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La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle Échanges, circulations et affrontements
CENTRE D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE LA RENAISSANCE Université François-Rabelais de Tours - Centre National de la Recherche Scientifique
Collection « Études Renaissantes » Dirigée par Philippe Vendrix
Dans la même collection Frédérique Lemerle La Renaissance et les antiquités de la Gaule, 2005 Jean-Pierre Bordier & André Lascombes (éds) Dieu et les dieux dans le théâtre de la Renaissance, 2006 Chiara Lastraioli (éd.) Réforme et Contre-Réforme, 2008 Pierre Aquilon & Thierry Claerr (éds) Le berceau du livre imprimé : autour des incunables, 2010 Sabine Rommevaux, Philippe Vendrix & Vasco Zara (éds) Proportions. Science, musique, peinture & architecture, 2011 Maurice Brock, Marion Boudon-Machuel & Pascale Charron (éds) Aux limites de la couleur. Monochromie & polychromie dans les arts (1300-1600), 2011 Maxime Deurbergue The Visual Liturgy: Altarpiece Painting and Valencian Culture (1442-1519), 2012 Magali Bélime-Droguet, Véronique Gély, Lorraine Mailho-Daboussi & Philippe Vendrix (éds) Psyché à la Renaissance, 2013 Juan Carlos Garrot Zambrana Judíos y conversos en el Corpus Christi. La dramaturgia calderoniana, 2013 Frédérique Lemerle & Yves Pauwels Architectures de papier. La France et l'Europe (xvie-xviie siècles), 2013 Anne Rolet & Stéphane Rolet (éds) André Alciat (1492-1550) : un humaniste au confluent des savoirs dans l'Europe de la Renaissance, 2013
La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle Échanges, circulations et affrontements
Textes réunis et édités par
Albrecht Fuess et Bernard Heyberger
F 2013
En couverture : Portrait de Khayraddin Barberousse, Musée des Beaux-Arts de Tours © Musée des Beaux-Arts de Tours
Conception graphique et mise en page Alice Nué
© 2013, Brepols Publishers, Turnhout, Belgium. ISBN 978-2-503-54815-9 D/2013/0095/156 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
Printed on acid-free paper
À la mémoire de Gilles Veinstein (1945-2013), un bon maître, un bon camarade
La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle : introduction Bernard Heyberger | École des hautes études en sciences sociales (Paris)École pratique des hautes études (Paris)
Le colloque organisé en juin 2009 à Tours, dont ce volume constitue les actes, est la seconde manifestation ayant eu lieu au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance autour d’une thématique méditerranéenne. En effet, le 37e colloque international du CESR, tenu en 1994, dont les actes furent publiés en un solide ouvrage collectif en 1998, sous la direction de Bartolomé Bennassar et Robert Sauzet, s’intitulait Chrétiens et musulmans à la Renaissance1. La période historique considérée ici, du xive au xviie siècle, est à peu près la même. Elle correspond à l’effacement des cités-États au profit des États territoriaux, à un face-à-face des deux empires espagnol et ottoman à vocation universelle d’abord, puis à l’émergence des autres puissances européennes, la France, la Grande-Bretagne et les Provinces-Unies. Le cadre géographique retenu, celui de la Méditerranée, place ce volume immédiatement sous les auspices de Fernand Braudel. Comme le récit braudélien dans la célébrissime Méditerranée, notre ouvrage pourrait sembler osciller entre ce qui fait l’unité économique et culturelle du bassin méditerranéen, et ce qui au contraire le divise de façon radicale, en particulier le conflit entre Islam et Chrétienté2.
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Chrétiens et musulmans à la Renaissance, éd. par B. Bennassar et R. Sauzet, Paris, Champion, 1998, 548 p. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1re éd., 1949 ; Paris, A. Colin, rééd. augmentée, 1966, 2 T. Albrecht Fuess, « Braudel and the Sea. Revisiting Braudel’s Méditerranée for the Study of the Larger Mediterranean Region in 15th and 16th Centuries », dans ce volume. Gabriel Piterberg, Teofilo F. Ruiz, Geoffrey Symcox, « Introduction », dans Braudel revisited. The Mediterranean World 1600-1800, éd. par G. Piterberg, T. F. Ruiz, G. Symcox, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 5.
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Croisade, djihad et Realpolitik des États L’idéal de croisade dans la Chrétienté, comme celui de djihad dans l’Islam, restaient vivants durant cette période, et dans une certaine mesure producteurs d’action, mais de plus en plus décalés par rapport à des objectifs militaires, politiques et économiques beaucoup plus pragmatiques3. Dans l’élan de la reconquista, les souverains espagnols, investis du titre de « roi de Jérusalem », s’emparaient de présides sur les côtes d’Afrique au début du xvie siècle4. L’ordre des chevaliers de Saint-Jean poursuivait son rêve chevaleresque de porter la guerre contre les musulmans en Afrique jusqu’à la perte de Tripoli, en 1551. Devenu ensuite ordre de Malte, il dut se résoudre à abandonner la croisade offensive pour une croisade défensive, derrière une frontière fortifiée, qui devint progressivement un important lieu d’échanges5. Les chevaliers n’incarnaient pas à eux seuls l’idéal de Chrétienté, et il faut rappeler que celle-ci était divisée. Ainsi, c’était à l’occasion d’une querelle dynastique entre Charlotte de Lusignan et son demi-frère Jacques, que le Sultan d’Égypte Īnāl envoya un corps expéditionnaire à Chypre en 1459, après une première invasion mamelouke en 14266. Il faut rappeler qu’au xvie siècle, en dehors même des grandes divisions entre protestants, orthodoxes et catholiques, des clivages survenaient dans chaque camp, et avaient des conséquences sur l’attitude à adopter envers le « Turc ». L’affrontement entre la monarchie française et les Habsbourg prévalait en Méditerranée occidentale sur l’antagonisme entre chrétiens et musulmans. La petite cité de Toulon, prise par les Impériaux en 1524, puis à nouveau en 1536, fut fortifiée pour la préserver de nouvelles attaques. Le rapprochement entre François Ier et le Sultan aboutit au fameux épisode de l’hivernage de la flotte ottomane sous les ordres de Barberousse dans la ville en 1543, après une attaque
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Géraud Poumarède, Pour en finir avec la Croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux xvie et xviie siècles¸ Paris, Presses Universitaires de France, 2004, 686 p. À propos du caractère « ġazī » de la dynastie ottomane et du lien qu’elle entretient avec le djihad, voir la discussion dans Colin Heywood, « The Frontier in Ottoman History: Old Ideas and New Myths », dans Frontiers in Question : Eurasian Borderlands, 700-1700, éd. par D. Power et N. Standen, Londres, MacMillan Press, 1999, p. 228-250, repris dans Colin Heywood, Writing Ottoman History. Documents and Interpretations, Aldershot, Ashgate, Variorum, 2002, 356 p. Daniel Nordman, Tempête sur Alger. L’expédition de Charles Quint en 1541, Paris, Bouchène, 2011, 702 p. Voir en particulier p. 29-36, sur l’esprit de croisade chez Charles Quint. Sylvie DeswarteRosa, « L’expédition de Tunis (1535) : images, interprétations, répercussions culturelles », dans Chrétiens et musulmans à la Renaissance, op. cit., p. 103-117. Anne Brogini, « L’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem au Ponant durant le premier xvie siècle. D’une frontière offensive à une frontière défensive », dans ce volume. Carl F. Petry, « Crime and Scandal in Foreign Relations of the Mamlūk Sultanate: Espionage and Succession Crisis linked to Cyprus », dans ce volume.
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conjointe sur Nice7. Les divisions traversaient les États chrétiens eux-mêmes. Ainsi, c’est dans l’entourage du théologien bohème Johann Amos Comenius (15921670), dans l’atmosphère du « calvinoturcisme » hostile à la restauration catholique menée par les Habsbourg, que naquit le projet d’une traduction de la bible en turc, qui fut confiée à Istanbul au renégat d’origine polonaise ‘Alī Ufqī8. En France, dans la dernière phase des Guerres de religion, les catholiques intransigeants, attachés à l’idéal de croisade, et hostiles dans les discours à tout rapprochement avec les Ottomans, se heurtèrent aux « politiques », favorables à l’accession du huguenot Henri IV sur le trône. Ce conflit se doublait d’une opposition entre l’autorité monarchique et l’autorité locale à Marseille, soutenue par la Toscane. Les partisans du roi bénéficiaient de la complicité, voire du soutien des Barbaresques et de la Porte contre les marchands marseillais ligueurs, qui devaient subir des mesures de rétorsion jusque dans leurs affaires levantines. Mais le discours d’hostilité aux Infidèles, soutenu par une foi religieuse intransigeante, semble avoir été essentiellement tourné vers l’extérieur et destiné à nourrir la polémique : les allusions aux Turcs sont rares, et sans connotation religieuse, dans les documents internes de la ville de Marseille ou du Grand-Duché de Toscane. Le chef de la Ligue lui-même, le Duc de Mayenne, écrivit au Sultan pour en tirer reconnaissance et faveurs9. Même s’il faut être prudent, et ne pas sous-estimer l’inhibition à laquelle un rapprochement politique et militaire avec le Turc se heurtait10, il est difficile, à partir de telles observations, d’adhérer à l’entreprise magistrale d’Alphonse Dupront, s’évertuant à démontrer « la puissance de croisade », la croisade comme « réalité plus entière que la “guerre turque”, mouvement plus total », « peut-être même nécessité des profondeurs d’un poignant besoin collectif » en rassemblant les indices d’une survivance de la croisade bien au-delà des siècles du Moyen Âge11. À tout le moins, il faut s’interroger sur la manière dont cette structure mentale profonde, 7
Sur les préparatifs et l’échec final d’une campagne navale coordonnée entre la France et la Porte en 1552 : Gilles Veinstein, « Les préparatifs de la campagne navale franco-turque de 1552 à travers les ordres du divan ottoman », Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, 39/1, 1985, p. 35-67. 8 Judith I. Haug, « Surmounting religious, musical and linguistic frontiers: ‘Alī Ufkī’s translation of the Genevan Psalter (c. 1665) as a transcultural achievement », dans ce volume. Sur Comenius et l’islam, Noel Malcolm, «~Comenius, the Conversion of the Turks, and the Muslim-Christian Debate, on the Corruption of Scripture », Church History and Religious Culture, 87, 2007, p. 477-508. 9 Fabrice Micallef, « Le pragmatisme des faibles. Marseille, les Turcs et les Médicis au temps de la Ligue (1589-1597), dans ce volume. 10 Stephane Yerasimos, « Les relations fanco-ottomanes et la prise de Tripoli en 1551 », dans Soliman le Magnifique et son temps, éd. par G. Veinstein, Paris, La Documentation Française, 1992, p. 529541. Géraud Poumarède, « Justifier l’injustifiable : l’alliance turque au miroir de la chrétienté (xvie-xviie siècles) », Revue d’Histoire Diplomatique, 111, 1997, p. 216-246. 11 Alphonse Dupront, Le Mythe de croisade, Paris, Gallimard, 1997, 4 vols.
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cette réserve de sens, s’articulerait avec la nécessité de s’adapter qui s’impose incontestablement de plus en plus à tous les acteurs dans la période envisagée ici12. S’il ne faut pas réduire la croisade et la mission à de simples discours instrumentalisés pour servir ou flatter un prince adonné à la Realpolitik, c’est sans doute en les envisageant comme des aspirations quasiment mystiques à l’unité et à l’harmonie de l’humanité qu’on peut comprendre leur articulation avec une politique des princes qui, pour empirique qu’elle soit, n’est pas pour autant coupée du sacré13. Du côté musulman, la référence à la guerre d’inspiration religieuse (jihād ou ġazā’) sur la frontière n’était pas systématique. D’autre part, le contenu même de ces idéaux et la culture qui les portait pouvaient varier suivant les moments et les groupes qui s’en réclamaient. Aussi faut-il les voir davantage comme des ressources auxquelles le pouvoir central, ou des éléments dissidents, se référaient pour définir leur identité ou légitimer leur posture face à des ennemis ou des concurrents14. Ils pouvaient aussi être employés sous forme de stéréotypes dans une littérature panégyrique et politique15. L’intervention mamelouke à Chypre, par exemple, est racontée sans aucune interprétation religieuse par le chroniqueur égyptien Ibn Taġrī Birdī, tandis que celui-ci relie davantage l’accusation de trahison et d’espionnage en faveur du souverain chrétien d’Éthiopie à un contexte confessionnel particulier. Il est vrai que le pays du Négus, alors au sommet de sa puissance, avait un lien ecclésiastique et spirituel ancien avec les sujets coptes du Sultan d’Égypte, et qu’il pouvait mettre en péril la soumission encore récente des Nubiens, restés en partie chrétiens, aux souverains du Caire16. D’autre part, l’intérêt du Portugal pour le royaume du « Prêtre Jean » était réel, et menaçait l’Empire mamelouk d’une alliance en tenaille. Le Caire était effectivement une base d’espionnage importante pour les Portugais17. Dans la guerre de course, la référence au djihad semble apparaître lorsque celle-ci s’inscrit dans un conflit plus global, entre des puissances revendiquant
12 F. Micallef, art. cit. Voir aussi, sur l’entretien d’une conflictualité à base religieuse et la nécessité de trouver des arrangements, Molly Greene, Catholic Pirates and Greek Merchants. A Maritime History of the Mediterranean, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2010, passim. 13 Benoist Pierre, Le Père Joseph. L’Éminence grise de Richelieu, Paris, Perrin, 2007, 476 p. Id., Les Prélats de cour en France de Louis XI à Louis XIV, ouvrage inédit présenté pour l’habilitation à diriger des recherches, Université Paris IV, 2 décembre 2010. 14 Ample discussion historiographique avec une importante bibliographie dans Linda T. Darling, « Contested Territory : Ottoman Holy War in Comparative Context », Studia Islamica, 91, 2000, p. 133-163. 15 Nicolas Vatin, « “Comment êtes-vous apparus, toi et ton frère ?” Notes sur les origines des frères Barberousse », Studia Islamica, 1, 2011, p. 103-131. 16 Carl F. Petry, art. cit. 17 Dejanirah Couto, « Au-delà des frontières : réseaux d’espionnage portugais dans le Levant méditerranéen et dans l’océan Indien au xvie siècle », dans ce volume.
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une souveraineté universelle18. Ainsi, l’universalisme du combat religieux (ġazā’) est évident dans la coopération établie entre Şehzade Korkud, gouverneur ottoman d’Antalya, et le souverain mamelouk Al-Ġawrī pour combattre sur mer la présence portugaise dans l’Océan Indien entre 1507 et 151119. Avec la conquête ottomane de la Syrie et de l’Égypte, et l’extension du protectorat de la Porte sur les États barbaresques, l’ambition universaliste et fortement idéologisée du Sultan se heurta à celle de l’Empereur et Roi Catholique, qui présentait les mêmes caractères. Du côté chrétien comme du côté musulman, la frontière entre pays chrétiens et pays musulmans était un scandale, le « stigmate d’une situation inacceptable » : pour les chrétiens, la matérialisation de leur recul ; pour les Ottomans, le rappel de l’inaccomplissement de leur mission. Trois forteresses sur la frontière balkanique de l’Empire ottoman portaient le nom de « sedd-i islām », (« barricade de l’islam »), et Belgrade reçut le surnom de « Dar ül-Djihād » (« Demeure de la Guerre Sainte »). Les ordres soufis contribuèrent également à entretenir et à répandre une mystique de la frontière, qui assurait aux ġāzī le secours de forces surnaturelles20. Nous avons la chance de disposer des élaborations juridico-théologiques concernant la guerre et le partage du butin, de la part d’un principal acteur de la guerre de course en Méditerranée au début du xvie siècle : le prince Şehzade Korkud, soutien financier et politique aux corsaires ġazī en Méditerranée orientale, face aux chevaliers de Rhodes, a laissé un traité destiné à rationaliser le partage du butin de la ġazā’ entre participants à une opération victorieuse. S’appuyant sur les principes de la charia, il considérait que seul le respect de celle-ci pouvait
18 Dominique Valérian, « La course maghrébine à la fin du Moyen Âge : une forme maritime du djihad ? », dans ce volume. Voir la lecture religieuse, en terme de djihad et d’affrontements chrétiens/ musulmans des événements militaires du xvie siècle par des chroniqueurs djerbiens du xviie et xviiie dans Khalifa Chater, « Jerba à l’épreuve du duel hispano-ottoman », dans Des Marges aux frontières. Les puissances et les îles en Méditerranée à l’époque moderne, éd. par A. Brogini et M. Ghazali, Paris, Garnier, 2010, p. 27-37. 19 Nabil Al-Tikriti, « Hall ishkāl al-Afkār: an Ottoman Royal’s Sharī ‘a Argument for Imperial control over Sea Ghazī Plunder », dans ce volume. Voir aussi N. Vatin, « “Comment êtes-vous apparus, toi et ton frère ?” », art. cit., p. 110-111. 20 Gilles Veinstein, « Entre Islam et Chrétienté : le monde à part des frontaliers », dans ce volume. On retrouve le thème antichrétien et le djihad dans une hagiographie soufie égyptienne d’inspiration mamelouke, mise par écrit au début de l’époque ottomane et encore diffusée de nos jours : Catherine Mayeur-Jaouen, « La vision du monde par une hagiographie anhistorique de l’Égypte ottomane. Les tabaqât sharnûbiyya et les quatre Pôles », dans Le soufisme à l’époque ottomane xvie-xviiie siècle. Sufism in the Ottoman Era 16th-18th Century, éd. par R. Chih et C. MayeurJaouen, Le Caire, Institut Français d’archéologie orientale, 2010, p. 145-146. Par contre, conquête et légitimation religieuse s’expriment dans un courant anti-soufi sous Mehmed IV (troisième quart du xviie siècle) : Marc David Baer, Honored by the Glory of Islam. Conversion and Conquest in Ottoman Europe, Oxford, Oxford University Press, 2008, 332 p.
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rendre licite l’usage du butin, notamment des concubines raflées dans l’expédition. Nous découvrons là un usage interne des références religieuses : éviter la corruption et l’arbitraire dans le partage et la jouissance des prises, et légitimer un contrôle impérial accru sur leur commerce, en particulier sur celui des esclaves21. Dans la chrétienté, la volonté de fonder la course, à la fois source de prospérité et danger de désordre, sur des références religieuses et sur une base légale, avec recours possible à une juridiction, est également manifeste, même si le Tribunale degli Armamenti fondé à Malte en 1605, ne s’est pas illustré par son désintéressement et son impartialité, et si la politique suivie par les États catholiques dans ce domaine est loin d’avoir été harmonisée22. Avec le détournement des ambitions espagnoles vers l’Atlantique à partir de 1580, et l’instauration d’une longue paix entre les Habsbourg et les Ottomans, occupés sur leur front oriental dans les décennies suivantes, la qualité des relations entre la rive islamique et la rive chrétienne de la mer intérieure se mit à changer. L’essor de la course, par exemple, et du marché de l’esclave, à la fin du xvie siècle et au xviie, en serait un indice23, comme le rôle des renégats chrétiens dans les États barbaresques24, ou la signature de « capitulations » entre les États chrétiens et la Sublime Porte25. Fernand Braudel avait suggéré que « ce sont bel et bien les grandes découvertes qui ont créé dans le Levant une zone de moindre intérêt où le Turc a pu, par suite, s’étendre et s’installer sans de trop grandes difficultés »26. Mais, plus loin, il attribuait la reprise du grand commerce méditerranéen au milieu du xvie siècle au rétablissement des liaisons terrestres avec la Mer Rouge grâce à la mainmise ottomane sur la région. La Méditerranée orientale réunifiée sous la domination turque restait en fait la clé de la suprématie commerciale en Europe27. Quelques
21 N. Al-Tikriti, art. cit. Voir aussi, à ce sujet, les observations de Linda T. Darling, art. cit. 22 M. Greene, Catholic Pirates and Greek Merchants, op. cit., p. 11, p. 167 -200 23 Le Commerce des captifs : les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée (xve-xviiie siècles), éd. par W. Kaiser, Rome, École Française de Rome, 2008, 406 p. Michel Fontenay, La Méditerranée entre la Croix et le Croissant. Navigation, commerce, course et piraterie (xvie-xixe siècles), Paris, Garnier, 2010, 425 p. 24 M’hamed Oualdi, « Le mamelouk derrière le renégat. Positions et rôles des convertis d’origine européenne à Tunis dans la première moitié du xviie siècle », dans ce volume. 25 Géraud Poumarède, « Négocier près la Sublime Porte. Jalons pour une nouvelle histoire des Capitulations franco-ottomanes », dans L’Invention de la diplomatie, éd. par L. Bély, Paris, PUF, 1998, p. 71-85. Id., « Les envoyés ottomans à la cour de France : d’une présence controversée à l’exaltation d’une alliance (xve-xviiie siècles », dans Turcs et turqueries (xvie-xviiie siècles), éd. par l’Association des historiens modernistes des universités françaises, Paris, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2009, p. 63-95, qui donne de nombreuses références bibliographiques. 26 F. Braudel, La Méditerranée, op. cit, T. 2, p. 16. 27 Ibid., p. 423 et passim.
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années plus tard, dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme, l’historien reconnaissait la vitalité de l’économie et du commerce ottomans, y compris maritimes, jusqu’au xviiie siècle, ne fixant, à son avis, la « décadence franche de l’empire turc » qu’aux premières années du xixe siècle. La mer intérieure et ses abords sont en fait restés au cœur des intérêts économiques et politiques des puissances européennes encore longtemps après la découverte de l’Amérique et la circumnavigation de l’Afrique28. La Méditerranée est même au centre des préoccupations portugaises au xvie siècle, en tant qu’espace intermédiaire entre la métropole et les Indes. Hommes et informations transitaient par Le Caire et Alep, relais sur la route de Mascate et d’Ormuz29. À l’inverse, Michiel Membrè, recruté à Chypre comme agent de Venise pour une mission auprès du shah safavide de Perse en vue d’une alliance de revers (1539-1542), revint de son périple après un détour par l’Inde sur un bateau portugais, en passant par les Açores, Lisbonne, puis par l’Espagne et la France30.
La frontière, entre affrontement et interaction Il est tout compte fait peu question dans ce volume de l’opposition radicale entre deux blocs de civilisation bien définis. Si, dans sa Méditerranée, Fernand Braudel avait plutôt pris le contre-pied de la thèse de la fracture Chrétienté/Islam qu’Henri Pirenne avait diffusée, pour affirmer l’unité structurelle de la mer intérieure31, il n’en avait pas moins théorisé l’existence de civilisations, dont l’Islam, dans sa Grammaire des civilisations. Si d’après lui, celles-ci communiquaient, et s’interpénétraient, on pouvait néanmoins définir chacune séparément et structurellement, dans des espaces et des aires culturelles bien délimitées. Et elles ont souvent été sujettes, d’après lui, à des « chocs violents »32. 28 F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xve-xviiie siècle, T. 3, Le temps du monde, Paris, A. Colin, 1979, p. 402-419. Maurice Aymard, « La Méditerranée ottomane de Fernand Braudel », dans Soliman le Magnifique et son temps, éd. par Rencontres de l’École du Louvre, Paris, La Documentation Française, 1992, p. 80-85. Palmira J. Brummett, Ottoman Seapower and Levantine Diplomacy in the Age of Discovery, Albany, State University of New York, 1994, p. 10, p. 17. Id., « The Ottomans as a World Power: what we don’t know about Ottoman Seapower », Oriente Moderno, The Ottomans and the Sea, 1/XX/LXXXI, n.s., 2001, p. 1-21. 29 D. Couto, art. cit. Sur la vitalité du lien entre la Méditerranée et le commerce océanique, encore au xviiie siècle, voir Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers : The Sephardic Diaspora, Livorno, and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven, Yale University Press, 2009, 488 p. Voir, à propos de cet ouvrage, Guillaume Calafat, « Diasporas marchandes et commerce interculturel. Familles, réseaux et confiance dans l’économie moderne », Annales Histoire, Sciences Sociales, 66/2, avril-juin 2011, p. 513-531. 30 Benjamin Arbel, « Translating the Orient for the Serenissima: Michiel Membrè in the service of Sixteenth-Century Venice », dans ce volume. 31 A. Fuess, art. cit. 32 F. Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud, 1987, 606 p.
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Cette tentative de Braudel de penser le monde en civilisations avait des visées didactiques. Elle était tardive, et déjà dépassée quand elle a été publiée. Depuis le travail pionnier de Fredrick Barth, régulièrement cité, le point de vue essentialiste, qui cherchait à définir des groupes et leurs qualités intrinsèques, a été abandonné par les sciences humaines au profit d’autres approches, qui mettaient l’accent sur les frontières et les phénomènes d’interaction, d’exclusion ou de compétition, générateurs d’identité. Se concentrer sur les frontières, donc, permet d’historiciser les situations, en observant que les relations entre groupes, leurs stratégies respectives, leurs discours sur la tradition et l’authenticité, sont en constant réaménagement en fonction d’un contexte culturel et politique large33. Le terme de « frontière » s’applique d’abord à un espace, qui subit un « processus de frontière », selon des formes très variées, qui ont leur propre historicité34. À l’époque moderne, le mot conserve une forte connotation militaire, désignant la zone de contact guerrier, impliquant toujours un rapport belliqueux, plutôt terrestre que maritime. Ainsi, chez Froissart (environ 1337-1404), il apparaît pour évoquer le Royaume de Grenade ou Chypre, la frontière de la chrétienté face à l’Islam constituant « la frontière militaire par excellence, la frontière absolue »35. Contrairement à ce qui est couramment affirmé, l’idée de limite précise n’était pas étrangère aux hommes du Moyen Âge. Il ne faut cependant pas imaginer une frontière sous la forme d’une zone fixe et étroite, et encore moins d’une ligne nette et continue. Le xvie siècle, grand siècle de la cartographie, peine encore à représenter sur des cartes des frontières entre les États. La Méditerranée en particulier reste essentiellement conçue comme une mer libre, sans eaux territoriales. Mais l’accumulation des savoirs permet progressivement de mieux percevoir et de mieux représenter l’autre, notamment sur les cartes. Ce qui caractérise alors surtout la frontière, c’est son côté instable, variant suivant les rapports de forces et les circonstances36. En arabe, le terme utilisé était .taġr 33 Ethnic Groups and Boundaries. The Social Organization of Culture Difference, edit. par F. Barth, Boston, Bergen/Londres, Universitets forlaget/Allen & Unwin, 1969, 153 p. L’introduction de F. Barth à cet ouvrage a été publiée en français dans Théories de l’ethnicité, éd. par J. Bardolph, P. Poutignat et J. Streiff-Fénart, Paris, PUF, 1995, sous le titre « Les groupes ethniques et leurs frontières », p. 203-249. Voir aussi Jocelyne Dakhlia, « La “culture nébuleuse” ou l’islam à l’épreuve de la comparaison », Annales Histoire, Sciences Sociales, 6, nov.-déc. 2001, p. 1177-1199. Pour une solide mise au point sur les « démarches relationnelles » et une discussion récente de « l’histoire croisée » par rapport au comparatisme, à l’étude des transferts culturels, et la shared ou la connected History, voir Michel Werner et Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empire et réflexivité », Annales Histoire, Sciences Sociales, 1, 2003, p. 7-36. 34 Daniel Nordman, « Des frontières. Au miroir de la France », Annales Histoire, Sciences Sociales, 5, sept.-oct. 2003, p. 1049-1053. 35 Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, xvie-xixe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 44. 36 D. Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 44-45. Voir aussi Lucien Febvre, « Frontière ; le mot
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(plur. : .tuġūr), qui désigne une marche, un territoire de confins, une ligne de places fortes ou de ports. L’idée de définir précisément le territoire semble avoir été absente de la pensée politique musulmane. Le monde étant théoriquement divisé en dār al-islām et dār al-h.arb, l’état de guerre permanent interdisait d’entreprendre des démarches diplomatiques avec l’ennemi, et donc de convenir d’un tracé frontalier avec celui-ci. Un tel compromis ne pouvait être que transitoire, et relever de la « dissimulation »37. Dans les faits, des trêves étaient conclues, qui déterminaient un troisième type de territoire, dār al-sulh. ou dār al-‘ahd. Au xive siècle, les relations entre Hafsides de Tunis et puissances chrétiennes étaient dominées par un jeu diplomatique sans aucun caractère religieux, visant à établir des relations pacifiques sans revendication territoriale majeure entre les partenaires38. Sous les Ottomans, les territoires des marches, régions d’activité militaire plus ou moins régulière et de colonisation à la frontière de l’État ennemi, jouissant souvent d’une grande autonomie par rapport au pouvoir central, étaient appelés uj39. Le terme arabe de h.add (plur. h.udūd) correspond davantage à l’idée d’une ligne démarquant deux États souverains, telle qu’elle s’est imposée à partir du xviiie siècle. Il est en effet généralement admis que c’est au traité de Karlowitz (1699) que La frontière ouverte, comme une zone d’activité militaire irrégulière – comme une frontière ġazī s’il faut l’appeler ainsi – et comme un terrain de ralliement pour le Kleinkrieg continuel […] en territoire ennemi (« infidèle ») a finalement été fermée, avec l’acceptation ottomane de l’idée d’une frontière démarquée, une paix continuelle, et le respect de l’intégrité territoriale de l’État voisin 40
La Militärgrenze, établie alors du côté autrichien avec une très grande minutie par Luigi Fernando Marsili, allait rester presque stable jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Mais sans doute Karlowitz n’a-t-il été qu’une étape dans cette régularisation des confins, dans l’émergence progressive d’une pensée spatiale rationnelle, et dans le renoncement à la domination universelle, aussi bien chez les Ottomans que chez les Austro-hongrois41. À l’époque envisagée ici, la frontière n’était donc pas une ligne
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et la notion », article de 1928, repris dans Lucien Febvre, Pour une histoire à part entière, Paris, Sevpen, 1962, 867 p., repris dans Lucien Febvre. Vivre l’histoire, éd. par B. Mazon et B. Müller, Paris, R. Laffont/A. Colin, 2009, p. 379-389. G. Veinstein, « Entre Islam et Chrétienté », art. cit. Maria Pia Pedani, « Cristiani e Musulmani nel Mediterraneo », dans La Mobilité des personnes en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et documents d’identification, éd. par C. Moatti, Rome, École Française de Rome, 2004, p. 239-251. D. Valérian, art. cit, dans ce volume. C. Heywood, « The Frontier in Ottoman History », art. cit. Ibid., p. 242. G. Veinstein, « Entre Islam et Chrétienté », art. cit. Voir la chronologie donnée pour la France par D. Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 520-526.
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tracée sur la carte, mais un territoire assez large dont le contrôle était mouvant, et se négociait avec l’adversaire, mais aussi avec des formes locales d’autorité42. C’était une zone de no man’s land, qui de part et d’autre, offrait des modes d’occupation similaires : aux cosaques du Dniepr, aux Haidouks et Uskoks des confins hongrois, qui formaient du côté chrétien des troupes irrégulières, en grande partie issues de populations dissidentes du point de vue politique, religieux et économique, faisaient face du côté ottoman des éléments paramilitaires constitués d’esclaves affranchis, de chrétiens locaux pas toujours islamisés, et de corsaires ou pirates. Le mode opératoire des uns et des autres était comparable : des expéditions de pillage visaient à rapporter autant de butin et de captifs que possible. Ces derniers pouvaient ensuite être rançonnés, ou devenaient esclaves43. L’île de Patmos au xvie siècle constitue un cas particulier, qui montre à quel point les situations de frontière pouvaient être diverses. En même temps, il s’agit d’un exemple caractéristique de ces zones de l’entre-deux politique et militaire. Alors que l’île est sous la souveraineté du Grand Seigneur, ses habitants chrétiens grecs sont à de multiples reprises victimes de rafles, non pas de la part de corsaires latins, mais bien de musulmans sujets ottomans opérant à partir des côtes d’Anatolie, et tenus pour collaborateurs de la Porte ou d’un gouverneur local comme Şehzade Korkud. Visiblement, le statut de ces dhimmī sujets du Sultan restait ambigu aux yeux d’un certain nombre, et légitimait leur capture et leur revente. Les mises en garde du pouvoir contre ce trafic produisaient peu de résultats sur le terrain. Mais l’ambiguïté pouvait être souhaitée par les Patmiotes eux-mêmes, comme il apparaît à la fin du xvie siècle et au début du xviie, quand la pression des corsaires occidentaux s’accentue dans les Cyclades. Les insulaires trouvent alors des compromis avec ces derniers, voire leur servent de relais, tout en donnant des gages de loyauté aux marins musulmans et aux autorités ottomanes44. Il ne fait pas de doute cependant que la notion de frontière se précisait alors, dans le contexte de l’affirmation de la souveraineté des États sur les territoires. La « bataille des livres » qui opposa au xviie siècle les juristes, sur la légitimité des États à s’approprier politiquement et juridiquement la mer en définissant des eaux territoriales, a été un des épisodes de ce travail de définition de l’idée de frontière45. L’évolution de l’art de la guerre, qui rendait désuètes les formes de défense locales
42 Palmira Brummett, Ottoman Seapower and Levantine Diplomacy..., op. cit., p. 12-13. 43 G. Veinstein, « Entre Islam et Chrétienté », art. cit. 44 Nicolas Vatin, « Les Patmiotes face à la piraterie entre le début du xvie siècle et la Guerre de Crète », dans ce volume. 45 Guillaume Calafat, « Les frontières du droit en Méditerranée. Marchands et marins face aux tribunaux maritimes (1570-1670) », dans ce volume.
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autonomes, et nécessitait le recours à une technicité sophistiquée et coûteuse que seules les grandes puissances pouvaient s’offrir, ainsi que l’installation de garnisons de troupes mercenaires, renforçait la ligne de frontière en même temps que l’emprise de l’État central sur les régions périphériques, comme, par exemple, les îles de Méditerranée occidentale. Celles-ci se couvrent au xvie siècle « de tours de guet, de fortifications littorales et portuaires, destinées non seulement à prévenir les attaques, mais à manifester de manière agressive l’appartenance à son camp, par la matérialisation concrète de l’espace d’influence des puissances »46. Alors que le préside de Tripoli représentait, pour les chevaliers de Saint-Jean, une conception de la frontière mobile et offensive, conçue aussi en termes de point de contrôle et de protection des routes maritimes, le renoncement à l’Afrique, l’installation définitive à Malte et la fortification de l’île, signifiaient une évolution des mentalités vers une nouvelle idée de la frontière, comme ligne stable et démarcation nette entre deux civilisations47. Significativement, c’est par la représentation de lignes de forteresses que les ouvrages cartographiques vénitiens des années 1560-1570 dessinent les frontières de dominations, en particulier de Venise et des Ottomans, sur le pourtour de la Méditerranée48. Le rapprochement entre l’exemple de Patmos et celui des îles de Méditerranée occidentale suggère les deux caractères contradictoires des territoires frontaliers : à la fois lieu de surinvestissement matériel et symbolique d’un pouvoir qui cherche à affirmer sa souveraineté, et zone périphérique, où la distance par rapport aux institutions productrices de normes et de modèles culturels est la plus grande49. Souvent, le pouvoir central tire profit de la relative autonomie et des modes peu réguliers d’agir des frontaliers, mais il cherche en même temps à les encadrer ou à les soumettre à des règles plus contraignantes50.
46 Anne Brogini et Maria Ghazali, « Introduction », dans Des Marges aux frontières, op. cit., p. 17. Voir dans le même volume, Walter Panciera, « Défendre Chypre. La construction et la reddition de la forteresse de Nicosie (1567-1570), p. 81-101 ; Valentina Favarò, « Sicily : Frontier-island in the Modern Mediterranean », p. 103-120 ; Juan Francisco Pardo Molero, « Le gouvernement du royaume de Majorque et la régulation de la défense en Méditerranée occidentale (1500-1550) », p. 121-157. Sur la construction de Toulon par Richelieu, en vue d’en faire une place forte protégeant tout le pays, mais aussi une base de domination de la mer, voir Michel Vergé-Franceschi, Toulon, Port royal (1481-1789), Paris, Tallandier, 2002, 329 p. Voir aussi Jean Aubin, « Une frontière face au péril ottoman : la Terre d’Otrante (1529-1532) », dans Soliman le Magnifique et son temps, op. cit., p. 465-484. 47 A. Brogini, art. cit. 48 Guy-François Le Thiec, communication orale, non publiée. 49 J.-F. Schaub, « Une historiographie expérimentale », dans La Mobilité des personnes en Méditerranée, op. cit., p. 308. Voir aussi, à ce sujet, différentes contributions à Insularités ottomanes, éd. par N. Vatin et G. Veinstein, Paris, Maisonneuve et Larose, 2004, 310 p. 50 G. Veinstein, « Entre Islam et Chrétienté », art. cit. et le cas de Şehzade Korkud évoqué par N.
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Circulations et mises en relations « La Méditerranée n’a d’unité que par le mouvement des hommes, les liaisons qu’il implique, les routes qui le conduisent », écrivait Braudel51. Si la frontière, avec son contenu militaire, est la zone qui segmente, divise et oppose, elle est aussi un lieu d’échange et de circulation. La guerre elle-même nécessite d’ailleurs l’entretien de systèmes de renseignements au plus proche de l’adversaire52. Elle implique de plus des procédures de négociation, de conciliation, ou d’échanges de prisonniers. La frontière maritime davantage encore que la frontière terrestre, induit contacts et relations, formes de réciprocité et de compromis par-delà les obstacles idéologiques ou politiques. La proximité même des territoires, la contiguïté dans les itinéraires, nécessite des formes de connectivité53.
Au temps de la pensée mercantiliste, qui reliait la puissance d’un État à sa richesse, la volonté d’étendre la souveraineté s’accompagnait de celle de capter les richesses, en favorisant l’attractivité (surtout fiscale) de tel ou tel port par l’octroi de franchises, ou en délivrant des dispenses autorisant le commerce avec l’ennemi, même en temps de guerre54. Même les Mamelouks d’Égypte, quoique cavaliers passionnés, situant leur centre de gravité à l’intérieur des terres et voulant faire de la côte une ligne armée contre les adversaires chrétiens, furent entraînés à leur corps défendant à mener une politique méditerranéenne fondée sur des relations économiques et politiques pacifiées avec des Européens, qui ne les conduisit cependant jamais à un désarmement idéologique55. Le transfert technologique, notamment dans le domaine de la guerre, s’effectuait rapidement, dans la limite des ressources disponibles pour le réaliser56. Le xve siècle marque un retournement significatif des relations entre l’Empire mamelouk et l’Europe latine en matière d’échanges. En effet, les sultans d’Égypte devinrent alors importateurs de produits de luxe européen, textiles, savon, verres, papier, objets métalliques, sans qu’il faille nécessairement en conclure à la décadence économique de leur pays. Le règne de Qaytbay (1468-
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al-Tikriti, art. cit. Cette réflexion rejoint aussi celles de M. Greene, Catholic Pirates and Greek Merchants, op. cit. F. Braudel, La Méditerranée, op. cit., T. I, p. 338. D. Couto, art. cit. D. Nordman, Tempête sur Alger, op. cit., p. 19. L’auteur reprend le terme de connectivity de Peregrine Horden et Nicholas Purcell, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, Malden, Blackwell Editions, 2002, 776 p. G. Calafat, « Les frontières du droit », art. cit. Albrecht Fuess, Verbranntes Ufer. Auswirkungen mamlukischer Seepolitik auf Beirut und die syropalestinensische Küste (1250-1517), Leyde, Brill, 2001, 516 p. Doris Behrens Abou Saif, « Mamluk Artistic Relations with Latin Europe », dans ce volume. A. Fuess, art. cit.
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1496), connut une efflorescence de l’architecture et des arts décoratifs, qui fit appel à des experts européens attirés au Caire, peut-être dans l’intention de faire revivre le marché de l’exportation57. La distance technologique s’accentuait alors entre l’Europe occidentale et le monde musulman. L’importation, au Caire comme à Istanbul, de lunettes de vue fabriquées en Italie, pourrait symboliser ce décalage croissant58. Contrairement aux Mamelouks, les Ottomans assumèrent sans restriction d’envoyer des agents faire des achats à Venise, ou de passer directement commande auprès des bailes de verres de Murano, de soie, d’étoffes, voire de petits chiens blancs. De façon moins anecdotique, l’entourage du sultan réclamait des cartes géographiques59. Assez souvent, ces objets étaient offerts par les autorités vénitiennes, afin de restaurer ou d’améliorer les relations entre la Sérénissime et la Porte. Ces cadeaux traduisaient la subordination politique et militaire de Venise en même temps que sa supériorité technique, l’amitié entre les deux puissances, en même temps que le risque permanent de conflit entre elles. Pour bien saisir cette coexistence entre « hospitalité et hostilité, accueil et expulsion », il est nécessaire de changer d’échelle, de se situer à un niveau géographique local, et souvent au niveau même des individus dans leur parcours personnel. Il convient de pratiquer « une histoire globale à petite échelle », selon l’heureuse formule de Francesca Trivellato60. Mais cette recherche au « ras du sol » nécessite un travail d’archives particulier, qui ne s’attache plus seulement aux grandes entités, comme les compagnies anglaises ou néerlandaises de commerce, mais à toute une flottille de diverses embarcations, essaimées dans les ports de la Méditerranée, le long d’itinéraires qui paraissent aléatoires : c’est le sens du plaidoyer de Colin Heywood en faveur d’une microstoria du monde maritime méditeranéen61. Celui-ci est dominé par l’incertitude, par l’enchaînement d’épi-
57 D. Behrens Abou Saif, art. cit. 58 D. Behrens Abou Saif, art. cit. Frédéric Hitzel, « La Sérénissime et la Sublime Porte, ou comment les arts contribuent aux échanges diplomatiques au xvie siècle », dans ce volume. 59 F. Hitzel, art. cit. 60 F. Trivellato, « A global history on a small scale », op. cit., p. 7-10. 61 Colin Heywood, « Microhistory/Maritime History: Aspects of British Presence in the Western Mediterranean in the Early Modern Period », dans ce volume. A. Fuess, art. cit., dans ce volume. J.-F. Schaub, art. cit., p. 309. Wolfgang Kaiser, « Asymétries méditerranéennes. Présence et circulation de marchands entre Alger, Tunis et Marseille », dans Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe. T. I, Une intégration invisible éd. par J. Dakhlia et B. Vincent, Paris, Albin Michel, 2011, p. 417-442. Guillaume Calafat et Cesare Santus, « Les avatars du “~Turc”. Esclaves et commerçants musulmans à Livourne (1600-1750) », ibid., p. 471-522. À propos d’une approche « microhistorique » des relations autour de la Méditerranée, nous nous permettons aussi de renvoyer aux contributions de Hommes de l’entre-deux. Parcours individuels et portraits de groupes sur la frontière de la Méditerranée (xvie-xxe siècle), éd. par B. Heyberger et C. Verdeil, Paris, Les Indes Savantes, 2009, 349 p.
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sodes imprévisibles. Reconstituer des itinéraires personnels, prêter attention « à l’action située » et rapporter « l’explication des phénomènes à leur déroulement même » fait comprendre que l’individu est avant tout poussé à agir par le besoin de s’adapter aux incertitudes et aux risques, ou de tirer parti des situations qui s’offrent à lui. Loin des grands déterminismes géographiques et économiques, auxquels Braudel attacha tant d’importance62, une démarche de type microhistorique permet de saisir la rationalité d’un comportement ou d’une stratégie au niveau individuel, qui ne vise pas seulement à la réalisation d’objectifs économiques simples et prédéterminés, mais cherche avant tout à gérer l’incertitude, notamment d’une existence vouée à la mobilité63. Les fragments de vie exhumés des archives, comme celle des marins et marchands anglais Lionel Croft ou Daniel Israel, peuvent, par leur particularité, révéler un aspect plus vaste et représentatif du type de relations qui s’instauraient alors dans les ports de la Méditerranée, en un temps où course, transport et commerce étaient étroitement imbriqués64. Dans un autre registre, Benoît Grévin et Giuseppe Mandalà insistent sur l’intérêt de reconstituer les biographies intellectuelles des juifs siciliens (xiiie-xve siècle) pour saisir la nature de leurs activités de transfert culturel, étroitement liées à leur insertion dans l’échiquier méditerranéen65. La période qui est mise en lumière dans ce volume se caractérise par une définition plus ferme des appartenances politiques, juridiques et religieuses, des riverains de la Méditerranée, dans le cadre de la constitution de souverainetés territoriales, mais aussi par une intensification des échanges de toutes sortes66. Il resterait à discuter si cela se fait sur une base plus sécularisée, émancipant davantage l’individu des attaches communautaires et des allégeances personnelles67, alors même que les processus de confessionnalisation aussi bien du côté catholique que du côté orthodoxe, voire même du côté sunnite, amènent au contraire à définir un cadre plus strict
62 A. Fuess, art. cit. 63 Giovanni Levi, Le Pouvoir au village, Paris, Gallimard, 1989, p. 9-13, p. 51. Dans le même volume, voir dans l’introduction de Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », P. XXII-XXIII. Bernard Lepetit, « Histoire des pratiques, pratique de l’histoire », dans Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, éd. par B. Lepetit, Paris, Albin Michel, p. 9-22. 64 C. Heywood, « Microhistory/Maritime History… », art. cit. Voir aussi Anne Brogini, « Entre deux mondes : les marchands de Malte au xviie siècle », dans Hommes de l’entre-deux, op. cit, p. 23-42. 65 Benoît Grévin et Giuseppe Mandalภ« Le rôle des communautés juives siciliennes dans la transmission des savoirs arabes en Italie, xiiie-xve siècles », dans ce volume. Voir aussi Bernard Heyberger, « Abraham Ecchellensis dans la “République des Lettres” », Orientalisme, science et controverse : Abraham Ecchellensis, éd. par B. Heyberger, Turnhout, Brepols, 2010, p. 9-51, et id., « L’islam et les arabes chez un apologiste catholique du xviie siècle », Al-Qantara , 31/2, 2010, p. 481-512. 66 Claudia Moatti, « Introduction », dans La Mobilité des personnes en Méditerranée, op. cit., p. 13-15. 67 C’est l’affirmation de Claude Moatti, ibid.
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d’appartenance confessionnelle et une identité religieuse plus ferme des individus68. Tandis que le xvie et le xviie siècle se caractérisent par l’appropriation juridique par les États des espaces maritimes à partir des côtes, les ports restent des lieux d’expérimentation de normes et de pratiques juridiques communes, qui apparaissent comme un ensemble de ressources pour les spécialistes de la circulation et de la négociation, marchands et marins méditerranéens. Ces derniers trouvent dans leurs escales des interprètes et scribes aptes à non seulement traduire, mais adapter les différentes pièces écrites réclamées par les autorités. Des cohortes d’intermédiaires ou d’intercesseurs caractérisent ainsi la zone frontalière69. De part et d’autre de la frontière telle que nous venons de l’évoquer, sont repérables des hommes capables de mettre en relations des pays de langues et de traditions différentes, voire opposées, des spécialistes de la négociation et du compromis qui disposent d’un savoir-faire et d’un réseau70. C’est la fonction officielle du drogman, telle qu’elle est définie dans la décision de nomination à ces fonctions de Michiel Membrè par le Sénat de Venise (1547). Mais comme le rappelle Benjamin Arbel, l’Empire vénitien se caractérisait lui-même par sa diversité linguistique et culturelle, et la République devait passer par des intermédiaires connaissant les langues et les mœurs locales pour administrer ses propres territoires. C’est dans ses colonies, à Chypre ou en Crète, qu’elle trouvait le vivier des compétences qui lui étaient indispensables pour gérer ses relations avec l’Empire ottoman et ses ressortissants. Le même Michiel Membrè, du fait de ses connaissances des langues orientales et de son expérience de l’interculturalité, fut employé également pour négocier les frontières entre la République et la Porte en Dalmatie. À Venise, il percevait un pourcentage sur les transactions commerciales conclues avec les Turcs, sur lesquelles il exerçait une fonction de 68 On pense à l’intérêt de l’Inquisition pour les renégats ou pour les mariages entre confessions chrétiennes différentes : Bartolomé et Lucile Bennassar, Les Chrétiens d’Allah. Histoire extraordinaire des renégats (xvie-xviie siècle), Paris, Perrin, 1989, 493 p. Lucia Rostagno, Mi faccio Turco. Esperienze ed immagini dell’Islam nell’Italia moderna, Rome, Istituto per l’Oriente, 1983, 105 p. Pietro Ioly Zorattini, I nomi degli altri. Conversioni a Venezia e nel Friuli Veneto in età moderna, Florence, Olschki, 2008, 408 p. Anne Brogini, Malte, frontière de Chrétienté (1530-1670), Rome, École Française de Rome, 2006, p. 399-488. Pour un aspect de la confessionnalisation du côté orthodoxe, voir par exemple Vasileios Tsakiris, Die gedruckten griechischen Beichtbücher zur Zeit der Türkenherrschaft. Ihr kirchenpolitischer Entstehungszusammenhang und ihre Quellen, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2009, 390 p. 69 G. Calafat, « Les frontières du droit », art. cit. 70 Pour une époque postérieure voir les travaux de Mathieu Grenet. Par exemple, Mathieu Grenet, « Alexis Gierra, “interprète juré des langues orientales” à Marseille dans le premier tiers du xixe siècle : une carrière entre marchands, frères et refugiés », dans Langues et langages du commerce, éd. par G. Buti, M. Janin-Thivos et O. Raveux, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2012, p. 51-64.
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contrôle. Mais, malgré une belle carrière au service de la Sérénissime, celle-ci ne lui reconnut jamais la pleine citoyenneté71. ‘Alī Ufqī, alias Wojciech Bobowski, est une des figures les plus célèbres parmi ces intermédiaires culturels. Né d’une famille noble polonaise, il se retrouva esclave à la cour du Sultan Murad IV, où il reçut une bonne éducation de page. Après un séjour en Égypte, il revint affranchi à Constantinople en tant qu’interprète auprès de la Sublime Porte et de l’ambassade britannique. Il fut en contact avec un grand nombre de voyageurs européens. En 1666, il adressa une requête aux Anglais, pour pouvoir retourner en Europe chrétienne, mais elle ne fut pas suivie d’effet. Son œuvre témoigne de son intérêt spécifique pour la communication entre cultures, langues et religions. Parmi ses ouvrages, c’est sa traduction de la Bible en turc, mentionnée plus haut, qui inspira d’ailleurs les traductions postérieures, qui fut son œuvre maîtresse. Il traduisit aussi partiellement le Psautier de Genève. Il mit en notes une grande partie du répertoire des musiques qui se jouaient à la cour d’Istanbul, et cette compétence lui valut une reconnaissance particulière dans la hiérarchie du sérail, bien qu’elle ne fût pas suivie d’effet après lui72. Les transfuges d’Europe, captifs convertis ou volontaires passés sur l’autre bord, ont été assez nombreux. Dans l’Égypte mamelouke, certains occupaient des fonctions prestigieuses, en particulier des postes de drogmans. Chypre conquise par Barsbay en 1426, restée tributaire des sultans d’Égypte après sa conquête par les Vénitiens (1473), fournit visiblement un nombre significatif de dignitaires mamelouks73. De même, des hauts personnages de l’Empire ottoman étaient originaires des territoires de la République de Venise74. Pour le Maghreb, la première moitié du xviie siècle est généralement considérée comme l’âge d’or des renégats, le moment où leur nombre a été le plus important dans les régences. Cet apport d’éléments européens, jugé
71 B. Arbel, art. cit. 72 J. I. Haug, art. cit. Parmi les autres figures célèbres d’intermédiaires dans l’époque que nous étudions, mentionnons Léon l’Africain. Voir à son sujet Natalie Zemon Davis, Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, trad. franç., Paris, Payot, 2007, 472 p. Voir aussi la figure de Diego de Urrea, capturé par les musulmans en Calabre dans sa jeunesse, repris par les chrétiens après des années passées entre les cours de Tlemcen et d’Istanbul : Fernando Rodríguez Mediano et Mercedes García-Arenal, « De Diego de Urrea à Marcos Dobelio, interprètes et traducteurs des “Plombs” », dans Maghreb-Italie. Des passeurs médiévaux à l’orientalisme moderne (xiiie-milieu xxe siècle), éd. par B. Grévin, Rome, École Française de Rome, 2010, p. 141-188. 73 D. Behrens Abou Saif, art. cit., et B. Arbel, « Venetian Cyprus and the Muslim Levant (1473-1570) », article paru dans Papers given at the International Conference « Cyprus and the Crusades », Nicosie, 1995, p. 159-185, repris dans Cyprus, the Franks and Venice, 13th -16th Centuries, Ashgate, Variorum Reprints, 2000. 74 F. Hitzel, art. cit.
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positif par Braudel, témoignait d’après lui de l’ouverture et de la capacité d’accueil du « Turc », tandis que la Chrétienté se fermait. On sait que parmi ces renégats certains pouvaient mener double jeu, et conservaient parfois après leur conversion des relations suivies avec leur famille d’origine sur l’autre rive75. Mais M’hamed Oualdi souligne dans sa contribution qu’il faut penser ces transfuges en « mamelouks », c’est-à-dire qu’il faut relier leur conversion aux processus de dépendance sociale qui caractérisaient alors les cités corsaires. L’offre en hommes, alimentée par la pratique de la course, apparaît en fait comme un atout dans les stratégies patrimoniales, dans le jeu de la transmission du pouvoir, et dans l’édification des réseaux de fidélité au sein de ces sociétés maghrébines76. Dans le cas de l’Égypte mamelouke en tout cas, cette présence à des postes importants d’hommes d’origine européenne ne semble pas avoir eu un impact profond sur les transferts culturels, les productions intellectuelles et artistiques continuant à puiser leurs références presque exclusivement dans l’univers islamique77. Les juifs appartenaient à ces groupes d’intermédiaires connaissant les langues et ayant des relations personnelles des deux côtés. L’attention des chercheurs s’est en particulier concentrée sur les juifs de Sicile ces dernières années. À la fin du xiiie siècle, ils demeuraient les seuls capables, à Palerme, de traduire le judéoarabe ou l’arabe. Ils faisaient ainsi passer dans le monde latin des traités de mathématiques, de médecine et d’astronomie. Cette compétence se maintint dans leur milieu jusqu’à leur expulsion, à la fin du xve siècle, grâce notamment aux liens qu’ils entretenaient avec les juifs d’Espagne et du Maghreb, accueillant en particulier des immigrés en provenance de ces pays. Le dernier rejeton de cette tradition, converti au catholicisme sous le nom de Guglielmo Raimondo Moncada, a laissé un curieux spécimen de Coran transcrit en caractères hébreux et annoté, avec des essais de traduction, qui témoigne notamment d’une rare connaissance des sources musulmanes d’interprétation (tafsīr)78. Le système de renseignements portugais, qui atteignit son apogée sous le règne de João III (1521-1557), bénéficia paradoxalement de la dispersion des juifs et des conversos chassés d’Espagne, puis du Portugal, et installés dans l’Empire ottoman. Mais il se diversifia en même temps, en prenant appui sur des marchands musulmans ou sur des renégats chrétiens79. C’est aussi une juive d’ori-
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B. et L. Bennassar, op. cit. M. Oualdi, art. cit. D. Behrens Abou Saif, art. cit. B. Grévin, G. Mandalà, art. cit. B. Grévin, « Le “Coran de Mithridate ” (ms. Vat. Ebr. 357) à la croisée des savoirs arabes dans l’Italie du xve siècle », Al-Qantara, XXXI/2, 2010, p. 481-512. 79 D. Couto, art. cit.
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gine espagnole, suivante des princesses ottomanes du harem, qui passait les commandes pour ses maîtresses auprès du baile de Venise80. Les juifs d’Europe centrale pour leur part suivaient les routes du pèlerinage à Jérusalem en passant généralement par la Crimée, puis par Constantinople. Ils bénéficiaient pour leur voyage de l’unification territoriale opérée par les Ottomans, qui leur permettait de gagner la Palestine en passant par Seyde ou l’Égypte sans traverser de frontière. C’est le long des mêmes routes qu’ils exercèrent des activités commerciales, dont le trafic et le rachat des captifs, ou des fonctions diplomatiques, notamment entre la couronne de Lituanie-Pologne et les Khanat de Crimée et de la Volga81. Manger dans de la porcelaine chinoise, boire dans du verre de Venise et même être gouverné par des Mamelouks européens n’entraînait pas une plus profonde affinité envers les cultures derrière les produits et les gens
conclut Doris Behrens Abou Saif à propos de la société égyptienne du xve siècle82.
En effet, contrairement à une idée courante, la circulation et l’échange commercial ne débouchent pas automatiquement sur la compréhension et l’acceptation de l’autre. Il faut pour arriver à ce résultat disposer des outils cognitifs nécessaires, qui permettent réellement d’entrer dans l’altérité d’une culture différente. Nous voudrions de nos jours croire au mélange positif, à l’influence réciproque facile et bénéfique. Ainsi, a-t-on inventé, à partir du xixe siècle, un mode « andalou » pour la musique espagnole, et se complait-on aujourd’hui à en vanter les accents arabisants. Mais les deux musiciens espagnols Juan de Encina et Francisco Guerrero, qui visitèrent tous les deux la Terre Sainte au xvie siècle, à près de soixante-dix ans de distance, n’étaient visiblement pas intellectuellement armés pour apprécier et saisir la musique qu’ils entendirent sur leur route, et n’en tirèrent aucune conséquence sur leur propre composition musicale. D’ailleurs, jusqu’au xviiie siècle au moins, l’oreille des « Francs » paraît peu sensible à l’écoute de la musique orientale83. Inversement, Dimitri Cantemir et ‘Alī Ufqī, qui notèrent la 80 F. Hitzel, art. cit. 81 Mikhail Kizilov, « Between Europe and the Holy Land. East European Jews as Intermediaries between Europe and the Near East from the Sixteenth through the Seventeenth Centuries », dans ce volume. 82 D. Behrens Abou Saif, art. cit. 83 Cristina Diego Pacheco, « Un échange musical impossible ? Les récits de voyage en Terre Sainte de deux compositeurs espagnols de la Renaissance : Juan del Encina (1521) et Francisco Guerrero (1590) », dans ce volume. On note par contre une attention et un goût prononcés pour la musique locale dans les annotations du voyageur Ulrich Jasper Seetzen, lors de son séjour prolongé à Alep les premières années du xixe siècle : Ulrich Jasper Seetzen, Tagebuch des Aufenthalts in Aleppo, 1803-1805, Hildesheim/Zürich/New York, Georg Olms Verlag, 2011, passim.
introduction - la frontière méditerranéenne
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musique ottomane à partir de systèmes de notation adaptés de l’Occident, ne firent pas d’émules dans le monde ottoman. Le second ne réussit d’ailleurs pas entièrement à rendre par écrit les particularités de la musique ottomane84. Ce n’est qu’après un important travail musicologique et au prix d’une grande technicité instrumentale et vocale que Vladimir Ivanoff et son ensemble Sarband purent interpréter magistralement, devant un public visiblement préparé à les entendre, les Psaumes de Genève, dans l’arrangement ottoman de ‘Alī Ufqī, en ouverture du colloque de Tours, le 17 juin 2009.
84 J. I. Haug, art. cit.
-ILa frontière méditerranéenne : concepts et perceptions
Entre Islam et Chrétienté : le monde à part des frontaliers Gilles Veinstein | Collège de France (Paris)
La conquête ottomane en Europe, qui intégrera à l’Empire entre un quart et un tiers de la surface du continent, a pour conséquence de couper celui-ci en deux par une frontière islamo-chrétienne. Entre l’Europe ottomane et cette autre Europe qui se veut la seule vraie – l’Europe à proprement parler –, en s’identifiant à la Chrétienté, une ligne de partage se dessine, qui se déplace çà et là, à mesure de l’avance turque, de la même façon que, à la fin de la période moderne, elle se rétractera en épousant les premiers reculs ottomans. Au maximum de l’expansion ottomane, cette ligne (qui, le plus souvent, se présente plutôt comme un glacis) prend en écharpe le continent européen, en gros de la Caspienne à l’Adriatique. À l’est, elle court à travers les steppes du nord de la mer Noire, pour se diriger au nord-ouest de cette mer vers l’Europe centrale, en suivant les lisières méridionales de la Lituanie et de la Pologne. Elle traverse ensuite le nord de la Hongrie puis redescend vers le sud à travers la Croatie. Au sud de l’Europe, la Méditerranée tient lieu de frontière, du moins dans son bassin occidental. Remettre cette situation en cause, transformer la géopolitique dans cette zone, avait été l’un des objectifs des politiques espagnole et portugaise aux xve et xvie siècles. Les succès portugais au Maroc avaient été marqués par la prise de Ceuta en 1415, puis d’Arzila et de Tanger en 1471. Les Espagnols, en 1497, s’étaient assuré une enclave – Melilla – dans ce même Maroc. Le traité de Tordesillas, en 1494, avait dessiné un partage du Maghreb entre les deux puissances ibériques : le Maroc au Portugal, l’Algérie et la Tunisie à l’Espagne. Oran qui avait été occupée par les Espagnols en 1509, continuera de leur appartenir
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jusqu’au xviiie siècle1. Les mêmes avaient pris Tripoli en 1510. Ils occupent également Bougie pendant une partie du xvie siècle, jusqu’à 1555, date de la conquête de cette place par les Turcs d’Alger. La bataille de Ksar al-Kebir, en 1578, opposant le roi Sébastien et le roi de Fès d’un côté, les Saadiens de l’autre, met fin aux ambitions marocaines du Portugal. De leur côté, les Espagnols vont également se heurter à une réaction musulmane. Elle est le fait des frères Barberousse – des corsaires appelés au secours par la population d’Alger, en 1514-1515. Après la mort d’Arûdj à Tlemcen en 1518, c’est Hayreddin, son cadet, qui prend les opérations en mains. En 1529, le point d’appui espagnol qu’était le peñón d’Alger, doit se rendre. D’autre part, derrière Hayreddîn se profile la puissance ottomane : déjà vassal du sultan ottoman Selîm Ier, depuis 1519, le corsaire devient grand amiral de la flotte du fils de ce dernier, Soliman le Magnifique, en 1533. Dans cette position, il s’empare de Tunis en 1534, mais la ville est reprise, dès l’année suivante par une expédition spectaculaire conduite par Charles Quint. Ce dernier remet en place les Hafsides qui sont ses clients. Le contrôle espagnol est maintenu sur La Goulette2. Tunis restera quelque temps encore disputée entre les deux empires. En 1569-1570, Uludj Ali pacha, le gouverneur ottoman d’Alger, la reprend, mais l’autorité espagnole sera rétablie en 1573 par Don Juan d’Autriche à la tête de la flotte de Sicile. En juillet 1574, Uludj Ali remet Tunis et La Goulette sous le contrôle ottoman, définitivement cette fois. Entre-temps, en 1551, Tripoli que Charles Quint avait remise aux Chevaliers de Malte en 1530, avait été conquise elle aussi pour le compte des Ottomans. Dans ces conditions, le Maghreb est demeuré sous domination musulmane, Tunis, Alger et Tripoli devenant des provinces ottomanes. Le Maroc reste au contraire un royaume indépendant. Tandis que la Méditerranée occidentale demeure ainsi une frontière islamo-chrétienne, cela devient de moins en moins vrai du bassin oriental, au fur et à mesure que les morceaux des empires coloniaux génois et vénitien, imbriqués au départ dans les possessions ottomanes, sont intégrés à l’empire des sultans. La conquête de la Crète, de 1645 à 1669, est la dernière étape de ce processus qui retire au bassin oriental son caractère de frontière pour en faire un « lac ottoman ». L’Adriatique, quant à elle, que Venise s’était plu à désigner comme son propre golfe, n’en est pas moins devenue, et pour longtemps, une frontière. 1
2
Fernand Braudel, « Les Espagnols et l’Afrique du Nord de 1492 à 1577 », Revue Africaine, 69, 1928, p. 184-233 et 351-410. Repris dans Autour de la Méditerranée, Paris, Perrin, 1996, p. 171-212 ; Beatriz Alonso Acero, Oran-Mazalquivir, 1589-1639 : una sociedad espa˜nola en la frontera de Berberia, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 2000, 516 p. Sylvie Deswarte-Rosa, « L’expédition de Tunis (1535) : images, interprétations, répercussions culturelles » dans Chrétiens et musulmans à la Renaissance, éd. par B. Bennassar et R. Sauzet, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 103-117.
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Une frontière parmi d’autres Des frontières, l’Europe moderne en compte de toutes les sortes et, pour nous en tenir aux frontières politiques, elles sont nombreuses. À certains égards, la frontière ottomane partage avec celles-ci les ambiguïtés ordinaires des situations frontalières. La frontière est en effet à la fois point de séparation et lieu de passage, officiel ou clandestin (qu’il s’agisse d’espions ou de contrebandiers) ; elle peut établir une coupure artificielle entre des populations similaires par l’ethnie (voire la religion, comme entre Serbes orthodoxes et Croates catholiques, les uns et les autres établis de part et d’autre de la frontière ottomano-hongroise), et en tout cas par le mode de vie : ainsi n’aura-t-elle n’a pas de sens pour les bergers transhumants ou les pêcheurs en quête d’eaux poissonneuses. Elle est à la fois, par opposition à l’« arrière », un lieu de tension constante, d’« incidents de frontière », le point où se cristallise de façon permanente un antagonisme qui, ailleurs, reste virtuel en dehors des périodes de guerre, en même temps qu’elle favorise les contacts et les échanges de toutes natures.
La frontière par excellence Mais, par ailleurs, la frontière ottomane se distingue de toutes les autres par un certain nombre de traits qui en font la frontière majeure sur le continent. On a pu ainsi la comparer au « rideau de fer » du temps de la Guerre Froide3. C’est une frontière politique séparant un seul État, celui des « pays-bien-gardés de l’islam » qui s’étend également sur une partie de l’Afrique et de l’Asie, d’une pluralité d’États chrétiens distincts ; mais c’est beaucoup plus que cela : elle est perçue de part et d’autre comme séparant deux mondes opposés par des religions et plus largement par des civilisations irréductiblement différentes. Du côté chrétien, les frontières polonaises et hongroises apparaissent comme autant de remparts ou de boulevards de la Chrétienté. De l’autre côté, trois forteresses frontalières recevront l’appellation de « Sedd-i islâm » (« barricade de l’islam ») : une en Herzégovine ; une dans le sandjak de Kırka près de Zemûn ; une dans le sandjak de Vidin. Une autre, l’actuelle Kladovo, dans ce dernier sandjak, fut qualifiée de « Feth-i islam » (« Conquête de l’islam »), tandis que Belgrade reçut le surnom de « Dâr ül-Djihâd » (« Demeure de la Guerre Sainte »).
3
Cf. par exemple, Jean Nouzille, Histoire de frontières. L’Autriche et l’Empire ottoman, Paris, 1991, p. 57 : « Les confins militaires autrichiens […] furent le “rideau de fer” de la chrétienté, le rempart de l’Europe face aux agressions ottomanes et un lieu de confrontation entre les civilisations chrétienne et musulmane ».
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Simultanément se développe chez les Ottomans une mystique de la frontière (serhadd), entretenue par les ordres de derviches. Elle se réfère aux premiers temps glorieux de l’islam combattant et fait surgir dans le quotidien le plus prosaïque de saints personnages en liaison avec l’au-delà et doués de pouvoirs surnaturels. On lira ainsi, dans la vita d’un de ces maîtres spirituels de la frontière, le cheikh Muslihuddîn de Smreska, des lignes telles que celles-ci : À son époque, de tous côtés, les gouverneurs et les souverains agissaient avec son support et, dans la confrontation avec l’ennemi, comme dans les expéditions de gazis, en sa présence comme en son absence, ils faisaient appel à l’aide du défunt.
Un jour, on voit ce cheikh en compagnie d’un homme présentant l’apparence d’un soldat irrégulier (un levend), avec qui il devise familièrement. À la sortie de l’inconnu, le cheikh demande à l’un de ses derviches : « avez-vous vu le levend ? Il est des Sept » et le biographe d’expliquer, en se référant à la doctrine mystique d’Ibn ‘Arabî : « il voulait dire par là que le cheikh était dans la position de pôle (kutb) et qu’il connaissait les saints cachés (ridjal) qui étaient en dessous de lui. Mais Dieu est le plus savant ! »4. Les symboles par lesquels on représente les deux mondes sacralisés qui se font face quand, à la suite de traités de paix, des commissions mixtes cherchent à matérialiser sur le terrain, de façon concertée, la ligne qui les sépare, se situent sur le même registre : en Dalmatie, des croix gravées sur des troncs d’arbres ou des parois rocheuses délimitaient le territoire vénitien ; des croissants de lune celui de l’islam5. De même, lors de la délimitation polono-ottomane de 1680, quatre ans après la trêve de Žuravno entre les deux pays, on éleva de part et d’autre des monticules de pierre pour marquer la frontière. Au sommet des monticules, les Polonais plantaient des croix et les Ottomans des piles de morceaux de bois en forme de turbans. Un soldat de l’escorte des commissaires polonais rapporte à ce propos : Quand on en venait à élever des monticules, les Turcs, utilisant des pelles qu’ils avaient, attachées à leurs selles, élevaient un monticule de terre en un clin d’œil après avoir creusé autour d’un grand tronc de chêne qui se trouvait au milieu. Une fois le travail terminé, leurs supérieurs montaient au sommet du monticule et aboyaient comme des chiens, leurs faces tournées vers le ciel, remerciant Dieu pour avoir conquis tout cela par leur épée6
4
5 6
Extrait des Silsiletü-l-mukarribîn ve menâkibü-l-müttakîn de Müniri Belgradî, cité par Nathalie Clayer, Mystiques, État et Société. Les Halvetis dans l’aire balkanique de la fin du xve siècle à nos jours, Leyde, Brill, 1994, p. 128. Maria Pia Pedani, Dalla Frontiera al Confine, Venise, Herder, 2002, p. 44-46. « Relacja komisarsy Rzeczypospolitej do rozgraniczenia Podola », Varsovie, AGAD, AKW, Dz.
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Imposée par les faits, cette frontière islamo-chrétienne n’en reste pas moins, dans le principe, un scandale pour chacune des deux parties. Elle peut faire l’objet de contestations et de litiges sur tel point de son tracé, susciter des situations d’irrédentisme et des « incidents de frontière », mais, au-delà de désaccords sur le contenu, comme il peut en exister entre deux États de même religion, elle est refusée de part et d’autre dans son existence même. Les deux côtés y voient, pour des raisons différentes, le stigmate d’une situation inacceptable : pour les chrétiens, elle est la marque d’une présence illégitime amputant une partie de « leur » continent ; elle est la matérialisation douloureuse de cette anomalie historique qu’est cette présence musulmane en leur sein. Pour les Ottomans, la frontière signifie l’inaccomplissement de leur mission. Tant qu’elle subsiste, elle les renvoie à leur échec, au moins provisoire. Elle se dresse comme un reproche. Le fait est qu’il leur faudra longtemps pour admettre ouvertement la nécessité de se borner, d’avoir des limites comme les autres États, pour voir donc dans l’existence de leurs frontières une réalité objective. Seul un laborieux apprentissage les convertira à l’idée qu’ils ne régnaient pas sur un empire virtuellement universel mais sur un État particulier, ayant comme les autres ses limites. Dans le préambule d’un acte de délimitation de frontière (sınurnâme) avec la Pologne de 1680, inséré dans le registre de recensement de la province ottomane de Podolie, on a pris soin de rappeler, par des propos au demeurant très stéréotypés, que si le document qui suit traite en effet de frontières, celles-ci ne doivent pas être prises trop au sérieux, car Dieu seul remet les royaumes aux souverains de ce bas monde. Un hadith est rappelé, promettant que, tôt ou tard, tous les territoires des mécréants deviendront accessibles aux combattants de l’islam. Déjà, observait-on, les Infidèles avaient commencé de déserter en fuyant leurs remparts, leurs forteresses et leurs fortins7. En fait, comme d’autres textes l’indiquaient à propos de la diplomatie, la fixation des frontières ne pouvait relever que du principe de « dissimulation » (mudara)8. Il faudra attendre la fin du xviiie siècle, précisément 1772, pour que, tirant les leçons des revers dramatiques essuyés devant la Russie, un diplomate ottoman, Ahmed Resmi, ose adresser un « traité de conseil » (layiha) au grand vizir de l’époque, Muhsinzâde, préconisant expressément le maintien de l’Empire dans des limites définies et stigmatisant les rêves d’expansion excessive9.
7 8 9
Tur, k.77, t.479, n°803, cité par Dariusz Kolodziejczyk, Ottoman-Polish Diplomatic Relations (15th18th Century). An annotated edition of Ahdnames and other documents, Leyde, Brill, 2008, p. 62-63. Istanbul, Archives de la Présidence du Conseil, Archives ottomanes, TT 805, p. 378 ; cité dans ibid., p. 62. Naima Tarihi, Istanbul 1281/1864-1867, 3e éd., V, p. 21-22. Virginia H. Aksan, An Ottoman Statesman in War and Peace, Ahmed Resmi Efendi, 1700-1783, Leyde, Brill, 1995, p. 195-198.
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Des dispositifs militaires défensifs Séparant deux mondes en principe antagonistes, chacun étant considéré comme poursuivant la mort de l’autre, cette frontière, aux différentes époques, est le lieu de dispositifs militaires sans équivalent dans aucune autre partie du continent. La frontière islamo-chrétienne est une frontière militarisée ou, pour reprendre l’expression qui sera employée à propos de la frontière habsbourgeoise après le traité de Karlowitz, une « frontière militaire » (Militärgrenze)10. Il n’est pas question d’un rempart continu sur toute la longueur de la frontière, d’une « muraille de Chine », mais apparaissent sur plusieurs segments capitaux de cette frontière des systèmes de défense plus complexes, conjuguant, sur plusieurs lignes de profondeur, des forteresses majeures, construites en pierre et suivant, le cas échéant, les principes les plus modernes de l’architecture militaire (la « trace italienne ») et tout un ensemble de fortins et de postes de garde dotés de systèmes de signalement. C’est le cas des « tours vénitiennes » du littoral et des îles, comme d’autre part, pour passer à des éléments plus rudimentaires et beaucoup moins onéreux, des « palanques » – un terme et une réalité matérielle présents des deux côtés sur la frontière hongroise : des fortins entourés d’un mur de défense fait de troncs d’arbres, dans lequel on pratique des fenêtres de tir et qu’on entoure d’un fossé. Tous ces dispositifs divers existent aussi bien du côté ottoman que du côté chrétien (le cas échéant séparés par de très grandes distances comme dans les steppes de la mer Noire). Dans les deux cas, au gré des circonstances, ils ont un rôle défensif aussi bien qu’offensif. Ils ont ce second rôle quand ils servent de bases de départ à des raids ponctuels de harcèlement dans le cadre du Kleinkrieg, voire à des opérations de plus grande envergure dans les périodes de guerre déclarée. Tant il est vrai que la frontière n’est jamais inerte, y compris dans les phases de paix officielle. Du seul fait d’une présence militaire permanente, des incidents locaux éclateront toujours ici ou là. L’Empereur Maximilien II n’écrivait-il pas en 1567, à une date à laquelle il s’orientait pourtant vers la paix avec les Turcs, à l’un de ses officiers, le capitaine de la forteresse de Kiskomáróm, au sud du lac Balaton : « Tiens tes soldats prêts comme s’il n’y avait pas de paix du tout »11?
10 Gunther E. Rothenberg, The Austrian Military Border in Croatia, 1522 - 1747, Urbana, 1960. 156 p.. 11 Cité par Géza Palfy, « The Origins and Development of the Border Defence system against the Ottoman Empire in Hungary (up to the early eighteenth century) », dans Ottomans, Hungarians and Habsburgs. The military confines in the era of the Ottoman conquest, éd. par G. David et P. Fodor, Leyde, Brill, 2000, p. 40 et n. 3.
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Le monde des frontaliers Sur les différents segments de cette frontière apparaissent des phénomènes sociopolitiques spécifiques, présentant une unité frappante, tout comme est frappante leur symétrie sur chacun des côtés de la frontière. Certes, ces phénomènes, là où ils apparaissent, ne sont pas entièrement assimilables les uns aux autres ; ils présentent ici et là des originalités liées à la disparité des contextes particuliers, mais ils n’en offrent pas moins un ensemble de similitudes qui autorisent, selon nous, à voir dans ces manifestations apparemment hétérogènes une réalité unique. Cette unité a cependant été longtemps occultée par le fait que les différentes sections de la frontière islamo-chrétienne relevaient de domaines et de spécialisations historiographiques différents et coupés les uns des autres. L’énumération des différentes formations sociopolitiques auxquelles nous faisons allusion, paraîtra ainsi, de prime abord, hétéroclite. Les ports du Maghreb – notamment Alger, Tunis, Tripoli ou Salé au Maroc – servent ainsi de bases aux corsaires barbaresques12. Ils s’opposent en Méditerranée à des pirates et corsaires chrétiens, notamment à ceux qui écument la mer sous l’égide des Chevaliers de Malte et des Chevaliers de Saint-Étienne, ces derniers créés en 1562 par le Grand-Duc de Toscane et basés à Livourne. Les steppes séparant les limites méridionales de la Russie et de la PologneLituanie du khanat de Crimée et des possessions ottomanes du nord de la mer Noire, de même que les grands fleuves qui les parcourent, l’ensemble constituant les « terres sauvages » (dzikie pola en polonais ; dikoe pole en russe), sont le terrain d’action des cosaques d’une part (cosaques zaporogues du Dniepr et cosaques du Don), des Tatars de Crimée et d’autres groupes tatars et nogays d’autre part13. Entre Croatie et Slavonie (la zone entre le Danube, la Save et la Drave) existe de la même façon, à une échelle plus réduite, un no man’s land entre lignes habsbourgeoises et lignes turques, « les terres vides » (nicija zemlia) résultant des raids et de la politique de la terre brûlée menée de part et d’autre. Des « frontaliers » (Grenzer, Granicari) s’y établissent, plus particulièrement désignés par le terme d’origine croate d’uskoks (du verbe uskociti : « se déplacer par bonds successifs »). Sur l’Adriatique
12 Salvatore Bono, Les Corsaires en Méditerranée, trad A. Somaï., Paris, Edif, 2000, 255 p. 13 Alan Fisher, « The Ottoman Crimea in the sixteenth century », Harvard Ukrainian Studies, V/2, 1981, p. 135-170 ; Chantal Lemercier-Quelquejay, « Un condottiere lithuanien du xvie siècle, le prince Dimitri Višneveckij et l’origine de la seč zaporogue d’après les archives ottomanes », Cahiers du monde russe et soviétique, X/2, 1969, p. 258-279. Michael Khodarkovsky, Russia’s Steppe Frontier. The Making of a Colonial Empire, 1500-1800, Bloomington, Indiana University Press, 2002, 290 p ; William H. McNeill, Europe’s Steppe Frontier, 1500-1800, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1974, 252 p.
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apparaît une version maritime de ces uskoks. Ils ont pour base le nid d’aigle de la forteresse de Senj (Segna)14. La frontière ottomano-habsbourgeoise continue à la hauteur de la Hongrie. Il s’agit là d’une section particulièrement active et sensible de la frontière islamo-chrétienne, dont le tracé est en constante évolution, les empiétements ottomans ne cessant de se poursuivre après le milieu du xvie siècle. Ils amèneront encore la constitution d’une nouvelle province, l’eyâlet d’Uyvár, à une date aussi tardive que 166415. Garnir cette frontière est une préoccupation constante des autorités de Vienne qui, au cours du temps, recourront à des solutions diverses pour y parvenir. Ceux qu’on appellera les hajduk (fr. haïdouks ; du terme turc haydut qui signifie « brigand »), regroupés en communautés de confession calviniste, représenteront l’une de ces solutions. Du côté opposé, les Ottomans font appel eux aussi sur leurs frontières à des éléments irréguliers ou paramilitaires, constitués d’esclaves affranchis (azadlu), de chrétiens locaux islamisés ou, le cas échéant, non convertis comme les yerli kul (« janissaires locaux »), les ‘azab ou les martolos. Des pirates (levend) entreront également, le cas échéant, dans le dispositif.
Des communautés dissidentes Les différents groupes que nous venons d’énumérer intègrent dans leurs rangs, à des degrés divers, des éléments en rupture de ban avec l’ordre établi de « l’arrière », que ceux-ci échappent ainsi à l’oppression sociale ou politique, que leurs croyances religieuses les mettent à l’écart ou encore qu’ils fuient, à titre individuel, des poursuites judiciaires. Il est bien connu, par exemple, que les cosaques sont, à l’origine, des paysans fuyant l’exploitation et l’oppression des grands magnats de la frontière polonaise ou russe, pour se réfugier dans des espaces vierges, notamment dans le Niz, la vallée du Dniepr, au-delà des rapides du fleuve. Quant aux uskoks, s’ils sont constitués au départ de Serbes et de Vlaques (ou Aroumains) fuyant la domination turque et s’installant à proximité des lignes habsbourgeoises, ils seront, avec le temps, rejoints par des dissidents de toutes sortes et notamment des paysans échappant eux aussi à une oppression seigneuriale, celle des grands propriétaires croates et hongrois. De la même façon, les communautés de haïdouks, quelles
14 Catherine W. Bracewell, The Uskoks of Senj: piracy, banditry and holy war in the Sixteenth-Century Adriatic, New York, Cornell University Press, 1992, 329 p. 15 Cf. Ottomans, Hungarians and Habsburgs…, op. cit., p. 58, 170, 192-193, 208-209.
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qu’aient été leurs composantes initiales, accueilleront elles aussi, avec le temps, les paysans fugitifs et refuseront de les rendre à leurs seigneurs. La course barbaresque, notamment dans sa couche supérieure, représentait à son tour une échappatoire pour les exclus de l’Europe chrétienne. Elle avait beau – nous y reviendrons – brandir très haut l’étendard de l’islam, elle n’en comptait pas moins à sa tête nombre de renégats : anciens esclaves affranchis ; soldats ou marins insatisfaits ; là encore paysans opprimés par leurs seigneurs ; repris de justice et criminels en fuite. Citons le cas de ce marchand vénitien, Giovanni Battista Flaminio, qui, ayant perdu en Perse les capitaux que des compatriotes lui avaient confiés, n’a plus d’autre issue que de devenir, selon la formule d’un témoin, « Turc en Perse »16. Un point doit toutefois être relevé : dans le cas de ces renégats passés aux Barbaresques, la marginalisation sociale ne conduit pas seulement à se porter aux frontières de son propre pays comme vers une zone où ne s’appliquent pas les règles ordinaires, mais à passer carrément de l’autre côté, à retrouver une virginité en revêtant une nouvelle identité. Le passage dans le camp d’en face, n’est d’ailleurs pas toujours une échappatoire, il peut tout simplement apparaître comme une simple opportunité, aux yeux de marchands en quête de bonnes occasions ou d’artisans cherchant à vendre leur talent au plus offrant. Au terme de ces processus, on trouvera parmi les capitaines barbaresques des Vénitiens, Génois, Siciliens, Calabrais, Napolitains, Dalmates et Corses, de même que des juifs. L’un de ces renégats, Murad, qui deviendra bey de Tunis en 1637 et fondera la dynastie des Muradides, était un Ligure du nom d’Osta Morato17. Un autre, Ali « Piccinino », qui règne sur Alger, de 1638 à 1645, était un Vénitien. Après 1650, ce sont plutôt des renégats originaires du nord-ouest de l’Europe (Anglais et Flamands) qui figureront parmi les chefs de la course barbaresque.
Brigandage et prises d’esclaves De part et d’autre de la frontière, les populations que j’ai citées se livrent à des expéditions de brigandage chez l’ennemi, raids terrestres ou navals. Il s’agit de détruire, de piller et de rapporter le meilleur butin possible : or, objets et denrées de toutes sortes, bétail, esclaves. La capture d’esclaves chez l’ennemi est, de part et d’autre, la grande affaire de la frontière, dans toutes ses sections. Il est ainsi bien
16 Bartolomé et Lucile Bennassar, Les Chrétiens d’Allah, L’histoire extraordinaire des renégats. xvie et xviie siècles, Paris, Perrin, 3e éd., 2006, p. 307. L’ouvrage est riche d’autres exemples analogues. 17 Sur Osta Morato et les « renégats » à Tunis en général, voir M’hamed Oualdi, « Le mamelouk derrière le renégat. Positions et rôles des convertis d’origine européenne à Tunis dans la première moitié du xviie siècle », dans ce volume.
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connu que les raids des Tatars de Crimée sont une des principales sources d’esclaves pour l’Empire ottoman. Mais ces mêmes pratiques font de la Méditerranée, par exemple, comme on l’a dit, une « mer de la peur »18. Nombre de romans et de comédies en témoignent. Molière le rappelle, entre autres, dans L’Étourdi : C’est qu’en fait d’aventure il est très ordinaire de voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire 19
Les ports du Maghreb regorgent ainsi de captifs originaires de toute l’Europe. Le Père Dan, un Trinitaire, en témoignera en 1640 : Quant aux esclaves de l’un et l’autre sexe qui sont aujourd’hui en Barbarie, il y en a quantité de tous les pays chrétiens, comme de France, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, des Flandres, de Hollande, de Grèce et de Hongrie, de Pologne, de Sclavonie, de Russie et ainsi des autres. Le nombre de ces pauvres captifs se monte à peu près à trente-six mille…20
Ces captifs sont revendus par ceux qui les ont pris, ou ils sont envoyés dans des bagnes pour y être loués comme main-d’œuvre ou pour être versés dans les chiourmes des galères. Mais une autre manière d’en tirer profit est de les rançonner21. Certains auront ainsi la chance d’être rachetés par leur famille, leur État, ou certains ordres charitables spécialisés comme les Trinitaires et les Mercédaires. Aux corsaires barbaresques, chevaliers de Malte et chevaliers de Saint-Étienne rendent, autant qu’ils le peuvent, la monnaie de leur pièce. Eux aussi capturent des esclaves, des musulmans qu’ils vendront sur les marchés de Livourne, de Gênes et de Malte ou qu’ils libéreront moyennant rançon. Une part alimentera les chiourmes des flottes chrétiennes. Le marquis de Nointel indiquera ainsi à Colbert qu’en 1670, 2 000 Turcs rament sur les galères du roi de France22. En 1721, l’ambassadeur ottoman en France, Yirmisekiz Tchelebi Mehmed efendi, fera cette déclaration au secrétaire d’État Dubois :
18 Giuseppe Bonaffini, Un Mare di paura : il Mediterraneo in età moderna, Caltanissetta, S. Sciascia, 1997, 229 p. 19 L’Étourdi, IV, 7. Sur l’esclavage chez les Barbaresques, cf. Robert C. Davis, Esclaves chrétiens. Maîtres musulmans. L’esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800), trad. M. Tricoteaux, Paris, Jacqueline Chambon, 2006, 333 p. 20 Pierre Dan, Histoire de Barbarie et de ses corsaires, Paris, P. Racolet, 1649, p. 284. 21 Sur les rançons sur la frontière ottomano-habsbourgoise, cf. Ransom Slavery along the Ottoman Borders (early fifteenth-early eighteenth centuries), éd. par G. David et P. Fodor, Leyde et Boston, Brill, 2007, 253 p. 22 Cité dans Géraud Poumarède, « Négociants, voyageurs ou captifs musulmans » dans Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, éd. par M. Arkoun, Paris, Albin Michel, 2006, p. 399.
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Pendant que vous prétendez être les amis du Très Haut Empire, vous retenez plus de mille de mes frères en ma Loi esclaves et en prison. Vous leur faites tirer la rame sur vos galères. Quels sont leurs crimes ? Pour quelle raison les détenir dans cet esclavage ? Et il m’est venu des requêtes des nôtres par lesquelles je vois que vous en avez de trente, trente-cinq et quarante ans d’esclavage. Pourquoi ne les point délivrer ?23
Il ajoute que les Français, contrairement aux Allemands, ne leur laissent même pas la possibilité d’être rachetés moyennant rançon. Sur la frontière hongroise, le rançonnage des captifs devient une véritable industrie à laquelle, outre les frontaliers proprement dits, les grands seigneurs et les autorités locales ne dédaignent nullement de participer. Au demeurant, cette activité est toujours aléatoire et délicate à mettre en œuvre dans la pratique. Certes, le rançonneur doit chercher à fixer le montant de la rançon au niveau le plus élevé possible, compte tenu de l’identité et des qualités du captif, mais ce montant une fois fixé, il reste à le percevoir dans son intégralité – ce qui est une autre affaire et une entreprise semée d’embûches. Chacun cherche en effet à duper l’autre et les pièges et arnaques sont de bonne guerre. Pour tenter de régulariser et de sécuriser les procédures – ce qui est l’intérêt commun des acteurs des deux côtés – un code de conduite coutumier se met en place, fondé sur un principe de réciprocité absolue : on sait bien que si un côté y manque, il y aura représailles de l’autre côté, et qu’elles iront bien au-delà de l’infraction commise. Prudence étant mère de vertu, la crainte de rétorsions disproportionnées devient la meilleure garantie de la régularité des opérations. Dans le même esprit, le côté ottoman tente en 1660 de conclure un accord de réciprocité pour les échanges de captifs : un seigneur pour un seigneur ; un chef pour un chef ; un sipahi pour un noble ; un beşli pour un cavalier ; un haïdouk pour un fantassin turc. La tentative n’aura cependant pas de suite24.
Des formations en miroir Un autre trait caractéristique des antagonistes qui s’affrontent, de part et d’autre de la frontière, tient aux similitudes existant entre eux, dans leurs modes d’action comme dans leurs types d’organisation. La symétrie est parfois si marquée qu’on peut parler de formations en miroir. Certaines particularités terminologiques sont significatives à cet égard. Rappelons ainsi que le terme « cosaque » provient du turc kazak qui signifie « dissident », « rebelle » et qui s’applique, entre autres, aux groupes 23 Cité dans Le Paradis des Infidèles. Un ambassadeur ottoman en France sous la Régence, éd. par G. Veinstein, Paris, Maspero, 1981, p. 144-145. 24 Géza Pallfy, « Ransom slavery along the Ottoman-Hungarian Frontier in the sixteenth and seventeenth century~ », dans Ransom slavery…, op. cit., p. 56.
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de Tatars indépendants du khan. Nous avons déjà signalé que le terme turc de haydut qui donnera leur nom aux frontaliers chrétiens de Hongrie, avait initialement le sens de brigand. De même, on a désigné les communautés d’uskoks de la frontière croate par le terme arabe, repris en ottoman, de harami, lequel signifie également : « brigand », « hors la loi ».
Le pillage comme devoir sacré Toutes ces opérations de brigandage, aussi sordides et scélérates qu’elles puissent paraître, du seul fait qu’elles sont menées à la frontière islamo-chrétienne et qu’elles entrent ainsi dans la lutte entre les deux confessions, sont revêtues d’une onction religieuse et y puisent leur légitimité. Peu importe à cet égard que l’orthodoxie ou la sincérité des convictions religieuses des acteurs soient sujettes à caution aux yeux de ceux qui les utilisent : la catholique Autriche aura des calvinistes à ses avant-postes ; la guerre sainte sera menée en Méditerranée, au moins pour une part, par des chrétiens renégats ; ailleurs, les frontières de l’« empire musulman » seront défendues par des Serbes, islamisés ou non. Ils pourront, par exemple, compter des martolos chrétiens parmi eux. L’action est crapuleuse mais la cause est sacrée. On a pu voir ainsi dans l’accentuation de la course barbaresque au xvie siècle une forme de représailles contre les persécutions infligées aux Mores puis aux Morisques en Espagne25. Si cette mise en avant de la motivation religieuse, cette sacralisation de l’action, va de soi quand on a affaire aux chevaliers de Malte26 ou à ceux de Saint Étienne, elle n’existe pas moins chez les autres types de frontaliers que nous avons mentionnés. Tout homme qui se présente devant le hetman, chef suprême des cosaques, par exemple, devra, pour être admis dans le corps, commencer par faire le signe de croix orthodoxe. Lorsque des cosaques s’emparent en 1616 du port ottoman de Kefe, ils ont pour premier soin de libérer tous les esclaves chrétiens qui s’y trouvent. De même, lorsqu’il arrive à tous ces raideurs, les uskoks, par exemple, de s’attaquer, contrairement à la règle de base, non à des bateaux marchands musulmans mais à des marchands chrétiens, leurs coreligionnaires, ils donneront pour excuse que, précisément, ces derniers ne sont pas de bons chrétiens puisqu’ils commercent avec les Infidèles. Ils méritaient donc d’être châtiés.
25 R.C. Davis, Esclaves chrétiens…, op. cit., p. 10. 26 Cf. Anne Brogini, « L’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem au ponant durant le premier xvie siècle. D’une frontière offensive à une frontière défensive », dans ce volume.
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Des rapports ambivalents avec les autorités Nous avons souligné, notamment dans les cas des cosaques, des uskoks et des haïdouks, que ces éléments étaient, au moins pour une part d’entre eux, en délicatesse avec les pouvoirs établis, au niveau du centre ou, plus nettement, au niveau local. Les Tatars eux-mêmes – du moins certains de leurs groupes –, ne se priveront pas d’aller contre la volonté du sultan d’Istanbul, voire contre celle, plus proche d’eux, du khan de Crimée. Pour toute réponse aux plaintes du roi de Pologne, Alexandre Jagellon, le khan Mengli Giray, déclarait en 1506 : Les gens affamés quand ils sont à cheval doivent se nourrir là où ils peuvent trouver leur nourriture27.
Mais la question des relations entre frontaliers et autorités est en réalité plus complexe et n’exclut pas des formes de collaboration plus ou moins poussées et prolongées contre l’adversaire commun. Les frontaliers, quelles que soient leurs raisons de s’en démarquer, ne peuvent rompre totalement avec un arrière dont ils restent dépendants sur plusieurs points : c’est de là, par exemple, que les cosaques tirent la poudre et les armes dont ils ont besoin. Dans un autre ordre d’idée, c’est bien par les autorités que les uskoks font reconnaître leur droit à détenir des exploitations foncières sur des terres incultes et des prairies qui feront officiellement d’eux des « soldats-paysans » (Soldatenbauer), et c’est du pouvoir habsbourgeois qu’ils recevront, à partir de 1538, des chartes successives consignant leurs obligations militaires, tout en reconnaissant leurs privilèges fiscaux et leur droit au tiers du butin pris dans les raids contre les Turcs. D’autre part, du côté des autorités, à tous les niveaux, la tentation est grande de se servir à leurs fins propres, de cette masse de manœuvre retorse mais efficace que constituent les frontaliers. Les sultans d’Istanbul confieront leur grande armada à des capitaines corsaires (Hayreddîn Barberousse, Turgut re’îs - Dragut, Kılıtch Ali pacha), qui ont « la science de la mer ». Mais c’est surtout sur le plan local que, dans les zones de frontière, des accords sont passés entre les gouverneurs des places fortes ou les grands seigneurs de ces régions, d’une part, et des bandes de frontaliers de l’autre, qu’il s’agisse de satisfaire les ambitions personnelles des premiers ou de leur fournir un outil parmi d’autres contre l’ennemi. Un exemple en est donné par le cas de Bernard Pretwicz, un gentilhomme d’origine silésienne devenu staroste de Bar, par la faveur de la reine Bona de Pologne. Il excite si bien
27 Cité par Jan Ochmański, « Organizacja obrony w wielkim księstwie Litewskim przed napadami Tatarow Krymskich w XV-XVI wieku », Studia i Materialy do Historii Wojskowości, V, Varsovie, 1960, p. 358.
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les proto-cosaques locaux à mener des raids contre les Tatars et les forteresses ottomanes du littoral pontique, que Soliman le Magnifique en vient à demander sa destitution dans une lettre de 1552 au roi Sigismond-Auguste28. Le roi de Pologne ne peut que s’exécuter, et il éloigne le trublion de la frontière en le mutant à la forteresse de Trembowla. Mais Pretwicz aura bientôt un successeur qui ira encore plus loin dans la mobilisation de ces bandes informelles : Dimitri Vishneveckij, un descendant du grand-duc de Lituanie Gedimin. C’est en effet à ce gentilhomme de confession orthodoxe que sont attribuées la fondation et l’organisation du premier camp (seč) des cosaques zaporogues, établi sur une île du Dniepr. La seč deviendra une base de départ pour les raids cosaques dont les effectifs seront désormais plus organisés et structurés, avec des régiments subdivisés en centaines et en dizaines, et un chef suprême : le hetman. On retrouve des développements comparables, mutatis mutandis, sur la frontière hongroise : Étienne Bocskai, futur prince de Transylvanie, utilise les haidouks dans sa rébellion contre les Habsbourg. Quand, ayant obtenu satisfaction, il conclut un accord avec Vienne en 1606, il n’oublie pas ses anciens compagnons et remplit ses promesses envers eux : il les établit dans la plaine autour de Debreczen, en leur accordant des franchises et des garanties qui leur assurent une grande autonomie. Ces privilèges seront reconnus en 1608 par la diète hongroise, moyennant un service militaire dans les petites forteresses entre la vallée de la Tisza et la frontière transylvanienne. La collusion entre puissances locales et raideurs frontaliers répond également à des objectifs très matériels. Les premières commanditent des expéditions de pillage dont elles recueilleront une part substantielle des profits. Des officiers des garnisons ottomanes de la mer Noire concluent de tels arrangements avec les bandes tatares voisines. Mais il en va de même ailleurs : Bernard Pretwicz revend en Prusse le bétail pillé dans les élevages ottomano-tatars de la steppe. Quant à l’« industrie de la rançon », si active sur la frontière hongroise, elle n’implique pas que les populations intermédiaires, de part et d’autre : des gouverneurs de forteresses locales en sont également parties prenantes, de même que de grandes familles seigneuriales comme les Batthyany, dont les archives sont aujourd’hui nos principales sources sur ces trafics.
28 Gilles Veinstein, « Prélude au problème cosaque à travers les registres de dommages ottomans des années 1545-1555 », Cahiers du monde russe et soviétique, 30/3-4, juil.- déc. 1989, p. 329-362.
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Des armées sans État L’utilisation des frontaliers par les pouvoirs officiels reste néanmoins un jeu dangereux dans lequel les apprentis sorciers risquent toujours de perdre le contrôle de leurs créatures. Dans le cas des « régences barbaresques », il est évident qu’elles sont rapidement devenues autonomes par rapport au pouvoir ottoman, pour se muer en « petites républiques » sous la double coupe des officiers des janissaires et des capitaines corsaires. Lorsque les alliés chrétiens du sultan se plaignent de leurs exactions qui vont à l’encontre des accords conclus, la Porte, même quand elle est de bonne foi, est impuissante à les neutraliser. Les diplomates occidentaux finissent par le comprendre et, plutôt que d’accomplir des démarches inutiles à Istanbul, ils bombardent les ports maghrébins ou traitent directement avec Alger, Tunis ou Tripoli29. Les cosaques eux aussi deviennent une puissance en soi, une armée sans État ou un quasi-État qui connaît son apogée dans les deux dernières décennies du xvie et les quatre premières décennies du xviie siècle. Ils mènent, de leur propre initiative, des actions terrestres et navales très audacieuses, jusqu’à lancer des attaques contre les ports ottomans de la mer Noire, Varna (1614) et Sinop (1614). Ils occuperont Trébizonde (Trabzon). Entrant dans le Bosphore jusqu’à Beykoz, ils narguent le sultan en menaçant sa capitale, comme les Varègues avaient nargué jadis le basileus. Non seulement l’Empire ottoman, mais la Pologne et la Moscovie s’inquiètent de l’intrusion de ce nouveau venu sur l’échiquier régional. Le roi de Pologne, Étienne Bathory, parvient, tant bien que mal, à assurer son contrôle sur une catégorie spéciale de cosaques, les « cosaques enregistrés » (reestrovye) ; mais le reste, les « vrais cosaques » demeurent un problème. Turcs, Russes et Polonais sont des alliés objectifs pour donner un coup d’arrêt à la montée en puissance de la cosaquerie. Finalement, la puissance cosaque sera démantelée par la Pologne en 1638. Les éléments restant passeront, dans un second temps, sous le contrôle de la Russie, à l’issue du traité de Perejaslav, conclu par le hetman, Bogdan Khmelnicki. Le destin de la cosaquerie est un cas extrême, mais même quand elles ne vont pas jusqu’à être perçues comme une menace, c’est le lot de ces formations intermédiaires que d’apparaître aux États concernés, tantôt comme des auxiliaires précieux contre l’adversaire, tantôt comme des empêcheurs de tourner en rond, dès lors que cet adversaire devient un partenaire dans des relations d’une autre nature, diplomatiques et commerciales. De même que les cosaques perturbent ainsi l’alliance entre les sultans et les rois de Pologne ou que les corsaires barba-
29 Géraud Poumarède, « Les relations de la France avec les États barbaresques » dans M. Arkoun, (éd.), Histoire de l’islam…, op. cit., p. 360-370.
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resques entravent le rapprochement du Grand Turc avec la France, l’Angleterre ou les Pays-Bas, Vénitiens et Ottomans pourront se mettre d’accord pour réduire le pouvoir de nuisance des pirates de l’Adriatique en général et des uskoks en particulier. Dans un procès-verbal, le cadi de la forteresse de Nova déclare que les représentants de Venise et ceux du sultan ont convenu de dédommager les marchands et autres victimes des corsaires dépendant de chacune des deux parties30. Les États ont des raisons que leurs frontaliers ne connaissent pas. Si, comme nous avons essayé de le montrer, la frontière engendre des phénomènes analogues sur toutes ses sections et sur chacun de ses deux côtés, c’est que les mêmes causes ont existé partout qui, peu ou prou, ont engendré les mêmes effets. Qui dit frontières entre deux mondes antagonistes dit zones dangereuses et répulsives. Comme tels, ces no man’s lands, aussi inconfortables fussent-ils, constituent des refuges – voire les seuls refuges possibles – pour les éléments marginaux des sociétés de l’arrière, auxquelles ils servent d’exutoire, de soupape sociale. Un ordre social et économique spécifique s’y instaure, qui prend le contre-pied des valeurs dominantes – pour une part au moins, car les influences de l’arrière se font néanmoins sentir. C’est un monde primitif et brutal, un monde de brigands, dont les vices deviennent cependant vertus, dans la mesure où ils s’exercent contre l’Infidèle et servent ainsi, à leur manière, la cause commune de la guerre sainte. Ce potentiel de violence ainsi justifiée et sublimée, peut faire des frontaliers un auxiliaire précieux, voire indispensable pour les pouvoirs en place. Mais de par leurs origines et leur nature, ils restent une force incontrôlable, voire concurrente, pour les États constitués, pris au piège, dans leur coexistence avec les Turcs, de leurs contradictions sociales et idéologiques.
30 Cf. la hüccet d’Ahmed, nâ’ib de la forteresse de Nova du mois de şevvâl 1120 (14.XII.1708 – 11.I.1709), Archivio di Stato di Venezia, Bailo a Costantinopoli, Busta 338, n°3.
Braudel and the Sea: Revisiting Braudel’s Méditerranée for the Study of the Greater Mediterranean Region in the 15th and 16th Centuries Albrecht Fuess | Centrum für Nah- und Mittelost-Studien Philipps Universität Marburg
Fernand Braudel called himself “a man from the North, who passionately fell in love with the Mediterranean”.1 He is of course foremost known for creating the concept of longue durée. A useful understanding has to be arrived at (as I have said before, and will say again) that the way to study history is to view it as a long duration, as what I have called “longue durée”. It is not the only way, but it is one which by itself can pose all great problems of social structures, past and present. It is the only language binding history to the present, creating one indivisible whole.2
In this long-term view of history the role of the heroic individual is de-emphasized as Braudel explains: Ainsi suis-je toujours tenté, devant un homme, de le voir enfermé dans un destin qu’il fabrique à peine, dans un paysage qui dessine derrière lui et devant lui les perspectives infinies de la « longue durée ». Dans l’explication historique telle que je la vois, à mes risques et périls, c’est toujours le temps long qui finit par l’emporter.3
1
2 3
Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin 1990, vol. I, p. 11. Quotations of Braudel’s La Méditerranée are taken from the French ninth edition, which is almost identical to the second edition of 1966. Fernand Braudel, On History, trans. by S. Mathews, Chicago, Chicago University Press 1982, p. viii. F. Braudel, La Méditerranée, op. cit., part 3, p. 428. “Therefore I am always tempted to see a man enclosed in a destiny which he is almost unable to influence. This man stands in a landscape which draws behind him and before him the indefinite perspectives of the ‘longue durée’. In the historic explanation, how I see it, with all risks and dangers involved, it is always ‘time’ which succeeds to prevail”. Unless stated otherwise the following translations are mine.
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The “structuralist” Fernand Braudel therefore argued that underlying geographic and social structural developments might have stronger long-term consequences on human history than single events. He disregarded traditional views of history as they only presented “une histoire à oscillations brèves, rapides, nerveuses”.4 In contrast he conceptualised the idea of an “~histoire lentement rythmée” in order to study underlying structures and long-term developments. His work, first published in 1949, can still be regarded as one of the major contributions to historical science in the 20th century and has shaped the scientific approach of many historians since then. His concept was to approach a certain period in history, here the 16th century Mediterranean, from varying perspectives. Braudel did this by dividing his work into three parts, dealing in turn with geography, social groups and political history. (Part I: La part du milieu, Part: II: Destins collectifs et mouvement d’ensemble and Part III: Les événements, la politique et les hommes). His focus sharpens from a very broad overview in the first part to a study of micro historical events and analyses in the third part. Ironically Part III, however then resembles the very classical historical narrative he initially wanted to abolish. La Méditerranée had a strong impact on the international scholarly community as can be seen in the praise of scholar Colin Heywood: It was indeed fortunate that at that time, six or seven years after it was published, the library of the School of Oriental and African Studies (SOAS) already possessed a copy. My tutor at SOAS, the late Vernon Perry, remarked to me then, or more probably later, that La Méditeranée was a book which he would have given his right arm to have written.5
What certainly helped the success of the book was that it described the Mediterranean as a unified region. Maybe Braudel was able to draw such a coherent and convincing picture of the region because he lived in Algeria for several years prior to World War II. “Perhaps as he wrote much later ‘this spectacle, the Mediterranean as seen from the opposite shore, upside down, had considerable impact on my vision of history’ ”.6
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6
Ibid., vol. I, p. 17. Colin Heywood, “Fernand Braudel and the Ottomans: the emergence of an involvement (192850),” Mediterranean Historical Review, 23/2 (2008), p. 166. I am grateful to Benjamin Arbel for bringing this article to my attention. Ultimately this introduction to his work also resulted in Colin Heywood participating in the Tours conference and the present volume. C. Heywood, “Fernand Braudel,” art. cit. p. 169. The original citation of Braudel is to be found in Fernand Braudel, “Personal Testimony,” Journal of Modern History, 44, 1972, p. 450.
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In the context of the theme of the present volume one may now ask, how relevant is Braudel to the exploration of frontiers? An examination of the index of the original French edition of La Méditerrannée yields 18 instances of the word “fromage” (cheese) whereas the word “frontière” is not mentioned once. This of course may be a choice the editors made, judging frontière as a word too broad to be worth indexing, but Ömer Lûtfi Barkan pointed out that the greatest value of La Méditerrannée was that: M. Braudel a eu le courage d’abolir toutes les frontières, politiques et, plus spécialement, religieuses et culturelles. En estimant que tous les pays méditerranéens, qu’ils fussent chrétiens ou musulmans, vivaient, dans la seconde moitié du xvie siècle, dans l’ambiance des mêmes problèmes économiques.7
This idea of the unity of the Mediterranean proposed by Braudel came at a time when the thesis of a split in the Mediterranean region, advanced by the Belgian historian Henri Pirenne and published posthumously in 1937 in his Mahomet et Charlemagne, was still dominant. According to Pirenne’s thesis Islam destroyed the unity of the Mediterranean realm and induced Europe to develop separately and differently. “Après la période pendant laquelle, du ve au viiie siècle, subsiste l’unité méditerranéenne, la rupture de celle-ci a déplacé l’axe du monde”.8 Braudel does not seem to judge religious boundaries as a major factor in drawing a picture of the Early Modern Mediterranean. On the contrary, the conflict between the Habsburgs and the Ottomans is seen as the re-opening of an old Mediterranean wound between the world of the Romans and the Greeks.9 These two grand realms were for Braudel distinct in their economic and political approach towards the Mediterranean. He speaks in this respect of “deux univers maritimes” and explains that in the 16th century the “deux Méditerranées” of the Habsburgs and the Ottomans would have constituted opposite political entities who clashed at the edges of their respective peripheries on Mediterranean islands and in North Africa.10
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Ömer Lûtfi Barkan, “La Méditerranée de Fernand Braudel vue d’Istanbul”, Annales. Économies, Societés, Civilisations, 9, 1954, 189. The following English translation of this quote is to be found in C. Heywood, “Fernand Braudel”, art. cit., p. 173. Braudel had “the courage to abolish all the frontiers, political and especially religious, through perceiving that all the Mediterranean lands, whether Christian or Muslim, lived in the sixteenth century within the ambience of the same economic problems”. 8 Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris-Bruxelles, Alcan, 1937, pp. 174-5. “After the period of the 5th to 8th century where a Mediterranean unity prevailed, the rupture of it changed the axis of the world”. 9 Maurice Aymard, “La Méditerranée ottomane de Fernand Braudel”, in Soliman le Magnifique et son temps, ed. by G. Veinstein, Paris, La documentation française, 1992, p. 76. 10 F. Braudel, La Méditerranée,op. cit., vol. I, pp. 159-61.
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However Braudel’s “Two Mediterraneans” do not challenge the overall assumption of unity. The “Two Mediterraneans” overlap, intermingle and mix in the greater Mediterranean basin. With the publication of the first edition of his book in 1949, and with it Braudel’s restoration of the conceptual unity of the Mediterranean in the 16th century and at least partly in other periods of history, it seemed inappropriate to continue to speak of frontiers in Mediterranean history. Andrew Hess revived the issue in 1978 with his work entitled “the Forgotten Frontier”, which traces the epic struggle between Ottomans and Spaniards in the 16th century. With his work the notion of “frontier” to describe this specific period in Mediterranean history emerged again.11 Hess harshly criticised Braudel’s concept of unity especially when considering religious frictions as symbolized for example in Spain where “one can see an early sixteenth-century Roman Catholic chapel set uncomfortably in the middle of the Grand Mosque at Cordoba”.12 Still, Braudel’s ideas remained powerful and no scholar dared publish on the history of the Mediterranean without reference to his work. Despite a tremendous appreciation for his legacy scholars criticised some of Braudel’s basic concepts, as discussed below using the recent critical approaches of two Mediterraneanists, an Ottomanist and an Arabist and cartographer.
Critics of La Mediterranée The evaluation of Braudel’s La Mediterranée will start with the book The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, by Peregrine Horden, who teaches medieval history at Royal Holloway, and Nicolas Purcell, who teaches Classics at Oxford. For these authors the work of Braudel marks the end of an era in historical writing rather than a beginning. La Mediterranée thereby presents the apogee of a 19th century romantic view of the Mediterranean, which itself had initiated the scientific geographical view of the 20th century, culminating in Braudel’s work. After Braudel, the region as a whole had ceased for some time to attract the attention of historians and geographers as an analysis of the material with this approach had been exhausted.13 For Purcell and Horden the geographical all-embracing historical approach of Braudel lost its appeal as new methods emerged. In the wake of
11 Cf. Andrew Hess, The Forgotten Frontier. A History of the Sixteenth-Century Ibero-African Frontier, Chicago, Chicago University Press, 1978, 278 p. 12 Ibid., p. 3. 13 Peregrine Horden and Nicolas Purcell, The Corrupting Sea: A Study of Mediterranean History, London, Blackwell, 2000, p. 39.
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Michel Foucault’s work history had to be read as text.14 Horden and Purcell write that, “In an intellectual climate ruled by poetics, the duller rhythms of the geographical longue durée command relatively little attention”. And further: “And so […] [a] possible reason why The Mediterranean marks an end rather than a beginning is that subject and method have become confused with one another. The method has attracted considerable criticism; the subject has perhaps suffered from association with it”.15 The authors furthermore take up J. H. Hexter’s critique of Braudel’s environmental determinism since “a political structure such as monarchy could have a durée of millennia; a geographical event like an earthquake could last only a few minutes and produce no long term effects”.16 In another article the same authors challenge the concept of “Mediterranean exceptionalism” since other maritime areas were comparable and had similar phenomena.17 Moreover, the authors argue that Braudel’s human geography neglected the effects of man on the environment and ignored the influence of mental frameworks (les mentalités). Religion is short-changed in Braudel’s analysis; only a few pages deal with the antagonism between Islam and Christianity or Reformation and Counterreformation. On the more formal side the authors argue that Braudel arranged his work into three parts which stand loosely beside each other without convincing connections and that each one of his volumes contain a series of discrete essays in no particular order.18 Although La Méditerranée, is a “most famous piece of historical writing” in many ways, the authors conclude, it has had surprisingly little impact on Mediterranean studies.19 Naval Historian and Ottomanist Colin Heywood is another scholar who has challenged Fernand Braudel’s view in a recent article entitled “Braudel and the Ottomans”.20 Heywood looks back on his long relationship with the book and describes how Braudel became a sort of intellectual godfather to him when he
14 Ibid., p. 41. 15 Ibid., p. 41. 16 Ibid. See Jack H. Hexter, “Fernand Braudel and the Monde Braudelien”, in J.H. Hexter, On Historians, London, Cambridge, Harvard University Press, 1979, pp. 137-8. 17 Peregrine Horden and Nicolas Purcell, “The Mediterranean and ‘the New Thalassology’,” American Historical Review, 111, 2006, p. 734. For more on “Mediterranean exceptionalism” see Maria Fusaro, “After Braudel. A Reassessment of Mediterranean History between the Northern Invasion and the Caravane Maritime,” in Trade and Cultural Exchange in the Early Modern Mediterranean. Braudel’s Maritime Legacy, ed. by M. Fusaro, C. Heywood and M.-S. Omri, London, I.B. Tauris, 2010, p. 8. 18 P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea, op. cit., p. 42. 19 Ibid., p. 43. 20 C. Heywood, “Fernand Braudel”, art. cit., pp. 165-84.
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was an undergraduate.21 Yet interestingly enough he never employed the work in his own scientific research. “I have failed until very recently in any of my own writings to make much use of his work by either allusion or footnote, still less to make use of his methodology, or to allow myself to be influenced by his apparent disdain for l’histoire événementielle—which after all, is what history is still really about. Without events, without chronology, there is no history, only sociology”.22 Generally he concedes the book is “easier to read than to use”. He says that while to read Braudel is an intellectual pleasure for him, the over use of footnotes or cross-references draws the reader into a no-man’s land.23 Heywood finds that Braudel, who could read neither Arabic nor Ottoman, despite his many years spent in North Africa, wrote a very European-centric history, partly due to his lack of language skills. While today it might seem strange that an erudite scholar like Braudel would not have learned at least basic Arabic, when Braudel worked in Algeria it was considered an integral part of France and it would have been difficult to learn any Arabic even through his daily interactions as everything was conducted in French. Braudel did acknowledge openly the problem of language and lamented not being able to utilise Oriental archives. Nevertheless, Heywood sees a clear proSpanish bias when Braudel deplores the loss of the splendour of the great Iberian Empire.24 Braudel addresses the paucity of attention to the Ottoman Empire in La Méditerranée by devoting more consideration to it in his Civilisation matérielle where he argues that the Ottoman Empire was its own économie monde in the 16th century. But his classification of the Ottoman Empire as “une contre-Europe, une contre-Chrétienté”25 does not resonate with modern Ottomanists and Colin Heywood is no exception.26 Looking at “Braudel and the Sea” Heywood emphasizes that Braudel was no maritime historian and that a better understanding of ships might have led to stronger conclusions.27 The main achievement of Braudel regarding Ottoman history, according to Heywood, was to bring Ottoman history out of the ivory tower of the specialists and into the realm of world history and to 21 22 23 24 25
Ibid., p. 166. Ibid., p. 166. Ibid., p. 165. Ibid., p. 175. Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme xve-xviiie siècle, Paris, Armand Colin 1979, vol. III, p. 586. 26 C. Heywood, “Fernand Braudel”, art. cit., p. 175. 27 Ibid., p. 176.
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thereby link it with the history of central Islamic lands (a field always dominated by Arabists) as well as with European Mediterranean history.28 Tarek Kahlaoui, who teaches Islamic Art at Rutgers University, criticises Braudel from the viewpoint of an Arabist and cartographer. In his as yet unpublished Ph.D. thesis, “The depiction of the Mediterranean in Islamic cartography, 11th-16th centuries”,29 he observes: Display and representations are clearly a major part in its [Mediterranean] history. They have not necessarily been investigated as much as other aspects such as its economic and social history. There is no better example to show this unbalanced approach than the work of Fernand Braudel. Braudels Mediterranean is quite a discovery. It is not only a maritime unit but, also and more importantly, a sea that expands beyond coastlines. The reader is invited to enlarge the scope of what he might expect the Mediterranean’s boundaries could be.30
Kahloui criticizes Braudel’s creation of an artificial “historical Mediterranean”. This creation, he argues, had nothing to do with how contemporary inhabitants of the Mediterranean region viewed the Sea. Moreover, Braudel should have analysed historical maps of the 16th century in order to reach a better understanding of perceptions of the Mediterranean. The late medieval and early modern observer’s representation is openly what it is not: a Braudelian “historical Mediterranean”. The latter, however, is self represented as what we now should think of the Mediterranean. It is in so many ways a statement about the true Mediterranean31
This last statement epitomizes the core of the critiques of Braudel. His ideal “Méditerranée aux dimension de l’histoire”32 is often a very much larger than life “a-historical” construct which wanders around space and time with little contact with actual events and people. As a result, contemporary historians resort to a modified Braudel in historical writing. Actual events and historical facts regain their place. Nevertheless, historians observe the longer lasting notions of time and space that Braudel outlined. A specific event can be studied in depth, but needs to be connected to the slow and more profound fluctuations of time. The longue durée still retains its charm and even Kahlaoui succumbs to it when he states that
28 Ibid., p. 177. 29 Tarek Kahlaoui, The Depiction of the Mediterranean in Islamic Cartography, 11th-16th centuries. The Sūras (Images) of the Mediterranean from the Bureaucrats to the Sea Captains, unpublished thesis, . Philadelphia, University of Pennsylvania, 2008. 30 Ibid., pp. 1-2. 31 Ibid., p. 3. 32 F. Braudel, La Méditerrannée, op. cit., vol. I, p. 203.
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he attempts to outline in his work a longue durée history of Islamic maps, even though it is a Braudelian concept.33
Aspects of Mediterranean History in the 15th and 16th centuries in the longue durée In the following section I present five aspects of Mediterranean history in the 15th and 16th centuries employing the longue durée approach or simply by noting what questions remain unanswered in my view. The aspects are: geography, political history, religion, economy and warfare.
Geography Obviously Mediterranean geography has not dramatically altered physically since the 16th century; what has changed is our perception of what the Mediterranean is. However, trying to define geographical boundaries of the Mediterranean region, such as defining it as the region from the date palm to the olive tree, has proved as fruitless as tying Europe’s eastern border to the Ural. One very promising approach to defining the region is to look at how contemporary observers named and perceived the Mediterranean. In Early Modern Europe the Roman term of mare nostrum had long been replaced by mare mediterraneum (sea in between the land), a term coined by Isidor of Seville in the 7th century. The main Arab name, though, used in Arab historiography from the 15th to the 17th centuries is still bah.r al-rūm (literally Sea of the Romans). Kahlaoui discovered by using the database of alwaraq.com, a website of Arab manuscripts, that in Arabic works of six contemporary authors the name bah.r al-rūm is found 184 times, bah.r al-shāmī (Sea of Syria) is used 62 times, bah.r al-maghrib (Sea of the Maghreb) is found seven times, and bah.r al-mutawwasit. (The Middle Sea) five times.34 Qalqashandī, a Mamluk author of the 15th century, describes why the Sea was named bah.r al-rūm: “Bah.r al-rūm […] was attributed to the Rūm because their nations live to its north. It could be al-Bah.r al-shāmī (Sea of Syria) too because of the Shām’s coasts in its eastern part~”.35 We can therefore assume that in this geographical context Rūm means more than Romans, Byzantines or Anatolians. It is an Arab mediaeval geographical term used to designate Europeans as a whole. The Mediterranean is the
33 T. Kahlaoui, Depiction, op. cit., p. 22. 34 Ibid., p. 33. 35 al-Qalqashandī, Sub al-Inshā’, ed. by M. Husayn Shams al-Dīn, Beirut, Dar . h. al-A῾shā fī Sina῾at . . al-Kotob al-Ilmiya, 2000, vol. III, p. 239. T. Kahlaoui, The Depiction, op. cit., p. 47.
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Sea of the Europeans for contemporary Arab writers. Another Mamluk author, Ibn al-Wardī clarifies this when he writes: “As for the Land of the Rūm: its frontier is from the Atlantic Ocean to the countries of al-Jalāliqa (Gaul), Ifranja (Land of the Franks), Rūmiyya (Rome), and Ashīnās (Athens) to Constantinople”.36 To name the Mediterranean “Sea of the Europeans” made sense, especially after the time of the Crusades as the control of Mediterranean waters lay exclusively in European hands. Ibn Khaldūn comments on this at the end of the 14th century as follows: “The (Christians) showed their former superiority over others on the high seas and in Mediterranean shipping. The Muslims came to be strangers to the Mediterranean”.37 However we know that the Ottomans changed that. Muslim ships and fleets operated once again very successfully in the Mediterranean, but were the Ottomans not people from the North and called Rūmīs as well by the Arabs? The Turkish Ottomans were heirs of the Byzantine maritime infrastructure and as “Northerners” they enjoyed, especially in the Balkans, the resources necessary for shipbuilding and large revenues from agriculture just like the other contemporary “Northerners”: the Habsburgs, French and Spanish. Therefore one might argue that the “geopolitical frontier” between the North and the South in the Mediterranean was, in the 15th and 16th centuries, in fact more effective than the cultural and religious frontier between Christianity and Islam, in terms of level of adjustment to modernity. However, from the 17th century onwards, the Arabs did increasingly call the Mediterranean al-bah.r al-mutawwasit. , the Middle Sea, which corresponds to the term Mediterranean. According to Kahloui this did not signify the simple adoption of the European term but a growing awareness of the, as he calls it, “Mediterranean maritime singular essence among them”.38
Political History Arguably the most important political events with long lasting consequences for the Mediterranean were the Atlantic discoveries and the circumnavigation of the Cape of Good Hope by Vasco da Gama in 1497-8. In doing so the Portuguese had turned the Arab World view literally upside down and arrived from the direction where
36 Ibn al-Wardī, Kharīdat al-‘Ajā’ib, here cited after: Kahlaoui, The Depiction, ibid., p. 41. 37 Ibn Khaldūn, The Muqaddimah. An Introduction to History, trans. and introduced by F. Rosenthal, with a new introduction by B. Lawrence, Princeton, Princeton University Press, abridged edition, 2005, p. 212. 38 T. Kahlaoui, The Depiction, op. cit., p. 48.
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they were least expected. The Arab Author Ibn Iyās (d. after 1522) commented upon this sudden appearance at the beginning of the 16th century as follows: The Franks had resorted to a ruse in order to break through the dam, which had been erected by Iskander the son of Filibus al-Rūmī [i.e. Alexander the great]. This Dam had been at an opening between the mountains of the bahr . al- sīn . (the Chinese sea) and the baÎr al-rūm (the Mediterranean). The Franks just could not stop to abuse this dam with holes for long years until they finally succeeded. Then they entered with their ships into the bahr (sea of hijaz) and this was the greatest . al-hijāz . reason for the current depravity.39
However the Portuguese activities did not abruptly change trade routes, at least initially, and Venice remained a key presence in the Ottoman Empire as did increasingly the French in the 16th century. But when the English and Dutch efficiently took over the Indian trade from the Portuguese this dried up former trade routes. At the same time “the sixteenth century world war” as Hess called it came to an end. 40 The famous naval victory of the Spanish Holy League against the Ottomans at Lepanto in 1571 was the last major battle in that war. But despite this defeat the Ottomans finally conquered Cyprus in 1573 and thereafter ruled firmly over the Eastern Mediterranean. The Spanish and the Ottomans then concluded several peace treaties in the 1580s. The Ottomans turned then eastwards to fight the Persians and the Spanish lost their Armada at the British shores in 1588 and declared state bankruptcy in 1596. In the words of Braudel after the 1580s “la guerre déserte le centre de la Méditeranée” (“war abandoned the center of the Mediterranean”)41, which in the eye of the historian is never a sign of great prosperity. However, this general “Atlantic-up, Mediterranean-down” argumentation needs an accurate overhaul in the form of larger comparative studies of the region in the 17th and 18th centuries and as some scholars actually argue, the Mediterranean continued to be a thriving entity in the 17th and 18th centuries.42 The perception of the Mediterranean, especially within Europe, may have been altered due to new discoveries, and thus the relative importance of the Mediterranean was adjusted to a more realistic place in the new global geography.
39 Ibn Iyās, Badā’i‘ al-zuhūr fī waqā’i‘ al-duhūr, ed. by M. Mus. tafā, Cairo, 1960, vol. IV, p. 109. . 40 Andrew C. Hess, “The Ottoman Conquest of Egypt (1517) and the Beginning of the SixteenthCentury World War,” International Journal of Middle East Studies, vol. 4/1, 1973, pp. 55-76. 41 F. Braudel, La Méditerranée, op. cit., vol. III, p. 330. 42 Cf. Colin Heywood’s article in the present volume and Molly Greene, “Beyond the Northern Invasion: The Mediterranean in the Seventeenth Century,” Past and Present, 174, 2002, pp. 42-71.
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Religion Often religion is described, following Pirenne, as the marker of the frontier of the Mediterranean with Muslims in the south and the East and Christians in the North.43 In the first instance this is true. There have been divisions, and numerous wars were fought at the frontier of these two realms, especially during the time of the Crusaders, who were after all religiously motivated. The Crusaders and their direct and indirect subvention of Italian seafaring nations has helped to shape the fact that in the 15th century the Mediterranean was controlled almost exclusively by Christian nations. Ibn Khaldūn said that it was the strong Bedouin customs of the Arabs that prevented a more Maritime tradition. 44 Modern scholars like Xavier de Planhol have even detected a total incompatibility between Islam and the Sea, since seafaring called for adventurers but Muslim minds were formed in a society that advocated submission.45 However marginal such a view is among scholars it still transmits old stereotypes and ignores geographical settings. It is harder to build the same amount of ships with fewer forests on your side of the Mediterranean if you are a Muslim power in North Africa. The Ottomans provide a striking counter example. Where abundant resources are available, Muslims start naval programmes as the Ottomans did from the middle of the 15th century onwards. Returning to the religious division of the Mediterranean in the 16th century, there is undoubtedly a great struggle between the Christian Habsburgs of Germany and Spain and the Muslim Ottomans. But digging just a little bit deeper, there is much evidence which contradicts a struggle fought mainly, if at all, on religious grounds. If there was a serious religious border separating the shores of the Mediterranean in the 16th century, then how did a mutual French-Ottoman fleet attack the Christian town of Nice, then under control of the Dukes of Savoy, in 1543? (fig.1) The parties had concluded an alliance against their common Habsburg foe, despite their religious differences.46 I would therefore argue that the religious frontier of Crusader times disappeared increasingly from the beginning of the 16th century, and realpolitik took its place, especially after the fall of the last upholders of Crusader or jihad ideology on 43 See especially, H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, op. cit. and A. Hess, Forgotten Frontier, op. cit. 44 Ibn Khaldūn, The Muqaddimah, op. cit., p. 212. 45 Xavier de Planhol, L’Islam et la mer. La mosquée et le matelot, viie-xxe siècle, Paris, Perrin, 2000, p. 468: “~Rappelons qu’islām veut dire étymologiquement ‘soumission’. Le ‘Musulman’, c’est ‘le soumis’, or le Marin, par nature, est un rebelle” [“We have to keep in mind that Islam means literally “submission”. The Muslim is therefore the “submissive”, where as the seaman is a “rebel” by nature”] 46 Albrecht Fuess, “Prelude to a Stronger Involvement in the Middle East: French Attacks on Beirut in the Years 1403 and 1520,” Al-Masaq: Islam and the Medieval Mediterranean, 17/2, 2005, p. 188.
