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French Pages 256 Year 2014
LA SCULPTURE GRECQUE Edmund von Mach
Auteur : Edmund von Mach
Traduction : Marie Dumont-Aguarwal, Lydia Laker, Karin Py, Odile Verdier
Mise en page : Baseline Co Ltd 127-129 A Nguyen Hue Fiditourist, 3e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam
© Parkstone Press International, New York, USA p. 210 : Musée du Mausolée, Bodrum. Avec l'aimable permission du Pr Kristian Jeppesen © Confidential Concepts, worldwide, USA
ISBN 13 : 978-1-78042-847-5
Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition.
LA SCULPTURE GRECQUE SON ESPRIT ET SES PRINCIPES
Sommaire Introduction
7
Les Principes fondamentaux
13
L'Art avant le VIIe siècle avant J.-C. et l' « époque obscure »
57
La Période archaïque
75
La Période de transition
113
Le Parthénon
151
L'Idéal grec
189
L'Automne
225
Notes
248
Bibliographie
251
Liste des illustrations
252
Tête du Dipylon, Dipylon, Athènes, vers 600 av. J.-C. Marbre, h : 44 cm. Musée archéologique national, Athènes. 6
Introduction
INTRODUCTION
L’
étude de la sculpture grecque était encore inconnue il y a deux cent cinquante ans. Johann Winckelmann1 fut le premier à s’intéresser à cet art et à publier un ouvrage sur le sujet en 1755. Les fouilles à Pompéi et Herculanum, le transport des sculptures du Parthénon à Londres par Lord Elgin, et par-dessus tout, la renaissance de la Grèce et les riches découvertes provenant des fouilles archéologiques, ont stimulé un regain d’intérêt dans ce domaine. Au XVIIIe siècle, les gens n’étaient pas capables d’apprécier l’art antique à sa juste valeur parce qu’ils ne possédaient que de rares pièces originales. De fait, ils étaient obligés de les observer en se référant à la civilisation romaine, plus récente. L’avancée de la science au XIXe siècle a permis d’explorer ces mystères plus en profondeur. La pelle de l’archéologue a mis en lumière des trésors depuis longtemps oubliés. Les érudits, formés dans les rigoureuses écoles de philologie, ont mis à jour ces richesses et les ont classifiées, laissant peu ou pas de place au critique d’art. Le sujet était dans les mains des archéologues qui l’ont présenté à travers des histoires plus ou moins complètes exposant la sculpture grecque ou l’art grec. Tous leurs travaux suivent la chronologie des faits et relatent l’histoire des artistes de l’Antiquité. Une telle approche, bien qu’elle instaurât l’ordre au milieu du chaos du siècle précédent, a toutefois rendu difficile une compréhension claire de l’esprit de la sculpture grecque. En effet, les livres, destinés à des spécialistes, étaient remplis d’informations utiles pour des découvertes ultérieures. Néanmoins, ceux-ci n’offraient pas d’intérêt artistique aux yeux du public. Par conséquent, les débats archéologiques témoignent largement du désintérêt des artistes et profanes cultivés pour l’art antique. Les auteurs du XVIIIe ont tenté de définir l’art grec, sans toutefois disposer de matériaux suffisants ; quant aux érudits du XIXe siècle, ils ont rassemblé des données précises qu’il était de notre devoir d’expliquer au XXe siècle, permettant ainsi au lecteur de mieux comprendre l’esprit et les principes de la sculpture grecque. L’âme de la sculpture grecque est véritablement synonyme de l’esprit de la sculpture en général. Elle est simple et pourtant défie toute tentative de définition. Nous pouvons la ressentir, mais il nous est impossible de l’exprimer. Aujourd’hui, celle-ci a perdu de son magnétisme parce que nous nous sommes fiés à ce qui a été dit à son sujet, au lieu d’entrer en contact direct avec elle. Toutes les connaissances réunies dans un ouvrage ne peuvent remplacer le manque de proximité avec les sculptures originales. « Ouvrez vos yeux, étudiez les statues, regardez, pensez, et regardez à nouveau » est le précepte qui convient pour tous ceux qui veulent connaître la sculpture grecque. Certains guides ou manuels d’initiation ne sont pas pour autant à négliger. Ils chassent les fausses interprétations qui prévalent dans l’esprit de chacun. Dans cette optique, des repères sont plus efficaces que de longs et interminables débats, car ils aiguisent le jugement individuel.
Une Evolution rapide La sculpture grecque a évolué de manière très rapide dans des conditions qui ne sont généralement pas considérées propices. Peu de pays ont subi des changements aussi soudains que la Grèce, car la brutalité avec laquelle la civilisation mycénienne a disparu, balayée probablement par les Doriens, demeure sans précédent dans l’histoire. Les trois ou quatre siècles qui ont suivi l’invasion dorique (environ 1000 ans avant J.-C.) – les années sombres du moyen âge de la Grèce – ont été agités par des violents remous politiques et, pendant toute cette période historique, la Grèce a vécu dans l’instabilité. Des Etats se constituaient et sombraient avec une rapidité étonnante. Athènes,
commune relativement mineure avant l’époque de Peisistratos, est presque introuvable dans les poèmes d’Homère (vers 800 avant J.-C.). Sa suprématie remonte aux guerres Médiques (490-480 avant J.-C.), mais avant la fin de ce siècle, sa gloire avait déjà pris fin. Alexandre le Grand monta sur le trône en 336 avant J.-C., diffusa ses préceptes jusqu’en Inde et, quand il mourut, la Macédoine était condamnée à perdre son rôle de puissance mondiale. Pergame, devint célèbre en 241 avant J.-C. sous le règne d’Attale 1er, et perdit sa puissance en 133 avant J.-C. L’Amérique, considérée comme un pays jeune, est en fait aussi ancienne que la Grèce à l’époque où celle-ci fut dominée par Rome. Il s’est écoulé plus d’années depuis la déclaration d’Indépendance des Etats-Unis qu’il n’y en a eu entre la montée et la chute d’Athènes.
Le Triomphe de la minorité Il est communément admis que la paix et la liberté sont les préalables nécessaires à une période artistique faste. Cela est certainement vrai, mais il ne faut pas se référer seulement aux contingences extérieures. L’environnement des personnes ne révèle pas grand-chose, alors que leur état d’esprit s’avère plus éloquent. Il n’est pas non plus indispensable que la grâce accordée à une âme noble soit partagée par tous. L’ardeur de quelques-uns a souvent contribué aux triomphes d’une nation toute entière. Il serait erroné de croire que tous les Athéniens, ou la majorité d’entre eux, cultivaient une sensibilité artistique pour la beauté. Le grec mesquin et partial de la classe moyenne, tel qu’il apparaît dans les comédies d’Aristophane ou les dialogues de Platon, ressemble plutôt à un être doté d’une vision assez étroite, animé par des préjugés remplis de jalousie. Ce personnage ne justifie pas l’ascension d’Athènes. En revanche, il peut éventuellement expliquer sa chute vertigineuse. Pourtant, en dépit du grec moyen et de ses congénères, Athènes a pu conquérir sa suprématie. Cependant, dans le domaine de l’art, l’importance de chaque artiste pris individuellement ne doit pas être surestimée. Sir Robert Ball2 est souvent cité pour avoir défendu l’idée que les découvertes scientifiques suivent toujours la loi de la nécessité, même si elles peuvent être accélérées par l’intervention d’éminents savants. Si James Watt n’avait pas découvert la puissance de la vapeur, quelqu’un d’autre l’aurait trouvée à sa place. Plusieurs scientifiques étaient prêts à annoncer au monde la théorie de Darwin sur l’évolution des espèces. « Mais », ajouta Sir Robert Ball, « que serait le monde de la musique, si Beethoven n’avait pas existé ? » Ce qui est valable pour la musique, l’est aussi pour la sculpture, comme de tous les arts nobles. Quelques-unes des plus imposantes statues grecques n’auraient jamais été créées si Phidias n’avait pas vécu. « Ne savez-vous pas », s’exclame un auteur de l’Antiquité, « qu’il y a une tête de Praxitèle dans chaque pierre ? » C’est seulement après l’avoir dégagée de sa gangue massive que la tête surgit de la pierre et révèle toute sa signification. Pour interpréter la pensée d’un artiste, la plupart d’entre nous ont besoin de son expression artistique. Cependant, même si aucune expression n’est présente, la réalité de la pensée ne peut être reniée, car elle est totalement indépendante de la représentation que nous nous en faisons.
La Petite Gamme des idées simples Le royaume des pensées véhiculées par la sculpture grecque a été circonscrit et se trouve être assez éloigné de la complexité de l’époque moderne. Quelques idées simples bien exprimées font le charme de l’art grec. En fait, la justesse de l’expression a parfois été considérée comme faisant partie intégrante de l’art grec. Introduction
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Beaucoup ont considéré Shelley, Keats, Hölderlin et d’autres écrivains comme Grecs, non pas parce qu’ils pensaient comme les anciens, mais parce qu’ils savaient exprimer leurs sentiments avec pertinence. Ils étaient Grecs d’une certaine manière, mais il leur manquait une autre qualité essentielle de l’art antique : la simplicité. Chez les êtres humains, la vraie simplicité est rarement spontanée. La beauté du Parthénon est la résultante d’une pensée claire, accompagnée d’un sentiment juste. De fait, elle a été comprise par tous et, dès l’année de son achèvement, fut considérée, tel que l’a dit Plutarque, comme un classique du genre.
La Séduction d’une œuvre d’art Peu d’artistes ont le pouvoir de séduire toutes les franges de la population, car cela nécessite non seulement beaucoup de talent, mais aussi de la compassion envers la nature humaine. Ce fait est souvent étudié. Les gens oublient que l’attraction d’une œuvre d’art s’adresse aux plus hautes facultés de l’homme à travers ses yeux. Or, peu de choses sont vues telles qu’elles sont en réalité. La maison que nous regardons est matériellement totalement différente de l’image pyramidale projetée sur la rétine de l’œil. Nous ne sommes toutefois pas désorientés par cette distorsion parce que cette maison nous est complètement familière. Aucune familiarité de cette sorte ne peut exister envers une œuvre d’art. La disparité entre l’objet imaginé et sa représentation réelle doit être prise en compte et des substituts doivent être utilisés pour corriger les particularités de la vision humaine. Un artiste ne peut se permettre d’oublier que pour traduire ses pensées, il doit emprunter des formes objectives, et que pour séduire, il doit faire appel aux spécificités subjectives de la nature humaine. Parmi tous les sujets disponibles, il va sélectionner ceux qui sont pleinement compris, et les sculpter de façon à satisfaire les critères de la perception humaine. Par conséquent, le développement moral et intellectuel d’une culture implique de la variété tant dans le choix adéquat des sujets que dans leur mode de représentation.
Les Périodes de la sculpture grecque
Corè, Délos, vers 525-500 av. J.-C. Marbre, h : 134 cm. Musée archéologique national, Athènes. 8
Introduction
Les Grecs ont travaillé selon ces principes. Il n’est donc pas étonnant que leur art sculptural puisse être divisé en périodes correspondant aux différentes étapes de leur civilisation. L’esprit de leur sculpture n’a jamais changé. Il est cependant certain que tous les sculpteurs n’ont pas adopté fidèlement cette conduite. Quelle que soit la justesse de leurs idées, ils ne pouvaient s’empêcher d’apporter leur touche personnelle. Il devient donc indispensable de distinguer ce que le sculpteur a voulu dire, de ce qu’il a finalement réalisé. Sur ce point, le traitement archéologique de l’art antique s’est énormément trompé. Certains dérapages dans le processus de création ont été considérés par beaucoup comme étant l’expression d’une nouvelle conception. Est-ce une erreur ? Par exemple, les tendances à la sophistication excessive des Athéniens et la négligence polyclétienne envers la dimension noble de la nature humaine sont uniquement des aberrations passagères. Elles sont totalement étrangères à l’esprit même de la sculpture grecque, et trouvent leur explication dans les amours et les haines passagères d’une poignée d’hommes. De tels exemples d’inattention envers un détail ou un autre ont laissé une empreinte sur l’expression artistique ultérieure. Cependant, leur influence aurait pu être plus importante si, au lieu d’être seulement l’exagération accidentelle d’un élément mineur, elle avait constitué l’introduction intentionnelle d’un nouveau concept. Il est intéressant de souligner que l’impressionnante délicatesse des débuts de la sculpture athénienne a été suivie par Phidias. De même Polyclète, avec son détachement des valeurs nobles de l’être humain, a été immédiatement suivi par Praxitèle et Scopas, qui se sont distingués comme les plus grands maîtres de l’expression des passions de l’âme humaine.
Femme voilée assise, fragment de stèle funéraire, vers 400 av. J.-C. Marbre, h : 122 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. Introduction
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Torse d’homme, copie d’un original grec en bronze de Polyclète, le Diadumène, créé vers 440 av. J.-C. Marbre, h : 111 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Introduction
Hercules Farnèse, copie d’un original grec du Ve siècle av. J.-C. Marbre, h : 313 cm. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
Introduction
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Les Principes fondamentaux
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX La Sculpture grecque dans sa relation à la nature L’Image mentale
L
a sculpture grecque possède un attribut qui est fortement opposé à ce que l’on nomme le réalisme. Compte tenu de l’antagonisme entre réalisme et idéalisme, la sculpture grecque a souvent été qualifiée d’idéaliste. L’artiste réaliste, en cherchant à représenter la nature telle qu’elle est, avec ses accidents et ses incidents, est tellement emporté par ces détails qu’il est incapable de saisir l’essence véritable, bien que fugace, de l’objet. L’idéaliste, quant à lui, dédaigne les détails apparents, consacrant son effort à valoriser au mieux l’objet choisi pour modèle. Ces deux hommes travaillent à partir d’éléments concrets de la nature, qu’ils essaient de reproduire. Or, les Grecs ne travaillaient pas de cette façon. Tout le monde dispose d’une image mentale ou d’une représentation mémorielle de son environnement familier. Le but des Grecs était de représenter précisément ces images mentales. Ils ont tenté de rendre leurs idées palpables, et sont donc considérés comme réalistes plutôt qu’idéalistes. Comme les termes idéaliste et réaliste sont déjà appliqués au genre mentionné ci-dessus, il est donc déconcertant de les employer pour parler des Grecs de l’Antiquité. Il en est de même pour le mot « élimination », par lequel la plupart des auteurs nomment l’omission intentionnelle ou la suppression de détails. L’absence de détails inutiles dans la sculpture grecque, n’était pas le fruit d’un éclectisme conscient, mais résultait du fait que ces détails n’avaient pas leur place dans les images mentales de chacun. L’image mentale, ou l’image mémorielle, est l’impression qui nous reste après avoir vu une grande quantité d’objets d’un même genre. Cela fait partie de l’idéal platonicien, purifié et libéré de toutes les composantes personnelles ou conjoncturelles. Etrangement, cette perception peut parfois transformer la nature d’un objet particulier, l’excluant ainsi de la catégorie à laquelle il appartient. La mémoire humaine est une faculté particulièrement aléatoire. Bien que réactive, elle est assez imprécise à son stade primaire. La forme d’une feuille de papier carrée est facilement mémorisable, de même qu’un stylo ou tout autre objet simple et uniforme. L’image mentale que nous avons d’un animal est par contre moins distincte. Si celui-ci est proéminent, tel un chien ou un cheval, nous nous souvenons de la tête, des pattes, de la queue et peut-être du corps, mais toutes ces parties ne sont pas reliées entre elles. Si l’on demande à un enfant, par exemple, de dessiner un homme, il se souviendra de la tête, des bras et des jambes, mais ne saura pas lier tous les membres entre eux. Son image mentale de l’homme dans son intégralité est trop imprécise pour le guider. Dans la nature, les différentes parties sont unies par des courbes fluides qui évoluent ensemble alors que dans notre représentation mentale, elles sont simplement associées les unes aux autres. Ce processus d’assemblage est totalement inconscient et ne nous préoccupe pas particulièrement, à moins que nous soyons obligés de le reproduire sur papier ou sur la pierre, et ainsi de comparer l’image mémorisée aux objets réels autour de nous. Le professeur Löwy3 cite l’exemple remarquable d’une image mentale troublante, recueillie auprès des
dessinateurs primitifs brésiliens qui, impressionnés par les moustaches des Européens, les ont dessinées sur le front plutôt qu’au-dessus de la lèvre supérieure. Dans leur image mentale, la lèvre supérieure n’est pas capitale, tandis que la bande de poils recouvrant le front occupe une place prépondérante. La moustache a été placée sur le front, bien que ce soit contraire à la nature et apparemment injustifié, même au premier regard. Cependant, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin pour se rendre compte de la facétie singulière des images mentales. Laissons le lecteur ramener à sa mémoire des images de chevaux, de chiens, de mouches, de lézards et de créatures de la même espèce. Il verra les chevaux et les chiens de profil, les lézards et les mouches en vue aérienne. S’il observe une affiche récente d’une course de chevaux vue de haut, qu’elle que soit sa précision, il ne pourra la comparer instantanément à une image mémorielle, et cela lui demandera un effort mental spécifique pour la décrypter. Il en est de même de l’image d’une mouche vue de profil, ou peut-être d’un chien vu de face. Aucune de ces images ne véhicule immédiatement l’idée de l’animal, bien qu’elles soient probablement plus proches de la réalité que l’image mentale déformée que s’en fait le lecteur. Selon les principes généralement admis, les images mentales associées aux objets familiers devraient être plus distinctes. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Quand nous voyons un animal pour la première fois, nous l’observons avec beaucoup d’attention ; après chaque observation successive, nous y accordons de moins en moins d’attention et progressivement le moindre coup d’œil suffit à l’identifier. Finalement, nous transportons avec nous une image mentale dont la nébulosité correspond au manque d’attention portée aux détails et nous lui faisons confiance. Exprimée par le dessin, la reproduction sera éloignée du sujet et ressemblera finalement très peu à l’animal, car, en l’englobant dans la nature, l’image mentale l’aura rendu si familier qu’il en deviendra sans intérêt. Quand un dessinateur primitif esquisse une bête sauvage, il est capable de la représenter avec plus d’individualité que lorsqu’il représente sa propre espèce. Les traits des personnages sur les peintures murales égyptiennes et les bas-reliefs de l’ancienne Egypte sont moins détaillés que ceux des prisonniers orientaux, les Keftiou, souvent présents dans les scènes picturales. Toutefois, ces deux représentations humaines n’atteignent pas l’excellence avec laquelle les animaux sont dessinés. Aucune image mentale n’est reproduite sur papier ou sur la pierre comme elle est en réalité. L’extrême attention accordée à sa matérialisation lui enlève beaucoup de sa spontanéité. Résultant de l’observation inconsciente d’un grand nombre d’objets, quand l’image mentale est exprimée de manière consciente, elle contient beaucoup de lacunes et de lignes floues que l’artiste doit combler de son mieux. L’autre raison pour laquelle toutes les images mentales ne peuvent être reproduites avec précision, est que les lois de l’univers, auxquelles sont soumis les objets, ne régissent pas le monde des images mentales. Pour illustrer cet exemple, Löwy se réfère à l’image mémorielle d’un homme de profil qui peut comporter deux yeux, comme dans le monde primitif. Ne pouvant les dessiner tous les deux en raison du manque d’espace, il est donc nécessaire de s’éloigner de l’image mentale.
Athéna pensive, vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 54 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
Les Principes fondamentaux
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Statuette féminine, dite « Dame d’Auxerre », vers 640-630 av. J.-C. Calcaire, h : 75 cm. Musée du Louvre, Paris. Corè, ex-voto offert par Nicandré à Délos, vers 650 av. J.-C. Marbre, h : 175 cm. Musée national archéologique, Athènes.
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Les Principes fondamentaux
Cléobis et Biton, ex-voto, vers 580 av. J.-C. Marbre, h : 218 et 216 cm. Musée archéologique, Delphes.
Les Principes fondamentaux
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Corè 671, Acropole, Athènes, vers 520 av. J.-C. Marbre, h : 177 cm. Musée de l’Acropole, Athènes. Corè 593, Acropole, Athènes, vers 560-550 av. J.-C. Marbre, h : 99,5 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Les Principes fondamentaux
De tels exemples obligent l’artiste primitif à se tourner vers la nature pour y trouver des informations. Il peut le faire de deux façons différentes : soit en observant plus en profondeur, pour obtenir une image mentale plus claire, ou alors en copiant tout simplement les parties manquantes à partir d’un modèle. La deuxième méthode, aussi naturelle qu’elle puisse paraître, n’est pas aussi accessible que la première, probablement parce que le spécifique, en prenant le pas sur le générique, changerait entièrement la qualité de l’œuvre. D’ailleurs, il est bien connu que même des enfants intelligents et doués pour le dessin sont souvent incapables de faire une copie intelligible d’un modèle précis. L’artiste primitif est l’interprète des tendances générales de son peuple. Quand, pour la première fois, il exprime son image mentale ou celle de ses congénères, ses réalisations ont une conséquence importante sur le développement de sa culture. Si son peuple est sincèrement imprégné par la recherche de la vérité, inconsciemment, il évaluera le degré de précision des images matérialisées et, en les comparant aux objets naturels, réajustera les imperfections des images mentales initiales. Les nouveaux concepts seront par la suite exprimés par un artiste ultérieur, et le processus de réajustement sera perpétué. Ce fut le cas chez les Grecs. La période historique de l’art grec a été brève, et cependant suffisamment longue, pour permettre aux Grecs d’avancer jusqu’au point où les images mentales des objets, propices à la représentation sculpturale, sont si délicates que les reproduire revient à copier la nature elle-même. Le développement de l’art en Grèce est diamétralement opposé à ce qui s’est passé, par exemple, en Egypte ou en Assyrie. Dans ces pays, les premières expressions artistiques étaient beaucoup plus avancées que les épreuves grossières réalisées par les Grecs. Mais, au lieu de s’en servir pour expliciter des concepts mémoriels, ces peuples se sont contentés des résultats, amenant les générations suivantes à les considérer comme des archétypes suffisants. La statuaire égyptienne ou assyrienne des dernières périodes ne peut prétendre être l’expression authentique des idéaux de leurs peuples respectifs. Tandis que nous pouvons examiner une statue grecque et en déduire les comportements moraux et intellectuels des Grecs de l’époque, il est impossible d’en savoir autant en observant un bas-relief égyptien ou assyrien. Cette vérité persiste aussi largement dans la sculpture moderne. L’artiste moderne, en disposant de toute la richesse de la sculpture ancienne et de celle de la Renaissance, est souvent tenté de les copier ou d’adapter leur style, en intégrant uniquement des changements imposés par les tendances de son époque. La sculpture américaine, par exemple, belle dans certaines phases, montre une croissance rapide et remarquable de la maîtrise technique, mais on peut difficilement prétendre qu’elle révèle le développement progressif des idéaux de son peuple. Jusqu’à présent, il est tacitement admis que le talent d’un artiste, quelque soit son époque, lui permet de représenter avec précision ses images mentales. Cependant, cela n’était pas toujours le cas avec les Grecs. Leur exceptionnel développement spirituel était tel que les compétences techniques des artistes n’arrivaient pas à l’égaler et ce, jusqu’au crépuscule de leur art. Dès qu’un problème de représentation était résolu, la précision croissante des images mentales en posait un autre ; et, quand tous les problèmes de représentation d’une gamme limitée de sujets avaient trouvé une solution, de nouveaux thèmes réclamaient urgemment d’être exprimés. Il est possible que la fin de la sculpture grecque se produisit quand toutes les questions techniques furent résolues et que l’appauvrissement mental du peuple, couplé à la réticence des artistes envers les pensées morales et religieuses de la nouvelle époque, les laissa avec Corè 685, Acropole, Athènes, vers 500-490 av. J.-C. Marbre, h : 122 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
Les Principes fondamentaux
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très peu d’idées dignes d’être extériorisées. Cependant, l’imperfection, comme l’excellence de l’art, sont soumises à d’autres influences. Puisque les images mentales sont le résultat involontaire d’une exposition fréquente à des objets de qualité, elles sont donc tout aussi influencées par les nombreuses statues d’hommes que par les hommes eux-mêmes. Cela fut particulièrement vrai au XIXe et au début du XXe siècle : le désintérêt puritain pour le corps avait créé une situation où il était parfois difficile de matérialiser une conception intelligente du corps humain autrement qu’à travers des statues ou des photos. La noblesse de l’esprit et celle du corps sont souvent étroitement liées, et parce qu’on retrouvait difficilement cette noblesse parmi les modèles professionnels, les corps étaient rarement représentés. La crudité de certains nus de cette époque peut s’expliquer par l’obligation que ressentaient les artistes à copier les meilleurs modèles disponibles, plutôt que de former leur propre image mentale à travers l’observation sublimée des corps les plus nobles. L’impact des statues sur les images mentales des Grecs était probablement moins puissant qu’il n’est sur nous aujourd’hui, puisque les Grecs étaient habitués à la nudité des corps, à la fois masculins et féminins. Ils avaient de toute façon accès à infiniment plus de statues et ne pouvaient pas raisonnablement rester indifférents à leur influence. Ainsi, un artiste exprime en premier lieu les idées de son peuple et, ce faisant, l’influence à son tour pour le meilleur et pour le pire. L’artiste suivant, en essayant d’exprimer les images mentales de ses contemporains, n’est plus confronté aux schémas primitifs découlant de l’observation brute de la nature, mais plutôt à un mélange de conceptions originales et d’idées nouvelles. Celles-ci sont dues en partie aux inspirations héritées du travail de l’artiste précédent et aussi au changement général survenu dans la culture du peuple grâce à son avancée morale et intellectuelle. La croissance rapide de la sculpture grecque est indéniable, cependant le but fondamental des artistes semble toujours avoir été le même : représenter le plus justement possible les images mentales du moment.
L’Attraction de la sculpture grecque
« Vénus du Capitole », copie romaine d’un original grec de Praxitèle du IIIe siècle av. J.-C. Marbre, h : 193 cm. Musei Capitolini, Rome.
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Les Principes fondamentaux
Même le plus extrême des rationalistes admet que le monde, composé de faits bruts et d’ossements desséchés, est inintéressant et inutile. Au cœur d’une soirée calme, les pensées qui nous parviennent sont réelles, et peu d’hommes restent insensibles à la solitude majestueuse d’une forêt. Confrontés à celleci, ils en ressortent stupéfiés par les forces supérieures qui dépassent le monde visible. De telles observations sont aussi vraies, qu’elles soient expérimentées dans notre environnement familier ou dans les moments rares de notre existence. Nos amis nous importent plus que le simple plaisir ressenti à les regarder. En fait, il est rare que nous les examinions vraiment. Un simple regard suffit à nous rattacher à leur présence ; après ce premier coup d’œil, notre plaisir devient presque entièrement psychique. Cependant, cela n’exclut pas le plaisir physique que nous avons à les voir, particulièrement si le contour de leur corps glisse facilement et harmonieusement sous nos yeux. Ce qui est vrai pour les amis l’est aussi pour les personnes moins connues, voire des étrangers. Les regarder est beaucoup plus significatif que la vision d’une table ou d’une chaise, parce qu’en général, ces objets ne suggèrent rien au-delà de ce que nous voyons. Lorsqu’une personne attentive voit un individu, d’une certaine façon, elle entre en contact avec sa personnalité. Ainsi, pour être une œuvre d’art, une image doit non seulement susciter l’admiration pour sa technicité parfaite, mais elle doit également traduire une pensée. L’apparence extérieure d’un objet peut nous séduire visuellement, mais son essence spirituelle doit enflammer notre imaginaire. La vision est une faculté purement physique ; l’imagination, elle, est un acquis précieux de
Aphrodite accroupie, copie romaine d’un original grec du IIIe siècle av. J.-C. Marbre, h : 96 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Statue du médecin Sombrotidès, Megara, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 119 cm. Musée archéologique, Syracuse. « Le Porteur de veau », vers 560 av. J.-C. Marbre, h : 165 cm. Musée de l'Acropole, Athènes.
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l’humanité. La jouissance de l’une n’est cependant pas totalement indépendante de l’autre, puisque la complexité de la nature humaine est telle qu’il est impossible de dire où commence l’une et où se termine l’autre. Donc, l’artiste doit considérer les deux, et comme il attire l’imagination par les sens, il doit éviter délibérément de les contrarier. Il peut y parvenir en s’inscrivant dans la tradition des grands poètes, qui transmettent leurs pensées en veillant à ce que les rimes soient harmonieuses entre elles. Que les sculpteurs grecs aient travaillé en respectant ces lignes directrices est indéniable, car de nombreuses particularités de leur art ont trouvé leur explication dans la compréhension de ce principe. Les Grecs ont toujours privilégié le côté idéaliste de l’homme, bien qu’ils aient compris qu’un certain sacrifice était nécessaire pour gratifier sa dimension physique. Une œuvre d’art désagréable à regarder ne répond pas à sa finalité qui est d’être porteuse d’un message. D’un autre côté, attribuer aux anciens l’apanage d’une interprétation logique et consciente de tous les principes mis en œuvre est une erreur ; les hommes les plus raffinés posent inconsciemment des actes appropriés. Les standards artistiques modernes sont variables : la subjectivité de l’observateur est souvent dépassée par l’originalité de l’artiste, tout comme la complexité de la société moderne a obligatoirement conduit à la recherche de la simplicité de la nature humaine, reléguée au second plan. Dans l’Antiquité, cette quête revêtait une grande importance. Il est donc nécessaire de comprendre les bénéfices qu’elle procura aux Grecs avant même de tenter de les évaluer. Bien souvent, lorsqu’on lève le voile placé sur les statues commémoratives, on entend des commentaires sur la capacité du sculpteur à saisir l’attitude caractéristique du défunt ou sur l’incroyable ressemblance de la statue avec la personne qu’elle commémore ; d’autres observateurs imaginent même l’avoir connue ; bref, à l’unanimité, la sculpture est reconnue comme étant une œuvre d’art étonnante. Cela est sans doute vrai, mais non pour les raisons invoquées, qui seraient d’ailleurs pour la plupart d’entre elles tout aussi applicables aux figures de cire de l’Eden Musée4, évoquant dès l’entrée la présence de policiers ou de forgerons actionnant des soufflets. Peu de gens seraient désireux d’appeler de telles représentations, des œuvres d’art. En général, la statue de cire, bien qu’elle reproduise avec exactitude le corps matériel de la personne, néglige toutefois sa personnalité. Elle trompe momentanément notre vision et, ne faisant pas appel aux facultés les plus hautes de l’homme, ne remplit pas sa fonction d’œuvre d’art. Si un homme veut conserver le souvenir d’un ami, il placera son buste ou sa statue sur son bureau, mais celle-ci ne sera pas faite de cire. Un beau portrait est préférable à une photographie, bien que cette dernière constitue en général une copie plus fidèle du corps matériel. Ni la photographie, ni la figure de cire ne transmettent l’essence de l’âme humaine. Au-delà de la reproduction mécanique des courbes du corps, l’art reflète l’homme avec toutes ses pensées. Quand le sculpteur travaille la pierre ou le bronze, les questions surgissent. A-t-il tous les moyens nécessaires à sa disposition pour satisfaire aux exigences de l’art ? Et, quelle est la nature de ces moyens ? On peut répondre sans hésitation par l’affirmative à la première question, puisque les sculpteurs grecs, et d’autres hommes célèbres après eux, ont démontré l’existence de ces procédés. Il est moins facile de répondre à la deuxième question, car les méthodes sont différentes d’un sujet à l’autre, selon les normes multiples d’un groupe ethnique et aussi de par les subtilités de ces normes. Celles-ci s’expriment malaisément avec des mots et, de ce fait, doivent plutôt être ressenties. Il est donc non seulement impossible, mais aussi peutêtre très présomptueux d’énumérer toutes les solutions dont peut disposer un sculpteur, car qui oserait spéculer sur le génie d’un grand artiste ? Cependant,
Silène portant Dionysos (Bacchus), dit « Faune à l’enfant », copie hellénistique d’un original grec du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 190 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Apollon et Marsyas, base de statue, Mantinéa, vers 330-320 av. J.-C. Marbre, h : 97 cm. Musée archéologique national, Athènes. il peut être salutaire de souligner certains points que les Grecs ont évités, en voulant répondre aux exigences d’un art flatteur envers la nature humaine. Une des plus remarquables caractéristiques de la sculpture grecque est l’absence presque totale de sujets inspirés par la nature inanimée. Le principe étant que la sculpture devait représenter uniquement des éléments vivants. Comme le dit M. Ruskin5 : « Vous ne devez sculpter que la vie. ‘Pourquoi ?’, sommes-nous enclins à nous demander. Devons-nous refuser tout accessoire plaisant et tout détail pittoresque pour immortaliser uniquement des créatures vivantes ? … Je ne l’affirmerai pas de mon propre chef. Les Grecs l’ont dit, et vous pouvez être sûrs que ce qu’ils ont dit sur la sculpture est vrai ! »6 M. Ruskin et la plupart des professeurs d’histoire de l’art en sont restés là. Mais cela n’est ni prudent ni exact. A moins d’avoir vérifié la véracité d’un principe, un homme ne devrait pas l’accepter, même s’il émane de l’histoire grecque. Heureusement pour nous, il est aisé de comprendre pourquoi les Grecs ont évité de sculpter les choses inanimées, car le principe qui les a guidés dans ce domaine est la pierre angulaire de leur art. Puisqu’une œuvre d’art n’existe que si elle est contemplée par le regard humain, le danger réside dans le fait que la conscience du spectateur reste centrée uniquement sur la dimension physique de sa vision. Pour éviter ce phénomène, les Grecs ont utilisé certains artifices, ou « conventions », qui répondaient aux exigences de la vision, sans pour autant négliger les facultés humaines plus nobles que sont la pensée et l’imagination. Pour atteindre ce but, il convenait de reproduire l’image mentale de l’objet plutôt que l’objet lui-même. Cependant, une attention particulière était accordée au maintien d’un équilibre. La reproduction ne devait être ni
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parfaitement identique à l’original, défiant ainsi les premiers instants de déception, ni totalement éloignée des points essentiels de ressemblance ; dans les deux cas, le spectateur aurait perçu et rejeté les incohérences. A travers cette digression, il est possible de remarquer que le sculpteur doit davantage respecter ces principes que le peintre. Réduite à deux dimensions, la peinture ne risque pas de décevoir notre regard, alors même que tous les objets de la nature sont en trois dimensions. En sculpture, la nécessité de représenter non seulement les courbes de l’objet, mais également ses formes matérielles, peut aisément exercer une telle force d’attraction visuelle qu’elle en arrive à détourner l’œuvre d’art de sa mission première. Le sculpteur doit affronter des difficultés pratiquement insurmontables pour donner vie à des objets inanimés. En général, ces objets ne sont pas une source d’inspiration suffisante pour mettre en valeur les qualités nobles de l’être humain. De fait, seule la simplicité et la pureté de leur forme revêtent de l’importance. Mais puisque celles-ci sont tangibles, la plus légère infidélité au modèle est préjudiciable. Et dans ce cas, il ne peut y avoir d’œuvre d’art, puisqu’il n’y pas d’appel à l’imaginaire. D’autre part, la perfection d’une représentation fidèle défie le regard en imposant une comparaison, et là encore il ne peut être question d’une œuvre d’art. C’est uniquement lorsque des êtres vivants sont représentés, que leurs caractéristiques spécifiques et non leur forme apparente, saisissent notre attention. Cela fait appel à la vision en sollicitant nos plus hautes facultés mentales, car consciemment ou non, nous avons tendance à décrypter le caractère d’une personne en fonction de son corps, et cette interprétation dépasse la simple
vision. Pour cette raison, contempler la statue d’un homme interpelle davantage l’imaginaire que le regard. Ainsi, l’œuvre d’art la plus réussie cesse d’être un objet intéressant visuellement et séduit immédiatement notre imagination. De tous temps, les artistes se sont évertués à atteindre ce but ultime. La reproduction réaliste de la nature ne le permet pas, et se cantonner à la perfection de l’exécution ne sert à rien dans ce domaine. Tout comme les Grecs, seuls ceux qui ont accordé une pleine attention aux besoins spécifiques de la nature physique de l’homme y sont parvenus. Sauf à représenter des créatures vivantes, ce défi est impossible dans le monde de la sculpture. Tout contraste magnifie la vie. Ainsi, les anciens Grecs ont introduit, tels des accessoires, des éléments inanimés dans leurs compositions. M. Ruskin expose les principes régissant l’utilisation de ces sujets secondaires : « En dehors des formes vivantes, rien ne doit être représenté en sculpture, qui ne contribue à affirmer ou illustrer la conception du principe de vie. Le costume et l’armure peuvent être utilisés pour le démontrer, d’ailleurs les plus célèbres artistes s’en servent constamment, mais », ajoute M. Ruskin, citant l’exemple de la sculpture moderne, même si ces références sont aussi valables pour la sculpture grecque, « remarquez que même l’armure de Jeanne d’Arc, si elle la porte, doit être sculptée ; ce qui fait la différence, ce n’est pas la pureté et la beauté de l’armure, mais l’allure qu’elle lui donne en la portant. Vous pouvez être profondément intéressés par la cotte de mailles alvéolée d’un preux chevalier, abandonnée dans un vestibule désert. Allez-vous pour autant la sculpter telle qu’elle est ? Sans doute pas, le heaume peut servir à la posture si vous voulez, mais sans plus. » Mais comment un tel heaume peut-il être sculpté ou encore comment l’armure doit-elle être traitée lorsqu’elle est portée par le héros ? Doit-on la représenter aussi fidèlement que possible ? Imaginez que nous le fassions, et à supposer que la statue soit en bronze, il n’y a aucune raison pour que le résultat soit identique à l’armure portée par notre héros, au point de trahir notre vue et nous donner l’impression de regarder l’original. Que penser de celui qui l’a portée ? La statue de bronze reproduit l’image mentale que le sculpteur se fait de la personnalité du sujet ; il ne s’agit en aucun cas de l’homme en personne. La qualité de l’accessoire est différente du personnage lui-même. L’un relève de l’apparence, l’autre ne ressemble pas à ce qu’il est censé représenter, car le contraste entre la vraie armure et la représentation inanimée de l’homme mène à penser que celui-ci n’est pas réel. « Mais », s’exclame un protestataire, « si l’armure ne doit pas être totalement conforme à l’original, le sculpteur devrait toutefois ne pas trop s’en éloigner. » Certainement pas, s’il le faisait, la parfaite ressemblance de la cotte de mailles pourrait attirer l’attention du spectateur, et sa vision, toujours en alerte, pourrait dépasser la finalité réelle de l’œuvre. Le degré d’appréciation que portaient les Grecs à ces détails est pleinement illustré par les drapés des statues qui ont toujours l’air réel, sans pour autant être entièrement fidèles aux originaux. Jusqu’à présent, personne n’a pu, à partir des statues, démontrer la précision de cette théorie sur les costumes antiques, issue d’une étude portant sur les descriptions littéraires et les peintures sur vases. Les peintres arrivaient souvent à un rendu assez précis des costumes alors que les sculpteurs n’y parvenaient pas. Ils prenaient tant de liberté dans la reproduction de ces étoffes qu’ils allaient jusqu’à omettre des costumes tout entier. Par exemple, une statue de Sophocle qui se trouve actuellement au musée du Latran, le représente portant un simple himation ou manteau de ville, alors qu’il est bien connu dans la littérature que les aristocrates n’apparaissaient jamais en public habillés aussi sommairement. A une ou deux exceptions près, les guerriers sur les frontons du temple d’Egine
(pp. 122-123 et pp. 128-129) sont entièrement nus ; ils seraient donc partis en guerre avec des casques sur la tête et des boucliers au bras, mais entièrement dépourvus d’habits. Les Grecs n’ont jamais livré bataille de cette manière, que ce soit à l’époque où furent gravés les marbres, ou au temps des statues commémoratives, ou à n’importe quelle autre époque. Une telle omission du vêtement, qu’elle soit partielle ou complète, ne peut être attribuée à la reproduction inconsciente de l’image mentale, alors que le traitement du drapé, tel qu’il apparaît, par exemple, sur la statue de Niké de Paionos (p. 88) ou sur la frise du Parthénon (pp. 164 à 177), est probablement plus ou moins inconsciente. De nombreux auteurs modernes ont utilisé le terme « élimination » en parlant du drapé grec, mais il s’agit d’une erreur. L’élimination implique l’omission calculée des détails, et ne peut être considérée comme l’omission complète de l’habit ou comme le traitement inconscient des costumes réellement sculptés. L’éclectisme du drapé grec peut être défini comme l’un des artifices, ou « conventions », de la sculpture grecque, et permet de prouver que de tels usages ne sont pas pérennes. Quand Greenough7 a sculpté l’imposante statue de George Washington au Capitole, il a négligé le drapé du buste, dans le but évident d’attirer l’attention de l’observateur sur le personnage lui-même. Dans ce cas, il a clairement suivi les pratiques grecques, et plus particulièrement le modèle établi par Phidias pour Zeus, le colosse de l’Olympe. Les Grecs pouvaient se permettre de supprimer tout drapé puisque leur peuple était très friand de nudité. Greenough, en les imitant envers et contre tout préjugé racial et religieux face à la nudité, a commis la faute impardonnable, pour avoir non seulement copié l’art antique, mais aussi l’expression culturelle de l’époque. En supprimant le drapé, il obtint l’effet contraire du but recherché, car finalement le vêtement « se fait remarquer par son absence ». Le même état d’esprit, qui amena les Grecs à se détourner de la réalité dans la représentation des drapés, se remarque aussi au niveau des bas-reliefs en marbre et de leur traitement des roches, des arbres et de la nature en général. Le marbre est une pierre et rien n’est plus aisé que de s’en servir pour reproduire une pierre avec exactitude. Ainsi, le résultat n’est pas seulement l’image de la pierre, mais devient une autre parcelle de pierre à part entière. Si cela avait été fait, par exemple sur le socle de marbre de Mantinéa (p. 22) , le contraste entre la pierre et la représentation d’Apollon assis, aurait dépourvu le dieu de toute vraisemblance. Cela est également observable sur la frise du temple d’Athéna Niké à Athènes, ou sur les marches de la frise du Parthénon. Ces exemples suffisent à illustrer l’attitude générale des sculpteurs grecs envers le spectateur. Le public, dont les artistes font aussi partie, ne passe pas systématiquement tous les détails en revue. Etres plutôt complexes et inconséquents, ils étaient portés par la considération reçue des mains des artistes de l’Antiquité. De plus, les Grecs ont opéré joyeusement. Pour eux, accorder de l’importance à la fragilité de la nature humaine n’était pas une tâche désagréable, mais un privilège exquis qui leur permettait d’introduire dans leur art une dimension humaine d’une grande variété, enrichie de possibilités infinies.
L’Artiste et son public L’influence des artistes grecs sur leur communauté a été importante, bien que la littérature de l’Antiquité ne l’évoque pas souvent. Cet ascendant provient du fait que les artistes se sentaient en osmose avec le public. Ils se sont rarement, voire jamais, considérés comme étant les membres d’une classe à part, distincte des autres citoyens. Depuis lors, une telle attitude a souvent prédominé. Quand Michel-Ange a sculpté les tombeaux des Médicis, et ce faisant donna une
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Couros, Agrigente, vers 500-480 av. J.-C. Marbre, h : 104 cm. Musée archéologique, Agrigente. Ephèbe de Critios, vers 480-470 av. J.-C. Marbre, h : 116 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Ephèbe blond, vers 485 av. J.-C. Marbre, h : 25 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 680, Acropole, Athènes, vers 530-520 av. J.-C. Marbre, h : 114 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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expression mystique à ses conceptions de la liberté, il était persuadé que ses pensées n’appartenaient qu’à lui, trop élevées, trop qualitatives, pour être partagées avec les autres. Et pourtant, ces mêmes pensées déclenchèrent l’enchantement du peuple. Quand le génie d’un artiste s’attaque aux fantasmes encore inexprimés des idées nouvelles, et qu’après une méditation patiente, il les concrétise sur la toile ou la pierre, au point de transformer la nébulosité en clarté, il peut être pardonné s’il s’enthousiasme de ses exploits et s’il croit que lui et ses amis artistes forment la fine fleur de la société. Cette opinion est toutefois erronée et quiconque peut le démontrer. Par exemple, il n’est pas rare que deux hommes, vivant dans des conditions diamétralement opposées et éloignées géographiquement l’un de l’autre, découvrent conjointement une même idée originale ; bien plus souvent encore, plusieurs personnes peuvent être engagées simultanément à la résolution d’un même échantillon de problèmes. On peut donc dire d’une idée qu’elle est une force active qui réclame urgemment d’être exprimée ; les artistes, poètes, sculpteurs, peintres, philosophes, sont des exécutants volontaires. Les pensées elles-mêmes, quant à elles, sont les produits de la vie intellectuelle collective passée et présente. Elles constituent l’héritage commun des artistes et des hommes. La croyance selon laquelle seul l’homme possédant des capacités artistiques peut accueillir ce patrimoine, est erronée. Au contraire, c’est par manque d’éducation ou d’entraînement à la dextérité manuelle que l’artiste est souvent amené à dilapider son héritage. Le monde des pensées, que nous côtoyons aujourd’hui, est immensément plus vaste qu’auparavant. Dans l’Antiquité, Aristote pouvait sans prétention prétendre qu’il était le maître incontesté de toute la pensée philosophique et, même au XVIe siècle, Scaliger8 jouissait de la même réputation. De nos jours, un tel monopole intellectuel serait inconcevable. Les pensées et l’intelligence sont la propriété de tous. Elles se sont multipliées à une vitesse si vertigineuse, qu’une vie ne suffit pas à les appréhender. Parallèlement à cette expansion du monde des pensées, il semble que l’individu ait développé une capacité à les maîtriser, sans pour autant les exprimer de manière visible ou audible. M. Ruskin a déclaré un jour qu’il pouvait imaginer un futur où la race humaine aura tellement évolué qu’elle pourra matérialiser les hautes pensées généralement exprimées par l’art sans avoir à s’en servir. L’humanité a déjà franchi un pas immense dans cette direction. Dans de nombreuses confessions, les pensées religieuses se dispensent de supports picturaux. L’Eglise romaine y est toutefois toujours attachée, tout comme les luthériens, et d’une certaine manière l’Eglise épiscopale protestante. Quant aux religions plus récentes, elles les ont totalement rejetés. Mais les exemples empruntés aux pratiques religieuses ne sont pas vraiment adéquats, puisqu’ils véhiculent beaucoup trop d’émotions et peu d’impartialité. Ainsi, après toutes ces acceptions, le progrès parcouru depuis l’Eglise romaine conservatrice jusqu’à l’Eglise protestante moderne, est trop frappant pour ne pas servir d’illustration au fait que l’humanité a évolué pour réaliser, ou plutôt maîtriser, des pensées non encore exprimées. Quelles que soient les échappées que peuvent ouvrir ces considérations sur l’avenir, aucun individu, ni même l’humanité toute entière, n’a atteint l’état d’esprit prophétisé par M. Ruskin. Cette certitude actuelle était infiniment plus vraie chez le peuple grec de l’Antiquité. Leur monde de pensées était élémentaire ; même leurs philosophes, dont nous admirons aujourd’hui l’enseignement, participaient à cette simplicité relative, et les idées fondamentales contenues dans les célèbres tragédies grecques sont éloignées de toute complexité. En accord avec ses idées, le peuple grec était constitué d’autochtones, pétris du sol où ils
vivaient, à travers une histoire vieille de plusieurs siècles. Nous savons que les Grecs sont méconnus et que l’obscur moyen âge de la Grèce fut suivi de l’ère mycénienne, une civilisation de gloire et de splendeur longtemps oubliée, mais que même cette ère mycénienne n’a pas été une grande avancée dans le progrès de l’humanité. Dans chaque événement, le passé s’est obscurci en effaçant sa mémoire. Pas à pas, les Grecs ont progressé, seuls, comme s’ils avaient simplement émergé de la terre. Aucune pensée des ancêtres lointains n’a été conservée, et les quelques fabuleuses ruines épargnées par les événements préhistoriques ont été prises pour les vestiges d’une race de géants. A Mycènes et en Crète, les découvertes ont mis en lumière des œuvres d’art témoignant d’une formidable personnalité esthétique et d’un don exceptionnellement raffiné pour le plaisir. Peut-être que les Grecs de l’Antiquité ont hérité cela de leurs lointains ancêtres, ce qui explique les avancées artistiques rapides, réalisées ensuite, lorsqu’ils ont retrouvé leurs racines. Dans tous les cas, chaque pensée exprimée se transforma en une nouvelle idée, et chaque nouvelle réalisation fut accueillie avec un enchantement manifeste. La grande simplicité et la merveilleuse habileté des Grecs, que la plupart d’entre nous avons acquis lentement et péniblement à travers une éducation libérale, peuvent nous faire oublier que les Grecs étaient un peuple primitif. Etant ainsi, ils ont constamment lutté pour mieux exprimer leurs pensées. Dès qu’une pensée prenait vie, sa quintessence, au moins au début, ne représentait rien d’autre que ce concept formel. Aujourd’hui, l’observation de la statue du dieu Apollon ne peut être détachée de tous les changements que la notion de déité a subi à travers les époques successives. Particulièrement dans la comparaison à un dieu, dont la religion était prédestinée à supplanter la foi enthousiaste et bienfaisante consacrée au Parthénon de l’Olympe. Pour l’observateur moderne, les statues des dieux de l’Antiquité sont largement symboliques, tandis que pour les Grecs de l’époque, celles-ci exprimaient des pensées précises. Les artistes de l’Antiquité grecque ont donné une forme concrète aux images mentales ou aux idées de leur peuple ; ils ont pu atteindre ce but parce qu’ils en faisaient eux-mêmes partie intégrante. Cela explique pourquoi les artistes de l’Antiquité ne se voyaient pas comme une classe à part ; leur don d’expression ne les exemptait pas de se mêler étroitement au public. Quelques extraits tirés des écrits d’auteurs romains peuvent paraître à cet égard contradictoires, mais il faut rappeler que les Romains entretenaient un cloisonnement très précis entre les classes sociales. L’insuffisance documentaire concernant la séparation des artistes grecs et leur public peut laisser penser qu’elle n’existait pas. Pour vivre leur vocation, les artistes grecs se devaient d’être les enfants éveillés de leur temps. Quelquefois, spécialement vers la fin de l’Antiquité, nous constatons un retour vers le passé, bien que cela n’allait pas jusqu’à l’oubli du présent et de ses exigences. Le Zeus olympien de Phidias était communément considéré comme la plus belle réalisation de la pensée noble ; beaucoup de statues ont été sculptées sous son influence, mais aucune imitation obséquieuse n’a eu lieu entre son édification au Ve siècle avant Jésus-Christ et la fin de l’art grec antique. Selon toute probabilité, aucune des plus belles statues grecques n’était censée traduire la pensée exclusive d’un artiste. Cela ne dévalorise pas pour autant l’artiste, puisqu’il était le premier à saisir l’aspect singulier de cette idée et à lui donner une forme visible, une expression tangible, permettant à ses semblables de partager avec lui l’acuité de sa conceptualisation, qui aurait été difficile à percevoir sans son intervention. Ces considérations sur l’histoire antique ne constituent pas un préalable légitime pour discuter des principes gouvernant les relations entre les artistes contemporains et leur public. Aujourd’hui, les conditions diffèrent tellement qu’il est impossible d’établir
Corè 685, Acropole, Athènes, vers 500-490 av. J.-C. Marbre, h : 122 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Niké ajustant sa sandale, parapet, temple d’Athéna Niké, Athènes, vers 420-400 av. J.-C. Marbre, h : 101 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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un parallèle entre l’art antique et l’art moderne. De fait, aucun étudiant en art ne peut s’empêcher d’être interpellé par une telle incongruité. En dépit de leur habilité supérieure, les artistes modernes forment une classe qui ne semble pas absolument performante. La difficulté ne provient pas des artistes eux-mêmes, mais du public auquel ils appartiennent et d’où ils puisent leurs connaissances, sinon leurs inspirations ; en tous cas, cela demeure leur « raison d’être ». Le public d’aujourd’hui n’est plus restreint à une minorité instruite dotée d’un passé familial captivant, mais du grand public, et ce dernier forme un ensemble hétérogène, souvent dissonant. Par réaction, quelques hommes de bonne volonté, imprégnés d’admiration pour la majesté des vestiges du passé, guidés par le génie, et sans doute insensibles à certaines de leurs conséquences négatives qui ont traversé les siècles, tentent un improbable retour vers le passé. Bien qu’il soit possible de tirer des leçons de ce qui, dans le passé, était un état d’esprit florissant, la marche de l’humanité se poursuit, et il est préférable de l’appliquer aux nouvelles exigences contemporaines. En Grèce, les sculpteurs œuvraient pour leur peuple. Ils percevaient intimement leurs travers naturels et s’efforçaient de satisfaire leurs besoins. Le raisonnement abstrait et la persévérance obstinée sont subjectifs. De fait, les artistes ont évité toute interprétation inintelligible de la nature. Leur devise était : « Si une chose m’apparaît, elle est exactement comme je la vois. » Mais ce « moi » ne signifiait pas l’artiste en tant qu’individu, mais l’artiste en tant que porte-parole du peuple. Pour ce faire, il plaçait sa supériorité artistique et ses perceptions clairvoyantes au service de son peuple. Ce qu’il sculptait ne leur était pas étranger, car même s’ils ne savaient rien faire de plus, les gens ressentaient au moins la justesse des pensées exprimées. Etre un artiste singulier est une chose merveilleuse, mais il est plus important encore d’être, tel un sculpteur grec, l’interprète des plus nobles pensées de son peuple.
Les Principes de la sculpture en relief L’intégration des besoins de la nature humaine qui dépeint le mieux les œuvres grecques trouve sa meilleure illustration dans les sculptures de reliefs. Les sculptures de reliefs peuvent être divisées en deux catégories, selon les différences techniques mises en exergue. Dans la première, l’artiste peut concevoir et sculpter ses personnages dans un bloc de pierre qu’il taille autant qu’il le souhaite pour faire ressortir les contours. Il commence par le méplat au-delà duquel aucune figure ne sera projetée et ne porte pas attention à la profondeur uniforme de l’arrière-plan. On appelle ce type de relief : le relief sculpté. La seconde catégorie émergea quand les sculpteurs, ne travaillant plus le marbre, commencèrent à fabriquer les premiers motifs en argile, avec des personnages modelés séparément, puis incrustés sur un arrière-plan uniforme et unifiant. La vue de profil révèle l’absence de méplat. Plus tard, ces modèles pouvaient être sculptés dans le marbre ou coulés dans du bronze. Selon leur origine, et afin de les distinguer de tous les autres genres, on les appelle les reliefs. Aujourd’hui, ce genre est plus commun. Les reliefs les plus connus sont les portes de Ghiberti (p. 30) qui ornent le baptistère de Florence. Les Grecs, eux, pratiquaient presque exclusivement le relief sculpté. Les personnes décrivant les reliefs grecs, parlent de personnages émergeant de l’arrière-plan. Cette remarque est assez inexacte parce que la technique du relief sculpté implique que ceux-ci émergent à une certaine hauteur de la surface plane. Cela est possible et se voit souvent sur la frise du Parthénon (pp. 164 à 177), où une silhouette paraît plus enfoncée sur sa partie gauche, alors que la tête et le pied semblent plus en relief. Cela donne virtuellement l’impression qu’il n’y a pas d’arrière-plan d’où se détachent les personnages. L’effet d’une telle technique
est que, contrairement à la peinture où l’arrière-plan est souvent imposant, seuls les personnages retiennent toute l’attention du spectateur. La mobilité permanente du regard humain rend inconfortable la fixation d’un point spécifique. Sur une image, notre imagination peut vagabonder d’un sujet proche à un autre plus éloigné et vice versa ; dans un relief sculpté, qui d’une façon générale ne contient que des sujets rapprochés, il convient d’apporter un soin particulier aux détails positionnés sur un autre axe. Pour cette raison, la grande surface de la frise du Parthénon (pp. 164 à 177) est extrêmement plaisante. En maîtrisant ces techniques sophistiquées, l’habilité des artistes a rendu presque impossible de concentrer longuement son attention sur chacun des personnages. A peine a-t-il appréhendé un personnage, que ses contours engagent le spectateur à passer à la figure suivante et ainsi de suite, tout d’abord rapidement, puis plus lentement jusqu’à l’approche apaisante des dieux assis au-dessus de la porte d’entrée. Un tel relief peut donc difficilement s’adapter à la surface d’un panneau qui, de par sa taille limitée, peut être appréhendé d’un seul regard. Tous les personnages étant accumulés sur l’arrière-plan, il est donc possible de les passer rapidement en revue, et lorsque l’œil désire changer d’objet, la profondeur de champ se trouve réduite ; une telle vision pourrait suffire, mais l’agitation naturelle de l’œil accentue cette lacune et peut conduire à un sentiment d’insatisfaction. Dans une large mesure, le relief modelé, avec la profondeur de champ qui lui est associée, a surmonté cette difficulté et ouvre des possibilités jusqu’alors inexplorées par le style plus ancien. Jusqu’à présent, aucune de ses créations n’a été parfaitement réussie. La grande profondeur de reproduction nécessite l’introduction de la notion de perspective ; tandis que la perspective linéaire est incompatible avec la représentation des volumes, la perspective aérienne est, quant à elle, perçue avec plus de recul puisqu’elle diminue la précision des contours. L’autre obstacle redoutable est le traitement approprié des ombres. Sans prendre de risque, on peut penser que les artistes de l’Antiquité étaient conscients de ces difficultés et qu’ils adhéraient donc avec ténacité aux pratiques de l’ancien style, du moins dans le cadre de leurs œuvres d’art les plus éclatantes. Pour les œuvres plus mineures, en particulier les poteries, ils poussèrent assez loin leurs tentatives expérimentales dans l’autre style. Cependant, rien ne pourra mieux éclairer l’appréciation de la sculpture des reliefs grecs que de traiter les deux styles séparément, et puisque dans l’Antiquité le second style est présent uniquement dans les œuvres d’importance secondaire, il est préférable de se cantonner au relief sculpté. Les Grecs ne disposaient pas de mots spécifiques pour désigner les hauts ou les bas-reliefs. Aujourd’hui, on s’accorde à dire que ces deux vocables ne sont pas suffisants pour illustrer les méthodes de travail du relief. Nous parlons de hauts-reliefs ou d’alto-relievo, de mezzo-relievo, de bas-reliefs ou de bassorelievo, de stiacciato et, finalement, il faut inventer un nouveau terme pour décrire une méthode pratiquée par les Egyptiens de l’Antiquité. Seuls « hautrelief » et « bas-relief » sont d’usage courant en français. A ce jour, ce sont les reliefs les plus connus. Il en était de même chez les Grecs. Ces deux appellations elles-mêmes ne définissent les reliefs que dans une certaine limite. Tandis que la frise du Parthénon, d’une profondeur moyenne de 5 à 7,5 centimètres et d’une longueur de 150 mètres, est considérée comme un bas-relief, la plupart d’entre nous auraient tendance à désigner un petit panneau de la même profondeur, un haut-relief. De fait, les qualificatifs « haut » et « bas » ne sont que relativement descriptifs. Les vraies différences résident dans la technique et l’esthétique, elles seules sont absolument significatives. De plus, les Grecs ne choisissaient pas d’employer
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Le Sacrifice d’Isaac, par Filippo Brunelleschi, 1401-1402. Bronze doré, h : 45 cm, l : 38 cm. Museo Nazionale del Bargello, Florence.
