La retraite, une mort sociale. Sociologie des conduites en situation de retraite 9783111668161, 9783111283449


229 122 16MB

French Pages 303 [304] Year 1972

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Table of contents :
Table des matières
Table des tableaux
Table des schémas
Avant-propos
CHAPITRE PREMIER. Élaboration du schéma d'analyse théorique
CHAPITRE II. Observation des conduites de retraite Analyse des comportements concrets en fonction des hypothèses — Vérification et élargissement du schéma théorique
CHAPITRE III. Analyses connexes destinées à approfondir et élargir le système d'explication des comportements de retraite
CONCLUSION. De la non-reproduction de la force de travail à la production d'une mort sociale
Annexes
BIBLIOGRAPHIE
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 9783111668161, 9783111283449

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LA RETRAITE : UNE MORT SOCIALE

Je ne pensais pas que la retraite, vous fermier la porte de votre bureau et puis vous rentriez che% vous. Et puis c'est fini. On attend le corbillard qui vous emmene au cimetière. (fragment d'interview)

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

SOCIÉTÉ, MOUVEMENTS SOCIAUX ET IDÉOLOGIES PREMIÈRE

SÉRIE : ÉTUDE XIV

PARIS • MOUTON • LA HAYE

ANNE-MARIE GUILLEMARD

La retraite une mort sociale Sociologie des conduites en situation de retraite

PARIS • MOUTON • LA HAYE

Ouvrage publié avec 1e concours ¿lu Centre 'National de la Recherche Scientifique

Library of Congress Catalog Card Number: 72-79992 © 1972 École Pratique des Hautes Études (VI e Section) and Mouton & Co. Imprimé en France

A Manuel C.

Table des matières

AVANT-PROPOS

17

C H A P I T R E PREMIER. É L A B O R A T I O N D'ANALYSE THÉORIQUE 1. D u

PROBLÈME

DU

GRANDES LIGNES

TROISIÈME

D'UNE

ÂGE

A

PROBLÉMATIQUE

DU

SCHÉMA

L'ÉLABORATION DE LA

RETRAITE

DES .

19

1.1. Le problème du troisième âge 1.2. Élaboration des grandes lignes d'une problématique de la retraite 1.2.1. Définition de la retraite 1.2.2. Définition du retraité en tant qu'acteur social . . .

19 20 20 22

2 . L A S I G N I F I C A T I O N S O C I A L E DES C O N D U I T E S DES R E T R A I T É S A U X DIFFÉRENTS NIVEAUX

D'ANALYSE DE L'OBJET

23

2.1. Le premier niveau d'analyse des conduites de retraite : leur mise en relation avec le système social 2 . 1 . 1 . JLE concept d'adaptation et la gérontologie sociale. . . 2 . 1 . 2 . Cycle de vie et évolution du systerne de relations sociales 2 . 1 . 3 . Quelles sont les issues possibles résultant de la transformation du système de relations sociales consécutive à la retraite ? 2.2. Le second niveau d'analyse des conduites de retraite : leur mise en relation avec le système de personnalité . . . 2.3. Pratiques de retraite et évolution des structures sociales . 3. L E S

TYPES

DE

PRATIQUES

SOCIALES

DANS

LA

SITUATION

24 24

24 25 26 28

DE

RETRAITE

29

3.1. Par rapport à quels processus fondamentaux devons-nous classer les conduites des retraités et leur donner un sens ? . 3.2. Quel est le contenu de chacun des types de pratiques théoriques ainsi défini ?

30 35

4 . L E S D É T E R M I N A N T S SOCIAUX DES C O N D U I T E S D E R E T R A I T E : L E S SITUATIONS

EN

FONCTION

DESQUELLES

R E T R A I T É S SERONT A N A L Y S É E S

LES

CONDUITES

DES 44

io

La retraite : une mort sociale

5. L E SYSTÈME D E D É T E R M I N A T I O N SOCIALE DES PRATIQUES

.

.

46

5.1. Comment la structure des ressources accumulées détermine-t-elle les niveaux de l'orientation sociale des pratiques ?

46

5.2. Comment le type de ressources accumulées (potentialités ou biens) détermine-t-il la nature de l'orientation sociale (accent mis dans les pratiques sur la consommation ou sur la création) ?

47

6 . É L A R G I S S E M E N T DU SCHÉMA CAUSAL AUX D I V E R S N I V E A U X D ' A N A L Y S E THÉORIQUE DES COMPORTEMENTS DES R E T R A I T É S .

51

CHAPITRE II. O B S E R V A T I O N DES CONDUITES D E R E T R A I T E . A N A L Y S E DES COMPORTEMENTS CONCRETS E N FONCTION DES HYPOTHÈSES. VÉRIFICATION E T É L A R G I S S E M E N T DU SCHÉMA THÉORIQUE 1 . P R É L I M I N A I R E S MÉTHODOLOGIQUES

53

1.1. Le terrain d'enquête

53

1.2. L'échantillonnage

55

1.3. Le choix des techniques de recueil de données et le déroulement de l'enquête 1.3.1. Les instruments de recueil des données 1.3.2. L'accueil réservé à l'enquête 1.3.3. Le déroulement de l'enquête sur le terrain 1.3.4. Le codage des données recueillies 1.4. L'analyse de la causalité 1.5. Note concernant la présentation des résultats 2. L E

PASSAGE DES CONCEPTS AUX V A R I A B L E S

55

55 56 56 56

57 . . . .

57 57

2.1. Les variables indépendantes ou explicatives : leur transcription en termes mesurables 57 2.1.1. Les potentialités 58 2.1.1.1. La situation de travail antérieure 58 2.1.1.1.1. Définition conceptuelle • . 58 2.1.1.1.2. Construction empirique de la variable situation de travail passée 60 2.1.1.2. Intensité de l'activité hors travail passée . . . . 60 2.1.2. Les biens 61 2.1.2.1. Construction de la variable situation biologique . . 61 2.1.2.1.1. L'état de santé proprement dit 61 2.1.2.1.2. Le vieillissement 62 2.1.2.2. Construction de la variable ressources financières. . 62 2.1.2.3. Construction de la variable environnement social . . 62

Table des matières 2.2. Les variables dépendantes : les comportements en situation de retraite à tous les niveaux d'analyse, leur construction empirique 2.2.1. Le système de personnalité 2.2.2. Le système de relations sociales 2.2.3. Les pratiques de retraite 2.2.3.1. Construction empirique des types de pratique de retraite : choix des indicateurs 2.2.3.2. Validation de la construction empirique des pratiques et analyse descriptive de ces pratiques 2.2.3.2.1. Budget temps de la pratique retrait 2.2.3.2.2. Budget temps de la pratique troisième âge. . . . 2.2.3.2.3. Budget temps de la pratique loisirs 2.2.3.2.4. Budget temps de la pratique revendication . . . . 2.2.3.2.5. Budget temps de la pratique participation. . . . 3.

ANALYSE DES INTER-RELATIONS ENTRE LES TROIS NIVEAUX OPÉRATOIREMENT DISTINGUÉS DE LA VARIABLE DÉPENDANTE : RECONSTRUCTION STRUCTURÉE DES COMPORTEMENTS GLOBAUX DES RETRAITÉS

3.1. Les inter-relations entre pratiques et systèmes de relations sociales 3.1.1. A.mpleur du sy sterne de rôles et pratiques 3.1.2. Densité du sy sterne de rôles et pratiques 3.2. Les inter-relations entre système de personnalité et pratiques de retraite 3.2.1. Le vieillissement 3.2.1.1. Le processus de désengagement 3.2.1.2. Désengagement et anomia 3.2.1.3. Attitudes à l'égard du changement 3.2.1.4. Le processus de vieillissement en tant que réalité vécue : la présence de la mort 3.2.2. La satisfaction 4.

VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES : ANALYSE DES RELATIONS DE CAUSALITÉ ENTRE LES VARIABLES ET TENTATIVE D'EXPLICATION DES COMPORTEMENTS DES RETRAITÉS

4.1. Les techniques de vérification : méthode suivie pour vérifier les hypothèses 4.1.1. L'analyse multivariée 4.1.2. Le modèle d'analyse causale basé sur la régression linéaire 4.2. Transcription des hypothèses en propositions empiriquement vérifiables 4.3. Le système de preuves 4.3.1. Le réseau de preuves 4.3.2. Sur quelle population ce système de preuves s'exercerat-il ?

11

64 65 66 67 67 70 72 80 84 90 94

97

98 98 100 102 103 103 107 108 111 112

114

114 115 115 117 119 119 120

12

La retraite : une mort sociale 4.4. Analyse des résultats : vérification et élargissement du schéma théorique proposé 122 4.4.1. Vérification des hypotheses générales 122 4.4.1.1. Type I : la retraite-retrait 123 4.4.1.1.1. Preuve niveau / : mise en évidence des relations existant entre chacune des variables considérées comme déterminantes et la pratique de retraiteretrait 123 4.4.1.1.2. Preuve niveau 2 : s'assurer de la spécificité des relations constatées 125 4.4.1.1.3. Conclusions concernant l'analyse des déterminants de la retraite-retrait 142 Type II : la retraite-troisième âge 143 4.4.1.2. 4.4.1.2.1. Preuve niveau 1 : mise en évidence des relations existant entre un niveau élevé de potentialités et la pratique troisième âge 143 4.4.1.2.2. Preuve niveau 2 : spécificité des relations unissant 144 potentialités et pratique troisième âge 4.4.1.2.3. Preuve niveau 3 : mise en évidence de l'inconsistance des relations unissant biens et pratique troisième âge 150 4.4.1.2.4. Preuve niveau 4 : confirmation des résultats obtenus par l'analyse multivariée à partir du calcul des coefficients de régression partielle 153 4.4.1.3. Type III : la retraite-loisirs 154 4.4.1.3.1. Preuve niveau 1 : mise en évidence des relations exis154 tant entre biens et pratique 4.4.1.3.2. Preuve niveau 2 : spécificité des relations unissant biens et pratique loisirs 155 4.4.1.3.3. Preuve niveau 3 : mise en évidence de l'inconsistance des relations unissant potentialités et retraiteloisirs 159 4.4.1.3.4. Preuve niveau 4 : confirmation des résultats obtenus à partir du calcul des coefficients de régression partielle 163 4.4.1.3.5. Conclusions concernant l'analyse des déterminants de la retraite-loisirs et extension de ces résultats à la 164 retraite-famille 4.4.1.4. Type IV : la retraite-revendication 166 4.4.1.4.1. Vérification de la plausibilité des hypothèses . . . 167 4.4.1.4.2. Vérification des propositions empiriques proprement 169 dites 4.4.1.5. Type V : la retraite-participation 176 4.4.1.5.1. Vérification de la plausibilité des hypothèses . . . 176 4.4.1.5.2. Vérification des propositions empiriques proprement dites 177

5. VÉRIFICATION DU SCHÉMA NINE DE L'ÉCHANTILLON

CAUSAL

SUR LA POPULATION

FÉMI18 5

Table des matières

13

5.1. Modification du système hypothétique causal en fonction de la situation de non-travail 185 5.2. Analyse des résultats concernant les femmes . . . . 187 5.2.1. Résultats concernant les femmes n 'ayant jamais exercé d'activité professionnelle 187 5.2.1.1. Déterminants de la pratique III famille dans le cas des femmes n'ayant jamais exercé d'activité professionnelle 187 5.2.1.2. Déterminants de la pratique troisième âge dans le cas des femmes n'ayantjamais exercé d'activité professionnelle 189 5.2.2. Résultats concernant les femmes ayant exercé une activité professionnelle 190 5.2.2.1. Déterminants de la retraite-retrait 191 5.2.2.2. Déterminants de la retraite-troisième âge . . . . 194 5.2.2.3. Déterminants de la retraite-loisirs et de la retraitefamille 196 5.2.2.4. Déterminants de la retraite-participation . . . . 199 6.

RECONSTITUTION DÉTERMINATION

ET ÉLARGISSEMENT DES PRATIQUES

DU SYSTÈME

GLOBAL

DE 202

6.1. Système de détermination de la pratique retrait . . . 203 6.1.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 203 6.1.2. Pertinence du modèle proposé 205 6.1.3. Cas d'interactions 205 6.1.4. Introduction d'une variable intermédiaire : la préparation à la retraite 205 6.2. Système de détermination de la pratique troisième âge . . 206 6.2.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 206 6.2.2. Pertinence du modèle proposé 206 6.2.3. Cas d'interactions 206 6.2.4. Introduction d'une variable intermédiaire : la préparation à la retraite 208 6.3. Système de détermination de la pratique loisirs . . . . 208 6.3.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 208 6.3.2. Pertinence du modèle proposé 210 6.3.3. Cas d'interactions 210 6.4. Système de détermination de la pratique famille . . . 212 6.4.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 212 6.4.2. Pertinence du modèle proposé 212 6.4.3. Cas d'interactions 212 6.5. Système de détermination de la pratique revendication . 212 6.5.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 213 6.5.2. Pertinence du modèle proposé 214 6.6. Système de détermination de la pratique participation . 214 6.6.1. Hiérarchie des causes à l'intérieur du système. . . . 214 6.6.2. Pertinence du modèle proposé 216

La retraite : une mort sociale

14

CHAPITRE III. ANALYSES CONNEXES DESTINÉES A APPROFONDIR ET ÉLARGIR LE SYSTÈME D'EXPLICATION DES COMPORTEMENTS DE RETRAITE 1. DÉTERMINANTS SOCIAUX DU VIEILLISSEMENT

217

2 . DÉTERMINANTS DU SYSTÈME DE RELATIONS SOCIALES

.

.

.

221

3 . UTILISATION DES RÉSULTATS PRÉCÉDENTS EN TANT QU'INSTRUMENTS PERMETTANT DE DÉFINIR UNE POLITIQUE POUR PERSONNES ÂGÉES

222

3.1. Analyse de l'attitude des retraités à l'égard des divers services qui leur sont proposés 3.2. Opinions des retraités sur des projets en matière de logement

227

CONCLUSION. DE LA NON-REPRODUCTION DE LA FORCE DE TRAVAIL A LA PRODUCTION D'UNE MORT SOCIALE

231

ANNEXE I . QUESTIONNAIRE

239

ANNEXE I I . CHIFFREMENT DES INFORMATIONS CODAGE DU BUDGET TEMPS

RECUEILLIES



ANNEXE I I I . M A T R I C E S D'INTER-CORRÉLATIONS

III. 1. Les différents indices constitués III. 2. Construction empirique de la typologie des pratiques. ANNEXE I V . TABLEAUX STATISTIQUES

IV. 1. Budget temps de la pratique III famille IV. 2. Analyse des déterminants sociaux de la pratique III famille IV. 3. Caractéristiques sociales générales des retraités selon leur pratique de retraite IV. 4. Analyse de l'intérêt porté par les retraitées femmes aux divers services proposés par la CRI BIBLIOGRAPHIE

222

263 273

273 275 279

279 284 292 297 299

Table des tableaux

1-78

Description du budget temps des pratiques . . .

72

79-89

Analyse des inter-relations entre pratiques et système de relations sociales

99

90-120

Analyse des inter-relations entre pratiques et systèmes de personnalité

103

121

Relations entre pratiques IV et V et état matrimonial selon le sexe

122

122-169

Les déterminants de la pratique retrait — Résultats de l'analyse multivariée

123

170-200

Les déterminants de la pratique troisième âge — Résultats de l'analyse multivariée

143

201

Poids de chacun des facteurs « ressources » dans le système causal de la pratique troisième âge — Résultats de l'analyse de régression

154

202-229

Les déterminants de la pratiques loisirs — Résultats de l'analyse multivariée

154

230-231

Poids de chacun des facteurs « ressources » dans les systèmes causaux des pratiques loisirs et famille . .

164

232-246

Vérification du système hypothétique causal pour la pratique revendication

167

247-260

Vérification du système hypothétique causal pour la pratique participation

176

261-269

Les déterminants sociaux des pratiques de retraite pour les femmes n'ayant jamais exercé d'activité professionnelle

188

Les déterminants sociaux des pratiques de retraite pour les femmes ayant excercé une activité professionnelle

191

Le cas de la retraite-participation

200

270-290

291-293

i6

La retraite : une mort sociale

294-295

Poids respectifs des différents facteurs causaux à l'intérieur des systèmes de détermination des pratiques participation et revendication —• Résultats de l'analyse de régression

21}

296-302

Les déterminants sociaux du vieillissement

.

.

218

303-304

Les déterminants du système de relations sociales .

.

221

305-320

Analyse de l'opinion des retraités, sur les services qui leur sont proposés, en fonction de leur pratique sociale

224

.

Table des schémas 1

Typologie des pratiques de retraite en fonction de leur rapport à la structure sociale

35

2

Le système hypothétique de détermination des pratiques sociales en situation de retraite

50

3

Matrice d'inter-corrélations des types de pratique

71

4

Système de détermination sociale de la retraite-retrait .

.

204

5

Système de détermination sociale de la retraite-troisième âge.

207

6

Système de détermination sociale de la retraite-loisirs .

.

.

209

7

Système de détermination sociale de la retraite-famille .

.

.

211

8

Reconstitution partielle de la logique du système de détermination sociale de la retraite revendication

213

. . . . .

Avant-propos

La plupart des données démographiques et économiques contemporaines conduisent à accorder une importance sans cesse croissante aux personnes âgées. Ce thème est depuis peu au centre des débats. Il est l'objet d'articles nombreux dans la presse, d'ouvrages. Les commissions les plus diverses sont créées pour travailler sur ce sujet. Un ensemble de questions fondamentales ont été, en effet, trop longtemps négligées et la condition faite par la société aux vieillards, en dépit des progrès accomplis depuis la Deuxième Guerre mondiale, est de plus en plus dégradée par rapport aux ressources des actifs. Éloignés de l'appareil de production, ils restent en marge de la croissance généralisée. Cette situation rend de plus en plus nécessaire la mise en œuvre de réflexions approfondies de tous ordres et particulièrement d'ordre sociologique. En France, on commence seulement à se préoccuper de cette fraction de la population, sur le plan de ses conditions de vie et de ses besoins1. Mais si l'étude descriptive de la population concernée est nécessaire pour toute mise en œuvre, sur le plan national, d'une politique sociale et économique, elle n'est pas suffisante. Elle doit être complétée pas une analyse globale de la retraite, qui mette en relation ces conditions de vie (et plus généralement l'ensemble des situations sociales des retraités) avec les conduites, qui explique les secondes par les premières. Cette explication des comportements des retraités est, en effet, seule capable de permettre de pratiquer des choix en matière de politique de retraite en étant à même d'en évaluer les conséquences directes et indirectes et les coûts sociaux2. Cependant établir un système de relations causales entre certains déterminants sociaux, considérés comme les facteurs explicatifs les plus puissants, et certains types de conduites, retenus comme représentant les comportements les plus chargés de sens, implique que l'on parte d'une réflexion théorique sur la retraite. Cette réflexion aboutira 1. Ainsi la première étude descriptive, au niveau national, des conditions de vie et des besoins des citadins âgés, réalisée par Paul Paillat et Claudine Wibaux, a été publiée à la fin de l'année 1969. 2. C'est grâce à la volonté de la Caisse de Retraites Interentreprises de fonder une politique globale de retraite que nous avons pu effectuer cette recherche. Que son Directeur général en soit ici vivement remercié.

La retraite : une mort sociale

i8

à la construction des concepts et à l'élaboration d'un système d'hypothèses établissant des relations de causalité entre ces concepts, la vérification du schéma théorique par l'observation intervenant ensuite. Or nous ne pouvions nous appuyer sur les travaux existants pour construire notre schéma d'analyse, étant donné le vide théorique dans ce domaine. En effet, si des recherches fragmentaires ont apporté des informations sur tel ou tel point de la situation de retraite, et notamment sur les rapports des retraités avec leur famille1, si des enquêtes statistiques ont établi le profil de cette classe d'âge par rapport à des points de repère aussi globaux que le revenu, la santé, le logement, les loisirs2, il n'existe pratiquement pas, à notre connaissance, en France, et très peu dans les pays anglo-saxons, d'études mettant à jour les processus sociaux qui façonnent les conduites des retraités. Par conséquent cette recherche, tout en se proposant d'aboutir à un schéma explicatif, aura un caractère très largement exploratoire. Si nous tenterons, au niveau de la construction de l'objet, de parvenir à une saisie globale de la retraite, nous ne serons pas à même, sans risque d'arbitraire, de construire théoriquement, dans leur complexité, toutes les relations qui s'établiront entre variables explicatives et expliquées. Nous devrons nous contenter, dans cette étude, de mettre en évidence les déterminants les plus puissants des comportements. Ultérieurement d'autres études devraient approfondir et élargir cette première analyse de la causalité. Toutefois, la difficulté du sujet ne doit pas nous faire abandonner un souci de rigueur au bénéfice d'une approche impressionniste, car il nous semble que seule une étude de type quantitatif est capable de répondre aux préoccupations qui visent à fonder une politique de retraite. Le système d'hypothèses issu d'un cadre analytique cohérent devra être vérifié empiriquement, et la force de chacune des relations causales sera évaluée. Le choix de cette stratégie déterminera entièrement toutes les étapes de ce travail, depuis l'élaboration de la problématique jusqu'aux opérations pratiques, en passant par les choix méthodologiques.

1 . Cf., en particulier, J . Tunstall, Old and Alone,

Attitudes,

comportements

et opinions des personnes

Londres, 1966, S. Pacaud et M . O. Lahalle,

âgées dans le cadre de la famille moderne, Paris,

1969, et P. Townsend, The Family Life of Old People,

Londres, 1957.

2. Cf., en particulier, Caisse Nationale de Retraite des Ouvriers du Bâtiment et des Travaux Publics, Réalités du troisibne âge, Paris, 1968, Institut National de la Statistique et des

Etudes Economiques, Les personnes âgées dans le département R. W. Kleemeier, Aging and Leisure, New York, 1961.

de la Seine, Paris, 1963, et

CHAPITRE

PREMIER

Élaboration du schéma d'analyse théorique

Étant donné la stratégie que nous avons choisie, notre première tâche sera de réfléchir sur notre objet d'étude — la retraite — afin d'en dégager les dimensions essentielles. I. D u

PROBLÈME

DU TROISIÈME

ÂGE

A

LIGNES D ' U N E PROBLÉMATIQUE D E L A

L'ÉLABORATION

DES

GRANDES

RETRAITE

i . i . Le problème du troisième âge Une importance croissante est accordée actuellement à ce qu'on appelle confusément les « problèmes du troisième âge ». De nombreux auteurs dénoncent le statut socio-économique indécent que notre société assigne aux personnes âgées. Les analyses de A. Sauvy 1 ou de Simone de Beauvoir 2 s'accordent à démontrer que les vieillards sont traités comme des indésirables. Ces auteurs estiment que tout se passe comme si la société cherchait à s'en débarrasser ou à les oublier. La ségrégation des personnes âgées serait une conséquence de ce phénomène, une façon de rejeter les problèmes. Mais l'on ne peut comprendre l'attitude de la société à l'égard du troisième âge que si cette dernière étape de l'existence est réintégrée dans l'ensemble du cycle de vie, ce cycle de vie devant luimême être rapporté à l'ensemble social dont il fait partie. M. Philibert 3 a essayé d'expliquer pourquoi il y avait présentement un problème des personnes âgées en comparant les contenus culturels assignés par les civilisations traditionnelles aux anciens et la situation spécifique des vieillards dans notre société. Nous reproduirons ici les articulations essentielles de sa réflexion. Toute société se caractérise par une échelle d'âge, avec des étapes variées en nombre et diverses dans leur contenu, dont la discontinuité peut être plus ou moins marquée. Ces périodisations diffèrent essentiellement selon le sens qu'elles attribuent au mouvement de l'avance en âge. Par l'histoire et l'ethnologie, l'auteur montre que, dans les civilisations traditionnelles, règne une périodisation qui identifie le dernier âge au temps du plus grand épanouissement de l'homme et du plus 1 . Voit en particulier « L a société et les faibles », Esprit 2. S. de Beauvoir, La vieillesse, Paris, 1970. 3. M . Philibert, L'échelle des âges, Paris, 1968.