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both sides, i.e. the Mamluks in 1517 and the Knights of St. John of Rhodes in 1522. Both, who had been present as principalities in crusading times, were defeated by the Ottomans.47 The big religious struggles of the 16th century were fought within the realms of Christianity and Islam, i.e. Protestants vs. Catholics and Ottoman Sunnis against Safavid Iranian Shiis. And of course we have to take into account joint cross-cultural practices and inter-confessional encounters by believers of different denominations all around the Mediterranean as they had “irreducible consequences for the religious cultures of the Mediterranean” as was pointed out recently by Adnan Husain in the book A Faithful Sea.48
Figure 1 | Siege of Nice by the French-Ottoman fleet in 1543. Source: Matrakci Nasuh, Suleyman-nama, Musée du Topkapi, Istanbul, 1543, Hazine. 1608, folio 27b-28a
47 See in detail my forthcoming study: The Clash of Muslim Empires. Ottomans, Safavids, and Mamluks in the Sixteenth Century. 48 Adnan Husain, “Introduction”, in A Faithful Sea. The Religious Cultures of the Mediterranean, 1200-1700, ed. by A. A. Husain and K. E. Fleming, Oxford, Oneworld, 2007, p. 23.
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Economy The economy of the Mediterranean in the 15th and 16th centuries was still driven by agriculture which generated the main income for the large empires on its borders. Borsch has recently stated that for the late 14th century Mamluk Empire “annual exports to the northern Mediterranean accounted for less than two percent of Egypt’s GDP […] Long-distance trade played a subordinate role in the overall development of Egypt’s economy”.49 The Ottoman Empire certainly generated more income through long distance trade since Ottomans were more actively involved in the trade, thereby becoming the first Muslim merchant community to install itself in the West. In the second half of the sixteenth century, the Muslim colony in Venice became large enough to have its own fondaco dei Turci in 1592. Muslim merchants, however, were suspiciously watched, even harassed in the city.50
Apparently it was easier to trade as a Christian in the Muslim realm than the other way around. Christians had a secured status according to Koranic principles in Muslim countries but the legal status of Muslims in the West was less clear. However even for the Ottomans, agriculture and local trade were far more important as sources of revenue than international trade. In order to appease their landhunger as Matuz calls it and to maintain the army and administration they needed further conquests.51 The funds for military campaigns were partly provided by the “unfriendly takeover” of the Mamluk Empire, as the annual remittance from Cairo to Istanbul started according to Italian sources at 400,000 ducats a year in 1525 and went up dramatically afterwards.52 Further research will certainly look increasingly at the role of agriculture in the economy and undertake comparative studies of Mediterranean economies. Of course other fields of economic history should be further explored as well. Of special interest is the question of currencies and the bullion flow within the Mediterranean. After the increased influx of precious metals from South America, the Venetian ducat was to remain the main gold currency. The scarcity of gold in the Middle East made it difficult to establish a comparable Muslim gold coin for a long time, but we know that it 49 Stuart J. Borsch, The Black Death in Egypt and England. A Comparative Study, Austin, University of Texas Press, 2005, p. 19. 50 An Economic and Social History of the Ottoman Empire, ed. by Halil Inalcik, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 189. 51 Josef Matuz, Das osmanische Reich. Grundlinien seiner Geschichte, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 101. 52 A. Hess, The Ottoman Conquest of Egypt, op. cit., p. 74.
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was tried. For example the definitive conquest of Cyprus by the Mamluks in 1426 and the following tributes paid by the Cypriot king allowed the Mamluks to mint competitive gold dinars, which allowed forbidding the use of the ducat.53 In this context it is interesting to note that Braudel stated that American silver travelling through the Mediterranean to East Asia was a forerunner of European world penetration. “Je vois pour ma part […] [“dans l’hémorragie de métaux précieux”] le moyen dont les Européens se sont souvent servis, en Asie mais ailleurs aussi et même en Europe, pour s’ouvrir un marché particulièrement profitable”.54
Warfare Important military revolutions shaped the period from the 15th to the 17th centuries and change decisively the art of combat. Arguably the field of military history has received less attention in recent decades as there has been a preference for social and economic history.55 However, even in economic terms the important role of armies is obvious, as they represent the largest item of public expenditures in terms of soldiers’ salaries and equipment in most of the countries around the Mediterranean.56 The driving force of the technological revolution within warfare was gunpowder. The principal agents on the Sea of these technical innovations were the war galley and the galleon.57 The war galleys with oarsmen and a central cannon upfront were to dominate the Mediterranean up to the end of the 16th century, when the cannon equipped galleon without oars increasingly became the main battleship. As a matter of fact, Mediterranean armies and naval forces tried to reach the highest level of warfare and they copied successful fighting techniques and equipment from their enemies. Unfortunately it was thereby harder for the people of the south of the Mediterranean to keep up with the technical evolution as the majority of resources, like lumber for ships, iron and copper to cast cannons or ingredients
53 Jere L. Bacharach, “The Dinar versus the Ducat,” International Journal of Middle East Studies 4 (1973), pp. 77-96. 54 F. Braudel, Civilisation matérielle, op. cit., vol. 3, p. 615. “I see …(‘in the hemorrhage of bullion’) the agent so often used by the Europeans in Asia , but even in Europe, to open up a very profitable market”). 55 In recent times, however, new studies on the military sector have come to light, see for example the excellent study: Gabor Ágoston, Guns for the Sultan. Military Power and the Weapons Industry in the Ottoman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2005. 56 H. Inalcik, An Economic and Social History,op. cit., pp. 88-100. 57 Cf. John F. Guilmartin, Galleons and Galleys, London, Cassel & Co, 2002.
Figure 2 | Ottoman wagenburg (16th century). Source: Ivan Stchoukine, La Peinture turque d’après les manuscrits illustrés. 1re partie. De Sulaymân à Osmân II, 1520-1622, Paris 1966, XXI
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for gunpowder production, lay in the north. I would qualify the Ottomans here again as clearly Northerners. Another example of technology transfer is the case of the wagenburg which was used around the Eastern Mediterranean in the 15th and 16th centuries. Soldiers using the first generation of guns and cannons had to be defended from attacks of the cavalry of the enemy or archers as the speed of firing was still very slow (fig. 2). In Middle and Western Europe gun men were protected by infantry units using pikes. In Eastern Europe chariots were used which chained together formed an effective barrier to cavalry charges and a safe refuge behind which the musketeers could shelter while loading and firing. The first to use these tactics were the famous Hussites in Czechia in the 1420s against German and Hungarian imperial troops. The Hungarians then adopted these tactics and used them against the Ottomans. Then the Ottomans took them up and at the beginning of the 16th century they won great victories with the wagenburg against the Mamluks and Safavides. Both the Mamluks and Safavids immediately copied this technique. The old myth in historiography that the Safavides and Mamluks refused to fight with firearms for chivalrous reasons is clearly undermined as both Empires tried to purchase firearms and use these fighting techniques as soon as they observed their superiority. It is actually their lack of resources which explains their defeats.58 However, at around the same time when the Safavides won a decisive victory against the central Asian Uzbeks in 1528 at the battle of Jam, the Mughal Emperor Babur used the wagenburg against Indian enemies. His military commander, Mustafa Rumi, arranged them in the “Ottoman style”.59 In about a century the Hussite wagenburg had made its way from Central Europe to Central Asia. Successful technology was transmitted geographically in the 16th century and this supports the concept of “longue durée” (fig. 3).
Conclusion Braudel’s legacy in a “longue durée” sense seems to be to put things into a larger perspective in order to provide the proverbial “whole picture”. A historian should avoid jumping to conclusions based on single cases only and should look at what happens in neighbouring, connected regions at around the same time. Of course I am well aware that I have just provided a rather rough ride through a motley
58 See Albrecht Fuess, “Les Janissaires, les Mamlouks et les armes à feu. Une comparaison des systèmes militaires ottoman et mamlouk à partir de la moitié du quinzième siècle,” Turcica, 41, 2009, pp. 209-27. 59 Babur, The Baburnama. Memoirs of Babur, Prince and Emperor, trans., ed., and annot. by W. M. Thackston, New York, The Modern Library, 2002, p. 323, p. 379.
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personal collection of historical sketches, but I have attempted to show elements within our field of study which could be explored further using Braudel or modifying him. And as Braudel always did, I have tried to compare events and territories in different theatres which are not usually looked at together in order to search for connections and similarities. I would posit that Braudel’s concept of the unity of human history is, in this respect, very intriguing and after decades of exploring “~otherness” in all its facets we should re-evaluate common features binding “human geographies” together. Another legacy of Braudel’s La Méditerranée is that it is an incredibly well written book and calls for equally well written successors.
THE PATH OF THE WAGENBURG-TECHNOLOGY TRANSFER IN THE 15th AND 16th CENTURIES Armies using the Wagenburg tactics are indicated in bold. 1422. HABRY Hussites vs Hungarians
1444. VARNA Hungarians vs Ottomans
1514. CHALDIRAN Ottomans vs Safavids
1448. KOSOVO POLJE
Hungarians vs Ottomans
1528. JAM Safavids vs Uzbeks
1516. MARJ DABIQ
Ottomans vs Mamluks
1526. PANIPAT Mughals vs Delhi Sultanate
1517. AL-RAYDANIYYA Ottomans vs Mamluks
Source : Albrecht Fuess.
Fond de carte : D. Andrieu. Cartographie : F. Troin, CITERES-EMAM, 2009.
Figure 3 | The Path of the wagenburg-technology transfer in the 15th and 16th centuries
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Les frontières du droit en Méditerranée. Marchands et marins face aux tribunaux maritimes (1570-1670) Guillaume Calafat | École Française de Rome Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Quelles frontières tracer, en effet, quand il s’agit non plus des plantes ou des animaux, du relief ou du climat, mais des hommes que n’arrête aucun bornage, qui franchissent toutes les barrières ?1
Peut-on parler de « frontières de droits » en Méditerranée ? Si la pluralité et la diversité des systèmes et des ordres juridiques ne font pas de doute, la notion de frontière, quant à elle, semble un peu forte pour désigner des limites qui obéissaient à une multiplicité de logiques imbriquées, politique, militaire, économique, religieuse, brouillant nécessairement tout éventuel tracé2. Toutefois, il n’est pas impossible de poser autrement la question en se demandant si le droit, entendu au sens large comme un système d’institutions, de normes et de procédures, fait frontière en Méditerranée aux xvie et xviie siècles, cette question s’inscrivant dans un débat inhérent à l’histoire du monde méditerranéen et notamment à son unité ou sa diversité supposées3.
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Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1966, vol I, p. 155. Palmira Brummett, Ottoman Seapower and Levantine Diplomacy in the Age of Discovery, Albany, State University of New York press, 1994, p. 12 : « Territory and borders are relative terms when applied to the 16th century. Like images of universal sovereignty, they are not readily reducible to specific spaces and exact lines. A state’s territory was that area from which taxes could be collected and troops levied until another state seized those prerogatives. But territory was also imagined—the areas to which a sovereign laid claim or to which imperial edicts were sent without any firm guarantees that their authority would be respected ». Wolfgang Kaiser, « Mediterrane Welt », dans Enzyklopädie der Neuzeit 8, éd. par F. Jaeger, Stuttgart – Weimar, J. B. Metzler, 2008, col. 249-260. Anthony Molho, « Il Mediterraneo », dans Pisa e il Mediterraneo. Uomini, merci, idee dagli Etruschi ai Medici, éd. par M. Tangheroni, Milan, Skira, 2003, p. 273-279.
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À première vue, la différence entre le droit musulman, d’une part, et le jus commune catholique, de l’autre, constitue une frontière normative de premier ordre, à laquelle s’ajoute, aux xvie et xviie siècles, un mouvement progressif d’appropriation juridique visant à distinguer des espaces de juridiction, élargissant par là les eaux territoriales des États, et leur pouvoir d’y soumettre des droits locaux spécifiques. Cependant, c’est essentiellement dans les ports que les acteurs du monde maritime, marchands et marins, se soumettent à ces diverses juridictions et expérimentent l’exercice de droits différents. Des normes et des pratiques juridiques communes subsistent néanmoins dans les tribunaux maritimes, notamment une procédure souple qui permet de communiquer et de commercer, par-delà les statuts locaux. La frontière vécue par les marchands et les marins méditerranéens apparaît ainsi comme une constante interrogation et négociation de droits.
Une série de mers fermées ? Parler de « frontières maritimes » pour la mer Méditerranée évoque d’emblée une série de bassins compartimentés, dominés par les puissances navales riveraines4. Pour s’approprier ces espaces et faire accepter un pouvoir de domination – souvent traduit par un pouvoir de nomination que la cartographie enregistre5 – les États avaient à leur disposition des outils et des stratégies qui pouvaient varier en fonction de leurs forces, de leurs tailles et de leurs situations. L’intérêt à exercer une jurisdictio sur une portion de mer relevait essentiellement de trois projets conjoints6 : un projet militaire de défense du littoral, caractérisé généralement par l’activité de flottes sillonnant la mer adjacente, par la construction de fortifications, et par la possession de points stratégiques et de fronts, dont les îles constituent des marqueurs essentiels7 ; un projet d’appropriation des ressources halieutiques ; et
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Daniel Nordman, « Frontières et limites maritimes : la Méditerranée à l’époque moderne (xvie -xviiie siècle) », dans Frontiere di terra, frontiere di mare. La Toscana moderna nello spazio mediterraneo, éd. par E. Fasano Guarini et P. Volpini, Milan, Franco Angeli, 2008, p. 19-34 (p. 23) : « Il paraît douteux que la Méditerranée ait été considérée comme une aire unifiée, par la nature ou par les hommes, en dehors du mare nostrum de l’époque romaine. Elle est bien davantage une série de bassins, dont les géographes énumèrent soigneusement les noms, qui sont ceux des terres adjacentes dont les mers particulières ne sont que le prolongement ». Voir, par exemple, pour la rivalité franco-anglaise sur la Manche : Renaud Morieux, Une Mer pour deux royaumes. La Manche, frontière franco-anglaise, xviie-xviiie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 67-88. Trois projets qui expliquent que, pour Grotius, l’appropriation des eaux adjacentes soit un processus historique volontariste, la revendication d’un espace maritime territorial relevant ainsi du domaine du droit des gens (cf. Martina Julia van Ittersum, Profit and Principle : Hugo Grotius, Natural Rights Theories and the Rise of Dutch Power in the East Indies, 1595, 1615, Leyde, Brill, 2006, 538 p.). Anne Brogini, Malte, frontière de chrétienté, 1530-1670, Rome, École Française de Rome, 2006, p. 93-133 ; également : Michel Fontenay, « Les îles de la Méditerranée occidentale. Un contre-
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enfin, un projet visant à capter les flux commerciaux des routes maritimes par la taxation du passage ou du mouillage sur les eaux territoriales adjacentes. Lorsque l’on évoque la célèbre « bataille des livres », bataille doctrinale sur la légitimité des États à s’approprier politiquement et juridiquement la mer qui vit s’opposer d’éminents juristes dans la première moitié du xviie siècle, on pense surtout à la controverse entre le Hollandais Hugo Grotius et l’Anglais John Selden. Toutefois, les échos de cette « bataille » résonnent également en Méditerranée, en témoignent en particulier les plaidoyers de Paolo Sarpi pour la domination de Venise sur l’Adriatique, qui traduisent l’intérêt politique et diplomatique des États du xviie siècle pour la définition de frontières maritimes. Fra Sarpi justifie, en effet, contre les protestations de l’Espagne et de la Papauté, les taxes demandées aux navires étrangers par la Sérénissime, en échange de la protection policière des galères vénitiennes contre les pirates uscoques8. Bien qu’elles revêtent un caractère emblématique, les prétentions de la République de Saint-Marc participent d’un phénomène courant en Méditerranée : Gênes, Monaco, la Savoie, la Toscane – des « petits États », si l’on peut dire – arguaient du « droit de Villefranche », à savoir d’une « possibilité, reconnue par le droit des gens, de mener des opérations de police au large des côtes »9 (même si son efficacité n’était pas toujours reconnue) moyennant le paiement d’un forfait s’élevant généralement à 2 de la marchandise transportée. Les moyens mis en œuvre pour revendiquer un territoire – et partant en tracer les confins (au sens strict de cum finis) – sont, dans le cas de la mer, surtout performatifs. Les traités sont ainsi l’occasion, pour l’Empire ottoman par exemple, de rappeler une souveraineté sur un vaste espace maritime. Par exemple, dans les Capitulations accordées à la France par la Porte le 20 mai 1604, l’Empereur Ahmed est décrit comme seigneur des plus grandes parties de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique […] et seigneur, comme dit est, des mers Rouge, Blanche [la Méditerranée], et Noire et de tant d’autres divers pays, îles, détroits, passages, peuples familles, générations et d’un nombre infini de victorieux hommes de guerre qui reposent sous l’obéissance et justice de moi10.
portrait de l’insularité ottomane ? », Insularités ottomanes, éd. par N. Vatin, G. Veinstein, Paris, Maisonneuve et Larose, 2004, p. 23-42 (p. 34-39). 8 « La formal ragione, per la quale tutte le acque marine debbono esser sottoposte a chi signoreggia il mare, è perché il dominio del mare dice protettione et custodia per sicurezza delli naviganti, et li seni, ridotti et porti hanno maggior bisogno di questa protettione et deffesa, come quelli, dove li corsari et ladri marittimi hanno maggior commodo di far rubarie », cité dans : Alberto Bin, La repubblica di Venezia e la questione adriatica, 1600-1620, Rome, Il Veltro, 1992, p. 133. 9 Michel Bottin, « Frontières et limites maritimes au xvie siècle », dans La Frontière des origines à nos jours, éd. par M. Lafourcade, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998, p. 27-41 (p. 34). 10 Gabriel Noradounghian, Recueil d’actes internationaux de l’Empire ottoman, T. I, Paris, Cotillon, 1897, p. 94.
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À cette appropriation titulaire, qui rappelle, au passage, la puissance maritime ottomane aux xvie et xviie siècles11, s’ajoute, dans les Capitulations, le rappel ferme d’un pouvoir de souveraineté sur les eaux territoriales du Maghreb. L’article 21 du texte explique ainsi : Nous permettons aussi que les Français, nommés et avoués de leurs princes, puissent venir pêcher du poisson et corail au golfe de StoraCourcouri, lieu dépendant de notre royaume d’Alger, et en tous autres lieux de nos côtes de Barbarie, et en particulier aux lieux de la juridiction de nosdits royaumes d’Alger et de Tunis, sans qu’il leur soit donné aucun trouble ni empêchement12
Selden, dans son Mare Clausum (1635), prend d’ailleurs l’exemple des Capitulations de 1604 pour soutenir, contre Grotius, l’idée d’un dominium maritime – plaidant, avec l’histoire et le jus gentium, pour la reconnaissance d’un Mare Britannicum13. Il étaye cette idée avec un autre exemple tiré de l’Empire ottoman, à savoir la construction de deux forts sur l’Hellespont, servant à faire payer le passage, prétention conforme au titre porté par le sultan de « seigneur de la mer Blanche et Noire »14. Les frontières maritimes, instables par définition, sont ainsi l’objet de constantes revendications. Dans le domaine maritime – et la « bataille des livres » du xviie siècle pointe ce problème – la question est peut-être moins la définition d’une frontière à proprement parler que celle d’une limite, en l’occurrence la limite de la juridiction, entendue comme la possibilité pour l’État de dire le droit sur un territoire déterminé15. Les positions varient bien évidemment en fonction des 11 Pour une synthèse récente : The Ottomans and the Sea. Oriente moderno, éd. par K. Fleet, XX/ LXXXI, 2001. 12 G. Noradounghian, Recueil…, op. cit., p. 98. 13 John Selden, Mare clausum seu de Dominio maris, libri duo, Londres, 1635, liv. 1, ch. XIX, p. 7981. : « Aliarum etiam gentium Europae moribus testimonia reperimus luculenta, de dominio Maris privato ; Danorum, Norvvegorum, Polonorum, quibus insuper accedat & Turcarum […]. Turcarum autem Imperator (qui in Imperatorum Constantinopolitanorum jus victor successit, adeoque Mare Aegaeum simul adquisivit cum Ponto, quorum hic Mare nigrum illis dicitur, illud Mare album) stylo sibi solenni nuncupare se solet Dominum Maris tam albi quam nigri, quod etiam videre est in foedere ab Achmete Imperatore Ottomanico & Henrico Galliarum Rege quarto ante annos triginta inito, excusoque & Gallice & Turcice. Quin, eodem in foedere, Gallis indulget Turca liberam piscationem & corallium indagandi veniam in fretis ac sinubus aliquot Maris Africani intra regna sua Algerianum & Tunetanum. Atque insuper confirmat, quae a decessoribus, in piscandi ibi libertatem eis fuerant concessa ». 14 Ibid., p. 81. : « Coriolanus item Cippicus in gestis Petri Mocenici Imperatoris Venetis Imperator Ottomanicus, ubi (inquit) maxime Hellespontus coit, duo munitissima Castella ex utraque parte invicem opposita aedificavit, ad qua multas bombardas mira magnitudinus constituit, praefectisque castrorum mandavit, si qua Navis illis invitis transire vellet, bombardis fractam submergerent. Quod plane est maris dominari & Titulo Domini Maris Albi & Nigri congruum ». 15 Pour le « changement de sens du mot frontières et de son développement parallèle, dans la langue des xvie et xviie siècles, à celui du mot limites », voir : Lucien Febvre, « Frontière : le mot et la
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États. Pour Grotius, c’est d’ailleurs la notion « d’effectivité » qui est mise en avant pour justifier l’existence de la mer territoriale : « le pouvoir du riverain ne peut s’exercer que jusqu’à ce qu’il lui soit possible de contraindre à partir de la côte »16. Le Hollandais Bynkershoeck définit, au début du siècle suivant, cette effectivité à la portée du canon17. Sont ainsi affirmées, d’une part, l’existence d’une « mer territoriale » adjacente à l’État riverain qui se trouve en droit d’exercer un pouvoir policier, ou, plus largement une « protection » (tuitio) accompagnée d’un rôle juridictionnel, et, d’autre part, celle d’une haute mer, libre et ouverte à la navigation. Les critères de délimitation en Méditerranée n’obéissaient vraisemblablement pas à une règle commune, même si l’on peut observer de manière générale des dispositions fonctionnelles qui liaient le dominium et la jurisdictio aux possibilités pratiques de surveillance, expliquant une coutume partagée dans l’ensemble de la Méditerranée, qui établissait les limites en fonction de la vue, un critère que les traités de neutralité entre pays chrétiens et musulmans pouvaient notamment utiliser18. Ce critère souligne ainsi l’importance des postes avancés, et en particulier des îles, dans un système de surveillance militaire qui pouvait servir de glacis au territoire continental19. Or, à la surveillance militaire, à la « protection » exercée par une puissance riveraine, se greffe bien souvent l’idée d’une rétribution compensatoire : en 1599, par exemple, le Grand-duc de Toscane demande le paiement d’une taxe pour tout bateau passant entre le port de Livourne et l’île de la Gorgona, afin de financer la construction et l’entretien du phare de la Meloria visant à prévenir les marins d’un banc de sable périlleux20. L’imposition d’un
notion », dans id., Pour une histoire à part entière, Paris, S.E.V.P.E.N., 1962, p. 12-24 (p. 18-19). 16 M. Bottin, « Frontières et limites maritimes au xvie siècle », art. cit., p. 27. Également : Arnold Raestad, La Mer territoriale. Études historiques et juridiques, Paris, A. Pédone, 1913, p. 1-136. 17 M. Bottin, art. cit., p. 27. 18 Andrea Addobbati, « Acque territoriali : modelli dottrinari e mediazioni diplomatiche tra medioevo ed età moderna », dans Frontiere di terra, frontiere di mare…, op. cit., p. 173-198 (p. 193). Notons que l’Europe septentrionale partageait également cet usage : « La veue en France était de sept lieues ; en Angleterre, le ken était de vingt-et-un milles ; en Écosse le landkenning de quatorze milles ; le kennis au Pays-Bas était de cinq lieues », M. Bottin, art. cit., p. 31. 19 Colin Heywood, « Ottoman Territoriality Versus Maritime Usage. The Ottoman Islands and English Privateering in the Wars with France, 1689-1713 », dans Insularités ottomanes, op. cit., p. 145-176. Colin Heywood montre en effet que, dans le contexte de rivalité franco-anglaise des années 1689-1714, le sultan ottoman n’émet guère de réserves à ce que les attaques des corsaires britanniques se déroulent dans l’archipel des Cyclades quand il refuse, en revanche, que les navires anglais combattent leurs ennemis à proximité des rivages continentaux de l’Empire. 20 Franco Angiolini, « Sovranità sul mare ed acque territoriali », dans Frontiere di terra, frontiere di mare…, op. cit., p. 244-297 (p. 244-252). L’édit de 1599 contribue à faire de la mer tyrrhénienne une mer « médicéenne », non sans créer de controverses diplomatiques : la taxe était jugée dommageable par la République de Lucques, et l’Espagne de Philippe III, alliée de la République, tenta – sans succès – de la faire abroger.
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« droit de Villefranche » dans la mer tyrrhénienne, appuyée par la doctrine – en l’occurrence les post-glossateurs, au premier rang desquels Bartole21, participe ainsi d’un mouvement d’extension territoriale et d’appropriation de l’espace maritime caractéristique des États au tournant des xvie et xviie siècles22. Il est d’ailleurs important de rappeler que revendiquer une jurisdictio équivaut à revendiquer un certain rang au sein de la hiérarchie des monarques européens, ce qui, partant, peut expliquer l’enjeu symbolique que pouvait revêtir une telle appropriation. La Méditerranée du xvie, et surtout du xviie siècle, apparaît donc comme un espace juridiquement morcelé : les péages et les postes de contrôle se multiplient, entravant la liberté de circulation et « territorialisant » la mer, avec tout ce que cela peut comporter de procédures d’identifications et d’authentifications, de preuves écrites et de documents administratifs censés contrôler les gens de passage et les marchandises, précisément au moment où ils traversent les frontières23. Cela suppose-t-il, pour autant, la création d’espaces normatifs multiples et différenciés reconnus, qui fractionneraient les droits en Méditerranée en autant de statuts locaux et de règles particulières ?
Les ports, espaces du jus mercatorum ? La frontière que l’on trace avec la « mer territoriale » est surtout une ligne politique en pointillé, en même temps qu’une fiction juridique : Lucien Febvre rappelait d’ailleurs que sous l’Ancien Régime « la frontière n’existait que pour les militaires et les princes – et en temps de guerres seulement »24. L’affirmation du dominium marque, certes, l’intérêt économique de la pêche et des péages, de même que la frontière maritime peut être pensée en termes militaires comme un rempart. Cependant – et les deux mouvements vont de pair – en même temps que la notion de « mer territoriale », s’affirme et s’étend en Méditerranée se développe l’idée, aux contours certes encore flous, de « port franc », c’est-à-dire d’une escale
21 Cf. le court traité de Bartole : De Insula, qui établit à cent milles la souveraineté sur la mer (Bartolus de Saxoferrato, De Insula, Madrid, Centro de estudios constitucionales, 1979, 77 p.). 22 En cela, la controverse de Philippe III avec le Grand-duc de Toscane participe d’un enjeu géopolitique plus large, en témoigne notamment le différend entre le vice-roi de Naples et Venise concernant l’Adriatique (F. Angiolini, art. cit., p. 258). 23 Claude Moatti et Wolfgang Kaiser, « Introduction », dans Gens de passage en Méditerranée, de l’antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et d’identification, éd. par id., Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 9-21. 24 L. Febvre, op. cit., p. 19 ; c’est surtout, semble-t-il, à partir du xviiie siècle que les États s’attachent à défendre des territoires plus clairement délimités (cf. Les Ressources des faibles. Neutralités, sauvegardes, accommodements en temps de guerre (xvie-xviiie siècle) éd. par J.-F. Chanet et C. Windler, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 16).
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exempte de taxes, ou, du moins, très avantageuse fiscalement, pensée pour attirer les négociants étrangers et favoriser l’accroissement du commerce25. C’est bien l’imbrication de ces deux mouvements dans une même stratégie politique qu’il s’agit de pointer, une imbrication qui s’inscrit dans un contexte de rivalités commerciales et militaires aussi bien intra qu’extra-européennes, mais qui s’appuie également sur la permanence de réseaux consulaires et marchands qui structurent les échanges en Méditerranée. Ainsi, en ce qui concerne le Royaume de Majorque, Natividad Planas a montré qu’un système d’octroi de licences permettait de commercer avec les pays musulmans, en temps de guerre comme en temps de paix ; les textes juridiques, tout en garantissant la continuité des échanges, établissaient une distinction nette entre la frontière marchande d’une part, et la frontière politique et religieuse de l’autre26. De la même manière, il n’est certainement pas anodin que le Grand-duc de Toscane, qui défend l’idée d’une mer tyrrhénienne appartenant à la juridiction de son État, soit également l’un des plus fervents instigateurs et promoteurs du « port franc » de Livourne, qui va fonctionner comme un étalon de la franchise en Méditerranée durant les xviie et xviiie siècles, tour à tour imité et concurrencé, entre autres, par les ports de Nice, Villefranche, Trieste, Ancône, ainsi que par Gênes et Marseille de manière variable et discontinue27. La mer s’avère en tout cas un terrain d’expérimentation juridique de premier ordre, qui oblige à complexifier et à nuancer les catégories de droit international et de droit commercial, de même que celles de droit territorial et de droit extraterritorial. À une Méditerranée compartimentée des États, on peut, semble-t-il, opposer une Méditerranée des marins et des marchands, caractérisée par des escales ou des échelles extraterritoriales, des zones immunes, qui traversent les frontières religieuses : en effet, « la tension toujours possible entre les chrétiens et les musulmans n’interdit pas les rapports marchands, des contacts permanents sous forme de rela25 Notons, avec Louis Dermigny, que le « port franc » est une « appellation […] dont le contenu varie au gré des lieux et des circonstances ». Savary, dans son Dictionnaire universel de commerce, donne par exemple deux versions : « C’est un port où il est libre à tous marchands, de quelque nation qu’ils soient, de décharger leurs marchandises, et de les en retirer lorsqu’ils ne les ont pu vendre sans payer aucun droit d’entrée ni de sortie » ; « Port franc. Se dit aussi de la franchise totale et de l’exemption qu’ont les marchands de tous droits, soit pour les marchandises qu’ils apportent dans les ports de quelque État, soit pour celles du cru du pays qu’ils en veulent remporter » (Louis Dermigny, « Escales, échelles et ports francs au Moyen Âge et aux Temps Modernes », dans Les Grandes Escales. Troisième partie : période contemporaine et synthèses générales, (« Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions », 34), Bruxelles, éditions de la Librairie encyclopédique, 1974, p. 213-644 (p. 567)). 26 Natividad Planas, « La frontière franchissable : normes et pratiques dans les échanges entre le royaume de Majorque et les terres d’Islam au xviie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48, 2-3, 2001, p. 123-147 (p. 126). 27 Paul Masson, Ports francs d’autrefois et d’aujourd’hui, Paris, Hachette, 1904, p. 146-185.
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tions directes et parfois cordiales »,28 héritières de ce que Shelomoh D. Goitein pouvait appeler la free-trade community méditerranéenne du Moyen Âge29. En cela, les grandes interfaces portuaires méditerranéennes – comme les places commerciales d’importance – fonctionnent comme des espaces de médiation, régis par des lois qui peuvent échapper en partie aux limites juridictionnelles de l’État. Sans vouloir opérer une opposition schématique entre l’unité et la diversité du monde méditerranéen, force est de constater cependant le recours à tout un ensemble de pratiques répandues dans les principaux emporia méditerranéens, tendant à une relative convergence des usages dans les escales. Les réseaux consulaires, les procédures sommaires et simplifiées des institutions marchandes (plus généralement ce que l’on appelle le jus mercatorum), ainsi que le recours à un lexique mercantile partagé, permettent, entre autres choses, des passerelles pardelà les frontières territoriales et les statuts locaux. Certes, il ne faut ni minorer ces derniers, ni les ignorer, quitte à risquer une distorsion certaine de la réalité historique et juridique. Cependant, les acteurs du monde maritime s’appuyaient bel et bien sur l’existence de bases juridiques, sinon communes, du moins compatibles, aussi bien en terre d’Islam que dans l’espace du jus commune, et qui remontent essentiellement aux coutumiers et compilations médiévaux, à savoir, pour l’espace méditerranéen, la Lex Rhodia, les Tables amalfitaines et surtout le Consolat de mar catalan, considéré volontiers par les historiens du droit, comme un véritable « monument normatif ».30 Le droit maritime, tout particulièrement, trouverait des formes conjointes en terre d’Islam et en pays de jus commune, héritiers du droit romain, et offrirait en conséquence un cadre juridique propice au commerce : les coutumiers médiévaux comme le Consolat de mar, compilation de lois maritimes reconnues dans la plupart des pays méditerranéens, s’adapteraient ainsi aisément aux jurisprudences malikites en matière maritime et commerciale31. Les risques 28 D. Nordman, « Frontières et limites maritimes… », art. cit., p. 25. 29 Shelomoh Dov Goitein, A Mediterranean Society, vol. I, Berkeley-Los Angeles, University of California press, 1967, p. 66. Sur ce point également : Tahar Mansouri, « Les relations entre marchands chrétiens et marchands musulmans au Maghreb à la fin du Moyen Âge », dans Chrétiens et musulmans à la Renaissance, éd. par B. Bennassar et R. Sauzet, Paris, H. Champion, 1998, p. 405-414. 30 Vito Piergiovanni, « Le regole marittime del Mediterraneo tra consuetudini e statuti », dans Ricchezza del mare. Ricchezza dal mare, secc. xiii-xviii, éd. par S. Cavaciocchi, vol. II, Florence, Le Monnier, 2006, p. 1155-1167 (p. 1156) ; Aquilino Iglesias Ferreiros, « El libro del Consulado de mar », dans C. Petit, Del ius mercatorum al derecho mercantil, Madrid, 1997, p. 109-142. Voir également : Jean-Jacques Larrère et Christiane Villain-Gandossi, « Le Llibre del Consolat de Mar : les gens de mer, leurs droits et leurs obligations », dans Congrès national des sociétés savantes (106 ; 1981 ; Perpignan), Les Pays de la Méditerranée occidentale au Moyen Âge, Paris, CTHS, 1983, p. 153-157. 31 Hassan Salih Khalilieh, Islamic Maritime Law: An Introduction, Leyde, Brill, 1998, p. 59-115. Sur la compatibilité du droit musulman avec les contrats d’affrètements, voir également : Daniel Panzac,
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observés en mer sont en effet partagés, en premier lieu les questions du fret, des avaries et des impondérables liés aux tempêtes, ainsi que celles liées à la piraterie et à la course. En outre, les tribunaux maritimes des grands ports méditerranéens catalysent les contentieux marchands et maritimes, et, en cela, offrent un espace de négociation du droit qui fait de l’interface portuaire un lieu « d’invention » juridique, au contact de plusieurs cultures et d’expériences institutionnelles hétérogènes et multiformes. La confrontation des droits, dans des espaces portuaires qui condensent les échanges, fait ainsi nécessairement émerger un certain nombre de principes communs32. L’exemple des consolati, autrement appelées les « fortunes de mer », c’est-à-dire des déclarations de sinistres survenues durant la navigation, qui peuvent aller de la tempête qui mouille la marchandise (le cas le plus fréquent) à la mort d’un capitaine survenue lors d’une bataille avec des corsaires, témoigne d’une démarche institutionnalisée dans la plupart des ports du bassin méditerranéen33. La pratique du jet notamment, donne lieu à des procès-verbaux où la décision d’alléger le navire (pour échapper à des corsaires, ou bien pour se sortir d’une tempête) est rythmée par un dispositif préétabli et ritualisé, afin de légitimer les pertes survenues lors du trajet. Ces règles ritualisées doivent d’ailleurs beaucoup aux jurisconsultes musulmans qui ont abondamment réfléchi à la répartition des pertes une fois le bateau arrivé à bon port34. Les déclarations s’appuient soit sur des réseaux consulaires qui permettent aux marins de déclarer leurs pertes (ce qui expliquerait le terme de consolato), soit sur des tribunaux maritimes d’État, qui structurent les échanges méditerranéens. Tribunaux et consuls, par leurs cachets, permettent de certifier la bonne foi et les compétences du capitaine ou du patron de navire, et, en général, d’absoudre le capitaine pour toute marchandise mouillée ou jetée. Le droit marchand et maritime fait, par nature, songer à un droit extraterritorial, un droit d’escale, véritable « terrain des conventions internationales »35, que l’escale soit volontaire ou refuge après une tempête. Les escales commerciales,
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« Le contrat d’affrètement maritime en Méditerranée : droit maritime et pratique commerciale entre Islam et Chrétienté (xviie -xviiie siècles) », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 45/3, 2002, p. 342-362 (p. 355-359). Hassan Salih Khalilieh, Admiralty and Maritime Laws in the Mediterranean Sea, ca. 800-1050, Leyde, Brill, 2006, p. XI. Pour quelques exemples et études des « fortunes de mer », voir : Paolo Castignoli, « Le fortune di mare nei consolati livornesi. Note introduttive di una ricerca », dans id., Livorno dagli Archivi alla città, éd. par L. Frattarelli Fischer et M.-L. Papi, Livourne, Belforte, 2001, p. 231-242 ; Gerassimos D. Pagratis, « “Le fortune di mare”. Incidenti della navigazione mercantile nei mari Ionio e Adriatico (1611-1795) », dans Ricchezza del mare. Ricchezza dal mare, op. cit., p. 841-861. D. Panzac, art. cit., p. 358. L. Dermigny, « Escales, échelles et ports francs au Moyen Âge et aux Temps Modernes », art. cit., p. 213.
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voire les « ports francs » tolérant la présence d’étrangers, sont intrinsèquement liées à l’idée de limite et de frontière, dans la mesure où ils servent d’espace intermédiaire juridique, « de zone tampon », entre le port et l’hinterland. C’est notamment le cas de Livourne qui, au cours du xviie siècle, tourne peu à peu le dos à la Toscane. La « frontière juridique » serait ainsi à tracer entre le port/escale et son arrière-pays, par exemple entre Livourne, d’une part, et Pise de l’autre. De manière schématique, le port serait le lieu de l’adaptation et de l’expérimentation juridique, quand la ville universitaire, à l’intérieur des terres, ville des jurisconsultes et des docteurs, serait un lieu, sinon rétif aux lois marchandes et aux privilèges des étrangers, du moins plus tatillon quant aux respects des statuts locaux. Certains historiens du droit mettent toutefois en garde contre le présupposé d’une lex mercatoria (comprise comme un système de droit autonome qui englobe et essentialise le jus mercatorum) plus théorique qu’effective et ne correspondant pas aux règles locales en vigueur36. Albrecht Cordes prend ainsi l’exemple du transport maritime, pourtant considéré comme l’une des « composante[s] essentielle[s] d’une prétendue Lex Mercatoria », pour contester l’idée d’un « corps supra particulier de principes juridiques » indépendant, qui apparaît davantage comme une reconstruction juridique fictive plutôt que comme une réalité historique37. Il existe toutefois aux xvie et xviie siècles une tension sous-jacente entre, d’une part, l’affirmation d’une mer territoriale et d’une jurisdictio, et, de l’autre, la liberté de circulation et l’existence d’un supposé droit marchand international, qui interroge les pratiques mêmes des acteurs du négoce et du monde maritime ainsi que leur manière d’utiliser le droit.
Frontières vécues et espaces de médiation. Les marchands et les marins qui arrivaient dans un port ou une escale méditerranéens devaient, en principe, respecter un certain nombre de règles et de démarches exigées par les institutions locales comme, par exemple, la mise par écrit des contrats et des conventions, la présentation au tribunal des polices de charge, voire des consolati. La circulation des marchands et des marins s’accom-
36 Karl-Otto Scherner, « Lex mercatoria-Realität, Geschichtsbild oder Vision ? », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, 118, 2001, p. 148-167 ; Albrecht Cordes, « À la recherche d’une lex mercatoria au Moyen Âge », Stadt und Recht im Mittelalter. La ville et le droit au Moyen Âge, éd. par P. Monnet, O. G. Oexle, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 2003, p. 117-132. 37 A. Cordes, « À la recherche d’une lex mercatoria au Moyen Âge », art. cit., p. 119-20. Albrecht Cordes montre comment Lord Mansfield, l’un des juristes les plus importants de l’histoire britannique, put, pour étayer l’un de ses jugements, défendre l’idée que le droit maritime était un « droit universel des nations » (general Law of Nations), conçu comme une seule et même loi depuis la Lex Rhodia jusqu’à l’Ordonnance de la marine de Louis XIV.
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pagne d’une culture écrite liée aux procédures d’identification et de contrôle (des marchandises comme des personnes) : les patentes sanitaires38, le besoin en outre de décrire, de répertorier et d’enregistrer chaque chargement et déchargement, les consolati, la présence d’un écrivain sur le navire (pour les rituels du jet, pour d’éventuelles prises si le bateau était armé en course), l’usage du passeport et du sauf-conduit, participent d’une constante anticipation du contentieux qui nécessite l’accumulation des preuves et des traces écrites. La traduction et le travail des interprètes s’avéraient donc essentiels. Le chancelier du consul, voire le consul en personne (quand il était issu du monde du négoce ou qu’il était marin), avaient souvent pour mission de traduire consolati et patentes afin de les présenter dans la langue du tribunal compétent. Ils pouvaient également être présents afin de traduire les interrogatoires des marins, et leur médiation servait également à formaliser, dans les cadres de l’institution locale, les dépositions39. Les notaires publics et les chancelleries des tribunaux étaient également mis à contribution. Ainsi, dans un procès tenu en appel, au tribunal des Consuls de la mer de Pise, en 1611, un capitaine de navire pisan qui revient d’Alger, Oratio Sciacqua, dans le litige qui l’oppose au marchand livournais Andrea Domenici, présente un consolato fait à Arles et écrit en français par un notaire royal, en raison d’une tempête dans le golfe du Lion. Il ajoute à cette pièce les procès-verbaux rédigés en catalan, qui relatent un litige qu’il a eu dans le port de Majorque, concernant un arraisonnement abusif au large de l’île, par les galères de l’amiral Don Luis Fajardo. Les textes sont tous deux traduits en italien et présentés comme des pièces probatoires lors du procès40. En effet, la première friction « vécue » à laquelle se confrontent les marchands et les marins est bel et bien celle de la langue, et notamment de la langue des institutions, qui implique une chaîne d’intermédiaires (consuls ou interprètes au premier chef) caractéristiques de la zone portuaire et de l’espace frontalier. L’expérience de la frontière ne se fait d’ailleurs pas sans difficultés, comme en témoigne la première des onze propositions rédigées en 1666 par un groupe de marchands anglais pour améliorer les conditions d’accueil de l’office sanitaire de Livourne :
38 C. Moatti et W. Kaiser, « Introduction », art. cit., p. 12 : « la protection contre les “pestes”, contagions et épidémies exigeait “bulletins de santé” et “certificats de quarantaine”, impliquait l’installation, hors des villes et ports, de lazarets et stations de quarantaine, créait des procédures de filtrage et d’institutions comme les bureaux de santé, le “cordon” protecteur à usage également militaire ». 39 Les marins interrogés (pilotes, nochers, bombardiers, maîtres de hache, calfats) ne savent quasiment jamais écrire, ce qui suppose le double truchement du consul (ou d’un traducteur) et du greffier. 40 Archivio di Stato di Pisa (ASP), Consoli del mare, « Atti Civili », 53, 1. Le capitaine transportait deux esclaves « turcs ». Jugé suspect par l’armée de Don Luis, le capitaine est amené à Majorque avec sa saète. Là, il présente « il passaporto delli stiavi ». Son embarcation est ensuite libérée, mais le capitaine n’est pas au bout de ses peines, puisqu’il rencontre une tempête violente dans le golfe du Lion.
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guillaume calafat Che alla prima entrata delle navi della nazione inglese deva esserci persona a posta che intenda bene la lor lingua acciò vadi con il Capitano della Bocca quando [questi] va per riconoscere [i nuovi arrivati] e che poi renda perfettamente il deposto dei Capitani [inglesi] in lingua italiana poiché si è toccato con mano che il medesimo Capitano della Bocca ha più volte riportato una cosa per un’altra per causa di condur seco persone che non intendono la lingua perfettamente41.
Les mesures sanitaires constituent la première rencontre avec la frontière, la première étape de son franchissement, après la relative parenthèse juridictionnelle que constitue le voyage42. La supplique des marchands anglais permet en tout cas de traduire un double enjeu, celui de la langue et de sa maîtrise d’une part, et celui de la connaissance du lieu et du fonctionnement des institutions de l’autre. Car « connaître la langue » est profondément lié, comme peut en témoigner une supplique envoyée au Grand-duc par deux marchands arméniens en 1624, à la connaissance des « coutumes du pays »43. Les intermédiaires dans les ports, consuls ou marchands du lieu, servent ainsi d’intercesseurs juridiques et leurs interprétations, qui adaptent les plaintes ou les recours au « style » de l’institution locale, apparaissent comme autant de traductions normatives. L’espace de la médiation est toutefois permis par les formes mêmes de la procédure, qui, dans les institutions portuaires, avec, certes, des degrés différents, ont généralement la particularité d’être souples et flexibles. L’exemple du tribunal du Gouverneur de Livourne, tribunal habilité à régler les procès criminel, civil, maritime, et mercantile, offre de nombreux cas d’affaires qui interrogent directement la question de la procédure, mais aussi de la juridiction du tribunal, de l’étendue – aussi bien géographique que juridique – de ses com-
41 Archivio di Stato di Firenze (ASF), Sanità, « Negozi », 225, f. 26 ; cité par Carlo Maria Cipolla, Il burocrate e il marinaio, Bologne, Il Mulino, 1992, p. 95. 42 Carlo Maria Cipolla a montré, dans un essai sur la bureaucratie sanitaire à Livourne, combien, jusqu’à la seconde moitié du xviie siècle et à la Great Pleague de Londres des années 1664-1665, les navigateurs et les marchands anglais trouvaient exagérées et nuisibles les mesures sanitaires du port de Livourne – deux « cultures opposées », pour reprendre les mots de Cipolla, qui traduisent un usage de la bureaucratie jugé « méditerranéen ». Ainsi, le consul anglais, Thomas Hunt, d’écrire en 1609 au Grand-duc : « volendo continuare il commercio con l’Inghilterra bisognerebbe eliminare la maggiore difficoltà che è la pratica, poiché dopo un lungo e travaglioso viaggio per mare raggiunto il porto a salvamento con molto lor incomodo [i mercanti inglesi] sono forzati a dimorar sul ferro per aspettare la resolutione e la risposta dell’ufitio della Sanità di Firenze che causa molto disgusto ai poveri mercanti et notabil danno alle loro mercantie » (C. M. Cipolla, op. cit., p. 51). Pour plus d’éléments sur les mesures sanitaires dans les ports italiens : Carlo Maria Cipolla, Contre un ennemi invisible. Épidémies et structures sanitaires en Italie de la Renaissance au xviie siècle, Paris, Balland, 1992, 357 p. 43 ASP, Consoli del mare, « Atti Civili », 139, 6 : « li poveri comparenti, i quali non havendo la lingua italiana, ne pratica de costumi di questi nostri paesi ».
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pétences et des tensions qui pouvaient exister entre un droit supralocal, souhaité par les marchands et les marins étrangers, et un droit local. Le tribunal toscan a d’ailleurs pour socle normatif des règles supralocales (le Consulat de la mer, qui apparaît dans les sources comme les « chapitres (ou les lois) de Barcelone ») et des statuts locaux, toscans, que sont les Statuti della Mercanzia et les Statuti di sicurtà, concernant l’assurance44. Toutefois, dans la grande majorité des cas – à l’exception des consolati et de certaines affaires particulièrement complexes – il ne s’agit pas pour le tribunal de Livourne d’appliquer fidèlement ces règles. Il ne les mentionne d’ailleurs quasiment jamais dans ses sentences, de même que ne les mentionne guère le tribunal des Consuls de la mer de Pise, spécialisé dans les affaires mercantiles et maritimes, qui sert de tribunal d’appel dans ces domaines. Sont en revanche davantage invoqués « l’usage et le style de la cour », la « nature des choses », de même que les « lois et coutumes mercantiles », c’est-à-dire tout un ensemble de pratiques sociales reconnues conjointement par les litigants et le tribunal comme mobilisables et comme sources de droit45. Ainsi, la souplesse de la procédure, inhérente au fonctionnement du tribunal portuaire, vise à favoriser une justice « bonne et rapide, sans bruit » (buona et spedita, sine strepitu), la vitesse du droit étant l’un des éléments que les marchands et les capitaines jugent essentiels. Le cas toscan permet de définir plus précisément ces frontières qui correspondent à des changements institutionnels et à des espaces juridictionnels spécifiques : le tribunal du Gouverneur de Livourne et celui des Consuls de la mer de Pise fonctionnaient comme un binôme, émettant des sentences à propos de problèmes désignés proprement dans les sources (procès-verbaux, suppliques…) comme « mercantiles ». Les contentieux qui y étaient traités marquaient l’échec d’une décision antérieure, qu’il s’agisse d’un possible accord à l’amiable ou de l’éventuelle médiation d’un consul. En revanche, d’autres recours étaient possibles pour les litigants, notamment l’appel au tribunal suprême de la Ruota Civile de Florence, institution composée de docteurs spécialistes des différents statuts locaux et du droit romain46. Le changement juridictionnel n’était pas qu’une translation de l’affaire du port à Florence : il s’agissait également d’un passage du « mercantile » au « légal » (ou au « juridique »), d’un changement de catégories normatives entre, 44 Andrea Addobbati, Commercio, Rischio, Guerra. Il mercato delle assicurazioni marittime di Livorno, 1694-1795, Rome, Storia e Letteratura, 2007, p. 116-122. 45 Un phénomène analysé par Simona Cerutti dans le cas du Consulat de commerce de Turin : Simona Cerutti, « Nature des choses et qualité des personnes. Le Consulat de commerce de Turin au xviiie siècle », Annales, Histoire, Sciences sociales, 57/6, 2002, p. 1491-1520. 46 Bruno Casini, « Inventario dell’Archivio di Stato di Livorno », Pubblicazioni degli Archivi di Stato, 51/2, 1968, p. 16-27. Également : Andrea Addobbati, « La giurisdizione marittima e commerciale dei consoli del Mare in età medicea », dans Pisa e il Mediterraneo…, op. cit., p. 311-315.
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d’une part, un règlement des contentieux basé sur les coutumes marchandes, et, de l’autre, des sentences émises à partir de lois et de statuts. Les marchands et les marins, en somme, pouvaient activer – dans la limite de certains seuils de révocabilité – deux systèmes de droit qui cohabitaient47. Bien entendu, le recours au tribunal florentin obéissait parfois à certaines stratégies juridiques de marchands locaux ou influents qui s’appuyaient sur un réseau efficace de procurateurs, soit pour intimider, soit pour faire durer un litige et ainsi « fatiguer » (defaticare) l’adversaire, marchand étranger ou capitaine, en procédures longues et coûteuses. Une distinction se dessine ainsi entre deux justices qui n’obéissent pas aux mêmes intérêts et qui marquent une frontière entre un droit marchand, droit d’escale – par nature rapide et souple – et un droit ordinaire, davantage attaché aux règlements locaux. Deux systèmes de droit que l’on peut retrouver dans d’autres ports méditerranéens, comme à Marseille, par exemple, où les marchands et les capitaines avaient à leur disposition le Tribunal de Commerce et l’Amirauté. Au xviiie siècle encore, les deux types de juridictions demeurent, sinon concurrentes, du moins fort différentes quant au type de procédures choisies : L’intérêt de la province se trouve lié à celui de la chambre du commerce de Marseille, en ce que la jurisdiction consulaire de cette ville est de la plus grande utilité pour le bien du commerce. On y plaide sommairement et sans frais ; au lieu qu’on éprouve dans les tribunaux de l’amirauté, les frais et les longueurs inséparables de la justice ordinaire ; ce qui ne peut que ralentir l’activité du commerce, et porter un préjudice considérable à tous les négociants et commerçants de la province48.
Notons cependant qu’outre leurs variétés, les cadres institutionnels du commerce étaient profondément asymétriques entre monde chrétien et monde musulman, tant « les marchands [et les marins] musulmans dans les ports européens, n’avaient pas à leur disposition l’équivalent des consulats européens ou une association comparable à l’organisation en “nations” des marchands européens au Levant et au Maghreb » malgré la présence avérée, vraisemblablement jusqu’à la fin du xviie siècle, de marins et de marchands musulmans dans certains ports
47 Notons que le changement du « mercantile » au « légal » apparaît de manière manifeste dans les suppliques envoyées par les marchands et les marins au Grand-duc de Toscane, où au stile marinaresco e mercantile, les litigants opposent les punti e cause legali (cf. ASP, Consoli del mare, « Suppliche »). Les litigants pouvaient d’ailleurs activer conjointement les deux systèmes normatifs et leurs institutions, pratique caractéristique de la justice d’Ancien Régime (cf. António Manuel Hespanha, La gracia del derecho. Economía de la cultura en la edad moderna, Madrid, Centro de estudios constitucionales, 1993, p. 151-176). 48 Balthazard-Marie Émerigon, Traité des assurances et des contrats à la grosse, Marseille, Jean Mossy, 1783, T. 2, p. 328.
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chrétiens49. Cela n’empêchait toutefois pas la présence de représentants qui autorisait des formes de recours juridiques au-delà des frontières, comme en témoigne une affaire entre Tunis et Livourne en 1624, où un marchand corse, Anton Marco Pietro, représente le puissant converti tunisien Murâd Bey, futur fondateur de la dynastie des Mouradites50, afin de réclamer une créance auprès d’un marchand nouvellement installé à Livourne, qui devait de l’argent à un esclave de Murâd, récemment décédé. La question que pose le tribunal de Livourne est de déterminer si, à Tunis, les maîtres héritent de leurs esclaves, et s’ils peuvent hériter de leurs biens en terre chrétienne. Le tribunal du Gouverneur s’en remet alors aux avis d’un marchand corse, d’un capitaine grec, et d’un marin grec, ancien esclave à Istanbul, tous habitués à commercer à Tunis. Si en première instance, la requête du procurateur de Murâd est acceptée, elle est refusée par les Consuls de la mer en seconde instance, après maints débats51. Ces derniers s’appuient notamment sur l’avis du capitaine grec qui, interrogé, affirme que « les Turcs ou les Maures n’héritent pas des biens et des effets de leurs esclaves qui sont en terre chrétienne, mais uniquement ceux qui sont en terre des Turcs et des Maures ».52 Cette affaire pointe non seulement l’importance des interrogatoires de marchands et de marins dans les procédures sommaires, mais aussi celle des parères, ces avis de négociants certifiés devant notaire qui attestent des usages professionnels ou des points de droit étranger dont les tribunaux n’ont pas connaissance. Les marchands et les marins transportent donc, avec leurs navires et leurs marchandises, des manières de mobiliser le droit, des règles, des savoirs divers, susceptibles d’être présentés aux différents tribunaux portuaires : leur expérience permet ainsi de franchir et
49 Wolfgang Kaiser, « La excepción permanente. Actores, visibilidad y asimetrías en los intercambios comerciales entre los paises europeos y el Magreb (siglos XVI-XVII) », dans Circulación de personas y intercambios comerciales en el Mediterraneo y en el Atlantico (siglos XVI, XVII, XVIII), éd. par J. A. Martínez Torres, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 2008, p. 171-189 (p. 184). Wolfgang Kaiser montre notamment dans cet article combien l’espace situé entre la côte orientale de la Tunisie, Malte et la Sicile constitue un lieu d’activité privilégié pour les marins et les affréteurs tunisiens. Il fallut toutefois attendre la seconde moitié du xviiie siècle pour voir accepter l’idée d’une représentation juridique et d’un droit spécifique des « Barbaresques » : Jörg Manfred Mössner, Die Völkerrechtspersönlichkeit und die Völkerrechtspraxis der Barbareskenstaaten (Algier, Tripolis, Tunis, 1518-1830), Berlin, De Gruyter, 1968, 170 p. ; Christian Windler, « De l’idée de croisade à l’acceptation d’un droit spécifique. La diplomatie espagnole et les Régences du Maghreb au xviiie siècle », Revue historique, 301, 1999, p. 747-788. 50 Voir l’article de M’hamed Oualdi dans le présent ouvrage. 51 Archivio di Stato di Livorno (ASL), Governatore ed Auditore, « Atti Civili », 73, 207 ; pour la deuxième instance : ASP, Consoli del Mare, « Atti Civili », 128, 29. 52 ASL, Governatore ed Auditore, « Atti Civili », 73, 207 : « Disse che li Turchi o Mori non hereditino beni et effetti delli loro schiavi che siano in terra di Cristiani, ma solo quelli che sono in terra di Turchi e Mori ».
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d’interroger constamment, dans les cadres d’une procédure souple, les frontières juridiques en vigueur.
Conclusion Le tracé de frontières juridiques en Méditerranée obéit à différents gradients : aux projets étatiques de territorialisation de l’espace marin, relayés militairement par l’activité de flottes, et justifiés par la doctrine, s’ajoutent les différences institutionnelles (sanitaires et bureaucratiques) et culturelles (religieuses et linguistiques) qui semblent segmenter la Méditerranée. Toutefois, la coexistence fréquente de deux justices, l’une formelle, ordinaire et locale, et l’autre extraterritoriale, sommaire, mercantile et supralocale, invite à envisager, essentiellement à travers le droit commercial et maritime, des espaces de médiation juridique qui structurent et favorisent la mobilité et la continuité des flux temporaires et des échanges économiques. À la confluence de cultures juridiques multiples, les ports méditerranéens offrent en cela des situations inédites qui obligent à négocier des formes de compromis entre acteurs locaux, marchands et marins de passage, et représentants des institutions d’États. Des rapports de force entre ces différents groupes sociaux, autant que de la conjoncture diplomatique et militaire, dépend la perméabilité de frontières juridiques instables et fondamentalement labiles à l’époque moderne.
Microhistory / Maritime History: Aspects of British Presence in the Western Mediterranean in the Early Modern Period Colin Heywood | Maritime Historical Studies Centre University of Hull (UK)
Introduction The applicability of microhistory as an approach to maritime history (thinking of the Mediterranean in the period 1580-1798) seems hardly to have been considered in the context of “going beyond” (or possibly retreating from) the “grand narrative” of Braudel’s Méditerranée, which continues to cast a long shadow on all postBraudelian studies of Mediterranean history. In an attempt to test the validity of such approaches to the writing of postBraudelian Mediterranean history, the present paper examines some microhistorical episodes in the careers of a small number of maritime Britons who, with their craft, were caught up in political entanglements in the waters of the western Mediterranean in the late seventeenth and early eighteenth centuries. Defining the Mediterranean as a functional unit of historical enquiry has never been particularly easy.1 Looking at the historiography of the post-Braudelian maritime history of the sea—post-Braudelian in the ontological and historiographical meanings of the term, as well as the chronological—one is tempted to observe that the Mediterranean is what Braudel has defined it as, a somewhat reified construct as well as a historical reality. Going beyond—or after—Braudel, one
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Cf., for a useful discussion, Nicholas Purcell, “The Boundless Sea of Unlikeness? On Defining the Mediterranean”, Mediterranean Historical Review, 18/2, 2003, pp. 9-29. See also some of the papers in Kudret Emiroğlu and Oktay Özel et al. (eds), The Mediterranean World: The Idea, the Past and the Present, Istanbul, Iletişim, n.d., and the corrective review by W. V. Harris in Mediterranean Historical Review, 13/2, 2008, pp. 195-197.
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may perceive a number of more or less well-defined schools or approaches, some of which do not necessarily intersect with each other. Space is lacking for any attempt to elaborate these remarks in detail, or to assess the past thirty years work in what might be termed post-Braudelian Mediterranean studies.2 It can be safely asserted, however, that few if any of the field’s practitioners have made use of microhistory as a technique or appear to have been influenced by the work of the pioneers of microhistory such as Carlo Ginzburg or Giorgio Levi, or by non-Mediterraneanist neo- or post-Braudelians such as Immanuel Wallerstein or Carlos Aguirre Rojas.3 The “general revolution” in post-1968 historiography seems largely to have passed Mediterranean history by.4 What then are the possibilities for writing “history from below” or “history from the margins” in the shadow of deconstructivist “posthistoire” and the context of the elusive, permeable Mediterranean maritime frontier in the late sixteenth to eighteenth centuries, and of the men and craft which crisscrossed in and out of and across it?5 In several earlier publications I have given some thought in passing to this matter, but would suggest at the outset that Mediterranean history is in large part a history of diasporas, of floating, mobile populations, often from “outside”, in which it is perhaps more difficult (though not impossible) to establish a microhistorical viewpoint than when dealing with the social landscape of an ancien régime village or a nineteenth-century working-class community.
Microhistory and Maritime History Giovanni Levi has remarked that microhistory “is essentially a historiographical practice, whereas its theoretical references are varied and in a sense eclectic”. He adds that “microhistory, in common with all experimental work, has no estab2 3
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See, for a stimulating overview, Peregrine Horden and Nicholas Purcell, “The Mediterranean and ‘the New Thalassology’”, American Historical Review, 111/3, 2006, pp. 722-740. For Braudelian contextualities in Wallerstein and Aguirre Rojas’s work see the papers collected in Carlos A. Aguirre Rojas et al. (eds), Primeras Jornadas Braudelianas, San Juan Mixcoac, Mexico, Instituto Mora, 1993, 106 p. and Segundas Jornadas Braudelianas: Historia y Ciencias Sociales, id., 1995. See, Carlos Antonio Aguirre Rojas, “1968 as a Turning Point in Historical Thinking: Changes in Western Historiography”, História (São Paulo), 23/1-2, 2004, pp. 197-218. History “from below” would appear to be one of the most viable exit strategies from the morass, the veritable dead-end of “posthistoire”, cf. the arguments for it put forward by Lutz Niethammer, Posthistoire. Has History come to an End?, London and New York, Verso 1992, p. 149. Niethammer’s via salutis, which “starts by attempting to classify the life-history of individuals within a particular social and historical context—their experiences and failures, as well as their capacity to reflect on them…”, would appear to be a cogent endorsement of microhistory without actually employing the term.
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lished body of orthodoxy to draw on”: a statement which I would suggest has become not entirely accurate, in that it is in fact the work of Levi and his fellow pioneers in microstoria which has now acquired classic status.6 If, therefore, we look at the Mediterranean and its maritime frontiers in the early modern period, the large-scale maritime enterprises, such the activities of the Dutch and English Levant Companies, have been studied, as has French trade and the French (better, Provençal) element—certainly preponderant—of the caravane maritime.7 But quantifying history is not enough, and more “qualitative” work needs to be done: there is a need to search for the individuals, the ships, the crews, the passengers and their carried commodities, who conducted their lives “below the radar” of historians’ involvement in the top-edge enterprises of the time. We are looking to investigate not the English and Dutch Levant companies’ ships of 250 to 800 tons burthen, nor even the well-charted activities of the Provençal caravane maritime, but the scattered and random evidence of the mass of smaller craft, the ketches, sloops, pinks and tartanes, which swarmed in and out of all the ports of the Mediterranean proper, from Alexandria and Alexandretta to Tetuan, and also in the waters of the “Mediterranean of the Atlantic”, the African and Iberian littorals and the “near Atlantic” from Agadir northwards to Lisbon.8 How do we “rediscover”, beyond the level of the purely antiquarian and anecdotal, the men who owned, commanded and sailed in them, such as the ketch Oxinton, carrying pilchards and cheese, brought into Algiers as prize c. 1712, or the New England sloop, out of Rhode Island via Cape Verde, with black slaves and a Portuguese priest on board, which at about the same time suffered the same fate? How best can we approach, in order to reinvent, post-Braudel, this “postBraudelian” Mediterranean world? Microhistory, or, at the least, a microhistorical
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Giovanni Levi, “On Microhistory”, in New Perspectives on Historical Writing, ed. by P. Burke, Cambridge, Polity Press, 1991, p. 93. Studied, certainly, but the result is a mixed bag. The material provided in the weighty volumes of the Dutch Bronnen tot de Geschiedenis van den Levantschen Handel, ed. by Klaas Heeringa et al., Rijksgeschiedkundige Publicatien, Grote serie, 9, 95, 115, 120; 4 deelen in 5 vols., 's Gravenhage, M. Nijhoff, 1910-66) have not resulted in a solid monographic study of the Dutch in the Mediterranean; conversely the English Levant Company records remain unpublished, but there is the seventy-year old study by Alfred. C. Wood, A History of the Levant Company, Oxford, Oxford University Press, 1935, 263 p.; repr. London, Frank Cass, 1964, 267 p.; see also Ralph Davis, The Rise of the English Shipping Industry, Newton Abbot, David and Charles 1962, p 228-256. On the French caravane maritime see Daniel Panzac, La Caravane maritime : marins européens et marchands ottomans en Méditerranée (1680-1830), Paris, CNRS Éditions, 2004, 230 p. I raise this question in my “A Frontier without Archaeology? The Ottoman Maritime Frontier in the Western Mediterranean, 1660-1760”, in The Frontiers of the Ottoman World (Proceedings of the British Academy, 156), ed. by A.C. S. Peacock, Oxford, Oxford University Press for the British Academy, 2009, pp. 493-508, at pp. 502-503.
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approach, may offer a solution, by allowing the historian to concentrate on what Levi has termed “the contradictions of normative systems” (read here the alltoo-rational accounts of the British southern and Mediterranean/Levant trades by economic historians such as A.C. Wood and Ralph Davis), turning away from these normative approaches to the “fragmentation, contradictions and plurality of viewpoints which make all systems fluid and open”. 9 We need to observe at the outset, however, that microhistory, as a methodological tool, or possibly as an ideology, is both showing its age and beginning to get a bad press. The revolutionary methodology of thirty years ago has become a new orthodoxy. Lara Putnam, in a 2006 article on microhistory and the Atlantic world, has called it “a well-defined and long-standing label, perhaps not much in fashion today”.10 It is certainly true, as has also been observed, that what have come to be regarded as the “classics” of microhistory, all of which were published between the mid-seventies and the mid-eighties, such as Carlo Ginzburg’s The Cheese and the Worms (1976; first English edition, 1980), Natalie Zemon Davis’s The Return of Martin Guerre (1983), and Robert Darnton’s The Great Cat Massacre (1984), together with Emmanuel LeRoy Ladurie’s Montaillou (1975, first English edn., 1978), or the famous article by Ginzburg and Carlo Poni, “Il nome e il come” (1979), which may be said to have jump-started microhistory as an intellectually exciting and at the same time fashionable mode of historical enquiry, appear not to have found any notable successors. Even the contents of Quaderni Storici, the flagship journal of the discipline, do not appear to be as intellectually stimulating nowadays as they were three decades ago when the Italian pioneers of microhistory—Ginzburg, Grendi and others—were at their height of activity.11 9
G.Levi, “On Microhistory”, art. cit., p. 107. For some preliminary observations in this spirit see Colin Heywood, “A “Forgotten Frontier”?: Algiers and the Maritime Frontier from the French Bombardment (1682) to the Algiers Earthquake (1716)”, Revue d’Histoire Maghrébine, 31/114, 2004, pp. 35-50. 10 Lara Putnam, “To Study the Fragments/Whole: Microhistory and the Atlantic World”, Journal of Social History, 39/3, 2006, p. 615. Cf. Alison Games, “Atlantic History: Definitions, Challenges and Opportunities”, American Historical Review, 111/3, 2006, pp. 741-757, which seeks a broad vision of the Atlantic “such as the one Braudel sought for the Mediterranean”. Cf. also, as an antidote to Putnam, the fruitful discussion of the “new microhistory” in Matti Peltonen, “Clues, Margins and Monads: The Micro-Macro Link in Historical research”, History and Theory, 40, 2001, pp. 347-359. 11 Carlo Ginzburg, Il formaggio e i vermi: il cosmo di un mugnaio del ‘500, Turin, G. Einaudi, 1976, 188 p; English translation: The Cheese and the Worms: The Cosmos of a Sixteenth-Century Miller, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1980, 177 p.; Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, c. 1974, pagination; English translation: Montaillou: the Promised Land of Error, London, Penguin, 1978, pagination; Carlo Ginzburg and Carlo Poni, “Il nome e il come: scambio ineguale e mercato storiografico”, Quaderni storici, 40, 1979, pp. 181-90; English translation: “The Name and the Game: Unequal
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And yet, if we were to take a snapshot view of historical work devoted to microhistory als Problem published in the last twenty years, what strikes one most forcibly is both its catholicity and open-mindedness (standing in this regard in strong contrast to the prevailing school of subaltern history) and its easygoing internationalism, with notable contributions from historians working and writing in Iceland, Finland, Argentina, Mexico, Spain (in Castilian and Catalan) … more perhaps than in its earlier centres (in the seventies through the nineties) of Italy and France and the Atlantic Anglo-Saxon world.12 One striking and hitherto disregarded common feature of the work of most, if not all, of the existing microhistorical (and also of subaltern) studies, however, lies in their distinctly earthbound quality: they focus on either the land and those who historically tilled it, in the early modern and modern periods, or local elements of the emerging urban proletariat of the European industrial revolution from the nineteenth century onwards. Conversely, the applicability of microhistory as an approach to maritime history (thinking principally of the early modern period, conventionally defined as 1500-1800) seems hardly to have been considered. This should not surprise us. None of the pioneers of microhistory, in particular not Carlo Ginzburg, appear to have had any interest in the sea. Even a fascinating recent article by Ginzburg on the remarkable and eccentric career of the eighteenth-century Swiss would-be colonist Jean-Pierre Purry looks for its inspiration to the literary criticism of Erich Auerbach, while downplaying the maritime, Dutch East India Company-connected aspects of Purry’s activities.13 In other words, Kulturgeschichte, rather than maritime history, seem to have been the inspiration here. Neither does Putnam’s article on microhistory and the Atlantic, mentioned above, offer any maritime insights despite the potentiality of its title.14 Exchange and the Historiographic Marketplace”, in Microhistory and the Lost Peoples of Europe: Selections from Quaderni Storici, ed. by E. Muir and G. Ruggiero, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1991, pp. 1-10. 12 See M. Peltonen, “Clues, Margins and Monads”, art. cit.; Sigurdur Gylfi Magnússon, “Social History as ‘Sites of Memory’? The Institutionalization of History: Microhistory and the grand Narrative”, Journal of Social History, 39/3, 2006, pp. 891-913. Cf. also Jill Lepore, “Historians who Love Too Much: Reflections on Microhistory and Biography”, The Journal of American History, 88/1, 2001, pp. 129-144. 13 Carlo Ginzburg, “Latitude, Slaves and the Bible: An Experiment in Microhistory”, Critical Inquiry, 31/3, 2005, pp. 665-683. Cf. Erich Auerbach, Mimesis: The Representation of Reality in Western Literature [1946], trans. W. R. Trask, Princeton and Oxford, Princeton University Press, Fiftieth-Anniversary Edition, 2003, 616 p. 14 For a stimulating overview of Atlantic history as a field comparable to but very different from Mediterranean history, see Bernard Bailyn, Atlantic History: Concept and Contour, Cambridge, MA: Harvard University Press, 2005, 160 p.
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For Mediterranean history the situation appears even more bleak. A recent paper15 by the present author makes a small step towards redressing the balance in one particular aspect of Braudel’s Mediterranean, in going beyond (or possibly retreating from) the “grand narrative” of his Méditerranée,16 which has cast—and continues to cast—a long shadow on all post-Braudelian studies of the history of the Mediterranean in the “long” two centuries between the Spanish-Ottoman truce of 1580 and the Napoleonic wars.17 And yet, of all sectors of human activity for which its history, as a micrographic exercise “from below” might be attempted, the maritime sector would appear to have much to recommend it.18 The anglicist William Matthews noted seventy years ago, in a remarkable study of English mariners’ pronunciation in the later seventeenth century, that “[o]ne does not expect to find many documents in which to study the speech of people who are almost illiterate”, observing however that “sailors’—from their obligation to keep a log recording details of the ship’s progress and the weather—“are the exception”.19 Equally, the other surviving realia of maritime activity—merchants’ accounts and correspondence; shipmen’s letters, bills of lading, and customs clearances, as well as the seriously under-utilised Admiralty court and consular records, may be brought into play.20 It is from these last types of record, particularly, thought not exclusively, those of the High Court of Admiralty, which may be seen as analogous in their way to the legal records of the Inquisition utilised to such dramatic effects by the Italian pioneers of the microhistorical approach. It is reasonable to propose, therefore,
15 Colin Heywood, “The English in the Mediterranean, 1600-1630: A Post-Braudelian Perspective on the ‘Northern Invasion’ ”, in Trade and Cultural Exchange in the Early Modern Mediterranean: Braudel’s Maritime Legacy, ed. by M. Fusaro, C. Heywood and M.-S. Omri, London, I.B. Tauris 2010, pp. 23-44. 16 Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin 1949, 1160 p.; 2nd ed., 1966, 2 vols; English translation The Mediterranean and the Mediterranean World in the Age of Philip II, , London, Fontana/Collin, 1972-3, 2 vols. 17 And not just for the Mediterranean: cf. the wide-ranging study by Roy Bin Wong, “Entre monde et nation: les régions braudeliennes en Asie”, Annales Histoire, Sciences Sociales, 56/1, 2001, pp. 5-42, and the comments of Maurice Aymard, “De la Méditerranée à l’Asie: une comparaison nécessaire”, id., pp. 43-50: “[l]a Méditerranée ne représente qu’une première étape, qui n’a de sens que si elle est suivie par d’autres” (p. 50). 18 For a useful discussion of what he terms (p. 36) “This fruitful if confusing corner of Clio’s vineyard” see Jim Sharpe, “History from Below”, in New Perspectives in Historical Writing, ed. by P. Burke, Cambridge, Polity Press, 1991, pp. 24-41. 19 William Matthews, “Sailors’ Pronunciation in the Second Half of the Seventeenth Century”, Anglia: Zeitschrift für Englische Philologie, 69, 1935, p. 194. 20 See John Appleby and David Starkey, “The Records of the High Court of Admiralty as a Source for Maritime Historians”, in Sources for a New Maritime History of Devon, ed. by D. J. Starkey, Exeter, Devon County Council, 1986, pp. 70-86, and the use made of the above classes of material by Davis, Rise of the English Shipping Industry, esp. chs. 11 and 16.
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that maritime history in the early modern period may be recovered, not only on the basis of quantitative, anonymous generalisations “from above”, but by an examination in depth of the individual realities—of a particular merchant, or of the participants in particular, well-documented voyages or maritime situations, usually in the context of informal or institutionalized violence. These, in short, are the maritime equivalents, more fugitive in both their temporality and space than the peasant village or industrial quarter, which, by the very fact of their leaving a record, conform to that Auerbachian “exceptional normal” which gives the basic character to the field.21 What, then, of microhistory and the maritime Mediterranean world? At a superficial level, there would seem to be little in Ginzburg’s doomed miller, Darnton’s massacred cats or Davis’s one-legged revenant, fascinating as their stories are as examples of narrative restored to its proper place, that would make them capable of serving as models for microhistory applied to a maritime context. And yet comparable possibilities do exist, if they are searched for. As Giovanni Levi has asked, how do we “define the margins—however narrow they may be—of the freedom granted to an individual by the interstices and contradictions of the normative systems which govern him?”.22 Thus, the application of Ginzburgian microhistoriographical approaches (or techniques) may offer one way out of the minotaur’s maze of the Braudelian “grand narrative”, and at the same time help to solve the problem of describing vast and complex social structures without losing sight of the scale of each individual’s social space and of their situation in life.23 This yoking together of two such contrasting historians as Ginzburg and Braudel is not merely opportunistic. In a thirty-year retrospective review by James S. Amelang of The Cheese and the Worms, which caught my eye in Tours on the very day that I delivered the conference version of this paper, Amelang observed that it struck him “some years ago” that The Cheese and the Worms was one of the very few books—Braudel’s Mediterranean being “perhaps the other main candidate”—that early modern historians could expect their colleagues in other fields and disciplines to be familiar with. “It is”, he concluded, “to use today’s jargon, a default text”.24 21 On the “exceptional normal” or the “typical exception” see G. Levi, “On Microhistory”, art. cit., pp. 109-110, citing Edoardo Grendi, “Microanalisi e storia sociale”, Quaderni Storici, VII, 1972, pp. 506-520: “even the smallest dissonances prove to be indicators of meaning”; M. Peltonen, “Clues, Margins and Monads”, art. cit., pp. 357-358. 22 G. Levi, “On Microhistory”, art. cit., pp. 94-95. 23 Ibid. 24 James S. Amelang, “[Retrospective review of] The Cheese and the Worms”, Sixteenth-Century Journal, 40/1, 2009, 32. For the present author, it might be added, both works, in their very different ways, have served as bridges over troubled waters, facilitating an escape from the fettered
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Maritime Microhistory in Practice The present paper examines a number of microhistorical episodes “on the margins” of the history of British shipping in the western Mediterranean in the late seventeenth and early eighteenth century. The term “British shipping”—which perhaps is something of a misnomer at least before the signing of the Act of Union in 1707—may be used to embrace not only ships operating out of English ports and with English owners, but also vessels owned, chartered and crewed out of Scottish, Irish and even North American ports.25 To these can be added, from 1704, the appearance of resident English merchants as setters-out of Gibraltarian and, from 1708, Minorcan craft, which after these dates were entitled to carry British colours. Finally, one must instance vessels chartered or purchased in Algiers or other ports on the North African littoral by locally-resident English merchants, which participated along with British vessels not only in the North African coasting trade but also in local inter-port traffic between Muslim and Christian entrepots of the Mediterranean basin. In the context of the present gathering this paper will examine episodes in the careers of several British shipmen and merchants, all discovered caught up in what may be regarded as “exceptional normal” situations, in their case maritime entanglements along the western Mediterranean maritime frontier in the late seventeenth and early eighteenth century. I make use of them in an attempt to test the validity of microhistorical approaches to writing postBraudelian Mediterranean history. Serendipity is a valuable commodity for a historian, as I have observed elsewhere.26 As is well known, Carlo Ginzburg “discovered” the story of the life and death of the Friulian miller Domenico Scandella, known as Menocchio, while trawling a net through the local records of the Inquisition preserved in the archiepiscopal archives of Udine in Friuli, in n.e. Italy, in search of material on another topic.27 Equally, I came across the small dossier of documents— one of those Ginzburgian “scattered nodes of information supplemented by
world of Ottoman history to the more liberating maritime environment of the Mediterranean. 25 Colin Heywood, “Ideology and the Profit motive in the Algerine Corso: The strange Case of the Isabella of Kirkcaldy, 1709-14”, in Anglo-Saxons in the Mediterranean. Commerce, Politics and Ideas (XVII-XX Centuries), ed. by C. Vassallo and M. D’Angelo, Malta, Malta University Press, 2007, pp. 17-18. 26 Colin Heywood, “An Unsolved Murder in the Marmara (Notes on Bodl. MS. Turk. d. 32)”, in Studies in Ottoman History in Honour of Professor V. L. Ménage, ed. by C. Heywood and C. Imber, Istanbul, Isis Press, 1994, pp. 95-96. 27 C. Ginzburg, The Cheese and the Worms, op. cit., XI, XII.
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serendipity”28 - which illuminates the career of the English merchant Lionel Crofts, or at least the episode in his life which occurred in Algiers in the summer of 1683, when I was engaged in some work on the interwoven Ottoman and Habsburg connections of Thomas Lane, a minor figure in the diplomatic service under James II, a civil lawyer and later, in Anne’s reign, a would-be master of Merton College. The Crofts papers turned up in the correspondence and papers of Sir Richard Graham, 3rd baronet, of Eske and Netherby and 1st viscount Preston. Preston also served briefly (Oct.-Dec. 1688) as secretary of State to James II during the last troubled months of his reign, which involved Lane, who was at that time at Vienna acting as secretary to Nicholas Taaffe, 2nd earl of Carlingford, James’s ambassador at the imperial court. 29 Several years earlier, from 1682 to 1685, Preston had held the post of envoy extraordinary from Charles II to the French court, from whence Crofts’ appeal to him for assistance and the resulting small node of Mediterranean documents derives.30 Algiers, therefore, forms the setting for the first microhistorical “episode”, which involves an English shipman and entrepreneur operating on the permeable frontier between Europe and North Africa, between Christendom and Islam, and between legal and possibly nefarious activity. Lionel Crofts (fl. 1670-85) was an English merchant, at one time resident in Lisbon, but latterly, by 1683, in a small way of business as a ship-owner and freighter operating out of Algiers. On Crofts I have already contributed a small preliminary study which, perhaps in view of its somewhat out-of-the-way place of publication (a Maltese Festschrift), is worth revisiting in the present context.31 28 The phrase is made use of by Yvonne J. Seng, “The Şer’iye Sicilleri of the Istanbul Müftülüğü as a source for the study of everyday life”, Turkish Studies Association Bulletin, 15/2, 1991, pp. 307-325, at 325, cited in Heywood, “An Unsolved Murder”, p. 96. 29 On Thomas Lane’s life and career, beyond the unsatisfactory articles in DNB and ODNB, see my unpublished studies: “England, Austria and the Ottomans on the eve of the Glorious Revolution: Thomas Lane’s “Inclinations of the Imperial Court” (November 1688). Introduction, Text and Dossier”, and “A Pretty Tedious Narrative”: An Autobiographical Letter of Thomas Lane addressed to Archbishop Tenison (1704)”. Cf also Michael Ursinus, “Fünf Briefe Öküzöldüren Ahmed Paschas, des [Ochsentöters, aus seiner Wiener] Kriegsgefangenschaft vom 23. Juli 1690”, Osmanlı Araştırmaları, 24, 2004, pp. 345-364 (the words in the title between square brackets were omitted in the published version). 30 The Preston Papers remained at Netherby Hall, in Cumbria, in the possession of viscount Preston’s descendants, for almost three centuries. In the late 19th century the Netherby Hall papers were extensively calendared, though not in their entirety, by the Historical Manuscripts Commission (cf. 7th Report (London, 1879), 264-329). They were sold at Sotheby’s, 11 July 1986, lot 303. and were acquired by the British Library. 31 Colin Heywood, “Anglo-Maghrebi Shipbroking in North Africa in the Late Seventeenth Century: An Arabic Document from Algiers (1094/1683)”, in De Triremibus: Festschrift in honour of Joseph
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Crofts’ case highlights the difficulties inherent in attempting to unravel the involvement of European merchants in the local trade of North Africa, either through shipbroking, or the ownership of vessels engaged in the coasting trade, or through the purchase and export within the western Mediterranean basin of local agricultural products. A principal focus must be on English merchants’ involvement as middlemen in the purchase of North African grain and its localised export, either (as during the reign of the English ruler Charles II) to supply the English garrison at Tangier or (as during the war of the Spanish Succession) to supply the allied armies in Spain. Both the importance of this subject and its neglect by historians have already been noted by the late J. S. Bromley.32 The Muscat Festschrift article published a hüccet (Ar. hujja, a legal certificate) issued by the kadi of Algiers in 1683, regarding the sale of a pink, i.e., a small merchant vessel, to Crofts.33 The chronology of the events surrounding the issue of the hüccet may be briefly set out. Our document gives the date of sale—by two Tunisian merchants, Ibrāhīm b. ‘Abdallāh and Kāsim al-Banzirtī—as 8 Sha‘bān 1094, i.e., 23 July (Old Style) or 2 August (New Style) 1683. Lionel Croft’s letter to Lord Preston, enclosing the certified copy of the cadi’s hüccet as evidence of his complaint against the French authorities, is dated 29 July 1683.34 The bombardment of Algiers by the French admiral Duquesne, which began on 21 July, was the crucial event which allowed Croft—as he observed to Preston—to negotiate an advantageous price for the purchase of the pink from its Tunisian owners. On 27 July Duquesne stepped up the bombardment, a development which led to the summary execution by the Algerian régime of the aged French consul Père Vacher, an event alluded to by Croft in his letter to Preston dated the 29th.35 The seizure of Croft’s pink must therefore have occurred between the 23rd and the 29th of July, most probably on either the 25th, 26th or 27th.36 Philip Rycaut, the new
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Muscat, ed. by T. Cortis and T. Gambin, San Gwann, Malta, Publishers Enterprises Group (PEG) Ltd. ,2005, pp. 619-634. John S. Bromley, “A Letter-Book of Robert Cole, British Consul-General at Algiers, 1694-1712”, in Corsairs and Navies, 1660-1760, ed. by id., London and Ronceverte, The Hambledon Press, 1987, p. 29. On the forms and history of the Ottoman hüccet see C. Heywood, “An Unsolved Murder”, art. cit., 100, nn. 24 and 28, and the references there given to studies by Ménage, Fekete, Hegyi, Boskov and Demetriades. It follows therefore that all the dates in the above chronology must be Old Style. Algiers was not unique in receiving these attentions from Louis XIV: in the same period the French bombarded Genoa as a punishment for Genoa’s alliance with Spain and for persisting with its naval armaments despite a French interdiction. It is said that three-quarters of the town was destroyed by the 10,000 bombs hurled into it in the space of six days. Pierre Rain, La Diplomatie française d’Henri IV à Vergennes, Paris, Plon 1945, p. 99. Newsletter from Algiers, Preston Papers, Newsletters (BL Add. MS. 63771), f. 229.
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English consul, whose counter-signature reinforces the cadi’s authentication of the copy-hüccet, had reached Algiers on 27 July 1683 (Old Style).37 Was the copyhüccet therefore drawn up on the 28th or even on the latest possible date, the 29th, i.e. the same day that Croft wrote to Preston enclosing it? From the documents at our disposal a little can be learned of the prior history of Lionel Croft’s sequestered pink. From the circumstantial account of its seizure which he wrote on 29 July to Preston, we know that it was Dutch built, of about 100 tons burthen, and that “some two years since”—presumably, therefore, in 1681—it had been taken as a prize into Tunis. There, most probably, it had been purchased by its previous owners and vendors. None of the documentation at our disposal refers to the pink by name. We know, however, from a health certificate issued by the authorities in Tangier in February 1683 that the pink was identified to the authorities there as “carrying the figure of a man in the stern” (tiene una figura de hombre en la popa).38 This information provides useful further evidence of the fact that North African ships, including, but not exclusively so, those belonging to the Algerine corsair fleet, were indeed identified at this time by the painted and/or carved figure or emblem which they carried in their stern.39 From the cadi’s hüccet we learn that it carried an armament of guns (madāfi‘), their number and caliber unspecified. The alleged English regest of the Arabic text, however, contains the additional information that the pink carried four guns and six pedreroes40—information which must have been known to Croft, and have been communicated by him to Rycaut, but it is not contained in the Arabic text of the hüccet. Micrographic studies of obscure individuals often leave loose ends. What was Crofts doing in Algiers? He had previously been active as a merchant in Lisbon and had fallen foul of the consul and merchant community there for his “too much closeness” to the Algerines. Two years later he was being summoned home by the Privy Council to answer to certain unspecified “misdemeanours”. We do not know yet what happened thereafter. The subsequent history of Lionel Croft’s career as
37 Sonia Anderson, An English Consul in Turkey: Paul Rycaut at Smyrna, 1667-1678, Oxford, The Clarendon Press, 1989, p. 259. 38 C. Heywood, “Anglo-Maghrebi Shipbroking”, art. cit., pp. 626-629 (facsimile plate of the health certificate on p. 628). 39 Cf. on this vexed issue my “What’s in a Name? Some Algerine Fleet Lists, 1686-1714”, The Maghreb Review, 31/1-2, 2006, pp. 103-128, which takes as its starting-point the useful contribution by Guy Turbet-Delof, “Noms de navires algériens au xviie siècle”, Revue Internationale d’Onomastique, 22, 1970, pp. 212-219. 40 Pedreroes (an English loan-word from Spanish; cf. Fr. perrier; Ital. petriere), originally “machines” for throwing stones’ by the seventeenth century (and earlier) were small cannon or swivel guns, throwing a ball of one or two pounds, Augustin Jal, Glossaire nautique: Répertoire polyglotte de termes de marine anciens et modernes, Paris, Firmin-Didot Frères, 1848, p. 1172.
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a merchant in Algiers, and the ultimate fate of the sequestered pink, which he so briefly owned, and its crew of ransomed English slaves, all remain to be determined. Clearly there is a need to go on from here. Crofts’ life may have been, like Menocchio’s, a life unimportant of itself, but this brief episode illuminates the whole mixed frontier society in north Africa and the western Mediterranean, a world comprising not “just” renegades and captives, but also merchants, entrepreneurs, shipmen and consuls.41 It may be that more Western or Arabic legal or commercial documents here may eventually be brought to light, to allow us to illuminate further the complex microhistory of the North African coasting trade, Anglo-Maghrebine commerce, and the obscure subject of interconfessional shipbroking in the late seventeenth-century Maghreb.42 A quarter of a century after Crofts was active in Algiers, the varied origins and occasional exoticism of some of the Algerine corsairs’ prizes offer a rich harvest for microhistorical analysis, even if the subject is limited to vessels flying (or failing to fly) the British flag. What, for example, are we to make of the affair of the Swan sloop? Sometime in the latter part of October 1708, a few days before the 24th, an Algerian corsair sent in as prize the Swan, a sloop of about 30 tons, master one John Saltus, and, as it turned out, “belonging to Road Isle in New England”43 Robert Cole, the British consul-general at Algiers, had observed the prize brought in and surmised, rightly, that it was New England built and therefore likely to concern him. On the 24th the corsair whose prize it was returned to port; Cole immediately applied to the Dey and prevailed with him to suspend the sale of the cargo and vessel, until its ownership should be determined. The following morning (October 25th) Cole repaired to the Royal House, to await the arrival of the
41 It is precisely the lack of this perspective which vitiates much recent work on the subject by subaltern historians, such as the North African section of the well-known work by Linda Colley, Captives: Britain, Empire and the World, 1650-1800, London, Pimlico Press, 2002, pp. 23-136. 42 British trade with Algiers appears to have declined to a very low level. By the early eighteenth century there may have been only two English merchant houses operating in the country, one in Algiers and the other in the port of Oran (retaken from Spain in 1708). Samuel Thomson, the British consul at Algiers, could report in 1715, in response to an enquiry from London, that “the Brittish Trade to this Place, has been declining for many years, the chief reason of which, I apprehend to be from the oppressive Government, which has gradually brought this from a wealthy to a very poor country”. He added that he had been “credibly informed” that in Temesan (Tlemçen), “in the memory of some still living, there was vended yearly a thousand pieces of Brittish cloth, and now does not take two, and the same in proportion in the Inland country, for if the Moors wear any thing that is good, their contributions are raised upon them accordingly by the Turks”. Great Britain. The National Archives (olim Public Record Office; henceforth cited as PRO) State Papers (henceforth, SP) 71/5, pp. 339-342. 43 Cole to [Sunderland], 20 November 1708. British Library (henceforth, BL), Additional Manuscript (henceforth, MS Add.) 61535, f. 113.
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corsair re’īs together with the Christians—“as is customary”. The Swan had carried a crew of ten, six of them Her Majesty’s subjects and four foreigners, “all sailors”, plus a mixed bag of humanity—“a Portuguese priest, a Super Cargo of the same nation, Nine black boys, and Three Girles bound from Cape de Verde to Made[i] ra Passengers”. Cole was able, after long argument, to convince the Algerian authorities that the Swan was not a Portuguese ship, and to secure the freedom of the ship, the master and crew, the two passengers, and “all the blacks, save Three, which appearing to be circumsised were detained as Mahometans”. On default of an Admiralty pass for the ship the cargo was retained as prize—“indeed”, wrote Cole, “I could not interpose zealously for it, Custom and an Article of our Treaty determining against me”. What is both surprising and interesting was the low intrinsic worth of the Swan’s cargo: in Cole’s estimate “about Ten Hundred Weight of Bees wax, a few hides, some goat skins, Coker nuts, Fifteen ounces of Amber greese, as many of Sivet, and some dryed Grain”.44 Where had the Swan laded its cargo, which has a distinctly African—sub-Saharan, not to say tropical—feel to it? Cape Verde or the nearby continental littoral might not be far from the mark. And were the black boys and girls slaves, for sale or disposal in Madeira?45 Cole’s angle was a different one: although the Swan’s inanimate cargo was of little intrinsic value, Whitehall should press for all ships to carry Admiralty passes in the form recognised and accepted by the Algerines—this “greedy Government”, as otherwise “the like misfortune may befall other ships of far greater importance by the same neglect”.46 Another neglected and visibly minor aspect of British activities in the western Mediterranean, is that which involves, either voluntarily or involuntarily, Irish ships with North Africa. In the period of the Spanish succession war Irish
44 Ibid., f. 113b. 45 It is to be assumed from its cargo and its destination that the Swan was taken well outside the Straits. 46 Occasionally the boot was on the other foot. Immediately on the satisfactory conclusion of the affair of the Swan sloop, Cole was assailed by complaints made to the Dey by several merchants of Algiers, Tunis, Tripoli and Alexandria, of a British (Cole making use of the term in 1708) letter of marque ship having taken a French sitea, laden by them at Alexandria, and bound for Algiers. The merchants demanded restitution of their goods, as belonging to subjects of states in amity with the crown, and cited as a precedent the French restoring their effects taken in a British ship, in the time of Mustafa Dey (1700-5). Cole answered that “the Flag condemned the Cargo~”, and that the Algerian government itself detained the goods of her majesty’s subjects taken on board its enemies, and that as for the French precedent, their compliance was owing to their having violated an Algerian port, in taking the ship in question from under its cannon. Cole added that he himself had caused the then Dey to make his demands, “both of Ship and Cargo”, though in regard to the former, they had been ineffectual. (Cole to Sunderland, Algiers, 8 Oct. 1708. BL MS Add. 61535, ff. 108-9).
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ships were employed to carry cargoes of salted beef to provision British forces in Spain. One such vessel was the Mary of Dublin, also known as the Mary Galley, James Poole master, which, to the dismay of Robert Cole, the British consul in Algiers, was brought into port as a prize on 11 December 1708. Coles’s dismay was at the prospect of another dispute with the Algerine authorities following hard on those which had involved the Swan sloop and an Algerine corsair and its prize taken into Gibraltar. “I hoped [affairs here] (he wrote) would not have been so soon disturbed by any new vexatious disputes with this Government”.47 The Mary, “burthen one hundred and twenty tunns or thereabouts”, with a crew of twenty-four or -five, “all English or Irish (except for one dutch Man)”, had been licensed in late September 1708 for one voyage from “Dublin or any other port of Ireland” to “Alicant or any other port of Spain” and back to any port in Great Britain. The Mary belonged to Francis Lynch, a Dublin merchant. She had sailed from Dublin, “loaded with divers Goods” (unfortunately the precise nature of the cargo is not specified) “on or about” 12 November; little more than two weeks later, on 29 November, she was taken in Atlantic waters, 15 leagues west of Cape St. Vincent, by an Algerine corsair—“a Turk ship of 34 Gons caled the Rose commanded by one Capt. Hemytres [sic]”.48 The pretext for the Mary’s seizure, as so often was the case, was the ship’s lack (in Algerian eyes) of an authentic Admiralty pass, despite its being furnished with “~another [pass] superscribed by Her Majestie, and subscribed by your Lordship”, as Cole wrote to the secretary of state Sunderland, enclosing a copy of the allegedly defective— but in fact perfectly legal—instrument. The corsair re’īs’s excuse for the seizure, according to a letter from the Dey to Queen Anne, was that “fearing that if he should have permitted the said ship to pass on its Voyage he might be punished at his return by us”; accordingly, he broke off his cruise and brought the Mary into Algiers.49 47 BL MS Add. 61535, f.117, Cole to Sunderland, 18 Dec. 1708. 48 Most probably the corsair commander’s true name was Hamîd Re’îs. Brief details of the capture of the Mary Galley are supplied in John Roche to Francis Lynch, ‘Merchant in Dublin in Ireland’, Mary Galley, Livorno, 23 Jan. 1708/[9] (copy made in Dublin, certified by Francis Lynch and Michael Diaz), ibid., f. 135. Whether the Rose was the same ship as the one listed as “a Ship with a rose in her Stern” under the command of “Usaph Raiz” (scil. Yûsuf Re’îs), carrying 36 (as opposed to 34) guns and 35 patereroes, which appears in “A List of the Navall forces belonging to the Government of Algier the 15th: June 1712” (PRO SP 71/4, f. 180), which was drawn up by Cole, remains unclear. Neither ship nor commander can be identified in an earlier list dated 30 August 1710 (ibid., f. 108). 49 Mehmed Bektash Dey, letter (in Turkish) to Queen Anne, second decade of Shawwāl 1120 (13-22 Dec. 1708 OS), ibid., f. 124; the quotation above comes from an English translation made at the same time (ibid., f. 125). The copy made by Cole of the Mary’s Admiralty pass is at ibid, f. 119: “Passport for the ship Mary of Dublin to Alicant and back to London”, Kensington, 28 Sept. 1708.
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The dispute in the Algiers Divan between Cole, acting for the master, and the Dey and the ship’s captor followed a familiar course. The latter insisted that the Mary was “a just Prize”, since the pass carried did not bear the distinguishing mark agreed on between Britain and Algiers for merchant ships, and was therefore suspect as a forgery, despite the master’s plea that the form was different because of the death of Prince George—“how truly”, observed Cole, “I know not”.50 Cole countered the Algerian position with the masterly observation that since the disputed Pass “came more immediately from her Majestie then the other, [it] therefore ought to be the more regarded”. Cole persuaded “after three Days disputing the same with wonderful difficulty” the Dey to accept his proposal, firstly that the ship and its cargo should be detained in Algiers until the genuineness of the pass could be certified [scil. by the Admiralty], and secondly that in view of the undoubted damage the ship and its lading would incur in waiting for such an assurance, that the Algerines should release the Mary entirely, leaving two members of the crew as surety, to reside in the consul’s house until the certification should be received, and against a bond for $12,000—the Algerine estimate of the value of the lading—from the master, “to be paid to Her Majestie, in case the Pass should be a counterfeit, that thereby satisfaction may be made to this Government”. On these terms the Mary would be permitted to proceed according to the Charter party for Alicant and Leghorn’.51 Cole’s pessimistic reactions to the implications of the seizure of the Mary of Dublin lie outside the limits of the present study, but it is worth noting that he was unhappy with the orders regarding disputed passes which he had received in 1701 from William III. These obliged him “to suffer the master and sailors to remain Slaves here, as well as that the ship and cargo should be Prize, for this defect”. “But”, Cole informed Shrewsbury,
Granting of the pass was conditional on the Mary not exporting any “arms offensive or Defensive, Ordnance, Ordnance stores, Powder, Match, Bullets, pitch, Tarr, Hemp, Masts, Cordage, Iron, Saltpetre, Horses, Saddles, holsters or other Utensils and habiliments of Warr” to any port or place belonging to the Crown of Spain, nor trading in such materials, nor bringing into Britain or Ireland any prohibited or French goods “nor any of our Enemies nor any of our Subjects that have been in France”. 50 Queen Anne’s consort, Prince George of Denmark, Lord High Admiral from 20 May 1702; died 28 Oct. 1708. 51 BL MS Add. 61535, f.117, Cole to Sunderland, 18 Dec. 1708; attestation and signed warrant of John Poole, master, Algiers, 18 Dec. 1708, ibid., f. 121. Poole’s warrant speaks of “twenty-four thousand Dollars in plate Spanish money or the intrinsick value thereof ” to be paid ten months after the date of the warrant—the Dey “~pretends to the summ of twelve thousand dollars”.
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colin heywood I have never yet fully answer’d those Commands, being unwilling to see the Effects of War, in a time of Peace, and with submission think it extremely hard, that the Innocent sailors should be punished in so severe a manner for the master’s sole neglect, or Ill intentions
And there was the Algerian point of view to be considered. What were the underlying effects of “these wants and neglects” on British relations with Algiers? As Cole saw it, even “tho’ the ships should happen to be released”, the incidents “render our Nation distastefull to the Government, the Dey suspected by the soldiery of some underhand dealings, and my self as an Enimy to their Interest and right”.52 To return to the affairs of the Mary. Despite the release from detention of the ship in mid-December 1708, the affair was neither over nor were its repercussions limited to Algiers. By the time the Mary arrived at Livorno on 23 January 1709, James Poole, named as her master at the time she was taken, now appears to have been the John Roche, whose letter of 23 January to Francis Lynch in Dublin has already been referred to above.53 Roche’s intention in writing to Lynch was to avert him to Roche having signed “Tree [sic (Irish vernacular pronunciation of “three”)] Bonds, all of one Tennor or otherwise [we shall?] be all made captives of”, and urging Lynch to make all possible haste to redeeem the two members of the Mary’s crew—they are named here as Daniell Newland and Joshua Treader—left as surety in Algiers, and to remark his “being sorry that you did not lett me see all the Paper[s], before I came to Sea, which would save a great deal of Monneys and Trouble which is too late to demonstrate now”.54
52 BL MS Add. 61535, f.117v, Cole to Sunderland, 18 Dec. 1708. Cf. Mehmed Bektash Dey’s letter in Turkish to Queen Anne, II. Shawwâl 1120 ( Dec. 1708), ibid., f. 124; contemporary English translation, f. 125. 53 According to the deposition made by the ship’s owners in Dublin in March 1709, “the reason of calling the Master’s name James Poole in the said letter, must be the said John Roche’s finding himself obliged to take that name on himself to answer the Pass, and for more easy getting clear of the said Trouble”. Deposition of Francis Lynch and Michael Dias, Dublin, 3 March 1708 (OS; i.e. 3/14 March, 1708/9), BL MS Add. 61535, f. 136. 54 BL MS Add. 61535, f. 135. The Mary of Dublin was not the only Irish vessel to be taken during these years. On 2 October 1714 Samuel Thomson, in a postscript to a duplicate of his despatch of 26 July, reported that on 21 September was brought in “a small Irish Bark, Eighteen tons, loaden with provisions”, which an Algerine cruiser had met with “off the Western Islands” (i.e., the Azores, and thus far out in the Atlantic), unprovided with a pass. The bark’s cargo was made prize. It was the usual story: “My Lord”, Thomson wrote, “I believe, if no vessell was permitted in Great Brittain, or Ireland, to clear out of the Custome House until [the master] produced their Admiralty Pass, it would effectually prevent the Carelessness of the Masters, by which so many disputes happen”. Thomson to Bolingbroke, 2 Oct 1714. PRO SP 71/5, f. 305. Received in London 7 November (endorsed).
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Not only New England and Irish vessels, but also Scottish ones, could turn up as prizes at Algiers, despite the attested paucity of Scottish maritime trade with the Mediterranean. The business of the Mary of Dublin was still far from being concluded when, in March 1709, Cole became involved in what was to be one of the most contentious and drawn-out incidents involving the seizure of British ships by Algerine corsairs which occurred during his long tenure of office, the seizure of a Scottish merchantman, the Isabella of Kirkcaldy. I have dealt with this episode extensively elsewhere, and offer here only a summary of the entire long drawn-out affair. The Isabella (or Isobel, or Izabella) was the property of the Oswald family of Kirkcaldy, a family prominent locally both in the affairs of the town and in its overseas trade from the reign of Charles II onwards. In the 1670s and 1680s four members of the Oswald family—Henry, James, Matthew and Thomas—are recorded as masters and therefore as at least part-owners of at least five ships trading out of Kirkcaldy to Bergen, to Holland, occasionally as far as Danzig.55 In 1681, for example, James Oswald, Provost of Kirkcaldy, had a vessel, which was most probably the Isabella, trading to Holland, probably with coal and salt, and staple ware, bringing back a variety of goods for sale on his own account, comprising slates, tiles, lint, linen yarn, and dyestuffs.56 This seems to have remained the pattern of Kirkcaldy shipping activity in the years following the Revolution: in 1692 a committee of the Convention of the Scottish Royal Burghs reported on 14 ships belonging to Kirkcaldy, “all employed in carrying Coal to Holland and London, except one or two taking freight to the Sound or Norway”.57 The voyage of the Isabella, master Henry Oswald, into the Mediterranean in 1709 came at a difficult time for Kirkcaldy shipping. The Act of Union in 1707 was seen locally to have a deleterious effect on the trade of Kirkcaldy; shipping began to decline, and new taxes, and customs dues fettered trade and commerce.58 It did however place ships sailing from Scottish ports under the protection of British
55 David Dobson, The Mariners of Kirkcaldy and West Fife, 1600-1700, n.p., n.d., (but St Andrews, c. 1993), p. 32. 56 John Lockhart, “Kirkcaldy Harbour History”, Typescript, 1940, Kirkcaldy Central Library, Local History Collection, p. 8. 57 J. Lockhart, “Kirkcaldy Harbour History”, art. cit., p. 9. In the later years of William III’s reign this local North Sea pattern changed. In December 1697 two ships built at Hamburg for the Company of Scotland were sent to winter at Kirkcaldy in readiness to sail for Panama in July 1698 as part of the first ill-fated “Darien Fleet~”; in the same year the Company of Scotland shipped on board the Isabel a cargo for Africa, consisting of “~trading goods, such as Guinea Basins, Guinea Jugs of Pewter, coloured Beads, Copper bars, Brass pans, Arm rings and bells” (J. Lockhart, ibid., p. 10). 58 Ibid., p. 10.
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consuls, no small benefit in the Isabella’s case, despite the negative reaction of the Oswalds to Cole’s efforts at Algiers on behalf of the ship, its cargo and its crew. When captured off Algiers at the beginning of March 1709, the Isabella was still on the outward leg of a long and complicated itinerary. Some months earlier she had loaded coal at Edinburgh for Bergen. At Bergen she had taken on tar, stockfish and deal boards, before striking back across the North Sea to Inverness, where she had loaded a considerable quantity of Scottish salmon. All this cargo was destined for Venice, from whence it had been intended that the Isabella should make for Zante or Cephalonia, there to take on board a cargo of currants for the homeward voyage.59 The full details of the Isabella, her owners and cargo, and her ill-fated voyage are contained in a letter written by her master, Henry Oswald, to Cole a few days after she was brought in to Algiers, and in a lengthy despatch from Cole to Sunderland, dated 10 March 1708/9.60 The Divan had condemned the Isabella as lawful prize, on the grounds that she had no Admiralty pass and when taken was flying a Danish ensign, and was therefore unprotected by the Anglo-Algerian treaty of 1682. The Danish members of the crew were also taken into confinement as slaves.61 Rapidly the dispute was carried back to Britain. This outturn was to be unfortunate for Cole. The Oswalds were an influential family, and had equally influential friends. Henry Oswald, in Algiers, and James Oswald, at Kirkcaldy, wrote a long series of complaints against Cole’s handling of the affair, including one to Lord Wemyss, the High Admiral for Scotland, who in turn wrote to Burchett at the Admiralty, who was able to confirm that a Pass in due form had been issued for the Isabella.62 It was all to be to no avail. The dispute dragged on in Scotland, in London, in Denmark and at Algiers.63 In the first decade of Zi’l-Ka’da 1121 (24 59 BL, MS Add. 61535, f. 138, Cole to [Sunderland], 10 March 1709. The Isabella’s total lading from Inverness was 3651/2 barrels of salmon, 34 tons of stockfish, 11 last and 10 barrels of tar, 500 deal boards, 6 barrels of [salt] codfish, and “two small packs” of cloth. 60 Henry Oswald to Cole, Algiers, 7 March 1708/9. Add. 61535, ff. 140-1; Cole to “My Lord” [Sunderland], Algiers, 10 March 1708/9, ibid, ff. 144-5 (“3d Copy”). 61 Henry Oswald maintained vehemently, not only that the ship’s papers, which would have proved her a British vessel, were taking from him forcibly in the course of the seizure, but that when taken, the Isabella was flying the British ensign. These allegations were flatly denied by the Algerines, whose testimony before the Divan was backed up by that of the Christian galley slaves (who of course would receive a share of the prize). Cole had the unenviable task of attempting to convince the Algerian authorities of the truth of Oswald’s claims, a task in which he had had no success at the time of his death in November 1712. 62 Henry Oswald to “Sir”. Addressed on the reverse to “Capt. James Oswald of Dunikier in Kirkaldie”. The letter also bears an (illegible) London Post Office stamp, which suggests that it was intercepted there by agents of the secretary of state’s office. 63 Hen. Miller, J.P., “one of the Baillees of Kirkaldy”, 13 April 1710. Deposition of Henry Oswald giving his version of events on the seizure of the Isabella off Algiers. BL, MS Add. 61525, f. 176.
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Dec. 1709-3 Jan.1709/10) Mehmed Bektash, the Dey of Algiers, had written a letter to Queen Anne in the hope of wrapping up both the Mary of Dublin and the Isabella of Kirkaldie affairs. The latter ship, he wrote, had been condemned in the Divan as lawful prize, but 12 of her crew had been released to Cole’s custody.64 The remained were retained for the Algerine galleys. The business was still not concluded when, in November 1712, Robert Cole died. According to his successor Thomas Thomson, writing less than a month after Cole’s death, Cole had been both ineffective and less than straightforward in his handling of the dispute: the Business of Captain Henry Oswald ... might easily at the first have been prevented, but such was the dependance of Consull Cole at that time on the King’s House that he durst not appear as the service of his Queen and Country require, for fear of prejudicing his private interest...65
Meanwhile, in Norway, the ill-fated “Danes” were not forgotten. A petition from the “magistrat” of Bergen to the king of Denmark, requesting his intercession with Queen Anne to secure their release, either through an order to the British consul in Algiers to effect this, or by means of a ransom, must have been drawn up at this time.66 The arrival at Algiers in 1714 of a British naval squadron under Adm. Sir James Wishart had given an opportunity to increase the pressure on the Dey for the release of the six remaining members—all Danes—of the Isabella’s crew. The Dey still procrastinated, desiring time before he gave his answer, the reason being, as Thomson discovered only after Wishart’s departure, that he wished to consult with “his Captains”—i.e. the rüesâ-i tâ’ife—who were still at sea.67 The consultation seems to have had the wished-for outcome: Thomson was later able to obtain what Wishart had counselled him to accept if better terms were refused: an order that the patrons of the Danes should deliver them to him, at cost price—“paying what they were sold for at first”. This, “with difficulty”, the rü’sâ involved “were Cf. f.178, “List of papers belonging to the Isabella” 64 MS. Add. 61535, ff. 162-3. The contemporary translation, prepared in Algiers and also sealed with the Dey’s seal-impression, is dated 29 Dec. 1709. The Turkish original, therefore, may with some confidence be dated to 6 Zi’l-ka’da 1121. 65 PRO SP 71/4, f. 240: Thomas Thomson to “My Lord”, Algiers, 3 Dec. 1712. 66 An extract of the petition, in French and undated (“Estrait d’un Memoire du Magistrat de Bergen à Sa Majesté Le Roy de Dannemarc [et] Norwegue”), is enclosed (pp. 311-12) in a letter dated 18/29 Dec. 1714 from Sohlental, the Danish ambassador in London, to Stanhope, who by then was Secretary of State. The “Liste” names the six as follows: Jens Jensen, Charpentier; Lars Larsen; Siver Michelsen; Tor Biörn Christophersen, Gregorius Johansen, and Eric Johansen. SP 71/5, 309-313. 67 PRO SP 71/5, f. 299: Thomas Thomson to [Bolingbroke], Algiers, 26 Aug. 1714.
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brought to yield too, being men of very great Interest, and [had] hoped to make a great advantage of them”.68 By the latter part of August 1714, Thomson had raised the funds—$13501/2 or £303/17/3, little more than £50 sterling per captive—necessary to pay off their owners, and five of the six Danes had been handed over to him (the sixth was still at sea).69 “My Lord”, Thomson wrote further to Bolingbroke in urging his intercession with the queen to secure prompt repayment of the redemption debt, “I have been as frugall in the whole affair as possible, and if they [the Danes] were to have been freed by private order, they would have cost three times that sum, for three of them are Carpenters”. By the time this despatch was received in London, most probably on 7 November, Bolingbroke was out of office: a week later, on 15 November, Thomson was writing to Stanhope in response to his of 4 and 7 October, congratulating him on his appointment, and giving an account of his taking up with “His Excellency the Bashaw and Dey” the king’s proclamation regarding Mediterranean passes in regard to art. 13 of the Anglo-Algerian treaty, and by the end of 1714 the affair of the Isabella was finally settled.70 The final episode which I wish to examine is the only one of those dealt with here which I feel might merit eventually a separate study, even though on the macro level it might have been, as Ginzburg said of The Cheese and the Worms, little more than “a simple footnote in a hypothetical monograph”.71 Daniel Israel was a shipmaster of London, whose adventures on both sides of the western Mediterranean maritime frontier between the summers of 1716 and 1717, encompassing the ports of Gibraltar, Tetouan, Ceuta, Algiers and Minorca, have a picaresque star quality with the potential to rival Ginzburg’s Menocchio or Natalie Davis’s Martin Guerre. I have already made use of Israel in another context: his story, so far as it is know at present, can be discerned on the basis of reports and letters, including at least one precious document from Israel himself, contained in the consular and other state papers in the national archives.72
68 Ibid. 69 Ibid. The redemption money was taken up by Thomson as a debt from Edward Holden, an English merchant resident in Algiers, to be repaid in London on Bolingbroke’s order. 70 Cf. S Thomson to Stanhope, Algier 15 Nov. 1714. PRO SP 71/5, 307-8. 71 Carlo Ginzburg, “Microhistory: Two or Three Things that I Know about It”, Critical Inquiry, 20, 1993, p. 22. 72 The National Archives, formerly the Public Record Office (TNA; olim PRO), SP 71/5, consular and miscellaneous papers from Algiers for the later 1710s. See C. Heywood, “A Frontier without Archaeology?”, art.cit., p. 505-6.
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Currently we know nothing of Israel prior to his sudden appearance in the offing of Gibraltar in the summer of 1716. According to Congreve, the governor of Gibraltar, writing on 30 July 1716 to Admiral Baker, Israel had loaded his ship—a ketch, named in one place as the Sarah, in another the Bearkey Factor—at Tetouan, bound for Algiers with Muslim passengers and their baggage. The Sarah/ Bearkey Factor had duly set sail, but sprang a leak and with difficulty managed to make it into Gibraltar. There the ship’s bottom, found to be “rotten all through”, was repaired and refitted; the ship, once more under way, was then “taken in the night” by what Congreve terms “the Ceuta Row boats”—also termed “the galleots of Ceuta”—i.e., Spanish privateers operating out of the Christian enclave of Ceuta.73 Israel had Muslim passengers on board, who would have been fair prize for the Ceutans. De Ribadeo, the Spanish governor of Ceuta, sent the ship back. Israel may have been, as it would appear, a small-time operator and a ready street brawler, but his letter to Congreve, written from Ceuta 2 August 1716, and sent on by Thomson in Algiers in November, contains a brilliant description of the fighting on board at the time of the ship’s seizure, together with what were probably well-founded allegations of Spanish complicity in the affair, based on inside knowledge acquired from their spies in Gibraltar.74 There was a flurry of official correspondence between Congreve and De Ribadeo, and a growing file of depositions listing the names and possessions of “severall Algereenes” taken by the Ceutans. Israel seems to have returned to Gibraltar, without securing a resolution. By May 1717 Consul Thomson, in Algiers, was in correspondence with Methuen and Addison back home about the Israel affair. In the following month Israel himself was back in Algiers, where he was accused by a bölük-başı— a high-ranking officer of the Algiers janissary militia—of striking him in the face and calling him (in good lingua franca) a “sansa fida”, “with a great deal of other abusive language”. 73 The maritime history of Morocco’s Mediterranean coast and its continuities in terms of smallscale piracy and smuggling seems hardly to have been explored: cf. the valuable remarks in a review article by Charles E. R. Pennell, “The Discovery of Morocco’s Northern Coast”, British Journal of Middle Eastern Studies, 20/2, 1993, p. 226-236. 74 TNA, SP 71/5, 405, Israel to Congreve, Ceuta, 2 Aug 1716 (copy); cf. 407, Congreve to de Ribadeo, governor of Ceuta (copy), 27 July 1716). Despite his name, Daniel Israel appears not to have been Jewish, as I had first suspected and hoped (this would have been a significant “exceptional normal” indeed) but from his name he may possibly have been descended from a convert family of Dutch/ Portuguese origin. There seems to have been a seafaring family of that name living in Stepney and Southwark in the early eighteenth century: Charles Israel, “marriner”, will made 4 Oct. 1691; proved 19 Sept. 1712, and John Baptista Israel, “of St Thomas’s Hospital Southwarke, mariner”, serving/ served on board HMS Tartar, d. 1715, with one or both of these possibly related to Daniel (TNA PROB 11/524, 11/644). Neither will is particularly informative, but it may be noted that both men’s executrixes were women with Christian first names.
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Israel was ordered by the authorities to be bastinadoed and deported; he appears to have finally departed from Algiers on 7 August, by then the “master of a tartane which he had bought of the Dey”, and carrying away with him five absconding slaves. One escapee was missed by his master after two hours: the “Admirall”—i.e. the senior corsair re’îs—sent a row frigate after the fleeing Israel, which caught up with him on the high seas. Israel, one of his sailors and four of the escaped slaves took to the tartane’s ship’s boat and made good their escape; the tartane, with one recaptured slave and one English sailor, was brought in. Attempts were made in Algiers to get Thomas Thomson to pay for all this; in the end he was given six months to get instructions from England, where, Israel had claimed, he owned three houses, all tenanted, in St Martin’s Court in the Strand. Some months later, in March 1718, Israel was seized at Majorca, and put in prison by Consul Peck to wait on the king’s pleasure: it was alleged that he was then intending to cruise against Algiers.75 There, for the present, the story ends, but the affair of Daniel Israel is typical, if somewhat more complicated than most, of murky cross-frontier incidents along the porous and permeable North African maritime frontier in the early eighteenth century. Even in its present, admittedly provisional state, it exemplifies, very satisfyingly, Giovanni Levi’s observation that the “true problem” for historians is to “succeed in expressing the complexity of reality”.76 With the Daniel Israel affair we have a multiplicity of mutually exclusive realities: the complex multi-lingual (Arabic, Turkish, lingua franca, English) society and culture of Algiers, at its heart the lost world of the Mediterranean lingua franca, the pervasiveness of which we can only catch tantalising glimpses; the closed world of De Ribadeo, the Spanish governor of Ceuta, confined in his fortified North African enclave; the hidden world of the Ceutan crews of the “row frigates”; the new face of British administration in Minorca and Gibraltar—against all these fixed points Israel bounces off, propelled backwards and forwards, like a ball on some historical pinball table, but maintaining his own, very different view of some complex realities: “I have a family and am an Englishman, 75 PRO, SP 71/5, 473. Thomson to Addison, 8 March 1717/8. Daniel Israel may have led a charmed life. Twenty years later, in June 1739, if it is he, we find him master of the Advice, “a square sterned ship with 12 carriage and 4 swivel guns”, making an agreement with Josiah Burchett, secretary of the Admiralty, to carry naval stores to Gibraltar, together with “Merchant goods” for the Turkey Company, and seeking to proceed without convoy; later the same month we find Israel, now master of the Hadgee—a wonderful name for the period, also loaded with naval stores for Gibraltar—negotiating with Alexander Bennett, the ship’s owner, to buy her for £50 down on condition that he fit her out, at which time he was to pay the whole purchase money of £140. Something fishy was going on, according to the naval authorities at Deptford, but what it was remains unclear, PRO, ADM [= Admiralty Papers] 354/109/154, 162-3, 174. 76 G. Levi, “On Microhistory”, art. cit., p. 110.
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and cannot bear the loss of what I have wrought for these three years which is all in board this ship”, he writes to Congreve, as if in the grip of an existential angst: “I am in a distressed condition and have nobody to apply to…”.77 Here, surely, a solution to the problem of contextualising Israel’s Mediterranean world does indeed involve making use of small clues and the role of the particular, and looking at it from a human and non-mechanistic perspective.78 Daniel Israel’s adventures also have a paradigmatic aspect. From this same year, 1717, derives a petition from Edward Holden and Charles Hudson, merchants residing at Algiers, detailing the case of the British sloop Diligence, freighted from Algiers to Tetuan and back, with thirty-nine “Moorish” merchants and a registered cargo valued at $11,000 on board, but taken on the high seas by two Spanish row frigates and brought into Malaga, where the passengers were all imprisoned. This affair, too, rumbled on for a couple of years before it was resolved.79 But there is clearly more historical and microhistorical mileage to be got out of the affair of Daniel Israel. The story as recounted above derives primarily from the extensive coverage in the State Papers Algiers, on which I was able to do some work three or four years ago, but there may be more in the way of documentation in the contemporary records from British consuls and officials in Minorca, Gibraltar, and Lisbon, as well as in the Admiralty (ADM) and State Papers Domestic (SP(D)) files in the TNA and, for Israel as a self-alleged London property owner, in the Guildhall and London Metropolitan archives, which in recent years I have not been in a position to consult.80
Conclusion Microhistory, as the foregoing episodes hope to have demonstrated, offers the wherewithal to construct a radical agenda for the maritime history of the Mediterranean frontier. It is capable of supplying a tool, applicable to ships and shipmen alike, which will allow historians to hack away at the encroaching undergrowth
77 Israel to Congreve, (copy), Ceuta, Sunday 2 August 1716 (NS). PRO, SP 71/5, 405. 78 G. Levi, “On Microhistory”, art. cit., p. 110. 79 The papers regarding the Diligence sloop are scattered throughout TNA SP 71/5. Cf. Thomas Thomson’s comments (SP 71/5, p. 449, Algiers, 14 Sept. 1717) on another unstudied subject, Spanish privateering against British vessels during and after the Spanish Succession wars, describing it as “a very high Affront to the Brittish Bandiera”. 80 I am convinced that there is a microhistorical book to be written here, situated somewhere between The Cheese and the Worms and The Return of Martin Guerre in terms of scope and approach, which must await time and occasion to undertake a more intensive consultation of the files in the National Archives and elsewhere in London.
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of subaltern “captivity narrative” with its tendency to formalism and its dead hand of stifling political correctness. How far the English musta’mîn merchants in Algiers or elsewhere in North Africa, such as Lionel Crofts, can be classified as “social marginals” is an interesting question.81 Neither the master of the Mary of Dublin, nor in particular the Oswalds of Dunnikier can be described in any way as “marginals”; while the marginality or otherwise of Daniel Israel remains an interesting, as yet unsolved puzzle, for all that he, like Crofts, seems to have been operating at the lower economic (and possibly social) end of Mediterranean seafaring.82 It is also worth noting that the writings of what some historians have dismissed as “dead white males”—here including much of what may be brought together under the heading of “consular correspondence”—have come in for much criticism. Certainly it is true, as Ginzburg has observed, that there are difficulties in making a direct study of what he terms “lower-class society”—read, here, maritime society—free of intermediaries. But, as he usefully insists, the “fact that a source is not “objective” (for that matter, neither is an inventory) does not mean that it is useless”.83 Without the unparalleled richness and robustness of (in particular) the late 17th/early 18th century consular records from the western Mediterranean, written in the main by dead white males, our knowledge of the men who comprised the matrix of social maritime history of the area would be vastly the poorer.84 Maritime history, at least Mediterranean maritime history as presently construed, has not yet produced its own Carlo Ginzburg or Natalie Davis. The work of the late J. S. Bromley comes close to theirs in many ways, in terms of Bromley’s micrographic grasp of detail and his deep humanist empathy with his subject-matter, when applied, for example, to the multiple competing aspects of Caribbean society in the early modern age.85 There are some interesting parallels to be explored: after all, it was with Caribbean, more specifically with Jamaican, privateer-
81 The observations of Julia Clancy-Smith, “The Maghrib and the Mediterranean world in the Nineteenth Century: Illicit Exchanges, Migrants, and Social Marginals”, in The Maghrib in Question: Essays in History and Historiography, ed. by M. Le Gall and K. Perkins, Austin, The University of Texas Press, 1997, p. 222-249, esp. at p. 226-7 and p. 229, would appear to be equally relevant for the later seventeenth and early eighteenth centuries. 82 On the successors to Braudel’s “poor rogues” see C. Heywood, “A Frontier without Archaeology?”, art. cit., p. 502. 83 G. Ginzburg, The Cheese and the Worms, op. cit., XVII. 84 A recent important and multi-faceted study on Anglo-Moroccan relations in the early eighteenth century supports this point. See Jacob A. O. C. Brown, “Anglo-Moroccan relations and the embassy of Ahmad Qardanash, 1706-1708”, The Historical Journal, 51/3, 2008, p. 599-620. 85 See, in particular, his “Outlaws at Sea, 1660-1720: Liberty, Equality and Fraternity among Caribbean Freebooters”, in Corsairs and Navies, 1660-1760, London, Hambledon press, 1987, p. 1-20.
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ing that Samuel Martin, the well-informed English consul at Algiers from 1671 to his death (probably in 1680) compared the Algerine corsair fleet of his time.86 What Bromley was able to achieve for our understanding of Caribbean maritime society at the end of the seventeenth century and into the eighteenth, should not be impossible to replicate for the Mediterranean in the same period, thus achieving that “profound renovation in the manner of approaching old historiographic themes” so forcefully adumbrated by Carlos Aguirre Rojas.87
86 “[The Algerines] […] haue at present 32 Men of warr three gallyes […] besides seuerall Breganteens, & small Craft, & two ships upon the stock[s] that will carry 50 Gunns each, the manner of maintayning them is different to any that I haue either seen, or heard of, for of all the said shipps & gallyes, not one of them belong’s to the Publick, but all to priuate Persons, armed out as our Priuateers are in England, or rather in Jamaica.” (Samuel Martin, “The Present State of Algeir, 1675”, PRO SP 71/2, ff. 62-71 (old pagination pp. 329-348), = f. 7 of Martin’s MS.) 87 C. Aguirre Rojas, “1968 as a Turning Point”, art. cit., p. 205.
