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French Pages [511] Year 2002
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Pour analyser la guerre d'Indochine, à la fois réputée « trop chère » et pervertie par le trafic des piastres, Hugues Tertrais a privilégié le point de vue financier. Il ouvre ainsi une fenêtre à la fois nécessaire et originale qui éclaire différemment le conflit et permet d'en repenser le déroulement. Car si l'argent est le « nerf de la guerre », l'occasion des profits indirects. En s'appuyant sur les archives économiques et financières, l'auteur montre comment le conflit, au départ de nature coloniale, a été rattrapé par son coût. En effet, à défaut de pousser à la négociation avec l'adversaire, dans un contexte marqué par les fortes tensions de la guerre froide, les contraintes financières plaidaient pour un montage combinant les États associés et l'aide américaine, et un désengagement progressif. Le financement de la guerre d'Indochine a donc été un élément déterminant de son évolution. L'évaluation du coût de la guerre conduit ainsi à une évaluation de la guerre elle-même, à travers la nature de ses dépenses, les modalités de leur financement et la gestion des flux financiers qui en découlent, dans laquelle le ministère des Finances joue un rôle croissant : un an avant Dien Bien Phu, la dévaluation de la piastre indiquera le sens que la France donne à ses ultimes ambitions en Asie. La guerre d'Indochine est alors « à vendre » et les Etats-Unis apparaissent comme le seul acquéreur possible. La suite n'est certes alors pas encore écrite mais on sait que si la France - pertes et profits confondus - sortira de l'aventure sans trop de dommages, il n'en sera pas de même des pays d'Indochine, certes indépendants mais balkanisés et dans une paix plus que provisoire.
HUGUES TERTRAIS Hugues Tertrais est agrégé et docteur en histoire de l'université de Paris I PanthéonSorbonne, où il enseigne et est rattaché au Centre d'histoire des relations internationales contemporaines (Institut Pierre Renouvin). Egalement auteur d'ouvrages sur le Vietnam et l'Asie du Sud-Est, il travaille sur l'analyse des conflits dans cette partie du monde et sur le processus d'intégration régionale en Asie orientale, en comparaison avec celui que connaît l'Europe.
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SOMMAIRE Préface Robert Frank
Liste des sigles Introduction. Penser la guerre par son coût I. UNE APPROCHE À CONSTRUIRE II. LA QUÊTE INACHEVÉE DES SOURCES III. UNE TRIPLE DÉMARCHE
Première partie. « Tout problème n'est pas financier mais le devient un jour » Introduction à la première partie Chapitre I. Une guerre coloniale aux moindres frais (1945-1948) I. LE COÛT DE LA GUERRE AVANT LA GUERRE II. LES MOYENS DE LA RÉSISTANCE III. UN CONFLIT MAL MAÎTRISÉ (1947-1948)
Chapitre II. L’inflation des coûts et la redistribution des cartes (1949-1951) I. UNE SITUATION NOUVELLE II. QUE FAIRE ? III. L’ANNÉE DES AMBIGUÏTÉS
Chapitre III. La guerre d’Indochine, ou comment s’en débarrasser (1952-1954) I. L’URGENCE INDOCHINOISE II. LA DÉVALUATION DE LA PIASTRE III. LE DÉSENGAGEMENT ET L’ÉCHEC
Deuxième partie. Évaluation du coût, évaluation de la guerre Introduction à la deuxième partie Chapitre IV. Les dépenses I. LES HOMMES II. LE MATÉRIEL III. LES OPÉRATIONS IV. LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES DÉPENSES
Chapitre V. Les ressources I. LES RESSOURCES BUDGÉTAIRES II. LES RESSOURCES NON ORTHODOXES III. LES RESSOURCES EXTÉRIEURES
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Chapitre VI. La gestion I. UN NON-ÉTAT DE GUERRE II. L’ORGANIGRAMME DU CONFLIT III. LA GESTION DES FLUX FINANCIERS IV. LA QUESTION DE LA MONNAIE
Troisième partie Les conséquences du conflit Chapitre VII. Une opération « blanche » pour la France ? II. LE POIDS FINANCIER DE LA GUERRE III. LA FIN DU « PACTE COLONIAL » IV. DE L’INDOCHINE À L’EUROPE
Chapitre VIII. L’éclatement de l’Indochine I. LA NON INDUSTRIALISATION DE L’INDOCHINE II. LA BALKANISATION DE LA PÉNINSULE III. UN NOUVEL ÉTAT DES LIEUX
Conclusion Sources Bibliographie Chronologie
Gouvernements français et principaux ministères Les principaux représentants de la France en Indochine Valeur et changes des monnaies Coefficient de conversion du franc Franc et dollar Franc et piastre indochinoise
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Annexes Annexe 1. Le coût de la récupération de l’Indochine 1945 et 1946 Annexe 2. Lettre du ministre de la France d’outre-mer Marius Moutet au président du Conseil sur le caoutchouc d’Indochine Annexe 3. Dépenses supportées par la France du fait de l’Indochine Dépenses supportées par la France en 1949 du fait de L’INDOCHINE
Annexe 4. Note pour le ministre sur les transferts (23 février 1950, Guillaume Guindey) Très Secret 23 février 1950
Annexe 5. Rapport au ministre sur les relations financières entre la France et l’Indochine (13 mai 1950, François Bloch-Lainé) Annexe 6. Rapport au président du Conseil sur la parité de la piastre 12 octobre 1950
Annexe 7. Achats et ventes de piastres en 1948, 1949, 1950 (documents du haut-commissariat français à Saigon) Annexe 8. Conventions inter-états des 23, 25, et 26 décembre 1950 Annexe 9. La mise en place de l’institut d’émission des états associés. Article du Monde du 2 janvier 1952 René Dabernat
Annexe 10. Le trafic des piastres Article de Jacques Despuech, Le Monde, 20 novembre 1952 Annexe 11. Balance générale des paiements de l'année 1952 entre les États associés, l'étranger et la zone franc Annexe 12. Lettre d’André Valls du 20 mars 1953 Annexe 13. La décision de dévaluer la piastre le 11 mai 1953 Annexe 14. La dévaluation de la piastre : les réactions en Indochine (Le Monde, 12 mai 1953) Estimant être mis devant le fait accompli Jean Lacouture
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Annexe 15. Déclaration gouvernementale du 3 juillet 1953 Annexe 16. Questionnaire présenté par la mission d’études américaine en mars 1953 Annexe 17. Communiqué franco-américain sur l’aide supplémentaire à l’Indochine, 27 septembre 1953 Annexe 18. Communiqué final du Haut Conseil de l’Union française de novembre 1953 Annexe 19. Bilan de l'Institut d'émission au 31 décembre 1953 après annulation des dettes et créances réciproques en millions de piastres Annexe 20. La mise hors budget des armées nationales Annexe 21. Conclusion du rapport au Conseil économique – non voté – de Paul Bernard sur « La conjoncture économique des États associés » (1954) Annexe 22. Direction des Services financiers et des programmes Mai 1954 Annexe 23. Compte rendu de la réunion au ministère des Finances des représentants des entreprises françaises opérant au Nord-Vietnam, 22 juillet 1954 Annexe 24. Crédits militaires français et aide américaine Index des noms de lieux Index des noms de personnes Index des sociétés et des institutions Table des documents Table des tableaux et graphiques
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Préface Robert Frank
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Toute guerre a un coût et le prix de la guerre est toujours trop lourd. En termes humains, bien entendu, mais aussi en termes financiers. Le constat est évident, même en cas de victoire. Alors, que dire d’une guerre perdue, comme la guerre d’Indochine qui aboutit à la catastrophe française de Dien Bien Phu ? Au prix de la guerre ne voit-on pas s’ajouter celui de la défaite ? C’est René Girault qui eut l’idée première de suggérer une recherche sur le coût de ce conflit. Il aimait favoriser toute étude tendant à mesurer le poids de l’économie et des finances dans l’histoire des relations internationales ; il savait que Hugues Tertrais s’intéressait à l’Asie du Sud-Est et qu’il maîtrisait parfaitement bien les questions financières et monétaires. D’où cette très honnête proposition qu’il lui fit de consacrer une thèse à ce beau sujet. Il est toujours difficile d’apprécier le temps qu’il faut pour réaliser une bonne idée. Une dizaine d’années plus tard, après une longue plongée dans une masse considérable d’archives (ministère de l’Economie et des Finances, Services historiques des armées, Archives nationales, archives parlementaires. Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, etc.), Hugues Tertrais présente en 1998 une thèse magistrale. C’est une des dernières soutenances à laquelle a pris part René Girault, déjà miné par la maladie. Il était vraiment heureux de l’aboutissement de la recherche et enthousiaste sur la qualité des résultats du travail.
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De cette thèse est tiré le présent livre. À n’en point douter, l’ouvrage fera date parce que Hugues Tertrais, comme prévu, analyse le conflit Indochinois, non dans sa dimension militaire, bien connue, mais dans sa dimension financière, monétaire et économique. En outre, en prenant ce détour par l’économie, il développe une réflexion historique profonde qui permet une relecture politique complète de la guerre d’Indochine, de l’action de la France dans l’Union française, et des relations franco-américaines de l’époque.
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Tout d’abord, lorsque les finances publiques sont prises comme poste d’observation privilégié pour l’étude d’une guerre, il est possible de mieux évaluer la force des motivations dans les processus de décision liés au conflit. Toute guerre produit de la rhétorique, des vœux, des souhaits et des rêves stratégiques. Mais derrière les beaux discours, derrière les mots, il y a les chiffres, c’est-à-dire la réalité des faits et des engagements. Bref, l’historien qui compte ne s’en laisse pas conter : il pèse avec exactitude les sacrifices qu’un pays est réellement disposé à faire au nom de l’effort de guerre proclamé. Ces calculs conduisent Hugues Tertrais à éclairer d’une façon nouvelle la chronologie de la guerre d’Indochine. A la distinction classique entre deux
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périodes, celle de la guerre coloniale, puis de la guerre insérée dans la guerre froide, il substitue une périodisation plus complexe, en trois temps : le conflit colonial « aux moindres frais » entre 1945 et 1948, la phase de « dérive financière » de 1949 à 1951 qui, précocement, fait prendre conscience du boulet Indochinois, et la phase du désengagement financier massif, prélude au désengagement militaire entre 1952 et 1954. 4
De fait, ce désengagement commence dès la deuxième période, avec le « jaunissement » des troupes comme on disait à l’époque, avec l’implication de plus en plus importante des États associés (le Laos, le Cambodge et le Vietnam de Bao Dai) et avec le début de l’aide venue des Etats-Unis. A propos du nouveau rôle attribué aux États associés, il faut saluer tout ce que Hugues Tertrais apporte de neuf sur une conférence relativement méconnue, celle de Pau, qui, de juin à décembre 1950, redéfinit et élargit les indépendances des trois pays concernés. A propos des premiers pas de l’assistance américaine, Hugues Tertrais montre comment, assez tôt, la France cherche à « vendre sa guerre » au leader du camp occidental. Avec la troisième phase, l’apport des Etats-Unis est tel que le désengagement français devient spectaculaire. D’une façon extrêmement convaincante, Hugues Tertrais révèle le vrai sens de la soudaine dévaluation de la piastre en mai 1953 : elle est précisément le signe le plus manifeste d’un retrait français, bien avant le retrait militaire. Tout a été fait en 1953 pour éviter une débâcle des finances publiques que beaucoup redoutaient, et la catastrophe est venue de là où on ne l’attendait pas : elle fut militaire, et non financière. De ce point de vue, l’ouvrage remet bien en perspective, et d’une façon très neuve, le désastre de Dien Bien Phu.
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Hugues Tertrais a préféré, et c’est de bonne méthode, présenter l’évolution, telle qu’elle pouvait être perçue par les contemporains, avant de présenter le bilan. Il a pu montrer ainsi que les esprits ont justement évolué parce que le conflit est apparu comme très coûteux. L’historien a le devoir de se mouler dans la psychologie des contemporains, car leurs représentations fabriquent de la réalité : ici le coût prévu a été à l’origine des décisions qui ont conduit au très réel désengagement français. Mais, rien n’interdit à l’historien de calculer le coût réel et final et le mérite de Hugues Tertrais est d’avoir démêlé un écheveau extrêmement complexe. Certes, la guerre d’Indochine a coûté cher. Certes, les contemporains ont eu raison d’avoir peur. A ces charges du conflit en Asie s’ajoutaient les nécessités du réarmement sur le front européen face à la menace soviétique jugée encore plus dangereuse depuis le début de la guerre de Corée. Cette conjonction explique pourquoi en 1952, le pays connaît le taux-record - hors guerres mondiales des dépenses militaires par rapport au PIB : plus de 12 % (les records précédents, à la veille des deux grands conflits, étaient de 4 % en 1913 et 8 % en 1938). Mais, au total, la France ne finança que 60 ou 70 % de sa guerre. L’Amérique paya beaucoup, surtout à la fin du conflit : près de 80 % de la charge en 1954. Au bout du compte, Hugues Tertrais démontre avec force comment le prix de la guerre d’Indochine a été relativisé. On comprend mieux pourquoi la France a résisté financièrement. Elle a même eu de quoi dépenser pour la modernisation de son économie, qui n’a donc pas été hypothéquée par le drame Indochinois. Le prix a plutôt été payé par la péninsule, meurtrie, balkanisée, laissée comme un grand champ ouvert à la guerre civile et à une nouvelle guerre étrangère.
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Le lecteur découvrira bien d’autres richesses dans le présent ouvrage : sur la guerre entre la monnaie française et la monnaie du Viet Minh, sur les transferts financiers qui s’en retournent en France, sur le trafic des piastres, sur les relations entre Paris et Washington. Il lira également toute une réflexion historique sur les comptes de la puissance française, les choix de la France entre l’Empire et l’Europe, ainsi que les interférences entre les événements d’Asie et la querelle tout à fait concomitante de la CED (Communauté Européenne de Défense). En démontrant que « la piastre » a compté au moins autant que le « fusil », Hugues Tertrais nous conduit à revisiter
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et à réinterpréter la guerre d’Indochine. Mais il nous incite aussi, d’une façon heureuse et stimulante, à opérer toute une réévaluation de la politique extérieure française de l’époque.
AUTEUR ROBERT FRANK Professeur à l’Université de Paris I - Sorbonne
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Liste des sigles
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AEF Archives économiques et financières
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AEF Afrique équatoriale française
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BIC Banque de l’Indochine
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BIRD Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement
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BGI Brasseries et glacières de l’Indochine
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BMEO Brigade marine d’Extrême-Orient
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BTLC Bureau technique de liaison et de coordination
8
CAIC Centre des approvisionnements de l’Indochine
9
CAOM Centre des archives d’outre-mer
10
CEFEO Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient
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CECA Communauté européenne du charbon et de l’acier
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CED Communauté européenne de défense
13
DNEO Divison navale d’Extrême-Orient
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DSP Defense Support Program
15
ECA Economic Cooperation Agency
16
FMI Fonds monétaire international
17
FTEO Forces terrestres d’Extrême-Orient
18
GCMA Groupement de commandos mixtes aéroportés
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LST Landing Ship Tank
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LSSL Landing Ship Support Large
21
LSIL Landing Sh ip Infantry Large
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LSM Landing Ship Motor
23
LCV Landing Craft Vehicle
24
LCM Landing Craft Motor
25
LCVP Landing Craft Vehicle and Personal
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MAAG Military Advisory Assistance Goup
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MAE Ministère des Affaires étrangères
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MDAP Mutual Defense Assistance Program
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MSA Mutual Security Agency
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MSP Military Security Program
31
MRP Mouvement républicain populaire
32
OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
33
OTASE Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est
34
PAM Programme d’assistance mutuelle
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RDV République démocratique du Vietnam
36
SDECE Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
37
SGCI Secrétariat général du comité interministériel (chargé des questions de coopération économique européenne)
38
SHAT Service historique de l’armée de Terre
39
SHAA Service historique de l’armée de l’Air
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STEM Special Technical and Economie Mission
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TFEO Troupes françaises d’Extrême-Orient
42
UEP Union européenne des paiements
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USAID United States Agency for International Development
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USOM United States Operations Mission
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USPI Union des syndicats professionnels d’Indochine
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Introduction. Penser la guerre par son coût
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Cet ouvrage porte sur le financement de la guerre d’Indochine et tente d’en évaluer le coût, c’est-à-dire d’en quantifier l’importance. Bien sûr il ne s’agit pas — ou pas seulement — d’un travail comptable. La guerre a mobilisé des ressources et généré des flux financiers considérables, mis en mouvement des centaines de milliers d’hommes, de millions de piastres et de dollars, de milliards de francs... Mais l’importance d’une guerre est-elle réductible à des chiffres, particulièrement lorsqu’il s’agit de décolonisation et d’affrontement des blocs ? Ce livre tente donc, plus particulièrement, de répondre à trois questions : dans quelles conditions économiques et financières — reconstruction, privilège impérial, défense de l’Europe — la guerre d’Indochine s’estelle déroulée ? Quel a été le poids des facteurs économiques et financiers, globalement et localement, dans la conduite de la guerre ? Qu’est-ce que cette dernière a au fond modifié pour les pays concernés, c’est-à-dire quel en a été le bilan ? Mais l’approche de ses trois questions n’est pas forcément simple, ni les sources toujours aisées à déchiffrer.
I. UNE APPROCHE À CONSTRUIRE 2
La guerre est peut-être l’objet le plus ancien de l’historiographie. Les pères de l’histoire, Hérodote et plus encore Thucydide, ont commencé par là1, et Gaston Bouthoul n’est pas loin de penser que « c’est la guerre qui a enfanté l’histoire » 2. Outre l’aspect spectaculaire du phénomène, la guerre apparaît d’abord comme un moment extraordinaire, transcendant les routines quotidiennes, et présente un caractère facilement identifiable : il n’est pas nécessairement facile d’écrire l’histoire d’un conflit armé, mais les repères dans le temps et dans l’espace indispensables à l’entreprise apparaissent en effet relativement simples à appréhender. Mis à part les Anciens, c’est cependant surtout du point de vue militaire que l’histoire des guerres a été écrite, et celle d’Indochine ne fait pas exception.
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A. LA GUERRE SOUS UN AUTRE ANGLE 3
La guerre d’Indochine dure huit à neuf ans, suivant le point de départ considéré septembre 1945 pour le Sud ou décembre 1946 pour l’ensemble du théâtre. La France, forte de sa tradition déjà ancienne de souveraineté sur place et d’un corps expéditionnaire venu de toute l’Union française, y est confrontée au pouvoir insurrectionnel de Ho Chi Minh et du Viet Minh3, un temps accepté mais avec lequel elle n’a pu durablement s’entendre. La guerre, qui accompagne la IV e République jusqu’en 1954, a tous les attributs d’un conflit de décolonisation mais se complique rapidement des données de la guerre froide, elle-même plutôt « chaude » dans cette partie du monde.
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Comment en apprécier le coût ? Il faudrait certes tout analyser, son coût humain, financier, économique, social, politique, diplomatique, culturel... Mais ce n’est pas l’objet de ce livre qui, sans en ignorer les autres aspects, s’intéresse surtout aux dimensions économique et financière de l’affrontement. Le coût financier, qui n’est pas le plus facile à mettre en évidence, intéresse la « faisabilité » du conflit, par la prise en compte à la fois de son financement et des circuits budgétaires et monétaires mis en œuvre, mais il en suggère aussi les conséquences majeures. Le coût économique - pertes et profits - renvoie plus directement à la question des conséquences de la guerre, tout en rendant compte, à l’occasion, d’éventuelles raisons économiques au déclenchement ou à la durée des opérations.
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Cet ouvrage représente donc une approche différente d’une question déjà largement connue, la guerre d’Indochine. Les difficultés de cette approche sont multiples : bien plus que la guerre elle-même, son coût représente un objet d’étude aux contours incertains. Il ne s’agit pas ici d’étudier un personnage, un lieu ou une institution, aux limites visibles, mais un objet à la fois chiffrable et plus flou, lié à tous les autres, les doublant en quelque sorte et les rendant possible. A l’intérieur de ces limites incertaines, le coût de la guerre d’Indochine apparaît également comme un objet complexe. Les factures du conflit n’ont jamais par exemple été, ni d’un côté ni de l’autre, réglées par un ordonnateur financier unique, rendant périodiquement compte devant une représentation nationale. En France même, le nombre de parties prenantes est un problème en soi, et les Français ne restent pas seuls très longtemps : une part appréciable du financement de la guerre passe après quelques années par les « États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam », selon l’expression consacrée, et est assurée par une aide américaine aux formes elles-mêmes multiples. Tout cela dans des monnaies différentes, la piastre indochinoise et le franc français, sans parler de la « piastre Ho Chi Minh » et du dollar américain.
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Les témoignages ne manquent pas, dans les archives financières, sur cette complexité. Celle-ci est souvent liée à la finalité même des chiffres qui circulent, et qui n’ont pas nécessairement la même signification selon qu’ils émanent par exemple d’un document du Budget ou d’une note du Trésor. Tout en rendant partiellement hommage à Jacques Despuech, le principal dénonciateur du trafic des piastres 4, le rapport parlementaire consacré au sujet lui reproche précisément d’avoir « voulu faire de l’économie politique, s’occuper de questions financières qu’il ne connaissait pas (et d’avoir été) amené à confondre : trésorerie, budget et balance des comptes » 5. Mais les ministres eux-mêmes ont parfois du mal à s’y retrouver, comme le suggère Maurice Petsche en 1950 à l’adresse de son collègue en charge des Etats associés, après que ses services se
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soient livrés à une analyse fouillée de la question : « L’effort financier de la France, au titre des dépenses militaires en Indochine, est donc en réalité beaucoup plus considérable qu’il n’apparaît à l’examen des textes budgétaires. Or l’opinion, le Parlement, le Gouvernement lui-même ne peuvent s’en rendre compte puisque le mécanisme de ces dépenses en cache la signification et l’importance aux observateurs les plus avertis »6. 7
L’approche économique et financière de la guerre est-elle d’ailleurs pertinente ? S’agissant de la guerre d’Indochine, on est d’autant plus fondé à se poser la question qu’au bout du compte, des deux belligérants principaux, tel David et Goliath, ce n’est pas le plus riche qui a gagné, comme si l’argent n’était pas « le nerf de la guerre » ou du moins de la victoire. Une cause réputée « juste » est-elle plus importante que les moyens mis en œuvre pour la faire aboutir ?
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La mémoire collective a retenu que le conflit indochinois aura coûté très cher. En 1952, dès le début de l’avant-propos de son Histoire du Vietnam, Philippe Devillers insiste sur ce point : « Plus de 1 200 milliards, l’équivalent de l’aide Marshall, ont été engloutis » en opérations militaires7. A la fin du conflit, on parle de 3 000 milliards de francs, pratiquement un milliard de francs par jour de conflit8. La guerre est également réputée s’être accompagnée de trafics financiers sur lesquels la lumière n’a jamais été vraiment faite. Le scénario d’Ascenseur pour l’échafaud, en 1957, commence par l’assassinat d’un homme sur lequel plane le mystère d’affaires aussi lucratives que louches avec l’Indochine9. Quelques années plus tôt, parlant des Vietnamiens et mettant en cause l’héritage colonial, Prévert avait opposé à « ces gens qui crient famine [...] les Grands Planteurs d’Hévéas les Seigneurs de la Banque d’Indochine et les Grands Charbonniers du Tonkin », et mis en balance les insuccès du corps expéditionnaire avec les profits de la guerre : « Seuls les gens du trafic des piastres criaient bis et applaudissaient... »10.
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Il existe une approche économiste du coût de la guerre, qui mettrait en balance les intérêts français en Indochine et l’argent dépensé pour les défendre ; mais le déséquilibre apparaîtrait rapidement, au détriment des premiers, qui de toute façon, étaient déjà partiellement perdus avant même que la guerre ne commence. Cette approche serait fidèle au cadre idéologique de la décolonisation. Tout s’emboîtait en effet dans les esprits : « Le capitalisme, avait lancé Jaurès, porte la guerre comme la nuée porte l’orage », et Lénine avait surenchéri, définissant l’impérialisme comme le « stade suprême du capitalisme »11. Dès lors, tout conflit loin de ses bases pouvait sembler avoir pour enjeu l’existence même de l’Occident capitaliste. La révolution vietnamienne n’a-t-elle pas inscrit à son tableau de chasse d’avoir « mis en pièce le colonialisme français »12 ? Depuis, Jacques Marseille a cependant établi que « que la décolonisation n’avait causé aucun dommage au capitalisme français, qu’apparemment même, elle avait été l’une des conditions et l’accompagnement logique de sa modernisation »13.
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Les polémologues ont une approche plus pragmatique. Pour eux, il n’est pas très simple de déterminer la part des facteurs économiques dans le déclenchement des guerres. Mais leur poids devient déterminant une fois les opérations engagées. « Pour faire la guerre, disait le maréchal de Saxe cité par Gaston Bouthoul, il faut trois choses : premièrement, de l’argent ; deuxièmement, de l’argent ; troisièmement, de l’argent ». Armement, approvisionnement..., toute guerre, de quelque niveau qu’elle soit, suppose au point de départ une préparation et une mise de fonds, même modeste. « Toute
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guerre, écrit Bouthoul, est donc par certains côtés une entreprise économique [...] et pose donc avant tout des problèmes de financement, ou tout au moins de production et d’accumulation ». Elle prend ensuite elle-même une dimension économique et financière, et s’accompagne le plus souvent d’importantes modifications de structure 14. Le choix de ce livre est plutôt de considérer la guerre comme une entreprise économique et financière, sans en perdre de vue bien sûr les grands enjeux. 11
Comment apprécier finalement l’importance des facteurs économiques et financiers dans la guerre ? Ils sont présents dans ses origines et son déroulement. Il est fortement question de caoutchouc d’Indochine en 1945 et 1946, même s’il est tout de même difficile de considérer l’hévéa comme un casus belli. Par la suite, les contraintes de réarmement que s’impose la France pour la défense de l’Europe paraissent avoir pesé particulièrement lourd. Ces facteurs économiques et financiers sont également sensibles dans la conduite de la guerre. L’entreprise pose de multiples problèmes de financement à la France, principale puissance engagée. L’importance progressive des questions financières dans le déroulement de la guerre est manifeste : elles opposent quasiment depuis l’origine la France et le Viet Minh ; elles envahissent ensuite littéralement les relations entre la France et ses alliés, américains et « associés » locaux. L’impact économique et financier de la guerre paraît en proportion : la guerre, qui aura pesé lourd sur le fonctionnement même de la France, bouleverse les conditions mêmes d’existence des pays d’Indochine.
B. LA RECONSTRUCTION CHRONOLOGIQUE 12
À tort ou à raison, le premier réflexe face à la question du financement de la guerre d’Indochine est d’essayer d’en comprendre les mécanismes. Mais cette première approche bute vite sur de multiples difficultés. Sans doute certains éléments du système sont-ils permanents, les procédures budgétaires par exemple, encore que la répartition des crédits militaires par départements ministériels soit très évolutive. Mais le caractère changeant du problème retient vite l’attention. La tentation d’une histoire structurelle, pourrait-on dire, évoluant dans un temps homogène, laisse progressivement la place à la nécessité de classer méthodiquement les données disponibles, en particulier dans l’ordre chronologique.
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Pour démêler l’inextricable, la démarche historique de base, qui passe par le travail chronologique, apparaît comme une planche de salut. Devant le fatras de données parcellaires et d’éléments chiffrés, pas toujours équivalents, qui ressort par exemple des archives du Trésor, on pense à la justesse de la phrase de Lévi-Strauss quand il écrivait, après avoir analysé ce qu’il appelait le « code de l’historien » — qui « consiste en une chronologie » — et considéré l’histoire plutôt comme une méthode, que « c’est l’histoire qui sert de point de départ pour toute quête de l’intelligibilité » 15. L’établissement d’une chronologie correcte en matière financière pose cependant des problèmes spécifiques.
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L’établissement des dates n’est pas toujours dans ce domaine très satisfaisant. Les crédits de guerre ne sont pratiquement jamais votés à date fixe ni d’un seul coup, même si le projet de loi relatif aux dépenses militaires de la France d’outre-mer et, par la suite, des États associés, en retrace chaque année l’essentiel : avant qu’il ne soit déposé, des « douzièmes provisoires » ont été souvent déjà accordés ; et d’autres milliards passeront plus tard à la faveur de quelque nouveau projet de loi sur les comptes
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spéciaux du Trésor16. Les institutions financières, par où transitent les crédits, sont d’une manière générale simples à identifier dans le temps, mais il faut parfois se contenter d’un certain flou dans les dates : certains décrets, comme celui de 1948 instituant le Trésor indochinois, ne font qu’avaliser une situation acquise et entrent en vigueur rétroactivement. D’une manière générale, des lois aux décrets et des décrets à leur mise en œuvre, le temps peut être assez long - pratiquement quatre ans, par exemple, pour le transfert du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine à l’Institut d’émission des États associés. 15
La reconstitution chronologique du financement de la guerre se heurte également au décalage pratiquement constant, dans un sens ou dans un autre, entre l’attribution des crédits budgétaires et les dépenses effectives. La remise en ordre des finances publiques après la Libération fut manifestement une œuvre de longue haleine, et de mauvaises habitudes ont perduré : certains crédits sont votés alors qu’ils sont déjà dépensés, d’autres sont adoptés mais seront dépensés sensiblement plus tard. Quand les ÉtatsUnis attribuent une aide à la France, une nouvelle complication s’annonce : l’année fiscale américaine commence au 1er juillet pour se terminer au 30 juin de l’année suivante, sans aucune correspondance, donc, avec les pratiques françaises, qui sont celles de l’année civile. L’aide financière des États-Unis, comme ce sera le cas en 1953 et 1954, entre parfois d’ailleurs elle-même tardivement dans les circuits financiers métropolitains.
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La chronologie rend cependant compte de moments plus ou moins denses sur la question qui nous occupe. La production des services « sources » — rue de Rivoli notamment — connaît ainsi périodiquement des accès de fièvre, qui se traduisent par une surabondance de tableaux et de notes. Elle laisse ainsi apparaître, sur l’ensemble de la période, trois moments d’introspection, qui correspondent eux-mêmes à d’importantes évolutions du conflit : en 1949, lorsque le Trésor se préoccupe, sous l’impulsion de son directeur François Bloch-Lainé, de l’effet pervers de certains financements et, plus généralement, de l’évolution des relations financières entre la France et l’Indochine ; en 1951, lorsque le général de Lattre prend en main - mais pour peu de temps — la conduite de la guerre, à la fois comme haut-commissaire et comme commandant en chef, et fait entreprendre un important travail de synthèse par ses services économiques et financiers, comme une sorte de « mise à plat » nécessaire ; en 1953 enfin, quand l’allié américain se fait d’autant plus inquisiteur que son aide devient plus massive, à coups de questionnaires détaillés destinés à rassembler tout ce qui pouvait être connu de l’Indochine, de la guerre et - pourquoi pas - de la France.
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La chronologie suggère parfois en retour quelques explications, notamment sur les périodes les plus « chaudes », c’est-à-dire à forte densité de dates ou d’éléments significatifs, comme lors de l’éclatement de l’affaire des généraux. La fuite du rapport Revers en direction du Viet Minh, en 1949, qui avait été longtemps maintenue secrète, est en effet rendue publique, par la presse américaine, à un moment particulièrement sensible : le conflit vient de prendre une dimension de guerre froide, le bloc communiste reconnaissant Ho Chi Minh et les Occidentaux faisant de même avec Bao Dai ; et la France négocie avec les États-Unis une première aide pour l’Indochine. À qui profite le « crime » ? En lançant en janvier 1950 cette affaire teintée de coups tordus et de services spéciaux, la revue Time ne valorisait pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la position française, en montrant combien la situation sur place était sérieuse et que la
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France avait du mal à y faire face. Le conflit prenait d’autant plus une nouvelle configuration. 18
Certains événements très précis, qui n’ont d’ailleurs pas toujours retenu suffisamment l’attention, méritent d’être analysés pour eux-mêmes. Le principal de ces moments-clés est la dévaluation de la piastre, le 11 mai 1953, événement à la fois médiatique en Indochine et historique par sa portée. Mieux que quiconque, mais à propos du Moyen Âge, Georges Duby a montré combien certains événements « rassemblent, en un point précis de la durée et de l’étendue, une gerbe d’information sur les manières de penser et d’agir »17. Mesure apparemment technique, le changement de la parité de la piastre est de cette catégorie. La dévaluation de la monnaie indochinoise, tranchant une question pendante depuis huit ans, elle-même au cœur du circuit des crédits militaires et des spéculations financières, mettait brutalement en relation — et en conflit — tous les milieux, tous les réseaux qui, chacun de leur côté, cherchaient à peser sur le devenir de l’Indochine.
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À une autre échelle, et à l’intérieur de ce dernier événement, seul également l’établissement d’une chronologie détaillée — presque comme un travail de police — permet de comprendre le « capotage » relatif de l’opération de dévaluation. Le 5 mai 1953, André Valls, conseiller financier à Saigon mais en vacances à Sainte-Maxime, était pratiquement convoqué rue de Rivoli par le directeur des Finances extérieures Guillaume Guindey : il s’agissait d’élaborer la décision et de préparer sa mise en œuvre. La décision est prise le 8 et transmise dans la nuit à Hanoi pour qu’elle entre en application le 11 : cela laissait en principe deux jours pour appliquer les procédures en vigueur depuis la conférence de Pau, qui voulaient que la France consulte ses « associés » indochinois, ou à tout le moins les informe correctement de sa politique. Mais le télégramme fatidique semble n’être arrivé qu’au milieu de l’après-midi du 9 à Hanoi, alors qu’il aurait dû s’y trouver en début de matinée ; et les consultations d’usage n’ont commencé que dans la soirée — c’était un samedi — voire le lendemain dimanche... Il ne s’agissait peut-être pas d’un sabotage délibéré, mais les services français d’Indochine semblaient vraiment freiner des « quatre fers ». Il était relativement facile d’affirmer ensuite que les États associés n’avaient pas été consultés dans les règles18.
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Plus généralement, considérer la guerre d’Indochine sous l’angle de son coût n’est pas sans conséquence sur sa périodisation. L’approche traditionnelle de la guerre, qui voit celle-ci évoluer en deux étapes — guerre coloniale d’abord, conflit de guerre froide ensuite — n’est pas remise en cause, mais quelque peu précisée. L’évolution annuelle du coût de la guerre suggère en effet plutôt trois périodes, d’environ trois années chacune19. La première couvre les années 1946 à 1948, le coût de la guerre se situant alors à un niveau encore relativement modeste. Une seconde période, celle des années 1949 à 1951, correspond au contraire à une véritable dérive financière, sur les montants engagés comme sur les procédures utilisées, et à un difficile rapprochement francoaméricain sur le dossier. La troisième période, soit la fin du conflit entre 1952 à 1954, est la plus dépensière ; c’est aussi dans cette période que se met en place le passage de relais de Paris vers Washington.
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II. LA QUÊTE INACHEVÉE DES SOURCES 21
S’il est vrai que l’historien n’est jamais devant son objet mais devant sa trace 20, force est de constater que celle-ci est particulièrement fournie pour notre recherche. Mais il est impossible d’attendre que ces sources parlent d’elles-mêmes. Échos d’époque, correspondances plus ou moins officielles, rapports circonstanciés, tableaux statistiques... de multiples ouvrages, des dizaines d’articles et des centaines de dossiers d’archives portent directement ou indirectement sur le coût de la guerre d’Indochine : beaucoup de ces documents potentiels sont disponibles pour écrire l’histoire, mais ils ne peuvent bien sûr être appréhendés sans méthode. Ils forment le territoire, mal cartographie, d’un voyage un peu particulier et jamais complètement satisfaisant : si les traces sont partout, en effet, l’objet lui-même se dérobe souvent, ou ne peut être saisi dans sa totalité.
A. UN VOYAGE DANS LES COULISSES DE L’ÉTAT 22
Il n’existe pas de source unique pour analyser, en France, cette question du coût de la guerre. Rassembler une sorte de « corpus » implique d’abord de réfléchir au fonctionnement d’une armée en bataille mais aussi, et peut-être surtout, de reconstituer le circuit décisionnel compétent. Tous les grands organes de l’État sont concernés, de l’Exécutif au Législatif en passant par les organes de contrôle, comme la Cour des comptes qui, souvent saisie, ne produisit cependant aucun rapport officiel sur le sujet. Il faut en outre considérer le niveau local, indochinois : le haut-commissariat de France avec ses différents conseillers, le corps expéditionnaire, avec son état-major et ses services financiers - sans parler des entreprises et des banques, dont la plus prestigieuse, la Banque de l’Indochine, fut longtemps au centre de l’émission monétaire et des transferts de capitaux. Il reste la presse, l’opinion publique, qui se scandalise du « trafic des piastres » ou simplement du coût de la guerre. Dans ces conditions, on s’en doute, l’originalité de ces sources est à la fois leur richesse et leur extrême diversité.
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C’est donc à un véritable voyage dans les coulisses de l’État qu’invite cette recherche, et cette seule dimension présenterait un intérêt. Cinq ministères au moins sont concernés, ceux de la France d’outre-mer et des États associés, maîtres d’œuvre, mais aussi les Affaires étrangères, la Défense et, bien sûr, les Finances, sans compter, de manière moins nette, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, sollicité pour régler des dommages de guerre aux entreprises françaises sinistrées, ou le ministère des Anciens Combattants. Il faut y ajouter les assemblées, l’Assemblée nationale et le Conseil de la République, dont les commissions suivent de près l’attribution des crédits militaires. Ainsi, lorsqu’il est question du budget, chacun est mobilisé : rue SaintDominique, la Défense chiffre ses besoins, rue Oudinot ou rue de Lille, la direction des Affaires militaires fournit à son ministre les arguments pour pouvoir efficacement défendre le document budgétaire, lui-même élaboré rue de Rivoli, alors qu’au Quai d’Orsay les diplomates scrutent inlassablement les possibilités de nouvelles aides américaines pour l’Indochine. Quant aux parlementaires et à leurs commissions des Finances, au Palais Bourbon comme à celui du Luxembourg, ils passent au peigne fin tous les chapitres budgétaires et se rendent même en Indochine pour évaluer la question.
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La production de ces services « sources » est évidemment multiple. Dans les départements ministériels, la correspondance constitue sans doute le genre le plus abondant : courrier interministériel, échange entre directions d’un même département, correspondance entre Paris et Saigon, etc. Son ton varie selon les ministères. Aux Finances, la même correspondance peut avoir à la fois un caractère officiel et semiprivé : celle qu’échange le conseiller financier à Saigon André Valls avec ses collègues de la rue de Rivoli — « Mon cher Directeur et ami »... — a une touche personnelle que l’on retrouve peu ailleurs. Ailleurs, c’est-à-dire au Quai d’Orsay et, dans une moindre mesure, aux États associés, où l’essentiel de la communication rapide se fait par télégrammes, la plupart du temps chiffrés bien sûr. Le télégramme diplomatique forme un genre littéraire à part — d’ailleurs, chaque ministère, presque chaque direction aussi, a son style. Le normalien Henri Bonnet, ambassadeur à Washington, se répandant sur tous les fronts et en particulier sur celui de l’Indochine, combinant compte rendu et commentaire, semble en avoir été l’un des maîtres.
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À côté de la correspondance, les « notes » forment le tout-venant : plus ou moins longues, plus ou moins définitives, elles constituent le mode ordinaire d’information au ministre ou à ses directeurs, accessoirement le moyen de saisir le gouvernement sur un point important. Mais ce sont les rapports, de toutes origines et de toutes périodicités, selon un mode de fonctionnement valable dans toute l’administration, qui constituent certainement la source la plus commode. Les uns - les plus nombreux - sont produits par les organismes d’État et signés par leurs responsables : ils sont en général annuels, comme celui du Trésorier général de l’Indochine ou du conseiller financier du hautcommissaire de France en Indochine ; dans le cas de la Mission de contrôle de l’exécution du budget de l’État en Indochine, ils sont également mensuels. D’autres rapports rendent compte de missions ponctuelles : l’inspecteur général Mariani, de l’Office des changes, s’est ainsi déplacé à deux reprises en Indochine pour évaluer les transferts financiers et le trafic des piastres.
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Original est le « rapport au ministre », qui a un caractère plus officiel : il intervient lorsqu’un directeur estime devoir attirer l’attention du gouvernement sur un point précis. Certains ont un caractère exceptionnel, comme le document transmis en 1950 à Maurice Petsche par le directeur du Trésor François Bloch-Lainé : quatre pages sur les « relations financières entre la France et l’Indochine », accompagnées de tableaux récapitulatifs et de leurs modes d’emploi, montrant un retournement de situation ; ce rapport est à l’origine de la « sortie » de Petsche à son collègue des États associés sur les coûts cachés de la guerre, citée plus haut21. D’autres interviennent à dates régulières, comme le « rapport au ministre sur les perspectives budgétaires » de l’année suivante, signé par le directeur du Budget : pour le budget 1952, le document fait 60 pages 22.
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En dehors des ministères, les assemblées parlementaires - ou plutôt leurs commissions, des Finances notamment — produisent également de très utiles rapports : la représentation nationale ne se contente pas en effet de passer au peigne fin les projets de budgets, elle en rend compte dans de copieux documents qui s’efforcent de tout dire, ou du moins de préciser ce sur quoi l’exécutif reste parfois discret. Depuis les rapports annuels, précédés d’un voyage sur place, qui préparent le vote des budgets militaires pour l’Indochine, jusqu’aux rapports parfois volumineux des commissions d’enquête ou assimilées, il y a là une mine d’informations tout à fait considérable 23.
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Pour tenter de maîtriser une masse de documents si divers, et quitte à circuler dans les coulisses de l’État, il est également apparu nécessaire de rechercher — et de privilégier
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— les sources émanant de l’échelon politique et militaire le plus élevé. La question du coût de la guerre d’Indochine, on le sait, n’est pas seulement affaire de mécanisme financier : les éléments évoluent dans le temps et des choix, nécessairement, sont faits. Il fallait donc identifier les sources propres aux « décideurs », ou du moins aux lieux présumés de décision, c’est-à-dire partir du sommet de l’État, ou y remonter. Cette excursion sur les cimes de la politique, en particulier à propos de ce sujet, confirme d’ailleurs, s’il en était besoin, l’hypothèse dont elle procédait : plus on monte dans la hiérarchie et plus les décisions sont d’ordre financier. Le pouvoir politique ne s’identifie sans doute pas au maniement des crédits mais, au quotidien, il doit constamment arbitrer à ce niveau — responsabilité qui revient par exemple au président du Conseil si les ministres n’ont pas réussi à s’entendre, ou n’avaient pas simplement les moyens de décider eux-mêmes. Mais le problème est que cette excursion se fait partiellement dans le brouillard, un brouillard souvent d’autant plus dense que l’on s’approche des sommets : comme l’air, les sources — les bonnes sources — se raréfient avec l’altitude.
B. LES SOURCES ET LEURS LIMITES 29
La première caractéristique des sources utilisées pour ce travail est leur origine essentiellement française, ce qui est à la fois, bien sûr, lié au sujet lui-même et correspond à un privilège de situation — la présence des archives sur le territoire. Il faut en outre ajouter à celles-ci de substantiels éléments concernant les alliés de la France dans le conflit : les États associés d’un côté, dont une bonne part des archives se trouve en « métropole » ; les États-Unis de l’autre, où le département d’État a publié une importante collection chronologique d’archives sur son dossier indochinois 24. L’existence et l’ampleur de ces documents limitent l’inconvénient de ne pas avoir été travaillé directement — ou trop peu — dans les salles d’archives d’outre-atlantique.
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La seconde caractéristique des sources de cette recherche est leur localisation essentiellement parisienne. Le rôle des assemblées, qui votent régulièrement les crédits d’Indochine, et la présence dans la capitale des principaux ministères intéressés auraient suffi à le montrer : la guerre d’Indochine a été gérée — ou tout au moins suivie de très près - depuis Paris, en particulier dans sa dimension financière. Les archives du ministère de la France d’outre-mer sont certes conservées à Aix-en-Provence, avec les papiers du haut-commissariat, mais l’évolution de l’organigramme et les pratiques gouvernementales font que ces sources s’entrecroisent avec celles archivées à Paris. La rue de Rivoli était ainsi en prise directe avec Saigon et ses archives conservent des documents originaux de facture locale : les grands livres retraçant en 1950, par exemple, les écritures du « compte spécial n° 2 », ouvert par le haut-commissaire Pignon pour pallier aux insuffisances des crédits budgétaires, et qui feront couler beaucoup d’encre25. Le conseiller financier du haut-commissariat de France en Indochine, poste important pour notre étude, s’il est statutairement détaché auprès du haut-commissaire, rend lui-même en permanence des comptes à la rue de Rivoli, son département d’origine — ce qui lui sera d’ailleurs souvent reproché.
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Les archives du ministère chargé des Relations avec les États associés, créé en 1950 entre la France d’outre-mer et les Affaires étrangères, ont elles-mêmes été pour l’essentiel déposées aux archives diplomatiques, au Quai d’Orsay. En outre, la gestion de la guerre était assurée par la direction des Affaires militaires (DAM), direction que les
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deux ministères de la France d’outre-mer et des États associés se partagèrent d’abord avant son rattachement au ministère de la Défense en 1954 : ses papiers sont donc conservés aux archives militaires de Vincennes26. Il en est de même des archives locales du SDECE, bien utiles pour ce qui touche à la guerre économique et monétaire menée sur place, en particulier par le Viet Minh. 32
Mais toutes les sources ne se dévoilent pas pour autant facilement. Il faut d’abord parler de celles que l’on aurait aimé trouver et auxquelles on n’a pas eu accès. Au niveau le plus élevé, celui de l’Elysée — le président de la République est également président de l’Union française -, il n’y a pas de problèmes : le chercheur dispose avec la publication du journal de Vincent Auriol d’un outil fort utile 27. Mais Matignon est déjà moins loquace : dans ce que le secrétariat général du gouvernement a versé aux Archives nationales28, ce qui touche au Conseil des ministres est facilement consultable, mais il est rare en même temps que les principales décisions y soient prises. L’affaire se complique, par contre, dès que l’on rentre dans le détail : plusieurs cartons venus de Matignon et étiquetés « guerre d’Indochine » ne m’ont pas été autorisés à la consultation29, ainsi que tout ce qui touche à l’affaire des généraux et, plus ennuyeux, aux Comités de défense nationale. Il est vite en effet devenu clair que les principales décisions concernant l’Indochine étaient prises à ce dernier niveau, et il faut malheureusement parler ici d’une certaine contradiction entre la recherche historique et les pratiques de la République. Dans l’une des réponses qui ont été opposées à ma demande d’accéder aux procès-verbaux des séances du Comité de défense nationale, il apparaît que le service « source » a préféré « respecter scrupuleusement les délais [...] dans la mesure où les dossiers demandés contiennent des informations relatives aux délibérations gouvernementales et à la conduite de la politique extérieure » 30. C’est précisément ce qui était recherché...
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Le Comité de défense nationale, relevant du secrétariat général de la Défense nationale, réunit autour du président de la République, huit à dix fois par an, les ministres et personnalités concernées : ses délibérations ont valeur de décision d’État. Entre 1947 et 1954, la moitié environ de ses séances ont partiellement ou totalement l’Indochine à leur ordre du jour - la série des ordres du jour étant disponible à Vincennes 31. Heureusement, divers fonds d’archives publiques ou privées contiennent les procèsverbaux de certains de ces Comités de défense nationale, ce qui permet précisément d’en voir l’intérêt. Mais il aurait bien sûr fallu disposer de la série exhaustive, imparfaitement reconstituée.
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Il y a également les sources que l’on n’a pas trouvées : séries ordonnées et bien classées des plans de campagne, des budgets militaires relatifs à l’Indochine, des rapports annuels, des autorisations de transfert... Tout ou presque est à reconstituer. Mais ce n’est pas toujours possible. Du côté des grands ministères, en effet, des zones d’ombre subsistent. Au ministère de l’Économie et des Finances, où pourtant le fonds du Trésor comprend des dizaines de cartons Indochine, celui du Budget est pratiquement muet sur le sujet. Sans doute la direction du Budget, qui est réputée concentrer une bonne partie de l’élite de la haute fonction publique des Finances, se veut-elle aussi discrète qu’elle est importante dans le fonctionnement de l’État. Mais quand on songe que les crédits budgétaires affectés à l’Indochine se situaient les « bonnes années » autour de 10 % des dépenses de l’État, ce trou de mémoire laisse un peu rêveur... D’autant que le fonds du Budget comprend des sous-séries à caractère régional, comme sur l’Afrique du Nord, mais rien sur l’Indochine. Cela ne signifie évidemment pas qu’aucun document
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du Budget ne soit visible. Il en va du Budget comme des Comités de défense nationale : cette direction correspondait avec les autres et dévoile ainsi une partie de son activité ; plusieurs de ses rapports ont d’autre part été conservés au Comité d’histoire économique et financière de la France (CHEFF). Quant aux budgets proprement dits, ils sont connus par les projets de lois auxquels ils donnent lieu, ou par les rapports des commissions des finances parlementaires qui les concernent, et sont donc à rechercher dans les archives parlementaires. 35
Enfin, les sources accessibles ne sont pas toujours elles-mêmes faciles d’approche. Certaines, comme à Aix, ne sont que sommairement classées pour la période considérée, et il faut s’aventurer presque sans boussole dans plusieurs dizaines de cartons, ce qui est difficile à faire de manière exhaustive. Dans d’autres centres d’archives, l’impression domine souvent que l’on a vidé des tiroirs dans des cartons, y mêlant notes manuscrites ou dactylographiées, courriers ou rapports, pelures en nombre, imprimés divers, et que l’on a ensuite titré l’ensemble. La règle est en effet souvent de ne pas modifier la structure transmise par les services « sources ». Faut-il reprocher à ces derniers de ne pas avoir rangé leurs papiers avant de les verser aux archives ? Dans le fonds du Trésor, par exemple, il n’est pas rare de trouver un tableau dans un carton et son commentaire dans un autre. Après tout, cet aspect des choses est également instructif sur le fonctionnement de l’État. Mais, s’agissant de l’Indochine, c’est-à-dire au fond d’un assez mauvais souvenir pour la plupart des directions et bureaux concernés, il est permis de se demander si l’on n’a pas aussi renoncé à classer ses souvenirs, c’est-à-dire d’une certaine manière à les comprendre. De ce point de vue, c’est peu dire que l’histoire économique et financière de la guerre d’Indochine reste à écrire. Le chercheur se trouve en fait confronté à un véritable puzzle, un puzzle géant dont il est difficile de boucher tous les trous et dont l’ordonnancement se trouve périodiquement remis en cause par l’irruption de quelque pièce anormale.
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Heureusement, toutes ces sources sont complémentaires : leur croisement est indispensable. Chaque fond d’archives apporte sa contribution à la reconstitution de dossiers importants : dans l’affaire de la dévaluation de la piastre de 1953, les documents figurant dans les archives d’outre-mer, dans le fonds du Trésor et dans les papiers Mayer forment un ensemble apparemment assez complet sur le sujet 32. Tel fonds supplée aux difficultés d’approche de tel autre : à l’instar des procès-verbaux des Comités de Défense nationale, mais pas pour les mêmes raisons, plusieurs rapports de commissions parlementaires sont paradoxalement plus faciles à trouver dans le fonds du Trésor, par exemple, qu’à l’Assemblée nationale ou au Sénat eux-mêmes. D’autres, par contre, notes ou rapports, reviennent périodiquement dans plusieurs cartons, voire dans plusieurs fonds d’archives, ce qui en suggère une importance possible. Mais des erreurs peuvent être commises en suivant cette méthode empirique. Accessoirement, enfin, certains documents ont purement et simplement disparu.
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Ainsi en est-il d’une histoire croisée assez significative de quelques-uns des problèmes rencontrés dans la recherche d’archives. Un rapport au Conseil économique, traitant en 1954 de la conjoncture économique des États associés et signé Paul Bernard, est signalé par la presse au début de l’année - Le Monde lui consacre alors un compte rendu. Mais ce rapport, qui au demeurant n’a jamais été voté, reste aujourd’hui introuvable. Sa référence existe bien à l’actuel Conseil économique et social mais pas l’objet lui-même, et les Archives nationales, à qui le Conseil économique a versé ses archives de l’époque, avouent leur impuissance. Dans quelle cave ce rapport dort-il ? Longtemps après cette
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première enquête, le hasard d’un carton le fera resurgir des archives économiques et financières de Bercy.33 38
Mais il y a plus : un document s’était entretemps signalé, à plusieurs reprises, dans les cartons de Bercy, intitulé « Structure économique et financière des États associés » 34. Inspirant confiance par sa fréquence, son titre, son épaisseur et son contenu, mais sans signature, il pouvait passer pour un document des Finances sur le sujet : à la veille de négociations cruciales avec l’État associé, il insistait en effet sur l’impossibilité « d’envisager immédiatement une souveraineté monétaire intégrale pour le Vietnam ». Mais d’avoir finalement découvert le rapport Bernard permit de comprendre l’inverse : il s’agissait en effet, tout simplement, de sa conclusion... Paul Bernard, principal représentant du lobby colonial, avait dû en « arroser » tous les services de la rue de Rivoli. Cette modeste découverte ne modifia certes pas le sens donné à la recherche, mais incitait à la prudence.
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Il faut évoquer ici la presse comme source : sa prise en compte paraît essentielle. Sans doute ne faut-il pas y chercher trop de certitudes au niveau des détails, ou prendre soin de les recouper avec d’autres sources : les journalistes eux-mêmes savent que les données du moment sont toujours fragiles — mais elles sont les données du moment. La presse effectue si l’on peut dire un premier travail, à chaud, sur l’événement, soit qu’elle le crée -ou le découvre - soit qu’elle en fasse état. Sans doute sa lecture ne suffit pas à l’historien, mais il ne saurait s’en passer : elle signale l’existence d’un rapport - le rapport Bernard par exemple — ou d’un débat parlementaire plus particulièrement sur l’Indochine, dont on peut ensuite aller rechercher l’intégralité au Journal officiel 35 ; elle donne le ton du moment par ses commentaires, avec à l’occasion quelques impertinentes questions. Elle présente aussi l’avantage, car un grand quotidien se veut complet, de suivre ses sujets à la fois dans leur spécificité et dans leur globalité : le politique et le financier sont rarement séparés par plus de quelques colonnes. Certains ouvrages écrits par des journalistes constituent enfin une source bien utile : tous n’ont pas le même talent mais certains — on pense à Lucien Bodard — ont une capacité de description, une puissance d’évocation irremplaçables, et dispose à l’occasion d’informations que les archives confirment.
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Restent les sources orales, puisqu’il s’agit d’une histoire du temps présent. Sur la question du coût de la guerre d’Indochine, une première catégorie de source orale a été archivée par le Comité d’histoire économique et financière de la France (CHEFF) : l’interview de hauts fonctionnaires ou de personnalités en relation étroite avec le ministère des Finances. Certaines de ces interviews, qui durent plusieurs heures, évoquent partiellement l’Indochine. Une seconde catégorie de sources orales est constituée par les rencontres effectuées dans le cadre de ce travail. Comment apprécier l’intérêt de ces sources orales ? L’expérience qui consiste pour le chercheur à passer de l’écrit à l’oral est toujours un peu déconcertante. Après avoir longuement dépouillé la correspondance échangée en 1952 et 1953 entre le conseiller financier à Saigon André Valls et son collègue et ami Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, la rencontre inopinée du second à la faveur d’une journée d’études, plus de quarante ans après, a quelque chose de saisissant36 ; s’agit-il bien du même homme ? L’audition de l’interview du premier, aujourd’hui décédé, n’est pas moins émouvante37.
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Les sources orales enrichissent et relativisent à la fois les sources écrites, domaine traditionnel de l’historien. D’une part, il s’agit presque d’une banalité, ce qui se dit ne s’écrit pas et vice-versa : la conversation, l’entretien ne sont jamais une production
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intellectuelle de même catégorie que le document écrit, rédigé en situation. L’écrit s’inscrit dans une action, l’oral met en jeu des souvenirs : il s’agit de témoignages tardifs, de la trace laissée par une expérience ou une époque dans la mémoire de l’individu. Son intérêt ne porte pas sur les détails, sur lesquels il peut facilement y avoir erreur, mais plutôt sur l’impression générale laissée par un événement ou une situation. François Bloch-Lainé, qui fut conseiller financier de l’amiral d’Argenlieu en 1945-1946 et directeur du Trésor de 1947 à 1953, devait en avoir conscience lors d’une rencontre ancienne : il ne souhaitait pas parler de la seconde période et, sur la première, m’a transmis un exemplaire de son rapport de mission — écrit, bien sûr ; la conversation suggéra néanmoins des idées, des sentiments qui ne figurent a priori dans aucun texte écrit.
C. LA QUESTION DES CHIFFRES 42
L’extrême difficulté rencontrée à établir des données statistiques précises et définitives surprend et, d’une certaine manière, contrarie celui qui s’est longuement immergé dans les archives économiques et financières. L’histoire quantitative ne manque pas de sources propres, de multiples données existant déjà sous la forme des tableaux produits à l’époque. Le service de Statistique générale de l’Indochine, installé à Saigon, fournissait, en général à travers le Bulletin économique de l’Indochine, des tableaux réguliers de l’évolution des finances et de la production en Indochine 38. L’Institut d’émission, qui succède dans ce rôle à la Banque de l’Indochine en 1952, publiait également ses propres séries statistiques : ses rapports annuels d’opération contiennent des descriptions de la situation générale et sont complétés par des fascicules mensuels de « statistiques économiques et financières », eux-mêmes précisés par des « éléments statistiques » hebdomadaires39. Les tableaux généraux dressant le bilan annuel du commerce extérieur et de la balance des paiements de l’Indochine - ou des États associés - figurent dans les cartons du Trésor. Bien d’autres matériels statistiques, plus confidentiels, existent dans ce dernier fonds, comme par exemple le relevé manuscrit, opération par opération, du compte 15-50 réservé à l’assistance militaire aux États associés — Cambodge, Laos et Vietnam. Et pourtant un sentiment persistant d’insatisfaction demeure.
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La connaissance des aspects financiers de la guerre d’Indochine nécessite en effet d’aller au-delà des statistiques générales et, là, les difficultés commencent. Une première vient de la multiplicité des signes monétaires. La lecture des données figurant dans les sources utilisées met en effet en jeu plusieurs monnaies, que les mêmes documents mélangent parfois allègrement : les raisonnements se font alternativement en francs et en dollars, en particulier dans les notes diplomatiques, et de toute façon en francs ou en piastres. Sans doute la piastre est-elle liée au franc par une parité fixe, et qui ne subit qu’une modification, en 1953, pour revenir de 17 à 10 francs ; sans doute aussi le change franc-dollar n’a-t-il pas connu à l’époque de grands soubresauts. Mais le franc lui-même change de valeur tout au long de la période, surtout dans les premières années : s’il reste à peu près stable autour de 1953 — cette date nous servira de référence — le franc de la fin de la période vaut environ quatre fois moins que celui de 1946... Il faut donc se livrer à une gymnastique intellectuelle constante pour s’y retrouver entre francs courants, francs constants, piastres et dollars, sans parler des yuan chinois, des yen japonais, des dollars Hong Kong et, à l’occasion, des cours de l’or, dont le trafic des piastres faisait un élément de parcours presque obligé.
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Une seconde difficulté vient du fait qu’il est très exceptionnel de trouver, à propos des mêmes phénomènes, des chiffres identiques. Comme on le verra, il est par exemple impossible de connaître le nombre exact de militaires présents en Indochine dans le corps expéditionnaire à un moment donné. Alors, que dire des flux financiers... Les chiffres sont sans doute identiques lorsqu’ils se copient les uns les autres, jusqu’à faire autorité. Mais la plupart du temps, chaque service y va de ses propres critères, de ses propres données ou de sa propre estimation : les bilans du coût de la guerre pour la France, dressés année par année en 1954 d’une part par le ministère de la Défense et de l’autre par le Conseil de la République, ne coïncident pas — seulement au niveau des ordres de grandeur. Il faut dire que même pour les services censés connaître les chiffres, leur production reste incertaine et souvent remise en cause. Sur le plan statistique, une part du travail consiste donc à établir des données vraisemblables, à côté de celles qui sont avérées, et de pouvoir ainsi réfléchir sur des séries cohérentes.
III. UNE TRIPLE DÉMARCHE 45
Cet ouvrage suit un plan en trois parties. La première s’attache au déroulement de la question dans le temps. La configuration du conflit, les enjeux financiers, le jeu des belligérants et des partenaires ne sont en effet pas les mêmes à toutes les époques. Dans ce domaine comme dans les autres, l’histoire est faite de situations successives à l’intérieur desquelles la combinaison et le poids des principaux facteurs, anciens et nouveaux, varient. Les données économiques et financières de la guerre d’Indochine, par leur propre évolution, suggèrent on l’a dit trois moments dans l’évolution du conflit, trois périodes de trois ans environ chacune : 1945-1948, 1949-1951, 1952-1954.
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Cette périodisation, qui s’appuie sur une chronologie détaillée présentée en annexe, devra s’accommoder de quelques difficultés. La multiplicité des éléments en jeu tout d’abord, en Indochine même, en France, aux États-Unis, en URSS ou en Chine, sur les plans économiques et politiques au moins... Il n’est pas sûr que nous soyons parvenus au niveau de synthèse qui permette d’intégrer à tous moments tous les facteurs du conflit. La technicité du sujet ensuite, car il faudra bien évoquer plusieurs éléments ou mécanismes avant de les expliquer au fond, ce qui sera plutôt l’objet de la seconde partie. Mais commencer par cette seconde partie aurait présenté d’autres inconvénients, les questions évoquées se modifiant avec le temps.
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La seconde partie sera donc consacrée à l’évaluation proprement dite du coût de la guerre. Comme dans une grande entreprise, ce qu’elle est vite devenue, même si cette entreprise ne disposait pas d’un vrai « patron », la comptabilité est en deux parties : dépenses d’un côté, recettes de l’autre. Les sources utilisées invitent à reprendre cette méthode pour l’analyse. La guerre engendre un certain nombre de dépenses en face desquelles il faut mettre des ressources, et ce problème s’est constamment posé du début à la fin du conflit. Après l’étude des dépenses et des ressources, celle de la gestion formera le troisième point : la gestion financière notamment, celle des recettes, des ressources et des flux financiers générés par la guerre.
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Cette manière très simplifiée d’aborder l’évaluation du coût de la guerre présente sans doute elle-même des inconvénients, le principal étant d’obliger à revenir à plusieurs reprises sur le même point, mais vu sous un angle différent : le matériel militaire livré par les États-Unis peut par exemple être à la fois considéré comme une dépense et comme une ressource, assurée par l’aide américaine. De la même manière, quoique de
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façon plus virtuelle, les milliards de piastres transférés d’Indochine vers la France durant le conflit sont à la fois considérés comme une ressource locale par le Trésor, puisqu’ils restent en Indochine et sont en quelque sorte « repris » par l’État pour financer les dépenses militaires, et comme une dépense en France, en particulier lorsque le montant de ces transferts dépasse celui des crédits militaires délégués à l’Indochine, obligeant le Trésor à régler la différence. Nous nous efforcerons de limiter l’effet de ces éventuelles « redites » en distinguant bien, justement, ce qui relève des dépenses, des ressources et de la gestion. 49
L’évaluation du coût de la guerre est à la vérité difficile à effectuer avec toute la précision et l’exactitude désirées. Mais son approche, telle qu’elle a été définie, présente un autre intérêt : celui de fournir sur la guerre un éclairage différent de celui auquel on s’est habitué. Étudier la guerre par son coût, c’est d’une certaine manière vouloir la dépouiller des discours et des idéologies chers aux politiques, comme des considérations tactiques et récits de bataille chers aux militaires. Il ne s’agit certes pas de les ignorer, mais plutôt de ne pas en faire un point de départ. Vue sous cet angle, l’évaluation du coût de la guerre apparaît ainsi comme une évaluation de la guerre ellemême.
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La troisième partie sera consacrée aux bilans, aux conséquences de la guerre. Un peu plus courte, cette dernière partie restera également partielle, en ce sens qu’elle s’en tiendra pour l’essentiel à la perspective explorée dans les deux autres. En effet, les éléments rassemblés à cette fin sont principalement ceux qui étaient disponibles dans les sources utilisées : de nombreuses informations y concernent par exemple les entreprises et leur synthèse est utile ; pour autant, ce point ne pourra prétendre à l’exhaustivité. De la même manière, nous avons tenu tout au long de cet ouvrage à évoquer périodiquement le coût de la guerre du côté du Viet Minh, alors que nous ne disposions que de données incomplètes : cela fait partie du sujet, bien sûr, et accessoirement donne la mesure de ce qui se passait du côté français, qui reste central dans ce livre.
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L’objectif de cette dernière partie sera néanmoins d’établir la balance des pertes et profits de la guerre pour les principaux protagonistes : la France et, bien évidemment, le Vietnam, le Cambodge et le Laos - sans parler des puissances venues en renforts autour du champ de bataille, les États-Unis d’un côté et la Chine de l’autre. Qui a gagné, qui a perdu la guerre d’Indochine ? Tout dépend du point de vue dans lequel on se place. Sur le temps long, quel est finalement le véritable « coût » de la guerre, si tant est que celui-ci puisse être déterminé avec précision ?
NOTES 1. Thucydide, La guerre du Péloponnèse. 2. Gaston Bouthoul, La guerre, Paris, 1963. 3. Viet Minh est une abréviation de « Viet Nam Doc Lap Dong Minh Hoi », ou « Ligue pour l’indépendance du Vietnam », fondée en 1941.
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4. Jacques Despuech, Le trafic des piastres, Paris, 1953. 5. Rapport Mondon à l’Assemblée nationale, juin 1954. 6. Lettre du ministre des Finances au ministre des États associés, 27 juin 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43926. 7. Philippe Devillers, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Paris, 1952. 8. Francs 1953. 9. Film réalisé par Louis Malle. 10. « Entendez-vous, gens du Vietnam... », 1952, dans La pluie et le beau temps, recueil publié en 1955. Le poème s’inscrivait dans la campagne communiste pour la libération du marin Henri Martin, emprisonné depuis deux ans pour s’être opposé à la guerre. 11. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Petrograd, 1917. 12. Parti communiste vietnamien, IVe Congrès national, Hanoi, 1977. 13. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, Paris, 1984. 14. Gaston Bouthoul, La guerre, op. cit. 15. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, 1962. 16. Le répertoire en est donné, mais toutes activités gouvernementales confondues, dans les Tables générales des documents et débats parlementaires, 1 er et 2e législature. Archives de l’Assemblée nationale. 17. Georges Duby, Le Dimanche de Bouvines, Paris, 1973. 18. Les faits et les décisions concernant la dévaluation doivent être reconstitués à partir de plusieurs fonds, essentiellement ceux du Trésor (AEF) et du CAOM (Aix-en-Provence). 19. Notamment selon les données fournies par le rapport Bousch de 1954 au Conseil de la République, Archives de l’Assemblée nationale. 20. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, 1964. 21. Rapport au ministre du 13 mai 1950, AEF, Fonds Trésor, B 33539. 22. Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951, Fonds Gœtze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 23. Le rapport de la commission d’enquête sur le trafic des piastres comprend à lui seul plusieurs volumes et des milliers de pages. 24. Foreign Relations of the United States, tomes annuels édités à Washington. Voir la bibliographie. 25. AEF, Fonds Trésor, B 43924-27. 26. SHAT, série 14 H. 27. Journal d’un Septennat,7 volumes, Paris, 1970-1978. 28. Série F60. 29. F60 3035-3040 par exemple, collection chronologique de documents sur la guerre d’Indochine. 30. Lettre du directeur des Archives de France, 19 octobre 1997. 31. Archives du SHAT. 32. CAOM, Archives économiques et financières, Archives nationales. 33. Voir annexe 21. 34. Voir annexe 21. 35. Ce dernier dispose aussi, bien sûr, d’un index analytique. 36. Journée d’étude tenue à Bercy le 10 janvier 1997 : La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin ? 37. Interview archivée au Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 38. Séries partiellement disponibles au CAOM. 39. Séries partiellement disponibles aux Archives économiques et financières (AEF), Fonds Trésor.
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Première partie. « Tout problème n'est pas financier mais le devient un jour »
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Introduction à la première partie
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La guerre d'Indochine ne se résume pas à cet aspect des choses mais, compte tenu au moins de la réputation qu'elle s'est faite, il importe de tirer au clair l'importance du facteur financier dans son déroulement. À première vue, le problème est permanent. Toujours trop chère pour les Français d'une part, au regard des autres besoins du pays, la « sale guerre » a généré aussi son lot de scandales financiers. Forcément très onéreuse pour le Viet Minh d'autre part, qui conduit une guerre dont les moyens excédaient largement ses propres capacités économiques, la Résistance n'en a pas moins été menée de main de maître.
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À considérer plus attentivement l'évolution de la guerre, trois moments se succèdent, les facteurs financiers apparaissant au fur et à mesure toujours plus contraignants, décisifs même, ce qui suggéra cette formule à Pierre Mendès France : « Tout problème n'est pas financier mais le devient un jour. Ainsi de l'affaire d'Indochine : mal engagée politiquement, militairement et moralement, précisait-il, elle tournait plus mal encore sur le plan budgétaire »1. Dans sa première configuration de conflit colonial, entre 1945 et 1948, la guerre d'Indochine est chère sans l'être vraiment : le facteur financier pèse en tout cas moins lourd pour la France que pour le Viet Minh. Brusquement rattrapé en 1949 par les crises de la guerre froide, le conflit change de physionomie : les dépenses militaires s'emballent, les problèmes financiers surgissent sur le devant de la scène, et l'urgence commande de trouver des solutions nouvelles, alors que le Viet Minh dispose des moyens supplémentaires mis notamment à sa disposition par la Chine populaire. À partir de 1952, dans une troisième époque qui s'achève en 1954, l'élargissement de la guerre à de nouveaux alliés nourrit la montée en puissance des combats, le coût de la guerre atteint des cimes vertigineuses et, cette fois, les « financiers » paraissent être devenus les vrais décideurs.
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Quelle part les problèmes financiers ont-ils pris dans la guerre d'Indochine, dans son déclenchement, dans sa conduite, dans sa conclusion ? La réponse à cette question, examinée période par période, est à rechercher sur plusieurs plans : à la contrainte financière propre à tout conflit en effet -l'argent, bien sûr, est « le nerf de la guerre » s'ajoute notamment la dimension financière prise par l'affrontement, sous la forme d'une véritable guerre des monnaies. En tout état de cause, du côté français du moins, l'écart s'est progressivement creusé entre ceux qui mènent le combat sur le terrain -
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sans jamais aboutir à un avantage décisif - et ceux qui sont amenés à faire les principaux choix. Graphique 1. Les dépenses militaires supportées par la France au titre de l'Indochine (en milliards de francs 1954)
Source: ministère de la Défense nationale, mai 19542
NOTES 1. Entretien de Pierre Mendès France avec L'Express, cité par Hubert Bonin, Histoire économique de la IVe République, Paris, 1987. 2. Voir annexe 22.
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Chapitre I. Une guerre coloniale aux moindres frais (1945-1948)
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Durant les trois années qui suivent les capitulations allemande et japonaise, un état de guerre dispendieux s’installe donc en Indochine. Les raisons de cette situation ne sont qu’indirectement économiques, tenant plutôt aux modalités de la libération en Asie et en Europe : au Vietnam, secoué du nord au sud par la Révolution d’août 1945, qui ne déplaît successivement ni aux Japonais ni aux Américains, la France évincée conserve une attitude impériale. Elle-même est occupée à reconstruire son propre territoire, partiellement en ruine, son économie, son régime politique aussi. Mais elle a également des intérêts en Indochine, des investissements qu’elle n’envisage pas plus d’abandonner que l’idée qu’elle se fait de sa grandeur et de sa « mission civilisatrice ». Les rêves de la France sont-ils alors conciliables avec ceux du Vietnam où, des trois pays d’Indochine, la situation est la plus embrouillée ?
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L’homogénéité de cette première période réside dans l’incertitude et le niveau de l’engagement français, sur le plan budgétaire comme sur celui des effectifs : important certes, toujours trop aux yeux des politiques, toujours pas assez aux yeux des militaires, cet engagement reste pratiquement constant jusqu’en 1948. L’élément financier n’est pas encore le plus déterminant. L’intérêt de cette première période est de permettre l’inventaire des différents niveaux auxquels ce dernier intervient, de situer où le coût de la guerre d’Indochine peut être évalué : en France, à travers le financement du corps expéditionnaire et la gestion à distance des finances locales ; en Indochine, à travers la bataille livrée sur tous les plans, y compris monétaire. Il faut aussi, pour cette première période, tenter d’évaluer, d’une part, le poids des contraintes financières et économiques dans la gestion du conflit et, d’autre part, le poids de la guerre d’Indochine pour la France de l’immédiat après-guerre.
I. LE COÛT DE LA GUERRE AVANT LA GUERRE 3
La guerre d’Indochine est officiellement déclenchée, si l’on peut dire, le 19 décembre 1946, date à laquelle le gouvernement vietnamien dirigé par Ho Chi Minh doit abandonner Hanoi pour le « maquis » tonkinois. Depuis environ un an et demi, cependant, l’état de guerre prévaut partiellement sur le terrain et dans les services qui,
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de Paris à Saigon, ont à connaître de l’Indochine. De ce côté, déjà, les dépenses militaires priment sur toutes les autres : la rupture de 1945 a été telle que, si la France voulait revenir en Indochine - et c’était bien l’intention de ses responsables - elle devait créer de toutes pièces un corps expéditionnaire, et y reconstituer ses instruments de souveraineté, en particulier monétaire. La discussion avec le nouveau maître des lieux, Ho Chi Minh, viendrait ensuite. Vu sous l’angle économique et financier, le 19 décembre 1946 n’est pas un tournant tel que l’on ne puisse se poser la question : quand commence vraiment la guerre d’Indochine ?
A. INDOCHINE ANNÉE ZÉRO 4
En France, on le sait, à la fin de la seconde guerre mondiale, « tout était à refaire » 1. En Indochine aussi : après avoir relativement échappé à la guerre du Pacifique, du fait de la politique conciliante à l’égard du Japon du gouverneur général Decoux, l’Indochine française avait été balayée durant six mois, en 1945, par un violent cyclone d’ordre politico-militaire, entraînant une rupture historique qui la rendait presque méconnaissable.
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Les circonstances de l’arrestation de Decoux par l’autorité japonaise, qui inaugure le coup de force du 9 mars 1945, sont caractéristiques de la collaboration entretenue jusque-là entre l’Indochine et le Japon, presque prémonitoires aussi des difficultés dans lesquelles allait bientôt s’embourber le conflit colonial : le rendez-vous fatal, le 9 mars au soir, au Palais du Gouvernement général de Saigon, au terme duquel Decoux allait perdre sa liberté de mouvement, avait en effet été pris par l’ambassadeur Yatsumoto pour conclure un accord sur les livraisons de riz pour 1945 ; il y avait ajouté une demande d’entretien privé, « pour reparler de la question des dépenses militaires » 2. Il n’en fut pas longtemps question... Le coup de force japonais ruinait, outre cinq années de patients efforts de l’amiral-gouverneur pour maintenir le drapeau tricolore en Indochine, tout ce que le pouvoir français avait édifié sur place en l’espace de trois à quatre générations.
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Tous les responsables français furent pratiquement arrêtés en même temps, ou du moins empêchés d’exercer un quelconque pouvoir. Paul Gannay, inspecteur général de la Banque de l’Indochine, directeur de la succursale de Saigon, et « numéro 2 » de facto de la colonie, fut lui-même interpellé dans la soirée sur le trajet entre Hanoi et Saigon, non d’ailleurs sans quelque violence - il fut assommé après qu’il eut giflé la sentinelle japonaise censée s’assurer de sa personne, puis emprisonné à Saigon avec ses principaux collaborateurs3. Maîtres de la Banque, et donc de l’Institut d’émission, dont ils confièrent le contrôle à la Yokohama Specie Bank, les Japonais purent ainsi se servir généreusement : dans les semaines qui précédèrent leur effondrement en août 1945, ils procédèrent à l’émission - l’affaire fera grand bruit plus tard - de plusieurs centaines de millions en coupures de 500 piastres4.
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Au passage, l’outil militaire français en Indochine se trouvait totalement dispersé : les troupes coloniales n’avaient pas résisté au coup de force japonais. Certaines unités se sont battues, notamment dans le Nord, d’autres ont pu s’échapper, mais la plupart se sont retrouvées prises au piège des citadelles depuis lesquelles elles quadrillaient le territoire, immédiatement investies par les forces japonaises. Elles purent d’autant moins faire face que leur expérience du feu était lointaine et leur armement ancien. Vaincues, retenues prisonnières, ces troupes coloniales ont également fondu comme
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neige au soleil, rien ne retenant plus désormais leur personnel autochtone, de loin le plus nombreux5. Mis à part quelques groupes ayant entrepris de tenir le maquis, seuls 5 000 hommes réussirent à passer en Chine, avec les généraux Sabattier et Alessandri. Par la suite, à Saigon, le 11e régiment d’infanterie coloniale sera réarmé par les premiers détachements anglais arrivés sur place et reprendra les bâtiments publics de la ville au lendemain de la Révolution d’août, le 23 septembre. Mais l’essentiel des troupes coloniales était stationné au Nord et les troupes d’occupation chinoises étaient moins complaisantes. 8
Les événements s’étaient en effet précipités. Au début du mois d’août 1945, la conférence de Potsdam avait écarté la France du règlement du conflit en Indochine, Chinois et Anglais y étant chargés de désarmer les troupes japonaises, au nord du 16 e parallèle pour les premiers et au sud pour les seconds. Peu après, la Révolution d’août lancée par le Viet Minh, suivie le 2 septembre 1945 par la proclamation de l’indépendance à Hanoi par Ho Chi Minh, tournait vraiment aux yeux des Vietnamiens la page de la colonisation. Et lorsque la France libre réussit à introduire de nouveaux commissaires de la République au Nord et au Sud, Pierre Messmer et Jean Cédille, puis désigna un nouveau haut-commissaire en la personne de Thierry d’Argenlieu, ce fut pour ajouter à la confusion une autre rupture, franco-française celle-là : le gouverneur général sortant, convaincu de vichysme et toujours entre les mains de l’armée japonaise, était rapatrié manu militari avec ses collaborateurs.
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Alors que la France, partiellement détruite, vivait elle-même à l’heure du rationnement alimentaire et des slogans appelant le peuple travailleur à « retrousser ses manches », l’Indochine, singulièrement le Vietnam, se débattait au milieu d’une situation économique plus préoccupante encore. Le nouveau pouvoir vietnamien déployait ses principaux efforts pour faire face à la famine, liée à de fortes crues et aux désordres du moment, et causant déjà des centaines de milliers de morts 6. Ho Chi Minh, dans la déclaration d’indépendance du 2 septembre, voulut y voir le résultat de l’abaissement en 1940 des « impérialistes français » face aux « fascistes japonais » : « Depuis, notre peuple, sous le double joug japonais et français, a été saigné littéralement. Le résultat a été terrifiant. Dans les derniers mois de l’année passée et le début de cette année, du Quang Tri au Nord Vietnam, plus de deux millions de nos compatriotes sont morts de faim »7.
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Les fleurons de l’économie coloniale apparaissent eux aussi plutôt mal en point. Au Sud, la production de caoutchouc est en chute libre : 12 000 tonnes en 1945, à peine 20 % du résultat de l’année précédente8. L’explication de cette contre-performance est connue : « La main d’œuvre originaire du Tonkin, précise une note officielle, s’est trouvée réduite du fait des réquisitions effectuées par les Japonais et en raison de la dispersion de ces travailleurs après le coup de force japonais »9. Les installations minières du Nord souffrent également. À l’instar de la Société des Charbonnages du Dong Trieu, qui abandonne en juillet 1945 ses mines, livrées au pillage, après que cinq Européens y aient été assassinés10, plusieurs sociétés minières cessent toute activité dans le courant de l’année 1945, pour ne jamais les reprendre. La production de la plus importante d’entre elles, la Société française des Charbonnages du Tonkin, qui baissait régulièrement depuis 1941, atteint son plus bas niveau de production en 1945 : 188 000 tonnes, environ 10 % du niveau du début des années quarante 11.
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Carte 1. La première carte de l’Indochine publiée par Le Monde, le 26 juin 1946
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Les désordres financiers ajoutent à cette situation, en particulier la forte progression de la circulation fiduciaire, plus spectaculaire qu’en France même. Entre 1938 et la fin 1945, selon un calcul de la rue de Rivoli, la circulation s’est multipliée par quinze en Indochine, alors qu’elle ne se multipliait seulement - si l’on peut dire - que par cinq en France même12 : avant l’explosion monétaire de 1945, due à la multiplication des coupures de 500 piastres, l’inflation s’était nourrie, en 1943 et 1944, d’une émission croissante de billets destinés aux troupes nippones. Le retour progressif des Français, à partir de l’automne 1945, n’a cependant pas tout de suite freiné le mouvement. Les troupes chinoises se montraient en effet très gourmandes : près de 400 millions de piastres leur ont été consenties en « avances », autrement dit en frais d’occupation, auxquels s’ajoute la valeur du riz versé à l’intendance chinoise, environ 25 millions de piastres. Selon des sources concordantes, les huit mois d’occupation chinoise au Nord ont coûté, au minimum, entre 425 et 427 millions de piastres (4,25 à 4,27 milliards de francs), soit plus de deux fois les recettes fiscales ordinaires de l’Indochine toute entière sur une période équivalente13.
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Le principal élément de continuité dans cette violente bourrasque, mais il était de taille, était représenté par la Banque de l’Indochine, même si elle fut privée de ses dirigeants pendant plusieurs mois. Continuité d’abord au niveau des hommes : à la différence du gouverneur général Decoux, le patron de la Banque à Saigon, Paul Gannay, ne fut pas déplacé après la capitulation japonaise et sa propre libération. Peutêtre n’était-ce d’ailleurs pas ce que la vieille institution financière avait fait de mieux, à en croire la rumeur : pour Lucien Bodard, qui la rapporte14, ce bâtisseur de l’Indochine française, qui se trouvait à la tête de la succursale depuis 1920, n’était alors plus « dans le coup ». Mais la continuité est aussi celle des établissements : à Hanoi, où la situation était beaucoup moins bien contrôlée par les Français, le maintien de l’agence relevait
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d’une certaine manière de l’exploit. Sur les conseils de Jean Laurent, nouveau directeur-général de la Banque de l’Indochine, présent à Hanoi fin 1945, la mission française à Hanoi accepta en novembre de verser aux troupes chinoises les importants frais d’occupation que réclamaient ses chefs, achetant par là même leur protection : comme il l’écrivait alors à Paris, « si la Banque de l’Indochine Hanoi et les agences du Nord passent sous contrôle annamite, cela coûtera plus cher à l’économie française que toutes les concessions sur les frais d’occupation »15. 13
Cette absence de « contrôle annamite » sur la Banque est précisément ce que regrette le nouveau pouvoir vietnamien, installé par la Révolution d’août 1945. Un an plus tard, l’un de ses théoriciens, Truong Chinh, considère comme l’une de ses quatre grandes faiblesses le fait que « les forces insurrectionnelles n’ont pu s’emparer de la Banque de l’Indochine et annihiler les privilèges des magnats de la finance » sur place 16. Établissant le parallèle avec la Commune de Paris, qui s’était elle-même « heurtée à bien des obstacles pour n’avoir pas mis la main sur la Banque de France », Truong Chinh donne ainsi la mesure de l’échec : « Cette lacune n’est pas due à notre ignorance de l’importance des finances pour le pouvoir nouveau. Mais dans un organisme financier comme la Banque de l’Indochine, ce ne sont pas seulement les intérêts français et japonais qui sont en jeu, mais encore ceux de bien d’autres pays. L’attaque manquée contre la troupe japonaise qui gardait la Banque de l’Indochine nous a coûté une partie de nos forces assaillantes ».
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Dans ces passations de pouvoir plus ou moins improvisées, les enjeux n’étaient manifestement pas les mêmes pour tous. Passons sur le Japon, qui ne voulait pas quitter la scène sans y laisser une marque durable, en donnant par exemple une vive impulsion aux nationalismes anti-blancs. Passons aussi sur les États-Unis, débarqués dans la région à la poursuite des troupes japonaises et qui, fidèles en cela à leurs origines, applaudissent aussi à la déstabilisation du pouvoir colonial français. Ces deux puissances du Pacifique, l’ancienne et la nouvelle, ne sont impliquées qu’indirectement. La Chine également, d’ailleurs, qui sait sa présence provisoire et pouvait avoir quelque intérêt à ménager la France17. Quant au Royaume-Uni, la conscience de ses propres difficultés impériales l’oblige à une solidarité de fait avec son voisin européen.
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Pour la France et le Vietnam18, ce qui va déterminer l’ampleur des moyens à mobiliser n’est pas aussi clair dans les deux cas. Du côté vietnamien, l’enjeu est à lire entre les lignes de la déclaration du 2 septembre 1945 : « Le Vietnam a le droit d’être libre et indépendant et, en fait, est devenu libre et indépendant, concluait Ho Chi Minh. Tout le peuple du Vietnam est décidé à mobiliser toutes ses forces morales et matérielles, à sacrifier sa vie et ses biens pour garder son droit à la liberté et à l’indépendance » 19. Cette déclaration ne retient pas l’attention de la presse française du moment. La France en reste pour sa part à la déclaration du 24 mars 1945, par laquelle de Gaulle avait énoncé le projet d’une « fédération indochinoise » dans le cadre de l’Union française 20. Allait-elle vraiment, comme le Vietnam, mobiliser toutes les « forces morales et matérielles » du pays pour la réalisation d’un tel objectif ?
B. LE FINANCEMENT DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE 16
Les autorités de la France libre n’ont pas attendu la déroute des troupes coloniales pour envisager la création d’un nouvel outil militaire, le corps expéditionnaire des Forces d’Extrême-Orient (CEFEO) : la décision d’en créer les premières unités remonte au
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Comité de défense nationale du 4 octobre 1943, qui désigna également le général Blaizot à sa tête et l’expédia en Inde pour ce faire. Mais le manque de moyens, la difficulté à respecter les délais impartis, les problèmes de transport, l’improvisation aussi en ont fait beaucoup évoluer la configuration entre 1943 et 1945. Finalement, après que le Comité de l’Indochine, crée en février 1945, lui ait trouvé des structures stables et un nouveau commandant en chef, le général Leclerc, le Comité de défense nationale du 17 août 1945 fixa les effectifs du CEFEO à 55 000 hommes, auxquels s’ajoutaient quelques unités et les 5 000 hommes présents en Chine. La veille, un groupement de la 2e DB, d’environ 2 000 hommes commandés par le lieutenant-colonel Massu, avait été constitué pour lui servir d’avant-garde. 17
Le financement de ces préparatifs est suivi depuis Paris avec un soin attentif, en particulier au ministère des Finances, où un « Compte spécial Indochine » est géré par le jeune inspecteur des finances François Bloch-Lainé, sous-directeur du Trésor. Les premiers déblocages des fonds ne paraissent pas poser de problèmes : une ordonnance du 28 avril, signée par le général de Gaulle, ouvre un crédit d’un milliard de francs à l’autorité interministérielle compétente, le Comité de l’Indochine 21. Quelques jours plus tard, le 14 mai, un accord entre le gouvernement provisoire et la Banque de l’Indochine prévoit le versement au Trésor des liquidités en question22.
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Le premier problème pour la constitution de ce corps expéditionnaire est d’en trouver les hommes. Ce sera fait de préférence en France : la confiance ne règne pas, en particulier rue de Rivoli, à l’égard des 5 000 hommes des troupes coloniales qui avaient rallié la Chine après le coup de force japonais. François Bloch-Lainé freine d’ailleurs consciencieusement à Paris leurs demandes de crédits, au point que le général Juin tenta de contourner sa tutelle, en proposant le 11 juillet 1945 de « faire prendre en charge par le budget de la Guerre l’entretien des troupes d’Indochine qui sont repliées en Chine du Sud »23. Devenu conseiller financier du haut-commissaire et attaché financier en Chine, François Bloch-Lainé donnera quelques mois plus tard son sentiment sur ces 5 000 hommes égarés dans le pays du Milieu 24 : « C’est assurément l’armée la plus chère du monde, écrit-il, c’est aussi une des plus lamentables ». Le temps a passé, rappelle-t-il aussi, où ses chefs faisaient croire qu’ils allaient reconquérir l’Indochine et poussaient ainsi leurs demandes de crédit. Pour lui, la cause est entendue : quand le centre de commandement de Kunming sera réduit à sa plus simple expression, « il laissera derrière lui des investissements absurdes 25. [...] Parmi les Alliés, les troupes Sabattier-Alessandri laisseront en outre le souvenir de militaires qui ont fait, collectivement ou individuellement, un abus manifeste de marché noir et de trafic de devises ». Déjà...
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La difficulté financière à monter le corps expéditionnaire pour l’Indochine tient également à son entretien et à son équipement. Il faut évidemment nourrir les troupes : sur ce point, Leclerc se tourne vers les Anglais, qui peuvent fournir des rations alimentaires dans la zone à 1 dollar l’unité. Un premier accord permet au corps expéditionnaire de fonctionner ainsi jusqu’au 1er avril 1946. Quant au matériel, tout est à faire : celui d’Indochine, déjà vétusté, a pratiquement changé de main à la faveur des troubles de 1945 ; et, depuis la libération du territoire national, les unités de la France libre elles-mêmes sont équipées aux normes anglaises ou américaines. Le détachement Massu, par exemple, est « équipé à l’américaine »26. Il faut donc également se fournir auprès des Anglais et, surtout, des Américains. Paris ralentit de son mieux l’hémorragie en devises qui accompagne les achats nécessaires à l’étranger. Opportunément, un
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accord signé le 28 mai 1945 entre les gouvernements américains et français avait donné à ce dernier la propriété de tous les surplus américains existant en France et en Afrique. Mais il faut rester vigilant : une réunion tenue à la direction du Trésor le 11 juin 1945 attire l’attention des intéressés sur la nécessité « d’éviter l’achat de matériels qui seraient déjà à notre disposition »27. Les surplus américains à l’étranger, en effet, sont « payables par nous dans les conditions générales de crédit offertes par les ÉtatsUnis pour la liquidation des comptes de guerre »28. 20
Il faut donc pratiquement tout acquérir, des brodequins de marche aux chars d’assaut, des munitions pour fusils aux avions Dakota. La création du Centre des approvisionnements de l’Indochine (CAIC)29, le 31 août 1945, permet de rationaliser certains achats. Mais avec ses agences de Calcutta, Londres, Manille et des États-Unis, faisant converger vers l’Indochine des navires entiers d’un peu partout dans le monde, il a plutôt une vocation commerciale. Les militaires ont donc ouvert leur propre mission d’achat à Manille, de l’autre côté de la mer de Chine méridionale par rapport à l’Indochine. Cette mission est importante parce que les Américains ont fait de la capitale des Philippines leur plus gros centre de matériel dans la région, peut-être même dans le Pacifique. Au total cependant, les dépenses de la France en ExtrêmeOrient se situent encore à un niveau modeste, même à l’automne 1945, lorsque les premiers détachements du corps expéditionnaire commencent à toucher l’Indochine.
C. LA PIASTRE EN PREMIÈRE LIGNE 21
Les troupes ne suffisent pas. Très tôt, la monnaie constitue également un objet de litige, un élément essentiel dans la reprise en main du territoire. Le Vietnam est alors entre les mains d’un pouvoir à têtes multiples, établi sur une base quasi géopolitique. À Hanoi, un gouvernement provisoire présidé par Ho Chi Minh a pris le pouvoir le 29 août 1945, dans lequel Pham Van Dong, qui occupe le portefeuille des Finances, compte sans doute sur le « matelas » de piastres en billets de 500 récupérés après le 9 mars. Mais au Nord où par ailleurs Jean Sainteny dirige une mission française, l’autorité chinoise du général Lu Han garde encore le dernier mot. A Saigon, un nouveau haut-commissaire français pour l’Indochine, l’amiral Thierry d’Argenlieu, officiellement désigné deux mois et demi plus tôt avec tous les pouvoirs, civils et militaires, entre en fonction le 30 octobre 1945. Son conseiller financier, venu de la direction du Trésor et dont les compétences s’étendent à la Chine, s’appelle donc François Bloch-Lainé. La seule institution française réellement présente à la fois au Nord et au Sud est la Banque de l’Indochine : l’affaire des billets de 500 piastres et la fixation du taux de la monnaie indochinoise seront les éléments principaux de l’affrontement qui se prépare.
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La réorganisation financière de l’Indochine française est amorcée par François BlochLainé à partir d’une situation jugée confuse au moment de son arrivée et qui, à l’en croire, l’est partiellement restée30. Proposant divers aménagements au système fiscal antérieur, il s’attache à mettre sur pied un budget fédéral pour 1946, à partir de l’exemple duquel Saigon devra « exiger des Gouvernements Fédérés qu’ils mettent rapidement de l’ordre en produisant des budgets » eux-mêmes. Il esquisse au passage une certaine décentralisation, en particulier en direction du Cambodge - du gouvernement cambodgien, non pas des services français locaux. En matière de trésorerie, la confusion perdure cependant : « Nous n’avons récupéré qu’un petit nombre de caisses publiques et de postes comptables, explique-t-il ; d’autre part, les
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archives de la Trésorerie générale de l’Indochine sont toutes à Hanoi, entre les mains du Viet Minh ». La politique monétaire et la défense de la piastre retiennent particulièrement ses efforts, étant donné la situation sévèrement inflationniste du moment. Mais à l’arrière-plan se profile en particulier la question de la Banque de l’Indochine, « qui bénéficie d’un monopole de fait » : il préconise à la fois d’en éviter la nationalisation, pour lui permettre de préserver sa position dans les pays d’ExtrêmeOrient, mais de lui retirer la gestion des changes et le privilège d’émission. 23
C’est dans ce contexte que se situe l’affaire des billets de 500 piastres : le 17 novembre 1945, sur l’initiative de François Bloch-Lainé, la plus grosse coupure en circulation en Indochine est partiellement démonétisée, ce qui déclenche sur place un assez joli scandale. Cet « exercice du pouvoir monétaire » est à mettre en relation avec l’émission « sauvage » de piastres effectuée par les Japonais après le 9 mars 31 : « Au moment de la reddition, précise-t-il, beaucoup de Japonais étaient partis avec des caisses de billets de banque neufs. Les Chinois en avaient capté un grand nombre et le Viet Minh en détenait aussi. Si nous n’y prenions garde, ce numéraire allait rentrer dans notre circulation, à travers les canaux insaisissables du système international qu’anime toujours la diaspora chinoise dans cette partie du monde. »
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En retirant de la circulation tous les billets de 500 piastres et en annulant tous ceux qui avaient été émis après le coup de force japonais, l’autorité française réalisait d’abord une opération technique, qui lui permettait de s’attaquer à l’inflation galopante de cette fin d’année 1945. L’enjeu était bien sûr aussi une question de souveraineté : il s’agissait de « démontrer unilatéralement notre autorité monétaire, comme si elle eût été vraiment fédérale » - une sorte de reconquête de l’Indochine par la piastre plutôt que par le fusil, à un moment où, par ailleurs, les Chinois cherchent à imposer au Nord leur propre unité monétaire, le Gold Unit32. Le but était enfin directement politique, comme François Bloch-Lainé le précisait déjà dans son rapport de fin de mission : « Cette opération aura surtout permis d’assécher les caisses japonaises et Viet Minh. C’était là son but essentiel ; il a été atteint »33. Le conseiller financier affichait cependant, sur ce point, une confiance que ne confirmera pas la suite des événements : « La décomposition présente de ce dernier, croyait-il en effet pouvoir ajouter à propos du Viet Minh, est due principalement à ses difficultés financières ».
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Billet de 500 piastres de la BIC
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La gestion de cette mesure s’est en fait avérée extrêmement délicate, en particulier au Nord. Les chefs militaires chinois y disposaient en effet de gros « paquets » de piastres et en demandaient plus encore comme frais d’occupation. Parmi les rares personnes dans la confidence de la préparation de la mesure, Jean Laurent, le directeur-général de la Banque de l’Indochine présent à Hanoi, tenta pour sa part de s’y opposer en tenant compte des réactions vietnamiennes possibles. Quand François Bloch-Lainé lui apprit, le 10 novembre 1945, son projet de retirer de la circulation une part importante des billets de 500, mais aussi de 100 piastres, Jean Laurent estima qu’il y avait là de quoi « mettre le feu au plus petit village annamite et dresser contre nous le dernier des nhaqués » ; il réussit « à sauver le billet de 100 piastres en développant les dangers d’une pareille mesure »34.
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Effectivement, quelques jours après la démonétisation du billet de 500 piastres, la tension est vive à Hanoi. Le 26 novembre en particulier, dans l’après-midi, une manifestation de Vietnamiens venant « échanger leurs billets de 500 piastres à la Banque de l’Indochine », comme la radio le leur a suggéré à midi, se rassemble devant la Banque35. Sainteny paraît convaincu que la « spontanéité » de cette manifestation porte la marque de l’autorité chinoise. De fait, les troupes d’occupation laissent face à face Vietnamiens et Français, du moins jusqu’en fin d’après-midi, lorsqu’après que des tirs aient été entendus, qu’il y ait eu des blessés et peut-être des morts, l’état de siège fut décrété. D’autres incidents, entre responsables chinois et français, imposèrent la négociation.
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L’armée chinoise obtient un aménagement de la mesure en sa faveur le 10 décembre 1945, au cours d’une négociation réunie dans la maison dite du Petit Lac, qui abrite la Mission américaine : l’échange de ses billets de 500 au pair. Sous la présidence du général Gallagher, qui commande la Mission, les représentants de toutes les parties ont
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palabré pendant près de dix heures : des généraux chinois, des représentants du gouvernement de Tchong King, le chef de la mission française à Hanoi Jean Sainteny, avec Léon Pignon et Pierre Ledoux, ses conseillers politique et financier, l’indispensable François Bloch-Lainé et Achille Clarac, conseiller diplomatique de d’Argenlieu, tous deux venus de Saigon, et même Jean Laurent, le directeur général de la Banque présent à Hanoi, accompagnant Baylin, le directeur de l’agence de Hanoi 36. 28
Pour François Bloch-Lainé, le bilan reste positif : « Nous leur échangions une somme fixe de billets, pour tenir compte de leurs frais d’occupation. Nous acceptions de couvrir ces frais en partie [...]. C’est ainsi qu’ils ont été amenés à reconnaître notre souveraineté, moyennant un débours qui n’était, pour nous, qu’un manque à gagner. D’Argenlieu et Leclerc ont été ravis du gain diplomatique qui résultait de cette perte financière »37. La concession, en tout état de cause, ne remettait pas en question « le désarmement financier des Japonais et du Viet Minh », cher au projet de Bloch-Lainé 38. Dans le rapport de forces qui se nouait au Vietnam, l’incident n’était pas clos pour autant : dans les premiers jours de janvier 194639, comme s’il s’agissait de prendre date, le directeur de l’agence de la Banque de l’Indochine, Baylin, était assassiné sur le trajet conduisant de la Banque à son domicile.
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Venant un peu plus d’un mois après la démonétisation des billets de 500 piastres, la fixation de la parité de la piastre à 17 francs, le 25 décembre 1945, semblait participer de la même stratégie, s’inscrire dans le même rapport de force. L’importance de ce taux de change pour la suite des événements mérite en tout cas de s’arrêter sur ses origines. A nouveau, François Bloch-Lainé paraît jouer le rôle principal, encore que son évaluation de sa propre responsabilité ait varié selon les époques. Sur le moment, il s’attribue la paternité du nouveau taux de change sans autre précaution littéraire, parlant de « la solution d’attente que j’ai fait adopter le 25 décembre » 40. Dans une note à René Pleven postérieure de plusieurs années41, il décrit son rôle plus modestement, comme celui d’un conseiller dont l’avis était sollicité par la direction des Finances extérieures - il se trouvait justement à Paris à ce moment. En tout état de cause, la responsabilité politique de l’opération ne lui appartenait pas : le 25 décembre 1945, donc, une ordonnance fédérale du haut-commissaire de France pour l’Indochine, d’une part, et un décret portant à Paris la signature du général de Gaulle 42, président du gouvernement provisoire, d’autre part, officialisèrent le nouveau taux de conversion de la piastre en francs.
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Pourquoi une piastre à 17 francs, alors que sa parité était traditionnellement établie à 10 ? Sur le moment, en 1945, personne ne semble très bien savoir ce que vaut la monnaie indochinoise. Paul Gannay, directeur de la succursale de Saigon de la Banque de l’Indochine, l’évalue au tiers de sa valeur de 193943. Les Britanniques, dont les troupes occupaient le Sud, estiment pour leur part - mais ils étaient intéressés à un taux de change avantageux - que « la piastre valait six fois moins en 1945 qu’en 1939 » 44. Bloch-Lainé sera plus net encore quelques années plus tard45 : « En vérité, la piastre n’avait pas de valeur à cette époque [...]. La piastre, techniquement parlant, ne vaut rien ». Sollicité pour donner un avis en novembre et en décembre 1945 par son administration de tutelle, on conçoit qu’il ait été quelque peu embarrassé pour répondre. Qui peut prétendre alors à un contrôle quelconque de l’économie indochinoise ? « Les services français étaient encore enfermés dans le périmètre de sécurité de Saigon, précise-t-il dans la même note, et n’en étaient guère sortis », pour
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ne pas parler de Hanoi... « Techniquement », donc, en attendant, la parité de la piastre fut établie en parallèle à celle du franc CFA utilisé en Afrique française 46. 31
Mais derrière cette assimilation au franc d’Afrique se profilent des raisons très locales, que Bloch-Lainé expose dans sa note à Pleven47. Il faut y voir d’abord une prime à ceux qui disposent officiellement de piastre et donc -mais il ne le dit pas - une pénalité pour ceux qui en détenaient non officiellement, c’est-à-dire en particulier le Viet Minh : « la réduction de la circulation qui vient d’être opérée par voie d’autorité en Indochine justifie une semblable faveur ; elle fera mieux comprendre à ceux qui l’ont subie les avantages de l’assainissement qu’elle a permis de réaliser ». Accessoirement, l’Indochine étant alors dans une situation économique très précaire, il n’est pas injuste de faire « que ses approvisionnements ne soient pas trop coûteux pendant un certain temps ». Ainsi, le passage de la piastre de 10 à 17 francs apparaît fin 1945 comme une mesure de circonstance, et une mesure provisoire : « Dans trois ou quatre mois, il faudra d’abord estimer la piastre par rapport à la roupie et à l’US $, puis en tirer les conséquences par rapport au franc »48. Mais ces conséquences ne seront pas tirées avant longtemps...
D. UNE LOGIQUE DE RECONQUÊTE 32
Un accord est obtenu le 6 mars 1946 entre Sainteny et Ho Chi Minh à Hanoi, reconnaissant le Vietnam comme un État libre au sein de l’Union française, et prévoyant notamment une relève au Nord des troupes chinoises par celles du général Leclerc. Mais cet accord obtenu « à l’arraché », et qui fera date, ne semble pas modifier la logique militaire en cours en Indochine, qui est une logique de reconquête. D’ailleurs, si l’on en croit Leclerc, accord ou pas accord, les troupes françaises avaient vocation à se réinstaller au Nord : « il importe en effet de ne pas oublier, précisa-t-il, que, si les forces françaises ne sont pas arrivées avant le mois de mars au Tonkin, ce n’est nullement pour une question d’accords non signés, mais pour des raisons techniques : elles ont embarqué dès que les bateaux nécessaires ont pu être rassemblés, et si les accords du 6 mars n’avaient pas été signés, elles avaient l’ordre de s’emparer de Haiphong et de Hanoi... »49.
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Les effectifs du corps expéditionnaire continuent en effet à grossir en Indochine : 46 513 hommes se trouvaient sur place au 31 décembre 1945 ; près du double - 81 383 au 31 mars 1946 ; et le chiffre atteindra 96 644 au 31 décembre 1946 50 - à peu près autant, alors, que dans le camp vietnamien. Cette situation impose déjà des économies : le coût de la prolongation jusqu’au 30 juin des services d’intendance négociés avec les Anglais, évalué d’abord à 10 millions de dollars, est ramené à 4 millions à l’initiative du général Juin - désormais, les rations britanniques seraient réservées aux troupes opérant au Nord, plus exposées, celles fixées au Sud allant être ravitaillées depuis la France51.
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À titre anecdotique, le recrutement métropolitain du corps expéditionnaire pose bientôt à son ravitaillement un problème très français : celui du vin. Le général Juin en personne, chef d’état-major général de la Défense nationale, se fend ainsi d’un très sérieux courrier adressé le 13 juillet 1946 au ministre de l’Économie nationale, car ce ravitaillement en vin « se heurte à de très grandes difficultés ». Évaluant à 6 000 hectolitres par mois « les besoins correspondant à un effectif moyen de 75 000 hommes », il observe que, depuis 6 mois, à peine un mois de consommation a pu être
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assuré : « il est inutile d’insister sur les répercussions d’ordre moral entraînées par cette situation pour des hommes soumis à des fatigues physiques considérables dans des conditions climatiques très éprouvantes »52. « Une étude approfondie du problème » ayant révélé qu’il s’agissait essentiellement d’une question de prix, il sollicite le soutien, précisément, de la direction des Prix. Ce difficile problème sera, semble-t-il, résolu. 35
L’équipement de ces troupes n’apparaît pas non plus freiné par l’accord du 6 mars. Il se poursuit, notamment à partir de la « caverne d’Ali Baba » qu’est la ville de Manille. À en croire l’un des rapports du chef de la Mission d’achat française sur place, les réserves y sont « considérables », même si « dans certains dépôts règne un désordre extraordinaire »53. Les Français n’y trouvent donc pas tout ce qu’ils cherchent et restent prudents sur les expéditions. Sur un total de crédits de 17,2 millions de dollars, le total des achats signés se monte à environ 6,9 millions de dollars à fin avril 1946. Parmi ces acquisitions, 800 Jeeps, 25 ambulances, 415 GMC, des pièces de rechange multiples pour autos, bateaux, avions, de gros moteurs marins à essence et des bulldozers... La liste des achats est longue et détaillée. Il est cependant parfois difficile d’acquérir officiellement du matériel américain, ce qui est en général le cas à Manille, et plus encore d’acheter directement aux États-Unis, en raison de l’attitude résolument anti-coloniale qui prévaut à Washington, selon, comme l’écrit l’ambassadeur de France Henri Bonnet, une sorte de principe tacite prévalant depuis la capitulation japonaise 54. Selon lui, le gouvernement des États-Unis est décidé à ne rien faire « qui fut de nature à aider [les anciennes puissances coloniales] dans la reconquête de [leurs] territoires si les populations indigènes tentaient de mettre obstacle à la réinstallation de leur souveraineté » ; en conséquence, « le gouvernement de Washington a interdit la cession de matériel de combat, à quelque titre que ce soit, aux États possessionnés dans le Sud-Est de l’Asie pour l’utiliser dans cette partie du monde. »
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À cette logique de reconquête, qui se nourrit des approvisionnements en question, s’ajoute une autre logique, vite à l’œuvre dans le conflit naissant en Indochine : la logique coloniale. Les productions des sociétés françaises y ont un caractère stratégique. Non pas tant l’anthracite, étant donné le bas niveau de production de la Société des Charbonnages du Tonkin dans ces années. Par contre, l’administration Decoux avait constitué des stocks de caoutchouc, un produit qui avait attiré de nombreux investissements depuis le début du siècle. Bloch-Lainé, qui n’est pas l’archétype du colonialiste et se trouvait donc à Saigon comme conseiller financier, raconte cette anecdote. « Je demande un jour au Général [Leclerc] de faire une percée rapide vers les stocks de latex, sur les plantations d’hévéas. Le caoutchouc est rare et la France a grand besoin de celui-là [...]. Leclerc me répond, bourru : “nous ne sommes pas venus ici pour le caoutchouc”. Je ne me retiens pas de lui répliquer : “alors, pourquoi êtes-vous venu ?”. Il rougit, bougonne et s’en va. » Le conseiller financier aura les « moyens » nécessaires quelques jours plus tard55 ; et la protection des plantations sera bientôt à l’ordre du jour.
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Le coût de cette reconquête n’emporte pourtant pas l’adhésion de tous au sein même du dispositif français en Indochine, notamment du côté des « civils ». Alors que d’Argenlieu est encore haut-commissaire, une violente querelle oppose ainsi le général Valluy, commandant en chef après Leclerc et directement responsable des opérations de novembre et décembre 1946 au Nord à l’Inspecteur général de la France d’outre-mer Gayet, qui dirige sur place la Mission de contrôle de l’exécution du budget en
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Indochine. Créée par décret le 5 septembre 1946, la mission confiée à l’Inspecteur Gayet a un double « objet essentiel : examiner les dépenses de la Métropole en Indochine ; rechercher les économies, compressions et réformes à réaliser immédiatement ou à prévoir sur le budget de 1947 »56. 38
L’intérêt de la controverse est que l’examen des dépenses militaires, en particulier, pose la question de la stratégie même suivie en Indochine. Dans un premier rapport, daté du 10 octobre 1946, après un petit mois sur place, la Mission préconise un certain nombre de mesures qui lui mettent à dos les plus hautes autorités militaires de France et d’Indochine : « diminution des effectifs stationnés au Tonkin, compression massive des effectifs européens, aménagement des soldes et primes d’alimentation, décongestion de la région Saigon-Cholon »57. Les appréciations des militaires ne furent pas tendres. Comme l’écrit pudiquement une note du Comité de l’Indochine, « ces observations, parfois acides, étaient l’expression d’un désaccord certain, particulièrement vif, entre la Mission de contrôle et le général Commandant supérieur »58. Ce dernier finit par donner l’ordre à ses subordonnés « de ne correspondre avec la Mission de contrôle que par écrit et refusa à l’Inspecteur général Gayet l’autorisation de se rendre au Cambodge ».
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Accessoirement, Gayet s’intéresse aussi à la monnaie, plus précisément à la parité de la piastre, mais il n’est pas beaucoup plus écouté dans ce domaine que dans les autres. Le nouveau conseiller financier Gonon ironise même sur son « idée mirifique de dévaluer la piastre pour réduire les charges militaires du budget français » 59.
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Quelques mois plus tard, en juin 1947, Valluy tentera en vain d’empêcher son retour en Indochine, stigmatisant sa « méconnaissance des problèmes d’ensemble », ses « bavardages », son « manque d’objectivité bien connu de tous ». « Mon sentiment, conclura Valluy dans un ultime télégramme à Paris, est qu’en dépit de notre extrême bonne volonté, Monsieur Gayet fera du mal à l’Indochine »60. Mais Valluy devra rentrer à Paris en octobre de la même année et Gayet, nullement découragé, poursuivra sa mission jusqu’en 1949.
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Les « incidents » du 24 novembre à Haiphong et le « clash » de Hanoi le 19 décembre 1946 s’inscrivent parfaitement dans la logique militaire dénoncée par Gayet, même si le coup de force de Hanoi a été plutôt déclenché par les Vietnamiens. Après le 19 décembre 1946, en tout cas, la logique de reconquête imprime plus que jamais sa marque sur la politique à suivre. Car il ne faut pas se représenter le territoire vietnamien de la fin 1946 comme progressivement dissident et gangrené par une rébellion nouvelle. C’est tout le contraire. Au sud du 16e parallèle, l’autorité française a sans doute réussi à dominer le pays - le pays théorique du moins. Mais, depuis 1945, c’est le gouvernement vietnamien qui conserve le contrôle du territoire au nord du 16 e parallèle. La France y disposa certes de quelques garnisons après l’accord du 6 mars 1946, mais ce n’est bien sûr plus le cas après le coup de force du 19 décembre. À cette date, le Nord est entièrement à reconquérir, à moins de trouver un accord politique avec l’adversaire. Hanoi n’est vraiment dégagée que le 18 janvier 1947, pas en très bon état d’ailleurs ; et chaque déplacement des troupes françaises, de timides excursions d’abord dans sa périphérie, est une « opération ».
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Au total, le coût de la reconquête de l’Indochine, entre le 15 août 1945 et le 31 décembre 1946 - reconquête encore très partielle - est évalué dans un document sans autre référence, datant sans doute du début de l’année 1947, à environ 75 milliards de francs soit l’équivalent de plus de 10 % du budget de 194661. Les dépenses militaires sont les
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plus importantes : une trentaine de milliards. Il faut peut-être y ajouter une partie de la somme imputée aux dépenses civiles : réapprovisionnement de l’Indochine en vivres, vêtements et matériels divers urgents... Le reste concerne des dépenses « occasionnées par le Chinois », ainsi que l’entretien et le rapatriement des 70 000 prisonniers japonais. Avant même le « clash » du 19 décembre, date à laquelle les ponts sont définitivement coupés entre Vietnamiens et Français, la facture de la réoccupation du territoire est donc déjà lourde. Par la nature même des dépenses, elle suggère que le conflit a bel et bien commencé dès l’été 1945.
II. LES MOYENS DE LA RÉSISTANCE 43
Les Vietnamiens - on dira bientôt le Viet Minh - ne vivent pas le conflit dans le même « temps » que les Français : c’est une guerre de longue durée qu’ils mènent contre la France, et sa première phase, celle de la défensive, a commencé dès le 23 septembre 1945, date de la reprise du contrôle de Saigon par les Français. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la dimension économique et financière de la guerre apparaît pour eux très forte, plus forte peut-être que pour la France. Sentiment de fragilité ? Volonté de tout mettre en œuvre pour affronter l’adversaire ? Les deux en même temps, sans doute, sur fond idéologique de lutte contre le colonialisme, ce dernier étant réputé fondé sur des motivations économiques - et le colonialisme français ayant chez les insurgés vietnamiens une image particulièrement carnassière. Pour le reste, la résistance au retour des Français n’est vraiment importante qu’au Vietnam. Au Laos et au Cambodge, des régimes de monarchie constitutionnelle alliés à la France se mettront en place en 1947. Les mouvements nationalistes qui avaient émergé en 1945 - Lao Isara, Khmer Issarak - survivent en exil à Bangkok ou retirés dans les confins frontaliers, s’appuyant sur la Thaïlande ou le Viet Minh. Il ne faut sans doute pas sous-estimer leur existence ou leur capacité de déstabilisation pour les régimes en place, mais ils ont présentement perdu la partie et n’entretiennent qu’une insécurité résiduelle.
A. LE TEMPS DE L’AUTOSUFFISANCE 44
Les documents du Viet Minh ne sont pas innombrables - ceux que nous avons pu consulter, apparemment authentiques, ont été le plus souvent saisis par les Français mais ils donnent tous la même impression : le « Viet Minh » n’est pas un mouvement mais un État, ou s’il n’est pas un État au sens complet du terme, il s’efforce de fonctionner comme tel. En 1947 par exemple, replié loin au nord de la capitale, hors d’atteinte des troupes françaises, un gouvernement central existe bien, réunissant plus de vingt ministres et secrétaires d’État : six notamment en matière financière et économique (Finances, Économie, Agriculture)62, indépendamment des fabrications d’armement, rattachées à la Défense nationale ; le ministère de l’Économie nationale serait lui-même installé au village de Tan Tien63. Cela signifie d’une part de nombreux services en aval, handicapés sans doute par l’insécurité et la précarité des installations, mais n’en produisant pas moins autant de rapports annuels, de projets de budgets et de notes multiples. L’administration Viet Minh s’appuie d’autre part sur une organisation territoriale décentralisée, six interzones (lien khu) en particulier, après la réorganisation de mars 194864. Des comités économiques fonctionnent à ce niveau régional - le Comité de résistance économique du Nam Bo par exemple - ainsi que des comités économiques et financiers au niveau des provinces comme à celui des villages.
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Ces services locaux « produisent » à leur tour, outre les mêmes rapports, notes et projets, et à côté du matériel traditionnel de propagande, toutes sortes de laissezpasser, récépissés et autres éléments de littérature administrative. Carte 2 Le « réduit » tonkinois
Source: Bernard Fall, Le Viet Minh. La République Démocratique du Vietnam (1945-1960), Paris, Armand Colin, Cahiers de la FNSP, Paris, 1960. 45
Cet État vietnamien dispose d’une armée, une armée jeune et sans doute pas encore très onéreuse, mais qu’il faut former, nourrir et équiper. Elle regrouperait, en 1946, 80 000 à 100 000 hommes, dont 60 000 réguliers65, soit pratiquement l’équivalent numérique des ex-forces françaises d’Indochine en état de mobilisation 66. Recrutées sur une base provinciale, les nouvelles recrues s’y mêlent aux anciens tirailleurs et gardes Indochinois, rappelés d’autorité par le gouvernement de Hanoi. L’armement demeure cependant léger et hétéroclite, acheté sur place ou plus souvent récupéré d’une manière ou d’une autre. Les munitions restent rares.
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La République démocratique du Vietnam (RDV) dispose enfin d’un territoire. Un territoire certes évolutif et, dans l’ensemble, du moins pour la période considérée, en diminution progressive. Mais une bonne partie du Nord, notamment dans le delta, administré par la RDV dès 1945, demeure sous sa juridiction longtemps après le « clash » de décembre 1946. La province de Thai Binh par exemple, très densément peuplée et située au sud du delta du fleuve Rouge, reste sous administration Viet Minh pendant quatre ans avant d’être reprise par les Français en 1949. Certaines régions, comme le Thanh Hoa, dans le « Nord-Annam », échapperont à la France et à ses alliés vietnamiens pendant toute la guerre. Ailleurs, et en particulier dans le Sud, les zones sont beaucoup plus imbriquées et les « régions provisoirement occupées » par les Français, selon la terminologie Viet Minh, sont plus larges, sinon dominantes,
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quadrillés de postes militaires eux-mêmes surmontés de tours de guet. A la différence du Nord, la « zone libre » est au Sud discontinue - quelques groupes de villages ici et là, la forêt de Camau, à la pointe sud du delta, la plaine des Joncs surtout, où se cachent, du moins pendant un temps, les comités dirigeants du Nam Bo, son service du Trésor en particulier67. Mais l’administration Viet Minh, clandestinement, couvre l’ensemble du territoire du Sud, la région de Saigon-Cholon notamment. 47
La RDV et son territoire, enfin, ont bientôt leur propre monnaie. Selon l’historiographie officielle68, quelques essais avaient été tentés courant 1946 dans le Centre, en zone Viet Minh, puis plus généralement au nord du 16e parallèle, avant que, le 31 novembre 1946, l’Assemblée nationale n’adopte le dông pour l’ensemble du pays. Selon la même source, les premières coupures ont vu le jour en mai 1947 : 1, 5, 10, 20, 50, 100 dông, puis des coupures de 200 et de 500 dông. De fait, selon cette fois un renseignement français 69, les « billets Ho Chi Minh », en coupures de 1 à 100 dôngs, commencent à circuler parmi la population de Cochinchine quatre mois plus tard. Officiellement, le nouveau signe monétaire est défini par sa valeur en métal précieux : « L’unité monétaire du Vietnam est la piastre vietnamienne, titrée à 0,375 gramme d’or »70. En réalité, sa solidité, théoriquement garantie par les richesses nationales, repose surtout sur le soutien populaire71. Les difficultés ne manquent d’ailleurs pas, pour la fabrication et la diffusion du nouveau dông, et il est bientôt question d’émissions monétaires régionales.
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Pour survivre, c’est-à-dire pour faire la guerre, le régime vietnamien doit bien sûr rassembler d’importants moyens financiers. Il ne peut plus compter sur les grosses coupures de 500 piastres - de la Banque de l’Indochine (BIC) - qu’il possédait semble-t-il en grand nombre en 1945 et qui ont été vite, à son grand dam, démonétisées. Il remplace cependant progressivement cette cagnotte en échangeant dans les zones qu’il contrôle les piastres BIC contre les nouvelles « piastres Ho Chi Minh ». Forte d’une doctrine dans laquelle se mêlent dirigisme, autarcie et collectivisme, la RDV s’est également donné un système fiscal assez complet. Les principaux impôts directs sont perçus sur les revenus, les produits forestiers, les rizières et autres terrains productifs, les habitations et terrains à bâtir, etc. Mais les taxes diverses, en particulier sur les transports, fournissent comme il est de règle l’essentiel - peut-être les deux tiers 72 - des ressources ordinaires du Viet Minh.
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La Résistance utilise enfin pour ses besoins financiers des moyens plus à la mesure de ses objectifs. Des bons de Défense ou de Résistance sont périodiquement placés auprès de la population, comme à la mi-1947 dans les plantations d’hévéas de Loc Ninh : « Pour prouver votre bonne foi, indique une lettre remise aux "cadres indigènes" de l’endroit, inscrivez-vous au parti ; achetez au prix de 25 $ des bons de la Défense qui permettront d’acheter des armes. La victoire acquise, vous serez remboursés et comblés d’honneur »73. Sur les gros « contribuables », principalement à Saigon-Cholon, la pression se fait plus directe, quoique toujours clandestine. Une attestation, dont le modèle a été fourni par Nguyen Binh, est ainsi remise en 1947 aux rizeries de la métropole du Sud qui peuvent se prévaloir d’activités « patriotiques », dans le louable sentiment d’« éviter les malentendus pendant les opérations de destruction des organismes des capitalistes »74.
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Toute cette mobilisation financière a donc pour but d’équiper et d’armer les troupes du Viet Minh et, accessoirement, de les nourrir - la solde paraît un luxe. La RDV, comme on sait, bénéficie au départ d’un certain stock d’armement : parachutages alliés au profit des « troupes de libération », armements français livrés par les Japonais
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immédiatement après leur capitulation, cessions effectuées par les Japonais ou ventes réalisées par les Chinois. L’économie Viet Minh n’est pas non plus sans ressources propres : un service central d’études de l’armement fonctionne au Nord dans la province de Tuyen Quang75, des « usines », plus vraisemblablement des ateliers, fabriquent dans plusieurs interzones des armes individuelles. Mais l’économie n’apparaît pas suffisante pour soutenir un véritable effort d’armement. Il faut donc partout récupérer et, plus encore, acheter des armes et surtout des munitions. Les récupérations prennent des formes multiples : vols, prises de guerre mais aussi recherche de matières premières - par dizaines de tonnes, par exemple, les douilles font entre Saigon et le Cambodge l’objet d’un véritable commerce, impliquant des négociants chinois et même français, alors « qu’il est à peu près certain qu’une partie de ces stocks passe ou va passer aux rebelles et peut être utilisé contre nous », indique une fiche du commandement français76. Les achats, pour leur part, se font pour l’essentiel dans les pays voisins : en Thaïlande, en Chine méridionale - le plus simple sans doute -, en Malaisie et peut-être aussi aux Philippines, où les stocks sont abondants et la surveillance contournable. 51
Le Viet Minh fonctionne ainsi à son propre rythme : la pratique autarcique va de pair avec l’idée de résistance de longue durée. Pour leur part, les Français sont confiants dans leur supériorité, paraissent convaincus de trouver une issue rapide et considèrent que l’économie de guerre Viet Minh connaît un état permanent de crise, que « se suffire à soi-même », en tout cas, ne pourra lui suffire longtemps 77. Mais le Viet Minh joue sur la durée : dans la plupart des missions qui impliquent un passage à travers les « zones provisoirement contrôlées par l’ennemi », la consigne est de privilégier le temps, c’està-dire la sécurité, sur toute autre considération. Pour autant, le Viet Minh ne reste pas passif à attendre l’occasion d’un bon « coup » militaire : au quotidien, la lutte est aussi pour lui économique et monétaire.
B. LA LUTTE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE 52
« Objectif essentiel » pour le Viet Minh, la lutte économique apparaît comme un complément - ou comme un substitut - à une lutte militaire qui, compte tenu du rapport des forces, est toujours difficile. C’est aussi, selon une formule du 2 e Bureau français, la « meilleure forme de résistance à employer pour durer le plus longtemps possible tout en maintenant le fait Viet Minh »78. Vue à travers les services de renseignement français, cette lutte a connu deux étapes et des formes diverses.
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La première étape fut celle de la « terre brûlée », pratiquée au Sud à partir de 1945 comme au Nord après 1946. Contrainte d’abandonner des territoires aux Français, l’autorité Viet Minh ne « livre » ces derniers qu’après une destruction méthodique de ce qui s’y trouve. L’effet n’apparaît pas toujours déterminant ni durable, compte tenu de la valeur modeste des dites destructions. Mais il s’y mêle, surtout au Nord, une volonté d’effacer tout ce qui rappelle la domination française, villes comprises - le débat sur l’impact modernisateur de la colonisation n’est pas encore de mise. Dans leur lente et difficile reconquête du Tonkin, les forces françaises reprendront ainsi maintes cités dont il ne reste rien. Le 10 septembre 1947 par exemple, à 10 kilomètres à peine au sud-ouest de Hanoi, le haut-commissaire Bollaert prononce son fameux discours - qui ne fut qu’un « pétard mouillé » - non pas tant à Ha Dong que sur l’emplacement de la ville, qui n’est plus qu’un souvenir. Le général Gras cite aussi le cas, un peu plus d’un an
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après, en novembre 1948, du site également rasé de Viet Tri, en amont de Hanoi sur le fleuve Rouge, occupé lors de l’offensive française d’automne, plus précisément de l’opération Ondine79. 54
Dans une seconde étape, la lutte économique menée par le Viet Minh prend une forme plus diversifiée, plus offensive aussi, avec pour double objectif de protéger la fragile économie de la RDV, d’une part, et d’« aboutir à la ruine de l’économie française » d’autre part80. La protection de l’économie vietnamienne ressort plus généralement de la défense du territoire, avec ce que cela suppose de mise à l’abri et de dispersion des stocks de grains, voire éventuellement des troupeaux. L’assaut contre l’économie française relève, pour sa part, à la fois d’un plan global, dont les services français de renseignement estiment qu’il est établi en août 1948, et d’objectifs précis de sabotages. Les routes, en particulier, offraient la double particularité de symboliser la colonisation française et de permettre au corps expéditionnaire de se déplacer rapidement : elles sont souvent, en particulier au Nord, découpées méthodiquement en « touches de piano » afin de gêner, voire d’interdire toute circulation digne de ce nom.
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Les plantations d’hévéas, situées au Sud, constituaient plus encore une cible de choix : symboles forts de la présence française, voire du profit colonial, elles pouvaient apparaître comme une sérieuse raison à la guerre. La littérature Viet Minh locale, du moins celle qui est disponible, en paraît en tout cas convaincue. « Tant que les plantations d’hévéas existeront la guerre se poursuivra ; aussi nous faut-il les détruire », indique sobrement un tract déjà cité, saisi dans une plantation de Loc Ninh à la mi-juin 194781. Le 2e Bureau prend la menace au sérieux : « Les procédés ont été “modernisés” en appliquant aux hévéas les méthodes de la guerre microbiologique, précise l’étude sur l’économie Viet Minh de 194882 : dans les provinces de Baria, Bien Hoa, Thu Dau Mot, Tay Ninh et Gia Dinh, l’envoyé spécial du gouvernement a ordonné de répandre des maladies contagieuses [...] » dans les hévéas, pour saboter les plantations avec le minimum de risques. Quelle que soit la réalité de cette « guerre microbiologique », on comprend que les autorités françaises aient fini par considérer, comme le réclamaient les professionnels du caoutchouc, qu’il fallait assurer la sécurité des plantations.
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Le plan de lutte économique contre les Français se présente aussi comme un blocus de la « zone ralliée ». Le plan apparaît à la fois simple et ambitieux dans son objectif : interdire « tout commerce et toute liaison avec l’ennemi », sous la direction d’un comité mis en place en juillet 1948 et relevant du Conseil supérieur de la Défense nationale83. Ce blocus prévoit quelques aménagements dans la circulation de marchandises de première nécessité, civiles ou militaires, moyennant force passeports spéciaux ou taxes de circulation selon les cas. Mais le passage à la pratique est plus délicat car, note le 2e Bureau, « la majeure partie des grandes zones de production vivrière [...] sont entre nos mains ». La capacité d’asphyxier les villes tenues par les Français diminue de fait avec la reconquête progressive des territoires par ces derniers. Pour les analystes français, il s’agit finalement d’un « projet d’une portée très limitée pour nous, et qui risque d’avoir pour la Résistance des conséquences funestes le jour où, justement, toutes transactions seraient rigoureusement impossibles entre la zone ralliée et les rebelles ».
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L’aspect le plus visible de cette lutte économique et financière concerne la monnaie, véritable « cheval de bataille » du Viet Minh pour des raisons qui touchent à la fois à la propagande et au financement de l’effort militaire. La diffusion de la monnaie « Ho Chi
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Minh » dans les zones de résistance, en 1947 et 1948, s’accompagne d’une propagande qui tourne toujours autour de la même idée : « Soutenir les billets vietnamiens, c’est aussi participer à la lutte pour l’indépendance du pays ; les détruire ou ne pas les utiliser, c’est faire preuve de traîtrise »84. L’échange contre les piastres BIC ne se fait pas d’un coup, toutes les coupures n’étant pas disponibles. L’émission prend d’ailleurs vite un caractère régional qui n’est pas sans poser la question de la garantie de la nouvelle monnaie : en janvier 1948, le Nam Bo est ainsi autorisé à émettre, pour 300 millions de piastres, une série de six coupures représentant des valeurs échelonnées entre 1 et 100 piastres. Mais au bout du compte, le cours du dông est un bon indicateur de l’implantation du Viet Minh : échangé à 120 contre 100 piastres BIC à Vinh, entre 150 et 200 dans plusieurs régions du delta tonkinois, il descend à 400 dông pour 100 piastres à Hué, et se négocie entre 300 et 350 en Cochinchine. 58
Propagande et répression se combinent pour imposer la monnaie « Ho Chi Minh ». Une « semaine de Résistance patriotique », comme en 1947 au Nam Bo 85, ne saurait se terminer sans une « offensive monétaire », dont les slogans sont à développer les 7 e et 8e jours : « Offensive monétaire : attention aux piastres françaises ! Attention aux billets de la Banque de l’Indochine ! N’échangez que très peu d’objets contre ces piastres fantômes : il vaut mieux conserver nos produits que d’avoir ces piastres. » Dans un premier temps, la population est seulement « invitée » à ne pas utiliser les billets BIC, ceux-ci sont ensuite interdits et, le cas échéant, il faut sévir : un commerçant de Can Tho, arrêté par la police Viet Minh alors qu’il utilisait deux billets de 10 piastres BIC dans une transaction avec des villageois, se vit infliger une amende d’un montant vingt fois supérieur, et les deux billets litigieux furent affichés pendant trois jours à la Maison commune de l’endroit86. « Piastre Ho Chi Minh », billet de 1 dong 1947
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La démonétisation des billets de 500 piastres, en novembre 1945, est d’autant moins oubliée qu’elle visait en particulier, on s’en souvient, à assécher les caisses Viet Minh. Un attendu d’un arrêté du Comité du Nam Bo interdisant la circulation de la monnaie BIC, sur fond d’évocation de la « décadence de l’économie française », entretient le mauvais souvenir87 : « les colonialistes français, rappelle-t-il, ont une fois déjà volé nos ressources en supprimant les billets de 500 piastres... » Trois mois plus tard, toujours en 1947, le retrait des billets de 100 piastres - dits Idéo, réputés falsifiables - est l’occasion d’y revenir. Un petit tract Viet Minh, format billet de banque, justement, est ainsi titré : « Annulation des anciens billets de 100 piastres, ou manière de pirates utilisée par les Français ». On peut y lire peu après : « La suppression des billets de 500 piastres l’année dernière reste encore imprégnée dans notre mémoire et ne fait que remuer la haine des Viets »88.
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L’objectif Viet Minh en développant cette propagande monétaire est sans doute politique, mais il a également une forte dimension financière. La dimension politique n’échappe pas aux Français qui savent, en particulier en Indochine depuis François Bloch-Lainé, que la monnaie c’est le pouvoir. Le 2e Bureau français se lamente d’ailleurs un peu du fait que le Viet Minh soit le seul à « attacher une grande importance » à cette question89. Mais la dimension financière est sans doute la plus déterminante. En interdisant à son tour la monnaie de la Banque de l’Indochine et en lui substituant le dông, le Viet Minh récupère ainsi, par le seul échange de billets, une importante masse d’argent, dans une monnaie qu’il assimile à une devise et qui lui permet de procéder à ses propres achats, d’armement en particulier. Un billet de banque est alors au Vietnam la plus précieuse des munitions.
III. UN CONFLIT MAL MAÎTRISÉ (1947-1948) 61
Si l’état de guerre remonte à 1945, les événements de la fin de l’année 1946 font évidemment passer celui-ci à un cran supérieur. Comme le constate le Trésor, « les frais d’entretien du corps expéditionnaire augmentèrent considérablement après décembre 1946 »90 Alors que les dépenses trimestrielles qui lui sont consacrées tournaient fin 1946 autour de 6 milliards de francs, elles bondissent à environ 10 milliards pour le premier trimestre de 194791.
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Pourtant, une fois la guerre véritablement engagée, avec un adversaire qui estime avoir le temps pour lui, la France hésite dans sa stratégie. À Paris, après deux ans de régime provisoire, l’heure est à la mise en place des institutions de la IV e République, mais en Indochine le mal est fait. Dès lors, la France ne semble être en mesure de faire vraiment ni la guerre ni la paix : les militaires ont des plans pour neutraliser Ho Chi Minh dans le « réduit » tonkinois, mais jamais complètement les moyens de leurs ambitions ; le gouvernement pour sa part se rallie progressivement à l’alternative Bao Dai, comme s’il était convaincu que cela suffirait à régler le problème. Comment les aspects financiers de la question ont-ils joué dans ces atermoiements ?
A. UNE PÉRIODE INCERTAINE 63
Les dépenses militaires de la France en Indochine gardent un niveau à peu près constant entre 1946 et 1948, ce qui contribue à faire l’unité de la période. Traditionnellement, le budget fédéral de l’Indochine règle une petite partie de la
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facture, en prenant en charge les partisans recrutés sur place, en marge du corps expéditionnaire. Mais l’essentiel passe par la loi de finances et ses compléments, votés à Paris par les parlementaires. Là, dans les principales institutions concernées, les bilans disponibles ne concordent pas totalement, mais la tendance est partout la même. En francs courants, les « dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine » passent certes, selon la Défense, de 30 à 80 milliards de francs environ de 1946 à 194892 ; mais cela donne, en francs constants calculés en 1954, une courbe plate 93. La commission des Finances du Conseil de la République fournit pour sa part des chiffres en hausse, passant de 108 à 130 milliards de francs sur la période 94, mais l’augmentation reste comprise entre 8 et 11 %, ce qui demeure modeste au regard de ce qui se passera par la suite. 64
Ces dépenses militaires à peu près stables correspondent à un corps expéditionnaire de niveau, également, à peu près constant : il évolue entre 90 000 et 120 000 hommes, au gré du bras de fer opposant le commandement militaire français en Indochine et l’autorité politique à Paris. Fin 1946, le CEFEO comprenait environ 96 000 hommes 95. Leclerc, puis Valluy, qui se succèdent au commandement en chef début 1947, réclament 115 000 hommes, chiffre qui sera atteint, et même légèrement dépassé au milieu de l’année 194796. Mais pour diminuer ensuite : les effectifs budgétaires pour 1948 sont ramenés à 92 000 hommes, dont 70 000 Européens environ. Portés à un niveau néanmoins plus élevé au début de cette nouvelle année - 108 600 hommes - ils n’en bougent pas lors d’un important Comité de défense nationale, le 12 juillet 1948, alors que le haut-commissaire Bollaert réclame environ 22 000 hommes de plus, faisant valoir en particulier que les charges ont augmenté sur le terrain.
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Il faut préciser que la question des effectifs se double alors d’un autre problème, devenu crucial : celui de la relève, dont les données font aussi l’unité de la période. La question est posée dès 1947, quand il s’avéra nécessaire de remplacer les soldats morts ou blessés au combat. Mais il fallut vite se rendre à l’évidence : le recrutement était de plus en plus difficile, les Français manquant à l’appel. L’état-major commence alors, à contre-cœur car ce n’est pas l’idéal pour la « pacification », à expédier en Indochine des unités « non blanches » - d’Afrique du Nord et d’Afrique noire. D’anciens soldats allemands viennent également grossir les rangs de la Légion étrangère, bien que l’on veille en haut lieu à ce que leur proportion ne soit pas trop élevée. Enfin, la durée de service en Indochine, en principe de 24 mois, est de plus en plus souvent poussée à 30 mois : après deux ans de conflit, le problème devient ainsi aigu à la fin de 1948.
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Indépendamment de cet aspect technique de la relève, la monotonie des chiffres traduit pour cette période une grande incertitude. Sur place, le Viet Minh est partout et l’on ne circule, même au Sud qu’en convoi, et à ses risques et périls. En juillet 1947, le train Saigon-Phan Thiet tombe dans une embuscade après quelques dizaines de kilomètres de trajet : « La locomotive de ce train ayant sauté sur une mine à une soixantaine de kilomètres de Saigon, rapporta la presse, un grand nombre de Vietnamiens surgirent des deux côtés de la voie et, après avoir anéanti la petite escorte militaire qui accompagnait le train, se livrèrent à un massacre systématique des voyageurs ». Une quarantaine de personnes, au total, ont été tuées97. Moins d’un an plus tard, le 1er mars 1948, une embuscade surprend le convoi routier Saigon-Dalat, fort de 70 véhicules et de leur escorte - il y aura cette fois 82 tués.
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Du côté français, la mésentente paraît l’emporter. Ce n’est sans doute pas ici le lieu de dresser l’inventaire des conflits qui opposèrent civils et militaires en Indochine dans les
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premières années de la guerre, mais ils n’étaient pas sans arrière-plan ni conséquences financières. Le général Gras en a décrit les principaux épisodes 98. Le général Valluy, qui peut certes s’appuyer sur Bidault, alors ministre des Affaires étrangères, sabote délibérément l’offre de cessez-le-feu du nouveau haut-commissaire Bollaert à Ho Chi Minh, qui devait être annoncée le 15 août 1947, le jour même de l’indépendance de l’Inde. Il lui préfère une opération militaire contre le « réduit tonkinois », à l’automne, qui sera conduite par Salan : cette opération Léa, qui devait en finir avec la tête du Viet Minh, n’aura d’autre résultat que de « durement éprouver dans son industrie et ses stocks de guerre » le potentiel de l’adversaire99. Salan sera à son tour « débarqué » en mai 1948, au profit du général Blaizot, qui avait monté le CEFEO en 1945 avant que le commandement de ce dernier ne soit confié à Leclerc. Mais quand Pignon succédera à Bollaert comme haut-commissaire, en octobre 1948, ce sera également pour se heurter à son tour au général Blaizot. Fallait-il mettre la priorité sur le Nord ou bien sur le Sud, attaquer le Viet Minh à la tête ou pacifier le delta tonkinois ?... Blaizot ne s’entendra pas davantage avec son adjoint commandant les forces terrestres depuis le 12 juin 1948, le général Alessandri - replié en 1945 en Chine, il est vrai, pendant que Blaizot tentait de réunir le corps expéditionnaire depuis Ceylan... 68
S’installe-t-on malgré tout dans cette « guerre heureuse » que Lucien Bodard se souvient avoir trouvée en 1948, en débarquant à Saigon avec son bloc-notes de journaliste ? « Tout est figé, raconta-t-il plus tard. Le corps expéditionnaire a renoncé aux grandes courses [...], c’est l’enlisement. Ce n’est que sur la frontière de Chine, dans les montagnes du nord du Tonkin, que se poursuit la vraie guerre contre les réguliers de Ho Chi Minh. Elle est loin de tout et on n’en parle pas. Partout ailleurs, on fait la guerre heureuse contre la Résistance. Ces guérillas, ces contre-guérillas sont atroces [...], mais en même temps c’est la bonne vie et la prospérité pour tout le monde » 100.
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Le président de la République, Vincent Auriol, les membres concernés du gouvernement et, derrière eux, le haut-commissaire, recherchent une solution politique, quelqu’en fut, semble-t-il, l’interlocuteur : il s’agit aussi, pour ces « civils », mais ils n’en parlent pas dans ces termes, de la solution la moins onéreuse. C’est ainsi que l’on vit le haut-commissaire Bollaert jouer en quelques mois plusieurs rôles successifs et apparemment contradictoires. Il prépara d’abord la grande initiative historique déjà citée, et qui l’aurait été si elle avait abouti, en direction du gouvernement Ho Chi Minh - cessez-le-feu et offre de négociation - avec un discours prévu pour le 15 août 1947 et jamais prononcé, mais bel et bien préparé. Sur ordre du gouvernement, il produisit finalement à Ha Dong, trois semaines plus tard, un autre discours, édulcoré, dans lequel le mot « indépendance » ne figurait même pas en français. Le même homme négocia enfin en décembre avec Bao Dai, en baie de Ha Long, un protocole provisoire sur l’indépendance et l’unité du Vietnam. Cette solution était il est vrai envisagée depuis 1946 et sera ensuite l’objet de tous les soins du hautcommissaire Pignon.
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Les militaires, pour leur part, sont sur le terrain et ne manquent ni d’arguments ni d’ascendant. Toute hésitation les renforce, car pour eux la sécurité n’attend pas. Ils obtiennent ainsi périodiquement la priorité stratégique, comme ce fut le cas en 1947 contre le « réduit tonkinois » de Ho Chi Minh. A l’occasion, ils savent convaincre le haut-commissaire de les soutenir, mais sans jamais obtenir les moyens à leurs yeux nécessaires pour aboutir, dont l’attribution est décidée à Paris et l’addition toujours « salée ». Les renforts ne sont accordés qu’avec parcimonie et leur acheminement
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prend du temps : d’une manière générale, le niveau atteint par le corps expéditionnaire à un moment donné correspond à ce qui était demandé plusieurs mois auparavant. Quand il faut prendre une décision, par ailleurs, c’est plutôt celle du « juste milieu » qui l’emporte. 71
A ce rythme, le retour de la France ne pouvait être très rapide. Les rapports des services remis en route depuis l’automne 1945 le confirment, comme celui, par exemple, du Trésorier principal de l’Indochine, Georges Richard, pour l’année 1948 101 : effectuant le point des « postes centralisés » (paieries, perceptions, régies comptables...), il en compte alors 66 au total pour toute l’Indochine, contre 98 avant le 9 mars 1945. « Les 32 postes non occupés sont placés dans des zones non contrôlées ou sont entre les mains du Viet Minh », signale-t-il. Leur répartition régionale confirme d’ailleurs que le Nord est bien pour la France le secteur le plus délicat : si 13 postes relevant de la Trésorerie de Phnom Penh et autant de celle de Vientiane sont ouverts, si 35 postes relevant de la Trésorerie principale de Saigon fonctionnent, un seul - celui de Hanoi - existe encore au Nord, où la France est censée s’être réinstallée depuis environ deux ans. Il y avait tout de même 19 paieries au Tonkin, pour le considérer qu’elles, avant 1945...
B. UN EFFORT MILITAIRE PARCIMONIEUX 72
Pour comprendre cette sorte d’impuissance française en Indochine, en particulier sur le plan militaire, il n’est pas inintéressant de suivre le cheminement des décisions la concernant, en 1947 et 1948. Les premières datent de la fin mars 1947.
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A l’occasion du départ pour l’Indochine du haut-commissaire Bollaert, une première instruction de la IVe République est rédigée sur le sujet, le 27 mars 1947, dans le cadre donc de la nouvelle constitution et, bien sûr, après le déclenchement officiel des hostilités. À force d’être consensuelle, puisqu’elle fut cosignée par le socialiste Ramadier, le communiste Thorez et le MRP Teitgen, cette première grande instruction paraissait tout dire et son contraire102. Les pays d’Indochine groupés « en fédération, y lit-on dans un préambule, deviennent au terme de l’article 69 de la constitution, à la fois des États associés de la République française et des territoires qui ne sont pas subordonnés à une Fédération indochinoise. Celle-ci subsiste cependant dans la mesure où il est nécessaire de coordonner les intérêts communs aux divers pays et territoires, d’organiser et d’assurer la gestion des services nécessaires au développement de l’Indochine », etc. La juxtaposition d’autres éléments, parmi les buts proclamés par une France soucieuse de « ne jamais revenir à la situation antérieure au 9 mars 1945 », laisse songeur. Elle « possède en Indochine, est-il écrit d’entrée, des intérêts moraux et matériels sur la défense desquels il ne lui est possible ni de transiger ni de discuter. Elle considère en particulier comme essentiels : a/ le maintien et le libre développement de son influence culturelle et de ses intérêts économiques », etc. Mais elle n’est pas contre « les deux revendications essentielles des Vietnamiens, [qui] sont l’indépendance et l’union des trois pays de langue annamite ». En situation d’urgence, notamment, il y a là matière à interprétations contradictoires.
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Une crise gouvernementale venait en fait d’être évitée de justesse sur la question des crédits militaires à l’Indochine. Au Conseil des ministres du 20 mars 1947, une forte tension avait opposé Thorez, vice-président du Conseil et secrétaire général du PC, au président du Conseil Ramadier et au ministre de la France d’outre-mer Moutet 103. La
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déclaration de Truman du 12 mars, officialisant la « guerre froide », n’avait qu’une semaine et déjà la direction du parti communiste français se raidissait. Après l’exposé de Ramadier en Conseil sur l’Indochine, alors que la Chambre s’apprêtait à discuter des crédits militaires qui devaient y être affectés, Thorez annonça que « le comité central de son parti a ordonné à son groupe à l’Assemblée de refuser les crédits militaires ». Moutet s’insurgea et il fallut une vibrante intervention du président de la République, Vincent Auriol, pour débloquer la situation. « La voix étranglée par une émotion réelle, raconte ce dernier, je demande à Thorez de faire appel au patriotisme de ses amis, de penser aux sacrifices communs pour la libération de la France et aux malheurs qui fondraient encore sur elle ; qu’ils pensent à la France, à la République, à la paix ». Finalement, les députés communistes s’abstinrent lors du vote des crédits militaires, fixés par la loi du 29 mars. La crise gouvernementale était ainsi évitée, et le tripartisme provisoirement sauvé. Mais pas pour longtemps, comme on le sait : à peine plus d’un mois plus tard, les députés communistes ne s’abstiendront pas, cette fois, sur la question des salaires et devront, le 4 mai, quitter le gouvernement. 75
Les crédits militaires sont-ils pour autant suffisants sur le terrain ? Les autorités françaises ont bien sûr d’autres priorités dans l’Hexagone, ce qui n’échappe pas aux militaires. En Indochine, le Commandement supérieur en demande plus, comme il est logique, mais s’efforce en même temps de donner l’impression de tenir compte des difficultés générales que doit gérer le gouvernement. Ainsi le général Valluy, demandant de prévoir une maintenance de 23 000 hommes pour le 1 er avril 1947, se dit bien conscient de l’effort réclamé à la métropole, notamment sur le plan budgétaire, mais avertit : « J’ai limité ma demande au minimum indispensable au-dessous duquel on ne saurait aller sans danger. Ne pas retenir ma requête reviendrait à compromettre le sort des opérations entreprises »104. En fait, durant ces premières années de guerre, le commandement militaire doit constamment revoir ses objectifs à la baisse 105.
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Sur place, les militaires se plaignent vite d’importantes difficultés d’intendance et s’estiment victimes de restrictions budgétaires. « Les FTEO ont vécu en 1947, et plus particulièrement au cours du deuxième semestre, sous le signe d’une sévère compression des dépenses, dont les incidences ont profondément impressionné ces troupes engagées depuis deux ans dans une dure campagne sur un territoire de plus en plus dénué de ressources »106. Est-ce l’effet de la Mission Gayet ? Les efforts entrepris dans le domaine de l’alimentation « ont permis une économie mensuelle de 80 à 100 millions de francs, mais il n’est pas inutile de dire que ces économies se sont traduites par des privations incompatibles avec l’effort physique exigé des troupes ». Quant aux soldes, elles doivent être d’urgence revalorisées car, à lire cette fiche, la situation apparaît en effet tout à fait dramatique : « misère dégradante chez nos sous-officiers, pauvreté angoissante chez nos officiers subalternes, médiocrité humiliante chez nos officiers supérieurs. Quant à nos hommes de troupe, est-il nécessaire de rappeler que leurs ressources sont inférieures à celles d’un manœuvre indochinois ». Même en tenant compte de la part d’exagération de ce type de rapport, il est clair que le corps expéditionnaire ne roulait pas sur l’or.
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La situation n’est guère meilleure en ce qui concerne le matériel. Les besoins en devises sont toujours aussi pressants dans les différentes unités servant en Indochine, d’autant que le matériel acquis en France même se fait désirer. Dans un courrier d’octobre 1947, le vice-amiral Battet, commandant supérieur p. i. des troupes françaises en ExtrêmeOrient, se plaint directement auprès du président du Conseil des retards de livraisons :
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« Le matériel que nous attendons a été commandé en 1946. [...] Au 1 er octobre [1947], sur 3 600 véhicules attendus, 600 seulement sont arrivés ; sur 90 000 pneus, 40 000 environ, et le reste est à l’avenant. Or, pendant l’année, le matériel a travaillé, des opérations sont déclenchées actuellement au Tonkin et il est absolument certain que la paix n’éclatera pas brusquement au printemps. Il nous faut donc la totalité de notre matériel disponible »107. 78
La logique coloniale continue pour sa part d’être à l’œuvre. En avril 1947, décision est ainsi prise de renforcer la protection des plantations, où la vie et le travail sont devenus impossibles pour le personnel français108. Un bataillon recruté en Afrique du Nord et destiné à opérer au Tonkin est prélevé dans cet objectif, mais c’est sans doute encore trop peu. Les planteurs font à nouveau pression : « les opérations militaires à tendance politique projetées au Tonkin passent avant la défense des activités françaises en Cochinchine », se plaint l’Union des planteurs de caoutchouc. Ils obtiennent cette fois l’appui du ministre socialiste de la France d’outre-mer, Marius Moutet, qui, ayant pris acte, dans une lettre du 11 août 1947 au président du Conseil, de l’aggravation de « la situation d’insécurité sur ces plantations », insiste sur l’intérêt économique de la conservation des plantations d’hévéas indochinoises, à la fois pour la France et pour l’Indochine.
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Retour aux décisions budgétaires. En 1948, le haut-commissaire Bollaert s’est rangé à l’avis du général Valluy sur la nécessité de substantiels renforts, et la question en sera posée au Comité de défense nationale déjà cité du 12 juillet 1948. Trois solutions y furent présentées109 : retour à 92 000 hommes, c’est-à-dire aux prévisions budgétaires d’origine pour 1948 ; maintien au niveau en cours de 108 600 hommes ; augmentation à 131 000 hommes « pour satisfaire aux exigences du plan d’opérations du hautcommissaire ». Coste-Floret, le ministre responsable, plaida pour la « stabilisation », solution médiane et véritable « solution de sagesse », nécessitant tout de même « un effort financier de 5 milliards » et un nouveau collectif budgétaire. « De plus grandes ambitions, précise-t-il, ne pourraient être satisfaites que par l’utilisation de militaires du contingent, solution que ses seules incidences politiques doivent faire impérativement écarter ». Bollaert, en désaccord avec son ministre, attira l’attention nous reviendrons sur ce point -sur l’augmentation des charges d’occupation du territoire due aux succès militaires de la fin 47. Il est soutenu par Teitgen, dont la formule résume la situation : « A une mission donnée, il faut les moyens nécessaires. Si on ne peut pas les donner, il faut ramener la mission à l’échelle des moyens possibles ». Mais la solution adoptée sera le maintien en l’état.
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Est-ce la raison de la prudence gouvernementale ? Depuis la fin juin 1948, dans un contexte général de crise des paiements110, la question des crédits militaires menaçait le gouvernement. L’Indochine n’était pas directement en cause, plutôt les crédits militaires dans leur ensemble. Mais comment ne pas rapprocher les deux quand 32 % de ces derniers sont alors consacrés à l’Indochine ? Une semaine après la décision d’attente prise par le Comité de défense nationale, l’amendement socialiste Cap de ville amputait les crédits militaires de 12 milliards. Cette fois, le gouvernement Schuman, dit de « troisième force », ne s’en relèvera pas. Sa démission, le 19 juillet 1948, inaugurait une crise politique qui allait durer trois mois.
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Cette situation montre en particulier que les décisions concernant l’Indochine sont prises à Paris en fonction des priorités économiques et politiques métropolitaines, ce qui est assez normal, mais sans grande considération pour les réalités locales.
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Globalement d’ailleurs, même si le coût de la guerre d’Indochine est déjà élevé, il n’apparaît pas pour autant scandaleux. Les crédits militaires dans leur ensemble, par contre, avec le flou qui les entoure, attirent beaucoup plus les foudres des censeurs. En témoigne une courte étude sur « le coût et le rendement des armées françaises en 1948 », figurant dans les papiers Mayer - René Mayer étant alors ministre des Finances du gouvernement Schuman111. Le ton en est donné dès les premières lignes : « La nation française doit avoir une armée. L’appareil militaire actuel n’a cependant aucune valeur internationale ; son prix annuel, qui n’est jamais avoué, est gonflé par l’entretien d’effectifs permanents hors de proportions avec le matériel existant ». Qui connaît d’ailleurs le chiffre exact des effectifs militaires, « généralement ignorés des assemblées et dont les précédents gouvernements n’ont pas toujours été informés » ? Les chiffres globaux fournis lors des discussions budgétaires ne dépassent jamais, par « une série de curieuses équivoques », 700 000 hommes, alors qu’un calcul portant sur tous les départements ministériels concernés aboutit à 720 000 hommes. 82
Dans ces conditions, l’Indochine n’est pas en cause. « Certes, reconnaît cette note, la campagne d’Indochine, inévitable, absorbera longtemps encore, quelle que soit la solution diplomatique adoptée, des effectifs considérables ». L’armée a également d’autres tâches ailleurs. « Mais il n’est pas nécessaire d’entretenir à ces fins 720 000 hommes. 650 000 ou 640 000 suffisent certainement. Les effectifs actuels sont des effectifs de réarmement. Le matériel n’existant pas, il est encore possible, pour de longs mois, d’économiser des hommes ». La guerre d’Indochine n’est toujours pas en cause lorsque la note conclut sa première partie sur ces mots : « les budgets militaires restent [...] très lourds et leur réduction provisoire est l’un des éléments essentiels du redressement économique et financier ». La seconde partie de l’étude n’est d’ailleurs sans aucune tendresse à l’égard de la gestion jugée calamiteuse, ou plus précisément impossible, des questions militaires par les pouvoirs publics : il y est question de ministres civils « désarmés », « se heurtant à des refus de communication [...] et à de victorieuses lenteurs d’exécution » ; d’un organe d’information, l’état-major général de la Défense nationale, qui, « malgré son effectif pléthorique -400 officiers en 1947 - n’a jamais pu, ni définir une politique militaire, ni donner au gouvernement d’avis utilisables » ; d’assemblées « hors jeu », peut-être victimes de leurs exigences en matière de « présentation des budgets militaires » et plus ou moins manipulés par les « techniciens » concernés... Nous reviendrons sur ces dysfonctionnements. Retenons en attendant, donc, qu’en matière de gabegie financière, l’Indochine n’est pas encore visée. Mais elle ne doit pas non plus trop attirer l’attention, car d’autres problèmes s’y posent.
C. LA RÉORGANISATION FINANCIÈRE DE L’INDOCHINE, A TOUTES FINS UTILES 83
Si, dans les années 1947-1948, les Français contrôlaient beaucoup plus mal les territoires Indochinois qu’avant la seconde guerre mondiale, s’ils n’en importaient plus le caoutchouc - ressource jugée importante - qu’en faible quantité, ils y brassaient par contre beaucoup plus d’argent. Dans son rapport sur l’année 1948, le Trésorier général de l’Indochine indique que ses services ont effectué des paiements 92 fois plus importants en 1948 qu’en 1939 : chaque jour ouvrable, les caisses du Trésor dépensent alors autour de 270 millions de francs. Globalement, les mouvements de fonds ont été en Indochine, en 1948, il est vrai une « année record », environ 300 fois plus importants
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qu’en 1939112. Parallèlement, les découverts du Trésor à la Banque de l’Indochine s’accroissent rapidement, atteignant 2 milliards de piastres environ (34 milliards de francs) dès avril 1947. La guerre en est partiellement responsable : « La majeure partie de cette somme correspond à des avances consenties par la Banque pour financer des dépenses de caractère métropolitain et notamment les dépenses du corps expéditionnaire », indique une note de la rue de Rivoli113. 84
L’inflation reste encore contenue, mais apparemment seulement. La circulation fiduciaire a connu une véritable explosion depuis la fin des années trente, en se multipliant par 34 selon les calculs de la Trésorerie générale de l’Indochine 114. Certes, entre fin 1946 et fin 1948, la circulation fiduciaire n’augmente plus que d’environ 9 %, du fait du retrait en 1947 de certains billets, dits « Ideo », qui a sensiblement dégonflé la masse monétaire en circulation. Mais en un an, de la fin 1947 à la fin 1948, elle fait un nouveau bond de plus de 18 %115. Et l’emballement est annoncé : fin 1948, la circulation s’accroît déjà 312 fois plus rapidement qu’en 1938.
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La situation n’apparaît pas en effet très saine. Le budget des services communs, qui est 24 fois supérieur en 1948 à ce qu’il était en 1938, accuse d’une part un déficit de 1 250 millions de francs, alors que celui de 1938 affichait un excédent de 62 millions. La présence du corps expéditionnaire aidant, d’autre part, les importations se sont beaucoup développées alors que les ventes à l’étranger stagnent : dans les conditions de guerre du moment, il n’est pas simple de dégager des surplus en riz ou en caoutchouc pour l’exportation. Le déficit commercial s’aggrave donc. Le taux devenu quelque peu irréel de la piastre encourage le phénomène : échangée officiellement à 17 francs mais au maximum à 10 francs au marché libre - au « marché noir » -, la piastre indochinoise stimule les importations et rend plus difficile encore les exportations. Les premiers trafics financiers ne tardent d’ailleurs pas : tout transfert vers la France est valorisant et peut générer, en revenant vers l’Indochine via une tierce monnaie, des profits aussi lucratifs qu’illicites.
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Ce n’est pas encore le grand moment du « trafic des piastres », mais déjà l’Indochine fait un peu penser - toutes proportions gardées - à l’Amérique des années 1920, celle de la prosperity et d’Al Capone : toutes les spéculations paraissent possibles, toutes les fraudes aussi. Entre autres histoires hors du commun, « l’affaire Bollaert » retient l’attention : Jacques Despuech, dont l’ouvrage sur le sujet fit date et scandale 116, épingle le haut-commissaire de France en Indochine du moment117, dont la fille retour de Hong Kong aurait été trouvée, à la douane de Tan Son Nhut, en possession d’un million cinq cent mille piastres - achetées 6,50 francs l’unité à Hong Kong, les piastres pouvaient être revendues 17 francs à Saigon. Selon le rapport de la commission d’enquête sur le trafic des piastres118, l’origine de l’affaire aurait été liée à la saisie de 15 milliards de piastres « Ho Chi Minh » et à leur échange, pour « augmenter la dotation des services de renseignements de la police fédérale ». Pour notre part, nous n’avons rien trouvé dans les archives des services de renseignements qui suggère une telle saisie.
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Les villes vivaient, car les Français ne contrôlaient plus guère les campagnes, au rythme de l’argent facile. L’ethnologue Georges Condominas, qui séjourne à Saigon plusieurs mois en 1947, n’aimant certes ni la ville ni le colonialisme, en porte témoignage 119. La métropole du Sud lui sembla étouffante : « À l’impression de vivre dans un territoire surpeuplé s’ajoutait celle d’être bloqué dans un camp retranché, assiégé de toutes parts », note-t-il. Mais « le plus pénible » était de savoir que des « hommes se faisaient tuer à proximité » alors que des « trafics éhontés » irriguaient la cité. Son diagnostic est
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simple : « Dans toutes les couches de la société, et partant dans tous les groupes ethniques, il semblait qu’il n’y eut plus qu’une raison d’être dans la vie : faire de l’argent. De temps en temps, un scandale éclatait, très vite enterré le plus souvent. [...] Il n’était même plus possible de parler de marché noir, les profits monstrueux pouvant sans vergogne s’abriter derrière le prétexte de l’insécurité ». 88
Le pouvoir essaya bien sûr de contrôler ces nouveaux flux et de rationaliser l’effort financier. Le 10 avril 1947, deux semaines environ après les décisions du mois de mars (désignation de Bollaert, nouvelles instructions, vote des crédits militaires), c’est-à-dire le temps qu’il faut pour préparer un décret, un nouvel Office indochinois des changes fut constitué et bientôt installé à Saigon sous la direction de Rivet 120. Il est en particulier « chargé, dans la fédération indochinoise, de l’application de la réglementation générale des changes en vigueur dans l’Union française » (article 1). En lui-même, cet organisme n’est pas une nouveauté, mais son statut met un terme à une sorte de valse-hésitation : il se substitue à celui qui fonctionnait depuis le 1 er mai 1946 sous l’autorité de la Caisse centrale de la France d’outre-mer, qui avait lui-même succédé à un ancien Office Indochinois des changes géré par la Banque de l’Indochine entre 1940 et 1945. Il est en fait directement pris en charge à Paris par l’Office des changes, c’est-à-dire par le ministère des Finances. À ce titre, Guillaume Guindey, directeur des Finances extérieures, dans une lettre du 30 mai 1947, précise au directeur général de l’Office métropolitain ce qu’il doit savoir de l’organisation, des attributions et du fonctionnement du nouvel organisme121. Ce dernier délivre en particulier « des autorisations de transfert » et « contrôle la régularité des opérations de change ». Tout un programme, en effet, dans l’Indochine de l’époque, quand on sait que le montant total des transferts s’accroît d’environ 100 % entre 1947 et 1948, et qu’ils se font de plus en plus à son détriment122.
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La réglementation des changes et la reconstruction participent du même effort. Trois semaines après la mise en place de l’Office Indochinois des changes en effet, mais sur un autre registre, un décret du 30 avril 1947 institue un « budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine »123. En principe alimenté par des indemnités et diverses subventions, plus ou moins conçu pour faciliter la mise en œuvre du plan de reconstruction, de modernisation et d’équipement de l’Indochine, alors en gestation - il sera officiellement présenté en 1948 124 -, ce budget se heurtera en fait à des problèmes de financement125.
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Le dispositif est complété l’année suivante, en 1948, par une réforme des services financiers de l’Indochine, touchant en particulier l’Institut d’émission et le Trésor. Il était pratiquement entendu depuis la fin de 1945 - c’était notamment le souhait de François Bloch-Lainé - que la Banque de l’Indochine devait abandonner son privilège d’émission. Un projet de création d’un Institut fédéral d’émission indochinois circulait depuis octobre 1946126. Le pas est franchi le 25 septembre 1948 par le vote d’une loi retirant son privilège à la vieille institution coloniale - la date d’application restant à fixer. Le Trésor indochinois est créé un mois plus tard, par décret du 23 octobre 1948 127. Il a les fonctions normalement dévolues à tout Trésor d’État, assurant « l’exécution des budgets des États associés d’Indochine, de leurs collectivités publiques, des services communs à ces États et à leurs opérations de trésorerie. Il assume également la charge, sur le territoire de l’Indochine, des services financiers de l’Union française ».
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Plusieurs raisons militaient en particulier pour une réforme du service du Trésor, si l’on en croit les commentaires adressés au président du Conseil avec le décret à signer
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par François Bloch-Lainé, devenu directeur du Trésor à Paris128. Il fallait d’abord y voir une sorte de régularisation : « La fiction qui consistait à faire assurer par le seul Trésor français les opérations de trésorerie d’une fédération qui possédait une monnaie différente, un marché financier particulier et une certaine autonomie financière était trop artificielle pour ne pas céder aux réalités. En fait la notion de Trésor indochinois s’était imposée depuis longtemps. » 92
Mais il s’agissait aussi de se prémunir contre d’éventuelles ambitions des futurs États associés : situés à l’opposé du Viet Minh sur l’échiquier politique, ils n’en étaient pas moins intéressés à l’indépendance. Leur apparition progressive constitue en effet un élément neuf, d’ordre politique : d’une part, « l’autonomie financière » qui leur est accordée paraît incompatible avec « un retour aux règles anciennes », c’est-à-dire coloniales ; d’autre part, chacun d’eux « marque une tendance à considérer qu’un des attributs essentiels de son autonomie financière est la possession d’un Trésor indépendant ». Mais comment, alors, conduire « une politique financière » et défendre une monnaie qui leur soit commune ? Dans ces conditions, en effet, « la constitution d’un Trésor indochinois commun à tous les États associés mais indépendant du Trésor français est, sans nul doute, une nécessité absolue ».
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Fin 1948, alors que le Parlement français investit Queuille, cinquième président du Conseil de la « troisième force » en moins de deux ans, la France s’est donc installée dans la guerre en Indochine, plus ou moins malgré elle. Avec le haut-commissaire Pignon qui, succédant à Bollaert, arrive à Saigon pour « gérer » la « solution Bao Dai », elle continue de préparer une solution politique et s’en donne les moyens financiers. Mais les Français contrôlent toujours aussi mal le territoire et le Viet Minh fonctionne, pour sa part, dans le cadre d’une guerre « de longue durée ». Le bouleversement de la situation internationale, à partir de 1949, ne va pas modifier ces perspectives. Mais il va les charger jusqu’au chavirage de lourdes contraintes financières.
NOTES 1. L’expression est de François Bloch-Lainé, dans une émission de France 3 le 28 septembre 1997 — « France année zéro, le grand chantier ». Alors jeune inspecteur des finances à la direction du Trésor, il allait rapidement être appelé à jouer un rôle important en Indochine. 2. Amiral Decoux, À la barre de l’Indochine, Paris, 1950. 3. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indochine, 1875-1975, Paris, 1990. 4. Jean Sainteny, Histoire d’une paix manquée, 1945-1947, Paris, 1953. 5. Les 32 000 hommes du temps de paix comprenaient 17 500 Indochinois. Les 62 000 soldats recensés dans l’hiver 1944-1945 étaient eux-mêmes à 80 % Indochinois ; et les 25 000 hommes de la Garde indochinoise étaient encadrés par moins de 600 Européens. Évaluation d’après les chiffres fournis par Hesse d’Alzon, La présence militaire française en Indochine, 1940-1945, Paris, 1985. 6. Philippe Devillers, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Paris, 1952.
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7. Ho Chi Minh, Écrits (1920-1969), Hanoi, 1971. Le texte de cette déclaration donné en annexe du livre de Jean Sainteny comporte quelques légères différences (op. cit.) 8. Au début des années quarante, la production dépassait 70 000 tonnes annuelles, avec comme record 76 069 tonnes en 1941. Bulletin statistique de l’Indochine, année 1947. Supplément au Bulletin économique de l’Indochine, février 1948. CAOM. FM. Indo/NF/1962. 9. Procès-verbal de séance de la commission interministérielle réunie le 5 novembre 1949 sur la question de l’hévéaculture en Indochine. AEF, Β 33538. 10. Archives de la Société des Charbonnages du Dong Trieu, CAOM, série 141 AQ. 11. Agence économique et financière, 9 novembre 1954. AEF, Β 43908. 12. La circulation passe alors, respectivement, de 173 à 2 631 millions de piastres et de 111 à 570 milliards de francs. Note du 22 septembre 1949, AEF, Β 43918. 13. Jean Sainteny, op. cit., et Lettre du commissaire fédéral aux Finances au ministre, 18 octobre 1946. AEF, Β 43925. L’évaluation des recettes est celle du budget japonais de juin 1945, obtenu par l’ambassadeur de France en Suisse et transmis le 25 juin au Quai d’Orsay. CAOM, Indo/NF/1282. 14. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine — L’humiliation, Paris, 1965. 15. Lettre de Jean Laurent à Étienne Minost, nouveau président de la Banque de l’Indochine, du 8 décembre 1945, citée par Marc Meuleau, op. cit. 16. Truong Chinh, La Révolution d’août, 1946. 17. Lin Hua, Chiang Kai-Chek, de Gaulle contre Ho Chi Minh. Vietnam 1945-1946, Paris, 1994. 18. En 1945 et 1946, pour les autorités comme pour les médias français, le gouvernement Ho Chi Minh est « le gouvernement vietnamien ». 19. Ho Chi Minh, Ecrits (1920-1969), op. cit. 20. Texte dans De Gaulle et l’Indochine, 1940-1946, ouvrage collectif présenté par l’Institut Charles de Gaulle, Paris, 1982. 21. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. L’ordonnance confirme un arrêté des ministres des Finances et des Colonies. Le Comité de l’Indochine, pour sa part, a été constitué par décret du 21 février 1945. 22. Article 1 de la convention : « jusqu’à la date de la cessation des hostilités en Indochine, la Banque de l’Indochine remettra en dépôt au Trésor français, sur simple demande de celui-ci, des billets de la Banque de l’Indochine libellés en piastres indochinoises, pour un montant de 100 millions de piastres ». Une piastre vaut alors 10 francs. AEF, Fonds Trésor, Β 43925. 23. Lettre du général Juin, chef d’état-major de la Défense nationale au ministre de la Guerre, le 13 juillet 1945. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. 24. Rapport n°2 de François Bloch-Lainé au ministre des Finances, daté le 24 octobre 1945 de Chandernagor. CAOM, Indo/NF/1368. 25. Précisions de F. Bloch-Lainé : « le général Sabattier s’est fait aménager une luxueuse demeure à Kunming et en a fait bâtir, sans autorisation, à Tchongking où il n’avait aucune raison de séjourner. Ces deux immeubles sont abandonnés : bâtis sur des terrains qui ne nous appartiennent pas, ils feront retour aux propriétaires du sol ». Rapport n° 2, op. cit. 26. Dans une note du 7 septembre 1945 datée de Kandy, le généra ! Leclerc, retour de Tokyo où il a participé à la capitulation japonaise avec MacArthur, indique ne pouvoir sur ce plan « absolument pas compter sur les Anglais ». SHAT, 4 Q 113. 27. Compte rendu de la réunion du 11 juin. SHAT, 4 Q 114. 28. Soit un règlement en 25 ans avec intérêt de 2 %. Compte rendu, op. cit. 29. Ordonnance 47.1958. AEF, Fonds Trésor, Β 43933. 30. Cette réorganisation financière est décrite dans le rapport de fin de mission de François Bloch-Lainé (22 p. + annexes, 1er mars 1946). Document transmis par l’auteur. 31. François Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire. Seuil, 1976 ; passage également repris en annexe de Leclerc et l’Indochine 1945-1947. Quand se noua le destin d’un empire, Paris, 1992. 32. Lin Hua, Chiang Kai-Chek, de Gaulle contre Ho Chi Minh, Vietnam 1945-1946, Paris, 1994. 33. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, 1 er mars 1946, op. cit.
