront reconnues au moment de la diffusion des résultats : cosignature d’articles, conférences conjointes, indication d’une forme ou d’une autre de collaboration, etc. Les contrats d’assistanat de recherche ne permettent pas tous le même niveau d’apprentissage et d’expérience ; ils sont cependant l’occasion de parfaire ses connaissances en recherche, de découvrir de nouvelles méthodes et d’autres façons de travailler, éventuellement de contribuer à une équipe. Ils peuvent parfois permettre au doctorant de travailler sur des problématiques proches de son sujet de recherche et de développer une expertise connexe, voire de partager les données tirées de la recherche avec le chercheur avec lequel il collabore. L’implication dans des fonctions administratives est l’occasion de se familiariser avec un aspect moins connu mais important du fonctionnement universitaire. Il peut s’agir de fonctions telles que coordonnateur de projet, de centre ou de chaire de recherche, administrateur de site web, employé du bureau de placement, etc. Certaines de ces fonctions permettent de travailler à l’organisation ou l’animation d’événements scientifiques, à la soumission de demandes de subvention, etc. Elles facilitent le contact avec les chercheurs et font connaître les étudiants en dehors de leur université d’attache. Le travail à l’extérieur de l’université

Certains doctorants retournent aux études après un passage plus ou moins prolongé sur le marché du travail. Dans ce cas, il peut être possible de conserver son emploi, en bénéficiant de mesures d’accommodement comme un allègement des tâches, le travail à temps partiel ou un congé sans solde. Maintenir

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l’activité professionnelle, surtout lorsque le travail de recherche y est lié, peut être avantageux, et ce de plusieurs façons : élaboration d’une problématique de recherche axée sur des enjeux de la pratique, accès facilité au terrain d’enquête, etc. L’engagement simultané dans les milieux professionnels et de la recherche représente cependant un défi supplémentaire dans l’accomplissement même de la thèse et cette difficulté ne doit pas être négligée18. La recherche n’est pas l’exclusivité du milieu universitaire et, dans certains domaines, la recherche dans les secteurs public et privé est très dynamique et de très bon niveau19. Il peut s’agir d’un emploi dans lequel le doctorant était engagé avant son retour aux études, mais également de contrats ou d’engagements qui surviennent durant le parcours doctoral. Dans certains cas, des organismes publics ou privés proposant des financements de recherche aux étudiants peuvent également les engager pour des mandats ponctuels reliés à leur projet. Autrement, il s’agit de mandats de recherche qui, de la même façon que l’assistanat de recherche dans le milieu universitaire, permettent d’acquérir de nouvelles expériences de recherche. Comme le travail à l’intérieur de l’université, le travail à l’extérieur de l’université peut être l’occasion de bonifier son CV de chercheur ou de progresser dans son propre travail doctoral. Ce genre d’emploi est idéal puisqu’il permet de créer un réseau dans le domaine tout en démontrant ses aptitudes à la recherche. Il permet également de ne pas « décrocher » de la recherche, c’est-à-dire de ne pas avoir à s’éparpiller dans des activités multiples qui impliquent un temps de réadaptation chaque fois que l’on se replonge dans le travail de thèse. Il arrive cependant que les doctorants doivent s’adonner à des activités rémunérées en dehors de leur domaine d’expertise. Dans ce cas, il peut être compliqué de concilier travail et recherche dans la mesure où les activités professionnelles sont éloignées des rationalités sous-jacentes au travail de recherche.

18. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau. 19. Voir par exemple le chapitre de Sophie Couture dans cet ouvrage.

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Limiter les dépenses

En plus des stratégies de financement, les doctorants peuvent avoir recours à différentes ressources, universitaires et non universitaires, permettant de limiter leurs dépenses. Les ressources universitaires

Comme pour le financement, certaines ressources socio-économiques sont offertes dans les universités. En plus des résidences universitaires (dont les prix ne sont pas toujours abordables), les universités proposent souvent une banque de logements proches du campus à des prix intéressants. Il vaut la peine de se renseigner et de faire sa propre recherche avant de faire un choix. Des trousses d’aide, des services de conseils et de soutien économiques sont disponibles dans plusieurs universités et des financements de dernier recours, des prêts et des paniers de denrées peuvent parfois être offerts aux étudiants dans le besoin. Les cliniques des universités qui ont des programmes de médecine, de dentisterie, d’optométrie, de psychologie et de sexologie offrent généralement l’accès à des soins prodigués par des étudiants à une fraction du prix. Les associations étudiantes proposent également différents services utiles : foires aux livres et aux recueils usagés, service d’impression et de photocopie à bas prix, prêt de matériel (comme le matériel sportif), accès à des postes de travail informatiques avec Internet, programmes de subvention pour la réalisation de projets étudiants, site de petites annonces, etc., en plus des assurances collectives. Plusieurs services sont offerts spécifiquement aux parents étudiants, directement à l’université ou par des organismes communautaires : programmes de bourses, foires ou vestiaires de vêtements usagés, dons, prêts ou vente à bas prix de matériel (comme les poussettes, lits de bébé, baignoires, etc.), service de garderie ou de halte-garderie, entraide entre parents, activités familiales abordables, etc.

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Les ressources non universitaires

Pour ce qui est de l’hébergement, les ressources disponibles ne se limitent pas aux services universitaires. La colocation, que ce soit avec des amis ou par l’entremise d’annonces dans les journaux ou sur le campus, permet de partager les coûts du logement, de l’électricité et de l’eau. Il est même parfois possible de profiter d’appartements déjà meublés. Divers organismes communautaires mettent à disposition des ressources comme les banques alimentaires, l’achat de groupe et la cuisine communautaire. Évidemment, on peut aussi avoir recours à ce genre de stratégies entre amis ou entre étudiants, et profiter des prix avantageux des achats et de la cuisine de groupe en organisant régulièrement des séances de courses et de cuisine en grandes quantités. Des magasins de solidarité vendent à des prix abordables vêtements, meubles, électroménagers, matériel de cuisine, etc., parfois neufs, à des prix très compétitifs. Dès le mois de mai, et durant tout l’été, de nombreuses ventes de garage recèlent parfois des trésors, en plus de ceux abandonnés sur les trottoirs lors des déménagements du premier juillet. *** Les doctorants doivent généralement avoir recours à plus d’une stratégie de financement et de limitation des dépenses pour réussir à compléter leur programme. Néanmoins, il arrive bien souvent que, même conjuguées, ces stratégies ne suffisent pas à financer la totalité des études. L’étape de la rédaction nécessite généralement un travail soutenu de quelques mois pendant lesquels il vaut mieux ne pas travailler et, comme les bourses d’excellence sont octroyées pour un maximum de quatre ans, les étudiants, même s’ils bénéficient d’un financement institutionnel, se retrouvent le plus souvent sans financement à cette étape de leur parcours. Si près de la moitié des titulaires de doctorat déclarent avoir terminé leurs études sans dette, le recours aux prêts, qu’ils soient publics ou privés, est de plus en plus courant. L’aide financière aux études du Gouvernement du Québec est la source principale d’endettement des étudiants à la fin de la trajectoire doctorale, mais la dette privée des docteurs a augmenté de façon très impor-

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tante durant la dernière décennie, notamment du fait d’un accès facilité aux cartes de crédit et aux produits financiers offerts par les banques, comme les prêts ou les marges de crédit. Parmi les docteurs, les étudiants en sciences humaines et sociales et en arts et lettres sont les plus endettés et 30 % d’entre eux sont surendettés20.

20. Ils ont une dette considérée comme « lourde », c’est-à-dire de plus de 25 000 $. Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, Les sources, supra note 8, p. 50.

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chapitre 7 « Maman, as-tu bientôt fini tes devoirs ? »  Expérience d’une mère monoparentale Isabelle F.-Dufour

Entreprendre un doctorat est probablement la décision la plus égocentrique que l’on puisse prendre sur le plan intellectuel1. Il s’agit en effet d’une quête que l’on parcourt seul et souvent uniquement pour soi (c’est-à-dire pour se prouver qu’on est capable, pour trouver une réponse à la question qui nous préoccupe depuis des années, pour pouvoir faire le métier qui nous fait rêver). Pendant de longues années, cette expédition scientifique nous habite, jusqu’à définir qui nous sommes. Comment alors maintenir un équilibre entre cet investissement intime dans notre cheminement doctoral et nos autres rôles sociaux, en particulier celui de parent ? J’aborderai cette question complexe à partir de ma propre expérience à la fois à titre de doctorante et de mère monoparentale à temps plein. Je m’éloigne donc de mon objet d’études (le désistement du crime) et je n’aurai pas recours à mes stratégies habituelles pour la rédaction de ce chapitre (recension systématique des écrits, comparaison de résultats, etc.). Plutôt, par la reconstruction de mon parcours atypique, j’ai l’objectif de débusquer certaines inquiétudes que des parents doctorants pourraient entretenir en début de cheminement. Je me propose de donner 1. Remerciements à Catherine Arseneault, Marie-Pierre Villeneuve, Julie Lessard et Marianne Olivier-D’Avignon pour leurs précieuses suggestions basées sur leurs propres expériences de doctorantes.

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quelques pistes issues de mon expérience pour aplanir les difficultés qui risquent de jalonner leurs trajectoires. Je souhaite également montrer comment cette aventure est riche et gratifiante tant sur le plan intellectuel que familial. À cette fin, je relaterai les stratégies que j’ai développées durant mes cinq années doctorales pour : 1) trouver des sources de financement ; 2) gérer adéquatement mon temps ; 3) adopter de saines habitudes de vie ; 4) maximiser mon rendement universitaire et 5) participer à la vie familiale. Puis, le chapitre se conclura en évoquant les derniers mois de mon parcours doctoral et en mettant en exergue les apprentissages que j’ai transférés dans mes nouvelles fonctions de professeure. Trouver du financement

Idéalement, votre recherche de financement devrait débuter avant votre entrée au doctorat2. La plupart des organismes qui octroient des bourses (p. ex., le Conseil de recherches en sciences humaines, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture) tiennent leurs concours au tout début de la session d’automne et rendent leurs décisions vers la fin du printemps. Il est donc possible de soumettre sa candidature un an avant l’inscription au doctorat. Cette façon de faire est profitable, non seulement parce qu’elle pourra vous guider dans votre prise de décision, mais parce que vous pourrez en plus réutiliser votre demande de subvention pour approcher des directeurs de thèse potentiels en ayant une bonne idée de votre projet doctoral. Pendant la rédaction de cette demande de bourse, n’hésitez pas à demander de l’aide : habituellement, les directeurs potentiels de même que les doctorants boursiers seront heureux de vous faire des suggestions qui maximiseront vos chances d’être financé. Le problème qui se pose souvent pour ces demandes de bourse « précoces », c’est que votre candidature sera comparée à celle d’étudiants qui ont déjà commencé leurs études doctorales et qui ont eu plus de temps pour peaufiner leur demande. Les probabilités de refus sont donc un peu plus élevées. Or, dans l’éventualité où votre demande serait refusée, la plupart des organismes subventionnaires vous donneront des indications quant aux aspects les plus faibles de votre candidature. Cela vous aidera grandement à 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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la bonifier pour l’année suivante. En outre, comme le financement est offert habituellement pour trois ans, vous aurez de toute façon besoin (sauf rares exceptions) d’autres sources de revenus pour couvrir la durée complète de vos études doctorales. Certains doctorants ont présenté jusqu’à trois demandes avant d’être financés par les grands organismes : il ne faut donc pas se décourager au premier refus. Que vous soyez financé ou non, l’énergie investie à cette étape sera utile, car dans la plupart des cas, nous l’avons dit, vous pourrez également reprendre intégralement votre résumé de projet pour faire votre demande d’admission au doctorat. De plus, dans l’éventualité où votre demande serait refusée la première année, cet exercice sera néanmoins fort utile pour tenter votre chance auprès de sources de financement moins communes (bourses institutionnelles, donateurs privés, concours facultaires et autres). La plupart des universités tiennent un registre de ces sources alternatives de financement : c’est littéralement payant de s’informer et de poser sa candidature. Tout ce que vous aurez à faire, c’est d’ajuster votre demande en fonction des critères propres à chaque source. Il faut voir ces « petites » sources de financement comme des appâts qui seront très utiles l’année suivante pour attraper les « grosses » bourses des grands organismes (voir quelques suggestions à la fin de ce chapitre). En effet, ces derniers ont tendance à octroyer leurs bourses d’études à des doctorants… qui ont déjà été boursiers (peu importe la source). Pour combler vos besoins financiers, vous aurez fort probablement à travailler pendant vos études. S’il peut s’avérer tentant de conserver un emploi que vous auriez déjà à l’extérieur du campus, cela n’est pas toujours la meilleure stratégie. En effet, il faut se montrer opportuniste pendant les études doctorales. Vos emplois doivent contribuer à enrichir votre curriculum vitæ en vue des postes que vous souhaitez occuper après vos études. Vous désirez devenir chercheur ? Maximisez vos chances en briguant des postes d’auxiliaire de recherche : rédigez des demandes de subvention, participez à des collectes et des analyses de données, assurez-vous d’être corédacteur des articles du chercheur subventionné, etc. Vous voulez devenir professeur-chercheur ? Ajoutez à votre expérience d’auxiliaire de recherche des charges d’enseignement, des supervisions d’étudiants du 1er ou 2e cycle, impliquez-vous dans un groupe de recherche, etc. N’attendez pas les « offres officielles » d’emploi : approchez les professeurs-chercheurs directement pour connaître leurs

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besoins. Informez-vous sur les groupes de recherche de votre université ou de votre département. Passez les voir directement pour déposer votre candidature. Soyez proactif. Les meilleurs postes sont souvent attribués sans avoir été affichés. Cela dit, il existe un nombre relativement élevé d’emplois offerts (et affichés) pour les doctorants. Le défi consiste alors à sélectionner les emplois qui seront les plus « rentables » du point de vue de votre curriculum vitæ, tout en étant les moins « coûteux » en investissement de temps. Ne vous surinvestissez pas dans une tâche qui serait peu liée à votre objet d’étude ou à vos objectifs de carrière, car vous risquez de nuire à l’achèvement de votre doctorat. Un bon doctorant doit se concevoir comme un gestionnaire dont la principale responsabilité est d’équilibrer la quête de ressources financières et l’utilisation optimale de son temps. Gérer adéquatement son temps

L’une des pires stratégies à adopter comme parent doctorant consiste à gérer son temps comme un étudiant de 1er ou 2e cycle : c’est-à-dire, de passer d’une semi-oisiveté en début de session à la panique de la fin de session3. À ce rythme, personne ne peut tenir longtemps. Il faut plutôt envisager le doctorat comme un marathon où la constance du rythme est garante de réussite. Autre chose, votre horaire doit s’adapter à celui de vos enfants, et non l’inverse. Si vous déposez votre ou vos enfants à l’école ou à la garderie de 7 h 30 à 15 h 30 ou de 8 h à 16 h, c’est durant ces heures que vous devez être le plus productif. La meilleure stratégie consiste donc à occuper un bureau à l’université, ou dans un centre de recherche, et à vous contraindre à y demeurer pendant toute cette période. En effet, si rester à la maison peut d’abord sembler attrayant (pas de déplacements, code vestimentaire souple, etc.), dans les faits, il y a toujours quelque chose à faire qui vous apparaîtra plus important que la recherche dans les bases de données (p. ex., jeter un coup d’œil à la télévision ou laver la vaisselle). À l’inverse, si vous vous astreignez à demeurer au bureau, vous constaterez vite que vous aurez toujours quelque chose à faire pour faire avancer votre projet doctoral. En plus vous côtoierez des professionnels de recherche 3. Voir dans cet ouvrage les chapitres d’Élias Rizkallah et Shirley Roy ainsi que de Louise Boisclair.

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expérimentés, des professeurs-chercheurs et d’autres étudiants diplômés, ces rencontres permettant des discussions non seulement enrichissantes, mais aidantes dans la résolution d’embûches ou de questionnements relatifs à votre projet. Les premières années de votre doctorat, vous pourrez profiter des débuts de session pour rédiger vos demandes de bourses, pour faire toutes les lectures obligatoires de vos cours dès les premières semaines, pour commencer à écrire vos travaux de session ou encore pour rédiger des fiches de lecture en lien avec votre objet d’étude. Pour les parents doctorants, il peut s’avérer extrêmement avantageux de terminer les travaux au moins deux semaines avant la date d’échéance. Si par malheur la varicelle ou la grippe s’abattait sur votre famille, vous ne seriez pas pris au dépourvu ! Aussi, tentez d’avoir une version « officielle » de votre plan de thèse le plus rapidement possible. Ne passez pas trop de temps à le polir et à le peaufiner puisque de toute façon, il se modifiera plusieurs fois avant votre dépôt final. Réfléchissez plutôt à la façon dont vous découperez votre recension des écrits (par thèmes ? chronologiquement ? par courants théoriques ?). Demandez-vous ensuite quels sont les concepts centraux de votre cadre théorique. Puis, commencez à penser au meilleur devis pour répondre à votre question de recherche. Et ainsi de suite. Bref, tentez de diviser votre thèse en sections le plus rapidement possible. Ainsi, vous pourrez déposer dans chacune les informations pertinentes que vous retirerez de vos sources sous forme de « copier-coller ». Ensuite, vous pourrez relire les informations contenues dans chacune de ces sections, les synthétiser et rédiger ce que vous en tirez en lien avec votre objectif ou question de départ. C’est beaucoup moins effrayant de procéder ainsi que de vous retrouver devant une page blanche (voir d’autres ressources d’aide à la rédaction à la fin de ce chapitre). Cette double stratégie (obligation de se rendre au bureau peu importe la charge de travail et découpage le plus précis possible de la thèse) vous sera très utile pour traverser les moments moins agréables. Par exemple, pendant l’attente des corrections de vos premiers chapitres, vous pourrez documenter celui de la méthodologie. Lorsque les autorisations éthiques tarderont ou que les participants à votre étude se feront rares, vous pourrez rédiger des articles à partir de votre recension des écrits. Si votre analyse des données stagne, participez à un colloque et demandez l’avis des experts de votre champ d’étudess. Ainsi, plutôt que de demeurer immobile devant l’obstacle, vous contri-

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buerez aux autres parties de votre thèse. Vous pourrez également vous investir plus intensément dans les contrats de travail que vous avez acceptés. En fait, pour ne pas étioler la motivation de mener à terme ses études doctorales, il faut éviter le sentiment de faire du surplace ou de perdre son temps. Tant que vous avancez, vous aurez l’impression de vous rapprocher de la fin. Adopter de saines habitudes de vie

En tant que parent doctorant, vous aurez le sentiment de disposer de bien peu de temps libre. Vous serez alors tenté de restreindre vos activités physiques. Or, une des stratégies payantes pour garder un « esprit sain dans un corps sain » consiste à « utiliser » l’heure du dîner pour faire du sport. La plupart des universités ont des complexes sportifs très attrayants et peu coûteux. Comme vous n’avez pas à vous déplacer pour vous y rendre, vous pouvez faire un entraînement complet (douche comprise) en moins d’une heure. Ce petit moment de répit permet de se faire plaisir tout en prenant le recul essentiel pour qu’apparaisse une vision globale de votre thèse. Il arrive que l’on se centre tellement sur un détail (p. ex., le choix entre deux mots synonymes) que l’on oublie jusqu’à quel point il peut être relativement insignifiant lorsqu’on le compare à l’objectif général (c’est-à-dire déposer une thèse). De plus, comme l’activité physique favorise l’activité cérébrale, il n’est pas rare que l’on ait une « idée de génie » en joggant. L’activité physique vous permettra en outre de mieux gérer votre stress, de mieux dormir et de vous sentir bien dans votre peau. Une autre bonne idée est de se créer un réseau de soutien sportif entre étudiants des cycles supérieurs. Vous pourrez alors faire vos activités physiques en dyade ou en triade. Non seulement cela brisera l’isolement4, souvent vécu par les étudiants du 3e cycle, mais en plus cela vous aidera à garder votre motivation pendant les moments plus difficiles. En vous rendant au pavillon sportif, vous aurez l’occasion de discuter de ce qui cloche avec votre cadre théorique ou encore de vos problèmes de recrutement avec quelqu’un qui peut comprendre et sympathiser avec vous. Il faut bien le dire, plus vous avancez dans le cheminement scolaire, moins nombreuses sont les personnes qui ont les mêmes préoccupations que vous. Autant en profiter quand on peut ventiler. 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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En outre, comme les sources de gratification peuvent être très espacées pendant les études doctorales, le fait de se donner de petits défis physiques et de les atteindre rapidement améliore grandement le sentiment d’efficacité et protège contre la sensation de piétiner. Maximiser son rendement universitaire

La plupart des études doctorales durent environ cinq ans. Pendant tout ce temps, vous suivrez des cours, ferez des lectures, rédigerez des chapitres, testerez des méthodologies, etc. Il serait extrêmement dommage que vous ne mettiez pas à profit toutes les connaissances que vous aurez accumulées en ne publiant que les résultats finaux de votre thèse. Vous avez réalisé une analyse de données secondaires pour votre cours de statistiques avancées ? Profitez d’un des nombreux colloques étudiants organisés par les centres de recherche ou les instituts universitaires pour diffuser vos résultats. Vous avez fait une revue systématique de la littérature pour votre examen de synthèse doctoral ? Participez à un autre colloque étudiant5. Généralement, les critères de sélection de ces colloques sont relativement souples, ce qui les rend plus accessibles. Cela ne réduit en rien leur pertinence pour développer vos habiletés à communiquer. Non seulement ces communications contribuent-elles à étoffer votre curriculum vitæ, mais elles sont également d’excellentes occasions de tisser des collaborations avec des chercheurs de votre champ d’expertise. Sachez de plus que de nombreux centres et groupes de recherche tiennent des concours de bourses pour participation à des colloques. Grâce à leur soutien financier, vous irez peut-être présenter vos résultats à l’extérieur de la province ou même du pays. Peu importe les circonstances, toute diffusion de vos résultats permet un échange avec les participants. Voyez les questions qui vous sont posées comme des occasions de bonifier votre communication. Vous pourrez ensuite tenter de la présenter dans un colloque « standard » (voir acfas.ca notamment). Il existe aussi une grande quantité de concours organisés par les publications scientifiques qui s’adressent aux doctorants. En fonction de leur lectorat, certaines publient des recensions des écrits, des essais, des vulgarisations, etc. 5. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse.

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Soyez à l’affût de ces occasions qui facilitent les premières publications et qui sont, généralement, bien vues par les comités de sélection ainsi que par les organismes qui octroient des bourses. Non seulement l’écriture de ces articles pendant la rédaction de votre thèse vous aidera à synthétiser les connaissances que vous produisez, mais en plus, cet exercice contraignant vous permettra de bien maîtriser les thèmes, les concepts ou les contributions majeures de votre thèse. Cela facilitera d’autant la réponse aux questions des examinateurs lors de la soutenance. De plus, si vous êtes en mesure de soumettre au moins un article avant d’entamer votre recherche d’emploi, cela sera bien considéré par vos futurs employeurs. Finalement, informez-vous des projets de publication des professeurs avec lesquels vous collaborez, soit dans vos emplois d’auxiliaire de recherche, en siégeant au comité d’un centre de recherche, ou encore tout simplement lors de vos rencontres régulières avec eux. Souvent, ils ont une multitude de projets d’écriture (articles, chapitres, rapports de recherche ou autre), mais disposent de peu de temps pour les mettre en branle. Vous pourriez leur proposer de jeter les bases de ces écrits à partir du matériel qu’ils ont accumulé. Ces offres peuvent être reçues très favorablement et les publications comme coauteur sont aussi bien vues. Bref, il n’existe pas de « petites » communications, de « petits » articles ou de « petits » chapitres. Bien qu’il soit judicieux de viser les congrès internationaux ou les journaux scientifiques à forts indices d’impact, dans les faits, on compare souvent deux candidatures en additionnant le nombre de communications et publications de chacune. Participer pleinement à la vie familiale

Un danger qui guette les parents doctorants est le sentiment de n’être jamais « au bon endroit au bon moment ». Certains se sentent coupables quand ils sont à l’université de ne pas être avec leurs enfants, et quand ils sont avec leurs enfants de ne pas être à l’université. L’idéal, c’est de maintenir une frontière assez étanche entre les deux rôles. Vous pourriez, par exemple, vous montrer ferme dans votre gestion du temps en étant disponible pour les rencontres liées à vos études entre 8 h et 16 h, mais en refusant celles qui ont lieu en fin de journée ou le week-end. Vous pourriez aussi sélectionner un directeur de thèse qui comprend bien votre réalité de parent doctorant et qui ne vous

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demandera pas en fin de journée de réviser un article pour le lendemain matin par exemple. Pour votre part, vous verrez à remettre à votre directeur de thèse longtemps avant la date butoir les chapitres, demandes de subvention, versions d’articles ou autres documents qui exigent sa correction. Vous spécifierez également à quel moment vous souhaitez recevoir ses corrections. Ensuite, vous n’hésiterez pas à lui faire des rappels deux ou trois semaines avant les dates butoirs. Cela permettra à votre directeur de s’ajuster à votre échéancier et non l’inverse. Pour mieux profiter de votre vie familiale, il peut être utile de vous rappeler fréquemment que votre doctorat n’est qu’une étape de votre vie, et non votre vie. Votre objectif doit être de le terminer au meilleur de vos compétences. Point. Vous aurez ensuite le reste de votre carrière pour réaliser l’œuvre de votre vie. Bref, ne surestimez pas trop cette réalisation. À l’inverse, reconnaissez que certains moments précieux avec vos enfants ne passent qu’une fois dans votre vie et la leur. Si le temps que vous leur accordez devait rallonger vos études doctorales de quelques mois, ce serait un moindre mal en comparaison du fait d’avoir manqué leurs premiers pas, leur entrée à l’école ou leur superbe but au soccer. Ne pas avoir d’obligations fixes doit également être considéré comme un atout. Si votre enfant est malade, vous pouvez rester avec lui à la maison pour en prendre soin. S’il éprouve des difficultés d’apprentissage, vous pouvez quitter le « bureau » une demi-heure plus tôt chaque jour pour l’accompagner plus étroitement dans ses devoirs. Il est donc possible d’adapter votre horaire, vos échéanciers et vos charges de travail selon les besoins de votre famille. Il s’agit là d’un privilège qu’il vous sera difficile de retrouver par la suite. Alors, profitez-en ! Finalement, l’un des aspects positifs dans la conciliation études-famille, c’est que les enfants se formaliseront peu du type d’activités que vous ferez avec eux, pour autant que vous rendiez le tout agréable6. Vous pouvez leur demander de vous accompagner à l’épicerie et transformer cette tâche en chasse au trésor (« qui trouvera le premier… ») ou encore profiter du week-end pour faire des lasagnes, des pâtés chinois et des tartes aux pommes en « famille ». Si ce n’est déjà fait, procurez-vous le plus grand format de congélateur existant. Moins vous aurez à cuisiner la semaine, plus vous serez disponible pour les activités 6. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dominique Tanguay.

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des enfants. Dès que possible, faites-leur découvrir la bibliothèque de votre quartier. Toute la famille se réjouira de s’y rendre pour faire « ses » lectures. Participez aussi aux activités gratuites offertes par votre municipalité : sculpture sur neige, expositions, animation de rue, festivals. Profitez des parcs, des piscines publiques, des sentiers de randonnée pédestre. Toutes les occasions sont bonnes pour montrer à vos enfants qu’ils passent en premier malgré vos nombreux « devoirs ». Cela vous permettra, en retour, de compter sur leur indulgence les rares fois où vous aurez à « faire des devoirs » et que vous leur demanderez de regarder sagement un film d’animation à la télévision pendant ce temps . *** Les derniers mois du parcours doctoral sont probablement les plus difficiles. On passe de longues journées, soirées et semaines à rédiger, corriger, réécrire sa thèse. C’est une tâche que l’on doit mener en solitaire et qui donne, par moments, l’impression d’être au milieu d’un désert. On a la sensation d’avoir atteint les limites de ses capacités cérébrales. On voudrait pouvoir entrer un support de stockage amovible (clé USB) dans son cerveau pour en extraire tout le contenu plutôt que de le vider une ligne à la fois. Pour garder espoir, on tente d’anticiper avec optimisme la soutenance qui approche. Puis arrivent les corrections de la version initiale qui peuvent être plus complexes, plus dures que celles auxquelles on s’attendait. Souvent, les messages des évaluateurs sont même contradictoires : certains trouvent votre thèse extrêmement brillante, d’autres moins. Reste alors à peaufiner, réécrire et reformuler avant le dépôt final. Or, cela vous apparaît pratiquement impossible. Puis, à l’instar d’un marathonien qui parcourt les cent derniers mètres, on trouve l’énergie d’incorporer, une à une, les suggestions des membres du comité de thèse. Il est difficile de décrire comment l’on se sent durant cette période intense. Une minute on est humilié. La seconde d’après on est triste, ou encore euphorique et inquiet à la fois. Il serait donc judicieux d’expliquer à vos enfants pourquoi vous êtes si étrange. Selon leur âge, commencez également à les sensibiliser aux étapes qui suivront. Par exemple : choisirez-vous de partir quelques mois ou quelques années à l’extérieur du Québec pour effectuer un stage postdoctoral ? Envisagez-vous de déménager dans une autre ville de la province pour maxi-

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miser vos possibilités d’emploi ? Ces décisions seront plus faciles à prendre si vous avez le soutien de vos enfants et de votre conjoint, le cas échéant. Après la soutenance, ne vous étonnez pas si vous vous sentez encore étrange. Vous serez surpris de constater tout l’espace qu’occupait votre doctorat dans votre cerveau. Certains collègues ont comparé cette période à un « post-partum », alors que pour d’autres il s’agissait plutôt d’un immense soulagement7. Quelle que soit la forme que cela prendra, n’oubliez pas de remercier vos enfants pour leur patience et leur compréhension. Ils n’en seront que plus fiers de vous avoir accompagné dans votre démarche. Avec un peu de chance, ils diront, comme mes fils, qu’ils ont trouvé ça bien agréable d’avoir une maman qui faisait des devoirs… comme eux ! Personnellement, j’estime que le fait d’avoir eu des enfants a été un atout majeur dans la poursuite de mes études doctorales. Grâce à eux, je me suis donné une structure de travail qui a été fort profitable et qui me sert désormais dans mes tâches de professeure. J’ai gardé l’habitude de travailler à partir de mon bureau et je continue à faire du sport chaque midi. Mes enfants m’ont ainsi préservée des excès qui peuvent parfois caractériser les études doctorales (et les carrières professorales), c’est-à-dire de travailler de trop longues heures pendant de trop longues périodes, ce qui conduit, souvent, à l’épuisement. Ils m’ont permis de m’amuser et de « décrocher », si bien que je n’avais pas le sentiment d’être emprisonnée dans mes études. Et puis, mes garçons m’ont aidée à relativiser l’importance du doctorat, mais également à profiter de chaque moment consacré à cette grande expérience intellectuelle.

7. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Catherine Rossi.

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chapitre 8 La conciliation études doctorales et famille Dominique Tanguay

Les recherches sur la durée des études doctorales ainsi que sur les taux d’abandon attestent la complexité de ce type de formation : il s’agit d’un parcours long et ardu, qui exige à la fois énergie, engagement, résilience et détermination1. Alors que les personnes qui faisaient un doctorat il y a quelques décennies étaient généralement de jeunes hommes célibataires dont les études constituaient la principale, voire l’unique forme d’engagement, la population doctorante est désormais très diversifiée ; elle cumule fréquemment un emploi en concomitance avec les études et assume parfois des responsabilités parentales. Environ le tiers des nouveaux titulaires de doctorat au Canada ont la charge d’au moins une personne au moment d’obtenir leur diplôme (King, 2008). Cette proportion est sans doute plus élevée pour l’ensemble de la population doctorante, puisque les parents risqueraient davantage d’abandonner les études doctorales en cours de route que leurs collègues sans enfant (Lecompte, 2004 ; McLaughlin, 2006)2. Tout comme les études doctorales, les enfants exigent temps et énergie, en plus d’exercer une pression sur les besoins financiers3. Dans une telle 1. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Virginie Mesguich. 3. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Isabelle F.-Dufour.

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situation, comment articuler études doctorales et famille ? Notre thèse s’est intéressée à l’incidence de la maternité et de la paternité sur la persévérance aux études doctorales (Tanguay, 2014). Afin de mieux connaître les particularités du parcours universitaire des parents doctorants ainsi que leur expérience dans la conciliation études-famille, nous avons réalisé des entretiens individuels auprès de 24 doctorantes et de 11 doctorants inscrits dans un programme de 3e cycle à l’Université Laval. Ces parents étaient généralement bien avancés dans leur cheminement, la majorité se situant au stade de l’analyse et de la rédaction de la thèse, et ils étaient tous le parent biologique ou adoptif d’au moins un enfant âgé de 1 à 12 ans, dont ils avaient la garde au moins la moitié du temps. L’analyse thématique des entretiens a permis de mieux comprendre à la fois le parcours et le quotidien de ce groupe. Cet article s’intéresse plus précisément aux défis liés à la présence de responsabilités familiales, ainsi qu’aux ressources et aux stratégies qui ont été précieuses pour assurer la persévérance de ces parents doctorants. Loin d’être seulement une épreuve, la conciliation études-famille paraît, dans les propos de ces parents, procurer certains bénéfices. Premier défi : la gestion du temps

Le plus grand défi que doivent relever les parents doctorants a trait à la gestion du temps4. Les études doctorales, les soins et l’éducation des enfants, et aussi fréquemment l’occupation d’un emploi, se cumulent, résultant en une somme de travail qui est élevée, voire très élevée aux yeux de certains parents doctorants. Les imprévus, notamment les maladies des enfants, bousculent occasionnellement les études et l’emploi, ce qui peut causer des frustrations et des retards. Cette charge de travail, bien que lourde, peut être gérée de différentes façons pour soutenir la persévérance. Afin de progresser dans leurs études doctorales, la stratégie privilégiée par les parents doctorants consiste à déterminer des plages horaires consacrées aux études et à les respecter, à moins que des urgences familiales ne requièrent leur intervention. Cette stratégie vise à assurer qu’une certaine quantité de 4. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Louise Boisclair, d’Élias Rizkallah et Shirley Roy et d’Isabelle F.-Dufour.

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travail puisse être effectuée chaque semaine de façon à avancer, même dans les cas où cette progression est plus lente qu’espéré. Les femmes et les hommes qui étudient à temps partiel, quel que soit le motif de cette décision, adoptent aussi un horaire rigide pour se préserver des journées d’étude, ce qui leur permet de conserver un lien mental avec les études et de maintenir leur motivation. Dans le même ordre d’idées, déterminer des objectifs à atteindre dans les mois à venir, associés à des dates d’échéance, avec la complicité de la direction de thèse, contribue à favoriser la progression. Cette stratégie se révèle particulièrement bénéfique après une période où les études ont été fortement ralenties, voire interrompues, que ce soit à cause d’un congé parental, de l’occupation d’un emploi ou d’un événement significatif tel que le décès d’un proche. Certains parents apportent toutefois un bémol à cette stratégie. Il est capital, à leurs yeux, de planifier leur travail pour s’assurer d’investir leurs efforts de la façon la plus efficace possible. Or, les jeunes enfants sont vulnérables aux virus et aux infections, ce qui peut freiner les études et bouleverser le programme. Ces parents insistent donc pour dire qu’il faut apprendre à « être zen » par rapport à la planification du temps lorsque ces situations surviennent, et à revoir ses échéances avec réalisme plutôt que de tenter de les respecter à tout prix, ce qui engendre frustration et stress inutiles. Le parcours doctoral s’étendant sur quelques années, il est préférable de repousser de deux semaines une échéance devenue déraisonnable que de culpabiliser ou de s’épuiser à tenter de la respecter. À cet égard, la compréhension de la direction de thèse est essentielle pour réaménager le travail en évitant de créer un sentiment d’inadéquation. En ce qui a trait aux différentes phases des études doctorales, les parents doctorants ont éprouvé peu de difficultés à concilier études et famille durant la phase de la scolarité. Puisque l’horaire des cours est connu à l’avance, il était simple pour eux de planifier leur travail. La période des examens et des séminaires, quoique marquée par une intensification du travail et par le stress, ne représentait pas de défi particulier. Pour celles et ceux à qui la collecte de données imposait de s’absenter de la maison, les enjeux de partage des responsabilités familiales avec la conjointe ou le conjoint ainsi que le recours au réseau social ou à des services de garde supplémentaires ont parfois posé problème. Certaines personnes ont modifié leur collecte de données de façon

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à éviter des absences trop longues ou trop fréquentes, qui auraient bouleversé l’organisation familiale. La phase de l’analyse et de la rédaction posait un défi particulier. Plusieurs parents doctorants ont éprouvé des difficultés à dégager des plages horaires suffisamment longues pour se concentrer et atteindre un rythme de travail leur permettant d’être très efficaces. Les journées de travail trop courtes calquées sur les horaires scolaires ou de garderie ainsi que les interruptions pour occuper un emploi ont ralenti le travail de rédaction pour certains parents. À ce stade, la possibilité de ne pas occuper d’emploi ainsi que la présence de la conjointe ou du conjoint, qui accepte d’aménager son emploi du temps ou d’assumer davantage de responsabilités parentales, permettent d’accélérer la phase de rédaction. Le principal moyen de dégager suffisamment de temps pour les études est le recours à une forme ou une autre de garde des enfants. Pour les enfants d’âge préscolaire, la majorité des parents ont utilisé les services d’un centre de la petite enfance ou d’une garderie. Les parents, lorsqu’ils pouvaient y avoir accès, considéraient que ces places permettaient de disposer d’un horaire adéquat pour réaliser le travail qu’exigaient leurs études doctorales. Pour les parents qui étudiaient à temps partiel, les haltes-garderies ou une gardienne à domicile (souvent une membre de la famille – mère, belle-mère, tante, sœur) ont assumé la charge des enfants pendant les heures allouées aux études. Bien qu’ils aient parfois vécu des irritants liés à l’offre ou à la qualité des services disponibles, tous les parents d’enfants d’âge préscolaire ont affirmé que sans un service de garde, il leur aurait été impossible de mener à terme leurs études doctorales. Par ailleurs, des services de garde en milieu scolaire sont généralement offerts dans les écoles primaires québécoises. Les parents ayant des enfants fréquentant ces écoles ont toutefois préféré profiter de la flexibilité d’horaire offerte par les études pour revenir plus tôt à la maison et s’occuper des devoirs ainsi que du travail domestique en fin d’après-midi, puis terminer leur travail intellectuel en soirée, lorsque les enfants dormaient. Dans cette situation, les services de garde étaient appréciés et utilisés, mais davantage sur une base occasionnelle. Pour les parents doctorants, la progression dans les études doctorales doit respecter certaines balises, propres à chacun, qui garantissent suffisamment de temps pour mener une vie familiale satisfaisante5. La quasi-totalité des parents 5. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Isabelle F.-Dufour.

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rencontrés ont refusé de se désengager de leur vie familiale au profit de leurs études doctorales. Hormis pendant les périodes de pression intense, comme celles de la préparation des examens de synthèse ou de la soutenance, la plupart des parents refusaient de consacrer du temps à leurs études durant le week-end parce qu’il s’agissait pour eux d’un temps réservé à la famille. Les parents d’enfants d’âge préscolaire ou scolaire repoussaient aussi leurs tâches doctorales, les soirs de semaine, après le coucher des enfants, afin de ne pas empiéter sur le temps passé en famille. Certaines périodes, notamment le congé de Noël et les vacances d’été, étaient également des périodes réservées à la famille, où il n’était pas souhaitable de s’investir intensément dans les études, à moins de circonstances exceptionnelles. La naissance d’un enfant est un moment où il est, aux yeux des parents doctorants, légitime et nécessaire de mettre les études de côté temporairement. Les congés de paternité, qui variaient entre quelques jours et une session, étaient en moyenne plus courts que les congés de maternité, qui s’étendaient de quelques semaines à une année. Les pères doctorants qui étaient boursiers d’un organisme subventionnaire ont généralement profité de la session de congé parental qui leur était offerte, mais plusieurs avaient repris graduellement leurs études après quelques semaines, en limitant leur investissement à quelques heures de travail effectuées pendant les siestes de l’enfant. Les mères, même boursières, ont plus fréquemment prolongé leur congé pour reprendre les études graduellement, à temps partiel. Pour ces femmes, la naissance d’un enfant était un projet désiré et planifié, qui devait s’harmoniser avec leur projet d’études. Celles qui n’avaient pas encore d’enfant au moment de l’admission aux études doctorales ont abordé la question avec leur direction de thèse avant de s’engager, de façon à éviter les malentendus et à disposer de soutien, ne serait-ce que moral, au moment d’interrompre temporairement les études. D’autres femmes, qui avaient déjà un ou des enfants au moment d’entreprendre leurs études doctorales mais en souhaitaient un autre ont aussi confié ce désir à leur direction, dans un souci de transparence, pour que cet événement soit pris en compte dès le départ dans la planification du parcours doctoral. Leurs propos révèlent qu’existait une crainte d’être étiquetées comme étudiantes « moins performantes » ou « moins engagées » ; en annonçant leur projet, elles souhaitaient ainsi attester à leur direction de thèse le sérieux de leur engagement et leur intention de concilier leurs responsabilités avec succès.

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Ces stratégies qui visent à instaurer et à maintenir une vie familiale satisfaisante engendrent inévitablement un allongement de la durée des études, ce qui a aussi été mesuré dans d’autres recherches (Nerad et Cerny, 1993 ; Nettles et Millett, 2006 ; Wu, 2013). Les parents en étaient conscients et considéraient qu’il s’agissait d’une concession acceptable pour concilier leurs différents projets. Comme l’exprimait cette mère doctorante : « Je me dis : “Just too bad ! Je prendrai un an de plus. Ils n’auront pas tout le temps trois, quatre, cinq ans !” » Bien que certaines recherches associent allongement de la durée et abandon des études doctorales (Bair et Haworth, 2004), il convient de souligner que dans notre recherche, cet allongement de la durée des études n’est pas associé à l’abandon. En effet, 34 des 35 parents interrogés avaient obtenu leur diplôme ou étaient toujours inscrits dans leur programme deux ans après l’entretien. Deuxième défi : la précarité financière

Le second défi identifié par les parents doctorants a trait à la précarité financière6. Les études doctorales sont un travail auquel n’est pas directement associé un salaire. Or, les parents doctorants ont des besoins financiers généralement plus élevés que leurs collègues sans enfants puisqu’ils doivent assumer, en partie ou en totalité, la charge de leur famille. Sauf pour de rares exceptions, il n’est pas possible de ne vivre que des économies accumulées et des prêts contractés pour toute la durée du doctorat. Les bourses d’études décernées par les organismes subventionnaires et les fondations constituaient la principale source de soutien financier des parents doctorants de l’échantillon. Pour plusieurs de ces personnes, la bourse constituait une condition sine qua non à l’inscription aux études doctorales : « Pas de bourse, pas de doctorat. » Cette condition était plus fréquemment exprimée par les mères que par les pères, sans doute parce que ces dernières anticipent les difficultés à articuler études, famille et emploi pendant la durée du doctorat, alors que les pères sont plus confiants quant à leur capacité à occuper un emploi durant les études. La bourse vient soulager cette tension que vivent davantage les mères, surtout les mères cheffes de famille monoparentale, en permettant 6. Voir dans cet ouvrage les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et d’Emmanuelle Bernheim.

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de se concentrer uniquement sur les études et la famille. Les parents ont constaté que le temps soustrait à l’emploi et investi dans les études, grâce à leur bourse, a favorisé leur progression. Ils reconnaissaient que le rythme imposé par l’articulation études-famille-emploi était très exigeant et qu’il leur aurait été difficile de le soutenir pendant toutes les années que durent les études doctorales. La bourse engendrait aussi un sentiment de redevabilité envers l’organisme subventionnaire, qui encourageait à persévérer dans les moments où l’envie d’interrompre ou d’abandonner les études surgissait. Or, la durée d’admissibilité aux bourses s’écoule avant l’obtention du diplôme. Pour plusieurs parents, il est alors nécessaire d’occuper un emploi. Certains types d’emplois sont plus favorables à la progression des études. Les assistanats de recherche offrent des conditions intéressantes aux parents étudiants. Le temps de travail est généralement flexible et excède rarement les heures prévues au contrat, ce qui simplifie l’organisation du travail au regard des besoins de la famille. Les tâches effectuées sont très similaires au travail doctoral, ce qui facilite la transition entre les études et l’emploi. Les étudiantes et les étudiants y trouvent même à l’occasion du matériel pour bonifier leur propre recherche. Les assistanats d’enseignement n’offrent pas les mêmes avantages. Plusieurs parents doctorants ont affirmé avoir refusé des offres d’enseigner, surtout durant la période de rédaction, à cause du temps requis. Ces contrats ne se limitent pas au temps passé en classe ; la préparation de cours ainsi que la correction et les suivis auprès des étudiants représentent un travail considérable, qui peut aisément excéder les heures prévues dans le contrat d’embauche. Ce « temps élastique » freine la progression, ce qui incitait les parents doctorants à refuser d’enseigner, de façon à préserver le temps destiné à la thèse et à la famille. Les parents doctorants qui effectuaient un retour aux études et qui souhaitaient maintenir leur lien d’emploi tout au long des études doctorales ont adopté diverses stratégies. Certains ont demandé un congé sans solde, afin de se consacrer aux études à temps plein pendant un an, ce qui leur permettait de consolider leur décision de poursuivre, ou encore de retourner sans perte de privilège chez leur employeur dans le cas où leur projet d’études se serait révélé insatisfaisant. D’autres ont négocié des conditions avec leur employeur, notamment le dégagement de journées pour études, avec ou sans rémunération, ou la possibilité de travailler à temps partiel pendant quelques années.

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Sans un tel aménagement, ces parents n’auraient pu consacrer suffisamment de temps à leurs études pour progresser, compte tenu de la présence de leur famille et des exigences de leur emploi. Les personnes qui ont maintenu leur lien d’emploi occupaient des fonctions de professionnel ou de cadre, lesquelles leur procuraient des tâches stimulantes et de bonnes conditions de travail. Afin de persévérer dans leurs études avec des revenus limités, les parents ont adopté diverses stratégies, parfois très créatives, afin de réduire leurs dépenses, notamment en adoptant un mode de vie simple. Les activités sociales dans des restaurants étaient remplacées par des invitations à souper à la maison d’amis qui ont aussi des enfants, ce qui limite les frais du repas et élimine le coût de la gardienne. Les friperies sont populaires, particulièrement pour les vêtements des enfants, « qui deviennent de toute façon trop petits » rapidement. Plusieurs parents ont emprunté des meubles ou des articles de bébé, ce qui leur a évité de débourser pour l’achat. Des bazars, organisés par des organismes communautaires ou sur le campus, sont l’occasion de se procurer des vêtements et des jouets tout en se départant de ceux devenus obsolètes. Les loisirs organisés par la municipalité, à des prix abordables, ainsi que les activités communautaires gratuites, notamment les fêtes de quartier, sont des activités familiales accessibles et appréciées des familles étudiantes. Quelques mères d’enfants d’âge scolaire travaillaient à partir de la maison durant l’été, tout en supervisant leurs enfants, ce qui éliminait le besoin de payer un camp de jour. D’autres mères s’organisaient en réseau pour garder à tour de rôle les enfants des amies ou des collègues, s’aménageant ainsi un temps de travail sans besoin de payer un service de garde. Quelques familles ont vendu leur voiture pour éviter des dépenses substantielles, de façon à allouer ce budget à d’autres postes de dépenses, notamment la garde des enfants. Elles utilisaient alors les transports en commun, les pistes cyclables et les services d’auto-partage. Finalement, certains ont fait l’acquisition d’un immeuble à logements. Ils occupaient un appartement et louaient les autres, ce qui couvrait les frais de l’immeuble. Le temps requis pour les réparations devenait alors leur « emploi à temps partiel » et leur permettait d’acquérir un actif tout en économisant sur le coût de leur loyer. Ces diverses stratégies adoptées par les parents doctorants visent à rassembler un revenu convenable pour préserver un niveau de vie satisfaisant pour la famille, tout en dégageant suffisamment de temps pour progresser

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dans les études et maintenir une vie de famille acceptable à leurs yeux. Pour la quasi-totalité de ces personnes, il aurait été inacceptable de s’endetter – ou de s’endetter davantage – pour obtenir leur diplôme, ce qui les a incitées à cibler ces stratégies dès leur admission aux études doctorales. Les bénéfices de la conciliation études-famille

Les défis que nous avons décrits font voir les études doctorales comme une épreuve difficile à réussir lorsqu’on doit s’occuper d’une famille. Se restreindre à ce portrait serait cependant réducteur et simpliste, puisque la plupart des parents doctorants retiraient aussi de la satisfaction de leur expérience. Le principal avantage lié aux études doctorales a trait à la flexibilité dans la gestion du temps et des horaires qu’elles offrent. La satisfaction découlant de cette flexibilité était très importante et explique en grande partie comment les parents surmontaient les défis liés à la conciliation études-famille. La possibilité de gérer leur travail à leur guise était essentielle pour eux puisqu’elle leur permettait d’abattre leur lourde charge de travail tout en leur laissant une relative liberté pour choisir leurs moments de travail et intervenir lorsque survenaient des imprévus7. Des mères ainsi que des pères pensaient qu’ils pouvaient ainsi être plus disponibles pour leur famille que s’ils avaient occupé un emploi à temps plein, et ce malgré les nombreuses heures consacrées aux études. De plus, cette flexibilité permettait aux parents doctorants d’étudier aux heures qui étaient les plus productives pour eux, ainsi que de choisir leur lieu de travail. Les parents qui travaillaient à la maison pouvaient épargner le temps de transport et profiter des pauses pour accomplir des travaux domestiques, ce qui leur évitait de réserver du temps en soirée ou pendant le weekend pour ces tâches, notamment le nettoyage des vêtements. Pour quelques parents, concilier études doctorales et famille fait partie d’une stratégie plus globale de conciliation famille-carrière. D’abord, pour celles et ceux qui envisagent une carrière universitaire, avoir des enfants au cours des études doctorales est préférable à les avoir après l’embauche. La gestion du temps est plus flexible durant le doctorat et la pression à performer est moindre, ce qui fait que les congés parentaux et les premiers mois de 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Isabelle F.-Dufour.

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l’enfant, au cours desquels les parents dorment peu, ont des conséquences moins grandes sur les études doctorales que pendant le début d’une carrière professionnelle. Une autre dimension a été abordée seulement par des mères. Celles-ci souhaitaient passer du temps auprès de leur enfant pendant ses premières années. Cependant, ces mères savaient qu’elles avaient aussi un besoin de réalisation de soi qui les incitait à demeurer actives professionnellement. Les études doctorales, avec la flexibilité qu’elles offrent, permettaient alors de passer davantage de temps auprès des enfants tout en se réalisant à travers la formation. Le doctorat évitait ainsi le coût d’option lié au retrait du marché de l’emploi, à savoir la perte des qualifications et des contacts qui engendre des difficultés à le réintégrer par la suite. Une dernière source de satisfaction a trait aux bénéfices psychologiques associés au cumul de ces deux formes de travail. La famille force les parents doctorants à « décrocher » des études, à « se changer les idées », à se « ramener sur le plancher des vaches ». Plusieurs affirmaient qu’avant de devenir parents, ils étaient plus angoissés par leurs études, qu’ils avaient de la difficulté à prendre le recul parfois nécessaire pour surmonter les défis. L’obligation de se consacrer à leur famille permettait de relativiser les problèmes, qui paraissaient dès lors moins graves. Parce qu’ils devaient interrompre leur travail universitaire et faire la place à d’autres activités et préoccupations, notamment durant les fins de semaine, les parents doctorants observaient qu’ils avaient des idées nouvelles et davantage d’énergie lorsqu’ils reprenaient les études. Certains, qui sont devenus parents au cours des études, constataient que l’arrivée des enfants les avait forcés à s’imposer un rythme de travail plus régulier et à mettre un terme à la procrastination, ce qui était bénéfique pour leur santé et pour leur productivité. La nécessité d’une plus grande organisation menait à une hiérarchisation claire des tâches à effectuer et à mieux investir ses énergies dans les tâches qui favorisent directement la progression des études. Finalement, en particulier pour celles et ceux qui étudiaient dans des programmes où les perspectives d’emploi sont restreintes, la présence des enfants offrait une stabilité, un rempart contre l’incertitude. Il était rassurant pour eux de pouvoir se dire que si leurs études doctorales ne débouchaient pas sur une carrière intéressante, leur projet de famille, lui, était bel et bien réussi.

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La conciliation études-famille DÉFIS Gestion du temps - Cumul de plusieurs lourdes charges de travail - Imprévus causés par la présence de la famille - Interruptions ou allongement de la durée des études

Précarité financière  - Assurer le bien-être et celui de sa famille

STRATÉGIES - Adopter un horaire rigide de travail et le respecter - Avoir recours à un service de garde s’il est nécessaire de dégager du temps pour les études - Fixer des objectifs à atteindre à court et à moyen termes - Accepter sereinement les révisions d’horaire - S’assurer du soutien de sa direction de thèse - Préserver une vie familiale satisfaisante, quitte à allonger la durée des études doctorales - Générer des revenus grâce au soutien financier offert sous forme de bourses (organismes subventionnaires, universités, etc.) ainsi que par des emplois (assistanats de recherche plutôt que d’enseignement, emplois hors campus) - Réduire les dépenses (activités familiales, friperies, échange de garde des enfants, services de transport, etc.)

Bénéfices - Flexibilité dans la gestion du temps et le lieu de travail, qui procure une plus grande disponibilité pour la famille et une plus grande efficacité pour les études ; - Stratégie de conciliation carrière-famille : les contraintes liées à la présence de jeunes enfants sont plus faciles à gérer durant les études doctorales qu’en début de carrière universitaire ou professionnelle ; - Équilibre psychologique : la présence des enfants permet à la fois de « décrocher » des études doctorales et de relativiser les problèmes rencontrés au cours de celles-ci.

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*** Concilier études doctorales et responsabilités familiales est, pour les parents doctorants rencontrés, une mission possible, mais qui exige des efforts constants. Cependant, la flexibilité propre aux études doctorales permet de composer avec ces contraintes temporelles et financières. Pour certains, la conciliation études-famille est préférable à la conciliation emploi-famille, puisqu’elle permet d’être plus disponible pour sa famille. La présence des enfants en fait même une expérience bénéfique, puisqu’elle procure certains bénéfices psychologiques, qui font dire à ces parents qu’ils sont globalement satisfaits de leur expérience.

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DEUXIÈME PARTIE

la thèse telle qu’elle se fait

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chapitre 9 Une bonne thèse… c’est quoi ? Pierre Noreau

D’abord une évidence : il ne peut pas y avoir de définition absolue ou définitive de ce qui constitue une bonne thèse. En fonction de la discipline, de la tradition universitaire à laquelle on se rallie, ou en fonction de l’institution où l’on est inscrit, des critères différents, parfois implicites, servent de référence. Ces « règles de l’art » varient et rendent les thèses difficilement comparables entre elles. Il arrive, dans certains contextes particuliers, que la thèse doive suivre un plan imposé. En France, la thèse en deux parties et deux sous-parties constitue encore, dans certaines disciplines comme le droit, la structure de référence. En Amérique du Nord, dans la plupart des sciences sociales, on conçoit difficilement une thèse qui ne proposerait pas un tour exhaustif de la littérature, un exposé sur les choix théoriques arrêtés par l’auteur, un autre sur ses choix méthodologiques et un dernier sur l’analyse de données tirées d’une enquête systématique, chacune de ces étapes pouvant s’étendre sur un ou plusieurs chapitres. Il en va de même du volume de la thèse. Ainsi, si en Amérique du Nord on favorise souvent la rédaction de thèses courtes, comptant tout au plus 350 pages, les thèses réalisées en Europe peuvent être d’une tout autre dimension. De façon concrète, on ne peut s’informer correctement de ces paramètres qu’en consultant les thèses réalisées au cours des cinq dernières années dans l’institution où on se trouve. Le directeur de thèse reste ici le meilleur guide.

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Ces considérations une fois abordées, reste l’ambition d’accomplir une thèse qui sera positivement reçue par les membres du jury. C’est par conséquent en fonction des attentes de ce lectorat particulier que les critères d’une bonne thèse doivent être définis avant de viser un lectorat plus large. Trois critères peuvent ici servir de guides à la lecture comme à la rédaction d’une thèse : l’avancement des connaissances, la force de la démonstration et la cohérence de la démarche intellectuelle. L’avancement des connaissances

Contribuer à l’avancement des connaissances, c’est le premier objectif d’une thèse de doctorat. Il s’agit d’une visée à la fois personnelle et collective. Sur le plan personnel, la thèse offre à son rédacteur la possibilité de fixer les paramètres de sa propre pensée, et il arrive que les choix théoriques et méthodologiques réalisés dans la foulée de la rédaction accompagnent un chercheur tout au long de sa vie intellectuelle. Bien sûr, tous ceux qui ont eu un jour à produire une thèse de doctorat vous expliqueront qu’ils procéderaient tout autrement aujourd’hui. Mais la vaste majorité d’entre eux avoueront également qu’ils n’ont jamais pu, par la suite, se consacrer aussi totalement à une idée ou à une aventure intellectuelle. La thèse n’est pas a priori le lieu de la modestie, mais l’ambition à un prix : s’affranchir du connu. Or la connaissance est un bien collectif et la thèse n’est pas qu’une œuvre d’érudition. C’est là que ça se corse. Sur le plan collectif, la production d’une connaissance nouvelle présente d’autres exigences que la simple réponse à une curiosité légitime. Elle suppose qu’on fasse la démonstration qu’on peut contribuer à la connaissance au sens le plus large du terme. C’est à ce niveau que se situe la différence entre le mémoire de maîtrise et la thèse de doctorat. Contribuer à la connaissance… mais comment le prouver ? Cette démonstration peut être réalisée de multiples façons. Dans le domaine des sciences de la nature, l’enregistrement du sujet de thèse vise en partie à établir les pourtours de cette contribution spécifique. Il permet du moins de faire la démonstration que la recherche envisagée ne vient pas tout simplement en dupliquer une autre dont le sujet serait déjà « enregistré ». Le problème se pose très différemment dans le domaine des sciences sociales et humaines, du fait de l’évolution de la vie sociale (et de la

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diversité même de ses formes), de l’impact du chercheur sur sa propre problématique de recherche et de la diversité des disciplines, des théories et des méthodes auxquelles il peut puiser. Cette diversité ne soustrait pas le doctorant à l’obligation de démontrer sa contribution à l’avancement des connaissances, sinon à celui de sa discipline, et c’est la fonction implicite remplie par ce qu’on appelle métaphoriquement « le tour de la littérature ». Loin de constituer un simple exercice d’érudition – le prix à payer pour démontrer qu’on est devenu un « savant » –, l’inventaire le plus complet possible des recherches réalisées sur le même objet ou sur la même question que celle qu’on se pose vise d’abord à établir l’état des connaissances au « jour 1 » de notre propre investigation. Ce qu’on appelle parfois « le chapitre théorique » trace ainsi la ligne de départ en fonction de laquelle on peut par la suite mesurer sa propre contribution. Ici, l’exhaustivité s’impose comme une condition intrinsèque à l’exercice. Il convient d’éviter d’enfoncer, sans s’en rendre compte, des portes déjà ouvertes, soit par des auteurs que nous n’avons pas pris le temps de consulter (ou dont on nous signalera aimablement l’existence lors de la soutenance) ou par des auteurs issus d’autres disciplines que celles auxquelles nous nous rattachons d’ordinaire. Cette exhaustivité risque de nous amener à consulter des sections jusque-là inconnues de la bibliothèque… mais pourquoi pas ! L’exercice permet finalement de situer son propre projet intellectuel dans sa spécificité par rapport au champ de connaissance que l’on envisage d’investir. Si on évoque souvent l’idée d’une forme de dialogue entre les auteurs d’un même champ de recherche, l’expression est trompeuse dans la mesure où ce dialogue transite par le même filtre, celui de la lecture qu’on en fait. Cela étant, on ne peut nier que cette lecture « située » fasse également partie de notre contribution à la connaissance. Du moins nous amène-t-elle à définir ce que nous retenons de ces auteurs et, par extension, à situer le pôle intégrateur de notre propre questionnement. L’exercice nous permet surtout de nous situer dans notre propre champ de recherche et de marquer notre spécificité. Cette étape franchie, c’est-à-dire une fois située notre perspective par rapport à celles d’autres auteurs, il faut reconnaître la multitude des stratégies conduisant au renouvellement d’un domaine de recherche. Dans une perspective de cumul des connaissances, l’analyse d’une situation encore inexplorée, le recours à une méthode de recherche différente de celles auxquelles

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on a pu recourir jusque-là, l’exploration d’autres dimensions d’un même phénomène ou le recours à d’autres variables explicatives, la transposition d’un concept ou d’une stratégie de recherche d’une discipline ou d'un domaine à un autre, la redécouverte des vertus d’une perspective théorique ou philosophique atypique ou longtemps laissée de côté constituent, parmi bien d’autres possibilités, des exemples de contribution à la connaissance. Sur le seul plan empirique, il peut survenir que le cumul de données nouvelles sur un phénomène nouveau constitue une percée importante dans notre connaissance de ce phénomène. Dans une perspective plus globale, il peut arriver que la thèse propose un retournement de perspective, un renouvellement des paradigmes de référence. La proposition d’une nouvelle typologie, d’un nouveau type idéal, d’un concept original ou d’un nouveau modèle peut constituer une contribution de ce type. La relecture d’une œuvre ou d’un auteur tout à coup réinterprété dans une perspective historique, théorique ou axiologique différente peut également représenter une importante avancée pour la connaissance, dans la mesure où on peut démontrer que cette réinterprétation n’a pas déjà été proposée par un autre auteur. Il faut finalement s’intéresser aux accidents de parcours. Nos projets sont généralement définis dans la foulée de travaux menés sur le même sujet ou sur la même question par les chercheurs qui nous ont précédés sur une période plus ou moins rapprochée. Il s’ensuit que les connaissances nouvelles qu’on prétend fonder s’inscrivent souvent dans le programme plus ou moins fixé d’avance par les autres chercheurs de notre champ ou de notre discipline. Il est vraisemblable, par conséquent, que nos hypothèses reprennent des aspects déjà tenus pour acquis ou des conclusions anticipées (ou des « vérités provisoires ») faciles à déduire à la lecture des travaux déjà réalisés sur la question ou sur des questions connexes, de sorte que nous n’aurons souvent pas de difficulté à en établir la pertinence et la validité. C’est pourquoi plusieurs thèses trouvent leur originalité dans les observations secondaires réalisées par leur rédacteur tout au cours de la recherche. On place souvent ces observations dans le cadre d’un chapitre spécifique de sa thèse, juste avant sa conclusion. Il survient fréquemment que ces données imprévues apparues « sur le chemin le moins fréquenté » constituent en définitive la véritable contribution de la thèse au développement de la connaissance. Cette exploration hors des sentiers

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battus doit du moins être constamment envisagée. Ce qui fait l’intérêt de la recherche ne réside pas tant dans ce qu’on cherche que dans ce qu’on trouve. Pour profiter de ces pas de côté, il convient d’éviter que notre cadre théorique de référence, nos catégories ou nos hypothèses de recherche viennent limiter notre curiosité personnelle. Concepts, catégories, typologies, tous ces outils doivent servir à penser et non, comme c’est parfois le cas, à limiter notre capacité à réfléchir sur notre objet. Plusieurs des grandes découvertes scientifiques des deux cents dernières années ont été le produit d’un accident. Mais il faut parfois chercher une chose pour en découvrir une autre. Aussi, même les observations secondaires du chercheur restent le produit de la recherche. En tout état de cause, prétendre participer au renouvellement des connaissances suppose de pouvoir répondre clairement à la question suivante : « En quoi ma thèse laisse-t-elle derrière elle des éléments ou des résultats (empiriques ou théoriques) dont pourront se servir les autres chercheurs de mon domaine ? » Si on peut situer clairement cet apport spécifique, c’est que notre thèse contribue au développement de la connaissance. Il ne faut cependant pas oublier que cette conviction ne doit pas être uniquement la nôtre, mais également celle de la communauté universitaire. C’est le problème de la démonstration… La force de la démonstration

Une thèse de doctorat interpelle à la fois un auditoire rapproché et un auditoire lointain. À court terme, le jury forme le premier cercle de ses lecteurs. Sur une plus longue période, la communauté scientifique s’en réapproprie les termes et les conclusions. C’est le premier de ces auditoires qui nous intéresse ici, car c’est lui qui, finalement, décide de la réception d’une thèse. Après le directeur de thèse, le jury est son premier véritable public. La question en jeu est alors très simple : quelle est la valeur de la thèse en tant que contribution à la connaissance ? Plus précisément, la question est de savoir si la vision des choses proposée par la thèse vaut pour quelqu’un d’autre que pour son auteur et peut susciter l’adhésion plus largement. L’étudiant est-il sorti du monde de la conviction et de l’intuition (forcément personnelles et autoréférentielles) pour produire une interprétation de la réalité dont la valeur probante est également susceptible d’être comprise et reconnue par d’autres ? Dans quelle mesure parvient-elle à rendre compte d’une partie de la réalité ?