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-IILa frontière méditerranéenne : stratégies et idéologies
La course maghrébine à la fin du Moyen Âge : une forme maritime du djihad ? Dominique Valérian | Université Lyon II - UMR 5648 CIHAM
Il est traditionnel d’associer la course musulmane1 à une forme de djihad. Dans l’imaginaire collectif, qui n’est pas sans influer sur celui des historiens, le « modèle » de la course barbaresque de l’époque ottomane en fait un des aspects de la lutte entre la Croix et le Croissant. Dans un numéro spécial de la revue Maroc Europe de 1998 intitulé de manière significative Course et jihâd maritime, M’barek Zaki consacre un article, assez fortement marqué idéologiquement, au « Jihâd et contre-jihâd en Méditerranée du xiie au xvie siècle », où il inscrit le phénomène dans le temps long, en partant des prescriptions coraniques et prophétiques, et en en suivant l’application du début des conquêtes musulmanes jusqu’à l’essor de la première course ottomane. Il conclut que sous la bannière du Jihâd, les luttes de libération nationale au Maghreb comme au Machrek se firent. Sous la bannière de ce Jihâd, les appels à l’unité et à l’union du monde musulman contre les impérialismes qui cherchent à dominer le monde, se font 2
Sans tomber dans de tels excès, nombre de chercheurs continuent de considérer a priori toutes les actions de corsaires musulmans contre des chrétiens comme un des aspects du djihad.
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Au Moyen Âge la distinction entre course et piraterie est encore ténue. Les contemporains font cependant la différence entre des actions légales et réglementées, c’est-à-dire contre des cibles autorisées, que l’on qualifiera ici de course, et des actions de rapine illégales, c’est-à-dire contraires aux traités de paix signés, que l’on peut qualifier de piraterie. Cf. Michel Mollat du Jourdain, « De la piraterie sauvage à la course réglementée, xiii-xive siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge - Temps modernes, 87, 1975, p. 7-25, rééd. Id., Études d’histoire maritime (19381975), Turin, Bottega d’Erasmo, 1977, p. 591-609. M’barek Zaki, « Jihâd et contre-djihâd en Méditerranée du xiie au xvie siècle », Course et jihâd maritime, Revue Maghreb Europe. Histoire, économies, sociétés, 11, 1997-1998, p. 48.
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L’autre modèle, moins populaire mais sans doute plus important pour la formation des hommes du Moyen Âge dans l’Occident islamique, est celui des expéditions navales menées, surtout entre le ixe et le xe siècle, à partir d’al-Andalus d’une part, de l’Ifrīqiyya aghlabide et de ses possessions siciliennes d’autre part3. Dans ces deux cas, sans écarter bien sûr des considérations stratégiques ou économiques, il y eut des actions de course maritime appuyées sur un discours de guerre sainte contre les chrétiens, développé par le pouvoir qui asseyait une partie de sa légitimité sur ces actions, et l’on peut parler alors de djihad. De même, il y a eu un discours produit par les juristes sur le djihad en mer, même s’il jouit d’un prestige moindre par rapport au djihad terrestre4. Incontestablement, donc, à certaines époques, la course antichrétienne a été assimilée à un djihad maritime. Mais l’« esprit de djihad » n’est pas immuable, et encore moins ses manifestations. Je me placerai ici entre le milieu du xive et les premières décennies du xve siècle, à une époque qui connut une véritable explosion de la piraterie et de la course en Méditerranée occidentale, tant du côté chrétien que du côté musulman5, avant un certain reflux, au moins pour la partie musulmane, à partir du deuxième quart du xve siècle. On est donc avant l’essor de la course ottomane, dont on peut dater les débuts au Maghreb de l’expédition de l’amiral Kamal Reis dans les dernières années du xve siècle. Les principaux ports concernés se situent dans l’espace contrôlé par la dynastie mérinide à l’ouest, au milieu du xive siècle, et dans les terres hafsides à l’est, quelques décennies plus tard. Nous essayerons 3
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Pierre Guichard, « Les débuts de la piraterie andalouse en Méditerranée occidentale (798-813) », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 35/1, 1983, p. 55-76 ; Philippe Sénac, « Le califat de Cordoue et la Méditerranée occidentale au xe siècle : le Fraxinet des Maures », dans Castrum 7. Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur, Actes du colloque international organisé par l’École français de Rome et la Casa de Velázquez, Rome, 23-26 octobre 1996, éd. par J.-M. Martin, Rome-Madrid, École française de Rome - Casa de Velázquez 2001, p. 113-126 ; Christophe Picard, « Retour sur la piraterie sarrasine d’al-Andalus contre le monde latin (Italie et Provence) au ixe et xe siècle », dans Quel mar che la terra inghirlanda. In ricordo di Marco Tangheroni, éd. par F. Cardini et M. L. Ceccarelli Lemut, Pise, Pacini 2007, vol. II, p. 577-596. Sur l’Ifrīqiyya, Mukhtar Abugaila Ageil, Naval policy and the rise of the fleet of Ifrīqiyyah from the 1st to the 3d centuries A.H. (7th to 9th centuries A.D.), PhD, Ann Arbor, Mich., University of Michigan, 1985 ; Mohamed Talbi, L’Émirat aghlabide, histoire politique, 800-909, Paris, Adrien Maisonneuve, 1966, p. 380-536. Michael Bonner, Le Jihad, origines, interprétations, combats, Paris, Téraèdre, 2004, p. 182, citant Vassilios Christides, « Raid and Trade in the Eastern Mediterranean : A Treatise by Muhammad b. ‘Umar, the Faqih from Occupied Moslem Crete », Graeco-Arabica, 5, 1983, p. 63-102. La question de la course alimenta plus généralement la réflexion des juristes. Cf. Mohamed Talbi, « Intérêt des œuvres juridiques traitant de la guerre pour l’historien des armées médiévales ifrikiennes », Cahiers de Tunisie, 15, 1956, p. 289-293, rééd. Id., Études d’histoire ifrîqiyenne, Tunis, Université de Tunis, 1982, p. 105-110. Andrés Díaz Borrás, Los orígenes de la piratería islámica en Valencia : la ofensiva musulmana trecentista y la reacción cristiana, Barcelone, CSIC, 1993, 335 p.
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donc de voir, dans ce contexte précis, dans quelle mesure il est possible de parler, à propos de l’activité corsaire, de djihad maritime. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de nous interroger sur la « sincérité » d’une éventuelle motivation religieuse, question assez vaine compte tenu de nos sources et, pour tout dire, quelque peu naïve, mais plutôt de partir des sources, textuelles ou documentaires, pour cerner comment les Maghrébins de l’époque percevaient et présentaient la nature de cette activité, et quelle y était la part de la lutte contre la chrétienté.
Un discours associant piraterie et lutte contre les chrétiens Les textes arabes contemporains parlent assez peu de la course contre les chrétiens – ce qui est déjà en soi une donnée importante. Le passage le plus célèbre, souvent cité, est celui de la chronique d’Ibn Khaldūn, dans lequel il décrit la course bougiote. Il le fait dans un chapitre où il évoque l’attaque franco-génoise de 1390 contre Mahdia, qu’il présente comme une réaction au développement de la course musulmane, et plus globalement de la puissance navale des Hafsides6. Il y décrit brièvement l’organisation des corsaires, montrant des groupes (nafīr, tā’ifa) de corsaires – il utilise alors l’expression de ġuzāt al-bahr – qui mettent en place des flottes et recrutent des hommes braves qui vont faire des descentes sur les côtes chrétiennes ou attaquer des navires, en revenant avec un riche butin en marchandises ou en captifs. Ce texte amène deux remarques. La première concerne le vocabulaire utilisé : il emploie le mot ġuzāt, qui renvoie indéniablement au champ lexical du djihad7, et désigne les chrétiens comme infidèles ou mécréants (kufarā’)8. Il définit par ailleurs les provinces occidentales des domaines hafsides sous le terme de taġr, ou marches-frontières, qui renvoie là encore au contexte de lutte sur la frontière du Dār al-Islām, même si chez cet auteur le terme commence à prendre un sens plus large et politique9. En revanche, le mot même de djihad n’apparaît pas, pas plus que celui de muğāhid (combattant du djihad). La seconde remarque porte sur le sens de ce passage dans son contexte : Ibn Khaldūn insère bien l’essor de la course dans la lutte séculaire entre chrétiens et musulmans, puisqu’il le fait
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Ibn Khaldūn, Kitāb al‘Ibar, éd. Beyrouth, Dār al-Kitāb al-Lubnānī, 1959, VI, p. 578 ; id., Histoire des Berbères, trad. W. Mac Guckin De Slane, Alger, 1852-1856 ; ibid., nouv. éd. revue de P. Casanova, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1956, vol. III, p. 116 (chapitre « Descente des Francs chrétiens contre Mahdia »). On trouve le même vocabulaire au début du xive siècle chez le Bougiote al-Ġubrīnī, qui écrit que « Biğāya était un pays de course (ġazā) », éd. R. Būnār, Alger, SNED, 1970, p. 76. Sur ce terme, cf. Albert Morabia, Le Gihad dans l’Islam médiéval, Paris, A. Michel, 1993, p. 201. Dominique Valérian, « Frontières et territoire dans le Maghreb de la fin du Moyen Âge : les marches occidentales du sultanat hafside », Correspondances [Tunis], 73, 2003, p. 3-8.
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précéder d’un rappel des changements successifs de domination et de rapports de force en Méditerranée, faisant notamment allusion aux conquêtes chrétiennes en Syrie-Palestine à l’occasion des croisades. Par le vocabulaire utilisé et par le contexte du passage on est donc bien dans le cadre de la lutte entre l’Islam et la Chrétienté, malgré l’absence du terme de djihad. De fait, il ne semble pas que les corsaires musulmans se soient attaqués à leurs coreligionnaires, contrairement aux chrétiens qui n’hésitaient pas à prendre pour cibles des navires d’un État ennemi, quelle que fût sa religion10. Il est symptomatique que dans les recueils de consultations juridiques, qui abondent en plaintes contre les brigands qui attaquent les voyageurs sur terre, en particulier les Bédouins, contre lesquels les muftis vont jusqu’à déclarer le djihad, on ne trouve rien à ma connaissance sur d’éventuels corsaires musulmans. Le voyageur al-Tiğānī, au début du xive siècle, cite bien des pirates de Djerba qui, à l’époque ziride, s’en prennent à d’autres musulmans, mais le fait est rapporté comme exceptionnel – et il s’agit du reste de schismatiques11. Le choix des cibles, exclusivement chrétiennes, va donc dans le sens d’une action pensée dans le cadre de la lutte contre l’ennemi infidèle.
Une réalité plus nuancée Pour autant, il est rare de rencontrer une association explicite entre l’activité corsaire et le djihad, contrairement à ce que l’on trouve pour les périodes plus anciennes et surtout pour l’époque ottomane12. Dans les biographies de savants ou les hagiographies, qui véhiculent certaines des valeurs essentielles de la société, la course musulmane est pratiquement absente. Autant la contribution aux combats des armées maghrébines en al-Andalus, contre les puissances chrétiennes ibériques, peut être mise en avant comme une action de djihad pouvant à l’occasion conférer le statut de martyr, autant la participation à des actions de course n’apparaît pas. On a bien, mais dans la documentation latine, la mention d’un 10 Parlant des pirates chrétiens, Robert I. Burns écrit que « the pirate was ecumenical in his choice of victims ». Robert I. Burns, « Piracy as an Islamic-Christian Interface in the Thirteenth Century », Viator, 11, 1980, p. 165. 11 Al-Tiğānī, Rihla, éd. Tunis avec index et préf. H. H. Abdulwahab, Al-matba‘at al-rasmiyya, 1958, . rééd. Tunis, Al-Dār al-‘Arabīya lil-Kitāb, 1981, p. 125 ; Id., « Voyage du scheikh Et-Tidjani dans la régence de Tunis pendant les années 706, 707 et 708 de l’hégire (1306-1309) », trad. A. Rousseau, Journal Asiatique, 4e série/20, 1852, p. 176. Il emploie d’ailleurs, pour désigner leur action, le verbe qata‘a, utilisé pour les brigandages des voleurs qui coupent les routes, alors que l’expédition de représailles de l’émir contre ces malfaiteurs est désignée par le verbe ġazā, que l’on retrouve pour les actions de course contre les chrétiens. 12 Houari Touati, Entre Dieu et les hommes. Lettrés, saints et sorciers au Maghreb (17e siècle), Paris, EHESS 1994, p. 161 et suiv. Nabil al-Tikriti, « Hall ishkāl al-Afkār: an Ottoman Royal’s sharī‘a . argument for imperial control over sea Ghāzī plunder », dans ce volume.
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corsaire de Grenade qui se fait appeler « Lo Sant Moro »13. Il prétend agir pour le compte de Dieu, et les autorités de la ville de Valence s’inquiètent de sa réputation, qui lui aurait permis de trouver à Tunis et Bougie des bateaux et des hommes prêts à combattre les chrétiens14. Mais dans les hagiographies, l’action des saints, que ce soit de leur vivant ou après leur mort, concerne toujours le secours porté aux victimes des pirates ou corsaires chrétiens, soit pour déjouer une attaque, soit pour permettre la libération des captifs par leur action miraculeuse15, motif que l’on trouve aussi abondamment dans la littérature hagiographique chrétienne – mais jamais sur une aide éventuelle à des corsaires musulmans agissant contre des chrétiens, encore moins sur une participation. Il existe pourtant bien une course maghrébine à cette époque, qui est non seulement acceptée socialement, mais aussi soutenue politiquement. La possession de captifs ou d’esclaves chrétiens est une pratique courante, et somme toute assez banale. Le pouvoir soutient, à différents niveaux, l’activité de course, voire y participe de manière plus ou moins directe. Il en retire des ressources fiscales, par l’imposition d’une taxe d’1/5e sur les prises16, ce qui est vital dans la seconde moitié du xive siècle lorsque les recettes provenant du commerce maritime diminuent17. La participation directe du sultan n’est pas attestée, mais de très hauts personnages de l’État sont impliqués. En 1381 le pirate Génois Onofrio di Piccamiglio est ainsi accusé à Majorque d’avoir constitué avec le vizir de Bougie une société destinée à attaquer les bateaux chrétiens18. Sans doute s’agit-il en réalité de l’amiral Ibn Abī Mahdī, qui joue alors un rôle politique de premier plan auprès des émirs Abū ‘Abd Allāh puis Abū l-‘Abbās et qui dirige l’arsenal de la ville19. À Tunis au début du xve siècle, un certain Hamet ben el-Cacip, attesté dans les sources valenciennes
13 Archivo Municipal de Valencia, Lletres missives, Reg. g317, f. 143v-144v, cité par Andrés Díaz Borrás, Problemas marítimos de Valencia a finales de la Edad Media : el corso, la piratería y el cautiverio en su incidencia sobre la dinámica económica. 1400-1480, thèse de doctorat, Université de Valence, 1987, p. 178 (ce passage n’a pas été repris dans la version éditée de la thèse). 14 Roser Salicrú i Lluch, El Sultanat de Granada i la corona d’Aragó, 1410-1458, Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1998, p. 186-187. 15 Mohamed Chérif, « Saint, navigation et piraterie en Méditerranée d’après les sources hagiographiques maghrébines médiévales », Tous Azimuts… Mélanges de recherche en l’honneur du professeur Georges Jehel, éd. par Ph. Racinet, Amiens, laboratoire d’archéologie, Université de Picardie, 2002, p. 131-138. 16 Al-Ġubrīnī, ‘Unwān al-dirāya, op. cit., p. 76 17 Il ne semble pas en revanche qu’il y ait eu, comme dans le monde latin, de vente de licences de courses. 18 Archivo del Reino de Mallorca, Lletres comunes, 47, f. 9r (9/1/1381), cité par Maria Dolores López Pérez, La Corona de Aragón y el Magreb en el siglo xiv (1331-1410), Barcelone, CSIC, 1995, p. 728-729. 19 Ibn Khaldūn, op. cit., trad. vol. III, p. 110 ; Ibn Qunfud, . siyya, . - Al-Fārisiyya fī mabādi’ al-dawlat al-haf Tunis, 1968, p. 186 ; Dominique Valérian, Bougie, port éd. ‘A. al-M. Turkī et M. al-Šādilī al-Nayfar, maghrébin, 1067-1510, Rome, École française de Rome, 2006, p. 453.
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comme un des plus importants corsaires musulmans, aurait été élevé par le sultan à la charge d’amiral20. On pourrait supposer, dès lors, que cette course, tolérée et même encadrée par le pouvoir, a pu être présentée comme un djihad maritime et servir à soutenir la légitimité des princes. Les périodes de forte activité corsaire correspondent en effet à des moments de réaffirmation du pouvoir central, qu’il s’agisse des Mérinides au milieu du xive siècle, ou des Hafsides à partir des années 1370. Pourtant cela n’apparaît pas clairement. Lorsque les textes mettent en avant la qualité de muğāhid d’un souverain, c’est toujours en relation avec la défense de l’Espagne musulmane : on le voit pour les Mérinides, en particulier dans la guerre du Détroit, et pour les Hafsides, au début de leur règne et de manière sporadique par la suite, jusqu’à la chute de Grenade. C’est le cas par exemple du sultan hafside Abū Ish.āq (12791283), qui avait combattu en Espagne avant de monter sur le trône de Tunis. Mais à ma connaissance, lorsqu’un chroniqueur fait l’éloge d’un souverain, le soutien à la course n’apparaît pas comme un élément du panégyrique. Son action peut concerner le secours aux captifs, par le financement de leur rachat21, mais pas des actions belliqueuses contre les chrétiens. En revanche, et c’est assez significatif, on trouve à plusieurs reprises l’affirmation de la nécessité, pour le prince, de lutter contre l’insécurité des routes terrestres et donc contre les Bédouins – mais rien sur la police des mers. La revendication d’une action de djihad par la course, si elle a existé, reste donc très marginale. Ce n’est pas dans ce domaine que se manifeste l’activité de combattant de la foi pour les souverains, qui se déploie soit sur le terrain espagnol, soit, de manière plus complexe, contre les Bédouins.
Deux configurations différentes : la piraterie mérinide à l’époque de la guerre du Détroit et la piraterie hafside de la fin du xive – début xve siècle Il faut cependant distinguer ici la course mérinide des années 1330-40 et celle qui se déploie dans les domaines hafsides à partir de 1370, qui revêtent des caractères sensiblement différents. À partir de 1330 environ les sultans du Maroc se lancent dans un long conflit avec les puissances chrétiennes ibériques, communément 20 Andrés Díaz Borrás, Problemas marítimos de Valencia, op. cit., p. 188-189. 21 Voir par exemple le panégyrique du sultan hafside Abū Fāris par : Anselme Turmeda, La Tuhfa, . autobiografía y polémica islámica contra el Cristianismo de ‘Abdallāh al-Tarğumān (fray Anselmo Turmeda), trad. M. de Epalza, Atti della Accademia nazionale dei Lincei, Memorie, Classe di scienze morali, storiche e filologiche serie, VIII, vol. XV, 1971, p. 250-255. Turmeda relève, avec sans doute une exagération certaine, que toutes les ressources des taxes sur les importations et exportations de Tunis étaient utilisées pour le rachat des captifs aux mains des infidèles.
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appelé la guerre du Détroit. On est là dans le prolongement direct du djihad mené par les Almoravides, puis les Almohades en al-Andalus, en soutien aux musulmans menacés par la poussée des royaumes chrétiens du Nord. En ce sens les Mérinides, qui revendiquent clairement l’héritage almohade, se présentent comme les champions de la défense de l’Islam à l’ouest de la Méditerranée, et développent pour cela une puissance navale considérable, utilisée pour faire passer le détroit de Gibraltar à des troupes de secours, mais aussi pour mener des expéditions de razzias le long des côtes chrétiennes22. La participation de navires envoyés par les Hafsides de Tunis23 et de corsaires nasrides24 montre que cette politique s’inscrit bien dans une perspective de lutte globale entre l’Islam et la Chrétienté. Les ports de Ceuta, mais aussi Badis, Arzila et secondairement Alger, qui dépend alors des Mérinides, deviennent des centres de course d’où partent des navires pour razzier les territoires chrétiens et s’attaquer aux navires de commerce25. Le rôle prédominant joué par les ports situés à proximité du détroit confirme le lien étroit entre cette course et la politique plus globale des sultans. L’affaiblissement du pouvoir mérinide, après les années 1350, entraîne du reste un recul de cette course, ce qui montre bien qu’elle était liée à une politique menée par les sultans, et sous leur contrôle. Dans ce contexte la course, activité largement privée, vient donc en soutien d’une guerre menée par les Mérinides, au nom de l’Islam, contre les chrétiens de péninsule Ibérique, et peut alors être considérée comme un djihad maritime. La configuration de la course hafside de la fin du xive siècle est assez sensiblement différente. Il n’y a pas alors de politique globale des sultans en vue de conquérir ou défendre des territoires. Contrairement à la situation en al-Andalus, il y a une stabilisation, depuis longtemps, de la frontière entre l’Islam et la chrétienté depuis la perte de la Sicile par les musulmans, sinon autour des îles de Djerba et des Kerkennah attaquées à plusieurs reprises par les puissances chrétiennes – mais on est là dans des actions assez ponctuelles et qui n’ont pas vocation à déboucher sur des conquêtes plus étendues. Les raisons qui expliquent alors le développement spectaculaire de la course sont liées essentiellement à la situa22 Rudolf von Thoden, Abū ‘l-H.asan ‘Alī. Merinidenpolitik zwischen Nordafrika und Spanien in den Jahren 710-752 H./ 1310-1351, Fribourg, Schwarz, 1973, en particulier, p. 167-261 ; Mohamed Kably, Société et religion au Maroc à la fin du « Moyen Âge » (xive-xve siècle), Paris, Maisonneuve et Larose, 1986, p. 133-135. 23 En 740/1340 le ra’īs al-bahr Zayd b. Farh.ūn est nommé comme qā’id de la flotte de guerre qui est envoyée par le Hafside Abū Bakr pour aider les Mérinides contre les chrétiens d’Espagne. Ibn Khaldūn, op. cit., trad. vol. IV, p. 231. 24 Manuel Sanchez, « En torno a la pirateria nazari entre 1330 y 1337 », dans Andalucia entre Oriente y occidente (1236-1492). Actas del V coloquio internacional de historia medieval de Andalucia, éd. par E. Cabrera, Cordoue, Excma Diputación provincial de Córdoba, 1988, p. 431-461. 25 M. López Pérez, La Corona de Aragón, op. cit., p. 695-702.
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tion économique et démographique : le butin et les captifs sont une réponse à la diminution des échanges commerciaux dans un contexte économique fortement déprimé et aux ravages causés par la grande peste26. L’intérêt politique du pouvoir tient principalement dans les recettes fiscales, qui permettent de pallier l’insuffisance des ressources douanières et évitent d’avoir recours à des taxes supplémentaires sur les sujets musulmans, toujours impopulaires car considérées comme illégales aux yeux de la Loi. Cela évite également d’exercer une trop forte pression fiscale sur les tribus de l’intérieur, dont le soutien au pouvoir central est toujours fragile. Peut-être les sultans ont-ils aussi retiré, en laissant se développer la course contre les chrétiens, un surcroît de légitimité à peu de frais, mais ce n’est visiblement pas sur ce point que se concentre leur discours de légitimation religieuse27.
L’absence de la dimension religieuse dans la résolution des problèmes de piraterie Cette absence de dimension religieuse de la course hafside, ou son caractère très marginal, est confirmée par les modalités de résolution des problèmes liés aux attaques et aux captifs. Nous avons la chance de disposer d’une assez abondante correspondance diplomatique pour ces années-là, dont une bonne partie est consacrée précisément aux efforts pour parvenir à des accords de paix et pour régler les conflits liés à l’accroissement de part et d’autre de l’activité corsaire. Dans ces négociations, le problème des captifs est central, en raison de l’émotion soulevée par le départ forcé de milliers de personnes en territoire infidèle, mais aussi en raison des conséquences économiques et démographiques de ces transferts de populations. La dimension religieuse est bien présente, en particulier à cause des risques ou des craintes d’apostasie. Les lettres envoyées par les captifs chrétiens retenus au Maghreb, destinées il est vrai à apitoyer leurs correspondants sur leur sort et accélérer leur libération, insistent sur le risque que court leur âme à demeurer loin des terres chrétiennes28. De même, la charité publique et privée est mobilisée pour
26 Dominique Valérian, « Les captifs et la piraterie : une réponse à une conjoncture économique déprimée ? Le cas du Maghreb aux xive et xve siècles », Les esclavages en Méditerranée. Espaces et dynamiques économiques, éd. par F. Guillén et S. Trabelsi, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, p. 119-130. 27 Il se concentre plutôt sur l’aide aux fondations pieuses ou au rachat des captifs, et plus largement sur la piété des princes. 28 Roser Salicrú i Lluch, « Cartes de captius cristians a les presons de Tunis del regnat de Ferran d’Antequera », Miscellania de Textos Medievals, 7, 1994, p. 549-590 ; Domenico Ventura, « Cronaca di un riscatto. Dalle lettere di Giovanni Carocci, mercante pisano “schiavo” in Tunisi (1384-87) », Ricerche storiche, 22, 1992, p. 3-20.
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le rachat des captifs, à travers des ordres religieux ou des confréries du côté chrétien, à travers des fondations pieuses du côté musulman29. Enfin les interventions prêtées aux saints dans les hagiographies, des deux côtés, rappellent la dimension religieuse du problème des captifs30. Mais dans les négociations diplomatiques, celle-ci est totalement absente31. Surtout, les règles qui se mettent en place pour lutter contre la piraterie ou réglementer le rachat des captifs, qui constituent un embryon de droit international, ou au moins de droit partagé, ne font aucune référence à la religion ou à une opposition entre les chrétiens considérés comme un bloc d’un côté et les musulmans de l’autre. Dans les traités de paix, notamment ceux signés entre les Hafsides et les puissances chrétiennes, la piraterie est toujours interdite, mais ne sont protégés que les sujets du souverain concerné, sans considération de sa religion. La capture est légale non pas parce que la victime est un infidèle, mais parce qu’elle n’est pas protégée par un accord de paix. Dès lors la mer n’est plus considérée de manière uniforme comme un territoire de la guerre, espace privilégié du djihad contre les chrétiens dans leur ensemble. Le droit musulman tolère, on le sait, des trêves avec les souverains chrétiens, sur le modèle en principe des trêves accordées par le prophète aux Mekkois, c’est-à-dire pour une durée limitée à 10 ans et à condition que l’Islam reste en position de force32. Dans la pratique, les traités de la fin du Moyen Âge montrent une interprétation assez souple de ces restrictions33. Dès lors, certains navires sur mer ne peuvent être légalement attaqués, de même que sur terre certains territoires ne doivent pas subir de razzia. Cela n’empêche pas bien sûr certains capitaines de navires de contourner la loi – mais lorsqu’ils le font ils peuvent être poursuivis, et les traités exigent souvent que justice soit rendue par le souverain dont relèvent ces hors-la-loi34. Ces restrictions à la lutte contre
29 Voir notamment Andrés Díaz Borrás, El Miedo al Mediterráneo : la caridad popular valenciana y la redención de los cautivos bajo poder musulmán 1323-1539, Barcelone, CSIC, 2001, 366 p., et l’abondante littérature sur les ordres de rachat des captifs. Sur la question des waqfs du côté musulman, Selim Hassan Abdel Wahab, « Captives Waqf in Syria and Egypt (491-589H./1097-1193 A.D.) », dans La Liberazione dei ‘cativi’ tra cristianità e islam. Oltre la crociata e il ğihād : tolleranza e servizio umanitario. Atti del Congresso interdisciplinare di studi storici (Roma, 16-19 settembre 1998), éd. par G. Cipollone, Cité du Vatican, Archivio segreto vaticano, 2000, p. 559-570. 30 Cf. supra n. 15. 31 D. Valérian, « Le rachat des captifs dans les traités de paix de la fin du Moyen Âge : entre diplomatie et enjeux économiques », Hypothèses 2006, Paris, 2007, p. 343-358. 32 Duncan B. Macdonald, « Dār al-s.ulh. », Encyclopaedia of Islam², vol. II, p. 131. 33 Certaines trêves sont signées pour des durées plus longues, voire sont perpétuelles (c’est-à-dire dans les faits valables jusqu’à la mort du souverain). Surtout, le rapport de forces est désormais presque systématiquement défavorable aux musulmans, et tout espoir de reprise d’un djihad offensif est abandonné. 34 Cette clause est régulièrement rappelée dans la correspondance diplomatique liée à des faits de
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les navires chrétiens sont du reste anciennes : déjà, au ixe siècle le grand juriste malikite Sah.nūn fixait des limites à la course contre les chrétiens : « Quant aux navires chrétiens qui arrivent [vers nous], que ce soit loin du port ou à proximité, il n’est pas permis de les capturer, s’il s’agit de commerçants connus pour leurs relations commerciales avec les musulmans », mais il ajoute : « à moins de les attaquer dans leurs propres pays et alors qu’ils se dirigent vers un pays autre que les pays de l’Islam », restriction qui est abandonnée à la fin du Moyen Âge35. On constate une même adaptation du droit avec le rachat des captifs, qui avait fait l’objet d’une codification assez complexe dans les premiers temps de l’Islam, dans le contexte de l’expansion face à la chrétienté et de la guerre de djihad sur les frontières36. Le principe essentiel qui régit ces règles dans les ouvrages de droit est que la libération d’un captif ne doit pas renforcer l’ennemi de l’Islam, ce qui pousse par exemple certains juristes à interdire le rachat des hommes adultes, ou à ne permettre pour eux que des échanges avec un musulman en âge de combattre37. Mais dans les traités de paix de la fin du Moyen Âge, toutes ces restrictions disparaissent totalement, pour ne laisser place qu’à une négociation purement marchande du rachat, dans le cadre des accords entre États. Les règles qui dominent alors sont celles du commerce, le captif ayant le droit d’être racheté, mais son maître se voyant aussi reconnaître son droit de propriété. Tout au plus fixe-t-on quelques principes pour éviter la spéculation, dans le cadre de ce que Wolfgang Kaiser a justement appelé une « économie de la rançon »38.
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piraterie. Au début du xive siècle la République de Gênes institue à cet effet un tribunal spécial chargé de juger ses ressortissants coupables d’actes de piraterie, contre des chrétiens comme contre des musulmans. Benjamin Z. Kedar, « L’Officium Robarie di Genova : un tentativo di coesistere con la violenza », Archivio storico italiano, 143, 1985, p. 331-372. Cet extrait est cité dans un ouvrage de jurisprudence, le Kitāb al-Nawādir d’Ibn Abī Zayd (mort en 386/996), dans le chapitre intitulé Kitāb al-Ğihād. Cité par M. Talbi, « Intérêt des œuvres juridiques traitant de la guerre », art. cit., p. 107. Ahmed Benremdane, « Al-ğihād y la cautividad en los dictámenes jurídicos o fatuas de los alfaquíes musulmanes y de Al-Wanšarīsī, en particular : el caso de los musulmanes y de los cristianos de Al-Andalus », dans Liberazione dei ‘cativi’, op. cit., p. 447-455 ; Milouda Hasnaoui, « La ley islámica y el rescate de los cautivos según las fetwas de al-Wanšarīsī e Ibn Tarkā t. », ibid., p. 549-558. . A. Benremdane, « Al-ğihād », art. cit., p. 454 ; M. Hasnaoui, « La ley islámica y el rescate de los cautivos » art. cit., p. 554. Wolfgang Kaiser, « L’économie de la rançon en Méditerranée occidentale (xvie-xviie siècle) », Hypothèses 2006. op. cit., p. 359-368 ; Le Commerce des captifs. Les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée, xve-xviiie siècle, éd. par W. Kaiser, Rome, École Française de Rome, 2008, 406 p.
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Conclusion Dans une chronique rédigée au début du xvie siècle un auteur bougiote décrit le développement de la course dans sa ville après la chute de Grenade. On a malheureusement perdu le texte arabe, et il ne nous reste que la traduction qui en a été faite en 1868 par un interprète de l’armée d’Afrique : Les musulmans d’Andalousie avaient été repoussés jusqu’à la mer par le Tar’ia [le tyran, c’est-à-dire l’empereur d’Espagne]. L’ émir de Bougie reçut alors du souverain de Tunis l’ ordre d’armer des vaisseaux pour faire la guerre aux chrétiens envahisseurs de l’Andalousie. Cet ordre fut exécuté d’autant plus volontiers qu’il y avait empressement de la part des musulmans. Les bâtiments de Bougie allèrent faire des descentes sur les côtes d’Espagne, où ils enlevaient des hommes et des richesses ; ils couraient sur tous les vaisseaux ennemis qu’ils rencontraient et ramenaient leurs prises à Bougie. C’est à tel point que cette ville et toutes celles du littoral de l’Afrique se remplirent d’esclaves chrétiens39.
Le discours ici est incontestablement celui du djihad, mais le contexte a changé, avec la perte de ce qui restait de l’Espagne musulmane et les menaces chrétiennes contre les côtes du Maghreb. C’est d’ailleurs à cette époque que les premiers corsaires turcs arrivent dans la région, avec pour ordre de secourir leurs coreligionnaires40. On retrouve une configuration de la course proche de celle des Mérinides dans les années 1330-1340, étroitement liée à un conflit présenté comme plus global entre l’Islam et la Chrétienté, et plus précisément à la question andalouse. Il serait quelque peu naïf de tenter de classer de manière trop absolue une course qui répondrait à l’exigence de djihad et une autre qui ne serait mue que par l’appât du gain, tant les deux motivations peuvent aisément faire bon ménage41. Il n’en reste pas moins que l’on note une différence sensible entre les deux configurations mérinides et hafsides. Pour les premiers, la course est pensée comme partie intégrante d’un djihad plus large contre les puissances chrétiennes de péninsule ibérique, et intervient à la fois comme outil de légitimation et instrument de puissance militaire dans un rapport de force autour du détroit. Dans le cas de la course hafside des xive et xve siècles au contraire, la revendication d’une opposition de nature religieuse est particulièrement ténue, aussi bien dans les textes arabes que dans les réalités de la pratique. Contrairement à la situation des Mérinides au39 Al-Marīnī, ‘Unwān al-ahbār fī mā marra ‘alā Biğāya, trad. L.-Ch. Féraud, « Conquête de Bougie ˘ un manuscrit arabe », Revue Africaine, 12, 1868, p. 249-250. par les Espagnols d’après 40 Kamal Reis est envoyé en 1487 par le sultan Bayazid II à la tête d’une flotte pour secourir Grenade. E. Esin, « La description des côtes algériennes de Pîrî Re’îs », dans Studies on Turkish-Arab relations, Istanbul, 1986, p. 49, 55. 41 Du reste dès les débuts de l’Islam la recherche du butin est étroitement associée au djihad, et sa répartition codifiée par les juristes. A. Morabia, op. cit., p. 236-246.
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tour du détroit de Gibraltar, ou avec la course ottomane du début du xvie siècle on est, avec l’Ifrîqiya hafside de la fin du xive et du xve siècle, dans un contexte de stabilisation de la frontière, sans revendication territoriale majeure de part et d’autre. Dès lors, la course s’inscrit dans des relations diplomatiques entre États, où seul compte le rapport de forces, à la fois politique, militaire et économique, et où l’élément religieux est cantonné, au mieux, à un discours à usage interne, qui reste sans doute assez marginal.
Hall ishkāl al-afkār : .
an Ottoman royal’s sharī‘a argument for imperial control over sea ghāzī plunder Nabil Al-Tikriti | University of Mary Washington
The Ottoman system of maritime warfare at the turn of the 16th century can be characterized primarily as a ghazā’-justified protection racket. In this system, distinguished by the supply of imperially-backed—yet semi-private—protection services to merchants and traders in exchange for tributary payments,1 both the Ottomans and their various rivals couched their aggressive assertion of protection rent interests in terms of holy war, or ghazā’, prosecution. In the course of the century, this system would gradually transition into a contest between more centralized and standardized imperial navies, requiring a fresh set of legal and philosophical justifications for raiding, plunder, and protection. In this contribution, I shall examine one such justification for a more rationalized set of protection and plunder protocols. Within the Ottoman system of the day, princes (şehzades) appear to have been granted control over whatever foreign plunder concessions were relevant to their respective home provinces. For example, while the future ruler Şehzade Selim (d. 1520) made a name for himself fighting Safavids and other rivals throughout Eastern Anatolia and the Caucasus while ruling Trabzon, Şehzade Korkud (d. 1513) became the main imperial backer of ghazā’ activities throughout the Eastern Mediterranean while based in Antalya. As Nicolas Vatin has repeatedly shown, Korkud was an active and influential participant in this imperial ghazā’.2 In the course of his career, Korkud appears to
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The theory of “protection rent” is discussed in Frederic C. Lane, Profits From Power: Readings in Protection Rent and Violence-Controlling Enterprises, Albany, State University of New York, 1979, 128 p.; and Niels Steensgaard, The Asian Trade Revolution of the Seventeenth Century: The East India Companies and the Decline of the Caravan Trade, Chicago, University of Chicago, 1973, 441 p. See Nicolas Vatin, “Note sur l’attitude des sultans et de leurs sujets face à la captivité des leurs
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have been the primary royal financial and political backer for several renowned “sea ghāzī” privateers, including Kara Durmuş, Kurdoğlu, Hayreddīn Barbarossa, ˘ Oruç Reis, and others. While his half-brother Selim also long maintained a relationship with Kemāl Reis and other captains,3 only Korkud’s interactions with such sea ghāzīs were sufficiently noteworthy to merit mention in Seyyid Murād’s Ġazavāt-i Hayreddīn Paşa, the narrative panegyric completed under the patronage of Korkud’s ˘ nephew sultan Kānūnī Süleyman (1520-1566) and devoted to commemorating the . exploits of such sea ghāzīs.4 As a key backer of such Ottoman-affiliated privateers, Korkud engaged on several levels with their primary rival, the Rhodes-based Knights of the Order of St. John of Jerusalem. In surviving exchanges of correspondence between Korkud and the Knights, the two parties floated peace agreements, informed one another of significant deaths, and negotiated prisoner exchanges up until 1504.5 While violent conflict continued to break out on occasion between privateers affiliated with the Ottomans, Knights, Venetians, and other parties in the Eastern Mediterranean, such battles appear to have been sufficiently contained to avoid military escalation. Once relations between the Ottomans and Knights stabilized after 1504, efforts at maritime ghazā’ shifted south to the Indian Ocean. Korkud, in cooperation with the Mamluk ruler Kānsawh al-Ghawrī (1501-1516), seems to .
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en terre chrétienne”, Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, 83, 1992, pp. 375-395; reprinted in Nicolas Vatin, Les Ottomans et l’Occident (xve et xvie siècles), Istanbul, Isis Press, “Analecta Isisiana 51”, 2001, pp. 113-128; id., L’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, l’Empire ottoman et la Méditerranée orientale entre les deux sièges de Rhodes: 1480-1522, Louvain-Paris, Peeters, 1994, pagination. Id., “Le siège de Mytilène (1501)”, Turcica, 21-23, 1992, pp. 437-459, reprinted in Nicolas Vatin, Les Ottomans et L’Occident (xve et xvie siècles), op. cit., pp. 9-30. Marino Sanuto, I Diarii di Marino Sanuto, 58 vols., ed. by R. Fulin, F. Stefani, N. Barozzi, G. Berchet, M. Allegri, Venice, S. Visentini, 1879-1903, Vol. II, pp. 695-696, correspondence dated 1499. Selim’s use of maritime transport to get from Trabzon to Caffa in 1510 was a significant factor in his successful rise to power. Seyyid Murad, Il turco ‘osmānli del XVI sec. secondo: il Gazavāt-i Hayreddīn Paşa, ed. by A. Galotta, (Studi Magrebini XIII), Naples, Dipartimento di Studi Asiatici, 1983,˘ ff. 11v, 19r-20v, 22v, 23v-24r. These exchanges are all preserved in the Libri Conciliorum, a record of the proceedings of the governing Grand Council of the Knights. This record is the second of seventeen archival classifications in the Archives of the Order of the Knights of St. John in Malta (AOM). The Libri Conciliorum covers 1459-1797 and consists of files AOM 73-254. Exchanges with Korkud include: AOM 79:71b-72a, 79a-80a; AOM 80: 52b-53a, 82b-83a, 98b-99b, 99b-100b, 101a-101b, 101b-102b, 102b-103b, and 103b-105b. See Rev. Joseph Mizzi, Ant. Zammit Gabarretta, and V. Borg, Catalogue of the Records of the Order of St. John of Jerusalem, vols. 1-13, Malta, University of Malta Press, 1964-1979, II, 1, pp. 96-98, 102, 105, 107. Korkud’s engagement with the Knights and other Ottoman rivals are also detailed in various intelligence reports and transcriptions of diplomatic correspondence preserved in Sanuto’s celebrated compilation. For examples, see: Sanuto, Diarii, IV, pp. 404-408, V, pp. 957-958, IX, p. 12, IX, p. 27, IX, p. 126, XI, p. 164. There is no known evidence of correspondence between Korkud and the Knights after extensive negotiations in 1503-04.
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have played a role in engineering this widening of ghazā’.6 In August 1507, a jointly prepared fleet set sail towards Diu, planning to join forces with a local sovereign in order to dislodge the Portuguese.7 The fleet returned two years later, following inconclusive hostilities with the Portuguese off Diu. Although sources do not discuss Korkud’s centrality in this shift, and do not provide great detail concerning the negotiations behind direct Ottoman-Mamluk cooperation, they do provide several hints that Korkud played a role in Ottoman efforts to support Mamluk ghazā’ in the Indian Ocean. As Salih Özbaran has noted, several significant arms shipments and sea ghāzī reinforcements passed from Ottoman to Mamluk territories in the last years of Bayezid’s reign—particularly from Korkud’s regions of control in western and southern Anatolia.8 For example, several months prior to Korkud’s 1509 departure for Cairo, a Florentine merchant’s agent in Valencia reported that “about 20 [Mamluk] ships were sent to the south coast of Anatolia to be loaded with timber.” This fleet, dispatched at some point in 1507-08, was attacked enroute by the Knights.9 Within months of Korkud’s 1510 return to Antalya, a large military shipment was sent to Egypt, consisting of “300 tüfeng (arquebuses), 30,000 arrows, 40,000 kantar (about 50 kg each) gun powder, 2,000 oars, and copper.”10 Although there is no known record of an order commanding Korkud to initiate such activities, such a shipment should not normally have passed without the knowledge of authorities in Istanbul. In light of the constant possibility of şehzade initiative within the some6
According to Geneviève Bouchon, in 1503 al-Ghawrī set his sights on creating a battle fleet to counter the Portuguese presence, which was taking a severe toll on Mamluk spice trade taxation income. Driven by necessity, al-Ghawrī grew progressively more dependent on Ottoman military aid to fight the Portuguese, who in turn had some sort of cooperative arrangement with the Knights. The Mamluk sultan first purchased wood from Mt. Lebanon to construct his fleet, and then recruited “Rūmī” adventurers—Türkmen, Kurds, North Africans, and assorted Muslim converts—to staff his new fleet. By 1505, the fleet was ready to launch pacification operations in the Hijāz, under the command of Mīr Husayn al-Kurdī, see Geneviève Bouchon, Albuquerque: . . Le lion des mers d’Asie, Paris, Éditions Desjonquères, 1992, pp. 98-103. 7 Al-Shihrī, a Yemeni chronicler, recorded the arrival of this fleet in 913 (1507-08). According to al-Shihrī, “[i]n this year also, there arrived from Jeddah, Husain Bey al-Kurdī, the Emir of the Lord of Egypt Kansuh al-Ghawri, in command of three grabs (ghurāb) and three galliots (barshah) making toward India. He took the course towards Diu with his sailing ships in order to engage the Franks who had appeared in the (Indian) Ocean and cut the Muslims’ trade-routes.”, quoted in: Robert Bertram Serjeant (trans.), The Portuguese off the South Arabian Coast: Ha . dramī . Chronicles, Beirut, Librairie du Liban, 2nd ed., 1974, pp. 43-44. 8 Salih Özbaran, The Ottoman Response to European Expansion: Studies on Ottoman-Portuguese Relations in the Indian Ocean and Ottoman Administration in the Arab Lands During the Sixteenth Century, (Analecta Isisiana XII), Istanbul, Isis Press, 1994, p. 62. 9 S. Özbaran, The Ottoman Response, op. cit., pp. 90-91, citing Archivo Nacional de Torre do Tombo (Lisboa), Gateva 15, Maço 19, Documento 4, as cited by Vitorino Magalhaes Godinho, Os Descobrimentos e a Economia Mundial, II, Lisbon, Editoria Arcadia, 1965, pp. 136-137. 10 S. Özbaran, The Ottoman Response, op. cit., pp. 62, 90.
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what decentralized reality of Bayezid’s last years, it appears likely that Korkud was primarily responsible for organizing naval arms shipments for al-Ghawrī’s fleets in return for cash payments. Such an arrangement might have been a factor when, in March 1511, Korkud abruptly boarded a specie-filled ship in an attempt to gain the throne through bribing the Janissary corps. Korkud, the royal sovereign charged with maritime ghazā’ who controlled much of the empire’s Aegean and Mediterranean coastal provinces, was likely to have been the primary Ottoman agent behind cooperative Mamluk-Ottoman initiatives against the Portuguese in the Indian Ocean. If this is the case, the groundwork for Korkud’s trip to Egypt may have been laid during the preparations for Mīr Husayn al-Kurdī’s 1507-09 expedition to Diu, and in the course of shipping . materials in 1509 to support Mamluk ghazā’ against the Portuguese. In addition, Korkud’s Mamluk ghazā’ connection would help explain both an attempt by the Knights to capture Korkud’s fleet upon his return to Antalya in the summer of 1510 and the financial resources Korkud brought to bear in his abortive bid to gain the Ottoman throne in 1511.11
Hall ishkāl al-afkār . As with many other aspects of his life, Korkud was not content to involve himself in ghazā’ without attempting to justify and correlate it within the strictures of sharī‘a norms. Relying on his intimate involvement with Ottoman ghazā’ as it was practiced in the Aegean and Eastern Mediterranean, in 1508 Korkud expressed strong disapproval of the way plunder allocation had been carried out. While advocating the pre-eminence of disputational jihād over physical jihād in his Da‘wat al-nafs al-.tālih. a, Korkud stated that even if one were to accept the greater importance of military activities in God’s cause, the imperial jihād carried out in his day and age was not in accordance with sharī‘a due to its doctrinally incorrect division of spoils. In fact, due to its preponderance of heinous acts, supporting such jihād was h. arām to Korkud—and seeking material reward from such jihād activities contradicted proper belief in his opinion.12 Although he only devoted a few comments to this 11 For further details about Korkud’s life, see Nabil Al-Tikriti, “Şehzade Korkud (ca. 1468-1513) and the Articulation of 16th Century Ottoman Religious Identity,” unpublished doctoral dissertation, University of Chicago, Department of Near Eastern Languages and Civilizations, 2004; M.Tayyib Gökbilgin, “Korkut,” İslam Ansiklopedisi, VI:855-60. Id., “Korkud,” Encyclopaedia of Islam², V:269a-b; and İsmail Hakkı Uzunçarşılı, “II’inci Bayezid’in Oğullarından Sultan Korkut,” Belleten, 30/120, 1966, pp. 539-601. 12 Korkud, Da‘wat al-nafs al-tāli wa al-bayyināt al-bāhira . ha . ilā al-a‘māl al-tāliha, . bi al-ayāt al-zāhira . (An Errant Soul’s Summons to Virtuous Works, through Manifest Signs and Splendid Proofs),
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position in that wide-ranging text, he felt sufficiently strongly about the matter to devote an entire treatise to the issue soon thereafter. At some point between June 1509 and his death in February 1513, Korkud completed a legal manual in Arabic which set out to clarify doctrinally correct allocation of plunder.13 Entitled Hall . ishkāl al-afkār fi h. ill amwāl al-kuffār (A Solution for Intellectual Difficulties Concerning the Proper Disposal of Infidel Properties), the text appears to have had two primary purposes: to rationalize property allocation among victorious participants in the ghazā’ military economy, and to argue against illicit sexual relations with concubines. While Korkud only referred to his personal experiences twice in the text, and never referred to his extensive dealings with the Knights, it is clear from his biography that Hall . ishkāl al-afkār was written from the point of view of an experienced practitioner rather than a purely theory-grounded legal scholar divorced from social reality. Building on the work of Majid Khadduri,14 Viorel Panaite has posited a comprehensive “~Ottoman Law of War and Peace” which took definitive form during the reign of Kānūnī Süleyman. According to Panaite, this “Ottoman Law” combined . sharī‘a norms, dynastic proclamations, treaty agreements, and customary expectations to constitute what can in retrospect be seen as a comprehensive “imperial law.”15 Hall . ishkāl al-afkār can be seen as a meditation on such rules of warfare, and an attempt to reconcile an imperial political system descendant from Mongol methods of corporate military rule with sharī‘a norms of conquest administration. As such, this text also provides hints to the evolution of Panaite’s “Ottoman Law of War and Peace.” The legal scholarship displayed in Korkud’s manual was not particularly original in itself, falling squarely within a far older Shāfi‘ī tradition of siyar literature. However, his scholarship did provide a new synthesis of older rulings which answered to particularly Ottoman concerns—and confirms for the modern historian that a healthy tradition of legal research was in evidence in Ottoman court circles during this period.
MS Aya Sofya, 1763, ff. 34b-36a; Cornell Fleischer, “From Şeyhzade [sic] Korkut to Mustafa Ali: Cultural Origins of the Ottoman Nasihatname,” IIIrd Congress on the Social and Economic History of Turkey, Princeton University 24-26 August, 1983, ed. by Heath. W. Lowry and Ralph S. Hattox, Istanbul, Washington, Paris, Isis Press, 1990, p. 72. 13 Internal references to seeking opinions from Egyptian scholars Zayn al-Dīn Abū Yahyā . Zakariyyā al-Ansārī . (d. 1520) and Qutb . al-Dīn al-Sunbātī . suggest that Korkud authored this undated text at some point after his 1509 arrival in Egypt. Hall ishkāl al-afkār fi hill . . amwāl al-kuffār, MS Aya Sofya 1142, ff. 51b, 56a. 14 Majid Khadduri, War and Peace in the Law of Islam, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1955, 321 p. 15 Viorel Panaite, The Ottoman Law of War and Peace: The Ottoman Empire and Tribute Payers, Boulder, East European Monographs, 2000, 561 p.
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Textual Analysis and Summary Hall ishkāl al-afkār is clearly attributed to Korkud in the title page, where he is . referred to as Abū al-Khayr Muhammad Qurqud (Korkud) al-‘Uthmānī b. Abī . Yazīd b. Muhammad b. Murād—extending all the way to the dynastic founder . ‘Uthmān.16 As stated in its introduction, the treatise was expressly written to clarify the legal requirements for proper plunder distribution and the ownership status of such property (inanimate and human). The treatise is organized topically, with eight sections addressing legal issues of plunder disposal which Korkud stated he had been unable to resolve over several years of investigation. Based on what is known about Korkud’s involvement in corsair activities, it is likely that many questions addressed in the text would have stemmed from actual property disputes encountered by Korkud while serving as governor of coastal provinces frequently engaged in ghazā’ conflict with the Knights and other Christian powers. Following a standard invocation praising the all-powerful Creator, Korkud explained his motivations for tackling this issue: From the very beginning of my dealing with the religious sciences, the ruling concerning a problematic issue has stirred my feeble mind. I could not find anyone to solve my problem. After I had been given the opportunity to thoroughly study the religious sciences and acquaint myself with the books of the recognized legal schools, the problems only grew further [margin: “what is intended by the problems that only grew further is the difficulty of how to enjoy male and female slaves”]. Then the matter became clear to me—God knows best, as He is the greatest and most high. At that point, I realized that the issue’s ruling could not be clarified without an explanation of other issues. Therefore, I had no choice but to write a treatise comprising all the issues as collected through the statements of both the later and the earlier scholars—augmented by research into the arguments. Every party is content about what one owns, but above everyone endowed with knowledge is the All-Knowing One. I have entitled the treatise: “A Solution for Intellectual Difficulties Concerning the Proper Disposal of Infidel Properties”.17 Korkud began his discussion on the legality of human sale through an examination of the khums principle (the “imperial fifth”) and the rights of plunderers
16 Kitab hall rabbihi al. ishkāl al-afkār fi hill . amwāl al-kuffār, lil-‘abd al-faqīr al-muftaqir ilā rahmat . ghānī al-muqtadir āmal al-fadl wa rājī al-hudā al-mannānī, Abī al-Khayr Muhammad . al-rahmānī . . Qūrqūd al-‘Uthmānī b. Abī Yazīd b. Mu hammad b. Murād b. Mu hammad b. Abī Yazīd b. Murād . . b. Orkhān b. ‘Uthmān, wa Allāh niyabu [?] awlādahu. Korkud,Hall . ishkāl al-afkār, Ia. 17 Korkud, Hall . ishkāl al-afkār, Ib-1a.
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according to sharī‘a tenets—particularly in their legal application toward concubines. The discussion opens with a quote from the fatāwa collection of noted Ibn Hanbal disciple Abū Bakr al-Qaffāl al-Marwazī (d. 888): . if today one purchases a jāriya (concubine), he is not permitted to mount her, because these umarā’ (commanders) have not extracted the khums from her on behalf of those who are entitled. Most of them do not even grant the rights of plunderers. For this reason, selling concubines and slaves is not permitted, as we have related18
Al-Marwazī’s objection to sexual relations with and unrestricted sales of concubines was essentially that military rulers of his own day had neither provided ‘ulamā’ (clerics) with their cut of concubine proceedings nor granted the rights of those who had physically obtained plunder on the field of battle. The reference to al-Marwazī’s objection at the outset suggests that some thought that the slave trade integral to the imperial kul-cāriye (slaving and concubinage) sys. tem had grown so corrupted that neither ‘ulamā’ nor ghāzī combatants were felt to be gaining sufficient benefit from the war economy—and that Korkud felt it necessary to answer this criticism. A quote from the Shāfi‘ī jurist Abū Muhammad Juvaynī (d. 1047) clarifies that . concubines are not sexually licit until such time as an imām adjudicates her portion favorably, and apportions her without prejudice or inequity […] As the khums is fixed and stable, one cannot abridge or discriminate in the selection of property—except by way of proper apportionment […] There is no dispute that the shared concubine is illicit for intercourse with all shareholders—with no difference between one who has a greater or lesser portion in her19
As Juvaynī’s statement shows, utilization of any shared plunder—especially concubines—is not licit until a recognized imām has adjudicated and apportioned the plunder according to sharī‘a protocols. By raising the issue of adjudicated allotment of plunder and the role of an “imām” in that process, Korkud appears to
18 Ibid., 1a. For summary information on al-Marwazī, see “al-Marwazī, Abū Bakr,” Encyclopaedia of Islam², vol. VI, p. 627a. 19 Korkud, Hall ishkāl al-afkār, 1a-b. This Juvaynī was the father of the renowned Ash‘arī theo. logian Imām al-Haramayn Juvaynī (d. 1085) cited elsewhere in the text. See Joseph Schacht, . “al-Djuwaynī, ‘Abd Allāh b. Yūsuf Abū Mu hammad,” Encyclopaedia of Islam², vol. II, p. 605a. . For more information on his more famous son, see Carl Brockelmann (L. Gardet), “alDjuwaynī, Abū ‘l-Ma‘ālī ‘Abd al-Malik,” Encyclopaedia of Islam², vol. II, p. 605a; and Imām al- Haramayn al-Juwaynī, A Guide to Conclusive Proofs for the Principles of Belief, trans. P. . Walker, Beirut, Garnet, 2000, pp. xix-xxv. Korkud appears to have considered Abū Mu ham. mad al-Juvaynī’s al-Tabassara to have been an important guide for such matters, as it was cited several times in concluding sections.
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have advocated a reform of military administration which would reconcile ghazā’ practice to sharī‘a norms, and would presumably lead to increased participation of the religious classes in the ruling process. At the same time, as the term “imām” by the 16th century was also applied to rulers, imperial officials were perfectly capable of claiming the adjudication right of the “imām” in this statement through their capacity as representatives of the ruling Ottoman imām (i.e. Bayezid). For this reason, Korkud appears to have been advocating religiously-sanctioned centralization of plunder allocation through the institution of the Ottoman imām. In addition, the fact that Korkud was previously referred to as “the very learned imām” (al-imām al‘allāma) in his Da‘wat al-nafs al-t.ālih. a suggests that this assertion concerning the primacy of imāms was intended to support his own role in adjudicating plunder allocation.20 Following these introductory restrictions on the sale of concubines based on violation of the khums principle, several variant viewpoints concerning the legal foundation and correct implementation of the khums were presented. Throughout this first section Korkud cited a number of counter-consensus arguments raised by a certain 21 Tāj al-Dīn al-Fazārī, also known as Ibn al-Farkāh. . Each argument was refuted point by point through quotations of various scholars, primarily the influential Shāfi‘ī jurist al-Nawawī (d. 1277).22 Ibn al-Farkāh. ’s minority legal opinions included those that: reserve all rights over concubine allotment for rulers rather than ‘ulamā’; eliminate the necessity of an imām to divide plunder altogether; offer complete freedom of an imām to apportion plunder in any fashion deemed suitable; allow an imām to freely allocate plunder with inequitable preferences; and claim that the khums requirement was limited to the Prophet’s lifetime alone. Through discussion of and refutation of these variant viewpoints, Korkud’s views on doctrinally correct principles of khums implementation were clarified, namely that: khums is an inviolabe sharī‘a principle which cannot arbitrarily be waived or significantly altered; plunder is not to be apportioned until all Muslim combatants have returned to Dār al-Islām from Dār al-Harb; . any extra allotments of plunder must come from the imām’s share; and no plunderer can obtain legal property rights over booty until after an imām has completed the apportionment process.23 The next set of issues addressed concerned rights over Dār al-Harb property . obtained through thievery, embezzlement, or abandonment as opposed to pro-
20 Korkud, Da‘wat al-nafs al-tāli . ha, . 423. 21 I have to date been unable to locate information on this scholar. 22 For information on al-Nawawī, see W. Heffening, “al-Nawawī, Muhyī . al-Dīn Abū Zakariyyā’ Yahyā, . ” Encyclopaedia of Islam², vol. VII, p. 1041a. 23 Korkud, Hall ishkāl al-afkār, 1a-26b. .
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perty obtained through proper imām-sanctioned combat. Korkud first quoted those scholars who concluded that such assets become the full private property of those who steal, embezzle, or find such property in enemy territory. According to this school of thought, only property obtained through sanctioned battlefield defeat of combatants is subject to the khums system of assessment—with all other means of obtaining infidel property resulting in full private possession.24 Against such viewpoints, it was asserted that any Muslim entering Dār al-Harb with a . guarantee of safe passage must not steal anything, as the system of reciprocal safe passage is vital for both sides. In cases of failing to obtain safe passage or holding such passage secretly, the madhhabs differed. Juvaynī stated that goods stolen from enemy territory counts as divisible fay’—plunder without fighting—if it was obtained through pre-meditated actions, and that the status of the assets depend on the intent when the property was seized. Viewpoints of various Shāfi‘ī and Hanafī . scholars concerning the three possibilities of the legal status of such items and people were then presented, whereby such property is either: plunder subject to the khums principle, stolen items which become the thief ’s private property, or stolen items which must be returned to the original owner.25 As all scholars agreed that property status revolves around the sanction of an imām, Korkud pointed out that one’s intent in battle must be geared toward jihād rather than doctrinally subservient personal gain. In the course of offering his personal opinion on the matter of intent, Korkud asserted as well that those who support such jihād must also receive a share of plunder, even if they do not fight directly. Examples given included craftsmen, merchants, animal drivers, and those who protect commodities. Korkud then insisted that local understandings of religious points may not differ from Islamic consensus due to differences in language—and that all items or persons taken from Dār al-Harb are to be treated . as ghanīma (combat plunder) and divided according to the khums principle. The inclusion of these points may signal that Korkud intended his treatise to be read by Muslims of variant geographic origins, well beyond Ottoman borders. Finally, he clarified that in cases where there is a possibility of original Muslim provenance of goods taken from enemy territory, scholars disagreed about what action is to be taken.26 In each possibility presented in this section’s review of potentially variant cases, Korkud sided with those scholars who insisted on applying the khums principle to any property taken from enemy territory—thus ensuring both that those with a right to the khums obtained their 20 cut of plunder and that no
24 Ibid., 26b-27a. 25 Ibid., 27a-32b. 26 Ibid., 31a-32a.
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human assets were to be exploited prior to a religiously-sanctioned, and ultimately imperial, allocation of property rights. Likewise, Korkud’s statements suggest that he felt the need to defend the interests of those who supported the ghazā’ war economy without directly engaging in combat—a point which further justifies the imperial imposition of khums taxation on ghāzīs profiting from plunder. Another issue concerned the allocation of plunder in the absence of an imām. According to the same Abū Muhammad Juvaynī cited earlier, in this case an arbi. trator must be appointed by the relevant group and his decisions must be respected. Concurring with Juvaynī’s ruling, Korkud added a caveat quoted from the Egyptian Shāfi‘ī legal scholar al-Subkī (d. ca. 1368) to the effect that the arbitrator must be a properly qualified sharī‘a expert (mujtahid faqīh) for the apportionment to be fully legitimate.27 Taken together, it is clear that Korkud supported increased clerical participation in ghazā’ activities, as well as sanctioning the role of imperial officials as plunder arbitrators, if not as representatives of a proper imām. A brief chapter was then devoted to clarifying the status of contracted combatants, which would have applied to Korkud’s sea ghāzī interlocuters in this age of freelance protection rackets. Again citing Juvaynī, Korkud stated that when a commander (amīr) hires a group for a raid (ghazw), if he contracts them with a salary and forbids them to apportion the plunder, then that patron must still apply the khums principle, whereby he can keep 80 of the plunder for himself and the remaining 20 must be set aside as with normal plunder. Once the assessment has been completed, concubines become licit for sexual encounters—but not before. In a margin note, it was clarified that if such combatants’ names are recorded in a jihād register rather than contracted as salaried fighters, then their sustenance is to come from the 80 of plunder which is rightfully their’s as mujāhidūn, or ghazā’ combatants.28 These rulings effectively prohibited all contracted combatants, such as whichever corsair captains operated under limited mercenary contract rather than ghāzī status, from having licit sexual encounters with captured concubines. Such individuals captured by mercenary combatants were reserved for their post-allotment owners, in this context most likely referring to Ottoman royalty such as Korkud himself. Considering that elsewhere Korkud emphasized the role of imams in adjudicating the fifth, he appears to be suggesting here that as the contracting amīr he would be entitled to 80 of each individual captured
27 Ibid., 38b. For further information on al-Subkī, see Joseph Schacht, “al-Subkī,” Encyclopaedia of Islam², vol. IX, p. 743b. 28 Korkud, Hall ishkāl al-afkār, 38b-39a. .
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by contracted sea ghāzīs, and as the representative of the imām of his day he would be entitled to dispose of the remaining 20. The margin note served to remind readers of the difference between contracted combatants and ghāzī combatants—mercenaries were to receive a salary, while ghāzīs were to gain sustenance from their 80 share of plunder. Another issue concerned the status of abandoned properties taken from Dār al- . Harb during a campaign.29 Citing al-Nawawī, Korkud concluded that such properties are to be treated as ghanīma battle plunder, in accordance with Shāfi‘ī doctrine. Even if judged to be fay’ (non-combat) plunder, as in other doctrines, such properties are still subject to the khums assessment.30 Again following Juvaynī, Korkud also stated that if claimants over such properties are known, then such abandoned properties are to be turned over to a judge for proper legal assignment, as with other cases of abandoned properties. Such rulings prevented raiding parties from claiming that assets recovered from enemy territories were to be treated as full private property due to their prior abandonment. This interpretation allowed imperial officials to assert full khums apportionment rights over each and every item or person brought into imperial territories from infidel territories. Occasions whereby a ruler granted combatants specific gifts from amongst the plunder also required clarification. Following al-Nawawī, if a sultan grants such items or people to combatants from within the general pool of plunder prior to apportionment, then the khums principle must still be applied to those items. However, if the ruler grants any combatant nafal (specific extra properties from the ruler’s own portion of the plunder following apportionment), then such assets become the full private property of that combatant.31 In an Ottoman context, this ruling allowed royalty to grant supplementary rewards to fighters from their own portion of plunder, but prevented combatants from claiming that specific properties were rewarded to them as supplementary plunder allotments in the field— thus rendering them eligible for exemption from the khums assessment. The next section addressed the legal implications of emancipation and/or marriage of concubines. Following Abū Muhammad Juvaynī once again, if someone . emancipates his/her portion of a slave, it is valid for that portion.32 If one wishes 29 Ibid., 39a. 30 Differences come in how the various doctrines classify the plunder’s disposability according to origin, and thus how the ghāzī’s 80 should be spent, see Korkud, Hall ishkāl al-afkār, 39a. . 31 Ibid., 39a-b. 32 Ibid., 39b-40b. This was not merely a theoretical issue. In August 1501 an order was sent to the kā . dīs . of Tire and Peçin concerning an emancipated concubine who had converted to Islam and married her sipahi owner. According to the order, an official named Kul . ‘Alī who had been sent to investigate local captives taken from Rhodes and Chios (Sakız) had reportedly been “oppress-
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to marry his concubine, he must gain permission from the ruler in addition to that of the emancipated concubine, due to the ruler’s 20 share in the concubine’s ownership. If a concubine is freed within the palace, then it depends on the concubine’s mode of valuation and any outstanding compensation owed to remaining shareholders. As Juvaynī concluded, Korkud judged that it would be prudent to pay the ruler his khums value for a concubine. If several partners share ownership of a concubine, then one should pay one’s partners’ shares off prior to emancipation. As with his other conclusions, Korkud’s opinions here appear intended to prevent arbitrary disposal of human assets by ghazā’ combatants. Additionally, it encouraged 20 treasury payments for each concubine transaction, sanctioned state intervention in certain marital decisions, and supported shareholder rights over human assets.33 The final set of opinions concerned the licitness of mixed transactions consisting of both permitted and forbidden goods, and the legal status of such sold items. Generally speaking, such mixed transactions are not allowed as such, although permitted portions of such transactions are allowed if they can be isolated from the rest of the transaction. Forbidden portions of such mixed sales are always invalid. If one cannot isolate a permitted portion, then the entire sale is invalidated. If a forbidden portion of a mixed sale has any effect over the permitted portion, then the entire sale is invalidated.34 Following a detailed survey of opinions concerning such mixed transactions, Korkud presented the following concrete rules concerning slave and concubine mixed sales according to his reading of correct sharī‘a norms: Buyers—not sellers—should distribute purchase prices according to constituent parts of sales. One cannot knowingly unite h. arām (forbidden) and h. alāl (permitted) transactions in one sale. If a buyer knows that a portion of a transaction is forbidden, it is invalidated. If one pledges, marries, or donates mixed transactions of human assets, then the permitted portion of the transaction is confirmed. If a buyer is ignorant of forbidden aspects of transaction, he is not liable for an entire invalida-
ing the subjects contrary to sharī‘a.” After the concubine had converted to Islam and married, an infidel came and claimed her as his wife. While her sipahi husband was travelling, the infidel took the concubine, and they fornicated on several occasions. In response to this complaint, the two judges were ordered to investigate the matter, enforce the proper sharī‘a regulations in this case, and ensure the regular enforcement of such regulations throughout the area. İlhan Şahin and Feridun Emecen, Osmanlılarda Divān - Bürokrası - Ahkām: II Bayezid Dönemine Ait 906/1501 Tarihli Ahkām Defteri, Istanbul, Türk Dünyası Araştırmaları Vakfı, order #275, dated mid Dhū al-Hijja 906 [early August 1501]. . 33 Korkud, Hall . ishkāl al-afkār, 39b-40b. 34 Ibid., 40b-50b.
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ted sale. If, however, a buyer permits a mixed transaction, he is liable either for the entire price or the apportioned value of an invalidated sale.35 Each of these conclusions strengthens the buyer against the seller in transactions involving human assets. Considering that the Ottoman house frequently purchased concubines and other human assets on the slave market supplied by sea ghāzīs competing against corsairs backed by the Knights of St. John, Venice, the Mamluks, and other players, such a legal conclusion from an Ottoman prince is not unexpected.
Hall ishkāl al-afkār’s Conclusions . After explaining the eight sets of contested issues which Korkud felt the need to clarify, he concluded with the following opinions vis-à-vis concubines: Concubines are the shared property of co-owners. Sale of a shared concubine prior to khums assessment applies only to that portion—the rest remains shared. No intercourse or service is licit prior to adjudicated assessment. The previous rule does not apply to gifts, in which case emancipation of one’s share applies to all shares of a concubine and a debt is subsequently owed by the emancipating shareholder to any remaining shareholders There is no salvation in the afterlife except through the cessation of buying and selling of such emancipated gift concubines.36 These statements confirm one of Korkud’s primary agendas for the treatise, namely supporting clarification, regulation, and restraint in transactions involving human assets. By stating that eternal salvation can only be achieved through cessation of sales in emancipated concubines, Korkud appears to have been hinting at a personal preference for emancipation—as well as a possible distaste for the entire trade. In order to clarify the legal status of concubines based on their original status, Korkud then quoted opinions by al-Subkī on five hypothetical concubine cases: If a convert to Islam in her own country, she is to be freed immediately. If a non-believer who had been granted either dhimmī status or safe passage, she is to be freed. If a non-believer from amongst the ahl al-Harb who was previously owned . either by a combatant kāfir or another individual, she can be purchased 35 Ibid., 47a-50a. 36 Ibid., 50a-b.
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If a non-believer from the ahl al-Harb who was captured in battle, and her . master was another kāfir who had also been defeated, she can be purchased. If a non-believer from the ahl al-Harb who had not previously been a slave and . had it imposed upon her by a Muslim, she is to be treated as plunder, in accordance with the khums principle.37 In the midst of an extended restatement of conclusions reached in the treatise’s eight sections, Korkud related the topic to his own milieu by describing his search for clarification from two Egyptian clerics.38 Firstly, he had requested a fatwā from Zakariyyā al-Ans. ārī (d. 1520) concerning a particular concubine’s proper status as plunder subject to assessment. Secondly, he had listened to Qut. b al-Dīn al-Sunbāt. ī describe common practice in the Egyptian provinces. According to al-Sunbāt. ī, slave transactions were conducted through the intermediary of a sayyid, and 20 of each transaction price was paid into the Mamluk treasury in order to account for the khums principle. Korkud’s final conclusions included the following, each of which appears intended to defend Ottoman imperial interests vis-à-vis their own ghāzī interlocutors:39 - All property—no matter how obtained—brought back from Dār al-Harb to . Dār al-Islām is to be treated according to the khums principle. - There is no legal difference between large or small groups of raiding parties. - No raids are legal without the sanction of a recognized imām. - If a female Muslim is captured as plunder, she is to be released immediately— although all shareholders’ interests must be protected.
The Significance of Hall ishkāl al-afkār . While Korkud referred to personal experiences only twice in Hall . ishkāl al-afkār, it is evident that this text carried contemporary relevance, betraying the point of view of an interested, engaged, and experienced practitioner rather than that of an isolated legal scholar interested solely in theoretical continuity. As the son of a palace concubine and the governor of various Aegean and Mediterranean coastal provinces, Korkud dispatched imperial forces under his command to combat the Knights, exchanged prisoners with the Knights, ordered one sea ghāzī not to
37 Ibid., 52a-b. 38 Ibid., 51b, 56a. 39 Ibid., 50b-58b.
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harass dhimmī populations, and had strong ties with several corsair captains. His personal profile suggests that the text’s legal scholarship was meant to address a genuine desire for clarification within Ottoman circles for religiously-sanctioned norms of military conduct in a milieu characterized by the growth in relevance of such imperially-backed corsairs, or sea ghāzīs. In the course of providing such clarification, it appears that Korkud asserted legal conclusions designed to support increased imperial regulation of and control over the slaving industry while strengthening the principle of khums taxation over all property obtained from enemy territory. This obscure legal manual, which has attracted no attention whatsoever in modern scholarship beyond brief summaries of its contents,40 offers several insights into the Ottoman socio-cultural milieu just after the turn of the sixteenth century—a time when the empire was on the verge of embarking on its own “Age of Exploration.”41 As a prescriptive legal text authored by a politically active royal figure, Hall . ishkāl al-afkār also demonstrates that certain tentative moves towards an “Ottoman-Islamic synthesis” were well underway during Bayezid II’s reign.42 The fact that Korkud advocated a Shāfi‘ī approach to questions of legal probity suggests that the Ottoman preference for the Hanafī madhhab was either not uni. versal, or not yet in place by this generation. Although Korkud’s work does not offer a solution to the stubborn theoretical riddle of Ottoman motivation and the posited “ghāzī ethos,”43 it does demonstrate that issues of ghazā’ practice merited original legal scholarship within high imperial circles. The conclusions reached in this text demonstrate that at least one leading ghazā’ royal patron hoped to regulate the ghazā’ economy, the concubine trade in particular. The implications of Korkud’s legal analysis extend beyond property disposal, however. By criticizing the practices of human trafficking in general and unrestrained sexual license with newly captured concubines in particular, Korkud
40 Gökbilgin [Korkut, 859] and Uzunçarşılı [Sultan Korkut, 598] each provided single paragraph summaries of the text’s contents. 41 For a comprehensive discussion of the Ottoman drive to explore and engage with the Indian Ocean basin—which began just after the completion of this text, see Giancarlo Casale, The Ottoman Age of Exploration, Oxford, University Press, 2010, 281 p. 42 For discussions of the evolution of this “Ottoman-Islamic synthesis,” Irène Beldiceanu-Steinherr, “Le règne de Selim Ier: tournant dans la vie politique et religieuse de I’Empire Ottoman”, Turcica, 6, 1975, pp. 34-48; Cornell Fleischer, Bureaucrat and Intellectual in the Ottoman Empire: The Historian Mustafa Ali (1541-1600), Princeton, NJ, PUP, 1986, pp. 253-272; Ahmet Ocak, Zındıklar ve Mülhidler. 15-17 Yüzyıllar, Istanbul, Türkiye ekonomik ve toplumsal tarih vakfı, 1999, 418 p. 43 For a discussion of this longstanding debate which originated with Paul Wittek [The Rise of the Ottoman Empire, London, Royal Asiatic Society, 1938], see Linda Darling, “Contested Territory: Ottoman Holy War in Comparative Debate”, Studia Islamica, 91, 2000, pp. 133-163.
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appears to have desired greater imperial regulation of and control over such sea ghāzī actors. If nothing else, Korkud’s Hall . ishkāl al-afkār demonstrates a genuine desire for clarification within Ottoman circles for religiously sanctioned norms of military conduct in the early 16th century. Considering the increased profile of Sunni Islamic identity within imperial circles and the increased bureaucratization of military practice which evolved in the two generations following Korkud’s, it would appear that his arguments posthumously carried the day.
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Crime and Scandal in Foreign Relations of the Mamluk Sultanate: Espionage and Succession Crises linked to Cyprus Carl F. Petry | Northwestern University (Evanston, Il)
This study focuses on a comparison of two episodes illustrative of politics between Christian and Muslim states in the Mediterranean basin during the ninth Hijrī/ fifteenth century C.E. The earlier is minimally known outside the field of medieval Egyptian history, specifically the era of the Mamlūk Sultanate—but significant to its foreign policy nonetheless.1 The latter occupies a place of moderate prominence in European Medieval and Crusader history, and is well documented in the indigenous narrative literatures (Arabic and Greek).2 The first is the espionage trial of a Persian merchant active in Mamlūk Egypt, one Nūr al-Dīn ‘Alī al-Tabrīzī al-‘Ajamī, which occurred in Jumādā I 832/March 1429; the second involves controversy over an appeal to the Mamlūk Sultan al-Ashraf Īnāl by the aspirant to the Cypriot throne, James of Lusignan (the ‘Bastard’), for support of his claim against the succession of his half-sister Charlotte, whose legitimate status had resulted
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The most detailed version of this event: Abū l-Mahāsin Yūsuf Ibn Taghrī-Birdī, Al-Nujūm al. Zāhira fī Mulūk Misr Muhriz, Fahīm Muhammad Shaltūt, . wa-l-Qāhira, ed. by Jamīl Muhammad . . . Cairo, General Egyptian Book Organization, 1971, v. 14, p. 324. Briefer references: Taqī al-Dīn alMaqrīzī, Kitāb al-Sulūk li-Ma‘rifa Duwal al-Mulūk, ed. by Sa‘īd ‘Abd al-Fattāh ‘Ashūr, Cairo, National Library Press, 1972, v. 4, p. 795; Nūr al-Dīn Ibn al-Sayrafī al-Jawharī, Nuzhat al-Nufūs wa-l-Abdān fī Tawārīkh al-Zamān, ed. by H. Cairo, National Library Press, 1973, v. 3, p. . Habashī, . 149. Secondary sources on this affair are rare, one exception being: Franz-Christoph Muth, “Ein Hochverratsprozeß in Kairo zu Beginn des 15. Jahrhunderts-Verlauf und Hintergründe der sog. Tabrīzī-Affäre”, in Norm und Abweichung. Akten des 27. Deutschen Orientalistentages (Bonn-28. September bis 2. Oktober 1998), ed. by S. Wild and H. Schild, Würzburg, Ergon Verlag, 2001, pp. 373385. In this article Muth deals with the different versions of this story within Mamluk historiography. For the contested succession, Ibn Taghrī-Birdī’s Nujūm al-Zāhira is the primary Arabic source, v. 16, p. 132 sqq. The primary Greek source is by the Cypriot chronicler George Boustronios, The Chronicle of George Boustronios, 1456-1489, translated by R. M. Dawkins, Victoria, University of Melbourne Press, 1964, 84 p. The standard secondary reference remains George F. Hill, A History of Cyprus, Cambridge, Cambridge University Press, 1940-1952, 4 vols.
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in James’ exclusion. This episode occurred almost exactly three decades later, in Ramadān . 863/May 1459. The following commentary will address these events primarily from the perspective of the Arabic chronicler who discussed them in detail: Abū l-Mahāsin . Yūsuf Ibn Taghrī-Birdī.3 A brief outline of the two episodes is in order. With regard to the trial of al-Tabrīzī, he was arraigned by order of Sultan Barsbāy before the Mālikī chief justice (qādī) . on charges of unbelief (kufr), heresy and atheism. Following a review of his case by all four supreme justices, al-Tabrīzī was beheaded for his crimes. This individual had traveled to Ethiopia (ar. al- Habasha, specifically the Amharic Christian . kingdom under the Solomonic dynasty, est. 1270 C.E.) where he had befriended 4 its ruler, known in Arabic as al-Hattī. Ibn Taghrī-Birdī alleged that al-Tabrīzī’s . spiritual convictions were dubious if not hypocritical; his true passion being the acquisition of wealth. He had gained al-Hattī’s admiration by willingly crafting . ceremonial apparel and liturgical items adorned with Christian symbols, and by purveying costly armaments manufactured in Egypt. Ibn Taghrī-Birdī also stated that al-Tabrīzī openly disparaged the Islamic religion and may have committed apostasy by converting to Christianity. He readily embraced al-Hattī’s scheme of invading Egypt from the south in response to . the Sultanate’s invasion of Cyprus and capture of its king, Janus (ar. Jaynūs). AlTabrīzī was subsequently sent across the Sahara to the Maghrib and on to Europe (realms of the “Franks”, likely Aragon) bearing a missive urging the Franks to attack Egypt by sea at a time coordinated with the Ethiopian expedition. When alTabrīzī reached his ultimate destination, he was positively received and provided a ship conveying him back to Egypt (from where he presumably would contact al-Hattī). But Ibn Taghrī-Birdī mentioned that the Europeans harbored suspicions .
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Statement about Ibn Taghrī-Birdī’s sources for the two incidents: With regard to the first, which preceded Ibn Taghrī-Birdī’s personal witness, the source was likely records of the inquest into al-Tabrīzī’s secret mission following his arrest in Alexandria. Maqrīzī and Ibn al- Sayrafī added . nothing new and seem to summarize Ibn Taghrī-Birdī’s version, even though the former preceded him. With regard to the contested confirmation, Ibn Taghrī-Birdī was a regular attendant at court during the several years when this event played out. His account reads as from a personal log, or notes compiled by an on-site observer to which Ibn Taghrī-Birdī gained access. Ibn Taghrī-Birdī made direct references to briefings furnished by officers or couriers returning from Cyprus; otherwise he specified no sources. Muth identifies him with the Ethiopian ruler Yeshaq . (1414-1429) from the Salomonic dynasty and strengthens the argument that the embassy of al-Tabrīzī was indeed send to King Alfonso V. of Aragon (1396-1458), who apparently received two envoys in Valencia in 1427, see: F. C. Muth, “Ein Hochverratsprozeß”, art. cit., p. 381.
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about al-Tabrīzī’s credibility and trustworthiness. They also weighed the risks of antagonizing the Sultanic regime, with whom they maintained profitable commercial ties. In any case, when al-Tabrīzī arrived in Alexandria with a retinue of Ethiopian monks, a Muslim on board previously enslaved by the Europeans informed the authorities of his intentions. His ship was impounded and his missives discovered. Al-Tabrīzī’s offer to disclose other conspirators active in the plot failed to absolve him and he was duly executed. With regard to the appeal by James (ar. Jākum) of Lusignan, he had arrived at the Cairo Citadel, seat of the royal court, to request support from Sultan Īnāl for his claim against his half-sister. Ibn Taghrī-Birdī noted that he was “the product of adultery, or some such condition that de-legitimized his succession in their (confessional) community”. Over the next several months, James ingratiated himself among senior officers and veteran soldiers in Īnāl’s entourage—to the extent that the sultan formally acknowledged James as the legitimate claimant and appointed him his governor over Cyprus. The sultan chose the court’s observance of the Prophet’s birthday for this endorsement, an act inappropriate to many but possibly indicating that James’ commitment to his own faith was pliable. The Sultan ordered the outfitting of a fleet to transport an expedition to Cyprus (Ibn Taghrī-Birdī noting that its supervisor oversaw preparations “steeped in corruption”). At the same time, Īnāl sent an emissary, one Taghrī-Birdī al-Tayyārī . (no relation to the historian), to Cyprus with the agenda of informing James’ supporters there of the regime’s planned invasion. When the emissary returned some months later (Jumādā II 864/March 1460), he was accompanied by a divided delegation of Cypriots—two opposing factions, one in support of James, the other backing his half-sister Charlotte (depicted only as his sister in the Egyptian narrative). Over the following weeks, the two factions argued their cases before the sultan and his senior coterie, and when Īnāl finally announced his confirmation of endorsement (Sha‘bān 864/May 1460), he stunned the assemblage by naming the sister as legitimate claimant, openly abandoning James. The latter, in attendance anticipating his own endorsement, reacted furiously but was ordered summarily to leave. At this moment, a band of veteran Mamlūks denounced their sovereign’s crass betrayal, demanded confirmation of James’ claim, tore up the brevet of acknowledgment for Charlotte and expelled her delegation from the assembly hall. Intimidated by the vehemence of their denunciation, and the threat it posed to his own security, Sultan Īnāl immediately reversed himself and restored his confirma-
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tion of James.5 A week later Īnāl formally set the departure date for the expedition against Cyprus, declaring it a jihad - his choice of term raising issues about James’ flexible stance with regard to religion. The subsequent events of James’ venture, as depicted by Ibn Taghrī-Birdī, are less germane to the context of this analysis. Relevant aspects will be noted in due course. But in brief, the expedition succeeded in establishing James in Famagusta, from where he and the Mamlūk officer, Jānibak al-Ablaq (piebald), with whom James shared command, laid siege to the forces backing Charlotte in the town of Sharāna (likely Kerynia). Charlotte managed to escape to Rhodes, from whence she appealed for aid from Genoa. By Jumādā II 868/March 1464, James had solidified his rule over much of Cyprus, and was recognized as governor by Īnāl’s ultimate successor, Khushqadam. His division of power with Jānibak was under strain apparently, and when the latter received wide censure for conduct unbecoming (including violation of youths), the two openly clashed. After Jānibak struck James so violently that he fainted, the governor’s entourage cut Jānibak down. His murder stimulated an uprising against the Mamlūk occupation that resulted in the consolidation of James’ rule and erosion of Mamlūk authority over the island.6 5
6
According to G. Boustronios (p. 20, paragraphs 41-42), soon after Charlotte was enthroned and married (to Louis of Savoy), the Cypriot ruling council that had endorsed her sent emissaries to Cairo seeking the Sultan’s confirmation. Although the Sultan “showed them a favorable countenance,” the envoys succumbed to a plague epidemic, necessitating the dispatch of a second envoy, one Peter Podocataro, who, after presenting Charlotte’s request and gifts, “at once went to the emirs with his gifts.” When James (referred to as Apostole) learned of this development, he was gravely alarmed. But his close advisor, Brother William (Goneme, of the Order of St. Augustine), proceeded immediately to the Mamlūk officers with an aide fluent in Arabic, “and spent all night treating with the emirs. And he brought about all that he wished”. Upon his return to James, William informed him that the Queen’s envoy was scheduled to receive her robe of confirmation the next day. According to Boustronios, Sultan Īnāl seemingly planned to grant James his own robe of confirmation simultaneously. But the assembled amīrs, acting on their covert negotiations with William, “cried out all with one voice: “Long live King James!” And they seized the royal robe and put it on Apostole. Also they handed over to him the envoys sent by Charlotte; all the robes of the earlier envoys they gave into the hands of King James. Also they handed over to him the envoy from Rhodes and all the men from Savoy. At once the sultan ordered the fleet to convey Apostole to Cyprus. And when this was known to King Louis and to the queen they went to Kerynia. Many men went out to the villages and the town of Lefkosia was left empty. Many also went to Famagusta.” On the issue of residual Mamluk claims of suzerainty over Cyprus and continued sporadic payment of tribute, see Albrecht Fuess, “Was Cyprus a Mamluk Protectorate? Mamluk Policies toward Cyprus between 1426 and 1517,” Journal of Cyprus Studies, 11, 2005, 28/29, pp. 21-22; Id., Verbranntes Ufer: Auswirkungen mamlukischer Seepolitik auf Beirut und die syro-palästinesche Küste (1250-1517), Leiden, Brill, 2001, pp. 49-50. With regard to contrasting versions of the clash between James and Jānibak following the former’s restoration: One of the more interesting developments in the contested succession emerged from tensions mounting between James and the Mamlūk officer described by Ibn Taghrī-Birdī as the resident commander of the Egyptian squadron that had enabled James’ reinstatement. According to Ibn Taghrī-Birdī (p. 285, line 12),
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So, what to make of these developments? First of all, note the ongoing resonance of Cyprus as a factor in Mamlūk foreign policy. Ever since the establishment of Lusignan control over the island during the Third Crusade (specifically after the island’s sale to Guy de Lusignan by the Templars in 1192, under the aegis of Richard I Coeur de Lion), corsairs operating from its ports had sporadically harassed commerce along the Egyptian and Syrian coasts. The Sultanic regime in Cairo came to regard the Lusignan dynasty in Cyprus as, at the least, passively tolerating, if not actively abetting, activities it regarded as piracy. Tensions ultimately culminated in the invasion carried out under the sponsorship of Sultan Barsbāy in 830/1426, as noted above. While sustained Mamlūk rule over the island was neither envisioned nor desired, the Sultanate did succeed in dissuading the Lusignan monarchy from pursuing these aggressive ventures against its shores. The locus of piracy shifted to the island of Rhodes under the Knights of St. John. The Cairo
James had turned Famagusta over to Jānibak al-Ablaq to garrison while he secured his formal rule on the island. But Jānibak allegedly behaved “perversely,” abusing the populace and preying upon “comely youths.” The locals accused Jānibak of violating the morals of his own religion. When James was apprised of Jānibak’s behavior, he sent messengers ordering Jānibak to desist. But after Jānibak beat the first and either wounded or killed the second, James was obliged to confront Jānibak personally. Their encounter led to a physical altercation, with James swooning from Jānibak’s blow. Either James’ retainers or the local populace reacted by murdering Jānibak and 25 of his soldiers. James then assumed control of Famagusta. Boustronios’ version differs completely (p. 30, paragraphs 88-91). The Cypriot chronicler claimed that James intended to eliminate Jānibak soon after his return. He had sent one of his own officers: Nicholas Morabit (known as Counella), in advance of Jānibak to take over the Famagusta citadel. When Jānibak arrived, presumably acting on a pre-arranged assumption of command, Counella refused him entry. Upon sending a complaint to James, Jānibak received orders from James to station his men at another site: Amasaria. Meanwhile, at his base in Lefkosia (Nicosia) James had assembled Frankish and Greek troops and ordered them to terminate Jānibak and his contingent. Following this betrayal, a new character complicated the scenario: Jānibak’s sister. Described by Boustronios as “a great lady in Cairo”, this individual demanded that Sultan Īnāl avenge her brother’s murder. But James himself sent an envoy to his patron claiming that Jānibak had plotted his own death. The sister’s pleas failed to move the sultan, whom James had promised to double the island’s annual tribute payment from the 8000 ducats sent by the abducted former monarch, Janus. Boustronios then stated that, following this rebuttal, Jānibak’s sister took matters into her own hands. She sent an Egyptian to Famagusta in the guise of a merchant. Locating James there, he attempted his assassination, but was himself cut down. James survived the incident and consolidated his position. Ibn Taghrī-Birdī raised doubts about the accuracy of his version, which he received from James’ own emissary, one Ya‘qūb al-Firanjā, sent to explain Jānibak’s death to the sultan. He made no mention of the promised increase in tribute, the prospect of which probably carried more weight with Īnāl than any allegation of dalliance or perversion on Jānibak’s part. But Ibn Taghrī-Birdī’s complete omission of reference to the appeal by Jānibak’s sister for justice remains inexplicable, since he was better positioned than Boustronios to learn of it. Boustronios himself provided no details on his source for information coming from Cairo. Ibn Taghrī-Birdī’s Manhal al- Sāfī . included no biography for Jānibak since its compilation preceded his death. The brief biography in al-Sakhāwī’s Daw’ al-Lāmi‘, op. cit., (v. 3, p. 57, # 233) offers no additional details.
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regime remained prepared to exploit opportunities for engagement with Cyprus when they arose—such as the dispute between James and his half sister. Nor should the reaction of Christian powers in the region be ignored. The alleged impetus behind the Ethiopian monarch al-Hattī’s endorsement of al-Tabrīzī’s es. pionage mission to the Franks thirty years earlier was Sultan Barsbāy’s occupation of Cyprus and abduction of its king Janus. Sultan Īnāl readily welcomed the pretender James as a client worthy of support. He did so for a pragmatic reason—a signal occasion to re-assert lapsed Egyptian influence over the Lusignan house. Placement of a grateful client on its throne was certainly to the Sultanate’s advantage. Īnāl clearly did not regard James’ illegitimate status as a factor that either disqualified or even sullied his claim. It would seem that the requirement under Islamic inheritance law for formal, contracted marriage to prove a licit paternal tie was conveniently ignored—since James’ paternity could be interpreted to issue from the equivalent of legal concubinage, which of course Christian canon law did not recognize. It is indeed possible that James was aware of this contrast between inheritance statutes of the two legal systems, and sought to exploit it when promoting his case before the Sultan’s entourage. What about the issue of religious rivalry? This is a very complex question, which the contrasting contexts of the two incidents illustrate. With regard to the Tabrīzī affair, abetting religious conflict lay at the base of his crime. When Ibn TaghrīBirdī quoted the formal proclamation justifying al-Tabrīzī’s execution, it employed the verb ‘yalcubu,’ (form one) literally “to play with” or “dupe” the two religions (Christianity and Islam). Ibn Taghrī-Birdī relentlessly harped on the ambiguity of al-Tabrīzī’s spiritual convictions, asserting that the true motive behind his deceit was money, pure and simple. It is significant to note that Ibn Taghrī-Birdī did not overtly tie al-Tabrīzī’s ethnicity to his religious identity whatever that was. Al-Tabrīzī’s heritage, if not his birthplace, was Persia, a region soon to experience a wrenching conversion from Sunnism to Ithnā-cAsharī Shi‘ism under the Safavids. Ibn Taghrī-Birdī never mentioned the term Shi‘ism in this episode, but the religious ambiguity often associated with Iranian expatriots in Egypt during this period should not be discounted. Al-Tabrīzī’s readiness to ingratiate himself with al-Hattī, and to supply him with ceremonial garments embroidered with . Christian crosses, are pointedly underscored in the historian’s version of his venture to Ethiopia.
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In stark contrast with the Tabrīzī incident, religious antagonism played no discernible role in the affair of James’ claim—at least according to Ibn Taghrī-Birdī. James’ motives, those of his sponsor Īnāl, and presumably of his rival, Charlotte, were depicted as exclusively political. With two minor exceptions: an indirect allusion to the Christian concept of legitimacy (phrased “in their community”, p. 132), and ire over the impropriety of honoring James during the court’s observance of the Prophet’s mawlid (birthday celebration) (p. 136), no reference to religion appeared throughout Ibn Taghrī-Birdī’s narrative. For James, the objective was his exclusive right of succession despite the stain of illegitimacy; for Īnāl it was re-imposition of Egyptian influence over the Lusignan dynasty; for the half-sister: upholding her right to the throne on the grounds of licit descent. A covert, but equally important, motive for Īnāl at least was likely fiduciary: the virtual certainty of bribes offered by both factions competing for his endorsement. Indeed, the probable awareness of a monetary inducement among Īnāl’s own officers and veterans seems to have provoked their sense of indignity and betrayal by their liege lord of an individual who had become a trusted comrade in arms (khushdāsh). Sultan Īnāl had extended to James the full rights of comradeship as an esteemed client who would restore the Sultanate’s lapsed suzerainty in Cyprus following his enthronement. Now that he had grossly violated his own pledge, in his client’s presence, the soldiers essential to Īnāl’s own security and the regime’s stability vehemently insisted that he keep his word and uphold his honor. To which demand Īnāl, widely castigated for his own temerity, immediately submitted. The soldiers’ denunciation of Īnāl’s betrayal raises the issue of gender as a possible reason for their outrage. While they raised no objections to James’ claim on account of his religion, they also voiced no opposition to his half-sister because of her sex. Again, according to Ibn Taghrī-Birdī’s depiction, Īnāl’s soldiers denounced his reversal of support solely on the grounds of a violated pledge. If they felt antipathy to Charlotte on gendered grounds, they did not openly say so. James himself, protesting Īnāl’s betrayal, did assert his right to rule over that of his sister - but without specifying gender as the basis for his suitability. It is certainly possible that the matter of Charlotte’s gender hovered over this confrontation - the most dramatic incident of the entire affair. In all likelihood, it had complicated her succession in Cyprus. But Ibn Taghrī-Birdī never openly attributed this dispute to it. Finally, the matter of strategic feasibility merits consideration. Again, the two incidents differed markedly. With regard to the Tabrīzī affair, there is little if any sub-
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stantive evidence in Egyptian sources throughout this period that the Ethiopian monarchy could realistically plan, let alone carry out, a major expedition over land against the Mamlūk Sultanate. The logistics of conducting such a venture appear daunting. The distance between the Ethiopian highlands and Aswan on the Egyptian-Nubian frontier exceeds 2000 kilometers. An invasion route would either traverse the Sahara desert or Nile swamps—both inhospitable to an invasion force capable of challenging Mamlūk garrisons in league with local Bedouin. From the European perspective, although Frankish regimes had successfully landed troops on the Egyptian and Syrian coasts since the eleventh century, Ibn Taghrī-Birdī’s version does not suggest their unbridled enthusiasm for this particular venture. To what extent Roman Catholic governments in Western Europe were disposed to heed dubious schemes concocted by the monarch of a distant state whose Monophysite church must have seemed more alien than the Sunnī Islam of the Cairo Sultanate, with which they were familiar, is problematic. Ibn Taghrī-Birdī raised the matter of their covert misgivings about al-Tabrīzī’s loyalties, which presumably came to light during the inquest following his arrest in Alexandria. The Europeans had every reason to question the wisdom of involving themselves in an adventure with minimal strategic prospects for success, but very real prospects for damaging their profitable trade ties with the power that monopolized access to the Red Sea and Indian Ocean. And yet, the Sultanic regime hardly dismissed this incident as trivial. Following alTabrīzī’s conviction and execution, the Sultanate initiated a sporadic campaign of harassment and forced conversion of Nubians from Christianity to Islam - from Aswān on south. A pervasive sense of a Christian fifth column lurking among Nubians in the Sudan who chafed under Mamlūk suzerainty unsettled the ruling authorities in Cairo, especially after European powers intensified their own piracy in the Mediterranean. These worries would be exacerbated decades later when the Portuguese actually showed up with their vessels in the Red Sea. To what extent the Sultanate credited the Ethiopian monarchy itself with the capacity to pose a genuine military threat is debatable. But its ire over al-Tabrīzī’s conspiracy in the Ethiopian court does lend credibility to its alarm about potential Ethiopian influence over Nubian populations restive under Mamlūk control. The precedent of embassies to European states dispatched decades earlier by the Ethiopian monarch to plot a grand design of Christian encirclement around the Mamluk Sultanate gave it cause for suspicion of hostile intent if not alarm over logistic feasibility.7 The 7
See Bertrand Hirsch and Yann Potin, “Le continent détourné: frontières et mobilité des mondes africains,” in Histoire du monde au xve siècle, ed. by P. Boucheron, Paris, Fayard, 2009, p. 105.
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Sultanate may also have worried about unrest latent among its local Coptic subjects, for whom a call to invasion by a ruler prominent as a co-religionist might arouse insurrectionary sentiments. The affair of the pretender James, by contrast, was depicted as a highly feasible project. Sultan Īnāl’s endorsement and support of a client who could be expected to re-assert the Sultanate’s influence over Cyprus were proffered in the hindsight of past successes. The military operations requisite to realizing the venture’s goals rested on precedent and were eminently realistic. As Albrecht Fuess has persuasively argued, Cyprus effectively became a protectorate under the Mamlūk Sultanate between 1426 and 1489, when Venice supplanted it.8? Differences in religious affiliation of the parties involved appear to have counted for little on either side. The covert dealing and bribery implicated between the two Cypriot factions competing for the Sultan’s favor constitutes not only the most intriguing aspect of the incident, but the most plausible scenario behind the veterans’ denunciation of their sovereign’s betrayal. To conclude, the preceding incidents (depicted by Ibn Taghrī-Birdī as criminal or scandalous) shed light on contrasting themes of relations between Christian and Muslim powers of the Mediterranean during the later Middle Ages. The abiding prominence of Cyprus as a locus of contention between Mamlūk Egypt, the island’s dynastic rulers, and their European allies is abundantly apparent. But so are the pragmatic contexts of these relations. The issue of religious tension contrasted markedly in the two incidents: it was central to al-Tabrīzī’s espionage trial, and seemingly irrelevant to the contested appeal for preference by James and his sister before Sultan Īnāl. Although James’ closest advisor, one Brother William, to whom the Cypriot chronicler Boustronios attributed the inducements behind the amīrs’ shift in allegiance, was himself a cleric, Boustronios made no reference to religious affiliation as an incentive on the part of any involved party. By implication, William’s secret gifts (i.e., bribes) motivated the amīrs’ about-face. Temporal issues of political hegemony, strategic influence, monetary gain or group solidarity are thus evident as motives in this incident, but not confessional allegiance. Finally, on the matter of feasibility, the two incidents also differed. The first, despite overwhelming logistic odds against realization of its perpetrator’s goal, clearly alarmed 8
See Fuess, note 4, also Benjamin Abel, "Venetian Cyprus and the Muslim Levant, 1473-1570," / Papers given ate the International Conference 'Cyprus and the Crusades,' Nicosia, 6-9 September, 1994/, ed. by N. Coureas, J. Riley-Smith, Society for the Study of the Crusades and the Latin East, Cyprus Research Center (1995), p. 159-185; republished in Cyprus, the Franks and Venice, 13th-16th Centuries, Ashgate-Variorum (Aldergate, 2000), article no 12.
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the Sultanate’s ruling authorities enough to execute al-Tabrīzī as a spy and apostate, and subsequently to initiate a policy of harassment and forced conversion against populations inhabiting territories viewed as potentially vulnerable to the Ethiopians’ religious machinations. The second incident was eminently realizable, and resulted in the successful establishment of James as monarch of Cyprus. Is there then a lesson to be learned from latent phobias stirred up by a religious provocation with little practical chance for success, in contrast with a highly feasible enterprise of royal restoration in which religious identity seems to have played no role? In other words, the dissimilar motives behind these two events imply that religious fervor seemed most vivid—and effective as a motive—when its realistic chances for substantive transformation of real-world conditions were minimal. When, on the other hand, circumstances for change were substantive they derived from pragmatic objectives, such as strategic influence, political hegemony, or economic gain. Or at least this mind-set seems to have prevailed among the elites presiding over their respective societies during this cosmopolitan period in the history of the Mediterranean.
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Appendix 1: Text of al-Tabrīzī’s Espionage Trial Abū l-Mahāsin Yūsuf Ibn Taghrī-Birdī: Al-Nujūm al-Zāhira fī Mulūk Misr . . wa-l-Qāhira, ed. by Jamīl Muhammad Muhriz and Fahīm Muhammad Shaltūt, Cairo, General Egyptian Book . . . Organization, 1971, v. 14. p. 324, line 1: Account of the execution of the Khawājā Nūr al-Dīn ‘Alī al-Tabrīzī al-‘Ajamī returning with a missive from al-Hattī, Ruler of Ethiopia, to the Kings of the Franks: . On Tuesday 24 Jumādā I 832/1 March 1429, the Sultan (al-Ashraf Barsbāy) summoned the magistrates of the revered law to his presence. They so convened. The Sultan assigned the chief qādī al-Busātī . Shams al-Dīn Muhammad . . al-Mālikī to investigate his (al-Tabrīzī’s) case and render a judgement of God on it. Al-Tabrīzī had been jailed in the Sultan’s prison. The qādī . (then) transferred him from there to his prison. He charged him (al-Tabrīzī) with unbelief (kufr) and of (other) heinous acts. He (the qādī) . submitted (documentary) evidence against him supporting that. He (the qādī) . ruled that his blood be shed. He (al-Tabrīzī) was displayed on Wednesday the 25th of Jumādī I the aforementioned, mounted on a camel in Cairo, Mi.sr and Būlāq, with the following proclamation: “Thus is recompensed he who brings weapons to the enemy’s land, and tampers with the two religions.” He (al-Tabrīzī) thus proceeded, riding the camel, bearing witness to God, and reciting the Qur’ān. The populace testified that he was an insult to the religion of Islam. The throng accompanied him in droves. Some of the people lamented his weeping, but they were among the host of the ignorant. Of whom I refer: He was a heretic and atheist, steeped in error, scorning the Islamic religion. They continued with him until they arrived at Bayn al-Qasrayn. He was (then) taken down from the camel, and seated below the Sālihiyya Madrasa portico. There his . neck was struck before the crowd, whose numbers only God the All-High could calculate. We ask God’s peace in religion, and (our) death in submission. line 17: The background on this Tabrīzī: He initially belonged to the community of merchants originating from Persia, residing in Misr and elsewhere. He had traveled throughout the country (Egypt) on business as is the practice of merchants. It happened that he was traveling to the land of Ethiopia (al-Habasha). While there he profited substantively. Personally, he was mini. mally concerned about religion, manifesting ignorance and prodigality. He continually sought to garner more money, so that he developed a close relationship with al-Hattī, ruler of Ethiopia, . presenting gifts (to him). He (al-Tabrīzī) persisted in bringing rare and precious items to him. He proceeded to craft for him the cross of gold, inlaid with precious stones. He conveyed it to him (the ruler) with the utmost honor and majesty, as was customary for Christians p. 325, line 1: to glorify the cross. Not content with this, he (al-Tabrīzī) began to purchase costly weapons: helmets, precious swords, chain mail, and mail tunics—all at high prices. He traveled with them to Ethiopia. He (also) disparaged, in their presence (the Ethiopians), the Muslims’ condition, informing them about their (the Muslims’) affairs. This he did to the extent of his knowledge. He thereby became intimate with al-Hattī, so that he was housed in a sumptu. ous dwelling. Al-Hattī subsequently delegated him to convey missives to the rulers of Frankish . realms, after he learned of the (Mamlūk) occupation of Cyprus and the capture of its King, Jaynus. He incited them (the Franks) to initiate a campaign with him to subdue the religion of Islam, launch raids against the Muslims, and abet the resurrection of the community of Jesus and its triumph. He (al-Hattī) would travel from the country of Ethiopia over land with his . army, while the Franks would set out by sea with their forces at a coordinated time—heading toward the Islamic shores. He (al-Hattī) had him (al-Tabrīzī) convey it along with oral messages. .
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Al-Tabrīzī thus departed with resolve and fervor from al-Hattī’s realm with his missive, along . with his oral messages, to the Frankish monarchs. He progressed on his journey from Ethiopia over land until he came up from the desert Oases to the Maghrib. He proceeded from there to the Frankish realms. He presented to them (the Franks) al-Hattī’s missives, and his oral mes. sages. He called upon them to campaign with al-Hattī for the downfall of Islam and its adher. ents. Most of them (the Franks) concurred with him. They bestowed on him many items. He (al-Tabrīzī) presented them several velvet robes with al-Hattī’s name embroidered in gold. They . were inscribed with the cross, since it was their motto. So have I related: After he (al-Tabrīzī) had adopted their unbelief, and shared their food and drink, it pleased their souls to reveal (amongst themselves) their secret thoughts against him. They were saying: “This man is a Muslim; it is possible that he will spy upon our plans and reveal them to the (other) Muslims, heightening their suspicions of us. Perhaps they will finish by seizing and executing him.” The end. line 19: He (al-Tabrīzī) then departed the Frankish lands, and journeyed by sea until he reached Alexandria, bearing the aforementioned robes, and accompanied by the monks from Ethiopia. Also several slaves. Among the latter was a man of (the Islamic) religion who reported on him as to what he had done. He informed them (the authorities) as to his cloth goods and other items. His vessel was thus impounded, with all its cargo. They (the authorities) verified the slave’s account. He (al-Tabrīzī) and the monks and all his goods were conveyed to Cairo. He (alTabrīzī) attempted to save his life with large bribes, also promising to inform him (the Sultan) about whom among his retinue were suspect in their religion. The Sultan rejected that (ploy) and ordered his arrest and confinement. He was thus jailed and executed as we have related. May he receive from God what he deserved. The end.
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Appendix 2: Text of the Appeal over Succession to the Cypriot Throne Abū l-Mahāsin Yūsuf Ibn Taghrī-Birdī: Al-Nujūm al-Zāhira fī Mulūk Misr . . wa-l-Qāhira, ed. by Jamīl Muhammad Muhriz and Fahīm Muhammad Shaltūt, Cairo, General Egyptian Book . . . Organization, 1972, v. 16. p. 132, line 16: On Sunday 28 (Rama dān . 863/29 May 1459) Jākum the Frank (al-Firanjī) ibn Jawān, ruler of the island of Cyprus, arrived in the Egyptian realm with a request of the sultan (al-Ashraf Īnāl): that he be granted in his father’s place possession of Cyprus. (For) the populace of Cyprus had installed over them his sister, supplanting him, since he was the product of adultery, or some such condition that did not legitimate his succession in their (confessional) community. p. 133, line 9: On Saturday 5 Shawwāl (863/5 August 1459), the sultan convened a ceremony in the royal courtyard of the Citadel of the Mountain. He presented Jākum b. Jawān and draped him with a Kāmilīyya robe of honor, (subsequently) enrobing two other Franks who were presented with him. The sultan (then) gave him a horse with a golden saddle and mantle with gold and silver brocade. He (Jākum) rode the aforementioned horse, (as did) the others, for the duration of his stay in Egypt. He (the sultan) designated him governor of Cyprus and pledged to establish him there, delivering Cyprus to him. p. 133, line 17: On Thursday 1 Dhū l-Qa‘da (863/30 August 1459), the sultan commenced construction of the vessels designated for the jihād, and the dispatch of Jākum accompanying them to Cyprus. He (the sultan) placed in charge of construction of the aforementioned vessels Sunqur al-Ashrafī, head of the arsenal, and known as Qarq Sabaq (clucking lech or Chibouk). The aforementioned Sunqur supervised construction of the vessels most vilely, with malfeasance and corruption. He procured lumber at the lowest prices, as prices are measured. This miscreant behaved (worse) than had the Khārijīs (separatist extremist sect). He was guilty of what God does not sanction of ignominy or exemplary punishment. p. 134, line 1: He thus committed acts of wickedness: confiscations, seizures, conflagrations. p. 134, line 3: On Monday 5 Dhū l-Qa‘da (863/3 September 1459), Taghrī-Birdī al-Tayyāri al. Khās. sakī traveled as emissary to Cyprus, to inform its populace that the sultan desired the . sovereignty of this Jākum over Cyprus in place of his father, and deposition of his sister, and censure of them over the lack of sovereignty of this Jākum and the preferment of his sister in his place. p. 136, line 9: Then, on Sunday 25 Rabī‘ I (864/19 January 1460), the sultan celebrated the Prophet’s birthday in the royal courtyard as per tradition every year. The sultan presented Jākum al-Firanjī son of the ruler of Cyprus. He seated him among the notable officials of state. This (act) distressed the populace grievously. So I have said: Possibly the sultan did not present him at this court session, except to see him glorify Islam and diminish unbelief. p. 143, line 13: On Tuesday 1 Jumādā II (864/24 March 1460), Taghrī-Birdī al-Tayyārī al-Khās. sakī . . arrived in Cairo. He had proceeded to the island of Cyprus as emissary. Accompanying him was a large group of Frankish princes and people from Cyprus. p. 143, line 16: The Franks had arrived in two factions: one unit requesting that the designated queen be confirmed; the other demanding her deposition and installation of her brother Jākum
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al-Firanjī, who had come to Cairo at a previous date. The sultan did not decide the matter of installation or deposition on this day, so the affair persisted as will be related. p. 147, line 7: On Tuesday 6 Sha‘bān (864/27 May 1460), a heinous event occurred in the realm: the sultan convened the notable Cypriot Franks, filling the royal courtyard. He intended to confirm the queen as ruler of Cyprus as she was established. He enrobed her emissaries, the notable Franks. He appointed Taghrī-Birdī al-Tayyārī (Falconer) as her escort, bearing her diploma (of . confirmation) and her robe of honor. p. 147, line 16: The Frank Jākum, her brother, was in attendance at this court session, being seated below the commanders of 1000. The designation of his sister and her maintenance as possessor of al-Afqūsiyya (Nicosiya) on the island of Cyprus, in his presence, pained him. He rose to his feet and called for support. He spoke words to the effect that he had come to Egypt, taken refuge with the sultan, sought his protection, and submitted to him this lengthy period. (He stated) that he had more right to the kingship than his sister. (But) the sultan did not heed him, (rather) being resolved upon confirmation of his sister. He (the sultan) ordered him (Jākum) to depart to his residence. Thus, Jākum had no recourse but to depart from the middle door of the royal courtyard. His adversaries, his sister’s entourage, followed after him. Then, bearing the royal robe, some veteran Mamlūks extended their hands against the adversaries of Jākum among the Franks. They inflicted blows and lacerations upon them, tearing up the robe. They called for help, (stating) in one voice that they wanted nothing but the confirmation of this Jākum in his father’s place. The tumult heightened, leaving the sultan no recourse but to yield immediately, deposing the queen and acclaiming Jākum. Thus was Jākum confirmed in spite of the sultan. Subsequently, the veteran Mamlūks resolved to insult the Amīr Burdibak, the second Dawādār (executive secretary), saying to him: “You are a Frank! And you protect the Franks!” The aforementioned Burdibak called for aid, and discarded the office of dawādār. He demanded release from continuance in the sultanic service. The sultan paid him no heed, immediately enrobing Jākum. He ordered the departure of an expedition of officers to invade Cyprus, and to proceed with Jākum to Cyprus, as will be related if God the All-High wills at its (appropriate) time. p. 148, line 16: On Sunday the 18th (of Sha‘bān 864/8 June 1460), the sultan summoned the sultānī . Mamlūks to the royal courtyard. He designated a group of them for the Jihād, that is: to depart in the company of Jākum al-Firanjī for Cyprus. He had previously designated those among the officers who would travel to Cyprus. p. 152, line 1: On Friday the end of Muharram (865/15 November 1460), a group of the raiders ar. rived in Cairo, reporting that the Islamic troops had fully departed from the island of Cyprus on Friday 23 Muharram. They had proceeded on the surface of the salt sea, heading for the Islamic . shores. A powerful wind had beset them, which scattered their formation. They (then) went in several directions against their intent. One of these ships had arrived at the coast of al-Tīna. p. 153, line 1: They also reported the death of the Amīr Sūdūn Qarāqūsh, grand chamberlain. Then, the next day Burdibak ‘Arab al-Ashrafī al-Khās. sakī arrived. He reported approximately . what these Mamlūks had related. The sultan announced also that the Amīr Yūnus al-Dawādār (executive secretary) had left behind on the island of Cyprus a band of sultānī Mamlūks and . the amīrs’ Mamlūks under the authority of Jākum, ruler of Cyprus. He (Yūnus) had appointed as their commander Jānībak al-Ablaq (piebald) al-Zāhirī al-Khās. sakī, and that a large number . . had perished in the mercy of God the All-High under dreadful conditions.
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p. 224, line 3: Then, after several days (following Tuesday 20 Jumādā II 865/3 March 1461), missives arrived in Cairo from Jānībak al-Ablaq al-Zāhirī, based in Cyprus: (stating [to sultan al. Mu’ayyad Ahmad ibn Īnāl]) that he and those with him of the sultānī Mamlūks and others of . the Firanj had attacked the populace of Sharāna (not certain of vowels, could be Shurayna) on the 10th of Rabī‘ II (23 January 1461). They had besieged its citadel, and killed in Sharāna of the Firanj eight individuals, and had captured a like number. p. 224, line 5: Then, he related also that he (line 6) had attacked the populace of Sharāna a second time, killing the chief of police in its citadel, and that the last of its magnates had cast himself into the sea and drowned. I said: whoever of their sinners drowned, enter (the) fire (of Hell) (paralleling Qur’ān: Sūra Nūh, vs. 25). p. 224, line 8: Then Jānībak related that he had arrested five of them, and that the queen, ruler of Sharāna, sister of Jākum, ruler of Cyprus, had proceeded from Sharāna to Rhodes to appeal for their aid. Then, he related also that he had vanquished several ships that had arrived from the Firanj in support of the aforementioned queen, and that he had captured of those (on board) creatures in excess of 100 individuals, and that he had taken during the siege several towers of the citadel of Bāf (note 3: Bāfūs on the south coast of Cyprus), following which they had endured calamities. He urged the sultan to send troops quickly before the arrival of support for them from the Firanj of the populace of Almāghūsa . (in or under) al-Junuwiyya (Genoa), and for the populace of Sharāna (aid) from other sources than al-Junuwiyya. The end. p. 261, line 1: On Thursday 10 Dhū l-Qa‘da (865/17 August 1461), the sultan (al-Zāhir Khushqadam) . ordered an expedition against the island of Cyprus to support those (stationed) there of the Islamic troops. But he canceled that several days later. p. 264, line 2: On Wednesday 2 Muharram (866/7 October 1461), news arrived that the Amīr Īyās . al-Muhammadī al-Nāsirī, governor of Tarābulus, (Tripoli, in Lebanon) had arrived from the . . . island of Cyprus to the border of Damietta without the sultan’s permission. p. 264, line 14: Then, on the evening of Tuesday 8 Muharram (866/13 October 1461), the Amīr . Qānābāy al-Muhammadī alZāhirī departed, heading for the frontier of Damietta to arrest the . . Amīr Īyās al-Nāsirī, consigning him to prison, since he had arrived from . governor of Tarābulus, . Cyprus, abandoning the troops of the Muslims. p. 282, line 23: On Tuesday 3 Rabī‘ I (868/15 November 1463), rumors circulated that the raiders were coming from Cyprus to the coast of Syria, as were others, without the sultan’s permission. The sultan was severely vexed about this but had no recourse save silence. p. 285, line 12: On Friday 23 (of Jumādā II 868/3 March 1464) the emissary of the ruler of Cyprus, Jākum, arrived. He reported that he (Jākum) had taken the city of Almāghūsa . (note 2: Famagusta) and its citadel from the Firanj, and that he had turned them over to Amir Jānībak al-Ablaq, resident commander on the island of Cyprus over whoever remained with him of the sultānī Mamlūks. The aforementioned Jānībak had behaved perversely toward the populace . of Almāghūsa. . He had extended his hand, abducting comely youths from their parents among local notables in Almāghūsa, . (an act) gravely unsettling them. They said: “~We turned the city over to you under truce, and you swore to us that you would not abuse us after occupying the city (literally: you would treat us...only with beneficence). You are Muslims, so why this conduct?” But Jānībak paid their words no heed, continuing his perversities. The populace of Almāghūsa . (then) sent word to Jākum, informing him of this. Jākum (then) sent orders to
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Jānībak to desist from these acts. But Jānībak beat the aforementioned emissary, after heaping abuse on him. p. 286, line 1: Then, he (Jākum) sent another emissary, whom Jānībak pierced with arrows. Jākum thereupon rode to him from al-Afqūsiyya (note 1: Nicosiya), a city on Cyprus. Upon his arrival, he (Jākum) spoke to him, but he (Jānībak) paid him no heed, addressing him coarsely. Jākum (then) spoke with him a second time. He (Jānībak) (then) struck him with an object in his hand. Jākum collapsed in a swoon. When the Firanj learned of that, they raised swords (literally: extended their hands with swords) against Jānībak and those with him of the Muslims. Jānībak was killed, along with 25 sultānī Mamlūks of his staff. This is the version that Ya‘qūb . al-Firanjī, Jākum’s emissary whom he had sent to Cairo as messenger, related. God knows (the veracity of either). This (was related) with variant accounts vis. the murder of Jānībak and his comrades. Jākum (then) took possession of Almāghūsa . on the grounds that he was the sultan’s viceroy there. In any case, Almāghūsa . remained in Jākum’s hands, as ruler of Cyprus. p. 286, line 9: Then, the sultan appointed Sūdūn al-Mansūrī al-Sāqī to return to Cyprus with . Ya‘qūb the aforementioned. Sūdūn departed, experiencing adventures which we shall relate in their (proper) place in our history “al-Hawādith.” p. 310, line 11: obituary of the Amīr Sūdūn on the island of Cyprus, year 865 (day/month not given), due to illness rather than battle wound. Ill for ten days. Age over 60.
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L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem au Ponant durant le premier xvie siècle. D'une frontière offensive à une frontière défensive Anne Brogini | Université de Nice Sophia-Antipolis Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine
Zones de tensions et d’échanges à la fois, les frontières sont consubstantielles au risque, au danger militaire et aux processus de mise en défense. La Méditerranée occidentale du premier xvie siècle constitue bel et bien un espace frontalier en perpétuelle conquête et reconquête, de la part des représentants de la rive chrétienne et de ceux de la rive musulmane, les grands points d’achoppements et d’oppositions frontales se concentrant le long d’une frontière en pointillé, constituée à la fois par les îles et par un littoral africain où se matérialisent certaines possessions espagnoles, les présides. Dans ce contexte, l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, chassé de Rhodes en 1522 par Soliman le Magnifique et repoussé pour la première fois de son histoire au Ponant, apparaît comme un acteur essentiel de ce jeu militaire, et un atout-clé de l’Espagne dans le maintien outremer d’un État latin d’Afrique, centré sur le préside de Tripoli. Entre 1530 – date à laquelle les chevaliers prennent possession de leurs fiefs de Malte et de Tripoli – et le milieu du xvie siècle, les Hospitaliers vont d’abord incarner une frontière militaire et offensive en Méditerranée occidentale, par leur maintien coûte que coûte à Tripoli, en territoire barbaresque, avant d’illustrer et d’accompagner à leur corps défendant, la progressive rétraction de la frontière chrétienne au Ponant, puis sa fixation sur les îles et littoraux chrétiens situés au cœur de l’espace maritime.
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La frontière en Méditerranée occidentale La frontière ponantine résulte directement de la politique d’expansion espagnole et de l’achèvement de la Reconquista. Tandis qu’en Méditerranée orientale, la politique turque depuis le second xve siècle, consiste à faire du Levant un lac ottoman, par la patiente éviction des reliquats de présence latine – génoise, vénitienne et des ordres militaires et religieux –, le Ponant est marqué dès l’extrême fin du xve siècle par l’opposition franche entre un Empire espagnol en puissance et une côte africaine peu solide, qui doit son raffermissement à sa soumission à la Sublime Porte par corsaires interposés – Barberousse d’abord, Dragut ensuite. Espace de frictions où viennent buter les marges des deux empires qui doivent accepter de se partager la mer, la Méditerranée occidentale pose avec acuité, durant le premier xvie siècle, la question de la fixation de la frontière chrétienne. En 1492, la chute de Grenade a porté les Espagnols aux portes de l’Afrique du Nord et transformé le détroit de Gibraltar en frontière méridionale de la péninsule, d’autant plus aisément franchissable que les côtes ennemies sont en ce lieu si proches que la Méditerranée occidentale devient une simple « Manche »1. La frontière ibéro-africaine s’exprime au xvie siècle par la poursuite de l’avancée espagnole au-delà du détroit, grâce à l’établissement de présides, ces enclaves militaires tenues par des garnisons, le long du littoral barbaresque. Les Espagnols œuvrent à la poursuite de la Reconquista : Melilla tombe entre leurs mains en 1497, Mersel-Kébir en 1505, le Peñón de Vélez de la Gomera en 1508, Oran en 1509, Bougie et Tripoli, à l’autre extrémité de l’Afrique du Nord, l’année suivante en 1510. Cette même année, face à la poussée espagnole, Alger et Tunis préfèrent conclure un accord et se soumettent à la suzeraineté de Ferdinand le Catholique. Et même si les Espagnols ne parviennent pas, en 1510, à installer une garnison à Jerba (los Gelves), ni une autre l’année suivante sur les îles Kerkennah, ce qui aurait permis de compléter la chaîne discontinue des présides, à ces échecs près, toute la rive sud de la Méditerranée, dès 1511, est placée sous la domination de l’Espagne. En 1494, le pape Alexandre VI, qui avait déjà décerné le titre de Rois Catholiques à Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, donne sa bénédiction à une croisade africaine et, pour la financer, il accorde le subside appelé précisément de la Croisade aux Espagnols. Puis en 1510, devant les succès espagnols en Afrique du Nord, Jules II attribue à Ferdinand le titre de prestige, quoique tout à fait théorique, de roi de Jérusalem. De cette tradition croisée, Charles Quint se fait entièrement l’héritier, de par son double ascendant espagnol et impérial, ainsi qu’il le fait officiellement savoir lors d’un fameux discours prononcé à la Diète de 1
Fernand Braudel, « Les Espagnols et l’Afrique du Nord de 1492 à 1577 », dans Autour de la Méditerranée. Les écrits de Fernand Braudel, T. I, Fallois, Paris, 1996 (1re éd. 1928), p. 35.
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Worms en 1521. À l’aube du xvie siècle, la pénétration espagnole en Méditerranée occidentale sous l’impulsion de la Reconquista est donc déjà bien avancée. La conquête d’enclaves en Afrique du Nord et de territoires le long des littoraux chrétiens représente pour les Ibériques un enjeu militaire et idéologique destiné d’une part à lutter, au nom d’une ancienne tradition de croisade, contre les musulmans, et d’autre part, à contrer les visées politiques et territoriales des puissances chrétiennes concurrentes. Ces ambitions contribuent à accroître la dimension stratégique des présides : placés sur le littoral africain, ils remplissent un rôle de surveillance des échanges musulmans entre Ponant et Levant et de protection lointaine des royaumes espagnols de la péninsule italienne, dangereusement exposés au péril barbaresque. L’installation des Espagnols en Italie du sud a en effet brusquement accru l’importance des présides. Il s’agissait de faciliter la jonction politique et commerciale entre les royaumes de la Couronne d’Aragon et ses dépendances, de protéger les riches royaumes de Naples et de Sicile, de contrôler enfin le trafic entre les deux bassins de la Méditerranée. Tripoli, le préside le plus à l’est de la Méditerranée occidentale, situé au sud la Sicile et à la confluence des deux bassins méditerranéens, permet ainsi de surveiller la route turque d’est en ouest, à la fois route de ravitaillement des ports barbaresques depuis Alexandrie et empruntée par les pèlerins se rendant à La Mecque. Cette dimension stratégique nouvelle ne peut que s’accroître dès les premières années du règne de Charles Quint et l’essor des grands conflits opposant frontalement les rives chrétienne et musulmane ; les présides, souci crucial et gouffre financier pour la couronne espagnole2, constituent également un enjeu de reconquête pour les musulmans désireux de récupérer des places fortes, sources potentielles de richesses et idéalement situées sur le littoral. Face au danger que font peser les corsaires barbaresques sur ses présides, l’Espagne peut choisir de mener une politique militaire offensive de croisade, comme le fait par exemple Charles Quint lorsqu’il s’empare de Tunis en 1535, ou de céder en fief une de ses places fortes à des vassaux de confiance, qui prennent en charge le destin du préside. C’est le cas de Tripoli confié, en même temps que Malte, aux chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. L’intérêt stratégique du lieu n’échappe pas aux Espagnols : le contrôle de Tripoli, situé au sud de la Sicile, à la confluence des deux bassins méditerranéens, est extrêmement utile pour le recueil d’informations concernant les éventuels mouvements de la flotte turque ou des Barbaresques. Tripoli assure ainsi une protection lointaine des possessions 2
Rafael Gutiérrez Cruz, Los presidios del Norte de Africa en tiempo de los Reyes Católicos, Málaga, Seyer, 1997, p. 247.
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espagnoles de la péninsule italienne, au point qu’en 1511, Ferdinand le Catholique le rattache au royaume de Sicile3. Dépendant de la Sicile, Tripoli se trouve placé sous l’autorité du vice-roi, qui a la responsabilité de son ravitaillement et de sa gestion. Emporté par le mouvement de la Reconquista, Ferdinand avait même l’ambition de mener, depuis le préside, une conquête chrétienne de l’Afrique du Nord, assimilée à une nouvelle Terre Sainte4. Cependant, à l’idéal de croisade s’ajoute un réalisme économique : la maîtrise de Tripoli, où convergent les routes caravanières de transport de l’or et de ravitaillement des esclaves d’Afrique noire (depuis le Soudan et Tombouctou)5, assure en effet au royaume une source substantielle de revenus et de main-d’œuvre servile. À partir de 1511, le royaume de Sicile prélève 1/5e des revenus de la vente des captifs noirs et se fait ravitailler à peu de frais en esclaves ; ainsi, en septembre 1510 est arrivé à Palerme un tel nombre d’esclaves que le prix de vente fut largement inférieur au prix habituel et que les royaumes espagnols de la péninsule italienne purent renouveler toutes leurs chiourmes6. Les musulmans ne sont pas dupes de l’intérêt économique que représente l’acquisition militaire de Tripoli pour les royaumes espagnols : les routes principales d’esclaves et de l’or sont ainsi détournées à la hâte vers Tajura (petite cité à l’est de Tripoli), afin d’éviter que les chrétiens ne continuent d’en bénéficier7. Dépendant de la Sicile, Tripoli était organisé comme un port du royaume pendant tout le temps de sa domination espagnole (1510-1530). Promus gouverneurs du préside, les vice-rois étaient chargés de défendre la place, de la faire fortifier et ravitailler régulièrement. Mais dans la réalité, Tripoli souffre vingt années durant d’une très mauvaise gestion financière8, où les relations entre les soldats chrétiens et les quelque 150 musulmans établis au sein de la cité ne cessent de se dégrader9 ; enfin, privé d’une large partie de ses débouchés caravaniers, le préside n’a guère d’envergure économique, ne devant sa survie alimentaire qu’à la mer et vivant dans le risque permanent d’une interruption de son ravitaillement par
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Carmelo Trasselli, « La conquista di Tripoli nel 1510, vista dalla Sicilia », dans Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, Histoire économique du monde méditerranéen 1450-1650, Toulouse, Privat, 1973, p. 612. C. Trasselli, art. cit., p. 612. Murray Gordon, L’Esclavage dans le monde arabe (viie-xxe siècle), Paris, Robert Laffont, 1987, p. 116-117. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1966, T. II, p. 93. F. Braudel, La Méditerranée…, op. cit., p. 240. C. Trasselli, art. cit., p. 616. Ettore Rossi, Il dominio degli Spagnoli e dei cavalieri di Malta a Tripoli (1510-1551), Rome, Airoldi Editore, 1937, p. 45.
