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A partir de sources littéraires et surtout iconographiques, cet ouvrage analyse la façon dont la musique religieuse étai

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L'IMAGE ORGANUM, LA REPRÉSENTATION DE LA MUSIQUE DANS LES PSAUTIERS MÉDIÉVAU X 800 - 1200

par Isabelle Marchesin

BREPOLS

© BREPOLS ~ PUBLISHERS 2000 Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2000/0095/46 ISBN 2-503-50929-0

INTRODUCTION Dans la terminologie musicale du haut Moyen Age 1, le terme organum désigne le chant chrétien à voix parallèles ou croisées. Issu du grec organon, il peut par ailleurs qualifier un outil, un corps, un instrument, la raison d'une structure ou encore un système ordonné. L'adjectif organicus qui en dérive spécifie, dans tous les cas de figures, la dimension rationnelle de l'objet considéré. Certaines images médiévales se révèlent être de tels objets: elles disent l'universel chrétien, et leur spécificité vient de ce qu'elles «renferment» justement des sons musicaux. On se demandera comment a pu naître l'idée d'un rapprochement entre l'image et le son. Pendant le haut Moyen Age, les lettres sont comprises comme les signes des phonèmes 2 , et la lecture monastique se fait à voix haute, souvent en marmonnant3. L'éducation repose sur la transmission orale et sur la mémorisation auditive du savoir contenu dans les livres, en premier lieu dans la Bible, «Parole vivante» et pastorale4 . L'historiographie contemporaine, concernée par la fonction et le mode de signification de l'image médiévale5, n'a pas éludé le problème de son intégration dans une culture orale dominante. Certains historiens se sont interrogés sur les liens entre l'image et le langage, entre l'image et le Verbe 6 . Toutefois, la qualité virtuellement musicale de certains manuscrits, en l' occurence des psautiers destinés à être chantés, ainsi que la nature même de leur illustration composée essentiellement de représentations d'exécution instrumentale, ont suscité des questions nouvelles: ces images sont-elles vraiment silencieuses? Dans quelles circonstances, comment, et à quelle fin, les sons musicaux peuvent-ils s'intégrer au discours iconique?

1 F. Reckow, «Organum-Begrif f und frühe Mehrstimmigkeit. Zugleich ein Beitrag zur Bedeutung des "Instmmentalen" in der spatantiken und mittelalterlichen Musiktheorie», Basler Studien zur Musikgeschichte, Bd. 1, 1975, pp. 31-169. Voir aussi A. Holschneider, Die Organa von Winchester. Studien zum iiltesten Repertoire polyphoner Musik, Hildesheim, 1968. 2 P. Zumthor, La lettre et la voix, de la littérature médiévale, Paris, Seuil, 1987, p. 43. 3 On lit en prononçant ce que l'on voit et en écoutant ce que l'on dit, c'est-à-dire les voces paginarum (J. Leclercq, L'amour des lettres et le désir de Dieu, Cerf, Paris, 1957, pp. 72 sq.), et le copiste lit pour lui-même, à moins qu'on ne le lui dicte, le texte qu'il veut reproduire (P. Riché, Ecoles et enseignement dans le haut Moyen Age, fin du ve - milieu du XI" siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, rééd. Picard, 1989, p. 244; I. Illich, Du lisible au visible: la naissance du texte. Un commentaire du « Didascalicon » d'Hugues de Saint- Victor, Paris, Cerf, 1991, pp. 108-110; J. Balogh, «"Voces paginamm". Beitrage zur Geschichte des lauten Lesens und Schreibens», Philologus, 1926, LXXXII, 2, pp. 84-109 et 202-240). 4 F. Yates, L'art de la mémoire (trad. de l'angl., 1966), Paris, Gallimard, 1975, rééd. 1987, p. 62; P. Riché, Ecoles .. ., op. cit., p. 218. 5 On en aura un remarquable aperçu dans les actes du colloque de Spolète, Testa e immagine nell'alto Medioevo, 15-21aprile1993, Settimane del centra italiano di studi sull'alto Medioevo, XLI, Spolète, 1994. 6 En particulier Michael Camille, « Word, text, image and the early church fathers in the Egino Codex», Testa e immagine, op. cit., pp. 65-94; «The Book of Signs: writing and visual difference in gothic manuscript Illumination», World and Image, vol. I, n° 2, 1985, pp. 133-148; « Seeing and reading: some visual implications of medieval literacy and illiteracy», Art History, vol. 8, n° 1, mars 1985, pp. 26-49.

