La physique du XXe siècle 9782759802098

Un regard sur les progrès accomplis dans nos connaissances en sciences physiques au cours d'un XXe siècle riche en

203 28 22MB

French Pages 328 Year 2003

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Table of contents :
Sommaire
Avant-propos
Chapitre 1. Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques
Chapitre 2. La théorie de la relativité
Chapitre 3. La physique quantique
Chapitre 4. L’interprétation des concepts quantiques
Chapitre 5. Atomes et états de la matière
Chapitre 6. Matière subatomique
Chapitre 7. Matière subatomique
Chapitre 8. Systèmes dynamiques et phénomènes critiques
Chapitre 9. Dynamique de la Terre
Chapitre 10. Les objets du cosmos : planètes, étoiles, galaxies, radiations
Chapitre 11. La cosmologie contemporaine: déploiement et transformations de l’Univers
Chapitre 12. Remarques sur les recherches des origines
Chapitre 13. Objets et méthodes
Chapitre 14. Conclusion. Quelques lemons de la physique du XXe siècle et un regard vers le XXIe
Bibliographie
Index des noms de personnes
Index des notions
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La physique du XXe siècle
 9782759802098

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La physique du XX siecle

Du meme auteur Etudes d'interactions de neutrinos... (CERN 65-12, Publications du CERN, Geneve, 1965). L'etrange histoire des quanta, avec B. Hoffman, collection « Points-sciences » (Seuil, Paris, 1981); nouvelle edition augmentee en 1992. La matiere derobee. L'appropriation critique de I'objet de la physique contemporaine, Preface de L. Geymonat (Ed. des Archives Contemporaines, Paris, 1988) [Trad, en portugais, Bresil]. L'analyse critique des sciences, ou le tetraedre epistemologique (sciences, philosophic, epistemologie, histoire des sciences), collection « Conversciences » (L'Harmattan, Paris, 1990). Einstein philosophe. La physique comme pratique philosophique, collection « Philosophic d'aujourd'hui » (Presses Universitaires de France, Paris, 1993). Albert Einstein, ou la creation scientifique du monde, collection « Figures du savoir » (Belles Lettres, Paris, 1997). D'Alembert ou la raison physico-mathematique au siecle des Lumieres, collection « Figures du savoir » (Belles Lettres, Paris, 1998). Matiere et concepts. Rationalite et historicite des contenus conceptuels en physique, collection « Penser avec les sciences » (EDP-Sciences, Les Ulis, a paraitre). Edition d'ouvrages Quantum mechanics, a half century later, avec J. Leite Lopes (Reidel, Dordrecht, 1977). Les particules et I'Univers. La rencontre de la physique des particules, de I'astrophysique et de la cosmologie, avec J. Audouze, P. Musset (Presses Universitaires de France, Paris, 1990). A ciencia nas relaqoes Brasil-Franc,a (1850-1950), avec A.I. Hamburger, M.A. Dantes, P. Petitjean (Colec.ao Seminaries, EDUSP, Sao Paulo, 1996). Le droit a I'energie. Penser le XXF siecle, avec E. Malet (Editions Passages, Paris, 1996). Aux frontieres de la science, avec E. Malet (Editions Passages, Paris, 1999). Analyse et dynamique. Etudes sur I'ceuvre de d'Alembert, avec A. Michel (Presses de 1'Universite Laval, Quebec, Paris, 2002). Paul Langevin, son ceuvre et sa pensee. Science et engagement, avec B. Bensaude-Vincent, M.-C. Bustamante, O. Freire, Epistemologiques 2(1-2), (2002), numero special. Changes in interpretation and conceptual contents, avec C. Debru, Symposium at the XXIth International Congress of History of Science, Mexico, 2003.

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La physique du XX siecle Michel Paty Directeur de recherche au CNRS

17, avenue du Hoggar Pare d'activites de Courtaboeuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

« Sciences & Histoires » Collection dirigee par Benedicte Leclercq La collection Sciences & Histoires s'adresse a un public curieux de sciences. Sous la forme d'un recit ou d'une biographie, chaque volume propose un bilan des progres d'un champ scientifique, durant une per/ode donnee. Les sciences sont mises en perspective, a travers I'histoire des avancees theoriques et techniques et I'histoire des personnages qui en sont les initiateurs.

Deja paru: Leon Foucault, par William Tobin, adaptation franchise de James Lequeux

A paraitre: Le roman de la physique : de la baignoire a la pomme, par Cherif Zananiri

Conception de la couverture : Eric Sault Illustration de couverture : Cygnus Loop. ©Jeff Hester (Arizona State University) and Nasa. Portraits de la frise (de gauche a droite): Paul Langevin, Werner Heisenberg, Albert Einstein, Jean Brossel, Claude Cohen-Tannoudji.

ISBN : 2-86883-518-X Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous precedes, reserves pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de 1'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste et non destinees a une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute representation integrate, ou partielle, faite sans le consentement de 1'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinea ler de 1'article 40). Cette representation ou reproduction, par quelque precede que ce soit, constituerait done une contrefacon sanctionnee par les articles 425 et suivants du code penal. ©EDP Sciences 2003

Sommaire Avant-propos

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1 Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques 1 2 La theorie de la relativite

11

3 La physique quantique

25

4 L'interpretation des concepts quantiques

37

5 Atomes et etats de la matiere

55

6 Matiere subatomique 1. Dans le noyau de 1'atome

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7 Matiere subatomique 2. Les champs fondamentaux et leurs sources

95

8 Systemes dynamiques et phenomenes critiques

125

9 Dynamique de la Terre

155

10 Les objets du cosmos : planetes, etoiles, galaxies, radiations

169

11 La cosmologie contemporaine: deploiement et transformations de I'Univers

203

12 Remarques sur les recherches des origines

225

13 Objets et methodes

257

14 Conclusion. Quelques lemons de la physique du XXe siecle et un regard vers le XXP

269

La physique du XXe siecle

vi

Bibliographic

277

Index des noms de personnes

301

Index des notions

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Ce livre est dedie a la memoire de Andre Lagarrigue, Paul Musset, Andre Roussel, physiciens.

Avant-propos En ce debut du XXP siecle, il est possible d'avoir un regard retrospectif sur les accomplissements survenus dans nos connaissances au cours des cent dernieres annees. La physique, en particulier, a connu au cours du XXe siecle des renouvellements considerables grace aux revolutions relativiste et quantique et a 1'exploration de nouveaux domaines de la structure de la matiere inimaginables au siecle precedent: physique atomique et constitution atomique de la matiere condensee, chimie quantique, physique nucleaire et subnucleaire ou physique des particules elementaires (reunies sous le chapitre de la « physique subatomique » avec les theories recentes d'unification), astrophysique et cosmologie. D'autres descriptions ont ete renouvelees, comme celle de la physique des objets courants et les phenomenes dynamiques non-lineaires (dits « chaotiques »). La geophysique s'est developpee entre la geologic, la physique et la geographic physique, en ouvrant une nouvelle perspective sur 1'histoire de la Terre, de 1'hypothese de la derive des continents a la tectonique des plaques. Cette histoire remarquable n'est qu'un exemple, parmi de nombreux autres, des interactions de la physique avec les autres sciences. Elles vont parfois dormer naissance a de nouvelles disciplines a la jonction des anciennes, plus traditionnelles mais qui ne cessent pas, pour autant, d'exister et de fournir la base sur laquelle les nouvelles s'appuient. Tous ces developpements sont decrits dans ce livre, sur onze chapitres, dans leurs traits essentiels et en mettant en evidence les rapports interdisciplinaires qu'ils impliquent, leurs racines historiques, les nouveautes conceptuelles, ainsi que les interrogations que ces dernieres suscitent du point de vue epistemologique. Bien entendu, il ne s'agira pas d'etre exhaustifs. Nous voudrions surtout donner une idee de la dynamique de la connaissance qui a non seulement apporte de nouvelles donnees et revele de nouveaux phenomenes, mais aussi puissamment contribue a renouveler sur bien des points notre conception de la nature, et nos moyens d'approche de celle-ci. Le theme du chapitre suivant (chapitre 12), inhabituel dans un livre sur la physique, se tient a 1'interface de cette science et d'autres disciplines, comme prolongement dans une autre direction d'un theme aborde au chapitre 11 avec la cosmologie : celui des origines de la vie, a la frontiere de la physico-chimie et de la biologic. Quelques aspects de la question des origines dans son ensemble sont abordes a ce propos. On s'attend a ce que cette question, naguere suspecte a 1'esprit scientifique, se presente de maniere bien differente selon la nature de ce dont on considere 1'origine, ou les origines. On peut d'ailleurs commencer avec 1'apparition de la pensee, et notamment de la pensee reflexive qui est celle de la connaissance et se manifeste avec 1'homme (peut-on dire comment, et a quel moment ?): question qui n'est pas deplacee dans un