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les corsaires barbaresques. En 1530, quand les intérêts espagnols et ottomans, un temps déplacés vers l’Europe centrale10, se recentrent sur l’espace méditerranéen11, l’Empereur ne peut que s’estimer mécontent de la gestion du préside et décider de l’offrir aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem en quête d’une terre12. Les Hospitaliers en ce temps-là se trouvent précisément dans une situation dramatique. Indissociable de la victoire militaire, et donc de la bonne réputation (fama), leur noblesse n’a pu qu’être souillée par la perte de Rhodes en 1522. Bien que leur résistance acharnée lors du siège de Rhodes leur ait valu les honneurs de la guerre et leur garantisse le droit de quitter librement l’île avec trésor, flotte, archives et vassaux désireux de les suivre13, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une défaite militaire qui a pour double conséquence de les priver de leur noblesse et, pour la première fois de leur longue histoire, de les éloigner physiquement de la Terre Sainte. Cet échec leur ôte brutalement leur dimension militaire et religieuse de croisés, mais également leur rôle d’hospitalité envers les pèlerins chrétiens se rendant à Jérusalem. La « conquête de l’ouest » ottomane en Méditerranée, qui suppose à la fois l’unification du Levant sous autorité turque et l’inféodation de l’Afrique du Nord à la Porte à partir de 1518, signifie en effet l’éviction progressive des Latins des eaux musulmanes et celle, définitive, des Hospitaliers des terres et des mers infidèles. Ainsi dépouillés de leur identité séculaire les chevaliers vont trouver refuge dans la donation du préside de Tripoli et dans l’obligation, exigée d’eux par Charles Quint, de le transfigurer en symbole nouveau de croisade espagnole et chevaleresque au Ponant.
Tripoli, le songe chevaleresque d’un État latin d’Afrique « Les frontières ne sont jamais aussi menaçantes et menacées que lorsqu’elles sont enkystées en terres opposées »14. Dès lors, la croisade des chevaliers s’exprime et se revivifie immédiatement, dès l’acceptation du préside en 1530, et se manifeste par deux biais : l’affrontement direct contre les Barbaresques (par les expéditions
10 À partir de 1525, les principaux affrontements entre Espagnols et Ottomans eurent lieu dans la péninsule balkanique, avec la prise de Buda par Soliman et sa reconquête par les chrétiens en 1529. 11 F. Braudel, La Méditerranée…, op. cit., p. 181. 12 Anne Brogini et Maria Ghazali, « Un enjeu espagnol en Méditerranée occidentale : les présides de Tripoli et de La Goulette au xvie siècle », Cahiers de la Méditerranée, n° 70, juin 2005, p. 20. 13 Nicolas Vatin, « La conquête de Rhodes », dans Soliman le Magnifique et son temps, éd. par G. Veinstein, Paris, La Documentation française, 1992, p. 439-440. 14 Daniel Nordman, « Frontières et limites maritimes : la Méditerranée à l’époque moderne (xviexviiie siècle) », dans Frontiere di terra, frontiere di mare. La Toscana moderna nello spazio mediterraneo, éd. par E. Fasano Guarini et P. Volpini, Franco Angeli, Milan, 2008, p. 27.
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militaires) et l’affrontement indirect, par la pratique de la course. Le désir musulman de récupérer Tripoli est en effet apparu très tôt : dès 1531, Khaïr-Ed-Din Barberousse, devenu kapudan pacha, s’est rendu maître de Tajura, un village situé à l’est de Tripoli. Ayant chassé le représentant hafside du lieu, il y installe un de ses hommes qui entreprend de transformer le village en un lieu fortifié15. Le préside se trouve dès lors en situation délicate, brutalement pris en tenaille entre Jerba, déjà tenue par Barberousse, et Tajura, aux mains des alliés du chef corsaire16 : depuis l’est et depuis l’ouest en même temps, les musulmans peuvent mener des incursions régulières contre les chevaliers17. Le danger s’accroît encore à la fin de la décennie 1530, lorsque Barberousse s’appuie sur le nouveau chef de Tajura, Mûrad Aghâ ; celui-ci, dont le nom apparaît pour la première fois dans les archives de l’Ordre au cours des années 1536-153818, jouit de l’entière confiance de Barberousse qui lui a confié le commandement du village19. Rien que durant la décennie 1540, l’Ordre recense seize alertes graves contre son préside20 – soit plus d’une par an ! – qui s’ajoutent à la menace permanente de la course et au danger d’une rupture des lignes maritimes de ravitaillement du préside. Face à un péril militaire croissant, l’Ordre prend des mesures à la fois défensives et offensives. Les années 1540 coïncident d’abord avec une surveillance accrue du préside ; la présence d’un demi millier de musulmans libres et esclaves au sein de la cité fait en effet craindre une révolte intérieure combinée à une attaque extérieure, et le gouverneur en place ordonne de contrôler désormais régulièrement leur identité et de leur interdire d’entrer dans le Castello où siègent les chevaliers21. Dans le même temps, la garde de la porte et des murailles est renforcée nuit et jour pour prévenir la moindre attaque22. Mais surtout, les Hospitaliers répondent aux menaces musulmanes par l’attaque, en menant la course contre tout navire qui s’aventure à proximité des eaux de Tripoli. Ainsi, en 1546, quatre galères sont envoyées depuis Malte pour arraisonner une galiote de Mûrad Aghâ, puis imposer
15 Giacomo Bosio, Dell’Historia della Sacra Religione et Illustrissima Militia di San Giovanni Gierosolimitano, T. III, Rome, 1596, p. 107-109. 16 Archives of the Order of Malta (AOM) 418, f. 190v-191r, 19 septembre 1542. Une lettre du Grand Maître Juan de Homedès au vice-roi de Sicile expose bien ce péril en lequel se trouve Tripoli à l’époque. 17 Jean-Claude Zeltner, Tripoli. Carrefour de l’Europe et des pays du Tchad (1500-1795), Paris, L’Harmattan, 1992, p. 50. 18 AOM 416, f. 206v, 3 novembre 1536 ; AOM 417, f. 245r, 6 février 1538. 19 Salvatore Aurigemma, « Mûrad Aghâ », Rivista delle colonie italiane, Anno VI, n° 10, ott. 1930, p. 854. 20 AOM 417 à AOM 422 (six attaques conduites par Mûrad Aghâ, trois attaques de Barberousse, cinq attaques de Dragut et deux expéditions dont l’instigateur n’est pas précisé). 21 AOM 419, f. 218v, 13 mars 1544. 22 AOM 420, f. 204v-206r, 15 mai 1546.
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un blocus temporaire à Tajura23. Les attaques maritimes sont complétées par une série d’expéditions terrestres menées contre la petite cité qui incarne la résistance musulmane. En 1545, le gouverneur de Tripoli organisa une razzia de Lmàia et Zanzùr, deux villages situés aux alentours de Tajura, qui ont rejeté l’autorité de l’Ordre et des Hafsides pour se placer sous la protection de Mûrad Aghâ et de la Porte24. De même, l’année suivante, en 1546, l’expédition menée contre Tajura détruit une partie de l’enceinte urbaine mais échoua dans sa tentative de s’emparer de Mûrad Aghâ25. La décennie 1540 apparaît donc comme une période de grande agitation à Tripoli, durant laquelle l’Ordre est menacé en permanence par des musulmans enhardis par les récentes victoires, en 1538 et 1541, de Prévéza et d’Alger. Étonnamment toutefois, la pression militaire ne semble pas décourager les chevaliers de Malte ; c’est d’ailleurs au cours de cette décennie délicate que l’Ordre envisage d’abandonner Malte pour s’établir de manière définitive à Tripoli. En effet, en 1548, le Conseil des Hospitaliers vote l’abandon de Malte et l’installation dans le préside africain. La décision est prise de transférer le Couvent en trois ans maximum, par l’envoi progressif de chevaliers et de soldats entre 1548 et 155026. L’Ordre envisage de ravitailler Tripoli à la fois par voie maritime – par le transport de denrées commerciales ou de butins corsaires, et surtout par celui des responsions, c’est-à-dire des revenus des commanderies européennes censés soutenir la vie du Couvent – et par voie terrestre, par la signature d’accords avec les Maures du pays avoisinant, qui se soumettraient à l’autorité de l’Ordre et travailleraient pour lui (récoltes, ventes des produits de la terre sur le marché de Tripoli…)27. Cette dernière solution est d’autant plus étonnante que les Maures viennent de rejeter officiellement l’autorité de l’Ordre en s’alliant à Mûrad Aghâ et aux chefs barbaresques Barberousse, puis Dragut. La raison de ce choix peu connu de l’histoire de l’Ordre de Malte tient à deux raisons principales. D’abord, le désir bien compréhensible de ne pas « gaspiller » un investissement financier et militaire dans le préside, mené durant vingt années consécutives : en effet, Tripoli en 1550 est désormais correctement fortifié par les chevaliers et les travaux de construction ont été considérables, bien plus importants que ceux qui ont été menés en parallèle à Malte même. Mais à ces raisons purement pratiques s’ajoute surtout la conscience chevaleresque de
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A. Brogini et M. Ghazali, « Un enjeu espagnol en Méditerranée occidentale... », art. cit., p. 23. G. Bosio, op. cit., T. III, p. 239. Ibid., 243-244. Andrew Paul Vella, « The relations between the Order of Malta and Tripoli », dans Libya in History, Historical Conference held in Libya, 16-23 march 1968, Benghazi Libya, University of Libya, 1970, p. 365. 27 AOM 287, f. 66r.
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mener de nouveau, en Afrique du Nord, un devoir de croisade que les Hospitaliers pensaient perdu depuis leur éviction du Levant. L’attachement indéfectible de l’Ordre à Tripoli est indissociable de la dimension idéologique revêtue par les présides au xvie siècle : écho de la Terre Sainte, ils constituent, tant pour les Espagnols que pour les Hospitaliers, l’enjeu et le support, réels et fantasmés, d’une croisade jamais achevée28. Une lettre du Grand Maître Juan de Homedès au pape, écrite en 1547, témoigne bien de cette réalité : «…si Tripoli tombe aux mains des musulmans, cela représenterait un dommage considérable pour le royaume de Sicile, pour la Calabre, mais également une perte pour toute la chrétienté… »29. Plus que la mer elle-même, plus que les littoraux chrétiens ou que les îles situées au cœur de la Méditerranée, ce sont bien les présides qui, en ce milieu de siècle, sont perçus par les chrétiens comme la frontière par excellence, le rempart repoussé en terre ennemie, la preuve concrète et matérielle, physiquement inscrite dans un territoire infidèle, de la permanence de leur croisade. Par son passé et sa participation régulière à toutes les expéditions impériales du premier xvie siècle, l’Ordre baigne logiquement dans un « mythe de croisade »30, dont les présides symbolisent à la fois le but et le moyen. Dès lors, plus que Malte, trop proche de la Sicile et de la rive chrétienne, c’est Tripoli qui incarne la quintessence de la guerre sainte. Toutefois, le projet d’établissement de l’Ordre à Tripoli se vote dans un contexte méditerranéen peu favorable aux chrétiens, et qui repousse d’année en année l’installation. En 1546, la mort de Barberousse permet à Dragut d’occuper le devant de la scène corsaire et barbaresque : en 1549, il s’empare de Monastir et de Mahdia, dont il est chassé l’année suivante par les Espagnols31, soutenus par quatre galères de Malte32. Réfugié à Jerba, dont il s’évade de manière spectaculaire, il gagne Istanbul avec sa flotte en déroute, se soumet au sultan et obtient son assistance en retour. Au mois de mai 1551, la flotte musulmane se groupe alors à Nègrepont sous le commandement de Sinan Pacha et prend la direction de la Méditerranée occidentale : à défaut de Mahdia, que le kapudan pacha ne désire pas récupérer, ce sont les possessions des chevaliers de Malte qui sont visées, et tout particulièrement Tripoli. Défendu par seulement trente chevaliers et un peu plus de 600 mercenaires calabrais et siciliens, le préside tombe sans coup férir aux
28 Andrew C. Hess, The forgotten frontier. A History of the Sixteenth Century Ibero-African frontier, Chicago, University of Chicago Press, 1978, p. 8-10. 29 AOM 420, f. 217v, 8 janvier 1547. 30 Alphonse Dupront, Le Mythe de croisade, Paris, Gallimard, 1996, 4 T. 31 F. Braudel, « Les Espagnols et l’Afrique du Nord… », art. cit., p. 74. 32 AOM 422, f. 222v.-223r.
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mains des musulmans le 14 août 155133. Les Hospitaliers vécurent extrêmement mal cette perte et firent preuve immédiatement d’une sévérité exemplaire à l’égard de ceux qui furent considérés comme « responsables »34, à savoir le gouverneur du préside et ses assistants (le Trésorier et le Lieutenant)35. Les trois chevaliers furent condamnés à la perte publique de l’habit et de leur dignité36. Cette condamnation se fit dans un climat de tensions dans l’île, les chevaliers espagnols accusant les Français d’avoir délibérément abandonné Tripoli dans le but de contenter leur monarque, allié de Soliman, adversaire de Charles Quint et soucieux de contrer les ambitions africaines de l’Empereur. Quant aux chevaliers des Langues françaises, ils prirent la défense des accusés et du gouverneur de Valliers contre les Espagnols. Il apparaît hautement improbable que l’Ordre ait souhaité la perte de son préside, en un temps où il a pris la décision de s’y établir définitivement. De 1530 à 1551, les Hospitaliers se sont trouvés physiquement et mentalement partagés entre Malte et Tripoli, entre la rive chrétienne et la rive africaine, et leur préférence est allée presque toujours au préside plutôt qu’à l’archipel. Tripoli offrait l’avantage de symboliser l’avancée de la terre chrétienne en territoire infidèle : au même titre que les possessions des croisés au Levant, les présides représentaient un nouvel Outremer, un ensemble de places fortes sises de l’autre côté de la mer. Reflet de l’ancien temps d’une croisade offensive37, ils étaient la manifestation d’un front de conquête en perpétuel mouvement. De fait, en 1551, la perte de Tripoli signifie l’éviction définitive de l’Ordre des terres et des mers musulmanes et reflète le basculement d’une croisade offensive à une croisade défensive pour les chevaliers. Repoussés à la frange même de la chrétienté, les Hospitaliers sont désormais contraints d’investir Malte de l’imaginaire de Terre Sainte dont ils avaient auparavant paré leur préside, à la fois par le refus de prendre en charge le destin d’un nouveau préside et par une politique de fortification qui enracine agressivement la frontière chrétienne dans le sol insulaire.
Le repli sur Malte, ou la définitive rétraction de la frontière La perte de Tripoli a été mal vécue à fois par les chevaliers et par l’Empereur. En 1553, après que les soldats espagnols, aidés des chevaliers de Malte, eurent enlevé à Dragut qui menaçait la Méditerranée occidentale, la place de Mahdia38, Charles
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A. Brogini et M. Ghazali, « Un enjeu espagnol en Méditerranée occidentale... », art. cit., p. 27. AOM 88, f. 95r, 31 août 1551. AOM 88, f. 101r, 3 novembre 1551. AOM 88, f. 101r, 4 novembre 1551. A. Dupront, Le Mythe de croisade, op. cit., T. II, p. 126. F. Braudel, La Méditerranée…, op. cit., p. 231.
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Quint désirait offrir un nouveau préside aux Hospitaliers, en compensation de celui qu’ils venaient de perdre. La proposition semble toutefois plonger l’Ordre dans l’embarras. Le 13 janvier 1554, le chevalier Leone Strozzi reçoit du Grand Maître l’ordre de se rendre à Mahdia, en compagnie de sept autres chevaliers, dont l’ancien gouverneur de Tripoli Jean de La Valette, pour inspecter le nouveau préside espagnol39. Les huit commissaires ont pour consigne de dresser un compte rendu précis au Conseil des fortifications de Mahdia, ainsi que du nombre de soldats, d’armes et de munitions nécessaires à une éventuelle tenue et défense du lieu. De retour à Malte, les huit commissaires se présentent le 30 janvier devant le Conseil de l’Ordre, et le rapport qu’ils font achève de conforter le Couvent dans sa décision de ne pas accepter l’offre impériale. Compte tenu de « l’incommodité du lieu », privé de presque toute structure militaire de défense, et surtout des « faibles forces de la Religion », les commissaires concluent à une impossibilité totale pour l’Ordre de prendre en charge la défense du nouveau préside40. Après délibération, le Conseil vote donc à l’unanimité le refus de Mahdia, avançant comme raisons principales que le préside est trop faiblement protégé et que l’Ordre « ne peut tenir militairement à la fois l’île de Malte et une autre forteresse », au risque de s’incliner encore une fois devant un nouvel assaut musulman41. Le 12 février, le Grand Maître donne consigne au chevalier Alonso de Solis, ambassadeur de l’Ordre auprès de la Cour d’Espagne, de faire savoir à l’Empereur que le Conseil refuse l’offre de Mahdia42. Il doit également lui remontrer, par un rapport, que le préside exige trop de réparations43 et que pour le tenir, il faut, outre construire deux remparts, un gros cavalier et un port plus grand, maintenir sur place une garnison de 900 à 1 000 soldats44. L’Ordre se trouve par conséquent dans l’incapacité financière de soutenir deux fronts face aux musulmans : en 1554, alors que les recettes des responsions s’élèvent à 67 700 écus45, les dépenses occasionnées par la gestion de l’Ordre lui-même (Sacrée Infirmerie, Église conventuelle, aumônes aux pauvres) et par le souci militaire (entretien de la flotte, construction des remparts de Senglea et des forteresses de Saint-Michel et de Saint-Elme, soldes du personnel militaire) se montent à 111 122 écus46, soit un déficit de plus de 43 000 écus ! Finalement, le 10 mars, l’ambassadeur de l’Ordre quitte Malte 39 40 41 42 43 44 45 46
AOM 424, f. 220r-220v, 13 janvier 1554. G. Bosio, Dell’Historia della Sacra Religione..., op. cit., T. III, p. 348. AOM 424, f. 226v, 12 février 1554. AOM 88, f. 189r, 12 février 1554. AOM 424, f. 227r. AOM 424, f. 227v. G. Bosio, op. cit., T. III, p. 349. AOM 424, f. 228v.
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pour se rendre à la cour d’Espagne, dans le but de refuser Mahdia et de présenter les excuses du Grand Maître à Charles Quint47. Après le refus des chevaliers, la place fut rapidement démantelée et ses remparts détruits ; le 4 juin, les troupes qui l’occupaient sont même repliées sur la Sicile48. L’« affaire » de Mahdia, et plus encore sa date (1554)49, ne sont pas anodines mais bien révélatrices d’un nouvel état d’esprit de l’Ordre et de l’importance revêtue dorénavant par l’archipel maltais en Méditerranée occidentale. Échaudés par l’échec de 1551, les Hospitaliers estiment qu’ils doivent se centrer sur un établissement unique, ce qui permet de le défendre au mieux. La perte de Tripoli a eu pour conséquence immédiate de contraindre l’Ordre à s’intéresser véritablement à Malte, à s’en soucier, et donc à tenter d’en combler les failles par des travaux de fortification qui en 1554, apparaissent déjà bien entamés. Surtout, l’« affaire » de Mahdia révèle au grand jour la dimension stratégique de Malte. Dans le cas où les présides seraient entièrement perdus – et le contexte méditerranéen porte à le penser –, l’île est géographiquement et stratégiquement située à la frange de l’Europe chrétienne, constituant la bordure méridionale la plus avancée face à la rive ennemie. Malte revêt ainsi l’apparence d’un nouveau préside à défendre pour ses chevaliers. Illustrant le basculement sensible, depuis la fin du Moyen Âge, d’une croisade offensive à une croisade plus défensive, où l’intérêt militaire chrétien n’est plus seulement de se porter en territoire infidèle, mais plutôt de conserver de manière définitive les premiers lieux de contacts avec les musulmans, cette valorisation nouvelle de l’archipel fait de lui l’un des points de contact et de troubles essentiels entre les rives du Ponant. Symbolique, le refus de Mahdia constitue ainsi un événement crucial dans la rétraction et la fixation d’une frontière chrétienne désormais sise au cœur du bassin maritime, là où se matérialisent des nœuds frontaliers tels que les îles et les littoraux qui tous, en ce milieu du xvie siècle, se « hérissent de forteresses »50. Dès lors, l’intérêt de l’Ordre se centre entièrement sur la stabilisation de son front maltais de conquête et de défense. Les années 1550 inaugurent en effet un temps de grands travaux de fortifications dans le port de Malte (fig. 1), tous financés par les chevaliers, qui reçoivent si nécessaire le soutien du Saint-Siège et de l’Espagne, par le biais des royaumes de Naples et de Sicile. Le 8 janvier 1552, le Grand 47 AOM 424, f. 230r-230v, 10 mars 1554. 48 F. Braudel, La Méditerranée…, op. cit., p. 231. 49 Victor Mallia-Milanes se trompe en la datant de 1550 (Victor Mallia-Milanes, « L’Ordine dell’Ospedale e le spedizioni antislamiche della Spagna nel Mediterraneo. Dal primo assedio di Rodi (1480) all’assedio di Malta (1565) », dans Sardegna, Spagna e Mediterraneo. Dai Re Cattolici al Secolo d’Oro, éd. par B. Anatra et G. Murgia, Pise, Carocci, 2004, p. 119). 50 F. Braudel, La Méditerranée…, op. cit., p. 189.
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Maître d’Homedès donne donc ordre à trois chevaliers, assistés d’un ingénieur, Pietro Prato, envoyé par le vice-roi de Sicile51, d’inspecter les terrains portuaires et de projeter de nouveaux plans de fortification sur deux des langues de terre qui constituent le port de Malte, à savoir l’Isola et le Mont Sciberras52. L’idée d’ériger un fort au bout de la péninsule Sciberras n’est pas une nouveauté : déjà en 1541, l’ingénieur Antonio Ferramolino l’avait recommandé, mais les travaux n’aboutirent pas, faute de fonds disponibles53. En 1551, la perte de Tripoli transforme brusquement Malte en avant-poste de défense d’une Sicile menacée par les incursions barbaresques. Le vice-roi de Sicile se montre alors d’autant plus sensible à l’importance des fortifications portuaires maltaises et dépêche sur place son ingénieur Pietro Prato, qui avait été chargé d’améliorer les fortifications des principaux ports du Royaume54. Arrivé à Malte dans les premiers jours de janvier 1552, l’ingénieur sicilien propose aux commissaires et au Conseil la construction au bout du Mont Sciberras d’un fort permettant de surveiller l’embouchure du port55, et les travaux de construction débutent très rapidement56. Pour les mener à bien, l’Ordre met en œuvre tous les moyens nécessaires, recrutant plusieurs centaines de maçons et ouvriers dans le Royaume de Sicile57, puis exigeant que tous les Maltais valides, âgés de 12 à 60 ans, soient engagés de force et contraints de travailler au fort58. Enfin, le 3 février, des chiourmes de galères sont également requises, pour aider à l’avancement de la construction59. L’édification de Saint-Elme dure un peu plus de six mois. Une lettre du 1er février 1552, envoyée par Pietro Prato au vice-roi de Sicile, indique que le fort possède déjà sa structure de base60. Début avril, le fort est ravitaillé en armes, munitions et nourriture, preuve qu’il peut être utilisé en cas de danger61, et en septembre, le premier gouverneur du fort est nommé, cependant que 30 chevaliers, 40 soldats et 6 bombardiers sont installés dans la nouvelle forteresse qui assure désormais la protection du port62.
51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62
AOM 88, f. 110r, 22 février 1552. AOM 88, f. 106v-107r, 8 janvier 1552. G. Bosio, Dell’Historia della Sacra Religione..., op. cit., T. III, p. 198. Carlo Gallo, « Momenti ed aspetti della politica difensiva del Vicerè De Vega in Sicilia », Archivio Storico Siciliano, Serie IV, Vol. V, 1979, p. 53. C. Gallo, art. cit., p. 56-57. AOM 88, f. 107r, 14 janvier 1552. AOM 423, f. 207v, 20 janvier 1552. AOM 88, f. 107r, 23 janvier 1552. AOM 88, f. 107v, 3 février 1552. C. Gallo, art. cit., p. 56. AOM 88, f. 116r, 9 avril 1552. AOM 88, f. 127v, 17 septembre 1552.
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Figure 1 | Le port de Malte en 1560
Bâti selon un plan en forme d’étoile – forme très usitée au milieu du xvie siècle pour les constructions de moyennes dimensions – et séparé du Mont Sciberras par un fossé, le fort Saint-Elme est constitué de quatre angles aigus bastionnés. Le fort n’est pas conçu pour soutenir un long siège, comme cela se produisit en réalité en 156563, et aucune fortification extérieure n’a été prévue, ce qui explique que l’Ordre juge rapidement que le fort souffre d’un manque de protection. Deux ans plus tard, en 1554, sur la demande du Grand Maître de la Sengle, et probablement à partir des plans de l’ingénieur Nicolò Bellavanti64, un cavalier triangulaire à double niveau est érigé en avant du fort. Ce cavalier, qui fait écho au cavalier intérieur, permet à la fois de soutenir la défense du fort en cas d’attaque et de mieux contrôler la haute mer et la venue de navires ennemis. Enfin, en 1556, une fortification extérieure est encore ajoutée sur le flanc occidental du fort, pour garder l’entrée du port de Marsamxett65. Face au Mont Sciberras, désormais protégé à sa pointe par le fort Saint-Elme, d’autres langues de terre constituent les lieux de résidence et de détente des chevaliers. Groupés à Birgù, les Hospitaliers peuvent en effet se rendre à l’Isola, un espace situé sur le flanc oriental de la cité portuaire, qui leur sert de jardin. À la 63 Alison Hoppen, The Fortifications of Malta by the Order of St-John (1530-1798), Malte, Mireva Publications, 2000 (1re édition, The Scottish Academic Press, Edinburgh, 1979), p. 38. 64 G. Bosio, op. cit., III, p. 353. 65 Stefen C. Spiteri, Fortresses of the Knights, Malta, Book Distributors Limited, 2001, p. 255.
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pointe de l’Isola, de petites fortifications ont été rapidement construites dans les années 1540, afin de placer une lourde chaîne entre le fort Saint-Ange et l’Isola et de protéger le port des galères66. Commandée aux fonderies de Venise, cette chaîne est installée en 154667. L’ingénieur Pietro Prato propose alors au Conseil la construction d’une nouvelle forteresse, nommée Saint-Michel, destinée à protéger cette langue de terre ; plus petit que Saint-Elme, placé au cœur de l’Isola, le fort doit assurer une meilleure protection à Birgù et à son fort Saint-Ange, qui peuvent facilement être bombardés depuis l’Isola68. Le 2 février 1552 débutent donc les travaux de construction de Saint-Michel69. Afin de hâter la construction, l’Ordre réquisitionne tous ses esclaves de terre à partir du mois d’avril 155270, puis au début du mois de juin, les chiourmes sont également requises pour travailler en même temps à l’édification de Saint-Michel et de Saint-Elme71. Régulièrement, le Grand Maître charge des commissaires de contrôler l’avancement des travaux et de s’entretenir avec l’ingénieur pour s’informer des progrès de construction des remparts de l’Isola72. Le 31 juillet 1552, la construction du fort Saint-Michel touche à sa fin et le premier gouverneur du fort est nommé73. Il s’agit d’un fort haut, de forme carrée, pourvu en son centre d’une grosse tour supportant une lourde batterie74. Cependant, les travaux ne sont pas achevés sur l’Isola et la construction de remparts doit débuter. Le Grand Maître de la Sengle a en effet exigé la construction de fortifications littorales pour protéger le fort Saint-Michel et défendre la côte occidentale de l’Isola qui échappe à la protection des canons du fort Saint-Ange75. Les travaux sont entrepris à partir de 1554 par le nouvel ingénieur de l’Ordre, Niccolò Bellavanti, assisté d’un capo maestro rhodien qui avait suivi l’Ordre après son départ de Rhodes en 1522, Nicolas Flevari76. Les travaux s’achèvent vraisemblablement en 1557, c’est-à-dire avant la mort du Grand Maître de la Sengle, puisque celui-ci décide de fonder une petite ville sur l’Isola où s’est progressivement développé un faubourg, qui est baptisé en son honneur Senglea77. 66 Michel Fontenay, « Le développement urbain du port de Malte du xvie au xviiie siècle », dans Le Carrefour maltais, Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, 71, janvier 1994, p. 96. 67 Ettore Rossi, Storia della Marina dell’Ordine di San Giovanni di Gerusalemme, di Rodi e di Malta, Rome-Milan, Società Editrice d’Arte Illustrata, 1926, p. 41. 68 C. Gallo, « Momenti ed aspetti della politica difensiva del Vicerè De Vega in Sicilia », art. cit., p. 56-57. 69 Ibid., p. 56. 70 AOM 88, f. 116r, 12 avril 1552. 71 AOM 88, f. 121r, 8 juin 1552. 72 AOM 88, f. 123v, 11 août 1552. 73 AOM 88, f. 161v, 31 juillet 1552. 74 S. C. Spiteri, Fortresses of the Knights, op. cit., p. 262. 75 G. Bosio, Dell’Historia della Sacra Religione..., op. cit., T. III, p. 353. 76 AOM 89, f. 34r, 5 février 1555. 77 M. Fontenay, art. cit., p. 96.
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Au milieu du xvie siècle, et dans la décennie qui suit la perte du préside de Tripoli, le port de Malte a donc considérablement changé de visage et présente désormais toutes les apparences d’un établissement définitif. Une nouvelle ville est née, Senglea, voisine de Birgù qui ne suffit plus à elle seule à héberger le Couvent, les Maltais et les éventuels étrangers venus s’installer dans le port. Nichées au creux de leurs remparts, à l’abri de nouvelles forteresses, les deux cités sont en outre protégées par le fort Saint-Elme qui surveille l’entrée du port et le mouvement des navires. Cette politique de grands travaux témoigne dans les années 1550 d’une véritable prise de possession de l’île par les Hospitaliers. Aux yeux de ceux-ci, le temps des présides est bien révolu. Dès lors, la victoire éclatante obtenue par l’Ordre de Malte lors du fameux siège de 1565 apparaît comme la conséquence logique et le couronnement de l’intérêt nouveau des chevaliers pour leur île, investie désormais d’un rôle frontalier. Transformée peu à peu en « frontière », au même titre que les autres possessions espagnoles de Méditerranée occidentale, telles que les Baléares78, la Sicile79 ou les côtes méridionales de l’Italie80, Malte devient pour ses suzerains comme pour les contemporains l’équivalent d’un nouveau préside, d’autant plus porteur d’un mythe de croisade revivifié que les Hospitaliers l’incarnent en tant qu’hommes depuis déjà plusieurs siècles81. Un témoignage révélateur demeure celui de Gio Battista Leoni qui, en 1582, écrit qu’il est « en Barbarie, dans l’île de Malte »82. Bien que déplacée au centre du bassin maritime, la frontière chrétienne n’en conserve donc pas moins toute sa vigueur et ne va cesser de s’incarner, dès le second xvie siècle, dans les ultimes affrontements navals entre Espagnols et Ottomans, puis dans la guerre de course, qui s’épanouit totalement à partir des années 1580 et dont les chevaliers de Malte deviennent bientôt les spécialistes.
78 Nadividad Planas, Pratiques de pouvoir au sein d’une société frontalière. Le voisinage de Majorque et ses îles adjacentes avec les terres d’Islam au xviie siècle, Thèse de doctorat d’histoire, Institut Universitaire Européen, Florence, 2000, p. 73-74. 79 Antonio Spagnoletti, « La frontiera armata. La proiezione mediterranea di Napoli e della Sicilia tra XV e XVI secolo », dans Sardegna, Spagna e Mediterraneo…, op. cit., p. 20-21 ; Valentina Favarò, « Della nuova milizia al tercio spagnolo : la presenza militare nella Sicilia di Filippo II », Mediterranea, 4, août 2005, p. 235. 80 Jean Aubin, « Une frontière face au péril ottoman : la Terre d’Otrante (1529-1532) », dans Soliman le Magnifique et son temps, op. cit. , p. 470, n. 47 (Citation de deux lettres du vice-roi de Naples, datées des 26 et 29 octobre 1522, dans lesquelles le vice-roi exprime sa volonté d’aller inspecter « les terres et châteaux des côtes de Pouille qui sont à la frontière du Turc »). 81 Ann Williams, « Crusaders as Frontiersmen : The Case of the Order of St John in the Mediterranean », dans Frontiers in question. Eurasian Borderlands, 700-1700, éd. par D. Power et N. Standen, Londres, MacMillan Press Ltd, 1999, p. 209. 82 Paolo Falcone, « Una relazione di Malta sulla fine del Cinquecento », Archivio Storico di Malta, Fascicolo I, 1933, p. 28.
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Durant le premier xvie siècle, l’histoire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem a donc épousé harmonieusement celle de la frontière chrétienne, en rétraction au Levant, mais en espérance de conquête en Méditerranée occidentale, sous l’égide d’une Espagne dont ils deviennent vassaux en 1530, dès lors qu’ils acceptent de Charles Quint la donation en fief de Malte et de Tripoli. En quête d’une nouvelle terre qui incarnerait leur rêve d’une croisade à jamais perpétuée, les chevaliers adhèrent complètement au désir militaire espagnol de constituer, outremer et en terre barbaresque, un État latin d’Afrique incarné par les présides. Acharnés à défendre Tripoli et prêts à y transférer leur Couvent, ils sont toutefois contraints de l’abandonner et de se replier contre leur gré sur leur dernière possession, Malte, qui devient le support ultime et désespéré d’un mythe de croisade qui leur fait défaut depuis leurs échecs successifs de Rhodes en 1522 et de Tripoli en 1551. Cet abandon de la frontière conquérante au profit d’une frontière stabilisée, qui s’enracine dans une île que les chevaliers transforment patiemment en bastion, reflète toute l’histoire de la Méditerranée occidentale où au milieu du xvie siècle, les espaces insulaires et littoraux du cœur du bassin maritime sont intensément fortifiés, afin d’incarner tant matériellement que symboliquement la césure définitive entre le même et l’autre, entre la chrétienté et l’Islam. Se substituant à des présides dont l’isolement en terre ennemie constitue la principale faiblesse, ces espaces nouveaux émergent comme frontières de civilisation où se cristallisent les tensions en même temps que s’épanouissent les échanges entre les intermédiaires des deux rives. De l’échec même de Tripoli et du rêve chevaleresque d’une frontière offensive dépend ainsi la fortune à venir de Malte, et celle de l’Ordre qui doit en tirer sa gloire et un renouveau durable, tant par sa pratique de la guerre de course que par son ouverture aux échanges maritimes du commerce des esclaves et des marchandises, longtemps après le xvie siècle, c’est-à-dire en une époque où la croisade, dont il se présente comme la quintessence, est révolue.
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Le pragmatisme des faibles. Marseille, les Turcs et les Médicis au temps de la Ligue (1589-1597) Fabrice Micallef | Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Durant la première modernité, la confrontation méditerranéenne entre deux religions, islam et christianisme, était indéniable. Mais quelle fut l’extension de cette confrontation dans le champ des pratiques politiques ? En d’autres termes : y a-t-il eu une forte spécificité des relations politiques entre acteurs chrétiens et acteurs musulmans ? Le débat historiographique s’est cristallisé autour de l’idéal de croisade, jugé tantôt vigoureux, tantôt désuet, en fonction des acteurs observés. La justification ou la condamnation de l’alliance avec le Turc a également fait l’objet de plusieurs études. Se dessineraient ainsi deux types d’acteurs politiques parmi les chrétiens. Il y aurait d’abord des acteurs comme les chevaliers de l’ordre de Malte, la monarchie espagnole, la papauté ou encore la faction ligueuse en France, pour lesquels la frontière politique recouperait strictement la frontière religieuse : l’idéal de croisade serait omniprésent et l’alliance avec l’infidèle vue comme une monstruosité1. Un autre groupe serait composé d’acteurs comme la monarchie française et la république de Venise, pour lesquels la croisade ne serait qu’un discours creux ou de circonstances, et qui par pragmatisme, accepteraient plus facilement la coexistence, voire l’alliance avec le Turc2. 1
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Qu’en est-il dans le cas d’acteurs dont l’intransigeance catholique est indubitable, mais qui se trouvent confrontés à des situations de faiblesse politique extrême ? Pourraient-ils être amenés à assouplir leur position dans leurs relations avec les Turcs ? Les affaires de Marseille au temps de la Ligue ont paru être un laboratoire efficace. En 1589, la municipalité marseillaise adhère à la Ligue, ou Sainte-Union. Ce parti catholique intransigeant a pour but d’empêcher Henri IV, alors considéré comme hérétique, de monter sur le trône de France. En raison de cette prise de position, la ville se trouve rapidement accablée par le manque de moyens financiers et de vivres3. Elle reçoit bientôt l’appui financier du grand-duc de Toscane Ferdinand de Médicis, prince très catholique, puissance secondaire en Italie, qui cherche alors à s’émanciper des tutelles espagnole et pontificale. Le grand-duc joue à cette époque un jeu très ambigu, car tout en soutenant ouvertement la Ligue, il envoie en secret de l’argent à Henri IV, alors que ce dernier est encore calviniste : l’enjeu est de contrer l’hégémonisme espagnol sans soutenir ouvertement un prince hérétique4. À partir de l’été 1591, une garnison florentine cohabite avec la garnison française du château de l’île d’If, qui contrôle l’entrée dans la rade de Marseille5. Mais les relations entre la ville et le grand-duc se dégradent nettement à la fin de la période ligueuse. Et même, après la réduction de la ville sous l’obéissance d’Henri IV (16-17 février 1596), une grave crise éclate en avril 1597 : la garnison florentine chasse les Français du château d’If. Le grand-duc, représenté sur place par son demi-frère Don Giovanni, exige alors en échange de la restitution de la forteresse, que le roi de France lui rembourse les fortes sommes d’argent qu’il lui doit 6. Tout au long de cette période, Marseillais et Toscans de France sont confrontés à la présence turque, notamment à l’influence des régences maghrébines de l’Empire ottoman. L’acteur politique musulman joue en effet un rôle non négligeable dans le théâtre méditerranéen des Guerres de religion françaises. À partir de 1590, les royalistes de Provence, dirigés par le sieur de La Valette, qui recon-
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naissent Henri IV, et sont donc les ennemis des ligueurs, reçoivent une importante aide logistique de la part d’Alger, notamment au port de Toulon7. Par ailleurs, à la demande des mêmes royalistes, des confiscations de biens sont effectuées dans le Levant et en Barbarie au détriment des marchands marseillais. Le 28 novembre 1589, le cas est évoqué devant le conseil municipal de Marseille : pandant ces troubles advenus en le royaulme, les merchans, trafficans et négotians soubz la bannière de France en Constantinoble y estoyent mal tractés par les Turcz, et mesmes ceulx des villes quy ont tenu et tiennent le party de la Sainte Union de l’Eglize cathollique appostollique et romaine, que revient au grand préjudice desdits négotians8.
Au printemps 1590, à la demande d’André Hurault de Maisse, ambassadeur d’Henri IV à Venise, et d’Edward Barthon, le résident anglais à Constantinople, le sultan Mourad III va même, fait exceptionnel, jusqu’à écrire aux Marseillais, les menaçant de nouvelles saisies s’ils ne se soumettent pas au Béarnais : Ledit agent [anglais] m’escrit qu’il a un commandement dudict Seigneur pour ceux de la coste de Provence, par lequel il leur mande, s’il n’a nouvelles dans trois mois qu’ilz se soient remis soubz l’obéissance de Vostre Maiesté, qu’il leur saisira leurs biens par touttes ses […] portz, et sera leur personnes esclaves9.
Toujours en collusion avec les royalistes, les corsaires « barbaresques » harcèlent les vaisseaux marseillais, comme en témoigne cet extrait des registres de délibération du conseil de ville, daté du 30 mai 1590. L’orateur se plaint des faulx entendre que son esté donné au roy d’Argers10 par ceulx de Thollon, faulteurs des héréticques, pour raison de quoy les gallères dudit Arger auroyt faict la prinse dernière des vaisseaulx de ceste ville11.
Lors de la crise du château d’If, en juillet 1597, c’est au tour des Florentins de faire les frais de la présence ottomane : le corsaire tunisien Morad Raïs est accueilli avec ses
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Lettre d’Alvise Forscarini au sénat de Venise. Archivio di Stato di Venezia, Dispacci degli ambasciatori al senato, Savoia, filza 11, f. 55r, 27/05/1590. On a su « l’arrivo nel porto di Tollon di altre galeotte di Barberie, le quali, unite a quelle che in due volte vi entrorono li passati giorni, arriveranno al numero de 17 ; de quali et delle tante depredationi che fanno […] non resterò di dirle che, per ordine di Monsignor della Valletta, si attende hora con grandissima solecitudine à fortificar la città di Tolon ». 8 Archives communales de Marseille. BB51, f. 29v. Et aussi BB51, f. 38r (30/12/1589). 9 Lettre de Hurault de Maisse à Henri IV. Bibliothèque nationale de France, NAF 6982, f. 192r (27/05/1590). 10 Il s’agit du pacha d’Alger. 11 Archives communales de Marseille. BB51, f. 87r. Et aussi BB51, f. 90r (24/06/1590) ; BB51, f. 91v (26/06/1590) ; BB51, f. 92r (30/06/1590).
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vaisseaux dans le port de Marseille. Il parvient à sortir de la rade alors que les galères toscanes lui barrent vainement la route. Tenu en échec, Don Giovanni de Médicis subit une grave humiliation12. De fait, la conflictualité, ou les virtualités de conflictualités, sont omniprésentes entre nos acteurs très catholiques et les musulmans. On pourrait interpréter ces événements de la manière suivante : des acteurs pragmatiques, ici les royalistes, ceux de 1590 ou ceux de la municipalité marseillaise de 1597, sont capables de faire un usage efficace de la présence ottomane ; tandis que les catholiques intransigeants, eux, figés dans leur dogmatisme, font les frais de cette présence. Les premiers sont capables de dissocier frontière religieuse et frontière politique, les seconds s’y refusent. Cette lecture est-elle confirmée par la manière dont les Marseillais ligueurs et les Toscans interprètent les événements ? Se conçoivent-ils comme les victimes d’alliances impies entre les infidèles et les mauvais chrétiens ? Y opposent-ils le contre-modèle de la croisade ? Leurs pratiques à l’égard des Ottomans ont-elles une spécificité, et reflètent-elles une stricte superposition de la frontière religieuse et de la frontière politique ?
La croisade, entre conviction et polémique Certains éléments peuvent laisser penser que Toscans et Marseillais lisent la situation selon le schéma de la croisade. Le 10 décembre 1592, le secrétaire florentin Vinta écrit au commandant de la garnison du château d’If. Il devra faire savoir aux Provençaux qu’ils ne devraient pas permettre que « l’on donne tant de commodité et d’aides aux Turcs en Alger, car ce n’est pas convenable, et c’est même justement et expressément prohibé à tous les chrétiens »13. Dans un pamphlet publié en 1595, les ligueurs marseillais s’adressent aux royalistes, et s’en prennent au soutien des « Turcs infidelles que vous entretenez à Tholon », ainsi qu’à celui des « Vénitiens qui vivent plutôt à la turque qu’à la chrestienne »14. En 1597, au moment de l’affaire Morad Raïs, le discours catholique des Médicis va très loin. Le 25 juillet, l’évêque de Cavaillon écrit au cardinal Aldobrandino qu’il a reçu « une lettre du sieur Don Giovanni de Médicis depuis Marseille, dans laquelle » ce dernier lui « demande d’annoncer l’excommunication […] contre cette cité, parce qu’elle abrite les galères turques »15. Le 12 R. Galluzzi, Histoire du grand-duché de Toscane..., op. cit., p. 281. César de Nostredame, Histoire et chronique de Provence, Lyon, S. Rigaud, 1614, p. 1058. 13 Archivio di Stato di Firenze, Mediceo del principato, f. 6056, f. 2v, 10/12/1592 : « Marsilia si diano tante commodità et aiuti a i Turchi in Algieri, non convenendo ciò, anzi essendo espresse et giustamente proibito à tutti i Christiani ». 14 Archives de Simancas, K 1597, no 90. Responce des catholiques françois, de la ville de Marseille, à l’advis de leurs voisins hérétiques et politiques, antichrestiens athéisés. 15 Archivio Segreto Vaticano, Segretaria di Stato, Avignone, 26, f. 138r : « Hebbi hieri una lettera del signor Don Giovanni de Medici da Marseglia, nella quale mi richiede di annuntiare la scommu-
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4 août, un agent pontifical écrit à la curie depuis Florence, qu’au sujet de cette affaire, « le grand-duc pense demander de l’aide aux Génois ou à Sa Sainteté »16. L’idée de croisade est latente, comme dans cette lettre du même agent le 19 août : il annonce que Christine de Lorraine, la grande-duchesse de Florence, a écrit à son cousin le duc de Guise, gouverneur de Provence, « lui reprochant de favoriser et d’entretenir ainsi Amorat Raïs, lui disant que c’est là une action indigne de leur maison, qui a toujours persécuté les infidèles »17. Une première remarque s’impose : ces exemples sont des cas isolés. La condamnation de la collusion avec le Turc et l’idéal de croisade ne sont pas omniprésents dans la communication politique des Marseillais ligueurs et des Florentins. Les lettres et remontrances des catholiques marseillais aux papes, au grand-duc de Toscane, et au roi d’Espagne n’abordent jamais le problème turc18. Par ailleurs, peut-on dire que ces discours reflètent les sentiments réels des acteurs ? Ne se situe-t-on pas dans le cadre de polémiques, où l’on a intérêt à faire passer l’adversaire pour un impie ? On sait que la période de la Ligue en France correspond à une explosion de la propagande polémique : forcer le trait devient la règle générale19. De même, Marco Barducci a montré que le discours anti-turc des Médicis devait être compris dans une opération de propagande plus large, tendant à conserver pour le grand-duché l’image prestigieuse d’un État champion de la Contre-Réforme20. Certes, le souci de propagande n’exclut pas la conviction, et n’est pas une preuve d’hypocrisie21. Mais les discours polémiques construits et cohérents, les stratégies d’auto-représentation, ne peuvent être pris comme le re-
nica […] contro quella citta, perchè racetta li galere turchese ». 16 Archivio Segreto Vaticano, Segreteria di Stato, Firenze, 13, f. 43 : « Quando venissero [les galères turques censées s’unir à Amorat Rais], pensa S. A. di domandare aiuto di galere ai Genovesi o à Sua Santità ». 17 Archivio Segreto Vaticano, Segreteria di Stato, Firenze, 13, f. 34r : « Madama serenissima ha scritto al duca di Guisa, riprendendolo che favorisca et trattenga così Amorat Rais, dicendoli che questa non è attione digna della casa loro, che ha semper perseguitato gli infideli, e sono stati capi d’imprese contra loro ». 18 Archivio di Stato di Firenze, Mediceo del principato, f. 5964, f. 17 (19/02/1591) ; f. 5964, f. 25r (10/03/1591). Bibliothèque nationale de France, Dupuy 656, f. 236r (11-12/1591). Archivio di Stato di Firenze, Mediceo del principato, f. 5964, f. 8r ; f. 6059, f. 213r (12/01/1592) ; f. 6059, f. 232r (25/01/1592) ; f. 5964, f. 62r (05/04/1593) ; f. 5964, f. 81r (01/05/1593). Bibliothèque nationale de France, Dupuy 155, f. 13r (27/03/1593). Archives de Simancas, K, B83, no50-83 (16/11/1595). 19 Myriam Yardeni, La Conscience nationale en France pendant les guerres de Religion : 1559-1598, Louvain, Nauwelaerts, 1971, p. 263-281. 20 Marco Barducci, « Le grand-duché de Médicis et la guerre contre les Turcs, 1571-1609. Représentations politiques et idéologies », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance 70/2, 2008, p. 327-350. 21 Géraud Poumarède, « Le voyage de Tunis et l’Italie de Charles Quint, ou l’exploitation politique du mythe de la croisade », Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance, 67/2, 2005, p. 274-285.
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flet littéral des sentiments profonds des acteurs. Pour approcher ces convictions, il est nécessaire de se pencher sur la communication « interne » des Marseillais et des Toscans : la croisade et la condamnation de la collusion avec les Turcs apparaissent-elles dans des discours non destinés à la propagande et à la polémique ? L’idée de croisade, c’est un fait, est absente des registres de délibération de la municipalité marseillaise au temps de la Ligue. Les mentions des exactions subies de la part des musulmans ne donnent lieu à aucune envolée vantant la lutte contre l’infidèle ou fustigeant rageusement la collusion des royalistes22. À une seule reprise, le 6 avril 1591, des marins requièrent devant le conseil de ville la saisie de biens pris à un vaisseau anglais, « attandus mesmes que la plus grand part desdittes marchandises sont prinse faictes sur les Chrestiens par les Turcz, chosse deffandue de droit »23. On se situe davantage dans le domaine de la justification d’une rapine que dans un discours de croisade. Du côté italien, les discussions anti-turques à l’intérieur de la sphère florentine ne sont pas beaucoup plus nombreuses ni plus véhémentes. Le 22 juin 1591, le secrétaire Vinta écrit au capitaine Montauto pour lui donner l’ordre d’établir une garnison florentine au château d’If. Il explique, entre autres raisons, que cette décision est motivée par la volonté de protéger la place « des Turcs eux-mêmes »24. Mais il s’agit d’un danger parmi d’autres, qui ne donne lieu à aucun discours religieux. Un an plus tard, Montauto écrit au grand-duc pour lui parler de la possibilité d’attaquer un fortin turc sur la côte provençale. Mais les considérations religieuses n’entrent pas en ligne de compte pour motiver cette entreprise, qui n’apparaît que comme une simple rapine25. 22 Archives communales de Marseille, BB51, f. 29v (28/11/1589) ; BB51, f. 38r (30/12/1589) ; BB51, f. 87r (30/05/1590) ; BB51, f. 90r (24/06/1590) ; BB51, f. 91v (26/06/1590) ; BB51 f. 92r (30/06/1590). 23 Archives communales de Marseille, BB52, f. 81r. 24 Archivio di Stato di Firenze, Fondo Mediceo del principato, f. 6055, f. 23r : « Monsignor Busseto, capitano marsiliese et castellano del castello delle Pomieche, qual tiene per la corona di Francia et per chi sia legettimo re di quel regno, dubitando del duca di Savoia, et di chi contra la libertà della patria per corrutione seguita quel principe, hà domandato alcuni soccorsi di munitioni, et vettovaglie, et di maestranza, per potersi tanto più sostenere et difendere contro chi lo volesse o suprendere o sforzare. Et noi, per il benefitio pubblico, et accioché anche da i Turchi stessi possa star sicuro, ci sia resoluti di sottenirlo ». 25 Archivio di Stato di Firenze, Fondo Mediceo del principato, f. 6059, f. 36r, 10/05/1592 : « Li dirò ancora come in Marsilia è un Corso chiamato Giulio di Giovanni, corso, mercante in Marsilia, dove ha moglie et figli. Questo huomo ha traffico in Barberia […] et sa tutti quei luoghi benissimo, et ha preso un poco di pratica con me, et conferitomi che desidera acquistarsi la servitù di Vostra Altezza, et propone di far fare la più segnalata cosa alle galere di Vostra Altezza che già mai stata fatta, et dice che gli basta l’animo di fargli pigliare un luogo detto Gigari, vicino al colle sessanta miglia, […] con molta robba perchè è terra ricca et di traffico che fraisce Algieri di olio et molte altre cose. Questa terra non ha altro che un pezetto piccolo in una torre, e in tutta la terra ci sono dodici archibusi, et vi sono da dieci Turchi che stanno là per il traffico et per mandar le mercanti ad Algieri […]. Le mura della terra sono alte cinque braccia ; la porta è una porta ferrata, ma con un petardo si butta in terra ; questo non può haver soccorso da cavalleria nè da
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L’idéal de croisade, dans les faits, ne semble donc pas aussi présent que ne le laissent supposer les discours polémiques. S’il est excessif de parler d’un discours artificiel ou désuet, ces polémiques semblent bien résulter d’une certaine exagération par rapport aux convictions réelles des acteurs. Qu’en est-il dans les relations que les Marseillais ligueurs et les Florentins entretiennent avec les Ottomans eux-mêmes ? Ces relations sont-elles envisagées, sinon sous l’angle de la croisade, du moins sous celui de l’affrontement ?
Souplesse, adaptations et stratégies Lors du conseil de ville du 28 novembre 1589, pour remédier aux exactions infligées dans le Levant par les Turcs, un marchand conseille de « depputer vers le Grand Seigneur quelque honneste personne pour y faire les remonstransses requizes ». Les consuls répondent « qu’ilz n’empêchent que entre eux, merchans et négotians, soit advisé de y depputer tel qu’il cognoistront et qu’ilz, au nom de ladite ville, le adcisteront de mémoires, instructions et lettres »26. Le 30 mai 1590, face aux attaques algéroises le conseil décide que « lesdits sieurs consulz, au nom de ladite ville, escripront au roy d’Arger […] pour le faire enthendre les déportementz de ladite ville », et dissiper ainsi les « faulx entendre que son esté donné au roy d’Argers par ceulx de Thollon ». Le 24 juin suivant, la ville députe à Alger pour les mêmes raisons27. Ces efforts d’apaisement ne restent pas vains : le 12 août 1592, le conseil de ville a « reffermé et accordé le traicté de paix que a esté faict audict Argers entre ledit roy et bacha avec ledit cappitaine Franc au nom de ladite ville », traité stipulant que les Algérois « ne couriront dhors en avant ne ravageront aucungs vaisseaulx de ceste ville ne autres François, ne fairont aucungs prisonniers »28. L’idée de s’accommoder avec le Turc n’enchante peut-être pas les catholiques intransigeants de Marseille, mais le pas semble devoir être franchi, au regard des inconvénients subis. Le spectaculaire accueil de Morad Raïs dans le port, en juillet 1597, au cours de la crise du château d’If entre Marseille et les Toscans, est le fait d’une municipalité royaliste, certes. Mais la très catholique population marseillaise ne semble pas s’en altro […]. Questo dice che vuol dar bando alla Barbaria et al traffico, per servire à Vostra Altezza, et mi promette molte altre cose grande […]. Penserà Vostra Altezza à tutto, et dandomi avviso, manderò detto Corso costà, o farò quanto sarà servita comandarmi […] ; et bisogna guardarsi che non sappia cosa alcuna nessun Provenzale […]. Se a Vostra Altezza piacerà di darci orecchia et voglia far questa impresa, la supplico a favorirmi che io mici ritrovi ». 26 Archives communales de Marseille, BB51, f. 29v. 27 Archives communales de Marseille, BB51, f. 87r ; BB51 f. 90r. 28 Archives communales de Marseille, BB53 f. 145r.
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offusquer, bien au contraire. Guillaume Du Vair, président de la cour souveraine de justice de la ville, écrit alors à Henri IV que la « venue [de Morad Raïs] esleva fort le courage de ce peuple ». De plus, les Marseillais, outre qu’ilz se faschent qu’estant venu pour leur secours il soit en peyne, ilz appréhendent que s’il luy arrive quelque incommodité, les Turcs ne s’en vengent sur ceux de Marseille qui iront en Levant ou en Affricque, et que cela ne les prive de ce peu qu’il leur reste de commerce29.
Les anciens soutiens populaires de la Ligue ne paraissent pas traumatisés par le fait d’assister un infidèle pour contrecarrer les plans de leurs ennemis florentins, accessoirement catholiques ! La haine politique pour Don Giovanni de Médicis, ainsi que l’intérêt commercial, à en croire Du Vair, semblent prendre le pas sur la solidarité entre chrétiens. La souplesse est également de mise du côté toscan. Dans un mémoire d’instructions, daté du 14 décembre 1591, dressé pour négocier avec Henri IV, le très catholique Ferdinand de Médicis assène ce conseil au Bourbon : « Il est très important au service de Sa Maiesté qu’elle envoie un ambassadeur en Levant pour réveiller les Turcx et les sommer vivement de la secourir ». Et le grandduc ne se limite pas à donner des conseils : « Son Altesse se contente d’aider à Sa Maiesté de dix mil escus pour fournir aux fraiz dudit voiage »30. Le rapprochement avec Constantinople, Ferdinand ne le fait pas que le recommander aux autres : dans une lettre du 17 avril 1593, l’ambassadeur d’Henri IV à Venise apprend à son roi que « le grand duc avoit escript par delà pour l’establissement d’un sien baile en Levant »31. Les Médicis, volontiers donneurs de leçon quant aux relations avec l’Infidèle, on l’a vu plus haut, ne semblent pas toujours avoir les mêmes scrupules : considérations stratégiques et perspectives commerciales assouplissent la posture très catholique de Florence. Certes, les acteurs ne vont pas jusqu’à envisager pour eux-mêmes l’alliance militaire avec le « Turc », et c’est sans doute la limite que leur impose leur catholicisme intransigeant. Mais même avec cette limite, le hiatus saute aux yeux, entre ces pratiques d’accommodement et les polémiques aux relents de croisade. Nos catholiques intransigeants font preuve d’une capacité d’adaptation pour le moins spectaculaire. On peut bien parler de pragmatisme, comme réorganisation, et réorientation de la structure de l’action par rapport à une attitude « habituelle » ou idéale32. 29 Bibliothèque nationale de France. Manuscrits français 23195, f. 375r (27/07/1597). 30 Archives des affaires étrangères, Mémoires France 371, f. 101r. Instructions de Ferdinand au sieur de La Clielle pour parler à Henri IV. 31 Bibliothèque nationale de France, NAF 6984, f. 180v. André Hurault de Maisse à Henri IV. 32 Hans Joas, « Pragmatisme et théorie sociale », dans Dictionnaire des sciences humaines, éd. par S.
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Un tel pragmatisme peut se comprendre dans la logique de la situation de crise combinée à celle de faiblesse politique : les « coups » assénés par l’adversaire obligent les acteurs à modifier leur horizon d’attente33. Dans le cas de Marseille, il faut sans doute penser que le pragmatisme des ligueurs s’inscrit en continuité avec les bonnes relations de longue date, pour raisons commerciales, entre la ville et l’Afrique du Nord, particulièrement Alger34. Ces relations doivent elles-mêmes être saisies dans le cadre méditerranéen général, marqué par des efforts constants de neutralisation entre chrétiens et musulmans35. Ces deux clés de lecture, faiblesse politique et héritage méditerranéen, bien qu’opératoires, ne sont pourtant pas suffisantes ; le pragmatisme que nous venons d’observer doit être appréhendé dans un contexte plus large.
Un pragmatisme partagé, acceptable, mais limité D’abord, la volonté d’accommodement avec le Turc, dans le camp ligueur, peut être observée chez des acteurs non méditerranéens. Le 20 novembre 1590, le duc de Mayenne, rien moins que le chef de la Ligue, écrit au sultan Mourad III pour défendre les droits à la couronne de feu Charles de Bourbon – reconnu roi par les Ligueurs sous le nom de Charles X –, et présenter Henri IV comme un usurpateur. Puis il se fait l’intercesseur des Marseillais : Ayant esté adverty que, sur le faulx rapport qui luy avoit esté faict de l’estat des affaires de royaume, Vostre Grandeur auroit donné permission à tous ses subjectz de courre sus aux François des villes unyes de ceste estat qui se trouveront traffiquans et passans par les mers, portz et havres de Vostre Haultesse, j’ai donné charge audit sieur de Lancosme36 de luy faire présenter…, gentilhomme marsillois, et faire ensemblement très humble remonstrance à Vostre Grandeur de ce que dessus, à ce qu’il luy plaise permettre comme auparavant le trafficq libre entre ses subjectz et tous les vrays catholicques françois.
Mesure et P. Savidan, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 882-885. 33 Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1986, p. 21. 34 Moulay Benhamissi, « Alger et Marseille, portes de deux mondes à l’époque ottomane », dans Chrétiens et musulmans à la Renaissance. Actes du 37e colloque du CESR, Tours, éd. par B. Bennassar et R. Sauzet, 1994, Paris, H. Champion, p. 305-312. 35 Wolfgang Kaiser, « Suspendre le conflit. Pratiques de neutralisation entre chrétiens et musulmans en Méditerranée (xvie-xviie siècles) », dans Les Ressources des faibles. Neutralités, sauvegardes, accommodements en temps de guerre (xvie-xviie siècles), éd. par J.-F. Chanet et C. Windler, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 277-290. Dominique Valerian, « Le rachat des captifs dans les traités de paix de la fin du Moyen Âge », Hypothèses, 10, 2006, p. 343-358. 36 Il s’agit de l’ambassadeur français à Constantinople, favorable à la Ligue.
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Il termine la lettre en évoquant la nécessité de « continuer la grande correspondance et amitié qui a de tout temps esté entre ces deux couronnes et empire »37. Légitimer la cause ligueuse, favoriser le commerce dans le Levant, et même s’inscrire dans la continuité de l’amitié franco-ottomane : ces objectifs semblent surprenants de la part du chef du parti catholique. En janvier 1591, Mayenne écrit aux consuls de Marseille et leur rappelle la nécessité de députer à Constantinople pour s’assurer la bienveillance du sultan : Vous pouvez considérer de combien la diligence vous importe en cest affaire, ayant les Vénitiens à partie, qui ont entrepris le mesme présent pour nosdicts ennemys. Le premier venu pourra estre le plus asseuré de ce qu’il désirera de la part des gens à qui nous avons à faire38.
Le prince lorrain a clairement une lecture de la situation qui présente les ligueurs en compétition avec les Vénitiens pour gagner les faveurs de la Porte. Le pragmatisme dont fait preuve Mayenne s’inscrit dans des impératifs politiques urgents : saper le crédit diplomatique d’Henri IV sur la scène internationale, et protéger le parti catholique provençal des exactions ottomanes. La souplesse dont il faut faire preuve relègue au second plan les discours de croisade et la répugnance à négocier avec infidèles. Ainsi, le pragmatisme des Marseillais et des Toscans ne semble ni être un cas isolé, ni résulter de la spécificité d’un point de vue méditerranéen. S’agit-il uniquement d’un symptôme de la faiblesse politique de la Ligue et du grand-duché de Toscane durant la période ? Il faut nuancer cette idée, d’un pragmatisme spécifiquement et exclusivement dû à la situation de faiblesse ; car un acteur puissant peut également en faire preuve. La monarchie espagnole n’est sans doute pas au sommet de sa puissance durant la période prise ici en considération, notamment à cause de la défaite de l’Armada en 1588. Mais Philippe II reste le monarque européen dont la capacité d’action reste la plus importante39. Or, par la correspondance d’Hurault de Maisse, ambassadeur d’Henri IV à Venise, on apprend qu’en septembre 1591, les « Espaignolz » ont « bien commancé » à prandre pied en ceste porte […], ayant les ministres dudit roy d’Espagne, par le moien de xxx m escuz qu’ilz ont donné à ceulx dudit Grand Seigneur, obtenu que les iiii xx gallères qui devoient sortir cette année soient demeurées au port40.
37 Correspondance du duc de Mayenne, publiée sur le manuscrit de la bibliothèque de Reims, éd. par E. Henry, et C. Loriquet, Reims, P. Dubois, 1860-1862, 2 vols., vol. 1, p. 18-21 38 Ibid., p. 490-491 39 Geoffrey Parker, The Grand Strategy of Philip II, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 1-10. José Javier Ruiz Ibanez, « Le choix du roi. Les limites de l’intervention espagnole en France (15921598) », dans La Paix de Vervins, éd. par C. Vidal et F. Pilleboue, Laon, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 1998, p. 138-158. 40 Lettre au roi. Bibliothèque nationale de France, NAF 6983, f. 178r.
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Malgré sa posture de rempart de la Chrétienté contre le péril ottoman, Philippe II41, occupé en France et aux Pays-Bas, désormais potentiellement menacé par l’Angleterre, ne peut prendre le risque de la sortie d’une armée de mer ottomane. La volonté d’accommodement avec la Porte, pour des acteurs catholiques intransigeants, ne semble donc pas limitée à une situation de faiblesse telle qu’en connaissent Marseille et les Médicis, mais plutôt à une situation d’impossibilité de faire la guerre contre l’Infidèle, une redéfinition des priorités, dans laquelle la logique d’affrontement entre Islam et Chrétienté devient hors de propos. Les cas marseillais et toscan semblent être un cas limite de ce genre de recomposition conduisant au pragmatisme. Mais on peut aller plus loin que cette explication conjoncturelle. Il est frappant de constater que le discours politique à l’intérieur des deux sphères étudiées ne traduit aucun déchirement face au pragmatisme dont on est contraint de faire preuve. Le conseil municipal marseillais, pas plus que le duc de Mayenne, ne prennent jamais la peine de produire un discours réflexif sur le caractère douloureux des accommodements, ni de s’absoudre explicitement ou de se justifier du caractère inconvenant de ce pragmatisme. Bref, l’effort d’adaptation n’a pas de manifestation discursive. Le 29 juillet 1597, les consuls de Marseille, de sensibilité royaliste, certes, en écrivant à Henri IV pour l’informer de l’accueil de Morad Raïs dans leur port, ne consacrent pas une ligne à une justification explicite de la collusion avec l’infidèle, qui ne fait que rester dans le domaine du vague : Morat Rays, ung des grandz corsaires que sont en Afrique et coste de Barbeyrie estans aux mers d’Espaigne avec quatre gallères, ayant entendu que nous estions en mauvais mesnage avec les Florentins du Château d’If, il s’est venu gecter dans ceste ville pour nous adcister et secourir s’il estoit de besoing, et et voyant qu’il n’y a rien que l’aye esmeu à ce faire que l’affection et zelle au bien du service de Votre Majesté et au salut et secours de ceste ville, nous luy avons faict et faisons le meilleur traictement quy nous est possible42.
En écho à cette absence de souci de se justifier, que l’on trouve aussi bien chez les royalistes que chez les ligueurs, on constate que le caractère scandaleux des collusions avec le Turc doit aussi être nuancé. Le 23 juin 1590, l’ambassadeur de Venise à Rome, Alberto Badoer, rapporte dans sa dépêche une discussion qu’il a eue avec le comte Olivarès, représentant de Philippe II auprès du Saint-Siège. Au sujet des lettres écrites par Mourad III aux Marseillais, Olivarès aurait déclaré qu’il
41 S. Edouard, L’Empire imaginaire de Philippe II..., op. cit., p. 133-160. 42 Bibliothèque nationale de France, Manuscrits français 23195, f. 379r.
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fabrice micallef ne croyait pas que le Turc puisse commander à Marseille de se soumettre à Navarre, parce que [le sultan lui-même] ne pouvait approuver que certains [s’écartent] de leur religion commune pour inventer de nouvelles […] hérésies, et que l’ambassadeur de France à Constantinople ne servait pas Navarre43.
Plutôt que de condamner la collusion impie entre Henri IV et Constantinople, l’ambassadeur espagnol préfère argumenter sur une lutte générale contre l’hérésie, redessinant de manière surprenante les enjeux de la situation. L’attitude d’Olivarès, à la recherche de nouveaux arguments, paraît prendre acte de l’inefficacité du discours de croisade. La sphère politique pontificale semble engagée dans un processus similaire. Durant l’été 1597, alors que Don Giovanni de Médicis s’agite pour faire prononcer des sanctions ecclésiastiques contre Marseille, qui a accueilli les galères de Morad Raïs, l’évêque de Cavaillon, auquel il s’était adressé, lui répond qu’étant la trêve entre le Turc et Sa Majesté [le roi de France], et le libre commerce entre eux, il n’est pas en mon pouvoir d’accomplir quelque nouveauté sans commandement exprès de Sa Sainteté à laquelle Son Altesse le grand-duc [peut] recourir44.
Pour ce prélat, les normes qui régissent les relations entre la France et la Porte s’inscrivent dans un schéma sans spécificité évidente. Par ailleurs, Clément VIII ne donnera pas suite à la requête florentine. La correspondance du duc de Piney-Luxembourg, ambassadeur d’Henri IV à Rome, ne laisse pas supposer que le diplomate ait eu à justifier le coup d’éclat des Marseillais : Clément VIII semble avoir été beaucoup plus irrité de la saisie opérée par les Marseillais sur un transport de blé destiné à Rome, quelques mois plus tôt45 ! Tout se passe comme si, dans l’horizon politique général, le pragmatisme des uns et des autres n’avait rien de surprenant, et était même acceptable, encore une fois dans la limite d’un recours ou d’un accommodement ponctuel avec le 43 Lettre d’Alberto Badoer au sénat. Archivio di Stato di Venezia, Dispacci degli ambasciatori al senato, Roma, filza 25, f. 271, 23/06/1590 : « Fui già alcuni giorni a visitatione del signor conte d’Olivarès, il quale mi disse particularmente tutti gli avisi da Constantinopoli rifferiteli dal pontefice […], considerando che per quest’anno non potrebbe uscir armata, et che non credeva ch’el Turco commandasse a Marsiglia di sottoporsi al Navaro, poiché era fatto che egli non poteva approbare, che alcuno [lecture difficile] dalla sua commune religione per inventare nove sette et heresie, et che l’ambasciatore di Francia in Constantinopoli non serviva ad esso Navaro ». 44 Lettre de l’évêque de Cavaillon au cardinal Aldobrandini. Archivio Segreto Vaticano, Segretaria di Stato, Avignone, 26, f. 138r, 25/07/1597 : « io ho risposto che stante la tregua tra il Turco et Sua Maestà, et il commercio libero tra di loro, non è in poter mio di far atto di novità alcuna senza espresso commandamente di Sua Santità, alla quale poteva l’Altezza del gran duca ricorere et farmi fare il precetto, che subito ubidirò et esseguirò quanto mi verrà commandato ». 45 Bibliothèque nationale de France. Dupuy 212, 28/071597 : « Par mes dernières, j’ay donné advis à Vostre Maiesté que j’avois envoyé un courrier exprèz à monsieur de Guyse pour appaiser le pape, qui estoit merveilleusement en colère contre luy à cause de quelques bledz qui avoient esté retenus à Marseille ».
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Turc : une alliance ouverte et durable, sur le modèle de François Ier et Soliman, ne susciterait certainement pas la même indifférence46. Néanmoins, la facilité avec laquelle ce pragmatisme est mis en œuvre et accepté implique de dépasser la question d’une adaptation conjoncturelle. Il est nécessaire de se demander si le rapport au Turc ne doit pas être resitué dans un contexte culturel plus large, et dans des conceptions et des pratiques plus générales du politique.
Le rapport au « Turc » et les valeurs d’action En s’interrogeant sur la culture des marchands de la Renaissance, Alberto Tenenti a mis en évidence certaines caractéristiques qui pourraient nous aider à comprendre le comportement des ligueurs marseillais, issus pour beaucoup de ce milieu professionnel47. Leur culture de l’action se fonde ainsi sur leur expérience du déplacement continuel, conduisant à des échanges d’opinion, une pratique sans cesse renouvelée de la négociation, et une propension à la polyvalence des activités48. Le pragmatisme, dans ces conditions, n’est-il pas une composante structurelle de la manière de voir le monde et d’agir ? Pour ce qui est de la sphère politique toscane, le legs politique de Guichardin et de Machiavel aux Médicis n’est plus à démontrer : à la fin du xvie siècle, Scipione Ammirato dans son œuvre théorique, actualise cet héritage et met en avant l’absolue nécessité de souplesse et d’adaptation49. Ici, pour les deux sphères politiques qui nous intéressent, il redevient pertinent de poser la question de la faiblesse comme fondement du pragmatisme. Le marchand, même riche, même influent, est toujours en position de solliciteur face aux autorités politiques avec lesquelles il doit composer. Quant au machiavélisme, Corrando Vivanti a eu le grand mérite d’en resituer le point de départ empirique : les guerres d’Italie, et la confrontation des principautés aux déprédations des puissances qu’étaient la papauté, la France, l’Empire et l’Espagne50. La nécessité de se concevoir comme un acteur faible, ou du moins à la puissance très limitée, par rapport à des interlocuteurs aux moyens beaucoup plus étendus, pourrait être une composante essentielle de la culture de l’adaptation. Encore cette importance de la situation de faiblesse doit-elle être nuancée, comme nous l’avons déjà fait, et repla46 Géraud Poumarède, « Justifier l’injustifiable : l’alliance turque au miroir de la chrétienté (xviexviie siècles) », Revue d’histoire diplomatique, 3, 1997, p. 216-246. 47 W. Kaiser, « Suspendre le conflit... », art. cit., p. 312-318. 48 Alberto Tenenti, « Le marchand et le banquier », dans L’Homme de la Renaissance, éd. par E. Garin, Paris, Éditions du Seuil, 2002 [1990], p. 219-254. 49 M. Barducci, « Le grand-duché de Médicis... », art. cit., p. 336-339. 50 Corrando Vivanti, Machiavel ou les temps de la politique, Paris, Éditions Desjonquières, 2007, p. 9.
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cée dans un contexte plus général d’acceptation intellectuelle du pragmatisme. Depuis l’opportunisme subordonné à des fins religieuses de la raison d’État espagnole, jusqu’à la culture nobiliaire de la fortune et de l’occasion, en passant par les relectures de Machiavel par Lucinge et Botero, et le néostoïcisme des milieux juridiques51, avec un nombre considérable de nuances, la nécessité de s’adapter est un thème majeur. La capacité de souplesse quant au rapport avec le « Turc » apparaît alors comme un aspect, parmi beaucoup d’autres, de cet esprit pragmatique partagé. Dans ces conditions, il est légitime de poser la question d’une « autonomisation de la raison politique »52 sur le plan des relations internationales. Une telle qualification paraît sans doute excessive : on a vu les limites du pragmatisme des acteurs marseillais et toscans, toujours en deçà d’une collusion offensive ou durable avec l’Infidèle. Du point de vue de la production théorique, les limites sont aussi présentes. Le grand ouvrage du Savoyard René de Lucinge, De la naissance, durée et chute des États, publié en 1588, laisse entrevoir une fascination pour le modèle d’ascension et d’expansion territoriale de l’État ottoman. Mais son analyse stratégique et technicienne reste bien sous le patronage d’un objectif lié à la croisade : mieux comprendre l’ennemi turc pour en accélérer la chute53. Par ailleurs, dans les adaptations pragmatiques que nous avons décrites, on est bien loin d’une tolérance religieuse au sens contemporain du terme : la capacité d’adaptation n’est pas un relativisme débridé, en vertu duquel les catholiques auraient le moindre « respect » pour les croyances de leurs interlocuteurs musulmans. Néanmoins, pour les catholiques intransigeants, le discours sur la croisade et « l’alliance impie » n’a pas une intangibilité absolue, par le simple fait qu’il coexiste
51 Artemio Enzo Baldini, « Botero et Lucinge : les racines de la raison d’État », dans Raison et déraison d’État, théoriciens et théories de la raison d’État aux xvie et xviie », éd. par Y.-C. Zarka, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 67-99. Nicolas Leroux, « La fortune, la vertu et l’occasion. L’idéologie nobiliaire et la sémantique de l’action à la fin du xvie siècle », dans Châteaux, nobles et aventuriers. Actes des 3e Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire en Périgord, éd. par A. Bazzana, Bordeaux, Centre de recherches sur les origines de la civilisation de l’Europe moderne et contemporaine / Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 1999, p. 111-137. Henri Méchoulan, « La raison d’État dans la pensée espagnole au siècle d’Or, 1550-1650 », dans Raison et déraison d’État…, op. cit., p. 246-259. Michel Senellart, « Le stoïcisme dans la constitution de la pensée politique », Cahiers de philosophie politique et juridique, 25, 1994, p. 109-130. Cornel Zwierlein, Discorso und Lex Dei. Die Entstehung neuer Denkrahmen im 16. Jahrhundert und die Wahrnehmung der französischen Religionskriege in Italien und Deutschland, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2003, p. 498-548. 52 Olivier Christin, La Paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au xvie siècle, Paris, Seuil, 1997, p. 204-205. 53 René de Lucinge, De La naissance, durée et chute des Estats, éd. par M. J. Heath, Genève, Droz, 1984 [1588], 288 p.
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avec d’autres discours et valeurs prônant l’effort d’adaptation. La superposition de la frontière religieuse et de la frontière politique, assurément, ne résulte pas d’une rhétorique désuète ou artificielle, mais elle gagnerait aussi en compréhension à ne pas être lue comme un fait inconsciemment intériorisé par les acteurs. À partir de nos analyses, cette frontière à la fois politique et religieuse apparaît plutôt comme une norme, ou du moins une valeur, c’est-à-dire une réserve de sens, un univers de ressources54, impliquant certaines contraintes. Cette valeur est certes puissante, mais elle est construite ; c’est une valeur acceptée sans restriction la plupart du temps, mais aussi parfois exagérée pour être utilisée à des fins polémiques ; une valeur modulable, et partiellement révocable dans certains contextes55. L’intégration politique de l’Empire ottoman à un « grand monde occidental »56 à la fois européen et méditerranéen, devient alors beaucoup plus intelligible. Car elle était en partie rendue possible par cette marge de manœuvre, que les acteurs catholiques, jusqu’aux plus intransigeants, pouvaient s’autoriser.
54 Frederik Barth, Process and Form in Social Life. Selected Essays of Frederik Barth, Londres/Boston/ Henley, Routledge and Kegan Paul, 1981, p. 4-5. 55 Pierre Demeulenaere, « Normes et valeurs », dans Dictionnaire des sciences humaines, op. cit., p. 814-816. 56 D. Goffman, Ottoman Empire and Early Modern Europe, op. cit., p. 227-234.
-IIIGroupes et individus sur la frontière
Les Patmiotes face à la piraterie entre le début du xvie siècle et la Guerre de Crète Nicolas Vatin | Centre national de la recherche scientifique (Paris)École pratique des hautes études (Paris)
Quand on évoque les échanges et affrontements en Méditerranée à l’époque moderne, on songe tout naturellement à ce qu’Alberto Tenenti et Michel Fontenay ont appelé le corso, guerre de course endémique toujours justifiée contre l’infidèle, et qui finit bien souvent par ressembler à de la simple piraterie1. En pareil contexte, la situation des Grecs des îles égéennes n’était pas simple : schismatiques et sujets du sultan pour les uns, mécréants pour les autres, ils pouvaient bien souvent se trouver en situation délicate. Or le riche fonds ottoman des archives du monastère de Saint-Jean, à Patmos, conserve une série de documents en rapport avec la piraterie qu’il m’a semblé intéressant d’évoquer dans le contexte du présent congrès2.
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Michel Fontenay et Alberto Tenenti, « Course et piraterie méditerranéennes de la fin du Moyen Âge aux débuts du xixe siècle », Revue d’Histoire Maritime, 6, 2006, p. 173-228 (p. 175). La partie la plus ancienne du fonds ottoman des archives de Patmos (APO) a fait l´objet d´un catalogue : cf. Nicolas Vatin, Gilles Veinstein et Elizabeth Zachariadou, Catalogue du fonds ottoman des archives du monastère de Saint-Jean à Patmos. Les vingt-deux premiers dossiers, Athènes, Fondation nationale de la recherche scientifique, 2011. Pour des présentations provisoires, cf. Nicolas Vatin, « Note préliminaire au catalogage du fonds ottoman des archives du Monastère de Saint-Jean à Patmos », Turcica, 33, 2001, p. 333-337 ; Nicolas Vatin, « Le fonds ottoman des archives du monastère de Saint-Jean à Patmos : présentation générale », dans Les Archives de l’insularité ottomane, éd. par N. Vatin et G. Veinstein, Documents de Travail du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques, 1, janvier 2010, p. 5-9 ; Elizabeth Zachariadou, « The archive of the Monastery of Patmos as a source for Ottoman history », dans The Howard Gilman International Conference II. Mediterranean Cultural Interaction, éd. par A. Ovadiah, Tel Aviv, Ramot Publishing House, 2000, p. 249-253 (avec un développement sur la piraterie p. 251). Certains documents du fonds de Patmos cités ci-dessous à une ou plusieurs reprises ont été publiés : Z-2, Z-6 et Z-8 par Elizabeth Zachariadou, « Συμβολή στην ιστορία του νοτιοανατολκού Αιγαίου (με αφορμή τά πατμιάκα
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Comme on le verra, ce corpus présente une nette coupure chronologique, vers la fin du xvie siècle. Je traiterai surtout de la première période, cherchant dans un premier temps à décrire les actes de course-piraterie subis par les Patmiotes, puis à déterminer plus précisément qui étaient leurs agresseurs. C’est ce qui permettra, dans un troisième temps, de s’interroger sur la situation entre deux mondes des Patmiotes, telle que la donne à comprendre la piraterie dans leurs eaux et sur leur île, au xvie siècle mais aussi, dans un contexte tout différent, au xviie siècle.
Les actes de course-piraterie Patmos et ses insulaires eurent à se plaindre au xvie siècle de la course ou piraterie – on restera pour l’instant dans l’ambiguïté sur cette nuance. Les archives du Monastère conservent plus d’un document sur des cas précis, dont le plus ancien est de 15033. Du reste, les Patmiotes faisaient aussi valoir à l’occasion qu’il ne s’agissait pas de circonstances exceptionnelles, mais d’un problème de fond. C’est ce dont ils informaient la Porte en 1529, par une plainte que résume un firman de Soliman le Magnifique : Comme nous vivons sur une île, les levend et autres individus des rivages des provinces d’Aydın et Menteşe viennent [chez nous], s’emparent d’hommes de notre communauté, jeunes et vieux, les retiennent ouvertement et les vendent en les présentant comme esclaves. Nous avons ainsi subi une tyrannie et une oppression considérables, qui ont provoqué notre dispersion4.
On sait en effet que les sujets ottomans protestaient avec leurs pieds : la menace d’abandon du territoire sous-entendue dans ce texte constituait un argument très fort, comme le montre l’existence même de ce firman ordonnant aux beys et cadis concernés de mettre un terme aux abus. Quelle qu’ait été la bonne volonté du sultan, le problème demeura : en 1541, les Patmiotes demandaient à payer leur impôt à Ayasoluk plutôt qu’à Cos au motif qu’ils craignaient les corsaires (levend)5. Le sultan, moyennant vérification des faits,
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φιρμάνια των ετών 1454-1522) », Symmeikta, 1, 1966, p. 184-230 ; 1b-9 par Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, « Trois documents signés du şehzâde Mustafa b. Süleyman conservés au monastère de Patmos », Symmeikta, 12, 1998, p. 237-269 ; 15-11, 15-18, 15-25, 15-30, 20-6, 20-13, 20-20, 20-35, 20-43, 20-55, 20-60, 20-74, 20-87, 20-101, 20-105 et 20-108 par Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, « “Une bonté unique au monde”. Patmos et son monastère, havre des musulmans en péril (première moitié du xviie siècle) », Turcica, 35, 2003, p. 9-79. APO Z-6. APO 1b-4a. APO 20-93.
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leur donna gain de cause6. On peut se demander s’il ne s’agissait pas d’un prétexte7, mais outre que celui-ci aurait été vraisemblable – à en juger en tout cas par la réaction du souverain –, un autre document donne à penser que le problème était réel, puisque les moines se félicitaient en 1546 d’une amélioration de la situation : À présent, résume un firman de la première décade de juin, comme les caïques des levend venaient autrefois dans les parages des lieux constituant des vakf du monastère en question dans l’île de Limnos, faisaient tomber les mécréants de ces parages et les emportaient, les moines du monastère avaient peur et ne venaient pas dans l’île […]. Mais comme on est à présent débarrassé de la peur des levend, les moines en question étaient revenus8.
À dire vrai, on a encore dans les années suivantes des attestations d’agressions, et encore à la fin des années 15809 et en 160710, on voit les Patmiotes obtenir l’envoi sur place à Patmos du cadi de Cos ou de son substitut, pour leur épargner les dangers, les souffrances et les tourments qu’ils pourraient subir en faisant le déplacement jusqu’au tribunal. La mention de la possible rencontre en mer de fırkata de levend, dans le premier document, permet de confirmer que le risque est bien celui des corsaires. Les faits étaient à peu près toujours les mêmes : il est bien question à l’occasion de pillages et de vols d’animaux, mais là n’est pas le plus important. Ce que rapportent le plus souvent les documents, c’est l’enlèvement d’insulaires. Je ne relève qu’une exception, dans un firman émis dans la décade du 27 mai au 5 juin 1541 pour répondre à un placet accusant plusieurs individus d’avoir attaqué l’île, blessé des insulaires, volé à certains leurs moutons et à d’autres le matériel de leurs bateaux et leurs affaires11. Mais deux des marins mis en cause, Memi Köle et Köse Mustafa, étaient bel et bien accusés d’enlèvement dans un document de deux mois antérieur12. Quel sort était réservé à ces captifs ? Ils pouvaient certes être rançonnés, comme ces onze personnes capturées alors qu’elles allaient de Rhodes à Patmos en 1551 : 15 000 aspres leur avaient été pris et l’un des captifs avait été envoyé chercher 11 000 aspres exigés pour leur libération13. La pratique de la rançon sur place était en effet
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APO 1b-6. Cf. Nicolas Vatin, « Les Patmiotes, contribuables ottomans (xve-xviie siècles) », Turcica, 38, 2006, p. 123-153 (p. 140-141). APO 1b-18. APO 20-37 APO 1-20a. APO 1b-12. APO 1b-9, firman daté de la décade du 19 au 28 mars 1541. APO 6-3.
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classique dans la course méditerranéenne de l’époque14. Mais c’est un tout autre sort qui attendait nos Patmiotes : comme le résumait le firman de 1529 déjà cité, les levend les « vendaient en les présentant comme esclaves »15. Un firman de la décade du 20 février au 2 mars 1538 se faisait l’écho de la même plainte : des levend des sancak d’Aydın et Menteşe « se rendent sur leur île, où ils s’emparent des uns qu’ils tuent et d’autres qu’ils font prisonniers et emmènent dans d’autres endroits où ils les vendent »16. Ces plaintes d’ordre général sont appuyées par des cas précis : trois serviteurs de l’hégoumène en 1503 ; cinq Patmiotes capturés en mer en 1511 ; neuf autres également pris en mer en 1529 ; plus de seize autres en 154217. Si l’on songe au caractère réduit de la population patmiote, ces chiffres ne sont pas négligeables, d’autant qu’on imagine bien – comme le donnent à comprendre les accusations générales que j’ai aussi citées – que les archives du Monastère n’ont conservé la trace que des cas les plus graves, ceux notamment où de libres sujets du sultan étaient asservis sur le territoire anatolien. Au demeurant, si la chose pouvait paraître scandaleuse, elle n’était pas exceptionnelle : l’existence d’une demande de main-d’œuvre servile en Anatolie et, de ce fait, d’un marché au noir des esclaves, est bien attestée au xvie siècle. Notre documentation patmiote ne fait ici que confirmer ce que nous apprend l’analyse des archives centrales ottomanes18.
14 Michel Fontenay, « L’Empire ottoman et le risque corsaire au xviie siècle », dans Actes du IIe Colloque International d’histoire ; Économies méditerranéennes, équilibres et intercommunications xiiie-xixe siècles, Athènes, Centre de recherches néohelléniques de la Fondation nationale de la recherche scientifique, 1985-1986, p. 429-459, (p. 438-439) ; Nicolas Vatin, L’Ordre de Saint-Jean, l’Empire ottoman et la Méditerranée orientale entre les deux sièges de Rhodes (1480-1522), ParisLouvain, Peeters, 1994, p. 109-113. 15 APO 1b-4a. 16 APO 1b-8. 17 Respectivement APO Z-6, Z-8 et 1b-3 pour les trois premiers cas. En ce qui concerne l’affaire de 1542, les documents APO 1b-10 et 1b-11 nomment 10 captifs et signalent que 16 (sur l’ensemble de la prise) ont pu être rachetés pour 17 000 aspres ; il est question de 16 captifs dans le document APO 2-3 : s’agit-il de ceux qui ont été rachetés ? 18 N. Vatin, L’Ordre de Saint-Jean, op. cit., p. 105-106 ; Nicolas Vatin, « L’Empire ottoman et la piraterie en 1559-1560 », dans The Kapudan Pasha, his Office and his Domain, éd. par E. Zachariadou, Rethymnon, Crete University Press, 2002, p. 371-408 (p. 393-394) ; Nicolas Vatin, « Une affaire interne. Le sort et la libération des personnes de condition libre illégalement retenues en esclavage sur le territoire ottoman (xvie s.) », Turcica, 33, 2001, p. 149-190. Ajoutons le témoignage de Belon du Mans en 1553 (Voyage au Levant (1553). Les observations de Pierre Belon du Mans de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce, Turquie, Judée, Égypte, Arabie, et autres pays étranges, Alexandra Merle éd., Paris, Chandeigne, 2001, p. 253) : « Jamais les Turcs ne tuent les hommes qu’ils prennent, soit sur terre ou sur mer, mais les vendent. ». Ainsi que me le fait remarquer Mme Elizabeth Zachariadou (que je remercie d’avoir eu la gentillesse de relire cet article), les Patmiotes n’étaient du reste pas toujours les victimes de ce petit jeu. C’est ainsi qu’un firman émis par Mehmed II le 22 octobre 1565 (Z-2, qu’elle a publié dans son article « Συμβολή στην ιστορία του νοτιοανατολκού Αιγαίου », op. cit., p. 211-212) se fait l’écho de la plainte d’un certain Yunus qui accusait les Patmiotes d’avoir vendu son frère à des sujets non musulmans de l’Empire. On en voit aussi, au début du xvie siècle, acheter des esclaves et aller les revendre dans
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La relative abondance des cas répertoriés dans les archives de Patmos – archives locales et archives de victimes, qui viennent compléter celles de l’État – confirme en tout cas que le phénomène était assez important : ainsi s’explique sans doute que, bien souvent, les captures ne soient pas la suite d’une mauvaise rencontre en mer, mais bien de razzias systématiquement organisées sur l’île même, une véritable chasse à l’homme. Un document en particulier donne à penser que nous avons affaire à un système frauduleux bien organisé : il s’agit d’un firman de la décade du 7 au 16 avril 1542 donnant une liste d’une dizaine de marchands d’esclaves du sancak d’Aydın pour la plupart19 qui « ayant partie liée avec eux [les pirates susdits], leur ont acheté [ces captifs] alors qu’ils savaient qu’ils étaient des haracgüzar [sujets contribuables] et certains les ont revendus à de tierces personnes »20. À l’évidence, ces ravisseurs savaient à l’avance comment écouler rapidement et sûrement leurs prises.
Qui sont les corsaires ? On aura compris qu’il n’est pratiquement pas question, dans la documentation patmiote du xvie siècle, de corsaires d’Occident, qu’ils soient chrétiens21 ou barbaresques22. Ce sont toujours des marins musulmans qui sont nommés23 : Hamza Re’is en 1511 ; Kara Muhammed et son oncle en 1529 ; Memi Köle, Yeni oğlu,
leur patrie, activité plus avouable, mais sans doute rémunératrice : cf. N. Vatin, op. cit., p. 111. 19 « Deli Veli, des marchands d’esclaves du sancak d’Aydın, Kettancı oğlu, de la kariyye d’İpsili [actuel Doğanbey, face à la côte nord de Samos : cf. Piri Re’is, Kitab-ı Bahriye, Ankara, Devlet Basımevi, 1935, p. 181 ; Nuri Akbayar, Osmanlı Yer Adları Sözlüğü, Istanbul, Türkiye Ekonomik ve Toplumsal Tarih Vakfı, 2001, p. 81], Tursun, de la kariyye d’Ayoris [Âyî Yôrgî indiqué près de Kuşadası par Piri Re’is, op. cit., p. 181 ?], Deveci Biti [?] de Çanlı, Haccı Ali Re’is, Kılıç oğlu, Güzel Ali, Haccı ..., Torosi…, Deli Üveys de Karacaviran [près de Çanakkale] et d’autres marchands d’esclaves. » 20 APO 1b-11. Il faut souligner qu’une fois revendues et dûment enregistrées comme esclaves, les victimes auraient bien du mal à recouvrer la liberté : cf. N. Vatin, « Une affaire interne », art. cit. 21 On ne recense que deux exceptions : un bateau patmiote chargé de vallonée saisi en mer, sans doute en 1586 ou 1587, en un lieu non déterminé et emmené en « pays de la guerre », donc quelque part en Europe catholique (APO 1b-45, 1-1) ; le bateau de Tzanis de Santorin, arrêté sur la route de Balat à Santorin, vraisemblablement au début de son voyage, puisque ayant trouvé un accord avec ses assaillants, ils les mène à Kalymnos pour trouver l’argent nécessaire à son rachat : cf. APO 20-51 et 20-59, tous deux non datés, mais vraisemblablement du xviie siècle, dans la mesure où c’est le cas de la majorité des documents du dossier 20. Nous serions alors en dehors du cadre des incidents du xvie siècle. 22 Un document qui doit dater des années 1554-1565 (APO 20-4) traite d’un cas particulier, d’abord parce qu’il ne concerne pas des Patmiotes, mais des habitants de Cos, et surtout parce que les victimes ont été emportées pour être vendues à Tripoli. Un autre (APO 20-108), de 1610, est une recommandation par laquelle un certain Murad Re’is demande à ses « frères les capitaines maghrébins se déplaçant en mer » de ne pas s’en prendre à l’hégoumène de Patmos, ses moines et ses capitaines. 23 Cf. respectivement APO Z-8 ; 1b-3 ; 1b-9 ; 1b-12 ; 1b-10, 1b-11, 2-3 ; 6-3.
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Köse Mustafa et Selim Arab en 1541 ; Bekir cette même année, présenté comme un compagnon de Memi Köle et Köse Mustafa déjà nommés ; Balıkçı Ali oğlu Turmış (de Seferihisar), Maniçe (du village d’İpsili, au sud de Seferihisar face à Samos), Çerçeni Bali (de Çerçeni dans le kaza de Balat), Turmış Re’is, Kara Can Alıcı Memi et Yusuf (tous de Cos) en 1542 ; enfin Koca Re’is, Divane Nasuh Re’is, Bayezid, Kara Mustafa, Dilek oğlu et Sipah oğlu qui naviguent en 1551 sur une fırkata construite pour la course par Mustafa de Balat. Les lieux d’origine de ces personnages ne sont pas toujours indiqués, mais quand ils le sont, il s’agit d’individus nés ou installés dans la région : Cos, mais surtout les côtes de l’Anatolie proche24. De façon générale, du reste, le fait même que les Patmiotes puissent ainsi les désigner précisément par leurs noms confirme que nous sommes dans un tout petit monde où chacun se connaît. On peut donc prendre au pied de la lettre les affirmations des Patmiotes quand, en 1529, ils désignaient leurs agresseurs comme « des levend et autres individus des rivages des liva d’Aydın et de Menteşe »25. Reste à déterminer la nature de ces « levend et autres individus », formule tirée d’un de nos documents qui montre qu’il peut y avoir des nuances et des frontières – assez floues – entre diverses catégories de marins. Dans un procès-verbal de cadi, les plaignants traitent sans ambages les marins qu’ils traitent de brigands (harami), autrement dit de pirates. Mais ils précisent que ces marins sont « montés sur la fırkata construite à l’intention des levend par le nommé Mustafa du kaza de Balat »26 : nous retombons donc sur le terme levend, qui en contexte maritime désigne souvent, mais non systématiquement, ce qu’on serait tenté d’appeler des corsaires27. À l’évidence, il s’agit ici d’un investissement privé. Mais Mustafa agissait-il au grand jour, finançant en somme une respectable activité de course, ou bien était-il le patron d’une activité de grand banditisme ? Ce qui est certain en
24 Sur ce point, N. Vatin, L’Ordre de Saint-Jean, op. cit., p. 81-88 ; N. Vatin, « L’Empire ottoman et la piraterie », art. cit., p. 379. Cf. d’ailleurs ce qu’écrivait Gelibolulu Mustafa Ali à la fin du xvie siècle : « Les corsaires qui courent la surface de la mer sont des marins amateurs de butin des régions de Tripoli de Lybie, Tunis et Alger, issus pour la plupart des Turcs du Kaz Dağı. » : cf. Gelibolulu Mustafa Ali, Mevâ’idü-n-nefâ’is fî kavâ’idi-l-mecâlis, éd. par M. Cavid Baysun., Istanbul, Osman Yalçı Matbaası 1956, p. 54 (trad. anglaise par D. S. Brooks, The Ottoman Gentleman of the Sixteenth Century : Mustafa Âlî’s Mevâ’idü’n-nefâ’is fî kavâ‘idi’l-mecâlis « Tables of Delicacies Concerning the Rules of Social Gatherings », Cambridge, Dept of Near Eastern Languages and Civilizations, Harvard University, 2003, 193 p.). 25 APO 1b-4a. 26 APO 6-3, du 21 mai 1551. 27 Sur le concept ottoman de levend, qui renvoie à des phénomènes sociaux divers, même si l’on peut discerner une certaine cohérence d’ensemble, cf. Sophia Laiou, « The levends of the sea in the second half of the 16th century : some considerations », Archivum Ottomanicum, 23, juin 2005, p. 233-247. Cf. également Mustafa Cezar, Osmanlı Tarihinde Levendler, Istanbul, Çelikcilt Matbaası, 1965, p. 170-177.
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tout cas, est que notre documentation donne le sentiment qu’en effet les marins concernés ne peuvent pas être simplement définis comme des pirates. Hamza Re’is, mis en cause en 1511, appartenait-il à la flotte personnelle du prince Korkud ? Ce n’est pas impossible. On sait en effet que celui-ci avait développé à Manisa une activité de course. En tout cas il considérait les levend comme des agents de l’autorité, puisqu’il ne commandait pas au capitaine saisi de l’affaire, Haccı Re’is – pour le coup un marin à son service –, de sévir, mais de faire « un rapport écrit sur les levend qui apparaîtraient coupables de méchanceté et de crimes »28. Même instruction de Soliman le Magnifique aux cadis de Tire et Ayasoluk : ils doivent retrouver et libérer les Patmiotes enlevés par Kara Mehmed Re’is et son oncle, mais quant à ces derniers, que les cadis auraient pu punir pour grand banditisme s’ils avaient été des sujets comme les autres, il convenait de les emprisonner et d’envoyer un rapport au sultan, qui trancherait29. On retrouve cette clause dans plusieurs autres ordres30. Les crimes reprochés à ces individus, assimilables à du banditisme de grand chemin, auraient normalement pu être du ressort du cadi, habilité à condamner les coupables aux peines prévues par la charia. En se réservant la sentence, le sultan considérait donc comme possible, et même vraisemblable, que ces pirates n’aient pas été de simples bandits reaya, mais des personnages officiels, ou du moins demi-officiels : autrement dit des corsaires à son service ou à celui des gouverneurs locaux (qui pouvaient être des princes comme Korkud fils de Bayezid II ou Mustafa fils de Soliman), qui participaient aux campagnes navales officielles en tant que gönüllü re’is (« capitaines volontaires »). On retrouve d’ailleurs cette dernière désignation dans plusieurs documents : c’est aux gönüllü re’is que s’adresse Ahmed Paşa le 24 février 1538 dans une « lettre » (mektub) leur enjoignant de ne pas s’en prendre aux Patmiotes qui se sont acquittés de leurs impôts31. Même injonction dans cette mektub du kapudan paşa Kılıç Ali Paşa au cadi de Samos, en 1574, qui s’achève par cette adresse : Quant à vous qui êtes capitaines volontaires, quand vous les rencontrerez alors qu’ils vont et reviennent de Patmos vers la côte qui lui fait face, vers l’île de Samos ou ailleurs, il convient que vous ne vous immisciez pas et ne commettiez d’acte de tyrannie ni à leur égard, ni à l’égard de ceux qui se trouveront dans [leurs bateaux], ni à l’égard de quiconque : sous le règne fortuné de notre fortuné padichah, ils doivent aller et
28 APOZ-8. 29 APO 1b3. 30 APO 1b-4a du 16 mai 1529 ; 1b-8 de la décade du 21 février au 2 mars 1538 ; 1b-10 de la décade du 26 février au 7 mars 1542 ; 1b-11 de la décade du 7 au 16 avril 1542. 31 APO 2-2.
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nicolas vatin venir en toute tranquillité. En sorte que si l’on apprend que vous les brimez et opprimez quand vous les rencontrez, vous serez punis32
Ce sont donc bien des collaborateurs du sultan qui sont soupçonnés ou mis en garde : capitaines volontaires, et même officiers de la flotte, comme dans cette autre mektub de Kılıç Ali Paşa, adressée le 3 mai 1572 aux « Modèles des gazi et des combattants de la foi, beys de la mer, kapudan et capitaines volontaires » : Après vous avoir salués, ce qu’on vous fait savoir et connaître avec des marques d’honneur et de respect est ce qui suit. Comme les porteurs de cette lettre, les reaya de Patmos, font partie des reaya de nos hass, la présente lettre amicale a été rédigée : il convient qu’en notre honneur vous ne brimiez ni n’opprimiez aucun des reaya de l’île en question. Vos bonnes manières à leur égard seront des bonnes manières envers nous : n’en doutez pas33
Un firman de la décade du 27 mai au 5 juin 1541 va jusqu’à supposer la présence de sipahis parmi les coupables, dont le sort sera bien distinct de celui de simples pirates : si les mauvais sujets appartiennent au corps des sipahis, vous les emprisonnerez et me ferez un rapport. Sinon, vous émettrez une sentence ordonnant ce qui sera légalement nécessaire et convenable, et vous ferez [au coupable] le sort qui lui revient34
Bien entendu, de même que – ainsi que je l’ai déjà rappelé – il ne faut pas sousestimer l’importance du petit banditisme ordinaire pour cette seule raison qu’il n’apparaît pas dans notre corpus, de même il convient de ne pas oublier l’existence de ces « autres individus » signalés par les documents, simples pirates partis de rien comme ceux que décrit Gelibolulu Mustafa Ali : Dans un premier temps, ils s’entendent à cinq ou dix, attaquent une unique barcoule parmi les barques en possession des mécréants assujettis à l’impôt, s’y installent et rôdent parmi les îles : autrement dit, ils commencent avec cette barque à avoir ce qu’il faut pour piller des biens, tuer les enfants, enlever les adultes, et à s’équiper en matériel de bataille et de combat. Ils enchaînent des marins zimmi enlevés parmi les reaya et les mettent à la rame35
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APO 2-20. APO 2-17. APO 1b-12. Cf. Gelibolulu Ali, Mevâ’idü-n-nefâ’is fî kavâ’idi-l-mecâlis, op. cit., p. 54. Il est vrai que, pour Ali, ce n’est qu’une question de temps, et qu’ils s’enrichiront assez vite pour s’offrir une fırkata, puis une petite galère et rejoindre alors les rangs des corsaires algérois : blanchis par ce noble contact, les voilà transformés en saints combattants de la foi ! Il faut souligner l’ironie de ce texte qui finit par laisser entendre que la flotte ottomane n’est composée que de pirates. On est cependant frappé de voir combien cette description rappelle le célèbre chapitre de Pierre Belon du Mans sur les corsaires (op. cit., p. 249-253) : « Il nous faut présupposer que trois ou quatre hommes duits à la marine et hardis se mettent à l’aventure, qui dès le commencement sont pauvres, n’ayant que
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Ces brigands sans foi ni loi existaient. Mais ce qui rendait plus scandaleux encore les malheurs dont les Patmiotes avaient à se plaindre, c’est qu’ils avaient pour auteurs des serviteurs du sultan, lequel, à l’évidence, ne pouvait admettre qu’on s’en prît à ses fidèles sujets contribuables, ni a fortiori qu’on en fît des esclaves : les documents de mon corpus insistent tous sur la qualité de zimmi haracgüzar (« sujets non musulmans contribuables ») des Patmiotes, et les autorités – le sultan lui-même, les princes, les kapudan paşa, les cadis – interviennent en faveur des victimes et exigent la fin des abus36.
Les Patmiotes entre deux mondes La bonne volonté du pouvoir central n’est pas douteuse. Mais on ne saurait, évidemment, se borner à cette pieuse conclusion. En premier lieu, on peut s’interroger sur l’efficacité des mesures prises. Nous avons pu constater le caractère endémique des attaques contre les Patmiotes, commises par des hommes connus par leurs noms, ce dont on conclura qu’ils jouissaient de facto d’une certaine impunité37. L’étude systématique de la politique ottomane de répression de la piraterie en 1559-1560 a montré les limites de l’action de la Porte, en raison d’une conjonction de facteurs : lourdeur des procédures, mauvaise collaboration des services, réticences peut-être d’anciens corsaires à réprimer leurs camarades de la veille – c’est là un point sur lequel insistait volontiers Gelibolulu Mustafa Ali –, complicité contrainte ou spontanée des populations riveraines, enfin38. Un épisode dont les archives de Patmos conservent la trace paraît assez révélateur. Il s’agit d’un procès-verbal de cadi daté du 21 mai 155139 : des levend embarqués sur la
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quelque petite barque ou frégate, ou quelque brigantin mal équipé. […] S’ils sont gens d’esprit, et qu’ils aient seulement régné deux mois, ils auront bien peu mené les mains s’ils n’ont gagné quelque douzaine d’hommes esclaves, lesquels ainsi multipliant d’une frégate viendront à un brigantin, d’un brigantin à une fuste, d’une fuste à une galiote, et d’une galiote à une galère ». Sur l’attitude de la Porte concernant l’asservissement de ses sujets libres, cf. N. Vatin, « Une affaire interne », art. cit., p. 150-154. Prenons le cas de Çerçeni Bali, accusé dans une plainte qui donne lieu à un firman du 26 février au 7 mars 1542 exigeant l’arrestation des coupables (APO 1b-10), injonctions répétées dans un deuxième firman de la décade du 7 au 16 avril (copie certifée conforme : APO 1b-11). Neuf mois plus tard, Bali court toujours, puisque le cadi d’Ayasoluk (non pas spontanément, du reste, mais à la suite d’une démarche de Papa Yanis de Patmos), écrit à un certain Osman Halife (sans doute un na’ib) de mettre la main sur lui (APO 2-3) : « Tu feras trouver ce levend où qu’il se trouve, mèneras une enquête conforme à la charia et au kanun, et feras le nécessaire. S’il disparaît, tu le feras retrouver à ceux qui l’abritent (yatak) et à ses proches. N’aie de cesse que tu l’aies fait retrouver ». Cf. N. Vatin, « L’Empire ottoman et la piraterie », art. cit., p. 382-405. Sur la défense des eaux et rivages ottomans à la fin du xvie siècle, cf. Pál Fodor, « The organisation of defense in the Eastern Mediterranean », dans The Kapudan Pasha, his Office and his Domain, op. cit., p. 87-94, qui conclut que la politique de la Porte dans ce domaine fut un échec. APO 6-3.
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fırkata de Mustafa de Balat ont attaqué un bateau se rendant de Rhodes à Patmos, saisi 15 000 aspres et exigé pour libérer leurs captifs une rançon de 11 000 aspres. Celle-ci est remise à des tiers, un Grec et un musulman (Moschonas et Ramazan), tous deux du kaza de Balat : prudence qui en dit long sur le caractère peu licite de l’opération. Quoi qu’il en soit, les victimes s’étant plaintes, une enquête est ouverte sur l’ordre du sultan par un substitut (na’ib) du cadi d’Ayasoluk. Le marin mis en cause, Koçak Re’is, est représenté par un certain Bostan bin Hersek et par sa mère Nur Kadın. On peut supposer qu’il s’est caché. Il n’est pas sans entregent cependant, puisqu’intervient alors Muslihü-d-din, « notable du vilayet et homme éminent du pays », qui propose et obtient la conclusion d’un accord amiable, par lequel les victimes renoncent à leur poursuite en échange d’une indemnité de 8 000 aspres. Si l’on songe qu’ils avaient dû en céder 26 000 à leurs agresseurs et que ceux-ci, en proposant ce règlement amiable, reconnaissaient les faits, force est de constater que l’appui du pouvoir central n’était pas toujours suffisant pour obtenir justice ! Or il peut paraître étrange que des fraudes de nature aussi scandaleuse aient pu perdurer dans des proportions qui semblent n’avoir pas été négligeables. Les autorités de la capitale n’étaient sans doute pas seules à estimer inadmissibles la capture et, pis encore, la réduction en esclavage de libres sujets du sultan bénéficiant des garanties de la zimma. Pourtant des marins qui prétendaient combattre (à l’occasion) pour la foi faisaient des razzias dans l’île de Patmos comme des akıncı passant la frontière dans des villages dépendant des Habsbourg ; des marchands d’esclaves ayant pignon sur rue les aidaient à écouler la marchandise ; des employeurs anatoliens se portaient acquéreurs d’esclaves hellénophones sans apparemment s’inquiéter de la réalité de leur statut ; des cadis enregistraient ces ventes sans s’en préoccuper non plus. Certes, l’intérêt peut pousser au crime. Néanmoins on est amené à se demander si tous les acteurs de ce marché avaient entièrement conscience de la nature scandaleuse de leurs actes. Aurait-il été nécessaire, autrement, d’ordonner aux beys et cadis des sancak de Menteşe et Aydın de faire « des proclamations et des avertissements répétés interdisant à quiconque, levend ou autre, de nuire et s’en prendre désormais aux moines et autres de l’île en question, et de commettre ce genre d’acte scandaleux »40 ? On a donc le sentiment que, malgré tout, certains considéraient que ces insulaires grecs, en l’occurrence ceux de Patmos, étaient d’une nature un peu ambiguë, qu’ils n’étaient pas des reaya haracgüzar comme les autres et que, de ce fait, ils étaient de bonne prise41.
40 APO 1b-8, de la décade du 21 février au 2 mars 1548. 41 C’est précisément ce que signifiait l’emploi du mot esir, utilisé par les pirates quand ils vendent
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Cette vision n’était certes pas dénuée de mauvaise foi. Il faut ajouter que les insulaires n’étaient pas seuls à être ainsi illégalement asservis42. Il est cependant vrai que l’insularité mettait ces Grecs dans une position particulière. Sans revenir sur ce phénomène, on peut rappeler en quelques mots qu’indépendamment de cas d’insoumission ou de collaboration avec l’ennemi (en particulier comme guides), les insulaires grecs du xvie siècle, sans renier pour autant leur sujétion envers le sultan ottoman, vivaient dans un monde à bien des égards séparé de celui du pouvoir, marqué à l’occasion par une sorte de loi du silence, et même par des phénomènes difficiles à gérer de double allégeance : l’isolement même dans lequel ils vivaient rendait sans doute plus forte la tentation, ou l’obligation, d’une solidarité active ou passive avec des chrétiens (fussent-ils d’un autre rite) ou avec des Latins qui, naguère encore, étaient leurs seigneurs ou voisins. On en a de nombreux exemples et les autorités ottomanes, du reste, s’en plaignaient parfois43. En ce qui concerne plus particulièrement les Patmiotes, on sait d’ailleurs que les moines n’hésitèrent pas, au xvie siècle en tout cas, à jouer double jeu et à fournir des renseignements aux Vénitiens44. La question prit un autre tour à partir de la fin du xvie siècle. C’est de ce moment que datent, dans mon corpus, les dernières allusions aux risques courus par les Patmiotes45. On peut supposer qu’ils eurent dès lors moins à souffrir des corsaires/pirates d’Anatolie, quelle qu’en soit d’ailleurs la raison : les études manquent à ce jour sur l’activité (ou la disparition ?) des levend musulmans de la région au xviie siècle46. En revanche, la documentation du xviie siècle souligne l’apparition leurs captifs : son sens de « esclave » dérive en effet de celui de « prisonnier de guerre ». 42 Cf. Nicolas Vatin, « Une affaire interne », op. cit. 43 Cf. Elias Kolovos, « Insularity and island society in the Ottoman context : the case of the Aegean island of Andros (sixteenth to eighteenth centuries) », Turcica, 39, 2007, p. 49-122 ; Nicolas Vatin, « Iles grecques ? Îles ottomanes ? L’insertion des îles de l’Égée dans l’Empire ottoman à la fin du xvie siècle », dans Insularités ottomanes, éd. par N. Vatin et G. Veinstein, Paris, Maisonneuve et Larose, 2004, p. 71-89. 44 Cf. Elizabeth Zachariadou, « Monks and sailors under the Ottoman sultans », dans The Ottomans and the Sea, numéro à thème de Oriente Moderno, XXL/XXXI/I, 2001, p. 141-147 (p. 144). 45 Une mektub du kapudan paşa Çigalazade Sinan Paşa (donc du début des années 1590) fait savoir au cadi de Cos, si les Patmiotes « rencontrent des fırkata de levend et sont excessivement brimés et opprimés », « qu’il faut sur le champ appliquer la loi, vous-même ou vos na’ib procéderez selon l’ancienne coutume à l’audition des plaintes » (APO 20-37) ; une autre, émise par un kapudan paşa nommé Ali – ce qui nous place en 1567-1588 ou en 1617-1618 – protège le capitaine Nikolas de Patmos contre les éventuels abus des « capitaines et commandants de flotille volontaires » qu’il pourrait rencontrer en mer (APO 20-35). 46 On notera cependant que le jésuite Albertino soulignait dans son rapport de 1640 que, contrairement à l’archipel infesté de Latins, les rivages d’Anatolie occidentale étaient pleins de « brigands turcs » : il dut en effet renoncer à se rendre directement de Patmos à Chio via Kuşadası, intendendo che questa costa era piena di ladri turchi : cf. Elisabetta Borromeo, « Les Cyclades à l’époque ottomane. L’insularité vue par les missionnaires jésuites (1625-1644) », dans Insularités
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à Patmos, à cette époque, des corsaires occidentaux dont l’absence était si notable au siècle précédent. Ce phénomène n’a rien d’étonnant. On sait en effet que la fin de l’ère de la guerre navale avec l’Espagne eut pour conséquence, à la fin du xvie et dans les premières décennies du xviie siècle, l’invasion de la Méditerranée orientale par les corsaires d’Occident, notamment ceux de l’Ordre de Saint-Jean, à Malte, et de celui de Saint-Étienne, à Livourne47. Dès lors – et le phénomène s’accrut durant la Guerre de Crète – les Ottomans durent pratiquement renoncer à contrôler les Cyclades, devenues le domaine des corsaires occidentaux qui pouvaient en toute tranquillité y hiverner, cohabitant avec des insulaires qui subissaient leur racket, mais pouvaient aussi faire affaire avec eux. Au printemps, les corsaires quittaient l’archipel pour les grandes routes maritimes où ils trouveraient leurs proies48. Or Patmos était précisément dans une de ces zones de guet49, comme le rappelait en 1622 le cadi de Cos au kapudan paşa : « L’île de Patmos, laquelle dépend du kaza de Cos qui se trouve dans votre province, est un lieu de passage pour les bateaux des vils mécréants »50. Mais si notre documentation atteste la présence répétée des corsaires d’Occident à Patmos, elle ne fait guère état de leur nuisance pour les Patmiotes. Cette question ayant fait l’objet d’un article rédigé avec Gilles Veinstein51, je me bornerai ici à résumer la situation à grands traits. Il apparaît en effet que les Patmiotes jouaient une sorte de double jeu. D’une part, ils s’entendaient avec les corsaires d’Occident, étaient plus ou moins au courant de leurs allées et venues, les accueillaient à l’occasion et les renseignaient. Le récit par Alonso de Contreras de son expédition de 1601 est sur ce point très clair : Prenant langue en la ville de Patmos on me donna même nouvelle [sur la présence de la flotte ottomane] et cette fois elle était certaine, car il y a là un château qui sert de couvent, et ce couvent, qui est fort riche, fait trafic dans tout le Levant par ses bateaux qui battent même pavillon que ceux de Saint-Jean52
ottomanes, op. cit., p. 123-144 (p. 129). 47 Cf. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 5e éd., 1982, vol. II, p. 190 sqq. ; M. Fontenay et A. Tenenti, « Course et pirtaterie », art. cit., p. 196 et siècle. 48 Cf. E. Borromeo, « Les Cyclades à l’époque ottomane », art. cit. ; P. Fodor, « The organisation of defense », art. cit. ; M. Fontenay, « L’Empire ottoman et le risque corsaire », art. cit. ; Michel Fontenay, « Les missions des galères de Malte : 1530-1798 », dans Guerre et commerce en Méditerranée, ixexxe siècles, éd. par M. Vergé-Franceschi, Paris, Veyrier, 1991, p. 103-119. 49 « Les “bougas” [détroit] de Samos et les îlots du Dodécanèse étaient un des autres lieux de guette de la caravane d’Alexandrie » (M. Fontenay, « Le risque corsaire », art. cit., p. 437). 50 APO 20-74. 51 N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonté unique au monde” », art. cit. 52 Alonso de Contreras, Les Aventures du capitan Alonso de Contreras (1582-1633), trad. Jacques
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Les archives de Patmos viennent confirmer la réalité de ces faits53. Mais elles nous apprennent aussi, d’autre part, que les Patmiotes informaient également systématiquement les autorités ottomanes, ainsi que le signalait en 1626 le cadi de Cos : Nuit et jour les reaya de cette île [de Patmos] gardent et protègent les environs et la zone, et ils chargent des gens de surveiller les ports qui servent de repaire aux pirates. Quand – que Dieu (qu’Il soit exalté) nous en protège ! – les bateaux de ces traîtres de vils mécréants et les fırkata des levend54 viennent dans ces îles avec l’intention de s’emparer de bateaux de musulmans, en vérité [les Patmiotes] envoient des informations aux forts alentours et font par des feux des signaux aux bateaux de musulmans qui sont en mer : par ces moyens ils sont l’origine et la cause de ce que la communauté des musulmans est sauvée des mécréants de mauvaises mœurs. Tout cela est manifeste et connu55
Ici encore, notre corpus patmiote vient confirmer par des cas concrets la réalité de cette efficace collaboration des Patmiotes avec les autorités ottomanes. Bien plus, nous y apprenons, par des exemples concrets, que Patmos était un lieu de refuge pour des musulmans menacés par des corsaires chrétiens56. Cela n’allait pas sans risque, ce double jeu n’étant guère apprécié de certains. C’est ainsi que le cadi de Cos, qui témoignait de la qualité des informations données par les Patmiotes et évoquait en particulier le cas de galères de Messine dont ils avaient signalé la présence en octobre 1626, ajoutait : j’ai connaissance de ce que [l’ennemi], leur reprochant d’envoyer des informations de tous les côtés, a tué un moine de la population de cette île et lui a fait perdre cent moutons, cent bœufs et deux juments57
On peut penser qu’il y a une part d’intimidation dans les dégâts commis par ces corsaires latins sur le rivage ou dans le port de Skala, où se trouvaient surtout des magasins et ateliers58. Boulenger, Paris, Plon, 1933, p. 59-60. 53 Cf. N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonté unique au monde” », art. cit., p. 23-24. 54 Il s’agit bien, ici, de pirates musulmans, sans qu’on puisse déterminer s’ils sont anatoliens ou barbaresques. 55 APO 20-20. 56 N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonté unique au monde” », art. cit., p. 10 sqq. Aux 16 documents publiés dans cet article, nos recherches permettent d’en ajouter deux traitant des mêmes questions : un rapport (datable de 1629-1630) du mir-liva de Rhodes sur la bonne conduite des Patmiotes, qui évoque le sauvetage des bateaux de Sevastis et Piyale, deux affaires abondamment traitées dans les documents déjà publiés (APO 19-8) ; un rapport du cadi de Cos qui témoigne des efforts des Patmiotes pour renseigner les autorités lors du passage de six galères de Messine, en mai 1626 (APO 19-5). 57 APO19-5. 58 Cf. N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonté unique au monde” », art. cit., p. 18-20.
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Vis-à-vis des Ottomans, au contraire, les Patmiotes revendiquaient ce double rattachement. La plupart des documents conservés dans les archives du Monastère, attestations de diverses origines, n’ont au fond pas d’autre but que de faire valoir que c’est parce qu’ils accueillent l’ennemi que les Patmiotes peuvent accomplir le service qu’ils doivent au sultan. Le cadi de Cos ne disait pas autre chose dans son rapport d’octobre 1625 : L’île de Patmos, qui dépend du kaza de Cos, est un lieu de passage pour les vils mécréants, si bien que quand les reaya de cette île apprennent la présence, dans quelque direction que ce soit, de bateaux ou de fırkata de mécréants ennemis, d’un commun accord ils envoient des lettres de tous côtés aux forts et aux îles alentours et signalent en détail tout ce qui se passe. De plus, ils apportent de l’aide à la religion vraie et accomplissent avec fidélité le service du padichah59
Ainsi, de même qu’ils subissaient au xvie siècle les attaques de pirates ou corsaires ottomans parce qu’ils étaient des insulaires grecs, constituant une population à part et que d’aucuns – non sans mauvaise foi – ne considéraient pas vraiment comme devant être protégés par leur statut de zimmi, de même c’est parce qu’ils n’étaient pas des reaya comme les autres, parce qu’ils avaient avec le monde latin d’Occident des relations privilégiées à la limite de la trahison, qu’ils étaient présentés comme de loyaux et précieux sujets du sultan.
Conclusion On est tenté, pour conclure, de rappeler cette intéressante information donnée au détour d’une phrase par Alonso de Contreras, quand il affirmait que les bateaux de commerce du Monastère battaient même pavillon que ceux de Saint-Jean. S’agit-il vraiment d’une pratique habituelle ? Contreras joue-t-il sur la référence à SaintJean commune à Patmos et à Malte ? Dans tous les cas l’image qu’il donne est bien celle d’une double allégeance qui donne envie d’évoquer, comme le fait Michel Fontenay60, la chauve-souris de La Fontaine cherchant le salut dans l’ambiguïté et s’écriant, selon qu’elle rencontrait une belette ennemie des oiseaux ou des souris : « Je suis oiseau ; voyez mes ailes », ou « Je suis souris : vivent les rats ! ». 59 APO 15-11. 60 Cf. Michel Fontenay, « Interlope et violence dans l’économie d’échanges : l’exemple des eaux grecques de l’Empire ottoman aux xvie et xviie siècles », dans El comerç alternatiu. Corsarisme i contraban (ss. XV-XVIII), éd. par G. López Nadal, Palma, 1990, p. 279-289 (p. 282-283), dans un développement sur « le rôle de la Grèce dans le monde méditerranéen de l’époque : celle d’un intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, qui participe des deux, sans être totalement l’un ou totalement l’autre ».
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Il convient cependant de nuancer le propos. Patmos n’était pas une île grecque comme une autre : c’était le site d’un prestigieux monastère. Il y avait certes une population laïque, mais l’hégoumène du couvent disposait d’un poids considérable et moines et insulaires étaient unis face aux autres, Latins ou Ottomans. C’est le monastère qui avait permis la richesse de l’île, fondée sur le commerce maritime. C’est lui qui fournissait, sur un site dominant l’île, l’abri d’une véritable forteresse offrant aux indigènes et aux musulmans de passage une protection contre l’ennemi. C’est enfin le poids moral et politique de l’hégoumène qui lui permettait de se faire entendre à la Porte. Certes, tout sujet ottoman pouvait avoir recours à la justice du sultan. Mais les archives du Monastère montrent que les Patmiotes s’adressaient de façon particulièrement fréquente aux autorités, que ce soit les cadis locaux, le kapudan paşa ou le divan impérial, et que – sur le papier au moins – ils avaient souvent gain de cause61. Les habitants d’autres îles souffrirent autant qu’eux, bien sûr, de la piraterie anatolienne du xvie siècle, mais ils eurent sans doute moins souvent l’occasion de réclamer justice : il faut probablement chercher cet avantage dans les moyens financiers et l’entregent politique du Monastère. De même, on sent bien que Patmos, dans ses rapports au xviie siècle avec les corsaires d’Occident, se trouvait dans une situation moins contrainte que les habitants des Cyclades dont Michel Fontenay décrit la détresse. La puissance du bâtiment du couvent et la proximité des bases de Rhodes ou Chio y étaient sans doute pour quelque chose. Mais il y a plus. Mme Elizabeth Zachariadou a fortement insisté sur le respect que le pouvoir ottoman accordait par principe aux monastères orthodoxes, et ce dès les premiers temps62. Attitude dont Patmos profita, d’autant qu’elle bénéficiait également, et pour la même raison, de la protection explicite de l’Ordre de Saint-Jean, aussi bien à Rhodes jusqu’en 1522 qu’à Malte par la suite63. C’est donc sur la sainteté du lieu, reconnue par tous les intervenants de l’histoire mouvementée de la Méditerranée, qu’il convient d’insister. Les monastères, celui de Patmos et d’autres à travers l’Égée, étaient de par leur sacralité des mondes à part, des lieux d’asile, des intermédiaires naturels entre les uns et les autres. La présente communication traite de Patmos. Mais il faut souligner qu’on voit d’autres couvents jouer ce rôle de lieu neutre, d’asile et d’intercession. C’est le cas pour les moines du Mont Athos, dont l’attitude vis-à-vis des pirates et de la Porte semble fort compa-
61 La question de la piraterie n’est qu’une illustration parmi d’autres de cette situation. 62 E. Zachariadou, « Monks ans sailors », op. cit. 63 N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonté unique au monde” », art. cit., p. 21.
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rable à celle de ceux de Patmos64. C’est aussi le cas au couvent de Hagia à Andros, dont les moines fournissaient refuge à des musulmans et donnaient même le moyen à d’autres d’aller trouver le salut en Eubée. S’ils jugeaient plus prudents, en 1621, de se faire donner par un cadi une attestation certifiant qu’ils n’avaient pas été en contact avec une flotte latine, ils recevaient des autorités ottomanes, en 1629, la mission de négocier le rachat d’un captif 65. Les moines grecs, au demeurant, n’étaient pas seuls à jouer le rôle d’intermédiaires naturels : les jésuites en mission dans les Cyclades étudiés par Mme Elisabetta Borromeo étaient eux aussi mis à contribution par les autorités ottomanes pour négocier avec les corsaires66. Bref, l’étude de la position des Patmiotes face à la piraterie, du début du xvie siècle à la Guerre de Crète67, nous remet assurément sous les yeux l’image du Grec insulaire partagé entre deux mondes, à la fois oiseau et souris. Mais c’est un autre personnage, peut-être, qui s’impose comme un intermédiaire naturel à peu près respecté par tous et quelle que soit la foi qu’il professe : le saint homme.