Le Sacrifice d’Isaac, par Lorenzo Ghiberti, 1401-1402. Bronze doré, h : 45 cm, l : 38 cm. Museo Nazionale del Bargello, Florence.
un haut ou un bas-relief arbitrairement, selon leur propre goût ou selon l’exigence de leur maître ; le choix d’une méthode en particulier dépendait des circonstances extérieures, telles que la lumière, la hauteur, etc. Placé dans une pièce bien éclairée, un relief très plat peut sembler imprécis ; si vous tirez les rideaux, il semblera se détacher de l’arrière-plan. Exposé à une lumière tamisée, il prendra l’allure d’un haut-relief. C’est pourquoi les Grecs n’utilisaient pas de noms distinctifs pour ces deux types de relief. Ils n’étaient pas issus de pratiques différentes, mais au contraire, l’impact provoqué sur le spectateur par l’un des reliefs était à peu près similaire à l’autre. Les Grecs connaissaient l’importance de l’ombre et de la lumière ; ils savaient que le même travail, soumis à différentes conditions « apparaît », et, qu’en dépit de toute intention pratique, « est » une œuvre d’art chaque fois dissemblable. Par ailleurs, deux reliefs sculptés dans des techniques complètement différentes, suivant la relativité des conditions environnantes, peuvent se ressembler. En d’autres termes, l’œuvre d’art doit être conçue pour l’environnement spécifique où elle sera contemplée ultérieurement. Une histoire populaire de l’Antiquité soutient la thèse selon laquelle les Grecs pratiquaient de la sorte : Phidias et son célèbre élève Alcamènes s’engagèrent dans une compétition que ce dernier finit presque par remporter, car lorsque la statue de son maître était contemplée avec peu de recul, elle ne présentait pas des proportions aussi gracieuses que celles de son disciple. Les statues étaient conçues pour être regardées dans des positions surélevées. Mais une fois positionnée en hauteur, la statue de Phidias jouissait de meilleures perspectives que celle de son élève. Cette anecdote, bien qu’elle desserve Alcamènes, certainement l’un des plus grands artistes du Ve siècle, a peut-être été inventée
bien plus tard pour illustrer la technique de Phidias. Les statues de Phidias n’étaient pas les seules statues à être créées pour être observées dans de telles conditions. On peut en dire autant de toutes les œuvres grecques les plus réussies, y compris les sculptures du Parthénon. Si ces dernières se révèlent jusqu’à nos jours splendides lorsqu’elles sont placées en hauteur, cela prouve l’exquise simplicité et la délicatesse de leur réalisation. Tous les étudiants en art grec s’accordent à penser que les reliefs du Parthénon et les sculptures du fronton seraient mieux mis en valeur en retrouvant leur position initiale, ce qui permettrait de les voir dans une lumière appropriée. La frise ionienne, avec ses bas-reliefs, a été placée autour des murs de la salle centrale, « cella », à l’intérieur de la colonnade, où la lumière directe ne pouvait pénétrer. La frise dorique, divisée en triglyphes et métopes représentant des personnages puissants sur les hauts-reliefs, a été disposée à l’extérieur du temple au-dessus des colonnes. A cet emplacement, elle recevait une abondante quantité de lumière dont l’intensité athénienne est inconnue en Occident sous des latitudes plus nordiques. A première vue cela peut paraître étrange, puisqu’il est certain que la lumière tamisée en intérieur nécessite des personnages de taille importante. Les expériences prouvent qu’il s’agit là d’une erreur. Plus un personnage se détache de son arrière-plan, plus son ombre est grande. Dans cette ombre, les silhouettes disparaissent quand elles sont vues en intérieur, puisque par le cumul des ombres, une faible lumière se transforme en obscurité ; les ombres portées sont si sombres, que le simple fait de les enlever ajoute alors la touche de lumière suffisante à la composition. En théorie, la suppression des ombres peut apparaître contre-nature en produisant une lumière insuffisante. En réalité, les ombres passent souvent inaperçues. Particulièrement pendant des
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Héraclès recevant les pommes d’or du jardin des Hespérides, métope est, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 160 cm. Musée archéologique, Olympie.
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Combat entre les Grecs et les Perses, frise nord, temple d’Athéna Niké, Acropole, Athènes, vers 425-421 av. J.-C. Marbre, h : 45 cm. British Museum, Londres.
Bataille de Platées, frise ouest, temple d’Athéna Niké, Acropole, Athènes, vers 425-421 av. J.-C. Marbre, h : 45 cm. British Museum, Londres. journées maussades ou sous une puissante lumière, leur absence, si elle est homogène, est rarement décelable. Ce phénomène peut être mieux illustré par la disparition des ombres sur une scène, lorsqu’une forte lumière latérale est dirigée sur les acteurs. Sur scène, l’absence d’ombres est souvent indispensable pour améliorer la perspective des peintures en arrière-plan. Par exemple, une maison située à moins de trois mètres derrière un acteur peut sembler se trouver à plus de 300 mètres. Si d’aventure, l’ombre de l’acteur portait sur le haut de la maison, cette illusion serait annihilée. C’est la raison pour laquelle on évite les ombres au théâtre, et cela ne gêne pas le moins du monde les spectateurs. Ainsi donc, la suppression des ombres sur un relief ne doit susciter aucune espèce d’appréhension. L’expérience montre que la suppression des ombres passe inaperçue quand elle est employée de façon judicieuse et uniforme. L’absence d’ombres n’est pas perceptible. Ces considérations prouvent que la lumière tamisée ne convient pas au haut-relief. Tous les doutes sur la légitimité de placer un basrelief dans de telles conditions sont balayés en faisant l’expérience ci-dessus. Le relief doit être réduit proportionnellement à la luminosité de la pièce ; le manque de lumière adéquate nécessite que la composition dégage sa propre lumière, ce qui peut être obtenu en travaillant plus ou moins vigoureusement sur la suppression des ombres. Le relief le plus bas, sans presque aucune
ombre portée, est destiné aux pièces les plus sombres. Aucune figure n’est alors obscurcie par sa voisine. Elles sont toutes aussi visibles. En conséquence, l’absence d’ombre apporte une touche de lumière supplémentaire à la composition. Le bas-relief pallie l’absence de forte lumière, tandis que le haut-relief, grâce à ses ombres imposantes, atténue l’éclat d’une lumière excessive. Finalement, les qualités de ces deux types de relief égalisent la densité lumineuse sous laquelle ils sont regardés. De fait, l’impression créée sur le spectateur dans l’un ou l’autre des cas, est moins contrastée que le laisse croire l’étude analytique des reliefs observés côte à côte sous une forte lumière, loin de leur environnement d’origine.
Les Différentes Techniques de la sculpture en haut et bas-reliefs Disposés dans des endroits propices, les hauts-reliefs et les bas-reliefs provoquent une impression similaire, bien que leurs techniques soient tout à fait différentes. La plus simple des techniques est de loin celle des hauts-reliefs. Détachés de l’arrière-plan, les personnages sont assez fidèles à ceux que l’on retrouve dans la nature. Et si les personnages sont de taille inférieure à ce qu’ils sont en réalité, l’ensemble, autrement dit l’épaisseur, peut être réduite proportionnellement, car, comme le dit Sir Charles Eastlake9 « l’œil s’adapte
Temple d’Athéna Niké, Acropole, Athènes, vers 425-421 av. J.-C. In situ.
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Combat entre les Grecs et les Amazones, frise est, temple d’Apollon Epikourios, Bassae, vers 420 av. J.-C. Marbre, h : 70 cm. British Museum, Londres.
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immédiatement à l’épaisseur de même qu’à la dimension ». La proéminence même des formes et des ombres concomitantes nécessite une composition simple. Les personnages doivent être conçus de façon à ne pas s’obscurcir les uns les autres, et ainsi, clairement détachés, chacun conserve sa place. Pour obtenir un tel résultat, ils sont sculptés « en action ». Un personnage est en action lorsque les deux moitiés de son corps sont séparées, le bras et la jambe droite, d’un côté, et le bras et la jambe gauche, de l’autre. Dans un mouvement violent, le bras ou la jambe qui se trouve d’un certain côté est susceptible d’être projeté de l’autre côté, reproduisant ainsi le contraste de l’action. Si cela était représenté sur un haut-relief, l’ombre imposante du bras recouvrant le corps pourrait assombrir les contours du personnage. Or, en peinture comme en sculpture, rien n’est cependant plus important que le respect de la pureté des contours. Cela ne signifie pas que chaque ligne soit visible, puisque les suggérer est tout aussi important que les montrer. Les premières peintures sur vase prouvent que les Grecs en étaient conscients, puisqu’ils commençaient par peindre leurs personnages dénudés, avant de les draper. Les lignes des drapés ne laissaient transparaître aucune erreur anatomique. Ils étaient donc vigilants et n’introduisaient pas dans leurs compositions d’éléments pouvant suggérer des lignes inexactes, car en sculpture rien n’est plus apte à produire cet effet que l’ombre portée d’un membre sur le corps. C’est la raison principale qui fait que toute action contrastée doit être évitée sur un haut-relief. En fait, cela n’existe pas sur une seule des métopes du Parthénon. Le résultat inévitable de cette restriction sur le haut-relief est que les personnages présents dans de telles compositions constituent rarement des sujets favorables aux copies et aux adaptations en ronde bosse. Il y a des exceptions comme, peut-être, la Vénus de Milo (p. 224). Les personnages en ronde bosse ont rarement été transposés sur les hauts-reliefs. Sur une des métopes du Parthénon, l’artiste a sculpté l’Harmodios du groupe des Tyrannicides (p. 115), conçu originellement par Anténor (aux environs de 510 avant J.-C.) ; il a ensuite été copié par Kritios et Nésiote (aux environs de 477 avant J.-C.). Le personnage appartient à une période très ancienne de l’art grec, où l’action contrastée n’avait pas encore fait son apparition en ronde bosse. Les exigences du haut-relief relèvent de la simple composition intégrant l’action, que les personnages soient isolés ou en groupes. Les ombres fournissent de la variété et sauvent la composition de la monotonie à laquelle elle aurait été reléguée si elle avait été exécutée sur un bas-relief. Le bas-relief constitue le terrain idéal pour les groupes complexes et les personnages en mouvement. En l’absence complète et uniforme d’ombres confuses, il est possible de représenter plusieurs rangées d’hommes : deux, trois, quatre, voire davantage. Ce type de composition sur un haut-relief serait une anomalie. Les silhouettes de l’avant seraient plus saillantes, et les plus éloignées diminueraient graduellement en épaisseur. La projection des ombres serait différente, et leur manque d’uniformité ne ferait qu’accentuer le manque de réalisme de la composition, sans parler de la confusion et de l’obscurité qui accompagneraient un tel motif sur un haut-relief. Ce danger n’existe pas concernant un bas-relief, puisque toutes les ombres sont uniformément annihilées. Près de l’angle nord-ouest de la frise du Parthénon, un jeune homme est représenté debout devant son cheval (p. 175). Le cheval est considéré de profil et l’homme de face, son dos touchant le flanc du cheval. Si l’on se rapproche de la frise et qu’on la regarde sous une forte lumière, on peut Erechthéion, Acropole, Athènes, vers 420-406 av. J.-C. In situ.
Caryatide, Erechthéion, Acropole, Athènes, vers 420-406 av. J.-C. Marbre, h : 231 cm. British Museum, Londres.
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apercevoir que ce qui est réellement sculpté se compose d’un jeune homme, à sa gauche, la croupe du cheval, et, à sa droite, la tête et les jambes antérieures, le tout sculpté sur le même plan. Avec plus de recul et sous une lumière adéquate, l’illusion initiale est intacte, et l’homme se tient debout devant son cheval. L’explication de ce phénomène réside dans l’instabilité de la vision. Voir implique que tous les éléments d’observation soient projetés sur un même plan. Les distances infimes entre les objets projetés sur une même surface ou étirés sur un plan frontal sont décryptés – car ce n’est rien d’autre qu’un travail de déchiffrage – suivant trois critères dominants et complètement inconscients : premièrement, la précision et la taille relative ; deuxièmement, les ombres afférentes, et finalement le fond culturel dont dispose tout un chacun. Sur la frise du Parthénon (pp. 164 à 177), la distance entre les sujets est si réduite qu’il est inutile de trop les différencier par la taille ou la précision, particulièrement lorsque plusieurs espèces, tel un homme ou un cheval, sont illustrées. S’agissant d’un bas-relief, les ombres sont supprimées. Il convient alors de s’en remettre à son sens de l’harmonie. Il est fréquent de voir un homme devant un cheval, alors qu’il est impossible de le voir inséré dans le corps d’un cheval. La seconde possibilité ne viendrait pas à l’esprit bien que la composition le permette. Et puisqu’il n’y a ni confusion des lignes, ni ombre perturbante pour contrarier la première image, le spectateur va donc, sans hésitation, l’identifier dans la composition, alors même que ce qui a été sculpté correspond à la seconde version. Il n’est pas exact de parler d’absence totale d’ombres sur les basrelief, puisque même les personnages placés en bas projettent quelques ombres qui sont toutefois, de par la courbe des découpes, tout sauf perceptibles à l’œil humain. Les artistes ont parfois utilisé ces ombres légères pour renforcer l’illusion recherchée, sans qu’elles soient toutefois décelables. Sur le panneau considéré, les contours de l’homme se détachent du cheval. Pour obtenir un tel effet, le corps du cheval plutôt que d’être sculpté sur un plan horizontal, est profilé à l’aide de lignes incurvées qui partent de la tête et de la queue, et se dirigent vers le centre en arrière-plan. A moins d’être regardées de très près, ces courbes sont si douces qu’elles échappent à notre attention. Néanmoins, elles permettent aux sculpteurs de donner à l’homme un contour net et, par l’utilisation des ombres que semble projeter son corps sur l’animal, renforcer l’impression qu’il est debout devant son cheval. De la même manière, il semble au spectateur que la distance qui le sépare de la tête du cheval est égale à l’épaisseur du corps de l’homme. Cependant, en réalité, la tête du cheval est sculptée sur le même plan que le sujet. Cela démontre que, sur un bas-relief, les objets distants doivent être sculptés sur des surfaces plus éloignées. Même sur un bas-relief, la partie avant de la
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composition doit être plus saillante. Ainsi, l’artiste peut sélectionner les détails dignes d’une attention particulière et les sculpter sur ce plan, pourvu que les contours soient si bien réalisés qu’aucune ombre, même la plus légère, ne vienne démentir l’illusion. Les sculpteurs du Parthénon privilégiaient ce procédé. Dans la partie est de la frise, Iris, le messager des Dieux, semble se tenir debout derrière Héra. La partie inférieure de la silhouette est sculptée sur un plan distant. La partie supérieure se détache sur le premier plan, là où sa poitrine, sa tête et ses épaules sont représentées ; le buste n’aurait pas pu être visible s’il avait été sculpté à cet endroit. En effet, à une hauteur de douze mètres, les ombres projetées d’Héra l’auraient cachée. Aussi plaisant que soit le résultat, celui-ci aurait pu être finalement désastreux si le drapé recouvrant les cuisses d’Héra avait masqué Iris. Beaucoup de techniques similaires, ou « conventions », sont à la disposition du sculpteur de basrelief. En l’absence d’ombres imposantes et de distances importantes, il trompe le spectateur en s’appuyant sur son point faible, à savoir l’instabilité de sa vision, et travaille sur l’illusion autant que possible. La facilité d’utilisation de cette illusion représente un avantage dangereux pour l’artiste. Il sculpte une chose et veut montrer autre chose au spectateur. S’il représente ses personnages, groupe par groupe, comme sur la ronde bosse ou sur le haut-relief, il y a peu de danger pour que l’on s’imagine voir autre chose que ce qui est représenté en réalité, mais quand le sculpteur utilise les conventions, et ne représente pas véritablement les silhouettes, alors le spectateur a la latitude de choisir tout autre option qui s’offre à lui. Cela oblige l’artiste à composer ses lignes afin qu’elles ne se prêtent pas à diverses interprétations. Les sculpteurs du Parthénon y sont parvenus. En effet, les centaines de personnages ornant la frise sont tous identifiables individuellement, pourtant aucun d’entre eux n’a été sculpté tel qu’il est censé être vu. Les silhouettes sont réussies parce qu’elles paraissent exactes et, si tel est le cas, c’est grâce aux artistes qui les ont sculptées, en conciliant les exigences de nature objective et subjective. Les moyens employés ne sont nulle part moins déguisés que dans les reliefs, c’est la raison pour laquelle l’étude de ces derniers est d’une grande importance pour l’étudiant en art antique.
La Sculpture du relief grec dans sa relation à l’architecture Les Reliefs sur les surfaces rondes La sculpture des reliefs grecs est étroitement liée à l’architecture. Concernant la frise du Parthénon (pp. 164 à 177), les artistes n’ont jamais oublié que les personnages étaient vus comme sculptés sur les murs du temple. Il était aisé d’imaginer des personnages se déplaçant le long des solides colonnes ; des
Monument des Néréides, Xanthos, vers 390-380 av. J-C. Marbre, h : 830 cm. British Museum, Londres. Néréide, Monument des Néréides, Xanthos, vers 390-380 av. J.-C. Marbre, h : 140 cm. British Museum, Londres.
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Sortie d’assiégés, plaque no°869, deuxième frise du socle, Monument des Néréides, Xanthos, vers 390-380 av. J.-C. Marbre, h : 55 cm. British Museum, Londres.
arbres ou autres détails de paysage sont ici déplacés. Quelques larges marchepieds, qui, en l’absence d’étriers, étaient utilisés dans l’Antiquité pour monter à cheval, sont introduits, sans qu’ils ne gênent l’harmonie de la composition. Les lois propres à la conception imposent aux sculpteurs de grandes restrictions, car tout en évitant d’utiliser des arbres, des maisons ou autres subterfuges pour combler les espaces vides, ils doivent en même temps reproduire un sol parfaitement plat pour disposer les personnages en mouvement. Un sol irrégulier n’est pas autorisé pour instaurer de la variété au sein d’un ensemble d’éléments ; quelque soit l’effet recherché, celui-ci doit provenir des personnages eux-mêmes. Les sculpteurs du Parthénon ont accepté le principe de ces lois. Cependant, ils ont une ou deux fois pris la liberté de s’en écarter. Sur la frise sud, en face de la chevauchée et devant les chariots, se situe une lente procession d’hommes qui accompagnent des vaches et des moutons au sacrifice. Les hommes et les chariots avancent à pleine vitesse et les vaches avancent tout naturellement à un rythme lent. La différence de rapidité entre ces deux parties intégrantes du cortège aurait pu être décelée, et l’effet serait raté, si d’habiles transitions n’avaient pas été intégrées. Cependant, la deuxième vache (p. 174) est représentée en train de s’emballer. Elle a presque échappé à l’homme qui la retient par une corde. Il tente de la retenir en projetant tout son poids vers l’arrière, mais il est irrésistiblement entraîné vers l’avant au moment où son
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pied droit heurte un caillou sur la route, qui lui permet ainsi de freiner sa course. La progression de la vache ainsi interrompue, elle pourra rester sous son contrôle. L’attitude du jeune homme retenant la vache est splendide, particulièrement l’opposition entre la dextérité humaine et la force brutale de l’animal, dont il sort finalement victorieux. Sans l’irrégularité du sol, une telle scène eut été impossible. La composition entière est tellement pleine de vie que nous oublions l’artifice utilisé par l’artiste. Le même type de composition se retrouve sur la frise ouest. Toutefois, sur le Parthénon, de tels écarts par rapport à ces principes stricts demeurent rares. Ils se produisent plus fréquemment sur les bâtiments ultérieurs, où d’abondantes représentations de scènes de bataille, offrent des tentations inhabituelles. Aucune scène de ce type n’est complète sans de nombreux morts ou blessés gisant sur le sol. Si le sol est plat, la similarité relative de chacun des personnages devient monotone. De plus, les personnages gisants, allongés sur leur dos, placés sur un plan horizontal, semblent disproportionnés s’ils sont représentés avec précision, parce que l’œil se déplace avec une vitesse différente sur des axes horizontaux et verticaux. Les Grecs l’ont évidemment ressenti, bien que la signification de cette découverte soit le fruit de la psychologie expérimentale moderne. Le désir conscient, ou peut-être inconscient, des Grecs de se conformer à cette loi de la nature les a amené, au départ à sculpter les morts dans des positions
File oblique de guerriers, plaque no°868 b, deuxième frise du socle, Monument des Néréides, Xanthos, vers 390-380 av. J.-C. Marbre, h : 55 cm. British Museum, Londres.
recroquevillées : par exemple, sur une des métopes du Parthénon (p. 159), où un centaure victorieux balance une peau de panthère sur un Grec mort avec une joyeuse exultation. Plus tard, alors qu’ils évitaient ces postures regrettables, ils se sont résolus à introduire l’aspérité du terrain sur les reliefs du temple10. Sur la splendide frise, toutefois assez mal conservée, du petit temple d’Athéna Niké (pp. 32-33), les plus belles lignes figurent les guerriers vaincus tombant morts sur des petits monticules de terres, ce qui permet d’apporter du relief. Sur la frise conçue pour entourer l’extérieur du temple inférieur, les personnages étaient destinés à être observés à une courte distance et sous une forte lumière sur un relief saillant. Ils ne sont pas exagérément taillés, mais néanmoins projettent des ombres significatives et sont représentés en pleine action. La frise ionienne étant d’un seul tenant, et non pas découpée en triglyphes et métopes comme la frise dorique de l’extérieur du Parthénon, la stricte conformité aux principes des hauts-reliefs aurait provoqué des espaces irréguliers totalement vides entre les personnages. Cette exigence a conduit les artistes à s’éloigner de principes observés sur le Parthénon. En effet, les espaces pouvaient toujours être comblés par un drapé aux plis flatteurs, ceuxci venant parfois contrarier le mouvement des personnages. Dans de tels cas, la célèbre « horror vacui », l’horreur du vide des Grecs, incitait les sculpteurs à introduire des arbres. Ces derniers ont été traités avec une telle délicatesse qu’ils n’interfèrent pas du tout avec l’harmonie générale de la composition.
Le résultat inévitable de ce léger écart par rapport au principe de base, qui jadis aurait pu sembler incontestable aux yeux des Grecs, a conduit à l’introduction successive d’autres pratiques judicieuses. Les deux plus importants exemples se trouvent sur la frise du temple d’Athéna Niké. Plusieurs guerriers (p. 32), dos tourné au spectateur, nous obligeraient, sous des conditions normales, à les voir agglutinés à l’arrière-plan. Néanmoins, ils sont dessinés en plein mouvement avec une liberté d’action suffisante pour inspirer un combat vigoureux. D’autres guerriers surgissent sur le côté. Dans les deux cas, il s’agit d’imaginer les personnages sur la partie avant du temple ; il y a un espace entre le mur et eux. Que le mur continue de constituer l’arrière-plan de la composition importe peu. En revanche, dans plusieurs cas, le vide a été remplacé et, dans ce cas, le relief n’est plus une partie intégrante de la structure architecturale. La plupart des reliefs grecs étaient disposés sur des surfaces planes, mais pour décorer des coupes ou d’autres objets arrondis, une nouvelle technique s’imposait. D’une part, le bas-relief et ses nombreux artifices pour provoquer une illusion visuelle ne pouvaient être appliqués dans ce cas à cause de la proximité et de la forte lumière auxquelles les sujets seraient exposés. D’autre part, le haut-relief était tout aussi inapproprié, puisque ces personnages saillants auraient détruit le profil parfait des surfaces arrondies. Par conséquent, les artistes de l’Antiquité ont résolu le problème en faisant appel à un autre type de relief, où les personnages étaient détachés du fond de la
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Frise des Amazones, Mausolée d’Halicarnasse, Bodrum, vers 360-350 av. J.-C. Marbre, h : 90 cm. British Museum, Londres.
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Néréide no°909, Monument des Néréides, Xanthos, vers 400 av. J.-C. Marbre, h : 140 cm. British Museum, Londres.
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moitié de leur volume réel. Ce relief se nomme le mezzo-relievo. Plusieurs vases de marbre de la dernière période ont été traités de cette façon, bien qu’ils n’étaient pas populaires à leur époque. Si les Grecs avaient suivi les pratiques des Egyptiens, qui ont décoré leurs colonnes avec des personnages sculptés au lieu de les canneler, cela eut été probablement différent. Le débat concernant les techniques égyptiennes n’éclaire pas beaucoup la sculpture grecque, bien qu’ici ce soit évocateur. Les colonnes égyptiennes étant vues sous une forte lumière, le bas-relief était inutilisable. D’un autre côté, comme dans le cas des coupes grecques, le haut-relief aurait gâché le profil architectural des colonnes. L’utilisation de demi-relief aurait correspondu à une perte de matériau et de temps. A supposer que les reliefs soient de 7,5 centimètres d’épaisseur, cela aurait conduit à augmenter le diamètre de la colonne de 15 centimètres, et l’ensemble aurait dû être découpé régulièrement, excepté les personnages. Il est étonnant de constater que les Egyptiens ont trouvé un moyen de contourner cette difficulté, parce que cela impliquait une observation profonde de la fragilité de la vision. Sur les colonnes, ils ont dessiné les contours des personnages en les entourant d’un profond sillon à l’intérieur duquel ils ont creusé autant que nécessaire. De fait, les personnages, entourés d’une importante cannelure, sont entièrement isolés. On peut donc, à juste titre, désigner ce type de relief comme étant un relief en creux. De même que les bas-reliefs, ceux-ci visent à créer une illusion d’optique. En se plaçant à une distance adéquate, on ne voit plus le personnage tel qu’il est, encastré dans la colonne, mais plutôt saillant. Cet effet est dû au sillon qui délimite le contour du personnage. Sa partie la plus proche de la lumière génère une ombre profonde, alors que sa partie opposée est baignée de lumière. On constate le même contraste entre les deux moitiés d’un personnage sur les hauts-reliefs, la seule différence résidant dans le fait que le côté exposé à la lumière est clair, tandis que l’autre face est sombre. Pour le novice inattentif à la direction de la lumière et suffisamment éloigné de l’œuvre, les deux types de reliefs semblent identiques. Les Grecs, à coup sûr familiers avec le relief gravé égyptien, ne l’ont jamais introduit dans leur travail. Leurs colonnes étaient censées être regardées à la fois de près et de loin. Leurs temples étaient des bâtiments ouverts à tous, et les colonnades étaient destinées à protéger les visiteurs de la chaleur mordante du soleil et des intempéries. Le relief gravé égyptien dont l’apparence est parfaite de loin, est affreux, vu de près. C’est la raison pour laquelle les Grecs ont orné leurs colonnes de simples cannelures et non de silhouettes. Les différences entre les pratiques égyptiennes et grecques permettent de souligner le goût prononcé de l’élégance de ces dernières.
Effort physique et plaisir de la contemplation des grandes compositions La différence entre voir et regarder est capitale. On peut voir en dépit de soimême, mais regarder un objet nécessite une certaine énergie physique et mentale. Selon la position d’une statue, on ne peut donc s’empêcher de la voir. Pourtant, cela implique un certain effort mental pour comprendre son message, dans ce cas, il est incorrect de parler de concentration physique de la part du spectateur. Une grande composition, qu’elle soit sur un haut ou sur un bas-relief, ne peut pas être appréhendée d’un seul regard, il faut véritablement la regarder. L’œil se concentre sur le relief, captivé, il suit les contours dessinés par le sculpteur, balayant de haut en bas, et de gauche à droite, la composition jusqu’à ce que le relief entier ait été scruté. Un effort physique particulier est nécessaire au spectateur qui pourrait être rapidement circonspect, si l’artiste n’avait pas utilisé tous les artifices pour rendre la perception visuelle facile et plaisante. De plus, la concentration du
spectateur ne doit pas être mobilisée par l’effort de vision, ce qui l’empêcherait de comprendre les intentions de l’artiste. Si le regard pouvait sans contrainte suivre l’impulsion qui guide les yeux aussi bien vers le haut que vers le bas, et se déplacer volontiers aussi bien sur une ligne brisée que sur une ligne droite, la tâche du sculpteur serait comparativement simple, attendu que la vision est erratique et sujette à de nombreuses restrictions. Le travail du sculpteur devient alors complexe. Les Grecs semblent l’avoir ressenti instinctivement, puisque les expériences qui ont permis de définir les lois physiques qui régissent le mouvement de l’œil sont encore récentes. Pour en être sûrs, les Grecs ont introduit de nombreuses techniques dans leur sculpture, qui peuvent s’expliquer seulement si elles sont considérées en tant que tentatives semi-conscientes de se conformer aux exigences de ces lois. On ne peut délibérément croire que les sculpteurs se soient éloignés de leur conception originelle pour satisfaire aux particularités de la vision. Ils se sont identifiés au public en considérant que ce que les yeux du public trouvaient désagréable, eux aussi l’apprécieraient encore moins. Les dessins originaux ont donc été l’expression de tous les artifices que l’on voit apparaître dans les œuvres achevées. A ses débuts, l’art grec arborait un goût si raffiné que le regard glissait avec délectation sur les ornements. Il est souvent possible d’y trouver des cercles rarement parfaits, mais infiniment plus gratifiants et reposants pour l’œil que ceux que l’on trouve sur les vases des époques suivantes, dessinés au compas. Il est difficile d’imaginer une figure géométrique plus simple qu’un cercle : chaque point est équidistant du centre, et la courbure suit un rapport fixe et continu. Nous nous imaginons que l’œil peut facilement faire le tour de cette circonférence. Il n’en est rien, puisque les yeux glissent plus facilement de droite à gauche que du haut vers le bas, et plus rapidement dans un mouvement ascendant que descendant. L’œil qui parcourt un cercle parfait géométriquement aura pourtant l’impression que celui-ci est irrégulier. L’image mentale et la véritable impression visuelle ne coïncident pas. Si nous savons que le cercle est parfait, nous aurons tendance à faire glisser nos yeux sur sa circonférence à une vitesse régulière et, selon la nature même de la vision, cet exercice s’avèrera inconfortable. Il en résultera une sensation d’inconfort désagréable à souhait, voire douloureuse. Les Grecs ont dessiné des figures en évitant ce phénomène. La différence de rapidité avec laquelle les yeux glissent sur le cercle reflète les aberrations relatives à la forme géométrique parfaite. Le résultat n’est pas seulement une acceptation complète entre l’image mentale et l’impression visuelle, mais également une sensation de plaisir à la fois psychique et physique. Aujourd’hui, la plupart des gens poussent leurs études jusqu’à se familiariser complètement avec les figures géométriques, les premiers cercles grecs s’avèrent manifestement inexacts avant même que l’œil ne les ait parcourus, et de ce fait, ne sont pas satisfaisants. Il faut suffisamment juguler la précision des connaissances scientifiques pour obtenir le plaisir oculaire que procure l’examen de personnages conçus pour satisfaire certains critères. Il se dégage alors une impression positive des œuvres grecques. Ce qui est vrai du cercle l’est aussi des courbes et des lignes, bien que ce soit beaucoup plus difficile à prouver. De plus, chaque personne a une sensibilité oculaire différente. Il est donc déconseillé d’essayer de souligner tous ces points. Cependant, aucun étudiant attentif aux reliefs grecs les plus beaux, ne peut oublier la facilité avec laquelle on peut regarder ces compositions, éprouvant ainsi du plaisir physique. La merveilleuse facilité avec laquelle on peut parcourir du regard la frise du Parthénon est presque devenue légendaire. Une autre particularité de la vision doit être prise en compte dans le cadre de la conception
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Zeus et Porphyrion pendant la bataille contre les Géants, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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Combat d’Hercules et de Triton, temple d’Athéna, Assos, vers 550-525 av. J.-C. Trachyte, h : 81 cm, l : 294 cm. Musée du Louvre, Paris.
Scène de banquet, temple d’Athéna, Assos, vers 550-525 av. J.-C. Trachyte, h : 81 cm, l : 287 cm. Musée du Louvre, Paris.
de compositions d’envergure. L’œil ne glisse pas doucement de la fin d’une ligne à une autre, mais se déplace par des mouvements saccadés, comme le découvrent en s’auto-observant les personnes qui ont une certaine sensibilité oculaire. Un espace restreint peut s’embrasser d’un seul coup d’œil. Si l’on regarde un point fixe, le champ visuel est restreint de part et d’autre. Quand nous lisons, nous ne concentrons pas nos yeux sur le début de chaque ligne, mais nous nous plaçons légèrement à la droite du premier mot. Après avoir lu les mots et les syllabes qui sont dans notre champ de vision, l’œil se déplace sur la droite, et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les mots de la ligne aient tous été lus. Si trois petits mots peuvent être lus d’un seul regard et que la ligne en contient neuf au total, trois mouvements successifs de l’œil seront nécessaires pour lire l’intégralité de la ligne. Ajouter ne serait-ce qu’un autre mot et vous serez contraints à un mouvement supplémentaire. Cela constitue une perte d’énergie puisque l’ajout de trois mots au lieu d’un, nécessiterait exactement le même
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effort. Tout le monde sait que les lignes assez longues sont plus aisées à lire que les autres. Sur un relief, les lignes ne sont pas continues, des masses proéminentes, par-ci par-là, réclament une concentration visuelle aiguë. De telles masses sont distinguées, d’un point de vue technique, des lignes de support oculaire et sont souvent nommées points. La tête des personnages imposants, leurs mains, leurs coudes, le manche de leurs épées et tous les éléments de ce genre, sont des points. Les artistes les ont placés à l’endroit où l’œil s’arrêterait naturellement dans le cours de son déplacement saccadé, épargnant ainsi au spectateur l’effort de concentrer son regard sur eux, lui rendant la tâche nettement plus facile. Les sculpteurs du Parthénon et leurs contemporains considéraient que le spectateur devait être mobilisé en permanence. Quelque soit l’endroit où l’œil se posait, il rencontrait un point saillant. Cela explique que les compositions soient compactes : l’œil n’était pas censé rencontrer un espace vide ; dans
Cratère à colonnettes, attribué au « groupe de Boston 00.348 », fin du Ve siècle av. J.-C. Terre cuite, h : 51,5 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.
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Groupe avec le dieu Typhon, fronton ouest, ancien temple d’Athéna, Acropole, Athènes, vers 580-570 av. J.-C. Tuf, l : 440 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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cette perspective, cela eut été une réelle perte d’énergie. L’absence d’espace vide dans les œuvres antiques est très probant et le terme « horror vacui » fort à propos. « L’horror vacui » s’est évanoui dans le courant du IVe siècle pour réapparaître plus tard. Les sculpteurs du mausolée d’Halicarnasse (350 ans av. J.-C.) ont assumé le fait qu’un repos visuel temporaire serait mieux apprécié qu’une étude circonstanciée de chacun des détails de la composition. Leurs reliefs (pp. 42-43 et 212-213), plutôt aérés, présentent beaucoup d’espaces vides afin de reposer les yeux. De tous les subterfuges que les Grecs ont utilisés pour faciliter l’observation, aucun n’est plus remarquable que la pratique de l’isocéphalie, qui nécessitait que toutes les têtes des personnages se situent presque au même niveau sur une même ligne. Les Grecs ressentaient intuitivement qu’une ligne droite, plutôt qu’une ligne brisée, faciliterait le déplacement de l’œil. L’isocéphalie de la frise du Parthénon illustre cette technique avec tant de maîtrise que l’incongruité d’un tel tableau nous échappe quand nous le regardons : par exemple, quand les têtes des cavaliers sont presque à la même hauteur que celles des marcheurs, ou quand celles des chevaux se trouvent au même niveau que celles des hommes. Dans les temps primitifs, bien avant le temps où les grands artistes auraient pu transmettre leur talent et leur génie, les artistes privilégiaient l’harmonisation de l’apparence et de la vraisemblance ; l’isocéphalie avait conduit à de remarquables compositions. Dans la frise d’Assos (p. 48), un jeune homme sert des hommes allongés dont les têtes sont positionnées au même niveau que lui, les transformant ainsi en géants et le jeune homme en pygmée. Plutôt que de simplifier la lecture visuelle d’un tel relief, les sculpteurs préféraient accepter la critique portant sur son aspect ridicule. La détermination des Grecs est impressionnante. Même dans les époques primitives, ils privilégiaient la conception d’idées utiles et plaisantes à comprendre, associée à la sensation de plaisir physique du spectateur.
Les Sculptures grecques et la couleur Pour la plupart d’entre nous, la sculpture grecque signifie du marbre blanc magnifiquement sculpté. Toutefois, peu sont ceux qui se rendent compte que le bronze était en fait le matériau préféré des Grecs et non le marbre11, et que tous leurs marbres étaient colorés. Quand les artistes de la Renaissance ont commencé à étudier les vestiges du passé antique, les statues grecques et romaines ne montraient aucune trace de couleur. Plus de mille ans après leur création, l’érosion avait effacé toute présence de couleur. De plus, les statues découvertes dans les fouilles subissaient un décapage vigoureux qui a enlevé toute trace de leur séjour sous terre, mais aussi toute peinture qui aurait pu être conservée à travers le temps. Ce nettoyage inconsidéré a conduit les artistes de la Renaissance et les artistes modernes après eux, à croire en la pureté de leur façonnage qui ne nécessitait ni ne permettait le rajout de couleur. Cependant, les érudits ont commencé assez rapidement à émettre des doutes sur cette soi-disant pureté des formes. Ils ont étayé leur débat sur quatre faits bien établis. Premièrement, l’Eglise catholique romaine a toujours eu à sa disposition des statues de saints colorées. L’Eglise, hautement conservatrice, a pratiqué la chromatisation des saints depuis le début, c’est-à-dire les siècles artistiques florissants du début de l’Empire. En conséquence, plusieurs questions se posent : si la sculpture classique n’était pas peinte, où les chrétiens ont-ils acquis cette pratique différente ? S’ils s’éloignaient tant de l’usage de leurs contemporains profanes, pourquoi n’en retrouvons-nous aucune référence parmi les pères fondateurs de l’Eglise ?
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Deuxièmement, la sculpture profane de la Renaissance était fréquemment peinte. De nouveau, cela peut être une survivance des anciennes coutumes puisque la sculpture de cette époque était une descendante éloignée de la sculpture classique. Troisièmement, la sculpture égyptienne, et probablement la sculpture assyrienne, étaitent profusément colorées. L’interaction entre les Grecs et les cultures plus anciennes était quelquefois profondément enracinée ; Hérodote a mené une étude systématique sur les différences entre les Grecs et les Egyptiens. S’il n’avait jamais vu une statue colorée dans son pays, on se serait au moins attendu à ce qu’il cite les pratiques artistiques différentes des Egyptiens et, sur ce point, il est resté silencieux. Finalement, l’hypothèse des sculpteurs de la Renaissance sur la pureté des formes à l’époque classique ne tient pas, puisqu’elle s’est construite sur l’apparence des statues antiques à leur époque. Ces considérations soulèvent des doutes profonds au sujet de l’absence consensuelle de couleur sur le marbre grec, particulièrement depuis que les défenseurs de la pureté des formes de l’Antiquité ont avancé l’argument du mauvais goût, que certains extrémistes qualifient même de trivial. Totalement subjective, cette polémique doit être laissée de côté sans pour autant la réfuter. A cet effet, des preuves émanent de trois sources différentes : la littérature, les vestiges de l’art antique et les expériences pratiques. Aucune réponse définitive n’a pu être obtenue sur la façon dont les Grecs ont peint leurs statues. Du silence des auteurs de l’Antiquité, M. Edward Robinson12 conclut que citer la présence de la couleur n’aurait fait que souligner une trop grande évidence ou alors que cela n’a jamais été pratiqué13. Cette dernière thèse a été contredite par des découvertes, mais aussi par certaines déclarations consignées dans la littérature grecque et romaine. Pline cite Praxitèle. Ce dernier estimait que, parmi ses statues, celles qu’il appréciait le plus, étaient celles que le peintre Nicias avait parachevées (manum admivisei) par des couleurs (circumlitio). En débattant de la relative valeur des couleurs, Platon a mis en lumière l’artiste qui tentait d’apposer la plus belle couleur sur la partie la plus esthétique de sa statue, et ainsi peignait les yeux en or plutôt qu’en noir. De tels exemples prouvent finalement que quelquesunes des statues de l’Antiquité étaient colorées. En soulignant ce phénomène, M. Robinson démontre que la peinture des statues de marbre était une coutume de l’Antiquité. Les différentes découvertes et l’étude attentive des monuments existants corroborent cette opinion. On a retrouvé des statues portant encore des traces de couleurs : par exemple, sur le fronton d’Egine, sur les personnages féminins drapés de l’Acropole (pp. 54 à 56) et l’Hermès de Praxitèle (p. 191) ; de nombreuses autres statues manifestent la présence de peinture. A Athènes, la stèle funéraire d’Hegeso représente une femme qui sort un objet de sa boîte à bijoux et le laisse glisser entre ses doigts. Elle regarde l’objet qui lui-même n’était pas sculpté, mais qui, à l’origine, devait être peint ou simplement suggéré. La dernière possibilité semble assez irréaliste pour deux raisons principales : la difficulté d’imaginer l’objet et l’explication facile de cette omission en acceptant la théorie de l’application de la peinture. Il existe d’autres statues dont l’érosion de la surface suggère qu’elles ont été peintes en diverses couches. La stèle d’Aristion montre une étoile sur la partie droite du plastron de la cuirasse. La couleur, aujourd’hui complètement volatilisée, avait jadis été superposée sur la couleur de base de la cuirasse. De fait, celleci ne s’effaça pas aussi facilement que le reste de la couleur, tout en préservant le marbre de l’érosion qui envahit le reste de la stèle.
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Le personnage lui-même n’atteint pas la partie inférieure de la plaque et s’en éloigne grâce à un espace rectangulaire vide. Une autre stèle de ce genre existe à Athènes, elle représente un soldat peint et non sculpté. Le même espace rectangulaire se situe dans sa partie inférieure où un cavalier miniature peint peut se distinguer, tout du moins cela était possible il y a quelques années. Une hypothèse décente serait d’imaginer que l’espace identique existant sur la stèle d’Aristion était lui aussi complété par un cavalier peint. Une peinture sur la partie inférieure de la stèle sculptée semble appropriée si toutes les parties sculptées ne sont pas entièrement dépourvues de couleurs. Sur la frise du Parthénon, les accessoires, tels que les brides, les licols et les cordes, sont rarement sculptés. On y trouve souvent des trous, ayant apparemment servi de point d’attache aux brides de bronze et autres artifices du même genre ; de telles cavités n’apparaissent nulle part ailleurs. En tout état de cause, l’ajout d’éléments en bronze priverait la frise d’une uniformité de couleur, et on peut naturellement supposer que l’absence de trous indique que les accessoires indispensables ont été peints. Ceci ne veut pas dire pour autant que chaque détail mineur ait été coulé dans le bronze ou peint, car beaucoup d’accessoires étaient simplement suggérés. L’introduction de couleur dans la frise du Parthénon est entièrement en rapport avec le schéma architectural de l’édifice, qui était extrêmement coloré au-dessus du chapiteau des colonnes. Les chercheurs sont en accord sur ce point. Globalement, ce témoignage démontre que les Grecs ont largement utilisé la couleur dans leur sculpture de marbre. Cependant, aucune statue n’a jamais dévoilé de trace de peinture sur les parties représentant la peau des personnages, menant quelques-uns à penser que seuls les cheveux, les lèvres, les yeux, les drapés, et les accessoires ont été peints. Les parties nues étaient traitées selon un procédé appelé ganosis, qui atténuait l’éclat naturel du marbre. Durant les vingt siècles qui suivirent, la disparition complète de la couleur sur les surfaces lisses exposant la chair des personnages n’est pas surprenante et ne peut être utilisée comme argument, alors que le sens des mots circumlitio et ganosis, tous les deux utilisés par des écrivains classiques pour parler de la coloration des statues anciennes, reste mystérieux. Donc, l’argument principal de ceux qui croient à la non coloration des nus dans l’art antique, est uniquement basé sur l’idée, apparemment sensée, que le traitement extrêmement délicat du nu dans les meilleures périodes de l’Antiquité aurait été une perte de temps inconcevable s’il devait être par la suite recouvert de peinture. Les expériences faites sur la fonte de statues antiques peintes se sont avérées importantes, car elles ont permis d’établir un argument irréfutable14. Selon M. Robinson15 et tous ceux qui ont observé ces statues, « ceci créera une surprise aux nombreuses personnes qui ont étudié le sujet sur un plan purement théorique. Quand la couleur est appliquée, même en tant que revêtement, au lieu de diminuer, elle relève considérablement l’effet du modelage. Loin de cacher le travail du sculpteur, elle accroît sa beauté. Plus ce dernier sculpte délicatement, plus la couleur soulignera cette délicatesse ; plus son travail est médiocre, plus la couleur en accentuera les défauts, probablement en raison de la possibilité d’établir une comparaison avec la nature ». Ceci peut être observé de manière frappante dans les têtes de deux statues : la Vénus Genetrix (p. 72) et l’Hermès de Praxitèle (p. 191). Celle de la Vénus Genetrix est reconnue pour la qualité de son contour délicat et de son sourire subtil, qui sont parfois cités avec enthousiasme. Colorée, elle devient austère et inexpressive. Le modelage des joues, et surtout du nez, est diaphane, trahissant la main du copiste plus qu’aucune autre partie de la statue, et les défauts dans le modelage de la bouche et du menton, à peine perceptibles en blanc, deviennent désagréablement apparents
Corè 686, dite la « Boudeuse », Acropole, Athènes, vers 480 av. J.-C. Marbre, h : 58 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 594, Acropole, Athènes, vers 500 av. J.-C. Marbre, h : 122 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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après coloration. Que ce soit pour l’une ou l’autre des statues, pour aucune autre partie M. Smith n’a dû travailler aussi durement et tenter autant d’expériences pour reproduire un résultat qui soit en harmonie avec le reste. Au contraire, la tête d’Hermès fait davantage ressortir la beauté merveilleuse du modelage sous un revêtement de couleur, que lorsqu’elle est laissée blanche. Les modulations exquises sont plus apparentes lorsqu’elles sont peintes ; en revanche, le moulage blanc apparaît à la fois curieux et banal. Et ce qui est vrai pour les têtes l’est également pour d’autres parties des deux statues ayant servi de support aux expériences. Le corps et le drapé de la statue de Vénus sont modelés beaucoup plus finement que la tête, et les couleurs soulignent cette particularité. « Si ces expériences n’enseignent rien d’autre, elles démontrent toutefois que l’ajout de couleur, au lieu de porter atteinte au travail du sculpteur, l’assujettit à de nouvelles et sévères exigences ; elles suggèrent ainsi un des plus importants facteurs de l’ascension rapide de la sculpture grecque vers la perfection. » De telles expériences ne constituent pas explicitement une preuve de l’emploi de la couleur sur les parties nues des statues grecques. Elles ont néanmoins renvoyé la légitimité de la preuve dans le camp des détracteurs. La couleur était utilisée sur le marbre antique ; l’ajout de couleur sur toutes les parties est possible, même sur les nus. En l’absence de données définitives et contradictoires, cette pratique apparaît comme une chose naturelle. En ce qui concerne les terres cuites colorées, on pense que beaucoup d’entre elles imitaient les statues, comme en témoignent les fresques représentant les statues peintes de Pompéi. La question de l’utilisation de la couleur étant résolue, d’autres questions plus difficiles se présentent. Quelles ont été les couleurs choisies et comment ont-elles été appliquées ? Les statues ont-elles été peintes pour représenter la réalité ? Aucune information ne peut être recueillie dans la littérature antique, et les quelques touches de peinture trouvées sur le marbre sont peu significatives. En premier lieu, elles peuvent représenter seulement la couleur du corps, alors que la véritable teinte peut avoir, et a probablement, disparu ; deuxièmement, lorsque les statues ont été redécouvertes, même ces échantillons restants ont certainement pali et changé d’aspect, sous l’influence de l’air ou des minéraux présents dans le sol. Les statues grecques n’affichaient pas de vêtements tangibles, mais plutôt une notion du vêtement, ce qui est en rapport avec les images mentales représentées par les statues. N’étant pas réels, l’application d’une couleur véritable serait de ce fait inopportune. L’effet produit, assuré par les fontes colorées de M. Smith, s’avère donc désagréable et n’est pas à regretter. Si toutefois un changement complet s’est produit, il doit avoir eu lieu ultérieurement à une époque inconnue. De tels arguments contre l’usage universel de la couleur sur les statues de marbre grecques ne devraient pas être pris aussi sérieusement. Ils démontrent l’impossibilité de construire des preuves solides à partir d’événements datant de deux millénaires ; si on les compare aux thèses, pratiquement adoptées par tous, fondées sur la coloration des statues de marbre en Grèce, ils sont trop insignifiants et incertains pour avoir un grand poids. Un point a été prouvé de façon concluante : les marbres antiques ne valorisaient pas systématiquement « la pureté incolore de la forme. » La preuve définitive qu’ils n’y soient jamais parvenus, n’a pas été avérée. Toutes les découvertes et les investigations récentes accréditent cette thèse. Il n’est donc pas déraisonnable de penser qu’avec le temps, la théorie actuelle de la coloration des statues antiques deviendra un fait universellement admis.
Corè 682 (détail), vers 520-510 av. J.-C. Marbre, h : 182 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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L’ART AVANT LE VII SIECLE AVANT J.-C. ET L’ « EPOQUE OBSCURE »
L
e milieu du VIIe siècle avant J.-C. ; aujourd’hui généralement considéré comme le début de l’histoire de la sculpture grecque, n’est marqué par aucun événement historique majeur. La brume obscurcissant les siècles précédents s’éclaircit progressivement devant les yeux du chercheur. Un siècle plus tard, ce dernier se sent d’ailleurs sur un terrain plus connu. Aucune statue grecque existante, même fragmentaire, ne peut être datée antérieurement aux années situées entre 650 ou 625 avant J.-C. ; au delà de cette période se situe le moyen âge obscur de la Grèce. Les Grecs eux-mêmes possèdent au mieux une notion vague de cette période. A travers les différentes époques, on se souvient de quelques détails spécifiques, les autres ont été inventés pour expliquer les conditions de vie de l’époque ; tout ceci était centré autour de quelques héros populaires, dont les personnalités, s’ils ont vraiment existé, étaient si hardiment transformés qu’il était impossible de les distinguer des personnages de fiction. De telles légendes sont intéressantes, mais devraient être tout de suite écartées de tout débat factuel. Les découvertes d’archéologues et d’anthropologues sont d’une importance plus considérable, parce qu’elles sont probablement aussi précises que malheureusement insuffisantes. Les habitants de la Grèce, des îles de la mer Egée, et de la côte d’Asie Mineure appartenaient à la race aryenne qui, à l’origine venant probablement d’Asie, peut-être de quelque région de l’Europe septentrionale, se divisa en cinq familles principales. Chacune de ces familles et leurs branches se sont ramifiées. Les branches importantes des Grecs étaient les Eoliens, les Ioniens, et les Doriens. Les Doriens étaient peut-être les derniers arrivants, et apparemment les moins civilisés. On pense que longtemps avant leur arrivée, aux alentours de 1100 avant J.-C., les autres familles avaient déjà établi une civilisation florissante en Grèce. Les premières découvertes de cette ancienne civilisation ont été faites à Mycènes en 1876 par le Dr Schliemann. Celles-ci suscitèrent l’intérêt d’un grand nombre de personnes, car, à cette époque, on croyait que les Mycéniens étaient le seul peuple à avoir accompli une telle avancée sur la route du progrès de l’humanité : cette civilisation fut appelée l’Age mycénien. Cependant, très vite, on découvrit que d’autres peuples avaient partagé la manne de cette époque. Toutefois, faute d’une meilleure appellation et de par sa popularité, le terme de « civilisation mycénienne » fut conservé, en dépit du fait que les savants s’intéressent aujourd’hui à la recherche du centre et de l’origine des conditions florissantes de l’art en Crète.
La période de l’Age mycénien est principalement établie, grâce aux événements contemporains égyptiens, aux alentours de 1600 à 1100 avant J.-C. Une date postérieure demeure aléatoire, et les découvertes récentes semblent montrer qu’elle devrait être fixée plus en amont, peut-être même dans le troisième millénaire avant J.-C. On ne sait rien des Grecs avant cette période. Depuis combien de temps ils étaient dans le pays, s’ils avaient amené la civilisation avec eux, si la civilisation mycénienne constituait leur première tentative ou si elle était simplement la résurgence d’une ancienne civilisation qui se serait effondrée – tout ceci échappe à nos plus soigneuses investigations. Grâce à l’effort infatigable d’archéologues de nationalités diverses, l’art de l’Age mycénien est devenu aujourd’hui renommé. A en juger par les vestiges, la sculpture était très peu pratiquée, car les lionnes de la porte de la citadelle de Mycènes (p. 56), sont les seules œuvres significatives. Les peintures, plus particulièrement les fresques murales, étaient davantage privilégiées, et les fragments de personnages apparaissant sur une grande fresque de l’imposant palais du roi Minos en Crète (pp. 58-59), exposent une composition audacieuse de lignes belles et délicates. Par ailleurs, les arts mineurs, notamment l’orfèvrerie, prospéraient (p. 60). Des centaines de travaux magnifiques de ce genre ont été sauvegardés. Considérés ensemble avec plusieurs milliers de petits bibelots décoratifs retrouvés dans des tombes ouvertes (p. 61), ils reflètent une idée assez précise des desseins et des accomplissements de ces premiers artistes, qui n’ont pas travaillé avec affectation, comme c’est souvent le cas des personnes frustes jouissant de richesses accumulées. Concernant l’utilisation de l’or, ce qui impressionne le spectateur, ce n’est pas la splendeur du matériau coûteux, mais la délicatesse du travail, ainsi que le goût raffiné qui se dégage dans le choix des ornements. En dépit de cela, la présence de personnages et d’animaux demeure rare. La majorité des motifs sont des inventions chimériques issues de l’esprit de l’artiste, celles-ci ne sont jamais grotesques, complexes ou exagérées ; elles représentent des spirales, des cercles, des courbes simples ou d’autres figures sans prétention. Les artistes qui ont accompli ce travail et le public auquel il était destiné, ont été apparemment glorifiés par un amour intense de la beauté et un tempérament d’une grande simplicité. Vers 1100 avant J.-C., cette florissante civilisation disparut soudainement, bien avant qu’elle n’eût atteint son déclin. Un important événement historique a dû se produire, comme probablement l’invasion dorique. Ceci ne s’est pas passé de manière subite, mais s’est étendu sur une période d’au moins un siècle. Le pays était bien établi, mais sous la pression des Doriens venus du
Porte des Lions, Mycènes, XIVe siècle av. J.-C. In situ.
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Scène dite de « Tauromachie », palais de Cnossos, Crète, 1700-1400 av. J.-C. Fresque, 62,3 cm. Musée archéologique, Héraklion.
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Pendant aux abeilles, nécropole royale, Malia, 1700-1600 av. J.-C. Or. Musée archéologique, Héraklion.
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nord, beaucoup d’anciens habitants ont dû se résoudre à abandonner leurs maisons. La plupart des gens du Péloponnèse ont probablement émigré vers l’Asie Mineure, bien que les Mycéniens, en restant, se soient retrouvés condamnés à l’esclavage permanent. Dans l’agitation des réadaptations, il ne resta plus aucun temps disponible pour la création artistique. M. Ruskin a dit un jour : « L’Art est possible seulement, quand après avoir satisfait les besoins de la vie quotidienne, il reste assez d’énergie mentale et physique pour le ‘jeu’ » ; et pendant ces temps de lutte, où certains défendaient leurs vieilles maisons et d’autres combattaient pour leur nouvelle patrie, ni temps ni énergie ne pouvait être épargné pour “le jeu”. Vers l’an 1000 avant J.-C., les Doriens étaient établis, mais il fallut attendre des siècles pour que les conditions de vie soient stabilisées. Ces 350 années du début de l’histoire de la Grèce portent bien son nom de « Moyen Age obscur de la Grèce ». Ces années sont sombres, mais toutefois éclairées par les poèmes homériques. Peu importe si l’Illiade et l’Odyssée ont été écrites par un seul
certain point. Cependant, la plupart des découvertes de ce genre ont été faites sur les îles de la mer Egée, connues comme les « joyaux de la mer Egée ». Elles diffèrent considérablement des premières pierres précieuses mycéniennes, non seulement par leur forme et leurs motifs de décoration, mais également par leur mode d’exécution. Quand, vers le milieu du VIIe siècle, les conditions politiques en Grèce ont été suffisamment stabilisées, permettant le renouvellement de l’expression artistique, la compétence manuelle des artistes mycéniens s’était totalement perdue. De plus, les Grecs avaient commencé à s’exprimer d’une nouvelle manière. Avant l’invasion des Doriens, la sculpture était peu encouragée, mais dorénavant, elle tenait la première place dans les préférences artistiques populaires. Quand à la peinture, elle a toujours été considérée comme digne d’occuper la seconde place, bien que la fragilité des images nous empêche aujourd’hui de l’apprécier. Jusqu’à quel point les Grecs étaient-ils redevables de leurs ancêtres primitifs pour l’héritage de cette délicatesse esthétique, reste
Masque funéraire, dit « Masque d'Agamemnon », tombe 5, Mycènes, vers 1600-1500 av. J.-C. Or, h : 31,5 cm. Musée archéologique national, Athènes.