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La difficulté vient ici de ce que l’ambition qui sous-tend le cheminement doctoral est souvent d’origine normative. La rupture épistémologique dont il est rituellement question dans la littérature vise essentiellement à transformer une intuition ou une conviction en démarche à valeur analytique. Elle nous projette hors du savoir de sens commun1. On reconnaît une bonne thèse à ce qu’elle parvient à convaincre le lecteur de l’intérêt heuristique de ses conclusions. La thèse n’est pas l’expression d’un simple témoignage personnel sur la réalité. Il faut soutenir une thèse, une idée… tout au long de la thèse, mais la valeur de celle-ci doit faire l’objet d’une démonstration. Il s’ensuit qu’il n’y a rien de moins improvisé qu’une thèse de doctorat. La démonstration est toujours une question de stratégie. On ne démontre rien « par accident ». Cette démonstration doit pouvoir s’appuyer sur toute une série de choix. La question des conditions de la démonstration peut évidemment se poser différemment selon que le projet de thèse comporte une dimension empirique ou revêt plutôt la forme d’un développement conceptuel ou théorique – on pense par exemple à une thèse portant sur l’étude d’un seul auteur, de nature théorique ou fondée sur une proposition d’ordre philosophique. Il arrive que dans ce cas l’exposé soit de nature argumentative. Il prend alors la forme d’un essai et la cohérence interne du propos fait foi de sa valeur intrinsèque. Il en va autrement des projets de thèse comportant des aspects empiriques, et ce, que la recherche soit entreprise dans une perspective déductive ou inductive. Idéalement, on peut espérer que la démarche proposée permette de démontrer la valeur heuristique de telle ou telle interprétation – de telle explication ou telle compréhension – d’un phénomène en excluant toutes les interprétations concurrentes. On doit du moins tenter de démontrer que cette interprétation rend plus systématiquement compte que les autres du phénomène étudié, le mot phénomène étant ici employé dans un sens très large. On comprend immédiatement la place que la comparaison prend dans la structuration de ce type de démonstration. Il a souvent été dit que « comparaison n’est pas raison ». Mais ce brocard populaire renvoie plutôt à l’usage de l’analogie dans l’ordre du discours courant. Or, on parle plutôt ici de faits avérés et d’un cadre de comparaisons systématiques. 1. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique [1934], VRIN, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1986.

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À l’exception des sujets ou des questions de recherche susceptibles de faire l’objet d’une véritable recherche clinique, il est rarement donné aux chercheurs des sciences sociales et humaines de reproduire une situation ou de comparer en temps réel deux situations voisines mais distinctes sur un seul aspect dont on contrôle l’incidence. Hors du champ de la psychologie clinique ou de la psychoéducation, les conditions de recherche en sciences sociales s’éloignent souvent de celles que propose la recherche expérimentale. On peut rarement y reproduire une situation ou mettre en jeu un ensemble de données, de variables ou de mesures standardisées. La question de la démonstration se pose alors parfois dans d’autres termes, encore que le modèle clinique ou expérimental puisse inspirer de loin en loin un stratagème s’approchant des conditions idéales d’une démonstration. Ainsi, en archéologie, la comparaison des vestiges de deux communautés humaines vivant dans des contextes géoclimatiques comparables, mais présentant de grandes distinctions sur le plan de leur organisation sociale, fait la preuve du caractère déterminant des variables d’ordre culturel sur la structuration de la vie collective : ici, les dimensions culturelles l’emportent sur les variables climatiques et géographiques qui avaient, jusque-là, été considérées comme déterminantes. On saisit immédiatement que les termes d’une éventuelle comparaison et le choix des données étudiées (que ces données soient de nature primaire ou secondaire) sont centraux et doivent se justifier en fonction des impératifs de la démonstration qu’on entend réaliser. L’effort consenti dans la mise en forme d’une hypothèse (qui fonde un lien entre la thèse développée et sa démonstration) trouve là tout son intérêt. L’inventaire des faits observés et soumis à l’appui d’une thèse trouve en fait sa place sur un continuum qui, selon la nature du propos, mène de la simple description jusqu’à la démonstration, en passant par l’illustration. Cela étant, la description d’un fait se suffit rarement à elle-même et ne fait souvent la preuve de rien d’autre que de l’existence d’une réalité ou d’un phénomène. Il arrive cependant que devant le silence de la littérature sur cette réalité, cette observation constitue en soi une véritable contribution au développement de la connaissance, notamment si elle permet de démontrer l’existence ou les caractéristiques d’un phénomène dont on niait jusque-là la réalité. Il ne faut pas pour autant tenir trop facilement pour acquis que l’on est le tout premier chercheur à s’intéresser à tel ou tel aspect d’un problème ou d’un phénomène…

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Un bon tour de la littérature s’impose d’abord. Cela étant, il ne faut pas exclure que certains sujets de recherche méritent une reconceptualisation complète, que peut venir supporter une démarche amorcée au départ par une nouvelle description du phénomène étudié. Mais dans tous les cas, cette description ne se suffit pas à elle-même2. L’illustration, quant à elle, vient généralement rendre compte du fait que ce qu’on dit peut effectivement être observé dans au moins un cas, sinon dans plusieurs cas comparables. Encore ici, la possibilité d’établir et d’exploiter empiriquement les termes d’une véritable démonstration étant rarement rencontrée, il arrive que la valeur d’une interprétation (ou la validité d’une hypothèse) réside dans le cumul d’observations analogues réalisées dans des contextes similaires. La possibilité d’illustrer un propos en recourant à une multitude d’exemples successifs constitue parfois la seule façon de rendre compte de l’existence d’une récurrence. De même, l’observation d’une relation stable et fréquente entre plusieurs facteurs peut parfois ouvrir la porte à la compréhension ou à l’explication d’un phénomène. Mais elle ne constitue pas une véritable démonstration. En effet, la complexité du monde social étant ce qu’elle est, on est à peu près en mesure d’illustrer n’importe quelle proposition théorique. Dans notre domaine, « qui cherche trouve ». On a alors tôt fait de confondre l’exception et la règle générale. Il survient d’ailleurs parfois que ce soit l’exception qui séduise, parce qu’elle étonne3. On comprend immédiatement pourquoi la systématicité des observations constitue une exigence intrinsèque de la recherche. La seule illustration de l’existence d’un fait sin2. Une comparaison simpliste des approches déductive et inductive en recherche pourrait ainsi laisser entendre que cette dernière est essentiellement de nature descriptive. Mais, outre le fait que les thèses menées dans une perspective inductive sont encore rares (on pense notamment aux démarches inspirées par l’ethnographie comme la grounded theory, ou théorie ancrée), elles sont généralement portées par l’ambition de repérer des généralisations empiriques qui, une fois conceptualisées, sont susceptibles de servir de référence à d’autres projets. L’élaboration de catégories de fait y précède alors la (re)conceptualisation de la réalité observée et finalement une nouvelle théorisation des phénomènes observés. Dans tous les cas, on est tenu aux exigences de la démonstration. 3. On aborde ici une dimension souvent oubliée de l’éthique scientifique. Même si le programme proposé par la sociologie du 19e siècle de fonder les sciences sociales sur la définition de lois sociologiques est jonché d’exigences, il rappelle néanmoins l’obligation de bien distinguer les faits récurrents des faits d’exception, même si ces exceptions sont souvent essentielles à la compréhension de notre objet de recherche.

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gulier est généralement insuffisante, car elle ne met pas le chercheur à l’abri d’une lecture sélective de la réalité. Partant, elle ne peut que très rarement valoir en tant que démonstration. Il n’y a rien de plus facile que de se convaincre soi-même d’une idée, ou de l’existence d’un fait. Or, il s’agit au contraire, ici, de convaincre quelqu’un d’autre. Dans tous les cas, il est très important de reconnaître les limites de la démonstration que l’on se propose de réaliser, compte tenu de la nature de son objet, de son hypothèse et des contraintes intrinsèques à toute activité de recherche. Il faut éviter d’aller au-delà de ce que les faits nous permettent d’affirmer et accepter les limites de la démarche, c’est la condition de notre crédibilité scientifique. Dans tous les cas, il est impératif que ces observations soient faites dans des conditions qui ne permettent pas de nier qu’il s’agit de faits probants. On entend par là que leur existence doit être établie de telle façon qu’elle ne dépende pas strictement du regard que le doctorant porte sur elle, d’où la nécessité d’objectiver la mesure à l’aide des outils offerts par les différentes méthodes développées dans le domaine des sciences sociales et humaines4. On sombre autrement dans un discours performatif, qu’on finit par croire soi-même à force de se le répéter. Il faut au contraire se méfier de ce qu’on croit savoir déjà. Cette difficulté est plus importante encore dans les sciences sociales et humaines que dans les autres champs de la connaissance, parce que nous participons directement ou indirectement à la société que nous observons. Il s’agit d’une particularité des sciences sociales, discutée plus loin. La cohérence de la démarche intellectuelle

Si la contribution de la thèse au développement de la connaissance de même que la force de la démonstration sont inhérentes à la démarche intellectuelle, celle-ci doit également répondre à une dernière nécessité : la cohérence du propos. Nous avons déjà indiqué que la démonstration ne peut être que le produit d’une démarche systématique, sinon d’une véritable stratégie. La cohérence 4. Benoît Gauthier (dir.), Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, 5e éd., Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2008, 784 p.

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de la thèse, abordée comme un tout, répond à la même nécessité. On mesure cependant cette cohérence sur une multitude de registres différents. Et c’est très souvent sous l’un ou l’autre de ces registres que la valeur de la thèse, une fois déposée, est évaluée. Le premier de ces registres concerne la mise en rapport logique de la question de recherche avec les conclusions que l’étudiant tire finalement de sa thèse. Cette mise en cohérence suppose, du moins dans le cadre des démarches les plus classiques, une véritable continuité entre la problématique de recherche, les hypothèses, la stratégie de démonstration, l’enquête, l’analyse des données et les conclusions de recherche. La question se pose, que la thèse soit de nature déductive ou inductive. Il s’agit d’un exercice très délicat, s’agissant d’une démarche réalisée sur une très longue période. Il arrive que cette cohérence ne puisse être assurée qu’au prix de plusieurs allers-retours entre les différentes parties de la thèse, tout au long du processus menant à sa conclusion. Dans plusieurs départements et plusieurs facultés, l’examen-synthèse porte sur la définition du projet de thèse ; ce document sert souvent à se souvenir des orientations générales qui fondent la recherche. Il est parfois utile d’y revenir, soit pour mesurer le chemin parcouru depuis nos premières intuitions jusqu’à la réalisation des différentes étapes de la recherche, soit pour nous rappeler le sens général de notre projet et nous assurer de la cohérence de l’ensemble. Il s’agit souvent, par conséquent, de notre principale feuille de route. Celle-ci peut évidemment évoluer considérablement tout au cours de la trajectoire doctorale, mais cette évolution sera alors le fruit de choix faits en connaissance de cause. Les principales incohérences rencontrées lors de la lecture de la thèse se situent dans la relation souvent bancale entre les hypothèses (ou les objectifs) du projet et la nature des données utilisées par l’auteur de la thèse. Il ne s’agit pas seulement ici d’un problème méthodologique, mais de stratégie de recherche. Les conclusions de la démarche sont alors moins susceptibles de répondre à la question posée au départ. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait, notamment les difficultés inhérentes à la collecte des données : un accès plus limité que prévu au site où devaient se dérouler les observations, une réticence inattendue des informateurs rencontrés à répondre aux questions, la rareté de la documentation ou la nécessité d’entreprendre, pour y avoir accès, des démarches longues ou compliquées. Il peut arriver que, face

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à ces difficultés, un étudiant doive envisager de changer ses objectifs de recherche, de manière à les ajuster aux conditions concrètes du terrain, plutôt que de tenter de les atteindre à l’aide de données incomplètes. Quoi qu’il en soit, il ne faut jamais oublier que la thèse constitue un produit fini qui doit guider le lecteur le long d’une démarche organisée répondant à des exigences de systématicité. La cohérence de la thèse relève également de la continuité du propos. C’est la difficulté des thèses où se multiplient les digressions et les glissements. La digression survient généralement lorsqu’un thème accessoire en arrive à occuper un espace disproportionné de la thèse. Cette « parenthèse élargie » vient souvent brouiller le sens général de la démarche. Il arrive qu’après avoir exploré une dimension secondaire de son sujet, l’étudiant cherche légitimement à conserver une trace de cette investigation. Il faut plutôt envisager d’en rendre compte dans un texte spécifique, article de revue ou de livre, plutôt que de tenter d’en intégrer les éléments dans la thèse. On peut également, comme on l’a dit plus haut, en faire l’objet d’un chapitre spécifique, placé alors à la toute fin de la thèse, juste avant la conclusion. Ces explorations parallèles peuvent parfois servir de base à des recherches ultérieures. De même, lorsque la production de la thèse s’étend sur plusieurs années, il arrive que le rédacteur, sans perdre totalement le sens général de sa démarche, poursuive d’autres visées intellectuelles que celles qui avaient inspiré sa démarche initiale. Deux projets sont donc poursuivis simultanément, sans que le second ait fait l’objet d’un développement systématique. Cette dispersion intellectuelle transparaît inévitablement au cours de la rédaction et peut fragiliser la structure de l’analyse. On sent alors une forme de flottement. Certaines des conditions qui fondent le travail intellectuel sont transgressées et, parmi celles-ci, l’obligation d’une transparence inhérente à toute discussion scientifique. La cohérence de la thèse peut également souffrir d’un parti pris normatif (ou idéologique) implicite. C’est parfois le cas en sciences sociales et humaines. Comme nous l’avons dit, cette propension est reliée au fait que nous participons à la vie de la société que nous observons5. Il s’ensuit une forme de confusion potentielle entre les dimensions analytiques et normatives de nos 5. Guy Rocher, « Le “regard oblique” du sociologue sur le droit », dans Pierre Noreau (dir.), Dans le regard de l’autre, Montréal, Thémis, 2005, p. 51-68.

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questionnements, de nos objectifs et de nos investigations. Un rapide tour d’horizon des thèses réalisées au cours des dernières années suffit pour se convaincre de la portée critique et réformatrice de plusieurs des thèses réalisées dans les disciplines en sciences sociales. Il faut reconnaître et utiliser cet enchevêtrement créatif dans la construction de l’objet et de la problématique de recherche. Cela étant, une fois passée l’étape de cette confusion foisonnante, les catégories et les hypothèses sur lesquelles sont construits nos projets doivent reprendre leur fonction analytique. C’est une dimension essentielle de la rupture épistémologique évoquée plus haut. Toute confusion entre les dimensions analytique et normative des projets que nous poursuivons rend difficile la distinction entre l’observation et l’évocation. Nous pouvons ici reprendre à notre compte cette réplique de Cyrano : « Oui… Poète, on se prend à son jeu, c’est le charme !…/ Tu comprends… ce billet, – c’était très émouvant :/ Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant. » On sombre alors rapidement dans la prophétie autoréalisatrice (wishfull thinking). Poursuivant un projet réformateur plus ou moins tacite (hidden agenda), il est inévitable d’être involontairement tenté d’infléchir dans un sens ou un autre les conclusions que l’on tire de ses propres observations, en ruinant du coup sa capacité à objectiver ses constats et ses analyses. La thèse cesse dès lors de convaincre et devient un essai, sinon un billet d’humeur. Une incohérence interne naît inévitablement de cette confusion entre les programmes analytique et normatif que l’on poursuit. Il faut savoir les distinguer à un certain moment de la démarche. Sachant que nous devons convaincre quelqu’un d’autre que nousmême de nos conclusions de recherche, il convient de méditer ce conseil reçu d’un autre directeur de thèse : « Pensez “à chaud”, mais écrivez “à froid”. » Un dernier risque d’incohérence peut venir des rapports de proximité qui se tissent entre le doctorant et les milieux de pratique avec la complicité desquels le doctorant est appelé à réaliser sa recherche. Cette proximité est souvent nécessaire à la poursuite de la connaissance. La recherche collaborative, la recherche participative, la recherche-formation ou la recherche-action constituent ainsi des démarches fréquemment rencontrées et de plus en plus valorisées dans nos disciplines6. Dans la plupart des cas, les partenaires associés à la 6. Voir Marta Anadón (dir.), La recherche participative, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007.

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poursuite de la recherche contribuent à sa problématisation, à sa conceptualisation et à sa réalisation. Dans le cadre de recherches bien circonscrites dans le temps, il est tout à fait possible d’envisager ce type de démarche, dont le chercheur tire profit, tout autant que les acteurs des milieux qui s’y investissent. Sur une plus longue période cependant, il peut survenir que les objectifs divergent. Contraints de répondre aux impératifs changeants de l’action, il peut arriver que ceux des milieux avec lesquels nous travaillons (et par extension, leurs attentes vis-à-vis de la recherche) varient rapidement et de façon incompatible avec les impératifs du travail scientifique. Toute démarche de recherche entreprise sur de longues années exige une certaine stabilité des objectifs et des hypothèses, de même qu’une certaine standardisation des observations. La reconfiguration constante du programme de recherche menace la valeur même de ces « mesures » et de ces analyses. Alors qu’une certaine cohérence doit caractériser la thèse, les attentes changeantes des acteurs qui accompagnent sa réalisation peuvent forcer un réalignement constant de la démarche. Il n’y a pas de solution toute faite à cette situation. La mise en relation positive entre chercheurs et acteurs nécessite une excellente connaissance mutuelle et une compréhension des dimensions propres à chaque terme de cette collaboration. Ces dimensions doivent être mutuellement comprises de manière à éviter que la thèse ne suive un chemin tortueux qui ne permettra pas au doctorant de répondre de façon satisfaisante à ses questions de départ, à ses hypothèses ou aux objectifs qu’il s’est fixés. Souvent il devra tenter de répondre aux demandes ad hoc qui lui sont adressées en évitant de porter atteinte à la cohérence de l’ensemble de la démarche elle-même. Faire confiance au projet d’origine. *** Il est impossible de définir dans l’absolu ce qui fonde une bonne ou une mauvaise thèse. Mais la contribution à la connaissance, la force de la démonstration et la cohérence de la thèse font partie des critères sur lesquels les membres du jury appuieront leur évaluation et la majorité des questions auxquelles son auteur sera exposé porteront sur l’une ou l’autre de ces dimensions. La thèse n’est pas un exercice de modestie. Après tout, on prétend y réaliser une percée dans les connaissances et apporter une contribution significative

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dans un domaine ou un autre de la connaissance ou de l’action. On espère faire avancer la discipline. Les travaux sont souvent motivés par des visées critiques ou réformatrices. L’exercice se situe cependant quelque part entre deux termes. Dans le coin droit, il arrive que, dans certaines traditions universitaires, la thèse ne soit considérée que comme un simple exercice de style. On doit faire la démonstration qu’on sait « patiner » et qu’on est en mesure d’intégrer un club plus ou moins sélect formé d’intellectuels diplômés qui ont « fait leurs gammes ». Dans le coin gauche, à l’inverse, on rencontre périodiquement un étudiant convaincu d’être l’incarnation d’un Marx, d’un Durkheim ou d’un Montesquieu des temps modernes. La réalité se situe sur une autre échelle. C’est au doctorant de placer le curseur au bon endroit. Exercice de style, la thèse perd tout son intérêt en tant qu’aventure intellectuelle. On ne vise plus dès lors qu’à devenir un autre de ces fonctionnaires de l’esprit. À l’autre bout du spectre, on réalise rapidement que le génie est rare et que la plupart des œuvres importantes ont été produites assez longtemps après le début de la carrière intellectuelle de leur auteur. Si une thèse pose les bases d’une véritable innovation intellectuelle, cela finira par se savoir. C’est à l’usage qu’on reconnaît les œuvres qui marquent tous les chercheurs d’une période. Mais il faut garder toujours vive l’idée que l’activité intellectuelle est une forme d’humanisme et qu’elle a de la valeur en elle-même.

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chapitre 10 Formuler – et reformuler – la question de recherche Carmela Cucuzzella

La clarté et plus encore le caractère « réalisable » de la question de recherche constituent, à l’évidence, des éléments importants de tout projet de doctorat. Il en est de même pour toute recherche doctorale. Les étudiants qui amorcent leur doctorat ne sont pourtant pas toujours bien préparés à faire face à cet impératif et il n’est pas surprenant que la formulation d’une question qui devra guider l’ensemble de la démarche doctorale se révèle une source de tracas dans le vaste domaine des sciences humaines. Si une bonne question ne garantit pas l’achèvement de la thèse, une question mal formulée en retarde assurément la concrétisation. Sans prétention normative, on trouvera ici une série de repères simples afin d’aider les étudiants à anticiper le potentiel d’une question, car il ne s’agit pas tant de construire « la » question que d’accepter de la reformuler à plusieurs reprises au cours de la recherche. Le candidat au doctorat en vient dès lors à comprendre que la question est à la fois véhicule et colonne vertébrale de son projet scientifique. D’une certaine façon, la question est toujours temporaire, mais de façon paradoxale elle se présente comme une préoccupation permanente. Elle devrait évoluer et s’adapter aux connaissances nouvellement acquises, mais dans la plupart des cas elle se constitue en véritable point fixe de la démarche. Le doctorant doit accepter cette nécessaire évolution et développer une réelle flexibilité épistémologique, ce qui ne s’acquiert que par une certaine confiance

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dans le processus. Il ne suffit donc pas d’analyser et d’exposer les composantes d’une question idéale, puisque la difficulté consiste plutôt à développer une capacité à tendre vers la meilleure formulation possible tout en approfondissant les différents niveaux de la recherche. Cet article aborde ce paradoxe de deux façons distinctes. Je m’appuierai d’abord sur ma propre expérience doctorale pour évoquer les grandes étapes de reformulation progressive de ce qui constituait ma question de recherche. Outre trois états de formulation de la question, je donnerai quelques indices de son évolution en montrant comment celle-ci s’inscrit en cohérence avec le dialogue qui doit s’établir devant de nouvelles théories ou de nouvelles observations en cours de processus. Puis, je me pencherai sur les blocages qui ne manquent pas de survenir et mettent l’étudiant face à ce qu’il ressent comme une impasse ou, à tout le moins, comme un hiatus entre la question et la recherche elle-même. Pour ce faire, je proposerai un exercice d’analyse de thèses provenant de disciplines étrangères ou suffisamment éloignées de la discipline de référence pour que la question émerge comme un objet en soi. En somme, il s’agit d’identifier cette question avant de prendre la mesure générale de son rôle structurant dans la recherche. Le cas échéant, on pourra s’apercevoir que la question n’a pas épuisé le sujet de la thèse, que celle-ci pourrait se prolonger par des recherches complémentaires, que la thèse n’est, en fin de compte, jamais parfaite et qu’il s’agit plutôt d’une longue propédeutique au vaste monde de la recherche académique. Reformuler une question de recherche

Bien que, dans la plupart des sciences humaines, la production de connaissances nouvelles repose sur des situations problématiques, des contextes à analyser, des enquêtes à conduire, on doit tout d’abord reconnaître que la construction d’une question de recherche inédite ne va pas de soi dans cet univers de potentialités infinies1. On s’attend à ce que le doctorant se concentre sur la formulation d’un questionnement, mais celui-ci ne sera jamais donné d’emblée et, disons-le tout net, il est probable qu’il faudra travailler la refor1. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy.

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mulation pendant les quatre ou cinq années de la recherche doctorale. On me permettra tout d’abord d’exposer les principaux éléments de ce qui fut mon propre retour réflexif, sans que cela n’ait valeur d’exemple autre que le déploiement d’au moins trois grandes étapes de reformulation de la question de recherche. Le doctorant ne réalise pas toujours que l’écart entre un certain énoncé de sa question et l’évolution normalement exponentielle de l’acquisition de connaissances et de théories relatives à la problématique, risque de conduire à plusieurs points de rupture au cours de la thèse. Comment accepter qu’une question préliminaire soit justement une forme primitive tout en s’imposant comme une nécessité pour l’avancement du processus ? À la rigueur méthodologique normalement associée à la démarche scientifique, on devrait tout aussi souvent adjoindre la nécessaire modestie : appelons cela une certaine souplesse d’esprit. J’ai complété et soutenu ma thèse à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal en 2011, sous le titre « Design thinking and the precau­ tionary principle : Development of a theoretical model complementing preventive judgment for design for sustainability ». Le principal objet de ma recherche concernait une meilleure compréhension des processus d’évaluation et de jugement dans le domaine de la conception d’aménagements durables et écologiques. Ce questionnement s’inscrivait dans une problématique reliée aux appro­ ches réductrices de ce type de pratiques et de théories touchant diverses échelles du projet d’aménagement (architecture, paysage, projet urbain, etc.). La notion d’approche « réductrice » renvoie ici aux méthodes qui quantifient la performance environnementale d’un projet de design de façon fragmentaire, sans toujours considérer les qualités du projet dans son ensemble. Avec le recul que j’ai aujourd’hui, je peux discerner trois grandes phases d’évolution de la question de recherche : 1) la question initiale, 2) la question telle qu’elle fut présentée lors de l’examen de synthèse (à mi-parcours), 3) la question finale telle qu’elle apparaît dans la thèse elle-même. On pourrait certainement trouver bien d’autres moments de transformation de la question, mais ces étapes sont probablement celles qu’on rencontre dans la plupart des cas en sciences humaines. La première formulation se présentait sous une forme relativement simpliste : « Étant donné les limites des méthodes réductrices, dans quelle mesure

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Les trois temps de la question de recherche La période

La question

Ses difficultés

Au début

Étant donné les limites des méthodes réductrices, dans quelle mesure le principe de précaution peut-il jouer un rôle charnière pour l’innovation dans le domaine de la conception environnementale durable ?

La solution est inscrite dans la question, mais l’objet d’étude ainsi que son évaluation sont absents.

À mi-parcours

Le principe de précaution peut-il être identifié comme un élément constitutif d’un processus de conception intégrée ? Si oui, dans quelle mesure le principe conduit-il à l’innovation ?

La question spécifie clairement les types de situations de conception qui devront être étudiées, sans que l’on sache encore comment procéder.

À la fin

Quand les principes du LEED1 sont en vigueur dans un concours d’architecture, quels sont les critères qualitatifs négligés par un jury quand vient le temps de sélectionner les projets lauréats ? 

Dans cette question, on peut identifier à la fois les cas d’étude et la démarche d’approche méthodologique.

1. LEED (Leadership in Energy & Environmental Design) est une certification environnementale pour les bâtiments verts.

le principe de précaution peut-il jouer un rôle charnière pour l’innovation dans le domaine de la conception environnementale durable ? » Remarquons d’emblée que le principal écueil d’une telle question provient de ce qu’elle annonce immédiatement un principe de solution dans son intitulé même. Ayant la conviction intime que le principe de précaution pouvait changer les pratiques de design, je voulais tout simplement remonter le fil de la recherche depuis cette « solution ». Toutefois, cette anticipation fragilisait la recherche puisque ce principe ne faisait alors pas encore partie des principes en vigueur dans les domaines du design. Comment pouvait-on même espérer tirer quoi que ce soit des « observations », quand celles-ci se font rares ? La question fut reformulée pour l’épreuve dite de l’examen de synthèse, elle-même organisée autour de la réponse à deux questions formulées par un comité qui incluait le directeur de thèse. Cette fois, à mi-parcours, le principe

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de précaution devenait partie intégrante de la problématique : « Le principe de précaution peut-il être identifié comme un élément constitutif d’un processus de conception intégrée ? Si oui, dans quelle mesure peut-on relier cela à des formes d’innovation ? » On voit cette fois que la dimension problématique du principe de précaution se trouve posée en prémisse, mais on pressent également que de façon plus nuancée, il n’est plus certain que ce principe politique et éthique puisse provoquer une transformation des pratiques sans même disposer de situations ayant valeur de mise à l’épreuve de ce qui n’était au mieux qu’une hypothèse. Cela étant, cette deuxième formulation continuait d’être problématique dans la mesure où elle restait ambiguë et, en même temps, beaucoup trop exigeante sur le type d’observations attendues. Lors de l’examen de synthèse se posa précisément le problème de l’établissement des relations entre le principe de précaution et ces niveaux d’innovation anticipés trop rapidement. La formulation adoptée dans la rédaction finale de la thèse fut présentée comme une question plus générale. Ayant réalisé entre-temps – et je parle ici bien entendu du temps long de la recherche doctorale – qu’il importe de distinguer ce qui relève du général et ce qui relève des particularités liées aux observations, j'avais donné à la question une tournure plus théorique : « Dans quelle mesure les théories reliées au principe de précaution peuvent-elles enrichir les processus de jugement des projets de design dans le contexte de la conception durable ? » Il s’ensuivait une question clairement plus focalisée : « Quand les principes du LEED sont en vigueur dans un concours d’architecture, quels sont les critères qualitatifs négligés par un jury en phase de sélection des projets lauréats ? » Je voudrais insister ici sur trois aspects de la question. Cette sous-question spécifie ce qui pourra être observé, puisque dans un concours il est possible d’avoir accès aux délibérations et aux rapports du jury. On voit également que cela spécifie pourquoi il importe de l’observer, en comparant ce qui s’est trouvé valorisé et ce qui le fut moins parmi les critères. On voit enfin que cette formulation vient préciser comment ces observations seront analysées et évaluées en sondant les critères qualitatifs définis dans les programmes initiaux et les réponses des concurrents (tableau 10.2). La question de recherche doit ouvrir sur une certaine complexité. Elle doit permettre de poser des hypothèses, et dans la foulée cerner le champ d’études. Il va de soi que les questions de recherche dont la réponse peut être

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La question finale en trois objets de recherche La question de recherche finale : Quand les principes du LEED sont en vigueur dans un concours d’architecture, quels sont les critères qualitatifs négligés par un jury quand vient le temps de sélectionner les projets lauréats ? Ce qui pourra être observé

Les délibérations et les rapports du jury

Pourquoi il importe de l’observer

Pour identifier les critères qui ont été valorisés et ceux que le jury n’a pas pris en compte.

Comment ces observations seront analysées

En analysant les critères qualitatifs dans les programmes et dans les réponses, il devient possible de comprendre ce que le jury a négligé.

« oui » ou « non » ne permettront jamais de supporter la réalisation d’un travail de recherche ambitieux. Sans être parfaite, la question finale est moins ambiguë, plus convergente et donne ouverture à une véritable observation. En un mot, elle définit les termes d’un projet de recherche : réalisable. À tout le moins, cette question permet le maintien d’un bon rythme de travail pour la recherche. Il organise la démarche d’enquête, non seulement sur le plan de la revue de littérature et de l’identification des théories disponibles, mais également sur la délimitation du corpus. Elle oriente finalement la façon de traiter ce corpus pour en tirer les connaissances attendues. On voit donc que l’objet d’étude était en quelque sorte absent de la question initiale, que la méthode d’analyse échappait à la seconde question, mais que l’un et l’autre constituent la formulation finale de la question de recherche dans un va-et-vient entre la théorie et les dimensions empiriques de la thèse. La précision de la question de recherche est souvent le produit d’une confrontation et d’une dialectique permanentes entre la question de recherche (telle qu’elle se trouve formulée à l’instant) et la réalité de l’objet d’étude et du terrain. Si ce premier exemple entendait surtout illustrer le déploiement d’une question de recherche au cours des grandes étapes de la trajectoire doctorale, je voudrais maintenant montrer qu’il pourrait être éclairant, pour tout doc-

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torant, d’apprécier l’amplitude de son rôle structurant pour l’ensemble du parcours de la thèse. J’utiliserai donc deux exemples volontairement éloignés de ma propre discipline – le design – en examinant des projets de thèses en histoire de l’art et en psychologie. Comment une question peut-elle structurer une thèse de doctorat ?

La variété des approches avec lesquelles les étudiants abordent la recherche en sciences humaines est l’un des facteurs susceptibles d’expliquer la difficulté que représente la formulation d’une question capable de fonder les paramètres d’une thèse réalisable2. En effet, les éléments constitutifs de la recherche sont construits différemment pour chacun des étudiants. Certains d’entre eux amorcent la recherche avec un vif intérêt pour une situation en particulier et doivent ensuite déterminer quels éléments ils étudieront, avant d’espérer approcher d’une compréhension. Certains étudiants amorcent plutôt la recherche à partir de la théorie, développant d’abord une hypothèse préliminaire, puis tentant de trouver des situations observables qui leur permettraient de développer sinon de valider cette nouvelle théorie. Finalement, d’autres doctorants préfèrent alterner entre la revue des théories et l’examen des données observables. Dans tous les cas, on peut affirmer sans craindre la généralisation abusive que toute thèse traverse des phases d’incertitude, voire des impasses. Quelle que soit la façon dont l’étudiant amorce sa recherche doctorale, on peut formuler quatre grandes exigences auxquelles doit répondre toute question de recherche. Dans tous les cas, la question doit définir : quels sont les événements observables ? Pourquoi sont-ils exemplaires pour la recherche ? Quels sont les paramètres méthodologiques de la recherche envisagée ? Quel en est le cadre théorique de référence ? Bien que ces questions ne surgissent pas d’emblée, elles finissent par concerner de nombreuses thèses. Ce lexique peut sembler angoissant pour des étudiants qui commencent tout juste à se familiariser avec les éléments constitutifs d’une recherche et qui, par conséquent, ne saisissent pas toujours le rôle que jouent ces éléments. Ce sont néanmoins les principales composantes d’une recherche doctorale et dans la plupart des thèses, il devrait être possible de les identifier à même l’énoncé de 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau.

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Questions de base pour une recherche en sciences humaines et leur équivalent dans un langage universitaire Le langage familier

Le langage universitaire

Qu’est-ce qu’on étudie ?

Quels sont les éléments observables ?

Pourquoi on l’étudie ?

En quoi sont-ils exemplaires pour la recherche ?

Comment on l’étudie ?

Quels sont les paramètres méthodologiques en jeu ?

Comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ?

Quelle est la grille d’analyse ? Quels sont les fondements théoriques de cette grille d’analyse ?

la question. Quatre interrogations pourraient aider les doctorants soucieux de prendre une distance critique : 1. 2. 3. 4.

Qu’est-ce qu’on étudie ? Pourquoi on l’étudie ? Comment on l’étudie ? Comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ?

Si ces interrogations peuvent sembler simplistes de prime abord, elles permettent de soulever des réflexions essentielles, mais difficiles à cerner pour des étudiants qui débutent en recherche. Le tableau 10.3 présente ces quatre questions et leur équivalent dans un lexique universitaire. La section qui suit présente les résultats d’un survol de deux thèses de doctorat en sciences humaines et cherche à montrer que ces questionnements se trouvent au fondement même de la majorité des questions de recherche, que ce soit de façon implicite ou explicite. Un survol comparatif de thèses en sciences humaines (Université Concordia)

Le spectre des thèses de doctorat en sciences humaines est très large. Toutefois, à partir d’une catégorisation générale, on peut distinguer des thèses de natures

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inductive ou déductive, et repérer certaines thèses qui se trouvent entre les deux3. Je ne cherche pas ici à débattre de la distinction entre induction et déduction, ou de toute autre forme de construction de la connaissance, mais j’entends plutôt identifier les questions de recherche de chacune des deux thèses de doctorat étudiées dans leur rapport à la structuration de la thèse, sachant que la différence dans la démarche méthodologique entraînera son lot de conséquences sur la définition de la question de recherche. J’ai étudié des thèses issues de différentes disciplines des sciences humaines, en identifiant et en déconstruisant les questions afin de comprendre comment chaque formulation converge sur des éléments de base analogues. Pour chacune des thèses étudiées, j’ai repris les quatre questionnements présentés dans le tableau 10.3, afin d’évaluer si ces thèses présentaient à la fois une question portant sur un objet d’étude clair et sur une méthode d’observation et d’interprétation également bien définie. Cas 1 : Gallo, 2012 (Histoire de l’art)

La première thèse est intitulée Bio-Aesthetics and The Artist as Case History4. L’idée principale est que la transformation historique, décrite par Foucault dans son Histoire de la sexualité (1980), passant d’une conception aristotélicienne de la vie humaine et de l’identité des individus à une conception biologique au milieu du 18e siècle, se manifeste par de nouvelles formes de subjectivité artistique, par une philosophie esthétique et des pratiques matérielles. Les questions de recherche sont résumées dans le tableau 10.4. Le chercheur a eu recours à plusieurs méthodes, afin d’assurer un décryptage précis des textes historiques qui serviront ultérieurement de base à l’analyse d’œuvres d’art de la même période. La question principale clairement établie par l’auteur se formule comme suit : comment les traités artistiques ont-ils adapté les méthodes analytiques diffusées par les nouveaux laboratoires des sciences humaines, du 18e siècle jusqu’à aujourd’hui ? Cela comprend à la fois des textes fondamentaux sur la théorie de l’esthétique et une série d’œuvres d’art exemplaires, analysées à 3. Poupart et al., 1997. La recherche qualitative : Enjeux épistémologiques et méthodologiques. Montréal : Gaétan Morin Éditeur Ltée. 4. Gallo, 2012.

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Les questions de recherche de la thèse de Gallo, 2012 Principale question de recherche

Comment les traités artistiques ont-ils adapté les méthodes analytiques diffusées par les nouveaux laboratoires des sciences humaines, du 18e siècle jusqu’à aujourd’hui ?

Questions de recherche secondaires

(Analyse théorique) Comment les modes de perception issus de la médecine et de l’art en viennent-ils à partager une perspective épistémique commune, centrée sur les questions de surface empirique, et empruntant de façon analogue le regard désintéressé de l’observateur objectif ? (Analyse artistique) Que font les artistes avec de tels développements ? Comment les artistes transforment-ils une emphase clinique qui tend à les contraindre en un élément productif ?

l’aide des ouvrages de ces penseurs. Gallo formule une question précise pour chacune des deux principales étapes de sa recherche, la première visant la réinterprétation des textes théoriques, la seconde l’analyse d’œuvres d’art sélectionnées. Le tableau 10.5 résume les questions de recherche en lien avec les quatre grandes interrogations évoquées précédemment dans ce texte. Les textes sont réinterprétés en utilisant un angle d’analyse issu d’un laboratoire scientifique du 18e siècle (comment on l’étudie ?). Les œuvres d’art sont ensuite interprétées en exploitant cet angle afin de révéler le déplacement qui, selon l’auteur, s’effectue dans la théorie, mais également dans la pratique artistique. L’auteur démontre cela en développant une série de mécanismes cliniques dans les domaines de la théorie de l’esthétique, la perception de l’esthétique et dans la subjectivité de l’artiste (comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ?). On constate finalement que, dans cette thèse, les grands principes de la méthode de recherche sont intégrés dans la question de recherche, aussi concise soit-elle. Cas 2 : Roncero, 2013 (Psychologie)

La deuxième thèse étudiée est intitulée Understanding Figurative Language : Studies on the Comprehension of Metaphors and Similes5. L’objectif de cette 5. Roncero, 2013.

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Résumé analytique de la thèse de Gallo, 2012 Qu’est-ce qu’on étudie ?

Des textes et des œuvres d’art

Pourquoi on l’étudie ?

Afin de comprendre et de montrer que les œuvres d’art sont de plus en plus perçues dans une optique « clinique ».

Comment on l’étudie ?

Les textes et les œuvres d’art seront analysés sous un double angle : 1) kantien 2) foucaldien.

Comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ?

Le chercheur analyse la perspective clinique à la fois dans les théories de l’esthétique (Kant) et dans la perception esthétique (Foucault) afin d’évaluer ce qu’il appelle le phénomène de la « clinicalisation » de la subjectivité artistique (l’artiste).

thèse était de comparer les réactions des gens face aux métaphores et aux comparaisons, en utilisant divers paramètres. Il est à noter que contrairement aux idées reçues sur l’analyse des contenus et des discours, généralement limitée à des analyses qualitatives, les résultats de chacune des expériences conduites dans le cadre de cette recherche ont mené à une analyse de type quantitatif et furent interprétés à l’aide des théories présentées dans la partie théorique de la thèse. Le tableau 10.6 présente un résumé des éléments de cette thèse.

TA B L E AU 10.6

Les questions de recherche de la thèse de Roncero, 2013

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Principales questions de recherche

Dans quelle mesure les métaphores sont-elles assimilées de façon comparable, s’agissant de constructions élaborées sur la base de comparaisons de même type ? Quelles variables permettent de prédire au mieux la compréhension de la métaphore et le temps nécessaire à cette compréhension ?

Questions de recherche secondaires

Dans quelle mesure les métaphores et les comparaisons sont-elles différentes, du point de vue sémantique ? Plus spécifiquement, les différences observées peuvent-elles être considérées comme une des distinctions figuratives littérales ? Dans quelle mesure les métaphores et les comparaisons génèrent-elles, dans l’esprit des sujets étudiés, des caractéristiques différentes ? Chez les gens atteints de la maladie d’Alzheimer, quels facteurs influencent la compréhension des métaphores et des comparaisons ?

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Il s’agit d’une thèse en sciences sociales, dans laquelle le chercheur s’intéresse aux actions humaines et pour laquelle « l’homme dans un contexte particulier » se présente comme un objet d’étude (Poupart et al., 1997). Les résultats de l’étude sont quantitatifs, le chercheur ayant opté pour une méthode expérimentale, et la démarche a recours à des dispositifs de laboratoire précis, afin de tester ses hypothèses. Cette recherche fut effectuée à l’aide d’une approche en psychologie clinique typique, plutôt qu’à l’aide d’une interprétation historique (comme ce fut par exemple le cas pour la thèse en histoire de l’art). La différence entre les approches méthodologiques ne change toutefois rien au fait que la question de recherche doit répondre aux mêmes questionnements : qu’est-ce qu’on étudie, pourquoi on l’étudie, comment on l’étudie et comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ? La principale question de recherche, telle qu'elle est présentée dans l’introduction, est  la suivante : 1)  Dans quelle mesure les métaphores sont-elles assimilées de façon comparable, s’agissant de constructions élaborées sur la base de comparaisons de même type ? et 2)  Quelles variables (aptitude ou convention) permettent de prédire au mieux la compréhension de la métaphore et le temps nécessaire à cette compréhension ? Comme le montre le tableau 10.7, cette question inclut chacun des éléments de base d’une recherche viable dans un contexte doctoral.

TA B L E AU 10. 7 

Résumé analytique de la thèse de Roncero, 2013

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Qu’est-ce qu’on étudie ?

Des individus interprétant des métaphores et des comparaisons.

Pourquoi on l’étudie ?

Pour vérifier la validité des théories antérieures sur le processus cognitif associé aux métaphores et aux comparaisons.

Comment on l’étudie ?

Le chercheur vérifie quels paramètres (aptitudes, convention, diversité des interprétations, degré de connotation) sont les plus susceptibles de prédire la préférence envers une métaphore quand le thème et le véhicule sont les mêmes.

Comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ?

Les résultats sont quantitatifs. Ceux-ci permettent aux chercheurs de réévaluer les théories antérieures.

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On peut souligner qu’à la question « qu’est-ce qu’on étudie ? », la réponse est « des individus interprétant des métaphores et des comparaisons ». Puisqu’il s’agit d’une thèse de doctorat dans le domaine de la psychologie, l’observation des personnes qui effectuent une activité particulière est une méthode appropriée. La question « pourquoi on l’étudie ? » présente l’objectif de la recherche, soit de valider les théories précédentes dans ce domaine. La question « comment on l’étudie ? » trouve sa réponse dans l’utilisation d’une variété de paramètres relevée dans la littérature et jugée importante pour valider ou approfondir les théories. On cherche donc à observer les phénomènes relatifs à la congruence des thèmes et des véhicules tant pour la métaphore que la comparaison. La question « comment va-t-on interpréter ce qu’on observe ? » trouvera sa réponse en retournant aux théories présentées au début de la thèse et dont le chercheur entend précisément tester la validité. Lecture comparée des deux thèses

Les deux thèses présentées furent rédigées dans deux disciplines distinctes d’un même contexte universitaire (Université Concordia), soit l’histoire de l’art et la psychologie. Elles sont représentatives des sciences sociales et humaines, et non des sciences pures. Dans les domaines des sciences humaines et sociales, l’un des défis de la recherche doctorale consiste en la formulation d’une question de recherche spécifique qui, en plus de pouvoir être traitée de façon réaliste dans le cadre d’un doctorat, doit aussi produire de nouvelles connaissances et guider la recherche tout au long des observations et de leur interprétation. De façon typique, le produit d’une recherche qualitative converge sur la production de nouvelles connaissances à partir de la démarche inductive, et non seulement sur la validation ou la mise à l’épreuve de théories existantes d’une démarche déductive6. C’est le cas pour les thèses en aménagement et en histoire de l’art que j’ai commentées. Puisque ces deux thèses visent la production de théories, le résultat de la recherche n’est pas un objet aux contours parfaitement définis, mais plutôt un instantané tiré d’un travail en évolution7. 6. Patton, 1990. 7. Chupin, 2014.

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Quant à la thèse de psychologie, elle visait à valider des théories existantes en utilisant une méthode quantitative. Le résultat recourt plutôt à un raisonnement de type déductif, nécessitant un appareil spécifique sur le plan de la démonstration de manière à obtenir le résultat attendu de la recherche. Chaque chercheur a forcément une façon unique d’aborder la recherche et par conséquent des rapports complexes à la théorie. Gallo (2012) a entrepris sa recherche à cause de son intérêt pour la « clinicalisation » de la théorie de l’esthétique. Il a donc cherché à réinterpréter les textes fondateurs où se trouve définie cette approche clinique en s’appuyant sur cette hypothèse initiale. L’analyse des œuvres d’art visait à démontrer la validité de ces nouveaux mécanismes d’analyse théorique. Pour ce qui est de la thèse de Roncero (2013), elle est introduite par la prise en compte d’une série de théories clairement formulées. L’auteur cherchait à infirmer certaines de ces théories. Il s’avère que certains étudiants amorcent leur recherche à partir de l’univers de la théorie, pour ensuite déterminer le meilleur sujet d’observation possible, tandis que d’autres fondent leur projet sur l’intérêt qu’ils portent pour certains sujets, avant d’amorcer un processus de théorisation. Quelle que soit l’approche, la question de recherche répond toutefois au même format générique, spécifiant un corps théorique, une ou plusieurs situations observables, et un angle ou une grille d’analyse permettant de les observer. Que la recherche soit destinée à expliquer un processus (comment) ou à décrire une situation (quoi) ou même à la comprendre (pourquoi), chacune des questions peut être passée au filtre des quatre questionnements généraux formulés dans le tableau 10.3. J’ai présenté ces questionnements dans un lexique plus familier pour aider les nouveaux chercheurs à se les approprier. *** En général, les avis et les conseils relatifs à la conduite d’une recherche doctorale accordent un peu trop d’importance aux questions méthodologiques, aux études de cas, à la construction des cadres théoriques, autant d’éléments déterminants qui doivent évidemment contribuer à la cohérence de la recherche. Il reste que la formulation de la question est d’abord et avant tout ce qui permet au doctorant de maîtriser son propre cheminement, d’en

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mesurer et au besoin d’en ajuster les attentes, et surtout que cette analyse critique de la question constitue un défi permanent qui hante l’ensemble du processus doctoral. La question de recherche est souvent ce qui se révèle le plus difficile à saisir, par delà toutes les composantes d’un projet de thèse. Une des difficultés majeures dans la construction d’une question de recherche réside dans le fait qu’au niveau doctoral, les étudiants sont souvent invités à considérer à la fois les approches déductives et inductives, bien que chacune fasse appel à des formes d’enquête très différentes. Il reste que les approches déductives et inductives sont effectivement souvent toutes deux mobilisées dans le cadre d’une démarche de recherche, chaque approche complétant l’autre. Mais il est important de rappeler que nos projets de recherche ne sont pas des boîtes étanches, et qu’un mouvement dialectique s’impose entre un projet passant de la théorie à la recherche empirique, et inversement. Apprendre à formuler, à reformuler et à remettre en cause une question est donc une tâche constante qui s’impose bien au-delà de la thèse elle-même. Le paradoxe de la question de recherche est analogue à ce que le pédagogue américain Donald A. Schön a désigné sous la célèbre formule du « praticien réflexif »8. Ce dernier produit des connaissances tout au cours de son activité ou de sa pratique, mais pour commencer à apprendre dans ce qui deviendra son champ de compétences, il devra accepter de s’aventurer dans des domaines qu’il ne connaît pas, faire des choses qu’il ne saisit pas parfaitement, tout en maintenant sa confiance dans un processus qui le conduira progressivement à comprendre ce qu’il parvient pourtant déjà à faire (même imparfaitement)9. Il lui faut donc apprendre à commencer quelque part et à ne pas confondre une impasse avec un échec. Cette impasse signalera peut-être une phase de la recherche appelant précisément une reformulation de la question de recherche. Dès lors, ce retour réflexif sur la question se présente comme l’essence même du travail doctoral en donnant la ligne de fuite de la démonstration. De façon toujours plus paradoxale, le chercheur peut se surprendre à vouloir de nouveau formuler la question une fois la thèse soutenue et acceptée, tant cette dernière n’est, au fond, qu’une étape dans une recherche de longue haleine. 8. Schön, 1983. 9. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau.

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chapitre 11 La thèse-création Marie-Hélène Breault

L’artiste qui choisit l’université comme cadre de création artistique ne vise pas seulement la production d’œuvres, mais aussi le développement d’un discours intellectuel lié à son travail. La double production artistique et scientifique constitue une caractéristique distinctive de la démarche de l’artiste universitaire. Dans cette veine, la réalisation d’une thèse-création sous-tend des enjeux singuliers, que cet article cherchera à mettre en lumière. Ainsi, on examinera d’abord les particularités de la thèse-création par rapport à la thèse traditionnelle. On se penchera ensuite sur la question du financement des recherches doctorales en pratique artistique, avec quelques exemples de thèses-création réalisées dans les universités québécoises. En conclusion, on présentera d’éventuelles retombées inhérentes à la réalisation d’une thèse-création, tant pour l’artiste doctorant que pour l’avancement des connaissances. Les particularités

La principale caractéristique de la thèse-création, par rapport à la thèse traditionnelle, est de faire cohabiter, au sein de la démarche de l’artiste doctorant, des concepts qui, de prime abord, peuvent sembler opposés, tels que la recherche et la création, la science et l’art, la théorie et la pratique, l’objectif et le subjectif, de même que le rationnel et l’intuitif. Au sujet de cette relation dichotomique, l’artiste visuel et professeur Marcel Jean écrit : « Il faut tout de même reconnaître

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que ces deux mots – recherche/création – placés en continuité créent comme une tension : l’un (recherche) engage un processus intellectuel qui conduit à l’analyse, au démembrement, tandis que l’autre (création) sollicite un “mettre ensemble”, un travail de synthèse1. » En résumé, la recherche-création fait appel à deux types d’activités dont la nature est fondamentalement différente et qui requièrent des facultés distinctes. Le défi omniprésent auquel doivent faire face les doctorants chercheurscréateurs est d’arriver à concilier ces deux façons d’appréhender une réalité donnée, et de trouver, par le fait même, un équilibre entre le pôle de la recherche et celui de la création. Pierre Gosselin, praticien et professeur en arts visuels et médiatiques, regarde le problème de l’opposition des concepts de recherche et de création en s’intéressant au type de symbolisation amené par ces deux pôles, que la thèse-création tente de réconcilier, et en soulignant que « la création artistique amène à engendrer des symbolisations appelant des lectures plurielles diversifiées [subjectives] », alors que « la recherche amène à engendrer des symbolisations, notamment des discours, appelant à des interprétations plus convergentes [objectives]2 ». La thèse-création permet aussi un rapprochement entre la science et l’art, deux champs d’activités qui sont d’ailleurs loin d’être incompatibles. En effet, pendant longtemps, plusieurs systèmes ont fait cohabiter l’activité scientifique et l’activité artistique. Le quadrivium de l’Antiquité, qui réunissait les quatre sciences dites « mathématiques », soit l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie, en constitue un exemple. De plus, à travers les âges, de nombreux artistes ont mené une double carrière en sciences et en arts, que l’on pense à Léonard de Vinci, qui était à la fois peintre, anatomiste, ingénieur, urbaniste, architecte, écrivain et musicien, ou encore à Iannis Xenakis, qui était compositeur et ingénieur architecte. Il semble cependant que, dans le domaine des arts, on ait eu tendance à oublier ces filiations entre les sciences et les arts pendant longtemps, un oubli qui s’explique, selon l’artiste visuel Hugo Brodeur, par la prédominance de l’image romantique de l’artiste et le 1. Marcel Jean, « Sens et pratique », La recherche création : pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Presses de l’Université du Québec, p. 34. 2. Pierre Gosselin, « La recherche en pratique artistique. Spécificités et paramètres pour le développement de méthodologies », dans La recherche création. Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 23.

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mystère et la séduction qui s’en dégagent3. Enfin, dans le même ordre d’idées, rappelons que certains secteurs de l’activité créatrice humaine font autant appel à l’art qu’à la science (l’architecture et la musique sont de bons exemples). Par ailleurs, la créativité humaine ne s’exprime pas que dans le domaine des arts : un bon chercheur en sciences naturelles fera aussi preuve de créativité, ce qui fait dire à Brodeur que « quoiqu’elle se manifeste différemment […] dans un domaine comme dans l’autre, la créativité demeure une qualité importante du chercheur4 ». Aussi, l’objectif principal inhérent à toute thèsecréation ne serait pas tant d’imprégner une activité artistique de connaissances de nature scientifique (le terme « scientifique » étant ici compris au sens de sciences naturelles, positivistes), mais plutôt d’émettre, du point de vue de l’artiste, un énoncé scientifique, donc de développer des théories, sur une production ou un cheminement artistique. Ainsi, la thèse-création sous-tend une recherche effectuée par un artiste sur l’art, ou même bien souvent « dans l’art », une forme d’investigation qui regarde la pratique artistique de l’intérieur, avec un souci de rigueur intellectuelle. La thèse-création se présente aussi comme une forme de conciliation entre la théorie et la pratique. Elle amène les doctorants à redéfinir constamment le statut de la théorie et de la pratique ainsi que l’articulation du lien entre ces deux pôles dans leur propre démarche artistique. De manière générale, il est possible d’affirmer que la théorie est générée par des connaissances conceptuelles tandis que la pratique fait appel à des connaissances perceptuelles, les premières étant « de nature abstraite et universelle, indépendantes des émotions et désirs humains » et les secondes étant « tacites et de nature variable, mais toujours expérientielles, liées aux aspects concrets et particuliers des situations vécues5 ». En outre, en recherche-création, l’entrecroisement des connaissances théoriques et des connaissances pratiques et l’articulation du lien entre les deux s’effectuent bien souvent dans un rapport de circularité. Diane Laurier et Pierre Gosselin affirment à ce sujet : 3. Hugo Brodeur, « Pratiquer la théorie : cartes conceptuelles et autres schémas », dans Tactiques insolites. Vers une méthodologie de recherche en pratique artistique, Montréal, Guérin Éditeur, 2004, p. 118. 4. Ibid. 5. Madeleine Lord, « Étudier la pratique artistique. Un regard pluriel », dans Traiter de recherche création en art. Entre la quête d’un territoire et la singularité des parcours, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, p. 198.

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[L]e développement des aspects liés au processus de recherche ne s’inscrirait pas dans une forme aussi linéaire [que dans la recherche conventionnelle], mais il s’élaborerait plutôt de façon circulaire, faisant en sorte que les étapes du processus interagissent entre elles, modifiant, tantôt timidement, tantôt abruptement, l’articulation générale de la recherche en question. Cette manière de la construire n’est d’ailleurs pas spécifique aux recherches menées dans le champ des pratiques artistiques. Plusieurs devis de recherches qualitatives s’élaborent également ainsi6.

Enfin, la qualité du lien entre la théorie et la pratique dans la réalisation de la thèse-création est très souvent mesurable par la cohérence du lien entre la production textuelle et la production artistique. À ce propos et à partir de son point de vue d’artiste visuel et de professeur, Jean Lancri écrit : Une thèse en arts plastiques a pour originalité […] d’entrecroiser une production plastique avec une production textuelle. Elle n’aboutit que dans la mesure où elle réussit à les entretoiser. Est-ce à dire que chacune de ces productions (la production plastique, d’une part, la production textuelle, d’autre part), ne se présente que comme l’étai ou le contrefort de l’autre ? Il faut ici comprendre davantage et notamment ceci : dans leur étrange attelage, chacune de ces deux productions s’érige en toise de l’autre ; et c’est ainsi, dis-je, qu’elles s’entretoisent. Aussi est-ce toujours à l’aune de l’autre que l’on se doit, chaque fois, de juger l’une d’entre elles7.