64 V. Demetriades, « Piracy and Mount Athos », dans The Kapudan Pasha, his Office and his Domain, op. cit., p. 349-356 ; N. Vatin et G. Veinstein, « “Une bonte unique au monde” », art. cit., notes 80 et 89. 65 E. Kolovos, « Insularity and island society », art. cit., p. 57-62. 66 E. Borromeo, « Les Cylades à l’époque ottomane », art. cit., p. 130-131. 67 La seconde moitié du xviie s. placera les Cyclades ottomanes dans une situation bien plus anarchique (cf. E. Kolovos, « Insularity and island society », art. cit.). Un firman du 1er janvier 1660 rapporte des doléances patmiotes qui montrent une situation bien plus mauvaise qu’elle ne semble l’avoir été précédemment : « depuis quelques années des bateaux de mécréants venaient piller et brûler leurs maisons, et enlever laïcs et moines, en sorte que leur pays était considérablement en ruine » (APO 11-9). Je me bornerai ici à cette seule citation : la documentation des archives de Patmos postérieure au milieu du xviie s. est actuellement en cours de traitement par notre collègue et ami Michael Ursinus. On ne dispose donc pas encore d’un corpus complet permettant de poursuivre l’étude au-delà du point où je m’arrête ici.
Le mamelouk derrière le renégat. Positions et rôles des convertis d'origine européenne à Tunis dans la première moitié du xviie siècle M'hamed Oualdi | Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Paris)
La première moitié du xviie siècle est considérée comme une période de forte présence des renégats d’origine européenne dans les grands ports d’Afrique du Nord, à Alger, Tunis et Tripoli. L’idée d’un « âge d’or » de ces renégats dans les États barbaresques est aussi bien fondée sur des récits de captifs, des relations de représentants diplomatiques, des écrits de rédempteurs, que sur les analyses d’actes consulaires détaillant les rachats de captifs chrétiens ou les interventions de convertis à l’islam dans ce négoce1. Ces hommes auraient constitué alors la force active de ces « sociétés de frontière ». Pour la seule ville de Tunis, d’après les calculs de Taoufik Bachrouch et Paul Sebag, « la moyenne annuelle des libérations d’esclaves enregistrées » dans les actes consulaires français était de 56 de 1606 à 1640. Elle tomba à 26 entre 1641 et 1670, puis à 19 entre 1671 et 17002. D’après une étude de Bochra Ben Sassi, le nombre de renégats mentionnés dans ces actes suivait une dynamique similaire : plus de 137 renégats de toutes origines étaient cités à Tunis pour les années 1603-1620, 130 pour les années 1620-1640 ; 73 pour les deux décennies suivantes et 30 pour les années 1661 à 16803 (fig. 1). Pour sa part, Salvatore Bono aboutissait dans le cas des renégats génois à la même conclusion d’une raréfaction des conversions, passée la première moitié du xviie siècle4.
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Pierre Grandchamp, La France en Tunisie à la fin du xvie siècle (1582-1600), Tunis, Imprimerie Rapide, 1920, vol. I. André Raymond, Tunis sous les Mouradites. La ville et ses habitants au xviie siècle, Tunis, Cérès éditions, 2006, p. 135 ; Taoufik Bachrouch, « Rachat et libération des esclaves chrétiens à Tunis au xviie siècle », Revue tunisienne des sciences sociales, 40-43, 1975, p. 148-155 ; Paul Sebag, Tunis au xviie. Une cité barbaresque au temps de la course, Paris, L’Harmattan 1989, p. 141-143. Bochra Ben Sassi, Les Renégats dans la Régence de Tunis aux xvie et xviie siècles d’après les archives du consulat de France à Tunis, Mémoire de Dea, Université de Tunis I, 1999, p. 14-15. A. Raymond, Tunis sous les Mouradites…, op. cit., p. 169 ; Salvatore Bono, « Genovesi islamizza-
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Figure 1 | Origine des renégats de 1582 à 1700 (Bochra Ben Sassi, Les Renégats dans la régence de Tunis aux xvie et xviie siècles d’après les archives du consulat de France à Tunis, Dea Tunis I 1999, p. 14-15)
Attestée dans plusieurs corpus, cette forte présence des renégats européens jusqu’aux années 1640 a cependant été interprétée de façons diverses par les historiens de la Méditerranée occidentale. Cette concentration de convertis traduirait, pour certains, un dépassement des frontières, une grande liberté de circulation, une première forme de cosmopolitisme ou, de façon plus restreinte, la particularité d’un métissage à la méditerranéenne. Dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Fernand Braudel a perçu les conversions et l’afflux de renégats comme un mouvement massif enrichissant les villes corsaires, notamment le port d’Alger et démontrant une plus grande capacité d’accueil du monde ottoman : « Inconsciemment peut-être, le Turc ouvre ses portes et le Chrétien ferme les siennes »5. Plus récemment, dans Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Jocelyne Dakhlia a vu dans le phénomène renégat un des indices d’une forme particulière d’altérité du Maghreb moderne vis-à-vis de l’Europe : le recours aux renégats démontrerait que les Maghrébins avaient « fait leur deuil de toute homogénéité » en « s’écartant [d’un] modèle unitaire, à la différence de l’Europe ». Les musulmans de ces régions n’avaient certes pas étudié les langues européennes mais ils avaient permis « à des Européens d’accéder chez eux aux plus hautes fonctions sociales et politiques »6.
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ti in Tunisia nei secoli xviie xviiie », Rapporti Genova-Mediterraneo-Atlantico nell’eta moderna, Gênes, Université de Gênes, 1989, p. 333-351 (p. 342). Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin 1979, T. I, p. 145 ; T. II, p. 96 et p. 133. Jocelyne Dakhlia, Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Arles, Actes Sud, 2008, p. 39, p. 154.
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A contrario, d’autres historiens ont vu dans ce phénomène un effet des conflits autour d’une frontière Islam / Chrétienté. Ils ont perçu la forte présence des renégats soit comme le prodrome d’une prépondérance européenne (annonçant d’une certaine manière la domination coloniale) soit, dans un sens inverse, comme le signe majeur d’une quête constante d’oppression des musulmans sur les chrétiens. Selon la première perspective, dans une introduction aux publications des actes consulaires français du xviie siècle, Pierre Grandchamp soutenait que « les musulmans n’auraient sans doute pu arriver à rien » sans les renégats7, reprenant un jugement que le père rédempteur Dan avait formulé trois siècles plus tôt en ces termes : sans leur aide [celle des renégats] les infâmes et malheureuses Républiques d’Alger, de Tunis, de Salé et de Tripoli ne pourraient […] subsister en leur domination contre les Maures, et les peuples du pays, ni se maintenir en leurs pirateries8
Dans la seconde perspective, interprétant le phénomène renégat comme une quête constante de domination musulmane sur les chrétiens, Robert Charles Davis distinguait une traite transatlantique avant tout fondée sur une « visée commerciale non passionnelle » et une traite que les Barbaresques animaient d’un « sentiment de revanche, presque de jihad »9. Entre rives sud et rives nord, une troisième et dernière approche illustrée par Bartolomé et Lucile Bennassar dans Les Chrétiens d’Allah a consisté à percevoir les parcours des renégats par le biais d’archives inquisitoriales (conservées à Lisbonne, Madrid, Las Palmas ou Venise)10. Selon ce type de sources, les renégats en disaient autant sur leurs cheminements vers l’Islam et sur leurs conditions de vie dans les régences barbaresques qu’ils ne témoignaient de pratiques juridiques et de cultures religieuses dans la Méditerranée chrétienne. Dans la présente contribution, c’est une tout autre méthodologie qui sera appliquée. Il ne s’agira pas de percevoir les renégats à partir des rives nord, en comparaison avec leurs foyers d’origine européens ou en lien avec les activités corsaires. Les étapes seront ici inversées. Dans cette étude, ces hommes des frontières géographiques et religieuses seront tout d’abord observés et compris dans leur société d’accueil, à Tunis, avant de les envisager ensuite dans leurs relations avec leurs lieux d’origine. Cette démarche s’inspire des travaux d’histoire ottomane qui P. Grandchamp, La France en Tunisie au xviie siècle. (1621-1630), Tunis, Imprimerie Générale J. Barlier et Cie, 1926, T. IV, p. xiii. 8 Jean Pignon, « Osta Moratto Turcho Genovese, Dey de Tunis (1637-1640) », Cahiers de Tunisie, 11, 1955, p. 331-362 (p. 331). 9 Robert Charles Davis, Esclaves chrétiens, maîtres musulmans. L’esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800), Rodez, J. Chambon 2006, p. 7. 10 Bartolomé et Lucile Bennassar, Les Chrétiens d’Allah. L’histoire extraordinaire des renégats. xviexviie siècles, Paris, Perrin, 1989, 493 p.
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ont cherché à penser le politique et les pratiques de l’autorité par le biais des maisonnées ou households du centre et des provinces de l’Empire. Pour adapter à l’échelle de Tunis cette perspective qui conçoit les maisonnées comme les matrices « d’un réseau complexe de relations transcendant le public et le privé, le personnel et l’institutionnel »11, deux types de sources seront particulièrement confrontées : les actes consulaires de la chancellerie française du premier xviie siècle édités par Pierre Grandchamp durant la période coloniale, et l’une des rares sources en arabe de l’époque, al-Kitāb al-mu’nis fī akhbār Ifrīqiyya wa-Tūnis, la chronique rédigée par Ibn Abī Dīnār12 qui fut cadi à Sousse et Kairouan, avant de se faire le panégyriste du bey Murād II au pouvoir de 1663 à 1675, puis de son fils ‘Alī Bey disparu en 168613. Le premier type de source permet d’établir des réseaux de négoce et de dépendance complexifiant les noyaux d’autorité présentés dans la seconde source. Cette méthode, qui consiste à croiser des sources consulaires et des informations tirées de chroniques, est loin d’être nouvelle. Dès 1955, Jean Pignon y avait eu recours afin de reconstituer le parcours d’Ustā Murād (Osta Moratto Turcho Genovese), dey de Tunis entre 1637 et 164014. Mais, dans le cas présent, la démarche de croisement des sources ne sera pas limitée à la figure d’un seul renégat. Elle sera étendue à des profils similaires. En nous fondant donc sur l’ouvrage d’Ibn Abī Dīnār mais aussi sur la chronique de Wazīr al-Sarrāj, un auteur d’origine andalouse du début du xviiie siècle15, nous traduirons le terme de « renégat » dans un premier temps par celui de « mamelouk », afin de restituer ces hommes dans un ordre particulier de relations de dépendance, marqué par le patronage et le service princier. En reconstituant et en comprenant ce type de lien, nous observerons ensuite comment ces relations de dépendance éclairent des stratégies de transmission dans les entourages de chefs d’armées et comment le recours à des étrangers convertis aide autant à maintenir des relations avec la rive nord qu’à administrer la province ottomane de Tunis. Il s’agira au final de réévaluer la part des dynamiques internes à la province de Tunis dans le recours massif aux renégats jusqu’aux années 1640.
11 Leslie Pierce, The Imperial Harem. Women and sovereignty in the Ottoman Empire, Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 285. 12 Muhammad Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis fī akhbār Ifriqiyyā wa Tūnis, éd. par M. Shammām, Tunis, Al-Maktaba al-‘atīqa, 1967, pagination ; Histoire de l’Afrique de Moh’ammed-ben-Abī-elRaīni-el Kaīrouâni, éd. E. Pellissier et Rémusat, Paris, Imprimerie Royale, 1845, 517 p. 13 Ahmed Abdesselem, Les Historiens tunisiens des xviie, xviiie et xixe siècles. Essai d’histoire culturelle, Paris, C. Klincksieck, 1973, p. 154-155. 14 J. Pignon, « Osta Moratto Turcho Genovese, Dey de Tunis (1637-1640) », art. cit., p. 331-362. 15 Muhammad al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya fī-l-akhbār al-tūnisiyya, éd. par Muhammad al-Habīb al-Hīla, Beyrouth, Dar al-Gharb al-Islāmī, 1985, 3 tomes, 2200 p.
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Le mamelouk des chroniques en arabe derrière le renégat des archives consulaires Pour observer les renégats dans leur société d’accueil, il faut tout d’abord comprendre les termes par lesquels ces hommes furent le plus souvent qualifiés à Tunis. Dans cette perspective, partant de la chronique d’Ibn Abī Dīnār, il ne semble pas que le terme de « renégat », pourtant massivement employé dans les sources européennes, soit des plus appropriés. Il faut davantage rendre ce mot par deux termes en arabe qui reviennent le plus souvent dans al-Kitāb al-mu’nis : celui de ‘ilj et plus souvent encore celui de mamlūk. Un conflit de succession en 1637 autour de la charge de dey ou de chef de la milice permet de saisir le sens de ces deux mots et la valeur heuristique du terme mamlūk. Après la mort du dey Yūsuf, ce conflit opposa Ustā Murād et Māmī Ferrarais qu’Ibn Abī Dīnār présentait comme l’un des « grands mamelouks » de feu Yūsuf Dey. Māmī aspirait à la fonction de dey parce que son nouveau patron, Ahmad fils de Yūsuf Dey, n’avait pas l’âge requis pour espérer succéder à son père16. Mais selon al-Wazīr al-Sarrāj, ce converti ne pouvait directement postuler à la fonction de dey : il craignait que « l’armée ne parvienne à s’accorder sur son nom car il était mamelouk d’origine ». Māmī eut donc l’idée de mettre en avant un être moins marqué par des relations de dépendance, le génois Ustā Murād qui était pour sa part qualifié de ‘ilj par Ibn Abī Dīnār. « Il procédait de la sorte, à la manière de ceux qui goûtent la saveur d’un poison par la langue d’un autre »17 afin d’évaluer la capacité de ce ‘ilj à se faire accepter par les miliciens. D’après une relation française qui emploie avant tout le terme de renégat, dans ses tortueux desseins, le conspirateur porta donc ses premiers efforts sur la maison deylicale un temps placée sous son intendance : […] ayant vu entrer dans le département d’Issouf-Dey, le dit OstaMorat, [Māmī] établit des gardes aux portes qui l’empêchèrent d’en plus sortir. Cependant, avec trois cents renégats bien armés, il se rendit maître du palais du dit Issouf-Dey, et envoya chercher tous les grands qui pouvaient prétendre à la royauté, jusqu’au nombre de quatre-vingtdix, les désarma et envoya en une chambre sous bonne garde, puis fit venir Osta-Morat, lui dit qu’il avait en sa puissance ceux qui pouvaient résister à son établissement et les lui fit voir ; après, ils firent assembler un grand nombre de renégats pour se saisir de la citadelle18
16 M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 376. 17 Ibid., vol. II, p. 375 et M. Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis…, op. cit., p. 209. 18 Eugène Plantet, Correspondance des beys de Tunis et des consuls de France avec la cour 1577-1830, Paris, Felix Alcan, 1893, T. I, p. 124. Ministère français des Affaires Étrangères, Mémoires et documents, Afrique, vol. 8, 1638, « Relation de ce qui s’est passé à Thunis à la mort d’Issouf day » f. 52 r. E. Plantet (op. cit., t. I, p. 123) attribue cette relation à Montemeillan, ancien captif à Tunis, chargé
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Une fois Ustā Murād placé à la fonction de dey, Māmī espérait l’écarter. La première partie du plan fonctionna parfaitement. Ustā Murād fut promu par les soldats turcs sans aucune hésitation. Mais par la suite, Ustā Murād déjoua les plans de son rival. Il fit exécuter le mamelouk Māmī hors de la capitale, à Zaghouan, et il exila le fils du dey Yūsuf vers Alger19. Les deux hommes étaient donc tous les deux des convertis d’origine italienne, mais ils n’avaient pas la même position dans la toile des fidélités tissée à Tunis. Māmī n’avait de qualité qu’ en tant que principal serviteur, qu’en tant que mamelouk de Yūsuf Dey20. A contrario, Ustā Murād n’était en aucune manière l’homme d’un autre. Puissant « général des galères », selon les termes de la chancellerie française, il semblait en quelque sorte son propre maître. Dans ce contexte, le mamelouk se définissait, pour le moins au xviie siècle, avant tout par son lien de dépendance et le ‘ilj, en l’absence d’attache, par sa conversion et/ou par son détachement des liens de fidélité. Le terme ‘ilj désignait sans conteste le non-arabe, le non-musulman, le converti et par restriction, dès l’ère hafside, en Ifrīqiyya, un chrétien qui a renié sa foi et s’est hissé aux plus hautes fonctions de l’État21. Cette déduction peut d’ailleurs être étayée par une autre illustration à la même époque, par le cas du caïd Ramadhān, issu des a‘lāj et dont l’éminence était signifiée par la possession de mamelouks22. Le qualificatif de ‘ilj était donc celui qui se rapprochait le plus de l’acception de renégat. Mais dans la Tunisie ottomane, ce terme fut de moins en moins utilisé pour les hommes. Il fut de plus en plus adapté comme ism (partie du nom ressemblant au prénom) et comme qualificatif au féminin (‘iljiyya) pour désigner les captives en provenance des marchés anatoliens, des plus anonymes aux plus illustres mères de beys23. De fait, c’est le terme de mamlūk tel qu’il était conçu dans le Mu’nis d’Ibn Abī Dīnār qui est le plus approprié pour identifier des Européens et des autochtones entrés au service des puissants selon les liens de dépendance qu’ils entretenaient avec leurs maîtres. Ce terme ou cette catégorie se rapproche de surcroît de la catégorie ottomane du kul, qui était rendue par l’expression d’esde négocier un traité de paix semblable à celui qui fut conclu avec les Algériens en 1628. 19 M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 376. 20 Ibid., vol. II, p. 375. 21 Robert Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides. Des origines à la fin du xve siècle, Paris, Maisonneuve, 1940, t. 1, p. 451 : « Ces néo-musulmans d’origine chrétienne, que désignait le terme de ‘ilj, pl. ‘ulūj, ont fait souvent à la Cour, dans l’armée, dans les divers services de l’État, grâce à leurs anciens maîtres ou “patrons” (mawālī), des carrières brillantes ». 22 M. Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis…, op. cit., p. 227. 23 Taoufik Bachrouch, Le Saint et le Prince en Tunisie. Les élites tunisiennes du pouvoir et de la dévotion. Contribution à l’étude des groupes sociaux dominants (1782-1881), Tunis, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, 1989, p. 570.
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clave ou de serviteur du sultan24. Plus que le terme de renégat ou celui de ‘ilj, le mot de « mamelouk » permet donc de percevoir un ensemble d’hommes selon les relations particulières qu’ils nouaient avec leur société d’accueil. Parce qu’il fait à la fois référence à de fortes relations de dépendance sociale et à des processus de conversion religieuse, le qualificatif de « mamelouk » permet de replacer des transfuges dans une des grandes mutations de la société tunisienne du xviie siècle. Après avoir été convertis, les mamelouks ont, par leur fidélité, participé à des processus d’édifications et de consolidation des maisonnées autour de deux types de chefs militaires qui ont émergé dès la fin du xvie siècle dans la province ottomane de Tunis : d’abord autour des deys, que les janissaires turcs désignaient à leur tête depuis 1591, puis autour des beys mouradites qui, à partir de fonctions de lieutenance, ont peu à peu pris l’ascendant sur les deys, en contrôlant des ressources fiscales du pays.
Les mamelouks dans les stratégies patrimoniales des beys et des deys Dans l’entourage des deys et des beys, les mamelouks ont tour à tour été utilisés selon deux logiques très distinctes, d’abord dans des stratégies d’affirmation de ces dignitaires, puis dans un processus de mise en place d’une dynastie beylicale et d’amoindrissement de la force deylicale.
Lieutenants des chefs militaires Jusqu’au début des années 1630, les mamelouks vont servir de lieutenants des beys et des deys. C’est parmi eux et non parmi leurs fils ou leurs parents que les beys et les deys choisissent leurs successeurs. L’intimité l’emporte alors sur la filiation. Au début des années 1610, parmi les deys, Yūsuf, milicien venu de Tripoli, succède à ‘Uthmān ; parmi les beys, Murād remplace Ramadhān. Le premier, Yūsuf Dey, n’est pas un descendant de ‘Uthmān Dey mais un proche. Selon le récit établi par le chroniqueur al-Wazīr al-Sarrāj, chaque nuit, Yūsuf suivait ‘Uthmān Dey dans les rues de la médina de Tunis jusqu’à se présenter à ce dernier comme son serviteur, sa créature (‘abdu-hu)25. Par la suite, ‘Uthmān Dey décida d’unir sa fille à son
24 Daniel Pipes, Slave Soldiers and Islam. The Genesis of a Military System, New-Haven-Londres, Yale University Press, 1981, p. 13-14 ; Bernard Lewis, Race et esclavage au Proche-Orient, Paris, Gallimard, 1993, p. 107 ; Yusuf Hakan Erdem, Slavery in the Ottoman Empire and Its Demise, 1800-1909, Houdnmills, Mac Millan-Saint-Martin’s Press, 1996, p. 6 ; Ehud R. Toledano, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle, University of Washington Press, 1998, p. 21-24. 25 M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 351.
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protégé. Et au soir de sa vie, il recommanda aux miliciens de désigner ce gendre à sa fonction après sa mort26. Pour sa part, Murād Bey, se distingua auprès de son maître Ramadhān Bey entre autres par les traits de son visage. Dans ce second cas, ce n’ est pas la créature qui poursuivit le créateur mais le patron qui, par l’art de la physiognomonie (al-firāsa), parvint à cerner l’excellence (al-najāba) sur le visage de son mamelouk. Ces heureuses prémonitions ne cessèrent de se confirmer dans les talents de gestionnaire dont sut faire preuve Murād et dans la fortune qu’il accumula à ses multiples fonctions27. Les maisonnées de Yūsuf et Murād étaient alors toutes deux en relation avec le centre de l’Empire ottoman. Ramadhān Bey, premier homme connu à cette fonction de lieutenance militaire, de la dernière décennie du xvie siècle à sa mort en 1613 aurait été élevé dans les grands palais, parmi les serviteurs du sultan, les kapi kullu28. Pour sa part, Yūsuf Dey, au pouvoir de 1610 à 1647, avait suivi l’exemple de l’autorité suprême, lorsqu’il s’était inspiré du nombre de pavillons du sultan pour répartir en 49 unités un millier de soldats ajoutés à un ensemble de 3 000 afin de lutter contre Alger29. Mais les deux maisonnées n’ont pas pesé d’un même poids dans les deux premières décennies du xviie siècle sous les tutelles respectives de Yūsuf Dey et Ramadhān Bey. L’entourage de ce dernier était constitué a minima de son frère Rajab, et surtout de mamelouks dont les trois plus renommés furent les beys Murād, Ramadhān et Husayn30. Le noyau de la maisonnée des deys rassemblait, pour sa part, entre dix convertis31 et au moins « quarante officiers domestiques dont les principaux sont le kiaia et le khasandar : l’un est (le) grand maître et l’autre le trésorier de sa maison »32. En 1625, soit quinze ans après la mort de
26 M. Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis…, op. cit., p. 205. 27 Ibid., p. 227-228. 28 Asma Moalla (The Regency of Tunis and the Ottoman Porte 1777-1814. Army and government of a North-African Ottoman eyālēt at the end of the eighteenth century, Londres, Routledge Curzon, 2003, p. 25) s’appuie sur des affirmations de Bernard Roy (« Deux documents inédits sur l’expédition algérienne de 1628 (1037 hég.) contre les Tunisiens », Revue tunisienne, 122, 1917, p. 183-204 (p. 197)) : « des renégats exerçaient les hautes charges de l’État. Ce système de gouverner dura autant que la domination turque. Il avait été inauguré par Ramadān, qui fut le premier bey, c’està-dire le commandant des troupes après la conquête. D’après certains, Sinan Pacha l’avait laissé à Tunis. Selon d’autres, il y fut envoyé de Constantinople peu d’années après ». Ibn Abī Dīnār le fait venir du deylik voisin d’Alger (op. cit., p. 227) ; al-Wazīr al-Sarrāj (op. cit., vol. II, p. 347) s’en tient à une version comparable. Il le dit issu des ‘ilj, (huwa min al-a‘lāj) et d’abord bey à Alger. Dans un second passage (op. cit., vol. II, p. 351), un de ses descendants nie cette origine ‘ilj, affirmant qu’il eut pour père un certain Husayn, issu de l’armée d’Alger. Cette version serait confirmée sur la tombe du principal intéressé dans la zāwiya Sīdī Qāsim al-Jalīzī. 29 M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 377. 30 M. Ibn Abī Dīnār, op. cit., p. 227. 31 B. Ben Sassi, Les Renégats dans la Régence de Tunis…, op. cit., p. 58. 32 Une Histoire des révolutions du royaume de Tunis au xviie siècle. Une œuvre de Guilleragues ?,
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‘Uthmān Dey, le drogman vénitien Jean-Baptiste Salvago, de passage à Alger puis à Tunis, dépeignait un Yūsuf Dey qui pouvait « faire et défaire », « commande[r] à tous et thésaurise[r] à l’infini au détriment de tout le monde ». Considéré « à Tunis comme [un] Roi […], il marchait avec une suite de quarante à cinquante hommes, tous aimés et aspirant au même grade »33. Dans la décennie suivante, sur les neuf bagnes recensés par un religieux rédempteur, deux auraient été à la disposition du dey, un seul aurait été tenu par le bey Murād34. Yūsuf Dey eut de surcroît un droit de regard sur la succession à la tête de la maisonnée de Ramadhān Bey. Pris à témoin par Murād Bey en sa demeure, le dey présagea que le prochain bey verrait venir à sa porte un secrétaire descendant de la lignée des Banū Sandal. Le mamelouk eut l’heureuse surprise de la visite de ce personnage. Il eut surtout l’intelligence de le recruter à son service. Sûr de sa fortune, il parvint, en outre, à attirer à ses côtés les mamelouks de Rajab, frère du défunt Ramadhān Bey35. Mais ce rapport de forces, qui favorisait au départ la maisonnée des deys, changea du tout au tout dans un second temps, à partir du début des années 1630.
Logiques dynastiques des beys et amoindrissement des deys Parmi les beys, c’est une logique proprement dynastique qui s’imposa. Le mamelouk Murād Bey établit le lignage des Mouradites, mais en tant que successeur de Ramadhān Bey, il ne rompit pas les ponts avec la famille de son patron : il épousa la fille de Ramadhān Bey qui se révéla stérile, puis il s’unit à une captive36. Lorsqu’il devint pacha en 1631, dans cette logique de « dynastisation », il concéda le titre de bey à son fils Muhammad, plus connu sous le nom de Hammūda Bey. « Peu après 1640 »37, ce dernier libéra son lignage des dernières marques d’une pesante relation de patronage (walā’) qui avait maintenu Murād Bey sous la dépendance
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édition Paul Sebag, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 52. Paul Sebag note que ces précisions furent empruntées aux Mémoires du sieur de La Croix. Pierre Grandchamp, « Une mission délicate en Barbarie au xviie siècle. Jean Baptiste Salvago, drogman vénitien, à Alger et à Tunis (1625) », Revue tunisienne, 30, 31-32, 1937, p. 299-323 ; p. 471503 (p. 318, 482). Pierre Dan, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, Paris, P. Rocolet, 1649, p. 407. M. Ibn Abī Dīnār, op. cit., p. 228. Taoufik Bachrouch, Formation sociale barbaresque et pouvoir à Tunis au xviie siècle, Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1977, p. 164. Mohamed Hédi Chérif, Pouvoir et société dans la Tunisie de H’usayn Bin ‘Ali (1705-1740), Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1984, p. 91. Ahmad Ibn Abī al-Diyāf (Présent aux hommes de notre temps. Chronique des rois de Tunis et du pacte fondamental. Chapitre IV et V : règne de Husaïn Bey et Mustafā Bey, Tunis, IRMC-ISHMN, Alif, 1994, vol. II, 42) date la fondation de la maison mouradite par Murād après la mort du frère et du fils de Ramadhān Bey, Rajab et Sulaymān.
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de la famille de Ramadhān Bey. Hammūda Bey s’empara d’une partie des richesses du fils de Ramadhān38. Il s’imposa peu à peu aux deys en contrôlant les collectes et les circuits fiscaux de la province39 : en 1653, il ne se contenta pas d’appuyer la nomination de Mustafā Lāz à la fonction de dey ; il attendit que le nouveau dey fût confirmé dans son autorité pour l’unir à une de ses captives richement dotée et – signe d’une entrée en dépendance de Mustafā Lāz – le bey n’hésita pas à offrir une demeure à son protégé40. Parmi les deys, en revanche, cette logique dynastique, ou plus largement de choix du successeur, ne put être mise en place. D’une part, l’inclination à promouvoir un obligé, que nous avons perçue dès les années 1610, s’estompa à partir de la fin des années 1630. En 1637, Ustā Murād fut le dernier ‘ilj à s’imposer à une telle fonction. Par la suite, les janissaires, puis les beys, reprirent clairement en main la désignation des deys. En 1640, ce sont des miliciens unanimes qui, par leurs suffrages, élevèrent à leur tête un certain Ahmad Khūjā, originaire de Sinope et loué pour ses bonnes œuvres41. Ancien protégé de Yūsuf Dey, Ustā Murād ne manquait pourtant pas d’atouts pour avancer ses préférences : il disposait d’une clientèle depuis une trentaine d’années42. Il s’appuyait sur un compatriote génois également renié, Ustā Husayn, qu’il avait promu lieutenant et choisi comme gendre43. Dans le même temps, les deys ne parvinrent pas à transmettre leurs charges à leurs descendants. Dans la compétition entre Ustā Murād et Māmī, nous l’avons vu, le fils de Yūsuf Dey fut très vite marginalisé. Cette faiblesse fut présentée comme une volonté de se prémunir contre des excès de puissance dans un dialogue que le voyageur Jean Thévenot affirma avoir noué en 1659 avec Don Philippe, fils du dey Ahmad Khūja44 : Le day ne peut pas faire que son fils soit day après sa mort : en ayant demandé la raison à Dom Philippo, il me dit que c’est que quand ces
38 M. H. Chérif, Pouvoir et société dans la Tunisie…, op. cit., p. 91 : M. Ibn Abī Dīnār, Présent aux hommes de notre temps…, op. cit., p. 211. 39 A. Ibn Abī al-Diyāf (op. cit., vol. II, p. 42) explique le choix que fit Murād Bey d’ériger « sa maison en dynastie du fait de l’affaiblissement du pouvoir des deys ». T. Bachrouch, Formation sociale barbaresque… op.cit., p. 91. A. Raymond, Tunis sous les Mouradites… op. cit., p. 32, perçoit à cet égard l’année 1640 comme un tournant dans l’équilibre politique et financier de la province. 40 M. Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis…, op. cit., p. 213-214. 41 Ibid., p. 210 ; M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 396. 42 J. Pignon, « Osta Moratto Turcho Genovese, Dey de Tunis (1637-1640) », art. cit., p. 340, « Il se constitue une clientèle. Dès 1612, apparaissent, dans les archives consulaires françaises, « les “renégats d’Osta Morat” : un Vénitien du nom de Giafer, un Français, Morato Raïs (Loys Cravier, sa sœur Ysabelle Cravière habite Toulon) ». 43 Ibid., p. 340 : « Sans doute a-t-il déjà constitué sa “maison” ; toutefois ce n’est qu’en 1620 qu’il est question de son Kahia Ossaïno Ginovese, qui deviendra plus tard son gendre ». 44 T. Bachrouch, Formation sociale barbaresque… op.cit., p. 172. Don Philippe se distingua par ses oscillations entre christianisme et islam.
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jeunes gens se trouvent tout d’un coup si puissants, ils se débauchent de telle sorte qu’ils se rendent insupportables à tout le monde, forçant les femmes et les garçons qu’ils peuvent attraper ; de sorte que si un day voulait faire son fils day après lui, il faudrait qu’il le fît de son vivant45
Avec l’adoption d’une logique dynastique par les beys et la reprise en main de la désignation des beys par les miliciens et l’autorité des beys, c’est donc un facteur essentiel de différentiation qui apparut à ce moment précis entre les différents entourages des chefs militaires de Tunis. Un grand nombre de fonctions de « substituts » familiaux ou de délégués administratifs pouvait revenir aux mamelouks, auprès des beys qui contrôlaient les patrimoines et les charges en vue de les accumuler et de les léguer à des héritiers naturels. Auprès des deys, en revanche, le champ des ambitions et des usages des mamelouks fut beaucoup plus limité. Cette lecture de l’intérieur, qui replace les renégats dans leurs fonctions de mamelouks, acteurs d’une compétition entre chefs militaires, est – nous semblet-il – à prendre en compte dans la perception des conflits et des frontières dans la Méditerranée du premier xviie siècle. Elle complexifie les interprétations du recours aux renégats avant tout fondées sur les aléas de la course ou les dynamiques des conflits religieux en Europe. Certes, les fluctuations de la course, l’apparente décélération de cette activité dans la seconde moitié du xviie siècle, jouent de manière indiscutable sur l’importance du nombre de captifs chrétiens, et en dernier ressort sur le nombre potentiel de « renégats » ou mamelouks convertis à l’islam. Mais le recours à cette catégorie d’hommes se transforme aussi selon des facteurs intérieurs à la société tunisoise. À partir du début du xviie siècle, les mamelouks participent aux fondations et aux consolidations des maisons deylicales et beylicales mais, dès les années 1630-1640, ces mêmes hommes sont plus en retrait car les logiques de transmission des plus hautes charges les prennent moins en compte. Dans les maisons beylicales, la transmission des plus hautes charges devient héréditaire ; dans le cas des deys, cette transmission est davantage le produit de désignations collectives et de l’influence des miliciens turcs. Il y a donc bien un « effet de frontière » puisque l’offre en captifs crée de la demande ou la restreint, mais il y aussi et surtout une grande capacité d’adaptation intérieure, notamment par de fortes modulations dans l’utilisation des mamelouks. Une dernière manière de percevoir cette force des adaptations intérieures sur les aléas de la course nous conduira en dernier lieu hors des maisonnées des deys et des beys.
45 Paul Sebag, « Voyages en Tunisie au xviie siècle. L’escale de Jean Thévenot : 6 mars 1659-30 mars 1659 », Institut des belles lettres arabes, 145, 1980, p. 74-75.
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Fonctions guerrières et interactions sociales sur les deux rives de la Méditerranée Participer aux conflits et aux médiations Hors de ces cercles, les mamelouks de Tunis ont dans un premier temps, jusqu’aux années 1640, permis de dépasser les conflits avec les rives nord de la Méditerranée tout en diffusant l’autorité de leurs maîtres à l’intérieur de la province ottomane. Sur terre comme sur mer, ils ont exécuté des tâches militaires en même temps qu’ils ont opéré toute une série de médiations avec leurs anciens compatriotes des rives nord de la Méditerranée, et surtout avec les habitants de la province de Tunis. Vers les rives nord, les mamelouks d’origine européenne furent, bien sûr, des acteurs de la course. Mais, dans ce type d’activités, ils ont aussi promu leurs intérêts privés et ceux de leur famille d’origine. Souvent, ces mamelouks n’ont pas rompu avec leurs foyers restés sur la rive nord. Au milieu des années 1620, « Amat di Capra », lieutenant du grand secrétaire du divan, noua une association avec un beau-frère, Fabio Viva, et son frère Erasmo, issus de la même île de Capri. En 1625, Erasmo vendait à « Amatto di Capra », les trois quarts d’une tartane. L’année suivante, le renié donnait une procuration à Fabio pour « acheter des marchandises et les envoyer à La Goulette » avant que les deux hommes ne fassent affaire sur le rachat d’un esclave originaire de l’île d’Ischia, à l’entrée du golfe de Naples46. Vingt-sept ans plus tard, en 1653, « Murato », lieutenant portugais du dey Muhammad Lāz, avança des prêts à deux congénères pour financer leur rachat à condition qu’à leur retour à domicile, ils remboursent les sommes à sa sœur, femme mariée et restée au pays47. En participant à la course tout en associant leurs parents aux contreparties de cette activité, les mamelouks d’origine européenne ont donc autant nourri le conflit dans la région qu’ils n’y ont assuré des formes de continuité entre les deux rives. Au sein de la province ottomane de Tunis, les mamelouks des deys puis des beys ont conjugué d’une autre manière ces fonctions guerrières et ces capacités de médiation. Ces rôles ont suscité peu d’études et pourtant, ils sont peu à peu devenus déterminants dans l’exercice du pouvoir dans la province ottomane de Tunis. D’une part, les mamelouks qui obtenaient la faveur de leurs maîtres ont conduit des troupes dans le pays pour le défendre ou pour en réprimer les populations. En 1628, lors du
46 P. Grandchamp, La France en Tunisie au xviie siècle (1621-1630), op. cit., t. IV, p. 152, 25 avril 1625 ; p. 211, 29 juin 1626 ; p. 213, 2 juillet 1626. 47 Ibid., t. VI, p. 46, 14 janvier 1653 ; p. 53, 19 avril 1653.
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conflit avec la province voisine d’Alger, sur treize chefs « désignés par le Divan pour assurer la garde de la ville et le commandement des troupes, douze, dont le général en chef » étaient, selon l’historien Jean Pignon, « des renégats »48. En plus de ces fonctions militaires, d’autres mamelouks ont pu obtenir des charges de caïds afin d’administrer des localités ou des communautés. En 1631, le titulaire de cette fonction à Kairouan, ‘Alī al-Hannāshī était un mamelouk des Mouradites, ancien proche de Rajab Bey49. Ces caïds-mamlouks ont pu s’intégrer « aux populations locales » et faire souche « sans rompre les liens avec leurs anciens maîtres »50. Le mamelouk Hasan fut ainsi l’ancêtre des Awlād Hasan qui ont commandé « les contingents » de la grande tribu makhzen des Drīd « de père en fils »51.
Reflux de la course et extension des réseaux de clientèle Mais ces rôles se transformèrent à partir des années 1640. Les renégats furent moins nombreux dans les actes de chancellerie du consulat de France. Dans les chroniques, on ne les voyait plus occuper les positions de principaux lieutenants aux côtés des deys et des beys. Une des premières explications de ce « retrait mamelouk » a souvent été recherchée dans le déclin des activités corsaires. Selon une interprétation qui s’est imposée dans l’historiographie de la Tunisie, le pouvoir beylical aurait de moins en moins investi dans les affaires maritimes et il aurait de plus en plus cherché à élargir ses recettes financières en exploitant ou en faisant exploiter les terres du pays. Comme à Malte, la course parut d’un moindre rapport : selon Sadok Boubaker, les périodes d’activité corsaire étaient trop « courtes et trop espacées dans le temps pour constituer un fondement économique durable » ; « investissements élevés » et « personnel qualifié » manquaient à Tunis pour rentabiliser cette activité52. La chronologie et les flux d’échanges restent pour l’heure mal établis. Cependant, il semble que les pertes subies par le reflux de la course étaient certainement plus que compensées par des activités commerciales et des ponctions
48 Jean Pignon, « La milice des Janissaires de Tunis au temps des Deys (1590-1650) », Cahiers de Tunisie, 15, 1956, p. 301-326 (p. 307). 49 M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 371, et M. Ibn Abī Dīnār, Présent aux hommes de notre temps…, op. cit., vol. II, p. 42, révèlent la qualité de mamelouk de ‘Alī alHannāshī. 50 M. H. Chérif, Pouvoir et société dans la Tunisie…, op. cit., T. I, p. 91. 51 Ibid., p. 226 : l’auteur assimile à l’occasion le corps mamelouk à une « aristocratie de fonction ». 52 Sadok Boubaker, « Négoce et enrichissement individuel à Tunis du xviie siècle au début du xixe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 50/4, 2003, p. 29-62 (p. 47).
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fiscales53. Ce pouvoir aurait de fait de moins en moins misé sur des hommes du dehors. À l’inverse, il aurait de plus en plus recherché l’appui des autochtones. Il aurait en quelque sorte tourné le dos à la mer afin de devenir autochtone. Mais si l’hypothèse est séduisante, elle repose plus sur un faisceau d’indices que sur des séries quantitatives difficiles à établir pour la période. Une autre manière de comprendre ce « retrait mamelouk » nous amènerait à repartir des stratégies de consolidation de la maison beylicale à partir des années 1630 et des effets de l’instauration d’une dynastie beylicale sur l’exercice de l’autorité dans le pays et de facto sur les manières d’utiliser les mamelouks au sein de la province, au niveau de l’administration militaire et des caïdats. Dans l’entourage des beys, selon cette logique dynastique, les mamelouks ne furent plus favorisés. Dans les ordres de succession, ce sont les descendants naturels qui furent désormais préférés. À son retrait du pouvoir, en 1662-166354, Hammūda, devenu pacha en 1657-165855, fragmenta son imperium entre ses trois fils : l’aîné Murād Bey II reçut le commandement de l’armée ; le cadet Muhammad Bey II contrôla le sanjak ou commandement de Kairouan, Sousse, Monastir et Sfax ; enfin, le benjamin Hasan fut pourvu d’un sanjak d’Ifriqiyya, qui correspondrait à la région nord de Béja jusqu’au Kef 56. Dans le pays, à la manière des mamelouks des premières décennies du xviie siècle, selon une probable extension des relations de clientèles, les autochtones cherchaient à devenir des intermédiaires avec le pouvoir beylical : d’après Ibn Abī Dīnār, sous le règne de Hammūda Bāshā, « chaque shaykh » ou chaque notable « voulait devenir le mamelouk du pacha »57. Dans ce processus, ce sont donc paradoxalement des étrangers convertis qui ont, dans un premier temps, contribué à enraciner une autorité issue de l’ensemble des janissaires turcs et qui ont fondé les premières mailles des réseaux de fidélité avant que cette autorité ne se transmette par voie dynastique et n’ élargisse les relations de dépendance expérimentées sur les mamelouks à des cercles plus larges d’autochtones.
53 T. Bachrouch, Formation sociale barbaresque… op.cit., p. 91 : « le pouvoir mouradite aurait développé son assiette continentale au point de faire de la course une source de revenus secondaires. Ceci alors que la déchéance des deys portait un coup fatal au rôle de promoteurs corsaires qu’ils jouèrent pendant assez longtemps~». 54 M. Ibn Abī Dīnār, Al-Kitāb al-mu’nis…, op. cit., p. 239 : retraite en 1662-1663 (1073). 55 Ibid., p. 238-239 : demande du titre de pacha en 1654-1655 (1065), réception en 1657-1658 (1068) ; M. H. Chérif, Pouvoir et société dans la Tunisie…, op. cit., p. 87. 56 M. Ibn Abī Dīnār, op. cit., p. 238-239. M. Al-Wazīr al-Sarrāj, Hulal al sundusiyya…, op. cit., vol. II, p. 428. L’Ifriqiyya est identifiée à la région de Béja jusqu’au Kef. 57 A. Moalla, The Regency of Tunis and the Ottoman Porte…, op. cit., p. 25, référence à M. Ibn Abī Dīnār, op. cit., p. 237.
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Conclusion En somme, considérer ces hommes comme des mamelouks plutôt que comme des renégats nous a permis d’aller au-delà des interrogations polémiques sur les traitements des esclaves en terres d’Islam ou sur les raisons de leurs conversions58. Perçue à partir de stratégies patrimoniales, entre foyers d’origine des mamelouks et intérieur de la province, l’utilisation intensive de mamelouks ne révèle pas seulement d’autres pratiques d’altérité, d’autres formes de cosmopolitisme ou bien encore des quêtes permanentes de domination, qu’elles fussent musulmane ou chrétienne. Elle permet surtout de comprendre comment un même groupe d’hommes convertis a participé à la fois de l’affrontement et de l’échange en Méditerranée et comment ces hommes qui ont franchi des frontières religieuses et sociales ont influé sur les manières de gouverner à Tunis dans la première moitié du xviie siècle. Quand il est traduit en « phénomène mamelouk », ce recours à des hommes venus des rives nord de la Méditerranée et convertis à l’islam éclaire du coup d’autres modes de construction de l’autorité à partir d’une extension des relations de dépendance, dans une oscillation des modes de transmission de cette même autorité entre une transmission aux serviteurs intimes dans les trois premières décennies du xviie siècle et une transmission héréditaire. Dans la première moitié du xviie siècle, nous l’avons vu, la croissance puis la réduction du nombre de captifs et convertis, quoique liée aux aléas de la course, est constamment entrée en résonance avec les adaptations intérieures du pouvoir et de la société tunisienne.
58 Dépassement impulsé par Jocelyne Dakhlia dans « “Turcs de profession” ? Réinscription lignagères et redéfinitions sexuelles des convertis dans les cours maghrébines (xvie-xixe siècles) », Conversions islamiques. Identités religieuses en Islam méditerranéen, éd. par M. Garcia-Arenal, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 151-171.
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—, La France en Tunisie au xviie siècle, (1692-1700), Tunis, Aloccio, 1932, vol. 9. —, La France en Tunisie au xviie siècle (1701-1705), Tunis, Aloccio, 1933, vol. 10. —, « Une mission délicate en Barbarie au xviie siècle. Jean Baptiste Salvago, drogman vénitien, à Alger et à Tunis (1625) », Revue tunisienne, 30, 31-32, 1937, p. 299-323 et p. 471-503. Ibn ab al-diyf, A., Ithāf ahl al-zamān bi-akhbār mulūk Tūnis wa ‘ahd al-amān, Tunis, Maison tunisienne de l’édition, 1989, vols. I à VIII. Ibn Ab Dnr, M., Présent aux hommes de notre temps. Chronique des rois de Tunis et du pacte fondamental. Chapitre IV et V : règne de Husaïn Bey et Mustafā Bey, éd. et trad. A. Raymond et K. Kchir, Tunis, IRMC-ISHMN-Alif, 1994. —, M., Al-Mu’nis fī akhbār Ifriqiyā wa Tūnis, éd. par Muhammad Shammām, Tunis, al-Maktaba al-‘atīqa, 1967. —, M., Histoire de l’Afrique de Moh’ammed-ben-Abī-el-Raīni-el Kaīrouâni, éd. par E. Pellissier et Rémusat, Paris, Imprimerie royale, 1845, 517 p. Lewis, B., Race et esclavage au Proche-Orient, Paris, Gallimard, 1993, 265 p. Moalla, A., The Regency of Tunis and the Ottoman Porte 1777-1814. Army and government of a North-African Ottoman eyālēt at the end of the eighteenth century, Londres-New York, Routledge Curzon, 2003, 175 p. Peirce, L., The Imperial Harem. Women and sovereignty in the Ottoman Empire, New-York Oxford, Oxford University Press, 1993, 374 p. Pignon, J., « Osta Moratto Turcho Genovese, Dey de Tunis (1637-1640) », Cahiers de Tunisie, 11, 1955, p. 331-362. —, « La milice des Janissaires de Tunis au temps des Deys (1590-1650) », Cahiers de Tunisie, 15, 1956, p. 301-326. Pipes, D., Slave Soldiers and Islam. The Genesis of a Military System, New Haven-Londres, Yale University Press, 1981, 246 p. Plantet, E., Correspondance des beys de Tunis et des consuls de France avec la cour 1577-1830, Paris, Félix Alcan, 1893, T. I. Raymond, A., Tunis sous les Mouradites. La ville et ses habitants au xviie siècle, Tunis, Cérès éditions, 2006, 336 p. Roy, B., « Deux documents inédits sur l’expédition algérienne de 1628 (1037 hég.) contre les Tunisiens », Revue tunisienne, 122, 1917, p. 183-204. Sebag, P. (éd. par), Une histoire des révolutions du royaume de Tunis au xviie siècle. Une œuvre de Guilleragues ?, Paris, L’Harmattan, 2003, 202 p. Sebag, P., Tunis au xviie. Une cité barbaresque au temps de la course, Paris, L’Harmattan, 1989, 267 p. —, « Voyages en Tunisie au xviie siècle. L’escale de Jean Thévenot : 6 mars 1659-30 mars 1659 », Institut des belles lettres arabes, 145, 1980, p. 47-48. Toledano, E. R., Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle-Londres, University of Washington Press, 1998, 185 p. Al-Wazr al-Sarrj, M., Hulal al sundusiyya fī-l-akhbār al-tūnisiyya, éd. par M. al-Habīb alHīla, Beyrouth, Dar al-Gharb al-Islāmī, 1985.
Au-delà des frontières : réseaux d'espionnage portugais dans le Levant méditerranéen et dans l'océan Indien au xvie siècle Dejanirah Couto | École pratique des hautes études Section des sciences historiques et philologiques (Paris)
Déployé sur trois continents aux xve-xvie siècles, l’empire portugais reposait, en plus de son appareil administratif et de ses institutions religieuses et politiques, sur la création et la maîtrise d’un grand nombre de réseaux d’information secrète. Comme nous avons eu l’occasion de le montrer lors de travaux antérieurs1, ce dispositif a permis de préserver la cohésion de l’ensemble, de surmonter les difficultés inhérentes au faible nombre de résidents portugais en Asie, à l’éparpillement géographique des possessions d’échelle et d’urbanisme très différents2, et à leur insertion dans des espaces politiques et culturels très distincts. Fondé par D. Francisco de Almeida en 15053, l’Estado da Índia n’aurait pas subsisté dans plusieurs régions sans l’activité de ces réseaux, dont il convient de souligner les liens étroits avec le monde méditerranéen.
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Dejanirah Couto, « L᾽espionnage portugais dans l’Empire ottoman au xvie siècle », La Découverte, le Portugal et l’Europe, éd. par J. Aubin, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian-Centre culturel portugais, 1990, p. 243-267 ; id., « Arméniens et Portugais dans les réseaux d’information de l’océan Indien », Les Arméniens dans le commerce asiatique au début de l’ère moderne, éd. par S. Chaudhury et K. Kévonian, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2008, p. 171-196. Sur la question de l’urbanisme, cf. les différentes contributions réunies dans Portuguese Colonial Cities in the Early Modern World, éd. par L. Brockey, Farnham, Ashgate Publishing, 2009, 298 p. Sur la création de l’Estado da Índia, et la première installation des Portugais à Cochin et à Cananor, João de Barros, Ásia de João de Barros. Dos feitos que os Portugueses fizeram no Descobrimento e Conquista dos Mares e Terras do Oriente. Primeira Década, éd. par António Baião, Coimbra, Imprensa da Universidade, 1932, L. VIII, chap. jx, p. 322-333 ; Joaquim Candeias da Silva, O Fundador do « Estado Português da Índia », D. Francisco de Almeida (1457 ( ?)-1510, Lisbonne, CNCDP/ Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 1996, p. 87-138 ; se reporter également aux différentes contributions réunies dans le volume A Alta Nobreza e a Fundação do Estado da Índia, éd. par J. P. Oliveira e Costa et V. L. Gaspar Rodrigues, Lisbonne, Universidade Nova de Lisboa, 2004, 361 p.
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En effet, à la fin du xve siècle, sous le règne de D. João II (1455-1495), et plus précisément vers 1480, le souverain entretenait, selon le chroniqueur João de Barros « des intelligences dans toutes les régions du Levant »4. En témoigne la mission du rabbin Abraham de Beja, et de Joseph, le cordonnier de Lamego, envoyés en 1487 au Caire, à la recherche des deux agents du roi, Pero da Covilhã et Afonso de Paiva5. Selon le chroniqueur Fernão Lopes de Castanheda, ces intelligences furent destinées prioritairement à glaner des renseignements sur l’Éthiopie du mythique Prêtre Jean6. En réalité, ces réseaux furent progressivement assignés à une autre fonction : observer les mouvements des adversaires du Portugal dans le Levant, les Mamelouks jusqu’en 1517, et les Ottomans ensuite7. Opérant des intersections dans des endroits précis, chevauchant les frontières religieuses, politiques et culturelles des États méditerranéens8, ces filières multidirectionnelles tracèrent elles-mêmes leurs axes géographiques d’intervention. Entre la seconde moitié du xve siècle et celle du xvie, on a pu identifier les grandes lignes directrices de ce vaste maillage des espaces : une première couvrait les deux grandes villes de Thrace (Andrinople et Istanbul) ; une seconde, celles de la Syrie-Palestine (Damas, Alep et Tripoli de Syrie) ; une troisième englobait les villes égyptiennes (Le Caire et Alexandrie) ; une quatrième les îles égéennes, surtout Corfou, Chio, Rhodes, et Chypre. Ce dernier axe incluait, parmi les villes italiennes, Venise, et celles des États pontificaux (Ferrare, Pise, Ancône, Rome). C’est dans leur composition sociale, dans leur fonctionnement, et dans leur extrême mobilité que réside l’intérêt majeur de ces réseaux. Au xve siècle, le roi du Portugal utilisa les structures levantines existantes, autrement dit, le service de renseignements de Venise, dont le leadership en matière d’information secrète 4 5 6
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João de Barros, Ásia, Dos Feitos que os Portugueses fizeram no Descobrimento e Conquista dos Mares e Terras do Oriente, éd. par H. Cidade et M. Murias, T. I, Lisbonne, AG.C., 1965, chap. V, p. 97. D. Couto, « L'espionnage », art. cit., p. 244, note 5. Fernão Lopes de Castanheda, História do Descobrimento e Conquista da Índia pelos Portugueses, éd. par M. Lopes de Almeida, T. I, Porto, Lello & Irmão, 1979, chap. I, p. 8-10. Sur le mythe du Prêtre Jean, Luís Filipe F.R.Thomaz, « Entre l’histoire et l’utopie : le mythe du prêtre Jean », dans Les Civilisations dans le regard de l’autre, Paris, éd. de l’UNESCO, 2002, p. 117-142, et p. 269-279 (notes). Jean Aubin, Le Latin et l’astrolabe. Études inédites sur le règne de D. Manuel, 1495-1521, éd. par M. da Conceição Flores, L. F. F.R.Thomaz, F. Aubin, Paris, Centre culturel Calouste Gulbenkian, 2006, p. 465-479 ; Doris Behrens-Abouseif, Egypt’s Adjustment to Ottoman Rule-Institutions, Waqf & Architecture in Cairo (16th & 17th Centuries), Leyde, E. J. Brill, 1994, p. 23 et 26, mentionnant Qutb al-Dîn al Makkî Nahrawâlî, Al-Barq al-Yamânî fi’l-Fath al-‘Uthmânî, Ms. British Library, OR 1183 (au sujet de la campagne d’Amir Husayn al-Kurdî contre les Portugais) ; Dejanirah Couto, « Les Ottomans et l’Inde portugaise », dans Vasco da Gama e a Índia : Conferência International / Vasco da Gama et l’Inde : conférence internationale / Vasco da Gama and India : International Conference, éd. par T. R. de Souza et J. M. Garcia, I, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 1999, p. 181-200. Sur la question de la frontière méditerranéenne, et plus particulièrement du côté ottoman, se reporter à Maria Pia Pedani, Dalla Frontiera al Confine, Roma, Herder Editrice, 2002, p. 17-37.
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était incontestable à l’époque9. L’organisation de ce service dans la cité de l’Adriatique remontait à 1402, le premier chiffre complet dont nous avons connaissance datant du 28 juin 1411 (il apparaît en effet dans les ordres du Doge Michele Steno envoyés à l’ambassadeur de Venise à Rome)10. L’étroite collaboration luso-italienne au niveau du montage des réseaux et des pratiques du renseignement se poursuit tout le long du xvie siècle. À première vue, en raison de la rivalité commerciale qui s’instaure entre les deux puissances (à la suite du retour de Vasco da Gama au Portugal en 1499, à la fondation de l’Estado da Índia, et à la création de la route maritime du Cap de Bonne-Espérance)11 une telle collaboration semble paradoxale12 : mais dans le monde du renseignement de l’époque, l’organisation encore rudimentaire des services limitait fortement les possibilités de cloisonnement ; d’ailleurs, on ne sait même pas si celui-ci était jugé nécessaire, et si on mesurait son rôle dans le succès ou l’échec des opérations d’espionnage13. Quoi qu’il en soit, en raison des aléas politiques ou des intérêts personnels, les volte-face et les accointances dans ce monde interlope étaient fréquentes, et les rivaux d’un jour devenaient des collaborateurs le lendemain. Néanmoins, en dépit de leur dépendance à l’égard des sources d’information de la Serenissima (à l’origine également des fameux Avvisi diffusés dans toute l’Europe14), et du recrutement d’agents vénitiens, les Portugais vont peu à peu diversifier et étoffer le recrutement dans leurs réseaux, l’élargissant à la communauté conversa et juive ibérique. 9 10
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Voir, en général, Paolo Preto, I Servizi Segreti di Venezia. Spionnagio e controspionnagio ai tempi della Serenissima, Milano, Il Saggiatore, 2004, 638 p. Christiane Villain-Gandossi, « Les dépêches chiffrées de Vettore Bragadin, Baile de Constantinople (12 juillet 1654-15 juin 1566) », dans La Méditerranée aux xiie-xvie siècles. Relations maritimes, diplomatiques et commerciales, Londres, Variorum Reprints, 1983, p. 53, note 4. et p. 54, note 5, citant L. Pasini, « Delle scritture in cifra usate dalla reppublica di Venezia », Il regio archivio generale di Venezia, (Venise, 1873). Sur le voyage de Vasco da Gama, voir, Voyages de Vasco de Gama. Relations des Expéditions de 1497-1499 & de 1502-1503, éd. par P. Teyssier et J. Aubin, Paris, Chandeigne, 1995, p. 7-64 ; se reporter également à Viagens Portuguesas à Índia: 1497-1513 - Fontes Italianas para a sua História. O Códice Riccardiano 1910 de Florença, éd. par C. Radulet et L. F. F.R.Thomaz, Lisbonne, CNCDP, 2002, p. 11-20. La méfiance existait : cf. Arquivos Nacionais da Torre do Tombo, Lisbonne (dorénavant AN/TT), Núcleo Antigo, 879, no 243, f. 1 : «[…] vinizianos sam tam grandes desymuladores que delles nam se deve crer seus dijtos mas guardar se de suas maliçias […] ». À propos de la question du secret, se reporter à Dejanirah Couto, « Spying in the Ottoman Empire : Sixteenth Century encrypted Correspondence », dans Correspondence and Cultural Exchange in Europe, 1400-1700, éd. par F. Bethencourt et F. Egmond, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 276-278. Sur les Avvisi, voir, outre P. Preto, I Servizi Segreti di Venezia..., op. cit., p. 87-90, Zsusza Barbarics et Renate Pieper, « Handwritten Newsletters as Means of Communication in Early Modern Europe », dans Correspondence and Cultural Exchange, op. cit., p. 62-65.
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Le réseau des conversos et des juifs ibériques Pour bien saisir ce phénomène, il faut remonter à l’arrivée des six cents familles juives castillanes au Portugal en mars 1492. Il s’agissait des réfugiés qui avaient fui l’Espagne, à la suite de la mise en place du tribunal inquisitorial de Séville en 1478, les persécutions qui s’ensuivirent, et l’expulsion ordonnée par les Rois Catholiques, devenue effective dès mars/avril 1492. Ceux qui n’entrèrent pas au Portugal se dispersèrent en Afrique du Nord, en Italie ou dans l’Empire ottoman. Vers 1497, ces réfugiés castillans ont vu arriver une nouvelle vague de leurs coreligionnaires, accompagnés cette fois-ci de familles lusitaniennes. Au Maghreb, cette émigration plus récente se dirigea notamment vers les forteresses portugaises de la côte marocaine (Arzila et Tanger) et vers le royaume Wattasside de Fès15. Dans l’Empire Ottoman, elle vint renforcer les communautés déjà installées, d’origine castillane et sicilienne. En effet, la situation s’était dégradée entre-temps au Portugal : pour réaliser son grand dessein de réunion des deux couronnes ibériques, et par conséquent d’hégémonie péninsulaire, D. Manuel du Portugal (1469-1521), demanda en mariage l’infante D. Isabel, la fille des Rois Catholiques. L’union (effectuée le 28 août 1498), fut subordonnée à l’expulsion de tous les juifs (hispaniques et lusitaniens) du Portugal. Mais le souverain ne voulant pas renoncer à la manne financière procurée par les deux communautés, renonça à l’expulsion et décréta leur conversion en masse. En proie aux violences qui accompagnèrent le « baptême debout » (baptismo em pé), beaucoup de convertis cherchèrent alors à émigrer clandestinement. La Méditerranée devint alors une véritable plaque tournante de l’émigration conversa ibérique, et le monde insulaire levantin un relais privilégié entre l’Occident latin et les territoires ottomans16. Les îles de Corfou, de Chypre, de Rhodes, et de Chios – des zones particulièrement stratégiques pour collecter des informations sur l’ennemi musulman – ont vu surgir de nouvelles communautés. L’exemple de Corfou est particulièrement frappant : la communauté juive y était déjà bien implantée pendant la période de transition, quand Corfou passa du domaine byzantin de Manuel Commène à celui de la maison d’Anjou17. La dynastie d’Anjou et les princes de Tarente protégèrent la communauté hébraïque, multipliant les décrets de protection à leur égard dans la première moitié du xive siècle. Quand l’île passa sous domination vénitienne en 1386, la Serenissima fit de même. 15 José Alberto Rodrigues da Silva Tavim, Os Judeus na Expansão Portuguesa em Marrocos durante o Século XVI. Origens e Actividades de uma Comunidade, Braga, éd. APPACDM, 1997, p. 71-88. 16 Anna Cannas da Cunha, A Inquisição no Estado da Índia. Origens (1539-1560), Lisbonne, Arquivos Nacionais/Torre do Tombo, 1995, p. 18-19. 17 Sur la passation, Gian Luca Borghese, Carlo I d’Angiò e il Mediterraneo. Politica, Diplomazia e Commercio Internazionale prima dei Vespri, Rome, École française de Rome, 2008, p. 77-89.
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Cette communauté, petite mais prospère, fut enrichie par la nouvelle vague d’émigration ibérique. À la fin du xve siècle, Corfou abritait, côte à côte avec des juifs castillans, des conversos et des juifs portugais, réunis autour du rabbin David Ibn Yahya de Lisbonne (1440-1524). Yahya, dont le testament nous est parvenu, avait quitté le pays en 1494, et séjourné à Naples avant d’arriver à Corfou ; il s’installa ensuite à Istanbul en 1504 ou 150518. Le 15 avril 1506, le grand pogrom de Lisbonne, dans lequel périrent, d’après les estimations récentes, entre 1.000 et 4.000 personnes, fut suivi d’une politique d’assimilation tous azimuts qui ralentit considérablement les départs. Le mouvement reprit néanmoins dans les années 1530, sous D. João III19, et les noyaux insulaires en Méditerranée ont relayé à nouveau l’émigration ibérique vers l’Empire ottoman. Vers 1520, celui-ci se situe déjà au centre d’un dispositif migratoire qui ne s’étend pas seulement vers la Méditerranée occidentale, mais qui se tourne vers l’océan Indien et les Indes20. En effet, en dépit du désaccord d’une partie du haut clergé portugais, D. João III négocia âprement avec le Saint-Siège l’implantation de l’Inquisition selon le modèle castillan – c’est-à-dire, disposant d’une presque autonomie par rapport à la Papauté, et n’acceptant véritablement que la tutelle de la Couronne. Propagée parmi les membres de la communauté conversa, la nouvelle des tractations et la certitude de l’établissement du tribunal déclenchèrent à nouveau un mouvement de panique et accélérèrent les départs. Jean III décréta alors dans l’urgence (entre le 14 juin et le 27 juin 1532), des mesures, valables pour trois ans, interdisant, sous peine de mort, le transfert, la vente des biens et les départs vers « les territoires musulmans « (vers l’Empire ottoman en priorité). Ce décret fut renouvelé en 1535, en 1547 et encore plusieurs fois ultérieurement. Dans une atmosphère empoisonnée par de violentes manifestations populaires au Portugal (1532 et 1535) et par les tractations secrètes de la communauté nouvelle chrétienne portugaise de Rome, le tribunal du Saint-Office fut fondé officiellement le 23 mai 1536. Pendant que les tribunaux inquisitoriaux se mettaient en place
18 J.A. Romanos, « Histoire de la communauté israélite de Corfou », Revue des études juives, 23, 1891, p. 63-74 ; D. Couto, « Corfou », Dicionário do Judaísmo Português, éd. par L. L. Mucznik, J. A. Rodrigues da Silva Tavim, E. Mucznik et E. de Azevedo Mea, Lisbonne, Presença éd., 2009, p. 177-178. 19 A. Cannas da Cunha, A Inquisição no Estado da Índia..., op. cit., p. 19. 20 D. Couto, « A Fuga para Oriente », Estudos Judaicos, 6, 2002, p. 40-45 ; José Alberto Rodrigues da Silva Tavim, « From Setubal to the Sublime Porte : the Wanderings of Jacome de Olivares, New Christian and Merchant of Cochin (1540-1571) », dans Santa Barbara Portuguese Studies, II, 1995, p. 94-134. À la même époque, une autre branche de l’émigration conversa portugaise commença à se diriger vers le Sud-Ouest français, la Flandre et l’Angleterre, s’installant aussi dans les villes hanséatiques (Hambourg, Lübeck) ou italiennes (Livourne, Venise, Ferrare).
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(Evora et Lisbonne, 1536, Tomar, Porto, Coimbra et Lamego, 1541) les départs clandestins s’intensifièrent dans plusieurs zones du pays. Entre 1530 et 1560, si nous nous circonscrivons à l’Europe occidentale, la Flandre et les villes italiennes semblent avoir constitué les destinations privilégiées des conversos portugais ; cependant, en observant les itinéraires personnels de plus près, ces villes n’ont été souvent que des étapes vers les grands centres urbains de l’Empire ottoman. La stabilité interne et l’expansion territoriale de l’Empire expliquèrent en partie ce mouvement. Par exemple, les conquêtes militaires eurent un impact sur l’économie levantine, dont certains secteurs, à forte valeur ajoutée, étaient traditionnellement contrôlés par ces communautés. Ce fut le cas de la filière traditionnelle du négoce des pierres précieuses avec l’Inde, qui retrouva un plus grand dynamisme après la conquête de l’Égypte en 1517. Il faut ajouter à cela la continuité des mesures favorables à l’égard des communautés juives. Aux Pays-Bas et en Italie, les conversos d’origine ibérique ont dû subir des changements incessants en matière de décrets politico-religieux les concernant. C’est ce qui se passa à Anvers (1530, 1549 et 1550), à Venise (1548 et 1550), à Ferrare, à Ancône (1556) ou à Pesaro (1558). Bien entendu, la répression en Europe occidentale21 n’affecta pas fondamentalement la poursuite des affaires. Quoique plus tardif (1572), le procès d’Henrique Nunes « Rhigetto »22, instruit par l’Inquisition vénitienne, nous apprend par exemple que les 300 familles néo-chrétiennes émigrées de la péninsule Ibérique à Venise après leur expulsion des PaysBas en 1549, disposaient d’un capital global de 4.000.000 de ducats, somme très considérable, qui fut investie dans le commerce du Levant avec l’Empire ottoman. Vers 1555, le déjà mentionné négoce des pierres précieuses avec l’Inde était entre les mains des Nasci, la riche famille juive d’Istanbul d’origine conversa portugaise23. 21 Nous laissons de côté la situation en Espagne. Pour une vue d’ensemble, et la prise en compte de la création des statuts de la limpieza de sangre par le tribunal de Tolède (1547-1555), Doris Moreno Martinez, « Continuidad y Cambio en la Inquisiciòn en Tiempos de Carlos V », Isole nella Storia, Cooperazione Mediterranea, 1-2, 2003, p. 71-91 ; sur la limpieza en Espagne et au Portugal se reporter à l’étude de João Manuel Vaz Monteiro de Figueirôa Rêgo, “A Honra Alheia por um Fio” : Os Estatutos de Limpeza de Sangue no Espaço de Expressão Ibérica (Sécs.XVI-XVIII), Universidade do Minho, 2009, thèse de doctorat en Histoire moderne éditée á Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, Fundação para a Ciência e a Tecnologia, 2011. 22 Outre les travaux de Brian Pullan, cf. Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers: The Sephardic Diaspora, Livorno and Cross-cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven et Londre, Yale University Press, 2009, p. 46-47. 23 Se reporter aux études classiques de Cecil Roth et de Grünebaum-Ballin sur les Nasci et voir surtout Herman Prinz Salomon et Aron di Leone Leoni, « Mendes, Benveniste, de Luna, Micas, Nasci : the State of the Art (1532-1558) », The Jewish Quarterly Review, 88 / 3-4, 1998, p. 135-211 ; accessoirement, Ariel Toaff, « Nuova luce sui marrani di Ancona (1556) », dans Studi sull’Ebraismo Italiano in Memoria di Cecil Roth, éd. par E. Toaff, Rome, Barulli, 1974, p. 261-280.
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Si cette émigration s’intensifia vers le monde insulaire méditerranéen, elle alimenta également la démographie des villes ottomanes du Sud-Est européen (comme Salonique) et s’éparpilla dans les provinces levantines : en Asie Mineure (Smyrne et Bursa), en Syrie Palestine (Alep, Damas, Jérusalem, Safed, Tibériade), et en Égypte (Alexandrie, Le Caire, Damiette). Les raisons sociales expliquent, en grande partie, l’attachement de cette émigration au Portugal métropolitain. En effet, les expatriés avaient généralement laissé derrière eux une parenté qui souhaitait également émigrer, et à qui on avait souvent confié la garde de très jeunes enfants. Les démarches administratives et pécuniaires pour les racheter entretinrent et renforcèrent ces liens24. Installées dans de nouveaux espaces, ces communautés conversas dont beaucoup de membres se sont rejudaïsés très vite, ont formé un véritable vivier d’agents de renseignements pour la Couronne portugaise. Au point que cette « main-d’œuvre » fidèle au roi du Portugal engendra, sous le règne de D. João III (1521-1557)25, de véritables dynasties d’informateurs dans le Levant, à l’instar de la famille des Bicudos26 ou des Manasse, juifs portugais d’Alep27.
L’apogée des réseaux d’espionnage portugais sous D. João III (1521-1557) Le règne de ce souverain marque en effet l’apogée de l’activité des réseaux d’espionnage portugais en Méditerranée. En ouvrant les portes de l’océan Indien aux Portugais (et en rendant par conséquent prioritaire le combat contre l’État mamelouk, maître de la route des épices par la mer Rouge), l’Estado da Índia favorisa l’essor des réseaux levantins hérités de D. João II. Mais leur agrandissement, leur 24 Quelques-uns de ces enfants avaient été séparés de force de leurs parents, recueillis par des familles chrétiennes : D. Couto, « Réseaux méditerranéens et « juifs de rachat » entre le Portugal et l’Empire ottoman au xvie siècle » (conférence prononcée à l’Institut français d’études anatoliennes, Istanbul, avril 2010). 25 Sur ce règne important, voir, en général, les contributions réunies dans D. João III e o Império. Actas do Congresso Comemorativo do seu Nascimento, éd. par R. Carneiro et A. Teodoro de Matos, Lisbonne, CEPCEP/ Centro de História de Além-Mar, 2004 ; M. L. García da Cruz, A Governação de D. João III : a Fazenda Real e os seus Vedores, Lisbonne, Centro de História da Universidade de Lisboa, 2001, 406 p. 26 D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 251 et note 27 ; José Alberto da Silva Rodrigues Tavim, « Os Judeus e a Expansão Portuguesa na Índia durante o Século XVI », Arquivos do Centro Cultural Calouste Gulbenkian, XXXIII (1994), p. 161-162 (sur les Bicudos). 27 En 1544, Manasse ramenait trois chrétiens, rameurs des galères, de la mer Rouge jusqu’à Ormuz. Il les avait « enlevés » pour qu’ils puissent devenir des agents de Martim Afonso de Sousa, le Gouverneur de l’Estado da Índia : Gaspar Correia, Lendas da Índia, éd. par M. Lopes de Almeida, IV, Porto : Lello & Irmão, 1975, chap. LVII, p. 407.
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déploiement sur de nouvelles zones, et leur internationalisation – liés au recrutement juif et nouveau-chrétien ibérique – sont un phénomène caractéristique du règne de D. João III. Une telle dynamique entraîna l’accroissement de la masse d’informations à traiter. Naturellement, les supports liés à la pratique du renseignement (manuels et codes cryptographiques écrits) s’enrichissent. L’éventail linguistique se diversifie également et le nombre d’interprètes augmente. Les techniques de communication secrète sur le terrain deviennent plus sophistiquées et performantes, les agents font preuve d’une plus grande dextérité dans leur maniement. Les réseaux d’espionnage maritimes sont caractéristiques de cette révolution, qui s’accompagne d’une grande souplesse et d’une mobilité accrue. Les escadres disposent d’informateurs qui opèrent à bord d’embarcations légères, touchent les havres ou les villes portuaires à la recherche de l’information secrète. Cette dernière est ensuite centralisée, consignée et sélectionnée à bord des nefs capitaines avant d’être acheminée vers la Méditerranée. Nous disposons, au xvie siècle, de plusieurs témoignages sur ce type d’organisation aux abords de l’entrée de la mer Rouge, (le long de la côte entre Berbera et Zeila, et vers l’île de Soqotra)28 ou dans l’océan Indien occidental, au large de la côte omanie. La documentation livre ainsi en détail le fonctionnement d’un de ces réseaux maritimes en 1553/1554, lorsque l’escadre de D. Fernando de Noronha attendit l’arrivée des galères de l’amiral ottoman Seydî Alî Reîs au large du cap Musandan29. L’éloignement progressif de la Méditerranée (où les catégories intermédiaires, composées d’agents relais, furent recrutées de préférence dans les colonies marchandes italiennes, juives et néo-chrétiennes)30, s’accompagna d’un recrutement local de plus en plus diversifié au niveau des échelons inférieurs (agents assermentés, et informateurs plus ou moins occasionnels). Dans les provinces arabes de l’Empire ottoman, notamment en Syrie (Birecik) et en Iraq (Bagdad et Bassorah), la présence de juifs et de conversos d’origine ibérique comme agents assermentés est encore patente dans les filières de renseignement, et le brassage social mérite d’être souligné : des colporteurs, des vendeurs de colifichets, des artisans d’ori-
28 Sur Soqotra, voir Zoltán Biedermann, Soqotra. Geschichte einer Christlichen Insel im Indischen Ozean vom Altertum bis zur Frühen Neuzeit, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2006, p. 76-81. 29 D. Couto, « Naval Battle between Turks and Portuguese in the Indian Ocean in 1554 according to new Portuguese and Spanish Sources », dans International Turkish Sea Power History Symposium, The Indian Ocean and the Presence of the Ottoman Navy in the 16th and 17th Centuries, Istanbul, Naval Training and Éducation Command, 2008, (III), p. 32-42. Sur Seydî ‘Alî (1498 ?-1562) et son Mir’at ül’ Memalik voir Le Miroir des pays : une anabase ottomane à travers l’Inde et l’Asie centrale, éd. par J.-L. Bacqué-Grammont, Paris, Sindbad-Actes Sud, 1999, 185 p. 30 D. Couto, « Arméniens et Portugais », art. cit., p. 171-196.
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gine juive ou conversa y côtoient parfois les riches marchands italiens d’Alep. Ces mêmes juifs et conversos pouvaient être amenés à voyager, effectuant de longs périples dans des contrées fort lointaines : en 1552, les deux juifs du réseau de D. Afonso de Noronha, le premier, un « lisboète » résidant dans la « rue de la Conceição » dans la ville basse, et le second, un certain Francisco Fernandes qui « avait été juif », ont accompli de longs itinéraires. L’un et l’autre avaient pour mission de se renseigner sur les chantiers navals ottomans de Birecik, sur l’Euphrate, situés à l’ouest d’Urfa, l’ancienne Edesse. Le « juif de la rue de la Conceição » fit un voyage jusqu’à Ormuz via Birecik, c’est-à-dire en empruntant probablement la voie d’Alep, d’Urfa, de Amîd et de Bassorah. De son côté, Francisco Fernandes devait accompagner en mer Rouge un autre Portugais, Luis Figueira, revenir à Alexandrie, et de là gagner Birecik en traversant la Palestine et la Syrie31. On voit également émerger des groupes sociaux au statut particulier, doués d’une grande aisance à franchir les frontières religieuses et politiques32 : les renégats et les captifs d’origine méditerranéenne et balkanique (grecs et slavons) et les musulmans convertis au christianisme. Le « Turquo, cristão que foi espanhol » rencontré en 1555 au Caire par Luís Alvares, ancien captif de la forteresse portugaise de Mascate, appartenait à cette catégorie33. L’exemple de Garcia de Noronha, l’agent turc du gouverneur éponyme de l’Estado da Índia, baptisé à Diu en 1545 (?), est bien connu. Le chroniqueur Gaspar Correia lui consacra plusieurs pages, et son rôle diplomatique fut significatif dans les années 155234. 31 AN/TT, CCI, 87, 71 (CC désigne dorénavant la série Corpo Cronológico, suivie de la mention de la partie, de la liasse et du document) : Lettre de D. Afonso de Noronha au roi [de Cochin, le 27.I.1552]. Très important, le tersane de Birecik sur l’Euphrate est régulièrement signalé dans les sources portugaises : cf. D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 259, note 58, ainsi que J. E. Mandaville, « The Ottoman province of Al-Hasa in the Sixteenth and Seventeenth Century », Journal of the Oriental American Society, 90/3, 1970, p. 508 ; description de la ville dans les itinéraires d’António Tenreiro et de Mestre Afonso, dans Viagens por Terra da Índia a Portugal, éd. par A.~Neves-Águas, Lisbonne, Publicações Europa-América, 1991, chap.XXXII, p. 66 et chap. III, p. 204-205 respectivement. 32 Sur la problématique des passeurs, voir les différentes contributions réunies dans Entre dos mundos. Fronteras culturales y agentes mediadores, éd. par B. Ares Queija et S. Gruzinski, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 1997, 450 p. ; Passar as Fronteiras. II Colóquio Internacional sobre Mediadores Culturais, éd. par R. Manuel Loureiro et S. Gruzinski, Lagos, Centro de Estudos Gil Eanes, 1999, 408 p. 33 Le Turc en question s’apprêtait à partir à La Mecque en mission d’espionnage pour le compte des Portugais : AN/TT, CCI, 96, 135. Furent utilisés comme informateurs cinq Portugais faits prisonniers par les Ottomans à Masqat en 1552 : Luís Alvares, Luís de Matos (CCI, 96,135), João de Lisboa, le capitaine de la forteresse, dont il sera question ultérieurement (CCI, 86,120), António Pinto (Quadro Elementar das Relações Política se Diplomáticas de Portugal, éd. par J. da Silva Mendes Leal, XIII, Paris-Lisbonne, Academia Real das Sciências, 1842-1876, p. 198-199). 34 Gaspar Correia, Lendas da Índia, éd. par M. Lopes de Almeida, IV, Porto, Lello & Irmão, 1975, chap. LIX, p. 409-411 ; D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 249, note 20. Garcia de Noronha fut
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Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la Méditerranée, on constate l’accroissement du recrutement musulman : des mamelouks et des arabes dits « de La Mecque », autrement dit des marchands pardeshi, collaborèrent avec les Portugais. Pour autant qu’on puisse juger, certains, liés à de florissantes maisons de négoce à Jeddah, à Aden ou à Diu35, furent des agents réguliers : en 1547, l’honorable Hawga Fayat, ambassadeur du gouverneur ottoman de Bassorah, fut « retourné » (selon la terminologie moderne de l’espionnage), par D. Manuel de Lima, le capitaine portugais d’Ormuz36. Hawga Biquy informait le gouverneur Afonso de Albuquerque en 1503 ; ses connexions s’étendaient sur les deux rives de la mer d’Arabie, avec des prolongements en mer Rouge37. Placés en bas de l’échelle sociale, les informateurs coptes du Caire (dits « arabes chrétiens »)38 constituèrent la masse indistincte des informateurs occasionnels (recrutés comme réguliers si l’information transmise s’avérait de qualité). Les Abyssins ont fait partie du lot, sans qu’on sache pour autant s’il s’agissait d’individus chrétiens ou musulmans39. Aussi bien en Méditerranée que dans l’océan Indien, ces informateurs occasionnels furent recrutés prioritairement parmi les gens de mer (pilotes, matelots, rameurs de galères), les officiers portuaires (agents de la douane, shah-bândar, percepteurs de taxes, adjudicateurs), les ouvriers des chantiers (calfats, charpentiers, portefaix), ou la faune marginale (propriétaires de tripots et de tavernes). L’indigénisation des agents en périphérie de la Méditerranée répondait aux nécessités d’adaptation aux conditions géographiques et aux configurations sociales sur le terrain : placées désormais au cœur de l’Islam, et de plus en plus
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envoyé de Goa au Portugal en passant par La Mecque. Il retourna ensuite en Inde après avoir fait halte à Rome, où l’ambassadeur Cristovão de Sousa lui remit une lettre de créance : sa mission l’a conduit au Caire, à Istanbul et à Bassorah. Sur ces différents groupes voir Jean Aubin, « Marchands de mer Rouge et du golfe Persique au tournant des 15e et 16e siècles », dans Marchands et hommes d’affaires asiatiques dans l’océan Indien et la mer de Chine 13e-20e siècles, éd. par J. Aubin et D. Lombard, Paris, éd. de l’EHESS, 1988, p. 8190 ; Geneviève Bouchon, « Un microcosme : Calicut au 16e siècle », dans ibid., p. 49-56 ; id., « Les musulmans du Kerala à l’époque de la découverte portugaise », dans L’Asie du Sud à l’époque des Grandes Découvertes, éd. par G. Bouchon, Londres, Variorum Reprints, 1987, p. 50-51 ; André Wink, Al-Hind. The making of the Indo-Islamic World, III (Indo-Islamic Society, 14th-15th centuries), Leyde, Boston, E.J. Brill, 2004, p. 197-200. D.Manuel de Lima à D.João III, [d’Ormuz, le 23.VI.1547], Obras Completas de D.João de Castro, éd. par A. Cortesão et L. de Albuquerque, III, Coimbra : s/l, 1976, p. 413-417 et p. 416 en particulier. Hawga Fayat avait trois neveux, marchands de leur état, qui faisaient du négoce à Goa. AN/TT, CCII, 7, 173. Des exemples de ces agents dans D. Couto « L’espionnage », art. cit., p. 263. Voir la lettre de D.João de Eça à D.João III, dans As Gavetas da Torre do Tombo, X, Lisbonne, Centro de Estudos Históricos Ultramarinos, 1974, p. 236 (Gav. XX, 2-21, no5327). Il y est question de la punition infligée à un agent abyssin [de Goa, le 6.XI.1529].
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éloignées de leurs bases méditerranéennes, qui, toutefois, comme il a été mentionné, demeuraient les lieux de traitement final de l’information, les filières du renseignement rencontraient de plus en plus de difficultés à utiliser les communautés étrangères nombreuses et structurées, comme les juives, les arméniennes (ou ies Italiennes au sens large), du monde insulaire méditerranéen ou des provinces égéennes de l’Empire ottoman. Quant aux grands centres de pèlerinage, que ce soit La Mecque ou Kerbela, ils étaient, contrairement à Jérusalem, totalement musulmans, et seuls les pèlerins venus du Maghreb occidental, de l’Asie centrale, ou des Indes pouvaient y accéder40. Aucune mission n’était donc envisageable dans ces régions sans la maîtrise soit de l’arabe, soit du persan, et seuls les juifs, les arméniens, quelques captifs et des renégats étaient en situation de diglossie (João de Lisboa, tête de réseau au Caire en 1555, captif et probablement renégat, se vantait de mieux connaître le persan que l’ambassadeur du Gujerat – turc d’origine – auprès du gouverneur du Caire)41. Dans la documentation portugaise des années 1560, Alep est présentée comme une ville-frontière en matière d’activité des filières de renseignement. Les territoires qui s’étendent au-delà du centre urbain en allant soit vers le Nord, en direction d’Urfa et d’Amîd (aujourd’hui Dyarbekir), ou vers le Sud-est, en direction de Bagdad et de Bassorah, sont des régions où les agents, facilement repérables, éprouvaient des difficultés à circuler. En 1524, António Tenreiro, l’agent secret de D. João III, en route entre Ormuz et la côte méditerranéenne, s’est fait démasquer par les Ottomans dans le caravansérail d’Amîd, non seulement en raison de son accoutrement suspect, mais aussi pour des raisons linguistiques, sa maîtrise du persan étant des plus limitées42. C’est pourquoi Lourenço Pires de Távora, ambassadeur portugais à Rome (et tête d’un important réseau), jugeait défavorablement les activités des informateurs portugais à Alep. Leur filière, dirigée par un nouveau-chrétien d’origine portugaise, le Licenciado Silva, était considérée comme peu sûre et trop chère : en 40 Suraiya Faroqhi, Pilgrims and Sultans. The Hajj Under the Ottomans 1517-1683, Londres, New York, I.B.Tauris, 1994, p. 127-145. 41 AN/TT, CCI, 86,120, f. 5. Le texte intégral de son rapport est édité dans D. Couto, « PortugueseOttoman Rivalry in the Persian Gulf in the Mid-Sixteenth Century: the Siege of Ormuz, 1552 », dans Acta Iranica. Portugal, the Persian Gulf and Safavid Persia, éd. par R. Mathee and J. Flores, Louvain, Peeters, 2011, p. 167-174. 42 António Tenreiro, Viagens por Terra, op. cit., chap. XXIX, p. 62. Sur sa conversion à l’Islam, JeanLouis Bacqué-Grammont, « Un rapport ottoman sur António Tenreiro », Mare Luso-Indicum, 3, 1976, p. 161-173. Les problèmes posés par le texte ont été traités par Jean Aubin, « Pour une étude critique d’António Tenreiro », Le latin et l’astrolabe, op. cit., II, p. 523-537 ; résumé et traduction de quelques passages de l’itinéraire dans Salıh Özbaran : « Antonio Tenreiro’nun Gözlemleri 1524-1525 », dans Portekizli Seyyahlar, Iran, Türkiye, Irak, Suriye ve Mısır Yollarında, Istanbul, Kitapyayınevi, 2007, p. 31-68.
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conséquence, l’ambassadeur proposait à D. João III de la rapatrier au Caire, ville où les agents pouvaient aisément se déplacer sans éveiller des soupçons, du fait de l’homogénéité des minorités étrangères. Le commandement des filières de renseignement fut généralement du ressort des Portugais de souche, des personnalités de rang social élevé (gentilshommes – parfois en rupture de ban – ambassadeurs et négociateurs, consuls, et membres des ordres militaires)43. Cependant, les Italiens et les Espagnols ont également dirigé des réseaux. Dans le groupe des ambassadeurs et négociateurs, l’exemple le plus significatif est celui de Duarte Catanho, Génois de l’île de Chios, ambassadeur du Portugal auprès de la Porte ottomane44. Mais on connaît aussi un Grégoire, Génois originaire également de Chios45, un Brasio de Breño qui exerçait sa mission dans l’entourage du représentant turc à Venise en 1547 et un Nicolau Pietro Cuccino, envoyé également auprès du Sultan d’Istanbul à la fin des années 1550. 46 Dans le second groupe, il faut mentionner Thomas de Carnoça, consul castillan à Venise dans les années 1552-1553, « tête de réseau » importante de la filière portugaise, dont les services (qui incluaient le montage d’un réseau avec recrutement et paiement des agents, la fixation de la durée et des modalités des missions, ainsi que la mention des lieux à fréquenter) ont été généreusement rémunérés par le roi du Portugal en 155347. En contrepartie, si des membres des communautés juives ou conversas ibériques ont reçu la direction des réseaux48, cela ne se fit pas sans susci-
43 Voir, en 1552, l’exemple de Tomas de Carnoça, consul castillan à Venise, dirigeant d’un réseau qui renseignait D. João III : D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 245, note 8, d’après le Corpo Diplomatico Portuguez, éd. par J. da Silva Mendes Leal, VII, Lisbonne, Typographia da Academia Real das Sciencias, 1884, p. 153 et AN/TT, CCI, 88, 29 [de Rome, le 15.V.1552]. Voir également la lettre de Tomas de Carnoça à l’ambassadeur portugais à Venise, Baltasar de Faria, lui annonçant l’arrivée d’un espion envoyé à Istanbul par le Provéditeur de Corfou (AN/TT, CCI, 8, 47), [de Venise, le 18.IV.1551]. 44 D. Couto, « L’itinéraire d’un marginal : la deuxième vie de Diogo de Mesquita », dans Biographies, Arquivos do Centro Cultural Calouste Gulbenkian, XXXIX, 2000, p. 9-35 ; id., « No Rasto de Hadim Suleimão Pacha : alguns aspectos do Comércio no Mar Vermelho no Século XVI », dans A Carreira da India e a Rota dos Estreitos : Actas, éd. par A. Teodoro de Matos et L. Filipe F.R.Thomaz, Lisbonne, Fundação Oriente, 1998, p. 483-508. 45 Archivo General de Simancas (dorénavant AGS)/ Estado Venise/1318, f. 173 [le 16.IV.1547]. 46 AGS/ Estado Venise/1318, 228 [le 24.VI.1547]. Sur les services et la carrière comme provéditeur de la Casa da India (1578) et Vedor da Fazenda à Cochin (1582) de Nicolau Pietro Cuccino, D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 252, et Sanjay Subrahmanyam, « The Trading World of the Western Indian Ocean, 1546-1565 : a Political Interpretation », dans A Carreira da Índia, op. cit., p. 218-219. 47 De ce réseau faisait partie un certain Abraham Cohen, qui nous a laissé deux missives adressées directement à Carnoça. Il y exposait son voyage à Alexandrie où il allait se renseigner sur les préparatifs ottomans contre Ormuz (AN/TT, CCI, 88, 159, [d’Alexandrie, le 8.V.1552]). 48 Voir l’exemple de Samuel Lumbroso, résident au Caire, tête de réseau du dispositif monté par João de Lisboa, l’ancien capitaine de Mascate, fait prisonnier par les Turcs : D. Couto, « L ‘espionnage », art. cit., p. 260-266. Détails du rapport d’espionnage envoyé du Caire par João de Lisboa à
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ter des réserves. Dans une lettre du 26.IX.1548 adressée au roi du Portugal, l’évêque de Porto attirait l’attention de D. João III sur l’opportunité d’ouvrir une nouvelle voie du renseignement à Alexandrie, en utilisant un certain António Fernandes « qui avait l’avantage de ne pas être Juif », laissant ainsi tomber celle d’Alep, dirigée par le nouveau-chrétien Licenciado Silva49. Plus exceptionnellement, on confia aussi la direction du renseignement à de riches marchands musulmans. On connaît l’exemple de Hwaga Shams-ud-dîn Guilanî, grand marchand de Jeddah, dont la maison commerciale avait des ramifications à Jeddah, Ormuz et Diu. Guilanî avait aussi des intérêts au Caire. À une date incertaine, mais probablement vers 1505, il commença à renseigner les Portugais. Il comptait sur la collaboration d’un sien frère, marchand à Jeddah également. Shams-ud-Dîn décrit son activité d’espionnage dans ces termes : Mes nefs viennent de l’autre côte (d’Arabie) chaque année et les informations qu’elles apportent sur les Ottomans, parce qu’elles sont sûres, je les transmets au gouverneur dans les meilleurs délais et où qu’il se trouve. Et ce service je m’engage à l’assurer pour toujours50
Le réseau d’espionnage de Frei André do Amaral, chancelier de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem (Rhodes) Parce qu’ils furent souvent impliqués dans les opérations de rachat de prisonniers, et disposèrent d’une forte mobilité, les pèlerins et les religieux occidentaux ont été souvent sollicités pour diriger les services de renseignement. Certes, ils ne les ont pas systématiquement dirigés, mais ils en ont très souvent fait partie. Pour ne mentionner qu’un exemple, le réseau monté par Luís Alvares en 1555 à Chypre, comportait deux religieux (Frei Gonçalo de Coimbra et Frei António Soares), un D. João III dans D. Couto, « Portuguese-Ottoman Rivalry... », art. cit., note 41 du présent article. 49 Se reporter, à propos du recrutement de Silva et du paiement de ses services (pour assurer la qualité de son travail) à AN/TT, Colecção S.Vicente, T. XII, f. 74, lettre de D. João III à Lourenço Pires de Távora, son ambassadeur à Rome [12.IX.1559]. Il semble que le réseau d’Alep a néanmoins continué à fonctionner sous la direction du Licenciado, car la suggestion de le remplacer à Alep, soit par Isaac soit par Mathias Bicudo, ne date que de 1560 : voir la lettre du même ambassadeur à D. João III [le 30.XI.1560] dans Quadro Elementar das Relações Politicas e Diplomaticas de Portugal, éd. par J. da Silva Mendes Leal, XIII, Lisbonne, Na Typographia da Academia Real das Sciencias, 1876, p. 213-214. Le montage de ce réseau méditerranéen est bien attesté dans la correspondance entre le roi et l’ambassadeur, immédiatement après la nomination du second à Rome en avril 1559 (voir, en particulier, la lettre de Rome, du 15.III.1560, dans Quadro Elementar, T. XIII, p. 131-132) ; pour plus de détails, se reporter à D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 251, note 27. 50 AN/TT, CCI, 81,121 [de Cananor, le 20.XII.1548]. Le document fut publié par Luís de Albuquerque et Armando Cortesão, « Cartas de « Serviços » da Índia (1500-1550) », Mare Liberum, 1, 1990, p. 390-391.
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autre Portugais, Luís de Matos, un consul vénitien et un marchand non identifié51. Il n’est donc pas étonnant que quelques décennies plus tôt, Frei André do Amaral, le chancelier de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem (Rhodes)52, ait monté sa propre voie de renseignement, destinée à transmettre à la cour du Portugal les nouvelles relatives aux mouvements des mamelouks, à leurs relations avec Bâyezîd II et Selîm Ier Yavuz, et au conflit qui opposait ce dernier à Châh Isma‘îl Safavide53. Un faisceau de documents conservés dans les archives nationales de Lisbonne permet de se faire une idée de la composition de ce réseau, dont l’activité est attestée entre 1507 et 1517. Il était dirigé de facto par un autre chevalier de Rhodes, Frei Diogo de Montemor. Les missives de ce dernier, adressées à D. Manuel, le roi du Portugal, (notamment sa lettre de Messine, datée du 18.XII.1507), contiennent des informations très précises sur sa composition54. L’un des agents de Montemor était un marchand génois ; des hommes dignes de confiance (homens de crer) lui envoyaient aussi des informations à partir du Caire, d’Alexandrie et d’Istanbul55. L’agent le plus important du réseau était un Persan (?) de « haut rang », dont le nom, probablement pour des raisons de sécurité, n’est pas mentionné dans la correspondance. Ce personnage, dont il nous est dit seulement qu’il se disait « fils du grand Karaman »56, avait été envoyé en Turquie (on suppose en Asie Mineure) « en habit dissimulé », par Châh Isma‘îl ; il fut fait captif lors de l’arraisonnement de son navire par les Portugais. Il était particulièrement choyé par Frei André do Amaral57. Du groupe, mais de statut nettement inférieur, faisaient partie deux autres personnages, Gonçalo Nunes et Luís de Gaia. Si le premier, qui rendait de bons services, était apprécié, le second était tombé en disgrâce. Gaia était en effet un agent de piètre qualité, car, au grand dam de son commanditaire, il glanait ses 51 Luís Alvares à D.João III, [de Salinas de Chypre, le 6.X.1555], AN/TT, CCI, 96,135. 52 Sa biographie a été dressée par J. Aubin, Le Latin et l’astrolabe, op. cit., T. III, p. 468-470. André do Amaral vint à Rhodes en 1480, gravit les échelons, et devint capitaine de trois galères de la Religion en 1510. Il fut nommé Chancelier, poste toujours pourvu dans la langue de Castille (qui regroupait les Portugais et les Espagnols) en mars 1511 (p. 469). La description détaillée de sa victoire du golfe d’Âyâz contre la flotte mamelouke fait l’objet d’un Aviso de Novas do Cairo : Biblioteca Nacional de Portugal (dorénavant BNP), Fundo Geral, cod. 7638, fls. 133v-134. 53 Voir la lettre de Frei André do Amaral à D. Manuel [de Vera Cruz, le 5.II.1515] avec le rapport détaillé de la bataille de Tchaldirân (AN/TT, CCI, 17, 70). 54 AN/TT, Núcleo Antigo 879, no 243. J. Aubin, dans Le Latin et l’astrolabe, T. III, op. cit., n’avait pas tenu compte, à l’époque de la rédaction de l’ouvrage, de l’existence de réseaux structurés (voir son commentaire p. 470), bien attestés par les travaux de Paolo Preto et par notre propre contribution. D’autre part, la lettre mentionnée est bien du 18.XII.1507 et non du 8.XII.1507. 55 Ibid., f. s 1 et 1v. 56 S’agissait-il d’un fils du prince Châhînchâh, le gouverneur du Karaman, qui soutenait les kızılbaş ? 57 Ibid., f. 1v : « o gram mestre tem huum que se diz filho do gram caramam o quall ho outro dija foy tomado em huua fusta e dijz que este senhor o mandava secretamente em abito desymulado em turquya pera aveer falla com alguus ».
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informations dans les tavernes et autres lieux mal famés, où il révélait à tout va les affaires secrètes, finissant par mettre la filière en danger. Frei Diogo, qui l’avait remplacé par Gonçalo Nunes, priait le roi de lui laisser l’initiative des recrutements, de manière à ne lui envoyer que des informations dignes de foi. 58 Le 17 juillet 1510, Frei Diogo de Montemor, qui se trouvait à « dix lieues » d’Alexandrie et à « cinq de Rosette » sur la route du Caire, renseignait de visu le grand Chancelier sur la composition de la flotte mamelouke, et sur le voyage qui se préparait aux dépôts de bois du golfe d’Âyâz. Son informateur était cette fois-ci un mamelouk du Caire « né à Chypre »59. À l’ensemble des informations secrètes transmises au roi du Portugal par ce réseau venait s’additionner la masse des Avvisi. Particulièrement détaillé, l’un de ces feuillets, intitulé Novas do Sophi que vierão per via de Rodes e Veneza o ano de bxj, daté du 25 août 1511, rapportait sur la situation militaire en Anatolie. On y décrivait le soulèvement de Châh Kulî60, et les opérations militaires qui s’en suivirent61. La même lettre de 1511 nous apprend que Frei André do Amaral reçut également – plus ou moins indirectement – des informations provenant d’un groupe de « captifs chrétiens de Turquie »62, qui avaient quitté précipitamment, selon lui, l’Empire ottoman par peur de la guerre contre Châh Isma‘îl : on projetait de les envoyer à Rhodes63. Mais tout cela n’était pas suffisant, et Frei André comptait 58 Ibid., f. 2 : « o quall lujs da gaia vaj com fantisyas que nam sam as que neste casso comprem a voso serviço demandando de taverna em taverna e dando conta a todo homem deste neguoçijo que nam he tam pouquo […] e daquy a diente deixe esta cousa sobre mjm que com mujta diligencja e per homes [e] [rayé] que pera taes casos seja lhe avisarej senpre ». 59 BNP, Lisbonne, Fundo Geral, cod.7638, f. 132v : « e jsto escrevo a vosa senhoria porque o vy ». Cf. également la thèse de doctorat d’António Manuel Lázaro, O Grande Lagarto : o Mar Vermelho nos Primórdios da Presença Portuguesa no Índico (1487-1521), Université de Minho, 2006, p. 521522 (transcription du document) ; J. Aubin, Le Latin et l’astrolabe, op. cit., T. III, p. 470-471 (erreur de la datation de la lettre, qui est du 17 juillet et non de juin 1510). 60 BNP, Fundo Geral, cod.7638, f. 134-135 [de Rhodes, le 25.VIII.1511] ; António Manuel Lázaro, O Grande Lagarto, p. 527-528. Il s’agissait de la rébellion kızılbaş, dirigée, dans la province de Teke (9 avril 1511), par Karabıyıklıoghlu Hasan Khalife, appelé aussi Châhkulu (le serviteur du Châh). Le mouvement eut aussi un écho en Roumélie : Caroline Finkel, Osman’s Dream. The Story of the Ottoman Empire 1300-1923, Londres, John Murray, 2005, p. 98. 61 Id., BNP, Fundo Geral, cod.7638, f. 134-135. 62 Les captifs jouaient également un certain rôle du côté ottoman : lors du tremblement de terre de 1513, qui détruisit une partie des fortifications rhodiennes, Selim Ier fut immédiatement informé par un captif : Nicolas Vatin, « Les tremblements de terre à Rhodes en 1481 et Caoursin », dans Natural Disasters in the Ottoman Empire, éd. par E. Zachariadou, Rethymnon, Crete University Press, 1999, p. 166 ; se reporter au même auteur, L’Ordre de Saint-Jean-de Jérusalem. L’empire ottoman et la Méditerranée orientale entre les deux sièges de Rhodes, 1480-1522, Louvain-Paris, Peeters, 1995, p. 450-451. 63 Ces « chrétiens de Turquie », vraisemblablement des membres des Églises orientales, ont pu être également des partisans de Châh Isma‘îl : à l’époque (vers 1515), les Portugais se représentaient le Safavide en souverain chrétien : Tomé Pires, Suma Oriental, éd. par A. Cortesão, Coimbra, Na
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encore sur la collaboration des moines du monastère de Sainte Catherine du Mont Sinaï, qui le renseignaient également. C’est ce qu’atteste la traduction portugaise d’une courte lettre de l’abbé de ce monastère adressée en juin 1510 au Grand Maître de l’Ordre64.
Le réseau de João de Lisboa au Caire en 1555 Déjà mentionné, le rapport détaillé, envoyé par João de Lisboa au roi du Portugal pendant sa captivité au Caire, nous permet de saisir un peu mieux le fonctionnement d’un réseau lusitanien dans le Levant. Bien que l’époque soit un peu plus tardive, l’activité de celui-ci se déploya dans les mêmes régions méditerranéennes. João de Lisboa commandait le fort portugais de Mascate, où les Portugais maintenaient une factorerie et un détachement militaire depuis le passage (et le pillage de la ville), par Afonso de Albuquerque le 2 septembre 150765. En 1552, dans la séquence de la conquête ottomane d’Aden (1538) et de l’accroissement de l’activité des corsaires turcs et mamelouks dans l’océan Indien occidental66, l’amiral ottoman Pîrî Reîs, en route vers Ormuz et le golfe Persique67,
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Imprensa da Universidade, 1987, p. 156 : « nom derriba casa de xstãos nem mata nenhuu xstão Dizem que trara comsiguo Dez mjll homes xpaãos armenjos […] ». Le Châh entretenait lui-même cette idée. Se reporter à ses poèmes messianiques, où il s’intitule « Jésus, fils de Marie » dans A. J. Newman, Safavid Iran. Rebirth of a Persian Empire, Londres-New York, I.B.Tauris, 2006, p. 14. AN/TT CCII, 22,70 (deuxième voie, doc.139). La missive de l’abbé [du Caire, 2.VI.1510], f. 1, est suivie de deux extraits de lettres, l’une de Jacomo do Campo, un marchand habitant à Rhodes [16. VI.1510] et l’autre de Frei André do Amaral [16.VI.1510], f. 1v. Les trois textes rapportent respectivement les préparatifs d’une expédition mamelouke pour aller chercher du bois de construction des galères, l’arrivée d’ambassadeurs indiens au Caire pour demander de l’aide à Kansawh-al-Ghûri contre les Portugais, et les succès militaires portugais en mer Rouge. Par ailleurs, les moines de Sainte-Catherine pourvoyaient D. Manuel du Portugal avec des reliques, dont il faisait grand cas. J. Aubin, « Cojeatar et Albuquerque », Mare Luso-Indicum, 2/1, 1971, p. 118-119 ; Mascate continua à collaborer avec les Portugais dans les années 1520-1530 : D. Couto, « Réactions anti-portugaises dans le golfe Persique (1521-1529) », dans D’un Orient l’Autre, éd. par J.-L. BacquéGrammont, A. Pino et S. Khoury, Paris-Louvain, Peeters, 2005, p. 145, note 104. Les Portugais y restèrent jusqu’au xviie siècle. D. Couto, « Portuguese-Ottoman Rivalry », art. cit. Son fils Mehmet faisait partie de la flotte. La présence de ce fils fut mise en doute par Cengiz Ohronlu, dans « Hint Kaptanlığı ve Pîrî Reîs », Beletten, XXIV/134, 1970, p. 242, note 29, en s’appuyant sur une source turque (Başbakanlık Arşivi, Divan-ı Hümayun, Mühimme Defteri, no2, p. 228, ordre no2038), mais elle est confirmée par une lettre de D. Álvaro de Noronha à D. João III, AN/TT, CCI, 89,9 [d’Ormuz, le 31.X.1552]. Sur cette question et sur l’expédition de l’amiral, voir encore Salıh Özbaran, « The Ottoman Turks and the Portuguese in the Persian Gulf, 1534-1581 », The Ottoman Response to European Expansion. Studies on Ottoman-Portuguese Relations in the Indian Ocean and Ottoman Administration in the Arab Lands During the Sixteenth Century, éd. par Salıh Özbaran, Istanbul, The Isis Press, 1994, p. 131-132 ; Salıh Özbaran, Yemen’den Basra’ya. Sınırdaki Osmanlı, Istanbul, Kitapyayınevi, 2004, p. 159-160.
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vint mettre le siège à Mascate, où João de Lisboa avait fait fortifier le port. La forteresse portugaise résista au feu de l’artillerie turque pendant une semaine et tomba au septième jour68. Les Turcs capturèrent la garnison et amenèrent avec eux environ 128 hommes, qu’ils mirent aux fers et enrôlèrent dans leurs galères69. Nonobstant la suspicion de reddition70, de conversion à l’Islam et de collaboration avec les Turcs de la part des Portugais, João de Lisboa, fait prisonnier par Mehmet Bey, le fils de Pîrî, fut déporté au Caire, où les Ottomans, à l’image de ce qu’ils faisaient généralement avec tout prisonnier portugais tombé entre leurs mains, allèrent l’interroger pour lui soutirer des informations sur l’Estado da Índia71. Une fois sur place, il fut assigné à résidence et confié à la garde du médecin juif (d’origine castillane ou portugaise) du gouverneur ottoman. Il s’y lia également avec le secrétaire d’origine grecque du Diwân, qu’il guérit d’une poussée de lèpre sur le visage et qui devint, sans le savoir, l’un de ses informateurs privilégiés. On perd sa trace jusqu’en 1555, date à laquelle son rapport à D. João III (daté du 30 août 1555) prouve qu’il se trouvait toujours dans la capitale égyptienne. Tout en négociant son rachat auprès de quelques juifs (dont il espérait qu’ils se porteraient garants de sa personne), il y monta et orchestra un réseau d’espionnage, une manœuvre destinée à dissiper les rumeurs qui circulaient au sujet de sa reddition (et implicitement de sa conversion) ; le but était, naturellement, d’obtenir le pardon royal72. En position délicate, car les captifs qui l’entouraient cherchaient à le discréditer, il fut néanmoins contacté par D. Afonso de Lencastre, commandeur et 68 Sur les fortifications, se reporter à Ibrahim Yahya Zahran al-Busaidi, Os Portugueses na Costa de Oman na Primeira metade do Século XVII, dissertation de master en Histoire de l’Université classique de Lisbonne, 2000, p. 132 et 135. La fortification de João de Lisboa, située au-dessus (?) de l’actuel fort d’Al-Mirâni, ne survécut pas à l’attaque ottomane. Outre le rapport de João de Lisboa, déjà mentionné, l’attaque est décrite dans une autre lettre rapport, celle de D. Álvaro de Noronha à D.Afonso de Noronha, AN/TT, CCI, 89,9 [d’Ormuz, le 31.X.1552], publiée par Salıh Özbaran, « Two Letters of Dom Álvaro de Noronha from Hormuz. Turkish Activities along the Coast of Arabia: 1550-1552 », Tarih Enstitüsü Dergisi, 9, 1978, p. 262-265. 69 Cf. les instructions de la Porte à Kubâd Pacha, Hüküm-nâme mecmüası, f. 487b, dans Cengiz Orhonlu, « Hint Kaptanlıgı », art. cit., p. 249. Selon D. Álvaro de Noronha, il s’agirait de 50 Portugais : Salıh Özbaran, « Two Letters », art. cit., p. 264. 70 D. Couto, « Portuguese-Ottoman Rivalry », art. cit., p. 173 (f. 4v du rapport de João de Lisboa). 71 Les Ottomans avaient fait de même avec António Tenreiro en 1524 ; Álvaro Madeira, fait prisonnier (début 1537, 942/1535 selon les chroniques arabes) avec un groupe d’une trentaine de Portugais à Shihr en Hadramaut, fut envoyé au Caire par Badr, le sultan d’al-Shihr, et de là à Istanbul. Madeira fut confié à Juan Francesco Justiniani, le conseiller vénitien de Soliman : cf. la lettre de Pedro de Sousa de Távora à D. João III [de Rome, le 19.VII.1537], Corpo Diplomático Português, op. cit., T. III, p. 396-397, et R.B.Sergeant, The Portuguese of the South Arabian Coast – Hadrami Chronicles, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 70-74, et p. 72 en particulier. 72 Voir son rapport, AN/TT, CCI, 86, 120, f. 8, et la lettre de D. João III à Pedro de Álcaçova Carneiro (sans mention du jour ou du mois), datée de 1554, AN/TT, Colecção S.Vicente, VI, f. 266-266vo.
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ambassadeur de D. João III à Rome, qui lui envoya deux agents, Duarte Gomes et Agostinho Henriques, apparemment avec la mission de négocier son rachat73. En réalité, les deux étaient porteurs d’instructions secrètes et d’une somme de 100 cruzados, que João de Lisboa devait remettre à David Moço, un juif qui partait en mission en Inde. Surpris par la peste à Alexandrie, ce dernier changea son itinéraire et s’embarqua pour Istanbul74. Sans messager et surtout sans argent, João de Lisboa sollicita l’aide d’un agent relais du réseau d’Alexandrie, Samuel Lumbroso75. Lumbroso, qui résidait au Caire, lui avança l’argent et lui permit de recruter deux informateurs « arabes chrétiens ». Naturellement méfiants, ceuxci, qui disposaient d’une nombreuse parenté au Caire, exigèrent d’être payés avant le départ. Après entente préalable sur le montant du paiement (les deux recevaient 250 cruzados, dont 100 versés au départ et 150 à l’arrivée), ils acceptèrent de s’embarquer vers l’Inde. Ainsi monté, le réseau de João de Lisboa pouvait compter sur les services d’une vingtaine de personnes, mobilisables sur le champ, à condition de pouvoir débloquer immédiatement 100 cruzados en cas de nécessité. Le sous-réseau d’informateurs locaux était composé de menuisiers et de charpentiers « chrétiens » travaillant sur les chantiers, qui, en coordination avec les agents relais, renseignaient sur la quantité de bois arrivée d’Istanbul et sur l’état d’avancement de la construction des galères turques76. L’un de ces informateurs conduisait lui-même les charrettes sur lesquels on chargeait les pièces d’assemblage destinées aux chantiers de Suez77. À l’exemple des autres ouvriers, il venait au Caire tous les dix jours, et c’est alors qu’il faisait son rapport secret à João de Lisboa78. Qu’est-il advenu de ce réseau ? A-t-il été dissous après le départ ou la mort de João de Lisboa ? En fait, en dépit des lacunes de notre information, quelques indices montrent que le réseau lui survécut. En juin 1565, Mestre Afonso, le médecin privé du vice-roi de l’Estado da Índia, D. Francisco Coutinho, comte de Redondo, 73 Sur la question, D. Couto, « L’espionnage », art. cit., p. 250, note 24 et p. 262, note 71. Il convient de souligner que la famille Nasci, à travers un feitor de D. Beatriz Mendes de Luna, la Senhora, a été impliquée dans ce rachat : AN/TT, CCI, 92, 156. Se reporter également à la lettre de D. Afonso de Lencastre adressée à D. João III, [de Rome, le 20.X.1554], dans Corpo Diplomático Português, op. cit., XII, p. 416. 74 Voir son rapport déjà mentionné, f. 1. 75 Ibid., f. 1. 76 Sur les chantiers navals ottomans, Gábor Agoston, Guns for the Sultan. Military Power and the Weapons Industry in the Ottoman Empire, Cambridge, Cambrige University Press, 2005, p. 48-60. 77 Sur leur importance, associée à celle de la mer Rouge, Michel Tuchscherer, « XVI. Yüzyıl Sonlarından XVIII.Yüzyıl Sonlarına Kadar Kızıldeniz’de Osmanlı Donanması », dans Türk Denizcilik Tarihi, éd. par I. Bostan et S. Özbaran, Istanbul, Deniz Başımevi Müdürlügü, 2009, p. 213-217. 78 Voir le rapport de João de Lisboa, CCI, 86, 120, f. 4 et D. Couto, « Portuguese-Ottoman Rivalry », art. cit., p. 173.
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quitta Goa à la suite du décès de son maître79, gagna Ormuz et initia à son tour le long voyage par terre, du golfe Persique jusqu’à la côte méditerranéenne. Chargé, comme António Tenreiro, d’une mission secrète, il portait sur lui des lettres adressées au jeune roi du Portugal, D. Sebastião80, par D. João de Mendonça, le gouverneur par intérim de l’Estado da Índia 81. De sa caravane firent partie quelques Occidentaux, dont un certain João Jorge Araguzeo, dont le patronyme indique qu’il était originaire de Raguse. Araguzeo, qui maîtrisait plusieurs langues et connaissait le « plus court chemin » entre les Indes et le Portugal, fut également recruté par la Couronne portugaise comme espion : adressée au roi D. Sebastião et datée de du 9.X.1560, une lettre de Lourenço Pires de Távora, le déjà mentionné ambassadeur portugais à Rome, nous en donne la preuve82. Selon Mestre Afonso, Araguzeo fut chargé en 1564 (un an avant le voyage du chirurgien, quatre ans après la lettre de l’ambassadeur suggérant au roi de lui confier des missions secrètes), d’accompagner João de Lisboa, redevenu libre, ainsi qu’une vingtaine d’anciens captifs portugais, du Caire jusqu’en Inde83. En véritable « homme de l’ombre », Araguzeo est-il reparti effectivement en Inde, comme l’indique Mestre Afonso, ou était-il déjà décédé en 1560 ? Tout en recoupant l’information de Mestre Afonso, la lettre du 9. XI. 1560 apporte d’autres précisions. En effet, João Jorge Araguzeo avait été au Caire, où il fut le fidéjusseur de João de Lisboa ; la mort inespérée de celui-ci avait porté préjudice à Araguzeo : il écrivait au roi pour être indemnisé, et suggérait qu’on lui accorde, à titre d’indemnisation, les biens acquis en Inde par João de Lisboa, s’ils existaient. Quoi qu’il en soit, le Caire était l’un des épicentres du renseignement portugais à l’époque, et il n’était pas question de renoncer aux informations qu’on pouvait y
79 Huitième vice-roi de l’Inde, il fut nommé le 27 janvier 1561 et gouverna entre le 7 septembre 1561 et le 19 février 1564 (date de son décès à Goa), sans avoir terminé son mandat : José Manuel Garcia, « Os Governadores do Estado da India », dans Vasco da Gama e a Índia : Conferência International / Vasco da Gama et l’Inde : conférence internationale / Vasco da Gama and India : International Conference, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 1999, vol. I, p. 123. 80 Cf. son itinéraire dans Viagens por Terra, op. cit.¸p. 121-260 ; D. Couto, « Arméniens et Portugais », art. cit, p. 187-190 ; Salıh Özbaran, « Mestre Afonso ile Güneydogu Anadolu 1565-1566 », dans Portekizli Seyyahlar, op. cit., p. 69-83 ; Vasco Resende, « Viagens de um Cirurgião Português na Pérsia Safávida : o Itinerário de Mestre Afonso (1565-1566) », Revista Oriente, 19, 2008, p. 106-122. 81 D. João de Mendonça gouverna seulement du 29 février 1564 au 3 septembre 1564. Le nouveau vice-roi de l’Estado da Índia était D. Antão de Noronha, dont le mandat s’échelonna entre 1564 et 1568. D. Antão fut nommé Vice-roi pendant la régence du Cardinal-Infant D. Henrique, le 24 février 1564 : José Manuel Garcia, «~Os Governadores », dans Vasco da Gama e a Índia : Conferência International…, op. cit., p. 124. 82 La lettre est du 9.XI.1560. Cf. Quadro Elementar, XIII, p. 209. Sur Araguzeo, se reporter à D. Couto, « Arméniens et Portugais », art. cit., p. 188, et note 47. 83 Viagens por Terra, op. cit., p. 131.
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obtenir sur les Ottomans. Un nouveau dirigeant du réseau fut donc nommé. Le choix tomba sur Sebastião Criado, lui aussi compagnon de João de Lisboa au Caire. En raison de ses compétences (reconnues par l’ambassadeur Lourenço Pires de Távora), on envoya Criado à Messine avec António Pinto pour négocier le rachat du groupe des captifs portugais de Mascate. Sa mission était d’acheter à bon prix, à Malte ou à Messine, des esclaves musulmans destinés à être échangés contre les Lusitaniens. Dans cette nouvelle configuration du réseau, Mathias Bicudo, le Juif d’Alep, était placé sous les ordres de Sebastião Criado. Il devait coordonner ses activités avec celles d’António Pinto. En novembre 1560, ce dernier, muni d’un sauf-conduit ottoman, entreprit, à l’image de plusieurs autres, le voyage du Caire jusqu’en Inde, en passant par Jérusalem, Damas, Alep et Bassorah84. Il serait fastidieux de multiplier les exemples de réseaux d’espionnage portugais en Méditerranée (avec leurs prolongements dans l’océan Indien) ; les archives portugaises et espagnoles en regorgent, notamment pour le xvie siècle. Vue sous l’angle de la diplomatie secrète, l’esquisse des typologies (modalités de recrutement des agents, fonctionnement des filières, profils sociaux des dirigeants et des agents subalternes des réseaux) conduit à un constat général : au-delà des contingences politiques, économiques ou religieuses, c’est la porosité et la perméabilité des frontières en Méditerranée, l’intensification de l’activité des passeurs, et son corollaire, l’accroissement des contacts interculturels, qui s’imposent.
84 Cf. la même lettre dans Quadro Elementar, XIII, p. 207-208.
Translating the Orient for the Serenissima: Michiel Membrè in the Service of Sixteenth-Century Venice Benjamin Arbel | Tel Aviv University
On the 10th of October 1537, a few months after the beginning of yet another war with the Ottoman Empire, the leaders of the Venetian Republic were desperately searching for allies who would be able to alleviate the military pressure on Venice’s long frontiers. Among other measures, it was decided to try and establish some kind of collaboration with the Ottomans’ enemies in the East, the rulers of Persia.1 About three weeks later, orders were sent to the Venetian governors of Cyprus, instructing them to find two competent and reliable persons to carry official letters from the Doge, encouraging the Lord Sophi (i.e. the Safavid ruler of Persia), to attack the Ottomans from the east.2 The first person chosen by the governors of Cyprus for this mission (apparently they had difficulties in finding two persons ready to take the dangerous challenge) was a certain Vanes, an Armenian Cypriot, described as being proficient in several languages and as having previously been three times in Persia. Yet Vanes’s mission failed, since he was unable to penetrate the well-guarded Ottoman territories.3 Consequently, the Venetian governors of the island colony searched for another person who would prove to be luckier or more adept to carry out this mission. The person elected this time was Michiel (Michele) Membrè, a young man in his late twenties, who had some knowledge of Arabic and Turkish, had already been active as a commercial agent in Syria and Turkey, and was recom-
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Archivio di Stato di Venezia (henceforth: ASV), Senato, Parti secrete, reg. 4, f. 81. I am grateful to my friends and colleagues Miriam Eliav-Feldon, David Katz, Maria Pia Pedani, Gigi Corazzol, Natalie Rothman and Fabien Faugeron for helping me solve various problems related to this article. ASV, Capi del Consiglio di Dieci, Lettere secrete, filza 3 (3 November 1537). For the description of Vanes and the terms of his mission, see ASV, Lettere ai Capi del Consiglio di Dieci, busta 289, nos 189-192 (deciphered letters, 12 May 1538).
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mended by the Cypriot nobleman Bernardo Benedetti, in whose house he grew up and in whose service he had been employed.4 Who was Michiel Membrè? The precise date of his birth is unknown, but according to a later reference, we may presume that he was born in Cyprus around 1509.5 Apart from documents related to our protagonist, the name Membrè does not appear in Cypriot sources of the Venetian period, especially not in those mentioning office holders and members of the urban council of Nicosia, an absence signifying that he did not belong to any prominent Cypriot family.6 In his report about his mission to Persia, he wrote that he had been brought up on Cyprus in the house of the aforementioned Bernardo Benedetti, who is said to have been related to him through his grandmother.7 Considering this background, and his experience as a commercial agent in Anatolia and Syria in the service of the
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This information, as well as whatever we know about his appointment and mission to Persia, is mainly based on Membrè's own reports, written after his return to Europe (see infra, note 7). Membrè’s Christian name is sometimes given as Michele and sometimes as Michiel. The latter one, which was the common Venetian form and was also generally used in documents written by Membrè himself, will be used here. This also applies to the grave accent on the last letter of Membrè’s surname. In his testament written in 1591 he noted that he was then about 82 years old. ASV, Archivio notarile, Testamenti, busta 394, notaio Marcantonio Figolino, fasc. 625. On the Cypriot nobility, see Benjamin Arbel, “The Cypriot Nobility from the Fourteenth to the Sixteenth Century: a New Interpretation”, Mediterranean Historical Review, 4, 1989, pp. 175-196, republished in Benjamin Arbel, Cyprus, the Franks and Venice, 13th-16th Centuries, Aldershot, Ashgate 2000, art. VI. The surname Membrè does not figure in Etienne de Lusignan’s lists of Cypriot noble families. See Etienne de Lusignan, Chorografia et breve historia universale dell’isola de Cipro, Bologna, 1573, pp. 82a-83a; id., Description de toute l’isle de Cypre etc., Paris, 1580, pp. 184-186. Interestingly, the name Membre (without an accent) is also encountered in sixteenthcentury documents as one borne by Jews. See Alberto Tenenti, Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise, 1592-1609, Paris, S.E.V.P.E.N., 1959, pp. 103, 155 (Moise Membre, 1593, 1595); ASV, Duca di Candia, busta 37 (Memoriali), f. 173v (Josef Membre, Judeo, 1572). Michele Membrè, Mission to the Lord Sophy of Persia (1539-1542), translated with Introduction and Notes by A. H. Morton, London, E. J. W Gibb Memorial Trust, 1993, p. 3. The first modern scholar to discover Membrè’s mission to Persia seems to have been Luigi Bonelli, see Luigi Bonelli, “Il trattato turco-veneto del 1540”, in Centenario della nascita di Michele Amari, vol. 2, Palermo, Virzì, 1910, pp. 357-361 (including a transcription and translation of Shah Tahmasp’s letter to the Doge). For the first edition of the relazione, see Michele Membrè, Relazione di Persia (1542). Manoscritto inedito dell’Archivio di Stato di Venezia, pubblicato da G.R. Cardona con una appendice di documenti coevi concernenti il primo quinquennio di regno dello scià Tahmasp (15251540), ed. by F. Castro. Indici di A.M. Piemontese. Presentazione di G. Scarcia, Naples, Istituto Universitario Orientale, 1969. See also Ν. Παταπίου, “Μιχαίλ Μεμπρέ. Από την Περιστερώνα Μόρφου διερμινέας στη Γαληνοτάτη”, in Πρακτικά του Διεθνούς Συμποσίου, Κύπρος – Βενετία. Κοινές ιστορικές τύχες, ed. by C. A. Maltezou, (Αθήνα, 1-3 Μαρτίου 2001), Μνήμη Κωνσταντίνου Λεβέντη, hominis universalis, Venice, Istituto Ellenico, 2002, pp. 137-165; Gilles Grivaud, Entrelacs chiprois. Essai sur les lettres et la vie intellectuelle dans le royaume de Chypre, 1191-1570, Nicosia, Moufflon, 2009, pp. 245-248.
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Benedetti family,8 we may assume that he had spent the first decades of his life in the town of Nicosia, which was also the place where all noblemen, including his patron, used to reside.9 It was Bernardo Benedetti who, after being asked by the governors whether he knew any person suitable for the secret mission, turned to him for help. Membrè decided to accept the challenge, demanding as recompense for the dangerous mission an annual pension of 200 ducats, but he finally agreed to the governor’s offer of a life pension of only 50 ducats a year.10 Membrè’s alleged command of several languages is of special interest, since his linguistic capacities were precisely what made him a suitable candidate for the mission to Persia and what enabled him to become an important intercultural mediator in later years. He had no problem whatsoever in expressing himself in Italian. In a petition presented in October 1543 to the Council of Ten in Venice, he claimed to have a very good linguistic proficiency in Turkish, Arabic and Persian, in addition to Greek, which he described as his mother tongue (“che mi è natura”).11 Still later, in a report that he wrote on meetings held in Venice with an Ottoman envoy, he noted that both he and his interlocutor were of Circassian origin.12 There were indeed a few descendants of Christianized Ciracassian Mamluks living in Venetian Cyprus, and Membrè could have belonged to this group, although at least one of his parents was presumably a Greek-Cypriot.13 His ability to communicate in Turkish could have developed during his business visits to the Turkish-speaking provinces of the Ottoman Empire, and he could have acquired 8
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M. Membrè, Mission, op. cit., p. 3; Fanis Mavroidi, in her short resumé of Membrè’s career, wrongly mentions Serbia, instead of Syria, cf. Fanis Mavroidi, Συμβολή στην ιστορία της Ελληνικής αδελφότιτας Βενετίας στο ΙΣΤ’ αιώνα. Έκδοση του Β’ Μητρώου εγγραφών (1533-1562), Athens, Καραβίας, Νότης 1976, p. 95. Mavroidi’s résumé contains several mistakes, which have been uncritically repeated by other scholars. See infra, notes 9, 33, 45, 69. Benjamin Arbel, “H Κύπρος υπό Ενετική Κυριαρχία” in Ιστορία της Κύπρου, ed. by T. Papadopoullos, vol. 4/1, Nicosia 1995, p. 491. Membrè’s remark that Bernardo Benedetti was lord of the village of Peristerona (Membré, Mission, p. 3) was interpreted by some scholars as an indication that Membrè had lived in that village before his mission to Persia. However, such a hypothesis seems highly improbable. See F. Μαvroidi, Συμβολή,op. cit., p. 95; Παταπίου, “Μιχαίλ Μεμπρέ”, pp. 137, 139. M. Membrè, Mission, op. cit., p. 5. ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 34, no 89 and attachment. ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 1, f. 152 (“egli discendeva da Circassi, sebene gli ultimi suoi progenitori sono nati nell’isola di Cipro”), referred-to in Maria. P. Pedani, In nome del Gran Signore. Inviati ottomani a Venezia dalla caduta di Costantinopoli alla guerra di Candia, Venice, Deputazione Editrice, 1994, p. 29. I am grateful to Maria Pia Pedani for turning my attention to this document. On former Mamluks in Venetian Cyprus, see Benjamin Arbel, “Venetian Cyprus and the Muslim Levant”, in Cyprus and the Crusades, ed. by Nicholas Coureas and Jonathan Riley-Smith, Nicosia, Cyprus Research Centre, 1995, reprinted in Benjamin Arbel, Cyprus, the Franks and Venice, Aldershot, Ashgate 2000, article XII, pp. 174-177.