(5), mai 1963.

20

Li? retraite : une mort sociale

grand pouvoir. Mais il constate que, dans nos sociétés, s'est opéré un renversement de l'échelle d'âge : aujourd'hui vieillir, c'est déchoir. Le fait d'avancer en âge ne correspond plus, aujourd'hui, à l'image de l'homme qui s'accomplit : d'une part, parce que l'augmentation de l'espérance moyenne de vie (grâce aux progrès de l'hygiène et de la médecine) ne fait plus de la longévité une caractéristique digne d'égards, d'autre part, parce que le renouvellement rapide des connaissances ne permet plus aux personnes âgées de tenir un rôle de conseiller (dans la société traditionnelle, la vie était l'école permanente dans la mesure où la presque totalité des savoirs et des savoir-faire était de nature empirique : le vieillard était alors source de connaissances, car il accumulait constamment des capacités nouvelles). Puisque dans notre société industrielle vieillir n'est plus s'améliorer constamment, il n'y a plus d'échelle d'âge, elle perd toute signification. Il n'y a plus que des étapes très distinctes et totalement discontinues. Notre société se caractérise par une ségrégation des groupes d'âge plus poussée que jamais. Cependant une mise à part est toujours ambiguë, elle peut signifier distinction ou discrimination. Dans notre contexte culturel, alors que la jeunesse est improductive mais porte en germe les promesses d'une future productivité en acquérant une formation théorique préalable dans les institutions d'éducation, alors que les adultes participent au travail collectif, aucune fonction positive n'est attribuée à la vieillesse. La mise à l'écart correspond à un rejet. La dernière étape de la vie est définie par l'oisiveté. La mise à la retraite marque le début de la discrimination. L'institution de la retraite obligatoire à âge chronologique fixe est donc un élément de la politique ségrégative de notre société. Pour M. Philibert, le problème du troisième âge serait donc issu du renversement de l'échelle des âges qu'il faut maintenant s'employer à redresser. 1.2. Élaboration des grandes lignes d'une problématique de la retraite Ainsi notre société prend pour une évidence de nature la dévalorisation de la vieillesse, alors qu'il faut y voir un trait culturel. Par rapport à cette approche de la vieillesse, notre objet prend un sens plus précis. L'institution de retraite doit être replacée dans la logique des rapports sociaux fondés sur le travail salarié, puisque le rapport entre le travail et le nontravail, comme le procès de croissance et de vieillissement sont dans chaque société culturellement définis. 1.2.1. Définition de la retraite En interrogeant le phénomène social retraite par rapport à son contexte, il nous apparaît dans toute son ambiguïté. La retraite est en effet mise hors circuit, comme le fait apparaître l'analyse de M. Philibert, mais elle est aussi repos mérité après une vie de travail. Sans cette double signification, on ne comprendrait pas pourquoi syndicats et patronat s'accordent pour fixer un âge légal de la retraite.

Le schéma théorique d'analyse

21

La retraite est mise hors circuit. Du point de vue du système de production capitaliste, le travailleur est rentable tant que sa force de travail dépasse le coût de la reproduction de cette force de travail par l'entreprise. Actuellement le renouvellement plus rapide des connaissances et des techniques frappe d'obsolescence les savoirs anciennement acquis. En conséquence, les travailleurs âgés, quel que soit leur niveau de qualification, seront peu productifs pour l'entreprise, étant donné que le stock des connaissances est acquis dans la première phase de la vie, et n'est plus renouvelé, à quelques rares exceptions près. Une tendance à les écarter des circuits de production se marquera d'autant plus nettement qu'à cette déqualification s'ajoute le déclin des capacités physiques. La retraite est repos mérité. Face aux impératifs du système de production, les travailleurs organisés ont réclamé la couverture de leurs besoins, à partir d'un certain âge, par la collectivité sociale, sans contrepartie de nouvelles prestations, mais en échange des efforts de toute une vie. La fraction active s'est engagée à prendre à sa charge l'entretien des inactifs. Le droit au repos est donc un acquis de la revendication ouvrière. Mais dans le moment même où la retraite assurait certaine garantie contre la misère, elle institutionnalisait la perte de capacité des vieux travailleurs et leur dévalorisation. Les travailleurs, à l'instant de leur cessation d'activité, vont découvrir la contradiction entre une civilisation qui valorise essentiellement le travail, la productivité, et ce temps libre qu'on leur accorde qui risque de n'être plus qu'un temps vide à leurs yeux. La retraite, en tant que cessation institutionnellement réglementée de l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, donnant droit à des prestations de la part de la collectivité, se définit comme le passage du travail au non-travail. Mais on a vu qu'elle devait être replacée dans son contexte social. Étudier la retraite n'est donc pas seulement analyser les conséquences qui sont liées au passage du travail au nontravail, mais c'est aussi étudier les conséquences que la gestion de ce rapport par la société a sur les comportements des retraités. La retraite est aussi la vieillesse. En effet, définir la retraite par le nontravail ne nous donne pas les moyens de la distinguer des loisirs. La dimension vieillesse doit être prise en compte dans la définition de la retraite d'autant plus que l'éloignement du milieu de travail constitue un palier décisif dans le processus de vieillissement. Vieillesse et retraite correspondent pourtant à des processus différents qui ne peuvent être confondus. Nous distinguerons par conséquent deux axes dans notre problématique : — les rapports entre travail et non-travail, — les contradictions existant entre le sujet humain être social et le sujet humain être biologique soumis aux faits naturels. Dans les ouvrages portant sur les personnes âgées, ces deux dimensions sont généralement imbriquées, et l'on fait correspondre à ce qu'on appelle la vieillesse un ensemble de conduites et de caractéristiques qui sont considérées comme spécifiques de cette classe d'âge. On traite

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alors des besoins des retraités : de l'insuffisance de leur revenu, de leur isolement, de la précarité de leur état de santé1. Mais on ne s'est pas donné les moyens, en procédant ainsi, d'analyser les conséquences qu'ont ces situations sur les conduites, par exemple d'évaluer le poids spécifique que pèse la maladie sur les comportements, et surtout de montrer l'action déterminante que la mauvaise santé peut avoir, comparée aux autres caractéristiques de la situation. Nous pensons qu'il est important d'éclaircir les relations existant entre vieillissement et retraite et, pour cette raison, ils doivent constituer deux volets distincts de l'analyse. Notre champ d'étude étant maintenant précisé, la retraite replacée dans son contexte social et les deux axes qui la sous-tendent mis à jour, il nous faut définir l'acteur de ce champ : le retraité. 1.2.2. Définition du retraité en tant qu'acteur social Pour cette définition, nous privilégions l'axe travail—non-travail qui est le plus central de notre analyse. Car si nous avons cassé l'unité apparente de l'objet « personnes âgées », c'est justement pour nous donner les moyens de réintroduire dans un deuxième temps le vieillissement dans l'analyse et d'évaluer son poids spécifique sur les comportements des retraités. Les caractéristiques de l'acteur social retraité vont être étroitement définies par le cadre social dans lequel il s'insère. Dans notre société, le travail est au centre du champ social de chaque individu. Il fixe à la fois sa position dans la structure sociale, et son rapport à la société et aux autres. Le non-travail n'y est défini que comme l'envers du travail. Aucune logique propre ne correspond à cette situation. Aucun principe nouveau ne viendra par conséquent mettre en cause la répartition des richesses et de l'influence au moment de la cessation d'activité. Dans une logique capitaliste stricte, un acteur social est un agent producteur disposant de sa force de travail. Lorsqu'il n'est plus reconnu comme agent producteur, il n'existe donc plus en tant qu'acteur social. Le seul sens social qui lui reste est l'allocation qui lui est versée par la fraction active de la société au nom du droit au repos acquis par la revendication ouvrière, et les ressources matérielles et intellectuelles qu'il a pu épargner. En conséquence, si, pour le travailleur actif, nous appelons capacité de travail présente ce qui correspond à la réappropriation par le travailleur d'une partie du produit de son travail en vue de la reproduction élargie de cette capacité, nous dirons que l'acteur social retraité se définit par sa capacité de travail réalisée, et que celle-ci correspond à la partie épargnée des ressources consacrées à l'entretien de la capacité de travail passée. Définir le retraité en termes de capacité de travail épargnée conduit à formuler I. Voir en annexe bibliographique en particulier Réalités du troisième âge, les études de l ' I N S E E et de l ' I N E D sur les personnes âgées, et les « readers » américains Social and Psychological Aspects of Aging, et le Handbook of Social Gerontology.

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l'hypothèse que les conduites des retraités sont déterminées par le type de ressources épargnées et l'importance de ces ressources. Notre intention est de mettre à jour les processus par lesquels la nature et la quantité des ressources épargnées constituent les conditions sociales de l'apparition de types de conduites. Mais cette tâche ne peut être menée à bien que si nous faisons un effort de construction et de définition préalable. Les conduites sociales des retraités présentent de multiples facettes. Si nous voulons en saisir tous les aspects et être capable de les articuler entre eux, de façon à reconstituer l'ensemble du système de relations causales par lequel la structure des ressources détermine les comportements des retraités, nous devrons reconstruire ces derniers d'une façon structurée. De la même façon, ce que l'on peut entendre par ressources épargnées devra être précisé et défini. 2 . L A SIGNIFICATION SOCIALE DES CONDUITES DES RETRAITÉS AUX D I F F É RENTS NIVEAUX D'ANALYSE DE L'OBJET

Pour interpréter les conduites des acteurs, pour leur donner un sens social qui ne soit pas le sens subjectif que tout acteur prête à ses actes, nous devrons mettre en relation comportements des acteurs et société. Cette mise en perspective peut se faire à différents niveaux1. On peut prêter un sens aux conduites des retraités en rapportant celles-ci à la société, en tant qu'organisation sociale constituée. Les comportements des retraités seront alors : a) soit analysés comme des réponses à la situation sociale qui leur est assignée, aux statuts et rôles qui leur sont attribués, b) soit rapportés à des types de structures de la personnalité, euxmêmes issus des relations instituées entre individu et système social. On peut aussi construire un système d'interprétation des conduites en rapportant celles-ci non plus au cadre social existant mais aux processus qui dans un même mouvement le constituent et le transforment : c) on analysera alors les comportements en fonction de leur orientation sociale. Chacun de ces niveaux saisit plus particulièrement certains aspects des comportements des retraités. De nombreuses études sociologiques ont adopté les deux premiers type d'approche et, à travers l'analyse de la littérature existante, nous lui donnerons un contenu plus concret. La voie est plus nouvelle et le terrain peu exploré en ce qui concerne le troisième type d'approche. Nous envisagerons successivement les deux niveaux d'analyse issus de la mise en rapport des conduites avec le cadre social existant : — le niveau des systèmes de relations sociales, systèmes de statuts et de rôles, — le niveau de la structure de la personnalité. i . Nous nous inspirons ici de la délimitation des niveaux d'analyse proposés par Alain Touraine dans la Sociologie de l'action, Paris, 1965, chap. 11.

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Nous verrons ensuite en quoi peut consister la mise en rapport des conduites de retraite avec les forces en présence dans la structure sociale qui l'organisent et la modifient. 2.1. Le premier niveau d'analyse des conduites de retraite : leur mise en relation avec le système social De nombreuses études analysent les comportements des personnes âgées en fonction de la place qui leur est accordée dans la structure sociale et du système de statuts et de rôles lié à cette position. Le point de départ de ces recherches est généralement le concept fonctionnaliste d'adaptation. Les réponses, en termes de comportements, que les individus font à leur situation, sont donc analysées en fonction de leur ajustement individuel à cette nouvelle situation. 2.1.1. Le concept d'adaptation et la gérontologie sociale Nous schématiserons la démarche qui consiste à étudier les problèmes du vieillissement et de la retraite en termes d'adaptation. Pour l'essentiel, nous reprendrons les propositions d'Otto Pollak 1 qui sont très explicites à ce sujet. Tout individu a des besoins à satisfaire et veut se voir accorder des gratifications par la société dans laquelle il vit. Pour atteindre ces objectifs, il dispose de certaines capacités et prédispositions personnelles et il doit compter sur les occasions offertes par l'environnement social. Le vieillissement entraîne une modification des deux termes du système : les capacités biologiques et psychologiques s'altèrent, la place accordée dans la structure sociale est modifiée ainsi que le système des statuts et des rôles qui est lié à cette position dans la société (et avec lui les gratifications accordées par la société). L'équilibre étant rompu, l'individu devra procéder à une réorganisation pour rétablir son bilan individuel de satisfaction entre la contribution apportée et la rétribution attendue. Cette problématique reste assez limitée dans la mesure où chercher à mettre en évidence les déterminants d'une bonne ou mauvaise adaptation à la situation de retraite renseigne insuffisamment sur la signification réelle des comportements observables des retraités (à moins que l'on réduise le sens de tout comportement à un bilan individuel de satisfaction). Enfin, on néglige tout un aspect de l'analyse des comportements des personnes âgées en en faisant un attribut dichotomique (conduites bien ou mal adaptées), puisqu'on ne cherche pas à distinguer la multiplicité des types d'adaptation. 2.1.2. Cycle de vie et évolution du système de relations sociales Certains travaux ont dépassé l'approche en termes d'adaptation, pour parvenir à une définition sociologique de la vieillesse établissant un lien entre système de relations sociales et classe d'âge. Une personne i. O. Pollak, Social Adjustment in Oli Age: A Research Planning Report, New York, 1948.

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est âgée lorsqu'elle perd ses fonctions valorisantes, lorsque sa capacité sociale décline, lorsque les rôles sociaux qu'elle était amenée à jouer se réduisent en nombre et en importance1. Ainsi l'âge physiologique et l'âge sociologique sont-ils considérés comme relativement indépendants entre eux : dans la dernière phase de la vie, la capacité sociale persiste au-delà du déclin de la structure biologique, dans une proportion qui dépend du système de valeur dominant de la société, et du fait que ce dernier autorise ou non une personne âgée à occuper des fonctions sociales valorisantes. Ce qui se dessine dans cette approche est une théorie sociologique du cycle de vie, introduisant la dimension temporelle dans la relation entre individu et système social. Si l'on analyse le cycle de vie comme une succession de rôles à accomplir dans la vie professionnelle, familiale, sociale, politique... (les séquences de rôles et le contenu précis de ces rôles étant liés à la place occupée dans la structure sociale), notre objet d'étude prend immédiatement un sens plus précis. La retraite est en effet le moment le plus important de la restructuration du système de rôles, et peut être le début du vieillissement sociologique. Il faut par conséquent analyser les relations existant entre cette modification fondamentale (la perte du rôle de travailleur) et les changements qui peuvent s'opérer dans les autres sphères (famille, organisation, etc.) du système social et du réseau de communication de l'individu retraité. 2.1.3. Quelles sont les issues possibles résultant de la transformation du système de relations sociales consécutive à la retraite ? La plupart des recherches empiriques, en Europe ou aux États-Unis, souligne l'importance des relations familiales (Peter Townsend 2 insiste sur leur rôle essentiel en tant qu'instrument d'intégration sociale). Dans cette perspective, la vie tourne autour de deux mondes, le monde du travail et le monde familial. Une fois quitté le premier, seul le second peut assurer l'équilibre social et personnel. Les issues sont alors : accentuation des relations familiales ou isolement. Il faut remarquer que ce raisonnement repose sur une hypothèse qu'il reste à démontrer : il faut une certaine densité de communication, une certaine intégration communicative, pour qu'il y ait équilibre personnel et adaptation harmonieuse. Cette densité indispensable est obtenue dans la première phase de la vie par l'action des institutions qui ont une fonction de socialisation : école et famille. Dans la vie adulte, c'est le travail qui confère pour l'essentiel son statut à l'individu, celui-ci étant inséré dans un réseau dense de communications. Lorsque l'individu cesse son activité rémunérée, non seulement son réseau de communications s'appauvrit, mais également sa position dans la société n'est plus nettement définie. Dans la mesure où un nouvel équilibre succède à l'ancien, un nouveau 1. R. J . Havighurst, « The Sociological Meaning of Aging », in : Fourth Congress of ths International Association of Gerontology, vol. I, 1957, pp. 118-128. 2. P. Townsend, The Family Life of Old People, Londres, 1957.

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système de statuts et de rôles prend place, correspondant au contenu culturel que la société assigne à la vieillesse. Cependant, si la thèse de Townsend est optimiste à l'égard de la fonction intégrative de la famille pour les personnes retraitées, elle s'est constituée contre celle de Parsons1 qui, lui, faisait l'hypothèse inverse. Il mettait l'accent tout particulièrement sur la transformation historique du rôle des gens plus âgés à l'intérieur de la famille, montrant en quoi la position des personnes âgées souffre de cette évolution. En effet, l'industrialisation a désintégré la famille patriarcale fondée sur un système vertical, et dont les anciens étaient le point d'appui. Aujourd'hui la famille a été réduite à sa dimension biologique : il s'agit d'unité conjugale, et par conséquent au moment où les enfants quittent le foyer, le couple perd l'attache familiale. Si le monde professionnel s'évanouit également, on voit facilement s'engager un processus de rétrécissement pouvant aller jusqu'à la rupture entre l'individu et le système social. Ainsi, une des issues, et non la moindre, de la transformation du système de relations sociales peut être l'isolement. L'analyse des effets de l'amputation du rôle professionnel sur le reste des positions de l'individu dans le système social constitue un premier niveau d'analyse de cette réalité complexe que sont les comportements des retraités. Cependant, il n'y a pas un modèle unique de résolution de la transformation du système de rôles, qu'il soit axé sur la famille ou qu'il conduise à l'isolement. Les solutions adoptées par l'individu sont multiples, il serait nécessaire de les mettre en évidence et, par ailleurs, il faudrait trouver les déterminants de ces diverses résolutions. Les types de transformation du système de relations sociales proposés par ces auteurs sont d'une part trop schématiques et d'autre part ne nous fournissent aucun élément explicatif. Il faudrait en effet mettre en relation situations sociales et restructuration du système de rôles, et montrer quelles situations déterminent l'isolement ou au contraire l'intégration sociale. 2.2. Le second niveau d'analyse des conduites de retraite : leur mise en relation avec le système de personnalité Pour interpréter les comportements de retraite, nous nous sommes jusqu'ici situés dans la perspective du système social et de ses modifications en fonction du passage d'une situation de travail à une situation de non-travail, et d'une situation d'adulte à une situation de personne âgée. Mais à un changement dans le système de statuts et de rôles correspond une structuration nouvelle de la personnalité. Nous pourrons donner un sens aux conduites des retraités en les rapportant au système de personnalité issu des transformations du système social. La structure de la personnalité évolue avec le cycle de vie en fonction des rapports institués entre individu et système i. En particulier T. Parsons, « Toward a Healthy Maturity », Journal of Health and Human Behaviour i (3), automne i960.

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social à chaque étape de la vie, de la même façon que le système social est amené à se modifier en fonction de la façon dont est définie l'avance en âge par le système culturel. Cette mise en relation de la personnalité avec le cycle de vie a été partiellement opérée dans la recherche sociologique par la théorie du désengagement1. Dans des conditions normales (bonne santé et indépendance financière relative), le vieillissement s'accompagne d'un éloignement ou désengagement réciproque de la personne qui vieillit et des autres membres du système social dont elle fait partie. L'éloignement peut être provoqué soit par l'intéressé lui-même, soit par d'autres membres de ce système. Une fois le désengagement achevé, l'équilibre qui existait pendant l'âge mûr entre l'individu et la société a fait place à un nouvel équilibre caractérisé par un éloignement plus grand et par une solidarité fondée sur une base différente. Ainsi, au fur et à mesure que le champ social se rétrécit (les pertes que subit l'individu, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan social, commencent à dépasser son aptitude à les réparer et l'inévitabilité de la mort prend un caractère de plus en plus contraignant), l'individu intègre sa nouvelle situation en se détachant du monde, construisant une « intimité à distance » vis-à-vis des êtres chers, vivant dans l'introversion et remplaçant l'action présente par les résidus symboliques des actions passées (les souvenirs). Le processus de désengagement est occasionné par une modification fondamentale du système de valeurs privilégié par l'individu. Ce dernier se détourne de la réussite comme valeur centrale et lui substitue l'affectivité. Si cette phase délicate est dépassée, si la crise de la personnalité est résolue, le désengagement s'amorce. Libéré de ses attaches à la réussite, l'homme désengagé « devient libre ». Car si l'homme prend ses distances à l'égard de la société, réciproquement la société s'éloigne de lui. Elle le libère des contraintes et des pressions normatives. On retrouve ici une théorie du cycle de vie, mais axée cette fois sur la personnalité sociale et non plus sur le système de relations sociales. La socialisation conduirait l'enfant à renoncer à son individualisme et à se conformer aux exigences normatives de la société, tandis que par le processus réciproque les individus âgés se verraient autorisés à retourner à l'individualisme, refusant les tâches sociales pesantes et trouvant leur satisfaction dans les autres possibilités offertes principalement dans le domaine affectif. Cette théorie a le mérite d'évoquer la relation entre système social, personnalité, et processus biologique en tant que réalité vécue (conscience de la mort). Il faudrait élargir et systématiser cette analyse. Elle ouvre le champ à une interprétation des conduites des retraités en termes de résolution, avec ou sans crise, du processus de désengagement. Mais la fermeture progressive du sujet au monde extérieur (déseni . E. Cumming et W. E. Henry, Groiving Old : The Process of Desengagement, New York, 1961, et E. Cumming, « Nouvelles réflexions sur la théorie du désengagement », Revue internationale des Sciences sociales 15 (3) (numéro spécial Le troisième âgé), 1963, pp. 393-412.