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34. Lettre du 8 décembre 1945 de Jean Laurent à Emile Minost (archives de la Banque Indosuez), citée par Marc Meuleau, op. cit. 35. Récit dans Sainteny, op. cit. et Lin Hua, op. cit. 36. Voir la photographie en annexe de l’ouvrage de Jean Sainteny, op. cit. 37. François Bloch-Lainé, Profession, fonctionnaire, op. cit. 38. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit. 39. 8 ou 9 janvier selon les sources. 40. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit. 41. Note pour Monsieur René Pleven, non datée mais sans doute de 1950 : alors président du Conseil, Pleven eut en effet alors à prendre une importante décision sur le taux de la piastre, qui ne sera d’ailleurs qu’une solution d’attente. AEF, Β 43919. 42. Décret n° 45-0135 du 25 décembre 1945, portant, outre la signature de De Gaulle, celles de Pleven, ministre des Finances, et de Soustelle, ministre des Colonies. JO du 26 décembre 1945. 43. Cité par Marc Meuleau, op. cit. 44. Indication de François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit. 45. Note pour Monsieur René Pleven, op. cit 46. 1 franc CFA = 1,70 franc et 1 piastre = 17 francs. 47. Note pour Monsieur René Pleven, op. cit. 48. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit. 49. Rapport du général Leclerc sur sa mission en Indochine, 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclerc, 1 Κ 239 et Leclerc et l’Indochine, 1945-1946, Paris 1992. 50. Dont 87 % d’Européens fin décembre 1945, 68 % un an plus tard. D’après les chiffres de Gilbert Bodinier, 1945-1946. Le retour de la France en Indochine, op. cit. 51. Fiche de l’état-major de la Défense nationale, 26 janvier 1946. SHAT, 4 Q 113. 52. Lettre du 13 juillet 1946. SHAT, 4Q 113. 53. Commission d’achat à Manille, rapport du chef de mission du 29 avril 1947. SHAT, 4 Q 114. 54. Lettre de Henri Bonnet, ambassadeur de France aux États-Unis à Georges Bidault, président du Gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères. 6 août 1946. SHAT, 4 Q 113. 55. François Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire, op. cit. 56. Note du Comité de l’Indochine, adressée au président du gouvernement le 10 décembre 1946. CAOM, FM, Indo/NF/1368. 57. Note du Comité de l’Indochine, op. cit. La volonté de diminuer les effectifs stationnés au Tonkin, stationnement il est vrai onéreux, un peu plus de deux mois avant le coup de force de décembre 1946, allait à l’encontre de la politique de forte présence au Nord, suivie par les chefs militaires et qui allait précisément déboucher sur le coup de force adverse en question. 58. Note du Comité de l’Indochine, op. cit. 59. Lettre du 23 octobre 1946. AEF, Fonds Trésor, Β 33541. 60. Télégramme du 16 juin 1947 au Comité de l’Indochine. CAOM. FM. Indo/NF/1368. 61. Estimation provisoire du coût de la réoccupation de l’Indochine du 15 août 1945 au 31 décembre 1946. CAOM, Indo/NF/1281. Voir annexe 1. 62. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, règlement politique et solution militaire. Paris, 1989. 63. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie Viet Minh, 72 p. dactylographiées, 1948. 64. Trois au Nord, deux au Centre et une au Sud. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine. Paris. 1979. 65. Gilbert Bodinier, 1945-1946. Le retour de la France en Indochine, Paris, 1987. Son analyse de « l’organisation politique et militaire du Viet Minh » (chapitre IV) est fondée sur les documents du 2e Bureau. 66. Environ 90 000 en fin de mobilisation, en 1940 — 32 000 hommes en temps de paix. Dans l’hiver 1944-1945, le Gouvernement général pouvait théoriquement aligner 62 000 soldats et 25 000 gardes indochinois. C.Hesse d’Alzon, op. cit.
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67. SHAT, 10 H 3993. 68. Politique économique et guerre de libération nationale. Études vietnamiennes n° 44, Hanoi, 1976. 69. Renseignement du 14 octobre 1947. SHAT, 10 H 3991. 70. Décret du gouvernement vietnamien cité par le 2 e Bureau, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 71. Ibid. 72. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 73. Le symbole $ désigne souvent la piastre dans les papiers de l’époque. Traduction d’une lettre remise aux cadres indigènes de Loc Ninh vers la mi-juin 1947. SHAT, 4 Q 114. 74. SHAT, 10 H 3991. 75. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 76. Fiche du Commandement supérieur des TFEO, du 18 octobre 1947, à propos du « Trafic de métaux non ferreux ». SHAT, 4 Q 114. 77. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, 1948, SHAT, 10 H 3990. 78. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 79. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Pion, 1979. 80. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 81. Traduction d’une lettre remise aux cadres indigènes de Loc Ninh vers la mi-juin 1947. SHAT, 4 Q 114. 82. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 83. 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 84. Cité par 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit. 85. Renseignement de juillet 1947. SHAT, 10 H 3991. 86. Renseignement de septembre 1947. SHAT, 10 H 3991. 87. Arrêté n° 152/CT du Comité du Nam Bo, signé par Pham Ngoc Thuan le 2 juillet 1947. L’interdiction est valable à partir du 17 juillet. Renseignement de juillet 1947. SHAT, 10 H 3991. 88. Tract du 9 octobre 1947 émanant du comité de Saigon-Cholon. SHAT, 10 H 3991. 89. Note du 28 novembre 1947. SHAT, 10 H 3991. 90. Note sur la « couverture des dépenses en piastres effectuées en Indochine pour le compte du Trésor français ». AEF, Fonds Trésor, Β 43917.f 91. 9,8 milliards de francs exactement. « Coût de la réoccupation de l’Indochine », AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 92. 30,1 milliards de francs en 1946 ; 51,3 en 1947 ; 79,8 en 1948. « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine ». SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22. 93. 121,6 milliards de francs en 1946 ; 132,4 en 1947 ; 124,5 en 1948. 94. 108 milliards en 1946 ; 117,3 en 1947 ; 130 en 1948. Calculés en francs 1953. Crédits militaires pour l’Indochine, 1954, rapport de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954. AEF, Β 33540. Voir annexe 24. 95. 96 644 hommes au 31 décembre 1946 pour le corps expéditionnaire proprement dit, plus 11 509 partisans. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit. 96. 116 635 hommes au 30 juin 1947 (85 389 Européens et 30 996 autochtones), plus 14 508 partisans. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit. 97. Le Monde, 18 juillet 1947. 98. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 99. Ibid. 100. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963. 101. « Rapport annuel sur le fonctionnement et la marche du Service de la Trésorerie générale de l’Indochine au cours de l’année 1948. » AEF, Fonds Trésor, Β 33539.
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102. Texte dans Gilbert Bodinier, Indochine 1947. Règlement politique ou solution militaire. SHAT, 1989. Cette instruction se substituait à celles du 10 décembre 1946, faites sous le gouvernement provisoire, et rendait caduque la déclaration du 24 mars 1945. 103. Vincent Auriol, Mon septennat, Gallimard, 1970. 104. Cité par Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit. 105. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 106. Fiche sur le service de l’Intendance, non datée mais sans doute de début 1948. SHAT, 4Q 113. 107. Courrier du 14 octobre 1947. SHAT, 4Q 114. 108. Quelques documents sur la question des plantations accompagnent un courrier sur le sujet de Marius Moutet au président du Conseil, le 11 août 1947. SHAT, 4Q 114. Voir annexe 2. 109. Procès-verbal de la réunion du Comité de défense nationale du 12 juillet 1948. SHAT, 2 R 63. 110. Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne. 1944-1954, Paris, 1997. 111. Note d’information sur le coût et le rendement des armées françaises en 1948, rédigé par une commission d’enquête fonctionnant depuis 1946. Pelure non datée de 18 pages, figurant dans le Fonds Mayer. Archives nationales. 363 AP 10. 112. Rapport annuel sur le fonctionnement et la marche du service de la Trésorerie générale de l’Indochine au cours de l’année 1948, AEF, Fonds Trésor, Β 33539. 113. Note pour le ministre du directeur du Crédit, 24 avril 1947. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 114. Entre le 31 décembre 1938 et le 31 décembre 1948. Rapport annuel, op. cit. 115. Les chiffres de référence sont pris au 31 décembre de chaque année. Statistiques du Fonds du Trésor, AEF Β 43907. 116. Jacques Despuech, Le trafic des piastres. Éditions des deux rives, 1953. 117. Emile Bollaert, entre mars 1947 et octobre 1948. 118. Rapport Mondon, Assemblée nationale, 1954. 119. Georges Condominas, L’exotique est quotidien. Terre humaine, Pion, 1965. 120. Décret n°47-681 du 10 avril 1947 et arrêté du 30 avril portant promulgation en Indochine du dit décret. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 121. Lettre du Ministre des Finances (Finances extérieures) au Directeur général de l’Office des changes, datée du 30 mai 1947, à propos du Rattachement de l’Office Indochinois des changes à l’Office métropolitain des changes. 8 pages. AEF, Fonds Trésor, Β 43923. 122. Le solde négatif passe lui-même de 2,2 milliards de francs en 1947 à 9,8 milliards de francs en 1948. Note n°8 sur les Transferts commerciaux et financiers, rattachée à une lettre du hautcommissaire au directeur du Trésor, du 28 mai 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 123. Décret n° 47-369 du 30 avril 1948. JO du 2 mai 1948. 124. Le plan avait été établi par la sous-commission de l’Indochine, relevant de la commission des territoires d’outre-mer et donc du commissariat général du plan, en exécution du décret du 3 janvier 1948, et approuvé par celui du 18 septembre 1948. Proposition de loi tendant au financement et à l’exécution du plan de reconstruction, d’équipement et de modernisation de l’Indochine. Assemblée nationale n°6834, session de 1949. 125. Situation des budgets extraordinaires de l’Indochine. AEF, Fonds Trésor, Β 33538. 126. Projet Belin, du nom de son concepteur. 127. Décret n°45-1656 du 23 octobre 1948, créant le Trésor indochinois à partir du 1 er juillet 1948. JO du 24 octobre 1948. 128. Rapport au président du Conseil des ministres, accompagnant le projet de décret à signer le 23 octobre 1948.
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Chapitre II. L’inflation des coûts et la redistribution des cartes (1949-1951)
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Après trois années de relative stabilité, ou du moins de croissance contenue, les dépenses militaires en Indochine s’envolent entre 1949 et 1951 : 138,4 milliards de francs en 1949, 182 milliards en 1950, 322,3 milliards en 1951 — compte non tenu, pour cette dernière année, des premières livraisons de l’aide américaine... En francs constants, la « courbe plate » des premiers temps n’est plus qu’un souvenir : avec une poussée de 57 % en 1949 par rapport à l’année précédente, de 20 % en 1950 et, à nouveau, de 47 % en 1951, le coût de la guerre fait entrer celle-ci dans une nouvelle époque1. L’âpreté de la lutte sur le terrain, la modification de la situation internationale, la montée en puissance progressive du rapport des forces, tous ces facteurs se combinent pour remettre en cause les habitudes acquises.
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Les premiers revers militaires propulsent les questions financières sur le devant de la scène. Après le désastre de Cao Bang, en octobre 1950, faisant écho au commandant en chef en Indochine, le député Frédéric-Dupont suggère en séance que « des chipotages entre services financiers et services dépensiers » auraient pu en être partiellement responsables2. Le président du Conseil Pleven lui répliquera par une vigoureuse mise au point sur laquelle nous reviendrons. Montant à la tribune dans la même séance du 19 octobre 1950, Pierre Mendès France situera également le problème à ce niveau, présentant au passage une analyse que l’histoire ne démentira pas. Il n’y a, proclame-til, que deux solutions au drame indochinois. « La première consiste à réaliser nos objectifs en Indochine au moyen de la force militaire. Si nous la choisissons, évitons enfin les illusions et les mensonges pieux. Il nous faut pour obtenir rapidement des succès décisifs trois fois plus d’effectifs sur place et trois fois plus de crédits et il nous les faut très vite ». Mais, bien sûr, il y a l’énorme déficit budgétaire, « de 800 à 1 000 milliards de francs ». Alors il y a l’autre solution, qui « consiste à rechercher un accord politique, un accord, évidemment, avec ceux qui nous combattent » 3.
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Mais aucune des deux solutions énoncées par Pierre Mendès France n’est en fait mise en œuvre. Face à l’accroissement des charges de la guerre, le gouvernement français s’engage dans une troisième voie, plus diplomatique, destiné à lui assurer le concours
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de nouveaux partenaires. Dans quelles conditions ce nouveau montage se met-il en place ?
I. UNE SITUATION NOUVELLE 4
À partir de 1949, le conflit se durcit à différentes échelles. En Indochine même, sans parler du grave revers militaire de Cao Bang en 1950, la lutte se fait tenace, en particulier sur le plan économique. L’environnement régional est pour sa part en plein bouleversement, et avec lui les relations extérieures du Viet Minh : au sud de l’Indochine, l’indépendance est acquise pour l’Indonésie de Sukarno 4, après plusieurs années d’affrontement armé avec les Pays-Bas, et la Chine bascule au nord dans le monde communiste. La France, qui signe le pacte Atlantique en avril 1949 et prend à ce titre de nouveaux engagements militaires, commence à se demander sérieusement comment elle va pouvoir continuer à financer cette guerre du bout du monde.
A. LA GUERRE ÉCONOMIQUE 5
Les dirigeants du Viet Minh en étaient convaincus dès le départ, ceux de la France y viennent à leur tour : après quatre années d’insuccès et d’illusions, l’idée d’une guerre longue s’est imposée à tous, renforçant l’importance du front économique et financier. Un Comité de défense de l’économie indochinoise aurait été secrètement créé en décembre 1948 par le haut-commissaire Pignon afin de penser et d’encadrer les actions menées contre l’économie Viet Minh5. D’une manière générale, les vieilles pratiques demeurent, comme les destructions et sabotages divers dans les plantations d’hévéas 6, mais le rapport des forces parait progressivement évoluer en faveur des Français : « la situation financière empire, surtout à partir de 1949 », précise l’historiographie de la Résistance7. Elle en rend responsable une occupation plus efficace du Vietnam par le corps expéditionnaire, au Nord comme au Sud, restreignant « les limites de la mise en circulation du dông, qui était refoulé vers les centres dirigeants de la Résistance du Viet Bac, de l’interzone V et de l’ouest du Nam Bo, et subissait une forte dévalorisation par suite du déséquilibre des échanges entre les deux zones [...]. S’ajoutaient à cela les faux billets introduits par l’ennemi pour désorganiser l’économie du pays ».
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La guerre monétaire s’était en effet enrichi de nouvelles pratiques : la fabrication de faux billets « Ho Chi Minh » par les Français et leur diffusion dans les zones contrôlées par le Viet Minh. L’impression de billets aurait été réalisée à Dalat et ceux-ci, partagés entre divers services « clients » (les principaux services de renseignements français d’Indochine) auraient été vendus aux intermédiaires chinois circulant entre deux zones8. Sans que l’on sache d’ailleurs vraiment quel service en était responsable - le général Revers stigmatisera la trop grande prolifération des services spéciaux français en Indochine9 —, cette initiative semble avoir quelque peu déstabilisé la monnaie adverse. Les autorités du Nam Bo, sur lesquelles les renseignements sont les plus nombreux, paraissent même franchement embarrassées. Dès le mois de mai 1949, les faux billets sont décrits par le président régional, Phan Van Bach, comme « une question très importante pour la Résistance [...], une question de vie ou de mort » 10. Les mises en garde se succèdent les unes aux autres et de multiples communiqués expliquent comment distinguer la vraie monnaie de la fausse, appelant à la vigilance.
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Une certaine confusion s’en est suivie dans les zones Viet Minh, où la circulation monétaire n’était déjà pas simple. La pénurie de signes monétaires se fit sentir, entraînant parfois l’autorisation d’utiliser certaines coupures de la Banque de l’Indochine, comme les billets de 20, 10, 5 et 1 piastres en décembre 1949, au Nam Bo 11. Dans la pratique, en vertu d’une décision plus ancienne, les coupures en question étaient revêtues d’un cachet officiel et coupées en deux. « Pour pouvoir répondre aux exigences de la population dans la zone indépendante », plusieurs provinces furent également autorisées à émettre de la monnaie ou, quand il n’y avait pas d’autres solutions, des « bons de Résistance » ou des « bons de confiance » 12, en lieu et place du papier monnaie. Mais, officiellement, le Viet Minh continuait de faire belle figure. Une publication circulant dans le Nam Bo claironne début 1950 que « l’ennemi français craint la monnaie-papier du Vietnam » - c’est le titre d’un article consacré au sujet 13. « Depuis quatre ans, peut-on y lire notamment, l’ennemi français a subi des revers politiques, militaires et économiques. Maintenant, au point de vue financier, il essuie également un échec. Il pousse de grands cris qui ne sont que les plaintes d’un agonisant ». Billet « Ho Chi Minh » de 100 piastres 1949
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Carte 3 Le blocus du Transbassac
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En 1949 et 1950, parallèlement, une véritable « guerre du riz » déchire le delta du Mékong et, dans un second temps, celui du fleuve Rouge. Dans le Sud, systématiquement quadrillé par des centaines de postes militaires, eux-mêmes fortifiés et dominés par des tours de guet à l’ombre desquelles la paysannerie vietnamienne vaque à ses occupations, la pacification marquait le pas. En janvier 1949, le général Boyer de Latour décide le blocus économique des zones Viet Minh, et notamment de la grande région rizicole du Transbassac14.
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Ce blocus répondait certes à celui que le Viet Minh imposait aux « zones provisoirement contrôlées par l’ennemi » mais, à la différence de ce dernier, il dépassait le stade de la rhétorique. La libre circulation des jonques était interdite sur les voies fluviales et le long du littoral, placés sous une surveillance renforcée de la Marine ; une partie de la batellerie fut détruite et des salines furent rendues inutilisables15.
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Au-delà du bouclage de ce grenier à riz du Viet Minh, certains théoriciens français de la guerre économique imaginent bientôt de s’attaquer directement à la production de la céréale. Suivant un calcul simple, une étude de 1950 préconise ainsi de viser les buffles des zones rebelles : « toute paire de buffles abattue prive de paddy 13 personnes » dans les provinces de l’Est, y lit-on, et « plus de 80 dans le Transbassac, où le labour est plus facile »16. « Si nous entretenions une insécurité permanente du cheptel bovin, note l’étude, le potentiel et le moral Viet Minh en seraient efficacement touchés ». Cette stratégie du buffle a-t-elle été mise en œuvre ? Certaines sources Viet Minh se plaignent de mitraillages aériens qui y ressemblent mais, du moins dans son caractère systématique, elle paraît être restée dans les cartons.
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La guerre du riz entraîna pour le Viet Minh, au Nam Bo, des difficultés de tous ordres. Le blocus du Transbassac apparaît efficace et représente un défi qu’il n’est guère facile
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de surmonter, compte tenu de la discontinuité territoriale des zones de résistance : « En 1949, admet un document saisi17, le paddy des régions de l’ouest s’accumulait et le prix baissait jusqu’à 3 piastres le gia. C’était leur blocus qui avait empêché le ravitaillement de la 8e zone, où le paddy coûtait 35 à 40 piastres le gia, et encore on n’en trouvait pas »18. Les problèmes alimentaires, d’une part, s’accumulaient : les deux années 1950 et 1951 apparaissent particulièrement difficiles. Paddy et sel circulant moins, d’autre part, les collecteurs que l’autorité clandestine a dispersé sur tout le territoire rentrent moins de taxes : les recettes du Nambo diminuent de plus d’un tiers entre 1949 et 195019. Le cloisonnement territorial imposé par le contre-blocus français amène donc le Viet Minh à assouplir son propre dispositif. « La région de l’Ouest a du riz en excédent mais manque de tissus et de sucre. La région de l’Est a en excédent du tabac, du sucre, mais manque de riz. Les deux régions encerclées ne peuvent échanger leur production ». Chaque région est en conséquence autorisée à vendre à l’ennemi l’excédent de sa production pour acheter ce qui lui manque. Mais attention : « les colonialistes français forment une bande des plus renommées par ses cruautés », lit-on dans les premières lignes du même document, et « ces cruautés se révèlent dans la guerre économique plus que partout ailleurs ». 12
Blocus et contre-blocus ne sont évidemment pas sans conséquences militaires. Les exportations clandestines du Viet Minh, en particulier vers la Malaisie, d’où peuvent par exemple être ramenées armes et munitions, se ressentent de cette situation. La RDV conserve néanmoins quelques atouts : une étude du 2e Bureau datée de 1950 considère même que plus de 80 % du produit exportable des provinces du Transbassac reste encore entre ses mains20. Mais la partie n’est pas gagnée : « 5 millions de nos compatriotes, peut-on lire dans un document circulant dans les maquis du Sud début 195121, apporteront aux Français, annuellement, 1 350 millions de piastres. Imaginonsnous la quantité d’armes et de munitions qu’ils peuvent acheter avec cet argent ? »
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En tout cas, la culture du paddy est devenue pour le Viet Minh un nouveau front. « Comment militariser la récolte de cette année ? », s’interroge par exemple en octobre 1949 un article de Cuu Quoc, publication diffusée dans le delta du Mékong 22. Face aux initiatives de l’ennemi, protéger les récoltes - mais aussi les travaux de battage, de séchage ainsi que le transport - est devenu un impératif stratégique. Parallèlement, l’accent est mis sur l’autosuffisance de chaque région et, en attendant une hypothétique aisance, des conseils sont donnés pour mélanger, dans la ration alimentaire, le riz à divers aliments secondaires. Incontestablement, comme l’analyse le 2e Bureau dès mai 1950, « le problème économique est [désormais] une des préoccupations essentielles du commandement rebelle du Nam Bo ; il cherche à le résoudre par tous les moyens »23.
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Durant le premier semestre 1950, les Français passent également à l’offensive dans le delta du fleuve Rouge, encore pour l’essentiel aux mains de l’ennemi. Dans ce Tonkin rebelle où le corps expéditionnaire, qui n’a pas réussi à investir le « réduit » Viet Minh, ne contrôle que quelques axes routiers et centres urbains, le général Alessandri a en effet décidé de reprendre « le delta morceau par morceau »24, plus ou moins d’ailleurs contre l’avis de ses chefs : il est ajuste titre convaincu que cette large plaine, intensément cultivée sous la protection d’un réseau de digues ancestral, est économiquement indispensable à qui veut exercer l’autorité au Vietnam. Mais tenir l’endroit est une autre affaire ; et il n’est pas sûr que la transposition au Nord des mesures appliquées au Sud - émission de fausses coupures et blocus du Transbassac 25 —
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soit suffisante. Le général Gras estime d’ailleurs que cette reconquête vient trop tard, ou du moins qu’elle aurait été d’une beaucoup plus terrible efficacité quelques années plus tôt : en 1950, le Viet Minh s’est en effet déjà adossé à la Chine de Mao.
B. L’IRRUPTION CHINOISE 15
La révolution chinoise de 1949 constitue bien sûr le grand événement qui bouleverse le rapport des forces en Asie, dont les conséquences sur la guerre d’Indochine apparaissent les plus durables, sur tous les plans y compris financier. Il aura fallu environ un an aux forces communistes pour contrôler l’ensemble de la Chine, entre la prise de Pékin le 22 janvier 1949 et leur arrivée début décembre à la frontière indochinoise, « branchant » ainsi la RDV sur le reste du « camp » : reconnue le 18 janvier 1950 par la Chine, le 30 du même mois par l’URSS, puis en février par les autres « démocraties populaires », la république de Ho Chi Minh en est alors devenue le poste avancé en Asie. « Nous nous sommes donc définitivement placés dans le camp démocratique, peut-il annoncer lui-même quelques mois plus tard et nous nous sommes joints au bloc des 800 millions d’hommes qui luttent contre l’impérialisme » 26.
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La menace chinoise, prise au sérieux à Paris comme à Saigon, est d’abord apparue comme la crainte d’un débordement de la guerre civile qui s’achève dans le pays du Milieu : que les troupes du Guomindang en retraite dans le Sud viennent à franchir la frontière de l’Indochine, où certaines stationnaient encore trois ans plus tôt, c’est leur poursuite assurée par l’armée de libération et, dans tous les cas de figure, la plus grande confusion au Tonkin. Il fallait donc qu’une partie des troupes françaises - voire de nouveaux renforts - se consacre à la défense de la frontière. Les dernières unités encore opérationnelles de Tchiang Kai Chek y arrivent en décembre 1949. « Poursuivis et poursuivants, les vaincus précédant de peu les vainqueurs, je les avais vus près de Canton, raconte Lucien Bodard, qui comme beaucoup d’autres journalistes s’est porté à leur rencontre27. Quelles files immenses de soldats ! Tous marchaient comme des hallucinés, de jour, de nuit, sans arrêt, les communistes courant à la curée, les derniers nationalistes essayant toujours d’échapper. Maintenant, un mois plus tard, mille kilomètres plus bas, je vais tous les retrouver. Car les uns comme les autres vont buter sur l’Indochine. Et je ne cesse de me demander : que va-t-il se passer ? » Finalement, il ne se passe rien, sinon la prise en charge d’un lourd et coûteux fardeau : les dernières troupes du Guomindang se voient refuser le passage au poste de Chi Ma, à la midécembre 1949, et acceptent après 24 heures de négociation de déposer les armes 28 ; elles prennent alors la direction de centres d’internement, en particulier sur l’île de Phu Quoc, ce que l’autorité militaire avait trouvé de plus éloigné de la frontière chinoise.
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Mais la Chine populaire inquiétait surtout pour sa capacité d’aide au Viet Minh. Sur ce plan, la France avait été prévenue : l’attaché militaire près l’ambassade de France à Nankin, le colonel Guillermaz, avait avisé dès mars 1948 le haut-commissaire Bollaert de l’avance prévisible des troupes communistes29 ; et l’ambassadeur de France à Nankin avait averti à la mi-décembre 1948 : les communistes chinois allaient bientôt puissamment aider le Viet Minh30. Cette perspective, qui se concrétisait, impliquait à coup sûr, elle aussi, de nouveaux renforts : qui croyait encore à un quelconque réflexe d’union nationale au Vietnam face à l’ennemi héréditaire venu du Nord ?
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Autant que l’on sache, les principaux éléments de l’aide chinoise à la RDV se mettent en place en 1950. Le premier accord militaire aurait été conclu dès sa reconnaissance par Pékin, en janvier 1950 : un tel geste valait sans doute promesse d’aide 31. Celle-ci s’organisera bientôt à l’échelle du monde socialiste tout entier : en décembre 1950, une conférence réunira à Nanning d’importants représentants soviétiques, chinois, dont le vice-président du gouvernement Liu Shaoqi, et vietnamiens, parmi lesquels Ho Chi Minh et Giap en personne. Pour l’essentiel cependant, par une sorte de division géopolitique du travail, la Chine paraît avoir la charge d’organiser l’aide au Viet Minh.
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Il ne faut évidemment pas s’imaginer que, du jour au lendemain, les maquis du Viet Minh et les régions qu’il contrôle basculent dans l’abondance. Au Nam Bo par exemple, loin de la frontière il est vrai, l’aide chinoise est d’ailleurs sur le moment à peine perceptible, du moins à travers les papiers saisis par les services de renseignements. Tout indique au contraire qu’il s’agit d’années noires. Il est en fait difficile, dans cette période, de distinguer ce qui ressort des échanges traditionnels entre le Viet Minh et la Chine et ce qui serait lié à une aide nouvelle, d’autant que celle-ci n’est pas forcément gratuite. « Il ne fait aucun doute que les Chinois ne livrent pas d’armes et de matériel au Viet Minh sans contrepartie, indique une analyse française de 1950. Or le moyen d’échange le plus demandé est le riz. Le gouvernement populaire chinois aurait engagé des pourparlers semi-officiels par le truchement de la mission soviétique à Bangkok et par l’intermédiaire du Parti communiste chinois au Vietnam, pour obtenir des livraisons de riz d’Indochine »32. Les communistes chinois ne sont d’ailleurs pas les seuls à rechercher du riz indochinois : trois groupes du Guomindang, la partie adverse donc, se sont également tournés vers le Viet Minh en 1950, après que les bureaux français leur aient opposés un refus de vente33. L’idée d’un troc avec la Chine populaire, en tout cas, ressortira également de l’accord signé lors de conférence de Nanning évoquée plus haut : armes, véhicules et matériel radio contre bois et riz d’Indochine 34.
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En tout état de cause, l’aide chinoise intervient alors que l’armée populaire vietnamienne accède à une certaine maturité. Dès 1949, le Viet Minh opère en unités constituées de plus en plus grandes : il « fait apparaître devant nous des unités de l’ordre du bataillon », note le général Revers dans les conclusions de sa mission 35. Sans doute l’aide chinoise n’y est-elle pas pour rien : en décembre 1949 est constituée sous le commandement de Vuong Thua Vu la Brigade (dai doi) 308, première grande unité de l’armée populaire. D’une manière générale, la fourniture d’armement et de munitions, la mise à disposition de camps d’entraînement de l’autre côté de la frontière, au Guangxi et au Yunnan, permettent au Viet Minh de gagner en puissance : désormais, « des régiments entièrement nouveaux [...] retournaient au Tonkin, munis d’un armement équivalent à celui des formations du corps expéditionnaire français », note le général Gras36.
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Dans les maquis vietnamiens, une telle évolution donne raison à une conception de la guerre dont Truong Chinh s’était fait le théoricien en 1947, prévoyant « trois phases de la résistance de longue durée »37 : après une première « étape de la défensive », venait en effet celle « de l’équilibre des forces », annonçant elle-même le moment final « de la contre-offensive générale ». Ho Chi Minh en reprendra les termes en février 1951 38 : pour lui, cette seconde phase de la guerre « a commencé après la campagne du Viet Bac (1947) et continue à l’heure actuelle ». Il faut « préparer la contre-offensive générale » : quand ce mot d’ordre a-t-il été lancé ? Début 1949 selon certains auteurs 39, début 1950 selon Ho Chi Minh lui-même, dans le rapport déjà cité 40. Quoi qu’il en soit, il figure
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ensuite partout dans les documents du Viet Minh : « Salut pour la préparation à la contre-offensive générale » en devient même une sorte de formule de politesse au sein de la Résistance41.
C. LA DÉRIVE FINANCIÈRE 22
La croissance subite des coûts de la guerre, qui traduit l’évolution du rapport des forces, ne parait pas avoir été parfaitement maîtrisée du côté français, du moins dans un premier temps. Entre 1949 et 1951, la dérive des finances sur le chapitre indochinois est en particulier perceptible sur deux plans : dans le domaine budgétaire et dans celui des relations financières entre la France et l’Indochine. Les origines du mal sont vite connues, mais lui trouver un remède approprié n’est pas aussi simple.
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La dégradation de la situation en Indochine tombait en fait très mal pour les finances publiques, ou du moins pour la satisfaction affichée rue de Rivoli quant aux succès obtenus dans le redressement du pays. Dans la présentation du budget de 1950 42, la France se targue en effet d’être en bien meilleure posture qu’à la fin des années trente, période de référence. Les dépenses militaires ont diminué et les priorités sont toutes autres : « Tel quel, comparé à celui de 1938, le budget de 1950 apparaît essentiellement comme un budget d’équipement et de reconstruction », peut-on y lire. Et il y a la méthode : « Tout l’effort d’assainissement accompli au cours des dernières années a consisté à éliminer l’inflation comme procédé de financement des dépenses publiques ».
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Le poids financier pris soudain par la guerre d’Indochine ne colle pas avec ce tableau d’ensemble et, dans un premier temps du moins, semble minimisé. Dans le même document de présentation budgétaire pour 1950, il faut aller en fin de brochure pour se faire une idée, et encore bien vague, du prix de l’effort militaire sur place. Les chapitres ministériels concernés - c’est alors la règle - ne sont pas regroupés, et l’on apprend presque incidemment que, « du fait des opérations en Indochine, le budget de l’Air, comme celui de la Marine, supporte directement des charges qui intéressent la défense des États associés » d’Indochine. Les dépenses militaires de la France d’outre-mer sont cependant chiffrées à quelque 149 milliards de francs - plus de sept fois plus qu’en 1938 - mais sans qu’on y insiste trop : cette augmentation, tout de même très importante, « s’explique sans doute, pour la plus grande part, par la charge des opérations d’Indochine ». Alors que les dépenses militaires d’Indochine représenteront en 1950 environ 8,5 % du budget national, cette phrase est, sur les 63 pages du document, la seule évocation directe de l’engagement français en Asie du Sud-Est.
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La nécessité d’envoyer de nouveaux renforts s’était imposée en mars 1949, alors que le pouvoir français s’employait à mettre sur pied le plus rapidement possible un gouvernement Bao Dai. Or depuis le début des opérations, la tendance générale était de comprimer les effectifs des plans d’opérations. Au Comité de défense nationale du 31 décembre 1948 encore, qui avait accédé à la demande de Pignon d’envoyer 5 500 hommes en renfort, le président Auriol avait réclamé en fin de séance de revenir au plus tôt au plan de 90 000 hommes43. Début 1949, on n’en est manifestement plus là, d’autant qu’un incident survenu à Moncay montrait le 27 mars la vulnérabilité de la frontière entre l’Indochine et la Chine44. Le Comité de défense nationale du 29 mars puis le Conseil des ministres du lendemain (30 mars 1949) décidèrent l’envoi supplémentaire de 13 bataillons et de deux groupes de chasse45.
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L’embarras budgétaire lié à l’envoi de troupes supplémentaires se traduit par de multiples signes, alors que les communistes font campagne autour du slogan : « Plus un sou pour l’Indochine ». La loi fixant les dépenses militaires pour l’exercice 1949 est ainsi à peine votée, le 23 juillet 1949, et après un long débat 46, qu’un collectif ouvrant de nouveaux crédits militaires pour le même exercice passe devant les députés - le 8 août, quinze jours plus tard seulement47. Encore l’envoi des nouveaux renforts n’est-il pas encore totalement couvert. Une réunion, qui illustre bien les problèmes nouveaux posés par l’Indochine en 1949, se déroule au ministère des Finances trois jours plus tard, le 11 août 194948. Les participants y constatent que le premier collectif de la France d’outre-mer portait sur un renfort de 8 000 hommes, soit 4,5 milliards de francs, alors que l’on parle déjà de 16 000 hommes, ce qui représente 4 milliards de francs supplémentaires ; et personne, parmi les représentants des ministères dépensiers présents (France d’outre-mer, Défense nationale) ne se dit en mesure de pouvoir les trouver. « En résumé, indique en conclusion la fiche consacrée à cette réunion, la question actuellement posée est de savoir comment présenter 4 milliards de dépenses 1949 Indochine non encore avoués officiellement. » Les choses ne s’arrangent pas en 1950 et au début de 1951.
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Quelques dispositions avaient pourtant été prises pour financer ces renforts, en particulier l’ouverture de comptes spéciaux en Indochine. En accord avec une instruction interministérielle du 4 avril 1949, un premier compte, dit « compte spécial n° 1 », est ouvert avec une ligne de 20 milliards de francs 49 ; il s’agissait de « recevoir l’imputation provisoire des sommes payées au titre des dépenses du corps expéditionnaire en complément des crédits inscrits au budget métropolitain » 50. Parallèlement, un « compte spécial n° 1 bis » recevait l’imputation provisoire d’une partie des dépenses des flottilles amphibies rattachées à la Marine nationale. Ces procédures privilégiaient les solutions locales : certaines dépenses militaires, concernant les chemins de fer et les autres voies de circulation, furent même imputées, en 1949, au Budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement de l’Indochine. Bientôt sera mis en place un « compte spécial n° 2 ».
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La montée des menaces et l’accroissement des dépenses militaires généraient par ailleurs sur place des déséquilibres économiques et une dérive spéculative que rien ne semblait devoir arrêter. La balance commerciale se détériorait à vue d’œil : de plus en plus nombreux, le corps expéditionnaire disposait globalement d’un pouvoir d’achat croissant — « le milliard quotidien du corps expéditionnaire » 51 ; la parité de la piastre, très avantageuse par rapport au franc, encourageait pour sa part les importations audelà du raisonnable. Sur la foi des statistiques douanières, les experts de la rue de Rivoli observent justement un « brusque et constant accroissement des exportations françaises vers l’Indochine à compter de l’année 1949 » : cette année-là, elles faisaient en effet un bond de 145 %, passant de 22,3 à 42,3 milliards de francs 52.
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Si la balance commerciale de l’Indochine se détériore gravement, celle des transferts connaît au contraire de dangereux excédents, d’un niveau de beaucoup supérieur. L’excédent des transferts financiers entre l’Indochine et la France, qui s’accroissait rapidement depuis 1946, atteint lui aussi des niveaux records : de 44 milliards de francs en 1948, il passe à environ 90 milliards en 1949 - plus 195 % - et à 115 milliards en 1950. À Paris, la direction du Trésor suit de prés cette évolution, parce qu’il lui appartient en dernière analyse de colmater la brèche qui s’élargit dans les relations financières entre
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la France et l’Indochine, et que cela peut coûter cher. Dès 1949, d’ailleurs, le gouvernement s’emploie à freiner les transferts, mais avec un succès inégal. 30
Le ministre de la France d’outre-mer Coste-Floret en avertit le haut-commissaire Pignon par télégramme, dès avril 1949 : « Gouvernement en présence importance croissante mouvements de fonds en provenance d’Indochine, a décidé procéder réduction massive des transferts »53. L’arsenal des mesures comporte un abaissement des plafonds des montants automatiquement autorisés : de 50 000 à 25 000 francs pour la poste militaire en particulier. Pour le Trésor indochinois, ce type de transfert est en effet « le moyen préféré des fraudeurs » et donne « manifestement lieu à des abus » 54. S’y ajoutera notamment la suspension, en décembre 1949, des achats de rentes et de valeurs par les trésoriers d’Indochine : même la Banque de l’Indochine se verra refuser une opération d’achat de 20 millions de francs de rente perpétuelle 5 % 1949 55.
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Fallait-il aller plus loin et dévaluer la piastre, afin d’assainir la situation et de réduire d’autant le coût devenu inquiétant de la guerre ? Dès le printemps 1949, une réflexion fut engagée à l’initiative de la direction du Trésor : une telle opération pouvait notamment permettre, d’une part, une réduction de la facture des dépenses militaires libellées en piastres, c’est-à-dire exécutées sur place, et d’autre part de limiter les transferts financiers vers la France. Mais, dans son rapport, l’inspecteur des Finances envoyé sur place, de Margerie, estima qu’une telle mesure n’apporterait sans doute « pas de solution réelle aux problèmes qui préoccupent le ministère des Finances » 56. C’est aussi l’opinion, à Saigon, du haut-commissaire Pignon.
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La dévaluation de la piastre fut cependant à deux doigts d’être décidée en septembre 1949, quand justement le haut-commissaire Pignon vient de faire ouvrir le « compte spécial n° 2 ». Alors qu’il venait d’être informé par le ministre de la France d’outre-mer Coste-Floret, aux fins de consultation, d’un nouveau taux de la piastre - 10 francs au lieu de 17 - Pignon le contra avec une rare vigueur, rédigeant un télégramme de cinq pages le 20 septembre 1949 et expédiant à Paris deux de ses collaborateurs. « Vous avez évité la catastrophe », déclara-t-il à Coste-Floret lorsque la décision fut rapportée. Pour autant, la question du financement de la guerre n’était pas résolue ainsi que le ministre le précisait dans un ultime télégramme au haut-commissaire, daté du 13 octobre 1949 : « Le gouvernement établissant le budget militaire se trouve devant [les] mêmes difficultés que l’an dernier encore accrues. Stop. Envisage de mettre une large part de ces dépenses à la charge non pas du Trésor indochinois comme l’an passé mais du budget de l’Indochine et du budget de l’État associé du Vietnam. Stop. Étudiez de près cette question... »57. En tout état de cause, de l’avis de Perron, directeur du Trésor indochinois à Saigon, « ce n’est pas une manipulation monétaire qui changera le poids de la guerre en Indochine »58.
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Un irrépressible sentiment de fin d’empire, la crainte pour les Français, en particulier, de devoir quitter l’Indochine, jouait un rôle important dans la fièvre spéculative qui agitait les villes, surtout Saigon - une ambiance de « sauve-qui-peut » monétaire même, si l’on en juge par l’impression conservée par Mariani de la tournée d’inspection qu’il fit en Indochine pour l’Office des changes, au début de 1950 : « faire argent de tout », selon l’expression du conseiller financier français, qu’il rapporte, résume l’attitude générale59. Lucien Bodard, évoquant cette même période, va plus loin60 : « l’acharnement à faire de la piastre [...] est de loin dépassé par un autre acharnement, écrit-il : celui du transfert. C’est là le maître mot de l’Indochine. On le trouve partout, dans tous les cœurs, toutes les pensées, toutes les conversations. C’est de l’idée fixe. Les
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gens arrivent à se saluer en se disant : avez-vous eu votre transfert ? » Le transfert, c’est-àdire l’envoi en France d’une quelconque somme d’argent, est automatiquement valorisé, compte tenu du taux de change, d’environ 70 %. 34
Accessoirement, bien sûr, une telle ambiance produit ses scandales. Il y a d’un côté les représentants de l’État, comme Rivet, le directeur de l’Office indochinois des changes, de l’autre les fraudeurs, qui sont légion et ne manquent pas de moyens financiers, et entre eux, à l’occasion, quelque journaliste entreprenant. François-Jean Armorin, reporter de 27 ans venu enquêter en Indochine pour Franc-Tireur, figure ainsi parmi les victimes de la catastrophe du DC 4 Saigon-Paris, le 15 juin 1950. Il n’en fallut pas plus pour déclencher la rumeur, d’autant qu’il n’était, si l’on peut dire, pas seul à bord. Aujourd’hui encore, l’un de ses anciens confrères s’interroge : « Sa disparition est troublante : au cours de son enquête sur certains trafiquants de Saigon, il avait été frappé et menacé de mort. Or il devait publier, dès son retour à Paris, une série d’articles sur le trafic des piastres, promettant au journal la révélation d’un énorme scandale mettant en cause de hautes personnalités civiles et militaires. Dans le DC 4 se trouvait M. Rivet, directeur de l’Office des changes de Saigon, qui apportait en France un dossier complet sur l’organisation clandestine des licences d’importation et d’exportation »61.
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Pour toutes ces raisons, cette période de 1949 à 1951 est enfin une période de prise de conscience des coûts de la guerre et d’introspection, au ministère des Finances en particulier, sur la question des relations financières entre la France et l’Indochine. Rapports et missions se succèdent pour tenter d’y voir clair. Perron, directeur du Trésor indochinois, rédige en avril 1949 une « Note sur les transferts » qui se présente à la fois comme une étude statistique des mouvements de capitaux, une recherche de leurs causes et un examen de leurs conséquences62. De Margerie, inspecteur des finances déjà cité, se rend sur place dans la même période pour étudier « diverses questions financières en Indochine » - parité de la piastre, transferts, exportations, trafic d’or et de dollars... - dans le cadre de la préparation de la négociation avec l’État associé de Bao Dai63. Mariani, également évoqué plus haut, est dépêché à Saigon par l’Office des changes au début de 1950 pour enquêter sur « l’exode des capitaux » d’Indochine et le fonctionnement de l’Office indochinois des changes, soupçonné d’étranges pratiques par un rapport au haut-commissaire du Bureau technique de liaison et de coordination de Saigon64.
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Cet effort d’analyse produit au ministère des Finances une intense réflexion, à la fois comptable et théorique, sur les mouvements de fonds entre la France et l’Indochine. Le lien est clairement établi par la direction du Trésor entre crédits militaires et transferts financiers, grâce aux rapports précités et à de multiples tableaux - les premiers apparaissent précisément en 1949 - dressant le bilan annuel de l’utilisation des crédits budgétaires, également des relations financières entre la France et l’Indochine, distinguant par exemple dépenses budgétaires et décaissements effectifs. Projets de notes et notes se succèdent, dont l’une des plus importantes parait être celle par laquelle François Bloch-Lainé, directeur du Trésor, saisit le 13 mai 1950 le ministre des Finances, alors Maurice Petsche, des problèmes qu’il a découvert. Cette note sur « Les relations financières entre la France et l’Indochine » fera date, malgré le ton à la fois prudent et préoccupé que le directeur du Trésor prend dans les premières lignes : « Mes services, y écrit-il, cherchent depuis un certain temps, non sans éprouver de
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grandes difficultés, à présenter sous une forme simplifiée un bilan des relations financières entre la France et l’Indochine... »65. 37
François Bloch-Lainé montre en particulier que si, jusqu’en 1948 compris, la guerre d’Indochine n’était pas très onéreuse en termes de trésorerie, en bonne partie grâce à l’émission locale, il n’en va plus de même en 1949, année qui a vu le montant des transferts vers la France excéder largement celui des crédits militaires délégués à l’Indochine, obligeant le Trésor à faire le nécessaire pour assurer la couverture de la piastre. Nous reviendrons sur ce mécanisme qui, pour l’instant, se traduit pour la direction du Trésor en termes de « débit » et de « crédit » : « Si, au cours de l’année dernière, la métropole se trouvait encore débitrice vis-à-vis de l’Indochine [...], cette situation s’est inversée au 31 décembre 1949. » En 1948 encore, Paris accusait un « débit » de 48 milliards de francs envers Saigon. En 1949, on n’en est plus là : le Trésor métropolitain doit débourser pour couvrir l’excédent des transferts, disposant pour la première fois sur l’Indochine d’un « crédit », évalué à quelque 55 milliards, qui pourrait ressembler à s’y méprendre à une dépense militaire inavouée.
II. QUE FAIRE ? 38
Avec « l’arrivée des communistes chinois à la frontière indochinoise en novembre 1949, insiste une note de 195066, et la reconnaissance de Ho Chi Minh par le gouvernement de Pékin [...], les opérations militaires tendaient à revêtir une ampleur telle que leur charge devenait impossible à supporter par la France seule ». Il ne fut semble-t-il jamais question de remettre « les pendules à l’heure », comme le suggéra Pierre Mendès France au lendemain du désastre de Cao Bang. Le gouvernement français allait s’efforcer au contraire d’utiliser les cartes qu’il détenait, ou croyait pouvoir détenir : la mise en place des États associés et le recours à l’aide américaine.
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La notion même d’État associé ne répond pas d’abord, on le sait, à une quelconque préoccupation économique ou financière. Il s’agit de la formule trouvée par les constituants de la IVe République pour servir de cadre aux relations avec les anciens pays membres de l’Union indochinoise. Au Cambodge et au Laos, d’ailleurs, cette nouvelle formule ne posa guère problème. Au Vietnam, par contre, le cadre nouveau des États associés était officiellement apparu au moment de la rupture du 19 décembre 1946 avec Ho Chi Minh : alors convaincus de pouvoir substituer facilement un autre nationalisme à celui du leader Viet Minh, les chefs militaires de la France libre allaient en utiliser l’idée pour propulser Bao Dai sur le devant de la scène 67.
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L’intervention progressive des États-Unis dans le conflit indochinois s’inscrit quant à elle dans la logique des blocs : c’est en tout cas l’état d’esprit qui prévaut à Paris, dans les cabinets ministériels. « La reconnaissance de Ho Chi Minh par Moscou [...], précise trois mois plus tard une note du Quai d’Orsay68, a donné soudain au conflit d’Indochine un aspect qui, aux yeux du gouvernement français, justifiait un appui public et efficace des États-Unis... » Mais, entre Français et Américains, les États associés en quête d’indépendance allaient représenter un enjeu essentiel, en particulier quand il faudrait les armer.
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A. LE FINANCEMENT DES ARMÉES NATIONALES 41
Les accords signés avec la France et consacrant l’existence des États associés d’Indochine datent de l’année 1949, alors que Forage communiste gronde en Chine et que la dérive financière commence pour la France69. Aux termes de l’échange de lettres du 8 mars entre Vincent Auriol et Bao Dai, de la Convention générale du 19 juillet avec le Laos et du Traité du 8 novembre entre la France et le Cambodge, les trois États sont formellement reconnus, à la fois indépendants et membres de l’Union française. S’agissant du Vietnam, dont l’unité n’est plus contestée, le président de la République et de l’Union française Vincent Auriol ne veut d’abord voir que la dimension politique de l’accord : ce dernier « satisfait entièrement aux revendications nationales du peuple vietnamien, telles qu’elles furent énoncées dès 1945 par Votre Majesté et telles qu’elles avaient été précisées à l’époque par le gouvernement de fait Ho Chi Minh [...] Ainsi le conflit armé, prétendument déclenché pour la réalisation de ces revendications nationales, n’a plus d’objet »70. Mais la France parait encore hésiter : les textes régissant désormais les rapports qu’elle entretient avec les États associés ne furent pas publiés au Journal officiel, du moins pas tout de suite.
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La France ne transfère d’ailleurs pas tous ses pouvoirs aux États associés. Il est certes entendu que « le gouvernement du Vietnam (comme celui du Cambodge) administrera souverainement ses finances » et « établira et gérera son budget ». Mais l’essentiel, c’est-à-dire la monnaie, demeure entre ses mains71 : « Le Vietnam sera en union monétaire avec les autres États indochinois, précise par exemple l’accord francovietnamien du 8 mars 1949. La seule monnaie ayant cours sur le territoire de cette union monétaire sera la piastre émise par l’Institut d’émission d’Indochine. » Certes, « L’Institut d’émission pourra émettre des vignettes différentes pour le Vietnam, le Cambodge et le Laos. » Mais « la piastre indochinoise fera partie de la zone franc. » La France entend accessoirement, selon les termes du même accord « maintenir une certaine harmonie fiscale entre le Vietnam et les autres États indochinois ».
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Alors que prend fin la crise de Berlin et que, sur place, l’incertitude règne, le général Revers, chef d’état-major général des Forces années, est envoyé en mission d’inspection en Indochine pour faire le point. Il y séjourne du 16 mai au 17 juin 1949, attentif bien sûr à la solution Bao Dai : de politique qu’elle était au départ, celle-ci est en effet déjà devenue militaire. Son évaluation de la situation n’est que modérément optimiste 72. « À la veille de l’installation du gouvernement Bao Dai, note-t-il, le Vietnam est profondément troublé. Nous ne contrôlons qu’une partie du territoire, et moins de la moitié de la population. Dans les territoires que nous tenons, le terrorisme sévit. Dans les zones qui nous échappent, le Viet Minh a installé un gouvernement et une administration qui fonctionnent régulièrement, il dispose de forces armées... » L’objectif serait le suivant : l’ex-Empereur doit dans un premier temps s’imposer sur le territoire contrôle par les Français, progressivement reconquis sur le Viet Minh depuis 1946 - avant d’élargir sa zone et de rallier, éventuellement, les non-communistes du camp adverse. Mais, à supposer que ce schéma soit le bon, il mettra du temps à se concrétiser « et ce n’est pas immédiatement, précise le général Revers, que de l’installation de Bao Dai nous pourrons profiter pour alléger notre dispositif et nos charges ».
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Les « armées nationales », car tel est désormais leur nom, sont encore, il est vrai, embryonnaires73 : environ 16 000 hommes au Vietnam au ler janvier 1949, autour d’un
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noyau fort venu de l’ancienne garde indochinoise, transformée dans l’intervalle en garde du Vietnam-Sud ; moins de 5 000 hommes au Cambodge à la même date. Quant au Laos, les premières statistiques ne font apparaître que 1 200 hommes un an plus tard, au 31 décembre 1949. Quel rempart ces hommes peuvent-ils fournir face au Viet Minh ? Mais, au Vietnam, un « premier plan de valorisation de 50 000 hommes » est tout de suite lancé, dès 1949, et la responsabilité financière des États associés engagée : au Vietnam et au Cambodge, les accords prévoient que leurs armées seront à la charge des budgets nationaux, les commandes de matériel étant transmises au gouvernement français74 ; dans le cas du Laos cependant, le moins bien loti des trois, « la République française s’engage [...] à fournir, pendant une période donnée et dans des conditions à déterminer, une aide financière... ». 45
D’abord politique, puis militaire, la solution Bao Dai pose donc très vite des problèmes financiers. Comment assurer le développement de cette nouvelle « armée nationale vietnamienne » ? Les responsables français en Indochine sont en effet sur la corde raide, pris entre les recommandations de Paris et les réalités locales. En septembre 1949, Max Deville, conseiller financier auprès du haut-commissaire, manifeste son inquiétude à propos « des dépenses militaires, que nous ne parvenons à assumer en ce moment qu’en faisant appel au Trésor indochinois. Si, comme le marque un récent télégramme venu de la FOM et dont le haut-commissaire m’a donné confidentiellement communication, il nous est prescrit, à partir du ler janvier 1950, d’éviter tout recours aux moyens locaux de trésorerie et de demander aux États nationaux "une large contribution" aux dites charges, je ne vois absolument pas comment nous pourrons nous en tirer, et je suis fort inquiet en ce qui concerne la continuation de l’effort militaire entrepris »75.
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La solution passera donc par l’ouverture déjà évoquée, le 13 septembre 1949, d’un « compte spécial n° 2 » chargé de « recevoir l’imputation provisoire des dépenses militaires propres à l’Indochine, dont le financement ne pouvait être assuré par la voie budgétaire normale »76. Ce nouveau compte avait en effet pour fonction de couvrir le financement des Armées nationales, en particulier celle de Bao Dai, et, accessoirement, de dégager le Budget extraordinaire des « dépenses de travaux publics d’intérêt militaire » qui lui avaient été imputés en 1949. A la différence du « compte n° 1 », qui périclite, le « compte n° 2 » triple pratiquement de volume entre 1949 et 1950, passant de 9,5 milliards à 30 milliards de francs.
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La logique coloniale s’est-elle complètement effacée derrière l’émergence des États associés ? Certains pensent en effet en Indochine que le gouvernement français a été trop loin. Le général Revers s’en fait l’écho dans les conclusions de son rapport 77 : « en général, indique-t-il, les Français estiment que l’on a beaucoup abandonné sans recevoir une garantie sérieuse quelconque ». Bourgoin, importante personnalité du monde de l’économie indochinoise, s’en inquiète lui-même dans un courrier au gouvernement78. Mais ce dernier ne semble pourtant jamais avoir perdu de vue les intérêts français, comme le suggère le rapport de Margerie résumant « l’attitude à prendre pendant les négociations » avec l’État associé du Vietnam 79. « Si nous souhaitons nous maintenir en Indochine, écrit-il notamment, c’est que nous espérons tirer de notre présence dans ce pays non seulement des avantages politiques et stratégiques, mais encore un profit économique : celui-ci consiste essentiellement dans la possibilité de nous procurer contre des francs un certain nombre de produits nécessaires tant à la métropole qu’aux autres territoires de l’Union française -
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caoutchouc et riz ». Dans cette perspective, les intérêts français et américains n’ont guère de chance de coïncider.
B. LES DÉBUTS DE L’AIDE MILITAIRE AMÉRICAINE 48
En février 1950, la reconnaissance de Bao Dai par les États-Unis et les autres pays occidentaux, venant après celle de Ho Chi Minh par Pékin et Moscou, a constitué un moment fort de l’internationalisation du conflit, mais l’aide américaine à l’Indochine n’a pas pour autant été immédiatement décrétée. A partir du moment où elle est imaginée, il faudra presque trois ans aux États-Unis pour qu’elle prenne toute son ampleur, tant les freins paraissent avoir été aussi puissants que les motivations. Le terrain aussi, d’une certaine manière, était « miné » : comment la puissante Amérique, parée de toutes les vertus décolonisatrices, pouvait-elle soutenir une France qui, même si elle s’en défendait, demeurait impériale et fière de son héritage colonial ? La lutte anticommuniste, bien sûr, allait tout primer. Mais lequel des deux pays est allé chercher l’autre ?
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Nécessité oblige, la France paraît s’être manifestée la première. Selon les sources américaines, les premières traces de demande d’aide remontent au printemps 1949, au lendemain de l’accord du 8 mars avec Bao Dai80. Les archives du Quai d’Orsay sur le sujet ne commencent, elles, qu’en décembre 1949, mais la démarche est du même ordre : un courrier diplomatique venu de Washington fait alors état d’une occasion « à saisir », en quelque sorte, une enveloppe de 75 millions de dollars votée par le Congrès pour la lutte anticommuniste en Asie81. Mais la décision officielle est prise à Paris en février 1950. Le 3 février, on le sait, peu après que Pékin et Moscou aient annoncé reconnaître Ho Chi Minh, Washington reconnaissait pour sa part les États associés d’Indochine : Vietnam (Bao Dai), Cambodge et Laos82. Une semaine après, le Comité de défense nationale met la question de l’aide américaine à son ordre du jour, pour finalement statuer à nouveau huit jours plus tard : le 17 février 1950, il soulignait « la nécessité d’une aide militaire alliée en faveur de l’Indochine » et donnait mandat au ministère de la Défense d’arrêter les demandes de matériels et de crédits à présenter aux Américains83. Un aide-mémoire sur le sujet avait d’ailleurs été transmis au département d’État la veille, le 16 février, par l’ambassade de France à Washington 84.
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La France était donc « demandeur », mais les États-Unis avaient également fait de leur côté une partie de la route. Depuis la signature, le 28 juin 1948, de l’accord de coopération franco-américain lançant le plan Marshall, les deux pays étaient formellement alliés et, au Quai d’Orsay, on avait cru percevoir outre-atlantique une évolution favorable aux territoires d’outre-mer de l’Union française 85 : dans le discours du 20 janvier inaugurant son second mandat, le président Truman n’avait-il pas mis l’accent sur « le développement des territoires sous-développés » - relevant du plan Marshall dès lors qu’ils relevaient eux-mêmes de pays européens ? Depuis le basculement de la Chine dans le camp communiste, d’ailleurs, Washington suivait de près l’évolution du conflit dans la péninsule indochinoise : Philip Jessup, ambassadeur extraordinaire des États-Unis, y séjourne à la fin de janvier 1950 86. Ainsi, quand quelques jours plus tard, l’Amérique effectue la démarche de reconnaître Bao Dai, il ne peut s’agir d’un geste seulement diplomatique : compte tenu du niveau de développement de l’endroit et de la ligne tracée par Truman, la reconnaissance vaut aussi offre d’aide économique.
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Pour les Français, la question essentielle était de soulager le coût de la guerre d’Indochine, même si l’accord n’était pas parfait entre ministères concernés sur les priorités à donner et les procédures à appliquer. Aux Finances, Guillaume Guindey estime ainsi qu’il faut se concentrer sur le matériel militaire proprement dit et étendre les demandes aux fournitures payables en dollars ; mais il suggère de demander le matériel déjà inscrit au budget, plutôt que du matériel militaire supplémentaire, « étant donné que le fardeau actuel de la guerre en Indochine est insupportable pour le budget, et que l’effort américain doit, dans une certaine mesure, relayer l’effort français »87.
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Il était cependant apparu, avant même que la France ne prenne la décision officielle de demander l’aide de Washington, que celle-ci n’irait pas sans préalables d’ordre politique. Le secrétaire d’État Dean Acheson et son ambassadeur à Paris, David Bruce, en étaient convenus en décembre 194988 et Vincent Auriol en avait été informé en janvier 1950 : le vœu américain, note ce dernier, était que la ratification des accords passés avec les États associés « soit accompagnée d’une déclaration de moi, président de la République, précisant le caractère évolutif des accords franco-vietnamiens... [et] le rattachement des questions indochinoises au Quai d’Orsay et non à la rue Oudinot » 89. Washington demandait tout simplement à Paris, en transférant les États associés du ministère de la France d’outre-mer à celui des Affaires étrangères, de les considérer comme potentiellement indépendants. Auriol avait une autre idée : rattacher à la présidence du Conseil « tous les services qui ont trait à la liaison avec ces nouveaux États associés dans l’Union française ».
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À propos de l’Indochine, les États-Unis et la France ne pouvaient pas non plus passer si facilement de l’hostilité des premiers temps à une collaboration étroite : les premiers mois de 1950, comme un moment d’adaptation nécessaire, donne à cet égard le ton, celui d’un premier « bras de fer » entre les deux pays. La revue Time, américaine, avait révélé début janvier l’affaire Revers-Mast, que le gouvernement français avait jusque-là réussi à étouffer90 : la fuite du rapport Revers, en direction notamment du Viet Minh, ne mettait pas seulement en cause la hiérarchie militaire mais aussi - par le contenu du rapport - l’action de la France en Indochine. « L’affaire des généraux » allait entraîner une déclaration du président du Conseil Georges Bidault à la Chambre, la réunion d’une commission d’enquête, qui évoqua d’ailleurs pour la première fois officiellement le trafic des piastres, et alimenter la chronique pendant plusieurs semaines. La France, en particulier la France en Indochine, n’en sortait pas valorisée.
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La mission américaine Griffin, qui vient évaluer en mars 1950 les besoins des États associés et trouva la France trop gourmande91, semble être au point de départ des hostilités. Le 21 mars 1950, dans une longue note adressée de Saigon au ministre des Affaires étrangères92, le haut-commissaire Pignon stigmatise « l’offensive combinée, économique et culturelle » à laquelle se livrent les Américains sur place. La mission Griffin y a montré leur popularité et encouragé les États associés à établir des liens directs avec eux, sans passer par les Français. Au total, note Pignon, « il semble bien que la défrancisation des États associés soit effectivement l’objectif de beaucoup d’Américains influents ». Le haut-commissaire de France en Indochine en appelle « à une explication nette, tant avec les États associés qu’avec nos Alliés occidentaux ». Faisant chorus le lendemain 22 mars à Washington, à la veille de transmettre au gouvernement fédéral une première liste « urgence immédiate » de matériels militaires
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pour l’Indochine, l’ambassadeur Henri Bonnet signale également dans un télégramme la vitalité de « l’anticolonialisme américain »93. 55
En attendant, les négociations destinées à mettre sur pied les États associés sont bloquées : Léon Pignon ajourne sine die la conférence inter-États qui devait justement être organisée fin mars 1950 à Dalat, en application des accords signés en 1949. Une réunion tenue le 22 mars à Saigon, sous sa présidence, constate en effet que « la Mission Griffin a aggravé les tendances des gouvernements des États associés à affaiblir la portée des Accords du 8 mars 1949 et à faire échouer la création d’organismes communs », prévus dans les domaines du Plan, du Trésor, des douanes comme du commerce extérieur94. Les Américains et les États associés imaginent-ils pouvoir se passer si facilement de la France ? Les membres de la Mission « n’ont manifesté à aucun moment le souhait que l’aide économique fut gérée sur une base quadripartite », soulignent les responsables économiques et financiers français. La conclusion s’impose donc : « il est inutile, dans ces conditions, de réunir la Conférence inter-États avant que la position du Gouvernement américain sur le problème de l’aide économique n’ait été précisée d’une façon extrêmement nette ».
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Les responsables français de l’Indochine ont alors d’autant moins de complexes vis-àvis des États-Unis que, comme l’écrivait Pignon dans la note déjà citée 95, « l’échec de la politique américaine en Chine est encore proche » et que l’incapacité de Washington à soutenir Tchiang Kai Chek n’est sans doute pas pour rien dans l’aggravation des difficultés françaises en Indochine. D’aucuns voient même dans cette donnée une bonne raison pour faire prendre en charge par les États-Unis l’entretien des troupes envoyées en renfort pour couvrir la frontière, au nord de l’Indochine. Quant à l’aide économique, note-t-on au haut-commissariat, « la seule façon de [la] rendre vraiment utile et de diminuer les risques de gaspillage et de corruption est de faire participer la France à sa gestion ; le précédent chinois ne doit pas être oublié » 96. En Amérique même, pour reprendre les termes de l’ambassadeur Bonnet97, règne également un « climat [...] dominé par l’admission de l’incapacité où se sont trouvés les États-Unis de s’opposer au déferlement de la marée communiste en Chine ». Échaudés dans le pays du Milieu, les Américains y regardent à deux fois avant de s’engager à nouveau. Finalement, conclut l’ambassadeur de France à Washington, « c’est dans la mesure où nous réussirons à les persuader que la "guerre chaude" que nous sommes contraints de mener en Indochine s’intègre dans la guerre froide que les États-Unis mènent contre le communisme que nous pourrons compter sur leur aide dans l’affaire indo-chinoise ».
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La négociation franco-américaine engagée à Washington le 27 février débouche en effet : d’une part le 8 mai 1950, date anniversaire symbolique, par la conclusion d’un accord de principe sur l’aide militaire des États-Unis en Indochine, entre le ministre français des Affaires étrangères Schuman et le secrétaire d’État Acheson ; d’autre part le 24 mai 1950, par l’annonce officielle de la mise en œuvre d’une aide économique américaine aux États associés d’Indochine98. Différents organismes furent installés pour l’exécution de ces accords : un comité français de liaison pour l’aide américaine (CLA) d’une part, dont seuls les huit officiers auraient mandat pour entrer en relation avec leurs interlocuteurs99 ; une mission économique spéciale auprès de la nouvelle mission diplomatique américaine à Saigon d’autre part, sous la direction de Robert Blum. Ajournée en mars, la conférence inter-États, quant à elle, fut enfin réunie... à Pau, pratiquement sur les terres d’Albert Sarrault, le président de l’Assemblée de l’Union
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française, loin en tout cas des États associés, loin aussi des diplomates et experts américains, si nombreux alors à Paris... 58
Le déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950, pratiquement le jour où la conférence de Pau inaugure ses travaux, allait bousculer ces précautions et accroître à la fois l’aide et l’influence américaine en Indo-chine. La décision du président américain d’élargir la doctrine du containment à l’ensemble de l’Asie pacifique concernait en effet aussi l’Indochine. Dans sa déclaration du 27 juin 1950, après avoir annoncé le recours au Conseil de sécurité des Nations Unies et l’intervention militaire en Corée, puis le renforcement de la protection de Formose et des Philippines, Truman indiquait en effet sans ambiguïtés : « J’ai aussi donné l’ordre que la fourniture d’aide militaire aux forces françaises et aux États associés soit accélérée, et qu’une mission militaire soit envoyée dans cette région afin de travailler étroitement avec ces forces » 100.
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Le matériel américain fit alors son apparition. Le 29 juin 1950, deux jours après la déclaration de Truman, 8 C 47 (Dakota) destinées aux forces françaises atterrissaient à Tan Son Nhut. À la mi-juillet, une nouvelle mission américaine d’évaluation des besoins, dite Melby-Erskine du nom de ses chefs civil et militaire, arrivait à son tour pour trois semaines - elle reçut notamment une nouvelle demande d’aide militaire, la première après les listes transmises en mars-avril. Le 10 août 1950, un navire battant pavillon des États-Unis effectuait au port de commerce de Saigon la première vraie livraison de matériel militaire américain à l’Indochine, essentiellement des munitions et des pièces de rechange. L’ambassadeur de Washington auprès des États associés, Donald R. Heath, arrivé en Indochine environ un mois plus tôt, et le général Carpentier, commandant en chef des forces de l’Union française, assistaient à la cérémonie officielle de réception. À plus de 10 000 kilomètres de là, la conférence de Pau poursuivait ses travaux.
C. LA CONFÉRENCE DE PAU 60
Réunissant les États associés et la France, la conférence inter-États qui se tient à Pau en 1950, sous la présidence d’Albert Sarraut101, s’inscrit dans la suite annoncée des accords de 1949. Elle se donnait précisément pour objectif « de régler les problèmes laissés en suspens dans les négociations bilatérales qui ont eu lieu préalablement entre la France, le Cambodge, le Laos et le Vietnam »102. Il n’est pas à proprement parler question du financement de la guerre, mais de points plus techniques et touchant au fonctionnement même des États, tels qu’ils figuraient d’ailleurs déjà dans les trois textes bilatéraux103 : le service des transmissions, le contrôle de l’immigration, le commerce extérieur et les douanes, le Trésor, le plan d’équipement. Le contexte de guerre est cependant en filigrane de la conférence : l’importance des dépenses militaires effectuées par la France complique en particulier la négociation sur le Trésor ; et la mise sur pied d’armées nationales, même si la France y contribue largement, renforce l’intérêt pour l’organisation fiscale, en particulier sur le plan douanier.
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La forte présence métropolitaine à la conférence n’empêcha pas les revendications nationales de s’exprimer pleinement et, finalement, tout fut mis sur la table, au prix d’oppositions parfois vives. Sur la cinquantaine de participants, répartis en quatre délégations104, il devait en effet y avoir environ une moitié de Français : les plus nombreux, bien sûr, figuraient dans la délégation de la République, les autres étaient
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inscrits comme experts dans celles des États indochinois, en particulier du Cambodge et du Laos. Mais dès la seconde séance et le discours d’Albert Sarraut, le 30 juin 1950, les querelles d’ordre du jour manifestèrent les différences, voire les incompatibilités d’approche entre les délégations105. Le Vietnam contesta les priorités de celui que la France avait proposé : dans sa propre version, le plan d’équipement se trouvait relégué en fin de liste, au profit des attributs de la souveraineté, douanes et questions financières106. Un peu plus tard, lors de la 7e séance, le 24 juillet 1950, on achoppa sur le problème du Mékong et du port de Saigon. Faisaient-ils partie de la conférence interÉtats ? Non pour le Vietnam, où se situe Saigon, oui pour le Cambodge, qui ne disposait pas encore de port en eau profonde... Dans un article consacré au bilan de la conférence, Paul Bernard citera une formule utilisée selon lui par plusieurs délégués : « Notre amour propre national est plus important que le progrès économique » 107. 62
Pendant que la conférence de Pau s’éternisait en débats de procédure et en querelles nationales - elle restera réunie de juin à novembre 1950 -, le gouvernement français s’efforçait de clarifier le statut international des États associés. Après la démission de Bidault, sous l’autorité duquel avaient été conduites les premières négociations avec les États-Unis, le très éphémère cabinet Queuille prit en juillet 1950 une décision qui offrait une perspective à la conférence inter-États : la création d’un ministère d’État chargé des Relations avec les États associés, dont le principal titulaire allait être le MRP Jean Letourneau. Accessoirement, cette initiative ne cédait rien aux Américains, qui auraient voulu on le sait voir les États associés transférés au Quai d’Orsay, mais leur donnait quand même satisfaction en les retirant de la France d’outre-mer.
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La question de la parité de la piastre ne fut pas inscrite à l’ordre du jour de la conférence de Pau mais, pendant que celle-ci se déroulait à l’autre bout de la France, le nouveau cabinet Pleven, investi le 11 juillet 1950, allait s’efforcer de remettre les choses à plat. Un important conseil restreint réuni à Matignon le 26 août 1950 autour du président du Conseil, pour « faire le point des dépenses militaires d’Indochine pour 1950 et 1951 »108 reprit le dossier du financement de la guerre - la parité de la piastre, l’aide américaine, le compte n° 2... La dévaluation de la monnaie indochinoise fut envisagée, mais son étude finalement confiée à un comité ad hoc 109. Six semaines plus tard environ, le 12 octobre 1950, après cinq réunions et de multiples notes et rapports, le rapport final de ce comité mettait en balance les avantages - provisoires selon lui - et les inconvénients d’une modification de la parité de la piastre, insistant sur ces derniers et concluant sur « les conséquences d’ordre politique [...] qu’entraînerait une dévaluation immédiate de la monnaie indochinoise » - la conférence de Pau n’avait en effet pas encore abouti110. Il n’y aura donc pas, cette fois encore, de dévaluation de la piastre. Sur l’aide américaine, René Pleven put par contre apparaître plus audacieux, en préconisant de demander aux États-Unis une aide financière, ce qui était encore une nouveauté. L’idée sera soutenue en septembre par le Quai d’Orsay111, à condition que celle-ci ne dépasse pas 50 milliards de francs : les dépenses concernées, présentées par la Défense nationale, étaient en fait déjà pour la plupart imputées au compte spécial n° 2.
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La question du compte spécial n° 2, déjà examiné par le Comité de défense nationale du 22 juin 1950 comme mode de financement des Armées nationales, fut bien sûr également étudiée lors du conseil restreint du 26 août 1950112 : pour René Pleven, il s’agissait d’une bonne formule, « parce que la Métropole pourrait obtenir le remboursement de ces dépenses sur le produit d’une aide extérieure » - il pense bien
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sûr aux États-Unis. Mais le ministre des Finances Maurice Petsche n’en obtiendra pas moins la fermeture du compte en question, au profit d’une régularisation parlementaire. 65
Le compte n° 2 ne survécut pas, en effet, à ce conseil restreint. On sait que le directeur du Trésor, François Bloch-Lainé, avait montré dans son rapport du 13 mai 1950 - mais sans nommer le compte spécial - que le recours à l’émission locale qu’il supposait retombait sur le Trésor métropolitain par le jeu des transferts financiers : c’est ce qu’il appelait, en termes plus comptables, la situation créditrice de la métropole sur l’Indochine, qui revenait en fait à faire financer indirectement par Paris la création des armées des États associés. Il s’agit autant d’une question de forme que d’un problème de fond : « Si les errements actuels sont poursuivis, écrivait-il, la métropole va consentir en 1950 aux États associés une aide de l’ordre de 50 milliards qui, dans les conditions où elle est octroyée, est irrégulière et dont il n’est tiré par ailleurs aucun avantage politique, puisque son mécanisme en cache la signification et l’importance aux yeux des bénéficiaires ». Il suggérait donc, comme son ministre en reprendra l’idée, une régularisation par le Parlement : à partir de 1951, le financement des Armées nationales fera l’objet d’une subvention inscrite au budget des Forces terrestres d’Extrême-Orient.
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En attendant, on s’en souvient, l’affaire revint devant le Parlement sous une autre forme, à propos de Cao Bang. Cette petite ville proche de la frontière chinoise avait été reprise en 1947 au Viet Minh mais aurait dû être évacuée depuis des mois, en raison notamment du coût élevé du maintien d’une garnison sur place - Revers lui-même l’avait envisagé en 1949 dans son rapport. Elle fut finalement abandonnée en octobre 1950 dans les pires conditions : pour la première fois, des unités militaires de l’Union française étaient mises en déroute et laissaient sur le terrain des milliers de morts. Or le général Carpentier, commandant en chef, attribuera notamment le désastre militaire à la fermeture du compte spécial n° 2, et donc au ministre des Finances, ce qui entraîna la question de Frédéric-Dupont lors du débat parlementaire du 19 octobre 1950.
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Interpellé, le président du conseil René Pleven mit un terme à la polémique dans une longue intervention à la tribune. « Nous n’avons jamais, rétorqua-t-il à FrédéricDupont, à aucun moment, laissé les préoccupations financières l’emporter sur les nécessités du corps expéditionnaire en Indochine »113. Il rappela au passage que le budget prévu de 120 milliards de francs, « correspondant à des effectifs budgétaires moyens au cours de 1950 de 125 000 hommes », avait été dépassé avec le plein accord du ministre des Finances : portées à 143 milliards de francs, les dépenses prévues ont ainsi « permis de maintenir les effectifs terrestres à 151 600 hommes contre 125 500 » initialement.
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Malgré la défaite de Cao Bang et la diatribe de Mendès France, nul ne parait pour autant songer sérieusement à remettre en cause la guerre elle-même, ni à revenir sur la politique compliquée de mise sur pied des États associés et d’alliance avec les ÉtatsUnis. Évidemment, comme l’avait déclare Mendès France lors du débat du 19 octobre en suggérant une négociation « avec ceux qui nous combattent », ce ne serait « pas facile, puisque nous ne parvenons pas, si j’en juge par les péripéties de la conférence de Pau, à réaliser un accord avec ceux qui ne nous combattent pas ! » Mais le gouvernement continue de préférer s’entendre - si l’on peut dire - avec les États associés plutôt qu’avec la RDV.
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Les conventions signées à Pau en décembre 1950 assuraient aux États associés, qui disposaient déjà d’une indépendance de principe, un large transfert de pouvoirs. Le Trésor indochinois, qui avait été pourtant conçu à l’origine comme un garde-fou à leurs prétentions, est supprimé. Trois Trésors nationaux et une Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette, chargée d’assurer l’exécution de ses propres engagements, lui succèdent. En matière douanière, fortement poussés dans ce sens par la délégation française, les trois États « ont convenu de former entre eux une union douanière », tout en conservant chacun la perception des droits et taxes, ainsi que la gestion générale de la question114. Comme par ailleurs les trois pays ne disposent pas du même accès à la mer, donc des mêmes potentialités en matière de commerce extérieur, une convention relative au port de Saigon et à la navigation sur le Mékong a été mise au point, prévoyant la libre circulation et une commission consultative siégeant à Phnom Penh. La philosophie générale des accords de Pau est ainsi celle d’une indépendance octroyée dans certaines limites économiques, celle qu’impliquent le lien fédéral et le rattachement à l’Union française : c’est le règne de l’Union économique et du quadripartisme, la France n’étant jamais très loin des dispositifs élaborés.
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La clé de voûte du système est d’ordre monétaire, sous la forme de l’institut d’émission des États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam, dont la convention fut signée le 23 décembre 1950115. Le schéma théorique d’un Institut d’émission se substituant à la Banque de l’Indochine était prêt, on le sait, depuis 1948. Le principe d’une union monétaire rattachée à la zone franc avait également été posé dans les accords bilatéraux signés en 1949 entre la France et les États associés. Avec la convention signée à Pau, les parties contractantes entrent cette fois vraiment dans la phase de mise en œuvre, qui annonce le désengagement de la Banque de l’Indochine. Dans l’immédiat, cela ne change pas grand-chose, d’autant que les délégués ne savent toujours pas où fixer le siège de l’Institut -Saigon, Phnom Penh ou Vientiane - et que la Banque de l’Indochine continue d’assurer la continuité monétaire : mais, à terme, la piastre « Bao Dai » se substituera bien à la piastre BIC. Qu’en sera-t-il de l’Office indochinois des changes ? La réponse à cette question reste indécise : un département des changes est cependant créé à l’Institut d’émission, pour veiller à ce que « For et les devises provenant des exportations des trois États soient cédés au Fonds de stabilisation des changes de la zone franc », avant que celui-ci les rétrocède aux États pour leurs propres besoins commerciaux et financiers116.
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Ces dispositions changent-elles quelque chose au coût de la guerre ? Sans doute non : au lieu de s’entendre avec la Banque de l’Indochine, le Trésor achètera à l’Institut d’émission les piastres nécessaires aux dépenses militaires de la France en Indochine. Parallèlement, un « compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine », dont la direction du Trésor prépare le projet de loi, prendra la suite du compte spécial n° 2 - on prévoit d’y autoriser un découvert d’environ 20 milliards de francs. Globalement, l’idée est que les versements du Trésor en Indochine, dont on suppose qu’ils seront d’un montant supérieur à celui des transferts financiers en retour, permettront de constituer les « avoirs francs » garantissant la circulation de la piastre nouvelle. Nous reviendrons également sur ce mécanisme, mais il apparaît pour l’heure que la couverture en francs de l’institut d’émission sera pour l’essentiel assuré par « les dépenses faites localement par la métropole », c’est-à-dire les dépenses militaires. Certes, le Trésor devra assurer l’équilibre dans le cas prévisible d’un excédent de transferts financiers de l’Indochine vers la France, mais c’est ce qu’il fait
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déjà depuis plusieurs années : comme l’indique une note de la rue de Rivoli, « la couverture de la piastre ne constituera pas pour la France une charge nouvelle » 117. 72
De sévères critiques, venues de ce que l’on pourrait appeler le lobby colonial, ont cependant salué l’achèvement de la conférence de Pau. Elles émanent en particulier de Paul Bernard, représentant les milieux d’affaires intéressés à l’Indochine : Pau a été pour lui un échec et un abandon118. Déploram à la fois l’absence de curiosité des députés et l’absence d’explications du gouvernement lors du vote de confiance qui a suivi la signature des conventions, il se demande simplement si la France a encore en Indochine la « place privilégiée », pour reprendre l’expression du ministre Letourneau, qui y justifie ses engagements : « au moment où l’on demandait au pays de consentir un nouvel effort militaire et financier pour renforcer le corps expéditionnaire, précise-t-il, le gouvernement se devait d’indiquer dans quelle mesure se justifiaient ces sacrifices supplémentaires et, par suite, de préciser sans équivoque pourquoi nous nous battions en Indochine ». Bien sûr, des dizaines de milliers de Français vivent toujours sur place, pour ne pas parler du corps expéditionnaire, et la France à travers eux y exerce toujours un réel pouvoir. Mais Paul Bernard s’inquiète de voir les États associés, désormais dotés d’armées nationales et d’une relative autonomie diplomatique, tentés de se comporter comme si l’Union française n’existait plus, ou de faire comme si Paris, dont ils dépendent pourtant encore largement, ne conservait pas également une prééminence de droit. Concrètement, affirme-t-il, « le gouvernement de la République n’a plus la charge d’assurer la direction de la politique comme l’a voulu la constitution ».
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Si les États associés, de leur côté, ne manquent pas de motifs de satisfaction, il reste bien sûr à la France, pour utiliser une expression qui circule de plus en plus, à les faire entrer « dans la guerre », en particulier le Vietnam de Bao Dai : le gouvernement s’y emploie sans tarder. En novembre 1950, alors que la conférence de Pau s’achève et que le souvenir du désastre de Cao Bang est encore frais dans les mémoires, le ministre des États associés Letourneau rencontre Bao Dai à Dalat. L’objet de l’entrevue est de mettre au point un programme de développement de la toute jeune Armée nationale vietnamienne, la faisant passer de 63 000 hommes, chiffre de fin 1950, à 165 000 hommes un an plus tard - pas moins119. Ce chiffre ne sera pas tout à fait atteint, des problèmes d’encadrement s’ajoutant aux difficultés de recrutement. Mais fin 1951, l’armée vietnamienne alignera néanmoins 122 800 hommes, soit une progression, en un an, de 162 %.
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Parallèlement à cette mise en place - et en guerre - des États associés, le climat s’est aussi amélioré avec les États-Unis : les modalités relatives à leur aide militaire se précisent à la fin de l’année 1950. Après de nouvelles négociations menées en octobre à Washington, alors que s’achève la conférence de Pau120, l’ambassadeur Henri Bonnet estime que « l’administration américaine est maintenant engagée dans l’accélération de l’aide militaire à l’Indochine »121. On s’organise : un MAAG - groupe consultatif d’assistance militaire - s’installe à Saigon sous la direction d’une « grosse pointure », ou perçue comme telle, le général Brinck ; et la France est bientôt avisée, le 16 novembre 1950, que la structure qu’il dirige est désormais la seule « autorité américaine désignée pour recevoir, étudier et transmettre les demandes d’assistance militaire américaine présentées par les forces françaises en Indochine »122. Le 20 décembre enfin, la conférence de Pau ayant finalement abouti, un « pacte à cinq » relatif à la défense mutuelle en Indochine est signé à Saigon par les représentants des États-Unis, de la
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France et des trois États associés123. Il aura fallu presqu’un an pour établir un processus régulier d’aide militaire - encore cet accord ne fixe-t-il que des modalités : aucun engagement n’est pris quant au montant et à la durée de l’aide. Tous les problèmes, loin s’en faut, ne sont pas encore réglés.
III. L’ANNÉE DES AMBIGUÏTÉS 75
L’année 1951 voit se mettre en place le mécanisme élaboré, non sans difficultés, durant les deux années précédentes. Mais ce mécanisme apparaît encore imparfait, inachevé, ambigu même. Trop d’intérêts contradictoires, sans doute, étaient en jeu.
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L’aggravation de la situation internationale inquiète parallèlement le gouvernement français, bien au-delà de l’Indochine. En juin 1950, la guerre de Corée a pris le relais de la révolution chinoise : tout le bloc communiste semble être entré dans une phase d’expansion armée. L’Europe occidentale elle-même se sent menacée : le grand dessein de la France est dès lors, tout à la fois, de se réarmer et de redevenir la première puissance militaire en Europe. René Pleven a placé le réarmement en tête de ses objectifs en entrant à Matignon en juillet 1950. Le plan qui porte son nom, lançant la Communauté Européenne de Défense (CED), est formulé le 24 octobre 1950 et le budget de réarmement finalement adopté par l’Assemblée nationale le 8 janvier 1951 : la part des dépenses militaires, qui représentait en 1950 environ 18 % des dépenses du pays, passe à près de 28 % pour 1951124. Les crédits militaires de la France font entre 1950 et 1951 un bond de 47 %125.
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En France, l’opinion est divisée, la contestation du réarmement et de l’engagement en Indochine restant une spécialité du parti communiste, qui conteste ensemble tous les efforts militaires occidentaux : « En cette période de rentrée des classes, peut-on par exemple lire en octobre dans L’Humanité126, devant les nombreuses écoles qui attendent des réparations urgentes ou en pensant à celles qui sont à construire, on songe [notamment] à tout ce qui aurait pu être fait [...] avec le milliard que notre gouvernement dépense journellement pour la guerre du Vietnam ». Mais la guerre d’Indochine semblait pourtant avoir pris une physionomie nouvelle.
A. L’EFFET DE LATTRE 78
Dans l’historiographie de la guerre d’Indochine, l’arrivée du général de Lattre de Tassigny en Indochine, en décembre 1950, marque un tournant majeur, mais il reste à en apprécier le prix, et comment le nouveau responsable de la mise en œuvre de la politique indochinoise de la France s’accommode des problèmes financiers qui grèvent de plus en plus le conflit. Ce qui frappe le plus chez ce Mac Arthur français 127 est le caractère tragique de son proconsulat : muni de tous les pouvoirs civils et militaires, pour la première fois depuis d’Argenlieu, ce chef charismatique impose d’emblée un nouveau dynamisme au corps expéditionnaire et donne au gouvernement français de nouvelles raisons d’espérer ; mais il rencontrera très vite la mort, celle au combat - au Vietnam même de son fils unique, et la sienne propre en janvier 1952.
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La volonté de rupture du nouveau chef s’exprimait à tous les niveaux. Hautcommissaire de France et commandant en chef, il succède à la fois à Léon Pignon et au général Carpentier, ne relevant que du ministre d’État Letourneau, chargé des Relations avec les États associés - en principe du moins si l’on en juge par l’impression laissée sur
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Perron, directeur du Trésor en Indochine, par l’arrivée de De Lattre 128 : « Transfert de pouvoirs à mon avis assez pénible, écrit-il, Pignon paraissait fatigué et assez aigri, le successeur relevant le menton, le ministre trottinant derrière ». Avec de Lattre, la guerre, que la recherche d’un aménagement politique avait un peu relégué au second plan, revenait sur le devant de la scène. Mais tout était remis à plat, revu, relancé - ou du moins censé l’être, comme avec cette note du 28 mai 1951 adressée par le hautcommissaire à la direction du Trésor, rue de Rivoli129 : rassemblant en un dossier des données nombreuses et détaillées, sur la circulation fiduciaire, les relations entre la Banque de l’Indochine et le Trésor, ou les transferts financiers avec la France, elle ne fait pas oublier l’impression de complexité et ne propose aucune solution nouvelle. Mais sans doute était-il nécessaire de faire vraiment le point. 80
Au passage, le général de Lattre s’entend si bien avec le directeur de la succursale de la Banque de l’Indochine à Saigon, Paul Gannay, également Inspecteur général de la Banque, qu’il exige - et obtient - son départ d’Indochine130. Tout autant que l’institution financière qu’il dirigeait, Gannay, établit sur place depuis les années 1920, symbolisait il est vrai l’époque coloniale à lui seul. Mais peut-être aussi l’Indochine ne pouvait-elle avoir deux « patrons » en même temps...
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Une telle tornade a son prix : de Lattre était cher, mais relativement suivi par le gouvernement. Les dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, déjà réputées trop élevées, bondissent en 1951 de 182 à 322,3 milliards de francs 131. Même si le nouveau commandant en chef n’est pas le seul responsable de l’intensification des combats, il ne se bat pas non plus toujours à l’économie. Le moral des troupes d’Indochine, d’abord, n’est pas gratuit : de Lattre s’efforce de relever leur « standing » et obtient des crédits pour le faire. Le président du Conseil Pleven lui rendra hommage sur ce point, en imposant néanmoins quelques coupes à son projet de budget pour l’année suivante132 : « de grandes améliorations ont été apportées sous votre impulsion, reconnaît-il alors, à l’habillement et à l’alimentation de la troupe ». Quand, ensuite, de Lattre a l’intention de gagner une bataille, et il le montre dans les semaines qui suivent son arrivée, il ne parait lésiner sur aucun moyen. En janvier 1951, pour la bataille de Vinh Yen, c’est-à-dire pour bloquer au nord-ouest la route de Hanoi, menacée par des unités régulières de l’armée populaire, il réquisitionne tous les transports disponibles, y compris les avions civils : un pont aérien assuré par Air France pendant trois jours permet notamment d’amener à Hanoi les unités parachutistes jugées indispensables133.
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De Lattre demande des renforts et, en général, les obtient, même si ce n’est pas sans difficultés. Après trois Comités de Défense nationale partiellement consacrés à la question134, la « décision Queuille » donne ainsi satisfaction le 17 mars 1951 aux « demandes de relève, de maintenance et de renforts formulées par le hautcommissaire commandant en chef » : prélevés en Afrique 135, 15 000 hommes sur les 20 000 demandés sont accordés à l’Indochine. Après que de Lattre en ait fait la demande le 25 juin, le Comité de défense nationale du 15 octobre 1951 fixe finalement à 173 300 hommes et 60 000 supplétifs les effectifs moyens du corps expéditionnaire 136. Cette fois, cependant, Pleven avertit de « la nécessité de ne pas les dépasser, en moyenne, en 1952 ».
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Reste le programme de fortifications imaginé par de Lattre après la bataille de Vinh Yen : un millier d’ouvrages environ, en béton, destiné à « barricader » le delta tonkinois contre les unités régulières de l’armée populaire, voire contre une éventuelle menace
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chinoise. Outre que le principe en était discutable, car la pratique militaire du Viet Minh se jouait assez facilement des places fortes, il était franchement onéreux : environ 7 % des dépenses militaires pour l’Indochine sont consacrées à ce programme en 1951 soit entre 20 et 25 milliards de francs. Carte 4. Les fortifications de Lattre autour du delta du Tonkin
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Pour la première année, le gouvernement a suivi : « toute l’aide possible vous a été donnée, en cours d’année, pour cette magnifique réalisation », écrit notamment Pleven à de Lattre137. Mais quand ce dernier réclame une rallonge pour étendre son programme en 1952, l’idée de transformer non seulement le delta du fleuve Rouge mais tout le Vietnam en camp retranché passe nettement moins bien 138 : « Je vous demande, poursuit Pleven dans la même lettre d’arbitrage, - au prix d’un risque dont le Gouvernement prend la responsabilité - de limiter ce programme » au strict nécessaire : le parachèvement du système des fortifications existant au Tonkin, soit tout de même quelque 24,5 milliards de francs.
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Onéreux, de Lattre n’en est pas moins, si l’on peut dire, adapté aux exigences politiques et financières de l’heure. Mieux que tout autre, il s’attache à « mettre le Vietnam dans la guerre ». « Soyez des hommes, lance-t-il aux jeunes Vietnamiens lors de la distribution des prix du lycée Chasse-loup-Laubat, c’est-à-dire : si vous êtes communistes, rejoignez le Viet Minh ; il a là-bas des individus qui se battent bien pour une cause mauvaise. Mais si vous êtes des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre »139. Cinq jours plus tôt, le 6 juillet 1951, le chef du gouvernement Tran Van Huu, finalement convaincu, avait décrété la mobilisation du pays, une mobilisation dont Bao Dai signera l’ordonnance le 15 juillet suivant.
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Mettre le Vietnam dans la guerre, cela impliquait à la fois que l’État associé disposât d’un outil militaire efficace et des moyens de le financer, au moins partiellement. Sur cette nécessité « d’accomplir l’indépendance des États », de Lattre parait être au même diapason que la rue de Rivoli : André Valls, inspecteur des finances envoyé en mission en Indochine en mai-juin 1951, insiste dans son rapport sur l’objectif essentiel de préparer les « États à l’exercice de leur souveraineté économique et financière », ce qui n’est pas toujours facile sur place, compte tenu d’une part de l’existence « des fonctionnaires français habitués à gérer, en toute liberté, les finances indochinoises » et, d’autre part, d’un certain manque de compétences du côté vietnamien 140. Or il faut s’y mettre : le gouvernement français prévoit en effet pour bientôt, par exemple, le transfert aux États associés de la charge des « travaux publics d’intérêt militaire » quitte à solliciter des États-Unis une aide particulière sur ce point 141.
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De Lattre éprouve justement le besoin de stimuler l’aide américaine, dont les débuts ont été on le sait laborieux et conflictuels. Les livraisons de matériel militaire ont certes commencé en août 1950, dans le cadre du Mutual Defense Assistance Program (MDAP), mais sans précipitation et de manière inégale selon les armes : les Forces terrestres y ont trouvé de quoi commencer la rénovation de leur matériel ; les Forces aériennes, surtout, de quoi se doter de nouveaux équipements offensifs, un cinquième groupe de chasse et deux groupes de bombardement142 ; la Marine, en revanche, n’obtient guère encore satisfaction. De Lattre décide donc de se rendre sur place, aux États-Unis même, convaincu que les Américains peuvent être mobilisés comme les autres pour la cause qu’il défend. Sans doute connaît-il mieux que quiconque le coût de sa stratégie, mais il paraît également savoir où se trouve l’argent, et son voyage - sa croisade - aux ÉtatsUnis, du 13 au 25 septembre 1951, est un succès : conscient du poids de l’opinion outreatlantique, il multiplie les rencontres publiques et politiques, fait la couverture de Time magazine, est l’invité de « Meet the Press » sur le petit écran. Son message est simple : la France défend en Indochine le monde libre et l’indépendance de jeunes États, une cause qui la dépasse largement ; et elle ne peut le faire seule, l’enjeu dépassant ses moyens propres. De fait, les livraisons américaines vont se trouver accélérées.
B. LA MISE EN PLACE DES ÉTATS ASSOCIÉS 88
L’application des conventions de Pau, alors que de Lattre est à la tête de l’Indochine, ouvrait en fait une période très incertaine. Une note de la direction des Finances extérieures le résume à sa manière : « La situation actuelle en Indochine se caractérise essentiellement par sa confusion, écrit Sadrin au printemps 1951 143 : confusion qui résulte tant de causes politiques et militaires que de causes administratives ; ces dernières - les seules que nous ayons à examiner - résultent avant tout des transferts des services, en exécution des accords de Pau, et de l’imprécision qui semble régner dans le domaine budgétaire. Cette confusion a ses répercussions financières dans la métropole. Sur le plan budgétaire, il est difficile d’inscrire les dépenses à imputer au budget ; sur le plan de la trésorerie, un risque permanent pèse sur le Trésor... » Sur place, la difficulté du montage des nouveaux États était liée par ailleurs, on le sait, à leur double parrainage, français et américain : entre collaboration et discorde, les États associes représentaient en effet, pour eux, le lieu de tous les malentendus.
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Le financement des Armées nationales reste le premier point. Sans doute la France continue-t-elle à financer leur mise sur pied. Après la fermeture du compte spécial n° 2,
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elle le fait même très officiellement : les États associes apparaissent pour la première fois en 1951 dans le budget de la métropole - à hauteur de 31 milliards de francs sur un total, en francs courants, de 182 milliards consacrés à l’Indochine 144. Mais cela, bien sûr, ne suffit pas : l’objectif de la France étant alors de « faire entrer le Vietnam dans la guerre », il était indispensable d’obtenir sa contribution financière. Ne lui a-t-on pas transfère les principales recettes fiscales du pays et la maîtrise de son propre budget ? En 1950, cette contribution était encore modeste : 4 milliards de francs (1953), soit seulement 1,4 % du coût global de la guerre cette année-là. Mais la progression est sensible en 1951 : elle permet de passer à 16,7 milliards de francs, ce qui représente 4,4 % du total ; et elle se poursuivra les années suivantes 145. Il y a encore du travail. Comme l’écrit Gaston Cusin, président du nouvel Institut d’émission, « la remise en ordre des finances publiques est [...] la condition sine qua non de l’effort militaire vietnamien, dont nous attendons un allégement de nos charges militaires dans l’immédiat et, plus tard, la relève des troupes de l’Union française » 146. 90
La dotation initiale des premières unités des Armées nationales est venue de France. Mais avec l’accord à cinq du 20 décembre 1950, celles-ci purent bénéficier d’une partie de l’aide militaire fournie à titre gratuit par les États-Unis à la France. La question restait épineuse, les Français se méfiant d’un intérêt par trop exclusif des Américains dans cette direction. Mais René Pleven n’avait pas hésité à solliciter directement leur aide - à condition qu’elle passât par la France : les Armées nationales figurent donc expressément dans les demandes françaises. « L’aide que nous sollicitons du gouvernement des États-Unis a essentiellement pour but d’assurer la mise sur pied en 1951 de quatre divisions vietnamiennes », indique à ce sujet une note du Quai d’Orsay147, auxquelles s’ajoute l’équipement de diverses formations vietnamiennes ne relevant pas de l’armée régulière, ainsi que de deux bataillons d’infanterie pour le Cambodge et de deux autres pour le Laos.
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La négociation de l’aide économique s’avéra plus délicate, sinon conflictuelle 148. Cette aide aux États associés, en dépit de la relative modestie des sommes concernées, n’était pas en effet sans risques pour la France. L’aide commercialisée, en particulier, pouvait facilement contrarier les circuits commerciaux traditionnels reliant la métropole et l’Indochine : comme l’indique l’inspecteur des finances dépêché à Saigon pour y suivre les négociations américano-vietnamiennes, la France doit donc être à la fois en mesure d’autoriser des importations de la zone dollar et ne pas « compromettre les débouchés de produits français »149. Mais globalement l’enjeu est politique : le ministère de la France d’outre-mer, d’abord en charge du dossier, puis celui des États associés ont la nette impression que l’ECA, administration américaine compétente, établit des programmes peu onéreux mais populaires, par exemple en matière de santé, aux seules fins de jeter le discrédit sur la présence française, en suggérant qu’elle restait inactive dans les domaines visés. Mais on ne refuse pas une aide économique. Alors, dès le début, tout fut question de procédure : ainsi que le précise le ministère des Finances, le combat a consisté à « faire en sorte que cette aide soit, en fait, négociée et gérée par nous »150.
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L’accord, on s’en doute, ne fut pas facile à trouver. Au plus haut niveau, les occasions de discuter ne manquèrent pas, même si cette question ne figurait pas en tête des ordres du jour : le président du Conseil René Pleven vient aux États-Unis en janvier 1951 151, le président de la République Vincent Auriol deux mois plus tard. Désireux de rendre possible l’aide économique américaine à l’Indochine tout en en gardant un certain
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contrôle, Paris affichait même une certaine bonne volonté : les procédures américaines exigeant une sorte de préfinancement de l’aide commercialisée, le ministre français des Finances offrit son concours, en créant un fonds de roulement de 5 millions de dollars à Washington au profit des États associés152. Mais, comme le notera le ministre d’État chargé des Relations avec les États associés Letourneau, les volontés restaient contradictoires153. « Nous devons le constater une fois de plus, écrit-il en effet : l’action de la mission Blum est telle, qu’au moins dans ses effets sinon dans ses buts, elle tend à l’élimination progressive de l’influence française en Indochine. Le gouvernement français ne saurait en aucune façon y consentir. Il entend faire respecter par tous l’œuvre d’un siècle que couronne aujourd’hui l’indépendance reconnue aux États, indépendance dont nous restons encore les seuls garants. » 93
Le projet d’accord entre les États-Unis et le Vietnam déplut tant aux services ministériels français que tout le processus fut arrêté. Moins de dix jours avant la cérémonie officielle de signature de l’accord à Saigon, prévue le 30 juin, une réunion ministérielle décida des points dont la France demandait la modification et en donna instruction au haut-commissaire154. La cérémonie dut être reportée, mais l’accord sur l’aide économique américaine aux États associés put finalement être signé à Saigon le 7 septembre 1951, alors que s’ouvrait la conférence de San Francisco - on ne pouvait, du côté américain, choisir moment plus approprié155. A cette date, d’ailleurs, les relations franco-américaines s’améliorent et, peut-être, changent de nature : en même temps ou presque que le général de Lattre, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine, venu plaider sa cause, plusieurs membres importants du cabinet — Schuman et Mayer pour les Affaires étrangères et les Finances notamment - ont alors des conversations à Washington. Il est déjà question d’une augmentation de l’aide américaine à l’Indochine, voire directement à la France. C’est à peine si l’on remarquera, en novembre, que Robert Blum est remplacé à la tête de la mission économique américaine de Saigon par un diplomate de carrière, Williamson, réputé plus conciliant.
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Finalement, les nouvelles institutions financières des États associés purent enfin être mises en place au cours du troisième trimestre 1951. Au 1 er octobre, les trois Trésors nationaux du Vietnam, du Cambodge et du Laos se substituaient au Trésor indochinois. Il devenait difficile, dans ces conditions, de surseoir encore à la mise en place de l’Institut d’émission. La convention de Paris du 16 décembre 1951 permit de définir les modalités du transfert du privilège d’émission et d’introduire quelques garde-fous jugés nécessaires par la France156 : le siège de l’Institut était fixé à Phnom Penh, capitale du Cambodge, ce qui ne pouvait plaire aux Vietnamiens, et il restait dépendant du Trésor français - par un mécanisme sur lequel nous revien-drons 157. L’Institut d’émission des États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam fonctionnera à partir du ler janvier 1952.
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Notons que, sur ce plan, la RDV n’est pas en reste. Bien adossée elle-même au camp communiste, elle ne s’en laisse pas compter. Sur le plan militaire, elle manœuvre désormais de grandes unités régulières, constituées ou formées en Chine. Sur le plan politique, le Viet Minh a formellement disparu, mais cela ne change pas grand-chose : depuis la tenue en février 1951 du IIe congrès du parti communiste vietnamien, c’est ce dernier qui, sous le nom de parti des Travailleurs, a pris officiellement la direction de la Résistance. Sur le plan économique, enfin, la RDV n’a jamais baissé la garde : alors que l’on discutait toujours à Pau, une « semaine de destruction de l’économie ennemie »
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était organisée au Nam Bo, du 23 au 29 septembre 1950158 ; l’interdiction d’utiliser la monnaie de la Banque de l’Indochine en dehors des autorisations reconnues reste passible de lourdes sanctions -quelques peines de mort semblent même avoir été prononcées en 1951159. Et elle reprend l’initiative en matière monétaire. Une Banque nationale du Vietnam, version RDV de l’Institut d’émission, mais huit mois avant ce dernier, est constituée le 6 mai 1951160, et une nouvelle monnaie est émise, le dong nouveau valant dix dôngs anciens - il s’agit en particulier de faire face à l’arrivée prochaine de la monnaie « Bao Dai ».
C. QUELLE POLITIQUE INDOCHINOISE ? 96
On a beaucoup dit que le décès du général de Lattre, en janvier 1952, avait privé la France d’un redressement certain en Indochine : il est cependant permis de se demander, indépendamment des difficultés que lui-même pressentait, s’il ne risquait pas de se « démoder » assez vite. Un nouvel état d’esprit semble en effet régner à Paris au sujet de l’Indochine en 1951 : la hiérarchie militaire d’une part, le ministère des Finances d’autre part, paraissent en effet alors sceptique sur les modalités de son entreprise.
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Le programme de réarmement, centré sur le théâtre Europe et budgétisé en janvier 1951, est-il compatible avec l’engagement français en Indochine ? Les premières demandes de renforts formulées par de Lattre, contemporaines du vote de l’Assemblée, avaient interpellé le pouvoir sur ce point : « L’importance de cette première demande du général de Lattre de Tassigny pose le problème qui a pu longtemps être remis du choix entre l’Indochine et l’Europe », résume le procès-verbal du Comité de défense nationale du 19 janvier 1951161. Peu après, l’avis du comité des chefs d’état-major est que la satisfaction des demandes du haut-commissaire compromettrait « gravement la réalisation du plan de réarmement ». Mais de Lattre ne se laisse pas intimider. Présent au Comité de défense nationale du 17 mars 1951, il conclut son intervention par ces termes : « En définitive, il s’agit de déterminer si l’emploi sur le théâtre actif d’Indochine d’une fraction de nos moyens, en supplément momentané, ne représente pas une meilleure économie de forces et une sécurité actuellement plus réelle que la conservation de cette même fraction pour un théâtre Europe qui ne semble pas devoir être prochainement ouvert. C’est la question qui se pose »162. La « décision Queuille » lui donnera partiellement raison.
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Mais les choses n’en restèrent pas là car, en attendant que soit signé le traité de CED, la France inscrit son effort de réarmement dans le cadre de l’OTAN : elle s’engage en particulier à aligner quatorze « divisions OTAN » entre la France, l’Allemagne et l’Algérie, sur un total de vingt-cinq divisions - plus douze autres mobilisables 163. Tout semble se liguer contre l’engagement français en Indochine : l’aggravation des coûts de la guerre, le réarmement du pays, le déficit budgétaire, l’engagement « atlantique ». Sans doute les États-Unis aident-ils la France à se doter en Europe d’un outil militaire à la hauteur des enjeux présumés, d’autant plus que Paris consent un effort budgétaire en proportion. Mais les crédits militaires de la France s’envolent, et ses objectifs apparaissent de plus en plus inconciliables.
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La dérive financière, en tout cas, s’accélère. « Les prévisions budgétaires se trouvent aujourd’hui largement débordées », notait en février 1951 le ministre des États associés, en annonçant le projet de budget de son département au président du Conseil 164. « De
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fait, rappellera Roger Goetze165, le budget [1951], à l’époque où a été définitivement votée la loi de Finances, ne reflétait déjà plus la situation des finances publiques. [...] Le Parlement a rejeté la demande de crédits supplémentaires que lui présentait le gouvernement pour la couverture du renforcement en armes et en matériel du corps expéditionnaire d’Indochine [...]. D’autre part, le gouvernement lui-même n’avait pas jugé opportun de présenter à l’Assemblée nationale, dont le mandat venait à expiration, les conséquences de certains problèmes cependant déjà poses, tels que le coût des renforts en hommes demandés par le général de Lattre... » 100
Mais que dire de la préparation du budget 1952 ! « Pour sérieux qu’il soit, ajoute le directeur du Budget en juillet 1951 dans son rapport au ministre, le problème du budget de 1951 apparaît en vérité comme mineur à l’égard de celui que pose celui de 1952 ». Une vue optimiste de la question, précise Roger Goetze, même tenant compte de l’aide américaine, laisse entrevoir qu’il manquera environ 900 milliards de francs pour boucler un budget alors évalué à quelque 3 450 milliards. « Le montant absolu du déficit atteint un ordre de grandeur jamais envisagé jusqu’ici », assure-t-il. Encore ces perspectives restent-elles incertaines, en raison de la difficulté d’estimation des dépenses militaires, particulièrement pour l’Indochine. Budgétairement parlant, pourtant, l’Indochine n’apparaît pas directement - ou pas seule - responsable de cette situation. Pour Roger Goetze, la stabilité financière a surtout été « remise en cause par le lancement d’un programme intensif de réarmement », qui ne lui est pas lié, et qu’il ne conteste d’ailleurs pas sur le fond. II reste pour le directeur du Budget que « cette charge nouvelle [...] a mis en péril le redressement financier et menacé l’existence même de la monnaie »166. Il faut donc trouver des solutions à la même hauteur.
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Si l’Indochine n’apparait pas comme la cause première du déficit budgétaire, elle figure par contre en tête des « décisions de sévérité » qu’impose la situation et que suggère Roger Gœtze, étant donnée « l’insuffisance des solutions traditionnelles ». Les 300 milliards de francs et plus qui vont y être « engloutis » en 1952 représentent pour lui un effort financier « proprement insupportable », qui en outre « compromet les chances de succès d’un rééquipement de l’armée française en Europe ». Il semble qu’en fait l’Indochine soit le seul chapitre budgétaire sur lequel il soit encore possible d’intervenir. La solution ? « Le problème des charges » de la guerre « devrait être porté sur le plan international ». La France risque en effet de se retrouver bien seule en Asie, pronostique-t-il : peut-être y aurait-il donc lieu « d’obtenir de nos Alliés une aide que jusqu’ici ils se sont refusés à envisager autrement que par la fourniture d’ailleurs restreinte de certains matériels ». Différer quelques fabrications d’armement et « partager les dépenses » - c’est-à-dire internationaliser la guerre d’Indochine : « tels sont les seuls allégements qu’on puisse raisonnablement envisager dans le cadre du programme militaire auquel la France a souscrit »167. La gravité de la situation ne le cède qu’à son urgence.
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Le ministre des Finances René Mayer enfonce le clou dans une lettre à René Pleven, nouveau président du Conseil168, à la veille du Comité de défense nationale du 27 août 1951 et du voyage du général de Lattre aux États-Unis : constatant que ce dernier, en effectuant ce déplacement, a « l’intention de réclamer une accélération et une augmentation des fournitures américaines de matériel miliaire » et que cela « est parfaitement normal », Mayer suggère très vite les limites de l’opération : « en agissant ainsi, le général de Lattre, comme il est naturel, se place dans le cadre du maintien de la situation actuelle, en vertu de laquelle la métropole supporte le principal du poids de la
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guerre d’Indochine ». Or cette « situation actuelle » peut changer : « il n’est pas interdit de penser que le gouvernement, poursuit le document, lorsqu’il examinera, dans les semaines qui viennent, le problème de notre équilibre budgétaire en 1952 et celui du volume de nos dépenses tant en Europe qu’en Asie, arrivera à la conclusion qu’il convient de réexaminer à fond la nature et l’étendue de notre engagement en Indochine... », au regard de nos possibilités financières d’une part et de nos possibilités de constitution d’une armée française en Europe d’autre part169. La note préparatoire à la lettre de Mayer parlait plus simplement de l’hypothèse de « repenser notre politique indochinoise »170. 103
Dans le doute, puisque d’autres ministres - et non des moindres 171 -doivent se rendre aux États-Unis à l’occasion de la conférence de San Francisco, et que l’avenir de l’Indochine suppose en tout état de cause une négociation franco-américaine, Mayer propose une délibération interministérielle préalable, ainsi qu’une information au général de Lattre, afin d’assurer outre-Atlantique « une unité de langage indispensable ».
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Tout s’est passé comme si l’on voulait dissuader le général de Lattre d’en faire trop en Amérique, comme si l’on souhaitait aussi préserver les chances d’un réel désengagement. Le ministère des Finances semble avoir pesé de tout son poids dans cette affaire, notamment face à celui des États associés, dirigé par l’inamovible ministre d’État Letourneau. Le rapport au ministre de Roger Goetze est daté du 12 juillet 1951, alors que le gouvernement Queuille a démissionné depuis 48 heures. René Mayer revient rue de Rivoli un mois plus tard, le 11 août, dans le nouveau cabinet Pleven. Encore dix jours, le 22 août, et il a sur son bureau une note de son cabinet, consacrée aux « conversations franco-américaines sur l’Indochine ». Deux jours plus tard, cette note devient lettre au président du Conseil, avec quelques menues modifications. L’analyse de la rue de Rivoli rencontre ainsi, d’une certaine manière, celle de la hiérarchie militaire. Le Comité de défense nationale du 27 août, quelques jours après ces différentes notes et lettres, conclut que « Le général de Lattre devra être exactement mis au courant des engagements de la France dans le cadre NATO de manière à ne rien dire qui puisse laisser croire aux Américains qu’un effort accru des États-Unis en faveur de l’Indochine pourrait être fait au détriment de la défense de l’Europe ». Décision est prise de lui donner des instructions « pour lui préciser qu’il est seulement autorisé à prendre des renseignements militaires et à en donner, dans le cadre de ses responsabilités de haut-commissaire et de commandant en chef en Indochine »172.
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Ainsi, à la fin de 1951, après que trois ans d’évolution aient dessiné une nouvelle configuration du conflit, tout est prêt pour une nouvelle période, qui pourrait être en effet celle d’un réel désengagement. Mais l’ambiguïté demeure. Dans les derniers jours de décembre 1951, défendant devant les députés le budget militaire 1952, qui atteint des sommets jamais encore approchés – 1 270 milliards de francs, en hausse de 61 % sur celui de 1951 -, Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, paraît ainsi bien embarrassé à propos de l’Indochine : « La procédure suivie pour la présentation des crédits a pour but de nous donner et de donner à nos partenaires deux mois pour réfléchir et pour agir, déclare-t-il notamment. Ce n’est pas la première fois qu’il est demandé à la France de choisir entre le proche et le lointain. [...] La France - ni aucun autre pays - ne peut seule faire face à l’ensemble des charges et des périls qu’exigent le maintien de la paix et la sauvegarde des libertés. [...] C’est l’effort de tous qui pourra
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sauver les valeurs essentielles qui s’attachent à la présence française et à toute civilisation digne de ce nom. C’est pourquoi le gouvernement ne vous a pas présenté de budget provisionnel pour l’Indochine, car là où est le combat doit être la certitude. [...] Chargé des responsabilités de la défense nationale, je me trouve dans l’impossibilité morale et politique d’accepter aucune dissociation entre des tâches dont le seul but est d’assurer pour une cause unique la défense des territoires français et associés » 173.
NOTES 1. D’après le tableau des « Dépenses militaires supportées par la France au titre de la guerre d’Indochine », établi par la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense, mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22. 2. JO du 20 octobre 1950. 3. Pierre Mendès France, Une politique de l’économie. 1943-1954, Œuvres complètes, tome 2, Paris, 1985. 4. Le 2 novembre 1949. 5. R. Claeyssen, « Une opération réussie » dans le Bulletin de l’Association des anciens élèves de l’École navale, n° 31, 1er trimestre 1991. L’auteur indique avoir assuré alors le secrétariat de ce comité. 6. Dans les plantations, les choses semblent évoluer à partir d’août 1950 : un nouveau plan du Viet Minh, transmis par le SDECE, parle d’« abandonner la lutte à caractère spectaculaire et [de] se borner à réclamer des avantages ». SHAT, 10 H 3991. 7. Études vietnamiennes n° 44, Politique économique et guerre de libération nationale, Hanoi, 1976. 8. . R. Claeyssen, « Une opération réussie », op. cit. 9. Rapport Revers, SHAT, fonds Revers, 1 K 331. 10. Note 31/TV-2 du Comité de résistance exécutif du Nam Bo, du 14 mai 1950. SHAT, 10 H 3992. 11. Instruction de Phan Van Bach du 13 décembre 1949. SHAT, 10 H 3992. 12. SHAT, 10 H 3993. 13. Sadec Thong Tin n° 12, 5 mars 1950. SHAT, 10 H 3992. 14. Cette région rassemble toutes les provinces situées au-delà du Bassac, le bras occidental du Mékong, soit l’ouest de la Cochinchine : provinces de Bac Lieu, Can Tho, Chau Doc, Ha Tien, Long Xuyen, Rach Gia et Soc Trang. 15. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Plon, 1979. 16. 2e Bureau, « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », 3 mai 1950. SHAT, 10 H 3995. 17. « Documentation sur l’encerclement de l’économie de l’ennemi », saisi et traduit par le 2 e Bureau en février 1951. SHAT, 10 H 3991. 18. 1 gia = 40 litres, soit 22,5 à 23 kg de paddy, ou 14 à 14,8 kg de riz, selon « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », op. cit. 19. Elles passent de 170 millions de piastres en 1949 à 125 millions en 1950. 20. Le total exportable entre les mains du Viet Minh s’élevait à 1 404 605 tonnes de paddy, dont 971 300 t pour les provinces du Transbassac, sur un total de 1 193 300 tonnes, et moitié moins pour les autres, dites du Cisbassac. 2e Bureau, « Les possibilités d’exportation de paddy par le Viet Minh en Cochinchine », 23 août 1950. SHAT, 10 H 3995. 21. « Documentation sur l’encerclement de l’économie de l’ennemi », op. cit.
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22. Selon un renseignement du 2e Bureau du 13 octobre 1949. SHAT, 10 H 3995. 23. 2e Bureau, « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », op. cit. 24. Pour reprendre les termes du général Gras, op. cit. 25. Note sur « L’évolution de la situation économique et financière dans les zones Viet Minh », 10 janvier 1951, direction générale de la Documentation, haut-commissariat, Saigon. SHAT, 10 H 3990. 26. Ho Chi Minh, « À l’occasion du Ve anniversaire de la Révolution d’août et de la fête nationale » (2 septembre 1950), dans Écrits, Hanoi 1971. 27. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’humiliation, Paris, 1965. 28. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 29. Cité par François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine. Genève. 1954, Paris, 1979. 30. Télégramme du 16 décembre 1948, cité par le général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine. Paris, 1979. 31. Il est notamment question de 150 000 fusils négociés en janvier ; 40 000 fusils, 125 mitrailleuses, 75 mortiers, 3 000 caisses de munition et des tonnes d’équipement auraient été reçus entre avril et septembre 1950. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 32. Cette information est assez largement reproduite dans les bulletins de renseignement : elle figure au moins dans une étude du BTLC (Bureau technique de liaison et de coordination) datée du 6 juin 1950 - Bilan économique et financier du Viet Minh en mai 1950 - et dans un renseignement du 2e Bureau daté du 12 août, deux mois plus tard... SHAT, 10 H 3991 et 10 H 3995. 33. Outre le PCC, des représentants du gouvernement de Taïwan, un « groupe du Kuangsi » et un « groupe du Kuangtung » étaient acquéreurs de riz. Renseignement SDECE du 2 février 150. SHAT, 10 H 3995. 34. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 35. « Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers », SHAT, fonds Revers, 1 K 331. 36. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 37. Truong Chinh, La résistance vaincra (1947), Hanoi, 1977. 38. Ho Chi Minh, « Rapport politique au 2 e congrès du parti » (février 1951), dans Écrits, Hanoi 1971. 39. Notamment le général Gras. 40. Ho Chi Minh, « Rapport politique au 2e congrès », op. cit. 41. Exemple pris dans la conclusion d’un télégramme du Nam Bo demandant une livraison de paddy au comité économique de Tra Vinh. Document saisi du 18 mars 1951. SHAT, 10 H 3990. 42. Ministère du budget (bureau d’études). Le budget de la France en 1950, Document, Fonds Gœtze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 43. Historique des renforts envoyés en Indochine, SHAT, 1 R 239, et Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 44. Un groupe de l’armée populaire de libération chinoise, venu du Guangdong, avait occupé la ville frontalière pendant 24 heures. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 45. Inventaire des séances du Comité de la défense nationale, SHAT ; Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. ; Archives nationales, F 60 2768. 46. Le projet de loi avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée le 30 mars. Source Assemblée nationale. 47. Source Assemblée nationale. 48. Fiche du 13 août 1949 relative à la réunion au ministère des Finances au sujet du collectif Indochine. SHAT, fonds Revers, 1 K 331. 49. Instruction interministérielle (Finances - France d’outre-mer) du 4 avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43926. Le compte lui-même, numéroté 15-79 et intitulé « Avances pour les dépenses
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militaires pour l’année 1949 », a été créé par arrêté du haut-commissaire de France en Indochine du 21 novembre 1949. 50. Notice sur les avances pour les dépenses militaires. AEF, Fonds Trésor, B 43926. 51. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine, l’humiliation, Paris, 1965. 52. Compte non tenu des réexportations. Note à Mondon. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 53. Télégramme du 14 avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 54. Rapport Perron, avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 55. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 56. Rapport de Margerie, dans la forme transmise à François Bloch-Lainé le 12 mai 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43918. Bernard de Margerie était directeur adjoint des Finances extérieures. 57. Cet échange de télégrammes figure notamment dans un dossier des Archives d’outre-mer. CAOM, FM, INDO/NF/1368. 58. Note du 1er février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43928. 59. Office des changes, Rapport Mariani, 21 février 1950, AEF, Fonds Trésor, B 43917. Mariani était administrateur civil à l’Office des changes. 60. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’humiliation, Paris, 1965. 61. Bernard Lefort, Mes carnets secrets de la IVe, Paris, 1996. 62. Note sur les transferts, avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 63. AEF, Fonds Trésor, B 43918. 64. Double rapport du 21 février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917 et B 43918. L’analyse de ces documents sera reprise dans la seconde partie. 65. Direction du Trésor. Rapport au ministre. A/S Relations financières entre la France et l’Indochine. 13 mai 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33539. Cet important rapport - une note de 4 pages et des tableaux statistiques - figure aussi dans d’autres cartons. Voir annexe 5. 66. Note de la direction Asie-Océanie, a/s Aide américaine à l’Indochine, 25 janvier 1951. MAE, AO/1C/264. 67. Leclere parlait d’« opposer au nationalisme Viet Minh existant un ou plusieurs autres nationalismes » (Rapport du 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclere, 1 K 239), d’Argenlieu de « rétablir l’institution monarchique traditionnelle » (Mémorandum du 14 janvier 1947, Archives nationales, 363 AP 31), Valluy de développer « une idée nationale, mais qui accepte la présence française dans son principe » (Intervention du 24 janvier 1947, dans Gilbert Bodinier, Indochine 1947, SHAT, Vincennes 1989). 68. Note du Service de coopération économique, a/s Aide économique américaine à l’Indochine, 13 avril 1950. MAE, AO/IC/262. 69. Actes définissant les rapports des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos avec la France, publiés après la loi du 2 février 1950 les approuvant. Notes et études documentaires n° 1295, 14 mars 1950, La Documentation française. 70. Lettre de Vincent Auriol à Bao Dai, le 27 juillet 1949. Notes et études documentaires n° 1176 du 4 août 1949. Présidence du Conseil. 71. Actes définissant les rapports des États associés... op. cit. 72. Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’étatmajor général des Forces armées, du 11 mai au 21 juin 1949. Fonds Revers, SHAT, 1 K 331. 73. Fiches sur l’évolution des Armées nationales vietnamienne, khmère et laotienne. SHAT, 10 H 72. 74. Actes définissant les rapports des États associés... op. cit. 75. Lettre de Deville à Bret, directeur-adjoint du Trésor, du 29 septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33538. 76. Notice sur les avances, op. cit. Le compte lui-même, numéroté 15-76, est intitulé : « Dépenses militaires propres à l’Indochine l/c d’avances ». 77. Conclusions de la mission exécutée en Indochine... op. cit.
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78. Lettre du 14 décembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33539. 79. Rapport de Margerie concernant diverses questions financières en Indochine, mai 1949. AEF, Fonds Trésor, b 43918. 80. Les premières demandes - il se serait agi d’une demande d’aide économique - auraient été reçues en mars et avril 1949 à Washington. FRUS, 1949, volume VI, Indochina, March 18 1949. 81. 30 décembre 1949 — soit trois mois après la proclamation de la République populaire de Chine. MAE, AO/IC/262. 82. FRUS 1950, volume VI, Indochina, February 3, 1950. 83. Note du Secrétariat général permanent de la Défense nationale, non datée mais sans doute de l’automne 1950. MAE, AO/IC/263. 84. Référence dans le télégramme du 28 avril 1950 de l’ambassade au ministère. MAE, AO/IC/262. 85. Note du 22 août 1951, a.s. L’aide américaine et les territoires français d’outre-mer. MAE, AO/ IC/264 86. Arrivé de Manille le 24 janvier 1950, Philip Jessup reste cinq jours en Indochine, à Saigon et Hanoi surtout, s’y entretenant avec les principaux responsables français et vietnamiens. 87. Note pour le ministre, du 23 février 1950, sur l’aide américaine à l’Indochine. Guillaume Guindey est directeur des Finances extérieures. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 88. FRUS, 1949, volume VII, Indochina. December 22, 1949. 89. Vincent Auriol, Mon septennat, (1947-1954), Paris 1970. 90. Un premier écho apparaît dans Le Monde du 13 janvier 1950, en p. 5 et sous le titre : « Y a-t-il une affaire Revers-Mast ? » 91. Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française. Paris, 1989. 92. Lettre du 21 mars 1950 au Ministre des Affaires étrangères, a.s. L’assistance américaine et les réactions des États associés par rapport à l’Union française. MAE, AO/IC/262. 93. Dépêche n° 1289 du 22 mars 1950, cité dans une lettre de Bonnet à Schuman du 11 avril 1950. MAE, AO/IC/262. 94. Compte rendu de la réunion du 22 mars 1950 sur la question de l’aide économique des ÉtatsUnis à l’Indochine. MAE, AO/IC/262. 95. Lettre du 21 mars 1950 au Ministre des Affaires étrangères, op. cit. 96. Compte rendu de la réunion du 22 mars 1950, op. cit. 97. Lettre de Bonnet à Schuman du 11 avril 1950, op. cit. 98. Par lettres adressées d’une part par l’ambassadeur américain à Paris au président de la République française, et d’autre part par le chargé d’affaires des États-Unis à Saigon aux États du Cambodge, du Laos et du Vietnam. 99. Note de service de l’état-major, datée de Saigon, le 22 juin 1950. SHAT, 10 H 154. 100. Texte dans L. Rosenzweig et H. Tertrais, La guerre froide, 1944-1994, Le Monde Éditions, 1994. 101. Ancien gouverneur général de l’Indochine, ancien président du Conseil, Albert Sarraut se trouvait alors être également président de l’Assemblée de l’Union française. 102. Note sur les résultats de la conférence inter-États de Pau. AEF, Fonds Trésor, B 33545. 103. Actes définissant les rapports des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos avec la France. Notes et études documentaires n° 1295, 14 mars 1950. 104. Les quatre délégations étaient conduites par Albert Sarraut pour la France, Sum Hieng, ancien ministre, pour le Cambodge, Phoui Sananikone, président du Conseil, pour le Laos, et Nguyen Trung Vinh, gouverneur du Sud-Vietnam, pour le Vietnam. Des personnalités comme Son San pour le Cambodge, Souvanna Phouma pour le Laos ou Tran Van Huu pour le Vietnam, figuraient dans les délégations de leurs pays. 105. De nombreuses données sur la conférence de Pau, avec trois volumes de procès-verbaux, figurent dans le carton B 33545 du Fonds du Trésor des AEF. 106. Le Vietnam, même en guerre, faisait d’autant plus figure de poids lourd que l’Assemblée nationale française venait de lui reconnaître la possession de la Cochinchine, également
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revendiquée par le Cambodge : en superfície, en nombre d’habitants comme en dynamisme, il en imposait trop à ses deux voisins pour que ceux-ci aient pu se sentir avec lui sur pied d’égalité. 107. Bilan de la conférence de Pau, par Paul Bernard. Documents de France outre-mer - supplément au n° 256 - janvier 1951. AEF Fonds Trésor, B 43918. 108. Réunion à l’hôtel Matignon, 20 août 1950. Compte rendu. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 109. Ce comité était composé, lors de sa première réunion du 4 septembre 1950, de deux représentants du ministre des États associés (Tézenas du Montcel et Aubry), d’un représentant du président du Conseil (de Margerie, alors au SGCI), de deux représentants du ministre des Finances (Sergent et Latapie) et de deux représentants du haut-commissaire de France en Indochine (Deville et Perron). 110. Rapport à Monsieur le Président du Conseil, 12 octobre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917. Nous reviendrons dans la seconde partie sur les avantages et les inconvénients d’une modification de la parité de la piastre. Voir annexe 6. 111. Note pour le ministre du 7 septembre 1950. MAE, AO/IC/263. 112. Réunion à l’hôtel Matignon, 26 août 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 113. Assemblée nationale, 2e séance du 19 octobre 1950, JO. 114. Note sur les résultats de la conférence inter-États, op. cit. 115. Voir annexe 8. 116. Texte de la Convention sur les changes, annexée à la brochure intitulée L’Institut d’émission des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam. AEF, Fonds Trésor, B 33551. Voir annexe 8. Commentaire dans la « Note sur les résultats de la conférence inter-États... », op. cit. 117. Note sur le coût pour la France du fonctionnement des institutions financières des États associés, pour le cabinet du Ministre, a/s Application des conventions avec les États associés d’Indochine, 11 décembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33545. 118. Bilan de la conférence de Pau, par Paul Bernard. Documents de France outre-mer - supplément au n° 256 - janvier 1951. AEF Fonds Trésor, B 43918. Paul Bernard, alors membre du Conseil économique, est l’une des personnalités les plus influentes en matière économique sur l’Indochine. 119. Fiche sur l’évolution de l’Armée nationale vietnamienne. SHAT, 14 H 72. 120. Négociations militaires au Pentagone (généraux Lemnitzer et Ledoux) le 10 octobre et visite le 15 des ministres de la Défense et des Finances, Moch et Petsche. 121. Télégramme du 10 novembre 1950. MAE, AO/1C/263. 122. Cité dans une lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associés au ministre des Affaires étrangères, 11 décembre 1950. MAE, AO/IC/263. 123. Texte de l’accord dans les archives de la direction des Affaires militaires (DAM). SHAT, 14 H 93. 124. Jean Doise et Maurice Vaisse, Diplomatie et outil militaire, 1871-1990, 1992. 125. Rapport Bousch au Conseil de la République, 1954. 126. L’Humanité, ler octobre 1951. 127. De Lattre, qui avait participé au débarquement allié de Provence en août 1944 et libéré une partie du pays, avait reçu au nom de la France la capitulation allemande le 8 mai 1945 à Berlin. MacArthur, qui avait reçu la capitulation japonaise le 2 septembre suivant, après avoir libéré une bonne partie du Pacifique, commande les troupes de l’ONU en Corée depuis fin juin 1950. 128. Lettre de Perron à Sergent (direction du Trésor), 21 décembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B33545. 129. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 130. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, Histoire de la Banque de l’Indochine 1875-1975, Paris, 1990. 131. En francs courants. En francs constants 1954, ces dépenses passent de 233 à 341,6 milliards de francs, soit une progression de 47 %. Tableau de la Défense nationale sur les « Dépenses
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militaires supportées par la France au titre de l’Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22. 132. Lettre du président du Conseil des ministres à monsieur le général d’Armée, hautcommissaire et commandant en chef en Extrême-Orient, annexé au rapport parlementaire Pineau de janvier 1952. SHAT, 2 R 64. 133. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris 1979. 134. Comités de défense nationale des 19 janvier, 20 février et 17 mars 1951. Les demandes de De Lattre dominent suffisamment l’année pour que le Comité de défense nationale suivant, le 24 avril, soit lui-même partiellement consacré à « l’exécution des demandes de renforts terrestres pour l’Indochine ». On y reviendra les 27 et 29 août et, surtout, le 15 octobre 1951. 135. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 136. Lettre du président du Conseil des ministres à Monsieur le général d’Armée, op. cit. 137. Lettre du président du Conseil des ministres à Monsieur le général d’Armée, op. cit. 138. Il était question de 1 000 nouveaux ouvrages au Tonkin, 400 en Cochinchine et 200 au Centre Annam. 139. Maréchal de Lattre, La ferveur et le sacrifice. Paris, 1987. 140. André Valls, « Rapport sur les relations financières entre la France et les États associés », 15 juillet 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43929. André Valls sera bientôt désigné comme conseiller financier auprès du haut-commissariat de France en Indochine. 141. Lettre du président du Conseil des ministres à monsieur le général d’Armée, op. cit. 142. « C’est dans ce domaine que l’aide américaine s’est manifesté avec le plus d’ampleur », constatait la direction Asie-Pacifique début 1951. Note du 25 janvier 1951 sur l’aide américaine à l’Indochine. Archives MAE, AO/IC/264. 143. Sadrin, sous-directeur des Finances extérieures, Note du 13 avril 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43913. 144. Selon le tableau de la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense : « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22. 145. Selon les chiffres du Rapport Bousch au Conseil de la République. Rapport n° 165, année 1954. Voir annexe 24. 146. Gaston Cusin, Réflexions sur la situation en Indochine, 20 juillet 1951. AEF, Fonds Cusin, 5 A 78. 147. Note du 25 janvier 1951 de la direction Asie-Océanie, op. cit 148. FRUS 1951, volume VI, Indochina part 1, May 15, 1951, July 12, 13, 18, 20 1951. 149. Note de Ledoux sur l’aide économique américaine aux États associés, 20 septembre 1950. MAE, AO/IC/263. 150. Note au ministre de Guillaume Guindey sur l’aide américaine à l’Indochine, 23 février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 151. FRUS 1951, volume VI, Indochina part I, Éditorial note et January 30 1951. 152. Rapport au ministre du 14 mars 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 153. Lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associés à son collègue des Affaires étrangères, 3 juillet 1951, op. cit. 154. Chronologie de ces événements dans la lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associes à son collègue des Affaires étrangères, 3 juillet 1951. MAE, AO/1C/264. 155. « Accord de coopération économique entre le Gouvernement des États-Unis d’Amérique et le Gouvernement du Vietnam. » MAE, AO/IC/264. 156. Annexée à la brochure de présentation de l’Institut d’émission. AEF, Fonds Trésor, B 33551. Voir annexe 8. 157. Le principe en est examiné dans une note de Valls, ayant « pour objet d’analyser les problèmes de politique financière et commerciale que pose la mise en place de l’Institut
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d’émission des États associés », 28 novembre 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43913. En bref, l’aide du Trésor était périodiquement nécessaire et sa négociation devait « permettre à la France d’obtenir des contreparties raisonnables ». 158. SHAT, 10 H 3991. 159. SHAT, 10 H 3992. 160. Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes n° 44. Hanoi, 1976. 161. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 162. Comité de défense nationale du 17 mars 1951, Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 163. Frédéric Bozo, La France et l’OTAN, Paris, 1991. 164. Note du 14 février 1951. AEF, Fonds Trésor, B 33541. 165. Roger Goetze, Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951. AEF, Fonds Gœtze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 166. Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires 1952, op. cit. 167. Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires 1952, op. cit. 168. Il vient d’être investi le 8 août 1951, après l’intermède d’un cabinet Queuille qui a duré cinq mois. 169. Lettre de René Mayer à René Pleven, 24 août 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 170. « Conversations franco-américaines sur l’Indochine. » Note du 22 août 1951, non signée. AEF, Fonds Trésor, B 43913. 171. Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, et René Mayer, ministre des Finances 172. Procès-verbal du Comité de défense nationale du 27 août 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 173. Le Monde, 1er janvier 1952.
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Chapitre III. La guerre d’Indochine, ou comment s’en débarrasser (1952-1954)
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Durant les dernières années du conflit, la guerre d’Indochine paraît avoir été totalement rattrapée par son coût : en 1952 et 1953 - 1954 étant restée militairement « inachevée » -, celui-ci se situe entre 500 et 600 milliards de francs par an, soit l’équivalent d’environ 15 % du budget français1. Le coût réel pour la France ne s’établit sans doute pour 1952 qu’autour de 330 milliards de francs2, mais ce montant en dépenses militaires est déjà lui-même supérieur de 185 % à ce qu’il était en 1947... La guerre d’Indochine coûte à la France seule, en 1952 et en francs constants, presque trois fois plus que cinq ans plus tôt.
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Autant qu’un conflit lointain, meurtrier et quasi insoluble, la guerre d’Indochine est devenue pour les responsables français - et sans doute pas seulement pour eux - un problème financier également insoluble, un boulet dont il faut se débarrasser. Depuis le début de 1952 cependant, le conflit a pris une nouvelle configuration : Paris commence d’une part à recevoir au titre de l’Indochine une aide financière des États-Unis, qui s’ajoute aux livraisons de matériels et à l’aide économique aux États associés. Sur place, d’autre part, l’Union monétaire issue de la conférence de Pau fait ses premiers pas. Imagine-t-on encore une quelconque issue militaire en Indochine ? Il ne semble pas. Mais la France ne peut se retirer comme cela : dans un jeu complexe, elle traite avec les États associés et bénéficie du soutien des États-Unis. Cette formule est censée lui assurer, à la fois, un retrait en douceur et le maintien de son influence. Elle ne lui permettra, on le sait, ni l’un ni l’autre.
I. L’URGENCE INDOCHINOISE 3
Dans le vertige budgétaire qui saisit la France avec l’exercice 1952, la guerre d’Indochine est particulièrement visée. L’affaire du trafic des piastres y ajoute bientôt le scandale et l’absurde. Que recherche finalement la France dans cette guerre du bout du monde ? Formulée ici et là, l’idée de prendre langue avec l’adversaire, qui ne donne
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lui-même aucun signe de fatigue, se heurte au choix fait dans les années précédentes et dont tout découle : l’aide américaine et la mise sur pied des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Mais entre la résistance de la RDV, l’amitié incertaine des « États » et la pression américaine, la voie est étroite et il y a urgence. « La France, note alors un rapport parlementaire, ne peut se permettre de perdre sans perspective d’avenir des hommes parmi ses meilleurs et des milliards qu’elle consacrerait plus utilement au relèvement de ses ruines et à la défense de la métropole » 3.
A. UN ADVERSAIRE ACCROCHEUR 4
« C’est au Tonkin que se livre véritablement la guerre », note le rapport parlementaire Pineau au début de 19524. Le temps n’est plus en effet où le haut-commissaire Pignon polémiquait avec ses généraux sur le problème de savoir où, du Nord ou du Sud, il fallait porter l’effort principal. Depuis le début du conflit, le Nord constitue le principal foyer de résistance armée et se trouve maintenant, depuis quelque deux ans, adossé à la Chine communiste. Ne regardant pas à la dépense, de Lattre y avait fortifié le delta, après Cao Bang et l’abandon de plusieurs villes frontalières. Le débat consistant à déterminer les priorités s’était cependant déplacé au Nord, opposant les régions périphériques, montagneuses, au delta, où la foule paysanne se presse depuis des siècles. De gros combats furent livrés en janvier 1952 à la périphérie, autour de Hoa Binh récemment reprise et finalement évacuée. Mais le corps expéditionnaire se battait également tous les jours dans le delta, autour des postes qui le quadrillent. Carte 5. La structure territoriale de la RDV
L’INDOCHINE DES RÉVOLUTIONNAIRES DANS LES ANNÉES CINQUANTE. III - IV - V - VI ; interzones, selon le decoupage administratif du Viet-Minh Source : Bernard Fall, Le Viet Minh. La République Démocratique du Vietnam (1945-1960), Paris, Armand Colin, Cahiers de la FNSP, Paris, 1960.
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La consolidation de la Résistance au Nord doit sans doute beaucoup à l’aide chinoise, dont les services de renseignement français suivent impuissants le va-et-vient frontalier : troupes après instruction, armements lourds et fournitures diverses descendent ainsi vers le Vietnam depuis le Guangxi, via Lang Son ou Cao Bang, et du Yunnan, via Ha Giang ou Lao Cay. « Un régiment d’artillerie revient actuellement du Yunnan, où il a terminé son instruction, il est doté de 20 pièces de canon de 105 », peut par exemple annoncer le général Salan, alors commandant en chef, devant le Haut Comité franco-vietnamien du 24 février 19535. Ces hommes et ces équipements sont dispersés dans le Nord et le Centre nord du Vietnam, quand les voies de communication de la Résistance le permettent, mais ils n’allaient guère au delà.
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Le temps de la contre-offensive générale, troisième phase de la guerre révolutionnaire 6, était-il arrivé pour le Viet Minh ? Fortes de l’arrière chinois, ses unités régulières tournent alors régulièrement sur le théâtre d’opération, pas toujours d’ailleurs très économes de leurs hommes, alors qu’unités régionales et locales restent partout actives. Du côté français, on observe surtout une montée progressive du niveau de l’affrontement. Une note du directeur des Affaires militaires, qui souligne fin 1952 « l’énorme augmentation du potentiel militaire de nos forces et de celles des États associés en Indochine », ajoute aussitôt : « celui de nos adversaires subit malheureusement une évolution parallèle. Il en résulte une intensité croissante de la lutte »7.
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Qui, alors, contrôle quoi au Vietnam ? Quatre ans après l’accord entre la France et Bao Dai, « l’adversaire contrôle tout le Nord-Vietnam, à l’exception du delta, indique en 1953 le conseiller financier du haut-commissariat ; le Νord-Annam jusqu’à Dong Hoi ; les secteurs de Quang Ngai et de Qui Nhon dans le Sud-Annam. Au Sud-Vietnam, des zones assez mal délimitées dans les provinces du Transbassac. Les terres contrôlées effectivement par le Viet Minh représentent environ un tiers du territoire vietnamien... Toute l’économie de ces zones est perdue pour le gouvernement national. Elles renferment un potentiel important de rizières (Sud Vietnam) et de mines (Nord Vietnam)... Il convient par ailleurs de souligner qu’à l’intérieur même des zones contrôlées par le gouvernement vietnamien, le Viet Minh parvient à entretenir l’insécurité par le jeu de harcèlements incessants ainsi que par la pratique du sabotage et du terrorisme... La sécurité totale ne règne que dans les zones urbaines » 8.
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Dans ces conditions, la guerre conserve pour le Viet Minh les aspects économiques et financiers qu’elle a pris depuis le début du conflit. Du Nord au Sud fonctionnent toujours des organismes locaux « pour l’encerclement de l’économie ennemie » et les organes de propagande de la Résistance se plaisent à saluer les encourageants résultats de leur action9. Mais leur travail, en se rôdant, s’est aussi relativisé : plutôt que d’interdire les relations d’échange avec la zone « provisoirement occupée par l’ennemi », qui s’est tout de même bien étoffée depuis 1946, ils ont préféré libérer le commerce inter-zone et s’entendre pour prélever les taxes générées par ce dernier.
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La guerre monétaire reste également prioritaire. Une instruction Viet Minh d’août 1952 réaffirme, avec ce style inimitable donné par leurs traducteurs vietnamiens à certains documents saisis, à quel point « les finances sont les sources sanguines de la résistance actuelle », et enjoint aux forces armées de se préoccuper de leur protection 10. Il faut préciser que les autorités de la RDV n’étaient pas très satisfaites du rendement de l’impôt : « Les affaires économiques et financières rencontrent actuellement beaucoup de difficultés », résume Pham Van Dong dans un rapport mensuel concernant le Nord et
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le Centre Vietnam11. Le recouvrement des impôts est inférieur aux prévisions, précise-til, et les recettes en espèces demeurent minimes - la situation militaire n’y est sans doute pas pour rien. Un document de janvier 1952 avait même évoqué la nécessité de faire face à une possible « catastrophe monétaire »12. 10
La création de l’Institut d’émission et l’apparition d’une piastre « Bao Dai » - les nouveaux billets disposent d’une vignette nationale - modifient-elles le caractère de la « lutte monétaire » ? Les « ruses de l’ennemi » n’ont guère changé, estime la Banque nationale du Vietnam (RDV) dans un rapport sur le sujet 13 : il « emploie tous les moyens pour inonder le commerce d’argent des fantoches »14. Mais la Banque des maquis reste confiante dans la tenue de la piastre « vietnamienne ». Les billets « Bao Dai » sont d’ailleurs toujours frappés d’interdiction, comme l’étaient avant eux ceux de la Banque de l’Indochine - sauf éventuellement pour régler l’impôt15. Faut-il pour autant donner crédit à cette information selon laquelle, « pour des raisons psychologiques, nos compatriotes, qui n’ont pas confiance dans les fantoches, rabaissent le taux de la piastre des États associés à une valeur inférieure à celle de la piastre BIC » ? En certains lieux, une piastre des États associés équivaudrait au quart d’une piastre BIC 16.
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En tout état de cause, malgré la confusion possible sur les parités et alors que les deux types de coupures « fantoches » - BIC et États associés - circulent officiellement, la propagande du Viet Minh s’en tient à une ligne simple : faire front et discréditer la monnaie de l’adversaire. « Défendre la monnaie vietnamienne, c’est défendre la patrie », rappelle un article de Cuu Quoc17. Il met en garde ceux qui, « à courte vue », conservent des coupures de la Banque de l’Indochine : le jour de la contre offensive générale, celles-ci disparaîtront en effet. Ung Van Khiem, l’un des responsables du Nam Bo, tient un discours identique dans un communiqué aux habitants de la zone « libre » : il ne faut pas thésauriser les billets BIC, « car leur valeur diminue chaque jour, et [qu’] un jour les Français se retireront complètement »18.
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La monnaie « Ho Chi Minh » se maintient donc, et avec elle un certain mode de financement de la guerre. Mais il n’est pas simple d’en retrouver le cours : selon les endroits et les périodes, mais sans qu’il soit possible d’être définitif sur le sujet, le cours du dông varie par rapport à la piastre de 20 à 50 contre 1. La RDV alimente la circulation monétaire. De nouveaux billets font leur apparition en 1952, portant les valeurs de 20 et 100 dông19 . Elle paraît également en mesure - mais il est difficile d’aller au-delà des impressions - de réaliser des ponctions sur la monnaie en circulation pour la consolider, comme au Nam Bo au début de 195320. A la fin de cette même année, la « Banque populaire du Nam Bo » aurait même autorisé l’émission de chèques nominaux, avec des carnets de 50 à 100 feuillets numérotés 21.
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Les faux-monnayeurs de l’administration française connaissent d’ailleurs quelques difficultés à écouler leur production, si l’on en juge par cette analyse quelque peu ironique du 2e Bureau22 : « L’écoulement des faux billets Ho Chi Minh s’avère presque impossible dans le Sud-Vietnam, précise ainsi une note adressée au commandant en chef. Les imperfections qu’ils présentent (indiquées au crayon rouge sur le billet cijoint) sont vite décelées par les services rebelles. D’autre part, la méfiance des Viet Minh est immédiatement éveillée dès qu’il s’agit de billets neufs dont beaucoup portent le même numéro ». Mais les services français ne se découragent pas : en effet, poursuite la même note, « si le but recherché est de faire perdre confiance en la monnaie Ho Chi Minh, il semble pleinement atteint, mais s’avère très dangereux pour les agents colporteurs ».
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Une autre tâche stratégique concerne toujours le riz. Au Nord comme au Sud, en particulier dans les plaines deltaïques du fleuve Rouge et du Mékong, les deux principaux « greniers » du Vietnam, la guerre garde principalement pour fonction de s’assurer le contrôle de cette céréale et d’en interdire l’accès à l’adversaire. Cette bataille du riz met d’ailleurs de plus en plus au contact l’administration du Viet Minh, elle-même souvent « souterraine », et la nouvelle administration vietnamienne relevant de Bao Dai, qui tente de s’implanter sous la protection française, soucieuse également de préoccupations fiscales - financement de la guerre oblige. Pour le Viet Minh, en particulier dans les zones qu’il ne domine pas, le riz est d’ailleurs beaucoup plus qu’une céréale de base : il représente aussi un produit d’échange, négociable à l’étranger, et peut à l’occasion servir de monnaie. Ces enjeux motivent les comités de protection des récoltes dont les renseignements français signalent l’existence 23. Mais la grande affaire concerne le stockage. Dans la mesure du possible, il est interdit d’évacuer le paddy récolté : il est conservé dans de petits silos à l’écart 24, de plus en plus souvent avec l’aide de « professionnels » : une « organisation spécialisée dans le stockage du paddy » voit ainsi le jour au Nam Bo fin 1952 25.
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La cohabitation avec le Vietnam de Bao Dai et l’imbrication des zones créent en effet des conditions de vie et de lutte très particulières. La circulation des marchandises à l’intérieur de la zone Viet Minh, entre les zones qu’il contrôle, ou encore vers l’étranger relève souvent du « casse-tête ». Des réunions sont organisées pour trouver des solutions, comme celle qui se tient en janvier 1953 dans un hameau du delta du Mékong26 , dans le but d’« élaborer un plan de transport de paddy provenant des provinces de Cantho et Baclieu sur le Siam et sur le Centre-Vietnam ».
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Économiquement parlant, la RDV n’est cependant pas à genoux. S’intéressant à « L’économie de guerre du Viet Minh », un organe français spécialisé 27 relève en août 1953 sa relative bonne santé : « La faillite économique de la zone Viet Minh a été maintes fois prédite, rappelle-t-il. [...] Or il semble que depuis 1946 la situation économique du territoire dépendant du gouvernement Ho Chi Minh ne se soit pas aggravée ». L’article y voit quelques raisons simples : le fait que « le Viet Minh ne contrôle pas que des régions déshéritées », qu’il n’a pas non plus « porté atteinte à la structure rurale », qu’il dispose d’une politique financière, délicate certes mais suivie, et qu’il bénéficie enfin de l’aide chinoise, ainsi que de « l’osmose avec la zone francovietnamienne ». En conclusion, l’auteur s’interroge pourtant sur cette « perspective de réforme agraire à la chinoise » dont la rumeur court avec insistance : dans ces conditions, estime-t-il, « l’économie Viet Minh [est] à un tournant ». Nous reviendrons sur cette perspective de réforme agraire, qui n’est pas sans lien avec l’état de guerre qui pèse sur la RDV.
B. DES ÉTATS DE MOINS EN MOINS ASSOCIÉS 17
De plus en plus appelés à « entrer » dans la guerre, tant au niveau des hommes que de son financement, les États associés ne sont pas non plus pour la France d’un commerce très simple. Certes, le Vietnam de Bao Dai annonce début 1952 un doublement de sa contribution aux dépenses militaires, qui passe à 34 milliards de francs - 5,9 % du coût total de la guerre en 195228. Mais l’entrée en vigueur des accords de Pau, qui prévoyaient plusieurs transferts de souveraineté dans le cadre de l’union économique et monétaire, selon le principe du quadripartisme29, s’avère assez laborieuse. En fait,
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seule de toutes celles signées en 1950, la convention concernant l’Institut d’émission connaît un début d’application : le nouvel Institut inaugure comme prévu ses fonctions le 1er janvier 1952, peu après la publication du décret « portant retrait du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine »30. 18
L’Institut d’émission constituait il est vrai la pièce essentielle du dispositif : il s’agissait autour de lui de « maintenir l’unité économique et douanière des Etats du Cambodge, du Laos et du Vietnam, tout en assurant l’indépendance complète de chacun d’eux » 31. Mais le nouvel établissement restait indissociable de la guerre : seuls les crédits militaires délégués par la France garantissaient en fait la nouvelle monnaie commune, au demeurant toujours la piastre. Et les débuts de l’Institut furent assez formels : le siège, d’une part, théoriquement fixé à Phnom Penh, n’étant pas encore sorti de terre, la « succursale » de Saigon jouait de fait son rôle, alors que d’autre part le réseau des « agences » ne couvrait même pas encore tous les pays d’Indochine. Pour des raisons pratiques, la Banque de l’Indochine continuait d’émettre la monnaie pour le compte du nouvel Institut d’émission ; et d’ailleurs seul un billet d’« une piastre » vit le jour dans les premiers mois de 1952. L’Institut, qui paraphe ses statuts en avril-mai 1952 sous la présidence de Gaston Cusin, demeure lui-même incomplètement constitué : l’Office Indochinois des changes, qui aurait dû intégrer ses services, était maintenu entre des mains intégralement françaises.
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L’Institut d’émission cependant, au-delà de sa fonction monétaire, devint rapidement l’inverse de ce qu’il aurait dû être. Pour ses promoteurs en effet, en 1952, ce « lieu de rencontre des économies » se devait aussi de devenir « le lieu de rencontre que nous voulons amical de citoyens de quatre États dont le trait commun est l’appartenance à l’Union française »32. Mais il se transforma progressivement, au contraire, en lieu de discorde. Dès le début de 1952, en effet, les États associés du Cambodge et du Vietnam mènent une politique de séparatisme économique très exactement contraire à l’esprit des accords de Pau. La complexité des mécanismes à mettre en place, la rigidité de certaines dispositions, la discrète complicité américaine aussi ont finalement conforté le manque de volonté politique des États sur le sujet.
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La mise sur pied des armées nationales se poursuit sans doute, perspective essentielle pour la France en ce qu’elle permet d’imaginer à terme une relève du corps expéditionnaire. Fin 1952-début 1953, elles regroupaient en principe 174 000 hommes, encore largement encadrés par des officiers français33 : 147 000 hommes pour le Vietnam, dont 50 000 supplétifs ; 13 800 hommes pour le Cambodge et 13 600 hommes pour le Laos. Au regard de ces chiffres déjà élevés, l’effectif moyen du corps expéditionnaire réalisé en 1952 se fixait à 185 000 hommes, plus 60 000 supplétifs, recrutés sur place34. Sans doute ces 419 000 hommes au total étaient-ils de valeur, d’expérience et d’équipement bien différents mais, compte tenu de l’accroissement des armées nationales, les experts escomptaient bien « un allégement progressif des effectifs du corps expéditionnaire » en 195335.
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Le Haut Comité franco-vietnamien réuni à Dalat le 24 février 1953 adopte un plan conçu par le chef d’État-major de l’armée nationale, le général Nguyen Van Hinh, fils du président du Conseil Nguyen Van Tam. Il a lui-même présenté ce plan à Paris en décembre 1952 à la demande de Bao Dai : l’idée en est d’une part de renforcer numériquement les forces armées nationales, de 40 000 hommes par rapport à l’accroissement prévu ; et d’autre part de créer des unités entièrement vietnamiennes 36. Concrètement, 54 bataillons légers, dits kinh quan, devaient être formés pour être
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utilisés à des tâches de pacification. Pour le financement de ce plan est prévue une augmentation de la contribution vietnamienne à l’effort de guerre : d’un montant de 35 milliards de francs pour 1953, elle passera l’année suivante à 60 milliards 37 . La France elle-même ne cherche pas à contrecarrer cette aspiration grandissante des États associés à l’indépendance. 22
Pour le reste, hormis son aspect monétaire et ses implications militaires, le système de Pau se dégradait au fur et à mesure qu’il se mettait en place 38. Une conférence économique et tarifaire réunie à Paris en avril-mai 1952 se sépare sans aucun résultat. Au mois de mai, la montée des prix du riz amène les deux gouvernements du Vietnam et du Cambodge à prohiber toute sortie de cette céréale de leurs territoires respectifs, contrevenant au principe fondamental de libre circulation entre eux, qui était l’un des principes mêmes de l’Union douanière. « Toutes ces difficultés se cristallisèrent à la conférence intergouvernementale » réunie à Saigon de juillet à septembre 1952, qui se solda également par un échec : aucune politique en matière d’exportation de produits d’intérêt commun ne put en particulier être définie. Peu après, à l’automne, le gouvernement vietnamien se distinguait par le non versement aux gouvernements cambodgien et laotien de la part du montant mensuel des recettes douanières qui leur revenait39. Le système de Pau était-il viable ?
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Comme l’écrit André Valls40, le système de Pau « reposait sur un postulat qui se révéla faux à l’expérience : son fonctionnement impliquait nécessairement une volonté de coopération » et celle-ci ne s’est en fait jamais manifestée. Après les tensions de 1952, la conférence intergouvernementale de Phnom Penh, seconde du genre, se termina par un échec plus retentissant que le précédent. Réunie du 12 janvier au 25 mars 1953 dans la capitale cambodgienne, elle ne put en effet que constater le désaccord fondamental séparant le Cambodge et le Vietnam en matière de commerce extérieur et de douanes. Mais il ne s’agissait pas d’une question technique. La délégation cambodgienne représentait un pays en pleine effervescence nationaliste et le gouvernement vietnamien n’avait lui-même pas de mots assez durs pour fustiger son voisin.
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Une sorte de surenchère accompagna l’échec de la conférence de Phnom Penh. Le 25 mars, la délégation cambodgienne imposa finalement la révision de toutes les conventions de Pau avant le 31 décembre 1953. Environ un mois plus tard, le 28 avril 1953, le gouvernement vietnamien de Nguyen Van Tam indiquait quant à lui sa volonté de réviser le tarif douanier avant le 31 mai suivant, afin de pouvoir faire face à l’accroissement de ses charges militaires41. Le gouvernement laotien lui-même, pourtant le plus enclin des trois au compromis, refusa de donner son accord à la répartition du produit des recettes des régies pour les premiers exercices de l’Union douanière, 1950-1951. L’Union douanière paraissait mort-née.
C. UN PARTENAIRE DIFFICILE 25
Engager vraiment les Américains dans la guerre d’Indochine, au-delà de l’aide déjà acquise, n’a pas été chose facile. Il a d’abord fallu faire reconnaître par Washington le caractère stratégique de l’endroit. Le Quai d’Orsay se flatte au début de l’année 1952 d’y être parvenu : le tournant a lieu lors de la réunion militaire tripartite tenue à Washington le 11 janvier en présence du général Juin, qui s’est poursuivie dans le cadre d’un comité ad hoc présidé par le général Ely42. Le Comité de défense nationale du 7 avril 1952 prend officiellement acte de cette nouvelle disposition, alors que le cadre
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juridique de l’aide américaine à l’étranger a évolué : depuis le 1 er janvier 1952, la MSA (Mutual Security Agency) a pris la succession de l’ECA (Economie Cooperation Agency), l’organisme du plan Marshall43. Cette reconnaissance par les États-Unis du rôle de la « barricade indochinoise » pour contenir le communisme44 était considérée à Paris comme un préalable indispensable pour obtenir un accroissement de l’aide américaine. 26
Dès lors, celle-ci ne s’est plus fait attendre : une aide financière est décidée à la conférence de l’OTAN réunie à Lisbonne en février 1952, parallèlement à la mise sur pied du premier plan concret de réarmement de l’Europe, pour lequel la France souscrit un objectif apparemment démesuré de vingt divisions d’active, et en échange, paradoxalement, d’une augmentation substantielle du budget militaire français 45. Il s’agit d’un nouveau type d’aide, qui s’ajoute aux formes déjà rodées de l’aide militaire en matériel et de l’aide économique aux Etats associés, et son montant est appréciable : 500 millions de dollars dont 330 millions pour l’Indochine 46. Edgar Faure, éphémère président du Conseil et ministre des Finances47, avait lui-même plaidé la cause française à Lisbonne, et clairement lié les deux problèmes, au prix d’otaniser la guerre d’Indochine : la France n’était « pas en mesure de faire face à la fois aux charges que lui imposent la guerre d’Indochine et sa contribution au défi européen » 48 ; si aucun nouveau concours n’avait été décidé, avait-il précisé, la France aurait reconsidéré son attitude en Indochine.
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Après Lisbonne, le gouvernement français réclame insatiablement toujours plus d’aide aux États-Unis pour l’Indochine. Quatre mois plus tard, le ministre chargé des Relations avec les États associés, Jean Letourneau, se rend à Washington pour réclamer une augmentation de la contribution américaine. La conférence de presse qu’il donne la veille de son départ illustre sa confiance : « Nous sommes parvenus, pour la première fois depuis six ans, sur l’autre versant de la montagne, c’est-à-dire en mesure de rappeler d’Indochine plus de soldats que nous n’en enverrons d’ici à la fin de l’année ». Le Monde précise le lendemain en titre que « M. Letourneau va demander les moyens de commencer avant la fin de l’année la relève du corps expéditionnaire par l’armée vietnamienne »49.
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La guerre d’Indochine, dont le coût annuel ressort début 1952 à quelque 500 milliards de francs a-t-elle cependant des chances d’aboutir ? Les dirigeants américains disposent sur le sujet d’échos contradictoires. La CIA ne le croit pas et le nouvel ambassadeur à Paris, Douglas Dillon, transmet un avis comparable de certains Français importants, Jean Monnet et Pierre Uri, qui ont il est vrai une vision assez supranationale des problèmes : le retrait des troupes françaises d’Indochine leur paraît à terme indispensable50. Les promesses de succès rapide formulées par de Lattre à Washington, à l’automne 1951, ne se sont pas concrétisées. Dans un moment de lucidité alors qu’il était en visite aux États-Unis, en juin 1952, le ministre français chargé des Relations avec les États associés, Jean Letourneau, n’a pas caché lui-même son pessimisme, suggérant, avant de se reprendre, qu’une victoire militaire paraissait hors de portée et que la France ne pourrait faire l’économie d’une négociation 51. Les événements de l’année, sur le terrain, ne laissaient en effet entrevoir aucune perspective d’ordre strictement militaire.
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Mais chacun des deux gouvernements, pour des raisons différentes, fait preuve de volontarisme. A Washington, même si le Pentagone doute parfois de la compétence et du dynamisme français en Indochine, les dirigeants américains continuent à croire en une victoire possible - en particulier si les Français écoutent leurs conseils
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expérimentés, quant à la personnalité du commandant en chef ou au contenu de son plan de campagne. Le message transmis par les autorités françaises, passées quelques hésitations officielles, va dans le même sens. Comment, il est vrai, obtenir une aide substantielle pour une guerre sans issue ? Une importante note de juillet 1953 le reconnaîtra volontiers52 : « Il semble bien qu’en France, précise-t-elle, tant dans les milieux militaires que chez les Administrateurs connaissant l’Indochine, personne ne croit plus à une victoire militaire sur le Viet Minh (souligné). Par contre, afin d’intéresser les Américains à nous fournir une aide directe importante, on a accrédité l’idée que des efforts supplémentaires pourraient être déterminants ». 30
La question des « armées nationales » reste le point focal des relations francoaméricaine sur l’Indochine : les États-Unis et la France ont-ils encore sur ce point des intérêts contradictoires ? L’ambassade de France à Washington rappelait ainsi, peu avant le voyage de Letourneau, l’état d’esprit dans la capitale fédérale : « Les milieux dirigeants américains reconnaissent que le réarmement et la guerre d’Indochine, conduits de front, exigent de notre pays un effort trop considérable [...]. Le développement de l’armée vietnamienne permettrait, à leur avis, de le soulager et, en même temps, de préparer une solution d’avenir comportant le retrait progressif des troupes et des cadres du corps expéditionnaire [...]. Notre ambassadeur estime que la pensée américaine s’oriente vers la prise en charge de l’armée vietnamienne » 53. S’agissait-il d’un tournant ? Une note préparatoire au voyage du ministre semblait en partager la perspective54 : « cette orientation est d’autant plus séduisante que, dans notre budget Indochinois, l’élément représenté par notre concours à l’entretien des troupes des États est destiné à s’accroître ». Mais la prise en charge de l’armée vietnamienne, avec ce que cela suppose de financement et de formation, n’est pas encore à l’ordre du jour : le gouvernement français privilégie toujours l’approche globale, et non « ciblée », de l’aide américaine.
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La France pêche finalement par optimisme. A Washington, Letourneau avait demandé à ses interlocuteurs jusqu’où les États-Unis pourraient aller : ils avaient répondu, oralement, qu’un montant de « 100 à 150 millions de dollars » était imaginable. Mais l’opinion publique, certains hauts fonctionnaires et le ministre Letourneau lui-même, convaincu de ramener de Washington 150 millions de dollars supplémentaires au budget français, semblent y avoir cru un peu trop : il s’en suivra une certaine surestimation des promesses américaines. Ces 150 millions de dollars ne représentaient d’abord que l’élément haut de la « fourchette » obtenue de ses interlocuteurs par Letourneau, et encore ces chiffres, qui figuraient dans le projet de communiqué final, en avaient été retirés « pour éviter toute possibilité d’incidents avec le Congrès » 55. À l’automne, l’aide promise à Letourneau sera ramenée à 25 millions de dollars... Mais l’illusion avait persisté. Le 25 juillet 1952, par exemple, le président du Conseil Antoine Pinay put recevoir de son cabinet une note énumérant les sommes promises outreatlantique : « 500 millions de dollars à Lisbonne, 150 millions de dollars à Washington pour l’Indochine et 186 millions de dollars pour les commandes off shore supplémentaires »56 : soit un total présumé de 836 millions de dollars, l’équivalent de près de 300 milliards de francs. En fait, l’aide américaine pour l’année fiscale 1952-1953 ne dépassera pas 425 millions de dollars, soit 150 milliards de francs, environ la moitié de ce qui avait pu être imaginé57.
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L’année 1952 fut finalement marquée par une certaine tension entre Paris et Washington, culminant en octobre avec l’intervention du président de la République,
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Vincent Auriol, lors de l’inauguration du barrage de Donzère- Mondragon 58 : « Sans doute le plan Marshall nous a-t-il aidés, lança-t-il notamment, et nous en avons souvent dit les bienfaits avec gratitude. Mais hélas ! La défense de la liberté en Indochine nous a coûtés matériellement à peu près le double de ce que nous avons reçu à ce titre et au titre du PAM : 1 600 milliards contre 800 milliards ». Le message, semble-t-il, sera entendu. Mais les dirigeants français vivent d’autant plus mal cette situation que, sur place aussi, l’allié d’outre-Atlantique se fait envahissant. 33
En tout état de cause, s’il s’était agi d’une affaire commerciale, on aurait pu dire que les États-Unis avaient quand même pris une sérieuse « option » sur la guerre d’Indochine. Comptabilisée pour 1953, l’aide financière qui vient d’être analysée est déjà supérieure de 30 % à celle de l’année précédente, alors que la valeur des livraisons du PAM s’est, elle, accru de 40 %59 : dans ces conditions, Paris peut entamer un réel désengagement financier d’Indochine. La participation américaine à la guerre d’Indochine, qui correspondait en 1952 à 40 % de son coût, frôle les 50 % en 1953.
II. LA DÉVALUATION DE LA PIASTRE 34
Compte tenu des espoirs mis par la France dans l’aide américaine, l’arrivée en janvier 1953 du républicain Eisenhower à la Maison Blanche, où il restera huit ans, ne pouvait être prise à la légère. C’est donc sans doute en connaissance de cause que René Mayer, partisan réputé de la CED, est pressenti par Auriol et investi par la Chambre le 6 janvier 1953. Son passage à Matignon va relancer la négociation avec les États-Unis et s’accompagner de mesures radicales concernant l’Indochine, en particulier la dévaluation de la piastre.
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René Mayer, président du Conseil pour quelques mois, entre Pinay et Laniel, ne figure pas parmi les plus grands noms du régime, malgré l’intelligence brillante dont le milieu politique de l’époque le crédite60. L’Humanité le voue aux gémonies, comme « mandataire d’une puissante féodalité cosmopolite », plus précisément comme « cerveau » de la Maison Rothschild et membre de multiples conseils d’administration 61. Les États-Unis l’apprécient, comme « un ami véritable » appartenant pratiquement à leur camp, « pleinement d’accord avec la politique américaine en Europe », pas un « agent » certes, mais quelqu’un sur qui ils estiment pouvoir faire efficacement pression62. La principale certitude est son appartenance au parti radical, plutôt sur la droite, et sa vieille pratique des milieux d’affaires63 : il n’est entré en politique qu’avec la France libre à Alger. Mais il a eu à connaître le dossier colonial comme député de Constantine et le dossier indochinois comme ministre des Finances - à deux reprises, en 1947-1948 et en 1951, à des moments où il fallut prendre des décisions dans cette direction - ainsi que plus brièvement, en 1948, comme ministre de la Défense nationale. Avec Boutemy dans son gouvernement, c’est-à-dire avec l’homme considéré comme le plus grand corrupteur du moment, il peut sans doute prêter le flanc au scandale ; mais avec un proche aux Finances, Maurice Bourgès-Maunoury, et un homme de la mouvance Monnet dans son cabinet, Paul Delouvrier, il ne manquait pas de moyens d’efficacité.
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A. UNE GUERRE À VENDRE 36
En forçant un peu le trait, on pourrait comparer les relations franco-américaines de cette période, à propos de l’Indochine, à une opération commerciale de grande envergure. Dans un budget impossible à boucler, le gouvernement français paraît avoir isolé un « produit », assez onéreux et sans grand rapport financier, la guerre d’Indochine, et identifié un « repreneur » possible, familier mais extrêmement prudent, les États-Unis. Pendant deux ans, mais surtout en 1953, pendant que les troupes crapahutent dans la brousse ou pataugent dans la rizière, tout se passe comme si les deux parties s’attachaient à rapprocher au mieux l’offre et la demande.
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Dans cette perspective, le changement de majorité présidentielle aux élections américaines de novembre 1952 avait forcément constitué un moment important. Quelle allait être la politique du républicain Eisenhower, de son entourage et, notamment, du nouveau secrétaire d’État John Foster Dulles ? Au Quai d’Orsay, comme dans les autres ministères concernés, on n’eut pas à se poser la question très longtemps. La nouvelle administration n’était pas encore en place qu’un signe fort arrivait de l’OTAN : au conseil de l’Atlantique Nord réuni le 17 décembre 1952, quatorze nations se déclarèrent d’accord pour estimer que « la campagne menée en Indochine par les forces de l’Union française mérite de recevoir un soutien sans défaillance de la part des gouvernements atlantiques »64.
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Les Français paraissent dès lors bien décidés eux-mêmes à utiliser au mieux les dispositions de la nouvelle administration américaine dans le sens d’une aide encore accrue. Fin janvier 1953, juste après l’installation du nouveau président et à quelques jours de la visite à Paris du nouveau secrétaire d’État, une étude du secrétariat général permanent de la Défense nationale se livre ainsi à de subtils calculs pour proposer une nouvelle ligne de conduite65. Fondée sur l’estimation d’un montant total de dépenses militaires de 591 milliards de francs pour l’année 1953, cette étude suggère d’une part de rompre avec l’habitude et de solliciter deux aides financières séparées des ÉtatsUnis, l’une pour l’Europe et l’autre pour l’Indochine ; et d’autre part, dans ce second cas, de partager par moitié avec notre allié les dépenses militaires - enfin presque : un partage par moitié qui exclurait les livraisons « en nature » du RAM. Au final, cela signifierait de demander aux États-Unis une aide supplémentaire de l’ordre de 105 milliards de francs (300 millions de dollars) ce qui, tout compris, porterait leur participation à 57 % du coût total de la guerre.