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some measure of Arabic during his visits to Syria as Benedetti’s commercial agent. His pretended proficiency in Persian is more difficult to explain,14 but since the main language of communication in the Safavid court was Turkish, inability to communicate in Persian would not have constituted any serious impediment to the accomplishment of his mission.15 Membrè’s report about his mission to the Sophi and back (1539-42), written after his return to Venice, includes a detailed description of his voyage to Persia through Anatolia, the Crimea and Georgia; of his stay in the camp of Shah Tahmasp and later in Tabriz; of his two audiences with the Shah; of his trip back through Persia, Hormuz, and India, and then on board of a Portuguese ship westwards around Africa, with a stay, while he was seriously ill, on the Azores. From his report and letters, as well as from Venetian official documents we also learn about his later stay in Lisbon (August 1541) and then in Spain, where he was received by Emperor Charles V at Valladolid (2 February, 1542); and about his journey through Avignon, Marseilles and Genoa towards Venice, where he arrived in May 1542. We shall not dwell here on his detailed and fascinating report, presented to the Signory following his arrival in Venice, since this chapter of his career has already been studied and analyzed in two critical editions of Membrè’s report, one in Italian and the other in English translation.16 We shall turn our attention instead to Membrè’s activities as an intercultural mediator after his arrival in Venice, a city that he had never visited before. Shortly after his appearance in Venice Membrè began receiving the promised yearly pension of 50 ducats, a sum which was debited to the Cypriot treasury.17 More material remunerations were to follow, since the Republic was highly interested in keeping him in Venice and using his linguistic and diplomatic talents, which had already been put to the test during his three-year mission to Persia. Membrè must have understood how useful he could be to the Republic, and he took advantage of his position several times. In October 1543, he presented a petition to the Council of Ten, specifying that his mission to Persia caused him great expenses and debts. Describing himself as still young and handsome (giovine et ben disposto della persona), with very good linguistic abilities, and declaring his intention to settle in Venice with his family (of which he provides no further details), he asked to raise his pension to 120 ducats, and to enable his offspring to enjoy the same income
14 See Andrew H. Morton’s remarks in this respect, in his Introduction to M. Membrè, Mission, op. cit., p. xi. 15 Ibid., p. xi. 16 See supra, note 7. 17 ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, reg. 5, f. 66v (26 May 1542).
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after his death. In return, he was ready to further improve his proficiency in oriental languages, especially in writing and reading Turkish (a statement indicating that his basic proficiency at that stage was mainly colloquial). The Venetian Senate responded by raising his pension to 100 ducats (once again at the expense of the Cypriot exchequer) to be paid to him as long as he lived. In return he was required to live in Venice and be available for public service when requested.18 Our protagonist did not have to wait long before being called to service. Hardly a month elapsed before Stefano Tiepolo was elected as a special ambassador to the Ottoman court, officially to congratulate Süleyman the Magnificent for his victories in Hungary, and Membrè was appointed as his interpreter.19 But what was meant to be a relatively short mission of several months, eventually became a protracted stay lasting about two years.20 During his stay in the Ottoman capital (and, as he writes, also at Edirne-Adrianople) he had the opportunity to deal with important personalities of the Sultan’s court, including Sultan Süleyman and the Grand vizier, Rüstem Pasha, not only as an interpreter and translator but also as a negotiator, representing the ambassador and the bailo.21 He even succeeded in getting access to official Ottoman registers (probably the famous mühime defterleri) where he could check the veracity of claims made by an Ottoman provincial governor.22 According to his later testimony, during the same mission he also suc18 ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 34, no 89 and attachment; ibid., reg. 15, f. 220 (26 Oct. 1543). See also the 1559 balance sheet of the Cypriot treasury, in which 1000 besants were allotted for Michiel Membrè’s pension, Biblioteca Nazionale Marciana, Venice, Ms. It. VI 80 (5767), f. 184. 19 Tiepolo’s election as ambassador took place on 12 November 1543 and the official instructions (commissione) that were to guide him in his mission were voted by the Senate on 24 May 1544. See Maria P. Pedani, “Elenco degli inviati diplomatici veneziani presso i sovrani ottomani”, Electronic Journal of Oriental Studies, 5, 2002, p. 27. Membrè is not mentioned in Tiepolo’s commissione, which only refers to a “secretary” in the ambassador’s suit of 15 persons. However, the letters sent by Tiepolo from Constantinople refer to Michiel Membrè as his dragomano. For the commissione, see ASV, Senato, Parti secrete, reg. 63, f. 153-155v (24 May 1544), For the references to Membrè as the ambassador’s interpreter in Constantinople, see ASV, Secreta, Archivio Proprio Costantinopoli, filza, 4, nos 10 (28 November 1545), 21 (28 December 1545), 23 (also 28 December 1545). Stefano Tiepolo might have been acquainted with Membrè from the years of his service as governor of Cyprus in the mid-1530s. For the identification of Ambassador Tiepolo as the former governor of Cyprus, see ASV, Senato Mar, filza 1 (in a petition of a widow of a Venetian soldier in Cyprus, 1545), no numbering. 20 See in this regard Membrè’s petitions, ASV, Senato Mar, filza 4 (29 June 1547), where he refers to a two-year stay in Istanbul; ASV, Senato Mar, filza 11 (5 March 1554), where he writes having stayed in Istanbul for 22 months as interpreter of Ambassador Tiepolo; and ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 136, where he write (in 1579) that his service with Ambassador Tiepolo (in Constantinople and Adrianople) lasted 27 months. 21 E.g. ASV, Secreta, Archivio Proprio Costantinopoli, filza, 4, nos 10 (28 November 1545), 21 (28 December 1545), 23 (also 28 December 1545); ibid., Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 136 (Membrè’s memorandum of 1579). 22 In December 1545 Membrè succeeded in checking personally “in the Turkish register” the copy
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ceeded in tracking down in the Ottoman fiscal registers the proof that Venice had paid the 16,000 ducats, due for two years of the Cyprus tribute, which the Ottomans claimed they had never received.23 Likewise, according to him, he managed to convince the Ottoman treasury not to calculate the arrears due for the Cypriot tribute according to the Islamic (lunar) years, which would have meant paying a greater sum of money, but rather by counting (the longer) solar years.24 On his return from this mission, the Venetian Senate expressed its appreciation to Membrè, who was described as an able young man from whom much could be expected (giovane sufficiente et di grandissima espettatione), and who accomplished his task to the ambassador’s great satisfaction. As a recognition of his good conduct, and in order to encourage him to continue serving the Republic, he received a present of 100 ducats, in addition to the 100 ducats that he had already received from Ambassador Tiepolo in Istanbul.25 It was not long before Membrè was called to serve on another mission, this time accompanying Alvise Renier, who was sent as a special commissioner to Dalmatia to negotiate with Ottoman officials problems related to the frontiers between the two states.26 In the course of this mission, which must have lasted several months, he had to work in close and continued contact with Ottoman provincial officials of this region. On his return from Dalmatia, Membrè decided to formalize his position. Until then he was under the obligation, in return for his yearly pension of 100 ducats,
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of a commandment issued to the sanjak beyi of Clissa (Klis), in which no mention was made of several localities, such as Zara, Trau, Spalato and Sebenico, which, according to the same sanjak beyi were included in that document. See ASV, Secreta, Archivio Proprio Costantinopoli, busta 4, f. 26-26v (letter dated 28 December 1545). ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza, 136 (4 May 1579). According to Membrè the mistake originated from a negligence of transferring the entry from the old fiscal register to the new one (“cercando nelli libri delli rasonati del Sr Turco, trovai che furono pagati ma non reportati nelli novi libri”) Ibid. Following their conquest of the Mamluk Sultanate in 1517, the Ottomans claimed to inherit the right, previously enjoyed by the Mamluks, of receiving a yearly tribute of 8,000 ducats from the rulers of Cyprus. Venice agreed to continue paying the tribute, an obligation inherited by the Republic from the Lusignan kings of the island. Ambassador Tiepolo reported in December 1545 about the problems arising from the difference between the reckoning of years according to the Islamic (lunar) calendar (anni mussulmani), which amounted to 29 years since the Ottoman conquest of Egypt, and, alternatively, according to “Greek years” (anni greci), resulting in only 28 years for which tributes were due. See ASV, Secreta, Archivio Proprio Costantinopoli, busta 4, f. 27. “...in recognition delle fidellissime fatiche sue, et perché habbi causa di essibirsi sempre più pronto alli serviti nostri”, Membrè, Relazione di Persia, p. lxii of Scarcia’s introduction. This mission is mentioned by Membrè in a later petition, presented by him in June 1547, in which he wrote that shortly after return from a two-year stay with Ambassador Tiepolo, he was requested to accompany Alvise Renier on his mission to Dalmatia. See ASV, Senato Mar, filza 4 (29 June 1547).
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to be available for special missions, but he held no formal office. Between one mission and another he was, in principle, free to conduct private business, which is exactly what he was trying to do, acting as a commercial agent, presumably taking advantage of his Cypriot connections. But his formal obligations, resulting in frequent and long periods of absence from Venice, proved to be harmful to private business of this kind. Therefore, in June 1547 he presented a petition to the Senate, in which, after reminding the senators of his great services to the Republic and describing his financial difficulties resulting from these services, he asked to be nominated to the office of dragoman. His request was approved, since, according to the Senate’s explanation, it was inappropriate that the most important matters related to communication with the Porte were all dependent on one person: the dragoman Hieronimo Civran, who was described as a great expert, but who, for some reason, was unable to accompany Venetian ambassadors to the Porte.27 Membrè was consequently nominated as a second dragoman of the Turkish language (dragomano interprete della lingua turca) and his salary was fixed at 100 ducats for his entire life (in addition to the pension that he received from Cyprus). His obligations as dragoman were clearly defined in the Senate’s decision: Serving our Signory both here in discussions with ambassadors, special envoys (chiaussi) and other Turkish agents, translating documents, and doing whatever is necessary, and also accompanying our ambassadors to Constantinople and our proveditori and our other officials in Dalmatia and other places, as needed, as well as going to Constantinople on important missions at the request of this council.28
And indeed, as an immediate implementation of his duties, he was also required to accompany Alvise Renier, the newly elected bailo in Constantinople and serve as his interpreter during his entire term of office (which in principle lasted two years).29 During his service with Bailo Renier Membrè could rely on his experience and the personal contacts, which he had undoubtedly developed in the course of
27 ASV, Senato Mar, reg. 29, f. 107v-108 (29 June 1547). Civran’s inability to accompany ambassadors to Istanbul may have resulted from ill health, from his past long slavery in Istanbul, or from both. See M. P. Pedani, In nome del Gran Signore, op. cit., p. 30. 28 “Servir detta Signoria Nostra così de qui nel parlar con ambassatori, Chiaussi, et altri agenti Turchi, interpretar scritture, et far quell’altre cose che occorrerano, come di andar con li ambasciatori nostri a Costantinopoli, et con proveditori et altri agenti nostri in Dalmatia et altri lochi che occorresse, etiam a Costantinopoli, secondo che li serà commesso per questo conseglio per cose importanti”, ASV, Senato Mar, reg. 29, f. 107v-108. 29 Ibid. The new bailo was also required to dismiss the acting interpreter of the baili in Istanbul, a certain Antonio Rapallo, for whom he was charged to find a replacement. Renier’s commissione does not mention Membrè, but it includes a sum of 300 ducats earmarked for “payment to an interpreter and other expenses”. See ASV, Senato, Parti secrete, reg. 65, f. 147v-152, esp. f. 150v (5 July 1547).
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his former stay in the Ottoman capital as interpreter under Ambassador Tiepolo. And at the backdrop of all that there remained the memory of his outstanding achievement of travelling to Persia through hostile territories, negotiating all by himself with the Persian ruler and his officials and later also meeting Emperor Charles V in person. Apparently, though still relatively young, he was not simply just another interpreter. According to Membrè’s later testimony, during his service as interpreter with Bailo Renier in Istanbul, which lasted 25 months, he was sent again to Dalmatia, to handle negotiations concerning “the 49 villages of Zara”, assuring that Venetian subjects living in the region surrounding Zara would not be deported to Clissa (Klis) to live under Ottoman rule. After concluding this mission, he returned to his post in Istanbul.30 The credit for settling the border dispute with the Ottomans, which enabled Venice to keep those villages in the district of Zara, was attributed to Bailo Renier,31 a fact which could explain why Membrè is not mentioned at all in the bailo’s detailed report presented in Venice after his return from Istanbul in 1550.32 After all, Membrè was only a civil servant, whereas Renier was a member of Venice’s ruling group, the patriciate. In 1554, following the death of his colleague, Hieronimo Civran, Membrè’s salary was raised to 150 ducats and he also received a yearly sum of 20 ducats to cover his house rent, as Civran had enjoyed beforehand. He also inherited Civran’s obligation to teach the Turkish language to two notaries (nodari ordinarii) from the Venetian Chancery, Rafael Corner and Iseppo Tramezino, who had already served under Civran, as well as to any other notary of the chancery who would be interested in learning this language.33 As a matter of fact, it seems that at that stage the chief dragoman was not the only person employed in the Venetian chancery in translating documents from and to Turkish, as can be learned from a decision taken by the Council of Ten in July 1559, forbidding notaries of the chancery to take
30 ASV, Senato Mar, filza 11, 5 March 1554 (Membrè’s petition is in a very bad state, partly torn and illegible). 31 Kenneth Meyer Setton, The Papacy and the Levant (1204-1571), vol. III: The Sixteenth Century, Philadelphia, American Philosophical Society, 1984, p. 533, n. 93 32 See his relazione in Maria P. Pedani Fabris (ed.), Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato, vol. XIV, relazioni inedite. Costantinopoli (1508-1789), Padua, Bottega d’Erasmo-Aldo Ausilio editore, 1996, pp. 47-86. Membrè’s service as dragoman with Ambassador Tieopo and Bailo Renier is ignored in Bertelè’s lists of these officials. See Tommaso Bertelè, Il palazzo degli ambasciatori di Venezia a Costantinopoli e le sue antiche memorie, Bologna, Apollo 1932, pp. 415-416. 33 ASV, Senato Mar, reg. 32, f. 157v (10 March 1554); ibid., filza 11 (5 March 1554). F. Mavroidi wrongly writes that Membrè was teaching the Greek language. See F. Μavroidi, Συμβολήi, op. cit., p. 96. In his petition, which moved the Senate to take this decision, he also mentions his old mother (“la povera vechiarella mia madre”), who depended upon him. See supra, note 30.
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official documents out of the chancery for translation from and into Turkish.34 Well into old age, Membrè continued his activities as a cultural intermediary between Venice and the Ottomans. His activities as official dragoman are documented until 1589, some five years before his death in 1594.35 During this long period, he seems to have accomplished one more mission to Istanbul and Dalmatia. In 1576, three years after the conclusion of the Cyprus war, the Council of Ten sent him to join Ambassador Giacomo Soranzo (who was already in Istanbul), with materials concerning former agreements on the borders in Dalmatia, which he had been instrumental in reaching back in 1550.36 These documents and Membrè’s experience in this field must have helped reaching a new understanding on the borders between Venetian and Ottoman territories in Dalmatia in August 1576. It was signed on the one hand by Ambassador Soranzo, and on the other by the Ottoman governors of Bosnia and Clissa (Klis) as well as by a certain Jafer, a special envoy of the Porte. Obviously, it was translated, together with the relevant documents, by Membrè.37 This seems to have been Membrè’s last venture outside Venice. For the last decades of his life he continued his multifarious activities of intercultural mediation in the city of the lagoons. Most of these activities, such as translating a great number of Turkish letters and firmans,38 acting as interpreter during audiences 34 ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, reg. 24, f. 29v-30 (12 July 1559). 35 For his three last wills, see ASV, Archivio notarile, Testamenti, busta 394, no 625 (14 July 1591); ibid., busta 1245 (not. Marcantonio de Cavaneis), no 561 (handwritten and signed on 25 October and notarized on 18 November 1594), and ASV, Ospedali e luogi pii diversi, busta 86, fasc. GG (21 Nov. 1594). The latter is published here in Appendix II. Earlier wills of 1587 and 1589 are mentioned in the 1591 testament, but have been withdrawn by the testator. M.P. Pedani claims, without citing a reference, that Membrè wrote 34 will, seven of them in 1594. See Maria Pia Pedani, "Between Diplomacy and Trade: Ottoman Merchants in Venice", in Merchants in the Ottoman Empire, ed. by S. Faroqhi and G. Veinstein, Paris and Louvain, 2008, p. 10. For the end of his active career, see infra, note 65. 36 ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, reg. 11, f. 92 (9 October 1576); Maria P. Pedani (ed.), I “Documenti Turchi” dell’Archivio di Stato di Venezia. Inventario della miscellanea con l’edizione dei regesti di Alessio Bombaci, Rome, Ministero per i Beni Culturali e Ambientali. Ufficio Centrale per i Beni Archivistici 1994, no 836. 37 Riccardo Predelli (ed.), I Libri commemoriali della Repubblica di Venezia. Regesti, VII, Venice, Deputazione Veneta di Storia Patria 1876, pp. 13-14; M. P. Pedani, I “Documenti Turchi’, op. cit., nos 850-852, 856, 860, 864. 38 E.g. Süleyman the Magnificent’s letter concerning the tribute of Cyprus (1540), M. P. Pedani Fabris, I “Documenti Turchi”, op. cit. , no 665; several attestations of the payment of the tributes paid to the Porte for Cyprus and Zante (Zakynthos), ibid., nos 667 and 669, 671 (1549), 662, 673 (1550/51), 725, 727 (1556), 858 (1576), 876, (1577), 887 (1579); 35 firmans concerning the exportation of wheat from Ottoman territories, ibid., nos 674-5; Sultan Süleyman’s letter concerning inhabitants in the area of Sebenico, ibid., no 741 (1558); Sultan Selim II’s recommendation to his dragoman Muteferrika, passing through Venice on his way to France, ibid., no 807 (1569); Sultan Murad III’s letter to the sanjak beyis of Bosnia and Clissa and Cadis of Clissa and Sarajevo con-
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of Ottoman envoys with the Signory,39 being responsible for daily contacts with these envoys and having long discussions with them,40 or even registering commitments of Turkish shipmasters to import grain to Venice,41 can be considered as routine ones, as defined in the act of his nomination to the office of dragoman in 1547. Membrè’s detailed reports about these encounters are of great interest.42 For example, we have a lively report on a pleasant dinner party at the residence of the Çavuş Kubad, one of the Ottoman envoys to Venice, on the Giudecca. On that occasion, Membrè conducted a discussion with a runaway Turkish slave, who had escaped a Spanish galley and managed to join the Ottoman envoy in Venice, and later that night Membrè was trying to satisfy Kubad’s curiosity regarding the Venetian system of government.43 His activities during these years also reflect the esteem which Membrè enjoyed as an expert on the mores and customs of the Turks and his credibility as an experienced civil servant. Thus, he was requested to help in solving difficult commercial disputes that risked jeopardizing the relations between Venice and the Porte,44
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cerning the marking of the borders, ibid., nos 832, 834 (Nov.-Dec. 1575); the agreement between Ambassador Soranzo and the Ottoman officials concerning the borders of Sebenico and Spalato, and notes by the naib responsible of marking the border around Spalato ibid., nos 850-852, 856, 860 (July-Aug. 1576); a description of the borders written by Mehmet Bey, ibid., 864 (Sept.-Oct. 1576); an attestation of sums of money received by the Ottomans on account of the peace agreement, ibid., nos 872 (Feb. 1577), 878 (Oct. 1577); an attestation for the receipt at Galata of 128,000 aspers, left in Venice by a Turk whose son was murdered there, ibid., no 874 (April, 1577); a recommendation for an Ottoman envoy passing Venice on his way to and from France, ibid., no 894 (July, 1581); letters from Sultan Murad III and from the Aga of the Janissaries to the doge, ibid., nos 898, 900, 902 (July-Nov. 1581); Murad III’s invitation to send an ambassador for the circumcision of his son, ibid., nos 905-6 (Aug. 1582); a letter of Murad III to the doge concerning Ottoman subjects taken prisoner at Macarsca, ibid., no 913 (Jan. 1583); letters from the grand vizier to the doge concerning ottoman officials taken by Venetian ships, ibid., nos 915, 917 (Jan. 1583); a letter from the sanjak beyi of Herzegovina to the doge, ibid, no 926 (Jan. 1584); a hüccet (judicial ruling) related to an incident with the Uscock corsairs, ibid., 954 (Nov. 1587); a letter from the beilerbeyi of Bosnia to the doge, ibid., no 957 (Jan. 1587/8); a letter from the grand vizier to the doge, concerning an assault on merchants, ibid., no 984 (Jan. 1589); testaments of two Turkish merchants, ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 138, f. 4-4v (March 1587). E.g. ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 4, f. 119v-121v (interpreting the discussions with the Çavuş Hasan with the Collegio in June 1580). E.g. ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 1, f. 114v-115r, 120v-128, (1566-7), 148v-162v (1567-68), 177-178v (1569); ibid., reg.4, f. 119v-121v (June 1580); ibid., reg. 8, f. 157-161v (1589); ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, reg. 9, f. 52 (February 1570 new style); Pedani, In nome del Gran Signore, p. 31 (1580), 35 (1567), 44 (1589). ASV, Consiglio di Dieci, Libri bladorum, I, f. 25-26 (9 July 1559); ibid., f. 69 (July 1562). ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 1, f. 148v-162v (reports of his encounters with Cubad Chiaùs [the Çavuş Kubad] in 1567-8); ibid., reg. 9, f. 19-29, 22v-23, 27-27v, 31v-32 (encounters with the Sultan’s casnadar, or treasurer, 1589). See Appendix I. See his involvement in compensating a certain Ahmet of Castelnovo and his associate for dam-
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to verify the identity of alleged, but apparently not entirely reliable envoys from the Ottoman Porte (in 1558-9),45 as well as from the ruler of Persia (in 1571),46 and to express, in 1579, his (negative) opinion concerning the institution of a special fondaco for the Turkish merchants coming to trade in Venice (the Fondaco dei Turchi was eventually institutionalized after his death).47 The recognition of his expertise and knowhow was not limited to his Venetian superiors. His frequent contacts with Ottoman officials sometimes transformed him into a personal agent of some of them, looking after their interests in Venice.48 Membrè also drew considerable material advantage from his special position at the heart of Venice’s complicated system of relationships with the Ottoman world. Like his predecessor, Civran, he enjoyed the privilege of receiving one third (terzo) of all brokerage dues paid on commercial transactions carried out by Turkish merchants in Venice, in return of which he was required to attend all transactions with Turks to ensure that they were not cheated.49 This was a much envied benefit, which greatly increased his income beyond his yearly pension. In fact, during the later sixteenth-century the number of Ottoman merchants com-
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age caused by officers of the Venetian fleet, Predelli, I Libri commemoriali, VI, p. 297 (5 July 1560); likewise, in the affair of Hayyim Saruq and Joseph Segura, raised by the Ottoman envoy Kubad, in ASV, Senato, Lettere e scritture turchesche, Inventario cronologico, no 416 (19 November 1567, 1 January 1568, 11 January 1568); similarly his intervention in 1575, in settling a claim of Ottoman merchants for indemnification for goods confiscated at Curzola by a Venetian provveditore, Pedani Fabris, “I Documenti Turchi”, no 823-824; and his involvement in February 1578/9 in returning goods to the heirs of an Ottoman merchant who had died in Venice, Predelli, I Libri commemoriali, VII, p. 21. Emilio Spagni, “Una sultana veneziana”, Nuovo archivio veneto, 19 (1900), pp. 241-348, esp. pp. 264-269; Benjamin Arbel, “Nur Banu (c. 1530-1583), a Venetian ‘Sultana’?”, Turcica, 24 (1992), pp. 241-259. When referring to this affair (with reference to Spagni’s article), Mavroidi wrongly writes that it took place in 1567 in Constantinople. As a matter of fact it took place in 1559 in Venice. Cf. Μαvroidi, Συμβολή, p. 96, n. ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, reg. 9, f. 180v (10 October 1571). Paolo Preto, Venezia e i Turchi, Florence, Sansoni 1975, p. 131; eiusdem, I servizi segreti di Venezia, Milan, Il Saggiatore 1994, p. 165 and note 92. Giampero Belingeri, “Un prospetto geografico di Michele Membré (1581)”, in Turcica et islamica. Studi in memoria di Aldo Gallotta, ed. by U. Marazzi, Naples, Dipartamento di Studi Asiatici 2003, p. 17. For Membrè’s memorandum in this regard, see ASV, Capi del Consiglio di Dieci, Ricordi o raccordi, 1480-1739, 2 October 1579. In 1567, Ali Ağa nominated Membrè as his agent to recuperate funds invested in a bad business, ASV, Senato, Dispacci Costantinopoli, filza 2 (Letter of the bailo and the ambassador, 4 July 1567); an interesting letter written in Ottoman Turkish in Latin characters, which was sent to Membrè in 1576 by Ibrahim Bey, the Ottoman dragoman, also concerns private business affairs; see Alessio Bombaci, “Una lettera turca in caratteri latini del dragomano Ibrahim al veneziano Michele Membrè”, Rocznik orientalistyczny, 15, 1949, pp. 129-144; in 1583, Hasan Aga, an Ottoman ambassador to France sent a letter to the doge asking him to allow Membrè to deal with a delicate issue between him and the French ambassador, since he was the only person that he could trust, M. P. Pedani, “I Documenti Turchi”, op. cit, no 923 (the editor suggests dating this letter to c. 1583). ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 138, f. 17v (1587).
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ing to trade in Venice seems to have increased considerably, a fact reflected in the increase of Membrè’s income from the terzo.50 Further material remunerations were granted to him on different occasions, generally in response to his requests.51 With the passing of years and as a result of his longevity, Membrè’s formal position became increasingly exceptional, since towards the second half of the sixteenth century state officials in the medium and higher echelons of Venice’s public administration were required to be cittadini originarii, that is native Venetian citizens, for at least three generations.52 Yet despite Membrè’s key role in handling Venetian contacts with the Ottoman world, when in November 1565 he asked to receive the status of full citizenship (cittadino de intus et extra), his request was denied, since he still had one and half years to complete the 25 year period required for admittance to this privileged group.53 He was already entitled to become a cittadino de intus (a lower grade of citizenship), for which only 15 years of residence were required.54 However, to obtain the higher grade was a different matter, 50 In 1587 the Venetian Board of Trade estimated the annual terzo revenue at about 4,000 ducats, or, according to a different estimation, between 5,000 and 6000 ducats, ibid. However, in March 1590, the Board of Trade estimated that they amounted to about 2,000 ducats, ibid., f. 110v. See also E. Natalie Rothman, Brokering Empire. Trans-Imperial Subjects between Venice and Istanbul, Ithaca and London, Cornell University Press, 2012, pp. 190-197. Dr. Solomon Ashkenazi, who was of great service to Venice in Istanbul, attempted in vain to obtain a similar privilege for himself and his sons with respect to Jewish Levantine merchants, mentioning Membrè’s case as a precedent, ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 121 (14 July 1574); ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, filza 19 (attachment to a parte of 4 May 1575 and parte of 22 April 1575, which is not included in the parallel register). On Ashkenazi, see Benjamin Arbel, Trading Nations. Jews and Venetians in the Early Modern Eastern Mediterranean, Leiden, Brill, 1995, pp. 77-94. 51 In 1555-6 Membrè asked and obtained a loan of 400 ducats (originally 200, but augmented at his request), to be repaid from future instalments of his Cypriot pension, for building a dwelling (una stantia) for his own use at the convent of San Lorenzo. See ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, reg. 22, f. 67v (29 Oct. 1555), f. 116v (8 April 1556); ibid., filza 68, no 74 and attachment (8 April 1556). In June 1559 he asked and obtained the right to be nominated to a future office (una espettativa) either in Venice or outside the city, with a yearly salary of 150 ducats and the right to will it to one of his children (in case he would have any) or any other person at his choice, instead of the life pension of 100 ducats that he received from Cyprus, ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, reg. 24, f. 27 (28 June 1559) and ibid., reg. 24, f. 117, 147 (28 June and 24 October 1560, approval of his request to pass his Cypriot pension to his selected heir, in case the aforementioned office does not become vacant before he dies). From his last will it transpires that he also enjoyed the income from the office of weigher and scribe of the slaughter house (pesador et scrivan alle beccherie), with right to pass it to one of his heirs. See Appendix II. 52 Anna Bellavitis, “ ‘Per cittadini metterete’. La stratificazione della società veneziana cinquecentesca tra norma giuridica e riconoscimento sociale”, Quaderni Storici, 89, 1995, pp. 359-383, esp. pp. 367-372; id., Identité, mariage, mobilité sociale. Citoyennes et citoyens à Venise au xvie siècle, Rome, École Française de Rome, 2001, pp. 65-66, 77-80. 53 ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 135 (Risposte), f. 127v (19 November 1565) 54 From the early fifteenth century, citizens of terraferma towns and at least part of those originating from Dalmatian towns that were part of the Venetian empire were also entitled to the status of cittadini de intus in Venice, see Reinhold C. Mueller, “‘Veneti facti privilegio’: stranieri natu-
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especially during the second half of the sixteenth century, when Venetian policy in this field became more rigid.55 During those years there were a few cases in which citizenship was granted “by grace” (per gratia), in derogation of the rules,56 but Membrè, whose personal background was somewhat shrouded in mystery, did not answer other criteria that were taken into consideration in similar cases, such as social status (for example, nobility in the home country), or marriage to a Venetian woman and procreation of children, to which we may add the growing linkage between senior government positions and at least three generations of Venetian respectability. It is interesting to compare the Venetian government’s generosity towards Membrè in the material sphere with its rigidity concerning his request for citizenship. To date it is not clear whether our protagonist became a full-right Venetian citizen at a later stage. In 1579, when he was already about seventy years old, Membré tried to improve his economic position. He asked the Council of Ten to grant him an aspettativa, that is a public office (the income of which was evaluated at about 150 ducats) that would become vacant sometime in the future, with the right to bequeath it to one of his heirs. Membrè must have felt that with the passing of time, there were fewer Venetian senators who were acquainted with his past merits, and he accompanied his request with a memorandum in which he listed all the important services he had rendered to the Republic.57 This is an impressive document, in which Membré emphasizes his service to the state and his contribution in solving difficult problems related to Venice’s relations with the Ottomans. He had, of course, an interest in magnifying the importance of his activities, but at least according to him, all his claims could be verified in public papers in which his actions were documented. Unfortunately, many of these papers have meanwhile been lost, but some of the episodes that he describes are indeed attested in the dispatches and reports of ambassadors and baili, as well as in the minutes of encounters with Ottoman envoys in Venice. Membrè’s mission to Persia is presented in this document as one of the factors behind the decision of the Ottomans to end their war with Venice; among his achievements during his first stay in Istanbul with Ambassador Tiepolo he claims to have saved the Republic a great sum of money by discovering in the ralizzati a Venezia tra XIV e XVI secolo”, in La città italiana e i luoghi degli stranieri, XIV-XVIII secolo, Donatella Calabi and Paolo Lanaro (eds.), Rome-Bari, Laterza, 1998, p. 45; A. Bellavitis, Identité, op. cit., pp. 30-31. It may be possible that similar arrangement applied to other stato da mar territories in the sixteenth century, including Membrè’s Cypriot homeland. 55 A. Bellavitis, “Per cittadini metterete”, art. cit., pp. 361, 365. 56 For a few such cases, see ibid., p. 365. 57 ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, filza 136 (attached to the deliberation of 4 May 1579).
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Ottoman fiscal registers the records of former Venetian payments of the Cypriot tribute, and by convincing the Ottoman officials to abandon their demand to count the years for which the tribute was due according to the Islamic calendar. His translation into Turkish of Ambassador Tiepolo’s oration during the ceremony of the kissing of the Sultan’s hand is said to have convinced the latter to liberate the Venetian consul in Syria as well as Venetian merchants who were detained there on account of a debt for customs dues, amounting to 78,000 ducats.58 He gives himself credit for the successful completion of the negotiations on the border settlement in Dalmatia, lead by Alvise Renier and the secretary Piero di Franceschi, when he was serving as dragoman of the Bailo Renier. He emphasizes his role in solving the great complications resulting from the claims by Jewish merchants of Istanbul for huge sums of money owed to them, which was the main issue negotiated in Venice with the Çavuş Kubad.59 He also mentions his part in unveiling the false pretence of the self-proclaimed envoy of Nur Banu —the favourite concubine of Prince Selim (later Sultan Selim II) and mother of the future Sultan Murad III— and consequently saving a great sum on presents.60 He also notes his contribution to the successful conclusion of further negotiations on border disputes in Dalmatia. Nominations such as the one held by Membrè were for life, and with the passing of time, as well as with the rise in the number of Ottoman merchants active in Venice, it became increasingly difficult for him to exercise all his responsibilities. In 1587 he was even accused of corruption by some brokers and Turkish merchants. The Board of Trade was asked to carry out an investigation, the conclusions of which were that the dragoman hardly ever bothered to be present at the transactions, but was very pedantic, on the other hand, in defending his right to receive a third part of the brokerage fees.61 Consequently, following the recommendation of the Board of Trade, two younger interpreters were nominated in 1588 to assist him in monitoring the commercial transactions with the Turks. Membrè, however, succeeded in obtaining from the Senate a decree stating that only those commercial transactions countersigned by him in the brokers’ registers would be considered as valid. Apparently he was still able to use his personal credit as a central mediator with the Ottomans to defend his economic interests. However, this power struggle was bound to continue. In view of Membrè’s
58 On the complications related to Syrian customs duties, see B. Arbel, Trading Nations, op. cit., pp. 45-51. 59 On these commercial disputes that also developed into a diplomatic crisis, see ibid., chapters 6 and 7. 60 On this affair, see B. Arbel, “Nur Banu”, art. cit. 61 ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 138, f. 17-19 (7 September 1587).
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insistence that the Senate’s decree be implemented, the Board of Trade protested, claiming that Membrè’s old age, the fact that he suffered from ill health and was homebound for long periods, and also his frequent involvement in public affairs of much greater importance, prevented him from controlling properly the commercial transactions in which Turkish merchants were involved. The Board also expressed its opinion that giving such exclusive authority to one person could lead to abuse of power.62 The combination of Membrè’s old age and fragile health, the hostility of the brokers and the criticism of the Board of Trade, led Membrè to declare in March 1590 that “in order to liberate himself from the persecution of the brokers”, he was ready to end his involvement in the commercial transactions of the Turkish merchants in return for a yearly pension of 300 ducats as well as some fiscal relief.63 Yet apparently, this arrangement did not work out, since his disputes with the brokers and also with the newly-elected interpreters, who depended on his income from the terzo for their salary, went on. Membrè also complained that the brokers took advantage of the quarantine arrangements to conceal part of the transactions in which Ottoman merchants were involved and thus evade their obligation to pay him his due share.64 These petty disputes seem to have accompanied him during the last years of his life, while the official contacts with the Ottoman representatives were left to younger dragomans.65 Venice’s economic dependency on commerce with the Ottoman world, the constant worry about the outbreak of another war, the extended frontiers along
62 ASV, Senato Terra, reg. 57, f. (29 January 1588 new style); ibid., reg. 58, f. 67v-68r (28 April 1588); ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 138, f. 98v (13 January 1590 new style). To give it greater weight this statement of the Board of Trade was signed by both the outgoing and the acting members of this office. 63 ASV, Cinque Savi alla Mercanzia, busta 138, f. 110v. The members of the Board of Trade were obviously satisfied, stating that “their” two dragomans (“dragomani nostri” - referring to the two who had been nominated in 1588) “were both young and healthy” and therefore much better suited than Membrè to perfrom this job. 64 See ASV, Avogaria di comun, Miscellanea civil, busta 260, fasc. 20. 65 One of the last encounters of Membrè with Ottoman envoys to Venice, if not the last one, is reported on 23 November 1589. See ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 9, f. 31v-32. By then, younger interpreters, such as Vicenzo Allessandri and Andrea Negron, had already taken over a great part of this activity. See ibid, reg. 8, f. 174-176v (October, 1589), reg. 9, f. 9-19 (October 1589), 152-159, 160-161v, 169v-172v. (1591). We may also mention the interpreter Nicolò Cambi, who, alongside Membrè, collaborated in producing in 1559-1560 the so-called “Map of Hajji Ahmed”. Cambi also accompanied Membrè in his encounter with the Çavuş Kubad on 19 November 1567 and his activities as dragoman are attested in the late 1560s both in Venice and in Dalmatia, as member of another team that negotiated the border lines with the Ottomans. See Antonio Fabris, “Note sul mappamondo cordiforme di Haci Ahmed di Tunisi”, Quaderni di studi arabi , 7, 1989, pp. 4-5 and Appendix I at the end of the present article.
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territories of the giant Islamic neighbour—all these created in Venice a considerable interest in the Ottoman Empire. In addition, since the sixteenth century was a period of geographic discoveries and of great strides forward in Europe’s links with the rest of the world, there was a great interest in cartography—and Venice was undoubtedly a leading centre in this field, certainly during the first half of the sixteenth century. No wonder, therefore, that Michiel Membrè, a recognized expert on eastern languages and eastern lands, also came to be involved in at least two cartographic projects, collaborating with two knowledgeable and famous cosmographers: Giovanni Battista Ramusio, secretary of the Senate and later of the Council of Ten, better known as the editor of the first major collection of travelogues published in print,66 and Giacomo Gastaldi, one of the leading cartographers of those times.67 In 1550, shortly after returning from his first long stay in Istanbul, Membrè collaborated with Gastaldi in publishing a map, described as covering “all the cities and realms in the parts of Asia, from the Mediterranean sea eastward, including the whole of Anatolia, Syria and Persia with the land of the Sophi, and then towards the north-east, to the land of Cathay and southward to India and the Spice Islands”.68 In 1553, by order of the authorities, and in response to a request by an Ottoman prince, Giacomo Gastaldi prepared a world map bearing a legend in Turkish, most probably also in collaboration with Ramusio, Membrè, and Nicolo Cambi, who were mentioned in a Senate’s decree of 1568 concerning a later attempt to publish such a map—presumably the same one.69 It is also plausible that another 66 Giovanni Battista Ramusio, Vavigazioni e viaggi, first edition, 3 vols, Venice, 1550-1559. 67 Gastaldi was author of all the maps accompanying Ramusio’s Navigazioni e viaggi, and he was also the designer, between 1550 and 1553, of the geographical maps in the Shield Room (Sala dello Scudo) of the ducal palace. He is also well-known for his large woodcut world map of c. 1561, entitled Cosmographia universalis. For a short biographical note and bibliography on Gastaldi, see Dario Busolini, “Gastaldi, Giacomo”, Dizionario biografico degli Italiani, vol. 52, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana 1999, pp. 529-32. For his cartographic activities, see David Woodward, Maps as Prints in the Italian Renaissance. Makers, Distributors & Consumers, London, The British Library, 1995, pp. 16, 19-20. For the Cosmographia, see Rodney W. Shirley, The Mapping of the World. Early Printed World Maps, London, New Holland, 1993, pp. 122-3 and plate 92 (Entry 107). 68 A. Fabris, “Note sul mappamondo”, art. cit., p. 9. 69 Ibid., pp. 4-17 and the English version: Antonio Fabris “The Ottoman Mappa Mundi of Hajji Ahmed of Tunis~”, Arab Historical Review for Ottoman Studies, 7-8, Oct. 1993, pp. 31-37; Benjamin Arbel , “Maps of the World for Ottoman Princes? Further Evidence and Questions concerning ‘The Mappamondo of Hajji Ahmed’”, Imago Mundi, 54, 2002, pp. 19-29. See also Giampiero Bellingeri and Giorgo Vercellin, “Del mappamondo turco a forma di cuore”, in Venezia e i Turchi. Scontri e confronti di due civiltà, ed. by C. Pirovano. Milan 1985, pp. 154-159. For more bibliographical references to this map, see Giampero Bellingeri, “Un prospetto geografico di Michele Mambrè (1581)”, in Turcica et Islamica. Studi in memoria di Aldo Gallotta, ed. by U. Marozzi, vol. I, Naples, Università degli studi di Napoli L’Orientale, 2003, pp. 15-16, note 2. F. Mavroidi wrongly writes that the language of the map was Arabic, see F. Μavroidi, Συμβολή, op. cit., p. 96.
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map, entitled Cosmografia della Natolia e del viaggio da Venezia a Costantinopoli, published by Gastaldi in Venice in 1559,70 was a product of still another collaboration with Membrè, whose linguistic and geographical knowledge was an important asset for this cartographic activity. Giampiero Bellingeri has recently discovered and transcribed a geographical table prepared by Membrè in 1581, including information on many localities and peoples within the Ottoman Empire, the Caucasus and the region around the Black Sea, with clear references to lines on a map. It also contains some short ethnographical observations, reflecting a marked interest in Circassians.71 This is another indication that the knowledge of these eastern regions and the people living there was also conceived cartographically in Membrè’s mind. Michiel Membrè died in Venice at the end of November 1594. He was then about 85 years old. We can learn something about his later years, his possessions and his family relations, through his testaments, complemented by some other documents. During the last eight years before dying he wrote five testaments, two of which have been withdrawn, whereas three can still be consulted in the Venetian State Archives.72 Although no documentary evidence of his activity as dragoman during the last five years of his life has been found as yet, he continued to hold this title and enjoyed the various material benefits which it provided. His two assistants, Giacomo de Nores (another Cypriot) and Andrea Negroni (presumably of Genoese backgound),73 who were chosen in 1588 to handle the transactions with Turkish merchants, were nominated as dragomans after his death,74 and as we have seen, others were also involved in contacts with Ottoman envoys well before his demise. In his testaments of 1591, written at the age of “about 82”, he wrote that he suffered from gout in his right arm.75 He does not seem to have ever married, and he also noted in his will of 28 October 1594 that on his death the Membrè family would also die out.76 His mother, whom he had mentioned in 1554 as dependent on him, must have passed away in the meantime. In his wills he mentioned several other relatives still living in Venice: his sister Mellisina; his nephew, Filippo 70 71 72 73
A. Fabris, “Note sul mappamondo”, art. cit. p. 9, n. 19. G. Bellingeri, “Un prospetto geografico”, art. cit., pp. 18-23. See supra, note 35 and Appendix II (for the last testament). On Negroni’s later career, see Rudolf Neck, “Andrea Negroni: Ein Beitrag zur Geschichte der Österreichischen-Türkischen Beziehungen”, Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs, 3, 1950, pp. 165-195, esp. p. 178 f. 74 E.N. Rothman, Brokering Empire, op. cit., pp. 173-178; supra, note 65. Negroni had already been active as interpreter in the late 1560s. See, for example, ASV, Indice Bombaci, Inventario cronologico, no 435 (translation by Negroni of a firman issued by Sultan Selim II, 26 June 1569). 75 ASV, Archivio notarile, Testamenti, busta 394, notaio Marcantonio Figolino, fasc. 625 76 ASV, Archivio notarile, Testamenti, busta 1245, notaio Giulio Ziliol, no 561.
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(Felippo) Emanuel, who had served as interpreter in Cyprus before its conquest by the Ottomans and became a dragoman in Venice in the 1570s;77 Filippo’s sister, Giulia, who was married to a certain Zuan Fiandra, as well as their brother, Gieronimo Emanuel (nicknamed Colonello), accused by Membrè in his penultimate will of trying to break into his house and assassinate him; and Laura, another niece who was then living at the convent of San Maffio on the island of Murano. There were also three cousins: Catharina Pattica (or Paticha), whom Membrè invited to live with him and serve as his housekeeper after she had lost the pension allotted by the pope to Cypriot gentlewomen who were ransomed from Turkish captivity; and two male cousins, Michiel and Alvise Milan. Membrè had also adopted a foundling girl called Paulina, who lived in his house. All these relatives (with the obvious exception of Gieronimo) were to inherit some part of his estate, which included his furnished house, a landed estate of about 55 campi near Piove di Sacco in the Venetian terraferma, a few dwellings in Venice, which brought a yearly income of 155 ducats, sums of money invested in various ways, and the income of two offices that he was entitled to leave to an heir selected by him. A fund of 1,000 ducats out of his estate was destined for the Pietà, Venice’s famous foundling hospital.78 Let us now turn to a few concluding remarks. The older Venetian studies treating relations between Venice and the Ottoman empire tended to emphasize diplomatic contacts that took place in the two capitals—Istanbul and Venice. Recently some scholars have turned their attention to the central role of Venice’s colonial empire in the continuous contacts across the frontiers between the two states. We are now starting to have a better idea on the day-to-day encounters, less conspicuous and less formal, that took place along the very long frontier between Venice and the Ottoman empire in the Balkans, from Istria in the North to Albania in the southern Adriatic, and also between the many islands and coastal territories still ruled by Venice outside the Adriatic and the nearby shores of the Islamic Levant.79 Moreover, we should not forget that across the Ottoman borders there 77 See infra, notes 78 and 80, as well as Pedani Fabris, “I Documenti Turchi”, Nos 835, 838, 868, 870 (1576-7), 1062, 1068, 1070, 1072 (1594). 78 See Appendix II. In his former testaments, the part allotted to the Pietà was considerably larger. The details about the terraferma estate and the dwellings in Venice are found in a petition of his nephews, Felippo and Giulia Emanueli (sic), presented to the Senate in 1603. See ASV, Senato Terra, filza 167 (30 August 1603). 79 Maria Pia Pedani, Dalla frontiera al confine, Rome, Herder Editrice, 2002 (Quaderni di Studi Arabi, Studi e teste, 5), 144 p.; B. Arbel, “Venetian Cyprus and the Muslim Levant”, art. cit.; Oliver Jens Schmitt, “ ‘Des melons pour la cour du Sancak beg’: Split et son arrière-pays ottoman à travers les registres des comptes de l’administration vénitienne dans les années 1570”, in Living in the Ottoman Community. Essays in Honour of Suraiya Faroqhi, ed. by. V. Costantini and M. Koller,
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were not only Muslims, but also Greeks, Slavs and others, with whom Venetians maintained a dialogue of sorts. Such contacts were a matter of routine, and could assume different characteristics, from blatant aggression, piracy and incursions, or robbery of livestock and crops, to more peaceful contacts, such as trade, migration, and social intercourse, or collaboration in re-delineating the border lines following each war and peace agreement. Briefly, in Venice’s overseas territories, intercultural contacts were a matter of routine, and the profile of local society often reflected this reality. In fact, the languages spoken by the great majority of Venetian subjects in the Republic’s overseas colonies was not Italian or Venetian, which signified that intercultural mediation did not only concern the outside world, but was also needed for communication with the population inside the colonies themselves. No wonder, therefore, that in each of these colonies there were also local interpreters serving the Venetian administration in handling both internal and external communications.80 Consequently the need to find proficient and reliable interpreters was a constant preoccupation of the Venetian authorities.81 And it is no coincidence that it was often from its colonies that Venice recruited interpreters and other cultural mediators. Among these, in addition to Membrè, one could name, for example, Theodoros Palaeologos (presumably of Peloponnesian origin),82 the Cretan Mattio Sclenza, who in February 1543 was offered an annual payment of 60 ducats if he settled in Venice and served as interpreter of the Turkish language,83 Giacomo de Nores (a Cypriot), as well as Membrè’s own nephew, Filippo Emanuel
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Leiden, Brill, 2008, pp. 437-452, esp. pp. 447-451; Tea Mayhew, Dalmatia between Ottoman and Venetian Rule. Contado di Zara 1645-1718, Rome, Viella, 2008, 301 p. Anastassia Papadia-Lala, “L’interprete nel mondo greco-veneziano (XIV-XVIII sec.). Lingua, comunicazione, politica”, in I Greci durante la venetocrazia: Uomini, spazio, idee (XIII-XVIII sec.), Atti del Convegno Internazionale di Studi, Venezia, 3-7 december 2007, ed. by C. Maltezou, A. Tzavara and D. Vlassi, Venice, Istituto Ellenico, 2009, pp. 121-130; Rembert Eufe, “Politica linguistica della Serenissima: Luca Tron, Antonio Condulmer, Marin Sanudo e il volgare nell’amministrazione veneziana a Creta”, PhiN. Philologie im Netz, 23, 2003, p. 28. P. Preto, Venezia e i Turchi, op. cit., pp. 103-104; Francesca Lucchetta, “La scuola dei ‘Giovani della lingua’ veneti nei secoli XVI e XVII”, Quaderni di studi arabi, 7, 1989, pp. 19-40; eiusdem, “Lo studio delle lingue orientali nella scuola per dragomanni di Venezia alla fine del XVII secolo”, Quaderni di studi arabi, 5-6, 1987-88, pp. 479-498; Isabella Palumbo Fossati Casa, “L’école vénitienne des ‘Giovani della lingua’”, in Istanbul et les langues orientales, ed. by F. Hitzel, Paris, L’Harmattan 1995, pp. 109-122; R. Eufe, “Politica linguistica”, art. cit., pp. 15-43; E.N. Rothman, "Interpreting Dragomans: Boundries and Crossings in the Early Modern Mediterranean", Comparative Studies in Society and History, 51, 2009, pp. 771-800. Μ. Κοlυva, “Θεόδορος Παλαιόλογος, αρχηγός μισθοφορών “στρατιοτών” και διερμηνέας στην υπηρεσία της Βενετίας (1452 c.-1532)”, Θεσαυρίσματα 10 (1973), pp. 138-162. ASV, Consiglio di Dieci, Parti comuni, reg. 15, f. 111-11v (12 February 1543 new style)
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(another Cypriot).84 Oriental Christians, most of whom lived in Venice’s overseas colonies, such as “Simon the Armenian”, “Sultan Sach the Armenian”, “Joseph the Cypriot”, and “Joseph the Syrian” also known as “the Armenian~”, were used as secret messengers between Venice and its bailo in Istanbul during the Cyprus war, because of their linguistic abilities.85 The figure and career of Michiel Membrè seem at first glance exceptional – after all, how many Cypriots reached Persia and returned to Europe on board a Portuguese ship sailing around Africa in the early modern period? Yet in many other respects his career is characteristic of a central aspect of Venetian life during the sixteenth century: the intercultural mediation as a constant and continuous necessity. The many footprints left by Membrè in the Venetian archives speak for themselves. Our documentary harvest results from many decades of work on different subjects in Venetian State archives, but it is quite certain that more documents related to Membrè and his activities can be found there and probably also elsewhere. In the city of Venice and its Mediterranean colonies, whose very existence greatly depended on a successful handling of intercultural contacts on different levels, Membrè epitomizes the importance and the multifarious nature of this mediation, the mode of recruitment of its agents in the colonies and in the centre of power, and the roles of these agents in assuring continuous contacts between the Venetian and the Ottoman world as well as in transferring and expanding knowledge about foreign lands and civilizations.
84 On Giacomo de Nores, see Rothman, "Interpreting Bragomans", art. cit., pp. 787-793. See also Filippo Emanuel's successful application for a full citizenship (de intus et extra) in 1603, in which he also enumerates his various services as interpreter and negotiator, especially in Venice’s Albanian colonies of Cattaro (Kotor) and Durazzo (Durrës), ASV, Senato Terra, filza 167, cited in Brian Pullan, Rich and Poor in Renaissance Venice. The Social Institutions of a Catholic State, to 1620, Oxford, Basil Blackwell, 1971, pp. 101-102. On Emanuel’s liberation from Ottoman captivity in the early 1570s, see the citation from his petition in Patapiou, “Μιχαίλ Μεμπρέ”, art.cit., p. 156, n.50. 85 ASV, Consiglio di Dieci, Parti secrete, reg. 9, f. 164-164v (June-July 1571); ibid., reg. 10, f. 73v (14 Nov. 1572); ibid., filza 16 (6 June 1572).
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Appendix 1: Michiel Membrè’s report about a dinner party at the Venetian residence of the Çavuş Kubad (19 November 1567)86 MDLXVII, Di XIX Novembre Ragionamento di Cubat Chaiùs col Dragomano Membrè Venuto Michiel Membrè alla presenza della Serenissima Signoria, disse, che voleva un secretario, che scrivesse certi ragionamenti seguiti heri sera in casa del Chiaus; et sua Serenità impose a me, Magnifico Antonio Novello, che li notassi, li quali sono li seguenti: Venne ad un’hora di notte a ritrovarmi una barca da parte di Cubat Chiaùs, et mi dissero quelli che erano dentro, che dovessi andare da lui per un servitio che impotava. Et io, pensando che fusse qualche scandalo deguito in casa sua, ho voluto tuor in mia compagnia messer Nicolò Cambi, interprete di sua Serenità, perché mi aiutasse, se fusse stato bisogno, et andassimo insieme subito da lui. Dove ritrovassimo, che era uno arpicordo et uno che sonava un violino, et ne disse: “Voi sete miei prigioni per questa notte”, mostrando di volerne dare da cena, et per quanta resistenza che facessimo, non fu possibile di partire. Onde per satisfare sua Signoria restassimo, rendendoli molte gratie della sua buona volontà et dell’amorevolezza che dimostrava, et cominciassimo con alcuni ragionamenti amorevoli. Dapoi, essendo quattro suoi servitori in piedi nella camera da parte, vidi uno fra essi servitori, che mi pareva che non havea veduto per avanti, et dimandai al Chiaùs se era colui, accennandolo colla testa, de suoi servitori. Disse di si. Dimandai all’istesso servitor di qual paese era. Mi disse di Stancoi, luogo all’incontro di Rodi. Et io gli dissi: “Tu sei della minera de’ ladri!”. Il Chiaùs si pose a ridere molto forte, et levando il dito grosso, disse: “Afferòn!”,87 che è parola di laude, continuando: Tu l’hai conosciuto, perché costui è un schiavo venuto dalle galee di Spagna, et non hieri l’altro venne in casa nudo e crudo, et io l’ho vestito, et lo tengo per menarlo con me alla Porta. Dimandai al Chiaùs, se mi dava licentia, che io dimandassi al detto schiavo qualche nova delle bande di Spagna; il quale me la diede volentieri, dicendomi: “Parlagli in qual lingua che vi piace, sapendo lui patrlar bene in franco”. Et io cominciai a dimandargli in lingua turca, acciòché anco il Chaiùs potesse intendere il tutto, quanto tempo era, che fu preso. Rispose: “Da quindici anni in circa che fui preso con un caramussalì dalle galee di Spagna”. Dimandai quello che fece lì in questo tempo. Rispose: “Parte fui adoperato in terra, et parte in mare a tirar il remo con li ferri alli piedi”. Dimandai, come fece a scampare. Disse, che essendo venute dodici galee spagnole a Specie,88 che è luogo di mercanti vicino a Genoa, per levar alcuni colli di seda et altre robbe et portarle a Napoli, dove ritrovò occasione di gettarsi in aqua, et notando pervenne a terra, havendo prima rotti i ferri. Dimandai: “Dimmi, il poter del Re di Spagna è grande, per quanto hai veduto et inteso, così in mare come in terra?” Rispose: “Grande; che se li suoi ministri non mangiassero il suo, et fussero persone di valore, sarebbe ancora più grande”, soggiongendo: “io sono stato all’impresa del Pignon con l’armata del Re di Spagna,89 che era di settanta galee. Sono stato anco nel Soccorso di Malta,90 dove ancor io ho condotto colle mie mani delli sassi per la fabrica fatta da novo di Sant’ Hermo, et della città nova”. Domandai, se è stata fortificata
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ASV, Collegio, Esposizioni principi, reg. 1, f. 154v-156v. Aferin![Turkish] = Bravo! La Spezia. In 1564 Philip II mounted a great naval expedition, with over 100 galleys, to capture the rocky islet of the Peñon de Velez, on the Moroccan coast. See F. Braudel, The Mediterranean and the Mediterranean World in the Age of Philip II, London, Fontana/Collins, 1973, pp. 999-1001. 90 On the Ottoman siege of Malta and Spanish intervention there, see ibid., pp. 1014-1022.
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in modo che non habbiano paura dell’armata del Signor. Disse: “Messer sì! La è inespugnabile, perciò che l’ha fatta mettere in isola, et fatte difese tali al porto, che l’armata del Signor mai più potrà entrar, et l’isola non ha altri porti da invernar, et per questo è difficilissima impresa~”. Dimandai, se il Re ha assai galee. Rispose: “Potrà mettere centocinquanta galee in mare, computate tutte le galee, et sue et de’ suoi dependenti, et con quelle di Portogallo. Et io stesso ne ho vedute in diversi arsenali di Napoli et altri lochi da circa nonanta galee nuove, ma non ha tante genti che bastino per armarle come si deve”. Et soggionge: “Io ho veduto in Barcellona una galea fatta per la persona del Re Filippo, come si diceva publicamente, di banchi trentatre, di fogia nova, non mai più veduta, et si ragionava per la persona del Re, che dovea andare in Italia. Ma poi fu impedito dalli Ugonotti di Fiandra e si è differito per questo anno, ma che poi aquietase le cose seguirebbe il suo viaggio. Dimandai se ha tesoro, se ha entrata grande esso Re. Rispose: “Ma di più, che’l conseglio di Spagna gli ha promesso il deposito che ha in Barcellona, che è di gran numero d’oro, cosa che non ha voluto fare con suo padre, né con altri”. Io gli dimandai, come sapeva di questo tesoro. Disse, che essendo suo patrone uno delli Presidenti, lo havea menato con lui, et che con li proprii occhi havea veduto le piastre d’oro et di argento in monte. Dopo questo disse il Chiaùs: “Io ho più minutamente dimandato et ho inteso ogni cosa. Voglio menar costui meco alla Porta, et presentarlo al Bassà, et gli ho promesso di farlo far patrone di galea”. Cessato questo ragionamento, dimandò: “quando si faria il Dose novo?”91 Li risposi, che non si poteva saper, perché le cose andavano molto segrete, ma che credevo, che non si potesse star troppo. Con questo proposito mi dimandò, quanti gentilhomini andavano in Gran Conseglio. Dissi, che non si poteva sapere il numero perfetto, perché alcune volte sono qui, alcune volte vanno fuora, ma per quello che havevo veduto per li Consegli potevano essere da milleottocento; ma che non andavano a Conseglio, se non quelli, che erano da vinticinque anni in suso. Disse il Chiaùs: “Questi nobili, a che applicano la vita loro?”. Gli dissi: “Parte vanno per il mondo, et parte si essercita nella militia, et parte nelle lettere”. Mi dimandò: “Et questo gintilhuomo, che hà il carico delli hebrei”, nominando il magnifico messer Alvise Grimani, “in ché ha esso applicato la sua professione?”92 Li risposi: “In lettere”. Disse lui: “Certo per Dio che me l’ho imaginato!”. Et cominciò in questo proposito a laudare infinitamente la sua Magnificentia. Voltato poi il Chiaùs verso messer Nicolò, disse: “Come è possibile, che tanti signori siano d’accordo in dominare?”. Et gli dimandò come passava la ballottatione, perché si maravigliava grandemente. Messer Nicolò si affaticò talmente in dechiarirli tutti gli ordini, che con molta sodisfattione del Chiaùs lo fece capace di tutte le cose. Dimandò il Chiaùs il numero delli magistrati che sono distribuiti per questo Serenissimo Dominio. Gli fu detto, che passavano settecento fra quelli di Venetia, da terraferma et da mare. Dimandò etiandio il Chiaùs delle facoltà et havere delli nobili. Gli fu detto da messer Nicolò, che sono tutti ricchi, et io anco dissi, che in questa città si attrovano da quindici et vinti case, che sono tanto grosse di entrate et di depositi de contadi nelle case loro che sono tenuti nelli cassoni di ferro, che ciascheduna di esse case poteva tenere diece galee armate tutto del suo costo per molti anni: dove sei Maltesi con sette galee (et ciò li dissi ridendo) danno da fare al vostro Imperator, queste sole casade sariano per vinti Malte. Non metto il publico, né altra nobiltà. Et certo che se questa Signoria, si come è inclinata
91 Doge Girolamo Priuli died on 4 November 1567. His successor, Pietro Loredan, was elected on 26 November of the same year. See Andrea Da Mosto, I dogi di Venezia, Florence-Milan, Giunti, 2003, pp. 270, 273. 92 Alvise Grimani, together with Marcantonio Barbaro, were entrusted by the Collegio to deal with the crisis that had originated in the bankrupcy of the Jewish Levantine merchant Hayyim Saruq, which was also the main reason for Kubad’s mission to Venice. See B. Arbel, Trading Nations, op. cit., chap. VI.
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del tutto al vivere pacificamente et cercare la pace con tutti, havesse al contrario natura diversa applicata alle guerre, vi lascio considerare quanto disturbo haveria il mondo in mare. Ma io credo che per volontà di Dio, questi Signori abbracciano continuamente la pace. Et il Chiaùs disse: “Sì, in buona fe’!”. Et io Michiel dissi: “Guarda, Signor Chiaùs, la grandissima amicitia che hanno questi Signori con l’Imperator vostro, che per mantenerli la pace sono odiati da tutti li Principi Christiani. Voi vedete con gli occhi, che è scampato un schiavo turco, et è venuto a salvarsi nella città di Venetia come se fusse venuto in terra del Signor, cosa che non assentisse con alcun Principe Christiano”. Disse il Chiaùs: “Questo sarà buon testimonio, che’l meno alla Porta”. Entrassimo poi in uno ragionamento da lui proposto, se questi Signori biasimano la miseria delli suoi gentilhomini, et se laudano li liberali. Messer Nicolò disse: “Signor sì! Questa è propria virtù delli miei Signori, biasimar li miseri et laudare li liberali”. Et in questo proposito furono dette molte cose che non fa’ bisogno che siano scritte, con molte altre, che si lasciano per non essere troppo lunghi.
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Appendix 2: Michiel Membrè’s Last Will, 21 November 159493 In nomine Dei Aeterni Amen. Anno ab incanatione Domini Nostri Jesu Christi millesimo quingentesimo nonagesimo quatro, Indictione octava, Die luna vigesimo primo mensis novembris Rivoalti. Considerando Io Michiel Membrè, fidellissimo interprete di questa Serenissima Signoria, li pericoli di questa nostra fragil vitta, sano per la iddio gratia della mente benché alquanto del corpo infermo in letto, ho voluto, finché la ragione regge la mente, de beni mei disponere et ordinar, et così ho fatto chiamar da me in casa mia, posta nel confin de San Severo, Zuanne Fiume, Nodaro veneto, il qual, insieme con li testimonii sottoscritti, ho pregato questo mio testamento et ultima volontà scrivere, et doppoi la morte mia lo compise et roborasse secondo li ordeni di Venetia. Et prima, l’anima mia racomando al mio creator Iddio, alla beatissima verzene Maria et a tutta la trionfante corte del ciello. Item casso, revoco et anullo tutti et cadauni testamenti et codicilli che fin hora ho fatto, quali siino de niun valor, cusì che il presente sii la mia ultima et ferma volontà et testamento. Item lasso mie comessarii messer Zuane Fiandra, mio nepote et marito de mia neza Giulia, messer Filippo Emanuel, mio nepote, fiol di mia sorella Millisina, Madonna Catarina Patica, mia cuggina, et il Reverendo piovan di San Felise, li qualli prego a mandar in esecutione il presente mio testamento. Item lasso a Francesco Fiandra l’officio concessomi l’anno 1579, 15 marzo, dall’Illustrissimo Consiglio di Dieci, così in Venetia come fuori, di ducati cento cinquanta all’anno, il qual officio detto Francesco lo abi a goder et lo nomino in detto officio tutta la mia spetativa. Item lasso a Felippo Emanuel, mio nepote, l’officio di pesador et scrivan alle beccharie, qual mi fu concesso per l’Illustrissimo consiglio di Dieci, et lo nomino in detto officio, perché il posso lassar a chi mi piace. Item lasso a Madonna Catarina, mia cugina et mia comisaria, ducati mile in contadi per una volta sola, in recognicion del’amor et servitù che mi ha fatto mentre mi ha servido, et anco li soldi che essa si troverà haver nelle sue casse, quali ghe ho fatto donar per beverazi, et delli mobeli de cassa mia ghe lasso tanto che li possi bastar per essa et una masera. Laso a madonna Giulia, governatore de cassa [sic] de Michiel Milan, ducati Cinquanta per una volta sola. Item lasso a Michiel Milan, per la servitù che mi ha fatto, ducati tresento per una volta. Item lasso a Alvise Milan, suo fratello, altri ducato tresento per una volta per il maritar d’una fia. Item lasso a Paulina, che ho tolto alla Pietà, li ducati mille che ho dato a livello al Clarissimo misser Domenego de Vico, quali siino per il suo viver et per il suo maritar, ma non possi maritarsi senza consentimento delli miei comissarii, et ge lasso anco tutti li drappi che li ho fatto. Item lasso alle massere et servitori, che si troverano in cassa mia alla mia morte, ducati diese per uno per una volta sola, oltra il suo salario. Voglio esser sepolto in chiesa di San Felise con spesa de ducati cinquanta, et anco siino dispensati ducati vinti a tanti poveri. Item lasso alla detta madonna Catarina altri ducati tresento per una volta sola. Item lasso a Laura, mia nezza, qual è in monastero di San Maffio de Muran, ducati doi mille, quali debbino star nelle mani del predeto Felippo Emanuel sino al suo maridar, et volendosi monacar habbi solamente ducati mile, et li altri mile vadino nel mio residuo. Item lasso a Milisina, mia sorela, ducati sesanta all’anno mentre la viverà. Item lasso al Reverendo piovan di San Felise ducati trenta per una volta sola. Item lasso all’hospedal della Pietà di Venetia ducati mille per una volta, quali siino investiti in fondi sicuri, et il pro debbi esser speso ogni anno in tante telle de cento de fontego per vestir li puti et pute di deto ospital. Il residuo veramente de tutti li mei beni mobili stabili presenti et futuri lasso al predetto Filippo Emanuel, mio nepote, et madona Giulia, sua sorella, consorte de messer Zuane Fiandra,
93 ASV, Ospedali e luoghi pii diversi busta 86 fasc. GG. This text has also been published, with numerous inaccuracies in the transcription, in N. Patapiou, op. cit. (where only two of the five known testaments are mentioned), pp. 163-165.
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de quali siino miei heredi ressiduarii et patroni absoluti, con pato che detta madonna Giulia dia della sua procione [sic] ducati mille al predetto messer Zuane Fiandra, suo maritto. Non lasso cosa alcuna a Gierolemo Emanuel, che pur troppo ne ha havuto, et prego il Signor Dio a perdonarghe, che ancora mi ghe ho perdonado, havendomi riconciliato con sua divina maestà, qual mi ha inspirado a perdonarghe, e prego tutti a perdonarghe. Interogato dal nodaro di luoghi pietosi iusta le leggi, et precipua delli poveri vergognosi della città, ho risposto non voler ordinar altro. Praeterea plenissimam potestatem do tribuo et confero . Testes D. Jacobus Rotta q. D. Antonii et D. Johannes Draghi q. D. Demetrii Ioannes Fiume venetus notarius complevit et roboravit.
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Le rôle des communautés juives siciliennes dans la transmission des savoirs arabes en Italie, xiiie-xve siècles* Benoît Grévin | Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris Centre national de la recherche scientifique (Paris)
Giuseppe Mandalà | Centro de ciencias humanas y sociales Consejo Superior de Investigaciones Científicas (Madrid)
Introduction Dans les dernières décennies, l’intérêt à l’égard des juifs siciliens a crû de manière exponentielle, grâce à la mise en valeur de l’énorme masse documentaire conservée dans les archives siciliennes1. Cet intérêt a eu pour corollaire la mise en évidence progressive de l’existence d’un judéo-arabe proprement sicilien dont les caractéristiques ne cessent de se préciser au fur et à mesure des découvertes. Cette émergence, associée au témoignage des sources latines, aurait dû provoquer des débats substantiels aussi bien sur les langues utilisées par les juifs siciliens2 que sur leur rôle de médiateurs culturels entre le monde de l’Islam et l’Europe latine entre le xiiie et le xve siècle.
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Les paragraphes 2 et 3 sont de Giuseppe Mandalà, le paragraphe 4 de Benoît Grévin. Bartolomeo Lagumina, Giuseppe Lagumina, Codice diplomatico dei Giudei di Sicilia, Palerme, Società Siciliana per la Storia Patria, 1884-1895, 3 vols ; rééd. anast., Palerme, Società Siciliana per la Storia Patria, 1990 ; Shlomo Simonsohn, The Jews in Sicily, Leyde-New-York-Cologne, Brill, 1997-2010, 18 vols. Cf. à ce propos Benedetto Rocco, « Le tre lingue usate dagli ebrei in Sicilia dal secolo XII al secolo XV », dans Italia Judaica. Gli ebrei in Sicilia sino all’espulsione del 1492. Atti del V convegno internazionale (Palermo, 15-19 giugno 1992), Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, 1995, p. 355369 ; Benedetto Rocco, « Il giudeo-arabo e il siciliano nei secoli XII-XV : influssi reciproci », dans Atti del XXI Congresso internazionale di linguistica e filologia romanza, VI sezione, (Palermo, 1824 settembre 1995), éd. par G. Ruffino, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1998, p. 539-545 ; Annliese Nef, « La langue des juifs de Sicile (xiie-xve siècles) », dans Mutations d’identités en Méditerranée. Moyen Âge et époque contemporaine, éd. par H. Bresc et Ch. Veauvy, Paris, Bouchène, 2000, p. 8596 ; Henri Bresc, Arabes de langue, juifs de religion, Paris, Bouchène, 2001, p. 39-69 (version italienne : Arabi per lingua ebrei per religione, Messina, Mesogea, 2001, p. 37-64) ; Annliese Nef, « Les juifs de Sicile : des juifs de langue arabe du xiie au xve siècles », dans Ebrei e Sicilia, éd. par N. Bucaria, M. Luzzati, A. Tarantino, Palermo, S. F. Flaccovio, 2002, p. 169-178 ; Nicolò Bucaria, « Sub vocabulo ebraico vocatur. Ebraismi medievali di Sicilia », dans Il mio cuore è a Oriente. Studi di linguistica storica, filologia e cultura ebraica dedicati a Maria Luisa Mayer Modena, éd. par F. Aspesi, V. Brugnatelli, A. L. Callow, C. Rosenzweig, Milan, Cisalpino, 2008, p. 389-413.
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Nous voudrions attirer l’attention dans ces pages sur la manière dont la reconstruction de biographies intellectuelles permet à la fois d’illustrer la continuité des activités de transfert des savoirs arabes des communautés juives de Sicile pendant ces siècles, mais aussi leur insertion dans des logiques sociolinguistiques étroitement dépendantes de leur position sur l’échiquier culturel méditerranéen. Les surprises offertes par la reconstitution du parcours de ces « passeurs siciliens » et de leur production textuelle illustrent l’ampleur des réévaluations en cours, mais aussi les problèmes d’interprétation qu’elles posent. Nous nous concentrerons sur trois figures emblématiques de trois moments particuliers de cette histoire judéo-sicilienne : Ahi . t.uv ben Yis. haq . de Palerme, Yis. haq . ben Shelomoh ben Saddiq . ibn al-Ahdab, enfin Shemu’el ben Nissim Abū l-Faraj alias Guglielmo Raimondo . Moncada seu Flavius Mithridate.
Ahi . tuv . ben Yis. haq . de Palerme (xiiie siècle) Ahi . t.uv ben Yis. haq . de Palerme est un médecin, philosophe et traducteur actif en Sicile durant la seconde moitié du xiiie siècle, à l’époque même où Charles Ier d’Anjou (1226-1285) commande à son coreligionnaire Faraj ben Sālim d’Agrigente la fameuse traduction latine de l’exemplaire du Kitāb al-hāwī fī l-t. ibb (Liber conti. nens) d’Abū Bakr Muhammad b. Zakariyyā’ al-Rāzī (250/854-313/925 ou 323/935) . offert par le sultan hafside al-Mustans. ir (647-75/1249-77)3. La trajectoire d’Ahi . t.uv ben Yis. haq . peut être reconstituée en grande partie à travers les témoignages contemporains4. C’est un représentant de cette élite juive sicilienne qui accueille dans l’île Avraham Abulafia (1280-1292 ca.)5, quand ce dernier y arrive à l’époque des Vêpres, et il n’est pas surprenant que les déclarations prophétiques et les attentes messianiques du mystique trouvent un accueil parmi les juifs autochtones dans un tel climat politique et social6. Ahi . t.uv est impliqué en 3
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Moritz Steinschneider, Die hebräischen Übersetzungen des Mittelalters und die Juden als Dolmetscher, Berlin, Kommissionsverl. des Bibliogr. Bureaus, 1893, p. 721, 974-975. Deux témoins angevins de la traduction, contemporains et produits à la cour, sont actuellement conservés à Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat. 6912, 1-5 ; Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Lat. 2398-99 ; la traduction de l’œuvre commence vers le 2 septembre 1278 et s’achève le 31 août 1282. Cf. sur ce point Paola Supino Martini, « Linee metodologiche per lo studio dei manoscritti in litterae textuales prodotti in Italia nei secoli XIII-XV », Scrittura e civiltà, 17, 1993, p. 43-101 (p. 45-70). Cf. sur cet auteur Giuseppe Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq . da Palermo, medico, filosofo e traduttore del secolo XIII », Materia Giudaica XIII, 1-2, 2008, p. 35-61. Sur la vie et les œuvres d’Avraham Abulafia, cf. Gershom Scholem, Le Grandi correnti della mistica ebraica, Turin, Einaudi, 1993, p. 133-166, et les récents volumes de Moshe Idel, La Cabbalà in Italia (1280-1510), Florence, La Giuntina, 2007, p. 51-74 et Harvey J. Hames, Like Angels on Jacob’s Ladder. Abraham Abulafia, the Franciscans, and Joachimism, New York, SUNY Press, 2007, p. 29-53. Sur la période sicilienne d’Abulafia, cf. Moshe Idel, « The Ecstatic Kabbalah of Abraham Abulafia
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première ligne dans la controverse qui se développe entre Ibn Adret et Abulafia (1280-1285 ca.). Il se range du côté du mystique, qui lui dédie, à lui, sa famille et ses 7 disciples, l’une de ses œuvres : le Sefer ha-maftehot . (Livre des clés) . Ahi . t.uv appartient à une dynastie médicale ; son père a été au service de Frédéric II Hohenstaufen, et son frère, David, occupe une position similaire dans la décennie suivant les Vêpres (30 mars 1282)8. D’où le nom de cette famille de notables palermitains : les De medico / Lu Medicu, qui prend son origine dans l’exercice de l’art médical par Yis. haq/Busach, chef de la lignée. Jusqu’à la veille de l’expul. sion de 1492, ces « Médicis » palermitains cultiveront leurs activités dans l’ombre du pouvoir, et pourront en vertu de leur statut social de médecins lutter pour conserver d’antiques privilèges aussi souvent renouvelés que contestés par les autorités9. L’ étude des œuvres d’Ahi . t. uv révèle ses capacités de lettré et philosophe, déployées dès avant l’arrivée d’Abulafia dans l’île (1280). Son Poème de la corbeille (Mahberet ha-t. ene’) l’inscrit dans un horizon culturel qui est tout sauf provincial. . Il raconte cinquante ans avant Dante un voyage dans l’outre-tombe, prétexte à l’exposition des articles de la foi judaïque (yesodot « fondements » ou ‘iqqarim « principes »)10. Ah. i .t uv s’y fait l’interprète de la pensée de Maïmonide. L’œuvre entretient des liens complexes aussi bien avec la lyrique sépharade qu’avec la littérature hébraïque de la Rome du premier Trecento. À cet aspect de sa production s’ajoute une activité de passeur de l’arabe, ou plus exactement du judéo-arabe vers l’hébreu, à travers la traduction du Traité sur l’art de la logique (Maqāla fī s. inā‘at al-mant. iq) attribué à Maïmonide11.
in Sicily and its Transmission during the Renaissance », dans Gli ebrei in Sicilia sino all’espulsione del 1492, op. cit., p. 330-334 ; id., « Le Porte della Giustizia » e la « Qabbalah estatica in Italia », dans Natan ben Sa‘adya Harrār, Le porte della giustizia. Ša‘are sedeq, Milan, Adelphi, 2001, p. 13. . 346 (p. 29-35) ; id., La Cabbalà in Italia (1280-1510), op. cit., p. 69-74 ; H. J. Hames, op. cit., p. 43-53. 7 Le Sefer ha-maftehot, . datable de 1289, comprend cinq commentaires aux cinq livres de la Torah, res; Mafteah. ha-shemot ; Mafteah. ha-qorbanot ; Mafteah. ha-sefirot ; pectivement : Mafteah. ha-hokmot . Mafteah. ha-tokahot, . cf. Moshe Idel, Abraham Abulafia’s Works abd Doctrine, Ph.D. Thesis Hebrew University, 2 vols., Jerusalem, 1976 [en hébreu], T. I, p. 20-21 ; id., La Cabbalà, op. cit., p. 71, et pour une ; Mafteah. ha-šemot, éd. par A. Gros, Jerusalem, Aharon édition Avraham Abulafia, Mafteah. ha-hokmot . Barzani and Son, 2001, p. 1-2; G. Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq . », art. cit., p. 37-38. 8 G. Mandalà, « Ahi . », art. cit., p. 42-49. . tuv . ben Yis. haq 9 G. Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq . », art. cit., p. 42-53. 10 Jefim Schirmann, « Zur Geschichte der hebräischen Poesie in Apulien und Sizilien », Mitteilungen des Forschungsinstituts für hebräische Dichtung, 1, 1933, p. 95-147 (p. 132-147) ; G. Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq », art. cit., p. 56-59, travail préparatoire à l’édition-traduction commentée de ce texte. . 11 Édition de référence : Israel Efros, « Maimonides’ Arabic Treatise on Logic Introduction », Proceedings of the American Academy for Jewish Research, 34, 1966, p. 155-160 ; p. 9-42 (texte judéo-arabe) ; additamenta de Lawrence V. Berman, « Some Remarks on the Arabic Texts of Maimonides’ “Treatise on the Art of Logic” », Journal of the American Oriental Society, 88/2, 1968, p. 340-342. Pour la traduction d’Ahi . tuv . cf. Israel Efros, « Millôt ha-higgayôn. Maimonides’ Treatise on Logic (Maqālah fī sinā‘at al-mantiq). The Original Arabic and Three Hebrew Translations », . .
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Cette activité de transfert ne doit pas être seulement appréhendée à travers l’histoire des idées. Elle est conditionnée par un enracinement dans un milieu sociolinguistique dont les potentialités trouvent des applications dans des domaines tout différents : plusieurs membres de la famille d’Ahi . t. uv, dont son frère David et ses neveux Shemu’el et Gaudius, mais aussi un Magister Muse (maître Moïse) peut-être identifiable avec un autre traducteur de l’arabe en latin connu, Moïse de Palerme, traduisent dans les mêmes années en latin pour la cour de Palerme d’antiques privilèges arabes de la chancellerie normande12. Cette double activité de traduction scientifique et administrative est révélatrice. Dans la Palerme de la fin du xiiie siècle, lointaine héritière des fastes normands, Ahi . t. uv et les siens sont les seuls interprètes en mesure d’affronter une traduction de l’arabe, que celui-ci corresponde au judéo-arabe utilisé par Maïmonide ou à l’arabe naguère en usage à la chancellerie normande. Ces deux types de traductions renvoient à leur rôle d’interface culturel, à la fois orienté vers les élites lettrées des communautés judaïques et vers les exigences juridiques des institutions politico-religieuses chrétiennes. On aurait enfin tort de considérer cette double activité comme le résidu d’une empreinte judéo-arabe destinée à s’effacer au fil des siècles. En novembre 1492, quelques mois après la proclamation de l’expulsion des juifs de Sicile, le 18 juin 1492, un David Lu Medicu, lointain descendant d’Ahi . t.uv ou de ses frères, traduit en latin les comptes de la communauté de Palerme et réclame aux autorités un salaire pour ce service (Palerme, 26 novembre 1492)13. Ce spectaculaire maintien de l’écran linguistique judéo-arabe au long des siècles, et de la capacité de familles dominantes à l’utiliser pour se ménager un rôle d’intermédiaire culturel, survit ironiquement pour quelques mois à l’expulsion de la communauté.
Proceedings of the American Academy for Jewish Research, 8, 1937-38, p. 1-65 (p. 8-9 ; introduction) ; 1-136 (p. 67-100 : texte hébreu). 12 Pour les traductions d’arabe en latin, cf. Palerme, Archivio di Stato [= ASP], Diplomatico, Tabulario della Commenda della Magione, N. 224 (Palermo, 12 février 1291), Ptholomeus de Capua juge, Benedictus publicus tabellio grecus et latinus civitatis Panormi notaire. Pour une édition cf. Carlrichard Brühl, Diplomi e cancelleria di Ruggero II, Palerme, 1983, p. 20-21 ; S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 1, doc. 267, p. 497-8 ; enfin Jeremy Johns, Arabic Administration in Norman Sicily. The Royal Dīwān, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 101, 12123, 131-32 ; régestes : N. 14, p. 304; N. 23, p. 307. ASP, Diplomatico, Tabulario della mensa vescovile di Cefalù, N. 60 (Palerme, 5 août 1286), Thomasius Grillus juge, Benedictus publicus tabellio Panormi notaire ; cf. S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 1, doc. 257, p. 490-91 ; J. Johns, Arabic Administration, op. cit., p. 170-171, 184, 203 n. 49 et 51, 209, 279 n. 122 ; régeste n. 41, p. 313. G. Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq . », art. cit., p. 46-48. 13 ASP, Conservatoria di Registro, vol. 872, f. 183rv. ; G. Mandalà, « Ahi . tuv . ben Yis. haq . », art. cit., p. 60 n. 158.
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Yis. haq ibn al-Ahdab (xive-xve siècle) . ben Shelomoh ben Saddiq . . Notre second pion sur l’échiquier du judaïsme arabophone sicilien nous ramène un siècle avant ces événements, en nous introduisant à une autre modalité de transmission de savoir arabes et judéo-arabes en Sicile : l’importation de nouveaux textes à la suite d’une immigration réussie, à travers la figure de Yis. haq . 14 . ben Shelomoh ben Saddiq ibn al-Ahdab . . Exégète, astronome, mathématicien, traducteur et poète, Yis. haq . vécut en Sicile e e à cheval entre la fin du xiv siècle et les débuts du xv siècle. D’abord actif en Castille, il avait été élève de Yehuda bar Asher II de Burgos (m. 1391), rabbin de Tolède. Un passage de l’une de ses œuvres, Kele hemda ou l’Instrument précieux, . indique sa présence à Syracuse en 1395-96 : « En l’an 5156 de la création je me trouvais dans la cité de Syracuse, dans l’île de Sicile… »15. Dans le Prologue d’une autre œuvre, la Lettre sur le nombre (Iggeret ha-mispar), Yis. haq affirme . ibn al-Ahdab . 16 avoir passé une période dans les « tentes de Qedar » (’ohole Qedar) , c’est-à-dire dans la dār al-Islām, probablement au Maghreb ou dans le royaume nasride de Grenade. Il y fut initié aux traditions de savoirs mathématiques perpétuées par les élèves du savant marocain Ibn al-Bannā’ (1256-1321). Yis. haq . déclare ensuite être arrivé à Syracuse après avoir échappé à une tempête qui aurait interrompu son voyage pour la Terre Sainte. À l’invitation des chefs de la communauté, Ibn al-Ahdab y effectue la traduction de l’arabe à l’hébreu du Talkhīs. a‘māl al-hi . . s. āb (Compendium sur les opérations des calculs) d’Ibn al-Bannā’. Son exaltation des savoirs de la communauté d’accueil n’est pas dépourvue d’intérêt dans le contexte de la Sicile des années 1400. Ibn al-Ahdab affirme en effet dans ce travail que l’élite . locale était parfaitement capable de relever d’éventuelles erreurs de traduction hébraïque de termes arabes17. Au-delà de l’anecdote et du topos littéraire qui veut que 14 G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo: Yis. haq in Sicilia (ca. 1395/96. ben Šelomoh ibn al-Ahdab . 1431) », dans Flavio Mitridate. Mediatore fra culture nel contesto dell’Ebraismo siciliano del XV secolo, Atti del Convegno Internazionale, Caltabellotta (Agrigento), 30 giugno-1 luglio 2008, éd. par M. Perani et G. Corazzol, Palermo, OSM, p. 1-6. 15 Londres, British Library, Or. 2806, f. 11a. Cf. George Margoliouth, Catalogue of the Hebrew and Samaritan Manuscripts in the British Museum. Part III. Sections VIII, IX : Miscellaneous MSS, Londres, Published by the Trustees of the British Museum, 1915 [rist. 1965], N. 1013, p. 335-337 (p. 335). 16 Dans la Bible, Qedar est le puiné (puîné) d’Ismaël, et l’ancêtre des Arabes, cf. Genèse, 25,13 ; Chroniques, 1, 29. 17 Cambridge, University Library, Heb. Add. 492.1 [IMHM 16786], f. 1v ; Ilana Wartenberg prépare l’édition critique de ce texte. Cf. Tony Lévy, « L’algèbre arabe dans les textes hébraiques (I). Un ouvrage inédit d’Isaac ben Salomon al-Ahdab (xive siècle) », Arabic Sciences and Philosophy, 13, . 2003, p. 269-301 ; Ilana Wartenberg, « Iggeret ha-Mispar by Isaac ben Solomon Ibn al-Ahdab . (Sicily, 14th century) », Judaica, 64, 2008, p. 18-36, 149-161 ; ead., « The Epistle of the Number : an Episode of Algebra in Hebrew », Zutot, 5, 2008, p. 95-101.
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les voyages vers la Terre Sainte soient marqués des signes tangibles de la présence divine, ces renseignements confirment par ailleurs la durée de la présence d’Ibn al-Ahdab en 1395-96 à Syracuse, puisqu’il y compose à la fois l’Instrument pré. cieux et la Lettre sur le nombre. Encore une fois, l’activité de production textuelle se révèle indissociable de son contexte socio-historique18. La présence d’Ibn al-Ahdab dans l’île doit en effet être lue . à la lumière des événements intervenus entre la Sicile et l’Espagne à cette époque. En 1392, les troupes catalanes sous le commandement de Bernardo Cabrera débarquent dans l’île, deux ans après que Martin le Jeune avait revendiqué la Sicile en vertu d’un mariage avec Marie, fille de Frédéric le Simple. Les Catalans réussissent à se débarrasser de la coalition des barons siciliens, et en 1397, ils arrachent définitivement Palerme à la seigneurie des Chiaromonte. À partir de cette date et jusqu’en 1409, l’île est gouvernée par Martin le Jeune. Après l’intermède de Martin le Vieux (1409-1410) et Ferdinand de Castille (1412-1416), elle passe ensuite à Alphonse V le Magnanime (1416-1458). Or parallèlement à ces événements, la documentation relative aux juifs de Sicile permet d’observer un flux migratoire constitué d’individus et de groupes qui arrivent alors d’Espagne en Sicile19. Ce mouvement s’explique à la fois par la crise des communautés judaïques espagnoles dans la seconde moitié du xive siècle, qui débouche sur les persécutions anti-judaïques de Castille (1391) et d’Aragon, culminant dans la dispute de Tortose (1413-1414)20, mais aussi par la volonté de réforme des communautés siciliennes manifestée par les nouveaux souverains. L’identification entre Yi s. haq . ibn al-Ah . dab et Gaudius Alachadeb, personnage mentionné dans divers documents latins siciliens, permet désormais de reconstituer les différentes étapes de son insertion dans l’île21. Nous le retrouvons en janvier 1418 à Palerme, où il joue un rôle d’arbitre dans un procès
18 Cadre historique dans Pietro Corrao, Governare un regno. Potere società e istituzioni in Sicilia fra Trecento e Quattrocento, Naples, Liguori, 1991, 605 p. ; Patrizia Sardina, Palermo e i Chiaromonte : splendore e tramonto di una signoria : potere nobiliare, ceti dirigenti e società tra XIV e XV secolo, Caltanissetta, Salvatore Sciascia Editore, 2003, 521 p. 19 Henri Bresc, « La Sicile médiévale, terre de refuge pour les juifs : migration et exil », Al-Masāq. Islam and the Medieval Mediterranean, 17/1, 2006, p. 31-46 (p. 36 et passim). 20 Sur les persécutions de 1391, cf. Cecil Roth, « A Hebrew Elegy on the Martyrs of Toledo, 1391 », The Jewish Quarterly Review, 39/2, 1948, p. 123-150 ; Pilar León Tello, Judíos de Toledo, 2 vols., Madrid, CSIC-Instituto “B. Arias Montano”, 1979, vol. 1, p. 165-192 ; Philippe Wolff, « The 1391 Pogrom in Spain. Social Crisis or Not ? », Past and Present, 50, 1971, p. 4-18 ; Yitzhak Baer, Historia de los judíos en la España cristiana, trad. J. L. Lacave, Barcelone, Riopiedras Ediciones, 1998, p. 531-560. 21 Le nom juif Yis. haq . (litt. « il rira ») est traduit en latin par Gaudius, tandis que le nom de famille d’origine arabe Ibn al-Ahdab, litt. « fils du bossu », est rendu dans les documents latins par . Alachadeb, Abenladeb, Abeladel, Belladeb, Biladep, etc. : G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 7.
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opposant Macteo Xagatuni aux frères Azarono et Busacca Sabatino (14 janvier 1418)22. Il est simplement défini dans cet acte magister Gaudius Beladel Iudeus, tandis qu’un document de novembre 1418 qualifie Gaudius Alachadeb de Panormo de « citadin de Palerme »23. Yi s. haq . vient donc d’acquérir la citoyenneté palermitaine, pour laquelle il fallait résider dans la cité depuis au moins un an, un mois, une semaine et un jour ou grâce au mariage. 24. La même année Yis. haq . ibn al-Ah. dab assume la fonction d’arbitre et juge spirituel. En plus de l’arbitrage déjà mentionné, on lui confie la décision de menacer du herem ou « bannissement » Merdoch de Salbat, un trapanais trop entreprenant25. . Yis. haq . meurt, sans doute à Palerme, à une date pour laquelle la critique hésite entre 1429 et 143126. Cette fourchette chronologique peut à présent être confirmée grâce à un document de la chancellerie d’Alphonse le Magnanime, en date du 15 novembre 1434, précisant qu’Abrahe Abenlabel, Iudeus de nostra urbe Panormi est nommé notaire des juifs de Palerme. Or cette charge avait été précédemment assumée par quondam magister Gaudius, pater tuus (par référence au fils d’Ibn al-Ah. dab, Avraham27). Gaudius/Yis. haq . meurt donc avant 1434, probablement dans le cours de l’année 1431. Le document précité indique également que Gaudius/Yis. haq . assumait à Palerme en plus de ses fonctions de juge et d’arbitre la charge de notarius Iudeorum, c’est-à-dire de notaire des juifs revêtu de la publica fides28. 29 Yis. haq . ibn al-Ah. dab avait au moins trois fils : S. addiq, Avraham et Ya‘aqov , dont nous savons qu’il était érudit in utraque lingua arabica videlicet et latina (année 1456)30. L’activité culturelle de cette importante famille s’enracine ainsi dans la 22 ASP, Not. Paolo Rubeo, reg. 606, c. 283 (Palermo, 18.12.1418) ; S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 9, p. 5823-5824. 23 ASP, R. Protonotaro, reg. 20. C. 23v (Palermo, 18.11.1418) ; S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 4, doc. 2024, p. 1914 ; H. Bresc, Arabi per lingua, op. cit., p. 272. 24 Sur la citoyenneté cf. Illuminato Peri, Villani e cavalieri nella Sicilia medievale, Rome, Laterza, 1993, p. 84. 25 ASP, R. Protonotaro, reg. 20. c. 23v (Palermo, 18.11.1418) ; S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 4, doc. 2024, p. 1914. 26 Entre 5 Tammuz 5189 et 1-10 Tevet 5192, cf. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Heb. 246, f. 201, . 124 ; Moritz Steinschneider, Die Hebraeischen Handschriften der K. Hof-und Staatsbibliothek in Muenchen, Munich, Commission der Palm’schen Hofbuchhandlung, 1895, p. 120 ; Shire Yis. haq . ben Shelomoh al-Ahdab, éd. par O. Ra‘anan, Lod, Habermann Institute for Literary Research, . 1988, p. 15-16 ; G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 8-9. 27 Barcelone, Archivo General de la Corona de Aragón. Canc., reg. 2826, c. 118r-v (Palermo, 15.11.1434) ; S. Simonsohn, The Jews in Sicily, op. cit., vol. 4, doc. 2409, p. 2276-2277. 28 Sur la charge de notarius Iudeorum, cf. Mariuccia Bevilacqua Krasner, « Il notarius Iudeorum nella comunità ebraica di Palermo nel XV secolo », Sefer Yuhasin, 20, 2004, p. 19-37. . 29 Sur la famille d’Ibn al-Ahdab cf. Shire Yis. haq op. cit., p. 19 ; G. Mandalà, . . ben Shelomoh al-Ahdab, . « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 9-13. 30 ASP, Not. N. Aprea 834, f. 376 (Palermo, 20.04.1456) ; Henri Bresc, Shlomo D. Goitein, « Un inventaire dotal de juifs siciliens (1479) », Mélanges de l’École française de Rome, 82/2, 1970, p. 903-917
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vie des communautés où elle laisse des traces durant tout le xve siècle. En 1481, le médecin Gaudius, l’un des fils de Ya‘aqov, vend certains traités médicaux aux juifs de Polizzi. Ces livres sont : les cinq livres d’Avicenne, soit le fameux al-Qānūn fī l- t.ibb divisé en cinq tomes ; les Aphorismes de Rabbi Moyses, c’est-à-dire les aphorismes médicaux de Maïmonide ou Fusūl . Mūsà, également connus sous le titre de Pirqe Mosheh ; le Commentaire de Ali « super signa Galieni », à savoir l’Ars Parva de Galien avec le commentaire du médecin égyptien ‘Alī b. Ridwān (998-1061 ca.)31. . Ces éléments permettent de préciser certains aspects de l’activité culturelle de la famille d’Ibn al-Ah. dab, ultérieurement connue en Sicile sous le nom de Belladeb, et tout particulièrement de son chef et fondateur. En dépit de l’orientation scientifique d’une partie de la production de Yis. haq ses écrits . ibn al-Ahdab, . laissent apparaître une prééminence accordée aux études religieuses, en accord avec ses fonctions communautaires32. Un traité exégétique sur la Haggada de Pâques contient ainsi diverses allusions aux usages des communautés insulaires33 ; on peut lui ajouter un commentaire sur les mesures bibliques (Leshon ha-zahav)34, enfin un bref traité philosophique Sur la définition des paroles (Ma’amar be-gidre ha-devarim35). À cette production strictement communautaire s’ajoute une œuvre scientifique qui a eu un impact plus notable, et dont la circulation a largement dépassé la Sicile. Un premier traité de faible diffusion forme un intermédiaire entre les deux groupes d’écrits. Il s’agit de la Lettre sur le nombre déjà mentionnée, en fait traduction de l’arabe en hébreu du Talkhī s. a‘māl al- hi . sāb . du mathématicien marocain Ibn al-Bannā’. Dépendant du séjour dans la dār al-Islām d’Ibn al-Ahdab, . ce traité a toutefois été composé à la requête de la communauté de Syracuse36. (p. 905 n. 2). 31 Régestes des deux documents dans Carlo Borgese, Documenti editi e inediti su Polizzi Generosa e sul comprensorio delle Madonie, Palermo, Associazione culturale naftolia, 1999, p. 55 (Notaire Giovanni Perdicaro, 24.05.1481 ; 29.05.1481) ; G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 12-13. 32 Sur les œuvres d’Ibn al-Ahdab, cf. Shire Yis. haq op. cit., p. 16-19 ; Mauro . . ben Shelomoh al-Ahdab, . Zonta, La filosofia ebraica medievale in Sicilia, dans Ebrei e Sicilia, op. cit., p. 163-168 (p. 166) ; G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 13-16. 33 Haggada shel Pesah. . Pesah. dorot dine layl ha-seder u-perush ‘al Haggada le-rabbenu Yis. haq . ben r. Shelomoh al-Ahdab, éd. par Y. S. Spiegel, Jerusalem, Makon Bet Aharon we-Yisra’el – Mossadot . Karlin Sturlin, 2000, p. 23, 28, 29. 34 Ya‘aqov Shemu’el Spiegel, « Leshon ha-zahav le-r. Yis. haq ben Shelomoh al-Ahdab », Bekhol . . Derakheka Da‘ehu. Journal of Torah and Scholarship, 12, 2001, p. 5-34. 35 Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Heb. 246 ; M. Steinschneider, Die Hebraeischen Handschriften, op. cit., p. 118. 36 Ibn al-Ahdab et sa traduction sont mentionnés dans un passage fameux de la Muqaddima d’Ibn . Khaldūn (m. 1406), qui semble avoir jusqu’ici échappé à l’attention des spécialistes de ces deux auteurs. L’ouvrage, nommé al-Kāmil, doit être identifié avec la Iggeret ha-mispar. En attendant une étude ultérieure, cf. Ibn Khaldūn, The Muqaddimah. An Introduction to History, 3 vols., trad. par F. Rosenthal, New York, Princeton University Press, 1958, vol. 3, p. 123 et n. 620, 621.
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Les œuvres astronomiques, de plus large diffusion, comprennent notamment l’Instrument précieux ou Kele hemda, petit texte qui inclut deux lettres sur l’astro. labe37 et l’Instrument intermédiaire ou Kele memusa‘, . traité en vingt-six chapitres dans lequel Yis.haq . décrit la construction d’un instrument astronomique (equatorium) combinant l’astrolabe au cadran, inventé par Ya‘aqov ben Makir vers 130038. Son plus grand succès reste néanmoins l’Orah. selula ou Route pavée. Dans ce texte, Yis. haq . développe des théories sur le mouvement des étoiles, lestées de tables de calcul des conjonctions et des oppositions du soleil et de la lune pour le calcul de la syzygie et des éclipses solaires et lunaires39. Nous retrouverons une traduction latine de cette œuvre d’Ibn al-Ah. dab dans la section intitulée Defectus Solis et Lune (f. 30r-61v) du manuscrit Urbinate 1384, assemblé par notre troisième « passeur », le converti sicilien Guglielmo Raimondo Moncada pour le duc d’Urbino Frédéric de Montefeltre en 1480-1481 ou 148240. À la cour d’Urbino, Moncada, dont nous allons bientôt reparler, exhiba divers manuscrits de caractère astronomique en sa possession et définis par lui comme « puniques », c’est-à-dire maghrébins ou andalous (archana punicorum, atque arabum edocere. Nam cum superioribus annis, quibusdam punicos libros emerem, venere mihi in manos quaedam trium clarissimorum arabum de astrorum motibus volumina, ms. Vat. Urb. 1384, f. 30v). Il dévoile dans certains passages du même manuscrit le nom de ces mystérieuses autorités en citant al-Battānī (858-929 ca.), Ibn al-Raqqām (m. 1315) et Ibn al-Kammād (m. 1312) (« Il bactani et Ibn il raccam nec non et Ibn il chimadi », f. 32v), c’est-à-dire les « autorités astronomiques » 41 auxquelles se réfère Yis. haq . ibn al-Ah . dab dans l’introduction de l’Orah. selula . Nous nous trouvons ici de front à une transmission en direction du monde latin du savoir astronomique rassemblé par Ibn al-Ahdab dont Moncada s’attri. bue indûment l’autorité. Le plus jeune fils d’Ibn al-Ah. dab, Ya‘aqov, a pu former le chaînon manquant entre les deux personnages. Il avait en effet composé à la requête d’un mystérieux ami fidèle (ohev ne’eman), qui pourrait être Moncada, une
37 Bernard R. Goldstein, « Descriptions of Astronomical Instruments in Hebrew », dans From Deferent to Equant : a Volume of Studies in the History of Science in the Ancient and Medieval Near East in Honor of E. S. Kennedy, éd. par D. A. King et G. Saliba, « Annals of the New York Academy of Sciences », 550, 1987, p. 105-141 (p. 124-136). 38 B. R. Goldstein, « Descriptions », art. cit., p. 122-123. 39 Bernard R. Goldstein et José Chabás, « Isaac ibn al-Hadib and Flavius Mithridates : the Diffusion . of an Iberian Astronomical Tradition in the Late Middle Ages », Journal for the History of Astronomy, 37/2/127, 2006, p. 147-172. 40 Pour la datation du manuscrit, cf. Angelo Michele Piemontese, « Guglielmo Raimondo Moncada alla Corte di Urbino », dans Guglielmo Raimondo Moncada, op. cit., p. 151-171 (p. 159). 41 Par exemple Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ebraico 379, f. 2a ; B. R. Goldstein, J. Chabás, « Isaac ibn al-Hadib and Flavius Mithridates », art. cit., p. 148 n. 16. .
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introduction à la Orah. selula42. Les deux familles étaient étroitement liées : Farājī Abū l-Faraj, « le père » de Moncada, fut l’élève d’Ibn al-Ah. dab et en avait copié les œuvres dans des manuscrits transmis à « son fils », où il dédiait des poésies hébraïques à son vénéré maître et à son fils Avraham43. En outre, dans le manuscrit Urbinate, Moncada lui-même affirme s’être trouvé en possession de trois livres écrits par des astronomes fameux lors de l’acquisition de ses livres « puniques ». Or Ya‘aqov et Gaudius Belladep sont précisément impliqués dans le commerce des livres en 1481. À ces dates relativement tardives, la richesse de la documentation permet de multiplier les hypothèses sur les moments et les vecteurs des transmissions textuelles entre les différents exposants des élites lettrées juives, des origines hispaniques et maghrébines du savoir d’Ibn al-Ah. dab jusqu’à la récupération et à la réappropriation intellectuelle de ceux-ci par Moncada dans un environnement radicalement différent : celui des cours renaissantes du nord de l’Italie.
Shemu’el ben Nissim Abū l-Faraj alias Guillelmus Raymundus de Moncata seu Flavius Mithridates (xve siècle) Les éléments présentés jusqu’ici attestent la persistance dans la longue durée d’une arabophonie et d’une culture de la traduction de l’arabe en hébreu, en « vulgaire » ou en latin au sein des communautés juives de Sicile du bas Moyen Âge. Cette persistance s’inscrit dans une dialectique d’enracinement des communautés juives dans un environnement sicilien, contrebalancée par un mouvement d’implantation de communautés d’origine extérieure qui apportent avec elles prestige et savoirs nouveaux, en provenance d’Espagne ou du Maghreb. Le maintien, voire le renouveau de liens culturels et de transferts de savoirs arabes vers les communautés judéo-siciliennes s’inscrit dans cette dialectique de continuité et d’ouverture méditerranéenne, qui revitalise en quelque sorte périodiquement leur « altérité » culturelle et linguistique malgré leur insertion dans leur environnement latin. Cette activité de transfert, conditionnée par les logiques socioculturelles propres à l’île, trouve au second xve siècle un débouché spectaculaire dans l’Italie péninsulaire, à travers le parcours de Guglielmo Raimondo Moncada. Les divers noms sous lesquels se travestit le personnage symbolisent son statut de transfuge 42 London, British Library, Or. 2806, f. 20b, cf. G. Margoliouth, op. cit., p. 335 ; G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 14-16. 43 Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Heb. 246 et Rome, Biblioteca Casanatense, Ebr. 202 ; cf. M. Steinschneider, Die Hebraeischen Handschriften, op. cit., 117-120 ; Gustavo Sacerdote, « Catalogo dei codici ebraici della Biblioteca Casanatense », dans Catalogo dei codici orientali di alcune biblioteche d’Italia, vol. 6, Florence, Stabilimento Tipografico Fiorentino, 1897, p. 631-634 ; G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 1-3.
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des savoirs judéo-arabes en direction du monde latin. Originaire de la communauté de Caltabellotta, dans le sud-ouest de l’île, non loin d’Agrigente, il grandit sous le nom de Shemu’el ben Nissim Abū l-Faraj dans un environnement bilingue, judéo-arabe et roman sicilien. Le statut social de son père, rabbin et lettré, lui assure une formation poussée dans les disciplines bibliques et talmudiques de la tradition judaïque, mais aussi les sciences licites ou occultes véhiculées en hébreu comme en arabe44. Il fait tôt le choix de la conversion au catholicisme et reçoit le nom de Guglielmo Raimondo Moncada, d’après le patronyme du vice-roi de Sicile. Commence alors, dans un environnement d’abord aragono-sicilien, un premier cycle d’insertion dans le monde universitaire et curial latin, où le jeune doctor artium, après avoir complété sa formation linguistique par la fréquentation de l’université, profite de l’appui du pouvoir local pour ouvrir une école d’enseignement de l’hébreu, de l’araméen et de l’arabe à Palerme, puis à Agrigente, obtenir un canonicat à Agrigente, et s’emparer dans des conditions douteuses de manuscrits appartenant à divers membres de son ex-communauté45. Entre 1477 et 1482, le néo-chrétien, qui a accumulé en Sicile rancœurs et inimitiés, atteint l’apogée de sa trajectoire. Grâce au soutien du cardinal Giovan Battista Cybo, futur Innocent VIII (1484-1492), il obtient à la fois le patronage de la Curie pontificale de Sixte IV (1471-1484) et du duc d’Urbino Frédéric de Montefeltre (1422-1482). Le 20 avril 1481, il prononce devant la Curie un sermon quintilingue sur la Pâque, conservé par divers manuscrits autographes, dont les périodes latines émaillées de citations grecques, hébraïques, araméennes et arabes suscitent au témoignage d’un contemporain l’admiration46. Dans les mêmes mois, il supervise la confection d’un somptueux manuscrit enluminé pour le duc d’Urbino. Actuellement conservé à la Bibliothèque Vaticane sous la cote Urbinate latin 1384, ce dernier a déjà été bien étudié, sans toutefois bénéficier de l’effort interdisciplinaire que mériteraient son contenu et sa facture exceptionnels. Ses trois sections contiennent respectivement la traduction latine d’un traité de magie talismanique d’Ibn al-Hātim, décorée de figures stellaires et munie du texte arabe, la traduction. transposition des tables astronomiques d’Ibn al- Ah. dab déjà mentionnée, enfin 44 Bibliographie des recherches sur Moncada jusqu’en 2006 dans Guglielmo Raimondo Moncada, op. cit., p. 241-257. Sur l’origine, le milieu et le contexte de formation de Shemu’el / Guglielmo cf. Angela Scandaliato, Judaica minora sicula. Indagini sugli ebrei di Sicilia nel medioevo, Florence, La Giuntina, 2006, en particulier p. 31-189 et 433-517. 45 Ibid., complétant Raffaele Starrabba, « Guglielmo Raimondo Moncada, ebreo convertito siciliano del secolo XV », Archivio storico siciliano, n. s. 3, 1878, p. 15-91. 46 Sermon édité et commenté dans Flavius Mithridates, Sermo de passione Domini, éd. par C. Wirszubski, Jérusalem, Israël Academy of Sciences and Humanities, 1963, 138 p.
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la traduction latine, également en regard du texte arabe, des sourates XXI et XXII du Coran47. C’est dans ces mois que le transfuge, nommé interprète officiel de la Curie, archiprêtre de sainte Marie de Caltabellotta, professeur du studium Urbis, commence à développer dans des colophons attestant une personnalité narcissique et exubérante les éléments du nom de plume humaniste par lequel il est connu dans la littérature ancienne : Flavius Mithridate, par allusion aux capacités linguistiques de Mithridate VI du Pont48. Les années 1483-1489 voient se succéder une série d’aventures qu’il est impossible d’évoquer ici en détail. Son ascension est freinée par la mort de Frédéric de Montefeltre et une disgrâce à la cour d’Innocent VIII. Il multiplie les expériences pédagogiques, dans un voyage au nord des Alpes et auprès du cercle des kabbalistes chrétiens dominés par les figures de Giovanni Pico della Mirandola et Marsile Ficin, avant de disparaître dans des circonstances mystérieuses à Viterbe, où ses manuscrits semblent avoir été saisis au profit de Pico della Mirandola en 148949. Si l’activité d’enseignement et de traduction de Moncada/Mithridate concerne alors essentiellement des textes hébraïques, il a laissé un témoin manuscrit exceptionnel de son enseignement de l’arabe dans ce nouveau contexte. Il s’agit d’un Coran actuellement préservé à la Bibliothèque Vaticane sous la cote Vat. Ebr. 357, qu’il a doté d’une traduction interlinéaire latine discontinue et d’un ensemble de gloses marginales destinées à faciliter la lecture et la compréhension du texte de la part d’un lecteur disposant déjà d’un certain niveau en arabe50.
47 Sur le manuscrit d’Urbino, son contenu et le contexte de sa création, cf. Kristen Lippincott et David Pingree, « Ibn al-Hātim and the Talismans of the Lunar Mansions », Journal of the Warburg . and Courtauld Institutes, 50, 1987, p. 56-81 ; Kristen Lippincott, « More on Ibn al-Hātim », Journal . of the Warburg and Courtauld Institutes, 51, 1988, p. 188-190 ; A. M. Piemontese, « Guglielmo », art. cit., p. 151-167, à compléter par : G. Mandalà, « Da Toledo a Palermo », art. cit., p. 14-16. 48 Sur les mutations onomastiques de Moncada / Mithridate, cf. Flavius Mithridates, Sermo, op. cit., p. 48-49, à compléter par A. Scandaliato, Judaica minora, op. cit., en particulier p. 458-469. 49 Angelo Michele Piemontese, « Il Corano latino di Ficino e i corani arabi di Pico e Monchates », Rinascimento 36, 1996, p. 272-273. Sur le problème de la récupération des livres de Moncada par Pico, cf. Saverio Campanini, « Mitridate traduttore di opere cabbalistiche », dans Guglielmo Raimondo Moncada, op. cit, p. 86-88. 50 Sur ce manuscrit, cf. A. M. Piemontese, « Il Corano », art. cit. ; Benoît Grévin, « Un témoin majeur du rôle des communautés juives de Sicile dans la préservation et la diffusion en Italie d’un savoir sur l’arabe et l’Islam au xve siècle : les notes interlinéaires et marginales du “Coran de Mithridate” (ms. Vat. Ebr. 357) », dans Chrétiens, juifs et musulmans dans la Méditerranée médiévale. Études en hommage à Henri Bresc, éd. par A. Nef, B. Grévin et E. Tixier, Paris, De Boccard, 2008, 168 p. ; id., « Le Coran de Mithridate à la croisée des savoirs arabes dans l’Italie du xve siècle », Al-Qantara, 31/2, . 2010, p. 513-548 ; Aleida Paudice, « On three extant sources of the Qur’an transcribed in hebrew », European Journal of Jewish Studies, 2/2, 2009, p. 214-257.
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Le sermon quintilingue, le contenu du manuscrit urbinate et celui du « Coran de Mithridate » représentent trois facettes différentes de cette activité de traduction et d’enseignement de l’arabe dans les dernières années de l’existence attestée de Moncada. Dans le premier texte, morceau d’apparat, toute pédagogie est évacuée au profit d’une rhétorique de l’altérité linguistique qui prend parfois l’aspect d’une quasi-imposture, quand Moncada encode les citations de l’araméen talmudique en les transcrivant à l’aide du syllabaire éthiopien pour rehausser l’exotisme du « chaldéen »51. Les textes du manuscrit urbinate, munis de préfaces introductives et de glossaires terminaux, sont des objets de consommation lettrée destinés à un public de cour dont la stratégie discursive est déjà plus ambiguë. La pédagogie de façade de ce volume donne au lecteur du traité magique et des deux sourates l’impression d’une initiation visuelle et linguistique à l’arabe, grâce à la présence du texte original et d’un système de maintien d’un certain nombre de termes simplement translittérés dans la version latine, et dont la traduction commentée est reportée dans les deux lexiques terminaux52. L’origine sicilienne du traducteur se marque dans les choix de transcription de ces termes translittérés, alors qu’il dissimule dans la préface aux tables astronomiques le circuit textuel qui les a fait passer du Maghreb en Sicile quelques décennies plus tôt53. À l’encontre de ces deux ensembles textuels orientés vers un public curial et chrétien friand d’effets d’exotisme, les différentes strates textuelles du « Coran de Mithridate » font du manuscrit Vat. Ebr. 357 un artefact à mi-chemin entre son univers judéo-arabe sicilien d’origine et son milieu d’utilisation nord-italien. Il ne s’agit en effet pas d’un Coran « ordinaire », aux caractéristiques codicologiques ou paléographiques régionales plus ou moins accentuées, mais d’un très rare exemplaire préservé d’une tradition textuelle encore peu étudiée. Le texte coranique, qu’on pourrait qualifier de « judéo-arabe » par approximation, est transcrit en caractères hébreux. Ce manuscrit a probablement été confectionné pour l’usage interne d’une communauté judaïque, sicilienne, si l’on se fonde sur le filigrane palermitain, du tout début du xve siècle54. La première partie de l’histoire de ce manuscrit surprenant se déroule donc probablement dans la Palerme des premières années du xve siècle. Elle révé51 Flavius Mithridates, Sermo, op. cit., p. 37-43. 52 Cf. sur ce point B. Grévin, « Le Coran », art. cit., ainsi que id., « Connaissance et enseignement de l’arabe dans l’Italie du xve siècle : quelques jalons », dans Maghreb-Italie. Des passeurs médiévaux à l’orientalisme moderne xiiie-xxe siècle, éd. par B. Grévin, Rome, Collection de l’École française de Rome, 2010, p. 103-137. 53 Cf. sur ce point supra paragraphe 2. 54 A. M. Piemontese, « Il Corano », art. cit., p. 266.
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lerait un aspect très particulier de la culture « arabe » des juifs de Sicile, autre facette de liens probables avec des communautés maghrébines ayant développé un fonctionnement culturel symbiotique avec leur environnement social musulman, de même que les juifs palermitains du Trecento pratiquaient leur activité de traducteurs archivistes en symbiose avec leur environnement latin. Elle s’interrompt mystérieusement, puisque le manuscrit, quasiment intact à l’exception des quatre premiers feuillets, vraisemblablement perdus dès le début du xvie siècle avant la recréation d’un manuscrit composite, présente un texte coranique presque complet, à l’exception de quelques fragments de versets laissés en blanc, mais dépourvu de la plupart des éléments de contextualisation et de l’apparat caractéristique d’un Coran. Manquent à la copie initiale plus de la moitié des titres, tous les numéros de sourate, etc.55 Après une période d’absence d’activité qui doit correspondre aux années 14101470, les signes de lecture et de complémentation se multiplient sur ce Coran judéo-arabe. Quantitativement, la plus grande partie de ce travail complexe doit être attribuée à l’activité de Moncada, dont l’écriture polymorphe à l’encre rouge se distingue dans les différentes zones textuelles. Il révise l’ensemble du texte, corrigeant à partir d’un Coran plus classique des erreurs de transcription, les omissions à peine signalées, numérotant et comptant les sourates. Parallèlement à ce travail, il parsème l’ensemble des sourates d’une dizaine de milliers de suggestions de traduction organisées en fonction du niveau de difficulté du texte. Elles laissent telles quelles les expressions les plus simples ou récurrentes, mais glosent systématiquement les termes rares ou isolés. L’analyse de ces suggestions donne une idée de ce qu’aurait été la traduction intégrale du Coran que Moncada projetait sous une version quadrilingue dans la préface aux deux sourates traduites dans le manuscrit du duc d’Urbino56. Enfin, il couche dans les marges des centaines de gloses explicatives sur l’intérêt desquelles nous reviendrons dans un instant. Pour compléter la présentation de ce manuscrit fascinant, il faut également mentionner les interventions effectuées par au moins quatre autres mains dans les différentes zones du texte. Quantitativement négligeables par rapport à l’activité de Moncada, elles sont néanmoins fondamentales pour comprendre l’usage de ce Coran, car elles prouvent son rôle comme base textuelle dans des séances de controverse religieuse qui semblent correspondre à la description faite par Marsile Ficin de discussions tenues dans la demeure florentine de Giovanni Pico della Mirandola, et 55 Éléments ultérieurs dans B. Grévin, « Un témoin », art. cit., p. 48 et dans id., « Le Coran », art. cit. 56 Cf. sur ce point A. M. Piemontese, « Il Corano », art. cit., p. 260, citation de la dédicace de Moncada à Frédéric de Montefeltre mentionnant ce projet, et discussion dans B. Grévin, « Le Coran », art. cit.
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associant des savants juifs, Giovanni et Mithridate lui-même57. Dans le contexte des tentatives de dépassement syncrétique de l’orthodoxie latine opérées par ces cercles intellectuels mêlant spéculations néoplatoniciennes et kabbale, l’étude du texte coranique à partir d’un témoin « judéo-arabe » témoignant lui-même d’un syncrétisme antérieur, prenait le sens particulier d’une passerelle grâce à laquelle on tentait de relier l’hebraica veritas remise en valeur dans ces cercles à une arabica veritas en retrouvant dans le Coran un reflet du message évangélique. On ne discutera pas ici l’originalité conceptuelle de cette tentative dont de nombreux indices indiquent qu’elle retombe régulièrement dans les ornières de la vieille controverse antimusulmane développée à partir des entreprises clunisiennes. Une grande partie des rapprochements effectués en marge par des mains différentes, avec des textes bibliques ou des traditions judaïques et leurs commentaires, porte l’empreinte d’une vision négative et traditionnelle du message coranique, qui ne dévie guère du point de vue exprimé un peu auparavant dans la Cribratio alcorani de Nicolas de Cues (1461)58. Le travail de Moncada lui-même porte la trace de cette optique conservatrice, à travers un certain nombre de remarques dépréciatives où il soutient la thèse de l’imposture coranique en reprenant le thème de l’imposture forgée par Mahomet à partir du pillage de sources juives et chrétiennes à l’aide du moine Sergius59. Il est pourtant un aspect du travail de Moncada sur ce Coran judéo-arabe qui contredit cette impression d’une inflexion à peine notable de la controverse anti-coranique dans les cercles judéo-chrétiens à tendance syncrétique. Il s’agit du contenu des gloses marginales, de longueur variable, qui complètent son travail d’édition et de traduction du texte coranique. Ces gloses forment un ensemble unique dans l’histoire de la transmission du patrimoine culturel islamique vers l’Europe latine, car elles sont toutes extraites de sources musulmanes appartenant au tafsīr sunnite – l’exégèse littérale coranique. S’il est fait allusion à ce type de sources dans la littérature de controverse médiévale antérieure, c’est de manière fragmentaire et elliptique. Étant donné la 57 A. M. Piemontese, « Il Corano », art. cit., p. 23-238 et 267-268 et B. Grévin, « Le Coran », art. cit. 58 Sur le lien entre la lecture du dossier coranique clunisien et les nouvelles approches du Coran dans l’Italie des années 1460-1490, cf. A. M. Piemontese, « Il Corano », art. cit. 59 Cfr. par exemple Vat. Ebr. 357 (f. 74v), commentaire à Coran, 6, 158 (sur l’expression « prophète illettré ») : « Plebeum : vocat se quia Mahomet erat ignarus et idiota : ita ut nec legere nec saltim scribere sciebat : qui cum defectuosus et totius discipline expers hoc ei loco virtutis ascribunt dicentes librum tam venerabilem ab uno ignaro confici impossibile erat nisi divina inspiratione. Quam ob em omnes sermones suos […] vocat signa id est miracula non actendens ad illos pessimos doctores quos habuit scilicet Sergium monachum nestorianum hereticum excommunicatum et maledictum et ad illum alium Hebreum quorum vestigia manifesta sunt in alcorano bene intuentibus ».
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perte de la traduction commentée du Coran exécutée sous la direction de Juan de Segovia quelques décennies plus tôt60, ces gloses latines représentent sauf erreur la première tentative de traduction littérale explicite dans une source latine de sources du tafsīr préservée. Sans entrer dans le détail de leur composition, il suffit de dire que la littéralité relative de leur traduction permet encore de reconnaître les traditions islamiques originales dont les chaînes d’autorité interprétative sont partiellement préservées dans la version latine61. Dans la préface à la traduction des tables astronomiques d’Ibn al-Ahdab, Moncada . dit expressément qu’elles faisaient partie d’un ensemble de livres maghrébins – « puniques », selon la terminologie classicisante employée. Il est tentant de penser que ces manuscrits maghrébins contenaient entre autres choses les sources de tafsīr mises à profit par Moncada pour son travail de présentation du Coran. La circulation d’un ensemble de manuscrits liés à l’étude et l’exégèse du Coran dans les communautés judéo-arabes de la Sicile du premier xve siècle aurait donc été responsable de cette première tentative préservée de dépasser la traduction littérale du Coran de l’arabe en latin pour l’encadrer par un travail de contextualisation à l’aide de son interprétation islamique traditionnelle. Cette hypothèse doit toutefois être tempérée par une série d’interrogations, car les problèmes posés par cette fonction de passeurs culturels des juifs siciliens sont encore loin d’être tous élucidés. La sicilianité de la culture arabe de Moncada se lit dans le Coran à travers deux tendances linguistiques. L’une concerne la coloration légèrement dialectalisante que prennent certaines notes écrites dans un latin scolastique et relativement peu soigné, où la multiplication des u sicilianise parfois les diaboli, velociter et autres custodiendus en diabuli, veluciter et custudiendus62. À ces sicilianismes romans plutôt discrets, il faut ajouter les indices plus nombreux livrés à la fois 60 Sur la traduction de Juan de Segovia et l’intégration d’éléments pris au tafsīr, cf. Thomas E. Burman, Reading the Qur’ān in Latin Christendom, 1140-1560, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2007, p. 178-197. 61 Cf. par exemple Vat. Ebr. 357, commentaire à Coran, 18, 83, sur Dū - l-qarnain (f. 99v) : « Di alcarnain : Alexander est, qui interpretatur bicornutus quia duos crines habebat Dixit Ali filius Abi Talib : fuit vir sanctus et vocavit populum ad fidem Dei, qui eum percusserunt in cornu capitis et interfecerunt, et Deus eum suscitavit et iterum percusserunt eum in alio cornu capitis quia vocabat eos ad fidem et ideo bicornutus vocatus est vel duo habens cornua. Ideo litera dicit querentibus de bicornuo id est Alexandro : iam enim quesierant de eo iudei tentantes Mahomet ipse vocat Alexander. Bis fuit ab infidelibus interfectus et bis suscitatus. Hec est glosa ad litteram ». 62 Vat. Ebr. 357, commentaire à Coran, 17, 64, (f. 96v) : « Voce : scilicet vox diabuli est cithara et timpanum et fistula equites diaboli sunt ones equites in peccato exeuntes et sic pedites in peccato exeunte. Hec glosa est Migehid », avec l’alternance diabolus/diabulus. Cf. également veluciter (commentaire marginal à XVII, 18, f. 95v) et custudiendus (commentaire marginal à IX, 2, f. 77v).
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par les propositions de traduction de Moncada et ses transcriptions de termes et noms propres arabes sur sa connaissance et sa prononciation de l’arabe. Or les unes et les autres indiquent sans ambiguïté une forte incidence du judéo-arabe sicilien sur son interprétation du texte coranique. La prononciation siculo-maghrébine de nombreux termes peut facilement s’expliquer. Plus troublantes sont les nombreuses erreurs d’interprétation de formes de conjugaison dérivées (passifs, factitifs, etc.). Elles forment autant d’indices que la connaissance de l’arabe de Moncada, très dépendante de son environnement sociolinguistique sicilien, ne lui consentait pas d’interpréter facilement les formes verbales de l’arabe coranique qui ne trouvaient pas leur correspondant dans les schèmes de conjugaison de l’arabe dialectal sous sa variante judéo-sicilienne63. Le caractère judéo-arabe du texte coranique se double donc d’une sorte d’empreinte en creux judéo-sicilienne qui se marque dans des difficultés de traduction renvoyant à la composante arabe de la culture de Moncada. Avant de porter un jugement définitif sur la signification de son entreprise de transmission de savoirs coraniques dans le monde latin, il faudra encore approfondir l’enquête, car la présence d’un tel handicap linguistique semble contradictoire avec l’entreprise de traduction du tafsīr qui témoigne d’une certaine virtuosité. Il n’est pas sûr que Moncada, dont les travaux de traduction hébraïque attestent les tendances mystificatrices, n’ait pas fait passer pour son œuvre personnelle un travail déjà entamé par un autre arabisant.
Conclusion En dépit de ces interrogations, la trajectoire culturelle symbolisée par les différentes étapes de l’histoire du Coran de Mithridate permet de constater l’extraordinaire permanence du rôle d’intermédiaires culturels entre cultures islamique et latine dévolu aux juifs siciliens entre la fin du xiiie et du xve siècle, de Faraj, traducteur d’al-Rāzī pour le compte de Charles d’Anjou à Moncada/Mithridate, en passant par Ahi La compréhension de ces dynamiques de . t.uv et Ibn al-Ahdab. . transferts ne peut être dissociée d’une histoire socioculturelle détaillée des communautés judaïques et de leurs réseaux d’insertion dans les sociétés des rives sud et nord de la Méditerranée. Plus encore que d’hommes de la frontière, ces savants et traducteurs juifs de Sicile pourraient être qualifiés d’interfaces entre deux systèmes linguistiques et culturels dont ils reflètent les complexités.
63 Sur ces deux points, cf. B. Grévin, « Un témoin », art. cit., p. 52-54 ainsi que les nouveaux éléments donnés dans id., « Le Coran », art. cit.