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IM retraite : une mort sociale

gagement), son attitude à l'égard du changement, son sentiment d'anomie, son niveau de satisfaction, son angoisse de la mort, sont l'expression, en termes de conduites et de représentations de l'évolution biologique, du vieillissement. Le niveau de l'étude du système de personnalité dans ses rapports avec le système social sera donc le lieu privilégié où nous pourrons saisir les relations existant entre être physiologique et être social, et réintégrer l'axe biologique dans l'analyse de la retraite à côté de l'axe travail—non-travail. Nous sommes partis d'un certain type d'approche des comportements de retraite qui, pour les interpréter, replace ceux-ci dans la société en tant qu'organisation sociale constituée. Nous avons distingué deux niveaux de recherche : le niveau du système de relations sociales et le niveau du rapport entre personnalité et système social. Le premier prend en compte les modifications du système de rôles et de statuts, et plus généralement des modalités d'insertion sociale entraînées par le vieillissement et la retraite, en tant que types de réponses possibles à la place qui est assignée par la société à cette étape de la vie. Le second s'intéresse aux transformations de la personnalité (répliques de celles qui vont se produire ou se sont produites dans le système social), non pas dans ses aspects psychologiques ou psychanalytiques (ce qui dépasserait le cadre de cette étude), mais dans ses rapports à l'environnement social et à la société globale. Si la problématique ainsi posée résume et organise les principaux thèmes de recherche généralement étudiés, il nous semble qu'elle ne saisit pas la totalité de notre objet. Notamment, elle laisse dans l'ombre un aspect essentiel du problème : la signification des comportements de retraite en regard de l'évolution des structures sociales. Dans quelle mesure peut-on rapporter certaines conduites à certains modèles sociétaux ? Poser cette question revient à construire un système d'interprétation des comportements des retraités différent, à mettre ceux-ci en rapport, non plus avec le cadre social existant, mais avec les forces qui le sous-tendent et le font évoluer. 2.3. Pratiques de retraite et évolution des structures

sociales

On a vu que le procès de croissance et de vieillissement, comme le rapport entre travail et non-travail, sont définis par le système de valeurs de la société considérée, et prennent un sens différent en fonction de l'évolution socio-culturelle. Alors que dans une phase précapitaliste la vieillesse est source de pouvoir et accumulation de connaissances, dans une société productiviste axée sur le travail, la retraite signifie à la fois mise hors circuit d'un élément peu rentable et non-activité reconnue par la société. On peut imaginer un autre modèle sociétal qui ne serait plus axé sur le travail mais sur le non-travail, c'est-à-dire sur la consommation. Le sens de la retraite serait alors modifié fondamentalement. La retraite deviendrait « vraie vie de loisirs », avec pour seule limite les ressources physiologiques et économiques du sujet. Nous passerions donc, avec

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l'évolution de nos sociétés sur le plan social et économique, d'une retraite mise à l'écart à une retraite loisirs1. Enfin, dans une société qui ne serait pas ségrégative et n'attribuerait pas à chaque étape de la vie une fonction improductive ou productive, il n'y aurait pas de retraite, mais une nouvelle forme d'activité. Dans cette société, accumulation de savoirs, travail et non-travail ne seraient pas séparés mais constitueraient les éléments d'un processus d'ensemble indissoluble. Chaque forme d'activité serait adaptée aux caractéristiques propres du stade biologique atteint, et la dernière phase de la vie correspondrait à ce qu'on appelle (souvent d'une manière ambiguë), le troisième âge. Cependant les types de retraite que nous venons de caractériser sont trop généraux. Une société ne peut être définie globalement par l'accent qu'elle met sur la production ou sur la consommation. En fait, toute société concrète est un mélange de processus enchevêtrés correspondant à des logiques distinctes. Si nous construisons des modèles idéaux de la société globale et leur faisons correspondre des conduites typiques de retraite, nous n'apprendrons rien sur les modèles culturels qui se manifestent derrière les conduites observées. Nous devons renverser la démarche et dégager les grandes orientations qui sont sousjacentes aux pratiques, qui leur donnent du sens par rapport aux processus en action dans toute société concrète. Le repérage des dimensions sous-jacentes aux conduites des retraités, et qui nous permettent de les classer et de leur donner un sens, nous amène à construire un troisième objet d'étude : les types de pratiques de retraite. Afin de saisir les comportements des retraités sous tous leurs aspects, nous avons distingué opératoirement plusieurs niveaux d'analyse : — le niveau du système de relations sociales, — le niveau du système de personnalité, — le niveau du système de pratiques de retraite. Cet effort de construction permet la recomposition d'une façon structurée des comportements concrets, et nous conduit à comprendre l'articulation interne des faits et la totalité des processus par lesquels les déterminants agissent sur les conduites. Ainsi pourrons-nous respecter l'impératif d'approche globale du problème que nous avons posé en commençant cette recherche. 3 . L E S TYPES DE PRATIQUES SOCIALES DANS LA SITUATION DE RETRAITE

Toute société est constituée d'un mélange de processus enchevêtrés. On peut donc y trouver au même moment certaines formes traditionnelles, coexistant avec des aspects typiques d'une société post-industrielle par exemple. Dans la mesure où il est impossible de parler d'un 1. Ce thème a été développé en France par J. Dumazedier et A . Ripert, « Vieillesse et vieillissement », Esprit (5), mai 1963.

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état de la structure sociale et où l'on ne peut repérer dans une formation sociale concrète que des tendances sociales diverses et parfois conflictuelles, il s'avère indispensable de distinguer leurs expressions concrètes, de recenser plusieurs pratiques de retraite dans une société donnée. L'unité apparente des comportements de retraite devra donc être cassée, et différents types de pratiques de retraite seront dégagés en fonction du rapport qu'ils entretiennent avec les processus qui tout à la fois constituent et changent notre société. 3.1. Par rapport à quels processus fondamentaux conduites des retraités et leur donner un sens ?

devons-nous

classer

les

Les conduites des retraités seront considérées comme des expressions manifestes de l'articulation des axes constitutifs suivants : nature/ culture et travail/non-travail. Le premier processus retenu est donc celui par lequel un état de nature et un certain ordre cidturel interfèrent pour fonder une formation sociale donnée. Pour élaborer cette première dimension nous nous sommes appuyés sur les récents travaux de Serge Moscovici 1 . Toute société peut être saisie, à un moment de son histoire, comme issue du mouvement dialectique entre un type d'organisation de la production et de la répartition des richesses et du pouvoir, et un certain mode de rapport avec le monde matériel. En effet, société et nature ne doivent pas être traitées comme des zones hypostasiées du réel. Elles se commandent étroitement l'une l'autre. On ne peut parler de nature permanente préexistante aux établissements humains, que nous maîtriserions peu à peu grâce aux progrès de la science. Aucune partie de la réalité n'est accessible sans avoir été au préalable associée à un savoir ou à une technique humaine. Les forces matérielles, les énergies naturelles n'existent que dans la mesure où elles sont reliées à un type de connaissance. Ainsi le pétrole n'a été repéré, en tant que source d'énergie naturelle, que lorsque les progrès scientifiques ont permis son utilisation. Chaque invention remet par conséquent en cause l'ordre naturel en tant qu'organisation définie des forces matérielles. Dans la mesure où forces matérielles et connaissances sont étroitement agrégées, ce que nous supposons comme un état naturel donné n'est qu'un produit de l'activité humaine. Nous venons de rappeler qu'il n'existe pas d'état de nature antérieur à toute action humaine que l'on pourrait opposer à la culture. Dans une société donnée, l'état de nature est étroitement commandé par le modèle de connaissance2. Mais de la même façon que toute culture institue la nature, elle est instituée par elle. 1. S. Moscovici, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, 1968. 2. Moscovici montre (ibid.) comment nous sommes passés d'une vision naturelle mécanique à un état naturel cybernétique correspondant à l'instauration de rapports inédits entre l'homme et la matière.

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Ainsi, à une certaine configuration des forces matérielles correspond un certain type de travail inventif, qui est le propre d'une catégorie d'homme; par exemple, à l'état naturel mécanique, les ingénieurs représentent le groupement qui reproduit et invente les ressources naturelles. Ce sont eux qui détiennent les habiletés et les savoir-faire propres à cet ordre naturel. Lorsque le rapport qu'une société donnée entretient avec le monde matériel est modifié pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de traiter ici, il y a transformation simultanée des rapports d'homme à homme. Avec la découverte de ressources nouvelles surgiront de nouveaux possédants et non-possédants. Une nouvelle hiérarchie des savoirs s'instaurera sous la poussée du nouveau groupe « porteur d'invention ». Toute réorganisation des rapports que l'homme entretient avec le milieu naturel correspond à une réorganisation des liens inter-humains de la société et donc à un nouveau type d'organisation de la production et de la répartition des richesses et du pouvoir. On ne peut par conséquent parler d'un ordre social qui succéderait à un ordre naturel en le refoulant, ni opposer nature et société, car la société est continuellement issue de la nature et inversement. Les deux termes se conditionnent réciproquement. Les relations qui s'établissent entre état de nature et ordre social ne sont pas d'extériorité mais au contraire doivent être conçues comme des rapports dialectiques qui à la fois fondent et transforment un ensemble social donné. Au niveau de l'acteur social on retrouve la même dynamique contradictoire que celle que nous avons observée pour la société globale. Faire la transcription au niveau de l'individu de ce que nous avons avancé précédemment va nous permettre de passer d'une analyse des processus sociaux fondamentaux à l'étude des pratiques de retraite en tant qu'expression de l'état d'un processus social à un moment donné. L'homme est à la fois sujet social et sujet naturel. Il est défini par ses propriétés psycho-physiques particulières (réflexes moteurs, techniques mentales ou gestuelles) et par une position sociale spécifique dans la structure sociale. L'individu n'est pas constitué primitivement par le substrat biologique de l'espèce auquel se serait surajouté une seconde nature qui serait sociale, liée à l'univers des règles et des contraintes issues des interrelations humaines. Au contraire, l'interaction est très étroite entre un certain état de développement des techniques et habiletés (un contexte culturel précis) et le fondement biologique de l'homme. Les transformations biologiques significatives qui sont enregistrées avec régularité avant ou après chaque amélioration des instruments ou de leur emploi en sont une illustration. La progression de toutes les techniques et des sciences, l'assimilation de nouvelles forces matérielles ne glissent pas sur notre capital organique originel sans y laisser de traces. Ainsi des découvertes telles que le microscope ou le télescope, correspondant à un certain état des connaissances, ont modifié notre sensibilité. Des anthropologues ont montré, ce qui va dans le même sens, comment l'utilisation d'outils correspond, pour l'homme, à une modification de la main en même temps qu'à l'affine-

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La retraite : une mort sociale

ment des mécanismes neuro-musculaires et à l'extension de la capacité cérébrale. En conclusion il s'avère que, de même qu'il n'existe pas, au niveau global, d'ordre naturel indépendamment d'un modèle de connaissance lié à un certain ordre culturel, on ne peut, au niveau individuel, autonomiser un fondement biologique qui serait indépendant de l'acteur social inséré dans un ordre social. Il s'ensuit que les rapports que tout sujet entretient avec les éléments matériels, qu'ils relèvent du biologique ou de l'inerte, ne peuvent s'interpréter que par référence à un certain « état de nature » 1 . Ainsi, la façon dont le milieu ambiant est exploré ou les critères retenus pour déchiffrer les informations reçues du monde extérieur sont liés à l'état de nature dans lequel ils s'insèrent. Par exemple, l'homme que Serge Moscovici définit comme appartenant à la nature « organique » perçoit les couleurs, les aspérités d'une substance. En revanche, celui qui appartient à l'ordre mécanique percevra plutôt des figures, des volumes, des résistances. Le rapport aux réalités matérielles est médiatisé par la société. De la même façon, le rapport qu'entretient tout individu avec sa constitution biologique, son corps, sera conditionné par le type d'articulation établi dans une société donnée entre nature et culture. Toute pratique pourra donc être interprétée comme étant l'expression d'un type d'articulation conflictuelle établi entre un pôle naturel et culturel. Au niveau de l'interprétation des pratiques en situation de retraite, cet état des rapports en tension entre les deux pôles nature/culture est une dimension centrale de l'analyse dans la mesure où le poids spécifique, dans une fusion historique donnée, de chacun de ces pôles dialectiquement liés constitue le fondement de ce que l'on nomme volontiers « condition du vieillard », « vieillissement... ». Nous pourrons caractériser les différentes pratiques par rapport à cet axe en distinguant trois situations fondamentales suivant que les conduites manifestent une accentuation du pôle naturel aux dépens du pôle culturel, ou, au contraire, la prééminence de ce dernier, ou encore qu'elles prennent leur sens au niveau même de l'état, à un moment donné, des rapports entre nature et culture. Ainsi certains types de pratique en situation de retraite privilégieront le rapport à l'être biologique aux dépens du sens social. L'accent sera alors mis sur la nature. Au moment de la mise à l'écart du système de production nous assisterons à l'accentuation, dans les conduites, d'activités toutes centrées sur l'attention portée au corps, au fondement matériel de l'être, à l'entretien de la vie. Comme nous l'avons évoqué précédemment, le type de rapport au biologique qui sera créé, l'attention sélective dont le corps fera l'objet, seront relatifs à « l'état de nature » dans lequel prendront place ces activités. D'autres conduites mettront l'accent sur l'organisation sociale au i . Structure à un temps « t » des rapports entre les éléments matériels (énergies...) et humains (savoirs, techniques).

he schema théorique d'analyse

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détriment du pôle naturel. Au moment de leur cessation d'activité, les retraités, au lieu de se replier sur leur être biologique, suivront une filière institutionnellement définie qui leur permettra de trouver une insertion nouvelle dans le cadre social existant. Enfin certaines conduites se situeront à un autre niveau que l'accentuation d'un des pôles de la dimension nature/culture. Elles privilégieront le système de relations s'établissant entre les deux pôles en tension. Toute société, comme nous l'avons vu, peut être définie, à un moment de son histoire, comme issue des rapports dialectiques entre un certain mode de rapport au monde matériel et un type d'organisation sociale. Par conséquent les conduites privilégiant le système de relations état de nature/ordre culturel se situent au niveau de la société globale pour remettre en cause ou accepter cette fusion historique faite de tensions entre deux pôles en conflit. Et particulièrement les conduites se rapportant à cette fusion historique entre les deux pôles se réfèrent au fondement de la condition faite aux vieillards et rejettent ou se plient à la définition que l'on donne d'eux. Nous avons distingué trois modèles d'interprétation des conduites en les rapportant à l'axe naturejculture. Nous les appellerons niveaux d'orientation des conduites. A un premier niveau, l'orientation des conduites sociales est naturelle, les comportements prennent un sens lorsqu'ils sont rapportés à l'être biologique. Nous nommerons ce niveau d'orientation : rapport à l'existence biologique. En fonction de la relation qu'il établit avec l'axe nature/culture, il peut être symbolisé de la façon suivante : nature/—. A un deuxième niveau, l'orientation des conduites est culturelle, les comportements prennent leur sens en fonction d'une situation sociale institutionnellement définie. Nous appellerons ce niveau : rapport à l'organisation sociale et nous adopterons le symbole suivant pour le définir : —/culture. Enfin, à un troisième niveau, les comportements prennent un sens en fonction des rapports en tension qu'entretiennent nature et culture. Les conduites sont donc orientées vers les dimensions qui, dans leurs relations dialectiques, constituent et changent tout à la fois la société. Nous symboliserons ce niveau d'orientation de la façon suivante : nature/culture, et nous le nommerons rapport à la structure d'action. Ici, les acteurs se réfèrent inconsciemment, non plus à un état naturel ni à une société en tant que système institutionnalisé, mais aux éléments constituant la dynamique du système d'action historique, aux principes qui à la fois constituent, organisent et dépassent les formes sociales existantes. La première dimension par rapport à laquelle nous donnons un sens aux conduites des retraités est l'axe nature/culture. Elle nous permet de distinguer des niveaux d'orientation sociale. La deuxième dimension, par rapport à laquelle seront classées les conduites des retraités, sera l'axe production/consommation. A la base de toute société, en effet, il y a une dialectique fondamentale entre processus de production et processus de consommation. Par le processus de production, la société agit sur la nature et la ?

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La retraite : une mort sociale

transforme en produits; par le processus de consommation cette société s'incorpore ces produits. Toute société se définit par la relation dialectique entre l'organisation collective de la production et le type de réappropriation des produits. Ainsi, la société de masse a été souvent définie comme étant dominée par l'opposition entre un principe égalitaire au niveau de l'appropriation privée — puisqu'il y a consommation de plus en plus généralisée de certains biens — et un principe inégalitaire au niveau de l'organisation de la production — connaissances et pouvoirs sont en particulier très rigoureusement hiérarchisés. Il existe donc, au fondement de tout ensemble social, un rapport dialectique entre activité productrice et appropriation. Le système de rapports en tension qui se crée entre ces deux termes, dans une société donnée, et par lequel celle-ci se définit, se traduira sur un plan concret par l'établissement d'un certain mode de relation entre le travail et le non-travail. Nous avons vu combien cette relation était au centre de tous les débats sur la retraite. Nous retrouvons au niveau de l'acteur cette dialectique création/ consommation. Toute pratique concrète est constituée par un double mouvement, elle est production d'un acte dans un ensemble social et réception médiate ou immédiate des réactions de l'ensemble à cet acte. Nous sommes cependant en droit de distinguer analytiquement des types de pratiques sociales en fonction du pôle qu'elles privilégient, en fonction de ce que nous appellerons la nature de leur orientation sociale. Certaines conduites apparaîtront comme axées sur une contribution à la production collective, d'autres, au contraire, sur l'appropriation de certaines valeurs sociales et de certains biens matériels. Nous dirons que les premières ont une orientation de nature créatrice, dans la mesure où l'emporte la production, au sens large, d'un effet nouveau dans le champ, et que les secondes ont une orientation de nature consommatoire, dans la mesure où elles sont centrées sur l'appropriation d'effets déjà produits dans ce champ. Notons que ce que nous appelons « nature de l'orientation sociale » ne doit pas être interprété en termes psycho-sociologiques, mais signifie que nous considérons les conduites comme étant l'expression des orientations productivistes ou consommatoires de la société. De la même façon, lorsque nous avons saisi les comportements des retraités en fonction de leurs niveau d'orientation sociale, nous les interprétions en tant que manifestation de l'état des rapports que toute société établit entre son état naturel et son système culturel. Les pratiques des retraités, c'est-à-dire le sens objectif que prennent leurs conduites par rapport aux structures fondamentales de la société qui tout à la fois la constituent et la changent, seront donc définies par les niveaux de leur orientation sociale et par la nature de cette orientation sociale. Nous avons montré en effet que ces deux dimensions constituaient le fondement de toute société. Nous obtiendrons des types de pratiques en croisant les deux axes définis précédemment. Nous caractériserons chacun des modèles de pratique se situant différemment au sein de ces processus, et nous montrerons en quoi cette interprétation du sens des conduites est éclairante pour une analyse des retraités.

Le schéma théorique

d'analyse

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Ce croisement n'est pas le résultat d'une opération purement logique mais est à la fois logique et théorique. Ce fait explique que nous n'ayons retenu que cinq types au lieu de six. En effet, lorsqu'une pratique est dominée par le pôle naturel, il est inutile de la diversifier socialement en fonction d'une accentuation créatrice ou consommatoire. Typologie des pratiques de retraite en fonction de leur rapport à la structure sociale

SCHÉMA I .

niveau de l'orientation nature de l'orientation sociale

rapport à l'existence biologique (N/-)

production retraiteretrait consommation

sociale

rapport à l'organisation sociale (-/C)

rapport à la structure de l'action (N/C)

II

IV

retraite3 e âge

retraiterevendication

III retraiteloisirs, ou retraitefamille

retraiteparticipation

3.2. Quel est le contenu de chacun des types de pratiques théoriques ainsi défini ? Type I : la retraite-retrait Contrairement aux autres types de pratique le seul niveau d'orientation sociale en rend compte entièrement. On a vu que l'acteur, au moment de la retraite, et en raison des bouleversements liés au passage du travail au non-travail, est amené à modifier ses conduites, qui prennent alors un sens nouveau par rapport aux processus fondamentaux de la société. Dans le cas de la retraite-retrait, tout se passe comme si l'acteur ne se définissait plus qu'en termes de nature humaine, comme s'il n'était plus que le support d'un processus biologique. Il est alors totalement coupé de sa situation sociale. Le non-travail se traduit pour lui par une expulsion de la société. Il n'est plus question pour lui de participation à une production collective ou d'appropriation collective. Son comportement n'est plus social, il est naturel; et ce comportement univoque le définit totalement. Sa consommation est pure consommation de survivance, elle n'est plus liée qu'à des besoins naturels, excluant toute satisfaction de besoins sociaux ou la reproduction élargie de la force de travail. Les comportements quotidiens liés à cette pratique seront presque exclusivement constitués d'actes réflexes destinés à l'entretien de la vie (se nourrir, dormir, faire sa toilette...). Nous n'observerons aucune

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La retraite : une mort sociale

conduite exprimant une quelconque insertion sociale (participation à une association, contacts sociaux, activités paraproductrices...). Le champ social est réduit à l'extrême et le biologique domine l'ensemble des conduites. Nous citerons ici quelques extraits d'entretiens1, pour illustrer concrètement ces pratiques et montrer en quoi les modèles théoriques proposés sont des instruments d'analyse permettant d'organiser la réalité observée : les conduites quotidiennes des retraités. Notons qu'il ne s'agit pas ici de valider notre construction théorique mais de l'assortir d'exemples concrets pour en faciliter la lecture. La vie quotidienne du retraité-retrait est rythmée par l'alternance des activités nécessaires à l'entretien du biologique et de larges temps morts où l'on attend que vienne l'heure de l'activité fonctionnelle suivante. La minutie avec laquelle sont décrits les actes réflexes et les activités ménagères contraste toujours dans le discours des retraités-retrait avec le peu de détails fournis sur l'occupation du temps restant. Nous nous sommes assurés qu'il ne s'agissait pas des effets d'une aptitude qui serait différentielle à parler de ses loisirs. En effet les questions complémentaires que nous avons posées sur leurs activités de loisirs font apparaître l'absence quasi totale d'activités non physiologiques. « Ben je commence à me lever il est neuf heures, neuf heures et demie, je me débarbouille, je me rase et après je défais mon lit et je vais faire ma vaisselle. Je la rince, je la mets à égoutter et pendant ce temps-là je fais le lit; et alors j'essuie ma vaisselle et je commence à faire mon ménage. Je descends faire les courses quand ce n'est pas ma femme qui y va et ensuite nous faisons le manger. Puis on se met à manger. Après la vaisselle est à faire, je donne un coup de main à ma femme. Puis l'après-midi je fais une petite sieste et puis le soir je vais faire quelques courses et nous préparons le dîner. De temps en temps je fume, d'ailleurs, il faut bien passer le temps dans la journée. Je me couche le soir vers dix heures et demie. » (ancien ouvrier, 68 ans) Même lorsque, pour certains retraités, la sieste de l'après-midi est remplacée par une promenade, il s'agit d'un « petit tour dans le quartier pour se dégourdir les jambes », « pour faire marcher ses jambes, ne pas s'ankyloser ». Il s'agit donc en fait d'une promenade de santé, elle aussi axée sur l'entretien du physiologique. Cette promenade est pratiquée sur un rythme cyclique comme toutes les autres activités des retraitésretrait, elle se déroule à heure fixe et respecte à peu près toujours le même itinéraire. Le lendemain est la répétition exacte de la veille, puisque l'élément qui sous-tend l'emploi du temps du retraité-retrait et lui donne son sens, c'est le rythme biologique et son perpétuel recommencement. « L'après-midi avec ma femme on va se promener, mais où nous allons, on est passé des vingtaines et des dizaines de fois. On connaît tout et malgré I. Il s'agit d'entretiens centrés, que nous avons effectués au cours de la phase exploratoire de l'étude.