Masque funéraire, Mycènes, vers 1600-1500 av. J.-C. Or, h : 20,5 cm. Musée archéologique national, Athènes.
homme, ou par un ensemble de plusieurs poètes, mais aussi s’ils étaient chantés au IXe siècle ou peu avant 650 avant J.-C. Consécutivement à la chute de la civilisation mycénienne et avant l’aube des temps historiques, ce qui importe vraiment ce sont ces personnes qui savaient interpréter de tels chants et ceux qui étaient capables de les apprécier. La civilisation décrite dans les poèmes homériques présente un mélange de souvenirs des temps glorieux dans les maisons continentales, et l’idéalisation de l’environnement propre du poète. Dans ces poèmes, le rôle joué par l’art est mineur, puisque les plus beaux articles décrits semblent être d’importation orientale. Ceci soutient l’idée que l’art avait complètement disparu de Grèce, ce qui se confirme par l’absence de vestiges. Seule la taille des pierres précieuses prospéra jusqu’à un
une question difficile à élucider. Si l’on suppose qu’une bonne partie de l’amour grec pour la beauté a traversé les siècles malgré l’invasion dorique, il est moins difficile d’expliquer le développement rapide de l’art qui a suivi la brutalité des débuts. Ces avances étaient si soudaines que, pour clarifier ce phénomène, beaucoup ont cherché des influences au-delà de la Grèce. En sculpture, la Grèce ne subissait pas l’influence des pays concernés par cet art comme la Phénicie, l’Assyrie, et l’Egypte. Les Phéniciens étaient les commerçants de l’Antiquité avant d’être remplacés par les Grecs ioniens. Ils ont facilité les échanges entre les créations intellectuelles de plusieurs peuples, et, bien qu’extrêmement doués, ils n’ont jamais eu de vie artistique à part entière. Pratiquement aucune sculpture n’a été retrouvée dans leur pays. Leur influence
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directe sur le développement de la sculpture en Grèce est improbable. Les Babyloniens et les Assyriens sont peut-être les plus anciennes civilisations connues qui ont précédé de milliers d’années l’arrivée du Christ. Les régions méridionales de leurs pays, où commencèrent leurs premières réalisations, étaient pauvres en pierre. La sculpture était impopulaire dans le nord, qui était pourtant plus riche en ce matériau indispensable pour la sculpture primitive. Les personnages en ronde bosse sont extrêmement rares, alors que la sculpture en relief n’a pas été entièrement développée jusqu’au temps d’Assurnazirpal II (au IXe siècle av. J.-C.), et surtout d’Assurbanipal, plus connu sous le nom de Sardanapale (668-626 av. J.-C.) (pp. 66-67). Les différences entre la sculpture assyrienne et la sculpture grecque sont si nombreuses et si flagrantes que personne ne peut longtemps imaginer une quelconque aide de leur part envers les Grecs, au moins dans leur sculpture. En ce qui concerne les peintures sur vase et les autres arts mineurs, les influences orientales sont par contre indéniables. Le cas des Egyptiens est différent. Une ressemblance superficielle entre les plus anciennes statues grecques et certains types de figures renommées en Egypte ont souvent laissé penser que la Grèce était très redevable de l’Egypte dans tous les aspects de l’art sculptural. Cette supposition est apparue particulièrement plausible, puisque les premières étapes de la sculpture grecque coïncident presque avec le renouvellement des relations commerciales entre les deux pays, à l’époque où Psammétique Ier (663-610 av. J.-C.) a ouvert son royaume aux étrangers. Les Grecs y ont fondé la colonie commerciale de Naucratis. Cependant, la première période de la sculpture et la fondation de Naucratis n’ont pas d’autre rapport que de refléter l’expression simultanée d’un peuple actif, qui, ayant enfin trouvé suffisamment de paix et de loisir à la maison, pouvait occuper son temps libre à d’autres occupations. Les Egyptiens, une vieille civilisation au fier passé, avaient conservé des preuves de leur talent au travers des découpes ou des peintures sur les pierres des temples et des tombes. Chaque événement était relatif aux règnes des rois, et, puisque cette chronologie royale est connue, il est relativement très facile de recomposer l’histoire de l’Egypte en remontant à des milliers d’années. Bien qu’ils savaient calculer en années, les Egyptiens ont partagé leur histoire en dynasties, c’est-à-dire le règne continu de rois appartenant à une même famille. Nous ne pouvons donc pas toujours attribuer à un événement ou à une dynastie, sa date équivalente en années calendaires. De temps en temps, la datation précise de quelque phénomène naturel peut nous aider, comme, par exemple, le passage d’une éclipse pendant le règne d’un certain roi, ou des épisodes contemporains de l’histoire des Assyriens ou des Grecs. En dépit de l’incertitude de quelques dates, la plupart des chercheurs consentent maintenant que la première dynastie connue de rois égyptiens date d’au moins trois ou quatre mille ans avant J.-C. Les expressions les plus authentiques de l’art se trouvent dans les premiers monuments égyptiens ; ceux des périodes ultérieures se distinguent parfois par la grâce charmante des contours et des volumes, mais ne reflètent jamais précisément les pensées du peuple. Les concepts artistiques égyptiens se sont fossilisés après les douze premières dynasties. Les renaissances suivantes, dans les dix-huitième, dix-neuvième, et vingtième dynasties (aux environs de 1600-1100 av. J.-C.), de même que dans la vingt-sixième dynastie (663-525 av. J.-C.), étaient pratiquement exclusivement concernées par l’apparence extérieure des statues, sans s’intéresser aux pensées exprimées à travers elles.
Lions de Délos, VIIe siècle av. J.-C. Marbre. In situ.
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Pendant toute l’Antiquité égyptienne, les statues représentent des personnages debout. Leur posture est droite, le pied gauche généralement placé en avant (p. 68). Cette position était semblable à celle des premières statues grecques, poussant quelques écrivains à croire que les Grecs avaient été influencés ; certains disent même que les Grecs ont copié les statues égyptiennes. Ceci est faux. Les Egyptiens ont eu beaucoup de peine à représenter la tête et ses caractéristiques, n’accordant que très peu d’attention à la représentation du corps. Les Grecs, quant à eux, depuis les temps les plus anciens, ont traité toutes les parties du corps avec un soin équivalent. Ceci suffit à réfuter toute idée de « copie » du travail égyptien de la part des Grecs, sans mentionner les différences d’état d’esprit inhérentes aux créations de ces deux peuples. Les statues grecques projettent l’anticipation joyeuse d’un avenir meilleur, alors que même les meilleures statues égyptiennes après 1000 avant J.-C. déguisent à peine les créations séniles d’un art fossilisé. Qui peut croire que les jeunes artistes grecs qui, voyageant en l’Egypte dans le but de cultiver leur bon goût et voyant leurs statues conventionnelles, retourneraient alors chez eux tailler des figures d’un moins bon niveau technique que les Egyptiens, mais de conception plus joyeuse ! Aucun point de ressemblance n’existe entre ces statues, sauf cet aspect superficiel de la pose, qui est probablement accidentel et expliqué par la nécessité de résoudre des problèmes identiques. Raisonner à partir de similarités involontaires est toujours un exercice dangereux qui devrait être évité. Supposons maintenant que les premiers Grecs n’aient pas projeté de copier leurs voisins de l’autre bord de la Méditerranée. Cette possibilité existe – bien qu’improbable – qu’ils aient emprunté aux Egyptiens l’idée de représenter leurs hommes se tenant debout avec la jambe gauche positionnée en avant. M. Gardner16 qualifie cet emprunt d’alphabet artistique. Même si c’est vrai, cela ne signifie pas pour autant que les Grecs ont reçu une quelconque contribution de la part des Egyptiens. Si les Zoulous ou les Hottentots avaient ressenti la nécessité d’exprimer leurs idées à travers l’écriture, et qu’en l’absence de leurs propres lettres ils avaient emprunté l’alphabet aux Anglais, leur littérature ne serait pas le moins du monde redevable de la pensée anglaise. Donc, les Grecs de l’Antiquité n’ont reçu aucune aide extérieure pour apprendre la sculpture, ni aucune influence des monuments du passé ; ils ont développé leur art en puisant dans leurs propres ressources intérieures faites de noblesse, d’espoir et d’authenticité de caractère.
Corè, Athènes, vers 580 av. J.-C. Marbre, 104 cm. Musée archéologique, Le Pirée.
Matériau et technique
Assurnasirpal II, Nimrud (ancienne Kalhu), Néo-Assyrien, vers 883-859 av. J.-C. Magnésite, h : 113 cm. British Museum, Londres.
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La sculpture grecque était constituée principalement de bronze ou de pierre, même si, dans les années ultérieures, le bronze fut considérablement plus utilisé que le marbre. Au départ, les Grecs avaient probablement davantage travaillé la pierre, et peut-être, avant cela, le bois. Le climat grec, plus rude que celui des Egyptiens, n’a pas permis de conserver une seule sculpture de bois. Sur le continent grec et surtout à Athènes, les artistes ont utilisé des pierres locales souples, “le tuf” ou “poros,” qui se taillaient facilement et offraient peu d’obstacles aux mains peu expérimentées. Plus tard, une pierre plus dure, le marbre, a été couramment utilisée. Le marbre de Paros et de Naxos bénéficiait d’une grande popularité générale, avant d’être, au Ve siècle, largement supplanté, au moins à Athènes, par le marbre pentélique. Dans le voisinage d’Athènes, le mont Hymette, offrait un autre marbre très acceptable, mais quelque peu bleuâtre. En ce qui concerne la blancheur des pierres, aucun marbre grec n’est comparable au superbe marbre de Carrare, qui ne fut pas connu de l’Antiquité avant l’époque des empereurs romains. Les sculpteurs grecs primitifs ont probablement traité directement les blocs de marbre, sans tailler de modèles grandeur nature. On peut même se
Vénus et Cupidon, copie romaine d’un original grec de la fin du IVe siècle av. J.-C., Ier-IIe siècle ap. J.-C. Marbre, h : 173 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Assurbanipal et la reine assistant à un banquet, dit « The Garden Party », pièce S, palais nord d’Assurbanipal, Ninive, Néo-Assyrien, vers 645 av. J.-C. Albâtre gypseux, l : 58.4 cm. British Museum, Londres.
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demander, en fait, s’ils n’ont jamais fait un seul modèle. Ultérieurement, des modèles d’argile et de plâtre ont peut-être été utilisés. L’inscription d’Epidauros, datant du IVe siècle avant J.-C., constitue sans doute la preuve que Timothéos avait reçu une certaine somme d’argent pour ses modèles qui devaient ensuite être exploités par des artistes mineurs dans la composition du fronton du temple. Au cours du Ier siècle avant J.-C., de grands sculpteurs gagnaient beaucoup d’argent grâce à la vente de leurs modèles. Cependant, même durant les meilleures époques, le travail du marbre n’a certainement pas été confié aux ouvriers, restant toujours l’apanage des artistes eux-mêmes. La pratique de la découpe du marbre était connue et considérablement développée à une date très ancienne. Une statue en bronze exige l’achèvement préparatoire d’un modèle précis. Aujourd’hui de tels modèles sont composés de plusieurs pièces, qui sont toutes fondues séparément et finalement jointes ensemble. Au contraire, les artistes de l’Antiquité semblaient préférer élaborer leurs figures avec le minimum de pièces possible. Le bronze est un alliage de divers métaux. Le cuivre, le zinc, et l’étain composent la statuaire moderne de bronze ; dans les temps anciens, il semble qu’il contenait une faible quantité de plomb. Ce métal a le désavantage de rendre la masse en fusion moins régulière, et de ce fait est rarement utilisé aujourd’hui ; toutefois, il rend l’alliage plus doux et moins fragile, et permet ainsi à l’artiste d’ajouter quelques touches finales sur la statue après l’avoir coulée. Le grand avantage de ce procédé est que certains façonnages délicats peuvent échapper au moulage et être introduits par la suite directement sur la statue. Le bronze poli, selon Pline, est lustré en surface avec du bitume, probablement pour donner aux trois ou quatre pièces coulées séparément, un brillant uniforme, sans pour autant trop changer leurs couleurs naturelles. De nos jours, les bronzes sont souvent traités avec des acides qui leur donnent une patine artificielle. Ceci est fait pour éviter le long temps d’attente nécessaire à l’oxydation du bronze, qui, sous l’influence de l’air, prend cette teinte verte, particulièrement agréable, que l’on retrouve sur les statues antiques, mais aussi, parce que, pour des raisons techniques, les fondeurs modernes sont moins prudents dans le mélange exact de l’alliage qui permettra d’atteindre une apparence parfaite. De plus, on a retrouvé sur quelques statues modernes, dont l’oxydation s’était faite uniquement à l’air libre, une déplaisante patine noire. Bien que la cause exacte de ce constat soit inconnue, il y a fort à parier que la poussière et la pollution des grandes villes y soient pour quelque chose. La patine bleuâtre trouvée sur les bronzes découverts à Pompéi, tout comme l’aspect verdâtre présent sur ceux d’Herculanum, sont probablement dues aux minéraux présents dans le sol, aux cendres ou à la lave, où les statues ont été enterrées durant presque dix-huit siècles. Les anciens ont utilisé plusieurs genres d’alliage différents – celui de Délos, d’Argive et celui d’Egine –, mais on ne connaît ni leur degré de divergence, ni leurs avantages respectifs. L’or et l’argent ont été aussi utilisés pour les statues commémoratives, mais ces matériaux n’étaient pas adaptés à la sculpture, car leur valeur intrinsèque et leur brillance éloignaient l’attention du spectateur de ce qui fait l’attraction première d’une statue. Si l’or était un matériau inadéquat pour fondre des statues entières, il était par contre très adapté à la décoration et à l’ornement des drapés présents dans les grandes représentations des temples. Beaucoup de ces reproductions en or et en ivoire, appelées « chryséléphantine », étaient développées autour d’une âme de bois, plaqué d’ivoire pour représenter la chair
Statue de Montouemhat, fin 25e-début 26e dynastie, fin du VIIe siècle av. J.-C. Granite gris, h : 137 cm. Musée égyptien, Le Caire.
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et d’or pour les draperies. Cela était surtout fréquent à l’époque de Périclès : Phidias a emprunté ce style pour réaliser son gigantesque Zeus d’Olympie, ainsi que son Athéna située au Parthénon à Athènes. Quand les ressources se firent plus rares, le marbre poli remplaça l’ivoire, et le bois doré prit la place de l’or ; l’effet produit par ces statues acrolithes était probablement le même que celui procuré par des matériaux plus coûteux.
Les Forces destructrices Compte tenu de la valeur des matériaux sur le marché, il n’est pas étonnant qu’aucune statue chryséléphantine, sauf celle recouverte d’or, n’ait été conservée jusqu’à nos jours. Etonnamment, de toute la richesse statuaire de bronze et de pierre grecque, moins d’une œuvre sur cent, est parvenue jusqu’à nous. Parmi les pièces originales, une seule d’entre elles est attribuable à un sculpteur connu. Plusieurs facteurs expliquent cet état de fait. Le passage du temps, bien sûr, s’est révélé terriblement destructeur. Abandonnées à ellesmêmes, peu de statues de marbre ou de bois ont supporté les changements climatiques et les fréquents tremblements de terre que la Grèce a enduré, ceuxci ayant dévasté la majorité des temples grecs. Les Romains ont aussi spolié le pays de ses nombreuses statues. Pour sa part, Sylla a emporté plusieurs centaines de statues de Delphes, et Caligula a même essayé de transporter le colossal Zeus de l’Olympe jusqu’à Rome. Quand les statues étaient déplacées d’un seul tenant, elles étaient séparées de leur socle sur lequel le nom de l’artiste était gravé, et quand les navires étaient déchargés en Italie, tout moyen d’identification était définitivement perdu, à l’exception de quelques pièces. Les Romains nourrissaient une passion pour les statues, sans pour autant être désireux de les fabriquer eux-mêmes en grand nombre. Les milliers de statues grecques acheminées par bateaux ne répondaient pas à la demande croissante et les Romains ont commencé à copier leurs œuvres favorites. En Italie, le marbre, comme la main-d’œuvre, était bon marché. Les copies des Romains ont remplacé les statues modernes en plâtre qui servaient à la décoration des bibliothèques, des halls, des villas, des jardins et tous les lieux du même genre. Les œuvres originales importées de Grèce, laissées à l’abandon, ont progressivement disparu. Il ne fait aucun doute que certaines d’entre elles, ont été de nouveau déplacées pour orner la nouvelle capitale, à l’époque où l’empereur divisa son royaume en deux, une partie occidentale et l’autre orientale ; les autres statues furent brisées pendant les périodes tumultueuses qui ont suivi l’invasion nordique de 375 après J.-C. Certaines statues ont été ensevelies sous les ruines des palais par leurs propriétaires aimants qui, désireux de les préserver de l’ennemi, n’ont pas eu l’occasion de les déterrer. De toutes les statues restées en Grèce, certaines ont été gratuitement détruites par les Goths et d’autres envahisseurs. Mais très peu d’entre elles ont été détruites par le zèle vulgaire des premiers chrétiens qui malgré leur haine envers les dieux de l’Antiquité, n’ont pas été jusqu’à briser les statues qui embellissaient leurs lieux saints. Sans cette longue liste de forces destructrices et de calamités, si les habitants n’avaient pas commis ces actes surprenants de vandalisme, beaucoup d’autres statues seraient encore parmi nous. Le respect du passé leur était inconnu et, jusqu’à ce que la Grèce soit libérée du joug turc au XIXe siècle, des générations et des générations ont pillé les œuvres antiques. Les reliefs de marbre et les grandes statues, coupés ou cassés, constituaient un excellent matériau de
Couros, temple de Poséidon, cap Sounion, vers 600 av. J.-C. Marbre, h : 165 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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Zeus ou Poséidon, cap Artémision, vers 460 av. J.-C. Bronze, h : 209 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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construction. Il existe quelques villages en Grèce moderne où, en abattant des maisons, on pourrait découvrir au moins une statue ou un relief. Cependant, la destruction totale du marbre est due à l’excellence du matériau ; on peut faire le meilleur plâtre à partir du marbre. Les statues ont pris, les unes après les autres, le chemin du four à plâtre, parce ce qu’il est plus aisé de prendre les statues qui sont déjà à disposition que d’extraire de nouveaux blocs. De leur côté, les bronzes ont connu un autre sort, puisqu’ils ont été fondus en raison de leur grande valeur sur le marché. Avec ces nombreuses forces destructrices, pendant plus de 2 000 ans, on ne s’étonne plus de la faible quantité de statues sauvegardées. Dans le courant des XIXe et XXe siècles, les fouilles archéologiques ont permis de retrouver de nombreuses statues, certaines provenant des ruines de lieux sacrés, où elles avaient été érigées et finalement oubliées ; parmi elles, l’Hermès de Praxitèle. D’autres statues en provenance des structures architecturales, construites par les habitants opportunistes, comme par exemple les grandes frises de l’autel de Pergame, ont été utilisées par les Turcs pour consolider des murs. Beaucoup de ces œuvres ont fait l’objet de recherches acharnées ; d’autres, en revanche, sont apparues de manière inattendue, tels les deux bronzes de Riace, retrouvés dans la mer Ionienne au large de la Calabre (Italie) en août 1972. L’exemple le plus frappant de ce genre a été la découverte de la cargaison d’un vaisseau romain qui avait fait naufrage au large du cap Malea en 1901. Malheureusement, l’effet corrosif du sel et les remous volcaniques des fonds marins ont sérieusement endommagés ce que la main du destin avait elle-même soutiré aux avides Romains17. Plusieurs autres œuvres, tel le Parthénon, furent miraculeusement préservées de toute destruction. Ce dernier fut, dans un premier temps, transformé en église chrétienne et, plus tard, en mosquée. Même le goût rustre des derniers habitants d’Athènes ne vint à bout des décorations sculptées de l’édifice. Ce n’est que durant la guerre sainte, opposant les Turcs aux combattants chrétiens que le monument fut complètement détruit. Les chrétiens étaient décidés à chasser les barbares du sol européen. Le général italien Morosini avait donné l’ordre d’attaquer les musulmans d’Athènes, battus en retraite sur l’Acropole. Comme ces derniers étaient sûrs que les chrétiens respecteraient le site qu’ils avaient eux-mêmes épargné, ils entreposèrent la poudre à canon à cet endroit. Morosini n’avait pas été informé de cette disposition et, lorsqu’il pointa ses canons vers le Parthénon, le 26 septembre 1687, celui-ci explosa. Toutes les décorations sculptées ne furent pas détruites par la déflagration, mais une fois encore, le processus de destruction allait se perpétuer, et les plaques, les unes après les autres, finirent leur vie dans les fours à plâtre, alors que d’autres fragments étaient détruits gratuitement. Des archives officielles témoignent de l’utilisation par les Turcs des têtes de personnages, figurant sur les frises ou les métopes, en guise de cibles pour le tir au pistolet.
Oubli de la sculpture grecque dans l’Antiquité Les Romains n’avaient qu’une connaissance réduite de la sculpture grecque, et au Moyen Age même, celle-ci disparut. La Grèce était un monde perdu, si complètement perdu que, lorsque l’intérêt pour l’humanisme se fit ressentir au début de la Renaissance, pas un homme en Italie ou en Europe septentrionale n’en connaissait la langue. C’est à Byzance qu’il fallut aller chercher des érudits maîtrisant le grec. Les dates les plus anciennes remontaient à Rome, et l’histoire
Ephèbe d’Anticythère, milieu du IVe siècle av. J.-C. Bronze, h : 194 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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était analysée à travers les yeux romains. Une statue grecque de Zeus était devenue Jupiter, Hermès était connu sous le nom de Mercure, Aphrodite sous celui de Vénus. Notre propre civilisation est l’héritière directe de la Renaissance ; bien que dans le domaine de la sculpture antique, nous soyons allés plus loin qu’eux – jusqu’à la Grèce elle-même –, nombre des premières notions dérivées de l’étude de la vision romaine de la sculpture grecque restent ancrées dans nos esprits. Entre autres, nous continuons, à tort, d’appeler les dieux et les déesses grecs par leurs noms romains. Jupiter, il est vrai, était le père romain des dieux, comme Zeus l’était pour les Grecs, mais les caractères de ces deux dieux n’étaient pas tout à fait semblables. Aphrodite, déesse de l’amour grecque, était une déité complètement différente de la conception romaine de la voluptueuse Vénus. C’est pourquoi, pour parler de statues grecques, il est plus correct, et donc résolument préférable, d’utiliser leurs noms grecs. Au milieu du XVIIIe siècle, lorsque Winckelmann voulut se lancer, pour la première fois, dans une étude honnête et impartiale du passé, il découvrit qu’une masse importante de matériaux bruts avait été accumulée dans différents musées. Le travail scrupuleux de ses successeurs a mis de l’ordre dans ce chaos, grâce à un usage judicieux de deux sources uniques pouvant fournir des informations exactes. Tout d’abord, ces sources sont monumentales, ensuite, de nature littéraire. Ces sources monumentales consistent essentiellement en originaux relativement peu nombreux et en une profusion de copies romaines. Il y a aussi des inscriptions, des vases peints, des terres cuites, des pièces de monnaie et autres objets, sur lesquels les statues originales étaient soit mentionnées, soit reproduites. Les sources littéraires comprennent toutes les références à l’art contenues dans la littérature antique. Certains hommes, comme Pline l’Ancien (mort en 79 après J.-C.) et Pausanias (IIe siècle ap. J.-C.), écrivirent sur l’art ; d’autres n’y firent que de simples allusions pour illustrer leurs idées. Il faut donc être prudent en utilisant les commentaires des auteurs anciens, surtout parce qu’ils ne sont pas tous dignes de confiance. Beaucoup d’arguments, bien sûr, reposaient sur des auteurs contemporains et fiables, dont les écrits sont aujourd’hui perdus, mais puisque peu de Romains se pliaient à la pratique de Pline, qui citait fréquemment ses sources, il est parfois impossible de distinguer les concepts romains inexacts et les idées souvent correctes inspirées des auteurs grecs. Cette confusion des sources littéraires, ainsi que leur importance, est largement responsable du fait que le sujet soit resté pendant près d’un siècle exclusivement entre les mains des archéologues et des philologues, et fut ainsi inaccessible au grand public. Sans le labeur infatigable de ces hommes, il serait aujourd’hui encore impossible de tirer des conclusions définitives. Toutefois, leur connaissance réside pour l’essentiel dans ce qu’on pourrait appeler la grammaire de l’art. Il existe une énorme différence entre l’étude d’une langue sous un angle grammatical et le fait d’entrer dans l’esprit de sa littérature. Bien sûr, les analyses littéraires sont impossibles sans une connaissance préalable et précise de la grammaire, mais l’intérêt purement pratique pour les particularités linguistiques d’une langue nuit toujours à la compréhension des idées exprimées dans sa littérature. De la même façon, l’art antique doit, et ce malgré le sérieux d’éventuelles études, rester livre fermé à tous ceux qui ne savent dépasser les simples faits, à ceux qui refusent de chercher l’esprit et les principes de la sculpture grecque.
Aphrodite de type « Vénus Génitrix », copie romaine d’un original de Callimaque de la fin du Ve siècle av. J.-C., Ier-IIe siècle ap. J.-C. Marbre de Paros, h : 164 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Léda et le cygne, copie d’un original grec de Thimotheus de la première moitié du Ve siècle av. J.-C. Marbre, h : 132 cm. Musei Capitolini, Rome.
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Tête du cavalier Rampin, Acropole, Athènes, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 27 cm. Musée du Louvre, Paris.
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LA PERIODE ARCHAIQUE Premières Tentatives en ronde bosse
D’
après la tradition, le premier Grec qui sculpta une statue digne de ce nom fut Dédale, signifiant « le talentueux ». Les légendes le dotaient d’aptitudes miraculeuses : « ses statues pouvaient voir et marcher et exercer toutes les fonctions corporelles ». Les Grecs n’avaient que peu de patience pour les idées abstraites ou inaccessibles. Et il est possible qu’un homme, appelé Dédale, ait effectivement existé et, dans ce cas, la petite statuette d’Artémis en bronze, conservée à Boston, dédiée au « Dédaléen », pourrait lui être attribuée. Toutefois, le mot « dédaléen » pourrait n’être qu’un simple qualificatif de la déesse, « la talentueuse Artémis », sans référence aucune au nom traditionnel de ce premier sculpteur. C’est sans doute l’hypothèse la plus probable, puisque les références littéraires à Dédale ne reposent sur rien d’autre que des mythes. De nos jours, il est généralement admis comme étant une invention. Ses élèves réputés et ses contemporains sont, du moins en partie, de vrais personnages historiques : le nom de certains d’entre eux a été retrouvé gravé dans la pierre en plusieurs endroits. Le vaste territoire que couvrent ces différents lieux nous donne une excellente idée des relations intenses et des échanges d’idées artistiques qui régnaient dans la Grèce antique. La tradition littéraire va dans le même sens. L’Athénien Dédale fonda – comme le veut l’histoire – une école de sculpture en Crète. Ses élèves travaillèrent en Crète, à Rhodes, en Ambracie et dans le Péloponnèse. D’autres encore à Athènes, à Ephèse, en Arcadie, à Samos et à Lemnos. Et enfin, les artistes d’écoles isolées ou rivales, Samos et Chios, occupèrent le terrain d’Ephèse à Naucratis en Egypte et jusqu’à Athènes. En Béotie, on découvrit une pierre tombale de la main d’Alxenor de Naxos ; plusieurs fragments de l’Acropole d’Athènes montrent des différences tellement marquées par rapport au style local athénien, et ressemblent tant à des œuvres trouvées à Samos et en Béotie, qu’on ne peut que conclure qu’ils furent soit importés à Athènes de l’extérieur, soit exécutés à Athènes par des sculpteurs étrangers. De telles observations montrent l’inutilité de diviser ce qui restait de l’art grec avant les guerres Médiques en deux grandes catégories, le dorien et l’ionien. On croit souvent que ces deux branches de l’expression grecque étaient fondamentalement différentes de caractère et de nature. Les bergers et les fermiers doriens des montagnes étaient lents, conservateurs, honnêtes, dotés de corps magnifiques et attentifs à préserver leurs capacités. Le peuple ionien de la ville, constitué de commerçants et de négociants, était progressiste, nerveux, d’une « intense curiosité intellectuelle », d’une moralité plus laxiste et friand d’étoffes luxueuses. On pourrait penser que des différences de caractère aussi fondamentales devraient se refléter dans la sculpture de ces peuples. Pourtant, c’est rarement le cas. D’abord, les relations intenses tendaient à gommer ces différences ; ensuite, ni les sévères Doriens, ni les plus exubérants Ioniens ne produisirent de grands artistes. Par conséquent, le mieux est de considérer ces œuvres anciennes comme une expression commune à tous
les Grecs, montrant par intermittence des tendances différentes, selon que le côté dorien ou le côté ionien de l’artiste dominait, mais visant dans l’ensemble un seul objectif : la maîtrise de la matière et une expression plus claire des idées. L’une des plus anciennes statues, digne de description, fut découverte à Samos ; celle-ci fut dédiée à Héra par une femme du nom de Cheramyes (p. 76). La statue, aujourd’hui sans tête, ne représente peut-être pas Héra. Cependant, en l’absence d’un meilleur nom, on y fait souvent référence en
Tête du cavalier Rampin, Acropole, Athènes, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 27 cm. Musée du Louvre, Paris.
la désignant comme la « Héra » de Samos. Il ne faut pas chercher à être trop précis dans la désignation de ces nombreuses créations anciennes. Nous devons accepter qu’il n’y a pas de mal à ne pouvoir connaître les noms avec exactitude. L’avantage d’une nomenclature distinctive est tellement grand qu’il compense toute considération contraire. La « Héra » de Samos a été sculptée dans un bloc circulaire se rétrécissant à sa base, très semblable à
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la colonne entre les lions de la porte de Mycènes (p. 56). L’artiste devait inscrire son personnage dans les limites de la forme. Ceci l’empêcha donc de sculpter le bras droit. Mais il recherchait aussi la variété, ce qui explique la position du bras gauche. Ici, l’anatomie est assez bien comprise : à travers l’étoffe, on perçoit la délicatesse du biceps et ses rondeurs, la courbe du coude et les tendons convergeant vers la main. Le sculpteur fut contraint par l’espace limité et tenta de justifier la compression du haut du bras droit de la statue supposé faire saillie, en lui faisant tendre le bras vers le bas de toutes ses forces. Ceci entraîna une autre difficulté : une telle action des muscles devait s’expliquer par son caractère ou, du moins, par son état d’esprit du moment. Mais cela était hors de portée de cet artiste. Bien qu’il s’agisse clairement d’une femme, la figure en elle-même est sculptée d’une manière assez indéfinissable dans sa moitié inférieure, où la forme originale du bloc ne permettait aucune liberté d’action. Les pieds qui ressortent, et la courbe de l’étoffe au-dessus d’eux en constituent les meilleures parties. Il est facile d’imaginer la forme réelle des pieds, même s’ils sont invisibles ; ils sont bien suggérés. L’artiste se heurta ici à un principe fondamental de l’art : le spectateur peut être aussi impressionné par les lignes et les masses suggérées, que par celles réellement représentées. Si l’auteur de cette « Héra » avait eu connaissance de ce principe, il aurait donné à sa statue une moitié inférieure de meilleure qualité et ce, en dépit de la forme naturelle du bloc. Telle qu’elle est, il a sculpté quelque chose qui, si elle se brisait, ne donnerait pas l’impression d’appartenir à un corps humain. Pour compenser ce manque de vie, l’étoffe a été traitée avec délicatesse, une délicatesse telle, en fait, qu’aucune photographie ne parvient à la rendre de façon appropriée. « Héra » était drapée dans deux vêtements. Certains disent qu’il y en avait trois ou plus, une affirmation erronée puisque l’artiste a laissé au peintre le rôle d’établir ces distinctions. Les différents plis et surfaces sont censés apporter une agréable variété à la composition, mais aucun de ces éléments n’est une copie ou une adaptation de la nature. L’artiste a sculpté ce qu’il pensait être une étoffe, sans vérifier l’exactitude de son idée par l’observation de la nature. Cette absence d’étude de la nature prévaut pour toute la statue. Les proportions de « Héra » sont anatomiquement impossibles. Dans le dos, là où les vêtements se resserrent autour du corps, cette imprécision est particulièrement remarquable. Incapable de sculpter un corps drapé qui montrerait les étoffes et suggèrerait un corps vivant, l’artiste choisit l’option de déployer le raffinement du tissu à l’avant, et de révéler le corps à l’arrière. Malgré ces défauts, la statue possède une véritable noblesse et une indéniable grandeur. Winckelmann disait : « Si vous voulez juger une œuvre d’art, ignorez d’abord ce qui attire l’attention grâce à l’application et au talent de l’artiste ; intéressez-vous plutôt à cette part du travail qui est le fruit de l’intelligence. » Ou encore : « S’il s’agit d’une œuvre d’art primitive », aurait-il pu ajouter, « ne vous laissez pas déranger par le manque d’adresse, mais cherchez plutôt l’idée. » Ce précepte de Winckelmann est aussi exact que difficile à mettre en œuvre. Les erreurs ici sont patentes,
Corè, dédiée à Héra par Cheramidès de Samos, Samos, vers 570-560 av. J.-C. Marbre, h : 195 cm. Musée du Louvre, Paris.
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suscitant parfois le rire du spectateur, rendant difficile la compréhension de la noblesse de l’idée. Des efforts patients et une pratique constante, mèneront néanmoins au résultat désiré. Etudier des statues, affichant le même niveau d’évolution, est d’une grande aide, car elles révèlent les objectifs de l’artiste. Grâce à une série de statues découvertes à Athènes dans les années 1880, on a pu étudier avantageusement le développement progressif de la figure féminine drapée, la maîtrise lente et douloureuse de la matière, acquise grâce à une pratique constante et la facilité croissante avec laquelle l’artiste façonne l’expression de ses sujets. Une figure habillée présente un double problème pour le sculpteur, le corps et le vêtement. Suivre cette progression dans l’art de représenter des corps masculins est bien plus aisée, car, à quelques exceptions près, ils sont nus. La plupart de ces effigies masculines, Couros (Couroi, au pluriel), furent découvertes dans les sanctuaires dédiés à Apollon. La forme originale des blocs utilisés pour ces statues était apparemment toujours régulière, soit rectangulaire, soit cylindrique, souvent conique, bien que rarement particulièrement adaptée au sujet. En revanche, celui-ci devait être adapté au bloc. On pourrait appeler cela une convention, une habitude, ou un caprice. Le fait est qu’une telle restriction fut tolérée pendant des générations, bien que tous les moyens employés visaient à le rendre moins visible. La fidélité à une pratique consacrée était un signe caractéristique de cette période. Les habitudes étaient immuables. Il ne vint jamais à l’esprit des artistes qu’elles étaient de leur propre fait et pouvaient être ignorées en toute impunité. Aussi longtemps qu’elle perdura, la tradition les limita autant dans leur domaine que les frontières du pays avant les guerres Médiques, car la Grèce vivait sous la menace constante des barbares, dont le nom était pour eux synonyme de chaos. L’un des premiers Couroi fut découvert sur l’île de Théra. Aussi droits que des lignes tirées au cordeau, ses bras sont collés de chaque côté, poussant vers le bas de toute leur force pour rester dans les limites du bloc. Ils ne se détachent qu’aux coudes, et encore très légèrement. L’artiste avait manifestement peur qu’ils ne se brisent s’ils n’étaient pas attachés au corps. Si l’on considère toute la série des Couroi, on remarquera comment, à chaque nouvelle tentative, le sculpteur ose toujours un peu plus, jusqu’à l’ « Apollon » de Ténée (p. 83), où le bras entier est sculpté dans le vide, les mains seules conservant un lien étroit avec les cuisses. Ceci représente un formidable exploit pour le sculpteur antique ! Imaginez l’homme défiant l’instabilité du marbre si fragile ! Mais il procéda pas à pas et dans l’ « Apollon » de Strangford (p. 87), même les liens ont disparu. Jadis, ses bras pendaient librement des épaules, aujourd’hui, ils sont brisés et perdus ; l’artiste de Théra dirait que c’est une juste punition pour l’homme trop audacieux. Qui peut dire combien de blocs ont été perdus à cause d’une trop grande témérité, avant que les artistes ne soient convaincus que cela pouvait se faire, et donc devait se faire ! Dans toute cette période de lutte avec la matière, on n’observe pas un seul pas en arrière. Même si, parfois, faire mieux qu’avant a pu sembler difficile, voire impossible, l’artiste grec allait toujours de l’avant, sans être atteint par le doute.
Ornithé, groupe familial de Généléos, Héraion de Samos, Samos, vers 560-550 av. J.-C. Marbre, h : 168 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.
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Même si les progrès de l’artiste avec la matière étaient lents comparés à ceux de ses successeurs des Ve et IVe siècles, ils étaient toujours constants. La clarté de la pensée y contribua énormément. Sachant identifier ce qui était possible et ce qui ne l’était pas, l’artiste chercha à perfectionner l’un sans se laisser importuner par l’autre. Il était même disposé, quand la situation l’exigeait, à renoncer à son propre entendement. Un excellent exemple nous est fourni par le traitement des mains des statues de Couros. Mis à part un espace près des coudes, et aussi longtemps que les bras et les mains de ces statues étaient effectivement attachés aux côtés, la suite naturelle des lignes des avant-bras étaient les pouces. On les sculptait donc près de la jambe. Mais cela souleva le problème de la disposition des doigts. La chose la plus naturelle était de représenter la main le poing fermé. Toutefois, dans ce cas, et comme chacun peut le déduire en en faisant l’expérience, soit les dernières jointures du pouce et de l’index dépassent, soit, si les extrémités du pouce et de l’index se touchent, le poing forme alors plusieurs angles au lieu d’un petit triangle. Cette dernière alternative n’était pas souhaitable à cause de l’espace qu’il aurait fallu supprimer entre le pouce et l’index, et parce que la main, d’après les connaissances de l’époque, aurait manqué de stabilité ; l’autre possibilité consistant à faire dépasser les jointures était tout aussi désagréable à l’artiste pour des raisons techniques. La seule manière de se sortir de ce dilemme était donc de sculpter une main inexacte. Il fit se toucher les extrémités du pouce et de l’index, le pouce servant d’hypoténuse à un petit triangle dont le sommet était l’articulation de l’index. L’artiste était-il satisfait de ce procédé ? Pas un instant, car aussitôt qu’il découvrit une autre solution, il l’adopta. Celle-ci lui apparut avec l’évolution de son savoir-faire. Lorsque, dans l’ « Apollon » de Ténée, il détache le bras entier du corps et supprime même les pouces des côtés, ne laissant qu’un lien étroit, il trouve non seulement l’espace pour la jointure saillante de l’index, mais apprend également que le marbre a une solidité suffisante pour permettre le détachement de parties aussi petites. Jusqu’à l’ « Apollon » de Ténée, toutes les statues sont dotées de mains inexactes, après lui, on n’en trouve plus une seule. Relever les détails trahissant l’évolution progressive de la sculpture grecque antique est une perte de temps. Il y a les bras, les mains et les têtes, car il fallut les soutenir, elles aussi. Comment la fine colonne du cou pouvait-elle soutenir la tête si lourde ? Un expédient efficace était la chevelure qui tombait sur les épaules. C’était toujours le cas avec la statue ténéenne. Mais l’ « Apollon » de Strangford a été choisi justement parce que sa tête reposait fièrement sur le cou sans aucun soutien extérieur. Ce progrès fut réalisé avant que la mode juvénile ne passe aux cheveux courts. Ce Couros possède de longs cheveux coiffés en tresses, attachées autour de la tête. Parallèlement à une plus grande adresse, on peut aussi constater la maîtrise de notions plus précises. Pour les Grecs, le corps d’un homme reposait en grande partie sur ses contours, incluant quelques dimensions imprécises. Plus tard, les images mentales des gens, renforcées par l’expression, intégrèrent les aspects particuliers de cette multitude humaine, qui n’a rien d’uniforme, mais est bien faite de chair et d’os. Dans le Couros du Louvre (p. 84), encore fruste sous de nombreux aspects, on Philippe, groupe familial de Généléos, Héraion de Samos, Samos, vers 560-550 av. J.-C. Marbre, h : 159 cm. Musée archéologique, Vathy. (p. 78 : de face, p. 79 : de dos)
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peut sentir distinctement les muscles abdominaux sous la peau. La première amélioration notable est visible dans l’ « Apollon » de Ténée. Son torse, ses cuisses et ses mollets sont de merveilleuses créations pour un homme qui doit encore avoir recours à sa chevelure pour soutenir sa tête ; ses genoux manquent un peu de superbe. Le tronc est, sans conteste, toujours une masse informe, rappelant à juste titre la « Héra » de Samos. Tout cela changea avec l’ « Apollon » de Strangford (p. 87). Ici, les muscles de l’abdomen sont si aisément perceptibles qu’on a envie de les toucher pour les compter malgré leur grossière imprécision, comme le montrerait la plus fortuite comparaison avec un modèle vivant. Tous les Couroi exhibent une anatomie imparfaite. D’ailleurs, les premiers ne furent conçus que pour être vus de face. Les côtés et le dos n’étaient que des accessoires essentiels à l’exécution de la sculpture en ronde bosse. On les sculptait de façon rudimentaire pour les adjoindre à la partie avant et produire un tout. Avec le temps, on les traita de façon plus différenciée. Pour l’ « Apollon » de Ténée, quatre angles ont été élaborés avec soin, l’avant, l’arrière et les deux côtés. Mais ils ne sont que juxtaposés et n’évoluent pas ensemble comme le voudrait la nature. L’ « Apollon » de Strangford est vraiment la première statue en ronde bosse à mériter ce nom, même dans sa plus modeste application, car il fut aussi conçu d’abord pour son plan frontal. Il est difficile d’imaginer un corps en trois dimensions, doté d’une pleine liberté d’action dans un espace illimité. Heureusement pour eux, les premiers artistes grecs devaient encore évoluer jusqu’à ce stade. Il allait falloir des siècles de pénible et incessante activité avant que le savoirfaire grec ne sache maîtriser ce problème. Les Couroi sont souvent qualifiés de figures debouts, alors qu’elles devraient être imaginées en train de marcher. Ce n’est qu’en marchant que le muscle situé au-dessus du genou devient saillant comme le sculptaient les artistes de l’Antiquité, et comme le montre si bien la figure ténéenne. Au repos, le muscle passe presque inaperçu. Le pas militaire commence avec le pied gauche, et pratiquement tous les Européens, aujourd’hui encore, font le premier pas de ce pied. Par conséquent, ces « Apollon » sont probablement représentés comme s’ils se mettaient à marcher. Lorsque Polyclète, un siècle plus tard, sculpta une figure en marche (p. 193), c’est la jambe droite qu’il mit en avant, peut-être pour montrer que son athlète n’était pas en train de faire le premier pas. Dans la marche, les deux pieds ne sont jamais posés simultanément sur le sol, comme c’est le cas de ces statues. Les auteurs de ces Couroi n’ont pas eu le courage de l’exactitude dans ce domaine. Il était déjà bien téméraire de faire tenir toute la figure sur deux jambes seulement, encore fallait-il qu’elles soient massives. C’est pourquoi, nous pouvons être assurés que c’est bien à contrecœur qu’ils se soumirent à la pesanteur de leur matériau et à leur propre savoir-faire défaillant. Si l’on marche de façon maladroite, il est vrai que l’on peut garder les deux pieds sur le sol pendant quelques secondes. Certains suggèrent que les artistes grecs de l’Antiquité choisirent ce style pour représenter la marche, car ils ne savaient pas lui rendre justice autrement. Si l’on croit cela, on accorde aux Grecs anciens une capacité d’observation de la nature bien plus précise que cela ne semble avoir été le cas. Il est bien plus probable que les muscles saillant au-dessus de chaque genou étaient plutôt dus à la
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Couros, Naxos, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 99,5 cm. Musée du Louvre, Paris.
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nébulosité de leurs connaissances. Ils savaient que ces muscles étaient sollicités dans la marche, mais ils n’avaient pas retenu de leur observation qu’ils le sont à tour de rôle. C’est sans doute la bonne explication, bien qu’il y en ait une autre, reposant sur une spécificité de la représentation que l’on peut parfois remarquer sur les vases peints, et où les mouvements successifs sont représentés comme simultanés. En marchant, les deux muscles sont finalement également sollicités, le gauche dans le pas effectivement représenté, le droit dans le pas que l’on doit imaginer. Pour aider à imaginer ce pas, qui ne pouvait raisonnablement pas être représenté, le muscle de la jambe droite était déjà saillant avant même le moment d’entrer en action. Il est impossible de déterminer laquelle de ces idées animait l’esprit des artistes. Quoi qu’il en soit, il semblerait que le désir de montrer une figure en marche plutôt que debout justifie les curieuses inexactitudes anatomiques des statues de Couros. Ceci corrobore le fait que nos images mentales sont généralement moins intéressées par des corps vivants au repos qu’en mouvement, que ceux-ci se déplacent dans l’espace avec les membres inférieurs en action, ou qu’ils gesticulent avec les bras animés. Le matériau même, dans lequel les figures sont sculptées, est figé, immobile, présentant un problème difficile : comment exprimer des pensées d’action à partir d’une matière inerte ? Avant que les sculpteurs n’accèdent à une claire compréhension de cette proposition, il leur fallait apprendre expérimentalement qu’il n’existe en réalité aucun moyen de représenter le mouvement, et qu’il peut seulement être suggéré. Il semblerait que les Grecs anciens espéraient toujours une autre solution. Ils étaient esclaves de leur matériau, dont les innombrables possibilités restaient à découvrir. Ils pensaient qu’il était possible de représenter le mouvement. On fit tentative sur tentative, chacune étant meilleure que la précédente et manquant pourtant toujours son objectif, jusqu’à ce que la solution n’arrive aux Grecs par le biais d’un personnage inattendu. L’une des plus fascinantes tentatives de mouvement rapide est incarnée par la figure volante de Délos (p. 89), appelée à tort la Niké de Délos. La statue commémore probablement la conception vaguement orientale de l’Artémis ailée, sœur du dieu protecteur de Délos, Apollon. Plus tard, on représenta cette déesse dépourvue d’ailes, et puisque Niké, la déesse de la victoire, et Eros, le dieu de l’amour, étaient les seuls dieux grecs qui continuaient à être représentés avec des ailes, les premières statues d’Artémis et celles de Niké firent souvent l’objet d’une confusion. Non loin de l’endroit où l’on découvrit la statue de Délos, on trouva un socle brisé, arborant, s’il fut restauré correctement, les noms de Mikkiades et Archermos, deux sculpteurs de la vieille école traditionnelle de Chios. Contrairement à l’idée répandue, la statue et le socle ne vont pas ensemble. Leurs formes particulières, cependant, semblent indiquer qu’une statue à peu près similaire à la figure existante reposait autrefois sur le socle. Ceci, venant s’ajouter à un passage ancien dans lequel il est dit qu’Archermos fut vraisemblablement le premier à représenter Niké ailée, signifie peut-être que le genre de statues qu’il sculptait est préservé dans cette effigie trouvée à Délos. Bien qu’affreusement brisée, la statue peut être facilement restaurée. Les lignes de la jambe droite sont apparentes, et celles de la gauche se devinent à partir de la fracture. La déesse était pratiquement à genou sur la jambe gauche, dont la partie inférieure formait un angle droit. Le drapé se prolongeait sous le corps, formant un support matériel à la statue, tandis
Couros, Naxos, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 99,5 cm. Musée du Louvre, Paris.
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que le corps lui-même, ainsi détaché du socle, donnait l’impression de flotter en l’air ; probablement, seuls les orteils du pied gauche touchaient le socle. La position à moitié agenouillée de la figure correspond à ce que l’on peut observer sur les vases peints et les reliefs, où le mouvement rapide, généralement la course, est représenté de la même façon. Les artistes avaient remarqué que, dans la course, les jambes sont plus pliées que dans la marche, et ils retinrent cette spécificité, ignorant complètement son caractère éphémère. L’expression française « prendre ses jambes à son cou » repose sur le même genre d’observation. Cette statue en particulier ne courait pas, mais volait. Ses ailes, qui ont aujourd’hui presque complètement disparu, étaient attachées aux épaules – à la fois sur le dos et au-dessus des seins – et aux pieds. Le bras gauche formait un angle presque droit pour s’aligner sur l’action des jambes, ainsi qu’on peut le constater à partir de la moitié supérieure du bras et de la main conservée. La position du bras droit est moins certaine ; peut-être suivait-il la direction des ailes déployées vers la droite. La torsion de la statue à la taille prouve l’inexactitude des connaissances de l’artiste. Pour des raisons techniques, il a conçu les jambes de profil et le visage de face. Incapable de rendre justice au lien unissant les deux moitiés du corps, il les a simplement assemblées, sans suivre les courbes naturelles de la vraie vie. Le vêtement étroit, révélant la plénitude du corps féminin, était à l’origine minutieusement décoré en couleur. C’est encore plus manifeste sur la statue elle-même, car les différentes couches de peinture ont laissé des traces de corrosion légèrement différentes. Un autre somptueux motif ornait sans doute la large bande de tissu entre les jambes. Des bandes du même genre sont présentes sur des figures mieux conservées, découvertes à Athènes, qui ont gardé leurs décorations élaborées. Le traitement dépouillé du vêtement sur les seins, à présent plutôt décoloré, pourrait suggérer que l’artiste avait ici pensé à un nu. Ce n’est pas le cas, comme le prouve de façon concluante une comparaison de cette partie avec le merveilleux traitement de sa jambe droite musclée. La conception de cette jambe est une autre concession faite à l’idée de mouvement rapide. Beaucoup de vêtements grecs étaient ouverts sur le côté pour que la jambe soit visible en courant. Le même expédient fut utilisé, un siècle plus tard environ, par Paionios dans sa Niké d’Olympie (p. 88). La torsion grossière du corps et la référence à Archermos qui, jusqu’à la découverte de la statue, comptait parmi les sculpteurs très anciens à moitié mythiques, sont à l’origine de l’erreur quasiment universelle consistant à dater cette statue du début du VIe siècle, c’est-à-dire de l’époque du tout premier Couros. Néanmoins, l’idée très audacieuse d’une figure de pierre volante et le degré de savoir-faire requis pour en maîtriser la représentation suggèrent une date ultérieure. Ceci devient une certitude quand on compare les cheveux de cette effigie avec ceux de la série de statues de l’Acropole. Il est généralement admis que la dernière d’entre elles est approximativement contemporaine des guerres Médiques,
Sphinx des Naxiens, sanctuaire de la Terre, Delphes, vers 575 av. J.-C. Marbre, h : 232 cm. Musée archéologique, Delphes. Apollon de Ténée, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 153 cm. Glyptothek, Munich.
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Couros, Asclépiéion, Paros, vers 540 av. J.-C. Marbre, h : 103 cm. Musée du Louvre, Paris.
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et que la plus ancienne pourrait avoir été conçue pendant le règne de Peisistratos (560-527 av. J.-C.). Trois nattes tombant sur l’épaule sont de règle pour la plupart, quatre seulement pour la dernière. Alors que les cheveux sur le front sont, dans un premier temps, coiffés en formant des lignes parallèles, leur apparence varie progressivement jusqu’à la fin de la série où, perdant toute apparence de cheveux et de boucles, elle forme des spirales. Il serait erroné de vouloir tirer des conclusions définitives, quant à sa datation exacte, d’une comparaison de la statue de Délos avec celles de l’Acropole : les styles sont trop différents. Mais lorsque, dans la Grèce entière, les sculpteurs se mettent à viser le même objectif, ce genre de similitudes consistant à privilégier la sculpture de spirales au détriment des boucles, ne passe pas inaperçu. Aucune des statues de l’Acropole coiffées de cette façon n’est datée de plus de 500 avant J.-C. Les artistes sur les îles ont peut-être commencé plus tôt ou plus tard que les Athéniens à imiter des œuvres existantes au lieu de sculpter leurs propres idées, mais personne ne croira qu’ils les ont devancés d’un bon siècle. La date généralement admise pour la statue de Délos, début du VIe siècle, est par conséquent insoutenable. Cette « Artémis » volante, au lieu de faire partie des premières tentatives de sculpture en ronde bosse, appartient plus probablement à la fin de cette première période de l’art grec historique. On est stupéfait par le talent de l’artiste et par l’audace de son idée. Laissez une vague d’amour enthousiaste pour la liberté spirituelle et matérielle balayer le pays, comme celle que connut la Grèce après les guerres Médiques, et les successeurs de l’artiste de Délos deviennent les précurseurs de Phidias.
Les Premières Tentatives en relief D’aucuns affirment, mais sans preuve suffisante, que dans l’évolution de l’art, la sculpture en relief occupe une place intermédiaire entre la peinture et la sculpture en ronde bosse. On pourra très facilement imaginer que l’enfant jouant avec sa boîte de peinture aura acquis quelque aisance dans le dessin et la peinture avant de ressentir l’inclination, ou le besoin, de donner une forme matérielle aux créations de son imagination. Mais la question est de savoir s’il sera en avance sur la petite fille au sujet de laquelle Ruskin écrit qu’une fois seule dans la cuisine de sa mère avec de la pâte, elle ne s’en sert pas pour faire de la pâtisserie comme on s’y attend, mais modèle des chats et des souris. Les monuments transmis par l’art grec des origines sont insuffisants pour autoriser un avis définitif en la matière, et sont en outre inutiles, car quelle que soit l’origine de la sculpture en relief, elle devint bientôt entre les mains des Grecs un mode d’expression artistique très particulier. Les tentatives se succédèrent, jusqu’à ce que les artistes réalisent finalement ce que permettait ou non le relief. Dans ce domaine de la sculpture, comme dans l’autre, ce n’est qu’après les guerres Médiques que leur horizon s’élargit enfin et qu’ils comprirent clairement ses possibilités. Les tout premiers reliefs trahissent la même lutte avec le matériau récalcitrant et la forme humaine que celle qu’on avait pu constater pour la ronde bosse. Certes, quand il s’agissait de personnages en action, le relief garantissait une plus grande liberté, car un bras allongé, par exemple, ou une fleur tenue à la main, pouvaient être attachés à l’arrière-plan sans crainte qu’ils ne se brisent. Les gestes sont donc plus éloquents et les poses des figures marchant rapidement meilleures sur les reliefs que dans des œuvres en ronde bosse de cette même période. Par ailleurs, la sculpture en
Couros III, sanctuaire d’Apollon, Ptoion, vers 550-540 av. J.-C. Calcaire, h : 136 cm. Musée archéologique, Thèbes.
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relief présenta certaines difficultés étrangères aux statues : il fallut étudier la manière de grouper les personnages et la technique pour les sculpter sur différents plans. C’est dans une série de reliefs des environs de Sparte que l’on a découvert l’un des moyens utilisé par les artistes pour résoudre ces problèmes ; ils ont assez de points communs, tout en se distinguant d’autres œuvres connues pour que l’on puisse les regrouper. Ils ont indubitablement un lien avec quelque rituel funéraire et c’est pourquoi ils sont connus sous le nom de stèles de Sparte. Un homme ou un héros, peut-être le défunt, est assis sur un trône délicatement sculpté sur l’une de ces stèles (p. 92). Il regarde le spectateur avec bonté, et puisque ni son corps ni le drapé de son vêtement ne s’inspirent de la réalité, la torsion contre nature de sa tête se remarque moins que celle de la taille de la figure ailée de Délos, dont le corps présentait, d’une manière complètement différente, une vision bien plus délicate de la nature. Les plis sur le relief sparte, qui, après analyse, ne sont pas du tout des plis, sont représentés avec une telle naïveté confiante qu’ils pourraient presque convaincre. Ceci est également vrai pour le reste de la composition. L’épaule droite de l’homme mérite à peine son nom, et les jambes, même si elles sont brisées du genou à la cheville, ne sont pas identifiables comme telles. Derrière l’homme, peut-être sur le même trône, mais plus vraisemblablement sur un siège séparé, non sculpté, mais laissé à l’imagination, son épouse est représentée entièrement de profil. L’ayant pensée comme plus éloignée du spectateur, l’artiste, ignorant les principes de la sculpture en relief, se sentit obligé de la sculpter sur un plan plus distant. Il en fit autant avec plusieurs parties de sa composition, de sorte que l’on distingue sept plans différents. La tête de l’homme et son bras droit sont sculptés sur le premier plan, son corps sur un second plan, son bras gauche sur un plan plus éloigné encore et, de même, pour le bras gauche de sa femme. La composition, en dépit d’une soigneuse différentiation des niveaux, n’est pas convaincante. Etant donnée la platitude relative du relief, l’artiste ne parvint pas à conférer à chaque plan l’épaisseur exigée par la nature. Les ombres que chaque plan projette sur l’autre trahissent l’inexactitude du tout. Les Grecs savaient tirer les enseignements d’erreurs telles que celles-ci et, en réalité, il existe très peu de reliefs issus de cette technique erronée. En se basant sur l’apparence spécifique des différents plans, strictement distinct l’un de l’autre, d’aucuns ont conclu que ce bloc présentait l’aspect de la sculpture sur bois ; ceci n’est absolument pas certain. Les différents plans reflètent probablement les efforts de l’artiste pour mettre en pratique ses propres théories erronées sur la sculpture en relief. Ce relief prouve que même les premiers artistes redoutaient les espaces vides entre les groupes. La taille de la coupe est tout à fait disproportionnée par rapport à l’homme qui la tient, et son bras gauche est trop long et sa main trop large, remplissant ce qui aurait dû être un espace vide. Les lignes de la composition sont très plaisantes, l’œil se déplaçant aisément sur tout le bloc, sans dispersion d’énergie. Le meuble est beau, les pattes du lion sculptées au dos du trône pourraient servir de modèles aux
Kroisos, Anavysos, vers 525 av. J.-C. Marbre, h : 193 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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Apollon Strangford, vers 500-490 av. J.-C. Marbre, h : 101 cm. British Museum, Londres.
Couros, Ptoion, vers 510-500 av. J.-C. Marbre, h : 103 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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Niké, par Paionios de Mendé, vers 420 av. J.-C. Marbre, h : 290 cm. Musée archéologique, Olympie.