Par ailleurs, une thèse-création se construit suivant une relation particulière entre l’objectif et le subjectif. En effet, les chercheurs-créateurs, pour reprendre les termes d’Éric Le Coguiec, « envisagent différemment la relation sujet-objet en s’impliquant dans l’objet8 », ce qui a bien sûr un impact sur la construction de leur récit. Ainsi, l’une des particularités de la thèse-création par rapport à la thèse traditionnelle est qu’elle suppose très souvent un type de récit dans lequel la subjectivité de l’auteur est mise en évidence. Le principal défi de la thèse-création est de nature rédactionnelle. Il s’agit d’arriver à écrire 6. Diane Laurier et Pierre Gosselin, « Vers une méthodologie de recherche en pratique artistique », dans Tactiques insolites. Vers une méthodologie de recherche en pratique artistique, Montréal, Guérin Éditeur, 2004, p. 26. 7. Jean Lancri, « Comment la nuit travaille en étoile et pourquoi », dans La recherche création : pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 11. 8. Éric Le Coguiec, « Récit méthodologique pour mener une autopoïétique », dans La recherche création : pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 112.

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au « je », donc à partir d’un point de vue personnel et subjectif, un « je » qui ne se pose pas seulement en tant qu’observateur extérieur de cas étudiés, mais plutôt un « je » vécu de l’intérieur, qui est à la fois sujet et objet, observant et observé. En outre, il s’agit d’un « je » qui doit dépasser son propre point de vue, non pas par une prétention à une pseudo-neutralité qui serait contraire à sa nature, mais plutôt en se questionnant à partir de diverses perspectives, et en développant l’autocritique tout au long du double processus de théorisationnarration. Ainsi, dans cette optique, la thèse-création ne permettrait pas tant, par ses modes narratifs, la représentation de faits, que « l’évocation et la communication d’une nouvelle conscience de l’expérience9 ». L’opposition entre le rationnel et l’intuitif est elle aussi sous-jacente à la réalisation d’une thèse-création. Jean-Noël Pontbriand, auteur et professeur de création littéraire, distingue deux types de connaissances, la rationnelle et l’intuitive, chacune présentant un rapport sujet-objet différent. Selon lui, la connaissance rationnelle n’implique pas un rapport de participation du sujet à l’objet, mais plutôt un rapport de « pouvoir ». Par contre, Pontbriand affirme que l’intuition « exige la fusion du sujet et de l’objet10 ». L’œuvre d’art et son processus de création sont précisément les lieux de cette fusion. Il affirme : C’est là [dans l’art] que s’actualise l’intuition parce que c’est là que s’effectue la rencontre de la conscience et de l’être qui devient alors présent et actif dans le monde […] Créer ne revient pas à organiser le matériau conformément aux déductions de la raison mais à laisser ce matériau s’organiser selon les exigences de la connaissance intuitive qui tend toujours, quelle que soit la façon dont elle procède pour le réaliser, à manifester le sens en lui permettant d’organiser une matière de façon telle que ce matériau devienne le lieu de son épiphanie11.

Enfin, Jean Lancri aborde la question du rapport entre le rationnel et l’intuitif dans la recherche en art. Il souligne le fait qu’« un chercheur en arts plastiques manie des concepts tout autant que des pinceaux ou des ciseaux ; 9. Éric Le Coguiec, « Récit méthodologique pour mener une autopoïétique », La recherche création : pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 112. 10. Jean-Noël Pontbriand, « L’enseignement de la création littéraire : sa légitimité, son lieu privilégié d’expression, ses recherches », dans Lecture et écriture, une dynamique : objets et défis de la recherche en création littéraire, Québec, Éditions Nota Bene, 2001, p. 129. 11. Ibid.

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mais il les manie autrement [italique dans le texte]12 ». Lancri considère en effet que la recherche en art propose l’usage d’une autre rationalité, celle de l’art. Parallèlement à cela, il plaide pour la reconnaissance de l’intuition, ou plutôt pour la prise de conscience de l’articulation, bien particulière à l’art, du rationnel et de l’intuitif. Du moins, c’est ainsi que j’interprète sa revendication à « l’usage du rêve ». Il écrit : [L]a recherche en arts plastiques se trouve écartelée (du moins à l’université) entre la raison et le rêve. Son originalité la plus grande tient selon moi à cette liaison, insolite s’il en est, qu’elle introduit entre ces deux pôles. Que la raison rêve et que le rêve raisonne, c’est une évidence, dans le domaine de la recherche en arts plastiques ; or c’est précisément cela qui met cette recherche en porte-à-faux par rapport aux procédures de recherche en usage dans les autres disciplines universitaires13. Le financement de la thèse-création

Les étudiants inscrits dans un programme doctoral menant à la réalisation d’une thèse-création peuvent obtenir du financement de la part des mêmes instances que les étudiants inscrits dans les programmes menant à la réalisation d’une thèse traditionnelle, soit le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH)14. Ces programmes sont ouverts aux chercheurs-créateurs œuvrant dans toutes les disciplines artistiques. Parallèlement à ces programmes gouvernementaux, il existe aussi d’autres structures propres aux facultés et départements d’art des universités québécoises qui financent la réalisation de thèses-création. Par exemple, à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, les étudiants en composition musicale sont admissibles aux programmes de bourses doctorales de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM)15. Par contre, en général, la réalisation d’une thèse-création ne peut pas être financée par les programmes de bourses et de subventions du Conseil 12. Jean Lancri, op. cit., p. 12. 13. Ibid., p. 13. 14. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim. 15. Les étudiants en interprétation musicale peuvent exceptionnellement être éligibles à ce programme, à condition de présenter un projet comportant une dimension de recherchecréation importante.

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des arts et des lettres du Québec (CALQ) et du Conseil des arts du Canada (CAC), ceux-ci étant destinés à la réalisation de projets artistiques en milieu professionnel et non en milieu universitaire. Enfin, l’autofinancement par la pratique artistique est souvent une solution pour l’artiste qui réalise une thèsecréation. Les artistes qui s’inscrivent dans un programme doctoral sont très souvent des professionnels compétents, en pleine possession d’un métier qu’ils ont appris au sein d’écoles professionnelles16, à l’université, ou de manière autodidacte. Souvent, ces artistes sont déjà actifs et reconnus dans le milieu professionnel de l’art. D’ailleurs, les critères d’admission de plusieurs facultés ou départements d’arts prennent en compte l’expérience pratique des candidats et la qualité de leur curriculum artistique, dans la même mesure que leurs connaissances théoriques et leurs compétences universitaires. Il est donc possible de financer la réalisation d’une thèse-création, en partie ou complètement, par des engagements artistiques professionnels obtenus à l’extérieur du milieu universitaire. Il importe cependant de mentionner que, dans le cas où l’étudiant détient une bourse doctorale du FRQSC ou du CRSH, le nombre d’heures de travail permis en parallèle à la réalisation du projet de thèse est limité. De plus, un étudiant qui ne compte que sur l’autofinancement pour réaliser sa thèse-création sera habituellement amené à prendre plus de temps pour compléter son cursus qu’un étudiant qui bénéficie d’une bourse. La réalisation d’une thèse-création au Québec

Au Québec, on peut réaliser une thèse-création au sein des programmes doc­ to­raux des facultés ou des départements d’arts de nombreuses universités. Sans prétendre à l’exhaustivité, le paragraphe suivant présente brièvement quelques exemples des programmes qui le permettent. L’Université du Québec à Montréal offre un programme intitulé « doctorat en études et pratiques des arts » qui permet aux étudiants de parfaire leur double formation théorique et pratique. Ce programme prévoit trois types de thèses : la « thèse recherche », qui correspond à la thèse traditionnelle, faisant état d’une recherche particulière en arts et de ses résultats ; la « thèse création », qui jumelle la rédaction d’une thèse et la réalisation d’une œuvre ; et la « thèse 16. Comme le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec.

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intervention », qui marie la rédaction d’une thèse et la réalisation « d’un projet ou d’une pratique rattachés à un espace social et à des faits culturels dans divers domaines reliés aux arts (animation, diffusion, enseignement, thérapie, etc.)17. » Enfin, les trois types de thèses doivent inclure la diffusion d’une réalisation artistique et une soutenance publique. À l’Université Concordia, les étudiants inscrits dans le programme de Humanities du Centre for Inter­ disciplinary Studies in Society and Culture peuvent réaliser des projets de recherche-création présentant une réflexion théorique développée au sein de leur pratique artistique. À l’Université de Montréal, le programme de doctorat en composition de la Faculté de musique permet aux étudiants de réaliser une thèse qui allie la production de plusieurs œuvres et la rédaction d’un travail théorique substantiel portant sur celles-ci. Par ailleurs, dans plusieurs facultés de musique au Québec, les étudiants en interprétation musicale sont appelés à produire, au cours de leurs études doctorales, une thèse-récital, constituée à la fois de performances publiques pouvant prendre la forme de concerts traditionnels ou de récitals commentés et d’un travail écrit portant sur les œuvres jouées ou sur la démarche d’interprétation du musicien. La longueur et la densité du contenu de ce travail écrit varient selon les institutions. Les retombées

La réalisation d’une thèse-création engendre de nombreuses retombées, aussi bien sur le plan du cheminement artistique que sur celui de l’avancement des connaissances générées par le processus de théorisation de la pratique inhérent à ce type de thèse. Pour l’artiste, le fait de s’inscrire dans un programme de troisième cycle universitaire de type « recherche-création » et de préparer une thèse-création permet tout d’abord de réserver du temps afin d’effectuer un retour sur son parcours artistique et de se concentrer sur un aspect particulier de son travail créatif 18. Faire un doctorat devient ainsi l’occasion d’explorer et de vivre l’expérience artistique dans une mesure que ne permet pas le milieu professionnel, centré sur la finalité de l’œuvre et sur la production davantage 17. Université du Québec à Montréal, Doctorat en études et pratiques des arts. Récupéré de https://doctorat-arts.uqam.ca/ 18. Dans le cas des interprètes musiciens, la préparation d’une thèse-récital permettra souvent d’explorer un type de répertoire en particulier.

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que sur le processus de création en tant que tel. La réalisation d’une thèsecréation contrebalance cette tendance en permettant à l’artiste une réflexion de longue haleine sur son processus créateur et sur son positionnement en tant qu’artiste et chercheur. La nécessité, pour l’artiste inscrit dans un tel programme, de cibler un sujet de recherche et de formuler une problématique de recherche fait aussi en sorte que celui-ci ressort de ce processus avec une plus grande capacité à saisir le sens de sa propre démarche tout en étant plus apte à situer sa production artistique par rapport aux grands courants. Par ailleurs, la thèse-création génère un autre type de connaissances que la thèse traditionnelle. La recherche-création, qui est au cœur du cheminement des doctorants-créateurs, est un mode de recherche qui possède ses propres particularités19, se distinguant par le fait même de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. La thèse-création permet donc la mise en forme d’hypothèses de recherche qui ne pourraient être formulées autrement que par la prise en compte du point de vue particulier d’auto-observant du chercheur engagé en tant que sujet dans son objet de recherche. La réalisation d’une thèse-création permet en outre la production d’un savoir, énoncé par les praticiens. Le discours sur l’art profite ainsi d’une autre perspective, complémentaire au discours des théoriciens. Enfin, la réalisation d’une thèsecréation incite au développement de nouvelles méthodologies qui prennent en compte le positionnement particulier du chercheur-créateur par rapport à son objet d’étude, de même que la singularité et le caractère souvent novateur des pratiques étudiées dans le cadre de tels projets.

19. Il existe à ce jour quelques ouvrages qui définissent les caractéristiques et les limites de la recherche-création, tel qu’en témoigne la bibliographie de ce texte.

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chapitre 12 Les enjeux psychologiques de la thèse Geneviève Belleville

Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort. Friedrich Nietzsche

La rédaction de la thèse est l’entreprise la plus intimidante, la plus décourageante et la plus anxiogène de l’expérience universitaire1. Quand vient le temps d’y travailler, toutes les autres activités semblent soudain plus intéressantes : les courriels (même les pourriels les plus insignifiants), le retour d’appel retardé depuis plusieurs jours, la page Facebook, le ménage, et même le changement de litière du chat. Alors, comment arriver à écrire ? Et surtout, comment le faire sans que la rédaction ne projette constamment cette aura de torture ou de pire corvée au monde ? Peut-on cesser de se soumettre à contrecœur à la tyrannie de la thèse et simplement retrouver l’envie d’écrire ? L’approche préconisée est généralement celle de l’organisation. D’autres chapitres2 démontrent à quel point certaines stratégies organisationnelles permettent de faire avancer, lentement mais sûrement, la rédaction de la thèse. Bloquer du temps pour écrire, définir des objectifs, faire un plan, distinguer 1. Ce chapitre contient des extraits tirés de G. Belleville. Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014. 2. Les chapitres de Louise Boisclair et de France St-Hilaire.

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l’écriture de la révision, voilà autant de trucs méthodologiques qui permettent d’éviter ou, à tout le moins, de surmonter l’angoissant syndrome de la page blanche. L’organisation est un outil qui permet d’atteindre des objectifs rapidement et efficacement, pour pouvoir ensuite passer à autre chose. Travailler le moins longtemps possible afin de consacrer du temps de qualité aux autres sphères de sa vie. Être hyper structuré, dévoué et concentré au travail, pour mieux décrocher, se détendre, faire autre chose et s’amuser par la suite. Bien travailler aux bonnes heures afin d’avoir ses fins de semaine, ses soirées, ses heures de dîner libres. Cependant, même avec les meilleures intentions et les meilleures dispositions, l’étudiant en rédaction de thèse devra un jour ou l’autre faire face à des moments de découragement intenses qui l’inciteront à remettre en question son projet3. D’importants enjeux psychologiques surgiront certainement au cours de la rédaction de la thèse. Comme autant de pièges qui guettent l’étudiant, il est facile de s’y embourber, au risque d’y effriter sa santé mentale. Il est heureusement possible d’apprendre à reconnaître ces enjeux psychologiques, pas nécessairement pour les éviter à tout prix, mais pour arriver à s’en déprendre lorsque, par mégarde, on y met le pied. Piège no 1 : Attendre l’inspiration

Le premier piège qui guette l’étudiant en rédaction est d’attendre l’inspiration pour se mettre à écrire sa thèse. Plusieurs personnes – pas seulement les étudiants – affirment qu’elles ne peuvent écrire que lorsqu’elles se sentent inspirées. Elles pensent (ou souhaitent !) qu’un éclair soudain d’inspiration leur permettra d’écrire d’une traite un texte exceptionnel dans sa forme finale. Elles croient que l’inspiration est essentielle à la rédaction. Or, cette façon de penser constitue un frein important à la rédaction scientifique. La plupart des étudiants entretiennent une vision plutôt romantique de l’inspiration. Celle-ci est vue comme un élan mystique, ésotérique, presque surnaturel qui pousse une personne à écrire. Dans les faits, l’inspiration est surtout un élément très difficile à contrôler. On attend l’inspiration, on cherche l’inspiration, mais on ne peut pas la convoquer, ni l’exiger. Il ne semble pas très sage de se fier à un 3. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Virginie Mesguich.

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élan plus ou moins abstrait, et en grande partie hors de son contrôle, pour assurer sa productivité et, surtout, déposer sa thèse. Le travail universitaire exige de la discipline, de l’effort continu, de l’organisation, de la persévérance, en bref, d’être proactif. Pour avancer, mieux vaut ne pas se fier à un concept aussi volatil que l’inspiration. D’ailleurs, la rédaction scientifique est bien loin de la rédaction artistique ou littéraire. Il ne s’agit pas d’explorer l’âme humaine, ce n’est pas une quête de sens, un art : un article scientifique, une thèse, c’est un rapport d’activités scientifiques. De plus, ce rapport d’activités doit être rédigé selon des règles et des instructions précises, avec un contenu prédéfini et un format qui l’est encore plus : cela laisse bien peu de place à l’imagination. Il est vrai que la recherche repose sur une bonne part de créativité et de quête de sens. Cependant, ces dernières sont sollicitées lors de la réflexion par rapport à un domaine, lors du développement de questions de recherche et de méthodologies qui permettront de faire avancer les connaissances. Beaucoup moins lors de la rédaction. L’inspiration n’est donc pas indispensable pour rédiger. En conséquence, il est très utile d’apprendre à écrire même quand on ne se sent pas inspiré. C’est possible, et même nécessaire pour faire avancer ses travaux de façon régulière. L’effort prime l’inspiration pour arriver à un produit fini. Dans la rédaction en soi, la part de créativité requise est mince, surtout en comparaison avec les besoins de logique, de réflexion, de méthode, de déduction, d’analyse, d’argumentation. Pas besoin d’être inspiré pour être logique ! Bien évidemment, c’est plus facile d’écrire quand on se sent inspiré. L’inspiration confère à la rédaction un caractère agréable et un sentiment de compétence. Cependant, si on attend l’inspiration pour écrire, la rédaction risque de suivre un horaire erratique et de se faire sous pression, à la dernière minute. La source d’inspiration devient alors, la plupart du temps, l’approche intimidante de la date limite de remise du produit. Le produit final est déposé sans être passé par une révision en profondeur, ce qui laisse l’impression que l’on n’a pas donné le meilleur de soi-même. Il en reste un arrière-goût amer de « J’aurais tellement pu faire mieux si j’avais eu un peu plus de temps ». Écrire régulièrement et de façon organisée réduit la pression, les mauvaises surprises et le stress. Mais pour cela, il faut remettre l’inspiration à sa place et accepter qu’elle ne soit pas toujours au rendez-vous.

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Piège no 2 : Procrastiner

La procrastination est la tendance à remettre à plus tard. Les tâches de rédaction scientifique figurent parmi les activités les plus procrastinées d’un cheminement universitaire. Pourquoi ? C’est simple. On procrastine habituellement parce que la tâche à faire nous rend anxieux. On a peur de ne pas réussir, de ne pas être capable, de ne pas être bon. L’écriture d’une thèse est l’activité universitaire la plus encline à provoquer ces peurs. C’est bien normal : d’importantes responsabilités reposent sur les épaules de l’étudiant, les instructions pour réussir ne sont pas toujours claires, et l’enjeu est majeur. « Ai-je bien complété ma revue de littérature ? Serai-je capable de répondre aux questions qui me seront posées ? Suis-je passé à côté d’un aspect essentiel qui pourrait invalider tout mon raisonnement ? Qu’arrivera-t-il si mes résultats ne sont pas significatifs ? Ai-je suffisamment de connaissances sur le sujet ? Arriverai-je un jour à soutenir ma thèse ? » Tous les étudiants doctoraux se sont un jour ou l’autre posé ces questions (et d’autres, encore bien pires), et les réponses, souvent incertaines, donnent le vertige. Chaque fois qu’on ouvre le document « thèse.doc », c’est comme si on ouvrait en même temps le dossier contenant toutes ces questions, ces incertitudes et l’anxiété qu’elles provoquent. Il devient ainsi beaucoup plus facile de refermer le dossier et de s’en éloigner ou encore, au mieux, de ne pas l’ouvrir du tout. La procrastination amène ainsi un certain soulagement à court terme, car elle nous évite d’affronter ces questions difficiles dès maintenant. Pas aujourd’hui. Plus tard. Demain. Cet été. Quand j’aurai le temps. Le problème, c’est qu’en évitant ces questions, elles demeurent en place et, comme des mauvaises herbes dans un jardin, prennent de la force et finissent par tout envahir. Le problème empire de deux façons. La première est bien réelle et externe à l’étudiant : si son travail de rédaction ne progresse pas, il finira par rater certaines échéances, ce qui aura des conséquences sur son cheminement. Mais le problème empire aussi dans la tête de l’étudiant : plus longtemps il laisse son projet de rédaction de côté, plus il a l’impression que de s’y remettre coûtera trop d’efforts, que ce sera trop difficile, que ce sera une expérience trop désagréable. La perception de la difficulté associée à la rédaction d’un document augmente en fonction de l’intervalle de temps qui s’est écoulé depuis qu’on y a travaillé la dernière fois. Quand on a laissé un

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projet de côté pendant un bon moment, les pensées les plus dramatiques, accompagnées des émotions les plus intenses, y deviennent associées. Alors s’installe un cercle des plus vicieux : plus on repousse les tâches liées à un projet, plus ce projet apparaît monstrueux. Plus un projet semble monstrueux, plus on sera anxieux, plus on voudra éviter d’y participer et plus on procrastinera. Si la procrastination peut apporter à court terme un certain soulagement, à long terme, elle ne fera qu’empirer les choses et contribuera à maintenir l’anxiété et le malaise. Pour corriger les comportements de procrastination, les stratégies méthodologiques décrites dans différents chapitres de cet ouvrage peuvent aider. Par exemple, on peut planifier de courtes périodes de rédaction avec de petits objectifs, puis voir le résultat. Est-ce que la tâche nous apparaît encore comme une montagne ? Se sent-on anxieux à l’idée de s’y mettre ? Si la réponse est encore oui, il vaut mieux réviser les objectifs jusqu’à ce qu’on se sente assez en confiance pour s’y mettre facilement. Une fois la tâche terminée, si minuscule qu’était l’objectif de départ, il est primordial de se féliciter. Après tout, le piège de la procrastination vient d’être surmonté ! Piège no 3 : Exiger la perfection

Le perfectionnisme est la recherche excessive de la perfection4. Les perfectionnistes se fixent des objectifs idéaux, le plus souvent inatteignables, et se jugent sévèrement en fonction de leur productivité et de leur performance. C’est le culte de la perfection. En ce sens, le perfectionnisme ressemble un peu à une secte : les idéaux à atteindre sont séduisants mais complètement irréalistes, on méprise le bien-être de la personne au profit de la doctrine de la perfection, les règles à suivre sont absolues et inflexibles, on croit qu’on accédera au nirvana lorsqu’on aura déployé suffisamment d’efforts, et cette attitude persiste malgré les preuves de son inefficacité et de ses effets néfastes (c’est comme un véritable lavage de cerveau). La perfection est un démon qui sait se cacher sous des apparences séduisantes, et les perfectionnistes sont des adeptes qui n’ont pas encore vu ou qui refusent de voir son vrai visage. 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Catherine Rossi.

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Est-ce dire qu’il est plus sain de bâcler ses travaux ? Absolument pas. Bien faire les choses, c’est essentiel. En fait, pour se dépasser, on peut même viser à faire toujours un peu mieux. Cela dit, lorsqu’on passe des heures d’immobilité à chercher la meilleure phrase, à penser au meilleur mot, à réfléchir à la meilleure méthodologie, à imaginer la meilleure thèse sur le sujet, on s’enfonce très probablement dans le piège du perfectionnisme improductif. Les attitudes perfectionnistes déclenchent un cercle vicieux où les objectifs irréalistes mènent inévitablement à l’échec. La pression constante pour atteindre la perfection et l’échec chronique qui l’accompagne réduisent la productivité et l’efficacité. Ce cycle rend la personne perfectionniste très critique envers elle-même, ce qui engendre une baisse d’estime de soi, de l’anxiété et même de la dépression. La personne perfectionniste peut alors abandonner les buts qu’elle s’était fixés et en développer de nouveaux, en se disant : « La prochaine fois, j’essaierai plus fort de réussir ! » Une telle façon de penser remet en marche le cercle vicieux. Qui n’a jamais reporté la rédaction d’un projet à la session suivante parce qu’elle n’avançait pas comme voulu à la session présente ? Et à la session suivante, plutôt que de remettre en question sa méthode ou sa façon de définir ses objectifs, on reprend la même quête en s’exhortant à simplement travailler plus fort. La solution n’est souvent pas de travailler plus fort, mais bien d’arrêter de travailler dans le vide… La personne perfectionniste se demande régulièrement pourquoi elle s’accroche à son projet et songe à tout abandonner. Néanmoins, si fatiguée qu’elle soit, elle en fait encore davantage au lieu de ralentir, et assume toujours plus de responsabilités. Elle semble persuadée que le bonheur finira par lui arriver de la réussite d’une de ses activités. Elle ne comprend pas que sa façon d’aborder les problèmes rend toute satisfaction impossible. Inévitablement, tout ce qu’elle fait est cause de stress. Elle ne peut pas profiter de ses loisirs, car elle se sent toujours coupable et a toujours l’impression de ne mériter ni repos, ni gâterie, ni récompense. Délaisser des attitudes perfectionnistes ne rend pas une personne brouillonne, désorganisée, paresseuse ou irresponsable. Au contraire, en abandonnant des exigences démesurées, on devient plus à même de définir et d’adopter une routine de rédaction réaliste et adaptée à ses besoins, ainsi que de s’y soumettre avec discipline et rigueur. L’adoption de plus petits objectifs ne signifie pas qu’on n’accomplira pas de grandes choses. Que l’on marche la longueur d’un pâté de

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maisons ou tout le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, la distance parcourue avec un pas est toujours sensiblement la même. On n’ira pas plus loin en faisant de plus grands pas (au contraire, on risque davantage de se blesser). C’est la discipline avec laquelle on aligne une grande quantité de pas réguliers l’un devant l’autre qui déterminera la distance parcourue. Piège no 4 : Ignorer ses émotions

De par leur nature exigeante et incertaine, les études supérieures peuvent malheureusement provoquer toutes sortes d’émotions négatives, comme des émotions intenses d’impuissance, de peur et de découragement. Des pensées intrusives et récurrentes peuvent empoisonner l’esprit d’un étudiant bloqué : « Il faut que je m’y mette. Pourquoi tout le monde réussit sauf moi ? Pourquoi est-ce aussi difficile pour moi ? Je suis vraiment incompétent. Il faudra que j’affronte mon directeur. Que va-t-il penser de moi ? Je suis réellement coincé. Je ne vois pas d’issue. C’est ridicule de penser ainsi ; je devrais pouvoir trouver la solution. » On peut se mettre à éviter tout ce qui est lié à la thèse : éviter d’en parler, reporter une rencontre avec le directeur ou un séminaire devant son comité, remplir son agenda de mille et une obligations afin d’être bien certain de ne pas avoir une minute à accorder à la thèse, chasser les pensées qui y sont reliées, etc. Enfin, il n’est pas rare de voir apparaître des symptômes d’épuisement, comme la perte d’intérêt, des inquiétudes, un manque de concentration, de l’irritabilité, une grande émotivité ou des changements dans le sommeil ou dans l’appétit. En situation difficile, beaucoup de gens voient leurs émotions comme des fardeaux supplémentaires, comme des épreuves en soi. C’est comme s’ils se disaient : « Non seulement je dois rédiger cette section de ma thèse, mais en plus, je dois le faire avec cette boule qui serre ma gorge et avec l’estomac complètement noué. » Or, les émotions sont le fruit d’un système complexe visant à se préparer à répondre à l’environnement. En fait, les émotions aident à survivre ; c’est leur rôle depuis la nuit des temps. Elles communiquent une information importante, sur soi-même, sur les autres ou sur l’environnement. La peur indique qu’il y a un danger. La joie invite à répéter l’expérience qui l’a provoquée. La tristesse signale que quelque chose ne va pas. La colère exhorte à se défendre.

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Certaines personnes ont passé tellement de temps à ignorer ou réprimer leurs émotions que ces dernières ont perdu leur fonction de communication. Elles ont alors plutôt l’impression de se battre continuellement avec leurs propres émotions. La réconciliation avec le système affectif passe d’abord par la reconnaissance de l’émotion. Combien de fois a-t-on crié, les poings serrés, « Non, je ne suis pas fâché ! » Nier une émotion ne l’élimine pas, bien au contraire. Si, à l’approche des tâches de rédaction, on se sent plus fébrile, vaguement nauséeux, tendu ou soudainement complètement découragé sans raison apparente, c’est le signal qu’un temps d’arrêt est nécessaire : le cerveau tente de communiquer une information par l’intermédiaire des émotions. Si le message est ignoré ou réprimé, le cerveau ne fera que le garder pour plus tard et le répéter de plus en plus fort, ce qui se traduira par une émotion négative de plus en plus intense quand vient le temps de rédiger. Une fois le message entendu, il faut prendre le temps de le décoder pour comprendre de quelle émotion il s’agit. Est-ce de la tristesse ? De l’anxiété ? De la colère ? De la honte ? La gestion des émotions est plus facile si on prend le temps de les identifier, de leur apposer une étiquette. Ensuite, on peut se demander à quoi on était en train de penser, quelles sont les images qui traversaient l’esprit. Des émotions intensément négatives en l’absence de drame évident sont habituellement précédées de pensées automatiques catastrophiques. Les étudiants rapportent souvent des pensées du type « Je ne serai jamais capable. Je suis un imposteur. Je ne suis pas fait pour le doctorat. Je ne suis pas assez intelligent, organisé. À quoi bon ? De toute façon, je vais échouer »5. Ils se voient dépourvus, humiliés par leurs collègues ou leur directeur, exclus de leur programme, face au néant. Pas étonnant qu’ils se sentent bloqués : ces pensées sont terrorisantes ! Il faut arrêter de se torturer avec des pensées qui répètent en boucle qu’il faut une intelligence supérieure à toutes les intelligences supérieures du monde pour réussir. Que les habiletés de rédaction sont innées ou proviennent d’une source d’inspiration occulte accessible seulement aux génies de ce monde. La méthode pour écrire de façon régulière et se garder motivé n’a rien de bien sorcier ni de si extraordinaire ; elle demande seulement de l’organisation et une bonne dose de discipline. 5. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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Cela dit, écrire, c’est difficile pour tout le monde. C’est normal que le processus fasse passer par toute une gamme d’émotions. Le doctorat est tissé de remises en question, d’abandon d’idées qui ne tiennent pas la route, de recommencements, de sauts périlleux dans l’inconnu : c’est une entreprise difficile ! Il est presque inévitable qu’un jour ou l’autre, l’étudiant se sente anxieux, triste, découragé, fâché, frustré, etc. La meilleure stratégie est d’accepter que ces émotions fassent partie du défi et de se permettre de les vivre. Et lorsqu’elles sont si intenses qu’elles rendent incapable de penser à autre chose, est-ce le moment de s’exhorter à travailler plus fort ? Bien sûr que non : c’est plutôt le moment de prendre une pause et d’aller faire autre chose. Revenir un peu plus tard la tête reposée aide à prendre du recul face aux pensées catastrophistes et aux exigences trop élevées. Piège no 5 : Se motiver à coups de fouet

Les étudiants en rédaction sont souvent très durs envers eux-mêmes. Ils s’autodéprécient, se jugent, se traitent de tous les noms. Si on entendait ce qu’ils se disent à l’intérieur d’eux-mêmes, on crierait à la violence verbale ! Il est fascinant d’observer un tout-petit faire ses premiers pas, de le voir encaisser les chutes et les faux pas sans jamais remettre en question l’effort suivant nécessaire pour se relever. Imaginons si ses parents étaient debout à côté, les bras croisés, en train de dire : « Bof, performance somme toute ordinaire ; après tout, tu ne cours pas encore. Tout le monde est capable de marcher, pourquoi n’y arrives-tu pas mieux que ça ? Allons ! Force-toi un peu ! Encore tombé ? Ma foi, tu es vraiment malhabile ! Je ne pense pas que tu y arriveras un jour ; aussi bien abandonner tout de suite… » Inconcevable, non ? Quiconque serait témoin d’un tel abus verbal ferait tout en son pouvoir pour faire taire ce parent malveillant et méchant. Pourquoi, dans ce cas, les laisse-t-on déblatérer ces méchancetés dans sa tête ? Quand un tout-petit commence à marcher, un bon parent s’extasie sur son premier pas. Puis, sur son deuxième et son troisième. Il lui répète qu’il est bon. Il l’encourage, mille fois plutôt qu’une. Chaque pas est un exploit digne d’une médaille olympique. Et comme l’enfant se sent apprécié, aimé, encouragé, il poursuit les efforts nécessaires à son apprentissage. Ainsi, pour dépasser ses limites, et notamment pour l’écriture d’une thèse de doctorat, il faut prendre soin de soi, s’encourager, adopter une attitude

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bienveillante envers soi-même. La performance viendra de l’expérience, pas en se tapant sur la tête. Il peut parfois être motivant de se récompenser à l’effort et non au résultat. Quand écrire la thèse est synonyme d’inconfort, de dégoût, d’aversion, quand on n’y a pas touché depuis des semaines, des mois, voire des années, le simple fait de rouvrir le document constitue un exploit. Cultiver l’indulgence envers soi-même signifie reconnaître les efforts qui doivent être déployés pour poursuivre la tâche. S’exhorter à travailler plus fort à la manière d’un dictateur ne donnera probablement pas les effets souhaités ; au contraire, il vaut mieux apprivoiser le travail de rédaction en s’y exposant de façon répétée, mais aussi graduelle, à son rythme. Piège no 6 : S’isoler

Il est surprenant de constater à quel point les étudiants qui vivent des difficultés pendant la rédaction de la thèse sont convaincus d’être les seuls à vivre cette situation. En fait, c’est rarement le cas. Quand on vit des difficultés, la première piste de solution est souvent d’en parler et de briser l’isolement. Le soutien social est la meilleure armure contre des attaques stressantes. Le soutien peut être émotionnel, comme quand quelqu’un écoute et console, mais aussi pratique (par exemple, trouver quelqu’un pour relire et corriger un texte ou pour s’occuper du bébé pendant la rédaction) ou encore informationnel, comme lorsqu’on ose demander à son directeur des trucs pour surmonter ses difficultés. La rédaction d’une thèse est une activité solitaire et comportant peu de renforcements immédiats. Pour réussir, l’étudiant a avantage à compenser avec d’autres activités plus sociales et renforçantes. Et, par-dessus tout, il ne doit pas perdre de vue que l’expérience est difficile pour tous. Peut-être pas d’intensité égale ou à tous moments, mais les émotions pénibles associées à la rédaction d’une thèse sont communes, voire universelles. Les mieux placés pour comprendre un étudiant sont évidemment les autres étudiants. De plus, quand ils travaillent dans le même laboratoire, il est possible de déplorer de long en large tous les travers du directeur ! Blague à part, il peut effectivement être libérateur de discuter des difficultés vécues avec le directeur pour valider ses impressions. Attention, cependant, à la répétition

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excessive : cela peut rapidement devenir démotivant. Un jour ou l’autre, il faudra se décider : s’adapter à son directeur – un être humain avec bien des défauts comme tout le monde – ou changer de directeur. Les étudiants d’une même cohorte sont généralement de bons interlocuteurs, car ils partagent un parcours similaire, donc probablement des difficultés similaires. C’est aussi le cas des étudiants seniors, ceux qui sont un peu plus avancés dans leur cheminement. On a souvent tendance à idéaliser ces derniers, à se dire qu’ils sont bien meilleurs que soi. Raison de plus pour aller leur parler. On peut les admirer, mais attention de ne pas les mettre sur un piédestal : ce sont des étudiants qui, tout comme les autres, vivent des moments pénibles. S’ils ont quelques longueurs d’avance, c’est qu’ils persévèrent et demeurent accrochés au programme. Il peut être utile de leur demander comment ils ont vécu leurs propres parcours et embûches. Plusieurs ne se gênent pas pour dire qu’ils se sont servis de la thèse d’un pair plus avancé comme d’un modèle pour écrire6. Enfin, les collègues juniors ne doivent pas être oubliés ! En discutant avec eux, on se rend compte qu’on a quelques bons conseils à leur prodiguer. En les aidant à mieux s’outiller, on se rend – et se sent – utile. Lorsqu’on a appris quelque chose en traversant un moment difficile, c’est dommage d’emporter le secret dans la tombe ! De plus, parler avec un étudiant junior permet de réaliser tout le chemin parcouru depuis la première session d’inscription. Ce ne sont plus les mêmes choses qui causent un stress, les préoccupations ont changé. On peut aussi découvrir qu’on est moins stressé et qu’on contrôle mieux les choses qu’au départ. Plusieurs étudiants hésitent à parler de leurs difficultés avec leur directeur de thèse7. Bien sûr, ce dernier n’est pas nécessairement l’interlocuteur idéal pour une conversation à cœur ouvert. Mais que se cache-t-il derrière cette réticence ? La peur de paraître incompétent ou vulnérable ? Celle de ne plus paraître autonome ? Ce genre de préoccupations peut empêcher l’étudiant de recueillir de précieux conseils ou de l’aide supplémentaire. Le bureau du directeur n’est certes pas l’endroit pour un étudiant de s’épancher en long et en large et en quarante copies sur sa misère avec un grand « M ». Mais le 6. H. S. Becker, « Écrire une thèse, enjeu collectif et malaise personnel », dans M. Hunsmann et S. Kapp, Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2013, p. 9-16. 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau.

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directeur peut donner un coup de main pour résoudre un problème de revue de littérature, pour interpréter des résultats contradictoires, pour surmonter un syndrome de la page blanche qui s’étire, pour redonner confiance. Parler à sa famille, est-ce une bonne idée ? En toute honnêteté, ça dépend pour qui. Ce ne seront peut-être pas tous les détails de l’expérience étudiante qui seront accueillis avec la même empathie. Certaines interventions des membres les mieux intentionnés et les plus aimants d’une famille peuvent ne pas avoir l’effet souhaité. Les exigences du milieu universitaire et des études aux cycles supérieurs sont assez méconnues. La plupart des doctorants sont les seuls étudiants aux cycles supérieurs dans leur famille. Ils sont peut-être même les premiers à se rendre à ce niveau, ou même à l’université. En 2006, le Québec comptait 193 975 titulaires d’une maîtrise et 40 360 titulaires d’un doctorat. Cela représentait 3,79 % de la population québécoise âgée de 15 ans et plus (3,14 % pour la maîtrise et 0,65 % pour le doctorat). On tend à l’oublier quand on évolue dans le milieu universitaire – où on a l’impression que tout le monde possède un doctorat. Ainsi, des questions comme « Et puis, ma belle, quand est-ce que tu finis ? » peuvent venir de la meilleure des intentions, mais deviennent un irritant majeur lorsqu’elles se répètent d’année en année. Il peut aussi être ardu de parler du sujet de thèse et des difficultés auxquelles on fait face à des gens qui n’ont jamais été exposés au milieu de la recherche. Cela ne signifie pas qu’il faut chercher à s’isoler de sa famille pendant les études, bien au contraire ! Cependant, il vaut mieux rechercher ceux qui sont véritablement intéressés à comprendre le contexte dans lequel on évolue, et se résigner à se forger une petite carapace contre tous les « Encore aux études ! ? … Mais quand est-ce que tu vas nous faire des bébés ? » Les colloques, les forums, les congrès, les journées de la recherche et les autres activités scientifiques sont autant de possibilités de discuter du sujet de sa thèse dans des occasions formelles8. On a alors droit à une pratique de « sortie » de ses résultats, de défense de son argument. Une fois sur place, on peut profiter de la présence d’autres chercheurs et étudiants pour enrichir son réseau de contacts et prendre connaissance des recherches similaires à la sienne. Peu importe à qui l’on parle, il vaut mieux distinguer les bonnes des mauvaises oreilles. Il n’est pas utile de rechercher l’avis de personnes qui ne 8. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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pratiquent pas l’art de la critique constructive (pas besoin d’avoir affaire à un grand maître, mais on doit quand même déceler un certain effort de diplomatie chez l’interlocuteur). Les étudiants sont déjà très bons pour se taper sur la tête, pas besoin d’aller chercher des coups supplémentaires ! Cela dit, les interlocuteurs trop complaisants contribuent à valider l’inertie et la procrastination. Celui qui accepte toujours les bonnes excuses pour ne pas respecter les périodes de rédaction n’aidera pas à progresser. La clé du succès pour obtenir le soutien voulu est de parler des bonnes choses aux bonnes personnes. Besoin de ventiler ? Les collègues sont là. Besoin d’amour inconditionnel ? Allez vers les membres de votre famille. Besoin de direction et d’information ? C’est le rôle du superviseur. Enfin, quand tout cela n’est pas suffisant, parler à un psychologue peut aider à surmonter des difficultés personnelles qui freinent la rédaction et parler à un conseiller d’orientation peut aider à clarifier un projet professionnel. Dans plusieurs universités, il existe des centres d’aide aux étudiants où il est possible de consulter des professionnels spécialisés dans ce genre de problématique, parfois gratuitement. Il est effarant de constater à quel point la consultation de professionnels de la santé mentale est encore taboue et perçue comme un signe de faiblesse dans plusieurs milieux. Si des problèmes de vision ou de dextérité empêchaient soudainement un étudiant de poursuivre sa rédaction, on trouverait bien normal qu’il consulte un professionnel à ce sujet. Pourquoi ne pas adopter le même raisonnement quand il s’agit de symptômes anxieux ou dépressifs ? Piège no 7 : Tout donner à la thèse

La rédaction d’une thèse est éprouvante, et il est peu réaliste de s’attendre à une motivation intrinsèque infaillible pour écrire durant plusieurs années. L’instauration d’un système de récompenses lors de l’atteinte des objectifs de rédaction permet de conserver une certaine motivation, même si elle peut paraître artificielle ou extrinsèque. Le principe à respecter est de récompenser l’effort et de ne pas récompenser l’inaction. Quant aux façons de se récompenser, chacun sait ce qui lui fait vraiment plaisir. Il suffit d’y réfléchir en termes de moyens pour s’aider à écrire. Il n’est pas nécessaire d’exiger de soimême d’être mû par la simple passion de la découverte scientifique et de

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l’amélioration du sort du monde par l’avancement des connaissances ! Un petit cadeau, une sortie ou une activité spéciale en fonction du nombre de lignes écrites, du nombre d’objectifs atteints ou du temps consacré à la thèse permet de traverser les moments les plus difficiles. Il importe aussi de se rappeler que la rédaction de la thèse est un moyen pour arriver à une fin et que l’objectif terminal est la diplomation. La thèse est un morceau essentiel d’un programme doctoral, c’est évident, mais elle n’en constitue pas l’entièreté. Elle est une réalisation importante, parmi d’autres réalisations importantes, comme les cours, les stages, les emplois étudiants, etc. En prenant encore plus de recul, on voit qu’elle s’inscrit dans une série d’accomplissements, entre la réussite du programme de premier cycle et le parcours professionnel à venir, qui sera lui aussi parsemé de nombreuses autres occasions de se dépasser. Enfin, malgré l’horaire surchargé typique des étudiants aux cycles supérieurs, réserver du temps pour faire autre chose, comme un loisir ou un sport, est une habitude importante. Avoir un endroit, un contexte pour se changer les idées et parler avec ces autres habitants de la planète Terre qui ne sont pas à l’université, permet de prendre des « pauses mentales » des activités doctorales tout en entretenant son réseau social. Il peut s’agir de suivre un cours de peinture, de karaté, de danse, de langues étrangères, de cuisine, peu importe ! L’important est de faire une activité plaisante, dans laquelle la performance et l’évaluation ne sont pas au premier plan. Lorsqu’on traverse une période stressante où l’on sent qu’on devrait consacrer encore plus de temps à la rédaction, c’est encore plus pertinent de réserver du temps pour des activités dont le seul but est de se faire plaisir et, pour un moment, de s’investir entièrement dans quelque chose à des lieues du doctorat. *** La rédaction dans le contexte des études supérieures n’est pas une aventure de tout repos. Néanmoins, il est possible de naviguer dans ces eaux plus ou moins troubles et de conserver une bonne santé mentale en suivant ces quelques recommandations :

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démystifier l’inspiration ; reconnaître et combattre la procrastination ; surmonter le perfectionnisme ; reconnaître et gérer ses émotions ; adopter une attitude d’encouragement bienveillant envers soi-même ; parler, ne pas rester seul avec des difficultés ; savoir vivre « en dehors » du doctorat.

Pour une source d’information et de motivation en continu, trois sites Internet traitent de la « survie » de l’étudiant aux cycles supérieurs, de façon sympathique ou humoristique. Dans les trois cas, il est possible de s’abonner à une liste de diffusion qui permet de recevoir régulièrement du nouveau matériel. Cette caractéristique est intéressante : les abonnés reçoivent ainsi un rappel régulier et agréable sur le thème de la rédaction qui, chaque fois, les exhorte à se mettre à la tâche, rendant ainsi le « flottement » ou la procrastination moins probables. Cela dit, comme ces sites fonctionnent depuis longtemps et débordent d’archives, il ne faut pas se laisser prendre à vouloir tout lire… par perfectionnisme ou, justement, procrastination9 !

9. Voir également ; http://phdcomics.com, www.abdsurvivalguide.com et http://act. hypotheses.org.

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chapitre 13 Se discipliner dans la rédaction Louise Boisclair

Ce texte propose essentiellement une stratégie de rédaction tirée d’une expérience vécue. Il ne s’agit pas d’un modèle absolu ; d’autres avenues sont également valables, selon la situation du doctorant et la nature de sa thèse1. Toutefois, on trouvera ici diverses tactiques qui rendent l’aventure moins périlleuse2. Certaines d’entre elles permettent de renouveler l’inspiration et de maintenir le souffle lors de cette aventure qui relève davantage du marathon que du sprint. En vue de se discipliner dans la rédaction, il est essentiel de tenir compte du contexte de vie, des exigences universitaires et de ses capacités. Il est bon également de se donner un cadre de rédaction, assorti d’un plan, qui rende l’exercice le plus efficace et le plus agréable possible. Dans cet esprit, le livre d’Umberto Eco intitulé How to Write a Thesis, publié au MIT Press en 2015 dans la traduction anglaise de sa version originale de 1977, constitue une excellente référence parmi d’autres, dont L’art de la thèse de Michel Beaud, paru en 2006 aux Éditions La Découverte.

1. Voir dans cet ouvrage les chapitres de France St-Hilaire et de Geneviève Belleville. 2. Dans la perspective de la thèse par articles, voir plus précisément le chapitre de Jacques Papy dans cet ouvrage.

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Cadre de travail, plan de rédaction3

La rédaction d’une thèse est un exercice solitaire qu’on qualifie souvent de traversée du tunnel4. Pour la rendre le plus conviviale possible, il est souhaitable de s’aménager un espace de travail ergonomique et de s’entourer d’outils bien affûtés. Durant cette période, il est nécessaire de limiter ses activités sociales. Il est bon également de réserver à la rédaction un certain nombre d’heures de travail à une fréquence régulière, sans oublier d’intercaler des temps de repos et de distraction. Durant ces périodes de travail, il faut éliminer toute source de dérangement et de distraction (courriel, téléphone, etc.). Idéalement, on privilégie les heures de la journée où l’esprit est le plus alerte et le plus productif. La rédaction de thèse peut aussi être comparée à la navigation à voile. Certains jours, les conditions sont réunies, le vent est favorable. D’autres, au contraire, sont parsemés d’obstacles et d’intempéries. Beau temps mauvais temps, il importe de s’asseoir devant son ordinateur et de rédiger à partir de son plan de rédaction. Par vent fort, les idées et les mots viennent facilement, alors que par vent faible ou contraire, la productivité baisse. Pour mesurer l’avancement du texte et en apprécier la qualité, il faut calculer la moyenne de pages sur une semaine, puis sur un mois. Pour certains doctorants, la période privilégiée pour l’écriture est le matin après le café. En effet, se mettre à la rédaction directement après le réveil procure une sensation inestimable. L’esprit frais et reposé bénéficie encore des bienfaits du sommeil. Au début, cette période peut se limiter à deux ou trois heures. Avec l’habitude, on augmente la cadence à quatre heures, sans toutefois dépasser cinq heures. Toutes les deux heures environ, il est souhaitable de prendre une pause pour se dégourdir, boire quelque chose ou faire une activité différente. Vers deux ou trois heures de l’après-midi, une promenade permet d’aérer l’esprit. Enfin, le reste du temps peut être consacré à des tâches plus mécaniques : mise à jour bibliographique, révision avec correcteur, lectures complémentaires, recherche de références, vérification de notes ou de citations, etc. Une ou deux fois par année, un congé d’une semaine permet de se ressourcer sans pour autant se déconnecter complètement de la thèse. 3. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy. 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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Une fois la scolarité terminée et l’examen doctoral réussi, il est bon d’esquisser un plan de rédaction de la thèse qui correspond à la table de matières subdivisée, voire commentée. Bien qu’il soit étroitement relié au plan de travail (lecture, résumé, fiche, bibliographie, analyse, article, etc.), celui de rédaction s’en distingue. Il consiste à planifier les textes à écrire en fonction des subdivisions et des chapitres. Il existe au moins deux écoles à ce sujet. La première consiste à écrire à la toute fin, non seulement l’introduction et la conclusion, mais aussi le premier chapitre qui porte sur les questions méthodologiques et le cadre conceptuel (déjà présentés lors de l’examen doctoral)5. Même si cela peut sembler étrange, écrire ce chapitre après tous les autres comporte des avantages ; le recul apporte entre autres plus d’assurance et de profondeur à l’exercice. Ce ne sont plus la méthodologie et le cadre conceptuel projetés, mais la méthodologie et le cadre conceptuel délestés du superflu et mis à l’épreuve. La seconde école renvoie à la proposition d’Umberto Eco, qui consiste à écrire au départ l’introduction et le premier chapitre. Certes, il faudra les réécrire plusieurs fois, précise-t-il, mais ces nouvelles versions peaufineront l’écriture, permettront d’approfondir le contenu et de tisser des liens plus organiques entre les sections. Une fois le plan de rédaction établi, il est toutefois possible de rédiger les chapitres selon son inclinaison, sans s’obliger à les écrire l’un à la suite de l’autre. Écrire de la main gauche

Au début du projet de thèse, il est souvent difficile de cerner son sujet. L’écriture « de la main gauche6 » peut être un exercice fécond pour mieux sentir le fil conducteur tout en cernant les errances inutiles. À cette occasion, on se permet de traiter son sujet avec plus de liberté. Ce type d’écriture est plus organique, moins exigeant que la rédaction proprement dite au cours de laquelle, parfois, l’attention se déplace sur des considérations stylistiques ou autres. 5. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Carmela Cucuzzella et de Pierre Noreau. 6. Cette expression provient de ma directrice de thèse, Catherine Saouter, professeure à l’École des médias de l’UQAM. « De la main gauche » est le titre d’une chanson de Danielle Messia (1982), incluse dans le film Anne Trister de Léa Pool (1986).

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Écrire de la main gauche est inspirant et laisse émerger des pistes possibles, même si le texte peut donner l’impression de tourbillonner dans une rivière pleine de remous et manquer de précision et de concision. La rigueur n’y est pas encore et les formulations sont souvent lacunaires ; l’expression comporte de nombreuses faiblesses, ce qui est le signe d’un projet en ébullition. Mais il est bon de conserver ces brouillons qui, lors d’une panne sèche, peuvent servir d’embrayeur ou encore de jauge pour mesurer sa progression. Malgré toutes ses lacunes, ce genre d’écrit constitue un excellent moyen pour prendre le pouls affectif de son projet. En outre, il aide à en parler d’une façon plus naturelle, avec plus d’aisance et de conviction, en employant moins de jargon hermétique. Certaines métaphores font image et aident à traduire certaines idées. Chaque fois qu’on a l’impression de tourner en rond ou de faire du surplace, écrire d’une manière plus subjective permet de se rebrancher au courant énergétique essentiel à l’avancement du travail. Une fois l’écriture relancée, d’autres outils de rédaction apportent des avantages appréciables. Plans et bilans hebdomadaires et mensuels

Pour ce qui est de l’organisation, tenir un journal de bord s’avère une excellente méthode de suivi de l’évolution du travail : on y consigne les tâches accomplies et on y effectue des bilans réguliers. On peut aussi l’utiliser pour modifier le plan de rédaction et noter des impressions à examiner. Il est très utile de fixer une date butoir pour le dépôt de la thèse. Certains jours, cette date paraîtra réaliste, tandis que d’autres, elle semblera irréaliste. Mais malgré tous les obstacles qui viendront affecter le rythme de travail, le seul fait d’avoir une date butoir aide à maintenir le cap, quitte à mettre les bouchées doubles durant les dernières semaines précédant le dépôt. Bien sûr, un tel rythme effréné ne peut et ne doit pas être maintenu sur une longue période, au risque d’entraîner un surmenage. Dans le journal de bord, la liste des tâches chevauche celle des textes à produire. Chaque semaine, il est bon d’effectuer un bilan du travail accompli. Il est satisfaisant d’indiquer « Fait » à côté d’une tâche. On peut alors planifier les tâches pour la semaine suivante. De même, il est encourageant de dresser des bilans mensuels et semestriels. Ceux-ci affichent noir sur blanc l’avancement des travaux et de la rédaction. Ces outils servent d’aide-mémoire,

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marquent le tempo et la progression accomplie. Toutefois, ces prévisions ne sont pas coulées dans le béton. Il faut faire preuve de souplesse, car en général le temps de route prévu n’équivaut pas au temps réel pour atteindre la destination. On peut avoir besoin de plus de temps pour toutes sortes de raisons. L’inverse est aussi vrai : parfois, la fin d’un chapitre peut survenir plus tôt que prévu. En plus d’aider à organiser le travail, ces plans et ces bilans servent de compas de navigation afin de contourner les obstacles et d’ajuster l’itinéraire. Lors de la planification, il ne faut pas oublier de prévoir le temps de relecture par son directeur, son codirecteur ou de commentaires et de révision par les autres lecteurs. À cet effet, il est bon d’en discuter au préalable et de convenir avec chacun d’un délai acceptable. Si le délai prévu est dépassé, on tentera d’en obtenir un nouveau, en évitant bien sûr d’inonder leur messagerie. Tout au long de la rédaction de thèse, il est démotivant de rester dans l’expectative durant des semaines, parfois des mois. Se discipliner dans la rédaction consiste aussi à gérer le suivi des commentaires et des révisions. En attendant, on avance d’autres sections, on accomplit d’autres tâches. Au moins, on sait à quoi s’en tenir. On reste à la barre du gouvernail. En plus de gérer les étapes de travail et de rédaction, ces plans et bilans périodiques ont un effet bénéfique sur le moral. Il est rassurant de constater le travail accompli et d’envisager les étapes à venir. Les résultats sont éclairants et stimulants. Même un résultat insatisfaisant, s’il est considéré de façon réaliste, peut se transformer en effet de levier pour ajuster le tir. Créer des cartes et des schémas

Au cours de l’écriture, les idées ont tendance à tourbillonner, parfois à se répéter ou encore à ressurgir deux ou cinq pages plus loin. On ne sait plus ce qui a été dit ni de quelle manière. Même avec un plan de rédaction détaillé, l’argumentation peut emprunter un nouveau chemin. Il importe alors de modifier le plan. Dresser des cartes heuristiques ou sémantiques constitue un excellent moyen d’organiser le contenu. Sous forme de tableaux ou d’illustrations, ces cartes facilitent grandement la présentation des résultats de l’analyse et l’articulation de la synthèse. Les feuilles de grand format permettent d’esquisser à volonté tout ce qui vient en tête. Pour ceux qui préfèrent travailler à

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l’ordinateur, il existe des logiciels conçus à cet effet, par exemple Inspiration. Ces figures facilitent l’organisation du contenu, la progression des idées et leur présentation. Certaines pourront être intégrées à la thèse, alors que les autres seront conservées dans nos dossiers. Tous les moyens sont bons et les plus utiles sont ceux qui aident à déployer le contenu, à resserrer le fil de l’argumentation et à établir des relations entre les sections. À cet égard, présenter un résumé à la fin de chaque chapitre aide le lecteur (mais aussi l’auteur) à se situer. Au fil du temps, les chapitres prennent forme et le nombre de pages s’accroît. Si on les a d’abord écrits dans le désordre, selon notre inspiration, le texte, lui, se présente évidemment dans l’ordre. Le jour viendra où une première version de la thèse sera achevée. Mais d’ici sa transmission au directeur, puis au premier dépôt (avant le dépôt final après la soutenance), il reste encore beaucoup de pain sur la planche. La qualité du texte final dépendra de l’affûtage de nos outils de lecture, de révision et de correction et d’une formulation judicieuse du contenu. Réécrire de la main droite

Avant d'être soumis au directeur pour commentaires, chaque texte devra être le plus précis, le plus concis et le plus fluide possible. L’écriture de la main droite nécessite beaucoup de rigueur quant à la formulation du contenu dans le respect des exigences universitaires. Le texte devra faire l’objet de nombreuses vérifications, notamment pour les citations et les notes en bas de page. Les citations sont-elles nécessaires ? Sont-elles bien introduites ? Sont-elles étroitement liées au développement en cours ? Bref, sont-elles pertinentes ? Quant aux notes en bas de page, servent-elles les fins prévues ? Ont-elles été détournées comme aide-mémoire ou fourre-tout ? Sont-elles trop nombreuses ou, à l’inverse, trop clairsemées ? Enfin, les tics d’écriture ont-ils été corrigés ? Pour la bibliographie, l’utilisation d’un logiciel peut être un atout. La plupart des bibliothèques universitaires offrent des formations à cet effet, qui permettent de se familiariser avec le logiciel en fonction des paramètres de son ordinateur et des styles demandés. Beaucoup utilisent le logiciel EndNote, très utile pour des recherches bibliographiques et l’insertion des citations dans le corps du texte. D’autres préfèrent réaliser manuellement la bibliographie

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finale. L’important est d’être à l’aise avec le système adopté. L’un comme l’autre nécessitent beaucoup de temps et de la ténacité pour formater la bibliographie selon les exigences protocolaires. Enfin, entre la rédaction et la correction, il est bon de décanter, ce qui permet de rafraîchir son regard devant ce qui semble, d’abord, une petite merveille. Ça aide à envisager plus clairement les améliorations à apporter à cette nouvelle version. Le volume d’environ 300 pages d’une thèse contraste grandement avec celui d’une douzaine ou d’une vingtaine de pages auquel on était habitué jusque-là. C’est comme passer du sprint au marathon d’endurance. Pour ce qui est des coquilles, il est bon d’utiliser un correcteur, par exemple le logiciel Antidote. Ce dernier permet de corriger les fautes en tous genres, mais aussi de repérer les répétitions de mots, qui indiquent souvent des répétitions de passages. Ces fameux doublons qui désespèrent le lecteur finissent par entrer dans notre point aveugle. Ça vaut la peine de les éliminer pour ménager nos lecteurs. Même bien construit, un texte bourré de fautes empêche le lecteur de débusquer le sens derrière les broussailles. Quant au texte moins bien construit, mais exempt de coquilles, il sera plus facile d’y suggérer des améliorations. Même le texte d’un rédacteur aguerri n’échappe pas au besoin de révision stylistique et à la correction finale. En plus d’un correcteur, il peut être nécessaire de faire réviser son texte. Il est possible de donner un contrat au tarif étudiant ou encore de négocier un échange de services avec un collègue. Dans tous les cas, le rédacteur demeure libre de suivre ou non les suggestions formulées. En plus d’un lecteur universitaire, il est souhaitable de recourir à un réviseur professionnel afin de rehausser la qualité du texte. Cette ressource spécialisée nous évitera bien des tracas en corrigeant des formulations erronées et en nous alertant des faiblesses, en indiquant les digressions inutiles et en proposant des améliorations. Si, de surcroît, le réviseur connaît bien le protocole du guide de rédaction de thèse de notre université, ce sera un avantage indéniable. Des lecteurs pour le contenu et la forme : relire et réécrire

Après des semaines sinon des mois à brasser les mêmes idées, notre vision perd de l’acuité. On ne repère plus les fautes de syntaxe ni les termes inappropriés. On n’est plus conscient de nos tics d’écriture. Qui n’en a pas ? Une

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certaine habitude peut s’être développée dans notre façon de présenter et d’argumenter la matière. Est-elle convaincante ? Les arguments sont-ils déployés dans un ordre croissant d’importance ? Une idée est-elle suffisamment élaborée ? Si elle revient plus loin, a-t-on pensé à effectuer un lien avec ce qui a déjà été dit ? Si une définition précise l’emploi d’un terme scientifique, apparaît-elle à la première occurrence ? Pour toutes ces raisons et bien d’autres, il importe de faire relire ses textes par des lecteurs en qui l’on a confiance. Ainsi, il est avantageux de maintenir une banque de lecteurs susceptibles de se pencher sur notre texte, pour sa forme ou pour son contenu. Le lecteur pour la forme ne sera sans doute pas un spécialiste du contenu (et vice versa), mais il pourra souligner le manque de clarté ou de précision. Il pourra aussi signaler les passages à développer ou d’autres qui méritent d’être resserrés. Il pourra relever un passage trop hermétique ou familier, mais aussi noter des liens à ajouter entre certaines sections. Le lecteur pour le contenu, plus ou moins spécialiste du domaine, appréciera qu’un texte à commenter lui soit présenté dans une bonne forme. À l’inverse, le lecteur pour la forme appréciera que le texte soit le plus clair possible et le jargon scientifique réduit au minimum. Si ce lecteur a lui-même une maîtrise universitaire, même si le domaine de la thèse ne lui est pas familier, il saura poser des questions qui amèneront à bonifier le contenu. Le plus souvent, une forme écrite lacunaire révèle une insuffisance dans le mûrissement des idées. Mais, encore une fois, cette forme doit également remplir les exigences du guide de rédaction de thèse de l’université d’attache. En outre, discuter d’un chapitre de la thèse avec un lecteur perspicace, en plus du directeur de thèse, permet de mettre à l’épreuve son contenu, son originalité et sa cohérence. Mine de rien, chaque question oblige à préciser, à reformuler ou à rééquilibrer le contenu là où c’est nécessaire. La discussion nous entraîne à répondre aux questions, à les mettre en contexte et à insérer les nuances nécessaires. Ces questions seront nombreuses jusqu’à la soutenance, ce qui est formateur à plus d’un titre. En effet, ces questionnements permettent de tisser des liens entre la recherche proprement dite, son cadre conceptuel et sa méthodologie. Ils permettent aussi de délimiter le champ de la recherche et de tenir compte des limites des disciplines convoquées. Enfin, cet exercice nous habitue à recevoir une opinion contraire, à l’absorber et à

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lui répondre. Il est donc avantageux de confier ses textes à d’autres pour mettre à l’épreuve tant le fond que la forme. Lorsqu’un chapitre semble tenir la route, il est présenté au directeur et au codirecteur s’il y a lieu. Pour ce qui est des commentaires proprement dits, il est souhaitable de les recevoir incorporés au fichier du texte. Certains directeurs préfèrent lire sur papier et rédigent des commentaires d’ensemble, tandis que d’autres lisent à l’ordinateur et commentent dans le texte avec la fonction « Suivi des modifications ». Dans le cas d’un commentaire d’ensemble, il est bon d’organiser une rencontre pour en discuter. Ce commentaire peut porter sur une portion de chapitre ou sur l’ensemble du texte. Si cette étape demande du temps et de l’énergie, elle permet d’éliminer les doutes qui monopolisent un temps précieux et peuvent en décourager plusieurs. Une fois les commentaires discutés, une période de réécriture permettra de bonifier le tout. *** Avant le premier dépôt, il n’est pas excessif de demander à quelqu'un de relire l’ensemble de la thèse. Même s’il n’est pas spécialiste du domaine, ce lecteur peut encore questionner la pertinence de certains termes et relever des coquilles passées inaperçues. Après les inévitables corrections finales, on pourra procéder à l’impression de la version complète et la déposer au secrétariat l’esprit tranquille. En résumé, se discipliner dans la rédaction d’une thèse comporte plusieurs volets dont il faut tenir compte. La rédaction ne se limite pas à formuler des phrases, à corriger les fautes de syntaxe ou à utiliser une forme concise et précise. Toutes les étapes de planification et d’organisation, de recherche et de rédaction sont étroitement liées. Diverses astuces, dont l’écriture « de la main gauche », sont très utiles pour maintenir le souffle et renouveler l’inspiration qui risque de faire défaut à un moment ou un autre. Se discipliner dans la rédaction, c’est aussi savoir s’entourer de ressources aidantes et compétentes. Lorsque la rédaction est complétée dans les règles de l’art, elle procure, en plus du sentiment de la mission accomplie, la joie inestimable d’une réalisation achevée et cohérente.