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La négociation avec la nouvelle administration américaine commence le 2 février 1953 à Paris, où John Foster Dulles rencontre successivement Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, et René Mayer, président du Conseil. Certes, comme le notera ce dernier, « le secrétaire d’État américain est venu à Paris pour entendre plutôt que pour répondre »66. Mais ce qu’il entend ne souffre pas d’ambiguïté : les Français veulent « gagner la guerre » et l’Indochine vient en tête de leurs priorités financières. René Mayer, qui engage l’entretien par ce sujet, rappelle le « très gros effort [...] accompli par la France pour bâtir en Europe une armée tout en menant parallèlement une guerre en Indochine », insiste sur la charge fiscale qui pèse sur l’hexagone, évoque la résolution de l’OTAN et conclut : « les charges qui pèsent sur le gouvernement français seraient allégées, en accroissant et en spécifiant l’aide fournie par les États-Unis en ce qui concerne la charge que représente la guerre d’Indochine, de façon à nous permettre de faire face aux engagements que nous avons pris en Europe ». Le ministre français des
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Finances, Bourgès-Maunoury, qui rencontre parallèlement le directeur de la MSA, Stassen, suggère « d’accorder pour l’Indochine une aide forfaitaire » qui s’inscrirait comme une part importante des 400 à 450 milliards de francs que la métropole y dépense pour la guerre. Les Américains enregistrent, laissant cependant entendre que tout cela dépendra, selon l’expression de Stassen, « des projets d’avenir en Indochine, du programme prévu pour l’instruction des troupes indigènes, des possibilités offertes [...] », mais aussi de « la ratification du traité de la CED ». 40
Le gouvernement compte bien par ailleurs profiter du changement politique à Washington pour faire modifier le régime de l’aide. Alors que le nouveau président du Conseil René Mayer prépare son propre voyage aux États-Unis et qu’un Working Group franco-américain « planche » à Paris sur le sujet67, le conseil interministériel du 11 mars 1953 étudie un « projet de note » émanant du SGCI, qui propose une nouvelle orientation de l’aide américaine à la France68. Le principe de base en est simple : la France a d’une manière générale besoin d’une aide financière accrue et c’est au titre de l’Indochine que celle-ci est la plus facile à obtenir ; quoiqu’il arrive, il faut « éviter une réduction importante de l’aide financière, réduction qui serait fatale à l’équilibre tant de nos finances intérieures que de nos finances extérieures ». Mais, cela étant, il ne faut plus accepter, comme cela l’avait été à Lisbonne, de lier un accroissement de l’aide à une « augmentation de nos sacrifices ». Il apparaît parallèlement indispensable d’en aménager les procédures d’attribution, extrêmement tatillonnes : aujourd’hui, précise la note, les Américains font « comme si ces dépenses particulières étaient vraiment des dépenses propres du gouvernement des États-Unis ».
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L’idée proposée, que Bourgès-Maunoury a déjà exprimée, consiste à substituer aux justifications comptables une justification globale, d’ordre politique : un « forfait », en quelque sorte, plutôt qu’une collection infinie de justificatifs. Dans ces conditions, le document évalue les besoins à 395 milliards de francs, sur un budget militaire qui en compterait 1416 : 250 milliards seraient demandés au titre de l’Indochine et 150 au titre de l’Europe.
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Avant que la longue négociation entre Paris et Washington n’aboutisse, ce glissement progressif vers une aide américaine dominante suscite tout de même en France quelques interrogations, en particulier sur les pertes d’influence, voire de contrôle de la situation que cela implique. Plusieurs sensibilités apparaissent d’ailleurs sur le sujet au sein du gouvernement, le Quai d’Orsay semblant occuper une position d’arbitre. Au ministère des Relations avec les États associés, la contradiction grandit entre la nécessité d’une aide américaine accrue pour l’Indochine et la volonté d’y maintenir intacte l’influence française. Résumant dans une courte note, sans autre commentaire, les « Vues de Monsieur Letourneau », la direction d’Asie suggère en effet un sentiment d’impuissance69 . Le 3e point relève du réalisme : « le jour où l’effort financier américain sera supérieur au nôtre, estime le ministre d’État, nous risquons fort de voir la direction des opérations nous échapper ». Mais le 6e point ressemble à un vœu pieux : « personne ne peut se substituer à nous dans l’exercice de nos responsabilités en Indochine ».
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Le risque politique n’échappe pas non plus au SGCI. Il faut craindre en effet, précise son texte, qu’une augmentation de l’aide « ne conduise les États-Unis à réclamer une participation dans la direction des affaires d’Indochine ». Une « franche explication » sera en tout état de cause nécessaire, conclut-il sur ce point, permettant « peut-être d’écarter ou de limiter certaines de ces servitudes »70. Tout cela n’apparaît cependant
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pas suffisant au ministère des Affaires étrangères qui, tout en manifestant son accord sur l’analyse du SGCI, estime qu’elle « élude pratiquement le problème de l’ingérence américaine », qui elle ne peut qu’augmenter. « En contrepartie d’une aide accrue, précise une nouvelle note, les Américains auront de plus en plus tendance à revendiquer un droit de regard, non seulement sur l’emploi des crédits qui nous sont alloués, mais peut-être même sur l’ensemble de notre gestion de l’affaire d’Indochine. »71 44
Peut-on déjà parler d’ingérence ? La négociation franco-américaine se poursuit aux États-Unis, où René Mayer participe à des conversations officielles les 26 et 27 mars 1953. La veille, déjà sur place, il a fait passer un télégramme à Henri Queuille, viceprésident du Conseil, pour l’informer de l’état d’esprit qui règne à Washington : « La volonté de nous donner une aide importante pour l’Indochine n’est pas douteuse, précise-t-il ; mais on veut, pour la présentation, pouvoir faire état d’un plan relatif à la mise sur pied des forces vietnamiennes ainsi que d’un plan d’opérations militaires destiné à assurer la pacification et la victoire sur le Viet Minh grâce à des moyens nouveaux dans un certain délai »72.
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Dans son entretien du 26 mars avec Dulles, en présence des ambassadeurs du Vietnam et du Cambodge aux États-Unis, Mayer revient à la charge, lançant à nouveau l’Indochine en tête des discussions : il vante les mérites de la voie choisie par la France, qui passe par le développement des armées nationales : « Plus on avance, plus on voit clair dans la conduite politique à mener en Indochine, affirme-t-il. Il ne faut cependant pas oublier que la France a poursuivi en Indochine depuis plusieurs années une politique constante, en dépit d’une incompréhension assez générale au début ». Situant la question dans le cadre des relations Est-Ouest, Dulles rappelle pour sa part que « le même cerveau politique dirigeait les mêmes forces dans des lieux différents avec des objectifs finaux similaires », et insiste sur « l’idée de l’efficacité des forces indigènes ». Letourneau, présent dans la délégation française, ébauche un plan de transfert progressif de territoires pacifiés à l’administration de Bao Dai, dont le 28 mars Eisenhower trouve l’échelonnement trop lent. Le communiqué final des conversations, placées sous le signe de la « Paix comme principe politique fondamental », fait la part belle à l’Indochine : la menace soviétique demeure et les agressions communistes en Extrême-Orient « procèdent [...] d’un même plan ». Les programmes français pour l’Indochine seront étudiés pour « déterminer les moyens et la mesure de l’appui matériel et financier par lequel les États- Unis pourraient contribuer à leur exécution »73. Mais on en reste là.
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La négociation aboutira un mois plus tard à Paris. Le mémorandum du 26 avril, qui accompagne de nouvelles conversations de Dulles avec Mayer, Bidault et Pleven, porte sur 460 millions de dollars (environ 160 milliards de francs), dont 60 immédiatement disponibles. Était-ce discrètement dans l’accord ? Dans les quinze jours suivants, une série de mesures, prises dans tous les domaines, vont décider pratiquement de la dernière phase de la guerre : nomination d’un nouveau commandant en chef, le général Navarre, en remplacement du général Salan, restructuration des relations politiques avec les États associés, dévaluation de la piastre, départ de Letourneau... Aucun document ne lie explicitement ces mesures à l’octroi de l’aide de Washington, mais leur proximité chronologique oblige à se poser la question. L’opinion semble d’ailleurs en avoir été avertie : « Un accroissement de l’aide américaine, indiquera quelque temps plus tard une dépêche de l’agence Reuter74, fait partie intégrante du plan Navarre dont
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l’objectif, on le sait, est de mettre un point final à la guerre d’Indochine dans un délai d’un an et demi ».
B. LES RAISONS D’UNE MESURE 47
Plutôt retenue d’ordinaire comme une mesure technique75, la dévaluation de la piastre s’inscrit dans un ensemble de décisions importantes prises début 1953 à propos de l’Indochine. Elle est aussi l’occasion d’une nouvelle crise dans les coulisses du pouvoir, en métropole comme sur place. Le changement de parité de la monnaie indochinoise, mesure tout à la fois financière et politique, apparaît finalement comme l’un des principaux tournants - le dernier peut-être - du conflit. Faut-il y voir un sursaut français ou bien, au contraire, un chapitre nouveau de la dérive entraînée par le coût de la guerre ?
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Sans doute y a-t-il le scandale des piastres. Depuis quelques mois, de nouvelles révélations sur le sujet ajoutaient en effet leur parfum de scandale aux difficultés budgétaires. Dans un article publié par Le Monde en novembre 1952, sous le titre « Un scandale qui se prolonge, le trafic des piastres »76, Jacques Despuech avait détaillé tous les types de transfert et de trafic rendus possibles par la surévaluation de la piastre. Ancien employé lui-même de l’Office Indochinois des changes de Saigon 77, Despuech présentait l’affaire en technicien et avertissait des multiples dangers qu’encourait la France : l’« hémorragie croissante de devises », l’atteinte portée « au prestige de la piastre », l’« idée fausse de notre pays » donnée sur place et, plus grave encore pour lui, le renforcement du Viet Minn, qui « achète ces devises à n’importe quel prix » pour se procurer des armes. Au fond, note-t-il, « il n’est pas trop fort de comparer le trafic des devises à un trafic d’armes ». Deux livres enfonceront ensuite le clou : Jacques Despuech lui-même publiera un ouvrage en 1953, sous le même titre que son article ; et Arthur Laurent, homme d’affaire quelque peu amer, mêlera pour sa part la Banque de l’Indochine et la piastre dans un livre édité en 195478. De méchantes rumeurs s’y ajouteront79.
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La dévaluation de la piastre n’est-elle que la partie émergée d’un iceberg de sombres et louches affaires ? Le Bund de Berne titrera le jour même de la mesure sur « Les dessous politiques de la dévaluation de la piastre indochinoise » 80. Son correspondant à Paris fera état d’un mystérieux rapport d’une commission parlementaire retour d’Indochine et remis au cours de la semaine précédente au président de la République et au président du Conseil : « Il ne fut imprimé qu’en vingt exemplaires et fut considéré comme un secret d’État de première importance. On prétend qu’un chapitre spécial de ce rapport est consacré uniquement au mystère qui plane sur le trafic de la piastre et contiendrait les noms de différentes personnalités... »
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La réalité est plus prosaïque mais, début 1953, des recommandations parlementaires en faveur d’un examen sans complaisance de la question de la piastre se faisaient effectivement pressantes. Le rapport Devinat, puisqu’il s’agit de lui, terminait en effet son examen des problèmes de la piastre par une conclusion assez nette : « Si l’indifférence de la métropole ou de puissantes coalitions d’intérêt ont jusqu’à présent fait différer de revenir sur une mesure prise à l’origine trop légèrement, les scandales quotidiens auxquels donne lieu le trafic de la piastre démontrent qu’il est temps d’en finir avec cette irritante question »81. Le rapport comporte l’ultime mise en garde de ne pas « prendre une décision à l’étourdie », mais il estime impossible que le
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gouvernement ne prenne pas position, en pleine connaissance de cause, « sur un des aspects les plus redoutables du problème indochinois, et se contente de laisser les choses en l’état ». 51
Mais le contexte suggérant la dévaluation est surtout financier. Le débat sur le gain budgétaire d’un changement de parité de la piastre est ancien mais celui-ci, on le sait, a toujours été ajourné. En décembre 1952, une note du Trésor faisait encore les comptes : « Au total, on peut estimer que la dévaluation aurait une influence sur la moitié du montant des dépenses inscrites au budget français. Ainsi, dans l’hypothèse d’une dévaluation de 50 %, le bénéfice théorique serait de l’ordre du quart des crédits budgétaires »82. Il s’agissait certes d’un bénéfice théorique, étant donné la rapide hausse des prix que ne manquerait pas d’entraîner la mesure. Mais le directeur du Budget, Roger Goetze, rappelle tout de même peu après la dévaluation que le ministère des Finances attendait avec elle « une diminution d’au moins 30 milliards des charges de la guerre d’Indochine »83.
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Il faut ajouter à ce débat financier l’élément conjoncturel de la crise de trésorerie du printemps 1953, qui pose notamment la question du poids de la haute fonction publique dans le gouvernement de la IVe république84 . Alors que les principaux responsables politiques et financiers sont absents de Paris, le cabinet de Mayer prend conscience le samedi 21 mars 1953, selon l’expression de Delouvrier, qu’il n’y « a vraiment plus un centime » en caisse : « Nous n’avons jamais compris ce qui s’était passé, ajoute-t-il. Sans doute une erreur de calcul »85. L’Assemblée nationale autorise trois jours plus tard le gouvernement à signer une convention avec la Banque de France, pour que celle-ci puisse consentir une nouvelle avance de 80 milliards. René Mayer est alors déjà en route pour Washington, en quête on le sait d’une aide financière au titre de l’Indochine, mais, lors du vote sur la convention avec la Banque de France, la majorité dont il dispose au Parlement a accusé le coup86. Quel a été le rôle éventuel de cette banque des banques, voire du Trésor dans cette affaire ? Wilfrid Baumgartner, son gouverneur, a-til d’une manière ou d’une autre laissé la crise se développer, à la veille d’un voyage décisif, pour faire pression sur le pouvoir politique ? Toujours est-il qu’au niveau gouvernemental cette situation invite à prendre des initiatives d’ordre structurel en matière financière et, sans doute, budgétaire.
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L’évolution de la situation internationale se prête également aux décisions audacieuses. La mort de Staline, le 3 mars 1953, alors que la nouvelle administration Eisenhower est en place depuis à peine plus d’un mois, laisse présager un infléchissement des relations Est-Ouest et, peut-être, une perspective de négociation globale sur l’Indochine. Alors que tout est mis en œuvre du côté français pour convaincre Washington d’en faire plus, les Américains, on l’a vu, inscrivent précisément cette question dans les relations EstOuest et lient l’accroissement de leur aide à la présentation par la France d’un plan crédible pour l’Indochine. Ont-ils été plus loin et fait pression en faveur d’une dévaluation de la piastre ? Rien dans les papiers Mayer n’en accrédite l’hypothèse, mais un auteur américain l’affirme explicitement87 : « le pouvoir d’achat des dollars » s’en trouverait augmenté d’autant, ces derniers continuant d’être acheminés à travers la monnaie française. Une telle mesure, par ailleurs, en privant contre leur gré les dirigeants des États associés des avantages de la surévaluation de la piastre, ne pouvait que les éloigner un peu plus de l’influence française.
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L’extension du conflit armé à toute l’Indochine et la surenchère nationaliste qui, sur place, l’accompagne ont peut-être enfin convaincu René Mayer de franchir le pas. Il est
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d’ailleurs significatif que René Mayer ait conservé dans ses papiers un dossier bien renseigné sur le Cambodge88 . Alors que les forces armées du Viet Minh sont entrées au Laos voisin en avril, le roi Norodom Sihanouk lance aux États-Unis, dans une interview publiée par le New York Times du 19 avril 1953, un avertissement aux accents dramatiques : « à moins que les Français ne donnent à son pays plus d’indépendance dans les prochains mois, il y a un danger réel pour que [le] peuple se soulève contre son régime et rejoigne le mouvement Viet Minh dirigé par les communistes » 89. Sihanouk a déjà dissous le 14janvier précédent l’Assemblée nationale de son pays et pris lui-même la présidence du gouvernement : devançant semble-t-il la résurgence d’un ultranationalisme khmer, il avait pris la tête en personne d’une « croisade pour l’indépendance » au service de laquelle il pouvait mettre tout son talent de « communicateur » - tout en avertissant discrètement les Français qu’il n’avait pas d’autre choix. L’évolution de la situation dans le royaume du Cambodge militait en effet en faveur de décisions neuves. 55
En tout état de cause, la dévaluation de la piastre ne fut pas une mesure isolée. Pour pouvoir peser sur les événements, Mayer l’inscrira dans une vague de réforme destinée à réorganiser en profondeur l’organigramme civil et militaire de la guerre d’Indochine. Il y allait d’abord du statut des États associés. Par un geste d’ordre juridique qui mérite d’être souligné, René Mayer fit d’abord publier au Journal Officiel l’ensemble des documents définissant les relations entre les États associés et la France 90 : ces textes vieux de trois ou quatre ans, on le sait, ne l’avaient encore jamais été. René Mayer était d’ailleurs à peine installé à Matignon, en janvier 1953, que le ministre chargé des Relations avec les États associés Jean Letourneau avait annoncé, lors du débat budgétaire sur l’Indochine, une modification de la structure de la représentation de la France sur place91. Le haut-commissariat de France en Indochine allait disparaître au profit d’un commissariat général de France auprès des États associés, comparable à celui que les Britanniques entretenaient à Singapour.
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La réorganisation militaire était plus délicate. Le commandement devait être dynamisé, ce que la nécessaire relève de l’équipe de Lattre, arrivée en décembre 1950, rendait possible. Le diagnostic était en effet sévère : les troupes avaient perdu l’habitude d’être commandées, affirme une note au président du Conseil92, les états-majors de Saigon ou de Hanoi restant « confortablement installés dans la guerre pour la durée d’un séjour ». Il fallait aussi trouver un chef pour remplacer Salan, le « mandarin », qui connaissait pourtant si bien et depuis si longtemps - depuis trop longtemps ? - son sujet. Eisenhower fit discrètement suggérer les noms de quelques généraux - Guillaume ou Valluy93. Mais Mayer préféra le général Navarre, un expert des affaires européennes et du renseignement qui, au contraire de Salan, ignorait tout de l’Indochine. Entretemps, le Comité de défense nationale du 21 avril 1953 approuva le projet de décret fixant les attributions du général commandant en chef : à la différence de De Lattre, il resterait subordonné au ministre des États associés et au commissaire général de France auprès des États associés94.
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Ce train de mesure prenait enfin une dimension financière avec une nouvelle répartition des responsabilités ministérielles : le rattachement au ministère de la Défense nationale de la direction des Affaires militaires (DAM), venue de la France d’outre-mer et relevant des États associés, allait donner à la rue Saint-Dominique la direction et le financement de la guerre, présentement sous la responsabilité de René Pleven.
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Toute modification sensible de la politique indochinoise se heurtait évidemment à la puissance installée rue de Lille, siège du ministère d’État chargé des Relations avec les États associés. Ce ministère d’État, situé au quatrième rang dans l’organigramme gouvernemental, permettait à son titulaire, le MRP Jean Letourneau, d’exercer depuis 1950 un véritable proconsulat sur la guerre d’Indochine : ministre chargé des Relations avec les États associés dans six gouvernements successifs, cumulant cette fonction avec celle de haut-commissaire à Saigon depuis avril 1952, il avait bien sûr fait son affaire de la question indochinoise. Mais, trois ans après sa création par Queuille, cet élément fort de la structure gouvernementale qu’était devenu le « ministère des Relations avec les États associés » était-il encore nécessaire ? On se souvient que l’idée de sa création s’était inscrite en réponse à la pression des États-Unis, qui demandaient en 1950 de transférer les États associés d’Indochine du ministère de la France d’outre-mer à celui des Affaires étrangères. En 1953, on n’en est plus là : la perspective d’un désengagement apparaît même assez clairement en filigrane de l’action de René Mayer.
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Alors, quand début 1953, parallèlement à la préparation en grand secret de la dévaluation de la piastre, le gouvernement se soucie de « supprimer les rouages inutiles »95, l’affaire est à la fois technique et politique : « le rattachement au ministère de la Défense nationale de la direction des Affaires militaires constitue un premier pas dans cette direction. Une seconde étape doit conduire la présidence du Conseil à diriger personnellement les affaires d’Indochine au moyen d’un secrétariat d’Etat sous l’autorité directe du chef de gouvernement ». Il reste à mettre en œuvre cet audacieux programme.
C. MAYER EN ACTION 60
La réorganisation Mayer est cadrée fin avril 1953 : sûr d’un financement américain, le gouvernement résout les principaux problèmes organisationnels sur le terrain : le Comité de défense nationale du 24 avril règle la question de l’organisation du commandement en Indochine et un décret, le 27 avril, définit les pouvoirs du nouveau commissaire général de France en Indochine. Entretemps, les 26 et 27 avril, d’ultimes conversations franco-américaines à Paris préparaient l’attribution par Washington d’une aide de 460 millions de dollars96. Le 27 avril enfin, une réunion interministérielle consacrée à l’examen de la situation militaire en Indochine se tient à Matignon, sous la présidence de Mayer et en présence de Letourneau. Sur un autre plan, Mayer doit également faire vite car le mouvement gaulliste, dont les députés soutiennent son gouvernement, connaît alors un grave moment de vérité. Non seulement il a subi un sérieux échec aux élections municipales du 16 avril, mais il est de plus dangereusement montré du doigt par la presse : deux responsables du RPF, le responsable financier Alain Bozel et l’ancien ministre de la guerre André Diethelm sont en effet mis en cause à propos du trafic des piastres97. De Gaulle, le 6 mai 1953, décide la suppression du RPF et rend leur liberté aux parlementaires qui se réclament de lui - et soutiennent encore théoriquement Mayer.
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La suite se réalise en moins d’une semaine, entre le 7 et le 12 mai 1953, un peu à la manière d’un « coup ». Une première réunion est convoquée le 7 mai rue de Rivoli « pour étudier les mesures qu’appellerait une décision de dévaluation de la piastre » 98. Le nouveau taux est fixé le lendemain 8 mai, lors d’un second rendez-vous réunissant quelques experts autour du président du Conseil : ce dernier aurait voulu dévaluer de
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50 %, portant la piastre à 8,50 francs, mais accepta de s’en tenir à 10 francs, ce qui représente tout de même une dévaluation de 40 %. Bien sûr cette décision fut tenue secrète. Le même 8 mai, un Conseil des ministres tenu en l’absence de Letourneau, reparti en Indochine, procède notamment à la nomination de Navarre, revient sur la transformation du haut-commissariat en commissariat général et décide officiellement le rattachement de la direction des Affaires militaires (DAM) à la Défense nationale. Le reste s’enchaîne : la dévaluation de la piastre est officiellement prononcée le 11 mai 195399et, pour couronner le tout, René Mayer fait déposer le lendemain 12 mai devant l’assemblée les projets fiscaux de son gouvernement et demande les pouvoirs spéciaux100. 62
L’affaire comporte cependant un volet franco-français. Avant même d’apprendre la décision monétaire, Letourneau avait déjà dû voir venir l’orage. S’il découvre la nomination du nouveau commandant en chef par la radio, alors qu’il se trouve à Vientiane, le ministre connaissait déjà, semble-t-il, les principales autres dispositions prises par Mayer. Il rédige dès le lendemain du Conseil des ministres, le 9 mai, un long télégramme à ce dernier, lui exprimant son désaccord sur pratiquement tous les points - à l’exception de la nomination de Navarre - mais en même temps fait front 101. « En résumé de tout cet ensemble, conclut-il, ressort la nécessité de définir avec netteté qui a la charge des affaires d’Indochine auprès du gouvernement » ; et il ajoute : « Le ministre n’est pas un fonctionnaire que l’on rappelle quand on le croit bon ou pour le compte duquel des décisions sont prises et signifiées sans son plein accord. S’il en était autrement, je serais obligé de me considérer comme démissionnaire de mes fonctions dès le moment où vous m’accuseriez réception de ce télégramme sans me confirmer votre accord de pensée sur tout ce qui précède ». Son télégramme se croise semble-t-il avec celui l’informant de la décision gouvernementale de dévaluer la piastre 102.
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Mis devant le fait accompli de la nomination du général Navarre et de la dévaluation de la piastre, apparemment peu soutenu par le MRP, le ministre d’État ne s’incline donc pas. Remerciant le 15 mai le président du Conseil d’un télégramme tout de même amical qu’il avait reçu le 11, jour de la dévaluation, Letourneau contre-attaque : « Aucun ministre responsable de la conduite de la guerre en Indochine ne peut accepter de se voir retirer la gestion des crédits, et tous ceux qui se sont penchés sur le problème reconnaissent [que la] solution logique et efficace [résiderait] au contraire dans l’existence d’un budget unique - terre, marine, air - pour la guerre en Indochine » 103. Dans un autre télégramme directement adressé à Mayer, il écrit non sans humour : « Mon cher président et ami, puis-je t’avouer qu’à douze mille kilomètres de distance, je ne comprends pas très bien ce que tu recherches ? Ce qui est certain, c’est que si tes intentions étaient de me fournir toutes occasions de démissionner, tu n’agirais pas autrement »104. Mais c’est le gouvernement Mayer qui démissionnera en bloc moins d’une semaine plus tard, le 21 mai 1953, impuissant à obtenir la confiance de la Chambre sur ses projets financiers. Letourneau ne fera cependant plus partie des gouvernements suivants. Deux décrets, pris sous le gouvernement Laniel, confieront bientôt les États associés au président du Conseil, et par délégation à un secrétaire d’État à la présidence du Conseil - en l’espèce Marc Jacquet 105. Un troisième décret rattachera les crédits des Forces terrestres servant en Indochine au ministère de la Défense nationale106 : l’action de Mayer aura ainsi eu une durée inversement proportionnelle à celle de son passage à la tête du gouvernement.
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La dévaluation elle-même fut plutôt mal ressentie dans les États associés, qui ont accusé la France d’avoir agi seule et sans les consultations prévues par les accords de 1949. Il est de fait que la décision a été unilatérale et que les consultations ont été réduites à leur strict minimum, afin d’éviter en particulier les risques de spéculation. Elles ont cependant existé, bien qu’il ne soit pas sûr que toutes les parties prenantes y aient mis la même bonne volonté. Il est aujourd’hui possible de reconstituer le déroulement précis des événements. Le télégramme annonçant la décision monétaire, adressée le samedi 9 mai à 2 heures du matin au ministre à Hanoi, a dû y arriver, compte tenu du décalage horaire, aux premières heures du jour107. Mais, aux dires d’André Valls, il n’y aurait été reçu qu’à 19 heures108. Or il y avait urgence : à son point deux, le télégramme gouvernemental demandait d’engager des consultations avec les États, même si cellesci étaient « nécessairement tardives »109. Le chef du gouvernement vietnamien, Nguyen Van Tam, n’est informé que le samedi 9 à 22 heures, et les gouvernements du Cambodge et du Laos seulement le dimanche, la date arrêtée pour la dévaluation étant le lundi 11 mai : tous ont bien sûr protesté, mais une journée avait été perdue. Pourtant, selon le rapport du gouverneur Gautier, les réactions du président Tarn et de Bao Dai restèrent d’abord modérées110 : ce n’est qu’ensuite que le temps tourna à l’orage. Tout a-t-il été fait du côté français pour réussir le changement de parité ?
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Il faut comprendre que Letourneau, comme tous ses prédécesseurs au hautcommissariat, était opposé sur le fond à toute dévaluation de la piastre. Dans la circonstance, comme on dit en Indochine, il perdait de plus totalement « la face » : il vient en particulier, retour de France, de rencontrer Bao Dai et ne lui a rien dit, et pour cause ! Si bien qu’il ne peut plus passer aux yeux des dirigeants des États associés que pour un hypocrite ou bien pour un pantin. Comme il l’écrit lui-même à Mayer, « l’ignorance dans laquelle j’ ai été tenu de vos projets et [...] la procédure utilisée [...] me laisse sans grand moyen pour tenter de justifier la mesure auprès des dirigeants des États »111. Dans ces conditions, il n’est pas exclu de penser qu’il a dans un premier temps feint d’ignorer le télégramme officiel, protestant seulement, mais vigoureusement, contre les décisions du Conseil des ministres et mettant sa démission dans la balance 112. Mais au fond, reproche-t-il au gouvernement dont il fait partie de ne pas avoir consulté les États associés ou de ne pas l’avoir consulté lui-même ? « Les conséquences redoutables de la mesure monétaire que vous avez dû pouvoir prendre sans me consulter commencent logiquement à se dérouler », annonce-t-il dès le 11 mai 113.
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En tout état de cause, les services financiers ont quelque difficulté à imposer une gestion sereine de l’après-dévaluation, avec tout ce que cela comporte de mesures complémentaires, blocage des prix, restrictions commerciales et recensement des stocks. « La réaction des Français ici est l’hébétude, note Valls le 15 mai 114. Ils ont le sentiment que cette décision est prise parce qu’on veut en finir avec l’Indochine et que la dévaluation amorce un repli général. » Ont-ils tellement tort ? Le lobby colonial paraît même agressif. Il est vrai, comme l’indique Maxime Robert, directeur général adjoint de la Banque de l’Indochine au conseil d’administration du 20 mai, une semaine après la dévaluation, « que cette mesure (lui) porte un préjudice immédiat en amputant de 41 % les bénéfices réalisés depuis le début de l’année » 115. Mais la BIC paraît craindre encore plus le coup de frein porté aux activités commerciales.
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Le suivi de la dévaluation, essentiel pour qu’elle réussisse, se heurte donc rapidement, de manière contradictoire, d’une part à la pression des milieux coloniaux et d’autre part à la défiance de plus en plus grande des États à l’égard de la France. Dans un
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premier temps, alors que l’Office des changes ferme ses portes pour plusieurs jours, le gouvernement vietnamien joue le jeu des mesures d’accompagnement suggérées par la France : dès le 11 mai, les salaires et les prix d’un certain nombre de produits d’importation sont bloqués, les exportations de riz interdites et, quelques jours plus tard, différentes surtaxes compensatrices instituées sur les autres produits d’importation et d’exportation116. Mais ces mesures commencent à être relâchées dès le 25 mai, lorsqu’un certain nombre d’augmentations de prix sont autorisées. Le conseiller financier André Valls, qui a des idées très précises sur les conditions d’un réel assainissement financier en Indochine, et est censé mettre en œuvre l’aprèsdévaluation, est vite désabusé. 68
Le problème de la rémunération des personnels civils et militaires en Indochine oppose également la rue de Rivoli aux services des États associés et à ceux de la Défense nationale. Le directeur du Budget refuse en particulier, pour les traitements des fonctionnaires et des troupes servant en Indochine, le maintien des paiements en francs au niveau d’avant la dévaluation - sinon on ne voit pas très bien en effet à quoi celle-ci aurait servi117. Finalement, « une indemnité compensatrice égale aux septdixièmes des émoluments », est décidée par décret, soit tout de même l’équivalent de la dévaluation, mais affectée « à la constitution d’un pécule » bloqué en France 118. Au-delà de cet épisode important, compte tenu de la masse financière engagée, la question des pertes de change et des réclamations qu’elles entraînent alimente un feuilleton qui va occuper la direction du Trésor au moins jusqu’en 1954.
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Sur les plans financier et économique, la dévaluation de la piastre a-t-elle atteint ses objectifs ? Parmi ceux qui étaient annoncés dans les documents entourant la décision 119, la réduction du trafic des piastres vient en bonne place : sur ce plan, un coup d’arrêt est bien sûr donné, quoique la spéculation sur la piastre, même si c’est dans une moindre mesure, va semble-t-il rester juteuse. La stimulation des exportations indochinoises est également évoquée : la question demeure complexe, en raison du prix élevé de produits comme le caoutchouc, grevé par des frais de protection ; quoi qu’il en soit, le bénéfice de la mesure, si tant est qu’il y ait suffisamment de produits pour fournir le marché, ne peut être constaté qu’à moyen terme. Vient ensuite la revalorisation des avoirs francs de l’Institut d’émission, pour assurer une meilleure couverture de la monnaie indochinoise : le bénéfice a été sur ce point plutôt faible - « La dévaluation de la piastre n’a pas réglé le problème monétaire Indochinois », affirme même Gaston Cusin, le président de l’Institut d’émission120. Il y a enfin et peut-être surtout l’économie budgétaire, la réduction présumée du montant des dépenses françaises exécutées en piastres. Mais cet objectif essentiel de la dévaluation de la piastre demeure très partiellement atteint.
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« La dévaluation de la piastre n’a-t-elle rapporté que 265 millions au budget français ? » se demande en novembre la Correspondance économique, s’appuyant sur un rapport parlementaire121. Une note de la rue de Rivoli évalue peu avant « l’économie réelle » à 10 milliards de francs, contre une « économie théorique » attendue de 35 milliards 122. Dans son audition d’octobre 1953 devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, le directeur du Trésor Schweitzer est lui-même assez mesuré 123. « On pouvait penser, indique-t-il, que la dévaluation de mai 1953 amènerait une économie budgétaire importante [...]. Il n’y a [...] pas eu de grand changement de ce côté. En ce qui concerne les soldes, le gouvernement a été obligé de tenir compte de la réaction de nos troupes là-bas [...]. L’économie budgétaire [...] est évaluée, je crois, à une dizaine de
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milliards sur l’année 1953. D’un autre côté, il faut bien reconnaître que nous avons supporté des pertes car, de manière à assurer sur les bases normales le commerce entre la France et l’Indochine, on avait vendu à terme des francs à prix fixe. » Au total, « L’incidence sur le budget français fut négligeable compte tenu du volume total des charges ». 71
Il reste qu’en donnant un violent coup de pied dans la fourmilière indochinoise, René Mayer a fait bouger les choses, pour la première fois peut-être depuis le début de la guerre, créant en particulier les conditions pour un désengagement de la France. Mais, compte tenu de l’évolution de la situation, les conséquences de son action paraissent avoir été surtout importantes sur le plan politique : pour lui-même d’abord, qui a suggéré que le trafic des piastres n’était pas pour rien dans la chute de son gouvernement124 ; pour les États associés d’Indochine ensuite, qui vont dès lors s’éloigner plus vite que jamais de la France.
III. LE DÉSENGAGEMENT ET L’ÉCHEC 72
« Une puissance européenne lutte en Asie pour défendre une ancienne colonie orientale dans l’intérêt d’une coalition occidentale conduite par une puissance anti-colonialiste, ironise en octobre 1953 le correspondant du New York Times à Paris. Les États associés d’Indochine dépendent de la France pour leur défense, tandis que la France dépend des États-Unis pour financer cette défense. On espère, en accordant l’indépendance aux États associés, obtenir qu’ils entrent plus activement dans la lutte mais, et c’est un autre paradoxe de cette guerre, on demande aux Français de fournir des officiers et des hommes pour défendre un pays qui est supposé devenir indépendant de la France, ce qui conduit certains d’entre eux à se demander pourquoi, dans ce cas, ils continuent à se battre en Indochine. »125 Alors que l’armistice de juillet 1953 a mis fin à la guerre de Corée, le conflit Indochinois, qui en est à sa huitième année, paraît plus empêtré que jamais dans ses contradictions.
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L’après Mayer voit cependant les choses évoluer rapidement : pendant que le corps expéditionnaire maintient sa présence sur le terrain, les États associés se détachent de plus en plus de la France, qui ne les retient d’ailleurs pas et semble même progressivement en abandonner le parrainage aux États-Unis. La RDV, pour sa part, prend des dispositions en conséquence. Rendez-vous est bientôt pris à Dien Bien Phu.
A. L’APRÈS DÉVALUATION 74
La dévaluation de la piastre, le 11 mai 1953, avait ouvert des perspectives nouvelles à toutes les parties en cause et, d’abord, fait basculer le système de Pau, déjà bien mal en point, dans la désagrégation. Moins d’une semaine après l’annonce de la mesure, le 16 mai, le gouvernement vietnamien annonçait son intention de demander la révision des pourcentages de répartition des recettes communes, « dont les taux actuels sont éminemment préjudiciables au Vietnam »126, indiquant au passage sa préférence pour les négociations bilatérales plutôt que quadripartites. Il continue d’ailleurs à ne pas verser aux gouvernements du Cambodge et du Laos le montant mensuel des recettes douanières qui leur reviennent. Au 1er décembre 1953, le montant de la dette vietnamienne à l’égard du Cambodge et du Laos dépasse le milliard de piastres 127. Reprenant sa liberté d’action sur le plan intérieur, il fixe aussi, unilatéralement et en
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violation des accords de Pau, le prix de certains produits d’intérêt commun, comme les hydrocarbures et les médicaments. Le gouvernement cambodgien ne fut pas en reste : un praka128frappe le 5 juin les marchandises « destinées à la zone piastre » d’une taxe de compensation de 20 %, et les autres d’une taxe de 40 %. Fin 1953, pratiquement aucune des dispositions établies par les conventions de Pau ne subsiste encore sinon, mais de manière précaire, celles qui concernent la monnaie. 75
L’Institut d’émission résista mieux que l’Union douanière, même si la dévaluation mettait à mal, au moins dans l’esprit, le nouveau système monétaire en place et montrait à quel point le pouvoir restait entre les mains françaises. La première raison de cette résistance tient sans doute au mode de fonctionnement de l’Institut. La gestion des avances aux États était assurée non pas par le conseil d’administration quadripartite, réceptacle de toutes les discordes nationales, mais par des comités restreints bipartites129. La seconde raison est liée aux conditions même du fonctionnement monétaire et budgétaire des États associés : ce sont, on le sait, les dépenses militaires françaises qui, pratiquement, garantissent la piastre ; sur un autre plan, ce sont les entreprises également françaises qui assurent l’essentiel de leurs rentrées fiscales. La tutelle française mérite donc encore quelque considération. Il reste que la dévaluation a libéré les aspirations des États à disposer de leur propre monnaie. Le plus net sur ce point a été le Cambodge, au nom duquel le président du Conseil Sim Var, protestant dans un discours du 17 mai 1953 contre le changement de parité monétaire, revendiqua explicitement pour le royaume, afin de « sortir de cette malheureuse situation », d’avoir « une monnaie nationale »130.
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L’année 1953 est ainsi marquée par un net élan des États associés vers plus d’indépendance, que l’élargissement du conflit à tous les pays d’Indochine encourage. Le Laos, au nord duquel le Viet Minh développe ses opérations militaires dans le courant de l’année, y voit la possibilité d’une meilleure protection internationale 131. Le Cambodge, dynamisé par la « croisade pour l’indépendance » de son jeune roi, Norodom Sihanouk, qui s’exile en juin dans la Thaïlande voisine, puis dans la province de Battambang, dans l’ouest du royaume, arrache entre août et novembre 1953 de nouveaux transferts de souveraineté, en matière d’armée, de police et de justice 132. Le gouvernement vietnamien de Nguyen Van Tam n’est pas le dernier à prendre date. Dans une déclaration prononcée en juin à l’occasion du premier anniversaire de son gouvernement, dans laquelle il réclame la pleine souveraineté pour le Vietnam, le chef du gouvernement en appelle notamment à une redéfinition des relations avec la France : « La fragilité et l’insuffisance des accords passés en 1949 et en 1950 apparaissent nettement, déclare-t-il. Si le principe de notre appartenance à l’Union française n’est pas remis en cause, il est clair que la constitution établie par la France en 1946 ne répond plus aux nécessités des nations appelées à y adhérer. Il faut reprendre cette question sur d’autres bases avec l’accord de tous les intéressés actuels, en tenant compte des réalités »133.
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La France paraît pour sa part saisie d’une sorte de syndrome indochinois. André Valls, conseiller financier du haut-commissariat de France en Indochine, commence d’ailleurs sur ce point son rapport pour l’année 1953134. Alors qu’auparavant la question indochinoise ne prenait de l’importance qu’à titre épisodique, observe-t-il, elle le fait à l’état permanent en 1953 : « l’importance particulière des débats qui se sont déroulés au Palais Bourbon et au Luxembourg [...], les réunions spéciales des conseils de cabinet ou des ministres [...], la part de plus en plus large faite par la presse à tout ce qui touche
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les États associés, les missions ou enquêtes des hautes personnalités qui se sont succédées en Indochine [...] trahissent certainement la lassitude et le désarroi de la France devant la complexité du problème indochinois, mais traduisent aussi l’importance primordiale qu’y attache désormais l’opinion publique et les efforts qui sont tentés pour sortir de l’impasse ». 78
Le gouvernement français n’est plus hostile à l’évolution des États associés vers une indépendance réelle. Investi le 26 juin après cinq semaines de crise gouvernementale, le gouvernement Laniel se saisit presque immédiatement du dossier. Paul Reynaud, viceprésident du Conseil, dispose en particulier depuis quelques jours d’un rapport de Claude Cheysson sur le sujet. Avant de détailler les mesures qu’il préconise, ce dernier en établit ainsi la perspective : « Que nous soyons obligés de continuer le combat ou qu’il soit possible, un jour, de traiter avec le Viet Minh, il convient tout d’abord de donner au Vietnam une indépendance éclatante et les moyens de sa lutte, afin d’alléger notre effort et de rendre apparents aux yeux de tous les nationalistes vietnamiens l’inutilité de la guerre pour l’indépendance, et le caractère communiste du commandement Viet Minh »135. Dès les premières semaines de juillet, la nouvelle équipe gouvernementale arrête son dispositif dans ce sens, qui était d’ailleurs celui préconisé par René Mayer. Par la déclaration gouvernementale du 3 juillet 1953 136, la France s’engage à « parfaire l’indépendance » des États associés, et concrétise cette position en désignant un diplomate comme nouveau commissaire général, Maurice Dejean 137. Diverses mesures viennent comme prévu simplifier l’organigramme gouvernemental en matière indochinoise, en particulier le rattachement des États associés à la présidence du Conseil et de la direction des Affaires militaires (DAM) au ministère de la Défense nationale et des Forces armées. La doctrine financière est définie en même temps par une note conjointe Cusin-Valls, centrée sur la défense des intérêts français en Indochine.
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Mais cette mise en forme et en décrets de l’héritage Mayer se réalise dans un contexte particulièrement difficile. Nouvelle crise de trésorerie, fort déficit des finances extérieures... Les députés votent les projets financiers du nouveau gouvernement, approuvant aujourd’hui ce qu’ils refusaient hier - « la chambre est folle », note simplement Auriol138. Le Comité de défense nationale du 24 juillet 1953, réuni à Paris pour examiner le plan Navarre, ne peut réunir le financement des demandes du commandant en chef. La situation est aussi fort préoccupante sur le plan social : la France est paralysée en août 1953 par une grève spontanée et générale de plusieurs millions de travailleurs qui, en quelques jours, paralyse tout le pays 139. Cette situation inédite, outre qu’elle relativise les problèmes Indochinois, fragilise le pouvoir et impose de nouveaux arbitrages. C’est précisément au mois d’août 1953 que la France relance les pourparlers avec les États-Unis, afin d’obtenir une aide supplémentaire pour l’Indochine.
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Il faut dire qu’en 1953 l’intérêt américain pour l’Indochine était à peu près équivalent à celui de la France : pas moins de 65 missions s’y sont déplacées, en général pour quelques jours, dans les dix premiers mois de l’année, soit entre une et deux par semaine140. À travers elles, 225 personnalités américaines, surtout militaires, s’attacheront à comprendre la situation, à évaluer le rapport des forces, à suggérer aussi la puissance des États- Unis. Depuis les chefs de la flotte du Pacifique ou des troupes de l’ONU en Corée, l’amiral Radford et le général Clark, jusqu’au vice-président Richard Nixon, en passant par de nombreux officiers supérieurs et membres du
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Congrès, les États-Unis assureront ainsi une présence de plus en plus visible sur le terrain tout en étant sûr de ne pas être à cours d’« expertise » sur la question. 81
Les dernières positions françaises dans la négociation franco-américaine - la « chasse gardée » des États associés - tombent en août 1953, après un dernier « bras de fer » au sein même du gouvernement. Le différent portait sur 150 milliards de francs, nécessaires au financement des armées nationales : le secrétaire d’État aux États associés, Marc Jacquet, préférait recourir à l’émission monétaire plutôt que d’en appeler à nouveau aux États- Unis, et suggéra l’ouverture d’un compte spécial dans une lettre au président du Conseil, dont il sollicitait l’arbitrage 141 ; le ministre des Finances, Edgar Faure, imposa l’avis inverse. La veille du Conseil des ministres du 19 août 1953, qui devait examiner les crédits des États associés, la France demanda officiellement aux États-Unis « que le gouvernement français soit déchargé en 1954 de toutes ses responsabilités d’aide financière aux États associés » 142.
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Cette notification constitue un important tournant, qui entraîne l’aide américaine vers des cimes jamais atteintes. Dès le 10 septembre suivant, le National Security Council autorisait une nouvelle aide à la France, portant sur un montant de 385 millions de dollars143 à l’intention des États associés, qu’un échange de lettres rendra officielle le 29 septembre 1953144. La subvention française aux États associés est ainsi, désormais, entièrement couverte par l’aide américaine ; mais celle-ci continue de transiter par la France, en l’occurrence à travers un « compte d’affectation spéciale » pour l’assistance militaire aux États associés, nouvellement créé. Le coût de la guerre pour la France en diminuait d’autant...
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Avec désormais une aide totale de 785 millions de dollars pour 1954 145, soit 275 milliards de francs, les États-Unis se trouvaient potentiellement engagés dans le financement du conflit à hauteur de 78 %, une situation sans précédent. La France réalise bien sûr, pour sa part une économie équivalente, concrétisée par la « débudgétisation » de l’aide aux États associés146, mais trouve aussi dans ce mécanisme un moyen d’équilibrer sa balance des paiements, les dollars en question étant versés à la France avant que celle-ci n’en crédite les États associés. Par contre, contrairement à ce qui avait été espéré, les procédures de vérification de l’emploi de l’aide américaine, négociée dans l’hiver 1953-1954 et consignée dans le mémorandum du 1er mars 1954 147, étaient plus contraignantes que jamais. Il ne s’agissait plus en particulier d’avances : toutes les dépenses devaient avoir été réalisées avant d’être remboursées. Les conditions d’exercice du financement de la guerre s’en trouvaient modifiées.
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Dans le camp Viet Minh, le changement de parité de la piastre et le recours croissant à l’aide américaine constituaient autant d’encouragement à rechercher des garanties dans le camp sino-soviétique. La dévaluation de la piastre, tout d’abord, n’avait bien sûr pu faire l’affaire du Trésor de la RDV, dont l’encaisse en billets BIC et de l’Institut d’émission avait fondu du même coup de 40 % - rien n’indique cependant dans les sources consultées que cet aspect des choses ait fait partie du calcul français. Mais le fait est là, d’autant plus inquiétant pour le Viet Minh que le rapport de change entre la piastre et le dông s’était maintenu malgré la dévaluation : la piastre BIC valait encore, dans le Sud, entre 50 et 100 « piastres HCM ». Prenant l’initiative, le Comité exécutif du Nam Bo décida fin juin de réévaluer sa monnaie, portant sa valeur officielle de 50 à 36 pour une piastre de l’Institut d’émission148.
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Le sentiment d’appartenance au camp communiste paraît renforcé. Dans un stage sur la « lutte monétaire » organisée en juillet 1953 près de Can Tho pour environ 200
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« élèves », la volonté de se rattacher au « camp » paraît évidente, même s’il faut aussi y voir un travail de propagande destiné, à nouveau, à donner confiance dans la monnaie de la Résistance149. Parmi les cinq points étudiés, deux retiennent l’attention : la « diffusion de la piastre Ho Chi Minh, [qui] a cours dans tous les pays de l’Union communiste mondiale » ; et l’« intervention prochaine de la Russie et de la Chine communiste sur le front du Tonkin [...], ce qui va permettre à la monnaie de la Résitance d’être bien stabilisée, tandis que les coupures BIC n’auront plus cours ». 86
En promulguant, le 19 décembre 1953, une loi sur la réforme agraire, la RDV poursuit dans ce sens150. Réforme d’inspiration idéologique ou répondant à des nécessités pratiques ? En pensant à la réforme agraire soviétique, qui avait parmi ses objectifs de financer l’industrialisation, il est tentant d’imaginer une réforme agraire vietnamienne dont la raison aurait été de financer la guerre. Mais rien ne permet vraiment de le dire : un meilleur rendement de l’impôt agricole, une mobilisation des ressources plus efficace, les chefs de guerre du Viet Minh ont bien dû y songer. Mais en tout état de cause, la mise en place de cette politique agraire permet à la RDV de mieux enraciner sa résistance dans la réalité du « camp socialiste », plutôt d’ailleurs du côté chinois que du côté soviétique.
B. ÉCHEC AU PLAN NAVARRE 87
La fin de la guerre d’Indochine illustre le décalage qui s’est progressivement installé entre ceux qui gèrent la guerre et ceux qui la conduisent. Budgétaires et militaires français vivaient-ils encore sur la même planète ? Les premiers peuvent se frotter les mains : grâce à la « mise hors-budget » du financement des armées nationales, jusquelà assuré par une subvention très officiellement inscrite dans les comptes de la nation, le poste des Forces terrestres en Indochine accusait un appréciable repli d’environ 17 %. « En définitive, peut-on lire dans une brochure du Budget, c’est la relève d’une partie de l’effort militaire français par une aide accrue des États-Unis qui constitue le trait dominant du budget de 1954. »151En principe adossés à une aide américaine plus importante que jamais, les militaires du corps expéditionnaire doivent quant à eux continuer à jouer leur rôle sur le terrain, avec des moyens mesurés et alors que l’adversaire donne au contraire des signes manifestes de montée en puissance. Le général Navarre, examinant rétrospectivement les conditions dans lesquelles il avait pris son poste en 1953, stigmatisera « la prééminence systématique donnée au côté financier des problèmes, au mépris de considérations plus importantes » 152.
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Le plan proposé par le général Navarre en juillet 1953, après quelques semaines passées sur place à évaluer la situation et les besoins, supposait justement un nouvel effort financier du gouvernement français. L’objectif, qui devait être atteint en deux ans, soit pour la fin de 1955, était de faire pencher suffisamment la balance des forces du côté franco-vietnamien pour que, d’une part, le rapatriement du corps expéditionnaire s’amorce et que, d’autre part, le relais puisse être passé durablement aux armées nationales. Pour ce faire, Navarre se proposait en particulier de restructurer le corps expéditionnaire pour qu’il retrouve sa mobilité : en bref, « constituer un corps de bataille rassemblant les éléments mobiles [...] susceptibles de s’attaquer au corps de bataille adverse, tandis que la défense en surface serait confiée en priorité aux forces des États associés »153. L’ensemble des forces engagées - « corps de bataille » et « défense en surface » - devait passer de 465 000 hommes en novembre 1953 à 530 000
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hommes en mai 1955 : cet effort reposait essentiellement sur le développement des armées nationales mais, le développement de celles-ci étant trop lent, Navarre avait en attendant besoin de renforts. 89
L’été 1953 n’était il est vrai, on l’a vu, pas le meilleur moment pour solliciter du gouvernement de nouveaux engagements financiers. Avant qu’il ne lui fût soumis, le plan Navarre avait d’ailleurs été passé au crible par le comité des chefs d’État-Major, qui avait donné son aval moyennant une réduction des demandes de renforts. Convoqué au Comité de défense nationale du 24 juillet 1953, le commandant en chef demanda une définition des buts français dans le conflit, la « mise dans la guerre » des États associés et avertit que son plan n’était seulement valable que « dans la mesure où l’aide chinoise au Viet Minh restait dans l’ordre de grandeur actuel » 154. La discussion, semble-t-il confuse, ne déboucha sur aucune décision précise : « le principe d’envoi de quelques renforts fut admis mais leur volume ne fut pas défini », indique Navarre. Surtout, « le ministre des Finances fit toutes réserves sur les possibilités financières et indiqua que, seul, le recours à l’Amérique permettrait de régler la question. Il me fut demandé de chercher à établir un plan de rechange plus économique en effectifs et en moyens financiers, quitte à consentir certains abandons ». Navarre avait deux à trois semaines pour reprendre son plan, pendant que la nouvelle négociation serait entreprise avec les États-Unis.
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Le ministre des Finances Edgar Faure paraît avoir joué un rôle déterminant lors du Comité de défense nationale du 24 juillet. Intervenant parmi d’autres après l’exposé du général Navarre, il rappelle que le budget de l’Indochine avait été fixé « dans le bleu » à 375 milliards pour 1953 et qu’en tout état de cause, ce chiffre doit être révisé à la baisse. Dans ces conditions, les nouveaux besoins, chiffrés à plus de 100 milliards, ne sauraient être acceptés sans risques : « Il souligne, note le procès-verbal, que dans ces conditions il n’y a pas de possibilité de suivre une politique économique et financière saine ». La solution ne peut passer, pour lui, que par une aide américaine accrue ou une modification de la politique militaire générale. « Nous allons, prévient-il, vers une crise économique, financière et sociale en octobre » - elle viendra en août. Il ne le dit pas dans ces termes mais cela revient au même : il faut se débarrasser de l’Indochine. « Il constate qu’il n’y a pas prise de conscience de la Nation devant le problème Indochinois. Alors comment faire ? Faut-il s’accommoder d’une débâcle économique et financière ? » Il demande donc à Navarre de prévoir un plan de rechange, « moins onéreux ». Soutenu par le ministre de la Défense, René Pleven, convaincu comme lui « que l’on ne peut parler Défense nationale sans parler de finances », il devra cependant intervenir à plusieurs reprises pour imposer son idée de plan de rechange, mais il y arrivera155. Il imposera par la suite un plafond de 242 milliards aux crédits militaires d’Indochine afin d’obliger le gouvernement à demander une aide plus élevée qu’auparavant aux États-Unis.
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La hiérarchie militaire ne vint guère au secours du plan Navarre. Le général soumit au gouvernement, à la fin du mois d’août, dans une « note sur les incidences militaires de la politique de financement de la guerre d’Indochine », un plan retaillé comprenant le chiffrage « des moyens minimums indispensables ». Une longue discussion s’engagea avec le gouvernement sur « la valeur des moyens » en question, pendant que la négociation se poursuivait avec Washington. Finalement, le Comité de défense nationale du 13 novembre 1953 demanda au commandant en chef « d’ajuster ses plans aux moyens mis à sa disposition ». Le Comité considérait en effet « qu’un nouvel
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accroissement des moyens militaires de l’Union française, mis à la disposition du théâtre d’opération d’Indochine, ne pourrait être obtenu qu’au prix d’un affaiblissement excessif de nos forces en Europe et en Afrique du Nord, et que les inconvénients qui en résulteraient seraient plus graves pour la situation de la France dans le monde que ne seraient avantageux pour elle les résultats à attendre de l’envoi de nouveaux effectifs en Extrême-Orient »156. Mais Navarre ne semble avoir reçu le courrier l’informant de ces dispositions qu’après avoir fait occuper Dien Bien Phu par les parachutistes du général Gilles. 92
La contrainte financière était brutale. Ce n’était certes pas la première fois que le gouvernement taillait à la hache dans un plan de campagne mais, cette fois, le contraste entre l’ampleur des coupes et l’importance des enjeux apparaît rétrospectivement saisissant. Les instructions que le secrétaire d’Etat aux États associés était chargé de confirmer au commandant en chef par le même Comité de défense nationale étaient en effet les suivantes : d’une part, « l’objectif de notre action en Indochine est d’amener l’adversaire à reconnaître qu’il est dans l’impossibilité de remporter une décision militaire » ; d’autre part, « il importe de favoriser au maximum le développement des armées nationales ». Mais la mission envoyée en Indochine en novembre et décembre 1953 par l’état-major des armées conclura son rapport par ces termes : « Seules les questions financières, étroitesse du budget, blocage des crédits, incertitudes sur les crédits provisionnels du début d’année et sur le fonctionnement d’un compte spécial pour le budget des États associés, sont des motifs de sérieuses inquiétudes » 157.
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Sans doute l’aide américaine était-elle plus forte que jamais, mais ses modalités ne destinaient la nouvelle tranche de 385 millions de dollars qu’aux armées nationales. Il y avait là de quoi retourner le couteau dans la plaie du nouveau commandant en chef, qui considère en effet que « ce fut [...] pour des raisons pécuniaires sordides que le gouvernement français demanda aux USA de prendre complètement en charge l’aide aux armées associées », le privant en outre du principal levier dont il disposait sur place158. Rappelons que la campagne 1953-1954 de Navarre prévoyait deux grandes séries d’opérations, toutes deux centrées sur la protection des États associés et le développement des armées nationales : d’une part la défense du Laos, pour laquelle le choix du commandant en chef s’était donc porté sur Dien Bien Phu, site annoncé d’une bataille entre troupes régulières des deux camps ; d’autre part l’ouverture au Vietnam associé de nouveaux espaces de responsabilités dans le Centre Vietnam méridional, où l’opération Atlante devait refouler les forces Viet Minh de la Ve zone, qui tenaient la région depuis 1945.
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Tout a été dit sur Dien Bien Phu. La confiance des responsables français dans la conception du camp retranché, un « super-Nasan », du nom d’un terrain d’aviation transformé en forteresse l’année précédente, non loin de Son La, selon la formule d’un « hérisson » sur lequel viennent s’écraser les offensives ennemies. La confiance de tous, du soldat au ministre, dans l’issue de l’explication annoncée - « on va leur montrer », pouvait-on entendre un peu partout sur le site du camp retranché159. La discussion sur le site, justement, que pratiquement personne ne remet en cause, étant donné la sousestimation générale des capacités de l’artillerie adverse. Le caractère de la bataille, qui aurait dû être importante, certes, mais pas à ce point stratégique. Les erreurs du commandement français aussi, qui n’aurait pas su exploiter les quelques moments durant lesquels un repli était encore possible… L’offensive commencée le 13 mars 1954 a détruit en quelques heures toutes les illusions françaises : la piste aérienne
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neutralisée et les installations françaises à portée des canons Viet Minh, tous les principes sur lesquels reposait la « base aéroterrestre » volaient en éclats. 55 jours et deux offensives plus tard, la place était prise. 95
On sait assez bien aujourd’hui pourquoi le rapport des forces n’était pas favorable aux Français. Du côté Viet Minh, dans la perspective de la négociation de Genève, tout avait été mis en œuvre pour l’emporter, pour apporter sur place de quoi soutenir un siège, pour disposer d’une artillerie aussi puissante sinon plus que celle de l’adversaire. Vo Nguyen Giap avait décrété la mobilisation générale ; vélos et camions, en un constant va et vient depuis l’autre bout du Tonkin, créaient une ligne continue de ravitaillement. L’aide chinoise s’y ajoutait, toujours plus forte, selon le constat des services de renseignement français, qui comptaient par dizaines, voire centaines de milliers les obus de tous calibres franchissant la frontière, jusqu’à un régiment entier de DCA à 64 pièces comprenant une forte proportion de servants chinois. On sait aussi le génie du général Giap, qui avait changé in extremis la date de l’attaque sur le camp retranché pour mieux exploiter, en particulier, les possibilités tactiques de son artillerie 160.
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Du côté français, 12 000 hommes s’étaient solidement installés dans la cuvette grâce à un véritable pont aérien, avec piste et artillerie lourde mais aussi avec un handicap : ils se trouvaient en pays ennemi, loin de leurs bases, et ne pouvaient compter que sur l’aviation pour tenir. Or précisément celle-ci n’était pas si pléthorique que cela : tous les appareils disponibles devaient être engagés pour le ravitaillement et la défense du site ; opérant loin de leurs bases, ils ne pouvaient intervenir que de brefs instants sur place, et encore seulement si la météo le permettait. L’aide américaine, co-substantielle au corps expéditionnaire, ne fut cependant pas accrue pour l’occasion, au contraire peut-être. Après la bataille, le général Navarre se plaindra d’importants retards de livraisons en matériels militaires161. Pour autant, il ne semble pas que ce soit le matériel qui ait manqué à Dien Bien Phu - les Américains ont par exemple fourni des parachutes lorsque ceux-ci faisaient défaut - mais plutôt les moyens de l’acheminer.
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Les États-Unis pouvaient-ils intervenir ? En 1954, ils fournissent les armes, financent partiellement le corps expéditionnaire et presque totalement les armées nationales. Ils ont obtenu un plan opérationnel pour circonvenir le danger communiste en deux ans le plan Navarre. Ils exercent sur toutes les dépenses qu’ils financent un contrôle tatillon. Ils tiennent en fait les Français dans leur main. Mais pendant que se joue le sort de Dien Bien Phu, rien ne paraît plus fonctionner entre Paris et Washington. Du côté français, c’est presque naturellement que l’on se tourne vers l’Amérique pour sortir du guêpier, comme on le fait depuis des années : les demandes portent cette fois sur des bombardiers, non sur des millions de dollars, mais il ne peut s’agir que d’une différence de niveau, pas de nature. Du côté américain, par contre, il semble qu’on ne « joue » plus. A-t-on à Washington le sentiment d’avoir été abusé, d’avoir cru à tort que le plan Navarre pouvait réussir, alors que les Français s’embourbaient sur le terrain ? « Nous assistons en ce moment à l’effondrement ou à la disparition de la France en tant que grande puissance », aurait alors dit le secrétaire d’État Dulles 162. L’ambassadeur Henri Bonnet observe pour sa part, en juin 1954, un retour dans la presse de Washington d’un anticolonialisme américain « nettement inspiré par le Département d’État » 163.
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En elle-même, la non-intervention américaine à Dien Bien Phu a un caractère essentiellement politique. Poussé par plusieurs dirigeants civils et militaires américains, l’amiral Radford en particulier, le vice-président Nixon également, un plan d’intervention, on le sait, existait : l’opération aérienne Vautour, impliquant en
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particulier une aviation embarquée. Le 5 avril, une demande d’intervention du gouvernement français est transmise à Washington par l’ambassadeur Dillon, dûment chapitré la veille au soir à Matignon, en conseil restreint, sur les « preuves » de l’intervention chinoise dans la bataille164. Dans un télégramme du 7 avril, Dulles répond qu’il n’est pas « possible que les États-Unis commettent des actes de belligérance en Indochine sans une entente politique complète avec la France et d’autres pays » 165. Une telle entente étant irréalisable à court terme, cela revenait à un refus. Une seconde démarche est effectuée le 23 avril auprès de Dulles par Bidault, en vain 166. La décision des États-Unis revêtait sans nul doute une signification historique plus profonde que l’acceptation ou le refus d’une seule opération militaire, fut-elle complexe, risquée ou hors norme. Pour les dirigeants américains, et en particulier pour le président Eisenhower, qui prit la décision finale, la France impériale pouvait sembler finie. 99
Dien Bien Phu ne fut bien sûr pas seulement un tournant pour la perception américaine de la puissance française. Après l’échec militaire et le piétinement de la négociation de Genève, une nouvelle crise politique amena au pouvoir l’homme qui depuis près de quatre ans réclamait un vrai désengagement, et notamment pour des raisons financières : Pierre Mendès France.
C. ÉCHEC AUX ÉTATS ASSOCIÉS 100
Pendant que se préparait et se déroulait l’explication de Dien Bien Phu entre le corps expéditionnaire et les troupes régulières du Viet Minh, une autre bataille, diplomatique celle-là, opposait la France aux États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Il n’est pas sûr, au point où en étaient les choses, que cette bataille-là fut moins importante que l’autre. Depuis la déclaration du 3 juillet 1953 en effet, par laquelle le gouvernement français s’était engagé à « parfaire l’indépendance des États associés », l’effervescence nationaliste s’était propagée à toute l’Indochine. Ce qui était en cause n’était pas tant l’influence de la métropole - encore que l’incantation anti-française devenait quasiment rituelle au Cambodge et dans le Vietnam associé - que les modalités de celle-ci, en particulier les dispositifs d’union douanière et monétaire relevant du système de Pau.
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Il convient de bien situer la revendication d’indépendance des États associés. Dépendant du corps expéditionnaire pour leur sécurité, voire pour leur existence même, les États ne semblaient pas rechercher la rupture avec la France. A la fin de 1953, 742 Français travaillent d’ailleurs encore pour leur compte, soit qu’ils aient été détachés - environ 36 % - soit qu’ils aient été recrutés localement : 79 % d’entre eux peuplent l’administration du Vietnam associé, surtout des recrutés locaux ; 13 % sont au Cambodge et 8 % au Laos, plutôt des cadres métropolitains dans les deux cas 167. Les Etats par contre, tout au moins le Cambodge et le Vietnam, affichaient on le sait l’objectif de couper tout lien fédéral entre eux, en particulier sur les plans économique et monétaire. Carte 6. L’Indochine en 1954
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Source : Le Monde. 102
D’importantes négociations bilatérales avaient suivi en 1953 la déclaration de juillet, sans pour autant résoudre le problème monétaire. Le cas le plus simple fut celui du Laos, avec qui fut signé un traité d’amitié et d’association le 22 octobre 1953 : l’article 1 stipulait l’indépendance du royaume, l’article 2 précisait son appartenance à l’Union française, et le président Auriol remit au roi Sisavang Vong un vieux sceau du Laos en or, pesant cinq kilos168. La situation s’avéra plus complexe avec le Cambodge, même si tous les pouvoirs autres que monétaires lui ont été transférés dans le courant de l’année 1953 : la question militaire, dernière pierre d’achoppement, fut résolue par la convention bilatérale du 17 octobre 1953, qui permettait au commandement français de conserver sa liberté de manœuvre à l’est du Mékong. Quant au Vietnam associé, ses relations avec Paris étaient dans l’impasse : en effet, comme le précise une note française, « avec le recul du temps et pour paradoxal que cela puisse paraître, la déclaration du 3 juillet 1953 devait prendre au dépourvu le gouvernement vietnamien et, en particulier, SM Bao Dai »169. Ce dernier parut vite un peu dépassé par les sentiments anti-français que la déclaration gouvernementale avait réveillés, et qui s’exprimèrent avec force au Congrès national vietnamien convoqué en octobre 1953 à Saigon, dont une motion rejeta, avant d’être reprise, la participation du Vietnam à l’Union française170.
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La rupture officielle de l’union monétaire est cependant venue du Cambodge, à l’occasion du Haut Conseil de l’Union française réuni en novembre 1953 autour du président Auriol. Une note préparatoire à la rencontre avait situé la nature très particulière du problème monétaire local et estimé qu’il n’y avait pour les États associés pas d’autre choix qu’entre l’indépendance monétaire totale et l’Union monétaire 171. Mais rien n’y fit : le Haut Conseil se sépara sur le constat de « la volonté exprimée par le Cambodge de mettre fin aux Accords sur lesquels était fondée l’Union économique,
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monétaire et douanière »172. La révision des conventions en vigueur et la convocation d’une nouvelle « conférence économique et financière des quatre États » s’imposaient donc. 104
Cambodge, Laos, Vietnam associé... En attendant la réunion d’une nouvelle conférence quadripartite, il restait à ce dernier pays une négociation bilatérale à mener, que le jeu des surenchères nationalistes avait conduit à reporter mais qui serait sans doute la plus importante des trois. Début 1954, nombre de services devaient encore être transférés au Vietnam : la justice, les ports de Saigon et Haiphong, les phares et balises, l’énergie électrique, l’aéronautique civile, le service météorologique... Le 7 février 1954, un éditorial de Radio-Dalat alla plus loin, exprimant le sentiment de l’entourage de Bao Dai173 : saluant d’abord l’importance des problèmes économiques et financiers, il émit l’idée que « dans le monde d’aujourd’hui, la monnaie est essentiellement un fait national », « un instrument de la politique des nations », « un droit régalien ». Dans ces conditions, « la nationalisation de la piastre semble donc devoir constituer une évolution inévitable, sans que cette réforme entraîne une rupture entre la piastre et le franc ».
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La négociation entre la France et le Vietnam associé, officiellement ouverte au Quai d’Orsay le 8 avril 1954, alors que depuis près d’un mois le camp retranché de Dien Bien Phu se défend comme il peut contre l’autre Vietnam, dure environ huit semaines. La chute de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, et l’ouverture de la phase indochinoise de la conférence de Genève, le lendemain 8 mai, éclipsent évidemment quelque peu cette négociation économique et financière, ou du moins la relativisent. Sept séances ont déjà été réunies et le moral ne paraît cependant pas trop atteint : les pourparlers franco-vietnamiens semblent même « en bonne voie », selon une note du 13 mai 174. Le texte des principaux traités était en fait pratiquement prêt. Les négociateurs abandonnent toutefois le ministère des Affaires étrangères pour le secrétariat d’État aux États associés et, huit séances plus tard, le 4 juin 1954, deux traités sont paraphés par les chefs de gouvernement, Joseph Laniel et Buu Loc : dans le premier, « la France reconnaît le Vietnam comme un État pleinement indépendant et souverain » ; le second est un traité d’association entre les deux pays175. Mieux vaut tard que jamais ?
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Notons que, même si le statut de la piastre n’est pas encore vraiment déterminé, la France accepte donc finalement, en 1954, cette indépendance dont le refus l’avait en 1946 poussée à la guerre. Elle le fait dans un document, quasiment oublié, qui va beaucoup plus loin que l’accord signé huit ans plus tôt par Ho Chi Minh et Jean Sainteny, pourtant considéré alors comme singulièrement audacieux. Malheureusement pour elle, le désastre militaire de Dien Bien Phu vient de lui signifier qu’elle n’avait pas choisi le bon interlocuteur... Dans la course de vitesse opposant le Vietnam associé à la RDV le premier étant piloté par la France - de plus en plus difficilement -, la seconde a pris une sérieuse option sur l’issue du conflit. Il ne reste plus alors aux Français qu’à « sauver les meubles ».
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La dissolution de l’Union monétaire, nous y reviendrons, sera l’un des principaux objets de la conférence quadripartite réunie à la fin de l’été à Paris, « dans le but de procéder à une révision des accords conclus à Pau en 1950 »176. La conférence de Paris, inaugurée à la fin août 1954, ne s’acheva que dans les derniers jours de décembre, après quatre mois qui n’étaient pas sans rappeler la durée de la conférence de Pau en 1950 177. De ces négociations tatillonnes qui avaient en particulier pour fil conducteur, du côté français, le maintien du Vietnam associé dans la zone franc, mais se compliquaient de la
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perspective d’un lien financier bientôt direct entre Washington et les États, sortiront onze accords tournant le dos au quadripartisme de Pau et, ce faisant, à la prépondérance française en Indochine. Le principal d’entre eux, signé le 30 décembre 1954, mettait fin au privilège de l’Institut d’émission.
D. LA LIQUIDATION 108
La guerre était donc finie. Mais on n’entendit guère de commentaire sur la portée de cette décolonisation, il est vrai particulièrement ratée. L’investiture de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil, le 19 juin 1954, avait inauguré un dernier acte partiellement provisoire : cessez-le-feu, partition du Vietnam, retrait de la France aussi. Chez les fonctionnaires de la rue de Rivoli, métier oblige, on s’était intéressé aux « conséquences économiques et financières d’un cessez-le-feu en Indochine » 178avant même que celui-ci n’intervienne. Devant l’afflux prévisible des transferts, une attitude libérale fut préconisée par le ministre des Finances Edgar Faure 179. Mais la question du régime monétaire de l’Indochine, en particulier au Vietnam, où deux monnaies allaient coexister officiellement - la piastre « Ho Chi Minh » et celle de l’Institut d’émission 180posait des problèmes nouveaux, sur lesquels nous reviendrons.
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En France, les milieux intéressés étaient tellement préoccupés par le coût de la guerre que c’est à lui qu’ils semblent penser en priorité. Le cessez-le-feu à peine obtenu, le journal Le Monde n’ose pas trop avancer de chiffres, dans l’ignorance où il se trouve des projets du Viet Minh et de ceux du gouvernement français181. À tout le moins, précise-til, « la fin des combats permettra une économie de munitions et d’équipements évaluée dans les milieux autorisés à environ 30 milliards par an ». Cependant, indique le journal, le rapatriement du corps expéditionnaire, dont l’entretien est le plus onéreux, « ne paraît pas envisagé pour l’instant ». La direction du Budget se laisse aller à l’optimiste en préparant l’exercice 1955 : « en ce qui concerne les budgets militaires, écrit son directeur, il me paraît tout d’abord raisonnable d’estimer que la fin des hostilités en Indochine doit apporter au Trésor français un allégement de charges au moins égal à la cessation des dépenses d’ordre purement opérationnel et des dépenses des travaux d’infrastructure, qu’il n’y a aucune raison de ne pas remettre à la charge des États associés. Le montant de telles économies a été chiffré par mes services à 60 milliards »182. Il semble plus généralement que, pour le ministère des Finances, un peu comme en 1952 mais de manière cette fois plus fondée, l’Indochine soit vraiment le seul chapitre budgétaire sur lequel il soit possible de faire des économies.
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Restait aussi la question de l’aide américaine, même si les relations entre Paris et Washington n’étaient plus vraiment ce qu’elles étaient quelques mois plus tôt. On se souvient que cette aide avait été portée au niveau sans précédent de 785 millions de dollars (275 milliards de francs), mais elle n’a pu être totalement consommée en raison du cessez-le-feu : la procédure adoptée prévoyait en effet des versements américains non par avances mais par remboursements, une fois l’aide ou les matériels arrivés à destination. Or, d’une part, la France n’a pas, à la date de l’arrêt des hostilités, épuisé tout son crédit ; tous les remboursements, d’autre part, n’ont pas encore été effectués accessoirement, des matériels militaires déjà commandés n’ont plus aucune chance d’être acheminés sur place en raison même des conditions du cessez-le-feu, qui interdit aux belligérants d’introduire sur le théâtre de nouveaux équipements militaires. Plusieurs dizaines de milliards de francs étaient en jeu, mais le chiffrage lui-même du
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montant de l’aide encore à percevoir apparaît délicat. Le bilan du compte d’affectation spéciale « 15-50 », par exemple, destiné à l’assistance militaire aux États associés d’Indochine et alimenté par l’aide américaine de 385 millions de dollars (135 milliards de francs), montre qu’en août 1954, la ligne de crédit a été épuisée à 87 %, mais que 70 % de l’aide a seulement été versée183. Considérée globalement, c’est-à-dire en ajoutant aux 385 millions de dollars les 400 préalablement obtenus, et selon cette fois le cabinet d’Edgar Faure, 540 millions de dollars sur les 785 du total restaient encore à percevoir en octobre 1954, soit près de 70 % du total184. Une autre source suggère qu’en novembre de la même année, quelque 60 % de l’aide américaine restaient à recouvrer 185. 111
Les négociations franco-américaines ne pouvaient plus porter que sur une liquidation. Alors que les pourparlers de Genève n’avaient pas encore abouti, le 13 juillet 1954, Stassen rencontre Edgar Faure à Paris et évoque devant lui la possibilité d’un « forfait » de 100 millions de dollars - environ 35 milliards de francs, ce que le ministre français trouve très insuffisant. De nouveaux entretiens se déroulent à Washington du 27 au 29 septembre 1954, trois semaines après la signature du pacte de Manille instituant l’OTASE, entre W. Bedell Smith d’une part et Guy La Chambre et Edgar Faure de l’autre, tous deux à la recherche d’une réduction budgétaire ne pouvant « inéluctablement » porter que « sur les dépenses d’Indochine »186- de ce côté-là, rien n’avait changé. Comparant les besoins du corps expéditionnaire et les possibilités françaises, le ministre des Finances demande entre 115 et 140 millions de dollars à ses interlocuteurs.
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Une ultime étape du désengagement français est franchie lors de ces conversations franco-américaines de septembre 1954. Le communiqué final indique que « les EtatsUnis considéreront la question d’une contribution financière au corps expéditionnaire, s’ajoutant à l’aide accordée à chacun des trois États associés pour ses forces armées » ; mais il précise surtout que, désormais, « l’assistance économique, l’aide budgétaire et les autres formes d’aide seront accordées directement par la France et les États-Unis à chacun des États »187. Si cette dernière disposition est ordinaire pour la France, elle l’est beaucoup moins pour les États-Unis : on sait que les 385 millions de dollars obtenus en septembre 1953 pour les États associés transitaient toujours par un compte français. Désormais, l’aide américaine pourra être versée directement par les États-Unis aux États associés. « Le gouvernement français se rallie à l’idée d’un octroi direct à chacun des trois États » de l’aide budgétaire aux armées nationales, a déclaré Edgar Faure au cours des entretiens, soulignant néanmoins « le sacrifice que cette décision représente pour la France, à la fois sur le plan financier, par la perte des rentrées de devises, que sur le plan psychologique »188. Ce nouveau régime, qui prive également désormais la France de tout contrôle sur les États associés, mais s’inscrit dans la logique des accords précédents, devait entrer en vigueur le 1er janvier 1955.
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Jusqu’au dernier moment, le gouvernement français essaie de rentrer dans ses fonds. Avant de rencontrer à nouveau Edgar Faure en décembre à Paris, Stassen fit savoir à l’ambassadeur Bonnet que, finalement, Washington verserait l’intégralité de l’aide prévue, malgré l’armistice, à l’exception des remboursements de matériels non expédiés189. Pour autant, rien ne se produit pendant plusieurs mois. Il faudra attendre que Nacivet, venu à la tête du SGCI, suggère en mars 1955 d’en revenir à la proposition de Stassen de juillet 1954, portant sur 100 millions de dollars 190. Le mois suivant, l’échange de lettres du 29 avril 1955 entre le ministre des Finances Pierre Pflimlin et l’ambassadeur Dillon réglait le problème dans ce sens 191.
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Les problèmes financiers générés par la guerre d’Indochine auront ainsi eu une durée de vie sensiblement plus longue que la guerre elle-même... Le constat de leur importance progressive, tout au long de neuf ans de conflit, invite maintenant à l’introspection : comment évaluer le coût de la guerre d’Indochine ?
NOTES 1. 513 et 551 milliards de francs pour 1952 et 1953, compte non tenu d'une contribution vietnamienne de quelque 35 milliards. Direction des Services financiers et des Programmes. « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l'Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22. 2. « Les crédits militaires pour l'Indochine » (1954), Rapport Bousch, de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954. Archives du Sénat et AEF Fonds Trésor, Β 33540. Voir annexe 24. 3. Rapport Pineau de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, janvier 1952. Archives de l'Assemblée nationale. 4. Rapport de la commission des Finances, janvier 1952. op. cit. 5. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 6. Selon la formulation de Truong Chinh et de Ho Chi Minh. 7. Note du directeur des Affaires militaires pour le ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65. 8. Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 9. Par exemple le journal méridional Cuu Quoc du 28 mai 1952. SHAT, 10 H 3997. 10. Document de la province de Gia Dinh, 2e Bureau, 10 août 1952. SHAT, 10 H 3994. 11. « Rapport sur la situation économique et financière du mois de mai 1952 (Nord et Centre Vietnam) », 5 juin 1952. Document saisi en juillet 1953. SHAT, 10 H 3990. 12. Renseignement du 20 janvier 1952. SHAT, 10 H 3992. 13. « Rapport mensuel au sujet de la lutte monétaire », décembre 1952, Banque nationale centrale du Vietnam, saisi à Baria en septembre 1953. SHAT, 10 H 3993. 14. Le mot « fantoche » désigne le régime de Bao Dai. 15. Renseignements de mars et de septembre 1952, pris au Nam Bo. SHAT, 10 H 3992. Instruction relative à la perception de l'impôt à Vinh Tra, 28 mai 1952. SHAT, 10 H 3993. 16. « Instruction relative à la perception de l'impôt à Vinh Tra », 28 mai 1952, op. cit. 17. Livraison du 29 février 1952. SHAT, 10 H 3992. 18. Communiqué du 13 décembre 1952. SHAT, 10 H 3992. 19. Renseignements du 20 mai et du 28 juin 1952. SHAT, 10 H 3992. 20. Renseignement du 23 mars 1953. SHAT, 10 H 3992. 21. Décret 53/NB 53 du 2 novembre 1953, document récupéré le 16 février 1954. SHAT, 10 H 3992. 22. Note du 20 décembre 1952 signée Savani, du 2 e Bureau, au commandant en chef. SHAT, 10 H 3993. 23. Renseignement du 3 décembre 1952 concernant la zone Est. SHAT, 10 H 3996. 24. Renseignement du 13 février 1952. SHAT, 10 H 3992. 25. Arrêté du Comité régional de résistance du 17 décembre 1952. SHAT, 10 H 3996. 26. Ap Ngon Dua, près de Long My, les 7, 8 et 9 janvier 1953. SHAT, 10 H 3990.
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27. Correspondance économique du 5 août 1953. AEF Fonds Trésor, Β 3355. 28. D'après le rapport Bousch de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954, consacré aux crédits militaires pour l'Indochine. Voir annexe 24. 29. Association, souvent présentée alors par ordre alphabétique, du Cambodge, de la France, du Laos et du Vietnam. 30. Décret du 28 décembre 1951. Voir aussi annexe 9. 31. Fascicule de présentation de l'Institut. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 32. Fascicule de présentation de l'Institut d'émission. op. cit. 33. Fiches sur l'évolution des armées nationales. SHAT, 14 H 72 et Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65. 34. Sur le chiffre de 185 000, le nombre de Français proprement dit s'élevait à 50 000, formé essentiellement de personnels d'encadrement. Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre, op. cit. 35. Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre, op. cit. 36. Général Gras, Histoire de la guerre d'Indochine, Paris, 1979 et Rapport du général Nguyen Van Hinh sur le programme d'accroissement de l'armée nationale en 1953. Saigon, 20 décembre 1952, 15 p. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 37. Rapport Bousch du Conseil de la république sur les crédits militaires pour 1954. Voir annexe 24. 38. Rapport 1953 du conseiller financier à Saigon André Valls, AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 39. Les pourcentages de répartition avaient été fixés comme suit : Vietnam 71 %, Cambodge 22 %, Laos 7 %. 40. André Valls, Rapport du conseiller financier pour l'année 1953, op. cit. 41. Lettre du gouvernement du Vietnam au haut-commissaire de France, datée du 28 avril 1953. Cité par André Valls, Rapport 1953, op. cit. 42. Note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952. Archives diplomatiques, AO/IC/264. 43. Le « Mutual Security Act » modifiait lui-même le « Mutual Defense Assistance Act » depuis le 10 octobre. Tout pays désirant être bénéficiaire de l'aide américaine devait y adhérer avant le 8 janvier 1952. 44. L'expression est du journal Le Monde, 15 octobre 1952. 45. Les dirigeants français voulaient garder la suprématie, au sein de la CED projetée, sur l'armée allemande. Frédéric Bozo, La France et l'ΌΤΑΝ. De la guerre froide au nouvel ordre européen, Paris, 1991. André Fontaine, Histoire de la guerre froide II (1950-1963), Paris, 1967. Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, 1989. 46. Soit 115,5 milliards de francs. 47. Investi le 20 janvier 1952, après la censure de René Pleven, il cédera Matignon moins de deux mois plus tard, le 8 mars 1952, à Antoine Pinay. 48. Cité par la note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952, op. cit. 49. Le Monde, 11 juin 1952. 50. Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la vie politique française. 1945-1954, Paris 1989. 51. Irwin M. Wall, ibid. 52. « Note générale sur la politique française en Indochine », 21 juillet 1953. Non signée, du moins dans la version rencontrée, cette note figure en particulier, de manière significative, dans les papiers Cusin - AEF, 5 A 79 - et Mayer - 363 AP 31. 53. Télégramme daté de Washington, le 20 mai 1952. Archives diplomatiques, AO/1C/264. 54. « Note sur une aide éventuelle américaine supplémentaire en Indochine », 7 juin 1952. Archives diplomatiques, AO/IC/264. 55. Lettre de Pierre-Paul Schweitzer, conseiller financier à Washington, à Guillaume Guindey, directeur des Finances extérieures. Archives diplomatiques, AO/IC/264.
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56. Note signée de Clermont-Tonnerre, citée par une autre note de la direction générale des Affaires économiques, du 28 juillet 1952, la relativisant largement. Les off shore ressortaient du « Plan Pleven », qui prévoyait, précise-t-elle, que les États-Unis s'engageraient à faire passer, en trois ans, des commandes de ce type pour un montant de 625 millions de dollars. Archives diplomatiques, AO/IC/264. 57. Détails de ces 425 millions de dollars : 330 reconduits, de Lisbonne (et non 500), 25 de Washington (au lieu de 150) et 70 de commandes offshore. 58. Le Monde, 26-27 octobre 1952. 59. Le 300 e navire américain arrive au port de commerce de Saigon fin juin 1953. A cette date, 300 000 tonnes de matériel américain avaient été livrées depuis août 1950. 60. Georgette Elgey, La République des contradictions, 1951-1954, Paris, 1993. 61. L'Humanité du 22 juillet 1949. Information présente dans les papiers Mayer. Archives nationales, 363 AP 10. 62. Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française en Indochine. 1945-1954. op. cit. 63. Philip Williams, La vie politique sous la IVe République. Paris, 1971. 64. Note d'Alphand, du 31 janvier 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22. 65. Note du Secrétariat général permanent de la Défense nationale sur « L'aide financière des États-Unis à la France », 29 janvier 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265. 66. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22. 67. Il se réunit du 9 au 13 mars 1953 au ministère chargé des Relations avec les États associés, autour d'un questionnaire précis et volumineux apporté par la délégation américaine. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. Voir aussi annexe 16. 68. « Projet de note sur une nouvelle orientation possible de l'aide américaine à la France », 8 mars 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 69. Asie-Océanie, « Vues de Monsieur Letourneau », 31 janvier 1953. Archives diplomatiques, AO/ IC/265. 70. Projet de note sur une nouvelle orientation possible de l'aide américaine, op. cit. 71. Note Asie-Océanie du 11 mars 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265. 72. Télégramme de Bonnet à Queuille de la part de Mayer, 26 mars 1953, Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22. 73. Communiqué du 28 mars 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22. 74. Dépêche du 26 août 1953. 75. Georgette Elgey ne mentionne pas, par exemple, la dévaluation de la piastre dans la seconde partie de son Histoire de la IVe République, La République des contradictions, 1951-1954 (Paris, réédition 1993), ni dans le chapitre concernant Mayer, ni dans celui sur l'Indochine. 76. Le Monde, 20 novembre 1952. Voir annexe 10. 77. Despuech est cité dans le rapport Mariant - administrateur civil de l'Office des changes envoyé en mission d'inspection en Indochine - du 21 février 1950. Dans un autre rapport, local celui-là, du Bureau technique de liaison et de coordination, relevant du haut-commissaire, il avait en effet été nommément accusé de corruption mais à tort selon Mariant. AEF, Fonds Trésor, Β 43917 et Β 43918. 78. Jacques Despuech, Le trafic des piastres, et Arthur Laurent, La Banque de l'Indochine et la piastre, Éd. Deux rives, Paris, 1953 et 1954. 79. Deux des principaux dirigeants de la Banque meurent subitement à l'automne 1952, le directeur général Jean Laurent, le 8 septembre 1952, à l'âge de 52 ans et, moins de deux mois plus tard, Paul Gannay, Inspecteur général de la Banque et ancien directeur de la succursale de Saigon, le 1e r novembre 1952, à 72 ans. Arthur Laurent laisse entendre dans son ouvrage que le premier aurait été assassiné ; Lucien Bodard, dans L'humiliation, se fera l'écho du curieux décès du second, « le crâne fracassé contre une baignoire ».
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80. Reproduit par le « Bulletin d'informations économiques et financières » de l'attaché financier près l'ambassade de France en Suisse. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 81. Assemblée nationale, commission des Finances. « Rapport établi au nom de la souscommission chargée de suivre et de contrôler d'une façon permanente l'emploi des crédits affectés à la Défense nationale sur la Mission d'information exécutée en Indochine du 19 janvier au 20 février ». Archives de l'Assemblée nationale. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 24 et SHAT, 2 R 34. 82. Note du 18 décembre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 83. Note pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 84. Olivier Feiertag, Wilfrid Baumgartner, les finances de l'État et l'économie de la nation (1902-1978), un grand commis à la croisée des pouvoirs. En particulier la IIIe partie : « Gouverner la Banque de France ». Thèse, Paris, 1993. A paraître au Comité pour l'histoire économique et financière de la France. 85. Cité par Georgette Elgey, op. cit 86. 257 voix contre 221. Les Gaullistes se sont abstenus. Georgette Elgey, op. cit. 87. Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française en Indochine, op. cit. 88. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 89. Cité par Norodom Sihanouk, Souvenirs doux et amers, Paris, 1981. 90. Décret du 23 février 1953 pour la publication des actes définissant les relations entre les États associés et la France au Journal Officiel. Ils n'avaient jusqu'alors été publiés que par la Documentation française. 91. Rapport Valls pour 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 92. Note sur la « relève en Indochine » pour la présidence du Conseil, 25 février 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 93. Papiers René Mayer, 363 AP 24. 94. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 95. Note préalable au Conseil des ministres du 8 mai 1953 sur « le commandement d'Indochine ». Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 96. Mémorandum du 26 avril. Pour la négociation, Dulles et Stassen avaient rencontré Mayer, Bidault, Pleven et Bourgès-Maunoury. 97. Georgette Elgey, op. cit. 98. Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953 et lors de laquelle Valls expose l'historique de la décision. 99. Décret n° 53-399. JO du 11 mai 1953. 100. Georgette Elgey, op. cit. 101. Télégramme du 9 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 102. Il est techniquement possible que ce second télégramme soit même arrivé avant le départ du premier. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 103. Télégramme du 15 mai à Dupraz. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 104. Télégramme du 15 mai à Mayer. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 105. Décrets n° 53-597 du 2 juillet et n° 53-618 du 10 juillet 1953. Attributions du président du Conseil et du secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, chargé des Relations avec les États associés. SHAT, 1 R 239. 106. Décret n° 53-715 du 9 août 1953. Attributions du ministre de la Défense nationale et des Forces armées en ce qui concerne l'Indochine. SHAT, 1 R 239. 107. Voir annexe 13. 108. Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 109. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
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110. Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 111. Télégramme du 11 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. 112. Son télégramme de protestation n'est parti de Hanoi qu'à 9 h 30 le 9 mai, à un moment où il avait pu avoir connaissance de la décision de dévaluation. 113. Télégramme du 11 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. Voir aussi annexe 14. 114. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 115. Procès-verbal du conseil d'administration du 20 mai 1953. Archives de la Banque de l'Indochine et AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 116. Journal d'Extrême-Orient du 12 mai 1953 et L'information d'Indochine du 31 décembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 117. Note de Roger Goetze pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 118. Décret n° 53-588 du 25 juin 1953 portant modification du régime de rémunération des personnels militaires et civils français en service au Cambodge, au Laos et au Vietnam. JO du 27 juin 1953. 119. Le point 3 du télégramme annonçant la décision de dévaluation à Letourneau, daté du 8 mai, les énumère au titre des arguments à faire valoir auprès des États. Une note du 12 mai récapitule aussi « les résultats attendus de la dévaluation de la piastre ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 120. Note au sujet des conséquences de la dévaluation de la piastre sur les rapports de la France avec les États associés et l'Institut d'émission. 22 mai 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79. 121. Extrait de presse du 24 novembre 1953, se référant au rapport Dorey, ce dernier étant membre du comité directeur du MRP. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79. 122. Note « Économie budgétaire résultant de la dévaluation de la piastre ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 123. Séance du mardi 27 octobre 1953. Extrait figurant dans les papiers du Trésor. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 124. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 125. Traduction ambassade de France à Washington, 22 octobre 1953. Archives MAE, AO/IC/265. 126. Cité par André Valls, Rapport 1953, op. cit. 127. Soit 10 milliards de francs. André Valls, Rapport 1953, op. cit. 128. Décret du gouvernement royal. 129. André Valls, Rapport 1953, op. cit 130. André Valls, Rapport 1953, op. cit. 131. La France évite cependant que le cas du Laos ne fût porté devant l'ONU. 132. André Valls, Rapport 1953, op. cit. 133. Le Monde, 9 juin 1953. 134. Sous le titre « Promotion de l'Indochine au premier rang des préoccupations françaises et internationales ». Rapports Valls pour l'année 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 135. Rapport confidentiel de Claude Cheysson du 20 juin 1953, cité par Jacques Marseille, reproduit en annexe à'Empire colonial et capitalisme français, Paris, 1986, et se trouvant dans les papiers Paul Reynaud (74 AP 35). Claude Cheysson terminera la période de la guerre détaché auprès de l'État associé du Vietnam. 136. Voir annexe 15. 137. Il était précédemment en poste à Tokyo. 138. Vincent Auriol, Journal du septennat, Paris, 1970. 139. Georgette Elgey, La république des contradictions, 1951-1954, Paris, 1993. 140. Direction des Services français de sécurité en Indochine, Fiches sur les personnalités militaires, les fonctionnaires, les personnalités civiles et les militaires américains de passage en Indochine, du 1e r janvier au 31 octobre 1953. SHAT, 10 H 154.
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141. Lettre du 17 août 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265. 142. Mémorandum français du 18 août 1953, repris dans le mémorandum américain du 26 août 1953. SHAT, 2 R 65. 143. 385 millions de dollars (135 milliards de francs) ou l'équivalent de cette somme en francs français. Correspondance économique, 11 septembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33550. 144. AEF, Fonds Trésor, Β 33540. Voir annexe 17. 145. 785 millions, soit 400 en avril et 385 en septembre. 146. Voir annexe 20. 147. Archives diplomatiques, AO/1C/266. 148. « La piastre Ho Chi Minh est réévaluée dans le Sud-Vietnam ». Bulletin quotidien d'outremer de l'AFP n° 2075, 2 juillet 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551 et Fonds Cusin, 5 A 79. 149. Renseignement rédigé le 28 juillet 1953 par le Service français de sécurité au Sud-Vietnam, sous le titre « Répercussions de la dévaluation de la piastre. Réactions VM ». SHAT, 10 H 3991. 150. SHAT, 10 H 3996 ; Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961 et Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes, op. cit. 151. Ministère des Finances et des Affaires économiques et secrétariat d'État au Budget, Le budget de 1954, Fonds Goetze, Comité pour l'histoire économique et financière de la France. Note sur la section Forces terrestres d'Extrême-Orient du Budget du ministère de la Défense nationale pour l'exercice 1954. SHAT, 2 R 63 et 14 H 72. 152. Henri Navarre, Agonie de l'Indochine (1953-1954), Paris, 1956. 153. Selon les termes d'une fiche sur le plan Navarre, annexé au rapport de mission EMA en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R 64. 154. L'essentiel des données et références fournies ici provient du rapport Navarre lui-même, mais elles ne sont pas contredites par les autres sources. Exemplaire figurant dans le Fonds Mayer, Archives nationales, 363 AP 31. 155. Procès-verbal du Comité de défense nationale du 24 juillet 1953. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 156. Procès-verbal du Comité de défense nationale du 13 novembre 1953, op. cit. 157. Rapport de mission EMA en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R 64. 158. Henri Navarre, Agonie de l'Indochine (1953-1954), op. cit. 159. Robert Guillain, Le Monde, 9-10 mai 1954. 160. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, Hanoi, 1994. 161. Télégramme de Navarre du 30 mai 1954. SHAT, 10 H 155. 162. FRUS 1952-54, volume XIII 1, Indochina, April, 23, 24 1954. 163. Télégramme de l'ambassadeur de France à Washington du 23 juin 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/266. 164. Télégramme de Dillon à Dulles sur la demande d'appui aérien à Dien Bien Phu, 5 avril 1954. Les Dossiers du Pentagone, Paris, 1971. 165. Télégramme de Dulles interdisant l'intervention, 7 avril 1954. Les Dossiers du Pentagone, Paris, 1971. 166. Laurent Césari et Jacques de Follin. « Le projet Vautour en France : nécessité militaire, impossibilité politique », dans Denis Artaud et Lawrence Kaplan (éd.), Dien Bien Phu, Paris, 1989. 167. AEF, Fonds Trésor, Β 33550. 168. Ramené à la fin du siècle dernier par Auguste Pavie, il représentait un chameau agenouillé. AEF, Fonds Trésor, Β 33550. 169. Note sur la situation politique au Vietnam, du service des Affaires politiques et culturelles du secrétariat d'État aux États associés, 24 février 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33550. Bao Dai s'était d'ailleurs ouvert dès le 27 août 1953 à Vincent Auriol de la gêne considérable que lui causait la déclaration française. 170. Le Monde des 17 et 18-19 octobre 1953.
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171. Note sur La réalisation de l'indépendance financière des États du 19 novembre 1953, 12 pages. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79 et SHAT, 2 R 63. 172. Texte final du 27 novembre 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 80. Voir annexe 18. 173. « Les problèmes financier et monétaire », éditorial de Radio-Dalat, Vietnam-presse du 7 février 1952. Copie dans AEF, Fonds Trésor, Β 33550. 174. Note de Leduc du 13 mai 1954 « sur l'évolution des négociations franco-vietnamiennes en matière monétaire et commerciale ». Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31. 175. Le Monde des 14 mai et 5 juin 1954. 176. Lettre de convocation de Guy La Chambre, ministre des Relations avec les États associés, 18 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43911. 177. AEF, Fonds Trésor, Β 33551, Β 43 910 et Β 43911. 178. Note sur les conséquences économiques et financières d'un cessez-le-feu en Indochine, 28 mai 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33551 et Fonds Cusin, 5 A 82. 179. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 180. Note sur les conséquences économiques et financières d'un cessez-le-feu, op. cit. 181. Le Monde, 22 juillet 1954. 182. AEF, Fonds Cusin, 1 A 389 183. D'après la consultation détaillée des relevés - manuscrits - du compte spécial du Trésor 15-50. AEF. Fonds Trésor, Β 43907. 184. Document préparatoire à une communication d'Edgar Faure à un Conseil des ministres de la fin octobre 1954. AEF, Fonds du cabinet E. Faure, 1 A 389. 185. Note de la direction générale des Affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, 6 novembre 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/267. 186. Copie du télégramme d'Henri Bonnet du 29 septembre 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 187. Copie du télégramme diplomatique reproduisant le communiqué final. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 188. Copie du télégramme d'Henri Bonnet du 29 septembre 1954, op. cit. 189. Information transmise le 25 novembre 1954. Note de la direction générale des Affaires économiques et financières, 3 décembre 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/267. 190. Note de la direction générale des Affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, 18 mars 1955. Archives diplomatiques, AO/IC/267. 191. Les 100 millions de dollars se décomposant ainsi : 38 au compte spécial du Crédit national, 40 sous forme de produits agricoles ou agro-alimentaires en surplus et 22 par règlement direct en dollars au Trésor français. Échange de lettres du 29 avril 1955. Archives diplomatiques, AO/IC/ 267.
141
Deuxième partie. Évaluation du coût, évaluation de la guerre
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Introduction à la deuxième partie
1
Le coût officiel de la guerre d'Indochine - c'est-à-dire l'ensemble des dépenses militaires liées au conflit - est à peu près connu du côté français (France, États associés, États-Unis), même si les différentes sources n'en donnent pas tout à fait la même répartition annuelle1 : environ 3 000 milliards de francs 1954. Il reste par contre un mystère pour « l'autre côté » (Viet Minh, ou RDV et ses alliés). Mais les choses ne sont pas pour autant aussi tranchées : à Paris, d'une part, les sources reviennent périodiquement sur la difficulté d'évaluer vraiment le coût financier du conflit, une partie de celui-ci demeurant cachée ; et il n'est, d'autre part, pas complètement impossible de mesurer en termes économique et financier l'effort de guerre du Viet Minh, ou du moins de rassembler quelques indications significatives sur le sujet.
2
L'évaluation apparaît en tout cas nécessaire, dans tous les domaines et sur l'ensemble du théâtre d'opération. L'analyse des dépenses en constitue le premier volet : qu'est-ce qui a coûté cher dans le conflit, et combien ? Quelles dépenses indirectes, aussi, la guerre a-t-elle généré ? Face à elles, il a bien sûr fallu des ressources : ce sera le second volet. Comment financer ces dépenses ? Comment supporter des charges sans cesse croissantes et, surtout, qui pouvait le faire ? Vue sous cet angle, la gestion du conflit par la France, à travers un organigramme aussi complexe que confus, constituera une troisième étape.
3
L'évaluation du coût de la guerre, à défaut d'être toujours définitive, apparaît enfin, on l'a dit, comme une évaluation de la guerre elle-même. Si le caractère fragmentaire et discontinu des sources empêche l'évaluation chiffrée d'être absolue, le type d'analyse adopté fournit en revanche un éclairage original sur la guerre d'Indochine. Il donne à connaître une masse d'informations variées sur le conflit au quotidien, les raisons des choix tactiques ou stratégiques des chefs, les hommes et leur comportement, le non-dit de la guerre aussi. Le bon sens populaire sait depuis longtemps que l'argent est le nerf de la guerre : il pourrait bien en être aussi le révélateur.
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M. Letourneau, ministre des Relations avec les États associés, le maréchal Juin, et le général Salan, commandant en chef en Indochine, visitent les points d'appui gardant le terrain d'atterrissage du camp retranché de Na San le 28 février 1953.
NOTES 1. Les principales sources proposant une évolution chronologique du cout de la guerre sont le rapport Bousch du Conseil de la République, du 25 mars 1954, et le tableau récapitulatif de la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense nationale, de mai 1954. La ventilation annuelle de ces deux sources diffère, le premier traitant de crédits et le second de dépenses, mais le montant total des chiffres en jeu est identique - a 0,002 % près... Voir annexes 22 et 24.
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Chapitre IV. Les dépenses
1
Les généraux ne commandent sans doute pas avec en permanence une feuille de calcul dans la tête : ils raisonnent plutôt en « moyens », moyens en hommes ou en matériel. Mais cela revient au même : chaque « moyen » a son coût, plus ou moins connu ou maîtrisé. Les civils, eux, dans les directions ou cabinets ministériels, dans les enceintes parlementaires ou les salles de rédaction, voient défiler les chiffres : la France débourse pour l’Indochine plus d’un milliard de francs par jour dans les dernières années de la guerre, celle-ci finissant par coûter chaque année entre 500 et 600 milliards de francs. À quoi donc était employé l’argent, et d’où venait-il ?
2
L’évaluation des dépenses est rendue difficile par la complexité de celles-ci. Les moyens en hommes déployés en Indochine étaient déjà très divers : un corps expéditionnaire recruté aux quatre coins de l’Union française, essentiellement constitué de troupes terrestres auxquelles étaient adjointes des unités de la Marine et de l’armée de l’Air ; des « armées nationales » aussi, vietnamienne, cambodgienne et laotienne, constituées de toutes pièces pendant le conflit et rattachées au commandement français - et, en face, une armée populaire de la RDV se consolidant chaque année un peu plus sous la direction de Vo Nguyen Giap. Les moyens matériels étaient plus disparates encore : un armement essentiellement anglo-saxon, britannique d’abord puis américain à partir de 1950 - y compris du côté des maquis, partiellement du moins, grâce à de multiples récupérations. Quant aux opérations, qui allaient de l’ingrate pacification en plaine au « coup » aéroporté en haute région, en passant par le déploiement des « dinassauts » 1, elles s’avéraient très inégalement dispendieuses.
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D’autres guerres, à l’époque ou depuis, paraissent inséparables du matériel mis sur pied pour les mener : sans les flottes maritimes et aériennes reconstituées à grand frais après Pearl Harbour, sans l’arme nucléaire non plus et le lourd investissement du projet Manhattan, les États-Unis n’auraient pas gagné la guerre du Pacifique comme ils l’ont gagné. Plus près de nous, en 1991, la guerre du Golfe ne se serait pas déroulée comme elle s’est déroulée sans la débauche de technologie à laquelle le monde entier a été convié à assister, comme dans un wargame, jusqu’à ce que ses concepteurs suggèrent même l’émergence d’un nouveau type de guerre, dite propre. La guerre d’Indochine - la « sale guerre » justement - n’a pas eu ce caractère : sans matériel, sans doute, les hommes n’auraient pas pu combattre, mais c’étaient eux qui surtout comptaient.
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I. LES HOMMES 4
À la fin du conflit, de 500 000 à 600 000 hommes en armes affrontent en Indochine l’armée populaire, : 553 425 exactement au 30 avril 1954, dont 46 % pour le corps expéditionnaire (tout compris) et le reste pour les forces armées des États associés 2. Du côté Viet Minh, mais les estimations restent incertaines, l’armée populaire aurait alors regroupé quelque 400 000 hommes. Cela représente donc environ un million de combattants sur le sol Indochinois, principalement vietnamiens : ces combattants représentent l’élément le plus précieux et le plus onéreux du rapport des forces. Comment cette donnée a-t-elle pesé sur l’évolution du conflit ?
A. L’ENTRETIEN DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE 5
Dans l’engagement militaire de la France en Indochine, les hommes constituent donc la principale dépense, au-dessus de ce que coûte le matériel qu’ils utilisent. Le fait est souligné dès le budget de 1948, par exemple, dans une note préliminaire au chapitre des dépenses du ministère de la France d’outre-mer, de qui relève alors la plus grande part du corps expéditionnaire : il faut y voir « essentiellement un budget d’entretien d’effectifs »3. Le volume des charges budgétaires, y est-il précisé, apparaît « étroitement et quasi exclusivement lié à l’importance des effectifs stationnés outre-mer, dont la majeure partie (73,4 %) est actuellement en opérations en Indochine et à Madagascar ».
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D’année en année, pour la France, l’augmentation des dépenses militaires suivra donc celle des effectifs dépêchés ou levés sur place. En 1953, 61,5 % des 305 milliards de francs affectés aux Forces terrestres d’Extrême-Orient passent ainsi en dépenses de personnel : traitements, alimentation, habillement et campement - le reste allant au matériel et aux travaux4. Vue autrement, la part du budget militaire français consacrée à la guerre d’Indochine correspond à peu près à celle des hommes qui y sont envoyés : sur l’ensemble de la période, le corps expéditionnaire consomme en moyenne 26 % des crédits militaires totaux5, comme il retient entre 20 et 25 % des effectifs budgétaires.
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Il n’est cependant pas toujours très simple de suivre avec précision la croissance du corps expéditionnaire et des forces armées qui y sont liées. La question est certes assez souvent inscrite à l’ordre du jour des Comités de défense nationale, qui statuent sur l’envoi de renforts, et, en Indochine, l’état-major établit régulièrement des états de situation très précis. Mais, dans le premier cas, les responsables gouvernementaux réunis en Comités de défense nationale travaillent sur des « effectifs moyens » et décident d’effectifs budgétaires ; dans le second les officiers d’état-major prennent plutôt en compte les effectifs constatés - et même, selon une jolie formule, les « effectifs probables » à la date considérée6- ce qui ne donne pas exactement les mêmes chiffres.
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Les effectifs constatés paraissent en général supérieurs d’environ 20 % aux effectifs budgétaires, entraînant périodiquement la réévaluation de ces derniers, elle-même presque immédiatement dépassée. Ainsi, fin 1951 par exemple, alors que les « effectifs moyens » fixés pour 1952 étaient passés le 15 octobre de 144 000 à 173 300 hommes 7, le président du Conseil René Pleven dut attirer l’attention du général de Lattre, hautcommissaire et commandant en chef, « sur la nécessité de ne pas les dépasser, en moyenne [souligné], en 1952 » ; en effet, précise-t-il en forme de rappel à l’ordre, « il m’est signalé que les effectifs présents atteignent actuellement 190 000, y compris, il est vrai, l’encadrement détaché aux armées nationales »8.
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En dehors de l’écart entre « effectifs budgétaires » et « effectifs constatés », la difficulté à connaître avec précision les effectifs militaires présents en Indochine est également liée, à la fois, à un problème de sources et à la diversité des forces engagées. Comme le précise un expert9, « les évaluations d’effectifs posent toujours de difficiles problèmes, il n’existe pas en général de séries continues et les modes de calcul varient parfois au cours de l’année, selon que l’on y comprend ou non certaines catégories de militaires ». Les officiers détachés auprès des armées nationales, quelques milliers d’hommes, ont connu par exemple un sort statistique incertain. Les supplétifs du corps expéditionnaire par contre - quelque 60 000 hommes recrutés localement et affectés à des tâches diverses - ont toujours été mis à part dans les comptes officiels. Les effectifs de l’armée de l’Air et de la Marine détachés en Indochine, enfin, une dizaine de milliers d’hommes au point de départ et environ le double en fin de période, n’étaient en général pas compris dans les effectifs du corps expéditionnaire.
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Quoi qu’il en soit, la croissance des effectifs est bien visible. Présents sur le terrain de 1945 à 1955, les militaires de l’Union française ont vu leur nombre plus que doubler entre 1946 et 1954 : les effectifs budgétaires passent progressivement de 82 000 hommes pour 1947 à 178 900 pour 1954, chaque décision d’augmentation relevant du compromis entre la prudence budgétaire et les demandes des militaires ou du hautcommissaire. Quelque 100 000 militaires étaient présents sur le terrain en 1947. De 1948 à 1954, environ 400 000 hommes y furent expédiés au titre de la relève ou en renfort 10. La durée de séjour théorique étant de deux ans, cela porte l’effectif moyen annuel, pendant toute la durée de la guerre, autour de 125 000 hommes, indépendamment des supplétifs, des marins et des aviateurs - environ 200 000 hommes avec eux. Tableau 1. Les effectifs du corps expéditionnaire
Source : SHAT. 11
Combien coûte un homme, avec son armement et tous les services que sa présence entraîne ? Cette manière d’appréhender le problème a été notamment explorée par les parlementaires de la commission des Finances de l’Assemblée, en particulier dans le rapport Pineau de janvier 195211. Le calcul consiste, en quelque sorte, à ramener l’ensemble des dépenses militaires à leur prix de revient : constatant que les crédits affectés aux FTEO en 1951 se sont élevés à 230 milliards de francs et que, sur cette somme, 229 000 hommes ont été entretenus12, il établit donc à 1 million de francs les dépenses relatives à l’entretien de chaque combattant - en divisant le premier chiffre
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par le second. Tout est compris dans ce chiffre : la solde (40 % ) , l’alimentation et l’habillement (20 % ) , l’armement (12 % ) , l’acheminement sur place (4 % ) , etc. 12
Le poids des soldes et traitements dans l’engagement français en Indochine - 40 %, donc, des crédits militaires - est tel que ce chapitre est surveillé de très près par la rue de Rivoli et, en particulier, par la direction du Budget. En 1950, cette dernière tente de bloquer un projet jugé excessif de revalorisation des traitements des fonctionnaires civils en Indochine, en raison notamment de l’alignement prévisible que ne manqueraient pas d’imposer les militaires : sous la menace d’une grève, le hautcommissaire Pignon avait déjà accordé un mois supplémentaire de salaire aux fonctionnaires et le commandant en chef Carpentier avait déjà, en effet, demandé l’extension de cet avantage à ses troupes, « en invoquant le moral de l’armée ». Il est « impossible à ma direction, écrit Roger Goetze, d’admettre les prétentions formulées à cet égard par la commission paritaire locale [...]. Leur adoption entraînerait des dépenses d’un volume tel que ni le budget de 1949, ni a fortiori celui de 1950 ne seraient en mesure de les supporter ». Déjà, affirme-t-il, le régime des soldes est faussé et les rémunérations portées à « des niveaux incompatibles avec une saine gestion financière »13.
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Le problème se pose à nouveau en mai 1953, après la dévaluation de la piastre 14. Cette fois, le directeur du Budget s’oppose au secrétariat d’État aux États associés et au ministère de la Défense nationale, qui réclament notamment, « pour tout le monde, le maintien intégral des paiements en francs effectués à l’heure actuelle », alors que la piastre vient d’être ramenée de 17 à 10 francs15. Roger Goetze argumente au niveau des principes, sur les plans budgétaire et social : il prévient notamment du risque « d’accroître, de manière excessive, l’écart qui existe déjà entre les expatriés et les autochtones » - de 290 à 170, cet écart passerait de 290 à 100. D’ailleurs, même si les conditions sont difficiles pour eux, ajoute-t-il en substance, les militaires sont dans leur obligation de service. « S’il est normal que leur soient maintenus certains avantages, il serait excessif de leur conserver ce qui a pu être considéré comme un abus, et je ne rappellerai jamais assez qu’à plusieurs reprises déjà, le Budget avait demandé aux militaires que soit révisé le régime des soldes en Indochine, afin que soit mis fin précisément à ces abus. La dévaluation y a mis un terme brutal, sans doute, [mais] on ne saurait accepter qu’elle serve de prétexte à une consolidation que rien ne justifie ». Finalement, on le sait, une indemnité compensatrice de 7/10 fut quand même accordée aux militaires, mais sous la forme d’un « pécule » bloqué en France jusqu’à leur retour d’Indochine16.
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Les difficultés de recrutement - car l’autorité militaire éprouvait de réelles difficultés à trouver des hommes pour l’Indochine - sont-elles liées à cette question des soldes ? Cette pénurie touchait les cadres : selon le ministre Letourneau, 26 % du corps des officiers et 37 % de celui des sous-officiers se trouvent déjà en Indochine en 1952 17. Mais «dans de nombreuses compagnies, il manquait plus de la moitié de l’encadrement théorique, note Michel Bodin18. Existait alors une surcharge de travail pour les présents, ce qui accentuait encore plus l’usure physique et érodait le moral par surmenage ». Sur le terrain, de plus, et malgré les appréciations de la direction du Budget, les militaires ne paraissent pas avoir vraiment vécu dans le luxe : « les soldes ne satisfaisaient guère ; les revalorisations donnaient l’impression qu’on faisait l’aumône au corps expéditionnaire »19. Ces augmentations de soldes, en fait, se faisaient attendre : un colonel affecté à Saigon aurait perçu, fin 1951, un traitement inférieur de
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22 % à son homologue en poste en Somalie, un capitaine de 18 % à son homologue envoyé en A E F20- alors q u ’ à la différence des autres, ils devaient entretenir leurs familles en métropole, le séjour de ces dernières étant interdit en Indochine. Pourtant, si les décrets déjà pris à cette époque avaient été appliqués, les traitements de l’encadrement militaire auraient été revalorisés de 20 %. 15
Ces problèmes de recrutement confortaient sans doute les politiques dans leurs hésitations. Mais il fallait en même temps y faire face. Parmi les mesures mises en œuvre, certaines étaient financières, autant qu’il fut possible : le Comité de défense nationale du 12 juillet 1948 prévoit ainsi d’augmenter la prime d’engagement et de réengagement, et d’octroyer aux militaires volontaires, en fin de séjour, une prime correspondant à un aller et retour en France. Les séjours, fixés à deux ans, sont en général prolongés de six mois - ce qui les porte au total à trente mois. Dans ces conditions, le risque était évidemment de faire feu de tout bois en matière de recrutement. Le général Navarre s’en plaindra en 1953 après avoir pris son commandement: « Dès mes premiers contacts avec les corps de troupes en Indochine, écrit-il au gouvernement, j’ai constaté la présence néfaste, déjà signalée par mes prédécesseurs, d’un trop grand nombre de personnels de tous grades incapables ou même nettement indésirables. Considérant l’effort de la métropole pour entretenir par tous les moyens mes effectifs, je sais qu’il serait vain de vous demander d’améliorer la qualité des personnels que vous m’envoyez. Mais, préférant délibérément et catégoriquement la qualité à la quantité, j’ai décidé de poursuivre énergiquement l’élimination de tous les incapables qui détériorent le corps expéditionnaire et grèvent inutilement son budget »21.
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Pour la troupe proprement dite, le recours à des soldats recrutés hors métropole s’est progressivement imposé, en dépit de la volonté d’origine de n’envoyer en Indochine que des unités « blanches ». Les premiers contingents d’Afrique du Nord - les Tabors marocains joueront un rôle important sur le terrain - et du Sénégal, respectivement 6 172 et 615 hommes, rejoignent le corps expéditionnaire en avril 1947 22. Dès lors, leur poids ne cessera de croître, passant en cinq ans, entre 1949 et 1954, de 18 % à 31 % du corps expéditionnaire, ce qui ajoute à sa diversité. Visitant la cuvette de Dien Bien Phu un mois avant le déclenchement de la bataille, Robert Guillain, envoyé spécial du Monde, rapporte son étonnement devant « le plus extraordinaire mélange de couleurs et de races » qui campent dans la place forte : « Marocains, Annamites, Algériens, Sénégalais, légionnaires, Méos, Tonkinois, Thaïs, Muong. [...] Rares sont d’ailleurs les Français restés simples troupiers, observe-t-il, ils forment pour la plupart les cadres d’officiers et sous-officiers »23.
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Vers la fin du conflit, d’autres considérations font obstacle à l’envoi de renforts : toute unité envoyée en Indochine, de quelque taille qu’elle fut, dégarnissait d’autant le théâtre Europe-Afrique du Nord, ce qui était devenu incompatible avec les engagements souscrits par la France pour la défense atlantique et européenne. Dans les Comités de défense nationale, la question de l’envoi du contingent commence alors d’être posée, mais sans qu’on ne dépasse en la matière le stade de l’hypothèse.
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Ces difficultés n’échappaient évidemment pas à l’adversaire, comme en témoigne le général Giap dans son ouvrage sur Dien Bien Phu : « L’insuffisance des effectifs, reconnaît-il, a toujours constitué pour les colonialistes français un point faible d’une gravité indéniable, dès le début de la guerre d’agression au Vietnam » 24. En tout cas, cette double situation de cherté et de rareté des militaires engagés contre l’armée
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populaire allait rapidement déboucher sur la mise en œuvre de solutions locales : c’est ainsi qu’il faut comprendre le recours croissant à des contingents vietnamiens, cambodgiens ou laotiens, organisés en armées nationales même s’ils conservaient, dans un premier temps, un encadrement français. Le soldat Indochinois reviendrait en effet moins cher que son homologue expatrié, et il pouvait sembler d’un recrutement plus facile.
B. LA VIETNAMISATION DES EFFECTIFS 19
La question des effectifs du corps expéditionnaire, notamment au niveau de l’encadrement, se pose jusqu’en 1954, mais elle se déplace en même temps vers le développement des armées nationales : la grande idée qui s’impose au fil des ans s’appelle, selon un mot qui porte la marque de l’époque, le « jaunissement » des troupes. Ce terme désigne d’une part les « autochtones » enrégimentés dans le corps expéditionnaire : dès le début des opérations ont en effet été levés sur place des contingents, parmi les Vietnamiens mais aussi et peut-être surtout dans certaines minorités nationales et chez les peuples voisins, comme les Cambodgiens : ils entrent pour un tiers dans la composition du corps expéditionnaire en 1949, un peu moins (30 %) ensuite. Mais il s’agit aussi, d’autre part, des armées nouvelles prévues ou officialisées par les accords de 1949, par lesquels la France reconnaissait trois États associés en Indochine : une armée vietnamienne et une armée cambodgienne ont été alors, en particulier, explicitement prévues25.
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Le côté financier de la question a bien sûr retenu l’attention. Dans le premier cas, celui des autochtones engagés dans les Forces terrestres d’Extrême-Orient, le coût comparé des Européens et des Asiatiques « fait ressortir l’intérêt financier du jaunissement », indique par exemple en 1953 un rapport parlementaire26, qui s’est livré à des calculs significatifs. 11 montre que leur entretien revient globalement 37 % moins cher que celui des Européens : 1 000 Européens et ressortissants des territoires d’outremer27coûtent, hors armement, 713 millions de francs, et 1 000 autochtones dans la même situation seulement 450 millions. Les frais d’habillement et de santé apparaissent identiques. L’économie porte sur l’alimentation, qu’il n’est évidemment pas utile d’importer, sur le transport, puisqu’ils sont déjà sur place, mais surtout sur les soldes : les autochtones sont rétribués presque moitié moins que les autres.
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Le développement des armées nationales relève de la même logique financière que celui des unités autochtones du corps expéditionnaire. Elles coûtent d’autant moins cher que leurs budgets sont, plus encore que ceux de ce dernier, des budgets d’entretien d’effectifs. En 1953, les charges de personnel (traitements, alimentation, etc.) représentent 75,6 % de leurs dépenses contre, comme indiqué précédemment, 61,5 % pour le corps expéditionnaire28. Les soldes, principalement, font la différence: en 1953 toujours, pour un nombre presque équivalent d’hommes, 305 milliards de francs ont été dépensés pour les FTEO et seulement - si l’on peut dire - 142 milliards pour les armées nationales. Les armées nationales n’étaient certes pas gratuites pour la France, qui assure leur développement par une subvention annuelle couvrant une bonne partie de leurs dépenses (31 milliards de francs en 1951, 68 en 1952, autant en 1953). Mais l’affaire pouvait sembler rentable à terme.
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Les armées nationales se sont organisées en dehors du corps expéditionnaire par impulsions successives : les accords de 1949 d’abord; puis les initiatives parallèles à la
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conférence de Pau, comme l’entrevue Bao Dai- Letourneau de Dalat en novembre 1950 ; la mobilisation générale du Vietnam associé ensuite, obtenue par de Lattre en 1951 ; l’effort considérable décidé en 1953 enfin... Les programmes de conscription ont été longs à devenir opérationnels et leur rentabilité s’est parfois, on le sait, avérée discutable. Mais, numériquement du moins, le développement de ces armées apparaît réel : elles passent d’environ 55 000 hommes fin 1949, à 143 000 fin 1951 et, au 30 avril 1954, au moment de Dien Bien Phu, peuvent aligner quelque 292 000 hommes 29. Le Vietnam associé entre pour 85 % dans la composition de cette masse combattante et il s’agit pour l’essentiel de forces terrestres, encore qu’en 1954 une petite Marine (1 500 hommes) et une petite armée de l’Air (2 329 hommes) ont pu être mises sur pied au Vietnam. Tableau 2. Effectifs des armées nationales
Source : SHAT. 23
Afin de prévenir tout dérapage financier, comme on sait, les experts français suivaient tout particulièrement la question des soldes, qui représentaient, pour les armées nationales comme pour le corps expéditionnaire, environ 40 % des dépenses. Une question relative aux troupes levées localement revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans les rapports de la commission des Finances, celle de l’alignement des traitements : les Indochinois engagés dans les troupes de l’Union française et leurs compatriotes servant sous drapeau national devaient-ils avoir le même - les seconds étant moins bien rémunérés ? Le principe opératoire était celui du parallélisme des rémunérations, plutôt que l’égalité de traitement. Il est ainsi admis que si les rémunérations sont moins fortes dans les armées nationales, les possibilités de « carrière » y sont par contre meilleures : comme l’écrit le rapport Devinat30, « l’avancement sera pendant de longues années nécessairement plus rapide dans les armées nationales » qui, si elles n’ont pas trop de difficultés à trouver des hommes, souffrent d’une pénurie criante d’officiers, d’autant plus forte que l’on monte en grade. Accessoirement, l’emploi des dites forces va dans le même sens : le seul fait, indique la même source, qu’elles ont « vocation à servir avant tout dans leur pays d’origine [...] justifierait une inégalité de traitement ».
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Le développement des armées nationales aidant, et malgré cette pression sur les soldes, leur coût a cependant vite pris à son tour d’inquiétantes proportions. Le seul budget militaire du Vietnam associé, c’est-à-dire son plan de campagne, bondit entre 1952 et 1954 de 91 à 167 milliards de francs (respectivement 17 % et 25 % des dépenses
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militaires de l’année en Indochine). Tout compris, il est prévu que les armées nationales dépenseront en 1954 environ 195 milliards de francs, l’équivalent du coût total de la guerre d’Indochine en 1949. Une telle charge serait peut-être supportable si la déflation du corps expéditionnaire, annoncée pour 1953, pouvait connaître un début de réalisation. Mais ce n’est pas le cas, comme si la mise sur pied des armées nationales, ou du moins leur « mise en efficacité », si l’on peut dire, s’avérait plus lente que prévue - à moins que, plus simplement, la montée en puissance du Viet Minh n’ait gêné le dispositif. 25
Le bilan dressé par le maréchal Juin, Inspecteur général des Forces armées françaises, après sa mission de février-mars 1953 en Indochine, illustre le décalage qui s’opère 31. Dans le rapport de sa précédente mission en Indochine, consécutive à Cao Bang, il avait lui-même plaidé pour un développement des armées nationales : « L’effort de guerre en Indochine, écrivait-il fin 1950, soutenu dans le cadre de l’Union française, peut être couronné de succès si l’expérience de l’armée vietnamienne réussit et à cette seule condition : c’est un risque à courir ». En 1953, il ne regrette pas que ce risque ait été pris : « Au cours de mon inspection, les unités vietnamiennes avec lesquelles j’ai pu prendre contact m’ont fait la meilleure impression et le général Hinh, qui a pris en main l’état-major, me paraît avoir l’étoffe et la foi nécessaire pour conduire à bien le développement de l’armée vietnamienne, dont les conséquences doivent être un allégement de nos charges ». Mais il reste prudent sur le moment auquel cet allégement pourra commencer d’être perceptible : on ne peut imaginer, précise-t-il, la « déflation de notre corps expéditionnaire avant le second semestre de l’année 1954». Le général Navarre, nouveau commandant en chef en mai 1953, va d’ailleurs lui-même demander et partiellement obtenir - d’ultimes renforts pour le corps expéditionnaire avant que le relais puisse être véritablement passé aux armées nationales. Graphique 2 et tableau 3. L’évolution des forces armées de l’Union française
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Source : SHAT. 26
En attendant, pour tenter de limiter le coût des armées nationales, on sombre parfois dans le dérisoire. A la veille de la dévaluation de la piastre, dont il ne soupçonne pas l’existence, et alors que sa propre position est déjà sérieusement compromise, Letourneau tente, dans le cadre de la préparation du budget 1954, un ultime effort pour « aboutir à une réduction sensible des frais d’entretien des armées nationales », dont le montant « est absolument incompatible avec les ressources prévisibles » 32. Ses suggestions pour y parvenir paraissent trahir un certain désarroi. Il n’est pas question, bien sûr, d’aligner le traitement des troupes autochtones sur « celui des troupes venues de l’extérieur ». Mais il va aussi, lui ministre d’État, jusqu’à suggérer des mesures presque mesquines, comme la diminution des rations de cigarettes, ou à constater, par exemple, que « les dotations en machine à écrire sont exagérées ; dans de nombreux cas, précise-t-il même, elles doivent être remplacées par des carnets duplicateurs ».
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Le coût atteint par la guerre appelle bien sûr des mesures plus hardies : les armées nationales et les dépenses qui sont liées à leur développement constituent le principal enjeu des négociations franco-américaines sur toute cette période, et ce n’est sûrement pas le volume des rations de cigarettes que René Mayer négocie alors avec les Américains. L’impossible calendrier de la relève du corps expéditionnaire par les Armées nationales a incontestablement facilité la « reprise » des armées nationales par les États-Unis, auquel se résout le gouvernement français dans l’été 1953. En attendant, la solution - ou le « risque », pour reprendre le terme de Juin - des armées nationales poussait le Vietnam dans la voie de la guerre civile, même si les unités du corps expéditionnaire restaient en première ligne face aux formations régulières de l’armée populaire.
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Du côté Viet Minh, l’entretien des combattants posait des problèmes différents. Depuis que la mobilisation générale des hommes et des femmes au-dessus de 18 ans a été décrétée, le 4 novembre 1949, depuis aussi qu’elle a pu pleinement bénéficier de l’arrière chinois, à partir de la même époque, l’armée populaire est devenue un outil puissant, partiellement sous-estimé, d’ailleurs, par le haut commandement français. Le nombre des hommes en armes n’est cependant pas connu avec précision, en raison de la pratique systématique du secret entretenue par la RDV, mais aussi du fait de l’organisation même de ses forces armées : un système pyramidal entretenait
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localement des guérilleros potentiels ou actifs, et au-dessus d’eux des forces régionales et des unités régulières. En mai 1953, l’ensemble de ces forces était estimé par les Français entre 350 000 et 400 000 hommes, avec une sous-estimation vraisemblable et avouée des forces régionales et locales33. 29
Il ne semble pas y avoir eu de problèmes de mobilisation du côté Viet Minh, en raison d’un strict système d’encadrement social et de la forte motivation nationale. Par une sorte de perversion de l’art de la guerre d’ailleurs, le haut commandement français, peut-être contrarié de ne pas disposer de la même facilité de recrutement, sembla finalement se satisfaire des batailles coûteuses en hommes pour l’adversaire. A l’époque de Salan surtout, commandant en chef entre de Lattre et Navarre 34, qui semblait conduire la guerre comme une partie d’échecs chinois, « saigner » le Viet Minh paraissait constituer une victoire en soi. L’évacuation de Hoa Binh, début 1952, menée certes de main de maître, mais qui restait un abandon, a ainsi pu être présentée comme un succès en raison des pertes infligées à l’ennemi - il faudra de fait plusieurs mois aux divisions engagées par le général Giap pour s’en remettre 35. Dans une moindre mesure, puisque Salan y remporta une « victoire défensive », la bataille de Na San, fin novembre-début décembre 1952, joua un rôle un peu comparable36. Ce penchant pour une stratégie de destruction massive des « moyens humains » de l’adversaire soulignait l’importance de ceux-ci. Il ne tenait cependant pas compte de l’état d’esprit du dit adversaire, précisément peu soucieux d’économiser les hommes.
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Dans l’armée populaire, l’entretien des troupes semble avoir été résolu par un montage qui n’était qu’indirectement financier. Le « boudin de riz » que les soldats gardaient volontiers autour du cou en était un exemple : Bernard Fall, se fondant sur des décrets promulgués par la RDV en 1950, précise que la ration quotidienne de base - 1,2 kg de riz par soldat - ne constituait pas seulement la nourriture de la troupe, mais également une partie de la solde, partiellement reversable aux familles 37. Le traitement des officiers aurait ainsi pu atteindre, pour un général, l’équivalent de 25 kg de riz par jour. L’appréciation du maréchal Juin, à l’occasion de sa mission de 1953, sur le système d’organisation Viet Minh et, notamment, son enracinement régional, n’en paraît que plus fondée : « Le Viet Minh tire l’essentiel de sa force de cette organisation régionale politico-militaire, qui lui permet de puiser à pleines mains dans les régions riches et peuplées où il opère »38.
C. LES EFFECTIFS HORS COMBAT 31
Militaires étrangers retenus en Indochine, prisonniers de guerre, pertes humaines... L’inventaire des dépenses militaires doit enfin considérer ces effectifs « hors combat », même si leur incidence budgétaire n’est pas de même niveau que les autres. Tout d’abord les militaires étrangers - asiatiques - qui ont été désarmés en Indochine à différents moments de la guerre relevaient bien sûr, pendant la durée de leur « séjour », de crédits français. Le coût de l’entretien et du rapatriement des prisonniers japonais faits en 1945 n’est pas connu avec précision. Par contre, celui de l’entretien des troupes chinoises de Tchiang Kai Chek, qui avaient été autorisées en décembre 1949 à franchir la frontière, mais sans armes, a été budgétisé : quelque 30 000 hommes qui n’ont été totalement rapatriés sur Formose (Taiwan) que courant 1953 et qu’il a bien fallu nourrir et surveiller entre-temps. Pour en alléger la charge, il a été un moment envisagé d’en employer une partie dans les mines de charbon de la région de Hong Gay, mais sans suite significative semble-t-il. Concentrée finalement sur l’île lointaine de
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Phu Quoc, à l’extrême sud du Vietnam, cette troupe chinoise abandonnée coûtait encore annuellement, en 1952 et 1953, 1,4 milliard de francs 39. 32
Les prisonniers de guerre fait par les forces françaises coûtaient pour leur part de plus en plus cher, au fur et à mesure que le conflit se durcissait : 1,1 milliard en 1951 pour 30 000 prisonniers; 2 milliards en 1952 pour 50 000 prisonniers ; 3,5 milliards en 1953... Les chiffres ne sont pas connus pour l’autre camp. Notons cependant que, de 1946 à 1954, environ 30 000 hommes, dont 55 % issus du corps expéditionnaire, ont été faits prisonniers par le Viet Minh ou ont été portés disparus : les soldes - et même, pour un temps, les primes d’alimentation - continuaient de leur être versées. Tout compris, l’entretien des « militaires étrangers internés » et celui des « prisonniers des troupes rebelles » coûtaient en 1953 à la France environ 5 milliards de francs 40- 1,1 % des dépenses globales.
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Reste, bien sûr, le « coût humain » de la guerre, qui comporte aussi une dimension financière. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, les chiffres varient selon les sources. Le journal Le Monde avançait en 1954 un chiffre de pertes de 94 581, dont 80 % pour le corps expéditionnaire41. Un « état des pertes en Indochine », établi par l’administration en 1961, six ans après la fin du conflit 42, recense-lui un total de 64 150 « tués, décédés ou disparus » entre 1945 à 1954, dont 52 700 pour le corps expéditionnaire - 82 % - et le reste pour les armées nationales. Tableau 4. État des pertes en Indochine (1961)
Source : SHAT. 34
Comme le montre le graphique suivant, retraçant l’évolution des morts au combat de militaires du corps expéditionnaire, la guerre a surtout été meurtrière dans ses premières années (l’année 1946 figure aussi les tués de la fin de 1945) et ses dernières années :
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Graphique 3. Militaires du corps expéditionnaire tués au combat
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Sur ces 21 200 tués du corps expéditionnaire (à l’exclusion des « disparitions » et autres causes de décès), 12 550 étaient Français, 3 650 Nord- Africains, 1 250 Africains et 3 750 étrangers (légionnaires).
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Ces pertes, qui sont autant de drames humains - 12 550 morts français, donc, soit près de 20 % du total - , sont d’autant plus onéreuses pour la France qu’il s’agit pour l’essentiel de l’encadrement militaire. Paul Reynaud le soulignait en décembre 1952 dans une polémique avec l’ex-ministre de la Défense anglais Shinwell : « En ce qui concerne l’effort militaire fait outremer par la France, écrivait-il au Times, qu’il me soit permis de rappeler que la guerre d’Indochine nous coûte la perte d’un officier par jour »43. Le coût d’un décès au combat s’étend aussi à la famille de l’intéressé : un compte du budget prévoit ainsi en 1953 des versements pour un montant de 1,5 milliard environ aux « ayant-causes des militaires décédés en Indochine » 44.
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Mais il faut croire que ce genre de comptabilité n’est pas très facile à établir et que les montants en jeu, parallèlement, ne sont pas négligeables. Dans son rapport de 1953, le maréchal Juin le souligne à propos de la contribution financière de la France à la guerre d’Indochine : « Cette contribution est certainement supérieure aux chiffres officiels de budget du ministère des États associés et, partiellement, dans les budgets de la Marine et de l’Air, car bien d’autres éléments entrent en ligne de compte : pensions payées aux veuves et aux mutilés, dont le nombre s’accroît quotidiennement, etc. » Elles s’ajoutent donc aux dépenses de personnel et renforcent leur primauté. Ces dernières ne sont pas pour autant les seules à grever les budgets.
II. LE MATÉRIEL 38
« En face d’un ennemi dont l’ingéniosité fait notre admiration, et qui utilise sous forme de pièges et de ruses toutes les ressources de la subtilité asiatique, on constate dans le corps expéditionnaire une sorte de passivité relative dans le domaine de l’invention et en tout cas un emploi fort peu développé des procédés techniques modernes » 45. Ce diagnostic de l’état-major de l’Armée, fin 1953, illustre un rapport au matériel bien différent dans les deux camps en présence. Le contraste est en effet saisissant entre les troupes de l’Union française, très moyennement équipées pendant des années, mais
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sûrement plus au départ que leur adversaire, et ce dernier qui, parti de rien, a finalement su s’imposer grâce à un matériel supérieur ou mieux utilisé - chacun des belligérants ayant bénéficié, bien sûr, d’une importante aide extérieure. Armement, véhicules, navires, avions... Un bon matériel ne suffit certainement pas à gagner une guerre et, a contrario, son insuffisance est pénalisante. Mais c’est l’homme qui le conçoit, l’achemine, l’adapte et l’utilise, et sa motivation paraît fondamentale. Comment les dépenses en matériel ont-elles pesé sur le coût de la guerre et quelle image en donnent-elles ?
A. LA CONSOMMATION D’ARMEMENT 39
Bon an mal an, les dépenses d’armement entrent pour environ un tiers dans les dépenses effectuées pour la guerre d’Indochine. Avant 1950, l’évaluation est relativement simple, les acquisitions d’armement et leur entretien ressortant du budget français, encore que les présentations budgétaires aient varié. Dans le budget de la France d’outre-mer de 1948, par exemple, où sont encore inscrits les principaux crédits militaires pour l’Indochine, la ventilation générale distingue 40,67 % pour les soldes et indemnités du personnel et 58,61 % pour le matériel, le fonctionnement des services et les travaux ; mais une partie de l’entretien du personnel militaire s’est fondu dans le fonctionnement des services, qu’il faut de toute façon déduire, ainsi que les travaux, pour faire apparaître le matériel proprement dit. Il reste moins du tiers des crédits militaires pour ce dernier46.
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Après 1950, l’évaluation des dépenses d’armement doit prendre en compte les fournitures américaines, avec cette difficulté - on y reviendra - que les valeurs de ces dernières restent mal connues. Pour 1952, la somme des dépenses en matériel des FTEO, de celles de l’armée de l’Air et de la Marine, nettement moindres, et de la valeur présumée des livraisons américaines (à peu près équivalente aux dépenses en matériel des troupes terrestres), atteint environ 180 milliards de francs, un petit tiers - 32 à 33 % - de ce qu’a coûté la guerre cette année-là47. En 1953, le même calcul produit une somme d’environ 220 milliards de dollars, répartie quasiment par moitié entre les dépenses françaises et les fournitures américaines, ce qui représente cette fois 37 % de l’ensemble des dépenses considérées, en sensible augmentation, donc, sur l’année précédente48.
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Les munitions paraissent avoir constitué le premier poste de dépenses en matériel pour le corps expéditionnaire. Il est vrai que la vocation des armements modernes est de tirer des munitions : 37,5 % du budget français en matériel pour l’année 1953 leur sont consacrés49. A considérer deux années bien distinctes, 1946 et 1951, la consommation semble avoir été dans ce domaine à la fois forte et stable. Durant le second semestre 1946, le corps expéditionnaire a tiré en moyenne 3 cartouches à la seconde et lancé 1,6 engin explosif à la minute - de la grenade à l’obus de tout calibre 50. Durant toute l’année 1951, c’est également au rythme de 4 cartouches à la seconde - du simple fusil à la mitrailleuse - et de 3,3 engins explosifs à la minute que le corps expéditionnaire a vécu51.
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La relative stabilité de la consommation de cartouches illustre sans doute une meilleure maîtrise des armes individuelles, en particulier du nouveau pistolet-mitrailleur, le personnel militaire ayant environ doublé entre les deux dates considérées, mais elle met aussi indirectement l’accent sur les événements qui se sont déroulés fin 1946. Elle
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rappelle en effet, par la très forte consommation du moment, que le retour des Français en Indochine, au Vietnam-Nord en particulier, ne fut pas une simple partie de campagne : « l’incident » de Haiphong, le 23 novembre, et les combats de Hanoi, à partir du 19 décembre, principaux responsables, sans doute, du niveau de consommation du semestre, ont visiblement été des moments de très haute intensité militaire. Quant au doublement en moyenne des tirs d’engins explosifs entre 1946 et 1951 - grenades à mains, à fusil, obus de mortier, obus de 105, etc. - il accompagne à la fois le doublement en nombre du corps expéditionnaire et la modernisation de son matériel. 43
Pour le reste, les officiers du corps expéditionnaire se sont longtemps plaints de l’état médiocre de leur équipement, suggérant au passage, au-delà des difficultés que connaissait la France de l’après-guerre, le peu de cas que l’on faisait à Paris de cette guerre du bout du monde. Dans les premières années du conflit, les infrastructures du service du matériel sont jugées très insuffisantes. L’armement utilisé est pour sa part d’une très grande diversité : dans un inventaire de février 1947, la direction du matériel ne distingue pas moins de vingt-cinq références de fusils utilisés dans le corps expéditionnaire - indépendamment des fusils-mitrailleurs - et recense, en outre, un armement largement anglo-saxon52: essentiellement britannique (à 49,4 % ) , principalement pour les armes de première ligne et l’artillerie lourde, dans une moindre mesure américain (à 24,4 %), surtout pour les armes de poing et l’artillerie légère, un tel matériel ne pouvait que souffrir de problèmes de maintenance.
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Cette contrainte extérieure est plus forte encore pour les véhicules, pour lesquels les militaires français n’ont pas toujours l’accès aux pièces de détachées : les 12 432 véhicules recensés en février 1947 en Indochine sont à 95 % britanniques et américains53. S’adressant en octobre 1947 au chef du gouvernement, le commandant supérieur des TFEO peut ainsi observer : « Notre parc est immobilisé dans une proportion qui varie de 30 à 50 % selon les matériels et cette situation catastrophique ira en s’aggravant. On "bricole" pour "rafistoler". Mais l’échéance obligatoire de la réforme arrivera et la moitié du parc sera réformé parce que nous avons manqué en temps voulu des pièces et des véhicules nécessaires à l’entretien normal » 54.
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En 1949, dans le rapport devenu célèbre pour la fuite auquel il a donné lieu, le général Revers, chef de l’état-major général, donne une image comparable du matériel utilisé en Indochine par le corps expéditionnaire, en y ajoutant un nouvel élément d’appréciation55. Il observe d’abord que « le reliquat de ce qui avait été importé en 1945-1946 est un matériel disparate, souvent désuet et, en tout cas, totalement usé » : les lacunes principales, précise-t-il, concernent les pistolets-mitrailleurs, les grenades et munitions de mortiers, et sur un autre plan les matériels automobiles et de télécommunications. Mais en pointant la « lenteur » et « l’invraisemblable retard » apportés à l’envoi de matériel de rechange, le général Revers dénonce également l’existence de « sabotages systématiques au départ ». En annexe de son rapport, il cite en particulier ceux qui ont été repérés dans les usines Hotschkiss, en l’occurrence du sable fin jeté dans les moteurs - il est vraisemblable que cet état de fait a poussé plus encore les responsables militaires français à recourir à du matériel américain qui, lui, ne présentait pas ce type d’inconvénient.
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Après 1950 en effet, à partir de novembre 1951 surtout, les choses changent, avec l’introduction en Indochine de matériel d’origine américaine. Placées littéralement « sous perfusion » jusqu’en 1954, les forces de l’Union française se rééquipent au
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rythme mensuel des 8 000 tonnes que les cargos américains leur livrent en moyenne. Quand, fin juin 1953, le 300e bateau touchera le port de commerce de Saigon, quelque 300 000 tonnes de matériel de guerre y auront été livrées depuis août 1950. Tous les types de matériel militaire sont concernés : pour l’année fiscale américaine 1952, par exemple, ces livraisons comprennent pour l’armée de Terre 115 obusiers de 105 mm, 60 chars M. 24, 2 544 mitrailleuses, 24 millions de cartouches de petit calibre, etc. 56. Dans ces conditions, comme le précise alors une note du Quai d’Orsay, «l’aide militaire américaine a permis [...] une rénovation presque complète » du matériel 57. Une note du commandement en chef le confirme l’année suivante : l’objectif des listes de matériels transmises aux États-Unis, car ces derniers livraient en quelque sorte sur commandes, revenait à une « revalorisation totale du matériel et, en particulier, à son homogénéisation »58. Même si l’armée américaine profite parfois de ce programme pour se débarrasser de matériels vieillis, il y a là tout de même de quoi équiper fort correctement une armée en campagne. 47
Au demeurant, il ne faut pas penser que le matériel américain lui-même laissait le commandement français en Indochine à l’abri de tout souci. On sait que le général de Lattre s’est déplacé en personne aux États-Unis en 1951 pour faire accélérer les cadences de livraisons. Le problème demeure ou réapparaît en 1954, dans le contexte plus dramatique de Dien Bien Phu. Trois semaines après la chute du camp retranché, évoquant dans un télégramme de 1954 ses multiples démarches « auprès du MAAG Saigon pour obtenir l’accélération des livraisons de matériel US accordées sur les plans », le général Navarre, alors commandant en chef, se plaint des retards, d’autant plus amèrement qu’ils concernent surtout l’armement : « Les USA, écrit-il, ont fait ces mois derniers un effort exceptionnel pour nous approvisionner à partir du Japon mais ces livraisons concernent surtout [des] véhicules de combat et d’usage général. Par contre [un] retard important a été pris dans le domaine des armements et des transmissions où les livraisons n’atteignent actuellement que 20 à 30 % des programmes 54, alors que les livraisons des programmes 54 auraient dû commencer en principe dès le milieu de 53, soit un retard de près de neuf mois » 59.
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L’évolution du rapport des forces en Asie, qui permet au Viet Minh de s’appuyer sur la Chine populaire, et la possibilité pour la France d’utiliser les fournitures américaines expliquent que les dépenses en matériel connaissent une forte croissance à partir de 1950. En 1951, 1952 et 1953, la progression du matériel paraît d’ailleurs plus rapide que celle des hommes60: le nombre de pièces d’artillerie se multiplie par 5, celui des mortiers par 2,7, etc. La montée en puissance du rapport des forces est alors le fait des deux camps.
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Du côté du Viet Minh et de l’armée populaire, la situation est sans doute différente, puisqu’elle doit notamment affronter un corps expéditionnaire qui s’appuie sur une marine et une aviation modernes. Mais alors qu’elle n’est pratiquement partie de rien, sinon de la récupération d’armes françaises, japonaises ou chinoises en 1945, l’armée populaire réussit elle-même à progressivement « alourdir » son armement, surtout à partir de 1949 et plus encore de 1953, après la fin de la guerre de Corée. L’armée populaire ne dispose pas de forces aériennes mais, ceci compensant cela, d’une efficace DCA, semble-t-il dès 1949, et d’une artillerie lourde. En 1954, indépendamment de la mobilisation humaine et de la souplesse tactique, la DCA et l’artillerie lourde, habilement camouflées sur les pentes entourant la cuvette de Dien Bien Phu, y créeront les conditions de la victoire.
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Sur l’ensemble de la période, la guerre s’est ainsi faite progressivement plus « technique », les dépenses en matériel progressant donc plus rapidement que les dépenses en personnel. Du pistolet au canon, les troupes de l’Union française disposent en 1947 de 160 000 armes environ sur le terrain61; en 1954, celles-ci sont environ 870 00062, ce qui fait 5,4 fois plus alors que les effectifs totaux, eux, se sont multipliés par 4,6 - y compris les supplétifs et les armées nationales. Seuls les fusils, qui passent de 138 000 à 590 000 unités environ, suivent logiquement la croissance des effectifs. Le parc de véhicules, automobiles et blindés, connaît bien sûr une progression du même ordre, encore que, sur ce point, les séries soient incomplètes et les chiffres variables, l’inventaire des véhicules en service ne suivant pas toujours les mêmes critères. Mais les données disponibles confirment la tendance: le parc, qui passe de 12 432 véhicules début 1947 à 40 870 début 1953, dont 2 900 blindés, s’est déjà multiplié par 3,3 en six ans63. Cette évolution vers une guerre ayant de plus en plus recours aux moyens techniques est également illustrée par la part prise dans les combats par l’armée de l’Air et la Marine.
Β. DE LA MARINE À L’ARMÉE DE L’AIR 51
Budgétairement autonomes mais indispensables au fonctionnement du corps expéditionnaire, les forces navales et aériennes ont d’autant plus contribué aux dépenses en matériel qu’elles en sont plus dépendantes : on n’imagine pas, bien sûr, ces forces sans aéronefs ni navires, avec tout le soutien logistique qui s’y attache. Chacune intervient cependant avec sa propre culture. La Marine, qui a fait la conquête de l’Indochine au XIXe siècle et vient encore de fournir deux amiraux à la tête du Gouvernement général - Decoux et d’Argenlieu, contradictoirement il est vrai - , joue un rôle important dans le retour de la France en 1946 : c’est par la mer que les forces françaises reprennent pied au Nord au lendemain du 6 mars 64. Cette année-là, la Marine entre pour 16 % dans les dépenses militaires françaises en Indochine, une part qu’elle n’occupera jamais plus. L’armée de l’Air de son côté, beaucoup plus récente et cantonnée en métropole dans un rôle secondaire, n’existait au départ que symboliquement en Indochine - elle n’y figure d’ailleurs pas dans les dépenses militaires pour l’année 194665. Mais elle va voir son rôle s’accroître.
52
Au milieu du conflit, en 1951, la Marine entretient en Indochine environ un quart du tonnage armé total de la flotte française66, soit 73 000 tonnes. Assurant d’une part le lien permanent entre le sud et le nord de la péninsule - le Viet Minh ayant gardé pendant toute la guerre le contrôle d’une partie du centre du pays, interdisant toutes liaisons terrestres - et d’autre part entre l’Indochine et la métropole, la Marine surveille également les côtes et peut intervenir directement lors d’opérations combinées. L’essentiel de sa puissance - et 65 % de son tonnage 67- sont constitués par la Division navale d’Extrême-Orient (DNEO), qui a notamment pu entretenir presqu’en permanence un porte-avion au large des côtes indochinoises, le plus souvent L’Arromanches, unité de 14 000 tonnes fournie par le Royaume-Uni 68. Le nombre des bâtiments de combats en mer de la DNEO, petits et grands, semble avoir triplé entre le début et la fin du conflit, pour se situer finalement autour d’environ 80 unités.
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Distincte de la DNEO - la Marine « blanche » - , une Brigade marine d’Extrême-Orient avait été créée en 1945 - la Marine « kakie » - , répartissant des fusiliers-marins en forces amphibies susceptibles d’intervenir dans les régions semi-aquatiques des deltas
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du Mékong et du fleuve Rouge. C’est ainsi que furent constituées à partir de 1947 neuf divisions navales d’assaut (« dinassauts »), 5 au sud et 4 au nord, basées, outre Saigon et Hanoi, au cœur même des deltas. Pour les équiper, il a fallu acquérir des navires spéciaux, venant en complément des bâtiments de transport de troupes en mer LST (Landing Ship Tank) : quelque 218 bâtiments fluviaux équipèrent finalement ces dinassauts, portant tous leurs initiales anglaises, LSSL, LSIL, LSM (LS pour Landing Ship), et LCU, LCM ou LCVP (LC pour Landing Craft)69. Ces unités opéraient conjointement avec celles du corps expéditionnaire. 54
Une petite aéronautique navale fut enfin développée en Indochine, constituée d’une, puis deux, puis quatre flottilles, dont deux embarquées. Mais ce n’est qu’au début de 1954, peu après l’entrée en service d’un nouveau porte-avions venu des États-Unis, le Bois-Belleau, que l’aéronautique navale renforce vraiment sa participation à la guerre d’Indochine, intervenant en particulier dans la bataille de Dien Bien Phu 70. Une soixantaine d’appareils supplémentaires, de fabrication américaine, furent armés dans les derniers mois de la guerre, alors que deux porte-avions croisaient au large, L’Arromanches demeurant sur place après l’arrivée du Bois Belleau.
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Les dépenses connues de la Marine au titre de l’Indochine n’apparaissent finalement pas considérables : 168,3 milliards en francs constants sur toute la période, soit entre 5,5 et 6 % du coût total de la guerre71. Sur ce chiffre, moins de 40 % ont apparemment été consacrés au matériel - évaluation faite sur l’année 1951 72- , mais il faut y ajouter les livraisons américaines reçues au titre du PAM. Quoi qu’il en soit, la croissance des dépenses de la Marine en Indochine apparaît assez faible : passé le « coup de feu » de 1946 (19,4 milliards de francs 54), elles évoluent au fil des ans entre 15 à 23 milliards de francs. Et, globalement, la part de la Marine dans les dépenses militaires de la France en Indochine diminue : relativement élevée en début de conflit (9 à 11 %) elle descend autour de 5 % au début des années cinquante, pour se redresser un peu en 1954 (6,9 %). L’aéronavale, sans doute... Les forces aériennes, justement, semblent s’être par contre progressivement imposées. Graphique 4 et tableau 5. Évolution des dépenses « Indochine » de la Marine et de l’armée de l’Air (milliards de francs 1953)
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Source : ministère de la Défense nationale. 56
L’armée de l’Air, qui a fait une entrée discrète et presque tardive sur le théâtre d’opération, y jouait par contre un rôle de premier plan à la fin du conflit. Le nombre d’appareils a sextuplé entre 1945 et 1954 : de quelques dizaines au départ, la flotte est passée à près de 700 avions en 1954, avec une spectaculaire progression de 50 % dans les cinq premiers mois de cette dernière année73. Les dépenses militaires de l’armée de l’Air en Indochine sont globalement équivalentes à celles de la Marine : 168 milliards en francs constants74, soit également entre 5,5 et 6 % des dépenses totales. Mais elles ont connu une croissance annuelle plus vigoureuse, partant de presque rien pour arriver à 28 milliards de francs. Encore ces chiffres ne tiennent pas compte non plus des livraisons américaines au titre du PAM, qui l’ont équipé des deux tiers de ses avions, en particulier des plus performants : la totalité des avions de chasse et de bombardement a été fournie par les États- Unis75. Cette circonstance particulière explique pourquoi le poids relatif de l’armée de l’Air dans l’ensemble des dépenses militaires françaises est resté modeste, et qu’il recule même après 1950 - moment où l’aide américaine entre en vigueur - après une première phase de croissance, et avant de se redresser en 1954.
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L’utilisation du matériel aérien s’est cependant développée dans un contexte spécifique. L’armée de l’Air n’avait pas d’adversaire dans le ciel Indochinois : ses missions étaient la reconnaissance, la chasse, le bombardement et le transport. Celles-ci correspondent d’ailleurs très précisément au rôle dans lequel l’armée de l’Air est alors cantonnée en France même. La doctrine en a été fixée en mai 1946 par le général Juin, alors chef d’état-major de la Défense nationale, dans une lettre au général Bouscat, chef d’état-major de l’Air, après que les deux hommes se soient opposés sur la question de la supériorité aérienne : « La principale mission des Forces aériennes doit porter sur l’appui tactique, adapté aux unités terrestres d’intervention, stationnées sur le continent et outre-mer », écrivait Juin76. Des questions budgétaires, tranchées par le général Juin en sa faveur, pourraient avoir été à l’origine du choix de cette option : l’onéreux développement des forces aériennes réduisait en effet d’autant les crédits de l’armée de Terre77. Cette sujétion budgétaire sera durable : au début des années 1950, dans le cadre de l’OTAN, la France renoncera également « à posséder une aviation stratégique nationale pour diverses raisons dont la principale était le coût très élevé des appareils » nécessaires - en l’occurrence plus d’un milliard l’unité 78.
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Sur le théâtre, deux époques se sont succédé. Les premières années sont le temps des « vaches maigres » et des vols archaïques : en dehors de quelques appareils français utilisés pour la reconnaissance et la liaison79, l’Air emploie 24 chasseurs britanniques Spitfire et à peu près autant d’avions à tout faire, principalement du transport 80, auxquels s’ajoutent quelques appareils japonais récupérés et trois Catalina de l’aéronavale. Le général Salan utilisa l’un de ses derniers comme PC volant lors de l’attaque du «réduit tonkinois » en 194781. Mais l’ère britannique du Spitfire prend fin en 1949 : dès l’année suivante commence l’ère américaine, plus généreuse en matériel. Des appareils fabriqués aux États-Unis commencent à être transférés par dizaines en Indochine, soit à partir de la France, prélevés sur les lots que celle-ci recevait ellemême d’outre-Atlantique, soit - et surtout - à partir du sol américain, au titre de l’aide en matériel82.
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Cette seconde époque est en fait elle-même marquée par un double changement. D’une part, comme l’indique une fiche d’état-major, « l’évolution de la bataille sur le théâtre d’Extrême-Orient a conduit à augmenter sensiblement l’importance des Forces aériennes de chasse et de transport »83: quatre groupes de chasse comprenant 120 appareils environ ont donc été organisés, avec des appareils essentiellement américains. D’autre part, ajoute la même source, « il est apparu que l’accroissement de l’importance des moyens logistiques du Viet Minh les rendait justiciables de feux aériens plus lointains et plus denses » : il s’agissait en clair de mettre sur pied en Indochine des formations de bombardement. Quatre groupes d’une vingtaine de bombardiers Β 26 chacun ont donc aussi été fournies par les États- Unis. Évidemment, bombes et munitions faisaient partie des lots : le napalm apparaît ainsi tragiquement en Indochine en 1951, à l’époque du général de Lattre, semble-t-il pour la bataille de Vinh Yen. Au 1er janvier 1952, 7 520 bombes au napalm ont déjà été livrées 84.
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Cette évolution a entraîné des difficultés spécifiques, pour la formation des hommes, la maintenance du matériel et le suivi logistique. Pour les hommes, il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un problème de formation : victimes sans doute du statut de l’armée de l’Air, les aviateurs semblent être restés les parents pauvres du corps expéditionnaire. Leurs logements - en particulier ceux des officiers - sont en fort mauvais état, constate un rapport parlementaire en 195285, et nécessitent des « réparations très importantes qui grèvent lourdement le chapitre des crédits d’entretien ». Quand ils montent dans leurs avions, plus ou moins adaptés aux conditions du combat, ce n’est pas forcément mieux : sans maîtrise de la chaîne technique, notamment pour les appareils américains, il n’est pas aisé de maintenir une telle flotte en parfait état de fonctionnement. Les problèmes de pièces de rechange, de munitions, de pneus et autres font souvent plus de dégâts que la DCA adverse : « Chaque mois, note Philippe Gras 86, l’armée de l’Air perd un avion victime du manque de pièces, alors que six autres sont en permanence en attente de révision ».
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Équipements et infrastructures ont par ailleurs du mal à suivre l’accroissement du parc aérien. Si neuf bases aériennes87sont recensées en Indochine en 1952, peu sont utilisables « tout temps » comme celle de Tan Son Nhut. Et il ne suffit pas que des moyens financiers soient dégagés : alors qu’un programme d’infrastructure de 25,5 milliards de francs avait été prévu en 1951 et 1952, seuls 17 milliards étaient engagés en 1953. En effet, indique une note d’état-major88, « le potentiel industriel de l’Indochine (extraction de pierres, cimenteries, outillage de travaux publics), ne peut absorber plus de 4 milliards par an. Ce n’est pas l’insuffisance de crédits qui a freiné la construction
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mais la saturation des moyens de réalisation ». En attendant, à partir de 1953, plus de 400 000 grilles d’aérodromes sont livrées par les Etats-Unis, complétés d’engins divers et de groupes électrogènes. 62
Les forces aériennes imposent progressivement leur marque aux troupes terrestres, sinon aux formes de combat. En 1952 et 1953, la Direction du matériel apprend à faire transporter, selon les besoins, artillerie lourde et engins blindés par voie aérienne, en particulier vers les confins du pays thaï et le Laos. Elle n’est d’ailleurs pas peu fière de ses performances, comme lorsqu’elle achemina, dès novembre 1953, des canons de 105, de 155 et des chars d’assaut dans la cuvette de Dien Bien Phu. Les chars avaient été démontés en 180 éléments, transportés à Gia Lam pour être embarqués, puis remontés à Dien Bien Phu. 25 hommes ont ainsi remonté sur place 10 chars en moins d’un mois 89.
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L’armée de l’Air et les troupes terrestres ont surtout combiné leurs forces lors des opérations aéroportées, pour lesquelles la guerre d’Indochine a un peu servi de banc d’essai à l’armée française - plus de 220 de ces opérations ont été montées. Mais divers problèmes restèrent mal résolus. La capacité de transport, qui permet de parachuter 600 hommes d’un coup, soit un bataillon, apparaît insuffisante à l’état-major et aux parlementaires de la commission des Finances : le double aurait été nécessaire 90. Pour la bataille de Nghia Lo, en 1951, et malgré la volonté du général de Lattre, il faudra 1 000 sorties, 2 000 heures de vol et 10 jours d’appui aérien pour parachuter 2 000 hommes et en déposer 1 000 autres. Le recours au parachute demeure également assez cher, « extrêmement dispendieux » même pour certains91. La question, que soulève déjà le rapport Pineau en 1952, tourne autour du coût du parachute et, surtout, de son espérance de vie : au lieu de rester exceptionnelle, comme ce fut le cas lors de la seconde guerre mondiale, l’opération parachutée tend en effet à se généraliser en Indochine et, si la voilure est abandonnée sur place, comme cela semble être souvent le cas, la perte est considérable - un ramassage par hélicoptère a été étudié mais posait d’autres problèmes. Le renouvellement des parachutes « mange » près d’un milliard de francs en 1952, il est vrai aux frais de l’armée de Terre 92.
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La guerre a duré huit à neuf ans. En octobre 1945, les troupes de la 2 e DB avaient débarqué à Saigon des croiseurs Gloire et Suffren ; peu après, les représentants de la France avaient rencontré Ho Chi Minh puis Bao Dai en baie de Ha Long, sur l’Emile Bertin d’abord, le Duguay Trouin ensuite. En 1954, c’est autour de la piste d’aviation de Dien Bien Phu, rendue d’ailleurs inutilisable dès les premiers jours de la bataille par l’artillerie Viet Minh, que s’est joué le destin de l’Union française. Les dinassauts furent surtout importantes dans les premières années de la guerre, les opérations aéroportées dominèrent les dernières. Comme un symbole, d’ailleurs, le chef d’état-major de la toute jeune armée nationale du Vietnam, Nguyen Van Hinh, avait gagné ses galons dans l’armée de l’Air. Mais cette coûteuse évolution technologique et tactique, à supposer qu’elle fût en mesure de répondre aux défis posés par la nouvelle Indochine, resta inachevée.
C. LES DÉPENSES VIETNAMIENNES D’ARMEMENT 65
Il n’est pas très facile d’isoler les dépenses d’armement des armées, principalement vietnamiennes, qui, hors du corps expéditionnaire, cohabitent en Indochine dans les dernières années de la guerre. La difficulté, du côté de l’armée nationale vietnamienne (Bao Dai), est de faire ressortir son matériel, d’une part de la subvention accordée par la
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France et, d’autre part, de l’aide américaine. Du côté de l’armée populaire du Vietnam (RDV), la question des sources - ou plutôt leur accessibilité - est bien sûr plus contraignante. 66
Les dépenses en matériel des armées nationales sont d’abord des dépenses d’équipement, puisqu’elles ont été créées de toutes pièces ou presque. Les conditions de leur dotation en armement ont cependant évolué avec le temps. Les accords de 1949, avec le Vietnam et avec le Cambodge surtout, prévoyaient que leurs gouvernements pourraient faire des commandes de matériel au gouvernement français 93. Fin décembre 1950, les trois États associés sont ensuite partie prenante à l’accord conclu avec les États-Unis sur l’aide militaire en matériel : au terme de ce « pacte à cinq » 94, le Vietnam, le Cambodge et le Laos en étaient également bénéficiaires à travers la France.
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Globalement, les armées nationales paraissent dépenser plutôt moins que le corps expéditionnaire pour leur équipement. Indépendamment des livraisons américaines, la part du matériel dans les dépenses militaires des trois États associés, ressort en effet à un niveau un peu inférieur aux dépenses comparables du corps expéditionnaire : en 1953, 22, 9 % de leurs budgets militaires sont affectés au matériel - contre 25,4 % pour les FTEO95. Sans doute les tâches de pacification auxquelles elles étaient surtout cantonnées étaient moins gourmandes en armes que les combats livrés en haute région.
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L’équipement des nouvelles unités vietnamiennes est en effet léger, à la mesure de leur mission sur le terrain. Un bataillon de 828 hommes, dont 22 officiers, répartis en quatre compagnies et une cinquième de commandement, reçoit à peine plus d’armes que d’hommes - 879 exactement, et il s’agit d’armes individuelles: 84 pistolets, 127 pistolets mitrailleurs, 2 mortiers de 81,4 mortiers de 60, 8 mitrailleuses légères, 28 fusils mitrailleurs, 580 fusils ou carabines, 36 fusils avec manchons lance-grenades... 96 Ce n’est que pour 1954 qu’un «plan Hinh supplémentaire» prévoira au Vietnam la création de batteries de position, d’unités blindées, de transport de génie et de transmissions 97. De petites forces aériennes et maritimes compléteront le dispositif, mais à titre encore symbolique : la France destine ainsi neuf appareils légers à l’aviation vietnamienne en fin de conflit98.
III. LES OPÉRATIONS 69
Le caractère atypique de la guerre d’Indochine, en particulier pour les forces françaises, réside largement dans sa double nature : un conflit à la fois politique et militaire qui, sur ce second plan, oppose des unités constituées à un adversaire qui se cache ou n’accepte le combat que lorsqu’il est sûr de marquer des points, mais qui se développe finalement assez pour faire à son tour manœuvrer des unités régulières. Dans un tel contexte, l’activité militaire est à inventer et à réinventer périodiquement, mais le choix des opérations est aussi financier.
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L’unité de production de la guerre, si l’on peut dire, est l’opération. Trois cent soixantetreize ont été répertoriées, soit en moyenne une par semaine pendant toute la durée du conflit. Chacune dure quelques heures ou plusieurs semaines, selon les cas, et est désignée par un nom de code, de l’opération Léa en 1947 (attaque contre le réduit Viet Minh du Tonkin) à l’opération Castor en 1953 (occupation de la cuvette de Dien Bien Phu). Il s’agit là de l’emploi normal des hommes et du matériel : certaines opérations permettent simplement de consolider un contrôle territorial, comme l’opération
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Canigou au Cambodge entre le 5 et le 10 avril 1950, dans la région de Kompong Chhnang ; d’autres ont pour objectif de s’attaquer aux zones Viet Minh, comme l’opération combinée Camargue (avec Marine et forces aériennes) dans le secteur de la « rue sans joie », dans le Centre Vietnam, en août-septembre 1952. À partir de 1950 cependant, de grandes batailles s’y ajoutent, attestant de l’évolution du rapport des forces : sept ont fait date, de Cao Bang en 1950 à Dien Bien Phu en 1954 en passant par Vinh Yen ( 1951 ), Mao Khé - Dong Trieu ( 1951 ), le Day ( 1951 ), Hoa Binh ( 1951 - 1952) et Na San (1952). 71
S’il est difficile de dresser point par point la facture de tous ces combats, petits et grands, il est cependant possible de distinguer ce qui ressort de l’occupation du territoire, qui traverse toute la guerre, de l’évolution de la stratégie, qui s’exprime notamment par les grandes batailles des dernières années. Les implications financières ne sont en effet pas les mêmes.
A. L’OCCUPATION DU TERRITOIRE 72
Les forces françaises se sont vite rendues compte qu’il ne suffirait pas de reconquérir le territoire perdu en 1945, mais qu’il faudrait encore le tenir. Pendant toute la durée de la guerre, la « pacification » constitue ainsi l’une des deux grandes missions des troupes terrestres en Indochine, l’autre étant le combat. Par le terme de pacification, précise une fiche d’état-major en 195099, « il faut entendre le retour, puis le maintien de l’ordre et de la sécurité dans une zone insoumise et petit à petit réduite ». Ce travail à la fois de police et de proximité, combinant la protection des activités, le contact avec la population et la surveillance de celle-ci, la recherche de renseignement et, plus généralement, l’action militaire, politique et économique, se montre assez exigeant en effectifs et retient par conséquent une part importante des dépenses militaires. Il faut y ajouter la protection des biens français, en particulier des plantations d’hévéas au Sud et des mines de charbon au Nord.
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Étant donné le flou entourant les buts de guerre français en Indochine, l’occupation de territoire constitue finalement une sorte d’activité par défaut, contenant sa propre finalité. « La grosse difficulté d’action de cette armée, notait le général Revers en 1949 en conclusion de son rapport, c’est que jamais son rôle n’a été défini avec précision, jamais une directive n’est venue réellement orienter le commandant en chef, le commandant supérieur et leurs principaux subordonnés »100. Il y eut bien de grandes opérations contre le cœur du dispositif Viet Minh, d’ailleurs sans suite, ou pour reprendre pied dans le delta du fleuve Rouge, mais l’optimisme militaire restait vacillant. « Une des causes de ce moral en équilibre instable, écrit également Revers, est due en grande partie à ce que personne ne sait pourquoi on se bat ». François Mitterrand, qui avait vainement essayé d’interpeller le gouvernement sur ses buts de guerre, ne dira pas autre chose en 1954 : « Je cherche la raison pour laquelle la France s’est battue » en Indochine, déclare-t-il alors ; il existe bien au départ un projet de fédération indochinoise sous l’égide de la France, rappelle-t-il, mais « cette structure, qui n’apportait pas satisfaction, cela va de soi, aux populations locales ou à leurs représentants en tout cas, [...] était pratiquement le seul thème offert aux exécutants »101.
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Tenir le terrain apparaît vite, sinon comme la première dépense, du moins comme le premier motif de demande d’augmentation des crédits militaires. Présent au Comité de
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défense nationale du 12 juillet 1948, le haut-commissaire Bollaert en prend par exemple argument pour obtenir - en vain - les renforts qu’il demande : « il attire l’attention du Conseil, note le procès-verbal de la séance, sur le fait que nos seules charges d’occupation sont augmentées du fait du succès des opérations du Tonkin fin 47, qui, en nous assurant la maîtrise de la frontière chinoise jusqu’à Cao Bang, nous en impose par contre le contrôle»102. Pour lui, cette «mission statique [...] Justine à elle seule une augmentation du corps expéditionnaire ». En 1950, constatant que l’infanterie « est l’exécutante normale de cette mission », une fiche d’état-major précise que les 2/3 des forces régulières lui sont alors consacrés - et plus encore si l’on tient compte de l’incorporation des supplétifs à cette tâche103. Mission en effet très « statique » : pour la remplir, « l’infanterie est contrainte d’établir des postes extrêmement nombreux, allant de la simple tour au poste de compagnie, dans les villes, auprès des points sensibles, le long des voies de communications routières ou ferrées et devient irrécupérable pour mener le combat contre les bases ou les forces régulières de l’ennemi ». 75
Cet aspect des choses faisait évidemment l’affaire du Viet Minh. Le général Giap note ainsi combien « la poursuite de la guerre d’agression a été un processus continu de dispersion des forces. Plus ces forces sont dispersées et vulnérables, plus les conditions sont favorables pour nos troupes, qui peuvent les anéantir par petits groupes » 104.
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Indépendamment des effectifs déployés pour la faire, une telle guerre « à l’aveugle » a son coût spécifique : celui des moyens radios de communication, indispensables d’un côté comme de l’autre, car le Viet Minh ne pourrait pas non plus entretenir sans eux guérilla et insécurité sur la totalité du territoire, ni surtout manœuvrer discrètement ses unités régulières. « La dilution exagérée de la troupe », pour reprendre les mots du général Babet, constitue donc une contrainte particulière : « Examiné sous l’angle des liaisons, un tel dispositif invertébré fait apparaître le besoin de moyens radioélectriques ruineux », note-t-il surtout105. Sans compter que chacun des belligérants a besoin d’équipements spéciaux pour capter les communications de l’adversaire. Les conditions techniques des guerres sans front que le monde a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale, singulièrement au Vietnam, se mettent ainsi en place : malgré leur caractère parfois archaïque, ces guérillas se situent en tout cas pleinement dans l’ère de la communication instantanée.