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La physique du XXe siecle

ouvrage sur les sciences physiques, s'il nous importe de mesurer la place originaire de rhomme dans la nature physique. La question des origines se pose de la maniere la plus concrete a partir de 1'etablissement de revolution des formes, formes du vivant en biologic, formes des objets cosmiques et de 1'Univers en cosmologie. Mais nous verrons que la question des origines de la vie se pose, dans sa localisation spatio-temporelle, d'une maniere tres differente de celle de 1'Univers, en raison, en particulier, de 1'unicite et de la totalite de ce dernier (qui definit avec lui-meme 1'espace et le temps). Le chapitre 13 est consacre a quelques elements d'information et de reflexion sur certains changements caracteristiques survenus dans les methodes de la physique. D'une part, les methodes theoriques, caracterisees par une abstraction accrue dans le recours a des theories mathematiques, semblent de plus en plus eloignees des notions communes et des intuitions familieres. D'autre part, les methodes experimentales evoluent vers la realisation de grands appareillages complexes realises a 1'aide d'importants moyens financiers, materiels et humains. Par ailleurs, 1'organisation des experiences s'effectue sur un mode qui se rapproche du mode industriel avec ses strategies, ses specialisations, ses concurrences, ses justifications et ses rapports au succes, lies a la capacite des predictions theoriques (ce qui constitue les caracteres de la « big science »). Mais c'est aussi, et en partie par cela meme, la nature des sciences physiques qui se voit questionnee d'une maniere plus forte en apparence que par le passe. Cette interrogation concerne tout d'abord leur objet, le statut de leur « formalisation » mathematique et du rapport de celle-ci a ce qui peut etre dit « physique » (pense a travers les phenomenes donnes dans 1'experience). Ces changements ont contribue a multiplier les applications de la physique et de ses techniques a d'autres sciences (par exemple, les methodes de datation, 1'utilisation des rayonnements tant en technologic qu'en medecine, 1'analyse de donnees par visualisation, de la physique des particules elementaires a 1'astrophysique de 1'Univers lointain...). Le quatorzieme et dernier chapitre reprend quelques legons du parcours effectue, et esquisse brievement quelques interrogations sur ce que seront peut-etre, ou non, les sciences et la physique au XXIe siecle. Si certaines directions peuvent etre esquissees, la connaissance scientifique, par definition, reserve les nouveautes de 1'inconnu. A la fin du XIXe siecle, a la veille des revolutions relativiste et quantique qu'il etait loin d'imaginer, le physicien Lord Rayleigh considerait que la physique etait une science presque achevee, qui comportait deux ombres seulement : la non-detection du vent d'ether et le comportement du « rayonnement noir ». Or, ces deux phenomenes, inexpliques par la physique classique d'alors, etaient gros des deux revolutions (quantique et relativiste) qui ont ensuite bouleverse cette science. Mais, en meme temps, ces deux revolutions ne surgirent pas de rien : les connaissances de 1'epoque les portaient (au moins en partie), pour ainsi dire, dans leur sein. S'il est done presomptueux de pretendre predire ce que sera la physique de demain, le regard sur celle du siecle qui vient de se terminer nous permet de risquer quelques reflexions epistemologiques pour mieux comprendre ce qui s'est reellement passe, en profondeur, dans les renouvellements de nos connaissances, en tentant d'en saisir le mouvement dans 1'ordre des significations. Cette perspective constitue, en fait, 1'axe du present ouvrage. Le texte est parfois ponctue, lorsque la necessite s'en fait sentir, notamment pour des details biographiques, de notes de bas de page. Chaque chapitre est accompagne d'encadres explicatifs et d'illustrations. Une bibliographic de textes sources et de lectures complementaires, relativement detaillee sans etre, bien entendu, exhaustive, est donnee en fin de volume, separement pour chaque chapitre.

Avant-propos

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En redigeant ce livre, je me suis efforce de le rendre lisible du plus grand nombre, sans jargon specialise ni appareil mathematique, en developpant de la maniere la plus claire possible les notions meme difficiles, dans I'intention d'en donner a comprendre les enjeux, du point de vue de la nature telle que nous la concevons et de la connaissance, sans les brouiller par des images faciles et trompeuses. Le lecteur pourra ainsi se donner une representation a son propre usage de ce qu'est cette matiere dont il est fait et dont est constitue 1'Univers ou il se trouve plonge. Le recit de ces connaissances et de leur etablissement est celui d'une aventure de 1'esprit, somme toute assez extraordinaire, qui le concerne aujourd'hui tout autant que les heros qui en ont tisse 1'histoire au long du siecle ecoule, a la suite de ceux qui les ont precedes. Puisse le lecteur partager un peu de la passion intellectuelle qui les a menes. Communiquer cette passion, et ses raisons, telle est la motivation qui me 1'a fait ecrire.

Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

Chapitre 1

Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques Sommes-nous aujourd'hui (au debut du XXP siecle) en mesure de dire ce qui aura ete important et caracteristique de telle ou telle science, d'une maniere generale et en particulier de la physique, au long du XXe siecle ? Si tel est le cas, cela suppose que notre regard actuel soit capable d'evaluer ce qui est advenu dans cette discipline pendant le siecle qui vient de s'ecouler, disons de 1900 a 2000. Cela suppose que nous soyons en mesure de dresser le tableau bien compris des connaissances acquises, du moins d'en reconnaitre les grandes lignes et les significations fondamentales. L'etablissement d'un tel tableau demande, en particulier, de ne pas s'en tenir aux seuls resultats, theoriques et experimentaux, et a leurs incidences et applications pratiques, mais de les saisir dans une certaine perspective intellectuelle. Celle-ci doit etablir le rapport de ces resultats entre eux, dans chaque grand domaine ou discipline de cette science, mais egalement dans leur ensemble, dans le champ disciplinaire denomme « la physique », en partie different de ce qu'il etait aux siecles precedents, et aussi dans ses relations avec d'autres domaines de la connaissance. L'histoire des sciences et des idees n'est pas ici a une bien meilleure enseigne que 1'histoire « tout court » (c'est-a-dire 1'histoire sociale, economique, politique), bien que 1'objet des connaissances scientifiques tienne a priori moins a la contingence des evenements purement historiques. En effet, 1'histoire des sciences n'est pas seulement celle des hommes (au sens generique!) qui font la science, mais celle des idees, « exactes » ou « objectives », de cette science, soit de la nature, soit des formes mathematiques. D'une maniere generale,

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La physique du XXe siecle

cette histoire nous enseigne que meme si Ton se croit capable de faire un tel bilan, rien ne nous dit qu'il soit vraiment definitif, car 1'avenir est ouvert : la connaissance actuelle se situe entre son passe et son futur, et les connaissances passees doivent, en regie quasi generate, faire 1'objet de reevaluations dans le temps, et meme parfois a court terme. Le rythme de ces reevaluations s'est accelere dans les derniers siecles avec les mutations sociales et le progres des connaissances dans tous les domaines. Cependant, nos connaissances « bien acquises », acceptees de maniere generale et enseignees, nous semblent souvent si assurees qu'il nous est difficile d'imaginer que celles du futur, au moins du futur immediat, ne seraient pas directement previsibles a partir d'elles. Les premiers auteurs de sciencefiction moderne (Jules Verne, Herbert-George Wells,...), meme si nous admirons leurs anticipations imaginatives et ingenieuses, nous paraissent bien timides a cote de ce que nous avons connu apres eux, et « la science depasse la fiction » dans la mesure ou la nature depasse les representations que nous nous en donnons a un stade donne, et nous oblige a les modifier. Nous pouvons penser decrire de maniere objective et directe les connaissances acquises par la physique au cours du XXe siecle et, a partir de la, prevoir quelles seront les grandes lignes de celle du siecle qui s'ouvre devant nous. Mais comment en etre surs ? Un petit apologue nous aidera a comprendre la difficulte, non seulement a anticiper nos connaissances futures mais a evaluer exactement les connaissances que nous venons d'acquerir. Imaginons qu'au lieu d'avoir a decrire 1'essentiel des connaissances en physique acquises au XXe siecle, on nous demande d'etablir un bilan de celles du siecle precedent, le XIXe. Nous aurions deux manieres possibles de repondre a une telle demande. La premiere maniere serait d'essayer de jouer « le jeu du contexte », en nous imaginant en historien scrupuleux de cette periode quand celle-ci s'acheve, et en ne tenant pas compte, par methode, des connaissances acquises posterieurement (au XXe siecle). Nous essaierions done de nous situer a la fin de 1'epoque consideree, en 1899 ou 1900. Cependant, nous seraitil possible de ne tenir absolument aucun compte de ce que nous avons appris depuis, quant a la signification des connaissances que nous avions alors? Cela ne parait pas si facile compte tenu des diversites d'appreciation de 1'importance au cours du temps de tel ou tel resultat, sur lequel les connaissances nouvelles jettent une lumiere souvent tres differente,

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et compte tenu des reorganisations parfois radicales qu'elles entrainent. Nous pouvons du moins tenter 1'exercice en nous mettant dans la position de 1'historien qui se proposerait de saisir 1'epoque etudiee comme de 1'interieur. Dans la mesure du possible, il mettrait entre parentheses ce qu'il a appris des periodes ulterieures, qui ne lui servirait, en verite, qu'a prendre un certain recul par rapport a 1'objet de sa description, a se situer par rapport a elle (et peut-etre a ajuster son objectivite a son egard). II essaierait cependant de s'en tenir strictement aux connaissances de 1'epoque et a la signification qui leur etait attribute alors. II dresserait ainsi le tableau de ces savoirs acquis, de leurs connexions entre eux, de leurs applications techniques et de ce qu'ils representaient par rapport a la culture, aux questions philosophiques, a la situation de 1'homme dans le monde et dans 1'Univers... Un bon materiau de base lui serait fourni par les bilans et les perspectives en physique, en mathematiques, en chimie, en biologic, dans les sciences de la Terre, en astronomic, qui ont ete prepares a 1'epoque par les meilleurs esprits, les meilleurs specialistes de ces disciplines. La seconde maniere de realiser une description de ce meme passe serait de la faire tout simplement a partir d'aujourd'hui, et de considerer les memes connaissances acquises au long du XIXe siecle avec cette fois le recul d'un siecle en plus. Le bilan que nous en ferions serait certainement tres different du precedent. En effet, les developpements marquants dans chaque science survenus au XXe siecle ont change les appreciations que nous faisons aujourd'hui par rapport a celle que les savants (ou le public) pouvaient en faire au XIXe siecle. Souvent, ce qui nous semble important aujourd'hui leur etait simplement inconnu ou leur paraissait de portee secondaire. Dans la plupart des cas, on ne pouvait tout simplement pas alors imaginer des elements fondamentaux des connaissances futures qui devaient bouleverser les manieres de voir les plus courantes. Par exemple, considerons les proprietes du champ (electrique ou magnetique), representees par des equations differentielles partielles, desormais sans le support d'un ether materiel comme milieu continu : alors que ce dernier paraissait necessaire pour penser ces champs avant la theorie de la relativite restreinte, nous nous en passons tres bien depuis. Ou encore, prenons 1'age de la Terre (objet de speculations a la fin du XIXe siecle) en fonction des connaissances de 1'epoque, notamment en thermodynamique : dans une perspective de refroidissement, sans apport significant d'energie,