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chapitre 14 Syndrome de la page blanche et anxiété de performance France St-Hilaire

L’écriture est une délivrance qui, phrase après phrase, mot après mot, devient un esclavage. Alain Bosquet

L’un des grands défis de la thèse concerne sa rédaction1 qui sera, pour plusieurs doctorants, l’étape la plus longue et parfois la plus anxiogène. Rite de passage obligé, la thèse représente l’un des plus imposants projets d’écriture que plusieurs d’entre vous vivront, en solitaire2, dans leur carrière. Les étapes préalables auront été ponctuées par des délais et des tâches plus circonscrites alors que la rédaction et la terminaison de la thèse connaissent des échéances souvent imprécises, voire fréquemment repoussées. Cette dernière étape est un terreau fertile pour de nombreux doutes qui peuvent entraver l’écriture. Si pour plusieurs les périodes de rédaction moins productives sont ponctuelles, pour d’autres, ces périodes de vacillation sont plus régulières et paralysantes, se traduisant tantôt par le syndrome de la page blanche, tantôt 1. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Geneviève Belleville et de Louise Boisclair. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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par de la procrastination. Lorsque ces sentiments sont trop envahissants, ils deviennent un véritable frein à l’avancement et à l’atteinte des objectifs. Bien que ces périodes de tergiversation soient normales et intrinsèques au parcours de doctorant, certaines stratégies permettront de limiter leurs effets sur la motivation et la productivité. Dans le cadre de ce chapitre, j’aborderai deux idées principales : décomposer l’écriture de la thèse pour la ramener à sa plus simple expression et reconnaître les entraves émotionnelles qui peuvent retarder la rédaction. J’explorerai d’abord les principaux risques et obstacles que vous rencontrerez à titre de rédacteur, pour ensuite proposer des stratégies pour y faire face. La réflexion et les stratégies proposées sont avant tout inspirées de l’expérience acquise par l’écriture de mon mémoire, de ma thèse ainsi que des premiers chapitres de livre et articles de ma carrière professorale. Cette expérience a également été influencée par différentes lectures sur la productivité rédactionnelle ; je suggérerai certaines références au passage3. Enfin, je proposerai quelques trucs et astuces concrets pour survivre à la thèse. Par ce chapitre, je chercherai à transmettre sans retenue et sans prétention les stratégies développées au cours d’innombrables moments d’inertie, que j’ai fini par dépasser un par un. Approcher l’écriture comme une tâche parmi d’autres

De plus en plus d’ouvrages abordent le thème de la productivité rédactionnelle des universitaires, de la publication d’un article scientifique en 12 semaines (Belcher, 2009) aux stratégies pour être un auteur prolifique (Silvia, 2007). La prémisse derrière ces ouvrages : approchez l’écriture comme tout autre projet de grande envergure. En effet, l’une des erreurs les plus fréquentes est d’aborder l’écriture de la thèse comme une seule tâche, imposante, qui s’étirera sur plusieurs mois et années. Comme pour tout projet de longue haleine, il faut planifier et organiser son travail, tout en acceptant que la construction des idées est un processus itératif et que chaque journée ne doit pas nécessairement se conclure par la rédaction d’un nombre précis de pages. 3. Parce que l’objectif de ce chapitre est de présenter mon expérience, je n’aspire pas à dresser une synthèse des écrits sur la productivité rédactionnelle. Inévitablement, certaines stratégies décrites auront certainement été abordées par d’autres auteurs, mais – dans tous les cas – elles sont issues d’abord et avant tout de mon expérience.

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À chaque domaine sa plume

Avant d’attaquer la planification et l’écriture même de la thèse, il convient de vous approprier le style, d’adopter une écriture en adéquation avec le domaine dans lequel s’inscrit votre thèse. S’il existe un style propre à la démarche scientifique et intellectuelle4, il s’exprime différemment selon les approches disciplinaires, méthodologiques ou selon la forme de la thèse (classique ou par articles)5. Il est donc essentiel de s’imprégner d’abord des travaux de votre domaine pour bien cerner la facture prescrite. À titre d’illustration, une même discipline (p. ex., la psychologie ou la sociologie) peut connaître plusieurs styles d’écriture, selon que la thèse s’inspire d’une approche empirique anglosaxonne, d’une approche théorique française ou encore d’une thèse empirique fondée sur une approche constructiviste ou positiviste. Chacune de ces approches imposera un style d’écriture distinct. Par exemple, si une thèse volumineuse sera très bien acceptée – voire encouragée – dans certains domaines, il se peut très bien que dans d’autres, on reproche au doctorant son manque d’esprit de synthèse. D’ailleurs, trop de thèses ont des lacunes qui concernent non pas les choix méthodologiques ou théoriques, mais plutôt l’adéquation entre ces choix et le style d’écriture qui permet de formuler les idées et les arguments qui les soutiennent. L’appropriation du style d’écriture propre à votre domaine est la première étape dans la rédaction de votre thèse. De plus, il pourrait être opportun de vous assurer de maîtriser les principes de l’écriture en faisant d’abord valider une première ébauche d’une partie de votre thèse. Cela est davantage nécessaire lorsque vous explorez une nouvelle approche dans le cadre de votre projet doctoral. « Rien ne sert de courir… »

Pour plusieurs, l’écriture ne résulte pas d’une action spontanée. Elle exige une organisation précise du propos. Ainsi, une réflexion et une préparation sont nécessaires à la structuration des idées, surtout pour un projet tel que la thèse, 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 5. Sur la question de la multidisciplinarité, voir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim dans cet ouvrage.

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qui revêt une certaine complexité tant sur le plan de l’argumentaire que du contenu. De plus, la hâte qui incite plusieurs doctorants à entamer rapidement l’écriture de la thèse, dernière étape du doctorat, peut mener à foncer tout droit vers le syndrome de la page blanche. Même si tout le monde s’entend sur la nécessité de préparer chaque projet d’écriture, on n’imagine pas à quel point cette étape est déterminante pour la rédaction elle-même. Parce que le plus souvent on évalue l’avancement de la thèse en fonction du nombre de pages rédigées, on ressentira l’impératif besoin de s’affairer à l’écriture. Or, si certains acceptent de se jeter dans le vide de l’écriture et consentent aux allers-retours causés par de constants changements de direction, la majorité des doctorants risque d’y perdre temps, énergie et motivation. En effet, l’écriture de la thèse sous-tend une étape essentielle : structurer la pensée et les propos. Faire un plan de rédaction demeure la meilleure façon de débuter, surtout pour ceux qui sont facilement paralysés par la page blanche. Placer les grandes sections et définir les contenus sous forme de table des matières vous permettront de coucher les premiers mots et les premières idées. Ainsi, préparer la structure des différents chapitres de la thèse ou des articles qui la composent pourra représenter une étape qui s’étire sur une longue période. De la division des premiers chapitres à la présentation des différents arguments, le plan pourra ensuite devenir une première ébauche. Il ne restera qu’à y placer les « connecteurs » logiques. Ainsi, passer d’un plan d’une à deux pages à une version où les sous-titres pourront devenir avec le temps des paragraphes, facilitera grandement la construction de la pensée et l’enchaînement logique des idées. Travailler à partir d’un plan sera moins intimidant et beaucoup plus motivant. Il est également efficace de jeter vos idées, sans vous laisser freiner par l’ambition d’une écriture parfaite. S’abandonner à l’écriture sans vous soucier de la langue et des enchaînements vous permettra de contrecarrer le syndrome de la page blanche. Parce que l’écriture participe également à la construction de la pensée, le texte sera le fruit de l’alternance entre une écriture libre et la construction d’un plan. Segmenter votre thèse et votre horaire

Le rythme d’écriture évolue avec l’avancement de la thèse : au début, la mise au point du plan de rédaction pourra se faire parallèlement à l’analyse des

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données, alors qu’en fin de parcours, votre temps sera principalement consacré à l’écriture. C’est à cette dernière étape que vous vous exposez à commettre l’une des principales erreurs, qui est celle de mettre à l’ordre du jour, pour tous les jours de la semaine, ces quatre mots : rédaction de la thèse. Si vous entamez une semaine ou une journée en n’ayant à l’esprit que l’écriture de la thèse, vous pourriez avoir le sentiment que vous avez tout le temps devant vous, ce qui vous mènera inévitablement à l’étirer. Autour de ces heures qui défilent, sans véritables résultats, se formera alors un cercle vicieux : pour redresser la situation, les heures et les journées de travail seront de plus en plus longues. Or, les résultats seront rarement proportionnels aux heures passées au travail. Il pourra facilement s’écouler une année, voire des années, sans que la rédaction de la thèse n’avance substantiellement. Ce flottement peut avoir un prix : ne jamais terminer votre thèse. Sans des objectifs précis et des échéances, il sera difficile d’aborder vos journées de travail avec promptitude. L’une des stratégies possibles pour contrer ce risque est de vous fixer des échéances annuelles, mensuelles et hebdomadaires. Impliquer votre directeur à cette étape est nécessaire afin qu’il évalue le réalisme de votre planification6, mais aussi pour qu’il puisse planifier des moments de lecture et de révision dans son propre agenda. Vous astreindre à fixer des dates d’envoi à votre directeur permettra de respecter les objectifs fixés et de maintenir votre rythme de rédaction. Cet engagement envers votre directeur stimulera vos efforts pour atteindre l’objectif et lui permettra de faire les lectures dans des délais raisonnables. Mieux encore, ces avancées vous permettront d’apercevoir le fil d’arrivée, source ultime de motivation. Enfin, particulièrement au début de la rédaction de la thèse, alterner vos périodes de rédaction avec d’autres tâches telles que la mise en page, des lectures ou toute autre activité associée à la formation doctorale (p. ex., la préparation d’une conférence scientifique) favorisera non seulement votre productivité rédactionnelle, mais également un sentiment d’efficacité personnelle associé à la conclusion de journées de travail bien remplies et prolifiques.

6. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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Désolé, vous avez rendez-vous avec l’écriture

Pour favoriser cette vivacité intrinsèque à la productivité, il est plus efficace de planifier des périodes de travail à durée déterminée et des pauses entre chacune de ces périodes, car il n’est pas fructueux et réaliste de rédiger durant des journées entières. Circonscrire des périodes de rédaction à durée déterminée permettra de vous concentrer sur les objectifs susceptibles d’être atteints au cours des prochaines heures plutôt que sur une cible lointaine, ce qui peut s’avérer très anxiogène. Cette planification des tâches d’écriture devrait également respecter vos périodes de productivité personnelles. Vous devriez réserver à l’écriture les moments de la journée (ou de la soirée) où vous êtes le plus concentré. Ces moments doivent être immuables, au même titre que le serait un cours ou tout autre engagement, et ils seront d’autant plus productifs que vous serez préservé de toute distraction (courriels, téléphone, collègues). L’organisation du temps et les conditions d’écriture sont fondamentales pour créer la disposition psychologique et intellectuelle nécessaire à l’écriture. Néanmoins, planification et gestion de son temps ne doivent pas rimer avec rigidité7. L’exercice intellectuel que représentent la thèse et la contribution à la connaissance ne peut se réduire à l’inscription de périodes réservées dans l’agenda. Vous devrez accepter des journées moins fécondes : cela est tout à fait normal, voire nécessaire. Lors de ces séances moins productives, après quelques tentatives de rédaction, l’acharnement doit laisser place à l’abandon. Plutôt que de rester les doigts collés au clavier, il vous sera ainsi plus profitable de troquer la séance d’écriture pour d’autres tâches ou tout simplement pour des moments de détente. Bien que ces moments moins prolifiques fassent partie intégrante du processus, vous devez être vigilant : si les autres tâches deviennent toujours plus intéressantes et plus prioritaires, cela pourrait être un indice de procrastination. Vous devez alors vous interroger sur les raisons à l’origine de cette paralysie. Ces obstacles nécessitent-ils une rencontre avec votre directeur, s’expliquent-ils par la fatigue ou sont-ils le produit d’un trop grand perfectionnisme ? Quoi qu’il en soit, ils vous empêchent d’aller de l’avant. 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy.

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Lorsque vous aurez pris soin de planifier des périodes d’écriture, il importe de vous donner des objectifs précis pour chacune d’entre elles, afin d’éviter de laisser filer ce temps précieux. Par exemple, pour une séance d’écriture de trois heures, vous poursuivrez l’objectif de coucher le premier jet d’une section de chapitre, d’écrire un certain nombre de mots, de réviser une section de texte ou encore de revoir l’articulation des parties d’un chapitre. Il importe que l’objectif fixé soit assez exigeant pour susciter le sentiment d’empressement qui vous habitera, tout en restant réaliste pour ne pas vous laisser sur un sentiment d’échec. Les séances d’écriture en groupe représentent une technique efficace pour stimuler la productivité, mais également pour favoriser la motivation (voir encadré 1). Participer à des séances d’écriture avec des collègues représente une saine pression pour s’astreindre à l’écriture8. La formule des groupes d’écriture peut être adaptée. Comme les doctorants jouissent souvent d’une grande flexibilité d’horaire, les séances peuvent également prendre la forme de semaines d’écriture. Soulignons qu’il existe également des groupes d’écriture en ligne ; et ceux qui font preuve d’une bonne discipline personnelle peuvent aussi appliquer cette technique individuellement, dans leur propre espace de travail. Entraîner le muscle de l’écriture

L’écriture est un exercice difficile qui peut freiner considérablement l’avancement de votre thèse. Ce long projet d’écriture est d’autant plus exigeant qu’il constitue d’abord un défi scientifique et intellectuel. Selon la discipline d’origine et les habitudes d’écriture que vous aurez développées auparavant, la thèse pourra représenter un premier véritable exercice d’écriture scientifique. Parce que ce type d’écriture a ses propres caractéristiques, vous prendrez le temps de vous les approprier, et ce, parallèlement au processus de construction des connaissances. Pour certains, cette adaptation sera si considérable qu’ils auront le sentiment de réapprendre à écrire, les repères et les techniques d’avant n’étant plus appropriés. Décomposer l’écriture en étapes et comprendre le processus 8. Les techniques des séances d’écriture m’ont permis de terminer ma thèse de doctorat parallèlement à mon entrée en poste à titre de professeure. Ce fut certainement la méthode la plus efficace pour terminer ma thèse.

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Séances d’écriture 1 : la force du groupe 1. Établir un objectif clair et précis pour la séance d’écriture et le partager avec les membres. Il est important de fixer un objectif qui représente un défi, mais qui reste réaliste (p. ex. : écrire 1000 mots ; terminer la révision d’une partie). Les autres membres du groupe d’écriture doivent s’assurer que les objectifs répondent à ces critères (5 minutes de tour de table). 2. Prévoir une séance d’écriture d’une durée déterminée (p. ex., de 2-3 heures) et qui sera divisée ainsi (technique Pomodoro2) :

Fin ou poursuite

Départ : 25 minutes d’écriture

5 minutes de pause

25 minutes d’écriture

25 minutes d’écriture

5 minutes de pause

5 minutes de pause

25 minutes d’écriture

10 minutes de pause

25 minutes d’écriture

Les conditions du succès • • • •

Réunir entre 3 et 5 participants. Travailler dans une salle exempte de distractions. Fermer les boîtes de courriels et éteindre les téléphones. Avoir un responsable de séance qui se chargera de faire respecter les temps d’écriture et de pause (chronométrer)3. • Inscrire les séances d’écriture dans l’agenda, en tant qu’activités qui ne peuvent pas être déplacées ou annulées. 1. Plusieurs auteurs proposent les séances d’écriture afin de favoriser la productivité. Une grande majorité d’entre eux recommandent la technique Pomodoro. Dans le cadre de ce chapitre, je ne fais pas référence à un auteur spécifique ou à une façon de faire particulière ; mon expérience teinte la description des séances d’écriture. Pour en savoir davantage, je recommande les ouvrages indiqués en bibliographie. 2. La technique Pomodoro est une stratégie de gestion du temps développée par Francesco Cirillo (http://pomodorotechnique.com) et utilisée, entre autres, dans plusieurs ouvrages sur la productivité rédactionnelle. 3. Il y a un risque que les séances d’écriture deviennent des moments d’échange et que les périodes de pause s’allongent. Pour pallier cette tentation et pour répondre au besoin de discuter, vous pouvez partager un repas après la séance d’écriture.

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cognitif derrière la rédaction vous permettront de mieux reconnaître les obstacles à l’écriture afin de trouver les meilleures stratégies pour les contourner. Ensuite, établir une routine de rédaction (p. ex., tous les matins, entre 8 h et 11 h) vous aidera à maintenir un bon rythme et à reprendre plus rapidement le fil lors de chaque séance. Écrire régulièrement, même si ce n’est que quelques lignes ou une heure par jour, permet également d’apprivoiser l’écriture et de rendre ce processus de moins en moins intimidant. À ce sujet, il serait plus efficace d’écrire un peu chaque jour, plutôt que de concentrer l’écriture sur de longues séances9. Par ailleurs, certaines parties de la thèse vous donneront du fil à retordre, parce qu’elles nécessitent une discussion avec votre directeur ou des collègues, des lectures supplémentaires ou parce qu’elles représentent un processus itératif qui nécessite de multiples va-et-vient. Il peut donc être opportun de diversifier les sections à écrire afin de maintenir le rythme. Enfin, pour en arriver à un texte de facture scientifique, cohérente et agréable à lire, il convient d’accepter que le chemin sera long. Compte tenu du défi intellectuel que constitue la thèse, il est impératif d’accompagner votre lecteur par une écriture précise et efficace, susceptible d’être lue d’un seul trait. D’ailleurs, c’est par le processus d’écriture que plusieurs des liens qui unifient la thèse se révèleront, et vous laisserez à ces liens le temps de se tisser. Selon vos aptitudes de rédaction, vous compterez plusieurs étapes d’écriture. Ces réécritures sont trop souvent sous-estimées dans la planification de la thèse et, malheureusement, elles seront bien souvent escamotées à la fin du parcours, par manque de temps ou de motivation. Or, c’est la qualité et la précision de l’écriture qui sauront rendre compte et mettre en valeur la contribution de la thèse. Vous devez donc prévoir les étapes subséquentes d’écriture qui consistent à préciser le vocabulaire (la signification des mots est cruciale en sciences), à revoir la syntaxe, à vérifier l’enchaînement et la justesse des arguments ainsi que les normes de présentation scientifique. Devant un projet d’envergure – et assez méconnu – comme la thèse, déconstruire l’écriture en plusieurs étapes vous facilitera la tâche. Sans contredit, l’expérience de l’écriture scientifique vous permettra de simplifier ce processus et la rédaction deviendra plus spontanée. Plus vous écrirez, plus votre muscle se développera, comme pour bien des entraînements, et plus ce sera facile. 9. Voir Belcher (2009) pour en connaître davantage sur les études en question.

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Écrire votre thèse : pas une psychanalyse, mais…

Le doctorat et la thèse constituent à la fois un projet stimulant et un défi à relever. La thèse pourra donc être source de remises en question, de préoccupations, voire de découragement. Ces sentiments peuvent paralyser l’écriture et il vous faut apprendre à les repérer pour mieux les affronter. Halte à la culpabilité : vous avancez, même lorsque vous ne rédigez pas

En plus de la réflexion qui accompagne la découverte, l’auteur doit tisser le fil rouge de la thèse, qui est à la fois un processus cognitif et scientifique. Ainsi, même si vous n’écrivez pas huit heures par jour et que vous abattez d’autres tâches moins créatives, vous construisez votre réflexion et précisez vos idées. Prendre une pause et « laisser déposer » permet de faire progresser la pensée, de la même façon qu’une bonne nuit de sommeil porte conseil. Il ne faut donc pas associer le nombre d’heures d’écriture ou le nombre de pages rédigées à la productivité. Cela vous mènerait tôt au tard sur le chemin de la culpabilité, qui ne vous disposera certainement pas à rédiger. Sachez également que les loisirs et les vacances sont nécessaires. En période de fatigue et de stress, les processus de réflexion ralentissent. Se priver de repos est, sans conteste, contre-productif. Ainsi, non seulement vous avez le droit de lire un roman en vacances plutôt qu’un ouvrage de référence dans votre domaine, mais cela vous sera bénéfique, à vous comme à votre thèse. Votre thèse sera imparfaite… et vous n’êtes pas votre thèse

Même si vous entendrez souvent cette phrase, la plus connue du milieu universitaire, « Une bonne thèse est une thèse terminée », il demeure qu’il sera difficile, en étant honnête avec vous-même, de renoncer à l’ambition que votre thèse connaisse des retombées pour le milieu scientifique. Au départ, vous serez bien souvent trop ambitieux à l’égard de votre projet. Au fil de l’écriture, vous percevrez de mieux en mieux les limites de votre thèse. Si le perfectionnisme peut être paralysant, les ambitions déçues ou encore la crainte d’un jugement sévère, voire d’un échec, de la part des évaluateurs peuvent ralentir l’écriture. Retenir l’avancement de la thèse devient alors une échappatoire au jugement ultime et au constat d’une thèse imparfaite.

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Parce que tant d’efforts et de temps sont consacrés à la thèse et que souvent, vous aurez l’impression d’y investir une partie de vous-même, vous pourrez être tenté de confondre la qualité de votre thèse et votre qualité de chercheur. Or, vous rencontrerez tellement d’obstacles durant le processus que vous ne réunirez jamais les conditions idéales pour réaliser la thèse parfaite10. Si les limites sont reconnues et justifiées, les imperfections de la thèse constitueront également une contribution à la connaissance. Comprendre, connaître et admettre les limites de sa thèse, sans chercher à les cacher au reste de la communauté scientifique, contribue également à faire de vous un chercheur. Ces sentiments apparaîtront tôt ou tard ; il faut savoir les reconnaître pour pouvoir avancer et terminer. *** Chaque étudiant vivra l’écriture de la thèse différemment. Il s’agit d’un exercice qui vous obligera à faire face à vos propres limites, que vous apprendrez à contourner. Plusieurs stratégies ont été proposées dans ce chapitre, mais elles trouveront écho seulement si elles sont adaptées à votre situation. La thèse sera également l’occasion pour vous d’élaborer vos propres stratégies devant l’écriture ; les habiletés et aptitudes développées amenuiseront, au fil du temps, les craintes et les difficultés. Plutôt que de vous en remettre à l’inspiration ou encore de vous laisser paralyser par le désir de la thèse parfaite, vous devez aborder l’écriture comme une tâche parmi tant d’autres. Pour en arriver à une thèse achevée, le processus d’écriture doit devenir une activité bien ordinaire, régulière et pas toujours solitaire. Pour plusieurs, cette initiation à l’écriture deviendra le fil conducteur d’une carrière universitaire. Mais dans tous les cas, à l’issue de cette épreuve, vous ressentirez un incroyable sentiment de fierté et d’accomplissement. Il vous donnera la confiance et les habiletés pour affronter les nombreux projets et défis professionnels et personnels qui vous attendent.

10. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Catherine Rossi.

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Trucs et astuces pour survivre à la thèse Au début du processus d’écriture Écrire les parties les plus faciles

Commencer par ce qui est plus facile vous permet de gagner en confiance et de voir plus rapidement la thèse avancer.

À mi-parcours Faire un document complet avec toutes les sections de la thèse

Il est très motivant d’avoir un aperçu du document final : cela permet d’apercevoir le fil d’arrivée.

À l’approche du fil d’arrivée

Écrire ses remerciements

Lors des dernières révisions, l’énergie vient à manquer. Bien que toutes les parties de la thèse soient écrites, il reste les révisions, la mise en page et parfois la vérification de certains documents ou encore de certaines données. Alors, tout peut sembler insurmontable et interminable. Lorsqu’il reste quelques semaines de travail, écrire ses remerciements, qui est un moment très émouvant, vous fera réaliser que ce qu’il reste à parcourir n’est pas grand-chose à côté de tout le chemin parcouru ; c’est une véritable impulsion pour terminer.

Annoncer à votre entourage que vous entrez dans la dernière ligne droite

Les dernières semaines sont un véritable sprint après un long marathon, mais voir le fil d’arrivée est une source de motivation qui vous permettra de travailler durant de longues heures. Informer vos proches que vous avez besoin de leur soutien permet de réduire le sentiment de culpabilité lié à vos absences.

Fixer une date de dépôt initial

Ne pas fixer une date précise de dépôt peut vous amener à ne jamais terminer la thèse.

Tout au long de la thèse

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Avoir un carnet de notes sous la main

La réflexion se poursuit même lorsque vous n’écrivez pas. Des idées émergeront dans une conversation, à l’épicerie et même la nuit. Avoir un carnet de notes ou un dictaphone évitera de laisser s’échapper ces idées qui, lorsqu’elles sont ignorées, sont bien souvent oubliées.

Discuter de votre thèse

Plusieurs impasses peuvent être résolues juste en verbalisant ses pensées, et ce, même avec des gens qui ne sont pas du milieu universitaire. Demandez-leur de simplement vous écouter, pour que vous puissiez dénouer ces impasses.

Faire d’autres activités

Il est profitable de participer à des congrès, d’assister à des conférences ou de faire de l’assistanat de recherche, ces activités – en plus d’enrichir vos réflexions et de contribuer à votre formation – vous changeront de la thèse et vous permettront de retrouver le sens de ce long projet. Et, surtout, il faut se réserver du temps de loisir et de repos.

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Célébrer les avancées

Faire des listes quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de toutes les tâches à réaliser

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Récompenser les étapes accomplies est important pour la motivation. Attendre la soutenance ne saurait vous stimuler suffisamment jusqu’à la fin du processus. Ainsi, pour chacune des étapes, il convient de souligner l’atteinte de l’objectif. Par exemple, après chaque chapitre rédigé, vous octroyer une sortie spéciale ou toute autre gratification pour vous permettre de vous féliciter. Le « premier jet » est très difficile sur les plans cognitif et intellectuel et il ne faut pas envisager de faire plus que quelques heures de rédaction par jour. Avoir une liste de toutes les tâches qui doivent être accomplies pour votre thèse permet d’être productif toute la journée et toute la semaine. Ainsi, faire des tableaux ou des figures, ajouter des références, revoir un article sont autant de tâches qui peuvent être mises sur la liste. Biffer des éléments permet de ramener la thèse à sa plus simple expression et de la rendre moins intimidante, en plus de procurer un incroyable sentiment de « devoir accompli » à la fin de la journée.

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chapitre 15 Travailler avec un directeur de thèse Pierre Noreau

Comment travailler sous la supervision d’un directeur de recherche ? Le texte de Christelle Lison, publié dans cet ouvrage, témoigne des difficultés inhérentes au choix d’une telle personne. Il renvoie aux différentes raisons qui peuvent justifier le choix d’un directeur plutôt que d’un autre, le tout étant de bien définir, de concert avec celui ou celle qu’on choisit, la nature des attentes mutuelles et de s’assurer dès le départ d’une certaine complicité intellectuelle. La qualité des relations personnelles constitue également un élément important, s’agissant d’une relation susceptible de connaître une certaine pérennité. Une multitude d’autres dimensions sont cependant en jeu dans le cadre d’une relation aussi longue. Mise en contexte : la vie cachée des profs…

La vie étudiante ne permet pas toujours d’appréhender tous les aspects de la vie professorale. L’idée que la fonction d’un professeur d’université se limite à l’enseignement et à la recherche cache une partie des contraintes reliées à sa charge. Sans s’aventurer dans un inventaire aussi fastidieux qu’incomplet, on doit replacer la direction de thèse dans un contexte plus large. Le directeur de thèse est d’abord et avant tout un intellectuel engagé dans le cadre d’une institution contraignante où sa fonction comporte : la charge d’enseignement ; la correction des examens ou des travaux ; l’obligation de

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publication ; la nécessité de participer au travail d’un certain nombre d’équipes de recherche (qu’il dirige parfois) ; le développement de programmes de recherche susceptibles de recevoir un soutien financier ; l’administration des fonds reçus ; la contribution aux activités et aux structures de son département, de sa faculté ou de son université ; l’obligation, selon le domaine de recherche, de répondre aux demandes des journalistes ; la vulgarisation de ses propres travaux et de ceux d’autres collègues ; le renouvellement continu de ses enseignements ; la supervision d’un certain nombre d’assistants ou de professionnels de recherche ; la participation à plusieurs colloques, congrès et autres manifestations scientifiques, au pays et à l’étranger ; la participation à un certain nombre de jurys de thèse ; l’évaluation des publications et des projets de recherche des autres chercheurs œuvrant dans son domaine ; la supervision des étudiants de deuxième et troisième cycles, ou la direction de chercheurs postdoctoraux, etc. Aussi surprenant que la chose puisse paraître, certains ont même une vie personnelle et familiale1… Toutes ces figures d’action sont susceptibles de traverser successivement ou simultanément la vie d’un directeur de recherche. Elles ne s’échelonnent pas nécessairement de façon uniforme tout au long de l’année, ce qui, ironiquement, fait parfois de la fonction universitaire un travail saisonnier ! D’où l’importance pour l’étudiant d’adopter une approche proactive à l’égard de son directeur et de s’assurer d’une relation suivie avec lui. C’est sans doute la règle la plus importante à retenir ici. Des modalités d’interaction claires, un idéal flou…

Dans leurs textes respectifs, Christelle Lison et Nanette Neuwahl proposent des grilles susceptibles de baliser les relations entre étudiant et directeur de thèse. On suppose toujours que ces relations sont a priori fondées sur une forme d’élection mutuelle. Les attentes sont généralement élevées de part et d’autre. Un étudiant souhaite de son directeur qu’il le guide dans une démarche dont il ne connaît pas totalement les tenants et aboutissants. Le directeur, 1. Concernant toutes ces dimensions, on lira avec intérêt : María del Río Carral et Bernard Fusulier, « Jeunes chercheurs face aux exigences de disponibilité temporelle : quelles logiques d’agencement entre la vie professionnelle et la vie privée ? », dans Temporalités : Revue de sciences sociales et humaines, vol. 18, 2013, https://temporalites.revues.org/2614.

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quant à lui, espère intuitivement que le doctorant fasse montre d’une certaine autonomie intellectuelle et devienne une force de proposition ; qu’il soit en mesure de définir les problèmes qui limitent la progression de sa recherche et y trouve des solutions. L’idée d’une forme de contrat tacite ou écrit entre étudiant et directeur est parfois évoquée dans la littérature. On y parle de cadre ou de contrat pédagogique2, mais le modus vivendi qui s’établit est plus généralement le fruit d’un processus plus graduel. En cette matière, il n’y a pas de modèle unique. Certains directeurs sont plus directifs que d’autres, s’informent de la suite du projet et relancent régulièrement les étudiants qu’ils dirigent, mais la majorité espère a priori que l’étudiant croit suffisamment à son projet pour le poursuivre avec exigence, quitte à rendre compte régulièrement des progrès de son travail et demander conseil. Pour l’étudiant, la modalité d’interaction la plus pratique consiste à conclure chaque rencontre par l’établissement de ce qui sera discuté lors de la rencontre suivante. Il est préférable de le faire à partir d’un texte écrit, même schématique. On fixe ainsi au coup par coup un véritable calendrier de travail et de rédaction. Cette approche inductive fonde les conditions d’une interaction suivie entre le directeur et l’étudiant et permet un ajustement continu des attentes. Il est impératif pour l’étudiant d’éviter de laisser trop longtemps son directeur sans nouvelles de son cheminement, surtout si en cours de route il traverse un passage à vide. Sur le plan de la démarche intellectuelle, il est par ailleurs courant que les perspectives théoriques empruntées par les étudiants soient complexes et multiréférentielles. En l’absence d’interactions fréquentes, il est facile, même pour un directeur bien disposé, d’en perdre le fil. L’étudiant aura alors tôt fait de se sentir incompris. Le tout est de s’assurer de la régularité des échanges. Un conseil : ne passez pas un mois sans donner de vos nouvelles, quelles qu’elles soient. La nature de la relation entre directeur et étudiant est également fonction de la personnalité de chacun. En Amérique du Nord, on attend normalement 2. Consulter à ce propos : Laetitia Gerard, L’accompagnement en contexte de formation universitaire : étude de la direction de mémoire comme facteur de réussite en Master, thèse en éducation, Université Nancy II, 2009, http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00498380/. À noter qu’en France, on favorise la création, dans chaque établissement universitaire, d’une charte des thèses. Voir : Bulletin officiel de l’Éducation nationale, no 36, 1er octobre 1998, www.education.gouv.fr/ bo/1998/36/sup.htm/.

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du directeur une forme de distance amicale ou d’intérêt soucieux. Le projet doctoral s’étendant parfois sur plusieurs années, il est inévitable qu’une forme de proximité se crée. Pour l’étudiant, la rencontre avec le directeur est souvent l’occasion de briser l’isolement du doctorant dont Christine Vézina analyse les difficultés dans cet ouvrage. Et en tant qu’étudiant, on est parfois amené à témoigner de sa vie personnelle. Or il est important que cette proximité ne vienne pas miner la capacité du directeur d’évaluer correctement le travail du doctorant. La capacité critique est une exigence nécessaire à la direction de thèse 3. Ainsi, les relations amicales ou même les relations d’amitié, lorsqu’elles s’établissent, ne doivent pas nuire au maintien d’une distance par ailleurs indispensable à l’encadrement de la démarche doctorale. Bien que le doctorant espère toujours de près ou de loin l’approbation de son directeur, celle-ci ne peut être fondée sur la complaisance. La vie étant ce qu’elle est, il arrive parfois qu’une forme plus poussée d’intimité se crée entre directeur et étudiant. Cette situation, notamment lorsqu’elle se traduit par une forme d’attachement amoureux, est incompatible avec la fonction d’encadrement dévolue au directeur. Il faut dans ce contexte délicat envisager un changement de direction, de manière à éviter que des considérations d’ordre privé interfèrent dans le contrat pédagogique qui lie le directeur et l’étudiant. Les obligations du directeur

La fonction du directeur de thèse (parfois appelé directeur de recherche) est d’abord et avant tout d’accompagner une démarche qui doit graduellement conduire le doctorant à la production d’une thèse et, en sous-texte, au développement de son autonomie intellectuelle. On fonde souvent le choix d’un directeur de thèse sur la conviction que peut s’établir avec lui une bonne entente intellectuelle et personnelle. Mais une multitude d’autres considérations peuvent entrer en ligne de compte. S’agissant d’une thèse centrée sur un objet précis (par exemple le développement de l’individualité chez l’enfant entre 2 et 4 ans), on choisit souvent un spécialiste du domaine. Le choix peut 3. Lire à ce propos le texte : « La vie d’étudiant diplômé » sur la relation avec le directeur de thèse, dans Franca Iacovetta et Molly Ladd-Taylor (dir.), Devenir historien ou historienne, tiré du site de la Société historique du Canada, www.cha-shc.ca/download.php?id=105m.

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également se fonder sur l’intérêt que le professeur et l’étudiant portent tous deux à une même problématique de recherche ou à une même perspective théorique. Et parfois on choisira un directeur simplement parce qu’on le sait capable de nous encadrer sur le plan de la méthodologie ou de la démarche de recherche, entendue dans son sens le plus large. De façon plus précise encore, on doit attendre du directeur qu’il nous aide à préciser notre question et notre problématique de recherche, nous oriente vers la littérature pertinente et nous guide dans l’élaboration de nos hypothèses ou nos objectifs de recherche. Il peut généralement conseiller l’étudiant sur les aspects empiriques de la démarche, lors de la définition de sa stratégie de recherche ou au moment de l’élaboration de son plan d’analyse et de rédaction. Les échanges entre directeur et étudiant portent habituellement sur des textes soumis à l’avance par l’étudiant. Dans certains cas, la construction de schémas théoriques, d’un calendrier de travail ou d’un plan de rédaction peut servir de base à ces discussions. Mais pour l’essentiel, la matière de ces échanges est fournie par les étapes de la rédaction des différents chapitres de la thèse. La rédaction d’une thèse de doctorat est aussi l’occasion pour un étudiant d’explorer les différents aspects de la vie universitaire et scientifique. Le directeur de thèse est également amené à soutenir le doctorant dans ses demandes de bourses, entre autres par des lettres de recommandation, à encadrer l’étudiant dans ses premières communications scientifiques, à l’encourager à soumettre des projets de conférences dans le cadre de colloques thématiques ou de congrès scientifiques nationaux ou internationaux et à le conseiller dans ses premiers pas comme chargé de cours. Il pourra soutenir un jour sa candidature comme futur professeur d’université. Cela étant, il est impératif de garder à l’esprit que le directeur n’est pas l’auteur de la thèse à venir. Sa responsabilité tient de l’obligation de moyen4. L’objectif est essentiellement d’encadrer l’étudiant dans la rédaction d’une œuvre dont les conclusions seront discutées avec succès, devant un jury de thèse dûment constitué. La tradition nord-américaine incite les directeurs à ne jamais envoyer en soutenance une thèse qui ne serait pas mûre. D’une certaine façon, l’évaluation des mérites et des faiblesses d’une thèse, même 4. En droit, on distingue ainsi l’obligation de fin et l’obligation de moyen.

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lorsqu’ils sont totalement attribuables au travail du doctorant, les associe « en biais » au travail du directeur de recherche. Sauf en cas de difficulté particulière, notamment lorsque l’étudiant et le directeur se sont « perdus de vue » en fin de parcours, le directeur appuie généralement son étudiant lors de la soutenance, comme le rappelle Jean-François Gaudreault-Desbiens dans cet ouvrage. Diriger son directeur…

La thèse, nous l’avons dit, est l’œuvre de l’étudiant. Ce principe ne doit jamais quitter l’esprit du doctorant. Les échanges avec le directeur doivent essentiellement porter sur l’évolution du travail en cours. C’est sa fonction d’aider l’étudiant à maintenir la cohérence de sa démarche. Pourtant, il arrive que le directeur propose lui-même l’exploration d’autres voies que celles qu’avait d’abord envisagées l’étudiant. La vie intellectuelle évolue au gré des lectures, des références nouvelles ou anciennes et des inspirations de chacun, et cette situation est propice au renouvellement continu des intérêts de recherche et des questionnements. Le directeur de recherche contribue à ce bouillonnement, et il peut ainsi être amené à suggérer des avenues qu’il aimerait lui-même explorer. C’est alors la responsabilité de l’étudiant d’établir si ces suggestions correspondent aux orientations de son projet original. La difficulté de cette situation est en partie liée à la posture dans laquelle se trouve inévitablement l’étudiant vis-à-vis de son directeur de recherche. Même dans le cadre d’une tradition universitaire favorisant l’égalité entre étudiants et professeurs, il ne faut pas nier la situation de dépendance institutionnelle, intellectuelle et professionnelle dans laquelle se trouve le candidat au doctorat. Comme le choix d’un directeur de recherche est toujours l’expression d’une forme de reconnaissance, il arrive qu’une certaine séduction intellectuelle vienne traverser la relation, au fur et à mesure que se développe la thèse. Une certaine complicité se développe. En tant qu’étudiant, on ne veut pas décevoir. On est alors sensible aux diverses critiques qui peuvent être faites de notre travail et on prend note de détails qui ne sont pas toujours si importants. On mesure les inclinaisons de la voix… On se sent fragile. Cette situation est tout à fait normale. Elle révèle cependant la nécessité pour l’étudiant d’affermir et d’élaborer sa propre pensée et de bien situer son propre projet. C’est le but de l’exercice. Les relations avec le directeur doivent

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se développer sous le signe de l’échange. Ainsi, à la question de savoir si un directeur de thèse dirige son étudiant ou dirige sa thèse (les deux expressions étant couramment utilisées), on peut répondre simplement que le directeur dirige un étudiant qui, lui, rédige sa thèse. En définitive, c’est l’étudiant qui, à la fin du parcours, devra la soutenir devant la communauté scientifique. Les mécanismes de la direction de thèse

Au-delà des différents styles de direction évoqués au début de ce texte, le rôle du directeur est essentiellement axé sur l’objectivation de la démarche du doctorant : amener l’étudiant à définir clairement les paramètres de celle-ci. La transparence de cette démarche est en effet au cœur de la distinction entre l’œuvre de conviction et la recherche systématique, telle qu’elle peut être conçue, idéalement, en milieu universitaire. Il ne faut pas nier toutes les difficultés associées à cette opération. C’est la fonction première du cadre théorique et de la problématisation d’approcher de cette transparence comme c’est la fonction de la méthodologie d’assurer la validité des données et d’en établir la force probante. En observateur intéressé mais distant, le directeur de thèse oblige le doctorant à justifier constamment ses choix, c’est sa première fonction. L’enjeu est ici de s’assurer que ce que le rédacteur de la thèse prétend ne soit pas seulement vrai pour lui, mais valide pour un auditoire plus ou moins étendu formé de spécialistes du même domaine ou de la même discipline que lui. L’impétrant doit ainsi démontrer qu’il n’est pas seul à croire à ce qu’il dit et que, dans le meilleur des mondes, un autre chercheur utilisant les mêmes perspectives et les mêmes données parviendrait à la même conclusion que lui. Le directeur joue le rôle d’analyseur, il force l’étudiant à objectiver sa démarche. La direction de thèse exerce une fonction de dévoilement. C’est un révélateur des procédés auxquels a recours l’étudiant pour produire une connaissance nouvelle. La seconde fonction du directeur est d’obliger le doctorant à mettre ses questionnements et ses réponses à plat. Passé l’étape où les questionnements et les intuitions s’entrechoquent, le travail auquel doit se livrer le doctorant, contrairement à ce que l’on croit souvent, en est un de simplification constante de sa perspective, d’épuration qui rend accessible aux autres sa pensée, la rend

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transmissible en la réduisant à ses éléments essentiels. L’objectif est d’éviter que la thèse soit un exercice de mystification. Cette opération de simplification des formes ne va pas sans difficultés. Plusieurs des craintes rencontrées par le candidat au doctorat viennent de sa difficulté à venir lui-même à bout de cette complexité et à rendre compte de sa position et de sa méthode. Contrairement à l’idée qu’on se fait parfois du directeur de thèse omniscient dénouant tous les nœuds gordiens, celui-ci est d’abord un auditeur patient. Sa fonction est d’écouter. C’est en effet en tentant de s’expliquer et de se faire comprendre que l’étudiant en vient à la simplification dont on a parlé. Il doit parvenir à épurer les données du problème qu’il pose, opération à la faveur de laquelle il trouve très souvent lui-même la réponse à sa question. Tout cela ne signifie pas que la fonction du directeur de recherche se réduise à cette écoute attentive, mais il faut reconnaître que les étudiants savent souvent répondre eux-mêmes à leurs questions théoriques ou méthodologiques, du moment qu’ils sont invités à les reformuler. L’écoute, le silence parfois, seuls suffisent… Finalement, le suivi d’un étudiant en thèse est souvent l’occasion de longues discussions sur des questions d’ordre méthodologique et empirique. Lorsque la thèse projetée nécessite la conduite d’un « terrain », il est très rare que le devis de recherche initial se matérialise comme prévu ou dans les temps impartis. Au-dessus des mille petites astuces et des choix plus ou moins improvisés qui permettent la conduite d’une enquête, flottent toujours quel­ ques incertitudes : insuffisance des échantillons, résistance des informateurs, difficultés techniques reliées à l’enregistrement ou à la prise de notes, etc. Plusieurs de ces « problèmes insurmontables » connaissent des solutions simples, ou doivent être acceptés comme des conditions inhérentes à toute activité de recherche. Ici, c’est l’expérience du directeur qui supplée aux difficultés ou permet d’accepter que la perfection n’existe pas. Autonomie intellectuelle… et autonomie professionnelle

C’est souvent un privilège pour un doctorant de mener sa thèse dans le cadre d’un chantier de recherche plus large, dirigé par son propre directeur. C’est l’occasion d’un partage continu avec les étudiants et professeurs membres de l’équipe. Certains étudiants peuvent ainsi compter sur une bourse (tirée du budget de l’équipe) ou être soutenus dans la rédaction d’une demande de

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bourse, la qualité du milieu d’encadrement étant assurée par le fait que cette recherche est menée par une équipe plus large, ou au sein d’un centre de recherche, d’un réseau ou d’un regroupement stratégique important. La principale question entourant cette collaboration réside dans la capacité de l’étudiant de poursuivre son propre projet de recherche. Par extension, se pose encore ici la question de l’autonomie intellectuelle du doctorant. Rapidement repérés parmi les étudiants de deuxième cycle, certains étudiants sont même invités à passer au doctorat sous la direction de celui qui avait déjà dirigé leur mémoire de maîtrise, pour contribuer au projet élaboré par ce dernier en agissant comme sous-traitants d’une aventure intellectuelle plus ambitieuse. La chance se présente alors pour lui de participer à une véritable entreprise de recherche. Cette association présente cependant un risque. Il ne s’agit pas ici de dissuader l’étudiant de saisir une telle occasion, mais de souligner qu’il doit s’assurer de ne pas se trouver désapproprié de sa propre production intellectuelle. Que sa thèse reste sa thèse. La question se pose également dans les situations où l’étudiant est invité à participer à l’organisation de manifestations scientifiques ou à la présentation de communications scientifiques conjointes avec son directeur. En vérité, il faut espérer que tout étudiant qui se destine à la carrière universitaire ou à une carrière de recherche soit rapidement appelé à expérimenter les différentes formes de la vie scientifique, avec la complicité de son directeur de thèse. Il en va de même de la collaboration à l’écriture d’articles scientifiques ou de chapitres de livre. Le monde universitaire encourage de plus en plus les professeurs à associer leurs étudiants aux études supérieures à leurs diverses publications. Il est cependant important de tenir compte de plusieurs considérations reliées les unes aux autres. La première tient à la nature de la contribution au texte. Si l’étudiant travaille à la recherche qui conduit à la rédaction d’un article scientifique dont son directeur est vraiment l’inspirateur, c’est souvent une chance pour lui que son nom soit associé à cet article et vienne enrichir son curriculum vitæ. Il est important cependant que son nom apparaisse en premier lieu s’il en est réellement l’auteur et si les idées qui y sont développées sont réellement les siennes. La chose est encore plus nécessaire s’il s’agit d’une thèse par articles. Dans ce cas précis, il faut bien connaître les règles applicables dans son université concernant les articles admissibles pour les fins de sa thèse. Il est important de se souvenir que, contrairement à ce que

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l’on croit parfois, les idées nouvelles sont assez rares. Plusieurs de celles qui guideront la carrière subséquente de l’étudiant (à l’université ou ailleurs) lui viendront de cette période prolifique où il était en thèse. Elles inspireront souvent la suite de son travail intellectuel. Il convient donc d’en garder la propriété intellectuelle. Reste une dernière dimension à considérer au chapitre de l’autonomie intellectuelle. Il est important de bien circonscrire ce qui caractérise sa propre contribution au développement du savoir et d’être en mesure de bien situer ce qui distingue cet apport de celui de son directeur : d’établir sa propre niche intellectuelle. Il ne s’agit pas seulement ici d’un calcul opportuniste, mais d’une nécessité de la vie universitaire. Il peut devenir difficile d’être engagé comme professeur dans la même université que celle qui nous a accueilli au doctorat si notre sujet de thèse semble, de près ou de loin, n’être qu’une version miniature du travail de notre directeur de thèse. Dans le cas d’une approche ou d’un sujet de recherche très spécialisés et très pointus, le même problème se pose vis-à-vis d’universités reliées les unes aux autres dans les mêmes réseaux. Il s’agit par conséquent pour l’étudiant de s’assurer encore ici de son autonomie intellectuelle et de la spécificité de sa contribution comme futur chercheur. Concilier « ses directeurs »

Le choix d’une codirection de thèse peut se justifier par la recherche d’une complémentarité des expertises, ou des encadrements. On peut ainsi choisir un directeur pour ses compétences reconnues sur un sujet donné et un second pour ses compétences méthodologiques. Ces maillages posent généralement peu de difficultés. Il s’agit dans tous les cas de s’assurer de la qualité des relations entre les deux directeurs. En contrepartie, il faut éviter de solliciter des professeurs que l’on sait engagés dans un débat de nature théorique ou méthodologique, histoire de « pimenter » l’expérience doctorale. Sur le plan de l’encadrement, il est important d’éviter que les codirecteurs empruntent des voies qui, sans s’opposer, divergent graduellement, auquel cas il sera difficile de satisfaire les attentes de l’un et de l’autre. Dans la mesure du possible, les deux codirecteurs seront présents aux rencontres. Dans le cas où l’encadrement est mené séparément, ce qui n’est pas recommandé, il est impératif que le projet soit dès le départ bien structuré et que les objectifs de l’étu-

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diant soient clairs, ce qui lui permettra de profiter pleinement de l’expertise de chacun de ses directeurs. S’il survenait une divergence importante entre eux sur les orientations de la recherche, il serait préférable que l’un ou l’autre cède sa place. Dans le cas inverse, il ne faut pas exclure d’abandonner l’un de vos codirecteurs, parfois au profit d’un seul, ou au profit d’un autre codirecteur. Nous reviendrons sur cette question plus loin. Finalement, de plus en plus d’étudiants envisagent la cotutelle de thèse. Celle-ci suppose une forme ou une autre de codirection et un séjour au sein d’une institution étrangère, soit celle où enseigne votre second superviseur. On favorise ainsi la coopération scientifique et la mobilité des idées et des individus. Pour l’étudiant, la cotutelle est de nature à élargir le champ de ses références. Les considérations soulevées plus haut concernant la codirection sont également valables dans le cas de la cotutelle. S’ajoute cependant la difficulté de faire cohabiter des traditions disciplinaires ou universitaires différentes. Il est fortement suggéré que la cotutelle soit assurée par deux professeurs qui se connaissent déjà bien. Il est également nécessaire que ces codirecteurs soient tous deux bien au fait des différences qui existent entre leurs cultures institutionnelles respectives. Si, dans certaines disciplines, ces différences sont presque anecdotiques, elles sont au contraire très importantes dans d’autres. Il peut s’agir de la place relative que prennent les aspects théoriques et empiriques de la thèse. Ces distinctions peuvent également toucher aux dimensions formelles de la thèse, au plan de rédaction type ou aux conventions bibliographiques, ou encore consister dans le type de démarche de recherche privilégié, de nature plus inductive ou plus déductive. Sur le seul plan des références, un court séjour en France ou aux États-Unis suffit pour réaliser la spécificité des sources théoriques qui structurent chaque « pays universitaire » et l’ignorance mutuelle qui caractérise certains champs du milieu universitaire. L’inter­ disciplinarité n’y est pas valorisée de la même façon partout ; on n’y fréquente pas toujours les mêmes auteurs, ou encore, pas pour les mêmes raisons. La nature des relations entre étudiant et directeur de thèse y est parfois fort différente. Souvent rompu à cette diversité de références, l’étudiant québécois est à même d’ajuster sa démarche, mais il convient d’être sensible, dès le départ, à ces distinguos. La proximité relationnelle entre les codirecteurs est d’autant plus nécessaire que leurs univers de références diffèrent.

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Les fruits… et les pépins

Abordons pour finir quelques situations problématiques qui peuvent survenir tout au long du processus conduisant à la rédaction de thèse. « Mon directeur part en sabbatique… »

La distance a-t-elle de l’importance ? Si le départ d’un directeur de thèse pouvait poser des problèmes dans le passé, ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Le recours aux modes de communication numériques contemporains compense amplement cet éloignement. En situation de codirection ou de cotutelle, c’est souvent le meilleur moyen de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde. Il en va de même des textes qui peuvent être commentés et ensuite facilement envoyés par voie électronique. La sabbatique n’est donc plus un problème dans le contexte universitaire contemporain. Prendre conseil ailleurs ?

Il peut arriver que le directeur de thèse ne parvienne pas à répondre aux interrogations du doctorant qu’il dirige, et ce pour une multitude de raisons : l’étudiant veut parfois valider l’interprétation qu’il fait de l’œuvre d’un auteur que son directeur connaît peu ; il entend recourir à une technique de recherche dans laquelle le directeur n’est pas particulièrement versé ; il a besoin d’un autre regard sur l’ensemble de sa démarche de recherche… Toutes ces raisons peuvent expliquer que l’étudiant élargisse son champ de référence. Prendre conseil auprès d’un autre professeur peut donc se justifier5. Si ces démarches sont systématiques et conduisent invariablement vers la même source, il faut peut-être envisager une codirection. Il est important que ces démarches soient transparentes. Le directeur de recherche se sent souvent une véritable responsabilité concernant la poursuite et la conduite de la thèse. Il faut éviter qu’il développe tout à coup le sentiment qu’elle est en fait dirigée par un collègue. 5. On lira avec intérêt le texte de Monique Saint-Martin, « Que faire des conseils (ou de l’absence de conseils) de son directeur de thèse ? », dans Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions EHESS, 2013, p. 63-79.

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Dans certaines facultés et certains départements, la création d’un comité de rédaction, responsable du suivi des étudiants inscrits en thèse, permet parfois de répondre au besoin ressenti par l’étudiant de puiser à plusieurs références. À défaut d’une structure semblable, chercher, au besoin, appui auprès de plusieurs professeurs demeure une avenue à envisager. Cette pratique est souvent susceptible de favoriser la poursuite de la démarche doctorale et d’enrichir l’encadrement déjà proposé par le directeur. Changer de directeur, changer de projet ?

Idéalement, on espère garder le même directeur de recherche du début à la fin de la thèse. Plusieurs raisons peuvent cependant justifier que l’on en change : la disponibilité du directeur peut parfois être en cause, par exemple s’il est amené à assumer de nouvelles fonctions administratives ou connaît des ennuis de santé ; le passage du directeur dans une autre université ou son retrait de la vie universitaire peuvent parfois forcer l’étudiant à reconsidérer son choix, encore que dans la majorité des cas, la supervision de sa thèse puisse se poursuivre au prix de quelques ajustements administratifs avec son université de rattachement. Finalement, le doctorant peut décider de s’orienter vers un tout autre projet, et il peut même arriver qu’un désaccord ou une véritable divergence surgissent sur les conditions d’encadrement ou de poursuite de sa thèse. Cette situation oblige souvent l’étudiant à changer de directeur. Ce changement peut se réaliser facilement et avec délicatesse sur la base d’un accord mutuel, mais il doit être conclu avec le soutien du responsable aux études supérieures de l’unité de l’étudiant de manière que les procédures administratives qui doivent accompagner ce choix soient respectées. Il est important de se rappeler que le choix d’un directeur de recherche et la poursuite d’une thèse doivent être le produit d’une entente mutuelle. Quelles qu’aient été les raisons qui ont amené l’étudiant à choisir son directeur, il peut exister de bonnes raisons de vouloir en changer. Il convient cependant de reconnaître qu’il s’agit d’un « fusil à un coup », et qu’il n’est pas souhaitable de changer constamment de superviseur de recherche au gré des difficultés. Il faut savoir soupeser tous ces éléments et s’assurer dès le départ que les paramètres de la relation sont clairs.

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Les échéances reliées au dépôt de la thèse… une question de cuisine académique

La conclusion d’une thèse dans les délais prévus est souvent utopique. Lorsque les aléas de la recherche et de la vie viennent ralentir le rythme de recherche et de rédaction, les délais prévus par le règlement de l’université sont souvent dépassés. Le directeur peut alors servir de courroie de transmission avec la direction des études supérieures. Il connaît généralement les stratégies qui peuvent être envisagées – suspension d’inscription ou inscription pour fin de dépôt – et peut guider l’étudiant dans ce labyrinthe. Ce dernier ne doit pas hésiter à l’informer des lettres qu’il reçoit de l’administration. *** Une fois la thèse terminée, les relations entre le nouveau docteur et son ancien directeur varient souvent en fonction des destinées personnelles et professionnelles du diplômé. Il arrive qu’une véritable amitié se soit liée en cours de rédaction, et ces relations sont alors susceptibles de se poursuivre. Dans d’autres cas, les relations directeur-doctorant empruntent dès le départ une voie plus formelle et distanciée et n’évoluent que très peu par la suite. Le monde de la recherche restant un monde ouvert, il arrive souvent que ces liens prennent la forme d’une véritable collaboration intellectuelle ou scientifique et se poursuivent au lendemain de la soutenance, notamment lorsque le diplômé intègre la vie universitaire, soit comme chercheur, soit comme professeur.

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chapitre 16 Écrire une thèse dans une langue autre que la sienne Nanette Neuwahl

Plusieurs raisons peuvent justifier la rédaction d’une thèse de doctorat dans une langue seconde. Il se peut que le choix d’une langue particulière (par exemple l’anglais ou le français) soit motivé par l’intérêt de donner une plus grande visibilité à nos travaux auprès de certains experts de notre domaine de recherche. Il arrive aussi que les données nécessaires à cette recherche ne soient disponibles que dans une certaine langue. On évite ainsi de recourir systématiquement à leur traduction1. Il se peut aussi que l’institution d’accueil impose des règles contraignantes concernant les langues utilisées pour les travaux soumis à évaluation. Même si l’usage de plusieurs langues est permis, il se peut que le directeur de thèse que vous avez choisi ne soit pas à l’aise avec votre langue première. Au Canada, les universités acceptent les thèses et mémoires en langue française ou anglaise. Les universités francophones accueillent un bon nombre d’étudiants allophones qui rédigent leur thèse et leur mémoire en français. Par ailleurs, au Canada comme ailleurs dans le monde, l’anglais est devenu une sorte de lingua franca dans le domaine de la recherche, du moins dans de 1. Cette situation peut nous mener au contraire à rédiger une thèse utilisant des textes de provenances linguistiques diverses. Cette situation ne fait cependant pas l’objet d’une analyse spécifique dans ce texte.