Between Europe and the Holy Land. East European Jews as Intermediaries betwen Europe and the Near East from the 16th through the 17th Centuries Mikhail Kizilov | Alexander von Humboldt Fellow, Institutum Judaicum University of Tübingen
My heart is in the East, and I am at the ends of the West […] It would be easy for me to leave all the bounty of Spain – As it is precious for me to behold the dust of the desolate sanctuary. Judah Halevi
Medieval Jewish poet and philosopher Judah Halevi was perhaps one of the first European Jews to express his yearning for the East in writing. He not only expressed the desire to leave his native Spain and move to the Holy Land, but he actually tried to do so. It seems, however, that he died in Egypt in 1141 on his way to Jerusalem. A later and not-too-trustworthy Jewish legend tells us that he was actually killed by an Arab rider at the gates of the Holy City. In the late Middle Ages and early modern times many European Jews followed Halevi’s example and travelled eastwards, although not all of them had such elevated ideas about the Holy Land nor the intellectual necessity to dwell there. In this period Jewish travellers, pilgrims, merchants, physicians and diplomats played important roles in communication and the development of trade routes between Europe and the East. Jews took an active part in trade, commerce, diplomacy and the development of medical knowledge. While some scattered information about the Jews as intermediaries between Europe and the East in this period is available from miscellaneous commercial, diplomatic and legal documents, travel accounts remain the main source of information on the subject. This paper focuses on the analysis of travel accounts1 and other documents
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Any research into travel writing in Hebrew and Yiddish should start from a few collections of Jewish travelogues in English translations and originals (note, however, that only some of the accounts published there were penned by Jews from Eastern Europe): Otsar masa’ot: a collection of itineraries by Jewish travellers, ed. by J. D. Eisenstein, New York, n.p., 1926; repr. Tel-Aviv, 1969;
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related to the role of East European Jews as intermediaries in the development of trade, diplomacy, and medical science between European and Oriental countries (primarily the Ottoman Empire) from the 16th through the 17th centuries. Due to their active involvement in trading activity and frequent change of residence, European Jewish travellers left a number of highly important travel accounts from the Middle Ages onwards.2 On the other hand, it is worth noting that despite their travelling all over the world, Jewish travellers did not compose many travelogues— at least not in comparison to those of their Christian contemporaries. Travel accounts of European Jews from the early modern period usually represented itineraries of pilgrimages to the Land of Israel (Erets Yisra’el).3 In contrast to their Ashkenazi brethren, East European Jews started composing travelogues comparatively late, perhaps only from the 16th century.4 In terms of their content, accounts of Jewish travellers from Eastern Europe are usually full of eloquent Biblical quotations and lofty allusions combined with descriptions of everyday life, people, events, architectural monuments, towns, food and customs. Most of the Jewish travelogues were composed in Hebrew, known in Jewish tradition as leshon ha-qodesh (“sacred language”). However, the language employed by Jewish travellers in early modern times differed considerably from traditional Biblical Hebrew while including a number of borrowed words and expressions from vernacular languages. From the 16th century onwards, however, many travellers preferred composing their travel accounts in Yiddish. On their way to the Holy Land Jewish travellers also visited
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Masa’ot Erets Yisra’el, ed. by A. Ya’ari, Tel-Aviv, n.p., 1946; repr. Tel Aviv, n.p. 1996; Jewish travellers, ed. by E. Adler, London, Routledge 1930, and repr. as Jewish travellers in the Middle Ages: 19 firsthand accounts, ed. by Elkan Adler, New York, Dover 1987. Sheluhei Erets Yisra’el, ed. by A. Ya’ari, Jerusalem, Rav Kuk, 1951, contains an extensive analysis of writings of Jewish travellers to Palestine from the earliest days until the end of the 18th century. E.g. famous 12th century Jewish travellers: Petahyah of Ratisbon, Travels of Rabbi Petachia of Ratisbon, who, in the latter end of the twelfth century, visited Poland, Russia, Little Tartary, the Crimea, Armenia, Assyria, Syria, the Holy Land, and Greece, trans. Dr A. Benisch, London, Longman, 1861 (Hebrew original with English translation); The Itinerary of Benjamin of Tudela, ed. by E. Adler, London, H. Frowde, 1907. For a complete bibliography, see Mikhail Kizilov, “Hebrew and Yiddish Travel Writing,” in A Bibliography of East European Travel Writing on Europe (=East Looks West, vol. 3), ed. by W. Bracewell and A. Drace-Francis, Budapest / New York, CEU, 2008, pp. 229-41. Unfortunately for our topic, most Early Modern Jewish travellers were from Central and Western Europe. From the nineteen Jewish travel accounts selected by E. Adler, only one (!) traveller was of East European origin. The quantity of travels to Palestine grew significantly in the 18th century due to the rise of the Hasidic movement in Polish lands. However, only a few Hasidic travellers and immigrants to Erets Yisra’el recorded their travel experiences in writing. For the bibliography of accounts of Christian travellers to the Holy Land, see Nathan Schur, Jerusalem in Pilgrims and Travellers’ Accounts: A Thematic Bibliography of Western Christian Itineraries 13001917, Jerusalem, Ariel Pub. House, 1980, 151 p.
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adjacent regions: the Caucasus, Egypt, European countries and even travellers’ own countries.5 A very specific feature of Jewish travel accounts is their ethnocentric focus on local Jewish life. Nevertheless, Jewish travellers also left some important data on the history of other peoples and countries. Travelling eastwards became much easier for Jewish voyagers in the sixteenth and seventeenth centuries following a series of Ottoman conquests in Europe and in the Muslim East. In those times Jewish travellers coming from the territory of today’s Poland, Lithuania or Ukraine simply had to cross a border with the Ottoman Empire—and then travel all the way from the Balkans or Budapest to Jerusalem or Egypt within the limits of one state, i.e. the Ottoman Empire. Slightly different was the situation in the Crimean peninsula, which was inhabited largely by the Karaite (i.e. non-Talmudic) Jews. The Crimea itself was a highly interesting and essentially “intermediary” area: geographically a part of Eastern Europe but politically and ethnically part of the Ottoman Empire and of the larger Muslim Orient. It also housed its own semi-independent Tatar state of the Crimean Khanate which controlled central, western and northern parts of the Crimea together with the southern part of the Ukraine, Dobrudzha and North Caucasus. Many trade routes, such as the famous Silk Route, via Tartarica (leading from Caffa, the largest Crimean port, to Lwów / Lemberg in Poland), the Moldavian route and others led to or passed through the Crimea in the medieval and early modern period.6 Equally strong were trade routes between the Crimea, Turkey, and the Mediterranean.7 Thus, the Crimea and its Jewish inhabitants were intermediaries between East and West by definition. Let me now turn to an analysis of the so-called “travel account” by Gershon ben Eliezer Halevi of Prague who, in his own words, went on a pilgrimage to the Holy Land in 1624. I have used inverted commas since, as I shall argue below, ben Eliezer most likely never travelled to the East. It seems that his work represents a compilation of geographic accounts by other travellers. Nevertheless, his account, which was composed in Yiddish,8 provides us with an excellent and detailed pic5 6
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Travels to Europe nevertheless remained rather on the margin of Jewish travel writings, while being outnumbered by travel descriptions of Palestine and the Muslim Orient. For more information on these routes, see Michel Balard, “Gênes et la mer Noire (xiiie-xve siècles),” Revue Historique, 270, 1983, р. 52-53; Eleonora Nadel-Golobič, “Armenians and Jews in Medieval Lvov: Their Role in Oriental Trade 1400-1600,” Cahiers du monde russe et soviétique, 20, 1979, р. 355-9, 385. Especially strong were the ties between the Genoese colonies of the Crimea (Caffa, Cembalo, and Sudak) and Italy. Originally published in Yiddish, this account has been republished many times in early modern and modern times: Gershon ben Eliezer Halevi of Prague, Galilot erets-Yisra’el [Regions of the Land of Israel], Lublin, 1634/5; also pub. Fürth: 1691; Amsterdam: Asher Shuht, 1705. Furthermore,
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ture of geographic routes used by Jewish travellers in their travels between Europe and the East. At the beginning of his book ben Eliezer states that there were five main routes used by European Jews in order to get to the Holy Land. He mentions that the first two routes began from two European cities: Fenedig (Venice) and Oven-Stat (Budapest).9 Unfortunately, he does not specify the exact continuation of the routes, but one may imagine that both were supposed to meet in Constantinople in order to continue from there by land or by sea to the Holy Land. According to ben Eliezer, however, the best route was the direct one from the Polish city of Kamieniec Podolski to Jassy in Valachia and Bugdania (Moldova / Romania). From there a traveller was supposed to reach the fortress of Galats (Galaţi) on the river Tuna (i.e. the Danube) and then it would take a traveller only two hours to get by boat to a village on the border with Turkey. The next destinations were the cities of Provadia and Karnobat (modern day Bulgaria). From there ben Eliezer suggests travelling by the following land route: Adrianople Constantinople - Skutari (Üsküdar) - Angoria (Ankara) - Amasya - Tokat Aleppo - Damask. From there the Holy Land was so close that ben Eliezer did not specify how to get there. Having described this route, ben Eliezer states that it is a very remote and expensive way to travel and thus he suggests another itinerary. The main advantage of this, more convenient route was the fact that it required travelling by sea only. Ben Eliezer also describes in detail the price per person for each part of the route. It starts from the city of Gallipoli on the Sea of Marmara, leads to Rhodes and ends in Sidon (in modern day Lebanon). According to ben Eliezer, Sidon was already in Eretz Yisra’el (the Land of Israel) and thus he suggests travelling from there to Jerusalem overland. Another option he suggests is to travel first to Alexandria in Egypt, then to Diamet (Damietta) - Serida (a corruption of Resida, i.e. Rosetta) - Egyptian Ramla - Caesarea - Acre. From Acre one could again reach Jerusalem by land. Having described the main routes from Eastern Europe to the Holy Land, ben Eliezer starts describing his own travels. His way to Jerusalem (if we are to be-
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it has been translated into Hebrew without any indication of the fact that it was a translation: Id., Iggeret ha-qodesh: galilot erets-Yisra’el [A sacred epistle: regions of the land of Israel], Grodno, 1796 (also in Otsar masa’ot, op. cit., pp. 176-87). I shall refer to the most recent Hebrew edition which includes both Yiddish original, Hebrew translation, and commentaries: Galilot erets-Yisra’el im tirgum be-ivrit be-shem Iggeret ha-qodesh, ed. by I. ben Zvi, Jerusalem, Rav Kuk, 1953, 91 p. I checked this book with the edition published in Amsterdam: Asher Shuht, 1705. In general, it has almost the same (with slight variations) toponyms and place names. One important difference is the place name Katria (ɠɸɦɥɫɵɸɠɬɪɥɮɱɠɩɸɺɫɨɠɨɹ). In other editions this placename is spelled as Batirah / Batria. There is no doubt that this Katria (ɠɩɸɺɫ) is a corruption of Kozaria (ɠɩɸɦɥɫ). It is worthwhile noting that in the time of his travel there were considerable Jewish communities in both cities.
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lieve his words) was not the easiest one. In 1624 he was taken captive “in the city of Qrimonah in the land of the Tatars”. The identification of this city with the Italian city of Cremona10 cannot be true since in the next phrase ben Eliezer mentions that the city was governed by Qamntimr Bashi (i.e. Kantemir pasha) and Sultan Mehmed Omruzeah (i.e. Murza). Thus, it should be interpreted as a reference to the city of Qırım (modern day Staryi Krym in the Crimea), often referred to in European sources as “Krimenda,” almost identical with the “Qrimonah” of Gershon ben Eliezer. From there he was sent to the city of Sefeh, where he was redeemed by Constantinopolitan Jews at the price of 500 Löwenthaler. Again, the identification of this place with the Bulgarian city of Sofia, which was suggested by previous scholars, is implausible and it is much more likely that ben Eliezer meant the city of Kefe (or Caffa, modern Theodosia in the Crimea), where the main slave market of the Crimean peninsula was located. From there, apparently as a free man, he travelled to the city of Bachshitsariah (i.e. Bahçesaray). In his own words, he travelled onwards by the Black Sea (fig. 1) and then through the land of the Tatars to the town of Batria (or Batirah) located next to the land of Cozra (Khazaria). From there he travelled to Persia and then finally to Erets Israel.
Figure 1 | Sixteenth-century map of the Black Sea region published in Tartariae Descriptio by Martinus Broniovius (Marcin Broniewski, Cologne 1595)
10 This improbable identification has been suggested by previous scholars working on this travelogue (e.g. commentaries to Rav Gershon’s travel book, in Otsar masa’ot, op. cit., pp. 177-181; Galilot erets-Yisra’el, op. cit., p. 17, ft. 31.
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A careful reading of ben Eliezer’s diary does not leave any doubt that he in fact invented most of the details mentioned in his book. His knowledge of Crimean, Caucasian and Near Eastern geography is blurred and confused while his descriptions are often almost verbatim accounts of medieval travellers (especially those of Petachia of Regensburg and Benjamin of Tudela). Equally fanciful is his description of the Holy Land, and, especially, the account of his further travels in the land of the Ten Lost Tribes of Israel. I had some hopes that at least the “Crimean part” of his travelogue would contain genuine information about his travels—but more careful analysis does not support this hypothesis. The description of ben Eliezer’s misadventures in the Crimea is conspicuously reminiscent of the misfortunes of medieval Cabbalist Jacob ben Moses of Kiev, who in 1505 was captured by the Tatars, driven first to the town of Qırım—and then ransomed in Caffa (Kefe).11 Furthermore, it is impossible to travel from Bahçesaray by sea due to the fact that this Crimean town is actually located far from the coast, in the very centre of the peninsula. To give another example, the mysterious town of Batria (Batirah; in the Dutch edition—Katria) is a corruption of Kozaria (Khazaria). By the 17th century the state of Khazaria had long ceased to exist; moreover, the city called “Kozaria” never existed in those borders. All this leads to the rather unpleasant conclusion that ben Eliezer’s account cannot be considered a description of the genuine travels of its author to the East. Thus, I cannot support the opinion of previous scholars working on his travel diary who thought that ben Eliezer did travel to the Holy Land. This, however, does not mean that one should completely discard the value of his geographic treatise. After all, it was based on accounts of other travellers— and thus still provides highly important information on the development of trade routes between Eastern Europe and the Near East. Gershon ben Eliezer’s book clearly shows how travel routes connected such European centres as Vienna, Venice, Budapest and Kamieniec with the Ottoman Empire and the Near East. This account, its unreliability and imprecision notwithstanding, is highly important since practically all previous and later Jewish travellers from Europe reached the Holy Land via one of the routes described by ben Eliezer. Another East European Jewish author, Moses ben Israel Naftali Hirsch of Prague (ca. 1610-?), travelled to the Holy Land around 1621, having been sent there by the head of the Prague Jewish community, Yeshua Halevi Horovits.12 Like ben Eliezer, he preferred to compose his account not in Hebrew, but in Yiddish.13 His 11 See quotes from Moshe ben Jacob’s Ozar Nehmad (1515) in Shimon Bernstein, “Ha-mahzor keminhag Kafa, toldotav ve-hitpathuto”, in Samuel K. Mirsky Jubilee Volume, New York, Jubilee Committee, 1958, p. 458, ft. 7. 12 Alias: Porges/Poerges/Präger/Foriat. 13 See also another account by a 17th century East European Jewish traveller, which was also com-
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account is much more detailed and realistic than that of his contemporary, ben Eliezer. The veracity of this travelogue does not give rise to any suspicions. Like ben Eliezer, at the beginning of his account Moses of Prague also provides us with information about the travel routes to the Holy Land from Prague. First of all, he mentions the importance of travelling to Constantinople (Qushta) which can be reached in two ways. The first is through Central and Central Eastern Europe: Prague - Vienna - Budapest - Belgrad - Sofia - Adrianople - Constantinople. The other way is from Prague to the capital of Eastern Galicia (historical Poland, today Western Ukraine), the city of Lemberg (L’vov / Lwów); from there the traveller was supposed to get to Constantinople overland through today’s Romania and Bulgaria. From Constantinople the traveller could reach the Holy Land either by sea (Constantinople - Rhodes - Jaffa) or by land (Constantinople - Ankara - Aleppo Hamadan - Damask - Safed - Jerusalem). One may notice that the routes mentioned by Moses of Prague are in many respects similar to those outlined by Gershon ben Eliezer. While describing the routes and his own way to the Holy Land Moses of Prague provides readers with a great amount of everyday advice and practicalities, describing the prices in local currencies, enumerating types of goods sold and portraying the life of local Jewish communities and the state of antiquities.14 As a highly interesting and idiosyncratic phenomenon, one should compare these accounts to the travel accounts of East European Karaite (i.e. non-Talmudic) Jews.15 In contrast to their Ashkenazi brethren, the Karaite Jews possessed virtu-
posed in Yiddish (Simcha ben Pesakh of Brześć/Brest, Sibuv qivrei ha-tsaddiqim [A tour round the graves of the righteous], Amsterdam: n.p., n.d.). 14 Moses ben Israel Naftali Hirsch Porges, Darkei Tzion [The roads of Zion], Amsterdam 1650. German translation/adaptation: Wege nach Zion. Reiseberichte und Briefe aus Erez Jissrael in drei Jahrhunderten, Berlin, Schocken Verlag, 1935, 89 p. Hebrew translation in Masa’ot Erets Yisra’el, op.cit., pp. 267-304; Hungarian translation in: Shlomo Spitzer and Geza Komoróczy (eds.), Héber kútforrások Magyarország és a magyarországi zsidóság történetéhez a kezdetektõl 1686-ig,. Budapest, MTA Judaisztikai Kutatocsoport, Osiris Kiado, 2003, pp. 579-84. 15 The Karaite Jews (Karaites) are members of an independent religious movement within Judaism. The origins of this movement are still being debated—according to the Rabbanite sources it began only in the 8th century A.D., whereas the Karaites themselves claim ancient Israelite origins. In spite of doctrinal parallels with some ancient Jewish sectarian movements, a greater scholarly approach suggests that it was only in the 9th-10th centuries that a few non-Talmudic dissident groups of Near Eastern origin merged into a unified movement called the Karaites or bene’ miqra. By the end of the 10th-11th centuries the Karaite communities were present in the countries of the Middle East, Byzantium, North Africa, the Caucasus and the Iberian Peninsula. The Karaites derive their name from the Hebrew word qara’im, which should be translated as “Scripturalists” or “champions of the Scripture.” Unfortunately, the exact time and precise historical circumstances, under which the Kypchak language was adopted by the medieval Karaite community as the main language of everyday use is still unclear. Nevertheless, it is possible to assume that it happened in the 12th-14th centuries, at the time of the Cuman and Tatar domination
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ally no knowledge of Yiddish and spoke the Turkic Karaim language16 as their Umgangssprache. In spite of the fact that from the end of the 16th century onwards the Karaites began using the Karaim language not only as a language of everyday use, but also as a literary language, practically all accounts by Karaite travellers were composed in Hebrew. The Karaites, who in the early modern period lived in Poland, Lithuania and the Crimea, were a minority in comparison to their Rabbanite brethren (fig.2). As a consequence of the Russo-Swedish War, which took part in Lithuanian territory, as well as frequent famines, conflagrations and epidemics, by the end of the 18th century the Karaite community of the Polish-Lithuanian Commonwealth had dwindled to 2,000-3,000 people.17 And yet, this minuscule community left a number of highly important travel accounts describing vicissitudes of Karaite travellers to the Holy Land, some of which are a must read for anyone researching the history of the development of trade routes between Europe and the East. A specific feature of all accounts by Karaite travellers is their focus on the state of the Karaite communities and their historical monuments. To give one example, the first thing which Moses ben Elijah ha-Levi, a Karaite traveller from the Crimea in 1655, wished to see in Jerusalem was not the Wailing Wall, but rather the Karaite synagogue of the city.18 The route of Karaite travellers from Eastern Europe always either started from the Crimea, or went through the Crimea (if a traveller was from the Karaite communities of Poland and Lithuania). From the Crimean ports of Caffa or Gezleve they normally travelled to Constantinople (Istanbul) where they were accommodated by the local Karaite community. Then they usually travelled by sea to Egypt where they stayed at the lodgings provided by the Karaite community of Cairo. From Cairo Karaite pilgrims usually reached Jerusalem by land.19
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over the Desht-i Kypchak, when Kypchak was used as the lingua franca of the region. The earliest Karaite settlers (who were, undoubtedly, Kypchak speaking by that time) appeared in the territories belonging to present-day Poland, Lithuania, Crimea and Western Ukraine in the late Middle Ages, not later than the 13th-15th centuries (for more information, see Karaite Judaism. A Guide to Its History and Literary Sources, ed. by M. Polliack, Leiden, Brill, 2003, 981 p.) Karaim (a.k.a. “Karaimo-Kypchak / Qaraimo-Qipchaq”) belongs to the Kypchak languages of the Oguz-Kypchak sub-group of the Common Turkic languages belonging to the Turkic branch of the Altaic family of languages. For details see now Dan Shapira, “Miscellanea Judaeo-Turkica. Four Judaeo-Turkic Notes (Judaeo-Turkica IV)”, Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 27, 2002, pp. 475-96. Tadeusz Czacki’s information that in 1790 the Karaite population of Poland and Lithuania stood at 4296 seems to be exaggerated, see: Tadeusz Czacki, Rozprawa o Żydach i Karaitach, Kraków, 1807, р. 145. Moses ben Elijah Halevi, “Masa’ot”, in Ginzei Yisra’el be-Sankt-Peterburg, ed. by J. H. Gurland vol. 1, Lyck 1865, pp. 31-43; Masa’ot Erets Yisra’el, op. cit., pp. 305-22. Samuel ben David, “Masa’ot”, art. cit., pp. 1-30. English translation: “Jemsel the Karaite,” in Jewish
Figure 2 | Karaites of Caffa (Theodosia). A drawing by Auguste Raffet (1837)
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Before travelling further east, Karaite voyagers from Poland and Lithuania first had to reach the Crimea. The travels of one such Polish Karaite pilgrim, Joseph ben Yeshua from Derażno, was destined to be terminated in the Crimea. Having arrived in the Karaite community of Çufut Qal’eh he was soon accused of espionage—and ended up in a prison in Bahçesaray “in the Khan’s palace with the chain on the neck.” It is only after a three-month imprisonment that the unfortunate pilgrim was released. The Khan (most likely, Mehmed Giray IV) confiscated the money which the Jewish pilgrim needed to travel to Jerusalem. Therefore, ben Yeshua could not travel any further and was forced to stay in Çufut Qal’eh for three years, where he studied the Torah with local sages. Thus, for him the Crimean imprisonment turned out to be a highly important part of his biography and religious education—but his wish to visit the Holy Land remained unsatisfied. The circumstances of his travels are known to us largely from the poem in the Galician dialect of the Karaim language entitled “Karanhy bulut” (“Black Cloud”). This seems to be a very interesting example of where a Jewish travel account was composed in the form of a poem—and in an exotic Judeo-Turkic language, in this case Karaim.20 Our survey of the accounts of East European Jewish travellers in the 16th and 17th centuries may be completed with the analysis of the travel account of Gedaliah of Siemiatycze (historical Poland; today Belarus). Gedaliah was a member of a group of the followers of Judah Hasid, a charismatic Jewish leader from the town of Shedlits (apparently, modern Siedlec in Poland). A group of 120 followers of Judah Hasid left Poland in 1699 and headed first to Frankfurt am Main. As a result of their leader’s missionary activity, the group soon increased to 1500 people but only about a thousand of them reached Jerusalem in 1700. This shows how dangerous and unsafe it was to travel from Europe to the East in those times.21 travellers in the Middle Ages, op. cit., pp. 329-44. Accounts of Karaite travellers to the East and to Europe are highly important also for the history of geographic literature in the 18th and 19th centuries. See Benjamin ben Elijah, “Masa’ot”, art. cit., pp. 44-54; Joseph-Solomon Lucki [pron. ‘Łutski’], Iggeret teshu’at Yisra’el, Gezleve/Eupatoria [1840s]; Philip Miller, Karaite separatism in nineteenth-century Russia: Joseph Solomon Lutski’s epistle of Israel’s deliverance, Cincinnati, HUC Press, 1993, pp. 70-204. 20 The collection of the Hebrew MSS in the Bodleian library of Oxford contains a very interesting version of “Karanhy bulut” of the Crimean provenance (Bodleian library of Oxford, MS Heb. F.5, f. 5-8; cf. Adolf Neubauer and Arthur Ernest Cowley, Catalogue of the Hebrew Manuscripts in the Bodleian Library, Oxford, Clarendon, 1886, p. 140, no.2725: “Hymns in the Tatar language”). The slightly different version of this poem was found by me in the macuma (Turk. “copybook”) of Rafael ben Joshua Grigulewicz in Manuscript Division of the Lietuvos Mokslų Akademijos Biblioteka, Vilnius, F.305, no.220, f. 17r-20v. See also Jan Grzegorzewski, “Caraimica. Język ŁachKaraitów”, Rocznik Orientalistyczny, 2/2, 1916-1918, р. 268-70, 274. 21 Gedaliah of Siemiatycze, Sha’alu shalom Yerushalayim, Berlin, n.p., 1716; cf. Masa’ot Erets Yisra’el, op. cit., pp. 323-67.
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This was perhaps the first large Jewish aliyah (emigration) to Palestine after the destruction of the Second Temple. Travel accounts, their value and importance notwithstanding, provide us with information largely about only one type of East European Jewish traveller: pilgrims to the Holy Land. Occasionally, travel accounts also provide information about the commercial activity of Jewish traders, types of goods, prices, and suchlike. I have found virtually no information in travel accounts about the involvement of Jews in the slave trade. Yet, as I have shown in my earlier research,22 Jews took an active part in this offshoot of trade—as sellers, buyers, intermediaries and even as objects of the slave trade. Some of the East European Jews were sent to negotiate purchase and redemption of the captives in remote European and Oriental countries. Highly interesting was the destiny of the 16th century merchant Meir Ashkenazi. He was apparently a native of Poland who moved to the Crimean port of Caffa together with his parents. He often travelled from the Crimea to Poland, Western Europe, Africa and the Near East on various trips of a political and commercial character. In 1567, for example, he delivered a group of slaves (prisoners of war) from Egypt to Gava (a port near Genoa). His destiny was rather tragic: during one of his travels, between the 15th and the 25th day of Tammuz (July) 1567, he was killed by corsairs near Dakhel in Upper Egypt along with all the other passengers on the ship.23 One of the letters of the Crimean vezir (minister) Sefer Gazı Ağa to the Polish chancellor Prażmowski mentioned that the Swedish captives seized in 1661 were sent to Poland under the escort of “my servant Dzinalny with a Jew Arslan.”24 It is interesting to note that this Jewish merchant whose Turkic name Arslan (“Lion”) shows his Crimean or Ottoman origin, was sent together with these captives to such a remote country as Poland. His mission, undoubtedly, was to negotiate monetary problems relating to
22 Mikhail Kizilov, “Slave Trade in the Early Modern Crimea from the Perspective of Christian, Muslim, and Jewish Sources,” Journal of Early Modern History , 11/1-2, 2007, р. 1-31; id., “Slaves, Money Lenders, and Prisoner Guards: The Jews and the Trade in Slaves and Captives in the Crimean Khanate,” Journal of Jewish Studies, 58/2, 2007, р. 189-210. 23 On his biography see the testimony of the witness Elijah ben Nehemiah given before the board of rabbis in Safed in responsa of Moses of Trani (part 2, no. 78) (Herman Rosenthal, “Ashkenazi, Meir, of Kaffa (Crimea),” Jewish Encyclopedia, vol. 2, NY-London 1902, pp. 199-200. For Polish documents, see: Maurycy Horn, “Udział Żydów w kontaktach dyplomatycznych i handlowych Polski i Litwy z zagranicą w XV-XVII w.,” Biuletyn Żydowskiego Instytutu Historycznego, 3-4, 1990, р. 7. 24 Pol. “poszyłam sługe swego Dzinalny z żydem Arsłanem” (Archiwum Główne Akt Dawnych in Warsaw, AKW Dz.Tatarskie, k.61, t.155, no.299. O wyruszeniu na pomoc… oraz prośba o konwoj… dla jencow szwiedskich pojmanych przez age w Polsce, f. 2). The Turkish name “Arslan” can also be found in the list of the members of the Karaite community of Caffa in the 16th century: Olexander Halenko, “Iudeiski hromady Osmanskoii Kefy seredyny XVI st.,” Skhodoznavstvo, 3-4, 1998, р. 59.
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the redemption fee for the Swedish captives. A slightly suspicious document published by B. Baranowski narrates a riveting story of two Galician Karaites25 who redeemed from Polish captivity a certain Tatar soldier, who later turned out to be a cousin of the kalga26 Agatumkiery from the Giray clan, the Tatar dynasty which had been ruling the Crimean Khanate. The story is highly interesting, but, taking into consideration Baranowski’s casual treatment of Karaite-related sources, one cannot be entirely sure of the veracity of this source and its interpretation by this scholar.27 It was also often the case that the Jews themselves were objects of the slave trade. Redemption of brethren-in-faith from harsh and unmerciful Muslim captivity was considered an elevated and noble deed in Jewish society of that time. One 17th century document calls this matter mitsvah gdolah (great commandment) and emphasizes the necessity of collecting tsedaqah (alms) for this purpose.28 The life and vicissitudes of the rabbi Moses ben Jacob ha-Goleh (the Exiled”) of Kiev (14401520), one of the most famous East European Jewish thinkers of that time, were closely related to the military campaigns of the Crimean Tatars. The rabbi was enslaved during the Tatar siege of Lida in 1506 and taken to the Crimean town of Qırım (Sulkhat). In spite of his bitter polemics with the Karaite leaders, Moses ben Jacob was redeemed through the joint efforts of the local Rabbanite and Karaite communities. After his release, the rabbi stayed in Caffa until the end of his days and became the leader of the local Rabbanite community, where he introduced a unified liturgical model.29 As has been mentioned above, it seems that it was the biography of Moses ben Jacob that “inspired” Gershon ben Eliezer to compose the Crimean part of his geographic treatise. As it was in the case of the rabbi Moses ha-Goleh, the Rabbanites and Karaites often forgot about their religious conflicts in order to save the lives of their religious brethren. A letter from Mordecai ben Samuel of Qırq Yer (i.e. Çufut Qal’eh) of 1677 largely deals with the problem of the release of the Karaite and Rabbanite captives kept in Constantinople. The Karaites
25 In addition to the Karaite communities of the Crimea, Lithuania, and Volhynia, there was also a small Karaite colony in Eastern Galicia (Halicz, Kukizów, Lwów, and a few smaller settlements). 26 Kalga (or kalgay) sultan was the second position in the Crimean Khanate after the Khan. Kalga’s main residence was in the town of Akmeçet (modern Simferopol’). 27 Bohdan Baranowski, “Przyczynki do stosunków Karaimów ze wschodem muzułmańskim,” Mysl Karaimska 12 (1939), pp. 11–19. Unfortunately, the veracity of this document cannot be verified; this document, as well as many other priceless materials of Polish archives disappeared in the flames of the Second World War and Warsaw ghetto uprising. 28 National Library of Russia in St. Petersburg F.946, Evr.I, Doc.I 23 (Doc.19). 29 Sergei Zinberg, “Avraam Krymskii i Moisei Kievskii,” Evreiskaya starina, 11, 1924, pp. 101-109; Golda Akhiezer, “The History of the Crimean Karaites during the Sixteenth to Eighteenth Centuries,” in Karaite Judaism, op. cit., р. 747-8.
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of Çufut Qal’eh agreed to contribute to the release of the captives, mentioning, however, the fact that the Karaite community of Constantinople should also take part in redeeming captives.30 The Warsaw Archive for Old Documents (AGAD) contains a highly interesting document related to the release of the Polish Jew Zaczek (i.e. Isaac) from Crimean captivity. The dating of the document is slightly unclear (Mehmed Giray khan referred to in the document could be either Mehmed Giray IV (ruled 1641-1644, 1654-1666) or Mehmed Giray I (1514-1523)).31 This document is a letter about a certain Polish Jew Isaac (“Żyd naimie Zaczek”) of Kamieniec Podolski, who borrowed money from the Khan’s servant “Obrahim” (also a Jew?)32 in order to pay his ransom fee. Obrahim himself travelled to Poland in order to clarify the matter. This document as well as several others cited above shows the development of travel and trading routes between the Crimea, Poland, and countries of the East. There is also some information on the role played by the East European Jews in the development of diplomatic contacts between Europe and Oriental countries. One of the first Polish ambassadors to the Crimean and Volga Khanates at the end of the fifteenth / beginning of the sixteenth centuries was Isaczko (Isaac) of Kraków. Isaac’s name and the privileges accorded to him for his diplomatic achievements are mentioned in numerous Polish documents of this period.33 Another Polish Jew, the abovementioned Meir Ashkenazi, who subsequently emigrated from Poland to the Crimean Khanate, was appointed envoy of the Tatar khan to Kraków (Poland) in the mid-16th century.34 Oriental Jews, for their part, were often instrumental in the establishment of diplomatic contacts between European countries and the Orient.35 Some of them, including those of Karaite origin, were 30 National Library of Russia in St. Petersburg F.946, Evr.I, Doc.I 23 (Doc.19). In fact only one Rabbanite captive, Israel, is mentioned by name. 31 Archiwum Główne Akt Dawnych in Warsaw, AKW Dz.Tatarskie, k.65, t.3, no.579. Przekład tureckiego listu Mehmed Gereja I chana krymskiego do kanclerza wielkiego koronnego. Prośba o zwrot pieniędzy za wykup pewnego Żyda… [1514-1523]; Archiwum Główne Akt Dawnych in Warsaw, AKW Dz.Tatarskie, k.60, t.88, no.93. Skrócony przekład dwoch tureckich listów z Krymu do Polski [XVII w.] (in Polish). The full text of the document is published in M. Kizilov, “Slaves”, art. cit., р. 189-210. 32 The standard Muslim form of this name is Ibrahim, not Obrahim. 33 Maurycy Horn, “Społeczność Żydowska w wielonarodowośćiowom Lwowie w 1356-1696,” Biuletyn Żydowskiego Instytutu Historycznego, 1, 1991, pp. 10-11. 34 H. Rosenthal, “Ashkenazi”, art. cit., pp. 199-200; M. Horn,“Udział”, art. cit., р. 7. 35 Janina Morgensztern, “Pośrednictwo Żydów w nawiązywaniu nieoficjalnych kontaktów dyplomatycznych między dworem polskim i tureckim w 1590 r. (W świetle korespondencji Zygmunta III z Janem Zamoyskim)”, Biuletyn Żydowskiego Instytutu Historycznego, 10, 1961, p.37-49.
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even appointed ambassadors: two Karaites were sent from the Crimea to Moscow as envoys of the Crimean Khan in the 17th century. For some reason the sources do not provide any information about itinerant Jewish physicians of Eastern European origin. From other documents we know that numerous West European Jewish physicians often travelled and offered their services in Eastern Europe. The most famous example for the 17th century would perhaps be Joseph Solomon ha-Rofe Delmedigo of Candia (Crete, 1591–1655), who stayed at the Radziwiłł court from 1619/20 to 1624/5. He was perhaps the most prominent foreign Jewish physician invited to Poland in the 17th century.36 In spite of the fact that there certainly were numerous Jewish physicians active in Eastern Europe in the 16th and 17th centuries,37 the sources do not provide any information about their travels to the East. The reason is that Eastern Europe was certainly a province from the standpoint of medical education—therefore services of East European Jewish physicians were not in high demand in the East. To conclude, East European Jews—pilgrims, merchants, and diplomats—played an important role as intermediaries between Europe and the Orient in the 16th and the 17th centuries. Unfortunately, only some of them recorded their travel experiences in writing and official documentation on Jewish travellers is even more fragmented. Nevertheless, quite a few authors (e.g. Moses ben Israel Naftali Hirsch of Prague, and Gedaliah of Siemiatycze) described in detail the vicissitudes of their travels eastwards. One of them (Gershon ben Eliezer Halevi of Prague) composed an eloquent and beautiful account of his misfortunes in Tatar captivity and travels in the land of the Ten Tribes of Israel. Alas, a more careful analysis of his travel account testifies to the fact that it was not based on the author’s own eyewitness impressions, but on the works of other travellers and vivid Jewish legends about the Lost Tribes. Highly important are writings of the East European Karaite (non-Talmudic) Jews who left detailed descriptions of Jewish and Karaite communities on their way from the Crimea to Jerusalem (e.g. accounts by Samuel ben David, and Moses ben Elijah ha-Levi). For many Jews their travels to the East were quite a risky enterprise. To give an example, the Karaite poet Joseph ben Yeshua from Derażno was arrested by the Tatar authorities in the Crimea on his way
36 Isak Heilbronn, Die mathematischen und naturwissenschaftlichen Anschauungen des Josef Salomo Delmedigo nach seinem “Sefer Elim”, Erlangen, Junge & Söhn, 1913, 92 p. 37 See also Maurycy Horn, “Medycy nadworni władców polsko-litewskich w latach 1506-1572 (ze szczególnym uwzględnieniem lekarzy i chirurgów żydowskich)”, Biuletyn Żydowskiego Instytutu Historycznego, 1, 1989, р. 3-24.
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to the Holy Land—and could not continue his travels. Meir Ashkenazi, a native of Poland and inhabitant of the Crimea, was killed by pirates in Upper Egypt. The exegete and Kabbalist Moses ben Jakob ha-Goleh of Kiev and the otherwise unknown Polish Jew Isaac were delivered to the Crimea as “live booty” of the bellicose Tatars—and hardly had any pleasant stories to tell about their uninvited travels there. These are only a few of the most interesting examples that one can find in written sources available to date. The situation had considerably changed by the 18th and 19th centuries. In this period, with the development of sea and land transport and the growth of Zionist tendencies more and more East European Jews started travelling eastwards and describing their travel experiences. The analysis of travel sources of this period, however, requires a separate study.
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Bibliography Archival Primary Sources Archiwum Główne Akt Dawnych in Warsaw -AKW Dz.Tatarskie, k.60, t.88, no.93. Skrócony przekład dwoch tureckich listów z Krymu do Polski [XVII w.] -AKW Dz.Tatarskie, k.61, t.155, no.299. (O wyruszeniu na pomoc… oraz prośba o konwoj… dla jencow szwiedskich pojmanych przez age w Polsce) -AKW Dz.Tatarskie, k.65, t.3, no.579. (Przekład tureckiego listu Mehmed Gereja I chana krymskiego do kanclerza wielkiego koronnego. Prośba o zwrot pieniędzy za wykup pewnego Żyda… [1514-1523]) Bodleian library of Oxford: - MS Heb. F.5, f. 5-8 [The poem “Karanhy bulut” byYosef ben Yeshuah] National Library of Russia in St. Petersburg: - F.946, Evr.I, Doc.I 23 (Doc.19) Manuscript Division of the Lietuvos Mokslų Akademijos Biblioteka, Vilnius: -F.305, no.220, f. 17r-20v. [The poem “Karanhy bulut” byYosef ben Yeshuah]
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-IVÉchanges et circulations
Un échange musical impossible ? Les récits de voyage en Terre Sainte de deux compositeurs espagnols de la Renaissance : Juan del Encina (1521) et Francisco Guerrero (1590) Cristina Diego Pacheco | Université Nancy 2 Centre d'études supérieures de la Renaissance (Tours)
La fin du xve siècle suppose, pour ce pays nouveau-né qu’est l’Espagne, un vrai tournant historique : les Rois dits « Catholiques » achèvent la « Reconquête » à la suite de la prise de Grenade en 1492 ; sous leur règne, l’Espagne détient une place prééminente face aux Français dans les guerres d’Italie, tout en s’assurant une situation stratégique dans la Méditerranée ; enfin, un Nouveau Monde est découvert sous leur égide. Tant de fortune annonçait peut-être les deux grands malheurs à venir : d’abord le manque d’héritier pour assembler ces territoires, et surtout un grave déséquilibre social issu de l’obligation de conversion sous peine d’expulsion des juifs (1492) et des morisques (1502). En effet, les conséquences immédiates de la prise de Grenade, de la conversion forcée des Maures et de l’expulsion des Juifs de la péninsule, furent bien plus profondes que celles liées à la « découverte » de l’Amérique, marquant la fin d’une période de coexistence entre trois religions et trois cultures dont les communautés (mais pas toujours les dirigeants) se côtoyaient relativement pacifiquement. Les fruits de ces longs contacts se traduisent par une riche expression artistique qui repose sur les influences des cultures arabes et chrétiennes, auxquelles la tradition juive vient naturellement s’ajouter. Celles-ci apparaissent d’abord sous forme de substance narrative dans le Romancero médiéval (ensemble de romances ou fragments poétiques issus des chansons de geste évoquant des événements historiques, souvent relatifs aux frontières floues séparant chrétiens et musulmans) ; et dans les Cancioneros ensuite, collections réunissant à la fois des poèmes dévots, des vieux ou des « nouveaux » romances, des chansons et des villancicos, ces derniers étant des poèmes dont la structure est proprement arabe1. 1
Voir, par exemple, Gómez Bravo et Ana María, Repertorio métrico de la poesía cancioneril del siglo XV, Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá de Henares, Servicio de Publicaciones, 1998, 740 P.
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Le mode « andalou » Les influences « arabisantes » que nous venons de citer reposent sur des sources littéraires car, lorsqu’il s’agit de saisir les traits musicaux « orientaux » dans les musiques chrétiennes hispaniques, on les trouve traditionnellement dans la littérature sur le sujet sous une forme très stéréotypée qui est celle du fameux mode « andalou » ou phrygien à réminiscences orientales :
Figure 1 | Mode andalou
La sonorité « pseudo-orientale » du mode dérive de trois éléments : le demi-ton entre la finalis (Mi) et le deuxième degré ; la seconde augmentée entre les degrés Fa-Sol# (intervalle « mobile » car il peut être modifié pour éviter cette même seconde augmentée) ; et la présence de deux sensibles : Ré#-Mi en mouvement ascendant (le Ré # étant également mobile pour éviter la seconde augmentée DoRé#) et Fa-Mi en mouvement descendant. Mais il est toutefois très rare de trouver une telle gamme dans les exemples de musique « chrétienne » écrite depuis la date symbolique de 1492 jusqu’à la fin du xvie siècle2 : il s’agit, en effet, d’une gamme théorique qui n’apparaît clairement que dans des œuvres du xixe siècle3. Malgré l’idée selon laquelle les sonorités pseudo-orientales reposent sur le mode « andalou » Mi-Si-Mi (transposé ou pas, fig. 1), exploitant l’intervalle de demi-ton entre la finalis et le deuxième degré, on s’aperçoit vite que cette prétendue imitation des sonorités est parfois purement rêvée : c’est le cas du villancico anonyme « Tres morillas » (« Trois jeunes maures », fig. 2), souvent identifié comme œuvre « arabisante », et inclus (parmi d’autres sources) dans le fameux Cancionero de Palacio de la fin du xve siècle4. Il possède une structure de zadjal et un texte grivois qui fait allusion à la quête d’amour de trois jeunes maures (extrait du refrain, voix de Superius) 5 : 2
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Elle apparaît cependant très clairement dans la musique de tradition orale, dont quelques réminiscences restent dans le flamenco (musique qui ne peut pas être véritablement analysée avant avant la fin du xixe siècle) et dans des chansons folkloriques comme la jota. Par exemple, chez Falla (l’amour sorcier), Ravel (boléro, deuxième thème), etc. Voir La Musique entre France et Espagne. Interactions stylistiques (1870-1969), éd. par L. Jambou, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003, 343 P. ; et notamment les articles d’Yvan Nommick, « Le matériau et la forme chez Manuel de Falla et Maurice Ravel : éléments d’analyse comparative », p. 291-306 ; et Guy Chapalain, « Les traits stylistiques guitaristiques dans l’écriture des années 1890-1920 », p. 254-267. No 420 [17-24]. Édition normalisée du Cancionero Musical de Palacio : Tres morillas me enamoran/ en Jaén, /
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Figure 2 | Tres morillas
Malgré la prétendue ambiance arabisante évoquée ci-dessus, ce fragment montre bien que nous sommes dans un mode de Ré transposé où l’absence de seconde augmentée, de sensible descendante, et surtout d’exploitation du fameux demi-ton entre la finalis et le second degré, constituent autant d'éléments qui nous éloignent du mode andalou et nous ramènent vers l’écriture modale (lire « chrétienne ») courante à l’époque à la fois en Espagne et en Europe occidentale. Cet exemple musical choisi en exorde illustre bien le propos essentiel de notre démarche : il s’agira de montrer comment, malgré les lieux communs encore formulés par une certaine critique musicale (plus que musicologique) non spécialisée, les échanges musicaux entre l’Espagne et la Méditerranée musulmane durant la Renaissance sont bien moins importants que l’on ne croit, voire presque inexistants. D’où l’expression mise en exergue dans le titre de cet article, celle qui évoque un « échange musical impossible ». Pour les musiciens espagnols de la Renaissance, l’intérêt pour la musique venant de l’autre côté de la Méditerranée semble être seulement anecdotique et très ponctuel. Il nous reste donc à explorer, afin de soutenir ou contester cette hypothèse, non pas le répertoire “arabisant” lui-même (tâche presque impossible, car cet important héritage musical s’est entièrement transmis oralement à l’époque)6, mais d’autres sources, notamment les témoignages des compositeurs eux-mêmes.
Les récits de voyage des compositeurs Encina et Guerrero Procédant maintenant de manière inductive, il nous semble pertinent d’évoquer deux récits de voyage écrits par deux musiciens-compositeurs ayant séjourné dans des pays musulmans, afin d’y analyser la place de la musique. En effet, les compositeurs Juan del Encina et Francisco Guerrero ont publié leurs récits de voyage en Terre Sainte – fait tout à fait exceptionnel pour des musiciens – dans lesquels on
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Axa y Fátima y Marién. / Tres morillas tan garridas/ iban a coger olivas, / y hallábanlas cogidas / en Jaén, /Axa y Fátima y Marién. / Y hallábanlas cogidas, / y tornaban desmaídas / y las colores perdidas / en Jaén, / Axa y Fátima y Marién. / Tres moricas tan lozanas, / tres moricas tan lozanas, / iban a coger manzanas / a Jaén,/ Axa y Fátima y Marién. Amnon Shiloah, La Musique dans le monde de l’Islam, Paris, Fayard, 2002, p. 13. L’auteur ajoute, à propos de l’Espagne, que « l’emprunt de certains éléments musicaux de cultures étrangères n’implique sans doute pas nécessairement l’adoption littérale de sa musique », p. 191.
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peut lire leurs impressions sur la Méditerranée orientale de l’époque. Nous nous pencherons donc sur ces deux récits, publiés respectivement en 1521 et 1590 dépouillant de manière exhaustive et intégrale toutes les allusions et références musicales contenues afin de trouver une quelconque forme d'ouverture témoignant d'un intérêt pour cette musique ou d'une éventuelle assimilation implicite de ce langage musical à celui de la musique espagnole de l'époque.
Tribagia o Via Sacra de Hierusalem de Juan del Encina7 Le premier compositeur, Juan del Encina, est bien connu des littéraires et des spécialistes de la Renaissance, car il est considéré comme le « père » du théâtre espagnol. Mais il s’agit également de l’un des principaux compositeurs espagnols de la seconde moitié du xve siècle. Juan de Fermoselle8 (son vrai nom) est né à Salamanque, où il fait ses études auprès de l’humaniste Antonio de Nebrija. Choriste de la cathédrale (1484-1490), il devient chapelain du chœur en 1490, année où il signe sous le nom d’« Encina ». De 1492 à 1498, il est au service de Fadrique, deuxième duc d’Albe, pour qui il compose à la fois des pièces de théâtre, des poèmes et de la musique, certaines de ses œuvres ayant été également accueillies à la Cour des Rois Catholiques. En 1498, après avoir tenté en vain d’obtenir un poste de chanteur à la cathédrale de Salamanque, il s’établit à Rome, où il est reçu en 1500 par le Pape espagnol Alexandre VI, obtenant de celui-ci un véritable traitement de faveur qui lui permet d’obtenir une ration de chanteur à la cathédrale de Salamanque. Ce même traitement de faveur lui sera accordé par les Papes successifs, Jules II et Léon X, qui lui accordent, entre autres, le bénéfice du priorat à la cathédrale de León. Encina est un personnage d’une grande érudition et un artiste complet, à la fois musicien, poète et dramaturge, mais aussi un homme ambitieux dont les paradoxes l’incitent à convoiter des bénéfices ecclésiastiques sans jamais avoir composé une seule œuvre musicale sacrée. Ordonné prêtre très tardivement, en 1518, il décide de partir en Terre Sainte seulement un an après, nous laissant l’intéressant récit de voyage que nous analyserons.
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Outre le ms. 17510 de la Bibliothèque nationale de Madrid, les éditions de l’œuvre sont celles parues à Rome (1521), Lisbonne (1580), Séville (1606), Lisbonne (1608) et Madrid (1786). Une édition princeps aurait également pu voir le jour en 1521 dans le palais sévillan du marquis de Tarifa, avec qui Encina a réalisé par hasard son voyage et qui est loué tout au long du récit ultérieur d’Encina : voir Lina Rodríguez Cacho, « El viaje de Encina con el marqués : otra lectura de la Tribagia », dans Humanismo y Literatura en Tiempos de Juan del Encina, éd. par J. Guijarro Ceballos, Salamanque, Ediciones Universidad de Salamanca, 1999, p. 163-181 (p. 181). Ce bref aperçu biographique apparaîtra dans le Guide de la Musique de la Renaissance, Paris, Fayard, 2011, article « Juan del Encina » co-signé Cristina Diego Pacheco et François Reynaud.
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Le voyage en Terre Sainte d’Encina, réalisé en 1519 à 50 ans, est publié à Rome en 1521 sous le titre de Tribagia9, mot qui veut dire, selon l’auteur, « voie » (tribos), et « sans fausseté » (agia)10 : El nonbre de la obra mía / de dos nonbres griegos viene : / tribos es carrera o vía, / y agia sana y sin falsía: / nonbre de Tribagia tiene. / Porque así por dones camina / quien Jerusalén pervenit; / el mesmo Juan del Enzina / dize que aquesta dotrina / silvestri ex ilice venit 11.
Le texte comprend 213 vers bâtis autour de l’identification écrivain-voyageur. Ces vers sont organisés suivant la structure bipartite typique de ce genre de récits : Prologue (« Admirativo preludio », 13 premiers vers) puis description du voyage proprement dit (rubrique « Comiença la preparativa narracion del viaje », 200 vers suivants)12. Il est construit selon la structure habituelle déterminée par les espaces visités, l’itinerarium, même si l’on trouve également une série de modules rhétoriques dont le fonctionnement ne suit pas toujours l’itinéraire des espaces cités13. Le recours à la brevitas, sans descriptions détaillées, est également omniprésent tout au long du récit et renforce sa valeur de témoignage. Cette dernière apparaît également sous la forme de données épigraphiques et d’un catalogue de reliques. L’auteur a également recours au principe de l’auctoritas dans les références fréquentes aux principes d’autorité14. Quelques chercheurs ont mis l’accent sur l’aspect dévotionnel du voyage, et donc sur sa lecture symbolique, qui entraînerait son adéquation avec le voyage du Christ, autrement dit la vie et la Passion15. Cela impliquerait de surcroît une mise en scène implicite, incluant des appels au lecteur et des invocations diverses, intégrées dans un long poème méditatif. Cette valeur symbolique est d’autant
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Il ne nous reste qu’un seul manuscrit de l’œuvre (BNM ms 17510), et des imprimés ultérieurs. Nous suivons l’édition de Miguel Angel Pérez Priego, Juan del Encina, Obra completa, Madrid, Fundación José Antonio de Castro, 1996 [Trivagia, p. 407-471]. Glose finale. Pour les textes issus de Tribagia, c'est nous qui traduisons. Traduction paraphrasée : "le titre de mon œuvre provient de deux termes grecs : tribos, sentier ou voie, et agia, saine et sans fausseté. D’où l’on tire le nom Tribagia, puisque c’est ainsi que marche celui qui revient de Jérusalem : sur des chemins de jouissance. Ainsi, Juan del Encina lui-même vous dit que cette doctrine silvestri ex ilice venit”. Nieves Baranda Leturio, « La Tribagia y otras peregrinaciones a Tierra Santa », dans Actas del IV Congreso de la Asociación Hispánica de Literatura Medieval, Lisbonne, Cosmos, 1993, vol. IV, p. 199-203. L’itinerarium proprement dit apparaît entre les coplas 47 et 191. Voir César Domínguez, « El factor testimonial en los relatos de peregrinación : el caso de la Tribagia de Juan del Encina » dans Humanismo… op. cit., p. 325-334 (surtout p. 326 et suiv.). Ibid., p. 332. Isabel María González Hernández, « El viaje y el descubrimiento : hacia una lectura devocional de la Tribagia de Juan del Encina », dans Humanismo… op. cit., p. 367-378.
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plus intéressante pour les musicologues qu’elle renforce l’idée selon laquelle la devotio nova, mouvement dans lequel ce récit s'inclurait, aurait joui d’une grande influence dans la Cour des Rois Catholiques (et notamment dans l’entourage de la reine Isabelle), influençant également le répertoire musical sacré à travers l’illustration – à la fois austère et dramatique – des textes, comme c’est le cas dans les motets de Peñalosa16. En dehors de ces appréciations, nous ne rentrerons évidemment pas dans l’analyse littéraire du récit du voyage d’Encina, qui a fait l’objet d’un certain nombre d’études. Mais sauf erreur de notre part, aucune n’a prêté attention au fait que l’auteur est aussi bien compositeur que poète et dramaturge, détail négligé par les chercheurs en littérature17. Pourtant, quelques aspects ayant trait à la musique sont en mesure de faire parler Encina le musicien dans ce récit : tout d’abord, l’éloge aux sens inclus dans l’« Admirativo preludio de Juan del Encina » (en préambule au voyage proprement dit) commence précisément par le sens de l’ouïe, auquel il consacre un nombre de vers supérieur aux autres : Las cosas onestas y santas oyendo, / teniendo la oreja muy pronta y abierta, / y a las desonestas çerrarles la puerta, / lo bueno y lo malo muy bien discerniendo18.
ou encore : Segun lo que alcanço, conozco y entiendo, / Dios puso la oreja como un valuarte / en torno al oído, de tal modo y arte / qu’el son bueno y malo perçibe en hiriendo19
Dans son récit, Encina semble particulièrement attentif aux cérémonies qui intègrent de la musique lorsqu’il se trouve à Sion, rappelant que le roi David était avant tout chanteur des psaumes, tout comme l’auteur lui-même (v. 697-700). Encina exhorte également le lecteur à chanter avec lui, avec grande dévotion, le
16 Voir à ce propos l’article de Tess Knighton, « Devotional piety and musical developments at the court of Ferdinand and Isabella », dans Iberian & Latin-American Music OnLine, vol. 0, coll. Iberian Discoveries, 1996. 17 D’après nos recherches, il n’existe que très peu de références bibliographiques sur la part de la musique dans son récit : celle de de Gonzalo Castrillo Hernández (« La escuela musical castellana en la Corte de Dª Isabel la Católica », dans Publicaciones de la Institución Tello Téllez de Meneses VI, Palencia, (1951), p. 219-236), très sommaire et datant d’il y a plus de cinquante ans ; et Gilbert Chase, « Juan del Encina, poet and musician », dans Music and Letters, XX/4, 1939, p. 420-430, également sommaire et imprécis au sujet de la Tribagia. 18 v. 209-212. Traduction paraphrasée : l’auteur est capable de discerner les bonnes choses des mauvaises grâce à son oreille, toujours prompte et ouverte. 19 v. 213-216. Traduction paraphrasée : Dieu distingue ce qui est bon de ce qui est mauvais grâce à l’ouïe.
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Christe Eleyson, afin de racheter ses péchés (v. 761-764). La musique des offices entendus à Jérusalem attire toute son attention, notamment ceux pour la fête de l’Assomption de la Vierge (v. 1497-1500). Un intérêt particulier pour les lieux de chant liturgique peut être aussi constaté dans son récit : lors de sa visite au Saint-Sépulcre, il offre des descriptions précises des chœurs et des chapelles des « chrétiens d’Orient » ainsi que des chanteurs qui y interprètent des mélodies (v. 849-856). Encina note au passage, avec une certaine prétention, que les chants entendus au Saint Sépulcre ne sont pas aussi dévots que ceux des chrétiens d’Espagne. Mais ce jugement négatif est rapidement nuancé aux v. 881-884, lorsqu’il explique que les religieux qui méditent dans ces lieux saints chantent l’office divin avec beaucoup de véhémence. La musique des personnages bibliques apparaît également citée : le Gloria in excelsis entendu par les bergers le jour de la Naissance du Sauveur était « une mélodie sublime » (v. 1422-1424) et Saint Jean aurait entendu le Benedictus et le Magnificat dans le ventre de sa mère, des chants « pour toujours éblouissants » (v. 1429-1432). Enfin, donnée décevante, la description faite de la première messe qu'Encina aurait célébré en tant que prêtre (v. 1517-1520) n’apporte guère d’information musicale. Comme nous l’avons constaté, tous ces renseignements musicaux portent, soit sur la musique des chrétiens d’Orient, soit sur les musiques imaginaires qu’auraient entendues des personnages bibliques auxquels Encina fait allusion dans son voyage, mais rien de concret ne filtre des musiques arabes ou arabisantes – rappelons au passage qu'une partie des chrétiens orientaux avait arabisé ses offices20. Il est également étonnant de constater que les allusions musicales restent toutefois vagues pour un compositeur professionnel, d’où l’on peut déduire un certain manque de curiosité aussi bien pour les musiques sacrées autres que les chrétiennes que pour les sons et les mélodies des rues et des campagnes par lesquelles Encina est passé. Cet aspect se justifie par le mépris teinté de dédain de ses propos à l’égard des peuples musulmans, exprimé de manière très explicite aux v. 609-12 : ¡ O gran inominia de reyes christianos ! / Perdónenme çierto, que me desentono, mas yo, por christiano, jamás les perdono / la injuria que sufren de perros paganos21.
Et il continue, v. 1617 ss. : Y todo el restante de la Tierra Santa / estar en poder de aquellos infieles, 20 Je remercie le prof. Bernard Heyberger d’avoir apporté cette intéressante nuance à ma réflexion. 21 Traduction paraphrasée : Ô grande ignominie des rois chrétiens ! Que l’on me pardonne, mais moi, chrétien, ne peux pas souffrir les injures qu’ils [les rois chrétiens] subissent de la part des chiens païens.
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cristina diego pacheco / de Dios enemigos, perversos, crueles, / el çielo y la tierra y el mar aún se espanta. / De nuestra floxura y poquedad tanta / los mesmos paganos se burlan de nos, / que tienen la tierra do fue nuestro Dios, / y nadie a cobrarla se mueve o levanta. / Y çierto no es mucho de la recobrar : / sus moros son pobres, inermes, mezquinos, / que poca más gente que los pelegrinos / a Jerusalem podrían tomar22.
Les propos sur les dangers encourus sur la mer à cause des pirates infidèles abondent par ailleurs dans ce sens, et ce sans parler de l’antijudaïsme affiché dans le récit23. Alors, comment s’occuper de leur culture et montrer une quelconque curiosité (notamment musicale) à leur égard, si ce même regard est déjà empreint d’arrogance et d’une certaine forme d’insensibilité et d’indifférence ? Il nous semble donc indispensable de lever tout malentendu et surtout de refuser toute évocation fantaisiste concernant l’échange ou la connaissance des musiques de la Méditerranée orientale chez Encina à la suite de son voyage, comme certains musicologues ou des ensembles musicaux peu avertis l’on fait encore récemment24.
El viage de Hierusalem de Francisco Guerrero25 La situation est-elle différente vers la fin du siècle, presque 70 ans après le récit d’Encina, lorsque Francisco Guerrero (fig. 3), maître de chapelle de la cathédrale de Séville – et par conséquent lui aussi compositeur et musicien profession-
22 Traduction paraphrasée : Et toute la Terre Sainte se trouve aux mains de ces infidèles, ennemis de Dieu, si pervers, si cruels qu’ils épouvantent le ciel et la terre et la mer. Et nous sommes si lâches et si faibles que de nous ils se moquent, car ils possèdent la terre de notre Dieu, et personne ne se relève pour la récupérer. Et la reprendre ne serait pas tâche difficile, car ils [infidèles] sont pauvres, indolents, et mesquins, si bien que les pèlerins, aidés de quelques personnes, pourraient la lui ravir. 23 Voir, par exemple, l’article de Lina Rodríguez Cacho, « El viaje de Encina… », art. cit., p. 178. 24 Sans vouloir rien enlever à l’indéniable qualité musicale de l’ensemble, citons comme l’un des derniers exemples le concert donné par l’ensemble La Caccia le 3 septembre 2008 au Festival de Musique ancienne d’Utrecht (Pays-Bas), où il était question des « musiques que Encina entendit durant son voyage : musique italienne et française des enclaves chrétiennes et également des œuvres musicales des empires ottoman et persan, ainsi que des chansons de Sépharad » (« Además de composiciones españolas sonarán piezas musicales que Encina escuchó en el camino : no sólo música francesa e italiana de los enclaves cristianos, sino también obras de los Imperios Otomano y Persa y canciones sefardíes »), programme Oudemuziek 29 aug-7 sept 08, Utrecht. 25 L’édition princeps est celle éditée à Valence, chez Joan Navarro (1590). Ensuite, 28 autres éditions se succéderont jusqu’en 1805 (Cf. José Francisco Sáez Guillén, « Viage de Jerusalem que hizo Francisco Guerrero », dans Francisco Guerrero, vida y obra, éd. par H. González Barrionuevo, Séville, Cabildo, 2000, p. 735-747). Nous suivons la transcription du texte de J. F. Sáez Guillén, provenant des éditions de Cordoue (1693) et de Madrid (1790). La transcription du récit (p. 749-791) est incluse dans l’ouvrage de González Barrionuevo cité supra. L’œuvre existe également en traduction française : Olivier Trachier, Francisco Guerrero. Voyage à Jérusalem, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 1997, 166 P.
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Figure 3 | Francisco Guerrero, 1528-1599. Portrait réalisé par Francisco Pacheco dans son Libro de descripción de verdaderos retratos de ilustres y memorables varones, Séville, 1599
nel – fait son voyage en Terre Sainte ? Peu d’arguments viendraient conforter ce changement de regard sur les peuples de la Méditerranée orientale, et surtout sur leur musique, comme nous allons le constater dans les pages qui suivent. Rappelons brièvement, comme nous l’avons fait pour Juan del Encina, le profil du compositeur et les circonstances de son voyage26. Originaire de Séville, il y apprend tout jeune l’art de la composition auprès de son frère, le compositeur Pedro Guerrero, puis se perfectionne avec Cristóbal de Morales. À dix-huit ans, il est maître de chapelle à Jaén, puis chanteur à la cathédrale de Séville, où il devient dès 1549 maître assistant du très âgé Fernández de Castilleja, poste qu’il ne quittera plus, notamment une fois qu’il obtient la charge en propre, en 1574. Toute sa vie est donc liée à l’institution sévillane, même si ses voyages sont fréquents : en 1557, il est à Yuste, dernière demeure de Charles Quint, auquel il offre un livre de motets et une collection de messes ; en 1561, il est reçu par Philippe II à Madrid, à qui il dédie son Canticum Mariae Virginis ; en 1566, il voyage à Lisbonne pour offrir son premier livre de messes au roi Sébastien de Portugal et obtenir de l’aide économique du cardinal Henrique, régent du royaume ; en 1581 et 1582, il est à Rome, où il publiera deux livres importants qui sortiront des presses romaines en 1582 et 1584. En 1588, il accompagne à Rome son protecteur, le cardinal de Séville don Rodrigo de Castro, et, de là, il se déplace à Venise, où il fait encore imprimer deux livres de musique. Lorsque l’éditeur vénitien lui annonce un délai de 5 mois dans 26 Cet aperçu provient également du Guide de la Musique de la Renaissance, article « Francisco Guerrero », co-signé Cristina Diego Pacheco et François Reynaud (Paris, Fayard, 2011).
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la publication, il décide d’entreprendre son voyage en Terre Sainte. Enfin, à sa mort en 1599, il est en train de préparer un ultime voyage à Rome, qu’il ne pourra finalement pas réaliser à cause de la peste qui ravage Séville et dont il est victime. Le voyage de Guerrero en Terre Sainte est donc issu d’un fait casuel, le retard dans l’impression de ses livres, qui lui fait prendre une décision qu’il envisageait depuis des années : connaître Jérusalem et les Saints Lieux, désir qu’il exprime dans la préface de son récit de voyage et qui provient, d'après son propre témoignage, de la composition de madrigaux spirituels qu’il réalise pour Noël ou pour les fêtes de la Vierge27. Accompagné de son disciple Francisco Sánchez, il visite Jaffa, Jérusalem, Béthanie et Bethléem, soit à peu près le même itinéraire qu’Encina presque un siècle plut tôt, et presque dans le même ordre. Ses expériences ont été très appréciées par les lecteurs de son époque et bien au-delà, en raison de son approche franche et vivante et de leur caractère intense. En effet, contrairement à Encina, qui écrit son récit en vers très élaborés et dans un langage rhétorique dont l’analyse fait encore débat, Guerrero nous offre un véritable guide de voyage, avec conseils, anecdotes, le tout avec de bonnes doses d'humour. Ce récit, rédigé dans l’optique « d’inciter les autres à faire ce même chemin »28 vise donc à faire des émules et à octroyer aux futurs voyageurs des connaissances pratiques très utiles. En outre, selon Alexandra Merle : Guerrero alterne de longues étapes narrées d’un trait de plume […] et de détails minutieux au sujet des sanctuaires de Jérusalem et de ses environs29.
Ces deux caractéristiques énoncées ci-dessus résument à elles seules ce que les récits espagnols de voyages allaient devenir par la suite, le Viaje de Guerrero pouvant alors être considéré comme l’archétype du genre30 et assurant son succès éditorial, avec 29 éditions au total : 6 éditions au xvie siècle, 15 éditions au xviie siècle (fig. 4), 7 éditions au xviiie, et une édition au xixe siècle, en 1805. 27 « Y, como tenemos los de este oficio por muy principal obligación componer chançonetas y Villancicos en loor del Sanctíssimo Nacimiento de Iesu Christo, nuestro Saluador y Dios, y de su santíssima Madre, la Virgen María, nuestra Señora, todas las vezes que me ocupaua en componer las dichas chançonetas y se nombraua Bethléem se me acrescentaua el desseo de ver y celebrar en aquel sacratíssimo lugar estos cantares en compañía y memoria de los ángeles y pastores que allí començaron a darnos leción desta diuina fiesta » (J. F. Sáez Guillén, « Prólogo », art. cit., p. 751). 28 Ibid. 29 Alexandra Merle, Le Miroir ottoman. Une image politique des hommes dans la littérature géographique espagnole et française (xve-xviie siècles), Paris, PUPS, 2003, p. 80. 30 Ibid.
Figure 4 | Viage de Jerusalem que hizo Francisco Guerrero. Page de titre de l’édition de 1667
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Les cinq mois et cinq jours de durée du voyage de Guerrero depuis son départ de Venise jusqu’à son retour à la même ville italienne sont structurés en neuf chapitres, le dernier rapportant le voyage de retour, qui contenait les fameux passages où l’auteur raconte ses deux captivités aux mains des corsaires français : « Après avoir eu mille péripéties parmi les Turcs, les Maures et les Arabes, le seul endroit où nous avons eu peur et avons encouru du vrai danger, ce fut la France »31. La musique dans le livre de Guerrero apparaît de manière plus explicite que chez Encina, du moins dans le prologue, où il nous offre un véritable portrait de sa personne et de son parcours de musicien. C’est ici qu’il explique d’où viendrait son désir de visiter la Terre Sainte, à savoir de la composition de villancicos et chansons spirituelles, lui faisant « nommer la Sainte ville de Bethléem et éprouver un grand plaisir d’y être », en ajoutant son serment de s’y rendre s’il survivait à ses parents32. C’est donc la recréation musicale des faits sacrés qui le pousse à réaliser le voyage et, selon Julio Alonso Asenjo, il s’agirait pour lui « du désir de contraster rêve et réalité […], base de son souhait de transcendance »33. Selon ce même chercheur, « lorsque la réalité est mesquine, elle sera idéalisée par le rêve de la musique »34. Bien que nous nous gardions de soutenir au pied de la lettre ces propos, qui émanent d’un littéraire qui sublime la musique sans pour autant nous donner des éléments précis d’analyse, il est évident que le parcours de Guerrero en tant que musicien octroie au récit un intérêt musical qui parfois peut être lu entre les lignes, et d’où il émane une émotion religieuse très profonde qui ne peut qu’être sublimée par son art, la musique. C’est ainsi que l’on retrouve chez Guerrero un enthousiasme qui n’a rien à voir avec le sentiment chrétien du ‘devoir accompli’ : « le voyage est à ce point plaisant que la possession de tous les trésors du monde ne saurait procurer semblable satisfaction »35. Le premier contact de Guerrero avec la musique est celui issu de la cérémonie religieuse célébrée à l’île grecque de Zante (Zakynthos). Selon Guerrero, la musique que les « Grecs » y chantaient était « en plain-chant », qu’il qualifie de « très simple et peu étudié »36, probablement en raison des polyphonies parallèles
31 Pour Olivier Trachier, en revanche, Guerrero « traite les pirates français de luthériens, mettant tous les ennemis du royaume dans le même sac » (Francisco Guerrero…, op. cit., p. 15). 32 J. F. Sáez Guillén, art. cit., « Prólogo », p. 752. 33 Julio Alonso Asenjo, « En torno al Viaje de Jerusalén de Francisco Guerrero », dans Maravillas, peregrinaciones y utopías. Literatura de viajes en el mundo románico, éd. par R. Beltrán, Valence, Universidad de Valencia / Departamento de Filología Española, 2002, p. 113-150. 34 Ibid. 35 A. Merle, Le Miroir ottoman… op. cit., p. 63. J. F. Sáez Guillén, art. cit., p. 752. 36 « Viage de Jerusalem que hizo Francisco Guerrero », éd. par J. F. Sáez Guillén, Séville, Cabildo, 2000 : Chap. 1, "Del camino que hizimos desde Venecia a Iafa Puerto de la tierra Santa", p. 754.
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de consonances parfaites (quartes, quintes, octaves) qu’il y aurait entendues. Plus tard, lorsqu’il évoque la visite aux sanctuaires37, il nous rapporte que la première tâche à accomplir lorsqu’on arrive au lieu de pèlerinage consiste à chanter l’hymne, l’antienne et le verset « du sanctuaire », suivi d’une procession liée « au mystère du lieu », et pour cela « on apporte un livre »38. On ignore si ces prières étaient chantées avec une quelconque polyphonie improvisée (super librum). Mais c’est la visite à la ville de Jérusalem qui attire toute son attention : en l’apercevant, lui et ses compagnons de voyage commencent spontanément à chanter des hymnes et des prières, et ce jusqu’à leur arrivée dans la ville39. Les chapelles de la ville sont visitées par le compositeur, où il participe aux processions, « chantant des antiennes et des versets »40. Au Saint-Sépulcre, administré par des Grecs mais fréquenté par des Arméniens, Géorgiens, jacobites, maronites, etc., l’on entend des offices divins chantés « chacun à sa manière, et dans sa langue »41. Guerrero regrette cependant le manque d’interprétation musicale dans certains endroits, comme les Saints Lieux du Calvaire et du Saint Sépulcre. Il nous indique en effet que, à son avis, Il aurait été convenable que de musiciens doués aient pu interpréter ici les Lamentations de Jérémie, tout en regardant et admirant le Calvaire et le Saint Sépulcre 42.
Au même endroit, au Saint Sépulcre, le regard porté sur les musiques des chrétiens orthodoxes devient plus indulgent lorsqu’il évoque le chant des matines : « A minuit, il est ravissant d’écouter les matines, chantées par des gens de pays différents, chacun dans sa langue »43. Les descriptions musicales vécues par le compositeur se limitent aux exemples évoqués ci-dessus : le lecteur n’y trouvera donc pas plus de renseignements sur les techniques musicales utilisées par les peuples présents dans les Lieux Saints ou sur leur répertoire. Or, comme c’était le cas chez Encina quelques décennies auparavant, le pouvoir d’évocation musicale est également puissant dans le récit de Guerrero. Et c’est à Bethléem qu’il nous fait l’évocation musicale la plus saisissante de son récit : Moi, en tant que compositeur, j’éprouve mille envies, mille désirs de
37 « Viage de Jerusalem... », op. cit, chap. 3, “Que trata de la Santa Ciudad de Ierusalem, y Sacro Monte de Sion, y de sus Estaciones”, p. 761, sqq. 38 Ibid., Chap. 3, p. 761. 39 Ibid., Chap. 6, “Del bendito camino, y Ciudad de Bethele[n]”, p. 772-773. 40 Ibid., Chap. 6, p. 773. 41 Ibid., Chap. 7, “De la Iglesia del Calvario, y S; Sepulcro ”, p. 777. 42 Ibid., Chap. 7, p. 778. 43 Ibid., Chap. 7, p. 779.
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cristina diego pacheco rassembler ici tous les meilleurs musiciens du monde, instrumentistes et chanteurs, pour dire et chanter mille chansons et villancicos à l’Enfant Jésus… en compagnie des anges, des rois et des bergers qui se rassemblèrent dans cet abri, si pauvre d’apparence mais en réalité d’une richesse inimaginable 44.
Toujours à Bethléem, il visite le lieu où les bergers avaient annoncé la naissance du Christ, nous rapportant également son émotion empreinte d'allusions musicales : Le gardien nous fait monter sur les terrasses de l’édifice et de la Maison voisine ; il nous montre les prés où les bergers entendirent l’ange leur annoncer la naissance du Christ notre sauveur, tandis que les légions angéliques chantaient « Gloria in excelsis Deo »45.
Enfin, quand il quitte la ville de Jérusalem, il évoque avec puissance le lieu où le prophète Jérémie avait composé ses Lamentations, chants particulièrement émouvants, imbus d’une grande mélancolie46. Guerrero concentre donc toute la force de sa foi catholique dans cette Terre Sainte, où il laisse libre cours à sa dévotion mariale, particulièrement importante à Séville à cette époque. Ce voyage aura ainsi renforcé sa foi, et, même si le mépris exprimé explicitement par Encina à l’égard des orthodoxes et des musulmans se voit ici adouci, son affligeant manque d’intérêt pour ces peuples et pour leurs musiques témoigne à nouveau de l’impossible échange musical entre ces cultures méditerranéennes, pourtant si proches. Un certain mépris se dégage en effet de la supériorité implicite qu’il octroie aux chants chrétiens sur les chants orientaux, comme il découle de son évocation de la procession des Rameaux jadis célébrée par les Frères Mineurs (latins) sur le mont des Oliviers et interdite ensuite par les Turcs. Il nous explique en effet que, lors de ces processions, douze frères, déguisés en apôtres, « chantaient et pleuraient de dévotion, interprétant des hymnes et des vers », ce qui rendait les « Maures » et les Turcs muets, stupéfiés et éblouis comme ils l’étaient « par la piété que l’événement dégageait »47. Enfin, Guerrero aurait pu nous apporter plus de précisions à propos des fêtes et des musiques festives interprétées lors de son séjour à la ville de Damas, où l’on célébrait des « fêtes [‘Pâques’] de Maures ». Rien de tel dans son récit, si ce n’est le plaisir de voir les « réjouissances » de la ville et déplorer la facilité avec laquelle un Turc ivre avait coupé la tête d’un Maure, craignant lui-même d’avoir pu être une victime facile de l’agresseur48.
44 Traduction française d’O. Trachier (Francisco Guerrero…, op. cit., p. 151). J.F. Sanchez Guillén, op. cit., chap. 6, "Del bendito camino, y Ciudad de Bethele[n]", p. 774. 45 Ibid., Chap. 6, p. 775. 46 Ibid., Chap. 8, “De nuestra salida de Jerusalen”, p. 781. 47 Chap. 5, “Del Sagrado Monte Olivete, y Betania”, p. 770. 48 Ibid., Chap. 8, p. 786.
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Signalons pour finir que nous ne pouvons associer de composition particulière de Guerrero à son voyage en Terre Sainte, contrairement au baron Cristoph Harant von Polschitz, musicien qui séjourne à Jérusalem 10 ans après Guerrero, et qui écrit une relation de voyage de près de 900 pages, où figure en bonne place un motet à 6 voix inspiré par la contemplation de la ville sainte (Qui confidunt in Domino)49. Ce sont sûrement ses villancicos et chansons spirituelles (villanescas), qu’il évoque par ailleurs au début de son récit, qui s’apparentent le plus – avec ses soliloques spirituels – à ses expériences de voyage. Ses chansons spirituelles antérieures au voyage étaient par ailleurs devenues si célèbres qu’elles circulaient dans des versions parfois peu fidèles à l’original, ce qui aurait incité notre compositeur à les publier à Venise en 1589 (précisément au moment où il effectue son voyage en Terre Sainte). Leur interprétation ultérieure à Séville aurait sans doute éveillé chez Guerrero les doux souvenirs de son périple50, tout comme les villancicos composés après celui-ci.
Réflexions finales L’étude sommaire des deux récits de voyage d’Encina et de Guerrero, publiés en 1521 et 1590 respectivement, aurait pu offrir au musicologue des témoignages essentiels pour mieux comprendre le regard que des musiciens professionnels espagnols portaient sur les musiques des pays méditerranéens durant la Renaissance. Or ces deux documents prouvent le manque d’intérêt, voire le mépris que les auteurs entretiennent à l’égard de la musique interprétée par les populations visitées, et les allusions musicales que l’on y trouve se réduisent à des descriptions succinctes des liturgies chrétiennes et à des jugements sommaires (le plus souvent péjoratifs), intégrés à ce que l’on pourrait définir comme une « rhétorique de l’omission ». Ces commentaires décevants pour un musicologue viennent en partie prouver l’éloignement musical (dans le domaine de la musique savante, la seule que nous pouvons analyser aujourd'hui), entre des populations géographiquement voisines mais culturellement éloignées. Comment étudier donc l’influence de la musique de l’islam et/ou de l’Orient méditerranéen sur la musique espagnole de la Renaissance ? Faute de sources écrites de musique populaire, rien ne nous permet d’assimiler les musiques écrites ou savantes – même d’inspiration populaire, comme les villancicos à sujet arabisant – aux musiques orientales : rappelons à ce propos que l’exploitation systématique des échelles « andalouses »
49 Exemple trouvé dans O. Trachier, Francisco Guerrero…, op. cit., p. 28. 50 Olivier Trachier (Francisco Guerrero…, op. cit., p. 151) préfère évoquer à ce propos son motet Duo Seraphim à 12 voix, véritable cantique spirituel.
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dans les musiques savantes date du xixe siècle et les inscrire dans le répertoire musical antérieur à cette date ne peut aucunement être justifié. En outre, chez les compositeurs espagnols, l’absence de traces de musiques arabisantes dans le répertoire est ratifiée dans les deux récits évoqués dans ce travail, caractérisés par leur manque d’empathie et d’intérêt à l’égard des peuples de l’Orient méditerranéen. D’où un échange musical qui nous semble « impossible » à cerner et à saisir, à moins que de nouvelles sources d’analyse ne viennent contredire ce raisonnement. Les pages consacrées dans notre travail à ce prétendu échange musical soulignent malheureusement le manque de sources et donc de méthodologie adaptée pour mener à terme de telles recherches, et incitent au passage l’amateur de musique à avoir un regard avisé et éclairé sur la prétendue fusion entre les musiques espagnoles de la Renaissance et celles de la Méditerranée orientale maintes fois évoquée.
La Sérénissime et la Sublime Porte, ou comment les arts contribuent aux échanges diplomatiques au xvie siècle Frédéric Hitzel | Centre national de la recherche scientifique École des hautes études en sciences sociales (Paris)
Les relations entre la Sérénissime et l’Empire ottoman sont souvent présentées comme un conflit permanent, la République de Venise symbolisant le porteétendard de la chrétienté. Si les deux siècles et demi qui suivent la chute de Constantinople en 1453 sont ponctués de longues guerres et d’affrontements entre les deux puissances rivales, on assiste également à de longues périodes d’échanges pacifiques, même si les relations restent tendues. Au xvie siècle, grosso modo depuis la bataille de Zonchio en 1499 jusqu’à celle de Lépante en 1571, les Vénitiens perdent progressivement leur suprématie navale en Méditerranée. Cette perte est confirmée par la victoire ottomane à la bataille de la Prévéza en 15381. En l’espace de deux siècles, les Vénitiens voient l’essentiel de leur domaine d’Outre-mer leur échapper, dont la plupart des îles de l’archipel entre 1537 et 1540. Le coup de grâce sera apporté par la conquête ottomane de Chypre en 1570 et de la Crète en 1669. Cependant, les Vénitiens savent rester beaux joueurs et, le cas échéant, ils n’hésitent pas à présenter aux sultans leurs félicitations (au moins discrètes) lorsque ses armées remportent des victoires. Les pays chrétiens, à commencer par les Habsbourg, se méfient beaucoup des ambiguïtés de la politique vénitienne, qui est souvent accusée de complicité et de complaisance à l’égard des Ottomans. De fait, le baile Pietro Zen ne cacha pas la satisfaction avec laquelle Venise accueillit la victoire remportée par les Ottomans sur les forces impériales à Mohács en 1526 : il fit draper la résidence vénitienne de
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Hans Theunissen, Ottoman-Venetian Diplomatics : The ‘Ahd-names, Utrecht, Université d’Utrecht, Electronic Journal of Oriental Studies, I/2, 1998.
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draps d’or et aménager une fontaine de vin2. Même si cette image est quelque peu exagérée, elle témoigne de la position équivoque de Venise et de son représentant. Mais il est vrai que les exigences de la realpolitik et du commerce imposent à la République de Venise de maintenir de bonnes relations commerciales et diplomatiques en tout temps. Notre communication rappellera brièvement les relations vénéto-ottomanes en insistant surtout sur les atouts des Vénitiens ; puis nous évoquerons les échanges diplomatiques en nous arrêtant plus particulièrement sur la remise des cadeaux. Ces derniers revêtent une importance considérable. Ils sont, à l’origine, une manifestation d’une forme de domination subtile par la technique et par les arts, mais, ce faisant, ils n’en constituent pas moins un premier jalon dans les bonnes relations diplomatiques.
Contexte général Depuis la fin du xve siècle, Venise a perdu l’avantage en Méditerranée et reste sur la défensive face à la marine turque. Or, elle a encore des intérêts fondamentaux à défendre : une position commerciale importante dans l’Empire turc et le Levant, des possessions en Méditerranée qui sont autant d’escales sur la route de l’Égypte et de la Syrie. La Crète et Corfou, Chypre – dont elle prend possession en 1489 – Coron, Modon et Nauplie en Morée, forment la frontière maritime que les Ottomans lui disputent. Ces derniers enlèvent Coron et Modon en 1503 (toutefois Venise prend Zante et Céphalonie), prennent Nauplie en 1540, et Chypre en 1570. Quant à l’Égypte et à la Syrie, elles sont tombées sous le contrôle ottoman en 1516, mais les navires de la République conservent l’accès à leurs ports. De fait, après la prise de Constantinople par Mehmed II, les Vénitiens vont s’appliquer à développer à nouveau leur commerce en Méditerranée. Ils s’empressent de renouveler leurs « capitulations » (18 avril 1454), ces traités commerciaux accordés par les sultans qui reconnaissent et garantissent l’entente politique. Les capitulations, que les Ottomans désignent de leur côté, de manière plus large, comme des ‘adhnâme (littéralement des engagements écrits du souverain) ont pour but principal de définir et d’assurer les garanties et immunités accordées aux sujets vénitiens résidant dans l’Empire ottoman. Elles rendent ainsi possible, en apportant les garanties juridiques indispensables, un commerce occidental dans l’Empire ottoman.
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Tommaso Bertelè, Il Palazzo degli Ambasciatori di Venezia a Costantinopoli e le sue antiche memorie, Bologne, Apollo, 1932, p. 42.
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Venise va rapidement consolider sa position à Istanbul en établissant dès 1454 une représentation diplomatique permanente en la personne du baile, présence renforcée par des missions régulières d’envoyés extraordinaires qui se rendent à Istanbul pour conclure un traité, féliciter un sultan à l'occasion de son avènement ou d'une victoire militaire, ou enfin pour assister aux festivités accompagnant la circoncision d’un prince3. Exerçant à la fois les fonctions de consul et d’ambassadeur, le baile était également chargé de veiller aux intérêts des marchands vénitiens installés dans la capitale ottomane4. À cette époque, Venise disposait de précieux atouts par rapport à ses rivales européennes. Elle jouissait d’une vieille tradition commerciale, qui pouvait s’appuyer sur de nombreuses communautés installées à Istanbul et autres grandes cités, dont les membres constituaient autant d’intermédiaires potentiels ; citons les Grecs, Arméniens, Juifs et Gasmules, c’est-à-dire les descendants de mariages gréco-latins5. En matière de communication, la langue ne constituait pas un obstacle, même si, quelques années plus tard, la Sérénissime devait se méfier des interprètes locaux et décida en 1551 de créer l’école des Giovani di Lingua6. La conquête ottomane le long des côtes adriatiques n’avait pas effacé le souvenir des villes anciennement sujettes de la République Sérénissime telles Raguse7 et Ancône, dont la population comptait de ce fait tant des chrétiens, des juifs que des musulmans. Bien plus, les impératifs liés au commerce maritime avaient amené à Venise de nombreux commerçants de confession musulmane venus de divers horizons de l’Empire turc, notamment d’Anatolie, de Bursa, et même de Bosnie et 3
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Stéphane Yerasimos et Jean-Louis Bacqué-Grammont, « La résidence du baile de Venise à Balıkpazarı. Essai de localisation », Anatolia Moderna, VI, 1996, p. 1-11 ; Éric R. Dursteler, « The Bailo in Constantinople : Crisis and Career in Venice’s Early Modern Diplomatic Corps », Mediterranean Historical Review, 16, 2001, p. 1-25 ; Aygül Ağır, Istanbul’un Eski Venedik Yerleşimi ve Dönüşümü, Istanbul, Araştırmaları Enstitüsü, 2009, 286 p. Éric R. Dursteler, Venetians in Constantinople. Nation, Identity, and Coexistence in the early Modern Mediterranean, Baltimore, The Johns Hopkins Univ. Press, 2006, p. 23-40. Robert Mantran, « Foreign merchants and the minorities in Istanbul during the sixteenth and seventeenth centuries », dans Christians and Jews in the Ottoman Empire. The Functioning of a Plural Society, éd. par B. Braude et B. Lewis, New York, Holmes and Meyer, 1982, vol. 1, p. 127-137. Sur le rôle des juifs dans le commerce avec Raguse, voir Moises Orfali, « Dona Gracia Mendes and the Ragusan Republic: The successful use of economic institutions in 16th-century commerce », dans The Mediterranean and the Jews, éd. par E. Horowitz et M. Orfali, Ramat Gan (Israël), Bar-Ilan éd., vol. 2, 2002, p. 175-201. Francesca Lucchetta, « La scuola dei “giovani di lingua” Veneti nei secoli XVI-XVII », Quaderni di Studi Arabi, 7, 1989, p. 19-40 ; Isabella Palumbo Fossati Casa, « L’École vénitienne des “Giovani di Lingua” », dans Istanbul et les langues orientales, éd. par F. Hitzel, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 109-122. Verena Han, « Fifteen[th] and sixteen[th] century trade in glass between Dubrovnik and Turkey », Balcanica, 4, 1973, p. 163-178, ici p. 165-166 ; Cemal Kafadar, « A death in Venice (1575). Anatolian Merchants trading in the Serenissima », Journal of Turkish Studies, 10, 1986, p. 191-218, ici p. 195.
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d’Albanie depuis l’ouverture de l’échelle de Spalato en 1589. Leur nombre ne cessant de croître avec le temps, les autorités vénitiennes cherchèrent à les regrouper et à les isoler du reste de la population par crainte de l’espionnage ou de troubles éventuels provoqués par une trop grande promiscuité religieuse. Après plusieurs tentatives infructueuses, l’État acquit sur le grand canal l’ancien palais des ducs de Ferrare pour y aménager en 1618 le Fondaco dei Turchi8. Venise dépendait des Ottomans pour son approvisionnement en blé9 et en autres produits de base tels que les épices, la soie grège, le coton, le cuir, l’alun ou encore la soude destinée à l’industrie du verre de Murano, qui étaient importés des provinces ottomanes de Syrie et d’Égypte10. N’oublions pas les tapis, qui figurent dans de nombreuses peintures de la Renaissance11. Dans l’autre sens, les Vénitiens exportaient essentiellement des produits finis : tissus, draps flamands, verre, miroirs, savon, papier, étain, bronze, coffres, horloges. Ils fournissaient également du corail méditerranéen et de l’ambre de la Baltique. Mais surtout, la cité des doges excellait dans la production d’objets de luxe : soieries fines, verrerie, bijoux, cristal de roche, qu’elle exportait12. Soulignons aussi que de hauts personnages ottomans étaient originaires des territoires de la République, que ce soit en Grèce ou en mer Égée. On peut citer le cas d’Ibrahim Pacha, le grand vizir de la première partie du règne de Soliman le Magnifique. Ibrahim Pacha était né à Parga, un village situé sur les côtes de l’Épire, en face de Corfou13. Un autre exemple célèbre est celui de Nûr Bânû (m. en 1587), l’épouse « vénitienne » de Sélim II et mère du sultan Murad III (1574-1595). Elle
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Serafettin Turan, « Venedik’te Türk Ticaret Merkezi (Fondaco dei Turchi) », Belleten, 32, 1968, p. 257-283, ici p. 261 ; Paolo Preto, Venezia e i Turchi, Florence, G. C. Sansoni, 1975, p. 126-143 ; Juergen Schulz, « The restoration of a Fondaco dei Turchi », Annali di Architettura, 7, 1995, p. 19-38 et « Early Plans of the Fondaco dei Turchi », Memoirs of the American Academy in Rome, 42, 1997, p. 333-344. Maurice Aymard, Venise, Raguse et le commerce du blé pendant la seconde moitié du xvie siècle, Paris, SEVPEN, 1966, 178 p. ; Mihnea Berindei, « Les Vénitiens en mer Noire, xvie-xviie siècles », Cahiers du monde russe et soviétique. Hommage à Alexandre Benningsen, 30/no 3-4, 1989, p. 207-223. Sur le commerce du verre, voir J. Michael Rogers, « Glass in Ottoman Turkey », Istanbuler Mitteilungen, 33, 1983, p. 239-266 et « To and fro : Aspects of Mediterranean trade and consumption in the 15th and 16th centuries~ », Villes au Levant : Hommage à André Raymond, Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, 55-56, 1990-1992, p. 57-74, ici p. 68, no 16 et David Jacoby, « Raw materials for the glass industries of Venice and the Terraferma, about 1370-about 1460 », Journal of Glass Studies, 35, 1993, p. 65-90. Voir les expositions de l’Institut du Monde Arabe, Tapis. Présent de l’Orient à l’Occident, Paris, Institut du Monde Arabe, 1989, 199 p. ; Institut du Monde Arabe, Le Ciel dans un tapis, Paris, Institut du Monde Arabe, 2004, 207 p. Robert J. Charleston, « The import of Venetian glass into Turkey : Sixteenth-eighteenth centuries », Connoisseur, 162/no 651, mai 1966, p. 19-26. Ennio Concina, Il doge e il sultano : mercatura, arte e relazioni nel primo 500. Doç ve Sultan. XVI Yüzyıl başlarında Ticaret, Sanat ve Ilişkiler, Rome, Logart Press, 1994, p. 145.
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prétendait avoir des origines vénitiennes et appartenir à la famille patricienne des Venier de l’île de Paros en mer Égée. Une telle ascendance ne pouvait laisser indifférents les Vénitiens, surtout que son petit-cousin putatif, Sébastien Venier (Sebastiano Veniero), qui fut élu doge de Venise en 1577, était un héros de Lépante. Le Sénat finit cependant, à la longue, par douter de ses origines14. On trouve également des Ottomans originaires des territoires vénitiens parmi les nombreux interprètes de la Porte, les baş tercüman. L’un des plus illustres titulaires du poste fut Yûnus Beg, le drogman de Soliman le Magnifique, qui se disait originaire de Modon, fils d’un certain Zorzi Taroniti d’après les sources vénitiennes, et avait de la famille à Zante15. N’oublions pas enfin le rôle joué par certains personnages comme Alvise Gritti, le fils bâtard du doge vénitien Andrea Gritti, qui résida à Constantinople où il amassa une fortune considérable et s’introduisit dans la faveur du grand vizir Ibrahim Pacha, sur lequel il exerça une véritable influence16. Mais si la plupart des échanges se faisaient par les voies commerciales ordinaires, c’est-à-dire par l’intermédiaire de marchands vénitiens installés à Péra, de marchands ottomans installés à Venise et de marchands impériaux ottomans envoyés par le sultan (ceux que l’on appelle les hassa tüccar), une partie non négligeable de la demande empruntait des voies diplomatiques par les moyens les plus divers17. 14 Emilio Spagni, « Una sultana veneziana », Nuovo Archivio Veneto, 19, 1900, p. 341-348 ; Ettore Rossi, « La sultana Nûr Bânû (Cecilia Venier-Baffo) moglie di Selîm II (1566-1574) e madre di Murâd III (1574-1595) », Oriente Moderno, 33, 1953, p. 433-435 et Benjamin Arbel, « Nur Banu (c. 1580-1583) : A Venetian sultana », Turcica, 24, 1992, p. 241-259. 15 Jean-Louis Bacqué-Grammont, « À propos de Yûnus Beg, Baş tercüman de Soliman le Magnifique », dans Istanbul et les langues orientales, op. cit., p. 23-39 ; Gülru Necipoğlu, The Age of Sinan, Architectural Culture in the Ottoman Empire, Londres, Reaktion Books Ltd, 2005, p. 485-486. Pour d’autres convertis d’origine vénitienne qui occupèrent des postes importants à la cour ottomane, voir Maria Pia Pedani [Fabris], « Safiye’s house-hold and Venetian Diplomacy », Turcica, 32, 2000, p. 9-32, ici p. 19-23 et 25. Sur les renégats, voir Hans Joachim Kissling, « Das Renegatum in der Glanzzeit des Osmanischen Reiches », Scientia, 1961, p. 18-26 ; Gino Benzoni, « Il « farsi turco », ossia l’ombra del rinnegato », dans Venezia e i Turchi : Scontri e confronti di due civiltà, A. Tenenti (éd.), Milan, Electa, 1985, p. 91-133. 16 Ce personnage d’Alvise Gritti a inspiré de nombreux historiens, voir Heinrich Kretschmayr, « Ludovico Gritti, eine Monographie », Archiv für Österreichische Geschichte, 83, 1897, p. 3-105 ; Robert Finlay, « Al servizio del Sultano : Venezia, i Turchi e il mondo Cristiano, 1523-1538 », dans « Renovatio urbis. » Venezia nell’età di Andrea Gritti (1523-1538), éd. par M. Tafuri, Rome, Officina Edizioni, 1984, p. 78-118 ; A. Decei, « Aloisio Gritti au service de Soliman le Magnifique d’après des documents inédits (1533-1534) », Anatolia Moderna, 3, 1992, p. 10-60 ; C. Fenesan et J.-L. BacquéGrammont, « Notes et autres documents sur Aloisio Gritti et les pays roumains », Anatolia Moderna, 3, 1992, p. 61-103 ; Ferenc Szakaly, Lodovio Gritti in Hungary, 1529-1534. A Historical Insight into the Beginnings of Turco-Habsburgian Rivalry, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1995, 144 p. ; A. Papo et G. Nemeth, « Ludovico Gritti. Partner commerciale e informatore politico-militare della Repubblica di Venezia », Studi Veneziani, n.s., 41, 2001, p. 217-245. 17 Christiane Villain-Gandossi, « Contribution à l’étude des relations diplomatiques et commer-
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Échanges par les voies diplomatiques En dehors des voies commerciales classiques, la cour ottomane recourait à la voie diplomatique pour se procurer des objets et textiles fabriqués à Venise. On peut distinguer trois méthodes : la plus facile et la plus directe était de dépêcher un agent ottoman à Venise chargé d’effectuer des achats particuliers ; la seconde était de passer des commandes officielles, via le baile ; la troisième, certainement la plus aléatoire, était d’attendre la remise officielle de présents.
Les agents ottomans à Venise Tout au long de l’époque moderne, des émissaires ottomans se rendaient régulièrement à Venise pour le compte du sultan ou de son entourage afin d’en rapporter toutes sortes de commandes, mais plus particulièrement de riches étoffes et textiles. Ce sont assurément des marchands officiels, que nous désignerons en français comme marchands « de la Cour » ou encore « du Trésor », bien qu’ils ne soient pas systématiquement envoyés par le sultan. On a le plus souvent affaire à des hommes d’origines diverses, apparaissant ici et là dans la documentation, chargés au coup par coup, en fonction des besoins, d’une mission ponctuelle, économique et financière. En 1546, par exemple, le beylerbey de Roumélie, Semiz ‘Alî Pacha, demanda au doge Francesco Donato des nouvelles de son agent envoyé à Venise acheter de la soie (ibrişim) pour Hürrem Sultane, l’épouse de Soliman le Magnifique18. De même, en 1569, le grand vizir Sokollu Mehmed Pacha exigea l’intervention du baile auprès des autorités vénitiennes pour veiller à ce que l’agent envoyé par le beylerbey de Buda, qui était aussi son neveu, puisse acheter des étoffes à Venise19. En 1589, le sultan dépêcha un trésorier du palais, un certain Mustafa, chargé de rapporter 2000 braccia de draps d’or (1 braccio = 0,6833396 m, soit plus de 1100 mètres) pour le trésor royal. Il était muni d’une lettre rédigée en turc qui précisait que c’était une ancienne coutume de la Sublime Porte d’acheter des draps d’or tissés à Venise (antico costume della Porta di far confezionare a
ciales entre Venise et la Porte ottomane au xvie siècle : III. Firmans du sultan Murad III », SüdostForschungen, 28, 1969, p. 13-47. 18 M. Tayyip Gökbilgin, « Venedik devlet arsivindeki vesikalar kulliyatında Kanuni Sultan Süleyman devri belgeler », Belgeler, 2/1, 1964, p. 119-220, ici p. 172 ; S. Turan, « Venedik’te Türk Ticaret Merkezi (Fondaco dei Turchi) », art. cit., p. 253 ; Maria Pia Pedani [Fabris], In nome del Gran Signore. Inviati ottomani a Venezia dalla caduta di Costantinopoli alla guerra di Candia, Venise, Deputazione editrice, 1994, p. 155, doc. 603-604. 19 Julian Raby, « La Sérénissime et la Sublime Porte : les arts dans l’art diplomatique, 1453-1600 », dans Venise et l’Orient, Paris, Gallimard, 2006, p. 95, note 32.
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Venezia drappi d’oro per conto del tesoro imperiale) et que, dans le cas présent, la commande serait payée avec l’argent du tribut de Raguse, dont les autorités avaient déjà reçu des ordres dans ce sens20. Les tissus faisaient partie des articles les plus demandés, mais les commandes pouvaient tout aussi bien concerner des sièges, des coffrets, des lampes en verre, des miroirs, des perles, des vitres, que des oiseaux de proie, des pains de sucre, du fromage.
Les commandes directes via le baile De son côté, le baile recevait régulièrement des demandes particulières de la part de membres du palais. Il va de soi que les Vénitiens s’empressaient de les satisfaire. En 1532, le defterdar (responsable des finances) demanda une paire de lunettes (ochiali) au vice-baile Pietro Zen, qui lui fit parvenir des lunettes à monture en argent21. En 1576, le baile fut de nouveau sollicité pour une commande de lunettes et d’une loupe pour le précepteur du sultan ; l’année suivante, deux paires de lunettes furent expédiées à Siyâvuch Pacha22. On retrouve également des commandes de tissus, comme cette demande d’échantillons de tissus transmise au baile par Sokollu en 1577. En mars de l’année suivante, les autorités vénitiennes lui expédièrent une caisse pleine de draps d’or23. Trois mois plus tard, le baile remit les tissus au grand vizir, lequel était manifestement ravi puisqu’il déclara qu’il n’avait pas vu d’aussi belles étoffes en provenance de Venise depuis plusieurs années. La fièvre de construction qui s’empara d’Istanbul au cours du xvie siècle entraîna de nombreuses commandes, surtout dans les ateliers de Murano. Ces derniers devaient satisfaire en lampes de mosquées et vitres le sultan, le mimar başı, le bostancı başı, le grand vizir mais également les grands personnages. Il est vrai qu’à cette époque, les ateliers de Murano étaient les seuls à maîtriser parfaitement la technique des plaques de cristal. C’est ainsi qu’en 1568, le grand vizir Sokollu Mehmed Pacha réclama au baile des cesendelli (lampes suspendues en forme de
20 Pour le texte turc de la lettre adressée par Murad III au doge Pasquale Cicogna, voir S. Turan, « Venedik’te Türk Ticaret Merkezi (Fondaco dei Turchi) », art. cit., p. 252, 278-279 ; M. P. Pedani [Fabris], In nome del Gran Signore…op.cit., p. 252. Une version plus longue dans Giovanni Curatola, « Ebrei, turchi e veneziani a Rialto. Qualche documento sui tessili », dans Islam and the Italian Renaissance. Warburg Institute Colloquia, éd. par C. Burnett et A. Contadini, 5, 1999, p. 105-112, ici p. 109. 21 T. Bertelè, Il Palazzo…op. cit, p. 75 ; Otto Kurz, European Clocks and Watches in the Near East, Londres-Leiden, The Warburg Institute- E. J. Brill, 1975, p. 21, note 1. 22 M. P. Pedani [Fabris], « Safiye’s house-hold », art. cit., p. 12, note 10. 23 J. Raby, « La Sérénissime et la Sublime Porte », art. cit., p. 97, note 58.
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cylindre allongé) pour sa mosquée de Lüleburgaz24. L’année suivante, il demanda d’autres lanternes et pas moins de 900 lampes en verre25. La dépêche du baile était accompagnée d’esquisses de deux modèles de lampes de forme différente. Sokollu voulait également une lanterne du type de celles que l’on utilisait dans les grandes salles. En septembre de la même année, le grand vizir chercha encore à acquérir huit ou dix lampes pour sa mosquée26. On sait que les 900 lampes en verre destinées à la mosquée de Lüleburgaz arrivèrent à la fin de l’année 1569, comme l’atteste une lettre de Barbaro écrite le 4 janvier 1570, et qu’elles furent remises à Sokollu en même temps que la lanterne. Ce dernier remercia chaleureusement le doge. Huit ans plus tard, le même Sokollu va encore commander 2000 vitres rondes27. En dehors des textiles et des verres, il existe parfois de curieuses commandes : en 1578, le grand vizir Sokollu demanda aux Vénitiens de lui procurer des portraits d’anciens sultans ottomans. Il réclama dans le même temps : 6 tapis de selle, 4 carquois et 4 étuis à arc, qui devaient être fabriqués dans les couleurs et d’après les modèles indiqués dans les dessins qui accompagnaient la commande28. On sait d’ailleurs que les commandes de Sokollu ne se limitaient pas aux Vénitiens. En 1567, il commanda aux Habsbourg une horloge et un vase en argent rempli d’un millier de ducats29 et en 1579, il chargea l’ambassadeur français, Jacques de Germigny, d’adresser à Henri III un dessin pour une horloge sphérique30. À l’instar des hauts dignitaires, les femmes du harem n’hésitaient pas à passer commande auprès du baile. Pour ce faire, elles utilisaient les services de servantes, surnommées les kira. L’une des plus célèbres d’entre elles est Esther Kira. De son vrai nom Esther Handali, elle était originaire de Jerez de la Frontera en Espagne, et était entrée au service de Nûr Bânû dès 1569. Après le décès de sa maîtresse en 1583, elle devint la suivante de Sâfiye et le resta jusqu’à sa propre mort en 158831. Par l’intermédiaire d’Esther Kira, le Sénat expédia en avril 1578, 50 brazze de satin blanc pour Nûr Bânû, suite à une demande qu’elle avait faite de 36 brazze. 24 Gülru Necipoğlu, The Age of Sinan…op. cit., p. 348 et 544, n. 386. 25 Robert J. Charleston, « The import of Venetian Glass », art. cit., p. 19-26 ; J. Michael Rogers, « Glass in Ottoman Turkey », art. cit., 239-266. 26 J. Michael Rogers, « Glass in Ottoman Turkey », art. cit., p. 253. 27 J. Raby, « La Sérénissime et la Sublime Porte », art. cit., p. 97, note 57. 28 Ibid, p. 99, note 59. 29 Gottfried Mraz, « Die Rolle der Uhrwerke in der kaiserlichen Türkenverehrung im 16. Jahrhundert », dans Die Welt als Uhr. Deutsche Uhren und Automaten 1550-1650, éd. par K. Maurice et O. Mayr, Munich,-Berlin, Deutscher Kunstverlag, 1980, p. 39-54, ici p. 46. 30 Ernest Charrière, Négociations de la France dans le Levant, Paris, Imprimerie nationale, 18481860, vol. III, p. 822. 31 Susan A. Skilliter, « The letters of the Venetian « Sultana » Nûr Bânû and Kira to Venice », dans Studia Turcologica Memoriae Alexii Bombaci dicata, éd. par A. Gallota et U. Marazzi, Naples, 1982, p. 515-536, ici p. 518 ; M. P. Pedani [Fabris], « Safiye’s house-hold », art. cit., p. 12 ; Mina Rozen, A History of Jewish Community in Istanbul : The Formative Years, 1453-1566, Boston, Brill, 2002, p. 205-207.
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Au cours du même mois, Esther Kira et Salomon Eschinasi présentèrent une nouvelle requête au baile de la part de Nûr Bânû. Cette fois-ci, elle désirait obtenir toute une gamme d’étoffes de différents coloris. Les tissus étaient destinés à Nûr Bânû et à son fils, le sultan Murad III, qui avaient pour habitude de porter le même jour des robes de même couleur et de même qualité32. Moins de deux mois avant de mourir, Nûr Bânû demandait encore douze coussins en drap d’or de deux dimensions différentes33. À côté des verres, des draps et des textiles de luxe, certaines commandes peuvent paraître futiles, voire farfelues. C’est le cas des petits chiens blancs réclamés par Nûr Bânû. Mais la reine mère ne fut pas du tout satisfaite de sa commande puisqu’en juin 1583, elle écrivit une note acerbe au baile Gianfrancesco Morosini pour se plaindre du fait qu’elle n’avait pas reçu deux petits chiens de salon blanc, mais de trop grands chiens, trop poilus et qui ne sentaient pas bon34. Il existe enfin des commandes très particulières, comme le fameux casque de Soliman le Magnifique étudié par Gülru Necipoğlu. Ce magnifique ouvrage d’orfèvrerie, rehaussé de gemmes et de pierres précieuses, d’un coût total estimé selon les sources entre 100 et 150 mille ducats, est réalisé par des artisans vénitiens à la demande du grand vizir Ibrahim Pacha et livré à la Porte au début des années 1530. Il joue ensuite un rôle essentiel dans une mise en scène du pouvoir qui est déployée à l’occasion de la campagne militaire de 1532, dans ce qui semble une réplique directe aux splendeurs qui avaient entouré le couronnement impérial de Charles Quint à Bologne en 1530. Les orfèvres vénitiens ont assemblé une série de couronnes superposées dans une évocation directe de la tiare pontificale, en prenant soin d’en attribuer quatre à Soliman, quand les papes n’en portaient que trois. L’ensemble est enrichi de grosses perles et de grosses pierres qui font penser à celles qui ornent la coiffe des empereurs germaniques35. De son côté, en 1532, le fils de Soliman le Magnifique, le prince Bayezid, commanda à la Sérénissime des cartes du monde. Elles lui furent remises deux ans plus tard à Edirne, tandis que son frère, le prince Selim, recevait une mappemonde. Quant au prince Mustafa, il réclama l’envoi d’un globe terrestre ; celui-ci fut envoyé mais ne put lui être remis, son assassinat étant intervenu le 5 octobre 155336. 32 Emilio Spagni, « Una sultana veneziana », Nuovo Archivio Veneto, 19, 1900, p. 341-348. 33 S. Skilliter, « The letters of the Venetian « Sultana » Nûr Bânû and Kira to Venice », art. cit., p. 527 et 536. 34 Ibid., p. 525. 35 Otto Kurz, « A gold helmet made in Venice for sultan Süleyman the Magnificent », Gazette des BeauxArts, 74, 1969, p. 249-258 ; Gülru Necipoğlu, « Süleyman the Magnificent and the representations of power in the context of ottoman-hapsburg-papal rivalry », The Art Bulletin, 71, 1989, p. 401-427. 36 Antonio Fabris, « Note sul mappamondo cordiforme di Haci Ahmed di Tunisi », Quaderni di
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S’il ne fait aucun doute que le casque en or cité plus haut a bien été payé, dans de nombreux cas, le baile ne précise pas dans sa correspondance qui était censé régler la commande. On peut logiquement se demander si tous les articles commandés par les autorités ottomanes étaient payés ou bien si celles-ci espéraient les obtenir à titre gracieux. Il semblerait que la plupart des commandes aient été honorées. Dans une lettre du mois de mars 1553, le Sénat informe le baile qu’une facture a été envoyée pour le verre, les tissus et les horloges qui ont été embarqués dans un navire à destination d’Istanbul37. De même, le paiement est explicitement mentionné dans une commande adressée par Nûr Bânû à Niccolo Barbarigo en avril 1578. Bien entendu, le Sénat de Venise pouvait décider d’offrir les articles, même lorsque le demandeur proposait de payer la commande. Le cas échéant, le baile pressait le Sénat d’en faire cadeau. Marcantonio Barbaro fait clairement comprendre combien Sokollu Mehmed Pacha serait touché si le gouvernement vénitien payait les lampes de mosquée en verre qu’il avait demandées en 1569 : « […] si vous déboursez l’argent, au moins la personne pour laquelle la dépense est engagée sera contente […] »38. On sait que les demandes transmises par l’intermédiaire du baile n’étaient pas forcément acceptées, d’autant qu’il fallait acheminer la marchandise moyennant un coût parfois élevé. Afin de s’assurer que le verre commandé par le grand vizir pouvait emprunter la voie maritime plutôt que la voie terrestre, le 20 avril 1571, les autorités ragusaines dépêchèrent des émissaires à Istanbul. Finalement, les lampes ne pouvant pas être transportées par voie de terre, car les risques de bris étaient trop importants, les marchandises furent acheminées par bateau aux frais du grand vizir. De même, le 10 mars 1572, les Ragusains informaient leur envoyé que 1 030 vitres commandées par la princesse Ismihan Sultan (épouse de Sokollu Mehmed) avaient été acheminées vers Istanbul dans douze tonneaux. Il est précisé explicitement dans ce document que le prix du transport de Raguse à Istanbul devra être facturé en plus39.
Studi Arabi, 7, 1989, p. 3-17, soutient qu’il n’y a qu’une seule demande, celle du prince Bayezid. Benjamin Arbel soutient que les trois princes ont envoyé des requêtes : Benjamin Arbel, « Maps of the world for Ottoman princes? Further evidence and questions concerning “The mappamondo of Hajji Ahmed” », Imago Mundi, 54, 2002, p. 19-29, ici p.23. 37 A. Fabris, art. cit., p. 9 ; B. Arbel, « Maps of the world for Ottoman princes? », art. cit., p. 22. 38 Rainer Rückert, « Venezianische Moscheeampeln in Istanbul », Sonderdruck aus der Festschrift für Harald Keller, Darmstadt, Roether, 1963, p. 223-234 ; J. M. Rogers, « Glass in Ottoman Turkey », art. cit., p. 252-253. 39 Verena Han, « Fifteen[th] and sixteen[th] century trade in glass between Dubrovnik and Turkey », Balcanica, 4, 1973, p. 163-178 ; J.M. Rogers, « Glass in Ottoman Turkey », art. cit., p. 252, note 47.
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Remise officielle de cadeaux diplomatiques Mais pour entretenir de bonnes relations avec les Ottomans, Venise prit soin d’envoyer régulièrement des cadeaux diplomatiques, notamment lors de l’arrivée d’un nouveau baile sur les rives du Bosphore. Selon la terminologie ottomane, on utilisait les termes de armağan, pişkeş ou hedâyâ. Les tissus étaient la première catégorie de cadeaux que les représentants vénitiens apportaient à Istanbul. En 1517, pour féliciter Sélim Ier des victoires qu’il venait de remporter sur les souverains mamelouks d’Égypte, les ambassadeurs vénitiens offrirent des robes et des étoffes soigneusement classées selon le titre et le rang du destinataire40. Contrairement aux périodes antérieures, les Vénitiens ne payèrent pas de tribut au souverain ottoman pendant la plus grande partie du xvie siècle. Il n’y avait donc pas de présentation publique annuelle de cadeaux comme ce fut le cas avec la Türkenverehrung, nom donné par euphémisme au tribut annuel versé par les Habsbourg. En l’absence de ce versement régulier, les Vénitiens devaient toutefois faire de fréquents cadeaux aux membres de la cour ottomane, même si c’était de manière sporadique. Outre les textiles, la cour appréciait les horloges, les automates et instruments de précision. En 1586, le baile Lorenzo Bernardo offrit au grand vizir Siyavuch Pacha deux clepsydres pour la mosquée que ce dernier faisait construire41. Dans certains cas, les cadeaux étaient moins destinés à attirer les bonnes grâces des Ottomans qu’à apaiser leur fureur. C’est ce qui se produisit en 1584 quand les Vénitiens se montrèrent particulièrement généreux envers un grand nombre de courtisans à la suite d’un grave incident diplomatique. Une escadre vénitienne sous le commandement de Gabriele Emo avait attaqué la galère du jeune régent de Tripoli, Mehmed Bey de Djerba (il était le fils du défunt beylerbey de Tripoli, Ramazan Pacha, un renégat sarde), et massacré ses occupants. Mehmed Bey et sa mère avaient tous deux péri dans l’incident, et les Ottomans furent scandalisés qu’il y eût des femmes parmi les victimes42. Le Sénat donna immédiatement au baile l’autorisation de consacrer des sommes pour faire toutes sortes de cadeaux : des habits et de l’argent furent accordés au précepteur du sultan Murad III, Hodja Sa‘deddin, et pour deux sœurs du sultan qui étaient, l’une, l’épouse du grand vizir Osman Pacha et, l’autre, Gevherhan 40 Marino Sanudo, I diarii di Marino Sanuto, éd. par R. Fulin et al., Venise, 1879-1902, vol. XXV, col. 626-632 cité par J. Raby, « La Sérénissime et la Sublime Porte », art. cit., p. 117, note 35. 41 A. Fabris, « Artisanat et culture : recherches sur la production vénitienne et le marché ottoman au xvie siècle », Arab Historical Review for Ottoman Studies, 3-4, 1991, p. 51-60, ici p. 53 ; Giovanni Curatola, « Ebrei, Turchi e Veneziani a Rialto », art. cit., p. 105. 42 A. Fabris, « Un caso di pirateria veneziana : La cattura della galea del bey di Gerba (21 ottobre 1584) », Quaderni di Studi Arabi, 8, 1990, p. 91-112 ; A. Fabris, « Artisanat et culture », art. cit., p. 53.
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Sultan, la veuve de Piyâle Pacha. On se dépêcha également d’acheter deux sièges que le grand vizir avait commandés quelque temps auparavant. Le sultan reçut pour sa part des gerfauts, dont un spécimen blanc de très grand prix. Le nichancı (chef de la chancellerie) Mehmed reçut une robe de velours, des lampes en verre et des vitres. Une robe de velours fut également offerte à Djafer Agha, un Vénitien qui avait été capturé dans sa jeunesse et s’était élevé jusqu’au rang de chef des eunuques blancs (has odabaşı), et on promit d’attribuer à sa mère, Franceschina Zorzi Michiel, une pension mensuelle de 10 ducats43. De tous les membres de la cour, c’est sans doute le grand amiral Ulutch Kılıtch Ali qui était le plus indigné. Il avait aidé le jeune Mehmed Bey à succéder à son père, dont il avait été l’ami et l’allié. Comme on savait que le grand amiral voulait un coffret en argent et cristal de roche qui coûtait plusieurs milliers de ducats, il fut aussitôt commandé. Le baile de Venise, Giovanni Francesco Morosini, fit encore d’autres cadeaux : des robes de velours à d’autres fonctionnaires ; une bourse de 2000 ducats d’or à Mesîh Pacha, qui exerçait les fonctions de grand vizir en l’absence d’Osman Pacha ; des pains de sucre et du fromage à Hodja Sa‘deddin44.
Conclusion Les Vénitiens sont maîtres dans l’art du commerce. Acheter et vendre, compter et payer, ils le font, mais selon une logique différente des Turcs. Dans l’espace de la cité, un dignitaire, citoyen au service de sa patrie, paie. Il dépense pour garder son rang, pour donner des signes manifestes de sa dignité : les cadeaux qu’il emporte quand il part en mission, le costume qu’il revêt, les distributions auxquelles il procède lorsqu’il est élu, toutes ces libéralités donnent la mesure de son pouvoir. On donne ainsi sans compter, sans connaître le nom des bénéficiaires, dans une générosité aveugle. Cette rétribution symbolique s’appelle magnificence. À Istanbul, comme dans les échelles du Levant, tout se passe à l’inverse. On se fait payer en présents pour des services ou des promesses de service. Le degré d’autorité se mesure au volume des cadeaux reçus. Mais en Orient, les règles de promotion ou de rétribution des services se font sans hiérarchie sociale car il n’existe pas l’orgueilleuse conscience d’appartenir à une élite légitime de naissance et donc pas de noblesse. On ignore en théorie qui exercera les fonctions les plus élevées, la « roue de la fortune » pouvant à tout instant mettre au jour un obscur sujet. Les
43 M. P. Pedani [Fabris], « Safiye’s house-hold », art. cit. p. 14. 44 A. Fabris, « Un caso di pirateria veneziana », art.cit. p. 104.
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représentants de la Sérénissime doivent donc, de ce fait, se ménager les faveurs des individus les plus divers : À Constantinople, dit le baile Antonio Erizzo en 1557, il faut prodiguer son estime et ses faveurs à tous, même aux marioles (il s’agit d’aventuriers originaires de Candie et des autres îles, ramassés dans les tavernes pour être incorporés dans la marine ottomane) parce qu’il y a rotation perpétuelle de la fortune que le Seigneur fait s’élever et s’effondrer selon les mouvements de son caprice45
Dans la mesure où ces échanges n’étaient pas encadrés par une structure de dons obéissant à des règles, il est souvent difficile de déterminer la frontière entre cadeaux, bakchichs et achats. Certains cadeaux étaient ainsi offerts dans le plus grand secret pour tenter d’influencer un haut dignitaire, un fonctionnaire, voire une sultane. Ils font souvent partie d’une stratégie diplomatique à long terme qui exige de la patience et de la générosité. On estimait à Venise qu’offrir des présents était un moyen certes coûteux, mais efficace pour arriver à ses fins. Les arts de Venise n’étaient donc pas de simples marchandises, mais étaient de véritables armes politiques.
45 Eugenio Albèri, Relazioni degli ambasciatori veneti al senato durante il secolo decimoseto, Florence, Società editrice fiorentina, 1855, vol. III, p. 136, rapport d’Antonio Erizzo, 1557, cité par Lucette Valensi, Venise et la Sublime Porte. La naissance du despote, Paris, Hachette, 1987, p. 57.
Mamluk Artistic Relations with Latin Europe Doris Behrens-Abouseif | School of Oriental and African Studies (London)
Cross-cultural artistic interaction between Europe and the Muslim world in the period from the early Middle Ages through the Renaissance and beyond is a rich and well documented topic, which is now a discipline in its own right. The Arab conquests of Spain and Sicily, the Crusades, the Ottoman expansion in Europe, and the Portuguese advance in the Indian Ocean created multiple opportunities for artistic interaction between the Christian and the Muslim world. Territorial expansion was not the only occasion of artistic interaction between East and West—diplomacy and trade played an equally significant and effective role in communication. In the early medieval period Byzantium played an intermediary role between the Latin Christian World and the Muslim East. While the Crusades and later confrontations between the Muslims and European nations could disturb and interrupt, they did not stop trade between the two. S. alāh. al-Dīn (r. 11741193) and his Ayyubid successors were keen to trade with the Latin kingdoms of the Levant and the Mamluk sultans continued to promote this policy.1 Trade went on although the Crusaders did not give up their ambitions in the Levant after their final eviction in 1291, and pursued regular raids on the coasts of Egypt and Syria. Ibn Jubayr (d. 1217) noted as a fact of life that while the soldiers were fighting, trade went on undisturbed between Crusaders and Muslims.2 Although artistic exchanges should not be automatically equated with the volume of trade,
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Subhi Labib, Handelsgeschichte Ägyptens im Spätmittelalter (1171-1517), Wiesbaden, Franz Steiner, 1965, pp. 22-42. Ibn Jubayr, Rihlat 1959, p. 260f. . Ibn Jubayr, Beirut, Dār Sādir .
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as they may have taken place on a very different scale, Islamic artifacts continued to be valued and imitated in medieval and Renaissance Europe. “Orientalisms” in Renaissance arts, not only in Italy but also in Germany and Flanders, have a documented tradition in art historical literature and need not be emphasized here.3 Beside trade, diplomatic gifts were always significant in advertising and inspiring arts and crafts between nations. It is not difficult to understand European taste for Islamic artifacts, even when it was manifested in the religious context of Christian iconography. Ornament has been a major attribute of Islamic art since its early history; even mundane objects of daily use made of common materials were enhanced with decoration and calligraphic inscriptions, at a time when European artifacts were less lavish. Because Islamic patterns are devoid of religious symbols, as also Europeans seem to have understood, they could be adopted in any context, even a Christian religious one, without provoking any moral conflicts. In Christian Europe, Islamic decorative motifs were symbols of luxury and prestige that recalled the Orient and the Holy Land, rather than the religion of Islam. This is also evident in the European tradition of depicting religious scenes associated with the Holy Land, with the contemporary features of Levantine material culture. On the other hand, Syrian workshops in the thirteenth century addressed the specific needs of the European market by producing metal and glass vessels adorned with Christian themes.4 This paper is mainly concerned with the changes that occurred in ArabEuropean artistic interaction during the Mamluk sultanate (1250 to 1517), while Europe was making the transition from the Middle Ages to the Renaissance. The discussion will deal with the material evidence of the exchange of artifacts with 3
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See Richard Ettinghausen, “The Impact of Muslim Decorative Arts and Painting on the Arts of Europe”, in The Legacy of Islam, ed. by J. Schacht and C.E. Bosworth, Oxford, Oxford University Press, 1974, pp. 292-300, repr. in: Richard Ettinghausen, Islamic Art and Archaeology Collected Papers, ed. by M. Rosen-Ayalon, Berlin, Gebr. Mann, 1976, pp. 1074-1120; Rosamond Mack, Bazaar to Piazza, Islamic Trade and Italian Art 1300-1600, Berkeley/Los Angeles/London, University of California Press, 2002, 257 p.; id., “Islamic Commerce and Italian Art”, in Mediterraneum: The Splendour of the of the Medieval Mediterranean 13th -15th Centuries, [exhibition catalogue], Barcelona, European Institute of the Mediterranean, 2004, pp. 321-37. In spite of mistakes regarding Islamic art see also: Deborah Howard, Venice and the East, New Haven-London, Yale University Press, 2000, 283 p.; Umberto Scerrato, Gli Arabi in Italia, Milan, Garzanti-Scheiwiller, 1989, 763 p.; Maria Vittoria Fontana, “L’influsso dell’arte islamica in Italia”, in Eredità dell’Islam, [exhibition catalogue], ed. by G. Curatola, Venice, Silvana Editoriale, 1993, pp. 455-98; Stefano Carboni (ed.), Venise et l’Orient 828-1797 [exhibition catalogue], Paris, Institut du Monde Arabe, 2007, 374 p. Eva Baer, Ayyubid Metalwork with Christian Images, Leiden-New York, Brill, 1989, p. 160; Esin Atil, W.T. Chase, Paul Jett, et al., Islamic Metalwork in the Freer Gallery of Art, Washington DC, Smithsonian, 1985, p. 127; Rance Katzenstein and Glenn Lowry, “Christian Scenes in ThirteenthCentury Islamic Metalwork”, Muqarnas, 1983, pp. 53-68; Stefano Carboni and David Whitehouse (eds.), Glass of the Sultans, New York, Metropolitan Museum of Art, 2001, pp. 242-7, 249-52.
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Europe in relation to the contemporary intellectual attitudes in Mamluk society towards Latin Europe. Under Mamluk rule the Arab world was experiencing its last brilliant age prior to the advance of the Ottomans whose territories would soon stretch from south-east Europe and Anatolia to the eastern Mediterranean, thus fundamentally changing the map of Europe and the Muslim world. The Mamluks, who occupied a central and intermediary position in the medieval world that allowed them to control the spice trade, compelled Europe to cultivate peaceful relations with them in spite of the papal sanctions. Major Italian cities—and most notably Venice—while importing Far-Eastern goods through the Mamluks exported base and precious metals, agricultural products, and textiles to Egypt and Syria. Beside spices, Mamluk exports included Egyptian and Syrian luxury goods and art objects. Although only a small proportion of the overall volume of global trade, these artifacts nevertheless occupied a prominent place in the treasures of European churches and palaces, making them today an important topic of art history.5 During the thirteenth and fourteenth centuries Mamluk enameled glass, an art exclusive to Egypt and Syria already in the Ayyubid period, was found all over Europe and inspired Venetian imitations.6 Mamluk metal vessels were produced specifically for European clients, bearing their coats of arms; a brass basin in the Louvre is inscribed in Arabic with the name of Hugh IV of Lusignan, king of Cyprus (r. 1337-1342) and adorned with his coat-of-arms.7
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An opulent literature exists on the subjects of commercial and artistic relations between the Mamluks and Europe, see above notes 2, 3, and also: J. Michael Rogers, “To and Fro: Aspects of Mediterranean Trade and Consumption in the Fifteenth and Sixteenth Centuries”, in Villes au Levant : Hommage à André Raymond, Revue du Monde musulman et de la Méditerranée, 56, 19901992, pp. 57-74; id., “European Inventories as a Source for the Distribution of Mamluk Glass” in Gilded and Enamelled Glass from The Middle-East, ed. by Rachel Ward, London, British Museum Press, 1998, pp. 70-73; id., “Carpets in the Mediterranean Countries, 1450-1550: Some Historical Observations”, Oriental Carpets and Textile Studies, 2, 1986, pp. 13-28; Sylvia Auld, “The Mamluks and the Venetians Commercial Interchange: The Visual Evidence”, Palestine Exploration Quarterly, July-December 1991, pp. 84-102; Marco Spallanzani, Metalli Islamici a Firenze nel Rinascimento, Florence, S.P.E.S., 2010, p. 12ff.; R. Mack, Bazaar…op. cit., chapters 7 an 8; Deborah Howard, “Venise et les Mamlûks”, in: Venise et l’Orient 828-1797, (exhibition catalogue), ed. by S. Carboni, Paris, Institut du Monde Arabe, 2007, pp. 73-89; Marco Spallanzani, Oriental Rugs in Renaissance Florence, Florence, S.P.E.S., 2007, p. 67f.; Benjamin Arbel, “The Last Decades of Venice’s Trade with the Mamluks: Importations into Egypt and Syria,” Mamluk Studies Review, 8/2, 2004, pp. 37-85, p. 51f . J. Michael Rogers, “Further Thoughts on Mamluk Enameled Glass,” in: The Cairo Heritage. Essays in Honor of Laila Ali Ibrahim, ed. by D. Behrens-Abouseif, Cairo/New York, 2000, pp. 275-90; R. Mack, Bazaar… op. cit, p. 113ff.; D. Whitehouse, “Imitations of Islamic Glass”, art. cit., p. 297f. Rachel Ward, “Metallarbeiten der Mamluken-Zeit Hergestellt für den Export nach Europa,” in Europa und der Orient (exhibition catalogue), Berlin, Gereon Sivernich and Henrik Budde, Berliner Festspiele Bertelsmann Lexikon Verlag, 1989, pp. 202-09; R. Mack, Bazaar, op. cit., p. 139ff.