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Figure 1.1. Ages de la terre proposes par differents physiciens et geologues.

on envisageait 1'histoire de la Terre comme celle d'une suite de contractions, et 1'age qui lui etait ainsi attribue la rajeunissait considerablement par rapport aux quelques quatre milliards d'annees environ que la science d'aujourd'hui lui octroie. La physique apporta, dans les premieres annees du XXe siecle, la connaissance de sources d'energie terrestre internes tres grandes, avec la radioactivite naturelle, d'ou resultait la possibilite de transformations dynamiques. L'observation de la complementarite des cotes de 1'Afrique occidentale et de 1'Amerique du Sud orientale (Bresil et Argentine), notee des la fin du siecle precedent, jointe a la decouverte plus recente de 1'expansion des fonds oceaniques, conduisit a une theorie de la derive des continents fondee sur la tectonique des plaques. Tres assuree aujourd'hui, elle serait apparue proprement impossible il y a cent ans. De meme, les estimations sur la duree de « vie » du Soleil (calculees par William Thomson, Lord Kelvin), dans une perspective de combustion chimique, etaient sans commune mesure avec celle que devait fournir la connaissance de 1'energie degagee dans les reactions de fusion nucleaire produites au sein de notre etoile. On pourrait evoquer aussi bien d'autres sciences. Par exemple, les statistiques genetiques faites sur des petits pois par Gregor Mendel a la fin du XIXe siecle, qui interessaient peu et pouvaient etre vues au mieux comme un passe-temps de moine-jardinier: les lois de la genetique selon la biologic moleculaire developpee dans la seconde moitie du XXe siecle donnaient la raison profonde de ce qui n'etait jusqu'alors apparu a la plupart que comme une curiosite sans grande consequence. Desormais les lois de Mendel, passees quasiment inapergues au debut, sont considerees comme 1'une des acquisitions les plus importantes de la biologie de la fin du XIXe siecle.

Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques

Considerons encore la question des fondements logiques des mathematiques, de Gottlob Frege et Bertrand Russell a Kurt Godel, qui a connu un renversement fulgurant de perspective : le celebre theoreme du a ce dernier exclut de pouvoir fonder rationnellement les mathematiques (meme les plus simples, comme I'arithmetique) sur la seule logique. Nous pourrions aussi evoquer les developpements technologiques qui ont suivi les avancees de la physique et qui ont modifie notre environnement quotidien et nos conditions de vie (de 1'energie nucleaire aux rayons laser, a 1'electronique des ordinateurs, a la chirurgie de haute precision, aux voyages dans 1'espace...). Ces evocations suffisent a montrer combien les developpements les plus marquants qui ont surgi au XXe siecle etaient assurement imprevisibles, meme s'ils n'etaient pas tous et totalement impensables a strictement parler. Ceux qui 1'etaient se sont developpes a partir de germes deja presents dans les connaissances acquises, mais selon des modalites qui n'etaient elles-memes pas totalement previsibles: elles impliquaient necessairement d'autres developpements dont on pouvait difficilement se faire alors une idee precise. Les sciences sont liees entre elles, et les transformations des connaissances et des techniques se deploient en etroite correlation. Pour pouvoir predire ce que les unes et les autres seront, il faudrait dominer en meme temps la connaissance de tous ces fronts. Toutefois cela resterait encore insuffisant, car 1'essence de 1'inconnu c'est precisement de ne pas exister encore dans 1'espace de la connaissance. Et 1'essence de la science c'est, pour ainsi dire, d'elargir et de renouveler cet espace en faisant advenir le « nouveau », qu'il f aut d'abord reconnaitre comme tel, puis qui fait voir 1'ensemble des connaissances, anciennes et nouvelles, sous un autre jour. La comparaison des deux manieres de decrire les connaissances du passe, Timmediate sur le vifde 1'epoque et la plus lointaine disposant du recul, nous montre la relativite des points de vue, et comment notre appreciation des connaissances est dependante de 1'histoire. Mais cette relativite des connaissances et de leur evaluation n'est pas « absolue », elle n'est pas la seule chose que 1'on puisse en dire. Le caractere historique de ces connaissances, qui tient a ce qu'elles sont produites par des etres humains, eux-memes inscrits dans une existence sociale et historique, n'efface pas leurs contenus. Pour mesurer la dependance temporelle de nos jugements sur les connaissances, nous pourrions aussi reproduire notre exercice de pensee en examinant les acquis du passe par sauts de

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siecle en siecle. Les travaux des historiens des sciences, comme materiaux de base, s'ajouteraient a la comparaison des reevaluations posterieures successives. Ce serait sans doute une excellente methode pour evaluer ce « progres des connaissances » dont on parle et pour comprendre ses caracteristiques. Nous observerions, en particulier, des reorganisations periodiques des savoirs eux-memes, et leur solidarite avec des changements de perspectives plus generaux, d'ordre reflexif (ou epistemologique), philosophique, culturel,... Ce n'est pas mon propos d'effectuer ici de telles analyses. Par 1'apologue des differents regards que Ton peut porter sur une science du passe, je ne voulais que faire remarquer comment, en matiere de connaissances, et particulierement de connaissances scientifiques, non seulement le futur nous reste imprevisible, mais le passe lui-meme ne nous est pas immediatement transparent, meme a la lumiere des connaissances ulterieures. De meme, a propos des connaissances, nous avons vu se poser des questions comme celles de la verite, de 1'objectivite, de la nouveaute, de la signification, de I'universalite, du caractere provisoire et relatif, du progres. Ce sont des questions fort generates, certes, qui debordent les connaissances scientifiques, du moins en ce qui concerne leur description et leurs contenus. Mais, sans de telles notions, qui servent pour ainsi dire de referent aux contenus des connaissances, celles-ci ne signifieraient rien, nous ne saurions pas vraiment de quoi nous parlons; en meme temps, notre apologue les met elles-memes en question, les soumet a un doute generalise. Cependant, ce doute est tempere par la conviction intime (plus ou moins ferme car parfois contestee sur des points de detail) que les connaissances d'aujourd'hui sont meilleures, plus riches et plus fines que celles d'hier, en gardant d'ailleurs ce qui etait assure : et si elles le transforment, c'est en 1'elargissant. Le savoir (comme etat des connaissances) est cumulatif et se prete a 1'idee de progres : mais on ne saurait etendre sans autre examen cette consideration aux autres dimensions de I'histoire humaine. Ainsi, la comprehension des raisons profondes des contenus de nos connaissances nous vient, en definitive, a mesure que celles-ci progressent, autrement dit : le sens advient au passe du futur. La proposition parait hardie, et elle Test en effet, mais elle ne fait que refleter 1'idee meme de progres des connaissances. Car, a y bien reflechir, n'est-ce pas la seule maniere de concevoir que la pensee humaine puisse s'approprier le monde (la nature), en se nourrissant de ce qu'il est,

Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques

transformant en connaissance rationnelle ce qui nous etait inconnu et qui nous vient d'abord empiriquement, ensuite progressivement assimile par 1'exercice de la raison ? Mais ce mouvement en avant qui nous entraine, qui entraine la pensee et la rationalite elargie a de nouvelles perspectives, n'est en meme temps possible que parce que ces connaissances, a chaque etape, font sens et contiennent leur propre signification. Nous en jugeons selon la raison, et notre recherche, motivee par la conscience des limites de notre savoir, nous porte a ce depassement de la raison par elle-meme, selon ses propres exigences. Ceci nous montre aussi que la reflexion sur les sciences dans leur histoire rejoint les plus hautes questions de la philosophic. Mais ce n'est pas sur celles-ci que portera la suite. Nous nous en tiendrons modestement a 1'expose de resultats de la physique, en ne les accompagnant de reflexions epistemologiques ou philosophiques que dans la mesure ou celles-ci seront strictement necessaires... Libre ensuite au lecteur de les prolonger a sa guise. Notre apologue demontre combien, en tentant de dresser un tableau des connaissances acquises en physique au cours du siecle ecoule (desormais, le XXe siecle), nous avons conscience de ses limites, le nez colle sur des donnees sans doute trop recentes pour pouvoir etre encore pleinement evaluees. II est cependant utile de se proposer un tel regard en arriere, juste apres cette etape franchie (le dernier siecle du second millenaire). Certes, les siecles qui se succedent ne sont separes les uns des autres que par la convention du calendrier : les periodes ne sont que les coordonnees de 1'histoire, et toute autre division serait aussi legitime. Le choix d'un siecle est celui que Ton fait habituellement, et c'est un fait culturel dont il n'est pas denue de sens de tenir compte. Nous attachons bien de 1'importance aux anniversaires : en voici un, du moins, commun a beaucoup, sinon a tous, embarques que nous sommes dans une histoire de plus en plus partagee (ou subie). Or, lorsque nous evoquons le XXe siecle, ce sont d'abord les bouleversements de 1'histoire de la planete qui nous saisissent. Les deux grands conflits mondiaux en ont marque la premiere moitie. Le premier (la Grande Guerre de 1914-1918) a certainement constitue une rupture bien plus grande avec la periode qui a precede que le tournant proprement du XIXe au XXe siecle, a tel point que 1'historien britannique Eric Hobsbawn fait commencer le XXe siecle en 1918, pour ce qui est des mouvements de 1'histoire. Bien que nous ne voulions pas traiter

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Figure 1.2. Schema de la courbure des rayons lumineux provenant d'etoiles.