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nombreuses disciplines. Il arrive pour cette raison que le candidat à la thèse, son directeur et les autres évaluateurs puissent admettre et évaluer cette thèse même s’ils ne maîtrisent pas totalement cette langue, c’est-à-dire même si ce n’est pas leur langue maternelle. Quoi qu’il en soit, pour des raisons reliées à la mondialisation et à la circulation des savoirs, de plus en plus de thèses et de mémoires sont écrits dans une langue seconde. La mobilité internationale accrue des chercheurs est certainement en partie responsable de la forte croissance du nombre de thèses et de mémoires rédigés dans une langue « d’adoption ». Pour plusieurs raisons, la plupart des universités encouragent l’internationalisation de l’enseignement et de la recherche au niveau des études supérieures. On y favorise également la présence d’étudiants étrangers. Cette diversification constitue non seulement une contribution directe à la santé financière de l’université, mais elle permet aussi un meilleur positionnement des chercheurs dans la résolution de problèmes et la réalisation de projets de niveau international ou transnational. Cette situation favorise souvent un meilleur positionnement des étudiants eux-mêmes sur un marché du travail désormais mondialisé, une fois la thèse terminée ou le projet accompli. De même, l’internationalisation et la complexification des sciences ainsi que la nature transnationale des problématiques peuvent conduire les chercheurs à se déplacer à l’étranger pour une certaine période. Mais même sans avoir à quitter son propre pays, un chercheur peut être amené à rédiger certains de ses travaux dans une langue autre que sa langue maternelle, pour les raisons qui ont déjà été exposées. Les chercheurs réellement bilingues sont assez rares, même si on peut supposer qu’avec l’internationalisation des connaissances, leur nombre ira croissant. Dans ce chapitre, je présenterai quelques réflexions sur les difficultés liées à la recherche et à la rédaction dans une langue seconde2. Sans prétendre à l’exhaustivité, je propose d’aborder certaines questions d’ordre culturel ou contextuel qui peuvent influer sur le travail du chercheur appelé à écrire ou à publier dans une langue seconde. On traitera par la suite des principales 2. Sur la question de la rédaction, voir plus généralement les chapitres de Geneviève Belleville, de Louise Boisclair et de France St-Hilaire ; sur la thèse par articles, voir le chapitre de Jacques Papy.

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questions d’ordre technique liées à la recherche et à l’écriture dans une langue différente de la sienne. Ce chapitre s’adresse surtout – mais non seulement – aux étudiants en sciences sociales et humaines qui pensent rédiger une thèse ou un mémoire en français ou en anglais et qui, pour des raisons de formation ou de culture générale, craignent des complications liées à leurs difficultés de communication. Se faire bien comprendre par un lectorat à la fois intéressé et exigeant est une condition première de la vie intellectuelle. Les directeurs de thèse pourront également y trouver des éléments de réflexion. On peut s’étonner qu’il y ait aussi peu de littérature sur le sujet3. Bien qu’il existe un grand nombre de guides de rédaction de thèse et de mémoire, ceux-ci sont généralement destinés aux étudiants qui rédigent dans leur langue maternelle. Les textes qui portent spécifiquement sur la rédaction scientifique dans une deuxième langue sont surtout produits par (et destinés à) des linguistes et visent la plupart du temps la pratique de l’anglais. D’autres sont rédigés à l’intention de l’administration publique ou universitaire4. En visant d’abord les candidats appelés à rédiger leur thèse dans une deuxième langue, ce chapitre comble donc une lacune. Écrire dans une langue seconde

La rédaction d’un rapport de recherche comme une thèse comporte des défis qui lui sont propres. En mesurant l’effort demandé, on doit tout d’abord se rendre compte du fait qu’il existe une différence entre la connaissance passive d’une langue et son usage courant. On peut aussi faire la distinction entre la maîtrise d’une langue parlée et celle d’une langue de rédaction. La langue parlée s’apprivoise plus vite, et on profite inévitablement de l’interaction entre

3. Voir Tony Silva et Crissy McMartin-Miller, « Selected Bibliography of Recent Scolarship in Second Language Writing », Journal of Second Language Writing, vol. 22, no 2, 2013, p. 210-215. Récupéré de www.sciencedirect.com/science/journal/10603743/22/2. 4. Par exemple, Charles-Xavier Durand, « La recherche scientifique paye une taxe à la langue unique », Isabelle Mathé, « Le plurilinguisme à l’université » et Danielle Orner, « Le plurilinguisme en rédaction de textes durant les études universitaires », dans François Xavier d’Aligny, (dir.), Plurilinguisme, interculturalité et emploi, Paris, L’Harmattan, 2009, ainsi que le livre en anglais de David I. Hanauer, et Karen Englander, Scientific Writing in a Second Language, Anderson, Parlor Press, 2013.

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l’orateur et son interlocuteur5. L’acquisition des habiletés nécessaires à la rédaction d’un texte complexe, dans une autre langue, est plus lente et plus ardue parce qu’elle exige une meilleure organisation, une plus grande précision et une définition plus précise du lectorat auquel il est destiné, ainsi que la mobilisation d’une forme d’écriture appropriée à ce public. La rédaction d’une thèse de doctorat demande l’acquisition d’une véritable technique d’écriture. Apprendre à rédiger dans une autre langue ajoute une difficulté supplémentaire à cet exercice. Si on travaille dans une deuxième langue, développer les habiletés demandées peut être un processus long et frustrant. L’université d’accueil peut exiger la démonstration que vous possédez certaines habiletés linguistiques orales et écrites avant d’accepter votre inscription à ses programmes6, mais le niveau requis est généralement inférieur à celui qu’exige la rédaction d’une thèse ou d’un mémoire de recherche substantiel. Toutefois, les défis ne sont pas les mêmes dans tous les domaines et pour tous les étudiants. C’est ce dont il est question dans les quatre premières sections de ce texte. La dernière aborde la question potentiellement épineuse de l’évaluation d’une thèse ou d’un mémoire particulièrement pauvre du point de vue linguistique. Les conventions d’écriture et la recherche du « bon ton »

On comprend facilement que les particularités de la rédaction peuvent varier d’une discipline à l’autre, et qu’il y a des différences entre un rapport de recherche de nature quantitative et un rapport de recherche de type qualitatif. Généralement, une thèse en mathématique ou en sciences naturelles ne demande pas des connaissances linguistiques aussi profondes qu’une thèse de 5. Cela ne veut pas dire que les communications orales, telles des présentations publiques ne peuvent pas être perçues comme plus angoissantes que l’écriture. Voir à ce sujet : Carmen Perez-Llantada, Ramon Plo et R. Ferguson Gibson, « You Don’t Say What You Know, Only What You Can : The Perceptions and Practices of Senior Spanish Academics Regarding Research Dissemination in English », English for Specific Purposes, vol. 30, no 1, 2011, p. 18-30. Dans cette recherche, on constate que pour des chercheurs habitués, la communication orale lors de congrès est souvent considérée comme un plus grand défi que la rédaction de textes académiques elle-même. 6. Par exemple, aux États-Unis, on exige la réussite du TOEFL (Test of English as a Foreign Language).

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droit ou de sociologie, par exemple, qui exigent le recours à un vocabulaire qui n’a de sens que dans un certain domaine doctrinal ou disciplinaire7. Il existe plusieurs conventions, différentes selon les disciplines scientifiques et les cycles de formation, concernant le public cible, la présentation et la possibilité de se citer et de faire référence à ses propres publications dans le cadre d’une thèse ou d’un mémoire. Pour s’informer à ce sujet, le candidat peut consulter des travaux du même niveau que le sien, dans le domaine où il conduit ses propres recherches8. Dans le domaine des sciences sociales et humaines, il convient également de faire remarquer que les cultures de rédaction diffèrent selon que la thèse est produite en contexte anglophone ou francophone, et qu’elle peut aussi varier au sein d’autres cultures académiques. Alors que la culture anglosaxonne se caractériserait par une plus grande responsabilité de l’auteur, la culture francophone (et particulièrement française) serait marquée par une plus grande responsabilité reconnue au lecteur9. Les « directions, signalisations et mises en garde » (« direction, signalling and signposting to the reader ») dont il est question pour la tradition anglophone trouvent leur expression spécialement dans l’usage extensif d’un métalangage explicite du type : « nous avons vu dans la section précédente que… », « dans la section suivante, nous constaterons que ce phénomène est relié à… ». Cet usage généreux de « méta-discours » distingue souvent la rédaction en anglais de la rédaction en français. Toutefois, sous l’influence croissante de l’anglais comme 7. Voir Eva Steiner, « La tradition juridique anglaise de rédaction et d’interprétation des lois face au phénomène actuel d’européanisation du droit », dans Daniel Fasquelle et Sophie Robin-Olivier (dir.), Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation, Bruylant, Bruxelles, 2008. 8. Brian Paltridge et Sue Starfield, Thesis and Disseration Writing in a Second Language, A Handbook for Supervisors, Routledge, New York, 2007, p. 130. 9. Paltridge et Starfield expliquent cette dichotomie bien connue dans les termes suivants : « English (and certain other languages such as Norwegian) have been described as “writerresponsible” in that “English speakers by and large charge the writer, or speaker with the responsibility to make clear and well-organized statements” (Hinds, 1987, p. 143). In contrast, writers of languages that tend to be more “reader-responsible”, such as French or Polish or some Asian languages, may perceive the direction, signalling and signposting to the reader required in a lengthy thesis insulting to the intelligence of their reader as they imagine him or her. » Brian Paltridge et Sue Starfield, op. cit., p. 50, avec référence à John Hinds, « Reader Versus Writer Responsibility : a New Typology », dans U. Connor et R. Kaplan (dir.), Writing Across Languages : Analysis of L.2 text, Reading, Addison Wesley Publishing Company, 1987, p. 141-152.

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langue de communication scientifique, la « responsabilisation de l’auteur » fait aussi son entrée au sein des autres cultures académiques de rédaction10. À l’opposé du spectre, toujours en comparaison avec la tradition anglosaxonne, la forme de la thèse en français peut emprunter une tournure purement académique. C’est le cas dans certaines universités et grandes écoles françaises, comme Sciences Po. La thèse doctorale est alors moins orientée vers le lecteur et s’attache surtout à respecter certaines règles de forme. On s’y réfère peu aux résultats tirés de la recherche empirique, et dans ce sens, la thèse répond plus directement au modèle de la dissertation. Sous l’influence du style de présentation anglo-saxon, cette culture est en voie de perdre du terrain. Déjà, le modèle « thèse-antithèse-synthèse » remplace graduellement cette forme beaucoup plus complexe où chaque élément d’une thèse doit être subdivisé en deux sous-éléments, et ainsi de suite. L’abandon de cette exigence dans les thèses de doctorat de tradition française favorisera un accès plus important à la production scientifique francophone, du moins dans le domaine des sciences sociales et humaines. Toutefois, ces orientations dépendent des règles que se donne chaque université, et de la disposition du directeur de thèse. On recommande donc de s’informer au sujet de ces exigences, avant de s’engager dans la rédaction de la thèse, et de retenir que le choix d’une langue de rédaction ne détermine pas nécessairement le choix d’une structure particulière, ni le ciblage d’un lectorat spécifique. On constate ici que la rédaction de nature académique, lorsqu’elle exige l’emploi d’une seconde langue, est une opération compliquée, et ce à plusieurs égards. Que faire si, après un certain temps, le rattrapage linguistique nécessaire s’avère plus exigeant que prévu ? Le contenu de la thèse risque de souffrir de ces difficultés linguistiques et les ambitions du chercheur devraient peutêtre être modifiées par rapport au plan original. Ce qui ne peut pas être sacrifié est la présentation formelle des résultats. Aussi, indépendamment de la qualité discutable de la recherche, le rédacteur doit savoir rédiger une bonne thèse. La rédaction d’une thèse convaincante demande non seulement une bonne structure et une bonne (méta-)communication, mais elle implique aussi 10. Par exemple, le conseil de « tout dire trois fois ». Markus W. Gehring, « Comment écrire une thèse : quelques conseils ». Récupéré de www.cs.toronto.edu/~sme/presentations/thesiswriting-enfrancais.pdf.

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qu’on trouve le « bon ton ». En effet, on doit écrire en gardant en tête les destinataires de la thèse. Il s’agit toujours d’un certain public, d’un certain lectorat. Pour les rédacteurs de thèse ou de mémoire, ce lectorat est la plupart du temps composé des évaluateurs de la thèse. Il s’agit rarement du grand public. Puisque le rapport avec ces évaluateurs est différent selon qu’on évolue au baccalauréat, à la maîtrise ou au doctorat, il s’agit de trouver chaque fois le niveau de langage adapté au contexte et de l’appliquer de façon consistante, c’est-à-dire indépendamment des sources primaires utilisées, qui elles, peuvent viser un autre type de public. Signalons au passage que si la thèse est soutenue avec succès, des modifications considérables peuvent encore y être apportées en vue de la publication. Trouver le ton approprié à son public est inévitablement plus difficile pour les rédacteurs dont la langue d’écriture est une langue seconde, même lorsqu’ils bénéficient d’une certaine expérience de la rédaction scientifique. Dans certains cas, acquérir le bon ton requiert même l’adoption d’une nouvelle identité11. Cela étant, arrivent à bon port tous ceux qui pratiquent avec patience. Perfectionnisme ou pragmatisme

Réussir une thèse requiert un vocabulaire varié, une bonne maîtrise de l’orthographe et de la syntaxe, de même qu’une certaine aptitude pour la rédaction. Les critères d’évaluation d’une thèse ou d’un mémoire sont les mêmes pour tous les étudiants, sans égard à leur origine. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne faut nécessairement que des textes parfaits, surtout au début. Les habiletés nécessaires à la rédaction d’une thèse en langue seconde se développent graduellement et en ce sens, le perfectionnisme a plutôt tendance à ralentir l’étudiant. Un certain pragmatisme est donc de mise. 11. Voir, par exemple, la description de cet auteur chinois qui, lorsqu’il raconte ses difficultés à s’intégrer dans l’académie américaine anglophone, parle de devenir une tout autre personne pour s’adresser à des lecteurs américains : « [I needed to find ways of] getting out of my old identity, the timid, humble, modest Chinese “ I” and creeping into my new identity, the confident, assertive and aggressive English “ I” ». » Fan Shen, « The Classroom and the Wider Culture : Identity as a Key to learning English Composition », College Composition and Com­ munication, no 40, 1989, p. 462. Voir aussi Xia Wang et Luxin Yang, « Problems and Strategies in Learning to Write a Thesis Proposal : A Study of Six M.A. Students in a TEFL Program », Chinese Journal of Applied Linguistics, vol. 35, no 3, 2012, p. 324-341.

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On pourrait être enclin à écrire d’abord un texte dans sa première langue, pour ensuite le traduire. Toutefois, cette stratégie est toujours déconseillée. Bien qu’on puisse tirer avantage de ce travail de traduction, et que le recours à certains outils facilite cet exercice12, il est préférable de commencer à rédiger le plus tôt possible dans sa langue d’adoption. Cela est vrai pour tous les auteurs, quelle que soit leur expérience de la rédaction. Des études menées auprès d’étudiants de doctorat et de maîtrise ont démontré que l’étudiant qui commence tôt à rédiger dans une langue seconde progresse plus vite et a plus de chances de conclure sa thèse dans les délais, même s’il doit consacrer beaucoup de temps à rédiger et à réviser ses textes13. Plusieurs méthodes facilitent l’apprentissage de la rédaction dans une langue étrangère. L’une d’elles suggère un apprentissage par imitation et transcription en recourant, toutefois, à un système de références approprié de manière à éviter toute forme de plagiat14. On peut s’inspirer de thèses ou de mémoires existants, dans le même département, pour repérer le vocabulaire généralement utilisé pour faire des liens entre les chapitres ou entre les sections du texte. Le directeur de thèse peut également constituer un appui considérable, surtout s’il accepte de commenter la thèse sur le plan linguistique ; il le fera surtout au début de la rédaction, mais il ne se sentira pas nécessairement tenu de corriger les fautes de grammaire ou d’orthographe de la thèse tout au long de sa supervision. En effet, plusieurs des textes soumis seront vraisemblablement corrigés et réécrits plusieurs fois avant le dépôt de la thèse dans sa version finale. On peut également apprendre beaucoup de l’évaluation des pairs. Le candidat à la thèse rédigeant dans une langue seconde profitera de ses inter­ actions avec les autres candidats. Pour cette raison, l’implication de l’étudiant dans un groupe de recherche ou un centre de recherche présente un véritable avantage, et favorise l’aboutissement de la thèse. En plus de tirer profit de la lecture des autres étudiants, vous serez appelé à évaluer le travail des autres, 12. Voir la partie intitulée « Les outils numériques d’aide à la rédaction ». 13. Paltridge et Starfield, op. cit., p. 45. Voir Judith Meloy, Writing the Qualitative Dissertation : Understanding by Doing, Hillside, Laurence Erlbaum, 1994. Aussi : Eviatar Zerubavel, The Clockwise Muse : a Practical Guide to Writing Theses, Dissertations and Books, Cambridge, Harvard University Press, 1999. 14. Voir la dernière partie, « L’utilisation des textes d’autrui et la question des références ».

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ce qui est souvent tout aussi instructif 15. On acquiert ainsi plus rapidement le niveau linguistique nécessaire à la poursuite de la thèse, de même que la culture rédactionnelle de milieux différents. Le réseautage est donc un important facteur de réussite, qui contribue au succès de la recherche et facilite la publication des travaux des chercheurs œuvrant dans une langue seconde16. Les outils numériques d’aide à la rédaction

Parmi les outils numériques d’aide à la rédaction dont les étudiants des pays développés tirent profit depuis des années déjà, on compte la correction automatique de l’orthographe et de la syntaxe, la traduction numérique des textes, les wikis et des détecteurs automatiques de plagiat. Avant l’arrivée d’Internet, les dictionnaires et les thésaurus (collections de synonymes, antonymes et vocabulaire périphérique) constituaient des compagnons indispensables pour les auteurs débutants et même plus expérimentés, et ils continuent à l’être aujourd’hui. Internet les rend encore plus accessibles. Aujourd’hui, presque tous les logiciels de traitement de texte comportent un correcteur orthographique et grammatical. Les bénéfices de ces systèmes sont évidents, même si les machines ont inévitablement leurs limites. Non seulement ils permettent d’économiser du temps et de produire un texte sans fautes, mais ils constituent aussi un mode d’apprentissage continu, tout au long de la rédaction. La traduction automatique, en ligne et gratuite, est un autre allié important de l’étudiant qui rédige dans une langue seconde. Google Traduction est le plus connu, mais ce n’est pas le seul. Ces outils connaissent encore de sérieuses limites et sont en développement continu. Cela dit, ils offrent déjà plusieurs services utiles : la possibilité de s’informer rapidement de ce dont traite un texte dans une autre langue, la traduction d’un mot ou d’une phrase d’une langue à une autre, et l’ébauche accélérée d’une traduction qu’on raffinera par la suite. 15. Voir R. S. Caffarella et B. G. Barnett, « Teaching Doctoral Students to Become Scholarly Writers : the Importance of Giving and Receiving Critiques », Studies in Higher Education, no 25, 2000, p. 39-52. 16. David I. Hanauer et Karen Englander, Scientific Writing in a Second Language, Anderson, Parlor Press, 2013, p. 37.

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Les wikis17 constituent une autre façon d’obtenir rapidement des informations, plus ou moins fiables, sur divers enjeux susceptibles d’intéresser un public étendu ou sur des concepts propres à une discipline. Souvent disponibles en plusieurs langues, ils offrent des informations très utiles pour les fins d’une traduction contextualisée, et fournissent souvent le vocabulaire ainsi que d’autres informations précieuses sur l’univers lexical d’un concept. Enfin, les logiciels détecteurs de plagiat aident à contrôler la conformité de la thèse ou du mémoire aux exigences généralement imposées par les institutions en matière de plagiat18. S’agissant de machines, leurs conclusions ne sont pas infaillibles, mais ils sont tout de même très efficaces. De plus en plus d’universités utilisent ces outils et les mettent à la disposition des étudiants de manière prophylactique, pour que ceux-ci puissent vérifier la conformité de leurs travaux avec les règles sur le plagiat, avant la date de remise des travaux. L’utilisation des textes d’autrui et la question des références

Les préludes sont toujours difficiles pour un auteur qui tente de s’initier à la rédaction d’un texte dans une autre langue que sa langue maternelle. Alors qu’il doit apprendre à jouer une partie selon des règles précises, celles-ci restent souvent implicites car, malgré la vocation universaliste qu’on associe au monde de la recherche, la communauté académique évolue en grande partie à partir des traditions locales, culturelles et linguistiques dominantes. L’écriture dans une deuxième langue suppose souvent l’adoption de règles difficiles à détecter. Voici quelques exemples de pièges qui peuvent résulter de cette opacité. Sur le plan formel, par exemple, les références aux sources étrangères peuvent demander un soin particulier. Là où la forme n’est pas prescrite, la règle la plus importante est la cohérence. Le traitement des sources étrangères n’est pas toujours évident. Bien que les titres des publications en langue étrangère soient souvent listés dans leur forme originale, il convient de les faire suivre d’une traduction dans la langue d’évaluation. Si le clavier utilisé ne peut reproduire certains signes orthographiques ou les accents les plus courants d’une certaine langue, on peut envisager une reddition phonétique, une 17. Pour une brève explication du système wiki, voir : http://wiki.org/wiki.cgi?WhatIsWiki. 18. Turnitin, par exemple : http://turnitin.com.

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translitération commerciale couramment acceptée ou, carrément, une simple traduction. Toutefois, il convient d’indiquer quelle méthode a été utilisée et de respecter les règles choisies tout au long de la rédaction. En matière de bibliographie, une approche cohérente est également indispensable. Dans plusieurs pays asiatiques, les auteurs sont présentés dans l’ordre alphabétique selon leur prénom, tandis que dans les universités occidentales, on les classe selon le nom de famille. Un usage hybride des deux systèmes est exclu. Un autre piège guette particulièrement les rédacteurs appelés à rédiger dans une langue nouvelle : la tentation de reproduire des textes de langue étrangère, au risque de transgresser les règles qui régissent les cas de plagiat. « Copier-coller » dans la langue d’accueil

Le recours à la fonction informatique « copier-coller » constitue une grande tentation pour les auteurs qui s’initient à la rédaction dans une langue seconde. En effet, on peut être tenté de copier ou de suivre très étroitement la facture de textes produits par des auteurs reconnus dans le domaine, qui s’expriment dans la langue d’adoption. Cette pratique peut donner au nouveau chercheur l’impression d’être plus convaincant alors qu’il recourt à des tournures faisant déjà autorité. Il peut par ailleurs avoir l’impression de gagner du temps, en apprenant à écrire alors même qu’il acquiert les rudiments des connaissances établies dans son propre champ de recherche. On suppose que les auteurs qui rédigent dans une langue seconde sont plus susceptibles de recourir à la stratégie du « patchwork »19, cette écriture forgée à l’aide de sections tirées d’autres textes, légèrement retouchées sans qu’en soit mentionnée la source originale, qui permet d’intégrer de grandes quantités de connaissances établies. Copier des phrases contenues dans un texte déjà publié ne constitue pas toujours du plagiat. En revanche, tenter de faire passer des idées et des conclusions tirées d’autres sources en les présentant comme siennes (sans en mentionner la source) l’est certainement. Les raisons qui motivent ces pratiques peuvent être reliées aux difficultés inhérentes à l’écriture de travaux scientifiques dans une autre langue que la 19. Diane Pecorari, « Good and Original : Plagiarism and Patchwriting in Academic Second-Language Writing », Journal of Second Language Writing, no 12, 2003, p. 317-345.

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sienne, tout autant qu’au manque de compréhension claire des raisons qui justifient la prohibition du plagiat en milieu universitaire20. Les règlements universitaires comprennent généralement une description de cette pratique et prévoient les sanctions qui l’accompagnent. Le plagiat peut prendre de nombreuses formes, souvent associées à des pratiques plus ou moins clandestines. Il peut être intentionnel ou non, mais une fois prévenu, tout candidat responsable de pratiques tombant sous la définition institutionnelle du plagiat doit être considéré comme ayant agi intentionnellement21. Traduction de textes en langue étrangère

Quand on travaille à partir de sources étrangères, on peut être tenté de traduire certains textes pour des évaluateurs qui ne maîtrisent pas la langue en question. Bien qu’on ne soit pas tenu de traduire tout ce qu’on utilise, et qu’on peut aussi être tenté de paraphraser le texte d’origine, il faut toujours donner la référence exacte des textes qu’on utilise. En contrepartie, comme on l’a dit, la traduction d’un texte dans une autre langue sans référence précise à ses sources est également considérée comme une forme de plagiat, plutôt que comme un simple travail de traduction. La logique de la politique concernant le plagiat est d’éviter de faire passer comme siennes les idées d’un autre chercheur, et cette logique suppose toujours qu’on mentionne la source de notre inspiration, même s’il s’agit d’une traduction. Il faudra donc bien préciser qu’il s’agit d’une traduction, indiquer clairement les parties de texte concernées et fournir une référence complète du texte d’origine. Il faut aussi indiquer qui est l’auteur de cette traduction (« traduction par l’auteur », par exemple). Quand il s’agit d’un texte juridique, il convient d’indiquer s’il s’agit d’une traduction verbatim ou libre. L’oubli de mentionner la source originale du texte risque d’être sanctionné par l’université d’accueil. Quand la thèse ou le mémoire est publié, une poursuite civile pour violation du droit d’auteur (initiée par l’auteur original ou par ses héritiers légaux, ou par l’éditeur de la revue scientifique dont on tire l’article original), n’est pas non plus exclue. 20. Voir par exemple : O. R. Erkaya, « Plagiarism by Turkish Students : Causes and Solutions », vol. 11, no 2, Asian EFL Journal, 2009, p. 86-103. 21. Pecorari, op. cit.

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L’évaluation d’une thèse ou d’un mémoire « moins que parfaits »

Avec la mobilité internationale des chercheurs, on pourrait penser que se développe, avec le temps, une forme de tolérance envers les textes écrits dans une langue étrangère. Certaines failles d’ordre rédactionnel pourraient ainsi être pardonnées au moment de l’évaluation – surtout si le travail présente un intérêt réel sous d’autres aspects. Bien qu’il n’y ait pas de recherches, pour le moment, qui supportent cette hypothèse, on peut supposer, comme on l’a indiqué plus haut, que certaines disciplines sont moins tolérantes à l’égard des failles linguistiques, par exemple le droit, la linguistique ou la traduction. Dans les disciplines techniques ou dans le domaine des sciences exactes, les erreurs grammaticales et l’emploi d’expressions inusitées sont peut-être mieux tolérés, d’autant plus que les résultats de la recherche et ses conclusions sont basés sur des données empiriques avérées. Il est alors difficile d’imaginer qu’une thèse soit refusée simplement pour des raisons de forme, à moins qu’elle soit entachée d’autres défauts substantiels. Dans tous les cas, la question se pose sur la façon d’évaluer un texte « moins que parfait » sur le plan linguistique. Même si le directeur de thèse considère que la thèse n’est pas mûre pour être déposée, celle-ci devra quand même être terminée dans les délais prévus. Il se peut donc qu’un texte soit rendu alors qu’il compte encore, sur le plan rédactionnel, des imperfections plus ou moins importantes. Si, en dépit de toutes les précautions, le texte est faible du point de vue linguistique, et si les règlements universitaires ou facultaires restent muets sur la question, l’évaluation de cet aspect de la thèse devra se dérouler en tenant compte de considérations fondées sur le principe d’équité. L’équité implique que des cas comparables soient traités de façon similaire. Par exemple, il peut paraître équitable pour les évaluateurs de diminuer la valeur d’une thèse pour des raisons linguistiques. On peut cependant établir aussi qu’un candidat étranger, plus susceptible de commettre des erreurs linguistiques, ne doit pas être traité différemment d’un candidat qui n’est tout simplement pas doué du point de vue linguistique. Le comité d’évaluation se fondera alors sur le traitement de cas similaires dans le passé, au sein de la même faculté ou du même département. Puisque ces pratiques ne sont pas toujours écrites, et qu’elles peuvent évoluer dans le temps, la question de l’évaluation d’un texte comportant des failles linguistiques ne peut pas être

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résolue ici, de façon abstraite. L’évaluation de la thèse peut être facilitée si l’université concernée prévoit la soutenance viva voce. Dans ce cas, le candidat sera en mesure d’apporter de vive voix des clarifications sur des aspects plus obscurs de la thèse. Cela dit, la valeur accordée à cette prestation orale peut varier selon les traditions universitaires. Toutefois, si on aborde le monde universitaire dans son ensemble, on constate qu’il n’y a pas une grande tolérance à l’égard des faiblesses linguistiques que peuvent comporter les thèses, surtout dans le domaine des sciences sociales et humaines. Si on peut supposer que l’internationalisation de la recherche exerce effectivement une pression vers le bas sur le niveau linguistique des thèses et des mémoires, il ne s’ensuit pas que, dans toutes les universités et dans toutes les disciplines, les exigences concernant la rédaction aient sensiblement diminué. *** La rédaction d’une thèse ou d’un mémoire dans une langue seconde constitue un défi de premier ordre qui génère beaucoup de questions étrangères aux auteurs de textes en langue première. Certaines de ces questions ne peuvent pas connaître de réponse précise, ni pour le candidat, ni même pour son directeur de thèse. Pour que la rédaction de la thèse connaisse une issue heureuse, il est important d’établir dès le début un rapport de travail régulier et efficace avec son directeur de thèse, de se mettre aussi tôt que possible à la rédaction de textes de nature académique, et d’échanger avec ses pairs. L’effort supplémentaire que requiert la rédaction d’un mémoire ou d’une thèse en langue seconde vaut toute l’énergie que vous y investirez, si on garde à l’esprit l’apport formidable que constituent l’internationalisation de la communauté scientifique et la circulation des idées et des chercheurs. La rencontre de plusieurs cultures et de plusieurs conceptions du monde, de même que l’accès, même indirect, aux sources et aux résultats de recherches menées dans d’autres contextes intellectuels que le vôtre autrement inaccessibles, constituent des avantages qui influent directement sur le partage des connaissances et le contenu du patrimoine scientifique partout dans le monde. Il s’en trouve extraordinairement enrichi.

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chapitre 17 La thèse sous forme d’articles Jacques Papy

Ce chapitre n’a pas la vocation de servir de mode d’emploi à un projet de présentation de thèse par articles et n’aborde pas non plus de manière exhaustive toutes les questions qui pourraient survenir à l’occasion de sa réalisation. L’objectif en est plutôt de présenter de manière concise les principaux avantages et inconvénients qu’il y a à rédiger une thèse sous forme d’articles par rapport à une forme classique et de nourrir ainsi la réflexion d’un doctorant qui souhaiterait s’engager dans cette voie1. Il remet en question, ce faisant, les mythes selon lesquels une thèse par articles n’offre pas une qualité scientifique équivalente à celle d’une thèse classique ou qu’elle représente un passeport vers une réalisation plus facile et plus rapide du doctorat. La présentation est organisée en deux sections. La première expose les raisons pour lesquelles la rédaction par articles, contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement penser, se fait dans un cadre beaucoup plus rigide qu’une rédaction classique. La seconde présente le principal avantage de la rédaction d’une thèse par articles, soit la constitution plus rapide d’un dossier de publication, mais rappelle également les efforts à fournir pour obtenir cet 1. L’auteur tient à remercier l’évaluateur ou l’évaluatrice anonyme pour ses précieux commentaires qui ont permis de bonifier le texte. Pour une étude approfondie des enjeux entourant la rédaction d’un mémoire ou d’une thèse par articles, voir l’excellent ouvrage de Jean-Marie M. Dubois, La rédaction scientifique. Mémoires et thèses : formes régulière et par articles, Issy-les-Moulineaux, Estem, 2005.

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avantage, notamment les apprentissages supplémentaires requis et l’allongement du parcours doctoral. Une présentation plus rigide que la présentation classique

Par rapport à une thèse classique, la présentation par articles ne signifie pas rédiger moins ou plus facilement, mais rédiger différemment2. Alors que dans une thèse classique la rédaction peut être organisée de manière fluide, en suivant les contours du projet de recherche ainsi que son évolution tout au long de la rédaction, la présentation par articles impose des exigences particulières. Ces exigences peuvent varier selon l’institution et le programme de doctorat. Elles s’expriment notamment à l’occasion de l’élaboration du projet de présentation de la thèse, ainsi que dans le rôle particulier qu'y jouent l’introduction générale et la conclusion générale. Précisons d’emblée que ces exigences ont pour objectif d’assurer la cohérence d’ensemble de la recherche et de sa présentation3. En effet, comme l’écrit Jean-Marie M. Dubois, « [l]’étudiant qui est autorisé à présenter son mémoire ou sa thèse par articles ne peut faire abstraction de la procédure normale de rédaction, mais il doit l’adapter pour y inclure un ou des articles4. » Autrement dit, contrairement à une idée reçue, réaliser une thèse par articles n’équivaut pas à rédiger une série d’articles plus ou moins liés entre eux. Les articles doivent former un tout cohérent, qui devra convaincre les membres du jury de thèse de la validité scientifique de la recherche qui leur est présentée, avec le même degré de rigueur et la même qualité de présentation qu’une thèse rédigée de manière classique5. La préservation de la cohérence de la thèse par articles passe du coup par un processus de rédaction plus rigide, voire contraint par une véritable « camisole de rédaction ». Cette camisole s’incarne dans le projet de présentation de thèse par articles. Un tel projet est déterminant, non seulement parce qu’il constitue un préalable indispensable à la permission de rédiger par articles, mais surtout 2. Sur la question de la rédaction, voir les chapitres de Louise Boisclair, de Geneviève Belleville et de France St-Hilaire dans cet ouvrage. 3. Pour une perspective générale, voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 4. Dubois, supra note 1, p. 62. 5. Ibid, p. 66.

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parce qu’il balise étroitement le chemin qui sera emprunté pour la rédaction : nombre d’articles, distribution de la contribution scientifique entre les articles, éventualité d’une pluralité d’auteurs, langue de publication, etc. Élaborer un tel projet présuppose une vision claire des différents éléments du projet de recherche (problématique, cadre théorique, question de recherche, hypothèse, cadre opératoire, stratégie de vérification, etc.) et de sa mise en œuvre6. A priori, il n’y a là rien de bien différent d’une thèse classique. Cependant, à la différence d’une thèse classique, certains choix comme le cheminement de la démonstration ou la répartition des résultats scientifiques entre les articles sont plus ou moins irréversibles. En effet, une présentation classique permet de retoucher la structure de la thèse au fur et à mesure de la mise en œuvre du projet de recherche. Ainsi, au gré des lectures, des découvertes, mais aussi du fait du mûrissement de la pensée au fil du temps, une thèse présentée sous forme classique peut être remodelée. Des éléments peuvent être ajoutés ou redistribués dans les différentes sections de la thèse, voire carrément éliminés si en fin de compte, leur pertinence s’avère douteuse. Dans une thèse présentée sous forme d’articles, de tels ajustements en cours de rédaction sont au mieux délicats et au pire impossibles à réaliser puisqu’ils seraient susceptibles de remettre en cause la cohérence et l’équilibre de la présentation d’ensemble. Du coup, il apparaît clairement que la préparation d’un projet de présentation par articles ne peut avoir lieu qu’une fois les travaux de recherche suffisamment avancés. Le nombre d’articles et la distribution de la contribution scientifique entre eux figurent parmi les choix importants à effectuer dans un projet de présentation par articles. Dans une thèse classique, la publication est habituellement réalisée a posteriori et ces choix sont effectués après coup. Le doctorant possède alors une vision plus claire des parties de la thèse qui peuvent être retravaillées en vue d’une ou de plusieurs publications et peut plus facilement équilibrer leur contenu. Dans une thèse par articles, le chemin inverse est plus incertain. Outre le travail considérable de réécriture qu’elle engendrerait inévitablement, la transformation d’une thèse par articles en livre pose plusieurs problèmes liés, par exemple, à l’originalité du contenu et aux droits des revues qui ont publié les articles. Même si ces problèmes ne sont pas nécessairement insur6. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Pierre Noreau et de Carmela Cucuzzella.

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montables, ils sont suffisamment importants pour que dans la plupart des cas, le choix de rédiger par articles implique le renoncement à publier ultérieurement la thèse sous forme d’ouvrage. Dans une thèse présentée sous forme d’articles, le choix du nombre d’articles et la répartition des résultats scientifiques sont effectués avant la rédaction. Si le choix du nombre d’articles est largement déterminé par les exigences du programme de doctorat (le plus souvent autour de trois) et les discussions avec le directeur de thèse, la répartition des résultats scientifiques entre les différentes publications est plus épineuse. En effet, la répartition fait courir le danger d’un morcellement de la démonstration avancée par la thèse qui est susceptible de remettre en question la cohérence d’ensemble du projet ou de mener à des articles de type « salami science ». En effet, produire plusieurs articles novateurs, qui pris ensemble forment un tout cohérent, sans tomber dans le piège de la salami science est une véritable gageure. Rappelons que la salami science consiste à diviser artificiellement les résultats d’une étude en plusieurs publications et à donner ainsi l’illusion qu’il s’agit des résultats de plusieurs études7. Ce piège illustre le fait que ce ne sont pas tous les projets de recherche qui se prêtent à la présentation sous forme d’articles. Par exemple, un projet qui repose sur une réflexion théorique très approfondie et tissée de longs développements étroitement liés entre eux se prête mal à la segmentation et pourrait difficilement être présenté par articles. Au contraire, un projet qui repose sur des étapes successives d’analyse et dont les parties sont bien délimitées pourrait plus facilement l’être. Autrement dit, c’est dans la combinaison des principaux éléments du projet de recherche, du sujet abordé à la méthode retenue, que se dessinera la pertinence de rédiger sous forme d’articles. La réflexion sur l’opportunité de présenter la thèse sous forme d’articles doit donc être menée très tôt dans la préparation du projet de recherche et surtout faire l’objet de discussions approfondies avec le directeur de thèse8. Enfin, notons le rôle particulier joué par l’introduction générale et la conclusion générale d’une thèse présentée par articles. Leur rôle diffère de 7. Bruce A. Thyer, Preparing Research Articles, Oxford et New York, Oxford University Press, 2008, p. 70. 8. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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celui qu’elles ont dans une thèse présentée de manière classique. Alors que dans une thèse classique, l’introduction et la conclusion ont pour objectif d’exposer brièvement les principaux éléments du projet de recherche, ses lacunes, mais aussi sa contribution à l’avancement des connaissances, dans une thèse par articles, elles ont une fonction supplémentaire. Tout comme dans une thèse rédigée de façon classique, l’introduction et la conclusion produisent une vision globale de la recherche qui permet au jury de thèse d’appréhender la cohérence d’ensemble de la thèse et d’évaluer sa contribution à l’avancement des connaissances9. Cependant, dans une thèse par articles, l’introduction et la conclusion possèdent également une fonction corrective et supplétive à l’égard de l’information fournie dans les articles. Ainsi, l’introduction générale lie les articles entre eux, en détaillant et en expliquant leur place dans l’édifice général. Selon les disciplines, les revues peuvent limiter la possibilité de décrire des éléments pourtant situés au cœur de la démarche scientifique comme la méthodologie ou la revue de littérature10. L’introduction générale (ou un chapitre introductif consacré à cet exposé) prendra alors le relais. L’introduction générale fournit également les corrections nécessaires si l’information publiée dans les articles est désuète. En effet, les articles peuvent être publiés sur une période de plusieurs années. Il existe donc un risque non négligeable que de l’information publiée dans un article devienne obsolète et ne s’accorde plus avec le reste des développements. Enfin, elle sert à introduire des éléments qui ne pouvaient peut-être pas être inclus dans les articles du fait des contraintes de publication dans les revues, mais qui sont susceptibles d’enrichir le propos et de montrer la profondeur de la réflexion d’ensemble. La conclusion générale occupe un rôle semblable. Chaque article contient déjà une conclusion qui détaille la contribution à l’avancement des connaissances. La conclusion générale n’aurait en fait que peu d’intérêt si elle se résumait à une opération de « collage ». Son rôle est donc de placer la contribution d’ensemble à l’avancement des connaissances dans son contexte général, d’en présenter les lacunes et de suggérer de nouvelles voies de recherche. 9. Sur la question de la soutenance, voir le chapitre de Jean-François Gaudreault-Desbiens dans cet ouvrage. 10. Dubois, supra note 1, p. 83.

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Le choix de présenter une thèse sous forme d’articles peut être motivé par plusieurs raisons, mais celle qui est habituellement avancée est la diffusion plus rapide des résultats. Encore faut-il que cet avantage l’emporte sur les inconvénients liés à la publication dans des revues scientifiques. Une diffusion rapide des résultats, parfois au prix de l’allongement du parcours

Diverses raisons peuvent motiver la décision de présenter la thèse sous forme d’articles. Celles-ci peuvent être liées à la nature du projet, par exemple dans le cas où une partie de celui-ci est réalisée en équipe ou encore lorsque les résultats sont menacés d’obsolescence rapide. Elles peuvent aussi être plus personnelles, par exemple la volonté d’entrer dans un processus de rédaction très structuré ou bien de constituer plus rapidement un dossier de publication11. Indéniablement, la constitution plus rapide d’un dossier de publication est un avantage important pour le doctorant qui se destine à la carrière d’enseignantchercheur. Une thèse classique se présente dans un format qui n’est pas toujours facile à convertir en publication et plusieurs mois peuvent s’avérer nécessaires pour réorganiser le texte en articles susceptibles d’être soumis à des revues. De plus, les articles publiés dans des revues avec comité de lecture constituent la forme de communication scientifique la plus valorisée par les institutions universitaires, ainsi que par les organismes subventionnaires12. Un bon dossier de publication permet donc de faire la démonstration de sa capacité à produire ce type de communication scientifique et en théorie, d’augmenter ses chances d’obtenir un poste et des subventions. Cela dit, l’avantage est peut-être moins apparent pour un doctorant qui se destine à d’autres types de carrières, par exemple en entreprise13. Il en va de même pour un doctorant dans des disciplines comme le droit, dans lesquelles la thèse par articles est encore rare et mal connue. La mauvaise perception de la thèse par articles pourrait alors susciter de nombreuses questions lors d’un processus d’embauche ou bien dans des concours de prix de thèse. 11. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse. 12. C’est notamment le cas en travail social, voir Thyer, supra note 7, p. 1, 7 et 10. 13. Wendy A. Stock et John J. Siegfried, « One Essay on Dissertation Formats in Eco­ nomics », American Economic Review, vol. 103, no 3, Papers & Proceedings 648, 2013, p. 659.

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La constitution plus rapide d’un dossier de publication ne doit néanmoins pas masquer les inconvénients liés à la publication dans des revues scientifiques avec comité de lecture. Nous verrons tour à tour que la rédaction d’articles destinés à ce type de revue entraîne le doctorant dans une courbe d’apprentissage plus raide et le soumet à une double contrainte de rédaction et de révision. Comme le souligne fort justement Jean-Marie M. Dubois, la rédaction par articles place le doctorant dans une situation d’apprentissages parallèles dans laquelle il devra apprendre à maîtriser à la fois la recherche et la rédaction au niveau doctoral, mais aussi les particularités de la rédaction et du processus de publication dans des revues arbitrées14. Si connaître les revues dans son domaine de recherche est un impératif pour le doctorant, agir comme auteur afin de les évaluer et d’opérer un choix en vue de soumettre un article est un apprentissage supplémentaire. En effet, la soumission des articles à une revue plutôt qu’à une autre est stratégique et ne peut pas être laissée au hasard. La réputation de la revue, le processus de soumission, les exigences en matière de formatage et de taille des articles, l’existence de numéros thématiques pertinents, le délai entre le moment de la soumission et celui de la publication, la qualité du processus éditorial (certaines revues font appel à des réviseurs pour assurer la qualité linguistique des textes et d’autres non) sont autant de points à connaître et à discuter avec son directeur de thèse pour établir une stratégie de publication15. Idéalement, la stratégie de publication devrait être élaborée avant la rédaction, compte tenu des contraintes particulières de rédaction qui varient selon les revues ; autrement dit, le doctorant doit appréhender une double contrainte de rédaction. En effet, une thèse présentée de manière classique doit se conformer uniquement aux exigences de présentation propres au programme de doctorat et à l’institution dans le cadre desquels elle est réalisée, alors qu’une thèse présentée sous forme d’articles doit, en plus, respecter les exigences propres des revues ciblées. Ajoutons au passage que les cours de méthodologie habituellement offerts dans le cadre du parcours doctoral ne préparent généralement pas à la publication d’articles scientifiques, mais plutôt à la rédaction d’une thèse sous forme classique. 14. Dubois, supra note 1, p. 66. 15. Voir Dubois, supra note 1, p. 68 et suiv. pour une présentation détaillée des éléments à considérer lors du choix d’une revue.

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Ces contraintes supplémentaires peuvent avoir trait à la forme, comme une limite de taille ou l’imposition d’un mode de citation qui diverge de celui utilisé pour le doctorat et qui nécessitera un reformatage du texte au moment du dépôt. Il peut s’agir également de contraintes de fond. Comme nous l’avons évoqué dans la première partie du chapitre, se pose la question du contenu des articles. Chaque article doit être équilibré et autonome et exige des acrobaties d’écriture qui dépassent les exigences normalement imposées aux chapitres d’une thèse classique. Ainsi, chaque article doit constituer un véritable apport à l’avancement des connaissances, tout en permettant au lecteur d’en saisir pleinement les fondements et la logique16. Concrètement, dans la répartition des contenus entre les articles, le doctorant doit prêter une attention vigilante à la concision et aux répétitions. Dans une thèse classique, la pensée peut être développée assez librement et des arguments qui n’occupent pas une place centrale dans la démonstration, mais qui enrichissent la réflexion générale peuvent être présentés. La limite de taille (parfois sévère) imposée par les revues oblige au contraire à une forme de concision qui force à l’abandon de développements pertinents, mais non essentiels. Notons que dans ce contexte, la concision n’est pas toujours synonyme de clarté et qu’elle augmente la difficulté de la rédaction. Néanmoins, elle peut être compensée dans l’introduction générale de la thèse. Limiter la répétition d’informations entre les articles est également un défi de taille. Alors que dans une thèse classique, les renvois entre les différentes parties de la thèse permettent d’éviter bon nombre de répétitions, les articles ne peuvent pas être simplement parsemés de renvois à d’autres articles – sauf à devenir hermétiques pour le lecteur. Ils doivent donc contenir de façon assez autonome une réflexion compréhensible pour un lectorat qui n’est pas nécessairement spécialiste du sujet traité, de sorte qu’il leur est difficile d’éviter certaines répétitions d’un article à l’autre17. Trouver le juste équilibre entre répétitions et intelligibilité constitue un défi qui n’est pas toujours simple à relever. Également, la rédaction des articles fait l’objet d’une double contrainte de révision. Dans une thèse classique, la révision est essentiellement assurée par 16. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 17. Dubois, supra note 1, p. 80.

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le directeur de thèse ainsi que par le jury. Lorsque la thèse est présentée sous forme d’articles, il faut ajouter à cela la révision effectuée par les arbitres anonymes ainsi que le travail d’édition assuré par l’éditeur. Cette évaluation supplémentaire est à la fois un avantage et un inconvénient. Elle constitue un avantage, car elle permet à des arbitres extérieurs au projet de se prononcer sur la qualité de l’article et le cas échéant, de formuler de judicieuses suggestions d’améliorations. De plus, il nous semble que cette révision supplémentaire de la démarche scientifique devrait être de nature à renforcer sa validité aux yeux des membres du jury lors de l’évaluation de la thèse. Elle présente cependant l’inconvénient d’alourdir le processus de rédaction. La prise en compte des suggestions des arbitres peut ainsi compliquer singulièrement une rédaction déjà difficile et poser des problèmes délicats. Par exemple, que faire en cas de conflit entre les positions du directeur de thèse et des arbitres anonymes ou si les membres du jury de thèse contestent les positions retenues dans les textes déjà publiés ? De telles situations pourraient susciter des tensions avec le directeur de thèse ou les membres du jury. Même si le remède à ces situations figure normalement dans les règles du programme de doctorat, on suggère au doctorant qui songe à rédiger sa thèse sous forme d’articles d’avoir dès le début de son parcours une discussion approfondie à ce sujet avec son directeur de thèse. TA B L E AU 17.1

Principaux avantages et inconvénients de la présentation d’une thèse de doctorat sous forme d’articles par rapport à une présentation classique 

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Avantages

Inconvénients

• Rédaction segmentée en objectifs successifs et plus petits • Constitution plus rapide d’un dossier de publication (ne signifie pas une réalisation plus rapide du doctorat) • Amélioration de la recherche et de la rédaction grâce au processus d’évaluation anonyme et de révision éditoriale des revues

• Rédaction sous la contrainte d’une « camisole de rédaction » pour assurer la cohérence d’ensemble ; seuls certains types de recherche se prêtent à cette forme • Apprentissages simultanés de la rédaction au niveau doctoral et de la publication dans des revues avec comités de lecture • Double contrainte de rédaction (revue et institution) et de révision (arbitres anonymes et jury de thèse), susceptible de retarder le dépôt de la thèse

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Par ailleurs, les éditeurs des revues font effectuer une vérification des sources et certains proposent aussi une révision linguistique approfondie. Ce travail supplémentaire contribue bien entendu à l’amélioration de la qualité du texte, mais allonge le temps nécessaire à la production de la version définitive. Un tel allongement échappe au contrôle du doctorant et pourrait retarder considérablement le dépôt de la thèse. Il est donc important de vérifier si le programme de doctorat permet, lors du dépôt de la thèse, l’intégration d’un article dans une version « publiable » ou « acceptée pour publication », ou au contraire exige que l’article ait été effectivement publié. *** Que faut-il retenir de ces observations ? Tout d’abord, la présentation d’une thèse sous forme d’articles n’est pas systématiquement avantageuse pour un doctorant et ne constitue certainement pas un moyen de réaliser une thèse plus facilement. Le renforcement précoce du dossier de recherche, la diffusion accrue des travaux de recherche et l’apprentissage du processus de publication d’articles scientifiques sont des avantages précieux. Comparativement à la rédaction d’une thèse classique, ces avantages se paient néanmoins au prix fort compte tenu de l’ajout de contraintes de rédaction qu’ils impliquent. Enfin, il est important de distinguer diffusion plus rapide des résultats de la recherche et réalisation plus rapide du parcours doctoral. En effet, étant donné les délais habituels de publication dans les revues scientifiques, entre la soumission, l’arbitrage et le travail éditorial, la voie de la rédaction par articles prend du temps et n’entraîne pas nécessairement une réalisation plus rapide du doctorat. Le caractère opportun de la rédaction par articles est donc étroitement lié à la situation personnelle du doctorant ainsi qu’à ses objectifs de carrière.

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chapitre 18 Les isolements du parcours doctoral  Christine Vézina

On entend souvent dire que le parcours de la thèse confine le doctorant à l’isolement1. Cette affirmation n’est certainement pas fausse en soi mais elle appelle des nuances que nous souhaitons explorer dans ce texte. Ainsi, il nous semble plus juste, d’entrée de jeu, de parler des isolements qu’impose le travail de thèse. Cette conception plurielle de l’isolement traduit l’idée d’une diversité de moments, de durées, d’intensités et de formes d’isolement qui peuvent fluctuer en raison de facteurs divers, par opposition à une conception monolithique et linéaire révélant un état uniformément présent, du premier au 1. L’auteure profite de l’occasion pour remercier ses collègues doctorantes et doctorants du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal qui l’ont accompagnée tout au long de la rédaction de sa thèse. Elle remercie plus particulièrement les codirecteurs de cet ouvrage pour leur appui précieux. Les auteurs Azad et Kohun mettent ’en avant les liens entre isolement et abandon des études supérieures. Ali Azad et Frederick Kohun, « Dealing with isolation feelings in IS doctoral programs », International Journal of Doctoral Studies, vol. 1, 2006, p. 21-33 ; Ali Azad et Frederick Kohun, « Dealing with social isolation to minimize doctoral attrition : A four stage framework », International Journal of Doctoral Studies, vol. 2, 2007, p. 33-49. Dans un article de 2013 publié dans Affaires Universitaires, Rosanna Tamburri fait état de nombreux facteurs qui militent en faveur d’une réforme des doctorats et rapporte certains obstacles auxquels sont confrontés les doctorants, tels l’insuffisance des financements, les délais d’obtention du diplôme, et notamment, le sentiment d’isolement. Rosanna Tamburri, « Une réforme du doctorat s’impose », Affaires universitaires, 6 février 2013, www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose. aspx.

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dernier jour du parcours doctoral. En partant de cette vision, nous proposons une réflexion qui s’appuie principalement sur l’expérience vécue de l’auteure, en tant que doctorante et observatrice privilégiée de ses pairs, touchant aux formes d’isolement qui ponctuent le parcours doctoral et aux stratégies permettant de les transcender, pour permettre aux doctorants d’être de véritables « acteurs2 » de leur thèse. Les différents isolements

Durant son parcours, le doctorant expérimente diverses formes d’isolement qui colorent les étapes de la recherche et de la rédaction de la thèse. Aux fins de la présente réflexion, nous entendons par « isolement » la situation du doctorant qui est séparé des autres, que cette situation soit attribuable à son souhait, qu’elle soit imposée par la nature ou les circonstances du travail ou qu’elle soit ressentie comme telle par le doctorant, sans égard à la réalité factuelle. Les formes d’isolement qui nous semble être les plus représentatives du parcours doctoral sont les suivantes : l’isolement intellectuel, l’isolement psychologique et l’isolement social3, mais nous n’excluons pas qu’il puisse en exister d’autres. Bien que nous distinguions ces catégories à des fins heuristiques, elles peuvent, dans les faits, être interreliées et interdépendantes. L’isolement intellectuel est inéluctable au cours du parcours doctoral. Le processus de réflexion intellectuelle étant, par essence, personnel, il nous convie en effet à une profonde rencontre avec nous-même qui ne peut se déployer autrement que dans l’intimité de notre pensée. L’isolement créé par cette démarche est nécessaire au travail doctoral puisqu’il offre les conditions permettant de nous approprier le savoir, d’en dégager une compréhension personnelle et d’y ajouter une contribution, aussi modeste soit-elle, originale et unique. Sur cette voie, l’isolement du doctorant devient un corollaire de 2. Cette expression provient d’un texte rédigé par Jade Legrand qui porte sur les initiatives susceptibles de contrer l’isolement. Jade Legrand, « Pistes pour la prise d’initiatives et contre l’isolement », Les Aspects concrets de la thèse (ACT), 29 décembre 2010, http://act.hypotheses. org/628. 3. Il existe peu de littérature sur les facteurs contribuant au sentiment d’isolement des doctorants. Hania Janta, Peter Lugosi et Lorraine Brown, « Coping with loneliness : An ethnographic study of doctoral students », Journal of Further and Higher Education, vol. 38, no 3, 2014, p. 1-18.

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son autonomie intellectuelle et de sa capacité à penser par lui-même4. Il ne se vit cependant pas sans heurts et, à la différence des autres formes d’isolement, se présente rapidement dans l’aventure doctorale et ne quitte plus par la suite le chercheur et ce, même après le dépôt de la thèse de doctorat. Cet isolement se vit sur le plan idéel et cognitif et prend forme au fur et à mesure que le doctorant s’engage dans le travail de défrichage. Lorsqu’il franchit la frontière du monde connu pour explorer de nouvelles contrées, le doctorant pénètre au cœur de la zone de l’isolement intellectuel. Avec la question de recherche qui lui est propre, il s’aventure alors dans un antre dont l’immensité peut s’avérer stimulante ou, à l’inverse, le pétrifier et nuire à l’avancement du travail. Un des défis qu’il doit affronter consiste à faire les choix favorables au progrès du travail5 : avancer dans une voie et en abandonner d’autres, opter pour un type d’analyse plutôt qu’un autre, étudier certains concepts de manière plus périphérique que centrale, etc. Ces choix, nombreux, doivent se faire au fur et à mesure de l’avancement des travaux, alors pourtant que le doctorant est lui-même en plein processus de découverte. Certes, dans ces cas, son directeur de thèse ou une autre figure intellectuelle signifiante peut l’aider6, mais il reste que c’est le doctorant lui-même qui est le mieux placé pour faire ces choix, qu’il en est le seul responsable et qu’il doit les assumer, jour après jour, tout au long de sa recherche7. Un autre défi important auquel le doctorant ne peut échapper, puisqu’il est central dans l’expérience doctorale, est celui de l’affranchissement intellectuel, qui consiste à avancer des perspectives théoriques ou analytiques, à proposer des angles jusqu’alors non abordés en s’appuyant sur son propre travail, sans pouvoir complètement s’en remettre à la littérature préexistante. 4. Dans le cadre d’une réflexion plus générale sur les solitudes, Emmanuel Corbel présente une vision de la solitude porteuse d’émancipation, « d’autonomie et de capacité à penser par soi-même ». Emmanuel Corbel, « Réflexions sur la diversité des solitudes et leurs solutions », Horizons philosophiques, vol. 17, no 1, p. 31-45. 5. Sur cette idée de choix qui se suivent et qui font sans cesse progresser le travail, voir Howard S. Becker, « Préface. Écrire une thèse : enjeu collectif et malaise personnel », dans Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2013, p. 9-17. 6. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy.

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L’isolement intellectuel peut alors devenir la force du doctorant qui, grâce à elle, se forge une identité intellectuelle propre. Enfin, la capacité à avancer à tâtons et à faire de ses intuitions personnelles une véritable boussole, en lieu et place de chemins balisés, constitue un autre défi de taille. Bien souvent, ces conditions ébranlent le doctorant et peuvent avoir pour effet d’entraîner des digressions dans la recherche, de la fuite en avant dans les lectures qui forment alors les derniers remparts auxquels se rattacher pour éviter de se retrouver seul, devant l’impression du vide8. L’isolement intellectuel du doctorant est intimement lié à sa condition et il ne peut s’en détourner puisqu’il fait partie intégrante de la recherche. Le fait de reconnaître le phénomène contribue cependant à le normaliser et est susceptible d’accroître la capacité des doctorants à s’en saisir pour en faire une force créative, plutôt qu’un gouffre. Il n’est toutefois pas exclu qu’il engendre d’autres formes d’isolement, tel l’isolement psychologique avec lequel il entretient, généralement, de nombreux liens. Nous entendons par isolement psychologique celui qui se vit dans le for intérieur du doctorant, dans ses doutes, ses peurs et ses angoisses et qui est souvent tributaire de l’isolement intellectuel, bien qu’il puisse aussi être attribuable à d’autres facteurs. Le parcours de la thèse plaçant le doctorant au cœur d’une démarche qui vise l’acquisition de son autonomie intellectuelle, il se bute sans cesse aux limites de ses propres connaissances tandis qu’il prend profondément conscience de l’infinité des savoirs. Dans un tel contexte, le doctorant peut rapidement sentir qu’il n’est pas à la hauteur et être envahi par un sentiment d’imposture9. Le fait également de tenter de contribuer à l’avancement des connaissances en proposant des éléments nouveaux peut générer des doutes et des angoisses, que peuvent certes amoindrir la supervision du directeur de 8. Dans un court texte sur l’isolement du doctorant, Francis Heylighen évoque aussi cette forme d’évasion ou de procrastination consistant à s’inventer continuellement de nouvelles tâches, telles que lire de nouveaux textes, assister à des conférences, obtenir plus de données, parler à de nouveaux experts et suivre de nouveaux cours. Francis Heylighen, « The loneliness of the PhD student », http://ecco.vub.ac.be/?q=node/61. 9. Melonie Fullick fait référence à ce sentiment d’imposture qu’elle associe au fait, pour les étudiants aux études supérieures, de se retrouver entourés d’étudiants ayant les mêmes aptitudes qu’eux. Melonie Fullick, « La santé mentale des doctorants », Affaires universitaires, 6 février 2012, www.affairesuniversitaires.ca/la-sante-mentale-des-doctorants.aspx.

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thèse ou la révision par les pairs, mais qui peuvent aussi subsister en raison précisément du caractère innovateur de la proposition qui, par définition, n’a pas été précisément explorée par les pairs. La durée du travail doctoral, qui s’échelonne sur plusieurs années, peut aussi contribuer à transformer, chez le doctorant, des doutes ponctuels en doutes permanents et créer chez lui de réelles tensions. Il peut en venir à mettre en doute sa capacité d’arriver un jour à terminer et à déposer sa thèse de doctorat10. Le fait aussi de devoir, parallèlement au travail intellectuel relié à la thèse, se créer une identité professionnelle, peut entraîner des doutes et de la confusion chez le doctorant, dans un environnement où la carrière universitaire est hautement valorisée sans qu’il y ait pour autant suffisamment de postes pour tous les doctorants. Ces doutes sont rarement exprimés par les doctorants11, soit parce que leur isolement social ne leur en donne pas l’occasion, soit parce qu’ils croient être les seuls à en avoir et n’osent pas en parler, de peur de porter atteinte à leur crédibilité auprès du directeur de thèse ou des autres professeurs ou de nuire à leurs collaborations avec les collègues étudiants. Le fait de taire ces sentiments peut mener à des interrogations plus profondes sur ses capacités, ses buts et objectifs et plus généralement, sur soi-même12. Cette situation peut s’avérer contre-productive et enfermer le doctorant dans un isolement psychologique qui, allié à l’isolement intellectuel, vient renforcer l’isolement social, dans un processus tendant à s’alimenter lui-même. De plus, l’intensité du parcours doctoral est souvent méconnue en dehors des murs de l’université, et le doctorant ne se sent pas nécessairement compris par ses proches, même s’il est entouré. L’isolement social13 renvoie à l’absence de socialisation du doctorant qui se coupe, sciemment ou non, de son réseau social, familial ou amical, en raison de son travail ou en raison des effets de l’isolement intellectuel, et parfois psychologique, avec lequel il doit composer. 10. On sait d’ailleurs que les abandons sont une réalité pour plusieurs doctorants. Rosanna Tamburri, « Une réforme du doctorat s’impose », Affaires universitaires, 2013, www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx. 11. Rosanna Tamburri, ibid. 12. Francis Heylighen évoque lui aussi ces interrogations. Voir loc. cit. 13. Dans le cas plus particulier des étudiants étrangers, voir dans cet ouvrage le texte de Nanette Neuwahl.