Le schéma théorique d'analyse

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tout on y va comme des automates. On reste en promenade trois heures. On est de retour à sept heures pour le dîner. » (ancien ouvrier, 72 ans) L e repli sur l'être biologique conduit dans le même mouvement à une rupture avec le monde social. Le passage au non-travail correspond, dans ce cas, à une expulsion de la société, à la prédominance donnée aux comportements purement « naturels ». Une ancienne ouvrière blanchisseuse de 76 ans illustre très bien par ses propos ce double mouvement. « Je n'ai qu'à boire, manger, dormir et me promener. C'est tout ce que j'ai comme souci... Moi, ma liberté, boire, manger, dormir et me promener et surtout ma liberté toute seule. Les gens ne m'intéressent pas. Bonjour, bonsoir, c'est tout... J'ai personne et je ne fréquente personne. Je suis seule et unique pour moi... J'aime ma solitude, ma solitude, ma tranquillité, je veux voir personne, j'aime mieux vivre toute seule... j'aime personne. Je m'aime moimême et ça suffit. Mes frères, mes sœurs, je ne sais pas où ils sont, je n'en sais rien. Je m'occupe de personne, je vous dis. J'écoute pas la radio. J'aime pas ça, ni le cinéma, ni les journaux, c'est que des mensonges. »

Type II : la retraite-troisième âge

Dans ce cas, le passage du travail au non-travail correspond au passage d'une activité productrice, institutionnellement définie, à une nouvelle forme d'activité créatrice socialement reconnue. L e retraité-troisième âge s'adapte à sa nouvelle situation en s'insérant dans l'organisation sociale telle qu'elle lui est donnée. C'est en cela que nous pouvons interpréter son comportement en termes de rapport à l'organisation sociale. Cependant, cette pratique ne vise pas à l'appropriation de produits réalisés mais introduit des effets nouveaux dans le champ social. Elle est créatrice. Ces comportements paraproductifs sont généralement issus de centres d'intérêts anciens qui, tout naturellement, prennent la place de l'activité principale au moment de la mise à la retraite. Ils peuvent être très divers d'un individu à un autre (activité de création artistique ou littéraire, interprétation musicale, recherches techniques personnelles, collection de timbres, jardinage...). Mais ils ont pour caractéristique commune de structurer la totalité de l'activité du sujet, exactement au même titre que l'activité professionnelle passée. C'est en fonction de cette nouvelle occupation, également régie par des systèmes de normes sociales (qui accordent une certaine position dans la structure sociale et précisent le contenu des attentes du groupe), que le retraité se définit entièrement. Pour illustrer concrètement cette pratique nous citerons de larges extraits de deux entretiens. Pour le premier interviewé, un cadre veuf de 68 ans, la retraite a consisté à l'abandon du travail au profit d'une activité littéraire. L e second interviewé a pris, au moment de sa cessation d'activité, la responsabilité de la direction d'une harmonie municipale. « Évidemment je me lève tard, je me repose, vous comprenez, et quand j'en ai assez du lit, eh bien ! ma foi je me lève et comme je suis tout seul, il faut que j'aille au ravitaillement. Et puis ma foi, après, eh bien ! je m'occupe de moi, je fais ce qu'il me plaît. Parce que j'ai une tendance un peu à la littérature,



La retraite : une mort sociale

je griffonne, j'écris, j'ai déjà publié d'ailleurs. C'est en somme mon dada ça, c'est une chose que j'aurais aimé faire si je n'avais pas eu besoin de travailler pour gagner de l'argent. La retraite pour moi ça correspond à une détente et en somme ma tête entièrement à moi si vous voulez, si on peut dire ça comme ça. Parce que évidemment à la S... j'étais cadre commercial et évidemment il fallait donner des instructions, faire son travail, etc., alors le soir c'était fini, il y en avait assez. Et à la retraite vous comprenez, je me suis remis dans moi-même en somme... dire parfaitement heureux c'est beaucoup quand même, surtout pour un homme de 68 ans, on n'est plus tout à fait en somme dynamique si vous voulez; mais franchement je ne sais pas ce que c'est que l'ennui, ou je travaille, ou je lis ou je... enfin j'étudie une question, je fais toujours quelque chose. J'étudie sur une idée que j'ai eue et puis ma foi je la développe et puis des fois ça ne vaut rien et des fois enfin, ça va je la garde. » Deuxième entretien illustratif, celui d'un employé, marié, de 73 ans qui dirige maintenant une harmonie municipale. « En réalité, je me couche tard parce que je lis beaucoup le soir jusqu'à minuit. Je lis un peu de tout. Aussi bien les classiques, des dictionnaires de la musique, même des policiers, n'importe quoi. Je ne peux pas dormir sans lire parce que je saute de la musique. Évidemment il ne faut pas que je m'endorme avec ça dans l'esprit et en lisant je ne pense plus à rien et je m'endors. Je suis très occupé parce que je dirige la symphonie, j'organise les concerts et je fais les cours d'harmonie et de solfège. Je suis pris tous les jours, tous les soirs. Le jeudi, je vais aux répétitions, je donne des cours de solfège aux gosses le dimanche matin, le lundi soir les cours de violon jusqu'à 10 heures du soir, et puis le mercredi, je donne un coup de main à l'harmonie, je joue aussi de la contrebasse. Vous voyez que je suis très occupé. Alors je me couche toujours tard, je me lève pas trop tôt. Pendant que je travaillais, j'ai toujours fait partie d'un groupe de musique, c'était comme une société d'amateurs, alors avant, bien sûr, j'avais mon travail qui dominait, j'allais à la répétition, je m'y donnais moins que maintenant. Du jour où j'ai pu m'occuper que de ça, bien sûr, ça m'a donné beaucoup de travail, mais j'aime ça, je jouerais deux heures de suite, trois heures. Je ne m'arrêterais pas, c'est ma vie. Mais je ne joue pas tous les jours, il y a des états à remplir, des états de présence, des choses comme ça à préparer. Mais quand je joue je ne suis jamais content de moi, j'efface tout ce que je joue. Il suffit que j'entende quelque chose qui ne va pas, j'efface. J'ai juste conservé quelques grandes bandes. J'enregistre tout ce que je fais parce que j'entends beaucoup les défauts là-dedans je m'aperçois que j'ai mangé des temps, et c'est beaucoup quand on fait des duos. C'est extraordinaire, vous savez. » Ces deux retraités ont leur vie entièrement structurée par leurs activités créatrices. Avant, ils avaient leur travail professionnel qui dominait leur vie; maintenant qu'ils ont cessé toute activité salariée, ils se donnent entièrement à leur centre d'intérêt personnel, ils y trouvent l'essentiel de leurs joies et de leurs tourments ainsi que l'occasion d'échanges sociaux. L a retraite a consisté pour eux à passer d'une activité productrice, socialement sanctionnée, à une nouvelle forme d'activité créatrice, socialement reconnue et valorisée. Le sujet continue de collaborer à la production collective. Il est resté inséré dans l'organisation sociale par une activité productrice, il se sent « utile ».

Le schéma théorique d'analyse

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« Quand je me suis arrêté de travailler, au début ça frappe un petit peu quoi, à 65 ans, on vous met à la porte, on a la sensation d'être absolument inutile. On a la sensation d'être mis dans la vitrine à côté des vieilles potiches. Tandis qu'avec cette occupation j'ai l'impression que je fais quelque chose d'utile. » Ainsi le fait de prendre la responsabilité de cette harmonie municipale a permis à cet employé retraité de retrouver une certaine position dans la structure sociale. Le même sentiment est exprimé par le retraité qui a organisé sa vie de retraite autour de la littérature. « Quand j'ai arrêté, l'impression que j'ai eue c'est que les autres étaient dans le train et que moi je restais au bord du quai avec mes valises. Alors j'ai pris un train suivant, un train omnibus, qui va beaucoup plus doucement mais qui me permet en somme de voyager quand même un petit peu. » Le retraité-troisième âge est donc celui qui abandonne son activité professionnelle au profit d'une activité créatrice socialement reconnue et celle-ci étant, de plus, mieux adaptée à la phase du cycle de vie dans laquelle il se situe. La retraite n'est pas, dans le cas du troisième âge, rupture et mise hors circuit, elle est réajustement entre la fonction productive occupée et les ressources physiologiques de l'individu. Type III : la retraite-famille et la retraite-loisirs L'espace délimité en termes de rapports à l'organisation sociale et de prédominance de la consommation définit en fait deux types de pratiques spécifiques qui sont apparus successivement dans le temps, mais coexistent dans les structures actuelles. On a observé en effet, au cours de la pré-enquête, la persistance de certaines formes communautaires de consommation parallèlement à l'existence d'une consommation de masse. La pratique III prendrait alors dans la réalité deux formes concrètes : une pratique axée sur une consommation en milieu familial fermé, et une pratique axée sur une consommation de masse, c'est-à-dire unifiée pour une société donnée. Nous appellerons retraite-famille la première forme du type III et retraite-loisirs le deuxième aspect. La pratique famille correspond à un ensemble de conduites traditionnelles. Le retraité, ne contribuant plus à la production collective, retrouve son rôle de point d'appui du système des relations parentales et continue à s'approprier, par la médiation du milieu familial fermé, des valeurs sociales et culturelles et des biens matériels. Cette pratique prend donc son sens en fonction de l'organisation sociale, puisqu'elle privilégie l'insertion dans les structures familiales institutionnalisées. Elle se définit d'autre part en termes de consommation dans le cadre de la communauté familiale. « On vit en vase clos; ici c'est le clan. » (employé, 72 ans, vivant dans un pavillon qui abrite également le ménage de son fils aîné) L'institution de la famille est, dans le cas de la retraite-famille, le média-

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.Li? retraite : une mort sociale

teur unique par lequel le retraité reste rattaché à la société. Elle est le lieu unique des échanges sociaux et affectifs. « Nos petits-enfants sont notre raison de vivre. Toute la joie qui peut nous rester, les enfants nous l'apportent et puis j'ai un rôle à jouer auprès d'eux, je suis le chef de famille. »

La pratique loisirs est centrée sur la consommation de masse. Dans une société industrielle développée, se caractérisant par une relative abondance, la situation des individus n'est plus seulement définie en termes de participation à un travail collectif, mais aussi par leur intégration à la société en tant que consommateur. Dans ce cadre, le passage du travail au non-travail va donc consister à abandonner le rôle de producteur, au profit d'un renforcement du rôle de consommateur. Le temps laissé libre par la retraite sera consacré à la consommation privée des biens produits en masse sur le marché (que ces biens soient des voyages, des vacances, des produits pharmaceutiques, de la télévision, des spectacles...). Il faut remarquer que cette pratique répond de plus en plus aux attentes que la société formule à l'égard des inactifs, de la même façon que la retraite-famille répondait aux attentes d'une société traditionnelle qui confiait les vieillards à la charge de leur famille. Aujourd'hui, la société qui organise la subsistance des vieillards attend une contrepartie des ressources qu'elle met à leur disposition, soit sous la forme d'un accroissement de la demande des biens de première nécessité, soit sous la forme d'une régulation de la demande des autres biens (possibilité pour les personnes âgées de consommer des loisirs pendant les périodes creuses...). On parle de plus en plus aujourd'hui d'un marché du troisième âge 1 . Le rôle de consommateur n'est pas, dans le cas de la pratique loisirs, un simple substitut au rôle de producteur : il est valorisé. La retraite prend le sens d'une récompense après une vie de travail et se traduit au niveau des comportements par une recherche perpétuelle d'occupations distractives. « J'ai anticipé ma demande de mise à la retraite car je ne m'étais jamais arrêté. On avait élevé des enfants qui avaient fait des études supérieures. Alors j'ai dit tiens, je vais me rattraper... Moi, ça fait trois ans que je suis à la retraite, eh bien ! je n'ai pas eu l'occasion de m'ennuyer. Le secret, c'est de se tenir actif, ne pas se laisser aller, savoir occuper son temps et en tirer parti. Et alors ça vous permet, ... admettons, il fait très beau, eh bien ! on dit, profitons du beau temps, allez, hop ! on fait les valises et on part pendant quinze jours. Si on s'y plaît on y reste davantage. Tenez hier, après midi, on a pris la voiture pour aller à C... voir des amis. Nous avons passé un après-midi très agréable. Nous sommes rentrés sur le coup de six heures. Dernièrement nous sommes allés dans la Côte-d'Or, demain je partirai avec un ami à Roubaix. Le jour où je ne peux pas sortir parce qu'il fait mauvais, je bricole ou je lis et puis en général une fois par semaine on se retrouve un certain nombre de camarades, on se réunit chez l'un chez l'autre pour bavarder ou jouer au bridge. i . Cf. « Un marché neuf : les vieux », Expansion,

février 1970.

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D e temps en temps je vais à des conférences ou à des expositions, des trucs comme ça. C'est très agréable. Quand il y a eu les Floralies d'Orléans, nous y sommes allés, eh ! bien ça vaut la peine. J e ne dis pas qu'on y passerait la semaine mais on y passe une journée agréable. » (cadre parisien, marié, 66 ans)

Cette pratique privilégie l'aspect appropriation de toute conduite. On consomme des voyages, des vacances, des spectacles, des expositions. On se réinsère dans l'organisation sociale par la consommation privée de multiples biens produits en masse sur le marché. Tjpe IV : la retraite-revendication Cette pratique est centrée sur le rapport établi entre être biologique et être social et cherche à le transformer. Ceci se traduit notamment par le refus de la place qui est faite aux vieillards dans notre société. Le fait d'être mis au rebut, d'être considéré comme indésirable alors qu'on a rempli son devoir envers le corps social et gagné le droit au repos est contesté. Toutes ces revendications s'appuient sur la prise de conscience du fait que les retraités représentent un groupe d'âge solidaire, ayant des intérêts propres, et manifestent la volonté de se définir en tant que communauté pour défendre ses droits vis-à-vis du reste de la société. Les propos d'un cadre retraité de 65 ans, marié et mis à la retraite anticipée quelques années auparavant, illustrent assez bien cette orientation : « Moi, j'espère qu'on va faire quelque chose pour nous, comme on a fait pour la jeunesse, et qu'on aura un ministère pour nous et qu'on parlera de nous à la télé aussi souvent qu'on nous parle des jeunes. Nous représentons une force et nous représentons de l'argent à glaner. »

Il dit également : « C'est à la société de prendre en charge les personnes âgées. C'est quand même eux qui ont fait la société... c'est quand même nous qui avons fait la société comme elle est. Bien ou mal, c'est quand même nous qui l'avons fait progresser et qui sommes arrivés là où on en est. Parce qu'une société qui n'a pas le respect de ceux qui l'ont faite, c'est ça qui est pénible. Quand on voit les allocations qu'ont les gens, ça, ça ne devrait pas. On devrait prendre en charge les vieux, et les prendre en charge comme il faut. »

Au niveau des comportements, cette pratique se traduira par une très large participation secondaire, essentiellement au niveau d'associations d'anciens, la prise de conscience d'une certaine solidarité se traduisant également, au niveau des relations primaires, par une fréquence élevée des contacts avec les membres du même groupe d'âge. « J e pense que c'est important de participer à des organisations. C'est une façon de faire quelque chose. J e fais partie des retraités de chez R... A v e c les collègues on organise des excursions, des visites. Tenez, demain on va visiter le métro, le métro express. Oui, on a déjà visité Saclay comme ça. J'écris justement au président pour faire une Fédération de Retraités de manière à fonder un corps social, si vous voulez, qui serait apte et à tous moments,

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La retraite : une mort sociale

enfin à toute heure de la journée, à aider les gens à... par exemple... à rédiger, tenez, à rédiger simplement les feuilles de recensement. Ou à aider... n'importe quoi... Je suis allé au Salon de l'Agriculture lundi, il n'y avait pas un quêteur pour le cancer, on aurait pu faire appel à des retraités, ils auraient bien passé là chacun 2 ou 3 heures et l'argent qui serait ramené serait toujours ça. C'est parce que vous comprenez les retraités de chez R..., ils ne peuvent pas tout faire, on est quand même pas nombreux, on n'est pas suffisamment. Alors il faudrait que ce soit au niveau de la Nation faire un corps social qui serait prêt à tous moments à aider à faire des trucs comme ça, remplir les feuilles d'impôts par exemple. Il y a des gens qui ne savent plus, qui ne peuvent pas, qui sont bien embêtés. Alors vous voyez on ne peut pas s'ennuyer. J'écris au président pour lui soumettre ça. Je vais écrire aussi au député. » Ces retraités refusent l'ordre existant, leur pratique prend donc un sens par rapport à la structure de l'action. Ils ne se réfèrent plus ici, ni à la nature, ni à la société en tant que système institutionnalisé, mais au niveau où se constituent les orientations normatives à venir. Ils se situent, si l'on préfère, à un niveau politique. L a retraite-revendication est donc rapport à la structure d'action mais elle est aussi accent mis sur la création. E n effet, le refus de l'ordre existant est, dans le même moment, introduction, même implicite, de normes nouvelles. Il est donc production d'effets nouveaux dans le champ.

Type V : la retraite-participation

L a pratique prend encore ici son sens au niveau du politique; cependant, elle n'est plus volonté de dépassement de l'ordre établi mais exprime un désir de conservation. Son adhésion à la société se manifeste par une participation intense. Or, cette participation ne peut plus être une contribution à la production collective puisque le retraité est exclu du monde du travail, elle ne pourra être qu'intégration par la consommation. On va donc assister, pour ces retraités, à un comportement de sur-intégration à la société qui se traduira par une consommation élevée, en particulier de mass media, qui véhiculent, d'une façon privilégiée, les expressions les plus directes du système social, ses orientations fondamentales, son système de valeurs dominant. A u niveau des activités quotidiennes, cette pratique se manifestera concrètement par une très large exposition aux moyens de communication de masse (radio, télévision, journaux) en même temps que par une acceptation tacite du statut que notre société impose aux personnes âgées. Une veuve employée retraitée peut en partie exemplifier ce modèle théorique. Elle vit dans une chambre de bonne au septième étage d'un immeuble sans ascenseur et accepte sans révolte cette condition. « Oui, c'est quand je sens que je suis fatiguée ou qu'il y a un petit ennui, je me dis, ah ! tiens, si vraiment j'étais mieux logée, j'aimerais avoir par exemple un petit studio, simplement une pièce avec le confort, c'est tout ce que je demande. Seulement, voilà, c'est très cher. Pour acheter ce que je veux à mon âge on ne fera plus d'emprunt, on ne me fera plus de prêts, vous comprenez alors... »

Le schéma théorique d'analyse

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Les soirées, elle les passe dans sa chambre, devant la télévision, de même que le rythme de sa journée est fonction des heures d'écoute. « Les théâtres, c'est bien trop cher pour moi et puis mon dieu, j'ai la télévision. Je la regarde d'abord à partir de midi et demi jusqu'à une heure et demie pour les informations et puis alors à partir de la soirée naturellement et ça m'a fait beaucoup de bien de l'avoir. Je regarde tout évidemment parce que vous savez c'est tellement une présence quand on est tout seul. Le matin j'écoute la radio. Tenez, je l'écoutais avant que vous veniez. J'écoutais FranceCulture. Je l'écoute à partir de neuf heures le matin parce qu'il y a souvent des émissions intéressantes. Quelquefois, c'est un peu compliqué pour moi si c'est scientifique, mais enfin c'est intéressant. Après le déjeuner, je lis le journal. Enfin, je ne lis pas tout parce que vous savez, il y a beaucoup de pages. Je lis le feuilleton, les titres, parce que les caractères du journal ça me fatigue les yeux. Enfin, avec la télévision ça me donne un petit peu d'informations et de toutes sortes de choses, quoi. D'acheter la télévision ça m'a changé ma vie complètement. C'est ma télévision vous savez qui m'a sauvée moralement quand mon mari est mort. Je crois que c'est important pour rester jeune de se tenir au courant, de regarder la télévision. Quand je regarde la télévision, je vois les paysages, les beaux pays, je dis tiens, j'aimerais bien aller là, j'aimerais bien aller en Grèce. J'aimerais bien aller en Tchécoslovaquie. Il faudrait faire des voyages organisés. A l'époque où je travaillais, on avait 15 jours de vacances et maintenant on a un mois eh bien vous savez ça fait une différence. C'est un drôle de point d'acquis ça, je trouve qu'elle évolue bien la vie. » Soulignons que les termes « revendication » et « participation » ne doivent pas se comprendre en terme d'intentionnalité de l'acteur, mais correspondent au sens objectif que prennent ces comportements par rapport aux structures de base de la société. La cohérence des pratiques a été reconstruite théoriquement à partir des deux axes, création/consommation et nature/culture, qui les sous-tendent et leur donnent du sens. Chaque type de pratique a été caractérisé, et nous avons montré en quoi les pratiques définies avaient une signification en regard de notre objet d'étude : la retraite. Certaines remarques doivent être faites sur l'utilisation de cette typologie et l'intérêt qu'elle présente. Il est évident que ces types de pratiques sociales sont des modèles qui ne seront jamais complètement attestés dans la réalité sociale, mais ils nous permettront de mieux comprendre et d'interpréter cette réalité. Ce sont des instruments d'analyse et non des descriptions du réel ou des hypothèses sur la réalité. Par conséquent, toute conduite concrète correspondra à une juxtaposition originale de ces modèles de pratique. Il s'agira pour nous de repérer, dans l'ensemble des comportements concrets d'un sujet, les tendances qui se font jour et qui permettent de comprendre les conduites à partir d'un, ou de plusieurs, des modèles théoriquement construits. L'intérêt de cette élaboration théorique est de relier des conduites particulières à des processus sociaux de base. Et partant, de montrer par quel biais la structure sociale agit sur les pratiques des retraités en permettant l'émergence de certaines tendances créatrices ou consom-

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matoires, culturelles ou naturelles. Ainsi, en proposant un troisième niveau d'analyse de notre objet qui rapporte les conduites des retraités aux processus fondamentaux qui tout à la fois constituent la société et représentent ses forces de changement, nous nous sommes donné les moyens d'avoir une perception dynamique des comportements des retraités. Nous sommes ainsi capables de repérer dans quelle mesure une modification des rapports que toute société établit entre le travail et le non-travail et entre un état de nature et une organisation sociale renforcerait les tendances à l'actualisation de certaines pratiques aux dépens d'autres. En revanche, les deux premiers niveaux d'analyse ne permettaient pas d'ouvrir l'analyse sur des possibilités d'explication diachronique des comportements, car ils interprétaient les conduites des retraités en fonction des corps de normes sociales existants et des systèmes de statuts et de rôles qui en découlent. C'est dans la mesure où notre troisième niveau d'analyse conduit à relier comportement des retraités et structure sociale et, ainsi, permet d'appréhender les évolutions potentielles des pratiques de retraite en fonction des modifications de cette structure qu'il a été privilégié dans ce travail. Il répond en effet plus directement aux préoccupations qui visent à fonder une politique de retraite à moyen ou long terme. Il était impossible, en deux ans d'étude, d'envisager une investigation extrêmement poussée à tous les niveaux d'analyse que nous avons distingués, étant donné l'étendue du champ d'analyse, la complexité des systèmes de relations causales et le caractère exploratoire de cette recherche. Nous avons donc choisi de centrer notre analyse, pour les raisons qui viennent d'être exposées, sur le système de déterminants des pratiques, ce qui ne nous a pas empêché de poursuivre la recherche à d'autres niveaux, mais d'une façon beaucoup moins systématique et beaucoup plus limitée. 4. L E S

DÉTERMINANTS

SOCIAUX

DES

CONDUITES

DE

RETRAITE

SITUATIONS E N F O N C T I O N D E S Q U E L L E S L E S C O N D U I T E S DES

:

LES

RETRAITÉS

SERONT A N A L Y S É E S

Les divers modèles de pratiques que nous venons de définir ne sont pas un simple éventail de conduites qui s'offre à la population des retraités. Ils consacrent l'action et l'interaction des divers éléments constituant la situation de l'acteur. Nous avons défini l'acteur social « retraité » par sa capacité de travail réalisée, c'est-à-dire par le montant de ses ressources épargnées. Il convient maintenant d'analyser ces ressources. Lorsqu'un individu cesse de travailler, il dispose immédiatement d'un certain nombre d'éléments. Il se définit par une certaine position sociale (à laquelle sont liés le revenu et un réseau de relations sociales), et par une situation biologique spécifique (il peut être prématurément vieilli, être handicapé ou au contraire être en parfaite santé et biologiquement jeune). Il lui est aussi possible de mettre en œuvre un certain nombre de

Le schéma théorique d'analyse

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capacités (niveau d'instruction, aptitudes acquises au cours de sa vie professionnelle ou de loisirs passée) qu'il a accumulées antérieurement à sa retraite, et dont il peut se servir pour améliorer sa position sociale ou lutter contre le vieillissement. Nous nommerons biens les premiers éléments et les opposerons aux potentialités qui constituent le deuxième type de ressources. Les biens seront les éléments immédiatement utilisables, nécessaires à l'entretien de l'être biologique et de la position sociale de l'acteur. Les potentialités seront les caractéristiques spécifiques de l'acteur qui lui permettent d'obtenir médiatement des biens. En fonction de ces définitions, on peut essayer de recenser les situations éventuelles devant lesquelles peut se trouver l'acteur au moment de sa retraite. Elles sont de trois types : 1) Il peut y avoir absence de biens, et absence de potentialités. C'est le niveau %éro des ressources. Il n'y a eu aucune accumulation (on notera 2) Il peuty avoir des ressources. On pourra alors distinguer des accentuations au sein de ces ressources : a) elles pourront être constituées essentiellement de biens (on notera B/P; B > P); b) elles pourront être constituées essentiellement de potentialités (on notera B/P; B < P). 3) Il peut exister à la fois des ressources et des décalages entre les niveaux de ces ressources : a) on peut disposer largement de biens et ne pas avoir de potentialités (on notera B/—); b) on peut disposer largement de potentialités et ne pas posséder le montant des biens en accord avec ces capacités (on notera -/P)Les situations spécifiques que nous venons de distinguer : dépossession, possession ou décalages, sont héritées du passé du sujet. Une même situation peut être l'aboutissement de processus très différents. Il est donc impossible de leur donner un contenu concret unique. Ainsi la situation 3 b peut être celle d'un syndicaliste qui a acquis de larges potentialités en tant que militant, mais dont l'activité professionnelle était peu qualifiée et dont la carrière a été freinée en raison de ses activités syndicales. Il dispose, à la retraite, d'une position sociale peu élevée. Si par ailleurs son métier était physiquement dur, sa situation biologique risque d'être dégradée. Il ne possédera donc aucun bien mais un haut niveau de potentialités. La situation 3b peut aussi être le résultat d'échecs professionnels. Tel individu peut avoir exercé une activité à son compte qu'il n'aura pu mener à bien. Il se verra alors dans l'obligation de se reconvertir dans l'industrie à un âge avancé. Il n'aura cotisé que très peu d'années à une caisse de retraite complémentaire et touchera une allocation très réduite. Son environnement social risque d'être faible en raison de la rupture intervenue dans son cadre de vie. En revanche, ayant exercé une activité autonome nécessitant de la décision et une qualification, il disposera de larges potentialités.