ici de 1'histoire (pas plus que des grandes conceptions philosophiques), nous ne pouvons eviter d'en evoquer des aspects dans cette introduction. Car c'est d'une maniere speciale que 1'histoire a marque le renouvellement des idees en physique au debut du XXe siecle. Au moment meme ou la Premiere Guerre mondiale faisait rage, temoignant de la folie des peuples, de nouvelles connaissances scientifiques prenaient forme. Elles allaient bouleverser, plus que ce ne fut jamais le cas avec une telle rapidite dans 1'histoire de 1'humanite, 1'image que 1'homme se faisait du monde, ainsi que sa propre image et ses conceptions sur la connaissance. Lorsque les fumees du grand affrontement meurtrier se dissiperent, ce fut par bien des aspects un nouveau paysage qui s'offrit a la vue, sur un horizon immensement elargi. La modification la plus grandiose et la plus surprenante, qui suscita des debats passionnes et la fascination de beaucoup, concernait la vision du monde physique et de 1'Univers. L'expedition scientifique menee en mai 1919 en Guinee et au Bresil, sous la direction de 1'astronome Arthur Eddington (1882-1944) et commanditee par la Royal Society et la Royal Astronomical Society de Londres, pour observer une eclipse de Soleil a 1'equateur etait en elle-meme tout un symbole. Son enjeu depassait de loin la seule connaissance astrophysique de la couronne et des eruptions solaires, puisque son but principal etait 1'observation d'une eventuelle courbure des rayons lumineux provenant d'etoiles lorsqu'ils passent a proximite du Soleil. Cette propriete signifiait que 1'espace est courbe par les grandes masses de matiere qu'il contient et constituait 1'une des principales consequences de la theorie de la relativite generale, presentee par Albert Einstein (1879-1955) a 1'Academie des sciences de Berlin des la fin de 1'annee 1915. La theorie de la relativite d'Einstein modifiait en profondeur les concepts physiques d'espace et de temps et obligeait, en meme temps, a rectifier la maniere dont les physiciens les apprehendaient depuis plus de deux cents ans, selon une sorte d'evidence intuitive. En meme temps, la cosmologie mettait en quelque sorte 1'Univers tout entier a portee de la main des savants, qui decouvraient son immensite et, peu apres, son mouvement d'expansion. Les annees de la fin de la Grande Guerre de 1914-1918 virent encore une phase decisive d'une autre revolution. Celle-ci etait peut-etre plus radicale puisqu'elle concernait la connaissance de la matiere « commune » dans sa structure intime, atomique d'abord, subatomique ensuite (cette derniere surtout a partir de la fin de la Seconde

Renouveaux conceptuels et transformation des sciences physiques

Guerre mondiale): la physique quantique, dont la pleine puissance s'etablit a partir des annees 1930. C'est aussi des cette periode que quelques savants, s'appuyant sur des resultats anterieurement obtenus par Henri Poincare (1854-1912), commencerent a explorer les systemes dynamiques, d'abord d'un point de vue mathematique, et plus tard egalement d'un point de vue physique. Ces etudes allaient dormer lieu, a partir des annees 1960, aux conceptions sur le « chaos deterministe ». Tous les autres domaines de la science, et particulierement les autres sciences exactes ou de la Nature, connurent a cette epoque-la des renouvellements considerables. Dans les sciences dites formelles, comme les diverses branches des mathematiques et la logique, les transformations affecterent jusqu'aux questions de leurs fondements memes, tandis que le calcul operationnel et 1'informatique commenc.aient a prendre leur essor, qui s'accomplirait apres la Seconde Guerre mondiale. Dans les sciences de la Nature, a cote de la physique, la chimie subissait les contrecoups de la revolution quantique, la biologic inventoriait les implications de la theorie darwinienne de 1'evolution, developpait 1'immunologie et la genetique et posait bientot les jalons de 1'approche biomoleculaire qui triompherait dans les annees 1950, tandis que la neurophysiologie, beneficiant des techniques physico-chimiques les plus recentes, connaissait a partir des annees 1980 un developpement notable qui entraina 1'essor des sciences cognitives. En geologic, la theorie de la derive des continents, confirmant les vues pionnieres emises des 1912 par Alfred Wegener (18801930) mais alors rejetees, allait s'averer cinquante ans apres comme une autre revolution majeure de notre « image du monde ». Ses lemons convergeaient avec celles d'autres disciplines qui parlaient d'evolution de 1'Univers, de « vie et mort» des etoiles ou s'elaborent les elements chimiques, d'evolution et de naissance de la vie, pour enseigner que la matiere cosmique, physique, chimique, biologique, est le siege de processus de geneses de formes et de modifications incessantes; et pour demontrer que 1'etoffe dont sont constitues la matiere (inanimee ou vivante) et I'Univers est une, et que tous ces processus s'enchainent les uns aux autres. A 1'instar de ces plaques continentales qui glissent et basculent 1'une sous 1'autre, en faisant surgir, dans la longue patience de centaines de milliers et de millions d'annees, les nouvelles configurations du globe sous nos pieds, les nouvelles sciences frontieres apparaissaient des lors comme les lieux ou se devoilent et se determinent de maniere fondamentale les perspectives qui renouvellent nos connaissances.

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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

Chapitre 2

La theorie de la relativite La theorie de la relativite, de veloppee au debut du siecle, comporte deux etapes. La premiere, la relativite restreinte, est nee de la necessite de rendre compatibles entre elles deux sciences bien etablies : la mecanique des corps materiels et la dynamique des champs electromagnetiques. En exprimant 1'invariance des lois physiques dans les mouvements rectilignes uniformes - ou d'inertie -, cette theorie correspond a une modification des concepts d'espace et de temps par rapport a leur definition admise depuis Newton : ils ne sont plus independants et absolus mais seulement relatifs, tout comme la notion de simultaneity, au referentiel de coordonnees spatiales et de temps auquel on les rapporte. Leur relation etroite s'exprime sous la forme d'un nouveau concept physico-mathematique, Yespace-temps a quatre dimensions. La masse est une forme d'energie, ce que traduit la formule E = me2, formule devenue celebre par sa verification et son utilisation dans les reactions nucleaires. La deuxieme etape, la theorie de la relativite generale, a resulte de deux considerations principales : le caractere arbitraire de la restriction des invariances physiques aux seuls mouvements d'inertie, qui suggerait leur extension possible aux mouvements acceleres les plus generaux; et 1'egalite de 1'acceleration locale des corps dans un champ de gravitation loi de Galilee de la chute des corps -, erigee par Einstein en principe d'equivalence entre un champ de gravitation et un mouvement accelere. La theorie, developpee sur ces bases a 1'aide du formalisme mathematique de 1'espace-temps et du calcul differentiel absolu - calcul tensoriel -, permit d'exprimer une nouvelle theorie relativiste generalisee de la gravitation donnant la structure de 1'espace-temps, pour des espaces physiques desormais non-euclidiens et des temps non-unif ormes : la courbure de 1'espace est determinee par les masses qu'il contient et par les champs de gravitation dont ces masses sont les sources.

Figure 2.1. Albert Einstein (1879-1955).

La physique du XXe siecle

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Ces deux etapes de la theorie de la relativite sont dues en premier lieu aux travaux d'Albert Einstein, dans la logique d'un mouvement de pensee axe autour de 1'idee d'invariance des lois physiques dans les transformations dues aux mouvements relatifs, et de la critique dans cette perspective des theories physiques existantes et de leurs concepts. De cette maniere, la theorie de la relativite restreinte est apparue apres coup - comme preparatoire a la theorie de la relativite generate. L'originalite fonciere de la seconde, qui germa dans le cerveau d'Einstein, confirma et radicalisa 1'idee forte deja presente dans la premiere, a savoir la necessite de modifier les concepts d'espace et de temps et de leur octroyer un contenu physique dicte par les proprietes generates de la matiere, telles qu'elles s'expriment par 1'enonce de principes physiques propres a ces theories.

Relativite restreinte Certains aspects de la relativite restreinte furent egalement acquis par d'autres travaux qui preparerent ou accompagnerent les recherches d'Einstein, au premier rang desquels ceux d'Hendryk A. Lorentz et d'Henri Poincare1. Ceux-ci formulerent les proprietes d'une dynamique electromagnetique dont les equations etaient semblables a celles d'Einstein, mais pour des contenus conceptuels sensiblement differents. Les formules de transformation des coordonnees d'espace et du temps (denommees par Poincare « transformations de Lorentz »), necessities selon eux par la dynamique electromagnetique, pouvaient encore coexister avec la conception d'un espace physique - Tether au repos - et d'un temps absolus conformes a ceux de la mecanique classique newtonienne. La theorie d'Einstein, publiee en 1905, concernait egalement au depart « 1'electrodynamique des corps en mouvement », theorie qu'elle se proposait de reformer pour la mettre 1 Hendryk Antoon Lorentz (1853-1928), physicien neerlandais, auteur de la theorie des electrons fondee sur la theorie electromagnetique de Maxwell, qui prevoyait, entre autres, la decomposition des raies spectrales dans un champ magnetique (1'effet Zeeman), observee en 1896 par Peter Zeeman (physicien neerlandais, 1865-1943), et prix Nobel de physique avec Lorentz en 1902; Henri Poincare (1854-1912), mathematicien, physicien et philosophe, inventeur des fonctions automorphes, 1'un des fondateurs de la topologie, fit faire des avancees decisives a la geometrie analytique, a I'etude des equations differentielles et a la mecanique celeste: sa solution nouvelle du probleme des trois corps lui valut le Grand Prix du Roi de Suede en Janvier 1889. II formula egalement une theorie relativiste de 1'electrodynamique proche a certains egards de la relativite restreinte d'Einstein.