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Les moyens de transmission ont constamment retenu l’attention de la hiérarchie militaire. Dans les premières années du conflit, ils ont eu du mal à suivre l’éparpillement des hommes : « dès qu’il est apparu que le prix à payer serait plus élevé que prévu, précise l’analyse du général Babet, on tomba dans la pénurie » 106. Mais, après 1950, l’aide américaine permit de faire face. Le nombre de postes radio-électriques passe de 6 000 début 1951 à plus de 30 000 en 1954 : le matériel de transmission est celui qui a connu la plus forte croissance durant ces trois années - il a été multiplié par 5,4, plus encore que les pièces d’artillerie, qui se déversent alors en masse sur le corps expéditionnaire107.
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Une autre donnée, bien différente, joue aussi sur le coût de l’occupation du territoire : la différence entre régions, inégalement « chères ». Au Vietnam, à proportions égales d’hommes et de matériels, les dépenses sont les plus élevées au Nord, sans doute en raison du caractère plus précaire qu’y a pris la réinstallation française. « Un homme au Tonkin, note dès 1947 le rapport Gayet, même en garnison stable, revient deux à trois fois plus cher que dans le Sud »108. Par une sorte d’effet pervers, d’ailleurs, une situation
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de sureffectif a pu être constatée en Cochinchine. « On peut dire sans crainte de se tromper, observe ainsi Revers en 1949, que si à Saigon on ne trouve pas, et de loin, le quart de l’armée d’Indochine, comme l’a écrit l’inspecteur général Gayet dans un rapport, il semble néanmoins que l’on puisse avantageusement réduire ce volume. » 109 Le volume en question diminuera dans les années suivantes, mais le « surcoût » du Nord vers où les effectifs seront progressivement déplacés en raison de l’évolution du rapport des forces, perdurera. Son effet sur les dépenses militaires sera d’autant plus sensible. 79
Le maître mot du contrôle territorial est donc la « pacification », mais celle-ci connaît un succès si divers selon les régions que l’on peut se demander, en particulier au Nord, si la guerre ne se déroule pas à fonds perdus. Les militaires semblent s’être habitués à une situation confuse, qui leur donne apparemment le contrôle du terrain - on n’ose dire de la population - mais seulement jusqu’à la tombée de la nuit ou jusqu’à leur propre départ. Le delta du fleuve Rouge est à cet égard un piège redoutable. Le Viet Minh s’acharne à y détériorer les routes - en « touches de piano » - encore et toujours après qu’elles aient été réparées ; chaque village, chaque moment de la journée ou plutôt de la nuit est âprement disputé. La carte que l’état-major entretient à Hanoi sur la « rougeole » du delta - les officiers préfèrent parler de « vérole » - est significative. Bien sûr, la question est aussi politique : pour le général Juin, on le sait, la puissance du Viet Minh repose largement sur son implantation et son organisation locale ; « c’est pourquoi il faut voir en elle l’ennemi n° 1, résume-t-il en 1953, ce qu’il faut d’abord faire disparaître si l’on veut atteindre le Viet Minh au vif » 110. Il faut donc substituer une autre organisation régionale à la sienne, après l’avoir refoulé dans les confins du pays. Faute de pouvoir être totalement mise en œuvre par les forces françaises, une telle perspective renvoie au développement des États associés.
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Depuis qu’elles existent, justement, la France a de préférence affecté les armées nationales à des tâches de pacification et commence, dans les dernières années de la guerre, à leur transférer localement la totalité de cette tâche : l’enjeu financier de l’opération est à la mesure du poids pris par l’occupation du territoire dans les dépenses militaires. Le plan suivi, conforme à celui qui avait été présenté par Letourneau aux Américains à leur demande, lors du voyage de Mayer à Washington au printemps 1953, permet dès l’année suivante de laisser à l’administration civile et militaire de Bao Dai plusieurs provinces du delta du Mékong. Des tentatives du même ordre sont en cours dans celui du fleuve Rouge. L’opération Atlante, qui se déroule en même temps que le siège de Dien Bien Phu, a également pour ambition de libérer une partie du Centre Vietnam de l’emprise du Viet Minh, afin de pouvoir la transférer à l’Armée nationale. Le plan Navarre apparaît d’ailleurs lui-même tout entier tourné vers cette perspective, y compris à Dien Bien Phu, où le haut commandement escomptait voir venir se briser les unités régulières de l’ennemi, ce qui aurait soulagé la menace pesant sur les armées nationales. Mais, comme il a déjà été indiqué, et indépendamment du revers stratégique subi dans la célèbre cuvette, la lenteur de la mise en place de cette alternative à la forte présence du corps expéditionnaire empêchait d’en espérer à court terme une réelle économie en effectifs.
B. L’ÉVOLUTION DE LA STRATÉGIE 81
La « menace communiste », représentation résumant à partir de 1949 la proximité de la Chine populaire et la montée en puissance du Viet Minh, paraît - enfin ! - avoir donné
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une raison d’être à la présence militaire de la France en Indochine et y justifier ses dépenses, à défaut de les financer. Jusqu’en 1949, on le sait, personne ne pouvait vraiment dire pourquoi on s’y battait ; cette fois, l’affaire est entendue, comme de Lattre le résume en septembre 1951 à la télévision américaine, en réponse à une question relative à la Corée où la guerre se déroule depuis plus d’un an 111: « Je crois qu’il n’y a pas seulement un parallèle à faire entre la Corée et l’Indochine, affirme-t-il. C’est exactement la même chose. En Corée, vous vous battez contre des communistes. En Indochine, nous nous battons contre des communistes. La guerre d’Indochine, la guerre de Corée, c’est la même guerre, la guerre d’Asie... », ajoute-t-il avant de faire un parallèle avec l’Europe. 82
Outre la révolution chinoise, la nouvelle situation est marquée en Indochine par l’émergence des États associés, la combinaison des deux y entraînant une réorientation des dépenses militaires françaises. On ne se bat désormais plus vraiment - on ne le disait pas - pour maintenir sur place une certaine souveraineté, on doit faire face à un conflit plus sérieux, qui ne nous appartient même plus totalement. Une fiche d’étatmajor, relative aux ouvrages du Génie en Indochine, en donne l’illustration sur un point apparemment annexe mais significatif, celui de la garnison aéroterrestre de Saigon-Tan Son Nhut, l’une des plus grandes que la France entretient sur place : « les travaux entrepris jusqu’en 1950 à Tan Son Nhut, indique-t-elle, ont été réalisés avec le souci d’affirmer la permanence de la présence française - leur prix de revient est élevé. A partir de 1951, la priorité est donnée aux travaux de caractère opérationnel : les dépenses d’équipement dépassent progressivement les dépenses de casernement pour devenir six fois supérieures en 1953 »112. La précarité du statut des installations françaises suivait la montée des tensions.
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Dans ce contexte il est vrai un peu contradictoire, et alors que d’une certaine manière elle se désengage, la France s’enracine en 1951 dans une attitude à la fois défensive et assez onéreuse : de Lattre fait en effet construire plus de mille fortifications en béton à la périphérie du delta du fleuve Rouge. À Vinh Yen, il avait été semble-t-il assez impressionné par le déferlement des unités régulières Viet Minh, même s’il avait pu leur bloquer la route du delta et, partant, de Hano113. Sans doute aussi souhaitait-il prémunir les installations militaires françaises contre les canons de gros calibre - on parlait de 155 - dont commençait à s’équiper l’ennemi. Dans un premier temps, les travaux portèrent sur la protection de la grande base de Haiphong, qui comprenait le port, deux terrains d’aviation, des installations de stockage et des hôpitaux : dans les trois premiers mois de 1951, une double ceinture fortifiée fut édifiée à 30 et à 35 kilomètres de la ville, développant un arc de 50 kilomètres. Dans un second temps, entre mars et septembre 1951, la périphérie du delta était à son tour fortifiée sur environ 100 kilomètres, avec 1 200 ouvrages et 250 points d’appui.
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En équipant ainsi le champ de bataille du Tonkin, le Génie trouvait une nouvelle vocation114. Jusqu’en 1950, ses 10 000 hommes s’étaient surtout préoccupés des voies de communication. Les routes avaient d’abord dû être ouvertes - et réouvertes périodiquement - sur le modèle de l’opération menée début 1946 pour dégager les 400 kilomètres de l’axe Saigon-Nha Trang : il avait alors fallu une semaine à un bataillon pour faire sauter la vingtaine de brèches qui y obstruait la circulation. La difficulté résidait cependant dans le fait que l’usure des routes était plus rapide que leur entretien, surtout quand le Viet Minh y contribuait. Dans une contrée où ensuite, comme disent les militaires, les « coupures liquides » sont larges et nombreuses,
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quelque 10 000 mètres de ponts avaient parallèlement été lancés ou remis en place. Le Génie avait enfin dû construire les trois bases aéroterrestres de Tan Son Nhut, Tourane (Danang) et Hanoi-Bach Mai. Avec le bétonnage du Tonkin, ainsi, la réorientation de l’activité du Génie n’alla pas sans quelques difficultés : la « demande » était telle que la production, si l’on peut dire, avait du mal à suivre : comme pour le développement des bases aériennes, des goulots d’étranglement, au niveau de l’élaboration du béton, du transport, et de la mise en œuvre des chantiers, ne facilitaient pas la réalisation des programmes. 85
Le coût des fortifications « de Lattre » a contribué à la forte augmentation des dépenses militaires de la France en Indochine que l’on constate alors - de l’ordre de 47 % entre 1950 et 1951115. Sans doute ne sont-elles pas seules en cause, les travaux ne représentant que 10 à 15 % des dépenses militaires en Indochine. Mais elles firent tout de même passer le programme d’implantation et d’investissement, évalué en 1950 entre 75 et 95 milliards de francs, à 120 milliards de francs - sur cinq ans, soit environ 24 milliards par an116. La courbe des dépenses en travaux, qui grimpait de plus en plus vite depuis 1948, affiche en 1951 une croissance quasi verticale, pour régresser un peu après 1952117. Dans la lettre d’arbitrage qu’il adresse à de Lattre pour la préparation du budget de 1952, le président du Conseil René Pleven se verra contraint de demander au hautcommissaire et commandant en chef de surseoir à un nouveau programme de 1 600 ouvrages - d’autant que si un millier de ces nouvelles constructions étaient prévues au Tonkin, 400 devaient l’être en Cochinchine et 200 en Annam, ce qui « ne présentait pas un caractère de nécessité aussi urgente » qu ’ au Nord118.
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Le général de Lattre, dans le discours qu’il a prononcé à Vinh Yen le 19 avril 1951, a justifié cette attitude défensive et s’est défendu de toute nouvelle visée coloniale 119. Pour lui, «Les fortifications qui s’élèvent renforceront, bien sûr, la défense ; mais elles doivent également permettre, par l’économie des effectifs, de reprendre la pacification à l’intérieur du Delta et d’y faire régner, la nuit comme le jour, sur tous les villages, la paix, la sécurité, la loi vietnamienne ». S’adressant à Tran Van Huu, chef du gouvernement de Bao Dai, il balaie ensuite l’autre accusation d’un revers de main : « L’on me dit, Monsieur le Président, que certains de vos compatriotes, abusés ou désabusés, aperçoivent une arrière-pensée politique dangereuse dans ce qui n’est que l’expression d’une idée stratégique singulièrement utile : ces blockhaus seraient à leurs yeux le signe matériel de la permanence indéfinie de l’implantation militaire française au Vietnam. Non, Monsieur le Président, je suis venu ici pour accomplir votre indépendance, non pour la limiter. [...] Dès maintenant, à l’abri de ces remparts, votre souveraineté s’édifie chaque jour ».
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Les choix coûteux du général de Lattre relevaient-ils d’une bonne analyse stratégique ? Les députés de la commission des Finances, qui séjournent en Indochine en janvier 1952 sous la conduite de Christian Pineau, semblent avoir des doutes : « La Mission doit dire, précise son rapport, qu’elle n’a pas toujours été convaincue de la nécessité et de l’urgence de certains travaux spectaculaires »120. En effet, la stratégie en question paraît fondée sur l’idée que le Viet Minh constitue pour l’essentiel une menace extérieure. Sans doute, les unités régulières que celui-ci peut commencer à aligner campent-elles en moyenne et haute région, si elles ne se refont pas tout simplement une santé de l’autre côté de la frontière chinoise. Mais l’ancrage et la légitimité de son action au sein de la société vietnamienne, en particulier de la dense paysannerie du Nord, paraissent largement sous-estimés. Il reste que, le Viet Minh ayant fait la démonstration qu’il était
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capable de manœuvrer des unités régulières au cœur même du delta, les fortifications « de Lattre » lui auront causé, de l’aveu même du général Giap, une gêne certaine 121. 88
Après de Lattre, le général Salan prolonge cette stratégie défensive en la rendant plus itinérante, ce qui ne la rend pas moins coûteuse. Faute de pouvoir regagner le terrain perdu au profit du Viet Minh, comme dans le pays thaï, au nord-ouest du Vietnam, et pour obliger celui-ci à se battre, le haut commandement français développe à partir de la fin 1951 une nouvelle méthode : celle des camps retranchés, ou « hérissons ». Na San fut le prototype de ces centres de résistance « offrant à l’ennemi, précise le général Gras, des positions assez faibles pour le tenter, mais suffisamment fortes pour résister à ses assauts », avec au final la possibilité de « l’écraser sous les feux de l’artillerie et de l’aviation »122. Pratiquement, cela revenait à verrouiller par une série dense de points d’appui un site organisé autour d’une petite piste d’aviation - 1 100 mètres - qui assurait le lien avec l’extérieur : « Na San était la transposition asiatique et moderne des camps retranchés que Vauban improvisait en 1706 à Dunkerque et Wellington à Torrès Vedras », écrit encore l’historien de la guerre.
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Mais Na San fut l’occasion d’une crise entre les armées françaises de Terre et de l’Air en Indochine, précisément centré sur le coût de l’opération. Pendant plus d’un mois, un pont aérien allait fonctionner au rythme de 50 rotations de Dakota par jour - soit un atterrissage de jour toutes les dix minutes - et même parfois 100, pendant que d’autres appareils parachutaient directement leur matériel. Engins divers, barbelés, mines, armes, munitions et troupes, tout arrivait du ciel par milliers de tonnes et d’hommes. « Na San était devenue une ruche, note le général Gras. [...] En moins d’un mois, une véritable forteresse avait surgi de la brousse », avec transmissions par fil entre tous les points d’appui. Mais une telle performance supposait de l’aviation un effort démesuré, qui poussait les hommes et le matériel au-delà des réglementations et de leur fonctionnement normal. Seule, semble-t-il, l’arrivée à Hanoi du secrétaire d’Etat à l’Air permit d’arbitrer la querelle qui se développait entre Salan et le général Chassin, responsable de l’armée de l’Air en Indochine. La bataille de Na San, qui se déroule dans les premiers jours de décembre 1952, fut gagnée par Salan. Mais il ne s’agissait que d’une « victoire défensive » - la France ne semblait plus pouvoir prétendre à autre chose en Indochine - , qui de plus avait absorbé, en un mois et demi et sur un seul point du territoire, « le quart des crédits aériens en heures de vol » 123.
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Cette stratégie sera remise en cause par le gouvernement Mayer, lors d’une réunion interministérielle tenue le 27 avril 1953 et alors que se préparait la dévaluation de la piastre. Une note préparatoire stigmatise cette « attitude constamment défensive, fondée sur de solides hérissons, placés sur des terrains choisis à l’avance. Cette méthode rappelle un peu 1870 et ses belles positions permettant des champs de tirs efficaces. Mais attaque-t-on le terrain ou l’ennemi ? » Une telle attitude « peut s’expliquer par deux raisons, poursuit la note. La première se justifie par la modicité de nos moyens. On peut rencontrer la seconde dans l’absence de direction précise provenant de l’échelon responsable de la conduite de la guerre, c’est-à-dire le ministre et, derrière lui, le gouvernement »124.
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Cette réunion « consacrée à l’examen de la situation militaire en Indochine », que Mayer organise donc à Matigon le 27 avril 1953, devait statuer sur la « demande de moyens aériens supplémentaires formulés par le général Salan » 125. Elle débouche sur un examen de « toute notre conception de la défense de l’Indochine ». Mayer et Pleven, en particulier, sont opposés à la multiplication des « hérissons ». Pleven et Juin
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dénoncent la conception statique qui les inspire et réclament d’être plus offensif. Le général Lechères, chef d’état-major de l’armée de l’Air, est finalement expédié en mission en Indochine, afin d’y étudier les moyens d’obtenir « un meilleur rendement des unités aériennes ». Il ramènera de son voyage la confirmation de l’idée que la tactique des « camps retranchés » du type Na San est « onéreuse en forces terrestres comme en heures de vol et de transport, et pas très au point ». Le général Salan, commandant en chef en Indochine, est alors virtuellement sur le départ... 92
Sur tous les plans se retrouve l’évolution technologique derrière le conflit, soit l’importance progressive prise par l’aviation au détriment de la Marine. Les tâches successives assurées par le Génie en sont une nouvelle illustration : ses unités avaient commencé à se battre autour des routes ; elles s’étaient transformées ensuite en bétonneur du delta ; elles organisent finalement la défense des pistes d’aviation. Mais il y a une différence en terme de coût : les « gouffres à tonnage » que sont les camps retranchés en haute région ne sont pas imaginables sans un important soutien matériel et, surtout, financier, à un moment où les budgétaires font la chasse aux économies, particulièrement sur le chapitre indo-chinois.
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Signalons pour mémoire que, dans les régions qu’il contrôle, le Viet Minh se réapproprie pour sa part les routes, que dans un premier temps il obstruait ou détruisait systématiquement : l’acheminement des hommes, du matériel et du ravitaillement autour des camps retranchés français, tout particulièrement de Dien Bien Phu, qui ressemble assez à un « super-Na San », oblige à ouvrir de nouveaux axes et à en réhabiliter d’autres. Celui qui relie Tuan Giao à Dien Bien Phu, qui n’était plus qu’une sorte de chemin muletier abandonné par tous depuis longtemps, fut réhabilitée par l’armée populaire à l’occasion de la bataille - elle permet aujourd’hui d’accéder par la route à la célèbre cuvette126. La mobilisation qui entoure la réforme agraire a sans doute rendu possible ces grands travaux : 2 millions de journées de travail ont permis l’ouverture de la route reliant Yen Bai, au fond du delta, à Son La, en haute région ; 2,6 millions de journées ont également permis de joindre par voie terrestre les zones militaires II et III de la Résistance, soit la moyenne et haute région d’une part, et la province de Thanh Hoa d’autre part, bastion inexpugnable depuis 1945 et qui commande le Centre Vietnam127.
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Les dépenses militaires reflétant les « moyens » que se donnent les armées, il apparaît ainsi, en dernière analyse, que les moyens d’une politique dépendent largement des objectifs de cette dernière : tout se passe comme si, de ce point de vue, la France n’avait pas eu les moyens de sa politique et que - ou parce que - elle n’avait jamais vraiment eu de politique indochinoise autre que conservatoire.
IV. LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES DÉPENSES 95
La diversité des monnaies en jeu donnait un caractère particulier aux dépenses militaires de la France pour la guerre d’Indochine. Une part de ces dépenses s’effectuait en francs, une autre en piastres, et certains achats étaient réalisés en devises, en particulier dans la zone dollar. Pour l’année 1953, par exemple, 41,6 % des dépenses ont été réalisées en métropole, donc en francs, 55,8 % en Indochine, c’est-à-dire en piastres, et le reste - soit 2,6 % - en devises128.
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Graphique 5. La répartition des dépenses militaires Indochine (1953)
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Les fortes dépenses liées à la guerre d’Indochine n’étaient donc pas indifférentes aux équilibres économiques et financiers existants, en particulier en termes de change. La question est ici de savoir par quels canaux ont circulé ces dépenses militaires et si, éventuellement, les flux ainsi générés n’entraînaient pas des coûts supplémentaires, en particulier pour la défense de la monnaie indochinoise.
A. LES DÉPENSES EN DEVISES 97
Dès le début de la guerre, une part des dépenses militaires de la France est réalisée en devises, ce qui profite au passage à quelques places extérieures : des crédits en dollars américains ont été ouverts par le ministère des Finances pour des achats à Manille ou aux États-Unis, en livres sterling pour des acquisitions à Londres et en roupies pour divers achats aux Indes ; accessoirement dans d’autres monnaies, le « strait dollar » de Singapour par exemple - à nouveau la zone britannique - ou encore le franc belge, comme pour l’achat en 1947 de pièces de chars américains et de casques en liège 129.
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D’une manière générale, ces achats en devises portent soit sur des produits que l’éloignement de la métropole rend nécessaire d’acquérir à l’étranger, soit sur des matériels dont les militaires ont besoin et que la France ne produit pas. Y figurent donc des vivres, farine américaine ou rations conditionnées en Inde, tout autant que des navires et des munitions. En 1947, 4,6 millions de cartouches de 7,7 mm et 5 000 bombes spéciales, seules adaptées aux appareils britanniques utilisés en Indochine, ont dû ainsi être achetées en devises130. Autre exemple, pour équiper les forces fluviales et amphibies, et les rendre aptes à patrouiller ou à intervenir dans les régions deltaïques, deux LCT à 83 000 dollars l’unité et douze LCA ou LCVP à 20 000 dollars pièce ont dû également être acquis pratiquement sur place131. «Aucun de ces bâtiments ni des rechanges (achetés avec), précise la communication ministérielle sur ce point, ne peut être trouvé dans les surplus en France ou acquis autrement que sur les stocks américains ou britanniques en Extrême-Orient ».
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Ces achats pèsent bien sûr sur les paiements français, quoique les montants en j eu ne soient pas très considérables : l’équivalent d’environ 50 milliards en francs constants (1953) entre 1946 et 1949, soit 8 à 9 % des dépenses militaires engagées sur cette période. La situation de 1946 était un peu particulière, car il a fallu pratiquement équiper de toutes pièces le corps expéditionnaire : les dépenses en devises comptent sans doute alors pour 10 à 15 % de l’ensemble des dépenses engagées, environ 4 milliards de francs courants132. Une proportion plus modeste s’établit par la suite : 7,5 % des dépenses militaires en 1947, pour près de 4 milliards de francs courants à
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nouveau133; environ 7 % pour 1948, pour 5 à 6 milliards134; et si l’on conserve, par hypothèse, cette proportion de 7 % pour l’année 1949, faute de sources suffisantes pour préciser davantage, les dépenses en devises se situeraient alors entre 9 et 10 milliards de francs courants. 100
Au-delà de 1949, les fournitures américaines reçues au titre de l’aide se substituent largement aux achats en devises, sauf pour des produits comme les carburants. Le directeur des Finances extérieures, Guillaume Guindey, s’est d’ailleurs, on le sait, dès 1950 efforcé d’orienter dans ce sens l’aide américaine qui s’annonçait : « la tendance naturelle du ministère de la Défense, prévint-il alors, sera de demander uniquement du matériel militaire supplémentaire. [...] Il semble que nous devions nous opposer à cette tendance » et tout faire, poursuit-il en substance, pour alléger les crédits en matériel inscrits au budget, et dont un bon nombre ne peut être dépensé qu’en devises 135. De fait, une partie des dépenses précédemment effectuées en devises se fit ensuite aux ÉtatsUnis sur le compte de l’aide américaine.
B. LES DÉPENSES EN FRANCS 101
Une bien plus grande part des dépenses militaires est cependant effectué dans la zone franc, et d’abord en France même. Une petite moitié des dépenses militaires, entre 40 et 50 % selon les années, est réalisée en métropole. Les dépenses les plus importantes concernent l’entretien et l’équipement du corps expéditionnaire, ainsi que des armées nationales. Dans ce second cas, en 1951 par exemple, 36 % de l’aide militaire française aux États associés, soit 11,3 milliards de francs sur un total de 31 milliards fournis cette année-là, ont été dépensés en France.
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Les dépenses réalisées en métropole relèvent de toutes les catégories. Il s’agit surtout d’achats de matériel : sur 250 000 tonnes de matériel reçues au port de Saigon en 1951, 175 000 tonnes venaient de France, soit 70 %, 50 000 autres tonnes arrivant des ÉtatsUnis136- les frais de transport étant payés directement en métropole. Les traitements quant à eux ne sont pas concernés, à l’exception d’éventuelles délégations de solde. Avec les mesures accompagnant la dévaluation de la piastre en 1953, une partie des rémunérations sera aussi bloquée en francs : l’indemnité compensatrice résultant de la perte de change était affectée à la constitution d’un pécule rendu seulement disponible au retour des militaires en métropole137.
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Dans ces matériels acheminés en Indochine par bateau figurent à la fois des équipements militaires et des produits d’intendance, car tout dans ce domaine ne vient tout de même pas du monde anglo-saxon. Des armements et du matériel d’optique ont été produits ou achetés en France. L’industrie métropolitaine parvient en effet ponctuellement à satisfaire la demande militaire, comme dans l’exemple apparemment anodin des piles électriques, indispensables au fonctionnement des appareils de transmission dont on a dit l’importance sur le terrain : le général Babet, qui se plaignait de la qualité des livraisons américaines, citant volontiers l’arrivée à Saigon de deux cargos pleins de piles à la limite de la conservation, se félicite du fait que « l’industrie française des piles, lente à démarrer, finit par couvrir nos besoins » 138. L’intendance, quant à elle, se fournit largement en France même : l’habillement des troupes en vient presque en totalité ainsi qu’une bonne partie des vivres ; et, par exemple, 44 000 tonnes de produits alimentaires ont été livrées en 1951 au port de Saigon, soit le quart de ce que ce port recevait alors de France139.
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La question des vivres, liée à la fois aux habitudes alimentaires et aux possibilités locales de production, est un indicateur utile du fonctionnement du corps expéditionnaire. L’intendance s’efforce d’entretenir sur place six mois de stocks. Pour la viande par exemple, les besoins s’élevaient en 1951 à 23 000 tonnes et les ressources locales à seulement 18 000 : 5 000 tonnes étaient donc demandées à la métropole. Outre 3 600 moutons vivants nécessaires au bon déroulement des fêtes musulmanes, pour environ 100 tonnes, l’approvisionnement se répartit entre 1 700 tonnes de viande en conserve et de 3 200 tonnes de viande congelée et désossée. La question de la chaîne du froid est ici centrale : deux bateaux frigorifiques, le Jamaïque et le Campana, de 1 100 et 1 200 tonnes chacun, faisaient périodiquement le voyage entre les ports de Marseille et de Saigon, avec relais vers le Nord. Sur place, 24 camions isothermes - dont 23 au Tonkin... - assuraient la distribution140. On comprend, dans ces conditions, et indépendamment du surcoût du Nord, l’avantage qu’il y avait à manœuvrer des troupes recrutées localement.
C. LES DÉPENSES EN PIASTRES 105
C’est néanmoins sur l’Indochine - donc en piastres - que se déversait la majeure partie des dépenses militaires, ce qui est assez logique. Globalement, indique-t-on au Trésor, « on peut estimer à 50 % de ces dépenses globales le montant des dépenses effectuées en piastres en Indochine»141. Une évaluation réalisée à partir d’autres documents du Trésor, portant sur les années 1946 à 1951, donne pratiquement le même résultat 142: durant ces six années, 49,4 % des dépenses militaires totales ont été effectuées sur place. Dans les dernières années de la guerre, les dépenses militaires sont nettement plus fortes en Indochine qu’en France. En 1953, elles se situent à 55 % du total ; en 1954 elles dépassent 60 %, 272 milliards de dépenses ayant été réalisées en Indochine contre 169 milliards en France143. Dans cette dernière année de la guerre, qui s’achève au milieu de 1954, les dépenses du corps expéditionnaire avaient il est vrai diminué, alors q u ’ à l’inverse celles des armées nationales, qui s’approvisionnaient plutôt moins en France, avaient continué d’augmenter.
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Dans les dépenses militaires effectuées localement, tous les chapitres sont cette fois représentés. Comme le résume une étude réalisée à la fin du conflit, mais reflétant une donnée qui lui a été permanente, « le gouvernement français doit faire face en Indochine au paiement de la solde des militaires, à l’achat des produits du cru, au règlement des dépenses de travaux, logements ou transports » 144- tous domaines qui ont connu un fort accroissement tout au long de la guerre. Conformément à ce qui a déjà été indiqué, le poste essentiel de ces dépenses est constitué par les traitements et soldes : « on considère que bon an mal an, précise Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, les dépenses de personnel représentent la moitié des dépenses de la France en Indochine »145. Les « produits du cru », pour reprendre cette expression, complètent quant à eux les importations de vivres : 50 000 tonnes de riz en 1951, du bétail sur pied, dont 35 000 bœufs la même année, du poisson sec et divers autres produits. Pour le fonctionnement des services, l’ameublement est pour l’essentiel fabriqué avec du bois acquis en Indochine : au rythme de 10 m 3de bois traité par jour, 50 000 meubles ont ainsi été réalisés dans cette même année 1951146. Quand aux travaux du Génie, et en particulier aux fortifications décidées par de Lattre, ils étaient évidemment effectués
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avec des matériaux locaux, ce qui, comme il a déjà également été indiqué, n’allait pas sans poser divers problèmes. 107
Les ressources et services locaux, en général acquis à faible coût, ont-ils été suffisamment utilisés ? Dans le domaine de l’habillement, l’intendance ne s’appuie que très peu sur les industries indochinoises. Les tissages du Tonkin et les tanneries locales, complétés par les ateliers du corps expéditionnaire, ont certes produit de dizaines de milliers de paires de brodequins et des centaines de milliers de vêtements de toile et de chaussures légères, à un prix évidement inférieur à leurs équivalents français. Mais la capacité de production restait modeste, et le rythme trop lent pour les besoins militaires147. En règle générale, les parlementaires chargés de contrôler l’utilisation des fonds publics étaient cependant très attentifs à la valorisation des possibilités locales, y compris de celles relevant du corps expéditionnaire. La rénovation d’un GMC par exemple, note le rapport Pineau à propos de ce camion militaire tous usages, pour la troupe ou le matériel, coûte en France 1,25 million et nécessite un délai de deux ans, alors que le même travail effectué sur place revient presque deux fois moins cher 700 000 francs - et ne prend que deux ou trois mois. Une gestion insuffisamment pensée de la maintenance a bien sûr son propre coût...
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Ces dépenses militaires réalisées en Indochine n’allaient pas cependant sans poser de sérieux problèmes : augmentant plus vite que leur financement budgétaire, elles entraînaient sur place le recours à l’inflation, ce qui générait en retour des transferts financiers vers la France. Nous reviendrons sur cette importante question. Notons en attendant que la charge de couvrir les transferts d’Indochine vers la France retombait à Paris sur le Trésor. Tant que ces « retours » ne dépassaient pas les crédits votés pour être dépensés en Indochine, un équilibre s’établissait. Sinon, le Trésor devait payer, comme cela s’est produit en 1949 et 1950. En 1949, les dépenses en Indochine se sont en effet élevées à 116 milliards de francs, une petite part étant couverte localement. Les charges supportées par le Trésor au titre des transferts s’élevaient de leur côté à 105 milliards de francs. Mais la part du budget français prévue pour financer les dépenses militaires en Indochine n’en représentait que la moitié : comme le précise une des notes-clés de cette période, « le Trésor aura dû en 1949 financer par ses propres moyens des dépenses s’élevant à plus de 55 milliards de francs... » 148. Mais ce coût caché ne semble pas avoir été durable.
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Tableau 6. Total des transferts d’Indochine en France de 1947 à 1952 (en milliards de francs)
Source : Rapport Mondon, Assemblée nationale n° 8681. 109
La direction du Trésor en a cependant profité pour développer une réflexion sur les flux financiers entre l’Indochine et la France générés par la guerre. Une note de cette époque s’intéresse justement aux « Incidences sur la trésorerie des dépenses inflationnistes faites en Indochine »149. Constatant l’existence d’un « point de saturation monétaire » dans les Territoires d’outre-mer de la zone franc, au-delà duquel « toutes les dépenses inflationnistes se traduisent automatiquement par des transferts de fonds vers la France », et que ce point de saturation monétaire était dépassé en Indochine, la note constate que ces dépenses inflationnistes « concernent en premier lieu l’entretien du corps expéditionnaire ». Les ressources locales suffisant « à peine à couvrir les besoins de la population civile », la consommation des troupes ne peut être satisfaite que par des importations « qu’il faut bien payer en francs ». S’y ajoutent d’autres modes de transfert : « Qu’elles concernent des travaux ou l’entretien des services administratifs, ces dépenses entraînent, par le canal des achats de matériaux, de la consommation ou de l’envoi des économies de fonctionnaires, des transferts sur la France d’un montant presque équivalent ».
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Globalement, sur l’ensemble de la période allant de 1946 à 1953, les deux grands flux financiers - dépenses militaires de la France en Indochine et transferts piastres-francs semblent à peu près s’équilibrer, nous y reviendrons également. Il reste que le Trésor a dû un temps financer discrètement certaines dépenses et qu’il devait en permanence veiller à l’équilibre de paiements, qui garantissaient la position de la piastre. Toute la question des dépenses militaires, bien sûr, est en effet de leur faire correspondre des ressources équivalentes.
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NOTES 1. Divisions navales d’assaut, unités spécialement conçues pour intervenir à l’intérieur des régions deltaïques du Mékong et du fleuve Rouge. 2. Fiche sur la « situation des forces armées en Extrême-Orient au 30 avril 1954 », SHAT, 1 R 239. 3. Projet de loi du 29 avril 1948 fixant les dépenses militaires pour l’exercice en cours, n° 4059. Archives de l’Assemblée nationale. 4. Projet de budget 1954, Forces terrestres d’Extrême-Orient (ministère de la Défense nationale et des Forces armées) n° 7 352. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 63. 5. Rapport Bousch sur les crédits 1954 du ministère de la Défense nationale et des Forces armées. Conseil de la République, n° 165.Voir annexe 24. 6. Dans les « situation d’ensemble des effectifs », tableaux régulièrement tenus à jour par le commandement en chef des forces armées en Extrême-Orient, les « effectifs probables » pondèrent les « effectifs mécanographiques » par la prise en compte mensuelle de l’arrivée de renforts, des rapatriements et des pertes. Une partie de ces tableaux figure dans les papiers du Trésor. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 7. Comité de défense nationale du 15 octobre 1951. 8. Lettre d’arbitrage du président du Conseil René Pleven au général de Lattre, sur le budget des dépenses militaires pour 1952, annexée au rapport parlementaire Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 64. 9. Le colonel Gilbert Bodinier, du SHAT, dans Indochine 1947, règlement politique ou solution militaire, Paris, 1989. 10. Relevé annuel totalisant la relève et les renforts envoyés en Indochine. SHAT, 1 R 239. 11. Rapport Pineau sur l’emploi des crédits militaires en Indochine, janvier 1952. 12. FTEO en moyenne annuelle, 165 000 hommes; supplétifs, 46 000 hommes; personnel civil permanent, 18 000 hommes. 13. Note pour le ministre, préparatoire à une réunion interministérielle sur le sujet, 1949, AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 14. Note pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 15. Les militaires présents en Indochine étaient payés en piastres. 16. Décrets du 25 juin 1953 et circulaire d’application du ministre des Finances du 13 août 1953. Décret complémentaire du 17 août 1953. 17. Propos rapportés par Le Monde, 18 décembre 1952. 18. Michel Bodin, «Le moral des militaires français du corps expéditionnaire en Extrême- Orient, 1945-1954». Les guerres d’Indochine de 1945 à 1975. Les Cahiers de l’IHTP n° 34, juin 1996. 19. Michel Bodin, « Le moral des militaires français... », op. cit. 20. Selon Le Monde du 29 décembre 1951. Un colonel 2 e échelon touchait 201 876 F à Saigon et 246 440 F en Somalie ; un capitaine célibataire 3 e échelon 142 500 F à Saigon et 168 292 F en AEF. 21. Lettre du général Navarre au secrétaire d’État à la Guerre, 3 novembre 1953, sur les « personnels inutilisables en Indochine ». SHAT, 2 R 96. 22. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit. 23. « Week-end à Dien Bien Phu », Le Monde, 14-45 février 1954. 24. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994. 25. Accord du 8 mars 1949 avec le Vietnam (Bao Dai) et traité du 8 novembre 1949 avec le Cambodge. 26. Assemblée nationale, rapport Devinat du 15 avril 1953 sur la mission d’information en Indochine exécutée du 19 janvier au 20 février. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R64. 27. Dits « à solde progressive » (caporaux et soldats).
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28. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 29. Fiches sur l’évolution de l’armée nationale vietnamienne, de l’armée royale khmère et de l’armée nationale laotienne. SHAT, 14 H 72 et Fiche sur la situation des forces armées en Extrême- Orient au 30 avril 1954. SHAT, 1 R 239. 30. Assemblée nationale, rapport Devinat du 15 avril 1953, op. cit. 31. Rapport Juin de 1953, faisant suite à sa mission du 13 février au 7 mars 1953 en Corée et en Indochine. Il s’agissait de sa troisième mission, et de son troisième rapport sur la question depuis le début de la guerre. SHAT, 1 Κ 238 et Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 32. Titre d’une note adressée au commandant en chef en Indochine, alors Salan, qu’il signe le 30 avril 1953. SHAT, 14 H 72. 33. Henri Navarre, Agonie de l’Indochine, Paris 1956. Ce dernier fait en particulier état des renseignements français en mai 1953: 125 000 réguliers (ils étaient 80 000 en 1949), 75 000 régionaux et 150 000 guérilleros. 34. Salan — le « mandarin » — assure l’intérim de De Lattre après la mort de ce dernier, comme il l’avait fait en 1948 après le départ de Valluy, mais il est cette fois lui-même nommé commandant en chef en avril 1952 et le reste un an, jusqu’à la nomination de Navarre, en mai 1953. 35. Général Navarre, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. Il cite la conférence de presse de Salan du 24 février 1952, développant cet argument. Les pertes Viet Minh à Hoa Binh ont été estimées à 3 500 tués, 7 000 blessés et 307 prisonniers. 36. Les pertes Viet Minh ont été estimées pour Na San à 3 000 tués et blessés. Général Navarre, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 37. Bernard Fall, Le Viet Minh, Cahiers de la FNSP, Paris, 1960. 38. Rapport Juin de 1953, op. cit. 39. Crédits militaires dans les budgets des années considérées. Archives de l’Assemblée nationale. 40. 4 898 millions de francs exactement. Chapitres 37-84 et 37-85 du budget. Archives de l’Assemblée nationale. 41. Le Monde, 21 novembre 1966. 42. État des pertes en Indochine, de 1945 à 1954, établi au 11 décembre 1961. SHAT, 1 R239. 43. Le Monde, 18 décembre 1952. 44. 1 456 millions de francs exactement. Compte 46-11 du budget. Archives de l’Assemblée nationale. 45. Rapport de mission de l’état-major de l’Armée en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R64. 46. Budget militaire du ministère de la France d’outre-mer, n° 4 059, Archives de l’Assemblée nationale. 47. Entre 547 et 568 milliards de francs selon les sources. Documents budgétaires. Archives de l’Assemblée nationale. 48. 586 à 589 milliards de francs selon les sources. Documents budgétaires. Archives de l’Assemblée nationale. 49. Projet de loi relatif aux crédits des FTEO pour 1954. Archives de l’Assemblée nationale. 50. Évaluation réalisée à partir d’une fiche de l’état-major des TFEO du 17 février 1947 : « Consommations de munitions des TFEO pendant le 2 e semestre 1946 ». SHAT, 4 Q 113. 51. Évaluation à partir des données fournies par le rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 52. Direction du matériel des TFEO, fiche n° 9 sur « l’armement français existant au 17 février 1947 ». SHAT, 4 Q 113. 53. Lesquels 95 % sont à 51,7 % britanniques et à 43,3 % américains. Direction du matériel des TFEO, fiche n° 8 sur « l’état des véhicules automobiles existant actuellement dans les TFEO », 17 février 1947. SHAT, 4 Q 113. 54. Lettre du 17 octobre 1947 adressée par le vice-amiral Battet, commandant supérieur p. i. des TFEO, au président du Conseil des ministres. SHAT, 4 Q 114.
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55. Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’étatmajor général des armées, du 11 mai au21 juin 1949. SHAT, Fonds Revers, 1 K 331. 56. Note de l’état-major du Commandement en chef des forces terrestres, op. cit. 57. Note du 22 avril 1952. Archives du ministère des Affaires étrangères, AO/IC/264. 58. Note de l’état-major du Commandement en chef des forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953, SHAT, 10 H 154. 59. Télégramme « réservé absolu » du 30 mai 1954. SHAT, 10 H 155. 60. Pour 1951 et 1952 surtout, note de la DAM au ministre à propos du budget 1953, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65. Pour 1953, il s’agit partiellement de projections, mais que les sources ultérieures n’infirment pas. 61. 157 932 sauf erreur. D’après la fiche n° 9 de la direction du Matériel des TFEO sur « l’armement français existant au 17 février 1947 ». SHAT, 4 Q 113. 62. 870 807 exactement. Rapport de mission du général Pommeret, directeur central du matériel, en Indochine du 9 au 25 mars 1954. SHAT, 2 R 64. 63. Note de la direction des Affaires militaires au ministre à propos du budget 1953, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65. 64. C’est également un marin, Henri Martin, qui incarnera peu après, en pleine guerre d’Indochine, la résistance communiste à l’engagement français. 65. Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, ministère de la Défense, mai 1954. SHAT, 1 R 239. 66. 24 % exactement. Rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 67. 47 135 tonnes. Rapport Pineau, op. cit. 68. Indépendamment de l’aviation embarquée, le coût de l’ Arromanches en personnel et combustible revient sur une année à environ 600 millions de francs. Note sur les demandes de renforts de De Lattre du 13 février 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43. 69. Ministère de la Défense nationale — secrétariat d’État à la Marine/cabinet militaire. Fiche n° 26 du 17 mai 1954 : « renforts envoyés en Indochine depuis six ans (mai 1948-mai 1954) et depuis le plan Navarre (octobre 1953) ». SHAT, 1 R 239. 70. Ministère de la Défense nationale - secrétariat d’État à la Marine/cabinet militaire. Fiche n° 26 du 17 mai 1954, op. cit. 71. Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, ministère de la Défense, mai 1954. Voir annexe 22. 72. Rapport Pineau, op. cit. 73. Les chiffres de 1954 ont été fournis par le ministre de la défense René Pleven lors de son intervention du 8 juin 1954 à l’Assemblée nationale. Il indique en particulier que le nombre des appareils militaires en service en Extrême-Orient est passé de 441 au 1 erjanvier à 661 au 1erjuin 1954. Il englobait dans ce chiffre les appareils de l’aéronavale mais pas les avions de transport civil ni les nouveaux avions prêtés par les Américains avant Dien Bien Phu. SHAT, 1 R 239 et Journal officiel. 74. Francs 1954. Tableau des dépenses militaires, op. cit. 75. Fiche sur le matériel aérien utilisé en Indochine, SHAT, 1 R 239. 76. SHAA, Ε 1419. Cité par Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air et la guerre d’Indochine (1945-1954)», Matériaux pour l’histoire de notre temps n° 29, octobre-novembre 1992. 77. Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air... », op. cit. 78. Fiche sur le matériel aérien, op. cit. 79. Des Martinet et Morane 500. 80. 16 Junjer 52 et de 9 C 47 Dakota. 81. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 82. 50 P53 Kingcobra, remplacés en 1952 par des F8F Bearcat, des Dakota, 60 bombardiers B26 Invader, sans compter les appareils de l’aéronavale, Privateer, Hellcat et Helldriver.
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83. Fiche sur le matériel aérien, op. cit. 84. Rapport Pineau, op. cit. 85. Rapport Pineau, op. cit. 86. Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air... », op. cit. 87. Deux au Vietnam Sud (Tan Son Nhut-Saigon et Bien Hoa), deux au Centre (Tourane et Nha Trang), quatre au Nord (Bach Mai, Cat Bi — Haiphong, Gia Lam — Hanoi et Do Son), une enfin au Laos (Seno). Rapport Pineau, op. cit. 88. Notes d’information. SHAT, 1 R 239. 89. Philippe Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981 90. Rapport Pineau, op. cit. Les C l19 américains, de plus forte capacité, seront utilisés en 1953, mais dans des circonstances particulières. 91. Note de 1954 du général Jousse. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31. 92. 700 millions de francs en 1951 et 800 en 1952. Rapport Pineau, op. cit. 93. Accord du 8 mars 1949 avec le Vietnam et du 8 novembre 1949 avec le Cambodge. 94. Signé le 20 décembre 1950. 95. Évaluation à partir d’un tableau des dépenses militaires pour l’année 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 96. Télégramme de Pignon à la mission des États associés aux États-Unis, 19 octobre 1950. Duplicata Archives des Affaires étrangères, AO/IC/263. 97. Note sur les dépenses en 1953 et les prévisions pour 1954. SHAT, 2 R 65. 98. Des MD 315. Fiche sur le matériel aérien, op. cit. 99. Fiche datée de Saigon, le 10 mars 1950, précisant le « genre de mission accomplie par chaque force ». SHAT, 10 H 154. 100. Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’étatmajor général des Forces armées, du 11 mai au 21, juin 1949. SHAT, Fonds Revers, 1 Κ 331. 101. Intervention de François Mitterrand au Centre d’études de politique étrangère, le 9 avril 1954. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31. 102. Procès-verbal de la réunion du Comité de défense nationale du 12 juillet 1948. SHAT, 2 R 63. 103. Fiche datée de Saigon, le 10 mars 1950, précisant le « genre de mission accomplie par chaque force », op. cit. 104. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, Hanoi, 1994. 105. Commandant des transmissions interarmées et des Forces terrestres en Indochine, le général Babet est l’auteur d’un article sur les transmissions dans la guerre d’Indochine, dans la Revue historique des armées n° 1, 1967, partiellement repris dans Ph. Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981. 106. Article sur les transmissions en Indochine, dans la Revue historique des armées n° 1, 1967, op. cit. 107. Nombre de postes radio-électriques (au 1erjanvier de chaque année): 6 000 en 1951, 12 000 en 1952, 24 500 en 1953, 32 500 en 1954. Pour ce dernier chiffre, il s’agit dans la source utilisée de prévisions. Note du directeur des Affaires militaires au ministre des États associés, préparatoire à la discussion budgétaire. SHAT, 2 R 65. 108. Rapport de la Mission de contrôle de l’exécution du budget en Indochine, dirigée par l’Inspecteur général Gayet, 6 janvier 1947. CAOM, FM, Indo/NF/1368. 109. Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, op. cit. 110. Rapport Juin de 1953 (mission en Corée et Indochine). SHAT, 1 Κ 238 et Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 111. « Meet the Press », émission du 16 septembre 1951 de la NBC. Maréchal Jean de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Indochine 1951, Paris, 1988. 112. Fiche du 19 mai 1954 du secrétaire d’État à la Guerre, émanant de son état-major particulier. SHAT, 2 R 230.
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113. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 114. Général Gazin, études parues dans la Revue historique des armées, 1955-4 et 1966-1. Extraits sous le titre « Logistique et stratégie », dans Philippe Héduy, La guerre d’Indochine, 1945-1954, SPL, Paris, 1981. 115. Elles passent de 233 à 341,6 milliards de francs (constants). Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, mai 1954. Voir annexe 22. 116. Rapport particulier sur les investissements relatifs aux travaux du Génie en Indochine, 31 mars 1954. SHAT, 2 R 230. 117. Le carton dans lequel figure ce graphique ayant été autorisé à la consultation sans possibilité de photocopie, il n’a pu être reproduit ; les données à partir desquelles il a été construit n’étaient par ailleurs pratiquement pas fournies. Rapport particulier sur les investissements relatifs aux travaux du génie en Indochine, 31 mars 1954. SHAT, 2 R 230. 118. Lettre du président du Conseil au haut-commissaire de France en Indochine et commandant en chef en Extrême-Orient, annexée au rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 64. 119. Maréchal Jean de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Indochine 1951, op. cit. 120. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 121. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994. 122. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. 123. Général Lechères, chef d’état-major général de l’armée de l’Air, lors de la réunion interministérielle du 27 avril 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 124. Note sur l’Indochine du 25 avril 1953, sept pages non signées. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 125. Autour de Mayer étaient présents Bidault, Letourneau, Dupraz, Pleven, Mons, le maréchal Juin, les généraux Lechères et de Beaufort, Donnedieu de Vabres, le commandant Callet. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 126. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994. 127. Nguyen Khac Vien, Le Vietnam contemporain, Hanoi, 1981. 128. Réponse à un questionnaire américain de 1953. Archives MAE, AO/IC/265. 129. Lettre du ministre des Finances au président du Conseil, 21 avril 1947, sur les crédits en devise pour le CEFEO - 1ersemestre. SHAT, 4 Q 114. 130. Lettre du ministre de l’Air au président du Conseil, 11 mars 1947. SHAT, 4 Q 114. 131. Lettre du ministre de la Marine au ministre des Finances, 25 février 1947. SHAT, 4 Q 114. 132. État-major de la Défense nationale, 9 mars 1946, Fiche sur les crédits en devises étrangères à la disposition du corps expéditionnaire d’Indochine. SHAT, 4 Q 114. Les sources consultées ne sont cependant pas continues pour l’année 1946. 133. Lettres d’attribution de crédits en devises, du ministre des Finances, du 21 avril 1947 pour le premier semestre et du 21 octobre 1947 pour le second. SHAT, 4 Q 114. 134. Évaluation à partir d’un «tableau récapitulatif des crédits devises» pour le 2 e semestre 1948. 135. Note pour le ministre, 23 février 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 136. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 137. Télégramme des États associés du 22 mai 1953, AEF, Fonds Trésor, Β 43919 et Décret n° 53-588 du 25 juin 1953. JO du 27 juin 1953. 138. Revue historique des armées, n° 1, 1967. Extrait dans Ph. Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981. 139. Rapport Pineau, op. cit. 140. Rapport Pineau, op. cit. 141. Note de 1953 sur le problème des transferts de l’Indochine vers la France — « à titre personnel pour M. Mondon ». AEF, Fonds Trésor, Β 43917.
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142. Calculs effectués à partir d’un tableau synthétique des « Opérations du Trésor en Indochine », figurant dans plusieurs cartons du Fonds du Trésor, notamment Β 33539. 143. Selon un tableau portant sur les dépenses de guerre comparées en 1953 et 1954, signé de l’intendant Lavergne. AEF, Fonds Trésor, Β 33 541. 144. « Structure économique et monétaire des États associés d’Indochine », 26 février 1954. Voir annexe 21. 145. Dans une discussion devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, où il accompagnait le directeur du Trésor Schweitzer, le 27 octobre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 146. Rapport Pineau, op. cit. 147. Rapport Pineau, op. cit. 148. Note du 21 novembre 1949, reprise notamment le 24 juillet 1950 avec de nouveaux chiffres. AEF, Fonds Trésor, Β 43925 et 33539. 149. Note « Incidences sur la trésorerie des dépenses inflationnistes faites en Indochine » du 24 juillet 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. Voir annexe 3.
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Chapitre V. Les ressources
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Le problème du financement des dépenses militaires s’est posé dès le début du conflit mais, dans un premier temps, on le sait, la France a pu faire face par elle-même au défi que représentait la prolongation de la guerre. Les choses changent à partir de 1949 quand, d’une part la « menace chinoise » ajoute aux tensions et que, d’autre part, la France entreprend un important réarmement dans le cadre européen et atlantique. La guerre d’Indochine devient alors progressivement l’ennemi n°1 des budgets – d’autant plus que nul n’envisage sérieusement qu’elle puisse être gagnée – et son financement s’internationalise.
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Il y a plusieurs manières d’analyser la question des ressources mises en face des dépenses militaires. On distinguera d’abord les ressources budgétaires, celles des belligérants du moins : le contribuable français est sollicité du début à la fin du conflit. Les budgets locaux sont également mis à contribution : ils deviennent autour de 1950 les budgets des États associés. Pour faire face au dérapage des coûts, quelques ressources non-orthodoxes sont utilisées, qui vont de l’émission monétaire à l’opium. Mais ce sont les ressources extérieures qui vont progressivement alimenter la continuation de la guerre, aide chinoise d’un côté, américaine de l’autre. Dans ce dernier cas, il s’agit sans doute aussi de ressources budgétaires mais, pour la commodité de l’analyse, nous les distinguerons des autres.
I. LES RESSOURCES BUDGÉTAIRES 3
Les moyens mis en œuvre pour faire la guerre d’Indochine ont d’abord été, et sont essentiellement restés, d’ordre budgétaire. Ressources budgétaires locales dans un premier temps : les forces armées du Viet Minh d’une part, la France et les États associés d’autre part y ont largement puisé mais, compte tenu de l’ampleur prise par les combats, celles-ci ne pouvaient suffire. Pour donner au corps expéditionnaire les moyens de contenir l’influence du Viet Minh, à défaut de pouvoir l’éliminer, le budget français s’est donc trouvé mis à contribution, dans les conditions un peu particulières, il est vrai, de la IVe République.
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A. LA CONTRIBUTION DU BUDGET FRANÇAIS 4
La France consacre à la guerre d’Indochine une part respectable de son budget, entre 6 et 10 % selon les années, le taux le plus fort ayant été atteint en 1949, avec un peu plus de 10 % de l’ensemble des dépenses françaises. Même si l’on considère que la période proprement dite de reconstruction est alors achevée, cela représente tout de même un sérieux boulet pour les finances publiques. Tableau 7. Crédits budgétaires français employés pour la guerre d’Indochine
Source : Assemblée nationale et Conseil de la République. 5
La croissance des crédits français employés pour la guerre d’Indochine est spectaculaire, comme le montre le tableau ci-dessus, établi à partir de données parlementaires1 : après avoir connu une augmentation d’abord modeste, dans les premières années du conflit, ils s’envolent littéralement autour de 1950 – l’année de la plus forte croissance des crédits militaires – et jusqu’en 1952, date à laquelle le reflux commence à être constaté. C’est en préparant le budget de cette année 1952 que, rue de Rivoli, Roger Goetze avait considéré l’effort financier consacré à la guerre d’Indochine « proprement insupportable » et suggéré à demi-mots d’en transférer substantiellement la charge sur les États-Unis2. À partir de cette date, l’aide financière des États-Unis vient en atténuation des crédits votés. Précisons que la part des crédits Indochine dans l’ensemble des crédits militaires français, qui s’établit à 26 % sur la période, connaît la même évolution : une très forte augmentation jusqu’en 1949-1950 puis un net repli, lié à la mise en œuvre de l’aide américaine.
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Les conditions dans lesquelles sont votés les crédits militaires ne manifestent pas, cependant, une gestion budgétaire toujours très rigoureuse. Alors que la guerre d’Indochine est déjà commencée quand la IVe République a vu le jour, celle-ci mettra plusieurs années à roder ses propres procédures : chaque budget annuel, qui aurait dû être voté comme un document unique, l’est finalement par chapitres ministériels. Pour le financement de la seule guerre d’Indochine, les députés devaient également se prononcer non pas sur un mais sur plusieurs budgets : celui des Forces terrestres d’Extrême-Orient (FTEO), qui mobilise la plus grande masse de crédits, mais aussi ceux de l’armée de l’Air et de la Marine. S’y ajoute à partir de 1951 une subvention destinée aux États associés, afin qu’ils puissent développer leurs « armées nationales ». Autant
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de documents volumineux et parfois complexes : le seul budget 1954 des FTEO comporte 46 chapitres et 83 pages3. Graphique 6. Les inscriptions budgétaires françaises pour l’indochine (en milliards de francs 1953)
Source : Assemblée nationale et Conseil de la République. 7
Le calendrier budgétaire prit aussi, en particulier les premiers temps, un caractère quelque peu irréel. Le budget de 1946 n’est adopté que fin 1947. Pour cette dernière année, les dépenses militaires d’Indochine sont votées fin mars, mais la machine parlementaire se grippe en 1948 : il faut attendre la fin du mois d’août pour voir l’adoption des crédits militaires4. Les choses s’améliorent en 1949, grâce à un vote acquis au printemps. Le Parlement a cependant déjà pris l’habitude, en attendant l’adoption d’un texte définitif, de recourir aux « douzièmes provisoires » pour satisfaire les demandes militaires. Les procédures se normalisent dans les années suivantes, avec des lois de finances votées en début d’année. Mais le Parlement avait entre-temps pris une autre habitude : celle de recourir aux « collectifs » budgétaires pour compléter les lignes de crédit déjà acceptées, à charge pour les députés de régulariser l’affaire ultérieurement ; les derniers crédits militaires pour l’année 1950 ont ainsi été adoptés par l’Assemblée nationale en mai 1951.
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Ces modalités annexes – douzièmes provisoires ou provisionnels, collectifs budgétaires... – compliquaient le travail parlementaire : elles ont été périodiquement dénoncées. En 1949, Le Figaro estimait que le régime des douzièmes provisoires, qui donnaient aux militaires les moyens de fonctionner pendant un ou deux mois, mais sans perspective globale, augmentait les dépenses militaires de 20 % 5. Dans son étude sur la IVe République, Jacques Julliard dénoncera également cette pratique au chapitre « Indochine ». « De 1947 à 1956, précise-t-il, en l’espace de cent huit mois, on a voté cinquante-six douzièmes militaires, contre vingt-trois douzièmes civils : chiffre considérable, qui montre combien la poursuite de la guerre coloniale a aggravé les conséquences des mauvaises méthodes de travail parlementaire. La pratique des douzièmes provisionnels fut complétée par celle des collectifs budgétaires, poursuit-il,
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c’est-à-dire l’approbation globale et a posteriori de dépassement des crédits militaires autorisés par décret »6. 9
La question de la transparence des budgets militaires se pose d’ailleurs du début à la fin de la période. Avec les armées, « le coût réel n’est jamais avoué », note en 1948 une étude déjà citée sur le coût de la guerre7. En 1954, faisant le point sur le budget, une note de la direction des Affaires militaires (DAM) le rappelle a contrario : « On peut affirmer, peut-on y lire, que le budget des dépenses militaires françaises en Indochine, ainsi établi, est absolument sincère et complet »8 – ce qui laisse au moins supposer que cela n’a pas toujours été le cas...
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Le fonctionnement parlementaire précédemment évoqué ne favorisait pas non plus le débat sur le fond de la question, comme il put y en avoir en 1950 ou en 1954, après Cao Bang et Dien Bien Phu, mais un peu tard. La réflexion sur la guerre d’Indochine semblait aussi fragmentée que l’adoption des crédits votés pour la mener. Peut-être estce la raison pour laquelle il n’y a pas eu, dans l’hémicycle, de problèmes politiques majeurs à son propos : le vote des crédits militaires n’a jamais été vraiment remis en cause par les députés. Les communistes ne les ont certes jamais votés : en mars 1947, on le sait, après avoir annoncé qu’ils s’y opposeraient, ils s’étaient finalement abstenus, évitant à la IVe République sa première crise politique ; ils votèrent systématiquement contre par la suite, après leur départ du gouvernement Ramadier le 5 mai 1947. Mais ils seront les seuls. Il faudra attendre en effet sept ans – mars 1954 – pour qu’un autre groupe parlementaire, celui de la SFIO, émette à son tour un vote hostile : les députés socialistes refusèrent alors les crédits militaires demandés par le gouvernement Laniel – ce qui n’empêcha d’ailleurs pas ces derniers d’être adoptés par 403 voix contre 203.
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À lieu d’en être l’occasion, la discussion budgétaire avait d’une certaine manière tendance à se substituer au débat politique. C’est ainsi qu’en novembre 1952 le socialiste Alain Savary réussit à bloquer la discussion budgétaire relative aux États associés en faisant voter la question préalable, ce qui imposait une discussion générale sur le sujet avant qu’on ne parle chiffres. Partisan d’une « négociation avec l’adversaire », il n’estimait en effet « pas possible d’évoquer des problèmes tels que celui de l’Indochine dans le cadre étroit d’un débat budgétaire » 9. Mais, dans la discussion en question, le ministre responsable Jean Letourneau continua d’écarter toute perspective de négociation avec l’adversaire, au motif de ne pas démoraliser le corps expéditionnaire.
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Les services du ministère des États associés n’en préparaient pas moins périodiquement leur ministre à l’exercice particulier de la discussion budgétaire : par une note du 4 décembre 1952, par exemple, le directeur des Affaires militaires lui fournit « les éléments techniques de ses exposés devant les commissions parlementaires ou à la tribune des Assemblées », le préparant notamment à pouvoir répondre « à certaines critiques (Trop chère l’Indochine) »10. Sur ce point précis cependant, l’argumentaire paraît assez faible : le colonel Mazeau, auteur du document, se contente de dénoncer « l’exagération du mal » et de stigmatiser les « soi-disant scandales » – celui de la piastre en particulier. Les derniers mots de cette note d’une vingtaine de pages illustrent bien le niveau auquel se situaient les responsables des États associés. Trop chère l’Indochine ? S’intéressant in fine au prix de la viande congelée, à 380 francs le kilo, le directeur des Affaires militaires estime pouvoir en tirer argument pour faire face à ceux qui trouvent le conflit trop coûteux. « Ce dernier exemple mérite d’être souligné, précise-t-il en effet : compte tenu du transport à partir de la métropole et des
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frais d’amortissement de la chaîne du froid installée en Indochine, nos troupes, au Tonkin, mangent du bœuf de bonne qualité, à un prix de revient (souligné) comparable à celui payé par le consommateur en France. » La note préparant Letourneau à sa discussion budgétaire s’achève sur cette brillante évocation – et sans autre mot de conclusion. 13
Au final, à quelle hauteur le budget français entre-t-il dans le financement de la guerre d’Indochine ? La part du budget dans le financement du conflit a été évaluée par les parlementaires eux-mêmes11. Tableau 8. Couverture des dépenses de la guerre par le budget français
Source : Assemblée nationale et Conseil de la République. 14
Globalement, entre 1945 et 1954, les crédits français auraient ainsi contribué pour 60 % aux dépenses de la guerre d’Indochine. La couverture par le budget des dépenses militaires a en effet évolué, et dans le sens souhaité par Roger Goetze. Dans ses premières années, la guerre apparaît strictement « franco-française », le budget couvrant la totalité des dépenses militaires. Mais alors même que les crédits français continuent d’augmenter, jusqu’en 1952, le budget intervient progressivement moins, jusqu’à ce que sa contribution paraisse secondaire en 1954 12.
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Alors qu’elle s’achève pour la France, la guerre d’Indochine n’est donc plus vraiment pour elle un problème budgétaire. On ne peut en dire autant des autres parties au conflit.
B. LA MOBILISATION DES BUDGETS LOCAUX 16
La guerre d’Indochine aurait-elle pu, au départ du moins, s’appuyer exclusivement sur des financements locaux ? L’Indochine française n’avait pas la réputation d’être pauvre13 et, après tout, pendant les premières années de son combat, le Viet Minh luimême n’a pu conduire son effort de guerre sans s’appuyer sur une mobilisation des ressources nationales. Mais la question s’est posée autrement pour la France : le coup de force japonais puis la Révolution d’août lui ayant en 1945 retiré tous ses pouvoirs sur place, elle n’y disposait plus d’aucune ressource et devait tout reconstituer, un budget
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aussi bien qu’une force armée ; alors qu’elle y était installée depuis près de cent ans, la France était d’un coup devenue une sorte de puissance extérieure au théâtre. Par ce fait, même ses ressources locales n’avaient au départ qu’un rôle marginal. Elles retrouveront de l’importance par la suite, suffisamment pour que leur transfert aux États associés permette à ceux-ci de participer à leur tour au financement de la guerre. 17
En 1945, les deux pouvoirs en concurrence pour le contrôle de l’Indochine avaient vite été confrontés aux réalités fiscales. À Hanoi, le gouvernement d’Ho Chi Minh taille à la hache dans l’organisation héritée du protectorat : l’impôt personnel, l’impôt sur les patentes et l’impôt foncier pour les petits propriétaires sont abolis en septembre. Une telle situation, pour satisfaisante qu’elle fut pour les contribuables, n’était bien sûr pas durable : une « semaine de l’or » est organisée le mois suivant « pour payer les frais d’armement de l’armée populaire », et les impôts bientôt invités à rentrer d’une manière ou d’une autre – ces impôts colonialistes ne sont-ils pas cette fois destinés à alimenter le Trésor de la patrie ? Une taxe de défense nationale est au passage instituée sur les transactions courantes14. Pendant ce temps, à Saigon, l’équipe de d’Argenlieu – c’est plus précisément la tâche de François Bloch-Lainé – s’emploie de son côté à reconstituer des budgets. L’affaire ne fut pas simple non plus : « La situation des recettes et des dépenses, lors de notre arrivée, était extrêmement confuse. Elle n’a pu être éclaircie qu’en partie à ce jour », note-t-il dans son rapport de fin mission 15. François Bloch-Lainé n’a certes pas eu à créer ex nihilo une fiscalité indochinoise. Comme il l’indique à propos des recettes, « les opérations d’assiette et de recouvrement ont été reprises sur les bases établies à l’époque du 9 mars 1945 ». Mais du côté français de l’Indochine soufflait aussi une sorte de vent modernisateur : l’époque coloniale proprement dite était révolue et une réforme s’imposait.
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La physionomie des budgets français d’Indochine est ainsi, à partir de 1946, un compromis entre héritage et innovation. À côté du budget fédéral, restauré dans ses attributs essentiels, une certaine décentralisation fut instituée par le conseiller financier. Des cinq « États »16 qui constituaient encore l’Indochine française, le Cambodge et le Laos en tiraient plus particulièrement avantage, surtout le premier, même si le nouveau système comportait sa part de contraintes. « Je me suis engagé dans la voie d’une décentralisation des régies, précise Bloch-Lainé, en proposant d’accorder au Cambodge la gestion et le bénéfice de la régie des alcools indigènes et de la régie du sel, qui exigent beaucoup de personnel et sont impopulaires ».
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Le résultat est inégal. Certes, « l’expérience cambodgienne, la plus facile, n’a pas été, à mon avis, pleinement réussie », constate-t-il à la fin de sa mission, en raison notamment du penchant de l’administration française à continuer localement de « limiter les pouvoirs du gouvernement cambodgien ». Mais une dynamique a été lancée, qui permettra au gouvernement du royaume d’asseoir sa quête d’indépendance sur une réelle continuité budgétaire17. On ne pourra en dire autant du Laos : son budget présentera au fil des années, outre un niveau plus modeste des recettes, un inquiétant excédent des dépenses et, surtout, une opacité décourageante. Dans leurs diagnostics, confusion et corruption se disputent à ce sujet la faveur des experts français en poste ou de passage à Vientiane18.
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Quant au Vietnam, où deux pouvoirs se partagent, on le sait, les faveurs des contribuables, la complexité budgétaire est la règle, d’abord dans le camp français : des budgets régionaux (Cochinchine, Centre Vietnam...), locaux (région de Saigon-Cholon, Sud-Annam...) et spécialisés (chemins de fer, port de commerce de Saigon...) 19 se
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juxtaposent au budget fédéral. La reconnaissance de l’unité du pays entraînera à partir de l’exercice 1948 l’apparition d’un « budget national du Vietnam » dans la nomenclature de la Trésorerie générale de l’Indochine, mais voisinant encore avec des budgets régionaux, locaux20 et spécialisés. Les rentrées fiscales se font cependant parfois attendre et chaque exercice est marqué par de sévères déficits 21. Pendant ce temps, la RDV entretient elle-même, non seulement au niveau national mais aussi au niveau des régions et des provinces, même si celles-ci sont « provisoirement contrôlées par l’ennemi », des budgets qui s’efforcent de mettre en regard des dépenses des recettes suffisantes22. 21
La France a enfin institué au niveau fédéral, un peu comme une annexe au budget général, un budget extraordinaire pour l’équipement et la reconstruction de l’Indochine. Créé par décret du 30 avril 1947, il est cependant alimenté en recettes – théoriquement du moins – par « des indemnités allouées à l’Indochine en paiement des dommages subis par son domaine public pendant la guerre » 23, par des subventions diverses, et financé en attendant par des avances du Trésor. Destiné à la réalisation d’un programme d’équipement économique et social, ce « budget extraordinaire » utilisera pour 83 milliards de francs environ de crédits entre 1946 et 1950, dont 59 % pour la reconstruction et le reste pour l’équipement24. Il fut supprimé en 1950 en application des conventions de Pau et ses fonctions réparties entre les nouveaux budgets nationaux.
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Il était cependant entendu dès le début du conflit que les budgets indochinois, quoique complexes et difficiles à reconstituer, devaient à leur niveau contribuer au financement de la guerre. Dans un courrier au chef d’état-major général de la Défense nationale, en mars 1947, l’amiral d’Argenlieu assurait ainsi ce dernier de sa « volonté d’associer aussi largement que possible la Fédération indochinoise à l’effort financier que l’accroissement des effectifs » imposait déjà. Son programme comportait essentiellement l’entretien de partisans, soldats recrutés localement et venant en appoint du corps expéditionnaire, et accessoirement les dépenses du Groupement des contrôles radioélectriques. Pour autant, les imputations consacrées à l’entretien des partisans ne sont pas simples à déterminer : dans le programme de l’amiral hautcommissaire, une petite partie seulement – 12 % – relevait du budget fédéral, l’essentiel étant à la charge des États. Mais ces derniers ont été semble-t-il sollicités à un niveau plus élevé.
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Dans la pratique, les budgets d’Indochine ont été amenés à éponger une part de l’accroissement du coût de la guerre mais, lorsqu’il fut question de constituer des « armées nationales », ils ont vite été dépassés. Dans les premières années de la guerre, on le sait, les dépenses imputées au budget de la métropole connaissaient une augmentation relativement modeste. Par contre, selon les sources du Trésor, les dépenses militaires locales se sont pratiquement multipliées par quatre entre 1947 et 1948, représentant près de 10 % d’un budget qui avait lui même plus que doublé 25. Mais ce n’est encore rien : la dérive des coûts qui commence l’année suivante fait littéralement « tourner la tête » du budget indochinois, à la faveur il est vrai de l’ouverture des deux comptes spéciaux n°1 et n°2 : les dépenses militaires à la charge de l’Indochine se situaient en 1949 autour de 2 300 millions de piastres, soit treize fois plus que l’année précédente... Dans ce qui peut apparaître comme une sorte d’affolement budgétaire, le haut-commissariat utilisa même les ressources du « budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine » pour financer
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l’exécution de « travaux publics d’intérêts militaires »26 : environ 200 millions de piastres vinrent couvrir des dépenses exceptionnelles en matière de communication (ferroviaire, routière, fluviale et aéronautique), dans un contexte dans lequel la frontière entre le civil et le militaire devenait, il est vrai, un peu flou. 24
Étant donné cette évolution, la dimension financière des transferts de compétence aux États associés, à partir de 1949, était nettement dominante : mettre les États dans la guerre ne consistait pas en effet seulement à leur faire lever des armées moins onéreuses que les unités du corps expéditionnaire, mais également à leur en faire assumer, autant que possible, la charge budgétaire. En lui-même, le principe était simple, résultant des pactes d’assistance militaire franco-vietnamien et franco-khmer : le commandement français établissait le programme militaire, la contribution des États était fixée à un certain pourcentage de leurs recettes budgétaires et la France fournissait la différence. En transférant aux États les budgets nationaux, et tout en les laissant libres en principe du montant de leur participation aux dépenses militaires, la France les orientait presque exclusivement vers la guerre. Pas entièrement, sans doute : le budget français continuait de jouer le premier rôle par ses subventions annuelles ; mais en amenant, par exemple, le budget national du Vietnam à participer pour 40 % de son montant aux dépenses militaires, il en faisait un véritable budget de guerre. Il était également entendu que le Cambodge engagerait 30 % de ses dépenses dans la même direction – quant à l’armée laotienne, « il est admis une fois pour toutes que la France prend en charge la totalité de son financement »27.
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Mais la réalité était plus complexe. Faute d’un véritable budget, la fixation de la participation vietnamienne aux dépenses militaires résultait d’une évaluation sommaire des recettes, telle que l’expérience en suggérait les montants. On pensait ainsi pouvoir compter en 1951 sur quelque 2 milliards de piastres, venant principalement des douanes (39 %), des recettes des budgets régionaux (28 %) et des régies transférées (21 %)28. Encore ces recettes étaient-elles largement liées à la présence française. Quand le sentiment indépendantiste se fera un peu trop fort au gré des Français, ceux-ci ne se priveront pas de rappeler au gouvernement de Bao Dai la « valeur » de leur présence sur place. Comme le précise une note de décembre 1951 29, « les Européens sont presque seuls atteints par les impôts sur le revenu », indépendamment du fait qu’une bonne partie du mouvement commercial générant les si précieuses taxes douanières était liée à leur activité. Au demeurant, cet état de fait n’empêche pas les experts français de rechercher de nouvelles recettes dans leur direction. Une taxe d’armement a ainsi été imaginée, sans véritable suite. Quant au rapport Pineau de 1952 il suggère « d’étudier dans quelles conditions les bénéfices réalisés par les Français en Indochine, du fait des circonstances, pourraient concourir au financement de nos dépenses militaires »30 – sans suite également.
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Les conditions de la guerre, si elles sont à l’origine de l’idée même de transférer leurs budgets aux États associés, compliquent également la question. Qui, in fine, doit assumer la responsabilité des principales dépenses, en particulier de celles qui ont un caractère mixte ? La question s’est notamment posée à propos du port de Haiphong, essentiel pour le ravitaillement du corps expéditionnaire au Nord mais qui s’envase régulièrement, ce qui impose de périodiques et coûteux travaux de dragage. Le rapport Pineau décrit le problème début 1952 : « Normalement, les services du port auraient dû être transférés au gouvernement vietnamien. Mais celui-ci avait déjà fait valoir que les bateaux nécessaires au service local n’exigeaient pas plus de quatre mètres de tirant
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d’eau, et qu’il était donc inutile de poursuivre à leur profit les travaux d’aménagement du chenal. Le haut commandement français, devant une telle position, a préféré ne pas transférer le port de Haiphong aux autorités locales ; mais, de ce fait, tous les travaux sont restés à sa charge, le gouvernement vietnamien ne voulant pas assumer les frais de travaux effectués pour et par des services non transférés. On remarquera seulement, à ce sujet comme à bien d’autres, ajoute non sans quelque perfidie le rapport parlementaire, que tout se passe comme si le gouvernement actuel considérait que la guerre en cours ne le concerne en rien »31. 27
Il était en tout cas difficile de mettre en place une indépendance partielle dans une telle situation. Pour la réaliser, la France dépêche sur place des experts de haut niveau, en particulier Valls et Feuché. Le premier, inspecteur des finances venu de la direction des Finances extérieures, se situe clairement dans la perspective d’une indépendance qui ne soit pas de façade, et résume ainsi sa position dans une note de 1952 : « si l’on veut assurer désormais une certaine relève financière de la France par les États, il semble nécessaire d’organiser une véritable collaboration financière entre la France » et eux 32. D’autres notes rédigées à l’époque sur le sujet vont dans le même sens et suggèrent de mettre les États, en particulier le Vietnam, en face de leurs responsabilités financières. Même si ce dernier avait quelque difficulté à produire un budget vraiment fiable, il fallait dans la mesure du possible le placer en position de demandeur et non plus d’assisté.
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Le second, Feuché, administrateur du budget, analyse cependant l’année suivante les contradictions du système33 : « pour éviter que les fonds budgétaires français votés pour l’assistance militaire aux États soient détournés de leur objet, et en raison de la méfiance qu’inspiraient les administrations locales, on s’est efforcé de confier la gestion de la plus grande partie des crédits français d’assistance à des autorités françaises. Les États ont été habitués à se désintéresser du problème du financement de leurs armées. Ils considèrent que cette question doit être réglée par la France et que, pour leur part, il leur suffit de fournir les hommes ». Ce n’était pas, en effet, le seul but recherché. En conclusion de cette note, il attire l’attention sur l’organisation des services financiers des États et sur leur politique économique et financière : « Ces deux questions n’ont pas été sérieusement abordées jusqu’à ce jour, précise-t-il fin 1953. Pour en rappeler l’ampleur et l’importance, on rappellera seulement que les États sont dotés, sur le plan militaire, d’armées modernes, comprenant plusieurs centaines de milliers d’hommes, alors que leur structure économique et sociale les a contraints, sur le plan des ressources et de l’organisation financière, à rester dans les limites d’un système colonial. Il en résulte que les recettes ordinaires représentent un tiers environ des charges publiques qui, pour la plus grande partie, sont couvertes par la France et les États-Unis »34.
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Il n’en reste pas moins que les États associés contribuent de plus en plus au financement de la guerre, et en particulier le Vietnam, qui des trois États a les charges les plus lourdes – le Laos est en effet dispensé de contribution et le Cambodge, en fin de conflit, couvre lui-même l’intégralité de ses dépenses militaires. La contribution du Vietnam, modeste au départ, croît même de façon spectaculaire :
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Tableau 9. Contribution du Vietnam associé aux dépenses militaires d’Indochine (milliards de francs 1953)35
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Certes, entretemps, la détérioration du système de Pau avait amené le Vietnam a s’attribuer l’essentiel des droits de douane de l’Indochine, au lieu de redistribuer leur part aux deux autres États – les taxes en question constituant le premier poste de ses recettes fiscales. Et la proportion de 40 % du budget consacrés aux dépenses militaires, initialement prévue, n’est plus guère respectée : elle dépasse 60 % du budget en 1953 et même 70 % en 1954. Difficile alors, pour un gouvernement, d’être plus « dans la guerre ». Graphique 7. Le passage de relais en Indochine : du budget fédéral aux budgets nationaux (en milliards de francs 1953)
Source : direction du Trésor 31
Ainsi le système mis en place par la France en 1950 pour valoriser les ressources locales et les orienter vers la guerre aura partiellement fait, si l’on ose dire, long feu : la solidarité financière établie entre les États associés par les conventions de Pau ne résista pas deux ans au réveil des tensions entre Cambodge et Vietnam. Sans doute leurs gouvernements se sont-ils appropriés leur part de guerre mais, en même temps,
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la France a progressivement perdu les leviers dont elle disposait sur place. D’ailleurs, la montée continuelle du coût des armées nationales devenait à son tour, on le sait, difficile à supporter par le budget français lui-même, et le relais fut passé en 1953 aux États-Unis. 32
Du côté du Viet Minh, également, les quelques données disponibles suggèrent à la fois l’importance et l’aggravation progressive du poids du conflit sur les finances publiques, comme si le Vietnam s’enfonçait chaque année et dans les deux camps davantage dans la guerre. Dès le départ, le budget de la RDV apparaît tout autant tourné vers les dépenses militaires que ne le sera celui de l’État associé, et curieusement dans les mêmes proportions : « en règle générale, note une étude française de 1948 sur L’économie vietminh, 40 % des recettes vont aux besoins militaires » 36. Mais les recettes ne rentrent pas toujours facilement, en particulier là où « l’ennemi » contrôle une large partie du territoire.
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En 1950, le budget régional du Nam Bo prévoyait ainsi 281 millions de dôngs en recettes37 : de l’impôt sur les rizières aux bons de Résistance, en passant par un impôt sur les barques, les patentes ou les droits d’enregistrement et timbres, toute la gamme d’une fiscalité directe et indirecte devait fournir aux combattants du Sud de quoi poursuivre la guerre. Mais voilà : sur 281 millions de recettes prévues, 126 millions – 45 % environ – sont seulement rentrés ; et encore cette somme est-elle elle-même inférieure de 25 % aux recettes réalisées l’année précédente, en 1949. Pour tout commentaire, le document note : « parmi les recettes, les recettes indirectes occupent encore la majeure partie, bien qu’elles soient inférieures à celles de 1949. La diminution des recettes est due aux causes suivantes : rétrécissement de notre zone d’action, stocks de paddy en décroissement, ventes à perte malgré les cours élevés ». À cette date, qu’elle qu’en fut la forme, nul doute que l’aide chinoise allait être la bienvenue.
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D’autres sources suggèrent que les dépenses militaires pouvaient représenter jusqu’à 70 à 75 % des budgets locaux au début des années 1950. Par exemple, les données budgétaires de la province méridionale de Long Chau Sa38 donnent la répartition suivante : 25 % du budget de 1952 pour les services et 75 %, pas moins, pour les troupes. Dans cette province du delta où, en 1952, aucune grande opération militaire n’est signalée, les trois quarts des recettes locales du Viet Minh – et tout indique que le régime de l’autosuffisance y est la règle – vont à la guerre. Pour lui comme pour ses adversaires, en tout cas, les ressources budgétaires nationales ne pouvaient plus suffire.
II. LES RESSOURCES NON ORTHODOXES 35
Il n’est « pas d’exemple qu’un État alimente financièrement une guerre par des procédés orthodoxes », reconnaît en 1951 un courrier du haut-commissariat au Trésor39. Il n’y a pas non plus « d’exemple qu’une guerre à l’époque moderne ait pu être financée sans recours à l’Institut d’émission », rappelle une note de 1954 à propos de l’Indochine40. Procédés ou ressources, il s’agit de la même chose : les moyens non orthodoxes qui ont été périodiquement utilisés pour couvrir certaines dépenses militaires ne mettent sans doute pas en œuvre de grosses masses de capitaux, en particulier au regard des crédits budgétaires, mais, intervenant à des moments-clés, ils ont joué un rôle important, qui dépasse le niveau des montants engagés, eux-mêmes par ailleurs assez difficile à connaître avec précision. Figurent dans cette catégorie les comptes spéciaux et la « planche à billets », la spéculation monétaire, l’opium aussi :
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tout indique que sur ces différents chapitres, même si le flou l’emporte sur les certitudes, les belligérants utilisaient quand il le fallait des méthodes comparables.
A. LES COMPTES SPÉCIAUX 36
Dans la tradition française des finances publiques, le recours aux comptes spéciaux du Trésor apparaît en lui-même comme un mode presque ordinaire de financement, d’ailleurs périodiquement avalisé par la loi. Dans le cas de l’Indochine, cependant, ce recours a pris un caractère particulier, à la fois massif et presque « sauvage » ; il est d’ailleurs resté ponctuel, lié aux années 1949 et 1950. Les comptes spéciaux n° 1 et n° 2 – leur dénomination ajoute encore au mystère – ont alors défrayé la chronique.
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L’affaire commence en 1949 quand l’augmentation des coûts prend une allure vertigineuse, dépassant les limites de la procédure budgétaire à la fois en métropole et en Indochine. Au moment où le haut-commissaire Pignon demande à Paris l’ouverture de deux comptes spéciaux pour y faire face, en mars 1949 41, les dépenses militaires à la charge de l’Indochine sont, on le sait, en train de passer de 173 millions, en 1948, à 2 308 millions de piastres pour 1949, soit 13 fois plus 42... Aux avances nécessaires pour faire face à l’urgence, notamment du côté de la frontière chinoise, s’ajoutent en effet les dépenses du corps expéditionnaire excédant les crédits déjà alloués, et surtout le coût de la création des armées nationales.
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Le problème est que, si les deux comptes spéciaux demandés par Pignon furent bien ouverts, ils ne le seront pas dans les mêmes conditions. L’instruction interministérielle du 4 avril 1949, qui répond à sa demande et précise « les conditions dans lesquelles l’Indochine participera, au cours de l’exercice 1949, aux dépenses d’entretien des Forces armées d’Extrême-Orient » fixe cette participation à 20 milliards de francs mais ne prévoit qu’un seul compte spécial43. Ce compte spécial de trésorerie, numéroté 15-79 et intitulé « Avances de la participation de l’Indochine aux dépenses militaires de l’année 1949 », dit « compte spécial n° 1 », sera formellement créé par arrêté du hautcommissaire le 21 novembre 1949. Entre-temps, ce dernier avait contraint son conseiller financier, Max Deville, à créer un autre compte spécial, par arrêté du 13 septembre 1949 : numéroté 15-76 et intitulé « Dépenses militaires propres à l’Indochine l/c d’avances », ce « compte spécial n° 2 » prenait également en charge des financements que la voie budgétaire normale ne pouvait assurer, mais il restait d’initiative locale.
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Deux autres comptes spéciaux, véhiculant des flux financiers plus modestes, viendront s’y ajouter. Le premier, presque anecdotique au regard des autres, numéroté 15-80 et créé fin 1949, couvrait les « frais d’entretien des éléments militaires étrangers internés », autrement dit les unités de l’armée chinoise nationaliste qui venaient de se réfugier en Indochine. Le second, numéroté 15-81 et connu sous le nom de « compte spécial n° 1 bis », fut institué le 28 janvier 1950 en application d’une Instruction interministérielle Finances-Marine : il couvrait une partie des dépenses des flottilles amphibies rattachées à la Marine nationale44.
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Ainsi que le montre le tableau suivant, 74 milliards de francs de dépenses militaires ont été au total imputés à ces comptes spéciaux, répartis pour moitié ou presque entre les comptes n° 1 et n° 2. On observe cependant une sorte d’effet de vase communicant entre les deux : le premier – officiel – joue surtout un rôle important en 1949, le second – d’initiative locale – semble prendre le relais en 1950.
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Tableau 10. Les comptes spéciaux du Trésor indochinois
Source : direction du Trésor. 41
Cette évolution des comptes spéciaux ouverts en Indochine est à la mesure de leur caractère particulier. Les services de la rue de Rivoli les ont d’ailleurs fait rapidement fermer : l’arrivée d’une part de Roger Goetze à la direction du Budget, dans l’été 1949, c’est-à-dire plusieurs mois après l’Instruction interministérielle autorisant le compte spécial n° 1, la vigilance de François Bloch-Lainé d’autre part à la direction du Trésor, ont semble-t-il convaincu le ministre des Finances et le reste du gouvernement de mettre fin à des errements de ce type. Avant même la fin de 1949, le haut-commissaire Pignon recevait de la France d’outre-mer un télégramme lui prescrivant, « à partir du 1er janvier 1950, d’éviter tout recours aux moyens locaux de trésorerie », ce qui nécessitait au passage de demander aux États une plus « large contribution » aux charges militaires45 ; et, on le sait, Maurice Petsche fera fermer ces comptes spéciaux, le n° 2 en particulier, devenu le plus important, à la fin de l’été 1950.
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Il reste que d’après les estimations des services de De Lattre, les avances du Trésor indochinois auront entretemps couvert les dépenses militaires effectuées en Indochine à hauteur de 42 % en 1949 et de 24 % en 195046. Mais il était entendu que le retour à la normale devait intervenir l’année suivante : « la totalité des dépenses militaires en Indochine au titre de 1951, précisent les mêmes sources, doit être payée sur des crédits du budget français ». Orthodoxie financière oblige...
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Cette intervention presque ponctuelle des comptes spéciaux dans le financement des dépenses militaires d’Indochine a cependant laissé des traces. Après 1951, lorsqu’il fallut liquider le Trésor indochinois et en répartir les attributs entre la France et les trois Trésors nationaux, chacun se repassa « l’ardoise » – toujours inscrite dans les comptes – comme une « patate chaude »47. Mais le débat était devenu quasiment théorique : si quelques membres du gouvernement comme René Pleven avaient pu à l’époque penser que les dépenses inscrites au compte spécial n° 2 auraient pu être prises en charge par les États-Unis, ce qui ne s’est pas produit, il y avait longtemps que les dites dépenses, imputées aux comptes spéciaux, avaient en fait été couvertes par l’inflation. Les comptes spéciaux auront ainsi permis, comme c’est finalement une de leurs fonctions, de recourir à l’émission – sous forme d’avances du Trésor indochinois – pour couvrir une part des dépenses militaires.
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B. L’INFLATION 44
« Au titre des affaires courantes, une question me paraît très préoccupante, écrit le conseiller financier Deville au directeur du Trésor en 1951 : c’est celle des ressources extra-budgétaires à trouver d’urgence pour permettre de compléter l’effort militaire et de constituer les armées nationales »48. La tentation du procédé inflationniste traverse toute la guerre, sa mise en œuvre étant d’autant plus simple en Indochine que celle-ci disposait de son propre Institut d’émission : la Banque de l’Indochine, puis l’Institut d’émission des États associés. Les Japonais déjà, durant les quelques mois de 1945 pendant lesquels ils se substituèrent aux Français, avaient largement profité de cette possibilité, contribuant à placer le retour de ces derniers sous le signe d’une inflation incontrôlée : François Bloch-Lainé n’avait-il pas, dans un souci à la fois d’assainissement et de « désarmement » financier de l’adversaire, choisi de démonétiser les billets de 500 piastres ?
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La circulation fiduciaire a pratiquement quintuplé en Indochine entre 1945 et 1954, passant de 2 à 11 milliards de piastres environ, selon une croissance moyenne annuelle de 18 %, et avec trois moments forts, comme l’indique le graphique suivant : 1945-1946, 1950-1951 et, dans une moindre mesure, 1953 – soit le début, le tournant principal et la fin de la guerre49. Graphique 8 et tableau 11. Évolution de la circulation fiduciaire en Indochine, 1945-1954
Source : AEF, Fonds Trésor 46
Sans doute faudrait-il distinguer un recours « normal » à l’émission de ses abus. Le premier emballement de la circulation fiduciaire, en 1945-1946, lié on vient de le voir aux conditions particulières de la fin de la seconde guerre mondiale en Indochine, relève de la seconde catégorie. Pour autant, afin de financer les dépenses militaires
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locales, le Trésor indochinois ne renonce pas à se procurer « des fonds par le moyen d’avances qui lui sont consenties localement par la Banque de l’Indochine » – il s’agit bien, précise la même note, d’« émissions supplémentaires de piastres » 50. L’ennui est que l’on retomba vite dans l’abus : « depuis deux ans, poursuit ce document, les dépenses militaires s’étant gonflées [...] ont dû être financées en quasi totalité par les avances de la Banque de l’Indochine. Cette inflation a provoqué un mouvement de transferts vers la métropole que le solde créditeur en francs de la succursale de Saigon dans les écritures de la Banque de l’Indochine ne suffisait plus à couvrir ». On est alors en 1949. 47
C’est en effet entre 1949 et 1951 que le recours à l’émission apparaît le plus net en Indochine, plaçant la naissance des États associés eux-mêmes sous le signe de l’inflation. Les documents de cette période sont très explicites. Un tableau du hautcommissariat résumant par exemple « les besoins du Trésor pour l’année 1949 » indique que les « sorties de fonds non compensées par des rentrées de fonds », c’est-àdire relevant du procédé inflationniste, s’élèvent déjà à 6,2 milliards de piastres (environ 105 milliards de francs)51. Les budgets locaux sont pour leur part déficitaires et dans la colonne « couverture » de ces déficits figurent ces simples mots : « recours à l’émission ». Les budgets « nationaux » seront également bouclés par cette méthode, y compris après le 1er octobre 1951, quand les Trésors nationaux prendront la relève du Trésor indochinois.
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Les dépenses militaires réglées par des avances du Trésor indochinois en 1949 et 1950, et inscrites dans les registres des comptes spéciaux n° 1 et n° 2, ont donc été financées de cette manière. Dans les discussions accompagnant la liquidation du Trésor indochinois, précédemment évoquées, le Vietnam associé en tirera d’ailleurs argument pour demander un dédommagement à la France. Il restait à la fin du conflit, on le sait, à liquider 3 872 millions de piastres (66 milliards de francs) d’avances remontant à cette époque. Le négociateur vietnamien opposa non sans raison au représentant du Trésor, qui voulait lui faire prendre en charge les dites dépenses, l’idée que celles-ci ayant été « financées par l’inflation, cause de détérioration de l’économie des États », c’était à la France de leur verser maintenant la contre-valeur de 40 milliards de francs... Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, eut également beau jeu de lui rétorquer que le Trésor français en avait déjà, comme on le verra, supporté lui-même la charge 52.
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Il est en tout cas intéressant de constater que le montant des avances en question – environ 3,8 milliards de piastres – correspond à l’accroissement de la masse monétaire en circulation sur les trois années 1949, 1950 et 1951... Cependant, le mécanisme apparaît plus complexe, sinon plus masqué. « Le recours continu à l’Institut d’émission pour le financement des dépenses locales ne mesure pas exactement l’évolution de l’inflation en Indochine, précise une note de 1950 : l’augmentation de la circulation monétaire, pour sensible qu’elle soit, reste inférieure au montant cumulé des avances consenties au Trésor indochinois par l’Institut d’émission » 53.
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Une spectaculaire poussée inflationniste reprend en 1953. S’inquiétant en octobre de l’augmentation de la contribution du Vietnam associé aux dépenses militaires, son ministre des Finances analyse les ressources dont son pays dispose pour supporter cette augmentation, et ne peut éviter d’y revenir. « Il est certain que le moyen le plus pratique est de recourir directement ou indirectement à l’Institut d’émission », note-til, avant d’ajouter : « ce mode de financement [...] ne peut être évité en temps de guerre parce que les besoins de la Défense nationale sont trop importants » 54. André Valls,
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conseiller financier du haut-commissariat, lui fait écho dans son rapport annuel pour l’année 1953 : « La majoration de la contribution des États, qui passera en principe de 35 milliards à 65 milliards, ne pourra être obtenue que par un recours massif à l’Institut d’émission »55. Les besoins étaient donc de 30 milliards de francs, soit 3 milliards de piastres : on observe à nouveau que cela correspond à l’accroissement de la circulation entre le 31 décembre 1952 et juillet 1954... 51
L’inflation en Indochine, qui est donc liée à la guerre et à l’accroissement des dépenses militaires, n’est pas sans répercussion sur la France elle-même. En effet, comme plusieurs notes du Trésor l’observent dès la fin des années 1940, « la quasi-totalité des dépenses faites en Indochine reflue sur la métropole par la voie des transferts » 56, sous la forme d’achats de produits importés, de transferts d’économies ou autres. Les liens unissant la piastre et le franc font le reste, comme le précise la rue de Rivoli : « C’est grâce au mécanisme assurant la convertibilité de la piastre en francs que la charge de l’inflation locale se répartit entre l’Indochine et la France. Pratiquement, le Trésor métropolitain couvre le solde de la balance générale des comptes entre l’Indochine et la France [...] en versant en francs à Paris à l’Intitut d’émission l’équivalent de ce solde » 57. Ainsi, ajoute une note de la France d’outre-mer sur la situation financière de l’Indochine, la « disproportion entre la masse des dépenses et les ressources propres du Territoire entraîne une inflation dangereuse qui n’est pas sans avoir d’effet dans la métropole elle-même »58 : autrement dit, lorsque le montant des transferts IndochineFrance excède celui des crédits délégués à l’Indochine, qui empruntent le chemin inverse, ce qui ne manque pas de se produire en cas de recours massif à l’émission locale, le Trésor français doit régler la différence, comme il a dû le faire sans régularisation parlementaire en 1949 et 1950, au temps des comptes spéciaux.
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Le fait que la France ait eu à supporter les conséquences de l’inflation indochinoise, autour de 1949-1950 en particulier, tombait particulièrement mal pour la rue de Rivoli : cette dernière estimait en effet, en présentant le budget de l’exercice 1950, avoir eu raison du vieux démon que représentait le procédé inflationniste 59. On comprend dès lors que la guerre d’Indochine n’y ait pas été très populaire, et que l’on y ait été en particulier attentif – sans toujours y parvenir avec l’efficacité désirable – à un strict contrôle des changes sur place : seul ce contrôle des changes pouvait en effet contenir l’inflation en Indochine même.
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Quoi qu’il en soit, la tentation est restée persistante : en 1953, à propos de l’Indochine justement, elle fit même l’objet d’un débat dans les coulisses du pouvoir français : l’inflation ou l’aide américaine, tels semblaient être les termes de l’alternative. Au début de l’année, une note préparatoire au voyage de Mayer aux États-Unis, pendant lequel, on le sait, l’Indochine fut placée en tête des entretiens, suggère de tirer argument du déficit budgétaire, « qui doit être couvert pour une très large part par des procédés inflationnistes », mettant en péril l’économie et la monnaie françaises 60. Quelques mois plus tard, Marc Jacquet, secrétaire d’État aux États associés, en désaccord avec son collègue du Budget, suggérait la direction inverse : après tout, demandait-il en substance, quelle serait la gravité d’un « pronostic inflationniste » de 150 milliards sur deux ans ? La « planche à billets » était pour lui préférable à l’aide américaine61. Mais sa position resta isolée au sein du gouvernement.
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Il n’est évidemment pas aisé d’évaluer la part du recours à l’émission dans le financement de la guerre d’Indochine. Faut-il compter en francs - ou en piastres -, étant entendu que la multiplication des signes monétaires entraîne elle-même leur
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dépréciation, ou plutôt en « points » d’inflation ? En combinant les deux approches, en s’en tenant à la monnaie indochinoise et en n’oubliant pas son changement de parité en fin de période, il est permis de situer autour de 4 à 5 % la contribution de l’émission au coût total de la guerre. Compte tenu des sommes engagées, ce n’est pas négligeable. 55
Le Viet Minh, dans ce domaine comme dans les autres, ne semble pas avoir été en reste. Il est vrai qu’entre la pratique consistant à couper en deux certains billets de la Banque d’Indochine, avant de les laisser circuler en « zone libre », et celle autorisant certaines provinces à émettre elle-même du papier-monnaie, le pas de l’inflation était sans doute facile à franchir. Avant 1951, le Viet Minh émet pratiquement sans compter : « Par le biais du dông, indique une étude de Hanoi sur le sujet, l’État mobilisait les ressources du pays pour satisfaire les besoins de la guerre, en particulier ceux de l’armée. Cependant, cette émission, nécessaire mais régie par des facteurs extra-économiques et déterminée essentiellement par les dépenses de l’État, ne pouvait pas ne pas conduire à une forte inflation, concentrée dans quelques régions »62. Sur la base d’un indice 100 en 1946, l’émission atteint l’indice 1 914 en 1950, soit une inflation au moins dix fois supérieure à celle alimentée par la Banque de l’Indochine (indice 149 en 1950).
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Les documents saisis confirment cette attitude. L’un d’entre eux, portant sur « la situation financière au Nam Bo en 1950 », se conclut par exemple sur le rôle de « l’imprimerie spéciale » pour équilibrer le budget : celle-ci répartit son activité en huit « organes » différents, dont les deux principaux n’ont pas de localisation géographique précise (ils sont connus comme « section du comité A » et « section du comité B ») et les six autres se dispersent entre plusieurs provinces du delta, de Gia Dinh à Sa Dec 63 ; l’ensemble produit en 1950 un total 380 millions de dôngs. Or sur ces 380 millions de dôngs émis au Sud, 275 millions étaient destinés à financer des recettes insuffisantes 64.
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La création de la Banque nationale du Vietnam en 1951, la réforme monétaire qui suivit et la rationalisation des finances publiques permirent d’assainir la situation, mais pas complètement. En 1952, dans un rapport sur la situation économique et financière du Nord et du Centre, la « nécessité d’émettre une somme importante » vient à nouveau en conclusion du constat que le recouvrement des impôts sera inférieur aux prévisions 65. Pour autant, ces comportements inflationnistes, dans une économie restée assez peu monétaire, ne pouvaient sans doute déboucher sur un phénomène de même nature que celui constaté dans la zone « provisoirement contrôlée par l’ennemi ».
C. LA SPÉCULATION MONÉTAIRE 58
Compte tenu de la surestimation de la piastre, la spéculation était si tentante que l’on se demande bien quelle raison auraient eu les belligérants de ne pas y recourir. Mais aucun document ne le suggère vraiment. Du côté français, seule l’affaire Bollaert, alors haut-commissaire en Indochine, laisse penser à une utilisation du trafic à des fins de financement – mais de quoi ? Vraie ou fausse justification, Bollaert argua, on le sait, d’une opération de ses services secrets pour expliquer le flagrant délit dans lequel se trouva impliquée sa propre fille, à l’aéroport de Tan Son Nhut. En fait, comme nous le verrons plus loin, tout dépend de quoi l’on parle. Si l’on s’en tient à des trafics frauduleux et clandestins, il est dans l’état des sources impossible de prouver, voire d’imaginer, quoi que ce soit. Par contre, si l’on considère que le trafic se confond avec les transferts Indochine-France, l’appréciation est bien différente.
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Le Trésor gère une situation qui sans doute l’arrange mais, éventuellement, lui coûte. De son point de vue, les transferts en question, rendu possibles et juteux grâce à un taux de change très avantageux (la piastre à 17 francs), sont d’ailleurs considérés comme des ressources locales. En effet, quand un importateur veut régler une opération avec la France, ou qu’un officier souhaite envoyer quelque économie en métropole, ou encore qu’un spéculateur sans scrupule fasse circuler l’argent, il dépose à la Banque de l’Indochine, ou dans toute autre banque agréée, les piastres qui lui permettent d’acheter des francs. Mais ces piastres, bien sûr, demeurent sur place, pendant qu’à Paris le Trésor alimente les comptes de la succursale de la Banque de l’Indochine pour que celle-ci puisse assurer ses règlements en francs. Cette ressource locale, dont le Trésor dispose en Indochine, apparaît cependant plus comme un élément comptable que comme une véritable ressource : à l’autre bout de la chaîne, à Paris, il doit payer, et souvent plus qu’il ne doit, pour la couverture des excédents de transferts et, partant, de la monnaie indochinoise.
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Du côté Viet Minh, les choses ne sont pas plus simples. Jacques Despuech, dans son brûlot sur Le trafic des piastres, parle d’un réseau sino-vietnamien gravitant autour de la Bank of Communications, qui dispose de succursales à Saigon comme dans d’autres villes du Vietnam, et qui via Hong Kong pratiquerait la spéculation à grande échelle : comme dans un roman policier, tout y est, la Bank of Communications bien sûr, la Banque commerciale pour l’Europe du Nord à Paris, réputée liée à l’URSS, la plaque tournante de New York, un Chinois de nationalité portugaise, circulant entre l’Angleterre et la Suisse, en contact avec des Arméniens, le retour par Hong Kong, Bangkok ou Manille66...
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Les sources françaises restent discrètes sur une éventuelle utilisation du trafic des piastres par le Viet Minh. À la question d’un des membres de la commission d’enquête – « Pensez-vous que le Viet Minh ait pu acheter des devises grâce au trafic des piastres ? » – le ministre d’État et haut-commissaire Jean Letourneau répondit en ces termes : « C’était l’une des grandes préoccupations du haut-commissariat et j’ai fait faire sur ce point de nombreuses études par mes services de sécurité, [mais] ils n’ont jamais pu découvrir une filière et pu démontrer que le Viet Minh profitait effectivement du trafic des piastres. Il est probable qu’il en profitait mais il en avait la possibilité par ailleurs puisqu’il prélevait des piastres de la Banque de l’Indochine ou maintenant de l’Institut d’émission des États associés dans la zone qui est officiellement entre les mains de S. M. Bao Dai. Il a donc pu se procurer des piastres pour les échanger, puisqu’elles ont cours sur le marché de Hong Kong, contre des devises. Il n’avait pas besoin de trafiquer pour se les procurer, puisqu’il s’agissait d’emprunts forcés » 67.
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Les services du haut-commissariat ont-ils analysé les budgets saisis ? Il ne s’agit peutêtre pas de spéculation sur les monnaies, mais il est tout de même étrange que, par exemple au Nam Bo, caractérisé par la proximité de Saigon, environ 60 % des recettes n’aient pas d’affectation précise : 59 % des recettes effectivement rentrées en 1950 figurent sans autre précision à la rubrique « recettes indirectes et diverses », quand plus d’une douzaine d’autres recettes, directes ou indirectes, font l’objet d’indications très détaillées68. Dans la liste des recettes de l’exercice 1951 de la province BariaCholon, la seule des sept rubriques à rester imprécise – « autres recettes » – est celle qui en fourni le plus : 66 % du total69... Il est vrai qu’au chapitre des ressources non orthodoxes ne figure pas que la spéculation monétaire.
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D. L’OPIUM 63
Une fois transformé, le suc des fleurs de pavot, qui pousse sur les hauteurs du nord de l’Indochine, est sous le nom d’opium une marchandise presque comparable à l’or : faible encombrement et forte valeur. La différence vient bien sûr du fait que l’opium est consommable – et renouvelable – et que sa consommation abêtissante est rejetée par la morale. L’opium ne pouvait ainsi manquer d’être utilisé pendant la guerre d’Indochine, pour la valeur que son commerce dégage, et de l’être le plus discrètement possible, pour ce que la morale réprouve. Il n’est donc pas très simple, là non plus, de déterminer qui se servait vraiment de l’opium et dans quelles proportions.
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Principale recette, traditionnellement, du budget de l’Indochine, qui s’en gardait le monopole, l’opium n’est pas absent de la réinstallation des Français à Saigon en 1945 et 1946. La denrée précieuse et dangereuse paraissait d’autant plus incontournable que, pendant la seconde guerre mondiale, du fait de la rupture des circuits commerciaux habituels, le Gouvernement général avait encouragé la production locale : les Hmong (Méos) du Laos et du pays Thaï au Tonkin, dont c’était la spécialité, avaient donc relancé la culture du pavot, que jusqu’alors l’autorité coloniale avait plutôt eu tendance à décourager70. En 1945, la question de l’opium resta donc d’abord « réservée », pour reprendre l’expression de François Bloch-Lainé, alors conseiller financier du hautcommissaire d’Argenlieu71. Lui-même se veut sur le moment pragmatique, tout en regrettant d’être « obligé d’agir avec une certaine mauvaise foi » : « j’estime pour ma part, précise-t-il, qu’il serait absurde de désorganiser immédiatement le monopole pour obéir à des injonctions puritaines qu’aucun peuple d’Extrême-Orient ne suivra en pratique ». Mais, dans le même temps, « nous pouvons nous engager à restreindre progressivement la consommation en agissant sur la production et en luttant contre la contrebande ».
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Le monopole est démantelé à partir de 1946, quand l’ordonnance fédérale du 12 juin supprime la vente libre de l’opium. Le produit conserve cependant, provisoirement, un certain rôle. L’administration des douanes et régies continue son écoulement à usage médical ou pharmaceutique, ainsi que pour assurer le traitement progressif des toxicomanes : les fumeries laissent la place à des « cliniques de désintoxication ».
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Arguant chiffres à l’appui que « l’action des autorités françaises a toujours été orientée dans le sens d’une lutte contre l’opiomanie », Gonon, successeur de Bloch-Lainé comme conseiller financier à Saigon, explique cette politique de poursuite des ventes par trois séries de raisons72. Les premières sont des raisons « de salubrité publique et de nécessité politique » : une interdiction pure et simple empêcherait de contrôler les désintoxications et générerait un climat malsain ; la destruction des champs de pavot, détruirait pour sa part l’économie de certaines populations montagnardes, ce qui n’est pas plus souhaitable.
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Le Laos est plus particulièrement visé par cette dernière assertion. La stabilité politique du royaume, très peu densément peuplé mais où le poids relatif des minorités est important, est liée aux relations du pouvoir avec ces dernières, éparpillées dans les montagnes boisées du Nord ou fixés autour de la plaine des Jarres. Le Laos vit-il de l’opium ? « Le gouvernement laotien compte sur la vente de l’opium produit dans ces régions pour en tirer la plus grande partie de ses recettes budgétaires », précise Gonon. D’ailleurs, indique-t-il, « lors de la conclusion de la Convention provisoire francolaotienne73, les autorités françaises ont dû s’engager, à l’égard du gouvernement
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laotien, à acheter la totalité de l’opium brut produit au Laos ». Cette valeur particulière de l’opium en Indochine avait déjà amené Bloch-Lainé, « d’accord avec le Cambodge » mais semble-t-il sans suite, à envisager de « subventionner le budget royal en nature plutôt qu’en argent, en lui remettant de l’opium »74. 68
Une seconde série de raisons expliquant la poursuite de la vente d’opium par les autorités françaises est à la fois d’ordre monétaire et budgétaire. D’une part, dans le contexte inflationniste du moment, il ne faut aux yeux du conseiller financier Gonon « négliger aucun moyen de pratiquer des ponctions importantes sur ces disponibilités fiduciaires » : aussi la vente de l’opium dans les lieux de « désintoxication » se fait-elle « à un prix extrêmement élevé » – 10 500 à 18 300 piastres le kilo en 1946, soit cinq fois plus au moins que l’année précédente, en 1945. La vente de l’opium peut ainsi « opérer sur la circulation fiduciaire une ponction de 150 à 200 millions de piastres en 1947 », précise-t-il. D’autre part, l’opium reste avec les jeux une recette appréciable, un peu comme sous le Gouvernement général ou l’autorité japonaise75 : « Il paraît impossible, écrit encore Gonon, de renoncer aux ressources, sans doute contestables du point de vue de l’orthodoxie financière, mais nécessaires dans les circonstances extrêmement difficiles de la période actuelle, qu’apportent l’opium et les jeux. Si elles devaient disparaître, c’est de 150 à 100 millions de piastres que serait privé le budget fédéral et de 27 millions de piastres le budget cochinchinois » 76.
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La France renonce cependant progressivement, à la fin des années 1940, à l’usage budgétaire qu’elle faisait de l’opium, mais une sorte de transfert s’opère au profit de ses services secrets : comme l’indique Alfred McCoy, à qui la suite des événements donnera raison, « dès que l’administration civile supprimait une branche de son commerce, les services de renseignements français s’en emparaient » – sans d’ailleurs que la dite administration civile en fut toujours informée. Les principaux intéressés seront les hommes du GCMA, le Groupement des commandos mixtes aéroportés, lié au SDECE et dépendant directement du commandant en chef, qui, sous l’impulsion de quelques jeunes officiers comme le commandant Trinquier et le capitaine Savani, voient dans l’appui des minorités une possibilité de lutter efficacement contre le Viet Minh et organisent la contre-guérilla après 195077.
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Ainsi, « le monopole passa à la clandestinité sous le nom d’Opération X », écrit également McCoy, ce qui permit d’assurer le financement des opérations de contreguérilla. La mise sur pied des équipes du GCMA était en effet fort onéreuse et ne correspondait à aucune ligne budgétaire : formation de centaines de cadres au Cap Saint-Jacques, équipement et traitement de départ, parachutages et entretien des hommes, à coup de tonnes de matériel également parachuté... Trinquier revendiquera le recrutement de 40 000hommes dans les minorités, répartis en trois maquis principaux. Or la hiérarchie militaire française en Indochine, sauf peut-être de Lattre et sans doute Salan, n’était pas passionnée par la méthode, pas au point en tout cas de distraire à son profit certains des moyens déjà trop modestes qui étaient mis à sa disposition. L’opium s’imposait donc, d’autant plus d’ailleurs qu’il était souvent produit par les minorités dont la collaboration était recherchée.
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L’affaire fit discrètement scandale début 1953, quand un lieutenant chargé de la trésorerie du GCMA refusa d’avaliser une comptabilité qu’il jugeait douteuse et s’en ouvrit à une mission parlementaire de passage78. Letourneau, informé, fit faire une enquête. Il apparut vite que, début 1953, pour implanter ses antennes dans le nord du pays, le GCMA avait obtenu l’appui du principal chef méo du Laos, Touby Lyfoung,
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contre l’achat de sa récolte d’opium : transporté par avion à Saigon ou au Cap SaintJacques, puis traité, celui-ci devait être ensuite écoulé par Bay Vien et à ses Binh Xuyen – une manière, accessoirement, de rétribuer également les services de ces derniers 79. Mais il ne pouvait s’agir d’un incident isolé. Letourneau comprit vite que « les détournements et les gestions occultes postulaient la mise en œuvre de moyens financiers considérablement supérieurs » aux bizarreries constatées, et que « l’ensemble de cette affaire se caractérisait par l’existence d’un trafic d’opium justifié par des impératifs militaires », au demeurant admissibles. Face aux officiers du corps expéditionnaire, Letourneau prit des mesures discrètes et, finalement, symboliques : le commandant Trinquier prit la place du lieutenant-colonel Grall à la tête du GCMA et seuls, assura-t-il, les actes antérieurs de courage de ce dernier « lui évitaient de faire les 60 jours d’arrêt de forteresse que tout autre, moins héroïque, aurait subi » 80. Salan, mais sans doute pas pour cette seule raison, fut lui-même remplacé par Navarre quelques semaines plus tard – Letourneau quittant également la scène, il est vrai, dans la tornade de la dévaluation de la piastre. 72
La Résistance Viet Minh s’alimentait-elle également à la source généreuse de l’opium ? Les Français en étaient pour leur part convaincus. « Tout le monde sait, déclarait Letourneau en septembre 1953, qu’une des ressources alimentant le budget de guerre du Viet Minh est l’opium et que les grandes opérations montées à certains moments dans le Nord-Laos ou dans le pays thaï sont essentiellement des opérations pour rafler la récolte d’opium en vue de la liquider sur les marchés internationaux » 81. Il n’en apportait pour autant aucune preuve. Salan voyait là également une justification de son propre trafic, comme il l’avait précisé à Letourneau dans le « rapport verbal » qu’il lui avait présenté fin février 1953 : le GCMA avait acheté la production d’opium à des chefs de maquis montagnards « à la fois pour que cet opium ne passe pas chez les Viet Minh, qui en tirent de larges bénéfices pour leur économie de guerre, et pour que nos maquisards ne nous abandonnent pas »82.
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Les documents disponibles ne démentent pas l’utilisation de l’opium par le Viet Minh, pour le financement de ses propres dépenses militaires, sans pour autant l’établir avec certitude. Les zones de production lui étaient accessibles grâce à la dissidence d’une partie des Méos eux-mêmes : les uns, au Laos, relevaient du clan de Lo Faydang, grand rival de Touby Lyfoung ; les autres, dans le pays thaï du nord-ouest du Vietnam, n’appréciaient pas les méthodes de Déo Van Long, le chef thaï de la région à qui les Français avaient délégué leurs pouvoirs, y compris celui d’acheter leur récolte d’opium83. La complicité des Méos de la région de Dien Bien Phu, en 1954, sera semble-til l’une des conditions de la victoire du général Giap. Bien sûr, les sources de la RDV, ou celles qui lui sont attribuées, sont très discrètes sur la question. Dans un rapport de 1952, Pham Van Dong l’aurait évoqué au chapitre de la « lutte économique contre l’ennemi » : « nous possédons quelques marchandises qui se vendent bien, aurait-il précisé, telles que l’opium, les buffles... », mais sans autre précision 84.
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À travers les sources françaises de renseignement, il n’y a aucun doute quant à l’utilisation de l’opium et à l’enjeu qu’il représentait. « C’est l’opium qui constitue certainement l’objet de vente ou de troc le plus profitable » pour le Viet Minh, note une étude dès 194885. Les directions de ce trafic semblent avoir toujours été les mêmes : « Le trafic (sans qu’il soit possible de donner un chiffre), indique la même étude, s’effectue principalement vers la Chine ou le Siam par voies terrestres, à partir des régions de production (Tonkin occidental et Laos), et par voie maritime (Nghe An) ». Un rapport
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du BTLC, service de documentation du haut-commissariat, parle également de la Chine et du Siam en 195086. Un renseignement vietnamien (État associé) de 1953, signalant l’arrivée au Sud d’une cargaison de plusieurs caisses d’opium – ainsi que de faux billets BIC – précise que son écoulement est prévu en « zone contrôlée »87. Dans ces conditions, le contrôle de l’opium à la production attisait forcément les convoitises : comme il a déjà été suggéré, les responsables militaires français ont toujours considéré que certaines des offensives Viet Minh dans la région de Lao Cay, en 1949 et 1950 notamment, avaient pour finalité de s’assurer la récolte d’opium de cette partie du pays thaï88. Importante source de financement, sans doute pour les deux parties, enjeu de la guerre, l’opium en est aussi resté la face cachée.
III. LES RESSOURCES EXTÉRIEURES 75
L’aide aux belligérants de puissances non impliquées au départ dans le conflit, ou très peu, transforme profondément la guerre d’Indochine à partir de 1950. En quoi ont consisté vraiment ces ressources extérieures ? Il s’agit bien sûr ici des ressources extérieures au conflit proprement dit, qui oppose la France au Viet Minh depuis 1945, mais pas extérieures au théâtre d’opérations, sans quoi il faudrait y inclure les ressources françaises, en particulier les crédits votés à plus de 10 000 kilomètres de l’Indochine pour entretenir sur place un coûteux appareil militaire. Les ressources extérieures dont il est question ici, et qui donnent au conflit sa dimension Est-Ouest, sont pour l’essentiel celles qui ont été levées aux États-Unis et en Chine. Mais elles sont inégalement repérables.
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L’aide américaine aux forces « franco-vietnamiennes », elle-même budgétisée dans le cadre de différentes lois sur l’aide et la sécurité votées par le Congrès, est relativement facile à suivre, encore qu’elle ait pris au fil des années des aspects complexes. Elle revêt trois formes principales : une aide militaire consistant en livraisons gratuites de matériels aux forces armées ; une aide économique aux États associés d’Indochine ; une aide financière enfin, plus tardive et ne concernant que la France. L’aide chinoise à la RDV, pour n’être pas moins décisive, s’est pour sa part faite beaucoup plus discrète et n’est en général connue, dans la mesure où elle peut l’être vraiment, que de manière indirecte. Des deux côtés en tout cas, la guerre d’Indochine s’est bel et bien inscrite par ce biais dans l’affrontement des blocs. Au-delà de l’inventaire de ces ressources extérieures, la question est de savoir dans quelle mesure leur poids toujours accru a pu les rendre finalement dominantes.
A. L’AIDE AMÉRICAINE EN MATÉRIEL 77
La première ressource que les États-Unis ont mise à la disposition de la France en Indochine consistait en livraisons gratuites de matériels militaires, dont on sait que le corps expéditionnaire avait grand besoin et les nouvelles armées nationales plus encore. Décidée quelques mois après la signature du pacte Atlantique, cette aide militaire s’inscrivait dans le cadre du Mutual Defense Assistance Pact (MDAP), plus connu en France sous le sigle PAM, dont le Congrès avait adopté le programme en octobre 1949 à la demande du président Truman, et dont l’objectif était de renforcer la capacité défensive de l’alliance atlantique89.
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L’Indochine n’était donc pas seule concernée par ce renforcement en moyens militaires : la nouvelle politique américaine décidée en octobre 1949, qui allait entraîner la mise en œuvre de moyens considérables, avait une double dimension européenne et asiatique, quoique dans un premier temps surtout européenne. L’accord bilatéral du 27 janvier 1950, signé à Paris par René Pleven et David Bruce, respectivement ministre de la Défense nationale et ambassadeur des États-Unis, faisait d’ailleurs de la France une pièce essentielle au dispositif occidental de défense : avec 600 millions de dollars sur les 1 450 votés par le Congrès (41 % des fonds), elle était en effet la principale bénéficiaire du programme et allait par exemple recevoir à ce titre, dès 1950, quelque 1 250 chars américains M 4 pour sa propre défense.
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La France pouvait-elle puiser dans cette ressource pour l’Indochine ? Le groupe des conseillers du PAM était à peine installé à Paris qu’il recevait une demande pressante de cartouches, qui faisaient là-bas tellement défaut que la poursuite de la guerre y semblait compromise – le premier cargo américain livrant armes et munitions était attendu à Cherbourg le 13 avril 195090. Mais les Américains souhaitaient distinguer l’Indochine de l’Europe et la négociation sur celle-ci ne faisait que commencer : les premiers crédits utilisés spécifiquement pour la guerre d’Indochine relevaient d’une enveloppe de 75 millions de dollars prévus pour le périmètre chinois ; et, après l’accord de principe Acheson-Schuman du 8 mai 1950 et la signature du « Pacte à cinq » le 20 décembre de la même année, l’Indochine allait plutôt relever de fonds alloués pour l’Asie91 : d’autres navires allaient assurer directement leurs livraisons sur place.
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À ces matériels de guerre livrés dans le cadre du PAM s’ajoutèrent en 1953 d’autres matériels, non directement militaires mais néanmoins utilisés par les armées, comme les carburants. Le dispositif relevait cette fois du Mutual Security Pact (MSP) 92, dont la mise sur pied fin 1951 par les États-Unis, alors que le plan Marshall prenait fin, traduisait leurs préoccupations de plus en plus sécuritaires. Mais ces livraisons, dites STEM93, ne représenteront en 1953, dans leur première année d’existence, pas plus de 10 % de la valeur de l’ensemble des matériels débarqués à Saigon par les navires américains.
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Les matériels militaires mis à la disposition des forces françaises arrivaient des ÉtatsUnis, parfois de France, ou avaient été prélevés dans les surplus américains du Pacifique, en particulier à Manille. Tous les types d’armements, ou de matériels nécessaires aux armements, étaient représentés, depuis les piles électriques et les munitions pour carabines jusqu’aux navires de guerre et même à un porte-avion : des centaines de chars et de véhicules blindés, autant de pièces d’artillerie lourde et légère, des milliers de véhicules, de mitrailleuses et de fusils mitrailleurs, d’appareils de transmission, des dizaines d’avions de chasse, de bombardiers, de petits navires aptes à se faufiler dans les arroyos, des millions de cartouches de tout calibre, des tonnes de napalm aussi...
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Les livraisons ont cependant mis du temps à trouver leur rythme. Dans la première année d’application du système, en 1950-1951, les rotations étaient lentes et se voulaient spectaculaires. Le porte-avion américain Windham Bay, escorté de patrouilleurs français, s’est ainsi offert une remontée de la rivière de Saigon le 1 er février 1951, essuyant chemin faisant quelques tirs de mortiers adverses, avec le plus important lot de matériel jamais encore livré : 44 chasseurs Grumman « Bearcat », qui gagneront leur base après un survol de la métropole du Sud, et tout un stock de pièces détachées94. Mais après le voyage de De Lattre aux États-Unis, plus précisément à partir
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de novembre 1951, le mouvement s’accélère et se banalise : plusieurs centaines de navires américains – deux à quatre par semaines – débarqueront dès lors à Saigon le matériel militaire au rythme moyen mensuel déjà évoqué de 8 000 tonnes, avec des pointes allant jusqu’à 17 000 tonnes. 83
La principale conséquence de ces livraisons fut de remettre « à niveau » les forces françaises. Alors qu’en 1950, le corps expéditionnaire ne pouvait compter que sur « un matériel désuet et insuffisant », comme précise en 1952 une note du Quai d’Orsay, « l’aide américaine a permis, (en) un an, une rénovation presque complète de son matériel »95. Le commandement en chef ne dit pas autre chose l’année suivante : cette aide vise à « une revalorisation totale du matériel et, en particulier, à son homogénéisation »96. Toutes les formations du corps expéditionnaire et des armées nationales en ont donc bénéficié. En tonnage, dans une moindre mesure en valeur, ces matériels étaient surtout destinés à l’armée de Terre97, conformément au poids de cette dernière dans le conflit ; le reste allait presque pour moitié à l’Air et la Marine, mais avec un rapport inverse entre le tonnage du matériel livré, plus faible, et sa valeur, plus élevée. Quant à la répartition entre corps expéditionnaire et armées nationales, elle reste à l’avantage du premier, même si la part des secondes augmente progressivement – elle passe de 11,7 % de la valeur des livraisons en 1952 à 16,8 % en 1953 : si les armées nationales s’équipent de toutes pièces, elles le font, on le sait, avec un matériel moins lourd et sophistiqué que celui livré au corps expéditionnaire.
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À la faveur des deux programmes complémentaires s’inscrivant dans les cadres précités, MDAP et MSP98, les États-Unis fournissent ainsi une aide militaire dont la valeur se stabilise autour de 300 millions de dollars annuels à partir de 1952 – soit environ 100 milliards de francs, comme l’indique le tableau suivant 99. Tableau 12. Aide militaire américaine
Source : SHAT. 85
La charge n’est cependant pas ressentie comme exceptionnellement lourde à Washington. Aux dires du secrétaire à la Défense Charles Wilson en 1954, qui donne cet exemple, l’expédition de munitions en Indochine n’a jamais, à aucun moment, représenté « plus de 10 % de ce qui était autrefois expédié en Corée au cours de la campagne »100.
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La valeur de cette aide militaire repose cependant sur des estimations. Les crédits d’aide votés par le Congrès sont certes connus, mais les fournisseurs n’ont jamais donné de détails sur la, valeur des livraisons : « l’aide américaine, précise-t-on au ministère des États associés, ne peut être que très difficilement chiffrée, les Américains s’étant toujours refusé à nous en communiquer le montant et le prix des matériels différant très sensiblement selon qu’il s’agit de matériels neufs, de matériels rénovés, de
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matériels réalisés en Amérique, de matériels réalisés en France ». L’habitude est prise de se baser « sur un prix moyen de 1 million de francs la tonne » 101. D’autres documents, émanant en particulier du commandement en chef en Indochine, considèrent plutôt « la valeur de remplacement des matériels fournis par l’aide américaine », en précisant également qu’il s’agit d’estimations 102. Mais les livraisons effectuées à la France métropolitaine étaient entourées du même mystère, comme l’explique Irwin M. Wall à propos des 1 250 chars acheminés en France. « D’après les instructions de Washington, le montant de ces livraisons ne devait pas être rendu public : il s’agissait de matériel datant de 1945 et remis en état, si bien que son prix ne correspondait pas à ce qu’aurait été sa valeur à l’état neuf, vu sa qualité. » 103 87
Cette ressource en matériel déversée sur l’Indochine était-elle par ailleurs vraiment fiable ? Elle était adaptée au théâtre : chaque année, le commandement des forces françaises dresse lui-même les listes des armements dont il a besoin et les fait parvenir à Washington, via le MAAG Saigon 104 ; et d’une manière générale il obtient satisfaction, quoique pas sur tous les points. Pour le programme FY 53 105, par exemple, qui avait été scindé en deux listes – une « 75 % List » en urgence et une « 25 % List » moins pressée –, la seconde liste a été retournée pratiquement inchangée : « dans l’ensemble, précise en effet le document concerné, les matériels accordés correspondent à ceux qui ont été demandés ». Mais la première a été retournée modifiée par Washington : « certains matériels n’ont pas été retenus par les Américains ou les quantités en ont été réduites », note le commandement en Indochine106. Les avions gros porteurs C-119, sur lesquels le commandement en chef comptait, se sont ainsi transformés en plus modestes C-47. Tout se passait comme si les États-Unis s’interdisaient de dépasser un certain niveau d’équipement dans leur aide à la France.
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Les difficultés, car elles n’ont pas manqué, tenaient à plusieurs causes. Si la livraison de matériels lourds ne semble pas avoir présenté de difficultés, la question des pièces détachées a par contre, on le sait, suscité de multiples doléances, du début à la fin de la période d’application de cette aide militaire : leur insuffisance ou leur inadaptation a parfois limité l’effet de certaines livraisons, comme dans le cas des avions. D’autres matériels étaient livrés à la limite de la réforme, comme le suggère cet exemple pris dans une note de renseignement de septembre 1952 : « Parlant des bâtiments qui ont été livrés dernièrement à l’Indochine, l’officier de Marine américain chargé de les convoyer a ironisé sur la vétusté de ce matériel, assez bon pour les Français et dont les Américains sont tout heureux de se débarrasser »107.
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Mais le problème le plus complexe à gérer tenait semble-t-il aux retards de livraisons : le programme FY 51, couvrant donc la période 1950-1951, n’a été entièrement livré que fin 1952 ; le suivant, FY 52, n’a commencé à être réalisé qu’en juin 1952, au moment où se terminait l’année fiscale correspondante... Le retard accumulé au départ, lié au remodelage constant des listes, ainsi qu’aux délais nécessaires pour trouver le matériel ad hoc et l’acheminer, n’a jamais été vraiment rattrapé. D’autres problèmes encore accompagnaient les autres formes d’assistance complétant cette aide en matériel.
B. L’AIDE ÉCONOMIQUE AUX ÉTATS ASSOCIÉS 90
Nettement plus faible en valeur que l’aide militaire, dont elle ne représente environ que le quart – entre 1 et 4 % du coût total de la guerre selon les années –, l’aide économique n’en est pas moins stratégiquement importante : elle contribue au
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financement de la guerre, même indirectement, et est surtout l’un des lieux où s’exerce l’influence américaine auprès des États associés. Pour les États-Unis, qui ont proposé une aide économique en même temps que l’aide militaire, le couplage est voulu, indispensable même à « l’endiguement » du communisme en Asie : la victoire de Mao en Chine n’a-t-elle pas montré que l’aide militaire seule restait insuffisante ? Le problème s’est depuis déplacé vers les pays d’Asie du Sud-Est. Pour la France, qui trouve d’abord désobligeant qu’une aide économique extérieure apparaisse nécessaire à des gouvernements qui lui sont associés, cette stratégie globale est finalement acceptée : « le gouvernement américain s’est rendu compte, entérine une note des États associés, que ces pays ne pouvaient résister efficacement au communisme qu’à la condition de se constituer en unités politiques et économiques solides, capables d’apporter à leur population une amélioration de niveau de vie sensible et durable » 108. 91
Un discret « bras de fer » oppose cependant Français et Américains dans la mise en place de cette aide économique, derrière laquelle se profilent justement le statut des États associés, et celui de la France elle-même en Indochine. Il faut d’ailleurs un an et demi pour lui trouver un cadre juridique. La Mission spéciale des États-Unis, installée à Saigon sous la direction de Robert Blum, au titre de l’ECA, démarre ses programmes le 5 juin 1950. Un an plus tard, quand les parties intéressées songent à signer un traité, de Lattre, alors haut-commissaire et commandant en chef, s’interpose : le 30 juin 1951, il empêche, on le sait, le gouvernement de Bao Dai de signer avec Washington, au motif qu’un délai insuffisant avait été laissé à Paris pour donner son accord. Pour les Américains, cette mauvaise humeur est liée au fait qu’il s’agissait du « premier traité séparé négocié et signé par le Vietnam » et que les Français avaient un peu de mal à s’y faire109. Les accords bilatéraux entre États-Unis d’une part et États associés d’autre part seront tout de même signés deux mois plus tard environ, le 7 septembre 1951. Du côté français, on souligna que « la conclusion de ces accords a donné lieu à de nombreuses difficultés, les Américains marquant une réticence très nette à laisser apparaître dans leurs textes les liens qui unissent les États associés à l’Union française » 110.
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Une première divergence était apparue quant à la finalité même de l’aide économique américaine : cette aide venant à un moment où les errements du « compte spécial n° 2 » attiraient l’attention sur les dérives du financement de la guerre d’Indochine, l’aide économique apparaissait pour les Français comme une ressource nouvelle, dont il fallait savoir tirer parti. Une analyse rédigée à Saigon en mai 1950, alors que la négociation globale avec les États-Unis est déjà bien avancée, le suggère sans détour 111. Considérant que « l’aide américaine sera plus nuisible qu’utile si elle n’est pas, au départ, convenablement cadrée », prenant bonne note que les Américains « estiment qu’une aide politico-militaire est le complément nécessaire de l’aide militaire », ce document précise : « la contre-valeur de l’aide économique est destinée dans notre esprit à financer pour la plus grande part les dépenses des armées nationales. Le programme 50/51 représente une contre-valeur d’au moins 400 millions de piastres, soit plus de la moitié du programme militaire vietnamien de 1950. L’appel à la trésorerie, qui retombe sur le Trésor français, en sera diminué d’autant ». Alors, aide économique ou aide militaire déguisée ? Mais les programmes américains établissent une claire distinction entre le militaire et l’économique, du moins dans les premiers temps, et tiennent expressément à leur dimension économique.
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Une seconde difficulté est liée au contenu même des programmes d’aide : les Français auraient-ils voix au chapitre ? Tout dépend en fait du type d’aide considéré, les
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Américains distinguant d’une part une « aide directe » et d’autre part une « aide commercialisée ». L’aide économique directe, comme son nom l’indique, consiste en fournitures gratuites directement livrées aux administrations ou à des entreprises locales, sans intervention ni droit de regard français. Pour l’aide commercialisée, par contre, la procédure est plus complexe : un crédit est ouvert aux États-Unis pour les importateurs indochinois mais ceux-ci règlent leurs factures, non pas auprès de leurs fournisseurs mais sur place, à une caisse centrale qui en tient ensuite le montant à la disposition des États associés. L’aide indirecte constituée par cette « contre-valeur » n’échappe pas cette fois à la vigilance des Français : ils ont obtenu de siéger dans une Commission provisoire d’importation de l’aide américaine, qui se réunit pour la première fois à Saigon le 4 décembre 1950. Le représentant de la France y veille notamment à faire en sorte que l’aide soit essentiellement consacrée à l’importation de produits de base, à éviter toutes mesures discriminatoires à l’égard d’entreprises françaises exerçant sur place et à empêcher l’achat de produits qui pourraient l’être dans l’Union française112. 94
Concrètement, l’aide directe et l’aide commercialisée ne rendaient pas exactement les mêmes services. Il apparaît à la lecture des programmes que l’aide économique directe était d’abord ciblée sur la santé publique et, dans une moindre mesure, les infrastructures (transports, énergie, divers services publics) et les activités de base (agriculture, forêts, pêche). L’aide commercialisée porte plutôt sur des produits, accessoirement des services : produits pétroliers, coton brut, fret maritime, équipement pour mines et construction... L’aide directe paraît ainsi plutôt centrée sur le fonctionnement social, administratif et économique ; l’aide commercialisée sur la production de « contre-valeur » à partir de biens qu’il aurait de toute façon fallu importer113.
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Considérés dans leur ensemble, les programmes d’aide économique connaissent une progression régulière, plus particulièrement forte dans l’année fiscale 1952-1953, avec la fin du plan Marshall et le remplacement de l’ECA par la Mutual Security Agency. La nouvelle aide, dite STEM et qui a déjà été évoquée comme complément de l’aide militaire, s’inscrit directement dans un objectif de défense (Defense Support Program). Tableau 13. Aide économique américaine aux États associés (programmes initiaux)
Source : SHATet AEF. 96
La répartition de l’aide économique américaine entre aide directe et aide commercialisée illustre-t-elle la lutte d’influence franco-américaine ? Entre le premier et le second exercice fiscal, soit entre 1950 et 1952, la part de l’aide commercialisée réalisée, à la gestion de laquelle participe la France, s’accroît un peu, passant de 52 à 61 % du total114. Mais la balance va pencher à nouveau vers les États-Unis, et de manière beaucoup plus forte, durant l’exercice suivant, 1952-1953, avec le nouveau type de
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programme mis alors sur pied, qui reprend presque exclusivement les modalités de l’aide directe. Avec la fin du plan Marshall et le remplacement de l’ECA par la MSA, la France se retrouve ainsi partiellement hors-jeu des nouveaux programmes. Graphique 9 et tableau 14. La réalisation de l’aide économique américaine aux États associés (autorisations d’achat au 31 décembre 1952, en millions de dollars)
Source : direction du Trésor. 97
La France n’aurait-elle donc que des raisons de se plaindre de ces 100 millions de dollars – environ 35 milliards de francs ? Il ressort certes des données précédentes qu’en deux ans et demi de programmes, malgré l’évolution d’abord constatée et à la faveur du changement d’organisation, 62 % de l’aide économique américaine aux États associés aura finalement échappé au contrôle français. Mais cette aide était loin d’être inutile : les États associés, consacrant à la demande de la France 40 % et plus de leurs budgets à la guerre, avaient quelques difficultés à dégager les ressources suffisantes au financement du reste. En 1953 enfin, l’aide économique a pris une vocation indirectement militaire, ce que les Français souhaitaient au départ, même s’ils n’en ont plus vraiment le contrôle, l’accent étant plus que jamais mis sur l’aide directe. En tout état de cause, l’assistance américaine, si elle crée les conditions d’une montée de l’influence des États-Unis en Asie du Sud-Est, permet également à la France d’éviter d’importants décaissements en dollars, lui apportant ainsi une aide, indirecte certes, mais non négligeable.
C. L’AIDE FINANCIÈRE DES ÉTATS-UNIS 98
La guerre d’Indochine était-elle devenue, comme l’affirme la revue Esprit à la fin du conflit, « d’un bon rapport financier »115 ? L’aide financière, bien au-delà de l’aide en
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matériel militaire et de l’aide économique aux États associés, constitue sans doute l’apport le plus déterminant, le plus stratégique, des États-Unis à la France dans la guerre d’Indochine. Imaginée dès qu’il fut question d’un soutien américain, cette aide financière ne fut mise en œuvre qu’en 1952, mais c’est par ce biais que Washington « racheta » presque littéralement la guerre aux Français. Cette aide financière freinaitelle la recherche d’une solution véritable au conflit ? 99
Dès le mois de février 1950, l’aide américaine qui se profile aurait pu, aux yeux de certains dirigeants français, comporter un volet financier. Le directeur des Finances extérieures, Guillaume Guindey, n’en fait pas mystère dans une note de cadrage sur le sujet : « M. Pleven est personnellement attaché à l’idée de demander également, au titre de l’aide américaine, une contribution en argent », destinée en l’occurrence à l’entretien des nouveaux bataillons vietnamiens116. Dans une note annexe, il précisait d’ailleurs que « dans la situation actuelle, l’aide américaine n’est utile qu’en tant qu’elle allège les charges imposées au Trésor ou aux États associés pour l’action poursuivie en Indochine. [...] Le problème essentiel est un problème de financement. L’intérêt principal de l’aide américaine réside donc dans sa consistance matérielle ou dans sa contrepartie financière ». Mais on n’alla pas plus loin, les Américains manifestant quelque réserve à financer le déficit budgétaire de leurs alliés, car cela y revenait.
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L’aide financière à la France pour la guerre d’Indochine est décidée deux ans plus tard lors de la conférence de Lisbonne de février 1952 et sur fond de réarmement général 117. Alors que la guerre de Corée se poursuit, cette neuvième session du Conseil atlantique concrétise en effet l’évolution de l’aide américaine, qui voit l’aide militaire prendre le relais de l’aide Marshall. L’Indochine n’est, on le sait, pas seule en cause : les 500 millions de dollars obtenus à Lisbonne ne lui sont pas totalement destinés – 330 millions le sont tout de même ; et cette aide financière est attribuée en échange d’un effort militaire considérable en Europe même. La France, soucieuse de tenir son rang sur le vieux continent, ne s’est pas fait prier : alors que le coût de la guerre d’Indochine avait augmenté de 33 % entre 1950 et 1951, le plan Pleven lançant la Communauté européenne de défense (CED) avait déjà fait faire un bond de 47 % aux crédits militaires, puisqu’il était entendu que la France devait y jouer le premier rôle. À Lisbonne, en souscrivant un objectif de vingt « divisions OTAN », alors que l’objectif précédent de quatorze divisions paraissait déjà difficile à atteindre 118, la France ne pouvait aller davantage dans le sens des États-Unis, qui réclamaient une augmentation spectaculaire des crédits militaires pour contrer une éventuelle menace soviétique : alors que le coût de la guerre d’Indochine augmente de 50 % entre 1951 et 1952, les crédits militaires de la France font dans le même temps un bond de 61 %119.
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Volontaire ou contrainte, la France est ainsi entraînée dans une spirale de dépenses militaires d’un niveau sans précédent, qui implique nécessairement une nouvelle aide américaine. Le comité des Sages, où se côtoient Edwin Powell, Averell Harriman et Jean Monnet, n’a-t-il pas recommandé à la France, en préparant la conférence de Lisbonne, de porter son budget militaire de 1952 à 1 400 milliards de francs, soit près du double de celui de 1951 ? « Aides toi le ciel t’aidera », paraissent dire les États-Unis, eux-mêmes dans le rôle du ciel. Mais à ce stade, comme le précisera Edgar Faure à Lisbonne, « la France n’est pas en mesure de faire face à la fois aux charges que lui imposent la guerre d’Indochine et sa contribution à la défense européenne »120.
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Les 330 millions de dollars (115 milliards de francs) obtenus pour l’Indochine à Lisbonne, se décomposent comme suit : • 200 millions de dollars en commandes off shore ; • 100 millions de dollars de supplément à l’aide économique ; • 30 millions de dollars en commandes à passer aux États-Unis.
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Dans le premier cas, les commandes off shore permettent de faire payer par les ÉtatsUnis des matériels fabriqués en France et destinés à l’Indochine. La seconde rubrique permet d’utiliser pour l’Indochine la contrevaleur de l’aide économique en question. Quant aux 30 derniers millions de dollars, ils correspondent à des commandes qui devaient être passées aux États-Unis par la direction des Affaires militaires (DAM) – 23 millions de dollars supplémentaires seront d’ailleurs ensuite distraits de l’off shore pour compléter ces achats. Sur les 177 millions de dollars restant à l’off shore (200 moins 23), 97 millions (55 %) iront aux forces terrestres de la France et des États associés, 60 millions (34 %) à l’armée de l’Air et 20 millions (11 %) à la Marine 121.
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Le président Edgar Faure n’est d’ailleurs pas peu fier de la technique financière de l’off shore, mise au point à Lisbonne : « Mes collaborateurs, en liaison avec des experts américains désireux de nous aider, indique-t-il dans ses Mémoires, étaient parvenus à mettre au point une formule subtile, qui permettait de dépasser nos plafonds et nos pourcentages ; il s’agissait, pour les USA, de nous passer, à nous Français, des commandes d’un certain type appelées off shore. [...] Ces commandes nous seraient payées en bel et bon argent américain. Nous avions, en contrepartie, à livrer le matériel correspondant. Voici cependant qu’intervenait un mécanisme original. Ce matériel, on nous en faisait cadeau, on nous le rétrocédait à titre gratuit ! » 122. Se faire payer ses propres fournitures et se les faire payer en dollars : telle était la grande idée de l’off shore.
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L’aide financière pour la première fois obtenue à Lisbonne au titre de l’année fiscale 1951-1952 augmenta les années suivantes. Pour l’année fiscale 1952-1953, elle ne s’accrut certes pas autant que ne l’aurait voulu le ministre des États associés Jean Letourneau : en visite à Washington en juin 1952, et muni de toutes sortes de bons arguments concoctés par ses services pour demander aux États-Unis une augmentation de leur aide financière, il se fit promettre une rallonge de 100 à 150 millions de dollars mais, lors du vote du Congrès, il n’en resta plus que 25. Ajoutés à la reconduction de ce qui avait été obtenu à Lisbonne, ces 25 millions portaient l’aide financière à 355 millions de dollars (330 + 25), soit environ 125 milliards de francs.
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L’année fiscale 1953-1954 fut plus décisive : après la visite de Mayer aux États-Unis, en mars, le mémorandum d’avril 1953 accordait à la France une aide de 460 millions de dollars, dont 60 à titre d’avance, et d’ailleurs imputée à l’année budgétaire précédente – ce qui portait l’aide pour 1952-1953 à 410 millions (355 + 60), environ 145 milliards de francs. Le 29 septembre 1953 enfin, face à une impasse budgétaire de 150 milliards de francs, le gouvernement obtenait une nouvelle aide de 385 millions de dollars pour les États associés, dont la subvention put être ainsi sortie du budget 123 : la procédure des off shore était supprimée mais le total pour l’année passait à 785 millions de dollars (400 + 385), soit environ 275 milliards de francs124.
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Graphique 10. L’aide américaine à la France pour l’Indochine (en milliards de francs 1953)
Source : SHAT et AEF. 107
L’évolution de l’aide financière pour l’Indochine des États-Unis à la France connaît ainsi une évolution significative : progressivement, et cette tendance est particulièrement nette pour 1953, l’aide américaine à la France est presque totalement orientée – détournée – vers l’Indochine, où elle joue donc un rôle croissant.
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Cette évolution a été manifestement voulue par les États-Unis. Sans doute l’intégralité de l’aide « ciblée » Indochine ne parvient pas toujours à destination, pour des raisons financières ou tout simplement comptable : une part sensible des off shore Lisbonne attribués à l’armée de l’Air est ainsi réputée avoir été utilisée sans relation avec la campagne d’Indochine. Les 60 millions de dollars obtenus à titre d’avance en avril 1953 et budgétisés sur l’année fiscale 1952-1953, auraient été utilisés par le Trésor pour régler les échéances françaises de l’Union européenne des paiements (UEP) 125. Pour autant, les États-Unis paraissent avoir périodiquement insisté pour orienter leur aide, de manière privilégiée, en direction de l’Indochine. C’est ainsi que, dans la négociation qui s’est tenue en coulisse de la conférence de Lisbonne, l’attribution supplémentaire de 100 millions de dollars d’aide économique n’était envisagée que, d’une part, si la contrevaleur de cette somme était consacrée à l’Indochine et si, d’autre part, les crédits militaires français, totaux, étaient portés de 1 190 à 1 225 milliards de francs 126 : la différence (1 225-1 190), c’est-à-dire 35 milliards de francs, correspond précisément à 100 millions de dollars... Ainsi, au lieu que la France ait la capacité de dégager pour l’Indochine 35 milliards de francs, ou 100 millions de dollars, c’est un peu comme si les Américains disaient : vous consacrez cette somme à la défense européenne et nous nous occupons de l’Indochine pour un montant identique.
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Tableau 15. L’aide financière américaine
Source : direction du Trésor. 109
Cette orientation privilégiée de l’aide financière américaine en direction de l’Indochine relevait d’une tendance lourde, et sans doute d’un choix d’une partie des décideurs français, du moins d’un choix par défaut : il fallait que la France joue le premier rôle en Europe et que, pour ce faire, elle ne paraisse pas le devoir à l’assistance américaine ; le risque était évidemment grand de perdre le contrôle de la situation indochinoise, par perte de crédit auprès des États associés comme par impuissance à résister aux pressions américaines mais, en tout état de cause, la place de la France en Europe était prioritaire. Accessoirement, mais cet aspect des choses n’était pas si accessoire, l’aide américaine en dollar aidait puissamment la France à résoudre les problèmes de sa balance des paiements – on y reviendra.
D. L’AIDE CHINOISE AU VIET MINH 110
Les sources accessibles ne permettent pas de faire, à propos de l’aide apportée par la Chine populaire à la RDV, un inventaire comparable à celui à celui qui vient d’être effectué pour l’aide américaine à la France et aux États associés. L’existence même de cette aide n’a d’ailleurs été reconnue que tardivement à Hanoi. Trente-cinq ans après la bataille de Dien Bien Phu, dans un texte écrit en 1989 et devenu chapitre préliminaire de son ouvrage sur le sujet, le général Giap parle pour la première fois des « experts militaires amis » venus de Chine et de leurs « précieux conseils » 127. Il faut pourtant tenter d’évaluer cette aide, à la fois qualitativement et quantitativement. Sans doute faudrait-il d’ailleurs considérer non pas seulement la Chine mais l’ensemble du camp communiste : certains armements livrés dans les maquis de la haute région venaient directement d’Europe de l’Est, de Tchécoslovaquie notamment ; et les sabotages ou retards divers apportés par des militants communistes français aux livraisons de matériels français en Indochine pourraient être également pris en considération 128.
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L’aide chinoise ne semble pas non plus commencer en 1949. Une aide communiste chinoise, et plus généralement du « camp », était perceptible dès le début du conflit 129. D’une part, le Viet Minh pouvait passer par les communistes actifs dans les frontières limitrophes de l’Indochine, Guang dong, Guangxi et Yunnan, presque tolérés d’ailleurs dans cette dernière province par le général Lu Han, celui-là même qui dirigeait les troupes chinoises d’occupation du Vietnam-Nord en 1945-1946. « Je vous demande de tout faire pour éviter que le Viet Minh puisse avoir le contact avec les unités de Mao », avait demandé en vain le ministre de la France d’outre-mer Marius Moutet au général Salan dès 1947130. D’autre part, la RDV entretenait jusqu’en 1950 une mission à Bangkok, d’où le PCC ne semblait pas absent et où existait surtout une ambassade soviétique. Par
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ce biais, un lot d’équipement évalué à environ 200 millions de francs fut par exemple livré au Viet Minh à l’automne 1947, par voie maritime131. Mais une telle assistance paraît modeste au regard de ce qui s’est passé à partir de 1950. 112
À partir du moment où le nouveau pouvoir chinois contrôle l’intégralité ou presque du pays du Milieu, l’aide de la Chine prend une forme difficile à comptabiliser mais visiblement plus importante : le territoire des provinces limitrophes constitue un arrière sûr où les premières grandes unités régulières du Viet Minh ont pu se constituer, recevoir la formation nécessaire et s’équiper ; à Kunming et à Nanning, et entre ces deux capitales provinciales et la frontière vietnamienne, des centres d’instruction forgeaient la nouvelle armée populaire. Les services de renseignements français, qui identifiaient ces unités lorqu’elles étaient réintroduites au Vietnam, souvent dotées de vêtements et d’armements nouveaux, ne pouvaient que constater la transformation. Des spécialistes chinois, au nombre de quelques milliers peut-être, franchissaient également la frontière dans ce sens.
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L’aide chinoise la plus importante consistait en livraisons de matériels, militaires ou autres. Cette aide, qui a également mis quelque temps à se roder mais paraît particulièrement forte à partir de 1952, était gérée par un bureau central de liaison sino-vietnamien installé à Nanning, et acheminée par toutes les voies disponibles : le chemin de fer en particulier, jusqu’à proximité de la frontière, où des camions également fournis par la Chine – mais aussi tout un peuple de porteurs – pouvaient prendre en charge les livraisons, se montant à des centaines, et bientôt à des milliers de tonnes chaque mois. Il s’agissait de matériel japonais et américain, récupéré en 1945 ou en 1949 sur les troupes de Tchiang Kai Chek, également en Corée, ou bien d’armements fabriqués en Chine ou en Europe. Une synthèse de renseignements français donne la répartition suivante pour le second semestre 1951 : 1 900 tonnes d’armement, 900 d’explosifs, 700 d’habillement, 500 de vivres, 130 de matériel de transmission, 20 de médicaments, 1 400 de pièces de rechange et de carburant, et plusieurs centaines non identifiées – plus de 6 000 tonnes connues au total. L’aide chinoise couvrait ainsi aussi bien l’entretien que l’équipement des forces armées de la RDV 132.
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Peut-on mettre en parallèle les aides chinoise et américaine aux belligérants ? Les indications de l’époque et les statistiques disponibles laissent penser que la seconde a été sur l’ensemble de la période nettement plus importante que la première. Pour la période 1951-1954, François Joyaux évalue « très grossièrement » à 50 000 tonnes les fournitures reçues par le Viet Minh à partir de la Chine, « et en tout état de cause à moins de 100 000 tonnes ». C’est évidemment moins que les 300 000 tonnes déjà livrées au port de commerce de Saigon à la mi-juin 1953... Il est vrai que la fourniture de nombreux avions et bateaux devait, si l’on peut dire, peser sur les chiffres. Alors que Washington livrait en moyenne, à partir de novembre 1951, quelque 8 000 tonnes par mois, Pékin semble avoir donné un rythme plus variable à ses fournitures – à moins que les difficultés de comptage n’expliquent cette impression : 6 000 tonnes par mois en 1952, mais d’autres indications parlent de 700 tonnes par mois pendant l’été, 1 000 tonnes par mois en 1953, à nouveau 4 000 à 6 000 tonnes par mois début 1954 – abstraction faite de la qualité du matériel fourni. Les États-Unis s’inquiètent en tout cas périodiquement de cette évolution, à laquelle ils lient leur aide à la France 133.
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Si l’évaluation de l’aide militaire chinoise est délicate à effectuer, on peut croiser différentes données. Il apparaît ainsi, d’une part, que ces livraisons ont amené le corps de bataille Viet Minh à un niveau pratiquement équivalent à celui des forces franco-
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vietnamiennes : sans doute ne dispose-t-il ni d’aviation ni de marine de guerre digne de ce nom, ni des nombreux véhicules blindés dont dispose le corps expéditionnaire. Mais la RDV entretient en revanche des unités de DCA dont les Français, eux, n’ont pas besoin, un parc d’artillerie de haut niveau – d’artillerie lourde les dernières années, singulièrement à Dien Bien Phu – et sa consommation de munitions est à la mesure de la montée en puissance des combats : d’août à novembre 1952, la Chine lui aurait notamment expédié 2 300 000 cartouches, 30 000 obus de mortiers, 128 000 grenades... 134
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Une estimation personnelle reposant sur de multiples paramètres, et qui reste grossière, permet de penser que, par son aide militaire, la Chine couvre progressivement entre 20 et 50 % des dépenses militaires du Viet Minh. Pour parvenir à cette fourchette très lâche, on a évalué l’aide chinoise en fonction des chiffres disponibles pour l’aide américaine, puisque chacune des deux amène les belligérants à un niveau quasiment équivalent – tout en tenant compte du tonnage effectivement livré, qui apparaît très inférieur pour la Chine, ne comprenant en particulier ni avions ni navires. On a croisé ensuite ces données avec le montant supposé du budget de la RDV dans cette période, et de la part qui est justement destinée aux forces armées : montant estimé en fonction des chiffres connus pour les années suivantes – la RDV ne fournissant pas de statistiques, notamment pour ces années de Résistance – et par comparaison avec le budget de l’État associé du Vietnam, plus élevé en principe car disposant de plus abondantes ressources fiscales. Mais les deux en consacrent un pourcentage équivalent à la guerre.
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Il resterait à considérer une éventuelle aide financière de la Chine à la RDV Deux moyens en particulier pourraient être explorés. Les troupes françaises réfugiées au Yunnan en 1945 et les forces chinoises de Lu Han – présentes en 1945-1946 – ont sorti du Vietnam de gros paquets de piastres et ne les y ont pas toujours rapatriés 135 : il est tentant d’imaginer ce matelas de « devises » récupéré par l’autorité chinoise en 1949 et, totalement ou partiellement, mis à la disposition de la RDV.
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Une autre forme d’aide, plus subtile sinon plus moderne, semble avoir plutôt concerné le Sud, par le jeu de transferts financiers des Chinois du Vietnam en direction de la mère patrie. Ces transferts connaissent des hauts et des bas. Un jour ils sont suspendus, comme avec cette instruction de janvier 1952 : « Le comité exécutif du Nam Bo à l’honneur de retourner les demandes d’envoi d’argent en Chine, en priant les provinces de les remettre aux intéressés qui ont demandé à faire le transfert d’argent en Chine, en leur expliquant que la situation a beaucoup changé par rapport à la situation antérieure et qu’elle rend la liaison peu favorable, les conditions techniques ne permettant d’ailleurs pas un transit »136. Six mois plus tard, elles sont au contraire vivement encouragées. Le président du Font Lien Viet de Tra Vinh demande en juin aux Chinois du Vietnam d’accélérer les mouvements de transferts de fonds vers la Chine 137 : c’est une « faveur spéciale que le gouvernement leur réserve pour resserrer l’amitié entre les deux peuples du Vietnam et de la Chine ». Le ton suggère qu’un mode nouveau de transfert a peut-être été mis sur pied.
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Sachant qu’un accord global « d’échange de marchandises » a été conclu entre la Chine et le Viet Minh le 7 avril 1952138, c’est-à-dire dans l’intervalle des deux précédentes instructions, et sur la base d’une analyse du 2e Bureau français datant de septembre 139, il est possible d’imaginer un montage judicieux, qui ferait partie de l’accord et serait destiné à faire bénéficier le Nam Bo, situé loin de la frontière commune, d’une aide
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financière chinoise. L’analyse française fait état d’un mécanisme bancaire, conçu en accord avec la Chine, par lequel les Chinois du Vietnam, plus ou moins exonérés de taxes pour l’occasion par l’autorité Viet Minh, pouvaient envoyer de l’argent à leur famille en Chine : il suffit à l’individu intéressé de verser une somme – en piastre BIC – à un interlocuteur Viet Minh patenté (si l’on peut dire) et d’adresser une lettre authentifiée à sa famille en Chine, l’informant du transfert ; sur la base de ce document, celle-ci peut retirer l’argent auprès de l’autorité bancaire locale. Il n’est pas interdit de penser que la Chine, elle-même à cours de devises, puisse en récupérer par ce biais. Mais il est également tentant d’imaginer que l’argent déposé au Vietnam, dont au demeurant aucune comptabilité n’atteste le volume, y soit tout simplement resté, les remboursements effectués de l’autre côté de la frontière représentant l’équivalent de l’aide financière apportée par la Chine au Viet Minh. 120
On ne prête qu’aux riches... Quelle que soit la réalité de ces mécanismes, la Chine populaire et le Viet Minh ont dans les dernières années de la guerre de plus en plus partie liée. Et même si plusieurs sources suggèrent, en début plutôt qu’en fin de période d’ailleurs, que le Viet Minh réglait par ses propres livraisons une partie des fournitures chinoises, il ne pouvait le faire longtemps à cette hauteur : le poids financier de la Chine dans le conflit, aux côtés de la RDV, paraît du même ordre que celui pris par les États-Unis dans le camp adverse.
NOTES 1. Rapport Bousch, de la commission des Finances du Conseil de la République, n° 165, du 25 mars 1965. Archives de l’Assemblée nationale et AEF, Fonds Trésor, B 33540. Voir annexe 24 2. Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951. Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France 3. Projet de loi n° 7532, annexe V Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 63. 4. Les Tables générales des documents et débats parlementaires, pour la première législature (1946-1951) comme pour la seconde (1951-1956), constituent la source principale concernant les décisions parlementaires. Archives de l’Assemblée nationale. 5. Le Figaro, article du 10 juin 1949. 6. Jacques Julliard, La IVe République, Calmann-Lévy, Paris, 1968. 7. Note sur le coût de la guerre. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 10. 8. Note de la DAM du 17 mars 1954. SHAT, 14 H 72. 9. Le Monde du 21 novembre 1952. 10. Directeur des Affaires militaires, note pour le ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952, SHAT, 2 R 65. Il faisait ici référence à un article de La vie française du 31 octobre 1952, titré précisément : « Trop chère l’Indochine ! ». 11. Rapport Bousch, op. cit. 12. Le chiffre donné par le Conseil de la République n’est pas le chiffre voté par le Parlement mais ce qui en reste après soustraction de l’aide américaine cette année-là. 13. Elle dispose d’un budget général principalement alimenté par la fiscalité indirecte et de budgets locaux, surtout financés par la fiscalité directe.
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14. 1 % sur toutes les transactions supérieures à 20 piastres. Philippe Devillers, Histoire du Vietnam, de 1940 à 1952, Seuil, Paris, 1952. 15. Rapport de mission du conseiller financier du gouvernement fédéral, 1 er mars 1946, op. cit. 16. Annam, Cambodge, Cochinchine, Laos, Tonkin. 17. Le budget cambodgien, relevant d’abord de la France puis de la souveraineté nationale, garde ses contours entre le début et la fin de la période, se multipliant environ par 20 : il passe, en francs constants (1953), de 2,6 milliards en 1946 à 19-20 milliards en 1953. Note d’information sur le budget national du royaume du Cambodge, 1953. AEF, Fonds Trésor, B 33551. 18. Opérations budgétaires au Laos, de 1946 à 1949, et correspondances administratives de Vientiane à Paris, en 1949 et 1955. AEF, Fonds Trésor, B 33539 et B 43929 19. Tableau établi par la Trésorerie générale de l’Indochine pour 1946. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 20. En particulier le budget local des PMSI – populations montagnardes du sud-indochinois –, ainsi théoriquement soustrait à l’influence du Vietnam. 21. Tableaux de situation de la Trésorerie générale de l’Indochine pour 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924 22. Plusieurs budgets ont été saisis par les services français de renseignements, disponibles dans les archives du SHAT 23. Décret 47-369 du 30 avril 1947, portant création d’un budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine. 24. Situation des budgets extraordinaires de l’Indochine, AEF, Fonds Trésor, B 33538. 25. Les dépenses militaires passent de 44 à 173 millions de piastres, occupant 9,7 % du budget général, qui passe lui-même de 730 à 1 785 millions de piastres. 26. Les dépenses en question seront prises en charge en 1950 par le compte spécial n° 2. « Dépenses militaires propres à l’Indochine, compte spécial n° 2 (tranche 1950) ». AEF, Fonds Trésor, B 43924 27. Note du conseiller financier au ministre d’État chargé des Relations avec les États associés, sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 28. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 29. Note du 4 décembre 1951 sur la « contribution fiscale [des Français) et ses rapports avec les autres catégories d’assujettis », annexé au rapport Pineau, op. cit. 30. Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le « Financement des armées nationales des États associés en 1954 ». AEF, Fonds Cusin, 5 A 79. 31. Rapport Pineau, op. cit. 32. Note du conseiller financier au ministre d’État chargé des Relations avec les États associés, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 33. Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le « Financement des armées nationales », AEF, Fonds Trésor. 34. Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le Financement des armées nationales, op. cit. 35. Rapport Bousch du Conseil de la République, 1954. Archives du Sénat. 36. CFTEO, 2 e bureau, Étude sur l’économie vietminh, 11 décembre 1948. 72 pages. SHAT, 10 H 3990 37. RDV Comité du Nam Bo, Situation financière de 1950. Document saisi. SHAT, 10 H 3992. 38. Rassemblement de Long Xuyen, Chau Doc et Sa Dec. Document saisi le 6 mai 1952 : budget provincial de Long Chau Sa. 10 H 3992 39. Note n° 4 sur les « déficits budgétaires des États associés », rattachée à la lettre n° 1465 du haut-commissaire au directeur du Trésor, datée du 28 mai 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 40. Note du 16 septembre 1954, remise à Guy La Chambre, secrétaire d’État aux États associés de Pierre Mendès France. AEF, Fonds Trésor, B 43926. 41. Lettre Haussaire à FOM n° 518-S du 14 mars 1949.
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42. Près de 40 milliards de francs. Les dépenses militaires de 1948 à la charge de l’Indochine étaient déjà quatre fois plus élevées qu’en 1947. L’exercice 1949 prend en compte d’une part des « dépenses militaires propres à l’Indochine » et d’autre part, des « dépenses militaires transférées à l’Indochine ». Budgets ordinaires des services communs. AEF, Fonds Trésor, B 33539 43. Instruction interministérielle (Finances – France d’outre-mer) du 4 avril 1949 « relative à la participation de l’Indochine aux dépenses d’entretien des Forces terrestres d’Extrême-Orient au cours de l’exercice 1949 ». AEF, Fonds Trésor, B 43926. 44. Note d’information sur la position de la France au regard de la liquidation du Trésor indochinois. AEF, Fonds Trésor, B 43926. 45. Lettre de Max Deville, conseiller financier à Saigon, au directeur-adjoint du Trésor Bret, 29 septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33538. 46. D’après la note n° 3 sur les dépenses militaires, rattachée à la lettre n° 1465 du hautcommissaire à la direction du Trésor, du 28 mai 1951. 47. On reviendra un peu plus loin sur ce point. L’héritage du Trésor indochinois était géré par la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette. 48. Correspondance de Max Deville à François Bloch-Lainé, 5 janvier 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924 49. Graphique élaboré à partir des données partielles figurant dans le Fonds du Trésor. 50. Note du 15 avril 1949 : « Approvisionnement des caisses du Trésor en Indochine et modes de couverture des transferts de l’Indochine sur la France ». AEF, Fonds Trésor, B 43924. 51. 70 % de cette somme étant censée devoir être ultérieurement couverte par le Trésor français. Tableau accompagnant une note sur les prévisions de trésorerie du haut-commissaire de France en Indochine, du 11 août 1949. AEF. Fonds Trésor, B 33539. 52. Le problème des dépenses militaires de 1949 et 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43926. 53. Exposé des motifs du projet de loi sur le Compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 54. Le financement des dépenses de la Défense nationale et les Finances extérieures, 9 octobre 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79. 55. Rapport Valls pour 1953, au chapitre « Perspectives 1954 ». AEF, Fonds Trésor, B 43930. 56. Approvisionnement des caisses du Trésor en Indochine et modes de couverture des transferts de l’Indochine vers la France. AEF, Fonds Trésor, B 43924. 57. Exposé des motifs du projet de loi sur le Compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 58. Note pour le ministre et le secrétaire d’État du 11 juin 1949 sur la situation financière de l’Indochine, signée par le directeur des Affaires économiques et du Plan, G. Peter. AEF, Fonds Trésor, B 33539. 59. Ministère des Finances, Le budget de 1950. CHEFF. 60. Note préparatoire aux conversations franco-américaines. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22. 61. Lettre du 17 août 1953 au président du Conseil Laniel. Archives diplomatiques, AO/IC/265. 62. Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes, n° 44, Hanoi, 1976. 63. Giadinh, Cholon, Mytho, Vinh Long, Bentre, Sadec. 64. Comité du Nam Bo, « Situation financière de 1950 », document signé Pham Van Bach en juin 1951. SHAT, 10 H 3992. 65. « Rapport sur la situation économique et financière de mai 1952, pour le Nord et le Centre », signé Pham Van Dong. 10 H 3990. 66. Jacques Despuech, Le trafic de piastres, Paris 1953. 67. La question était posée par M. Fonlupt-Esperaber. Rapport Mondon n° 8681, juin 1954. Archives de l’Assemblée nationale. 68. Comité du Nam Bo, « Situation financière de 1950 », op. cit.
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69. Compte-rendu des résultats de l’emploi du budget de l’exercice 1951 de la province BaraiCholon. 28 juillet 1952. SHAT, 10 H 3992. 70. Alfred McCoy, La politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est, Paris, 1980. 71. Rapport de fin de mission du conseiller financier, 1 er mars 1946. op. cit. 72. Pour lui, l’Indochine elle-même n’est que faiblement productrice, à la différence de pratiquement tous ses voisins : il n’est donc pas imaginable qu’elle reste « un îlot non consommateur au milieu d’un monde d’intoxiqués ». Par ailleurs, suggère-t-il, la France n’a pas à rougir de son action : de 200 à 300 tonnes annuelles à l’arrivée des Français en Cochinchine, la consommation a été progressivement ramenée à 40 ou 50 tonnes à la fin des années 1930. Note de Gonon, conseiller financier à Saigon après Bloch-Lainé, « sur l’opium médicinal et la ferme des jeux en Indochine », non datée mais sans doute rédigée fin 1946. AEF, Fonds Trésor, B 33540. 73. Il veut sans doute parler du modus vivendi signé à Vientiane le 27 août 1946 avec le roi du Laos, quatre mois après le retour des Français et le départ en exil à Bangkok du gouvernement Lao Isara de Pethsarat, qui se faisait depuis l’année précédente le champion de l’indépendance nationale. 74. Rapport de fin de mission du conseiller financier, 1 er mars 1946, op. cit. 75. L’établissement d’un budget indochinois par les autorités japonaises, en 1945, prévoyait 65 millions de piastres de rentrée des impôts tirés du monopole de la vente de l’opium, selon une information parvenue à Berne après un détour compliqué. Lettre de l’ambassadeur de France en Suisse au ministre des Affaires étrangères, 20 juin 1945. CAOM. Indo/NF/1282. 76. Note de Gonon, op. cit. 77. Alfred McCoy, La politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est, op. cit. 78. La mission Devinat. Le général Gras, dans son Histoire de la guerre d’Indochine, est très discret sur le sujet, amplement développé par contre dans l’ouvrage de McCoy précédemment cité. Une note confidentielle du ministre des États associés Letourneau au président du Conseil Mayer, datée du 9 avril 1953, permet en tout cas de lever le doute sur cette affaire. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 79. Les Binh Xuyen, secte ou plutôt bande inféodée à Bay Vien, vivant des revenus illicites des jeux ou de la drogue, avaient collaboré avec le Viet Minh en 1945 et mirent ensuite leurs compétences au service des Français, assurant en particulier une certaine sécurité dans plusieurs quartiers de Saigon. 80. Devenu une sorte de théoricien de la contre-insurrection, Trinquier fit ensuite parler de lui en Algérie, du côté de l’OAS, avant d’offrir ses services aux « Affreux » du Katanga. 81. Déposition devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, 27 septembre 1953. Rapport Mondon, n° 8681, juin 1954. Archives de l’Assemblée nationale. 82. Note de Letourneau à Mayer du 9 avril 1953, op. cit. 83. Une principauté thaïe avait été déclarée autonome en 1946, avec un budget essentiellement alimenté, comme celui du Laos voisin, par les ventes d’opium. Mais cette entité se trouvait ainsi dominée par une minorité thaïe de laquelle les Méos ne demandaient pas mieux que de se soustraire. 84. « Rapport sur la situation économique et financière du mois de mai 1952 pour le Nord et le Centre Vietnam », du Conseil économique du gouvernement central, signé Pham Van Dong, 5 juin 1952. saisi en juillet 1953 lors de l’opération Périgord. SHAT, 10 H 3990. Cet indice vient cependant après le scandale du printemps dans les rangs français. 85. Étude sur l’économie Viet Minh, 1948. 2e Bureau. SHAT, 10 H 3990. 86. Bilan économique et financier du Viet Minh, 6 juin 1950,49p. SHAT, 10 H 3991. 87. Renseignement du 17 février 1953. SHAT, 10 H 3992. 88. Le général Gras, dans son Histoire de la guerre d’Indochine, s’en fait l’écho. 89. Truman avait déjà demandé au début de l’été 1949 au Congrès 1 450 millions de dollars pour les principaux alliés des États-Unis.