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La retraite : une mort sociale

5. L E S Y S T È M E D E D É T E R M I N A T I O N S O C I A L E DES

PRATIQUES

Il s'agit de mettre en relation les situations sociales qui viennent d'être recensées avec les conduites des retraités et de formuler les hypothèses. Dans la mesure où nous avons posé comme résultante immédiate de notre élaboration théorique que les conduites des retraités étaient déterminées par le type de ressources accumulées et l'importance de ces ressources 1 , c'est-à-dire par les éléments définissant leur situation sociale à la retraite, nous devons maintenant formuler des hypothèses spécifiques quant au système de relations causales qui unit nos variables dépendantes et indépendantes. L'analyse des pratiques de retraite ayant été privilégiée pour les raisons que nous avons exposées plus haut, c'est seulement à ce niveau que nous serons à même d'élaborer un système de propositions hypothétiques mettant en relations pratiques et situations. Nous avons analysé les pratiques de retraite en fonction de deux dimensions fondamentales : — le niveau de l'orientation sociale, — la nature de l'orientation sociale. Nous avons distingué trois types de situations fondamentales à la retraite, et défini deux types de ressources : biens et potentialités. Il nous faut reconstituer les processus par lesquels les types de situations déterminent des types de pratiques spécifiques. Nous formulons les hypothèses suivantes : A. La structure des ressources accumulées (dépossession, possession, décalages) détermine les niveaux de l'orientation sociale des pratiques. B. Le type de ressources accumulées (biens ou potentialités) détermine la nature de l'orientation sociale des pratiques. 5.1. Comment la structure des ressources accumulées détermine-t-elle les niveaux de l'orientation sociale des pratiques ? 1. Si l'acteur social retraité (il ne se définit plus en tant que force de travail présente) ne dispose d'aucunes ressources accumulées, qu'elles soient sous forme de biens ou sous forme de potentialités, il sort du champ social car son activité n'est plus socialement sanctionnée en termes de gratifications ou d'obligations. Il ne peut plus contribuer à la création collective, et n'a pas la faculté de s'intégrer par la consommation. Il ne lui reste donc que son être biologique puisqu'il n'est plus reconnu comme être social. La seule issue qui lui reste est le retour à l'état de nature. Sa pratique se définit donc en termes de rapport à l'existence biologique. L'absence de ressources accumulées détermine une domination totale du pôle naturel sur le pôle culturel et donc une pratique de retraite-retrait. 2. Si l'acteur social dispose de ressources accumulées et que cette accumu1 . Cf. ci-dessus, p. 23.

Le schéma théorique d'analyse

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lation ne connaît pas de décalage, nous assisterons à une réinsertion de l'acteur dans le système social par l'utilisation des ressources disponibles selon les canaux institutionnalisés. Le mode de la réinsertion dépendra du type de ressources accumulées. (Nous préciserons ce point en analysant la proposition B.) Une situation définie en termes de ressources accumulées conduira donc à une pratique analysable en termes de rapport à l'organisation sociale, de prédominance du pôle culturel sur le pôle naturel. 3. Si l'acteur social dispose de ressources accumulées, mais si le niveau de ces ressources est contradictoire, il y aura nécessairement tension entre la poussée qu'il subira pour investir dans le champ social en fonction de ses ressources, et le freinage qui produiront ses manques. L'acteur social, face à cette situation conflictuelle, sera conduit, soit à entreprendre une action visant à transformer la société, soit à s'intégrer à celle-ci. Le sens du rapport rétribution sociale/contribution individuelle fera pencher d'un côté ou de l'autre le rapport en tension nature/culture. La distinction contribution individuelle/rétribution sociale ne peut être éclaircie qu'avec l'analyse de la proposition B. Mais d'ores et déjà nous pouvons dire que la présence de ressources accumulées, dont les niveaux sont contradictoires, détermine un niveau d'orientation sociale se définissant en termes de rapport à la structure d'action. 5.2. Comment le type de ressouces accumulées (potentialités ou biens) détermine-t-il la nature de l'orientation sociale (accent mis dans les pratiques sur la consommation ou sur la création) ? 1) Que se passe-t-il si des biens ont surtout été accumulés ? Nous avons défini les biens comme des éléments destinés à l'entretien du biologique et de la position sociale. Entretenir sa position sociale nécessite certains types de consommation plus ou moins ostentatoires, de même qu'entretenir son être biologique implique la consommation de produits d'hygiène ou pharmaceutiques, de services médicaux ou hospitaliers... Par conséquent, la finalité objective de la réalisation des biens est la consommation. On peut donc formuler la proposition suivante : si des biens ont été accumulés en majorité, la pratique sera consommatoire. 2) Que se passe-t-il si des potentialités ont été surtout accumulées ? Nous avons défini les potentialités comme étant des caractéristiques spécifiques de l'acteur, lui permettant d'obtenir médiatement des biens. La mise en œuvre de potentialités permet donc la production de biens. La finalité des potentialités est donc la production. Par conséquent, dans le cas où des potentialités ont été surtout accumulées la pratique sera créatrice. 3) Que se passe-t-il dans le cas où l'on enregistre des décalages entre les ressources accumulées ? Les décalages peuvent être de deux types : — les potentialités sont élevées et le montant des biens faible, — les potentialités sont faibles et le montant des biens élevé.

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La retraite : une mort sociale

Que signifient ces situations pour l'acteur ? On a vu que la mise en œuvre des potentialités débouchait sur la création. De fortes potentialités vont donc correspondre pour l'acteur à une forte collaboration à la production collective. L'acteur apportera, dans ce cas, très largement, sa contribution au système social. Au contraire un montant élevé de biens signifie que la société rétribue largement l'acteur, qu'une large part du produit de son travail passé lui est redonnée. Si l'on observe des décalages entre biens et potentialités dans les ressources de certains retraités, c'est que, pour eux, la parité n'a pas été, ou n'est pas, respectée entre les gratifications accordées par la société à l'individu et sa contribution. Selon que le décalage est en sa faveur ou en sa défaveur l'acteur sera conduit à adopter des pratiques différentes. Si sa contribution individuelle au système social est élevée et la rétribution sociale qu'il en reçoit faible, c'est-à-dire, en termes de ressources, si ses potentialités l'emportent nettement sur le montant de ses biens, il va se développer une volonté d'action politique visant à transformer le système de répartition et donc la société. La pratique devra être interprétée en termes de rapports à la structure d'action. Dans la mesure où les comportements expriment une volonté de dépassement de l'organisation sociale telle qu'elle est institutionnalisée, il y a introduction de contre-valeurs et de contre-normes, il y a donc création, production d'effets nouveaux dans le champ. Dans le cas où sa contribution individuelle au travail collectif est faible et sa rétribution sociale élevée, l'individu aura tendance à s'intégrer à cette situation sociale gratifiante. Or cette large rétribution se compose de biens (en particulier tout ce qui définit la position sociale de l'acteur), et on sait que les biens ont pour finalité d'être utilisés à l'appropriation de produits déjà constitués. On assistera donc à un mouvement de sur-intégration par la consommation. L'existence d'un décalage dans les niveaux des ressources détermine, on l'a vu plus haut, une orientation qui se définit par rapport aux forces de transformation de l'organisation sociale, mais la nature du décalage, qui dans ce cas avantage les biens au profit des potentialités, décide du sens de l'action politique (ici elle sera conservatrice) et de la nature de l'orientation de l'action (elle sera consommatrice dans ce cas). Cette double situation détermine donc une pratique de retraite-participation. Dans le cas où la nature du décalage donnerait l'avantage aux potentialités sur les biens, la pratique actualisée serait la retraite-revendication.

Nous avons précisé les processus par lesquels les situations vont avoir une action sur les dimensions qui sous-tendent les pratiques de retraite et déterminent des types de conduite spécifiques. Nous résumerons les propositions énoncées qui devront être ensuite traduites en prédictions empiriquement vérifiables et se verront confirmées ou infirmées par les observations.

Le schéma théorique d'analyse

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Nous sommes partis de deux hypothèses fondamentales : A. Les niveaux de l'orientation sociale des acteurs sont déterminés par la structure de leurs ressources ; B. La nature de l'orientation sociale des acteurs est déterminée par le type de ressources dont ils disposent. Elles peuvent être transcrites en cinq hypothèses que nous schématiserons de la façon suivante : i — Absence de ressources-^rapport à l'existence biologique;

S

2 — Présence de ressources + absence de décalages->rapport à l'organisation sociale; 3 — Présence de ressources + décalages->rapport à la structure d'action. g j 4 — Présence dominante des potentialités->création; ( 5 — Présence dominante des biens->consommation. Ces cinq hypothèses spécifiques ont cinq corollaires. Ce sont sur ces corollaires que portera la vérification empirique, leur confirmation permettant la validation des deux hypothèses fondamentales A et B qui nous ont servi de point de départ. 1 — L'absence de ressources accumulées détermine une pratique de retraite-retrait. 2 — - L a présence de ressources accumulées sous forme de potentialités détermine une pratique de retraite-troisième âge. 3 -— La présence de ressources accumulées sous forme de biens détermine une pratique de retraite-loisirs ou une pratique de retraite-famille. 4 — Un décalage dans les montants des ressources, dans la mesure où il favorise les potentialités aux dépens des biens, détermine une pratique de retraite-revendication. 5 — Un décalage dans les montants des ressources, dans la mesure où il favorise les biens aux dépens des potentialités, détermine une pratique de retraite-participation. Le schéma z représente graphiquement l'ensemble de notre système d'hypothèses. Si les observations vont dans le sens de nos hypothèses, nous aurons atteint notre objectif primordial. Nous serons parvenu à établir le système de relations causales existant entre certains déterminants sociaux considérés comme les facteurs explicatifs les plus puissants et des types spécifiques de pratique de retraite. Il sera dès lors possible, non seulement de comprendre les mécanismes par lesquels les retraités sont amenés à actualiser tel ou tel type de conduite, mais de prévoir, en fonction de l'évolution des éléments qui définissent leur situation (par exemple : modifications des conditions de l'emploi, mensualisation, carriérisation ou réorientation de la politique de vieillesse), quels types de pratique auront tendance à s'accentuer ou à décliner, et dans quelle mesure ces pratiques exprimeront une volonté transformatrice qui, à son tour, introduirait probablement des modifications dans le champ de la retraite. 4 Cette connaissance approfondie des mécanismes permettrait la mise en œuvre d'une politique de retraite globale, au niveau d'une caisse de retraite comme au niveau national.

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6 . ÉLARGISSEMENT DU SCHÉMA CAUSAL AUX DIVERS NIVEAUX D'ANALYSE THÉORIQUE DES COMPORTEMENTS DES RETRAITÉS

Les conduites sociales des retraités présentent de multiples aspects et nous n'épuisons pas totalement notre objet lorsque nous l'analysons en termes de pratiques, c'est-à-dire lorsque nous rapportons les comportements aux processus fondamentaux de la société afin de les interpréter. Dans tous les comportements de la vie quotidienne des retraités, dans leurs gestes, leurs actes et leurs représentations, nous avons montré que trois ensembles de phénomènes, ayant chacun des significations très différentes, s'entremêlent. Nous les avons nommés : système de relations sociales, système de personnalité, et système de pratiques. Dans un deuxième temps, des hypothèses ont été formulées sur les processus qui conduisent d'une situation particulière à l'actualisation d'une pratique spécifique. Il faudrait maintenant analyser dans quelle mesure la nature et le niveau des ressources peuvent agir sur le système de relations sociales et sur la personnalité et ensuite distinguer des ordres de causalité entre ces trois niveaux de la variable dépendante, de façon à pouvoir reconstituer la totalité de la chaîne causale qui va d'un ensemble de situations à un ensemble de comportements. Concrètement, cela signifie que nous serions capables de mettre à jour l'effet d'un type de potentialité donné, par exemple le niveau d'instruction, sur les comportements des retraités, en montrant de quelle façon l'effet de l'instruction est relayé par un certain nombre de variables intermédiaires pour conduire à un type de pratique. Celle-ci déterminerait à son tour, en fonction de la présence de certains facteurs, une structure spécifique de personnalité, laquelle conduirait dans certain cas à tel ou tel type de résolution du système de statuts et de rôles. Nous ne pouvons, dans le cadre de cette étude, prétendre reconstituer l'ensemble de la chaîne causale dans toute sa complexité. Notre volonté est de parvenir à élaborer le système de détermination sociale des pratiques et de mettre en évidence les inter-relations unissant les trois aspects de notre objet, qui ont été opératoirement distingués. Il ne nous a pas été possible d'établir des relations causales entre personnalité, système de relations sociales et pratiques. En effet, ceci ne pouvait être réalisé qu'après l'élaboration du système de détermination sociale de la personnalité et du système de relations sociales, or cette analyse n'a pu être qu'ébauchée dans le cadre de cette recherche. Il faudrait montrer les processus par lesquels la structure et le niveau des ressources jouent sur les types de résolution du système de relations sociales. Ces types se définiraient par trois dimensions : la variété des interactions (le nombre de rôles joués), la densité des interactions (la transformation du système de rôles aboutit-elle à l'isolement ou à l'intégration ?) et la nature de la sphère ou des sphères privilégiées par la réinsertion (famille, organisations, etc.). Il faudrait également mettre en évidence les mécanismes par lesquels la situation sociale, définie en termes de ressources, exerce une action

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La retraite : une mort sociale

sur le système de personnalité. Il conviendrait d'une part de rechercher quelle structure de ressources agit sur le processus de vieillissement et détermine, au niveau de la personnalité, toutes les manifestations psycho-sociologiques de la vieillesse : fermeture au monde, refus du changement, tendance à l'anomie. Il conviendrait d'autre part de montrer les relations causales qui s'établissent entre situations sociales et ajustement personnel (celui-ci pouvant être mesuré en termes de satisfaction). Une fermeture au monde peut en effet avoir plusieurs significations : elle peut être l'expression d'un nouvel équilibre fondé sur une base différente (ceci correspond à l'image classique du vieillard devenu sage, qui est sous-jacente à l'analyse du désengagement de Cumming telle qu'elle a été décrite au cours de ce chapitre), ou elle peut traduire une crise au niveau de la personnalité. L'analyse en termes de satisfaction nous permettrait d'élucider ce problème. S'il n'était pas possible, dans le cadre de cette recherche, de couvrir ce vaste programme d'étude, il nous est apparu nécessaire de le poser dans sa totalité afin que toute ambiguïté soit levée et que les limites de l'étude effectuée soient clairement tracées. Cela présentait en outre l'intérêt de situer le niveau d'analyse privilégié par rapport à l'ensemble des points de vue que l'on peut avoir sur l'objet. Seule la multiplicité des questions posées à l'objet permettait de le saisir dans sa totalité. Cependant, si la recherche présentée ici a des limites, il n'en demeure pas moins qu'elle nous semble apporter déjà les premiers éléments d'une explication globale de la retraite, puisque d'une part nous établirons les correspondances entre certaines structures d'activités (qui constituent le contenu des pratiques), certains systèmes de rôles et certaines structures de la personnalité, puisque d'autre part nous mettrons à jour d'une façon systématique les mécanismes qui conduisent de situations sociales spécifiques à des types de pratique.

CHAPITRE

II

Observation des conduites de retraite Analyse des comportements concrets en fonction des hypothèses — Vérification et élargissement du schéma théorique

I . PRÉLIMINAIRES MÉTHODOLOGIQUES

Nous venons de proposer un schéma d'analyse de la retraite. Il doit maintenant être confronté à la réalité et confirmé ou infirmé par les faits. Cette opération demande que des choix méthodologiques soient faits et une démarche précise arrêtée. Ces options doivent être prises en fonction de la stratégie générale de la recherche. Nous avons choisi une orientation plus théorique que purement descriptive. Nous sommes partis d'une volonté d'expliquer les comportements de retraite. C'est donc le plan de travail d'une analyse causale quantifiée qui devra être adopté car, en dépit du caractère exploratoire de cette étude, nous avons tenu à la rigueur de la démonstration et à la vérification statistique du schéma explicatif. La procédure consistera alors à traduire opérationnellement les concepts qui ont été élaborés, c'est-à-dire à les transcrire en termes empiriquement mesurables, à vérifier si les relations hypothétiquement posées sont statistiquement significatives, et à évaluer la force de la liaison, puis à remonter au schéma théorique pour le réviser ou le confirmer en fonction des résultats. C'est en quelque sorte à une observation expérimentale que nous nous sommes livrés et toutes les étapes de l'enquête ont été dictées par cette méthode, depuis le choix du terrain et de l'échantillonnage jusqu'aux méthodes retenues pour l'analyse de la causalité. L'enquête est en effet de type extensif, d'une part parce qu'il s'agissait d'une approche que nous désirions globale et quantifiée des comportements des retraités, d'autre part parce qu'elle devait permettre par ailleurs une description des besoins et des conditions de vie des retraités de la Caisse de Retraite choisie. I.I. Le terrain d'enquête Le terrain d'enquête doit être rigoureusement adapté à la problématique adoptée. Dans quelle mesure ce principe est-il vérifié ici ? Quels sont les

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L,a retraite : une mort sociale

impératifs que pose notre schéma théorique en regard du terrain d'enquête ? i) Nous sommes partis d'une définition de l'acteur social en termes de capacité de travail. Ce qui signifie que notre schéma tel qu'il a été proposé prend en compte les retraités en tant que salariés et exclut les retraités propriétaires de moyens de production (petits patrons de l'industrie ou du commerce, petits artisans, etc.). z) Le type d'approche retenu peut rendre compte du comportement de tous les salariés quel que soit leur niveau de qualification (il joue sur le niveau des ressources) et quel que soit leur secteur d'activité, industriel, commercial, artisanal (ce qui modifie les biens et les potentialités par l'intermédiaire du type de travail effectué d'une part et du régime de retraite auquel sont soumis ces secteurs d'autre part). Il faut même ajouter que la vérification empirique de ce schéma hypothétique réclame impérativement une grande diversité dans les situations des acteurs : une homogénéité des sujets en regard des ressources accumulées nous interdirait en effet de tester les hypothèses qui mettent en relation situations spécifiques et types de pratique. 3) Il semble que notre schéma n'impose pas d'autre limitation. Cependant, étant donné son caractère exploratoire et la complexité du monde de la retraite, diminuer le nombre de paramètres permettait une vérification plus aisée. La population de la Caisse de Retraite Interentreprises (CRI) répond aux trois exigences évoquées : 1) il s'agit uniquement de retraités salariés, qu'ils viennent de l'industrie, du commerce ou de l'artisanat; 2) tous les salariés des entreprises affiliées à cette Caisse de Retraite, quel que soit leur niveau de qualification, sont allocataires de la Caisse ; de plus cet organisme a une ampleur nationale, permettant de disposer d'un éventail très large de situations sociales; 3) certains paramètres seront maintenus constants; la population d'allocataires est homogène, sur certains plans : — il s'agit de retraités appartenant à des entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, — la Caisse de Retraite Interentreprises est une caisse de retraite complémentaire. Ce dernier facteur entraîne deux conséquences : a) la population étudiée est affiliée à deux régimes, général et complémentaire (ce qui nous procure une population au revenu moyen plus élevé que la moyenne nationale sur laquelle il sera plus aisé de percevoir une diversité de styles de vie); b) les allocataires ont en principe cessé toute activité salariée. En effet, contrairement à la retraite allouée par la Sécurité Sociale, la retraite complémentaire est versée en fonction non de l'âge mais de la cessation d'activité. Ceci nous permet d'étudier des retraités en situation pure de non-travail. E n conclusion, le terrain d'enquête, ainsi déterminé et délimité, présente toutes les caractéristiques nécessaires à la vérification empirique du schéma proposé.