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objets les plus raffinés. Bien qu’irréels, les visages des personnages (remarquez les yeux et l’arrondi du menton de l’homme), sont agréables par leurs lignes et leur masse. On voit facilement que l’artiste cherche à séduire l’œil sans oublier son devoir d’en appeler aux sens plus élevés de l’homme. La modestie de la femme, sur le point de remonter son voile sur la tête (jadis peint), et son empressement attentif envers le héros, comme si elle se redressait pour l’accueillir, sont bien conçus et bien exprimés. Les deux petites figures des adorateurs qui s’approchent avec leurs offrandes sont introduites avec clarté et simplicité. Toutefois, dans la perspective, elles sont loin en dessous du coq que porte l’un d’entre eux. La taille réduite de ces figures sert généralement à indiquer leur insignifiance de mortels comparés au mort déifié. Tout en demeurant possible, ce genre de représentation en pierre était rare en Grèce. Elle était contredite par une tendance consistant à aligner toutes les têtes des personnages sur le même niveau, comme les mortels, par exemple, qui avancent vers les dieux assis sur la tombe de la « Harpie » (p. 93), et s’étirent sur toute la hauteur du bloc. Les petites figures des stèles de Sparte sont, en outre, sculptées sur les plans les plus distants et également à un niveau plus élevé que les pieds de l’homme auquel sont destinés leurs présents. Mais les corps en eux-mêmes sont de taille inégale. Ceci soulève donc quelques questions : cet artiste avait-il une idée précise de la perspective ? Ces figures sont-elles étalées sur différents niveaux et plus petites que le reste, car on les imagine en train d’approcher de loin ? Et sont-elles de taille différente, parce qu’elles se trouvent l’une derrière l’autre ? La perspective était mieux connue en Grèce que son absence dans les chefs-d’œuvre existants ne nous a amené à le penser. Il existe des références suffisantes en littérature pour prouver son existence en peinture. Au début du Ve siècle, certaines tragédies d’Eschyle furent produites avec des décors de scène peints, ce qui bien sûr aurait été improbable sans l’utilisation de la perspective par l’artiste. C’est pourquoi, l’absence de perspective dans la sculpture grecque n’est pas due à un manque de connaissance, mais à la sage acceptation du fait qu’elle n’a pas sa place en sculpture. L’artiste de la stèle sparte, fier peut-être de sa découverte, pourrait avoir essayé de la mettre en œuvre. Ce fut une tentative ratée et destinée, comme les plans déclinants de l’artiste, à disparaître. Ce relief permet de faire une autre déduction quant à la compréhension des principes de la sculpture de cet artiste. Sous le bras droit de l’homme, on aperçoit la main droite de la femme, peut-être pour montrer la grenade qu’elle tient. Mais sa main n’a pas sa place ici. Nous ne pouvons voir une main sans que les lignes du bras ou de l’épaule ne soient suggérées. Ici la suggestion est mauvaise, car elle contredit les lignes de l’épaule qu’indiquent la tête et le cou de la femme. En donnant à la main une position différente, l’artiste aurait pu facilement éviter la confusion s’il avait eu conscience de l’importance des lignes suggérées. La position révèle l’ignorance de l’artiste des principes de la suggestion. Ceci et les échecs de reliefs du même genre ont peut-être retenu les premiers artistes grecs de s’attaquer à ces problèmes visiblement trop ardus pour eux. C’est pourquoi, seuls de rares artistes ont choisi des sujets nécessitant la répétition des personnages. La plupart des premiers reliefs, les hauts comme les bas, se limitaient à des compositions élaborées sur un plan unique. Ceci réduisait les difficultés techniques et permettait à l’artiste d’accorder toute son attention au groupement de ses figures et à leur composition en lignes et en masses. Une première tentative allant dans ce
Niké 21, Délos, vers 550 av. J.-C. Marbre, h : 90 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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sens fut découverte sur les plaques ornant autrefois les quatre côtés d’une tombe près de Xanthos en Lycie. La frise de cette tombe entourait le monument en forme de pilier à une hauteur d’environ 5 mètres. Elle ne racontait pas une histoire unique, comme c’est le cas au Parthénon, mais dépeignait quatre scènes apparemment indépendantes pour couvrir les quatre parois du monument. Les coins des côtés nord et sud, plus courts, sont ornés de personnages fantastiques, mi-oiseaux, mi-femmes, portant des petites créatures dans leurs bras humains. La tombe est connue sous le nom de monument de la « Harpie » (p. 93). Au moment de sa découverte, on tenta d’expliquer leur présence en fonction de la mythologie grecque du continent, où seules les Sirènes et les Harpies faisaient l’objet de représentations. Pourtant ici, aucune référence fabuleuse ne s’applique, car les Sirènes étaient des chanteuses qui charmaient leurs victimes par la douceur de leur voix, et les Harpies, avides, étaient des êtres sales et méchants. Les oiseaux sur cette tombe sont de bons esprits. Ils ont pris les petits dans leurs bras et semblent être appréciés. Les hommes ou les femmes qu’ils tiennent, ont à leur égard des gestes accueillants et sympathiques. La sculpture grecque était expressive, ce qui veut dire que ces gestes pouvaient véhiculer des significations spécifiques. Un même geste d’affection et de bienvenue se retrouve sur une stèle (jadis nommée relief d’Ino-Leucothée), où le bébé s’approche de sa mère. Ces oiseaux sculptés sur la tombe, accompagnant une figure apparemment endeuillée, située sous l’un d’entre eux sur le côté nord, représentent probablement l’esprit de la mort. Peut-être ne sont-ils que des inventions de l’artiste et non pas des personnages existants du folklore. En effet, datant d’un siècle plus tard, d’autres créatures imaginaires – les « Néréides », appelées ainsi, car elles caracolaient sur l’eau – étaient représentées sur une autre tombe lycienne. Il existe très certainement un lien direct, quoique infime, entre la mort et les « Néréides », comme entre la mort et les oiseaux. Les « Néréides », comme les oiseaux, ont peut-être été utilisés comme des représentations concrètes de l’idée abstraite d’une mort rapide, arrachant l’homme à son contexte et poursuivant irrémédiablement son chemin. Pour les anciens, la mort n’avait rien d’horrifiant, semblant même être l’incarnation d’un esprit bon, la sœur du sommeil, la Guérisseuse. Ceci pourrait expliquer les gestes satisfaits des petits personnages qu’emportent les oiseaux. La taille de ces figures, que l’on a même qualifiée de « ridiculement » petite, ne fait cet effet que lorsqu’on la compare avec les personnages de la composition principale. Apparemment, l’artiste estimait qu’il était possible de regarder chaque partie de ses reliefs séparément. Dans les groupes principaux, le sculpteur lycien s’était donné une tâche simple ; plus ambitieuses étaient les scènes situées aux quatre coins. Son but ici était de représenter un espace infini que les oiseaux traversent. Les ailes déployées et le corps incliné, ceux-ci s’élèvent dans les airs, tandis qu’en bas un personnage solitaire se lamente. Voilà un thème trop complexe pour la sculpture, qui est incapable de lui donner le traitement qu’il mérite. Contrairement au peintre, qui peut traiter du ciel et de l’enfer, le sculpteur, dont l’art est plus matériel, doit se limiter aux choses tangibles. Certes, le sculpteur grec (car la Lycie faisait, artistiquement parlant, partie de la Grèce) s’en est ici tiré honorablement. Toujours est-il
que ses successeurs, sentant que cette œuvre avait transgressé les limites de la sculpture, ne s’aventurèrent pas plus loin dans cette direction. Les meilleurs reliefs grecs sont dénués d’élément pictural, non pas que les Grecs aient été ‘insuffisamment avancés pour le concevoir’, mais parce que, après s’y être essayé, ils l’estimaient incompatible avec leur art dans sa plus haute expression. Les derniers groupes de ces reliefs représentent plusieurs figures assises, alors qu’elles reçoivent des offrandes ou accordent des grâces. Leur caractère semble se refléter dans leur attitude, tout comme celles de la frise du Parthénon, où l’on distingue sans grande difficulté Zeus ou Athéna, et où seule notre connaissance insuffisante des autres dieux et de leurs attributs nous empêche de les identifier. Il en va de même ici. Le panthéon lycien nous est inconnu, mais il ne fait aucun doute que tout Lycien savait qui était l’homme barbu et corpulent à l’air négligé et plein de suffisance que l’on aperçoit du côté est, ou les délicates déesses toutes droites à l’attitude bienveillante, mais quelque peu hautaine, visibles à l’ouest. Les animaux sont pour nous tout aussi mystérieux. Le coq tenu par le petit garçon rivalise par ses contours suggestifs avec celui de la tombe spartiate. Quant au cochon qui se cache sous l’un des trônes, et surtout au veau de lait qui surplombe la petite ouverture, ils sont autant d’exemples remarquables de sculpture animalière. Ce sont les personnages humains qui retiennent avant tout notre attention. Leurs têtes, à l’exception de celle de l’enfant au coq, sont toutes plus ou moins à la même hauteur, bien que certains soient assis et d’autres debout. La maladresse qui en résulte est habilement dissimulée par le fait que les figures assises semblent représenter des dieux, lesquels peuvent en toute vraisemblance présenter des proportions surhumaines. Le décalage entre la taille des différents personnages ne semble donc pas le seul fait de l’isocéphalie et de ses contraintes, comme à Assos (p. 48), mais dicté et justifié par la composition. L’artiste commençait à maîtriser sa matière. Il en est de même pour les trois femmes représentées du côté ouest. L’aisance avec laquelle les plis de leurs habits sont sculptés, la texture de leur robe évoquée, leurs gestes rendus expressifs, et leurs corps visibles à travers leurs habits serrés, est admirable malgré leur mauvais état de conservation. Le drapé trahit une ignorance fort répandue du principe des lignes suggérées. Aucune draperie, même grecque, ne peut enserrer le corps de la sorte, a fortiori lorsqu’elle est assez lourde pour retomber en plis aussi saillants. Le dos des femmes, surtout de celle qui se trouve à côté de la déesse de droite, est sculpté de manière à révéler, comme dans l’Héra de Samos, presque chaque ligne du corps nu ; devant, du fait des lourds plis, seule la poitrine est bien visible, et le reste n’est que suggéré. Ce n’est sans doute qu’un accident. L’artiste en fut probablement le premier étonné, mais il en tira peut-être une précieuse leçon sur les lignes suggérées. L’une des premières tentatives réussies illustrant ce nouveau style est un relief de Thasos (pp. 94 à 97), aujourd’hui conservé au Louvre. Sans doute destiné à décorer l’entrée d’une grotte sacrée, il contient deux inscriptions en caractères anciens faisant référence à des sacrifices rituels. Une autre inscription plus tardive, datant des alentours du IIe siècle de notre ère, nous apprend qu’un noble nommé Aristocratès s’était approprié les plaques en
Hadès et Perséphone, fragment de pinax, vers 470-450 av. J.-C. Terre cuite, h : 255 cm. Museo Nazionale, Reggio Calabria.
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Stèle funéraire, Sparte, vers 550-525 av. J.-C. Marbre, h : 87 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.
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Scène d’offrande d’un guerrier aux Harpies, frise nord, tombeau des « Harpies », Xanthos, vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 102 cm. British Museum, Londres.
Scène d’offrande aux déesses infernales, frise ouest, tombeau des « Harpies », Xanthos, vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 102 cm. British Museum, Londres.
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question pour en orner sa tombe. Le relief se compose de trois plaques, dont deux petites vraisemblablement destinées à être disposées de part et d’autre de la troisième. La composition se divise en deux parties indépendantes. Apollon et les nymphes se dirigent depuis la gauche vers une porte, tandis que, venant de la droite, on distingue Hermès et un groupe de jeunes filles représentant sans doute les Grâces. Tous sont mentionnés par leur nom dans les inscriptions, à l’exception d’Hermès, reconnaissable à son attitude et son costume. Les muses, qui, plus tard, apparaîtront toujours comme les neuf compagnes d’Apollon, étaient à l’origine des nymphes au nombre indéterminé. Les nymphes représentées ici ne sont pas au nombre de neuf, et rien ne nous permet a priori de distinguer les nymphes des Grâces – ce n’est que plus tard, en effet, que ces dernières commencèrent à être traditionnellement associées au chiffre trois. Si tentative il y a eu de différencier les deux groupes de déesses, elle est si subtile qu’elle nous échappe aujourd’hui. L’artiste s’est concentré sur la manière dont ses personnages sont groupés et modelés. Cinq sont visibles de chaque côté de la porte et se divisent en sous-groupes de deux et trois à symétrie inversée ; en effet, le groupe de deux, visible à gauche, se situe près de la porte, alors qu’il en est éloigné à droite. On distingue de part et d’autre un personnage masculin et un personnage féminin, mais une certaine variété est créée par le fait que l’œil est attiré tantôt par l’homme et tantôt par la femme. Les groupes de trois femmes tendent eux aussi à une certaine variété. Ici, toutefois, le sculpteur s’est heurté à une plus grande difficulté, se sentant obligé de représenter chacune d’elles avançant lentement à petits pas. Les lignes de leurs corps n’étant pas en mesure d’apporter la variété désirée, il a tâché de l’obtenir dans les étoffes. Ceci l’a conduit à déroger à la manière traditionnelle de sculpter les silhouettes drapées ; les vêtements plus épais des femmes de gauche nécessitaient en effet qu’on ait recours au principe des lignes suggérées. Si l’on compare celles-ci avec la « Grâce » située derrière Hermès (p. 95), où l’artiste a eu recours à la technique plus ancienne consistant à sculpter les lignes du corps sous les vêtements, on imagine l’effort que cette rupture avec la représentation traditionnelle du corps humain a dû lui coûter. Seule la nécessité de rompre la monotonie d’une composition, somme toute bien équilibrée, a pu le convaincre de tenter un nouveau mode d’exécution. Le
résultat est remarquable. En décrivant avec finesse les parties du corps les plus visibles, il laisse deviner toutes les autres. En outre, aucune des lignes qu’il suggère n’est en contradiction avec les autres, ce qui n’est pas le cas sur la tombe spartiate. Ce nouveau style de représentation du corps humain exige une conception plus précise que lorsque chaque contour est défini, puisque, lorsque les lignes se rejoignent, corriger les impressions fausses devient inévitable. Certes, ces trois personnages n’ont pas le charme de la femme qui couronne Apollon, ou de la « Grâce » qui suit Hermès, dont chacune est sculptée, au moins en partie, selon l’ancienne méthode. Il n’en reste pas moins qu’ils occupent une place plus importante dans l’évolution de la sculpture grecque. Ils laissent entrevoir l’immense potentiel de cette nouvelle manière de représenter la silhouette drapée. Les deux autres personnages, en revanche, malgré leur charme, montrent clairement les limites d’un style que les artistes avaient suivi religieusement, dès ses débuts, en espérant qu’il serait la solution à toutes sortes de problèmes. Quand il fut développé, ses faiblesses apparurent, et il fut destiné à disparaître. Les Grecs, on s’en doute, se résignèrent à grand-peine à ne plus voir le corps nu sous l’étoffe. Ce n’est qu’un siècle plus tard, grâce à un nouveau style arrivé à maturité, qu’ils inventèrent un moyen de satisfaire ce besoin, et de révéler le corps drapé au moyen de touches subtiles, et ce à un point que même les tentatives les plus audacieuses de leurs prédécesseurs n’avaient jamais atteint. Les jeunes filles qui suivent chacun des dieux sont d’une beauté frappante. Chaque ligne du corps de la nymphe qui couronne Apollon exprime son enthousiasme, sa joie et sa fierté. La manière dont elle est sculptée trahit une délicieuse retenue qui garde intacte l’élégance de sa silhouette malgré son empressement. La « Grâce » qui suit Hermès est très différente, mais tout aussi charmante. Sa poitrine est peut-être un peu trop forte, mais dans l’ensemble, le regard glisse sur sa silhouette avec une remarquable aisance. L’artiste a tendrement sculpté chaque détail de ces deux jeunes filles. Il est regrettable qu’elles soient moins bien conservées que les autres personnages. Aucun, du reste, n’est bâclé : chacun est évoqué avec finesse et témoigne de la grande culture de
Charités portant des offrandes, Passage des Théores, Thasos, vers 480 av. J.-C. Marbre, h : 92 cm. Musée du Louvre, Paris. Hermès et une déesse, Passage des Théores, Thasos, vers 480 av. J.-C. Marbre, h : 92 cm. Musée du Louvre, Paris
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Apollon Nymphagète et les Nymphes, Passage des Théores, Thasos, vers 480 av. J.-C. Marbre, h : 92 cm. Musée du Louvre, Paris.
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l’artiste comme de son application. Ce qui est vrai des femmes, l’est aussi des hommes qui sont représentés avec une grande tendresse. Apollon est le dieu du soleil, de la beauté et de la musique. Alors qu’il se dirige vers la porte (comme l’indique la direction de son pied gauche), il entend la nymphe derrière lui. Il s’arrête et se tourne à moitié vers elle. Sa tête est très endommagée, mais il semble qu’il regarde la jeune fille par dessus son épaule. S’arrêtant dans son élan, il se penche en arrière, le genou gauche encore fléchi. La courbure de son corps est merveilleusement conçue et rendue dans le nouveau style (suggestif) avec une simplicité remarquable ; en effet, l’artiste s’est vu contraint par le lourd drapé des vêtements du dieu à rompre avec les anciennes traditions. Il est impossible de dire combien de tentatives ont eu lieu entre cet Apollon et la figure ailée de Delphes (p. 89), car ni l’un ni l’autre ne peut être daté avec précision ; même en admettant qu’il se soit écoulé entre ces deux œuvres une durée maximale, et en tenant compte de la date précoce de la statue délienne, elles n’ont que deux, voire tout au plus trois générations d’écart. Il est même possible qu’elles soient plus rapprochées, la courbure de l’« Artémis » en ronde bosse nécessitant un plus grand savoir-faire que celle de l’Apollon du relief. Le drapé d’Apollon est une étude à lui tout seul. Pour la première fois, les plis s’affranchissent de la rigidité de la matière dans laquelle ils sont sculptés ; ils tombent de manière naturelle et paraissent souples et prêts à s’agiter au moindre souffle de vent. Seul le chiton qu’il porte sous son vêtement de dessus est sculpté de manière traditionnelle avec des plis parallèles. Hermès porte un curieux vêtement, une cape de voyageur ou chlamyde, qui apparaît rarement dans la sculpture de cette époque. D’apparence plus rudimentaire que l’himation d’Apollon, l’habit laisse voir sur son bras gauche les même lignes parallèles que l’on aperçoit sur une statue rudimentaire représentant Charès, datant d’environ 540 avant notre ère. Devant, en revanche, les plis témoignent d’une certaine liberté qui n’est pas sans rappeler le vêtement d’Apollon. Malgré sa petite cape, Hermès (p. 95) tient le rôle du nu dans la composition et sert de pendant à la figure drapée d’Apollon. Si on le compare aux autres nus de la même époque, ses gestes et son allure sont plus libres, du fait de la grande aisance avec laquelle son bras tendu et sa franche enjambée sont sculptés en relief. Ses traits et son port de tête sont eux aussi plus réussis. Dans sa conception d’ensemble, toutefois, l’œuvre n’est pas sans rappeler l’ « Apollon » de Ténée. Là, comme ici, l’artiste a senti et soigneusement modelé certaines parties distinctes du corps, même si l’ensemble manque de naturel. Les transitions, dans l’œuvre de Ténée, sont obtenues au moyen de masses presque dénuées de sens ; ici, l’artiste s’est servi du vêtement pour essayer de masquer leur absence, mais sans grand succès – en effet, on imagine difficilement l’abdomen et la poitrine du dieu sous sa cape, et c’est tout aussi vainement qu’on tente de se représenter, à partir de la ligne des épaules, la jointure des jambes au tronc. Le bras étendu est peut-être la partie du personnage la mieux modelée ; puissant sans être rigide, il semble exprimer un accueil chaleureux et un généreux salut. On perçoit distinctement les différentes surfaces du bras et de l’avant-bras, et les fossettes du coude, qui sont rendues avec une perfection étonnante de la part d’un artiste si maladroit à joindre les jambes au corps. La bouche entrouverte est peut-être une référence à Hermès Logios, parfois appelé « l’Orateur ». Par analogie avec les vases peints, il
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Naissance d’Aphrodite, détail du « Trône Ludovisi », vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 90 cm, l : 142 cm. Museo Nazionale Romano, Rome.
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est probable que les mots dont le dieu accompagne son geste aient été peints près de sa bouche. La sculpture de l’époque n’était pas censée représenter la bouche en train de parler. Elle ne laissait aucune place à l’accidentel et excluait tout geste, aussi réaliste ft-il, qui n’exprimât avant tout un trait de caractère. Une bouche sculptée ouverte, même en train de parler, ne manque jamais d’évoquer chez l’observateur cette manie déplaisante des gens qui ne savent pas se taire. C’est pour rendre son Hermès plus vivant que l’artiste thasien l’a doté d’une bouche ouverte, mais il a eu tort de le faire, puisqu’un tel procédé est contraire aux principes de la sculpture. D’un point de vue technique, seul Hermès et une ou deux autres figures dérogent à la tradition simple consistant à doter le relief tout entier d’un fond uniforme. La rondeur des formes d’Hermès, ainsi que le réalisme de son bras droit et de ses jambes, sont l’effet d’un jeu d’ombre et de lumière obtenu par l’artiste en creusant le fond. L’artiste était sur la bonne voie ; les sculpteurs du Parthénon allaient, en la suivant, résoudre la plupart des problèmes posés par la sculpture en relief. Comme pionnier, néanmoins, il
s’est heurté à certains écueils. Il est dommage, notamment, qu’il ait omis de dissimuler sa technique au spectateur – même sur la photographie, on distingue clairement les rainures irrégulières au-dessus du bras tendu et tout autour des jambes. L’un des principes fondamentaux de l’art consiste à ne jamais révéler les moyens par lesquels l’illusion est atteinte, car si le spectateur est prêt à être trompé, il déteste qu’on lui montre le chemin qui mène à cette supercherie. A travers cette nouvelle technique de jeux d’ombre, le sculpteur thasien n’a pas su donner à ses figures le traitement qu’elles méritent. Les jambes d’Hermès sont particulièrement décevantes. Si l’on regarde uniquement les pieds, il semble que le pied droit soit plus éloigné que le gauche ; si, toutefois, on examine les genoux, on remarque que le rebord de l’étoffe est aussi proche du gauche que du droit tout en projetant une ombre distincte sur la parcelle de fond visible entre les deux, et on ne peut s’empêcher de penser que les deux jambes sont sur le même plan – ce qui n’est pas possible, même pour Hermès. En donnant du relief au manteau sur la jambe droite et en faisant en sorte qu’il projette une ombre distincte sur cette même jambe, le sculpteur aurait pu sauvegarder l’apparence d’exactitude. Bien sûr, il aurait fallu pour cela sculpter la jambe droite de manière à ce que, de la cheville à la hanche, elle s’enfonce progressivement vers le fond, pour justifier que la cape soit ainsi mise en relief au niveau du genou. Cette technique était très courante chez les sculpteurs du Parthénon. Peut-être leur prédécesseur l’avait-il déjà pressentie, mais elle lui semblait sans doute trop radicale. Ce relief thasien offre, en définitive, un mélange admirable d’ancien et de neuf, dans sa technique comme dans sa conception générale. L’ancien a été mené à son apogée, et ses limites ont été reconnues. Le neuf est introduit timidement et, semble-t-il, comme à contre-cœur. De fait, le respect de la tradition est un trait dominant des Grecs jusqu’aux guerres Médiques. Ce n’est qu’une fois les reliques sacrées du passé brisées par les barbares et les Grecs libérés, non seulement des incessantes menaces politiques des Orientaux, mais aussi, moralement et intellectuellement, de toutes sortes de restrictions imaginaires – une fois que leur horizon avait commencé à s’élargir – que la nouveauté fut reconnue à sa juste valeur. Par la suite, elle se développa à une rapidité telle que les progrès des maîtres anciens et plus conservateurs parurent lents.
Le Conservatisme : un savoir-faire à portée de main avant la liberté de conception
Jeune Femme jouant de la double flûte, détail du « Trône Ludovisi », vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 84 cm. Museo Nazionale Romano, Rome.
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S’il existait un ensemble complet de statues datant d’avant les guerres Médiques, on y verrait sans doute avec quelle persévérance les Grecs se sont cramponnés à la manière traditionnelle de représenter le corps humain. Les sculpteurs étaient prêts à dépasser leurs prédécesseurs, mais non à s’aventurer dans de nouvelles directions. Un tel ensemble n’existe pas. Peu d’œuvres de bonne facture ont survécu, et celles dont nous disposons, quoique assez nombreuses pour corroborer cette hypothèse, ne peuvent pas la prouver – il nous faudrait pour cela disposer de toute une série d’anciennes statues d’Athènes montrant quelle a été l’évolution progressive de la sculpture dans cette ville pendant près d’un siècle. La plupart de ces statues sont originaires d’Athènes, si bien qu’on risque, en les analysant dans ce contexte, de confondre les tendances d’une école locale avec les grands principes qui ont régi la Grèce tout entière. Ce danger peut être évité si l’on renonce à donner valeur de preuve aux statues athéniennes, et qu’on se contente d’y voir l’illustration d’un phénomène
par ailleurs établi par d’autres monuments. Lors des fouilles qui eurent lieu à l’Acropole entre 1885 et 1891, et pendant lesquelles chaque mètre carré de terre fut retourné, on découvrit une trentaine de personnages féminins drapés. Brisées par les Perses en 480 avant J.-C., elles avaient été enterrées par les Athéniens après la bataille victorieuse de Salamis, peut-être pour servir, comme d’autres soi-disant débris, à élargir la surface plane de l’Acropole. Pendant vingt-trois siècles, elles restèrent enfouies dans la terre sèche qui recouvrait la roche vive, et échappèrent à la destruction totale et à l’oubli qui furent le lot de la grande majorité des sculptures de l’époque. Des œuvres de cette période, il n’existe même pas de copies romaines. Les premières œuvres des Grecs n’étaient pas du goût des Romains. Lorsqu’elles furent découvertes, ces figures étaient recouvertes de nombreuses traces de peinture, renforçant ainsi l’hypothèse que les anciennes statues avaient été colorées. Toutes sont en marbre. Elles représentent des femmes inconnues. Bien que dédiées à Athéna sur le lieu qui lui est consacré, il est fort peu probable qu’elles soient des effigies de la déesse, puisque aucune ne porte ses attributs – le casque, la lance, le serpent ou l’égide. On pense à l’heure actuelle qu’il s’agit de prêtresses d’Athéna, mais aucune littérature ne fait état d’une coutume donnant à ces prêtresses le droit de voir leurs statues consacrées, ni après, ni pendant l’exercice de leurs fonctions. On sait cependant qu’une telle coutume existait à Argos, où se trouve le célèbre temple dédié à Héra. Qu’elles soient prêtresses ou simples jeunes filles athéniennes, les statues de l’Acropole semblent avoir été érigées progressivement sur une période d’au moins soixante ans. La dernière date peut-être de l’année de l’offensive perse, et la première n’est en aucun cas antérieure à la période où Pisistrate établit son pouvoir sur Athènes. La preuve en est la comparaison avec une statue d’Athéna découverte en même temps, qui décorait le fronton d’un grand temple construit par Pisistrate, mais aussi le fait que de nombreuses pièces en roche tendre, trouvées dans les mêmes fouilles, précèdent les statues de marbre aussi sûrement qu’elles sont, du moins pour certaines d’entre elles, plus tardives que les grossières œuvres des alentours de 600 avant J.-C. et des décennies qui suivirent. La série toute entière a récemment fait l’objet de plusieurs classifications, et bien qu’il soit impossible de dire pour chaque œuvre si elle est plus ancienne ou plus récente que telle autre, il ne fait aucun doute sur celles qui marquent le début et la fin de la série. L’une des plus anciennes (p. 109) n’est pas sans rappeler par sa conception les statues de Couros. On y retrouve la même poitrine forte et inexacte, aussi bien dans sa position que dans sa forme. En dessous de la poitrine, le corps apparaît comme une masse indéfinie. Même les contours sont erronés, car les lignes qui descendent des épaules et longent la taille jusqu’aux hanches et aux jambes dénotent une connaissance assez floue des vrais contours du corps féminin. Comme les sculptures de Couros, cette sculpture a été réalisée sous les restrictions imposées par la forme du bloc et le poids de la matière. Les bras, bien que détachés du reste du corps en dessous des épaules, n’en sont pas très écartés, le sculpteur n’osant créer entre eux qu’un mince espace. Ceci explique l’aspect relativement rectiligne du corps, dont l’artiste n’avait qu’une vague idée, et qui adopta donc tout naturellement la direction la plus facile amorcée par les bras, aujourd’hui manquants. Les lignes ne peuvent en aucun cas être imputées au drapé. En effet, même si le vêtement est assez lourd pour tomber par devant en gros plis saillants, il disparaît presque complètement chaque fois qu’on rencontre une partie du corps dont le sculpteur avait une vision
claire. Ceci est particulièrement visible à la poitrine, où seule la peinture était censée évoquer le drapé. Le vêtement est serré autour des jambes et laisse voir de légers plis assez semblables à ceux qu’on observe sur la cape de l’Hermès de Thasos (p. 97). La figure se tient droite, mais sa posture est neutre et ne reflète pas tant le caractère particulier de cette femme que le type auquel elle appartient. La tête haute et fière surmonte un cou droit, dont l’épaisseur, nécessaire pour des raisons techniques, est quelque peu amoindrie par les tresses qui tombent sur ses épaules. Les traits du visage sont marqués et rendus avec la simplicité d’un homme qui n’a pas encore appris à y lire davantage que leur forme ne suggère. Les sourcils sont traités de manière particulièrement intéressante. L’artiste semble avoir eu une idée très précise de la distance séparant ceux-ci des yeux, mais il a converti la profondeur en hauteur, peut-être parce qu’il avait du mal à la rendre correctement, mais surtout, sans doute, parce sa mémoire n’était pas infaillible. Il en résulte un œil qui semble exorbité, d’autant plus que les paupières présentaient la même difficulté
Jeune Femme faisant une offrande, détail du « Trône Ludovisi », vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 84 cm. Museo Nazionale Romano, Rome.
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Corè, Karatéa, vers 570-560 av. J.-C. Marbre, h : 193 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.
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que les sourcils. Les paupières supérieure et inférieure décrivent deux courbes opposées, sans qu’apparaissent les différences de forme et de nature qui leur sont caractéristiques. Il en est de même pour les lèvres, la lèvre inférieure n’est ni plus ni moins qu’une lèvre supérieure inversée, ou vice versa. Le personnage tout entier semble refléter de manière assez fidèle l’image floue qu’un artiste primitif pouvait avoir du corps féminin. Rien ne laisse supposer que l’artiste était conscient de son manque de savoir-faire. Il connaissait les restrictions de la matière avec laquelle il travaillait, et s’y soumettait avec joie, ses idées étant assez vagues pour pouvoir s’adapter à n’importe quelle contingence. Pour ce qui est du large cou censé soutenir la lourde tête et habilement masqué par les tresses, il semblerait même que le sculpteur ait été très content de sa trouvaille. Il existe une inscription d’un artiste de Naxos, actif à peu près à la même époque, qui était tellement satisfait d’une de ses créations, malgré les nombreux défauts que nous lui trouvons aujourd’hui, qu’il écrivit en dessous : « C’est Alxenor de Naxos qui m’a fait. Regardez-moi ! » Nous ignorons ce qui était écrit sur le socle de cette figure, mais ne serions pas surpris d’y trouver, ici aussi, une telle marque d’orgueil. Cette série montre combien les sculpteurs ont gagné, avec chaque tentative successive, en savoir-faire et en clarté de composition. Ils avaient en mémoire une image un peu plus claire du corps humain, et leur conception de l’étoffe drapée avait évolué, tout comme leur savoir-faire. Dans chacune de ces figures, le drapé est primordial. Cela dit, ces sculpteurs n’auraient pas été grecs s’ils ne s’étaient intéressés au nu. Il consacraient ainsi leur plus grande attention à la seule partie nue visible : le visage. En général, le visage dans la sculpture grecque ne représente qu’une partie intéressante du corps parmi tant d’autres, et l’attention qu’il reçoit est en proportion. Les sculpteurs de l’Acropole, en revanche, se sentaient obligés d’exprimer dans le visage tout ce que leurs contemporains qui travaillaient le nu, ou que leurs successeurs qui allaient un jour mieux maîtriser le drapé, pouvaient dire en utilisant le corps tout entier. Leur choix était réduit, puisque poser pour des statues était illégal. Chaque figure avance une jambe et tient délicatement le drapé d’une main. Les artistes se virent donc contraints de travailler l’expression du visage, chose rare parmi les Grecs, et ce à une époque où l’on ignorait presque tout de la manière dont les traits de caractère se reflètent dans le visage. Dans ce contexte, l’exagération des traits que pratiquaient ces sculpteurs n’est pas plus surprenante que leur incapacité à donner un sens précis. L’expression, chez eux, ne provient pas d’une volonté innée de montrer l’âme sur le visage – n’oublions pas que le mot « âme » au sens spirituel leur était inconnu. Elle résulte avant tout de leurs tentatives erronées de résoudre un problème technique. L’attention minutieuse consacrée au visage de ces figures n’a d’égal que le soin apporté à leurs drapés élaborés. Incapables au départ de représenter avec exactitude un corps bien formé, enveloppé d’un épais vêtement, et ne voulant pas prendre les mêmes libertés que le sculpteur de l’une des premières figures, les artistes se mirent à sculpter le drapé pour lui-même. Une fois de plus, cela influença profondément la composition des figures. Les angles dans le corps humain sont déplaisants, car ils sont signes de chétivité. Dans une étoffe, en revanche, ils sont moins déplacés, souvent même acceptables. Lorsqu’on commença à les remarquer, on trouva qu’ils ajoutaient du piquant à l’œuvre et on cessa de les confiner aux étoffes pour les admettre dans le visage. Certains sculpteurs allèrent tellement loin dans
cette direction qu’on peut affirmer sans exagération que leurs figures sont totalement dénuées de lignes et d’angles droits. Les sourcils décrivent un arc prononcé, les yeux sont inclinés vers le nez, et les lèvres, habituellement très difficiles à représenter, sont très incurvées. Cela dit, tous les sculpteurs ne succombèrent pas à cette mode des courbes serrées et des angles obliques. Plusieurs têtes de cette série (p. 53) sont d’une grande simplicité. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles ont été assimilées à l’école dorique, souvent associées avec cette caractéristique. Toutefois, le contact étroit qui existait depuis toujours entre les différents centres artistiques du pays, et les échanges d’idées qui avaient lieu partout, notamment à Olympie et à Delphes, où l’on pouvait voir des œuvres de toute la Grèce, et où Doriens et Ioniens se côtoyaient pendant des journées entières pendant les fréquents jeux nationaux, semblent indiquer que les adeptes du style angulaire étaient au fait de ce qui se faisait dans les autres écoles. Loin d’être les œuvres d’artistes étrangers, ces têtes témoignent peut-être d’une réaction délibérée de certains Athéniens, qui commençaient à voir l’erreur où les avait conduits leur amour du drapé dans tous ses détails. L’examen de quelques-unes de ces figures suffit à illustrer cette hypothèse. La figure représentée à la page 111 témoigne de la part du sculpteur d’une conception plus claire de la figure drapée. La ligne que l’on observe à gauche n’est pas sans rappeler celle qu’on pouvait voir sur la figure antérieure (p. 109) mais, alors que dans celle-là elle était censée représenter le contour du corps, elle s’explique ici, du moins en partie, par les plis du vêtement. La poitrine, si saillante sur l’autre figure qu’elle nous ferait presque oublier que la femme est drapée, est sculptée ici avec une telle modération qu’elle passe presque inaperçue. C’est le drapé qui passe au premier plan, et la poitrine, de peur qu’elle ne l’éclipse, est cachée derrière les tresses. Celles-ci, au contraire, avaient été rejetées en arrière par le sculpteur de la première statue pour bien mettre la poitrine en évidence. On ne peut trouver preuve plus claire du changement qui s’est produit dans l’esprit de l’artiste. Pour le premier sculpteur, il s’agissait de sculpter une figure humaine – qu’elle soit drapée était accessoire. Le second s’intéressait avant tout à l’étoffe, et le fait qu’elle soit portée par une femme était secondaire. Les somptueux motifs conservés sur certaines des statues semblent indiquer que les femmes étaient en habits d’apparat. Peutêtre avaient-elles insisté pour que leurs vêtements soient correctement représentés, même au risque de voir leur corps relégué au second plan. Les visages des deux statues choisies pour cette comparaison présentent eux aussi des différences nettes, non seulement par leurs formes, mais aussi dans leurs détails. Le second sculpteur, notamment, fait preuve d’une connaissance beaucoup plus claire des différentes parties de l’œil. Les paupières supérieure et inférieure sont rendues distinctement et avec soin. La manière dont la première est sculptée laisse penser que le sculpteur venait tout juste d’en remarquer la longueur, sans pourtant saisir toutes les possibilités qu’elle offrait, même fermée. Cette erreur de sa part l’exposait à être mal compris, puisque certaines personnes peuvent baisser leurs paupières supérieures sans pour autant fermer complètement les yeux. Or, comme nous avons tendance à lire dans les yeux d’autrui sa personnalité, ou du moins son humeur du moment, nous ne pouvons nous empêcher d’en faire de même avec les premières statues athéniennes. Si, en revanche, le but du sculpteur était bel et bien d’exprimer un trait de caractère, ce dont on peut douter puisque sa figure semble dépourvue de toute individualité, il n’y est pas parvenu, l’œuvre étant trop exagérée. Il est plus probable qu’il ait sculpté les paupières supérieures dans toute leur longueur sans autre but
Corè 682, Athènes, vers 520-510 av. J.-C. Marbre, h : 182 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 681, Acropole, Athènes, vers 525 av. J.-C. Marbre, h : 201 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 675, Acropole, Athènes, vers 520-510 av. J.-C. Marbre, h : 54,5 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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que d’exprimer aussi fidèlement que possible l’image mentale qu’il avait de l’œil et de son pourtour. La bouche est peut-être la partie la plus réussie de toute la statue. Les lèvres sont droites et délicatement modelées, et se fondent naturellement dans les joues. La bouche est belle et raffinée, sans cette exagération que l’on retrouve dans bien des statues, ce qui est d’autant plus remarquable quand on sait le mal qu’ont eu les sculpteurs depuis toujours à la représenter. Les lèvres, dans les premières sculptures, étaient jointes assez sommairement par une ligne droite qui s’arrêtait brusquement aux commissures, comme on peut le voir sur une des premières têtes d’Héra trouvée à Olympie (p. 107), mais aussi déjà sur le masque en or d’un
Tête d’homme barbu, Acropole, Athènes, vers 490 av. J.-C. Bronze, h : 27 cm. Musée archéologique national, Athènes.
guerrier barbu de Mycènes. Une tête de bronze de l’Acropole (p. 106), et la tête représentée page 109, marquent l’étape suivante : les lèvres sont séparées par une ligne droite et sont bombées de manière presque uniforme par dessus et par dessous. Ce genre de ligne droite est assez laide de profil à cause de l’angle déplaisant qu’elle semble former avec les lignes de la mâchoire. Les sculpteurs se mirent donc à incurver la bouche vers le bas à partir des deux coins. La ligne qui rejoignait les coins nécessitait pour cela un traitement particulier. La manière la plus facile était de décrire une courbe simple, que l’on retrouve dans la plupart des têtes datant d’avant les
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guerres Médiques. Cette courbe était plus agréable à l’œil que la ligne droite, sans être pour autant plus fidèle à la nature. Les spécialistes de sculpture grecque, frappés par cette courbe si étrange, l’on désignée sous le terme de « sourire archaïque ». Ce terme est trompeur, car elle n’était pas censée représenter un sourire. Loin s’en faut : elle est le résultat d’une difficulté technique. A Athènes, elle n’eut aucune peine à s’imposer à certains sculpteurs qui la développèrent et l’exploitèrent sans modération. Toutefois, la plupart des artistes grecs n’en furent jamais entièrement satisfaits et poursuivirent inlassablement leur quête de la bouche parfaite. On remarque parmi les sculptures de l’Acropole deux expériences très intéressantes. La lèvre inférieure (tête, p. 53) rappelle fort par son traitement celle de la tête en bronze (p. 106) : son bord supérieur est rectiligne pour la vue de face, tandis que son bord inférieur est incurvé vers le bas en son milieu, de manière à suivre la ligne de la mâchoire, lorsque la tête est vue de profil. La lèvre supérieure se divise en deux courbes jointes au centre, formant ce qu’on appelle un « arc de Cupidon ». Celui-ci représente un net progrès par rapport à la courbe simple, même si son effet laisse encore à désirer. L’artiste suivant alla un pas plus loin : sur sa statue, chacune des deux courbes de la lèvre inférieure se divise elle-même en deux. Il en résulte une bouche pleine de finesse. Poussant plus loin cette idée, le sculpteur de la statue (p. 111) avec laquelle nous avons débuté notre analyse, arriva à produire une bouche d’une extrême délicatesse18. La simplicité de ce personnage est en contraste flagrant avec l’une des statues plus tardives de la série. Celle-ci, malgré son extrême finesse, pousse un peu trop loin la tendance des lignes angulaires et des courbes marquées. En outre, elle suggère un certain manque de sincérité de la part de l’artiste. Celui-ci a recopié les techniques de ses prédécesseurs. Les boucles en tire-bouchon qui remplacent les tresses sont certes dignes d’admiration, à ceci près qu’elles ressemblent à s’y méprendre au pli visible en haut du vêtement de dessus – l’artiste était insensible aux objets qu’il sculptait. On pourrait sans doute faire le même reproche aux yeux du personnage et aux mèches de cheveux en spirales qui lui retombent sur le front. Si le sculpteur avait été libre de reproduire ses idées comme il l’entendait, la statue aurait peut-être été très différente, mais, pour une certaine raison, il lui fallait construire sa statue de femme à l’identique de celles de ses prédécesseurs. Chacune de ces femmes, d’ailleurs, tenait sans doute à se voir sculptée selon la tradition. Laquelle, en effet, aurait été assez audacieuse pour rompre avec cette coutume et se faire représenter dans un style nouveau reflétant le savoir-faire supérieur et les idées plus avancées des artistes de son époque ? Ce n’est qu’une fois ces statues détruites par les Perses et enfouies par les Athéniens que les artistes et leurs mécènes osèrent s’aventurer sur de nouvelles voies. Les dernières statues de cette série nous laissent entrevoir quelle aurait pu être la sculpture grecque sans la prise de conscience et l’influence libératrice qui suivirent la victoire sur les barbares. Les artistes étaient certes plus habiles, mais ils manquaient de nouvelles directions où exprimer leur vision. Il suffit de comparer le raffinement excessif de la page 110, où les spirales qui tiennent lieu de cheveux à la page 74, avec les tout premiers spécimens de la série de l’Acropole, pour voir le danger auquel peut mener la fossilisation des idées qui avaient commencé à menacer les sculpteurs. D’autres statues, en revanche, semblent pleines de vigueur et de sincérité. Les Grecs, tout compte fait, s’en seraient peut-être sortis seuls, sans l’effet stimulant des guerres Médiques.
Héra, temple d’Héra, Olympie, vers 600 av. J.-C. Calcaire, h : 52 cm. Musée archéologique, Olympie.
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Corè 679, Acropole, Athènes, vers 530 av. J.-C. Marbre, h : 118 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 678, Acropole, Athènes, vers 530 av. J.-C. Marbre, h : 96,4 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Corè 670, Acropole, Athènes, vers 520 av. J.-C. Marbre, h : 114 cm. Musée de l’Acropole, Athènes. Corè 674, Acropole, Athènes, vers 500 av. J.-C. Marbre, h : 92 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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es guerres Médiques marquèrent un tournant dans l’histoire du peuple grec. Lorsque Xerxès rassembla ses forces armées pour éliminer les Grecs continentaux, la part la plus sombre et la plus redoutable du chaos barbare se dévoila. Toute l’énergie des siècles derniers semblait vaine face aux nuages épais qui menaçaient d’envoyer dans l’oubli les idéaux pour lesquels les meilleurs hommes avaient œuvré. Lorsqu’un tel orage éclate, les nations sombrent, à moins que le cumul des énergies et des réussites passées ne les soutienne. Pour les nations, comme pour les individus, la victoire sur l’adversité dépend « de la force morale et du cœur ». Les Grecs triomphèrent des Perses ; le chaos fut dompté ; la cause de la justice, de la lumière et du progrès révéla son pouvoir et triompha d’obstacles apparemment insurmontables. Rien n’est impossible pour celui qui est guidé par la foi ; il n’existe aucune limite arbitraire, de l’univers terrestre ou spirituel, qui ne puisse être brisée si elle entrave la réalisation d’un acte juste. L’esprit de la liberté, plein d’allégresse, accompagne ce haut fait, car sortant de son état de simple mortel, pris dans les filets d’un destin incontrôlable, l’homme ressent la part divine qui est en lui et prend conscience des possibilités illimitées qui s’offrent à lui, touchant ainsi la justice divine. Lorsque les Grecs prirent les rames pour entrer dans la baie de Salamis, lorsque les innombrables bateaux perses furent mis en déroute et que l’armée ennemie prit la fuite, le peuple commença à se rendre compte de ce qu’il était capable de faire avec du courage et de la volonté. De retour dans leur cité, les Athéniens la trouvèrent en ruines et entreprirent de la reconstruire immédiatement. En chemin, ils avaient appris la leçon suivante : « Même lorsque les forces du bien sont vaincues, les forces du mal ne peuvent triompher. » Un esprit de liberté s’empara donc des Grecs dans tous les domaines. Leur littérature s’en fit l’écho, leur philosophie le développa et leur art l’exprima. Ils firent preuve de liberté et d’audace dans la conception et l’exécution de leur art ; le caractère vénérable des anciens ne suffisait plus à justifier l’adoption incontestée de leurs préceptes. Leurs points de vue étaient soumis à évaluation : ils étaient retenus s’ils se montraient convaincants, ou rejetés et oubliés, s’ils se révélaient comme des héritages stériles du passé. L’élan de ce peuple était tel, après les guerres Médiques, que l’on s’interroge moins sur la rupture de ces chaînes que sur l’usage modéré de cette liberté nouvellement conquise. Suivre le bon chemin dans une existence circonscrite représente une réussite bien moindre que de suivre le bon chemin, libéré de toute contrainte. Les sculpteurs grecs y sont parvenus ; ils n’ont jamais considéré leur liberté comme une décharge licencieuse du respect des lois, mais comme le droit de choisir la meilleure voie. Ils ne succombèrent ni à la tentation de l’insouciance de l’esprit d’innovation, ni à celle d’une progression trop rapide, ni à un rejet définitif de leur passé. Ils partirent des meilleurs fondements et réalisations de leurs prédécesseurs, ne rejetant que les contraintes déjà expérimentées et ayant permis de développer ou de retarder,
de manière arbitraire, la meilleure expression de leurs idées. Toutes les limites traditionnelles ne peuvent cependant pas disparaître immédiatement. Les trois décennies qui suivirent les guerres Médiques furent une période de transition. Malheureusement, il ne reste que très peu d’œuvres de cette période. On ne sait que peu de choses sur les sculpteurs qui ont précédé Phidias. Trois hommes se distinguent, cependant, marquant chacun une transformation réussie et définitive de la sculpture : Myron, Pythagore et Calamis. Leur œuvre est l’héritière du passé, de par son affinité avec les créations de deux autres hommes, Critios et Nésiotès, sculpteurs de l’un des groupes les plus célèbres de l’Antiquité, inspiré par un type d’art encore plus archaïque. Xerxès ordonna la mise à sac d’Athènes et la destruction de la plupart des temples et des statues, mais il prit un tel plaisir devant un groupe en bronze à la mémoire d’Harmodios et d’Aristogiton qu’il décida de le préserver et de le transporter en Perse. Ce fut son action la plus remarquée et remarquable, car ces jeunes héros étaient en fait les assassins d’Hipparque, fils de Pisistrate et frère d’Hippias, allié de Xerxès dans sa campagne contre la Grèce. Le cours des événements, à partir de ce meurtre, mena à la chute de la monarchie d’Athènes. Les Athéniens, oubliant le sentiment d’animosité et de haine à l’origine de cet acte et considérant les Tyrannoctones comme les protecteurs de leur liberté, avaient commandé leur statue à Anténor, probablement peu après 510 avant J.-C. Une fois de plus, juste après leur retour à Athènes, après la bataille de Salamis (480 av. J.-C.), les Athéniens, ne voulant pas rester sans les assassins de leur tyran, demandèrent à Critios et Nésiotès d’ériger un nouveau groupe. Anténor était mort, semble-t-il, et ces deux sculpteurs, même si on savait peu de choses à leur sujet, étaient vraisemblablement ses disciples, voire ses assistants dans la réalisation du groupe original. Grâce à des représentations retrouvées sur des pièces de monnaie, des vases et des reliefs, deux figures napolitaines (p. 115) de facture romaine du Bas-Empire furent authentifiées comme des copies grandeur nature du groupe des Tyrannoctones. Elles furent sans doute réalisées dans l’optique de ressembler le plus possible aux statues d’Anténor. C’est pour cette raison qu’elles pourraient être le chaînon manquant entre la sculpture grecque avant et après les guerres Médiques. Les originaux étaient en bronze et ne nécessitaient donc pas de tronc. Le copiste romain, qui les transposa en marbre, eut tendance à ralentir leur action. D’importantes restaurations, partiellement erronées, ont altéré l’apparence des statues, à leur grand désavantage. Il faut néanmoins porter au crédit de la restauration19 de ces personnages antiques, que le visiteur moyen des musées a raison de préférer admirer des hommes et des femmes dans leur entier. Mais il ne doit pas oublier que lorsque la figure est restaurée, il ne regarde plus une œuvre originale. Le restaurateur dispose bien souvent de très peu d’éléments pour le guider et prend donc des libertés. Alors que les deux bras et une jambe de la statue d’Harmodios, et que la tête ainsi que d’autres membres d’Aristogiton avaient disparu, comment
Hercules et le taureau de Crète, Olympie, temple de Zeus, métope ouest, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 160 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Torse masculin, dit « Torse de Milet », Milet, vers 480-470 av. J.-C. Marbre, h : 132 cm. Musée du Louvre, Paris.
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pouvait-il, au regard de ses légères connaissances de l’Antiquité, deviner quelle était la projection du sculpteur original ? Par conséquent, il aurait mieux valu que les originaux ne soient pas restaurés. Ils auraient pu, cependant, pour ne présenter aucun danger, voire même certains avantages, opérer leurs restaurations sur des copies en plâtre, afin qu’elles puissent être modifiées facilement en cas d’erreur. Les restaurations des Tyrannoctones se sont révélées grossièrement inexactes, après des comparaisons avec des pièces de monnaie et autres vases, etc. C’est particulièrement vrai pour les bras d’Harmodios. Le restaurateur a cru que ces personnages étaient des gladiateurs en situation de combat à mort. Comme les gestes d’Aristogiton semblent agressifs, il a restauré Harmodios en position défensive. Mais cette interprétation est erronée, car les deux hommes se dressent en fait contre leur ennemi commun. La restauration du bras droit d’Harmodios, brandi au-dessus de sa tête et prêt à frapper, apporte de l’unité et de la puissance à cette statue, car chaque ligne du corps indique l’agressivité d’un mouvement vers l’avant. Quant à la restauration opérée sur les jambes, elle semble correcte, d’après les fragments originaux restants. Harmodios se rue sur le tyran, qui a insulté sa sœur. Son pas est rapide et impétueux. Les muscles, toujours prêts à propulser ce corps en action, répondent à une sollicitation émotionnelle. L’expression du visage, dont le traitement est d’une simplicité exemplaire, ne traduit pas suffisamment, selon les canons modernes, l’énergie et l’impétuosité corporelles avec lesquelles le torse se bombe. Harmodios est l’incarnation de la loyauté sublimée lorsqu’il s’élance aux côtés de son vieil ami. La détermination d’Aristogiton semble également très ferme, mais il manque quelque peu d’enthousiasme. Son pas semble moins empressé et moins alerte, presque indécis. Peut-être pour exprimer la conscience de l’horreur de son dessein ? Son corps apparaît plus contracté et révèle la différence d’âge entre les deux hommes. Ce dernier point marque une rupture par rapport aux pratiques antérieures, car dans les statues de Couros par exemple, personne n’abordait cette question de l’âge. Apollon était simplement un homme mature, l’incarnation de tout homme, indépendamment de sa personnalité ou de son âge. Ce n’est pas le cas des Tyrannoctones ; Harmodios et Aristogiton ont tous deux une personnalité et un âge différents, bien que n’étant pas clairement définis. La tête d’Aristogiton a malheureusement été égarée ; la tête actuelle de la statue n’est pas l’original, mais une copie réalisée près d’un siècle plus tard. Le visage original portait une barbe, comme le montrent les peintures retrouvées sur différents vases. La liberté d’action dont ces personnages font preuve est remarquable, surtout quand on sait qu’ils furent conçus, voire réalisés par Anténor, au cours de la dernière décennie du VIe siècle. Le contraste est saisissant, comparé aux mouvements engoncés des statues de Couros même les plus récentes. Mais ces dernières étaient taillées à partir de lourds blocs de marbre, tandis que ces personnages étaient en bronze, un matériau beaucoup plus facile à travailler. Les Tyrannoctones peuvent donc être comparés à des reliefs plutôt qu’à des statues de marbre ; il est alors possible de trouver des analogies à cette liberté : l’Hermès de Thasos, par exemple (p. 95). L’audace de la conception du groupe de Naples surpasse néanmoins celle de ces personnages et révèle probablement, par là même, les améliorations apportées à l’original par Critios et Nésiotès. L’une des difficultés les plus inextricables que les artistes aient eu à résoudre, était de restituer la vitesse du déplacement dans l’espace, car ils tentaient d’être le plus réaliste possible, alors que la solution, trouvée ultérieurement, était de passer par la suggestion. Les Tyrannoctones occupent
Les Tyrannoctones, Harmodios et Aristogiton, copie romaine d’un original grec de Critios créé vers 477 av. J.-C. Marbre, h : 195 cm. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
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Discobole, le lanceur de disque, copie d’un original grec en bronze de Myron créé vers 450 av. J.-C. Bronze. Glyptothek, Munich. Discobole, le lanceur de disque, copie d’un original grec en bronze de Myron créé vers 450 av. J.-C. Marbre, h : 148 cm, Museo Nazionale Romano, Rome.
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une position intermédiaire entre ces deux modes, car l’inclinaison du corps d’Aristogiton, sa main tendue et sa jambe droite en extension indiquent clairement son prochain pas. Cependant, sa pose est celle d’un repos momentané, entre de longues enjambées hésitantes, et non celle du mouvement. La partie supérieure du corps révèle une grande tension musculaire, mais sans les jambes, il serait impossible de déterminer si elle est due à l’effort de la marche ou à l’expression d’une autre énergie, comme par exemple, au fait de se pencher en avant pour porter un coup, en étant debout. Cette dernière interprétation est, bien entendu, celle que le restaurateur attribua à la pose d’Aristogiton. La véhémence de l’action en dit moins sur l’histoire que la projection des jambes et des bras, ou encore la courbe des lignes du torse, chaque partie du corps exprimant une énergie contenue. Tant qu’un sculpteur conçoit sa figure comme des parties distinctes devant être assemblées, en se focalisant sur l’élévation et la baisse de ses membres – si le matériau le permet – comme pour une poupée articulée, sa figure ne peut prendre vie. Ce n’est que lorsqu’il avance sur la voie de la compréhension du corps humain comme un tout, un ensemble unique finement articulé, et qu’il le représente en tant que tel, qu’elle commence à prendre vie. Si vous levez lentement le bras, la réaction en chaîne provoquée sur le reste du corps est à peine observable, mais si vous portez un coup vigoureux, la force du geste est immédiatement visible dans les changements qui l’accompagnent sur les autres parties du corps. Cependant, les lignes d’un bras sculpté peuvent sembler identiques dans les deux cas. Leur signification diffère en fonction de la véhémence suggérée par le reste du corps. Myron fut le premier sculpteur à saisir clairement ces principes et à leur rendre justice dans ses statues. Pour les Romains, il était le sculpteur de la vie par excellence, ses statues étaient pleines d’anima, de vie, qui différenciait le monde animal de la nature inanimée. Cependant, il ignorait tout de l’animus, de l’âme, de ce qui différencie l’homme de l’animal. La première phase de l’art grec s’intéressa à la distinction des contours et des masses visibles de l’homme ; la deuxième phase se préoccupa de la perception de cette différence entre l’homme et la matière inanimée. Myron fut le chef de file de cette école. La troisième étape restait encore à franchir. Il s’agissait d’apprécier l’aspect le plus noble de l’homme, celui qui le reliait aux dieux.
Myron Myron n’a pas réussi à voir cette part de l’homme dans ses statues, et il a accordé toute son attention au « souffle de la vie » ; sa célèbre statue de la génisse en est l’exemple parfait. Elle semblait vivante et de nombreuses anecdotes circulèrent sur les souffrances des bergers qui devaient faire transiter leur troupeau par son pâturage. Les animaux, la prenant à tort pour l’un des leurs, refusaient impassiblement de la quitter. Cette impression de vie était admirée. Même chose pour la figure humaine la plus célèbre de Myron – son Ladas. Ladas était un champion olympique qui avait payé de sa vie pour gagner la couronne. Il mourut d’épuisement juste après avoir franchi la ligne d’arrivée. Ce bronze de Myron a disparu depuis longtemps, mais il en existe de nombreuses copies. D’anciennes épigrammes nous permettent cependant de nous faire une idée de la conception originale de la figure. En voici la traduction : …tel que tu étais, O Ladas, vivant encore, penché vers l’avant, tu effleurais le sol de tes pieds lorsque Myron t’as coulé en bronze, en imprimant sur tout ton corps l’attente de la couronne olympique.
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Ou encore : Le cœur palpite d’espérance ; sur ses lèvres, on voit le souffle intérieur de la poitrine haletante. Le bronze va s’élancer vers la couronne, la base même ne le retiendra pas. Le vent est bien rapide, mais cet art l’est encore davantage ! Il existe des copies romaines de deux autres statues de Myron. Ayant été originalement conçues en bronze, ces deux copies, réalisées en marbre, ont perdu l’essentiel de cette rapidité de mouvement que seul le bronze parvient à restituer. On connaît le Discobole sous trois modèles grandeur nature et plusieurs petites répliques, parmi lesquelles un petit bronze, à Munich (p. 116). Bien que de facture inférieure, il est plus proche de la légèreté de la pose de l’original. La copie la plus fidèle est en marbre : le Discobole Lancellotti de Rome (p. 117). Si authentique, que c’est la seule copie grandeur nature de la statue de Myron qui ait préservé la bonne position de la tête, tournée vers l’arrière, vers la main qui tient le disque. Sur les deux autres statues importantes, à Londres, et au Vatican, les restaurations des têtes sont inexactes. Le geste parfait du lancer de disque, dans l’Antiquité, n’est pas connu avec certitude, mais certains pensent que cet athlète lancera son arme vers son pied droit, tandis que d’autres pensent qu’il fera quelques pas rapides avant de tourner sur lui-même et d’envoyer cette arme derrière lui. Quoiqu’il fasse, sa position est explosive ; il l’a obtenue par une contraction rapide des muscles et une extension tout aussi rapide la libèrera. Cela révèle l’éclat principal de l’art de Myron, à savoir la capture de poses transitoires, précédées et suivies d’un mouvement vif. La vie qui émane de la figure suggère la rapidité du prochain mouvement et indique la précédente contraction rapide. A cet égard, cette statue surpasse sans conteste celle d’Aristogiton. Elle ne tente cependant pas non plus de représenter le mouvement lui-même. La relation entre les deux personnages est même plus intime qu’il n’y paraît au premier abord ; une comparaison rapprochée nous révèle à quel point la conception de l’une naît naturellement de celle de l’autre. Et plus remarquable encore, les deux figures sont conçues sur un même plan, en dépit de leur torsion. Cette remarque s’applique également au Marsyas de Myron (p. 119), mais son restaurateur négligea cet aspect. Retrouvant la statue privée de ses bras et pensant à certaines représentations romaines du Bas-Empire de visages ou de satires dansants, il associa au torse des bras courbés, jouant des castagnettes. Ces ajouts suggèrent des rotations et des mouvements de balancement en rythme, en désaccord profond avec le reste du corps ; Marsyas a un mouvement de recul, comme un homme s’apprêtant à faire un bon en arrière à la vue d’un serpent. Selon la légende, Athéna inventa la double flûte, mais voyant le reflet de ses joues gonflées dans un ruisseau, la jeta. Marsyas se faufila subrepticement derrière elle, prêt à s’emparer de cet instrument dans l’espoir de s’en proclamer l’inventeur. Il se penche pour s’en emparer, mais Athéna se retourne, animée par la colère et l’en dissuade ; Marsyas recule. Voici le moment précis représenté par Myron. L’instant d’après, Marsyas reprend ses esprits et bondit pour s’éloigner. C’est donc, une fois de plus, cet instant charnière entre deux mouvements vifs, qui lui fournit son motif. Le Discobole et le Marsyas sont tous deux la preuve d’un autre trait caractéristique de Myron : son extrême modération. Le jeune lanceur de disque aurait facilement pu se tourner davantage sur la droite, fléchir davantage les genoux ou lever son bras un peu plus haut pour gagner ainsi en force apparente. Mais il aurait perdu l’un de ses plus grands charmes : celui de la force contenue. Un artiste peut atteindre la perfection dans la réalisation d’une œuvre, mais si l’épuisement de ses ressources est visible, alors
Marsyas, copie d’un original grec en bronze de Myron. Marbre. Museo Gregoriano Profano, Vatican.