La theorie de la relativite

en conformite avec le « principe de relativite », enonc,ant que les lois des phenomenes physiques ne dependent pas du mouvement - rectiligne et uniforme, ou « d'inertie » - des corps qui sont le siege de ces phenomenes. Pour y parvenir, Einstein proceda en realite a une reforme plus vaste, depassant le projet initial, parvenant a ce que 1'on appellerait la theorie de la relativite (restreinte), qui exprime une condition d'invariance - plus exactement de covariance2 - non rattachee a une dynamique particuliere, mais obligeant toute dynamique. La validite du principe de relativite, considere jusqu'alors comme verifiee pour la mecanique, lui paraissait devoir etre etendue a 1'optique et a I'electromagnetisme, pour des raisons a la fois empiriques et theoriques. Les raisons « empiriques » etaient, en fait, des generalisations de resultats d'experiences portant sur des ensembles de phenomenes averes plutot que sur des observations singulieres. Elles concernaient les phenomenes optiques et plus generalement les phenomenes electromagnetiques. Les resultats d'observations astronomiques en optique sur 1'absence d'« anisotropie terrestre » - impossibilite de mettre en evidence le mouvement absolu de la Terre concordaient en faveur d'un tel principe. La plus ancienne de ces observations astronomiques etait l'« aberration des etoiles », qui remontait au XVIIF siecle : 1'astronome James Bradley3 avait observe dans le ciel que la position des etoiles fixes vues de la Terre varie avec le mouvement annuel de celle-ci autour du Soleil, et de la meme fac.on pour toutes les etoiles. Bradley comprit que cet effet etait du a la vitesse finie de la lumiere : la direction apparente de 1'etoile fixee par la lunette est modifiee par 1'effet conjoint de la vitesse de deplacement de la Terre et de celle de la lumiere. Au cours d'une annee, la position de 1'etoile decrit une petite ellipse tres proche d'un cercle de diametre angulaire a = v/c, a etant dit « parametre d'aberration », ou simplement « aberration ». Une autre observation astronomique, faite par Francois Arago4 en 1810, avait etabli que Tangle de refraction de la lumiere provenant d'etoiles et tombant sur un prisme n'est pas modifie par le mouvement d'entrainement de la Terre. Cette observation etait en contradiction avec 1'idee, admise depuis Newton, que la lumiere etait faite de corpuscules: leurs La covariance, pour une grandeur donnee, indique la forme de sa transformation par le changement de repere spatio-temporel. 3 4

James Bradley (1683-1762), astronome britannique.

Francois Arago (1786-1853), astronome et physicien franijais, fut egalement un homme politique.

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La physique du XXe siecle

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vitesses, supposees differentes en fonction de leur processus d'emission (par exemple, si Tetoile source est plus ou moins massive), auraient du etre modifiees par le mouvement de la Terre, et Tangle de refraction avec elle.

Figure 2.2. Hendryk Antoon Lorentz (1853-1928).

Dans la theorie ondulatoire de la lumiere, proposee par Augustin Fresnel5, la lumiere etait composee d'oscillations periodiques d'un milieu, I'ether, immobile dans 1'espace absolu : ces oscillations se propageaient dans 1'espace vide a la meme vitesse (la vitesse de la lumiere dans le vide, c). Cette theorie rendait naturellement compte de 1'aberration, mais demandait une hypothese supplementaire pour s'accorder avec le resultat d'Arago. En effet, il fallait admettre qu'en traversant des corps refringents (d'indice de refraction ri) entraines dans un mouvement (de vitesse v), la lumiere subissait une petite modification de sa vitesse en fonction de la vitesse d'entrainement. La modification se traduisait par un « coefficient de Fresnel », propose par ce dernier en 1818, et explique par lui comme resultant d'un « entrainement partiel de I'ether » par les corps qui le traversaient6. Cette modification de la vitesse de la lumiere dans les corps refringents en mouvement compensait ainsi 1'effet suppose du mouvement sur la refraction, laissant en definitive la loi de refraction inchangee. La formule de Fresnel de l'« entrainement partiel de I'ether » fut verifiee par la suite, avec une experience fondamentale faite par Hippolyte Fizeau7 en 1851 sur la vitesse de la lumiere dans un milieu refringent entraine. Cette experience « materialisait » la formule de Fresnel par un rayon lumineux, divise pour traverser un double tube a air et a courant d'eau (d'indice n, de vitesse v), puis se recombinant en formant une figure d'interferences. L'inversion du sens du courant d'eau produisait un deplacement des franges dont la formule de Fresnel rendait bien compte. L'effet du mouvement est « au premier ordre », c'est-a-dire proportionnel a la quantite v/c (appelee egalement « aberration »). Par ailleurs, cette experience eliminait completement 1'eventualite d'un entrainement total de I'ether, qui avait fait 1'objet de theories

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Augustin Fresnel (1788-1827), physicien frangais.

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La vitesse de la lumiere dans un milieu refringent d'indice n au repos par rapport a 1'ether est V = c/n. Lorsque le milieu refringent est en mouvement avec la vitesse v, elle devient V = c/n ± av (avec a = 1 - 1/n2). a est le « coefficient de Fresnel ». 7

Hippolyte Fizeau (1819-1896), physicien frangais.

La theorie de la relativite

alternatives a celles de Fresnel et de Maxwell-Lorentz (comme celles de George G. Stokes et de Heinrich Hertz8). D'autres experiences furent ensuite entreprises pour deceler une variation des lois de 1'optique en fonction du mouvement et mettre ainsi en evidence une difference de ces lois pour le repos et pour le mouvement. Le mouvement etait celui de la Terre dans sa course annuelle autour du Soleil; les sources lumineuses utilisees etaient soit des sources terrestres, soit la lumiere solaire reflechie par un miroir. Certaines experiences etaient au « premier ordre » (comme celle de Fizeau) : par exemple, celles effectuees par Eleuthere Mascart en 18749 sur 1'ensemble des phenomenes optiques entraines dans le mouvement de la Terre (diffraction, refraction, double refraction, polarisation rotatoire). D'autres etaient au « second ordre » et de tres haute precision, comme celle d'interferences optiques de Michelson et Morley, realisee en 188610. Le resultat net de toutes ces experiences etait 1'impossibilite de mettre en evidence le mouvement d'ensemble d'un systeme optique (source, reseau ou instrument optique, recepteur, observateur) entraine dans le mouvement terrestre. Dans tous les cas, une compensation avait lieu : elle s'expliquait par la prise en compte de 1'effet Doppler-Fizeau sur la longueur d'onde11 et par le coefficient de Fresnel pour la refraction. A 1'epoque, les physiciens faisaient une distinction entre les experiences au premier ordre (comme celles de Fizeau et de Mascart) et celles au second ordre ou aux ordres superieurs (comme celle de Michelson et Morley12). Pour sa part, George Gabriel Stokes (1819-1903), mathematicien et physicien britannique. Heinrich Hertz (1857-1874), physicien allemand, decouvrit les ondes electromagnetiques et montra, en 1888, qu'elles suivent les memes lois que la lumiere. II fut egalement le premier a observer 1'effet photoelectrique. 9

Eleuthere Mascart (1837-1908)," physicien frangais, professeur au College de France. 10

Albert Michelson (1852-1931), Edward Williams Morley (1838-1923), physiciens americains. Michelson recut le prix Nobel de physique en 1907. 11 L'effet Doppler-Fizeau est la modification de la frequence apparente d'une vibration pour un observateur (ou systeme de reference) en mouvement rela tif par rapport a la source. Constate en 1842 pour les vibrations sonores par Christian Doppler (physicien autrichien, 1803-1853), il fut etendu aux vibrations lumineuses par Fizeau. 12 La theorie des electrons de Lorentz (1895) obtenait le coefficient de Fresnel par deduction et rendait done naturellement compte de 1'experience de Fizeau. Toutefois les effets du second ordre restaient inexpliques, a moins de postuler une contraction des longueurs dans la direction du mouvement, comme 1'admirent Lorentz et Poincare. C'est sur cette hypothese que Lorentz et Poincare fonderent leurs theories de 1'electrodynamique des corps en mouvement, paralleles a celle d'Einstein. Us la generalisaient en posant les

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La physique du XXe siecle

Einstein ne pretait pas une attention particuliere a cette difference : le fait important lui paraissait etre la soumission des phenomenes optiques a ce qu'il appela le « principe de relativite », c'est-a-dire qu'ils ne permettaient pas de juger si un systeme physique est en repos ou en mouvement. La relativite du mouvement etait constatee par ailleurs de maniere generale pour tous les phenomenes qui relevent de la mecanique. En ce qui concerne les phenomenes optiques et electromagnetiques, rien n'indiquait a priori qu'il devait en aller de meme: il semblait plutot que ce devait etre le contraire puisque le siege de ces phenomenes etait suppose etre Tether en repos absolu. En optique, il fallait cependant admettre que des compensations aux effets de mouvement absolu soient telles que Ton ne puisse constater que des mouvements relatifs. Pour Einstein, cela ne paraissait pas tres raisonnable : selon lui, il valait mieux considerer que 1'optique toute entiere obeissait aussi au « principe de relativite », bien que la theorie presente y fut contraire. Quant aux autres phenomenes electromagnetiques, Einstein remarquait qu'ils restaient eux aussi les memes lorsque des mouvements relatifs etaient inverses, a 1'exemple de 1'induction electrique - ou un courant est engendre dans un circuit ferme situe dans un champ magnetique, que ce soit le circuit qui se meuve ou que ce soit 1'aimant, 1'autre restant immobile. La theorie rendant compte de ces phenomenes la theorie du champ electromagnetique issue des travaux de James Clerk Maxwell13 completee par la theorie des electrons de Lorentz - ne respectait pas cette symetrie. Ainsi 1'apparition d'un courant induit avait deux explications differentes selon les cas et il fallait done modifier la theorie a cet egard14. Si la theorie de Maxwell-Lorentz restait insatisfaisante, c'est qu'elle gardait un systeme de reference privilegie - le systeme en repos de Vether. II fallait formuler une « electrodynamique des corps en mouvement» qui concilie le principe de relativite « formulas de transformations de Lorentz ». Dans la theorie d'Einstein, au contraire, les formules de transformations et leur consequence, la contraction des longueurs, sont deduites a partir des principes adoptes d'emblee. 13 James Clerk Maxwell (1831-1879), physicien britannique. 14 Selon la theorie electromagnetique de Maxwell dans sa formulation prerelativiste, lorsqu'un circuit electrique ferme est en mouvement dans un champ magnetique au repos, il se cree une force electromotrice qui engendre un courant electrique. Lorsque c'est le champ magnetique qui est en mouvement (avec 1'aimant), il apparait un courant induit dans le circuit electrique au repos. Les effets etaient les memes, mais les raisons theoriques en etaient differentes.