Introduction

Pour répondre à ces questions, deux types d'analyse se sont dessinés. Ils correspondent sensiblement à ce qu'Hubert Damisch distingue sous les termes d'iconographie et de sémiologie 7 . La première consiste à identifier les figures par leurs attributs et à établir un répertoire de thèmes et de symboles qui renvoient à une lecture discursive des miniatures. La seconde propose de considérer les formes pour elles-mêmes. Dans leur complémentarité, ces deux approches ont permis de mettre en valeur l'existence d'un pont entre le visible et l'invisible, entre des formes visuelles et des formes sonores. En effet, pour un lettré médiéval, le son existe, tout comme les objets visibles, dans l'espace et dans le temps: il est mouvement, et même, nombres en mouvement. Il est difficile de pénétrer les arcanes d'une iconographie de l'ordre mathématico-musical du monde. Cet ouvrage tente de respecter, sans toutefois prétendre en recouvrir exactement les étapes, le principe augustinien d'élévation progressive vers la connaissance du divin. Il est divisé en cinq parties. Les deux premières sont propédeutiques, l'une présente le Psautier et son illustration, l'autre concerne le phénomène sonore et la théorie de la musique. Les trois dernières nous engagent plus directement dans l'intimité des images. Leurs titres s'inspirent de la terminologie augustinienne décrivant les grandes étapes qui mènent du sensible à l'intelligible: la visio corporalis est la perception par l'intermédiaire des cinq sens corporels, la visio spiritualis, la production des images par l'âme, c'est-à-dire les opérations de la mémoire, la visio intellectualis, le jugement de la raison en référence aux valeurs éternelles qu'elle recèle 8 •

7 H. Damisch, «Sémiologie et iconographie», La sociologie de l'art et sa vocation interdisciplinaire. L 'œuvre et l'influence de Pierre Francastel, Paris, Denoël-Gonthier, 1976, pp. 2939. 8 Saint Augnstin, De musica, lib. VI, c. II-VIII, Œuvres de saint Augnstin, ire série, Opuscules, t. VII, Dialognes philosophiques, 1947, pp. 360-409. On retrouve cette terminologie (elle y est même plus précise) dans le De Genesi ad litteram, lib. XII, 6 et 7, Œuvres de saint Augustin, 7e série, vol. 48-49, 1972, pp. 349-351. La théorie sera plus largement exposée dans la suite de l'ouvrage. Elle constitue l'une des bases de la réflexion médiévale sur la sensation, L. Spruit, « Species intellegibilis ». From Perception to Knowledge, vol. 1, Classical Roots and Medieval Discussions. Leiden, New Brill, 1994, pp. 179-183.

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PREMIÈRE PARTIE PRÉSENTATION DU CORPUS: CONTEXTE ET QUESTIONS

I. LE PSAUTIER Le Psautier dans la culture monastique Il existe, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, de nombreux épisodes musicaux' susceptibles d'être représentés dans des miniatures, mais un seul de ces textes a été illustré en continu du VIIIe au XIIe siècle: le Psautier2 . Il nous a légué, en m. 1 tant que source iconographique, plus d'images d'exécution musicale (de minia- m. 2 tures qualifiées métonymiquement «d'images musicales») que tous les autres livres bibliques réunis. La permanence de sa production et de son illustration dans les scriptoria 3 médiévaux tient à la place considérable qu'il occupait dans la pédagogie, la liturgie et la spiritualité chrétiennes. Sur le Psautier, les enfants apprenaient non seulement à lire4 mais aussi à chanter5. La liturgie des Heures (l' Opus Dei), fixée par la règle de saint Benoît et adoptée par l'Office romain, imposait en effet le chant hebdomadaire de l'intégralité des cent cinquante psaumes 6 . Mais si les moines avaient du livre une mémoire à la fois précise et musicale, elle était encore jugée insuffisante pour une correcte appréciation et formulation du texte 7 . Les Pères de l'Eglise et les théologiens 1 La plupart de ces épisodes sont évoqués dans l'Ancien Testament, mais il est fait allusion à la musique dans plusieurs métaphores évangéliques et elle joue un rôle important dans l' Apocalypse. 2 Les plus anciennes des représentations d'exécution musicale qui nous soient parvenues datent du Vine siècle (Montpellier, Bibl. de la Faculté de médecine, ms. 409, f' 1 v 0 ; Durham, Cath. Lib, ms. B. II. 30, f' 81 v 0 ). Les illustrations reproduites en noir et blanc sont numérotées de 1 à 55. Les illustrations en couleurs sont désignées par des lettres. Les astérisques signalent la présence de schémas. 3 Sur les ateliers d'enluminure monastiques, J.J.G. Alexander, Medieval !lluminators and their Methods of Work, New Haven, Londres, Yale Univ. Press, 1992, pp. 4-22. 4 Jusqu'à la fin du Moyen Age, être psalteratus signifie «savoir lire», P. Riché, Ecoles .. ., pp. 218 sqq. 5 Une distinction s'impose ici entre le simple moine et le chantre. Pour ce dernier, l'apprentissage du chant nécessitait de très nombreuses années d'étude, M. Huglo, «La cheironomie médiévale», Revue de musicologie, XLIX, déc. 1963, pp. 155-171; P. Riché, Ecoles.. ., op. cit., p. 274. 6 La liturgie des Heures fixée par la règle de saint Benoît à la fin du VIe siècle répartit le chant des psaumes et des cantiques bibliques selon un ordre précis qui diffère un peu de la répartition des psaumes dans !'Office romain. Le père Gy les présente sous forme de tableaux, P. M. Gy, «La Bible dans la liturgie au Moyen Age», Le Moyen Age et la Bible, dir. P. Riché et G. Lobrichon, Paris, Beauchesne, 1984, pp. 537-552. 7 Si nous voulons nous distinguer des animaux, des oiseaux, explique par exemple saint Augustin dans son commentaire du Psautier, nous devons comprendre ce que nous chantons, Enarrationes in psalmos, CCSL 38, p. 105.