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Le travail relié à la thèse est long, exigeant, souvent nouveau pour le doctorant et il demande un grand investissement intellectuel et personnel. Dans la mesure où ce travail n’impose pas d’horaire prédéterminé, il est facile, voire rassurant, de lui donner toute la place, d’autant plus que le fait de s’en éloigner, le temps d’une soirée ou d’un week-end, peut aisément entraîner chez le doctorant un sentiment de culpabilité. Dans un tel contexte, le doctorant peut ressentir une perte d’intérêt à mener une vie sociale, trop absorbé mentalement par son travail, ou ne pouvoir concrètement trouver le temps nécessaire. L’incompréhension des proches et de l’entourage à l’égard des défis que représentent le travail associé à la thèse et l’ensemble du parcours doctoral, voire la dévalorisation sociale du statut de doctorant, peuvent aussi contribuer à cet isolement. L’identité sociale du doctorant comporte des contours fuyants. Ce dernier peut être perçu comme un adulte qui, étudiant, « ne travaille pas » et le sentiment de devoir se justifier aux yeux des tiers peut être un irritant pour le doctorant. Ses moyens financiers limités sont aussi un frein aux activités sociales ; son revenu annuel représente bien souvent une mince fraction de celui de ses amis actifs sur le marché du travail14. Alors que l’isolement social peut être vécu difficilement, il s’avère aussi, de temps à autre, indispensable à la progression de la thèse. À cet égard, il peut être particulièrement ardu pour les doctorants qui sont aussi parents de réunir les conditions de cet isolement. La parentalité prémunit certes les doctorants contre un isolement familial, mais elle pose également des défis15 pour ces derniers qui doivent composer avec des plages prédéfinies de solitude qui ne correspondent pas toujours aux moments qui seraient pour eux les plus favorables au travail intellectuel. Cette question est directement traitée ailleurs dans l’ouvrage. Circonscrire les isolements par une posture doctorale proactive

Le fait de reconnaître, dès le début de la thèse, les différents isolements qu’impose le parcours doctoral peut certainement contribuer à normaliser le phénomène et ainsi accroître la capacité des doctorants à anticiper ces périodes 14. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim. 15. Voir dans cet ouvrage les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay.

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en les appréhendant davantage comme des réalités à circonscrire plutôt que comme une fatalité. Ainsi, une conscience de cette réalité favorise le développement de stratégies qui permettent au doctorant de baliser ses isolements afin qu’ils offrent les conditions propices à l’avancement des travaux tout en n’étant pas trop lourds à porter. Ces stratégies sont nombreuses et sont susceptibles de varier d’un individu à l’autre en fonction de ses intérêts, de ses aptitudes et des circonstances, mais elles ont toutes en commun de reposer sur l’idée d’une posture proactive. Nous en présentons ici quelques-unes, sans prétendre à l’exhaustivité. Les premières englobent les stratégies d’intégration au milieu et les collaborations alors que les secondes regroupent les stratégies relationnelles, organisationnelles et de partage des connaissances. Dans l’ensemble, elles contribuent à la construction de la socialisation universitaire du doctorant. L’intégration au milieu et les collaborations

Trois facteurs nous semblent favoriser l’intégration au milieu universitaire : le travail sur place, l’implication dans les activités institutionnelles et les collaborations avec les collègues et les professeurs et chercheurs. Travailler sur place, en obtenant par exemple un bureau à la faculté, au département ou dans un centre de recherche, facilitera l’intégration au milieu universitaire. Les rencontres avec les collègues doctorants et les chercheurs postdoctoraux qu’on y côtoie ont une valeur inestimable. Elles aident à la compréhension du milieu, créent des occasions de collaboration et permettent des échanges sur les réalités universitaires et personnelles qui colorent le parcours doctoral. Le doctorant devrait prévoir, tout au long de son parcours, des occasions où il pourra exposer à ses pairs les fruits de ses recherches, et ainsi tester ses idées, les opposer à d’autres perspectives. Ces précieux échanges permettent de briser l’isolement intellectuel. À cette fin, de nombreux événements sont organisés et prévus dans le cadre institutionnel, tels les séminaires et colloques étudiants. Les revues étudiantes constituent également un bon tremplin pour les premières publications. Enfin, les collaborations de recherche avec les professeurs et les collègues doctorants ou postdoctorants fournissent des expériences très formatrices et

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susceptibles de transcender les trois formes d’isolement dont nous avons traité dans ce texte. Que ce soit la co-organisation de colloques scientifiques, la corédaction d’articles16 ou d’ouvrages, la codirection de numéros thématiques de revues scientifiques, d’ouvrages collectifs ou d’actes de colloques, ou encore la participation à des conférences à l’étranger, toutes ces initiatives sont grandement structurantes et permettent de mieux comprendre les rouages du monde universitaire. De notre point de vue, cette socialisation universitaire n’est pas encore suffisamment exploitée dans les facultés de droit17 alors qu’elle a pourtant un effet positif sur l’obtention du diplôme18 et sur le développement de la carrière universitaire19. En contexte de recherche interdisciplinaire, les diverses stratégies évoquées connaissent des textures différentes. Elles sont alors l’occasion d’une double rencontre avec l’autre et préservent le doctorant d’une autre forme possible d’isolement, l’isolement disciplinaire, tout en exigeant de lui qu’il développe un « regard oblique20 » sur sa propre discipline21. Les stratégies relationnelles, organisationnelles et de partage des connaissances 

De nombreuses autres stratégies, appelées à se décliner au sein et en dehors du milieu universitaire, sont tout autant susceptibles de tempérer les isole16. Dans une étude portant sur les activités de publication des doctorants du Québec de 2002 à 2007 et sur les collaborations favorisant ces publications, Vincent Larivière démontre qu’il existe des liens entre les activités de publication pendant le parcours doctoral et l’obtention du diplôme. Vincent Larivière, « On the shoulders of students ? The contribution of PhD students to the advancement of knowledge », Scientometrics, vol. 90, no 2, 2012, p. 463-481. 17. Ibid. Vincent Larivière fait état des facteurs qui distinguent sur ce plan les sciences sociales et humaines des sciences naturelles et de la santé. 18. Voir, par exemple, Suzan K. Gardner, « Heard it through the grapevine : Doctoral student socialization in chemistry and history », Higher Education, vol. 54, no 5, 2007, p. 723-740. 19. Voir Suzan K. Gardner et Pilar Mendoza, On Becoming a Scholar : Socialization and Development in Doctoral Education, Virginia Sterling, Stylus Press, 2010. 20. Sur cette perspective « oblique », voir Guy Rocher, « Le regard oblique du sociologue sur le droit », dans Pierre Noreau (dir.), Dans le regard de l’autre. In the Eye of the Beholder, Montréal, Thémis, 2005, p. 57-73. 21. Concernant la situation des étudiants au profil multidisciplinaire, voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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ments associés au travail de thèse. Elles relèvent de stratégies relationnelles et de partage des connaissances, d’une part, et de stratégies organisationnelles d’autre part. Le fait d’entretenir des liens avec les milieux professionnels peut par exemple, selon la discipline et le parcours du doctorant, ainsi que les objectifs qu’il poursuit, offrir des possibilités de diffusion des travaux ou de collaborations diverses. Les implications en milieu communautaire et dans la collectivité sont également des stratégies qui ont pour effet d’ancrer le doctorant dans les réalités sociales concrètes et matérielles et offrent l’occasion de partager, de coconstruire et de diffuser ses connaissances, voire de s’engager dans la transformation sociale22. Pareillement, l’enseignement de charges de cours impose au doctorant de sortir de son monde intellectuel pour explorer celui de la pédagogie et d’en sonder les diverses dimensions, de manière bien réelle et pragmatique. Il s’agit d’une occasion additionnelle de développer des liens avec les étudiants et les collègues chargés de cours et professeurs ainsi que de partager et de confronter les résultats de ses recherches et réflexions. Ces relations de partage des connaissances sont appelées à connaître de nouvelles formes à l’ère du numérique. En effet, les réseaux sociaux universitaires, en pleine progression, offrent des perspectives de production et de diffusion des travaux et de réseautage qui présentent un intérêt pour les doctorants souhaitant se forger une identité numérique. Plus globalement, le concept de « science ouverte23 », avec le partage des savoirs et la rétroaction qu’il permet, laisse entrevoir des façons innovatrices de briser les isolements du doctorant24. 22. Pour une réflexion sur les rapports entre recherche et militantisme, voir Christine Vézina et Marilou Gagnon, « Les postures du chercheur dans ses rapports au militantisme : brèves incursions dans la recherche en droit et en sciences infirmières », Aporia, vol. 6, no 2, 2014, p. 27-39, www.oa.uottawa.ca/journals/aporia/articles/2014_04/Vezina_Gagnon.pdf. 23. Sur le thème du « libre accès » à la science et de l’impact du numérique sur l’édition scientifique, consulter Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel, « Science.com, libre accès et science ouverte », Hermès, no 57, 2010. Voir aussi le site http://scienceetbiencommun. org/?q=node/26. 24. Olivier Charbonneau, doctorant à l’Université Concordia, a prononcé une communication sur la pertinence du blogue en tant qu’« outil rédactionnel normalisé mais aussi [comme] moyen d’interaction avec une communauté […] pour transmettre le savoir universitaire au profit des citoyens branchés ». Olivier Charbonneau, « Le blogue du doctorant », communication prononcée lors du colloque La révolution de la science ouverte et de l’accès libre. État des débats

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Ces stratégies, qui doivent encore être construites, invitent à envisager autrement les rapports entre la recherche et les citoyens25. Sur le plan organisationnel, la planification matérielle du travail, à long, moyen et court terme forme aussi indéniablement une stratégie permettant au doctorant de se préserver de l’isolement social. Un plan de travail est un outil qui permet d’éviter que la thèse devienne un projet indomptable et favorise un certain équilibre entre la vie personnelle et le projet doctoral. Ce plan doit certes englober le travail de recherche et de rédaction relié à la thèse, mais il doit aussi, pour être fonctionnel, englober l’ensemble des activités de diffusion des travaux, de publication, de collaboration et d’enseignement qui jalonnent le parcours26. Et sur un plan plus personnel, la recherche de soutien psychosocial, en cas de besoin, peut aussi permettre de s’attaquer aux effets négatifs que peuvent entraîner certaines formes d’isolement27. *** Les isolements qu’impose le travail relié à la thèse sont bien réels et peuvent être difficiles à vivre à certains moments du parcours doctoral. Nous avons vu toutefois qu’en les reconnaissant d’emblée, le doctorant est susceptible de les appréhender différemment. Il peut alors se donner les moyens de les baliser pour qu’ils se vivent comme des moments, des passages, parfois nécessaires à la progression du travail et inévitables, mais qui se distinguent toutefois d’un état de fatalité échappant complètement à son contrôle. Nous avons vu égaleet des enjeux, 81e Congrès annuel de l’ACFAS, Université Laval, Québec, 2013. 25. Lors du colloque intitulé La révolution de la science ouverte et de l’accès libre. État des débats et des enjeux, au 81e Congrès annuel de l’ACFAS, en 2013, une table ronde a précisément porté sur ces rapports. L’intitulé en était « Les dispositifs de transferts de connaissances entre étudiants et société civile dans les universités québécoises : une forme novatrice de science ouverte ». 26. Sur l’importance de diffuser ses travaux de recherche, voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse. 27. Voir le texte de Melonie Fullick qui traite de la dépression chez les doctorants. Melonie Fullick, « La santé mentale des doctorants », Affaires universitaires, 6 février 2012, www.affairesuniversitaires.ca/la-sante-mentale-des-doctorants.aspx. Voir aussi cet article qui traite de la question chez les étudiants internationaux : Jenny Hyun, Brian Quinn, Temina Madon et Steve Lustig, « Mental health need, awareness, and use of counseling services among international graduate students », Journal of American College Health, vol. 56, no 2, sept.-oct. 2007, p. 109-118.

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ment que de nombreuses stratégies permettent au doctorant de sortir de ces isolements et d’agir en tant que véritable « acteur » de sa thèse. Cette approche proactive à l’égard du parcours doctoral doit cependant être bien dosée pour ne pas devenir le prétexte à une fuite en avant et entraîner une dispersion du doctorant. Ce risque est réel et il peut traduire une volonté d’échapper à l’isolement et au travail de fond qui prend forme dans ses confins. Dans un tel contexte, le doctorant peut voir ses années doctorales s’allonger indûment et l’horizon du dépôt de la thèse peut devenir flou. Un savant équilibre est donc à rechercher tout en acceptant, comme prémisse de base, que la solitude convient par essence au travail de recherche et de rédaction associé à la thèse. En balisant les diverses formes d’isolement, soit l’isolement intellectuel, psychologique et social, par des stratégies d’intégration au milieu universitaire, de diffusion et de partage des travaux, de collaboration de recherche, d’enseignement et d’implication dans la collectivité, le doctorant découvre et explore les différentes facettes de la socialisation académique. À travers ces expériences, c’est son regard sur le travail de la thèse en lui-même qui est appelé à changer. Il peut alors le situer dans un ensemble plus vaste, relié au monde extérieur et en saisir les ramifications sociales, pédagogiques, économiques, etc. Après ces passages en terre de socialisation, le doctorant trouve très souvent un confort à replonger dans ses idées et ses réflexions solitaires. En adoptant une posture curieuse et réflexive à l’égard de ce qu’il vit, tant sur le plan intellectuel que personnel, le doctorant se donne les moyens de connaître, de reconnaître et de nommer les isolements qu’il doit affronter, de les accepter et d’agir pour les encadrer. Il devient alors « acteur » non seulement de sa thèse mais de l’ensemble de son parcours doctoral, seul, et à la fois bien relié au monde universitaire qui s’ouvre devant lui.

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chapitre 19 La soutenance, entre épreuve et couronnement Jean-François Gaudreault-Desbiens

La soutenance est l’ultime étape du parcours doctoral. Si elle revêt une dimension universelle – qui dit doctorat dit soutenance, celle-ci étant l’incarnation moderne de la disputatio du Moyen Âge –, le processus d’autorisation de la soutenance ainsi que les modalités de sa tenue peuvent varier considérablement selon les institutions, les disciplines, les cultures universitaires, voire les cultures nationales. Ainsi le « viva » britannique prend-il souvent une forme bien différente de la soutenance française… Bien que le candidat, son directeur et le jury puissent infléchir le déroulement d’une soutenance, celle-ci a tout de même lieu dans un cadre institutionnel spécifique, lequel est plus ou moins contraignant selon les cas. Aussi une bonne compréhension des variables propres à ce cadre est-elle nécessaire afin que le candidat puisse faire valoir son plein potentiel lors de la soutenance. On peut difficilement parler de la soutenance sans d’abord évoquer ce qui vient avant elle, du moins ce qui vient immédiatement en amont. Si la tenue d’une soutenance présuppose que la thèse du candidat ait été jugée digne d’être soutenue, le chemin parcouru pour y arriver a pu être tranquille et rectiligne ou, au contraire, sinueux et parsemé d’embûches. Il différera en particulier selon que, dans une culture ou une institution donnée, la soutenance est perçue comme une épreuve ou un couronnement.

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La première conception voit dans la soutenance la dernière étape d’un parcours du combattant où l’étudiant défend, au sens propre, sa thèse contre des jurés envisagés comme autant de contradicteurs potentiels. La seconde conception y voit au contraire le point culminant d’un parcours dans lequel le candidat, accompagné plus ou moins étroitement par son directeur, s’est considérablement investi et au terme duquel il livre le résultat de ses recherches devant un auditoire critique, certes, mais a priori bienveillant. En fait, la soutenance-épreuve et la soutenance-couronnement représentent les limites externes d’un vaste intervalle à l’intérieur duquel coexistent plusieurs modèles de soutenance possibles. Il s’agit, en quelque sorte, d’archétypes et rares sont les soutenances qui correspondent en tous points à l’un ou l’autre de ces archétypes. C’est ainsi qu’une soutenance peut à la fois participer d’une dispute de type médiéval et d’une consécration publique… Et il existe même des processus d’évaluation obligeant à une soutenance duale, avec un volet public qui participe d’une consécration et un autre, privé, où le candidat, déjà adoubé en public, est tout de même soumis au feu croisé des évaluateurs de sa thèse lors d’une discussion beaucoup plus pointue que celle ayant déjà eu lieu en public. Il faut toutefois être conscient que, selon qu’une soutenance se rapproche du modèle de l’épreuve ou de celui du couronnement, les stratégies de gestion du risque ne seront pas les mêmes. Les observations qui suivent tiendront compte de ces deux limites externes, qui éclaireront deux étapes bien différentes du processus de soutenance, soit sa préparation et la soutenance comme telle. Tant pour l’une que pour l’autre, il faut penser au fond, certes, mais aussi à la forme. Ces observations, il faut le préciser, n’émanent pas d’une analyse scientifique des pratiques de soutenance au Canada ou ailleurs. Elles ont en ce sens une dimension impressionniste, qui est néanmoins nourrie par l’expérience non négligeable de l’auteur de ce texte à la fois comme directeur de thèse, membre de multiples jurys dans plusieurs institutions universitaires et administrateur d’un programme de doctorat. Il serait sans doute intéressant que des recherches empiriques visant à documenter les pratiques de soutenance et à les analyser en fonction de différentes variables, notamment culturelles et disciplinaires, soient réalisées. Mais tel n’était pas le projet inspirant ce modeste texte.

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La préparation intellectuelle et psychologique

Une soutenance se prépare à la lumière d’une évaluation préalable de l’impact potentiel de plusieurs variables sur les probabilités de succès. Les variables les plus importantes tiennent probablement à l’information dont le candidat dispose pour préparer la soutenance et aux pouvoirs que peut exercer le jury à son égard avant celle-ci. Cette évaluation, qui devrait idéalement être réalisée conjointement par le candidat et son directeur de thèse, est cruciale car elle permet précisément de mieux contrôler les risques liés à la soutenance. Elle doit toutefois être précédée d’une analyse de la culture de l’institution où cette soutenance a lieu. L’impétrant doit en effet impérieusement comprendre comment l’exercice que constitue la soutenance y est compris, afin de bien saisir les attentes qu’a l’institution à son égard, autant quant au fond que quant à la forme. Là encore, son directeur pourra être d’un important secours. Si, d’aventure, celui-ci n’est pas disponible pour lui procurer pareil accompagnement, il sera alors utile de se référer à d’autres professeurs, voire à des docteurs récemment adoubés, pour obtenir les renseignements pertinents. L’évaluation de leur pertinence est cependant irréductible à un critère formaliste, par exemple la publication officielle de ces renseignements. En effet, constituent des renseignements pertinents non seulement ceux qui peuvent être aisément repérés et circonscrits parce qu’ils ont fait l’objet d’une explicitation formelle, mais aussi ceux qui participent plutôt de ce que Polanyi appelait le « savoir tacite » d’un groupe social1. Au sein de toute institution, des éléments cruciaux de la culture ambiante demeurent dans la sphère du non-dit, de l’inexprimé, que les personnes socialisées au sein de cette culture connaissent bien. Il faut donc être outillé pour les appréhender et en saisir le sens ainsi que pour décrypter les exigences qui en découlent. Cette observation vaut, il faut bien le dire, pour tout le projet doctoral, en commençant par la thèse elle-même. Cette compréhension de la culture institutionnelle de l’université où l’on soutient sa thèse2 s’avère particulièrement importante pour les étudiants qui n’y ont pas obtenu d’autres diplômes. Elle l’est encore davantage pour ceux émanant d’une culture universitaire considérablement différente. Il importe sur ce plan de ne pas présumer trop vite de l’identité de deux cultures universitaires 1. M. Polanyi, The Tacit Dimension, Chicago, University of Chicago Press, 1966. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Nanette Neuwahl.

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sous prétexte qu’elles ont certaines caractéristiques en partage. Par exemple, il serait hasardeux, pour ne pas dire carrément dangereux, pour une étudiante française faisant son doctorat au Québec de présumer de l’identité des préconceptions québécoises et françaises quant à la nature, aux règles et au rituel de la soutenance. Une fois bien compris le substrat culturel dans lequel s’insère la soutenance, le candidat doit tout de suite penser à répertorier l’information qui lui sera utile pour la préparer, ce qui suppose de mesurer quel type d’information lui est accessible. Inévitablement, le modèle de soutenance adopté dans l’institution où elle se tient est susceptible d’influer sur la possibilité d’obtenir l’information désirée. La première information à obtenir est sans conteste l’identité des membres du jury de thèse. Cela ne pose la plupart du temps guère de problème : la soutenance étant en principe publique, la composition du jury, dès qu’elle est achevée, le devient également. La transparence constitue donc la règle générale sur ce plan. En outre, le directeur de thèse est fréquemment appelé à suggérer les noms d’évaluateurs potentiels aux administrateurs universitaires chargés de déterminer et de formaliser la composition du jury3. Ce concours du directeur de thèse est important car le choix des membres du jury peut avoir un impact considérable sur la suite des choses. Réglons immédiatement une question cruciale : autant le directeur de thèse que les administrateurs responsables des programmes doctoraux souhaiteront, du moins dans une situation que l’on doit qualifier de « normale », que le jury, tout en exerçant sa fonction critique et en manifestant des exigences raisonnables quant à l’atteinte des objectifs visés par la thèse de doctorat, agisse équitablement envers le candidat. Il peut paraître superfétatoire de le mentionner, mais si les jurys doctoraux agissent la plupart du temps de manière équitable envers le candidat, le contraire se produit parfois aussi. Le milieu universitaire n’est pas constitué que de purs esprits ; des querelles d’écoles, des inimitiés personnelles peuvent affecter le jugement et, au final, contribuer à biaiser le processus évaluatif. On a vu, au sein de la plupart des institutions, des cas, fort heureusement rares, où un ou plusieurs membres 3. Sur le rôle du directeur, voir le chapitre de Pierre Noreau ; sur la situation particulière de l’étudiant au profil multidisciplinaire, voir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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d’un jury se servaient d’une soutenance pour régler des comptes auxquels le doctorant était a priori étranger. On a aussi vu des évaluateurs se braquer contre un candidat sous prétexte que celui-ci avait adopté telle ou telle approche théorique ou méthodologique que ces évaluateurs jugeaient inacceptable non pas tant parce qu’elle était mal comprise ou mal employée mais parce qu’elle heurtait de front les leurs. Le pire est que de telles postures, qui mènent en quelque sorte à reprocher au doctorant de n’avoir pas fait la thèse que l’évaluateur aurait voulu qu’il fasse, sont souvent masquées par le recours à des rationalités théoriques ou méthodologiques donnant un vernis de scientificité à ce qui, au fond, ressemble fort à une expression primaire de répulsion. Tout ceci pour dire qu’un grand soin doit être apporté, en amont, à la composition du jury afin que celui-ci, sans être complaisant, ne soit pas non plus a priori hostile au candidat et à sa thèse. En supposant que cet exercice de vérification diligente ait été réalisé par le directeur de thèse et les autorités administratives compétentes, une analyse du profil intellectuel des membres du jury est indiquée afin d’anticiper leurs questions, réserves ou objections. Qui sont les évaluateurs et qu’ont-ils euxmêmes écrit sur des thèmes reliés à celui de la thèse soutenue ? Dans quel intervalle théorique et méthodologique leurs propres travaux se situent-ils ? Il s’agit ici de prédire, du moins le plus exactement possible, comment se comportera le jury à l’égard du candidat et d’aider celui-ci à adopter des stratégies appropriées afin de satisfaire les attentes potentielles de ses membres. Les pratiques universitaires peuvent être plus ou moins aidantes sur ce plan. En effet, si des institutions imposent à l’un ou plusieurs des membres des jurys de thèse l’obligation de rédiger avant la soutenance un rapport d’évaluation de la thèse et donnent accès à de tels rapports au doctorant, d’autres ne le font pas. Par exemple, alors que les universités québécoises ou françaises tendent à exiger que l’évaluateur dit « externe », c’est-à-dire attaché à une institution autre que celle où le doctorant effectue sa soutenance, dépose un rapport écrit avant la soutenance qui est rendu accessible au candidat, des universités britanniques ne demandent aucun rapport écrit préalable à l’évaluateur externe ou, si elles en obtiennent un, n’en permettent pas l’accès au candidat. La soutenance de ce dernier prend alors une tout autre dimension, la difficulté que présente l’exercice d’anticipation des questions ou objections

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du jury se trouvant considérablement accrue et la gestion du risque lié à la soutenance, plus complexe. Plus l’on se rapproche du modèle de la soutenanceépreuve, plus ce genre de situation risque de se produire. La composition du jury de thèse peut influer à un autre titre sur la gestion du risque que doit effectuer le doctorant. Des universités exigent en effet, et ce, dès que celui-ci a enregistré son sujet de recherche et s’est trouvé un directeur de thèse, que soit constitué un comité de thèse composé du directeur et de deux ou trois autres professeurs de la même institution. Le but de tels comités est de s’assurer que le doctorant progresse raisonnablement et respecte l’échéancier qu’il s’est fixé en lui imposant des livrables à des échéances précises, le plus souvent une fois l’an. Le doctorant doit démontrer l’avancement de son projet en soumettant avant la rencontre de nouveaux chapitres de sa thèse, fussent-ils inachevés, et les « défendre » devant le comité, lequel est fréquemment investi du pouvoir de décider si le parcours doctoral du candidat peut se poursuivre ou non. Un système d’évaluation continue du doctorant est ainsi mis en place, ce qui relativise d’une certaine façon l’importance de la dernière étape de ce parcours, en l’occurrence la soutenance. C’est ce qui explique que les membres de tels comités de thèse constituent souvent le noyau dur des jurys de thèse, auquel cas on leur adjoint simplement un examinateur externe. Si cet accompagnement « renforcé » du doctorant pendant la rédaction de sa thèse lui impose certes des obligations plus fréquentes quant à la production de livrables, il présente en revanche l’avantage de réduire le risque lié à la soutenance en diffusant celui-ci tout au long de son parcours. Dans cette optique, la soutenance tient plus du couronnement que de l’épreuve. Enfin, selon les cultures universitaires, le processus de gestion du risque peut également être facilité ou compliqué selon les pouvoirs que peut exercer le jury avant la soutenance. Les règles encadrant l’autorisation de la soutenance varient considérablement d’une université à l’autre. Dans certaines institutions, la soutenance est autorisée par la seule acceptation de l’examinateur externe. Dans d’autres, le jury en entier doit se pencher collégialement sur l’acceptabilité de la thèse pour soutenance et se voit alors investi non seulement d’un pouvoir d’autorisation, mais aussi de pouvoirs de refuser la thèse ou d’imposer des modifications majeures ou mineures avant que ne soit autorisée la soutenance. Dans un tel système où un filtrage pré-soutenance assez strict est mis en œuvre, le fait que cette soutenance ait été autorisée ou que les

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modifications apportées à la thèse aient été jugées satisfaisantes par le jury laisse présager que celui-ci risque moins de se braquer lors de la soutenance. Le couronnement n’est pas garanti, mais l’épreuve est moins risquée. Évoquer l’idée d’un couronnement non garanti oblige à préciser, en fait à relativiser l’idée de « couronnement », et, partant, à rappeler qu’il existe des sous-ensembles flous entre la soutenance-couronnement et la soutenanceépreuve. Il est en effet impossible d’anticiper entièrement comment se déroulera une soutenance. Une soutenance qui devait se dérouler sous des augures favorables sera parfois beaucoup plus corsée qu’on aurait pu l’imaginer. La présence d’évaluateurs externes peut à cet égard contribuer à rendre plus difficile l’exercice de prédiction et de préparation, surtout si les rapports qu’ils ont rédigés à propos de la thèse ne sont pas distribués au candidat. L’obtention des informations mentionnées ci-dessus s’inscrit dans un objectif de préparation intellectuelle de la soutenance. Mais la préparation d’une soutenance devrait aussi inclure un volet psychologique. La soutenance clôt en quelque sorte le processus ayant mené à la production de ce qui ressemble au « dernier gros devoir ». En revanche, ce « devoir », contrairement à bien d’autres, ne se réduit pas à une épreuve écrite ; l’épreuve orale a aussi son importance. À cet égard, même très bien préparé, même ayant obtenu un maximum d’informations sur ses interlocuteurs, le doctorant plonge dans un certain inconnu. D’où le stress, bien légitime, pouvant en découler. Il n’existe bien sûr pas de recette pour empêcher ce stress. Un certain nombre d’exercices peuvent tout de même aider à le réduire. Le premier est d’assister à des soutenances tenues là où le doctorant va soutenir sa thèse, préférablement dans sa discipline d’attache. Si aucune soutenance n’est semblable, rien ne permet mieux de comprendre le rituel qui caractérise cette épreuve que d’assister à l’une d’elles. Ce rituel peut du reste varier considérablement d’une institution ou d’une culture à l’autre. Dans certaines d’entre elles, un véritable cérémonial entoure la soutenance, qui se traduit par exemple par le port de la toge universitaire par les membres du jury. Dans d’autres, au contraire, le déroulement de la soutenance peut être beaucoup moins formel. Le deuxième exercice est de se rendre, avant la soutenance, dans la salle où celle-ci aura lieu afin d’imaginer comment l’épreuve pourra se dérouler. Autrement dit, le doctorant a intérêt à faire un exercice de visualisation.

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Le troisième exercice a une double dimension intellectuelle et psychologique. Il a trait à la préparation de l’exposé que fera le doctorant au début de sa soutenance. Ce sera l’objet de la prochaine section. Concevoir l’exposé de la soutenance

Sous l’angle intellectuel, le doctorant doit profiter de son exposé pour véritablement y défendre sa thèse, c’est-à-dire la présenter sous son meilleur jour en en rappelant la problématique, les hypothèses, le cadre théorique, la méthodologie et en mettant en lumière sa contribution à l’avancement des connaissances. Cette contribution peut certes être modeste dans l’histoire de la discipline – n’est pas Einstein ou Wittgenstein qui veut –, mais le fait qu’elle soit modeste ne la rend pas nulle pour autant. Le candidat doit en effet, dans son exposé, démontrer la pertinence et l’actualité du sujet de thèse4. La thèse procède d’un questionnement, dont il faut minimalement expliquer la genèse. Cela renvoie inévitablement à la présence de zones d’ombre dans les travaux antérieurs, sur lesquels la thèse est construite ou contre lesquels elle s’élève. L’attention du jury est ainsi aiguillée vers la plus-value que la thèse apporte à la discipline. Il ne faut surtout pas hésiter à rendre cette contribution tangible et intelligible lors de la soutenance, quitte à admettre les limites du projet doctoral évalué. Il est d’ailleurs fortement recommandé d’expliciter de telles limites : il arrive que des évaluateurs souhaitent que le candidat ait fait une autre thèse que celle qu’il a faite ; il n’est dès lors pas inutile de rappeler ce que vise la thèse et ce qu’elle ne vise pas. En sciences humaines, notamment, il n’est pas toujours possible de « valider » une hypothèse par la démonstration d’un lien causal ; il est en revanche parfaitement acceptable de « documenter » cette hypothèse comme personne ne l’avait jamais fait auparavant. La thèse défendue peut dans cette optique servir de tremplin à un programme de recherche futur. Elle peut ainsi, à sa manière, contribuer à l’avancement des connaissances. En outre, il est d’usage que le doctorant évoque comment les résultats exposés dans sa thèse sont susceptibles de nourrir ses projets futurs et comment il envisage la poursuite de sa carrière scientifique, le cas échéant. 4. Voir généralement le chapitre de Pierre Noreau ; dans le cas particulier de la thèse par articles, voir le chapitre de Jacques Papy.

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Enfin, et cela est important, l’exposé du doctorant doit également servir à « humaniser », si l’on peut dire, le projet doctoral faisant l’objet de la soutenance. Le doctorant aura en effet avantage à le situer dans son contexte personnel de réalisation. Qu’est-ce qui l’a incité à choisir ce sujet plutôt qu’un autre ? La simple curiosité scientifique ou plutôt une interrogation identitaire ou sociale irréductible à toute traduction scientifique ? Comment le parcours doctoral dont la soutenance constitue le point culminant s’inscrit-il dans son parcours professionnel plus large ? C’est que toute thèse repose sur une série de choix macroscopiques et microscopiques, lesquels, dans un monde idéal, apparaissent justifiables à la seule lecture de la thèse. Mais il se peut également que les raisons sous-jacentes à certains de ces choix soient moins transparentes qu’on le souhaiterait pour des lecteurs qui n’ont pas de lien de proximité avec le candidat. Or, hormis le directeur de recherche, les évaluateurs de la thèse sont généralement dans cette situation vis-à-vis du candidat. L’humanisation du projet scientifique de celui-ci, dans le cadre de son exposé lors de la soutenance, peut, le cas échéant, servir à rendre plus intelligibles des choix qui, autrement, pourraient paraître opaques à des tiers. Cette démarche d’humanisation du projet scientifique permettra enfin au candidat de souligner le soutien intellectuel, moral ou financier que quelques personnes significatives ont pu lui fournir et de faire les remerciements qui s’imposent. Si les rapports des évaluateurs ont été communiqués au doctorant, son exposé devrait également lui permettre d’éclaircir certains aspects qui ont pu paraître obscurs au jury ou de préciser sa pensée si, d’aventure, il estime qu’elle a été mal comprise par certains évaluateurs. Cet exposé, faut-il le souligner, le doctorant a tout intérêt à le répéter devant son directeur de thèse, afin d’y faire les ajustements qui s’imposent avant la soutenance. Le déroulement de la soutenance

Arrive donc le moment de la soutenance, qui, après le mot de bienvenue usuel du président du jury, se déroule généralement en deux étapes : l’exposé du candidat et la période de questions. Dans le contexte québécois, l’exposé du candidat dure généralement de vingt à trente minutes, rarement plus. D’emblée, il est important de créer un lien avec le jury, ce qui signifie qu’il faut éviter de lire platement son exposé,

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la tête dans ses notes. Au contraire, un contact visuel avec chaque membre du jury, peut-être en fonction de ce que l’on estime être leurs objections ou leurs points d’accord possibles, est souhaitable. L’objectif est de mettre en place les conditions pour qu’éclose un véritable dialogue avec le jury. Le langage doit dans cette optique être le plus clair possible et ne pas trop s’embarrasser des sociolectes disciplinaires, même si on les retrouve dans le texte de la thèse. Cette obligation de clarté et d’intelligibilité prend une importance plus grande encore si la thèse a une dimension interdisciplinaire et si le jury est constitué à l’avenant5. La période de questions suit l’exposé du doctorant. Dans la plupart des cultures universitaires, le protocole veut que ce soient les examinateurs externes qui prennent les premiers la parole, suivis des autres examinateurs, du président du jury et, enfin, du directeur de thèse. Plusieurs rondes de questions peuvent ainsi avoir lieu, jusqu’à épuisement du sujet… et peut-être du candidat lui-même. Dans la mesure où la soutenance est en principe publique, des membres de l’auditoire peuvent aussi être appelés, en clôture, à poser des questions au candidat. Une fois la période de questions terminée, le jury se retire pour délibérer et décider si la soutenance est réussie et la thèse, acceptée. Le jury est aussi souvent appelé à décerner une mention quelconque. Le répertoire de ces mentions peut, selon les institutions, varier autant que les critères sur la base desquels on se fonde pour les octroyer. La qualité générale de la soutenance aura le plus souvent un impact non négligeable sur la mention octroyée. Ainsi, une thèse a priori jugée très bonne peut devenir excellente si la soutenance a vraiment permis au candidat de s’illustrer. Dans certaines cultures universitaires, l’importance de se voir octroyer des mentions élevées, comme « très haute distinction », « exceptionnel » ou « excellent », n’est plus à démontrer, du moins pour les titulaires d’un doctorat cherchant à faire une carrière universitaire, pour qui une mention simplement moyenne équivaut au baiser de la mort. La délibération terminée, le jury annonce les résultats et, idéalement, la fête peut commencer…

5. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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*** Dernière étape d’un long parcours, la soutenance peut certes être angoissante, mais elle doit avant tout être source de plaisir. Ce n’est pas faire dans l’angélisme que de l’affirmer. Pour éviter qu’elle soit trop éprouvante, il faut bien sûr que le candidat maîtrise son sujet et ait réfléchi à la figure imposée qu’elle constitue : l’improvisation n’a pas sa place en semblable matière. Mais hormis les cas, rares, où le candidat n’a pas fait ses devoirs, il faut idéalement viser à ce que la soutenance prenne la forme d’une conversation, peut-être parfois un tantinet vigoureuse, entre gens intelligents, et ce, qu’elle soit culturellement conçue comme une épreuve ou comme un couronnement ou que, dans la pratique, elle se situe quelque part entre ces deux pôles. Si cet objectif est atteint, alors le souvenir que conservera d’elle le nouveau docteur a de bonnes chances d’être impérissable. Mais si la soutenance réussie demeure un moment marquant, elle ne constitue en fait que le début d’une nouvelle étape de la carrière de l’auteur de la thèse ainsi soutenue. Pour celle ou celui à qui l’obtention du doctorat est censée servir de tremplin à une carrière universitaire, il conviendra alors de faire fructifier la thèse et d’en tirer des publications qui attireront l’attention de la communauté scientifique. Le travail après la soutenance est rarement plus léger que celui la précédant6…

6. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Catherine Rossi.

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chapitre 20 La dépression d’après-thèse Catherine Rossi

Perte d’appétit, de sommeil, augmentation significative des épisodes d’angoisse diurnes et nocturnes (sans objet apparent), sentiment d’« incommunicabilité », crises de larmes soudaines ou irritabilité, grande labilité : ce sont bien les dernières choses qu’on s’attend à éprouver lorsqu’on dépose sa thèse. Pourtant, de tels symptômes se constatent fréquemment chez les jeunes docteurs, dans les quelques semaines ou mois suivant la soutenance de leur thèse1. En langage familier ou en jargon estudiantin, on parle bien souvent du syndrome de « post-partum » de l’après-thèse, en référence aux dépressions et « dépressivités2 » qui suivent généralement l’accouchement. Le doctorant ne dit-il pas lui-même, durant ses années d’études, qu’il a hâte d’« accoucher de sa thèse » ? L’image n’est pas nécessairement exagérée. Le post-partum des nouvelles mères, forme de dépression bien connue, est dû à de nombreux facteurs biologiques et sociaux. La délivrance s’accompagne souvent d’une chute hormonale brutale, mais se caractérise surtout par les nombreux changements (personnels et sociaux, environnementaux) qui accompagnent la naissance. Chez le doctorant, il n’est pas souvent question de véritables symptômes dépressifs, tout au plus de déprime plus ou moins prononcée. Pourtant, lors 1. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean-François Gaudreault-Desbiens. 2. La « dépressivité » est un néologisme accepté pour faire référence à la sensation d’être déprimé, sans pour autant que cela relève de la pathologie.

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de la période terminale de la rédaction de sa thèse, il libère lui aussi généralement de grandes quantités d’adrénaline et d’endorphines (entre autres), du fait qu’il réalise un effort (mental, mais également physique : concentration, autodiscipline, endurance, gestion des émotions, efforts de mémoire) d’une intensité très inhabituelle. Au lendemain de la soutenance, les hormones libérées par l’effort chutent soudainement. Le dépôt final du travail et, partant, la cessation brutale de cet effort, suffiraient donc en théorie à justifier la sensation de dépressivité (ou la véritable dépression) qui touche certains doctorants récemment diplômés, au cœur du théâtre d’émotions qui s’ensuit : fatigue, fierté, sentiment d’accomplissement, etc. Mais comme pour les jeunes mères, les déprimes et dépressions consécutives à l’« accouchement » de la thèse s’expliquent surtout par des facteurs personnels et sociaux. C’est ce dont il sera question ici. La « dépressivité » postdoctorale

Ce concept de dépressivité de l’après-thèse, pour le grand public, est assez difficile à comprendre et se justifie assez mal. Il est également bien difficile à comprendre des futurs docteurs eux-mêmes. Lorsqu’on évoque l’après-thèse lors d’une discussion banale, combien de doctorants esquissent un sourire incrédule ? Quel « docteur » n’a jamais dit, durant ses années de thèse, « moi, faire une dépression quand j’aurai enfin déposé ma thèse ? Cela ne m’arrivera jamais ! Je serai bien trop heureux de m’être enfin libéré de ce fardeau. Après la thèse, ma vie ne sera qu’une grande fête. » Et pourtant… Nous tenterons d’expliquer au jeune doctorant pourquoi il est susceptible, une fois le dépôt final de sa thèse effectué, de ressentir certains symptômes assimilables à la dépression post-partum d’une primo parturiente. Ce chapitre n’entend cependant pas traiter au premier degré d’un tel syndrome dépressif, encore moins décourager le futur doctorant (qui sera bientôt, est-ce nécessaire de le rappeler, fraîchement flanqué de l’un des diplômes les plus prestigieux qui soient). Il a pour objet de mettre en garde le futur docteur de quelques risques qui surviennent lors du dépôt de la thèse, et qui pourraient être autant de causes de ce « post-partum » post-thèse. Dans une première partie, nous décrivons quelques-unes des causes les plus communes de ces symptômes chez le doctorant. La seconde a pour objet de lui prodiguer quelques conseils

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afin de lui permettre de prévenir un tel état, ou à tout le moins d’en alléger les effets et conséquences. Bien des candidats au doctorat se croiront à l’abri de tout risque de déprime ou de fatigue au lendemain de la fin de leurs études. La chute de l’« après-thèse » n’a rien de honteux pourtant, et n’est pas due à une quelconque fragilité. Elle n’a rien à voir avec le niveau académique du jeune docteur, ou avec le format de sa thèse ou la discipline à laquelle elle est liée. Bien qu’il soit évident que la force et la gravité des symptômes seront en lien direct avec la santé physique et mentale du sujet, le plus solide des jeunes docteurs n’en sera pas nécessairement épargné. Pour cause : c’est au contexte de fin de thèse, et au début de la vie après la thèse, que doit revenir l’essentiel du blâme. En voici les quatre illustrations principales. Un sentiment de décélération brutale

S’il est une cause principale au « post-partum » de l’après-thèse, commune à tous les nouveaux diplômés, c’est bien la brutale décélération dans l’effort. Et cet effort n’est pas simplement celui des derniers mois avant la soutenance. Réaliser un doctorat est souvent l’entreprise la plus longue et la plus difficile que l’étudiant aura vécue durant sa vie universitaire et professionnelle. Et pour se rendre à ce niveau, l’effort a commencé au tout début des études. L’étudiant a passé plusieurs diplômes, maintenu sans relâche un dossier aux notes adéquates, étudié durant de nombreuses années. Il a également passé des mois, voire des années, soit sur le terrain, soit enfermé dans des bibliothèques ou des laboratoires. Il a côtoyé tous les services administratifs possibles (administrations, comités d’études, jurys d’étapes intermédiaires), travaillé sur un nombre important de projets connexes, participé à des séminaires ou des cours, noirci des milliers de pages. À la fin, au moment de la rédaction finale de sa thèse, il a (en principe) passé des mois enfermé, à son domicile ou à son bureau, à écrire et corriger son travail. Enfin, un jour, il dépose son manuscrit, après avoir consacré à la vie universitaire près d’un tiers de sa vie (dans le cas d’un parcours traditionnel). Et ensuite ? Plus rien. Le dépôt d’une thèse prend, d’un point de vue matériel ou administratif, quelques journées à peine. Il en va de même pour la soutenance, qui n’est l’affaire que de quelques heures. Et voilà notre doctorant (désormais

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docteur) débarrassé d’un défi qui l’a accompagné durant une très grande partie de sa vie. Il arrive que l’on ait, à ce stade, l’impression de vivre une « chute ». Un sentiment d’exclusion

La fin de la thèse, pour le jeune docteur, est également assimilable à la fin du statut d’étudiant… et de ses privilèges. Le doctorant doit s’attendre à perdre définitivement, du jour au lendemain, sa carte étudiante, ses privilèges administratifs (les réductions ou les dispenses auxquelles il avait droit en matière fiscale, l’accès aux services de santé, à ses assurances, à ses cartes de transport en commun à tarif réduit, au centre sportif universitaire, voire à son pub préféré), mais également son bureau d’assistant, son adresse courriel institutionnelle, ses bourses. N’ayant plus de prétexte pour déambuler au quotidien dans le couloir de son département ou de son école, il perdra également contact avec la routine universitaire, et risque de se sentir, soudainement, parfaitement isolé de la communauté scientifique, ne se trouvant plus au courant des dernières nouvelles, n’étant plus tenu informé des événements importants ou des annonces de congrès. Bien sûr, perdre ses privilèges estudiantins n’est pas le propre du jeune docteur : tous les étudiants passent par là. Mais la plupart d’entre eux en profitent deux ou trois ans, au plus quatre ou cinq, comme de privilèges provisoires, attendant plutôt le moment d’« entrer sur le marché du travail ». Le doctorant, lui, a eu le temps d’en faire une routine sécurisante et stable, de se fondre totalement dans le sein de son alma mater. Il est devenu adulte sans jamais avoir perdu ce statut estudiantin, avec lequel il a pour ainsi dire grandi : il le perdra en l’espace de quelques jours ou quelques heures. La dispersion inévitable du groupe d’appartenance

À ces aspects pratiques de la perte du statut d’étudiant, il faut ajouter que c’est à la fin de son doctorat que l’étudiant expérimentera, souvent pour la première fois, l’effritement de son réseau social estudiantin. Il serait en effet bien hypocrite de décrire les années universitaires comme des années exclusivement consacrées au travail intellectuel : elles servent très souvent, également, de voyage initiatique lors duquel un étudiant découvre les bons côtés de la jeu-

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nesse, les sorties et le plaisir de vivre en groupe. Pourtant, plus la fin de sa thèse approchera, plus le doctorant sentira son entourage amical se restreindre, puis disparaître, pour être remplacé progressivement par un entourage professionnel. Ses amis ayant terminé leurs études les uns après les autres, le temps des plaisirs partagés concordera de moins en moins avec celui du travail. C’est ainsi qu’entreront périodiquement dans le quotidien du doctorant des petits refrains irritants (les siens ou ceux de ses collègues) : « Non, merci pour l’invitation, mais je ne pourrai pas sortir et partager un verre ce soir »… ou « Pardonnemoi, je ne peux pas me permettre de te recevoir en semaine : toi, tu es au doctorat, tu n’as pas vraiment d’horaires. Mais moi j’ai une famille à nourrir et je travaille tôt demain. » La perte des amis est malheureusement vecteur de solitude et d’isolement3. Or la rédaction ou la fin de la thèse est un exercice déjà bien solitaire en soi. Le risque de dépressivité pourrait être accru. Une sensation de vide : la fin d’une histoire

Au sentiment de chute et à l’isolement s’ajoute encore une étrange sensation de vide intérieur. Seuls les doctorants – et « doctorés » – comprendront ce point particulier (et c’est peut-être même cela qui les unit tous, quelle que soit leur discipline) : à la fin d’une thèse, l’étudiant a souvent conféré à son travail un caractère totalement anthropomorphique. Lors de la dernière année de la thèse, le doctorat (qui n’est qu’un simple diplôme universitaire pourtant) se résume à « la thèse ». Rien que la thèse, devenue un être à part entière avec qui le doctorant a développé une relation quasi conjugale (d’amour ou de haine, c’est selon). Dans la grande majorité des cas, à la fin de son parcours, le candidat au doctorat vit avec sa thèse, dort et se réveille avec elle, y pense à chaque instant. La thèse est devenue sa meilleure source de satisfaction : la moindre bonne nouvelle, le moindre fait positif la concernant (finir un chapitre, obtenir une bourse ou simplement extirper un sourire satisfait du visage de son directeur) est susceptible de le rendre heureux de manière quasi hystérique. Chaque échec, chaque écueil prend, à l’inverse, des tournures de fin du monde. Ces émotions sont bien normales, quand on pense au nombre d’années qui y sont consacrées et aux sacrifices consentis. 3. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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Or au lendemain du dépôt ou de la soutenance, la thèse, devenue notre autre moi, a soudainement disparu, et tout notre quotidien, qui tournait autour d’elle, est chamboulé. Alors qu’on attendait une sensation de soulagement, on se retrouve au contraire avec un sentiment de vide qui, pour certains, s’apparente à celui de deuil. Par exemple, s’offrir quelques heures de farniente devant la télévision est, durant le temps de la thèse, une occasion de repos et un délicieux temps volé que l’on s’offre volontiers, plaisir coupable à l’appui (« Je ferais mieux de travailler sur ma thèse, mais avant, j’ai besoin de cette pause, et je la mérite. Je dois me changer les idées »). Mais une fois la thèse déposée, ces mêmes moments deviennent des moments perdus. N’ayant plus aucune « bonne raison » de regarder la télévision, ou de prendre une pause, on se sent volontiers inutile et désœuvré, à la recherche d’un sens, dans une vie redevenue terriblement « normale », voire fade. Autre exemple : se coucher tard ou travailler toute la nuit est souvent perçu comme héroïque avant le dépôt final (« Tu te rends compte, j’ai dû travailler toute la nuit pour finir un chapitre ! »), mais se coucher à pas d’heure redevient, au lendemain de la soutenance, le signe manifeste d’un manque de maturité (puisqu’on ne manquera pas de se faire rappeler par nos proches que l’on doit désormais retrouver une vie saine, et que celle-ci exige des horaires de sommeil réguliers). Le changement de valeurs est brutal, et bien inconfortable. Des facteurs aggravants à prendre au sérieux

Les paragraphes précédents évoquaient quelques causes classiques et presque sympathiques du sentiment de dépressivité qui suit bien souvent le dépôt de la thèse. Il est cependant d’autres causes plus surprenantes au « post-partum », qu’il ne faudra pas négliger, liées à la nouvelle image que le miroir de l’exdoctorant risque de lui renvoyer au lendemain du dépôt de son travail. Cette image, la plupart du temps, sera loin d’être flatteuse. Durant toutes les années de la construction et de la rédaction de son travail, il arrive bien souvent que l’étudiant au doctorat ait profité du statut de jeune prodige. La plupart des docteurs ont pris l’habitude d’être perçus comme une élite : tous sont d’excellents étudiants, et certains ont même pu ajouter à ce statut une originalité avantageuse (parce que boursier, parce que récipiendaire de prix prestigieux, parce qu’inventeur farfelu, parce qu’étranger

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ayant particulièrement réussi son intégration, parce que physiquement ou socialement avantagé, parce que provenant d’une situation sociale ou familiale qui n’aurait jamais dû permettre d’en arriver là, etc.) Meilleurs de la classe ou futurs « savants fous », ils ont fait l’admiration de leurs parents (fiers de leur réussite), de leur conjoint ou de leur famille (qui a souvent tout sacrifié à leur projet), de leurs collègues et pairs étudiants (qui les ont enviés). Même le simple citoyen croisé dans le transport en commun n’a pas manqué de féliciter et d’admirer notre doctorant quand à la question « Que faites-vous dans la vie ? » ce dernier a répondu « Je termine ma thèse ». Lorsque nous sommes en voie de devenir « docteur », tout est pardonnable, tout est pardonné : notre appartement est-il petit ou mal rangé ? C’est normal, nous travaillons trop et nous avons d’autres préoccupations. Sommes-nous livide ou trop fatigué ? Même justification. N’avons-nous pas encore de famille ou d’enfants ? N’avons-nous pas encore la moindre économie de côté, malgré nos 30 ou 40 ans (ou plus) ? C’est normal, nous avons consacré notre vie au travail dit « intellectuel ». Mais un jour, ce statut de prodige disparaît ; une fois redevenu un simple – mais bien plus âgé – quidam en quête d’un travail et sans statut particulier, le jeune docteur sent changer les regards de ses pairs, de ses amis ou de sa famille. Ses proches s’inquiètent (« Ne me dis pas que tu as fait tout ça pour rien ? »). C’est ainsi que le portefeuille presque vide, les tempes grisonnantes ou en voie de le devenir, le statut de prodige totalement disparu, le nouveau docteur devra subir le regard critique de son entourage et prendra alors bien vite conscience que le statut de « docteur » n’est pas toujours enviable. Décélération, exclusion, vide, parfois humiliation : pour éviter de ressentir ces effets, il n’est pas d’autre secret, pour le jeune diplômé, que de savoir remplir sa vie de défis aussi intenses que la thèse les toutes premières semaines ou tout premiers mois après l’avoir déposée. En lieu et place d’un comportement qui consisterait, au lendemain du dépôt, à passer brutalement à autre chose, le jeune docteur a tout intérêt à décélérer tranquillement pour ralentir la chute. Apprendre à gérer les inévitables mauvaises surprises en fin de thèse

Le risque d’un « post-partum » ne doit pas décourager le doctorant de déposer au plus vite, bien au contraire. Cela n’a rien d’une fatalité, à condition de prévoir l’après-thèse et de bien s’y préparer. L’idéal est de s’y préparer six à dix

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mois avant la date prévue du dépôt ou de la soutenance. Inutile d’en faire davantage : avant cela, le doctorant serait bien présomptueux concernant ses capacités réelles à terminer son doctorat. Voici ici quelques points auxquels tout doctorant aurait intérêt à consacrer un peu de temps, en sus du temps dévolu à la rédaction de la thèse. Les petits bobos de fin de thèse sont monnaie courante, et pourtant ils surprendront chaque fois. Il faudra donc envisager leur éventualité, et en conséquence prévoir du temps, de la patience et de l’énergie supplémentaires. Notre directeur de thèse prend un congé de maladie ou de maternité, ou une année sabbatique4 ; ou encore sa retraite juste quelques mois avant notre dépôt, nous abandonnant dans la dernière ligne droite ? L’un des membres de notre jury décide, pour des raisons obscures, qu’il ne se présentera pas à notre soutenance ? Nous sommes en conflit avec notre directeur et celui-ci nous invite, à bout de patience, à terminer notre travail sous la direction de l’un de ses collègues ? L’un des membres de notre jury nous demande un nombre incalculable de corrections majeures ? Nos résultats finaux sont faux et nous devons recommencer, alors qu’il était prévu que nous déposions à la fin du mois ? Notre faculté nous menace de ne plus accepter notre « énième » inscription ? Nous apprenons, à la toute fin de la période de rédaction, que nous n’aurons pas le droit de déposer notre thèse tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas suivi le cours X (bien entendu obligatoire, mais nous l’avions oublié), ou rempli le formulaire Y (qui demande des mois de démarches à lui seul), ou réglé nos documents d’immigration, ou d’échange entre facultés… ? Qu’il lève le doigt, le doctorant à qui aucune de ces situations n’est jamais arrivée ! Malheureusement, il est impossible de prévoir de telles éventualités, qui sont tout aussi anxiogènes qu’inconfortables et qui risquent d’allonger considérablement la liste des causes d’un éventuel « post-partum après thèse ». Elles peuvent obliger le doctorant à payer des frais d’inscription universitaires imprévus, lui faire perdre un travail ou une occasion de stage postdoctoral, compromettre le voyage d’une vie, reporter de plusieurs mois la fin de ses études. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à dire de ces tristes possibilités, si ce n’est que tout doctorant doit en tout temps s’attendre à ce que 4. Sur l’importance de la direction de recherche, voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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survienne l’une d’entre elles. Elles font partie du parcours, elles font partie de la thèse, et sont parfois, comme l’avenir nous l’apprendra, presque aussi riches d’enseignements que notre travail lui-même, puisqu’elles constituent souvent la meilleure initiation qui soit à la vie universitaire qui suivra peut-être. Que le lecteur se rassure cependant : aussi stressantes qu’elles soient, il est rare que de telles situations ne finissent par se régler. Tout au plus, dans quelques mois ou quelques années, serviront-elles d’anecdotes amusantes à partager avec des collègues. En attendant, il est important, à la fin d’une thèse (et même après son dépôt immédiat), de ne jamais rien tenir pour acquis, de rester concentré et vigilant, et de prévoir mentalement la possibilité de déborder de façon importante des délais que nous nous sommes fixés. Se tenir prêt à leur surgissement reste la meilleure manière de gérer de tels problèmes et d’atténuer les risques de déception. Publier sa thèse pour ne pas qu’elle disparaisse

Sa thèse, le doctorant ne peut plus la supporter, elle lui donne des maux de cœur ? Au contraire, il en est tellement fier qu’il est impatient de passer à autre chose pour démontrer ses réelles capacités ? On ne devrait pas penser à se débarrasser si facilement de son travail, surtout pas au lendemain de son dépôt. La thèse, mais aussi l’ensemble d’un parcours doctoral (les réussites, les échecs, les sacrifices, le temps qui y a été consacré) ne pourront avoir de sens que si le manuscrit se trouve au final publié, le plus officiellement possible et le plus rapidement possible. Ceux des doctorants qui ont la prétention d’embrasser la carrière universitaire se sont déjà fait conseiller de « publier » durant leur doctorat (et même avant). Le conseil est à retenir, et pas seulement parce que l’on doit se faire un devoir d’afficher un nombre substantiel de publications dans son CV. Premièrement, il faut publier sa thèse parce qu’elle est nécessairement (si elle est déposée et soutenue) un travail de qualité. Une thèse ne peut terminer sa vie sur les rayons poussiéreux d’une bibliothèque (en format « thèse reliée » s’entend), ou dans la banque de données de la bibliothèque des thèses et manuscrits d’une université. Les résultats scientifiques qui y apparaissent, même les plus modestes, ont leur place dans la littérature scientifique. Quel que soit le format original du manuscrit qui sera déposé (traditionnel ou par

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articles), quel que soit le format de publication qui sera choisi (articles, bulletin, chapitres ou monographie, en version papier ou informatique), il est indispensable que le nouveau docteur se force à en tirer un produit fini qui soit immédiatement utilisable par le reste de la communauté scientifique. Deuxièmement, publier sa thèse, c’est poursuivre le travail malgré le dépôt final. Les quelques mois (ou années) que le jeune docteur y consacrera encore aux fins de publication, bien après la soutenance finale, dilueront le sentiment de finalité et de deuil et feront disparaître la sensation de « post-partum ». Troisièmement, quoi qu’on pense de la qualité de son propre travail, les résultats de recherche issus d’une thèse de doctorat seront sans doute les plus personnels et les plus aboutis qu’on produira dans une carrière, même si on devient professeur. La recherche doctorale collera à la peau du jeune docteur tout au long de ses démarches futures et sera la clé de ses premières demandes de subvention ; ses pairs l’associeront à elle : elle ne peut, à ce titre, se contenter d’être un document modeste ou inachevé, encore moins une faille dans un parcours. Quatrièmement et finalement, le sentiment du devoir accompli que l’on tire d’une telle publication laisse loin derrière soi les quelques casseroles que tout doctorant traîne nécessairement dans son sillage, à la fin de ses études. Publier sa thèse, c’est aussi une manière de rendre grâce à son directeur (à qui elle sera dédicacée, ou à qui seront envoyés, après qu’il aura été remercié comme il se doit, les tirés à part des articles publiés), à ses proches (qui pourront eux aussi la lire et la montrer), aux personnes qui auront aidé à la réalisation de la recherche (laboratoire, assistants, sujets d’étude, autorités…). La fatigue, la honte de ne pas être assez performant, la volonté de tourner la page ne seront toujours que de faux et mauvais prétextes. Une thèse doit être publiée, dans un format ou un autre, il n’y a pas la moindre exception à cela : il faut commencer à y penser avant même de la déposer. Trouver un « après » confortable

Paradoxalement, les doctorants les plus privilégiés (ceux qui enchaînent les contrats de recherche, qui sont affiliés à un laboratoire, qui obtiennent des bourses ou des subventions) sont souvent les moins préparés à l’une des causes les plus importantes des angoisses qui suivent le dépôt de la thèse : la situation

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de précarité. À l’abri derrière son statut, son bureau, son labo, ses bourses ou contrats d’enseignement comme de recherche, le doctorant privilégié n’a jamais eu à se préoccuper de gagner son pain quotidien. C’est bien le seul avantage qu’ont pour eux les doctorants au statut plus précaire : ces derniers ont souvent été dans l’obligation de trouver un emploi, ou de construire leur vie, en amont de leur soutenance, et sont moins surpris des changements qui surviennent au lendemain du dépôt final. Il est important de se rappeler en tout temps qu’une thèse (un doctorat) n’est absolument pas une fin en soi5. C’est un diplôme comme un autre : il ne doit en aucun cas dispenser l’étudiant de se demander, comme tout un chacun, ce qu’il entend faire de sa vie et à quel poste il désire être nommé. Or, les premières années consacrées à la thèse font dévier totalement l’étudiant de la route du bon sens ordinaire. Durant les derniers mois avant le dépôt, certains candidats au doctorat auront même facilement tendance à se dire : « Je termine ma rédaction, ensuite je dépose ma thèse, puis enfin, une fois tout cela derrière moi, je prendrai du temps pour réfléchir à mon avenir et construire mon dossier personnel. » C’est une erreur. Une fois la thèse déposée, si le doctorant n’a rien prévu, il risque de devoir affronter un vide et un désœuvrement particulièrement angoissants, et souvent bien plus longs que prévu. Le fait de ne pas prévoir de lendemain peut même amener notre doctorant à perdre de belles occasions, ce que l’on nomme communément « manquer le train ». Ainsi, les délais et les « dates limites » associés à des dépôts de CV, à des demandes de stages postdoctoraux, à des occasions de publication ou même à des projets plus personnels, de type voyage ou paternité/maternité, concordent bien rarement avec les dates d’un dépôt ou d’une soutenance. En omettant de préparer un plan de sortie quelques mois à l’avance, le jeune docteur risque de devoir ensuite reporter ses projets de quelques mois ou quelques années. Et comme il le découvrira sûrement de lui-même, la plus grande difficulté alors ne sera pas de s’organiser… mais bien de faire des choix. Nous recommandons donc à chaque doctorant de commencer à prévoir un plan de sortie dès les premiers mois de la dernière année prévue de la thèse6. Il y a, à ce stade, à peu près cinq sorties possibles seulement ; chacune 5. Voir le chapitre de Christelle Lison et Annick Bourget dans cet ouvrage. 6. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse.