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90. Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, 1989. 91. Le Pacte de défense mutuelle a été signé le 20 décembre 1950 par les États-Unis, la France et les trois États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos. 92. Pacte de sécurité mutuelle. L’ECA, administration du plan Marshall, cède ainsi la place, le 1 er janvier 1952, à la MSA (Mutual Security Agency). 93. Du nom de la Special Technical and Economic Mission (STEM), installée à Saigon par la MSA pour faire bénéficier le Vietnam, comme d’autres pays de ce que l’on appellera bientôt le « tiersmonde », de crédits américains. 94. Le Monde, 2 février 1951. 95. Note du 22 avril 1952. Archives MAE, AO/IC/264. 96. Note de l’état-major du commandement en chef des Forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154 97. 78 % du tonnage et 60 % de la valeur des livraisons vont à l’armée de Terre, selon des statistiques partielles (1950-1953). SHAT, 10 H 1585 et 2 R 65 98. Mutual Defense Assistance Program(relevant du Mutual Defense Assistance Pact, à partir de 1950) et Military Support Program(relevant du Mutual Security Pact, à partir de 1953). On parlera également, pour ce dernier, de Defense Support program (DSP). 99. Tableau résumant la « Contribution des États-Unis à la campagne d’Indochine ». SHAT, 2 R 65. 100. Le Monde, 16 avril 1954. 101. Ministère des Relations avec les États associés-Secrétariat permanent de la Défense nationale. Fiche du 10 juin 1952 sur l’aide américaine à l’Indochine. SHAT, 10 H 154. 102. Par exemple la note au ministre du commandement en chef des forces terrestres, aériennes et navales en Indochine (EMIFT), du 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154. 103. Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française, op. cit. 104. Military Advisory Assistance Group. 105. Fiscal year 1953, qui va du 1er juillet 1952 et 30 juin 1953. 106. Note de l’état-major du commandement en chef des Forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154. 107. Note du 4 septembre 1952 de la direction des Services de renseignement du hautcommissariat au ministère des États associés. Archives MAE, AO/IC/265. 108. Note au sujet de l’aide économique américaine aux États associés d’Indochine du 28 janvier 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 109. FRUS 1951, volume VI, Indochina part 1, June 29, 30 1951. 110. Note au sujet de l’aide économique américaine aux États associés d’Indochine, du 28 janvier 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 111. Haut-commissariat de France en Indochine, 10 mai 1950. Note sur l’aide économique américaine pour la direction Asie-Océanie, ministère des Affaires étrangères, signée Robert Davée. Archives MAE, AO/IC/262. 112. Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, AEF, Fonds Trésor, B 43906. 113. Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, op. cit. 114. Fiche sur l’aide américaine à l’Indochine du 10 juin 1952, SHAT, 10 H 154 et Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, AEF, Fonds Trésor, B 43906. 115. Esprit, mai 1954, cité par Dalloz, La guerre d’Indochine, Paris, 1987. 116. René Pleven est alors ministre de la Défense nationale. Guillaume Guindey, note pour le ministre du 23 février 1950 sur l’aide américaine à l’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43906. 117. La délégation française à la conférence de Lisbonne était conduite par le ministre des Affaires étrangères Robert Schuman et comprenait Edgar Faure, alors éphémère président du Conseil, le ministre de la Défense nationale Georges Bidault, mais qui, malade, ne participa pas aux travaux, et le ministre de l’Armement Maurice Bourgès-Maunoury. 118. Frédéric Bozo, La France et l’OTAN, Paris, 1991.
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119. Évaluations d’après les données fournies par le rapport Bousch au Conseil de la République, 1954. 120. Note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952. Archives MAE, AO/IC/264. 121. Note du 31 janvier 1953, Archives MAE, AO/IC/265. Tableau de la contribution américaine à la campagne d’Indochine, SHAT, 2 R 65. Fiche du 10 juin 1952, SHAT, 10 H 154. 122. Edgar Faure, Mémoires I, Paris, 1982. 123. Voir annexes 17 et 20 124. Rapprochement des chiffres recueillis dans diverses sources d’archives. 125. Correspondance économique, 11 septembre 1953. AEF, Fonds Trésor, B 33550. 126. Télégramme de Bonnet du 5 février 1952. Archives MAE, AO/IC/264. 127. Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition. Hanoi, 1994. 128. Rapport Revers et Alain Ruscio, Les communistes français et la guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, 1985. Ce dernier donne de multiples exemples d’actions menées par des ouvriers, dockers et autres militants contre la fabrication, l’entretien ou le transport de matériel à destination de l’Indochine mais indique que ce mouvement a surtout été important en 1950 et, sur la durée, plutôt le fait des dockers employés dans les ports où du matériel militaire était chargé vers l’Indochine. 129. François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine, Paris ; 1979, et Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh (1947-1954) : un aspect des relations franco-chinoises », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 187, 1997. 130. Raoul Salan, Mémoires, et François Joyaux, op. cit. 131. François Joyaux, op. cit. 132. Sources SHAT, citées par Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh... », op. cit. 133. François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine, Genève, 1954, Paris, 1979 et Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. 134. Sources SHAT, citées par Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh... », op. cit. 135. François Bloch-Lainé, Rapport n°2 au ministre des Finances, Chandernagor. 24 octobre 1945. CAOM/INDO/NF/1368. 136. Instruction n° 17/NB du 18 janvier 1952, signée Pham Hung. SHAT, 10 H 3990. 137. 25 juin 1952. SHAT, 10 H 3992. 138. François Joyaux, op. cit. 139. Bulletin de renseignement du 25 septembre 1952. SHAT, 10 H 3992.
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Chapitre VI. La gestion
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En Indochine, titrait Le Monde au lendemain de la signature des accords de Genève, « La France n’a su faire ni la guerre ni la paix ». Cruel jugement : le Parlement aurait-il par exemple été, a priori, hostile à toute mesure exceptionnelle ? « En tout cas, observe Jacques Fauvet, signataire de l’article, on ne lui a jamais demandé nettement, pour en finir avec l’adversaire, ni un effort financier, sous forme d’impôt ou d’emprunt, ni un effort militaire, comme l’envoi du contingent ». La victoire était-elle donc réputée inaccessible ? Mais, constate-t-il également, « les gouvernements successifs n’ont jamais non plus placé le pays et le Parlement en face de ce que pourrait coûter la paix »1.
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Entre les dépenses militaires et les ressources disponibles, la gestion du conflit indochinois par la France, si l’on en juge par ses résultats, apparaît en effet calamiteuse. Dans une guerre qui ne voulait pas dire son nom, la lenteur de l’élaboration des budgets militaires ne le cédait qu’à celle de leur exécution. A travers le maquis touffu de l’organigramme décisionnel, les flux financiers liés aux opérations étaient suivis - en techniciens - par des techniciens, pendant que les militaires, comme sur une autre planète, vaquaient à leur propre besogne. De la piastre ou du fusil, bien malin celui qui pouvait dire alors ce qui comptait le plus.
3
Faut-il émettre l’hypothèse que si la guerre avait été bien gérée par la France, et avec des moyens adéquats, elle aurait pu être gagnée ? Rien n’autorise à le dire : par contre, ses responsables auraient peut-être eu les moyens de discerner plus tôt ce qui, de la guerre ou de la paix, devait l’emporter - ce qu’il était, tout simplement, possible de faire.
I. UN NON-ÉTAT DE GUERRE 4
À la différence de ce qui se passera plus tard pour la guerre d’Algérie, en dépit aussi des efforts du parti communiste pour développer en France même, autour de 1950, sa campagne contre la « sale guerre », l’état de guerre est pratiquement toujours resté localisé à l’Indochine. Le Viet Minh, tant au niveau de la mobilisation des hommes que de la gestion des budgets, était bien sûr lui-même pleinement dans le conflit. Les Français ont pour leur part contraint l’État associé de Bao Dai à « rentrer » également
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dans la guerre, ce que ce dernier n’a fait ni facilement ni de gaîté de cœur. Mais ils en sont restés là, laissant se développer sur les 10 000 kilomètres séparant le théâtre d’opération de la métropole une forte contradiction : là-bas, la montée en puissance progressive des combats donnait au conflit toutes les apparences d’une véritable guerre ; ici le gouvernement, sans jamais vraiment y entrer lui-même, gérait la question de manière de plus en plus financière, et de plus en plus internationale.
A. L’ABSENCE DE PRIORITÉ INDOCHINOISE EN FRANCE 5
La guerre d’Indochine a été conduite par la France avec des procédures de temps de paix, et ce dès le début, alors que la situation de continuité avec la seconde guerre mondiale et l’ampleur des opérations de reconquête aurait pu justifier l’inverse. L’amiral d’Argenlieu s’en plaint dès janvier 1947, quand la mission interministérielle de contrôle financier dirigée par l’Inspecteur général Gayet remet en cause certaines dispositions prises par les militaires, et dont on peut penser, en effet, qu’elles avaient contribué à l’éclatement du conflit armé. En désaccord sur le fond, d’Argenlieu conteste en même temps la procédure : pour lui, dans la situation nouvelle, un contrôle financier comme il a pu en exister auparavant en Indochine est devenu inconcevable et, d’ailleurs, assure-t-il, l’inspection des services financiers avait déjà été entreprise par François Bloch-Lainé. Pour l’amiral haut-commissaire, mieux vaudrait adopter une « formule de temps de guerre » dans ce domaine, comme dans l’Allemagne ou l’Autriche occupées2.
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Au début du conflit, l’instauration de l’état de guerre paraît cependant d’autant moins nécessaire qu’il ne semble pas devoir se poursuivre à un niveau élevé, ni même se prolonger longtemps : localisée à l’Indochine, comme l’insurrection malgache de 1947 est restée localisée à Madagascar, cette guerre n’en est pas encore vraiment une. Lorsqu’une réunion rassemble en septembre 1947 des représentants des ministères de la Guerre et de la France d’outre-mer, à Paris, pour examiner la répartition du matériel des surplus, l’hypothèse est celle d’une cessation des hostilités en Indochine au printemps 1948. Pour faire face à une situation pourtant déjà sérieuse, le vice-amiral Battet, qui commande alors par intérim les troupes françaises en Extrême-Orient, doit en appeler à l’état-major général de la Défense nationale : il sait en effet, comme il le dit lui-même, « que les délais de mise en place du matériel sont estimés à six mois environ », et que la seule perspective réaliste est celle de la guerre, non celle de la paix à laquelle on affecte de croire à Paris3.
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Aucun organisme interministériel n’a de toute façon été en charge de la conduite de la guerre entre la suppression du comité de l’Indochine, en 1947, et le rattachement des États associés à la présidence du Conseil, en 1953. Certes, en 1950, une structure ad hoc ou prétendue telle - était apparue : le ministère d’État chargé des relations avec les États associés, qui se confond rapidement avec la personne du ministre Jean Letourneau. Mais il ne s’agit que d’un ministère de plus, fut-il d’État, et son intitulé même suggère sa vocation politico-diplomatique plutôt que militaire 4. Il faut attendre 1953 et l’arrivée de René Mayer à Matignon pour que cette situation change. « Sur le plan métropolitain, relève une note rédigée alors, les événements du Laos ont montré la part prépondérante prise par le président du Conseil dans la conduite des opérations. Nul ne doit s’en étonner, qui sait qu’en temps de guerre c’est à cette haute autorité que revient le soin de la conduite de la guerre. Or la guerre sévit en Indochine... » 5. Il est
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bien temps d’y songer ! L’état de guerre en Indochine n’est finalement accepté en haut lieu qu’au moment où le gouvernement est décidé à y passer la main aux États-Unis. 8
« Atmosphère de paix » en métropole, « économie de paix » aussi, alors que la guerre d’Indochine engloutit près de 10 % du budget... Le décalage entre la France et l’Indochine a eu le temps de s’aggraver ; et cette situation de non-guerre, périodiquement dénoncée, n’était bien sûr pas de nature à « dynamiser » la conduite des opérations. La sous-commission parlementaire qui suit et contrôle les crédits affectés à la Défense nationale le souligne en particulier dans ses rapports. Elle relève notamment en 1952 l’extrême lenteur des livraisons - près d’un an - des matériels indispensables à une armée en campagne : moyens de transport, fils de fer barbelés, matériel de transmission, hélicoptères et pièces de rechange de toute nature. Les livraisons françaises ne sont certes pas seules à arriver en retard, des dysfonctionnements comparables touchant les livraisons américaines, mais la situation n’en est pas moins préoccupante et significative. Au 31 décembre 1950, 50 % seulement des commandes du plan d’approvisionnement de l’année ont été livrés, et à peine plus à la fin de l’année 1951...
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Pour expliquer cette inertie, il y a peut-être d’abord la procédure budgétaire : les crédits militaires pour l’Indochine sont traités comme des crédits de fonctionnement, non comme des crédits exceptionnels ; il y a sans doute aussi le mauvais fonctionnement des services. Mais il faut y ajouter « l’absence de toute priorité industrielle pour les matériels fabriqués en France à destination de l’Indochine ; il est anormal, par exemple, précise le rapport Pineau, que des camions, dont la pénurie se fait durement sentir au Tonkin, puissent être livrés dans la Métropole pour des besoins particuliers tant que les commandes passées par les services de l’armée n’ont pas été satisfaites »6. Toute la chaîne d’approvisionnement paraît en cause : aucune priorité de fabrication pour les commandes de guerre, ce que la sous-commission parlementaire trouve « véritablement inadmissible » ; aucun règlement de nature à contraindre l’industrie privée à respecter les urgences militaires ; aucune priorité non plus, du moins jusqu’en 1951, pour le fret maritime. Si l’on en croit le rapport Pineau, qui réclame au contraire d’imposer une priorité absolue, les compagnies de transport maritime desservant l’Indochine choisissent elles-mêmes en fonction du client, embarquant plus volontiers Champagne ou apéritifs qu’armes et munitions.
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Au-delà du matériel, cette « atmosphère de paix » - relative mais réelle -paraît même avoir contaminé l’acheminement des hommes. Du début à la fin du conflit, l’envoi de renforts en Indochine ressemble à une sorte de course de lenteur, chaque demande paraissant dépassée au moment où elle peut être réalisée. Le général Valluy, commandant en chef en 1947, ne s’est pas privé de dénoncer cette situation : pour lui, « lorsque l’on se décide à envoyer des renforts, il est trop tard, la situation a empiré ; c’est une vis sans fin, alors qu’un effort au début aurait suffi à régler le problème ». Le général Navarre, commandant en chef en 1954, ne dira pas autre chose : « la guerre d’Indochine a toujours été faite au rabais et par la méthode des petits paquets » 7.
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La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires, disait en substance Clemenceau, avant de conduire la France à la victoire en 1918 : en Indochine, manifestement, elle n’apparaît pas assez sérieuse pour leur être retirée. Car ce non-état de guerre, qui sans doute ne leur convient pas, semble avoir par contre encouragé les militaires à vivre en vase clos, à l’écart d’un pouvoir civil qui ne leur facilitait pas la tâche et, pendant longtemps, ne sut même pas leur fournir de directive claire. Un
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certain brouillard entoure d’ailleurs, on le sait, le prix de l’armée française, discrètement dénoncé en haut lieu dès 1948. Une étude déjà citée sur son coût peut ainsi formuler cette observation, après avoir inventorié le traitement de toutes les catégories de personnel : « considérables en valeur absolue, ces coûts moyens sont à multiplier par des effectifs très importants, généralement ignorés des Assemblées et dont les précédents gouvernements n’ont pas toujours été informés » 8. 12
L’existence d’une sorte de « bulle » militaire résulte de multiples facteurs et n’est pas sans incidence politique. La complexité des problèmes, en particulier, n’a pas encouragé les politiques à s’intéresser vraiment aux affaires militaires - ce qui ne facilita d’ailleurs pas la tâche de la commission responsable de l’étude en question : « les militaires [...] ont toujours réussi, depuis trois ans, à conserver le monopole des conseils et des décisions. Aussi [...] ne s’avance-t-elle pour la première fois sur ce terrain extrêmement dangereux qu’en raison d’une expérience précise ». Toutes ces questions ne seraient sans doute pas aussi graves si elles ne coûtaient si cher. Mais, justement, qui par exemple est vraiment responsable du retard apporté au vote des crédits, déjà dénoncé à propos des ressources budgétaires ? « Les Départements militaires s’indignent des douzièmes provisoires, peut-on lire dans cette étude, mais les utilisent en fait à faire passer en détail des programmes contestables auxquels les Assemblées, dans les votes partiels, ne prêtent aucune attention. Lorsque vient la discussion générale, le budget, tel qu’il a été voulu, a déjà été dépensé ».
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Cette relative autonomie des militaires trouvera, en matière indochinoise, d’autres terrains d’application. Ainsi en va-t-il des armes annexes engagées sur le théâtre. Les budgets présentés aux députés concernent en effet les Forces terrestres, mais restent discrets sur les crédits consommés par l’armée de l’Air et la Marine, qui ne sont pas spécialisés - c’est-à-dire que l’Indochine n’y figure pas comme telle. Dans le cas de la Marine, note le rapport Pineau en 1952, les dépenses supportées par le département au titre de l’Indochine « n’apparaissent pas à la lecture du budget, sinon par un long dépouillement. Un tel procédé est franchement mauvais, car il semble vouloir masquer une partie de la charge totale supportée par notre pays dans la guerre d’Indochine ». Il serait au contraire hautement désirable, ajoute- t-il, « de mettre en lumière de façon absolument sincère Γ effort considérable fait par la France pour la défense commune des intérêts du monde libre »9.
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Une autre illustration de cette autonomie acquise par les militaires ressort du trafic d’opium mis à jour en Indochine par Letourneau début 1953. Informé par une indiscrétion et ayant diligenté une enquête sur la question, il prend, on le sait, finalement conscience de l’importance et de l’économie du trafic, dont le financement permettait au GCMA d’activer des maquis en haute région, par un « rapport verbal » demandé à Salan, alors commandant en chef - mais plus pour très longtemps. « Cet état de choses, qui m’était révélé pour la première fois, indique le ministre des États associés dans une note au président du Conseil, et dans des conditions qui ôtaient tout caractère de spontanéité à l’aveu qui m’était fait, m’amena à reconsidérer la question »10. Ainsi Letourneau, qui était non seulement ministre d’État, c’est-à-dire important dans la hiérarchie gouvernementale, mais aussi haut-commissaire en titre en Indochine - ministre-résident pour tout dire -, ignorait tout du financement, occulte certes mais stratégique, des opérations menées par les militaires avec les minorités du Tonkin. L’Indochine aura décidément été l’un des lieux où l’institution militaire aura appris à se débrouiller toute seule11.
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B. DU « PLAN DE CAMPAGNE » AU BUDGET MILITAIRE 15
Pour comprendre sur quelles bases s’effectue le financement des opérations en Indochine, il convient d’examiner les procédures qui aboutissent à l’établissement et au vote des budgets militaires : celles-ci tournent pour l’essentiel autour du plan de campagne et d’approvisionnement, qui fournit l’état des prévisions de dépenses pour l’année suivante et fait concrètement le lien entre le théâtre et le gouvernement. La navette apparaît presque permanente entre les deux.
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Le compte à rebours commence, éventuellement, par l’envoi au général commandant en chef en Indochine d’une directive d’ensemble, rédigée par le département gouvernemental dont relève le corps expéditionnaire12. On est alors au printemps et les services travaillent déjà sur l’année suivante : en 1954, les directives concernant le plan de campagne 1955 sont datées du 30 avril, avant Dien Bien Phu donc. Elles indiquent un cadre budgétaire et un niveau d’effectifs, le premier étant bien sûr lié au second. En 1954, plusieurs hypothèses sont ainsi envisagées pour l’année suivante en matière d’effectifs militaires, selon le degré de développement prévisible des armées nationales, censées prendre le relais : dans le meilleur des cas, celui d’une prise en charge progressive du théâtre par ces dernières, le corps expéditionnaire pourrait être diminué du quart, passant de 164 000 à 124 000 hommes ; mais si « la réalisation des effectifs des armées nationales ne se déroule pas en 1954 suivant le plan prévu », ou si « la valeur opérationnelle des unités mises sur pied est insuffisante », il faudra se contenter d’une déflation de 6 % seulement - dans la circonstance, bien sûr, la défaite de Dien Bien Phu bouleversera toutes ces hypothèses. Les directives précisent aussi la nomenclature budgétaire et la marche à suivre pour les approvisionnements, partiellement réalisés alors dans le cadre complexe de l’aide américaine 13.
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Le plan de campagne proprement dit doit parvenir à l’état-major de l’armée le 15 juillet, toujours pour l’année suivante. Les services financiers du corps expéditionnaire doivent donc, pour le préparer, anticiper les dépenses militaires à l’horizon d’environ un an. Le document, ayant une finalité budgétaire, est établi selon les normes du département ministériel concerné : à la fin de la guerre, il comprend autant de fascicules que de chapitres budgétaires et est doublé d’un plan d’approvisionnement dont les demandes sont également groupées par fascicules, correspondant à ceux du plan de campagne. Tout y est détaillé, la réalisation des effectifs, les demandes de matériel, distinctes des listes transmises au MAAG Saigon, les programmes de travaux, à caractère opérationnel ou à caractère d’investissement ; et il doit être précisé à chaque fois si les crédits demandés correspondent à des dépenses envisagées en métropole ou en Indochine. Ces documents doivent enfin être fournis en plusieurs dizaines d’exemplaires à l’état-major, afin que ce dernier les répartisse dans ses différents services, qui vont en étudier à leur tour la faisabilité et en prévoir la réalisation14. Le montant total de ces plans correspond en effet aux crédits militaires qui devront être demandés aux assemblées au titre de l’Indochine.
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Jusqu’en 1954, avant d’être expédié à Paris, le plan de campagne devait également être soumis au visa de la Mission de contrôle, présente en Indochine depuis le début de la guerre. Créée par décret interministériel le 5 septembre 1946, comme « mission de contrôle des dépenses de la métropole en Indochine », requalifiée le 12 juin 1947 en « mission de contrôle de l’exécution du budget de l’État en Indochine », et relevant dès
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lors de la France d’outre-mer, elle s’effacera le 1er janvier 1954 avec le transfert de la totalité de la gestion de la guerre au ministère de la Défense, conservant cependant une compétence sur les dépenses des armées nationales15. N’hésitant pas à critiquer quand elle l’estimait nécessaire la conduite des affaires militaires, comme le fit dès 1947 son président, l’Inspecteur général Gayet, au prix, on le sait, d’une crise avec le haut commandement, la Mission n’avait cependant qu’un pouvoir de conseil, ses refus de visa n’étant pas suspensifs. Elle n’avait pas non plus accès à toutes les armes ou à tous les services : l’armée de l’Air et la Marine lui échappaient, ainsi que la marine marchande et le service des essences16. Mais ses comptes rendus précis et argumentes, comme les multiples rapports qu’elle produisait à un rythme mensuel et trimestriel, constituaient un important outil de suivi, à l’usage des services techniques et, plus généralement, des politiques. 19
Après 1950 et la mise sur pied des armées nationales, les plans de campagne de ces dernières furent soumises aux mêmes procédures. Le Pacte d’assistance militaire franco-vietnamien, signé le 1er septembre 1951, prévoit à son article 3 que le gouvernement vietnamien fera connaître à son homologue français le concours qu’il sollicite avant le 30 juin de chaque année. Cette clause supposait que le Vietnam associé établisse son propre plan de campagne avant cette date, lequel plan de campagne servait de base - au point de se confondre avec lui - à l’établissement de son budget militaire. En 1951, en vue de l’exercice 1952, les prévisions de dépenses militaires du Vietnam ont cependant été établies par les services français des FTEO. Il fallut attendre 1952 pour que les services de l’armée vietnamienne soient en mesure d’établir euxmêmes leur plan de campagne, en liaison tout de même avec les services français spécialisés. Pour le reste, ce document était lui aussi soumis au visa de la Mission de contrôle et transmis, après examen, par la Mission administrative française, qui assurait le lien avec les armées nationales17.
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Avant de trouver leur forme définitive comme budgets militaires, les plans de campagne étaient ensuite, on le sait, traités à Paris dans les départements ministériels concernés, en liaison avec la direction du Budget. L’intervention des « budgétaires » était à ce stade indispensable, tant pour la mise en forme du document lui-même que pour son intégration dans le budget d’ensemble. Mais la matière militaire restait complexe, sinon opaque, et certains fonctionnaires s’en étaient faits une spécialité : pour la France d’outre-mer ou la Défense, « on envoyait le plus rapide » d’entre nous, se souvient l’un des principaux collaborateurs de Roger Goetze à l’époque 18. Chaldzinski, par exemple, était de ceux-là, participant à la fin des années quarante aux principales réunions de concertation19. La mise au point du document principal faisait le cas échéant l’objet de rencontres entre le ministre des Finances et le ou les collègues concernés. Restaient les arbitrages, rendus nécessaires par les décisions prises en Comité de défense nationale ou, simplement, par l’harmonisation du projet global de budget -les propositions viennent alors directement du directeur du Budget.
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L’automne est là quand le commandant en chef est informé par le gouvernement du traitement infligé à son plan de campagne. Quand ce dernier a réclamé d’importants moyens, comme ce fut le cas pour l’exercice 1952, les coupes peuvent être spectaculaires. La lettre d’arbitrage adressée fin octobre 1951 par René Pleven au général de Lattre, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine, en fournit l’illustration. Certes, prévient le président du Conseil, « les dotations budgétaires retenues [...] doivent vous permettre de réaliser pour l’essentiel le programme tracé »,
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mais le Budget a taillé à la hache dans ce dernier : l’ensemble des crédits demandés est amputé d’environ 23 %. 22
Dans le cas précis de l’exercice 1952, ni les deux plans de campagne ni leurs différents chapitres ne subissent le même traitement, mais la tendance est presque partout la même. Les dépenses des FTEO sont ramenées de 341 à 282 milliards de francs (17 % en moins), économie essentiellement réalisée sur les dépenses de matériel - on compte sur les livraisons américaines - et, plus encore, sur les dépenses en travaux de fortification ; la demande de subvention aux armées nationales passe quant à elle de 90 à 49 milliards de francs (46 % en moins), avec sans doute le secret espoir d’un financement complémentaire des États-Unis. Il reste quand même pour l’Indochine un budget militaire de 331 milliards de francs : « cette somme considérable, conclut Pleven, en accroissement de 141 milliards sur les dotations initiales correspondantes de 1951, et de 57,5 milliards sur le montant probable des dépenses réelles de l’année en cours représente le maximum de l’effort financier qu’il est possible d’affecter, par priorité, à la poursuite de l’œuvre dont vous avez la charge en Indochine » 20.
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Le « parcours du combattant » du budget militaire, si l’on ose utiliser cette expression, dépend enfin des parlementaires. Au Palais Bourbon comme au Palais du Luxembourg, les commissions des Finances épluchent à leur tour le projet de budget, demandent des explications, l’amendent à l’occasion : cela peut prendre du temps. Pour l’exercice 1952, l’affaire fut rondement menée : Pleven avait assuré à de Lattre que le gouvernement était « fermement résolu à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour que ce budget ait force de loi dès le 1er janvier 1952 » - la loi sur les dépenses militaires des États associés et de la France d’outre-mer est en effet datée du 3 janvier 1952. Le travail parlementaire avait en l’espèce duré deux mois, mais c’est un minimum : il en durera environ trois en 1953 comme en 1954 et, pour l’exercice 1951, quelque cinq mois avaient été nécessaires pour que le projet déposé par Maurice Petsche prenne une forme légale21.
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Il fallait donc en moyenne un an pour que les prévisions, devenues lois, puissent se transformer en dépenses opérationnelles ; en tout état de cause, les besoins devaient être exprimés six mois avant l’année auxquels ils s’appliquaient. Le problème était évidemment qu’entre-temps, les prévisions de dépenses militaires étaient souvent rendues caduques sur le plan opérationnel comme sur celui de l’environnement financier du conflit. Les besoins du théâtre ont ainsi, par exemple, été bouleversés autour de 1950, par la révolution chinoise et la montée en puissance des combats. La consommation d’obus de 105 s’est révélée être en 1951 six fois supérieure à ce qui avait été prévu en juillet 1950, et la construction d’ouvrages bétonnés - la « ligne de Lattre » engagea également plusieurs milliards de francs imprévus 22. Quant à l’inflation, même s’il en était tenu compte dans les prévisions, son impact était souvent minoré et le dérapage des prix réservait son lot régulier de mauvaises surprises.
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Sans doute cette situation ne paralysait-elle pas les militaires qui, par un système de crédits provisoires, disposaient d’une marge de manœuvre de plusieurs mois. L’administration centrale délègue d’ailleurs au commandant en chef, en début d’exercice, neuf mois de crédits calculés d’après la dotation précédente. Mais la gestion financière du conflit, par la relative lourdeur de ses procédures, rendait indispensable la recherche périodique de nouveaux crédits. Accessoirement, elle installait sans le dire la France dans la guerre plutôt qu’elle n’incitait à la recherche de solutions rapides : elle avait elle-même son propre coût.
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II. L’ORGANIGRAMME DU CONFLIT 26
Quiconque s’interroge sur la question de savoir qui conduisait la guerre d’Indochine, du côté français, trouve d’abord une réponse simple : le gouvernement à Paris et son représentant sur place, le haut-commissaire, dont dépendait le commandant en chef. Dans la pratique, les choses sont infiniment plus complexes : à Paris, l’absence de véritable état de guerre conduisait à une parcellarisation des compétences et donnait à l’organigramme du conflit l’apparence d’un maquis touffu. La valse des hommes aux postes de responsabilité - pas tous cependant - ne simplifiait pas le problème. Le pouvoir d’influence des dirigeants de l’économie et de la finance ajoutait à la complexité.
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Cette question doit être démêlée, la gestion de la guerre, en particulier sur le plan financier, ne pouvant être indifférente ni à sa durée, ni à son coût. Qui a pris - ou n’a pas pris - les principales décisions concernant l’Indochine, et pourquoi ? On observe d’abord, au-delà des rapports compliqués entre Paris et Saigon, le caractère évolutif de la prise en charge ministérielle du conflit. On devine ensuite, à l’heure où s’ébauche la construction européenne, les sensibilités, voire les lignes de fracture qui distinguent et opposent les « décideurs » au sujet de l’Indochine. Il est difficile, sans doute, d’être définitif en la matière mais l’inventaire des différents éléments de l’organigramme de la guerre est de toute façon nécessaire à sa compréhension.
A. PARIS OU SAIGON ? 28
L’existence d’un groupe de pression colonial, agissant en particulier sur place, constitue une hypothèse attractive pour expliquer certaines dérives de la guerre d’Indochine, pour comprendre, sinon la guerre elle-même, du moins sa prolongation. L’hypothèse devient franchement séduisante si l’on y mêle tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, profitent de la guerre. « Pour que la guerre s’arrête, il faut d’abord qu’elle cesse d’être une source de profits abusifs », suggère une note début 1954 23. Malheureusement, les sources dépouillées ne permettent de se faire qu’une idée très approximative de cette question. En attendant de pouvoir aller plus loin, il demeure toujours possible de localiser les principales décisions. Et d’abord de répondre à cette question : sont-elles arrêtées - ou largement préparées - en Indochine, ou bien à Paris, au niveau gouvernemental ?
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En principe, sauf au tout début du conflit, les principales décisions concernant la guerre d’Indochine sont prises à Paris, mais Saigon peut « faire de la résistance » et jouer un rôle non négligeable. Dans un premier temps, en effet, compte tenu de la fluidité de la situation, Saigon paraît avoir bénéficié d’une certaine autonomie, tant en matière militaire que financière. En décembre 1945, même si cette mesure fit l’objet d’un décret du gouvernement provisoire, la fixation du taux de la piastre à 17 francs fut décidée par Saigon, essentiellement par François Bloch-Lainé, jeune conseiller financier auprès du haut-commissaire24. Paris n’entendait pas pour autant abandonner ses prérogatives, tout simplement parce que les finances de l’État étaient engagées. Fin 1946 ainsi, en dépit des vifs incidents qui ont opposé l’Inspecteur général Gayet au général commandant en chef Valluy, nul ne songe semble-t-il à remplacer le premier à la tête de la Mission interministérielle de contrôle des dépenses de la métropole en Indochine :
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le comité de l’Indochine, au nom du gouvernement provisoire, le renvoie, on le sait, sur place dès 1947. 30
L’époque à laquelle l’Indochine paraît avoir pesé le plus lourd, dans la gestion de la guerre et les décisions - ou l’absence de décisions - la concernant, correspond au passage de Léon Pignon à la tête du haut-commissariat, en 1949 et 1950, un moment par ailleurs crucial. Ce jeune administrateur, bon connaisseur de l’Indochine et passé par la France libre, était revenu à Hanoi en 1945 avec Sainteny avant, notamment, de devenir à Saigon le conseiller politique de l’amiral d’Argenlieu, et sans doute l’inspirateur de la « solution Bao Dai » : cela le rapprocha suffisamment des fonctionnaires qui avaient maintenu sous Decoux l’autorité française en Indochine, jusqu’au coup de force japonais de mars 1945, pour sembler désormais s’appuyer sur eux. La situation de 1949 a été campée par Lucien Bodard : « Les administrateurs qui entourent Pignon sont des revenants, observe-t-il. Ces hommes avaient été les colonialistes intégraux que les "gaullistes" avaient chassés en 1945. Trois ans après, ils se retrouvent au pouvoir en Indochine »25.
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Fort de cet entourage à qui l’histoire semblait donner raison - ses membres n’avaientils pas toujours dit qu’on ne pourrait s’entendre avec Ho Chi Minh ? - le hautcommissaire Pignon entretient à l’occasion une sorte de guérilla administrative avec le gouvernement. D’abord en matière de rémunération. Peut-être pour satisfaire son entourage et mieux pouvoir compter sur lui, Pignon lui prodigue des libéralités que conteste vigoureusement le nouveau directeur du Budget, Roger Goetze, qui ne fait pas au demeurant une fixation spéciale sur lui : « Je rappelle au ministre, indique-t-il dans un courrier sur le sujet, que cette nouvelle initiative due au haut-commissaire de France en Indochine fait suite à une longue série d’irrégularités commises avant lui par les autorités françaises » sur place26. Ensuite en matière de parité monétaire, en devenant un défenseur convaincu de la piastre à 17 francs, une parité qui avait été conçue comme provisoire en 1945 par Bloch-Lainé, mais à laquelle personne avant Mayer n’osa vraiment toucher : il réussit en particulier fin 1949, on le sait également, à s’opposer à une dévaluation, pourtant pratiquement déjà décidée par le gouvernement, dès qu’il en fut informé par le ministre de la France d’outremer Coste-Floret 27. Tout porte également à croire qu’en 1950, son influence s’est déployée au sein du comité restreint mis en place par Pleven pour réfléchir au bien-fondé de cette parité, et qui renvoya la question à plus tard28.
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Il y eut ensuite l’affaire du compte spécial n°2, auquel furent imputées en 1950 diverses dépenses militaires hors budget. Le haut-commissaire Pignon reconnut lui-même, dans une lettre du 21 juillet 1950, qu’il s’agissait d’une initiative locale et « que le département des Finances n’avait jamais donné son accord formel à cette procédure » 29. Une note résume ainsi la question pour Maurice Petsche, alors ministre des Finances : « Tout semble s’être passé comme si le ministère de la France d’outre-mer, voulant éviter de saisir officiellement le gouvernement et plus particulièrement le ministre des Finances d’un problème délicat, avait décidé de laisser le haut-commissaire libre de prendre seul, sur le plan local, les décisions qu’il suggérait et que la situation rendait apparemment inévitable ». Le ministre des Finances, en désaccord avec un mode de financement qui retombait indirectement sur le Trésor métropolitain, fit donc fermer ensuite les comptes spéciaux inscrits dans les écritures du Trésor Indochinois 30.
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Certes, en 1952 et 1953, après le décès du général de Lattre, qui avait lui-même succédé à Pignon, une unité physique s’est établi entre Paris et Saigon en la personne du
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ministre Jean Letourneau, devenu également haut-commissaire. Mais cette situation, qui ne fut pas durable, semble n’avoir eu comme effet que de déplacer les tensions : celles-ci se sont reportées entre son ministère et les autres, particulièrement celui des Finances, avec comme point d’orgue la décision de dévaluation en mai 1953. Alors, on le sait, la mesure ramenant la parité de la piastre à 10 francs sera prise à Paris par les services de la rue de Rivoli, sous l’autorité du président du Conseil René Mayer et dans le plus grand secret - le ministre des États associés lui-même étant tenu à l’écart. Il ne suffisait pas en effet que les principales décisions fussent prises à Paris : il s’agissait également de savoir qui y gérait les crédits militaires destinés à l’Indochine et les flux financiers que la guerre générait ; et, là, l’imbroglio commençait.
B. L’IMBROGLIO GOUVERNEMENTAL 34
Dans une première époque, jusqu’en 1950, les crédits militaires « Indochine » relevaient du ministère de la France d’outre-mer, dirigé de 1947 à 1949 par le MRP Coste-Floret, mais en assez grande proximité avec le ministère de la Défense nationale : le premier gérait, par sa direction des Affaires militaires, les crédits d’entretien des Forces terrestres d’Extrême-Orient et le second suivait divers crédits par ses secrétariats d’État spécialisés (Guerre, Marine, Air), ainsi que les commandes de matériel militaire ; de la Défense dépendaient aussi certains effectifs militaires dépêchés en Indochine 31.
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La répartition des rôles entre ces deux ministères dépensiers - France d’outre-mer et Défense nationale - a très tôt été jugée dommageable, comme le montre l’étude déjà citée sur « le coût et le rendement de l’armée française en 1948 » 32 : « Une des principales causes d’inefficacité, peut-on y lire, est la séparation qui existe entre les effectifs gérés par la rue Saint-Dominique et les effectifs gérés par la rue Oudinot ». Concrètement en effet, le ministère des Forces armées - c’est alors son nom -administre et emploie les troupes terrestres du cadre métropolitain et du cadre colonial stationnées dans la métropole, en Europe et en Afrique du Nord ; le ministère de la France d’outre-mer administre et emploie pour sa part les troupes terrestres réparties sur tous les autres territoires, qu’elles relèvent du cadre colonial ou métropolitain, soit au total alors quelque 180 000 hommes. Cette situation présente des inconvénients stratégiques, estime l’étude, qui apparaissent notamment lorsqu’il s’agit de réunir des renforts, mais aussi des inconvénients financiers : dans les discussions budgétaires, les départements militaires peuvent jouer sur les chiffres, ne faire apparaître que des effectifs ou des crédits partiels, inférieurs à la réalité. Dès 1948, cette étude estime qu’il y aurait avantage à tout fusionner sous un seul ministère, un seul état-major et un seul contrôle des dépenses engagées.
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Cette dualité administrative généra également des problèmes d’entretien et de fourniture de matériel, jusqu’à apparaître comme responsable de certains dysfonctionnements. Une fiche d’état-major, qui dénonce comme presque catastrophique la situation des matériels de l’armée de Terre en Indochine répartit ainsi les responsabilités, également en 194833 : « Il n’est pas question de reprocher ces faits au ministère de la France d’outremer, peut-on y lire ; la direction des Affaires militaires ne peut pas faire mieux que ce qu’elle fait, toute seule, sans services et sans moyens matériels. L’état-major de l’armée de Terre, seul organisme capable d’établir des plans généraux d’entretien et de définir une politique des matériels pour
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l’ensemble de l’Union française, n’a aucune responsabilité en la matière et ne connaît les difficultés du corps expéditionnaire qu’au dernier moment... » 37
Dans une seconde étape, à partir de 1950, le ministère chargé des Relations avec les États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos prit le relais du ministère de la France d’outre-mer. Ce nouveau département répondait par un compromis, on s’en souvient, à la suggestion américaine de transférer directement les nouveaux États associés d’Indochine au ministère des Affaires étrangères, c’est-à-dire de les considérer comme souverains, potentiellement du moins. Le décret du 11 septembre 1950 précise qu’en matière militaire, le nouveau ministre - le MRP Jean Letourneau - exerce « les attributions dévolues jusqu’ici au ministre de la France d’outre-mer » 34. Concrètement, il partage la direction des Affaires militaires avec ce dernier et, aux termes d’un décret complémentaire de décembre, dispose si nécessaire du secrétariat général permanent de la Défense nationale35.
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La présence rue de Lille de ce nouveau ministère dépensier, en charge de l’entretien des Forces terrestres d’Extrême-Orient, complique cependant l’organigramme de la guerre. Alors qu’il n’y avait précédemment, si l’on peut dire, que deux ministères qualifiés pour l’Indochine, ils sont désormais trois : à côté des États associés, le ministère de la Défense reste compétent pour la Marine et l’armée de l’Air, et celui de la France d’outre-mer conserve la gestion de quelques crédits, en particulier pour la formation et l’entretien de l’armée du Laos. Par une curieuse singularité budgétaire, en effet, le Laos demeurait rattaché à la rue Oudinot et son armée « nationale », à la différence de celles du Vietnam et du Cambodge, restait entièrement à la charge de la France 36.
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Les problèmes de cohabitation interministérielle n’amélioraient pas la gestion du conflit, en particulier pour les approvisionnements en matériel, d’une lenteur parfois désespérante. L’essentiel restait entre les mains de la direction des Affaires militaires : créée au ministère des Colonies en 1920, réorganisée en 1944, désormais commune, donc, aux ministères de la France d’outre-mer et des États associés, la DAM était chargée d’assurer la réalisation et le transport des approvisionnements de toute nature vers l’Indochine, à partir de services installés dans la région parisienne, à Marseille et à Bordeaux. Mais si la DAM traitait parfois directement, elle devait passer une bonne partie de ses achats et marchés via les directions et services de la Défense, essentiellement du secrétariat d’État à la guerre, notamment compétent en matière de Génie ou de Transmissions. On en revient aux procédures du temps de paix. Comme le dénonce en 1952 le rapport Pineau, elles contribuaient à l’inertie de la machine militaire : il aurait au contraire fallu, soutient le rapport parlementaire, se pénétrer de l’idée qu’on était en guerre et « secouer » les bureaux. Pratiquement, comme l’étude de 1948, son rapport préconise aussi de donner à la Défense nationale la responsabilité directe des approvisionnements de l’Indochine : cet organisme de coordination qu’est la DAM devrait d’ailleurs être lui-même « rattaché à la Défense nationale » 37.
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Tableau 16. Ventilation des crédits Indochine par ministères (1953, millions de francs)
Source: ministère des Affaires étrangères38. 40
Dans une troisième et dernière étape, les crédits militaires « Indochine » furent finalement rattachés, en effet, au ministère de la Défense nationale, ce que nombre d’experts attendaient ou réclamaient pratiquement depuis le début du conflit. Mais on était en 1953 et, de toute façon, c’était bien tard. Cette ultime réorganisation faisait partie du train de mesures initiées par René Mayer lors de son bref passage à Matignon, début 1953. Il s’agissait de supprimer les rouages inutiles et de rechercher l’efficacité : « le rattachement au ministère de la Défense nationale de la direction des Affaires militaires (DAM) constitue un premier pas dans cette direction, résume une note du moment. Un second doit conduire la présidence du Conseil à diriger personnellement les affaires d’Indochine, au moyen d’un secrétaire d’État sous l’autorité directe du chef du gouvernement ». Efficacités stratégique et financière sont parallèlement recherchées : « Ainsi conçu, dépouillée d’ornements inutiles, la structure du commandement civil et militaire apparaîtrait comme un outil efficace, plus souple et plus simple. Il n’est pas douteux qu’il en résulterait, immédiatement, une augmentation de rendement et des économies appréciables qui ne manqueraient pas de provoquer des réactions favorables, chez nous comme à l’étranger » 39.
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Il n’est pas très surprenant que le ministre chargé des relations avec les États associés, Jean Letourneau, déjà déstabilisé par la dévaluation de la piastre, ait tenté de résister pied à pied à cette modification de structure, décidée au Conseil des ministres du 8 mai 1953 et qui condamnait à terme sa propre fonction. Dans un télégramme envoyé de Saigon à Mayer le 15 mai 1953, Letourneau conteste d’abord que le transfert de la DAM puisse procurer des économies et amener des améliorations, mais finalement s’incline. Par contre, il rejette totalement l’idée de ne plus pouvoir gérer les crédits de l’Indochine : il fallait faire le contraire, écrit-il en substance, c’est-à-dire rassembler tous les crédits Terre, Air et Mer sous l’autorité du ministre responsable, autrement dit la sienne. « Ce n’est déjà pas si commode de diriger une guerre dans le cadre préétabli d’un budget, ajoute-t-il. Lorsqu’il s’agit de trois budgets à directions différentes et dont deux d’entre eux ne sont même pas spécialisés, cela complique horriblement les choses. Les difficultés nées pour la Marine et l’Air de la non-spécialisation dans leurs budgets de leur effort pour l’Indochine sont assez connus pour que l’on n’étende pas les difficultés à l’armée de Terre »40.
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Si tout le monde semblait d’accord pour unifier le budget « Indochine », l’unanimité ne se réalisait manifestement pas sur la question de savoir sous quelle autorité. Dans un
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nouveau télégramme expédié à René Mayer, trois jours plus tard, Letourneau ira plus loin en suggérant que la décision malheureuse contre laquelle il s’insurge est au fond l’aboutissement d’une vieille lutte d’influence opposant ses services à ceux de la Défense : « J’ai trop l’expérience, précise-t-il, des conditions délicates dans lesquelles s’exécute le budget de la guerre en Indochine pour ne pas prévoir, avec tous ceux qui ont la même expérience que moi, les conséquences catastrophiques pour le corps expéditionnaire de la mesure telle quelle a été décidée [...], conformément à une vieille et patiente volonté du département de la Guerre, qui va réaliser enfin l’un de ses objectifs par le détour d’une loi de finance. Cela n’est concevable que si l’on entend retirer au ministre des États associés la responsabilité pour la transmettre au ministère de la Défense »41. C’est en effet ce qui était prévu... 43
Cet important tournant dans la conduite et le financement de la guerre en Indochine sera, on le sait, formalisé dans l’été 1953 : le nouveau président du Conseil, Joseph Laniel, reprit en effet immédiatement à son compte les dispositions prévues par son prédécesseur René Mayer. Plusieurs décrets de juillet et d’août 1953 transfèrent donc, d’une part, la DAM rue Saint-Dominique et, d’autre part, les attributions du ministre des relations avec les États associés au chef du gouvernement, qu’un secrétaire d’État, Marc Jacquet en l’espèce, vint seconder42. A compter de l’exercice 1954, qui commence le 1er janvier, les crédits des FTEO ne relèvent plus, à l’instar de ceux de l’armée de l’Air et de la Marine, que de la Défense nationale, étant entendu qu’un accord a été trouvé en septembre 1953 avec les États-Unis pour financer le plan de campagne des États associés, qui atteint alors un montant presque aussi élevé que celui du corps expéditionnaire.
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À côté - ou en face - de ces ministères dépensiers, et sans parler encore de la rue de Rivoli, d’autres départements étaient concernés par le financement de la guerre d’Indochine. À partir de 1950, en particulier, le ministère des Affaires étrangères joua tout naturellement un rôle assez central en matière d’aide américaine. Dans la foulée du plan Marshall, et non sans un certain succès, l’ambassade de France à Washington était à l’affût de tout ce qui, dans les crédits votés ou à voter par le Congrès, pourrait être orienté vers l’Indochine. À Paris d’autre part, la décision de la conférence de Lisbonne d’attribuer une aide financière à la France au titre de l’Indochine, en 1952, renforça le rôle du SGCI43 : créé lui-même en 1948 pour les besoins du plan Marshall, il se retrouva en charge du problème, pendant que la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense nationale centralisait les programmes off shore. Relevant de la présidence du Conseil, le SGCI fut ainsi pendant quelque mois, jusqu’à ce que la présidence du Conseil ne prenne l’affaire en main, l’organisme interministériel compétent sur le financement de la guerre, contribuant à amener Matignon à se saisir lui-même de l’ensemble du dossier 44.
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Mais, du début à la fin du conflit, le ministère des Finances joue également un rôle essentiel, réunissant les ressources et les affectant aux ministères concernés. Son rôle fut discret mais à la mesure des montants engagés : en fait, la rue de Rivoli paraît devenir progressivement l’épicentre de la guerre d’Indochine, là où se réalise la synthèse de toutes les ressources et de toutes les dépenses - de celles qui du moins sont connues. Les trois directions concernées n’ont pas le même rôle mais, à bien y réfléchir, elles s’occupent de tout : le Budget répartit les crédits, les Finances extérieures suivent l’aide américaine et les dépenses en devises, le Trésor assure enfin le financement des forces armées. Il n’est donc pas surprenant que les tensions aient pu être vives entre la
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rue de Rivoli et les autres départements ministériels intéressés. Mais c’est sur place, à Saigon même et dans le cadre du haut-commissariat, que ces tensions se sont surtout manifestées, créant à l’occasion des relations difficiles entre le conseiller financier et le haut-commissaire. 46
Les décisions principales étant prises à Paris et le ministère des Finances y jouant un rôle de premier plan, la position des représentants de la rue de Rivoli en Indochine était en effet parfois difficile : la lecture du courrier échangé entre le conseiller financier et la direction du Trésor, en particulier, donne une image parfois saisissante des relations au sein même du « camp » français. L’ambiguïté des relations entre le conseiller financier et le haut-commissaire est d’origine : dès 1945, par exemple, le ministre des Colonies Giacobbi se plaint que François Bloch-Lainé communique directement avec les Finances45. D’Argenlieu dénonce aussi le fait que le même BlochLainé adresse ses rapports directement rue de Rivoli, alors qu’il estime que le conseiller financier n’est placé que sous sa seule autorité46. Il faut préciser que Bloch-Lainé était en même temps conseiller financier près l’ambassade de France en Chine. Mais la suspicion accompagnera toute la guerre et ressortira, de manière particulièrement grave en 1953.
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Un aspect de ce qui prend progressivement l’allure d’une « guerre froide » entre services administratifs concerne le contrôle de la correspondance : les fonctionnaires de la rue de Rivoli s’acharnaient à correspondre directement avec leur administration d’origine, et pas toujours via le haut-commissaire et son ministère de tutelle, comme ces derniers l’auraient voulu. Exemple de cette ambiance politique particulière en 1950, quand un expert venu participer à des négociations avec les États associés, note en postscriptum d’une lettre adressée rue de Rivoli : « Je reçois à l’instant un mot de Guindey, je vais lui répondre dès que j’aurais trouvé une voie sûre »47... L’année suivante, le conseiller financier de Saigon fournit l’explication dans un courrier au directeur du Trésor : « le haut-commissariat n’ayant pas de chiffre avec le ministère des Finances c’est du moins l’explication officielle - n’a pas admis les télégrammes que j’avais préparés à votre adresse. Ceux-ci ont été transmis rue de Lille, avec prière d’en faire tenir une copie au ministre sous le timbre du Trésor. Cette procédure ne me paraît absolument pas sûre et l’exemple assez récent de nos correspondances au sujet du compte n°2 m’incite à quelques précautions »48. S’il n’y avait pas complot permanent, il est clair que les Finances souhaitaient conserver leur marge de manœuvre et que la France d’outre-mer, puis les États associés, étaient dans l’état d’esprit exactement inverse.
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Entre le ministère des Finances et celui des États associés, le courant passait particulièrement mal. André Valls, conseiller financier à Saigon, ne ratait pas une occasion de dire ce qu’il pensait de la rue de Lille. A titre d’exemple ces mots qu’il adresse à Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, en réponse à une lettre de ce dernier évoquant « les carences du ministère des États associés » : « Tu es bienveillant, écrit Valls, en disant qu’il a agi maladroitement [...]. C’est une singulière maison où chacun s’occupe de tout pour n’aboutir à rien ». Dans un autre courrier adressé à Boyer, Valls ne s’embarrassera pas de mots : « Le ministère des États associés est une pauvre maison, mal organisée, mal dirigée et complètement déphasée, préoccupée essentiellement par des scrupules juridiques »49.
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Il faut dire qu’entre-temps, l’affaire de la dévaluation de la piastre, en mai 1953, avait transformé en crise la tension existant entre les deux ministères. Mettant alors en
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cause la « redoutable camarilla de la rue de Rivoli », Letourneau précisera à propos de Valls, qui était tout de même son propre conseiller financier : « il lui avait été interdit, dès le mardi où il avait été mis dans le secret, de m’en informer » 50. Dans ces circonstances difficiles, Boyer n’abandonne pas son camarade de l’Inspection des finances : « N’hésite pas à nous signaler les difficultés devant lesquelles tu te trouves, lui écrit-il ; dans la mesure où il sera possible de t’aider, la redoutable camarilla de la rue de Rivoli s’y emploiera » 51. Évidemment, les relations entre Valls et son supérieur hiérarchique s’étaient quelque peu aigries : « M. Letourneau m’a envoyé un télégramme blessant, indique-t-il peu après à Boyer, en m’accusant d’être "l’œil" du ministère des Finances, parce que je vous envoyais des correspondances directes ; je lui ai répondu par un télégramme assez impertinent. Je me considère comme pratiquement démissionnaire »52. Mais Letourneau abandonnera ses fonctions bien avant que Valls ne quitte les siennes. 50
Quant à la gestion de l’après-dévaluation, marquée par une hausse indésirable des prix, elle ne peut échapper à ce qui est devenu une sorte de guerre de tranchées : « J’ai tenté d’obtenir du commissariat général qu’il mène une action psychologique par la presse et la radio pour expliquer que la hausse rapide n’est pas inéluctable, indique Valls. Je me suis heurté à une totale incompréhension. Je fais figure de théoricien ou d’idéaliste. Je me sens impuissant... »53. Il s’agissait plus que de mouvements d’humeur : la rupture était alors pratiquement consommée entre les grands groupes d’influence qui cherchaient leur propre issue au conflit, ou le meilleur moyen de s’en servir. Tout cela à nouveau resterait mineur s’il n’y avait en jeu des centaines de milliards de francs, et une guerre qui blessait et tuait chaque jour.
C. RÉSEAUX D’INFLUENCE ET DÉCIDEURS 51
Au plus haut niveau, c’est-à-dire à celui où se font les choix et les arbitrages financiers, personne ne paraît en mesure d’endosser pleinement la responsabilité de la guerre, tant l’absence de continuité semble avoir été la règle - mis à part à l’Elysée, d’où l’influence de Vincent Auriol, président de la République et de l’Union française de 1947 à 1953, fut loin d’être négligeable. Le problème n’est pas nouveau mais mérite d’être souligné : la France a usé vingt gouvernements successifs entre 1945 et 1954 - en neuf ans, soit plus de deux par an. Même si certains présidents du Conseil « rempilaient », cela représente quand même quatorze chefs de gouvernements différents, et cinq partis politiques bien distincts. Sans doute les titulaires de certains ministères, comme au Quai d’Orsay, connaissaient-ils une plus grande longévité, mais l’instabilité restait la règle et paraît avoir rejailli sur l’Indochine elle-même : Saigon n’a pas connu moins de huit généraux commandants en chef successifs entre 1945 et 1954, sans compter deux intérims assurés par Salan, et sept hauts-commissaires, intérimaires non compris - à peine plus d’un par an... L’absence de continuité est également illustrée par la qualité changeante des hauts-commissaires en question : un amiral (d’Argenlieu), deux généraux (de Lattre et Ély), un parlementaire (Bollaert), un haut fonctionnaire (Pignon), un ministre (Letourneau), un ambassadeur (Dejean) 54...
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En y regardant de plus près, les éléments de continuité ne manquent cependant pas, y compris dans le personnel politique, mais en termes de milieux ou de groupes plutôt que d’hommes. Quelques personnalités, sans doute, présents dans plusieurs gouvernements pendant une assez longue période, ont eu plus particulièrement à
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connaître de l’Indochine : le MRP Georges Bidault, entre Matignon, le Quai d’Orsay et la rue Saint-Dominique ; le radical René Mayer, aux Finances, à la Défense nationale, à la Justice, à Matignon aussi ; l’UDSR René Pleven, présent presque sans discontinuer et à des postes-clés entre 1949 et 1954, à Matignon et à la Défense ; le MRP Jean Letourneau à la France d’outre-mer puis aux États associés... Au total, le MRP domina les Affaires étrangères, avec Bidault et Schuman, ainsi que la France d’outre-mer puis les États associés, avec Coste Floret et Letourneau ; le ministère des Finances paraît plutôt avoir été sous juridiction radicale, avec en particulier Queuille, Petsche, Mayer, BourgèsMaunoury et Edgar Faure. Ces différences de sensibilité politique compliquaient la gestion du conflit : au moment de démanteler le ministère des États associés, René Mayer ne considère-t-il pas que le secrétaire d’État appelé à seconder le président du Conseil sur le sujet devrait être, « pour que l’identité de vue soit parfaite, [...] inscrit au même parti » que lui55 ? 53
Il faut également pondérer l’instabilité gouvernementale par le fait que les ministres sont en général aussi des parlementaires et que, dans l’intervalle de leurs responsabilités gouvernementales, ils s’activent dans les assemblées et leurs diverses commissions, en particulier au moment du vote du budget. Le Palais Bourbon n’a connu que deux législatures sur la période, le Palais du Luxembourg est bien sûr encore moins changeant : les députés, accessoirement anciens ou futurs ministres, suivent la guerre par les crédits qu’ils discutent et en général acceptent. Relevant de la commission des Finances, une « sous-commission chargée de suivre et de contrôler d’une façon permanente l’emploi des crédits affectés à la Défense nationale » envoie ainsi régulièrement une mission d’information en Indochine au début des années cinquante.
54
Les passerelles sont multiples entre l’exécutif et le législatif. Ainsi, lorsqu’un FrédéricDupont fera en juin 1954 un passage éclair d’une semaine au secrétariat d’État aux États associés, entre la démission de Marc Jacquet et celle de l’ensemble du gouvernement Laniel, chacun pouvait se souvenir qu’il avait par exemple été rapporteur du budget des États associés en 1952, qu’il était alors membre de la sous-commission précitée - et cosignataire à ce titre du rapport Pineau - et qu’il était déjà intervenu à la Chambre sur l’Indochine. On le retrouve d’ailleurs au même moment, comme Christian Pineau, dans une commission parlementaire « de coordination pour les affaires d’Indochine », ellemême sous la présidence de... René Mayer56. Pierre Mendès France lui-même, entre son intervention d’octobre 1950 sur l’Indochine et son arrivée à la présidence du Conseil, au lendemain de Dien Bien Phu, ne symbolise-t-il pas une certaine osmose entre les pouvoirs ?
55
Peut-on au passage parler d’un lobby américain au sein de cette classe politique, qui aurait par exemple poussé à une solution atlantique dans l’affaire d’Indochine ? Sans doute la France de l’après-Libération vit-elle, par la force de l’histoire, en assez grande proximité, sinon en grande familiarité avec les États-Unis, encore que la guerre froide ait créé de nouvelles tensions. Le réflexe qui consistait à recourir à l’aide américaine en cas de difficulté est également d’origine, comme le souligne Edgar Faure à propos des difficultés budgétaires de la fin 1951 : « Il y avait, bien sûr, l’aide américaine, suprême espoir et suprême pensée. Le lait de la louve ». Lui-même suggère d’ailleurs que certains dirigeants français avaient une sensibilité particulière à l’Amérique, Mayer et Pleven en particulier qui, note-t-il en substance, n’osaient pas bousculer les institutions internationales : « Ils avaient acquis l’un et l’autre une formation internationale. Ils avaient sucé le lait de la louve américaine. Le libre échange était pour eux un dogme.
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[Mais] il ne doit pas y avoir de dogme en politique, encore moins en économie » 57. Pour autant, la trace laissée dans les sources par ces deux ministres, qui jouèrent en effet un rôle-clé dans la conduite de la guerre d’Indochine, ou plutôt dans le désengagement français, ne suggère aucune inféodation particulière à la puissante Amérique. 56
Un autre ensemble de « décideurs » est constitué par la haute fonction publique. Plutôt que de décideurs, il s’agit de technocrates, qui ne sont pas élus mais restent parfois longtemps en poste, et ne jouent pas en principe de rôle directement politique : mais ils y sont indirectement amenés par leur longévité même, en assurant la nécessaire continuité de l’État. Rue de Rivoli, les figures de trois directeurs dominent la période : Guillaume Guindey, responsable des Finances extérieures pendant presque toute la durée de la guerre, avant de passer le flambeau à Sadrin ; François Bloch-Lainé, à la tête du Trésor de 1947 à 1953, qui, on le sait, avait lui-même une expérience directe de l’Indochine et sera remplacé par Pierre-Paul Schweitzer, précédemment conseiller financier à Washington ; Roger Goetze enfin, directeur du Budget à partir de 1949, quand il remplaça Gregh, et qui n’hésitait pas à passer des nuits entières à la Chambre lors des discussions budgétaires, avant de regagner placidement son bureau 58. Entre 1949 et 1953, soit dans les années les plus décisives, ce triumvirat tire et dénoue - entre autres - tous les fils financiers concernant l’Indochine. Il faut peut-être y ajouter quelques hauts fonctionnaires issus des Finances, mais détachés de la rue de Rivoli à divers postes-clés, où ils ont pu jouer un rôle important : le nom de Paul Delouvrier revient ainsi périodiquement à propos des affaires indochinoises, dans le cabinet de René Mayer à Matignon ou au SGCI.
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Jeunes et sans doute convaincus de la nécessité de tourner la page coloniale au profit d’une construction européenne plus prometteuse, ces derniers ne paraissent insensibles à l’influence de Jean Monnet, inspirateur et concepteur du Plan, véritable fil conducteur de la reconstruction et de la modernisation du pays. Une bonne partie du patronat français et certains ministres comme René Mayer semblaient également partager ces idées.
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Cette tendance à la fois européenne et atlantique se retrouve au ministère des Affaires étrangères, dirigé de 1948 à 1953 par l’un des « pères de l’Europe », Robert Schuman. Au Quai d’Orsay, un peu comme rue de Rivoli, quelques hommes de cette sensibilité se sont trouvés à des postes-clés pendant tout ou partie de la guerre d’Indochine : Hervé Alphand en particulier à la direction des Affaires économiques. Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington de 1945 à 1954, était l’animateur des relations franco-américaines, essentielles pour la France de l’époque, et reste incontournable. Son nom, en particulier, est partout dans les archives de la direction Asie-Océanie à propos de l’Indochine59. Le poids de ces hommes sur le dossier ne pouvait que s’accroître avec celui de l’aide américaine.
59
La continuité l’emporte également dans l’armée, encore que si sa hiérarchie constitue un réseau éventuellement efficace, notamment au niveau du comité des chefs d’étatmajor, elle ne regroupe pas à proprement parler des « décideurs ». L’armée n’est certes plus la « grande muette » de la IIIe République, mais elle demeure aux ordres du pouvoir politique. Il reste que plusieurs sensibilités la traversent, principalement entre ceux qui croient toujours à l’empire, dans sa version asiatique (Salan) ou plutôt africaine (Juin) et ceux qui recentrent leur réflexion stratégique sur l’Europe (Ély), le rapport aux États-Unis étant toujours dominant60.
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Face à ces hommes, ou à côté d’eux, le lobby colonial restait encore puissant, réunissant dans un ensemble un peu flou une part de l’administration française d’Indochine, du ministère des Relations avec les États associés, des milieux d’affaires français de l’endroit et de la Banque de l’Indochine. Cette dernière pouvait d’ailleurs apparaître alors comme une sorte de refuge pour « vichystes » en mal d’emploi - peut-être en souvenir de son ancien président Paul Baudouin, qui était devenu en 1940 le premier ministre des Affaires étrangères du gouvernement du Maréchal : René Bousquet rejoint la direction parisienne de la banque en 1950 et y retrouve, notamment, de Thomasson, banquier compromis dans la collaboration ; à Saigon, Paul Gannay, qui a traversé sans encombres l’ère Decoux, dirige la succursale jusqu’en 1951, date à laquelle de Lattre obtient néanmoins son départ61. Même si la Banque semble avoir globalement « joué » le jeu avec les pouvoirs publics, le moins que l’on puisse dire est que ces hommes ne pouvaient avoir de fortes sympathies pour la IVe République, ni de grandes compassions pour ses difficultés. Comme un symbole, d’ailleurs, après que le monopole d’émission ait été retiré à la Banque d’Indochine et confié au nouvel Institut d’émission des États associés, la présidence de ce dernier fut confiée à Gaston Cusin, principale figure de la Libération à Bordeaux62.
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Le lobby colonial avait ses organisations, comme l’Union des syndicats professionnels indochinois (USPI) et ses grandes figures. La principale d’entre elles était celle de Paul Bernard, lui-même à la tête de l’USPI. Auteur d’ouvrages remarqués sur l’économie indochinoise à la fin des années 193063, il est constamment présent entre 1945 et 1954 dans les affaires d’Indochine, depuis la sous-commission du Plan consacrée à cette partie du monde jusqu’aux réunions tenues rue de Rivoli après le cessez-le-feu de 1954, faisant constamment pression entre-temps par ses notes, rapports et articles sur les pouvoirs concernés, en particulier les Finances64. Mais, malgré une production intellectuelle qui ne se ralentissait pas, il semble avoir perdu son influence dans les dernières années du conflit. Parlant de lui devant le Haut Conseil de l’Union française en novembre 1953, comme « représentant des intérêts privés français d’Indochine », Edgar Faure aura cette appréciation : sa position « ne tient aucun compte de l’évolution des facteurs politiques du problème »65.
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Dans ce contexte, la décision politique, considérée comme l’art du possible, s’avérait un art particulièrement difficile. Les seules mesures prises à propos de l’Indochine et ne relevant pas du compromis, si cher au régime, furent celles imposées par René Mayer avec la dévaluation de la piastre. Tout semble s’être passé comme si un fort courant considérait ces mesures comme indispensable, en particulier à la direction du Budget, et d’une manière générale dans les milieux à la fois « européens » et « occidentaux » précédemment évoqués, mais qu’il manquait à la fois l’homme et l’occasion pour les prendre : l’homme fut René Mayer, assisté par Delouvrier, Goetze et quelques autres ; et, dans une certaine mesure, peu importait qu’il ne restât que quelques mois à Matignon. L’important était d’y demeurer suffisamment longtemps pour avoir le temps de faire ce qu’il fallait faire.
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Le changement de parité de la piastre fournit d’ailleurs des éléments plus fins sur le partage des camps. On sait que le ministère des États associés et Letourneau étaient visés. Les experts de la rue de Rivoli ont pu constater très vite, dans le suivi local de la dévaluation, que ces derniers n’étaient pas sans alliés. « La réaction des banques, et plus particulièrement de la BIC, est violente et presque haineuse », note Valls le 20 mai 1953, huit jours après la mesure66. « Schweitzer a vu de Fiers (BIC), qui s’est défendu de
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toute intention malveillante à l’égard des autorités françaises ou de l’Institut d’émission », lui répond notamment Boyer quelques jours plus tard 67. Valls donne finalement en ces termes son diagnostic à Schweitzer, nouveau directeur du Trésor : « Le président du gouvernement du Vietnam, dont les premiers actes ont été énergiques, cède à la pression des intérêts privés qui se sont ligués sous la conduite de la Banque de l’Indochine pour obtenir l’adoucissement de mesures rigoureuses. Le haut-commissaire au Vietnam, M. Gautier, plus préoccupé de la défense des intérêts privés que de la sauvegarde de la piastre, a aidé à cette manœuvre... » 68. 64
Il ne faudrait pas penser pour autant que cette coalition des intérêts privés entraîne avec elle l’ensemble du ministère des États associés. Rue de Lille, le principal adjoint du ministre est lui aussi monté d’un ton envers la Banque de l’Indochine : « je vous serais particulièrement obligé, écrit Robert Tézenas du Montcel au ministre des Finances en juin 1953, de vouloir bien confirmer au siège central de la Banque de l’Indochine les directives notifiées aux banques au lendemain de la dévaluation. Une politique bancaire résolument contraire à l’action que nous sommes convenus d’entreprendre sur le plan gouvernemental risquerait d’annihiler nos efforts, et entraînerait des conséquences monétaires graves pour les États associés. Ces conséquences se feraient rapidement sentir sur les finances françaises »69. Mais la résistance des milieux coloniaux aux évolutions imposées par Paris, elle, ne fait aucun doute.
III. LA GESTION DES FLUX FINANCIERS 65
Comprendre les modalités pratiques du financement de la guerre n’est pas chose aisée. Même si c’est avec lenteur, la guerre d’Indochine génère en effet d’importants flux financiers, qui se chiffrent par centaines de milliards de francs ou millions de dollars : pour devenir opérationnels, d’une part, les crédits militaires doivent être délégués sur place dans une importante proportion ; l’abondance des liquidités ainsi répandues sur l’Indochine, d’autre part, entraîne en retour des transferts massifs - et fort avantageux -sur la France. Ces flux financiers et leur gestion influent-ils sur le cours de la guerre ?
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La rue de Rivoli, jouant sur l’écheveau complexe dont elle dispose, constitue bien sûr le poste d’aiguillage central de ces mouvements : du ministère des Finances relèvent les principales institutions qui, à Paris, comptabilisent et font circuler l’argent de la guerre, le Trésor en particulier ; il a aussi sous sa juridiction les organismes annexes mais pas toujours si annexes que cela - qui, sur place, attribuent les fonds et autorisent les transferts. Les grandes institutions nationales, en matière financière, disposent en effet d’un double en Indochine : un Institut d’émission pour la Banque de France ; un Trésor indochinois, mais dont le statut a évolué, pour son homonyme métropolitain ; un office Indochinois des Changes pour celui qui, sous le même nom, surveille en France les mouvements de capitaux avec l’étranger...
A. LES CRÉDITS MILITAIRES 67
« L’État dispose à la fois, selon une formule de la rue de Rivoli, d’un comptable qui est le Budget et d’un banquier qui est le Trésor »70. En matière indochinoise, le banquier en question distribue aux principaux ministères dépensiers - France d’outre-mer, États associés ou Défense nationale - les crédits autorisés par la loi, finançant ainsi le plan de campagne du corps expéditionnaire. Il prend aussi les devants, car la continuité de
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l’État lui revient également. En tout état de cause, il doit distinguer les crédits militaires qui correspondent à des dépenses réalisées en France, dont il s’occupe directement, et ceux qui seront dépensés en Indochine, traités eux par le Trésor indochinois ou son équivalent, et qui posent les problèmes les plus originaux. Compte tenu de la distance et de la différence de monnaie, en effet, existe un passage obligé par la Banque de l’Indochine puis par l’Institut d’émission des États associés, banque centrale en Indochine après 195271. 68
Entre la France et l’Indochine, le mécanisme est simple en lui-même : en amont, c’est-àdire à Paris, le Trésor assure à la Banque de l’Indochine un minimum de trésorerie, qu’il recomplète régulièrement par des virements en francs. En aval, c’est-à-dire à Saigon, le Trésor indochinois tire l’équivalent sur la succursale de la Banque de l’Indochine, pour les dépenses - essentiellement militaires - de l’État.
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Les provisions fournies par le Trésor correspondent en principe aux crédits délégués par le budget à l’Indochine, soit aux besoins des militaires sur place : règlement des soldes et autres dépenses d’entretien ou de travaux. Dans un premier temps, en 1947 et 1948, les opérations mensuelles sont de l’ordre de 1 à 2 milliards de francs. On n’en est plus là en 1949 : en mars, le rythme des virements double, ainsi que le montant de chacun d’eux ; en novembre, à la demande de la Banque de l’Indochine, le minimum de trésorerie passe de 2 à 4 milliards de francs et le Trésor le reconstitue par des versements hebdomadaires, de 1 à 2 milliards de francs chacun et bientôt plus. L’évolution des versements effectués depuis Paris est à l’image du coût de la guerre : au début des années cinquante, le Trésor débourse chaque mois vers l’Indochine entre 10 et 15 milliards de francs, dix fois plus au moins qu’en 1947 72. Tableau 17. Versements effectués par le Trésor à l’Indochine (en milliards de francs 1954)
Source : direction du Trésor73. 70
À Saigon, la notion de Trésor Indochinois est cependant restée évolutive, à l’image cette fois de la configuration géopolitique du conflit. En vertu de réglementations anciennes, le Trésor français y assurait à l’origine toutes les opérations - celles du budget métropolitain comme celles du budget de l’Indochine ou de ses collectivités locales. Compte tenu de la situation nouvelle et des montants engagés, un Trésor indochinois fut institué en 1948, trésor de plein exercice assurant sur place le paiement des
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dépenses métropolitaines, et exécutant « tous les services et opérations assurés en France » par le Trésor74. Accessoirement, cette innovation suscita sur place des tensions avec le Trésorier général de l’Indochine, Georges Richard, qui donna l’impression de se sentir dépossédé et estimait l’opération inutilement onéreuse : « Nous estimons que la centralisation qu’on veut créer peut et doit être faite par la trésorerie générale », écritil à ce sujet75. Georges Richard se mit en très mauvais termes avec le conseiller financier Culmann et d’autres experts de la rue de Rivoli. Sans doute n’avait-il pas évalué tous les motifs qui avaient amené l’institution d’un Trésor indochinois : alors que se mettaient sur pied les États associés, il s’agissait en effet par ce biais, tout en distinguant bien l’Indochine de la France, de brider leur tentation de posséder chacun un Trésor indépendant, et de maintenir entre des mains françaises « la conduite de la politique financière et la défense de la monnaie »76. 71
Ce fut cependant peine perdue car le Trésor indochinois, verrou destiné à contrôler les États associés, ne survécut pas au système de Pau. Aux termes des conventions signées en décembre 1950, trois trésors nationaux allaient s’y substituer pour exécuter les budgets du Vietnam, du Cambodge et du Laos - et bien sûr leurs budgets militaires. L’Institut d’émission des États associés se trouvait au cœur du nouveau système : bénéficiaire des versements du Trésor français, comme la Banque de l’Indochine l’avait longtemps été, il lui vendait les piastres dont il avait besoin pour couvrir les dépenses militaires proprement françaises et, pour le reste, consentait des avances aux trésors nationaux, administrant en outre un organisme-relais constitué en lieu et place du Trésor indochinois, la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette 77.
72
Les procédures les plus délicates concernaient le financement des armées nationales. Au départ, en 1949 et 1950, les dépenses de mise sur pied de ces armées nouvelles relevaient de l’imprévu : considérant sans doute le Trésor indochinois comme plus indépendant de Paris qu’il ne l’était vraiment, le haut-commissaire Pignon eut, on le sait, l’idée de les imputer à des comptes spéciaux créés dans ses écritures - en particulier au compte spécial n°278. Après que le ministre des Finances Maurice Petsche l’ait fait fermer en 1950, la rue de Rivoli reprit la direction des opérations en faisant voter une subvention spéciale, inscrite au budget des Forces terrestres d’ExtrêmeOrient, et en créant dans les écritures du Trésor -métropolitain cette fois - un « compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés » destiné à prendre la suite du compte n°279. Peu avant la fin du conflit enfin, un nouveau système dut être mis en place, tenant compte de la prise en charge des armées nationales par les ÉtatsUnis.
73
En 1954, la volonté française de conserver l’attribution de l’aide militaire aux États associés, alors que celle-ci était désormais financée en totalité par les États-Unis et ne figurait plus dans le budget, entraîna en l’occurrence la création d’un mécanisme assez complexe. Un « compte d’affectation spéciale » pour l’assistance militaire aux États associés, numéroté 15-50, fut ouvert le 1er janvier 1954 dans les écritures du Trésor français80. Il respectait « le souci exprimé par le gouvernement des États-Unis de suivre l’ensemble des dépenses militaires des armées nationales, tout en contrôlant les comptes correspondant à l’aide qu’il apporte », précise une instruction provisoire le concernant81.
74
A titre d’exemple de la complexité des procédures, voici donc comment les choses fonctionnaient en fin de conflit. Le commissariat général français à Saigon - qui se substitue en 1953 au haut-commissariat - informe à Paris la direction des Affaires
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militaires (DAM) des besoins des armées nationales ; celle-ci, via le SGCI, transmet la demande à la mission américaine de Paris, qui crédite le compte 15-50 du Trésor français. Ce dernier transfère la somme à l’Institut d’émission des États associés, préalablement informé de ses clés de répartition par le commissaire général : à son tour, l’Institut crédite les trois trésors nationaux du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Il était prévu que de telles écritures porteraient sur 135 milliards de francs en 1954 environ 70 % du plan de campagne vietnamien - le reste étant fourni par les États associés eux-mêmes.
B. LES TRANSFERTS D’INDOCHINE 75
Pendant que la France délègue chaque semaine plusieurs milliards de francs à l’Indochine, pour financer les opérations militaires qu’elle y mène, un mouvement inverse se développe d’Indochine vers la France. Ces transferts sont d’un niveau comparable aux flux qu’ils croisent et connaissent comme eux une évolution croissante : en 1948, tout compris, ils s’effectuent selon une moyenne hebdomadaire de 1,2 milliard de francs ; en 1950, celle-ci passe à 2,6 milliards ; et en 1952, c’est au rythme de 3,3 milliards de francs que chaque semaine des transferts de toute nature sont réalisés vers la France82. Au taux de 17 francs la piastre, alors que la valeur réelle de la monnaie indochinoise était inférieure à 10 francs, l’opération était forcément attractive.
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Les formes de transfert apparaissent multiples et, pour une part, relèvent d’un fonctionnement économique si l’on peut dire normal : les principaux transferts - la moitié environ entre 1948 et 1950 - sont en effet liés aux opérations commerciales qui se déroulent entre l’Indochine et la France83. L’Indochine importe beaucoup, et de plus en plus au fil des années de guerre : principalement des produits de consommation, en particulier textiles. Les importations indochinoises se sont accrues globalement d’environ 3 500 % entre 1946 et 1953, ce qui représente une croissance moyenne annuelle de 67 %... Pendant ce temps, les exportations d’Indochine - du caoutchouc notamment - progressaient de manière plus modeste : environ 300 % sur la période, ce qui correspond tout de même à un taux moyen annuel de 22 %. L’ampleur des règlements commerciaux dans le sens Indochine-France, car plus de 80 % des échanges commerciaux sont effectués avec la France métropolitaine, et leur modestie dans l’autre sens, implique donc un important excédent des transferts commerciaux dans le sens piastres-francs. Le graphique suivant retrace l’évolution de la balance commerciale de l’Indochine84.
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Graphique 11 et tableau 18 Évolution de la balance commerciale de l'Indochine (en millions de piastres)
Note*1 77
Une seconde forme d’opérations est proprement financière : également effectués par les banques, elles représentent environ, pour les années 1948 à 1950, un quart du total85. Il s’agit cette fois du transfert en France de revenus du capital ou du travail - ou supposés tels. Économies familiales, profits immobiliers ou revenus d’entreprise, tout peut être, à la vérité, matière à transfert financier. « L’Indochine est un pays inquiet », constate Mariani, venu en inspection en Indochine au début de 1950 pour le compte de l’Office des changes86. Guillaume Guindey note peu après qu’« on assiste en effet, indépendamment de toute idée de trafic, à une tendance manifeste de rapatriement en France des avoirs Indochinois, provoquée tant par les événements politiques que par la crainte d’une dévaluation de la piastre »87. La Banque de l’Indochine elle-même transfère méthodiquement une part de ses avoirs propres en France dès les premières années de la guerre : environ 1,5 milliard de francs en une trentaine d’opérations, entre 1947 et 194988. S’y ajoutent des opérations à caractère politique, dont les dirigeants vietnamiens « associés » ont le privilège. En 1950, les plus connues sont deux demandes de transfert au profit de Bao Dai, pour un montant total de 178 millions de francs.
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Une forme annexe de transfert financier passe par la poste, ou plutôt par les postes civiles et militaires - à travers lesquelles résidents français ou soldats du corps expéditionnaire transfèrent à des tiers ou à leur propre famille une partie de leurs revenus. A partir de 1949, l’excédent des transferts postaux piastres-francs tourne autour d’une vingtaine de milliards de francs chaque année, soit entre 12 et 16 % du total des transferts selon les mêmes sources89. Mais le transfert postal est réputé constituer l’un des principaux lieux de la fraude : aussi le plafond des mouvements de
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fonds autorisés par ce moyen est-il réduit de manière drastique et passe en juin 1950 de 25 000 à 5 000 francs90. 79
Malgré l’appartenance de l’Indochine à la zone franc, dont l’idée même implique « une liberté totale des mouvements de fonds à l’intérieur de la zone », des restrictions ont ainsi été très tôt instituées aux transferts de l’Indochine vers la France 91. L’Office indochinois des changes avait la charge de surveiller cette liberté. Défini par décret en avril 1947, cet organisme s’est on l’a vu substitué à celui qui, sous le même nom, fonctionnait depuis l’année précédente sous l’autorité de la Caisse centrale de la France d’outre-mer, qui avait lui-même hérité des fonctions de l’Office colonial des changes, abrité entre 1940 et 1945 par la Banque de l’Indochine. Il était placé sous l’autorité du haut-commissaire mais relevait du ministère des Finances - plus précisément de l’Office des changes métropolitain92. Pour la rue de Rivoli, et au delà le gouvernement, il s’agissait d’un instrument essentiel de politique financière, ce qui explique que l’Office indochinois des changes soit resté entre des mains françaises jusqu’à la fin de 1954, échappant en particulier à l’Institut d’émission, à gestion quadripartite, qui aurait théoriquement dû l’intégrer dans ses services en 1952.
La « Une » du numéro du 28 juin 1952 de France Illustration, un numéro spécial sur les Etats associés d'Indochine.
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Un des premiers billets « Ho Chi Minh » émis par la République démocratique du Vietnam (Viet Nam Dan Chu Cong Hoa) - 100 dong, 1946.
Un billet de 200 dong (piastres), à l'effigie de Bao Dai, émis en 1953 par l'Institut d'émission des Etats du Cambodge, du Laos et du Vietnam.
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« Dans le sous-secteur de Lucnam, un des postes munis de blockhaus bétonnés qui forment la ceinture du fleuve fortifié du Fleuve Rouge ». Photographie parue dans le numéro spécial de France Illustration, du 28 juin 1952. 80
Les moyens de l’Office indochinois des changes pour statuer sur les demandes de transfert, et donc pour réguler les mouvements de fond, étaient cependant limités. Le rapport Mariani de 1950 n’en fait pas mystère quand il évoque l’accroissement de ces derniers : « l’Office des changes, devant cette poussée, ne constitue qu’une barrière fragile, observe-t-il. Outre qu’il ne dispose que d’un personnel insuffisant pour examiner attentivement les demandes - 60 par jour en moyenne -, exiger les justifications nécessaires, s’informer sur la provenance des fonds et les motifs véritables des transferts, il n’a, d’une part, aucun texte à opposer aux demandeurs, d’autre part, et ceci à cause de cela, aucune possibilité de sanction quand il découvre que les demandeurs sont de mauvaise foi »93.
81
Lucien Bodard résume l’ambiance à sa manière : « Rue Guynemer, l’on monte un escalier vétuste. Au premier étage, une porte s’ouvre sur des bureaux. C’est l’Office des changes. Tout est incroyablement sale, miteux. Une foule est parquée derrière un grillage, sur quelques mètres carrés de carrelage. [...] Les grands directeurs de l’ImportExport, figures glacées et serviettes bourrées, sont assis sur de mauvaises chaises de bois à côté du maquereau corse, de l’avocat marron, de la putain française et de toutes sortes de Vietnamiens et de Chinois. [...] De temps en temps, une voix appelle, disant un nom. Et un monsieur disparaît de l’autre côté de la barrière, dans le Saint des saints. [...] Au-delà du fameux grillage, c’est un autre entassement. Dans une pièce de vingt mètres sur vingt, une quinzaine de Français et une quarantaine de Vietnamiens sont assis parmi des montagnes de dossiers, des machines à écrire éclopées, un bric-à-brac d’encriers, de tampons, de cachets. [...] Ce lieu, fait pour régenter la richesse moderne, est lamentablement pauvre. [...] En fait, le grand scandale de l’Indochine -celui qui résume tous les autres - c’est qu’on a laissé l’Office des changes fonctionner dans cet
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état misérable, avec cette incapacité, pendant des années, presque jusqu’à la fin de la guerre »94. 82
Un certain aveu d’impuissance - en même temps qu’une bonne analyse -est transmis pas Rivet, le premier directeur de l’Office indochinois des changes, qui disparut dans la catastrophe aérienne de Barhein en 1950, à propos d’une demande de transfert d’Indochine en France de la société des Moteurs Salmson : « un certain nombre d’Indochinois cherchent à profiter de la disparité des prix entre l’Indochine et la France pour effectuer des transferts massifs de leurs fortunes vers la France. Ces fortunes, qui sont en grandes parties immobilières, sont gonflées par la hausse des immeubles urbains notamment à Saigon. Ayant rencontré des difficultés et des limites à des transferts pour des besoins purement personnels, ils cherchent des justifications dans la destination des fonds et c’est ainsi que nous voyons revenir sous des formes diverses les mêmes fonds ». Commentant plus précisément la demande qu’il transmettait à Paris par le même courrier, Rivet précisait : « cette demande, écartée une première fois, m’est aujourd’hui présentée sous une forme nouvelle [...] Il s’agit maintenant de la fondation d’une entreprise de corronisation pour laquelle aucun des intéressés n’a la moindre compétence. Ces capitalistes se sont assurés d’appuis dans certains milieux politiques à Paris et des demandes sont faites de divers côtés » 95.
83
Il reste que l’administration française n’aurait pas gardé la haute main sur ce service s’il était totalement inefficace. Ses quelque deux cents « instructions aux intermédiaires agréés » - les principales banques de la place - ont tracé au fil des années la réglementation à respecter en Indochine en matière de transfert, une réglementation à la fois précise et complexe. Quant aux autorisations de transfert, certaines devaient bien être décidées à l’aveuglette, par la force des choses, mais l’Office des changes en référait à la rue de Rivoli dès qu’il s’agissait d’un problème important. Il ressort des dossiers conservés au ministère des Finances que Paris réagissait alors au cas par cas, accordant ou non l’autorisation en fonction de la crédibilité ou de l’opportunité des demandes : une « Compagnie générale immobilière Sud-Asie » (COGISA), liée à la banque franco-chinoise, se voit par exemple refuser une demande de transfert de 51 millions de francs pour la construction d’un immeuble à Neuilly ; par contre, les Plantations des Terres Rouges obtiennent l’autorisation de transférer 1 300 millions de francs - dont une partie bloquée en bons du Trésor - en direction de l’Afrique équatoriale96.
C. LA CIRCULATION ET L’ÉQUILIBRE DES PAIEMENTS 84
Une forte inflation accompagne la guerre en Indochine : la circulation fiduciaire s’y est environ multipliée par cinq entre 1945 et 1954, passant on l’a vu de 2 à 11 milliards de piastres97. La raison essentielle en est bien sûr la masse, croissante et très largement improductive, des dépenses militaires effectuées sur place par la France, dont la moitié environ correspond à des dépenses de personnel. Il faut rappeler aussi que, par périodes, une partie de ces dépenses était alimentée localement par le recours à l’émission monétaire. Mais aucune société, aucune économie ne peut absorber indéfiniment un accroissement de liquidités sans commune mesure avec ses possibilités économiques. Pour reprendre l’image utilisée par le directeur du Trésor Schweitzer devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, « quand on verse cent litres
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dans un récipient qui n’en contient que dix, il en déborde presque inévitablement quatre-vingt-dix »98. 85
Plus généralement, la création en Indochine d’un pouvoir d’achat ne pouvant trouver à s’employer localement génère inévitablement des flux dans le sens inverse, entre l’Indochine et la France. Schweitzer en expliqua ainsi le mécanisme devant la commission précitée : « au bout d’un circuit plus ou moins long, tous les gens ayant reçu des piastres émises en contrepartie du versement de francs fait à Paris, éprouvaient le besoin d’acheter des marchandises ou de les convertir individuellement en francs ». Comme les transferts vers les zones dollar ou sterling étaient limités par les allocations de devises et les licences d’importation, « tout le solde refluait sur la France et se traduisait, soit par des demandes d’importations de produits français, soit par des demandes de transfert de piastres en francs français » 99. Graphique 12. Les relations financières entre la France et l'Indochine (en milliards de francs 1953)
Source : direction du Trésor 86
Ce graphique pourrait laisser penser que les transferts Indochine-France ont toujours excédé les transferts France-Indochine. Ce n’est pas nécessairement le cas, sauf dans la période 1949-1951. Différents éléments entrant dans les relations financières entre la France et l’Indochine n’ont en effet pas été pris en compte ici, comme les dépenses réalisées en France pour le compte de l’Indochine. Il reste la correspondance entre les deux courbes, c’est-à-dire le lien entre les deux phénomènes.
87
Un véritable système de vases communicants fonctionne en fait entre la France et l’Indochine, mettant enjeu la couverture de la piastre, et à ce titre repéré de bonne heure par la rue de Rivoli, qui y voyait cependant l’avantage de freiner l’inflation sur place. « En fait, relève une note de 1949, la quasi totalité des dépenses faites en Indochine reflue sur la métropole par la voie des transferts. Il en résulte une lourde charge pour le Trésor. Mais, en contrepartie, l’inflation cesse de se développer en
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Indochine »100. André Valls, conseiller financier à Saigon, fait une observation semblable pour l’année 1953 : « Les transferts commerciaux et financiers, qui ont été maintenus à un niveau élevé, ont pompé une partie très importante des piastres émises pour assurer l’exécution des dépenses françaises ou pour financer le déficit des Trésors »101. Il reste que l’inflation était freinée, non stoppée. 88
C’est d’ailleurs ce mécanisme qui avait, en 1950, attiré l’attention sur le compte spécial n°2, ouvert d’autorité locale l’année précédente dans les écritures du Trésor indochinois et alimenté, également localement, par le recours à l’émission : les piastres ainsi mises en circulation refluaient à leur tour vers la métropole, mais avec la différence qu’elle n’y correspondait à aucune ligne de crédits budgétaires... C’est en ce sens que le ministre des Finances put écrire à son collègue de la France d’outre-mer le 28 juin 1950 : « La trésorerie métropolitaine rembourse donc non seulement l’intégralité des dépenses métropolitaines exécutées localement (55 milliards en 1949), mais supporte encore, par le jeu de la couverture de la piastre, la charge de dépenses de caractère indochinois (44 milliards en 1949) »102. Dans l’importante note qui avait inspiré parfois mot pour mot le ministre, François Bloch-Lainé ajoutait lui-même : « Si les errements actuels sont poursuivis, la métropole va consentir en 1950 aux États associés une aide de l’ordre de 50 milliards qui, dans les conditions où elle est octroyée, est irrégulière et dont il n’est tiré par ailleurs aucun avantage politique, puisque son mécanisme en cache la signification et l’importance aux yeux des bénéficiaires » 103.
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Plus généralement, un système financier très particulier s’est mis en place dès le début de la guerre entre la France et l’Indochine, un système qui a longtemps facilité l’effort de guerre consenti sur place en donnant aux dépenses militaires une sorte de caractère virtuel. Grosso modo, dans leur grande masse, les francs inscrits en crédits militaires pour des dépenses en Indochine demeurent en métropole ; des émissions de piastres d’un montant équivalent permettent sur place d’assurer les dépenses militaires, créant un surcroît de liquidités ; ces nouvelles liquidités en piastres, partiellement converties en francs et transférées, restent également sur place, leur montant étant du même ordre que les crédits militaires. Théoriquement, le Trésor verse à la Banque de l’Indochine à Paris 1,5 à 2 milliards de francs pour les dépenses militaires de l’État en Indochine. Pratiquement, ces versements servent à couvrir les transferts piastresfrancs d’Indochine sur la France. Comme l’indique Bloch-Lainé dans son rapport au ministre du 13 mai 1950, « L’intitulé du compte Acomptes versés à la Banque de l’Indochine correspondant à des dépenses métropolitaines en Indochine, auquel sont imputés les dits versements, a donc perdu sa signification »104.
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En technicien, le successeur de Bloch-Lainé à la direction du Trésor, Schweitzer, explique le mécanisme devant la commission d’enquête : « Quand nous faisons une dépense en Indochine, cela consiste pour nous à verser des francs sur un compte en France, que celui-ci soit tenu par la Banque de l’Indochine ou par l’Institut d’émission. En contrepartie de ce versement en francs qui constitue la couverture de la circulation monétaire en Indochine, l’Institut d’émission - je parle en termes généraux - émet des piastres là-bas qui servent à couvrir les dépenses, mais les francs restent ici et, suivant le cas, sont soit déposés au Trésor, soit employés en bons du Trésor ». Encore la « couverture de la circulation monétaire » reste-t-elle elle-même une abstraction : concrètement, il faudrait sans doute préciser que les francs demeurés en France sont reversés aux bénéficiaires des transferts financiers - qu’il y ait ou non trafic avéré - et que les piastres restées en Indochine sont réemployées en dépenses militaires.
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On en revient donc à un problème de paiements et de balance des paiements. À nouveau, Schweitzer s’en explique : « la seule chose qui importe, non pas pour la présentation budgétaire mais pour l’équilibre réel du Trésor public, c’est non pas le volume des crédits budgétaires dépensés en Indochine mais l’état de la balance des paiements avec l’Indochine ; aussi longtemps que les transferts de France en Indochine - qui sont essentiellement les dépenses militaires - seront supérieurs aux transferts d’Indochine en France, à savoir le solde de la balance commerciale et des transferts financiers, le Trésor n’aura pas de charges au-delà des dépenses budgétaires votées par le Parlement »105.
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Tout est donc problème d’équilibre et de régulation. Si le Trésor a tiré la sonnette d’alarme en 1950, c’est précisément que les transferts dépassant assez largement la part des crédits militaires prévue pour l’Indochine, il devait débourser plusieurs dizaines de milliards de francs au-delà de leur montant. Mais la France dispose, on le sait, sur ce plan, d’un important moyen de régulation : l’Office indochinois des changes, qui n’a pas été transféré pour cette raison à l’Institut d’émission en 1952, contre toute logique administrative ; dans le système des vases communicants qui fonctionne entre la France et l’Indochine, pour reprendre une image d’époque, l’Office indochinois des changes fonctionne comme une écluse106. L’absence de liberté de transfert, combinée à une relative libéralité, permet à la rue de Rivoli de tendre progressivement vers un équilibre des flux, et plus si possible au profit de la France, de façon à accumuler progressivement les « avoirs-francs » nécessaires à la couverture de la monnaie mise en circulation après 1952 par l’Institut d’émission des États associés.
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Les transferts financiers, c’est-à-dire au fond la piastre à 17 francs, ont donc toute leur utilité, du moins sur le plan comptable. Saine gestion ? Il reste le caractère malsain d’une bonne partie des transferts, et le décrochage progressif du conflit de sa gestion financière. Dans les belles notes de la rue de Rivoli, précise et documentée, il n’est guère question de la guerre. Chacun son métier, sans doute, mais la « bulle comptable » qui vient d’être décrite ne peut être non plus sans responsabilité dans l’interminable prolongation du conflit.
D. LE « TRAFIC DES PIASTRES » 94
Où se situe exactement le trafic des piastres, dans le système des transferts ou dans l’abus de ce système ? Le ministère des Finances, après que l’affaire des généraux ait placé la question devant l’opinion, s’est rapidement fait une doctrine. Deux jours après la publication du premier rapport Mariani et se fondant manifestement sur lui, Guillaume Guindey indique à son ministre ce qu’il faut penser : « Il convient de s’élever contre l’idée trop répandue que tout transfert de l’Indochine vers la France constitue un trafic. Les relations commerciales entre l’Indochine et la France, la présence en Indochine de fonctionnaires et de militaires français, les nombreuses exploitations que possèdent en Indochine des sociétés françaises, ne peuvent que provoquer une masse importante de transferts parfaitement légitimes entre les deux pays ». Il n’y a trafic, précise le directeur des Finances extérieures, que lorsqu’il y a marché noir : « L’existence de tels trafics est indéniable. Cette fraude est spectaculaire, mais elle n’est pas aussi généralisée qu’on le prétend parfois »107.
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Le problème rebondit cependant en 1952 et 1953 quand Jacques Despuech publia successivement un article et un petit livre retentissants sur le sujet, portant le même
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titre : Le trafic des piastres 108. La rue de Rivoli et l’Assemblée nationale ne pouvaient rester indifférentes. Le 17 juin 1953, le ministre des Finances du cabinet démissionnaire Mayer, Bourgès-Maunoury, signale « l’opportunité qu’il y aurait à ce qu’une enquête administrative soit menée en Indochine » à la suite de cette publication 109. La dite enquête est à nouveau confiée à Mariani, pour qui Despuech devient d’ailleurs un personnage familier : n’était-ce pas en partie à la suite d’un rapport le mettant en cause, alors qu’il était fonctionnaire à l’Office Indochinois des changes, que Mariani avait été dépêché une première fois en 1950 en mission en Indochine 110 ? Quinze jours après cette initiative de Bourgès-Maunoury, le 2 juillet 1953, l’Assemblée nationale votait à son tour à l’unanimité une « résolution tendant à la constitution d’une commission chargée d’enquêter sur le trafic des piastres indochinoises ». Au nom de cette commission parlementaire, qui procéda à quelque 178 auditions et s’appuya largement sur les conclusions du nouveau rapport Mariani, le député Mondon rendit son rapport lors de la séance du 17 juin 1954 - après Dien Bien Phu 111. 96
Il ressort des rapports Mariani et Mondon que les limites séparant les transferts piastres-francs du trafic lui-même sont bien difficiles à établir. Mariani distingue d’abord « les transferts réguliers », devenus plus difficiles à réaliser après 1949, quand les premières mesures restrictives ont été édictées - elles-mêmes d’ailleurs génératrices de fraude. Ensuite viennent « les transferts irréguliers sans but spéculatif à caractère occasionnel », déclaration mensongère ou surfacturation, mais ponctuelle : « l’acheteur occasionnel » plutôt que « le professionnel du marché noir », pour reprendre les termes de Mariani. Viennent enfin les « transferts frauduleux réalisés en vue d’un gain sur l’opération elle-même », le gros du trafic donc112. Une pesante atmosphère de fraude entoure notamment le secteur commercial, dont le poids financier domine, on le sait, les transferts de l’Indochine vers la France.
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Le conseiller financier André Valls ne s’était pas trompé en confiant ses impressions vers 1952 à la direction du Trésor. Félicitant son condisciple Dominique Boyer de sa nomination à la sous-direction du Trésor, ce qui en faisait en même temps son interlocuteur direct, il lui écrit en effet à propos des transferts : « N’hésite pas à m’écrire si tu as besoin d’être éclairé sur ces questions qui sont en général, Latapie a dû te le dire, du genre affaire tordue ». Il ajoute un peu plus loin : en Indochine, « toutes les opérations commerciales sont malsaines »113. Chaque opération d’importation implique en effet un transfert dit commercial vers la France, qui peut en effet s’accompagner luimême de mouvements de fonds illicites. A 17 francs la piastre au lieu de 10 francs au mieux, les surfacturations sont fréquentes et la direction des douanes fait ce qu’elle peut. Elle put cependant transmettre à la commission d’enquête quelques exemples croustillants en sa possession : une importation en Indochine de montres d’une valeur de 21 millions de francs et déclarée 139 millions ; un achat de matériaux pour le bâtiment, environ 19 millions de francs déclarés 45 millions ; ou encore cette acquisition de moteurs marine à piston, très usagés et inutilisables, d’une valeur maxima de 450 000 francs mais déclarés pour environ 39 millions 114.
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Les exportations d’Indochine vers la France peuvent également donner lieu à des fraudes, comme le soulignent à la fois Arthur Laurent115 et le rapport Mondon. En 1953 et dans les premiers mois de 1954, les enquêteurs de l’Office - métropolitain - des changes ont ainsi mis au jour trente-six affaires présentant à peu près toutes les mêmes caractéristiques : des exportations de poivre ou de caoutchouc, parfois des deux en même temps, éventuellement de quelques autres produits agricoles, mais des
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exportations dont le produit de la vente n’a jamais été rapatrié en Indochine - il l’aurait été il est vrai à un taux fort peu avantageux dans ce sens. Aucune violation des règlements n’a été commise, quelques sociétés fantômes, assurant le relais, se sont évaporées, et personne n’est responsable116... 99
Un trafic indépendant des échanges commerciaux s’est également développé : le « trafic tournant », une opération purement spéculative. Comme son nom l’indique, il consiste à faire tourner des capitaux dans des monnaies différentes, illégalement bien sûr, en jouant sur les taux de change et en faisant intervenir, le cas échéant, des devises fortes ou de l’or. Le procédé le plus fréquent - et considéré comme le plus dangereux pour l’économie - fait intervenir des dollars, achetés en France et revendus en Indochine, dans les deux cas au marché parallèle, où le taux est nettement plus intéressant qu’au taux officiel : les piastres ainsi obtenues sont alors transformées en francs par les procédés autorisés. Le rapport Mondon donne une idée de la plus-value réalisée : « Avant mai 1953, un dollar, acheté 400 francs à Paris, était revendu 50 piastres à Saigon, soit 850 francs ; pour celui qui parvenait à transférer, d’une manière ou d’une autre, les piastres à 17 francs à Paris, il en résultait un bénéfice de 450 francs dont, bien entendu, il fallait déduire les courtages et les commissions aux intermédiaires »117. Or les douanes, même si elles réalisent de belles prises, sont dans l’impossibilité de fouiller méthodiquement tous les agents des compagnies aériennes ou maritimes qui passent en Indochine, ainsi que tous les militaires qui y débarquent 118.
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Un autre trafic juteux fait tourner simplement piastres et francs. L’opération consiste cette fois à acheter à bon prix des piastres sur des places étrangères - Hong Kong surtout - et, une fois introduites en Indochine, à les transférer à 17 francs selon les procédures légales. Un rapport de l’Office indochinois des changes de la fin 1946 signale en effet un volume « considérable » de piastres en Chine du Sud : 400 millions, dont 200 millions à Hong Kong, soit plusieurs milliards de francs. Même si la révolution de 1949 a modifié les données du problème, l’existence d’un gros paquet de piastres off shore à Hong Kong, négociables sans doute à 8 francs, ne pouvait que favoriser le trafic triangulaire Hong Kong-Indochine-France119. Un circuit annexe pouvait accessoirement faire entrer en jeu le dollar Hong Kong.
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Sur quelle masse de capitaux porte finalement le trafic des piastres ? Tout dépend de l’approche considérée. Jacques Despuech, par qui le scandale est arrivé, voit grand : pour lui, « à l’heure actuelle, on peut estimer à 4 ou 500 millions de francs par jour les transferts effectués frauduleusement vers la France. Ce sont donc au total près de 100 milliards de francs supplémentaires qui sont déboursés annuellement par les contribuables français, 100 milliards qui ne sont portés sur aucun budget, et qui enflent dangereusement le déficit de notre balance des comptes »120. En séance parlementaire, le député radical Vincent Badie reprend cette évaluation : « Le trafic des piastres coûte à la France 100 milliards par an. Si ce chiffre, qui est en dessous de la réalité, devait être contesté, je demanderais au gouvernement d’indiquer le montant par année des sommes transférées d’Indochine depuis 1946, et celui des transferts dits politiques réalisés depuis cette date »121. Mais Mariani, reprenant l’argumentation de Despuech, fait observer qu’en « prenant 450 millions par jour, moyenne des chiffres avancés, sur 300 jours ouvrables, c’est la totalité des transferts de 1950, et une très forte proportion de ceux de 1951 et 1952 qui seraient frauduleux »122.
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Si l’on abandonne l’idée que ce n’est pas le système mais l’abus du système qui est frauduleux, les choses apparaissent certes différentes mais pas moins incertaines.
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Mariani relativise : « Le trafic, qui existe indubitablement, n’a [...] certainement pas, à mon avis, l’importance qu’on lui attribue. Il ne me paraît pas douteux que celui qui se fait en France avec la Suisse (importateurs d’or, agences de voyages) et celui qui s’est fait avec ce pays à la suite de mesures libérales en faveur des voyageurs, au cours des années 1950 et 1951, l’a dépassé en importance ». Mais, ajoute-t-il, différentes raisons donnent au trafic des piastres un aspect retentissant : le caractère odieux, d’abord, de la spéculation, quand « tant d’hommes se sacrifient » ; la généralisation ensuite des opérations irrégulières, plus nombreuses au fond que vraiment importantes - « Le nombre de bénéficiaires de ces petites opérations a accrédité l’idée d’un trafic généralisé, donc immense »123. 103
Combien ? Le rapport Mondon, qui établit le bilan du trafic au nom de la commission d’enquête, semble jeter l’éponge : indépendamment en effet de la contrebande financière, les procédés illicites entourant les importations restent entourés de mystère. « Des renseignements très précis sont impossibles à fournir, car il faudrait dépouiller tous les dossiers et effectuer tous les contrôles, en accord avec la douane, afin de vérifier si la valeur des marchandises importées correspondait bien aux autorisations de transferts. Ce travail demanderait certainement de très nombreux mois et de nombreux fonctionnaires ». Que dire quarante ans après ! Mais il faut bien fournir un ordre de grandeur : à en croire les experts financiers de l’époque, « il résulte que le trafic peut être évalué à environ 10 à 15 % du total des transferts par année », conclut le rapport Mondon. Cela représente sur l’ensemble de la période, si l’on admet un total de transferts de l’ordre de 1 300 milliards de francs, un trafic situé dans une fourchette allant de 130 à 200 milliards de francs - environ une année de versement du Trésor à l’Indochine dans les dernières années de la guerre 124.
IV. LA QUESTION DE LA MONNAIE 104
L’émission monétaire apparaît inséparable des flux financiers qui lient la France et l’Indochine, financement de la guerre d’un côté, transferts financiers de l’autre. Il semble même qu’assez vite ce soient ces flux qui garantissent la circulation fiduciaire, en lieu et place d’une encaisse impossible à stabiliser. Le contrôle de la monnaie par la France suppose aussi son maintien dans la zone franc - mais à quelle parité ? Le problème du taux de la piastre constitue un véritable « serpent de mer » de la guerre d’Indochine, entre sa fixation à 17 francs en 1945 et la dévaluation de 1953.
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La monnaie apparaît en dernière analyse au cœur de la guerre. Elle est bien sûr l’outil qui permet le financement des dépenses militaires. En France, sa défense conditionne les modalités de l’aide américaine. En Indochine, elle est aussi l’instrument qui donne l’autorité à celui qui en détient les clés. Chacun des deux belligérants dispose, on le sait, de sa propre monnaie. Dans le camp français, le contrôle de l’émission monétaire constitue également un enjeu : la République le reprend d’abord à la Banque coloniale ; elle s’efforce de le garder ensuite, alors même qu’elle transfère une partie de ses pouvoirs aux Etats associés ; elle doit finalement le céder à ces derniers. En fin de compte, la France hors-jeu abandonnera en 1954 le Vietnam à ses deux monnaies : l’une héritée de la piastre et l’autre conçue pour s’y opposer, le Sud et le Nord.
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A. L’ÉMISSION, UN OUTIL POLITIQUE 106
Après la seconde guerre mondiale, il n’a jamais été sérieusement question de maintenir en vigueur le système colonial fonctionnant autour de la Banque de l’Indochine. Plusieurs facteurs militaient dès 1945 pour que le privilège qu’elle détenait en matière d’émission soit reconsidéré. Le secteur bancaire se trouvait d’une part en pleine restructuration en métropole, avec la nationalisation des quatre grandes banques de dépôt ; les nouveaux rapports qui se dessinaient entre la France et son empire impliquaient d’autre part de redéfinir la place des grandes banques coloniales. Sur ce plan, une solution se dessina sous l’autorité du ministre des Finances René Pleven : les banques coloniales ne seraient pas nationalisées en échange du retrait de leur privilège d’émission, à la date d’expiration des conventions prévoyant celui-ci. S’agissant de la Banque de l’Indochine, François Bloch-Lainé préconisa également cette solution lorsqu’il était conseiller financier à Saigon, fin 1945 et début 1946 : la Banque de l’Indochine devait garder un statut privé pour conserver son rôle de banque d’affaires en Extrême-Orient, mais abandonner le privilège d’émission en Indochine, comme dans les autres territoires placés sous sa juridiction125. Et il n’était pas question d’attendre 1956, date de l’expiration de la convention déléguant à la Banque de l’Indochine le privilège d’émission. Billet de 100 piastres de la Banque de l’Indochine (émission de 1946)
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L’existence de la Caisse centrale de la France d’outre-mer dans le dispositif de la libération allait dans le même sens. Héritière en 1944 de la Caisse centrale de la France libre, elle-même sous l’autorité de Pierre Mendès France, commissaire aux Finances du CFLN, elle avait compétence sur la politique monétaire et de crédit dans tout l’empire, réfléchissant notamment aux moyens de mettre fin au monopole des banques coloniales, soit en particulier de la Banque de l’Indochine 126. La Caisse centrale, menée
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par son directeur Postel-Vinay, ne réussira cependant pas à s’imposer face à cette dernière et proposera finalement en 1946, mais en vain, un mécanisme compliqué destiné à assurer sa présence entre le Trésor et la Banque de l’Indochine 127. Au delà, il n’en sera plus guère question. 108
L’idée de constituer un nouvel Institut d’émission, distinct de la Banque de l’Indochine, apparaît également très tôt, avant même que la guerre ne se déclenche vraiment : cette idée fait partie de la réflexion développée sur la place de la France en Asie du Sud-Est au lendemain du second conflit mondial, qui tourne elle-même autour de la notion, formulée en mars 1945, de Fédération indochinoise. Pour le gouvernement provisoire, il est en particulier impératif que l’émission monétaire puisse se faire dans un cadre purement et seulement indochinois, ce à quoi la Banque de l’Indochine, qui brasse plus large, ne saurait se résoudre : dès juillet 1945, avant même la capitulation japonaise, l’hypothèse d’une renonciation au privilège est d’ailleurs pratiquement admise par ses dirigeants128. Ensuite entre en scène le gouvernement Ho Chi Minh, constitué au Vietnam dans la dynamique de la Révolution d’août 1945 : l’émission monétaire constitue alors un élément central de la négociation, l’ambition de la France étant de lui donner un cadre fédéral - qu’elle pourrait contrôler. « Dans les propositions de la délégation française à la conférence de Dalat, note le conseiller financier en mai 1946, il est bien précisé que l’émission sera confiée à un Institut fédéral, établissement public, se substituant à la Banque de l’Indochine. Cette solution est la seule qui puisse être un jour acceptée par le gouvernement de Hanoi, et qui s’adapte au cadre de la future Fédération indochinoise. Elle correspond d’ailleurs aux instructions ministérielles de Paris »129. En octobre 1946, un projet Belin dessine les contours d’un futur Institut fédéral d’émission indochinois130 - mais on ignorait que l’Indochine allait bientôt plonger dans la guerre pour huit ans.
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L’Institut d’émission n’aura qu’une existence tardive, brève et incertaine. Il fallut d’abord attendre septembre 1948 pour que la loi officialise le transfert de responsabilité de la Banque de l’Indochine à « un Institut d’émission de l’Indochine » qui restait à monter - un accord ayant été trouvé sur le rachat par la Banque des 60 000 actions que l’État détenait dans son capital131. En attendant le décret d’application, qui mettra plus de trois ans à arriver, la Banque de l’Indochine continue cependant d’assurer le service de l’émission. C’est le temps des accords négociés entre la France, le Vietnam de Bao Dai, le Cambodge et le Laos, qui reconnaissent en 1949 à ces derniers le statut d’États associés. C’est ensuite le moment de la conférence de Pau et des conventions inter-États de décembre 1950. L’organisme prévu par la loi de septembre 1948 est devenu l’Institut d’émission des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Encore un an, et la convention de Paris du 16 décembre 1951 précise les modalités du transfert du privilège d’émission : le nouvel Institut entre officiellement en fonction le 1 er janvier 1952 sous la présidence de Gaston Cusin132. Trop tard sans doute : la montée en puissance des combats et l’entrée en scène des Américains avaient modifié la configuration de la guerre. Trois ans après sa mise en place, l’Institut d’émission éclatera en trois Instituts d’émission autonomes, un pour le Cambodge, un pour le Laos et un pour le Vietnam.
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L’écart entre les ambitions et les réalités de cet Institut d’émission est lui-même resté considérable. Au cœur du projet de Pau, l’Union économique et douanière entre la France et les trois États indochinois devait être construite grâce à une monnaie unique, émise par le dit Institut. Alors qu’en Europe les projets de la CECA et de la CED jetaient déjà les bases d’une coopération nouvelle, les promoteurs de l’Institut d’émission
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affichent une ambition de même ordre, revendiquant même d’aller plus loin : « Il a paru d’un intérêt considérable de maintenir un marché élargi aux productions des trois pays en assurant sur leur territoire la libre circulation des marchandises et des capitaux. Les Pays du Sud-Est Asiatique précèdent ainsi dans cette voie les pays de l’Europe occidentale », affirment-ils133. Concrètement, il s’agit aussi pour la France de contrôler les États par le biais de la monnaie. Deux dispositions prévues dans les statuts de l’Institut rendaient en particulier « inéluctables à plus ou moins brève échéance des demandes d’aide des États » au Trésor français, précise ainsi André Valls dans une note de novembre 1951134. « La négociation de cette aide, ajoute-t-il, devrait permettre à la France d’obtenir des contreparties raisonnables ». Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que rivalités et rapports de force aient fini par dominer le fonctionnement de l’Institut. 111
Dans la pratique, la Banque de l’Indochine paraît avoir conservé intacte sa toute puissance, et pendant presque toute la période, en raison notamment de la lenteur de la mise en place de l’Institut d’émission et des atermoiements qui l’ont accompagnée. Elle est d’abord restée incontournable en matière d’émission : la banque coloniale émet la piastre de droit jusqu’en 1948, de fait jusqu’en 1952 et assure même le service au delà : une convention de louage de services et de locaux a été passée entre la BIC et l’Institut d’émission au moment où celui-ci entrait en service, le 31 décembre 1951, confiant à la BIC la partie technique de l’émission pour le compte de l’Institut - et ce jusqu’en 1954. Plus généralement, compte tenu de son poids dans l’économie de l’Indochine, elle continue d’être « la » banque de l’endroit, ce qui ne va pas sans provoquer quelques signes d’humeur dans l’administration française. C’est ce qu’écrit par exemple le Trésorier général de l’Indochine en 1950, en demandant le rétablissement, sous certaines conditions, des achats de rentes et valeurs, interdits pour limiter les transferts : « on interdit au Trésor l’achat de rentes, en même temps qu’on autorise les banques locales à effectuer ces mêmes achats, ce qui prouve bien qu’ici - en Indochine ce n’est ni la France ni le Vietnam qui gouverne mais la Banque de l’Indochine. Rien n’est changé »135.
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La Banque joue-t-elle d’ailleurs complètement le jeu de l’Institut d’émission ? Rien n’est moins sûr. Dans un courrier d’avril 1953 au président Cusin, le directeur général de l’Institut, Bordaz, confirme de Phnom Penh « l’impression que nous avions depuis plusieurs semaines dans nos contacts avec la Banque de l’Indochine : il nous semblait que l’esprit de collaboration qui s’est manifesté au cours de l’année dernière n’était plus aussi sincère ». Les dirigeants français de l’Institut ont en particulier le sentiment que quelque chose se trame entre la Banque et Bao Dai - mais on est alors à un mois de la dévaluation de la piastre et si tel était le cas, il n’en est rien resté de visible 136.
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En tout état de cause, que la monnaie indochinoise ait été officiellement émise par la Banque de l’Indochine ou par l’Institut d’émission, sa couverture a toujours posé à la France de sérieux problèmes. La question, là encore, est d’origine. Alors que la loi de 1931 stipulait que, dans la zone d’action de la Banque de l’Indochine, la circulation fiduciaire devait être couverte pour un tiers au moins par une véritable encaisse, en or ou en devises convertibles, on est loin du compte après la Libération 137. En août 1946, la Banque fournit à la direction du Trésor des données d’où il ressort que « la couverture de la circulation indochinoise ne comporte plus d’avoirs disponibles qu’à concurrence de 9,14 % et est constituée par des créances sur les autorités françaises indochinoises ou métropolitaines à concurrence de 89,81 % »138. La Banque suggérait alors quelques
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idées pour reconstituer une encaisse, mais la situation paraît avoir perduré, si elle ne s’est pas aggravée : en 1950, la circulation - 4 766 millions de piastres -n’est encore couverte qu’à hauteur d’à peine 6 % par une encaisse en bonne et due forme et pour 90 % par des avances au Trésor139. On est bien très loin du seuil prévu par la loi. 114
Une situation quasi identique marquera le fonctionnement de l’Institut d’émission. En principe, une couverture plus stricte de la circulation a été prévue, sur la base d’« avoirs-francs » accumulés par le solde créditeur des transferts France-Indochine sur les transferts Indochine-France. « L’Institut est tenu de constituer progressivement et de maintenir une couverture en francs, or ou devises étrangères, au moins égale à cinquante pour cent de la circulation fiduciaire »140. Après cinq mois d’exercice, le conseiller financier Valls tire la sonnette d’alarme dans un courrier à la direction du Trésor : « je voudrais vous dire les inquiétudes que suscite chez moi la lenteur avec laquelle se constitue la fameuse "couverture en francs" de la piastre. Ne nous dissimulons pas que tout le mécanisme laborieusement monté à Paris au mois de décembre 1951 ne donne pas les résultats que nous escomptions. Selon les derniers chiffres fournis par l’Institut, au 21 mai, la couverture s’élevait en tout et pour tout à 974 millions de francs »141. Cela ne représente en effet qu’environ 13 % de la circulation fiduciaire.
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C’est ainsi l’argent de la guerre qui constitue la seule garantie de la monnaie indochinoise, ou plutôt son mouvement. « La valeur de la piastre ne repose pas sur un harmonieux équilibre de la production et des échanges des trois États, mais sur les dépenses improductives engagées par la France pour poursuivre la guerre en Indochine », relève une étude de 1953142. Une monnaie peut-elle reposer sur des flux financiers liés à une situation aussi exceptionnelle ?
B. LA SURÉVALUATION DE LA PIASTRE 116
Le problème de la parité de la piastre indochinoise a constitué, pour reprendre cette expression commode, une sorte de « serpent de mer » de la guerre d’Indochine. Fixée en décembre 1945 à 17 francs, en discontinuité avec le taux de 10 francs précédemment admis, mais en concordance avec le reste de l’Empire, c’est-à-dire essentiellement avec le franc d’Afrique, cette parité était conçue comme provisoire. En tout état de cause, ses concepteurs ne pouvaient imaginer dans quelle situation de guerre l’Indochine allait bientôt s’installer : à l’époque, relève une note de la rue de Rivoli, l’Indochine avait moins souffert que la France et il semblait sûr qu’elle reprendrait vite une activité comparable à celle d’avant 1939 ; mais « les événements ont déjoué les prévisions » 143. François Bloch-Lainé, qui avait fait fixer ce nouveau taux après avoir sérieusement ponctionné la circulation par le retrait des billets de 500 piastres, fournit une explication du même ordre dans une note ultérieure à René Pleven : « Il est évident que si j’avais pu prévoir que l’inflation locale, provoquée par la poursuite de la guerre sur le territoire indochinois, annulerait en peu de temps et effacerait jusqu’au souvenir de la réduction de la masse monétaire effectuée sur ma proposition par le haut-commissaire, je n’aurais même pas songé à préconiser pour la piastre un sort différent de celui du franc métropolitain »144.
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Une fois la guerre déclenchée, installée plutôt, avec son cortège de dépenses militaires et de transferts financiers, la question de la piastre revient périodiquement sur le tapis. Le premier qui suggéra de la ramener à 10 francs fut, dès janvier 1947, l’Inspecteur
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général Gayet, chef de la Mission de contrôle de l’exécution du budget en Indochine 145 : il lui semblait en effet évident que, puisque la France devait acheter des piastres pour ses dépenses militaires en Indochine, l’opération était moins onéreuse à 10 francs qu’à 17. Mais cette suggestion ne paraît avoir alors rencontré qu’ironie au hautcommissariat. Officiellement questionné peu après sur l’opportunité de la chose, François Bloch-Lainé lui-même, devenu entre-temps directeur du Trésor, répondit « qu’une telle mesure n’aurait que des avantages illusoires pour les finances métropolitaines et qu’elle serait en outre dangereuse et inopportune pour l’Indochine »146. La question sera reprise en septembre 1949, après la dévaluation de la livre britannique : la décision de dévaluer était pratiquement acquise à Paris quand le haut-commissaire Pignon fit, on s’en souvient, si fortement pression que la mesure fut rapportée. En 1950 aussi, le président du Conseil René Pleven s’attellera au problème : à sa demande, un comité d’expert travaillera sur le sujet entre août et octobre, pour conclure à peu près dans les mêmes termes que Bloch-Lainé en 1947. Il faudra donc attendre le 11 mai 1953, après sept ou huit ans de guerre, pour voir René Mayer ramener quasiment par surprise la piastre à 10 francs... 118
Pour qui connaît en particulier les chiffres du commerce extérieur de l’Indochine, cet acharnement à maintenir une piastre aussi surévaluée surprend. Comment peut-on, dans ces conditions, développer des exportations qui restent moribondes ? Mais il faut croire que les contraintes de la guerre pèsent plus lourd que la réflexion sur les taux de change : qu’il s’agisse du charbon ou du caoutchouc, les principaux produits négociés à l’extérieur, la difficulté n’est pas tant d’exporter que de produire, avec accessoirement des surcoûts liés aux problèmes de sécurité. Et puis beaucoup d’exportateurs travaillent en direction de la France, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre : « Il est certain, note le rapport de Margerie en 1949, que sur la base du taux de 17 francs pour une piastre, un certain nombre de produits ne peuvent être exportés sans que l’on recoure à des artifices ». L’un des artifices en question pourrait relever du trafic des piastres et, en tout cas, l’entretient : il « consiste à autoriser les exportateurs à ne rapatrier qu’une part du produit en devises de leurs ventes, à céder le reliquat contre piastres sur le marché libre de Hong Kong où la piastre est fortement dépréciée [...] et à réintroduire ces piastres en Indochine »147...
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De près ou de loin, les exportations indochinoises sont en fait subventionnées. Un premier groupe de produits - brisures de riz, ciments de Haiphong, traverses de chemins de fer... -, exportés pour une valeur assez modeste, bénéficie du mécanisme qui vient d’être décrit. La production de caoutchouc est quant à elle exportée vers la France « grâce à des arrangements intervenus avec les utilisateurs métropolitains, qui ont accepté de payer un prix supérieur au cours mondial », sans qu’il soit nécessaire d’apporter un quelconque secours aux planteurs, précise la même source - on y reviendra. Quant au charbon du Tonkin, il a été « exporté au Japon sans qu’il ait été nécessaire de recourir à des artifices spéciaux » - il est vrai que le marché japonais de la fin des années quarante ne devait pas être très « concurrentiel ».
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Il semble finalement que, si politique concertée il y a eu, celle-ci prenait en compte les besoins de la France plutôt que ceux de l’Indochine. « L’Indochine représente un débouché essentiel pour certaines industries françaises » : ce leitmotiv domine toute la période148. Or la piastre à 17 francs favorisait au-delà du raisonnable les importations françaises en Indochine. Pourquoi freiner un tel engouement, à l’heure de la reconstruction nationale et bientôt de la croissance retrouvée ? Il n’est ainsi pas
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surprenant que, parallèlement, aucune tentative sérieuse pour stimuler les exportations indochinoises - aucune « dévaluation compétitive » - n’ait été sérieusement envisagée. En septembre 1949, après la dévaluation de la livre sterling, une note s’engage bien dans ce sens, mais elle reste isolée. Il s’agit pourtant d’un véritable plaidoyer adressé au gouvernement en faveur d’un retour à la piastre à 10 francs. Constatant notamment que la dévaluation de la livre valorise la piastre de 11 % par rapport au sterling, son auteur établit qu’une piastre ramenée de 17 à 10 francs entraînerait une dévaluation de 34 % par rapport à la même devise : une chance à saisir « pour mettre ce pays dans une position concurrentielle sur le plan mondial », alors que, selon la même note, 29 % des exportations indochinoises se sont portées vers la zone sterling en 1948149. 121
Les arguments en faveur d’une dévaluation de la piastre sont restés les mêmes du début à la fin de la période : ils sont essentiellement comptables, car jamais les questions morales ne sont posées. L’argument principal, budgétaire, considère qu’un retour à la parité ancienne procurerait une économie en proportion sur la part du budget militaire dépensée en Indochine, c’est-à-dire celle pour laquelle la France doit acheter des piastres au taux fort peu avantageux de 17 francs l’unité. En 1947, François Bloch-Lainé chiffre l’économie théorique à 12 milliards de francs, sur un total de dépenses militaires relatives à l’Indochine alors de 42 milliards, soit environ 29 % 150. En 1952, une autre note évalue, à l’issue d’un assez long raisonnement, qu’une dévaluation de 50 % - qui aurait ramené la piastre à 8,50 francs et non à 10 - permettrait d’envisager un bénéfice théorique de l’ordre du quart des crédits budgétaires consacrés à l’Indochine 151. Un argument annexe s’attache aux transferts financiers : en en limitant l’intérêt, en les freinant donc, on en limiterait le coût pour le Trésor car, à la fin des années 1940 en particulier, ce dernier doit couvrir les excédents de transferts en provenance d’Indochine.
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Les arguments qui s’opposent à une dévaluation n’ont également guère varié du début à la fin du conflit : en substance, les effets pervers de la dévaluation en gommeraient l’intérêt financier. C’est la raison pour laquelle Bloch-Lainé estime en 1947 la dévaluation « dangereuse et inopportune » : elle entraînerait quasi automatiquement une hausse des prix, en particulier sur les produits importés, compromettant l’effort de stabilisation réalisé en Indochine, sans donner pour autant de coup de fouet à des exportations encore indigentes152. Si, en 1949 il estime par contre l’opération « souhaitable », ce n’est qu’accompagnée d’un « certain nombre de conditions » limitant son effet inflationniste - en particulier le blocage des soldes et des traitements153. Ce dernier point fournira d’ailleurs un argument annexe aux adversaires de toute dévaluation : pour le moral du corps expéditionnaire, il serait inimaginable de dévaluer la monnaie sans revaloriser d’autant leur traitement - ce qui, compte tenu du poids des dépenses de personnel dans les dépenses militaires, retirerait une bonne partie de son intérêt à l’opération monétaire. A cet argument économique s’ajoute un argument politique, mais généralement non dit, sinon pour estimer que la dévaluation n’est jamais vraiment opportune : le montage des États associés se réalise sur la base de la piastre à 17 francs, qui comporte de nombreux avantages - y compris personnels pour leurs dirigeants.
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« Chaque fois que le problème a été examiné, résume une note de 1950, l’avis des personnes compétentes, en particulier du ministère de la France d’outre-mer, de nos représentants en Indochine et de la Banque de l’Indochine, a été que, à la fois du point
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de vue politique et du point de vue économique, un ajustement du cours de la piastre serait prématuré »154. Le document le plus fourni sur la question, c’est-à-dire le rapport demandé en 1950 par Pleven à un comité ad hoc, exprime mieux que tout autre la balance à laquelle les experts arrivent. Il étudie d’abord « l’influence d’une dévaluation sur les finances publiques métropolitaines », pour arriver au bénéfice théorique de l’ordre de 25 % déjà indiqué, mais aussi à l’idée que les trafics ne seront pas stoppés pour autant. Analysant ensuite « l’influence d’une dévaluation sur l’économie des États indochinois », il estime que celle-ci a de bonnes chances d’être négative : « Ce ne sont pas les conditions générales de la vie économique en Indochine qui militent actuellement en faveur d’une dévaluation de la piastre », conclut sobrement le document, avant de donner son expertise : « Il apparaît au comité qu’une telle mesure n’apporterait vraisemblablement au Trésor métropolitain qu’un allégement passager tout en risquant de provoquer dans l’économie indochinoise des troubles sérieux générateurs d’inflation »155. 124
La question de la dévaluation apparaît finalement très politique, tant elle concerne d’éléments contradictoires. Le ministère des États associés et le haut-commissariat y sont hostiles, car ils savent sans doute à quel point la zone « franco-vietnamienne » est subventionnée par la piastre à 17 francs. La Banque de l’Indochine apparaît résolument contre, sans doute en raison des fructueuses affaires que les transferts financiers lui permettent de réaliser. Le ministère des Finances est plutôt pour, en particulier la direction du Budget, car le Trésor, comme le montre l’argumentaire de Bloch-Lainé, est plus partagé. Et c’est sans tenir compte des hommes ou des partis qui, à Paris, profitent directement ou indirectement de la surévaluation de la piastre. Comme l’écrit Rivet, directeur de l’Office indochinois des changes, à Guindey, directeur des Finances extérieures, « il faudra reconsidérer un jour la parité monétaire. Mais comme vous le savez, une telle décision suppose une autorité fermement établie aussi bien sur le plan local que vis-à-vis des divers éléments français. Nous n’en sommes pas là » 156. René Mayer fera en 1953 cet acte d’autorité, mais les conditions de sa réussite n’étaient pas encore tout à fait réunies...
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À tout considérer, notamment à la lumière de la dévaluation de 1953 et de ses effets, il apparaît que le maintien d’une piastre aussi nettement surévaluée relevait pour la France d’une pratique essentiellement impériale. « La surévaluation de la piastre était à l’origine de tous les trafics et de la prospérité artificielle des États associés », note André Valls quinze jours après la dévaluation. Elle dirigeait l’essentiel de leurs échanges en direction de la France. Elle permettait aussi à celle-ci de garder le contrôle des finances des États associés : « La garantie que leur donnait la France, note encore le conseiller financier, d’une part en rattachant par une parité fixe la piastre au franc, d’autre part en attribuant à la piastre une parité avantageuse, devait avoir pour contrepartie à son profit un droit de surveillance à la fois sur la gestion des finances nationales et sur l’évolution de la masse monétaire locale » 157. Au fond, elle était ainsi la contrepartie du système complexe imposé aux États dans le cadre de l’Institut d’émission. On comprend dès lors mieux les hésitations à décider une dévaluation à première vue pourtant logique : plus la France et l’Indochine s’installaient dans la guerre et plus la piastre en devenait l’élément central, incontournable. En ce sens, la dévaluation du 11 mai 1953 apparaît bien synonyme de désengagement français.
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C. LA GUERRE DES MONNAIES 126
La piastre indochinoise n’était, on le sait, pas la seule monnaie sur le territoire. Après la démonétisation des billets de 500 piastres en 1945, le gouvernement vietnamien replié dans le maquis avait créé sa propre monnaie, à titre expérimental en 1946 et de manière généralisée en 1947. En principe appelées « dông des Finances », puisque l’émission était assurée par le ministère des Finances, les coupures vietnamiennes étaient surtout connues sous le nom de « billets de l’oncle Ho » ou de « piastres Ho Chi Minh ». La RDV n’était à l’époque pas seule dans son cas : plus au nord, installés dans la guerre civile, les communistes chinois battaient aussi monnaie, le rapport entre le « dollar communiste » et celui du pouvoir central étant estimé à quarante pour un 158.
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Il avait fallu une bonne dose de volontarisme aux dirigeants vietnamiens pour se lancer dans une telle aventure. Si, comme on l’a vu, la circulation de la piastre indochinoise ou franco-vietnamienne -, émise par la Banque de l’Indochine puis par l’Institut d’émission, reposait pendant la guerre sur une encaisse notoirement insuffisante, que dire du dông vietnamien ! « Apparemment, aucune garantie n’existait pour cette émission, reconnaît une étude de Hanoi sur la question. Pourtant, le dông était solidement assis, car il a la confiance absolue de la population qui, par patriotisme, saluait cette émission comme un symbole de l’indépendance du pays » 159 : une garantie en quelque sorte morale et politique. Ce dông première manière, qui circulait dans les régions contrôlées par le Viet Minh, semble s’être cependant déprécié au fur et à mesure, précisément, que ce dernier perdait du terrain. Mais il resta un concurrent suffisamment sérieux pour que les autorités françaises le surveillent de près et s’efforcent de le déstabiliser, notamment par des fausses coupures 160.
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Le bras de fer monétaire prit un tour singulier après la convention de Pau créant l’Institut d’émission des États associés, appelé à se substituer à la Banque de l’Indochine et qui entra en fonction le 1er janvier 1952. À Pau, d’ailleurs, on se garda bien de parler de la parité de la piastre, alors même que le comité institué par Pleven réfléchissait à la question, à Paris et Saigon. Ce dernier prenait la monnaie adverse au sérieux, comme le suggère cette observation formulée lors d’une de ses réunions, alors qu’était émise l’hypothèse d’une « piastre flottante » : l’idée fut repoussée car, outre qu’elle était difficile à réaliser, les experts estimaient qu’elle donnerait lieu à une « comparaison désagréable avec la piastre Ho Chi Minh »161.
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La RDV prit, on le sait, une initiative similaire à celle qui conduisit à la création de l’Institut d’émission, et à peu près au même moment, avec sans doute l’aide de la Chine populaire : le 6 mai 1951 était fondée la Banque nationale du Vietnam, banque centrale compétente pour l’émission monétaire. Le parallélisme des deux événements paraît assez remarquable, du moins dans les analyses qui en rendent compte. La jeune Banque nationale est bien sûr presque tout de suite autorisée à émettre de nouvelles coupures un nouveau dông étant échangé contre dix anciens 162 ; mais pendant un certain temps jusqu’en 1953 - le « dông des Finances » et le « dông de la Banque » circulèrent ensemble. L’Institut d’émission ne procédera pas autrement quelques mois plus tard, sinon qu’il ne prendra pas la peine d’« alourdir » la monnaie : dans un premier temps, et en fait jusqu’en 1954, ses émissions, portant une vignette nationale, coexistent avec celles plus anciennes - de la Banque de l’Indochine : cela faisait beaucoup de signes monétaires en circulation en même temps, « piastre Bao Dai » contre « piastre Ho Chi Minh », l’affrontement prenait en tout cas sur ce plan une tournure plus nationale.
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100 dông « Bao Dai » (1954) contre 20 dông « Ho Chi Minh » (1951, nouvelle émission)
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La nature profondément opposée des deux piastres apparaît dans les dernières années de guerre. Sans doute les deux belligérants vietnamiens avaient-ils également recours à l’émission pour financer leurs dépenses militaires mais, au delà, la conception même de la monnaie différait. En forçant un peu le trait on pourrait dire que, du côté français, le problème était de maîtriser une circulation monétaire débridée, sur fond de développement des échanges commerciaux, et de laisser les transferts financiers réaliser en permanence l’assainissement nécessaire. Pendant ce temps, du côté Viet Minh, étant donné l’imbrication des zones, la question est au contraire de faire face à une double pénurie, celle de la monnaie d’une part et celle de la circulation des marchandises d’autre part. Pour stimuler les deux en même temps, un commerce d’État fut donc créé peu après la Banque nationale, en août 1951, et en liaison étroite avec elle. Le mécanisme imaginé était simple : au lieu d’émettre de la monnaie pour alimenter exclusivement le budget, la Banque émettait ses dông pour permettre aux agents de l’État d’effectuer la collecte des produits agricoles, forestiers et artisanaux ; en écoulant les dites marchandises, l’État récupérait les billets de banque qu’il avait lui-même mis en circulation163.
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Le 14 octobre 1954, alors qu’elle vient de reprendre possession de Hanoi, la RDV fixera officiellement le taux de change : 30 dông « Ho Chi Minh » pour une piastre de la Banque de l’Indochine ou de l’Institut d’émission164. La longue période de « lutte serrée contre la piastre indochinoise », dont il est souvent question dans les textes du Viet Minh ou les analyses qui lui sont liées, trouvait son aboutissement. Malgré la définition de cette nouvelle parité cependant, le cessez-le-feu de 1954 et la partition du Vietnam en deux zones Nord et Sud, de part et d’autre du 17e parallèle, mettaient face à face non seulement deux régimes politiques différents, mais aussi deux systèmes économiques et financiers incompatibles. À l’économie du Sud, où une circulation monétaire
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pratiquement libre laissait au marché un rôle régulateur, s’opposait celle du Nord, où l’État contrôlait étroitement la monnaie et les échanges en régulant les prix. Le partage du Vietnam, construit pendant les années de guerre, était consommé bien avant la non tenue des élections de 1956, officiellement conçues pour réunifier le pays.
D. APPORT ET CONTRAINTES DES DOLLARS 132
L’aide américaine, sous ses différentes formes, n’interfère pas directement avec les flux financiers dont la gestion a été précédemment décrite, ni avec leurs dérives. Depuis sa mise en place jusqu’à la fin du conflit, au-delà du fait qu’elle soulage le budget français, cette aide intéresse surtout la France en termes de paiements extérieurs. L’aide américaine a d’ailleurs tout de suite été conçue sous cet angle par la rue de Rivoli : les livraisons de matériel militaire à l’Indochine se substituaient à des achats dont une part appréciable aurait été faite dans la zone dollar. L’aide économique aux États associés avait également cette logique, du moins l’aide commercialisée.
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Sans doute l’aide américaine n’est-elle pas neutre. A la différence en effet des autres pays où elle développe son action, la Mutual Security Agency (MSA) est représentée dans les États associés par des missions dont le rôle est très important. Alors qu’ailleurs ces organismes n’ont qu’une fonction de contrôle, en Indochine leurs membres « participent de près à l’élaboration des programmes et interviennent dans toutes les questions de procédure ». Comme l’écrit pudiquement une note de l’Institut d’émission sur le sujet, « il est bien certain que cette ingérence économique, rendue nécessaire par suite de l’incompétence de pays non encore organisés, n’est pas sans rapport avec l’influence politique américaine dans cette partie du monde » 165.
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Mais l’aide économique commercialisée, comme le précise une étude de janvier 1953, a pour conséquence « d’économiser à la France d’importants crédits en dollars ». Elle consiste, on le sait, dans l’ouverture d’une enveloppe permettant aux États associés d’acquérir aux États-Unis diverses marchandises et, en échange, de constituer sur place un fonds de contrepartie en piastres, utilisable à des dépenses d’intérêt général. L’étude citée précise les modalités de l’économie en question, répétant d’abord que « l’aide dont il s’agit soulage la France d’un effort correspondant. Ce résultat est surtout sensible en ce qui concerne l’aide commerciale puisque les dollars attribués à ce titre se substituent en partie aux dollars libres mis par le fonds de stabilisation des changes français à la disposition des États associés » 166. L’aide, indique une autre étude de l’époque, « couvre actuellement la presque totalité des importations indochinoises en provenance de la zone dollar »167 ; et le représentant de la France à la Commission provisoire d’importation chargée d’établir les programmes d’achats veille pour sa part, on le sait, à éviter tout double emploi. L’avantage est réel au niveau des paiements : la balance commerciale de l’Indochine avec la zone dollar, déficitaire de 2 millions de piastres en 1951, devient excédentaire d’un montant équivalent en 1952 168.
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L’Institut d’émission ne joue dans cette affaire qu’un rôle purement technique. Sa succursale de Saigon gère les deux comptes qui y sont consacrés, mais sans disposer d’un « levier » quelconque sur ces derniers : un compte principal et bloqué, numéroté 44-2 Aide américaine - compte spécial, d’abord prévu par les accords bilatéraux ; et un second, numéroté 44-1 Aide américaine-compte de passage, abritant le fonds de contrepartie en piastres - ce dernier a été ouvert pour faire face aux inévitables versements ou reversements liés aux opérations commerciales. Dans la pratique, le
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compte de passage reçoit la contrevaleur des importations et, en fin de mois, 90 % des versements mensuels sont virés au compte spécial. Les fonds qui y sont déposés ne peuvent en effet être débloqués qu’avec l’accord de la Mission américaine et à la demande des États. Ainsi, précise la note de l’Institut d’émission, depuis qu’il collabore « à la réalisation de l’aide américaine aux États associés, c’est-à-dire depuis octobre 1952, son rôle a surtout été un rôle d’organisation et d’exécution administrative des opérations »169. 136
L’aide financière accordée par les États-Unis à la France au titre de l’Indochine, à partir de la conférence de Lisbonne de 1952, porte sans doute sur des montants plus élevés, mais la démarche apparaît du même ordre. Selon le mémorandum du 29 août 1953, deux types d’aide au budget français de la Défense fonctionnent. D’abord l’aide pour la Défense proprement dite - Defense Support Aid : une « enveloppe » dollar est ouverte aux importateurs français ; et leurs règlements en francs permettent la constitution d’un fonds de « contrepartie » (couterpart) ; ce dernier, centralisé sur un compte de la Banque de France, est débité par le Trésor avec l’accord du gouvernement des États-Unis pour financer les dépenses françaises de défense. Le second type d’aide, créé dans l’accord de Lisbonne de février 1952 mais qui ne sera pas poursuivi au-delà de 1953, à la demande du Congrès, passe par la technique des fournitures off shore (Budget Supporting Offshore Procurement) : des matériels militaires figurant au plan d’équipement de la Défense nationale sont payés en dollars puis délivrés aux Forces armées françaises 170.
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Dans la dernière année de la guerre, l’aide financière des États-Unis prend de plus en plus le caractère d’une aide aux paiements. Sur la base d’un crédit sans précédent de 785 millions de dollars, les États-Unis se sont engagés à rembourser d’une part les dépenses budgétaires consacrées au corps expéditionnaire, d’autre part les dépenses des armées nationales, pour lesquelles un compte d’affectation spéciale a été ouvert 171. Le fonctionnement de l’aide américaine, procédant par remboursements et subordonné à la réalisation des programmes en cause, correspondait pour le SGCI à un « changement radical » dans la structure de l’aide, que fixera le mémorandum du 1 er mars 1954 : « À un régime dans lequel l’aide était accordée sous forme de crédits en dollars qui ne pouvaient être employés qu’à des usages et sous des formes strictement déterminées, mais dont la contrevaleur en francs pouvait être utilisée de façon relativement libérale, est substitué maintenant un système dans lequel des dépenses publiques étroitement définies sont remboursées avec des dollars dont au contraire l’emploi est libre ». La suite de la conclusion de la note du SGCI sur le sujet insiste sur l’enjeu pour la France de l’aide américaine au titre de l’Indochine : « Cet avantage pour la gestion des finances extérieures doit être mis en regard des inconvénients et des sujétions de la nouvelle procédure des points de vue du Trésor et du Budget » 172.
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Globalement, la croissance de l’aide américaine s’accompagne en effet d’une véritable mise sous tutelle de la conduite de la guerre en Indochine. Au-delà des procédures tatillonnes de remboursements et des innombrables fiches à remplir par les militaires, propres au fonctionnement de l’administration américaine elle-même, les questionnaires auxquels devaient répondre les départements ministériels compétents avant tout accord sur l’Indochine disaient assez l’ambition des services américains en la matière. 1953 fut en particulier l’année des « questionnaires ». Le premier, en mars, préparait l’octroi de la première aide de 400 millions de dollars, pour laquelle Mayer alla plaider à Washington : huit questions d’ordre stratégique, destinées en particulier à connaître les plans d’emploi, d’équipement et de formation des forces vietnamiennes ;
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dix questions ensuite d’ordre strictement financier173. Un nouveau questionnaire accompagna la préparation de la rallonge de 385 millions de dollars destinée aux États associés174. Les réponses à ces questionnaires, nourries et détaillées, outre qu’ils fournissent un utile état des lieux, illustrent aussi jusqu’où les dirigeants français de l’époque étaient prêts à aller pour « vendre » aux Américains leur guerre en Indochine. Celle-ci paraît en effet avoir été largement utilisée pour résoudre l’un des problèmes essentiels de la IVe République, l’équilibre des paiements.
NOTES 1. Le Monde, 22 juillet 1954. 2. Correspondance de Thierry d’Argenlieu au président du gouvernement provisoire - secrétaire général du comité de l’Indochine - du 7 janvier 1947. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 3. Lettre du vice-amiral Battet au président du Conseil des ministres - état-major général de la Défense nationale - du 14 octobre 1947. SHAT, 4 Q 114. 4. Le décret du 11 septembre 1950 fixe les attributions du ministère d’État chargé des Relations avec les États associés. 5. 8 mai 1953, note sur le commandement d’Indochine. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 6. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’assemblée nationale. 7. Cités par Michel Bodin, La France et ses soldats. Indochine 1945-1954, Paris, 1996 et Jacques Valette dans le compte rendu de ce livre, dans Guerres mondiales et conflits contemporains, n°187, juillet 1997. 8. Note d’information sur le coût et le rendement des armées françaises en 1948, rédigée par une commission d’enquête fonctionnant depuis 1946. Pelure non datée de 18 pages, figurant dans le Fonds Mayer. Archives nationales, 363 AP 10. 9. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’assemblée nationale. 10. Note du ministre d’État chargé des Relations avec les États associés au président du Conseil des ministres, 9 avril 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 11. On sait le rôle que joueront en Algérie certains officiers supérieurs venus d’Indochine : Salan, Trinquier et quelques autres... 12. Éventuellement... Il est possible, et même logique, qu’un tel cadrage préalable ait été adressé chaque année en Indochine, mais rien ne permet de l’affirmer à partir des sources examinées. Les directives de 1954 consultées étaient d’autant plus nécessaires que, pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre, les crédits militaires pour l’Indochine étaient gérés par le ministère de la Défense nationale. 13. Directive du secrétaire d’État à la Guerre au général commandant en chef en Indochine, sur le Plan de campagne et d’approvisionnement 1955, du 30 avril 1954. SHAT, 2 R 230. 14. Directive du secrétaire d’État à la Guerre, op. cit. 15. Mission de contrôle de l’exécution du budget de l’État en Indochine, Rapport d’activité pendant le 1er trimestre 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43931. 16. Assemblée nationale, commission des Finances, Rapport Devinat, avril 1953. 17. Rapport Devinat, avril 1953. 18. Témoignage recueilli lors du colloque de janvier 1997 sur la direction du Budget, à Bercy.
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19. Fiche du 7 avril 1948 de l’état-major de la Défense nationale, sur le budget de la France d’outre-mer. SHAT, 4 Q 114. 20. Lettre du président du Conseil au général d’Armée, haut-commissaire et commandant en chef en Extrême-Orient, sur le budget des dépenses militaires pour 1952. Annexée au rapport Pineau, Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 64. 21. Archives de l’Assemblée nationale. 22. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’assemblée nationale. 23. « Réflexions sur la situation de l’Indochine », note du 27 février 1954, rédigée dans la perspective des négociations de Genève, pour les débats du gouvernement et du Comité de défense nationale. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31. 24. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, mars 1946. 25. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963 26. Note du directeur du Budget pour le ministre. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 27. Échange de télégrammes de septembre-octobre 1949. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 28. AEF, Fonds Trésor, Β 43917 et Β 43918. 29. Note au ministre, 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43927. 30. Note sur les comptes spéciaux militaires, 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43926. 31. Le partage restait complexe entre les départements ministériels. Ainsi le secrétariat à la Guerre supportait-il en particulier l’équipement total des unités envoyées en renfort, l’habillement des hommes et unités envoyés au titre de la relève, et la fourniture des approvisionnements demandés par la France d’outre-mer. Note du 7 octobre 1948. SHAT, 2 R 95. 32. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 10. 33. Fiche pour le chef d’état-major de la Défense nationale, 21 juin 1948. SHAT, 4 Q 114. 34. Décret n°50-1093 du 11 septembre 1950. 35. Décret n°50-1506 du 4 décembre 1950 36. Rapport Devinat, avril 1953. Archives de l’Assemblée nationale. 37. Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale. 38. Annexe à la note du 29 janvier 1953. Archives MAE, ao/IC/265. 39. Note du 8 mai 1953 sur le commandement d’Indochine. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 40. Télégramme du 15 mai 1953, daté de Saigon, du ministre des États associés à René Mayer. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 41. Télégramme du 18 mai 1953, daté de Saigon, du ministre des États associés à René Mayer. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 42. En particulier les décrets 53-597 du 2 juillet, 53-618 du 10 juillet, et 53-667 du 1 er août 1953. JO et SHAT, 1 R 239. 43. Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique. 44. Note au sujet de l’aide financière américaine en 1953. Archives MAE, AO/IC/265. 45. Bloch-Lainé avait été nommé par Pleven, et le ministère des Colonies ne portera pas longtemps ce nom. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 46. Correspondance du 5 novembre 1945 au Président du gouvernement provisoire. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 47. Ledoux à de Margerie. Guindey était directeur des Finances extérieures. 48. Lettre de Max Deville à François Bloch-Lainé, 5 janvier 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 49. Lette du 10 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43929. 50. Télégramme de Letourneau à Mayer. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 51. Lettre du 23 mai 1953 de Boyer à Valls. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 52. Lettre manuscrite de Valls à Boyer, 3 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 53. Lettre de Valls à Schweitzer, directeur du Trésor. 5 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
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54. Plusieurs conseillers financiers se sont également succédé à Saigon : Bloch-Lainé, Gonon, Culmann, Grandval, Deville, Valls... 55. Note sur le commandement de l’Indochine, 8 mai 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 56. La résolution du 14 mai 1954 avait en effet créé « une commission de coordination pour les problèmes intéressants les États associés d’Indochine ». Composée de 25 membres, désignés par les cinq commissions intéressées (Affaires économiques, Affaires étrangères, Défense nationale. Finances et Territoires d’Outre-Mer), elle fonctionna jusqu’en janvier 1955. 57. Edgar Faure, Mémoires I, Paris, 1983. 58. Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances. RivoliAlger-Rivoli. 1937-1958, Paris, 1997. 59. Archives du MAE. Série AO/IC. 60. Philippe Vial, « Deux visions d’Europe : le maréchal Juin et le général Ély face à la CED », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, n°1-2, 1996. Nous reviendrons plus loin, à propos des conséquences en France de la guerre d’Indochine sur le rôle des officiers supérieurs. 61. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indochine, 1875-1975. Paris, 1990. 62. C’est Gaston Cusin qui, entre autres, s’attacha les services de Papon dans le Bordeaux de l’époque. 63. En particulier Le problème économique indochinois, Paris, 1934. 64. Notamment « Structure économique et monétaire des États associés d’Indochine », 26 février 1954, dont il a déjà été question en introduction. Voir annexe 21. 65. Document figurant dans le Fonds Mayer (Archives nationales), 363 AP 31. 66. Note n°2 sur la dévaluation de la piastre, 20 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 67. Scheitzer est alors directeur du Trésor et de Fiers directeur général de la BIC à Paris. Lettre manuscrite de Boyer à Valls, 7 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 68. Lettre de Valls à Schweitzer, directeur du Trésor. 5 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 69. Lettre du ministre des Relations avec les États associés au ministre des Finances, signée par délégation de Tézenas du Montcel, le 11 juin 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 70. En préambule de la présentation du Budget de la France en 1950. Ministère du Budget, bureau d’études. Document Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 71. La Banque de l’Indochine, fondée en 1875 à Saigon, perd, on le sait, alors le privilège d’émission, le nouvel Institut d’émission inaugurant ses fonctions le 1 er janvier 1952. 72. Documents comptables du Trésor et Lettre du directeur du Trésor au président de la Banque de l’Indochine, du 10 novembre 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 73. Opérations du Trésor en Indochine, tableau présent dans plusieurs cartons, complété par d’autres documents de la direction du Trésor pour les années 1953 et 1954. Notamment AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 74. Décret 48-1656 du 23 octobre 1948. JO du 24 octobre. 75. Rapport annuel sur le fonctionnement et la marche du service de la Trésorerie générale de l’Indochine au cours de l’année 1948. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. 76. Rapport au président du Conseil des ministres, préparatoire au décret instituant le Trésor indochinois, AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 77. La Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la Dette a été créée pour assurer « l’exécution des engagements de l’ancien Trésor indochinois » jusqu’à la suppression de ce dernier. Conventions inter-États des 23, 25 et 26 décembre 1950, reproduite notamment en annexe de la brochure de présentation de l’Institut d’émission des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. Voir annexe 8.
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78. « J’ai été amené sous la pression du haut-commissaire à ouvrir le fameux compte n°2, destiné aux dépenses métropolitaines », écrit en septembre 1949 le conseiller financier Max Deville à la direction du Trésor. Lettre de Deville à Bret, du 9 septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 79. Exposé des motifs et projet de loi dans les cartons Β 43907 et Β 43917 du Fonds du Trésor. AEF. 80. Loi n°53-1336 du 31 décembre 1953 sur les comptes spéciaux. 81. Instruction États associés-DAM du 29 décembre 1953. SHAT, 10 H 155. 82. Évaluation réalisée à partir des données disponibles dans les papiers du Trésor. AEF, Fonds Trésor, Β 43914, Β 43921 et Β 43924. 83. Estimation à partir de la note n°8 sur « les transferts commerciaux et financiers ». rattachée à la lettre n°1465 du haut-commissaire au directeur du Trésor, du 28 mai 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. Voir aussi annexe 7. 84. Source Office indochinois des changes et ministère des Finances de l’État du Vietnam. AEF, Fonds Trésor, Β 43922 et 43923. 85. Estimation à partir de la note n°8 sur « les transferts commerciaux et financiers », op. cit. 86. Rapport Mariani du 21 février 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 87. Note de Guillaume Guidey pour le ministre, 23 février 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. Voir annexe 4. 88. Document intitulé « Transferts par la Banque de l’Indochine », attaché dans les archives du Trésor à une lettre du directeur de l’Office indochinois des changes au ministre des Finances du 23 octobre 1948. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 89. Estimation à partir de la note n°8 sur « les transferts commerciaux et financiers », op. cit. 90. Ce plafond avait été déjà abaissé en 1949 de 50 000 à 25 000 francs (voir première partie). Bulletin officiel des PTT, note du 7 juin 1950 sur les transferts de fonds par mandats dans les relations franco-indochinoises. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 91. Note de Guillaume Guidey pour le ministre, 23 février 1950, op. cit. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. Voir annexe 4. 92. Décret n°47-681 du 10 avril 1947 relatif à l’Office indochinois des changes. AEF, Fonds Trésor, Β 43919 et Lettre du ministre des Finances (signée Guillaume Guindey) au directeur général de l’Office des changes, 30 mai 1947. AEF, Fonds Trésor, Β 43923. 93. Rapport Mariani du 21 février 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 94. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’humiliation. Paris 1965. 95. Lettre du directeur de l’Office indochinois des changes au directeur de l’Office des changes à Paris, 18 août 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 96. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 97. Soit de 34 à 190 milliards de francs. 98. Rapport Mondon, 1954. 99. Audition de Schweitzer, directeur du Trésor, devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, séance du 27 octobre 1953. Archives de l’Assemblée nationale et AEF, Fonds Trésor, Β 43919. Voir aussi annexe 11. 100. Note du 15 avril 1949, « Approvisionnement des caisses du Trésor en Indochine et mode de couverture des transferts de l’Indochine sur la France ». AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 101. Rapport Valls 1953, chapitre « Évolution monétaire ». AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 102. Lettre du 27 juin 1950 du ministre des Finances (Petsche) au ministre de la France d’outremer (Letourneau). AEF, Fonds Trésor, Β 43926. Voir aussi annexe 3. 103. François Bloch-Lainé, Rapport au ministre, A/S Relations financières entre la France et l’Indochine, 13 mai 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. Voir annexe 5. 104. François Bloch-Lainé, note du 13 mai 1950, op. cit. AEF, Fonds Trésor, Β 33 539. Voir annexe 5. 105. Audition de Schweitzer, directeur du Trésor, devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, op. cit.
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106. Rapports financiers et monétaires entre la France et les États associés d’Indochine, note du 23 octobre 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 107. Note de Guillaume Guindey pour le ministre, 23 février 1950, op. cit. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. Voir annexe 4. 108. Article dans Le Monde du 20 novembre 1952, voir annexe 10 ; ouvrage aux Éditions des DeuxRives, 1953. Le même éditeur publie la même année La Banque de l’Indochine et la piastre d’Arthur Laurent. 109. Lettre n°12.319 du 17 juin 1953, citée en référence au début du second rapport Mariani. 110. Un rapport au haut-commissaire du BTLC (Bureau technique de liaison et de coordination) de Saigon accusait notamment à l’époque Despuech, employé à l’Office Indochinois des changes, de corruption. L’enquête sur ce point, qui disculpa Despuech, fit l’objet d’un rapport distinct du premier rapport Mariani proprement dit. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 111. Rapport n°8681 de l’Assemblée nationale, présenté au nom de la commission d’enquête par Mondon. Archives de l’Assemblée nationale. 112. Le rapport Mariani est publié en annexe du rapport Mondon. 113. Lettre de Valls à Boyer du 21 novembre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 114. Lettre de la direction générale des Douanes, 15 juin 1954. Citée par le rapport Mondon. 115. Auteur de La Banque de l’Indochine et la piastre, Arthur Laurent a également été entendu par la Commission d’enquête. 116. Rapport du 7 mai 1945 de l’Office des changes, cité par le rapport Mondon. 117. Rapport Mondon, p. 40. Archives de l’Assemblée nationale. 118. En 1950, 30 kilos d’or ont été saisis sur un certain nombre de voyageurs à la descente d’un bateau. Rapport Mondon. 119. Office indochinois des changes, « Tenue de la piastre sur les marchés extérieurs, interventions sur ces marchés », 21 décembre 1946. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 120. Jacques Despuech, Le trafic des piastres, Paris, 1953. Dans son article du 20 novembre 1952, il proposait une fourchette quotidienne de 300 à 500 millions par jour. Voir annexe 10. 121. Le Monde, 6 décembre 1952. 122. Rapport Mariani, op. cit. 123. Rapport Mariani, op. cit. 124. Rapport Mondon et données recueillies dans le Fonds Trésor des Archives économiques et financières. 125. François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, mars 1946, op. cit. La Banque de l'Indochine émettait des francs CFP à Nouméa et Papeete, des francs CFA à Djibouti, des piastres à Saigon et des roupies à Pondichéry. 126. Décret du 2 février 1944, cité par Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indochine, 1875-1975, op. cit. 127. Échange de correspondance entre le directeur de la Caisse centrale de la France d’outremer, le directeur du Trésor et le commissaire fédéral aux Finances. Avril-mai 1946. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 128. Marc Meuleau cite pour l’affirmer une « note sur une hypothèse » du 3 juillet 1945, signée Jean Maxime-Robert, figurant dans le dossier « renonciation au privilège » des archives de la Banque Indosuez. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient..., op. cit. 129. Lettre de Gonon, portant alors le titre de Commissaire fédéral aux Finances, au directeur du Trésor, à propos des projets de la Caisse centrale de la France d’Outre-Mer, 17 mai 1946. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. La conférence de Dalat, organisée pour négocier avec le nouveau pouvoir vietnamien dans un strict cadre fédéral, n’aboutira à rien. 130. Le projet Belin porte le nom du secrétaire général de la Banque de France, alors en partance pour l’Indochine, où il avait été demandé par d’Argenlieu comme expert. La version examinée
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était transmise par Postel-Vinay à Messmer, alors au Comité de l’Indochine. Correspondance du 27 octobre 1946. AEF, Fonds Trésor. 131. Loi n°48-1482 du 25 septembre 1948 portant retrait du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine et loi n°48-1483 relative à la création d’un Institut d’émission de l’Indochine, JO du 26 septembre 1946. Le rachat des actions de l’État par la Banque est décrit par Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient..., op. cit. 132. Voir annexe 8. Le décret retirant le privilège de l’émission à la Banque de l’Indochine dans les trois États concernés est en date du 28 décembre 1951. 133. « Le rôle et l’organisation de l’Institut d’émission », fascicule de présentation de l’Institut. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 134. Les deux règles en question sont les suivantes : selon la première, la circulation monétaire doit être couverte à concurrence de 50 % par des avoirs-francs ; la seconde prévoit que l’Institut ne peut consentir d’avances aux Trésors nationaux qu’à concurrence également de 50 % (30 % dans un premier temps) de la circulation monétaire. Note d’André Valls du 28 novembre 1951 destinée à analyser les problèmes de politique financière et commerciale que pose la mise en place de l’Institut. AEF, Fonds Trésor, Β 43913. 135. Lettre du 25 août 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 136. Lettre de Bordaz à Cusin, 10 avril 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 78. 137. Loi du 31 mars 1931 reconduisant pour 25 ans le privilège de la Banque et régissant la circulation fiduciaire (billets en circulation et comptes courants créditeurs) dans les pays où la Banque exerce le privilège d’émission. 138. Lettre du 20 août 1946. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 139. D’après Banque de l’Indochine, succursale de Saigon : sièges d’Indochine, situation condensée au 28 février 1950 des comptes en piastres. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. 140. Convention de Paris du 16 décembre 1951. Voir annexe 8. 141. Lettre de Valls à Latapie, direction du Trésor, 30 mai 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43923. 142. « La réalisation de l’indépendance financière des États associés », 10 novembre 1953. AEF, Fonds Trésor. Voir aussi annexe 19. 143. « Les problèmes monétaires de l’Indochine », note non datée et non signée sans doute rédigée à la fin des années quarante. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 144. Note ultérieure, mais non datée, « pour Monsieur René Pleven ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 145. Rapport Gayet du 6 janvier 1947. CAOM. FM. INDO/NF/1368. 146. Note du directeur du Trésor pour le ministre, « sur la valeur de la piastre indochinoise », 8 juillet 1947. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 147. Rapport de Margerie, mai 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 148. Cette citation figure notamment dans une étude sur « La structure économique et monétaire des États associés d’Indochine » du 26 février 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43912. 149. Note pour le ministre, du 22 septembre 1949, signée G. Peter, sur la dévaluation de la piastre. AEF, Fonds Trésor. 150. Note pour le ministre « sur la valeur de la piastre indochinoise », 8 juillet 1947. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 151. Note « A/S Répercussion sur le coût de la guerre d’Indochine de la surestimation de la piastre indochinoise ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 152. Note pour le ministre « sur la valeur de la piastre indochinoise », 8 juillet 1947, op. cit. 153. Note pour le ministre du 22 septembre 1949 « A/S parité de la piastre par rapport au franc ». AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 154. Note pour le ministre, non datée mais sans doute de la fin de 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917.
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155. Rapport à Monsieur le président du Conseil, 12 octobre 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. Voir annexe 6. 156. Lettre du 15 décembre 1949. AEF, Fonds Trésor. 157. Note du 25 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919. 158. Le Monde, 28 février 1948. 159. Politique économique et guerre de libération nationale, Etudes vietnamiennes n°44, Hanoi, 1976. 160. Voir chapitre II/l/A et R. Claeyssen « Une opération réussie », dans le Bulletin de l’association des anciens élèves de l’École navale N°231, 1er trimestre 1991. 161. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 162. Décret du 12 mai 1951. 163. Politique économique et guerre de libération nationale, op. cit. 164. Vietnam Presse, repris par le Journal d’Extrême-Orient du 15 octobre 1954, AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 165. Institut d’émission des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam, « Note d’information sur le concours apporté par l’Institut d’émission au fonctionnement de l’aide économique américaine ». AEF, Fonds Trésor, Β 43911. 166. « Note au sujet de l’aide économique américaine aux États associés d’Indochine ». 28 janvier 1953, AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 167. « L’aide économique des États-Unis à la France, plan Marshall et Défense Support ». Notes et études documentaires du 20 décembre 1953, n°1.819. Paris, La documentation française. 168. Tableau Indochine/Balance des paiements avec la zone dollar. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 169. « Note d’information sur le concours apporté par l’Institut d’émission au fonctionnement de l’aide économique américaine », op .cit. 170. Programme de l’aide des États-Unis à l’effort de Défense français. Mémorandum du 29 août 1953. SHAT, 2 R 65. 171. Comme indiqué précédemment, les 785 millions de dollars se décomposaient en une première aide de 400 millions (140 milliards de francs) et une seconde de 385 millions (135 milliards de francs). C’est pour cette dernière que le compte d’affectation spéciale a été ouvert : il traduisait sur le plan comptable, rappelons-le, le fait que la participation française aux dépenses des armées nationales était entièrement prise en charge par l’aide américaine. 172. Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne, Secrétariat général, Note d’information sur un projet de Mémorandum franco-américain relatif à la mise en œuvre de l’aide accordée en 1954 pour la guerre d’Indochine. Archives MAE, AO/IC/ 266. L’inconvénient du système pour le Trésor, en particulier, était qu’il ne serait remboursé de ses décaissements qu’après un long délai, de l’ordre d’un mois et demi à deux mois et demi. 173. Questionnaire présenté par la mission d’étude américaine. Archives MAE, AO/IC/265. Voir annexe 16. 174. Mémorandum américain du 26 août 1953. SHAT, 2 R 65.
NOTES DE FIN 1. Estimation tenant compte de la dévaluation de la piastre en mai 1953.
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Troisième partie Les conséquences du conflit
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Chapitre VII. Une opération « blanche » pour la France ?
1
Le bilan du conflit pour la France se situe sur plusieurs plans. Il faut d’abord, bien sûr, prendre en compte la guerre proprement dite : son coût aura largement excédé la mise de départ mais, au final, celui-ci aura-t-il été si élevé pour l’économie française, quand on sait que certaines dispositions liées au financement des opérations en atténuaient sensiblement les inconvénients ? Il faut aussi s’interroger sur les effets du conflit quant à la place de la France dans le monde, à l’égard de l’Union française comme de l’Europe : à considérer les nouvelles perspectives qui sont alors celles du pays, la France a-t-elle tant perdu avec son départ obligé d’Indochine ?
I. GUERRE ET CONJONCTURE 2
La guerre d’Indochine accompagne la IVe République pendant huit ans, durant cette même période qui, malgré la dérive politique du régime, voit la France réaliser sa reconstruction-modernisation et, bientôt, entrer dans les « trente glorieuses ». Par les crédits qui lui sont destinés, elle s’inscrit de manière lourde dans les comptes de la nation alors que bien d’autres priorités sont à l’ordre du jour et que le pouvoir navigue à vue dans une conjoncture dont il ne maîtrise pas toujours les facteurs. L’État, qui joue le rôle déterminant en matière économique en s’appuyant sur l’aide Marshall, investit en effet massivement pour équiper le pays et donne l’impression de ne pas trop se soucier des « grands équilibres » ni de la monnaie.
3
À première vue, la conjoncture économique française et cette guerre coloniale mâtinée de guerre froide paraissent évoluer dans deux registres bien différents. Mais il faut y regarder de plus près : le conflit dure trop longtemps et coûte trop cher pour n’être pas lié à des préoccupations d’ordre économique, pour ne pas peser lui-même sur la conjoncture ; les dépenses militaires contribuent à l’aggravation du déficit budgétaire et présentent un caractère inflationniste, comme la couverture de l’excédent des transferts financiers d’Indochine sur la France. La guerre d’Indochine a-t-elle été par ce biais un frein à l’expansion économique de la France ? Il a paru utile de distinguer cette question et de l’examiner par elle-même, même s’il faut, pour y répondre, reprendre un cheminement chronologique.
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A. UN EFFET D’ABORD DISCRET 4
Entre 1945 et 1949, la question indochinoise apparaît relativement en phase avec une conjoncture économique dominée en France par la double perspective de la reconstruction et de la modernisation de l’économie, ainsi qu’avec l’inflation galopante qui l’accompagne. Le débat de 1944 sur la stratégie à adopter en la matière, que de Gaulle avait dû arbitrer entre René Pleven et Pierre Mendès France, ne concernait pas vraiment l’Indochine, qui de plus se trouvait alors sous contrôle japonais et allait le rester jusqu’en août 1945. Le chef du gouvernement provisoire avait alors donné raison au ministre des Finances Pleven contre le titulaire du portefeuille de l’Économie Mendès France : champion d’une rigueur nouvelle, ce dernier réclamait une série de blocages sévères pour faire retomber le tourbillon inflationniste de la Libération et empêcher les effets néfastes d’une course prix-salaires trop rapide. « Je ne peux envisager d’être responsable du développement de l’inflation » écrit le ministre de l’Économie dans sa lettre de démission au général de Gaulle 1. L’évolution de la situation indochinoise l’amènera quelques années plus tard à donner une nouvelle actualité à ses principes.
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Une fois l’hypothèque japonaise levée, l’Indochine en elle-même — en tant qu’espace colonial — n’est d’ailleurs pas pour la France un fardeau financier en 1945. Indépendamment même des investissements privés et publics qui y étaient fixés, l’Union indochinoise ne dépendait pas budgétairement de la métropole. Elle s’était même offert le luxe d’assurer elle-même — du moins à titre d’avance — plusieurs grosses dépenses imputables au budget national : les frais de l’occupation japonaise, ceux de la Libération, ainsi que la charge du maintien des troupes chinoises stationnées au nord du 16e parallèle en application des accords de Potsdam. La Banque de l’Indochine, installée d’origine dans les lieux et bénéficiant encore du privilège d’émission monétaire, y avait puissamment contribué2.
6
La situation locale n’était sans doute pas excellente mais l’Indochine semblait disposer de points forts. Les événements de l’année 1945 ont profondément perturbé les entreprises françaises installées au Tonkin ; pendant la seconde guerre mondiale également, l’accroissement de la circulation fiduciaire avait été proportionnellement plus fort en Indochine qu’en France, où elle avait déjà quintuplé entre 1939 et 1944 3. L’Indochine cependant, plutôt qu’un fardeau, est dans un premier temps considérée en France comme un lieu possible, voire nécessaire, d’investissements nouveaux. L’année 1945, qui voit la destruction d’une bonne part du potentiel industriel japonais, donne en effet une nouvelle actualité au débat d’avant-guerre sur l’industrialisation des colonies, dans lequel s’étaient distingués des hommes toujours présents sur l’Indochine comme Paul Bernard4. Le plan Monnet comporte lui-même un chapitre Indochine — le Plan de modernisation et d’équipement de l’Indochine — qui, nous y reviendrons, ne manquait pas d’ambition5.
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Mais une fois la guerre engagée, et faute de reconstruction, l’Indochine s’engloutit dans ce que la conjoncture française offre alors de plus négatif, ou plutôt de moins contrôlé : l’inflation — la masse monétaire double en métropole entre 1946 et 1949 6. Elle y contribue même généreusement : entre 1946 et 1949, le gouvernement dépense pour faire la guerre en Indochine l’équivalent de ce que le plan de modernisation et d’équipement prévoyait pour l’industrialiser — mais en quatre ans seulement, pas en
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dix comme prévu, et bien sûr à fonds perdus. Le corps expéditionnaire utilise en effet une part croissante des crédits militaires français : le quart en 1947 (26 %), le tiers environ en 1948 et 1949 (32 % et 35 %), près de la moitié en 1950 (45 %)... 8
La poursuite de la guerre en Indochine joue-t-elle un rôle important dans la spirale inflationniste que connaît alors la IVe République ? Les crédits qui lui sont destinés, votés par l’Assemblée nationale et inscrits d’abord au budget du ministère de la France d’outre-mer, demeurent avant 1949 en dessous de la barre des 10 % du budget national. Mais ils connaissent au fil des années une forte augmentation, passant entre 1946 et 1950 de 108 à 241,2 milliards de francs (1953). Leur croissance annuelle, surtout, est on le sait spectaculaire : ils n’augmentent que de 8 % en 1947, la première année de la guerre, ce qui ne modifie encore pas grand-chose, et de 11 % en 1948, quand le conflit s’est installé et que Paris explore sérieusement l’alternative Bao Dai ; mais de 30 % en 1949, l’année de la mise sur pied des États associés et de la révolution communiste en Chine ; les crédits destinés à l’Indochine grimpent enfin de 42 % en 1950, alors que la « menace » chinoise perturbe sérieusement le financement de la guerre... 7.