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l’enchantement de la perfection s’évanouit ; la facilité apparente d’une réalisation laisse entrevoir la perspective de performances encore meilleures. La tête de Marsyas est un objet d’étude intéressant, révélant ici la forte opposition de Myron à ses prédécesseurs, qui tentait de représenter les caractéristiques nationales de son peuple. Marsyas était à moitié sauvage et arborait une longue barbe et une moustache loin d’être hellénistiques, ainsi que de petits yeux malicieux Mongoles. Les têtes des différents Discoboles sont sans doute les moins intéressantes20, car l’attention se concentre surtout sur les torsions du corps, c’est-à-dire sur l’action. Le traitement de la chevelure est ignoré, sans ressemblance aucune avec une chevelure naturelle, et l’impassibilité du visage ne correspond pas à l’énergie physique déployée. Cette remarque s’applique également aux autres parties du corps, sauf peut-être aux pieds, qui semblent dégager une force considérable pour rester cloués au sol. C’est pour cette raison que nul n’est surpris d’entendre Pline juger Myron en ces termes : « Il semble avoir été le premier sculpteur important à porter la représentation réaliste en art. Cependant, il s’est concentré sur l’aspect physique du corps, mais n’a représenté ni les sensations de l’esprit qui l’accompagnaient, ni les améliorations découvertes depuis les rudes pratiques de l’art antique dans le traitement de la chevelure. » Plus que sa maîtrise technique ou la netteté de son œuvre, c’est la vigueur et la liberté comparative de sa conception qui confèrent à Myron le droit de figurer parmi les plus grands artistes de cette période de transition. L’évolution, dans ces domaines, fut annoncée par deux autres hommes, Pythagore et Calamis. On en sait décidément peu sur eux bien que, selon le Dr Waldstein21, la statue connue sous le nom d’ « Apollon à l’Omphalos » (p. 125) est probablement l’œuvre de Pythagore. D’autres sont prêts à attribuer à Calamis, la magnifique statue de l’Aurige de Delphes (p. 121), mais ces deux attributions sont toujours soumises au doute.
Pythagore ou l’usage significatif des détails
Aurige ou danseur, dit l’« Aurige de Motya », vers 470 av. J.-C. Marbre, h : 181 cm. Museo Joseph Whitaker, Motya.
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L’argument du Dr Waldstein, surtout une fois réorganisé et renforcé, offre une perspective si intéressante pour la suite des débats qu’il ne peut être ignoré. En substance, il repose sur le fait que les copies des statues du type « Apollon à l’Omphalos » étaient des statues de boxeurs. Les victoires ne représentaient pas toujours la discipline sportive des athlètes victorieux, cela obligeait donc les sculpteurs à les différencier par les traits saillants de leur physique. Les muscles les mieux entraînés d’un coureur sont ses jambes, tandis que le boxeur développe davantage les muscles de la partie supérieure du corps. Les épaules et les bras de cet « Apollon » type sont si développés, et le sang semble couler si librement dans ces larges veines qu’ils attirent immédiatement l’attention. L’idée est que si cet homme utilisait davantage les muscles supérieurs de son corps, il devait donc être boxeur. En outre, la copie romaine de ce type, au British Museum (p. 124), est ornée d’un objet oblongue sur le torse, qui ne peut être, comme cela fut souvent affirmé à tort, un arc brisé, mais plutôt une lanière de cuir, comme celle des boxeurs de l’époque, qui fut remplacée de nos jours par les gants. Si cette interprétation est la bonne, cela prouve que le copiste romain avait au moins compris que l’original représentait un athlète. Le style de la statue la situe avec certitude dans la période de transition. La plus célèbre statue de boxeur de cette époque fut cependant réalisée par Pythagore. Que ces répliques intitulées « Apollon à l’Omphalos » soient les copies d’une œuvre célèbre ne fait aucun doute, car nous en avons retrouvé de nombreux fragments, qui pourraient en fin de compte nous mener à Pythagore. Cette attribution
provisoire d’autorité de la statue originale à Pythagore est en fait devenue plausible à nos yeux, lorsque nous avons découvert que, selon les Anciens, cet usage caractéristique des veines était la grande force de cet artiste. Ils faisaient également l’éloge de la précision de son traitement de la chevelure ; or, de toutes les statues de cette époque, aucune autre n’arbore de tresses aussi délicates et de chevelure aussi réaliste, devenue un véritable ornement en soi. Voici brièvement les arguments du Dr Waldstein en faveur de l’attribution de cet « Apollon » type à Pythagore. Nous devons lui concéder que son argument est convaincant et qu’il fut repris pour étayer de nombreuses tentatives similaires. Même l’attribution du Discobole à Myron ne peut reposer sur de meilleurs fondements.
Une Facture pleine de grâce et de délicatesse : Calamis La contribution de Calamis à l’art de la sculpture fut très différente de celle de Myron et de Pythagore, qui travaillaient tous deux presque exclusivement le nu. Il fut principalement encensé pour « l’élégance et la maîtrise du drapé » de l’une de ses figures, dont la « grâce inégalée » et « la noblesse du sourire innocent » sont fréquemment mentionnées. Il apparaît ainsi comme l’héritier notoire des sculpteurs des dames drapées de l’Acropole. Aucune autre de ses œuvres n’a fait l’objet d’une description aussi précise, bien que ses chevaux se soient distingués parmi les figures remarquablement bien représentées. Nous n’entendons peut-être pas parler de la génisse de Myron et des chevaux de Calamis par accident. En effet, la génisse n’est pas particulièrement un objet de représentation valorisant en soi, mais la vie que Myron parvient à lui insuffler fait d’elle une œuvre d’art. Le cheval, d’un autre côté, est l’animal le plus noble de la création, aux côtés de l’homme, et séduit naturellement Calamis, dont le point fort n’était pas la vie, mais la noblesse du traitement, qui donnait à ses personnages « cette grâce inégalée, » à laquelle venait s’ajouter, pour être sûr, comme disait Cicéron, une certaine sévérité, qui ne doit pas vous surprendre au vu de l’époque précoce de l’artiste. Les Grecs et les Romains appréciaient Calamis, et il est donc particulièrement dommage qu’aucune de ses œuvres originales n’ait pu être identifiée avec certitude. Même l’Aurige de Delphes (p. 121), que Homolle attribue à Calamis, laisse subsister de sérieux doutes. Tout ce dont on est sûr à propos de cet Aurige, c’est de la proximité de sa facture avec celle de Calamis. L’Aurige fut découvert au cours de fouilles françaises à Delphes, en 1896, et recueillit immédiatement la ferveur populaire : traitement simple et épuré, cependant plein de dignité. Le modelage du nu est exquis, en particulier sur le bras droit conservé. Le visage exprime une certaine sévérité, probablement modérée par l’expression des yeux, qui ont conservé leurs incrustations. Les proportions importantes du nez et du menton évoquent des œuvres plus anciennes, dont la majorité faisait preuve de la même liberté dans les proportions. La chevelure est portée au sommet du crâne, là où elle ne peut être vue, tandis que la facture des tresses qui tombent sur les tempes et les joues, telle une barbe naissante, souligne une précision de conception et d’exécution sans faille. La simplicité du drapé le rend majestueux, tandis que la menace de monotonie de ces longs plis profonds et parallèles est déjouée par le jeu constant de l’ombre et de la lumière se reflétant sur les cannelures de cette colonne apparente. C’est justement cette assimilation à une colonne qui donne à cette figure cette stabilité inhabituelle. En appréciant cet Aurige, il faut cependant se souvenir qu’il appartenait à un ensemble ; les fragments retrouvés suffisent à nous révéler qu’il se tenait debout sur un char, tiré par plusieurs chevaux, et qu’il était en compagnie d’autres personnages.
Aurige de Delphes, vers 475 av. J.-C. Bronze, h : 180 cm. Musée archéologique, Delphes.
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Guerrier mourant, fronton est, temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. Marbre, l : 185 cm. Glyptothek, Munich.
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Cet ensemble fut dédié, selon l’épigramme, par Polyzalos, jeune frère de l’un des tyrans de Syracuse, et date d’environ 475 avant J.-C. Seules les pattes de certains chevaux ont été retrouvées et il est bien évidemment impossible d’en tirer des conclusions définitives ; elles révèlent cependant la simplicité du traitement et la précision du regard de l’Aurige. La base du monument fut taillée dans une pierre locale, tandis que le monument en lui-même fut sans aucun doute coulé dans l’un des plus grands centres d’art de Grèce ou d’Italie du Sud. Nous ignorons le nombre des centres d’art, en plus de ceux existants déjà en Grèce et en Rhégion (Italie), lieu d’exercice de Pythagoras. La tradition semble muette dans ce domaine. Les réalisations des trois décennies qui suivirent les guerres Médiques, généralement attribuées à trois grands hommes, sont si incroyables qu’elles semblent le résultat de l’association de nombreux esprits. Suivi du principe de suggestion, introduction des différences d’âge et de personnalité, compréhension de l’effet de réaction immédiate, pratique de la modération, précision et attention particulières accordées aux détails de la composition : la combinaison de ces aboutissements posa des bases solides qui firent le succès des héritiers de ces artistes. Leurs prédécesseurs avaient commencé à œuvrer en faveur de ces objectifs. Ils les avaient vaguement perçus sans jamais réussir à les atteindre.
Décorations sculptées des temples : Egine et Olympie
Apollon Choiseul-Gouffier, copie romaine d’un original grec créé vers 460 av. J.-C. Marbre, h : 178 cm. British Museum, Londres.
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Un aspect particulier de la sculpture grecque a joué un rôle prédominant dans l’évolution de cet art : la décoration des temples. Le plus ancien temple grec classique est l’Héraion d’Olympie, à présent en ruines, sans aucune trace de décorations conservées. Les vestiges les plus anciens furent retrouvés sur l’Acropole d’Athènes et datent du début et du milieu du VIe siècle avant J.-C. Ils étaient taillés à partir de blocs de pierre polie brune (poros) et étaient ensuite complètement peints. La quasi-totalité d’entre eux servait à décorer les pignons triangulaires des temples, les frontons, et offraient de précieuses indications sur le soin avec lequel les sculpteurs antiques s’efforçaient déjà d’adapter leurs compositions à la forme particulière de l’espace qu’ils devaient occuper. Peu d’entre eux sont suffisamment conservés pour permettre une étude détaillée de leur réalisation et de leur conception. La partie la plus intéressante est une tête de monstre à trois corps, le Typhon (pp. 50-51), arborant une chevelure bleue et des yeux verts. La couleur, dans ce cas, fut tout simplement appliquée pour distinguer les différentes parties de la tête, et non pour tenter d’approcher son apparence naturelle. Ceci n’était cependant pas la pratique la plus répandue de l’époque classique, car l’usage de la couleur visait, dans ce cas précis, à accentuer encore davantage l’aspect monstrueux du Typhon22. Le traitement de l’œil et du sourcil est extrêmement intéressant, car il offre une meilleure perspective de l’état réel des conceptions artistiques de l’époque, au regard des sculptures de marbre contemporaines et postérieures, où la technique, plus difficile, empêchait souvent l’artiste d’exprimer correctement ses idées. Le tuf calcaire23, d’un autre côté, se taille très bien et ne présente que très peu d’obstacles, voire aucun, au sculpteur. La différence caractéristique des lèvres, supérieure et inférieure, n’est pas ressentie, tandis que la profondeur de l’œil sous le sourcil est bien exprimée. L’oreille et ses volutes complexes dépassent également de loin de nombreuses sculptures en marbre antérieures aux guerres Médiques. Le Typhon devait occuper la moitié du fronton. La taille de ses trois corps diminuait donc progressivement pour s’achever dans un sinueux serpentement d’anneaux et de spirales. Les serpents suggéraient la quasitotalité des formes sans pour autant revêtir une apparence violente et étaient
donc les figures décoratives privilégiées des frontons antiques. Sur un autre fragment de l’Acropole, l’Hydre aux cent têtes, qu’Hercule fut chargé de tuer, occupe la moitié de la composition, tandis que Iolaos et son char occupent la majorité de l’autre moitié. Près de quatre siècles plus tard, les sculpteurs grecs utilisaient encore la représentation des anneaux de serpents lorsqu’ils étaient amenés à décorer l’approche du grand autel de Pergame, où se détache un escalier gigantesque. Lorsque les temples devinrent plus monumentaux et que la nécessité d’introduire des personnages supplémentaires s’imposa, le problème de l’occupation des frontons triangulaires se fit plus urgent et plus complexe. Le fronton était un élément architectural important et prééminent ; l’apparence horizontale de la base devait être préservée à tout prix et les figures devaient toutes être au même niveau, afin de ne pas entraver la belle ligne droite passant au sommet de chacune des colonnes. Cependant, le chapiteau triangulaire présentait généralement des pentes allant du centre vers les extrémités, et il était donc impossible de tailler toutes les figures à la même hauteur. Les Grecs affectionnaient particulièrement les figures humaines de même taille, l’explication des écarts de hauteur par une différence de positionnement plutôt que par une différence de taille s’imposait alors comme une nécessité. Le positionnement des personnages était donc prescrit, dans certaines limites. A moins que l’artiste ne souhaitât apparaître comme esclave de l’espace, il devait parfaire la conception de sa composition afin que les figures agenouillées ou étendues de ses groupes soient justifiées par l’idée centrale. Leur positionnement ne leur conférait cependant pas le droit d’apparaître plus proches ou plus éloignées du centre. Une autre contrainte indiquait également qu’un fronton, élément unitaire en soi, demandait une unité de composition et de décoration. En outre, une histoire ne pouvait être racontée en continu, de gauche à droite ou inversement, car l’axe central architectural, qui déterminait l’orientation de tous les éléments, était un principe absolu. La tentative de dépasser légèrement le centre fut parfois couronnée de succès, mais l’histoire ne pouvait en aucun cas apparaître en continu, d’un angle à l’autre de l’œuvre, sans porter une violente atteinte à la conception architecturale. Cela contraignait évidemment l’artiste à organiser sa composition en deux moitiés totalement distinctes, destinées à former un tout. Et là encore, le grand artiste désirait évidemment obtenir une division de sa composition, qui apparaisse comme le résultat naturel de sa conception et en aucun cas, comme une soumission à des contraintes extérieures. Aucun sculpteur, avant le Parthénon, ne pouvait se vanter d’y être parvenu, et même pour ce dernier, la seule partie réellement satisfaisante est sans doute le fronton. La composition des frontons des deux énormes temples antérieurs au Parthénon est à présent connue. Ceux d’Egine furent découverts à l’occasion de fouilles en 1811 et sont à présent à Munich ; ils furent restaurés sous le contrôle du sculpteur danois Thorwaldsen, et reçurent quelques ajouts issus de fouilles plus récentes ; ceux du temple de Zeus à Olympie furent découverts au cours de fouilles allemandes (1875-1881) et préservés intacts dans un musée construit à cet effet à proximité du site. La datation exacte du Grand Temple situé sur les côtes rocheuses de l’île d’Egine est inconnue. Au vu de ses dimensions ambitieuses, du style de ses décorations architecturales et sculpturales, il peut difficilement être antérieur aux guerres Médiques. Il ne peut pas non plus dater de plus de 470-460 avant J.-C., car, à cette époque, la lutte féroce entre Egine et Athènes avait commencé, et se conclut par l’annexion d’Egine par sa grande rivale et la perte totale de son indépendance nationale. Même le dieu à qui ce temple était
Apollon à l’Omphalos, théâtre de Dionysos, Athènes, copie romaine d’un original grec créé vers 460 av. J.-C. Marbre, h : 176 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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Plan du temple d’Aphaia, Egine.
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Athéna, fronton ouest, temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. Marbre, h : 168 cm. Glyptothek, Munich.
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Archer et guerrier, fronton est, temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. Marbre. Glyptothek, Munich.
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dédié n’est pas connu avec certitude. Peut-être Athéna, qui apparaît en figure centrale sur les deux frontons, mais il est plus probable que ce soit une déesse locale et généralement peu connue, Aphaia, dont le nom fut découvert sur d’importantes épigrammes au cours de fouilles réalisées par le professeur Furtwängler24, et dont le temple est mentionné par Pausanias. Seuls les fragments du fronton ouest étaient suffisamment bien préservés pour permettre une restauration complète. Des découvertes ultérieures ont cependant montré que de légères modifications avaient dû être apportées à la composition des personnages. Quelques figures supplémentaires avaient dû être ajoutées pour qu’elles soient quatorze au total. Cela rapprocha considérablement les guerriers et ajouta à l’idée d’une scène de bataille confuse sans pour autant gâcher le plaisir de contemplation des lignes pour le spectateur. Le sujet semble particulièrement bien choisi, car une scène de bataille est naturellement divisée en deux camps. Le guerrier mourant, situé au centre, que ses amis ou ses ennemis tentent tous deux de tirer à eux afin de le protéger ou de l’achever, est l’élément qui unifie le tout. L’attention du spectateur est centrée sur lui, surtout en raison de sa position étendue aux pieds de la déesse Athéna. L’introduction d’Athéna, afin d’occuper le grand espace central, est moins satisfaisante, car
frontons semblent identiques en bien d’autres aspects. Ils comptent, par exemple, le même nombre de personnages dans les mêmes positions. C’est suffisamment rare pour être souligné, car les sculptures grecques évitaient généralement la redondance. A Egine, cependant, les sculpteurs ont non seulement représenté le même groupe sur les deux frontons, mais les deux moitiés de la composition sont identiques, ce qui les rend presque monotones. L’une des figures les plus expressives du fronton oriental représente un guerrier mourant dans l’angle gauche (pp. 122-123). Ni lui, ni les autres mourants ne sont représentés sur le dos (comme cela aurait probablement été le cas dans un tableau), car en raison de la hauteur considérable du fronton, la base légèrement avancée les aurait complètement dissimulés. Les autres figures s’appuient simplement sur leurs bras, afin d’entrer dans le plan accessible au regard des spectateurs. Cependant, ce guerrier, pour accrocher l’œil, se devait de faire une torsion supplémentaire afin de pencher son torse vers l’avant pour croiser le regard du spectateur. Il apparaît donc dans cette position, mais cette torsion retenue est magnifiquement justifiée par l’attitude de la figure elle-même. L’homme a reçu une blessure mortelle, est étendu sur le sol, mais son indomptable volonté maîtrise toujours son corps et il s’efforce
Guerrier mourant, fronton ouest, temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. Marbre, l : 159 cm. Glyptothek, Munich.
étant inerte, elle semble étrangère à l’idée générale véhiculée par la composition. Debout au centre des armées, la déesse ne fournit aucun indice quant à l’identité du vainqueur. L’artiste a échoué dans la composition de la scène de bataille en elle-même, ainsi que dans celle du groupe d’hommes. Les postures agenouillées des archers sont assez naturelles, mais les hommes derrière eux, ou selon la nouvelle composition, devant eux, armés de lances, semblent accroupis, car le toit en pente ne permettait pas de les représenter debout, à l’instar des lanciers plus proches du centre. En outre, ils n’ont aucun adversaire défini, car la stricte division des guerriers en deux camps hostiles a rendu cette situation impossible. Prendre comme objet une scène de bataille bien organisée n’est donc pas, tout compte fait, la meilleure option pour la décoration d’un fronton. Les guerriers blessés les plus éloignés de la mêlée sont bien introduits, étendus dans les coins ; ils semblent naturellement appartenir à cette scène, tout en nous faisant oublier l’espace limité dans lequel ils sont sculptés. Pour aborder la variété des personnages, tournons-nous vers le fronton oriental, où le modelage est beaucoup plus soigné et mieux réussi. Les deux
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de se relever. Ses efforts sont vains. Incapable de se soulever, il tente de se retourner à la force de ses bras, mais ceci ne lui est pas d’une grande utilité, et il ne tardera pas à s’effondrer. Par conséquent, à l’issue des guerres Médiques, la conception de la simplicité était tout sauf invraisemblable. Or, cette position était trop osée pour la compétence de l’artiste, car il était tout à fait incapable de représenter cette torsion allant de l’abdomen au torse. Sachant cela, il positionna le bras droit afin de dissimuler le manque d’articulation entre ces deux parties vitales du corps. Le bras est une fois de plus si bien amené, et sa position si naturellement justifiée par la composition, que l’on ne soupçonne pas l’existence des défauts qu’il dissimule, jusqu’à ce que l’on s’approche de l’original et qu’on le contourne pour en observer le dos. Ces défauts ne sont pas dus à une négligence ou à la pensée qu’ils ne pourraient être vus, car tous les éléments, et même le dos du guerrier, supposé invisible, sont si bien sculptés que les maladresses des articulations, rigides et artificielles, ne peuvent provenir que d’un manque de compétence du sculpteur ou d’une méconnaissance de l’anatomie.
Tête de guerrier, temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. Marbre. Musée archéologique national, Athènes.
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Temple d’Aphaia, Egine, vers 500-480 av. J.-C. In situ.
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Plan du temple de Zeus, Olympie.
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Une autre figure caractéristique est le guerrier à droite d’Athéna. La main qui tient la lance est levée, il semble légèrement accroupi, mais en dépit de cette position, il a l’air figé et ne semble pas prêt à projeter sa lance. Sa position n’est pas différente de celle d’Aristogiton, mais il manque de réactivité ; il ressemble davantage à une poupée articulée, inanimée, dépourvue d’anima, que Myron s’était donné pour mission d’enseigner et d’incarner. Cette remarque s’applique à la quasi-totalité des autres personnages, à l’exception du guerrier mourant situé dans l’angle à l’extrême sud : ils sont sans vie ; ce ne sont pas des hommes, mais des représentations d’hommes. La totalité de la composition ne parvient donc pas à retenir l’attention. Le lancier ne projettera jamais son arme, l’archer ne tirera pas sa flèche et l’ami ne ramènera jamais le blessé en lieu sûr. Et ce, en dépit d’une grande liberté de gestes, de poses, l’absence totale de supports venant troubler la composition et la taille des personnages dans des blocs de marbre lourd. Les corps sont là, mais aucun Prométhée n’est apparu pour leur insuffler de la vie et les animer. L’étude des visages s’avère très difficile, car ils sont nombreux à avoir été restaurés avec la même expression. En outre, les fragments restaurés correspondent si parfaitement aux originaux qu’il est quasiment impossible de les distinguer. Même la corrosion du marbre a été artificiellement imitée. Les visages antiques originaux n’étaient pas tous identiques. Le dessin de la bouche est représenté de face, le sourire archaïque comme on l’appelle à tort, mais il laisse néanmoins apparaître des différences prononcées. Si l’on a déjà étudié avec attention, ne serait-ce qu’une seule fois, l’expression de l’archer en tenue asiatique, situé sur le fronton ouest de l’aile sud, l’on ne sera jamais plus tenté d’appeler « sourire » le tracé de la bouche de l’homme blessé, situé dans l’angle nord du même fronton. Sa bouche exprime plutôt sa grande souffrance, son courage et la confiance caractéristique que les Grecs accordent à leurs dieux, même dans la mort. Il existe cependant une incongruité remarquable entre la liberté des figures masculines et la représentation retenue de la déesse Athéna (p. 127). On a même suggéré qu’elle avait été volontairement sculptée à l’ancienne afin de traduire sa présence, non pas en personne, mais en figure idolâtre du temple. Cependant, une figure idolâtre semble étrangement peu à sa place dans une scène de bataille. L’explication de cette position retenue d’Athéna réside probablement dans le fait que les sculpteurs d’Egine avaient, selon la littérature, une grande maîtrise de la sculpture de mâles nus, mais presque aucune maîtrise des figures féminines. La déesse Athéna d’Egine ressemble aux dames drapées de l’Acropole, tandis que les plis retombant au niveau de ses bras ressemblent à ceux de la tombe de la « Harpie ». Il n’est donc pas impossible que les sculpteurs d’Egine aient emprunté un style antique pour Athéna et conservé leur style original pour la conception des figures masculines. Ils étaient avant tout bronziers et la précision des contours, que ce style est apte à mettre en valeur, est visible dans chacune des figures. Les personnages d’Olympie (pp. 135 à 141) sont très différents de ceux d’Egine. Ils révèlent une maîtrise de la technique du marbre qui ne trompe pas. Ces sculptures sont pleines de délicates attentions que l’artiste souhaitait exprimer par la surface du marbre, qui offrait une facture plus réaliste. L’évidence même de la datation du temple de Zeus à Olympie est résumée en ces termes par M. Robinson : il « fut probablement entamé vers 470, grâce au butin de la campagne des Eléens contre leurs voisins. L’architecte en fut Libon, natif d’Elide. La date exacte de son achèvement n’est pas connue.
Apollon, fronton ouest, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 330 cm. Musée archéologique, Olympie.
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Tête d'Athéna casquée dite “Athéna de Vogüé”, Egine, vers 470-460 av. J.-C. Marbre, h : 28 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Hercules rapportant à Athéna les oiseaux du lac Stymphale, moulage moderne d’un marbre original grec, vers 460 av. J.-C. Marbre, h : 160 cm. Museum of Classical Archaeology, Cambridge.
Hercules nettoyant les étables d’Augias, métope est, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 160 cm. Musée archéologique, Olympie.
Hérodote l’évoque en 445, mais cela doit certainement être antérieur à cela, puisque les Spartiates avaient placé un bouclier en or au sommet du fronton est, après la bataille de Tanagra en 457. » Ce temple fut donc clairement construit au cours de la période de transition, après les guerres Médiques. Pausanias, qui vit le temple quasiment intact au IIe siècle de notre ère, nous légua une description très précise des groupes des frontons, qui s’avéra d’une aide inestimable pour concevoir le positionnement des figures brisées au sein des groupes complets. Elle semblait cependant comporter quelques détails incorrects. La scène du fronton oriental représente « la course de chars de Pélops et d’Œnomaos » et le fronton occidental, les « luttes entre Centaures et Lapithes aux noces de Peirithoos ». La présence de Zeus en grande figure centrale sur le pignon est n’est ici appropriée que parce que le temple lui est dédié. Il ne joue par ailleurs aucun rôle dans cette histoire. En tant que divinité, il pouvait être représenté dans des proportions plus grandes que les humains, et c’est probablement la raison principale de sa présence. A sa gauche, se trouve le roi Œnomaos qui, par la trahison de son aurige, allait perdre la course. Il était connu pour avoir assassiné de manière perfide tous les prétendants ayant essayé, avant Pélops, d’obtenir la main de sa fille Hippodamie. Pour arriver à leur fin, les prétendants devaient sortir vainqueurs d’une course de chars, menée contre ses chevaux immortels. Sa présence même à la gauche de Zeus indique déjà
le déclin de sa bonne étoile. L’artiste est donc ainsi parvenu à transformer la contrainte de la présence d’une grande figure centrale en avantage signifiant. Pélops est à la droite de Zeus. Sa silhouette svelte et élancée indique son jeune âge et accentue le contraste avec l’âge avancé du roi. Sa fiancée est à ses côtés, tandis que la mère de celle-ci est aux côtés d’Œnomaos. Les cinq personnages, formant le groupe central, correspondent aux canons habituels : les dieux sont naturellement plus grands que les hommes, et les hommes plus grands que les femmes. La différence de taille des personnages ne semble donc pas due aux contraintes imposées par l’espace. Correctement intégré à la composition totale, ce groupe central est néanmoins un échec. A droite et à gauche des femmes, le fronton est trop étroit pour accueillir de nouveaux personnages debout. Les auriges et les fiancés sont donc représentés agenouillés ou accroupis. Cela met ces deux groupes de personnages, situés dans les angles, dans une position de méditation sereine, en total décalage avec les personnages centraux, dont la posture droite suggère un passage à l’action imminent. Toute la composition est donc divisée en trois parties distinctes, le centre et les deux angles, au lieu des deux parties habituelles, comme l’artiste l’avait initialement conçue, Œnomaos, Pélops et leur escorte respective, reliés au tout par la présence de Zeus. Les deux chars, tirés par quatre chevaux, occupent parfaitement l’espace qui leur est attribué, mais les personnages étendus dans les angles, probablement pensés comme spectateurs
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Devin, fronton est, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 138 cm. Musée archéologique, Olympie.
de la scène ne sont évidemment pas à leur place. Selon Pausanias, ils n’avaient aucun rapport avec cette scène, mais étaient des figures allégoriques des puissances divines de la rivière. La conception des personnages situés de chaque côté de la divinité, au centre, révèle une attention particulière. Les figures d’Egine se renvoient l’une à l’autre, sous des traits similaires. Or, à l’époque, une telle ressemblance était inacceptable, car elle trahissait les individualités propres de chacun des personnages. Elles ne se contentaient pas d’incarner une catégorie impersonnelle d’individus. L’artiste a donc tenté d’exprimer, dans leur pose, les différences caractéristiques de leurs personnalités. Œnomaos, suffisant et impie, à moitié de profil, regarde la divinité, tête haute, et les doigts tendus d’une main posée sur la hanche, d’un air nonchalant. Au contraire, Pélops, bien qu’assuré de la victoire, tire humblement sa révérence en présence de la divinité. Œnomaos était un vieil homme, et l’artiste s’est efforcé de le suggérer dans ses proportions. Lorsque l’artiste entreprit plus tard d’observer la composition dans son ensemble, il découvrit que la silhouette svelte et élancée de Pélops ne s’harmonisait pas correctement avec celle du roi, plus lourd. Il ajouta donc au jeune homme une cuirasse en bronze, comme l’indiquent les nombreux trous de fixation sur les épaules et sous l’abdomen. Ce fut l’objet d’une réflexion a posteriori, comme le montre clairement l’aspect global de Pélops, magnifiquement fini avant que ces trous ne soient creusés, tandis que sur l’ensemble des figures d’Olympie, contrairement à celles d’Egine, seules les parties destinées à être vues furent achevées ou du moins sculptées. Le stratagème de l’ajout de la cuirasse était exquis, car il permettait à l’artiste d’atteindre l’équilibre parfait des masses, sans abandonner l’allusion à la différence d’âge, exprimée par la svelte silhouette du
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jeune homme. Les poses et les plis du drapé des deux figures féminines sont également caractéristiques. Stéropé, l’épouse de ce roi cruel, incarne la fermeté, debout et raide à ses côtés, les plis de ses vêtements tombant comme des masses lourdes et parallèles. Hippodamie effleure humblement son menton de sa main, et son habit retombe en plis légers et délicats sur ses pieds. Le vieil homme, derrière le char du roi, est également très expressif (p. 138). Les bourrelets de sa peau formant des plis lourds sous sa poitrine graisseuse, son crâne révélant une calvitie partielle et ses longues tresses sont autant de signes qui ne trompent pas quant à son âge avancé, tandis que la gravité de son expression, son regard fixe et intense vers l’horizon, l’ont souvent associé, dans le regard des gens, à un prophète porteur de terribles présages pour son peuple. Sur l’angle nord du fronton, l’un des personnages les mieux réussis est le jeune homme étendu (p. 139), les yeux avides vers le ciel. Probablement pensé comme un spectateur de la course à venir, il s’étend sur ses bras et tente d’avoir une meilleure vue, ce qui lui vaut une courbure si magnifique, que Pausanias n’eut aucune difficulté à voir en lui une figure allégorique des puissances divines de la rivière. Ce type de représentations était en effet très populaire à l’époque romaine, mais on ignore encore si les Grecs du Ve siècle avaient suffisamment développé leur faculté de conceptualisation pour y inclure les figures allégoriques. Qui que ce soit, la torsion de ce corps est une pure merveille. Les mêmes considérations que celles du guerrier mourant du fronton est d’Egine peuvent également être appliquées au jeune homme d’Olympie, qui, en matière de réalisme de la représentation, devance largement la première, qui répond à des canons plus anciens. Sur la première, la poitrine et l’abdomen sont simplement assemblés ; ici, ils évoluent ensemble et la fluidité du mouvement
des masses est merveilleusement rendue ; la forme d’un membre indique la position du second. La tête, en dépit de la fixité et de l’expressivité du regard, crée un décalage par rapport à la beauté de ce corps. L’artiste comptait probablement sur l’ajout de couleurs. La chevelure, par exemple, est figée et sa seule raison d’être est d’apporter de la couleur. Il ne faut cependant jamais oublier que ces figures n’étaient pas destinées à être contemplées de si près et qu’à la hauteur initialement prévue, les détails du raffinement du modelage auraient été invisibles. Néanmoins, l’œil, surtout par comparaison à la bouche et au nez, trahit un manque de précision considérable de la conception. Le fronton est, dans son ensemble, arbore des lignes calmes et reposantes ; les acteurs, sur le point de jouer un rôle dans la tragédie évoquée, sont déjà entrés en scène, mais le moment de l’action n’est pas encore arrivé, contrairement au fronton ouest, où se déroule une lutte acharnée. La quiétude du mariage fut interrompue par les Centaures, qui se sont emparés des jeunes gens pour fuir avec eux. Peirithoos lui-même et son ami Thésée les combattent au centre, tandis qu’Apollon, le dieu vénéré des Lapithes, s’interpose pour mettre fin à ce combat. Malgré sa tentative de commandement, il ne joue aucun rôle dans cette lutte acharnée, et la seule raison de sa présence semble être de faire écho à la présence de Zeus sur le fronton est et à celle d’Athéna sur le temple d’Egine. Cette scène de bataille est cependant traitée différemment de celle figurant sur l’ancien temple. Les adversaires ne sont pas divisés en deux camps hostiles, mais sont mélangés, chacun aux prises avec un ennemi réel. Cela ajoute de la vivacité à la composition et révèle la compréhension par les sculpteurs des failles de la conception précédente. Les vieilles dames étendues dans les angles répondent à des contraintes techniques. Elles étaient probablement destinées à jouer le rôle de spectateurs, d’invités ou de témoins horrifiés de ces noces, mais le motif de leur introduction est trop flagrant pour être satisfaisant : occuper l’espace restreint sous le chapiteau en pente. L’artiste a cependant transformé leur présence en avantage, car en les représentant étendues sur des coussins, il suggère une scène d’intérieur. A Egine, la bataille faisait rage à l’air libre ; ici, la bataille a commencé dans le hall des festivités du roi. Les Centaures s’éloignent du centre et se ruent vers
les angles, et ce mouvement suggère la fuite de l’intérieur vers l’extérieur. Le groupe de personnages est réalisé avec une habileté extraordinaire et témoigne d’une parfaite compréhension des mécanismes qui dirigent l’œil d’un personnage à un autre. Les trois personnalités dominantes, au centre, sont à peine visibles, alors que l’action du jeune homme, à droite d’Apollon, attire l’attention sur le Centaure qu’il tente de tuer, avant que la bête n’emporte la jeune fille. Le Centaure et la jeune fille forment un groupe serré, ce qui permet à l’œil de glisser plus facilement sur les deux figures suivantes tout aussi liées. Cependant, le bras tendu du jeune homme semble lié à un autre personnage, dont la conception est plus proche de celle du groupe final de ce pan. Le fait que les masses de concentration de personnages ouvrent constamment sur de nouveaux groupes, permet l’appréhension de la composition dans son ensemble. En outre, cela favorise également la rapidité et la confusion nécessaires à une scène de bataille réussie. Le mouvement se précipite vers les angles ; cependant, même les personnages debout au centre sont intimement liés à cette altercation. Les jeunes hommes les plus violents apparaissent d’ailleurs dans les angles, car dans le feu du combat, ils semblent s’être lancés comme un seul homme à l’attaque des Centaures. Empoignant leurs adversaires, ils sont projetés bien au-dessous du niveau imposé par le chapiteau en pente. Leur action justifie si bien leur posture que le spectateur en oublie complètement les contraintes d’espace. On passe à côté de la simplicité et de la fluidité de l’intégralité de ce mouvement si l’on s’en tient, en premier lieu, à l’agencement erroné des personnages. Les Centaures sont transposés aux côtés d’Apollon, et les deux jeunes gens derrière eux. Cela ramène la tête de l’un des Centaures, légèrement en retrait, près de la main tendue d’Apollon, qui, selon les défenseurs de cet agencement, repousse la bête de ce geste alors justifié. Cependant, c’est une erreur évidente, car ce n’est pas la force de la divinité mais celle des bras de la jeune femme, qui repousse la tête de l’animal (p. 141). En outre, il est impossible de croire que le Centaure pourrait continuer à galoper dans cette pièce, à droite de la divinité présente, après avoir senti le pouvoir de la main d’Apollon. Le jeune homme derrière lui est
Cladéos, fronton est, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre. Musée archéologique, Olympie.
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Le Centaure Eurytion enlevant Déidamie, fronton ouest, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre, h : 235 cm. Musée archéologique, Olympie. Lapithe aux prises avec un Centaure, fronton ouest, temple de Zeus, Olympie, entre 470-456 av. J.-C. Marbre. Musée archéologique, Olympie.
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si grand qu’on se demande s’il a été placé près de l’angle en raison de l’insertion du groupe de Centaures entre lui et Apollon. Il semble vouloir atteindre le sommet du fronton sans jamais reprendre son souffle, et à sa place, aux côtés d’Apollon, il ne semble pas contraint par l’espace. On s’attend à le voir brandir sa hachette de tous les côtés. Il existe de sérieuses objections à l’encontre de l’ancien arrangement ; la plus prohibitive étant l’entrave de la fluidité qui brise l’unité de la composition dans son ensemble et la divise en trois groupes non reliés : Apollon, les Centaures et les jeunes gens au centre, ces derniers perdant tout moyen de transition vers les groupes situés aux extrémités. Apollon, imposant au centre, (p. 135), est la figure la plus impressionnante. Il ne participe pas réellement à l’affrontement, mais, cependant, sa présence même semble suggérer la défaite de ces animaux. Par son simple geste, il domine le combat et nous rappelle la phrase d’Eschyle : « l’œuvre des dieux s’effectue sans effort et dans le calme ». A l’origine, il portait une petite cape sur les épaules, et l’extrémité de celle-ci retombait sur sa main gauche. Mais lorsque l’artiste le vit comme partie intégrante de la composition, il remarqua que la masse de ses épaules et l’avancée de sa jambe desservaient son apparence de profil. Il ajouta donc plusieurs éléments sous la main gauche et remplaça l’habit afin de créer une courbe parfaite de la main jusqu’aux pieds. Que cette réflexion lui soit venue a posteriori, tout comme la cuirasse de Pélops, apparaît à présent évident, car de nombreux fragments originaux furent retrouvés. En outre, le positionnement actuel de l’habit, sur le dos de la statue, bien que figée dans une position difficile, contredit la présente conception. La figure devait être située à une hauteur importante et les défauts du modelage, comme ceux des bras et de la poitrine, seraient passés inaperçus. Bien que splendide, cette œuvre révèle à quel point l’artiste était loin d’avoir une perception claire de l’anatomie humaine. Les contours de face et de dos sont de même largeur, alors même qu’un coup d’œil rapide à un modèle aurait pu éviter au sculpteur ces imprécisions. La facture de la tête est absolument magnifique et chaque ligne mène à l’œil. Les traits sont en harmonie avec cette impression de majesté, les lèvres pleines, le nez généreux, l’œil franc et bien ouvert. La masse bien ordonnée de la chevelure, sans aucune prétention de vraisemblance, est entièrement satisfaisante ; la longue chevelure s’enroule dans un ruban, à l’origine en bronze, et retombe sur la nuque, se fixe derrière l’oreille gauche et s’oriente vers la rainure. L’oreille manque de précision : elle est trop grande et remonte trop vers l’arrière, car, en réalité, elle est quasiment verticale. Par conséquent, en fonction de l’inclinaison de la tête, ici, elle devrait pointer légèrement vers la gauche. Mais comme tous les artistes grecs, ce sculpteur a pris des libertés ; il se souciait davantage de la préservation du rythme de cette figure que de la fidélité à la réalité, à la nature objective. Il se détourna de celle-ci afin d’en appeler plus vigoureusement et plus agréablement à la nature subjective de ses spectateurs. Il introduit une magnifique touche de réalisme dans sa composition en distinguant les modes de lutte utilisés par plusieurs personnes. Les hommes sont constamment agressifs ; même le jeune homme le plus tendre tend la main pour porter un coup vicieux au Centaure. Les femmes, bien que physiquement aussi puissantes que le jeune homme, sont invariablement sur la défensive, s’efforçant d’éloigner la bête des parties les plus sacrées de leur corps. Deidamie, la jeune épouse, identifiable grâce à la plénitude de sa robe, occupant le côté droit du fronton le plus proche d’Apollon, est comprimée entre les pattes antérieures du Centaure. Elle ne pense pas à lui asséner un
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coup ; sa seule préoccupation est d’éviter tout contact entre son voluptueux visage et celui de la bête. L’instant d’après est visible sur le groupe correspondant, de l’autre côté, (p. 140) : la jeune fille dégage sa tête, car il a touché sa poitrine. Elle tente de se défaire de son emprise hideuse, sans pour autant oublier sa première intention, qui est de conserver sa tête à bonne distance à l’aide de son coude. A l’autre extrémité, une femme se débat également pour éloigner le Centaure de sa poitrine. Ce dernier s’enfuyait au galop, avec la jeune fille sur son dos, lorsqu’il fut empoigné par l’un des jeunes Lapithes et tiré vers le bas, avec une force telle qu’il en tomba à genoux. La jeune femme glissa de son dos, mais fut retenue par son pied coincé dans les plis de sa robe. Malgré sa blessure mortelle, le Centaure ne semble pas lâcher prise. Le groupe correspondant, près de l’extrémité gauche, comporte de nombreuses similarités, mais l’issue du combat est beaucoup moins claire, car le jeune Lapithe est désarmé. La jeune femme glisse là aussi du dos du Centaure, elle est là aussi retenue, mais cette fois, par les cheveux. Le Centaure n’a pas réussi à atteindre sa poitrine, et sa seule préoccupation est donc d’éloigner sa tête. Dans l’ancien arrangement, les Centaures touchant la poitrine de leurs victimes sont d’un côté, et ceux dont la tête est tenue à bonne distance sont de l’autre. La pauvreté d’une telle distribution n’est certainement pas à attendre d’un sculpteur qui s’est efforcé d’introduire une variété dans l’équilibre de ses personnages. Les têtes des Centaures expriment une bestialité évoquant, à bon escient, le Marsyas de Myron (p. 119). Celui-ci appartient cependant à une espèce nettement plus raffinée. Les gueules des Centaures débordent d’avidité, ce qui vaut la peine d’être remarqué, car tous les autres faciès, à une exception près, sont impassibles. Selon les Grecs, une bête pouvait perdre le contrôle de soi, ce qui n’arrivait jamais à l’homme, plus noble. Envisager la beauté du calme de ses traits dévorés par la passion était inconcevable. On aurait donc tort de tirer une conclusion définitive sur la compétence de l’artiste, en fonction de l’absence d’expression sur le plus fin des visages d’Olympie. Néanmoins, de nombreux changements étaient survenus depuis la sculpture des personnages d’Egine. A l’époque, on sentait la référence aux anciennes contraintes de courbe pour la bouche et les yeux sans vie ; ici, on observe, malgré toutes les imprécisions, un rendu indépendant de conceptions plus libres et plus claires de la tête. Les traits ne sont pas individualisés et, pourtant, les personnages incarnent un individu doté d’une forte individualité. Cela provient de leur attitude ; ils ne se déplacent pas comme quelqu’un serait contraint de le faire en de pareilles circonstances, mais comme bon leur semble. Les sculpteurs d’Olympie25 s’étaient donc bien engagés sur la route de la suggestion des personnalités, par le biais de poses et de gestes. Ils avaient progressé sur le chemin de compréhension de la nature humaine, avaient osé l’exprimer, et ce, même avant d’avoir surmonté toutes les difficultés techniques du rendu de cette humanité. Ni l’anatomiste, ni l’archéologue, ni le spectateur n’auront, dans ce domaine, beaucoup de mal à pointer les défauts du torse d’Apollon, ou la dame unijambiste juste à droite d’Apollon, ou encore l’imprécision des plis sur la jambe droite de l’autre jeune fille du même côté ou enfin, la longueur excessive du bras du jeune Lapithe, que le Centaure tient dans sa gueule, à gauche d’Apollon. Tous ces défauts disparaissent cependant avant que le joyeux esprit de la vie n’envahisse la composition dans son ensemble. L’appellation d’images humaines, réservée aux personnages d’Egine, était fondée, car les créations des sculpteurs d’Olympie ressemblaient à de vrais hommes et femmes vivants.
Section transversale du temple de Zeus à Olympie, par Victor Laloux, 1883, Planche 1. Dessin. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris.
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Réalisation des idées les plus nobles : le caractère divin de la nature humaine L’équivalent du mot « âme » fut d’abord utilisé en Grèce au milieu du Ve siècle avant J.-C. par le philosophe Anaxagore pour qui l’âme était loin d’un esprit contrôlant le corps humain et ses activités. L’harmonie et l’unité étaient respectivement les mots-clés des deux grandes écoles philosophiques de l’Asie Mineure et de l’Italie du Sud. En s’efforçant de réaliser ces idéaux, les hommes avaient dominé la dualité humaine. Les gens semblaient naître anges, démons, Grecs ou bêtes comme les Centaures. Si les sculpteurs avaient bien saisi la coexistence d’une dimension idéale et d’une dimension matérialiste de l’homme, ils ne l’avaient jusque-là jamais représentée. En fait, cela leur semblait si peu naturel qu’on ne pouvait aboutir qu’à une déformation, tant ces deux éléments, juxtaposés, détruisaient l’unité harmonieuse de la composition. L’existence de cette dualité est cependant une réalité. Et même s’il ne la comprend pas, le sculpteur
nature humaine est toujours prête à imaginer de tels méfaits de la part de ceux qui mènent une existence plus heureuse et plus libre. Le danger de telles histoires fut réalisé par les grands hommes de l’Antiquité. Platon, dans sa tentative de supprimer ces légendes, voulait même détruire la totalité des poèmes homériques, car ils en contenaient quelques-unes. Les vrais dieux grecs étaient bien au-dessus de ces viles imputations ; ils étaient nobles et ne connaissaient aucune des limites imposées aux êtres humains. Dans l’accomplissement de leurs devoirs divins, ils pouvaient revêtir toutes les formes, mais pour apparaître aux mortels, ils devaient prendre une forme humaine, que les humains pouvaient appréhender. Les Grecs n’étaient pas idolâtres au point de croire en la présence réelle d’une divinité dans leurs statues. Loin s’en faut ! La statue d’Athéna à Athènes révélait en fait la forme que la déesse prendrait si elle daignait se montrer à des yeux de mortels. Eriger une statue en l’honneur d’une divinité signifiait donc non seulement avoir une parfaite compréhension de ses attributs, mais également concevoir
La Tête de Zeus par Phidias, monnaie romaine, 133 ap. J.-C. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.
La Statue de Zeus à Olympie par Phidias, monnaie grecque. Museo Archeologico, Florence.
ne peut l’ignorer. Il se doit, cependant, d’être suffisamment habile pour atteindre cette liberté d’exécution. Ce fut le cas en Grèce, au milieu du Ve siècle. Les artistes se trouvèrent confrontés au problème du choix entre l’aspect idéal et l’aspect matérialiste de la nature humaine. Là où la coexistence légitime des deux aspects était niée ou du moins mal évaluée, l’un devait primer sur l’autre. Or, le choix reposait sur une démarche inconsciente. Il déboucha donc sur des créations tardives très différentes. Les artistes s’efforcèrent soit de supprimer l’aspect idéal, soit l’aspect matérialiste de la nature humaine. Les statues de Phidias, qui n’étaient jamais sculptées à partir de modèles, étaient autant l’expression de ses représentations que les premiers « Apollon » incarnaient les images mémorielles de ses prédécesseurs. Les conceptions particulières que les Grecs avaient de leurs dieux favorisaient ce mode d’expression. Pour le comprendre, il faut oublier les vulgaires légendes des mythologies populaires, qui attribuaient injustement aux dieux de nombreux actes de violence et de dépravation, car la fragile
un corps humain capable d’exprimer sa personnalité et de la révéler au monde. Les hommes, chargés du travail de ces lignes, rencontrèrent évidemment quelques difficultés à percevoir l’aspect idéal du corps humain, et optèrent pour une représentation différente à chaque fois, plutôt que de s’arrêter à la reproduction de formes incapables d’accueillir une divinité. Phidias était le plus grand représentant de ce type de sculpture. Il était, et les anciens le reconnaissent unanimement, le plus grand de tous les artistes. Aucun autre sculpteur, quel que soit son degré de popularité à l’époque, n’a égalé sa réputation, et ils n’étaient pas les moins qualifiés pour porter un jugement sur les autres. Leurs écrits ne contenaient aucun reproche, ni aucun souhait d’éventuelles modifications de ses statues. Pline justifie la rareté de leurs éloges par un aveu : lorsqu’il souhaita prouver la justice des éloges universels de Phidias, il se déclara incapable de discuter l’un de ces chefs-d’œuvre, car, dépassant de loin les aspirations humaines, ils étaient d’inspiration divine. Pline se contenta d’ailleurs d’une simple description d’une
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Buste de Périclès, copie d’un original grec créé vers 425 av. J.-C. Marbre, h : 48 cm. British Museum, Londres.
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Tête d’Athéna Lemnia, attribuée à Phidias. Marbre, h : 60 cm. Museo Civico, Bologne. Athéna Lemnia, reconstitution de l'original de Phidias par Furtwängler.
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Mercure Richelieu, de type « Apollon de Cassel », copie d'un original grec par Phidias, l'Apollon “Parnopios” créé vers le IIe siècle av. J.-C. Marbre, h : 200 cm. Musée du Louvre, Paris. Apollon, copie d’un original grec par Phidias, l’Apollon « Parnopios », vers 450 av. J.-C. Marbre, h : 197 cm. Staatliche Museen, Kassel.
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décoration mineure d’Athéna Parthénos. Il ne reste aucune statue importante de Phidias. Elles étaient généralement chryséléphantines et de taille colossale. La tête de son Zeus Olympien est reproduite sur une pièce de monnaie d’Elis (p. 144), et son Athéna Parthénos, mesurant jadis près de quarante pieds, est représentée par deux statuettes, dont la plus grande mesure trois pieds et demi, et quelques statues supplémentaires de différentes tailles et d’une authenticité douteuse. Dans l’absence de véritables reproductions de ces deux importantes statues, nous possédons heureusement le récit des impressions de certains critiques d’art et archéologues de l’Antiquité. Selon Pausanias, « les mesures », de la colossale statue chryséléphantine de Zeus à Olympie « sont notées, mais je ne vanterai pas les mérites de ceux qui les ont prises, car elles semblent bien inférieures à l’impression que cette œuvre laisse au spectateur ». Selon Quintilien, écrivain romain du Ier siècle, cette statue apportait une force supplémentaire à la religion qui, à son époque, commençait à faiblir à l’aube du scepticisme érudit. Selon Dio Chrysostome, « notre Zeus est paisible et doux dans tous les sens du terme, car il fut le gardien d’Hellas alors qu’elle était encore unie, épargnée par l’agitation des différentes factions », et de confesser que l’homme ayant vu, ne serait-ce qu’une fois, cette statue, ne peut désormais plus se forger d’autre impression sur la divinité ou penser à elle autrement. Il conclut par ces mots mémorables : « Si un homme est accablé par la peine de son âme, s’il a enduré de nombreux malheurs dans sa vie, que le sommeil réparateur ne lui rend plus visite, je pense que, s’il se tenait devant la statue, il oublierait ses peines et se rétablirait.26 » De telles phrases d’admiration de la part des anciens nous donnent une meilleure idée de l’importance de Phidias, que celle tirée d’une étude minutieuse des petites copies ayant perdu toute la grandeur de l’original, et qui entretiennent, comme le dit M. Gardner, « la même relation avec les statues de Phidias que le plus vulgaire des oléographes allemands ou que celle de la Madone de la Sixtine avec son modèle. » La valeur de ces citations littéraires n’est en aucun cas amoindrie par le fait qu’elles datent de plusieurs siècles après Phidias, à une époque où l’art grec avait fait son chemin et était classé parmi les reliques du passé. Si les générations suivantes, habituées à contempler le meilleur de la création humaine, appréciaient les statues de Phidias et lisaient en elles des pensées capables de satisfaire leur foi religieuse, c’est la meilleure preuve de la pureté des conceptions incarnées par les artistes grecs. Un génie comme celui de Phidias, travaillant juste après qu’un vent de liberté ait soufflé sur son peuple, capable non seulement de concevoir, mais également d’exprimer les pensées sur le point de gouverner le monde religieux pendant plus de la moitié d’un millénaire, ne pouvait que laisser une empreinte sur l’art de ses contemporains et sur celui qui en découla. Sans Phidias, la sculpture grecque aurait connu le même type de développement, mais elle aurait certainement mis plus de temps à atteindre son apogée. Les véritables dates de naissance et de décès de Phidias restent inconnues. Il naquit à Athènes, probablement autour de 500 avant J.-C., et fit ses études à l’étranger en compagnie d’Agéladas d’Argos, qui avait la fière réputation, dans l’Antiquité, d’avoir eu comme collègues, non seulement Phidias, mais aussi Myron et Polyclète. Peu après les guerres Médiques, il reçut une commande d’Athènes, concernant un important groupe de héros nationaux en bronze, dont la figure centrale serait Miltiade. Aucune œuvre de Phidias ne peut être datée précisément, à l’exception d’Athéna Parthénos, qui fut dédiée en 438 avant J.-C. Phidias mourut avant Périclès (buste, p. 145), son ami et admirateur de toujours, qui succomba au fléau de la peste en 429. Périclès fit de lui le superviseur en chef de tous les édifices qu’il érigea au cours de ses
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nombreuses années de suprématie sur Athènes. Les dernières années de Périclès furent amères en raison de l’ingratitude des Athéniens et de leurs attaques calomnieuses à son sujet et celui de ses amis. Phidias dut en supporter sa part. Il fut accusé d’avoir détourné de l’or qui lui avait été confié pour la réalisation d’Athéna Parthénos. De cette accusation, que certains anciens n’ont pas renié, est né un certain nombre d’histoires, dont la plupart nous est parvenue aujourd’hui. La majorité des auteurs modernes – et ils en rougissent – crurent en la culpabilité de Phidias. Il est cependant impossible de penser que Phidias ait compris les dieux et qu’il ait parallèlement voulu voler la matière sacrée qui lui était confiée pour réaliser leurs statues. Compte tenu des dernières contributions à ce sujet, le poids de l’argumentation penche à présent largement en faveur de son innocence. Des nombreuses tentatives d’identification des vingt et une œuvres de Phidias, réalisées sur les statues que les anciens lui attribuaient, une seule est probablement parvenue à son but. Nous faisons ici référence à la brillante découverte du professeur Furtwängler, qui a identifié le type « Athéna Lemnia » dans une magnifique tête conservée à Bologne (p. 146), et deux statues conservées à Dresde. Cette découverte fut des plus difficiles à réaliser, car l’apparence de la statue avait été complètement modifiée à la suite de restaurations incorrectes. En combinant des restes de ces trois personnages, le professeur Furtwängler a réussi à créer une nouvelle figure en plâtre (p. 146), qui est probablement une bonne reproduction de la statue de Phidias. L’original fut dédié à l’Acropole d’Athènes par des colons athéniens, qui avaient reçu des parcelles de terrains libres à Lemnos, à une date qui n’est pas connue avec certitude. La dignité de cette statue s’impose d’elle-même. Sa conception est quelque peu austère, bien qu’avantageuse, et révèle une déesse, mère d’Athènes, qui en appelle davantage à l’imagination qu’aux sens. La courbe généreuse de sa somptueuse tête et la rigidité apparemment volontaire de la pose véhiculent une bonne idée de la personnalité de cette guerrière vierge, qui a toujours eu à cœur le bien-être de sa ville. Que l’original soit en bronze ne fait aucun doute au vu de la conception générale de la figure – mais aussi de l’exécution des détails. La petite taille de son habit, laissant voir les pieds de la figure, est caractéristique de la période de transition et des années qui suivirent ; il apparaît sur de nombreuses métopes d’Olympie, puis disparaît ensuite sur les copies d’Athéna Parthénos. Le professeur Furtwängler repose sa datation de la statue sur cet élément précis, car, selon lui, il appartient à la première période de l’artiste. On aurait évidemment tort de faire de cette statue le point de départ d’une évaluation de Phidias, mais on peut, cependant, la prendre en considération, car même s’il n’en est pas le créateur, il est communément accepté que sa réalisation montre clairement son influence. Elle représente la perfection du transfert des formes et exprime une personnalité profonde et divinement noble. Ces deux qualités sont si présentes dans cette statue qu’elles justifient l’attention et les analyses probablement correctes du professeur Furtwängler. La découverte de cette statue ne nous a rien appris de nouveau sur le style de Phidias, mais nous a fourni l’une des meilleures illustrations de cet art, l’essence de la valorisation de la noblesse humaine. Le corps fit déjà l’objet de sculptures plus raffinées que l’Athéna Lemnia et de draperies d’une conception plus délicate que celle-ci, mais un seul corps a rarement aussi parfaitement véhiculé la conviction de l’artiste, à savoir que l’étincelle du divin est présente chez l’homme et possède le pouvoir de transformer un mortel en une image de Dieu.
Statue A de Riace, attribuée à Phidias, vers 450 av. J.-C. Bronze, h : 198 cm. Museo Nazionale, Reggio Calabria.
Statue B de Riace, attribuée à Phidias, vers 450 av. J.-C. Bronze, h : 197 cm. Museo Nazionale, Reggio Calabria.
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e fait que Phidias, comme le croit la « sagesse populaire », soit intimement lié au Parthénon, ne peut être prouvé. Ictinos et Callicratès furent les architectes de cet édifice et ils engagèrent de nombreux sculpteurs pour tailler les frises et les frontons dans la pierre. Lorsque Périclès décida de faire de cet édifice le plus grand de tous les temples athéniens, il le fit, au moins en partie, pour offrir du travail à d’importantes catégories de citoyens qu’il souhaitait occuper. Dans ces conditions, il était impossible d’engager uniquement les meilleurs sculpteurs et cela transparaît dans les différences de qualité de la facture, qui s’accentuent avec le temps. Phidias, qui, d’après l’état de nos connaissances, assumait la responsabilité générale de toutes les réalisations artistiques au cours de l’ascendance de Périclès, a naturellement pu accorder une attention particulière à la décoration du Parthénon, mais ce n’est qu’une hypothèse qui ne repose sur aucune preuve tangible. Phidias lui-même, pendant la construction du temple, fit preuve d’un engagement actif dans la réalisation des colossales statues chryséléphantines d’Athéna et eut sans doute peu de temps à consacrer à d’autres parties. L’unité de l’œuvre, remarquable dans la frise, et la perfection toute particulière des personnages du fronton est, révèlent l’esprit d’un grand homme à l’origine de leur conception. C’est en raison de l’absence d’artistes équivalents à Phidias, que l’on se tourne naturellement vers lui ; nous le faisons bien plus volontiers depuis que nous savons (bien que ce soit plus tardivement) qu’un sculpteur pouvait être à l’origine de la conception des frontons, alors que d’autres se chargeaient de la réalisation. Ce fut probablement le cas pour le Parthénon. Les deux frises totalisent à elles seules environ 3332 m2 de sculpture, preuve qu’aucun homme n’aurait pu achever seul cet ouvrage au cours des quelques années imparties à la tâche. Le temple était d’ordre dorique. La frise extérieure se divise en métopes et en triglyphes. Les triglyphes étaient des blocs saillants composés de deux glyphes au centre et de deux demi-glyphes dans les angles, ce qui leur valut le nom de triglyphes. Les métopes sont ces espaces carrés qui séparent les triglyphes. Sur le Parthénon, elles étaient décorées de personnages en haut-relief ; sur d’autres temples, elles étaient parfois peintes ou laissées totalement nues. C’était probablement le cas sur le temple de Zeus à Olympie, car les tablettes carrées sculptées de ce temple sont connues comme étant des métopes à l’intérieur de la colonnade, où elles étaient placées au-dessus des portiques. Au Parthénon, la décoration de la colonnade intérieure était différente, car elle contenait une frise continue, ornement inconnu dans les temples strictement doriques. Elle provient des édifices ioniques et porte
d’ailleurs le nom de frise ionique. Afin de distinguer brièvement les deux groupes de sculpture du Parthénon, les parties de la frise dorique extérieure sont appelées les métopes et celles de la frise continue à l’intérieur sont appelées la frise.