La theorie de la relativite

et la propriete la plus fondamentale de la theorie electromagnetique de Maxwell : a savoir la Constance de la vitesse de la lumiere - onde electromagnetique - independamment du mouvement de sa source. En raisonnant ainsi, Einstein posait le probleme theorique en termes d'une reforme des deux theories en jeu 1'une par 1'autre : la mecanique - science du mouvement des corps et I'electromagnetisme, chacune representee par un principe physique de validite universelle, a savoir le principe de relativite pour la premiere et le principe de Constance de la vitesse de la lumiere pour la seconde. Ces deux principes, etant universels, devaient etre respectes par tous les phenomenes physiques. Cette maniere originale d'enoncer le probleme de la reforme theorique indiquait d'emblee sa difficulte fondamentale : ces deux principes etaient incompatibles en apparence. En effet, la vitesse de la lumiere etant constante dans un referentiel en repos absolu (1'ether, son support suppose), elle devait etre differente dans tout systeme en mouvement par rapport a ce dernier, contrairement aux exigences du principe de relativite. Toutefois, Einstein montra que ces deux principes etaient incompatibles seulement parce que Ton admettait implicitement que les vitesses de deux mouvements (ici, celui de la lumiere et celui du referentiel) se composent suivant la loi galileenne d'addition selon les trois coordonnees (V = v + c, v etant la vitesse du repere en mouvement). II etait possible d'admettre les deux principes physiques choisis comme fondamentaux a condition d'abandonner cette relation de la mecanique classique. La vitesse etant toujours definie comme le rapport de la distance parcourue au temps mis pour la parcourir, il fallait done s'interroger sur la signification physique de 1'espace et du temps dans leur relation mutuelle. Inspire par les reflexions anterieurement proposees par Ernst Mach15 et par Poincare - notamment sur le caractere subjectif de la simultaneite -, Einstein se mit en devoir d'examiner les concepts d'espace et de temps en tant que grandeurs physiques dans des relations de phenomenes. L'analyse de la notion de simultaneite pour des evenements 1'amena a preciser la signification physique des coordonnees d'espace - liees a un referentiel congu sur le mode de regies rigides16 - et du temps - lie a des indications d'horloges. Le passage d'un point de 1'espace a un autre et d'un instant a un autre implique la consideration de phenomenes physiques agissant entre ces 15

Ernst Mach (1838-1916), physicien et epistemologue autrichien.

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Definies pour un espace euclidien.

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Figure 2.3. Paul Langevin (1872-1946).

espaces et ces temps - par exemple, une transmission de signal lumineux. Ces actions ont toujours lieu en un temps fini, et non pas instantanement comme dans la mecanique newtonienne, et ce que Ton appelle « simultaneite » est done toujours relative au referentiel considere. D'un autre cote, ces phenomenes physiques doivent etre soumis aux deux principes de validite universelle admis au depart. Einstein deduisit directement de ces considerations les formules de passage d'un systeme de coordonnees et de temps a un autre en mouvement relatif - les transformations de Lorentz -, faisant apparaitre une dependance mutuelle des coordonnees d'espace et du temps. De ces formules resultait une nouvelle loi - relativiste - de composition des vitesses, differente de 1'addition galileenne, qui assurait la Constance de la vitesse de la lumiere quand on la composait avec toute autre vitesse, et en faisait desormais une limite absolue17. II en resultait aussi la parfaite syrnetrie des mouvements relatifs et la perte du privilege de Vether en repos en tant que referentiel. La notion meme d'un ether, conc.u jusqu'alors comme une sorte d'intermediaire entre la matiere et 1'espace, et qui semblait indispensable comme support de la propagation de la lumiere et des champs electriques et magnetiques, etait devenue inutile. Les nouvelles proprietes cinematiques des distances dans des referentiels en mouvement relatif (contraction dans le sens du mouvement) et des durees (dilatation) expriment la relativite du temps et de 1'espace et assurent que ces deux grandeurs possedent une signification physique. En particulier, la dilatation des durees correspond a des battements differents d'horloges dans des systemes en mouvement relatif, comme Einstein le specifia des son article de 1905. Paul Langevin18 en fit quelque temps plus tard 1'argument de son « experience de pensee » de deux jumeaux qui se retrouvent avec des ages differents au terme du voyage cosmique de 1'un d'eux (1'autre etant reste sur Terre). Le voyageur a vieilli moins vite que son frere reste au repos19. De meme, des particules de courte duree de vie dans leur systeme propre, produites dans I'atmosphere par interactions 17

Figure 2.4. Experience des deux jumeaux de Paul Langevin. Le voyageur parti dans 1'espace a vecu un temps dilate en comparaison de celui vecu par son f rere jumeau reste sur Terre: il a done vieilli moins vite.

u+v Pour deux vitesses colineaires, w et v. leur composition est V = ,l+uv/c . ,. r 2 Si 1'une d'elles est la vitesse de la lumiere, u - c, cela donne V = c. 18 Paul Langevin (1872-1946), physicien franc.ais, professeur au College de France. 19

Le fait que le jumeau voyageur ait du changer de referentiel en entreprenant son voyage de retour (en inversant sa vitesse) introduit un repere absolu qui rompt la symetrie des mouvement relatifs existant entre deux systemes seulement (ici, il y en a trois).

La theorie de la relativite

de rayons cosmiques, peuvent parvenir sur Terre, parce que leur temps de vie vu du laboratoire (terrestre) est augmente (par rapport a leur temps de vie propre) en raison de la vitesse de leur mouvement. Ou encore, les particules de haute energie produites dans des accelerateurs ont leur duree de vie allongee dans le systeme au repos relatif dans lequel elles sont detectees. De telles experiences ont ete realisees bien apres la formulation de la theorie de la relativite restreinte, dont elles sont 1'illustration directe : elles sont d'usage courant aujourd'hui, ce qui a contribue a familiariser les physiciens avec ces notions qui leur sont devenues desormais intuitives. Nous avons mentionne plus haut la relation entre la masse et 1'energie : elle est une consequence de la nouvelle cinematique et s'applique a tout element de matiere. Elle est plus sensible lorsque les energies ou les echanges d'energie sont eleves, comme dans les disintegrations radioactives ou les reactions nucleaires, mais elle est generale. Ces dernieres annees, elle a ete constatee dans certaines reactions chimiques pour des elements situes dans les dernieres colonnes de la classification periodique, ou les energies de liaison des couches atomiques internes sont elevees. L'essentiel de la theorie de la relativite restreinte d'Einstein est contenu dans les proprietes que nous venons d'indiquer : elles concernent une nouvelle « cinematique », c'est-a-dire une nouvelle fac,on de concevoir et de formuler les proprietes generales du mouvement des corps dans 1'espace et dans le temps. Ce mouvement a des effets de contrainte sur la forme de la dynamique par 1'exigence de covariance, transcription mathematique du principe de relativite sur la forme des grandeurs de la theorie physique et de ses equations.

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Figure 2.5. Congres Solvay de 1911. Au ler rang, de gauche a droite, Nernst, Brillouin, Solvay, Lorentz, Warburg, Perrin, Wien, Marie Curie, Poincare. Debout de gauche a droite : Goldschmidt, Planck, Rubens, Sommerfeld, Lindemann, de Broglie, Knudsen, Hasenohrl, Hostelet, Herzen, Jeans, Rutherford, Kamerlingh Onnes, Einstein, Langevin.

La physique du XXe siecle

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Figure 2.6. Schema du cone de lumiere.

Le mathematicien Hermann Minkowski20 exprima peu apres la theorie mathematique de 1'espace-temps directement appropriee a la relativite restreinte d'Einstein. II reprit pour cela 1'idee, initialement proposee par Poincare, d'ecrire le temps comme une quatrieme coordonnee d'espace, imaginaire (x^ = \ci, avec i = V-I)21- Aux coordonnees spatiales et au temps se substituait done Vespace-temps, continuum a quatre dimensions (trois pour 1'espace et une pour le temps) liees entre elles par une constante de structure de 1'espacetemps qui n'est autre que la vitesse de la lumiere, invariante dans toutes les transformations. Dans cet univers quadridimensionnel, les transformations de Lorentz correspondent a des rotations des quatre coordonnees qui laissent invariantes les « distances », lesquelles s'expriment comme un theoreme de Pythagore pour les quatre dimensions. La metrique de cet hyper-espace - ou univers de Minkowski - est done caracterisee par un element invariant de « distance » ds2 = dx2 + dx2 + dx2 - c2dt2, et sa signature (+,+,+,-) est celle d'un espace quasi eudidien. Dans 1'espace-temps (qu'on peut visualiser simplement en ne considerant qu'une coordonnee d'espace x et le temps t), toute action propagee a la vitesse de la lumiere franchit une distance spatiale x dans un intervalle de temps t tel que x2 = c2t2, soit x = ±ct. Cette equation definit le « cone de lumiere ». La region d'espace-temps interne au cone de lumiere - dite du « genre temps » - est celle des actions physiques entre deux de ses points (x2 < C2t2), et la region externe - dite du « genre espace » (x2 > c2t2) - est non physique car deux de ses « quadri-points » ne peuvent etre lies par des relations causales.

Relativite generale Cette transformation de nos conceptions de 1'espace, du temps et de la causalite physique allait etre radicalisee par la theorie de la relativite generale d'Einstein. Toutefois, le point de 20 21

Hermann Minkowski (1864-1909), mathematicien allemand.

L'idee de considerer le temps comme une quatrieme coordonnee, pour rapprocher la mecanique de la geometrie, avait ete avancee bien anterieurement par d'Alembert et par Lagrange, mais le temps et 1'espace restaient independants 1'un de 1'autre; Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783), mathematicien, physicien, philosophe et encyclopediste franc.ais; Joseph Louis Lagrange (1736-1813), mathematicien et physicien frangais originaire de Turin, auteur de la Mecanique analytique (1788).