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Whereas Islamic artifacts in European collections have been intensively documented and studied, little is known of the Arab reception of European artifacts. Studies on the artistic exchanges between the Christian and the Muslim Mediterranean convey an asymmetric picture of this relationship. This may not necessarily be due to the historical facts but rather to the paucity of source materials. Unlike the accounts and descriptions of the Levant written by European travelers, pilgrims, merchants and envoys, we lack a corresponding literature from that period on the Mamluk side. There are no surviving art collections in the Muslim world earlier than that of the Ottoman sultans in the Topkapi palace in Istanbul to document what Muslims monarchs liked to collect. The physical evidence of the art objects themselves and archeological finds indicate that over a long period it was the East and Far-East that had the greatest artistic impact on the artifacts of the Mamluks. The Muslim world had always highly valued and imported Chinese artifacts, in particular ceramics, but also silks and lacquers; and the imitation of Chinese porcelain constituted a major craft in the Middle East. The connections of the Ilkhanid sultanate (1256-1353) with the Mamluks, in particular following the entente between the sultans al-Nāsir and . Muhammad . Abū Sa῾īd in 1322, fostered commercial relations between the Far-East and the Mediterranean, resulting in a combination of Iranian and Chinese influences on the Mamluk decorative arts.8 The adoption of chinoiseries spread in the fourteenth century in almost all types of artifacts. Also Indian textiles were largely imported by the Mamluks. At that time, the thirteenth and fourteenth centuries, European artifacts could not yet compete with Eastern imports on the Mamluk luxury market although their textiles were being increasingly imported. However, the blazon, a characteristic feature not found in any other Islamic art apart from that of the Mamluks, has been convincingly attributed to European influence through contacts with the Crusaders. 9 Whereas artistic interaction between the Mamluks and China remained confined to portable objects, contacts with the Crusaders and the presence of prisoners of war had made an impact on the architecture of Egypt and Syria already under their Ayyubid predecessors.10 Crusader items were seized as trophies dur8
J. Michael Rogers, “Evidence for Mamluk-Mongol Relations” in Colloque international sur l’histoire du Caire (1969), Cairo, Ministry of Culture,1972, pp. 385-403. 9 Michael Meinecke, “Löwe, Lilie, Adler: Die Europäische Wurzeln der islamischen Heraldik” in Das Staunen der Welt (Bilderheft der Staatlichen Museen zu Berlin- Preussischer Kulturbesitz 77/78), Berlin, Museum für islamische Kunst, 1995, pp. 29-34. 10 al-Maqrīzī, Taqiyy al-Dīn Ahmad, Kitāb al-mawā῾iz. wa ’l-I῾tibār bi dhikr al-khita . . t. wa ’l-āthār, 2 vols., Bulaq, 1306/1888-9, I, p. 423, II, pp. 188, 310; id., Kitāb al-sulūk li-ma῾rifat duwal al-mulūk, ed. by M. Ziyāda and S.῾Āshshūr, Cairo, National Library Press, 1970-73, II, p. 640f.; Ibn Jubayr, Rihlat . Ibn Jubayr,
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ing military campaigns, such as the wood and marble taken by Sultan al-Zāhir . Baybars (r. 1260-1277) from a Christian fortress and reused in the construction of the great dome above the mih. rāb of his mosque in Cairo. Similarly, the Gothic portal at the madrasa of al-Nāsir (fig.1), removed from a church dur. Muhammad . ing the decisive battle at Acre in 1291, was displayed in the very heart of Cairo, on Bayn al-Qasrayn street.11
Figure 1 | The Gothic portal at the madrasa of Sultan al-Nasir Muhammad in Cairo (photo by the author)
op. cit., p. 25; Keppel Archibald Cameron Creswell, Muslim Architecture of Egypt (MAE), 2 vols., Oxford 1952-9 (repr. New York: Hacker Art Books 1978), II, p. 61f., 133f.
11 Creswell, MAE, II, op. cit., pp. 234-40.
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These were items of symbolic significance that advertised Mamluk triumphs, but there were also more practical aspects of architectural interaction between Muslims and Crusaders. For example, Tripoli after the fall of its Crusader kingdom (1109-1289) maintained elements of Christian architecture in form and decoration.12 In Cairo, Gothic columns and capitals were not only re-used but also imitated in Mamluk monuments. Norman influence on the design of the facade of the complex of Sultan Qalāwūn in Cairo (built in 1284-5) and the presence of a wrought iron window grille of Frankish craftsmanship13 at the portal of the same building suggest a taste of innovation rather than a political intent since no source associates them with the Crusades (fig.2 et 3).
Figure 2 | The façade of the complex of Sultan Qalawun in Cairo (Photo by the author)
12 Hayat Salam Liebich, The Architecture of the Mamluk city of Tripoli, Cambridge, Mass., The Aga Khan Program for Islamic Architecture, 1975, pp. 23, 69, 78. 13 Creswell, MAE, II, op. cit., pp. 192, 198f.; Doris Behrens-Abouseif, “Sicily, the Missing Link in the Evolution of Cairene Architecture”, in Egypt and Syria in the Fatimid, Ayyubid and Mamluk Eras, ed. by U. Vermeulen and D. De Smet, Leuven, Peeters, 1995, pp. 275-301.
Figure 3 | The portal of the complex of Sultan Qalawun in Cairo with Frankish wrought iron grille in the window (Photo by the author)
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Similarly, the Gothic panels used as decorative elements at the entrance of the mosque of Sultan Hasan (built in c. 1356-61) are likely to have been . intended as merely decorative elements, like the chinoiseries that adorn the same mosque, both being an unfamiliar sight in Mamluk architectural decoration before this period. Esthetic inspiration from Venice may also explain the appearance in the late fourteenth century of the golden barge or dhahabiyya in the yearly celebration of the Nile festival in Cairo; it replaced a previous vessel decorated with ebony, ivory and silver.14
Figure 4 | Mamluk carpet (Courtesy of the Khalili Collection, inv. txt 022)
However, the technological and economic evolution of Europe during the fourteenth and fifteenth centuries and the increasing significance of Mediterranean connection and European trade for the Mamluks had an impact on the patterns of artistic exchanges between both sides.15 It has been argued that technical advances in European industries shifted the balance of trade with the East to the advantage of Europe, and that “the nautical revolution”16 and the domination of seafaring in the Mediterranean from the fourteenth century on allowed the Europeans to massively increase their export at low cost to the Muslim world.17 There is no doubt that Renaissance Italy became a major producer of artifacts in which the Mamluks had previously excelled, sometimes adorning them with Islamic designs, while Spanish
14 Doris Behrens-Abouseif, “European Arts and Crafts at the Mamluk Court,” Muqarnas, XXI, 2004, pp. 45-54. In this article I discussed the Gothic elements at the portal of the mosque of Sultan Hasan (fig. 5a et 5b) and the appearance of the dhahabiyya. 15 S. Labib, Handelsgeschichte Ägyptens, op. cit., pp. 337-73; See also Francisco Javier Apellàniz Ruiz de Galaretta, Pouvoir et Finance en Méditerranée pré-moderne: le deuxième État mamelouk et le commerce des épices (1382-1517), Barcelona, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 2009, 301 p. 16 Michel Balard, “Local and International Trade: Goods and Commodities” in Mediterraneum, Splendour of the Medieval Mediterranean, op. cit., pp. 269-307. 17 Damien Coulon, “Western Trade and Seafaring to the Levant 13th to 15h Centuries”, in Mediterraneum, op. cit., pp. 289-305.
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Valencian pottery, a Nasrid heritage, replaced Syrian exports on the Italian market18. The Mamluks began to import luxury goods that they used to export in the past, such as textiles, soap,19 paper and even metalwork20 and glass.21 Mamluk and Venetian sources report of billawr or crystal glass vessels being imported from Europe. This was a high quality clear glass used alongside precious stones to adorn ceremonial saddles and for other representative purposes.22 Ibn Iyās praises gifts sent by a European monarch to Sultan al-Ghawrī (r. 1501-1516) that included crystal vessels and luxury textiles as “worthy of kings”.23 As late as 1517, when Cairo had just fallen to the Ottoman conquerors, its markets were still displaying high quality luxury textiles imported from various Italian cities and elsewhere. Leo Africanus, who visited Egypt as a member of Sultan Selim’s military expedition, praised the quality and variety of Italian luxury textiles in the markets of Cairo as exceeding what he saw in Italy itself.24 According to Benjamin Arbel, the variety of Venetian items exported to the Mamluks was impressive and must have reached a wide spectrum of Mamluk society.25 In the fifteenth century the Mamluks depended not only on European raw metals of all kinds, but also on European currencies; the Venetian sequin known as bunduqī circulated in Mamluk territory as the only reliable currency, largely replacing the volatile local dinar.26 Most importantly, the transport of goods to and from Mamluk territory took place exclusively on Venetian vessels.27 The import or export of luxury goods is not necessarily representative of the volume of trade between Europe and the Mamluk empire, nor should the shift of the trade balance be directly related to the economic decline of the Mamluk empire or imply that goods were imported only because they were no longer produced locally. These imports rather point to the demand on the luxury market, and as has been convincingly argued by J. M Rogers, the economic decline had no direct bearing on the consumption of luxury items.28 This view is corroborated by Ibn Iyās’s descriptions of the lavish court of Sultan al-Ghawrī, his 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28
R. Mack, Bazaar, op. cit., p. 95ff. B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., pp. 61, 72. M. Spallanzani, Metalli, op. cit., p. 13. R. Mack, Bazaar, op. cit., p. 172. B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., p. 57f.; D. Whitehouse, “Imitation”, art. cit., p. 298. B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., p. 57. Ibn Iyās, Badā’i‘ al-zuhūr fī waqā’i‘ al-duhūr, ed. by Muhammad Mus. tafā,vol. IV, Wiesbaden, Franz . . Steiner, 1960, p. 257. Hasan Ibn Muhammad al-Wazzān, Wasf Hājjī and Muhammad Abī . . . Ifriqyā, (transl). Muhammad . . . Khidr, . Beirut, Dar al-Gharb al-Islami, 1983, p. 205. B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., p. 71. S. Labib, Handelsgeschichte Ägyptens..., op. cit., p. 370. B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., p. 67. J. M. Rogers, “To and Fro”, art. cit., p. 66; B. Arbel, “The Last Decades”, art. cit., p. 69.
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display of pomp and his ceremonial innovations, at the very eve of the Ottoman conquest when the Mamluk State was at its weakest point.29 The artistic outburst in architecture, urban expansion and the decorative arts during the reign of Sultan Qāytbāy (r.1468-1496) was—in view of the military confrontations his reign had to cope with, which placed a heavy burden on the economy—almost miraculous. Qāytbāy, or perhaps some of the mighty emirs of his entourage may also have been concerned about the shift that had taken place in the trade balance in favor of Europe. Although the Mamluks may have lacked the technological progress that transformed medieval European industries, and were compelled to increase their imports, their artistic interaction with Europe was more complex than the economic situation might suggest. The sudden revival of certain Mamluk artifacts in the late fifteenth century, during the reign of Sultan Qāytbāy, suggests that the sultan may have attempted to compensate the Mamluk deficit on the market of mass production with gains on the market of luxury goods, such as carpets and metal vessels. The economic decline thus may have prompted the artistic revival. In any case, the decline of the Mamluk economy in the late fifteenth and early sixteenth centuries was not manifested in an artistic decline; this period produced great achievements in architecture and its decoration. Rather royal patronage followed its own rules, using glamour and representation to compensate for dwindling power. Qāytbāy may have needed European expertise to revive Mamluk traditional crafts and their export. The accounts of contemporary travelers suggest that he allowed European merchants and artisans to dwell in Cairo for the first time since Salah al-Din had confined them to their funduqs in Alexandria and in Syria. Van Ghistele reports of a German goldsmith and glass-maker from Flanders working in Cairo and producing luxury items for the Sultan’s court.30 Qāytbāy may have commissioned such a highly qualified artisan with the revival of the lost art of enameled glass, which would explain the existence of one enameled glass lamp in his name that betrays “orientalist” craftsmanship rather than Mamluk work.31 The project of enameled glass seems to have been aborted, but more successful was the emergence of Mamluk carpets (fig. 4) of superb quality on European markets, which is an interesting phenomenon of artistic patronage that may have been motivated by the need to promote export to Europe.32 29 Doris Behrens-Abouseif, “Sultan al-Ghawri and the Arts”, Mamluk Studies Review, VI, 2002, pp. 71-94. 30 Joos van Ghistele, Le Voyage en Egypte 1482-1483, Cairo, IFAO, 1986, p. 16; Felix Fabri, Le Voyage en Egypte 1483, 3 vols., Cairo, IFAO, 1975, pp. 402, 907. 31 See note 22. 32 This initiative created an unprecedented group of carpets that were among the most accom-
Figure 5a | Gothic element at the portal of the mosque of Sultan Hasan, left side (Photo by the author)
Figure 5b | Figure 5b. Gothic element at the portal of the mosque of Sultan Hasan and chinoiserie decoration to the left, right side (Photo by the author)
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Beside the carpets, the Mamluks were also exporting inlaid metal vessels of high quality that inspired Venetian and other European imitations. While displaying a new style of elaborate decoration, this production is remarkable for the frequency of signatures of its Muslim craftsmen.33 Many of these vessels have European shapes, which was an unprecedented feature in the history of Mamluk metalwork and its export, suggesting that they were either produced in Europe and sent to be decorated by Mamluk Egyptian or Syrian craftsmen, or that they were produced locally with knowledge gleaned from European craftsmen.
Figure 6 | Mamluk pail with European shape for export (Courtesy of Museum für Islamische Kunst, Staatliche Museen zu Berlin, inv. B 72)
plished in the world at their time. Stylistically, with their complex geometrical design and characteristic blue, green and red colors, they remained singular. The workshops continued to work under Ottoman rule until the late seventeenth century J. Michael Rogers, Empire of the Sultans. Ottoman art from the Khalili Collection, London, Nour Foundation 2002, p. 216f. 33 Mack, Bazaar… op. cit., p. 139ff.; James W. Allan, “Venetian-Saracenic Metalwork: The Problem of Provenance”, in Arte Veneziana e l’Arte Islamica (Atti del Primo Simposio Internazionale sull’ Arte Veneziana e l’Arte Islamica), ed. by E. J. Grube et al., Venice, L’Altra Riva, 1986; id., Metalwork of the Islamic World in the Aron Collection, London, Sotheby’s, 1986, chap. 5; Assadulla S. MelikianChirvani, “Venise, entre l’Orient et l’Occident”, Bulletin d’Études Orientales, 27, 1974, pp. 1-18; Leo Ari Mayer, Islamic Metalworkers and their Works, Geneva, Albert Kundig, 1959, p. 56ff.; Doris Behrens-Abouseif, “Veneto-Saracenic Metalware, a Mamluk Art”, Mamluk Studies Review, IX/2, 2005, pp. 147-72.
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M. Spallanzani found archival evidence for such back-and-forth movement of metal vessels between Aleppo and Venice and even evidence for the activity of a Mamluk craftsman in Venice.34 One may wonder whether the Muslim signatures on Western shapes (fig. 6) may have been intended by the Muslim decorators to confirm their own contribution, and to emphasize their creation of a new style specifically for this production.35 The innovative productions of carpets and metal vessels point to the initiative of an influential patron to conquer European markets. The fall of the Mamluk sultanate in 1517 ended princely artistic patronage in Egypt and Syria. Whereas the Ottomans took over the patronage of the Egyptian carpet production, which went on for nearly two centuries, little is known about the art of metalwork in Syria and Egypt after the Ottoman conquest. There can be no doubt that the Mamluks in the fifteenth century experienced all too vividly the increasing impact of European technological superiority, as illustrated by the following episode. Two centuries following their invention in Italy (c. 1280-1300), eyeglasses reached the court of Qāytbāy as a gift from an unnamed European ruler.36 These eyeglasses seem to have been perceived as something rare and precious. One day a scholar visiting the Sultan saw that he had quite a few of them and asked him to give him a pair. The sultan rejected the request with the argument that they were made with silver, which would be improper for the scholar to wear. This episode demonstrates not only the Mamluk dependence on a European invention but it also sheds light on the aristocratic character of the imports, which served in the first place the needs of the sultans and his emirs. Although they imported luxury glass, reading glasses were not available even to the most prominent bureaucrats and scholars. The reign of Qāytbāy also introduced European construction machines, unknown hitherto in the Muslim world, such as the hoist described by Ibn al-Him . sī . as an object never seen before, that was used for the reconstruction of the Umayyad mosque of Damascus following the fire of 1478, and later sent to be used for the restoration of the Prophet’s mosque in Medina. This machine must have come directly or indirectly from Europe.37 During the reign of al-Nāsir the son of Qāytbāy, a Venetian named . Muhammad, .
34 M. Spallanzani, Metalli, op. cit., p. 13f., n. 29. 35 The same style was adapted to the local Mamluk market on more traditional vessel forms with a decoration that include inscriptions. 36 al-Jawharī al-Sayrafī, ῾Alī Ibn Dāwūd, Inbā’ al-hasr al-Habashī, . . bi-abnā’ al-῾asr, . ed. by Hasan . . Cairo, Dār al-fikr al-Ýarabī, 1970, p. 436. 37 Doris Behrens-Abouseif, “The Fire of 884/1479 at the Umayyad Mosque of Damascus and an Account of its Restoration”, Mamluk Studies Review, 8/1, 2004, pp. 279-96, p. 292; id., “European Arts and Crafts”, p. 51 and fig. 10.
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Domenico worked in Cairo in the production of cannons.38 The use of artillery required a modern type of fortification; this may explain why a German architect from Oppenheim is reported by Fabri (1483) to have built the fort of Qāytbāy in Alexandria (fig. 7).39 Interestingly, Ibn Iyās does not mention any foreign involvement in connection with this fort although it can be assumed that he would have known about it. A white stone windmill on the shore of Alexandria noticed by Van Ghistele (148283), who described it as similar to those of his own country Flanders but a singular occurrence in Egypt,40 must have been also a European work. Whether the Mamluks needed the service of Leonardo da Vinci for an expedition in the Taurus mountains, as he wrote in his notes, cannot be confirmed. However, even if this is only an allegation it suggests that such commissions were at least within the realm of possibility.41 Although these forms of interaction have already been discussed,42 what should be emphasized here is the fact that the increasing need for European technology on the Mamluk market did not have any substantial impact on the esthetics of Mamluk art, neither did it modify in any way the traditional image of Europe in Mamluk intellectual circles. It even seems that European inspirations were more visible in the age of the Crusades than in the fifteenth century. Foreign influences on Mamluk art came rather from Iran and Anatolia, where they are perceptible in the arts of the book, ceramics, and architectural decoration. It is remarkable that even more intimate connections between the Mamluk aristocracy and Europe, such as the well-known presence of Europeans within the Mamluk establishment since the early fifteenth century, including the families of the sultans themselves, did not have any significant influence on the official culture of that time. Fifteenth century travelers to Egypt have often mentioned the ethnic variety of the Mamluk class that also included Europeans from various countries, confirming the information that Sultan Barqūq was the first of the Circassian rulers to recruit mamlūks from a variety of origins unknown before.43 Van Ghistele 44 reports that Qāytbāy’s treasurer, a certain Nāsir . al-Dīn, came from Danzig, and
38 Ibn Iyās, Badā’i‘, op. cit., III, pp. 365, 367, 368, 375. 39 F. Fabri, Le Voyage, op. cit., pp. 719, 967. 40 J. Van Ghistele, Le Voyage, op. cit., p. 125. Windmills were introduced in Egypt by Napoléon Bonaparte. 41 Leonardo da Vinci, The Notebooks of Leonardo da Vinci, ed. by I. A. Richter, Oxford, Oxford University Press 1980, pp. 264f., 296. 42 D. Behrens-Abouseif, “European Arts and Crafts”, art. cit. 43 al-Jawharī al- Sayrafī, ῾Alī Ibn Dāwūd, Nuzhat al-nufūs, op. cit., p. 499. . 44 J. Van Ghistele, Le Voyage…op. cit., p. 30f. One may speculate that this man was the emir Taghrībirdī
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Figure 7 | The fort of Sultan Qāytbāy in Alexandria (Photo by the author)
Arnold von Harff mentions Germans, Hungarians and Italians in the Mamluk establishment.45 A prominent European at the court of Qāytbāy in Damascus was the dragoman Emir Timurbughā al-Qijmasī al-Faranjī, who also occupied there the posts of Secretary of the Army and Great Chamberlain.46 The dragoman of Sultan al-Ghawrī, an emir called Taghrībirdī, was a Jew or Christian of Sicilian or Spanish origin.47 When al-Ghawrī appointed a merchant and wine-dealer from Crete as emir and admiral, Ibn Iyās commented that this was “one of the greatest
min Yalbāy al-Qādirī al-Khāzandārī, al-Ustādār, who served the Great Secretary Yashbak min Mahdī, and later Sultan Qāytbāy in various administrative functions, notably as treasurer, majordomo and supervisor of constructions. He had a long life; born c 830/1427, he died in 911/1505. Ibn Iyās, Badā’i‘, IV, p. 82; al-Sakhāwī, Muhammad Ibn ῾Abd al-Rahmān, al-Daw’ al-lāmi῾ li-ahl al-qarn al-tāsi῾, III, Cairo, . . . n. p. 1896, p. 30f. 45 The Pilgrimage of Arnold von Harff 1496-99, transl. M. Letts, London, The Hayklut Society, 1946, p. 102f.; F. Fabri, Le Voyage, op. cit., p. 431 ff. 46 Ibn Tūlūn, Shams al-Dīn Muhammad, Mufākahat al-khillān fī ’l-hawādith al-zamān, 2 vols., ed. . . . by M. Mus. tafā, Cairo, al-Mu’assassa al-Misrīya al-’Āmma, 1962-64, I, pp. 121, 153, 160, 169, 171; Ibn . . Iyās, Badā’i‘, op. cit., III, p. 369. 47 John Wansbrough, “A Mamluk Ambassador to Venice 913/1507,” Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 26/3, 1963, pp. 503-09, Ibn Iyās, IV, op. cit., pp. 195, 205.
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mistakes ever made”.48 Another case, documented in European sources, is that of the Spaniard Galip Ripoll, who was appointed as Sultan Jaqmaq’s (r. 1438-1453) merchant;49 although his case seems to have been exceptional, seen in the context discussed here, it confirms an intensified familiarity with European individuals at the Mamluk court. Some of these European emirs owed their ascendance in the Mamluk establishment specifically to their connections with their home countries, serving trade relations with Europe. Most interestingly, recent studies by Benjamin Arbel in Venetian archives show intensive migration movements in both directions between Venetian Cyprus and Mamluk lands.50 This was related to Sultan Barsbāy’s conquest of the island in 1426, which continued to pay tribute to the Mamluks to the end of their sultanate, even after it came under Venetian control in 1473, intensified the contacts between Venice and the Mamluks. Cypriot Mamluks are also mentioned in contemporary sources as recruits for the army during the conquest of Cyprus, who were eventually integrated into the aristocracy. For example, Qarājā, one of Sultan Ināl’s emirs, was recruited as a prisoner of war from Cyprus.51 An interesting case is the emir Bardabak al-Ashrafī (d. 1464), also called al-Faranjī (the European) and likewise a Cypriot. He was brought to Sultan Ināl, who favored him, married him to his daughter, and appointed him second secretary with special authority that made him one of the most powerful individuals in the State. Because of his origins and the connections with his family in Cyprus, he was also consulted in diplomatic matters.52 Another noteworthy case is the brother of Sultan Qāytbāy, who arrived in the age of sixty in Cairo in 1495 with two sons, from Cyprus where he had lived for thirty years.53 They were circumcised, converted and appointed as emirs in distinguished posts at the Mamluk court, first under Qāytbāy and later his son al-Nā . sir Muhammad (r.1496-98). Ibn Iyās describes the sons as young and handsome. . All three were given Mamluk names: Qayt for the brother, Jānibak for one nephew 48 Ibn Iyās, Badā’i‘, op. cit., IV, p. 466. 49 F.J. Apellániz, Pouvoir et finance, op. cit., pp. 126-130. 50 Benjamin Arbel, “Venetian Cyprus and the Muslim Levant (1473-1570),” in Papers given at the International Conference ‘Cyprus and the Crusades’ Nicosia 6-9 September 1994, Nicosia, Cyprus Research Center, 1995, pp. 159-85, sp. pp. 174-77, article republished in id., Cyprus, the Franks and Venice 13th-16th Centuries, Ashgate/Variorum, 2000, article no XII; Albrecht Fuess, “Was Cyprus a Mamluk Protectorate? Mamluk Policies Towards Cyprus 1426-1517”, Journal of Cyprus Studies, 11/28/29, 2005, pp. 11-28. 51 Sakhāwī, Daw’, op. cit., VI, p. 214. . al-duhūr fī madā ’l-ayyām wa ’l-shuhūr, 52 Sakhawi, Daw’, op. cit., I, p. 4f.; Ibn Taghrībirdī, Hawādith . ed. by W. Popper, Berkeley, University of California Press, 1931, pp. 577-578. 53 Ibn al-Himsi, Hawādi . . -t al-zamān wa-wafayāt al-shuyūkh wa-l-aqrān, ed. by 'Abd al-Azīz Fayyād Harfūsh, Beirut, al-Maktaba Dār al-Nafā'is, 2000, p. 273; Ibn Iyās, Badā’i‘,op. cit., III, pp. 308, 346, . 361, 374, 378, 387-9, 403.
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and Jānim for the other.54 Jānim had another namesake (d. 1504), who was the secretary (dawādar) of the governor of Damascus, nicknamed al-Faranjī because of his origin.55 Another noteworthy case in Mamluk-European relations is that of Alonso, the illegitimate son of the Ferdinand of Aragon King of Naples (r. 145894), who resided at the court of Qāytbāy for several years. This episode is connected to Ferdinand’s endeavor to gain the support of Qāytbāy in favor of his son’s accession to the throne of Cyprus.56 This kind of contacts shows the complexity of Mamluk connections with Latin Europe, which Mamluk historians do not convey.57 No contemporary Mamluk source mentions the presence of the Aragonese prince at the Mamluk court. It is very likely that the Mamluk chroniclers deliberately avoided dedicating attention to the presence of Europeans at the sultan’s court or to the European background of some emirs, or to the phenomenon itself, which, apart from the fact that it conflicted with the established attitude towards Latin Europe, was unconventional in the tradition of Mamluk recruitment. The fifteenth century European emirs did not enjoy the same kind of distinction and respectability as the emirs of Mongol origin in the previous century. The case of the afore mentioned ambassador Taghrībirdī was different from that of the Mongol Aytimish a century and a half earlier; Aytamish, who was sent as envoy to the Ilkhanid court, was well documented in the chronicles as a highly esteemed emir at the Mamluk court.58 Taghrībirdī, by contrast, was not credited with a biographical entry; he received a special reference in Ibn Iyās only when he fell in disgrace being accused of treason. The Mongols, besides being culturally related to the Turkic Mamluks of the Bahri period, and considered as their “cousins”, were at the time of Aytamish the rulers of a Muslim sultanate, thus enjoying a higher respectability in Mamluk eyes than the Europeans. Increasing and intensified experiences with the European world, both on an individual-personal or collective-official basis, could not alter the tradition54 Jānim had been the name of another nephew of Qāytbāy on his sister’s side, who had died several years earlier in 884/1479; Sakhawi, Daw’, op. cit., III, p. 64, Ibn IyÁs, Badā’i‘,op. cit, III, pp. 107, 145, 153. 55 Ibn al-Himsi, Hawādi Mufākaha, op. cit., I, p. 276. . . -t, op. cit., p. 339; Ibn Tūlūn, 56 J. Van Ghistele, Le Voyage,op. cit., p. 40; F. Fabri, Le Voyage,op. cit., p. 430. See on this episode: Francesco Forcellini, Strane peripezie d’un bastardo di Casa Aragona (Naples, 1915) [originally published in Archivio storico per le provincie napoletane, 37 (1912), pp. 553-563; 38 (1913), pp. 87-114, 441-482; 39 (1914), pp. 172-214, pp. 268-298, pp. 459-494, pp. 767-787 and Nino Cortese, “Don Alfonso d’Aragona ed il conflitto fra Napoli e Venezia per la conquista di Cipro”, Rivista Abrusseze, 4, 1916, pp. 5-15. I thank Benjamin Arbel for these references. 57 J. Van Ghistele, Le Voyage,op. cit., p. 40; F. Fabri, Le Voyage, op. cit., p. 430. 58 Donald P. Little, “Notes on Aytamiš, a Mongol Mamluk” in Die islamische Welt zwischen Mittelalter und Neuzeit. Festschrift für Hans Robert Roemer zum 65. Geburtstag, ed. by U. Haarmann and P. Bachmann, Beirut, Orient Institut der deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 1979, pp. 387-401.
Figure 8 | Shadow-play figure dated 1289/1871, in: Paul Kahle, Der Leuchtturm von Alexandria. Ein arabisches Schattenspiel aus dem mittellaterlichen Ägypten, Stuttgart, Kohlhammer 1930, fig. 2, page 1*
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al hostile attitude towards Latin Europe. Mamluk chroniclers generally refer to Europeans with the generic term faranj, often without specifying the country of origin. They do not take much notice of the Christian world except to record approaching threats, which were frequent enough on the Mamluk coasts to account for this hostility. Pierre de Lusignan’s raid on Alexandria in 1365, which lasted a week and devastated the city to the point of no return, remained deeply carved in Mamluk memory until it was avenged six decades later in 1426 with the conquest of Cyprus by Sultan Barsbay, which in turn inspired a decade later Sultan Jaqmaq’s unsuccessful attack on Rhodes. Christian piracy and raids continued to threaten Egyptian and Syrian coasts to the late fifteenth century and disturb diplomacy and trade relations.59 Notwithstanding the intensive connections with Cyprus, the late Mamluk historian al-Jawharī describes an injustice he witnessed on one occasion with the words: “the kind of things that can happen only in Cyprus (ashyā’ lā tu῾mal illā fī qubrus. )”.60 On the other side, it is interesting to know that in fifteenth century Burgundy the term “mamluk” came to describe traitors and renegades.61 The growing Portuguese influence in the Indian Ocean, and its implications for Mamluk overseas interests and monopoly of the spice trade, perpetuated the image of the European as a Crusader to the last days of the sultanate. The image persisted well into the Ottoman period, as the example of the epic Sīrat Baybars discussed by T. Herzog in this publication demonstrates. This is also confirmed by another literary and vernacular source, an anonymous shadow-play called al-Manār or the Lighthouse compiled at some unknown point in the early eighteenth century; it must have been played until modern times, as a shadow-figure dated 1289/1871 indicates (fig. 8). The origin of the play must go back to the Mamluk period, as it refers to Catalan and Cypriot raids on Alexandria, and the brave resistance of the Muslims, who defend its Lighthouse. This is a reference to the Ptolemaic lighthouse, which collapsed in the first half of the 14th century after having been maintained for centuries by Egypt’s Muslim rulers.62
59 S. Labib, Handelsgeschichte Ägyptens, op. cit., p. 371. 60 al-Jawharī al- Sayrafī, op. cit., Inbā’, p. 39. . 61 Ulrich Haarmann, “Der arabische Osten im Spätmittelalter, 1250-1517”, in Geschichte der arabischen Welt, ed. by U. Haarmann, Munich, Beck, 1991, p. 223 citing Johan Huizinga, Im Bann der Geschichte, Betrachtungen und Gestaltungen, Basel, Burg-Verlag 1943, p. 245. 62 Paul Kahle, Der Leuchtturm von Alexandria, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1930, 56 p.; id., (transl.) Manārat al-Iskandariyya al-qadīma fī khayāl al-zill . al-misrī, . Stuttgart, W. Kohlhammer, 1928. See also Doris Behrens Abouseif, “The Islamic History of the Lighthouse of Alexandria”, Muqarnas, 23, 2006, pp. 1-14.
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The silence about Europe in Mamluk historical literature was echoed in the visual arts. Mamluk esthetics were not affected by the increasing Mediterraneanisation of trade and diplomacy. In comparison with the Ottoman sultans, who opened a new era of artistic interaction between the Muslim world and Europe, Mehmed the Conqueror (1444-46, 1451-81) and Süleyman the Magnificent (1520-66) were patrons of European artists and craftsmen, and were thus connected with the world of the Renaissance. Mehmed II was a man with broad interests and a great curiosity for Christian culture, both Byzantine and Latin. He had a sound knowledge of Western literature, history and mythology. His fascination with the Italian tradition of illustrated royal biographies prompted the compilation of Ottoman illustrated histories.63 Portraits of Ottoman sultans became a major form of Ottoman art with distinct features that differed from those of Persian and Indian art. A quarter of a century later, Süleyman entered Belgrade in a great parade wearing an elaborate bejeweled crown and displaying regalia fashioned in Venice and belonging to the tradition and style of European monarchs.64 The display of European esthetics and regalia at the Ottoman court was intentional, expressing the ambition of both Mehmed and Süleyman to be acknowledged in Europe as the new Roman emperors, who now controlled Europe and the Mediterranean. To serve such ambitions they used symbols of power that were familiar and significant to the European audience. The Mamluk sultans had no such agenda; the audience for whom they performed remained the Muslim world, where their political identity had been shaped and their legitimacy acquired through their triumph over the Crusaders. As mentioned earlier, neither the Crusades nor the post-Crusades confrontations between Muslims and Christians, prevented commercial relations or even some mutual artistic inspirations. This fact can be interpreted as evidence for the supremacy of pragmatism over religious zeal; however, it reveals at the same time that commercial relations and even artistic exchanges have no significant bearing on mental frontiers. Eating from Chinese porcelain, drinking from Venetian glass and even being ruled by European Mamluks did not entail a deeper affinity towards the cultures behind the products and the people.
63
J. Michael Rogers “Mehmed the Conqueror: between East and West”, in Bellini and the East, London, National Gallery Publications, 2006, pp. 80-97. 64 Gülru Necipoglu, “Süleyman the Magnificent and the representation of Power in the Context of Ottoman-Hapsburg-Papal Rivalry”, The Art Bulletin, 71/3, 1989, pp. 401-27.
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Surmounting religious, musical and linguistic frontiers: ‘Alī Ufqī’s translation of the Genevan Psalter (c. 1665) as a transcultural achievement Judith I. Haug | Westfälische Wilhelms-Universität (Münster)
The conference “La frontière méditerranéene du xve au xviie siècle. Échanges, circulations et affrontements”, which led to the present volume of its proceedings, was inaugurated by a musical performance of the Genevan Psalms and their Ottoman arrangement by ‘Alī Ufqī. In this performance Vladimir Ivanoff and the Sarband Ensemble presented an intriguing instance of crossing cultural and religious frontiers. The borders involved are religious (Calvinism and Islam), linguistic (French— maybe Dutch—and Ottoman), musical genres (European mode and Ottoman maqām) and the transmission of musical repertoire (notation and orality). A man of considerable and various talents, a speaker of many languages with wide interests in music, poetry, theology, education, linguistics and medicine, ‘Alī Ufqī is an extremely rich object of research into the history of transculturality in the Mediterranean region. His talents and his background enabled him to cross diverse borders. Born around 1610 as Wojciech Bobowski into a noble family of Lwów in today’s Ukraine, he was sold into Ottoman slavery on an unknown date.1 It is still 1
For ‘Alī Ufqī’s biography see: Şükrü Elçin, preface to ‘Alī Ufqī: Hayatı, eserleri ve Mecmûa-i Sâz ü Söz (tıpkıbasım), [Facsimile] ed. by Ş. Elçin, İstanbul, Milli Eğitim Basımevi, 1976, p. iii-xxi; Cem Behar, Ali Ufkî ve Mezmurlar, İstanbul, Pan Yayıncılık, 1990, p. 9-50; id., “Wojciech Bobowski (Ali Ufkî)’ nin Hayatı ve Eserleri Hakkında Yeni Bilgiler”, Tarih ve Toplum, 94, 1991, pp. 1722; id., Musıkiden Müziğe. Osmanlı/ Türk Müziği: Gelenek ve Modernlik, İstanbul, Yapı Kredi Yayınları, 2005, p. 17ff; Walter Feldman, Music of the Ottoman court: Makam, composition and the early Ottoman instrumental repertoire), Berlin, VWB-Verlag für Wissenschaft und Bildung, “Intercultural Music Studies, 10”, 1996, p. 67ff.; Hannah Neudecker, “Wojciech Bobowski and his Turkish Grammar (1666). A dragoman and musician at the court of Sultan Mehmed IV”, Dutch Studies in Near Eastern Languages and Literatures, 2, 1996, pp. 169-192; Eadem, “From Istanbul to London? Albertus Bobovius’ Appeal to Isaac Basire”, in The Republic of Letters and the Levant, ed. by A. Hamilton, M. H. van den Boogert and B. Westerweel, Leiden, Brill 2005, pp. 173-196. ‘Alī Ufkī: Hâzâ mecmûa-i sâz ü söz, ed. by M. H. Cevher, İzmir, Doktora Tezi, Ege Üniversitesi, 2003, p. 7 [preface by M. H. Cevher].
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judith i. haug
debated as to who captured young Wojciech (Crimean Tatars or Ottomans) and how old he was at that time (in his late teens or much younger, i. e. about ten years old).2 Apart from this, we know that he was eventually taken to the imperial palace in İstanbul during the reign of Sultan Murad IV (r. 1623-1640) and received a thorough education as a page. These bonded pages, the so-called içoġlanlar (“boys of the inside”), often came from Christian families and converted to Islam like Wojciech Bobowski, who subsequently took the name of ‘Alī. As his musical talent had become obvious, ‘Alī Ufqī3 was assigned to the palace music school, the meşkhāne, where he was trained in singing and s. antūr (dulcimer).4 He acquired a ˘ complete new musical identity, so that he must be considered an Ottoman musician and not a European who observed and played Ottoman music; he became truly bi-musical according to Mantle Hood’s definition.5 Unfortunately, our knowledge of ‘Alī Ufqī’s life is scarce. From travel accounts and statements of European envoys6 we understand that he left palace service after twenty years or so, accompanied an imperial official to Egypt and was subsequently manumitted. Presumably around the year 1650, he started working as a translator and interpreter for the British embassy as well as for the Sublime Porte itself, where he rose to a high position as second interpreter of the dīvān.7 In this capacity and 2
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Scholarly views regarding ‘Alī Ufqī’s age at the time of his capture differ widely. It is highly probable that he had already acquired at least some of his languages, principally Latin, Greek and Hebrew, as well as his European musical training at home. Therefore it would be plausible to assume an age of 18 to 20 years old. If he spent nineteen years in palace service, as he told Paul Rycaut, he would have been born around the year 1610 (see C. Behar, Musıkiden Müziğe, op. cit., p. 19ff., and Sir Paul Rycaut, The History of the present state of the Ottoman Empire […], London, Joanna Brome, 1682. Epistle to the Reader, [f. 7r]). Ralf Martin Jäger argues in contrast that ‘Alī Ufqī could have been captured at the usual devşirme age and could have acquired his linguistic and musical skills in Istanbul, which is indeed possible (oral communication). This view is further in accordance with the statement made in the anonymous “Papers concerning Ali Bei” quoted by H. Neudecker,“From Istanbul to London”, art. cit., p. 193f.: “[…] was taken, when about 10 years of age […] and carried afterwards to Constantinople …”. Literally Ufqī means in Ottoman, “the one coming from behind the horizon, i.e. the stranger” the name therefore being an allusion to Ufqī’s foreign origin. In his description of the imperial household, ‘Alī Ufqī mentions among many other things relating to musical practice the meşkhāne. Whereas the Italian original of Serai Enderum is lost, the ˘ text survived in various translations, for example a French version: Albertus Bobovius, Topkapi. Relation du sérail du Grand Seigneur ed. by A. Berthier and S. Yerasimos, Arles, Sindbad Actes Sud, “La Bibliothèque Turque”, 1999, pp. 89-96, 99-102. Mantle Hood, “The Challenge of “Bi-Musicality””, Ethnomusicology, 4, 1960, pp. 55-9. See below: quote from Thomas Hyde’s preface to the Tractatus (footnote 12). Paul Rycaut, The History of the present state of the Ottoman Empire […], op. cit. Nicholas Rolamb [Rålamb], A Relation of a journey to Constantinople, in A Collection of Voyages and Travels […], London, John Walthoe etc., 1732, Vol. V., pp. 671-716 (p. 703). H. Neudecker, Wojciech Bobowski, Wojciech Bobowski, art. cit., p. 169, p. 171; H. Neudecker,
partie iv - ‘al ufq’s translation of the genevan psalter
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also as a language teacher and intermediary for the acquisition of manuscripts, he met a widespread number of European travellers, ambassadors, scholars and missionaries. Two of these played important roles in the story of the Ottoman psalms: Antoine Galland8 (1646-1715, translator of the Arabian Nights and secretary of the French ambassador Marquis de Nointel) and Levinus Warner9 (1619-1665, Dutch ambassador with an orientalist education from Leiden University). The year 1666 is marked by a significant break. Wishing to return to Europe and to live among Christians again, ‘Alī Ufqī made a request to the British embassy. The former embassy chaplain, Isaac Basire, who had meanwhile returned to England, was ought to support his cause there. ‘Alī Ufqī’s letter was obviously received and is kept today in the Bodleian Library, Oxford, together with seven short but extremely valuable paragraphs about ‘Alī Ufqī by an unknown author.10 Paragraph IV is of particular interest: IV. He then, privately, professed himself a Christian in voto, and, it is said, still perseveres the same.11
For unknown reasons however, ‘Alī Ufqī never made it to Britain. In 1669, he was appointed interpreter of the chancery and subsequently employed by the Porte as a Chief Interpreter. The date and circumstances of his death are unknown, yet it is generally believed that he died in İstanbul sometime in the middle of the 1670’s, probably in 1677.12 In Europe, however, ‘Alī Ufqī’s wish to become a Christian again was noted with great interest and compassion. In his preface to the 1690 edition of the Tractatus Alberti Bobovii […] de turcarum liturgia, widely read and repeatedly published, Thomas Hyde wrote:
“From Istanbul to London”, art. cit., p. 188. C. Behar, Musıkiden Müziğe, op. cit., p. 22ff. Roman d’Amat, “Galland, Antoine”, in Dictionnaire de biographie française, ed. by M. Prevost, J. Balteau and M. Barroux, Paris, Letouzey et Ané, 1933-2003. Vol. XV, p. 183f. Galland stayed in Istanbul twice, from the end of 1670 until September 1673 and from the end of 1678 until March 1686. 9 Guilielmus Nicolaus du Rieu, preface to Levini Warneri de rebus turcicis epistolae ineditae (16451665), Leiden, Brill, 1883. Alexander H. de Groot, “The legacy of a seventeenth-century orientalist”, Prilozi za orijentalnu filologiju, 30, 1980, pp. 159-165. Alexander H. de Groot, De betekenis van de Nederlandse ambassade bij de Verheven Porte voor de studie van het Turks in de 17e en 18e eeuw, Leiden, Brill, 1979, p. 33ff. 10 H. Neudecker, “From Istanbul to London”, art. cit., p. 193f. 11 Quoted by H. Neudecker, “From Istanbul to London”, art. cit., p. 194. 12 H. Neudecker, “From Istanbul to London”, art. cit., p. 188 and passim. C. Behar, Musıkiden Müziğe, op. cit., p. 50f. 8
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judith i. haug Eas [observationes] autem illius [embassy chaplain Thomas Smith’s] rogatu scripto priùs consignaverat Albertus Bobovius, patria dialecto Bobowski dictus, gente Polonus, aliquot ab hinc annis defunctus. Cujus mors dolenda, tum quia nostratibus semper erat amicissimus & in omnibus officiosissimus, tum quia erat impensissimus Linguarum amator & assiduus cultor, & in earum multis tam Europæis quam Asiaticis versatissimus & peritissimus: unde habitus est dignus qui sub Turcarum Imperatore Mohammede IVto Stipendium mereretur ut ﺘﺭﺠﻤﺎﻥ ﺒﺎﺸﻰ (Tergjumân Bashi), i.e. Interpres primarius. Maximè autem dolendum est, quod morte præreptus esset antequàm ad Christianismum rediisset; quod facere ex animo anhelabat, cupiens ut in Anglia inter Christianos honesto aliquo modo panem lucrari potuisset, & ab Infidelium consortio recederet.13
The Swedish ambassador Claes Rålamb, who had engaged ‘Alī Ufqī’s services as a mediator in the acquisition of oriental manuscripts, claims that Ufqī’s original confession had been Reformed Protestantism. But Rålamb’s statement unfortunately cannot be confirmed.14 The Tractatus … de Turcarum liturgia, peregrinatione Meccana, circumcisione, aegrotorum visitatione etc.… (c.1658-1661) is ‘Alī Ufqī’s best-known writing, which, like most of his many works,15 shows a distinct interest in the communication between religions, languages and cultures. His works represent an effort to preserve, to explain and to show personal connections among humans. ‘Alī Ufqī was well aware of the frontiers existing between his two cultures as he permanently crossed them and helped others to do so. His earliest known work is a translation of Johann Amos Comenius’ Latin textbook Ianua Linguarum Reserata Aurea
13 ‘Alī Ufqī, Tractatus Alberti Bobovii Turcarum Imp. Mohammedis IVti olim Interpretis primarii, de turcarum Liturgia […] Oxonii, E Theatro Sheldoniano, 1690. Preface by Thomas Hyde, [f. 2r]: “These [observations] were first written down on his [embassy chaplain Thomas Smith’s] request by Albertus Bobovius, called in his native language Bobowski, a Pole, deceased some years ago. His death is lamentable, because he was always especially friendly and in every way helpful toward us and also because he was an invaluable lover and studious enthusiast of languages, and in many of them—both European and Asian—very versed and proficient. On account of this, he was deemed worthy of earning his pay as ‘Tercümān başı’, that is, head interpreter, under the Turkish Emperor Mehmed IV. But most of all it is lamentable that he was prematurely snatched from this life before he could return to Christianity; this he profoundly wished to do with his whole heart, wanting to earn his bread in some honest way among Christians in England and to flee the company of infidels”. 14 N. Rolamb, A Relation, op. cit., p. 703. 15 Ş. Elçin, preface to ‘Alī Ufqī: Hayatı, eserleri ve Mecmûa-i Sâz ü Söz, op. cit., p. xff. H. Neudecker, Turkish Grammar, op. cit., p. 172ff. M. Hakan Cevher, preface to ‘Alī Ufqī: Mecmûa-i Sâz ü Söz, p. 15ff. C. Behar, Musıkiden Müziğe, op. cit., p. 52ff.
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(1631, translation 1643). A further work, the Serai Enderum,16 a detailed and highly valuable description of the palace, its inhabitants and their lives, was first written in Italian, but survives in German, English and French translations. In the area of religion and theology, the complete translation of the Bible into Ottoman Turkish including the apocrypha and the partial translation of the Genevan Psalter are his most important achievements.
The notational system All that has been said about his theological, linguistic and historical writings also relates to the notations, in which ‘Alī Ufqī’s bi-musicality is clearly demonstrated. Probably already while in palace service, he began to write the pieces, he and his fellow court musicians had learnt by rote (meşk) in a modified European staff notation, resulting in two large collections of music besides the Ottoman Psalms. One volume is untitled and contains not only music, but also poems and various other texts in an astonishingly broad range of languages and relating to a similarly broad range of topics (F-Pbn Suppl. Turc 292). The other volume, named Mecmū‘a-yı Sāz ü Söz (Collection of Instrumental and Vocal Music, GB-Lbm Sloane 3114), is almost entirely musical in nature.17 While we know that musical notations in alphanumerical script were in use from the early times of Islam onwards, much seems to have been lost, and this renders ‘Alī Ufqī’s collections even more precious.18 They represent the repertoire of the Ottoman palace during the mid-17th century and encompass a great range of genres and styles, from complex instrumental forms (pėşrev) to religious songs (ilāhī) and dance tunes (rak. siyye). In Ottoman musical culture as well as in the Arab world the preservation of repertoire in a fixed, unambiguous and enduring form was not considered a priority until the late 19th and early 20th centuries, when European models of theory, training and
16 The present author used the German translation by Nicolaus Brenner: “Serai enderum: Das ist: Jn-wendige beschaffenheit der Türckischen Kayserl: Residentz zu Constantinopoli die newe Burgk genant/ sampt dero Ordnung vnd Gebräuchen/ so von Alberto Bobovio Leopolitano/ welcher zur Zeit deß strangulierten Kaysers Sultan Jbrahim/ auch jetzt noch regierenden Sultan Mehemet/ daselbst für einen Paggy der Music etliche Jahr lang gedient/ vnd in Jtalianischer Sprach beschriben hatte. […]”, Vienna, Johann Jacob Kürner, 1667. The main paragraphs on music are to be found on the pages 72-84. For a French translation see A. Bobovius, Topkapi, op. cit. 17 ‘Alī Ufqī, Mecmûa-i Sâz ü Söz, [Facsimile], ed. by Ş. Elçin, Printed Edition, ed by M. İzmir, M. H. Cevher, 2003. 18 Eckhard Neubauer, “Zur Bedeutung der Begriffe Komponist und Komposition in der Musikgeschichte der islamischen Welt”, Zeitschrift für Geschichte der arabisch-islamischen Wissenschaften, 11, 1997, pp. 307-63.
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notation were introduced more and more widely.19 ‘Alī Ufqī describes in the Serai Enderum that his ability to write music earned him the admiration of his colleagues and his promotion to the rank of erbaşı (supervisor and teacher of the palace music slaves). Asked to instruct them in notation, he refused, because he thought it would take too long.20 It is telling that the two large extant corpora of musical notations from the mid17th and early 18th centuries were written by acculturated Europeans who had received thorough training in Ottoman music, one a renegade and bonded palace musician, the other, Demetrius Cantemir, a Moldavian prince held hostage at the Ottoman court.21 Both of them had been brought up with the Western concept of notation and applied it to Ottoman music, which they acquired as a second musical culture. While Cantemir used an alphanumerical system probably based on earlier Arabic or Ottoman models, ‘Alī Ufqī applied European five-line staff notation, developing individual solutions for the problems he was confronted with. To accommodate texts of vocal music, he decided to write from right to left. Obviously this was a process that took some time and experimentation as in the Paris collection instrumental music is still to be found partly notated in the ordinary left-to-right direction. In the London manuscript, the “~Ottoman” reading direction is fully implemented. Furthermore, he had to find a way to deal with the specific pitches and intervals. Generally speaking, accidentals are not vital for the notation of Ottoman music. If a musician is familiar with the maqām (mode) of a given piece, he or she would automatically know what pitches to use. If this piece would modulate into another mode, a verbal indication would be sufficient. Accordingly, ‘Alī Ufqī did not develop a strictly consequent system of alteration signs as it exists today,22 but 19 This applies not only to modern Turkey, but to the entire Middle East and Arab world. Issam el-Mallah, Arabische Musik und Notenschrift, Tutzing, Hans Schneider Verlag, “Münchner Veröffentlichungen zur Musikgeschichte, 53”, 1996, passim. Ralf Martin Jäger, Türkische Kunstmusik und ihre handschriftlichen Quellen aus dem 19. Jahrhundert, Eisenach, Verlag der Musikalienhandlung Karl D. Wagner, “Schriften zur Musikwissenschaft aus Münster, 7”, 1996, passim. 20 ‘A. Ufqī, Serai Enderum, op. cit., p. 76f. 21 Demetrius Cantemir, Kitāb-ı ‘İlmi’l-Mūsīqī ‘alā vechi’l -Hurufāt. Mûsikîyi Harflere Tesbît ve İcrâ . İlminin Kitabı, ed. by Y. Tura, İstanbul, Yapı Kredi Yayınları, 2001, vol. I: treatise, facsimile, transliteration and translation into modern Turkish; vol. II: notation; Owen Wright (ed.), Demetrius Cantemir: The Collection of Notations, vol. I: edition, Farnham, Ashgate, 1992; vol. II: commentary, Farnham, Ashgate, 2000. A third manuscript exists from this period by Şeyh Osman Dede, dated around 1700 and containing alphanumerical notation. According to W. Feldman, Music of the Ottoman Court, op. cit., p. 33, this source is privately owned and not yet accessible. 22 Karl Signell, Makam: modal practice in Turkish art music, Seattle, Usul Editions, “Asian Music Publications, D4”, 1977, p. 23ff. It has to be noted that various systems of maqām theory exist
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employed some of them whenever he thought them necessary. These signs are yet another instance of ‘Alī Ufqī’s partaking in two cultures. For example, he used the European b-molle (͖) both in its original form and as a mirror image analogous to the “mirrored” notation to indicate a flattening. But he also translated the b-molle into Ottoman by using the phonetic equivalent of its name in the Arabic alphabet, be ()ب. Similarly, he employed the third letter of the Arabic-Ottoman alphabet, cīm ()ج, as a clef, corresponding to the European c-clef. This technique is also used by him in the Psalter fragment. ‘Alī Ufqī’s system of notation did not become established in the Ottoman Empire. This seems to be due to the fact that all his (known) musical writings were taken to Europe shortly after their author’s death. Antoine Galland brought the untitled collection and the Psalms to Paris, while the Mecmū‘a found its way to London at the hands of the British embassy chaplain John Covel.23
The genesis of the Ottoman Reformed Psalter The so-called Genevan or Huguenot Psalter, completed in the French language in 1562,24 has long been the sole hymnbook of the Reformed confession. Convinced of music’s power to move the human heart for better or worse and wishing to reduce liturgical practices to a minimum for the sake of internalisation, Jean Calvin today; an influential and widely accepted system is the “24 unequal tone system” (“Yirmidört gayri müsavi ses sistemi”) developed by Rauf Yekta and his pupils. See Rauf Yekta, “La musique turque”, in Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire, ed. by A. Lavignac and L. de la Laurencie, Part I: Histoire de la musique, vol. V, Paris, Librairie Delagrave, 1922, pp. 29453064. 23 Elisabeth Leedham-Green, “Covel [Colvill], John”, in Oxford Dictionary of National Biography, ed. by C. Matthew and B. Harrison, Oxford, 2004. Online edition ed. Lawrence Goldman, January 2008. http://www.oxforddnb.com/view/article/6471, (accessed 14.02.2008). George F. Abbott, Under the Turk in Constantinople, A Record of Sir John Finch’s Embassy 1674-1681, London, Macmillan 1920, p. 54ff. 24 Les Pseaumes mis en rime françoise, par Clément Marot, & Théodore de Bèze […] Geneva, François Jaquy 1652. Clément Marot and Théodore de Bèze, Les Psaumes en vers français avec leurs mélodies, [facsimile] ed. by P. Pidoux, Geneva, “Textes littéraires français, 338”, 1986. Pierre Pidoux, Le Psautier Huguenot du xvie Siècle. Mélodies et documents recueillis par Pierre Pidoux, Basel, Baerenreiter, 1962, vol. I : Les mélodies, vol. II : Documents et bibliographie. For the state of art in research on the Genevan Psalter see the following compilations: Der Genfer Psalter—eine Entdeckungsreise, ed. by P. E. Bernoulli and F. Furler, Zurich, TVZ2, 2005. Der Genfer Psalter und seine Rezeption in Deutschland, der Schweiz und den Niederlanden. 16.-18. Jahrhundert, ed. by E. Grunewald, H. P. Jürgens and J. R. Luth, Tübingen, Max Niemayer Verlag, “Frühe Neuzeit, 97”, 2004, 498 p. Judith I. Haug, Der Genfer Psalter in den Niederlanden, Deutschland, England und dem Osmanischen Reich (16.-18. Jahrhundert), Tutzing, Hans Schneider Verlag, “Tübinger Beiträge zur Musikwissenschaft, 30”, 2010, p. 1ff. and passim.
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believed that unaccompanied congregational singing of the biblical Psalms in vernacular was the only place for music in the divine service.25 In 1539, the first rhymed Psalm paraphrases were published in Strasbourg.26 During the following years the Psalter was successively completed, revised and new melodies were composed. The Psalms were versified by the former French court poet Clément Marot (14961544)27 and after Marot’s demise by Geneva’s leading theologian, Calvin’s successor Théodore de Bèze (1519-1605).28 While many melodies are anonymous, some can be attributed to the Genevan cantor Loys Bourgeois (c. 1510-c.1560) and a number of his colleagues29. Calvin himself took care that the psalms were in accordance with his aesthetics of liturgical music: “poids et majesté convenable au subject”.30 Subsequently, the Genevan Psalter was quickly disseminated in Europe among the Reformed communities, who wished to be in conformity with the centre of Calvinism as far as liturgy and congregational song were concerned. Many translations were produced; for example the Dutch versions by Petrus Datheen31 and Philips Marnix van Sint Aldegonde32 and the German version by Ambrosius 25 Arnold Geering, “Calvin und die Musik”, in Calvin-Studien 1959, ed. by J. Moltmann, Neukirchen, Neukirchener Verlag der Buchhandlung des Erziehungsvereins Neukirchen, 1960, pp. 16-25. Édith Weber, La Musique protestante de langue française, Paris, Honoré Champion, “MusiqueMusicologie, 7”, 1979, p. 40ff. Robert Weeda, Le Psautier de Calvin. L’histoire d’un livre populaire au xvie siècle (1551-1598), Turnhout, Brepols, 2002, p. 14. Jan Smelik, “Die Theologie der Musik bei Johannes Calvin als Hintergrund des Genfer Psalters”, in Der Genfer Psalter und seine Rezeption in Deutschland, der Schweiz und den Niederlanden. 16.-18. Jahrhundert, ed. by E. Grunewald, H. P. Jürgens and J. R. Luth, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, “Frühe Neuzeit, 97”, 2004, pp. 61-77. 26 Aulcvns pseaulmes et cantiques mys en chant, Strasbourg, 1539. No author’s name is given. 27 Jeanne Dorothée Mills-Pont, Clément Marot: The Union of Poetry and Music. Diss. Univ. of Arizona, 1972, p. 78ff. Anne Lake Prescott, “Musical Strains. Marot’s Double Role as Psalmist and Courtier”, in Contending Kingdoms. Historical, Psychological, and Feminist Approaches to the Literature of Sixteenth-Century England and France, ed. by M.-R. Logan and P. L. Rudnytsky, Detroit, Wayne State Univ. Press 1991, pp. 42-68. Catherine Reuben, La Traduction des psaumes de David par Clément Marot. Aspects poétiques et théologiques, Paris, Honoré Champion, “La Renaissance Française, 8”, 2000, 288 p. 28 Paul-Frédéric Geisendorf, Théodore de Bèze, Geneva, Librairie Droz, 1967, passim. Alain Dufour, Théodore de Bèze. Poète et théologien, Geneva, Librairie Droz, “Cahiers d’Humanisme et Renaissance, 78”, 2006, passim. 29 Édith Weber, “Die Melodisten des Genfer Psalters: Franc, Bourgeois, Davantès”, in Der Genfer Psalter-eine Entdeckungsreise, ed. by P. E. Bernoulli and F. Furler, Zurich, TVZ2, 2005, pp. 23-32. 30 “[…] weight and majesty appropriate to the subject”. Jean Calvin, preface to his church order La Forme des prieres et chantz ecclesiastiques, 1543. Quoted by P. Pidoux, Le Psautier Huguenot, op. cit., p. 21. 31 Petrus Datheen, De Psalmen Davids door Petrus Dathenus. Met Catechismus, Formulieren, en Gebeden, Facsimile of the edition Heidelberg 1566, ed. by J. N. IJkel and W. van’t Spijker, Houten, Den Hertog, cop. 1992. 32 Philips Marnix van Sint Aldegonde, Het Boeck der Psalmen Dauids. Wt de Hebreische spraecke in Nederduytschen dichte/ op de ghewoonlijcke Francoische wyse ouerghesett […], Antwerpen, Gillis van den Rade, 1580.
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Lobwasser.33 The influence of the Psalter extended beyond the sphere of the Reformed confession, as other denominations adapted some of the Psalm songs in their entirety or used the melodies. These melodies were often regarded as exceptionally beautiful, so that they were able to cross confessional borders which were fiercely guarded at that time.34 But the Genevan Psalter did not remain confined to liturgical practice. As Calvinism encouraged polyphony and instrumental music in private devotion and extra-liturgical circumstances, soon a large quantity of arrangements for various vocal, instrumental and mixed settings was produced. In every instance where a translation and/or an arrangement were created, the material was invariably altered and somehow became influenced by the new environment into which it had been transplanted. The case of the Ottoman psalms is different because not only were they translated into a language unrelated to the original French (or, given the Persian elements of the Ottoman language, very distantly related) but also the tunes, conceived in the European modal system, had to be made accessible to speakers of the Ottoman musical language. The fascinating fact is, however, that ‘Alī Ufqī did not alter the melodies. With a single exception in Ps. 1435 that could also be explained as an error, he did not arrange them to fit Ottoman concepts of modality. The source for the Ottoman psalms is an unbound, untitled ten-page booklet kept today in the Bibliothèque Nationale de France, Paris, under the signature Supplément Turc 472.36 It contains notations of the first fourteen pieces of the Genevan Psalter in Ottoman translation and a reworking of an English hymn inserted after Psalm 2. The notational system is that described above: a Western fiveline staff notation written from right to left, employing Arabic characters as clefs (cīm) and sometimes as alteration signs (be) besides the European accidentals # and ͖, which can appear as a mirror-image. Compared with ‘Alī Ufqī’s two other notations, the note heads in the Psalms are more diamond-shaped than rounded. This can be explained by looking at the original source he translated from. It is
33 Ambrosius Lobwasser, Der Psalter deß Königlichen Propheten Dauids, [Facsimile] ed. by E. Grunewald and H. P. Jürgens in collaboration with D. Gutknecht and L. Kessner, Hildesheim, Olms, 2004, 2 vols. 34 Judith I. Haug, Der Genfer Psalter, op. cit., p. 229f., p. 264. 35 Judith I. Haug, Der Genfer Psalter, op. cit, p. 531ff. 36 Edgar Blochet, Catalogue des Manuscrits Turcs de la Bibliothèque Nationale, 2 vols., Paris, Bibliothèque nationale de France, 1932. Vol. 1, p. 364: 472 : [ ﻤﺯﻤﻭﺭﻴﻪMezmūriyye] Les quatorze premiers Psaumes, avec la traduction en vers turcs, et la notation musicale en plain-chant. Neskhi d’une main européenne du xviiie [sic] siècle. 5 feuillets. 21 sur 16 centimètres. Cartonnage occidental.
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highly probable that this original was printed in the late white mensural notation usually employed for the Reformed Psalter during most of the 17th century. The Psalms are definitely meant for performance. On the last page, the staves have been drawn and captioned “Psalm 15” (mezmūr 15), but they have not been filled in. In the English hymn, the text underlay is incomplete and the notation is crossed out, in obvious frustration. There is no colophon, but by comparing the handwriting with other manuscripts the attribution to ‘Alī Ufqī can be verified. Furthermore, statements of persons close to ‘Alī Ufqī underscore that he wrote a portion of the psalms, even if they provide no hint as to when and why. In his diary entry of February 21st, 1672, Antoine Galland mentions an incomplete “version of the psalms of David”: “Dimanche 21 février. Je vis un livre turc […] de plus un petit in quarto qui estoit une version des psaumes de David, mais elle n’estoit pas complète”.37 In his travelogue published in 1678, Jacob Spon, who stayed in Istanbul in 1675, writes a passage about ‘Alī Ufqī: […] Monsieur Galland, qui a demeuré quelques années à Constantinople avec Monsieur de Nointel, a plusieurs choses écrites de la main de cet Haly-beg, et entre autres une bonne partie des Psaumes, qu’il a mis en vers turcs et notés en musique.38
But the psalms were, as it seems, written a couple of years earlier during the period of Ufqī’s Bible translation and in the context of a religio-political current called Calvinoturcism.39 The aim of this movement was a rapprochement between the Reformed party in Europe and the Sublime Porte in order to form a coalition against the common enemy, the Habsburgs. Moreover, a special manifestation 37 Antoine Galland, Journal (1672-1673), ed. by C. Schefer, 2 vols., Paris, Leroux, 1881. Vol. I, p. 56f. 38 “Monsieur Galland, who stayed for some years at Constantinople with Monsieur de Nointel, has many writings in his possession from this Haly-beg, among them many psalms whom he has transformed in Turkish verses and noted in Turkish music”, in Jacob Spon, Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, 1678, ed. by R. Etienne, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 194f. Shortly before, Spon mentions ‘Alī Ufqīs death. 39 M.E.H. Nicoletta Mout, “Calvinoturcisme en de zeventiende eeuw. Comenius, Leidse oriëntalisten en de Turkse bijbel”, Tijdschrift voor Geschiedenis, 91, 1978, pp. 576-607 (p 576f., p. 591). Id., “Calvinoturcismus und Chiliasmus im 17. Jahrhundert”, Pietismus und Neuzeit, 14, 1988, pp. 72-84. Dorothy M. Vaughan, Europe and the Turk. A Pattern of Alliances, 1350-1700, Liverpool, Liverpool University Press, 1954, p. 135ff. and passim. Stephen A. Fischer-Galati, Ottoman Imperialism and German Protestantism 1521-1550. Cambridge-Mass, Harvard University Press, 1959, passim.-Halil İnalcık, “The Turkish Impact on the Development of Modern Europe”, in The Ottoman Empire: Conquest, Organization and Economy. Collected Studies, ed. by H. İnalcık, London, Variorum Reprints, 1978, pp. 51-8.
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of Calvinoturcism, linked to the Czech theologian and pedagogue Johann Amos Comenius (1592-1670),40 embodied millenarian prophecies. These prophecies claimed that one of the conditions for the end of the world was the conversion of the “Turk” to Christianity. Political Calvinoturcism, millenarian visions and hope for a renewed independence for Bohemia were thereby intermingled. To achieve the conversion of the Ottomans, a Bible translation was necessary. Levinus Warner, who had already been in contact with Comenius in the Netherlands, where the latter lived in exile from 1656 until his death in 1670, assumed his office as ambassador of the Republic in Constantinople in 1655 and was charged with providing this translation. After a first version by the Jewish dragoman Yahyā . bin ’Ishāq . had been rejected, Warner commissioned a second translation from ‘Alī Ufqī, who commenced his work early in 1662 and finished this task on December 27th, 1664.41 Now, entering the realm of speculation, one might reasonably assume that Levinus Warner also commissioned the Ottoman Psalter, which was not only a translation but also provided directions for performance by Ottoman musicians. A version of the Genevan Psalter would have made sense as an instrument to convert the “Turk” directly to the Reformed confession of Christianity. Warner’s sudden and mysterious death—by poison, as ‘Alī Ufqī states in his letter to Isaac Basire42—in June 1665 would at once provide a dating (first half of the year 1665) and an explanation for the abrupt abandonment of the work. Perhaps ‘Alī Ufqī’s request to live in England can also be seen in the context of the Bible and Psalter translations. At an unknown date before 1672, Antoine Galland got hold of the Psalms together with the Paris notation (Suppl. Turc 292) as well as a number of other oriental manuscripts and subsequently took them to France. Thus it appears quite certain that the Psalms did not circulate in the Ottoman Empire in any way.
40 For a biography of Comenius see Milada Blekastad, Comenius. Versuch eines Umrisses von Leben, Werk und Schicksal des Jan Amos Komenský, Oslo, Universitetsforlaget, 1969, passim. 41 For the history of the Bible translation see Hannah Neudecker, The Turkish Bible Translation by Yahya . bin ’Isha . k, . also called Haki (1659), Leiden, Oosters Inst., 1994, p. 396ff. M.E.H.N. Mout, ˘ 601, p. 603f. M.E.H.N. Mout, “Chiliasmus”, art. cit., p. 79ff. Jean “Calvinoturcisme”, art. cit., p. Deny, “À propos des traductions en turc Osmanlı des textes réligieux chrétiens”, Die Welt des Islams, 4, 1956, pp. 30-9. 42 Quoted by H. Neudecker, “From Istanbul to London”, art. cit., p. 191.
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Maqām attributions In order to make the Genevan Psalms accessible to Ottoman singers, ‘Alī Ufqī had to attribute every melody to a certain modal entity, a maqām. A maqām was in the 17th and 18th centuries perceived as a particular (octave) scale that is part of a larger general scale,43 defined by its final (qarār) and ambitus (hükm), the specific . pitches (perdeler) contained in the scale and characteristic melodic movements (hareket). The pitches were grouped into tamām (“~whole~”, basic, forming the . basic scale) and nīm (“incomplete”, secondary, representing deviations from the basic scale) perdeler.44 As far as we know today, ‘Alī Ufqī’s personal views on maqām theory have not been recorded. In order to bring the maqām headings of the Psalms into relation with then-current theory, I used as points of reference the maqām attributions in the notation collection Mecmū‘a-yı Sāz ü Söz and the verbal description of the modes in Demetrius Cantemir’s treatise Kitāb-ı ‘İlmi’l-Mūsīqī (c. 1705-10),45 which was written not too long after the Psalms and in the same environment. Some attributions conform to the evidence in the Mecmū‘a as well as in the treatise and can therefore be understood quite easily. Others, however, are almost or entirely inexplicable.46 In these cases, we have to assume that Ufqī’s personal views of maqām theory and practice were different from what we would expect. For example, a piece set in maqām Çārgāh normally cannot end on perde dügāh (in modern notation : a’), because its name-giving final is çārgāh (c’’) and because the final is the most decisive criterion. The source itself gives an eloquent account of the creative process of writing, which was obviously not easy. The headings for Psalms 1, 9, 10 and 12 have been crossed out but the earlier attributions remain partially legible. A certain number of melodies could (it seems) unhesitatingly be attributed to a maqām which for ‘Alī Ufqī satisfactorily represented the tonal composition and the melodic structure of a certain Psalm. Strikingly, this does not imply that all Psalms of the same European mode were allocated to the same Ottoman mode. The comparatively large number of dorian (first mode) melodies could be attributed to four different maqāmlar. The decisive criteria in these cases were melodic movement and dominant scale 43 W. Feldman, Music of the Ottoman Court, op. cit., p. 195 ff., p. 203ff., p. 220ff. 44 The terminology, subject to many changes over the course of centuries, here follows D. Cantemir, Kitāb-ı ‘İlmi’l-Mūsīqī‘, op. cit., see footnote 21. See as well W. Feldman, Music of the Ottoman Court, op. cit., p. 196. 45 See footnote 21. 46 For detailed analyses see J. I. Haug, Der Genfer Psalter, op. cit., p. 503-59.
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degrees—criteria, which are equally valid in the European modal system the Psalms were originally conceived in. Yet there is one instance of considerable friction between the two musical systems, namely the seventh Psalm in the hypodorian (second) mode. The concept of a scale whose final is not located at either one of its ends but in the middle, as can be found in the plagal modes, does not exist in Ottoman music. For this reason, ‘Alī Ufqī strove to circumscribe this phenomenon in Ottoman terms, creating a definition based on the concept of maqām combination (terkīb). As I learned from Mustafa Doğan Dikmen, vocal soloist of Sarband, this definition does not work. Even if it is possible to understand what ‘Alī Ufqī meant, it is almost impossible to reproduce. Nonetheless, ‘Alī Ufqī’s diligence is clearly visible. Obviously, the correct performance of the Ottoman Psalms was meaningful to him, while he was keenly aware of the differences between the two musical worlds.
Language The translations show both the same diligence and comparable points of friction. Regarding the formal conditions, the author, being an Ottoman poet in his own right, tried to reproduce the rather intricate strophic and rhyme schemata as closely as possible; Ps. 2 is the only deviation. On the other hand, the syllable count proved more problematic, and its variance causes difficulty for singers. For example, the suffix “-i” of the Persian iżāfet genitive construction can either be subsumed within the preceding syllable or it can be given a note of its own. Sometimes, but not always, ‘Alī Ufqī marked the elision of a syllable with a tie. It is uncertain which version of the Genevan Psalter he worked with, but probably it was the French original. As far as we know (while it is within the realm of possibility), ‘Alī Ufqī did not speak Dutch, the language of his commissioner Levinus Warner. Yet French Psalters were readily available in the Netherlands and were even printed there.47 Furthermore, the correlations between the Ottoman text and Clément Marot’s verses are discernible. Verbatim translations do not occur very often due to the differences in word order and word length, but the overall similarity regarding the content is striking.48
47 Howard Slenk, “Christophe Plantin and the Genevan Psalter”, Tijdschrift van de Vereniging voor Nederlandse Muziekgeschiedenis, 20, 1967, pp. 226-48. 48 For further analyses see J. I. Haug, Der Genfer Psalter, op. cit., pp. 560-4.
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Conclusion We cannot be sure whether ‘Alī Ufqī wrote the Psalms and his many other works with the intended purpose of mediating and facilitating frontier crossings, but they have this effect even today. Because of their unfinished state and because they were taken to Paris very shortly after they were written it is doubtful, to say the least, whether the Ottoman Psalms have ever been performed. On the other hand it is certain that they were intended for performance—otherwise ‘Alī Ufqī wouldn’t have taken the pains of attributing every Psalm melody to a maqām. Whether a performance according to these modal attributions is feasible, is another difficult question. Vladimir Ivanoff and Sarband have endeavoured to reconstruct a performance of ‘Alī Ufqī’s Ottoman Psalms. If the Psalms with their short, comparatively simple and austere melodies were to be compared to an Ottoman genre, the closest resemblance would be found in the İlāhī, the spiritual song of the Sufi orders, one of which—the Celvetiyye—‘Alī Ufqī himself was a member.49 For this reason, Sarband employed a typical setting for Sufi music: solo voice, ney (reed flute) and percussion. If the Calvinoturcists had ever met and sung the Psalms together, it might have sounded exactly as it sounded on an evening in June 2009 in Tours.50
49 W. Feldman, Music of the Ottoman Court, op. cit., p. 68. It cannot be disregarded that the İlāhī follow rhythmical cycles (u sūl), which is difficult to reconcile with the European Psalm melodies . with their sometimes uneven metres. 50 To hear some extracts of the Genevan Psalter in the version of ‘Alī Ufqī, listen to: Sacred Bridges (CD), performed by the King’s Singers and Sarband, Signum Classic, 2005.
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Discographie Sacred Bridges (CD), performed by the King’s Singers and Sarband, Signum Classic 2005.
Index des noms de lieux
A Açores, Azores 15, 98, 256 Acre 304, 355 Aden 242, 248 Adrianople, Andrinople, Edirne 234, 257, 304, 307, 345 Adriatique, Adriatic 31, 32, 37, 38, 46, 69, 72, 75, 235, 270 Afrique, Affricque, Africa 10, 15, 19, 32, 33, 52, 57, 69, 91, 92, 94, 95, 99, 106, 110, 125, 163-167, 170, 178, 179, 188, 189, 191, 215, 218, 219, 231, 236, 256, 272, 307, 311 Agadir 85 Agrigente 284, 293 Akmeçet, Simferopol 312 Albanie 340 Alep 15, 26, 234, 239, 241, 243, 245, 252, 304, 307, 363 Alexandrie, Alexandria 85, 95, 146, 147, 152, 156, 165, 210, 234, 239, 241, 244-247, 250, 304, 360, 364, 365, 368, 369, 373 Alger, Algiers, Arger(s) 10, 20, 21, 32, 37, 39, 45, 70, 77, 85, 90-110, 117, 121, 164, 169, 183, 184, 187, 189, 204, 215-217, 220, 222, 223, 227, 231 Algérie, Algieri, Algeria 31, 48, 52, 184, 186 Alicant 96, 97 Allemagne, Germany 40, 57, 352 Amasya 304 Amérique, America 15, 59, 321 Amîd 241, 243 Anatolie, Anatolia 18, 127, 129, 202, 204, 209, 247, 254, 256, 268, 339, 353, 364 Ancône 73, 234, 238, 339 Andalus, Al- 116, 118, 121, 124 Andrinople voir Adrianople Angleterre, Grande-Bretagne, Great Britain, Great Brittain, Inghilterra 9, 46, 71, 78,
94, 96, 98, 191, 237 Anjou 236, 284, 299 Ankara, Angoria 304, 307 Antalya 13, 127, 129, 130 Anvers 238 Arabie 202, 242, 245 Aragon 119, 121, 146, 165, 288, 289, 367 Argentina 87 Arles 77 Arzila 31, 121, 136 Asie, Asia 33, 60, 62, 69, 88, 109, 111, 129, 143, 233, 234, 239, 240, 242, 243, 246, 268 Aswan (Assouan) 152 Atlantique, Atlantic 14, 55, 56, 81, 85, 86, 87, 96, 98, 109, 111, 216 Autriche 33, 42 Avignon 256 Ayasoluk 200, 205, 207, 208 Âyâz 246, 247 Aydın 200, 202-204, 208 Ayoris, Âyî Yôrgî 203 Azores voir Açores
B Bachshitsariah, Bahçesaray 305, 306, 310 Bagdad 240, 243 Balat 203, 204, 208 Balaton 36 Baléares 177 Bali 204, 207 Balkans 55, 270, 303 Bar 43 Barbarie, Barbeyrie, Barberie, Barberia 40, 70, 177, 183, 186, 191 Barcelone, Barcellona 79, 116, 119, 123, 288, 289 Bassorah 240-243
394 Batria, Batirah, Katria, Kozaria 304-306 Bayn al-Qasrayn, quartier du Caire 155, 355 Béja 228, 234 Belarus 310 Belgrade, Belgrad 13, 33, 307, 370 Berbera 240 Bergen 99-101 Béthanie 330 Bethléem 330, 332-334 Beykoz 45 Birecik 240, 241 Birgù 175-177 Bologne 345 Bosnia 261, 262 Bosphore 45, 347 Bougie 32, 119, 125, 164 Buda, Budapest 167, 342 Bugdania, Moldova 304 Bulgaria 304, 307 Bursa 239, 339 Byzantium 307, 351
C Caesarea 304 Caffa, Kefe, Theodosia 42, 128, 303, 305, 306, 308, 309, 311, 312 Calabre 24, 170 Caltabellotta 287, 293, 294 Çanakkale 203 Cananor 233, 245 Candie, Crête 18, 23, 32, 116, 199, 202, 210, 247, 314, 337, 338, 349, 365, 394 Çanlı 203 Cap de Bonne-Espérance, Cape of Good Hope 55, 235 Cap Musandan 240 Cape St. Vincent 96 Cape Verde 85, 95 Capri 226 Caribbean 106, 109 Carlingford 91 Carnoça 244 Castille 164, 246, 287, 288, 329 Cathay 268 Cattaro, Kotor 272 Caucasus 127, 269, 303, 307 Cavaillon 184, 192 Cembalo 303 Céphalonie 338 Çerçeni 204, 207 Ceuta 31, 102, 103-105, 121 Chibouk voir Qarq Saba Chine, China 36, 242, 354
index des noms de lieux Chinese sea 56 Chios, Sakız 137, 236, 244 Chypre, Cyprus 10, 12, 15, 16, 19, 23, 24, 56, 60, 145-161, 234, 236, 245-247, 253-255, 257-259, 261, 264, 270, 272, 279, 280, 337, 338, 353, 366, 367, 369, 372, 393 Clissa, Klis 258, 260, 261 Cochin 233, 237, 241, 244 Coimbra 238, 245, 247 Constantinople, Constantinopoli, Istanbul, Qushta 11, 21, 25, 26, 35, 45, 55, 58, 59, 81, 83, 90, 91, 111, 129, 170, 183, 188, 189, 192, 222, 234, 235, 237, 242, 244, 249, 257-261, 263-266, 268-272, 280, 281, 304, 307, 308, 312, 313, 337, 339, 341-344, 346-349, 354, 376, 377, 379, 381, 384, 385, 389, 390, 391 Cordoue, Cordoba 50, 116 Corfou 234, 236, 237, 244, 338 Coron 338 Cos 200, 201, 203, 204, 209-212 Cozra, Khazaria 305, 306 Crète voir Candie Crimée, Crimea 26, 37, 40, 43, 256, 302, 303, 305, 306, 308, 310-315, 317, 318 Croatie 31, 37 Çufut Qal’eh 310, 313 Curzola 263 Cyclades 18, 71, 209, 210, 213, 214 Czechia 62
D Dakhel 311 Dalmatie 23, 34, 384, 389 Damas, Damask 234, 239, 252, 304, 307, 334 Damiette, Damiet, Damietta 159, 239, 304 Danube, Tuna 37, 304 Danzig 99, 364 Debreczen 44 Denmark 97, 100, 101 Deptford 104 Derażno 310, 314 Diu 129, 130, 241, 242, 245 Djerba, Jerba, los Gelves 118, 121, 164, 347 Dniepr 18, 37, 38, 44 Dobrudzha 303 Dodécanèse 210 Doğanbey voir İpsili Don 37 Drave 37 Dublin 96-99, 101, 106 Durazzo, Durrës 272 Dyarbekir 243
index des noms de lieux
E Écosse 71 Edesse 241 Edinburgh 100 Edirne voir Adrianople Égypte, Egypt 10, 12, 13, 20, 24-26, 56, 59, 64, 65, 123, 129-131, 136, 140, 145-153, 155, 157, 158, 161, 232, 234, 238, 239, 258, 301, 303, 304, 308, 311, 315, 338, 340, 347, 351, 353-356, 359, 360, 363-364, 369, 371, 372, 376 Épire 340 Espagne, Spain, Spagna 15, 25, 31, 40, 42, 50, 57, 69, 71, 87, 92, 94, 96, 97, 120, 121, 125, 163-165, 172, 173, 177-181, 185, 190, 193, 210, 236, 238, 256, 273, 274, 288, 292, 301, 321323, 327, 344, 351 Éthiopie, Ethiopia 12, 146, 150, 155, 156, 234 Euphrate 241 Europe, Europae 13, 14, 20, 21, 24, 26, 31, 33, 37, 39, 40, 49, 52, 54, 56, 60, 62, 69, 70, 71, 87, 91, 110, 115, 146, 152, 167, 168, 173, 180182, 194, 195, 203, 216, 225, 233, 235, 238, 241, 254, 268, 272, 283, 297, 301-303, 304, 306, 308, 310, 311, 313, 314, 318, 323, 351353, 358-360, 362-364, 366, 367, 369, 370, 372, 374, 377, 381, 382, 384, 391, 394 Evora 238
F Famagusta 148, 149, 159 Ferrare 234, 237, 238, 240 Fès 32 Finland 87 Flandre(s), Flanders 40, 237, 352, 360, 364 Florence, Firenze 78, 79, 185, 188, 353, 374 France, Francia 9-12, 14, 16, 17, 40, 41, 45, 52, 69, 71, 87, 97, 181-183, 185, 190-194, 215-217, 219, 226, 227, 230, 231, 261-263, 284, 322, 332, 344, 382, 383, 385, 391 Frankfurt am Main 310
G Galata, quartier d’Istanbul 262 Galats, Galaţi 304 Galicia 307, 312 Gallipoli 304 Gava 311 Gênes, Genoa 40, 69, 73, 92, 124, 148, 159, 256, 273, 303, 311, 317 Genève 24, 27
395 Georgia 256 Germany voir Allemagne Gezleve 308 Gibraltar 96, 102, 103-105, 121, 126, 164 Goa 242, 251 Gorgona 71 Grande-Bretagne voir Angleterre Grèce 40, 202, 212, 340, 384, 389 Grenade 16, 119, 125, 164, 287, 321 Guilanî 245 Gujerat 243
H Hadramaut 249 Halicz 312 Hamadan 307 Hamburg 99 Hellespont 70 Herzégovine 33 Hijāz 56, 129 . Hollande, Pays-Bas, Provinces-Unies 9, 40, 46, 71, 191, 238, 328 Holy land voir Terre Sainte Hongrie, Hungary 31, 36, 38, 40, 42, 257, 341 Hormuz, Ormuz 249, 256,
I Iceland 87 If, île d’; château d’ 182-184, 186, 187, 191 Ifrīqiyya 218, 220, 228 Inde(s), India 15, 21, 87, 127, 129, 144, 233238, 239-245, 248-252, 256, 268 Inghilterra voir Angleterre Inverness 100 İpsili, Doğanbey 203, 204 Iran 243, 248, 364 Ireland 96-98 Isola 174-176 Israel 302-307, 310, 313, 314, 318 Istanbul voir Constantinople Istria 270 Italie, Italy 21-25, 78, 87, 90, 116, 165, 177, 182, 185, 193, 236, 274, 283-285, 292, 294, 295, 297, 303, 321, 352, 358, 359, 363, 372, 374, 384, 389, 394
J Jaén 322, 323, 329 Jam 62 Jamaica 107
396 Jassy 304 Jeddah 129, 242, 245 Jerba voir Djerba Jérusalem 10, 26, 42, 128, 144, 163, 164, 165, 167, 178, 239, 243, 245-247, 252, 285, 290, 293, 301, 302-304, 307, 308, 310, 314, 316, 318, 325, 327, 328, 330-335
K Kairouan 218, 227, 228 Kalymnos 203 Kamieniec 304, 306, 313 Karacaviran 203 Karaman 246 Karlowitz 17, 36 Karnobat 304 Katria voir Batria Kef 228 Kefe voir Caffa Kerbela 243 Kerkennah, îles de 121, 164 Kerynia 148 Khanate 303, 311-313, 317 Khazaria voir Cozra Kiev 306, 312, 315 Kırka 33 Kirkcaldy 90, 99, 100, 109, 110 Kiskomarom 36 Kladovo 33 Klis voir Clissa Kotor voir Cattaro Kozaria voir Batria Kraków 313 Krimenda voir Qırım Ksar al-Kebir 32 Kukizów 312 Kuşadası 203, 209
L La Goulette 32, 167, 179, 226 Lamego 234, 238 Las Palmas 217 Le Caire, Cairo 12, 13, 15, 59, 129, 147-149, 152, 155-160, 234, 239, 246, 308, 353-360, 363, 366 Lebanon 129, 159, 304 Lefkosia voir Nicosie Leiden 377 León 324 Lépante, Lepanto 56, 337, 341 Lida 312
index des noms de lieux Lisbonne, Lisbon 15, 85, 91, 93, 105, 217, 237, 238, 246, 256, 324, 329 Lituanie, Lithuania 26, 31, 37, 44, 303, 308, 310, 312 Livourne, Livorno, Leghorn 15, 21, 37, 40, 71, 73, 75-79, 81, 96-98, 210, 237, 238 Lmàia 169 London 94, 96, 98, 99-102, 105, 376, 377, 380, 381, 385 Los Gelves voir Djerba Lübeck 237 Lucques 71 Lüleburgaz 344 Lwów, L’vov, Lemberg 303, 307, 312, 313, 317, 375, Lybie (Libye) 204
M La Mecque 165, 241- 243 Macarsca 262 Madeira 95 Madrid 217, 324, 329 Mahdia 117, 170-173 Majorque, Majorca 19, 73, 77, 104, 119, 177, 179 Málaga 105 Malte, Malta 10, 14, 19, 22, 23, 32, 37, 40, 44, 68, 81, 128, 163, 165, 166, 168-181, 210, 212, 213, 227, 252, 273, 274 Manche 68, 164 Maniçe 204 Manisa 205 Marmara, Sea of 304 Maroc, Morocco 31, 32, 37, 103, 111, 115, 120, 121 Marsamxett 175 Marseille, Marsilia, Marsiglia 11, 21, 23, 73, 80, 181-184, 186-192, 256 Mascate, Masqat 15, 241, 244, 248, 249, 252 Melilla 31, 164 Meloria 71 Mer Caspienne 31 Mer du Nord, North Sea 99, 100 Mer Egée, Aegean, Mare Aegaeum 130, 140, 209, 340, 341 Mer Noire, Mare nigrum, Black Sea 31, 36, 37, 44, 45, 70, 269, 303, 305, 317, 340 Mer Rouge, Red Sea 14, 152, 239, 240, 241, 242, 248, 250 Mer Tyrrhénienne 71-73 Mersel-Kébir 164 Messine 211, 246, 252
index des noms de lieux Mexico 87 Minorca 102, 104, 105 Misr (Égypte ou le Caire) 155 Modon 338, 341 Mohács 337 Moldova voir Bugdania Monaco 69 Monastir 170, 228 Morée 358 Moscovie 45 Moscow 314 Murano 21, 270, 340, 343
N Naples, Napoli 72, 165, 173, 177, 180, 226, 237, 273, 274, 279, 367, 372 Nauplie 338 Nègrepont 170 New England 85, 94, 99 Nice 57, 58, 73 Nicosie, Nicosia, Nicosiya, Lefkosia 19, 24, 148, 149, 158, 160, 254, 255 Nile 152, 358 Niz 38 Norway 99, 101 North Sea (Mer du Nord) 99, 100 Nova, forteresse 46
O Oases, desert 156 Océan Indien, Indian Ocean 12, 13, 128, 129, 130, 141, 144, 152, 233, 237, 239, 240, 242, 244, 248, 252, 351, 369 Oppenheim 364 Oran 31, 32, 94, 164 Ormuz voir Hormuz Oxford 50, 377
P Palerme 25, 166, 284, 286, 288, 289, 293, 295 Palestine 26, 118, 234, 239, 241, 302, 303, 311, 353, 372 Panama 99 Parga 340 Paris 380, 381, 383, 385, 388 Paros 341 Patmos 18, 19, 199, 200, 201, 203, 205-214 Pays-Bas voir Hollande Peçin 137 Peñón de Vélez de la Gomera 164, 273
397 Péra 341 Perejaslav 45 Peristerona 255 Perse, Persia 15, 39, 150, 155, 243, 251, 253256, 258, 260, 263, 265, 268, 272, 278, 305 Pesaro 238 Pietà, orphelinat vénitien 270, 276 Piove di Sacco 270 Pise 76, 77, 79, 234 Podolie 35 Polizzi 290 Pologne, Poland 26, 31, 35, 37, 40, 43-45, 302, 303, 307, 308, 310, 311, 313-315, 317 Porto 238, 245 Portugal, Portogallo 12, 25, 31, 32, 233-237, 239, 241-248, 251, 274 Prague 303, 306, 307, 314 Prévéza 169, 337 Provadia304 Provence 23, 116, 182 Provinces-Unies voir Hollande Prusse 44
Q Qarq Saba, Chibouk 157 Qırım, Qrimonah, Staryi Krym, Krimenda, Sulkhat 305, 306, 312 Qushta voir Constantinople
R Radziwiłł 314 Raguse 251, 339, 340, 343, 346 Ramla 304 Rhodes 13, 58, 128, 137, 144, 148, 149, 159, 163, 167, 176, 178, 180, 201, 202, 208, 211, 213, 234, 236, 245-248, 304, 307, 369 Romania 304, 307 Rome, Rūmiyya 55, 191, 192, 234, 235, 237, 242245, 249-251, 261, 285, 324, 325, 329, 330 Rosetta, Resida, Serida 304 Roumélie 247, 342 Russie 35, 37, 40, 45
S Safed 239, 307, 311 Sahara 95, 146, 152 Saint-Ange, fort 176 Sainte Catherine, monastère 248 Saint-Elme, fort 172, 174-177 Saint-Jean, monastère 199, 210, 212
398 Saint-Michel, fort 172, 176 Sakız voir Chios Salamanque 324 Salé 37, 217 Salonique 239 Samos 203-205, 210 San Lorenzo, monastère 264 San Maffio de Muran, monastère 276 Santorin 203 Sarajevo 261 Save 37 Savoie, Savoia, Savoy 69, 148, 183, 186 Sciberras, Mont 174, 175 Sclavonie 40 Scotland 99, 100 Sebenico 258, 261, 262 Sefeh 305 Seferihisar 204 Senglea 172, 176, 177 Senj, Segna 38 Serida voir Rosetta Séville 54, 236, 324, 328, 329, 330, 334, 335 Sfax 228 Shihr, Al- 249 Sicile 25, 32, 81, 121, 165, 166, 170, 173, 174, 177, 283, 284, 286-288, 290, 292-296, 298, 299 Sidon, Seyde 26, 304 Siedlec 310 Simferopol voir Akmeçet Sinaï Sinaï, Mont 248 Sinop, Sinope 45, 224 Skutari, Üsküdar 304 Slavonie 37 Smyrne 239 Sofia 305, 307 Soqotra, l’île de 240 Soudan, Sudan 152, 166 Sound 99 Sousse 218, 228 Southwark 103 Spalato 258, 252, 340 Staryi Krym voir Qırım Stepney 103 Sudak 303 Suez 250 Sulkhat voir Qırım Sunderland 94-98, 100 Sunqur 157 Syracuse 287, 288, 290 Syrie, Syria 13, 118, 234, 239-241, 338, 340
index des noms de lieux
T Tabriz 256 Tajura 166, 168, 169 Tanger,Tangier 31, 92, 93, 236 Tarente 236 Taurus 364 Teke 247 Temesan voir Tlemçen Terre Sainte, Holy Land 26, 167, 170, 171, 287, 288, 301-317, 321, 323, 324, 328, 329, 330, 332, 334, 335, 352 Tetouan, Tetuan 85, 102, 103, 105 Theodosia voir Caffa Thrace 234 Tibériade 239 Tire 137, 205 Tisza 44 Tlemçen, Tlemcen, Temesan 24, 32, 94 Tokat 304 Tolède 238, 287 Tomar 238 Tombouctou 166 Tordesillas 31 Tortose 288 Toscane 11, 37, 69, 71, 72, 73, 76, 80, 182, 184, 185, 190 Toulon, Tollon, Tolon, Thollon, Tholon 10, 19, 183, 184, 187, 224 Tours 9, 27, 48, 89, 388 Trabzon, Trébizonde 45, 127, 128 Transylvanie 44 Trau 258 Trembowla 44 Trieste 73 Tripoli (Libye) 10, 19, 32, 37, 45, 95, 163-174, 177-178, 203-204, 215, 217, 221, 347 Tripoli (Syrie) 159, 234, 356 Tuna voir Danube Tunis 10, 14, 17, 21, 32, 37, 39, 45, 70, 81, 93, 95, 116-120, 122, 125, 164, 165, 185, 204, 215-231, 268, 280 Tunisie 31, 81, 116, 215, 217, 220, 223-228, 230, 231 Turkey 93, 104, 109, 131, 143, 253, 303, 304, 339, 340, 344, 346, 380 Tursun 203
U Udine 90 Ukraine 303, 307, 308 Ural 54
index des noms de lieux Urbino 291, 293, 294, 296 Urfa 241, 243 Üsküdar voir Skutari Utrecht 328, 337 Uyvar 38
V Valachia 304 Valence, Valencia 116, 119, 120, 129, 146, 328, 332 Valladolid 256 Valliers 171 Varna 45 Venise, Venice, Venetia 15, 19, 21, 23, 24, 26, 32, 34, 46, 56, 59, 69, 72, 100, 139, 153, 176, 181, 183, 188, 190, 191, 217, 234, 235, 237, 238, 244, 253-281, 304, 306, 329, 332, 335, 337349, 352, 353, 358, 362, 363, 365, 366, 370 372-374 Vidin 33 Vienne, Vienna 38, 44 Viterbe 294 Volga 26, 313 Volhynia 312
W Wales 108 Worms 165
Y Yuste 329
Z Zaghouan 220 Zante, Zakynthos 100, 261, 332, 338, 341 Zanzùr 169 Zara 258, 260, 271, 280 Zeila 240 Zemûn 33 Zonchio 337
399
Index des noms de personnes
A Abenlabel Abrahe ; Alachadeb ; Abenladeb ; Abeladel voir Ibn al-Ahdab . Abū Bakr, hafside 121, 133 Abū l-Faraj, Farājī 292 Abū l-Faraj, Shemu’el ben Nissim ; Guglielmo Raimondo Moncada ; Flavius Mithridate 25, 284, 291-299 Abū Sa‘īd, sultan mamelouk 354 Abulafia, Avraham 284, 285 Addison 103, 104 Afonso, mestre 241, 250, 251 Agrigente, Faraj ben Sālim d’- 284 Aguirre Rojas, Carlos 84, 107, 108 Ahmed, Hajji (Haci, Tunis) 267, 268, 279, 280, 345, 346 Ahmed, sultan ottoman 69 Ahmed, nâ’ib de la forteresse de Nova 46 Ahmed Resmi, diplomate ottoman 35 Ahmed Pasha (Ochsentöter) 91, 111 Albertino, jésuite 209 Albuquerque, Afonso de 242, 248 Aldobrandino, Cinthio, cardinal 184 Alexandre le Grand voir Iskander 56 Alexandre VI, Pape 164, 324 Alfonso V. of Aragon 146 Alī Bey, fils de Murad II 218 Ali pacha, Kılıtch 32, 43, 342, 348 Ali, fils d’Abi Talib Ali, Güzel, marchand d’esclaves 203 Allessandri, Vicenzo 267 Almeida, Francisco de - 233 Almohades, dynastie 121 Almoravides, dynastie 121 Alphonse V le Magnanime 288 Alvares, Luís 241, 245, 246 Amelang, James 89, 108
Ammirato, Scipione 193 André do Amaral, Frei 245-248 Anne, reine d’Angleterre 91, 96-98, 101 Ansārī, . Zayn al-Dīn Abū Yahyā . Zakariyyā Al- 131, 140 Arab, Selim 204 Araguzeo, João Jorge 251 Arslan, famille 311 Asenjo, Julio Alonso 332 Ashkenazi, Meir 311, 313, 315, 318 Ashkenazi, Solomon 264 Auerbach, Erich 87, 109 Avicenne 290 Ayyubid, dynastie 351-354, 356, 372
B Babur , sultan moghol 62, 64 Bachrouch, Taoufik 215, 220, 223, 224, 228, 230 Badoer, Alberto 191, 192 Badr, sultan d’al-Shihr 249 Baker, amiral 103 Balat, Mustafa de 204, 208 Bali, Çerçeni 204, 207 Banū Sandal 223 Bânû, Nûr 263, 266, 279, 340, 341, 344 Bar Asher II de Burgos, Yehuda 287 Baranowski, Bohdan 312, 317 Barbarigo, Niccolo 346 Barbaro, Marcantonio 274, 344, 346 Barberousse, Hayreddîn ; Khaïr-Ed-Din Barberousse 6, 10, 12, 43, 128, 143, 164, 168-170 Barducci, Marco 185, 193 Barqūq, sultan mamelouk 364 Barsbay, sultan mamelouk 24, 146, 149, 150, 155, 366, 369
402 Barth, Fredrick 16, 195 Barthon, Edward 183 Basire, Isaac 375, 377, 385, 391 Bathory, Étienne 45 Battānī Al- 291 Batthyany, famille 41 Bayazid II, Bâyezîd II, sultan ottoman 129, 130, 134, 141, 143, 144, 205, 246 Baybars, al-Zāhir, sultan mamelouk 355 . Bayezid, fils de Soliman le magnifique 345, 346 Beja, Abraham de 234 Bekir, marin musulman 204 Bektash,Mehmed 96, 98, 101 Belladep ; Belladeb ; Biladep voir Ibn al-Ahdab . Belladep, Ya‘aqov 292 Bellavanti, Nicolò 176 Bellingeri, Giampiero 268, 269, 279 Belon du Mans, Pierre 202, 206 Ben David, Samuel 308, 314, 317 Ben Eliezer Halevi, Gershon 303, 314, 316 Ben Elijah ha-Levi, Moses 308, 314 Ben Israel, Naftali Hirsch of Prague Moses 306, 307, 314, 316 Ben Jakob ha-Goleh of Kiev, Moses 315 Ben Joshua Grigulewicz, Rafael 310 Ben Makir, Ya‘aqov 291 Ben Moses of Kiev, Jacob 306 Ben Nehemiah, Elijah 311 Ben Samuel of Qırq Yer, Mordecai 312 Ben Sassi, Bochra 215, 216, 222, 230 Ben Yeshua, Joseph 310, 314, 316 Ben Yi.shaq, 284-286 . Ahi . tuv . Benedetti, Bernardo 254, 255 Bennassar, Bartolomé 9, 23, 25, 32, 39, 74, 189, 217, 230 Bennett, Alexander 104 Bernardo, Lorenzo 347 Bertelè, Tommaso 260, 279, 338, 343 Bèze, Théodore de 381, 382, 389, 390 Bicudo, Mathias ; Bicudos 239, 245, 252 Bin ’Ishāq, 385, 391 . Yahyā . Biquy, Hawga 242 Biti, Deveci, marchand d’esclave 203 Bobowski, Wojciech ; Bobovius, Albertus voir Ufqī, ‘Alī Bocskai, Étienne 44 Bolingbroke, Henry Saint Jean de 98, 101, 102 Bona de Pologne 43
index des noms de personnes Bono, Salvatore 37, 215 Borromeo, Elisabetta 209, 210, 214 Botero, Giovanni 194 Boubaker, Sadok 227, 230 Bouchon, Geneviève 129, 143, 242 Bourgeois, Loys 382, 392 Boustronios, Georges 145, 148, 149, 153, 161 Brasio de Breño 244 Braudel, Fernand 9, 14, 15, 16, 20, 22, 25, 32, 47-65, 67, 83, 85, 86, 88, 89, 109, 164, 166, 167, 170, 171, 173, 179, 180, 210, 216, 230, 273, 279 Bromley, J. S. 92, 106, 107, 109 Burchett, Josiah 100, 104 Busseto, capitaine 186 Bynkershoeck, Cornelius van 71
C Cabrera, Bernardo 288 Calvin, Jean 381, 382, 390, 391 Cambi, Nicolò 267, 268, 273 Cantemir, Demetrius (Dimitri) 26, 305, 380, 386, 389 Capra, Amat di ; Amatto di Capra 226 Carnoça, Thomas de ; Tomas 244 Castanheda, Fernão Lopes de 234 Castelnovo, Ahmet of 262 Castilleja, Fernández de 329 Catanho, Duarte 244 Châh Isma‘îl 246-248 Châh Kulî 247 Châhînchâh, gouverneur du Karaman 246 Châhkulu voir Khalife, Karabıyıklıoghlu Hasan Charles d’Anjou 284 Charles de Bourbon 189 Charles II, roi d’Angleterre 91, 92, 99 Charles Quint 10, 32, 164, 165, 167, 171, 173, 178, 185, 256, 260, 329, 345 Charpentier, captif danois 101 Christine de Lorraine 185 Christophersen, Tor Biörn 101 Cicogna, Pasquale 343 Civran, Hieronimo 259, 260, 263 Clément VIII, Pape 181, 192 Cohen, Abraham 244 Coimbra, Frei Gonçalo de 245 Colbert, Jean-Baptiste 40 Cole, Robert 92, 94-101, 109 Comenius, Johann Amos 11, 378, 384, 385, 390, 391
index des noms de personnes Congreve, gouverneur de Gibraltar 103, 105 Cordes, Albrecht 76 Corner, Rafael 260 Correia, Gaspar 239, 241 Counella ; Nicolas Morabit 149 Coutinho, D. Francisco, comte de Redondo 250 Covel, John 381, 391 Covilhã, Pero da 234 Criado, Sebastião 252 Croft, Lionel 22, 92, 93 Cuccino, Nicolau Pietro 244 Cues, Nicolas de 297 Cybo, Giovan Battista voir Innocent VIII Czacki, Tadeusz 308, 317
D Dakhlia, Jocelyne 16, 21, 216, 229, 230 Dan, Père 40 Dante 285 Darnton, Robert 86, 89 Datheen, Petrus 382, 389 David, le roi 326 Davis, Ralph 86, 109 Davis, Robert Charles 230 Delmedigo of Candia, Joseph Solomon ha-Rofe - 314 Dermigny, Louis 73, 75 Dikmen, Mustafa Doğan 387 Dilek oğlu 204 Divane Nasuh re’îs 204 Djafer Agha 348 Domenici, Andrea 77 Donato, Francesco 342 Dragut, corsaire 43, 163, 168-171, 179 Drīd, tribu 227 Du Vair, Guillaume 188 Dubois, Guillaume (l’abbé Dubois) 40 Dunnikier, Oswalds of - 106 Dupront, Alphonse 11, 170, 171, 179 Duquesne, amiral Abraham 92 Durmuş, Kara 128 Dzinalny 311
E Emanuel, Filippo ; Felippo Emanueli 270272, 276 Emanuel, Gieronimo ; Colonello 270, 277 Emanuel, Giulia 270
403 Emecen, Feridun 138, 143 Emo, Gabriele 347 Encina, Juan de 26, 321, 323-330, 332-334 Erizzo, Antonio 349 Eschinasi, Salomon 345
F Fadrique, duc d’Albe 324 Fajardo, Don Luis Faraj 77 Farhūn, Zayd b. 121 . Faria, Baltasar de 244 Fayat, Hawga 242 Fazārī, Tāj al-Dīn Al- voir Ibn alFarkāh. 134 Febvre, Lucien 16, 17, 70 Ferdinand de Castille 288 Ferdinand de Médicis 182, 188 Ferdinand le Catholique ; Ferdinand d’Aragon 164, 166, 326, 367 Fermoselle, Juan de 324 Fernandes, António 245 Fernandes, Francisco 241 Ferramolino, Antonio 174 Ferrarais, Māmī 219 Fiandra, Francesco 276 Fiandra, Zuan 270, 276, 277 Ficin, Marsile 294, 296 Figueira, Luis 241 Flaminio, Giovanni Battista 39 Flevari, Nicolas 176 Fontenay, Michel 14, 68, 176, 179, 199, 202, 210-213 Forscarini, Alvise 183 Foucault, Michel 51 Franceschi, Piero di 266 François Ier, roi de France 10, 181, 193 Frédéric II Hohenstaufen 285 Frédéric le Simple 288 Froissart 16
G Gaia, Luís de 246 Galien 290 Galland, Antoine 377, 381, 384, 385, 389, 390 Gama, Vasco da 55, 234, 235, 251 Gastaldi, Giacomo 268, 269, 279 Gazı Ağa, Sefer 311 Gedaliah 310, 314, 316
404 Gedimin 44 George du Danemark, prince 97 Germigny, Jacques de - 344 Gershon, Rav 303, 305-307, 312, 314, 316 Gevherhan Sultan 347 Giafer, Vénitien 224 Ginzburg, Carlo 84, 86, 87, 89, 90, 102, 106, 108, 109 Giovanni de Médicis ; Don Giovanni de Medici da Marseglia 184, 188, 192 Giovanni, Giulio di 186 Giray, Mengli 43 Goitein, Shlomo D. 74, 289 Gomes, Duarte 250 Graham, Sir Richard 91 Grandchamp, Pierre 215, 217, 218, 223, 226, 230 Grendi, Eduardo 86, 89, 110 Grévin, Benoît 22, 24, 25, 283-299 Grimani, Alvise 274 Gritti, Alvise 341 Gritti, Andrea 341 Grotius, Hugo 68-71 Guerre, Martin 86, 102, 105 Guerrero, Francisco 26, 321, 323, 328, 329 Guerrero, Pedro 329 Guichardin 193 Guilanî, Shams-ud-dîn 245 Guillén, J. F. Sáez 328, 330, 332 Guise, Duc de ; Guyse ; duca di Guisa 185, 192
H Habsbourg ; Habsburg, dynastie 10, 11, 14, 44, 181, 208, 337, 344, 347 Haccı Ali Re’îs, marchand d’esclaves 203, 205 Hafsides, dynastie 17, 32, 117, 120, 121, 123, 169, 220, 230 Halevi Horovits, Yeshua 306 Halevi, Judah 301 Halife, Osman 207 Hamîd Re’îs, capitaine Hemytres 96 Hammūda Bey, pacha de Tunis 223, 224, 228 Hamza Re’îs 203, 205 Handali, Esther 344 Hannāshī, ‘Alī Al- 227 Harant von Polschitz, Cristoph 335 Hasan, sultan mamelouk 358, 361 . Hasid, Judah 310 Henri III 344 Henri IV 11, 92, 111, 181-183, 188-192
index des noms de personnes Henrique, Cardinal-Infant Don - 251, 329 Henriques, Agostinho 250 Hexter, Jack. H. 51, 65 Heywood, Colin 10, 17, 21, 22, 48, 49, 51, 52, 56, 64, 65, 71, 83, 86, 88, 90-93, 102, 106, 110 Holden, Edward 102, 105 Hood, Mantle 376, 391 Horden, Peregrine 20, 50, 51, 65, 84, 110 Hudson, Charles 105 Hunt, Thomas 78 Hürrem Sultane, épouse de Soliman le Magnifique 342 Hyde, Thomas 376-378
I Ibn ‘Arabî 34 Ibn Abī al-Diyāf, Ahmad 223, 224, 231 Ibn Abī Dīnār 218-220, 222-224, 227, 228, 231 Ibn Adret 285 Ibn al-Ahdab, Yis.haq . . Ben Shelomoh ben Saddiq ; Abenlabel Abrahe ; Alachadeb ; . Abenladeb ; Abeladel ; Gaudius Belladep ; Belladeb ; Biladep 284, 287293, 298, 299 Ibn al-Bannā’ 287, 290 Ibn al-Farkāh. ; Tāj al-Dīn Al-Fazārī 134 Ibn al-Hātim 293, 294 . Ibn al-Him . sī . 363, 366, 367, 371 Ibn al-Kammād 291 Ibn al-Raqqām 291 Ibn Hanbal 133 . Ibn Iyās 56, 64, 359, 364-367, 371 Ibn Jubayr 351, 354, 371 Ibn Khaldūn 55, 57, 64, 117, 119, 121, 290 Ibn Taġrī Birdī 12 Ibn Yahya de Lisbonne, David 237 Ibrahim Bey, drogman 263 Ibrahim Pacha, grand vizir de Soliman le magnifique 340, 341, 345 Īnāl, sultan mamlouk 10, 145, 147-151, 153, 157, 159, 366 Innocent VIII ; Giovan Battista Cybo, Pape 293, 294 Isabelle de Castille 164, 326 Isaczko (Isaac) of Kraków 313 Iskander voir Alexandre le Grand Ismihan Sultan 346 Israel, Charles 103 Israel, Daniel 22, 102-106 Israel, John Baptista 103 Ivanoff, Vladimir 27, 375, 388
index des noms de personnes
J Jagellon, Alexandre 43 Jalīzī, Sīdī Qāsim Al- 222 James II, roi d’Angleterre 91 Janus ; Jaynus, roi de Chypre 146, 149, 150, 155 Jensen, Jens 101 João de Barros 233, 234 João de Lisboa 241, 243, 244, 248-252 João de Mendonça 251 João II, roi du Portugal 234, 239 João III ; Jean III de Portugal, roi du Portugal 25, 237, 239, 240, 243-246, 248-250 Johansen, Eric 101 Johansen, Gregorius 101 Joseph the Cypriot 272 Joseph the Syrian ; The Armenian 272 Juan d’Autriche (don) 32 Juan de Homedès 168, 170 Juan de Segovia 298 Juan Francesco 249 Jules II, Pape 164, 324 Justiniani, Juan Francesco 249 Juvaynī, Abū Muhammad . Juvaynī, Imām al-Haramayn .
K Kahlaoui, Tarek 53-55, 65 Kaiser, Wolfgang 14, 21, 67, 72, 77, 81, 124, 182, 189, 193 Kansuh, Ghawri Al- ; Kansawh-al-Ghûri ; Ġawrī, sultan mamelouk 13, 128, 129, 248 Kantemir pasha ; Qamntimr Bashi 26, 305, 380, 386, 389 Kara Mehmed Re’îs 205 Kettancı oğlu, marchand d’esclaves 203 Khadduri, Majid 131, 144 Khalife, Karabıyıklıoghlu Hasan ; Châhkulu 247 Khmelnicki, Bogdan ; Bogdan Kurdoğlu 45, 128 Khūjā, Ahmad 224 Khushqadam 148, 159 Kılıç Ali Paşa, corsaire 43, 205, 206 Kılıç oğlu, marchand d’esclaves 203 Kılıtch Ali, Ulutch, amiral 348 Kira, Esther 344, 345 Koca Re’îs 204
405 Köle, Memi 201, 203, 204 Korkud, Şehzade ; Abū al-Khayr Muhammad Qurqud al-‘Uthmānī b. . Abī Yazīd b. Muhammad b. Murād 13, . 19, 127 -143 , 205 Kubad, Çavuş 262, 263, 266, 267, 273 ,274 Kul, . Alī 137 Kurdī, Mīr Husayn Al- ; Husain Bey al. Kurdī ; Amir Husayn al-Kurdî 129, 234
L La Frontera, Jerez de 344 La Valette, Jean de ; Monsignor della Valletta, marquis 172, 182, 183 Lane, Thomas 91 Larsen, Lars 101 Lāz, Mustafā 224, 226 Lencastre, Afonso 249, 250 Léon l’Africain 24 Léon X, Pape 324 Leonardo da Vinci 364, 371 Leoni, Gio Battista 177, 238 Le Roy Ladurie, Emmanuel 86 Levi, Giorgio 84 Levi, Giovanni 22, 84, 85, 86, 89, 104, 105, 106 Lima, Manuel 242 Lo Sant Moro, corsaire de Grenade 119 Lobwasser, Ambrosius 383, 389 Louis de Savoie (of Savoy) 148 Louis XIV 12, 76, 92 Lu Medicu, David 286 Lucinge, René de 194 Lumbroso, Samuel 244, 250 Lusignan, Charlotte de 10 Lusignan, Guy de 149 Lusignan, Hugues IV (Hugh), king of Cyprus 353 Lusignan, Jacques de -, James of Lusignan 10, 145, 147, 149 Lynch, Francis 96, 98
M Machiavel, Nicolas 193, 194 Madeira, Álvaro 249 Mahomet 49, 57, 65, 297, 298 Maïmonide 285, 286, 290 Maisse, André Hurault de 183, 188, 190 Manasse, famille 239 Mandalà, Giuseppe 22, 25, 283-299
406 Mansfield, Lord 76 Manuel Commène, empereur byzantin 236 Manuel du Portugal ; D. Manuel 234, 236, 242, 246, 248 Marot, Clément 381, 382, 387, 389, 391 Marsili, Fernando 17 Martin le Jeune 288 Martin le Vieux 288 Martin, Samuel 107 Martinez, Doris Moreno 238 Marwazī, Al- 133 Matos, Luís de 239, 241, 244, 246 Matthews, William 88, 111 Matuz, Josef 59, 65 Maximilien II, empereur germanique 36 Médicis, dynastie 11, 181-185, 188, 191, 193, 285 Medico, de / Lu Medicu, famille 285 Mehmed II le conquérant, sultan ottoman 202, 338, 370 Mehmed Bey de Djerba 347, 348 Mehmed IV, sultan ottoman 13, 375, 378, 391 Mehmed Giray I (sultan de Crimée) 313, 316 Mehmed Giray IV (sultan de Crimée) 310, 313 Mehmed Omruzeah (Murza) (sultan de Crimée) 305 Membrè, Michiel (Michele) 15, 23, 253273, 276, 278, 279 Memi, Kara Can Alıcı 204 Mendes de Luna, Beatriz 250 Menocchio, Domenico Scandella 90, 94, 102 Mérinide, dynastie 120, 121, 125 Mesîh Pacha 348 Methuen 103 Michelsen, Siver 101 Michiel, Franceschina Zorzi 348 Milan, Alvise 270, 276 Milan, Michiel 276 Mithridate VI du Pont 294 Mithridate, Flavius voir Abū l-Faraj Moço, David 250 Moïse de Palerme 286 Moncada, Guglielmo Raimondo voir Abū l-Faraj Montauto, Capitaine 186 Montefeltre, Frédéric de, duc d’Urbino 291, 293, 294, 296
index des noms de personnes Montemor, Frei Diogo de 246, 247 Montemeillan, ancien captif à Tunis 219 Morabit, Nicholas voir Counella Morales, Cristóbal de 329 Morosini, Gianfrancesco 345 Morosini, Giovanni Francesco 348 Moses of Prague 307 Mourad III ; Murād III, sultan ottoman 183, 189, 191, 261, 262, 266, 340-343, 346, 347 Mouradite, dynastie 81, 215, 223, 224, 227, 231 Muhammad Bey II 228 Muhammad, al-Nāsir, . . sultan mamelouk 354, 355, 363, 366 Muhammed, Kara 203 Muhsinzâde 35 Mûrad Aghâ, vali de Tajura 168, 169, 179 Murād Bey II ; Murād II, sultan ottoman 218, 228 Murâd Bey, renégat tunisien 81, 222-224 Murad IV, sultan ottoman 24, 376 Murad Re’îs ; Raïs Morato ; Raïs, Morad ; Raïs Amorat ; Rays Morat ; Loys Cravier, renégat 183, 184, 185, 187, 188, 191, 192, 203, 224 Mustafa Ali, Gelibolulu 131, 141, 143, 204, 206, 207 Mustafa Dey, dey de Tunis 95 Mustafa, fils de Soliman 205 Mustafa, Kara 204 Mustafa, Köse 201, 204 Mustansir . Al-, sultan hafside 284 Muteferrika, drogman 261
N Nawawī Al- 134, 137, 143 Nebrija, Antonio de 324 Necipoğlu, Gülru 341, 344, 345, 370, 373 Negroni, Andrea ; Negron, Andrea 267, 269, 280 Niethammer, Lutz 84, 111 Nointel, Marquis de 40, 377, 384 Nores, Giacomo de 269, 271, 272 Noronha, Don Afonso de - 241, 249 Noronha, Don Álvaro de - 248, 249 Noronha, Don Antão de - 251 Noronha, Fernando de - 240 Noronha, Garcia de 241 Novello, Antonio 273 Nunes, Gonçalo 238 Nunes, Henrique ; Rhigetto 238, 246, 247
index des noms de personnes
O Ohronlu, Cengiz 248 Olivarès, comte 191, 192 Oruç Reis 128 Osman Pacha 347 Ossaïno Ginovese, Kahia 224 Osta Morato ; Osta-Morat ; Osta Moratto Turcho Genovese ; Usta Morat ; Ustā Murād ; Usŧā Murād, dey de Tunis 39, 217-220, 224, 231 Oswald, Henry 99, 100, 101 Oswald, James 99, 100 Oswald, Matthew 99 Oswald, Thomas 99 Oualdi, M’hamed 14, 25, 39, 81, 215-231 Özbaran, Salih 129, 144, 243, 248-251
P Pacheco, Francisco 329 Paiva, Afonso de 234 Palaeologos, Theodoros 271 Panaite, Viorel 131, 144 Patmos, Nikolas de 209 Patmos, Papa Yanis de 207 Pattica, Catharina ; Paticha 270 Peck, consul 104 Peñalosa 326 Philippe (don), fils du dey Ahmad Khûya 224 Philippe II d’Espagne 9, 47, 64, 67, 88, 109, 166, 179, 181, 190, 191, 210, 216, 230, 329 Philippe III d’Espagne 71, 72 Piccinino, Ali 39 Pico della Mirandola, Giovanni 294, 296 Pietro, Anton Marco 81 Pignon, Jean 217, 218, 224, 227, 231, 273 Pinto, António 241, 252 Pirenne, Henri 15, 49, 57, 65 Pîrî Reîs ; Re’is Piri 125, 203, 248 Piyâle Pacha 211, 348 Planas, Natividad 73, 177, 179 Planhol, Xavier de 57, 65 Podocataro, Peter 148 Podolski, Kamieniec 304, 313 Poni, Carlo 86, 110 Poole, James 96, 98 Prato, Pietro 174, 176 Prażmowski, chancelier polonais 311 Preston, Lord 91-93 Prêtre Jean 12, 234 Pretwicz, Bernard 43, 44
407 Purcell, Nicolas 20, 50, 51, 65, 83, 84, 110, 111 Purry, Jean-Pierre 87 Putnam, Lara 86, 87, 111
Q Qaffāl al-Marwazī, Abū Bakr Al- 133 Qalāwūn, sultan mamelouk 356, 357 Qamntimr Bashi voir Kantemir Qaytbay, sultan mamelouk 20, 360, 363367
R Rajab Bey, 223, 227 Rålamb, Claes 376, 378 Ramadhān Bey 222-224 Ramazan Pacha, renégat sarde 347 Ramusio, Giovanni Battista 268, 279 Rapallo, Antonio 259 Rāzī, Abū Bakr Muhammad b. Zakariyyā’ . Al- 284, 299 Regensburg, Petachia of 306 Reis, Kamal 116, 125 Reîs, Seydî Alî, amiral ottoman 240 Renier, Alvise 258, 259, 266 Rhigetto voir Nunes, Henrique Ribadeo, de -, gouverneur de La Ceuta 103, 104 Richard I Coeur de Lion 149 Richelieu, cardinal 12, 19 Roche, John 96, 98 Rodrigo de Castro, cardinal de Séville 329 Rolamb [Rålamb], Nicholas 376, 378, 379 Rumi, Mustafa 62 Rüstem Pasha 257 Rycaut, Paul 93, 109, 376, 389 Rycaut, Philip 92, 93
S Sa‘deddin, Hodja 347, 348 Sabatino, Azarono 289 Sabatino, Busacca 289 Şahin, İlhan 138, 143 Salā . h. al-Dīn, sultan (Saladin) 351, 360 Salbat, Merdoch de 289 Saltus, John 94 Salvago, Jean-Baptiste 223, 231 Sánchez, Francisco 330 Sanuto, Marino 128, 143, 347 Sarpi, Fra Paolo 69
408 Sarrāj, Wazīr Al- 218-222, 224, 227, 228, 231 Saruq, Hayyim 263, 274 Sauzet, Robert 9, 32, 74 Scarcia, Gianroberto 254, 258, 278 Sciacqua, Oratio 77 Sclenza, Cretan Mattio 271 Sebag, Paul 215, 223, 225, 231 Sébastien du Portugal ; Sebastião 32, 329, 251 Seetzen, Ulrich Jasper 26 Segura, Joseph 263 Selden, John 69, 70 Selîm Ier, sultan ottoman 32, 141, 143, 246, 247, 347 Selim II, sultan ottoman 261, 266, 269, 340, 341 Selim, Şehzade 127 Semiz ‘Alî Pacha 342 Sergius (moine) 297 Seville, Isidor of 54 Seyyid Murād, biographe de Barberousse 128, 143 Shihrī, Al- 129 Shrewsbury 97 Siemiatycze, Gedaliah of 310, 314, 316 Sigismond-Auguste, roi de Pologne 44 Silva, licenciado, juif converti 243, 245 Simon the Armenian, intermédiaire chrétien 272 Sinan Pasa, Cigalazade 170, 209, 222, 341 Sipah oğlu 204 Sixte IV, Pape 293 Siyâvuch Pacha 343, 347 Smith, Thomas 378 Smreska, Muslihuddîn de 34 Soares, António, Frei 245 Sohlental, ambassadeur danois 101 Sokollu Mehmed Pacha 342-346 Soliman le Magnifique ; Süleyman Kānūnī ; . Süleyman the Magnificent 11, 15, 19, 32, 44, 49, 64, 128, 131, 163, 167, 171, 177, 179-181,193, 200, 205, 249, 340-342, 345, 370, 373 Solis, Alonso de 172 Soranzo, Giacomo 261, 262 Sousa, Cristovão de 242 Sousa, Martim Afonso de 239 Spon, Jacob 384, 389 Stanhope, ministre britannique 101, 102 Steno, Michele 235 Subkī, Al- 136, 139, 144
index des noms de personnes Sultan Sach the Armenian, intermédiaire chrétien 272 Sunbātī, . Qutb . al-Dīn Al- 131, 140
T Taaffe, Nicholas 91 Tahmasp, shah de Perse 245, 256, 278 Tarifa, marquis de 324 Taroniti, Zorzi 341 Távora, Lourenço Pires de 243, 245, 251, 252 Tenenti, Alberto 193, 199, 210, 254, 281, 341 Tenreiro, António 241, 243, 249, 251 Thévenot , Jean 224, 225, 231 Thomson, Thomas 101-105 Tiepolo, Stefano 257, 258, 260, 265, 266 Tiğānī, Al- 118 Torosi, marchand d’esclaves 203 Trani, Moses of 311 Trivellato, Francesca 15, 21, 238 Tudela, Benjamin of 303, 306, 316 Turgut Re’îs, corsaire 43 Turmeda, Anselme 120 Turmış Re’îs 204 Turmış, Balıkçı Ali oğlu 204 Tursun, marchand d’esclaves 203
U ‘Uthmān Dey, dey de Tunis 221, 223 Ufqī, ‘Alī ; Bobowski, Wojciech ; Bobovius, Albertus ; Haly-beg 11, 24, 26, 27, 375381, 383-389 Uludj Ali pacha 32 Urrea, Diego de 24 Ursinus, Michael 91, 111, 214 Ustā Husayn 224 Usta Morat ; Ustā Murād ; Usŧā Murād, voir Osta Morato Üveys, Deli, marchand d’esclaves 203
V Vacher, Père 92 Van Ghistele, Joos 360, 364, 367, 371 Vanes (Arménien de Chypre) 253 Veli, Deli, marchand d’esclaves 203 Venier, Sébastien ; Sebastiano Veniero Vico, Domenego de 276 Vinta, secrétaire florentin 184, 186 Vishneveckij, Dimitri 44
341
index des noms de personnes Viva, Erasmo 226 Viva, Fabio 226 Vivanti, Corrando 193
W Wallerstein, Immanuel 84 Warner, Levinus 377, 385, 387, 390 Wemyss, Lord 100 William III, roi d’Angleterre 97, 99 Wishart, James 101 Wood, A. C. 85, 86, 111
X Xagatuni, Macteo
289
Y Yekta, Rauf 381, 392 Yeni oğlu 203 Yis.haq/Busach 285 . Yûnus Beg 341 Yūsuf Dey, Issouf-Dey, dey de Tunis 219-224 Yûsuf Re’îs ; Usaph Raiz 96
Z Zachariadou, Elizabeth 199, 202, 209, 213, 247 Zaki, M’barek 115 Zemon Davis, Natalie 24, 86 Zen, Pietro 337, 343
409
Table des matières
Bernard Heyberger La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle : introduction | 9
i-La frontière méditerranéenne : concepts & perceptions Gilles Veinstein Entre Islam et Chrétienté : le monde à part des frontaliers | 31 Albrecht Fuess Braudel and the Sea: Revisiting Braudel’s Méditerranée for the Study of the Greater Mediterranean Region in the 15th and 16th Centuries | 47 Guillaume Calafat Les frontières du droit en Méditerranée. Marchands et marins face aux tribunaux maritimes (1570-1670) | 67 Colin Heywood Microhistory/ Maritime History: Aspects of British Presence in the Western Mediterranean in the Early Modern Period | 83
ii-La frontière méditerranéenne : stratégies & idéologies Dominique Valérian La course maghrébine à la fin du Moyen Âge : une forme maritime du djihad ? | 115 Nabil Al-Tikriti Hall ishkāl al-afkār : an Ottoman royal’s sharī‘a argument for imperial control over sea ghāzī plunder | 127 Carl F. Petry Crime and Scandal in Foreign Relations of the Mamluk Sultanate: Espionage and Succession Crises linked to Cyprus | 145 Anne Brogini L’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem au Ponant durant le premier xvie siècle. D’une frontière offensive à une frontière défensive | 163 Fabrice Micallef Le pragmatisme des faibles. Marseille, les Turcs et les Médicis au temps de la Ligue (1589-1597) | 181
412
table des matières
iii-Groupes & individus sur la frontière Nicolas Vatin Les Patmiotes face à la piraterie entre le début du xvie siècle et la Guerre de Crète | 199 M'hamed Oualdi Le mamelouk derrière le renégat. Positions et rôles des convertis d’origine européenne à Tunis dans la première moitié du xviie siècle | 215 Dejanirah Couto Au-delà des frontières : réseaux d’espionnage portugais dans le Levant méditerranéen et dans l’océan Indien au xvie siècle | 233 Benjamin Arbel Translating the Orient for the Serenissima : Michiel Membrè in the Service of Sixteenth Century Venice | 253 Benoît Grévin & Giuseppe Mandalà Le rôle des communautés juives siciliennes dans la transmission des savoirs arabes en Italie, xiiie-xve siècles | 283 Mikhail Kizilov Between Europe and the Holy Land. East European Jews as Intermediaries between Europe and the Near East from the 16th through the 17th Centuries | 301
iv-Échanges & circulations Cristina Diego Pacheco Un échange musical impossible ? Les récits de voyage en Terre Sainte de deux compositeurs espagnols de la Renaissance : Juan del Encina (1521) et Francisco Guerrero (1590) | 321 Frédéric Hitzel La Sérénissime et la Sublime Porte, ou comment les arts contribuent aux échanges diplomatiques au xvie siècle | 337 Doris Behrens-Abouseif Mamluk Artistic Relations with Latin Europe | 351 Judith I. Haug Surmounting religious, musical and linguistic frontiers: ‘Alī Ufqī’s translation of the Genevan Psalter (c. 1665) as a transcultural achievement | 375
Index de lieux | 393 Index de noms | 401