9
La correspondance chronologique entre la situation du franc et la croissance des crédits de guerre pour l’Indochine est remarquable — d’autant qu’à ceux-ci s’ajoutent les milliards de francs que le Trésor doit alors débourser pour couvrir l’excédent des transferts Indochine-France. Entre janvier 1948 et août 1950, c’est en effet à Paris l’époque des dévaluations en chaîne (du franc Mayer au franc Petsche), dévaluations qui avaient été évitées depuis décembre 1945 et qui le seront au delà pendant sept ans. L’observateur qu’était alors Pierre Mendès France suggère un lien entre les deux phénomènes : « Mal engagée politiquement, militairement et moralement, (l’affaire d’Indochine) tournait plus mal encore sur le plan budgétaire. Etudiant la situation de la France à partir des postes d’observation où j’étais placé, du FMI à l’ECOSOC (à l’ONU) et de la BIRD à la Commission des comptes de la nation, à Paris, je venais toujours buter sur la question de l’Indochine. S’agissait-il d’équilibrer le franc, d’investir dans l’équipement industriel [...], toujours on vous répondait : mais il y a l’Indochine ! » 8.
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Pour cette première période, au-delà de l’indéniable effet inflationniste de la guerre, il faut pourtant rester prudent sur le rôle réel du conflit indochinois. Il ne peut certainement pas être tenu pour seul responsable de la dérive monétaire : sans doute pèse-t-il déjà lourd début 1948, quand le plan de redressement Mayer reste impuissant à enrayer l’inflation, mais cela n’a pas frappé ses concepteurs 9. De même cette guerre du bout du monde n’apparaît vraiment pas en cause quand, en septembre 1949 la dévaluation de la livre entraîne un réajustement proportionnel du franc. Il y a d’ailleurs à cette époque bien d’autres dépenses exceptionnelles : entre 1946 et 1949, le poids financier du conflit indochinois représente à peu près l’équivalent de ce qu’ont coûté les nationalisations de 1944-194610. Les dépenses de reconstruction, largement financées par l’aide Marshall à partir de 1948, ne peuvent non plus rester sans effet sur la monnaie.
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La piastre indochinoise, accrochée au franc, suit bien sûr le mouvement : peut-être était-ce d’ailleurs une raison supplémentaire pour éviter de toucher à sa parité. Dans cette première période, les relations financières entre la métropole et l’Indochine sont d’ailleurs jugées favorablement à Paris. La direction du Trésor, dans une série de notes de 1950 émanant en particulier de François Bloch-Lainé, distingue ainsi deux périodes dans ces relations financières : de la libération à la fin de l’année 1948 d’abord, quand la métropole restait débitrice de l’Indochine, en raison notamment de l’importance des
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engagements du Trésor local lors de la Libération, pour des dépenses normalement à la charge de la métropole ; depuis 1949 ensuite, la situation s’est inversée, la métropole devenant créancière de l’Indochine, en raison cette fois de l’importance des transferts d’Indochine vers la France, eux-mêmes liés à la surestimation de la piastre 11.
B. LE PLUS MAUVAIS MOMENT 12
L’aggravation du conflit indochinois, autour de 1950, intervient alors que l’effort de stabilisation semble aboutir en France et que la situation économique s’y améliore. La reconstruction a porté ses fruits : les gestionnaires de la Troisième force ont assaini les finances et rétabli les « grands équilibres », même si le pays n’est ramené le plus souvent qu’à ses niveaux d’avant-guerre, voire à ceux de 1929. La croissance du PIB est soutenue, dépassant 7 %, et le combat contre le déficit du commerce extérieur potentiellement gagné. Le ministère des Finances peut savourer, sous l’autorité de Maurice Petsche, ses succès en matière de lutte contre l’inflation. La couverture du budget en recettes proprement dites, qui était de 64 % en 1948 et de 77 % en 1949, est en 1950 réalisée à 90 %12. Sans doute la production ne connaît-elle encore qu’une croissance modeste mais la stabilisation semble acquise et la hausse du pouvoir d’achat paraît de bon augure : « De décembre 1948 à juin 1950, note Georgette Elgey, les prix de détail baissent de 4 % cependant que les salaires horaires connaissent une hausse de 8 % »13.
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Au-delà de l’Indochine, l’Asie entière paraît cependant sur le point de s’embraser. De la révolution chinoise au déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950, la montée soudaine des tensions détériore la conjoncture internationale. La Corée surtout retient l’attention : « En vingt-quatre heures, elle remet en question l’effort de stabilisation de la France », note Georgette Elgey. Mais l’Indochine fait partie du lot : la guerre d’Indochine ne coûte-t-elle pas déjà « quotidiennement un demi-milliard de francs », comme on le souligne déjà au Quai d’Orsay14. Comme en écho aux affrontements de la guerre de Corée, le corps expéditionnaire français doit bientôt abandonner dans des conditions dramatiques ses principaux points d’appui le long de la frontière chinoise — Cao Bang, la RC 4, Lang Son... Le coût de la guerre, en 1950, est supérieur de 68 % à celui de l’année précédente.
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La conjoncture et la guerre, devenue trop dangereuse et trop chère, semblent alors entretenir un double rapport. D’une part, le surcoût du conflit ne peut plus mal intervenir pour la France, et l’on comprend par exemple que la rue de Rivoli ait fait prestement fermer le compte spécial n° 2, ouvert d’initiative locale en Indochine mais dont le financement, à caractère inflationniste, rejaillissait sur la métropole : il était devenu impératif de légaliser toutes les dépenses de guerre et urgent de trouver des solutions. D’autre part, et inversement, la situation devenue meilleure en France, paraissant même pouvoir déboucher sur une expansion durable, n’est pas sans impact psychologique : si le financement de la guerre d’Indochine devient alors économiquement moins périlleux, son coût budgétaire, qui s’alourdit encore, apparaît par contre bien moins supportable.
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Fallait-il alors arrêter la guerre d’Indochine ? Sur le moment, le débat est assez vif en France et, dans la conjoncture presque favorable de 1950, les partisans de la rigueur reviennent sur le devant de la scène. De manière symbolique d’ailleurs, c’est Pierre Mendès France qui monte à la tribune de l’Assemblée nationale face au président du
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Conseil René Pleven. Mais il ne s’agit pas cette fois de rejouer le débat économique et financier de 1944, encore que le débat sur l’Indochine ne soit pas sans rapport avec des considérations du même ordre. « Cela ne peut pas continuer ainsi », martèle Mendès France devant les députés au lendemain du désastre de Cao Bang, le 19 octobre 1950. Il précise, on s’en souvient, que si la France veut vaincre, il faut « trois fois plus d’effectifs sur place et trois fois plus de crédits », et l’on imagine l’idée qu’il se fait des conséquences inflationnistes d’une telle mesure, à supposer qu’elle fût réalisable. Rappelant aussi que, face au problème du déficit budgétaire, il fut l’un des premiers à réclamer des économies, « dès 1944 » précisa-t-il, il ne pouvait en fait que se prononcer en faveur d’une négociation avec Ho Chi Minh et les siens 15. 16
Le lien contradictoire entre l’achèvement de la reconstruction en France et la prolongation du conflit en Indochine s’étalait déjà à la Une de la presse de gauche, communiste en particulier : L’Humanité s’était fait une spécialité, en 1949, 1950 et 1951, de comptabiliser le coût de la guerre en nombre de maisons ou d’écoles encore à construire16. Pierre Mendès France va dans le même sens dans son discours du 19 octobre 1950 : la guerre constitue un obstacle, une gêne qui empêche le pays de se redresser complètement. L’ancien ministre de l’Économie lance cette mise en garde : « l’effort militaire que nous faisons là-bas, celui, accru, que nous ferons peut-être demain, c’est autant de moins que nous pourrons faire ici ». Mendès France ne voyait que deux voies possibles pour sortir du drame indochinois, mais une troisième était on le sait déjà à l’œuvre, qui avait également une dimension économique, le désengagement programmé de la France au profit des États associés avec l’aide américaine.
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La conjoncture poussait donc sans détour à l’atlantisme. Convaincus d’avoir réussi la reconstruction, les hommes qui se succèdent au pouvoir en 1950, et qui regardent aussi vers l’Europe, Bidault, Queuille, Pleven, avec Schuman au Quai d’Orsay et Petsche rue de Rivoli, peuvent avoir bonne conscience. Logiques avec eux-mêmes, ils ne se déjugent pas en sollicitant l’aide américaine et ne sont sans doute pas fâchés de ne plus être seuls, désormais, face au gouffre financier que représente la guerre d’Indochine. En effet, « Il convient maintenant, j’en suis profondément convaincu, indique le hautcommissaire Pignon dans une note de mars 1950, de bien établir que la valeur de nos intérêts matériels et moraux en Indochine ne correspond que partiellement à l’heure actuelle au poids de l’effort que nous y faisons »17.
C. LA POURSUITE DE LA GUERRE ET LES RATÉS DE LA CROISSANCE 18
Entre 1950 et 1954, la IVe République va donc continuer à traîner comme un boulet, dans une conjoncture mal dominée, cette « mauvaise affaire » que représentait la guerre d’Indochine. Pour cette période, l’analyse des évolutions respectives du financement de la guerre et de la conjoncture suggère alors quelques questions, inspirées également du « complexe hollandais », qui date l’expansion hollandaise de la perte en 1950 de l’Indonésie18. La poursuite de la guerre, notamment, dans les conditions nouvelles du début des années cinquante, a-t-elle gêné, voire freiné et retardé l’expansion française ?
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En France, la conjoncture de 1950-1951 n’était en fait pas très assurée : la croissance économique est certes forte, mais elle s’accompagne d’une nouvelle poussée
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inflationniste. Le « boom coréen » a stimulé la demande et fait monter les cours, notamment ceux des matières premières. D’autre part, entre les nouvelles dépenses militaires engagées par le gouvernement Pleven dans le cadre de l’OTAN, pour que la France puisse tenir son rôle en Europe, et celles liées à la guerre d’Indochine, les besoins de financement apparaissent plus considérables que jamais. Washington assure certes déjà, en aides diverses, quelque 23 % du coût de la guerre. Mais les crédits français destinés à l’Indochine continuent d’augmenter, de 21 % en 1951. Cela constitue un ralentissement par rapport à la poussée de 1950 mais maintient un engagement très élevé. Avec 292,6 milliards de francs (1953), les crédits français de 1951 utilisés pour l’Indochine représentent alors 9,5 % des dépenses budgétaires, et environ 3 % du PIB 19. Dans ces conditions, comment poursuivre un véritable effort de stabilisation ? 20
L’année 1952 est celle d’une nouvelle rigueur. Quand Antoine Pinay arrive à la présidence du Conseil, après le bref mais important intermède du cabinet Edgar Faure en février, la coûteuse équipée indochinoise doit bien sûr se plier aux impératifs de l’heure : la lutte pour la défense du franc et, donc, contre tous les déficits. Dans une lettre à Edgar Faure, le gouverneur de la Banque de France, Baumgartner, donne le ton : « L’État comme les particuliers vivent au-dessus de leurs moyens » 20. Mais en Indochine, entre le décès du général de Lattre en janvier et l’évacuation de Hoa Binh par les Français en février, l’année a mal plutôt mal commencé. Heureusement, la conjoncture internationale est cette fois favorable, le cours des matières premières baisse dans le courant de l’année et Pinay peut déployer avec succès sa méthode budgétaire, ne touchant pas aux recettes mais seulement aux dépenses. Un train de mesures fait le reste : des mesures classiques de déflation, une amnistie fiscale et le grand emprunt indexé sur l’or. Résultat : l’inflation est stoppée, mais les grandes interrogations de l’heure demeurent sans réponse. Les activités militaires en Indochine en particulier, si dispendieuses, ne donnent aucun signe de ralentissement.
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L’engagement financier en direction de l’Indochine reste donc à un niveau élevé, même si l’année 1952, point culminant des dépenses françaises dans cette direction, marque également l’amorce de leur décrue. Mais les 334 milliards de francs réellement engagés pour les opérations militaires ne sont seulement en hausse, si l’on peut dire, que de 14 % sur l’année écoulée (contre 21 % pour le précédent exercice). Cette somme malgré tout fort élevée représente encore 9 % du budget national — à peine moins que l’année précédente21. Juste avant Pinay, l’aide financière obtenue à la conférence de Lisbonne de février 1952 est on le sait venue s’y ajouter : cette « rallonge » à l’aide Marshall et aux autres aides déjà consenties, obtenue il est vrai en contrepartie d’un surcroît d’engagement français dans l’alliance atlantique, représente déjà 115 milliards de francs pour l’année - la moitié de la participation française à la guerre.
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La croissance économique, ralentie depuis la fin de 1951 et ramenée à 2 ou 3 %, marquait cette fois nettement le pas. La France n’était donc pas les Pays-Bas, et son expansion venait de connaître une sorte de « faux départ ». La guerre d’Indochine en était-elle responsable ? Rétrospectivement, la tentation est forte d’associer ces toussotements de croissance à la poursuite des combats, étant donné le niveau d’engagement militaire et financier atteint par Paris. Mais, au chapitre militaire, il ne faut pas oublier l’important effort de réarmement accompli par la France dans cette même période, qui contribue à alourdir la charge fiscale – pratiquement jusqu’en 1954 – et pousse les Français dans les bras des Américains.
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D’ailleurs, s’agissant de l’Indochine, les dirigeants français raisonnent-ils vraiment en termes de conjoncture ? La lutte contre le déficit budgétaire paraît être une préoccupation plus importante, comme le souci d’équilibrer les paiements extérieurs grâce aux dispositions de l’aide américaine. Le scandale des piastres semble lui-même peser plus lourd que la considération des points de croissance dans l’élaboration de la décision politique, en ce qu’il éclabousse le régime et rend plus insupportable encore l’effort fiscal, tout en laissant supposer que le financement de la guerre d’Indochine repose partiellement sur un « montage financier » assez douteux.
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La réflexion conjoncturelle ne semble cependant pas absente des importantes décisions prises par Mayer au printemps 1953, organisées autour de la dévaluation de la piastre et qui faisaient entrer la France dans la voie du désengagement. René Mayer succède à Antoine Pinay en janvier 1953, c’est-à-dire après le double coup d’arrêt porté à l’inflation et à la croissance : il ressort du compte rendu des négociations qu’il mène à Washington fin mars 1953, et en tête desquelles il avait on le sait placé l’Indochine, que René Mayer prenait alors explicitement en compte la conjoncture économique - à moins que ce ne fut qu’un argument de négociation, mais il ne semble pas.
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L’idée de Mayer pourrait avoir été d’accompagner la reprise qu’il sent venir de mesures vigoureuses, et pourquoi pas de façon prioritaire en direction de l’Indochine. Il le suggère le 27 mars en rencontrant Dulles et Stassen pour une troisième séance de pourparlers, dans laquelle le financement de l’effort de défense et, au delà, du déficit budgétaire français est à l’ordre du jour : « Ce n’est qu’au mois de mai, précise-t-il, quand il aura été possible de prendre une mesure plus réelle de la conjoncture, que le gouvernement pourra décider quelles mesures précises il conviendra de prendre pour s’efforcer de couvrir le déficit budgétaire : il semble que la crise que l’on diagnostiquait au début de l’année n’était qu’un phénomène de récession temporaire précédant un relèvement économique », ajoute-t-il. Les indices de décembre 1952 et de janvier 1953 étaient mauvais, un redressement apparaît en février, le mois de mars sera peut-être bon, il faut attendre la confirmation22... Rappelons que tout le train de mesures qu’il prépare, qui va de la nomination du général Navarre à la dévaluation de la piastre en passant par la réorganisation de l’organigramme français en Indochine, sera précisément arrêté au début du mois de mai 1953.
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De fait, dans la seconde moitié de l’année, l’expansion paraît se réamorcer et, à nouveau, la coïncidence chronologique suggère le lien avec les mesures qui viennent d’être évoquées. La France s’est désengagée sur la piastre, dévaluée on le sait par surprise le 11 mai 1953 et ramenée de 17 à 10 francs. Globalement, à l’égard de l’Indochine, la décrue financière se confirme : 1953, qui voit la signature de l’armistice coréen, est également l’année durant laquelle la courbe croissante des crédits américains pour l’Indochine croise celle, décroissante, de la part française. Avec 285 milliards de francs, les crédits français réellement consacrés à la guerre sont cette fois en recul de 15 % environ sur ceux de l’année précédente23.
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Graphique 13. Évolution de la charge française et de la contribution américaine aux dépenses de la guerre d’Indochine
Source : Conseil de la République. 27
La chute de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, et le piétinement des négociations de Genève propulsent Pierre Mendès France à la présidence du Conseil. Peut-être n’est-il pas fâché, en prenant la place de Joseph Laniel, de renvoyer aussi à son fauteuil de député son vieux partenaire-adversaire René Pleven, ministre de la Défense nationale depuis deux ans, à qui il s’est déjà trouvé opposé au moins à deux reprises depuis la Libération : l’apôtre de la rigueur et du désengagement va pouvoir donner la mesure de ses talents. L’humiliante défaite française ramène en effet au pouvoir à la fois l’homme de 1944 et celui de 1950. Le premier, l’homme du gouvernement provisoire, va pouvoir conduire le retrait français et refermer une bonne fois la plaie budgétaire que représente l’entretien d’un coûteux corps expéditionnaire. Il n’aura d’ailleurs pas grand mal à le faire, puisque les crédits français réellement engagés pour 1954, qui s’élèvent à 142 milliards de francs, sont déjà en baisse de moitié par rapport à ceux de l’année précédente, réduisant la part française dans le financement du conflit à 21 % seulement du total24. Le second Mendès France, celui du discours de 1950, va enfin pouvoir s’adresser à l’adversaire et s’entendre avec lui : ce sera la fin de l’histoire de Genève et du pari mendésiste d’y réussir la négociation en quatre semaines. À peine en a-t-il d’ailleurs terminé, le 21 juillet 1954, qu’il annonce s’attaquer au chantier suivant : l’expansion économique.
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Peut-on conclure sur ce point ? Dans une première étape, l’industrialisation de l’Indochine n’ayant pas pu se faire, la courbe croissante de l’engagement financier dans la guerre se dilue dans la forte inflation qui accompagne la reconstruction nationale, elle-même largement subventionnée par les États-Unis. Quand le gros de la reconstruction s’achève et que la conjoncture apparaît meilleure, autour de 1950, l’effet négatif de la charge financière de la guerre d’Indochine, qui s’alourdit encore, saute aux yeux : sur tous les plans, économique comme politique, cette charge est de moins en moins supportable, alors que la rigueur financière sera bientôt le souci quasi exclusif du gouvernement. Faute de pouvoir ni vraiment faire cette guerre ni vraiment l’arrêter, l’atlantisme des dirigeants français détermine la solution.
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Quant au poids de la guerre d’Indochine dans l’orientation de la conjoncture, il paraît confirmé par la prise en compte des cycles économiques. La tendance, après la fin de la seconde guerre mondiale, est plutôt celle d’une croissance quasi permanente, mais certains spécialistes discernent, pour les années cinquante, un cycle commençant au troisième trimestre 1951 pour s’achever au quatrième trimestre 1957 : une phase de croissance rapide succédant à une courte phase de récession25. Après la croissance soutenue des années 1950-1951, cette courte récession correspond en effet à l’année 1952 et au début de l’année 1953, celles du gouvernement Pinay et de l’impasse indochinoise. Quelle que soit la réalité du cycle, la poursuite à haut niveau de la guerre d’Indochine constitue sans doute l’un des facteurs lourds qui expliquent les ratés de la croissance au début des années cinquante. Il serait certes hasardeux d’affirmer aujourd’hui que, comme les Pays-Bas, la France aurait pu connaître une forte expansion dès le tournant de 1950, plus d’ailleurs parce qu’elle aurait réussi sa reconstruction que par la grâce d’un quelconque abandon colonial. Il apparaît par contre certain qu’il aura fallu attendre la fin de 1953, quand les principales mesures françaises de désengagement financier commencent à prendre effet, pour que le pays entre vraiment dans les « trente glorieuses ».
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Le retournement de conjoncture et le désengagement français se combinent donc sans équivoque, dès 1953, et plus encore en 1954. La guerre d’Indochine, qui avait contribué au renforcement de l’alliance américaine de la IVe République, aura également retardé de plusieurs années le passage durable pour la France de la reconstruction à l’expansion.
II. LE POIDS FINANCIER DE LA GUERRE 31
Au-delà du rapport entre la guerre d’Indochine et la conjoncture économique en France, il faut tenter d’arrêter ce qu’a vraiment représenté la guerre d’Indochine pour le pays, en termes financiers. Deux aspects peuvent être ici distingués : d’une part la part que prend la France dans le coût de la guerre, essentielle bien sûr mais pas unique ; d’autre part, les composantes du bilan financier proprement dit pour la France, si tant est qu’elles puissent être appréciées avec toute la précision souhaitable.
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La guerre d’Indochine est réputée avoir coûté cher au pays, et de plus à une époque de reconstruction durant laquelle chaque franc pouvait compter. Mais il faut rester circonspect : le poids budgétaire du conflit, auquel la France associe progressivement les États-Unis et les États associés, est à mettre en relation avec les divers avantages que la France pouvait tirer de la situation, notamment en termes de paiements internationaux. En même temps qu’elle pesait sur le budget, la guerre d’Indochine présentait par exemple, sur le plan des finances extérieures, certains des avantages reconnus en général aux exportations.
A. LA PART DE LA FRANCE DANS LE COÛT DE LA GUERRE 33
Il faut partir du coût total de la guerre pour évaluer la part annuelle qu’y a pris la France. Les cléments qui entrent dans le coût global de la guerre sont les suivants : • les crédits militaires français ; plus précisément la part des crédits militaires que le budget français consacre à la guerre d’Indochine, qu’ils soient dépensés en métropole, en Indochine ou, de manière moins massive, sur les marchés internationaux ; éparpillés dans plusieurs
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budgets, ils assurent l’entretien des Forces terrestres, aériennes et navales françaises en Indochine, et représentent sur la période 1 821 milliards de francs 26 ; • la subvention accordée par la France aux États associés pour la mise sur pied de leurs forces armées, durant les années 1951, 1952 et 1953, l’année 1954 étant couverte par l’aide américaine ; l’ensemble porte sur 167 milliards de francs ; • la contribution des États associés à l’entretien de leurs propres Forces armées, contribution essentiellement vietnamienne qui, à partir de 1950 et jusqu’en 1954, porte globalement sur 150 milliards de francs27 ; • l’aide militaire, en matériel, accordée par les États-Unis à la France en Indochine et, à travers elle, aux États associés ; sa valeur a été diversement évaluée, entre 370 milliards (Défense nationale) et 514 milliards de francs entre 1950 et 1954 ; • l’aide financière apportée par les États-Unis à la France à partir de la conférence de Lisbonne de 1952, surtout élevée en 1953-1954, soit environ 550 milliards de francs au total. 34
Divers éléments n’ont pas été inclus dans cette évaluation, qui atteint environ 3 058 milliards de francs (1953), notamment les dépenses militaires non budgétisées, relevant des comptes spéciaux et de la création monétaire — soit environ 60 milliards de francs. D’autres éléments sont chiffrables mais ne jouent que faiblement sur les grandes masses du coût ou n’ont que très indirectement une vocation militaire : essentiellement l’aide économique américaine, directe ou commercialisée. D’autres encore sont plus complexes à appréhender, comme l’utilisation illicite de l’opium. Ils ne paraissent, en tout état de cause, qu’intervenir à la marge dans l’évaluation globale de la part de la France.
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Sur ce total, combien la France a-t-elle déboursé pour la guerre d’Indochine ? Les principales sources disponibles ne sont pas on le sait tout à fait d’accord sur les chiffres, mais situent la part de la France dans une « fourchette » comprise entre 60 et 70 % du coût global de la guerre. En 1954, les parlementaires du Conseil de la République évaluent cette part — la donnée a déjà été présentée — à 60 % du coût total de la guerre : 1 819,6 milliards de francs (1953) sur un total de 3 033,3 milliards. De leur côté, les militaires du ministère de la Défense établissent des chiffres permettant de situer la même contribution française à un niveau plus élevé, 70 % du coût général du conflit : 2 009 milliards de francs sur un total de 2 70128. Le tableau suivant indique les chiffres annuels auxquels sont arrivées ces deux institutions.
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Tableau 19. Coût pour la France de la guerre d’Indochine
Source : Conseil de la République et ministère de la Défense nationale. 36
Plusieurs différences distinguent ces deux séries. Elles portent d’abord sur certaines données annuelles : 1949 (24,3 milliards d’écart), 1951 (49 milliards) et 1953 (83 milliards) — sans doute s’agit-il de la prise en compte de financements locaux. Globalement, l’évaluation du Conseil de la République paraît minorer la part de la France et propose au contraire une estimation plus élevée que celle du ministère de la Défense sur le coût total de la guerre. En ne considérant que les estimations hautes, qui dans ce genre de situation ont quelque chance de se rapprocher de la réalité — environ 2 000 milliards pour la part de la France et 3 000 milliards pour le coût total — on pourrait fixer la contribution de la France au financement de la guerre d’Indochine aux deux tiers de son coût total.
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Quels que soient les chiffres globaux, l’évolution annuelle est à peu près identique. Voici par exemple comment apparaît la part de la France dans le coût de la guerre à partir des données du Conseil de la République.
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Graphique 14 et tableau 20. Part de la France dans le coût total de la guerre d’Indochine (en milliards de francs 1953)
Source : Conseil de la République.
Source : ministère de la Défense nationale, Parlement et données diverses. 38
Cette évolution mérite sans doute un commentaire. Les chiffres des crédits français utilisés ici sont ceux qui ont été votés par les Chambres, défalqués de l’aide financière apportée au budget français par les États-Unis. Ainsi, dans ses premières années, la guerre apparaît strictement « franco-française », la France couvrant à travers son budget la totalité des dépenses militaires engagées en Indochine. Mais alors même que les crédits français continuent d’augmenter, jusqu’en 1952, la part du budget français réellement engagée se fait progressivement plus modeste, jusqu’à ce que sa contribution paraisse secondaire en 1954. La part prépondérante prise par les ÉtatsUnis, qui assurent alors près de 80 % des charges de la guerre, mérite peut-être d’être nuancée : elle est impressionnante mais ne concerne vraiment que la dernière année du conflit, qui ne sera elle-même qu’une demi-année de guerre, l’armistice négocié à
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Genève intervenant fin juillet 1954 ; et elle reste relativement théorique, puisque cette aide était versée par remboursements et non pas par avances. Il n’en demeure pas moins que cette évolution ultime, qui s’est décidée en 1953, modifie complètement la configuration du conflit.
B. LES COMPOSANTES DU BILAN FINANCIER POUR LA FRANCE 39
Une chose est d’évaluer la contribution de la France au financement de la guerre d’Indochine, une autre est d’estimer la part de la guerre d’Indochine dans les comptes de la France. Quel poids, en particulier, celle-ci aura-t-elle pris dans le budget français ? Les proportions sont à peu près connues : Tableau 21. Part des crédits militaires utilisés pour l’Indochine dans le budget français
Source : Annuaire rétrospectif de l’INSEE et rapports parlementaires. 40
Sur l’ensemble de la période, et sur le seul plan budgétaire, il faut compléter par un certain nombre d’éléments ces données correspondant à la durée principale de la guerre, entre 1946 et 1954. Il faut d’abord ajouter les deux années qui ont immédiatement précédé et suivi cette période : la reconquête de l’Indochine commence d’une part en 1945 et le corps expéditionnaire est d’autre part largement présent en Indochine encore en 1955. Le principal document chiffrant le retour de la France couvre les deux années 1945 et 1946 et n’est pas daté avec précision, ce qui pose un problème de conversion dans la mesure où la valeur du franc évolue alors assez vite 29. Un montant d’environ 100 milliards de francs 1953 paraît assez bien correspondre pour l’année 1945. Pour l’année 1955, l’engagement budgétaire est de l’ordre de 70 milliards de francs30. Cela fait un total de 170 milliards pour l’avant- et l’après-guerre.
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Parmi les autres éléments budgétaires à considérer figurent les dépenses civiles des ministères de la France d’outre-mer et des États associés, du moins à partir de 1950, quand la France perd la maîtrise des ressources fiscales indochinoises au profit des États associés31. Le « ministère d’État chargé des Relations avec les États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam », constitué en 1950 avec des services empruntés à la France d’outre-mer, ou partagés avec elle, avait pour fonction de gérer la situation en Indochine, c’est-à-dire la guerre. Son fonctionnement coûte annuellement 8 à 9 milliards de francs. Globalement ces dépenses civiles sont estimées autour de 5 % des dépenses militaires, ce qui peut correspondre globalement à 60 milliards de francs.
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Dans les budgets sont également retracés les règlements des dommages de guerre, accordés aux entreprises françaises ayant eu à souffrir du conflit en Indochine, au point de devoir parfois cesser leurs activités : sociétés dont les installations s’étaient retrouvées dès 1945 en zone Viet Minh, comme les Étains et Wolfram du Tonkin ou la Société des charbonnages du Dong Trieu, ou bien sociétés qui durent cesser leurs activités au Nord après le cessez-le-feu de 1954, comme la Société indochinoise d’électricité ou la Compagnie des Eaux, distribuant l’énergie et l’eau dans les régions de Hanoi et de Haiphong32. Pour les premières, les entreprises sinistrées dès 1945, une ordonnance du haut-commissaire Thierry d’Argenlieu du 27 juin 1946 avait institué un régime d’avances en dommages de guerre : après avis d’une commission ad hoc, ces avances pouvaient s’élever à 25 % du coût de reconstruction des entreprises en question33. Mais le régime des dommages de guerre d’Indochine rentra vite dans le moule métropolitain, en l’occurrence celui de la loi du 28 octobre 1946, rendue applicable en Indochine par le décret du 27 septembre 1947. Le versement d’avances se révéla d’ailleurs fort parcimonieux et l’affaire revint sur le devant de la scène après le cessez-le-feu de 195434. Finalement, un « arrêté des comptes de l’origine au 31 décembre 1956 » sur les dommages de guerre, figurant dans les papiers du Trésor, établit à cette date les versements à 16,3 milliards de francs 35. Mais le feuilleton des dommages de guerre n’est alors pas encore terminé...
43
En matière budgétaire enfin, il ne faudrait pas oublier — mais sans pour autant pouvoir vraiment le chiffrer — l’ensemble des pensions et autres allocations versées aux blessés de guerre, dont le nombre est à peu près équivalent au nombre de tués, ou aux familles des militaires morts au combat. Elles paraissent dispersées entre les budgets militaires et celui des anciens combattants, et le plus grand flou l’entoure. Le maréchal Juin avouait lui-même on le sait son impuissance et, dans les budgets militaires, la rubrique ancien combattant n’est en général indiquée que « pour mémoire ». À titre d’ordre de grandeur cependant, comme précédemment indiqué, le budget 1954 des Forces terrestres d’Extrême-Orient prévoit 1,8 milliard de francs pour les « ayants-cause des militaires décédés en Indochine (veuves, orphelins, ascendants, etc.) » 36. En extrapolant de manière régressive sur les années précédentes et en étendant ces dépenses aux blessés et aux invalides, on pourrait arriver à un ordre de grandeur de quelque 20 milliards de francs.
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Les crédits de la guerre d’Indochine devraient donc être augmentés d’une sorte de surcoût qui se détaillerait ainsi : Tableau 22. Dépenses diverses à intégrer dans l’évaluation du coût de la guerre (en milliards de francs)
Source : ministères de la Défense nationale et des Finances. 45
Ces 266 milliards de francs ne sont bien sûr qu’un ordre de grandeur, mais ils correspondent quand même, à peu près, à la moyenne des crédits militaires pour
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l’Indochine des années 1950-1951 : il faudrait ainsi ajouter pratiquement une année budgétaire au coût de la guerre... Ce surcoût équivaut au fond à ajouter environ 15 % aux crédits officiellement recensés pour la guerre d’Indochine. 46
Reste la contribution « hors budget » du Trésor, qui avait tant agité les coulisses de la rue de Rivoli en 1949 et 1950, lorsque le fonctionnement des comptes spéciaux ouverts dans les écritures du Trésor indochinois entraînait quasi systématiquement des versements du Trésor métropolitain par dizaines de milliards de francs. En octobre 195337, la commission d’enquête sur le trafic des piastres s’est bien sûr intéressée à cette question, lors de l’audition du directeur du Trésor, Schweitzer, lui-même assisté de son sous-directeur, Boyer. Lors de la séance du 27 octobre 1953, cette évocation a donné lieu au dialogue suivant :
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« M. Reverbori : Sur la seconde partie [de l’exposé de Schweitzer], j’aurais des questions à poser : une première, qui ne dépend sans doute pas de vous, savoir s’il nous serait possible d’obtenir — mais je crois que c’est la direction du Budget qui est compétente — l’ensemble des dépenses budgétaires qui ont été consacrées à l’Indochine depuis le moment où la parité de la piastre a été fixée à 17 francs ?
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M. Schweitzer : Parlez-vous des crédits budgétaires proprement dits ?
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M. Reverbori : Ce serait intéressant de les avoir. Ce qui nous intéresse beaucoup plus serait de savoir quels ont été les débours ou les efforts du Trésor en dehors des crédits budgétaires ?
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M. Schweitzer : Ce que nous pouvons vous indiquer, c’est le montant total des versements en francs que nous avons fait au crédit du compte de la Banque de l’Indochine, et ultérieurement de l’Institut d’émission des États associés, depuis 1947. Ils représentent 800 milliards environ, ce qui correspond au solde de la balance des paiements.
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M. Boyer : En fait, les dépenses françaises en Indochine balancent à peu de choses près les dépenses supportées par le Trésor pour la couverture des transferts. »
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Opération blanche pour le Trésor ? Le bilan n’est sans doute pas si net, encore que lui aussi délicat à chiffrer. En 1954, les négociations franco-vietnamienne (État associé) sur la liquidation du Trésor indochinois porteront sur l’attribution de 66 milliards de francs — 3 872 millions de piastres — avancés en 1949 et 1950 par l’institution locale et dont le Trésor français avait à l’époque supporté la charge38. Faut-il ajouter cette somme au surcoût budgétaire ou compter en points d’inflation, puisque ces avances avaient été pratiquement financées par l’émission monétaire ? Ce problème donne en tout cas crédit, entre les deux estimations, la parlementaire et la militaire, à la seconde, estimation supérieure à l’autre de 190 milliards : précisément constatée en 1949, 1951 et 1953, cette différence correspond sans doute à ces dépenses non budgétisées et rendues possibles par l’émission39.
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Ainsi, si l’on considère l’évaluation haute de 2 009 milliards de francs, additionnée du surcoût déjà estimé à 266 milliards de francs, on arrive, pour le coût financier de la guerre pour la France, à un total de 2 275 milliards — ou à une fourchette se situant entre 2 200 et 2 300 milliards de francs (1953). En francs courants, cette somme correspond au budget total de la France pour l’année médiane 1950 : 2 241 milliards exactement (2 868 milliards de francs 1953)40. Cela revient à dire que la guerre d’Indochine, qui aura duré huit ans — ou neuf si l’on part de 1945 — aura coûté à la
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France l’équivalent d’une année de son budget et gaspillé, dans l’hypothèse la plus favorable, quelque 10 % de ses ressources.
C. PERTES ET PROFITS 54
On ne comprendrait pas l’impact somme toute modeste de ces chiffres sur l’économie française si l’on ne prenait en compte les quelques avantages que la France a, en échange, retiré du conflit. Ces bénéfices, il ne faut pas les rechercher en termes de retombée industrielle : à la différence de ce qui s’est passé avec l’engagement vietnamien des États-Unis, dans la période suivante, aucune industrie de guerre n’a vraiment profité du conflit. Du début à la fin de la guerre, le matériel militaire utilisé en Indochine est on le sait principalement anglo-saxon - britannique d’abord, américain ensuite. Il faut par contre revenir aux flux financiers pour les imaginer : ceux qui relèvent des transferts de l’Indochine vers la France et ceux qui accompagnent l’aide américaine.
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Une masse de 800 à 1 000 milliards de francs (1953) a été transférée de l’Indochine vers la France sur l’ensemble de la période de la guerre, ce qui représente tout de même quelque chose comme le tiers d’un budget annuel du début des années 1950. En termes comptables, assure la direction du Trésor, cette masse a sans doute équilibré la part — de même niveau — des crédits militaires délégués à l’Indochine 41. Il ne s’agit pas moins pour la France d’un apport net de capitaux, de la même hauteur, donc, que les crédits militaires destinés à être dépensés en Indochine. Les uns sont liés à des opérations commerciales parfois gonflées mais les autres sont purement financiers et donc tout bénéfice, comme le tableau suivant — très officiel mais ne portant que sur une partie de la période — en donne le détail.
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Il ressort de ces chiffres qu’environ 40 % des transferts n’étaient pas directement liés à des opérations commerciales et qu’ils représentaient, donc, à la fois un risque d’inflation et un apport net pour le pays — de l’ordre de 400 milliards de francs sur l’ensemble de la période si l’on admet l’hypothèse de 1 000 milliards de transferts globaux. Sont-ils inscrits dans la comptabilité nationale ? Dans son ouvrage sur les finances extérieures de la France, André de Lattre propose un tableau de la balance des paiements entre 1945 et 1953 dans lequel la seule rubrique qui s’en rapprocherait serait celle, sous le titre des invisibles courants, des capitaux privés : leur solde cumulé sur l’ensemble de la période s’élève à quelque 300 milliards de francs, inférieur donc au total des transferts financiers d’Indochine vers la France. Il s’agit donc d’un poste important42.
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Quand aux flux qui accompagnent l’aide américaine, ils présentent pour la France l’avantage essentiel de ne pas se situer à l’intérieur de la zone franc et d’aider à résoudre ce qui, aux yeux d’un certain nombre d’experts financiers, constitue l’un des principaux problèmes de la France d’après-guerre : le problème des paiements 43. Il s’agit cette fois, au total, d’une masse financière dépassant 500 milliards de francs et qui, si elle vient en règlement de dépenses par ailleurs très réelles, n’en constitue pas moins un apport essentiel en devises. Au lendemain de la signature de l’accord de Genève, dans la discussion d’une interpellation à l’Assemblée nationale au sujet de l’Indochine, Pierre Mendès France comptabilisera ainsi cet apport : « Pour la production militaire, notre industrie est payée en francs, et l’État français reçoit en contrepartie une aide américaine en dollars. Celle-ci vient grossir nos ressources en
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devises, ce qui permet de solder les déficits de la balance commerciale que nous encourons dans beaucoup de pays. En d’autres termes, nous avons trouvé dans la guerre d’Indochine l’équivalent des ressources que, normalement, les exportations devraient nous procurer. Mais, du même coup, elle a orienté notre production dans un certain sens puisque, ayant moins besoin de vendre sur les marchés étrangers, nous avons pu nous dispenser d’une partie de l’effort nécessaire sur ces marchés » 44. 58
Accessoirement, les inscriptions budgétaires et la circulation correspondante d’importants flux financiers comportent de menus avantages. C’est ainsi qu’à la fin de 1952, le gouvernement français utilisa 4 milliards de francs, théoriquement destinés aux États associés mais devenus moins urgents parce que le Vietnam venait d’augmenter sa contribution à la guerre, pour faciliter la production aéronautique française. Plus précisément, ces 4 milliards ont permis d’assurer « le maintien en activité de certaines chaînes de production d’avions militaires particulièrement intéressants (Mystère II et IV) ; les difficultés financières auraient obligé, si une telle décision n’avait pas été prise, à stopper ces fabrications au moment où des commandes off shore étaient envisagées »45.
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Quel bilan retenir ? Peut-être la guerre d’Indochine a-t-elle rendu la France un peu paresseuse sur le plan industriel et commercial, le conflit favorisant les exportations traditionnelles de certains secteurs — le textile en particulier — et amenant sans effort économique particulier un apport clonsidérable de devises, lié à l’aide américaine. Il n’en reste pas moins que cet apport, joint aux transferts financiers d’Indochine, relativise largement le coût budgétaire du conflit — même augmenté de son « surcoût » : quelque 2 400 milliards de francs en négatif d’une part ; environ 1 500 milliards en apport net ou de change de l’autre... Et une monnaie à peu près stabilisée.
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Si l’on considère qu’à la fin de la guerre, financièrement parlant, la France s’est pratiquement débarrassée du fardeau indochinois, l’essentiel de la charge budgétaire ayant été transféré aux États-Unis, l’opération, tout compris, n’est pas si onéreuse qu’une première approximation pouvait le laisser penser — ce qui expliquerait aussi l’effet relativement modeste sur la conjoncture. Le bilan financier de la guerre d’Indochine pour la France n’apparaît sans doute pas positif, mais il a certainement été parfaitement digérable — et digéré — par la comptabilité nationale. La France n’avait pas pour autant à se féliciter d’une telle gestion du conflit. En se désengageant financièrement, elle perdait la maîtrise de ce nerf de la guerre qu’est l’argent et, plus simplement, la maîtrise stratégique des opérations — à Dien Bien Phu ou ailleurs.
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Graphique 15. La part de l’aide américaine dans les dépenses. Effort militaire global (financier et matériel) en Indochine
Source : SHAT, 2 R 656 Document secrétariat d’État à la Guerre.
III. LA FIN DU « PACTE COLONIAL » 61
Dresser le bilan économique de la guerre, pour la France, invite à distinguer ce qui tient au rapport colonial et ce qui relève de la guerre elle-même. Le premier point ramène à la question de savoir s’il y avait des raisons économiques au conflit, si l’enjeu économique que représentait le maintien d’une Indochine française, ou du moins contrôlée par la France, pouvait justifier les dépenses militaires consenties : qu’est-ce que la France avait au fond à perdre avec l’Indochine ? Le second point — le bilan financier ayant été examiné séparément — se situe surtout au niveau des entreprises. Il faut interroger l’évolution des investissements français sur place, mais aussi ce qui se passe en France même : qui a été victime de la guerre et, le cas échéant, qui en a profité ?
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Il sera sans doute difficile, compte tenu de l’imbrication du fait colonial et des opérations militaires, de déterminer vraiment si, économiquement parlant, la France aurait eu intérêt à quitter plus tôt l’Indochine. Compte tenu du coût de l’affaire et de l’issue des opérations, la réponse est a priori positive. Mais le bilan de la guerre d’Indochine, comme il vient d’être suggéré, n’est pas nécessairement négatif pour tout le monde. Il ne pourra cependant être question ici d’autre chose que d’une sorte de sondage auprès de certaines entreprises concernées : une étude systématique serait une recherche nouvelle et de grande ampleur, compte tenu du caractère spécifique des sources. L’approche à partir des documents disponibles n’en est pas moins instructive.
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En tout état de cause, l’idée communément admise, qui voit à la fois dans la colonie un fournisseur de matières premières et un débouché pour les produits métropolitains, apparaît partiellement validée pour la période de la guerre d’Indochine. La France a besoin dès 1945 du caoutchouc indochinois ; dans l’autre sens, malgré la guerre ou à
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cause d’elle, l’industrie métropolitaine — le textile en particulier — trouve dans l’espace colonial une part de ses clients.
A. HEURTS ET MALHEURS DU CAOUTCHOUC INDOCHINOIS 64
Le caoutchouc figure en bonne place parmi les richesses produites en Indochine et fournit un exemple intéressant des relations que la France, à travers la guerre, entretient avec sa colonie. Les plantations d’hévéa y ont, depuis quelque quarante ans, accompagné le développement de l’industrie automobile dans le monde. L’investissement était attractif et 100 000 hectares ont été plantés, principalement dans le sud du Vietnam (70 %), dans les régions vallonnées qui séparent le delta du Mékong des montagnes et plateaux du Centre, ainsi que de l’autre côté de la frontière cambodgienne (29 %)46. A lire les correspondances de l’immédiat après-guerre, il ne fait alors aucun doute dans l’esprit des dirigeants français que le caoutchouc est un « élément important de richesse impériale »47. Le ministère de la France d’outre-mer, alors dirigé par Marius Moutet, l’affirme haut et clair en août 1947 : « La conservation des plantations d’hévéas d’Indochine est primordiale non seulement pour l’économie française mais encore pour l’économie de l’Indochine »48. Une quinzaine de plantations indochinoises restent d’ailleurs cotées à la Bourse de Paris 49. Carte 7. La localisation des plantations
Source : Bernard Fall, Le Viet Minh. La République Démocratique du Vietnam (1945-1960), Paris, Armand Colin, Cahiers de la FNSP, Paris, 1960. 65
L’industrie française de caoutchouc, qui nécessite elle-même d’importants capitaux et emploie quelque 50 000 ouvriers, a besoin d’environ 90 000 tonnes de latex par an et se tourne traditionnellement vers l’Indochine pour se les procurer : le plus grand
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industriel de la branche, Michelin, à Clermont-Ferrand, dispose d’ailleurs de ses propres plantations, réparties en trois sites principaux au nord de Saigon. Mais « réamorcer la pompe » des exportations de caoutchouc vers la France, compte tenu des troubles de l’année 1945 et de l’état de guerre qui leur succède au Sud, ne s’est pas avéré très simple. La main d’œuvre des plantations, souvent originaires du Nord, s’est dispersée après le coup de force japonais ; les plantations se sont ensuite retrouvées au cœur du conflit ; et la « guerre économique » menée par le Viet Minh dans les premières années — destruction de la production ou sabotage des arbres — n’était pas sans efficacité. En 1947, 38 % seulement de la surface plantée est exploitée et la production de caoutchouc représente environ la moitié de celle des années 1939-194450 ; elle ne retrouvera péniblement qu’en fin de conflit — mais c’est déjà une performance — son meilleur niveau d’alors. 66
L’intérêt prioritaire pour le caoutchouc indochinois, sensible en début de période, semble cependant se relativiser avec le temps. Au départ, l’Indochine dispose des stocks accumulés pendant les années de guerre, ce qui tombe bien pour les entreprises françaises, qui n’ont guère de devises à la Libération pour s’approvisionner ailleurs. Mais l’acheminement de la précieuse matière première est complexe, ce qui inquiète vite le ministère de la Production industrielle51. Finalement, le caoutchouc est partiellement utilisé comme monnaie de compte : aux termes d’un montage quasi officiel, une partie des stocks est en effet vendue aux États-Unis contre dollars ; et une partie de ces dollars est mise à la disposition des industries cotonnières françaises pour leur propre approvisionnement52.
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Par la suite, l’évolution du marché mondial ne favorise guère l’Indochine. L’offre mondiale de caoutchouc naturel excède la demande : en 1950, la production mondiale atteint 1,85 million de tonnes et la consommation 1,6 million, les grands pays ayant reconstitué leurs stocks stratégiques ; le caoutchouc de Malaisie, rapporté à son équivalent en balles de coton américain, vaut d’ailleurs trois fois moins cher en 1949 qu’en 193953. Accessoirement, le caoutchouc synthétique progresse lui aussi rapidement54.
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La tendance générale à la baisse des prix marginalise ainsi progressivement le caoutchouc indochinois : ne représentant que 2,2 % de la production mondiale en 1950, il est en outre grevé de surcoûts qui l’empêchent d’être commercialisé ailleurs qu’en France. Les mesures de sécurité gonflent les prix de 1 à 2 % : les planteurs avaient d’abord obtenu que l’armée assure une présence dans les plantations ; mais celle-ci dut ensuite redéployer ailleurs les unités qu’elle y avait dépêchées, elles-mêmes constituées le plus souvent de soldats d’Afrique du Nord. Plusieurs plantations ont donc alors levé leurs propres milices. La surévaluation de la piastre a fait le reste, parfois — mais rarement à notre connaissance — dénoncée par les planteurs : une plainte de l’Union des planteurs de caoutchouc au ministre des Finances, le 5 octobre 1949, soit quelques jours après la décision de renoncer à changer la parité de la piastre, fin septembre 1949, s’est certes voulue menaçante, mais apparemment sans suite 55. D’ailleurs, la production indochinoise ne suffit pas à l’industrie française, qui s’accroît rapidement au début des années cinquante : vers 1950, l’Indochine ne fournit que la moitié des besoins de la métropole, estimés on le sait à 90 000 tonnes par an ; en 1952, elle n’en couvre plus qu’un quart, la métropole ayant acheté cette année-là 130 000 tonnes de caoutchouc brut et assimilé56.
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Un mécanisme à dimensions multiples permet l’écoulement du caoutchouc indochinois vers la France. Jusqu’en 1950, un comptoir d’achat et de vente du caoutchouc gère les échanges et le budget de l’Indochine apporte une subvention de 30 cents par kilo : l’accord du 26 août 1949, signé entre l’État et les professionnels, prévoit ainsi que les manufacturiers français achètent 136,37 francs le kilo de caoutchouc, alors que celui-ci est payé aux planteurs 141,47 francs, grâce à une subvention du budget général de 5,10 francs (0,30 piastre). Mais 136 francs représentent encore un prix très élevé si l’on songe que le même kilo de caoutchouc est disponible sur le marché de Singapour à 120,30francs... Le second volet du mécanisme se dévoile alors : le ministère des Finances bloque les autorisations d’achat hors de la zone franc — en devises donc — tant que les industriels n’ont pas acquis une proportion suffisante de caoutchouc indochinois 57.
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À partir de 1950, le contexte politique change en Indochine, le budget passant entre les mains vietnamiennes de l’État associé. Le mécanisme ancien ne peut plus fonctionner : décision est donc prise en novembre 1949 d’accorder aux planteurs une prime de 20 francs par kilo, cette fois à la charge des industriels métropolitains. Le calcul effectué montrait que, même si le caoutchouc indochinois était frappé d’un surcoût de 15 %, les répercussions sur les produits industriels ne dépasseraient pas 1 %, ce qui rendait le montage tout à fait « jouable » — à cette nuance près que les exportations françaises de caoutchouc (22 % des fabrications) étaient tout de même pénalisées 58. Les possibilités de trafic entourant la piastre aidant, ce nouveau système de prime revenait presque à une clause de style, comme le suggère une autre note en 1953 : « Dans ces conditions, grâce à des complicités administratives et bancaires, les règlements des importations en France de caoutchouc indochinois s’effectuent en fait par des circuits irréguliers qui permettent sans débours supplémentaire pour les utilisateurs de verser la prime nécessaire au planteur, tout en laissant de substantiels profits aux intermédiaires » 59.
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À la fin de la guerre d’Indochine, la France a-t-elle encore besoin du caoutchouc indochinois ? En 1953, la production a certes retrouvé un niveau acceptable : les succès de la « pacification » au Sud, l’aboutissement des efforts de rénovation des plantations, qui nécessitent de longues années, parce qu’il faut bien que les arbres poussent, l’expliquent sans doute plus que la dévaluation de la piastre. Mais en même temps les conditions du marché ne sont plus les mêmes qu’en 1945 et la normalisation des exportations de caoutchouc indochinois entraîne aussi leur banalisation : les industriels français ne peuvent être privés éternellement d’un accès libre aux meilleurs prix mondiaux ; le caoutchouc indochinois ne peut non plus éternellement tourner le dos au principal marché de la planète, celui des États-Unis - des procédures particulières de paiement faciliteront en fin de période les exportations dans cette direction. Tout se passe donc comme si le coûteux entretien de cette richesse, si précieuse à la Libération et payable en francs, ne se justifiait plus : l’internationalisation des importations françaises et des exportations indochinoises, en particulier après la dévaluation de la piastre, retire l’essentiel de son contenu au privilège impérial.
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Graphique 16 et tableau 23. Évolution de la production indochinoise de caoutchouc
Source : Bulletin statistique de l’Indochine ; Le Monde ; Conseil économique.
B. L’ANTHRACITE DU TONKIN 72
Plus encore que les plantations du Sud, les mines du Nord avaient quelque mal à fonctionner au milieu des combats qui s’y déroulaient depuis 1945. Fer, étain, zinc ou phosphates, la plupart des sites se localisaient entre Hanoi et la frontière chinoise, en pleines zones contrôlées par le Viet Minh, et l’exploitation était dans la plupart des cas suspendue depuis 194560. Chacune des sociétés concernées, Compagnie minière et métallurgique de l’Indochine, Société des mines d’étain du Haut-Tonkin, Étain et Wolfram du Tonkin etc., axe désormais « toute son activité sur la récupération et l’emploi des indemnités de guerre auxquelles les industriels français avaient droit en vertu d’un décret du 27 septembre 1947 »61. La situation des Charbonnages était la moins dramatique : certes, la Compagnie des charbonnages du Dong Trieu, exploitant
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un anthracite au Nord-Ouest de Haiphong, n’avait pu relancer ses activités que quelques mois, en 1949 et 1950, à la faveur d’une protection du corps expéditionnaire — la pression du Viet Minh s’avéra finalement trop forte. Mais la Société des charbonnages du Tonkin, il est vrai la plus importante, a pu continuer à fonctionner en bordure de la Baie de Ha Long. 73
La Société française des charbonnages du Tonkin, constituée autour de 1890 pour exploiter des gisements pour la plupart littoraux, avait en effet réussi à préserver une partie de ses activités après 1945 : trois de ses centres avaient dû être abandonnés, galeries inondées, notamment ceux de Mao Khé et de Khé Bao ; mais la société continuait à extraire le charbon de mines à ciel ouvert échelonnées entre Hong Gai et Cam Pha. Une centaine de Français et 10 000 Vietnamiens travaillaient là, avec sous leurs pieds une réserve de quelque 100 millions de tonnes et, à proximité immédiate, les deux excellents ports de Hong Gay et de Cam Pha. Mais la production, qui ne s’élevait en 1945 qu’au dixième du niveau d’avant-guerre, avait été très lente à redémarrer ; et son plan de redressement établi en 1948, qui prévoyait de retrouver le million de tonnes en 1952, se heurtait à des problèmes de financement 62. Carte 8. Le Tonkin minier
Source : Archives nationales, Fonds du commissariat général au plan. 74
Pour trouver les capitaux nécessaires à la modernisation de ses installations, le Société des charbonnages du Tonkin explora toutes les solutions. Les dommages de guerre ressemblaient à un espoir déçu : évalués par la société à 150 millions de piastres environ, ils auraient pu largement couvrir l’investissement de 135 millions de piastres (2,3 milliards de francs) jugés nécessaires entre 1950 et 1952 ; mais 19 millions seulement ont été versés au titre de la loi de 1946. Las de recourir à l’autofinancement et de ne plus distribuer de dividendes à ses actionnaires, la Société regarde en direction de l’aide américaine : le matériel qu’elle ambitionne d’acquérir est en effet fabriqué aux États-Unis. Elle demande d’abord, en vain, « que, sur les crédits alimentés par la contrevaleur du plan Marshall, le Fonds métropolitain de modernisation et d’équipement lui
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accorde pour l’exercice 1951 une dotation de 510 millions de francs (contrevaleur de 30 millions de piastres) »63. 75
Les Charbonnages du Tonkin suggèrent ensuite un montage garanti par leurs exportations au Japon, encore sous occupation américaine : « L’aide américaine en Indochine avancerait à la Société française des Charbonnages du Tonkin les fonds nécessaires à l’achat du matériel américain. Ces avances seraient remboursées par un prélèvement sur la valeur du charbon livré au Japon », vendu en dollars 64. Mais ni l’aide américaine ni l’Office indochinois des changes n’ont la souplesse nécessaire. Finalement, ce sont de nouvelles avances sur les dommages de guerre et un emprunt auprès des banques qui permettront à la Société de s’équiper du matériel américain ultra-moderne qu’elle convoitait, en particulier deux pelles mécaniques à haut rendement65. Si le million de tonnes n’est pas atteint en 1952, la production n’en redémarre pas moins nettement.
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L’anthracite du Tonkin présente-t-il un intérêt pour la France ? Oui à en croire le principal intéressé quand il sollicite l’appui des pouvoirs publics : « la Société française des charbonnages du Tonkin extrait un anthracite d’excellente qualité, qui se compare aux plus beaux anthracites du pays de Galles, indique en préambule une note sur le financement de sa modernisation. D’après les calculs faits récemment par l’Association technique de l’importation charbonnière, cet anthracite, rendu en France, reviendra au même prix que les charbons anthraciteux belges (de qualité très inférieure à la sienne). C’est d’autre part le seul anthracite que le marché français peut se procurer en le payant en francs »66. Mais il faut relativiser : les Charbonnages du Tonkin ambitionnent de produire 1 million de tonnes quand la France en extrait 55 millions, ce qui représente moins de 2 % de la production nationale. Et encore l’Indochine n’exporte-telle vers la métropole, selon les années, qu’entre 5 et 20 % de ce qu’elle extrait...
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Plus qu’une ressource pour la France, le charbon tonkinois était avant guerre un élément significatif du rôle impérial de l’Indochine française. Exporté à plus de 60 % vers le reste de l’Asie, il fournissait en ressource non pas la métropole mais sa puissance internationale. Mais la situation s’inverse après 1945 : c’est en Indochine même — aux cimenteries et aux centrales électriques — que la Société française des charbonnages du Tonkin vend l’essentiel de sa production, et si l’exportation reprend en fin de période, elle tient encore le second rôle.
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Le marché indochinois est donc venu assurer le principal débouché de l’anthracite du Tonkin alors qu’auparavant ce dernier avait plutôt vocation à être exporté. La guerre d’Indochine, en stimulant la consommation, tant de ciment que d’électricité, en est partiellement responsable. En 1953, le rapport du conseil d’administration de la Société le confirme, « le marché indochinois est resté [...] avec 442 000 tonnes notre principal débouché », à raison de 340 000 tonnes pour le Nord et 102 000 tonnes pour le Sud. À l’exportation, le Japon continue pour sa part à jouer le premier rôle : « les ventes [...] atteignent 247 126 tonnes. Le Japon, avec 236 000 tonnes est de loin notre client le plus important »67.
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Moins encore que le caoutchouc du Sud, le charbon du Nord n’a pu prétendre à travers la guerre d’Indochine jouer un rôle économique tel qu’il eut fallu prendre les armes pour le défendre : il était partiellement perdu bien avant 1954.
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Graphique 17 et tableau 24. Production de la Société française des Charbonnages du Tonkin (en milliers de tonnes de houille)
Source : Agence économique et financière, 9 novembre 1954.
C. L’INDOCHINE EN GUERRE, MARCHÉ CAPTIF 80
Les industriels français les plus concernés ont périodiquement lancé des mises en garde pour que fut évité tout changement en Indochine, la presse spécialisée s’en est fait régulièrement l’écho et la rue de Rivoli se tenait informée : le débouché indochinois, particulièrement en ces temps de guerre, faisait vivre une part, relativement modeste mais bien réelle de l’activité économique française. Le lobby colonial ne rate jamais une occasion d’insister sur le fait : « L’Indochine représente un débouché essentiel pour certaines industries françaises, note une importante étude de février 1954. Pour le premier semestre 1953, les exportations françaises vers l’Indochine ont représenté 21 % du total des exportations vers la France d’outre-mer et près de 8 % de l’ensemble des exportations françaises. [...] Certaines industries traverseraient une crise qui pourrait
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être mortelle si le marché indochinois leur échappait »68. En 1952, selon une autre source, l’Indochine représente en effet la seconde destination de l’ensemble des exportations françaises69 : Tableau 25. Exportations françaises sur toutes destinations (année 1952, en millions de francs FOB ports français)
Ces dix premières destinations représentent environ 70 % de l’ensemble des exportations françaises de l’année, estimées à 1 416 494 millions de francs Source : Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France. 81
Le conseiller financier du haut-commissariat, André Valls, fait le même constat : « Depuis 1946, la production française a trouvé en Indochine un débouché de choix. Les importations en provenance de l’Union française ont dépassé 100 milliards de francs en moyenne au cours de ces trois dernières années », précise-t-il. Et même si la position de l’Indochine se dégrade un peu après la dévaluation de la piastre, elle reste forte : « Les États associés d’Indochine occupaient en 1953 le 4e rang parmi les clients de la production métropolitaine après l’Algérie, la Suisse et l’Allemagne et devant l’Union belgo-luxembourgeoise et le Maroc » — pour 1954, indique cependant Valls en note, « les États associés rétrograderont vraisemblablement de plusieurs places » 70. Le contexte de guerre et d’association avec la France explique pour André Valls l’ampleur des ventes françaises à l’Indochine : « d’une part, les États ont bénéficié des ressources francs abondantes que leur procurait le jeu des dépenses militaires ; d’autre part, les États ne disposaient pas d’un volume considérable de devises étrangères ».
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Dans ce fort courant importateur, il apparaît que la guerre est en elle-même, en effet, un puissant et stimulant marché. « En définitive, le marché indochinois absorbe essentiellement deux catégories de produits français, conclut une analyse de la presse spécialisée en avril 1954 : d’une part des produits industriels de guerre – vêtements militaires (coton), mécaniques diverses, horlogerie ; d’autre part des produits agricoles excédentaires, dont les uns sont de première nécessité mais vendus à un prix supérieur au prix mondial (blé, malt), et les autres sont des produits de luxe (boissons alcoolisées, champagne) ». Il n’en reste pas moins, comme le titre l’analyse en question que « L’économie française supporterait difficilement la perte du marché indochinois » 71. L’analyse des statistiques douanières fait ressortir, en les regroupant par genres, les produits qui intéressent principalement l’Indochine72.
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L’industrie textile française est ainsi la première concernée par le débouché indochinois. Elle l’est même d’origine, pourrait-on dire, puisqu’on le sait plusieurs sociétés cotonnières s’étaient portées acquéreurs de caoutchouc à la libération, d’accord avec le ministère des Finances, de manière à en réaliser la vente en dollar et pouvoir importer plus facilement matière première et outillage. Une partie des sociétés
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en question s’était constituée en « pool des acheteurs » et d’autres agissaient séparément : une fois les opérations de vente terminées, l’apport en devise s’était élevé à près de 4 millions de dollars73. Pour l’heure, au début des années cinquante, environ 80 % des importations indochinoises de textiles sont constitués de produits de l’industrie cotonnière — il faut notamment vêtir les nouvelles forces armées. Tableau 26. Produits français exportés vers l’Indochine (en millions de francs français)
D’après : Statistique du commerce extérieur de la France. 84
Début 1954, alors que la négociation sur l’indépendance du Vietnam associé se prépare avec la France, les parties concernées redoutent que la « préférence » française, que garantissait jusqu’alors le statut d’association, soit abandonnée. Il n’est pas jusqu’au préfet du Haut-Rhin de soutenir les industriels français. Ce dernier, en transmettant au ministre des Finances une note du Syndicat général de l’industrie cotonnière française, souligne que celle-ci « insiste sur l’importance que revêtiront pour plusieurs branches industrielles françaises les décisions qui seront prises lors des négociations qui vont s’ouvrir incessamment ». Le problème, précise le préfet, « intéresse tout particulièrement les dirigeants de l’industrie cotonnière du Haut-Rhin, qui occupe 31 % de la population active non agricole, auxquels il convient d’ajouter les ouvriers des industries mécaniques et chimiques » travaillant pour le secteur textile 74.
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Plusieurs régions sont en fait concernées. Le Nord et, plus encore, le Nord-Est exportent des tissus de coton vers l’Indochine : les expéditions annuelles, selon les indications fournies par les professionnels, représentent cinq semaines de travail pour l’ensemble de l’industrie cotonnière française, et l’emploi de 15 000 à 20 000 ouvriers, dont 10 000 dans les Vosges. La crainte de leur mise au chômage accompagne la fin de la guerre75. La région lyonnaise appréhende aussi la perturbation qu’apporterait l’abandon de la « préférence impériale » : « le marché indochinois représente pour les soyeux lyonnais 10 % de leur chiffre d’affaire et 25 % de leur activité de fabrication de tissu de soie, soit 10 000 métiers et 10 000 ouvriers », précise une publication spécialisée76.
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Sans doute la préférence française dans les importations indochinoises eut-elle été plus défendable si elle n’était pas devenue à sens unique. La relative modicité des exportations vers la France de caoutchouc et de charbon indochinois a déjà été évoquée, mais que dire du riz ! Avant 1940, relèvent les conseillers du commerce extérieur de la France, l’Indochine exportait 1 600 000 tonnes de riz par an, dont une
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petite moitié sur la France (500 000 à 800 000 tonnes), pour lesquelles les droits de douane à l’entrée étaient opportunément suspendus, et quelque 150 000 tonnes sur la France d’outre-mer. En 1952 et 1953, l’Indochine n’a exporté qu’environ 250 000 tonnes, dont seulement 50 000 tonnes vers la France d’outre-mer et... 4 000 tonnes vers la France, soit 150 à 200 fois moins qu’avant-guerre, mais frappé cette fois de droits de douane — il est vrai que le riz de Camargue était apparu entre-temps 77. 87
Par contre, la prolongation de la guerre et la caricature de « pacte colonial » qu’elle perpétuait faisaient l’affaire de toutes les sociétés ou organismes de service qui faisaient le lien entre la métropole et le théâtre des opérations. La Banque de l’Indochine sur le plan financier, nous y reviendrons, mais aussi les opérateurs du secteur des transports : les compagnies de navigation maritime et aérienne françaises disposaient en effet d’un quasi-monopole sur le trafic — passagers et marchandises — entre la métropole et l’Indochine. En 1953, 90 navires français ont ainsi effectué 180 départs pour l’Indochine, soit environ un tous les deux jours 78. Les Chargeurs réunis de la famille Seydoux sont sur l’affaire, ainsi que les Messageries maritimes. Cette dernière compagnie, note le rapport parlementaire Pineau en suggérant de lui demander un nouvel effort, « tire d’importants bénéfices des nombreuses affaires traitées par elle en Indochine »79. Parmi les compagnies aériennes, celle de Sylvain Floirat, Air Azur, a également retenu l’attention pour avoir prospéré dans le transport militaire.
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Il faut enfin mentionner l’activité portuaire, en quelque sorte dopée par la guerre d’Indochine. Si Dunkerque, Le Havre, La Pallice, Bordeaux et Sète ont réalisé une part de leur trafic avec l’Indochine, la palme revient bien sûr à Marseille qui, par sa situation et son équipement, était le plus à même de travailler dans cette direction. Mais les chiffres ne sont pas simples à déterminer : « pour Marseille, premier port intéressé donc, peut-on noter en 1954, le total des exportations vers l’Indochine ressort pour le seul secteur privé à 215 000 tonnes en 1952 et 172 000 tonnes en 1953 » — ce qui devait tourner autour de 5 % des sorties du port80.
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D’une manière générale, il ressort donc que la guerre d’Indochine, par sa prolongation et son issue, a pu contribuer à certaines mutations de l’économie française : en particulier la survie puis le déclin du secteur textile d’un côté et l’encouragement aux activités de service de l’autre.
IV. DE L’INDOCHINE À L’EUROPE 90
Comment la guerre d’Indochine s’inscrit-elle dans le mouvement général qui voit, dans les années 1950 et 1960, la France, ainsi que la Grande-Bretagne et les autres puissances coloniales, se replier progressivement de son empire pour s’élargir à l’Europe ? L’Indochine, sans doute, n’est pas tout l’empire, loin s’en faut, mais la guerre qui s’y déroule constitue son premier ébranlement. La question mérite d’autant plus attention qu’en France, au début des années 1950, le débat financier sur l’Indochine s’exprime de plus en plus en parallèle avec celui sur l’Europe - dans le cadre de l’OTAN il est vrai.
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La question se situe à plusieurs niveaux. Une première approche consiste à s’interroger sur l’évolution des investissements français en Indochine. Leur repli manifeste ne signifie pourtant pas pour autant leur réorientation sur l’Europe, même si, de manière assez symbolique, Sylvain Floirat réemploiera dès 1955 une partie des profits acquis par sa société aérienne Air Azur, réputée avoir prospéré grâce à l’Indochine, dans la création de la station de radio « périphérique » Europe n°1. Une large partie des
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investissements coloniaux se redéploie plutôt sur d’autres parties de l’Union française, essentiellement en Afrique. La seconde approche, par contre, qui suit les grandes orientations stratégiques prises alors par la France, et a une forte dimension budgétaire, colle plus à l’Europe, dont la défense apparaît de plus en plus comme l’alternative à l’Indochine.
A. L’ÉVOLUTION DES INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN INDOCHINE 92
Il est difficile de suivre avec toute la précision souhaitable l’évolution des investissements français en Indochine, publics comme privés. Deux études permettent cependant de s’en faire une idée, même si elles ont chacune leurs imperfections et n’ont pas toujours utilisé les mêmes critères d’analyse. La première, relativement précise, est un recensement réalisé dans l’empire en 1940-1943, par la Banque de l’Indochine pour ce qui nous concerne, alors que la colonie se trouvait confinée dans le quasi-protectorat qui lui était imposé par le Japon81 : à en juger par les notes et correspondances ultérieures, elle sert de base à toute réflexion sur le sujet pratiquement jusqu’en 1954. Un nouveau recensement est cependant effectué par les services du haut-commissariat au cours de l’été 1953 et complété en 1954. Sans doute partiel, il dresse l’inventaire, pour l’ensemble de l’Indochine, des biens des principales entreprises en activité, en tenant compte de la valeur des stocks et de la valeur commerciale des fonds, sans oublier celles qui ont dû suspendre leur fonctionnement pour cause de guerre : 344 entreprises ont été inventoriées, 65 % se situant au Vietnam, dont à peine la moitié au Nord, 23 % au Cambodge et 12 % au Laos 82.
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Avec ces 26 milliards de piastres d’investissements privés encore présents en Indochine — 260 milliards de francs au nouveau taux de change et pour reprendre les termes du conseiller financier français André Valls, « l’emprise du capitalisme français sur le pays reste intacte (en 1954). En effet, aussi approximative et arbitraire que puisse être une évaluation de cette nature, elle a le mérite de traduire en chiffres la place qu’occupent dans la vie économique des États les entreprises dont les capitaux et les dirigeants sont français. Les grandes plantations d’hévéas, les services publics industriels, les banques, et les maisons de commerce importantes, les rares entreprises industrielles appartiennent à des groupes financiers français »83.
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Tableau 27. Répartition des investissements privés français en Indochine en 1954 (en millions de piastres)
Source : Commissariat général de France en Indochine et Le Monde 1-2/8/54. 94
Il reste, si l’on s’en tient aux estimations connues, celle de 1943 et celle de 1953-1954, que les investissements français apparaissent en net recul sur la période de dix ans qui les sépare, qui est essentiellement celle de la guerre. En francs constants (1953), l’ordre de grandeur de 1943 se situait à 1 052 milliards de francs — 52 milliards de francs 1939 — dont 770 milliards d’investissements privés ; en 1954, il ne restait plus que 450 milliards d’investissements français en Indochine, dont 260 privés 84. Les investissements publics ont les moins souffert — quoiqu’en diminution d’un petit tiers — encore que sur les 190 milliards restant, 44,5 milliards concernent le domaine militaire85. Les investissements privés, eux, ont pendant ce temps chutes de 66 %, passant de 770 milliards en 1943 à 260 en 1954 — mais peut-être les premiers chiffres ont-ils été gonflés et les seconds minorés. Le tableau suivant, si l’on s’en tient à nouveau aux chiffres connus, indique la répartition de cette évolution par branches.
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Tableau 28. Évolution des investissements privés en Indochine, par branches (en francs 1953 et pourcentage du total considéré pour chaque recensement)
Source : CAOM et AEF. 95
Sans doute ce tableau appelle-t-il quelques commentaires. Aux deux moments considérés, il apparaît d’une manière générale – ce qui ne constitue pas une vraie surprise — que les principaux investissements privés français se concentrent dans les secteurs industriels, des mines et des plantations. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les pertes y soient sévères : comme on le sait, de nombreuses mines du Tonkin, en particulier dans le domaine des non-ferreux, restaient fermées depuis 1945 et, dans le Sud, les plantations ont également souffert. Pour le reste, il est un peu étrange que les autres secteurs aient fondu à ce point. Il est vrai que les conditions de la guerre empêchaient le fonctionnement normal des transports intérieurs, qu’ils soient ferroviaires, fluviaux ou routiers et que ce secteur d’activité a pu tomber en déshérence — ou qu’accessoirement la puissance militaire ait pris le relais. En matière commerciale, il faut supposer que l’évolution des chiffres proposés ne concerne que les échanges intérieurs car, pendant la même période, le commerce extérieur a fait, lui, un bond prodigieux – mais peut-être, en effet, sans qu’il soit nécessaire de recourir à beaucoup d’investissements nouveaux. Au vu de ces chiffres, en tout cas, et quelle que soit leur approximation, s’il est vrai que l’emprise du capitalisme français reste intacte en Indochine, pour reprendre les termes d’André Valls, l’Indochine en guerre paraît bien éloignée d’un fonctionnement économique normal.
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Pour autant, le conflit colonial est-il seul responsable de cette désaffection pour l’Indochine ? Si l’on en croît les études antérieures à la seconde guerre mondiale, un tel repli n’est pas sans précédent. C’est en tout cas ce qu’observe Paul Bernard lorsqu’il analyse en 1934 les flux de capitaux entre l’Indochine et la France : alors que les investissements européens en Indochine venaient traditionnellement, avec les emprunts publics placés dans la métropole, équilibrer les sorties de capitaux d’Indochine, toujours fortes, cette situation n’a pas résisté à la crise ; un exode de capitaux d’Indochine « absolument anormal » avait ainsi marqué l’année 1931 alors que le flux des investissements se trouva pratiquement stoppé. Dans les années suivantes, la situation s’est sans doute améliorée, notamment dans le domaine de la spéculation ; par contre, note Paul Bernard, « les investissements de capitaux français demeurent rarissimes »86.
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Après 1945, en début de période surtout, l’état d’esprit des autorités françaises fut d’encourager les investissements, du moins localement : la surévaluation de la piastre les rendait trop peu attractifs à partir de la métropole. « Les bilans des entreprises
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commerciales indochinoises ont, en 1948, dégagé de larges bénéfices, note par exemple le rapport Perron. On peut au moins exiger d’elles qu’elles pratiquent en Indochine une plus large politique d’investissement local ». Il ajoutait plus loin : « Il faut que les sociétés admettent que nous sommes dans une période de réinvestissement et non dans une période d’exploitation »87. 98
Un comité des investissements en Indochine traitait les dossiers qui lui étaient soumis, car ceux-ci étaient souvent assortis de demandes de prêts impliquant la Caisse centrale de la France d’outre-mer. Ce comité est certes ouvert aux propositions : dans sa séance du 16 juin 1952, par exemple, il autorise la Caisse centrale à consentir un prêt de 77 millions de francs aux Manufactures indochinoises de cigarettes, qui en demandaient 230 pour accroître leur production de tabac de Virginie au Laos et au Cambodge, et développer leur production de cigarettes de manière à pouvoir fournir un marché en pleine expansion : 1 million de kilos de cigarettes a été consommé en Indochine en 1951, plaide-t-elle, et il serait bon de « supprimer à due concurrence les sorties de devises que cette consommation entraîne actuellement »88. La Société française des charbonnages du Tonkin est elle aussi autorisée à emprunter 150 millions de francs, mais à de meilleures conditions, 6 % sur dix ans, au lieu de 7 % sur six ans pour les Manufactures indochinoises de cigarettes.
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Mais les avis du comité ne sont pas pour autant toujours positifs. La Société des sucreries et raffineries de l’Indochine, qui traite la canne à sucre autour de Saigon, n’est ainsi pas suivie dans sa demande, en raison du risque financier sur lequel paraît vivre la société89. Une réponse négative fut également opposée à une Compagnie asiatique et africaine, dont l’objet social concerne il est vrai toutes opérations bancaires, foncières, industrielles, financières, commerciales, agricoles, minières, mobilières et immobilières [sic]...
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La tendance générale est pourtant au désinvestissement, pour ne pas dire à la fuite des capitaux, et la démarche suivie conserve un caractère colonial : plutôt que comme un retour vers une Europe nouvelle, le repli d’Indochine apparaît comme un redéploiement vers le reste de l’Union française, voire d’une manière générale le monde colonisé. Les exemples abondent de transferts financiers qui affichent cette finalité. Dans le courant de l’année 1951, par exemple, les Brasseries et Glacières de l’Indochine (BGI) sollicitent, et obtiennent partiellement, l’autorisation de transférer l’équivalent d’environ 400 millions de francs vers Dakar, Tunis et Alger, pour y développer leurs métiers, brasserie, fabrication de glace, etc. Les Établissements Coppin et Tran Hoa peuvent également transférer de quoi mettre sur pied une nouvelle branche de leur activité de tissage à Madagascar. Les planteurs ne sont pas en reste, même si, à ce jeu, on ne gagne pas à tous les coups : la Société des plantations de Kratié se voit refuser un transfert pour créer des plantations de caoutchouc aux NouvellesHébrides ; mais la Compagnie française des cultures d’Extrême-Orient obtient le transfert de 250 millions de francs pour planter des hévéas en Côte-d’Ivoire, et les Terres Rouges — du groupe Rivaud — sont autorisés à transférer 1 300 millions de francs, dont certes la moitié bloqués en bons du Trésor, en AEF et au Cameroun, « pour développer les richesses inexploitées de ces territoires »90.
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La Banque de l’Indochine, qui semble avoir très vite compris dans quel sens allait l’histoire, joue sur tous les tableaux. Dès 1947, le ton est donné : « Un établissement comme le nôtre se doit de savoir s’adapter aux circonstances nouvelles et de s’abstenir de regrets stériles. Notre réseau de succursales et d’agences dans les territoires d’outre-
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mer nous permettra de continuer à jouer un grand rôle dans le développement de ces territoires ». Pour la Banque, l’Indochine en guerre paraît fonctionner comme la « pompe à capitaux » de son redéploiement international. « La guerre se révèle une très bonne affaire pour la Banque de l’Indochine, écrit Marc Meuleau. De 1948 à 1954, elle trouve dans les circuits de financement du corps expéditionnaire la principale source de son activité et de ses profits »91. 102
Le redéploiement des actifs de la BIC se porte notamment sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Paul Gannay, qui règne en maître sur la succursale de Saigon jusqu’en 1951, s’implique même personnellement en 1949 dans la création d’une filiale en Afrique du Sud, en liaison avec les industriels du textile du nord de la France. Dès 1950, selon le président du Conseil d’administration, les investissements de la Banque « en Chine, en Indochine et dans le Sud-Est asiatique ne représentent plus que le huitième du portefeuille-titres »92. Mais la Banque, « trop riche des capitaux qu’elle rapatrie d’Indochine », selon une autre formule de Marc Meuleau, sait aussi ne pas commettre l’erreur de reproduire ailleurs sa fonction de banque coloniale : entre 1946 et 1952, le portefeuille de ses participations dans les secteurs financiers et industriels de la métropole voit sa valeur se multiplier par 14. Il ne s’agit certes pas d’une reconversion à caractère européen, mais la grande banque d’affaire va bientôt pouvoir prendre son envol93. Carte 9. Indochine, carte bancaire
Source : AEF, Fonds du Trésor. 103
Finalement, pour revenir à l’Indochine, les autorités françaises les mieux éclairées de la place en vinrent elles-mêmes à préconiser, devant l’évolution de la situation et comme l’écrit André Valls, une véritable « politique de désinvestissements des capitaux français en Indochine » — c’est-à-dire une politique constructive. L’idée était
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d’accompagner les réalisations de capitaux français investis en Indochine de transferts d’actifs au profit des nationaux. En effet, note Valls, d’une part « les Français possesseurs de capitaux investis en Indochine conçoivent aujourd’hui quelques inquiétudes sur l’avenir réservé aux entreprises françaises dans les pays qui deviendront de plus en plus indépendants » ; d’autre part et « dans le même temps, les plus lucides des autochtones souhaitent de plus en plus être associés à la direction, à la gestion et aux profits des entreprises françaises ». Mais il n’existe pratiquement pas de capitaux nationaux susceptibles de prendre le relais : l’idée est qu’une véritable politique, financée localement par l’inflation, pourrait à la fois permettre de mieux négocier le repli français et de mieux asseoir l’indépendance des nouveaux États, en transférant à leurs nationaux une part du pouvoir économique détenu par les Français94. Mais la guerre s’achèvera avant qu’une telle politique ait pu être vraiment acceptée et mise en place.
B. LE CHOIX DE L’EUROPE 104
Si les milieux d’affaires liés au capitalisme colonial restent fidèles – la Banque de l’Indochine mise à part – aux possibilités offertes par l’Union française, ceux qui tiennent le haut du pavé à Paris, et sont périodiquement associés au gouvernement, paraissent plutôt regarder vers l’Europe. C’est alors que l’orage chinois gronde autour de l’Indochine, en 1950, que les projets de CECA et de CED sont formulés à Paris. En prenant un peu de recul, on a dès lors un peu le sentiment que l’épisode ouvert par la guerre de 1870 prend fin : alors que les « continentaux » gardaient les yeux rivés sur la « ligne bleue des Vosges » et l’Europe pour préparer la revanche de la France sur l’Allemagne, qui avaient annexé l’Alsace et la moitié nord de la Lorraine, la modernité semblait appartenir aux « impérialistes », qui souhaitaient au contraire, par le détour de la conquête coloniale, donner à la France une dimension mondiale et lui offrir ainsi la possibilité d’une revanche infiniment plus éclatante sur son contrariant voisin. Au début des années 1950, c’est l’inverse : la modernité paraît être dans le camp de ceux qui veulent construire une Europe unie, tournant le dos à ses traditions belliqueuses et reléguant au conservatisme les tenants d’un empire à tout prix.
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Le ton et les termes de la nouvelle alternative semblent avoir été donnés par Jean Monnet, dont l’influence sur la modernisation de la France et ses orientations internationales n’est plus à démontrer. Il semble en effet s’être forgé, à propos de l’Indochine, une conviction dès 1950, plus précisément dès les premières semaines de la guerre de Corée : devant cette tragique évolution de la guerre froide, la priorité devait aller à l’Europe, et l’entente se faire avec les États-Unis sur l’Indochine. À la fin du mois d’août 1950, il adresse ainsi depuis l’île de Ré, où il séjourne, une longue lettre à son « ami » René Pleven, président du Conseil depuis le mois précédent : « la position critique de l’armée française en Indochine et le coût de cette guerre, qui empêchent la France de jouer un rôle dans la défense de l’Europe, lui écrit-il, nous placent dans une dépendance croissante vis-à-vis de nos alliés américains et peuvent nous entraîner dans une guerre que nous n’aurons pas voulue et où nous serons détruits. Ni l’abandon, ni la tentation d’une neutralité illusoire et absurde, ni la capitulation ne constitueraient des solutions. Il faut une pensée neuve, forte et constructive pour mener de front la défense de l’Europe et le développement social intérieur, et pour rétablir la paix en Orient. Les États-Unis seraient prêts à entendre la France si elle exprimait cette idée constructive, dans un projet efficace »95.
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Choix ou contrainte européenne ? A regarder l’évolution comparée des budgets militaires français et la part qu’ils consacrent à l’Indochine, on peut en effet se poser la question. À partir de 1950 en effet, ce n’est pas la guerre d’Indochine qui coûte le plus cher mais le réarmement de la France — dans le cadre européen bien sûr. Le plan Pleven, qui s’inscrit dans le budget de 1951, puis la surenchère dans le cadre de l’OTAN, qui amène le gouvernement à souscrire à partir de 1952 à un programme militaire pratiquement inaccessible pour le pays, mais qui lui donne, au moins sur le papier, le premier rôle en Europe, tout cela relativise un peu le coût de la guerre d’Indochine : or c’est pour cette dernière que la France sollicite l’aide financière américaine car, dans cette nouvelle perspective, elle ne pouvait plus tout mener de front. Mais, si chacun s’accorde progressivement sur la nécessité de se débarrasser du boulet indochinois, personne ne semble remettre en cause la validité de l’ampleur du réarmement. À regarder les chiffres, on serait même tenté de penser que ce qui a été consacré à l’effort de réarmement aurait suffi à financer les dernières années de la guerre d’Indochine et à se passer de l’aide américaine. Mais, bien sûr, il ne s’agit pas seulement d’un problème comptable. Graphique 18. Crédits militaires français et coût de la guerre d’Indochine
Source : Rapport Bousch, Conseil de la République. 107
L’Indochine, bien sûr, a mauvaise presse. Alors ministre de la Défense de René Mayer, René Pleven le suggérera en avril 1953 lors de la négociation franco-américaine de Paris : alors qu’il est à la fois question de la CED et de l’Indochine, il note pour ses interlocuteurs américains que l’Indochine est pour la France « un des problèmes les plus compliqués et les plus pesants. Depuis six ou sept ans, précise-t-il, nous risquons chaque année davantage de milliards et davantage d’hommes. Aussi, lorsque la situation économique et financière de la France est discutée, tout le monde pense que la cause de nos difficultés est en Indochine... »96.
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Une rapide évocation des correspondances gouvernementales suffira pourtant à montrer à quel point l’alternative Europe-Indochine paraît être progressivement
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devenue le problème principal. Dès 1951, René Mayer, alors ministre des Finances de René Pleven, s’adresse en ces termes au président du Conseil : il est sans doute nécessaire, écrit-il, « de réexaminer à fond la nature de l’étendue de notre effort en Indochine, dans la double perspective de nos possibilités financières et des conséquences que notre rôle militaire et nos effectifs de cadres en Indochine ont sur nos possibilités de construction d’une armée française en Europe » 97. Pleven fait-il partie des gens qui pensent que la France peut se battre sur les deux théâtres en même temps ? Le lien avec l’Europe ressort aussi très explicitement d’une note d’Hervé Alphand, directeur des Affaires économiques au Quai d’Orsay, au président du Conseil René Mayer, alors que celui-ci n’est à Matignon que depuis trois semaines : il y évoque le concours supplémentaire demandé aux États-Unis « permettant une aide financière dégageant un pourcentage important des crédits que nous affectons à la défense des États associés d’Indochine. Les crédits ainsi libérés seraient transférés à notre budget de défense européenne et nous permettraient ainsi de tenir les engagements pris au sein du pacte Atlantique et de la CED »98. René Mayer ne dira pas autre chose à Dulles deux mois plus tard : si l’aide pour l’Indochine n’est pas augmentée, il sera impossible à la France de consacrer à la défense de l’Europe des sommes plus importantes ; il y a donc « un lien direct entre l’augmentation de l’aide à l’Indochine et la poursuite des objectifs militaires en Europe », affirma-t-il99. 109
Curieusement, l’état-major français paraît être dans des dispositions comparables. Retour d’une mission en Corée et en Indochine, effectuée également pendant le bref moment du passage à Matignon de René Mayer, le maréchal Juin, inspecteur général des Forces armées, se déclare également convaincu qu’il est nécessaire de « rechercher maintenant des économies sur les dépenses consenties en Extrême-Orient », économies « reversables au crédit de la défense métropolitaine, où l’argent fait manifestement défaut »100. Dès lors, bien vendre la guerre d’Indochine aux États-Unis suppose de ne pas sous-évaluer le produit. Dans une note qui suit de près celle qui vient d’être évoquée, le maréchal Juin s’en inquiète : « Le handicap causé au réarmement français en Europe par notre effort en Indochine a été maintes fois exposé dans les réunions interalliées. Chiffré en grandes unités, il a été estimé à un volume d’une dizaine de divisions. Or ce chiffre est parfois contesté dans certains milieux militaires étrangers. La tendance étant à insinuer une exagération des évaluations françaises va même parfois jusqu’à estimer que le retour du corps expéditionnaire ne permettrait guère à la France que de revaloriser de 3 à 4 divisions son potentiel militaire à l’Occident ». Suivent une série d’arguments censés permettre à ses subordonnés de réfuter de telles insinuations : les unités d’Indochine ont en particulier des cadres jeunes, dont « la valeur professionnelle et morale (a été) acquise au contact des dures réalités de la guerre en Extrême-Orient » et dont l’attitude au feu « s’inscrit dans la ligne de nos traditions militaires » 101.
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Le maréchal Juin pouvait sembler avoir réalisé le lien, au détriment de l’Indochine, entre les « Européens » et les « Impériaux », les partisans de l’Europe et les tenants — comme lui — de l’Empire, du moins dans sa version africaine. Car pour Juin seul paraissait compter le théâtre Europe — Afrique du Nord. Mais il fut remplacé peu après par le général Ély, européen plus convaincu, et même démis de ses dernières fonctions en mars 1954 pour avoir publiquement pris position contre la CED 102. Ély sera aussi le dernier commandant en chef et haut-commissaire en Indochine — en position de liquidateur ; et c’est entre-temps un expert du théâtre européen, le général Navarre, qui fut envoyé remplacer Salan en Indochine.
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Mais peut-on risquer une dernière question, dont les termes ont d’ailleurs été déjà suggérés ? N’y a-t-il pas non plus, dans cette volonté d’impliquer à ce point les ÉtatsUnis en Indochine, une sorte de piège européen pour la France ? De Lattre trouvait déjà en 1951 que la défense de la France, voire de l’Europe, était plus sûrement assurée en envoyant des troupes se battre en Indochine, plutôt que de les laisser attendre sur le vieux continent une hypothétique épreuve de force. « Il faut que l’Amérique nous aide à aider les États associés dans la lutte qu’ils soutiennent », souligne le maréchal Juin dans son rapport de 1953103. Et lorsque le général Navarre, commandant en chef en Indochine, réclame des forces supplémentaires, comme ce fut le cas lors de la bataille de Dien Bien Phu, le problème est identique. Pour faire face, non pas tant à Dien Bien Phu mais aux perspectives qu’il croit entrevoir pour l’automne 1954, Navarre estime avoir besoin d’une dizaine de groupes mobiles, soit avec les unités de soutien quelque 78 000 hommes. Cela représente, répond l’étude de l’état-major qui suit cette demande, « grosso modo trois divisions à effectifs de guerre », qui ne peuvent être prélevées que dans le corps de bataille de l’OTAN en Europe.
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La perspective d’envoyer de tels renforts en Indochine s’annonçait onéreuse, puisqu’à l’entretien des 78 000 hommes en question s’ajouteraient les frais de transport, les besoins de relève et « le remplacement en Europe des unités envoyées en ExtrêmeOrient » — les besoins financiers étant détaillés. En fait, la satisfaction des demandes de l’Indochine, précise l’étude, supposerait de permettre « l’envoi des appelés en Indochine » et même d’allonger la durée du service militaire, sans parler des délais de mise en place... « En définitive, conclut-elle, il apparaît que la satisfaction des demandes du général Navarre, par moyens purement nationaux français, est techniquement possible au prix de la désorganisation de notre défense en Europe. Seul le gouvernement peut apprécier s’il en accepte les conséquences ou s’il préfère s’orienter vers une action collective de tous les pays ayant des intérêts en Asie... » 104.
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Dans une certaine mesure, l’orientation européenne a pu avoir raison de l’entreprise française en Indochine, comme un piège qui se referme : toute la démarche américaine n’allait-elle pas au fond dans cette direction depuis qu’elle inaugura son aide à la France en Asie du Sud-Est ? Mais, économiquement parlant, l’échec français en Indochine n’a pas eu que de mauvais côtés. Le coût élevé de la guerre — une année de budget — a été relativement maîtrisé et compensé par divers avantages. En tournant la page coloniale, et en renonçant aux facilités qui y étaient liées, la France poursuit également sa mutation économique et l’accompagne, dans la circonstance, d’importants transferts de richesses. Mais les contraintes demeurent, en particulier le poids financier pris par la défense européenne.
NOTES 1. Pierre Mendès France, Œuvres complètes, Paris, 1985. 2. M. Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, Histoire de la Banque d’Indochine, 1875-1975, Fayard, Paris, 1990.
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3. La circulation s’était multipliée par six en Indochine durant la même période (1939 et 1944) et par dix entre 1939 et 1945, période plus significative pour elle. 4. Voir plus haut, ainsi que Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, La Découverte, Paris, 1994. 5. Archives nationales. 80/AJ/12. 6. Annuaire rétrospectif 1948-1988, INSEE. 7. Chiffres repris du rapport Bousch au Conseil de la République, 1954. 8. Entretien de P. Mendès France avec L’Express, cité par H. Bonin, Histoire économique de la IV République, Paris, 1987. 9. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 10. 10. H. Bonin, Histoire économique de la IVe République, Paris, 19 11. AEF, Fonds Trésor, B 33539. 12. Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, tome I - La République des illusions, Paris, 1993 et Ministère du Budget, bureau d’études, Le budget de la France en 1950. Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 13. Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, tome I, op. cit. 14. Note du 29 août 1950, Archives du ministère des Affaires étrangères, AO/IC/262. 15. Pierre Mendès France, Œuvres complètes, tome II, op. cit. 16. L’Humanité au 1er octobre 1951 à titre d’exemple. 17. Note du 21 mars 1950, Archives du MAE, A0/IC/262. 18. Voir Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Paris, 1986. 19. Évaluations à partir de plusieurs sources, notamment le rapport Bousch au Conseil de la République, 1954 et Ministère du Budget, Les dépenses dans le budget de 1952, Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France et INSEE. 20. Cité par H. Bonin, op. cit. 21. Sources parlementaires et INSEE. 22. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 22. 23. Évaluations à partir du rapport Bousch au Conseil de la République. Voir annexe 24. 24. Évaluations à partir du rapport Bousch au Conseil de la République. 25. F. Braudel et E. Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, IV.3/1950-1960, PUF, Paris, rééd. 1993. 26. Direction des Services financiers et des Programmes, op. cit. Voir annexe 22. 27. Rapport Bousch au Conseil de la République, mars 1954, op. cit. Voir annexe 24 28. Direction des Services financiers et des Programmes, op. cit 29. CAOM. FM. INDO/NF/1281. Voir annexe 1. 30. D’après les documents budgétaires. 31. Ces dépenses civiles sont, en particulier, explicitement prises en compte dans une « note sur le coût de la guerre d’Indochine » figurant dans les Papiers Pleven. Archives nationales, 560 AP 50. 32. Les investissements français au Nord étaient estimés entre 80 et 100 milliards de francs. 33. CAOM. FM. INDO/NF/1281. 34. Une question orale au Conseil de la République entraîne en particulier un long débat sur le sujet dans la séance du 3 décembre 1954. JO du 4 décembre 1954. 35. AEF, Fonds Trésor, B 43928 36. 1 756 millions exactement, contre 1 456 pour l’exercice 1953. Projet de loi n° 7352 (annexe V), relatif aux dépenses du ministère de la Défense nationale pour l’exercice 1954, section « Forces terrestres d’Extrême-Orient ». Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 63. 37. Audition de Schweitzer par la commission d’enquête. Archives de l’Assemblée nationale et AEF, Fonds Trésor, B 43919 38. Le problème des dépenses militaires de 1949 et 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43926.
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39. Direction des Services financiers et des Programmes, tableau sur les dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine. Mai 1954, op. cit. 40. Ministère du Budget, bureau d’études, Le budget de la France en 1950. Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 41. D’après l’audition de Schweitzer par la commission d’enquête sur le trafic des piastres. Archives de l’Assemblée nationale et AEF, Fonds Trésor, B 43919 42. André de Lattre, Les finances extérieures de la France, 1945-1958, Paris, 1959. 43. Interview d’André Valls par Laure Quenouëlle-Corre, cassettes 1 et 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. 44. Séance du 22 juillet 1954. JO du 23 juillet 1954. 45. Réponse à la question n° 8 du deuxième questionnaire américain de 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43906. Voir annexe 16. 46. Bulletin statistique de l’Indochine, année 1947. Supplément au Bulletin économique de l’Indochine, février 1948. 47. Télégramme du haut-commissaire au comité de l’Indochine du 20 décembre 1946. SHAT, 4 Q 114. 48. Lettre du ministre (DAM) au président du Conseil (cabinet militaire), 11 août 1947. SHAT, 4 Q 114. Voir annexe 2. 49. « Les fluctuations du caoutchouc et des valeurs de plantations indochinoises », Le Monde 23 décembre 1951. 50. 52 % exactement d’une moyenne s’établissant à 71 024 tonnes pour les six années allant de 1939 à 1944. Bulletin statistique de l’Indochine, année 1947. 51. Télégramme du directeur des Industries chimiques au Comité de l’Indochine, 14 mars 1946. SHAT,4 Q 114. 52. Les achats américains semblent avoir porté sur environ 28 millions de dollars. Un document du « Pool des acheteurs de caoutchouc », datant du 6 janvier 1948, montre une « répartition des dollars provenant de la réalisation des caoutchoucs d’Indochine achetés en 1944 » et portant sur environ 1 million de dollars, répartis entre 31 sociétés dont la principale est la Compagnie cotonnière (22 % de l’ensemble). AEF, Fonds Trésor, B 43993 53. Procès-verbal de la séance de la commission interministérielle du 5 novembre sur le soutien à l’hévéaculture en Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 33538. 54. Né en Allemagne pendant la première guerre mondiale, devenu performant dans les années 1930, le caoutchouc de synthèse a reçu une impulsion décisive aux États-Unis lors de la seconde guerre mondiale. 55. « J’ai l’honneur et le pénible devoir, écrivait au ministre le vice-président de l’Union, de vous informer que les circonstances nées du taux factice de la piastre indochinoise, de la non-vente du caoutchouc indochinois et du déblocage systématique à la métropole de caoutchouc anglais [...] m’imposent de mettre immédiatement à l’étude la fermeture imminente d’une importante fraction des plantations indochinoises de caoutchouc ». AEF, Fonds Trésor, B 43933. La dévaluation de 1953 n’entraînera pas de grandes modifications en termes de production et d’exportation, selon une note des Finances extérieures du 2 février 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43933. 56. Note du 17 avril 1953 sur le marché du caoutchouc et la situation des plantations d’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43933. 57. Commission interministérielle du 5 novembre 1949. AEF. Fonds Trésor, B 43933. 58. Mémorandum sur les mesures de soutien à prendre en faveur des plantations de caoutchouc d’Indochine, à la suite de la réunion du 5 novembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43933. 59. Note de la DREE du 17 avril 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43933. 60. Le Monde, 5-6 novembre 1950.
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61. L’expression est dans le dossier de la Compagnie minière et métallurgique de l’Indochine. CAOM, Série 142 AQ. Le décret du 27 septembre 1947 rendait effective la loi du 28 octobre 1946, reconnaissant aux sinistrés le droit à une indemnisation égale au coût de la reconstruction des biens détruits. 62. Le Monde, 5-6 décembre 1954 et Note au sujet du financement de la restauration de la Société française des charbonnages du Tonkin, 28 avril 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33538 63. « Financement de la restauration de la Société française des charbonnages du Tonkin », note de septembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33539 64. Société française des charbonnages du Tonkin, Note du 19 juin 1951 sur « une aide à apporter éventuellement à la SFCT pour l’achat de matériel américain ». AEF, Fonds Trésor, B 43930. 65. La société pouvait sans doute compter sur ses deux principaux actionnaires, le Crédit industriel et commercial et la Banque de l’Indochine. Le matériel acquis sera évacué fin 1954 vers le Sud et alors évalué à 500 millions de francs. 66. « Financement de la restauration de la Société française des charbonnages du Tonkin », note de septembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33539. 67. Assemblée générale ordinaire du 29 octobre 1954. Agence économique et financière, 9 novembre 1954. 68. « Structure économique et monétaire des États associés d’Indochine », exprimant le point de vue de l’Union des syndicats professionnels indochinois. AEF, Fonds Cusin, 5 A 82. Voir annexe 21. 69. Étude du comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (commission Union française) du 25 février 1954, intitulée : « Indochine second client de l’exportation française. Il dépend de nous qu’elle le reste », et adressée à la direction des Finances extérieures. AEF, Fonds Trésor, B 43912. 70. Note annexe au Rapport du commissariat général de France en Indochine (conseiller économique et financier), pour l’année 1954, daté du 15 janvier 1955. AEF, Fonds Trésor, B 43930. 71. Extrait de la Correspondance économique du 20 avril 1954. AEF, Fonds Trésor, B 3355. 72. Note de février 1954 de la Chambre syndicale du commerce d’importation en Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 33550. 73. 3 781 000 dollars exactement, selon un courrier du comptoir de l’industrie cotonnière au ministre des Finances du 6 octobre 1948. AEF, Fonds Trésor, B 43933. 74. Lettre du préfet du Haut-Rhin au ministre des Finances, 18 février 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43912. 75. Syndicat général de l’industrie cotonnière française, « Les négociations entre la France et les États associés d’Indochine et l’industrie française », note du 3 février 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43912. 76. « L’économie française supporterait difficilement la perte du marché indochinois ». Extrait de la Correspondance économique du 20 avril 1954. AEF, Fonds Trésor, B 3355 77. « Indochine second client de l’exportation française », Étude des conseillers du commerce extérieur de la France (commission Union française) du 25 février 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43912 78. Correspondance économique du 20 avril 1954. AEF, Fonds Trésor, B 33550. 79. Rapport Pineau, 1952, Archives de l’Assemblée nationale. 80. Correspondance économique du 20 avril 1954. AEF, Fonds Trésor, B 33550. 81. Les résultats du recensement, conservés au CAOM, ont été analysés par Jacques Marseille – « L’investissement français dans l’empire colonial : l’enquête du gouvernement de Vichy (1943) », Revue historique, octobre-décembre 1974 —, qui en critique cependant la méthode. Daniel Hémery y revient également dans Indochine, colonisation ambiguë, Paris, 1994. 82. Note annexe au rapport Valls pour 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43930. Les principaux résultats en ont aussi été publiés par Le Monde du 1-2 août 1954. Henri Lanoue a également proposé une
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estimation dans « La vérité sur les investissements français en Indochine », Cahiers internationaux, décembre 1954, sur laquelle revient également Daniel Hémery. 83. Note annexe au rapport Valls pour 1954, op. cit. 84. Correspondance économique du 7 décembre 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43550 et Note annexe au rapport Valls pour 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43930. 85. Mission de contrôle de l’exécution du budget de l’État en Indochine — Inspecteur de la France d’outre-mer Denery, Études sur « le dévolution des biens nationaux », avril 1954. AEF, Fonds Trésor, B 43931. 86. Paul Bernard, Le problème économique indochinois, Paris, 1934. 87. Rapport Perron d’avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917. Perron dirigeait le Trésor indochinois. 88. « Note pour le Comité des investissements en Indochine sur les Manufactures indochinoises de cigarettes », 13 décembre 1952 et Procès-verbal de la session du Comité du 16 juin 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43908. 89. « Note pour le Comité des investissements en Indochine sur la Société des sucreries et raffineries de l’Indochine », 21 mars 1952 et Procès-verbal de la session du Comité du 16 juin 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43908. 90. AEF, Fonds Trésor, B 43917. 91. Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale extraordinaire du 22 août 1947. Cité par Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, op. cit. 92. Allocution d’Émile Minost à l’assemblée générale ordinaire du 26 juin 1950. Cité par Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, op. cit. 93. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, op. cit. 94. Note d’André Valls du 11 novembre 1953, ayant pour objet « d’analyser les raisons qui justifient actuellement une politique de désinvestissements des capitaux français en Indochine, et d’exposer les grandes lignes de cette politique ». AEF, Fonds Trésor, B 33550. 95. Jean Monnet, Mémoires, Paris, 1976 96. Pourparlers franco-américains du 26 avril 1953 à Paris. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 22. 97. Lettre de René Mayer, ministre des Finances à René Pleven, président du Conseil, le 24 août 1951. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 22. 98. Note d’Hervé Alphand au président du Conseil, 31 janvier 1953. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 22 99. Compte rendu des entretiens Mayer-Dulles du 27 mars 1953 à Washington. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 22. 100. Rapport de la mission effectuée du 13 février au 7 mars 1953 par le maréchal Juin. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 24. et SHAT, 1 K 238 101. Note signée Juin du 6 mai 1953. SHAT, 1 R 239. 102. Philippe Vial, « Deux visions d’Europe : le maréchal Juin et le général Ély face à la CED ». Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, n° 1-2, 1996. 103. Rapport de la mission, op. cit. 104. Secrétariat d’État à la Guerre, état-major des forces armées. Étude sommaire sur l’envoi de forces supplémentaires en Indochine, 27 avril 1954. SHAT, 2 R 96.
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Chapitre VIII. L’éclatement de l’Indochine
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Huit à neuf ans de guerre, pour un pays qui en est le théâtre principal, c’est assurément autant de temps perdu en immobilisme économique, même si toute guerre génère des modifications importantes de structures en la matière. Deux éléments paraissent dominer tous les autres : d’une part, l’Indochine est passée à côté d’une industrialisation qui pouvait sembler lui être promise ; d’autre part, elle a suivi le chemin inverse que la France lui préparait : au lieu d’une fédération d’États parrainés par celle-ci, elle éclate en entités hostiles, croisant les vieilles rancœurs coloniales et les affrontements idéologiques du siècle. De ce point de vue, l’Indochine ne paraît pas s’être remise de la guerre.
I. LA NON INDUSTRIALISATION DE L’INDOCHINE 2
Nul ne peut sans doute savoir ce qu’il serait advenu du projet, mais le projet n’en existait pas moins : étendre le plan français de modernisation à l’Indochine et faire de cette colonie du bout du monde, que l’on identifiait plutôt jusqu’alors au riz ou au caoutchouc, un espace industriel destiné à assurer son propre développement et à rayonner sur l’Asie pacifique. A l’heure où le Japon semble à terre, n’y avait-il quelques places à prendre ? Le plan Indochine se situait dans cette perspective.
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Mais il n’a pratiquement pas vu le jour. Sur place, le calme social et politique indispensable à une opération de ce genre n’était évidemment pas au rendez-vous ; en métropole, et pour les mêmes raisons, le financement tardait à se mettre en place. Il exista bien un budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement de l’Indochine mais qui demeura à un niveau très modeste avant d’être emporté lui-même par le tourbillon de la guerre.
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Il importe cependant, avant de dresser l’inventaire des destructions proprement dites liées au conflit, et pour bien mesurer ce que la guerre d’Indochine a vraiment « coûté » sur place, d’évaluer ce qui n’a pu s’y réaliser, ce qui a été perdu en matière d’équipement et de modernisation : de même que, sur le plan démographique, on
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mesure des déficits de naissances, on peut sans doute parler pour l’Indochine, du fait de la guerre, d’un important déficit de développement.
A. LES AMBITIONS DU PLAN DE MODERNISATION 5
L’Indochine figurait en bonne place dans le plan Monnet de modernisation et d’équipement de la France. Relevant de la commission de modernisation des territoires d’outre-mer, réunie sous la présidence de Pleven, la sous-commission de modernisation de l’Indochine publie son premier rapport en novembre 1948 : en forme de programme, ce rapport synthétise le travail réalisé sous la houlette – notamment – de Bourgoin, par les six sections de la sous-commission : équipement public, agriculture, industrie minière, énergie, industrialisation et équipement social1. Mais il s’agissait d’un rapport séparé, en raison, précisent les auteurs dans leur introduction, des « données particulières du plan de modernisation et d’équipement de l’Indochine » : la situation de l’Indochine est pour eux à part, en raison des années d’occupation étrangère, de guerre et de « troubles fomentés par les Japonais », accompagnés de « destructions considérables » qui anéantissent parfois « l’œuvre d’un demi-siècle ».
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Tout paraît cependant concourir, à l’intérieur comme à l’extérieur, à créer des conditions favorables au développement de l’Indochine, avec pour seule donnée problématique la répartition de la population. Celle-ci est en général peu dense dans le pays, sauf dans les deltas et surtout au Tonkin. Il y a là, en fait, plus qu’un problème à résoudre, un véritable défi auquel on ne peut répondre qu’en se battant sur tous les plans : « accroître le rendement des terres, encourager l’émigration vers les terres libres ou trop peu peuplées, développer l’artisanat et industrialiser le pays ». Ce dernier objectif paraît accessible : l’Indochine dispose d’une « main d’œuvre abondante, habile, industrielle », de sources d’énergie (anthracite, hydro-électricité), de la plupart des matières premières « nécessaires à l’installation d’une industrie à grande échelle ». L’environnement extérieur, « transformé par la défaite du Japon », existe : « l’Indochine est appelée de ce fait à prendre une place de plus en plus importante sur les marchés de l’Extrême-Orient ». En bref, « tout concourt [...] à donner à l’Indochine une vocation industrielle de premier ordre »2.
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Carte 10. L’électrification de l’Indochine
Source : Archives nationales, Fonds du commissariat général au plan. 7
Les concepteurs du projet voient d’ailleurs dans cette perspective une sorte de continuité avec tout ce que les Français ont déjà édifié sur place, dans la ligne de Doumer, « créateur de l’Indochine, de l’Indochine en tant qu’entité supérieure aux pays qui la composent ». La dimension fédérale reste en particulier essentielle pour eux comme, d’une manière générale, pour la réinstallation de la France à l’époque en Indochine3. Leurs rapports insistent régulièrement sur ce point, comme à propos des projets d’équipement électrique : « Élément primordial du programme d’industrialisation de l’Indochine, la politique de l’énergie ne saurait, comme lui, n’être conçue que sur le plan fédéral »4.
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Globalement, le plan Indochine prévoit plus de 3 milliards de piastres 1939 de dépenses, soit environ 760 milliards de francs 1954, étalés sur dix ans en deux périodes quinquennales et répartis, pour tous les secteurs considérés, entre reconstruction et modernisation5. La ventilation par secteurs est la suivante :
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Graphique 19 et tableau 29. Répartition des prévisions de dépenses de reconstruction, de modernisation et d’équipement (en millions de piastres 1939)
Source : Archives nationales, Fonds du commissariat général au plan.
Source : rapport de la sous-commission de modernisation de l'Indochine 9
Que retenir de cette répartition ? L’équipement public, dont l’importance a déjà été soulignée, se taille bien sûr la part du lion : 45 % de l’ensemble, essentiellement en dépenses de modernisation. Les deux autres secteurs dominants sont l’agriculture (environ 25 %) et l’industrialisation (environ 14 % des dépenses). L’hydraulique agricole vient en tête des priorités, en particulier dans les régions deltaïques, plus ou moins surpeuplées. Le programme, illustré par une carte, a identifié de nouveaux réseaux à construire à côté de ceux qui sont déjà en exploitation – ils se situent essentiellement dans le centre du Vietnam et le delta du Mékong – et en met d’autres à l’étude, dans les
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deux deltas du fleuve Rouge et du Mékong. L’objectif, une fois terminé l’aménagement complet, serait tout simplement de doubler la production agricole. Carte 11. Hydraulique agricole en Indochine
Source : Archives nationales, Fonds du commissariat général au plan. 10
L’industrialisation apparaît quant à elle relativement ambitieuse en ce qu’elle prévoit une gamme d’industries nouvelles, et qui se veut complète. « Les industries de base, souligne le rapport : industries chimique et sidérurgique, qui constituent l’infrastructure économique d’un grand pays, manquent encore en Indochine. Il est nécessaire de les y installer. L’industrie chimique produira les engrais nécessaires au développement de la production agricole et le chlore, la soude, l’acide sulfurique, la cellulose, le carbure de calcium, les explosifs nécessaires aux autres industries. La sidérurgie alimentera en fonte, pièces de fonderie, profilés etc., les ateliers indochinois de construction. En outre, pour exploiter des ressources naturelles en énergie et en matières premières, il est proposé la création d’industries d’exportation : aluminium et ferro-alliages, dont les productions ne répondent pas à des besoins de l’économie indochinoise ». La répartition des dépenses d’établissement prévues entre ces trois secteurs illustre l’importance accordée à chacun d’eux.
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Tableau 30. Répartition des grands secteurs industriels projetés (selon leur part dans les dépenses d’établissement)
Source : rapport de la sous-commission de modernisation de l’Indochine. 11
L’un des principaux axes du plan de modernisation de l’Indochine réside dans la combinaison de l’hydraulique agricole et de l’industrialisation, considérées comme les deux moyens principaux pour, d’une part, combattre les conséquences du surpeuplement et, d’autre part, rehausser le pouvoir d’achat en Indochine. Il n’est pas difficile de reconnaître derrière cette idée l’une des thèses défendues par Paul Bernard dans le second ouvrage qu’il avait publié avant-guerre6. Dans un chapitre intitulé « Le problème du surpeuplement et l’industrialisation », il y défendait déjà l’idée que « seul le développement de l’industrie offre des débouchés théoriquement illimités pour l’occupation des bras inemployés », et s’appuyait pour le montrer sur l’exemple du Japon : « En 1870, la population du Japon était d’environ 34 millions d’habitants, tous occupés à l’agriculture. L’économie du pays était une économie de riz, exactement comme l’est l’Indochine aujourd’hui. Ce qui a provoqué l’essor véritablement extraordinaire de ce pays, c’est le développement industriel, développement pour lequel il ne paraissait pas a priori particulièrement désigné », compte tenu de la rareté des matières premières industrielles sur place. Alors qu’au contraire « l’Indochine semble naturellement prédestinée à une semblable vocation. La main d’œuvre disponible se trouve, en effet, rassemblée à proximité de gisements de houille d’une richesse inépuisable et d’une exploitation très facile ».
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Pourtant, comme on le sait, l’industrialisation de l’Indochine ne s’est pas faite dans les années 1950. La somme globale d’environ 760 milliards de francs 1954 prévue pour son chantier correspond à peu près au tiers de ce que la guerre a coûté pour la France 7 ; ou encore à ce qu’ont coûté les cinq premières années du conflit, jusqu’en 1950 compris. Il est évidemment facile de suggérer qu’il aurait été préférable de dépenser l’argent de cette manière...
B. UN FINANCEMENT INTROUVABLE 13
Le déclenchement de la guerre d’Indochine et la conception du plan de modernisation sont contemporains, sans que d’ailleurs, dans un premier temps, le premier événement paraisse vraiment influer sur le second. Du côté français, en effet, personne n’imagine que la guerre puisse se prolonger longtemps. Entre l’ouverture officielle des hostilités, en 1946, et la mise en forme finale du programme, en 1948, un décret d’avril 1947 créa donc l’outil budgétaire ad hoc, annexe du budget général : le « Budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine »8.
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Plusieurs solutions sont ébauchées pour son financement. L’incontournable Paul Bernard donne bien sûr son avis et suggère « d’ingénieuses solutions », dont la presse économique se fait l’écho : n’est-il pas « l’un des techniciens les plus avertis de
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l’économie indochinoise »9 ? La question est que l’Indochine elle-même manque de moyens financiers suffisants pour assurer la réalisation du plan : elle ne pourrait, dans le meilleur des cas, n’en fournir que 37 %, les 63 autres restant à trouver. L’idée est alors de recourir à l’aide extérieure pour la fourniture de l’équipement nécessaire, certes, mais surtout de « mobiliser le travail de l’Indochine » et de mettre en valeur les ressources – agricoles – qui peuvent l’être rapidement. Concrètement, cette politique supposerait « la fixation d’un prix stable pour le riz et le recours à des méthodes dirigistes pour la production et la consommation ». Accessoirement, et de manière explicite, Paul Bernard suggère de recourir largement à l’émission monétaire « pour financer les dépenses rapidement productives ». 15
Une réunion sur le financement du Plan d’équipement de l’Indochine se tient dans le même temps rue de Rivoli, dans le bureau du directeur du Trésor Bloch-Lainé 10. Mais il ne s’agit encore que d’examiner « les différents aspects du problème que pose le financement du Plan Indochinois », non sans que les participants à cette réunion aient « reconnu économiquement et politiquement nécessaire que la métropole fasse en faveur du Plan d’équipement et de reconstruction Indochinois un effort comparable à celui qu’elle consent pour les autres territoires »11. Dans l’idéal, une première partie du financement devrait être assurée conjointement par la France, sous la forme d’une subvention, et par l’Indochine, qui aurait recours à l’emprunt sur le marché métropolitain ; mais ce dernier restant inaccessible, il faudra en passer par des avances du Trésor métropolitain. En bref, le Budget et le Trésor verseront directement subventions et avances aux budgets de l’Indochine.
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Quant au second volet du financement du Plan, c’est-à-dire l’accès des entreprises privées participant au programme à « des crédits que le marché financier est actuellement incapable de leur offrir », l’incertitude demeure : un recours à la Caisse centrale de la France d’outre-mer et au Fonds d’investissement qu’elle projette pour l’Indochine pourrait être imaginé12 ; une seconde solution serait dans la mise en place de prêts de démarrage financés par des avances du Trésor Indochinois, imputées à un compte spécial ouvert localement ; une troisième idée, proposée par Pleven, consisterait à créer sur place, de toutes pièces, un organisme de crédit à moyen et long terme sur le modèle du Crédit national, mais avec pour principal inconvénient un long délai de mise en place13. Mais rien n’est vraiment arrêté sinon l’idée que « le destin indochinois de la France, avec tout ce qu’il comporte d’essentiel pour le destin tout court de la France, est étroitement lié à la réalisation de ce programme économique ». Observons, pour mémoire, que le recours à l’émission apparaît là aussi comme une solution acceptable.
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Sur le terrain, pendant ce temps, on pare au plus pressé. Le projet de budget extraordinaire et spécial de 1948 porte sur environ 1 milliard de piastres (1 096 900), soit 27 milliards de francs 195314 – une somme qui représente moins du quart de ce que coûte la guerre cette année-là15.
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Tableau 31. Projet du budget extraordinaire et spécial pour 1948 (en millions de piastres)
Source : direction du Trésor. 18
Une analyse du détail des projets, qui n’ont pas été reproduits dans ce tableau, montre que les travaux constituent les principales dépenses, à raison de 53 % sur l’ensemble du budget : routes et ponts surtout, mais aussi chemins de fer, ports et voies navigables, etc. Par contre une autre des priorités du Plan ne figure dans le projet que de manière résiduelle : l’hydraulique agricole, à hauteur de 1,9 %... Il est vrai que les campagnes à aménager constituent les principaux lieux de guerre sur le théâtre indochinois. Quant aux industries nouvelles, mais le Plan compte aussi sur les sociétés privées dans ce domaine, il n’en est pas question.
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Les perspectives de reconstruction et de modernisation de l’Indochine ne résistèrent pas à l’exercice 1949-1950 du budget extraordinaire – un exercice d’une durée un peu particulière qui avait été obtenue par le haut-commissariat, semble-t-il, pour des raisons de souplesse budgétaire. Ce budget entra d’abord dans le « collimateur » de la rue de Rivoli qui, à partir de 1949, cherche par tous les moyens – autres que la dévaluation de la piastre – à freiner les transferts financiers d’Indochine vers la France : il fallait en particulier limiter les apports de capitaux frais à l’Indochine. Ceux du budget extraordinaire semblent être rentrés dans cette catégorie non prioritaire. Comme l’écrit le conseiller financier français à Saigon dans son rapport de septembre 1949, à propos des compressions qui lui ont été imposées, « le budget extraordinaire de l’exercice 1949-1950, arrêté virtuellement aux chiffres ci-dessus indiqués, exprime clairement la volonté de mettre un terme aux dotations pléthoriques et pour la plupart injustifiées des exercices antérieurs. Il tient compte, au surplus, de la situation financière de l’Indochine qui, malgré l’aide apportée dans ce domaine par la métropole, ne peut s’engager plus avant dans une politique de prodigalités que ne justifiait pas dans la pratique les résultats obtenus »16. Tableau 32. Budget extraordinaire 1949-1950 (en millions de piastres)
Source : direction du Trésor. 20
Portant initialement sur un montant de 2,27 milliards de piastres (environ 35 milliards de francs), soit plus du double du précédent budget – quoique pour une période plus
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longue –, le budget extraordinaire fut ainsi ramené, après de véritables coupes à la hache, à 1,03 milliard (environ 18 milliards de francs). Comme le montre le tableau suivant, les trois sections de ce budget, par ailleurs établi dans une présentation nouvelle, furent presque également affectées17. 21
Les nouvelles directives de la rue de Rivoli, liées notamment à l’arrivée de Roger Goetze à la direction du Budget, contribuèrent à ce spectaculaire « dégraissage » : l’heure était on le sait à l’assainissement des finances publiques et il ne fallait théoriquement plus, à compter du début de l’année 1950, recourir aux procédés inflationnistes. La France d’outre-mer et l’Indochine en particulier devaient se soumettre à cette nouvelle règle : en conséquence, s’il n’y avait pas d’autres possibilités de financement pour le budget extraordinaire – qui avait justement commencé à fonctionner grâce à des avances du Trésor –, il fallait réduire celui-ci d’autant, ce qui fut fait. Moyennant quelques aménagements, le ministre de la France d’outre-mer Letourneau imposa au hautcommissaire Pignon le respect de ces instructions, « aux termes desquelles les dépenses de reconstruction et d’équipement à effectuer en Indochine en 1950 devaient être réalisées exclusivement sur des fonds d’origine métropolitaine, à l’exclusion des procédés locaux de financement se traduisant par des appels à l’émission » 18.
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Enfin, et ce dernier élément augurait mal de l’avenir du budget extraordinaire, les dépenses qui y sont prévues – ou maintenues – prennent un tour de moins en moins économique et de plus en plus militaire : l’époque voit en effet les coûts de la guerre s’emballer, imposant localement des solutions pas toujours très orthodoxes. Dès 1949-1950, il ne faut pratiquement déjà plus parler d’hydraulique agricole, l’un des fleurons du Plan. 48 millions de piastres lui avaient été réservés, presque équitablement répartis entre les sections reconstruction, investissements et équipement – plutôt au profit des investissements, qui auraient dû en recevoir 41 %. Cette somme, qui ne représentait pourtant qu’à peine plus de 2 % du budget global, fond des trois quarts après les compressions réalisées : celles-ci préservent un volant pour la reconstruction, qui ne baisse que de 31 % mais font pratiquement l’impasse sur les investissements (moins 82 %), et suppriment purement et simplement les 14,7 millions prévus à la section équipement19. La guerre sévit en effet et, comme l’écrit l’un de ceux qui ont participé aux compressions, « la commission de révision s’est trouvée devant un bloc quasi-incompressible de dépenses, et tout d’abord de dépenses de sécurité » 20.
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Les conventions de Pau mettent concrètement un terme aux ambitions, déjà largement contrariées, du Plan de modernisation de l’Indochine. Les attributions du Plan revenant désormais aux États, le budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement est supprimé à la fin de l’exercice 1950. Son héritage éclata entre les différentes parties intéressées. Des « avances aux États associés pour l’exécution de leurs plans d’équipement » restent prévues – 3 250 millions de piastres (environ 55 milliards de francs) pour 1951 – mais leur financement reste mal assuré : les intervenants traditionnels – fonds de modernisation et d’équipement, ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme – se sentent moins concernés et la « planche à billet » paraît à nouveau sollicitée.
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Pour les États associés, d’ailleurs, l’idée même de Plan reste théorique – il est au passage assez piquant de constater que ces États, tout de même nés dans un contexte fortement anticommuniste, reçoivent un Plan en héritage du colonisateur français, avant que la RDV n’y songe elle-même... Quoi qu’il en soit, la guerre se fait toujours plus contraignante et le conseiller financier André Valls, subtil observateur de la situation,
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affiche son pessimisme : « Un double plan quinquennal avait établi en 1946 [...] les dépenses nécessaires à l’équipement et à la modernisation des économies indochinoises. Ce programme ne comprenait pas les dépenses de reconstruction imputables aux dommages de guerre. Fin 1951, au moment du transfert des services du conseiller au Plan, le budget extraordinaire avait couvert ces dépenses à concurrence de 3,6 % seulement. Depuis cette date, la création des armées nationales a absorbé les disponibilités financières des États. Les préoccupations militaires l’emportent sur les préoccupations économiques. Les crédits affectés dans les budgets nationaux aux dépenses de caractère économique sont très faibles et ne permettent même pas d’entretenir dans de bonnes conditions l’équipement public dont ont hérité les États »21. 25
Du côté français, l’héritage du budget extraordinaire prit plusieurs directions. Ce qui était d’ordre public fut ventilé dans les comptes toujours gérés par la France : les dépenses d’ordre militaire qui y avaient été inscrites, comme certaines opérations de déminage, avaient déjà été recueillies par le compte spécial n° 2 du Trésor indochinois, mais l’existence même de ce dernier fut on le sait éphémère. Pour le reste, un compte « matériel de travaux publics à transférer s/c d’avances remboursables » assura le prolongement du budget extraordinaire dans la comptabilité du Trésorier général de l’Indochine22. Pour le financement des investissements français dans les États associés, le gouvernement revint en 1951 vers la Caisse centrale de la France d’outre-mer, à qui une avance de 1 750 millions de francs fut consentie pour réaliser des prêts sur place 23. Il reste que lorsque la Caisse centrale est amenée à consentir un prêt, par exemple à une société produisant des cigarettes, comme le cas a déjà été cité, il faut admettre qu’on est assez loin des perspectives du Plan Bourgoin.
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Mais le concept de modernisation et d’équipement demeura, notamment du côté français : il permettait de couvrir diverses dépenses n’entrant vraiment dans aucune autre catégorie. Ainsi, en mai 1953, le ministre des États associés adresse à son collègue des Finances les données nécessaires à la « préparation des lois de programme pour la réalisation du deuxième plan de modernisation et d’équipement », pour un montant total d’environ 72 milliards de francs : y figurent des dossiers sur l’équipement des services civils français en Indochine (7,4 milliards), sur la reconstruction et les dommages de guerre (20 milliards) et, surtout, l’assistance économique et technique aux Etats associés (45 milliards)24. 72 milliards pour le second quinquennat, cela représente environ cinq fois moins que ce qui lui avait été réservé au départ : il ne pouvait s’agir que d’une fin de partie.
II. LA BALKANISATION DE LA PÉNINSULE 27
La guerre d’Indochine s’est donc déroulée pendant plus de huit ans sur un territoire qui en était l’un des principaux enjeux. L’un des deux belligérants au moins – le Viet Minh – a consciencieusement mené, parallèlement aux combats, une guerre économique contre les Français et ce qu’ils symbolisaient, c’est-à-dire d’une certaine manière le secteur moderne introduit par la colonisation, alors que son propre secteur productif était en retour visé par le corps expéditionnaire. Blocus économique contre blocus économique, zones rizicoles verrouillées, tentatives – ou tentation – d’encercler les villes depuis les campagnes, imbrications des zones, prélèvements fiscaux concurrents,
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guerre monétaire... La question n’est plus de savoir si l’Indochine est sortie meurtrie de la guerre mais dans quelles proportions. 28
Une impression s’impose d’abord à la lecture des documents français de cette période, en particulier quand le gouvernement recherche les moyens de financer la création de nouvelles « armées nationales » : l’impression que l’on créait depuis Paris, de toutes pièces, une sorte de guerre civile au Vietnam, dont les implications n’étaient pas seulement militaires, mais aussi très largement économiques et financières. Les destructions proprement dites de la guerre, nullement négligeables en elles-mêmes, ne feront qu’ajouter à cette ligne de fracture méthodiquement creusée au sein des populations concernées et qui finira par toucher toute la péninsule.
A. L’EXPÉRIENCE DE LA GUERRE CIVILE 29
Il faut d’abord rappeler le contexte politique dans lequel s’est déclenchée la guerre d’Indochine. La Révolution d’août 1945 a été, du nord au sud du Vietnam, un moment fort pour toute la société, l’une de ces ruptures qui changent l’histoire et l’idée qu’on s’en fait : après environ trois générations sous tutelle étrangère, la magie de l’indépendance transformait les mentalités. Tous les responsables français n’en ont pas pris la mesure, comme a pu par exemple le faire Leclerc, vite sceptique à l’idée de juguler « par les armes un groupement de 24 millions d’habitants qui prend corps, et dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationale »25. Mais tous se sont ralliés à la grande idée d’opposer au Viet Minh un autre nationalisme, quitte à « rétablir l’institution monarchique traditionnelle »26 : le dernier des Nguyen, qui occupait encore symboliquement la fonction début 1945, pouvait revenir sur scène. Bao Dai c’est la paix... On se prit à croire au slogan27, et ceux qui connaissaient l’histoire pouvaient avoir confiance : comment ne pas penser au vicaire apostolique de Cochinchine qui, à la fin du XVIIIe siècle, s’engagea auprès d’un héritier déchu contre les insurgés Tay Son ? « Mgr Pigneau, que des troubles ont forcé à se réfugier à Pondichéry, s’inspire de la grande tradition de Dupleix, demeurée vivace dans l’Inde française, rappelle Gaston Taboulet ; il voit dans la guerre civile une occasion providentielle de gagner, au profit de la religion qu’il sert, la faveur du monarque déchu »28.
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Mais la « solution Bao Dai » connut une trajectoire évolutive, de plus en plus militaire et surtout financière. La manœuvre consistant à substituer – sous contrôle – son nationalisme à celui-ci d’Ho Chi Minh ne fut d’abord pas très simple à mettre en œuvre : l’ex-empereur n’accepta pas déjouer ce rôle sans contrepartie – la reconnaissance de l’unité du Vietnam par la France ; et le Viet Minh ne s’avéra pas si facile à circonvenir. L’idée était politique, elle devint militaire : doté d’une armée, l’État de Bao Dai pouvait devenir un rempart contre le Viet Minh et, même à terme, assurer le relais de la présence militaire française. Dans le débat sur la Cochinchine qui accompagne l’accord du 8 mars 1949, Gaston Déferre pose la question : « le retour de Bao Dai au Vietnam ne risque-t-il pas d’y déchaîner la guerre civile ? » 29. Le général Revers, qui se rend en mission en Indochine au lendemain de l’accord, lui répond on le sait à sa manière : la mise sur pied des « armées nationales » permettra d’abord « d’alléger notre dispositif et notre charge »30. Si l’on en croît Lucien Bodard, la guerre civile gardait pourtant ses adeptes, le haut-commissaire Pignon notamment : « son but, rapporte le journaliste, c’est de dresser contre les Vietminh un camp anti-Vietminh. [...] L’objectif de Pignon, c’est la guerre civile entre Vietnamiens » 31. Mais, comme le
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suggérait Lucien Bodard, favoriser la construction d’un véritable camp nationaliste supposait des concessions. Elles furent offertes à Pau. 31
L’année suivante en effet, en 1950, l’idée de « faire entrer » le Vietnam associé dans la guerre est en filigrane de la conférence économique réunie dans la cité béarnaise. Car ce n’est certes pas par bonté d’âme que la France s’y montra si soucieuse d’accomplir l’indépendance des États associés 32, au point de sembler en perdre le contrôle. Mais comment leur indépendance aurait-elle été crédible, à la fois auprès de leur population et des États-Unis, si elle n’avait eu quelque consistance ? Les Français avaient sans doute trouvé en face d’eux des négociateurs exigeants, mais ils étaient eux-mêmes portés aux concessions par cette volonté d’impliquer le Vietnam associé dans le conflit : en novembre 1950, les échanges de Pau à peine apaisés, le ministre français des États associés Letourneau négocie à Dalat avec Bao Dai un quasi doublement de l’armée vietnamienne33... Ces unités militaires à créer, avec des dizaines de milliers d’hommes à mobiliser, valaient des milliards de francs.
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La conscription allait concrétiser la mise en opposition des nationalismes et encourager la guerre civile dans tout le pays. Des forces armées proprement vietnamiennes, relevant de Bao Dai, sont levées à partir de 1950. Elles existaient déjà depuis quelques années, mais à un niveau modeste : l’objectif est bientôt de les amener à 250 000 hommes fin 1954 – autant sinon plus que le corps expéditionnaire 34. L’ennui du système, cependant, note par exemple en 1953 le conseiller financier français auprès du haut-commissaire, est la déperdition de main d’œuvre qu’il suppose, une main d’œuvre « mobilisée soit dans les rangs des armées nationales, soit dans les rangs des armées adverses »35.
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Combien de Vietnamiens ont-ils ainsi été directement entraînés dans la guerre ? En 1953, du côté de l’Union française, le corps expéditionnaire atteint 230 000 hommes 36 et les armées des États associés 226 00037 : pour obtenir le nombre de Vietnamiens portant l’uniforme il faut ajouter celui des unités asiatiques – on disait « jaunes » – du corps expéditionnaire à celui de l’armée proprement dite de Bao Dai : cela représente un peu plus de 250 000 hommes, environ la moitié du total. Il faut ensuite prendre en compte ceux qui combattent dans les rangs du Viet Minh : une estimation française datant de juillet 1953 parle d’un total d’environ 350 000 hommes38. Il faudrait aussi pouvoir pondérer ces chiffres avec le niveau des motivations, certainement pas identique dans les deux camps. Globalement, plus de 600 000 Vietnamiens des deux camps font ainsi la guerre en même temps. Ce chiffre ne permet sans doute pas de parler de militarisation de la société : il représente environ 2 % de la population, évaluée en 1953 à quelque 30 millions d’habitants ; parmi les gens en armes, il faudrait cependant ajouter les sectes du Sud, Hoa Hao et Cao Dai, voire les milices catholiques du Nord. Mais il reste que ces 600 000 Vietnamiens ne font pas seulement la guerre, ils se la font entre eux, et c’est ce qui donne au conflit sa dimension de guerre civile. « Je dois rappeler que je suis rentré au Vietnam pour tenter d’y rétablir la paix », soulignait encore Bao Dai dans une interview donnée au Monde en octobre 195339. Le croyait-il vraiment lui-même ?
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L’impôt allait pouvoir à son tour distiller la guerre civile au Vietnam, car il ne suffisait pas de mobiliser des troupes : les deux camps vietnamiens désormais en présence devaient aussi les entretenir – c’est-à-dire trouver le financement pour le faire. Pour l’armée populaire, depuis 1946, le système était rodé : la RDV fonctionne on le sait comme un véritable État qui, pour n’être pas très riche, s’appuie cependant sur un appareil fiscal qui a fait ses preuves. Pour l’État vietnamien de Bao Dai, la question est
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plus neuve. Il reçoit certes d’importants concours financiers français, et de plus en plus américains. Mais la France lui a transféré, ainsi qu’au Cambodge et au Laos, l’essentiel de son budget local, et il est entendu depuis Pau que, fort de ces nouvelles ressources, l’État vietnamien doit apporter une contribution visible à l’effort de guerre. C’est ce qu’il fait, même si la gestion des finances vietnamiennes apparaît assez opaque aux experts français : la participation vietnamienne, partant de 1,4 % du coût total de la guerre en 1950, s’élève à environ 6 % en 1952 et 1953, et grimpe à 8,7 % en 1954 40. Ces dépenses exigent nécessairement des recettes correspondantes. 35
Autant que la conscription, le prélèvement fiscal nécessaire à l’effort de guerre engage donc le pays dans un face à face à la fois sourd et violent, qui met en particulier les collecteurs des deux camps au contact les uns des autres. Ceux de Bao Dai ne s’aventurent sans doute pas en zone Viet Minh, à la différence de ceux du Viet Minh, qui peuvent opérer au cœur même de Saigon. À nouveau, le journaliste caractérise assez bien l’ambiance qui prévalait sur place, disant en substance la même chose que les renseignements collectés alors par les Français41. « Les percepteurs (Viet Minh) sont des messieurs en complet-veston, qui vont et viennent avec des serviettes de cuir sous le bras, l’air d’employés, raconte Lucien Bodard. Tout se fait très régulièrement. Chaque chef de famille est averti du montant des taxes qu’il doit – elles sont au moins aussi élevées que celles du gouvernement. Lors du versement, on lui donne un reçu à l’en tête de la République rouge. Rien qu’à Saigon, les sommes collectées se montent à des millions de piastres par mois. Tous les Vietnamiens et Chinois paient, quelques Français aussi. Qui oserait refuser ? La feuille d’avertissement, c’est la grenade ; après, c’est la mort. »42 Tableau 33. Répartition de la population vietnamienne selon les zones de contrôle (en pourcentage)
Source : Fonds Pleven, Archives nationales43. 36
Mais dans les zones contrôlées par les Français comme dans les secteurs disputés, il est clair que la même population ne peut longtemps contribuer, à un niveau identique, à l’effort de guerre des deux camps. La poursuite des opérations exige donc de perturber le plus possible la perception de l’impôt par l’adversaire. C’est à ce propos qu’un rapport Viet Minh saisi début 1954 au Sud évoque la méthode utilisée, forcément expéditive, comme s’il s’en excusait44 : « De toute façon, on ne saurait nier l’influence heureuse exercée sur la population quant à l’extermination des traîtres et des notables qui, sans aucun doute, a gêné considérablement l’ennemi. L’extermination des traîtres et des notables, entreprise depuis un certain temps, nous a apporté des résultats heureux. Avant de passer aux actes, nous avons toujours eu soin d’appeler à la raison les coupables. Seuls les réfractaires sont punis ».
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La politique agraire définie par le Viet Minh en avril 1953 donna une perspective de lutte de classes à l’affrontement entre les deux camps. L’orientation définie par décret le 12 avril 1953, centrée sur la réduction des taux de fermage, s’appliquait en effet à
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l’ensemble du territoire45. Son caractère politique ressortait en outre d’un second décret portant création de « tribunaux populaires extraordinaires dans les régions où se déclenche le mouvement populaire pour la mise en exécution de la politique agraire »46. La « mobilisation des masses », qui semblait s’inspirer de la récente expérience chinoise, accompagnait en effet les mesures proprement techniques de la réforme. En tout état de cause, la volonté de saper dans les campagnes tout ce qui pourrait servir de base sociale au régime de Bao Dai – et de limiter ainsi ses possibilités de reconquête territoriale – paraît sous-jacente au programme. 38
L’État associé de Bao Dai ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Moins de deux mois plus tard, le 4 juin 1953, alors que le président du Conseil Nguyen Van Tam, encore sous le coup de la dévaluation de la piastre, réclame pour le Vietnam une pleine souveraineté, Bao Dai signe quatre ordonnances lançant un programme de réforme agraire, qui aurait été à l’étude, précise-t-on, depuis un an47. L’objectif annoncé « est de faciliter l’accès des paysans à la petite propriété, de mettre à la disposition des petits propriétaires les crédits leur permettant d’améliorer leurs terres, de réglementer les contrats de fermage sur des bases équitables fixant les droits des propriétaires et ceux des fermiers »48. Les dispositions arrêtées ne sont pas toujours comparables à ceux de la réforme concurrente du Viet Minh, même si elles portent sur le même objet : ainsi, en matière de taux de fermage, la RDV fixe un pourcentage de réduction des taux existants, de 25 % au minimum49, alors que l’État associé institue un plafond à ne pas dépasser – de 15 % au maximum de la récolte de l’année 50. Mais cette différence est en pratique sans conséquence immédiate : la tentative de Bao Dai, qui sera reprise après 1954 par le régime de Ngo Dinh Diem, est pour l’heure restée lettre morte.
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Réforme agraire du 19 décembre 1953 : successivement adoptée en novembre par une conférence nationale du parti et, début décembre, par l’Assemblée nationale convoquée quelque part au Nord, pour la troisième fois depuis sa formation en 1946, cette politique agraire s’est entourée de toutes les garanties institutionnelles possibles. Il est cependant malaisé, au-delà des textes, de savoir ce qui a vraiment été réalisé avant le cessez-le-feu de 1954 : l’implantation déjeunes cadres parmi les paysans pauvres, pratiquant les « trois avec » (travailler avec, dormir avec, manger avec) pour susciter l’émergence d’une conscience de classe, voire d’une haine de classe, les séances publiques d’accusation pour les propriétaires, les exécutions même. Il semble que cette politique ait surtout pris les proportions qu’on lui connaît après la fin de la guerre et la partition du Vietnam, jusqu’au coup d’arrêt de 1956.
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En dépit des imbrications sur le terrain, l’écart s’est ainsi considérablement creusé entre les espaces adverses qui se partagent le Vietnam. Bao Dai contre Ho Chi Minh, c’est à la fois le Sud contre le Nord et la ville contre la campagne. Le territoire du Viet Minh, nettement plus étendu au Nord, s’identifie également, par la force des choses, au Vietnam rural, et même au Vietnam des régions reculées, où la vie est rythmée par le pas lent des buffles ou le glissement des sampans. De ce côté, comme le constate en 1953 un observateur français, « le village reste la cellule vitale et c’est à sa permanence que l’on peut attribuer la solidité de l’économie vietminh »51. L’espace français, ou franco-vietnamien, par contre, est structuré par les villes, qui attirent au-delà du raisonnable une paysannerie fragilisée par la guerre. « Ce phénomène est particulièrement remarquable au Sud-Vietnam, note le conseiller financier français de Saigon : la population de l’agglomération Saigon-Cholon a ainsi progressé de 256 000 âmes en 1936-1939 à 492 000 en 1946 pour atteindre environ 1 600 000 en 1952, tandis
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qu’au cours de la même période les surfaces des rizières cultivées diminuaient de près de la moitié, rétrogradant de 2 300 000 ha (moyenne des années d’avant-guerre) à 1 287 000 ha (évaluation de l’année 1951) »52. Ainsi la population de Saigon-Cholon a-telle fait plus que tripler en six ans. 41
Des comportements économiques diamétralement opposés se sont également développés dans les deux zones, où chacune dispose de sa propre monnaie. Accessoirement, cette guerre monétaire prendra des allures de guerre civile monétaire lorsque, dans les deux dernières années de la guerre, les billets « Bao Dai » de l’Institut d’émission se substitueront progressivement à ceux de la Banque de l’Indochine.
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Victimes de blocus économique ou de harcèlement militaire, à l’écart d’une manière générale des réseaux modernes de communication, les régions sous juridiction Viet Minh ne peuvent bien souvent que compter sur elles-mêmes. Depuis la fin des années 1940, elles fondent en particulier sur l’autarcie la perspective d’une guerre de longue durée. Si les responsables de la Résistance déploient des trésors d’ingéniosité pour maintenir ouvertes des voies commerciales qui lui soient propres, l’économie paraît fermée à tous les niveaux : même les unités militaires sont invitées à pourvoir à leur ravitaillement en entreprenant les cultures vivrières nécessaires 53. La préoccupation est constante : tout au long de la guerre, quantité de notes et documents saisis par les services français, au Sud en particulier, portent sur ce thème. Les récoltes doivent être protégées, leur produit dispersé, camouflé, et la ration alimentaire, si le riz manque, doit savoir composer avec les aliments secondaires. L’économie est centrée sur la production vivrière, et les échanges, toujours périlleux, n’interviennent qu’en cas d’extrême nécessité54.
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Dans la zone franco-vietnamienne, ou « provisoirement contrôlée par l’ennemi » selon la terminologie Viet Minh, la monnaie est au contraire au cœur de nouveaux comportements économiques : la surévaluation de la monnaie indochinoise génère, on le sait, en particulier à Saigon, une forte dérive spéculative. Ce qui sera dénoncé comme « trafic des piastres » paraît être un véritable mode de fonctionnement. Faire de l’argent, traquer l’argent, chacun ne paraît plus savoir faire que cela. En 1953, le conseiller financier français de Saigon note prosaïquement : « Les échanges se sont multipliés, source de profits pour les intermédiaires et les spéculateurs. Une prospérité apparente règne dans les villes ». La dévaluation de la piastre, en mai 1953, arrivera trop tard pour contrarier le phénomène.
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5 dôngs « Bao Dai » (1953) contre 50 dông « Ho Chi Minh » (1950, émission du Sud)
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Finalement, la division du Vietnam, imposée par la conférence de Genève de 1954 s’inscrit presque logiquement dans cette situation, même si les parties vietnamiennes au conflit furent les dernières à en accepter le principe. La guerre civile méthodiquement construite pendant les années de guerre avait fait son œuvre, aidée il est vrai par la configuration du pays : depuis longtemps, par exemple, il n’était plus possible de se rendre directement de Saigon à Hanoi, sinon par avion ou par bateau, tout le centre Vietnam septentrional, la région de Vinh en particulier, étant resté de 1945 à 1954 – et bien sûr au delà – sous l’autorité de la RDV... La division du Vietnam n’a pas été une solution à la guerre, mais bien un produit de la guerre.
B. DESTRUCTIONS ET DÉSTRUCTURATION 45
D’importantes destructions humaines et économiques figurent au bilan de la guerre mais, pour bien en mesurer les conséquences, il faut les situer dans leur environnement, lui-même en plein bouleversement. Les pertes humaines pour les pays d’Indochine ne sont ainsi guère faciles à établir. Du côté des Forces armées de l’Union française – corps expéditionnaire et armées nationales – qui regroupaient plus de 500 000 hommes en 1954, l’estimation est faite : selon le dernier état des pertes établi par le ministère français de la Défense, l’ensemble formé par les autochtones du corps expéditionnaire et les troupes des États associés aurait compté au total 23 700 morts, moins que le corps expéditionnaire proprement dit, autochtones exclus – 40 450 morts55. Du côté du Viet Minh, par contre, le flou l’emporte : la RDV n’a pas fourni de données et la notion même de militaire, dans son camp, est toute relative ; n’a-t-elle pas, le 4 novembre 1949, décrétée la mobilisation générale des hommes et des femmes
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au-dessus de 18 ans, répartis ensuite, plus ou moins à temps complet, entre les forces locales, régionales et régulières56 ? 46
On pourrait admettre par hypothèse que les pertes du Viet Minh ont été du même niveau que celle du corps expéditionnaire, soit environ 53 000 hommes morts ou disparus, et au moins autant de blessés : certes, le Viet Minh refusant la plupart du temps le combat, ses pertes pourraient être minorées, mais dans les batailles rangées du début des années 1950, à Hoa Binh par exemple, la tactique française consistait au contraire à détruire le corps de bataille adverse en neutralisant le plus possible de ses combattants. Un certain équilibre statistique pourrait donc s’établir. Cependant, même si l’on devait considérer les pertes Viet Minh à un niveau très supérieur, il faudrait en relativiser l’impact en raison de la forte croissance démographique des pays d’Indochine.
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Les destructions matérielles ne sont pas plus simples à évaluer. Faute d’estimations préalables ou d’inventaire de la valeur des biens détruits, il est par exemple impossible d’évaluer le coût de la politique de « terre brûlée » pratiquée en début de période par le Viet Minh, qui raya de la carte plusieurs petites villes du nord du pays, pour ne pas avoir à les offrir aux nouveaux conquérants, noya quelques mines et envoya ses commandos saboter les hévéas du Sud. On ignore également combien de buffles ont été mitraillés par les aviateurs français, puisque telle semble avoir été la consigne pour affaiblir le potentiel agricole de l’adversaire. D’une manière générale d’ailleurs, les opérations militaires se sont plutôt déroulées dans les campagnes, voire dans des régions montagneuses ou de confins : c’est donc surtout en termes de production agricole que leur impact pourrait être mesuré. Tableau 34. Production agricole des États associés (en milliers de tonnes)
Note*1. Source : Rapport Valls, 1953. 48
La situation de la production agricole n’apparaît peut-être pas aussi dramatique que ces chiffres le suggèrent, en particulier au Sud-Vietnam. Au Nord, le partage de la récolte entre les deux camps, eux-mêmes très étroitement imbriqués dans le delta du fleuve Rouge, autorise-t-elle d’ailleurs des statistiques réalistes ? Au Sud, selon les services du haut-commissariat, la superficie des rizières exploitées a certes diminué de 44 % entre 1946 et 1951, passant de 2 300 à 1 288 milliers d’hectares, et la production de paddy d’environ 40 % par rapport à son niveau d’avant-guerre, diminuant de 3 à 1,8 million de tonnes57. Mais un rapport ultérieur signé Paul Bernard indique, sur la base de sources vietnamiennes, qu’avec les progrès de la pacification cette superficie est remontée à 2 016 milliers d’hectares, permettant une production de 2,8 millions de tonnes en 1953, peut-être de 3,3 millions de tonnes en 1954, autorisant alors un surplus exportable de 400 000 à 450 000 tonnes58. Le rapport Bernard que d’ailleurs le Conseil économique n’adoptera pas, incitait d’une manière générale à l’optimisme : « Malgré la guerre,
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titrait Le Monde en en rendant compte, la production industrielle et agricole se développe en Indochine »59. 49
Certaines orientations économiques, de plus en plus tournées vers la consommation, sont également à mettre au compte de la guerre, en particulier en matière industrielle. On a dit les difficultés qu’éprouvaient les productions de base comme l’anthracite ou le caoutchouc à retrouver en fin de période ne serait-ce qu’un niveau d’avant-guerre. Le problème est plus général, comme l’analyse André Valls. « Alors que les activités agricoles et industrielles traditionnelles ont perdu de leur importance, écrit-il pour l’année 1953, la production de biens de consommation et certaines industries de transformation ont pris depuis 1945 un essor exceptionnel : l’extraction du charbon n’atteint encore que 35 % et la production de riz environ 60 % du niveau d’avantguerre, mais la fabrication du tabac manufacturé est à l’indice 200 (base 100 en 1938), la production de bière est 5 fois 1/2 plus forte, la consommation des produits pétroliers et de l’électricité a triplé depuis 1939. » L’évolution de la structure des importations, évaluée fin 1952 par rapport à une base 100 en 1938, va dans un sens identique : la progression des produits pharmaceutiques (700), des cycles et véhicules automobiles (400 et 450), des produits laitiers aussi (295) relativisent celle du papier et de la farine (180), des filés de coton (175) et, surtout, des produits d’équipement – parachimiques et fers-aciers (110 et 120 seulement)60.
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« Sans doute cette modification dans l’importance relative des secteurs économiques est-elle due pour une large part à la présence d’un corps expéditionnaire important, suggère André Valls. Mais il est incontestable que les habitudes de consommation de la population autochtone ont été profondément changées à la faveur de la guerre. » Pour lui, la question est de savoir ce qui se passera à la fin du conflit : « La guerre a tellement bouleversé l’économie des États que l’on ne peut manquer de se préoccuper dès maintenant des conditions dans lesquelles pourrait s’effectuer la reconversion au cas où cesseraient les hostilités ». Les retrouvailles annoncées entre populations appauvries ou enrichies, selon qu’elles viendraient des zones Viet Minh ou francovietnamiennes, introduiraient un déséquilibre générateur de tous les troubles sociaux. « Une aide massive s’imposera à court terme si l’on veut éviter que le chaos ne succède à la guerre ».
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Au-delà de ces bouleversements, les englobant en quelque sorte, le morcellement économique et financier de l’Indochine, c’est-à-dire l’inverse du but recherché par les Français, apparaît peut-être comme la conséquence la plus lourde de la guerre. Ce morcellement affecte d’abord, et pratiquement depuis le début du conflit, les moyens de communication. Le réseau routier était l’un des orgueils de la colonie. « Les voies de communication étaient pratiquement inexistantes en Indochine lors de notre installation, notait en 1931 un zélateur de l’empire. [...] L’Indochine est aujourd’hui dotée d’environ 30 000 kilomètres d’artères accessibles aux automobiles, comprenant plus de 13 000 kilomètres empierrés comme les meilleures chaussées européennes. » 61 La construction de ces voies avait absorbé le quart des dépenses d’équipement de 1899 à 192362.
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Le réseau apparaît en 1954 largement déstructuré. Ses grands axes fonctionnent à peu près au Sud mais, au Nord, la route Haiphong-Hanoi semble être la seule route vraiment praticable ; et la route coloniale n° 1, reliant Hanoi à Saigon, est pratiquement coupée depuis le début des hostilités – et sans entretien – entre Thanh Hoa et Hué au moins. Pour les paysans vietnamiens, ce spectacle de désolation n’est pas nécessairement
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contrariant : « la route au Vietnam, écrivait Paul Mus, était d’abord la route française, un monde étranger qui ne les concernait pas, juste bonne à utiliser comme aire de séchage pour le grain ou à tailler en pièces pour le compte du Viet Minh » 63. Pour le fonctionnement fédéral, par contre, la chose était plus ennuyeuse : les axes reliant le Vietnam et le Laos, par exemple, à travers la Cordillère annamitique, restaient à l’abandon faute d’avoir été utilisés : 15 ans après, dans le sud du Laos, sur la route déserte reliant la base française de Seno à Saigon, via le Cambodge et les plantations d’hévéas, les restes rouilles d’un convoi militaire français tombé dans une embuscade gisaient toujours en bordure de la chaussée64... 53
Le chemin de fer n’est pas en meilleur état, et de lui aussi les Français étaient fiers. Œuvre de longue haleine, ponctuée de mille difficultés et de moments de découragement, le Transindochinois avait été inauguré en 1936 et mettait Saigon à moins de deux jours de Hanoi, rapprochant le Tonkin et la Cochinchine. Mais la ligne n’est plus assurée depuis 1945 : comment les trains auraient-ils pu traverser impunément des zones pour l’essentiel contrôlées par le Viet Minh ? Au Nord, dans le Centre Nord plutôt, ce dernier utilisa quelques tronçons pour transporter ses propres troupes ou marchandises, notamment autour de Vinh65 ; au Sud, la liaison Saigon-Nha Trang – « la rafale » – put pour l’essentiel être maintenue, au prix d’une coûteuse militarisation. Quelques liaisons plus courtes ou dessertes locales continuèrent également à fonctionner.
C. L’ÉCLATEMENT DE LA FÉDÉRATION 54
L’Union monétaire et douanière entre les États associés connaît la même évolution. Le système mis en place par les conventions de Pau en 1950 n’avait en fait jamais très bien fonctionné : l’Institut d’émission avait été, on le sait, la seule institution prévue par ces conventions à avoir été réellement constituée ; le nationalisme douanier prit vite le dessus, en particulier au Vietnam, il est vrai peu avantagé par le système ; les conférences intergouvernementales réunies en 1952 et 1953 glissèrent progressivement vers le blocage. Les relations entre Vietnam et Cambodge, en particulier, s’aigrissaient à vue d’œil : les conventions sur la navigation sur le Mékong et l’utilisation du port de Saigon tardaient à entrer en application et le ton déjà peu amène de certains échanges entendus à Pau faisaient désormais figure de propos de salon.
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Rendant compte de l’atmosphère de la conférence inter-gouvernementale de Phnom Penh en mars 1953, le conseiller André Valls paraît découragé : « Vietnamiens et Cambodgiens ne s’entendent sur rien. Ils sont aussi entêtés et de mauvaise foi les uns que les autres. [...] Au cours de deux entretiens que j’ai eu avec le président du gouvernement vietnamien, S. E. Tarn m’a dit en propres termes : Je me fous de l’Union douanière. Le Vietnam n’a pas besoin du Cambodge. On nous force à vivre ensemble alors que le Cambodge est un pauvre peuple. Je sais comment il faut traiter ses habitants. Uniquement par la force. Toutes ces questions seront réglées quand je pourrai envoyer à la frontière quelques bataillons vietnamiens ! Inversement, les Cambodgiens accusent leurs voisins de vouloir tirer la couverture à eux et de méconnaître les droits du Cambodge à l’existence : ce sont les propres expressions de S. E. Pen Nouth, président du Conseil du Cambodge. Les relations entre les États ne sont donc pas très cordiales » 66.
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Les négociations de l’année 1954, censées destinées à appliquer la déclaration gouvernementale française du juillet 1953 en faveur de l’indépendance des États
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associés, furent placées sous le signe de la liquidation. Le coup de tonnerre de Dien Bien Phu éclate alors qu’est réunie à Paris une conférence franco-vietnamienne (État associé) occupée à aménager le système de Pau et à négocier un traité d’indépendance et d’association... Celui-ci sera signé on le sait le 4 juin mais assez discrètement, alors qu’une autre conférence, celle de Genève, tient la vedette. 57
Avec les États associés, ou qui l’étaient encore, la question monétaire restait également à résoudre. Elle fut l’un des principaux objets de la conférence quadripartite réunie à la fin de l’été à Paris par Guy La Chambre, ministre des Relations avec les États associés. En conviant ses collègues du gouvernement à y assister ou à s’y faire représenter, il en avait donné l’ordre du jour : les « modalités de dissolution de l’Union monétaire et de l’Union douanière indochinoise », la « liquidation des organismes quadripartites », comme l’Institut d’émission, et le « régime du port de Saigon » 67.
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La conférence de Paris, inaugurée le 20 août 1954, dura quatre mois : le quadripartisme de Pau s’avéra aussi complexe à liquider qu’à construire68. La liquidation du Trésor Indochinois, qui avait pourtant cessé d’exister en 1951, s’ajoutait au transfert des prérogatives de l’Institut d’émission aux institutions monétaires des trois pays Indochinois, à la répartition du bilan de clôture de la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette, à l’abrogation de l’Union douanière, à la liquidation de l’Office des changes ou au régime de navigation maritime et fluviale sur le Mékong... Sur tous ces points, les États continuaient à s’opposer entr eux et la France cherchait à préserver ses intérêts.
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Le plus important des onze accords, presque tous signés le 30 décembre 1954, était d’ordre monétaire au 1er janvier 1955, chacun des trois pays recouvrerait son indépendance financière et l’Office des changes, maintenu jusqu’alors entre des mains françaises, disparaîtrait. Le chef de la délégation vietnamienne, Nguyen Van Thoai, lors de la signature d’une convention bilatérale complémentaire, put se féliciter de signer « le premier acte qui définit à neuf les rapports économiques et financiers entre l’ancienne colonie devenue indépendante et l’ex-tuteur resté ami et allié ».
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Mais tous les malentendus n’étaient pas dissipés, loin s’en faut. Dans les discours, tout allait bien : quelques jours plus tard, le 6 janvier 1955, Ngo Dinh Diem, premier ministre vietnamien depuis juin, souhaita ainsi rappeler qu’« indépendance ne veut pas dire xénophobie [...]. Nous désirons renforcer nos relations avec les pays amis, ajouta-t-il, et d’abord avec notre ancien partenaire, la France, et nos deux voisins, le Cambodge et le Laos ». Il précisa, à propos de la convention bilatérale signée avec la France, que « la signification générale de cet accord, librement souscrit entre nos deux pays, réside dans l’aide financière que la France concède au soutien de notre monnaie, aide compensée par des avantages économiques qui seront accordés, en retour, au commerce français »69. Mais les faits ne concordaient pas toujours avec les mots : depuis le 1er janvier 1955 également, les États-Unis pouvaient attribuer directement leur aide au Sud-Vietnam et à ses voisins ; et si la conférence de Paris s’achevait sur le maintien de ces derniers dans la zone franc, le Sud-Vietnam en sortira un an plus tard, dès le 1 er janvier 1956. L’échec français est alors à peu près complet et sur tous les plans.
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Que chaque pays d’Indochine recouvre sa souveraineté monétaire, avec trésors nationaux et banques centrales, émettant des monnaies qui s’appelleront bientôt dông pour le Vietnam, riel pour le Cambodge et kip pour le Laos, tout cela s’inscrit sans doute dans la logique de la décolonisation. Mais il faut préciser qu’il n’y a pas seulement, dans l’Indochine de la fin 1954, trois zones monétaires mais quatre, puisque la conférence de
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Genève, le 21 juillet, avait entretemps assorti le cessez-le-feu au Vietnam d’une partition territoriale. Cette partition est certes conçue comme provisoire, et il n’est question dans l’accord de Genève ni de situations économiques ni de souverainetés monétaires : « En attendant les élections générales qui réaliseront l’unité du Vietnam, précise seulement le texte de l’accord l’administration civile dans chaque zone de regroupement est assurée par la partie dont les forces doivent y être regroupées aux termes du présent accord »70. Mais, on le sait, la zone Nord a déjà sa propre monnaie et les élections générales n’auront pas lieu : la décolonisation s’accompagne d’un émiettement monétaire. 62
Avec cette décolonisation un peu particulière sont enfin revenus sur le devant de la scène les vieux rapports de force que la France pouvait avoir l’impression d’avoir étouffé, ou du moins contenu. L’idée de protéger le Cambodge et la Laos des ambitions vietnamiennes – les royaumes khmer et lao avaient au départ été pratiquement recréés par la France – était contenue dans le projet fédéral. Dans un rapport de la rue de Rivoli rédigé au lendemain de l’accord du 8 mars 1949 avec Bao Dai, qui oblige à restructurer la fédération, ce point figure dans l’énumération des « intérêts propres » que la France se doit de défendre : il s’agit en l’occurrence « de conserver la perception d’un certain nombre de recettes fiscales pour éviter que le Vietnam n’écrase le Cambodge et le Laos »71. Ce souci était aussi en filigrane des conventions de Pau, fiscalement désavantageuses pour le Vietnam, comme on peut le voir sur le tableau suivant. Par contre, en 1954, les clés de répartition de ce qui reste à se partager – dettes et créances, actif et passif –, et qui firent l’objet de longues négociations, paraissaient plus conformes au déséquilibre traditionnel entre les trois États Indochinois, comme dans le cas du « partage des dépouilles » de l’ancien Trésor Indochinois, gérées par l’Institut d’émission sous la forme d’une Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette72. Tableau 35. Clés de répartition entre les trois États d’Indochine (en pourcentage)
Source : conseiller financier français à Saigon, Institut d’émission. 63
La fin de la guerre d’Indochine et la décolonisation s’accompagnent ainsi en Indochine d’une véritable balkanisation de la péninsule, en particulier sur les plans économique et financier. Quatre entités succèdent à cette Union qui n’avait jamais pu être durablement construite. À l’intérieur de ces entités, l’émiettement avait été lui-même favorisé par les conditions mêmes de la guerre : l’imbrication des zones, Viet Minh et gouvernementales, mais aussi Caodaïstes ou Binh Xuyen, chacune levant des taxes à qui franchissait ses limites, faisait de la carte réelle un puzzle de féodalités à l’emprise durable. Quant aux quatre États, ou bientôt reconnus comme tels, ils apparaissent solidement verrouillés : à l’image du chemin de fer, toutes les relations seront rapidement suspendues entre le Nord et le Sud du 17e parallèle ; le Cambodge et le SudVietnam, qui ont entre eux les frontières les plus ouvertes, sont en même temps ceux
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des trois ex-États associés qui s’entendent le moins ; le Laos, enfin, n’a de frontières terrestres vraiment utilisables ni avec le Sud-Vietnam ni avec le Cambodge. Bientôt, la « piste Ho Chi Minh », faisant se rejoindre secrètement Nord et Sud-Vietnam, via Laos et Cambodge, inaugurera une nouvelle perspective de réunion indochinoise...
III. UN NOUVEL ÉTAT DES LIEUX 64
L’Indochine de la fin 1954, rendue à la paix mais partagée entre vainqueurs et anciens partenaires de la France, se décline donc désormais en quatre sous-ensembles : deux moitiés de pays – le Vietnam – aux statuts incertains, puisque les accords de Genève en ont formellement prévu la réunification après des élections générales à tenir en 1956 ; et deux pays, Cambodge et Laos, retrouvant à première vue leurs frontières nationales, mais n’ayant en fait jamais fonctionné dans ces dimensions en dehors du Protectorat. Décolonisation et guerre froide se combinent pour donner aux lieux leur nouvelle configuration : celle-ci est déjà, on le sait, l’une des principales conséquences de la guerre.
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Comment chaque entité – on n’ose dire chaque pays – s’y retrouve-t-elle ? La situation nouvelle, sans doute, c’est d’abord ce « chacun chez soi » et ce chacun pour soi – pour des raisons qui tiennent, ici, aux vieux antagonismes nationaux (Cambodge et Vietnam) et, là, aux conflits idéologiques du moment (Nord et Sud-Vietnam). Le capitalisme français, pour reprendre la formule d’André Valls, ne contrôle plus la situation, sinon localement par le biais d’investissements résiduels. Pour la France, les résultats obtenus se situent aux antipodes de ce à quoi elle aspirait dans la région. Pour les pays d’Indochine vient le temps de l’incertitude et de la division.
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Mais le ton est donné. Le 1er janvier 1955, le jour même où l’État associé du Vietnam, confiné au Sud, célèbre à Saigon l’indépendance retrouvée sous les auspices américains, la RDV manifeste en grande pompe son retour à Hanoi, par un meeting monstre suivi d’un défilé de plus de cinq heures sur lequel flottent les portraits géants des héros – de Marx à Mao – du monde communiste73.
A. LE NORD-VIETNAM 67
En principe provisoire, l’administration qui s’installe après le cessez-le-feu au nord du 17e parallèle a toutes les antériorités – presque toutes les légitimités. Cet État n’est-il pas centré sur le delta du fleuve Rouge, le berceau du Vietnam, qui fut durant des siècles son unique territoire, avant que la pression des paysans viet et les défaites militaires des pays voisins (Champa et empire khmer) ne lui ouvrent la direction du Sud ? Le gouvernement qui entre à Hanoi en octobre 1954, par ailleurs, ne fait pas qu’y entrer : il y revient, après l’avoir quitté huit ans plus tôt et survécu aux offensives du corps expéditionnaire. À l’automne 1954, selon la terminologie en vigueur, la République démocratique du Vietnam prend donc en charge les « régions nouvellement libérées » où bientôt, on le sait, comme un symbole, « seul le papier-monnaie émis par la Banque d’État du Vietnam – le dông – a cours légal » 74.
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Le pays apparaît cependant petit, meurtri. Environ 160 000 km 2 et 13 millions d’habitants, dont près de la moitié entassés dans le delta du fleuve Rouge à raison de plus de 800 par kilomètre carré dans certaines provinces, comme Thai Binh ou Nam Dinh. Le Nord porte partout les stigmates de la guerre dont, il faut le rappeler, il a été le
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théâtre principal : Hoa Binh, Vinh Yen, Dien Bien Phu bien sûr, mais aussi et peut-être surtout ce delta, « pourri » par une frontière invisible traversant chaque village, différente le jour et la nuit. Quelle famille n’a eu un enfant dans l’armée populaire ou l’armée nationale ? Les premiers reviennent avec le cessez-le-feu, les seconds doivent partir vers le Sud avec leurs unités ; quelque 800 000 catholiques leur emboîtent le pas derrière leurs curés. Le 2 septembre 1954, dans un discours commémorant la déclaration d’indépendance de 1945 et alors que les forces françaises sont toujours présentes à Hanoi et Haiphong, Ho Chi Minh reste discret au chapitre économique. Il s’en tient à quelques formules générales, conciliantes : il faudra « accélérer l’émulation dans la production et mettre à exécution la décision de respecter les intérêts publics aussi bien que les intérêts privés [...]. La ville et la campagne s’aideront mutuellement. Le libre trafic des denrées à l’intérieur et à l’extérieur du pays sera garanti pour remettre sur pied et augmenter la production de façon à contribuer à la prospérité économique et à améliorer les conditions de vie du peuple » 75. 69
La nouvelle situation du Nord comporte deux aspects, l’un intérieur, l’autre international. Le premier paraît reléguer aux oubliettes le second – c’est-à-dire notamment les investissements français encore présents sur place : la RDV entre en effet dans une « période de transition ». Pour ses économistes, il s’agit « d’une région d’économie agricole reposant essentiellement sur la petite production individuelle, avec des îlots d’économie capitaliste. L’industrie y est à l’état embryonnaire. La superficie moyenne des terres cultivables ne dépasse pas 1/10 d’hectare par tête d’habitant. L’excédent de main d’œuvre dans le delta est énorme, le niveau culturel de la population encore bas, le potentiel technique légué par l’ancien régime insignifiant [...]. Les destructions de guerre sont importantes. D’où une productivité très faible, un niveau de vie très bas. Cet état de choses dresse évidemment de nombreux obstacles sur la voie du socialisme »76...
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Les investissements français présents au Nord au moment du cessez-le-feu sont tout de même un sujet de préoccupation. En marge de la négociation de Genève, dans une lettre adressée au président du Conseil Mendès France, Pham Van Dong donne une série de garanties de principe au maintien des activités françaises au Nord : « Les installations nécessaires au fonctionnement des services publics industriels seront maintenues. La propriété des biens et des entreprises sera sauvegardée et respectée. Les entreprises commerciales et industrielles [...] pourront choisir librement leurs collaborateurs, acquérir et utiliser sans entraves les biens meubles et immeubles qui seront nécessaires à leurs activités et ne devront faire l’objet d’aucune mesure discriminatoire en matière législative, administrative, fiscale et juridictionnelle. En cas de réquisition, d’expropriation et de retrait de concessions, les intérêts légitimes des ressortissants français seront pris en considération »77.
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Les entreprises françaises restent dans l’expectative. Le 22 juillet 1954, au lendemain de la lettre de Pham Van Dong, mais ses termes ne semblent pas lui être encore connus, le directeur des Finances extérieures Sadrin réunit rue de Rivoli les représentants des sociétés concernées, pour connaître à la fois leurs préoccupations et leurs situations réelles – activité, actifs, stocks... Vingt-cinq personnes sont présentes, de Paul Bernard – toujours là – à Lebée, président des Charbonnages du Tonkin, de Bousquet pour la Banque de l’Indochine à Cusin pour l’Institut d’émission 78. La plupart des entreprises, Charbonnages, Cimenteries, Société indochinoise d’électricité, indiquent n’avoir aucun problème de stock ni d’approvisionnement. Quelles garanties souhaitent-ils pour
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pouvoir continuer à exercer leur activité ? L’expérience récente – à peine cinq ans – de la révolution communiste à Shanghai amène certaines entreprises à ne pas trop se fonder sur les garanties que le type de régime qui s’annonce au Nord pourrait leur fournir : pour l’Air liquide, il est facile d’étouffer les compagnies étrangères sans même avoir besoin de les nationaliser et la Société indochinoise d’électricité, qui a en mémoire une histoire d’otages arrêtés à Shanghai en garantie du paiement de certaines indemnités, se trouve en position d’autant plus vulnérable qu’elle ne peut interrompre son activité. 72
Les sociétés présentes au Nord paraissent en fait se préparer au pire. Pratiquement toutes les grandes entreprises ont déjà leurs sièges sociaux à Saigon ou en France. « Si le Viet Minh ne souhaite pas que les entreprises françaises poursuivent leur activité, il n’y a qu’à partir, souligne Maxime-Robert pour la Banque de l’Indochine ; s’il souhaite qu’elles continuent, dans ce cas quelles garanties leur offre-t-il ? Il ne faudrait pas du reste s’illusionner sur la durée de ces garanties. » Le rachat des entreprises pose un double problème d’évaluation des affaires et de liquidités : dans quelle monnaie pourrait-il se faire. Avec les 3,5 milliards de piastres de l’Institut d’émission qui circulent au Nord, les nouvelles autorités auront plutôt à cœur d’acquérir des denrées de première nécessité et les médicaments dont elles ont besoin. La question est donc à la fois politique et financière : dans la négociation d’ensemble que chacun semble appeler de ses vœux, la question des paiements et donc de la monnaie sera centrale 79.
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Une idée s’ébauche en attendant que les grandes lignes du régime monétaire du NordVietnam soient esquissées, une idée favorablement examinée à la fois au commissariat général de France à Saigon, où le général Ély vient de remplacer en même temps Dejean et Navarre, à la Délégation de France à Hanoi, où Jean Sainteny revient dans l’été, et au ministère des Finances, en particulier à la direction du Trésor. « La tendance générale de cette maison-ci, ministre compris, écrit le sous-directeur du Trésor Dominique Boyer à propos de la rue de Rivoli, est a priori favorable au maintien des entreprises françaises en zone Nord et à l’établissement de relations commerciales avec la zone Viet Minh. À supposer que les autorités de la zone Nord soient dans les mêmes dispositions et que nos amis américains l’admettent, le problème revient à fournir des moyens d’achat à la zone Nord. »80 L’idée consiste à ouvrir un crédit à la RDV, par accord entre les deux gouvernements, permettant à cette dernière de financer le déséquilibre annoncé de ses échanges et, indirectement, de garantir sa monnaie – ce qui permettrait aux entreprises françaises qui se maintiendraient dans la zone Viet Minh « d’échanger des piastres Viet Minh qu’elles retireront de leurs activités à des conditions qui ne soient pas trop désavantageuses, contre des piastres de l’Institut d’émission qui leur permettront d’effectuer des transferts sur la zone franc » 81.