La theorie de la relativite

depart de celle-ci ne se trouve pas dans la consideration immediate de 1'espace-temps. Einstein formula les deux idees physiques qui sont a la base de sa nouvelle theorie avant la formulation de 1'espace-temps de Minkowski. II n'adopta celle-ci que lorsqu'il entrevit la solution du probleme physique pose en termes d'une nouvelle « geometric » spatio-temporelle. Si la theorie de la relativite generale, dont la formulation complete fut acquise a la fin de 1'annee 1915, est une suite a la theorie de la relativite restreinte, c'est d'abord comme une reflexion critique sur les concepts et la formulation des theories physiques en relation avec la relativite des mouvements, portee plus loin que la precedents. Einstein en posa les premisses des 1907, en s'interrogeant sur la theorie de la gravitation par rapport a la relativite des mouvements. La question etait double. D'une part, pourquoi limiter I'invariance relativiste aux seuls mouvements d'inertie - rectilignes et uniformes -, alors que ces derniers ne sont caracterises ainsi que par notre propre position, qui est ellememe relative a d'autres mouvements plus generaux ? II serait a priori plus objectif de considerer la relativite pour des mouvements quelconques - acceleres, courbes... D'autre part, le fait fondamental de la gravitation, la loi de la chute des corps de Galilee22, qui stipule 1'egalite d'acceleration pour tous les corps a egale hauteur de chute, peut etre exprime sous la forme d'un « principe d'equivalence » locale (en un point donne d'espace-temps) entre un champ de gravitation homogene et un mouvement uniformement accelere. A 1'interieur d'un ascenseur en chute libre, on ne se rend pas compte de la chute, annulee par 1'entrainement du mouvement accelere. Le « principe d'equivalence » s'exprime en termes des deux coefficients (ou masses) des lois newtoniennes de la dynamique. Le premier est la masse d'inertie m\, parametre de la « seconde loi de Newton », F = m\y (ou F est la force qui s'exerce sur le corps, et y est 1'acceleration). Le second est le coefficient de gravitation me, qui apparait dans la loi dormant la force de gravitation, FG = GmcMf/R2 (G etant la constante de gravitation, R la distance entre les centres des corps en attraction, le corps considere de masse gravitationnelle WG, et la Terre de masse MT). Constatant 1'egalite des accelerations dans un champ de pesanteur a hauteur donnee (formulee dans la loi de Galilee de la chute des corps), Einstein posa 1'egalite des masses inertielle et gravitationnelle (m\ - me)- Cette identification revenait a formuler une propriete fondamentale de 22

Galileo Galilei (1564-1642), physicien italien.

21

Figure 2.7. Une pierre tombe de la tour. Un ascenseur tombe en chute libre : tous les objets a 1'interieur gardent la meme situation mutuelle. La loi de la chute des corps de Galilee peut etre connue comme 1'equivalence d'un champ de gravitation homogene et d'un mouvement uniformement accelere.

La physique du XXe siecle

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tout champ de gravitation en un point donne : a savoir qu'il pouvait etre rapporte a des mouvements acceleres et identifie localement a un mouvement accelere. Des lors, la connaissance du champ de gravitation en un point devenait la connaissance des proprietes d'un mouvement accelere en ce point. II apparut ainsi a Einstein que la theorie - relativiste - du champ de gravitation pouvait etre obtenue par la seule consideration de covariance generale : meme forme de la loi dans des transformations de coordonnees pour des mouvements acceleres quelconques, ces coordonnees ayant perdu toute signification physique directe absolue (c'est-a-dire liee a des regies rigides pour un espace euclidien). La representation mathematique de 1'espace-temps permettait cette formulation - Einstein s'en rendit compte vers 1912 -, a condition d'abandonner la forme a priori de la metrique quasi euclidienne de la relativite restreinte (ds2 = Ldx 2 ), en la remplac.ant par une metrique de forme plus generale ds2 = £, g^vdx^dxv (x^ et xv sont des coordonnees generalisees d'espace-temps, et les fonctions g^v representent la metrique en chaque point)23. Cette metrique fait appel a une courbure non euclidienne de 1'espace (geometric de Riemann24). Des lors, la forme de 1'espace-temps (donnee par la metrique) est determinee physiquement par les champs de gravitation qui s'y trouvent, selon les equations d'Einstein25 reliant le tenseur metrique au tenseur d'energie-impulsion de la matiere26. Cette relation, qui constitue le cceur de la theorie de la relativite generale, implique plusieurs consequences, et d'abord une modification encore plus radicale de la pensee de 1'espace et du temps. Ces derniers sont non seulement lies entre eux mais aussi a la matiere ; 1'espace-temps ne constitue plus un cadre exterieur aux phenomenes qui s'y deroulent, mais est 23

De telles grandeurs a plusieurs indices sont des tenseurs. La somme est effectuee sur tous les indices ^ et v de 1 a 4. 24

Bernard Riemann (1826-1866), mathematicien allemand, auteur de contributions fondamentales sur la theorie des fonctions a variables complexes, createur de la topologie, introducteur de la notion de variete differentielle a n dimensions comme extension de la notion d'espace, qui devait servir de base a la geometric differentielle... Sa conception du rapport de 1'espace a la physique devait offrir le cadre mathematique et conceptuel de la theorie de la relativite generale. 25 26

Equations trouvees a la fin de 1'annee 1915.

RpV - \gvpR = ~xTVfi- RV^ et R sont respectivement le tenseur de Ricci et la courbure scalaire, Tv^ le tenseur d'energie impulsion, x une constante liee a la constante de gravitation.

La theorie de la relativite

physiquement affecte par ceux-ci; les relations des distances et des durees en tout point sont soumises au champ de gravitation en ce point. Trois consequences physiques directes de la theorie etaient indiquees dans le travail d'Einstein. La premiere concerne le mouvement de la planete Mercure, la plus rapide du systeme solaire : l'« avance seculaire » de son perihelie (43" par siecle) observee par Urbain Le Verrier27 au milieu du XIXe siecle, et inexpliquee par la theorie newtonienne de la gravitation, etait exactement retrouvee par la theorie d'Einstein. La seconde est la deviation des rayons lumineux dans un champ de gravitation, qui correspond a la courbure de 1'espace au voisinage des grandes masses : elle fut constatee en 1919, lors de 1'observation de 1'eclipse solaire en Guinee et au Bresil (expedition d'Eddington) determinant 1'acceptation progressive de la theorie de la relativite generale. La troisieme est le deplacement de la longueur d'onde de la lumiere vers le rouge dans un champ de gravitation : elle fut constatee quelque temps plus tard. La dilatation du temps, a laquelle elle correspond, fut egalement mise directement en evidence beaucoup plus tard avec les mesures de precision d'horloges atomiques placees pres de masses montagneuses. La theorie de la relativite generale a d'autres consequences qui sont apparues progressivement par la suite. L'existence d'ondes gravitationnelles, qui sont a la theorie relativiste de la gravitation d'Einstein ce que les ondes electromagnetiques sont a la theorie de Maxwell, fut proposee par Einstein des 1916 : ce sont des variations du champ de gravitation propagees dans 1'espace, semblable a des rides de 1'espace-temps. La verification directe de cette prediction, extremement difficile en raison de la faible valeur de la constante de gravitation et des grandes masses de matiere necessaires, est encore un projet. Mais c'est un projet proche cependant d'etre realise par la construction d'antennes geantes pour detecter des ondes de gravitation en provenance du cosmos28 : il serait ainsi possible de deceler les explosions de supernovee. Des preuves indirectes de 1'existence de ces ondes ont ete obtenues par 1'observation des oscillations d'un pulsar binaire (le systeme « 1916+17 ») par Robert A. Hulse et Joseph H. Taylor29. 27

Urbain Le Verrier (1811-1877), astronome franc,ais.

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Projets « Virgo » en Europe et « Ligo » aux Etats-Unis, sur le principe des experiences d'interference de grande precision comme celle de Michelson pour 1'optique au XIXe siecle. 29

Ce qui leur valut le prix Nobel de physique en 1993 (voir chapitre 10).

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Figure 2.8. Avance de la perihelie de Mercure (prediction par la loi de Newton).

La physique du XXe siecle

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Une autre implication remarquable de la theorie de la relativite generale fut 1'ouverture de la cosmologie comme science, par 1'application de la theorie a 1'Univers dans sa totalite, proposee par Einstein des 1917, discutee par Wilhem de Sitter et precisee par Alexander Friedmann30, qui formula la possibilite d'un univers non statique. Mais ces conceptions et, d'une maniere generale, la theorie d'Einstein, dont les applications paraissaient alors limitees et qui n'interessaient qu'un petit nombre de chercheurs (surtout des mathematiciens), ne quitterent leur aspect speculatif qu'avec les developpements de 1'astrophysique et de la cosmologie d'observation, a partir des annees 1960. Nous y reviendrons plus loin (chapitres 10 et 11).

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Willem de Sitter (1872-1934), astronome neerlandais; Alexander Friedmann (1888-1925), astronome allemand.

Chapitre 3

La physique quantique La physique quantique est un domaine considerablement etendu, puisqu'elle concerne la structure profonde de la matiere en general, des objets cosmiques aux corps de notre environnement et aux atomes dont nous sommes constitues. Elle assure 1'unite de la matiere dans la diversite de ses formes d'organisation, des associations moleculaires d'atomes aux proprietes des noyaux atomiques et des particules elementaires que recelent effectivement ou « virtuellement » ces derniers. L'outil de comprehension theorique de ce domaine de la physique est articule autour de la mecanique quantique, appliquee a des modeles theoriques particuliers (atomiques, nucleaires), et prolongee en theorie quantique des champs d'un point de vue fondamental. Sous la forme de 1'electrodynamique quantique, cette derniere permet de rendre compte avec une extreme precision des proprietes des atomes, determinees par le champ d'interaction electromagnetique. Nous verrons plus loin les extensions recentes de la theorie quantique des champs aux autres interactions qui agissent au niveau nucleaire sous la forme des « champs de jauge ». Ces developpements se sont effectues dans le cadre conceptuel de la mecanique quantique, confirmant ainsi sa puissance heuristique. Ce cadre conceptuel rompt cependant avec plusieurs caracteres attribues jusqu'alors a la representation des phenomenes physiques, suscitant des problemes d'interpretation, tant physique que philosophique. De vifs debat sur ce sujet entre les plus grands physiciens de 1'epoque contribuerent a fonder cette theorie.

Quantification du rayonnement et des atomes L'introduction des quanta en physique remonte aux travaux effectues en 1900 par Max Planck (1858-1947) sur le rayonnement du « corps noir » a 1'equilibre thermique - une cavite chauffee emettant un rayonnement electromagnetique

Figure 3.1. Max Planck (peinture de Maria Kokkinou).