Les Métopes Lorsque le Parthénon (p. 162) fut détruit en 1687, les métopes furent les plus touchées, et des quatre-vingt-douze figures qui encerclaient l’édifice à l’origine, seules dix-huit furent suffisamment bien préservées sur l’aile sud pour y prêter attention. Les autres sont si endommagées que l’on ne distingue plus ce qu’elles représentaient avec certitude. L’aile est représentait probablement l’épisode de le Gigantomachie, l’aile ouest, l’Amazonomachie, l’aile nord, la guerre de Troie, tandis que la majorité des métopes de l’aile sud traitait d’un sujet déjà représenté sur l’un des frontons du temple d’Olympie, la Centauromachie. La qualité de la facture des métopes préservées est inégale. Certains sculpteurs semblent avoir accepté le nouvel ordre et appartenir à l’âge de Phidias, d’autres étaient de la vieille école. Une telle résistance des vieilles traditions n’est pas surprenante. En fait, on aurait pu crier au miracle si tout l’art sculptural avait complètement changé en une seule génération. L’important est qu’aucun partisan de la vieille école ne semblait avoir laissé de disciples pour la prochaine génération ; dès cette époque, les sculpteurs semblaient se baser sur les nouvelles réalisations de Phidias et de son école, et ne prêtèrent plus aucune attention aux conservateurs. L’une des plus belles métopes (p. 156) représente la victoire d’un jeune Lapithe sur un Centaure. Celui-ci, blessé dans le bas du dos, comme son geste l’indique, se retourne pour asséner un coup à son assaillant dans son dernier souffle. La conception des personnages est pleine de vie, avec une touche de retenue suggérée par les draperies. Sans l’habit, le jeune homme gagnerait en puissance et en rapidité. Il semble se retourner, prêt à asséner son coup, avant même que l’œil du spectateur ne se pose sur lui. Pourquoi le sculpteur voulait-il diminuer la vigueur de sa composition en y ajoutant un drapé sur les bras du jeune Lapithe ? Pourquoi devait-il le condamner à l’inertie éternelle ? Sans doute qu’il lui était quasiment impossible d’occuper tout l’espace d’une métope avec deux personnages, en laissant au centre ou dans les angles un espace vide considérable. Les espaces vides étaient, surtout au Ve siècle, une horreur pour les Grecs. Au lieu d’agresser l’œil avec un tel vide, ce sculpteur préfère affaiblir la portée de sa conception originale. Si on peut sans doute attribuer cette sculpture à Phidias, le drapé, quant à lui, fut ajouté à l’initiative du sculpteur exécutant.
Iris, fronton ouest, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 125 cm. British Museum, Londres. Section transversale du Parthénon sur l’Acropole à Athènes, par Benoit Loviot, 1879-1881. Dessin. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris.
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M 50 40 30 20 10
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Plan du Parthénon, Athènes.
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Sur la métope suivante (p. 159), les tablettes semblent animées d’une grande intensité. Le Lapithe est mourant ; tandis qu’il s’effondre aux pieds du Centaure, ce dernier célèbre sa victoire par une danse jubilatoire. La jambe droite du Centaure, à présent brisée, se retrouve coincée entre les membres de son adversaire. Balançant la jambe du jeune homme de haut en bas, la bête caracole et se montre hilare à chaque coup. La peau de panthère exprime cette frénésie, et derrière le Centaure, sa queue et sa patte fouettent le vent dans une excitation des plus sauvages. Même son sourire menaçant se fixe cruellement sur le jeune homme mourant. La tête disparue du Centaure montrait probablement cette
sculpté, semble infime et disproportionnée, en raison des particularités de l’acuité visuelle. Ces considérations expliquent la propension des sculpteurs à réaliser des figures dissymétriques sur les décorations sculptées des temples. L’auteur de cette métope a réussi à occuper l’un des espaces vides de la tablette grâce à la peau de panthère. Cette peau, répondant initialement à une nécessité technique, fait finalement partie intégrante de la composition, car, sans elle, la métope aurait perdu son principal intérêt : sa vitalité. Cela révèle la maîtrise des contraintes d’espace et de matière. L’artiste n’en est plus esclave.
Lutte entre les Centaures et les Lapithes, métope sud no 30, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 134 cm. British Museum, Londres.
Lutte entre les Centaures et les Lapithes, métope sud no 29, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 134 cm. British Museum, Londres.
bestialité lascive, toujours visible dans le balayage de la queue. La figure du jeune homme mourant est moins soignée, car la représentation des morts posa des problèmes à plusieurs générations d’artistes. Il ne suffit pas de sculpter une forme sans vie ; l’artiste doit montrer que c’est une forme créée pour vivre, un corps vivant soudain privé de vie. La position élevée de la métope et l’angle difficile sous lequel elle était vue, présentaient également les mêmes difficultés que celles qui avaient poussé les sculpteurs d’Egine à représenter leurs guerriers comme mourants plutôt que comme morts. Un corps étendu sur le dos est difficilement visible à une certaine hauteur, sans parler du fait que son épaisseur, s’il est correctement
C’est peut-être la caractéristique la plus importante de l’art grec à son apogée : les artistes se soumettent volontairement aux contraintes, mais les transforment en avantages et en outils. Dans la sculpture grecque archaïque, la soumission aux contraintes n’était pas volontaire, et la compétence des artistes était généralement insuffisante pour surmonter ces difficultés. Au fil des siècles, la maîtrise de l’artiste s’est tellement développée et sa soumission si déguisée que la liberté de l’expression originale semblait presque naturelle. Cependant, la réussite finale dépendait du plaisir affiché des artistes à révéler leur maîtrise des contraintes extérieures, qui, en différentes circonstances, auraient pu
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Lutte entre les Centaures et les Lapithes, métope sud no 27, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. British Museum, Londres.
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Centaure enlevant une femme lapithe, métope sud no 11, Parthénon, Athènes, vers 447-440 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. Musée du Louvre, Paris.
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s’avérer des contrôles puissants sur la liberté de leur art. Sur une autre métope du Parthénon (p. 155), le sculpteur a montré qu’il n’avait pas encore atteint ce stade de liberté dans sa profession. Il représente un Centaure s’enfuyant au galop avec une jeune Lapithe. L’artiste trouvait que la représentation de cette même scène sur le temple d’Olympie (p. 140) n’était pas totalement une réussite, car, tant que la jeune femme avait les deux pieds plantés sur le sol, la progression du Centaure devait paraître plus lente. Dans cette métope, la bête a empoigné la jeune femme par le sommet de la chevelure, ce qui signifie que sa tête devait être située audessus de la sienne. Le point le plus élevé au niveau duquel sa tête pouvait être représentée était le sommet de la tablette. Mais l’espace à ce niveau
évités. La compression de cette figure et la légèreté nécessaire du drapé de la jeune femme, flottant au vent derrière elle, laissent un vide important dans l’angle gauche de la tablette. Cette métope est peut-être la moins satisfaisante de toutes celles préservées, et ce malgré le profond équilibre des considérations qui furent à la source de sa conception originale. Le sculpteur prit conscience des obstacles à chaque détour, sans pour autant être capable d’y faire face. La quasi-totalité des personnages de ces métopes du Parthénon constitue une création inédite et indépendante, du moins d’après ce que les rares sculptures contemporaines existantes nous permettent d’évaluer. Sur l’une des tablettes, le jeune homme ressemble cependant beaucoup à
Lutte entre les Centaures et les Lapithes, métope sud no 7, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. British Museum, Londres.
Centaure avec un jeune homme, métope sud no 6, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. British Museum, Londres.
était généralement occupé par les têtes de Centaures. Il était donc nécessaire de comprimer un peu la partie supérieure de son corps pour réaliser la composition. Les proportions générales du Centaure furent cependant imposées par la longueur de son corps de cheval, qui, en tenant compte de la largeur fixée par les contraintes architecturales imposées par la métope, ne pouvait être réduite par peur de laisser un trop grand vide de chaque côté. Le résultat fut un Centaure déformé et quasiment bossu, faussant la conception générale que les Grecs avaient de sa race. En outre, la métope est vraiment désagréable à regarder : les vides n’ont pas pu être
Harmodios dans le groupe des Tyrannoctones. Il n’est donc pas impossible que certaines des autres tablettes aient également préservé ce type de statues à présent égarées.
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La Frise La frise ionique, qui entoure les murs du temple, sur la colonnade intérieure, mesurait à l’origine près de 523 pieds, mais seuls 410 pieds ont survécu à l’explosion, et environ 300 pieds sont suffisamment bien conservés pour faire l’objet d’une étude détaillée. La frise était continue,
Centaure caracolant de triomphe au-dessus d’un Lapithe mort, métope sud no 38, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. British Museum, Londres.
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Centaure aux prises avec un Lapithe, métope sud, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 133 cm. British Museum, Londres.
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située à près de quarante pieds de hauteur, et visible sous une lumière pâle. Par conséquent, l’impression véhiculée aujourd’hui par les tablettes désarticulées exposées au milieu de galeries bien éclairées est considérablement différente et moins intense que celle voulue par les artistes. Aucun autre chef-d’œuvre grec n’incarne aussi bien l’impossibilité d’atteindre, ne serait-ce qu’une approximation, cette magnificence perdue. Mais la perte de valeur artistique de cette frise, due à la proximité du spectateur, est compensée par ailleurs ; car, aujourd’hui, on peut suivre, comme jamais auparavant, les mécanismes mis en œuvre par l’artiste pour maîtriser les contraintes techniques et conceptuelles. Il n’est pas nécessaire de citer tous ces mécanismes, car, à une exception près, ils nous révèlent
nationale qui étaient la quintessence de la fête des Panathénées. Si un homme est un familier, grâce à la littérature, de la procédure suivie en ces occasions, et qu’il cherche la représentation d’un moment précis sur la frise, il sera déçu. Après avoir décidé du mode général et de l’objet de représentation, l’artiste devait régler la question du choix de l’arrangement et du type d’édifice. Partant généralement de l’angle sud-ouest de la façade ouest, qui était le plus proche des Propylées, le seul portique de l’Acropole, la procession continuait son chemin, de droite à gauche, du nord à l’est, où la compagnie paisible des dieux venait jadis se reposer. Une procession similaire fut observée à l’approche des dieux de l’autre côté, et, si on la suit
Centaure sur le point de jeter une hydre sur un Lapithe à terre, métope sud no 4, Parthénon, Athènes, vers 446-438 av. J.-C. Marbre, h : 135 cm. British Museum, Londres.
Centaure sur le point de jeter une hydre sur un Lapithe à terre, métope sud no 4, Parthénon, par Jacques Carrey, 1674. Dessin. Bibliothèque nationale de France, Paris.
que les artistes considéraient les règles bien définies de leur art comme des contraintes, certes, mais en aucun cas, comme des obstacles insurmontables. La frise illustrait la procession des Panathénées27. Elle était tout aussi imprécise sur cette magnifique cérémonie que les copies contemporaines le sont sur leurs modèles originaux, les deux n’étant que l’expression de la conception originale des artistes. Les majeures parties de cette procession (la cavalcade et les chars, les sacrificateurs et les victimes, les hommes et les femmes suivant la procession à pied, et les magistrats assemblés sur l’Acropole) se distinguent, mais ne sont pas rendus avec la précision attendue d’un chroniqueur. Personne ne peut, en parcourant la frise du Parthénon, ressentir l’enthousiasme religieux et la fierté
jusqu’à l’angle du mur sud, elle commence également à l’angle sud-ouest. On peut s’interroger sur la pertinence d’un tel arrangement, car il impliquait une rupture nette de la composition, la procession partant vers deux directions opposées. Les artistes ont cependant sculpté les personnages dans l’optique d’atténuer cette rupture. En outre, peu de gens venant, comme à l’accoutumée, de l’ouest, pouvaient faire le tour vers le sud-ouest et longer l’édifice vers le portique, car le parcours habituel allait vers le nord. Personne ne verrait donc, dans les circonstances normales, le départ de la procession vers des directions opposées. La rencontre des deux processions sur la frise orientale en était d’autant plus habilement traitée. Les dieux, au centre, étaient divisés en deux
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Parthénon, Acropole, Athènes, vers 447-432 av. J.-C. In situ.
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Artémis, frise est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
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groupes distincts par cinq personnages, probablement le prêtre, la prêtresse et trois préposés, placés au centre du portique, et étaient flanqués d’au moins six magistrats de chaque côté. Ils semblaient placés au hasard et conversaient pour passer le temps. Les personnages situés aux extrémités regardaient les vierges en tête de la procession et se faisaient passer le mot : « Les voilà ! » Ce moment précis nous fait oublier leur provenance, puisqu’ils se dirigent vers l’entrée du Parthénon. La composition aurait bien entendu pu adopter un autre arrangement : au début, par exemple, partir d’un angle et mener la procession en continu, le long des quatre façades du temple ou commencer au milieu d’une aile et diviser la composition en deux moitiés égales. Mais si l’on prend la peine de penser aux difficultés logiques accrues de ce genre d’arrangements, l’on ne tarde pas à se rendre compte de la sagesse des choix des sculpteurs du Parthénon.
de départ de la procession. Il semble indiquer à des individus invisibles d’avancer et de se préparer à bouger de droite à gauche avec les autres. Les deux chevaux près de lui avancent déjà dans cette même direction, mais un jeune homme remettant la lanière de sa sandale regarde vers la droite. Il a un pied levé et s’apprête à monter à cheval. Théoriquement, il appartient clairement à la moitié qui part dans la même direction que son cheval, mais, en terme de masse, il regarde nettement vers la frise sud. Sur la tablette suivante, un cheval s’éloigne ; il semble avoir pris le tournant au galop avant d’être saisi au vol par un autre homme. Quoi de plus naturel qu’un cheval fuyant dans la direction opposée ? Il ne brise pas l’idée de mouvement contenue dans cette partie de la frise, tandis que sa nouvelle direction contient une allusion finale au mouvement de l’autre partie. S’il ne restait rien de la frise occidentale, à l’exception de ces trois tablettes, il serait difficile de déterminer avec
Deux Jeunes Femmes, la prêtresse d’Athéna, un magistrat et un enfant tenant le péplos, Athéna et Hephaistos assis, plaque no 5 (détail), frise est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
Une certaine harmonie se dégage de cette procession, comme si elle formait un ensemble cohérent et non des parties distinctes. Aucune rupture n’était autorisée dans la frise. La cavalcade, en déplacement rapide, puis les préparatifs, sans révéler les figures sur lesquelles le spectateur pourrait s’arrêter et dire : « Les voilà qui commencent à galoper » ; les chars plus lents, les hommes et les femmes à pied, devaient suivre les cavaliers au galop sans peine pour ne pas ralentir le mouvement et ne pas entraver le début de cette digne progression. La réalisation de l’ensemble devait bien entendu préserver l’esprit de chaque élément de la procession. L’habileté avec laquelle les artistes ont résolu ces problèmes n’est visible que sur la totalité de la frise, même si l’étude individuelle des tablettes offre des éléments de réponse. Toute la façade ouest était consacrée à ce que l’on appelait les « préparatifs ». La première figure est un maître de cérémonie. Ils sont nombreux à donner des instructions et à rythmer la progression du cortège. Le premier maître de cérémonie est de profil et regarde vers le sud, point
certitude, et au premier coup d’œil, la direction de la procession, car les figures, conçues comme des charnières entre les deux directions opposées, sont neutres au regard des lignes et des masses. Après un examen approfondi, l’idée véhiculée ne laisse aucun doute sur la direction adoptée. Au niveau du cheval en fuite, l’on a suffisamment pénétré l’esprit général de la frise ouest pour rendre inutile toute référence supplémentaire à la façade sud. Pour assurer la composition, avant de passer à l’angle nord, l’artiste a introduit deux ou trois références supplémentaires tournées vers la direction opposée. Le problème suivant était de dédoubler les cavaliers progressivement, alors que les premiers étaient seuls sur leur monture. Les deux premiers chevaux se font face, flanqués de leurs cavaliers. On arrive ensuite au fuyard. Il est rattrapé par son propriétaire, avec l’aide d’un ami, dont le cheval s’enfuit, dans l’intervalle, au galop vers un autre homme. Au premier plan, se trouve un groupe formé d’un cheval impatient, d’un propriétaire bavard et de deux chevaux montés. Ces chevaux, cependant à
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Cavaliers, plaque no 38, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 106 cm. British Museum, Londres.
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peine plus proches l’un de l’autre que ceux de la première tablette, ne montrent aucune volonté de dédoublement, suivant assez naturellement les lignes et les masses précédentes. La confusion du message, au regard de ces groupes, est évitée par l’introduction d’une tablette particulièrement intéressante entre eux, sur laquelle un cheval se frotte nerveusement les pattes antérieures et le museau. Ce que le sculpteur d’Olympie avait tenté pour la première fois, fonctionne à la perfection sur ce fronton ouest. Les lignes et les masses attirent l’attention du spectateur, qui passe rapidement à de nouvelles sections, en raison des différences théoriques exprimées, au sein de groupes apparemment similaires. Un tel traitement accélère et perfectionne les transitions, car la masse est susceptible de les masquer. Différents groupes, d’un intérêt immédiat, sont donc introduits à la composition.
de cheval et enfin, après deux autres cavaliers, dont l’un, tombé, tente de remonter en selle avec l’aide de son compagnon, un groupe totalement différent : un jeune homme fixant ses rènes, alors que le maître de cérémonie lui tient son cheval et converse avec un serviteur. Sur la frise nord, la cavalcade s’enfuit au galop. Les premières figures avancent calmement en rangs. La première est un jeune homme debout fixant la sangle de son maître (p. 175). A l’arrière-plan, on distingue un cavalier et, au premier plan, un cavalier pieds à terre, dont la figure fait référence aux lignes des jeunes hommes de la frise ouest. Il suit son coursier et, d’un geste, incite son compagnon à accélérer. Les deux premières figures de la frise nord sont aussi calmes que les deux premières de la frise ouest, et représentent la même masse. En théorie, comme le suggère le jeune homme les saluant
Cavaliers dans la procession, plaque no 41 et no 42, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
Chaque nouveau groupe fait référence au précédent et contient une allusion au suivant. Grâce à la double sollicitation de l’œil et de l’imagination, il était facile d’accélérer ou de ralentir le rythme de la procession sans révéler les procédés employés. Toute la frise ouest était consacrée à l’ambiance des préparatifs. Sa dernière figure, à l’instar de la première, est un maître de cérémonie, mais, cette fois, il ne pousse pas les hommes à se presser, mais attend calmement l’arrivée des deux jeunes hommes au galop. Ils ne chevauchent pas côte à côte, mais l’un derrière l’autre ; les deux figures sont intelligemment individualisées vers la fin, car elles étaient dédoublées au début. Un second cheval en fuite est alors introduit, après un autre binôme, d’une meilleure tenue, équipé d’ornements plus riches, et chevauchant naturellement seul. Vient ensuite un jeune homme descendu
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au premier plan, elles sont plus intimement liées au mouvement rapide de la frise nord. La cavalcade commence par avancer en rangs de quatre et passe ensuite à six. La confusion apparente des lignes formées par les pattes des chevaux véhicule une impression de grande rapidité. Quelques tablettes plus tard, l’on pénètre dans la rapidité propre à la cavalerie athénienne, fierté de la cité. Continuer trop longtemps le mélange de ces lignes, causé par la compression de chevaux agités, aurait provoqué une trop grande fatigue de l’œil. Il peut ici se reposer en contemplant une ou plusieurs figures isolées. Dans ces lignes comparativement calmes, le danger était d’apaiser une tension suggérée et entretenue par les personnages. Les artistes y parvinrent avec une maîtrise étonnante. Le premier de ces cavaliers isolés vérifie son cheval et tombe derrière ses compagnons (p. 168) ; tourné vers l’arrière, par
ses mots et ses gestes, il semble inciter les cavaliers derrière lui à continuer leur course au galop pour combler la distance entre leur escadron et le sien. Le cavalier seul, loin de suggérer une rupture dans la rapidité de la procession, y participe au contraire, car la cavalcade doit accélérer pour rattraper ceux de devant, et ce indépendamment du rythme adopté. La vitesse ressentie par les spectateurs n’est donc pas uniquement due aux lignes précédentes, mais en grande partie aux gestes suggestifs de ce cavalier isolé. Là encore, le sculpteur en appelle non seulement au regard, mais aussi à l’imagination du spectateur. Une autre figure isolée (p. 170) est introduite lorsque, vers la fin des rangs de cavaliers, la composition doit laisser place aux mouvements plus calmes des chars. Ici, les lignes calmes et directes du maître de cérémonie rompent avec l’impression de confusion précédente. Il se tient clairement
A l’instar des métopes de cette aile, la technique est souvent moins bonne. La frise orientale est la plus paisible. Environ deux tiers de sa longueur sont réservés aux dieux assis, flanqués de prêtres de chaque côté (pp. 164-165). Sur le tiers restant, une importante partie est laissée aux magistrats qui n’ont pas pris part à la procession, mais se sont réunis sur l’Acropole pour l’accueillir. L’approche progressive des vierges vers ces personnages paisibles est merveilleusement rendue. Le moment charnière entre la position debout et la position assise des personnages est géré par l’introduction d’autres personnages aux lignes douces, mais dynamiques. A droite des dieux, se trouvent six magistrats : quatre conversent et deux viennent de s’interrompre, l’un se tournant vers la procession en approche, l’autre alertant ses collègues de l’arrivée des vierges. Un autre homme semble
Cavaliers dans la procession, plaque no 10 et no 11, frise sud, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
à l’écart. Devant lui, les chevaux sont moins serrés, comme s’ils étaient bridés et attendaient les bataillons situés à l’arrière, qu’il semble d’ailleurs saluer. La fuite vers l’avant n’est donc pas entravée par sa présence, tandis que la stabilité des lignes de son corps annonce l’arrivée de personnages plus paisibles, les auriges, et, avant eux, de vieux hommes et de vieux musiciens, de jeunes sacrificateurs et enfin, les hommes vêtus de lourds drapés menant les animaux au sacrifice. Leurs draperies et leurs pas mesurés mènent à la procession des vierges débutant à l’angle de la frise est. L’arrangement de la frise sud ressemble beaucoup à celui de la frise nord, sans les musiciens et les moutons, mais avec un élargissement des autres parties du cortège. Cette frise n’est pas aussi bien préservée que l’autre, mais contient les plus belles créations de cavaliers et de chars.
recevoir un récipient et accueillir les premières jeunes filles, tandis que derrière elles, un maître de cérémonie donne les dernières instructions à deux autres jeunes hommes. Son message passe dans les rangs et la jeune fille du troisième rang se penche en arrière, afin de le répéter à ses sœurs derrière elles. Cela assure la transition entre les jeunes filles, en rangs par deux, et celles qui marchent seules, à l’instar de l’homme isolé qui mène les animaux à l’angle. Les deux extrémités de la frise orientale sont quasiment identiques, mais affichent cependant suffisamment de différences pour se protéger d’une répétition ou d’une monotonie apparentes. Le côté droit est le plus intéressant. Les douze dieux assis, dont les positions similaires auraient pu fournir une excuse facile à la reproduction, font preuve d’une telle individualité que seul le manque de connaissance nous empêche de les
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personnifier. Zeus, père et roi des dieux, est facilement identifiable grâce à sa barbe majestueuse, surtout comparé aux autres, qui sont assis sur des sièges plus simples. De ses sièges ou trônes, aucun n’est sculpté avec la délicatesse et le soin qui caractérisent le mobilier du tombeau de la « Harpie » (p. 93), où les accessoires furent réalisés avec autant d’attention que les figures elles-mêmes. Sur le Parthénon, c’est différent : seuls les accessoires absolument nécessaires sont représentés. Plus de 350 figures humaines sont représentées sur la frise du Parthénon. Elles sont toutes différentes malgré de nombreuses positions identiques. Chacun des 125 chevaux de la cavalerie est unique. Les
comme une véritable merveille du monde. Dans l’Antiquité, les décorations sculptées des temples ne figuraient pas au rang des chefs-d’œuvre28. Les chefs-d’œuvre de l’époque sont à présent perdus ou préservés uniquement sous forme fragmentaire. La plupart ne sont d’ailleurs que des copies. A partir de ces créations secondaires, comme la frise du Parthénon, il est cependant possible de tirer des conclusions sur les œuvres d’art égarées et d’apprendre à les évaluer. Une telle évaluation n’est en aucun cas diminuée par les rares exemples de ratés apparaissant sur la frise, à l’instar de ce cavalier sans cheval, introduit sur la partie ouest pour combler un vide ou encore, pour les mêmes raisons, de ce maître de cérémonie devant le
Cavaliers, plaque no 34, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
transitions entre les mouvements lents et rapides, ou inversement, sont nombreuses, mais à aucun endroit, on ne peut poser le doigt et dire : « Ici, il y a une rupture. » Malgré sa grande variété, la frise donne l’impression d’un ensemble complet et harmonieux. Pendant près d’un siècle, les gens ont admiré la frise du Parthénon sans prendre en compte les problèmes que l’artiste avait à résoudre. Les solutions sont cependant si parfaites que la frise semble d’autant plus merveilleuse lorsqu’on en prend conscience. On finit par la regarder
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quatrième char de la frise nord qui a dû être surdimensionné. Ces exemples d’échecs relatifs, toujours liés au choix de la meilleure façon de surmonter les contraintes d’espace sont en fait rares, et toujours traités avec une telle fluidité qu’ils passent inaperçus dans l’étude générale de la composition. Les blocs de la frise, parties intégrantes de la structure architecturale du Parthénon, furent probablement réalisés dès l’origine, lorsque l’édifice fut dédié en 438 avant J.-C. Les plans définitifs initiaux de l’érection du Parthénon datent de 454. Compte tenu du temps nécessaire à la taille de la
Cavaliers dans la procession, plaque no 3, frise sud, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
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Plaque dite « des Ergastines », plaque no 7, frise est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 96 cm, l : 207 cm. Musée du Louvre, Paris.
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frise, sa conception date sans doute de l’année précédente. Il ne faut pas oublier que nous étions à peine trente ans après les guerres Médiques !
Les Frontons Le fronton est du Parthénon représentait un important groupe de personnages, mettant en scène, de par leurs actions et leurs attitudes, la naissance de la déesse Athéna. Lorsque les chrétiens transformèrent le temple en église et placèrent le nouvel autel dans l’aile est, ils y construisirent, comme à l’accoutumée, leur abside sphérique. Pour y parvenir, ils supprimèrent toutes les décorations centrales. Ils furent si prudents que certaines tablettes de la frise furent préservées à l’intérieur de l’édifice et ne subirent aucune détérioration. Cela laisse supposer d’une attention équivalente accordée aux figures centrales des frontons. Elles ont toutes disparu, mais peut-être qu’un jour elles referont surface, dans un musée, où elles seront passées inaperçues du fait de leur division et donc de la difficulté de les identifier dans leur unité. On a plus d’une fois tenté d’identifier l’une des statues d’Athéna, comme celle du fronton du Parthénon, mais aucun consensus n’a été trouvé. Ceci est largement dû à l’incertitude du moment « lié à la naissance d’Athéna, » selon Pausanias, choisi par l’artiste pour sa représentation. Si l’on en croit la légende, Athéna jaillit tout en armes de la tête de Zeus. Son père et elle étaient donc sans aucun doute des figures prédominantes du fronton. Mais qui occupait la place centrale ? Zeus apparaît assis sur certaines peintures de vases et sur un relief en marbre, conservé à Madrid, pouvant être inspiré du Parthénon. Si tel était le cas sur le Parthénon, Zeus était représenté sur son trône, juste au centre du chapiteau, le point le plus élevé du fronton. Alors le moment choisi de la représentation pourrait suivre de près la naissance en elle-même, celui où Athéna jaillit de la tête de son père et se dirige vers son flanc. Cependant, un tel arrangement, ajoutant un poids particulier du côté de la déesse, aurait gâché l’équilibre harmonieux des deux moitiés du fronton, car personne ne peut contrebalancer Athéna sur son propre temple, si ce n’est peut-être Zeus lui-même. D’un autre côté, si la naissance avait été réellement représentée, au moment même où Athéna jaillit de la tête de son père, les contraintes d’espace auraient poussé l’artiste à réduire ses proportions ; les dieux, étant de chaque côté des figures centrales, empêchaient le sculpteur de réduire les proportions de Zeus assis sur son trône au profit d’Athéna. Cette déesse, mesurant un huitième de gallon (également représentée sur des décorations peintes de vases) était particulièrement déplacée dans son propre temple, présentant des difficultés de conception quant à la production artistique d’un groupe satisfaisant de deux figures, dont l’une apparaît par un orifice non naturel dans le corps de l’autre. Le professeur Kekulé von Stradonitz29 souligna que l’art chrétien dut régler un problème similaire pour représenter la création d’Eve. MichelAnge et Raphaël trouvèrent les meilleures solutions. Michel-Ange représenta une femme presque achevée, dont les pieds restent cachés dans la côte d’Adam. Une ombre sombre et profonde obscurcit les représentations précédentes de cette plaie béante désagréable. Raphaël, lui au contraire, choisit de représenter l’instant suivant sa création, Eve debout devant Adam, interloqué. Aucun enseignement direct ne peut être tiré des représentations des frontons du Parthénon, au-delà peut-être des solutions trouvées et adoptées
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Génisse menée au sacrifice, plaque no 40, frise sud, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 106 cm. British Museum, Londres.
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Cavaliers, plaque no 42, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 106 cm. British Museum, Londres.
par le génie du sculpteur grec, tout comme Michel-Ange et Raphaël le firent, bien que les problèmes rencontrés par les sculpteurs de l’époque étaient beaucoup plus complexes que ceux des peintres susmentionnés. Si nous pouvions reconstituer aujourd’hui toutes les figures centrales du fronton égaré, nous pourrions découvrir un génie égal à celui-ci, quoique la tentative d’offrir des reconstitutions imaginaires des parties égarées du fronton semble inutile et inintéressante à de nombreux experts. Dans toutes les publications à ce sujet, le caractère simple, direct et convaincant des quelques figures d’angle préservées a complètement disparu. Pour comprendre les dix figures préservées, il n’est heureusement pas nécessaire de connaître précisément l’arrangement central ; il suffit de savoir qu’il s’agit de la représentation d’un moment intimement lié à la naissance d’Athéna. Athéna était la déesse de la légèreté, de la pureté de l’atmosphère dont les Athéniens pensaient tirer leur supériorité intellectuelle. Elle était la déesse de la sagesse, mais aussi de l’intérieur, ainsi que la déesse-mère d’Athènes. Pour son peuple, sa naissance représentait la création du seul type de vie qui valait d’être vécue. Il est
donc peu surprenant que le message de sa naissance ait provoqué une émotion intense chez les Athéniens, similaire à celle des fidèles chrétiens à l’écoute du message de Bethléem. Le sculpteur du fronton est se devait d’y intégrer ces sentiments. Il pouvait s’acquitter de cette tâche de deux façons : soit en représentant les figures, autour de la scène centrale, transportées de joie et d’admiration, soit en suggérant, dans leurs formes et leurs attitudes, les sentiments qu’ils afficheraient en apprenant la nouvelle. Le sculpteur, conscient de l’impossibilité de saisir dans la pierre la force d’une émotion, choisit la seconde option. Cette dernière parvient souvent à une séduction plus puissante au premier abord, mais elle manque d’intensité émotionnelle, laissée à l’imagination. Ainsi, les figures d’angles sont étendues loin du centre, inconscientes de la naissance d’Athéna, un événement d’une soudaineté surprenante, selon la légende. Seul le dieu du soleil, dissimulé à l’extrémité gauche, semble avoir une idée de l’importance du jour. Avec ses quatre chevaux « blancs comme neige », sa tête et ses épaules jaillissent de la mer. Les têtes des chevaux
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jaillissent des vagues, l’eau glissant de leur nuque et des bras musclés de la divinité. Le toit du fronton les surplombe, dissimulant les rayons du soleil. Le soleil brille au sud, laissant la procession arriver devant le Parthénon. Cet angle était le point le plus sombre de toute la composition. Les chevaux étaient exposés à un peu plus de lumière. Dans leur ardeur, ils tiraient en rangs désordonnés et poussaient le cheval à leur côté vers l’extérieur. La tête en arrière, ils captent et reflètent les rayons du soleil bien au-dessus du fronton, ceux de l’aube annonçant Hélios ! Hélios, faisant face à l’action centrale, est la seule figure préservée de cette aile. Les trois figures suivantes (pp. 182-183 et 185) forment un groupe, dont la figure la plus proche est un dieu ou un héros dans une posture remarquablement calme ; il est assis sur un rocher, drapé dans son habit, et semble regarder le soleil se lever. Dans l’absence d’un meilleur nom (la majorité des noms de ces personnages sont hypothétiques), il est souvent appelé « Dionysos ». Dionysos (p. 185) tourne le dos à la scène centrale. Il ignore tout des forces en présence, ne semble pas impliqué et incarne parfaitement la sérénité et l’impassibilité. Les lignes de cette figure convergent toutes vers le centre et n’attirent pas l’œil du spectateur sur ses voisins, ce qui est souvent le cas sur les tablettes de la frise. Les plis du drapé irradient de diversité et retombent sur son siège en révélant une maîtrise parfaite. Ils nous rappellent les plis de la métope représentant la victoire du jeune Lapithe (p. 156) ou ceux de la peau de panthère d’une autre métope (p. 159) ; mais sont de bien meilleure qualité. Même la facture du dos révèle une grande habileté et la qualité de l’apparence frontale originale avant qu’elle ne souffre des intempéries. Les pieds et les mains sont endommagés aux endroits les plus ingrats, car les extrémités des bras et des jambes ne sont pas très agréables à voir. Son visage est tellement détérioré qu’il est méconnaissable ; seuls les puissants contours de sa tête se discernent encore. Il était censé figurer en hauteur, et non être étudié de près ou extrait de son environnement. Il faisait partie intégrante d’une composition et n’était pas un individu passionné en soi. A présent, exposé seul, il suscite généralement peu d’intérêt. Son sculpteur serait le premier à le reconnaître. Tirer des conclusions sur les normes artistiques de l’époque à partir de cette figure serait injuste. En terme de masse, le Dionysos appartient clairement au même groupe que les deux prochaines figures (p. 180), tout comme les « Trois Destinées » représentées sur l’autre aile du fronton, qui sont indissociables (pp. 182-183). Ces deux figures féminines ne forment qu’un seul groupe intimement lié. Cela est non seulement visible par leurs attitudes, mais
aussi par leurs assises et leurs corps qui semblent taillés en un seul bloc. En raison de cette intimité, elles sont généralement appelées Déméter et Perséphone. Elles sont en pleine conversation. La nuque de la plus grande indique qu’elle s’est tournée vers sa compagne. Son attitude démontre son incapacité à garder la tête dans cette posture ; elle vient juste de se tourner et, à cet instant, Athéna est née. La minute d’après, elle regarde vers le centre, direction vers laquelle son corps se tourne, et vers lequel les lignes de son bras levé se dirigent ; elle voit alors Athéna, et se lève – sa jambe gauche entre dans le champ – et sert de messager, sa compagne bondit et Dionysos entend la nouvelle. A partir d’Hélios et de ses chevaux impatients au centre, on peut observer un groupe de personnages manifestant sa joie et sa stupéfaction devant l’événement glorieux de la naissance d’Athéna. La dernière des figures préservées soutient cette idée ; elle représente probablement Iris 30, la messagère des dieux, qui, avec son message de libération accomplie, passe précipitamment devant les figures féminines et se dirigent vers l’humanité en attente. La rapidité de sa progression est mise en évidence par la longueur et la profondeur des écarts qui séparent les plis des lignes de son corps, qui se penche en avant pour aller à la rencontre des vents puissants. Quelque part à proximité, peut-être de l’autre côté, une autre figure (p. 150) probablement chargée du même message, ne court pas, mais vole, à l’instar d’Iris. Elle porte un chiton audessus du genou et ne peut donc pas être Niké, comme on la désigne généralement, car Niké n’était jamais représentée ainsi. Ce fin tissu épouse les jolies formes de son corps et flotte au vent sur les côtés. Les « Trois Destinées » sont probablement les plus jolies et, sans doute, les plus connues du fronton est (pp. 182-183). Elles créent un parfait équilibre avec Dionysos et les deux autres figures assises de l’autre côté. Les deux figures sont taillées en un bloc et juxtaposées, l’une assise et l’autre étendue. Le sculpteur fut animé par le même sentiment de variété dans l’équilibre de ses personnages que celui des compositions de l’artiste précédent qui avait sculpté le relief d’Apollon, des Nymphes, d’Hermès et des Destinées (pp. 94 à 97). L’aisance et la grâce dans l’indifférence de la figure étendue nous laissent sans mots. Qui pourrait, ne serait-ce que pour un moment, l’imaginer étendue sur les genoux de sa sœur pour une autre raison que son désir ? Qui pourrait imaginer, compte tenu des contraintes d’espace et de la forte inclinaison du chapiteau du fronton ici, qu’elle devait être étendue ? La perfection de ces personnages tient au fait qu’elles sont les meilleures expressions possibles de leur conception.
Jeune Homme transportant un plateau d’offrandes sur ses épaules, plaque no 5, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. British Museum, Londres.
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Il est plus dérangeant qu’utile de pointer les solutions trouvées par les artistes pour atteindre cette perfection. Juste en face des « Destinées », le char de la lune glisse sur la mer. La tête bien préservée de l’un des chevaux (pp. 178-179) est souvent désignée comme la création la plus sublime de la sculpture antique animalière. C’est une tête magnifique, mais dont la conception est à peine plus noble que celle du fougueux cheval d’Hélios, juste à côté, accueillant le lever du jour. Ces deux chevaux diffèrent : ici, la joie du commencement et là, le plaisir paisible du chemin parcouru. Ce qui les sépare pourrait bien marquer le
laquelle l’artiste s’était efforcé de les surmonter est constamment rappelée au spectateur, alors qu’au Parthénon, elles sont inexistantes. Il est impossible de penser autrement ces figures sculptées. Indépendamment de la quantité importante ou limitée d’espace les surplombant, elles doivent être ainsi ou ne pas être. En raison de cette maîtrise suprême et de cette volonté de se soumettre à ces restrictions tout en ne les faisant pas apparaître comme telles, l’on est tenté d’attribuer ce fronton au plus grand sculpteur de l’époque : Phidias. Cette attribution ne repose donc pas sur la force d’une évidence externe,
jour de la naissance d’Athéna. Conservant le même esprit que la représentation paisible de la lune, toutes les figures de cette aile sont plus calmes. Cependant, la figure assise a déjà un pied dans le champ, se prépare à se lever et se penche vers l’avant. La nouvelle de l’action centrale ne tardera pas à lui parvenir, elle se lèvera et transmettra le message ; sa compagne l’entendra et, à son tour, conseillera à sa sœur étendue de se réveiller pour apprécier la pleine réalisation de l’événement. En un instant, ces personnages représenteront l’expression joyeuse des sentiments envahissant le fronton : « Athéna est née ! » Ces dix figures parviennent à nous faire oublier les contraintes d’un espace triangulaire qu’elles étaient censées occuper. A Egine, ce type de contraintes apparaît clairement ; sur le fronton ouest d’Olympie, on ne peut les oublier, car l’habileté avec
telle que l’histoire qui lui attribue la responsabilité de tous les édifices, mais sur une évidence interne : une excellence de composition inégalée. Attribuer ce fronton à Phidias n’équivaut pas à le créditer personnellement de la sculpture de toutes ou de la majorité des figures. Cela était impossible. Cela suggère cependant que la supériorité des « Destinées » sur toutes les figures, y compris « Niké », pourrait être due à sa touche. Le fronton ouest est moins bien réussi. Cependant, lui aussi marque une grande avancée sur les réalisations précédentes. Sur les dessins de Carrey31, le fronton était quasiment intact, de sorte que sa composition nous est bien connue aujourd’hui. Les figures furent néanmoins presque totalement détruites. Lorsque Morosini fut forcé de quitter Athènes en 1688, il voulut emmener quelques « souvenirs » avec lui et choisit les figures centrales du
Hommes transportant des hydres, plaque no 6, frise nord, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 100 cm. Musée de l’Acropole, Athènes.
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Cheval de Séléné, fronton est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, l : 83,3 cm. British Museum, Londres.
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Deux Femmes assises et drapées : Déméter et Perséphone, fronton est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre. British Museum, Londres.
fronton ouest. Ses ouvriers se montrèrent imprudents et peu habiles ; les cordes se brisèrent et les figures tombèrent. Elles « furent réduites en poussière », comme le relate le vieux chroniqueur. Ce n’était pas totalement vrai, car des fragments furent retrouvés autour du Parthénon ; ils étaient malgré tout si endommagés que Morosini les laissa sur place. Cependant, ils emportèrent d’autres pièces à Venise. Parmi elles, une tête appartenait probablement au Parthénon, car elle présente la même forme de crâne que Dionysos qui est la seule figure dont la tête a été préservée. Cette tête (p. 202) arriva d’abord dans les mains d’un certain M. Weber avant d’arriver finalement dans celles du comte Laborde. Elle est aujourd’hui à Paris, connue sous le nom de tête Weber ou tête Laborde. La restauration outrageante du nez32 et des lèvres l’a complètement gâchée. Nous ignorons ce qu’il est advenu des autres personnages. Carrey en dessina dix-huit (peut-être vingt) quasiment intacts ; ils ne sont plus que six, aujourd’hui, à présenter des fragments identifiables, tandis qu’il ne reste plus qu’une seule statue quasiment complète, à notre connaissance. Cette statue bien préservée (p. 186), issue de l’angle nord du fronton, que Pausanias désignait comme figure allégorique de la rivière, est aujourd’hui connue sous le nom de « Sisyphe » ou « Ilissos ». La fluidité
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des lignes et le drapé, paraissant en fait humide, correspondent certainement davantage à la conception d’une divinité de la rivière qu’à celle de plusieurs autres figures d’Olympie, que Pausanias avait également expliquées ainsi. La figure située au sud-est, affichant une torsion audacieuse, marquait une avancée importante par rapport au guerrier mourant d’Egine (pp. 122-123), et révélait comparativement le degré de liberté que l’artiste avait atteint dans sa conception. Comparée à celle de la figure appelée « Sisyphe », cette liberté était infime, car elle était encore nouvelle et n’avait jamais été expérimentée. Le sculpteur du Parthénon, familier de chaque torsion et de chaque articulation des différents muscles, avait su démontrer une connaissance du corps humain proche de la perfection. C’est largement dû au moment représenté, qui donne le meilleur de lui-même dans cet instantané ; car la pose de « Sisyphe » demande un exercice musculaire difficile, et ce moment charnière ne devait être représenté qu’à l’occasion d’une scène rapide, comme chez les personnages de Myron, car il donne une impression de permanence lorsque le mouvement est lent. C’est le cas avec « Sisyphe » qui, en raison de son drapé, ne laisse transparaître aucune douleur, au premier abord.
Déméter de Cnide, vers 340-330 av. J.-C. Marbre, h : 153 cm. British Museum, Londres.
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Divinités féminines, fronton est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 130 cm. British Museum, Londres.
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Apparemment, l’artiste voulait donner l’impression d’une courbe fluide et aisée suggérant la fluidité de l’eau. Connaissant l’impossibilité de donner à la silhouette humaine une telle courbe sans faire violence à la nature, il conçut le drapé. Ce dernier n’est pas représenté dans son intégralité, car il disparaît derrière le dos de la divinité et n’est ensuite que vaguement identifiable à son extrémité. On en voit cependant suffisamment pour que l’effet de suggestion fonctionne. La courbe du corps, comparée à celle de la draperie, est légère, et comme c’est beaucoup moins suggéré par le drapé, on oublie le dépassement de ce qu’un corps humain peut exprimer sans perdre sa grâce. C’est ainsi qu’un nouveau principe artistique fut créé et déboucha naturellement sur la mise en avant de la suggestion sur la représentation visuelle. Le pouvoir réel de représentation de la sculpture est inférieur à son pouvoir de suggestion. Un tel mécanisme n’est possible que lorsque la posture de la figure, ou toute autre contrainte, rend impossible une inspection complète de la sculpture, de sorte que l’observateur est obligé de se fier à sa première impression. C’était le cas avec « Sisyphe », car, à plus de cinquante pieds, le visiteur aurait eu du mal à se tordre le cou pour la contempler. L’artiste fit donc probablement appel à cette dangereuse torsion en connaissance de cause, car il savait non seulement que cela lui serait de la plus grande utilité pour véhiculer et suggérer la fluidité de la courbe, mais il comptait également sur la hauteur du fronton pour que cela passe inaperçu. Maintenant que la statue est vue et photographiée de près, un examen minutieux s’impose. Ce fronton représentait la lutte acharnée entre Athéna et Poséidon pour la protection d’Athènes. L’avenir d’Athènes se jouera-t-il sur l’eau ou sur terre ? Tout le monde sait qu’Athènes devait ses grandes victoires à sa flotte et personne ne doutait que ce fut cette même flotte qui accéléra sa chute. Les Athéniens les plus conservateurs se sont toujours opposés à la domination des mers. Et même la grande majorité du peuple, transportée par les brillantes politiques de Themistokles et Alkibiades, étaient apparemment intimement persuadés que les fondations d’Athènes étaient plus en sécurité sur terre. L’empire conquis au-delà des mers fut perdu en un siècle, tandis que les conquêtes terrestres, sous la protection d’Athéna,
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survécurent pendant deux millénaires. La lutte entre ces dieux rivaux allait se dérouler devant l’assemblée de leurs pairs. Ils convinrent que celui qui offrirait aux Athéniens le cadeau le plus précieux remporterait la récompense. Poséidon frappa un rocher de son trident et en fit jaillir une source salée. C’était son cadeau symbolique incarnant la domination sur la mer. Il était si confiant sur le fait que c’était le meilleur cadeau possible, que, sur le fronton, on le voit franchir l’axe central, prêt à assumer son rôle de dieu protecteur. Puis Athéna crée un olivier et Poséidon lui-même se doit de reculer devant la supériorité du cadeau d’Athéna. Ce recul soudain de la divinité, qui avait commencé à se placer au centre du fronton, était le plus bel hommage possible au cadeau d’Athéna. L’importance de l’olivier fut ainsi amenée davantage par la suggestion que par la représentation. Ces deux divinités occupaient le grand espace central du fronton. Les proportions de Poséidon étaient naturellement supérieures à celles d’Athéna et il était donc placé sous le point le plus haut du chapiteau. Le sommet du fronton était plus haut à cet endroit. Les deux divinités sont à côté de leur char. Leurs chevaux33 incarnent la lutte : têtes levées et lancées vers l’arrière. L’artiste a ainsi essayé de combler les grands vides de chaque côté. Le résultat fut cependant un échec. Les chars occupent trop d’espace et mettent les personnages d’angle hors de portée de la puissance de la scène centrale. La relation de ces figures avec le plan général de la composition est ténue, car elles semblent introduites dans le seul but d’occuper les angles. Toute l’histoire se résume aux deux figures centrales ; les autres personnages, au lieu de lui apporter de l’intensité, la privent de sa vivacité. Les sculptures du Parthénon, malgré leur excellence, ne sont pas parfaites. Aucune œuvre d’art ne peut être parfaite, car elle ne suggère aucun concept ayant trouvé une expression complète. La perfection est souvent atteinte dans la médiocrité, mais elle est rare dans les hautes sphères. Les concepts sont si nombreux et si nobles qu’ils défient l’interprétation concrète. La plus grande œuvre d’art est celle qui stimule les sentiments les plus nobles et offre parallèlement à l’intellect la chance de déceler un défaut dans son exécution. Jugées d’après ces critères artistiques, les sculptures du Parthénon sont et seront probablement inégalables à jamais.
Dionysos, fronton est, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 130 cm, l : 200 cm. British Museum, Londres.
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Buste de Sisyphe, fronton ouest, Parthénon, Athènes, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 82 cm. British Museum, Londres.
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Ménade, copie d’un original grec de Scopas créé vers 370-330 av. J.-C. Marbre, h : 45 cm. Staatliche Kunstsammlungen, Dresde.
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andis que Phidias l’Athénien s’efforçait d’exprimer sa vision des dieux et des hommes à leur image, certains de ses contemporains choisissaient une autre voie. Selon eux, un corps est un corps, beau en soi et méritant un examen minutieux. Leur interrogation n’était donc pas « Quel est le concept le plus noble qu’un corps puisse exprimer ? », mais « Quel est le meilleur mode de représentation du corps lui-même ? » Les hommes comme Phidias et ses proches collaborateurs n’avaient probablement aucune idée du meilleur support pour sculpter le corps humain, mais la profondeur de leurs pensées ennoblissait le médium choisi. Dans les mains d’hommes moins talentueux que Phidias, sa technique aurait pu mener à des échecs, si elle n’avait pas été associée à l’influence positive d’une autre école. Le chef de cette école était Polyclète d’Argos, un homme qui n’avait pas son égal en sciences et en savoir-faire, mais qui était impatient de découvrir l’étendue des idées menant l’homme à se surpasser. Selon M. Ruskin, « L’art pur émane du cœur et y associe l’esprit, cependant inférieur au cœur, puis la main, inférieure au cœur et à l’esprit, et révèle ainsi l’humanité. » Tout l’art de Phidias émanait du cœur, c’est-à-dire de l’âme et de la noble personnalité de l’homme. Il séduit principalement les individus qui possèdent une puissance et une sincérité émotionnelles. L’art d’Argive émanait de l’esprit, auquel on ajoutait le savoir-faire de la main comme un second élément de valeur. Pour le Dr Waldstein, dans le dernier essai qu’il lui consacre, Polyclète était le sculpteur grec de la beauté par excellence. C’est probable, mais sa beauté n’était que physique, plaisante à observer lorsqu’elle donnait le meilleur d’elle-même, comme dans les fragments retrouvés de l’Héraion d’Argive (qui lui est attribué), mais jamais elle ne fut synonyme de bonté et de noblesse, valeurs au contact desquelles l’homme donnait le meilleur de lui-même et pouvait atteindre le bonheur. L’une des œuvres les plus célèbres de l’école d’Argive est probablement préservée sous la forme d’une copie romaine en marbre au musée de Naples (p. 193). Elle représente un jeune homme en marche, lance sur l’épaule et abdominaux proéminents. Sur l’original en bronze, l’éclat du métal avait sans doute adouci ce que la surface plus lisse de la copie accentue ici. Polyclète réalisa une étude minutieuse des proportions du corps humain et publia même un traité sur le sujet. Afin d’expliquer sa théorie, connue sous le nom de (règle des) canons, il érigea une statue et nous avons de bonnes raisons de penser que cette œuvre était le Doryphore. Si tel est le cas, l’origine de la statue explique la froideur de son apparence. L’artiste ne désirait pas sculpter une personnalité, mais un corps ; le modèle n’incarne pas le mouvement naturel d’un être humain pensant, mais le désir de l’artiste de représenter le corps humain sous son meilleur jour. Ce n’est pas le premier pas du Doryphore qui est représenté, à l’instar de l’ « Apollon » de Ténée (p. 83), mais l’acte de marcher, le pied droit devant. Le talon gauche ne touche pas le sol et révèle la grande habileté de l’artiste.
Cependant, en terme de conception d’ensemble, cette figure descend indubitablement des premières statues de Couroi, conçues sur un plan frontal autour d’un un axe central vertical. Aucun axe fixe ne se dessine sur le Doryphore. Il fait un pas, et tout le côté droit bouge dans la même direction. La tête suit, puis la jambe gauche ne tardera pas à avancer et le même mouvement se fera à gauche. L’axe central vertical est entre ces deux mouvements. Pensons à la figure au repos et la correspondance avec le type antique apparaît clairement. Le Doryphore est conçu sur un plan frontal et la distribution des deux moitiés du corps est identique. La pose visible est secondaire, dans la plus pure tradition de la grande maîtrise de Polyclète. Il n’est jamais allé au-delà, mais cet aspect est visible dans toutes les statues qui lui sont attribuées de nos jours. Selon les anciens, il réalisait toutes ses figures d’après le même modèle. L’orientation de la tête, suivant le poids du corps, est remarquable. Le Doryphore est un automate dépourvu de pensée, d’esprit ou d’âme. De nombreuses figures modernes découlent de ce modèle : vêtu d’un uniforme, portant une arme au lieu d’une lance, et engagé. Mais un volontaire pense par lui-même et, tandis qu’il marche dans la direction que le capitaine lui a indiquée, il regarde à droite, à gauche. Cette touche du mouvement circulaire de la tête, loin de suivre l’inclinaison du corps vers l’avant, fut introduite, avec grand succès, par un sculpteur américain. Cela n’est jamais arrivé à Polyclète ; son Doryphore ne devait pas être un homme, mais le corps d’un homme. Aujourd’hui, nous portons relativement peu d’intérêt au corps, car nous voulons l’homme et il est donc naturel que le Doryphore ne nous séduise plus. Les défauts de conception de cette statue y sont pour beaucoup, car ils étaient tels que les copistes romains pouvaient les reproduire et ils ne s’en privèrent pas. Quant à la beauté de la statue, elle provenait de la délicatesse de sa finition, de la surface du modelage et de la grâce de sa pose non soutenue, mais tout cela a entièrement disparu, car les dégâts subis par le matériau, entre autres, ont imposé l’ajout d’un tuteur maladroit, empêchant la reproduction du jeu de lumière et d’ombre sur la surface polie de l’original. Selon les anciens, Polyclète savait donner aux silhouettes une splendeur extraordinaire, mais cela semble peu pertinent devant la statue de Naples, et criant de vérité si l’on parcourt du bout des doigts certains fragments d’Argos, à présent conservés au Musée archéologique national d’Athènes. Même si ces fragments sont endommagés et de taille réduite, ils sont d’une importance fondamentale, car, grâce à eux, les points forts de Polyclète ont pu être évalués. Il a conçu des corps lui permettant de démontrer que chaque partie du corps humain pouvait devenir, avec beaucoup de talent, très belle en soi. Il fait appel aux sens, et non au caractère noble des hommes. Peu de choses sont laissées au hasard. L’étude des proportions du corps humain débouche sur une représentation claire et demande une grande précision. Le Doryphore est précis et ses dimensions correspondent à la réalité d’un certain type de personnes. Ce n’est ni le genre le plus
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Diadumène, le jeune athlète, copie d’un original grec en bronze de Polyclète créé vers 430 av. J.-C. Marbre, h :186 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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apprécié aujourd’hui ni celui qui plaisait à la plupart des Grecs. Il est excessivement râblé ; les proportions importantes de la tête, environ un septième de l’ensemble du corps, lui donnent l’air tassé. Des modifications ont donc été rapidement introduites ; pendant environ un siècle, toutes ces modifications reposaient sur les études de Polyclète. Il existe différentes copies romaines et une copie grecque du Diadumène, une statue quasiment identique à celle du Doryphore. La statue de Vaison, dans le sud de la France, conservée aujourd’hui dans un musée britannique, est probablement la reproduction la plus fidèle du bronze d’origine. Elle représente un athlète victorieux enroulant un bandeau autour de sa tête, avec la même démarche que le Doryphore, bien que cette pose soit singulièrement inappropriée dans ce cas de figure. La finition du Diadumène est médiocre, à l’instar de celle de Naples, les abdominaux sont également trop proéminents. Selon les conseils d’Overbeck, l’expérience serait valorisée si l’on recouvrait le moule de Polyclète d’une couche de bronze, afin d’obtenir des muscles proéminents sur une surface semblable à celle de l’original. Tant que ce ne sera pas fait, il sera impossible de savoir si le manque de grâce de la statue est imputable au copiste ou à Polyclète. De telles expériences avaient parfois lieu, mais on n’osa exposer une petite statue ainsi traitée, à Dresde. L’enduit de bronze a complètement modifié l’aspect de l’original. La copie grecque du Diadumène (p. 190) fut découverte à Délos en 1894. Elle illustre les différences entre les sculpteurs grecs et romains. Le copiste romain se comportait comme une machine : il reproduisait l’original aussi fidèlement que sa technique le lui permettait ; il ne laissait aucune place à son engagement personnel. Le Grec s’intéressait davantage à l’apparence de la statue dans ses véritables dimensions. Il savait qu’un muscle d’un demi-pouce dans le marbre ne correspondait pas à la même mesure en bronze, et s’éloignait donc un peu de l’original. Par conséquent, la proéminence des abdominaux est atténuée en raison des proportions plus équilibrées du corps. Cependant, cet équilibre introduit un facteur indésirable dans la composition, puisqu’il transforme l’athlète très entraîné en un jeune homme sensuel, voire lascif. La douceur et l’aspect lisse de la peau du jeune homme s’expliquent sans doute par le penchant de l’époque pour les modulations en douceur au lieu de la brutalité des muscles. Dans les deux cas, le sculpteur de la statue de Délos a laissé place à ses idées et à ses préférences. Le sculpteur grec a privilégié l’apparence sans pour autant rechercher une correspondance parfaite. Il resta fidèle à sa devise, consciente ou inconsciente : « Si une chose m’apparaît d’une certaine façon, c’est donc qu’elle est ainsi. » Un autre élément important, relatif aux copies des statues de Polyclète, mérite d’être mentionné. Ce détail était passé inaperçu, mais il est susceptible de raviver la réflexion sur Polyclète si on y prête attention, même s’il a échappé à l’attention du copiste. Le diamètre du tour de tête du Doryphore est supérieur à celui suggéré par son visage. Le sculpteur romain a certainement essayé de se faciliter la tâche en ne se souciant pas de l’écartement des oreilles par rapport à la position de la tête. Le crâne est donc disproportionné et les oreilles ne se dégagent pas correctement. On ne le remarque qu’à une certaine distance de la statue, position que le spectateur ordinaire ne garde pas très longtemps. Le copiste romain, qui semblait travailler habituellement pour des gens ordinaires, comme le révèle le manque de finesse de la surface de son modelage, a pu prendre des libertés avec certaines parties non exposées des statues. La plus belle tête
Hermès portant l’enfant Dionysos, attribué à Praxitèle, peut-être une copie de la fin du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 215 cm. Musée archéologique, Olympie.