Observation des conduites de retraite

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1.2. L'échantillonnage Il porte sur la population des allocataires de la CRI. La taille de l'échantillon a été évaluée en fonction des nécessités minimales du plan d'analyse théorique à 960 individus. L'échantillon se compose de 995 individus. Nous avons choisi une technique d'échantillonnage inspirée de la méthode des plans d'expérience. Pour nous assurer la grande diversité de situations sociales nécessaire à notre problématique, nous avons stratifié notre échantillon en fonction de critères accessibles au niveau de notre base de sondage : le fichier des allocataires. Ces critères ont été les suivants : le sexe, le taux d'urbanisation du lieu d'habitat, le statut professionnel de l'allocataire (horaire, mensuel, cadre), et l'âge. La population globale a été ainsi divisée en 72 strates. A l'intérieur de chacune des strates un tirage aléatoire et systématique a été effectué avec un taux de sondage différentiel destiné à égaliser dans l'échantillon les effectifs de chacune des sous-populations composant les strates. Étant donné que nous avions moins de chances que soit attestée chez les femmes une situation classique de retraite propre à notre analyse théorique (c'est-à-dire une situation de non-travail faisant suite à une longue période d'activité) nous avons suréchantillonné les hommes dans la proportion de trois pour une. 1.3. Le choix des techniques de recueil des données et le déroulement de l'enquête 1.3.1. Les instruments de recueil des données L'étude a débuté par une pré-enquête dominée par une approche de type ethnographique. Près de soixante entretiens en profondeur ont été effectués au cours de cette phase d'observation directe. C'est à partir d'un travail de réflexion et d'analyse de ces documents qu'a été élaboré l'essentiel de la problématique théorique telle qu'elle a été exposée dans le premier chapitre de ce rapport. Le recueil des données, au niveau de l'enquête elle-même, a été effectué au moyen de deux instruments : a) un questionnaire essentiellement centré sur la définition de la situation et la saisie des pratiques, et constitué en majeure partie de questions fermées ou à choix multiples ; il a été administré à domicile, au cours d'entretiens dont la durée moyenne était de deux heures trente. b) un budget-temps, établi par le retraité au cours de la semaine qui suivait l'entretien directif sur un carnet spécial qui lui avait été remis. Sur les 995 carnets distribués, 630 ont été remplis dans des conditions techniquement satisfaisantes. Ces carnets contenaient la description heure par heure des activités des retraités. On y trouvait aussi le plus souvent leurs réflexions intimes et leurs réactions face aux événements, ce qui en a fait un document d'une

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La retraite : une mort sociale

très grande richesse. Les informations qu'ils renfermaient nous ont très largement servi pour définir objectivement les pratiques sociales. 1.3.2. L'accueil réservé à l'enquête La très grande majorité des retraités a très bien accueilli l'enquête, comme le taux d'échec et le taux de renvoi du livret peuvent en témoigner. En effet, pour réaliser les 995 enquêtes prévues, 1 191 personnes ont été contactées, ce qui correspond à un taux d'échec relativement faible de 17 % \ Les raisons de ces échecs sont très rarement la méfiance et le refus de parler, elles sont généralement liées à la mortalité, à l'état de santé ou à un changement d'adresse. Précisons que les remplacements nécessaires ont été effectués à partir d'un échantillon jumeau, les tranches d'âges étant contrôlées pour réaliser ces remplacements de façon à éviter une distorsion de notre population vers les tranches d'âges les plus jeunes. 1.3.3. Le déroulement de l'enquête sur le terrain L'enquête s'est déroulée simultanément dans toute la France entre le 3 octobre et le 2 décembre 1968. Les enquêteurs, appartenant pour la pluplart au personnel de la CRI, et ne possédant donc aucune formation à îa technique de l'entretien dirigé, avaient été réunis au préalable pour une session d'information et de formation de 48 heures. Cette précaution a permis un recueil des données d'une homogénéité acceptable. Tout au long du déroulement de l'enquête les questionnaires reçus ont été examinés et les données incomplètes faisaient l'objet de demandes de renseignements complémentaires. 1.3.4 Le codage des données recueillies Cette opération a été effectuée par une équipe de sept personnes du 17 décembre au 31 mars. Le travail a été réalisé en pleine collaboration avec nous et sous notre constante attention. Nous avions effectué auparavant les analyses de contenu des questions ouvertes et du livret d'activités quotidiennes, à partir d'une exploitation partielle des résultats, dans le but de dégager les dimensions selon lesquelles le codage serait effectué2. Certains réajustements du pré-codage ont été également opérés au cours de cette phase. Par un souci de rigueur dans l'interprétation des réponses, la consigne donnée au codeur était de n'effectuer le chiffrement de chaque questionnaire et livret qu'après avoir pris connaissance de l'ensemble des réponses 1. Rappelons que l'enquête de la Caisse Nationale de Retraite des Ouvriers du Bâtiment et des Travaux Publics (CNRO) a enregistré 26 % d'échecs, et celle de l'Institut National d'Études Démographiques (INED) 32 % . 2. O n trouvera en annexe II les principes de codage adoptés pour le livret d'activités quotidiennes.

Observation des conduites de retraite

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contenu dans les deux instruments. Toutes les contradictions dans les faits observés, ainsi que les imprécisions dans les réponses, étaient donc résolues en fonction de cette lecture préalable. 1.4. Uanalyse de la causalité Nous exposerons en temps voulu les méthodes d'analyse causale qui ont été utilisées et les raisons de ce choix, en particulier l'intérêt qu'elles présentaient en fonction des objectifs de la recherche. Cependant dès la construction des variables apparaîtra le souci de rigueur qui a soustendu notre démarche : un très grand soin a été apporté à la validation empirique de nos indicateurs et indices. 1.5. Note concernant la présentation des résultats Les résultats seront fournis en pourcentage de réponses exprimées. Pour chaque tableau nous indiquerons la valeur du test de significativité. Le test du X2 est en effet destiné à déterminer si les variations observées sont dues au hasard ou expriment un phénomène significatif. En donnant la valeur du X2 nous noterons la probabilité que la valeur du X2 a d'être aléatoire et non imputable à la distribution. Cela permettra d'apprécier la marge de risque que l'on prend lorsqu'on conclut à la co-variation. En règle générale nous ne prendrons pas de risque supérieur au seuil .10. Nous ne considérerons donc plus comme significatif les tableaux dont la valeur du X2 aura la probabilité p supérieure à .10 d'être due au hasard. Dans le cas des tableaux à quatre cases nous joindrons au test de significativité le coefficient d'association Q qui est destiné à évaluer la force de la relation entre les variables.

2. L E

P A S S A G E DES CONCEPTS AUX V A R I A B L E S

Le schéma d'analyse proposé établit un système de relations causales entre certaines structures des ressources (variables explicatives) et certaines pratiques de retraite spécifiques (variables expliquées). Il s'agit maintenant de transcrire en termes observables et mesurables les concepts proposés au cours de l'élaboration théorique. 2.1. Les variables indépendantes ou explicatives : leur transcription en termes mesurables Les ressources en tant que déterminants sociaux doivent être analysées selon deux dimensions : potentialités et biens. Les potentialités sont les caractéristiques spécifiques de l'acteur, qui lui permettent, directement ou indirectement, d'obtenir des biens. Les biens sont les éléments dont dispose l'acteur pour maintenir son être biologique et sa position sociale.

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2.1.1. Les potentialités Si l'on transcrit la définition précédente en termes mesurables, le niveau d'instruction, la situation de travail passée (type de rapport existant entre le sujet et son travail au cours de la vie active), l'intensité de l'activité hors travail dans le passé, sont des potentialités dans la mesure où ils ne peuvent être transmués en biens que par la médiation de l'acteur. Pour les mêmes raisons, le fait d'avoir eu une vie professionnelle avec une carrière ordonnée, ou le fait d'avoir acquis une formation professionnelle complémentaire constituent une partie de l'ensemble des potentialités dont dispose l'acteur au moment de sa mise à la retraite. Si le niveau d'instruction, la formation professionnelle ou la carrière ordonnée (en tant qu'occupation plus ou moins prévisible de postes successifs hiérarchiquement ordonnés et socialement sanctionnés) ne nécessitent pas de constructions complexes, nous devons préciser quel contenu empirique a été donné à la variable situation de travail passée et à la variable intensité d'activité hors travail dans le passé. 2.1.1.1 : la situation de travail antérieure 2.1.1.1.1 : définition conceptuelle Nous avons voulu saisir la situation de travail antérieure à un niveau essentiellement qualitatif. Nous ne nous intéressons pas ici à la position occupée par le sujet dans la structure sociale, mais beaucoup plus au type de tâches accomplies et au rapport existant entre l'individu et son champ d'activité professionnelle. Nous retiendrons deux dimensions particulièrement intéressantes en regard de notre objet, la retraite, qui sous-tendent la relation individu—travail1. Ce sont d'une part la prévisibilité de l'avenir, d'autre part la possibilité d'exercer une capacité d'initiative dans son activité professionnelle. Tout emploi peut se mesurer sur le plan de la stabilité, de la sécurité qu'il offre, et en fonction des garanties qu'il assure contre la stagnation de la vie professionnelle. La perspective d'une progression ordonnée plus ou moins prévisible autorise une vision de l'avenir organisée. Cet aspect est essentiel dans l'étude de la retraite, car c'est à la seule condition de la prise sur le présent et sur le futur proche qu'une anticipation de l'avenir est possible et donc permet une certaine maîtrise des événements qui amèneront l'individu à devenir oisif après avoir été actif. La possibilité d'initiative est aussi un élément qui risque d'avoir une forte influence sur une pratique de retraite. Cette dimension doit être retenue dans la définition de la situation de travail passée. Le retraité est en effet un homme qui pendant quarante ou cinquante ans (selon la durée de sa scolarité) a exercé son métier. Qui durant toute cette longue période a été en quelque sorte conditionné par sa situation de travail. Si la possibilité d'initiative dans le travail était large, si donc la capacité d'orgai. Nous nous sommes inspirés pour construire cette variable de l'analyse d'Alain Touraine, Évolution du travail aux usines Renault, Paris, 1955.

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nisation autonome du champ a été exercée et stimulée par l'activité professionnelle, la façon dont l'acteur social, au moment de sa retraite, va structurer ce champ nouveau qui lui est imposé ne peut être semblable à celle qu'adoptera le sujet dont la capacité d'initiative n'a pu s'exercer que très partiellement ou pas du tout au cours de sa vie de travail. Deux dimensions sont donc retenues pour construire des types de situation de travail qualitativement chargés de sens en regard de notre objet. possibilité d'initiative

+ prévisibilité + de l'avenir —

décision autonomie

organisation exécution

Quatre types de situation sont obtenus à partir du croisement des deux dimensions retenues, dichotomisées. Elles peuvent recevoir les définitions suivantes : 1) Situation d'exécution. Son principe d'activité est axé sur la réalisation de tâches qui n'ont d'autre sens que l'échange contre un salaire, qui n'impliquent ni investissement de la capacité d'initiative, ni garanties contre l'instabilité et la stagnation de la vie professionnelle. 2) Situation d'organisation. Les tâches sont tout aussi subordonnées et ponctuelles que dans le premier cas, leur réalisation n'implique pas beaucoup plus d'initiatives, mais la possibilité d'une carrière est offerte et les tâches reçoivent leur sens de cette insertion dans une succession de postes hiérarchisés. 3) Situation de décision. L'activité est centrée sur la réalisation de tâches impliquant une maîtrise du champ de travail et un niveau élevé de capacité d'initiative. Elle prend en même temps le sens d'une insertion dans une succession de postes hiérarchisés. Elle autorise par conséquent également un haut niveau de prévisibilité de l'avenir. 4) Situation d'autonomie1. Cette situation ne comporte pas de parcours professionnel jalonné mais offre de larges possibilités d'initiatives (artisans, gérants...). Le découpage classique par catégories socio-professionnelles est bousculé par la construction de ces situations. La catégorie ouvrier éclate entre la situation d'exécution (manœuvre, O.S., certains O.P.) et la situation d'organisation (O.P. de haut niveau, une partie de la maîtrise et des employés). En plus des quatre situations de travail que nous venons de distinguer 1 . Cette situation devait être distinguée sur le plan théorique et empirique. Nous devons cependant signaler qu'elle n'a pas été traitée comme situation déterminante spécifique dans la vérification des hypothèses, et cela pour une raison technique liée au trop petit nombre d'individus représentés dans l'échantillon. On a donc regroupé, au cours de l'exploitation des données, les situations définies par l'autonomie et par la création.

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et qui nous apparaissent comme des instruments plus adaptés à l'étude de la retraite que les simples catégories socio-professionnelles, il faut retenir une dernière situation spécifique : l'absence d'activité professionnelle qui peut entraîner des conduites particulières de retraite. 2.1.1.1.2 : construction empirique de la variable situation de travail passée Les indicateurs retenus pour mesurer la dimension possibilité d'initiative sont : 1) l'aspect répétitif ou varié des tâches à accomplir (question I 48)1, 2) la possibilité d'organiser son champ de travail (questions I 49 et I 54), 3) la position dans le système d'autorité (question I 50). A une position élevée dans le système d'autorité (avoir des cadres sous ses ordres par exemple) correspond une capacité large d'initiative. Les indicateurs retenus pour mesurer la dimension prévisibilité de l'avenir sont : 1) l'histoire professionnelle détaillée du sujet (question I 44), qui permet d'apprécier si le sujet s'est déplacé selon une progression ordonnée, socialement reconnue et sanctionnée donc prévisible, 2) le mode de rémunération mensuel ou horaire, en tant qu'il autorise ou interdit une certaine prise sur l'avenir (question I 55). 2.1.1.2 : intensité de l'activité hors travail passée Il s'agissait de mesurer l'intensité de l'activité passée du sujet, en dehors de son activité professionnelle proprement dite. Un indice en quatre points a été construit regroupant les activités suivantes2 : 1) participation par l'intermédiaire d'organisations à des activités politiques, culturelles, sociales, syndicales, sportives (question II 45), 2) existence d'un centre d'intérêt autour duquel s'organisaient les activités de loisirs (question II 47), 3) pratique régulière de diverses activités distractives ou culturelles (question II 46), 4) lecture pratiquée à un rythme moyen ou intense (question II 52). Pour la vérification de nos hypothèses, nous avons considéré comme actifs les retraités dont les scores étaient égaux ou supérieurs à 2 sur cette échelle3. Un autre indicateur de l'activité passée du sujet a été retenu mais n'a pas été inclus dans l'indice car il ne concerne qu'un taux saisonnier d'activité : il s'agit du départ en vacances. 1 . Afin que l'on puisse juger de la forme réelle prise par tel ou tel indicateur lorsqu'il a été traduit en question, le numéro de la question figurera chaque fois entre parenthèses et permettra de la retrouver dans le questionnaire (cf. annexe I). 2. La matrice d'inter-corrélations figure en annexe III. 3. Toutes les échelles construites pour cette recherche sont des échelles ordinales ou quasiéchelles.

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2.1.2. Les biens Rappelons qu'ils ont été définis comme les éléments dont dispose directement l'acteur pour maintenir son être biologique et sa position sociale : — la situation biologique du sujet constituera les ressources dont le sujet dispose pour son maintien en tant qu'être biologique, — le montant des ressources financières et le niveau de l'environnement social1 constitueront les biens dont le sujet dispose en tant qu'être social. Les potentialités avaient trait à la situation passée du sujet, les biens prennent en compte sa situation présente, ils sont directement utilisables. 2.1.2.1 : construction de la variable situation biologique Deux dimensions doivent être distinguées dans l'évaluation de la situation biologique : a) d'une part l'état de santé proprement dit, c'est-à-dire les affections chroniques ou aiguës dont est atteint le sujet, b) d'autre part le niveau auquel il se situe par rapport au processus de vieillissement. Les deux dimensions sont relativement indépendantes l'une de l'autre (nous le vérifierons ultérieurement). E n effet un retraité peut, par exemple, avoir été récemment hospitalisé pour une affection aiguë ou être atteint d'un handicap physique ancien qui réduit sa motilité (accident du travail), sans pour cela être biologiquement et intellectuellement vieux. Ces deux dimensions doivent être prises en compte pour l'établissement d'un constat biologique objectif et exhaustif. 2.i.2.i.i : l'état de santé proprement dit Nous n'avions pas la possibilité de faire passer un examen médical à chacune des personnes interviewées. Cependant, nous avons cherché, à partir des moyens dont nous disposions, à établir un faisceau de mesures qui nous permettent d'évaluer d'une façon objective l'état de santé des retraités. Afin d'éliminer toute subjectivité, nous avons utilisé des indicateurs portant sur les comportements plutôt que sur les opinions et attitudes. Les indicateurs retenus ont été les suivants : 1) hospitalisation au cours des cinq dernières années (question I 84), un score a été établi tenant compte de la fréquence et de la durée, 2) alitement, un score a été établi tenant compte de la fréquence et de la durée (question I 85), 3) fréquence des contacts avec le médecin traitant (question I 92), 4) présence d'un handicap physique (question I 86), 5) motilité (question I 90). I . Il faut distinguer l'environnement social (densité du réseau social dans lequel est objectivement inséré le sujet) et l'intensité des relations sociales (degré auquel le retraité utilise dans sa pratique le réseau social qui lui est donné), l'un est considéré comme déterminant, l'autre est determiné.

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Les indicateurs ont été réunis pour constituer une échelle1 en six points permettant d'évaluer le niveau de santé des sujets. Pour la vérification des hypothèses cette échelle a été dichotomisée. Ceux qui avaient un score égal ou inférieur à 3 points ont été considérés comme étant en mauvaise santé. 2.1.2.1.2 : le vieillissement La de Le du

mesure du degré réel de vieillissement a été effectuée à partir du test code de M. F. Clément, du Centre de Gérontologie Claude Bernard. test est un test d'efficience intellectuelle extrêmement sensible à l'âge sujet et à sa rapidité. L'épreuve présentait l'avantage de pouvoir être incluse dans un entretien directif car elle était simple (sur le plan matériel et formation des enquêteurs) et brève. Il s'agissait d'associer correctement des lettres et des chiffres à partir d'un code qui comportait huit lettres et huit chiffres leur correspondant. La note retenue était le nombre de lettres correctement codées en deux minutes. Ce test étant, à âge constant, lié au niveau culturel, l'étalonnage de M. F. Clément nous indiquait les valeurs attendues au test de code en fonction de l'âge et du niveau d'instruction des sujets. Ainsi avons-nous pu évaluer, en partant de ce document, l'âge biologique des retraités, à partir des notes qu'ils avaient obtenues au test et de leur niveau d'instruction connu par ailleurs. Dans l'exposé des résultats nous distinguerons donc ceux dont l'âge biologique est élevé de ceux qui sont biologiquement jeunes (moins de 70 ans). 2.1.2.2 : construction de la variable ressources financières Le revenu n'a pas fait l'objet de construction particulière (question II 98). Cependant un certain nombre de précautions ont été prises pour recueillir des données non biaisées2. Nous avons tenté de dichotomiser le revenu selon un seuil qualitatif. Nous avons distingué ceux qui ne peuvent assurer que leur pure subsistance de ceux qui ont une très relative aisance économique. Nous avons opposé ceux dont les revenus du ménage sont inférieurs à 800 F par mois aux autres retraités. 2.1.2.3

:

construction de la variable environnement social

L'environnement social doit être saisi sous ses divers aspects : a) L'environnement au niveau de la cellule conjugale : présence ou absence d'un conjoint (question I 05). 1 . Voir la matrice d'inter-corrélations en annexe III. 2. Deux types de précautions ont été prises : d'une part, utilisation d'une carte contenant une grille de revenus (l'interviewé n'avait alors qu'à nommer le numéro de la tranche dans laquelle il se situait), d'autre part, recueil d'informations complémentaires (montant des dépenses et sources des revenus qui permettaient de recouper et de vérifier la plausibilité du montant indiqué).

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b) L'environnement au niveau de la famille étroite : présence ou absence d'enfants (question II 62). c) L'environnement au niveau de la famille étendue : existence autour du retraité d'un réseau familial dense ou rare. Cette densité a été évaluée selon deux dimensions : le nombre de membres de la famille vivants et leur proximité spatiale (question II 60). (Les informations recueillies ont été codées de la façon suivante : la présence de chaque élément familial a été pondérée par la distance d'habitat évaluée en durée de déplacement. On a attribué 1,5 point aux membres de la famille demeurant à moins de trente minutes (à pied, en voiture ou en autobus), 1 point a été attribué aux membres de la famille demeurant à moins de trois heures, 0,5 point aux membres habitant à plus d'une demi-journée.) d) L'environnement amical : existence autour du retraité d'un réseau amical dense ou rare. La densité a été évaluée selon deux dimensions, le nombre d'amis et leur proximité spatiale (question II 74). (Le codage de ces informations a été effectué de la même manière qu'en c.) e) La saisie négative de l'environnement social : l'isolement. Le retraité peut-il compter sur quelqu'un en cas de nécessité absolue (maladie) (questions II 93 et II 94) ? Nous avons distingué l'isolement absolu •— ne peut compter sur personne — et le nonisolement — peut compter sur deux personnes au moins (son conjoint et sa famille ou ses amis ou ses voisins). Des niveaux d'isolement ont été établis entre ces deux pôles. Au cours de la vérification de nos hypothèses nous nous sommes toujours assurés de la cohérence des observations entre les cinq mesures de l'environnement social. Cependant, ces précautions prises et afin de ne pas alourdir par trop nos opérations de preuves, l'environnement amical a été, dans la plupart des cas, retenu comme la variable exprimant avec le plus de rigueur l'environnement social du sujet. En effet, les autres variables nous fournissent une mesure moins fine de l'isolement social ou du non-isolement en raison de la façon dont elles classent les individus. -La variable a L'environnement au niveau de la cellule conjugale classe près de 75 % des hommes en non-isolés (ils sont mariés), et près de 80 % des femmes en isolées (elles sont veuves ou célibataires). La variable b 74 % des retraités de notre échantillon ont au moins un enfant. Or c'est la présence d'enfants beaucoup plus que le nombre d'enfants qui a une signification réelle pour évaluer l'environnement social. Nous avons par conséquent dans ce cas 74 % de non-isolés au sein de notre échantillon. LM variable c 47 % des retraités de l'échantillon ont au moins 5 membres de leur famille vivant à proximité (score < à 8 points), 10 % seulement ont un score < à 2 points. Si nous voulons une mesure de l'isolement objectif, cet indicateur

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ne paraît pas parfaitement adapté. Il évalue la densité du réseau social du retraité, mais n'apparaît pas très fin dans les degrés inférieurs de l'environnement qui sont ceux qui nous importent le plus. .L« variable d Malgré son intérêt, elle fait appel à une évaluation subjective du sujet pour déterminer les personnes sur lesquelles il peut compter. La dimension personnelle du sujet (optimisme, pessimisme, etc.) a donc plus de chances de jouer un rôle que dans le cas où on interroge sur les membres de la famille ou le nombre des amis et leurs lieux de résidence La variable e Elle nous est apparue comme la mesure la plus appropriée en fonction de ce que nous cherchions, car elle permet d'apprécier également tous les niveaux de l'environnement social : 21 % sont socialement isolés en regard de cette variable (n'ont aucun ami), 40 % ont un environnement faible (un ami à proximité ou deux amis éloignés), 39 % ont un environnement amical moyen ou bon. Nous regrouperons, pour la vérification de nos hypothèses, ceux qui sont socialement isolés avec ceux qui ont un environnement faible, et nous les opposerons à ceux qui ont un environnement amical moyen ou bon. L'effet déterminant de ces variables indépendantes, dont nous venons d'exposer la construction empirique, est central dans notre schéma d'analyse. Cependant nous serons amenés à enrichir ce dernier par l'introduction d'autres déterminants. Nous tiendrons notamment compte de l'influence de certains milieux sociaux particuliers dont l'action peut venir s'ajouter au système de déterminants déjà établi : — le milieu d'habitation (rural ou urbain), — le type de logement (individuel ou collectif), — le milieu de travail passé (petite ou grande entreprise). Nous retiendrons également un certain nombre de facteurs intermédiaires qui nous permettront d'éclairer le processus qui conduit d'un ensemble de situations (en termes de ressources) à un type de comportement spécifique — en particulier : les modalités de départ à la retraite (le départ à la retraite a-t-il été choisi ou imposé ? Dans ce dernier cas, l'a-t-il été par l'entreprise ou par des nécessités individuelles, comme l'état physiologique), la préparation à la retraite (saisie à partir de l'existence de comportements exprimant un souci de l'aménagement de la vie de retraite et donc dénotant une intégration de cette réalité dans le projet global de l'individu). 2.2. Les variables dépendantes : les comportements en situation de retraite à tous les niveaux d'analyse, leur construction empirique Nous avons montré l'intérêt qu'il y avait à distinguer trois niveaux théoriques dans l'analyse des comportements des retraités : les niveaux du système de personnalité, du système de relations sociales, et de la