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Croit-on vraiment à la tenue d’élections générales en 1956 et à la réunification du Vietnam qui s’en suivrait, quelle que soit la couleur politique de son gouvernement ? Lors de la réunion aux Finances extérieures du 22 juillet 1954, personne ne semble avoir évoqué cette perspective, qui aurait été pourtant de nature à relativiser les problèmes des entreprises françaises au Nord. Elle paraît cependant présente chez le général Ely, dernier commissaire général et commandant en chef français en Indochine. Imaginant que la RDV pourrait laisser sa monnaie cohabiter avec celle de l’Institut d’émission, il évoque cette perspective au lendemain du cessez-le-feu : « cette coexistence de fait des deux monnaies faciliterait le maintien de liens entre le Nord et le Sud et matérialiserait l’unité du Vietnam. Elle serait en revanche difficilement admissible par le Laos et le
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Cambodge, si une telle situation devait se prolonger dans le cadre monétaire défini par les accords de Pau. Une telle solution implique la mise en place dans un délai très rapide d’instituts d’émission analogues »82. On sait ce qu’il advint : l’éclatement de l’Indochine était pratiquement déjà écrit et nul ne semblait vraiment soucieux de maintenir l’unité du Vietnam, au moins de cette manière. 75
À Hanoi même, d’où la France doit évacuer ses derniers soldats le 10 octobre 1954 et où la colonie française regroupe encore en septembre quelque 3 500 personnes, l’ambiance n’est pas à l’optimisme. Les entreprises commerciales se replient sur leur siège de Haiphong, qui ne doit être évacuée que fin mai 1955 ; les banques attendent d’hypothétiques accords monétaires entre les deux gouvernements ; les commerçants de détail liquident leurs stocks et un store sur trois reste baissé dans les rues commerçantes ; les petites industries tentent de s’accrocher, comme les Cycles d’Indochine, avec sa centaine d’ouvriers ; quant à la masse des petites affaires, souvent montées par des militaires démobilisés, elles semblent partagées entre le caractère impensable d’un départ et l’angoisse de devoir pourtant décrocher 83. Un mois après la prise en main de la ville par les autorités populaires, des techniciens français demeurés volontairement sur place continuent cependant de faire tourner les usines de distribution d’eau et d’électricité, tout en commençant à former ceux qui, nul ne semble en douter, seront bientôt appelés à les remplacer.
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Deux mois après le départ officiel des Français de Hanoi, les relations se réchauffent. Un accord est trouvé le 10 décembre 1954 à l’issu d’une visite au Nord de chefs d’entreprises français, en particulier de Lefaucheux, directeur général de la Régie Renault – qui envisage d’installer au Vietnam une chaîne de montage de la « 4 ch ». L’accord porte sur les conditions dans lesquelles les entreprises françaises pourront continuer à exercer leur activité au nord du 17e parallèle : elles auront en particulier le choix entre conserver leur statut ou se transformer en société mixte, avec des capitaux vietnamiens. Le maintien d’un petit courant de coopération culturelle avec la France est parallèlement négocié. Air France met à l’étude une liaison aérienne Paris-Hanoi via Calcutta. Dans la région de Haiphong, qui ne doit donc être évacuée qu’à la mi-mai 1955, on envisage même la création d’une zone franche – à Haiphong ou dans la région côtière des Charbonnages84.
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Mais il ne se passera rien, trop de mauvaises fées s’étant penchées sur le berceau de ces nouvelles activités. Abstraction faite des vrais sentiments de la RDV sur le sujet, il paraît clair que la méfiance, voire la mauvaise volonté, dominent du côté français, ainsi que le peu d’attrait à rester travailler dans une situation désormais fort peu « coloniale » : « Quelle valeur représentent les garanties du Viet Minh aux entreprises françaises ? » s’interroge en titre le Journal d’Extrême-Orient de Saigon, le jour même de la publication du communiqué annonçant l’accord franco-vietnamien du 10 décembre. L’idée est la suivante : « La plupart des garanties offertes sont disposées de telle sorte que le gouvernement vietminh aurait les plus grandes facilités pour les tourner » 85. S’ajoute à cet état d’esprit la pression américaine : certaines entreprises françaises concernées ont trop de liens financiers avec les États-Unis, ou commerciaux avec la zone dollar, pour rester insensible à l’accusation possible de trahison, ou à la perspective de voir brandir contre elles la législation qui interdit tout commerce avec les pays communistes. À Paris, d’ailleurs, le gouvernement ne se donnait pas beaucoup de mal : la RDV ne fut même pas reconnue et, faute de réciprocité, la Délégation de
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France, installée dans les locaux mêmes où de Lattre avait établi son état-major, entrera dans une longue somnolence. 78
Les sociétés françaises finirent donc par renoncer, à l’instar des Charbonnages du Tonkin : après plusieurs mois de négociations, qui apparaissaient à tous comme un test, le fleuron des investissements français au Nord jette l’éponge, un peu plus d’un mois avant l’évacuation totale de Haiphong. Dès le 18 mars 1955, une opération de démontage du matériel de provenance américaine avait commencé à Cam Pha et Hong Gay, sous la protection d’importantes forces militaires et même d’une « dinassaut », pour surveiller les entourages. L’accord intervient avant que tout ne soit évacué : signé le 9 avril 1955, il prévoit le rachat par la RDV des installations, du matériel et des approvisionnements de la société française, dont l’ensemble a été estimé à 5 milliards de francs. Les versements s’effectueront en livraisons de charbon, directement exportées et commercialisés par la SFTC, à hauteur de l’estimation effectuée : 1 million de tonnes livrables pendant 15 ans86.
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Livré à lui-même, le Nord a déjà entrepris sa reconstruction, une reconstruction tournée vers de nouveaux alliés. L’heure est à la relance de la production agricole, « clé de la restauration économique » du pays, plutôt qu’à un approfondissement de la réforme agraire lancée en 1953 – mais celle-ci n’est bien sûr pas abandonnée 87. L’agriculture n’est pas la seule priorité : les infrastructures de transport, routes et voies ferrées, ponts et barrages, doivent être réparées d’urgence, en particulier la voie ferrée qui relie Hanoi à Lang Son, par où doit être acheminée l’aide chinoise à la RDV : paysans, militaires et manœuvres travaillent jour et nuit avec des techniciens chinois pour remettre sur pied le ballast, les rails, et remplacer les ouvrages d’art détruits. L’inauguration de la liaison est fêtée à Lang Son en mars 1955, environ deux mois avant que les Français n’évacuent complètement Haiphong. Pour le reste, l’URSS et les pays d’Europe de l’Est envoient du matériel de travaux publics et de génie rural par bateau, sans pour autant empêcher les paysans mobilisés de déplacer au panier des mètres cubes de terre88.
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Peu après l’ultime départ des Français de Haiphong, en juin et juillet 1955, Ho Chi Minh fait la tournée de ses nouveaux alliés. De Pékin, il ramène un don de 800 millions de yuan – environ 120 milliards de francs. De Moscou une aide également non remboursable de 400 millions de roubles – l’équivalent de 34 milliards de francs – assortie d’autres accords, sur les échanges et la formation des techniciens et des cadres. L’enveloppe financière n’est pas négligeable : elle est supérieure à l’aide attribuée par les États-Unis, via la France, au financement des plans de campagne des États associés pour 1954 : 154 milliards de francs contre 135. Ingénieurs et techniciens soviétiques ou chinois croisent déjà aux frontières du Vietnam étudiants ou ouvriers partant en formation. Mais bien sûr, aux yeux du nouveau régime, il n’est pas question de placer tous les types d’aide sur le même plan : « Cette aide altruiste et inconditionnelle au bénéfice du peuple est complètement différente de l’aide telle que la conçoivent les impérialistes, croit devoir expliquer Ho Chi Minh. À travers leur aide, les impérialistes visent toujours à l’exploitation et à l’esclavage des peuples. Le Plan Marshall, qui a graduellement empiété sur la souveraineté des pays bénéficiaires, en est une preuve éloquente »89. Aucun doute, donc : le Nord-Vietnam s’est bien branché sur le bloc socialiste.
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B. LE SUD-VIETNAM 81
La décolonisation était radicale au Nord ; elle fut plus évolutive au Sud mais guère plus glorieuse pour la France, en dépit des discours amicaux. Si la France conserve en effet de réelles positions au sud du 17e parallèle, l’évolution sur place ne lui est pas pour autant favorable. Au Nord la France s’était retrouvée face à son vainqueur et n’avait pas fait – ou pas pu faire – grand-chose pour le dissuader de se tourner quasi exclusivement vers le bloc communiste. Au Sud où elle replie ses forces, elle doit compter avec un « associé » auprès duquel elle a perdu l’essentiel de son prestige et dont le nouveau premier ministre, Ngo Dinh Diem, regarde clairement vers Washington 90. Mais, à la différence de l’impression qu’elle donne au Nord, celle d’une absence de politique, la France y organise pratiquement elle-même le passage de relais aux États-Unis, leader incontesté du bloc occidental. Sans doute faudrait-il distinguer ce qui se passe au niveau local, à Saigon en particulier, où l’ambiance paraît très tendue entre Français et Américains, et ce qui se passe au niveau international, où le ton des relations bilatérales est nécessairement plus « diplomatique ». Le transfert d’autorité, si l’on peut dire, s’effectue à l’automne : l’essentiel semble en effet décidé à Washington lors des entretiens de la fin septembre 1954, trois semaines après que la France eut signé le traité de Manille, le 8 septembre, et donc avalisé le nouveau système américain de sécurité en Asie du Sud-Est.
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Politiquement, la France s’efface au Sud parce qu’elle n’a pas d’autre choix, notamment sur le plan budgétaire. Du 27 au 29 septembre 1954, Guy La Chambre, ministre des États associés, et Edgar Faure, ministre des Finances, ont plaidé les intérêts financiers de leur gouvernement devant une délégation américaine dirigée par le secrétaire d’État par intérim Bedell Smith. Edgar Faure a expliqué la nécessaire réduction des dépenses dans son prochain budget qui, bien sûr, ne peut porter « sur les dépenses en Europe, qui sont indispensables au maintien du programme de défense dans le cadre de l’OTAN : il faut donc inéluctablement qu’elles portent sur les dépenses d’Indochine » 91. Indochine encore à vendre... Le communiqué final donne satisfaction à la délégation française : « les États-Unis considéreront la question d’une contribution financière au corps expéditionnaire, s’ajoutant à l’aide accordée à chacun des trois États associés pour ses forces armées ». En échange, le gouvernement français se rallie à un octroi direct de l’aide américaine à chacun des trois États92. Le général Ély, qui participait aux entretiens, peut en informer Bao Dai sur la route qui le ramène à Saigon : la politique française est désormais de ne pas contrecarrer les États-Unis au Vietnam, au nom de la solidarité occidentale...
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C’est dans ce contexte de démission, et par ailleurs au seul Sud, que la France a rendu au Vietnam les derniers attributs de sa souveraineté. Que restait-il d’ailleurs à négocier ? Le 20 août 1954, un peu plus d’un mois avant les entretiens de Washington, avait été convoquée on le sait la conférence quadripartite chargée d’en finir avec les accords de Pau93. Dans les principaux accords qui seront signés le 30 décembre 1954, transférant au Vietnam à compter du 1er janvier 1955 le privilège d’émission et le contrôle des changes, apparaît le nom de la Banque nationale du Vietnam – qui en comporte désormais deux94. Le ton reste amical mais la réalité est plus abrupte : la consolidation politique du gouvernement Diem, restée très incertaine pendant les premiers mois de 1955, ne pouvait s’effectuer sans l’appui de conseillers américains, à
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coups de batailles rangées dans les rues de Saigon avec les sectes et de campagnes de presse anti-françaises. 84
Le Sud-Vietnam passe complètement en 1955 dans l’orbite des États-Unis. Alors que le corps expéditionnaire français va recevoir 100 millions de dollars (35 milliards de francs) pour son stationnement et son rapatriement progressif, l’armée nationale – désormais sud-vietnamienne – va bénéficier du double : 200 millions de dollars (70 milliards de francs). Cette somme est certes bien inférieure aux 385 millions attribués aux États associés pour l’année 1954, mais on est alors en temps de paix. L’aide économique aux États associés passe de 25 à 100 millions de dollars et une aide directe de 300 millions de dollars est demandée pour le Sud-Vietnam 95. Cela représente une enveloppe globale de 120 à 130 milliards de francs, d’un montant à peu près équivalent à ce que le Nord obtient cette même année de ses alliés chinois et soviétiques. Le gouvernement de Saigon annonce également sa décision de sortir de la zone franc à compter du 1er janvier 1956. Le général Navarre, qui va bientôt publier l’ouvrage retraçant sa malheureuse expérience en Indochine, ne masque pas son amertume : « On prend notre place, mais sous une forme presque invisible et que permet seule la puissance du dollar. Il n’y a pas de gouverneur, de résident ou de haut-commissaire américain, mais il y a un ambassadeur des USA, sans la permission duquel rien ne se fait. Les peuples se croient libres parce que gouvernés par des politiciens de leur race, sans voir que ceux-ci, impitoyablement tenus par l’argent, ne sont que des marionnettes américaines »96.
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Qu’en est-il des investissements français ? Au moment de l’armistice, toutes les entreprises un tant soit peu importantes au Sud sont françaises, en particulier tous les services publics – transports, électricité, eau. Les investissements privés vont, approximativement, pour 50 % dans l’industrie – mais il s’agit surtout d’industries légères, comme les Brasseries et Glacières de l’Indochine –, pour 35 % dans les plantations d’hévéas, pour 10 % dans les entreprises commerciales et pour 5 % dans les transports. Curieusement, alors que le contexte politique est tout de même bien différent de celui du Nord les dirigeants d’entreprises paraissent très inquiets. « Sceptiques quant aux possibilités de rétablir des courants économiques au NordVietnam, les milieux d’affaires français n’espèrent pas davantage maintenir leurs positions au Sud, note Max Clos dans un reportage. Faisant preuve d’un net pessimisme, industriels et commerçants ne s’entretiennent à Saigon que des possibilités de la vente de leurs installations et du réinvestissement de leurs capitaux ailleurs, parfois au Cambodge, plus souvent en France ou en Afrique »97. Deux raisons au moins expliquent cette attitude : d’une part le fait que la France ait dû abandonner le contrôle de l’Office des changes et, d’autre part, la conviction de tous que la RDV remporterait les élections toujours prévues pour juillet 1956...
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La France maintient pourtant au Sud une forte présence économique, malgré les occasions offertes à de nouveaux désinvestissements. Après Dien Bien Phu, alors que la France détenait encore l’Office Indochinois des changes pour quelques mois, la rue de Rivoli n’a en effet pas vraiment cherché à retenir sur place les capitaux « coloniaux ». Le régime des transferts financiers fut assoupli par une nouvelle instruction dans l’été 1954 : « Les entreprises sous contrôle français exerçant leur activité en Indochine peuvent désormais, quel que soit le lieu de leur siège social, procéder au transfert sur le reste de la zone franc de leurs bénéfices, même non distribués », ce qui n’était pas le cas auparavant. Les transferts en francs de sommes provenant de la réalisation d’actifs sont
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également autorisés et « les Français qui ont manifesté le désir de rentrer définitivement peuvent enfin transférer immédiatement une partie au moins de leurs avoirs »98. Un certain emballement des transferts financiers de l’Indochine vers la France s’est tout naturellement manifesté mais les grands du capitalisme colonial – Banque de l’Indochine en tête – avaient on le sait déjà transféré l’essentiel. 87
Dans le même temps, depuis la métropole cette fois, certains grands patrons français regardent l’Indochine avec des yeux neufs. Pierre Lefaucheux, directeur-général de la Régie Renault, dont on a déjà signalé le séjour à Hanoi, indique à son retour dans une conférence de presse, début janvier 1955, toutes les raisons qui, selon lui, militent en faveur d’une présence active de la France au Vietnam : l’immensité du marché asiatique, le rôle de « plaque tournante » de l’Indochine, les atouts dont la France dispose sur place, la nécessité d’accompagner le redressement économique du pays... La Régie, annonce-t-il, va installer une chaîne de montage à Saigon, avec des capitaux et un personnel vietnamiens, et redémarrer les services de réparations qu’elle possède au Nord, mais dont l’exploitation a cessé. Le risque de 1956, pour lui, doit être ramené à ses justes proportions. Attention d’ailleurs, prévient-il, si la France ne court pas ce risque, ses concurrents sont prêts à le faire99.
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En attendant, le Sud-Vietnam apparaît pour ce qu’il est : un petit pays, lui aussi, de 170 000 km2 et 12 millions d’habitants environ. Aucun des nouveaux dirigeants de Saigon n’a accueilli avec satisfaction la partition du pays mais, à considérer l’histoire, un Sud séparé peut toujours être viable : ne s’est-il pas d’une certaine manière construit sans lien avec le Nord, depuis Hué, aux XVIIe et XVIIIe siècles, alors que le Vietnam était déjà divisé ? Les ressources minières du pays se trouvent certes au Nord, un peu comme en Corée, elle aussi divisée, mais en revanche le potentiel agricole est appréciable : c’est le Sud qui fournit au pays l’essentiel de ses exportations de riz et toutes ses ventes de caoutchouc. L’application de l’accord de Genève perturbe sans doute un peu les campagnes : dans les régions qui avaient vécu sous contrôle Viet Minh, les retrouvailles avec les anciens propriétaires fonciers, lorsque ceux-ci s’étaient repliés sur la ville, ne pouvaient toujours être faciles. Mais la réforme agraire inaugurée en 1953, parallèlement à celle de la RDV, est relancée dès janvier 1955 par une ordonnance fixant le statut du fermage100.
89
Sur le plan agricole, le Sud redémarre à un niveau modeste, comme l’indiquent les données disponibles, comparant la situation de 1955 à celle d’avant-guerre. La question du riz a été évoquée plus haut ; celle du caoutchouc apparaît également significative. Tableau 36. Production et exportation de caoutchouc au Sud-Vietnam
Source : Bernard Fall. 90
Apparemment, un certain niveau de production a été retrouvé, mais il faut le relativiser : comme l’indique le tableau suivant, le Sud-Vietnam fait assez pâle figure à côté des grands producteurs d’Asie du Sud-Est et de la progression qu’ils affichent 101.
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Tableau 37. Le Sud-Vietnam dans la production mondiale de caoutchouc (en milliers de tonnes)
Source : Jean-Marcel Jeanneney. 91
Pour le Sud-Vietnam, l’héritage de la guerre d’Indochine est cependant plus lourd et complexe que ces retards de production. En 1954, les dépenses militaires françaises alimentaient encore à Saigon cette « prospérité artificielle » dénoncée plus haut 102. Sans doute ce caractère favorise-t-il l’insertion de tout ce que le Nord compte de bourgeoisie et de notables anticommunistes, dont la métropole du Sud devient le point de ralliement. Mais dans le même temps, le Sud doit assumer la charge des centaines de milliers de réfugiés venus du Nord, eux-mêmes essentiellement catholiques et dirigés vers la région saigonnaise – même si le gouvernement peut compter dans ce domaine sur un financement américain. En tout état de cause, il n’est pas sûr que le Sud, désormais directement alimenté en dollars, retrouve si facilement le chemin d’une saine production économique, que la gangrène spéculative de l’époque de la guerre avait à Saigon largement ébranlé.
C. LE CAMBODGE 92
A première vue, le Cambodge n’est pas en 1954 en mauvaise posture. Le pays ne compte qu’à peine plus de 4 millions d’habitants, trois fois moins que le Sud-Vietnam, mais il s’étale sur 180 000 km2, soit légèrement plus que chacune des deux moitiés du Vietnam : la partition de ce dernier limite ainsi, pour l’heure, la menace qu’il fait traditionnellement peser sur le royaume. Cette configuration du territoire laisse pourtant aux Khmers un souvenir mélangé, l’impression que la tenaille disposée autour de leur pays par la Thaïlande et le Vietnam peut encore se refermer : sans doute la France avait-elle obtenu de la Thaïlande, par le traité de Washington de novembre 1946, la restitution au Cambodge (comme au Laos) de ses territoires de l’Ouest, sorte d’« Alsace-Lorraine » ballottée depuis longtemps entre les deux pays et qui avaient été (re)pris par Bangkok en 1941, à la faveur de son alliance avec Tokyo ; mais, côté Est, l’abandon au Vietnam de Bao Dai, en 1949, de la souveraineté française sur la Cochinchine – terre anciennement khmère – avait été particulièrement mal ressentie au Cambodge, où elle avait réveillé les vieux démons nationaux.
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Des trois États associés, le Cambodge apparaît en 1954 comme celui qui dispose déjà de la plus large indépendance : n’a-t-elle pas d’ailleurs déjà été célébrée en grande cérémonie le 9 novembre 1953, à Phnom Penh, au lendemain du retour de Norodom Sihanouk dans son Palais ? Sa « croisade pour l’indépendance » avait été couronnée de succès : en exil volontaire depuis juin 1952, dans l’ouest du pays et autour du monde, il avait mobilisé tout ce qui pouvait l’être pour cet objectif et assez largement réussi, comme en témoignent les papiers Mayer, dans lesquels le dossier Cambodge figure en assez bonne place au moment où ce dernier est président du Conseil, début 1953 103. La déclaration du gouvernement français du 3 juillet 1953, en faveur de l’indépendance
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des États associés, avait très directement concerné le Cambodge : dans les trois mois qui ont suivi, des accords avaient pu être trouvés pour transférer à Phnom Penh les services de justice et de police, ainsi que les pouvoirs militaires 104. Depuis 1949 d’ailleurs, et le Cambodge se distinguait sur ce plan, l’armée royale assurait seule la sécurité des provinces occidentales de Siem Reap, Khompong Thom et, deux ans plus tard de Battambang. 94
L’obstination mise par Sihanouk à lancer puis à faire aboutir sa « croisade pour l’indépendance » répondait en partie pour lui à une nécessité de politique intérieure : à la fois soucieux de peser sur les destinées de son pays et de le faire fonctionner selon des règles démocratiques, Norodom Sihanouk, placé sur le trône en 1941 par un conseil de régence au sein duquel la France exerçait le rôle prédominant, ne voulait laisser à personne d’autre que lui le monopole du nationalisme105. Sans vraiment respecter les résultats des élections de septembre 1951, remportées par le parti démocrate, le lancement de sa « croisade » ressemblait aussi, quelques mois plus tard, à une manière de coup d’État. Commentant la situation en mai 1953, le commissaire de la République Risterucci en donne à sa manière la signification : « Toute la vie politique cambodgienne, au cours du mois d’avril, a été dominée par l’explosion de nationalisme suscitée par l’interview donnée à New York par le Souverain. Si c’est pour acquérir auprès de l’intelligentsia cambodgienne une popularité supérieure à celle de Son Ngoc Thanh que le roi a voulu prendre publiquement une position aussi extrême, il a certainement réussi, du moins dans l’immédiat. [...] Cette partie du monde vit l’ère du nationalisme intégral »106. Il n’en reste pas moins que la surenchère nationaliste traduisait une aspiration nationale.
95
L’indépendance militaire, en particulier, répond à une volonté ancienne, qui s’exprime notamment sur le plan budgétaire. L’armée khmère, en 1949, c’est-à-dire à l’époque du traité faisant du Cambodge un État associé107 regroupait un effectif d’environ 5 000 hommes. Mais selon une étude gouvernementale sur le sujet, il s’agissait déjà d’un « noyau solide ». Comparé à ceux des autres États associés, « le soldat khmer est certainement le plus courageux, précise-t-elle, [...] il est robuste et a peu d’exigences » ; ses officiers sont « d’excellents conducteurs d’hommes », encore que « le problème des cadres supérieurs reste posé ». L’armée royale constitue une troupe ethniquement homogène et fidèle, à cette particularité près que c’est « la haine du Vietnam (qui) est à la base de son dynamisme guerrier ». Sur le plan financier, le Cambodge est ainsi celui des trois États « qui contribue pour la plus grande part à l’entretien de son armée » 108. En octobre 1952, on le sait, la France finançait 40 % des dépenses de l’armée cambodgienne, contre 60 % des dépenses de l’armée vietnamienne 109.
96
Le paradoxe était que la France, puissance « protectrice » du Cambodge depuis 1863 et garante de son territoire retrouvé, qui avait pu aussi mesurer le réveil national khmer lors de la conférence de Pau, paraissait l’avoir encouragé et ne résister que mollement à ses extravagances : mais si la France avait cédé sur la forme elle ne l’avait jamais fait sur le fond. C’est ainsi que le Cambodge, qui célébrait son indépendance en novembre 1953, n’avait pas pour autant recouvré la souveraineté monétaire : jusqu’à l’accord de Paris du 30 décembre 1954, qui met fin à la conférence quadripartite destinée à dissoudre l’Union monétaire et douanière, la monnaie cambodgienne reste la piastre de l’Institut d’émission des États associés présidé par Gaston Cusin. À l’instar de celles du Vietnam (Saigon) et du Laos, la Banque nationale du Cambodge, rapidement complétée par un Office national des changes, n’est créée que fin décembre 1954 110.
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97
La question du siège de l’Institut d’émission, officiellement installé à Phnom Penh, illustre assez bien les relations entre la France, le Cambodge et le Vietnam. Les Cambodgiens n’étaient pas dupes d’une décision qui revenait à renforcer le Cambodge surtout symboliquement : « Sa Majesté le Roi, écrit en février Son Sann à son ministre des Finances, a daigné appuyer fortement la réclamation du Cambodge, qui a finalement obtenu satisfaction sur la question du siège à Phnom Penh. [...] Il n’en reste pas moins vrai que la direction de l’Institut, comme l’a signalé son Excellence Sam Sary, a agi de telle façon que tous les services sont concentrés à Saigon. En réponse aux protestations et aux attaques des administrateurs et censeur cambodgiens, on a pris comme prétexte l’impossibilité de trouver un terrain disponible » 111.
98
D’une manière générale, l’Union monétaire semblait convenir d’autant moins aux Cambodgiens qu’ils avaient le sentiment d’en faire les frais. Pour eux, la base cambodgienne de la monnaie indochinoise – si cette expression a un sens – est de bien meilleure qualité que celle de leurs voisins vietnamiens, compte tenu du solde positif de leurs exportations de riz et de caoutchouc. Le Cambodge estimait début 1953 « que si la piastre courante valait 17 francs, une éventuelle piastre cambodgienne vaudrait 22 francs ». La dévaluation de la piastre, le 11 mai 1953, intervenant en pleine « croisade pour l’indépendance », a bousculé cette estimation mais suscité plus encore le désir d’indépendance monétaire. Pour autant, l’indépendance formelle obtenue, et sans attendre la définition d’une monnaie nationale, le baromètre politique franco-khmer est vite revenu au beau fixe. Frappart, directeur général de l’Institut d’émission, rendait compte ainsi d’une mission qu’il effectua à Phnom Penh fin décembre 1953 : « L’impression générale et surprenante qui se dégage de ce bref séjour est celle d’une détente totale : depuis un an que j’ai pris mes fonctions, je n’ai jamais connu un pareil climat de cordialité au Cambodge. Les Cambodgiens ne craignent plus maintenant de s’afficher en présence de Français. [...] La tension avait atteint un tel degré d’acuité qu’il fallait que se produisit soit la rupture totale soit l’apaisement » 112.
99
Quant aux investissements et aux flux financiers générés par les activités françaises sur place, ils restaient modestes. Les capitaux étaient pour l’essentiel placés dans l’hévéaculture, dont les plantations formaient un prolongement géographique naturel de celles du Sud-Vietnam113. Mis à part le conditionnement du latex, les rares industries du Cambodge, de taille très modeste, transformaient des produits agricoles (distilleries, huileries, rizeries) et fabriquaient des matériaux de construction (briqueteries). Le Cambodge ne causait d’ailleurs aucun souci aux députés français lors des votes budgétaires, parce qu’il ne « coûtait » pas très cher : si l’insécurité régnait dans plusieurs provinces du royaume, cette guerre n’était pas vraiment la sienne. Phnom Penh ne s’est pas non plus distinguée comme place forte du trafic des piastres.
100
Il n’en reste pas moins que le nouveau Cambodge, dans lequel Sihanouk consolide son pouvoir en 1955 en renonçant au trône au profit de son père114, pour mieux se consacrer à la gestion de l’État, doit faire face aux problèmes que pose l’indépendance. Ces problèmes sont les mêmes que ceux de ses voisins : l’aide étrangère reste indispensable. Elle demeurera française et américaine – l’USAID crée un bureau à Phnom Penh en novembre 1954115 ; mais le temps viendra vite d’une neutralité active, qui verra Sihanouk demander et obtenir l’aide de tous les camps ou presque, avant il est vrai se sombrer à son tour, emporté par la nouvelle guerre du Vietnam.
101
Un important problème reste néanmoins à résoudre pour mieux asseoir cette indépendance : celui de l’accès du royaume à la mer. L’affaire a déjà été longuement
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débattue à la conférence de Pau, mais la convention sur le port de Saigon et la navigation sur le Mékong n’a jamais été vraiment appliquée. Phnom Penh, considéré depuis 1953 comme un port de mer, est accessible aux navires ayant un tirant d’eau de 4,5 à 5 mètres : mais il leur faut 15 à 20 heures pour parcourir, sur le Mékong, les 350 kilomètres qui le sépare la ville de la mer. Une nouvelle convention fut signée le 29 décembre 1954 à Paris, à l’issue de la conférence quadripartite qui mit également fin à l’Institut d’émission. L’internationalisation et le libre usage du port de Saigon pour les trois États concernés y étaient réaffirmés. Mais les relations entre le Cambodge et le Sud-Vietnam avaient pris une telle tournure que le royaume s’engagea, avec l’aide de la France, dans une autre direction : une mission hydrographique française entreprit dès 1954-1955 l’étude systématique du littoral, pour déterminer le meilleur emplacement pour un port en eaux profondes : un emplacement fut identifié dans la baie de Kompong Som, où les travaux destinés à donner au Cambodge un accès direct à la mer commencèrent l’année suivante116. Ainsi, compte tenu de sa propre histoire, le Cambodge négociait-il au fond assez bien sa sortie de guerre.
D. LE LAOS 102
Le Laos existe-t-il, se demandait en substance Georges Chaffard en faisant le point après dix ans d’indépendance117 ? Il est vrai que ce territoire d’environ 237 000 km2, le plus grand désormais des États d’Indochine, mais seulement peuplé d’environ 1 million d’habitant – à peine plus de 4 au km2 – apparaît depuis longtemps comme le maillon faible de l’ensemble. Encore cette population relève-t-elle pour environ 40 % de diverses minorités nationales, dont les fameux Hmong (Méos) déjà évoqués pour leur production d’opium. Les multiples questions que soulève l’existence du Laos resurgissent dans le contexte de 1954.
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À la différence de celle du Cambodge, la monarchie du Laos exerce un pouvoir incertain et doit l’essentiel de son autorité au fait qu’elle est reconnue par la France : celle-ci a en effet recomposé dans le Protectorat un Laos divisé entre les familles princières de Luang Prabang au nord – le roi Sisavang Vong y réside – de Vientiane au centre, capitale administrative où Souvanna Phouma dirige le gouvernement, et de Paksé au sud, où le prince Boun Oum a son Palais – sans compter un autre prince, Souphanouvong, à la tête d’un Pathet Lao s’appuyant sur le Viet Minh 118.
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Comme au Cambodge, par contre, la France a transféré une large partie de ses pouvoirs à Vientiane en signant un traité d’amitié et d’association le 22 octobre 1953 – à l’exception notable, à nouveau, du privilège d’émission monétaire et du contrôle des changes, détenu jusqu’à la fin 1954 par l’Institut d’émission : la « piastre Cusin » règne également ici en maître, dans la mesure où le Laos dispose vraiment d’une économie monétaire. Les fonctionnaires français, qui ne se sont pas privés de dénoncer la corruption ambiante, semblent avoir toujours eu du mal à s’y retrouver dans un budget national assez opaque – une sorte d’économie parallèle fonctionnant dans le pays, dans laquelle l’opium à sa part119. On le sait, d’ailleurs, le « pays du million d’éléphants et du parasol blanc » n’était pas un État associé comme les autres : lorsque le ministère chargé des Relations avec les États associés fut constitué, en 1950, le Laos fut maintenu dans le budget du département de la France d’outre-mer. Par ailleurs, ceci expliquant sans doute cela, la France finançait à 100 % l’armée nationale du Laos : à la différence du Vietnam et du Cambodge, aucune contribution ne lui était demandée dans le cadre
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du conflit – il est vrai que l’entretien de ses quelque 15 000 hommes en 1954 ne constituait pas un gros boulet budgétaire120. 105
Le Laos était pourtant devenu en 1953 un champ de bataille pour le Viet Minh et son allié du Pathet Lao – le site de Dien Bien Phu étant censé couvrir le royaume – et il dut en subir les conséquences à Genève : deux provinces, Phong Saly et Sam Neua, situées au nord et au nord-est du pays, furent désignées pour servir de « secteurs de stationnement provisoire » aux forces du Pathet Lao ; l’accord de Genève précise que ces dernières forces « auront toute liberté de circulation entre ces deux provinces dans un couloir le long de la frontière lao-vietnamienne »121.
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Quelles auront été les conséquences de la guerre pour le Laos ? À lire certaines sources françaises, une sorte de cataclysme se serait abattue sur le royaume : « Neuf années de guerre ont durement touché une économie nationale au canevas encore fragile, note un responsable de l’aide française au Laos. L’invasion et l’occupation d’une partie du territoire, la mobilisation des hommes, la subordination de toutes les activités à la lutte contre l’envahisseur, des destructions considérables, ont retardé l’effort d’équipement et les travaux indispensables à l’unification économique » 122. Ces « destructions considérables », pour importantes qu’elles aient pu être, sont cependant à relativiser par l’état modeste d’équipement et de développement du royaume, seul des trois pays d’Indochine où, par exemple, la France n’a jugé bon d’imaginer un tracé de chemin de fer. À bien des égards, le Laos correspondait à l’idée que l’on peut se faire d’une réserve coloniale : les richesses y étaient peut-être importantes, mais elles n’étaient même pas entièrement connues. « Quant au domaine minier, écrit justement notre auteur dans le même article, il offre une grande variété de produits, mais reste encore incomplètement catalogué. Il n’existe qu’une exploitation d’une certaine importance, celle du gisement d’étain de Phon Tiou, qui produit actuellement quelque 700 tonnes de concentré par an et donnera prochainement un millier de tonnes. » 123
107
La plus importante conséquence de la guerre pour le Laos, pays enclavé dépendant du bon vouloir de ses voisins et de l’aide extérieure, paraît précisément se situer à ce niveau : l’arrivée de l’aide américaine et la réorientation, conforme à la géographie, du pays vers la Thaïlande. Un bureau de l’USOM (US Operations Mission) s’installe à Vientiane le 1er janvier 1955, le jour même à partir duquel, l’Union monétaire ayant pris fin, le Laos, comme les deux autres ex-Etats associés, peut directement recevoir une aide multiforme des États-Unis et se dote de sa propre banque nationale. « Des bureaux correspondants aux services du gouvernement lao commencent à aligner des projets, souligne un expert. Peu à peu, cette organisation deviendra un quasi gouvernement parallèle, traitant directement avec ses homologues lao. »124 Un an après la signature des accords de Genève, les États-Unis prendront également la relève militaire de la France au Laos125. Et le pavot y pousse toujours.
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Ainsi, dans la nouvelle Indochine balkanisée et ouverte aux aides américaines et soviéto-chinoises, les acteurs de ce qui deviendra le second conflit vietnamien se mettent rapidement en place.
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NOTES 1. Archives nationales, 80 AJ 12. 2. Le président de la section industrialisation était Paul Bernard, qui faisait autorité sur l’économie coloniale depuis ses deux ouvrages, dont Le problème économique Indochinois, publié en 1934. Par ailleurs, la question de l’industrialisation a fait entre 1945 et 1947 l’objet de plusieurs rapports préalables : Note au sujet de l’industrialisation de l’Indochine, Hanoi, 16 septembre 1945, 20 p. ; Plan d’équipement industriel de l’Indochine, Paris, 3 octobre 1945, 18 p. ; Plan d’industrialisation de l’Indochine, Saigon, janvier 1946, 20 p. ; Rapport général de la section industrialisation, novembre 1947, 53 p. 3. Daniel Hémery, « Asie du Sud-Est, 1945 : vers un nouvel impérialisme colonial ? Le projet Indochinois de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale », communication au Colloque international sur les décolonisations comparées d’Aix-en-Provence, 1993. 4. Le rapport de la sous-commission comporte deux parties : la première, sous le titre « Équipement de l’Indochine » apparaît comme une sorte de bilan ; la seconde décrit le « Plan de modernisation et d’équipement » proprement dit. 5. Rapport de la sous-commission de modernisation de l’Indochine. 6. Nouveaux aspects du problème économique indochinois, Paris, 1937. 7. Le chiffre de 760 milliards de francs a été obtenu en suivant les indices de conversion proposés par la commission du plan : une piastre vaut 10 francs en 1939 ; 1 franc 1945 vaut 3,4 francs 1939 ; 1 franc 1954-1955 vaut 7 francs 1945. 8. Décret du 20 avril 1947, modifié et complété par un décret du 28 décembre 1949. 9. Selon un article intitulé « La restauration de l’économie de l’Indochine » figurant dans la documentation de la direction du Trésor, sans indication de date ni de provenance mais qui semble dater de l’été 1948. 10. Le compte rendu de cette réunion figure dans une note du 4 septembre 1948 « sur le financement du Plan d’équipement de l’Indochine ». AEF, Fonds Trésor, Β 33540. 11. Outre Bloch-Lainé étaient présents Gregh, prédécesseur de Goetze à la direction du Budget, Bourgoin et Joubert, respectivement conseiller au Plan en Indochine et président de la souscommission de l’Indochine au commissariat général au Plan, ainsi que Torel, sous-directeur du Plan au ministère de la France d’outre-mer. 12. Il s’agit du FIDIC, analogue au FIDES. Mais déjà le ministère de la France d’outre-mer, précise la note en question, « est devenu moins favorable à l’extension en Indochine de l’activité de la Caisse centrale ». 13. L’organisme indochinois de crédit en question, dans l’esprit de Pleven, aurait dû être créé avec le concours du Crédit national, de la Banque de l’Indochine, de la Banque franco-chinoise, des quatre banques nationalisées et de la Caisse centrale de la France d’outre-mer. 14. Tableau dans AEF, Fonds Trésor, Β 43540. Un budget spécial avait été institué dans un premier temps, par décret du 16 octobre 1946, pour accueillir les premières imputations budgétaires dans le domaine de la reconstruction, et a coexisté quelque temps avec le budget extraordinaire. 15. Il faut la multiplier par 4,3 pour obtenir 124,5 milliards de francs (1953), montant du coût de la guerre en 1948 selon les données du ministère de la Défense. 16. Le conseiller financier auprès du haut-commissaire, note sur le budget extraordinaire de l’exercice 1949-1950, septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 33538. 17. Tableau récapitulatif du budget extraordinaire 1949-1950. AEF, Fonds Trésor, Β 33538. 18. Lettre du ministre de la France d’outre-mer au ministre des Finances, 2 février 1950, courrier faisant suite à un échange de correspondance entre Letourneau et Pignon. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
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19. Tableau récapitulatif du budget extraordinaire 1949-1950. 20. Lettre du 30 octobre 1949 du haut-commissaire, signée Torel, au ministre de la France d’outre-mer. AEF, Fonds Trésor, Β 33538. 21. Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 22. Notice sur les dépenses de reconstruction et d’équipement. Document de travail, 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43926. 23. Décret du 5 août 1951 et arrêté du 26 décembre 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43909. 24. Lettre du 12 mai 1953, signée Dupraz. AEF, Fonds Trésor, Β 33538. 25. Rapport du 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclerc. Texte également publié en annexe des actes du colloque Leclerc – Leclerc et l’Indochine, Paris 1992. 26. Mémorandum d’Argenlieu du 14 janvier 1947. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31. 27. La formule est du général Valluy, alors haut-commissaire par intérim. G. Bodinier, Indochine 1947, SHAT, op. cit. 28. Gaston Taboulet, La geste française en Indochine, Paris 1955. 29. Le Monde 13-14 mars 1949. 30. Conclusions de la mission Revers, SHAT, Fonds Revers. 31. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963. 32. Selon les termes du général de Lattre à Vinh Yen, le 19 avril 1951. Maréchal de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Paris, 1987. 33. Général Gras, op. cit. 34. « Évolution de l’armée nationale vietnamienne », SHAT, 14 H 72. 35. Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 36. 170 000 réguliers et 60 000 supplétifs. 37. Dont 151 000 réguliers et 48 000 supplétifs. 38. 125 000 réguliers, 75 000 régionaux et 150 000 guérilleros des forces populaires, qui ne portent peut-être pas d’ailleurs eux-mêmes les armes à plein temps. Chiffres du général Gras, op. cit. 39. Le Monde, 15 octobre 1953. 40. Sur toute la période, l’État associé aura contribué pour 5 % au coût total de la guerre. D’après le rapport Bousch, Conseil de la République, 23 février 1954. Voir annexe 24. 41. SHAT, 10 H 3991. 42. Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963. 43. 560 AP 55. Tableau sur « les possibilités démographiques de l’Indochine », destiné à appuyer la réflexion sur le développement des armées nationales. 44. Lettre de Dan, commissaire au Comité de résistance économique de Ba Cho, à Pham Hung, président du Comité de résistance économique, saisie vers An Loc le 23 avril 1954. SHAT, 10 H 3991. 45. Décret n° 149-SL du 12 avril 1953, portant la signature de Ho Chi Minh. SHAT, 10 H 3996. 11 subsiste cependant une petite incertitude chronologique : d’autres sources éditées donnent pour ce décret la date du 20 avril. Quoi qu’il en soit, il n’aurait été publié au « JO » de la RDV qu’en mai. 46. Décret n° 150-SL portant la même date du 12 avril 1953. SHAT, 10 H 3996. 47. Ordonnances n° 19, 20, 21 et 22. Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961. 48. Le Monde, du 10 juin 1953, reprenant une dépêche de l’AFP. 49. Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes n° 44. Hanoi, 1976. 50. Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, op. cit. 51. Correspondance économique, 5 août 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 52. Rapport Valls, op. cit. 53. Étude sur l’économie vietminh, 2e Bureau français, 1948. SHAT, 10 H 3990.
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54. Voir P. Brocheux, « L’économie de la résistance vietnamienne », Les guerres d’Indochine, de 1945 à 1975, Cahier de l’IΗΤΡ n° 34, juin 1996. 55. État des pertes en Indochine de 1945 à 1954, établi au 11 décembre 1961. SHAT, 1 R 239. 56. Bernard Fall, Le Viet Minh. La République démocratique du Vietnam 1945-1960. Paris, 1967. 57. Rapport Valls 1953. 58. Rapport de Paul Bernard au Conseil économique sur la « Conjoncture des États associés », daté du 3 mars 1954. 59. Le Monde, 6-7 juin 1954. 60. Rapport Valls 1953. 61. René Théry, L’Indochine française, Paris, 1931. 62. Bulletin économique de l’Indochine, cité par Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, Paris, 1995. 63. Paul Mus, Vietnam, sociologie d’une guerre, Paris, 1952. 64. Souvenir de voyage personnel. 65. Selon les services de renseignements français. 66. Extrait d’une lettre de A. Valls en date du 20 mars 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. Voir annexe 12. 67. Lettre du 18 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43911. 68. AEF, Fonds Trésor, Β 33551, Β 43 910 et Β 43911. 69. AEF, Fonds Trésor, Β 43911. 70. Accord sur la cessation des hostilités en Indochine, Notes et Études documentaires, 18 août 1954, La documentation française. 71. Rapport de Margerie concernant les questions financières en Indochine, mai 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43918. 72. Documents divers et notamment « répartition par État des éléments du bilan de clôture de la Caisse autonome ». AEF, Fonds Trésor, Β 43927 et Β 43928. 73. Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, Paris, 1964. 74. Vo Nhan Tri, Croissance économique de la République démocratique du Vietnam, Hanoi, 1967. La piastre de la Banque de l’Indochine ou de l’Institut d’émission a été échangée en octobre à une contre trente. 75. Ho Chi Minh, De la révolution, 1920-1966, Paris, 1968. 76. Vo Nhan Tri, Croissance économique de la République démocratique du Vietnam, op. cit. 77. Lettre adressée par Pham Van Dong à Mendès France le 21 juillet 1954. Archives MAE et AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 78. Étaient présents les représentants des sociétés ou services suivants : SOFFO, Société Bunge, Compagnie
franco-indochinoise,
Chambre
syndicale
d’Indochine,
Chambre
syndicale
d’importation, Ciments d’Indochine, Charbonnages du Tonkin, Électricité d’Indochine, Air liquide, Indochinoise d’électricité, BGI, Banque de France, Institut d’émission, Banque de l’Indochine, Banque franco-chinoise, Trésor, DREE et Finances extérieures. 79. Compte rendu de la réunion tenue au ministère des Finances, le 22 juillet 1954 à 17 heures, sous la présidence de M. Sadrin, directeur des Finances extérieures. AEF, Fonds Trésor, Β 43912. Voir annexe 23. 80. Lettre de Boyer à Valls, 11 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 81. Télégramme du général Ély du 24 juillet 1954. AEF, Fonds Cusin, 5 A 82. 82. Télégramme Ély du 24 juillet 1954, op. cit. 83. « Les chances de la France au Nord-Vietnam », Le Monde 17 et 18 septembre 1954. 84. Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, op. cit. 85. Cité par Max Clos, Le Monde de 4 janvier 1955. 86. Le Monde, 19 mars, 10 au 10 avril et 24 au 24 avril 1955.
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87. Bertrand de Hartingh, « D’un but et de moyens : la réforme agraire au Nord-Vietnam », communication au colloque EUROVIET d’Amsterdam, juillet 1997. 88. Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, op. cit. 89. Ho Chi Minh, discours prononcé en septembre 1955 pour le dixième anniversaire de la RDV Dans Ho Chi Minh, De la révolution, (1920-1966), op. cit. 90. Nommé premier ministre par Bao Dai, qui séjourne alors en France, entre la chute de Dien Bien Phu et l’accord de Genève, il rentre à Saigon le 25 juin 1954 pour y prendre ses fonctions. 91. Télégramme de Bonnet rendant compte de l’évolution des pourparlers, 29 septembre 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 92. Communiqué final des entretiens de Washington. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. 93. Lettre de Guy La Chambre aux chefs des délégations des États associés, 18 août 1954. 94. Convention particulière entre la France et le Vietnam sur les achats de piastres correspondant aux dépenses militaires au Vietnam. AEF, Fonds Trésor, Β 43910. 95. Philippe Devillers et Jean Lacouture, Vietnam, de la guerre française à la guerre américaine, Paris, 1969. 96. Henri Navarre, Agonie de l’Indochine, Paris, 1956. 97. Le Monde, 5 janvier 1955. 98. Note sur les transferts d’Indochine, 26 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43917. 99. Le Monde, 14 janvier 1955. Les projets de la Régie n’aboutiront pas. 100. Ordonnance n° 2 du 8 janvier 1955. Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961. 101. Jean-Marcel Jeanneney, Tableaux statistiques relatifs à l’économie française et l’économie mondiale, Paris, 1957. 102. Rapport Valls 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. 103. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 104. Accord du 29 août 1953 sur le transfert des services de justice et de police et accord du 17 octobre 1953 relatif au transfert militaire. 105. La constitution promulguée le 6 mai 1947 faisait du régime cambodgien une monarchie parlementaire. 106. Note Risterucci du 10 mai 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 107. Traité signé à Paris le 8 novembre 1949. 108. Etude non datée et non signée sur l’armée royale khmère, figurant dans les papiers Mayer. Archives nationales, 363 AP 24. 109. Note d’André Valls pour le ministre des États associés sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 110. Le 23 décembre 1954 pour la Banque et le 31 pour l’Office des changes. Cambodge, ouvrage général de présentation du pays et publié à Phnom Penh dans les années 1960. 111. Courrier « intercepté » du 10 février 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33541. 112. Institut d’émission, compte rendu du 5 janvier 1954 d’une mission à Phnom Penh en date des 29 et 30 décembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551. 113. Environ 30 000 hectares étaient plantés au Cambodge, soit 30 % de l’ensemble de l’Indochine. En 1955, la production était de l’ordre de 25 500 tonnes. 114. Le 3 mars 1955, un mois après le référendum du 7 février par lequel le peuple khmer avait été appelé à approuver l’action de la monarchie en faveur de l’indépendance. 115. Cambodge, ouvrage général déjà cité. 116. Le port de Sihanouk-ville sera inauguré le 2 avril 1960. 117. Georges Chaffard, Indochine dix ans d’indépendance, op. cit. 118. Souvanna Phouma dirige le gouvernement laotien de novembre 1951 à la fin 1954, Katay Sasorith lui succédant alors jusqu’en février 1956.
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119. AEF, Fonds Trésor, Β 33539 et Β 43929. 120. Note pour le ministre des États associés sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43924. 121. Article 14 de l’accord sur la cessation des hostilités en Indochine concernant le Laos. Notes et études documentaires du 18 août 1954, La Documentation française. 122. Bernard Bochet, chef de la mission française d’aide économique et technique au Laos, « L’aide économique et technique française au Laos », France-Asie, numéro spécial n° 118-119, mars-avril 1956 (Présence du royaume lao). 123. Bernard Bochet, op. cit. 124. Jean Deuve, Le royaume du Laos 1949-1965, Paris, 1984. 125. Paul Lévy, Histoire du Laos, Paris, 1974.
NOTES DE FIN 1. Nord et Sud Vietnam seulement (en 1942, le chiffre de production du Centre s’élevait à 983,7)
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Conclusion
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Ayant constaté que « le projet d’étudier scientifiquement la guerre avant de la juger soulève de sourdes résistances », Gaston Bouthoul ne s’en étonnait pas : « la guerre n’est-elle pas le domaine des terreurs sacrées, comme jadis la foudre et le tonnerre, interdits aux physiciens sacrilèges ? N’oublions pas, ajoutait-il, que jadis on admettait la torture, non la dissection »1. Pour notre part, nous n’avons guère rencontré de résistances dans cette recherche, sinon celles des sources, souvent opaques et plus encore inaptes à livrer autre chose que des bribes de vérité - les sources écrites car les sources orales, elles, nous sont apparues en effet réticentes. Sinon aussi celles des représentations, très liées cette fois au caractère sacré de l’objet : en abordant aujourd’hui la guerre d’Indochine, il est impossible de faire abstraction des idées bien tranchées qui s’y rapportent. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas souhaitable, car ces idées, ces représentations, en font d’une certaine manière partie.
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Que cherchions-nous en étudiant le coût de la guerre d’Indochine ? D’abord à tenter de mieux comprendre, sans doute, ce conflit qui mina la IV e République, inaugura la fin de l’empire français et destructura durablement l’Indochine elle-même. Les finances publiques sont en effet « un poste d’observation stratégique pour l’historien » 2 : le constat de leur importance progressive à l’arrière-plan des combats, l’inventaire des dépenses, des ressources, la reconnaissance de l’organigramme compliqué de la guerre et de sa gestion débouchaient sur une sorte de phénoménologie du conflit.
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Qu’apprend-on en particulier sur l’origine même de la guerre d’Indochine ? Il ressort des sources qu’il n’y a pas de causes spécifiquement économiques au conflit. L’idée est plutôt, au lendemain de la seconde guerre mondiale, de reprendre un territoire considéré comme français et dont on a perdu le contrôle depuis plusieurs mois. Par contre, les facteurs économiques créent un environnement favorable à la guerre, car ce territoire fixe une masse importante d’investissements. Ainsi pour le caoutchouc : ce n’est pas pour lui que la France a dépêché son corps expéditionnaire en Indochine ; il n’en reste pas moins que le rétablissement des fournitures indochinoises était indispensable à la relance de l’industrie française dans ce secteur.
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Ce souci des intérêts français accompagna la conduite de la guerre pratiquement jusqu’à la fin. Dans une note conjointe et contemporaine de la déclaration gouvernementale du 3 juillet 1953, Gaston Cusin et André Valls insistent encore, à la veille des ultimes négociations avec les États associés, sur les garanties que la France
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est en droit d’attendre des États, pour prix de son aide : « Les préoccupations françaises restent à cet égard les mêmes qu’en 1949 », précisent-ils. Elles concernent tout simplement la sauvegarde des intérêts de la France, en matière d’échanges, de transferts financiers et d’influence culturelle. Les intérêts économiques liés à l’Indochine étaient-ils pour autant essentiels à la France ou à son rôle impérial ? Les plus importants d’entre eux se désengagent en fait progressivement de l’endroit, dès le début du conflit. En tout état de cause, la défense des intérêts français n’a pas pesé très lourd face aux problèmes posés par la gestion de la guerre, devenue elle-même une gigantesque entreprise. 5
L’éclairage économique et financier n’est pas non plus inutile à l’examen du déroulement proprement dit du conflit. L’impression générale est bien sûr que la guerre a été progressivement rattrapée par son coût. Face à un adversaire il est vrai fort déterminé, elle a d’abord, et du début à la fin, semblé toujours trop chère - la question sans cesse renouvelée des renforts l’atteste. La combinaison de la décolonisation et de la guerre froide, celle-ci prenant vite un tour spectaculaire et dramatique dans l’environnement de l’Indochine, a fait ensuite monter les enchères.
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Le coût de la guerre est à la fois l’illustration et l’explication d’un échec politique : incapacité à penser la guerre comme telle, à reconnaître l’adversaire à sa juste mesure, à imaginer et à mettre en œuvre des solutions vraiment adaptées. L’augmentation du coût de la guerre montrait pourtant son caractère infaisable. D’abord en termes de dépenses : l’Indochine était au départ un territoire à reconquérir, mais chaque secteur repris demeurait plus ou moins rebelle et imposait de fortes charges d’occupation. Ainsi, plus la France retrouvait ses positions, plus le conflit lui coûtait cher. Sans doute les conditions technologiques évoluaient-elles, notamment au profit de l’aviation mais, précisément, ce dernier outil militaire, rendu intéressant par la nature et l’étendue du terrain à occuper, était en même temps le plus onéreux qui fut.
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Nourrie d’une sorte d’orgueil de grande nation, la France n’envisage à aucun moment de renoncer vraiment, alors qu’elle sait vite ne jamais pouvoir vaincre. Ses solutions sont politico-financières : les armées nationales pour les effectifs, si difficiles à recruter et si onéreux par leur nombre ; l’aide militaire américaine pour le matériel, qui fait souvent défaut en France et doit être acquis au prix fort. La réponse au « surcoût » financier de la guerre - valable aussi pour les paiements français - sera également américaine. Toutes ces solutions entraînaient pourtant le pays dans de multiples contradictions.
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Le caractère infaisable de la guerre ressortait en effet aussi de la nature même des ressources. La France avait certes besoin des États associés et des armées nationales ; mais elle devait leur procurer, en échange de leur contribution, toujours plus d’indépendance, perdant la position centrale qui justifiait son engagement. Accessoirement les armées nationales, si belles sur le papier, avaient quelque chose de virtuel. Le général Salan leur aurait ainsi rendu ce dernier hommage après Dien Bien Phu : à force de constituer de nouveaux bataillons sans se soucier du niveau atteint par ceux qui ont déjà été réunis, on a abouti à « une troupe hétéroclite où les unités purement vietnamiennes sont médiocres, quand elles ne se diluent pas d’elles-mêmes, et qui, manquant de cadres, est d’une efficacité très discutable » 3.
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Pour autant, les États associés, comme acteurs du conflit, prennent à travers les sources financières une dimension que l’examen de la conduite de la guerre ne leur accordait généralement pas. Dénoncés comme « fantoches » par le Viet Minh - l’administration
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de Bao Dai était plus particulièrement visée -, les États associés ont cependant été entre 1950 et 1954 les interlocuteurs privilégiés des hauts fonctionnaires français qui ont eu à connaître du financement de la guerre. Or ces derniers jouèrent semble-t-il vraiment le jeu de l’indépendance progressivement octroyée. Mais on n’ouvre pas impunément la boîte de Pandore. 10
Magie de l’indépendance... Cette question est au cœur du conflit, pour le Viet Minh sans doute mais aussi bientôt pour les États associés. La formule de la France est celle de Γ indépendance-association, c’est-à-dire d’une indépendance qui n’en est pas tout à fait une. « Dans [...] le monde d’aujourd’hui, lança de Lattre aux élèves du Lycée Chasseloup-Laubat de Saigon4, il ne peut y avoir de nations absolument indépendantes. Il y a seulement des interdépendances fécondes et des dépendances funestes. » Mais ce n’est pas sans une certaine hypocrisie qu’est parfois présentée l’évolution du dossier. « L’Institut d’émission [...] réalise au sein de l’Union française l’indépendance financière des États associés », titre ainsi Le Monde lors de son inauguration 5, résumant l’idée du moment, alors que, précisément, la monnaie sera le seul élément - et le dernier à sauter - empêchant une véritable indépendance.
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Paris avait également besoin de l’aide de Washington, et les États-Unis accordaient celle-ci d’autant plus facilement que son attribution s’accompagnait d’un désengagement de la France. États associés et États-Unis avaient ainsi partie liée objectivement du moins, comme on dit depuis. Comment la France pouvait-elle s’appuyer sur le pays le plus anticolonialiste de la planète, qui se trouvait en même temps en être la plus grande puissance, pour maintenir son influence dans une Indochine dont, en même temps, les pays membres aspiraient eux-mêmes à l’émancipation ? « Les États-Unis fournissent des dollars, nous payons en part d’indépendance », ironisait le président Auriol au milieu du conflit 6.
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Ce montage États associés-aide américaine n’allait donc pas sans quelque risque, comme le suggère en 1953 le général Grossin, attaché à la présidence de la République, à propos du « plan Hinh » de développement de l’armée vietnamienne - le dernier en date : « En face d’un adversaire coriace, à l’égard d’un associé enclin au chantage et à côté d’alliés ayant démontré leur naïveté devant les problèmes asiatiques, il conviendrait de ne donner aucun accord de principe sans avoir réuni les garanties du succès, sans quoi nous nous exposerions à payer les pots cassés » 7. C’est d’une certaine manière ce qui allait se produire...
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La lecture économique et financière de la guerre d’Indochine met accessoirement l’accent sur quelques-uns de ses éléments spécifiques. La monnaie d’abord, élément quotidien de la culture matérielle, lieu d’exercice du pouvoir et de ses contradictions, réceptacle de toutes les réalisations et de toutes les ambitions, baromètre des sociétés et des économies. De la démonétisation des billets de 500 piastres en 1945 au changement de parité en 1953, il apparaît, dans la guerre monétaire que se sont livrés les deux camps comme dans la guerre tout court, que la piastre aura compté autant que le fusil.
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Le temps, aussi, constitua à sa manière une ressource essentielle -quoiqu’immatérielle pour les belligérants : le temps gaspillé du côté français, sûr de lui et bientôt installé dans le conflit plutôt que désireux d’en sortir vraiment, et pour qui chaque retard ajoute au coût de la guerre ; le temps principale ressource du Viet Minh, chaque retard de l’adversaire étant pour lui capitalisé, permettant un nouveau développement de son outil militaire. Time is money, rarement le vieil adage aura été aussi vrai, et
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paradoxalement pour la RDV... Passée la grave crise de 1946 en effet, dans cette guerre qui s’annonçait longue donc coûteuse, la gestion du temps, bien meilleure du côté Viet Minh, allait devenir la clé du succès. 15
Que cherchions-nous d’autre en étudiant le coût de la guerre d’Indochine ? Certainement une sorte de prix, un ou plusieurs chiffres incontestables permettant de mesurer la perte ou le profit de l’opération. En elle-même, cette évaluation du coût de la guerre est un exercice difficile mais réalisable, en particulier pour la France : en termes financiers, nous ayons mesuré ce coût, entre 1945 et 1954, à environ 10 % des dépenses de l’État, soit l’équivalent d’une année de budget. C’est cher, sans doute, très cher même au regard des besoins sociaux du moment, et les hémicycles parlementaires résonnent encore des polémiques sur le sujet, d’autant qu’avec le trafic des piastres, l’argent sale accompagnait la « sale guerre ». Mais tout est relatif : le réarmement de la France, sans présenter le même caractère d’urgence, ne pesait-il pas tout autant sur le contribuable ?
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Il apparaît cependant que ce qui compte vraiment n’est pas tant le montant déboursé, fut-il gigantesque, que la gestion qui l’accompagne. Peut-être cette appréciation vientelle d’une trop longue fréquentation des archives du Trésor mais, précisément, ce long commerce avec les banquiers de l’État suggère leur importance. L’argent circule, et pas toujours là où on l’attend. Comme l’écrit par exemple en 1952 une note du Trésor à propos de l’Indochine, « inscrire 20 milliards de crédits budgétaires et même dépenser 20 milliards de crédits budgétaires ne veut pas dire que nous décaissions effectivement 20 milliards : la dépense réelle dépend de ce qui nous reviendra sous forme de transfert »8.
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Cette primauté de la gestion sur le coût ne s’exprime pas de la même manière à toutes les époques. L’aggravation progressive du coût de la guerre apparaît d’abord largement liée à sa gestion hasardeuse, cette mauvaise gestion n’étant sans doute elle-même que la traduction d’une vision politique inadaptée du problème. Au tournant des années cinquante, le problème s’inverse : l’aggravation du coût de la guerre projette au premier plan les experts financiers, qui finiront dans la dernière année du conflit par imposer leurs solutions. D’une certaine manière tout se passe comme si ces derniers ne géraient plus la guerre mais son coût, tour à tour élément d’incantation budgétaire et de négociation internationale, marge de manœuvre aussi pour gérer les finances de l’État.
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Dès lors, dans les coulisses du pouvoir, ministres et directeurs anticipent l’aide américaine réclamée - parfois imaginée - pour boucler leurs budgets, comme aujourd’hui on anticipe les points de croissance. Il faut admettre que, de ce point de vue, le coût élevé de la guerre a été relativement maîtrisé : d’une part la France a trouvé dans l’aide américaine d’importants avantages en termes de paiements, de l’autre elle avait si âprement négocié cette aide extérieure qu’en fin de conflit, la guerre ne lui coûtait de fait plus grand-chose.
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L’une des conséquences du caractère financier pris par la gestion du conflit est son décrochement du théâtre lui-même. À force de comprimer les dépenses militaires d’Indochine, notamment dans le but de forcer la main de Washington, le gouvernement rendait acrobatique la conduite de la guerre sur le terrain. Dans une attitude étonnante mais significative, alors que le Plan de campagne est le lieu traditionnel de tous les ajustements, le général Salan, alors commandant en chef, mit ainsi les « pieds dans le plat » pour la préparation du budget 1953 : « J’ai voulu que le trait caractéristique de ce
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Plan de campagne soit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, d’être indépendant de toute considération financière, en particulier de tout impératif restrictif, écrit-il. J’ai tenu à ce qu’il soit avant tout l’inventaire des besoins qu’auront à satisfaire les directeurs des services pour que le corps expéditionnaire soit en mesure de répondre à toutes les missions que j’aurais à lui confier... »9. 20
Ce découplage entre une gestion politico-financière de la guerre et sa gestion militaire conduit-il à Dien Bien Phu ? « Bulle financière » d’un côté, « bulle militaire » de l’autre : celles-ci entretiennent en tout cas, par leur existence même, le malentendu politique. Un officier supérieur, s’intéressant après la bataille aux relations que celle-ci entretient avec la politique française en Europe, et ne retenant rien de bon ni de sa conception ni de son déroulement, s’interroge en particulier sur le fait que « tous les chefs militaires français étaient d’accord sur ce choix » - le choix de livrer bataille dans la fameuse cuvette. Pour lui, cette révélation est bien plus inquiétante que le revers lui-même, car « elle condamne implicitement tout le haut commandement ». Que se passerait-il en effet si les mêmes hommes faisaient les mêmes choix en Europe ? « L’homme d’État a raisonné à partir d’une donnée technique indiscutablement fausse [...], ajoute-t-il. Depuis des années, nous dénonçons vainement cette erreur. » Dien Bien Phu constitue dès lors « un avertissement » dont il faut savoir tenir compte 10.
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Quel bilan retenir de cette tragique décolonisation - un mot qui n’est alors guère prononcé, comme s’il se cachait derrière le spectaculaire du conflit Est-Ouest ? Sur place le bilan apparaît assez consternant, notamment sur le plan géopolitique. Le Vietnam sort plus divisé que jamais du conflit. Autant qu’une solution à la guerre, répétons-le, la division du pays au 17e parallèle est un produit de la guerre, le produit d’une guerre devenue civile, comme l’ont voulu certains dirigeants français désireux de reprendre pied. Par son incapacité à s’entendre avec le Viet Minh dans les premières années de la guerre, la France a également réussi à ramener la Chine au Vietnam, après avoir tant bataillé - diplomatiquement - pour qu’elle s’en retire en 1946. Il ne s’agit certes pas de la même Chine, mais il s’agit tout de même de la Chine. Toute la péninsule indochinoise émerge ainsi du conflit meurtrie, divisée, « balkanisée » : le projet français était certes tout autre, celui d’une fédération indochinoise dans laquelle tous pourraient vivre dans la proximité et le respect des autres, et notamment d’elle-même, dans laquelle, aussi, Cambodge et Laos seraient protégés des appétits vietnamiens ; mais le résultat fut à l’inverse de ces propositions.
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La France vaincue s’en tire plutôt mieux. Elle s’était il est vrai financièrement désengagée dès 1953 avec la dévaluation de la piastre, un an avant Dien Bien Phu. La gestion financière du conflit, ou plutôt de son coût, lui permettait une sortie de guerre sans dommage majeur, sinon en terme d’image - ce qui fait aussi partie, de la gestion de la chose. Elle avait en effet déjà « vendu » sa guerre aux États-Unis, ou en avait fait du moins une juteuse opération, génératrice de précieuses devises. Comme le rappelait on le sait Mendès France au lendemain de Genève, « nous avons trouvé dans la guerre d’Indochine l’équivalent des ressources que, normalement, les exportations devraient nous procurer »11.
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Sur le plan diplomatique, et en termes de puissance, le résultat est moins net. Le risque était connu, ainsi que l’avait formulé François Mitterrand un mois avant Dien Bien Phu, résumant toute la guerre : « Après avoir, pendant trois années, recherché en Asie une conquête du type colonial, après avoir, pendant deux années, de 1949 à 1951, recherché comme une sorte d’astuce, comme une sorte de truc, l’appui de soldats vietnamiens, sous
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forme d’indépendance promise, après avoir, devant l’inefficacité de ces deux solutions, recherché le financement et l’aide matérielle des Américains, nous en sommes arrivés à ne plus pouvoir disposer de notre entière liberté d’action par rapport aux peuples autochtones, pas plus que nous avons de liberté diplomatique réelle à l’égard de nos Alliés, et cela se conçoit parfaitement : dans un contrat, il y des concessions réciproques ». François Mitterrand prônait alors un resserrement de la politique française sur « un objectif méditerranéen »12. 24
La France avait l’Indochine, la complicité américaine et la perspective européenne ; elle semble perdre pratiquement les trois en même temps. L’Indochine certainement : elle doit même abandonner bientôt le Sud-Vietnam, où pourtant ses positions paraissaient les plus fortes. Les États-Unis dans une certaine mesure : l’été 1954, entre Dien Bien Phu, Genève et l’échec de la CED, marquait les limites de leur « système impérial » 13 et remettait en question sinon le principe du moins la pratique de l’alliance entre Paris et Washington. L’Europe justement : comment ne pas être frappé, surtout quand on a lu et relu que la France ne pouvait en même temps protéger l’Indochine, défendre l’Europe et y assurer sa prééminence, de la concomitance des deux phénomènes : la perte de l’Indochine et le rejet de la CED ?
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En 1954, la France est à l’évidence fragilisée par son échec militaire et l’effondrement de ses plans de désengagement d’Asie du Sud-Est. « L’avertissement » de Dien Bien Phu, pour reprendre un mot cité plus haut, a-t-il été entendu ? Sur le plan économique, le sursaut s’est produit, incarné par Pierre Mendès France, pour qui l’Indochine demeurait largement responsable des retards accumulés : « Si la fin de la guerre d’Indochine est une condition préalable de l’assainissement économique, déclarait-il à son retour de Genève14, elle rend cet assainissement plus urgent » encore. Mais l’histoire de la décolonisation et de la construction européenne n’en était qu’à ses premières pages.
NOTES 1. Gaston Bouthoul, La guerre, Paris, 1963. 2. Robert Frank, La hantise du déclin, Paris, 1994. 3. Rapport oral de Salan devant le Comité de défense nationale, selon L’Express du 29 mai 1954, lui-même saisi pour en avoir publié les délibérations. 4. Discours du 11 juillet 1951. Maréchal Jean de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Indochine 1951, Paris, 1987. 5. Le Monde, 2 janvier 1952. 6. Vincent Auriol, Mon septennat, Paris, 1970. 7. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 8. Note du 7 mars 1952, non signée dans la version rencontrée. 9. Lettre du 20 juin 1952. 10. Général Jousse, note du 15 mai 1954, « Dien Bien Phu et la politique française en Europe. » Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24. 11. Discussion d’une interpellation à l’Assemblée nationale, le 22 juillet 1954. JO du 23 juillet 1954.
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12. Intervention de François Mitterrand le 9 avril 1954 au Centre d’études de politique étrangère, rue de Varennes. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 31. 13. Pierre Mélandri, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe. 1945-1954, Paris, 1980. 14. Discussion d’une interpellation à l’Assemblée nationale, op. cit.
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Sources
ARCHIVES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES Ministère de l’Économie et des Finances. Paris et Savigny-le-Temple.
INVENTAIRES – Sommaire général des fonds, 1992, 219 p., avec listes complémentaires. – Inventaire du Fonds Budget, disponible, mais ne comporte aucune référence Indochine, à la différence de l’Afrique du Nord. – Inventaire du Fonds Trésor : environ 30 pages sur l’Indochine.
ARCHIVES ÉCRITES Fonds Trésor. Il comprend notamment les archives des directions Trésor, et des Finances extérieures. Sur l’Indochine et la période 1945-1955, références B 33 538 à B 33 552 (correspondant au versement de base) et Β 43 906 à Β 43 933 (versement de 1982) : 41 cartons au total. Versement de base (Indochine, 1933-1959) Β 33538 Culture du caoutchouc et divers. (Banque de l’Indochine / Plan d’équipement). Β 33539 Situation économique et financière, 1945-1954. Β 33540 Situation économique et financière (suite), 1945-1953. Assistance militaire aux États associés, 1953-1954. Dépenses militaires, 1950-1956. Situation économique et financière (suite), 1941-1953. Β 33541 Dépenses militaires (suite), 1945-1954. Aide financière et militaire de la France à l’Indochine. Β 33542 Dépenses militaires (suite) : aide américaine, 1953-1955. Β 33543 Relevés mensuels du compte 15-50, 1954-1955.
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(Assistance militaire aux États associés). Β 33544 Assistance militaire aux États associés, 1954-1956. Trésorerie (travaux préparatoires à la conférence de Pau). Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette Trésorerie, 1952-1953. Β 33545 Conférence inter-États de Pau (divisé en 2 cartons, nouvelles références : Β 57033/34). Β 33546 Institut d’émission des États associés, 1946-1954. Β 33547 Institut d’émission des États associés (suite), 1948-1954. Β 33548 Institut d’émission des États associés (suite), 1947-1955. Β 33549 Liquidation de la Caisse autonome, 1955. Liquidation de l’Institut d’émission, 1953-1955. Β 33550 Négociations franco-américaines de 1954 sur l’indépendance du Vietnam et conventions d’accords. Conférence franco-vietnamienne de Paris, 1954. Β 33551 Négociations franco-américaines de 1954 sur l’indépendance du Vietnam et conventions d’accords. Β 33552 Conférence quadripartite de 1954. Mouvements de fonds. Versement complémentaire (Indochine, 1930-1958) Β 43906 Aide américaine, 1950-1955. Β 43907 Aide américaine, 1950-1952. B 43908 Comité des prêts, 1951-1959. Β 43909 Comité des prêts (suite), 1951-1959. Convention crédit national de 1961. Convention Caisse centrale de 1962. Β 43910 Accords gouvernementaux, 1954-1955. Β 43911 Conférence inter-États de Paris, 1954. Β 43912 Convention économique et monétaire, 1954. Convention sur les changes, 1954. Négociations politiques, 1954. Convention d’établissement, 1954. Β 43913 Transfert des institutions monétaires indochinoises aux États du Cambodge, du Laos et du Vietnam, 1954. Β 43914 Institut d’émission, 1952-1955. Β 43915 lre conférence intergouvernementale, 1952 (brochure). Β 43916 2e conférence intergouvernementale, 1953 (brochure). Β 43917 Piastres, transferts, 1940-1955. Β 43918 Piastres (suite), affaires diverses, 1946-1955. Β 43919 Dévaluation de la piastre, 1953-1954. Β 43920 Dévaluation de la piastre (suite), 1945-1955. Β 43921 Avoirs francs : transferts, 1955.
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Monnaie, 1898-1952. Β 43922 Règlementation des changes, 1951-1958. Β 43923 Office indochinois des changes. Β 43924 Trésor indochinois, 1948-1951. Β 43925 Trésor indochinois (suite), 1946-1950. Β 43926 Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette de l’ancien TI, 1953-1956. Β 43927 Caisse autonome de gestion (suite), 1950-1954. Β 43928 Caisse autonome de gestion (suite), 1951-1966. Β 43929 Affaires financières diverses, 1946-1958. Β 43930 Renseignements généraux sur la situation économique et financière, 1954-1955. Informations sur la situation militaire, 1953. Relations avec les pays étrangers, 1953. Information politique (bribes), 1954-1955. Assistance technique (bribes), 1954-1955. Affaires commerciales (bribes), 1953-1955. Approvisionnement – Ravitaillement, 1947-1957. Β 43931 Balance des paiements, 1954-1955. Statistiques et comptes rendus divers, 1954. Divers (bribes), 1954. Β 43932 Dossier : problèmes de personnel, 1953-1957. Β 43933 Chemin de fer du Yunnan, 1951-1968. Création d’une caisse d’épargne postale, 1930-1944. Centre des approvisionnements, 1946-1953. Caoutchouc indochinois, 1945-1955. Fonds privé Gaston Cusin (1945-1960). Sur l’Indochine et la période 1951-1955, durant laquelle Cusin est président de l’Institut d’émission des États associés. Références sur l’Indochine : 5 A 78 à 82, 5 cartons. 5 A 78 Conférence inter-États de Pau, 1950. Notes préliminaires aux accords de Paris, 1951. Conférence intergouvernementale de Phnom Penh, 1953. 5 A 79 Notes diverses sur l’union monétaire, le financement des armées nationales, la réalisation de l’indépendance financière des États, la dévaluation de la piastre, 1953. 5 A 80 Haut Conseil de l’Union française (procès-verbaux de séances et notes ultérieures), novembre 1953. Préparation de la conférence monétaire de 1954. 5 A 81 La conférence franco-vietnamienne de Paris, 1954. Commission de coordination pour l’Indochine, 1954. 5 A 82 Négociation franco-vietnamienne de mai-juin 1954, projets d’accord et notes diverses. Fonds du cabinet Edgar Faure (1950-1955). Edgar Faure a notamment été, durant cette période, ministre du Budget, ministre des Finances et président du Conseil. Références sur l’Indochine : 1 A 389, 394 et 462, 3 cartons. 1 A 389 Dépenses militaires dans le budget, années 50.
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1 A 394 Aide US, notamment Indochine. 1 A 462 Indochine (divers).
PUBLICATIONS ET RAPPORTS DIVERS – François Bloch-Lainé, conseiller financier auprès du haut-commissaire de France à Saigon en 1945 et 1946, Rapport de fin de mission, daté du 1er mars 1946 (30 p.), transmis par l’auteur. – Secrétariat d’État au Budget, Le budget de 1952 , transmis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France. – Ministère du Budget, Les dépenses dans le budget 1952, transmis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France. – Roger Goetze, directeur du Budget, Rapport au ministre sur les perspectives de l’année 1952, daté du 12 juillet 1951 (60 p.), transmis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France. – Ministère des Finances et des Affaires économiques et secrétariat d’État au Budget, Le budget de 1954, transmis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
ARCHIVES ORALES Plusieurs interviews ont été réalisées par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF). Parmi les personnalités interviewées ayant eu à connaître de l’Indochine : Jean Aubry (ministère des États associés), François Bloch-Lainé (haut-commissariat et direction du Trésor), Robert Bordaz (Institut d’émission des États associés), Dominique Boyer (direction du Trésor), Gaston Cusin (Institut d’émission des États associés), Paul Delouvrier (SGCI), Roger Goetze (direction du Budget), Bernard de Margerie (SGCI), Jean-Maxime Robert (Banque de l’Indochine), Jean Sadrin (direction des Finances extérieures), Pierre-Paul Schweitzer (Washington et direction du Trésor), André Valls (haut-commissariat de France à Saigon). Consultation des inventaires analytiques pour chaque document enregistré et, éventuellement, audition d’un extrait de l’interview.
ARCHIVES DIPLOMATIQUES Ministère des Affaires étrangères. Paris.
INVENTAIRE – Inventaire de l’Indochine, 1944-1955, achevé en 1988.
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ARCHIVES Fonds Asie-Océanie (direction Asie-Océanie) : 1944-1955, Indochine. Notamment les références 59 à 95 sur le statut de l’Indochine, 262 à 276 sur l’aide américaine et diverses conférences et points de situation ; 322 à 336 sur la situation économique en Indochine. Soit 30 références (AO/IC /...) : Statut de l’Indochine 59 États associés d’Indochine, conférences inter-États, 1950-1955. 60 Conférence quadripartite de Paris, dossier général, 1954. 64 Conférence quadripartite de Paris, texte des accords, 1954. Commission économique et financière. 95 Commission d’application des accords du 8 mars 1949. Commission économique et du Plan, 1949. Aide internationale 262 Aide financière américaine, décembre 1949 à janvier 1950. 263 Aide financière américaine, septembre-décembre 1950. 264 Aide financière américaine, 1951-1952. 265 Aide financière américaine, 1953. 266 Aide financière américaine, janvier-juin 1954. 267 Aide financière américaine, septembre 1954-avril 1955. 268 Aide financière américaine (Cambodge, Laos), 1954-1955. 269 Aide financière américaine (conférence de Singapour), 1951. 270 Aide financière américaine (De Lattre aux États-Unis), 1951. 271 Aide financière américaine (conférence de Washington), 1951. 272 Aide financière américaine (conférences d’experts), 1952-1953. 273 Aide financière américaine (id.), 1953. 274 Fournitures américaines directes, mars-décembre 1950. 275 Fournitures américaines directes, janvier 1951-mai 1953. 276 Aide britannique, 1947-1953. Situation économique 322 Situation économique générale, novembre 1944-décembre 1948. 323 Situation économique générale, janvier 1949-novembre 1955. 325 Finances, monnaies, piastres, septembre 1945-décembre 1955. 326 Banques, douanes, agriculture, 1945-1955. 327 Commerce, dossier général, 1944-1955. 331 Riz-Caoutchouc, 1945-1955. 332 Industries, mines, travaux publics, communications, 1945-1955. 333 Navigation maritime et fluviale, 1945-1955. 334 Aviation civile, 1945-1949. 335 Aviation civile, 1950-1955.
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336 Postes et télégraphes, 1945-1955. Fonds États associés (ministère des États associés). Quelques dossiers proprement économiques : 13 dossiers (cotes F, M, Q ou non cotés). 169 Missions de contrôle, 1951-1953. 188 Guerre d’Indochine – OTAN. 193 Conférence inter-États de Paris, 1952. Évolution économique en Indochine, 1952. 205 Conférence économique et financière, 1954. 212 Conférence économique et financière, 1954. 214 Conférence économique et financière, 1954. 217 Conférence économique et financière, 1954. 218 Conférence économique et financière, 1954. 238 Laos, économie et finances, 1951-1956. 256 Production industrielle, dévaluation de la piastre, transferts politiques. 266 Conférence franco-vietnamienne de Paris, 1954. 267 Conférence franco-vietnamienne de Paris, 1954. 290 Aide américaine. Fonds Affaires économiques et financières (direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique) : classement par pays et territoires d’outre-mer. Sur l’Indochine, quelques dossiers sur l’aide économique et militaire américaine : 6 références utilisées (cote A ou non cotés). 400 Février 1946 et période juin 1948-août 1950. 401 Période septembre 1950-juin 1951. 402 Période juillet 1951 à août 1953, dont « achats offshore » dont accord de janvier 1952 et mémorandum d’août 1953. 403 Période de septembre 1953 à février 1954 dont mémorandum de septembre 1953. 404 Documents de mars 1954. 405 Période d’août à décembre 1954.
ARCHIVES MILITAIRES Ministère de la Défense. Château de Vincennes. Le SHAT(service historique de l’armée de Terre) conserve les principales archives de la guerre d’Indochine, y compris en ce qui concerne la Marine et l’armée de l’Air, pour les aspects principaux du moins. Ces derniers peuvent être en particulier approchés à travers les archives de commandement et de conduite de la guerre, soit les fonds : – du cabinet du commandant en chef, dont relevait les trois armes, – de l’état-major inter-armées et des forces terrestres, – du cabinet du ministre de la Défense, – de l’état-major général de la Défense nationale. Le SHAM (service historique de la Marine) a néanmoins établi un : Répertoire des cotations sur la guerre d’Indochine, Vincennes, 1979, 100 p., environ 1 600 cartons répartis en 8 séries.
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Les fonds d’archives eux-mêmes, pour la campagne d’Indochine, sont conservés dans ceux des forces et établissements maritimes en Extrême-Orient (environ 1 000 cartons), ainsi que des bâtiments qui y ont séjourné (460 cartons concernant à la fois les guerres d’Algérie et d’Indochine) -correspondance, journaux de bord, comptes rendus d’activité, documents sur les opérations et la situation en Indochine. Le Fonds de l’état-major de la Marine y ajoute ses propres cartons. Le SHAA (service historique de l’armée de l’Air) dispose en outre, pour sa part, de plusieurs fonds : le Fonds Extrême-Orient, sous-série C IV de la série C – forces aériennes d’outre-mer ; le Fonds des unités volantes, série G, avec les papiers des unités basées en Indochine ; quelques fonds privés, notamment celui du général Valin, inspecteur général de l’armée de l’Air.
SHAT INVENTAIRES – Jean-Claude Devos et al., Inventaire des archives de l’Indochine, sous-série 10 H (1867-1956) , Vincennes, deux tomes publiés : I, 1990, 463 p. et II, 1987, 380 p. – Inventaire des archives de la direction des Affaires militaires, Vincennes. – Jean Nicot et al., Inventaire de la série R (cabinet du ministre de la Défense et organismes rattachés, 1945-1969), Vincennes, 1995. – Inventaire de la sous-série Q (état-major général de la Défense nationale), Vincennes, 1994. – Inventaire des séances des Comités de défense nationale, Vincennes, deux tomes : 1944-1950 et 1951-1961.
ARCHIVES Fonds Indochine, sous-série 10 H. Il comprend plus de 6 000 cartons qu’il est bien sûr difficile – voire peu utile – de tous parcourir, et qui sont répartis en plusieurs fonds. Une centaine de cartons présentent un intérêt économique et financier, dont une quarantaine ont été dépouillés et les autres parcourus. Les cartons sont en général accessibles au chercheur, mais sur dérogation pour ce qui concerne le Viet Minh. La sous-série 10 H est répartie en plusieurs ensembles, entre lesquels les cartons sont répartis : cabinet du commandant en chef, état-major inter-armées et des forces terrestres (EMIFT), forces terrestres du Nord-Vietnam, du Sud-Vietnam, du Laos et du Cambodge. Aide américaine (9 cartons) 154 Aide américaine aux États associés, 1950-1954. Liaison avec l’Américain Map Service. 155 Aide américaine aux États associés, 1953-1954. 219 Rapport sur l’aide économique et technique des États-Unis à l’Indochine, juin 1951. 866 Organisation et emploi des forces aériennes, 1947-1950. Achats d’avions et de pièces de rechange aux États-Unis. 874 Transports aériens, 1947-1950 – Aéronavale, 1947-1948. Aide américaine, 1950.
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1585 Aide américaine : historique, statistiques, bilan, etc., 1950-1953. 1591 Aide américaine : aspects financiers, 1951-1954. 1600 Aide américaine aux États associés. 1824 Aide américaine (génie) : missions, statistiques, plans, et programmes, 1952-1955. Effectifs (6 cartons) 183-4 Correspondance et notes sur les effectifs, 1946-1952. 185 Effectifs, relève ; maintenance. 186 Situation, évolution des effectifs, 1952-1953. 187 Situation, évolution des effectifs, 1953-1954. 188 Situation, organisation des effectifs, 1955. Économie/Finances (15 cartons) 254 Budget ordinaire des services communs, 1949-1950. 255 Préparation et exécution du budget, 1947-1950. Achats à l’étranger, 1947. Rémunération des militaires vietnamiens dans les FTEO, 1947-1955. 256 Régie des chemins de fer, 1948-1949. Dépenses civiles (exercices 1951-1952), 1948-1952. 257 Rapport d’activité du conseiller à l’économie et aux finances, 1952 ; fonds spéciaux, 1951-1952 ; réglementation des prix en Indochine, 1952. 258 Mission de contrôle de l’exécution du budget de l’État en Indochine (santé, intendance, aide au Vietnam, 1949-1953. 259 Mission de contrôle... (génie, information, personnel), 1953-1954. 260 Mission de contrôle... (transports aériens, prisonniers et internés) 1952-1953. 261 Mission parlementaire de contrôle du crédit, 1952-1954. 262 Mission administrative française : procès-verbaux des séances concernant le contrôle des dépenses, 1951-1954. 263 Débats et comptes rendus de 1947, rapport sur le caoutchouc, 1948, information économique et financière, 1949. 264 Bulletin hebdomadaire de presse économique, 1949. Situation économique, 1953. 265 Chemins de fer, transports maritimes et aériens, 1945-1954. 1533 Dépenses d’investissement et diverses études, 1953-1955. 1528 Plans d’approvisionnement et de campagne, 1952-1953. 1534 Crédits et budget. 1535 Études concernant le budget, discussions préparatoires, 1955. Viet Minh (13 cartons) 287 Relations de la Chine avec le Viet Minh et l’Indochine. Armée chinoise, 1946-1949. 288 Aide chinoise au Viet Minh, camps d’entraînement en Chine. Possibilités d’intervention chinoise. Situation politique et militaire.
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289 Possibilités d’intervention chinoise. Situation politique, projet de constitution, politique agraire et financière, 1952-1954. 641 Productions et personnel des usines Viet Minh, 1948. Contrôle des récoltes et ravitaillement, 1949-1950. Billets de banque émis par le Viet Minh, 1950-1954. 3990 Économie Viet Minh, généralités, 1947-1953. 3991 Activités économiques : fonctionnement, blocus, sabotage, 1947-1954. 3992 Finances, budget et trésor Viet Minh, 1950-1954. 3993 La monnaie Ho Chi Minh : émission, circulation, fausse monnaie, 1951-1954. 3994 Taxes, impôts, emprunts, collectes, 1950-1954. 3995 L’agriculture Viet Minh, 1946-1951. 3996 L’agriculture Viet Minh, 1952-1954. 3997 Règlementations sur le commerce et l’industrie, blocus. Échanges avec l’étranger, 1948-1954. 3998 Ravitaillement, sabotages, contrôles, 1951-1954. Fonds de la direction des Affaires militaires (DAM) de la France d’outre-mer, sous-série 14 H. Cette direction releva conjointement du ministère, de la France d’outremer et du ministère chargé des Relations avec les États associés après la création de ce dernier. Une dizaine de cartons concernent les affaires militaires sous leur aspect économique et financier, principalement les quatre suivants : 72 Financement de la guerre d’Indochine, projets de budget, 1953-1954. 74 Transports maritimes vers l’Indochine, 1950-1955. 75 Transports aériens vers l’Indochine, 1952-1956. 93 Correspondance de la sous-direction Intendance. Dépenses militaires et leur financement, 1946-1957. Fonds du cabinet du ministre de la Défense, sous-séries 1 R et 2 R. La sous-série 1 R comprend les papiers du cabinet du ministre proprement dit. Il comporte 16 cartons sur l’Indochine, consultables sur dérogation. Seuls 1 carton (1 R 228) et un dossier (du carton 1 R 239) m’ont été autorisés. L’accès des cartons de la commission d’enquête militaire sur la bataille de Dien Bien Phu m’a été, en particulier, refusé. 1 R 228 Application de la « décision Queuille » de mars 1951. Problèmes de personnels. Conférence de juin 1954 à Washington, 1951-1955. 1 R 239 (d.7) Historique des opérations, bilan des pertes, tableaux des effectifs, des dépenses, des matériels, 1946-1954. La sous-série 2 R conserve les archives du secrétariat d’État aux Forces armées « Terre » (SEFAT). Plusieurs cartons concernant l’Indochine m’ont été autorisés : 2 R 63 Formation du corps expéditionnaire, conduite de la guerre, programme de dépenses en devises, 1944-1955. 2 R 64 Rapports de missions parlementaires et militaires en Indochine, 1952-1954. 2 R 65 Développement des armées nationales, évolution des effectifs, aide américaine, 1951-1975. 2 R 95 Situation des effectifs et problèmes de recrutement, 1948-1954. Fonds de l’état-major général de la Défense nationale, sous série 4 Q.
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Une douzaine de cartons, soumis à dérogation, concernent partiellement ou en totalité l’Indochine – après 1948, ce fonds est relayé par celui du secrétariat général de la présidence de la République, pour lequel les dérogations semblent plus parcimonieusement distribuées. 4 Q113 Dossiers sur le matériel, les renforts, l’armement, les transports et transmissions, etc., 1945-1949. 4 Q 114 Crédits, devises, situation économique, surplus américains, 1946-1948. Fonds privés. Le SHAT conserve les papiers de quelques-uns des généraux qui se sont succédés au commandement en chef à Saigon, ainsi que ceux du maréchal Juin et du général Revers. Ont été consultés : 1 Κ 331 Fonds Revers, 3 cartons sur l’Indochine. 1 Κ 238 Fonds Juin, 1 carton sur l’Indochine. 1 Κ 239 Fonds Leclerc, 3 cartons sur l’Indochine.
ARCHIVES NATIONALES Centre d’accueil et de recherche des archives nationales (CARAN), Paris.
INVENTAIRE Chantal de Tourtier-Bonazzi, Guide des papiers des ministres et secrétaires d’État de 1871 à 1974, Paris, Archives nationales, 1984, 282 p.
ARCHIVES Fonds du Secrétariat général du Gouvernement, série F60. – Conseil des ministres, ordres du jour et relevés de décision des Conseils des ministres, sur dérogation, obtenue pour les cartons F60 2763-2765, 2768-2769 et par extraits pour les cartons F 60 2770 et 2772 : 2763 Ordres du jour, de janvier 1945 à décembre 1948. 2764 Ordres du jour, de janvier 1949 à décembre 1952. 2765 Ordres du jour, de janvier 1953 à décembre 1953. 2768 Relevés de décision, février 1944 à décembre 1950. 2769 Relevés de décision, janvier 1951 à avril 1955. 2770 Relevés de décision, mai – décembre 1955. 2772 Communiqués de presse, mars 1945 à décembre 1955. – Comité de défense nationale, dossiers de séances dans les cartons F 60 3009-3029, consultables sur dérogation, mais refusés ; l’ordre du jour des séances a cependant pu être consulté à Vincennes ; - Guerre d’Indochine, cartons F60 3035-3040, consultables sur dérogation, mais refusés ; l’inventaire, qui a pu être consulté, indique qu’il s’agit d’une collection chronologique de documents, de 1945 à 1955 ; - Affaire des généraux, carton F60 3041, consultable sur dérogation, mais refusé ; - Fonds spéciaux, documents relatifs à leur emploi dans le carton F 60 3043, consultable sur dérogation, mais refusé ; il s’agit des justificatifs de l’utilisation des fonds spéciaux pour les toutes premières années de la guerre (fonds spéciaux militaires et cabinet du haut-commissaire) ;
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SGCI, documents relatifs à l’Indochine : cartons aux cotes provisoires F 60 ter 444-446, 448-450 bis) : 444 Effort français en Indochine, 1948-1953 ; dossier Bernard de Margerie. 445.1 Négociations financières 1951-1954. Aide aux armées nationales 1953-1954. 445.2 Besoins des forces terrestres, aériennes et marine 1951-1954. Questionnaire US. 446 Financement du corps expéditionnaire et des armées nationales, 1953-1954 ; économie États associés. 448 Mémorandum mars 1954. 450 bis Documentation, notamment statistique, 1951-1968. Fonds du commissariat général au Plan, série 80 AJ et 82 AJ. La série 80 AJ conserve les documents du Plan et la série 82 AJ les études sur le Plan. Ont été consultés les documents et rapports de la sous-commission de modernisation de l’Indochine, cartons 80 AJ 12 et 80 AJ 13. Fonds privés – Papiers Mayer, série 363 AP (René Mayer a notamment été ministre des Finances en 1947, de la Défense nationale en 1948, vice-président du Conseil et ministre des Finances en 1951 et président du Conseil en 1953). Ont été consultés les cartons 363 AP 10, 20, 22, 24 et 31, les deux derniers étant soumis à dérogation. 10 Ministère des Finances, 1948. 20 Ministère des Finances, 1951. 22 Présidence du Conseil, guerre d’Indochine, 1951-1953. 24 Présidence du Conseil, guerre d’Indochine et divers, 1953-1955. 31 Indochine et Algérie, 1946-1955. – Papiers Pleven, série 560 AP, pour laquelle un inventaire a été publié en 1995 (René Pleven a notamment été ministre des Finances en 1945, ministre de la Défense nationale en 1949, président du Conseil en 1950 et 1951, ministre de la Défense nationale de 1952 à 1954). Les cartons 560 AP 40, 42, 43 et 50 ont été consultés par extraits, en fonction d’une dérogation très difficile à obtenir auprès de la famille de René Pleven. 40 Guerre d’Indochine 1949-1950. 42 Guerre d’Indochine 1950. 43 Guerre d’Indochine (suite) 1951, 1952. 50 Guerre d’Indochine 1952, 1953, 1954. – Papiers Bidault, série 457 AP, pour laquelle un inventaire a été publié en 1993 (Georges Bidault a notamment été président du Conseil et ministre des Affaires étrangères en 1946, ministre des Affaires étrangères en 1947-1948 et en 1953-1954). 13 cartons concernent l’Indochine mais les papiers Bidault ne portent qu’indirectement sur les problèmes économiques et financiers. Une dérogation a cependant été demandée pour les cartons portant sur l’affaire Mast-Revers – 457 AP 152 à 155 – mais elle a été refusée.
CENTRE DES ARCHIVES D’OUTRE-MER (CAOM). Aix-en-Provence Fonds ministériels Indochine nouveau fonds (1920-1955), série géographique des archives ministérielles modernes : il s’agit des archives du ministère de la France d’outre-mer et d’une partie de celles du ministère des États associés. Dossiers soumis à dérogation et consultés : NF 1153 1945, questions financières posées par la libération.
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NF 1193 Banque de l’Indochine 1945, liste des administrateurs. NF 1245 Bulletins du SDECE, 1947. NF 1246 Le Viet Minh et le modus vivendi. NF 1248 Situation en 1945. NF 1249 Les Japonais en Indochine, 1945, SDECE. NF 1250 Positions des partis nationalistes sur l’Union française, 1947. NF 1251 Sur la situation économique. NF 1252 Renseignements sur le Cambodge. NF 1253 Série de bulletin d’information sur la situation, 1947-1948 NF 1255 Divers 1944-1955. NF 1281 Coût de la réoccupation de l’Indochine, 1945-1946. NF 1362 Économie générale, 1945-1950. NF 1368 Questions diverses, 1945-1950. NF 1369 Questions diverses, 1945-1951. NF 1370 Transports aériens, 1945-1950. NF 1371 Chemins de fer, 1945. NF 1426 Plan, sous-commission de l’Indochine, procès-verbaux. – Direction des Affaires économiques, Pour la période d’après 1945, direction des Affaires économiques et du Plan, sous-direction des Affaires financières, bureau des Finances privées : 308 Office indochinois des changes (directives, textes). 312 Banque de l’Indochine (P-V du conseil d’administration), 1948-1951. 313 Banque de l’Indochine (P-V des assemblées générales), 1939-1954. 314 Retrait du privilège de la BIC, création de l’Institut d’émission. 315 Banque de l’Indochine, fonctionnement intérieur. 316 Banque de l’Indochine, billets. – Papiers agents, Papiers Pignon (59 AP), 10 cartons en principe sur le conférence de Pau. Mais avec beaucoup d’incertitudes : les papiers en question « pourraient » venir de lui et les cartons ne contiennent que quelques documents sur Pau. – Archives d’entreprises, Celles de deux entreprises françaises d’Indochine sont conservées à Aixen-Provence, leur communication est réservée mais leur présentation fournit déjà quelques renseignements utiles. série 141 AQ Société des charbonnages du Dong Trieu, série 142 AQ Compagnie minière et métallurgique de l’Indochine. Fonds locaux – Archives du haut-commissariat de France à Saigon (1946-1954), En particulier la correspondance du haut-commissariat (référence HCI), mais ce fonds est seulement préclassé et soumis à dérogation, qui a été obtenue. HCI 11/70 Direction des Affaires militaires. HCI 17/83 Armées, budget. HCI 34/139 Trésor, Institut d’émission, union douanière. HCI 69/242 Armées nationales, développement et financement, 1948-1954. HCI 89/302 Budget, 1950-1952.
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HCI 129/395 Affaires financières, Office Indochinois des changes, 1948-1950. HCI 141/331 Questions financières, 1947-1954. HCI 169/511 Blocus. HCI 185/558 Finances, mission de contrôle, 1950-1954. HCI 186/560 Finances, banques et monnaies. HCI 187/567 Finances, budget 1952-1953. HCI 190/568 Monnaie, dévaluation de la piastre. HCI 204/606 Aide américaine, 1950-1951. HCI 236/687 Règlementation financière, 1946-1951. HCI 284/778 Finances 1949-1952. HCI 304/840 Mission de contrôle, budget, 1953-1954. HCI 314/862 Questions économiques et financières, 1948-1950. Une trentaine de références ont été demandées et autorisées mais, faute d’inventaire, leur consultation a pris la forme d’un sondage plutôt que d’un dépouillement systématique.
DOCUMENTS PARLEMENTAIRES Assemblée nationale, Sénat et Journal officiel.
INVENTAIRE ● Index analytique du Journal officiel. ● Assemblée nationale, I er législature et 2 e législature, Tables générales des documents et débats parlementaires, rédigés par les services des procès-verbaux et des archives : – 1er partie. Table des matières, en trois tomes ; – 2e partie. Table nominative, par députés ; – 3e partie. Table des questions diverses.
TYPES DE DOCUMENTS Débats parlementaires de l’Assemblée nationale, de l’Assemblée de l’Union française et du Conseil de la République, publiés au Journal officiel. Projets de lois budgétaires, sous forme de fascicules (il faut évidemment choisir la version la plus tardive, après les modifications apportées par les députés et les conseillers de la République). Rapports des commissions parlementaires – et éventuellement leurs papiers. Les commissions ordinairement compétentes, en particulier les commissions des Finances, ont établi d’importants rapports sur la question. Signalons en particulier le rapport Bousch, présenté au nom de la commission des Finances du Conseil de la République « sur le projet de loi relatif au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère de la Défense nationale et des Forces armées pour l’exercice 1954 (Forces terrestres d’Extrême-Orient) ». En outre, plusieurs commissions ponctuelles ou sous-commissions ont eu à connaître des questions indochinoises, en particulier sous l’angle économique et financier : – la « sous-commission chargée de suivre et de contrôler d’une façon permanente l’emploi des crédits affectés à la Défense nationale », dont sont membres des députés venus des commissions des Finances, de la Défense nationale et des Territoires d’outre-mer. Sous la 2 e législature, elle
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produit au printemps un rapport annuel sur l’Indochine, qui fait suite à un voyage sur place d’environ quatre de ses membres. Deux ont été plus particulièrement consultés : ● le rapport de la mission d’information conduite par Christian Pineau en 1952, du 11 au 28 janvier, avec Frédéric-Dupont, Jean-Moreau et Marcel Massot (294 p.), ● le rapport de la mission d’information conduite par Jean Devinat en 1953, du 19 janvier au 20 février, avec Frank Arnal, Louis Christiaens et André-François Mercié (491 p.) ; – la « commission chargée d’enquêter sur le trafic des piastres indochinoises », active du 2 juillet 1953 et le 17 juin 1954, date de la remise du rapport final, présenté par le député Mondon. L’intégralité du rapport Mondon, de ses annexes, et des auditions effectuées pendant neuf mois, a été publié en six volumes et est disponible en « usuel » dans la salle des archives de l’Assemblée nationale.
DOCUMENTS DIVERS SOURCES FRANÇAISES Vincent Auriol, Journal du Septennat, publié sous la direction de Pierre Nora et Jacques Ozouf, Armand Colin, Paris, 6 volumes, 1970-1976 (un volume demeure à publier, correspondant à l’année 1950).
SOURCES AMÉRICAINES Foreign Relations of the United States, 1944-1954, US Government Printing Office, Washington, 1972-1987 : – FRUS 1949, volume VI, Indochina. – FRUS 1950, volume VI, Indochina. – FRUS 1951, volume VI, part 1. Indochina. – FRUS 1952-1954, volume XIII, part 1, Indochina. – FRUS 1952-1954, volume XVI, The Geneva Conference. Recueils divers de documents – The Pentagon Papers, New York, 1971. Édition française : Le dossier du Pentagone, Paris, Albin Michel, 1971, 694 p. (le premier chapitre porte sur « Les années Truman et Eisenhower : 1945-1960 », pp. 29 à 95). – Marvin E. Gettleman et al. Vietnam and America, a Documented History, Grove press Inc., New York, 1985 (les parties II et III concernent la période 1940 à 1954, pp. 25 à 133). Gareth Porter, Vietnam, a History in Documents , New York, 1981, pp. 1 à 167 sur la période 1941-1954. – William A. Williams, America in Vietnam, a Documentary History, Angkor Press/Double Day, New York, 1985 (les pages 61 à 178 concernent la période 1945 à 1954).
SOURCES VIETNAMIENNES Les sources écrites localisées au Vietnam ont été approchées, mais non dépouillées. Leur accès nécessite des autorisations, qui peuvent être obtenues, mais il est nécessaire de résider suffisamment longtemps sur place. Aux centres d’archives n° 1 de Hanoi et n° 2 de Ho Chi Minhville sont conservées les archives françaises « locales » – celles dites de souveraineté ayant été transférées en France – qui sont peu ou pas classées et nécessitent l’obtention de dérogation.
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L’inventaire du fonds « Goucoch » (gouvernement de Cochinchine) à Ho Chi Minh-Ville, par exemple, montre des références à première vue comparables à celles rencontrées à Paris ou à Aix, mais en moindre nombre. Les archives de Hanoi détiennent les – ou des -archives du gouvernement de Bao Dai, en vietnamien et en français. Elles conservent aussi – uniquement en vietnamien, bien sûr – certaines archives du gouvernement de la RDV, mais plusieurs ministères – Défense nationale, Intérieur et Affaires étrangères – gardent les leurs, ainsi bien sûr que le Parti communiste vietnamien. En tout état de cause, la question du coût de la guerre du côté Viet Minh ne peut être cernée que par les éclairages quasi officiels figurant dans les documents de Hanoi ou de ses alliés et par ceux, souvent pertinents, des services français de renseignement.
PRESSE ÉCRITE Le Monde, 7 boites guerre d’Indochine des archives du journal, 1945 à 1954 : collection chronologique de tous les articles publiés sur le sujet. Articles consultés dans : Agence France Presse, Agence économique et financière, Correspondance économique, L’Express, Le Figaro, L’Illustration, L’Humanité, La Vie française, The New York Times. Bibliothèque nationale, centre culturel américain, fonds et centres de documentation divers, archives personnelles.
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Chronologie
1945 8 février. Création d’un comité interministériel pour l’Indochine. 9 mars. Coup de force japonais en Indochine. 11 mars. Bao Dai déclare l’indépendance du Vietnam. 13 mars. Norodom Sihanouk déclare l’indépendance du Cambodge. 24 mars. Déclaration du gouvernement français sur le futur statut de l’Indochine. 8 avril. Sisavang Vong déclare l’indépendance du Laos. 17 juillet-2 août. Conférence de Potsdam. 8 mai. Capitulation allemande. 14 août. Annonce par le Japon de sa capitulation, après les deux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. 17 août. Proclamation de l’indépendance de l’Indonésie. 19 août. Déclenchement de l’insurrection Viet Minh à Hanoi (Révolution d’août). 25 août. Abdication de Bao Dai. 2 septembre. Signature par le Japon de sa capitulation. – Proclamation de l’indépendance du Vietnam à Hanoi par Ho Chi Minh. 12 septembre. Premiers débarquements de troupes britanniques en Indochine (général Gracey) pour y désarmer les Japonais. 23 septembre. La France réinstalle son pouvoir à Saigon. 5 octobre. Premier débarquement de troupes françaises en Indochine (général Leclerc). 21 octobre. Élection en France d’une Assemblée constituante. 10 décembre. Négociation monétaire franco-chinoise à Hanoi, à la suite du retrait des billets de 500 piastres, sous l’égide de la Mission américaine. 25 décembre. Réévaluation de la piastre, qui vaut désormais 17 francs.
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1946 7 janvier. Modus vivendi franco-cambodgien. 20 janvier. De Gaulle démissionne de son poste de chef du gouvernement provisoire. 3 mars. Accord de Tchong King sur la relève des troupes chinoises en Indochine. 6 mars. Signature des accords Ho Chi Minh-Sainteny. Débarquement français à Haiphong. 19 avril-11 mai. Conférence de Dalat sur le statut des États d’Indochine. 31 mai. Ho Chi Minh quitte Hanoi pour Paris. 1er juin. Proclamation de la République autonome de Cochinchine, présidée le 3 par le Dr Nguyen Van Thinh. 2 juin. Élection en France de la deuxième Assemblée constituante. 12 juin. Ordonnance fédérale supprimant en Indochine la vente libre de l’opium. 27 juin. Ho Chi Minh à Paris. 6 juillet-8 août. Conférence franco-vietnamienne de Fontainebleau. 14 septembre. Modus vivendi franco-vietnamien (Marius Moutet-Ho Chi Minh). 13 octobre. Adoption de la constitution de la IVe République par référendum. 18 octobre. Entrevue Thierry d’Argenlieu-Ho Chi Minh. 10 novembre. Élections législatives en France. 17 novembre. Traité de Washington par lequel la Thaïlande restitue à la France les territoires pris au Cambodge et au Laos en 1941. 20-23 novembre. « Incidents » franco-vietnamiens de Haiphong (plusieurs milliers de morts). 19 décembre. « Clash » et début de la bataille de Hanoi. État de guerre entre la France et le Viet Minh.
1947 16 janvier. Vincent Auriol élu président de la République française. 18 janvier. Hanoi dégagée par les troupes françaises. 3 mars. Les forces françaises, ayant élargi leur contrôle autour de Hanoi, poussent jusqu’à Ha Dong, à 10 km au sud... 5 mars. Le Conseil des ministres adopte une solution globale pour l’Indochine, conforme à la constitution : créer des États associés dans le cadre de l’Union française. Bollaert est nommé haut-commissaire en Indochine. 12 mars. Doctrine Truman. 20 mars. Conseil des ministres : vive discussion sur les crédits militaires à l’Indochine. Thorez annonce que le comité central du PC a décidé de les refuser. Auriol l’abjure d’éviter la crise. 21 mars. Ho Chi Minh se déclare prêt à négocier si le gouvernement français reconnaît l’unité et l’indépendance du Vietnam. 22 mars. Discussion à l’Assemblée sur la politique indochinoise et les crédits militaires. Abstention communiste lors du vote des crédits militaires pour la guerre d’Indochine. 27 mars. Instruction gouvernementale sur l’Indochine à Bollaert, nouveau haut-commissaire. 29 mars. Loi fixant les dépenses militaires pour l’exercice 1947, en particulier pour l’Indochine.
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29-30 mars. Émeutes insurrectionnelles à Madagascar en faveur de l’indépendance ; elles durent jusqu’au 12 avril. 10 avril. Décret 47-681 relatif à l’Office Indochinois des changes. L’arrêté promulguant le décret en Indochine suit le 30 avril. 12 avril. Le Congrès américain vote l’aide Marshall. 25 avril. Le Conseil de défense de l’Indochine étudie la proposition Ho Chi Minh de cesser les hostilités et d’ouvrir des négociations. 4 mai. Les ministres communistes quittent le gouvernement. 12 mai. Paul Mus conduit au camp de Ho Chi Minh, dans les calcaires de Thai Nguyen. Ce dernier refuse les propositions françaises. 18 mai. Nam Lua, chef des Hoa Hao, signe une convention militaire avec les Français. 25 mai. Appel à la lutte de Ho Chi Minh, les conditions proposées par les Français n’étant pas acceptables. 5 juin. Discours de Harvard : proposition du plan Marshall. 9 juin. Conseil de défense de l’Indochine : acceptation du principe de l’offensive d’automne de Valluy. Bollaert en dégage les moyens mais conserve l’espoir d’une solution politique. 2 juillet. L’URSS refuse le plan Marshall. 5 juillet. Déclaration de Bao Dai depuis son exil de Hong Kong : il ne refuserait pas le rôle le médiateur. 10 juillet. Signature d’une convention entre l’État et la Banque de l’Indochine, fixant les modalités de transfert à l’État des émissions de la Banque de l’Indochine. 12 juillet. Ouverture à Paris de la conférence des seize pays acceptant le plan Marshall. 25 juillet. Après avoir exposé à ses principaux subordonnés son plan contre le « réduit tonkinois », le 24, Valluy s’envole pour Paris pour contrer la décision de cessez-le-feu de Bollaert et promouvoir son offensive d’automne. 6 août. Conseil des ministres : vif débat sur le projet de cessez-le-feu de Bollaert. 15 août. Indépendance de l’Union indienne et du Pakistan. Fortes tensions entre Hindous et Musulmans. 10 septembre. Discours de Bollaert à Ha Dong. 18 septembre. Bao Dai prend parti contre le Viet Minh et accepte d’être le négociateur du Vietnam avec la France. 22-27 septembre. Conférence de création du Kominform à Szklarska Poreba (Pologne). Doctrine Jdanov. 1er octobre. Le général Nguyen Van Xuan, appuyé par les socialistes et les radicaux, élu président du gouvernement de Cochinchine ; il lui donne le nouveau nom de « gouvernement provisoire du Sud-Vietnam ». 7 octobre. Déclenchement de l’opération Léa contre le « réduit tonkinois ». 23 novembre. Opération Ceinture contre la région de Thaï Nguyen et du Tam Dao. 25 novembre. Lettre du roi du Laos Sisavang Vong à Auriol, traçant le cadre d’un État associé. 27 novembre. Lettre du roi du Cambodge Sihanouk à Auriol, pour une participation du Cambodge à l’Union française. 28 novembre. Décès accidentel du maréchal Leclerc, à 45 ans. Obsèques nationales le 8 décembre.
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6-7 décembre. Entretiens Bollaert-Bao Dai sur le croiseur Duguay-Trouin en baie d’Along, et protocole provisoire : indépendance et unité du Vietnam reconnues. 21 décembre. Bao Dai réunit à Hong Kong les trois principaux leaders nationalistes, Ngo Dinh Diem, Tran Van Ly et le général Xuan : les concessions françaises y sont jugées insuffisantes. 23 décembre. Le Conseil des ministres décide de traiter avec Bao Dai sur la base du protocole de la baie d’Along.
1948 4 janvier. La Birmanie quitte le Commonwealth et devient une république indépendante. 5 janvier. Plan Mayer d’assainissement financier adopté par l’Assemblée pour juguler l’inflation. 7-13 janvier. Entretiens Bollaert-Bao Dai à Genève. 14 janvier. Lettres du président Auriol aux rois du Laos et du Cambodge, Sisavang Vong et Sihanouk, approuvant et se réjouissant des termes de leurs propres lettres. 19 janvier. Accord de Renville entre les Pays-Bas et l’Indonésie. 25 janvier. Dévaluation du franc (Mayer) et blocage des billets de 5 000 F, qui n’ont plus cours légal. 8 février. Embuscade Viet Minh au Nord, sur la RC4 : 22 tués, trente blessés. 12 février. Conseil de défense de l’Indochine : le général de Latour préconise de se préparer à une guerre longue, Salan fait placer l’effort principal sur la Cochin-chine jusqu’en juin et y porte des coups décisifs. 14 février. Début de l’opération Véga contre la Plaine des Joncs, qui se referme sur le vide le 18 – destruction cependant de petites installations-ateliers, dépôts de munitions et stocks de vivres. 16 février. Proclamation de la République démocratique populaire de Corée. 25 février. « Coup » de Prague (semaine du 20 au 26). 1er mars. Embuscade Viet Minh contre le convoi Saigon-Dalat - 70 véhicules et escorte, 82 tués, trentaine blessés, 150 otages... – Proclamation du statut de la Fédération thaïe, regroupant les provinces de Lai Chau et Son La, avec les régions de Lao Kay et de Nghia Lo - président Déo Van Long. 17 mars. Pacte de Bruxelles, entre le Bénélux, le Royaume-Uni et la France. 25 mars. Révolte Hoa Hao, couvant depuis trois mois : désertions, retournement contre les Français. 26 mars. Proclamation de Bao Dai annonçant la formation d’un gouvernement central provisoire du Vietnam. 27 mars. Conseil de défense de l’Indochine : Salan signale qu’aux effectifs théoriques du 1 er janvier 1948 - 108 000 hommes - il manquerait bientôt 30 000 hommes : remplacement trop lent et parcimonieux des pertes. Même le plan de 90 000 hommes risquait de ne pas être tenu. Plan d’opération proposé : 115 000 hommes, dont 48 000 Européens. 3 avril. Loi d’aide américaine à l’étranger - Marshall - votée par le Congrès et signée par Truman. 16 avril. Fondation à Paris de l’OECE par la conférence des Seize. 17 avril. Déclenchement des opérations du général de Latour contre les Hoa Hao entre Can Tho et Chau Doc. 19 avril. Tchiang Kai Chek réélu président de la République chinoise (Taïwan).
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15 mai. Arrivée à Saigon du général Blaizot, nouveau commandant en chef, en remplacement de Salan. 18 mai. Conseil de défense de l’Indochine : décision de reporter au Nord l’effort du corps expéditionnaire dès l’automne, plutôt que de continuer à s’enliser au Sud. 27 mai. Le Conseil des ministres prend acte de la constitution du gouvernement Xuan au SudVietnam. 5 juin. Accords de la Baie d’Along, Bollaert-Xuan, sur le croiseur Duguay Trouin, en présence de Bao Dai : la France « reconnaît solennellement l’indépendance du Vietnam, auquel il appartient de réaliser librement son unité ». 10 juin. Conseil de défense de l’Indochine : Blaizot demande à Bollaert de pousser Paris à porter les forces à 130 000 hommes. Les renforts accordés permettront d’arriver sur 6 mois à 108 000 hommes. 18 juin. Accord bilatéral franco-américain de mise en œuvre de l’aide Marshall -l’Indochine y figure parmi les territoires de l’Union française bénéficiaires de l’ERP. 19 juillet. Vote d’un amendement socialiste (Capdeville) réduisant les crédits militaires. 24 juin. Blocus de Berlin. 25 juillet. Violente attaque du poste de Phu Tong Hoa, à 10 km au nord de Bac Kan. Dégagement le 28 par une colonne de secours. 12 juillet. Comité de défense nationale : Bollaert n’obtient pas satisfaction sur les renforts demandés. 24 juillet. Investiture d’André Marie, après la démission de Schuman, le 19, mis en minorité sur un amendement réduisant les crédits militaires de 12 milliards. 3 août. L’Assemblée prend l’engagement de ne pas se séparer sans avoir délibéré des affaires d’Indochine. Déclaration gouvernementale d’André Marie peu compromettante. 15 août. Proclamation de la république en Corée du Sud. 27 août. Loi fixant les dépenses militaires de la France d’outre-mer pour l’exercice 1948. 8 septembre. Conseil de défense de l’Indochine : Alessandri s’oppose à Blaizot, préférant occuper le delta plutôt que de s’attaquer au « réduit tonkinois ». 25 septembre. Loi retirant le privilège d’émission à la Banque de l’Indochine -date à fixer par décret. 8 octobre. Comité de défense nationale entièrement sur l’Indochine : plan d’opérations et renforts. 18 octobre. Dévaluation du franc (Queuille). 19 octobre. Conseil des ministres consacré à l’Indochine, à l’initiative d’Auriol, président de l’Union française : Queuille, Coste-Floret, Schuman, Ramadier, Marie. Auriol propose une conversation avec Bao Dai pour faire évoluer la situation. Refus des ministres : un nouveau hautcommissaire est nommé, Léon Pignon. 23 octobre. Décret 48-1656 portant création du Trésor de l’Indochine. 2 novembre. Truman élu président. 7 novembre. Déclenchement de l’opération Ondine, l’offensive française d’automne : extension du dispositif français dans le delta. 9 novembre. Les communistes chinois franchissent la grande muraille et vont bientôt se rapprocher de Nankin. 19 décembre. Seconde « opération de police » hollandaise en Indonésie, Soekarno est capturé. 31 décembre. Comité de défense nationale largement sur l’Indochine : effectifs et matériels.
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1949 3 janvier. Dean Acheson nommé secrétaire d’État. 8 janvier. Embuscade sur la route de Pleiku à An Khé contre un convoi de 9 véhicules : 4 incendiés, 3 tués, 3 blessés. 13 janvier. Conférence interministérielle sur l’Indochine à l’Élysée, avec Pignon, sur l’évaluation de la situation en Extrême-Orient. 19 janvier. Le Conseil des ministres prend acte de l’avancement des négociations avec Bao Dai. 22 janvier. Prise de Pékin par l’armée de libération chinoise. Le gouvernement communiste s’y installe un mois après. 25 janvier. Constitution du COMECON à Moscou. 28 janvier. Résolution de l’ONU sur l’Indonésie, suite à l’intervention de Jessup. L’ONU exige le départ des Hollandais et les États-Unis menacent de leur couper l’aide Marshall. 29 janvier. À l’occasion du Têt, message radiodiffusé de Bao Dai sur toutes les stations d’Indochine, annonçant un retour prochain. 5 mars. Embuscade sur la RC 4 - à la sortie de Tien Yen - prélude à offensive Viet Minh au NordTonkin : convoi de 15 GMC - 14 détruit, 22 tués, 18 disparus. 8 mars. Échange de lettres Auriol-Bao Dai, concrétisant et précisant l’accord entre les deux parties. Bao Dai annonce un retour pour le 27 août. 10 mars. Loi ouvrant des crédits provisoires au titre des dépenses militaires, pour mars, avril et mai 1949. 27 mars. Élément de l’offensive Viet Minh : des Chinois de l’armée populaire de libération venus du Guangdong occupent Moncay pendant 24 heures. 29 mars. Comité de défense nationale partiellement sur l’Indochine (pression chinoise). 30 mars. Conseil des ministres : ému par l’affaire de Moncay, le gouvernement décide l’envoi de treize bataillons supplémentaires et de deux groupes d’avions de chasse. 31 mars. Intervention de Frédéric-Dupont à l’Assemblée nationale reprochant au gouvernement une trop grande discrétion sur les événements du Tonkin. Coste-Floret et Ramadier le rassurent. 4 avril. Comité de défense de l’Indochine : fortes divergences entre militaires sur les objectifs prioritaires à définir - Nord, Sud, haute région, delta... – Constitution du Pacte atlantique. 12 pays y adhèrent à Washington. 20-25 avril. Congrès mondial de la paix à Paris. 23 avril. L’assemblée territoriale de Cochinchine, élue le 10 avec 64 conseillers dont 16 Français, vote l’union des trois Ky et une clause de garantie liant cette évolution au maintien dans l’Union française. 24 avril. L’armée de libération chinoise prend Nankin. 28 avril. Bao Dai, qui a quitté Nice pour le Vietnam à bord de l’avion présidentiel français, arrive discrètement à Dalat. 12 mai. Levée du blocus de Berlin. 13 mai. Départ de Revers, chef d’état-major général, en mission d’inspection en Indochine (sur place du 16 mai au 17 juin). Il s’arrête au retour à Bangkok voir le Premier ministre Phibul Songgram, et à Rome voir le pape Pie XII. La mission Revers dure du 11 mai au 21 juin. 21 mai. Discussion à l’Assemblée nationale sur la question du rattachement de la Cochinchine au Vietnam.
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25 mai. L’armée de libération chinoise prend Shanghai. 13 juin. Entrée solennelle de Bao Dai dans un Saigon indifférent. 17 juin. Loi ouvrant des crédits provisoires au titre des dépenses militaires, pour juin 1949. 23 juin. René Bousquet est condamné à 5 ans de prison mais relâché pour services rendus à la Résistance. 26 juin. Premier journal télévisé en France (P. Sabbagh présentateur). 29 juin. Le volumineux rapport Revers transmis au gouvernement. 31 juin. Bao Dai constitue son gouvernement à Dalat. 1er juillet. Premier décret pris par Bao Dai, qui se donne les pleins pouvoirs. 12 juillet. Bao Dai entre dans Hué pavoisé. 14 juillet. Troubles à Saigon pour la fête nationale française : 22 morts et 118 blessés. 16 juillet. Bao Dai à Hanoi : assiste à un défilé militaire, tient son premier Conseil des ministres et esquisse les grandes lignes d’un programme gouvernemental ; il fait déposer une gerbe sur la tombe des combattants Viet Minh tués le 19 décembre 1946. – Offensive française contre le Viet Minh au Tonkin. 19 juillet. Convention générale franco-laotienne : le Laos État associé dans l’Union française, avec armée nationale et représentation diplomatique au Siam et aux États-Unis. 23 juillet. Loi fixant les dépenses militaires pour l’exercice 1949, notamment après une longue discussion sur l’Indochine. 25 juillet et 2 août. Conseil de défense nationale partiellement consacré à l’Indochine : organisation du commandement et plans d’opérations. Fin juillet. Giap donne l’ordre de préparer la « contre-offensive générale » -seconde phase du plan de guerre. 8 août. Loi ouvrant des crédits supplémentaires au titre des dépenses militaires pour l’exercice 1949. 10 août. Visite à Saigon du général Harding, commandant en chef britannique en ExtrêmeOrient. 23 août. Ouverture de la table ronde de La Haye, entre Pays-Bas et Indonésie. 26 août. Le gouvernement français secrètement informé par Pignon que « la Voix du Vietnam » a diffusé des extraits du rapport Revers. – Accord État-professionnels sur les prix du caoutchouc Indochinois. 29 août. Comité de défense nationale partiellement sur l’Indochine (achat de matériel aéronautique). 2 septembre. Le général Carpentier commandant en chef en remplacement de Blaizot. 16 septembre. Conseil de défense nationale partiellement sur l’Indochine (bases et garnisons). 18 septembre. Incident de la gare de Lyon dans un autobus : vers l’affaire des généraux. 19 septembre. Dévaluation du franc (Petsche). – Au Cambodge, Yem Sambaur, qui a remplacé Penn Nouth à la tête du gouvernement en février, dissout l’Assemblée. 22 septembre. Dans la nuit, conseil restreint Queuille-Ramadier-Moch, sans Coste-Floret, sur les premiers résultats de l’enquête dans l’affaire des généraux -encore confidentiels : suivant leur décision, le juge militaire, chargé d’instruire l’affaire, prononce le non-lieu le 24. – Le Sénat américain vote 1 milliard de dollars de crédits militaires pour les signataires du Pacte atlantique.
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– Dévaluation de la livre britannique. 24 septembre. L’agence Tass confirme dans la nuit du 24 au 25 que l’URSS possède bien la bombe atomique. 28 septembre. Conseil de défense nationale partiellement sur l’Indochine (achat de matériel aéronautique). 1er octobre. Mao Zedong proclame la République populaire de Chine. 14 octobre. L’armée de libération chinoise prend Canton. 16 octobre. Opération Anthracite, par laquelle Alessandri va forcer le ralliement des évêchés de Phat Diem et Bui Chu. 24 octobre. Le gouvernement Lao Issara de Bangkok prononce sa dissolution : retour au Laos derrière Souvanna Phouma et Katay Sasorith. 2 novembre. Indépendance des États unis d’Indonésie, sous la présidence de Sukarno, dans le cadre de l’Union néerlandaise. 4 novembre. Mobilisation générale en RDV des hommes et des femmes à partir de 18 ans. 8 novembre. Signature à Paris du traité faisant du Cambodge un État indépendant dans l’Union française. Novembre. Visite au Vietnam de Sir Malcolm MacDonald, commissaire général britannique à Singapour. 21 novembre. L’ONU décide d’accorder l’indépendance à toutes les anciennes colonies italiennes. 28 novembre. Comité de défense nationale partiellement sur l’Indochine (bases et garnisons, statuts, évacuation de Cao Bang). Décembre. Création de la première grande unité de l’armée populaire, la brigade 308, commandée par Vuong Thua Vu. 7 décembre. Revers relevé de ses fonctions de chef d’état-major général et remplacé par le général Blanc. 8 décembre. Le gouvernement nationaliste chinois s’établit à Taïwan. 13 décembre. Les troupes du Guomindang se présentent au poste de Chi Ma par groupes de 500, après 24 heures de négociation avec les Français. 16 décembre. Mao Zedong à Moscou pour l’anniversaire de Staline. 30 décembre. Bao Dai et Pignon signent à Saigon les conventions techniques organisant le transfert de services à l’administration vietnamienne.
1950 4 janvier. Plan de Colombo. 5 janvier. Bao Dai charge Nguyen Phan Long de former un gouvernement. 6 janvier. Le Royaume-Uni reconnaît la République populaire de Chine. 10 janvier. Bagarres sur la Canebière alors que le paquebot Pasteur s’apprête à partir avec des troupes vers l’Indochine. 14 janvier. Déclaration Viet Minh publiée à Bangkok, « à tous les gouvernements du monde », s’affirmant « seul gouvernement légal du peuple vietnamien tout entier ». 17 janvier. Suite aux révélations de Time, Bidault fait une déclaration sur « l’affaire des généraux ». 18 janvier. Le gouvernement chinois reconnaît la RDV.
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24-29 janvier. Jessup, ambassadeur extraordinaire de Truman, venant de Manille, en Indochine pour cinq jours : entretiens avec Pignon, Nguyen Phan Long et Carpentier. Rencontre aussi Bao Dai à qui il remet un message de Acheson et promet une aide importante de son gouvernement. 25 janvier. Conseil des ministres : décision de renforcer les mesures de répression contre les actions du PC et de la CGT. 26 janvier. Après la communication de Bidault, l’Assemblée nationale crée une commission d’enquête sur « l’affaire des généraux ». 27 janvier. Accord bilatéral franco-américain sur la mise en application du PDAM (PlevenBruce). 29 janvier. L’Assemblée nationale approuve les conventions signées en 1949 avec les trois États associés d’Indochine. 30 janvier. L’URSS reconnaît la RDV 31 janvier. Loi de finances pour l’exercice 1950. – Truman annonce la production de la bombe H. Début février. Le Conseil de défense de l’Indochine demande à l’unanimité au gouvernement de revenir sur l’évacuation de Cao Bang. 2 février. Loi approuvant à Paris les accords passés avec les États associés en 1949 ; la France reconnaît ainsi le Laos et le Cambodge comme États associés, mais cette loi n’est pas publiée au JO. 7 février. Les États-Unis et le Royaume-Uni reconnaissent Bao Dai, et les États associés du Cambodge et du Laos. 8 février. Opération Tonneau lancée contre la province de Thaï Binh - tenue par le Viet Minh depuis au moins quatre ans. 10 février. Le Comité de défense nationale examine la question de l’aide américaine pour l’Indochine. 13 février. Conférence de Bangkok, en présence du secrétaire d’État adjoint pour l’ExtrêmeOrient, sur la répartition de la provision américaine de 75 millions S PAM pour contrer le communisme en Asie. 14 février. Traité sino-soviétique d’assistance mutuelle, signée par Staline et Mao. 17 février. Le Comité de défense nationale examine le processus de l’aide américaine en faveur de l’Indochine. 20 février. Le ministre français de la Défense nationale transmet à l’ambassadeur français à Washington une liste « urgence immédiate » de matériels militaires pour l’Indochine, à destination du gouvernement américain. 21 février. Le gouvernement Ho Chi Minh décrète la mobilisation générale. 23 février-23 mars. Délégation économique américaine Griffin en Indochine. 27 février. Début des négociations franco-américaine, pour obtenir une première aide économique d’urgence aux États associés d’Indochine. 8 mars. Débat sur les « lois scélérates » et bagarre générale à l’Assemblée nationale. 9 mars. Accord entre le département d’État et celui de la Défense pour un programme d’aide américain à la Thaïlande et à l’Indochine, pour faire face à la menace communiste : Truman attribue dans ce cadre 15 millions de dollars à l’Indochine sur crédits PADM votés en octobre 1949. 13 mars. Éditorial du New York Times : « Des armes pour Bao Dai ».
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14 mars. La Documentation française - non le JO - publie le texte des « Actes définissant les rapports des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos avec la France ». 17 mars. Le ministre de la Défense nationale transmet à Washington des listes « 1 er et 2 e urgence » de matériels militaires pour Indochine. 19 mars. Saigon : une grande manifestation dégénère en émeute à Saigon contre l’aide américaine. Nguyen Huu Tho est arrêté. 20 mars. Conseil de défense de l’Indochine : décision d’équiper huit bataillons d’infanterie vietnamiens dès que possible. 22 mars. Réunion à Saigon sur l’aide économique des États-Unis à l’Indochine, sous la présidence de Pignon. 25 mars. Appel de Stockholm contre la bombe atomique. 7 avril. Dépêche Reuter de Saigon : sans aide en matériel militaire, « la France se verrait dans l’obligation de réviser ses dispositifs militaires en Indochine ». 27 avril. Bao Dai remplace Nguyen Phan Long à la tête du gouvernement par Tran Van Huu, gouverneur du Sud-Vietnam. mai. Arrivée de Robert Blum à la tête de la mission économique américaine en Indochine (Saigon). 3 mai. Acheson fait accélérer les livraisons de cartouches et d’armes légères pour équiper douze bataillons d’infanterie, ce que la France avait demandé en urgence. 6 mai. Protestation française auprès de l’ECA, qui veut faire parvenir directement l’aide aux États associés sans passer par Paris. 8 mai. Accord franco-américain sur l’aide américaine aux armées des États associées et du corps expéditionnaire, lors des entretiens Schuman-Acheson. 24 mai. Annonce officielle et multilatérale de la décision de mise en œuvre d’une aide économique américaine aux États associés d’Indochine. 15 juin. Catastrophe aérienne du DC 4 Saigon-Paris, dans laquelle disparaissent notamment le directeur de l’Office indochinois des changes Rivet et le journaliste Armorin. 22 juin. Comité de défense nationale entièrement sur l’Indochine : politique française, effectifs. 25 juin. L’armée de Corée du Nord franchit le 38 e parallèle. L’ONU décide d’intervenir le lendemain. 27 juin. Déclaration de Truman sur la Corée, Formose, Philippines et Indochine. 29 juin. Ouverture de la « conférence inter-États » de Pau (présidence Sarraut) pour définir les modalités de coopération entre les trois États indochinois. – Arrivée de 8 C 47/Dakota - à Saigon - livrés au titre de l’aide américaine. 15 juillet. Arrivée de la mission Melby-Erskine à Saigon - séjour officiel du 17 au 31 juillet. 10 août. 1 re livraison de matériel américain à l’Indochine dans le cadre du PAM, dont des munitions de 37 et des pièces de rechange. 14 août. Le texte du projet d’accord bilatéral relatif à l’aide économique est communiqué officiellement aux États par la légation américaine. Les consultations commencent le mois suivant avec les gouvernements des États. 18 août. Comité de défense nationale (instruction au commandant en chef, effectifs). 26 août. Réunion interministérielle sur les dépenses militaires d’Indochine autour de Pleven. Septembre. Installation du MAAG à Saigon.
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8 septembre. Dean Rusk, de la section Asie du Sud-Est du Département d’État, propose qu’en échange des 570 millions de dollars fournis, les États-Unis aient le droit de demander le limogeage du commandant en chef Carpentier. 19 septembre. Création de l’Union européenne des paiements. 2 octobre. Comité de défense nationale : confirmation de la désignation d’officiers généraux en Indochine. 3-8 octobre. Désastre militaire français de Cao Bang. 10 octobre. Rencontre franco-américaine au Pentagone sur l’aide US : généraux Lemnitzer et Vernoux. Conseil des ministres : Pleven fait décider le départ d’une mission Letourneau/Juin. 15 octobre. Conseil de défense avec Pignon à Hanoi. Panique à Lang Son, ordres contradictoires. 16 octobre. Début de l’intervention des « volontaires » chinois en Corée. 17 octobre. Arrivée Letourneau et Juin/Valluy à Saigon - évacuation de Lang Son en cours. 18 octobre. Interview de Tran Van Huu au Journal d’Extrême-Orient : il critique l’application par la France des accords du 8 mars 1949 et le comportement dominateur de la délégation française à Pau. 19 octobre. Conseil de défense à Hanoi (avec Letourneau, Juin et Valluy). Débat à l’Assemblée nationale, intervention de Mendès France, qui demande une solution politique au conflit. 22 octobre. Conseil des ministres vietnamien à Dalat : projet d’armée nationale ; mise sur pied de 30 bataillons avant fin 1950 et de 50 en 1951. 28 octobre. Le service militaire passe de douze à dix-huit mois. ler-2 novembre. La garnison française abandonne Lao Kay pour Sapa, après diverses attaques dans le secteur. 4-5 novembre. Entretiens Bao Dai, Pignon/Letourneau à Dalat : accord sur une armée de 115 000 hommes en 1951 - cadres français, armement américain, financement mixte. Le programme de développement de l’armée vietnamienne doit atteindre 165 000 hommes en fin d’année, avec un budget 1951 de 55 milliards. 6 novembre. Abandon de Hoa Binh sans combat. 17 novembre. Comité de défense nationale entièrement consacré à l’Indochine (commandement, relève, infrastructure). 22 novembre. Pleven annonce à l’Assemblée nationale les décisions du gouvernement : rétablir le rapport des forces ; perspective d’indépendance pour les États associés ; négociation avec les États-Unis. Mendès France réitère sa demande pressante de négocier. 27 novembre. Fin de la conférence inter-État de Pau, prévue pour trois ou quatre semaines mais qui dure en fait depuis cinq mois. Décembre. Conférence de Nanning entre Vietnamiens, Chinois et Soviétiques, pour organiser l’aide au Viet Minh. 4 décembre. 1 er réunion de la commission provisoire d’importation de l’aide économique américaine, à l’Indochine. 5 décembre. Comité de défense nationale : accord interallié pour une action commune en Indochine dans le cadre du Sud-Est asiatique. 6 décembre. De Lattre nommé par le Conseil des ministres haut-commissaire et commandant en chef en Indochine. 8 décembre. Convention militaire franco-vietnamienne. 17 décembre. Arrivée de De Lattre à Tan Son Nhut (Saigon). 19 décembre. Eisenhower nommé commandant suprême de l’OTAN, en Europe.
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20 décembre. « Pacte à cinq » : Military Assistance Act, accord relatif à la défense mutuelle signé à Saigon par les États-Unis, la France et les États associés. 23 décembre. Convention inter-État sur l’Institut d’émission, signée officiellement le lendemain à Saigon, en présence de Bao Dai et de De Lattre. 25 décembre. Convention inter-État sur les changes. 26 décembre. Convention inter-État sur le Trésor. – Offensive Viet Minh contre Vinh Yen ; pression contre Tien Yen, à l’est du delta.
1951 8 janvier. Le président du Conseil René Pleven fait adopter à la Chambre un budget militaire de réarmement. 12-18 janvier. Bataille de Vinh Yen et échec Viet Minh pour ouvrir la route de Hanoi. 19 janvier. A Paris, le Comité de défense nationale examine, sans prendre de décisions, les demandes de renforts de De Lattre, haut commissaire et commandant en chef, et s’interroge sur le possibilité d’une action interalliée. 24 janvier. Décret nommant le maréchal Juin inspecteur général des Forces armées. 29-30 janvier. Voyage à Washington du président du Conseil René Pleven et du général Allard chef d’état-major du corps expéditionnaire, pour solliciter des États-Unis un effort particulier en matériels et en équipements pour l’armée vietnamienne. 11-19 février. Congrès de fondation du parti des Travailleurs du Vietnam, réunissant 200 délégués au Viet Bac. 20 février. À Paris, le Comité de défense nationale examine à nouveau, toujours sans décision majeure, les demandes de renforts formulées par De Lattre. 24 février. Remplacement à la tête du gouvernement laotien du prince Boun Oum, réputé profrancais, par Phoui Sananikone, considéré comme pro-américain. 26 février. Démission au Cambodge du chef du gouvernement Monipong. 3 mars. Signature d’un Pacte d’alliance entre les mouvements de résistance vietnamien, cambodgien (Khmer Issarak) et laotien (Lao Isara). – Bao Dai préside à Saigon la cérémonie d’investiture du premier « gouvernement de l’indépendance », présidé par Tran Van Huu et remanié à la demande du général de Lattre. 17 mars. À Paris, le Comité de défense nationale examine encore une fois les demandes de renfort présentées par le haut-commissaire et commandant en chef de Lattre, qui cette fois obtient partiellement satisfaction - « décision Queuille ». 18 mars. Oum Chheang Sun nommé président du Conseil du royaume du Cambodge par le roi. 20 mars. Départ du président de la République Vincent Auriol pour un voyage officiel aux ÉtatsUnis. 29 mars-9 mai. Bataille de Mao Ke et de Dong Trieu, où les assauts Viet Minh sont contenus. 18 avril. Signature du traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA). 19 avril. Discours prononcé par de Lattre à Vinh Yen devant Tran Van Huu. Le premier affirme reconnaître l’indépendance du Vietnam, le second annonce engager une lutte sans merci contre le Viet Minh.
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24 avril. À Paris, le Comité de défense nationale examine l’exécution des demandes de renforts terrestres pour l’Indochine et prépare la conférence de Singapour (Royaume-Uni, États-Unis, France). 28 avril. Disparition lors d’une mission aérienne dans le secteur de Cao Bang du général Hartemann, commandant en chef Air en Indochine. 5-7 mai. Rencontre de Lattre-Bao Dai à Dalat et à Nha Trang, sur le yacht royal : l’accord semble parfait sur le développement de l’armée vietnamienne. 6 mai. Fondation de la Banque nationale du Vietnam (RDV). 15-18 mai. Conférence militaire tripartite de Singapour, sur la sécurité de l’Asie du Sud-Est et, notamment, le rôle stratégique du Tonkin ; Struble conduit la délégation des États-Unis, Harding celle du Royaume-Uni et de Lattre celle de la France. 17 mai. Explosion en rade de Saigon de l’« Adour », navire transportant des troupes françaises ; il y a 55 morts et 143 blessés. 18 mai. Vote à l’Assemblée nationale des crédits militaires France d’outre-mer et États associés pour l’exercice 1951. 24 mai. Vote à l’Assemblée nationale de la loi de finances pour 1951. 28 mai-4 juin. Bataille du Day ; mort, le 29, du lieutenant de Lattre, fils unique de général, haut commissaire et commandant en chef, qui ramène son corps en France le 1 er juin. 6 juin. Défilé à Saigon de l’armée vietnamienne à l’occasion de la fête de l’unité, devant 30 000 spectateurs. 17 juin. Élections législatives en France, au scrutin de liste avec apparentement. 18 juin. Fin de l’offensive Viet Minh dans le delta du Tonkin. 30 juin. Report de la signature prévue ce jour de l’accord américano-vietnamien sur l’aide économique, en raison de l’opposition du général de Lattre, agissant lui-même sur instructions du gouvernement français. 19 juillet. Condamnation d’Henri Martin, marin favorable à la Résistance vietnamienne, ce qui déclenche une vaste campagne de protestation communiste. 1er juillet. Entrée en vigueur du plan de Colombo, de coopération et de développement économique de l’Asie du Sud-Est. Début juillet. Remplacement de Nguyen Binh, relevé de ses fonctions, par Le Duan à la tête de la Résistance vietnamienne au Nam Bo (Sud). 10 juillet. Début des négociations d’armistice en Corée. 11 juillet. Discours du général de Lattre au lycée Chasseloup-Laubat incitant les jeunes vietnamiens à s’engager - « Soyez des hommes... ». 14 juillet. Cérémonie grandiose à Hanoi dans une ambiance de liesse, avec lâché de parachutistes sur le Petit Lac et défilé de 12 000 hommes, devant de Lattre, Bao Dai et 120 000 spectateurs. 15 juillet. Ordonnance de Bao Dai mettant le Vietnam en état de mobilisation. 27 et 29 août. À Paris, Comité de défense nationale partiellement consacré à la politique française en Indochine et à ses développements, notamment sur les suites à donner aux recommandations de la conférence de Singapour. 30 août. Signature à Washington du traité américano-philippin de défense mutuelle. 1er septembre. Signature du traité tripartite de l’ANZUS (Australia-New Zeland-United States). – Pacte d’assistance militaire franco-vietnamien.
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7 septembre. Signature d’accords « de coopération économique » entre les États-Unis et les États associés d’Indochine, alors que de Lattre et son épouse quittent la France pour les États-Unis à bord de l’ Ile-de-France. 8 septembre. Signature à San Francisco, par quarante-huit États non communistes, du traité de paix avec le Japon, suivi par un traité de défense nippo-américain. 11 septembre. Conversations Acheson-Schuman à Washington. 13 septembre. Rencontre Mayer-Lovett à Washington. 13-25 septembre. Voyage du général de Lattre aux États-Unis ; il y rencontre notamment Acheson le 14 à Washington. 25 septembre-10 octobre. Combats autour de Nghia Lo. 29 septembre. Nguyen Binh, ancien chef de la Résistance Viet Minh au Nam Bo faisant route vers le Nord tombe dans une embuscade dans le Nord-Est du Cambodge, près de Stung Treng. 1er octobre. Création officielle de l’Institut d’émission des États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam, qui se substitue dans ses fonctions à la Banque de l’Indochine. 10 octobre. À Washington, le Mutual Security Act modifie le Mutual Défense Assistance Act. 15 octobre. À Paris, le Comité de défense nationale examine la politique française en Indochine et ses développements sur le plan national, ainsi que les conséquences de la politique militaire du général de Lattre ; il étudie enfin la possibilité d’envoi en Indochine de « militaires appelés volontaires ». 28 octobre ; Conférence épiscopale à Hanoi en présence de Mgr Dooley, délégué apostolique envoyé par Pie XII après que De Lattre ait convaincu ce dernier d’engager les catholiques vietnamiens contre le Viet Minh : la hiérarchie catholique vietnamienne prend position pour Bao Dai. Novembre. Remplacement de Blum par Williamson, un diplomate, à la tête de la Mission américaine de Saigon ; accélération des cadences de livraisons de matériel américain à Saigon. 9-10 novembre. Conférence tripartite des services de renseignement (États-Unis, Royaume-Uni, France) à Saigon - suivi de la conférence de Singapour. 14 novembre. Prise de Hoa Binh en moins de 24 heures par les forces françaises (trois bataillons de parachutistes). La bataille de Hoa Binh va durer jusqu’au 31 janvier 1952. 20 novembre. Le général de Lattre, malade, quitte l’Indochine pour la France ; pouvant à peine marcher, il rendra visite une semaine plus tard au président Vincent Auriol afin de préparer le Haut Conseil de l’Union française. 22 novembre. À Paris, le Comité de défense nationale étudie notamment la question des fabrications destinées à l’Indochine. Fin novembre. Session du Haut Conseil de l’Union française. Décembre. Session du Conseil atlantique à Rome. 19 décembre. Opération du général de Lattre, dont il ne se relèvera pas. Le général Salan assure l’intérim. 28 décembre. Décret « portant retrait du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine dans les États du Cambodge, du Laos et du Vietnam ». Difficile discussion budgétaire au Parlement sur les crédits de guerre aux États associés. 31 décembre. Vote de différentes lois budgétaires (dépenses civiles des États associés, de la France d’outre-mer, et comptes spéciaux du Trésor).
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1952 1er janvier. La MSA (Mutual Security Agency, fonctionnant dans le cadre du Mutual Security Act) prend la suite de l’ECA (Economie Cooperation Agency) du plan Marshall. 1er-31 janvier. Bataille de la RC 6 (Rivière noire, Hoa Binh). 3 janvier. Loi sur les dépenses militaires - ministères de la Défense nationale, des États associés et de la France d’outre-mer. 11 janvier. Décès du général de Lattre, fait maréchal à titre posthume ; le général Salan assure l’intérim du commandement en chef en Indochine. – Conférence militaire tripartite de Washington, où Juin représente la France. 6 février. Conférence de Lisbonne (OTAN). Une aide américaine à la France de 500 millions de dollars, dont 330 pour l’Indochine, est décidée. 22-24 février. Évacuation de Hoa Binh, suite à une décision de Salan du 5 février ; la ville est donc reprise par le Viet Minh. 29 février. Vote des crédits militaires du ministère de la Défense nationale mais démission du gouvernement Edgar Faure en raison de l’Indochine : il proposait une augmentation des impôts en échange de 100 millions de dollars supplémentaires obtenus à Lisbonne. Mars. Nomination par Bao Dai, comme chef d’état-major général de l’armée vietnamienne, du général Nguyen Van Hinh - lieutenant-colonel de l’armée française de l’Air, fils de Nguyen Van Tam et possédant la double nationalité. 25 mars-12 avril. Opération Mercure dans le delta du fleuve Rouge, contre la division 320 de Van Tien Dung. 3-7 avril. Entretiens entre les amiraux français et américains Ortoli et Redford à propos de l’envoi de cartes américaines sur l’Indochine. 7 avril. À Paris, le comité de Défense nationale, après la conférence de Washington du 11 janvier et les recommandations du comité ad hoc qui en est issu, prend acte de la reconnaissance par les États-Unis du caractère stratégique de l’Indochine. – Accord sino-Viet Minh d’échange de marchandises. 9-10 avril. Débat sur l’Indochine à l’Assemblée nationale, au cours duquel Letourneau, ministre d’État et nouveau haut commissaire, prononce un important discours ; un « collectif d’ordonnancement pour 1951 » est approuvé par les députés, malgré l’abstention des socialistes. 14 avril. Vote de la loi de finances, c’est-à-dire des projets financiers de Pinay. 14-27 avril. Offensive Cogny dans le delta du Fleuve rouge (secteur du pont des Rapides) contre le régiment 98 - opérations Porto, Polo et Turco. Avril-mai. Réunion à Paris d’une conférence économique et tarifaire avec les États associés, sans aucun résultat ; en mai, du fait d’une augmentation des prix du riz, le Vietnam et le Cambodge interdisent d’ailleurs toute sortie de céréales. 7 mai. Les généraux Leclerc et Juin élevés à dignité de maréchal. 12 mai. Réunion à Saigon autour de l’ambassadeur des États-Unis Heath, en présence d’Américains, de Français et de Vietnamiens, consacrée au développement de l’économie de guerre au Vietnam. 20 mai. Le 150e cargo américain livrant du matériel militaire mouille dans le port de Saigon. 26 mai. Emprunt Pinay à 3, 5 % gagé sur l’or. 27 mai. Signature à Paris du traité sur la Communauté Européenne de Défense (CED).
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28 mai. Manifestation à Paris contre le général Ridgway (« Ridgway la peste »), nouveau commandant en chef de l’OTAN en remplacement d’Eisenhower. 4 juin. Le Comité de défense nationale examine la question des effectifs en Indochine. juin. Troisième congrès, dans les maquis, du Front Lien Viet d’Union nationale. 9 juin. Remplacement de Tran Van Huu par Nguyen Van Tam à la tête du gouvernement de l’État vietnamien. 17 juin. En visite à Washington, Letourneau reçoit de ses interlocuteurs la promesse verbale d’une aide supplémentaire des États-Unis comprise entre 100 et 150 millions de dollars. 25 juin. À Paris, le Conseil des ministres prend acte du succès de la mission Letourneau aux ÉtatsUnis. Juillet. Première implantation au Nord d’un GAMO (Groupement administratif mobile opérationnel) avec 150 volontaires vietnamiens, sur des « compartiments » pacifiés par l’opération Boléro. 8-10 juillet. Le Haut Comité franco-vietnamien, réuni autour de Bao Dai et du général Salan, arrête le plan de développement de l’armée vietnamienne pour 1953 et 1954 ; Salan a en particulier insisté sur une plus grande « vietnamisation » des forces engagées contre le Viet Minh. 12 juillet. Entretiens à Singapour entre Letourneau et McDonald, respectivement ministre d’État - haut commissaire français et commissaire général britannique en Asie du Sud-Est. 21 juillet. Attaque du Viet Minh contre le centre militaire de repos du Cap Saint-Jacques ; offensive également, dans la 5e zone, contre le secteur de Tourane. 24 juillet. A Paris, le Comité de défense nationale examine l’état de la relève pour l’Indochine. 25-29 août. Opération combinée Sauterelles dans le Centre Vietnam, dans le secteur de la « rue sans joie ». 26 juillet. Remplacement au MAAG Saigon du général Brink par le général Trapnell. Juillet-septembre. Réunion à Saigon de la conférence intergouvernementale des États associés, qui n’aboutit pas sur une politique commune pour les exportations des produits agricoles. 4 septembre. Entretiens Auriol-Bao Dai à Muret. 4-6 septembre. Opération Caïman dans le Centre Vietnam, dans le secteur de la « rue sans joie ». 12 septembre. Veto soviétique à la demande française d’adhésion à l’ONU du Vietnam de Bao Dai. 17 septembre. Chute surprise de Nghia Lo entre les mains du Viet Minh. 25 septembre. Les États associés donnent mandat à l’Institut d’émission pour les opérations liées à l’aide américaine ; les comptes appropriés y sont transférés de la Banque de l’Indochine et de l’Office indochinois des changes. 5-17 octobre. Conférence militaire des cinq puissances à Washington. 11 octobre. Début d’une offensive Viet Minh contre le haut pays thaï. 13-18 octobre. Conférence cartographique franco-américaine à Saigon. 18 octobre. Succès Viet Minh en pays thaï après une semaine d’offensive. Octobre. Conférence sino-vietnamienne (RDV) à Pékin, en présence de Duong Bach Mai, peutêtre de Ho Chi Minh. 19 octobre. Le général Salan arrête les bases d’une nouvelle stratégie, dite des camps retranchés ; début du pont aérien Hanoi-Na San à raison de cinquante rotations par jour.
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25 octobre. Déclaration du président de la République Vincent Auriol, inaugurant le barrage de Donzère-Mondragon : « La défense de la liberté en Indochine nous a déjà coûté matériellement à peu près le double de ce que nous avons reçu à ce titre (plan Marshall) et au titre du PAM. 1 600 milliards contre 800 milliards ». 28 octobre-16 novembre. Opération de diversion Lorraine et semi-échec pour les 30 000 hommes lancés contre des bases de ravitaillement Viet Minh entre la Rivière claire et le fleuve Rouge Viet Tri, Yen Bai... 4 novembre. Le général Eisenhower est élu président des États-Unis. 19 novembre. Publication par Le Monde (daté du 20) de l’article de Jacques Despuech intitulé Un scandale qui se prolonge : le trafic des piastres. 22 novembre. Évacuation de Son La par les troupes françaises. Novembre. Session du Haut Conseil de l’Union française ; les relations entre les États associés continuent de se détériorer. 30 novembre. Des unités de l’armée populaire du Vietnam atteignent la frontière laotienne ; deux régiments seront lancés le 15 décembre en direction de Sam Neua. 1-7 décembre. Bataille de Na San, où Salan et Bao Dai sont venus en inspection le 28 novembre, et succès « défensif » pour la France. 4 décembre. À Paris, le Comité de défense nationale examine la question de la défense du Sud-Est asiatique. 9 décembre. Transfert du secteur de Battambang à l’armée royale du Cambodge ; l’armée nationale du Vietnam a pris pour sa part en charge le mois précédent, au Nord la province de Hung Yen et, au Sud celles de Tan An, Co Cong et Ben Tre. 17 décembre. Au conseil de l’Atlantique nord réuni à Paris, les quatorze membres de l’OTAN affirment leur solidarité avec la France. 25 décembre. Bao Dai envoi une lettre au président Auriol et dépêche en France le général Hinh pour plaider en faveur « d’une extension des responsabilités du gouvernement vietnamien dans la conduite des opérations ».
1953 1er janvier. Le GCMA reçoit mission d’implanter des antennes dans le Nord-Laos, notamment parmi la population Hmong (Méo). 12 janvier-25 mars. Réunion à Phnom Penh de la conférence intergouvernementale des États associés ; Cambodge et Vietnam y affichent en particulier leurs divergences. 13 janvier. Vaste offensive Viet Minh dans la région des hauts plateaux (V e zone). 14 janvier. Sihanouk dissout l’Assemblée nationale du Cambodge et prend la présidence du gouvernement, avec Penn Nouth comme vice-président. 21 janvier. Dans son discours d’entrée en fonction, Eisenhower montre son intérêt pour les questions d’Extrême-Orient. 29 janvier-6 février. Opération française combinée contre la ville côtière et la région de Qui Nhon (Ve zone). 2 février. Conversations franco-américaines à Paris ; Foster Dulles, à peine entré en fonction, rencontre successivement Bidault et Mayer, Stassen s’entretient pour sa part avec BourgèsMaunoury.
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6 février. Loi sur les dépenses militaires de la Défense nationale, des États associés et de la France d’outre-mer ; un long débat parlementaire a précédé le vote du budget Indochine. 7 février. Le Conseil des ministres décide notamment d’envoyer le maréchal Juin en Corée et en Indochine (mission du 13 février au 7 mars). 10 février. Sihanouk à Paris, via l’Italie, pour une négociation impromptue. 24 février. Haut Comité militaire franco-vietnamien de Dalat, autour de Bao Dai, Letourneau, Salan, Hinh et Tarn ; décision d’augmenter la participation vietnamienne de 30 à 50 milliards de francs. 26 février. Rencontre discrète à Rangoun entre les émissaires de la France et de la RDV (RaphaëlLeygues et Buu Hoi), mais sans résultat pratique. 5 mars. Décès de Staline à Moscou. – Sihanouk proclame l’indépendance totale du Cambodge. 6 mars. Le président américain Eisenhower invite Mayer et Bidault, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, à venir aux États-Unis. 9-13 mars. Cinq réunions du Working Group franco-américain sur l’aide financière à la France pour l’Indochine se tiennent au ministère des États associés ; le 8 mars, le SGCI avait estimé les besoins (non couverts) du budget militaire français à 395 milliards de francs, dont 250 pour l’Indochine, sur un total de 1415 milliards. 11 mars. Conseil interministériel sur l’Indochine. 12 mars. À Paris, le Comité de défense nationale examine le compte rendu de l’inspection du maréchal Juin en Indochine, les problèmes de la relève d’Indochine, les travaux du Haut Comité militaire franco-vietnamien du 24 février 1953 et l’organisation du commandement militaire en Indochine. 26-28 mars. Voyage de René Mayer aux États-Unis, accompagné de Bidault, Letourneau, et Bourgès-Maunoury. L’Indochine figure en tête des entretiens ; un plan exceptionnel de développement de l’armée nationale vietnamienne est présenté par la France, avec un programme de transferts de territoires à l’État du Vietnam. 11 avril. Difficiles entretiens franco-khmers à Paris, en présence de Sihanouk. 12 avril. Recul des troupes françaises au Nord-Laos et évacuation de Sam Neua, devant l’approche de l’armée populaire vietnamienne. – Décret de la RDV donnant les principales orientations de la réforme agraire. 14 avril. Conseil des ministres consacré à l’Indochine. 16 avril. Élections municipales en France : recul communiste et grave échec gaulliste. De Gaulle rend leur liberté aux parlementaires du mouvement et le quittera lui-même. 18 avril. Dans un discours à Philadelphie, Foster Dulles assure que l’aide à l’Indochine sera développée. 20 avril. Déclaration retentissante de Sihanouk à New York, assurant que le Cambodge luttera de toutes ses forces si la France ne lui accorde pas l’indépendance totale. 24 avril. À Paris, le Comité de défense nationale examine l’organisation du commandement en Indochine. – Au Laos, le général Salan renforce la défense de Luang Prabang, menacée par le Viet Minh. 26-27 avril. Conversations franco-américaines à Paris. Dulles rencontre Mayer puis Bidault, Stassen s’entretient avec Pleven et Bourgès-Maunoury. La discussion porte sur une aide de 460 millions de dollars pour l’Indochine.
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27 avril. Réunion à Matignon, sous la présidence de Mayer, « consacrée à l’examen de la situation militaire en Indochine » avec notamment Bidault, Letourneau et Pleven. – Deux décrets réorganisent le pouvoir français en Indochine, instituant un commissaire général de France en Indochine secondé dans chaque État associé par un haut commissaire. 28 avril. Le gouvernement vietnamien informe le haut commissaire de France de sa volonté de réviser le tarif douanier (avant une date butoir fixée au 31 mai) pour lui permettre de faire face à l’accroissement de ses charges militaires. 4 mai. Arrivée des C-119 américains demandés le 23 mars par la France pour faire face à la crise du Laos. 7 mai. Arrêt de l’offensive Viet Minh au Laos. 8 mai. Conseil des ministres important sur l’Indochine : nomination du général Navarre comme nouveau commandant en chef ; adoption des principales mesures de réorganisation administrative et financière pour la conduite de la guerre en Indochine. 9 mai. Accords franco-cambodgiens signés à Paris par Penn Nouth. 11 mai. Dévaluation de la piastre, ramenée de 17 à 10 francs. 12 mai. Avec Duclos, les députés communistes demandent la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur le trafic des piastres. 15 mai. Quatre jours après la dévaluation de la piastre, le gouvernement vietnamien crée une surtaxe compensatrice de change sur toutes les exportations et demande une révision des clés de répartition des recettes communes entre les trois pays d’Indochine. 16 mai. Retour de Sihanouk à Phnom Penh. 17 mai. Protestant contre la dévaluation de la piastre, le ministre cambodgien des Finances se prononce pour une monnaie nationale. 18 mai. Xieng Khouang reprise au Viet Minh en présence de Salan, qui tient à entrer le premier dans la ville. 21 mai. Démission du gouvernement Mayer, faute d’avoir obtenu les pouvoirs exceptionnels demandés en matière financière. 25 mai. Nouvelles revendications de Bao Dai à Letourneau, plus ou moins alignées sur celles de Sihanouk, comportant notamment la suppression de l’Union douanière et monétaire. 28 mai. Navarre prend son commandement à Saigon. Départ de Salan, de Linares et de « l’équipe de Lattre », mise en place trente mois plus tôt. 3 juin. Une motion de la SFIO réclame une commission d’enquête parlementaire sur la piastre. 4 juin. Ordonnance de Bao Dai lançant une réforme agraire au Vietnam. 5 juin. Un praka (décret) du Premier ministre cambodgien frappe d’une taxe de compensation de 20 % les marchandises « destinées à la zone piastre » - et de 40 % les autres. 6 juin. Discours du chef du gouvernement vietnamien Nguyen Van Tarn, suggérant de façon discrète de nouvelles revendications nationalistes. 15 juin. Rupture franco-cambodgienne. Sihanouk quitte Phnom Penh pour la Thaïlande et Battambang. 2 juillet. Le Vietnam informe le Cambodge qu’il reprend sa liberté d’action dans le cadre de l’Union douanière. 3 juillet. Déclaration solennelle du gouvernement français (Laniel), qui s’engage à parfaire l’indépendance des États associés. 5 juillet. Conseil des ministres sur l’Indochine.
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10 juillet. Conférence franco-américaine de Washington ; l’Indochine figure parmi les principaux thèmes des entretiens. 17 juillet. Attaque surprise par le corps expéditionnaire de Lang Son (opération Hirondelle), brièvement occupée. 23 juillet. Maurice Dejean nommé commissaire général de France en Indochine avec attributions prévues dans le décret du 27 avril, notamment militaires, en dépit des souhaits de Navarre, qui aurait souhaité plus d’autonomie. 24 juillet. Le Comité de défense nationale réuni à Paris entend et discute le « plan Navarre », en présence de ce dernier. 27 juillet. Fin de la guerre de Corée, par la signature de l’armistice à Pan Mun Jon. 28 juillet. Opération Camargue de nettoyage dans « la rue sans joie » (V e zone). 3 août. Retour de France de Bao Dai, qui annonce la tenue d’un congrès national pour redéfinir les relations franco-vietnamiennes. 8-12 août. Évacuation du camp retranché de Na San par voie aérienne, sur décision du général Navarre. 9 août. Décret relatif à la gestion administrative et financière des forces terrestres servant en Indochine, transférées au budget de la Défense nationale ; un décret complémentaire réorganisera le 11 août le budget des États associés. 11 août. Une du Wall Street Journal: « Indochina victory? New US Plan aims at winning the War in 1955 ». 13 août. Grève générale en France. 15 août. Crise au Maroc : le sultan est déposé et exilé en Corse. 18 août. Décret réorganisant le haut commandement : le général Ély remplace Juin à la tête du comité des chefs d’état-major et comme inspecteur général des Forces armées. 19 août. Le Conseil des ministres français examine la question des crédits des forces terrestres. 20 août. Première bombe H soviétique. 26 août. Dans un mémorandum sur l’aide américaine pour l’Indochine, le gouvernement français demande à être « déchargé en 1954 de toutes ses responsabilités d’aide financière aux armées nationales ». 28 août. Rencontre Auriol-Bao Dai ; ce dernier demande à la France la garantie d’une aide et d’une victoire sur le Viet Minh. 31 août. Convention franco-cambodgienne sur les transferts de police et de sécurité. 1er septembre. Transfert à l’armée vietnamienne du secteur catholique de Bui Chu (NordVietnam). 2 septembre. Catastrophe aérienne : le quadrimoteur assurant la ligne Paris-Saigon s’écrase près de Barcelonnette ; l’accident fait 42 morts. 3 septembre. Khrouchtchev premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique. 7 septembre. Convention franco-cambodgienne sur les transferts militaires. 9 septembre. Convention franco-cambodgienne sur les transferts de justice. 10 septembre. Le National Security Concil décide d’accorder 385 millions de dollars d’aide supplémentaire à la France pour l’Indochine. 16 septembre. À Paris, le Comité de défense nationale examine la question de la défense du SudEst asiatique.
409
29 septembre. Accord franco-américain, par échange de lettres, sur l’aide supplémentaire de 385 millions de dollars pour les États associés. 12 octobre. À Paris, le Comité de défense nationale examine la situation militaire en Indochine et l’aspect militaire des négociations qui vont s’ouvrir avec les États associés. 15 octobre-7 novembre. Opération Mouette contre les bases de la division 320 de Van Tieng Dung, entre Ninh Binh et Thanh Hoa. 16 octobre. Motion du congrès national vietnamien, rejetant la participation du Vietnam à l’Union française « sous la forme actuelle ». 17 octobre. Accord militaire franco-cambodgien : transfert à l’armée royale de tout le commandement territorial, laissant cependant au corps expéditionnaire sa liberté d’opérations sur la rive gauche du Mékong. – Le congrès national vietnamien, réuni par Bao Dai pour préparer les négociations avec France, réclame l’octroi de « l’indépendance totale avec pleine souveraineté externe et interne, conforme à la définition du droit international » et l’ « abolition de tous les traités et conventions passées à ce jour avec la France, ainsi que la suppression du statut actuel des Pays Montagnards ». 23 octobre. Signature à l’Élysée du traité d’amitié et d’association avec le Laos, dans l’Union française, par Sisavang Vong et Vincent Auriol. 23-28 octobre. Débat parlementaire sur la politique générale de la France dans les États associés d’Indochine. 7 novembre. Éditorial de Radio Dalat : le Vietnam peut faire partie de l’Union française si la France renonce à diriger les affaires vietnamiennes. 9 novembre. Retour de Sihanouk à Phnom Penh et célébration de l’indépendance du royaume. 13 novembre. Réuni à Paris et informé de la situation en Indochine, le Comité de défense nationale demande au général Navarre d’ajuster ses plans aux moyens mis à sa disposition. 19 novembre. Réunion des cadres supérieurs de l’armée populaire vietnamienne dans la forêt proche de Thaï Nguyen : le Nord-Ouest désigné comme front principal. 20 novembre. Opération Castor : les parachutistes français occupent Dien Bien Phu. 26-27 novembre. Le Haut Conseil de l’Union française réuni à Paris, sous la présidence de Vincent Auriol, projette une conférence économique et financière quadripartite début 1954. 30 novembre. Dans une interview à L’Expressen, Ho Chi Minh se déclare prêt à discuter avec la France. 4 décembre. Conférence franco-américaine des Bermudes ; l’Indochine figure parmi les principaux thèmes des entretiens. – Arrivée du général Giap à Tuan Giao, à proximité de Dien Bien Phu. 8 décembre. Le colonel de Castries prend le commandement du camp retranché de Dien Bien Phu. 17 décembre. Démission de Nguyen Van Tam, remplacé par Buu Loc à la tête du gouvernement vietnamien. 19 décembre. Promulgation de la loi sur la réforme agraire en RDV. 31 décembre. Vote de la loi de finances pour l’exercice 1954 à l’Assemblée nationale.
1954 1er janvier. Mise en place des nouvelles procédures d’assistance militaire aux États associés (notamment le compte d’affectation spéciale).
410
16 janvier. Entrée en fonction à l’Élysée du nouveau président Coty. 1 janvier. Début de l’opération Atlante, sur le littoral du Centre Vietnam, conçue en parallèle à la bataille du Nord-Ouest (Dien Bien Phu). 4 février. Adoption par le gouvernement français d’un plan de dix-huit mois pour relancer l’expansion économique stoppée par la politique de déflation de Pinay. 6 février. A Paris, le Comité de défense nationale examine la situation en Indochine et prépare la mission sur place du ministre de la Défense et des Forces armées. 8-28 février. Mission d’inspection en Indochine du ministre de la Défense et des Forces armées René Pleven. 18 février. Clôture de la conférence des Quatre à Berlin, réunie depuis le 25 janvier sur l’Europe : elle prévoit une conférence sur la Corée et l’Indochine en avril avec les pays communistes. 1er mars. Accord de procédure franco-américain sur l’aide pour l’Indochine, notamment sur les modalités de remboursement à la France de ses dépenses militaires. – Croisade de l’abbé Pierre en France en faveur des sans-logis. 11 mars. À Paris, le Comité de défense nationale examine à nouveau les problèmes de l’Indochine et donne des directives concernant les clauses militaires des accords franco-vietnamiens. 13 mars. Déclenchement de l’attaque de l’armée populaire vietnamienne contre le camp retranché de Dien Bien Phu. 1er avril. Le Conseil des ministres relève le maréchal Juin de ses fonctions de ses fonctions de conseiller militaire permanent du gouvernement, après que ce dernier ait condamné la CED. 2 avril. Lois sur les crédits militaires de la Défense nationale et de la France d’outre-mer. 4 avril. Le président du Conseil Laniel et le ministre de la Défense Pleven violemment pris à partie lors d’une cérémonie militaire place de l’Étoile. 5 avril. En difficulté à Dien Bien Phu, la France demande l’aide de l’aéronavale américaine pour l’Indochine. – Déclaration du secrétaire d’État Foster Dulles devant la Chambre des représentants sur le programme américain de sécurité mutuelle, incluant l’Indochine et la Chine. 8 avril. Ouverture à Paris des négociations entre la France et l’État associé du Vietnam. 23 avril. Nouvelle demande française aux États-Unis d’aide directe à Dien Bien Phu. Refus américain. 26 avril. Ouverture de la conférence de Genève sur la Corée et l’Indochine. 7 mai. Chute du camp retranché français de Dien Bien Phu. 8 mai. Ouverture de la phase indochinoise de la conférence de Genève. 13 mai. Le gouvernement Laniel obtient la confiance sur l’Indochine, à deux voix de majorité. 14 mai. Réunion à Paris du Comité de défense nationale, qui fait le point sur la situation militaire en Indochine. 3 juin. Le général Ély nommé commissaire général et commandant en chef en Indochine. 4 juin. Signature d’un traité d’indépendance et d’association entre le Vietnam (Bao Dai) et la France. 16 juin. Ngo Dinh Diem, de retour d’exil, nommé à la tête du gouvernement vietnamien par Bao Dai. 23 juin. L’ambassadeur de France aux États-Unis, Bonnet, signale un retour de la presse à un anticolonialisme « nettement inspiré par le Département d’État ».