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de bronze du Doryphore, à Herculanum, n’affiche aucun de ces défauts, bien que ses oreilles soient moins typiques de Polyclète que celles de la statue de Naples. Elles ressemblent à des oreilles enflées de boxeur professionnel, chères au mauvais goût de l’époque. La tête d’une Amazone a été découverte en même temps que la tête du Doryphore, semblables à de nombreuses statues existantes. Polyclète a sculpté une Amazone, et nous pensons qu’il a réussi, grâce à elle, à gagner un concours face à plusieurs artistes de renommée, notamment Phidias. De nombreuses tentatives d’attribution des statues existantes aux différents concurrents ont échoué. L’histoire de ce concours ressemble davantage à une légende, car la composition des statues est trop similaire pour permettre une classification par style. Elles ressemblent d’ailleurs toutes
Torse de type « Satyre au repos », copie romaine d’un original de Praxitèle, vers 81-96 ap. J.-C. Marbre, h : 109 cm. Musée du Louvre, Paris.
(pp. 194-195) au Doryphore, ce qui nous laisse croire qu’elles appartiennent toutes au style créé par Polyclète. Aucune preuve tangible ou copie fidèle n’atteste l’existence de l’original de cette Amazone. On attribua différents styles à cette série de statues : le plus important étant le style berlinois (p. 194), en référence à l’une des statues conservées dans un musée berlinois. La restauration de la colonne dorique est issue d’une copie conservée dans la collection Lansdowne, présentant un motif de soutien peu connu avant l’époque de Praxitèle, mais que Polyclète aurait pu anticiper. La force et la grâce des lignes de la figure dégagent une puissance et un charme immédiatement perceptibles, et ne cessent d’attirer l’attention malgré le caractère artificiel du reste de la composition. Cette Amazone est blessée : des gouttes de sang coulent d’une blessure située à
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proximité du sein droit. Lasse après le combat et souffrant de sa blessure, elle se retire pour se reposer. Mais peut-elle trouver le repos sous nos yeux ? Le positionnement de ses jambes, typique de Polyclète, est également inadapté. Bien que blessée sous l’épaule droite, elle repose tout le poids de son corps de ce côté, et lève le bras ; la tension inhabituelle des muscles doit donc considérablement aggraver sa douleur. Elle semble cependant sereine ! Cette contradiction ou indifférence à l’égard de l’état du sujet représenté n’est pas surprenant chez Polyclète ou chez ses successeurs. Seuls le réalisme et la matérialité du corps importaient à leurs yeux ; ils ne se souciaient guère de l’état d’esprit ou des sentiments du modèle. Les copies sculptées de ce genre ne représentent pas toutes une figure blessée, mais c’était en revanche très courant sur les peintures. Les sculpteurs de l’époque ajoutaient rarement une blessure qui ne figurait pas sur l’original. La beauté du drapé, réalisé avec beaucoup de talent, est saisissante. Il prend cependant toute sa signification et son importance dans l’éclat et le contraste qu’il apporte à la nudité. Cette dernière est d’autant plus belle et captivante qu’elle est rehaussée par ce tissu légèrement replié, révélant la nudité des jambes ; l’épaule gauche semble relâchée, alors qu’elle sort à peine d’une lutte acharnée. Le mouvement de ce long drapé n’est pas laissé au hasard. L’artiste ne joue pas à révéler davantage la nudité ; il s’agit d’un détail très étudié et révélateur de l’ensemble de la composition. Par ailleurs, ces habits ont été découverts sur le Théseion et sur les frises du Parthénon, sur les jeunes gens les plus animés. L’habit de l’un des apobates, sur la partie nord de la frise, saisissant un char à vive allure, glisse de son épaule en raison de la brutalité du geste. Les proportions du corps de l’Amazone sont assez traditionnelles et créent un contraste par rapport à la grâce habituelle du corps féminin. La découverte de ces lignes ou leur introduction dans la sculpture est plus tardive. Ces dernières sont devenues des outils essentiels et, dans une certaine mesure, les attraits caractéristiques d’une nouvelle ère artistique. Hormis la partie supérieure du corps et la finesse des jambes, si l’on s’en tenait à sa puissance et à sa musculature, cette Amazone pourrait être prise pour un jeune athlète. Aucun des autres types majeurs d’Amazones, comme le capitolin (p. 195) ou le Mattei (p. 194), ne peut rivaliser avec le genre berlinois en terme de spontanéité et de charme. Le type capitolin tente apparemment de corriger, consciemment, la contradiction entre la pose et la blessure. L’Amazone a déporté le poids de son corps vers la gauche, alors que son bras est moins relevé. Cette posture suggère toujours la supplication, même si la pitié n’est pas un sentiment habituel chez une Amazone, mais nous apprécions trop la figure berlinoise pour rejeter cette idée. Elle comporte une particularité : elle porte un léger voile autour du cou et la longueur de son habit, quelque peu modifiée, présente des lignes moins gracieuses. Il semble s’être dénoué au cours du combat, car elle le tient loin de sa blessure pour éviter toute friction. Elle tourne la tête du côté de la blessure, mais ne la regarde pas vraiment, car si c’était le cas, on ne verrait plus son visage. En sculpture, l’observation directe d’un objet peut être évoquée par un pivotement de la tête dans sa direction, et un pivotement dans la direction opposée peut aider le spectateur à saisir la composition. Le type Mattei révèle d’autres modifications apportées à l’Amazone berlinoise. L’avancée
Doryphore, copie romaine d’un original grec de Polyclète créé vers 440 av. J.-C. Marbre, h : 196 cm. The Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis.
Doryphore, copie romaine d’un original grec de Polyclète, av. 79 av. J.-C. Marbre, h : 200 cm. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
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Amazone blessée, copie d’un original grec de Polyclète créé vers 440-430 av. J.-C. Marbre, h : 204 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. Amazone tendant son arc, dite « Amazone Mattei » , copie d’un original grec de Polyclète créé vers 440-430 av. J.-C. Marbre. Musei Capitolini, Rome.
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Amazone blessée, copie romaine d’un original grec de Polyclète créé vers 440-430 av. J.-C. Marbre, h : 202 cm. Musei Capitolini, Rome. Amazone Mazarin, copie d’un original grec de Polyclète créé vers 440-430 av. J.-C., vers 130 ap. J.-C. Marbre, h : 188 cm. Musée du Louvre, Paris.
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de la jambe droite est conservée, mais ce n’est pas le cas de la blessure ; le drapé est légèrement différent et la position des bras n’a jamais pu être expliquée de manière satisfaisante. Les fragments retrouvés de l’Héraion d’Argos sont souvent mentionnés. Ce temple fut construit peu après 423, selon les plans de Polyclète. Le Dr Waldstein considère Polyclète, plus ou moins directement, comme l’auteur des principaux fragments sculptés et retrouvés sur le site par l’Ecole américaine des études classiques à Athènes. Il insiste fortement sur ce cas, et on peut, sans aucun doute, admettre que ces sculptures sont les meilleures œuvres existantes de l’école d’Argive. Pour faire référence aux remarques des Grecs anciens, certaines têtes soulignent le caractère quasi-surnaturel de la beauté du corps humain. C’est le secret de leur charme : le charme de la perfection physique, d’un beau visage, et non le charme d’un caractère noble révélé dans un corps digne. D’un point de vue purement technique, la comparaison de ces têtes aux plus belles têtes d’Olympie est très révélatrice. Le profil est souvent le seul élément satisfaisant ; le reste semble rigide et inachevé. Polyclète a vécu jusqu’à un âge avancé. Il a laissé derrière lui plusieurs grands élèves qui ont apparemment poursuivi sa méthode de travail pendant un peu plus d’une génération. Ensuite, la portée directe de son école s’est interrompue ; sa méthode avait atteint son objectif. Elle a enseigné aux Grecs une leçon inestimable : la représentation du corps humain. L’enseignement de Polyclète est digne de celui d’une école d’art : il prépare la création de chefs-d’œuvre. En qualité d’artiste, même s’il était Grec de naissance, Polyclète était opposé aux canons grecs. Il commençait par la « tête », mais négligeait le « cœur » ; il prêtait davantage attention à l’essence des choses qu’à leur apparence, et n’allait jamais au cœur des choses. Pourtant, à une époque où les hommes osaient croire que seuls le cœur et la main pouvaient créer des œuvres d’art, on ne peut surestimer son influence. Même si son travail allait à l’encontre des canons grecs, il a ouvert la voie à Praxitèle ainsi qu’aux autres grands artistes du IVe siècle, et leur a permis d’être les meilleurs Grecs qui soient. Polyclète est probablement peu apprécié ; pourtant, malgré les critiques à son égard, on lui pardonne ses imperfections si l’on comprend sa mission : comprendre, c’est pardonner.
L’Ame et le corps individualisés Athènes commençait à peine à se développer et à marquer le monde par sa très noble conception de la vie, lorsque la folie de certains de ses concitoyens l’a enfermée dans une guerre désastreuse. Moins de cinquante ans après que les derniers Perses aient été chassés d’Athènes, la guerre du Péloponnèse éclata et dura presque trente ans. Quand la paix fut rétablie, Athènes avait perdu sa position de ville maîtresse de la Grèce. Elle ne réussit pas à regagner son ascendant politique, mais ni la guerre, ni le joug romain au cours des siècles suivants, ni les Goths, ni les Turcs, ni toute autre puissance ne parvint à limiter son influence sur les esprits les plus raffinés des époques passées et actuelles.
Apollon Sauroctone, copie romaine d’un original grec de Praxitèle du IVe siècle av. J.-C., Ier-IIe siècle ap. J.-C. Marbre, h : 149 cm. Musée du Louvre, Paris.
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La carte de la Grèce fut modifiée : sa supériorité intellectuelle se développa régulièrement. Ainsi, les changements intervenus dans son art ne peuvent s’expliquer, comme c’est souvent le cas, comme le simple résultat de la guerre du Péloponnèse. Son activité artistique ne connut aucune interruption : l’Erechthéion fut érigé et les caryatides remplacèrent les colonnes sur son porche sud (pp. 36-37) ; le temple d’Athéna Niké fut construit et entouré d’une célèbre galerie (pp. 32-33) ; tandis qu’à Olympie, Paionios érigea une Niké (p. 88) qui, bien qu’endommagée, attire encore autant d’admirateurs que toutes les autres statues existantes. En raison de cette continuité dans l’expression artistique, il est clairement impossible de considérer la guerre du Péloponnèse comme responsable des différences entre la sculpture du Ve et du IVe siècle avant J.-C. Au contraire, les différences ont accompagné le développement intellectuel du peuple. L’art grec, à son apogée, fut le parfait objet d’expression des idées générales. Quand celles-ci ont changé, l’art ne pouvait pas rester le même. En ce sens, une autre idée fréquemment avancée est fausse. Phidias a la réputation d’être l’auteur des sculptures les plus achevées ; conscients de cette renommée et désireux de préserver un semblant d’originalité, ses successeurs portèrent leur attention sur l’amélioration des détails que le grand génie Phidias n’avait pas eu le temps de prendre en compte. Une telle idée réduit les artistes du IVe siècle avant J.-C. à une place très limitée, et, a priori, rend impossible une appréciation juste de leur travail. A ce sujet, l’attitude des Grecs à l’égard de l’individu avait progressivement, puis définitivement changé. Au milieu du Ve siècle avant J.-C., l’individu n’existait pas. Il n’était qu’une composante de l’Etat auquel il devait allégeance. L’Etat était le cadre suprême, et chacun devait s’y soumettre. Dans le cas contraire, s’il commençait à relever la tête et à acquérir une notoriété sur la base de ses qualités personnelles, il était considéré comme un membre dangereux de la communauté, et finissait par être banni. L’Etat, le peuple et le monde, dans son ensemble, étaient étudiés ; les émotions individuelles n’étaient pas prises en considération, sauf si elles devenaient collectives. Une telle situation ne pouvait durer éternellement. Périclès pouvait s’y soumettre, mais il était au-dessus de l’homme ordinaire, au même titre que le Zeus de Phidias était au-dessus de la notion ordinaire d’un dieu ; Créon a combattu en son nom, et Alcibiade ne l’a pas supporté. L’individu réclamait des droits qui ne pouvaient être ignorés. En période de grand péril, quand une nation doit se dresser face à un ennemi commun, l’individu se fond dans la communauté ; mais en période de vie ordinaire, la notion d’existence individuelle a fini par mûrir. Ces idées s’installèrent progressivement en Grèce et nous pouvons les suivre jusqu’à Athènes. Nous ignorons dans quel type de maison Périclès vivait, mais nous savons qu’Alcibiade demanda
Apollon Sauroctone, copie hellénistique d’un original grec de Praxitèle du IVe siècle av. J.-C. Marbre. Museo Pio Clementino, Vatican.
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Aphrodite de Cnide, copie d’un original grec de Praxitèle créé vers 350 av. J.-C., IIe siècle ap. J.-C. Marbre, h : 122 cm. Musée du Louvre, Paris.
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à l’un des plus grands peintres de l’époque de décorer sa salle à manger. La réticence avec laquelle cet artiste accepta, car il trouvait indigne de placer son art au service d’un particulier, et l’ardeur avec laquelle Alcibiade insista, révèlent le passage de l’ancien au moderne. Ce changement devait se produire et il aurait abouti même sans la fin préjudiciable de la guerre qui ne laissa aucune place à un Etat digne, qui aurait permis à l’individu de s’identifier fièrement. Si on devait écrire l’histoire de la Grèce et ajouter un titre, on pourrait l’appeler : de « l’Etat » au Ve siècle à « l’individu » au IVe siècle. Le contact rapproché avec l’individu développa celui de l’âme, car il était impossible d’étudier le premier sans prêter attention à ses changements d’humeurs, aux périodes d’agitation et d’accalmie animant régulièrement son âme. Une fois constaté et fortement ressenti, cet aspect devait être exprimé. En Grèce, il trouva aisément son expression dans l’art du IVe siècle avant J.-C. On ne peut pas nier que les plus grandes œuvres du siècle précédent accordaient une place à l’âme, mais ce n’était pas l’âme de l’individu, ni sa manifestation à un moment donné. Il s’agissait de la profondeur imperturbable du caractère, semblable au calme de l’océan dont le poète chantait les louanges : Quand les vents font rage au-dessus de l’océan, Et que les lames sauvages luttent en hurlant, On dit, loin de cette féroce agitation Que ce calme paisible règnera pour toujours.34 C’est cette tranquillité d’esprit, détachée de l’agitation de la vie quotidienne, qui donna une telle splendeur à l’art de Phidias ; les grandes vagues ou les ondulations à la surface radieuse de l’océan expliquèrent la vie et le bel art du IVe siècle. Les artistes de cette époque se souciaient peu du caractère abstrait, mais davantage de sa manifestation dans l’adversité ou les agréments de la vie. La marque distinctive de la sculpture de ces deux siècles est donc entièrement liée à l’attention nouvelle accordée à l’individu. Les chefs-d’œuvre nés de ces nouvelles influences sont associés aux noms de Praxitèle et de Scopas. Maîtres de la technique et du dessin, ils étaient pourtant aussi différents que peuvent l’être deux hommes du même âge. Praxitèle affectionnait les rayons du soleil et les pensées amoureuses ; Scopas admirait la splendeur et la beauté des éléments naturels et de la passion humaine. Son sujet fétiche était la lutte acharnée que se livraient l’âme et le corps. Il accorda une trêve provisoire, mais totale à Praxitèle.
Praxitèle Toutes les œuvres attribuées à Praxitèle sont inondées de la lumière de l’amour et, selon le professeur Klein35, à chaque fois que Praxitèle posait son burin sur la pierre, le petit dieu de l’amour jetait un coup d’œil par-dessus son épaule. Praxitèle représentait mieux que personne les moments paisibles et les plaisirs de la rêverie. Nos musées sont remplis de copies de ses œuvres, dont beaucoup, il est vrai, sont nées de son inspiration, mais furent exécutées par ses disciples. Elles témoignent néanmoins de sa renommée. Une étude minutieuse de certaines de ses œuvres nous en apprendra davantage sur Praxitèle qu’un examen rapide de chacune d’entre elles.
Aphrodite de Cnide, copie d’un original grec créé par Praxitèle vers 350 av. J.-C. Marbre. Museo Pio Clementino, Vatican.
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Tête féminine du type de l’ « Aphrodite de Cnide », dite « Tête Kaufmann » , copie d’un original grec de Praxitèle, vers 150 av. J.-C. Marbre, h : 35 cm. Musée du Louvre, Paris.
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« Le Faune de marbre ». Ce petit satyre a quitté ses amis, il se tient à la lisière de la forêt et s’appuie nonchalamment contre un tronc d’arbre. L’air de flûte qu’il jouait jadis est oublié. Peut-être l’avait-il incité à oublier le présent et à penser à ce pays imaginaire où nous retournons malgré nous ? Ce jeune homme se repose : sa jambe gauche est « détendue » et soulage les muscles de leur tension, tandis qu’une grande partie du poids de la partie supérieure de son corps est appuyée contre le tronc d’arbre. Il semble serein, mais ce n’est cependant qu’un répit provisoire dans son activité. Si le moindre bruit rappelle le satyre à la réalité et le fait sursauter, il s’en ira, comme une daine, sur ses longues jambes agiles et puissantes. Observez la manière dont les rayons du soleil semblent caresser son visage ! Observez comme tous les muscles de la tête aux pieds semblent se détendre. Il ne sourit pas, mais il est prédisposé à sourire. Un instant d’inattention et il risque d’éclater de rire, dans la joie et la bonne humeur, sentiments si communs parmi son peuple : mi-homme, mi-bête insouciante. Ses oreilles le trahissent, en dépit de son joli corps. Pointues comme celles d’un animal, elles tentent de trouver une cachette au milieu de sa chevelure hirsute, mais il ne trompe personne. Elles le trahissent et sont le reflet de sa nature envoûtée. Il ne s’agit pas d’un jeune homme, mais d’un satyre ensorceleur. Ses oreilles en sont le signe, ainsi que la peau de léopard jetée sur ses épaules, les traits de son visage, de son nez ; sa belle allure est cependant si peu grecque que nous sommes surpris de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Pourquoi parler d’un art en pleine évolution ? C’est un chef-d’œuvre, en dépit de la perte de nombreuses touches esthétiques sur la copie. La peau de léopard avait initialement une longue queue qui pendait le long de la jambe ; ses doigts semblaient l’agiter lascivement de haut en bas, un signe de vie et d’activité qui rendait l’immobilité du jeune homme encore plus singulière. De même, la finition extérieure de cette sculpture est loin d’être parfaite, et reste de qualité bien inférieure à celle d’un torse conservé au Louvre. Ce torse (p. 192) est si beau que Brunn36 pensait jadis qu’il s’agissait d’un original. Il avait tort, car la finition est inégale et la queue suspendue du léopard ne figure pas dans la composition. Les copistes d’œuvres en marbre ont bien fait d’omettre ce détail par rapport à l’original. Dans le travail du marbre, la suggestion du mouvement vacillant de la queue, qui devait s’agripper à différents endroits de la jambe, ne pouvait pas être maintenue. Sans ce mouvement, la queue devenait sans intérêt. Elle gâchait même les contours de la jambe. Cela est visible sur une version décevante de cette statue, au Vatican, la seule copie ayant conservé la queue. Si nous voyons derrière ce satyre la création fantaisiste d’un genre étrange, le fameux Apollon Sauroctone (pp. 196-197) représente un jeune homme avec des formes plus naturelles pour un Grec. L’Apollon Sauroctone est connu sous les traits de plusieurs copies, dont l’une est conservée au Vatican (p. 197) et reste plus fidèle à l’original. Malheureusement, elle est si endommagée que plusieurs restaurations sont devenues nécessaires. Le visage date presque entièrement de l’époque moderne, ainsi qu’une grande partie de la jambe droite et que l’avant-bras droit. L’original était en bronze et ne nécessitait aucune attache à la base du tronc d’arbre. Le jeune homme tenait une flèche dans la main droite, il essayait peut-être de tuer le lézard présent sur l’arbre. C’est pourquoi il fut dénommé Sauroctone (Tueur de Lézard), un nom qui lui colle à la peau même, depuis que son caractère inapproprié fut révélé.
Appuyé contre un arbre, une flèche à la main, signe de son activité interrompue, ce jeune homme semble perdu dans ses pensées. Son corps est présent, mais son esprit semble loin. Il est si figé que même le lézard, le plus méfiant de tous les reptiles, le remarque à peine. Par curiosité, il se montre au sommet de l’arbre pour voir si le regard du jeune homme croisera le sien. Cet animal est souvent présent dans l’art grec. Les anciens contaient la légende du beau dormeur Endymion, à qui la déesse de la lune, Artémis, prouva son amour en descendant l’embrasser. Cette légende est le thème d’un grand nombre de sculptures. Endymion est si paisiblement endormi qu’un lézard joue autour de lui en toute confiance, ne se sentant pas menacé par Artémis, qui s’approche aussi silencieusement et mystérieusement que la lune. Tout aussi silencieusement, ce jeune homme, qui porte le nom d’Apollon, est appuyé sur l’arbre. Il ne dort pas, mais se laisse aller à ses rêveries, et son immobilisme serein est contrasté par l’agilité frénétique du lézard. L’Apollon « Sauroctone » est probablement un très bel exemple de l’art de Praxitèle. Cette œuvre se distingue de celle de ses prédécesseurs par sa conception du corps humain. L’axe central vertical a disparu, remplacé par la grâce des courbes. Cette idée ne semble pas être utilisée a posteriori, comme les déviations de l’axe vertical chez Polyclète. Elle incarne la première et l’unique conception de la silhouette. N’étant plus attaché à la notion classique de symétrie bilatérale du corps humain, Praxitèle put représenter différents comportements et différentes dispositions d’esprit. Il affectionnait tout particulièrement une certaine posture : elle apparaît avec de légères variations dans presque toutes les statues qui lui sont attribuées avec certitude. Le poids du corps semble appuyé sur une jambe et tiré de l’autre côté par le bras opposé, appuyé sur un élément extérieur. La courbe finale est gracieuse et confortable. Elle véhicule l’idée d’un repos sans efforts. Elle lie également intimement l’appui à la composition. Le tronc d’arbre dans « Le Faune de marbre » est non seulement une nécessité extérieure, mais fait partie intégrante de la conception, sans laquelle l’idée de l’artiste n’aurait pu être exprimée. Dans le cas de l’Apollon « Sauroctone », le professeur Klein a démontré l’importance de l’arbre pour accompagner les lignes de soutien. Il propose d’imaginer un autre jeune homme se tenant du côté droit de l’arbre semblable à la silhouette conçue par Praxitèle, et d’observer la correspondance parfaite des deux côtés du tronc, axe central vertical de la composition. Certains copistes n’ont pas réussi à reproduire cet élément : ils ont considéré l’arbre comme un appui matériel et ont donc altéré la finesse de la conception en le représentant trop près de la silhouette. C’est le cas des œuvres conservées au Louvre (p. 196), et à Dresde, où le jeune homme est littéralement collé à l’arbre. La finition est de qualité moyenne sur toutes les statues de type de l’Apollon « Sauroctone », mais l’imagination est très suggestive. En effet, nous possédons un original de Praxitèle37 qui nous permet ainsi d’étudier la délicatesse de sa touche personnelle. Son Hermès a été découvert lors de fouilles à Olympie en 1877. Il était jadis dans le temple d’Héra, le plus ancien temple de l’enceinte sacrée. Les murs étaient recouverts de briques séchées au soleil et le sol était argileux. A la destruction d’Olympie, la statue se renversa, tomba sur ce sol d’argile et fut recouverte des poussières provoquées par l’effondrement des murs. Cela explique son excellente conservation. Dans l’Antiquité, cette statue ne figurait pas au palmarès des chefs-
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d’œuvre de Praxitèle ; elle fut même à peine remarquée par Pausanias, qui dit à propos du temple d’Héra : « Ils attribuèrent d’autres objets à ce lieu, notamment un Hermès, taillé dans la pierre, portant le jeune Dionysos, œuvre de Praxitèle. » L’enthousiasme suscité par l’Hermès n’a d’égal que l’admiration qui lui fut vouée dès le début. La portée des mots est trop faible pour traduire cette merveille du monde, car ces derniers ne parviennent pas à décrire la majesté du jeu de lumière et d’ombre sur la surface de l’œuvre. A cet égard, il s’agit d’un chef-d’œuvre qui mérite largement l’éloge qui lui est consacré, mais au niveau technique, l’œuvre ne parvient pas à séduire. Rien
lisière de la forêt pour se reposer. Il recouvrit un tronc d’arbre de sa cape, et malgré la présence de l’enfant dans ses bras, il oublia le moment présent. Il risque de vous emporter au loin, dans ses rêveries, dans des contrées encore inconnues. Plus on l’observe et plus on oublie notre environnement. A l’instar d’Hermès, on oublie le petit dieu qui s’agite sur son bras. Malgré la présence du petit Dionysos, dont les gestes brusques sont susceptibles de sortir son frère aîné de ses rêveries, Hermès apprécie cet abandon total de soi. La grandeur de l’œuvre de Praxitèle tient surtout au regard de ce personnage, sans oublier, bien entendu, tous les autres outils favorisant
Tête d’Iris, dite « Tête Laborde », fragment de figure féminine, fronton ouest, Parthénon, vers 438-432 av. J.-C. Marbre, h : 40 cm. Musée du Louvre, Paris.
n’est plus injuste que de juger l’ensemble de l’art de Praxitèle sur la base de cette statue, même s’il s’agit de l’unique original existant. Il faut rendre justice au silence des anciens, car Hermès ne figurait pas parmi les plus grandes œuvres de Praxitèle. Il fait probablement partie des premières réalisations de l’artiste. La courbe du corps et le tronc d’arbre sont présents, mais la perspective générale de la composition semble légèrement exagérée. Elle se révèle moins aérienne et magistrale que dans l’Apollon « Sauroctone » ou « Le Faune de marbre », qui ne peuvent être attribués de façon certaine à Praxitèle. Elle met en scène Hermès le Rêveur. Venant du ciel, en route vers les nymphes, accompagné de son jeune frère Dionysos, il s’arrêta à la
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l’effet illusoire souhaité. A la vue des yeux d’Hermès, Nolens volens, nous sommes comme envoûtés et retenus dans un étau. Ses yeux exercent un pouvoir d’attraction phénoménal et détournent notre attention des autres détails. La bouche, le nez et les joues sont également dignes d’intérêt, mais n’exercent pas le même attrait : ils révèlent de nombreuses imperfections, contrairement aux yeux. Praxitèle révéla ici la maîtrise suprême de son art : les yeux étaient soulignés et le reste de la composition en dépendait. Les critiques d’art romains passèrent à côté de cette particularité et observèrent les détails sans se soucier de l’impression générale. Ils reconnurent ainsi à Praxitèle la perfection inégalée de ses yeux, mais critiquèrent néanmoins la réalisation de la bouche. Elle semblait en effet
moins réussie, à l’issue d’un examen particulier et distinct, mais elle révélait sa perfection à la prise en compte de l’idée globale de soumission qu’elle venait renforcer. La comparaison de la bouche d’Hermès à celle de l’une des corai de l’Acropole (p. 53) est intéressante. Les Romains ont raison : la bouche est effectivement moins parfaite, mais comparons un instant les visages dans leur ensemble. Hermès révèle une idée clairement définie : le sculpteur n’est pas parvenu à insuffler le souffle de la vie à la Corè de l’Acropole. Le contour de la bouche et des yeux est parfaitement dessiné, mais le sentiment exprimé par la première contrebalance, voire contredit, l’expression des seconds. Praxitèle savait, bien évidemment, à l’instar de ses prédécesseurs, sculpter une jolie bouche. Les imperfections de celle-ci relèvent donc bien plus de l’affirmation de sa volonté que de son inaptitude, mais une connaissance précise de son art est nécessaire à la prise en compte de ces critères. Une tentative de restauration d’Hermès fut entreprise, non d’après l’original, mais d’après le moule. Cette reconstitution, effectuée sous la surveillance du professeur Treu38, est célèbre et généralement reconnue. Hermès y tient une grappe de raisins qu’il cache, en grand frère taquin, au futur dieu du vin et des réjouissances. Ces raisins sont une abomination, car ils sortent Hermès de ses rêveries et font de ce jeune visionnaire, dont nous désirons ardemment partager les doux rêves, un simple mortel narquois. La restauration de Treu mériterait, pour cette raison, d’être condamnée. Cette copie introduit également, dans la composition, la notion de groupe, qui lui était alors étrangère. Dans ce cas précis, l’avis général a raison de refuser d’appeler cette statue d’Olympie « Groupe : Hermès et Dionysos », mais « Hermès de Praxitèle ». Il est évident que telle était l’idée du maître, du fait du traitement attribué à Dionysos, qui est, à tous points de vue, un élément secondaire. Sa forme est conventionnelle ; son drapé est grossier et sa finition n’est visiblement pas remarquable contrairement à celle de la cape d’Hermès. Dionysos ne devait nullement amoindrir l’intérêt que le spectateur portait à Hermès, ni partager son intérêt, même s’il y parvient sans aucun doute, puisque, l’introduction des raisins lui permet de devenir une partie intégrante d’un groupe sans énergie : le Taquiné et le Taquin. La signification exacte du bras droit relevé d’Hermès n’est pas claire, mais il est certain qu’il visait également à renforcer l’idée des rêveries. Parmi les œuvres antiques les plus célèbres de Praxitèle, nous connaissons l’Aphrodite de Cnide. Pline souligne que des gens du monde entier se sont déplacés pour l’admirer ; sa notoriété est si grande que plusieurs autres belles statues de Cnide furent tout simplement ignorées au profit de cette Aphrodite. Les rois voulurent l’acheter, les simples mortels en tombèrent amoureux et maintes poésies furent déclamées en son honneur, sans parvenir à dévoiler son charme déroutant. Aucune des copies existantes n’y est parvenue, même la plus belle d’entre elles, une statue conservée au Vatican (p. 199) qui, au vu des effigies sur les pièces de monnaie et les descriptions antiques, reproduit relativement bien la masse et les contours généraux d’Aphrodite, mais ne procure qu’une vague idée de la finition du nu, qui était la grande force de Praxitèle. Dans un temple à moitié couvert, sur la côte de Cnide, Aphrodite se prépare à prendre un bain. Son regard balaye son milieu naturel, la mer. Le charme du paysage la détourne de son but premier et elle serre le vêtement qu’elle était prête à jeter dans l’urne, posée à sa gauche. Le copiste a complètement failli à sa mission dans la reproduction de ce vêtement. Pour
Tête d’Ariane (?), Acropole, Athènes, seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 38 cm. Musée archéologique national, Athènes.
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lui, il ne s’agissait que d’un support matériel de la statue ; la souplesse du tissu a disparu devant la consistance et le poids de la pierre. Il suffit de comparer ce vêtement à la cape d’Hermès ou au châle d’une figure d’Ephèse (p. 209) pour évaluer le manque de finesse et de précision de la reproduction du Vatican. La figure d’Ephèse se repose sur un tambour de colonne, conservé aujourd’hui au British Museum, et attribué par certains à Scopas. La partie du vêtement, que tient cette figure féminine, est si légère et aérienne que l’homogénéité particulière du marbre semble négligée. Ce bout de tissu apparaît si authentique qu’il suffit à cette femme d’ouvrir la main pour que le châle tombe et traîne à ses pieds. Cette œuvre fut sans doute exécutée par Praxitèle, qui fait preuve ici d’une grande maîtrise et frôle la perfection. Le vêtement d’Aphrodite est soulevé, non en raison de sa corpulence, mais afin de signifier la suspension momentanée de l’action de la déesse distraite. L’inclinaison de la tête de la statue, détachée du corps, fut mal appréciée au cours de la restauration. De ce fait, elle n’est pas considérée comme une belle sculpture. Elle apparaît incontestablement inférieure à une autre tête du même genre, de la collection Kaufmann à Berlin (p. 200). La beauté de cette Aphrodite de Berlin est si somptueuse qu’elle donne une idée parfaite de l’art de Praxitèle, contrairement à la statue du Vatican. Le regard est d’une importance cruciale. Ses yeux expriment une sensibilité songeuse ; les Grecs anciens la définissaient comme de l’indolence ou de la douceur ; le spectateur est immédiatement attiré par ses yeux, au charme envoûtant et puissant. A travers des copies ou des descriptions (environ cinquante d’après certains ouvrages anciens), nous constatons que la majorité des statues de Praxitèle présentent la même sérénité méditative. La tranquillité d’esprit est couplée au repos du corps ; il n’y a aucun combat, aucune détresse, aucun signe d’agitation de l’esprit en relation avec la matière. La sérénité parfaite est l’élément essentiel de l’œuvre de Praxitèle. Il accepte l’ordre existant avec autant d’allégresse que nous, au regard des choses sous un soleil brillant ou avec les yeux de l’amour. Mais le soleil ne brille pas toujours, et le jour venu, nous devrons affronter la dure bataille de l’esprit et de la matière. Lorsque les hommes sont agités par la passion, poussés parfois au paroxysme de leurs émotions, celles-ci s’expriment par la violence de leurs corps, mais finissent par s’affaiblir rapidement. Pourtant, lorsque la volonté commande les membres, et que l’excitation refoulée finit par transparaître dans les yeux, la bouche, la poitrine bombée ou le souffle coupé, alors la tempête est à son apogée et devance de loin le pouvoir d’expression du commun des mortels. De telles scènes ont, semble-t-il, plu au maître errant et révolté de la sculpture, Scopas.
Scopas Sans domicile fixe, travaillant ici et là, il semble avoir pris beaucoup de plaisir à exprimer ce qu’il a dû lui-même éprouver. Nous savons trop peu de choses à son sujet pour en être convaincus, mais des preuves visibles semblent le confirmer. Les copistes furent incapables de reproduire son travail ; ils gardèrent les mêmes contours généraux, mais ne réussirent pas à rendre justice à l’intensité de l’éclat de ses yeux sculptés. Voilà la raison pour laquelle les œuvres de Scopas sont inconnues aujourd’hui. La première représentation précise de son art fut la découverte de
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deux têtes à Tégée, probablement issues de l’une de ses œuvres. Leur mauvais état de conservation et leur taille (elles devaient être placées sur le fronton supérieur de son temple) les rendent inexploitables. D’autres statues lui ont été attribuées, en raison de leur taille, dont la plus importante est un Méléagre. Cette statue est connue grâce à plusieurs copies de qualité variable. Sont célèbres, une tête dans la Villa Médicis, pour sa très grande beauté ; un torse à Berlin, pour la délicatesse de son traitement, et la partie inférieure d’une statue conservée au Vatican, pour son état de conservation quasiment parfait. Toutes ces copies n’égalent pas la beauté du Méléagre découvert en 1895 à San Marinella, près de Rome, et prêté par Mlle Forbes, au Fogg Museum de Harvard (p. 205). Les membres inférieurs et supérieurs ont disparu, et bien que d’importants fragments aient été découverts, aucune restauration n’a été effectuée. Parmi ces fragments, figurait un genou d’une beauté exquise. Méléagre est le héros grec de la chasse. L’un des frontons de Tégée représentait la fin de sa lutte acharnée contre un sanglier de Calydon. Une courte lance de chasse posée à ses côtés et la main droite derrière le dos, le héros semble serein, mais son esprit est en pleine activité. Les lèvres entrouvertes, le regard fixe et attentif soulignent le contraste entre les doux contours de son corps et son esprit agité. Les yeux, par une multitude de procédés, plongent dans les mystérieuses profondeurs de l’ombre. Les traits des sourcils et des muscles voisins sont saillants ; les paupières arrondies atténuent la ligne sombre que le regard fixe doit pénétrer. Le même procédé d’atténuation est utilisé pour la bouche. Surplombant les dents, visibles juste derrière les lèvres, une rainure marque la frontière d’une profonde obscurité. Le travail soigneux du regard et de la bouche confère à Méléagre la dimension d’un être humain pensant. Remplaçons-les par une bouche et des yeux ordinaires, et la statue retombe dans la banalité, à l’instar de la copie du Vatican. En dépit de quelques éraflures et abrasions, le Méléagre de Harvard révèle une finesse de la finition quasiment égale à celle de la statue d’Hermès de Praxitèle. Parcourez ce corps du bout des doigts et vous aurez le sentiment de caresser sa peau, de sentir le sang couler dans ses veines. Le modelage de l’épaule gauche est particulièrement réaliste : le contour de l’omoplate est parfaitement dessiné sous les muscles et la graisse. Cependant, quelques négligences dans la facture de l’œuvre nous laissent douter de la paternité de Scopas ou de tout autre créateur de Méléagre. La joue gauche est parfaite, mais la joue droite est froide, inerte, insensible ; le modelage de l’épaule gauche est extrêmement délicat, alors que l’avant-bras est ordinaire. Une telle faiblesse d’exécution, même partielle, est inadmissible de la part du créateur de ce chef-d’œuvre et semble donc confirmer l’intervention ultérieure d’un sculpteur. Il en est de même pour l’utilisation de supports et accessoires, au nombre de huit et visibles en divers endroits, dont par exemple le foret ciselé, pour le pli de l’aine, séparant les jambes de l’abdomen. La posture du Méléagre de Harvard fut comparée à celle d’Hermès de Praxitèle. La lance, sur laquelle s’appuie Méléagre, semble remplacer le tronc d’arbre d’Hermès. Cela est néanmoins peu probable, car personne ne peut se reposer sur l’extrémité pointue d’une lance, mais c’est bien cette extrémité que nous voyons poindre entre son flanc gauche et son bras. La lance n’est d’ailleurs pas suffisamment longue pour atteindre le niveau de
Méléagre, copie d’un original grec de Scopas créé vers 340 av. J.-C., vers 70-100 ap. J.-C. Marbre, h : 123 cm. Arthur M. Sackler Museum, Harvard.
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Jeune Fille en train de courir, fronton, temple d’Eleusis, Eleusis, vers 490-480 av. J.-C. Marbre, h : 65 cm. Musée archéologique, Eleusis.
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l’aisselle et servir d’appui. La similitude apparente de la posture des deux personnages insiste donc davantage sur leurs différences que sur leurs ressemblances. La silhouette d’Hermès, appuyée contre l’arbre, évoque le repos complet, alors que celle de Méléagre, ne possédant aucun point d’appui, n’est pas reposante du tout. Au contraire, cette posture, difficile à tenir, indique une forte tension nerveuse. Elle vient donc renforcer le sentiment d’agitation de l’esprit, déjà exprimé par les traits du visage. Le pendant digne de Méléagre est la tête d’une figure féminine, découverte en 1876 sur le versant méridional de l’Acropole (p. 203). La belle inclinaison de la tête, l’enthousiasme dégagé par le creux de ses yeux,
Le Groupe de Niobé Un tel mélange de Praxitèle et de Scopas n’est pas surprenant. Cette démarche était même assez courante parmi leurs successeurs. Aucune œuvre ne souligne d’ailleurs mieux ce mélange qu’un groupe étendu, incarnant le désespoir de Niobé. Pline ignorait si ce groupe était l’œuvre de Praxitèle, de Scopas ou d’un autre sculpteur. Un troisième homme, encore inconnu à ce jour, se serait, en grande partie, inspiré des tendances artistiques de ces deux artistes pour réaliser cette œuvre. On ne connaît l’existence de la plupart des personnages de ce groupe que par des copies, de qualité moyenne, conservées à Florence.
Niobé et la plus jeune de ses filles, copie d’un original grec de la fin du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 228 cm. Musée des Offices, Florence.
Aurige, frise, Mausolée d’Halicarnasse, Bodrum, vers 360-350 av. J.-C. Marbre, h : 86 cm. British Museum, Londres.
la légère ouverture de la bouche, la finesse de la finition des joues et du cou, en font une des plus belles têtes existantes malgré son nez endommagé. Elle exprime la résignation sereine d’un esprit passionné devant des conditions extrêmement éprouvantes. Il existe une autre représentation plus magistrale : la Mater Dolorosa antique (p. 181), une figure assise de Cnide. Il s’agirait éventuellement de Déméter, dont la fille, Perséphone, était obligée de s’éloigner d’elle tous les six mois. Le corps de cette Déméter est mal conservé, mais sa tête, taillée dans le meilleur marbre qui soit, a gardé son charme originel. La beauté sereine du visage nous évoque le travail de Praxitèle, tandis que son regard sombre et préoccupé se rapproche de l’art de Scopas.
Cependant, une magnifique tête de Niobé, issue d’une collection privée en Angleterre, et le torse de l’une de ses filles, au Vatican, permettent d’imaginer l’excellence de la composition, malgré la faiblesse de sa reproduction. Les deux divinités, Artémis et Apollon, qui se vengent de Niobé, à la suite de sa domination sur leur mère Léto, n’étaient pas représentées. La trajectoire des flèches semble d’autant plus directe et infaillible que nous ignorons tout de leur provenance. Artémis et Apollon apparaissent souvent sur des sarcophages de l’époque. Leur présence atténue la composition de la colère divine, assouvissant sa vengeance sur les pauvres mortels, et révèle l’intelligence du sculpteur de notre groupe.
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Il a ajouté de nombreuses touches évoquant la profondeur des sentiments humains – comme, par exemple, lorsqu’une des sœurs court se réfugier chez son frère et que ce dernier la dissimule sous le tissu, ignorant que la divinité a déjà tué sa fille et qu’elle est tombée, morte à ses pieds ; ou quand Niobé, tenant sa plus jeune fille sur ses genoux, supplie le ciel : « Epargnez-la ! Tuez-moi, mais ne faites pas de mal à ma fille. » (p. 207). Les dieux se montrent néanmoins implacables : la fuite est impossible. « Où puis-je me cacher pour échapper à la mort ? » semble crier la fille la mieux conservée dans la collection de la galerie Chiaramonti au Vatican. Les larges plis de son vêtement indiquent la rapidité de ses gestes, les courbes de son châle flottant soulignent l’incertitude de sa direction. Elle se dirige ici et là ; cependant, elle sera bientôt frappée par la mort, et tombera aux côtés de ses frères. Niobé elle-même souffre de la punition que son caractère dominateur a engendrée. Ses enfants sont innocents et le destin qui les frappe est insoutenable tant ils ne le méritent pas. La tragédie émouvante de l’agonie humaine n’a peut-être jamais été aussi bien représentée, par la sculpture grecque, que dans ce groupe. La souffrance corporelle et spirituelle de chaque Niobide transparaît et nous rapproche de chaque individu. La datation de ce groupe est incertaine. Certains spécialistes situent sa réalisation au cours de l’époque classique, en raison de son intérêt dramatique, tandis que d’autres la situent au cours de l’époque hellénistique, d’après l’expertise de Pline. Une chose est sûre : ce groupe ne fut pas sculpté avant que l’enseignement de Praxitèle et de Scopas sur l’expression des individus et de leurs états d’esprit ne soit connu.
Le Tombeau du roi Mausole Les noms de ces deux grands sculpteurs furent probablement, une fois de plus, injustement associés au tombeau du roi Mausole de Carie, mort en 351 avant J.-C. A l’instar de plusieurs autres artistes, Praxitèle et Scopas furent, dit-on, convoqués en Asie Mineure par Artémise, la veuve du roi, qui souhaitait ériger en son honneur un tombeau d’une telle splendeur, qu’il devait surpasser les plus beaux tombeaux de Grèce et d’Asie. Elle réussit si bien son plan que, jusqu’à présent, toute structure sépulcrale particulièrement raffinée s’appelle un « mausolée ». Le mausolée d’origine a disparu, seuls des fragments de sa décoration sculptée et architecturale furent préservés. En dépit d’une facture inégale, toutes les sculptures traduisent l’intensité des sentiments et des personnalités des personnages mis en scène. Sur une tablette (pp. 212-213), une Amazone à genoux tend son bras et implore pitié. Le Grec, qui s’apprêtait à la frapper, semble soudain pris de remords. Sa compassion lui coûtera cher, car une autre Amazone s’abat sur lui. Elle ne connaît pas la pitié et le frappe d’un coup féroce pour lui faire payer les supplications de sa sœur. La précision des traits masculins des Amazones laisse transparaître leur cruauté, conformément à leur personnalité « traditionnelle », qui représente ici l’indignation courroucée, éprouvée, en réaction à la faiblesse d’une sœur. Sur une autre tablette, un magnifique personnage mène sauvagement un Grec dans un coin. Il lui est impossible de fuir, il tombe en arrière, se recroqueville, tente désespérément d’éviter les coups à l’aide de son bouclier. Les grandes dimensions des compositions de ces deux tablettes sont remarquables : l’artiste n’a pas tenté d’occuper tout l’espace disponible. Les courbes majestueuses des corps, arrondies aux extrémités,
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sont merveilleusement expressives. Comparées aux œuvres d’art plus anciennes, comme par exemple au Marsyas de Myron (p. 119), le contraste créé par ce Grec sur le point de reculer est saisissant. La valorisation de la force contenue laisse place à l’intensité de la représentation passionnelle. La perfection des personnages, sur cette frise, souligne également une prodigieuse aptitude à traiter la nudité et les drapés (pp. 42-43), tandis que la beauté de certaines Amazones vient étayer le sentiment de cruauté. Dans le même registre d’expression passionnelle, mais sur un objet différent, nous ferons référence aux auriges, taillés sur une autre frise, plus petite, de ce même bâtiment. Le professeur Gardner décrit l’un d’entre eux (p. 207), en évoquant ces lignes de Shelley : D’autres, avec les yeux brûlants, se penchent en avant, et boivent Avec les lèvres empressées, le vent de leur propre vitesse, Comme si la chose qu’ils aimaient s’était échappée, Et maintenant, même maintenant, ils l’ont étreinte. Les statues du roi Mausole furent disposées sur son tombeau39 (p. 211) et celui de son épouse. A chaque centimètre, un roi se dresse devant nous ; il n’était pas Grec, mais n’en était pas moins noble. Un barbare, sans doute, mais distingué. Sa statue se brisa et dut être reconstituée à partir des soixante-trois fragments retrouvés. La statue d’Artémise est encore moins bien conservée ; nous avons perdu son visage, mais elle fut très bien restaurée, en plâtre, par le sculpteur américain Story. Parmi les créations de l’époque hellénistique, qui révèlent les importantes influences de Scopas, particulièrement dans le traitement des visages, nous découvrons le sarcophage d’Alexandre (pp. 216-217) à Istanbul. Outre les impressions de puissance exprimées par les chasseurs enthousiastes et les combattants impitoyables, le sarcophage tient une place unique parmi les monuments de l’Antiquité, car il a conservé l’essentiel de ses couleurs d’origine. La qualité esthétique de ce monument est cependant assez limitée, en raison de la disparition de certaines couleurs et de la brillance d’autres. Néanmoins, en termes de trésor archéologique et de justification de la théorie picturale de la sculpture antique, ce sarcophage n’a pas son égal. Dans les sculptures de Scopas et de Praxitèle, l’individu reprend systématiquement ses droits, et l’expression momentanée de l’esprit donne le ton à la composition. Cette expression n’est pas accidentelle ; bien au contraire, elle est ancrée dans le caractère profond du personnage représenté. Sans cela, la représentation de ce moment charnière aurait peu d’intérêt ; il évoquerait en revanche le caractère éternel et immuable de la figure. En sculpture, ce principe est l’application du pars pro toto. Hermès oublie Dionysos et vogue à ses rêveries. Méléagre a l’opportunité de se reposer, mais n’en fait rien ; Déméter se languit de sa fille et l’Amazone se prépare à venger sa sœur affaiblie. En fait, ce n’est pas parce que, une fois dans leur vie, l’occasion de se laisser éventuellement aller à une telle action s’est présentée, mais parce qu’elles font toujours ce que l’on attend d’elles ou, au mieux, ont tendance à provoquer ce genre de situation. C’est cette relation intime entre l’éternel, le provisoire et la négation, volontaire ou inconsciente, du hasard, qui confère à l’art de Praxitèle et de Scopas toute sa singularité et son exceptionnalité. Quoi de plus élémentaire que le motif du petit « Faune de marbre » ? Quoi de plus révélateur de l’esprit du Maître que la relation entre l’état d’esprit du satyre et sa personnalité lunatique ?
Thanatos, Alceste, Hermès et Perséphone, base de colonne, Artémision, Ephèse, vers 350-300 av. J.-C. Marbre, h : 155 cm. British Museum, Londres.
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Le Mausolée d’Halicarnasse, vers 360-350 av. J.-C. Reconstitution par Kristian Jeppesen. Musée du Mausolée, Bodrum.
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Artémis, Mausolée d’Halicarnasse, Bodrum, vers 360-350 av. J.-C. Marbre, h : 267 cm. British Museum, Londres. Statue de Mausole, Mausolée d’Halicarnasse, Bodrum, vers 360-350 av. J.-C. Marbre, h : 300 cm. British Museum, Londres.
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Scène d’amazonomachie, plaque no°1022, par Thimothéos, Mausolée d’Halicarnasse, Bodrum, vers 350 av. J.-C. Marbre, h : 90 cm. British Museum, Londres.
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Il ne reste aucune trace de la théorie artistique de Praxitèle et de Scopas. On aime à penser que l’intelligence des choix de ces deux hommes fut davantage instinctive que rationnelle, et ce en dépit des enseignements de leurs œuvres. Leur célèbre successeur, Lysippe, évoqua plusieurs de ces principes semblant appartenir à une codification précise.
Attirance et maîtrise parfaite de la pratique des grands hommes Les grands hommes sont attirés par les travaux et les citations de leurs amis et disciples et, après quelques siècles, il est impossible de distinguer ce qui leur est propre de l’héritage traditionnel. Ce genre de situation est un facteur de désorientation pour le biographe. Le critique d’art peut se montrer plus complaisant à cet égard, car il se soucie moins de l’individu que de l’idée exprimée et de son époque d’origine. Cela peut
l’instar de mes prédécesseurs. » Pline, qui a retrouvé cette phrase, considère que Lysippe s’oppose à tous ses prédécesseurs, mais il est certainement dans l’erreur. Personne n’a jamais sculpté de statues en fonction de « l’apparence des choses » avec autant de délicatesse que les sculpteurs de la frise du Parthénon. Cependant, la dernière partie de la phrase d’un Lysippe ayant appartenu à l’école d’Argos et de Sicyone, révélé par Polyclète, vise sans doute ses prédécesseurs immédiats. Environ un siècle avant Lysippe, on soulignait déjà que le grand tragédien Euripide mettait en scène l’essence réelle de ses personnages, tandis que d’autres mettaient en scène des incarnations absolues. La ressemblance de cette thèse suffit à montrer que les principes de Lysippe n’étaient pas nouveaux, mais qu’il formulait, avec ses propres mots, ce qui était devenu l’esprit dominant des chefs-d’œuvre de toutes les générations. La meilleure preuve visible en étant les monuments existants.
Chasse au lion, sarcophage lycien, nécropole royale, Sidon, première moitié du IVe siècle av. J.-C. Marbre. Musée archéologique, Istanbul.
sembler paradoxal, mais une vérité est rarement formulée, alors qu’elle conserve encore sa force active, et elle ne l’est jamais en début de carrière. Au terme de sa période d’influence, alors que celui-ci est menacé d’extinction, l’homme est capable de faire preuve de discernement au regard du passé et des principes fondamentaux ayant guidé ses prédécesseurs. Il les exprime et préserve ainsi l’image de cette force, en voie de disparition, pour la postérité. La quasi-totalité des citations attribuées à Lysippe doit être explicitée à la lumière de ce qui précède. Elles tirent leur légitimité de ce postulat. « Le principe de mon art », disait Lysippe, « est de représenter l’apparence des choses. » Quel Grec aurait pu s’opposer à cette devise au cours des trois derniers siècles ? A part peut-être Polyclète ? Et à Lysippe d’ajouter, comme s’il lui adressait une attaque, « Et non l’essence des choses, à
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Lysippe était considéré comme un homme doué de constancia et d’elegancia. La recherche d’une traduction et d’une interprétation modernes de ces termes n’a pas abouti. Les chercheurs modernes étaient en quête de nouveaux principes le distinguant de ses prédécesseurs, alors qu’il n’y avait probablement rien à découvrir, excepté une formulation plus claire des principes directeurs d’antan. La difficulté est renforcée par l’incertitude qui règne sur la traduction latine des mots grecs signifiant constantia et elegantia. L’application de l’elegantia à l’extérieur d’une statue, autrement dit à son apparence, est quasi-évidente, et, puisque ces deux termes latins s’opposent, on pourrait croire que la constantia se réfère à ce que la critique littéraire appelle parfois « l’intérieur ». Entendons par « intérieur », la parfaite harmonie entre la pensée et son mode d’expression choisi. En poésie, certains sujets sont plus aptes à être traités
Sarcophage lycien, nécropole royal, Sidon, premier quart du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 296 cm. Musée archéologique, Istanbul.
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Alexandre et les Perses chassant le lion ensemble, sarcophage d’Alexandre, fin du IVe siècle av. J.-C. Marbre, h : 69 cm. Musée archéologique, Istanbul. La Bataille d’Alexandre le Grand et Darius (détail), « Maison du Faune », Pompéi, réplique d’une peinture du IVe siècle av. J.-C. Mosaïque, h : 271 cm, l : 512 cm. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
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par la poésie épique, tandis que d’autres nécessitent une expression lyrique. L’expression de l’extérieur, épique ou lyrique, peut être parfaite et peut exprimer cette elegantia, mais, à moins d’être le moyen naturel de véhiculer une pensée spécifique, elle risque de perdre « l’intérieur », ou constantia, et d’être insuffisante en tant qu’œuvre d’art. C’est le cas en sculpture. Il ne suffit pas d’attribuer à une statue des contours symétriques et une belle finition, autrement dit l’ elegantia ; la statue, dans son ensemble, doit être l’expression naturelle du concept qu’elle est censée véhiculer. L’extérieur et l’intérieur doivent « s’entendre » ou selon le terme employé par les Grecs anciens « se concilier » (constare, constantia). Le passage au latin ainsi expliqué ne semble pas se référer aux nouvelles découvertes attribuées à Lysippe, mais présente clairement les principes caractéristiques du plus bel art grec, en particulier celui de Scopas et de Praxitèle. On comprend volontiers l’importance de ce principe extérieur et intérieur une fois souligné, et sa négligence est sans doute à l’origine de l’échec de plusieurs sculptures grecques et modernes. L’œuvre de Lysippe la plus proche de ce principe est son portrait d’Alexandre le Grand. Il affligea ce dernier d’une nuque très raide. Ses muscles étant plus courts d’un côté que de l’autre, cette inclinaison de la tête s’avérait nécessaire. En fait, ce défaut est apparemment passé quasiment inaperçu au profit de la grande vivacité du souverain, mais la plupart des autres sculpteurs le considérait comme un obstacle insurmontable. Cependant, Lysippe en fit bon usage et le transforma en outil d’expression extrêmement éloquent de la personnalité du souverain. Alexandre était autoritaire, fier de sa position et de ses exploits : Lysippe le représenta donc les yeux tournés vers le ciel, recourant à la poésie grecque pour s’adresser à Zeus en ces termes : Le monde, par Dieu, est mien, O Zeus, Olympe t’appartient. Pour y parvenir, Lysippe reproduit, sur un buste ordinaire, le regard naturel d’Alexandre, tourné au loin et exprimant le sentimentalisme particulièrement doux qui le caractérise. Alexandre fut si agréablement surpris par le travail de Lysippe qu’il le nomma sculpteur officiel de la cour et refusa à quiconque le droit de sculpter son image par ailleurs. Tous les bustes d’Alexandre sont malheureusement ordinaires. On y voit certes la tête inclinée et la chevelure hirsute du roi, mais ce regard expressif a disparu. Nous ignorons si le travail de Lysippe est à la source de ces copies, car, malgré l’interdiction d’Alexandre, d’autres portraits, réalisés par d’autres sculpteurs, existent et sont mentionnés. Parmi les statues complètes d’Alexandre, seules trois sont particulièrement célèbres aujourd’hui : une au Louvre, une à Munich et une à Constantinople, autrefois appelée Apollon. Ce sont toutes des copies de qualité moyenne (deux d’entre elles subirent de nombreuses restaurations) et elles n’ont conservé que les lignes générales de l’original. La statue de Munich le représente, la jambe droite posée sur une pierre, du point de vue du restaurateur, ou sur un casque, fixant ses cnémides, selon Lange40, qui y voit ici une allusion à Lysippe. Cette posture était très courante dans les représentations des statues grecques, à l’instar de Poséidon, que Lysippe choisit de représenter de façon quasiment caractéristique. Le pied posé sur une pierre, le dieu se redresse pour frapper la terre de son trident. Même cette pose n’est pas nouvelle chez Lysippe ;
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Apoxyomène, copie d’un original grec en bronze de Lysippe créé vers 330 av. J.-C. Marbre, h : 205 cm. Museo Pio Clementino, Vatican.
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Ephèbe d’Agde, seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. Bronze, h : 133 cm. Musée de l’Ephèbe, Le Cap d’Agde.
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elle est l’adaptation volontaire d’un motif qui apparaît à plusieurs reprises sur la frise du Parthénon, au sein de ces groupes où les marchepieds jouent le rôle des étriers. De prime abord, Lysippe nous apparaît comme l’incroyable interprète des exploits d’antan ; il a cependant apporté une contribution singulière à l’art. Non pas en digne successeur de Scopas et de Praxitèle, mais en tant que chef de l’école d’Argos. La conception des proportions de Polyclète avait perduré et s’était renforcée en dépit des évolutions que de nombreux sculpteurs intermédiaires avaient vainement tenté d’introduire. Leur échec fut probablement dû à leur refus d’abandonner cette conception générale des proportions de Polyclète. Il semble qu’Euphranor ait adopté la conception de l’école d’Argos, au moins pour la tête et les articulations, afin d’alléger le poids du corps humain. Le résultat fut cependant inapproprié, car la tête et les articulations de ses statues étaient disproportionnées. Lysippe fut apparemment le premier à réaliser ces graves erreurs issues du canon de Polyclète, reproduisant méthodiquement toutes les mesures offertes par la nature, sans penser que la nature elle-même n’y parvenait pas toujours. Un système de proportions satisfaisant n’est fondé sur la nature que s’il utilise les dimensions moyennes des meilleurs spécimens et qu’il rejette la majorité des individus, dont la beauté est inférieure à la moyenne. Le résultat du projet de Lysippe créait donc un nouveau canon. Comparé à l’ancien, il révélait un torse svelte, des membres inférieurs et supérieurs plus longs, ainsi qu’une tête mieux proportionnée, ne représentant environ qu’un huitième de la taille totale du corps. Une statue fondée sur ces proportions donne de la hauteur et de la noblesse, à l’instar de celle conservée au musée du Vatican (p. 220) : un athlète se frictionnant (Apoxyomène). Nous sommes sûrs que Lysippe est bien l’auteur de cette statue, mais l’Apoxyomène du Vatican est une copie. Les doigts de la main droite, la coquille, les orteils et d’autres parties mineures subirent des restaurations, et les supports des membres inférieurs et supérieurs semblent être des ajouts du sculpteur ayant transformé le bronze d’origine en marbre. De taille équivalente à celle du Doryphore, l’Apoxyomène donne néanmoins l’impression d’un homme beaucoup plus grand. Sa tête ne suit plus nonchalamment la direction de la jambe, point d’appui du corps humain. L’ensemble de la pose semble éloigné de celle des dessins des premiers artistes, reproduisant encore les statues de Polyclète. La façon dont le Doryphore regagne aisément sa place primitive est remarquable, et crée un contraste saisissant par rapport aux diverses courbes et torsions du corps et des membres, nécessaires avant de pouvoir imaginer l’Apoxyomène debout, aussi droit que l’ « Apollon » de Ténée.