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pratique sociale. N o u s évoquerons rapidement la construction des deux premiers niveaux, que l'on peut aisément transcrire en termes observables et mesurables. Nous nous attacherons surtout à la construction empirique des pratiques de retraite. 2.2.1. L e système de personnalité Nous nous attacherons ici à mettre en évidence la structure de la personnalité, et, en particulier, à saisir les manifestations psycho-sociologiques du vieillissement : — fermeture du sujet au monde extérieur, qui peut être saisi à partir d'un refus des contacts sociaux, qu'ils soient anciens ou nouveaux (questions II 78 et II 95), — difficultés d'adaptation au changement : la mauvaise adaptation au changement peut être mesurée par une attitude négative à l'égard de la jeunesse et à l'égard des modifications de la société française (questions II 67, III 27, III 32), — le vieillissement en tant que réalité vécue : angoisse de la mort. D e nombreux indicateurs avaient été introduits dans le questionnaire pour saisir l'introduction de la présence de la mort dans les conduites. L'indicateur qui nous est apparu comme constituant la mesure la plus univoque est celui qui touche au refus d'envisager l'avenir, et en particulier l'incapacité où se trouve le retraité de parler des problèmes qui risquent de se poser à lui dans un avenir proche (question III 24 B). Des indicateurs comme la fréquence des visites aux cimetières, le nombre des proches disparus, ou la lecture des chroniques nécrologiques apparaissent beaucoup plus, après l'analyse des inter-corrélations, comme des indicateurs de dynamisme spatial (les cimetières sont généralement éloignés et constituent aussi un but de promenade) ou de dynamisme social (le nombre d'amis que l'on a perdu ou la lecture de chroniques nécrologiques témoignent d'une bonne intégration dans une communauté de personnes âgées beaucoup plus que d'une angoisse de la mort). Un certain aspect de la personnalité, qui contrairement au vieillissement n'est pas spécifiquement lié à une classe d'âge particulière, est l'anomia (versant psycho-sociologique de l'anomie ou état de désintégration du système normatif). O n s'intéresse ici au sujet et on évalue le sens qu'il a de son attachement à la communauté. U n sentiment d'intégration très faible à la communauté peut être une réponse à une position sociale marginale, ou la conséquence d'un éloignement réciproque de l'individu et de la société, lié à des processus psychologiques ou psycho-pathologiques. Cette coupure entre l'individu et l'organisation sociale peut se manifester à un niveau global o u partiel. Une échelle d'anomia a été construite 1 à partir de différents indicateurs, inspirés de l'échelle d'anomia de Srole. L e premier de ces indicateurs saisit globalement cette dimension de 1. Voir en annexe III la matrice d'inter-corrélations. 5

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la personnalité. L'individu se considère comme exclu du développement économique et social de la société (question III 28). Le second indicateur concerne la sphère politique : « le vote est inutile, les élus politiques ne se préoccupent pas de ceux qu'ils représentent, ils ne servent que leurs intérêts » (question III 30). Cette attitude négative à l'égard du vote est d'autant plus significative en regard de notre population que le rôle de citoyen est le seul que la société ne remette pas en cause. Le retraité conserve en effet, sur le plan politique, les mêmes droits et les mêmes devoirs qu'avant, alors qu'on ne lui reconnaît plus ni la capacité de travailler, ni les mêmes besoins que les actifs. Il était particulièrement intéressant d'apprécier l'anomie là où existait une possibilité objective de sentiment d'intégration. Le dernier indicateur retenu pour la construction de cette échelle concerne la sphère organisationnelle. Il était important de mesurer la perte du sens de l'appartenance à une communauté à un niveau moins global : au niveau des organisations (question III 31) — « les organisations ne se soucient pas réellement des intérêts des gens ». Enfin un dernier aspect de la personnalité est le niveau exprimé de la satisfaction, expression de l'ajustement personnel. Un indice 1 de satisfaction a été construit regroupant les indicateurs suivants : — sentiment d'inutilité (question I 72), -— sentiment d'ennui (question I 79), — regrets concernant la vie active (question I 74), expression indirecte de l'insatisfaction actuelle, — la vie de retraite répond-elle aux attentes du sujet ? (question I 71). 2.2.2. Le système de relations sociales Il a été apprécié à partir du livret d'activités quotidiennes. Diverses mesures ont été effectuées pour saisir toutes les dimensions du système de relations sociales. Une mesure globale de l'intensité des relations sociales a été effectuée en fonction du nombre et de la durée des contacts 2 . Des mesures partielles prennent en compte l'intensité des relations sociales pour chacune des sphères principales constituant le système de relations : — intensité des relations familiales (nous distinguerons la famille étroite et la famille étendue), — intensité des relations amicales, — intensité des relations de voisinage, — intensité de la participation à des associations volontaires. O n a tenté d'évaluer, en fonction du nombre de contacts, la sphère privi1. Voir matrice d'inter-corrélations en annexe III. 2. Les contacts ont été pondérés par leur durée, de la façon suivante : 1 point pour les contacts d'une durée de 10 minutes à 1 h 30, 2 points pour les contacts d'une durée d e i h ; 5 à 2 h 55, 3 points pour les contacts d'une durée de 3 h à 5 h, 4 points pour les contacts d'une durée de 5 h et plus.

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légiée dans les échanges sociaux : la majeure partie des contacts est-elle établie avec de la famille, des amis ou des voisins ? Enfin la diversité et la densité du système de rôles ont été mesurées. Le nombre des rôles joués pendant la semaine a été enregistré (conjoint, père et grand-père, ami, citoyen et voisin, travailleur). Le score varie entre o et 6. Le nombre de rôles est pondéré par la fréquence du jeu de ces rôles 1 afin d'évaluer la densité du système de rôles. 2.2.3. Les pratiques de retraite Une pratique se définit par le niveau de son orientation sociale et par la nature de cette orientation (prédominance d'un des pôles présents dans toute pratique : dialectique création/consommation). A partir de cette définition cinq types de pratiques spécifiques ont été distingués. Notre tâche consiste ici à les rendre observables en construisant des indices pour chacun des types. Nous éprouverons ensuite la validité de cette construction empirique. 2.2.3.1 : construction empirique des types de pratique de retraite : choix des indicateurs Type I : la retraite-retrait Elle se définit par le repli sur l'être biologique et son corollaire : le rétrécissement du champ social et spatial du sujet. — La place accordée au sommeil dans le budget temps nous semble exprimer la place accordée au physiologique dans les pratiques (questions II 02 et II 03). — Le rétrécissement du champ social et spatial du sujet nous semble pouvoir être mesuré par les indicateurs suivants : • L'absence de projet d'avenir, même à court terme (pour la journée du lendemain) symbolise un champ temporel extrêmement limité (questions III 40 et 41). • Une sphère spatiale d'activité restreinte (question II 19). Un indice global de dynamisme spatial a été calculé tenant compte de la fréquence des sorties hors du quartier ou du village pour un certain nombre d'activités2. Les scores obtenus vont de o à 8 points, le score 8 représentant le degré maximum de dynamisme spatial. Nous avons classé comme faiblement dynamiques 1. Densité du système de rôles. Les rôles ont été pondérés de la façon suivante : x point pour le rôle joué une à deux fois dans la semaine, 2 points pour le rôle joué trois à six fois dans la semaine, 3 points pour le rôle joué sept fois et plus dans la semaine, 4 points pour la cohabitation. 2. La pondération des fréquences des sorties a été effectuée comme suit : — sortie du quartier quoditiennement à deux fois par semaine : 2 points, — sortie du quartier une fois par semaine à une fois par mois : 1 point, — sortie du quartier moins d'une fois par mois : o point.

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les personnes dont les scores oscillaient entre o et 2. Les autres ont été classées comme fortement dynamiques. • L'absence d'activité de promenade ou l'aspect cyclique de celle-ci (questions II 08 et II 12). • La volonté d'un repli sur son « chez-soi », expression indirecte d'une volonté de repli sur son individualité et de fermeture au monde extérieur, au social (question II 96). L'analyse statistique a permis une première validation de cette construction empirique. En effet la matrice d'inter-corrélations a fait apparaître des corrélations suffisantes entre ces indicateurs1 pour que l'on puisse penser qu'ils sont unis par une même dimension sous-jacente : la pratique de retraite-retrait. Type II : la retraite-troisième âge Réinsertion dans l'organisation sociale à partir d'activités paraproductrices. Il ne peut y avoir réinsertion par la poursuite d'une activité que si celle-ci ne constitue pas une occupation pure et simple du temps. Il faut qu'elle soit considérée comme centrale par le sujet lui-même et qu'en même temps elle occupe objectivement une place importante dans le budget temps. L'intérêt exprimé pour une activité donnée et le fait d'y consacrer une part importante de son temps constitueront les deux indicateurs de cette pratique (questions II 22 et II 23 )2. Type III : les retraites-loisirs ou famille Réinsertion dans l'organisation sociale à partir d'activités consommatoires. On a vu que ces activités consommatoires pouvaient être de deux types : soit avoir pour cadre la communauté familiale, et nous avions une pratique de type III famille, soit se situer dans la société de masse, et nous avions une pratique de type III loisirs. La pratique axée sur la famille C'est une pratique traditionnelle. Les retraités sont le point d'appui du système familial vertical. Par conséquent cette conduite se manifestera non seulement par un comportement quotidien centré sur la communauté familiale fermée, mais aussi par le sentiment qu'on a un rôle spécifique à jouer au sein de cette communauté, un rôle d'aide matérielle et de soutien affectif. Les indicateurs retenus sont les suivants3 : — la cohabitation des anciens avec les enfants (question I 09), — l'intensité des relations familiales, nombre de contacts différents pondérés par la fréquence de ces contacts (question II63), — les relations avec les petits-enfants (question II 65), — avoir passé les fêtes de Noël en famille (question II 79), — aider les enfants matériellement ou financièrement (question II 70), — estimer que le retraité a un rôle à jouer dans sa famille, en 1 . Voir matrice d'inter-corrélations en annexe III. 2. Voir matrice d'inter-corrélations en annexe III. 3. Voir matrice d'inter-corrélations en annexe III.

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particulier qu'il est le support du système vertical et que c'est sur lui que repose le maintien des liens affectifs familiaux (question II 66). L,a pratique loisirs Le contenu de cette pratique répond exactement à la définition que les autres acteurs sociaux donnent de la retraite : c'est une période consacrée au repos, aux loisirs, à la liberté. Le retraité, n'étant plus producteur, va rester inséré dans l'organisation sociale en renforçant son intégration par la consommation de masse. Il va consommer des vacances et des activités culturelles. Cette intégration à la société de masse va se manifester sur deux plans : d'une part au niveau de la fréquence des diverses activités de loisirs, d'autre part au niveau du budget financier. La part consacrée aux activités de ce type augmentera, sinon en valeur absolue du moins en valeur relative. Les indicateurs retenus sont les suivants1 : — intensité des activités culturelles ou sportives (nombre d'activités diverses pondérées par leur fréquence, question II 46), — fréquence des sorties, mesure du dynamisme externe allant de pair avec la consommation de masse (question II 07), — départ en vacances au cours des deux années qui ont précédé l'entretien (question II 32), — fréquence des excursions ou des week-ends (question II 14), — dépenses consacrées aux sorties et aux vacances : elles sont restées stables en valeur absolue (ce qui signifie qu'en valeur relative elles ont augmenté, puisque le revenu global a subi un déclin avec la mise à la retraite) ou ont augmenté depuis la cessation d'activité (question III 03). Type IV : la retraite-revendication Nous l'avons définie comme contestation du statut accordé à la vieillesse dans notre société à partir de la prise de conscience des retraités en tant que groupe solidaire. Les indicateurs retenus sont les suivants : — opinion favorable au fait que les retraités pourraient constituer une force de pression s'ils s'unissaient (question III 34), — affirmation que le retraité, sorti du système économique, doit continuer à jouer un rôle actif dans la société (question III 35), — attitude favorable à l'égard des organisations de personnes âgées, en particulier des foyers clubs (question II 57) — nous n'avons pu prendre comme indicateur la participation actuelle étant donné le nombre réduit d'organisations de ce type en France, — nombre élevé de relations amicales avec des personnes retraitées et aspect préférentiel de ce type de relation (questions II 84, 8 5, 86). Une première validation de ces indicateurs a été effectuée à partir d'une matrice d'inter-corrélations et a fait apparaître des corrélations suffisantes entre ces indicateurs2 pour que l'on puisse construire un indice cohérent de ce type de pratique. 1 . V o i r matrice d'inter-corrélations en annexe III. 2. V o i r matrice d'inter-corrélations en annexe III.



-Lö retraite : une mort sociale

Type V : la retraite-participation Il s'agit de la participation à distance à l'organisation sociale globale par l'intermédiaire des mass-media. L'écoute massive (quatre heures par jour et plus) de la télévision ou de la radio constituera l'indicateur de ce type de pratique. Le taux d'équipement des retraités CRI en récepteurs de télévision et postes de radio (70 % et 89 %) est suffisant pour que l'on puisse songer à mesurer la pratique participation en fonction de ces indicateurs. 2.2.3.2 : validation de la construction empirique des pratiques et analyse descriptive de ces pratiques Une première validation de ces constructions a consisté à vérifier le niveau des corrélations entre les indicateurs retenus et à constituer des indices pour chacune des pratiques. Six échelles ordinales ont été construites par addition simple des indicateurs validés. Chaque sujet a reçu un score sur chacune des échelles construites. Nous avons vu que chacun des types de pratique autonomisés est un modèle théorique et, en tant que tel, est peu fréquemment attesté, à l'état pur, dans la réalité. Il s'ensuit qu'un sujet moyen obtient, en général, un score haut sur une des échelles, un score moyen sur une autre, et des scores faibles ou nuls ailleurs. Pour les commodités de l'analyse empirique chaque continuum représentant une échelle a été dichotomisé. Par le jeu des coupures certains retraités ont donc été considérés comme appartenant à la fois à plusieurs pratiques. Ce fait ne constitue pas une difficulté en regard de nos objectifs : établir des relations statistiques entre certains types de situations et certains types de pratiques. En effet, réaliser ceux-ci ne nécessite aucunement de classer univoquement chaque sujet dans un type de pratique et un seul, d'autant plus que ce classement risquerait d'être arbitraire puisque les pratiques concrètes se rapprochent à des degrés variés des modèles idéal-typiques construits. Cependant, si nous procédons de la façon qui vient d'être exposée, une précaution supplémentaire doit être prise pour s'assurer de la validité de notre construction. Nous devons vérifier qu'aucune corrélation positive ne lie entre elles les diverses pratiques. En effet, la construction théorique de la typologie repose sur l'idée que chaque type existe indépendamment des autres. Chaque pratique est une combinaison originale des niveaux des deux dimensions retenues : nature/culture et création/ consommation. Il n'est donc pas contraire à notre schéma théorique que des individus concrets aient des pratiques mixtes mais, en revanche, la validité, soit du schéma, soit de la construction empirique est remise en cause dès lors que l'observation fait apparaître deux pratiques comme étant systématiquement et positivement liées. Cette relation signifierait, en effet, que les mêmes individus pratiquent d'une façon régulière deux types de conduites en même temps, ce qui est radicalement incompatible avec nos hypothèses qui reposent sur la spécificité de chacune des pratiques isolées. Nous donnerons tout d'abord les précisions concernant les opérations

Observation des conduites de retraite

71

de dichotomie pour chacune des échelles1. Nous vérifierons ensuite l'indépendance des types de pratiques les uns par rapport aux autres à partir d'une matrice d'inter-corrélations. — La pratique retrait a été mesurée à partir d'une échelle dont les scores vont de o à 5. Nous avons considéré comme relevant de la pratique I tous les retraités qui ont obtenu des scores égaux ou supérieurs à 4 points. 348 sujets sont dans ce cas, dont 106 femmes. — La pratique troisième âge a été mesurée à partir d'une échelle dont les scores vont de o à 2. Les retraités relevant de ce type ont des scores égaux ou supérieurs à 1. 444 sujets, dont 131 femmes, appartiennent à ce type. — La pratique loisirs est mesurée à partir d'une échelle dont le score va de o à 5. Les retraités relevant de ce type ont des scores égaux ou supérieurs à 3. 403 sujets appartiennent à ce type, dont 95 femmes. — La pratique famille est mesurée à partir d'une échelle dont le score va de o à 6. Les retraités relevant de ce type ont des scores égaux ou supérieurs à 3. 457 sujets appartiennent à ce type, dont 143 femmes. — La pratique revendication est mesurée à partir d'une échelle dont le score va de o à 4. Les retraités relevant de ce type ont des scores égaux ou supérieurs à 2. 466 sujets appartiennent à ce type, dont 120 femmes. — La pratique participation est mesurée à partir d'une échelle dont le score va de o à 2. Les retraités relevant de ce type ont des scores égaux ou supérieurs à 1. 314 sujets appartiennent à ce type, dont 103 femmes. SCHÉMA 3.

TYPE TYPE TYPE TYPE

II II III* III**

des types de pratique

type II

type III*

type III**

type IV

type V

.—19

.—43 .06

—.06 .09 .39

—.09 .03 .21 .02

—.03 .007 .11 .05

type I V type V * Loisirs.

Matrice d'inter-corrélations

.02

* * Famille.

Il ressort de ces résultats qu'il n'existe aucune relation positive forte entre les types de pratique, à l'exception de celle attendue entre les deux formes que peut prendre la pratique III. Nous avons donc autonomisé cinq types de pratiques de retraite qui constitueront notre variable dépendante. Dans le double but d'éprouver une nouvelle fois la validité de cette 1. On trouvera en annexe III la répartition de l'ensemble de la population sur le continuum de chacune des échelles construites.

72

L,a retraite : une mort sociale

construction, mais aussi de donner une plus grande densité au contenu de ces types, nous allons établir, à partir de nos résultats, le budget temps de chacune des pratiques de retraite. Cette analyse a été menée à partir des informations recueillies dans le livret d'activités quotidiennes : ce livret renvoyé par 630 retraités sur les 995 qui composent l'échantillon, contient la description heure par heure des occupations des retraités et ceci pendant sept jours consécutifs. 2.2.3.2.1 : budget temps de la pratique retrait Les activités prédominantes dans cette pratique sont, par ordre d'importance, et en dehors du sommeil : — les soins du corps, — les activités ménagères.

X " = 15,71

10 10

2 6

1 3

3 2

13

.S Va S3 ¡

ne prédomine

activités extérieures

18 15

vS >s•* Vi s;

activités rofessionnelh rémunérées

31 30

.S

.S

externes

26 18

•S

.g V» s H •5 s S

internes

retrait autres

«-j •¿g5

diverses

*

activités ménagères

pratiques

£S

mass-media

TABLEAU I. Activités prédominantes1

8

2 4

(p
-5

8

«Ss

C A.

3 s ^

! 1 it 1 si il il 3 I H ! I P II U lì loisirs autres X2 =

16 24

18,94

(p
pratique V

256. Intensité d'activité hors travail passée

et degré de vieillissement

intensité d'activité hors travail passée

+

degré de vieillissement — +

pratiques participation autres N = 604

41 60

X 2 = 5,57

degré de vieillissement — +

29 71

31 68

26 74

(p>.io)

Les retraités définis par la situation V~ AP~ ont plus fréquemment que les autres une pratique de retraite de type participation. La sous-population ainsi constituée peut-elle être opposée significativement à l'ensemble des autres retraités ? situations (V~ AP+) (V+ AP~) (V+ AP+)

pratiques participation autres N = 604

2

(V~ AP") 4'

9

71

t ? = 4,26

(p < .05)

59

Q = 0,23

La spécificité de la relation causale unissant la situation V~ AP~ à la pratique participation est démontrée. 9) Vérification de la prédiction

V~ T~ pratique V 257. Situation de travail passée et degré de vieillissement

TABLEAU

situation de travail passée décision ou organisation exécution

+

degré de vieillissement — +

pratiques participation autres N = 604

X2 = 5,97

33 67

degré de vieillissement — +

26 74

(ns mais très près du seuil .10)

42 58

29 71

183

Observation des conduites de retraite

Les retraités définis par la situation V~ T~ ont plus fréquemment que les autres une pratique de retraite de type participation. La sous-population ainsi constituée peut être opposée significativement à l'ensemble des autres retraités. La spécificité de la relation causale unissant V - T~ à une pratique de retraite-participation est démontrée.

situations pratiques

(V~ T+) (V+ T+) ( V " T " )

(V~ T~)

30 70

42. 58

participation autres N = 604

X2 =

4,25

(p < .05)

10) Vérification de la prédiction ES+ I~

Q = 0,23

pratique V

TABLEAU 258. Niveau d'instruction et environnement social niveau d'instruction

environnement social — +

pratiques participation autres N = 708

X* —- 3,35

30 69

+

environnement social — +

3j 65

29 71

25 76

(ns au seuil .10)

Les retraités définis par la situation ES+ ont tendance, plus fréquemment que les autres, à actualiser une pratique participation mais cette relation n'est pas significative au seuil .10. situations

participation autres N = 708

X ! = 2,17

( E S + 1+) ( E S " 1+) ( E S " I " )

(ES+ I-)

28 72

jf 65

(ns au seuil .10)

Q = 0,13

184

La retraite : une mort sociale

11) Vérification de la prédiction ES+ AP~ -> pratique V TABLEAU 259. Intensité d'activité hors travail passée et environnement social intensité d'activité hors travail passée

+



environnement social

+

pratiques participation autres N = 712

X 2 = 1,20

29 71

)4 66

environnement social

+

29 71

28 72

(ns au seuil .10)

On observe une légère tendance allant dans le sens attendu. Les retraités définis par la situation ES+ AP~ sont un peu plus nombreux que les autres à actualiser une pratique participation. Mais la relation n'est pas significative. 12) Vérification de la prédiction ES+ T~ -> pratique V TABLEAU 260. Situation de travail passée et environnement social situation de travail passée décision ou organisation exécution

+

environnement social — +

pratiques participation autres N = 696

-

X a = 1,32

31 69

27 73

environnement social — + 27 73

34 66

(ns au seuil .10)

On observe ici encore une légère tendance allant dans le sens attendu. Les retraités définis par la situation ES+ T~ sont un peu plus nombreux que les autres à actualiser une pratique de type participation, mais la relation est faible et non significative. Conclusion. Dans six cas sur douze la population de retraités définie par une situation « biens+ potentialités- » est apparue comme significativement liée à une retraite-participation. De plus, dans deux cas, nous avons observé des relations peu éloignées du seuil de significativité .10 (tableaux 252 et 258). Nous considérerons donc que dans huit cas sur douze les prédictions empiriques sont démontrées. De plus, dans onze cas sur douze, nous observons une relation (quoique faible et non significative dans quelques cas) allant dans le sens attendu.