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La physique du XXe siecle

(de la lumiere) aussitot absorbe par les parois. Pour rendre compte du spectre lumineux par le calcul theorique des echanges d'energie d'emission et d'absorption (AE), Planck dut faire 1'hypothese que ces echanges sont discontinus et proportionnels aux frequences (v) du rayonnement lumineux : AE = nhv, n etant un nombre entier. La grandeur indivisible h, ou quantum d'action, de valeur numerique tres petite (h = 6,55 x 10~27 erg s), apparut bientot comme une des constantes fondamentales de la nature (elle fut appelee « constante de Planck » par Einstein). En 1905, a la suite d'un raisonnement thermodynamique dans lequel il donnait aux probabilites un sens physique (celui de frequences d'etats pour un systeme), Einstein fut amene a considerer que ce ne sont pas seulement les echanges d'energie qui sont discontinus, mais 1'energie du rayonnement lumineux elle-meme. II montra que cette energie est proportionnelle a la frequence de 1'onde lumineuse : E = hv. Cela donnait immediatement 1'explication de 1'effet photoelectrique (voir 1'encadre 3.1) observe deux decennies auparavant par Heinrich Hertz (1857-1894). Einstein s'aperc.ut alors que cette propriete du rayonnement etait en opposition de maniere irreductible avec la theorie electromagnetique classique (celle de Maxwell). Des 1906, il annonc.a que cette theorie devrait etre modifiee dans le domaine atomique. La maniere dont cette modification devrait etre obtenue n'etait pas evidente puisque la physique theorique reposait sur 1'utilisation d'equations differentielles, correspondant a des grandeurs a variation continue. En raison de la puissance de la theorie electromagnetique classique, peu de physiciens etaient enclins a imaginer qu'elle pouvait etre invalidee. Einstein fut d'abord seul a le penser, et s'efforc.a de mettre en evidence d'autres aspects des phenomenes atomiques et du rayonnement qui rompaient avec la description classique. II etendit ainsi 1'hypothese du quantum d'action, par-dela les proprietes du rayonnement, a 1'energie des atomes, par ses travaux (realises de 1907 a 1911) sur les chaleurs specifiques aux basses temperatures. II retrouvait 1'annulation des chaleurs specifiques des corps au zero absolu de temperature, phenomene observe mais inexplicable par la theorie classique. II mit par ailleurs indirectement en evidence, en 1909, une structure duale du rayonnement qui semblait a la fois ondulatoire et corpusculaire, ce qu'il devait preciser par la suite. D'autres physiciens comme Paul Ehrenfest (1880-1933), Walter Nernst (1864-1941), Hendryk A. Lorentz, Henri Poincare, le rejoignirent peu a peu pour conclure au caractere ineluctable

La physique quantique

de 1'hypothese quantique que Planck lui-meme hesitait a admettre. Elle n'etait cependant encore acceptee generalement que pour les echanges d'energie. Ce sont ces derniers, d'ailleurs, qui etaient concernes par la theorie des niveaux d'energie quantifies de 1'atome, proposee en 1913 par Niels Bohr (1885-1962). Ernest Rutherford (1871-1937) avait montre experimentalement, en 1911, par la diffusion de particules a sur des atomes1, que les atomes etaient constitues d'un noyau portant 1'essentiel de la masse et charge d'electricite positive; ce noyau etait entoure d'electrons en mouvement orbital, comme un systeme planetaire dont la force d'attraction serait celle de 1'interaction electrique entre le noyau et 1'electron (la charge positive du noyau etant equilibree par la somme des charges negatives des electrons planetaires). Ce modele etait incompatible avec la stabilite de 1'atome car, selon la theorie electromagnetique, les electrons devraient rayonner continument dans leur mouvement circulaire et, perdant leur energie, tomber sur le noyau central. Bohr fit 1'hypothese que les orbites suivies par les electrons correspondent a des niveaux d'energie quantifies bien definis, et que les electrons ne peuvent changer d'orbite que par sauts discontinus d'un niveau d'energie Em a un autre En, selon la relation \Em - En\ = hv, avec emission (si Em > En) ou absorption (si Em < £„) d'une radiation de frequence v. Arnold Sommerfeld (1868-1951) raffina ensuite le modele en tenant compte de corrections relativistes, les electrons etant animes de grandes vitesses dans leurs mouvements orbitaux. Cette theorie admettait la theorie electromagnetique classique en lui imposant la condition non classique de quantification des orbites. Elle reussissait a rendre compte des raies spectrales bien etablies de 1'atome d'hydrogene (donnees par les « formules de Balmer »). Bohr etablit a ce propos son « principe de correspondance » entre les proprietes non classiques (discontinues) basees sur la quantification et les proprietes des systemes macroscopiques (variables continues), retrouvees comme limite pour les grands nombres quantiques. En particulier, ce principe permettait de calculer, outre les frequences, 1'intensite des raies spectrales pour 1'atome d'hydrogene ; il echouait pour les atomes plus complexes2. 1

Ces particules, emises dans la radioactivite a, sont en fait des noyaux d'helium. 2

Niels Bohr requt, pour ces travaux, le prix Nobel de physique de 1922. Planck s'etait vu attribuer le prix de 1918 (qui ne hit decerne qu'en 1919, en raison de la guerre).

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La physique du XXe siecle

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En 1916-1917, Einstein parvenait a une theorie quantique « semi-classique » connue comme la « premiere theorie des quanta »; elle constituait une premiere synthese pour representer 1'ensemble des caracteres alors connus des phenomenes quantiques. Partant des niveaux discrets d'energie de 1'atome de Bohr, il exprimait la probabilite de transition d'un etat d'energie a un autre a 1'equilibre thermique entre les molecules et le rayonnement, retrouvant ainsi la loi de Planck. Ce faisant, il montrait que le rayonnement possede, outre une energie granulaire, une quantite de mouvement (p), fonction de la longueur d'onde (A) : p = h/A, ce qui en etablissait le caractere pleinement corpusculaire. Parmi les amplitudes de transition entre les niveaux, il obtenait un terme d'emission stimulee qui est a 1'origine du pompage optique et des faisceaux lasers. On notera que les probabilites, qui avaient fait leur entree en physique comme un outil d'exploration avec les travaux de Planck et surtout ceux d'Einstein sur le rayonnement, restaient au centre des calculs theoriques : Einstein remarqua que la theorie predisait seulement la probabilite d'emission du rayonnement dans une direction donnee. Elles n'en sortiraient pas et deviendraient constitutives de la theorie physique3. Arthur Compton (1892-1962) confirma experimentalement ce caractere en mettant en evidence la collision d'un photon sur un electron atomique (« effet Compton »). II fut montre peu apres que ces collisions ont lieu de maniere individuelle et non seulement statistique comme Bohr et d'autres le proposaient : 1'electron et le photon sortant sont en effet correles4.

Mecanique quantique De nombreux travaux furent effectues des lors par un nombre croissant de physiciens, experimentateurs et theoriciens, pour explorer le nouveau domaine quantique. Us aboutirent a poser les bases de ce qui allait etre la « mecanique quantique ». Celleci fut etablie par deux approches differentes qui peuvent toutes 3

Einstein recut le prix Nobel de physique de 1921 pour ses recherches sur les quanta (et non pour la theorie de la relativite), et nommement « pour son explication de 1'effet photoelectrique », qui remontait a 1905... 4

Experiences de Bothe et Becker (1925). Arthur H. Compton obtint le prix Nobel de physique de 1927, qu'il partagea avec Charles Wilson, inventeur de la chambre a condensation de vapeur (« chambre de Wilson ») pour materialiser les trajectoires de particules.

La physique quantique

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deux etre considerees comme issues du travail synthetique d'Einstein que nous venons de mentionner. La premiere fut celle de la « mecanique ondulatoire » developpee par Erwin Schrodinger (1887-1961) inspire par une idee de Louis de Broglie (1892-1987) et par un nouveau resultat d'Einstein. Prenant acte de la dualite de proprietes, ondulatoires et corpusculaires, de la lumiere, Louis de Broglie en proposa 1'extension a la matiere en general: il associait, pour toute particule, une frequence a son energie (E = hv) et une longueur d'onde a son impulsion ou quantite de mouvement (p =• h/A) selon les relations deja connues pour le rayonnement. Cette hypothese fut verifiee quelque temps plus tard par la mise en evidence d'une diffraction des electrons semblable a celle de la lumiere5. Developpant un resultat obtenu par le physicien indien Satyendra N. Bose (1814-1974) sur la loi du rayonnement de Planck sans utiliser I'electrodynamique classique, Einstein se trouva en mesure d'etablir une relation formelle entre un rayonnement et un gaz, qui supposait un traitement different de la mecanique statistique habituelle ou les particules, meme identiques, sont discernables. II mit ainsi le doigt sur une propriete specifiquement quantique, Yindiscernabilite des particules identiques d'un gaz monoatomique, symetriques dans leur echange mutuel, correspondant a la statistique dite « de Bose-Einstein » pour ces particules (et le rayonnement), appeles par la suite « bosons ». Realises en 1924-1925, ces travaux d'Einstein etaient riches de trois predictions de phenomenes specifiquement quantiques qui ne furent mis en evidence experimentalement que bien plus tard : la « condensation de BoseEinstein » (premiere description d'une « transition de phase »), la supraconductivite et la superfluidite. Parallelement, une autre statistique fut developpee par Enrico Fermi (1901-1954) et Paul Adrian M. Dirac (1902-1984) pour une autre classe de particules indiscernables, antisymetriques dans leur echange mutuel. Cette statistique, dite « de Fermi-Dirac », relative aux particules appelees « fermions », rendait compte d'une propriete generale : le « principe d'exclusion », formule quelque temps auparavant par Wolfgang Pauli (1900-1958) sur une base empirique.

5

L. de Broglie re^ut le prix Nobel de physique en 1929. La mise en evidence de la diffraction des electrons valut le prix Nobel de physique de 1937 a Clinton Joseph Davisson (1881-1958) et a George Paget Thomson (1892-1975).

Figure 3.2. Enrico Fermi (1901-1954).

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J

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3

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