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apportera son lot de défis. Nous les rappellerons brièvement  ici : quelques chapitres de cet ouvrage sont spécifiquement consacrés à certaines d’entre elles. Le poste  de professeur : Pour certains doctorants, obtenir un poste de professeur ou de chercheur après sa thèse est l’accomplissement ultime7. Cependant, mettre en place les conditions liminaires à l’obtention d’un tel poste prend du temps. Bien plus de six mois avant le dépôt de la thèse, il s’agira donc de bien se préparer, d’observer, de consulter les listes des facultés qui nous intéressent dans notre pays puis à l’étranger, de rechercher la liste des postes ouverts. Il faut prévoir, dans le temps de la rédaction finale de la thèse, la publication de quelques papiers scientifiques pertinents et bien placés, sortir en congrès, diffuser nos résultats, commencer à monter notre CV (le CV du chercheur, rappelons-le, n’ayant pas grand-chose de commun avec le CV traditionnel). Il faudra enfin – et c’est le plus important pour qui désire devenir professeur – construire un nouveau programme de recherche pour, cette fois, se lancer dans une véritable carrière scientifique. Cela nécessite de trouver une suite à sa recherche doctorale. Quelles sont les suites possibles à donner aux résultats de la thèse ? La thèse peut-elle être adaptée, ou élargie, à d’autres objets ou d’autres populations ? A-t-elle des répercussions possibles dans d’autres domaines, d’autres pays ? La recherche d’un poste de professeur est l’un des exercices les plus exigeants qui soient et a, malheureusement, de bien faibles chances de succès. Mais commencer à s’y préparer dès la rédaction finale de son manuscrit rend bien souvent la rédaction plus rapide, plus productive, plus efficace. Le fait que la thèse ait un avenir projette le doctorant vers celui-ci : certains de vos professeurs, qui avaient su se préparer, vous apprendront peut-être qu’ils ont eu la chance de trouver un poste avant même d’avoir déposé leur thèse. Le stage postdoctoral : Contrairement aux idées reçues, le « postdoc », comme on l’appelle communément, n’est pas toujours exigé pour obtenir un poste de chercheur ou de professeur, bien qu’il soit souvent un sérieux atout. Comme le poste de professeur, il se prépare longtemps avant la soutenance de la thèse. Le dossier en est sûrement un peu moins exigeant et moins difficile 7. Sur la recherche en milieu de pratique, voir dans cet ouvrage le chapitre de Sophie Couture.

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à monter ; il comporte, par contre, d’autres défis : un nouveau pays ou une nouvelle ville, un hébergement, éventuellement un visa, le défi de la langue, les questions d’assurances et de santé qui ne doivent pas être négligées8… Sans compter que ce stage n’est pas toujours une panacée. Il ne donne aucun accès direct au poste rêvé, et prolonge, à sa manière, le temps des études… repoussant d’un an l’inévitable échéance de « l’après ». Trouver un « vrai » travail : Une telle avenue exige malheureusement aussi de s’y prendre à l’avance : si les défis sont bien différents de ceux créés par une future carrière universitaire, le doctorant qui désire, après ses études de troisième cycle, entrer sur le marché du travail, devra commencer à créer un CV qui concorde avec les attentes de son futur milieu professionnel. Il devra également démontrer que, malgré des études longues, il a gardé les pieds sur terre et ne vit pas dans une « tour d’ivoire ». Ainsi, durant le temps de la rédaction finale, il est conseillé de se remettre au plus vite dans le quotidien professionnel ; bénévolat, stages, conseils d’administration, pratique en laboratoire, en milieu ou en cabinet, visites à des futurs employeurs potentiels, entrevues d’embauche devront donc se trouver au menu des derniers mois du doctorat, en plus du strict travail de rédaction lié à la thèse. Le job « en attendant mieux » : Trouver un petit job au lendemain du dépôt de sa thèse (le mieux étant encore de le trouver quelques mois avant) est, parfois, une solution paradoxalement très censée. Nombre d’illustres professeurs qui croiseront la route du jeune docteur lui apprendront sans doute qu’ils ont travaillé eux aussi, au lendemain de leur thèse, comme recrues de moindre qualité dans des commerces ou des restaurants, des associations, des écoles, des institutions publiques ou des hôpitaux, ou comme personnel administratif ou de remplacement, le tout au salaire minimum. Se trouver un petit boulot après la thèse est une solution très sage, permettant de retrouver une forme d’équilibre et de se remettre à flot tout en gagnant sa vie, de prendre un peu de temps pour réfléchir à la suite. Cela permet de remonter ses finances et de conserver son logement, avant d’entreprendre un projet plus grand dans quelques mois ou années. Rappelons juste que cette situation ne devra pas durer trop longtemps, auquel cas les bénéfices du diplôme obtenu risquent de se perdre. 8. Voir dans cet ouvrage les deux chapitres de Nanette Neuwahl.

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La « pause » : Le doctorant ne devra pas oublier qu’il lui reste aussi la possibilité de prendre une véritable pause au lendemain de sa thèse. Qu’il décide de se mettre au chômage, de prendre une année pour voyager et se divertir, de prendre le temps de fonder une famille ou de se concentrer sur des projets plus personnels, le nouveau docteur prend là aussi, souvent, une décision saine. Prendre une pause n’est, bien sûr, pas la solution la plus sécurisante, ni la plus lucrative. Mais elle permet de retrouver un certain équilibre, de se donner le temps de réfléchir et, surtout, de ne pas prendre de décision hâtive. Pour éviter les mauvaises surprises, le doctorant aura, cependant, la sagesse de comprendre que pour être profitable, le fait de prendre une pause doit être une décision. En aucun cas cela ne doit être le constat d’un échec, ou la conséquence malheureuse d’un manque de préparation. Les lignes précédentes entendent toutes passer le même message : c’est bien avant de soutenir sa thèse que le jeune docteur doit commencer à préparer sa sortie, s’il désire éviter un syndrome de « post-partum ». Nous désirons, à ces paragraphes, ajouter néanmoins deux avertissements supplémentaires : deux derniers facteurs que, quel que soit le choix qu’il fera, le doctorant ne devra pas sous-estimer. Le premier est celui de la question financière. Le candidat au doctorat devra avoir bien en tête, de longs mois avant de déposer sa thèse, qu’il risque de se retrouver du jour au lendemain sans ressources, sans statut et sans emploi. Il aura sûrement de nombreuses dettes à rembourser (les dettes d’études n’étant pas les moindres)9 et sa survie à assurer, sans pouvoir compter sur ses bourses ou ses contrats antérieurs. Il perdra également toutes formes d’allocations gouvernementales ou de réductions associées au statut d’étudiant (allocation-logement, assurances maladie et médicaments, réductions tarifaires pour les transports en commun…) et toute possibilité de mendier son pain quotidien auprès de ses parents ou de ses proches qui, si ce n’était déjà fait, risquent fort de perdre patience à ce moment précis. Le second facteur concerne le proche entourage du doctorant : il mérite d’être décrit dans une section à part entière.

9. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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Prévenir ses proches

Last but not least, anticiper le stress de l’après-thèse, c’est aussi (c’est surtout) travailler en équipe, avec sa famille et ses proches. Or lorsqu’on est doctorant, on a bien souvent tendance à exiger beaucoup de notre entourage. Le doctorant en dernière année, plus souvent que d’ordinaire, a maintes et maintes fois ânonné à son conjoint, à ses parents, à ses amis, à ses enfants, qu’ils devaient le comprendre et le soutenir10. Il a sans doute abusé du discours selon lequel « après ça, c’est fini et tout ira pour le mieux ». Ce faisant, il a créé sans le vouloir de grands espoirs qu’il ne sera, bien entendu, pas toujours capable de combler. Le plus souvent, le lendemain de la thèse, le jeune docteur ne sera pas encore nécessairement en état d’entrer dans la vie active, ou de fonder une famille, ou encore de libérer ses proches du poids financier qu’ont constitué ses études. Pour ne pas décevoir son entourage, le doctorant aura donc tout intérêt à prévoir, quelques mois avant de déposer sa thèse, de leur annoncer que rien ne sera pour autant facile. Les projets de liberté financière, d’accès à la propriété, d’enfants ou de réunion, de voyage, de déménagement ou autres devront probablement être repoussés de quelques mois encore. Il faut donc que conjoints, parents, amis et enfants puissent s’y attendre et anticiper, eux aussi, quelques délais supplémentaires sans trop de déception ou de frustration. Il n’existe pas de statistique particulière sur cette question, mais nous ne manquerons pas d’observer que le taux de séparation des couples, lorsque l’un des deux conjoints se trouve en fin de thèse, est particulièrement élevé. S’il faut, en plus des problèmes que le jeune docteur devra affronter, qu’il subisse une séparation, le risque de développer un syndrome dépressif, jusqu’ici éventuel, deviendra bien souvent réel. *** Il est important de comprendre que la thèse n’est qu’un moyen comme un autre pour parvenir à réaliser un projet de vie meilleure. On a tendance, lorsqu’on est doctorant, à envisager la thèse comme une fin en soi. Faire une 10. Voir dans cet ouvrage les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay.

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thèse est une aventure merveilleuse et unique, mais le cheminement doctoral doit rester ce qu’il est : une simple étape destinée à avancer dans la voie que l’on a choisie. Le doctorat n’est qu’un moyen pour parvenir à réaliser un projet de vie. De fait, la thèse n’amène pas la gloire, la stabilité financière ou la reconnaissance : c’est ce que le jeune docteur en fera qui pourra éventuellement les lui apporter. Pour cela, il doit se trouver dans les meilleures conditions, ce qui exige de lui qu’il ait été en mesure de prévoir la suite des choses, et d’envisager le temps de l’après-thèse. Dans ce chapitre, quelques défis du quotidien que doit appréhender le doctorant ont été recensés et rappelés. Ils ne doivent pas décourager l’étudiant, car ils ne concernent sûrement pas tout le monde. Leur liste n’est pas non plus exhaustive. La probabilité de leur survenue devrait cependant l’inciter à s’organiser et à prévoir un plan de sortie, qui se fait rarement de manière automatique et sans qu’on ait pris le temps d’y penser. Quel que soit le choix de carrière qu’il a fait, le docteur fraîchement diplômé entre dans un monde où il lui faudra sans cesse se justifier ou se défendre : défendre son parcours, ses choix, ses idées, sa propriété intellectuelle, sa gestion de son temps ; et cela devant ses employeurs, collègues, pairs, créanciers ou proches. L’on ne mesure pas un parcours au lendemain d’un dépôt de thèse et tout jeune docteur devra sûrement patienter un certain temps encore avant de pouvoir réaliser ses rêves : la bonne occasion sera longue à se présenter. C’est un moment pour faire le point. Le « post-partum » de l’aprèsthèse est une expérience normale et saine au fond : on est allé au bout de ses idées et il faut prendre le temps d’en faire émerger de nouvelles. Pour cela, il est important d’alimenter sa réflexion de nouveau et de semer d’autres projets. Même les plus chanceux, qui auront accès rapidement au poste tant convoité ou à un emploi stable, auront eux aussi à gérer le défi de l’après-thèse : ils devront avoir de nouvelles idées avant de pouvoir entreprendre de nouvelles recherches ou de nouveaux projets, et d’espérer ainsi entrer dans la routine rassurante du quotidien professionnel.

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chapitre 21 De la thèse au marché du travail Jean Gabin Ntebutse

À l’heure de l’économie du savoir, la formation des chercheurs de haut niveau est un enjeu fondamental tant pour la formation de la relève en recherche que pour la compétitivité des pays (Duke et Deschenaux, 2008). Ainsi, la réalisation des études doctorales jusqu’à l’obtention du grade de PhD constitue un accomplissement important à la fois pour le diplômé et la société, surtout quand on sait que le taux d’abandon au doctorat est très élevé1. En effet, selon les domaines d’études, ce taux oscille entre 30 et 50 % dans les universités canadiennes, australiennes, britanniques et américaines. La durée des études doctorales peut varier en fonction de plusieurs facteurs : certains sont individuels (par exemple la motivation intrinsèque élevée de l’étudiant), d’autres sont liés aux contextes et aux pratiques différenciées de socialisation disciplinaire. S’il est vrai que les questions de la durée et de l’abandon des études doctorales préoccupent les institutions de formation universitaire et les gouvernements, la question de l’embauche après avoir fini ces études constitue un important problème, surtout pour les diplômés de doctorat qui visent la carrière de professeur universitaire. Selon l’étude de 2008 du Conseil national des cycles supérieurs (CNCS), l’allongement significatif du délai avant l’obtention d’un emploi stable pour les détenteurs des 1. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Virginie Mesguich.

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doctorats est très préoccupant. Dans certaines disciplines, ces derniers sont obligés de faire un ou plusieurs postdoctorats alors que, dans d’autres, ils se trouveront en situation de précarité professionnelle, parfois pendant plusieurs années, avant d’accéder à un emploi stable2. Pourtant, les perspectives de renouvellement du corps professoral dans les universités canadiennes sont considérées comme importantes. S’agit-il d’un problème d’adéquation entre la formation doctorale reçue et les exigences du marché du travail ? Est-ce une méconnaissance des compétences des diplômés du doctorat par les employeurs ? Beaucoup de questions peuvent être posées en ce sens et je n’ai pas la prétention d’y trouver toutes les réponses dans le cadre de la présente réflexion. Par contre, j’estime qu’il est important de mettre en évidence certaines dimensions qui peuvent aider les doctorants à bâtir progressivement un CV leur permettant de poser leur candidature à des emplois menant à une carrière, qu’elle soit universitaire ou non. Dans un premier temps, je présenterai un bref aperçu des exigences actuelles requises pour occuper un poste de professeur d’université ou un emploi de chercheur dans d’autres secteurs d’activité professionnelle. Puis je poserai un regard analytique et critique sur la formation doctorale eu égard aux exigences actuelles du marché du travail. Finalement, je dégagerai quelques stratégies pour la préparation d’un CV. Exigences d’emploi pour les titulaires de doctorat

Voici quelques pistes pour avoir une idée plus claire des exigences actuelles que les diplômés de doctorat doivent remplir pour occuper un poste de professeur à l’université : la consultation de quelques conventions collectives des syndicats de professeurs d’université, des annonces de postes dans les journaux, des études qui portent sur l’embauche des titulaires de doctorat et des échanges informels avec des finissants du doctorat qui ont passé des entrevues d’embauche. La consultation de quelques conventions collectives entre les universités (l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), l’Université Laval et l’Université de Sherbrooke) et les syndicats de professeurs indique que la tâche de ces derniers concerne les activités d’enseignement, de recherche et de service à la 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Catherine Rossi.

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collectivité tant à l’interne qu’à l’extérieur de l’université. On trouve néanmoins de légères variantes dans la description des différents volets de la tâche professorale. Par exemple, la convention collective des professeurs de l’UQÀM décrit trois tâches : l’enseignement, la recherche ou la création et le service à la collectivité. Celle du syndicat des professeurs de l’Université de Sherbrooke distingue, pour sa part, quatre volets : l’enseignement, la recherche, la participation à la vie universitaire et le service à la collectivité. Celle du syndicat des professeurs de l’Université Laval possède, elle aussi, quatre volets : l’enseignement, la recherche et la création, la participation interne et la participation externe. La consultation des pages web des services des ressources humaines des universités et du magazine Affaires universitaires publié par l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) permet d’avoir un aperçu des diverses fonctions et des exigences inhérentes aux différents postes et des éléments du dossier de candidature à présenter. Une précision s’impose cependant : si les informations indiquées dans les conventions collectives et dans les médias permettent aux candidats de se faire une idée du profil recherché, elles sont plus discrètes sur les critères les plus déterminants du choix, qui peuvent varier d’une institution à une autre et d’une discipline à une autre. Les résultats des enquêtes faites auprès des directeurs de département apportent plus d’éclairage car c’est auprès des départements que les candidats aux postes doivent avant tout faire leurs preuves. Selon l’enquête réalisée en 2004 par le Conseil supérieur de l’éducation auprès de 196 directeurs de département à propos du renouvellement du corps professoral de janvier 1997 à décembre 2002, certains critères semblent plus importants que d’autres dans le recrutement. Selon les directeurs de département, l’expérience et les compétences en recherche semblent plus importantes que celles en enseignement pour toutes les universités québécoises. En effet, les trois premiers critères mis en avant pour la recherche sont dans l’ordre : la publication d’articles dans des revues savantes avec comité de lecture (84,4 %), l’expertise dans un champ précis de recherche (80,6 %) et la capacité à obtenir un financement externe de recherche (75,3 %). Les exigences reliées à la supervision d’étudiants aux cycles supérieurs (57,3 %) et à l’enseignement aux trois cycles universitaires (54,6 %) apparaissent loin derrière. L’enquête relève aussi que ces exigences sont plus en demande dans les universités de 500 professeurs ou plus.

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Les exigences sur le plan de la scolarité semblent varier aussi en fonction de la taille de l’université. En effet, même si l’obtention du diplôme de doctorat est une exigence dans la plupart des universités, les universités de moins de 500 professeurs, particulièrement celles situées en région, n’en font pas une condition sine qua non au moment de l’embauche. Quant à l’exigence de stage postdoctoral, elle est fréquente surtout en médecine, en sciences pures et dans le domaine paramédical. Une nuance mérite d’être tout de même apportée ici, surtout que la recherche à laquelle nous faisons référence commence à faire date. Quoique la recherche demeure encore plus valorisée que l’enseignement, on accorde de plus en plus d’importance à la pédagogie dans les établissements universitaires et l’expérience en enseignement est prise en compte dans la sélection des candidats. On leur demande notamment des évaluations des cours qu’ils ont déjà dispensés, on leur soumet des questions complexes relatives à l’enseignement-apprentissage (par exemple, préparer un plan de cours, scénariser le déroulement d’un cours) auxquelles ils doivent répondre devant l’assemblée départementale formée des collègues potentiels. Exigences pour un poste de chercheur hors l’université

De plus en plus, les entreprises recrutent des chercheurs titulaires de doctorat mais les compétences requises diffèrent de celles attendues en milieu universitaire. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) et Deloitte Conseil (2010), le paysage de la recherche et de l’organisation des activités de recherche a beaucoup évolué au cours des dernières années et les nouveaux chercheurs doivent désormais démontrer des compétences qui ne se limitent pas à la recherche dans leur discipline. Ainsi, à partir d’une étude effectuée dans huit pays développés (France, Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Japon et États-Unis), ces deux organismes ont dégagé 12 compétences classées en trois catégories que le chercheur devrait posséder au terme de sa formation (voir tableau 17.1). Ces compétences devraient progressivement s’enrichir de huit autres habiletés au cours de la carrière et passer de 12 à 20 : aux compétences scientifiques initiales devrait s’ajouter la capacité à apprendre et à se renouveler, à travailler en interdisciplinarité, à intégrer les connaissances déjà existantes ;

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Les compétences du nouveau chercheur Compétences initiales

Description des compétences

Scientifiques

(1) Connaissances scientifiques, (2) capacité à formuler une problématique de recherche, (3) capacité d’analyse et maîtrise des outils informatiques à haut niveau de technicité.

Gestion de projet d’équipe

(4) Capacité à travailler en équipe, (5) compétences en communication, (6) compétences linguistiques, (7) culture d’entreprise et compétences en gestion, (8) capacité à prendre en compte la pertinence de la recherche et son impact sur l’environnement.

Les aptitudes personnelles et le savoir-être

(9) Créativité, (10) ouverture d’esprit, (11) motivation/implication, (12) adaptabilité.

Source : APEC et Deloitte Conseil, 2010.

aux compétences initiales en gestion de projet et d’équipe devraient se greffer les capacités à développer un réseau, à évaluer et à gérer des personnes et des projets ; tandis que les aptitudes personnelles et le savoir-être s’enrichiraient de la capacité à s’auto-évaluer. À côté de cette typologie proposée par L’APEC et Deloitte Conseil (2010), en France, il existe une autre typologie des compétences qui fait référence au profil professionnel des docteurs appelée DocPro et qui a été créée par l’Association Bernard Gregory (ABG), la Conférence des présidents d’université (CPU) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Cette typologie, dont le but est de « renforcer la valorisation professionnelle du doctorat et amplifier l’intégration des docteurs dans l’entreprise », propose 24 compétences clés que les doctorants devraient enrichir au cours de leurs études doctorales et leur carrière en entreprise. Ces compétences sont classées en quatre catégories : quatre pour le cœur du métier, neuf pour les qualités personnelles et relationnelles, neuf en gestion de l’activité et création de valeur et deux en stratégie et leadership (voir tableau 17.2). Pour chacune des 24 compétences, une déclinaison en trois phases de développement est proposée. Lorsqu’on compare les deux typologies, on constate d’une part qu’elles se ressemblent sur le plan des compétences scientifiques, personnelles et

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Les compétences du chercheur Catégories

Compétences

Cœur de métier

Expertise et méthodes, gestion de l’information, évaluation et développement des compétences.

Qualités personnelles et relationnelles

Analyse, synthèse et esprit critique, ouverture et créativité, engagement, intégrité, équilibre, écoute et empathie, négociation, collaboration et communication.

Gestion de l’activité et création de valeur

Conduite de projet, gestion de changement, gestion de risques, prise de décision, obtention et gestion des ressources financières, management des personnes et des équipes, production des résultats, protection intellectuelle et industrielle, orientation client.

Stratégie et leadership

Direction des équipes, vision, motivation

Source : DocPro.

relationnelles et de celles en gestion. D’autre part, on note l’existence d’une différence majeure entre elles. En effet, alors que la première typologie en attribue huit de plus au chercheur chevronné par rapport au chercheur en début de carrière, la deuxième typologie préconise le même nombre de compétences pour les deux chercheurs tout en les situant dans des phases différentes de développement des différentes compétences. Par ailleurs, les titulaires de doctorat peuvent travailler comme chercheur d’établissement dans le secteur public ou parapublic. Nous ne développerons pas cet aspect puisque les exigences et la préparation requise pour accéder à ce type de poste sont bien exposées dans le texte de Sophie Couture (chapitre 23 du présent ouvrage). La formation doctorale et les exigences actuelles du marché du travail

De plus en plus, à l’intérieur comme à l’extérieur des universités, on tient un discours qui souligne la nécessité d’adapter la formation des doctorants pour les préparer non seulement à des carrières universitaires, mais aussi à des carrières dans d’autres secteurs comme les entreprises (Nicholas, 2008). En effet, on reproche souvent à la formation doctorale traditionnelle de ne pas

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préparer suffisamment les étudiants aux réalités du monde de travail contemporain (Austin et Wulf, 2004). Les employeurs constateraient des lacunes chez les diplômés non seulement dans leurs compétences personnelles et professionnelles, mais aussi sur le plan de l’expérience et de l’ouverture aux milieux non universitaires alors que la majorité des débouchés se trouveraient en dehors du milieu universitaire (Poulin, 2011 ; Dillard, 2005). Il y aurait en fait une méconnaissance réciproque entre les titulaires de doctorat et les entreprises. Selon Durette, Fournier et Lafon (2012), les premiers auraient le sentiment d’être mal compris et mal perçus par les entreprises, qui assimilent leurs compétences à leur seule expertise et leur préfèrent des profils moins spécialisés. Les entreprises considéreraient plutôt que les docteurs ont une connaissance insuffisante de leur monde et de celui du milieu de travail (Calmand, 2010). Par ailleurs, on note que la formation doctorale ne serait pas non plus en phase avec les exigences actuelles de l’obtention d’un poste de professeur d’université (Adams, 2002). Au Québec, selon une étude effectuée pour le compte de la Fédération québécoise des professeurs et professeurs d’université (FQPPU), les universités québécoises n’auraient pas de stratégies de formation qui prépareraient les doctorants au métier de professeur d’université. Il ne semble pas y avoir une stratégie planifiée au sein des établissements universitaires pour attirer et préparer les bons candidats à la carrière professorale. Une socialisation se fait néanmoins en cours d’études doctorales, mais la préparation à la carrière repose principalement sur des stratégies individuelles et varie selon les secteurs. Chaque aspirant construit sa propre feuille de route et son bagage de recherche et d’enseignement perçu nécessaire pour pouvoir poser éventuellement sa candidature comme professeur adjoint dans la discipline de son choix. (Duke, 2006, p. 3)

Alors qu’aux États-Unis, plusieurs universités ont des programmes de formation à la carrière professorale en cours d’études doctorales (Wulf et Austin, 2004), des lacunes en cette matière restent à combler au Québec. Ce constat va dans le même sens que ce que nous entendons chez des collègues nouvellement embauchés ou chez des candidats qui ont pu se rendre jusqu’à l’entrevue. Certains sont surpris de voir à quel point le processus de recrutement comporte des épreuves très rudes dans la mesure où ils doivent passer

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plusieurs entrevues et répondre à des questions complexes en un temps très court, par exemple concevoir un projet ou un programme de recherche, élaborer un plan de cours, etc. Quelques pistes pour construire un CV

Les exigences en matière de recrutement des professeurs d’université sont élevées et cette tendance va continuer à s’amplifier (CSÉ, 2004), les universités ne sont plus le seul lieu d’insertion professionnelle des diplômés de doctorat (Ntebutse et al., 2013 ; Poulin, 2011), les étudiants au doctorat ne peuvent plus ignorer cette réalité et devraient se préparer en conséquence. Il n’y a pas de doute, beaucoup d’obstacles doivent être surmontés sur le chemin qui mène vers un poste de professeur d’université. À travers l’expérience de bon nombre de collègues recrutés récemment dans plusieurs universités québécoises, on décèle généralement trois principales étapes à franchir avec succès pour obtenir un poste : la sélection des CV, l’entrevue en comité et la prestation en assemblée départementale. La première étape, cruciale, est celle de la sélection. Il faut d’abord que le CV soit sélectionné parmi d’autres candidatures qui proviennent de divers horizons, tant du national que de l’international. Le CV doit alors se distinguer par rapport aux grands volets de la tâche professorale, en l’occurrence la recherche et l’enseignement. En recherche, on met souvent en évidence les publications et les communications arbitrées par les pairs, l’expertise dans le champ de recherche pour lequel le poste est défini, les bourses obtenues qui donnent une indication sur les possibilités d’obtenir des subventions de recherche lors des concours des organismes subventionnaires. En enseignement, le CV doit refléter une expérience d’enseignement et donner des indications sur l’expertise liée au contenu à enseigner. La deuxième étape consiste à rencontrer les membres du comité de sélection mandatés par l’assemblée départementale et à répondre à une série de questions où l’on doit démontrer qu’on possède le profil recherché3. On peut devoir apporter des preuves de la qualité de son enseignement comme, 3. Concernant les étudiants au profil multidisciplinaire, voir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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par exemple, des évaluations d’étudiants. Il faut également démontrer qu’on possède les qualités requises pour participer à la vie universitaire, notamment des compétences de travail en équipe. La troisième étape est réservée à la prestation du candidat devant l’assemblée départementale. En recherche, la personne est appelée à présenter devant ses pairs potentiels un projet ou un programme de recherche original. En enseignement, elle peut être aussi appelée à présenter un plan de cours ou à simuler une prestation de cours. Cette prestation est suivie d’échanges avec les membres du département qui vont par la suite délibérer et prendre la décision de recommander ou non l’embauche du candidat. La connaissance de ces différentes étapes peut aider à préparer sa candidature. Sur le plan de la recherche, il est important de pouvoir montrer des publications et des communications arbitrées par les pairs. De plus en plus, les étudiants font des thèses par articles et cela constitue un avantage indéniable pour les candidatures au poste de professeur d’université. Si, en plus de ses publications, le candidat a obtenu des bourses au cours de ses études doctorales, ses chances augmentent. Évidemment, ces bourses ne sont pas faciles à obtenir car la concurrence est rude. Sur le plan de l’enseignement, il faut avoir eu des charges d’enseignement au cours de ses études doctorales. Par ailleurs, l’implication étudiante peut initier les doctorants à un des volets de la tâche professorale, celui de la participation à la vie universitaire. Il s’agit par exemple de faire partie des comités ou des conseils qui traitent des dossiers relatifs à l’enseignement et à la recherche (comité de programmes, conseil de faculté, conseil des études, conseil de la recherche, etc.). Pour construire un CV solide visant un emploi hors l’université, les doctorants doivent développer des stratégies permettant d’enrichir leurs compétences scientifiques pour ouvrir la voie à plus d’employabilité. Ces stratégies peuvent comporter entre autres la formation complémentaire ou les expériences concrètes de recherche. Avec la formation, les doctorants peuvent également acquérir des compétences dites transversales. Par exemple, il existe un programme d’enrichissement des compétences en recherche offert par l’Université de Sherbrooke, qui non seulement élargit le spectre des compétences scientifiques mais aussi celui des compétences professionnelles (gérer la recherche et l’innovation, protéger et

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valoriser le savoir) et personnelles (communiquer avec les scientifiques et avec la société, prendre en main sa carrière de chercheur, etc.). Par ailleurs, les expériences de recherche avec les milieux4 contribuent à enrichir le CV, notamment au niveau du transfert des connaissances et de la recherche collaborative. Dans les concours de recrutement, les chances de sélection sont meilleures pour les diplômés ayant les compétences ci-haut mentionnées. Après la sélection du CV par les potentiels employeurs se tient en principe l’entrevue. Selon l’expérience de quelques chercheurs contactés, contrairement à ce qui se passe à l’université où l’évaluation de la personne candidate se déroule devant les pairs potentiels, l’entrevue d’embauche dans les entreprises se déroule devant un comité où siègent, généralement, un représentant du service des ressources humaines et des membres de la direction, par exemple un directeur scientifique qui représente le volet recherche, un gestionnaire qui veille à la connaissance des besoins du milieu, etc. *** En définitive, deux principaux constats méritent d’être relevés sur les exigences d’un poste de professeur universitaire, de chercheur en entreprise ou dans le secteur public ou parapublic. Premièrement, ces exigences sont élevées et la tendance est à la hausse. Et même quand on est engagé, la complexité de la tâche professorale, dont le doctorant n’a pas nécessairement idée, reste une difficulté à surmonter. En effet, un doctorant ne sait pas toujours, par exemple, qu’une partie importante de la tâche professorale est liée à la participation à la vie universitaire et au service à la collectivité ; il en découvre l’ampleur une fois embauché. Il est donc important, si on aspire à la carrière universitaire, de se préparer en étant conscient de ces différents volets. Deuxièmement, les universités ne sont plus le seul lieu d’insertion professionnelle des titulaires de doctorat. Les établissements universitaires et les étudiants au doctorat ne peuvent plus ignorer cette réalité. Au-delà de l’expertise liée aux compétences scientifiques, il faut posséder les compétences transversales requises pour exercer le métier de chercheur hors l’université, ce dont les institutions universitaires devraient prendre en compte dans les orientations de la formation doctorale. 4. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau.

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En attendant que ces changements surviennent, les étudiants au doctorat doivent se donner des stratégies de formation et d’expérience de travail complémentaires aux études doctorales. Cela aurait l’avantage de leur permettre d’enrichir leur CV pour que ce dernier ait le potentiel d’intéresser un grand bassin d’employeurs.

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chapitre 22 Mettre fin à sa thèse : une éventualité à ne pas négliger Virginie Mesguich

L’idée de mettre un terme à la rédaction de sa thèse peut se présenter maintes fois dans le cours de son doctorat et fait partie du processus. Plusieurs doctorants vous le diront : il y a des moments où l’on se demande si l’on a fait le bon choix. Vous serez parfois en proie au doute et les choses sembleront stagner malgré la rigueur de votre raisonnement intellectuel et votre bonne volonté. Le doctorat est un cheminement de longue haleine et c’est la raison pour laquelle je vous invite d’abord à en examiner certaines particularités et difficultés. Non pour vous décourager de vous y engager, mais afin que votre décision soit sûre, bien fondée et durable. L’important est de rester prudent et clairvoyant dans la poursuite de votre projet. Et si vous décidez d’abandonner votre thèse, ne vous découragez pas pour autant car des solutions s’offrent à vous ! Baliser son terrain de jeu

S’engager dans des études doctorales nécessite lucidité et motivation1. La rédaction d’une feuille de route vous aidera à progresser. Prenez le temps de la réflexion et balisez votre futur terrain de jeu en vous posant les bonnes 1. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christelle Lison et Annick Bourget.

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questions et en adoptant un comportement proactif2. Ensuite, assurez-vous de connaître les difficultés susceptibles de mettre en échec votre projet et prévoyez les adaptations nécessaires. En entamant votre scolarité doctorale, il faut être attentif aux points suivants, qui proposent quelques balises au démarrage de votre projet. J’évoque ici le plan de carrière, le choix du directeur de thèse, le réseau de contacts et l’équipe de recherche. Dès votre inscription au doctorat, il est important de comprendre pourquoi vous le faites3 et de prendre le temps de rédiger un plan de carrière dans lequel vous vous donnerez un objectif professionnel à atteindre. Il vous servira de guide. Avoir un objectif c’est bien, savoir comment l’atteindre en fonction de ses aptitudes et de ses capacités, c’est mieux. Au fur et à mesure de votre avancement, vous pourrez ajouter un bilan de compétences comprenant des informations sur vos diplômes mais aussi sur votre expérience acquise. Vous pourrez vous référer à cet outil évolutif notamment dans votre recherche d’emploi, dans le milieu universitaire comme ailleurs. La scolarité doctorale est une période bénie et vous devez en profiter car au moment de la rédaction vous serez, la plupart du temps, livré à vous-même et vos principaux échanges se feront en tête-à-tête avec votre directeur de thèse qui sera parmi les rares personnes à comprendre sur quoi vous travaillez4. Parlons-en, de votre directeur de thèse, votre mentor, votre conseiller, celui sur lequel vous espérez pouvoir compter. Soyez extrêmement prudent dans le choix de celui-ci5 car, parmi les raisons qui pourraient vous inciter à abandonner votre projet, plusieurs sont rattachées à la relation que vous entretenez avec lui : le manque d’encadrement ou la supervision inadéquate, le manque de temps du directeur, le trop grand nombre d’étudiants qu’il s’est engagé à superviser, etc. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy. 3. Lire en ce sens : Association pour l’emploi des cadres, Le devenir professionnel des jeunes docteurs. Quel cheminement, quelle insertion 5 ans après la thèse ?, Les études de l’emploi cadre, no 2014-57, octobre 2014, et plus particulièrement la partie intitulée « Le projet de doctorat : une construction progressive et empirique », p. 10-15, www.cadres.apec.fr, rubrique « Observatoire de l’emploi ». 4. Et cela d’autant plus si votre sujet est spécialisé ou technique. Voir en ce sens l’extrait du film d’Alain Resnais On connaît la chanson, 1997, www.youtube.com/watch ?v=7VEmNdJb9E4. 5. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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Plusieurs exemples sont évoqués dans un article de Rosanna Tamburri6, qui remarque entre autres [qu’] une supervision inadéquate constitue un problème courant et pressant, selon les étudiants. Certains directeurs prennent des mois pour commenter les travaux qui leur sont soumis. « Ils ne nous tiennent pas au courant », affirme une étudiante, ajoutant qu’elle n’a pas pu communiquer avec son directeur pendant un an parce qu’il avait pris un congé sabbatique. […] Melonie Fullick, étudiante au doctorat à l’Université York, estime que le problème tient en partie au fait que les professeurs doivent diriger de plus en plus d’étudiants.

À cela s’ajoute parfois l’inaptitude pédagogique du directeur de thèse qui empêche l’étudiant de se sentir soutenu ou compris. Le directeur de thèse demeure l’astre autour duquel l’étudiant doit être à l’aise de graviter. Cette analogie astronomique souligne bien l’importance de la relation qui lie le doctorant à son directeur7. Sans une confiance mutuelle et la conviction de s’apporter l’un à l’autre quelque chose, les protagonistes de cette convention particulière que l’on appelle la thèse risquent d’en sortir tous deux perdants : le directeur pour n’avoir pas su transmettre ses connaissances et ses expériences ; le doctorant, pour avoir abandonné son projet. En ce sens, la thèse de doctorat est un travail d’équipe, comme l’évoque Alain Noël, professeur titulaire à HEC Montréal dans un article intitulé « Gérer une thèse : angoisses de directeurs et de doctorants8 ». On comprend, à la lecture de cette entrevue, que le directeur est aussi sujet aux angoisses et que le doctorant n’est pas le seul à craindre l’échec de cette relation : La relation avec le directeur est une relation au risque d’échec qui augmente avec le temps qui file. Cette réflexion vaut pour le doctorant comme pour le directeur de thèse (ce dernier est évalué : il ne peut pas se permettre trop d’échecs). La question que se pose le doctorant est : dois-je obéir à mon directeur ? Et, pour le directeur, la question symétrique est : dois-je contrôler mon doctorant ? 

6. Rosanna Tamburri, « Une réforme du doctorat s’impose », Affaires universitaires, 6 février 2013, www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx. 7. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Pierre Noreau. 8. Alain Noël, « Gérer une thèse : angoisses de directeurs et de doctorants », Le Libellio d’AEGIS, vol. 8, n° 1, printemps 2012.

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Ce risque d’échec de la relation doctorant-directeur a fait partie des questions d’une recherche réalisée par Laetitia Gérard et Amaury Daele9, en 2013, auprès de 528 doctorants et dont le sujet portait sur la satisfaction des doctorants par rapport à leur direction doctorale. On remarque que plus les doctorants se rapprochent de la conclusion de leur thèse, moins ils se disent satisfaits de leur direction doctorale. Près des trois quarts (73,5 %) des doctorants inscrits en première année considèrent leur direction doctorale comme satisfaisante ou très satisfaisante. Ce pourcentage baisse en deuxième année, mais reste élevé (63 %). En cinquième année, et en sixième année et au-delà, les doctorants se disent moins satisfaits : ce chiffre tombe respectivement à 59,4 % et 47,3 %. S’ajoutent également les conflits de personnalité, que mentionne également Rosanna Tamburri, qui peuvent dégrader la relation entre doctorant et directeur, et « certains étudiants affirment même avoir été victimes d’abus et d’exploitation10 ». Pour éviter de vous retrouver dans ces situations, n’hésitez pas à vous informer auprès d’autres doctorants sur le soutien offert par leur directeur, à rencontrer les professeurs et à discuter avec eux avant de solliciter leur encadrement. Bref, ne choisissez pas votre directeur de thèse à la légère. Bâtissez-vous aussi un réseau de contacts à l’université. Profitez de votre présence aux séminaires pour faire de nouvelles connaissances et maintenir les relations déjà établies. Cela pourrait vous être utile, à la fois dans la poursuite de votre parcours universitaire mais également dans votre accomplissement professionnel. Par ailleurs, rencontrer vos confrères vous permettra de vous détendre et de vous rassurer car vous pourrez échanger vos joies et vos inquiétudes communes de « thésards »11. Notez que plusieurs de vos contacts à l’université pourraient devenir vos futurs collègues, patrons ou employés. N’hésitez pas, non plus, à étendre votre réseau hors du milieu universitaire. Plus votre réseau sera composé de relations diverses, plus vous aurez de liens au sein de milieux susceptibles de vous soutenir plus tard. 9. Laetitia Gérard et Amaury Daele, Les doctorants sont-ils satisfaits de leur direction doctorale ?, 14 septembre 2013, http://bit.ly/1NB8wNL. 10. Supra note 6. 11. Héloïse Lhérété, « La solitude du thésard de fond », Sciences humaines, vol. 10, no 230, octobre 2011, p. 10.

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Enfin, si vous désirez travailler dans le milieu de la recherche, il sera important d’intégrer rapidement une équipe de recherche et de maintenir votre intérêt et celui des personnes qui vous engageront en publiant davantage. Le nombre croissant de vos publications, de qualité il va sans dire, vous permettra d’acquérir de la crédibilité et de la visibilité. C’est un bon moyen pour vous faire connaître et pour espérer évoluer dans votre carrière. De plus, vous développerez une expertise sur des sujets connexes à votre recherche, ce qui s’avérera certainement utile puisque vous aurez ainsi enrichi vos connaissances12. Prendre conscience des difficultés

Même si vous êtes de nature tenace, différents obstacles mettront à rude épreuve votre volonté de poursuivre cette véritable aventure, particulièrement le manque de ressources financières, les troubles psychologiques et le délai d’obtention de votre diplôme. Parmi les problèmes que rencontre le doctorant, personne ne sera étonné de trouver, en premier lieu, le manque de ressources financières. Jean Hamann indiquait en 2005 que « les principaux motifs invoqués par les décrocheurs pour expliquer leur décision d’abandonner les études doctorales sont les difficultés financières, l’acceptation d’une offre d’emploi intéressante, la conciliation travail/études13 ». Plus les études sont longues, plus les coûts sont élevés. Même s’il bénéficie d’une bourse d’études, cela ne permet pas toujours à l’étudiant de subvenir à ses besoins. Cette situation augmente son taux d’endettement. S’il travaille pour réduire sa dette, il consacre moins de temps à la rédaction de sa thèse14. Un cercle vicieux s’installe. Plusieurs universités tentent de remédier à cette difficulté en versant une aide financière additionnelle aux étudiants des départements de sciences humaines qui décideront de limiter à cinq ans le délai accordé pour l’obtention de leur diplôme de doctorat. C’est notamment le cas de l’Université Stanford 12. Concernant la situation de l’étudiant au profil multidisciplinaire, voir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim. 13. Jean Hamann, « Les derniers décrocheurs. Une étude explore les causes du haut taux d’abandon des étudiants inscrits au doctorat », Au fil des événements, Université Laval, 7 avril 2005, http://bit.ly/1BFGb0b. 14. Voir dans cet ouvrage le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.

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aux États-Unis. L’Université Concordia à Montréal verse, pour sa part, à la fois des primes aux étudiants qui obtiennent leur diplôme sans retard et une aide financière de courte durée à ceux qui se retrouvent à court d’argent alors qu’ils sont en rédaction de thèse15. Informez-vous auprès de votre établissement sur l’existence de programmes d’aide et des exigences qui s’y rattachent. Parmi les autres solutions possibles figure l’octroi d’une bourse de recherche par un organisme subventionnaire ; un bon dossier universitaire et la capacité de rédiger une demande selon les attentes de l’organisme sont néanmoins requis. Il ne faut pas non plus exclure la possibilité de participer à une recherche scientifique déjà financée dont le sujet se rattache à votre sujet de thèse et vous permettra de poursuivre votre rédaction, tout en contribuant à la recherche initiale. Il est important de discuter avec vos collègues et vos professeurs pour connaître les sujets les plus prometteurs dans votre discipline ou votre domaine de recherche et ceux sur lesquels travaillent les chercheurs confirmés de manière à vous assurer une éventuelle participation rémunératrice. Soyez également vigilant concernant les bourses offertes par les centres de recherche mais aussi les fondations et parfois, les entreprises privées. À côté des difficultés financières, des troubles sont fréquemment évoqués chez les jeunes chercheurs parmi lesquels l’isolement et la perte de confiance en soi16. L’isolement (et l’insuffisance d’encadrement) est le deuxième motif le plus souvent mis en évidence par les recherches sur le sujet17. D’autres malaises, parmi lesquels on compte le manque de reconnaissance et de compréhension, le sentiment d’inutilité ainsi que le manque de motivation font aussi partie du lot des difficultés auxquelles doivent faire face les étudiants de troisième cycle18. Ces écueils restent, malgré tout, plutôt tabous dans la communauté universitaire et les étudiants sont relativement démunis lorsqu’ils doivent les surmonter. 15. Supra note 6. 16. Melonie Fullick, doctorante à l’Université York (Toronto, Canada), témoigne de ces malaises dans un article intitulé « “My grief lies all within” – PhD students, depression & attrition », Affaires universitaires, 14 décembre 2011, http://bit.ly/1xQFEh2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina. 17. Conseil du Corps scientifique (CORSCI), Rapport sur les motivations et causes d’abandon du doctorat, http://bit.ly/2bbFV7E. 18. Lire en ce sens l’article de Louise Careau, psychologue, « Obstacles à la rédaction aux cycles supérieurs », publié sur le site web du Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval, http://bit.ly/1acpTXc.

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Rappelez-vous qu’il existe des services au sein même des universités : centres d’aide aux étudiants, centres de consultation psychologique, centres de soutien à la réussite, etc. Pour lutter contre l’isolement, étudiez dans les lieux qui vous sont réservés, dans les bibliothèques universitaires ; joignez-vous à une équipe de recherche ; ou encore, dénichez-vous un bureau dans un centre de recherche. Ainsi, il vous sera plus facile de rencontrer vos homologues et de discuter avec eux de votre sujet de thèse et de vos difficultés. L’union fait la force, dit-on : la solidarité vous aidera à passer le cap. La question du délai d’obtention du diplôme de doctorat est peu explorée. Est-ce par peur que les candidats ne s’inscrivent plus aux programmes de doctorat ? A fortiori dans la société actuelle, la rapidité et la brièveté des échanges et des relations n’encouragent pas les jeunes à poursuivre de longues études. Si le délai moyen du parcours doctoral est, en théorie, de trois à cinq ans à temps plein, il est souvent plus réaliste de prévoir plus de cinq ans, surtout si on doit composer avec des contraintes de nature économique ou familiale, comme en témoignent les textes d’Emmanuelle Bernheim, d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay dans cet ouvrage. Poursuivant dans ce sens, on peut s’interroger sur les perspectives d’avenir d’un jeune docteur après cinq, sept, voire dix ans d’études doctorales19. Quelle sera l’attitude d’un employeur face à un individu fraîchement sorti de l’université après avoir consacré les dernières années de sa vie à un sujet de thèse pointu compris seulement par quelques spécialistes ? Deux choix : on l’engagera pour ses compétences spécifiques ou on ne l’engagera pas, justement, parce que ce candidat sera jugé trop compétent et exigera un salaire trop élevé. C’est l’éternelle question de la surqualification des docteurs. Que faire avec ces diplômés auxquels on ne peut pas offrir de poste20 ? Le problème réside souvent dans les visées entretenues par les candidats au doctorat : obtenir un poste d’enseignant-chercheur dans une université. Mais la chose n’est pas facile. On s’entend pour reconnaître que les professeurs partent de plus en plus tard à la retraite et que les universités ont de moins en 19. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse. 20. Voir Natalie Samson, « L’avenir professionnel des doctorants, un sujet chaud du congrès de cette année », Affaires universitaires, 4  juin 2014, http://bit.ly/1CF8zEK. Lire également : Service de soutien à la formation de l’Université de Sherbrooke, Économie du savoir ou démesure doctorale ? Les universités sont-elles en train de surqualifier leurs étudiants ?, 2011, http://bit. ly/1Hgrzcj.

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moins de budget pour engager de nouveaux professeurs. Les docteurs se contentent alors de charges de cours, en espérant, un jour, décrocher le poste de leurs rêves dans l’université de leurs rêves, et sont bien souvent déçus21. Pour certains candidats au doctorat, l’éventualité d’une bourse postdoctorale fait souvent figure de salle d’attente ou de prix de consolation. À quoi bon former des cohortes de docteurs si les universités ne sont pas en mesure de les absorber et si les entreprises privées refusent de les embaucher pour cause de surqualification ? Je reviendrai sur cette question en deuxième partie et examinerai les avantages d’autres types de formation, en particulier ce qu’on appelle le perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs. *** Si, au terme de la scolarité ou après l’examen de synthèse, vous estimez ne plus être en mesure de poursuivre votre doctorat, notamment pour les raisons évoquées plus haut, sachez qu’il s’agit là de deux moments favorables pour vous arrêter. D’abord parce qu’ils constituent des fins d’étapes dans votre processus de formation. Passées celles-ci, le coup psychologique sera plus dur à encaisser. Ensuite, parce que vous aurez acquis de bonnes connaissances et des compétences utiles. Vous démontrerez, par exemple, votre capacité de réflexion et de rédaction notamment en indiquant que vous avez réussi votre examen de synthèse. Enfin, parce que vous aurez développé votre réseau. Vous serez donc en mesure d’accepter votre décision et d’en assumer les suites. Abandonner pour mieux rebondir

Avant de décider d’abandonner votre thèse, prenez le temps de réévaluer la situation et ayez recours aux différents soutiens existants. Parlez avec les professeurs et les autres doctorants, soyez attentif aux sujets de recherche en vogue, informez-vous sur les appuis financiers disponibles et discutez de tout cela, à cœur ouvert, avec votre directeur, si cela vous est possible. 21. Laurence Martin, Y a-t-il trop d’étudiants au doctorat ?, Radio-Canada, 6 mars 2015, http://bit.ly/1Fbw2Nm. Cet article est principalement axé sur l’Université York et l’Université de Toronto. On peut y lire plusieurs témoignages et différents tableaux statistiques.

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À partir de là, si vous décidez de mettre fin à votre projet doctoral, vous aurez sans doute un deuil à faire. Il vous faudra ensuite aller de l’avant et concentrer tous les moyens à votre disposition sur un nouvel objectif : la recherche d’emploi ou tout autre projet qui vous tient à cœur. Faire son deuil

Mettre un terme à un projet quel qu’il soit et quelle qu’en soit l’envergure n’est pas aisé. Pour aborder cette situation de la manière la plus profitable possible, il faut savoir prendre une saine distance et développer une vision globale et complète de la situation. Faire le bilan est l’un des moyens susceptibles de vous aider à traverser cette période de transition. Cela vous permet de prendre du recul sur ce que vous avez accompli et, dans le cas présent, de faire la part des avantages et des inconvénients associés à l’arrêt de votre thèse. Mettez, dans la balance, l’ensemble de vos satisfactions et de vos déplaisirs en ce qui a trait à la thèse ellemême mais également à l’ensemble de votre vie  sociale, professionnelle et familiale, puis jaugez des effets de cette pondération. Prenez conscience des faibles taux de diplomation22, revoyez les délais d’obtention et demandez-vous si vous êtes prêt à vous soumettre à de telles contraintes et à fournir les efforts nécessaires pour les surmonter. Profitez de cette période pour vous poser des questions concernant votre avenir, vos attentes et vos nouveaux objectifs. Demandez-vous par exemple : vers quel secteur d’activité puis-je me diriger ? Quel objectif professionnel puis-je me fixer pour les cinq prochaines années ? Comment y parvenir ? Que faudrait-il que je valorise ? Qu’est-ce qui me motiverait ? En résumé, évitez autant que possible de ruminer vos espoirs déçus de chercheur et faites le deuil de votre poste de professeur d’université rêvé. 22. En 2011-2012, au Québec, sur l’ensemble de la population, le taux de diplomation au doctorat s’élevait seulement à 1,7 % alors que 33,2 % de la population pouvait espérer obtenir un baccalauréat selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Lire Hélène P. Tremblay et Pierre Roy, Rapport d’étape du chantier sur la politique de financement des universités. Principaux indicateurs et statistiques de base sur les universités québécoises, Gouvernement du Québec, Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, décembre 2013, http://bit.ly/1IL11kL.

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Reprenez pied dans la réalité et sortez de la tour d’ivoire dans laquelle le doctorant a parfois tendance à s’enfermer à son insu. Une fois votre décision prise, rappelez-vous que tout ce que vous avez acquis durant votre scolarité de doctorat vous sera utile. Vous avez développé votre esprit de synthèse et d’analyse, vous savez ce qu’est la recherche et l’engagement scientifique, vous comprenez mieux plusieurs des problèmes de la société contemporaine, vous avez développé votre persévérance et amélioré la qualité de votre écriture. Prenez le temps d’apprécier votre savoir-faire et valorisez vos apprentissages, des qualités que vous pourrez mettre en avant notamment lors d’un entretien d’embauche. Ainsi l’abandon de la thèse n’apparaît pas comme une démission de votre part mais bien plus comme une décision consciente et réaliste touchant à la gestion de votre avenir. Il est essentiel que vous conserviez, aussi longtemps que possible, votre volonté de participer à l’enrichissement de la société. Même si vous n’êtes pas parvenu à décrocher le Graal que peut représenter le dépôt d’une thèse, soyez convaincu que vous avez augmenté votre capital intellectuel, culturel et humain et qu’il ne vous reste plus qu’à le faire fructifier. Bref, assumez votre décision et cela sans considération pour ce que pourraient penser votre famille, vos amis et même votre directeur de thèse. C’est une décision qui vous appartient et qui pourrait vous soulager d’un poids que vous ne souhaitez plus porter. Il faut parfois admettre que si l’idée d’entreprendre une thèse se justifiait pleinement au moment de votre inscription aux études doctorales, c’est une idée encore bien meilleure aujourd’hui de ne pas la terminer. Bien sûr, abandonner n’est pas une option irréversible et si vous en avez la volonté et les moyens, rien ne vous empêchera de reprendre votre thèse ultérieurement. D’ailleurs, si l’envie d’enseigner, de transmettre des connaissances, constitue une seconde nature chez vous, réorientez-vous vers le cégep, les établissements d’enseignement supérieur publics ou privés, les formations aux adultes, etc. D’autres solutions se dessinent. Aller de l’avant

L’important ici est de mobiliser vos atouts ; votre jeu et votre destin sont entre vos mains. Prenez conscience de votre potentiel et mesurez correctement les

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attentes du marché du travail23. Sachez vendre votre expertise au moyen de votre curriculum vitæ et de votre lettre de présentation. Faites référence à votre bilan de compétences et démontrez que vous pouvez apporter une contribution particulière. Présentez votre passage au doctorat comme une plus-value, un avantage que vous possédez par rapport à d’autres. C’est cette différence que vous devez cultiver. Ajoutez, au besoin, la liste de vos publications, elle invitera l’examinateur à en connaître plus sur vous, sur vos sujets d’intérêt et sur votre capacité rédactionnelle. Vous mettrez ainsi en évidence vos acquis, qu’il s’agisse des diplômes obtenus, de la formation doctorale réalisée, de la participation à divers stages et événements scientifiques, de votre intégration à des équipes de recherche, de l’élaboration de rapports et autres publications scientifiques. On ne le répétera jamais assez : l’important est de vous VA-LO-RI-SER ! N’ayez pas peur, non plus, d’enrichir votre formation. Soyez ouvert à l’acquisition de diverses compétences et ajoutez des cordes à votre arc. N’hésitez pas à changer de discipline ou de domaine professionnel. Ce n’est pas parce que vous avez étudié, par exemple, le droit que cela vous empêchera de travailler en communication. Après tout, comme Bernard Werber l’énonce : « Le changement est la loi de l’univers. Tout se transforme, tout évolue24. » Faites-vous confiance et ne résistez pas au changement. Ayez recours à des formes différentes de formation : suivez des ateliers, des cours en ligne25, participez à des rencontres de nature professionnelle26. Il est essentiel d’être alerte et à l’affût des occasions intéressantes qui se présentent à vous.

23. Pour vous y aider, consultez, par exemple, les indicateurs et diverses statistiques produits par Statistique Canada dans les domaines qui vous intéressent : www.statcan.gc.ca. 24. Bernard Werber, Les micro-humains, Albin Michel, 2013. 25. La TELUQ a pour mission le développement des personnes et de la société par l’enseignement à distance et par une recherche de pointe : www.teluq.ca. Les universités se lancent aujourd’hui dans la production et la diffusion de formations en ligne ouvertes à tous (FLOT), aussi appelées « cours en ligne ouverts et massifs » (CLOM) (massive open online courses – MOOC). En 2011-2012, 12 192 étudiants, soit 5,6 % de l’ensemble, ont bénéficié de la formation à distance, dont 30 % dispensées par la TELUQ. De 2001-2002 à 2011-2012, le nombre d’étudiants ayant suivi ce type de formation a augmenté de 13,1 % en moyenne par année, selon le Rapport d’étape du chantier sur la politique de financement des universités (supra note 22). 26. Participez, par exemple, aux activités de formation ou de réseautage offertes par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain : www.ccmm.qc.ca.

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Bien que les employeurs hésitent à engager des docteurs, ils restent néanmoins à la recherche d’une main-d’œuvre hautement qualifiée27, au rang de laquelle vous vous hissez à présent. En outre, un large mouvement se dessine, en ce moment, visant à repenser la formation doctorale pour l’adapter au marché du travail. Des cours en perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs sont déjà offerts, au Canada, à l’Université de Toronto28 et des programmes de formation professionnelle particulièrement axés sur les sciences humaines sont offerts notamment à l’Université McGill et à l’Université de la Colombie-Britannique29. L’Association canadienne pour les études supérieures a publié, en 2008, un rapport intitulé Professional Skills Development for Graduate Students30, qui soutient directement l’idée que les formations de nature professionnelle doivent constituer un complément au doctorat. Par ailleurs, en Ontario, un consortium de sept universités31 associé au gouvernement, sous la dénomination « Ontario Consortium for Graduate Professional Skills », a mis sur pied une plateforme électronique favorisant la transmission de compétences professionnalisantes au profit des universitaires. Cette plateforme connue sous le nom de MyGradSkills.ca – Find Your Future32 offre, sur un mode ludique, de courts modules sur l’éthique et la vulgarisation de la recherche, la création d’entreprise, la rédaction de CV et bien d’autres thèmes. Au Québec, plusieurs universités proposent elles aussi des modules d’apprentissage ou des activités de perfectionnement. On trouve ainsi sur le site web eConcordia33 des cours en ligne sur les perspectives d’affaires au Canada 27. Lire en ce sens Julien Arsenault, « Des secteurs à la recherche de main-d’œuvre qualifiée », La Presse Affaires, 30 janvier 2014, http://bit.ly/1mtf44d. 28. Nana Lee, Zayna Khayat et Reinhart Reithmeier, « Leçons tirées d’un cours de perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs », Affaires universitaires, 14 janvier 2015, http:// bit.ly/1BKDdZn. 29. Paul Yachnin, « Repenser les doctorats en sciences humaines », Affaires universitaires, 11 mars 2015, http://bit.ly/1CEUarX. 30. Traduit par : « Développement des compétences professionnelles des étudiants aux cycles supérieurs ». Le rapport est disponible en ligne : http://bit.ly/1BKDwUa. 31. McMaster University, Queen’s University, University of Guelph, University of Ottawa, University of Toronto, University of Waterloo et Western University. 32. www.mygradskills.ca. 33. www.econcordia.com.