411
28 juin. A Paris, le Comité de défense nationale entend le général Ély et examine la situation générale en Indochine. 21 juillet. Signature des accords de Genève, approuvés par l’Assemblée nationale le 23. 4 août. Libération par la RDV du général de Castries à Hanoi. 28 août. Ouverture de la conférence de Paris entre la France et les États associés pour mettre fin au système quadripartite ; elle va durer quatre mois. 30 août. L’Assemblée nationale française refuse de ratifier le traité de la CED. 2 septembre. Bombardement de l’îlot nationaliste de Quemoy par la République populaire de Chine. 6 septembre. Signature du pacte de Manille. 27-29 septembre. Entretiens franco-américains à Washington, entre Bedel Smith d’une part et La Chambre et Edgar Faure de l’autre. La France accepte que les États-Unis attribuent directement leur aide aux États associés. 28 septembre. Ngo Dinh Diem demande un retrait accéléré des troupes françaises. 10 octobre. Évacuation de Hanoi par les dernières forces françaises. 10 décembre. Signature d’accords entre la France et la RDV sur les conditions d’activité des entreprises françaises au Nord. 11 décembre. Protocole franco-sud-vietnamien faisant transiter par la France 28, 6 millions de dollars - 1 milliard de piastres - pour l’aide américaine aux réfugiés. 28 décembre. À Paris, le Comité de défense nationale examine la réorganisation du corps expéditionnaire et des armées nationales en Indochine. 29 décembre. Fin de la conférence de Paris entre la France et les États associés mettant fin au quadripartisme ; Vietnam, Laos et Cambodge disposent désormais de l’indépendance monétaire et pourront recevoir directement l’aide américaine à partir du 1 er janvier 1955.
1955 23 février. Gouvernement Edgar Faure, suite à la démission de Mendès France le 4 février. Mars. Réouverture de la voie ferrée Hanoi-Lang Son. 3 mars. Norodom Sihanouk renonce au trône en faveur de son père. 21 mars. Troubles à Saigon entre Ngo Dinh Diem et les sectes. 9 avril. Accord sur la rachat par la RDV de la Société française des charbonnages du Tonkin. 17 avril. Conférence de Bandoung. 29 avril. Échange de lettres franco-américain, entre le ministre des Finances Pflimlin et l’ambassadeur américain Dillon, sur une aide forfaitaire de 100 millions de dollars US destinée à couvrir les frais de la fin de la guerre d’Indochine. 10 mai. Nouveau gouvernement Diem suite à la déchéance de Bao Dai. 14 mai. Signature du pacte de Varsovie. 18 mai. Accord militaire entre les États-Unis et le Cambodge. 20 mai. Évacuation par les forces françaises de Haiphong. 26 mai. Loi de finances votée à l’Assemblée nationale pour l’exercice 1955. 3 juin. Conférence de Messine, relançant la construction européenne. 7 juillet. Pacte d’amitié Chine-RDV 26 octobre. Proclamation de la République au Sud-Vietnam, avec Diem pour président.
412
Gouvernements français et principaux ministères
413
Les principaux représentants de la France en Indochine
414
Valeur et changes des monnaies
Coefficient de conversion du franc 1
Pour obtenir une valeur en franc constant 1953 (année de référence), il faut la multiplier par le coefficient suivant, selon l’année considérée :
2
1946 4,04
3
1947 2,58
4
1948 1,56
5
1949 1,40
6
1950 1,28
7
1951 1,06
8
1952
9
1953 équivalence
10
1954
11
Sources : Assemblée nationale, ministères des Finances et de la Défense
Franc et dollar 12
À partir de la date considérée, un dollar est égal à :
13
26 décembre 1945 119 francs
14
26 janvier 1948 214 francs
15
Octobre 1948 263,5 francs
16
Avril 1949 272 francs
17
20 septembre 1949 350 francs
18
10 août 1957 420 francs
19
Source : Robert Frank, La hantise du déclin. La France 1920-1960 : finances, défense et identité nationale, Paris, 1994.
415
Franc et piastre indochinoise 20
À partir de la date considérée, une piastre est égale à :
21
25 décembre 1945 17 francs
22
11 mai 1953 10 francs
416
Annexes
417
Annexe 1. Le coût de la récupération de l’Indochine 1945 et 1946
ESTIMATION PROVISOIRE DU COÛT DE LA RÉOCCUPATION DE L’INDOCHINE DU 15-8-1945 AU 31-12-46
Sources : CAOM. Indo / NF / 1281.
418
Annexe 2. Lettre du ministre de la France d’outre-mer Marius Moutet au président du Conseil sur le caoutchouc d’Indochine
1
OBJET / Protection militaire des plantations de caoutchouc d’Indochine
2
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint copie d’une lettre et d’une note que vient de m’adresser le Président des planteurs de caoutchouc au sujet de la protection des plantations d’Hévéas de la région Nord COCHINCHINE et Sud-Est CAMBODGE.
419
3
De ces documents il ressort que la situation d’insécurité sur ces plantations qui était déjà sérieuse s’est encore aggravée récemment à la suite de la décision prise par l’autorité militaire de prélever sur les troupes affectées à la défense de cette région un bataillon destiné à opérer au Tonkin.
4
Les colons craignent d’être mis dans l’obligation d’évacuer leurs plantations les unes après les autres si cette décision n’est pas rapportée et si, d’une façon plus générale, ils ne sont pas assurés d’une protection militaire suffisante.
5
Or la conservation des plantations d’Hévéas d’Indochine est primordiale non seulement pour l’économie française mais encore pour l’économie de l’Indochine.
6
Ces plantations représentent en effet un capital économique considérable. Elles ont nécessité beaucoup d’études, de patience, de courage, d’énergie et de temps. C’est une œuvre de longue haleine. Si elles sont détruites, elles ne pourront pas être reconstituées avant de longues années.
7
Leur potentiel de production annuelle peut atteindre 80 à 100 000 tonnes de caoutchouc permettant de couvrir les besoins urgents de la Métropole ce qui, dans la situation actuelle de notre trésorerie, pauvre en devises, représente un avantage appréciable.
8
L’industrie française du caoutchouc, qui utilise près de 50 000 ouvriers, ne peut, sans cette production, retrouver son niveau de 1939.
9
Quant à l’Indochine, elle perdrait avec la disparition des plantations d’hévéas son principal, pour ne pas dire son unique poste d’exportation actuel et il serait à craindre que les travailleurs autochtones de ces entreprises, privés de ressources, ne soient de gré ou de force amenés à passer au VIET-MINH ce qui ne ferait qu’aggraver encore la situation.
10
Enfin la destruction des plantations ne manquerait pas d’impressionner d’une façon défavorable l’opinion internationale et porterait un coup sensible à notre prestige.
11
Pour toutes ces raisons j’appuie très fortement la requête des planteurs de caoutchouc d’Indochine.
12
Je n’ignore certes pas les difficultés considérables auxquelles se heurte l’entretien d’effectifs militaires importants en Extrême-Orient néanmoins, étant donné l’importance des intérêts en jeu, j’estime que tout doit être fait pour préserver de la destruction les plantations d’hévéas d’Indochine. C’est pourquoi je me permets de suggérer l’envoi sur place, s’il était nécessaire, d’effectifs équivalents à la totalité ou partie des bataillons primitivement destinés à Madagascar et dont l’embarquement a été suspendu par votre décision N° 1325 DN/3/8 du 1er Août 1947./.
13
Signé : Marius MOUTET
14
P.A. Le Lieutenant-Colonel NOLETTE chargé de l’expédition des affaires courantes à la Direction des Affaires Militaires
15
COPIE à :
16
EMDN (Section coloniale)
17
(3e Section)
18
Direction des Affaires Économiques
19
[Tampon du ministère de la France d’outre-mer / direction des Affaires militaires]
20
Sources : SHAT, 4 Q 114
420
Annexe 3. Dépenses supportées par la France du fait de l’Indochine Dépenses supportées par la France en 1949 du fait de L’INDOCHINE
1
Les dépenses supportées par la France en 1949 du fait de l’Indochine se sont élevées aux montants suivants :
2
Il pourrait apparaître que les déficits des budgets locaux, les dépenses imputées à des comptes spéciaux du Trésor Indochinois et même les dépenses imputables au Budget métropolitain mais réglées en monnaie locale, ne pèsent pas directement sur les finances métropolitaines.
3
La note ci-jointe démontre le contraire.
4
C’est donc bien la totalité des dépenses énumérées ci-dessus qui pèse en définitive sur le Budget et sur le Trésor métropolitain.
Incidence sur la trésorerie des dépenses inflationnistes faites en Indochine 5
En raison de l’organisation monétaire de la zone franc il existe dans chacun des territoires d’Outre-Mer une sorte de « point de saturation monétaire », au-delà duquel
421
toutes les dépenses inflationnistes se traduisent automatiquement par des transferts de fonds vers la France. 6
De plus par le jeu des conventions qui lient l’État aux Instituts d’émission locaux, ces transferts retombent à la charge du Trésor métropolitain.
7
En ce qui concerne l’Indochine ce point de saturation est non seulement atteint mais même dépassé.
8
Aussi les dépenses faites en Indochine au cours de l’année 1949, sans couverture de ressources budgétaires se sont-elles traduites intégralement par des charges en francs pour le Trésor.
9
Il n’est pas sans intérêt d’analyser ce mécanisme et d’en faire ressortir de façon plus précise les conséquences. ***
Pourquoi les dépenses inflationnistes faites en Indochine entraînent-elles des transferts de fonds équivalents vers la France ? 10
Ceci n’apparaît pas évident a priori. L’organisation monétaire de la zone franc n’exclut pas en effet un certain contrôle des transferts. En Indochine tout spécialement les dispositions nécessaires ont été prises pour réduire dans toute la mesure du possible les envois de fonds vers la France ; mais la situation économique de l’Indochine et la nature des dépenses qui y sont faites limitent l’efficacité de ce contrôle.
11
Les dépenses inflationnistes concernent en premier lieu l’entretien du corps expéditionnaire.
12
Or, la situation économique est telle que les ressources locales suffisent à peine à couvrir les besoins de la population civile. La consommation des troupes métropolitaines ou locales ne peut dès lors être satisfaite directement ou indirectement que par des importations qu’il faut bien régler en francs. Si même les militaires français ne dépensent pas la totalité de leur solde, il apparaît difficile de leur interdire strictement de rapporter ou d’envoyer en France les économies qu’ils ont pu faire.
13
D’autres dépenses inflationnistes proviennent du budget d’équipement et de reconstruction de l’Indochine et des opérations propres du Trésor Indochinois. Tous les efforts sont faits pour en réduire le montant ; mais certaines de ces dépenses sont en relation avec l’effort militaire, d’autres correspondent à des besoins urgents. Qu’elles concernent des travaux ou l’entretien de services administratifs ces dépenses entraînent, par le canal des achats de matériaux, de la consommation ou des envois d’économies des fonctionnaires, des transferts sur la France d’un montant presque équivalent.
14
Dès lors, le contrôle des transferts, s’il peut empêcher que les capitaux accumules en Indochine se transportent massivement en France, ne peut par contre éviter que les sommes mises annuellement en circulation par le Trésor en excédent de ses ressources locales se transfèrent en France dans leur quasi-totalité.
422
Mais pourquoi la charge de ces transferts retombe-t-elle sur le Trésor métropolitain ? 15
Ceci résulte du mode de financement des dépenses. Celles-ci sont en effet couvertes par des avances en piastres que la Banque de l’Indochine consent localement au Trésor.
16
Ces avances ne procurent à la Banque aucune ressource en France métropolitaine.
17
Lorsque les porteurs de piastres ainsi avancées et dépensées par le Trésor, demandent à la Banque de les échanger contre des francs, celle-ci ne peut se procurer les disponibilités nécessaires qu’en exigeant du Trésor des remboursements en francs sur les avances en piastres qu’elle lui a consenties.
18
En fait, le Trésor reconstitue chaque semaine les provisions en francs nécessaires à la couverture des transferts de la semaine suivante. ***
Cette liaison entre les dépenses inflationnistes faites en Indochine et les charges en francs supportées par le Trésor français se vérifie d’ailleurs dans la pratique. 19
En 1949, les dépenses faites en Indochine sans couverture de ressources locales se seront élevées aux montants approximatifs suivants :
20
Pendant le même temps les versements du Trésor à la Banque de l’Indochine, pour la couverture des excédents de transferts atteindront environ 80 milliards, et les dépenses résultant des transferts postaux de 10 à 15 milliards.
21
Ainsi les charges supportées par le Trésor français seront-elles de quelques milliards supérieures au montant des dépenses inflationnistes faites en Indochine.
22
En face de ces 90 à 95 milliards de charges, le Trésor n’aura disposé comme ressources que de 30 milliards, à valoir sur les crédits ouverts au budget métropolitain pour le financement des dépenses militaires d’Indochine (le reste de ces crédits concerne des dépenses de matériel, des délégations de soldes, ou des frais de transports payés en dehors de l’Indochine).
423
23
C’est-à-dire que le Trésor aura dû en 1949 financer à ce titre et par ses propres moyens, des dépenses s’élevant à plus de 60 milliards de francs, et s’ajoutant aux 107 milliards de dépenses imputées au Budget.
24
Sources: AEF Fonds Trésor Β 43925.
424
Annexe 4. Note pour le ministre sur les transferts (23 février 1950, Guillaume Guindey) Très Secret 23 février 1950
NOTE pour le MINISTRE 1
Objet : Transferts entre l’Indochine et la France
2
La question des transferts entre l’Indochine et la France ayant été évoquée devant la Commission d’enquête sur l’affaire dite « des généraux », je crois devoir exposer au Ministre les premières observations qu’appelle de ma part l’exposé du Général REVERS.
I RÉGIME DES TRANSFERTS ENTRE L’INDOCHINE ET LA MÉTROPOLE 3
L’Indochine fait partie de la zone franc, et la notion même de zone franc implique une liberté totale des mouvements de fonds à l’intérieur de la zone. S’agissant des territoires africains, cette liberté existe, sous la seule réserve que les mouvements de fonds soient opérés par l’entremise d’intermédiaires agréés (ce qui ne peut être considéré comme une limitation à la liberté). S’agissant de l’Indochine, le Ministre sait pour quelles raisons il a été jugé nécessaire d’instituer des restrictions aux transferts vers la France et de renforcer ces restrictions.
4
Il n’en reste pas moins que la conversion de piastres en francs est en elle-même une opération parfaitement normale.
5
Je rappelle que, en vertu du régime actuel, les mouvements de fonds d’Indochine vers la France se réalisent :
6
a) soit librement, par voie postale, dans la limite d’une somme mensuelle de 25 000 francs par expéditeur ;
425
7
b) soit par l’entremise des intermédiaires agréés, sur autorisation de l’Office Indochinois des Changes. Cet Office a d’ailleurs délégué ses pouvoirs aux intermédiaires agréés, dans certaines limites (assez réduites) et pour certaines catégories de transferts.
8
D’une façon générale, l’Office Indochinois a reçu comme instructions de faciliter les transferts commerciaux ; mais, par contre, de se monter très restrictif pour les transferts financiers. On assiste, en effet, indépendamment de toute idée de trafic, à une tendance manifeste du rapatriement en France des avoirs Indochinois, provoquée tant par les événements politiques que par la crainte d’une dévaluation de la piastre.
9
Il convient de noter que, les principes généraux du contrôle des changes étant applicables à l’ensemble de la zone franc, le commerce Indochinois avec l’étranger est soumis à un régime identique à celui en vigueur dans la Métropole. Les exportateurs doivent notamment rapatrier en Indochine le montant de leurs exportations. Pourtant, à certaines périodes et pour certains produits dont l’exportation aurait été freinée, voire même rendue impossible, par leur prix de revient, il a été admis que leurs exportations par l’intermédiaire du marché de Hong-Kong — ce qui permet au vendeur d’obtenir une somme en piastres supérieure à celle que donnerait une conversion directe en piastres, chez un intermédiaire agréé local, de la totalité des devises obtenues en paiement de la marchandise.
II. LE TRAFIC 10
Il convient de s’élever contre l’idée trop répandue que tout transfert de l’Indochine vers la France constitue un trafic. Les relations commerciales entre l’Indochine et la France, la présence en Indochine de fonctionnaires et de militaires français, les nombreuses exploitations que possèdent en Indochine des sociétés françaises, ne peuvent que provoquer une masse importante de transferts parfaitement légitimes entre les deux pays.
11
Il n’y a vraiment trafic que lorsque les francs obtenus contre piastres au cours officiel de 17 F sont ensuite transformés, au marché noir, contre d’autres devises ou valeurs, et éventuellement retransformés en piastres, ou lorsqu’il y a négociation des autorisations de transferts délivrées par l’Office des Changes Indochinois. Fréquemment, ces deux opérations se superposent.
12
L’existence de tels trafics est indéniable. Cette fraude est spectaculaire, mais elle n’est pas aussi généralisée qu’on le prétend parfois.
III. RÔLE DE L’ADMINISTRATION DES FINANCES À L’ÉGARD DES OPÉRATIONS INCRIMINÉES 13
Les opérations incriminées sont de deux sortes. Les unes sont des opérations de caractère politique, ayant fait l’objet d’autorisations régulières de l’Office des Changes délivrées à la demande de notre Haut-Commissaire en Indochine ; les autres sont des cas particuliers du trafic faisant l’objet du paragraphe II ci-dessus.
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A. OPÉRATIONS DE CARACTÈRE POLITIQUE. 14
Ces opérations ont été, soit des transferts d’Indochine sur la France, soit des exportations avec dispense de rapatriement de devises, ces dernières opérations étant évidemment destinées à procurer certains avantages à leurs bénéficiaires.
15
La plupart de ces opérations ont été décidées sur le plan local, sans intervention de l’Office métropolitain des Changes, ni du ministère des Finances. C’est là une situation parfaitement normale. En effet, si l’Office Indochinois des Changes, du point de vue technique, relève de l’Office métropolitain des Changes et du ministère des Finances, il n’en est pas moins soumis, comme tous les services français en Indochine, à la haute autorité du Haut-Commissaire, Représentant du Gouvernement en Indochine et responsable des décisions à prendre sur le plan politique.
16
Il n’appartenait pas au Directeur de l’Office Indochinois des Changes de refuser de délivrer des autorisations qui lui étaient demandées par le Haut-Commissaire pour des fins dont ce dernier était seul juge, et de contrarier ainsi la politique du Gouvernement en Indochine. M. RIVET n’a, d’ailleurs, pas manqué de souligner auprès de M. PIGNON les inconvénients inévitables de ces opérations. M. PIGNON en était lui-même parfaitement conscient, comme il a eu l’occasion de me le dire au cours d’un entretien que j’ai eu avec lui à Paris l’an dernier.
17
Ce n’est qu’exceptionnellement que le Département a été appelé à examiner certaines demandes particulières de transferts d’Indochine sur la France pour des fins politiques. Les cas dont il a été ainsi appelé à traiter sont les suivants :
18
a) Demande de transfert de 261 millions de francs à réaliser par l’intermédiaire de la Société d’Exportation et d’importation Cinéma et Radio. Cette demande a fait l’objet d’un refus (lettre du 25 décembre 1949).
19
b) Demande de transfert de 85 millions de francs présentée par le Gouvernement vietnamien pour les dépenses de sa Délégation en France. Sur avis favorable du Ministère de la France d’Outre-Mer, cette demande a été acceptée le 12 janvier 1950.
20
c) Demandes de transferts de 170 millions de francs et de 8 millions de francs au profit de S.M. BAO DAI. Ces deux demandes ont fait l’objet d’une lettre en date 14 février 1950, par laquelle le Ministre sollicitait l’avis du Département de la France d’Outre-Mer, tout en attirant son attention sur le développement des opérations de cette nature.
21
d) Projet de création d’une banque du Vietnam à Paris, projet qui devait s’accompagner d’une importante conversion de piastres en francs. Ce projet a été refusé. B. CAS PARTICULIERS de TRAFICS.
22
Toutes les affaires signalées dans le rapport REVERS sont des affaires suivies sur place à la diligence de l’Office Indochinois des Changes. Si elles témoignent de l’existence incontestable d’un trafic important, elles témoignent aussi du fait que les Administrations compétentes (Office Indochinois des Changes, Douane, Police) ne restent pas inactives.
23
Il convient en outre de mentionner que la répression du trafic se fait également en France. Les services métropolitains de la Douane et de la Police ont été invités à exercer une surveillance particulière, qui s’est révélée fructueuse, sur les navires et les avions en partance pour l’Indochine. Une vaste enquête est en cours, en accord avec
427
l’Administration des PTT, sur les bénéficiaires des virements postaux en provenance d’Indochine (à ce titre plus de 1 000 personnes ont été interrogées ou sont l’objet d’enquêtes, à la suite de deux plaintes contre X déposées par le Département près le Parquet de la Seine). Le Ministre sait enfin, grâce à un rapport spécial que lui a adressé M. CALVET, que l’Office métropolitain des Changes a pris l’initiative d’une enquête spéciale sur les bénéficiaires d’un ensemble de transferts connus sous le nom de « Transferts Legrand ». 24
Il convient toutefois de ne pas se dissimuler que, si l’Administration fait ce qu’elle peut pour lutter contre la fraude, elle ne peut se flatter d’empêcher qu’un important trafic se poursuive.
25
Le Directeur des Finances Extérieures
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Signé : GUINDEY.
27
Source : AEF Fonds Trésor Β 43917.
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Annexe 5. Rapport au ministre sur les relations financières entre la France et l’Indochine (13 mai 1950, François Bloch-Lainé)
RAPPORT AU MINISTRE 1
A/S Relations financières entre la France et l’Indochine.
2
Mes Services cherchent, depuis un certain temps, non sans éprouver de grandes difficultés, à présenter sous une forme simplifiée un bilan des relations financières entre la France et l’Indochine, en répartissant dans un cadre établi en fonction du résultat recherché des renseignements chiffrés fournis par des documents d’archives ou obtenus auprès des divers services intéressés.
3
Certes, les éléments chiffrés ainsi utilisés n’ont pas tous une valeur comptable, certaines contestations peuvent s’élever sur l’imputation ou l’évaluation de tel ou tel élément, d’autres n’ont qu’une valeur statistique. Je tiens à indiquer cependant que ces calculs ne paraissent comporter qu’une faible marge d’erreur et que la relative incertitude qui pèse de ce fait sur le résultat final ne saurait suffire à infirmer les conclusions de la présente note.
4
Si, au cours de l’année dernière, la Métropole se trouvait encore débitrice vis-à-vis de l’Indochine, du fait qu’une partie des dépenses normalement à sa charge étaient
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supportées par le Trésor Indochinois, cette situation s’est renversée au 31 décembre 1949. À cette date apparaît au contraire une créance de la Métropole sur l’Indochine qu’aucune autorisation législative n’est venue sanctionner. 5
Il convient de rappeler que le Trésor Indochinois, Trésor de plein exercice, assure non seulement le financement des budgets locaux, mais aussi celui des dépenses locales de la Métropole de caractère budgétaire.
6
Le Trésor métropolitain, pour faire face aux dépenses dont le règlement est effectué pour son compte par le Trésor Indochinois, dispose de ressources locales. Il s’agit essentiellement de la contrevaleur en piastres des versements effectués chaque semaine à Paris à la Banque de l’Indochine pour permettre le règlement des excédents des transferts bancaires et partant la couverture de la monnaie indochinoise, ainsi que des paiements, par l’Administration des Postes métropolitaines, des mandats émis en Indochine.
7
Jusqu’à la fin de l’année 1948, le montant total de ces recettes locales était inférieur de quelque 48 milliards de francs à celui des dépenses de caractère métropolitain financées par le Trésor Indochinois.
8
Au cours de l’année 1949, par suite de l’accélération du mouvement des transferts, les recettes locales du Trésor métropolitain se sont élevées à plus de cent milliards de francs (...) alors que les dépenses locales qui comprennent essentiellement les dépenses militaires ne se sont élevées qu’à 55 milliards (...).
9
Il s’ensuit qu’au 31 décembre 1949, le solde des opérations respectives des deux Trésors s’est traduit par un crédit de 50 milliards environ en faveur du Trésor métropolitain et que la position de celui-ci s’est trouvée apurée et est même devenue créditrice (...), c’est-à-dire qu’actuellement compte tenu du fait que le rythme des dépenses et des recettes de caractère métropolitain reste approximativement le même, le Trésor métropolitain a consenti au Trésor indochinois une avance de plusieurs milliards. Il est normal de prévoir qu’à la fin de l’année le solde des opérations respectives des deux Trésors se traduira, comme en 1949, par un crédit de l’ordre d’une cinquantaine de milliards au profit du Trésor métropolitain, qui aura ainsi accordé au Trésor indochinois une avance du même montant.
10
Or, les avances dont bénéficie le Trésor indochinois lui sont consenties sans qu’aucun texte les ait autorisées. On peut affirmer que les versements effectués chaque semaine à Paris à la Banque de l’Indochine, et qui sont de l’ordre de 1 milliard et demi à 2 milliards, comportent dorénavant pour une large part des avances irrégulières à l’Indochine. L’intitulé du compte « Acomptes versés à la Banque de l’Indochine correspondant à des dépenses métropolitaines en Indochine » auquel sont imputés les dits versements a donc perdu sa signification.
11
Il y a d’ailleurs lieu de remarquer que ces avances doivent entraîner pour la presque totalité de leur montant une charge pour la trésorerie métropolitaine puisqu’elles trouvent en majeure partie leur origine dans les excédents de transferts en provenance d’Indochine (...). La trésorerie métropolitaine rembourse non seulement l’intégralité des dépenses métropolitaines exécutées localement (55 milliards en 1949) mais supporte encore par le jeu de la couverture de la piastre la charge de dépenses de caractère indochinois (44 milliards en 1949).
12
Si les errements actuels sont poursuivis, la Métropole va consentir en 1950 aux États associés une aide de l’ordre de 50 milliards qui, dans les conditions où elle est octroyée,
430
est irrégulière et dont il n’est tiré par ailleurs aucun avantage politique puisque son mécanisme en cache la signification et l’importance aux yeux des bénéficiaires. 13
La seule solution ouverte pour régulariser cette situation consiste à demander au Parlement le vote de crédits applicables à un compte d’avances qui retracera l’aide financière de la France aux États associés.
14
Toutefois, la couverture hebdomadaire par le Trésor des transferts bancaires, bien qu’elle revienne pour une large part à l’octroi d’avances à ces États, ne peut être suspendue dans l’attente d’une décision du parlement ; cette suspension équivaudrait en effet à la cessation brutale de la convertibilité de la piastre.
15
J’ai l’honneur de demander en conséquence au Ministre de bien vouloir m’autoriser à continuer de créditer la Banque de l’Indochine des sommes nécessaires pour assurer cette convertibilité.
16
Le Directeur du Trésor, F. Bloch-Lainé.
17
Source : AEF Fonds Trésor Β 33539. RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE LA FRANCE ET l’INDOCHINE EN 1949
431
Annexe 6. Rapport au président du Conseil sur la parité de la piastre 12 octobre 1950
RAPPORT à Monsieur le Président du Conseil 1
Le présent rapport a pour objet d’exposer les conclusions du comité institué à la suite de la réunion interministérielle du 26 août 1950 sur la dévaluation de la piastre. ***
2
Il est rappelé tout d’abord que la piastre est rattachée au franc, depuis 1936, par un taux de conversion fixe et que ce taux, qui était primitivement de 10 francs pour une piastre, a été porté à 17 francs le 26 décembre 1945.
3
Depuis un certain temps ce taux de conversion fait l’objet de critiques dont les principales sont les suivantes :
4
1°) On estime que ce taux augmente la charge que supporte le Trésor français du fait des dépenses militaires en Indochine et des transferts financiers d’Indochine en France.
5
2°) On relève des discordances entre la parité actuelle du franc et de la piastre et un certain nombre d’indices économiques et financiers.
6
– Bien que la piastre ait été réévaluée par rapport au franc en 1945, dans la proportion de 10 à 17, on remarque que les indices de prix exprimés en piastres traduisent une augmentation par rapport à 1949 qui est parfois du même ordre de grandeur que les indices français, et parfois même supérieure : ce qu’on exprime en disant que le pouvoir d’achat de la piastre ne correspond plus à sa parité officielle. Tout en reconnaissant la difficulté d’établir des indices de prix valables pour les différentes régions de l’Indochine et comparable aux indices français, on peut observer, en s’en tenant au moins aux grandes villes, que les coefficients de hausse des prix de détail sont au moins égaux à ceux des prix français (...).
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7
– Au marché noir de SAIGON, l’or se négocie à des taux qui font apparaître une dépréciation de la piastre de l’ordre de 60 % ; la négociation des dollars fait apparaître une dépréciation du même ordre (...).
8
– Les cours respectifs de la piastre et du franc sur les marchés libres voisins de l’Indochine (SINGAPOUR et HONG KONG) font état de dépréciations variables qui, quoique moins importantes restent néanmoins sensibles (...).
9
3°) On met en relief le fait que le taux de conversion actuel favorise les opérations spéculatives consistant à acheter des piastres, soit au marché noir de SAIGON, soit aux marchés libres voisins, pour les transférer ensuite en France au taux officiel et l’on voit dans une dévaluation de la piastre le moyen de mettre fin à un trafic onéreux pour le Trésor, regrettable sur le plan de la moralité publique, dangereux enfin par les multiples possibilités qu’il offre au Viet Minh de renforcer son potentiel financier et militaire.
10
Ayant à se prononcer sur l’opportunité technique d’une dévaluation de la piastre, le Comité s’est efforcé d’apprécier les conséquences que pourrait avoir une telle décision. Il a cherché à déterminer dans quelle mesure une dévaluation se traduirait par des économies pour les finances métropolitaines et quelles répercussions une telle opération pourrait avoir sur l’économie des États Indochinois.
I. INFLUENCE D’UNE DÉVALUATION SUR LES FINANCES PUBLIQUES MÉTROPOLITAINES A. INFLUENCE SUR LES CRÉDITS A INSCRIRE AU BUDGET FRANÇAIS 11
Les dépenses concernant l’Indochine et figurant au budget français (...) sont exécutées soit en francs, soit en piastres suivant la nature des opérations. Il est évident qu’une dévaluation ne peut avoir d’effet sur celles de ces dépenses qui sont exécutées en francs. Par contre, une réduction des crédits à inscrire au budget français peut-être attendue d’un changement du taux de conversion, en ce qui concerne les dépenses qui sont exécutées en piastres, dans la mesure toutefois où une hausse des prix en piastres ne suivrait pas immédiatement une dévaluation.
12
Il y a donc lieu de rechercher dans quelle mesure les dépenses du budget français pour l’Indochine correspondent à des opérations en francs ou à des opérations en piastres. 1. Dépenses autres que les dépenses du personnel
13
Pour ces dépenses qui représentent sensiblement la moitié du budget total, la proportion des opérations exécutées en piastres est relativement faible (...).
14
Ce n’est guère que pour le poste « alimentation » que les dépenses exécutées en piastres sont supérieures aux dépenses exécutées en francs (de l’ordre du double). Mais, pour les autres postes (transports, habillement, équipement, matériel, motorisation, service de santé etc.) la fraction des dépenses effectuées en Indochine est très faible.
15
Dans l’ensemble on peut estimer qu’environ le tiers des dépenses autres que les dépenses de personnel est exécuté en piastres.
16
La réduction des crédits à attendre d’une dévaluation ne peut donc porter au maximum que sur le tiers de cette catégorie de dépenses.
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2. Dépenses de personnel 17
L’évaluation de l’économie initiale est ici plus délicate. Il n’y a pas en effet de statistique qui permette de savoir dans quelle mesure les sommes mises ainsi en paiement sont utilisées par les bénéficiaires directs en francs ou en piastres. Les délégations de solde payables dans la Métropole sont faibles mais elles ne représentent qu’une partie des fonds effectivement transférés par les militaires.
18
Les soldes ont en effet un double objet. Elles permettent aux militaires et aux fonctionnaires de vivre en Indochine pendant la durée de leur séjour. Elles sont employées également à des transferts vers la Métropole pour l’entretien des familles et éventuellement le rapatriement des économies. Il est à peu près impossible de savoir dans quelle mesure se font de tels transferts qui varient énormément suivant les grades et les conditions de vie des intéressés.
19
Le Comité n’a pu, à cet égard que faire une évaluation très approximative. Il a pris pour hypothèse de travail l’envoi direct dans la Métropole du tiers des soldes payées.
20
En raisonnant sur cette hypothèse, on peut admettre qu’une dévaluation n’apportera d’allégement au budget français qu’en ce qui concerne les deux tiers, dépensés en Indochine, des soldes effectivement inscrites au budget mais que, pour le dernier tiers, devant la difficulté évidente de réduire le pouvoir d’achat de francs des militaires et des fonctionnaires aucune économie substantielle ne sera réalisable et que, dès le lendemain d’une dévaluation, il sera nécessaire de procéder à un réajustement partiel des soldes des militaires et des fonctionnaires de façon à maintenir dans l’ensemble leurs ressources en francs.
21
On voit donc que c’est au maximum sur les deux tiers des dépenses de solde qu’une économie peut-être envisagée.
22
Au total, pour l’ensemble du budget français, on peut évaluer à la moitié le montant des dépenses sur lesquelles la dévaluation aura une influence. Dans l’hypothèse d’une dévaluation de 50 %, le bénéfice théorique à envisager initialement serait donc de l’ordre du quart des crédits budgétaires.
23
Toutefois, il convient d’attirer l’attention sur le fait que les économies ainsi attendues théoriquement ne peuvent manquer d’être considérablement réduites du fait de la sensibilité très vive des militaires en opérations à une mesure touchant d’aussi près leurs avantages acquis. Il faut craindre que la hausse des prix en Indochine, dont il sera parlé ci-dessous, rende inéluctable le relèvement des crédits destinés à payer en piastres des dépenses de matériel et celui de la fraction des soldes servant à assurer la vie des troupes en Indochine. B. INFLUENCE SUR LES CHARGES DU TRÉSOR MÉTROPOLITAIN
24
Il est rappelé que le Trésor Métropolitain supporte actuellement, du fait de l’Indochine, deux catégories de dépenses :
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1. La fraction des dépenses du budget français pour l’Indochine payées en francs. 25
Cette fraction est sensiblement égale à la moitié des sommes inscrites au budget ainsi qu’il a été exposé ci-dessus. Aucune économie n’est à attendre, pour le Trésor, du fait d’une dévaluation en ce qui concerne ces dépenses. 2. Le solde de la balance des comptes entre l’Indochine et la France.
26
Les dépenses qui figurent au budget métropolitain pour l’Indochine mais qui sont effectivement payées en Indochine ne constituent pas un décaissement pour le Trésor Français mais pour le Trésor Indochinois. Ce n’est qu’au moment où les émissions locales destinées à couvrir ces dépenses donnent naissance à des transferts à destination de la Métropole que le Trésor métropolitain supporte un décaissement effectif. Ainsi, la charge réellement supportée par le Trésor français comprend, outre la partie des dépenses figurant au budget payée en francs (la moitié environ), le solde de la balance des comptes entre l’Indochine et la France.
27
Les éléments de cette balance des comptes sont le solde de la balance du commerce et le solde des transferts financiers. L’un et l’autre sont en fait alimentés par l’inflation réalisée en Indochine, tant pour le paiement sur place des dépenses militaires et civiles théoriquement à la charge du budget métropolitain que pour la couverture des besoins locaux (déficit des budgets des États et dépenses militaires mises plus ou moins artificiellement à la charge de l’Indochine).
28
La masse de ces transferts s’est élevée en 1949 à un montant légèrement supérieur à une centaine de milliards de francs et, pour les six premiers mois de 1950, à environ 60 milliards (...). Le rythme annuel des transferts est donc actuellement de 120 milliards à l’année. Cette charge apparaît supérieure à l’économie réalisée par le Trésor métropolitain par rapport aux crédits budgétaires du fait qu’il ne supporte pas effectivement les dépenses qui figurent à ce budget mais qui sont payées en Indochine (évaluée grosso modo à la moitié des crédits budgétaires totaux, soit 85 milliards). La différence, soit 35 milliards, constitue ainsi une aide supplémentaire de la Métropole à l’Indochine, mais il faut bien voir qu’elle ne fait que compenser le montant des dépenses de caractère militaire laissées à la charge de l’Indochine (financement par le Trésor Indochinois des comptes n° 1 et 2).
29
Sur ces transferts les conséquences théoriques d’une évaluation seront les suivantes :
30
a) immédiatement après la dévaluation, une économie pourrait être réalisée dans la mesure où la masse de piastres à transférer resterait constante. En effet le montant des francs qui seraient décaissés par le Trésor français, pour faire face à ces demandes de transferts, serait diminué dans le rapport même de la dévaluation.
31
b) On peut penser également que la masse des piastres à transférer subira dès le départ une légère diminution dans la mesure où certains de ces transferts sont effectués dans le but de mettre des capitaux à l’abri d’une dévaluation de la piastre. Cette opération étant faite, les capitaux à transférer en France pourront être moins nombreux. Toutefois, il ne faut pas surestimer l’importance d’un tel allégement car si le risque « piastre » aura disparu, le risque « Indochine » en général restera inchangé. Quant aux trafics qui passent par l’intermédiaire de la piastre et qui sont provoqués non par le taux actuel de cette monnaie mais par des disparités permanentes sur les marchés de l’or et de certaines devises, ils n’en continueront pas moins d’exister.
435
32
Mais il est évident que les conclusions théoriques exposées ci-dessus ne sont valables que tant que le volume des piastres à transférer restera constant. Le problème est donc de savoir dans quelle mesure la circulation, les prix et les revenus Indochinois pourront rester au niveau antérieur à la dévaluation.
II. INFLUENCE D’UNE DÉVALUATION SUR L’ÉCONOMIE DES ÉTATS INDOCHINOIS 33
Malgré toutes les difficultés que présente la recherche des effets d’une dévaluation dans un pays dont les conditions de production sont tout à fait anormales et varient constamment avec l’évolution de la situation militaire, on peut essayer de préciser les principaux effets qu’une dévaluation est susceptible d’entraîner. A. INFLUENCE SUR LES PRIX INTÉRIEURS
34
1° – L’Indochine est un pays agricole où le volume des importations de matières premières et de produits manufacturés est très important (...) et où une augmentation des prix des produits importés exerce une influence sur le niveau de l’ensemble des prix. Or, une dévaluation entraînera une augmentation des prix des produits importés correspondant au pourcentage de dévaluation ; il est même vraisemblable que la hausse des prix de ces produits sera plus forte que celle correspondant à ce pourcentage dans la mesure où les importateurs calculeront leurs marges bénéficiaires sur les nouveaux prix de remplacement.
35
2° – La diminution immédiate des transferts commerciaux et financiers qui suivra la dévaluation provoquera une augmentation de la circulation fiduciaire locale qui contribuera à accroître le mouvement de hausse des prix intérieurs. On peut se demander si le phénomène de diminution de transfert sera durable ; il n’en est pas moins vrai que ce phénomène jouera au début et exercera une influence sur le déclenchement de la hausse.
36
3° – Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que, dans les pays d’Extrême-Orient le goût de la spéculation et l’attrait des gains rapides guident l’attitude des commerçants ; les effets d’une opération monétaire, surtout si le pourcentage de dévaluation est important, sont généralement immédiats et prennent aussitôt beaucoup d’ampleur. L’histoire monétaire de la Chine au cours de ces dernières années prouve surabondamment l’importance des réactions psychologiques des peuples asiatiques en face des phénomènes monétaires.
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Il en résultera fatalement un alignement sur les cours mondiaux pour la plupart des grands produits Indochinois, même dans la mesure où ceux-ci ne sont pas, en raison des circonstances actuelles, susceptibles d’être exportés en grande quantité.
38
En particulier en ce qui concerne le riz dont les variations du prix exercent une influence considérable sur le niveau de vie des populations locales, les effets d’une dévaluation seront d’autant plus forts que son commerce ainsi que les rizeries qui traitent le paddy sont entre les mains des Chinois dont la réaction naturelle en cas d’opérations monétaires sera l’alignement sur la nouvelle valeur de la piastre.
39
On est ainsi amené à penser qu’une dévaluation entraînera immédiatement une augmentation correspondante des prix intéressant les habitants des centres urbains où sont écoulés la plus grande partie des produits importés. La dévaluation aura aussi mais
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avec quelques délais, des effets sur le niveau de vie des populations rurales, d’une part parce que l’augmentation du prix du riz entraînera la hausse des prix des autres productions locales, d’autre part parce que certains produits importés, notamment les cotonnades, approvisionnent également les marchés ruraux. 40
4° – Pour limiter l’influence de la dévaluation sur le coût de la vie, on peut songer à instituer un marché libre de la piastre à côté du marché officiel sur lequel la parité actuelle serait maintenue et où continueraient de se traiter les négociations correspondant à l’importation de produits essentiels. Toutefois le Comité ne croit pas pouvoir proposer une telle solution. Il a estimé en effet qu’il serait très difficile dans la pratique de ne pas admettre au marché officiel la plus grande partie des demandes de transferts qui seraient présentées : les produits que l’on pourrait qualifier de « non essentiel » (parfums, vins, liqueurs, tabacs, etc.) ne représentent qu’un pourcentage infime des importations Indochinoises (...).
41
5° – Seul un régime rigoureux de contrôle des prix et des marges bénéficiaires des commerçants pourrait atténuer les effets d’une dévaluation sur les prix intérieurs. Or, il est évident qu’un tel contrôle ne peut être institué en Indochine d’une manière générale et efficace à tous les stades du commerce. En outre, le contrôle des prix ne pourrait être mis en œuvre que par les autorités des États Associés qui pourraient éventuellement s’en servir comme d’une arme à l’égard de maisons de commerce françaises, tandis que les revendeurs chinois et annamites ne seraient pas inquiétés.
42
6° – Il y a lieu de noter en outre l’influence qu’aura le relèvement des prix intérieurs sur la situation financière des États Associés. Les difficultés que connaissent ceux-ci, notamment le Vietnam, qui sont dues à la fois à la situation politique et militaire en général et aux troubles apportés par la passation des services aux autorités nationales, seront encore aggravées par la hausse des prix et pourront servir de prétexte pour demander une aide supplémentaire au Trésor métropolitain et réduire ainsi les avantages escomptés par celui-ci. B. INFLUENCE SUR LES EXPORTATIONS
43
Les avantages économiques qui découlent habituellement d’une dévaluation, en ce qui concerne les exportations, ne pourront guère être observés en Indochine dans les circonstances présentes. Ce n’est pas en effet le niveau des prix mais la situation militaire et la désorganisation des transports qui entravent le développement des exportations.
44
Pour le caoutchouc, les hausses récentes sur le marché mondial assurent aux producteurs des bénéfices très substantiels. En ce qui concerne le riz, peu d’exportations sont à envisager pour le moment tant que le dégagement de tous les centres de production ne sera pas réalisé. Le charbon trouve, même avec le taux actuel de la piastre, un débouché assuré au JAPON. Seul le ciment est handicapé par le taux actuel mais son importance sur la balance des comptes Indochinois est négligeable (...). ***
45
Il ressort de l’exposé qui précède que ce ne sont pas les conditions générales de la vie économique en INDOCHINE qui militent actuellement en faveur d’une dévaluation de la piastre. L’intérêt principal que présente cette opération réside dans l’allégement des
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charges du Trésor français. Mais cet allégement sera dans la pratique infiniment plus faible que ce qu’un calcul théorique pourrait faire espérer, en raison du relèvement quasi automatique des prix intérieurs qui ne pourra manquer de se produire. Alors que, si les prix intérieurs pouvaient rester stables, on serait fondé de penser qu’une dévaluation de 50 % procurerait une économie qui serait de l’ordre de grandeur du quart des dépenses totales supportées par la France du fait de l’Indochine ; il est vraisemblable que le rajustement des prix intérieurs ne permettra pas de faire d’économies appréciables au-delà des trois ou quatre premiers mois qui suivront l’opération. Dans ces conditions, et sans qu’il soit possible d’avancer un chiffre, l’avantage à attendre réellement de l’opération paraît devoir être considérablement inférieur au pourcentage indiqué ci-dessus. 46
Il apparaît au Comité, en définitive, qu’une telle mesure n’apporterait vraisemblablement au Trésor métropolitain qu’un allégement passager tout en risquant de provoquer dans l’économie indochinoise des troubles sérieux générateurs d’inflation. Or, le problème est précisément de contenir l’inflation actuelle dans des limites telles que l’évasion du surcroît de disponibilités n’impose pas au Trésor, par le jeu des transferts, des charges insupportables : problème difficilement soluble tant que de lourdes dépenses militaires seront mises à la charge du Trésor Indochinois et, pour partie, à celle des budgets locaux et que ces derniers ne disposeront que de ressources limitées à la fois par l’exiguïté des territoires contrôlés et par l’insécurité générale.
47
Une amélioration de la situation militaire et de la sécurité susceptible d’entraîner un retour à une vie économique plus normale, à un élargissement des zones de production et au rétablissement des communications, serait évidemment de nature à favoriser un assainissement des finances et un réajustement durable de la parité piastre-franc.
48
Dans les circonstances actuelles, le Comité ne peut que signaler, en laissant au Gouvernement le soin de les apprécier, les conséquences d’ordre politique (à la fois sur le plan intérieur français et sur le plan de nos relations avec les États Associés) qu’entraînerait une dévaluation immédiate de la monnaie indochinoise.
49
Source: AEF Fonds Trésor Β 43917.
438
Annexe 7. Achats et ventes de piastres en 1948, 1949, 1950 (documents du haut-commissariat français à Saigon)
RÉCAPITULATION ACHATS & VENTES DE FRANCS FRANÇAIS
Opérations commerciales 1
Ventes – Le montant total de ces opérations est passé de 32 milliards en 1948 à 59 milliards en 1949 pour atteindre 66 milliards en 1950 – Cette très sensible augmentation paraît fonction de l’évolution des prix sur les marchés mondiaux et la conséquence d’une reprise marquée de l’activité économique en Indochine. Il est par ailleurs normal que l’augmentation des moyens de paiement mis à la disposition du marché local se traduise par un appel de marchandises extérieures, puisque les exportations d’origine métropolitaine ne subissent aucune restriction réglementaire ou financière.
439
2
Achats – Le montant des achats en francs qui, en 1948 et 1949, était resté au niveau de 10 milliards par an s’est accru en 1950 dans la proportion de 40 % – Cet accroissement paraît corrélatif à l’augmentation dans le courant de l’année du tonnage d’exportation et surtout des cours mondiaux du caoutchouc. Cette matière première entre en effet pour une très large part dans le volume des exportations.
3
Source : AEF Fonds Trésor Β 43924.
440
Annexe 8. Conventions inter-états des 23, 25, et 26 décembre 1950
CONVENTION SUR L’INSTITUT D’ÉMISSION TITRE I Création d’un Institut d’émission Privilège d’émission. 1
ARTICLE PREMIER.
— Il est créé un établissement dénommé « Institut d’émission des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam ».
2
ARTICLE 2. — L’Institut d’émission a des agences à Paris, Hanoi, Hué et dans toutes autres villes où le Conseil d’Administration le jugerait nécessaire.
3
Le siège sera fixé d’accord parties palies Hautes Parties contractantes à Saigon, PhnomPenh ou Vientiane. Celles de ces villes, qui ne seront pas désignées comme siège de l’Institut recevront une succursale de cet établissement.
4
3. — Il est conféré à cet établissement le privilège de l’émission des billets au porteur dans les territoires des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam.
5
Les billets émis par l’Institut sont libellés en piastres. Ils sont reçus comme monnaie légale avec pouvoir libératoire illimité par les Caisses publiques et par les particuliers.
6
Ils pourront revêtir la forme de vignettes différentes pour le Cambodge, le Laos et le Viêt-Nam, suivant le lieu d’émission. Les vignettes de chaque Etat ont cours légal et pouvoir libératoire illimité sur le territoire des deux autres.
7
ARTICLE
8
Il ne traite des opérations qu’avec les caisses publiques et les établissements de banque.
ARTICLE
4. — L’Institut d’émission ne peut se livrer à d’autres opérations que celles prévues par la présente convention.
441
TITRE II Opérations génératrices de l’émission. 9
ARTICLE 5. — La couverture de la piastre est constituée par :
10
1° Des francs français ;
11
2° Des créances résultant d’avances aux Trésors et à la Caisse de gestion et d’amortissement de la Dette ;
12
3° De l’or et des devises étrangères, lorsque le contrôle des changes aura été supprimé au Cambodge, au Laos et au Viêt-Nam dans les conditions fixées par la Convention sur le régime des changes.
13
ARTICLE
14
Ces avances peuvent porter intérêt au profit de l’Institut.
15
Chaque avance doit faire l’objet d’une convention particulière.
6. — L’Institut est autorisé à consentir des avances temporaires en piastres aux Trésors et à la Caisse de gestion et d’amortissement de la Dette.
TITRE III Achats et ventes de francs français. 7. — L’Institut est tenu de fournir des piastres contre la remise de francs français et des francs français contre la remise de piastres sur la base de la parité officielle entre les deux monnaies.
16
ARTICLE
17
Les piastres fournies ou reçues par l’Institut peuvent être sous forme de billets ayant cours légal au Cambodge, au Laos et au Viêt-Nam, ou sous forme de chèques et virements payables sur une des places bancables de ces Etats.
18
Les francs français fournis ou reçus par l’Institut peuvent être sous forme de billets ayant cours légal en France, sous forme d’inscription au compte ouvert à l’Institut sur les livres du Trésor public français ou du siège social de la Banque de France à Paris, ou sous forme de transferts télégraphiques de chèques ou virements payables au siège central de la Banque de France à Paris.
19
ARTICLE
20
Pour répondre aux demandes dont il est saisi, l’Institut peut arbitrer les uns contre les autres tous les francs ayant cours dans l’Union française, sur la base des parités officielles.
21
ARTICLE
8. — Les avoirs en francs français, détenus par l’Institut en excédent de ceux qui sont nécessaires au maintien d’une liquidité immédiate par le transfert de piastres en francs sont déposés au Trésor français en compte courant avec intérêts.
9. — Des conventions pourront être conclues entre le Gouvernement de la République française et l’Institut d’émission en vue de mettre des avoirs en francs à la disposition de ce dernier.
442
TITRE IV Administration, direction et contrôle de l’Institut. 22
10. — L’administration, la direction et le contrôle de l’Institut sont assurés respectivement par le Conseil d’Administration, par son Président et par la Commission de surveillance.
23
ARTICLE
24
Le Président du Conseil d’Administration est choisi parmi les membres de ce Conseil. Il est nommé conjointement par les Hautes Parties contractantes.
25
ARTICLE 12. — Les fonctions de Président sont incompatibles avec un mandat législatif.
26
Pendant l’exercice de ses fonctions, il est interdit au Président de prendre ou de recevoir une participation ou quelque intérêt que ce soit, par travail ou conseil, dans toutes entreprises privées, industrielles, commerciales ou financières.
27
Les fonctions d’administrateur sont gratuites, sauf les jetons de présence dont le montant est fixé par délibération du Conseil d’Administration.
28
ARTICLE 13. — Les attributions du Président sont notamment les suivantes :
29
1° Il a la direction des affaires de l’Institut ;
30
2° Il préside le Conseil d’Administration ;
31
3° Il nomme et révoque le personnel de l’Institut ;
32
4° Il fait observer les lois et règlements et les dispositions statutaires relatives à l’Institut ainsi que les délibérations du Conseil d’Administration ;
33
5° Il signe, au nom de l’Institut, les traités et conventions ;
34
6° Il engage, au nom de l’Institut, les actions judiciaires.
35
ARTICLE
36
1° Il approuve les traités et conventions engageant l’Institut ;
37
2° Il établit son règlement intérieur et le statut du personnel ;
38
3° Il veille à ce que l’Institut n’effectue pas d’autres opérations que celles déterminées par la présente convention, et dans les formes et conditions fixées par la présente convention et par le règlement intérieur ;
39
4° Il décide, dans les conditions précisées par la présente convention, de la création, de l’émission, du retrait et de l’annulation des billets, dont il déterminera la forme dans le cadre de la présente convention ;
40
5° Il statue sur les avances à consentir par l’Institut ;
41
6° Il arrête, chaque année, les crédits nécessaires au fonctionnement des services de l’Institut ;
42
7° Il détermine, en fonction des charges normales de gestion, le taux des commissions perçues à l’occasion des opérations de l’Institut et le taux des intérêts perçus sur les avances ;
43
8° Il arrête, à la fin de chaque exercice, les comptes des résultats et procède à l’affectation et à l’emploi des bénéfices, dans les conditions fixées par la présente
ARTICLE
11. — Le Conseil d’Administration est composé de trois représentants de chacune des Hautes Parties contractantes.
14. — Les attributions du Conseil d’Administration sont notamment les suivantes :
443
convention sous réserve de l’approbation par les gouvernements des Hautes Parties contractantes après avis de la Commission de surveillance prévue à l’article 17 ciaprès ; 44
9° Il approuve, dans les trois premiers mois de chaque exercice, le compte rendu annuel des opérations que doit adresser le Président, en son nom, aux gouvernements du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam.
45
ARTICLE
46
16. — Les décisions du Conseil d’Administration sont prises à la majorité des voix. En cas de partage des voix, celle du Président est prépondérante.
47
Toutefois, doivent être prises à l’unanimité les décisions concernant :
48
1° L’octroi des avances aux Trésors et à la Caisse de gestion et d’amortissement de la Dette ;
49
2° La création, l’émission, le retrait ou l’annulation des billets ;
50
3° La fixation du taux des intérêts des comptes visés à l’article 24 ;
51
4° L’arrêt des comptes de résultats à la fin de chaque exercice, y compris le partage du bénéfice net.
52
Dans ces quatre cas, le vote a lieu par Etat.
53
ARTICLE
54
Les censeurs assistent aux séances du Conseil d’Administration avec voix consultative.
55
La mission des censeurs est de l’ordre le plus général. Leurs surveillance s’étend à tous les services et porte sur les opérations, la comptabilité et la gestion de l’Institut.
56
Les censeurs rendent compte, dans un rapport à adresser au début de chaque année, aux gouvernements du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam, des contrôles qu’ils ont effectués au cours de l’année écoulée et notamment des conditions dans lesquelles la présente convention et le règlement intérieur ont été observés. Ils peuvent faire toutes propositions et suggestions qu’ils jugent utiles.
15. — Aucune résolution du Conseil d’Administration ne peut être valablement délibérée sans la présence d’au moins la moitié des membres du Conseil et la présence d’un censeur. Les délibérations relatives à la création et à l’émission des billets requièrent la présence de deux censeurs au moins. ARTICLE
17. — Le contrôle de l’Institut est assuré par la Commission de surveillance, composée de quatre censeurs, nommés par les gouvernements du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam.
TITRE V Gestion financière. 18. — L’Institut d’émission est doté de l’autonomie financière. Il a son budget propre et établit ses comptes.
57
ARTICLE
58
19. — L’Institut est assujetti aux impôts de droit commun pour les opérations de toute nature qu’il effectue.
59
ARTICLE 20. — Les comptes de résultats sont arrêtés en piastres.
60
ARTICLE
ARTICLE
21. — Si, après constitution des provisions nécessaires, le résultat de l’exercice est un bénéfice net, ce dernier est affecté par priorité à la constitution d’un fonds de
444
réserve dont le montant est fixé par le Conseil d’administration. Les excédents sont répartis entre les trésors des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam. 61
22. — Si le résultat de l’exercice est un déficit, ce dernier est couvert par un prélèvement sur le fonds de réserve, et, en cas d’insuffisance de ce fonds, par une avance remboursable des Trésors des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam. ARTICLE
TITRE VI Relations avec les Trésors et les établissements bancaires. 62
23. — L’Institut d’émission est tenu d’ouvrir, sur ses livres, des comptes au nom des Trésors du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam et de la Caisse de gestions et d’amortissements de la Dette.
63
L’Institut est tenu d’ouvrir des comptes aux organismes publics autorisés à cet effet par celle des Hautes Parties contractantes dont relèvent ces organismes.
64
Les comptes visés au présent article ne doivent jamais représenter de solde débiteur. Ces comptes ne portent pas intérêt.
65
ARTICLE
ARTICLE
24. — L’Institut d’émission est tenu d’ouvrir, sur ses livres, des comptes aux établissements bancaires qui en font la demande. Ces comptes ne doivent jamais présenter de solde débiteur. Ils peuvent être productifs d’intérêt dans les conditions fixées par le Conseil d’administration. Il ne peuvent pas être frappés d’opposition.
TITRE VII Dispositions diverses. 25. — Aucune opposition ne peut être signifiée à l’Institut à l’occasion de perte ou de vol de billets.
66
ARTICLE
67
La falsification et la reproduction des billets de l’Institut sont punies conformément aux lois relatives aux billets de banque.
68
ARTICLE
69
Dans les autres cas, le remboursement total ou partiel peut être accordé par le Conseil d’Administration.
70
ARTICLE
71
La dévolution en sera effectuée par une convention à conclure entre le Cambodge, la France, le Laos et le Viêt-Nam d’une part, l’Institut d’émission d’autre part.
72
Cette dévolution devra intervenir au minimum trois mois et au maximum six mois après la constitution du Conseil d’Administration.
26. — Le remboursement intégral d’un billet mutilé ou détérioré est accordé lorsque la coupure comporte encore la totalité des indices et signes récognitifs.
27. — A la suite du retrait à la Banque de l’Indochine du privilège d’émission sur les territoires du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam, l’Institut prend en charge les billets en circulation et en encaisse précédemment émis par la Banque de l’Indochine et reçoit les avoirs et créances qui garantissent la circulation remis par la Banque de l’Indochine à l’Etat français.
445
NOTE INTERPRÉTATIVE Article 3 73
Alinéa 3 :
74
Sur la demande d’un Etat, l’Institut est tenu d’émettre des billets dont la vignette est particulière à cet Etat. Ces billets devront circuler de préférence sur le territoire de cet Etat.
75
Il demeure entendu qu’un autre Etat peut, en ce qui le concerne, demander l’émission de billets dont la vignette ne lui soit pas particulière.
76
Toutes les catégories de billets émis par l’Institut d’émission auront cours légal et pouvoir libératoire illimité sur les territoires du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam.
77
Le Conseil d’Administration de l’Institut d’émission est chargé d’étudier et de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la circulation normale de ces différentes Article 5
78
Alinéa 3 :
79
Il est convenu que l’Institut d’émission est habilité dès sa constitution, à recevoir de l’or et des devises étrangères à titre gratuit. Article 8
80
Tant que des restrictions sur les transferts en provenance des territoires des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam, et à destination des autres parties de la zone franc apparaîtront inévitables, la réglementation nécessaire sera arrêtée par accord mutuel et appliquée par l’Institut d’émission. Cette réglementation ne pourra concerner les opérations financières du corps expéditionnaire français.
81
Jusqu’à ce que la réglementation visée au précédent alinéa soit établie dans les formes prévues, la réglementation actuelle reste en vigueur.
82
Les Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam pourront procéder librement, dans le cadre d’accords particuliers à conclure annuellement avec la France, aux transferts nécessaires au règlement des dépenses de leurs Services de représentation en France. Article 27
83
Les billets précédemment émis par la Banque de l’Indochine seront, dès que possible, remplacés par les propres billets de l’Institut.
CONVENTION SUR LES CHANGES 84
ARTICLE PREMIER. —
L’Office indochinois des Changes, dans sa structure actuelle, ainsi que tous les organismes et services annexes, notamment le Bureau d’autorisations d’achats, sont supprimés dans les conditions prévues à la présente convention.
85
ARTICLE
2. — Les Hautes Parties contractantes reconnaissent qu’il est indispensable que la législation et la réglementation des Changes soient identiques dans leurs principes et
446
aussi voisines que possible dans leurs modalités d’application, sur l’ensemble de leurs territoires. 3. — Il est créé un Département des Changes à l’Institut d’émission des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam.
86
ARTICLE
87
ARTICLE
88
Ils reçoivent et instruisent toutes les demandes d’achat et de vente des devises, délivrant les autorisations, en tiennent la comptabilité et assurent l’apurement des engagements de change souscrits auprès d’eux.
89
ARTICLE 5. — Le département des Changes de l’Institut d’émission est chargé :
90
1° De préparer, de sa propre initiative ou sur la demande des Etats, des projets de textes législatifs ou réglementaires qu’il sou-
4. — Des services nationaux des Changes assurent, sur le territoire des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam, l’application de la législation et de la réglementation des Changes, conformément aux dispositions des articles ci-après.
ANNEXE II CONVENTION DE PARIS DU 16 DÉCEMBRE 1951 91
relative au transfert du privilège d’émission entre les hautes parties contractantes aux accords de Pau et l’Institut d’Émission des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam.
92
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,
93
Considérant qu’elles doivent, en vertu de l’article 27 de la Convention Inter-Etats sur l’Institut, opérer dans un délai maximum de six mois après la constitution de l’Institut, la dévolution du privilège d’émission ;
94
Considérant qu’il convient de fixer les garanties de bon fonctionnement de l’Institut suivant les règles universellement admises en cette matière ;
95
Considérant au surplus qu’il est apparu nécessaire de préciser les procédures relatives à l’octroi des avances.
96
Conviennent d’adopter la Convention suivante et de donner à leurs représentants au Conseil d’Administration des instructions en vue d’insérer dans les Statuts les dispositions essentielles énoncées ci-après :
97
ARTICLE PREMIER. — En application de l’article 3 de la Convention Inter-Etats sur l’Institut,
le Cambodge, le Laos, la France et le Viêt-Nam confèrent, à dater du 1 er janvier 1952, à l’Institut d’Emission des Etats du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam, l’émission des billets de banque sur les territoires desdits Etats aux conditions énoncées à l’article 2. 98
Le Gouvernement français prendra les mesures utiles pour retirer le privilège d’émission à la Banque de l’Indochine à la date du 31 décembre 1951.
99
La dévolution des avoirs et créances qui garantissent la circulation sera effectuée dans les conditions prévues par l’article 27 de la Convention Inter-Etats sur l’Institut.
100
ARTICLE 2. — 1° Le siège de l’Institut est fixé à Phnom-Penh ;
101
2° Des succursales nationales sont créées dans les capitales du Cambodge, du Laos et du Viêt-Nam.
102
Leurs Directeurs, nommés par le Président avec l’agrément des Gouvernements intéressés, procèdent à l’instruction des demandes d’avances.
447
103
3° L’administration de la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette publique est confiée à un Comité de gestion. Ce Comité réunit les délégués des Ministres des Finances du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam. Il est présidé par le Président de l’Institut d’Emission ou son délégué.
104
4° La décision sur les demandes d’avances présentées est, sauf appel du Président au Conseil d’Administration statuant dans les conditions fixées à l’article 16 de la Convention Inter-Etats sur l’Institut, confiée à un Comité restreint désigné à cet effet par le Conseil d’Administration et comprenant son Président, un Administrateur de l’Etat demandeur et un Administrateur d’un Etat non demandeur.
105
5° L’Institut est tenu de constituer progressivement et de maintenir une couverture en francs, or ou devises étrangères, au moins égale à cinquante pour cent de la circulation fiduciaire.
106
6° Il gage, au surplus, dans les conditions prévues par le Conseil d’Administration, la circulation fiduciaire sur des effets causés par des opérations d’importation et d’exportation et des effets publics pris en pension.
107
7° Le montant global des avances consenties par l’Institut ne peut excéder cinquante pour cent de la couverture en francs, or ou devises. Toutefois, dans la période initiale de fonctionnement de l’Institut, le maximum global des avances qui peuvent être consenties à partir du 1er janvier 1952, sera fixé à trente-trois pour cent de la circulation inscrite au bilan d’entrée.
108
ARTICLE 3. — La présente Convention sera publiée aux Journaux Officiels du Cambodge, de la France, du Laos et du Viêt-Nam.
NOTE INTERPRÉTATIVE Article 2 109
Les négociateurs des Accords de Pau avaient estimé qu’une politique monétaire sage pourrait être assurée par un simple contrôle mutuel des quatre Etats participants à l’occasion de l’octroi des avances consenties sans limitation statutaire, aux Trésors Nationaux.
110
Il est apparu indispensable d’inscrire, dans les Statuts, par référence aux règles traditionnelles de la technique monétaire, des prescriptions tendant, en particulier à limiter par un plafond le pouvoir du Conseil d’Administration de déterminer le volume des avances et pour asseoir, d’autre part, la circulation monétaire sur des opérations économiques réelles. Tel est l’objet essentiel de l’article 2 de la présente Convention.
111
Compte tenu de la situation politique et de la guerre qui frappe à des degrés différents les Economies des Pays associés, la mise en œuvre de cette politique monétaire ne peut être envisagée sans que soient prévus des assouplissements imposés par les faits, et sans que l’expérience ait permis de définir les dispositions statutaires permanentes. Dans cet esprit, la détermination des plafonds par référence à la couverture de la circulation et la règle rigoureuse de la couverture intégrale de cette circulation qui s’impose généralement aux Currencies Boards, ont fait l’objet d’assouplissements qui tiennent compte des circonstances. Il a été convenu, au surplus qu’une délégation serait donnée à un Comité restreint par la majorité du Conseil d’Administration pour permettre l’octroi rapide des avances aux Trésors nationaux.
448
112
Il est possible que ces dispositions appellent ultérieurement des révisions en ce qui concerne le jeu de l’article 2, paragraphe 4, qui fera l’objet d’un examen périodique tendant à apprécier l’opportunité d’en reconduire les prescriptions.
113
Les quatre Etats participants apprécieront, chaque année, d’un commun accord, si cette procédure répond bien aux conditions politiques et économiques du moment.
114
Sources : AEF B 33551.
449
Annexe 9. La mise en place de l’institut d’émission des états associés. Article du Monde du 2 janvier 1952 René Dabernat
L’INSTITUT D’ÉMISSION DE PNOM-PENH réalise au sein de l’Union française l’indépendance financière des etats associés 1
Le 31 décembre à minuit une page de l’histoire franco-indochine a été tournée : après l’avoir détenu pendant trois quarts de siècle, la Banque d’Indochine – organisme privé – a perdu le privilège d’émettre la piastre1 au Vietnam, au Cambodge et au Laos : un organisme intergouvernemental, l’institut d’émission des États associés, assurera dorénavant ce service. Ainsi sera accomplie la réforme monétaire prévue par les accords de Pau et par la convention annexe du 16 décembre dernier. Le nouvel institut se donnera évidemment pour tâche de consolider la piastre et de favoriser le développement économique des trois territoires. Mais la réforme a aussi des prolongements politiques : elle cherche à concilier la souveraineté financière désormais reconnue aux Etats associés avec leur rattachement à la zone franc. Application particulière par conséquent du principe qui domine la politique française outre-mer : indépendance au sein de l’Union française. On voit par là toute la portée de l’expérience qui s’engage en Indochine.
2
Un État souverain doit avoir son institut d’émission et sa monnaie. Aussi bien la création du nouvel organisme fut-elle prévue dès 1946, à la conférence de Dalat. En même temps deux principes essentiels étaient posés : les trois États auront une seule et même monnaie – la piastre – et elle appartiendra à la zone franc.
3
On mettait donc l’accent, dès le début sur la nécessité de concilier la souveraineté monétaire de l’Indochine avec son rattachement au système financier de la Métropole.
450
4
Comment allait-on passer de la théorie à la pratique ? On ne s’étonnera pas qu’il ait fallu beaucoup de temps pour élaborer des compromis acceptables par tous.
5
Le Vietnam, le Cambodge et le Laos n’étaient pas toujours d’accord entre eux, et avec la France. Finalement fut signée à Paris le 16 décembre 1951 une convention qui complète et précise le projet préparé à Pau à la fin de 1950.
Un institut d’émission quadriparti précisé par un Français 6
L’institut d’émission aura son siège à Pnom-Penh, les Vietnamiens ayant accepté de faire cette concession aux Cambodgiens. Il sera « unique » et – ce qui est extrêmement rare à notre connaissance – « quadriparti » : unique, afin de préserver l’unité financière et économique de l’Indochine ; quadriparti, car il comprendra des représentants de la France, à côté de ceux des États associés. Son président sera d’ailleurs un haut fonctionnaire français, M. Gaston Cusin.
7
Le nouvel organisme sera soumis à des règles de stricte orthodoxie financière, tout au moins les techniciens ont-ils pris toutes les précautions qui dépendaient d’eux. Mais les meilleures règles résistent difficilement aux passions politiques et aux désordres d’une époque troublée. Or il est clair que la réforme monétaire intervient en Indochine à un moment où les conditions de la sécurité et de la stabilité ne sont pas encore réunies. Cette remarque faite, comment fonctionnera l’institut d’émission ?
Ni échange ni retrait des anciennes piastres 8
Sa première tâche sera évidemment d’émettre des piastres. Point important : les billets précédemment mis en circulation par la Banque d’Indochine continueront d’avoir cours. Ils seront remplacés par les nouvelles piastres au fur et à mesure qu’ils passeront dans les caisses de banques. Il n’y aura par conséquent ni échange ni retrait des anciennes coupures.
9
La coexistence des billets anciens et nouveaux prouvera que l’institut d’émission assurera, sans solution de continuité, des tâches jusqu’ici dévolues à la Banque d’Indochine. Si celle-ci perd son privilège ce n’est pas parce qu’elle a démérité. Le gouvernement a adapté tout simplement le système monétaire indochinois à des conditions politiques nouvelles.
La piastre sera gagée à 50 % 10
Émettre la piastre n’est pas tout. Encore faut-il qu’elle soit garantie. Pour la gager il y a les créances sur les trois États et sur les entreprises. Mais ce n’est pas là l’essentiel. La véritable « couverture » est ainsi définie par l’article 5 de la convention du 16 décembre 1951 :
11
« L’Institut est tenu de constituer progressivement et de maintenir une couverture en francs, or ou devises étrangères, au moins égale à 50 0/0 de la circulation fiduciaire ».
12
Comment tout d’abord l’institut d’émission se procurera-t-il les francs ? Pour le moment la réponse est simple : la balance générale des paiements entre la france et d’Indochine fait apparaître un excédent de francs en faveur des États associés, en raison de l’augmentation de nos dépenses millitaires dans le Sud-Est asiatique. Ces
451
dépenses jouent un rôle comparable à celles des troupes américaines en France. Elles rapportent des francs à l’Indochine en échange de piastres, de même que l’office français des changes encaisse des dollars versés par l’armée américaine en échange des billets nécessaires à la vie courante du GI. chez nous. L’opportunisme et le réalisme aidant, les « financiers » ont voulu tirer parti de cette situation de fait. 13
L’article 5 de la convention du 16 décembre implique, notons-le, que la France verse à intervalles réguliers tous les francs qui correspondent à l’excédent de la balance des paiements de l’Indochine à l’égard de la métropole.
L’Indochine voudra-t-elle garder son or et ses devises ? 14
Les États associés se contenteront-ils de la « couverture » en francs ? La convention du 16 décembre parie aussi d’une couverture en or et en devises étrangères. Une question se pose alors : l’Indochine demandera-t-elle, un jour, à conserver tout le produit de ses exportations vers les pays autres que ceux de l’Union française ? Une telle démarche équivaudrait à un retrait de la zone franc, puisque tous les territoires qui en font partie apportant les devises à un pool commun. Il serait excessif d’affirmer que nous ne courrons aucun danger de ce côté. Souhaitons que les trois États associés et la France montrent, par une compréhension réciproque, leur volonté de respecter, sur ce point précis, le principe fondamental : souveraineté monétaire dans le cadre du rattachement à la zone franc.
Les avances de l’institut d’émission aux trois États 15
Au demeurant d’autres épreuves les attendent. Il est prévu que l’Institut d’émission consentira des avances en piastres aux Trésors nationaux du Vietnam, du Cambodge et du Laos. D’après la convention du 16 décembre « le montant global des avances ne peut excéder 50 % de la couverture en francs ou en devises », c’est-à-dire le quart de la circulation fiduciaire ; pendant une période transitoire ce plafond pourra toutefois correspondre au tiers de la circulation.
16
C’est encore une règle de l’orthodoxie financière que de limiter les avances. S’il n’y a aucun barrage l’inflation s’installe. Mais personne ne saurait affirmer que les trois États seront constamment d’accord entre eux ou avec la France pour partager les crédits disponibles. En cas d’épuisement prématuré du montant global des avances de graves difficultés seraient à redouter. Là encore tout repose sur la bonne foi, sur la confiance réciproque.
17
De même lorsque l’Institut d’émission accordera des facilités à certaines entreprises, soit pour la production, soit pour le commerce extérieur, il sera nécessaire que nos représentants ne soient pas suspectés d’orienter l’économie indochinoise dans un sens favorable à la métropole. Il est bon de préciser ici que la politique du crédit sera élaborée et appliquée en collaboration avec chacun de trois États. Les succursales « nationales » de l’Institut d’émission, qui seront créées dans les trois capitales, joueront à cet égard un rôle important. *
18
En conclusion, ce qu’il faut retenir c’est que la nouvelle expérience appelle la sincérité et la coopération de tous les intéressés. Il faut qu’elle réussisse. Un échec pourrait avoir
452
de profondes répercussions non seulement en Indochine, mais encore dans toute l’Union française.
NOTES 1. Le coût officiel de la piastre est de 17 francs.
453
Annexe 10. Le trafic des piastres Article de Jacques Despuech, Le Monde, 20 novembre 1952
1
On a souvent évoqué à propos de l’Indochine ces dernières années ce que certains fonctionnaires français d’Extrême-Orient se plaisent à nommer pudiquement le « malaise économique Indochinois » ou ce qu’à propos d’une affaire tristement célèbre la presse dénonça comme le « trafic des piastres ». Car l’économie publique et privée de l’Indochine ne repose pratiquement depuis sept ans que sur une prospérité factice engendrée en majeure partie par le taux artificiel de la piastre, donc sur le trafic.
2
La monnaie ayant cours au Vietnam est la piastre indochinoise, dont le taux est fixé très arbitrairement depuis décembre 1945 à 17 francs, alors que sa valeur est d’environ 8 francs 50, avec un pouvoir d’achat qui varie en Indochine entre 6 et 8 francs. On s’aperçoit tout de suite qu’il est avantageux de convertir, de « transférer », comme on dit en Indochine, des piastres en francs au taux officiel. Cette opération, connue sous le nom de « transfert sur France », est soumise cependant à un certain contrôle et ne peut se faire que :
3
– par virements mensuels autorisés dans « certaines banques » (de 25 000 à 50 000 francs par mois et par personne) ;
4
– par mandats-poste mensuels (5 000 francs par personne et par mois) ;
5
– grâce à des autorisations de transfert délivrées par l’Office Indochinois des changes (OIC), organisme privé à caractère officiel et possédant tous pouvoirs en cette matière ;
6
– pour les militaires et les fonctionnaires, grâce à des « délégations de solde » et aux transferts autorisés (sous certaines conditions) en fin de séjour.
7
Pour des raisons diverses, que nous verrons brièvement tout à l’heure, l’Office Indochinois des changes n’accorde les transferts sur France qu’avec une stricte parcimonie. Mais ces restrictions mêmes de l’office favorisent en un sens le trafic.
454
Deux sortes d’autorisations de transfert... 8
L’Office délivre deux sortes d’autorisations de transfert ; à titre commercial et à titre financier. Les premières, réservées aux commerçants patentés, ne sont accordées que sur présentation de factures pro forma et sous certaines conditions bien définies. Les secondes ne sont délivrées également en principe que sur présentation de pièces justifiant l’origine des fonds et l’utilisation de ces fonds en France. Il est évident qu’un contrôle efficace n’est pas possible, et certaines personnes, régulièrement ou non, réussissent souvent à se faire attribuer des autorisations régulières pour des transferts dont elles ne possèdent pas la première piastre.
9
Saigon ne manque pas de « financiers » possédant des piastres, mais ne sachant « comment » les transférer en France (soit qu’ils ne puissent se faire attribuer d’autorisation par l’Office Indochinois – manque de relations ou autre, – soit le plus souvent qu’ils redoutent une curiosité des services financiers qui pourrait être gênante). Les premiers et les seconds se mettront en rapport (c’est facile), et le transfert sur France changera de main moyennant un pourcentage qui atteint aujourd’hui près de 50 % de la valeur du transfert (payable en piastres).
...et un Office des changes impuissant à réprimer les trafics 10
Or ce trafic, le moins grave d’ailleurs, ne peut être puni par la loi, malgré le coup très dur qu’il porte aux finances françaises. Car l’Office indochinois des changes est souverain maître de ses décisions en matière de transfert sur France, aucune loi, aucun décret, ne réglementant les modalités de délivrance par les services français d’une autorisation de transfert sur France. La piastre est une monnaie de la zone franc rattachée au franc par le décret du 2 octobre 1936. En outre lors des conventions de mars, juillet et novembre 1949 passées entre la France et les États associés l’Office des changes fut supprimé et remplacé par l’Institut d’émission des États associés, qui (article 7 de la convention) est tenu de fournir des piastres « sur la base de la parité officielle entre les deux monnaies ».
11
Supprimé, l’Office indochinois des changes n’en subsista pas moins. Il fut simplement chargé par l’Institut d’émission d’agir à sa place. Mais depuis sa création l’Office ne dispose pour réglementer les transferts sur France que des circulaires ou des instructions émanant soit de la Rue de Rivoli, soit de l’Office métropolitain des changes, soit de la Caisse centrale de la France d’outre-mer. Tous ces organismes préconisent évidemment une politique de plus en plus restrictive en matière de transferts commerciaux ou financiers, ces derniers restant malgré tout (suivant une instruction « confidentielle ») les « plus dangereux ». Cette politique a pour but d’essayer de freiner le déficit toujours croissant de la balance des comptes. Dans ces conditions l’Office indochinois des changes se voit forcé d’appliquer le fait du prince, non sans ouvrir trop souvent la porte aux multiples opérations qui accroissent les difficultés du franc.
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Quelques formes lucratives de trafics 12
Les trafics sont très variés. Sans parler de celui qui consiste simplement à « vendre une autorisation de transfert sur France », il en existe d’autres formes beaucoup plus lucratives :
a. Trafic dollars-piastres-francs 13
Cette opération est de loin la plus fréquente et la plus dangereuse aussi pour la « santé » de la piastre et la conduite de la guerre en Indochine. Elle consiste à se procurer des devises étrangères (US dollars) en France au marché parallèle, à les faire entrer en Indochine, où on les vendra à un taux très supérieur au taux officiel (1 dollar vaut 400 francs en gros à Paris, et plus de 50 piastres à Saigon, soit 850 francs). On transférera ensuite en France les piastres ainsi obtenues au taux officiel.
b. Trafic francs-piastres-francs 14
Le trafiquant se procure sur les places étrangères des piastres à un taux voisin de 8 francs 50, les fait entrer en Indochine, d’où il les transférera en France au taux officiel grâce aux « moyens » indiqués plus haut.
c. Trafic Hong-Kong dollars-piastres-francs 15
Il suffit d’obtenir de l’Office indochinois des changes des cessions à titre commercial ou politique de Hong-Kong dollars, ou plus fréquemment d’obtenir des services économiques et de l’Office indochinois l’autorisation d’exporter des marchandises sans rapatriement de devises. On achète ensuite des piastres avec les Hong-Kong dollars ainsi obtenus (le Hong-Kong dollar vaut deux fois plus cher au marché parallèle... d’où gros bénéfice).
d. Trafic U.S. dollars-Hong-Kong dollars-piastres-francs 16
Cette opération est la plus fructueuse, mais dangereuse à réaliser. Elle consiste à vendre à Hong-Kong des U.S. dollars (premier gros bénéfice), à acheter avec les Hong-Kong dollars des piastres en coupures, à faire entrer frauduleusement ces piastres en Indochine et à les transformer ensuite en francs. Le bénéfice de cette opération, qui dure de trois à cinq semaines, peut atteindre plus de 200 %, il n’est jamais inférieur à 80 %.
17
Nous ne parlerons pas des contrebandes de l’or et de l’opium, elles sont « traditionnelles » en Extrême-Orient et n’ont pas de place ici.
Un exemple 18
Tous les trafics se ressemblant, nous ne prendrons que l’exemple le plus courant et le plus important : le circuit « dollars-piastres-francs ». Émaillé de difficultés multiples, il est pratiqué indifféremment par des « bandes » puissantes ou par de simples
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particuliers. Comme dans toute chose une hiérarchie s’est établie. Les gagne-petit – qui se font parfois de 30 000 à 40 000 piastres par mois, soit plus de 500 000 francs – peuvent être des employés de commerce, parfois même des militaires ou des fonctionnaires, les commerçants étant de précieux auxiliaires, puisqu’ils permettent de transférer des piastres sous couvert d’opérations commerciales. 19
Les uns et les autres disposent de complices : liste d’adresses en France permettant d’envoyer de nombreux mandats : un collecteur chargé de rassembler les fonds ; un courtier marron procurant des dollars en coupures ; enfin le voyageur ou l’employé d’une compagnie de transport qui convoiera les devises et leur fera passer la douane (moyennant un « honnête » pourcentage). Ces coupures introduites sur le marché indochinois servent en particulier à alimenter les caisses clandestines du Vietminh en argent liquide.
20
Les gros trafiquants ne font jamais rentrer de dollars en Indochine. Ils travaillent uniquement sur le plan international et n’opèrent que par le système des compensations bancaires, traites ou chèques tirés de Genève sur New-York ou HongKong. Il n’y a donc pas légalement trafic. A Hong-Kong ou à Bangkok les agents Vietminh se jetteront sur les centaines de milliers de dollars qui partent ainsi mensuellement de France, les payant n’importe quel prix grâce aux piastres BIC dont les Viets ne manquent pas.
Une puissante organisation est nécessaire 21
Ce système suppose toutefois une organisation puissante.
22
1° Possession en Indochine d’un moyen efficace de transférer rapidement et au taux officiel les piastres provenant d’une maison de commerce à Saigon qui travaillera avec la France et passera des commandes ;
23
2° Existence à Paris d’une maison d’import-export qui se chargera :
24
a) de satisfaire les commandes de la maison de Saigon ;
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b) d’établir des factures pro forma à destination de cette maison, factures forcément majorées et destinées à être fournies à l’Office Indochinois des changes ;
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c) d’expédier les dollars et de camoufler les fonds ;
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3° Libre disposition de comptes en banque à Tanger, à Genève, à Bruxelles, etc., permettant de tirer des traites, de traiter par câble et de se procurer des devises qu’il pourrait être dangereusement d’acheter en bloc à Paris (on achètera d’abord des francs suisses, puis avec ces francs suisses des dollars) ;
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4° Libre disposition d’un compte en banque aux États-Unis, certains « clients », comme les chinois communistes, préférant être payés aux États-Unis ;
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5° Des correspondants et des comptes à Hong-Kong, à Bangkok, etc, destinés à recevoir les dollars ;
30
6° Un comprador chinois à Saigon qui recevra les câbles de Hong-Kong prévenant de l’arrivée des dollars américains, les négociera au cours du jour, encaissera les piastres et prendra les commandes. Un virement de 100 000 dollars ne met pas plus de quinze jours pour faire le circuit complet et rapporte plus de 40 millions de bénéfice. À l’heure actuelle, de l’avis même d’un fonctionnaire saigonnais, de 300 à 500 millions de francs sont chaque jour virés frauduleusement en France et servent donc au trafic. Ce sont au
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moins 100 à 200 millions de francs qui sont donc déboursés quotidiennement par la France en plus de toute autre dépense, cet argent ne figurant évidemment sur aucun budget.
Un danger pour la France 31
Or ces différents trafics présentent de grands dangers :
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1° Du point de vue économique ils entretiennent pour la France une hémorragie croissante de devises appréciées, alors que notre balance des comptes est endémiquement déficitaire ;
33
2° Du point de vue politique ils portent atteinte au prestige de la piastre. Or la piastre est rattachée au franc, et demeure en outre un des témoins de la présence française en Indochine ;
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3° Du point de vue moral ces irrégularités, étant l’œuvre de Français peu scrupuleux et étant connues de tous les Vietnamiens ou Asiatiques vivant en Indochine, donnent une idée fausse de notre pays à des gens soumis à une propagande qui est loin de nous être toujours favorable, même lorsqu’elle est le fait de certains alliés ;
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4° Mais il y a plus grave encore, puisque ces trafics affaiblissent notre défense. Le Vietminh en effet achète ces devises à n’importe quel prix, car il en a besoin pour se procurer des armes, des munitions, des médicaments, etc... et même pour acheter des consciences. Il ne semble donc pas trop fort de comparer le trafic des devises à un trafic d’armes.
Vers une solution 36
Le moyen radical de mettre fin à ce trafic serait de ramener la piastre à sa juste valeur et de supprimer ainsi le bénéfice des fraudeurs. Mais d’évaluer la devise indochinoise risquerait fort d’entraîner des conséquences économiques et politiques qui ne semblent pas souhaitables.
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Pourquoi, suggère-t-on parfois, ne pas donner deux taux à la piastre : un taux officiel, qui resterait inchangé à 17 francs et qui pourrait être réservé aux États associés et à la France, et sous certaines conditions qui resteraient à définir aux transferts strictement commerciaux et d’intérêt général ; un taux libre que l’on pourrait fixer à 8 ou 9 francs ? Les transferts effectués à ce taux ne seraient l’objet d’aucun contrôle ni d’aucune restriction. On pourrait en outre permettre à chaque Français résidant en Indochine un transfert annuel au taux officiel. Mais il y aurait une réglementation précise, et le fait du prince ne serait plus admis.
38
Reste à savoir si ces mesures suffiraient à empêcher des abus qui ruinent le Trésor français, démoralisent les témoins français ou vietnamiens et trop souvent profitent directement à nos adversaires. Il est scandaleux en tout cas qu’un pareil problème demeure indéfiniment sans solution.
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Annexe 11. Balance générale des paiements de l'année 1952 entre les États associés, l'étranger et la zone franc
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Annexe 12. Lettre d’André Valls du 20 mars 1953
1
Haut Commissariat de France en Indochine
2
Le Conseiller Financier
3
Secret
Extraits d’une lettre de M. Valls en date du 20 mars 1953 4
J’avais raison de vous signaler les dangers que courait l’Union Douanière Indochinoise. Les travaux de la Conférence de Phnom-Penh, auxquels j’ai consacré presque tout mon temps, au cours des deux dernières semaines sont une nouvelle fois suspendus pour donner aux Délégations un délai de réflexion qui évitera peut-être de clôturer les débats orageux de cette conférence autrement que par une rupture spectaculaire.
5
Vietnamiens et Cambodgiens ne s’entendent sur rien. Ils sont aussi entêtés et de mauvaise foi les uns que les autres. Ils sont incapables de faire aucun compromis qui permette d’aboutir à des solutions provisoires et boiteuses et ils ignorent qu’une négociation ne peut réussir que si chacun est capable de donner à son partenaire quelque satisfaction. Au cours de deux entretiens que j’ai eus avec le Président du Gouvernement vietnamien, S.E. Tam m’a dit en propres termes « Je me fous de l’Union Douanière. Le Vietnam n’a pas besoin du Cambodge. On nous force à vivre ensemble, alors que le Cambodge est un pauvre peuple. Je sais comment il faut traiter ses habitants. Uniquement par la force. Toutes ces questions seront réglées quand je pourrai envoyer à la frontière plusieurs bataillons vietnamiens ! ». Inversement, les Cambodgiens accusent leurs voisins de vouloir « tirer la couverture à eux et de méconnaître les droits du Cambodge à l’existence » : ce sont les propres expressions de S.E. Pen Vouth, Président du Conseil du Cambodge. Les relations entre les États ne sont donc pas très cordiales. Et il me paraît impossible dans ces conditions de maintenir un système aussi artificiel que celui établi par les Conventions de Pau.
461
6
Au cours de ces deux dernières semaines, je crois avoir usé toutes les ressources de ma patience, et de mon imagination. J’ai multiplié les appels à la conciliation. J’ai tenté de minimiser les désaccords. Mais ceux-ci sont trop profonds pour que l’on puisse espérer les régler par de petites astuces de procédure.
7
Le 25 mars, la Conférence de Phnom-Penh doit reprendre ses travaux. J’ai demandé au Ministre ses instructions. J’aurai voulu, pour détendre l’atmosphère, dire nettement aux États « Nous sommes prêts à reconsidérer l’organisation économique établie par les Conventions de Pau. Qu’est-ce que vous voulez ? » Le Ministre a craint qu’une démarche de cette nature provoque l’établissement de longs cahiers de doléances et émeuve l’opinion métropolitaine. Et ses instructions sont bien vagues. « Faire en sorte que la Conférence de Phnom-Penh ne se termine pas sur une rupture brutale. Envisager prudemment des aménagements aux procédures, sans remettre en cause les conventions de Pau. » Je doute avoir l’habileté nécessaire pour parvenir, sur la base de ces instructions sans netteté, à remettre d’accord nos partenaires. Je précise que nous faisons un mauvais calcul en nous accrochant aux conventions de Pau, dont les États ne veulent pas et qui n’assurent pas une défense intelligente de nos intérêts ici. Mais il m’a paru impossible de convaincre le Ministre. Nous nous acheminerons vers une détérioration complète des relations entre les États. Et au lieu de prendre une initiative qui nous permettrait de gagner du temps, nous serons contraints par la nécessité de céder aux pressions des États.
8
La Conférence de Paris sur les marges préférentielles commencera en principe ses travaux le 20 avril. Je crains fort qu’elle soit un échec. Les États nous accorderont peutêtre les marges de préférences que nous demandons, mais ils ne se mettront certainement pas d’accord pour apporter au tarif douanier les modifications nécessaires pour éviter que le jeu des marges compromette leurs recettes douanières. C’est à ce moment-là, je crois, qu’il faudra faire le choix que l’on a voulu éviter. Il deviendra alors peut-être nécessaire d’envisager un accord de type bilatéral avec ceux de nos partenaires – Laos, Vietnam – qui sont compréhensifs et laisser le Cambodge de côté. Mais cela impliquerait la rupture de l’Union Douanière et probablement à plus ou moins brève échéance, celle de l’Union Monétaire. Il n’est pas mauvais que Montrémy qui animera la délégation française à la Conférence de Paris soit venu ici pour mesurer toutes les difficultés de sa tâche.
9
Source : AEF Fonds Trésor B 43930.
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Annexe 13. La décision de dévaluer la piastre le 11 mai 1953
1
Télégramme « secret » du président du Conseil René Mayer au ministre d’État Jean Letourneau, informant ce dernier de la décision gouvernementale de dévaluer la piastre, vendredi 8 mai 1953.
2
« 1. J’ai l’honneur de vous faire connaître que le gouvernement a décidé de dévaluer la piastre. La nouvelle parité sera fixée à 10 francs pour une piastre. Toutes les opérations de transfert commercial et financier se feront sur la base de la nouvelle parité à compter du lundi 11 mai 1953. Cette mesure est apparue comme inévitable dans les circonstances actuelles.
3
« 2. Les consultations avec les États sont nécessairement tardives. Donnez instructions aux trois hauts-commissaires pour faire toutes les démarches (samedi) auprès des présidents et ministres des Finances des trois États pour les informer et justifier la décision.
4
« 3. Expliquer les raisons de la mesure, en développant notamment les arguments suivants :
5
– amélioration prévisible de la balance commerciale des États associés,
6
– incitation aux détenteurs de capitaux à les conserver sur place,
7
– atténuation d’un trafic démoralisateur [...],
8
– mesure d’assainissement pour continuer la guerre dans les meilleures conditions.
9
« 4. Insistez pour qu’il y ait l’incidence la plus faible au niveau des prix. Obtenez l’interdiction des exportations de riz [...]
10
« 5. Des instructions seront bientôt données à l’Office Indochinois des changes [...]
11
« 6. Nouveau régime des soldes et traitements à l’étude. En vigueur fin mai. »
12
Source: Papiers Mayer, 363 AP 24, Archives nationales.
463
Annexe 14. La dévaluation de la piastre : les réactions en Indochine (Le Monde, 12 mai 1953) Estimant être mis devant le fait accompli Jean Lacouture
Le Vietnam s’élève en termes fort vifs contre la dévaluation de la piastre M. Van-Tam fait toutes réserves sur les conséquences économiques et sociales que la mesure peut entraîner. Le Laos proteste également 1
Depuis ce matin 11 mai le taux de change de la piastre indochinoise est ramené de 17 francs, cours fixé en décembre 1945, à 10 francs, sa valeur d’avant guerre. Il est permis de penser que cette mesure constitue un véritable « tournant » dans l’évolution des affaires de l’Indochine ; c’est en tout cas l’une des plus importantes qui aient été prises depuis le début du conflit. Ses conséquences politiques, psychologiques, économiques et même stratégiques ne peuvent manquer d’influencer les rapports franco-vietnamiens, le climat et les conditions de la lutte.
2
Le taux de la piastre apparaissait si artificiel, il était générateur de tant de trafics démoralisants et les opérations auxquelles donnait lieu une surestimation arbitraire étaient si préjudiciables au Trésor français, et au contraire si utiles au Vietminh, qui trouvait dans le trafic sa meilleure source de ravitaillement en armes, que la dévaluation était réclamée depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années, par une part de plus en plus large de la presse et, avec la presse, de l’opinion. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire remis jeudi dernier aux plus hautes autorités de l’État a vraisemblablement été l’occasion d’une mesure dès longtemps attendue.
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3
Le premier effet de la dévaluation sera, espère-t-on, un assainissement du climat moral à Saigon, voire à Paris. Le nouveau taux de la devise indochinoise rendra plus difficiles et moins fructueux les trafics. Cependant le chef du gouvernement vietnamien indiquait ce matin que la piastre risquait de subir sur le marché intérieur une nouvelle dépréciation, ce qui pourrait recréer les conditions d’un trafic.
4
Le gouvernement de Saigon – et celui de Vientiane – a accueilli la dévaluation avec une sorte d’indignation. La première raison est surtout de forme : il apparaît que M. Nguyen Van-Tam n’a été informé que samedi soir, à 22 heures, ce qui constitue, affirme un communiqué vietnamien, une « violation flagrante » des accords du 8 mars 1949. Ceuxci comportaient en effet les dispositions suivantes :
5
« La piastre indochinoise fera partie de la zone franc. La parité entre la piastre et le franc ne sera cependant pas immuable et pourra varier selon les circonstances économiques. Toutefois cette parité ne pourra être modifiée qu’après consultation des États associés d’Indochine ».
6
Le gouvernement vietnamien s’appuie sur ce texte pour affirmer que la décision a été unilatérale.
7
La protestation de M. Nguyen Van-Tam ouvre dès maintenant une crise entre Paris et le gouvernement de Saigon. Les dirigeants vietnamiens laissent entendre en effet qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de forme, mais que c’est l’« engagement » de la France à l’Indochine qui est désormais mis en cause. À tort ou à raison, cette mesure leur en fait prévoir d’autres, et ce n’est pas pure coïncidence si les « milieux politiques » vietnamiens ont fait publier hier par l’agence officieuse de Vietnam-Presse une note rappelant que « le gouvernement Bao Daï est seul habilité à négocier..., au cas où des négociations de paix seraient engagées ».
8
La hausse des prix entraînée par la dévaluation de la monnaie ne sera pas ressentie par la seule population européenne. Car, en dépit du niveau de vie extrêmement bas de la masse prolétarisée, les Vietnamiens des agglomérations importantes achetaient de nombreuses marchandises importées : tissus, produits manufacturés, objets de demiluxe. C’est cet important secteur de la population relativement aisée et qui composait la clientèle du régime nationaliste qui va se trouver frappé par la dévaluation. Sa confiance dans le gouvernement de M. Tam va se trouver ébranlé. Celui-ci l’a déjà prévu, qui spécifie dans son communiqué officiel que « le mécontentement risque de se réduire par une forte agitation sociale et, peut-être, par des manifestations susceptibles de troubler l’ordre public ».
9
Et le président du conseil a répondu à un journaliste qui lui demandait quelle avait été la réaction du chef de l’État Vietnamien à la décision du gouvernement français :
10
« Quand la maison brûle, il faut s’efforcer de sauver les restes. S. M. Bao Daï a ordonné au gouvernement national de prendre toutes les mesures nécessaires pour limiter les conséquences de la dévaluation, plus précisément pour freiner la hausse des prix et empêcher le bouleversement de l’économie du pays ».
11
En fait, c’est l’une des bases du système franco-vietnamien, la prospérité factice de la zone nationaliste, qui est ainsi atteinte. Et c’est pourquoi il faut prévoir que la mesure décidée à Paris peut, au delà d’une crise entre les gouvernements de Paris et des États associés, être l’occasion de profonds bouleversements.
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Annexe 15. Déclaration gouvernementale du 3 juillet 1953
EXTRAIT DU BULLETIN QUOTIDIEN D’OUTRE-MER DE L’AGENCE FRANCE PRESSE (n° 2077 - 4 juillet 1953) LA DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS AUX ÉTATS ASSOCIÉS D’INDOCHINE 1
PARIS, 4 juillet.
2
Voici le texte de la déclaration que M. Joseph LANIEL, Président du Conseil, assisté de MM. Paul REYNAUD, vice-Président du Conseil, et Marc JACQUET, Secrétaire d’État, a faite ce matin aux représentants diplomatiques des gouvernements souverains des trois États Associés d’Indochine.
3
« Le Gouvernement de la République Française, réuni en Conseil des Ministres, s’est livré à un examen des rapports de la France avec les États Associés d’Indochine.
4
« Il estime le moment venu d’adapter les accords passés par eux avec la France, à la position qu’ils ont su acquérir, avec son entier appui, dans la communauté des peuples libres.
5
« Respectueuse des traditions nationales et de libertés humaines, la France, au cours d’une coopération bientôt séculaire, a conduit le CAMBODGE, le LAOS et le VIETNAM au plein épanouissement de leur personnalité, et a maintenu leur unité nationale.
6
« Par les accords de 1949, elle a reconnu leur indépendance et ils ont accepté de s’associer à elle dans l’Union Française.
7
« Le Gouvernement de la République désire faire aujourd’hui une déclaration solennelle.
8
« Durant le délai de quatre années, qui s’est écoulé depuis la signature des accords, la fraternité d’armes s’est affirmée davantage entre les armées de l’Union Française et les armées nationales des États Associés, grâce au développement de celles-ci qui prennent chaque jour une part plus importante à la lutte contre l’ennemi commun.
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9
« Dans le même temps, les institutions civiles des trois nations se sont mises en mesure d’assumer l’ensemble des compétences incombant aux états modernes tandis que l’audience internationale de leurs gouvernements s’est étendue à la majorité des pays qui constituent l’organisation des Nations unies.
10
« La France juge que dans ces conditions, il y a lieu de parfaire l’indépendance et la souveraineté des états associés d’Indochine en assurant, d’accord avec chacun des trois gouvernements intéressés, le transfert des compétences qu’elle avait encore conservées dans l’intérêt même des états en raison des circonstances périlleuses nées de l’état de guerre.
11
« Le Gouvernement Français a décidé de convier chacun des trois gouvernements à convenir avec lui du règlement des questions que chacun d’eux estimera devoir poser dans les domaines économique, financier, judiciaire, militaire et politique, dans le respect de la sauvegarde des intérêts légitimes de chacune des parties contractantes.
12
« Le Gouvernement de la République forme le vœu qu’une entente sur ces divers points vienne resserrer l’amitié qui unit la France et les États Associés dans l’Union Française. »
13
(AFP)
14
Source : AEF Fonds Trésor Β 33551.
467
Annexe 16. Questionnaire présenté par la mission d’études américaine en mars 1953
–I– 1
1. Quelle est votre estimation actuelle de la situation ennemie en Indochine y compris :
2
A. L’ordre de bataille ; organisation tactique ; nombre et type des unités subordonnées ; nombre, grades et fonctions du personnel ; moral ; état physique et incidences des maladies ; système logistique et des transports ; facilités de communication et fonctionnement du système de relève.
3
B. Lignes de conduite possibles de l’ennemi et effets de chacune d’elles sur la mission de la France.
4
C. Quelle ligne de conduite ennemie apparaît la plus vraisemblable ?
5
D. Quel est le nombre du personnel communiste chinois et l’étendue de l’appui logistique apporté par la Chine au Vietminh ?
6
2. D’une manière générale, quelle est la stratégie sur laquelle sont basés les plans opérationnels courants pour la poursuite de la guerre en Indochine ?
7
3. Les autorités françaises estiment-elles que des forces supplémentaires sont nécessaires pour mettre en œuvre les plans ci-dessus mentionnés et où comptent-elles les trouver ?
8
4. Incidence du facteur temps dans la mise en œuvre des plans mentionnés au paragr. 2.
9
5. Le gouvernement américain croit savoir que les autorités françaises et vietnamiennes examinent actuellement la question d’une augmentation considérable des forces vietnamiennes.
10
A. Quel est le plan d’emploi et quels sont les projets concernant le type et la composition des forces supplémentaires y compris l’importance et la nature des équipements ?
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11
B. Dans quelle proportion les autorités françaises se proposent-elles d’équiper et d’entretenir elles-mêmes ces troupes et quelle aide américaine supplémentaire en matériel envisagent-elles de demander ?
12
C. Quels sont les plans pour l’appel sous les drapeaux et l’instruction des officiers et sous-officiers vietnamiens (en marquant les diverses phases et en indiquant les délais).
13
D. Quel est le rapport entre le plan tendant à la mobilisation de 40 000 hommes supplémentaires dont il est actuellement question et les forces futures mentionnées par le Ministre Letourneau en juin 1952 au cours de son voyage à Washington ?
14
6. Relativement à l’échange en cours de personnel franco-vietnamien d’Indochine avec les forces américano-coréennes de Corée pour étudier les problèmes d’intérêt commun, est-ce que des rapports préliminaires d’Indochine ont indiqué que les méthodes employées pour développer les cadres coréens sont applicables pour l’instruction des Vietnamiens ?
15
7. Quelles dispositions sont susceptibles d’être prises pour permettre aux autorités américaines d’acquérir plus de renseignements concernant l’utilisation des matériels, leur entretien et de connaître en temps utile les besoins français pour les articles fournis au titre du programme américain d’assistance mutuelle ?
16
8. Est-ce que l’aide américaine supplémentaire que les autorités françaises désirent recevoir en avions de transport supplémentaires, pour l’augmentation du nombre de bataillons commandos vietnamiens et pour équiper de nouveaux bateaux de débarquement jouit de la même priorité que celles qu’elles demandent pour l’équipement des troupes supplémentaires ?
– II – 17
1. Quelles forces des États Associés, exprimées en termes de bataillons, les autorités françaises se proposaient-elles de mettre sur pied, lorsqu’elles estimaient en juin dernier à 110 milliards de francs le financement du programme des armées nationales pour 1953 ?
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2. À quel niveau des forces armées correspondait en 1952 le budget vietnamien de 1 700 millions de piastres ? A quel niveau des forces armées correspond le budget de 3 606 millions de 1953 ? Quelles sont les perspectives du budget militaire vietnamien pour 1954 ?
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3. Si les États Associés fournissent l’équivalent d’au moins 63 milliards de francs pour 1953 et si la France fournit au moins 68 milliards quel niveau de force pourrait être financé sur la base de ces disponibilités combinées ?
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4. Quel chiffre total de bataillons (du corps expéditionnaire et des États associés) les autorités françaises se proposaient-elles d’atteindre en élaborant leur propre budget de 1953 ? Quelles sont leurs prévisions concernant l’ensemble des forces et des besoins financiers (corps expéditionnaire et États associés) pour 1954 ?
21
5. Les autorités françaises ont fait savoir au NATO que les « besoins » (pour les forces des États associés) en 1953 étaient estimés à 80 milliards de francs comme la contribution française. Qu’est ce que ce chiffre impliquait en ce qui concerne la contribution des États associés ? Quel objectif désirait-on ainsi atteindre en termes de bataillons ?
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6. Est-ce que le prix de revient des bataillons autochtones augmente quand ceux-ci sortent du cadre du Corps Expéditionnaire ? Est-ce que ce mouvement implique un accroissement de la puissance de feu du reste des troupes du Corps Expéditionnaire si les bataillons transférés n’emportent pas leurs armes avec eux ?
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7. Les autorités françaises ont indiqué qu’avec un accroissement de l’aide de 125 millions de dollars ils augmentent leur subvention aux États Associés de 10 milliards de francs en 1953. Cela est-il nécessaire étant donné les disponibilités financières accrues du Vietnam ? Les autorités françaises seraient-elles quand même en mesure d’affecter 10 milliards ou plus à leur effort en Indochine ? En relation avec quels niveaux de forces ?
24
8. Est-ce que les autorités françaises ont réduit leurs subventions aux États associés pour 1952 (afin d’accroître leur production aéronautique en Europe) à cause de l’accroissement de la contribution vietnamienne en 1952 (laquelle est passée des 21 milliards prévus à plus de 29 milliards) ?
25
9. De quelles informations sur les balances générales des comptes de 1952, de 1953 et les prévisions pour 1954 dispose-t-on en dehors des documents publiés ?
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10. Quels sont les programmes d’importations pour l’Indochine pour 1953, en indiquant particulièrement le montant et les types de devises autres que le franc qui seront à la disposition des États associés ? Est-il possible de prendre connaissance de l’ensemble des statistiques d’importation des deux dernières années ?
27
Source : MAE AO/IC/265.
LA QUESTION DES 4 MILLIARDS DE FRANCS En réponse au point 8 du questionnaire précédent Question n° 8. 28
Est-ce que les autorités françaises ont réduit leurs subventions aux États associés pour 1952 (afin d’accroître leur production aéronautique en Europe) à cause de l’accroissement de la contribution vietnamienne en 1952 (laquelle est passée des 21 milliards prévus à plus de 29 milliards) ? Réponse.
29
La diminution de 4 milliards des crédits affectés en 1952, dans le budget militaire français, aux dépenses des armées des États associés a été rendue possible par le fait qu’en cours d’années le Vietnam a augmenté sa contribution ; il convient de souligner toutefois que l’époque tardive à laquelle a été fournie cette contribution supplémentaire ne permettait pas d’affecter à un accroissement de forces non prévu au budget primitif, les disponibilités ainsi créées, les crédits n’étant utilisables en principe que jusqu’à la fin de l’année 1952.
30
Dans ces conditions, le Gouvernement français a décidé d’utiliser les 4 milliards pour assurer le maintien en activité de certaines chaînes de production d’avions militaires (Mystère II et IV) ; les difficultés financières auraient obligé, si une telle décision n’avait pas été prise, à stopper ces fabrications au moment où des commandes « off shore » étaient envisagées.
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31
À l’époque où cette décision a été prise, il était plus urgent d’assurer cette continuité que de garder en réserve des moyens budgétaires dont l’emploi n’était pas immédiatement prévisible.
32
Réponse au questionnaire de 1953.
33
Source : MAE AO/IC/265.
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Annexe 17. Communiqué francoaméricain sur l’aide supplémentaire à l’Indochine, 27 septembre 1953
AIDE À L’INDOCHINE Communiqué à la Presse 1
Les forces armées de la France et celles des États Associés d’Indochine sont engagées depuis huit ans dans une lutte acharnée, afin d’endiguer la pénétration du communisme international en Asie du Sud-Est. Les efforts héroïques des forces de l’Union française et les sacrifices qu’elles ont consentis pour garantir l’indépendance des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam leur ont valu l’admiration et l’appui du monde libre. Le gouvernement des États-Unis, en considération de l’effort fourni par l’Union française, a déjà, sous des formes diverses, apporté son aide au gouvernement français et aux États Associés, afin de contribuer à mettre le plus rapidement possible un terme victorieux à leur longue lutte.
2
Le gouvernement français a décidé, par sa déclaration du 3 juillet 1953, de parfaire l’indépendance des trois États Associés d’Indochine ; au moyen de négociations avec leurs gouvernements.
3
Un accord vient d’être conclu entre les gouvernements français et américain, aux termes duquel le gouvernement des États-Unis mettra à la disposition de la France, avant le 31 décembre 1954, une somme supplémentaire de 385 millions de dollars au maximum, destinée à financer les plans que le gouvernement français a conçus en vue d’intensifier les opérations contre le Vietminh. Cette somme doit être considérée comme s’ajoutant aux fonds déjà affectés par le gouvernement américain à l’aide militaire et économique à la France et aux États associés.
4
Le gouvernement français est déterminé à faire tous ses efforts pour disloquer et détruire les forces régulières de l’ennemi en Indochine. Dans ce but, il a l’intention de mener à bonne fin ses plans d’accroissement des forces armées des États associés, en
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coopération avec le Cambodge, le Laos et le Vietnam, tout en adaptant temporairement l’importance de ses propres effectifs aux conditions nécessaires pour assurer le succès de ses plans militaires actuels. L’aide supplémentaire américaine a pour objet de permettre d’atteindre ces buts avec le plus de rapidité et d’efficacité possibles. 5
L’accroissement de l’effort français en Indochine ne portera pas préjudice, d’une façon fondamentale ou permanente, aux plans et programmes du Gouvernement français concernant ses forces de l’OTAN.
6
Source : MAE AO/1C/265.
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Annexe 18. Communiqué final du Haut Conseil de l’Union française de novembre 1953
1
27 novembre 1953
TEXTE DÉFINITIF 2
Le Haut Conseil constate la volonté exprimée par le Cambodge de mettre fin aux Accords sur lesquels était fondée l’Union Économique, monétaire et douanière.
3
Le Laos, la République Française, le Vietnam ont pris acte de cette décision qui entraîne la nécessité de réviser les Conventions en vigueur.
4
Le Haut Conseil enregistre l’accord des quatre États pour étudier en commun la substitution du régime nouveau au régime en vigueur, et pour estimer que ce nouveau régime doit tenir compte de la solidarité qui unit les quatre États dans les domaines économique et financier.
5
Pour mener à bien ces études, le Président de l’Union Française convoquera une conférence économique et financière des quatre États. Jusqu’à la mise en vigueur des nouveaux Accords, les États continueront leur collaboration au sein de l’Institut d’Émission et de la Caisse Autonome au Président desquels tous les Gouvernements s’engagent à donner le concours et les pouvoirs qu’il a demandés.
6
Source : AEF Gaston Cusin 5 A 80.
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Annexe 19. Bilan de l'Institut d'émission au 31 décembre 1953 après annulation des dettes et créances réciproques en millions de piastres
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Annexe 20. La mise hors budget des armées nationales
DÉPENSES MILITAIRES
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DÉPENSES MILITAIRES FINANCEMENT
Source : Le budget de 1954 (CHEFF).
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Annexe 21. Conclusion du rapport au Conseil économique – non voté – de Paul Bernard sur « La conjoncture économique des États associés » (1954)
1
[De nombreuses copies de ce texte se trouvent dans les Archives économiques et financières. Il est par contre introuvable ailleurs].
2
Le 26 février 1954
STRUCTURE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DES ÉTATS ASSOCIÉS D’INDOCHINE 3
Une des difficultés essentielles des négociations qui vont prochainement s’ouvrir pour fixer le statut économique et monétaire des États Associés d’Indochine réside dans la quasi-impossibilité d’établir dès à présent un régime définitif, étant donné que les incidences des opérations militaires faussent toutes les données du problème.
4
Les dépenses militaires de la France en Indochine sont de l’ordre annuellement de 500 milliards de francs, dont environ 200 milliards correspondent à des dépenses effectuées sur place. Ces dépenses effectuées localement sont considérables au regard :
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– de la balance générale des paiements extérieurs dont elles représentent 82 % ;
6
– de l’ensemble des budgets Indochinois, environ 100 milliards de francs ;
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– du montant des exportations annuelles, environ 35 milliards de francs en 1952 ;
8
– des billets en circulation, environ 90 milliards de francs.
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Ainsi, est-il impossible d’envisager immédiatement une souveraineté monétaire intégrale pour le Vietnam comme cela semble avoir été admis pour le Cambodge, souveraineté qui impliquerait notamment la latitude pour le Gouvernement vietnamien
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de fixer le taux de change de sa monnaie au cours qu’il voudrait, alors que 82 % de la balance des paiements des États Associés d’Indochine ont correspondu, en 1952, à des achats de piastres du Gouvernement français destinés à couvrir des dépenses militaires en Indochine. 10
Il est donc indispensable de prévoir deux régimes différents, celui du temps de guerre et celui du temps de paix. *
11
En ce qui concerne le premier, la solution la plus logique et la plus prudente consisterait à changer le moins de choses possible au système actuel.
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Il devrait toutefois être amendé pour tenir compte de l’esprit particulariste de chacun des États ; les problèmes économiques et monétaires seraient désormais examinés sous l’angle de conventions bipartites à établir entre la France et chacun des États.
13
Notamment, l’Institut d’Émission actuel serait scindé en trois organismes, mais la structure de chacun d’eux et leur mode de fonctionnement ne seraient pas différents de ce qu’ils sont avec l’institut actuel. Toutes les décisions importantes, en ce qui concerne l’émission, fixation du taux de change, avances aux États, continueraient à être prises d’accord parties avec la France, avec possibilité d’arbitrage en cas de désaccord.
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En contrepartie, le Gouvernement Français continuerait à s’adresser à l’Institut d’Émission pour se procurer les piastres dont il a besoin. La parité de la piastre par rapport au franc et qui pourrait varier, serait fixée d’un commun accord. *
15
C’est assurément la solution la plus rationnelle, encore qu’elle puisse être considérée par les États Associés comme inconciliable avec la reconnaissance de leur indépendance intégrale et de leur souveraineté monétaire.
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Si cette solution réaliste ne peut prévaloir, en raison des engagements pris par le Gouvernement français et si nous sommes amenés à remettre aux États Associés tous les leviers de commande de l’économie (Institut d’Émission, service des changes, commerce extérieur), sans que nous participions à la gestion de ses organismes moteurs, il est nécessaire que des garanties soient obtenues par la France, sous le double rapport de l’efficacité et la continuité de son effort de guerre d’une part, et de la sauvegarde des intérêts privés français, d’autre part.
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En ce qui concerne le premier point, il n’est pas inutile tout d’abord de rappeler que les dépenses militaires de notre pays sont effectuées essentiellement pour le compte des États Associés.
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Cela est évident pour la contribution que notre pays verse aux budgets des États Associés, afin de leur permettre de financer la mise sur pied de leurs armées nationales.
19
Mais cela n’est pas discutable non plus pour les dépenses proprement dites correspondant aux besoins du Corps Expéditionnaire et qui représentent le montant le plus important. Il n’y a qu’une différence de nuance entre cette catégorie de dépenses et celles engagées directement par les États Associés qui figurent dans leurs budgets.
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C’est bien en effet dans leur intérêt, beaucoup plus que dans le nôtre, que cet effort militaire et financier est poursuivi, puisqu’il conditionne leur indépendance elle-même. 20
Il s’y ajoute, que s’accompagnant du sang français répandu, ces dépenses devraient comporter, de la part des bénéficiaires, plus de reconnaissance que lorsqu’il s’agit de simples crédits ouverts en dollars par les Américains.
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Il serait donc impensable que la France achète à l’Institut d’Émission les piastres dont elle a besoin pour assurer le financement des dépenses du Corps expéditionnaire, à un cours qui serait arbitrairement fixé par le Vietnam, ce qui pourrait amener notre pays à surpayer, dans l’avenir, des dépenses déjà écrasantes.
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Pour cette raison, il est absolument légitime de demander que les achats de piastres destinées à couvrir les besoins militaires du Gouvernement français, soient réalisés directement par le Payeur Français aux armées, sur le marché monétaire local, sans recourir à l’Institut d’Émission.
23
Ce mécanisme doit être mis en place d’une façon permanente et non jouer de façon occasionnelle, sous peine de quoi il y a lieu de redouter que pour des raisons d’ordre politique ou militaire, le Gouvernement Français, sous la pression des États Associés, hésite à en faire usage. Il y a lieu de rappeler à ce sujet que les accords de Pau avaient admis la faculté pour la France d’acheter les piastres correspondant aux besoins du corps expéditionnaire, en dehors de l’Institut d’Émission, mais elle n’a jamais eu recours à ces facilités, en dépit de l’écart existant entre le taux officiel et le taux du marché parallèle.
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Ce système aura donc pour effet de constituer un marché libre de la monnaie, laissant au Vietnam la latitude, s’il le désire, de maintenir à côté un marché contrôlé réservé à certaines transactions.
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Il permettra, d’autre part, d’assurer la couverture en francs des besoins des entreprises françaises correspondant à leurs achats commerciaux ou à leurs rapatriements de bénéfices ou de capitaux dans la Métropole.
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Contrairement à ce que l’on peut redouter, la mise en place d’un pareil système ne contribuera pas nécessairement à provoquer une chute importante du taux de la piastre. S’il est exact, en effet, que dans les circonstances présentes on puisse trouver sur le marché monétaire, intérieur ou extérieur, des piastres à moitié prix du cours officiel, il s’agit le plus souvent de transactions de volume limité. On peut prévoir que lorsque la France se portera acquéreur pour des montants qui s’élèveront annuellement à la contre-valeur de 200 milliards de francs, lesquels représentent, comme nous l’avons dit, 82 % des mouvements extérieurs de la balance des paiements, elle fera pratiquement le cours de la monnaie ; il lui sera donc parfaitement loisible de rapprocher ce cours de la parité officielle du Vietnam, si cette parité a été choisie de façon raisonnable.
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La solution la plus logique consisterait, même pour le Vietnam, à généraliser le marché libre en y faisant également céder le produit des exportations. Ce faisant d’ailleurs, le Vietnam n’aliénerait en rien son indépendance, mais reconnaîtrait simplement que lorsqu’un élément représente 82 % des transactions sur un marché, il domine ledit marché. *
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À cet égard, ce nouveau système marquera un sérieux progrès sur celui qui est actuellement en vigueur.
29
Le mécanisme des opérations du financement du Corps expéditionnaire est en effet actuellement le suivant :
30
– Le Gouvernement français doit faire face en Indochine au paiement de la solde des militaires, à l’achat de produits du cru, au règlement de dépenses de travaux, logements, ou transports ;
31
– pour payer ces dépenses, il demande des piastres à l’Institut d’Émission et il lui remet en contrepartie des francs à Paris, au taux de 10 frs la piastre ;
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– après des circuits plus ou moins compliqués, mais au déroulement très rapide, les pouvoirs d’achat en piastres ainsi libérés se matérialisent en achats de produits d’importation et en transferts d’économies ou de bénéfices dans la métropole.
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Jusqu’à présent l’équilibre s’est établi de façon automatique et presque complètement entre les francs apportés par la métropole et les transferts réalisés dans la métropole pour couvrir les besoins commerciaux ou financiers, de telle sorte que l’Institut d’Émission a été incapable de constituer sa couverture légale, en dépit de restrictions sévères de transferts.
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Cela est dû essentiellement au fait que le taux de transfert officiel de la piastre en francs ne correspond pas à son pouvoir d’achat local, de telle sorte que la crainte d’une dépréciation de la piastre provoque une fuite devant cette monnaie ayant précisément pour effet d’accentuer la dépréciation.
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La fixation d’un taux rigide interdit donc tout espoir de stabilisation du taux de la monnaie, tout en obligeant la France à surpayer ses dépenses de guerre.
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D’autre part, elle favorise les opérations des fraudeurs qui importent clandestinement des francs ou des devises en Indochine, les y écoulent sur le marché noir et en rapatrient la contre-valeur en France au taux officiel, en trompant l’Office des Changes. *
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Néanmoins, le nouveau système ainsi préconisé n’atteindra sa pleine efficacité que si certaines précautions supplémentaires sont prises :
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1°) Les vendeurs de piastres au Gouvernement Français devront justifier de l’origine de ces piastres, afin d’éliminer celles qui peuvent provenir d’opérations frauduleuses ou de ventes du Vietnam. Il s’agira non d’une reconstitution de l’office des Changes, mais d’une mesure de police militaire nécessitée par l’état de guerre.
39
2°) L’institution d’un change souple, même si les intentions du Gouvernement Français s’efforcent de faire varier le moins possible le cours de ses achats, entraîne la nécessité d’établir un marché à terme de la monnaie, sous peine de quoi les transactions commerciales peuvent être rendues difficiles. Les bases de calcul des droits de douane seraient établies sur un taux de change fixe et précisé plusieurs mois à l’avance.
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3°) Il y aura lieu d’obtenir du Vietnam l’engagement de ne prendre aucune mesure de contingentement pour les importations de marchandises venant de France. Dans le cas contraire, le mécanisme ci-dessus deviendrait impossible à mettre en pratique.
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Car ce sont essentiellement les importations qui créent les besoins de francs donc les offres de piastres.
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4°) Enfin, la création de ce marché des changes parallèle sans mesure d’adaptation préalable, risque d’entraîner une perturbation très grande dans les opérations commerciales. Il paraît donc nécessaire, avant de mettre en place ce nouveau système, d’assainir le marché monétaire local par une opération financière appropriée, ce que nous sommes en mesure de faire actuellement puisque nous gardons entre nos mains, jusqu’à nouvel ordre, les leviers de commande de l’Office des Changes.
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Comment peut-on y parvenir ?
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Dire que le taux de 10 fis pour la piastre est excessif, c’est dire qu’à ce taux, il y a une certaine masse de piastres, par exemple 2 milliards de piastres, qui souhaiterait être transférée contre francs, à ce taux, mais ne peut l’être en raison du contrôle de l’Office des Changes.
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Il s’agit d’éponger cette masse monétaire assurément considérable, mais néanmoins très faible au regard des dépenses en piastres de la France en Indochine dans une année, pour les besoins du Corps Expéditionnaire.
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Pour effectuer cette ponction, il suffit de placer en Indochine un emprunt en francs, à souscrire en piastres au taux de 10 fis, et dont les conditions (délai, intérêts, amortissements, négociabilité) aient été calculées pour que les souscripteurs fassent le sacrifice par rapport au taux officiel de 10 frs, qu’ils sont disposés à consentir pour transférer des avoirs présentement bloqués dans une monnaie qui risque de nouvelles dépréciations.
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L’opération est d’ailleurs avantageuse pour la France à concurrence de ces 2 milliards de piastres. La trésorerie de notre pays s’en trouvera allégée, puisque les francs correspondant à ces piastres ne seront payés qu’aux échéances de remboursement.
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C’est seulement lorsque le marché monétaire aurait été ainsi assaini que l’on passerait au Vietnam les leviers de commande économiques et monétaires et que le Gouvernement Français créerait le nouveau circuit piastres-francs en dehors de l’Institut d’Émission. *
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Ce régime donne une certaine sécurité aux intérêts privés français, aussi longtemps que les dépenses du corps expéditionnaire atteindront les montants élevés actuels. Pour le temps de paix, les mêmes résultats peuvent et doivent être obtenus par d’autres moyens.
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Sur le plan monétaire, il est indispensable que les monnaies indochinoises restent dans la zone franc.
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C’est un fait bien connu que l’appartenance à une même zone monétaire constitue le moyen le plus efficace pour assurer la pérennité des liens économiques.
52
Il ne paraît d’ailleurs pas impossible de reconnaître l’indépendance des États tout en maintenant leurs monnaies à l’intérieur de la zone franc. De nombreux pays dont l’indépendance vis-à-vis de la Grande Bretagne n’est pas contestée ou même qui ne font pas partie du Commonwealth, ont leur monnaie rattachée à la livre sterling.
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53
Le peso philippin est rattaché au dollar US. L’accord du Président des USA est nécessaire pour que les Philippins puissent modifier leur taux de change, suspendre la convertibilité de leur monnaie ou entraver les transferts de fonds aux USA.
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Quelles sont les conditions indispensables pour que chacune des nouvelles monnaies indochinoises puisse être considérée comme faisant partie de la zone franc ?
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1°) Il faut que la convertibilité automatique de la monnaie des États Associés contre le franc soit assurée en tout état de cause.
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2°) Subsidiairement, il est souhaitable – mais non indispensable – que les parties de changes des deux monnaies soient fixes ou tout au moins que les variations de ces parités soient le moins fréquentes possible.
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3°) Dans la mesure où la balance des comptes de chacun des États Associés avec les pays autres que la France n’est pas équilibrée et comporte un déficit en devises, l’établissement de leur programme d’importation et d’exportation doit requérir l’approbation de notre Pays.
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La première et la troisième de ces conditions peuvent être réalisées si un accord librement consenti entre la France et l’État Associé considéré est établi à ce sujet et sans que notre Pays ait à s’immiscer dans la gestion des organismes économiques et financiers dudit État : Institut d’Émission, fonctionnement du Trésor, mécanisme du commerce extérieur.
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Mais dans ce cas, la parité des changes entre la monnaie de l’État Associé et le franc serait celle constatée par l’équilibre des transactions et elle risquerait d’être appelée à varier dans d’assez fortes proportions.
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Si l’on désire qu’une fixité plus grande soit assurée, il est indispensable que les organismes financiers de la Métropole, à qui incombe la responsabilité générale de la sauvegarde du franc, aient leur droit de regard dans les finances des États Associés : équilibre des budgets, émission de papier monnaie, émission de monnaie scripturale. Ces interventions auraient d’ailleurs un caractère purement technique et non gouvernemental. Ce serait des agents de la Banque de France, de préférence à des représentants du Ministère des Finances, qui devraient assister les représentants de l’Institut d’Émission.
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C’est au Vietnam qu’incomberait le choix entre ces deux solutions, mais il est capital pour la France que ce choix soit absolument net.
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En effet, le système de la fixité du taux de change non assorti de moyens de contrôle absolument efficaces, mettrait constamment le Trésor Français devant le dilemme :
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– ou de financer le déficit de la balance des comptes du pays, c’est-à-dire le plus souvent l’inflation locale,
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– ou de provoquer une série de dépréciations, ce qui aboutirait à la négation du système et entraînerait chaque fois une crise politique grave.
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Les objections que l’on peut présenter à la suppression ainsi réclamée de l’Office des Changes, pour les relations monétaires entre l’Indochine et l’Union Française, sont les suivantes :
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1°) Nous demandons aux États Associés de faire ce que nous n’avons pas su ou voulu faire nous-mêmes : assurer le libre transfert des piastres contre francs, qui était prévu dans les accords que nous avons signés, avec faculté de modifier le taux de la piastre le cas échéant. Nous avons préféré instituer un contrôle des transferts rigoureux en
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maintenant un taux de piastre qui ne correspondait pas à la réalité. Nous l’avons d’ailleurs fait contrairement à nos intérêts, puisque notre pays était acheteur d’une masse considérable de piastres pour les besoins de son Corps Expéditionnaire et qu’il avait intérêt à se procurer au plus bas prix. 67
Lorsque nous avons décidé, en mai dernier, de modifier le taux de la piastre, l’opération a été faite avec brutalité et sans préparation, de telle sorte qu’elle n’a pas eu la conséquence logique et souhaitable de la suppression du contrôle des changes dont les exigences ont été au contraire renforcées.
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Il est possible de répondre à cette objection en assainissant le marché monétaire par un emprunt avant la passation de l’Office des Changes aux États Associés, ainsi que nous l’avons recommandé plus haut, de telle sorte que la suppression de l’Office des Changes (abstraction faite d’un contrôle militaire sur l’origine des fonds) viendrait de notre initiative.
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2°) On peut redouter également que la suppression du contrôle des changes entraîne de telles demandes de transfert que la monnaie verra son cours se déprécier indéfiniment avec une vitesse croissante.
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Quelles peuvent être les causes de cette dépréciation, étant admis que le flottant, au départ, sera résorbé par un emprunt ?
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– Une politique déraisonnable sur le plan économique et financier des États Associés, c’est-à-dire l’incapacité pour eux d’établir des budgets équilibrés et la nécessité de recourir à des avances excessives de leur Institut d’Emission.
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Ce déséquilibre des budgets peut lui-même avoir deux causes : train de vie exagéré accompagné d’une fiscalité peu courageuse, dépenses de guerre prohibitives.
73
– En ce qui concerne le premier point, l’expérience du fonctionnement de l’Institut d’Émission actuel montre que la gestion des finances intérieures des États a été jusqu’ici assez économe, le recours aux avances de l’Institut d’Émission n’ayant jamais dépassé des limites admissibles.
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– En ce qui concerne le deuxième point, il est normal que la monnaie se déprécie lorsque le financement des dépenses de guerre est réalisé par l’inflation et il serait vain de prétendre maintenant sa parité à un taux arbitraire.
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Quelle que soit l’origine de l’inflation, on doit rappeler que la fixité du taux de change, non assortie de contrôles efficaces, conduirait la France à supporter la charge de cette inflation.
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3°) Enfin on peut objecter que ce système de liberté absolue de transactions commerciales avec la France empêcherait les États intéressés de freiner l’importation d’articles qui ne sont pas de première nécessité et les priverait du moyen le plus efficace pour maintenir la stabilité de leur monnaie.
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Il n’est nullement prouvé que le maniement de l’appareil des droits de douane, sur une très large échelle, pouvant aller jusqu’à la prohibition établie d’accord parties, n’obtiendrait pas le résultat souhaité. Et si ce moyen se révèle insuffisant, c’est précisément l’arme du taux de change qui permet de rétablir l’équilibre des transactions. *
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Il y aurait lieu de préciser, d’autre part, quel pourrait être le statut futur des Instituts d’Émission de chacun des États Associés.
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Il paraît difficile de maintenir un Institut d’Émission s’appliquant à l’ensemble des États Associés, l’expérience ayant révélé l’esprit particulariste de chacun des États.
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Dans l’hypothèse vraisemblable où l’Institut d’Émission actuel devrait être scindé en trois Instituts, la question suivante se pose :
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La France participera-t-elle à la gestion de cet Organisme ?
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Pour qu’elle puisse le demander, et pour que son intervention n’apparaisse pas comme une entorse à la souveraineté de l’État considéré, il est nécessaire que la France consente un appui financier permanent à cet organisme sur les points suivants :
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a) Mise à la disposition de l’Institut d’avoirs effectifs en francs et en devises pour assurer la couverture de ses émissions fiduciaires. Il pourrait s’agir soit d’une dotation généreuse et gratuite, soit d’une avance qui serait récupérée par un certain pourcentage des exportations à venir.
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b) Possibilité de monter un mécanisme de report permettant d’alimenter le marché monétaire local grâce à des disponibilités francs.
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c) Facilités de réescompte de crédits à moyen terme, par l’entremise d’organismes métropolitains spécialisés, les établissements bancaires locaux servant d’intermédiaires (Caisse Centrale, Crédit National, Caisse des Dépôts, etc.).
86
d) Facilités de placement d’emprunts garantis ou non dans la métropole et contribution du fonds de modernisation et d’équipement à l’équipement des États Associés dans des conditions analogues à ce que fait la Métropole pour le Maroc et la Tunisie.
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e) L’aide économique que représente la mise à la disposition des États Associés de francs, fut-ce sous forme de prêts, peut d’ailleurs comporter une contrepartie.
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Il y aurait lieu, à cet égard, de s’inspirer de l’exemple américain.
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En dehors d’une aide gratuite qui ne comporte pas de prise en charge, mais qui n’atteint que des montants extrêmement limités, l’aide américaine se matérialise en fournitures de marchandises cédées gratuitement aux États Associés, mais vendues par eux localement à leur profit, ces prix de vente étant majorés de droits de douane et de taxes à l’importation. Mais les États Associés ne peuvent débloquer les piastres correspondant à ces ventes que pour une utilisation conforme à un programme établi par les USA qui comporte certaines dépenses de propagande en leur faveur.
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Toute aide économique de la part de la France devrait être assortie des mêmes obligations. *
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Reste à fixer le statut futur des échanges commerciaux entre la France et les États Associés d’Indochine.
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1) L’Indochine représente un débouché essentiel pour certaines industries françaises. Pour le premier semestre 1953, les exportations françaises vers l’Indochine ont représenté 21 % du total des exportations vers la France d’outre-mer et près de 8 % de l’ensemble des exportations françaises.
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En 1952, les importations indochinoises en provenance de l’Union Française ont atteint 129 milliards.
94
Certaines industries françaises traverseraient une crise qui pourrait être mortelle si le marché Indochinois leur échappait.
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2) Inversement, l’Union Française peut constituer un débouché très intéressant pour certaines exportations indochinoises : riz, caoutchouc, anthracite, thé, etc. Lorsqu’il s’agit de produits dont la France est nécessairement importatrice, ces achats améliorent la balance des comptes de l’Union Française, dans la mesure où la monnaie indochinoise est une monnaie de la zone franc.
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Le riz mérite une mention toute spéciale. Il est rappelé qu’avant la guerre, l’Union Française absorbait entre 5 et 700 000 tonnes de riz Indochinois qui se substituaient, dans une large mesure, aux importations de céréales secondaires : maïs, etc. Ces exportations ont été extrêmement modestes depuis la Libération parce que, d’une part, les surplus exportables de l’Indochine se trouvaient réduits, du fait de la guerre, à leur plus simple expression et parce que, d’autre part, les cours du riz étaient devenus très supérieurs à la parité des cours des céréales secondaires.
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Mais à la suite du renversement récent de la tendance du marché du riz sur les places internationales, matérialisé par un effondrement des cours, il est permis de penser que, dès 1954, le Vietnam et le Cambodge se présenteront en solliciteurs pour l’écoulement du surplus de plusieurs centaines de mille tonnes sur le marché de l’Union Française.
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Ces circonstances nouvelles créent un climat favorable pour faire admettre par les États Associés l’instauration d’un système économique libéral favorisant les échanges réciproques entre lesdits États et l’Union Française.
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3) Il ne faut pas se dissimuler que si en 1952 les importations Indochinoises en provenance de France ont représenté 82 % des importations totales, alors que les prix français sont supérieurs en général aux prix mondiaux, alors que la France ne bénéficie actuellement d’aucun régime préférentiel en Indochine et qu’elle est éloignée du marché de consommation, cela est dû essentiellement au fait que l’Office des Changes indochinois était entre des mains françaises et qu’il était largement approvisionné en francs, contrepartie des dépenses en piastres du corps expéditionnaire. Des licences d’importation étaient ainsi nécessaires pour les achats à l’étranger, tandis que les achats en France s’effectuaient librement, tout en acquittant les droits de douane et taxes d’importation.
100
Si le maintien des monnaies indochinoises dans la zone franc est assuré, cette situation favorable sera consolidée. Mais elle devra être assortie de l’institution d’un système commercial comportant la libéralisation totale des échanges entre les États Associés et l’Union Française.
101
Autrement dit, le courant d’échanges privilégiés entre la France et l’Indochine ne pourra être maintenu que :
102
a) Si aucun contingentement à l’importation, comme à l’exportation, n’est prévu, le recours à ces mesures ne devant avoir qu’un caractère exceptionnel et être décidé d’accord parties.
103
b) Si le régime douanier indochinois comporte deux catégories de tarifs pour les importations, un tarif minimum appliqué à la majorité des pays et un tarif général visant essentiellement le Japon.
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104
c) Si ce tarif minimum prévoit des dérogations préférentielles très larges pouvant aller jusqu’à la franchise complète pour les échanges avec l’Union Française.
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Enfin, il faut s’efforcer d’obtenir que certaines importations étrangères soient l’objet d’un contrôle quantitatif en vue notamment d’entraver l’importation des pays, comme le Japon, qui bénéficient d’un système de prix de main-d'œuvre anormalement bas et qui sont prêts à consentir d’importants sacrifices pour réaliser leur implantation.
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Ce contrôle pourrait être réalisé par une mission économique française en Indochine qui donnerait son visa sur toutes les autorisations d’importations de produits intéressant l’économie française, parmi lesquels les articles de coton, de fibranne et de rayonne.
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Pour donner à ces avantages un caractère de réciprocité, on pourrait prévoir qu’une mission économique des États Associés en France contrôlat l’importation en France des produits indochinois essentiels (riz, maïs, caoutchouc...). Ce contrôle, qui comporterait la possibilité d’exercer un droit d’opposition sur les importations étrangères de ces produits, serait la contrepartie du contrôle exercé sur les importations indochinoises par une mission française.
108
Enfin, on pourrait prévoir l’établissement de véritables contrats à long terme pour l’écoulement dans l’Union Française, à des prix déterminés, des produits indochinois de base.
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La mise en application de ce système se trouvera certainement compliquée si les États Associés renoncent à l’union douanière indochinoise. Il faudra en effet que chacun d’eux établisse un cordon douanier à ses frontières et la fraude s’instituera sur une très large échelle. Mais, même dans cette hypothèse, le mécanisme des échanges que nous avons recommandé, ainsi du reste que le mécanisme monétaire, peut néanmoins être institué. *
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Telles sont les bases rationnelles de la structure économique et monétaire des États Associés d’Indochine. Elles respectent l’indépendance des États, mais elles les maintiennent dans le système de la zone franc.
111
Bien entendu, cette construction repose sur le postulat que la zone franc constitue un élément de stabilité au point de vue de la fixité du taux de la monnaie et un facteur d’efficacité en ce qui concerne les possibilités du marché monétaire et du marché financier.
112
À cet égard, la France devrait s’inspirer de l’exemple de la Grande Bretagne.
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La sécession d’un territoire d’outre-mer peut en effet intervenir, non pas seulement sous la pression d’événements extérieurs, ou de troubles intérieurs, mais simplement du fait de l’inaptitude de la métropole à assurer son rôle de régulatrice et d’animatrice de l’économie d’ensemble.
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Annexe 22. Direction des Services financiers et des programmes Mai 1954
DÉPENSES MILITAIRES SUPPORTÉES PAR LA FRANCE AU TITRE DE L’INDOCHINE (en milliards de francs)
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Annexe 23. Compte rendu de la réunion au ministère des Finances des représentants des entreprises françaises opérant au NordVietnam, 22 juillet 1954
Confidentiel Réunion tenue au MINISTÈRE DES FINANCES, le 22 juillet 1954 à 17 heures, sous la PRÉSIDENCE de Monsieur SADRIN, Directeur des Finances Extérieures 1
M. SADRIN ne peut actuellement fournir des renseignements très précis sur les accords passés à Genève ; mais il est bien évident que, compte tenu du cessez-le-feu et de la séparation provisoire du Vietnam en deux zones, des problèmes économiques, commerciaux et financiers vont se poser. M. Sadrin souhaiterait connaître, à ce sujet, les préoccupations des différentes entreprises ; il aimerait savoir également quels sont en ce moment l’activité, les actifs et les stocks des entreprises.
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À tour de rôle, les représentants des Charbonnages du Tonkin, des Cimenteries et de la Société Indochinoise d’Électricité indiquent que leurs stocks sont importants et leurs approvisionnements suffisants pour plusieurs mois. Les Charbonnages ont des possibilités de stockage considérables et des débouchés assurés, si leurs clients continuent à travailler et si le charbon peut aller vers le sud. Une question importante sera celle des frêts. Les liquidités des entreprises en France semblent importantes. Les liquidités qui sont en Indochine sont réparties entre le Sud, pour la plus grande part, et le Nord pour les besoins de trésorerie courante. Le personnel a un moral élevé et semble prêt à demeurer sur place à condition que des garanties sur sa sécurité lui soient accordées.
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M. Sadrin souhaiterait connaître exactement les garanties formelles que les sociétés désiraient obtenir pour pouvoir continuer à exercer leur activité.
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Le représentant de la Société l’Air Liquide rappelle l’expérience de sa société en Chine : sans avoir jamais été nationalisées, de nombreuses compagnies étrangères ont été rapidement étouffées. Les bouteilles métalliques représentent environ la moitié des investissements de l’Air Liquide en Indochine. Elles sont très dispersées et longues à récupérer. Il y aurait donc intérêt à les récupérer, sauf si de gros clients de l’Air Liquide souhaitaient le contraire. Cet exemple montre combien il importe que toutes les sociétés fassent bloc, plutôt que d’agir en ordre dispersé.
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Les Cimenteries considèrent, pour leur part, qu’il s’agit bien plus d’un problème politique – donc de Gouvernement – que d’un problème technique. A première vue, il est indispensable de connaître les garanties obtenues, car on ne sait même pas quelle sera la monnaie Viet Minh, et l’on peut se demander si elle appartiendra ou non à la zone franc ? ! En outre, il est fort probable que les garanties obtenues, quelles qu’elles soient, seront faciles à tourner pour les autorités VietMinh.
6
Le Président de la Société Indochinoise d’Électricité, quant à lui, estime que sa société est particulièrement vulnérable, car elle ne peut interrompre ses approvisionnements ou l’entretien de ses installations. Il rappelle les menaces sur les personnes (cf. otages arrêtés à Shanghaï en garantie du paiement de certaines indemnités). Il estime que le Gouvernement français doit se considérer comme garant des installations industrielles et commerciales, et envisager même leur indemnisation en cas de spoliation totale.
7
Sur une demande de M. Sadrin concernant l’éventualité d’un transfert du siège social des sociétés dans le sud il est répondu que c’est une chose souhaitable, et il appartient à chaque société d’agir comme elle l’entendra. Presque toutes les grandes entreprises, il est vrai, ont dès à présent leur siège social soit en France, soit à Saigon.
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M. MAXIME-ROBERT estime, lui aussi, que les entreprises ne devront surtout pas agir en ordre dispersé. Il a été pour sa part fort ému des instructions du Commissariat Général de Saïgon invitant des sociétés à prendre directement contact avec les autorités Viet Minh. Il pense que ce serait excessivement dangereux pour l’avenir des entreprises. C’est au Gouvernement français d’intervenir auprès des autorités Viet Minh pour savoir ce que celles-ci désirent.
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Si le Viet Minh ne souhaite pas que les entreprises françaises poursuivent leur activité, il n’y a qu’à partir ; s’il souhaite qu’elles continuent, dans ce cas, quelles garanties leur offre-t-il ? Il ne faudra du reste pas s’illusionner sur la durée de ces garanties ; aussi faut-il que les autorités françaises abordent d’emblée la question du rachat des entreprises par le Viet Minh.
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Or, ce rachat ne peut être payé que par deux moyens :
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1) Les piastres Institut d’Émission qui représentent, d’après les déclarations du Président de l’Institut d’Émission, 3 milliards et demi pour le nord Vietnam (dont une partie seulement pourra être reprise par les autorités Viet Minh). Mais il ne faut pas se dissimuler qu’avec cet argent les autorités Viet Minh voudront surtout obtenir les denrées de première nécessité et les médicaments dont elle a besoin.
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2) Un prélèvement sur les exportations de charbon et de ciment.
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Peut-être pourrait-on songer aussi à compter pendant la période de 300 jours sur la contrepartie en francs des dépenses du Corps expéditionnaire dans le Nord Vietnam.
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Mais cela reviendrait à faire entretenir le Corps Expéditionnaire par le Viet Minh et à consacrer la contrepartie de cet entretien en francs à des indemnités de rachat. En fait le problème ne se posera pas. Le Corps Expéditionnaire sera ravitaillé du Sud et tant qu’il sera dans une zone quelconque c’est la monnaie de l’Institut d’Émission qui y circulera. De toute manière, il faudra se garder de répartir les encaisses de l’Institut d’Émission, car, obligatoirement, les billets de l’institut d’Émission reviendront se présenter dans le Sud. Se garder aussi d’accepter dans nos zones de regroupement des piastres Viet Minh qui, pour le moment ne représentent rien. Enfin, ne pas remettre l’Office Indochinois des changes au Vietnam ou au Viet Minh, mais au contraire garder entre nos mains cet organisme et autoriser nous-mêmes les transferts.
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Le rachat posera également un problème d’évaluation des affaires. Une étude a déjà été faite par M. Valls. Contrairement à M. Lebée, M. Paul Bernard pense que la capitalisation boursière ne peut fournir de base valable pour le calcul d’un prix de rachat. Toutes les personnes présentes s’accordent pour estimer qu’il faut, en tous cas, dans les discussions avec le Vietnam, faire état de valeurs réelles résultant d’estimations directes des actifs. Même en cas de rachat, la question des garanties garde son importance pour toute la période sur laquelle s’étendront les délais de paiement.
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Abordant le problème des relations commerciales avec la zone nord, M. Sadrin souhaite connaître la position des personnes qualifiées.
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Les membres présents estiment que, depuis longtemps déjà la zone Viet Minh est alimentée par nos marchandises. Ceci continuera donc dans les jours à venir par le moyen d’échanges monétaires clandestins à cours variable.
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Sans doute, la population de la zone Viet Minh, ayant peu de choses à exporter, vivra-telle mal. C’est peut-être la seule chance politique du Sud, grâce aux comparaisons que ne manqueront pas de faire les habitants.
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La question est posée de savoir qui administrera la zone de stationnement de Haiphong pendant les 300 jours. Compte tenu des renseignements disponibles, il semble que ce soit l’administration franco-vietnamienne ; mais il apparaît souhaitable aux personnes présentes que si, pour des raisons politiques, il est inévitable de transférer aux États l’Office Indochinois des changes dans le Sud Vietnam, par contre, cet organisme devrait rester à Haiphong, pendant les 10 mois à venir, entre les mains des autorités françaises qui demeureraient ainsi maîtresses des transferts des entreprises du Nord Vietnam pendant cette période.
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RÉUNION DU 22 JUILLET 1954
Source : AEF Fonds Trésor B 43912.
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Annexe 24. Crédits militaires français et aide américaine
Sources : Rapport du Conseil de la République n° 165, par M. Bousch.
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Index des noms de lieux
B Bach Mai, 202, 211. Bangkok, 44, 78, 250, 252, 272, 439. Baria, 50, 123, 251. Battambang, 151, 439.
C Cam Pha, 374, 432. Can Tho, 51, 74, 155. Cao Bang, 69, 70, 86, 98-99, 101, 120, 122, 185, 205, 207, 229, 349-350. Cap Saint-Jacques, 253-254. Chi Ma, 77. Chine, 19-20, 23, 27, 29, 31-34, 48, 56, 70, 76-78, 81, 87, 90-91, 93-94, 112, 120, 155, 195, 210, 256, 262, 271-275, 296, 320, 334, 347, 389, 453. Cochinchine 47, 51, 60, 74-75, 96, 107, 208, 212, 232-233, 252, 411, 422, 439. Corée, 94, 95, 102-103, 150, 154, 185, 196, 209-210, 260, 267, 272, 349, 392-394, 437.
D Dalat, 55, 93, 101, 128, 144, 146-147, 165, 183, 324-325, 412. Day, 205. Dien Bien Phu, 150, 158-162, 165-166, 181-183, 195-196, 198, 200, 203, 205, 207, 209, 213, 215, 229, 255, 271, 273, 283, 299, 318, 343, 354, 366, 395, 423, 428, 434, 436, 444, 449, 452-454. Dong Hoi, 122.
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Dong Trieu, 28, 205, 361, 374.
F Fleuve Rouge, 46, 49, 74, 76, 107, 125, 175, 198, 206, 209-210, 401, 420, 427-428.
G Gia Dinh, 50, 123, 248. Guangdong, 81. Guangxi, 79, 122.
H Ha Dong, 49, 57. Ha Giang, 122. Ha Long, 57, 203, 374. Hanoi, 8, 25-27, 30, 34, 37, 39-40, 43, 46, 49, 57, 70, 76, 79, 91, 105, 112, 142, 146-147, 160, 182, 193, 198, 202, 207, 209, 211, 213-215, 231, 248, 271, 288, 324, 333-334, 336, 361, 374, 398, 416, 419, 422, 427-428, 430-433, 437. Hoa Binh, 188, 205, 352, 419, 428. Hong Gay, 189, 374, 432. Hong Kong, 18, 64, 250, 320, 330. Hué, 51, 422, 437.
K Kompong Chhnang, 205. Kompong Som, 443. Kunming, 33, 272.
L Lang Son, 122, 349, 433. Lao Cay, 122. Loc Ninh, 47, 50. Luang Prabang, 443.
M Malaisie, 48, 75, 370, 438. Manille 34, 41, 91, 168, 217, 250, 258, 434.
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Mao Khé, 205, 374. Mékong, 74-75, 96, 99, 125, 164, 175, 198, 209, 368, 401, 423-424, 442. Moncay, 80. Moscou, 86, 90, 433.
Ν Na San, 188, 205, 213-215. Nam Bo, 45-46, 51-53, 71-72, 74, 76-79, 112, 123-125, 155, 239, 248, 250, 274-275. Nam Dinh, 428. Nanning, 78, 272. Nghe An, 256. Nghia Lo, 203. Nha Trang, 202, 211, 423.
P Paksé, 443. Pékin, 76-77, 86, 90, 273. Philippines, 34, 48, 95. Phnom Penh, 57, 99, 100, 112, 127-129, 327, 423, 439, 441-442. Phon Tiou, 445. Phong Saly, 444. Phu Quoc, 77, 189. Pondichéry, 323, 411. Potsdam, 27, 346.
Q Quang Ngai, 122. Quang Tri, 28. Qui Nhon, 122.
S Saigon, 8, 10, 17, 26-27, 30, 34-35, 37, 39, 41-42, 44, 46-48, 53, 55-57, 64, 67, 76-77, 83-86, 91, 93-96, 99-100, 102, 104, 110-111, 127-128, 133, 139, 142-143, 164-165, 180, 195, 198, 202-203, 206-208, 210-211, 218-219, 232-233, 242, 245, 250-252, 254, 258-259, 261-263, 273, 283, 287-289, 293-296, 298, 301, 304, 306-307, 312, 315, 318, 320, 322-323, 327, 334, 337, 370, 388-389, 398, 407, 414, 416-417, 419, 422-424, 426-427, 430, 432, 434-439, 441-443, 449. Sam Neua, 444.
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Siem Reap, 439. Singapour, 142, 217, 371. Son La, 159, 215.
T Tan Son Nhut, 64, 95, 202, 210-211, 249. Tan Tien, 44. Thai Binh, 46, 428. Thaïlande, 44, 48, 151, 439, 445. Thanh Hoa, 46, 215, 422. Thu Dau Mot, 50. Tourane (Danang), 202, 211 Transbassac, 74-76, 122. Tuan Giao, 215. Tuyen Quang, 48.
V Vientiane, 57, 100, 145, 233, 252, 443, 445. Viet Tri, 49. Vinh, 51, 79, 96, 105, 123-124, 156, 201, 205, 210, 212, 248, 274, 412, 415-416, 419, 423, 428, 437.
Y Yen Bai, 215. Yunnan, 79, 122, 272, 274.
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Index des noms de personnes
A Acheson (Dean), 92, 94, 258. Alessandri (général), 27, 33, 56, 76. Argenlieu (amiral d’), 17, 28, 34, 37-38, 42, 86, 103, 197, 232-234, 251, 278, 288, 298, 325, 361, 411. Armorin (François-Jean), 84. Auriol (Vincent), 13, 56, 58-59, 80, 87, 92, 110, 133, 153, 164, 297, 450.
B Babet (général), 207-208, 219. Badie (Vincent), 320. Bao Dai, 7, 54, 57, 67, 80, 85-91, 100-101, 107, 112, 122-123, 125-126, 128, 138, 147, 164-165, 182-183, 203-204, 209, 212, 235, 250, 262, 278, 288, 310, 325, 327, 334-335, 347, 411-418, 425, 434-435, 439, 449. Battet (amiral), 60, 194, 278-279. Baudouin (Paul), 301. Baumgartner (Wilfrid), 140-141, 352. Bay Vien, 254. Baylin, 37-38. Bedell Smith, 168, 434. Bernard (Paul), 25-26, 83-84, 96, 101, 188, 302, 347, 387-398, 403-404, 419-421, 429, 438, 444-445. Bidault (Georges), 41, 56, 92, 97, 115-116, 135, 138, 144, 162, 214, 267, 298, 350. Blaizot (général), 32, 56.
498
Bloch-Lainé (François), 7, 17, 32-39, 41, 53, 65-66, 85, 98, 232, 242-243, 251-253, 278, 288-289, 295-296, 300, 315-316, 322, 328-329, 331, 348, 405. Blum (Robert), 94, 111, 262. Bodard (Lucien), 16, 30, 56, 77, 82, 84, 139, 288, 311-312, 412, 414. Bollaert (Emile), 49, 55-58, 60, 64, 67, 77, 207, 249, 298. Bonnet (Henri), 10, 41, 93-94, 102, 137, 161, 168-169, 270, 300, 434. Bordaz, 327. Boun Oum, 443. Bourgès-Maunoury (Maurice), 134-136, 144, 267, 298, 318. Bourgoin, 89, 398, 405, 410. Bouscat (général), 200. Bousquet (René), 301, 429. Boyer (Dominique), 17, 74, 220, 246, 296-297, 303, 319, 363, 430. Bozel (Alain), 144. Bruce (David), 92, 257. Buu Loc, 165.
C Capdeville, 61. Carpentier (général), 95, 98, 104, 179. Cédille (Jean), 27. Chaffard (Georges), 427, 432-433, 443. Chassin (général), 214. Cheysson (Claude), 152-153. Clarac (Achille), 37. Clark (général), 154. Clos (Max), 432, 436. Culmann (Henri), 298, 306. Cusin (Gaston), 109, 127, 131, 149, 153, 155, 164, 166-167, 236, 246, 301, 325, 327, 379, 429-430, 441, 443, 448.
D Decoux (amiral), 26, 30, 41, 197, 288, 301. Deferre (Gaston), 411. Delouvrier (Paul), 134, 141, 300, 302. Déo Van Long, 255. Despuech (Jacques), 3, 64, 139, 250, 318, 320. Deville (Max), 89, 97, 241-243, 296, 298, 307. Devinat (Paul), 140, 183-184, 254, 284, 291.
499
Dillon (Douglas), 130, 161, 169. Dulles (John Foster), 134-135, 137-138, 144, 161, 353, 394. Dupleix (Joseph François), 411.
E Eisenhower (général), 133-134, 138, 141, 143, 162. Ely (général), 129, 298, 301, 395, 430-431, 435.
F Faure (Edgar), 130, 154, 157, 166, 168-169, 267-268, 298-300, 302, 352, 434. Fiers (François de), 302-303. Feuché, 236-237. Floirat (Sylvain), 382-383. Frédéric-Dupont (Edouard), 69, 98-99, 299.
G Gallagher (général), 37. Gannay (Paul), 26, 30, 38, 104, 139, 301, 389. Gaulle (général de), 31-32, 36, 38, 346. Gautier (Georges), 147, 303. Gayet (inspecteur général), 42-43, 59, 208, 278, 284, 288, 329. Giacobbi (Paul), 295. Goetze (Roger), 114, 116, 140, 148, 179, 226, 231, 242, 285, 288, 300, 302, 405, 408. Gonon, 42, 252-253, 298, 325. Grall (lieutenant-colonel), 254. Gras (général), 45, 49, 56, 59, 74, 76-81, 105, 128, 200-202, 211, 213, 254, 256, 273, 412-413. Gregh (François-Didier), 300, 405. Griffin, 92-93. Grossin (général), 450. Guillermaz (colonel), 77. Guindey (Guillaume), 18, 65, 91-92, 110, 132, 218, 266, 296, 300, 310-311,317, 332.
H Harriman (Averell), 267. Heath (Donald R.), 95.
500
Ho Chi Minh, 2-3, 17, 25, 27-28, 31, 34, 36, 39, 47, 51-52, 54, 56-57, 64, 71-72, 76-79, 86-87, 90, 122, 124, 126, 155, 165-166, 203, 231, 288, 324, 333-336, 350, 411, 415-416, 418, 426, 428, 433.
J Jacquet (Marc), 146, 154, 247, 294, 299. Jousse (général), 203, 452. Juin (général), 33, 40, 129, 185, 187-189, 191, 200, 209, 214, 301, 362, 394-395.
L La Chambre (Guy), 166, 168, 240, 424, 434-435. Laniel (Joseph), 133, 146, 152, 165, 229, 248, 294, 299, 354. Latapie (André), 97, 319, 328. Lattre (André de), 365. Lattre de Tassigny (général de), 7, 103-108, 111-116, 120, 131, 142, 177, 183, 188, 195, 197, 201, 203, 210-213, 221, 242, 254, 259, 262, 285-286, 289, 298, 301, 352, 412, 432, 449. Laurent (Arthur), 139, 318, 319. Laurent (Jean), 30, 37, 139. Lechères (général), 214. Leclerc (général), 32-33, 35, 38, 40-42, 54, 56, 86, 411. Ledoux (Pierre), 37, 102, 110, 296. Lefaucheux (Pierre), 431, 437. Letourneau (Pierre), 97, 101, 104, 111, 116, 130-132, 136, 138, 142-145, 147-148, 180, 183, 187, 209, 214, 229-230, 250, 254-255, 268, 279, 282, 289, 291, 293-294, 297-298, 302, 315, 408, 412. Liu Shaoqi, 78. Lo Faydang, 255. Lu Han, 34, 272, 274.
M Mariani, 10, 84-85, 139, 310-311, 317-318, 321. Margerie (Bernard de), 83, 90, 97, 296, 329-330, 425. Massu (lieutenant-colonel), 32-33. Maxime-Robert (Jean), 324, 430. Mayer (René), 25, 61, 111, 115-116, 122, 128, 131, 133-138, 140-147, 149-150, 153, 157, 165, 185, 187, 203, 206, 209, 214, 228, 247, 254-255, 269, 279, 281-282, 287, 289-290, 293-294, 297-300, 302, 318, 329, 332, 339, 348, 353, 393-394, 411, 439, 440, 450, 452-453. Mazeau (colonel), 230. McCoy (Alfred), 251, 253-254.
501
Melby-Erskine, 95. Mendès France (Pierre), 23, 69-70, 86, 99, 162, 166, 240, 299, 324, 346, 348, 350, 354, 365, 429, 453-454. Messmer (Pierre), 27, 325. Mitterrand (François), 206, 453. Mondon (Raymond), 3, 64, 82, 220, 222, 250, 255, 313, 318-321. Monnet (Jean), 130, 134, 267, 300, 347, 392, 398. Moutet (Marius), 58, 60, 272, 368. Mus (Paul), 422.
N Nacivet (Pierre), 169. Navarre (général), 138, 143, 145, 153, 156-161, 181, 185, 188, 195, 198, 209, 254, 280, 353, 395-396, 430, 435-436. Ngo Dinh Diem, 416, 424, 434. Nguyen Binh, 48. Nguyen Van Hinh, 128, 203. Nguyen Van Tam, 128-129, 146, 152, 415. Nguyen Van Thoai, 424. Nixon (Richard), 154, 161. Norodom Sihanouk, 142, 151, 439-440, 442-443.
P Petsche (Maurice), 3, 11, 85, 98, 102, 242, 286, 289, 298, 307, 315, 348-349, 351. Pflimlin (Pierre), 169. Pham Van Dong, 34, 123, 249, 255, 429. Phan Van Bach, 71. Pigneau (Mgr), 411. Pignon (Léon), 12, 37, 56-57, 67, 80, 82-83, 93, 104, 120, 179, 204, 240-242, 288-289, 298, 307, 329, 351, 408, 412. Pinay (Antoine), 130, 132-133, 352-353, 355. Pineau (Christian), 105, 120, 177, 179, 193, 197-198, 201-203, 212-213, 218-221, 235-236, 280-281, 285-286, 292, 299, 382. Pleven (René), 38-39, 69, 97-99, 103, 105, 107, 109-110, 113, 115-116, 130, 132, 138, 143-144, 158, 177, 197, 200, 212, 214, 243, 257, 266-267, 285-286, 289, 295, 298-299, 322, 328-329, 332, 334, 346, 350-351, 354, 361, 392-394, 398, 405-406, 414. Postel-Vinay (André), 324-325. Powell (Edwin), 267. Prévert (Jacques), 4.
502
Q Queuille (Henri), 66, 97, 105, 113, 115-116, 137, 143, 298, 350.
R Radford (amiral), 154, 161. Ramadier (Paul), 58, 229. Reverbori (Georges), 363. Revers (général), 7, 71, 79, 81, 88-89, 92, 98, 194, 206, 208, 271, 411-412. Reynaud (Paul), 152-153, 191. Richard (Georges), 57, 154, 306. Risterucci, 440. Rivet, 64, 84, 312, 332.
S Sabattier (général), 27, 33. Sadrin (Jean), 108, 300, 429, 430. Sainteny (Jean), 27-28, 30, 34, 37, 39, 165, 288, 430. Salan (général), 56, 122, 138, 142, 187-188, 201, 213-214, 254-255, 272, 282, 298, 301, 395, 449, 452. Sam Sary, 441. Sarraut (Albert), 94. Savani (capitaine), 124, 253. Savary, 229. Schuman (Robert), 61, 93-94, 111, 115, 258, 267, 298, 300, 351. Schweitzer (Pierre-Paul), 132, 149, 220, 297, 300, 302-303, 313, 316, 363, 365. Seydoux (famille), 382. Sisavang Vong, 164, 443. Son Ngoc Thanh, 440. Son Sann, 441. Souphanouvong, 443. Souvanna Phouma, 96, 443. Stassen (Harold), 135, 144, 168, 169, 353. Sukarno, 70.
T Taboulet (Gaston), 411. Tay Son, 411.
503
Tchiang Kai Chek, 77, 93, 189, 272. Teitgen (Pierre-Henri), 58, 61. Tézenas du Montcel, 97, 303. Thomasson (Paul de), 301. Thorez (Maurice), 58. Touby Lyfoung, 254-255. Tran Van Huu, 96, 107, 212. Trinquier (commandant), 253-254, 282. Truman (Harry), 58, 91, 95, 257. Truong Chinh, 31, 79, 122.
U Ung Van Khiem, 124. Uri (Pierre), 130.
V Valls (André), 7, 9-10, 17, 107, 112, 122, 128-129, 142, 144, 146-148, 150-153, 236, 246, 296-298, 302-303, 315, 319, 326, 328, 333, 365, 379, 384-385, 387, 391, 409, 412, 417, 420-421, 423, 427, 430, 438, 440, 448. Valluy (général), 42-43, 55, 56, 59-60, 86, 143, 188, 280, 288, 411. Vo Nguyen Giap, 160, 175, 182, 207, 213,215, 271. Vuong Thua Vu, 79.
W Williamson, 111.
Y Yatsumoto, 26.
504
Index des sociétés et des institutions
A Affaires militaires (direction des), 10, 13, 102, 143, 145, 153, 228, 268, 290-293, 307. Air France, 105, 432. Assemblée nationale, 10, 15, 46, 81, 96, 103, 114, 120, 141, 228, 318, 350, 362-363, 365, 382, 416, 453, 454.
B Banque de l'Indochine, 6, 9, 17, 26, 30, 31-32, 34-35, 37, 39, 47, 51, 53, 63, 65-66, 71, 83, 100, 104, 112, 123-124, 126-127, 139, 147, 243, 245, 248-250, 301, 303-306, 310-311, 315-316, 318-319, 322-327, 332-334, 336, 346, 363, 376, 382, 384, 389, 391, 406, 417, 428-430, 437. Brasseries et Glacières de l'Indochine, 388, 436. Budget (direction du), 14, 114, 140, 148, 167, 179-180, 242, 284-285, 288-300, 302, 332, 363, 405, 408. Budget extraordinaire (reconstruction de l’Indochine), 82, 89, 397, 404, 407.
C Caisse centrale de la France d'outremer, 65, 311, 324, 387, 405-406, 409. Chargeurs réunis, 382. Comité de défense nationale, 23, 32, 55, 60-61, 80, 91, 98, 105, 113, 115-116, 129, 143-144, 153, 157-158, 181, 207, 285, 449. Comité de l'Indochine, 32, 42-43, 325, 370. Compagnie des Eaux, 361. Compagnie minière et métallurgique de l'Indochine, 374. Compte spécial n° 1, 81-82, 240-242.
505
Compte spécial n° 2, 12, 82-83, 89, 97-98, 100, 109, 234, 240-242, 263, 289, 307, 315, 349, 409. Conférence de Lisbonne, 130, 132, 136, 267-270, 295, 338, 352, 357. Congrès (Washington), 90, 132, 154, 256-257, 260, 268, 294, 338. Conseil de la République, 8, 10, 18, 54, 103, 109, 119, 126, 231, 237, 267, 347, 351, 355, 357, 362, 413. Conseil économique, 15, 101, 421. Cour des comptes, 9. Cuu Quoc (journal Viet Minh), 75, 123-124. Cycles d'Indochine, 431.
E Etain et Wolfram du Tonkin, 374.
F Finances (ministère des), 7, 8, 10, 16, 26, 29, 32, 63, 65, 80-85, 101, 104, 107, 110, 113, 116, 140, 144, 148-149, 166-167, 179, 217, 226, 242, 247, 289, 294-298, 300, 302, 304, 306-308, 311-312, 314, 317-318, 328, 332-333, 336, 349-350, 372, 380, 405, 407-408, 425, 429-430, 436. Finances extérieures (direction des), 8, 38, 65, 83, 92, 108, 132, 218, 236, 246, 266, 295-296, 300, 317, 332, 371, 379, 429-430.
G GCMA, 253-255, 282.
H Hotschkiss, 194.
I Institut d'émission des Etats associés, 6, 100, 112, 243, 250, 301, 304, 306-307, 317, 334, 363, 441.
L Le Monde, 15, 29, 92, 129-130, 139, 167, 180-181, 189, 277, 318, 384, 413, 421, 436, 449.
506
M Messageries maritimes, 382. Michelin, 370. Mission administrative française, 284. Mission de contrôle, 10, 42, 208, 283-284, 329, 386.
Ν New York Times, 142, 150.
Ο Off shore (crédits), 132, 268-270, 295, 320, 338, 366. Office Indochinois des changes, 64-65, 84-85, 100, 127, 139, 308, 310-312, 316-318, 320, 332, 376, 436.
R Renault, 431, 437. Reuter, 138.
S SGCI, 97, 136-137, 169, 295, 300, 307, 339. Société des charbonnages du Dong Trieu, 28. Société des mines d'étain du Haut-Tonkin, 374. Société des plantations de Kratié, 388. Société française des Charbonnages du Tonkin, 28, 41, 376, 378. Société indochinoise d'électricité, 361, 429.
T Terres Rouges, 313, 389. Trésor (direction du), 26, 34, 82-83, 85, 100, 104, 148, 222, 238, 242, 270, 295, 305, 307, 314, 316, 319, 327-328, 348, 365, 404, 430. Trésor Indochinois, 66, 82-84, 89, 99, 111, 242-245, 289, 304, 306-307, 315, 363, 405, 409, 424, 426. Trésorerie générale de l'Indochine, 10, 35, 57, 63, 233, 306, 326, 409.
507
Y Yokohama Specie Bank, 27.
508
Table des documents
1
La première carte de l'Indochine publiée par Le Monde, le 26 juin 1946, carte 1 29
2
Billet de 500 piastres de la BIC 36
3
Le « réduit » tonkinois, carte 2 45
4
« Piastre Ho Chi Minh », billet de 1 dong 1947 52
5
Billet « Ho Chi Minh » de 100 piastres 1949 72
6
Le blocus du Transbassac, carte 3 73
7
Les fortifications de Lattre autour du delta du Tonkin, carte 4 106
8
La structure territoriale de la RDV, carte 5 121
9
L'Indochine en 1954, carte 6 163
10
Billet de 100 piastres de la Banque de l'Indochine 323
11
100 dông « Bao Dai » (1954) contre 20 dông « Ho Chi Minh » 335
12
La localisation des plantations, carte 7 369
13
Le Tonkin minier, carte 8 375
14
Indochine, carte bancaire, carte 9 390
15
L'électrification de l'Indochine, carte 10 399
16
Hydraulique agricole en Indochine, carte 11 402
17
5 dôngs « Bao Dai » ( 1953) contre 50 dông « Ho Chi Minh » (1950, émission du Sud) 418
509
Table des tableaux et graphiques
1
Les dépenses militaires supportées par la France au titre de l'Indochine, graphique 1 24
2
Les effectifs du corps expéditionnaire, tableau 1 178
3
Effectifs des armées nationales, tableau 2 184
4
L'évolution des forces armées de l'Union française, graphique 2 et tableau 3 186
5
État des pertes en Indochine (1961), tableau 4 190
6
Militaires du corps expéditionnaire tués au combat, graphique 3 190
7
Évolution des dépenses « Indochine » de la Marine et de l'armée de l'Air, graphique 4 et tableau 5. 199
8
La répartition des dépenses militaires Indochine (1953), graphique 5.. 216
9
Total des transferts d'Indochine en France de 1947 à 1952, tableau 6.. 222
10
Crédits budgétaires français employés pour la guerre d'Indochine, tableau 7 226
11
Les inscriptions budgétaires françaises pour l'Indochine, graphique 6 227
12
Couverture des dépenses de la guerre par le budget français, tableau 8 230
13
Contribution du Vietnam associé aux dépenses militaires d'Indochine, tableau 9 237
14
Le passage de relais en Indochine : du budget fédéral aux budgets nationaux, graphique 7 238
15
Les comptes spéciaux du Trésor indochinois, tableau 10 242
16
Évolution de la circulation fiduciaire en Indochine, 1945-1954, graphique 8 et tableau 11 244
17
Aide militaire américaine, tableau 12 260
18
Aide économique américaine aux États associés (programmes initiaux), tableau 13 264
19
La réalisation de l'aide économique américaine aux États associés, graphique 9 et tableau 14 265
20
L'aide américaine à la France pour l'Indochine, graphique 10 269
21
L'aide financière américaine, tableau 15 270
22
Ventilation des crédits Indochine par ministères, tableau 16 292
23
Versements effectués par le Trésor à l'Indochine, tableau 17 305
24
Évolution de la balance commerciale de l'Indochine, graphique 11 et tableau 18 309
510
25
Les relations financières entre la France et l'Indochine, graphique 12 314
26
Évolution de la charge française et de la contribution américaine aux dépenses de la guerre d'Indochine, graphique 13 354
27
Coût pour la France de la guerre d'Indochine, tableau 19 358
28
Part de la France dans le coût total de la guerre d'Indochine, graphique 14 et tableau 20 359
29
Part des crédits militaires utilisés pour l'Indochine dans le budget français, tableau 21 360
30
Dépenses diverses à intégrer dans l'évaluation du coût de la guerre, tableau 22 362
31
La part de l'aide américaine dans les dépenses, graphique 15 367
32
Évolution de la production indochinoise de caoutchouc, graphique 16 et tableau 23 373
33
Production de la Société française des Charbonnages du Tonkin, graphique 17 et tableau 24 378
34
Exportations françaises sur toutes destinations, tableau 25 379
35
Produits français exportés vers l'Indochine, tableau 26 381
36
Répartition des investissements privés français en Indochine en 1954, tableau 27 385
37
Évolution des investissements privés en Indochine, par branches, tableau 28 386
38
Crédits militaires français et coût de la guerre d'Indochine, graphique 18 393
39
Répartition des prévisions de dépenses de reconstruction, de modernisation et d'équipement, graphique 19 et tableau 29 400-401
40
Répartition des grands secteurs industriels projetés, tableau 30 403
41
Projet du budget extraordinaire et spécial pour 1948, tableau 31 406
42
Budget extraordinaire 1949-1950, tableau 32. 407
43
Répartition de la population vietnamienne selon les zones de contrôle, tableau 33 414
44
Production agricole des États associés, tableau 34 420
45
Clés de répartition entre les trois États d'Indochine, tableau 35 426
46
Production et exportation de caoutchouc au Sud-Vietnam, tableau 36 438
47
Le Sud-Vietnam dans la production mondiale de caoutchouc, tableau 37 438