Observation des conduites de retraite

185

La convergence des résultats nous semble permettre de conclure à la validité de notre hypothèse de base. Nous avons montré que la possession de ressources, mais l'existence d'un décalage entre les niveaux de ces ressources avantageant les biens aux dépens des potentialités, détermine une pratique de retraite-participation. L'ensemble du schéma hypothétique causal proposé a été confirmé par une série d'observations systématiques. Nous sommes par conséquent à même d'expliquer les conduites des retraités en fonction de leur situation sociale, ce qui constitue l'objectif central de cette recherche. Il reste à étendre la confirmation de ce système de détermination des pratiques à la population féminine. 5. VÉRIFICATION DU SCHÉMA CAUSAL SUR LA POPULATION FÉMININE DE L'ÉCHANTILLON

Nous avons indiqué précédemment les raisons pour lesquelles les premières analyses ne portaient que sur la population masculine (exception faite pour l'analyse causale du type revendication qui concerne l'ensemble de l'échantillon). Il convenait d'éliminer les facteurs incontrôlables afin de se donner les conditions les plus favorables pour la validation des hypothèses. Or, nous avons vu que la population féminine risquait d'introduire certains éléments de ce type, principalement au niveau de la situation de travail passée et de l'environnement conjugal. Nous nous attacherons maintenant à vérifier nos hypothèses sur les retraitées femmes. Avant d'entamer la vérification proprement dite, certains aménagements de nos propositions théoriques s'imposent en relation avec les caractéristiques spécifiques de cette population (en particulier l'absence de vie professionnelle antérieure). Nous devrons distinguer parmi les femmes deux groupes : a) celles qui ont eu une activité professionnelle et relèvent d'une situation de travail passée donnée, même si leur travail n'a pas été poursuivi tout au long de la vie active ou s'il ne représentait qu'une occupation partielle du temps, b) celles qui n'ont jamais eu d'activité professionnelle. Pour les premières, le système de détermination des pratiques doit être comparable à celui des hommes, puisque leurs ressources se définissent de la même manière. Cependant, étant donné la non-homogénéité de la situation de travail passée, on peut penser que cette variable sera moins nettement déterminante que pour la population masculine. Pour les secondes, le système hypothétique causal doit être modifié. 5.1. Modification du système hypothétique causal en fonction de non-travail

de la situation

Le travail n'est plus au centre du champ des acteurs lorsque la situation passée se définit en termes de non-travail. La retraite ne correspond pour ces femmes, ni à une mise à l'écart du processus de production ni même

i86

L,a retraite : une mort sociale

à un repos mérité. Elle est en revanche liée à un isolement plus ou moins marqué (car c'est par la disparition du conjoint qu'elles ont acquis un droit à l'allocation de réversion) et à une avance en âge. La retraite perd alors toute sa spécificité, elle ne peut plus être distinguée, comme nous l'avions fait, de la vieillesse et de l'isolement. Cette définition du retraité, considéré comme une personne âgée isolée, nous conduit nécessairement à préciser ce que seront, dans ce cas nouveau, les ressources accumulées. Parmi ces dernières, les biens en tant que déterminants vont jouer un rôle prépondérant aux dépens des potentialités. En effet, sauf exception, le rapport au monde d'une femme sans activité professionnelle s'effectue principalement par l'intermédiaire du conjoint. Son statut dans la société actuelle est d'abord défini par la position sociale du mari, de même que l'intensité de ses activités de loisirs passées. On ne peut pas dire non plus que le niveau d'instruction puisse avoir un rôle important dans la détermination des pratiques des femmes qui n'ont jamais eu d'activité professionnelle. Le niveau d'instruction en tant que déterminant (on l'a vu pour la pratique de retraitetroisième âge) n'intervient que médiatisé par la situation de travail et l'intensité de l'activité hors travail passée. Cette potentialité ne peut donc avoir un impact profond dans le cas présent où son effet n'a jamais été relayé. Pour ces raisons, il semble donc que l'on puisse objectivement considérer que les biens constituent l'essentiel des ressources de ces acteurs, les potentialités n'agissant que secondairement. — Le revenu, en tant qu'évaluation du statut du sujet, hérité de la position sociale du mari, aura donc une action déterminante. — La situation biologique prend une place centrale dans le système de détermination, puisque retraite et vieillissement sont maintenant confondus. On peut s'attendre, en fonction de ce qui vient d'être dit, à ce que l'environnement social — et plus particulièrement l'environnement familial — joue un rôle primordial, alors que dans le cas des hommes il ne pouvait être envisagé comme le déterminant le plus important. La famille représente en effet la seule sphère d'activité passée qui était propre au sujet, c'est-à-dire non médiatisée par le conjoint. La disparition du conjoint place la nouvelle retraitée devant trois éventualités : a) elle a un environnement familial, et par conséquent elle peut rester insérée dans l'organisation sociale par l'intermédiaire de la famille, à condition qu'elle ait un niveau suffisant de biens (revenu et situation biologique) ; b) elle n'a pas d'environnement familial mais elle a une bonne position sociale, des potentialités héritées et une situation biologique satisfaisante. Elle peut rester insérée dans l'organisation sociale par l'intermédiaire d'une activité créatrice. c) elle n'a pas d'environnement familial et une mauvaise situation biologique et sociale. Il ne lui reste que le retrait. Elle ne se différenciera pas en cela des femmes qui ont travaillé mais n'ont accumulé aucune ressource.

Observation des conduites de retraite

187

Dans les deux premiers cas la situation de non-travail passée introduit un système original de causalité. Dans ce dernier cas nous retrouvons le schéma déjà connu : l'absence de ressources conduit au retrait. La situation de non-travail n'introduit pas ici de données supplémentaires, sinon une certaine accentuation des biens aux dépens des potentialités dans le système causal. Ces analyses nous conduisent à considérer la situation de non-travail comme liée causalement aux pratiques famille et troisième âge. En revanche elle ne sera pas déterminante en regard des autres types de pratique. Les observations confirment ces hypothèses : seules les pratiques de type II et de type III famille sont significativement liées au non-travail. Dans la mesure où la situation de non-travail passée n'introduit pas de systèmes de déterminants originaux dans le cas des pratiques retrait et loisirs, nous ne distinguerons pas, dans l'analyse causale de ces conduites, les femmes qui ont exercé une activité professionnelle de celles qui n'ont jamais poursuivi une activité rémunérée. En revanche nous serons amenés à effectuer deux analyses distinctes pour les pratiques troisième âge et famille. Nous devrons vérifier, d'une part, que les conduites de la souspopulation féminine n'ayant jamais exercé d'activité rémunérée sont déterminées par le niveau des biens accumulés, d'autre part, que les conduites de la sous-population féminine ayant exercé une activité professionnelle sont liées à un système de déterminants comparable à celui des hommes. Enfin nous ne traiterons qu'ultérieurement de la pratique participation. On a vu en effet que, dans ce cas, c'était l'isolement conjugal et non la situation de travail passée qui risquait d'introduire certains facteurs incontrôlables. 5.2. Analyse des résultats concernant les femmes 5.2.1. Résultats concernant les femmes n'ayant jamais exercé d'activité professionnelle Les hypothèses énoncées précédemment mettent en relation : — la présence de ressources sous forme de biens (l'environnement familial ayant un rôle central) et la pratique famille, — la présence de ressources sous forme de biens et potentialités hérités, l'aspect ténu de l'environnement familial, et la pratique troisième âge. Les observations vont-elles dans le sens des propositions énoncées ? 5.2.1.1 : déterminants de la pratique III famille dans le cas des femmes n'ayant jamais exercé d'activité professionnelle La pratique axée sur la famille est liée à la position sociale héritée. Plus leur revenu est élevé, plus les femmes qui n'ont jamais travaillé ont une telle pratique. Cependant cette relation n'est pas significative.

188

La retraite : une mort sociale TABLEAU

Niveau de revenu mensuel

261.

plus de 800 F

800 F et moins

pratiques famille autres N = 47

X2 = I,8I

66

80

34

20

(ns au seuil .10) Q = 0,35

O n observe une relation allant dans le même sens lorsqu'on prend comme indicateur de la position sociale la catégorie socio-professionnelle du conjoint décédé. Catégorie socio-professionnelle du conjoint décédé

T A B L E A U 262.

pratiques

cadre

employé

ouvrier

famille autres

68 in-

74

5° 5°

N = 51

26

X2 < 0,88 (ns au seuil .10)

Si la relation n'est pas significative, on observe cependant que, plus le statut professionnel de leur conjoint était élevé (cadre ou employé), plus les femmes qui n'ont jamais travaillé ont une pratique centrée sur la famille. Une situation biologique satisfaisante détermine une pratique de type familial. O n observe une relation significative et élevée entre un état de santé satisfaisant et une pratique de type familial. TABLEAU

263.

pratiques

-

famille autres

59 41

N =

5

2

Q = °,47

XS

=3,82

État de santé

+ 80 20

(p39 (pour les hommes Q = 0,26)

Par contre, aucune relation n'est observable entre la situation de travail passée et la pratique retrait pour la population féminine. TABLEAU 272.

pratiques

Situation de travail passée

décision ou organisation

retrait autres

exécution

36

64

39

61

X2 = 0,47 (ns au seuil .10) Q = 0,08 (pour les hommes Q = 0,59)

Plus les biens dont disposent les retraitées sont réduits, plus celles-ci ont une pratique retrait. On observe une relation entre une situation biologique dégradée et la pratique I. TABLEAU 2 7 5 .

État de santé

pratiques

-

+

retrait autres

47 53



30

Xa = 7 , " ( P < - 0 1 ) Q = o,}3 (pour les hommes Q = 0,45)

La relation avec le vieillissement est de même sens, quoiqu'elle soit moins forte et non significative. TABLEAU 274.

pratiques retrait autres

Degré de vieillissement -

+



)!

70

65

N = 229 Xa = 0,81 (ns au seuil .10) Q — O,II (pour les hommes Q = 0,47)

Observation des conduites de retraite

T 9Î

On observe une relation entre un niveau de revenu faible et une pratique retrait. Cette relation n'est pas significative. Cependant la force de l'association entre les deux variables n'est pas négligeable. TABLEAU

pratiques retrait autres

275. Niveau

de

revenu

+

-

33 67

4)

57

X" = 1,92 (ns au seuil .10) Q = 0,19 (pour les hommes Q = 0,24)

On constate une relation entre un environnement social restreint et une pratique de type I. TABLEAU

pratiques retrait autres

276. Environnement

-

4/

55

social

+ 27 73

X a = 8,62 (p < .01) Q = 0,38 (pout les hommes Q = 0,29)

Ces résultats confirment nos hypothèses. La pratique de retraite-retrait est liée à l'absence de ressources, quel que soit le sexe. Une seule observation ne va pas dans le sens attendu : la situation de travail passée de type exécution ne semble pas liée pour les femmes à une pratique retrait. Il est probable que cette absence de relation est imputable à l'hétérogénéité de la situation de travail passée des femmes (activité professionnelle poursuivie pendant une courte durée, activité à temps partiel, etc.). Si nous poursuivons notre analyse comparée en confrontant d'une part les coefficients de corrélation 9 1 obtenus pour chaque sous-population, et d'autre part les coefficients de corrélation partielle2, nous observons encore une grande similitude dans les résultats.

1. Ils mesurent la force de la telation entre chacun des déterminants et la variable dépendante. 2. Ils mesurent le poids de chacun des déterminants, les autres variables indépendantes étant neutralisées. 13

La retraite : une mort sociale

194

Force comparée de chacune des relations causales et poids comparé de chacun des facteurs déterminants de la pratique retrait pour les sous-populations masculine et féminine

TABLEAU 2 7 7 .

déterminants de la pratique retrait

coefficients de régression partielle

? hommes

instruction situation de travail passée formation professionnelle passée intensité d'activité passée revenu vieillissement santé environnement social

femmes

-.16 — .20 — .12 — .12

— .10 -.07 -.07

— .11

+ .22 — .22

-•I?

-•17

-.03 + .06 -.09 -.18

hommes — .10

— .12

-.04 -.07 — .02

+ •') -.16

-.08

femmes -.05 -.08 — .02

-•u

— .01 + .04

-.oS -•17

La pratique retrait est liée, quel que soit le sexe, à l'absence de ressources. On observe cependant quelques différences mineures entre les deux sous-populations quant aux poids respectifs des éléments composant les ressources. Alors que pour les hommes nous avons montré que la situation de travail passée et la situation biologique étaient les plus fortement déterminantes en regard de cette pratique, il apparaît que pour les femmes l'activité hors travail passée et l'environnement social pèsent d'un poids plus lourd que les autres éléments dans le système de détermination de cette pratique. Une de ces différences peut s'expliquer par les caractéristiques de la population féminine retraitée constituant notre échantillon. Cette population est en effet composée dans sa presque totalité de femmes seules1. Il est par conséquent normal qu'elle soit plus particulièrement sensible à l'isolement social. 5.2.2.2. :

déterminants de la retraite-troisieme

âge

Nous ne nous intéresserons ici qu'aux femmes qui ont exercé une activité professionnelle au cours de leur vie active. Nous avons démontré, pour la population masculine, que la présence de ressources, accumulées sous forme de potentialités, déterminait une pratique de retraite-troisième âge. En est-il de même pour les femmes ayant travaillé au cours de leur vie active ? On observe une tendance positive de relation entre niveau d'instruction et pratique troisième âge. TABLEAU 278.

pratiques 5e âge autres

Niveau

d'instruction

-

+

56 6?

43 57

N = 157 X2 = 2,28 (ns au seuil .10) Q = 0,16 (pour les hommes Q = 0,19) 1. Cf. notre étude, Conditions de vie..., op. cit., p. 20.

Observation des conduites de retraite

!95

On observe une relation positive entre l'intensité de l'activité passée et la pratique II. 279. Intensité d'activité hors travail passée

TABLEAU

pratiques

-

+

5e âge autres

34 66

76 44

N=i59 X2 = 7,55 ( p < . o i ) Q = 0,41 (pour les hommes Q = 0,28)

Si l'on n'observe aucune relation significative entre la situation de travail passée et la pratique troisième âge, on enregistre cependant une tendance allant dans le sens attendu. TABLEAU

pratiques

280. Situation de travail ou

5e âge autres

décision organisation 46 54

passée exécution 40 60

N = 159 X2 = 1,30 (ns au seuil .10) Q = 0,10 (pour les hommes Q = 0,32)

Par contre aucune relation n'est observable entre la possession de biens et la pratique II. Celle-ci n'est liée ni à la situation biologique, ni au niveau de revenu, ni à la densité de l'environnement social. La pratique de retraite-troisième âge semble liée exclusivement à la présence de ressources sous forme de potentialités. Ceci est vrai quel que soit le sexe de la population considérée. Un dernier élément de preuve renforce cette constatation : la comparaison des coefficients de corrélation entre les sous-populations masculine et féminine. Dans la mesure où ils sont proches, on peut penser que les coefficients de régression partielle le seront également. 281. Force comparée de chacune des relations causales entre ressources et pratique troisième âge pour les sous-populations masculine et féminine

TABLEAU

coefficients déterminants instruction situation de travail passée formation professionnelle passée intensité de l'activité passée revenu santé vieillissement environnement social

hommes

de

corrélation femmes

+ .07

+ .06 + .08 +.03 +.18 + .03 + .05

+ .08

.00

+.08 + .IJ +.08 +•'4

196

La retraite : une mort sociale

Les résultats des hommes et des femmes convergent pour confirmer le rôle des potentialités dans la détermination de la pratique troisième âge. Comme nous pouvions nous y attendre, la situation de travail passée est un facteur moins fortement déterminant pour les femmes que pour les hommes. 5.2.2.3 : déterminants de la retraite-loisirs et de la retraite-famille Nous étudierons successivement les deux modalités de la pratique III. La retraite-loisirs. Il a été démontré que, pour la population masculine, la présence de ressources accumulées sous forme de biens détermine une pratique de retraite-loisirs. En est-il de même pour la population féminine ? Plus le revenu est élevé, plus la pratique de retraite est de type loisirs. TABLEAU 282. Niveau de revenu pratiques

-

loisirs autres

27 73

+ 37 63

N = 261 X2 = 2,83 (p < .10) Q = 0,21 (pour les hommes Q = 0,24)

On observe que plus la situation biologique est satisfaisante plus la pratique est de type loisirs TABLEAU 283. État de santé

+

pratiques 28 72

loisirs autres

}9

61

N = 279 X 2 = 4,44 (p < .05) Q = 0,25 (pour les hommes Q = 0,39)

TABLEAU

2 84.

Degré de vieillissement

+

pratiques loisirs autres

4J

29

55

71

N = 230 X 2 = 5,85 (p < .02) Q = 0,34 (pour les hommes Q = 0,30)

Observation des conduites de retraite

*97

En revanche, on n'observe aucune relation significative entre environnement social et pratique loisirs. On distingue cependant une très faible tendance allant dans le sens attendu. TABLEAU 285. Environnement social pratiques loisirs autres

-

52 68

+ }7 63

N = 282 X2 = 1,16 (ns au seuil .10) Q = 0,12 (pour les hommes Q = 0,23)

Enfin, on ne constate aucune relation entre les potentialités et la pratique loisirs. La pratique de retraite-loisirs est liée à la présence de ressources accumulées sous forme de biens, et ceci quel que soit le sexe. Pour confirmer ces premières observations nous comparerons les coefficients de corrélation obtenus pour les deux populations. TABLEAU 286. Force comparée de chacune des relations causales entre ressources et pratique loisirs pour les sous-populations masculine et féminine coefficients de corrélation déterminants instruction situation de travail passée intensité de l'activité passée revenu vieillissement santé environnement social

hommes .16 .16 .09

.24 -•15 •14 .12

femmes .09 .10 .03

.12 -.16 •I) .04

La convergence de ces résultats nous permet de conclure à la validité générale de notre hypothèse. La retraite-famille. Les pratiques famille et loisirs sont assez fortement liées (Q = 0,26 pour la population féminine). En effet, elles sont issues d'une même cause : la présence de ressources accumulées sous forme de biens. Nous avons vu, pour la population masculine, que certaines accentuations des éléments composant les biens faisaient tendre soit vers une pratique famille, soit vers une conduite loisirs. Alors que le revenu est apparu comme central dans le système de détermination de la pratique loisirs, c'est la variable densité du réseau familial qui était la plus déterminante en regard de la pratique familiale. Les observations portant sur la population féminine ayant eu une activité professionnelle dans le passé nous permettent-elles de confirmer ces résultats ?

198

La retraite : une mort sociale

La pratique III famille est liée à la présence de biens. On observe une très forte relation entre un environnement familial dense et la pratique famille. Densité du réseau

TABLEAU 2 8 7 .

pratiques

-

famille autres

3° 7°

familial

+ Si

N = i 5 5 X2 = 30,51 (p < .001) Q = 0,81 (pour les hommes Q = 0,57)

On observe une relation entre une situation biologique satisfaisante et la pratique famille. TABLEAU

288. Degré de

vieillissement

TABLEAU

289. État de santé

pratiques

-

+

pratiques

-

+

famille autres

37

33 67

famille autres

41 59

JO 51

N = 135 X2 = 11,30 (p < .001) Q = 0,56 (pour les hommes Q = 0,29)

N = 159 X2 = 1,22 (ns au seuil .10) Q = 0,15 (pour les hommes Q = 0,25)

Pour la santé, la relation n'est pas significative mais on observe une tendance allant dans le sens attendu. On constate une relation entre un niveau de revenu moyen ou élevé et la pratique famille. TABLEAU

290. Niveau de revenu

pratiques

-

+

famille autres

40 60

H Al

N = 149 X2 = 2,72 (p < .10) Q = 0,24 (pour les hommes Q = 0,17)

On n'observe en revanche aucune relation entre le niveau des potentialités et la pratique famille. Celle-ci n'est liée ni à la situation de travail passée, ni au niveau d'instruction ni à l'activité passée. Dans la sous-population féminine comme dans la sous-population masculine la pratique III est bien liée à la présence de ressources accumulées sous forme de biens. Notre hypothèse est confirmée.

Observation des conduites de retraite

199

5.2.2.4 : déterminants de la retraite-participation Il est apparu au cours de l'analyse que les relations unissant les variables indépendantes et la pratique participation n'étaient pas toujours de même sens dans les deux sous-populations masculine et féminine. Sachant par ailleurs que le veuvage (dans le cas des femmes) est lié à la pratique V, nous avons fait l'hypothèse que les différences observées entre les situations des hommes et des femmes étaient liées à l'isolement conjugal de ces dernières. Le choix a donc été fait de tester tout d'abord nos propositions empiriques sur les retraités hommes. On a vu qu'elles avaient été confirmées par l'analyse. Il convient de montrer maintenant que les situations passées et présentes des femmes du type V ne diffèrent pas de celles des hommes, lorsqu'on neutralise l'effet perturbateur de l'état civil. A cette fin nous comparerons systématiquement les résultats obtenus pour chaque sexe, la situation matrimoniale étant maintenue constante. Nous présenterons tout d'abord les différences existant entre les deux sous-populations, en ce qui concerne la force et le sens des liaisons unissant les variables indépendantes prises une à une et la pratique participation. a) Contrairement à ce qui se passe pour les hommes, on observe pour les femmes une relation entre un niveau d'instruction élevé et la pratique V. b) On note également une légère tendance à la liaison positive entre la pratique V et l'intensité de l'activité passée chez les femmes alors que pour la population masculine nous n'observions aucune relation. c) La relation observée pour la population féminine entre un niveau de revenu et une pratique participation est faible, comparée à celle qui existe pour la population masculine. Si les différences observées entre les deux sous-populations de sexe opposé disparaissent lorsque la situation matrimoniale est introduite en contrôle, cela signifiera que ces différences sont explicables en termes d'isolement conjugal. Le démontrer revient à avancer que les hommes et les femmes ayant une pratique de type participation sont définis par des situations passées et présentes comparables et qu'ils ne diffèrent que par leur état matrimonial. Par rapport au niveau d'instruction, les différences observées s'effacent lorsque l'effet de l'état matrimonial est neutralisé. Les femmes relevant du type participation ne sont pas plus instruites que les femmes relevant des autres types, alors qu'une relation assez forte ( Q = o , 2 5 ) entre instruction et participation avait été observée précédemment pour la population féminine.

200

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La retraite : une mort sociale

28O

Tableau 44 F. Nombre de contacts approfondis dans la semaine pratiques

moins de 3

4à 6

7 à 10

11 et plus

16 25

26 27

25 28

33

famille autres 2

X = 10,82

20

(p < . 02)

Tableau 45 F. Intensité des relations sociales pratiques

faible

moyenne

forte

6 20

46 46

US 34

famille autres X 2 = 21,02

(pC.001)

Tableau 46 F. Affiliation à des organisations pratiques famille autres

62

38 29

X =6,77

(pc.Ol)

71

Q = 0,21

Tableau 47 F. Intensité de la participation sociale secondaire pratiques

n'a assisté à aucune réunion dans la semaine

famille autres X 2 = 5, 17

a assisté à une réunion au moins dans la semaine 30 21

70 79 (p.10)

moyen inférieur

moyen supérieur

20 21

13 13

5 3

11 9

23 19

10 15

supérieur

La retraite

284

: une mort

sociale

I V . 2 . ANALYSE DES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA PRATIQUE III FAMILLE L'accumulation de r e s s o u r c e s sous f o r m e de biens détermine une pratique de r e t r a i t e de type famille PREUVE NIVEAU 1

Tableau 202 F . Niveau de revenu pratiques

Tableau 203 F . Etat de santé pratiques

39 61

famille autres N = 672 X^ = 4,78 Q = 0,17

47 53

(p < • 05)

Tableau 204 F . Degré de vieillissement

famille autres

N = 698 X = 11,37 Q = 0,25

+

pratiques

51 49

37 63

famille autres

N = 604 X 2 = 12,65 Q = 0,29

50 50

(pc.001)

Tableau 205 F . Densité du r é s e a u familial

-

pratiques

38 62

famille autres

(p