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ou sur la gestion marketing de sa carrière, parmi d’autres choix diversifiés. À l’Université Laval34, des activités de perfectionnement de courte durée sont conçues spécifiquement pour les personnes en emploi qui souhaitent obtenir rapidement des résultats. Elles couvrent de multiples champs de spécialisation et sont toutes axées sur la pratique. Le Centre universitaire de formation continue de l’Université de Sherbrooke, qui entend voir le développement professionnel autrement35, propose des séminaires de perfectionnement conçus pour répondre à des besoins individuels des professionnels en lien étroit avec le marché du travail. Le professeur Jean-Claude Coallier de l’Université de Sherbrooke travaille quant à lui sur un programme de recherche portant sur l’insertion professionnelle des diplômés universitaires36. Bien souvent, l’entrepreneuriat bénéficie d’une section particulière dans l’ensemble des plateformes et des activités offertes. On y apprend comment démarrer son entreprise, quels sont les modèles inspirants de création d’entreprise, quels sont les outils de base et comment élaborer son plan d’affaires. Voilà donc une nouvelle option à laquelle vous pourriez réfléchir. Finalement, il faut rappeler l’importance de se constituer un réseau de contacts à l’université, mais également en dehors de celle-ci. Le temps est venu pour vous d’activer ce réseau de manière à multiplier, une fois de plus, les occasions favorables à l’évolution de votre carrière. Créez-vous un compte LinkedIn37. Il constituera votre réseau, une partie de votre champ d’action et votre carte professionnelle. Comme le soulignent Nana Lee et ses collaborateurs : « LinkedIn est un bon point de départ. Le contact avec les anciens […] 34. www.dgfc.ulaval.ca/. 35. www.usherbrooke.ca/cufc/. 36. Ce programme de recherche « vise une meilleure compréhension des phases de préparation, d’intégration et d’adaptation au travail des clientèles universitaires. Différents projets s’y greffent : portrait de la situation de la persévérance, des abandons et des réorientations ; mesure et développement des qualités entrepreneuriales ; arrimage entre les qualifications des finissants et les besoins du milieu de travail ; étude de l’évolution des conditions de formation et d’emploi chez les universitaires » (www.usherbrooke.ca/education/nous-joindre/prof/op/ coallier-jean-claude/). 37. Wikipédia définit LinkedIn comme « un réseau social professionnel en ligne créé en 2003 en Californie. En novembre 2015, le site revendique plus de 400 millions de membres issus de 170 secteurs d’activités dans plus de 200 pays et territoires […] LinkedIn fonctionne sur le principe de la connexion et du réseautage. Il peut être utilisé pour tout ce qui concerne la vie professionnelle. »

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permet également de tisser des liens hors du milieu universitaire et de profiter d’occasions de mentorat38. » LinkedIn annonce, dans le même sens, qu’il vous permet de développer votre identité professionnelle en ligne, de découvrir la prochaine étape de votre aventure professionnelle et de prendre connaissance des dernières nouveautés et actualités pour devenir meilleur dans votre domaine. Avec de telles promesses, impossible de vous en passer. Vous n’êtes certainement pas sans savoir que ce réseau social est le plus populaire auprès des employeurs qui veulent se faire une idée de qui vous êtes. Soyez donc très prudent sur ce que vous publiez ici et sur les autres réseaux sociaux. Soignez votre image, c'est-à-dire, votre « identité numérique », cette image que vous publiez sur la toile. Se créer un profil LinkedIn et l’alimenter intelligemment est une manière de décupler ses chances de se faire remarquer. C’est également un instrument qui vous permettra d’accéder à des groupes de discussion sur des thématiques spécifiques correspondant à votre champ disciplinaire ou à tout autre domaine qui pourrait vous intéresser. Ces groupes sont généralement hétéroclites et l’on peut y côtoyer des employeurs, des employés, des néophytes, des experts et toute autre personne intéressée par le sujet. Le principal avantage offert par ces groupes est de vous rapprocher de gens qui partagent vos intérêts. LinkedIn vous donne également accès aux profils créés par les entreprises, les écoles et autres organisations qui pourraient vous embaucher. Vous trouverez ainsi une mine d’informations utiles dans votre démarche de réseautage ; soyez proactif. *** Plus vous serez préparé, mieux vous assumerez vos choix et leurs conséquences. Comprendre le contexte dans lequel vous évoluez au cours de vos études supérieures fait partie de la solution. Soyez à l’écoute des recommandations présentées dans ce texte comme ailleurs. Retenez que l’abandon de la thèse pourrait faire partie de votre cheminement universitaire, sans que cela crée un cataclysme en vous ou autour de vous. Gardez le sourire ! Pour vous y aider, vous pouvez lire de la bande dessinée. Je vous suggère : Carnets de thèse de Tiphaine Rivière39. « À la manière d’un 38. Supra note 28. 39. Tiphaine Rivière, Carnets de thèse, Édition du Seuil, 2015.

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récit d’apprentissage, avec drôlerie et finesse, ce roman graphique raconte le quotidien de doctorants […] qui, comme Jeanne, poursuivent leur recherche comme une quête existentielle » (propos recueillis sur le site web de l’éditeur). Également, La thèse nuit gravement à la santé. Le dico du doc de Tis40 dans lequel on peut lire : « Certaines choses sont difficiles à expliquer, il faut les vivre pour pouvoir les comprendre et les exprimer. Jeune docteur dans une discipline des sciences humaines et sociales et rescapée du parcours doctoral, j’ai voulu aller au-delà des mots et décrire le vécu des doctorants au travers de la caricature. C’est ainsi qu’est né Le dico du doc, un dictionnaire humoristique sur le doctorat, inspiré de ma propre expérience du parcours doctoral et post­ doctoral, mais aussi de la manière dont mes amis et de nombreux internautes ont pu vivre cette aventure41 ».

40. Tis, La thèse nuit gravement à la santé. Le dico du doc, Éditions Alphil, Presses universitaires suisses, 2012. 41. Propos recueillis sur le site web de l’éditeur.

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chapitre 23 La profession de chercheur d’établissement Sophie Couture

À un moment ou à un autre, les étudiants des cycles supérieurs doivent prendre position quant à leur choix de carrière1. Toutefois, ces choix sont difficiles lorsqu’on ne connaît pas les diverses perspectives d’emploi qu’offrent les études doctorales. L’une des avenues méconnues est celle de la recherche en établissement, où le chercheur élabore un programme axé sur les besoins du milieu. Plusieurs se tournent vers ce type d’emploi parce qu’ils veulent accéder au marché du travail, explorer autre chose que la carrière dans le milieu universitaire, assurer une meilleure conciliation travail-famille, mais surtout être partie prenante de l’amélioration des pratiques. En effet, œuvrer au sein d’un établissement favorise une compréhension intime des besoins des intervenants, des gestionnaires et de la population à l’étude. En somme, c’est une façon de travailler au carrefour de la recherche et de la pratique2. Dès 1988, une commission d’enquête a recommandé la création d’équipes de recherche dans les organisations offrant des services sociaux (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010 ; Rhéaume, 2012). De ce fait, de nombreuses 1. L’auteure tient à remercier ses collègues et chercheurs d’établissement pour leurs témoignages et leur relecture du chapitre. 2. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau.

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institutions ont favorisé l’instauration d’une activité scientifique florissante et très attrayante pour les doctorants. Le présent chapitre s’adresse aux étudiants qui souhaitent en savoir davantage sur la carrière de chercheur d’établissement. Pour ce faire, on présentera d’abord les rôles et les particularités de ce domaine. Ce chapitre ne prétend pas représenter la réalité de l’ensemble de ces chercheurs. En effet, leurs mandats et leurs responsabilités varient grandement selon les organisations (autonomie, liens avec supérieurs hiérarchiques, confidentialité…). Pour terminer, on fera quelques recommandations aux étudiants qui envisagent de suivre cette voie. Une profession au carrefour de la recherche et de la pratique

La profession de chercheur d’établissement demeure très peu connue. Comme l’illustre bien le tableau 23.1, on retrouve des centres de recherche dans de nombreuses organisations, plusieurs étant placées sous la responsabilité du ministère de la Santé et des Services sociaux ou celui de la Sécurité publique. De façon générale, les chercheurs proviennent des domaines de l’anthropologie, de la criminologie, de la psychoéducation, de la psychologie, du service social et de la sociologie. Immanquablement, les objectifs, la mission et les priorités de l’institution viennent teinter le quotidien des chercheurs. Selon la définition de certains organismes subventionnaires, le chercheur d’établissement : 1. travaille dans une organisation à vocation de recherche (p. ex., un institut universitaire) ; 2. possède un doctorat (dans certains cas, on accepte un diplôme de deuxième cycle accompagné d’une expérience reconnue) ; 3. possède une affiliation universitaire (c.-à-d. qu’il est professeur associé) permettant la supervision ou la codirection d’étudiants de deuxième et troisième cycle ; 4. est soumis aux exigences d’éthique de la recherche, d’intégrité et de propriété intellectuelle (Fonds de recherche du Québec, 2014). Pour décrire la carrière de chercheur d’établissement, plusieurs la mettent en parallèle avec la carrière professorale à l’université. En effet, les deux se res-

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Différents milieux de recherche en établissement Établissements

Sites Internet

Thèmes

Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire

www.centrejeunessedemontreal. qc.ca/recherche/

Jeunesse en difficulté

Centre de réadaptation en dépendance de Montréal – Institut universitaire

http://dependancemontreal.ca/ mission-universitaire/recherche

Consommation de substances psychoactives

Centre de santé et de services sociaux de Bordeaux-CartiervilleSaint-Laurent Centre de recherche et de partage des savoirs – CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal

www.csssbcstl.qc.ca/votre-ciusss/missionuniversitaire/ www.centreinteractions.ca/ centre-de-recherche/presentation/ chercheurs/

Articulation des réseaux publics, communautaires et familiaux

Centre de santé et de services sociaux Cavendish Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale

www.cssscavendish.qc.ca/ votre-csss/mission-universitaire/ recherche/ www.creges.ca

Vieillissement comme processus social

Centre de santé et de services sociaux – Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke Alliance sherbrookoise pour des jeunes en santé

www.csss-iugs.ca/ http://cdrv.csss-iugs.ca/

Développement des forces des personnes et des communautés

Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations

www.csssjeannemance.ca/ votre-csss/mission-universitaire/ recherche/ http://cremis.ca/

Inégalités sociales, discriminations et pratiques alternatives de citoyenneté

Centre de santé et de services sociaux de la Montagne

www.csssdelamontagne.qc.ca/ votre-csss/mission-universitaire/ www.sherpa-recherche.com/

Services de santé et services sociaux de première ligne en contexte pluriethnique

Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval

www.csssvc.qc.ca/activites/index. php www.cersspl.ca/

Proximité et recherche sur les interventions, les services et leurs modalités

Institut national d’excellence en santé et en services sociaux

www.inesss.qc.ca/

Promouvoir l’excellence clinique et l’utilisation efficace des ressources dans le secteur de la santé et des services sociaux

Institut national de santé publique du Québec

www.inspq.qc.ca/institut

Améliorer l’état de santé et le bien-être de la population

Sûreté du Québec

www.sq.gouv.qc.ca/mission-etservices/recherche-scientifique/ recherche-scientifique.jsp

Avancement des connaissances sur la police

Source : Voir Rhéaume, 2012

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semblent beaucoup. Outre leurs activités de recherche, ces professionnels sont appelés à faire des demandes de subvention et à contribuer au rayonnement de leur institution. Leurs seules différences concernent bien sûr l’enseignement : alors que le professeur enseigne seulement à des étudiants à l’université, le chercheur d’établissement forme aussi des intervenants. Il a un rôle à jouer dans le transfert des connaissances, en plus d’offrir des services à la collectivité. De façon générale, la recherche en organisation vise à faire avancer les connaissances, à soutenir l’intervention et à renouveler les pratiques. Le chercheur élabore ainsi des projets qui répondent aux besoins précis du milieu mais il contribue également au développement de connaissances plus fondamentales. En résumé, le chercheur d’établissement développe un créneau de recherche qui est non seulement pertinent sur le plan scientifique, mais qui est aussi en phase avec les préoccupations de la pratique et les besoins du milieu d’intervention, et dont les retombées pourront être généralisées à d’autres institutions. Cet exemple illustre plusieurs particularités de la recherche en milieu d’intervention. En plus de la traditionnelle recherche documentaire, les orientations de recherche sont définies à partir de nombreuses discussions et collaborations avec les gestionnaires, les intervenants ou les partenaires du réseau. D’ailleurs, les projets de recherche en institution peuvent s’appuyer sur la collaboration des intervenants, bénéficiant ainsi de l’expertise clinique des intervenants et de leurs savoirs expérientiels (Rhéaume, 2009). Ainsi, on s’assure également de maintenir l’intérêt et la collaboration du milieu (p. ex., pour le recrutement de participants) et de développer des projets de recherche pertinents sur le plan social. Dans certains cas, le chercheur d’établissement a un accès privilégié à une population ou à des données difficilement accessibles pour le chercheur venant de l’extérieur. Dans le même ordre d’idées, les questions du milieu peuvent aussi guider le chercheur vers une avenue de recherche inédite et stimulante. De plus, le chercheur est embauché afin de répondre à un besoin précis de l’organisation, qui est bien sûr lié aux thèmes de recherche ou aux activités de développement de celle-ci. Par exemple, un chercheur peut avoir le mandat d’élaborer une programmation de recherche portant sur la délinquance chez les adolescents ou de soutenir les activités de l’organisation en ce qui a trait à l’évaluation des programmes ou au développement d’outils particuliers. Finalement, de par ses contacts

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Exemple de projet Plusieurs intervenants soulignent le manque de matériel de soutien à l’intervention lors de rencontres avec des parents présentant une double problématique de toxicomanie et de négligence. Le comité clinique décide d’élaborer une grille d’évaluation clinique pour évaluer cette situation complexe et ainsi, améliorer l’encadrement offert aux intervenants. Afin de soutenir scientifiquement cette démarche, le comité clinique décide d’inviter des chercheurs à se joindre au projet afin d’évaluer la validité de la grille. Après quelques rencontres, les chercheurs décident d’ajouter un volet supplémentaire à l’étude afin d’explorer un aspect connexe de la problématique, en s’appuyant sur leurs connaissances et sur leurs intérêts de recherche (p. ex., étudier les processus de raisonnement clinique des intervenants). En conclusion, ce projet de coconstruction vise l’amélioration du soutien aux intervenants (préoccupations de la pratique et besoins du milieu d’intervention), provenant de deux établissements collaborateurs (généralisation à d’autres établissements), tout en ajoutant des questions de recherche pour améliorer la compréhension de la problématique (pertinent sur le plan scientifique).

avec le milieu, le chercheur a l’avantage de recevoir une rétroaction immédiate sur ses idées ainsi que sur ses résultats de recherche. En somme, bien que les mécanismes de la recherche demeurent les mêmes peu importe le lieu de travail, force est d’admettre que la recherche en établissement présente des particularités susceptibles d’attirer de nombreux doctorants. Pour soutenir financièrement ses projets de recherche, le chercheur d’établissement peut recourir à certains fonds qu’octroie son employeur ou soumettre des demandes à divers organismes subventionnaires. L’établissement peut également accorder certaines contributions financières, principalement lorsque le chercheur vient répondre à des demandes ou à des besoins précis du milieu. Par exemple, certains centres de recherche prévoient un budget pour le démarrage de projets ou soutiennent la réalisation de ces projets par la libération de temps de travail. Plusieurs chercheurs d’établissement détiennent un statut de professeur associé dans un département ou une école d’une université, ce qui leur permet d’avoir accès aux fonds de certains organismes subventionnaires reconnus. Les chercheurs qui n’ont pas d’affiliation universitaire peuvent néanmoins profiter d’autres sources de financement,

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offertes par certains organismes gouvernementaux ou par des fondations privées. En ce qui a trait aux demandes de subvention, l’un des défis pour les chercheurs d’établissement réside dans l’élaboration de projets dont la portée se généralise au-delà des besoins spécifiques du milieu. Une grande partie du travail de chercheur d’établissement est de faire rayonner les conclusions de ses travaux scientifiques, et ce, autant à l’échelle internationale que locale. À l’instar de tous les chercheurs, celui-ci est invité à publier ses résultats de recherche dans des revues scientifiques. En outre, il a aussi la responsabilité de diffuser ses résultats dans des revues professionnelles afin d’être lu par les milieux d’intervention. Dans le même ordre d’idées, il présente ses résultats lors de congrès ou de colloques scientifiques et professionnels internationaux et provinciaux. Encore une fois, le chercheur d’établissement est un funambule qui recherche un équilibre entre les sphères scientifique et clinique. Le chercheur d’établissement contribue à l’animation de la vie scientifique de l’institut de diverses façons. Cette contribution peut se manifester par une offre de formations aux intervenants portant sur leur sujet d’intérêt (p. ex., la santé mentale chez les jeunes délinquants) ou sur certains résultats de recherche vulgarisés. Concrètement, ces formations peuvent se dérouler lors de réunions d’équipe, lors de comités de travail, ou dans le cadre de groupes d’intérêt réunissant intervenants et chercheurs autour d’une problématique particulière. Par exemple, un groupe d’intérêt peut être mis sur pied pour déterminer les enjeux associés au travail auprès de jeunes présentant des troubles de l’attachement et explorer des questions de recherche encore en suspens dans ce domaine. En plus de la formation aux intervenants, certains chercheurs d’établissement ont des expertises convoitées par le milieu universitaire et sont invités à enseigner en tant que chargés de cours. Parallèlement à ces rôles, le chercheur d’établissement est également appelé à superviser le travail d’étudiants de divers niveaux dans le cadre de leurs activités de recherche. En effet, le chercheur qui possède une affiliation universitaire est qualifié pour l’encadrement des étudiants de maîtrise et de doctorat. Il peut donc accompagner toutes les étapes de projets de mémoire ou de thèse. Il peut également superviser des stagiaires et des assistants de recherche de niveau collégial (p. ex., en technique de recherche sociale) et universitaire.

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Les chercheurs doivent rendre accessibles à la collectivité les connaissances issues de leurs travaux scientifiques. Dans le cas du chercheur d’établissement, cet objectif de service à la collectivité, et plus précisément du transfert des connaissances, est particulièrement imbriqué dans son travail quotidien. Le chercheur peut être invité à siéger à des comités ministériels ou à des comités de l’organisation. Dans ces contextes, il côtoie des intervenants, des gestionnaires ainsi que des universitaires dont les intérêts peuvent être très différents. Il doit donc apprendre à intégrer trois savoirs : le savoir scientifique et théorique, le savoir pratique et professionnel, et le savoir d’expérience (Rhéaume, 2009). De par son rôle dans le milieu de l’intervention, le chercheur doit jongler avec une réalité professionnelle unique. Néanmoins, cette carrière présente beaucoup de ressemblances avec la carrière de professeur d’université. Sans aucun doute, une meilleure compréhension de la carrière de chercheur d’établissement peut faciliter la préparation professionnelle des futurs chercheurs. Les stratégies à promouvoir pendant le doctorat

On constatera ici que le travail de chercheur d’établissement couvre un ensemble de savoir-faire et de savoir-être. De ce fait, il est préférable de mettre en place ces compétences dès le début du doctorat. De façon générale, le développement de l’expérience professionnelle est principalement sous la responsabilité de l’étudiant. En effet, les programmes de doctorat fournissent surtout les connaissances théoriques nécessaires à une carrière en recherche. Par conséquent, il est conseillé de diversifier son expérience et son parcours professionnel afin de se démarquer et d’élargir ses horizons. Cette recommandation est pertinente pour tous les doctorants ; il vaut mieux viser un maximum d’expériences professionnelles utiles à une variété de domaines. À ce sujet, voici quelques conseils généraux. Mentor et modèle

Que ce soit dans le contexte du travail (p. ex., assistanat de recherche, correction de travaux) ou des études, le doctorat constitue une occasion unique de rencontrer des chercheurs issus de divers milieux universitaires et de divers milieux d’inter-

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vention. Il ne faut pas hésiter à les questionner, par courriel ou en personne, sur leur parcours ou leur domaine de recherche. Le fait de recevoir des conseils personnels et professionnels sur ses idées de recherche ou sur sa recherche d’emploi constitue une stratégie très utile et appréciée des doctorants. Dossier de publications

Peu importe le milieu de pratique, le dossier de publications est primordial lors de la recherche d’un emploi ou de demandes de subvention. Ces années au troisième cycle permettent de bâtir le dossier de recherche, entre autres à partir de la publication de données tirées des travaux réalisés lors de la maîtrise et du doctorat. En ce sens, l’écriture d’une thèse par articles est souvent privilégiée. De plus, certains textes écrits dans le cadre de séminaires peuvent faire l’objet d’une publication, d’une présentation lors d’un colloque ou d’une demande de bourse de mérite. Bref, il est important de rentabiliser l’ensemble des travaux et projets effectués tout au long du doctorat. Il ne faut également pas sousestimer l’écriture d’articles pour des revues professionnelles. L’importance du transfert des connaissances n’est plus à démontrer en recherche, comme en témoignent les critères d’évaluation des organismes subventionnaires, et ce d’autant plus dans le domaine de la recherche en établissement3. Expériences professionnelles

On recommande à l’étudiant d’accumuler des expériences professionnelles variées et complémentaires pendant ses études aux cycles supérieurs. Le travail effectué pour diverses équipes de recherche (p. ex., en tant qu’assistant ou coordonnateur de recherche) permet d’approfondir ses connaissances sur un domaine, une thématique ou une approche. De plus, il est souhaitable de diversifier son expérience auprès de chercheurs provenant d’autres universités, départements ou instituts. Une bonne façon de procéder est de commencer à se faire connaître par le milieu d’intervention en choisissant un directeur ou un codirecteur de thèse provenant d’un établissement du réseau4 ou en effec3. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Jean Gabin Ntebutse. 4. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau.

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tuant un stage de recherche postdoctoral. De telles expériences professionnelles permettent d’explorer plusieurs méthodologies de recherche et surtout, d’accroître ses connaissances sur le réseau professionnel. Dans certaines situations, ces diverses expériences peuvent se concrétiser sous forme de publications ou de participations à des congrès scientifiques. De plus, cette polyvalence est encouragée dans certains milieux, car le chercheur peut être amené à travailler sur une variété de thèmes de recherche. Enfin, ces collaborations sont très précieuses pour l’obtention de lettres de recommandation lors de demandes de bourses ou de la recherche d’emploi. Réseau professionnel

Certains étudiants font partie d’une équipe de recherche dynamique où de nombreuses rencontres professionnelles lui permettent d’enrichir leur parcours. D’autres doivent être proactifs dès le début du doctorat pour développer leur réseau professionnel. Peu importe la forme qu’empruntent ces relations, l’étudiant doit s’impliquer dans des équipes de recherche, que ce soit celle de son directeur de thèse ou celles travaillant sur des sujets qui l’intéressent. Selon le dynamisme de l’équipe, il peut y avoir divers colloques annuels, des réunions et des fonds pour le soutien des étudiants (p. ex., bourse de fin d’études, traduction d’article, participation à un congrès). Dans le même ordre d’idées, l’étudiant doit se tenir au courant des activités des associations liées à ses champs d’intérêt (p. ex., la Société de criminologie du Québec pour les criminologues ou la Société québécoise pour la recherche et en psychologie pour les psychologues). Ces divers lieux de rencontre favorisent des échanges stimulants pour l’écriture de la thèse, mais surtout pour la création de relations professionnelles. Ce réseau est très important lors d’une recherche d’emploi et tout au long de la carrière de chercheur. Transfert de connaissances

Puisque le transfert des connaissances est un aspect auquel les organismes subventionnaires et les organisations accordent de plus en plus d’importance, il est souhaitable de s’y exercer le plus tôt possible. Ainsi, en plus de se concentrer sur les séminaires ou la soutenance de thèse, le doctorant a avantage à présenter

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ses résultats de recherche le plus fréquemment possible lors de congrès, de réunions ou de cours universitaires auprès de publics variés dans les milieux scientifique et professionnel. Au cours de cette période d’apprentissage, le doctorant doit être ouvert aux critiques constructives et profiter de toutes les occasions pour répéter devant un public (directeur de thèse, étudiants…). Perfectionnement des connaissances

Pour accroître son bagage de connaissances scientifiques et devenir un candidat intéressant dans le domaine de la recherche, il est avantageux de profiter des années au doctorat pour suivre diverses formations complémentaires. En effet, on suggère de suivre plusieurs formations afin de diversifier ses connaissances sur les approches en intervention, de participer à des réunions dédiées aux étudiants des cycles supérieurs ou de s’initier à de nouvelles analyses statistiques. Bon nombre de ces conseils s’appliquent à l’ensemble des postes de chercheur. Cependant, grâce à ces expériences personnelles et professionnelles, l’étudiant développe une expertise qui peut faire la différence lors de la recherche d’un emploi. Recherche d’emploi

Lorsque la rédaction de la thèse tire à sa fin, l’heure est venue de préparer la recherche d’emploi5. En premier lieu, prendre l’habitude de visiter les sites Internet, de lire les bulletins d’information et de s’inscrire aux listes d’envoi des organismes pour être certain de recevoir toutes les offres d’emploi, tout cela constitue déjà un gage de réussite. En deuxième lieu, le doctorant peut relancer ses contacts (p. ex., les directeurs ou les coordonnateurs de divers centres de recherche) en leur mentionnant qu’il est en recherche d’emploi et en leur rappelant ses champs d’intérêt. Les conseils et le soutien du directeur de thèse peuvent être très précieux lors de cette étape. En troisième lieu, il faut savoir que dans certaines organisations, les chercheurs portent d’autres titres d’emploi : agent de planification de programmation et de recherche, 5. Voir dans cet ouvrage les chapitres de Jean Gabin Ntebutse et de Catherine Rossi.

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professionnel scientifique, conseiller scientifique, etc. L’étudiant a donc avantage à lire les descriptions de tâches afin de s’assurer que sous un titre d’emploi différent ne se trouve pas un poste de chercheur. Enfin, il faut se rappeler que le doctorat peut mener à d’autres carrières connexes à celle de chercheur d’établissement. En effet, les gouvernements provincial et fédéral proposent divers cheminements professionnels susceptibles d’intéresser les doctorants. À ce sujet, il est conseillé de consulter les sites Internet de recrutement gouvernementaux afin de se familiariser avec les divers postes offerts. Chaque année, ces deux ordres de gouvernement organisent des examens de sélection pour les finissants universitaires afin d’alimenter un bassin de candidatures potentielles. Cette dernière étape de la vie aux études supérieures nécessite évidemment une attitude proactive et ouverte de la part du doctorant. *** Dans le contexte actuel, la poursuite d’études doctorales est essentielle à la profession de chercheur d’établissement. Sans contredit, ces études fournissent les fondations d’une carrière fructueuse en recherche, mais ne sont pas suffisantes. Sans prétendre à l’exhaustivité, les recommandations suggérées dans ce chapitre rappellent la responsabilité du doctorant dans la planification de sa future carrière. Dans tous les cas, des ajustements seront nécessaires lors des premières années professionnelles. Il faut prendre le temps de s’habituer à la structure de l’établissement, connaître l’organisation des services et ainsi ajuster son expertise aux besoins et aux attentes du milieu. En ce sens, le fait d’avoir bénéficié de multiples expériences professionnelles lors de ses études est certainement un avantage. La diversification de son expérience professionnelle constitue un tremplin pour l’étudiant soucieux de réussir son passage vers le milieu professionnel de la recherche.

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chapitre 24 Multidisciplinarité et doctorat Emmanuelle Bernheim

La multidisciplinarité est une aventure1. Souvent le fruit d’un heureux hasard, elle prend diverses formes en fonction des parcours personnels et universitaires, des personnalités, des aspirations. Dans le travail de recherche, elle permet de sortir des sentiers battus, de s’imaginer, de se réinventer. Pourtant, la multidisciplinarité est un tabou universitaire. Alors que l’on discute abondamment d’interdisciplinarité, on sait peu de choses sur les étudiants au profil multidisciplinaire – qui bénéficient d’une double formation, voire de formations incomplètes ou carrément multidisciplinaires2. Combien sont-ils ? Quel est leur parcours ? Quel genre d’emploi occupent-ils à l’issue de leurs études ? Force est de constater que le profil multidisciplinaire peut prendre différentes formes et qu’il suppose nécessairement un parcours atypique – résultat d’un projet personnel, d’un retour aux études, d’une exigence du milieu professionnel, d’une recherche de soi, etc. Au moment d’entreprendre un doctorat, ces parcours étudiants différents et originaux constituent un avantage évident : la socialisation à plus d’une culture disciplinaire facilite la réflexivité tant dans 1. Je tiens à remercier mes directeurs de recherche, les professeurs Pierre Noreau de la Faculté de droit de l’Université de Montréal et Jacques Commaille de l’Institut du social et du politique de l’École normale supérieure de Cachan, pour leur soutien dans la réalisation de mon projet doctoral multidisciplinaire. 2. Les chiffres à ce sujet sont introuvables.

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la construction du projet de recherche doctoral que sur des automatismes de chercheur souvent tenus pour acquis. Le développement d’un positionnement disciplinaire distinctif constitue en soi une contribution indépendante et originale à l’avancement des connaissances, ce qui est l’objectif principal des études doctorales3. La recherche de ce positionnement original est dans les faits une forme de quête de soi : s’agit-il de se situer en réaction à l’une de nos disciplines de référence  ou d’imaginer une façon inédite d’aborder l’objet de recherche ? Quelle peut être notre place dans nos univers disciplinaires, par rapport à nos pairs et à l’enseignement ? Ces questions sont primordiales puisqu’elles nous préparent à une possible insertion professionnelle à la suite d’une thèse multidisciplinaire, inévitablement marginale. Les exigences propres à la réalisation d’une thèse multidisciplinaire, en lien avec les aspirations professionnelles, impliquent nécessairement une complexité supplémentaire dans le parcours académique. Elles doivent cependant être mises à profit par des choix judicieux tout au long du programme d’études, de même que dans la construction du curriculum vitæ de chercheur et du réseau professionnel. Les disciplines au cœur de la recherche universitaire

Les disciplines sont au cœur de la recherche universitaire. En plus de la division physique des lieux – facultés, écoles, départements –, elles constituent un ensemble de référents, de pratiques, d’épistémologies et de méthodes. Ces spécificités, loin de ne constituer que des praxis, correspondent à des visions du monde, des cultures, des paradigmes. En traçant une frontière entre initiés et profanes, les disciplines sont au fondement d’une identité, d’un sentiment d’appartenance à une communauté4. Géographes, anthropologues, historiens ou psychologues ne partagent souvent que la passion pour la connaissance et la découverte ; leurs questions, objets, techniques et méthodes diffèrent grandement. 3. Isabelle Skakni, « Socialisation disciplinaire et persévérance aux études doctorales : un modèle d’analyse des sphères critiques », INITIO, automne 2011 - Enseignement supérieur, n° 1, p. 22. 4. Jean Boutier, Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2006.

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Depuis quelques années, l’interdisciplinarité est sur toutes les lèvres. Bien que certains fassent remonter ses origines au moment de la création de l’université, et donc de l’émergence des disciplines, les publications sur le sujet se sont multipliées depuis 1980 notamment en raison de l’effet structurant des critères retenus pour l’octroi des subventions et l’évaluation de la recherche5. La volonté affichée de décloisonnement disciplinaire laisse penser qu’il est de plus en plus facile de faire de la recherche universitaire pour qui possède un profil multidisciplinaire. Dans les faits, les défis restent immenses. L’interdisciplinarité est le plus souvent conceptualisée comme une pratique de recherche par laquelle les chercheurs empruntent ponctuellement des outils méthodologiques ou théoriques provenant de différentes disciplines. Elle implique nécessairement l’ancrage des chercheurs dans une discipline unique, s’opposant ainsi à la multidisciplinarité, qui suppose l’acquisition et la maîtrise des spécificités de plus d’une discipline. Ce qui caractérise le chercheur multidisciplinaire, c’est justement un ancrage disciplinaire hétérogène et une capacité à composer avec différentes disciplines. L’absence d’ancrage unidisciplinaire constitue paradoxalement un défi de taille alors que la poursuite d’une carrière universitaire suppose généralement un rattachement départemental ou facultaire6. Pour les étudiants inscrits aux cycles supérieurs, le choix du programme d’études détermine par défaut un ancrage disciplinaire qui n’est pas sans conséquence sur la construction du projet de recherche. Il est en effet impératif que le travail de recherche soit reconnu par les pairs dans le champ disciplinaire duquel relève le programme d’études. Cet enjeu dépasse le parcours académique puisqu’il est susceptible d’influencer l’intégration professionnelle, qui dépendra des postes qui s’ouvriront7. 5. Jean-Michel Besnier et Jacques Perriault, « Introduction générale », Hermès, La Revue – Numéro spécial Interdisciplinarité : entre disciplines et indiscipline, vol. 67, no 3, 2013, p. 14. 6. Il n’est pas question ici de discuter du caractère aléatoire des frontières entre les disciplines, ni de son effet sur la recherche et la connaissance. Sur ce sujet, le lecteur lira avec profit : Jacques Commaille, « Le juridique dans le politique – De la relation entre “sciences” à l’évidence de l’objet », dans Centre Universitaire de Recherches sur l’Action Publique et le Politique, Droit et politique, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 269-281 et Immanuel Wallerstein, « L’héritage de la sociologie, la promesse de la science sociale », Sociétés contemporaines, vol. 33-34, 1999, p. 9-52. 7. Malgré l’intérêt porté à l’interdisciplinarité, la question récurrente qui se pose lors des processus d’embauche universitaires est celle de savoir ce que les candidats pourront enseigner

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Le défi d’un doctorant au profil multidisciplinaire

Tous les chercheurs multidisciplinaires ne sont pas dans la même situation lors de leur admission dans un programme de doctorat. Alors que certains ont étudié dans plusieurs disciplines au premier cycle, que d’autres ont fait une maîtrise dans un nouveau champ disciplinaire (un choix qui exige parfois jusqu’à une année de propédeutique), d’autres encore s’y lancent au doctorat. Dans ce dernier cas de figure, le parcours doctoral se double de l’acclimatation aux spécificités de la nouvelle discipline. Dans tous les cas, la multidisciplinarité doit se cultiver en permanence. Elle exige en effet la maîtrise et la reconnaissance des pairs dans plus d’une discipline, et donc l’« entretien » des connaissances spécifiques à chacune d’entre elles. Les développements théoriques, les débats méthodologiques et épistémologiques ainsi que les enjeux de la pratique professionnelle, le cas échéant, doivent minimalement être connus, et si possible faire l’objet d’une réflexion personnelle. Le défi en tant que doctorant au profil multidisciplinaire est de réussir à trouver sa propre façon de pratiquer cette multidisciplinarité. Autrement dit, il s’agit de construire, au fur et à mesure du travail de recherche, mais aussi des activités d’enseignement et de réseautage, un positionnement par rapport à l’objet plutôt qu’aux disciplines de référence8. De cette façon, il est possible de mettre à profit les spécificités des disciplines maîtrisées dans l’approfondissement des connaissances en croisant les regards qu’elles permettent. Il n’est alors plus question de recherche historique, sociologique ou anthropologique, mais plutôt de recherches structurées autour de questionnements et de problématiques qui mobilisent indifféremment des concepts et des méthodes originellement issues de disciplines diverses. Si cette manière d’aborder le travail de recherche favorise le développement d’un positionnement original, il est important, tout au long du parcours doctoral, de s’assurer de sa concordance avec les attentes du programme et de la direction de recherche. Il ne faudrait pas, en bout de course, que la thèse soit considérée comme ne répondant pas aux canons de la discipline de réfédans une discipline donnée. Le candidat multidisciplinaire doit parvenir à convaincre de ses compétences pour y enseigner douze crédits par année. 8. « Substituer l’objet à la discipline » : Commaille, supra note 6, p. 273.

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rence ou qu’elle fasse l’objet de critiques en raison de méprises, voire de rapports de force disciplinaires9. L’existence réelle de cette possibilité nécessite une préparation particulière en amont du doctorat : en plus de questions comme le financement, l’entente avec la direction de recherche ou la possibilité de concilier études et famille10, sonder l’ouverture des directions de programme et de recherche est primordial à la réalisation d’une thèse multidisciplinaire. Si l'on veut être en mesure de faire un choix éclairé, il peut être utile de se déplacer pour rencontrer les personnes clés de différents départements et de différentes universités. La construction de ce positionnement personnel est certainement le plus grand défi que pose la recherche multidisciplinaire, puisqu’elle met en exergue l’absence de repères identitaires que permet l’ancrage disciplinaire. Alors que la multidisciplinarité multiplie les possibles du point de vue de la construction des projets de recherche, un décalage évident avec les chercheurs unidisciplinaires se crée. L’insécurité qui caractérise la démarche doctorale, alors que l’on ne sait pas à quoi ressemblera sa thèse et comment elle sera reçue, se double de l’inconfort de ne pas être réellement ethnographe, philosophe ou linguiste. Partagé entre ses identités disciplinaires et n’appartenant complètement à aucune des communautés, l’étudiant a alors l’impression de ne jamais être à sa place. Tout le long de ce processus, se multiplient les questions existentielles auxquelles il faut impérativement tenter de répondre, même si le contenu des réponses peut changer plusieurs fois au cours du parcours doctoral. Parmi elles, celle du type de chercheur que l’on souhaite devenir est primordiale. Elle doit être abordée sous divers angles, notamment en fonction du milieu de travail envisagé après la thèse (universitaire, de pratique, privé, communautaire), du genre de recherche qui nous intéresse (critique, documentaire, de terrain, qualitative, quantitative, recherche-action, etc.) et des compétences méthodologiques à développer. Les intérêts personnels et les intuitions doivent absolument être pris en compte, mais il peut être intéressant de se renseigner stratégiquement. Par exemple, certains domaines de recherche sont saturés, 9. Issus de la lutte pour le « monopole de l’autorité scientifique » : Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, no 2-3, 1976, p. 89. 10. Voir les chapitres  pertinents dans cet ouvrage : Emmanuelle Bernheim, Christelle Lison, Pierre Noreau, Isabelle F.-Dufour et Dominique Tanguay.

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le nombre d’étudiants et de diplômés étant bien supérieur à celui des emplois devant être comblés. Connaître cette information en début de parcours permet d’envisager les adaptations qui s’imposent. Les exigences de la recherche multidisciplinaire – construction d’un positionnement personnel, repères identitaires hétéroclites, questionnement existentiel – ajoutent à l’isolement du parcours doctoral 11. Parce que la démarche est différente pour chacun – en fonction des disciplines de référence, des expériences de recherche et d’enseignement, des objectifs professionnels, etc. –, elle mène forcément à une solitude intellectuelle parfois lourde à porter. Bien souvent, l’étudiant multidisciplinaire est seul dans sa cohorte et peine à communiquer ses réflexions et ses interrogations. Des choix judicieux tout au long du parcours doctoral peuvent cependant en réduire les impacts. Le choix du département de rattachement et de la direction de recherche

Il est important de faire les choix d’université, de département et de direction de recherche en fonction de ses propres besoins et attentes en matière d’apprentissage et d’encadrement. Un premier tri des départements et des universités peut se faire par Internet, mais il est souvent nécessaire de se déplacer pour rencontrer les directions de programme, surtout les professeurs susceptibles d’assurer la direction de la recherche. Lors de ces rencontres, il est important de poser des questions précises sur la possibilité de mener une recherche multidisciplinaire dans le cadre du programme envisagé. Les avantages d’un programme par rapport à un autre restent toujours un peu artificiels, puisqu’ils dépendent bien souvent de la vision de la direction de programme. Il est fort possible que le professeur à la tête du programme change en cours de thèse et que celui qui le remplace ait une vision différente des choses. Les programmes qui s’affichent ouvertement comme multidisciplinaires (ou interdisciplinaires) ne sont pas différents des autres à cet égard. En fonction du parcours universitaire antérieur et des objectifs professionnels, le défaut de rattachement disciplinaire clair pourrait de plus s’avérer nuisible au moment de l’insertion dans le marché du travail. 11. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christine Vézina.

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Il est plus prudent de faire un choix de programme en fonction de la direction de recherche, qui, elle, ne changera pas en cours de doctorat et qui soutient normalement les choix de ses étudiants. Tout au long du parcours doctoral, le directeur de recherche reste le meilleur allié. Faire le choix d’un directeur qui a lui-même un profil multidisciplinaire peut être un moyen de s’assurer une compréhension mutuelle. Néanmoins, il est indispensable de rencontrer le professeur au moins une fois avant de procéder à son inscription, puisqu’au-delà de la multidisciplinarité subsiste l’enjeu de la chimie et de la connexion intellectuelle12. La codirection ou la cotutelle de thèse peuvent constituer des avenues intéressantes puisqu’elles permettent de développer l’aspect multidisciplinaire du projet doctoral et de lui octroyer une reconnaissance formelle. La codirection implique un professeur d’une autre discipline que le directeur, susceptible d’apporter une contribution disciplinaire spécifique, tant sur le plan théorique que méthodologique ; ces codirecteurs sont généralement rattachés à la même institution universitaire. La cotutelle suppose au contraire la direction conjointe du travail de recherche par deux directeurs œuvrant dans deux universités différentes, souvent dans deux pays différents. Elle mène à une double diplomation, une dans chaque université. Le plus souvent, les deux directeurs sont issus de la même discipline, mais il est possible de conclure une entente de cotutelle impliquant des directeurs de disciplines différentes, ce qui permet la reconnaissance d’une diplomation dans les deux disciplines. Avant de s’engager dans une codirection ou une cotutelle, il est important de vérifier que directeurs et codirecteurs sont bien sur la même longueur d’onde. Idéalement, cette entente se fait entre professeurs qui se connaissent et s’entendent déjà bien, mais ce n’est pas toujours possible. Dans ce cas, il revient à l’étudiant de trouver les professeurs et bien souvent de faire le lien entre eux, ce qui peut s’avérer compliqué et lourd. Il faut s’assurer que les choix en matière de direction sont avantageux dans la démarche multidisciplinaire. La codirection ou la cotutelle doivent permettre de profiter de l’expertise croisée des professeurs et d’enrichir le parcours multidisciplinaire en donnant accès à des enseignements et des références théoriques, méthodologiques et pratiques complémentaires. Un encadrement adapté à la démarche de 12. Voir dans cet ouvrage le chapitre de Christelle Lison.

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recherche multidisciplinaire devrait faciliter la prise de décision tout au long du parcours doctoral. Les choix reliés à la construction de la thèse

C’est l’élaboration de la thèse qui va permettre de préciser le positionnement personnel. Tout au long de la démarche doctorale, dans les différentes étapes du projet – problématique de recherche, collecte et analyse des données, discussion critique –, l’étudiant doit trouver le moyen d’utiliser fructueusement les outils qu’offrent les disciplines qu’il maîtrise. La thèse doit refléter la démarche complexe qui lui a permis d’exister sans pour autant dévoiler l’ensemble des questionnements, des hésitations et des essais qui ont jalonné le parcours. Pour accomplir un travail multidisciplinaire de qualité, il est primordial de lire bien au-delà de ce qu’exigerait un travail unidisciplinaire. Évidemment, documenter systématiquement une problématique multidisciplinaire nécessite de doubler ou de tripler les champs de recherche. L’état des connaissances à maîtriser s’en trouve d’autant étendu. Il est également nécessaire de multiplier les lectures théoriques afin d’ancrer la recherche dans les questionnements contemporains de chacune des disciplines. La construction d’une problématique de recherche est un travail de longue haleine qui nécessite de nombreux allers-retours entre lectures théoriques, lectures de fond et rédaction. En plus de l’état des connaissances, la problématique détermine l’angle sous lequel l’objet de recherche sera abordé ; la problématisation et la question de recherche sur laquelle elle débouche doivent être travaillées de manière à interpeller les disciplines de référence. Pour réussir cet exercice, le choix des mots et la formulation des concepts doivent être mûrement réfléchis, les choix méthodologiques doivent être cohérents. La pertinence scientifique de l’ensemble du projet doit se justifier de façon aussi convaincante dans toutes les disciplines mobilisées dans le cadre de la thèse. Les autres sections de la thèse – la présentation des résultats de recherche et leur discussion – doivent être rédigées avec le même souci de clarté et d’intelligibilité. La discussion des résultats, plus particulièrement, ouvre la possibilité de développer librement un point de vue critique en lien avec les résultats de recherche. Il est généralement possible ici d’inscrire de façon claire

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le travail de recherche dans les débats épistémologiques ou pratiques des disciplines de référence et d’asseoir un positionnement personnel, qui aura été développé tout au long de la thèse. La rédaction d’une thèse multidisciplinaire est particulièrement exigeante. En plus de la maîtrise du style scientifique, l’étudiant doit garder à l’esprit qu’il s’adresse à ses pairs dans plus d’une discipline et donc à des chercheurs dont les référents et les pratiques diffèrent, voire s’opposent. Il est important, en plus de bien choisir ses mots et de bien définir les concepts mobilisés tout au long de la thèse, de vulgariser les contenus et de s’assurer qu’aucun malentendu n’est possible entre les spécificités de chacune des disciplines. Les auditoires visés ne concevant pas l’objet de recherche de la même façon et n’ayant pas les mêmes pratiques de recherche, ils ne nourrissent pas nécessairement les mêmes attentes par rapport à la thèse. Il est bon de faire l’exercice d’envisager les questions qui pourraient venir des membres d’un jury multidisciplinaire et d’y répondre de manière anticipée, dans la thèse. La composition du jury

Un jury multidisciplinaire est tout désigné pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, il est certain que d’avoir des représentants des disciplines mobilisées dans le travail de recherche devrait permettre une évaluation plus juste de la thèse. Ensuite, le jury multidisciplinaire constitue une autre façon de consacrer officiellement l’aspect multidisciplinaire de la thèse. Finalement, la soutenance est l’occasion de faire connaître le travail des étudiants ; le fait de diffuser son travail auprès d’un bassin élargi de professeurs peut s’avérer avantageux pour la suite. Le choix des membres du jury doit cependant être fait judicieusement, notamment à l’égard de la représentativité des disciplines concernées. Un jury multidisciplinaire devrait être composé à parts égales de représentants des différentes disciplines sollicitées de manière à ne pas donner prépondérance à l’une d’elles. De même, une attention particulière doit être accordée au choix des professeurs qui composent le jury. Le fait de placer en position d’évaluation commune des chercheurs qui ne se connaissent pas et qui ne sont peut-être pas habitués à la multidisciplinarité pourrait s’avérer désavantageux. Idéa­

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lement, les membres du jury sont connus de la direction de recherche, ce qui pourrait faciliter les choses si la thèse est réalisée en codirection ou en cotutelle. Dans ce cas, les directeurs et codirecteurs peuvent puiser dans leurs réseaux disciplinaires respectifs. Si ce n’est pas le cas et que le directeur de recherche et l’étudiant doivent solliciter des chercheurs inconnus, il est indispensable de se renseigner sur l’ouverture de ces personnes à l’égard de la multidisciplinarité. Comme pour la direction de recherche, choisir des chercheurs qui ont un profil multidisciplinaire peut être une façon de s’assurer d’une certaine compréhension mutuelle. Compléter et soutenir une thèse n’est pas en soi suffisant pour s’insérer sur le marché du travail de la recherche, peu importe le milieu visé. Il est essentiel, tout au long du parcours doctoral, de se constituer un curriculum vitæ de chercheur et de bâtir son réseau13. Certaines stratégies permettent de mettre en valeur le profil multidisciplinaire de manière à en faire un atout lors des démarches d’emploi. Encore une fois ici, un effort doit être déployé pour entretenir la multidisciplinarité de manière à démontrer la compétence réelle dans plus d’une discipline. Il faut à tout prix éviter l’effet « absence d’ancrage disciplinaire » : autrement dit, la lecture du CV ne doit pas mener à conclure que l’on ne sait pas vraiment dans quel champ disciplinaire l’étudiant évolue. Mettre à profit votre profil multidisciplinaire 

Tout au long du parcours doctoral, comme tous les étudiants, l’étudiant au profil multidisciplinaire doit rechercher les occasions de garnir son CV de chercheur ; un effort soutenu doit cependant être consacré à la démonstration des compétences dans les disciplines de référence. Le CV de chercheur comporte plusieurs volets, qui correspondent aux tâches des professeurs dans les institutions universitaires : enseignement, recherche, implication communautaire (ou « service aux collectivités »). Plani­ fier la participation à des activités d’enseignement et de recherche permettra de valoriser le profil multidisciplinaire. Dans le domaine de l’enseignement, l’obtention d’une ou de deux charges de cours durant le parcours doctoral est un moyen de démontrer les capacités 13. Voir le chapitre de Jean Gabin Ntebutse dans cet ouvrage.

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d’enseignement recherchées pour les postes académiques. En fonction des domaines de spécialisation, il peut être possible de donner des cours dans plus d’un département. Bien sûr, multiplier les cours augmente le temps alloué à l’enseignement, mais il s’agit d’une stratégie intéressante pour prouver ses compétences disciplinaires et ouvrir plus d’occasions professionnelles par la suite. Comme l’enseignement est extrêmement chronophage, le choix des charges de cours doit autant que possible se faire minutieusement, dans l’objectif de bonifier le CV. De la même façon, l’implication dans des activités de recherche, en plus de la thèse, permet de garnir son CV tout en démontrant des compétences dans des champs connexes à celui de la recherche doctorale. Il est essentiel de publier quelques articles scientifiques, seul ou comme co-auteur, de donner des conférences et de participer à l’organisation d’événements scientifiques. L’implication dans une équipe, un groupe ou un centre de recherche, à titre de professionnel de recherche ou de membre chercheur, peut faciliter l’accès à de tels projets. Les projets de publication, de conférence et d’organisation d’événements scientifiques doivent être pensés en fonction des différents auditoires disciplinaires auxquels ils s’adressent : leur contenu et leur support (type de revue, d’ouvrage, de colloque) doivent diverger de manière à les rejoindre et à leur convenir. Cet impératif suppose une planification rigoureuse pour s’assurer d’une diversité de contributions à la fin de la thèse. Il peut être pertinent de participer à des colloques ou à des séminaires sur l’interdisciplinarité, l’épistémologie ou la méthodologie. Ces occasions favorisent l’exercice réflexif sur sa propre façon de travailler et contribuent à l’élaboration d’un positionnement personnel en recherche. Il peut être intéressant d’initier des projets de publication, de conférence ou d’organisation d’événements scientifiques. Concevoir ces projets en fonction de son positionnement original en recherche permet tout à la fois d’en affermir les bases, d’en démontrer la validité scientifique et de se faire connaître et reconnaître auprès de professeurs et de collègues étudiants. Le développement d’un réseau de recherche tôt dans le parcours doctoral est essentiel pour différentes raisons. Le contact avec les chercheurs est très formateur puisqu’il permet de voir et de comprendre le monde de la recherche. Il est l’occasion de se familiariser avec différentes façons de travailler et notam-

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ment d’en connaître davantage sur diverses théories et méthodes. Il est aussi une ressource précieuse : au fur et à mesure de la progression de la recherche doctorale, le nombre de personnes avec lesquelles il est possible de discuter de ses questionnements diminue. Le fait de connaître des chercheurs multiplie les occasions d’échanges. Le réseau de recherche peut parfois offrir des occasions de travail de recherche ou d’implication dans des activités de recherche durant le parcours doctoral. Il peut également faciliter par la suite l’entrée sur le marché du travail. Le développement du réseau de recherche doit permettre l’entretien de contacts avec des chercheurs issus des disciplines de référence. Lorsque c’est possible, il est important de choisir ses collaborations de recherche en fonction de ce qu’elles ajoutent en matière de compétences et de connaissances. Multiplier l’échange et la collaboration avec les chercheurs, les facultés et départements et les milieux de recherche (universitaire, de pratique, privé, etc.) multiplie d’autant les acquis. En fonction des domaines de spécialisation et des objets de recherche, l’affiliation à un centre de recherche peut permettre d’établir des relations avec une variété de chercheurs. Dans d’autres cas, il est nécessaire de les nouer et de les entretenir soi-même. Il ne faut pas hésiter à demander des rendezvous avec des professeurs pour discuter de la thèse, de projets particuliers ou tout simplement de recherche en général. Proposer des collaborations de recherche avec des professeurs ou des collègues étudiants issus de divers milieux et disciplines, ou travailler à titre de professionnel de recherche dans différentes facultés ou départements, sont des façons de constituer son réseau et d’enrichir son CV tout en profitant d’avantages sur le plan de la formation scientifique. *** Le fait de se sentir déchiré entre ses identités disciplinaires, de ne pas se sentir complètement à sa place parmi les chercheurs de l’une ou l’autre des disciplines, mène souvent au syndrome de l’imposteur, qui fait que l’on ne se juge pas compétent. Comme si le fait de ne pas s’identifier à une discipline unique se traduisait par un déficit de qualification. C’est évidemment complètement faux et il est important de prendre conscience de ses compétences, mais éga-

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lement de leurs limites, pour se positionner avantageusement sur le marché du travail. En plus des compétences strictement académiques, certains acquis propres au cheminement doctoral multidisciplinaire méritent d’être soulignés. En effet, réaliser une thèse multidisciplinaire permet le développement en parallèle de plusieurs aptitudes très utiles dans la vie quotidienne et professionnelle. La première est certainement la capacité de distanciation et de jugement critique sur son propre travail, facilitée par le regard disciplinaire croisé. La relecture de ses écrits à la lumière de paradigmes disciplinaires variés, voire opposés, force à retravailler et à approfondir ses analyses. La seconde, liée à la première, est la capacité de se réinventer par l’exploration de nouveaux objets, de nouvelles théories et méthodes. Le développement d’un positionnement personnel en recherche, la maîtrise des outils issus de plusieurs disciplines et la tolérance des incertitudes dans le travail favorise la posture d’ouverture nécessaire à cet exercice. Si la multidisciplinarité est marginale et impose un parcours doctoral sinueux, elle constitue de manière évidente un avantage dans une carrière de chercheur. Il revient à chacun d’en saisir toutes les possibilités et de contribuer à la connaissance en remettant en question le paradigme unidisciplinaire dominant14.

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14. Voir Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, 2e éd., Paris, Flammarion,

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Références par chapitre

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Weber, Bernard (2013). Les micro-humains. Paris : Albin Michel. Yachnin, Paul (2015). « Repenser les doctorats en sciences humaines », Affaires universitaires, http://bit.ly/2bAViFa. CHAPITRE 23

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Les collaborateurs

Geneviève Belleville est professeure agrégée à l’École de psychologie de l’Université

Laval.

Emmanuelle Bernheim est titulaire d'une double formation en sciences sociales et en

droit. Elle est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS). Louise Boisclair est auteure, chercheure et conférencière, membre de l’équipe rédac-

tionnelle d’Archée et titulaire d’un doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal.

Annick Bourget est professeure adjointe au programme d’ergothérapie de l’École de

réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Marie-Hélène Breault est flûtiste, titulaire d’un doctorat en interprétation et d’un

doctorat en musicologie de l’Université de Montréal.

Sophie Couture est titulaire d’un doctorat en criminologie et professeure associée à

l’École de criminologie de l’Université de Montréal et chercheure à divers centres de recherche universitaires. Carmela Cucuzzella est professeure assistante au Département Design and Computation

Arts et directrice du programme de cycle supérieur Digital Technologies in Design Art Practice de l’Université Concordia. Isabelle F.-Dufour est professeure au programme de psychoéducation de la Faculté des

sciences de l’éducation de l’Université Laval.

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Jean Gabin Ntebutse est professeur agrégé responsable des programmes de diplôme

et maîtrise en enseignement au secondaire du Département de pédagogie de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Jean-François Gaudreault-Desbiens est doyen de la Faculté de droit de l’Université de

Montréal.

Dalia Gesualdi-Fecteau est professeure au Département des sciences juridiques de la

Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal.

Christelle Lison est professeure agrégée au Département de pédagogie de l’Université de

Sherbrooke et membre régulière du groupe de recherche PeDTICE (pédagogie, didactique, technologique de l’information et de la communication pour l’enseignement). Virginie Mesguich est titulaire d’un doctorat en droit et associée au Centre de recherche

en droit public de l’Université de Montréal.

Nanette A. E. M. Neuwahl est professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université

de Montréal et chercheure régulière au Centre de recherche en droit public.

Pierre Noreau est professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de l’Université

de Montréal où il travaille depuis 1998. Il est politologue et juriste de formation.

Jacques Papy est professeur au Département des sciences juridiques de la Faculté de

science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal.

Élias Rizkallah est professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec

à Montréal et directeur du centre d’ATO (analyse de texte assistée par ordinateur).

Catherine Rossi est professeure et chercheure en criminologie à l’École de service social

de l’Université Laval et chercheure principale au Centre interdisciplinaire sur la violence intrafamiliale et faite aux femmes (Cri-ViFF). Shirley Roy est professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université du

Québec à Montréal, elle a cofondé et codirigé le Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale (CRI). France St-Hilaire est professeure agrégée, responsable de l’Équipe de recherche en santé

et bien-être des individus au sein des organisations du Département de management et gestion des ressources humaines de l’Université de Sherbrooke. Dominique Tanguay est professionnelle de recherche, adjointe aux titulaires de la

Chaire de recherche Claire-Bonenfant – Femmes, savoirs et sociétés et de la Chaire de leadership en enseignement – Femmes et organisation de l’Université Laval.

Christine Vézina est professeure adjointe à la Faculté de droit et coresponsable du

Groupe d’étude en droits et liberté (GEDEL) de l’Université Laval.

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Table des matières

7

Introduction PREMIÈRE PARTIE

la thèse en devenir CHAPITRE 1

Pourquoi faire une thèse ? Christelle Lison et Annick Bourget

13

CHAPITRE 2

Dynamique des paramètres décisionnels pour la réalisation d’une thèse Élias Rizkallah et Shirley Roy

23

CHAPITRE 3

La direction de recherche  Christelle Lison

37

CHAPITRE 4

L’intégration dans un contexte universitaire étranger Nanette Neuwahl

51

CHAPITRE 5

De la pratique professionnelle à la thèse : retour réflexif sur un parcours de recherche Dalia Gesualdi-Fecteau

65

CHAPITRE 6

La thèse et l’argent Emmanuelle Bernheim

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75

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CHAPITRE 7

« Maman, as-tu bientôt fini tes devoirs ? »  Expérience d’une mère monoparentale Isabelle F.-Dufour

89

CHAPITRE 8

La conciliation études doctorales et famille Dominique Tanguay

101

DEUXIÈME PARTIE

la thèse telle qu’elle se fait CHAPITRE 9

Une bonne thèse… c’est quoi ? Pierre Noreau

115

CHAPITRE 10

Formuler – et reformuler – la question de recherche Carmela Cucuzzella

129

CHAPITRE 11

La thèse-création Marie-Hélène Breault

145

CHAPITRE 12

Les enjeux psychologiques de la thèse Geneviève Belleville

155

CHAPITRE 13

Se discipliner dans la rédaction Louise Boisclair

171

CHAPITRE 14

Syndrome de la page blanche et anxiété de performance France St-Hilaire

181

CHAPITRE 15

Travailler avec un directeur de thèse Pierre Noreau

195

CHAPITRE 16

Écrire une thèse dans une langue autre que la sienne Nanette Neuwahl

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209

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CHAPITRE 17

La thèse sous forme d’articles Jacques Papy

223

CHAPITRE 18

Les isolements du parcours doctoral  Christine Vézina

233

CHAPITRE 19

La soutenance, entre épreuve et couronnement Jean-François Gaudreault-Desbiens

245

TROISIÈME PARTIE

et puis après ? CHAPITRE 20

La dépression d’après-thèse Catherine Rossi

259

CHAPITRE 21

De la thèse au marché du travail Jean Gabin Ntebutse

275

CHAPITRE 22

Mettre fin à sa thèse : une éventualité à ne pas négliger Virginie Mesguich

287

CHAPITRE 23

La profession de chercheur d’établissement Sophie Couture

303

CHAPITRE 24

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Multidisciplinarité et doctorat Emmanuelle Bernheim

315

Références par chapitre

329

Liste des collaborateurs

343

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un voyage, on la quitte comme un songe. Passé le cap des généralités, chaque expérience est singulière et il y a autant de raisons d’entreprendre une thèse qu’il y a d’étudiants

Bernheim • Noreau

La thèse… on l’aborde comme une aventure, on la vit comme

sous la direction de Emmanuelle Bernheim et Pierre Noreau

inscrits au doctorat. Si les motivations sont innombrables, les difficultés et les joies de la trajectoire se ressemblent et guide pour les autres. Comment choisir un directeur de thèse ? Qu’y a-t-il au début et à la fin du tunnel ? Que faut-il faire pour s’en sortir indemne ? Ce livre rassemble les expériences d’étudiants qui ont, pour l’essentiel, soutenu leur thèse au cours des cinq dernières années, dans l’un ou l’autre champ des sciences sociales et humaines. Il aborde différents aspects pratiques du projet doctoral, depuis sa conception aux choix personnels et professionnels qui suivent sa réalisation. Il manquait un ouvrage sur les conditions matérielles, personnelles et relationnelles de la thèse, le voici ! Emmanuelle Bernheim est titulaire d’une double formation en sciences sociales et en droit. Elle est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS). Pierre Noreau est professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en droit public. Il est politologue et juriste de formation et œuvre dans le domaine de la sociologie du droit.

27,95 $ • 25 e

La thèse • Un guide pour y entrer… et s’en sortir

ceux qui les ont connues peuvent faire de leur expérience un

La thèse U n g u i d e pou r y e ntr e r … et s’ e n so rti r

isbn 978-2-7606-3684-2

Couverture : Saint Jérôme dans son étude Jan van Eyck, Detroit Institute of Arts, (domaine public)

Également disponible en version numérique

www.pum.umontreal.ca

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PUM

Les Presses de l’Université de Montréal

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