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La jambe droite est non seulement reculée, mais elle est aussi oblique, et nécessite donc un nouvel arrangement des muscles, d’apparence aussi gracieuse que simple. Le contour de cette figure obligea l’artiste à maîtriser la conception d’un corps en trois dimensions, se déplaçant dans un espace illimité. L’idée de la jambe droite, semblant sur le point de pivoter autour de la gauche, est fantastique. De même, si l’on avait pu admirer la statue dans son ensemble, posée sur une base pivotante, la satisfaction que son admiration nous aurait procurée, révélerait l’immense maîtrise de l’artiste dans l’art sculptural. L’Apoxyomène est donc, si tant est que le terme soit correct, la première statue en ronde bosse. C’est l’aboutissement des efforts déployés dans le domaine technique, entamés avec les premières statues de Couros. L’artiste ayant sculpté cette figure est parvenu à la maîtrise parfaite de son art ; rien n’a été laissé au hasard. Tous les Grecs anciens ont bien saisi cette réalité et elle est universellement reconnue aujourd’hui. Après Lysippe, la question de savoir ce que le sculpteur peut représenter n’existe plus. En réalité, la véritable question est : Que souhaite-il représenter ? Jouir de talents exceptionnels est un don dangereux ; celui-ci aboutit souvent à des créations irréfléchies et ne peut être considéré comme un don précieux que si la personne ressent et réfléchit avant de créer. En cas de doute, seules ces personnes sont en mesure de supporter les difficultés de la création, ressentant un besoin urgent d’exprimer une pensée bien conçue. En cas de facilité d’exécution, une précipitation ou une absence d’idées apparaît indubitablement. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas, car l’histoire nous a souvent montré que les compétences techniques et la profondeur de la personnalité pouvaient fréquemment changer de main. A la mort d’Alexandre le Grand, la rapide disparition des idées nationalistes et religieuses en Grèce ne permit pas d’engendrer un Michel-Ange, même si plusieurs des créations grecques de cette époque sont comparables aux travaux du grand Florentin. Lysippe et ses proches disciples peuvent être considérés comme ayant atteint le sommet de l’art, que les auteurs des Couroi avaient commencé à gravir. Mais croire que seul le déclin était possible après Lysippe, était une grave erreur. L’art continua de se développer à son apogée, puis connut une longue saison automnale. Parfois, un sculpteur approchait dangereusement du précipice ou y sombrait, mais de tels exemples étaient rares. On avait atteint une telle perfection grâce à un travail ardu qu’elle ne pouvait être abandonnée aussi vite. Lysippe a peut-être marqué la fin de la perfection de l’art inconscient, mais la fin de l’art n’était pas encore à l’ordre du jour, et ce pour de nombreux siècles.
Hermès rattachant sa sandale, copie romaine d’un original grec de Lysippe du IVe siècle av. J.-C., Ier-IIe siècle ap. J.-C. Marbre, h : 161 cm. Musée du Louvre, Paris.
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près le travail et l’attente, arrive la saison des plaisirs. Le repos pour un homme sain n’est pas un signe d’inactivité. Même les sots ne trouvent pas un grand plaisir dans l’inactivité, disait M. Bigelow. Les artistes grecs ne se satisfaisaient pas non plus des gloires de leurs prédécesseurs. Contrairement aux exagérations et aux déclarations erronées de Pline, qui prétendait qu’autour de 300 avant J.-C., l’art avait cessé d’évoluer, les sculpteurs grecs continuèrent de produire en quantités considérables. Les œuvres étaient si bonnes, si riches et si nombreuses que nous sommes incapables de rassembler les meilleures et de les attribuer à quelques noms célèbres. Jadis, il était également impossible de distinguer clairement les particularités des créations individuelles ou collectives, car chaque école s’inspirait des chefs-d’œuvre de leurs prédécesseurs. Un penchant pour une œuvre de Praxitèle pouvait être contrebalancé par une préférence pour une autre œuvre de Phidias ; d’autres pouvaient également imiter ou adapter les œuvres des vieux maîtres antiques. Il est par conséquent impossible aujourd’hui de dater avec précision une statue du IIIe, du IIe ou même du Ier siècle avant J.-C. Les sculpteurs de ces époques partageaient le même horizon intellectuel et le mettaient en application dans leur art ; rien ne les empêchait donc de maîtriser les mêmes talents. Toutes les œuvres relatives à l’automne de la sculpture grecque forment donc le même sujet d’étude. Il est vrai que certaines peuvent être datées avec plus ou moins de précision à l’aide d’épigrammes, de références littéraires et de déductions historiques, mais cela ne fait que renforcer la précédente conclusion. Impossibles à différencier avec précision, les œuvres de cette longue période se distinguent facilement de celles des siècles précédents. Les statues rendues célèbres grâce à la virtuosité d’un maître, indépendamment de la « passion », ou de la « raison », qui les animent, sont inconcevables à l’époque de Phidias et de Praxitèle. Même les chefs-d’œuvre de l’époque possédaient de nouvelles particularités qui firent leur célébrité et justifièrent leur qualification. Ces aspects contredisent donc la thèse du déclin de la sculpture grecque. Il existe une saison de l’année où la richesse des fruits mûrs impose le respect et l’admiration, où la variété des feuillages en constante évolution, nous rappelle les plaisirs de la fraîche verdure et de l’éclosion des bourgeons. Cette saison particulièrement heureuse nous emplit de joie et nous procure une certaine sérénité après de longs mois d’attente et d’observation. Les premières floraisons printanières laissent ensuite place aux pommes rouges et la conviction laisse place à la foi :
celle des pouvoirs croissants de la nature. La terre n’est jamais aussi belle que pendant les journées claires et tonifiantes de l’automne. Ces dernières ne sont ni porteuses de promesses d’avenir, ni chargées en souvenirs passés. Notre comparaison des chefs-d’œuvre de l’époque repose sur ces journées, car elles expriment une plénitude et une autonomie niant toute préparation et ne contenant aucune allusion à l’avenir. Elles se définissent par un sentiment de confiance, qui, contrairement à la foi, ne peut déplacer des montagnes. Elles incarnent véritablement l’automne de la sculpture grecque.
La Vénus de Milo L’une des statues les plus admirées de cette époque est l’Aphrodite de Mélos, plus connue sous le nom de Vénus de Milo (p. 224). Découverte en 1820 dans une caverne, sur l’île de Mélos, elle fut transportée à Paris et offerte au roi de France. Cette déesse de l’amour est aujourd’hui au Louvre, où elle reçoit les hommages d’une foule de visiteurs. Elle attire également l’attention, essentiellement des universitaires, autour d’une querelle : qui en est l’auteur et à quelle date ? Quel est le type de restauration le mieux adapté ? Qui est-elle ? Voici quelques-unes des questions fréquemment posées41. Les inscriptions mentionnant le nom d’un sculpteur et les fragments prétendument découverts dans la même caverne sont acceptés comme authentiques par certains, mais considérés comme douteux par d’autres. Untel fut frappé par « ses proportions et sa pose à la Lysippe », un autre par son « drapé à la Phidias » ou encore par son expression particulière. L’admiration est unanime et la datation semble la situer au cours de la meilleure époque. Or, si l’automne de la sculpture grecque était une ère de déclin, on ne lui attribuerait pas la Vénus. Certains tentèrent de prouver qu’elle « datait du IVe siècle », mais ils échouèrent. La grandeur singulière de ce personnage n’a pas d’égal. « Pourquoi ne daterait-elle pas du Ve siècle ! », clamaient-ils. Mais la pose, la finition, les dimensions, l’expression contredisaient cette théorie, même s’ils soulignaient en outre, une vague ressemblance entre les plis de son drapé et certaines statues du Parthénon. Les plis revêtaient, certes, une certaine similarité, mais les habits étaient totalement différents. La moindre familiarité avec les costumes grecs révèle que l’habit de la Vénus est beaucoup trop court pour servir de vêtement. Il est donc retiré pour des raisons esthétiques, et, à cet égard, se distingue des drapés des statues du Parthénon ; cela entre en totale contradiction,
Aphrodite de Mélos, dite « Vénus de Milo », vers 100 av. J.-C. Marbre, h : 202 cm. Musée du Louvre, Paris.
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probablement inconsciente, avec la Vénus d’Arles (p. 228), qui est attribuée au « cycle » de Praxitèle. Ainsi, au lieu de faire remonter l’origine de cette statue au Ve siècle, l’étude de ses plis renforce l’idée d’une date ultérieure, lorsque les hommes jouissaient d’une totale liberté d’adaptation et de combinaison harmonieuse de la pose de Lysippe, du charme de Praxitèle et d’un soupçon technique du Parthénon. L’unique période possible était donc l’automne de l’art grec. La complétude caractéristique de la Vénus nous mène du souvenir des plaisirs passés à l’augmentation croissante des pouvoirs de la nature. La restauration récente de cette figure fut aussi déroutante que son attribution à une époque définie. La face de la statue est la partie la plus connue. Elle révèle la beauté du flanc droit d’Aphrodite, mais également la maladresse d’une silhouette trop droite et d’une hanche gauche peu réaliste. C’est pourquoi on crut longtemps que la Vénus était initialement associée à une autre statue, dont les contours extérieurs correspondaient à la beauté de son flanc droit. Plusieurs figures furent suggérées, mais aucune ne correspondait. L’une des objections sans appel était qu’Aphrodite ne faisait pas partie d’un groupe, car elle se suffisait à elle-même. Au regard de cette hypothèse, certains chercheurs suggérèrent l’existence d’une colonne, d’un arbre ou de tout autre objet pouvant figurer à sa gauche afin de compléter la composition. Il est difficile de penser à un objet, dont la forme ne serait pas proéminente. Et pourtant, quelque chose devait effectivement figurer à ses côtés, afin de servir de support à ses bras. Les deux bras sont brisés, mais on ne distingue aucun point d’attache, ni de support sur la figure originale. Il apparaît donc clairement qu’ils devaient reposer sur un élément extérieur, car ses bras en marbre étaient trop lourds pour se maintenir sans support. La place du bras gauche est très problématique, car comme l’a prouvé M. Robinson, le bras droit formait un angle parfait avec le corps, main tendue vers le bas, car les biceps ne pressent suffisamment sur la poitrine, pour faire ressortir ce petit muscle au-dessus du sein droit, que dans cette position. L’étude des bras a effectivement permis de souligner la nécessité d’un support extérieur, bien plus que les conditions esthétiques du tracé. Pourtant une autre solution infiniment plus simple s’offre à nous. Elle est fondée sur l’appréciation de la technique particulière de la figure, qui n’est certes pas entièrement en ronde bosse, mais qui est parfaite, sur la base d’une ligne qui relie le talon droit à la cheville gauche. La perspective de la figure est d’une beauté incomparable de ce côté. La maladresse de la rigidité de la partie gauche disparaît, la proéminence de la hanche droite s’estompe, les seins apparaissent à leur meilleur avantage et le profil noble du visage est parfait, tandis que l’arrangement des cheveux et de la boucle délicate derrière la tête sont visibles pour la première fois. Imaginons que l’artiste, afin de masquer d’autres angles moins satisfaisants, n’ait volontairement placé sa figure dans une niche ou près d’un mur ! La disposition des bras cesse alors d’être une difficulté puisque l’arrière-plan offre plus de points d’attache invisibles.
Cette résolution du problème, a priori désespéré, de la restauration est si simple qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé auparavant. Cette solution n’a jamais été mise en exergue auparavant, bien que ce soit l’unique moyen d’apprécier la statue dans toute sa splendeur, sans réfléchir à des ajouts extérieurs venant renforcer les contours. Le type Aphrodite de Mélos fut imité par plusieurs personnages. Drapée de son habit et armée d’un bouclier au musée de Brescia, elle représente Niké. Nue, les bras tendus (restaurés) à Naples, elle est connue sous le nom de Vénus de Capoue (p. 229). Elle apparaît également sous le nom de Niké sur l’arc de Trajan. Reinach42 considère qu’il ne s’agit pas d’une Aphrodite, mais d’un Amphitrite ; quant au sculpteur anglais Westmacott, il lui ajouta des ailes, posa les mains sur ses genoux et la dénomma Péri. Dans la mythologie persane, les Péri sont des créatures d’une incroyable beauté et d’une incroyable gentillesse. Nous ignorons ce que le sculpteur d’origine, qui connaissait probablement la légende orientale, comptait en faire. Cependant, personne ne peut nier qu’un Grec, ayant vu cette figure de toute beauté, physique et spirituelle, dénuée des attributs nécessaires à sa finitude, aurait été tenté de l’appeler Aphrodite. Pour ses contemporains, et particulièrement ceux qui connaissent la vie et la pensée grecque, nul autre nom ne semble plus adapté à cette statue si parfaite qu’Aphrodite, le nom de la déesse la plus vénérée et la plus respectée.
La Victoire de Samothrace Partageant la même ferveur populaire qu’Aphrodite, la Victoire de Samothrace est également au Louvre (p. 227). Elle fut dressée à Samothrace par Démétrios Poliorketes, le roi de Macédoine, pour commémorer la bataille de Myonnisos ou la victoire à Sidé contre la flotte d’Antioche III de Syrie, vers 190 avant J.-C. Des pièces de monnaie furent également frappées à l’effigie de Niké, debout sur la proue d’un navire, sonnant la victoire au son d’un buccin qu’elle tient dans la main droite, tandis que, dans la main gauche, elle semble tenir un trophée. Tels étaient également les attributs de la statue en marbre. La proue de marbre fut découverte, exactement là où Niké, la déesse de la victoire, semble avancer. L’espace n’existe pas pour elle. Elle circule avec tant d’aisance, sans déployer ses ailes, tandis que la brise exerce une pression facétieuse sur les plis de sa robe, très près du corps. La tête a disparu, mais nous saisissons tous, à travers ses seins glorieux, son bel abdomen, et sa progression rapide, l’allégresse qu’elle incarne. On apprécierait davantage cette figure si on tentait de commémorer sa rapidité, par exemple, sur la proue d’un paquebot, voguant sur l’océan. A cet instant, les soucis du monde disparaissent et une sérénité absolue nous envahit, à l’écoute des voix s’opposant à l’impossible. C’est alors que l’on touche l’essence de la réelle victoire, autrement dit, la foi en la victoire des idées les plus nobles.
Victoire de Samothrace, vers 190 av. J.-C. Marbre, h : 328 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Aphrodite, dite « Vénus d’Arles », copie romaine d’un original grec de Praxitèle, fin du Ier siècle av. J.-C. Marbre, h : 194 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Telle était l’idée première de l’artiste. Ses efforts furent couronnés de succès, car il parvint à toucher le cœur de chacun. Même si la statue a subi de nombreux dommages, elle est aujourd’hui appréciée, tant par le paysan ou le touriste perdu dans le Louvre que par le chercheur qui tente de l’étudier. Ce dernier reste souvent perplexe devant la brutalité des plis de son drapé, qui agresse parfois le regard après une observation soutenue. De face, les plis donnent envie de se déplacer sur le côté ; ils ne sont cependant toujours pas reposants, car ils insistent sur la rapidité de mouvement de la statue, apparemment passée inaperçue. Il est peu probable que de telles idées appartiennent exclusivement à la sphère de la sculpture, mais si on les accepte ainsi, à l’instar du sculpteur lui-même, on est transporté d’admiration devant le talent de cet artiste antique.
L’Apollon du Belvédère et l’Artémis de Versailles Il en est de même pour l’Apollon du Pavillon du Belvédère au Vatican (p. 231) et pour l’Artémis de Versailles (p. 230), actuellement au Louvre, à Paris. Ce sont de véritables chefs-d’œuvre qui ont reçu, à ce titre, les hommages de foules en admiration depuis l’avènement de leur célébrité, vers le XVIe siècle. Ces œuvres étaient de loin les meilleures de toutes à l’époque, voire même jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’on recommença à s’intéresser à l’art grec, après une longue période d’abandon. Il n’existait alors aucune autre statue capable de les égaler. Les fouilles en Grèce n’avaient pas encore révélé les trésors des périodes précédentes. Il n’est donc pas étonnant que l’admiration, d’abord exprimée par de simples hommages à ces personnages, ait vite dépassé les limites du naturel, et que les individus, espérant trouver dans l’art l’incarnation des grands idéaux que les études grecques avaient commencé à leur inculquer, pensaient y déceler des qualités qui leur manquaient, comme par exemple, la dignité. L’Apollon du Belvédère semble observer, presque méprisant, la trajectoire d’une flèche. Regardons son visage, étudions ses traits et analysons ensuite nos propres émotions. Elles ne sont pas des plus nobles. La conception de l’Apollon n’est pas noble, contrairement à l’exécution, qui est d’une beauté transcendante. Elle s’impose à nous au premier coup d’œil, en entrant dans le Pavillon du Belvédère où il se dresse (bien que le verbe dresser ne soit pas le plus approprié), où il marche, serait plus à propos. C’est d’un pas aisé et silencieux que ce personnage d’une beauté éthérée se meut. La lumière du soleil l’entoure, se réfléchit sur son corps svelte, et plus on le contemple, plus son charme physique nous envoûte. Ses proportions sont inhabituelles : les jambes sont trop longues par rapport au tronc, mais cet effet était probablement recherché, afin d’insister sur le mouvement. On peut comparer l’attention que le sculpteur leur a prêtée ici à l’importance fondamentale que Praxitèle accordait aux yeux de ses personnages.
Aphrodite de Capoue, copie d’un original grec de Scopas ou Lysippe du IVe siècle av. J.-C. Mabre, h : 210 cm. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
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Artémis à la biche, dite « Diane de Versailles », copie d’un original grec de Leocharès créé vers 330 av. J.-C., Ier et IIe siècle ap. J.-C. Marbre, h : 200 cm. Musée du Louvre, Paris. Apollon du Belvédère, copie d’un original créé vers 330 av. J.-C. Marbre, h : 224 cm. Museo Pio Clementino, Rome.
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Groupe Ludovisi, copie romaine d'un original grec édifié sous les rois de Pergame Attale I et Euménès II vers 220 av. J.-C. Marbre, h : 211 cm. Muzeo Nazionale Romano, Rome. Laocoön, copie romaine d'un original grec en bronze réalisé à Pergame vers 150 av. J.-C. Marbre, h : 184 cm. Museo Pio Clementino, Vatican.
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Arrivée en France sous François Ier, l’Artémis de Versailles (p. 230), – souvent désignée par son nom français, La Diane à la biche, en raison de la biche qui figure à ses côtés –, mérite d’être évoquée comme comparse inestimable de l’Apollon du Belvédère. Il est certain qu’elle fut taillée à partir de blocs de marbre grec, tandis que certains soutiennent que l’Apollon du Belvédère fut taillé à partir de blocs de marbre de Carrare. Dans le cas de l’Artémis, c’est moins l’idée ou l’esprit de la composition qui attise la curiosité et les passions, que son corps et son mouvement qui suscitent l’admiration. En tant que déesse de la forêt, elle a ceinturé sa tunique et a découvert ses jambes légèrement arrondies. La brise, chassant le pli de sa tunique sur son genou gauche, dévoile la beauté de sa taille et réussit, presque malicieusement, à révéler avec décence ce que le vêtement voulait dissimuler. Ceci est un détail astucieux et suggestif, d’autant plus qu’il n’est pas conforme à la conception d’un personnage divin. En fait, cette Artémis n’a de la déesse que le nom et n’est en réalité qu’un prétexte pour sculpter le corps d’une jolie femme. Son drapé arbore également plus de plis agréables, peut-être afin de suggérer la brise qui l’évente. Le musée de Copenhague possède un torse d’un type semblable, révélant davantage l’attention et la dignité accordées au vêtement, et suggérant ainsi que l’Artémis de Versailles n’est pas l’original, mais une copie, idée renforcée par la qualité assez médiocre du modelage de la biche et du support étrange.
Le Groupe du Laocoön De nos jours, aucune étude sur la sculpture grecque ne peut se prétendre complète si elle ne traite pas du Laocoön, tant ce groupe est estimé. Lessing43 le prit comme sujet de son essai sur les principes artistiques, intitulé Laocoön, qui regroupe autant de suggestions véridiques que de déductions erronées, reposant sur une mauvaise compréhension de l’esprit de la sculpture grecque qui, selon lui et nombre de ses contemporains, était incarné par ce groupe. Le talent des artistes cités (au nombre de trois), de par sa perfection et son réalisme, fut au service de la douleur. On tombe subitement sur le groupe (p. 233) au détour des galeries du Vatican, et l’on éprouve un sentiment d’horreur en voyant et en ressentant la douleur du Laocoön. Il ne s’agit pas de la statue de la victime, il s’agit de la victime elle-même. Si nous ne faisions pas preuve, pour la plupart d’entre nous, de cette curiosité cruelle innée, nous tournerions volontiers le dos à de telles agonies. Les nombreux procédés par lesquels la douleur est représentée ne requièrent pas de description : la position tendue et l’abdomen compressé, la poitrine se soulevant, la bouche ouverte qui ne produit aucun son, l’angoisse sur le visage, concourent à exprimer une seule chose : la douleur physique. Mais aucun élément ne rachète la justice suggérée. Ceux qui connaissent les traditions antiques se souviennent que Laocoön devait souffrir, non pas parce qu’il était mauvais ou imprudent, mais parce qu’il avait accompli son devoir de devin en mettant en garde les Troyens. En disant la vérité, il avait offensé certains dieux qui, déterminés à détruire sa cité, envoyèrent des serpents pour qu’on l’accuse de trahison. L’idée du groupe est ignoble, car elle véhicule l’injustice divine. A moins de n’avoir tiré aucun enseignement de l’étude de l’art
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grec ancien, on mesure à quel point un tel propos est foncièrement barbare et non grec. Cependant, la désapprobation de ce propos ne signifie pas le rejet du groupe, car il est aussi grandiose dans la réalisation que médiocre dans la conception. Pour l’apprécier à sa juste valeur, on doit saisir les intentions de l’artiste et son époque, qui n’exprimaient pas toujours une pensée noble, mais prônaient les plus grands efforts dans le domaine de l’adresse manuelle. Le bras droit du Laocoön et le fils, à sa droite, sont mal restaurés ; la main du père devrait être positionnée comme le bras du fils, légèrement en arrière, au-dessus de la tête. Avec ces modifications, le groupe gagnerait en unité, et l’attention accordée à Laocoön s’en trouverait accrue. Les fils sont de simples accessoires servant l’unité du groupe et visent, par leur présence innocente, à méditer sur l’injustice divine. Ils intensifient accessoirement l’angoisse du père, qui les voit périr avec lui. Leur petite taille les relègue clairement au statut de membres inférieurs de la composition. Le talent des artistes, en les traitant ainsi, sans mettre directement en évidence l’inexactitude de leur petite échelle, ne s’en trouve ni plus, ni moins magnifié. La tête du Laocoön n’est pas une création individuelle. Si l’on imagine les serpents morts et la fin des souffrances du prêtre, ses traits retrouvent leur calme naturel et dévoilent leur forte ressemblance avec ceux d’une tête colossale, se trouvant au Vatican, et connue sous le nom de Zeus d’Otricoli. C’est là que réside le caractère réaliste du Laocoön : il ne fronce pas les sourcils, le front est redressé et les yeux brillent en révélant la dignité bienveillante de Zeus.
L’Ecole de Pergame Dans un tout autre registre, les géants subissent une défaite, aux mains des dieux, dans la frise gigantesque de Pergame, qui se trouve maintenant à Berlin (pp. 236 à 245). Ils ont toujours les yeux enfoncés et les sourcils noircis. Comme l’indiquent leurs traits, ils appartiennent à une race violente et injuste. On frissonne de douleur à la vue des crampes qu’ils endurent, mais on se détourne d’eux, satisfaits que le droit ait remporté une autre bataille contre l’immoralité. Selon Ruskin, rien ne nous empêche de représenter la laideur, pourvu qu’elle participe à la haine du laid et à l’admiration du beau. Les sculpteurs de Pergame ont participé à cette réalisation. La découverte des reliefs de Pergame, qui ornaient un grand autel, et leur importance dans l’étude de la sculpture grecque est une histoire digne d’intérêt. Ignoré de la littérature antique ou évoqué dans la Révélation de Saint-Jean, comme la demeure de Satan, le grand autel bâti sous Eumenês II (197–159 avant J.-C.) fut complètement oublié. Les reliefs furent néanmoins conservés dans les ruines de la cité, retrouvés par les Turcs et enfin utilisés dans la construction de murs solides. La face arrière lisse des grandes tablettes, de 2,30 mètres de hauteur, constituait un excellent parement et servit à cela pendant des siècles, jusqu’à ce qu’un heureux accident, dans les années 1870, révèle leur identité. Les fouilles, qui furent rapidement entreprises, révélèrent des parties de reliefs si grandes qu’il devint possible de rebâtir l’autel, au moins partiellement. Ce fut chose faite au Pergamonmuseum de Berlin (p. 236).
La datation exacte de ces sculptures les situa à la dernière période de l’art grec, tandis que leur grande qualité fut un argument de poids en faveur de l’excellence continue de la sculpture au cours de cette période. Différentes techniques furent utilisées sur les tablettes, mais les ressemblances, les liens de parenté sont si nombreux qu’on les identifie facilement. Le groupe dont Athéna occupe la position centrale est l’un des meilleurs (p. 239). Elle s’empare du géant et bien qu’elle ne se serve d’aucune arme, il s’effondre devant elle. Son serpent lui inflige une morsure mortelle au cours de sa chute. La déesse poursuit son chemin : la
Capitolin, connue depuis le XVIe siècle, intitulée à tort le « gladiateur mourant » (p. 235). Le personnage représente un Gaulois. Sa tribu attaqua Rome en 390 avant J.-C. et tenta plus tard de piller Delphes. Sur les cols du mont Parnasse, les Gaulois furent probablement surpris et repoussés par une tempête de neige, phénomène assez fréquent dans cette région. Terriblement effrayés, ils répandirent l’histoire selon laquelle Apollon lui-même leur était apparu et avait agité son égide devant eux pour protéger son sanctuaire. On raconte que Léocharès avait érigé une statue en l’honneur d’Apollon, pour
Le Gaulois mourant, copie romaine d’un original grec en bronze édifié sous les rois de Pergame Attale I et Euménès II vers 240 av. J.-C. Marbre, h : 93 cm. Musei Capitolini, Rome.
Terre s’ouvre et l’implore d’épargner le géant, mais Athéna refuse et retrouve son éternelle compagne, Niké, la déesse de la victoire. Le cas d’Athéna, ayant vaincu le géant, nous rappelle une citation d’Eschyle : « l’œuvre des dieux est si naturelle et si aisée ». Il semble cependant que cela ne soit pas le cas sur une autre tablette (pp. 46-47), où Zeus doit employer toutes ses forces pour vaincre ses redoutables adversaires. L’un des personnages les plus agréables de tous est une déesse à cheval (p. 245), une création grecque plus noble que toute autre et dont l’exécution est une pure perfection. C’est à l’école de Pergame, mais probablement à ses débuts, sous Attale Ier (241-197 avant J.-C.), qu’appartient une statue du musée
commémorer cet événement. Les Gaulois quittèrent la Grèce et s’installèrent au nord de l’Asie Mineure, où ils répandirent la terreur jusqu’à ce qu’Attale et ensuite Eumenês de Pergame les forcent à se soumettre : ils devinrent ensuite les colons pacifiques auxquels saint Paul adressa son « Epître aux Galates ». Cette idée d’humilité et de soumission doit toutefois être nourrie par le Gaulois mourant dans la statue capitoline. C’est un Gaulois typique, cheveux courts et hirsutes, doté de cette torsion caractéristique du cou. Il s’est battu et fut blessé au combat. Il doit mourir, mais continue son combat contre la mort. Blessé aux côtes, agonisant et perdant beaucoup de sang, il s’efforce de se lever. Il est néanmoins épuisé, faible et ne parvient pas à
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Le Grand Autel de Zeus, frise de la plate-forme, côté nord, par Euménès II, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre. Pergamonmuseum, Berlin. Plan du Grand Autel de Zeus, Pergame.
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Augé observe la préparation pour l’abandon de son fils Télèphe, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 158 cm. Pergamonmuseum, Berlin. Athéna combattant le fils de Gaïa la déesse de la Terre, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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Hécate et Artémis, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 165 av. J.-C. Marbre, h :228 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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Déesse-lionne combattant un Géant, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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Géant mourant, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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redresser son bras droit, afin de se mettre dans une position pour soulager la douleur de ses fractures osseuses. Il se battra jusqu’au bout et mourra au combat : un vrai Gaulois. Cette statue est vraisemblablement la réplique d’un original en bronze, à présent disparu. D’autres répliques en marbre d’œuvres contemporaines en bronze furent identifiées parmi plusieurs figures de géants, de Perses et d’Amazones. Les originaux furent, semble-t-il, envoyés à Athènes par Attale pour commémorer sa victoire contre les Gaulois. Aux côtés d’un imposant géant, au musée de Naples, gît une Amazone élégante, même dans la mort. Sa fin véhicule la sérénité, tout comme les Grecs le souhaitaient pour eux-mêmes et ceux qu’ils admiraient. Elle ne luttera pas jusqu’à la fin, mais quand l’heure de la mort sonnera, elle se soumettra à la volonté des dieux, mourant dans une beauté égale à celle de son existence. Par sa simplicité, cette Amazone est l’une des créations les plus impressionnantes de la sculpture grecque et appartient pourtant à la dernière période. Rien ne contredit mieux la théorie du déclin de cette période. Seuls quatre ou cinq sculpteurs de l’école de Pergame sont cités dans la littérature, sans tenter de distinguer leurs œuvres. Cela étaye la thèse susmentionnée, à savoir : vers la fin de cette époque, les noms des sculpteurs importaient moins que ceux des pôles artistiques. Outre Pergame, les noms de l’île de Rhodes, de Tralles et d’Alexandrie sont cités à maintes reprises. Le Laocoön, selon Pline, était l’œuvre de trois artistes de Rhodes et le groupe colossal du « Taureau Farnèse », à Naples, celle d’Apollonius et de Tauriscus de Tralles. Ne disposant que d’une ou deux œuvres de ces nombreuses écoles, il nous est impossible de présenter leurs particularités distinctives, car les œuvres connues peuvent être des exceptions au même titre que l’incarnation de certains idéaux. Le cas d’Alexandrie diffère légèrement, car ce fut le plus grand centre de la culture et de l’enseignement de l’époque hellénistique. Elle laissa une marque indélébile dans la littérature de l’époque et donna naissance à la poésie bucolique. Plusieurs statues et reliefs doivent leur origine à des tendances bucoliques similaires et sont donc attribués à l’école d’Alexandrie. Ces sculptures arborent une finition délicate et de riches décorations, cependant trop banales et superficielles pour susciter un intérêt durable. Cette dernière période doit sa réputation injustifiée de « déclin » à ces œuvres, dont la datation est incontestable. Les individus de l’époque avaient, tout comme aujourd’hui, commencé à prendre conscience de leurs droits. Ils partageaient, avec les « plus nobles », les privilèges de l’éducation, mais manquaient de culture, facteur essentiel de progression des générations futures. Ils développaient des goûts plus ordinaires et exigeaient la prolifération de statues et de reliefs : ils faisaient usage de leur richesse pour tenter les artistes. De ces générations futures, incapables d’apprécier la sérénité et la dignité du plus grand art, il ne subsiste que peu de répliques et peu d’originaux des chefs-d’œuvre d’antan. Cependant, le message transmis est si puissant, sa signification si évidente, et son esprit de vérité si noble et édifiant, que, comme le vieil homme cherchant la santé au sanctuaire d’Asclépios, le passionné d’art antique quitte ses études, plus compétent pour accomplir une tâche honorable dans la vie. Vérité, honnêteté, foi, sobriété, patience et assiduité sont les vertus cardinales des hommes bons, tout comme elles sont les valeurs dominantes des chefsd’œuvre de la sculpture grecque.
La Déese Nix lançant violemment une jarre entourée par un serpent, frise de la plate-forme, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin. Séléné, frise sud, Grand Autel de Zeus, Pergame, vers 180 av. J.-C. Marbre, h : 230 cm. Pergamonmuseum, Berlin.
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Carte du monde grec ancien.
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NOTES
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1.
Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) : l’un des fondateurs de l’histoire de l’art moderne. En 1755, il publia Gedanken über die Nachahmung der Griechischen Werke in der Mahlerey und Bilderkunst (Pensées sur l’imitation des œuvres grecques) à Rome, qui le rendit célèbre. Winckelmann y était le bibliothécaire d’Alberico Cardinal Archinto (1698-1758), le secrétaire d’Etat du pape et du cardinal Albani, l’un des grands connaisseurs d’art du XVIIIe siècle. En 1763, Winckelmann devint préfet des antiquités au Vatican (comme le fut jadis Raphaël). En 1764, il publia Geschichte der Kunst des Alterthums (Histoire de l’art ancien), dans lequel il crée la périodisation linéaire de l’histoire de l’art. Le penseur en esthétique Gotthold Ephraim Lessing fit reposer la majorité des idées de son Laokoön (1766) sur les écrits sur l’art grec de Winckelmann.
2.
Sir Robert Ball (1840-1913) : astronome victorien.
3.
Emmanuel Löwy (1857-1938) : archéologue autrichien. Professeur d’archéologie à l’université de Rome (1891-1915) et de Vienne (1918-1938), spécialiste de la peinture grecque de l’Antiquité.
4.
Eden Musée : musée de cire de Manhattan, appartenant initialement à Leonard Sutton.
5.
John Ruskin (1819-1900) : critique d’art, auteur de deux ouvrages de référence sur les artistes et l’architecture. Diplômé de Christ Church, Oxford, en 1842, après un voyage en Italie en 1840, où il s’attela à l’étude de la peinture et de l’architecture vénitiennes. Il rendit hommage, dans son premier grand essai, intitulé Modern Painters (1843-1860), aux tableaux de Turner. Il publia ensuite Seven Lamps of Architecture (1849) et The Stones of Venice (1851). Professeur d’art à Oxford entre 1870 et 1879, puis à nouveau en 1883-1884. Ses derniers écrits sont consacrés à la réforme sociale qui l’occupa au cours de ses dernières années.
6.
Les citations de ce chapitre, empruntées à M. Ruskin, sont issues de son Aratra Pentelici, Six Lectures on Sculpture.
7.
Horatio Greenough (1805-1852) : sculpteur américain néo-classique. Il réalisa une grande statue de George Washington, commandée par le Congrès des Etats-Unis en 1832. Non conforme au goût américain, son style classique provoqua une grande controverse. Cette statue est à présent exposée au National Museum of American History, Smithsonian Institution, Washington, D.C.
8.
Julius Caesar Scaliger (1484-1558) : humaniste, médecin et universitaire italien. Connu pour ses écrits scientifiques et philosophiques, il publia deux textes majeurs : De causis linguae latinae (1540) et Pœtics (1561).
9.
Sir Charles Eastlake (1793-1865) : peintre anglais. Devenu président de la Royal Academy en 1850, il devint directeur de la National Gallery de Londres entre 1855 et 1865.
10.
Cette base, de qualité inégale, est présente sur la frise du Théseion d’Alheim, construit avant le Parthénon. Les sculpteurs du Parthénon étaient donc familiarisés avec ce procédé et l’ont rejeté en connaissance de cause.
11.
Le bronze l’emportait sur le marbre, à quatre ou cinq contre un, sauf pour les sculptures des temples. Aucune figure précise n’est disponible aujourd’hui. La prépondérance, cependant, du bronze sur le marbre ne laisse aucun doute.
12.
Edward Robinson (1858-1931) : directeur de musée. Diplômé de Harvard en 1879, où il donna un cours sur les antiquités classiques entre 1893 et 1894, et à nouveau entre 1897 et 1902. Il fut nommé directeur du Boston Museum of Fine Arts entre 1902 et 1905, et directeur du Metropolitan Museum of Art de New York entre 1910 et 1931. Il occupa son poste de directeur à une époque où la conception des musées était en pleine transformation, et son héritage était composé d’autant de plâtres que d’objets classiques originaux.
13.
Pour en savoir plus, consultez le Century Magazine, 1892, et The Hermes of Praxiteles and the Venus Genetrix, Experiments in restoring the Color of Greek Sculpture by J. F. Smith described and explained by Edward Robinson (Boston, 1892).
14.
Les plus importantes furent réalisées en plâtre dans le musée Albertinum de Dresde, sous la direction du professeur Treu, qui en publia les résultats à différentes époques.
15.
Dans l’essai cité ci-dessus, The Hermes of Praxiteles and the Venus Genetrix.
Notes
16.
Ernest Arthur Gardner (1862-1939) : archéologue et historien de l’art. D’abord étudiant de la British School d’Athènes, sous la direction de Francis C. Penrose en 1886, il en devint ensuite le directeur en 1887. Après les fouilles de Megalopolis dans le Péloponnèse, il démissionna de son poste de directeur et devint professeur d’archéologie de Yates, à l’université de Londres en 1896. Sa première publication en 1897, un manuel sur la sculpture grecque, allait bientôt devenir un standard en histoire de l’art classique. Entre 1897 et 1932, il fut le rédacteur en chef du Journal of Hellenistic Studies.
17.
La statue la mieux conservée de cette catégorie est le bronze d’un jeune homme, qui est à présent au musée d’Athènes, où il fut restauré conformément à l’original.
18.
L’explication actuelle du « sourire archaïque », un effort conscient de rendre les figures plaisantes, est finalement désapprouvée par le fait que le sourire ainsi dénommé, figure rarement sur les reliefs où les têtes sont vues de profil. Si les sculpteurs avaient voulu animer leurs compositions par des visages souriants, ils auraient représenté ce sourire partout et pas quasi-exclusivement sur des personnages en ronde bosse.
19.
L’habitude de restaurer les personnages, le professeur Reinach, le grand archéologue français l’a prouvé, date de l’époque de Michel-Ange, lorsque le pape, fatigué de voir des jambes et des bras cassés autour de lui, demanda à ce sculpteur ce qu’il pouvait faire pour rendre le plaisir de contemplation de ses collections plus satisfaisant. Michel-Ange n’est, bien entendu, pas responsable du manque d’égard et de la cécité de certains restaurateurs dans l’exercice de cette pratique, en fonction des goûts des commanditaires. Si un collectionneur possédait un Apollon mais qu’il lui manquait un Hermès, le prochain torse dont il faisait l’acquisition était restauré comme un Hermès, même si c’était un autre Apollon. Toutes les vieilles collections italiennes regorgent de « restaurations » aussi inexactes. En dehors de l’Italie, seul le musée Albertinum de Dresde, dont la majorité des statues fut achetée en Italie, est riche, ou était riche, jusqu’au début du XXe siècle, de telles incongruités ; car même-là, les inlassables collaborateurs du directeur, le professeur Treu, ont commencé à mettre de l’ordre dans ce chaos, en ôtant des statues toutes ces parties qui étaient clairement des ajouts inexacts.
20.
La tête de la statue de Londres date de l’Antiquité et lui appartient probablement. Elle fut brisée et gravement endommagée au niveau du nez, des lèvres et du menton. La tête du Vatican à été conçue sur son modèle. Ces deux têtes furent rattachées à tort à ces statues. La tête de Londres, particulièrement en ce qui concerne le traitement de la chevelure, ressemble à la tête Lancelotti, qui n’était pas brisée, d’après les dires, lorsque la statue fut retrouvée en 1781 à Rome.
21.
Charles Waldstein (1856-1927) : archéologue anglo-américain. Conférencier en archéologie classique à la Cambridge University en 1880, directeur du Fitzwilliam Museum entre 1883 et 1889. En 1889, il devint directeur de l’American School of Classical Studies d’Athènes jusqu’en 1893. Il y dirigea les fouilles d’Eretria. Il apporta ensuite son concours aux fouilles d’Herculanum.
22.
La figure était de couleur bleue lorsqu’elle fut découverte. Il est impossible de déterminer l’apparence originale du Typhon, car d’autres couleurs ayant à présent disparu, auraient pu être superposées au bleu. Cependant, d’après les comparaisons avec d’autres œuvres appartenant à la même époque artistique, il semble que les couleurs visibles à présent sont, pour l’essentiel, celles que l’artiste voulait que l’on voie.
23.
Le tuf calcaire et le poros, bien que n’étant pas nécessairement le même matériau, sont toutes deux des pierres polies, opposant peu d’obstacles au sculpteur béotien.
24.
Adolf Furtwängler (1853-1907) : professeur d’archéologie classique. En 1878, il participa aux fouilles du site d’Olympie, dirigées par Heinrich Schliemann. En 1894, il devint professeur d’archéologie classique à Munich et ne tarda pas à devenir directeur de la Glyptothek. Son livre, Masterpieces of Greek Sculpture, publié en 1893 et traduit en anglais en 1895, était considéré comme la « Bible des archéologues » par Johannes Sieveking. Furtwängler est considéré comme l’un des historiens de l’art les plus importants de l’époque pré-historique en raison de sa théorie sur les tessons de poterie permettant d’identifier les différentes couches.
25.
Pausanias mentionne Alcamènes et Paionios. De sérieux doutes subsistent cependant quant à l’exactitude de cette affirmation.
26.
Ces traductions sont tirées de Stuart Jones, Select Passages from Ancient Writers.
27.
Ce festival était célébré tous les ans. Cependant, une fois tous les quatre ans, il était célébré en grandes pompes et était appelé « Le grand festival des Panathénées ».
28.
Les éloges de Plutarque sur le Parthénon concernaient non seulement les décorations sculptées de l’édifice, mais aussi les colonnes flûtées, les tuiles du toit et toutes les autres parties du temple. Il vantait les statues isolées ou les groupes, les bas-reliefs et les grands édifices en tant que tels pour leur qualité artistique. Les frises ou les sculptures similaires étaient rarement mentionnées au rang de grandes œuvres d’art.
29.
Reinhard Kekulé von Stradonitz (1839-1911) : directeur de musée. Neveu du chimiste Friedrich August Kekulé von Stradonitz (1829-1896), le Kaiser lui demanda personnellement de devenir directeur de la collection d’antiquités du musée de Berlin. Il y augmenta considérablement la taille de la collection impériale. Il est à présent connu pour être le fondateur de l’iconologie moderne.
Notes
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30.
N.D.E. : la figure que l’auteur identifie comme étant Iris a changé d’attribution et serait aujourd’hui considérée comme étant peut-être Hebe. La figure autrefois identifiée comme Niké est donc aujourd’hui considérée comme étant Iris.
31.
Jacques Carrey (1649-1726) : peintre. Nommé par Charles François Olier, marquis de Nointel (1635-1685), ambassadeur de Louis XIV à Constantinople. Au cours de son voyage à Athènes en 1674, il réalisa quelques dessins du Parthénon, de ses frontons et de ses frises, à présent disparus, qui sont désormais la seule description exacte du temple, avant son bombardement par le général vénitien Francesco Morosini en 1687.
32.
La notion erronée selon laquelle le profil grec ne présentait qu’une ligne droite, ne contenant aucune interruption entre le front et le nez, s’est poursuivie jusqu’à nos jours. A l’exception des œuvres secondaires d’une importance moindre, le profil parfaitement droit est inconnu dans l’art grec. Il fut introduit par les copistes de l’Antiquité, qui avaient remarqué que les anciens s’efforçaient de réduire au minimum cette rupture déplaisante à la naissance du nez. La beauté et la vigueur d’un profil grec finement modelé ne peuvent être reproduites par le vide d’une ligne droite.
33.
Le char de Poséidon n’était probablement pas tiré par des chevaux, mais par un hippocampe – animal mythique, moitié cheval, moitié poisson.
34.
Ce poème est de Mrs. Harriet Beecher Stowe, et fut publié pour la première fois en 1855 dans la Plymouth Collection.
35.
Wilhelm Klein (1850-1924) : archéologue austro-hongrois. Il engagea des fouilles archéologiques en Italie et en Grèce pour le compte du gouvernement autrichien. Spécialiste de la poterie antique, il devint professeur d’archéologie à l’université allemande de Prague. Il publia plusieurs ouvrages parmi lesquels figure Praxitèle en 1897.
36.
Heinrich von Brunn (1822-1894) : historien de l’art, spécialiste de l’art grec ancien. Membre du Deutsche Archäologische Institut (Institut allemand d’archéologie ou “DAI”) à partir de 1843, il publia le premier tome de son étude sur l’art grec en 1853. En 1865, il accepta la chaire d’archéologie de l’université de Munich et devint directeur de la Glyptothek en 1888. En 1893, il commença le second tome de son étude sur l’art grec (inachevé). Alors qu’il n’alla jamais en Grèce, ce fut un pionnier en matière de transition de l’appréciation esthétique à la description scientifique du style artistique.
37.
N.D.E. : cette œuvre que l’auteur présente comme un original grec est aujourd’hui considérée comme étant la copie romaine d’un original grec.
38.
Georg Treu (1843-1921) : archéologue et directeur de musée. Il dirigea les fouilles archéologiques sur le site d’Olympie entre 1878 et 1881. Il devint ensuite directeur du musée de Berlin.
39.
Le fait qu’elle ait été constituée de soixante-cinq éléments permet d’appuyer l’argument de M. Gardner (Handbook, page 386, note 2) selon lequel la statue ne pouvait pas se tenir au sommet du monument, car elle était trop bien préservée.
40.
Julius Lange (1838-1896) : professeur à l’université de Copenhague, écrivit sur la théorie de la « Loi de la frontalité ».
41.
Cette discussion sur la Vénus de Milo repose sur les découvertes présentées pour la première fois à l’occasion d’une conférence devant la Worcester Art Society, Worcester, Mass., au printemps 1903.
42.
Salomon Reinach (1858-1932) : spécialiste des pierres précieuses, il devint membre actif de l’Ecole française d’Athènes en 1894. Directeur du musée des Antiquités nationales à partir de 1902. Membre de l’Institut de France, nommé Professeur de numismatiqueam et directeur propriétaire de la Gazette des Beaux-Arts. Fondateur de l’Ecole du Louvre, il y enseigna entre 1890 et 1892, puis à nouveau entre 1895 et 1918.
43.
Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781) : historien de l’art. Etudiant à l’université de Leipzig de 1746 à 1748 en théologie et en philologie. Il devint ensuite critique littéraire en 1751, dans une revue populaire sur les idées des Lumières. En 1767, il écrivit son Laokoön, considéré comme le premier contreargument à l’œuvre de Winckelmann.
250
Notes
BIBLIOGRAPHIE Ouvrages généraux Gerald Baldwin Brown, The Fine Arts (Londres, 1891) John Ruskin, Aratra Pentelici, Six Lectures on Sculpture ( Londres, 1890) Sir Charles Eastlake, Contributions to Literature of the Fine Arts (Londres, 1848) Ouvrages introductifs John G. Pedley, Greek Art and Archaeology (Prentice Hall, 2003) Edmund von Mach, Sculpture, Greek and Roman (Chicago, 1901) Ernest Gardner, Handbook of Greek Sculpture (Londres, 1896) Ouvrages spécialisés en art grec Claude Rolley, La Sculpture grecque, la période classique (Paris, 1999) Claude Rolley, La Sculpture grecque, des origines au milieu du Ve siècle (Paris, 1994) Roland Martin, L’Art grec (Paris, 1994) Max Georg Zimmermann, Kunstgeschichte des Altertums und des Mittelalters (Leipzig, 1896) Walter Copland Perry, Greek and Roman Sculpture (Londres, 1882) Ouvrages spécialisés concernant la période précédant 650 av. J.-C. H. R. Hall, Oldest Civilisation in Greece (Londres, 1901) Tsountas and Manatt, Mycenean Age (Londres, 1897) Babelon, Manuel d’archéologie orientale. Chaldée, Assyrie, Perse, Syrie, Judée, Phénicie, Carthage (Paris, 1888) Gaston Maspero, Egyptian Archeology (Londres, 1887) Catalogues de musées B.F Cook, The Elgin Marbles (Londres, 2003) E. Robinson, Catalogue of Casts, Museum of Fine Arts, Boston (Boston, 1896) Littérature additionnelle Heinrich Brunn, Geschichte der griechischen Künstler. Vol. I, Bildhauer (Stuttgart, 1857)
Bibliographie
251
LISTE DES ILLUSTRATIONS A
B
Alexandre et les Perses chassant le lion ensemble
La Bataille d’Alexandre le Grand et Darius (détail)
Amazone blessée
194
Amazone blessée
195
Amazone Mazarin
195
C
Amazone tendant son arc, dite « Amazone Mattei »
194
Carte du monde grec ancien
Aphrodite, dite « Vénus d’Arles »
228
Charités portant des offrandes, Passage des Théores
Buste de Périclès
Chasse au lion
218-219 145
246-247 94 214
Aphrodite accroupie
19
Aphrodite de Capoue
229
Cléobis et Biton
15
Aphrodite de Cnide
198
Combat d’Hercules et de Triton
48
Aphrodite de Cnide
199
Aphrodite de Mélos, dite « Vénus de Milo »
224
Combat entre les Grecs et les Amazones, temple d’Apollon Epikourios, Bassae
Aphrodite de type « Vénus Génitrix »
72
Apollon
147
Apollon à l’Omphalos
125
Apollon Choiseul-Gouffier
124
Apollon de Ténée Apollon du Belvédère Apollon et Marsyas Apollon Nymphagète et les Nymphes, Passage des Théores
83 231 22 96-97
Apollon Sauroctone
196
Apollon Sauroctone
197
Apollon Strangford
87
Apoxyomène
220
Artémis à la biche, dite « Diane de Versailles »
230
Assurnasirpal II Assurbanipal et la reine assistant à un banquet, dit « The Garden Party »
252
216-217
64
66-67
Athéna Lemnia
146
Athéna pensive
34-35
Corè, Athènes
64
Corè, dédiée à Héra par Cheramidès de Samos
76
Corè, Délos Corè, ex-voto offert par Nicandré à Délos Corè, Karatéa
8 14 102
Corè 593, Athènes
16
Corè 594, Athènes
54
Corè 670, Athènes
110
Corè 671, Athènes
16
Corè 674, Athènes
111
Corè 675, Athènes
105
Corè 678, Athènes
109
Corè 679, Athènes
108
Corè 680, Athènes
26
Corè 681, Athènes
104
Corè 682, Athènes
103
Corè 682 (détail), Athènes
55
12
Corè 685, Athènes
17
Aurige de Delphes
121
Corè 685, Athènes
27
Aurige ou danseur, dit l’« Aurige de Motya »
120
Corè 686, dite la « Boudeuse », Athènes
53
Liste des illustrations
Couros, Agrigente
24
Couros, cap Sounion
69
Couros, Naxos
Grand Autel de Zeus, Augé observe la préparation pour l’abandon de son fils Télèphe Grand Autel de Zeus, La Déese Nix lançant violemment une jarre entourée par un serpent
80-81
238 244
Couros, Paros
84
Grand Autel de Zeus, Déesse-lionne combattant un Géant
242
Couros, Ptoion
87
Grand Autel de Zeus, Géant mourant
243
Couros III, Ptoion
85
Cratère à colonnettes
49
Grand Autel de Zeus, Hécate et Artémis Grand Autel de Zeus, Plan
237
Grand Autel de Zeus, Séléné
245
Grand Autel de Zeus, Zeus et Porphyrion pendant la bataille contre les Géants
D Déméter de Cnide
181
Diadumène, le jeune athlète
190
Discobole, le lanceur de disque
116
Discobole, le lanceur de disque
117
H
Doryphore
193
Hadès et Perséphone
Doryphore
193
Héra, temple d’Héra, Olympie
E Ephèbe blond Ephèbe d’Agde
25 221
240-241
Groupe avec le dieu Typhon Groupe Ludovisi
46-47 50-51 232
91 107
Hercules Farnèse
11
Hermès et une déesse, Passage des Théores
95
Hermès portant l’enfant Dionysos
191
Hermès rattachant sa sandale
223
Ephèbe d’Anticythère
71
Ephèbe de Critios
24
J
Erechthéion, Athènes
36
Jeune Femme faisant une offrande, détail du « Trône Ludovisi »
101
Jeune Femme jouant de la double flûte, détail du « Trône Ludovisi »
100
Jeune Fille en train de courir, fronton, temple d’Eleusis, Eleusis
206
Erechthéion, Caryatide
37
F Femme voilée assise
9
K/L
G Le Gaulois mourant
235
Le Grand Autel de Zeus, Pergame
236
Grand Autel de Zeus, Athéna combattant le fils de Gaïa la déesse de la Terre
Kroisos, Anavysos Laocoön Léda et le cygne
239
Lions de Délos
86 233 73 62-63
Liste des illustrations
253
M
Parthénon, Cavaliers
170
Masque funéraire
61
Parthénon, Cavaliers
175
Masque funéraire, dit « Masque d’Agamemnon »
61
Parthénon, Cavaliers dans la procession
168
Marsyas
119
Parthénon, Cavaliers dans la procession
169
Le Mausolée d’Halicarnasse
210
Parthénon, Cavaliers dans la procession
171
Mausolée d’Halicarnasse, Artémis
211
Parthénon, Centaure avec un jeune homme
158
Mausolée d’Halicarnasse, Aurige
207
Parthénon, Centaure aux prises avec un Lapithe
160
Parthénon, Centaure caracolant de triomphe au-dessus d’un Lapithe mort
159
Parthénon, Centaure enlevant une femme lapithe
157
Parthénon, Centaure sur le point de jeter une hydre sur un Lapithe à terre
161
Parthénon, Centaure sur le point de jeter une hydre sur un Lapithe à terre
161
Mausolée d’Halicarnasse, Frise des Amazones Mausolée d’Halicarnasse, Scène d’amazonomachie Mausolée d’Halicarnasse, Statue de Mausole
42-43 212-213 211
Méléagre
205
Ménade
188
Mercure Richelieu de type « Apollon de Cassel »
147 Parthénon, Cheval de Séléné
Monument des Néréides, Xanthos Monument des Néréides, File oblique de guerriers
41
Monument des Néréides, Néréide
39
Monument des Néréides, Néréide n° 909
44
Monument des Néréides, Sortie d’assiégés
40
Mycènes, Porte des Lions
56
N Naissance d’Aphrodite, détail du « Trône Ludovisi »
98-99
Niké
88
Niké 21, Délos
89
Niobé et la plus jeune de ses filles
178-179
38
207
Parthénon, Deux Femmes assises et drapées : Déméter et Perséphone
180
Parthénon, Deux Jeunes Femmes, la prêtresse d’Athéna, un magistrat et un enfant tenant le péplos, Athéna et Hephaistos assis
165
Parthénon, Dionysos
185
Parthénon, Divinités féminines
182-183
Parthénon, Génisse menée au sacrifice
174
Parthénon, Hommes transportant des hydres
177
Parthénon, Iris
150
Parthénon, Jeune Homme transportant un plateau d’offrandes sur ses épaules
176
Parthénon, Lutte entre les Centaures et les Lapithes
155
Parthénon, Lutte entre les Centaures et les Lapithes
155
Parthénon, Lutte entre les Centaures et les Lapithes
156
Parthénon, Lutte entre les Centaures et les Lapithes
158
Parthénon, Plan du temple
154
O Ornithé, groupe familial de Généléos
77
Parthénon, Plaque dite « des Ergastines »
172-173
Parthénon, Section transversale du Parthénon sur l’Acropole à Athènes
152-153
P Parthénon, Acropole, Athènes Parthénon, Artémis
254
162-163 164
Pendant aux abeilles
Parthénon, Buste de Sisyphe
186-187
Philippe, groupe familial de Généléos
Parthénon, Cavaliers
166-167
“Le Porteur de veau”
Liste des illustrations
60 78-79 20
S
Temple de Zeus, Devin
138
Le Sacrifice d’Isaac
30
Temple de Zeus, Hercules et le taureau de Crète
112
Le Sacrifice d’Isaac
30
Temple de Zeus, Hercules nettoyant les étables d’Augias
137
Sarcophage lycien
215
Temple de Zeus, Hercules rapportant à Athéna les
Scène d’offrande aux déesses infernales
93
oiseaux du lac Stymphale
Scène d’offrande d’un guerrier aux Harpies
93
Temple de Zeus, Hercules recevant les pommes
Scène de banquet
48
Scène dite de « Tauromachie »
d’or du jardin des Hespérides
58-59
141 134
21
Temple de Zeus, Plan du temple
Sphinx des Naxiens
82
Temple de Zeus, Section transversale du temple de Zeus à Olympie
149
Statue B de Riace
149
Statue de Montouemhat La Statue de Zeus à Olympie par Phidias, monnaie grecque
68 144
31
Temple de Zeus, Lapithe aux prises avec un Centaure
Silène portant Dionysos (Bacchus), dit « Faune à l’enfant »
Statue A de Riace
137
143
Tête d’Ariane (?)
203
Tête d’Athéna, Egine
136
Tête d’Athéna Lemnia
146
Statue du médecin Sombrotidès
20
Tête d’homme barbu
106
Statuette féminine, dite « Dame d’Auxerre »
14
Tête d’Iris, dite « Tête Laborde »
202
Stèle funéraire, Sparte
92
La Tête de Zeus par Phidias, monnaie romaine
144
Tête du cavalier Rampin T
74-75
Tête du Dipylon
Temple d’Aphaia, Egine Temple d’Aphaia, Archer et guerrier Temple d’Aphaia, Athéna
132-133
Tête féminine du type de l’ « Aphrodite de Cnide », dite « Tête Kaufmann »
128-129 127
6
Thanatos, Alceste, Hermès et Perséphone Torse d’homme
200 209 10
Temple d’Aphaia, Guerrier mourant
122-123
Temple d’Aphaia, Guerrier mourant
130
Torse de type « Satyre au repos »
192
Temple d’Aphaia, Plan du temple
126
Torse masculin, dit « Torse de Milet »
114
Temple d’Aphaia, Tête de guerrier
131
Les Tyrannoctones, Harmodios et Aristogiton
115
Temple d’Athéna Niké, Athènes
33
Temple d’Athéna Niké, Bataille de Platées
32
Temple d’Athéna Niké, Combat entre les Grecs et les Perses
32
Temple d’Athéna Niké, Niké ajustant sa sandale
28
V « Vénus du Capitole »
18
Vénus et Cupidon
65
Victoire de Samothrace
Temple de Zeus, Olympie Temple de Zeus, Apollon
135
Temple de Zeus, Le Centaure Eurytion enlevant Déidamie
140
Z
Temple de Zeus, Cladéos
139
Zeus ou Poséidon
227
70
Liste des illustrations
255
S
i l’âme est chrétienne, la beauté est grecque. Freud définit l’esthétisme comme une construction intellectuelle de paramètres personnels qui s’exprime en émotions sublimées. Avec la sculpture grecque, l’homme devient dieu, et les dieux font don de leur apparence à l’humanité. Défiant les lois de la gravité, les sculpteurs grecs découvrent les fragiles équilibres des formes, des espaces, et façonnent depuis plus de 2000 ans notre subconscient aux canons de l’éternelle beauté. Edmund von Mach, historien de l’art, revient sur cette épopée qui conduit la main de l’homme à transformer le marbre en œuvre d’art, et l’Art en besoin substantiel de la pérennité des civilisations. Cet ouvrage étudie la sculpture grecque entre le VIIe et le Ier siècle avant J.-C., en s’appuyant sur une riche iconographie, mise en scène sur un texte d’érudit mais accessible à tous.