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L'image organum

médiévaux estimaient quel' Ancien et le Nouveau Testament racontaient une seule et même histoire, mais en deux temps qui se répondaient l'un l'autre, de sorte que les lecteurs de la Bible ne pouvaient avoir une véritable intelligence de la Parole divine qu'en s'appliquant à en dégager les diverses significations superposées 8 . Comme tendrait à le montrer à elle seule la quantité des commentaires psalmiques conservés dans les bibliothèques médiévales 9, le Psautier devait également jouer un rôle important dans l'apprentissage de l'exégèse chrétienne: livre éminemment prophétique 10 et quasi prophylactique 11 , il constituait une remarquable introduction aux mystères divins et un support idéal pour l'instruction spirituelle et morale du chrétien 12 . Les premiers enseignements d'une vie restent extrêmement présents dans la mémoire de l'adulte: non content de représenter l'un des plus précoces contacts avec la divina pagina, l'étude du Psautier devait certainement inculquer aux jeunes moines des façons spécifiques de penser les objets et les comportements religieux mentionnés dans les psaumes 13 . C'est là l'une des clés de l'analyse iconographique. Le Psautier n'aurait toutefois pas suscité autant d'engouem ent s'il ne s'était conjointement imposé comme l'une des œuvres poétiques majeures de la Bible. La tradition cassidorienne de commentaires psalmiques, elle-même ancrée dans 8 Sur le modèle des genera dicendi de l'époque classique romaine, les lettrés chrétiens déterminent l'existence de significations littérales (historiques), tropologiques (morales), allégoriques /symbolique s (mystiques) et anagogiques (qui concernent l'eschatolog ie), H. De Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de ! 'Ecriture, Paris, Aubier, 1959-1962, 4 vol.; R. Javalet, «Exégèse spirituelle aux XI° et XIIe siècles», Sprache und Erkenntnis im Mittelalter. Akten des VI internationalen Kongresses far mittelaltterliche Philosophie der Société internationale pour l'étude de la philosophie médiévale, 29 aug.-3 sept. 1977 im Bonn, Berlin, New York, W. de Gruyter, 1981, 2 vol. (Miscellanea Medievalia 13/1 et 13/2), II, pp. 873-880. 9 Cf. l'inventaire dressé par Victor Leroquais, Les psautiers manuscrits des bibliothèques publiques de France, Mâcon, Protat, t. I, 1940-41, pp. LXXV à LVXVII. IO «Celui qui lira les psaumes y trouvera les nombreuses et grandes prophéties que David, roi et prophète, fait du Christ et de son Eglise, c'est-à-dire du roi et de la cité fondée par lui.», Saint Augustin, De civitate Dei, XVII, XV, La cité de Dieu, Œuvres de saint Augustin, t. 36, texte de B. Dombart et A. Kalb, intr. de G. Bardy, trad. de G. Combes, Paris, Desclée De Brouwer, 1960, p. 432. Voir aussi Alcuin, De psalmorum usu liber, Praefatio, PL. 101, col. 465 (le corps du texte n'est pas l'œuvre d' Alcuin mais vraisemblablement d'un anonyme irlandais, K. Openshaw, «The Symbolic Illustration of the Psalter: an Insular Tradition», Arte medievale, ne série, VI, 1, 1992, pp. 41-60, note 58). ll «L'histoire enseigne, la loi apprend, la prophétie annonce, le repentir amende, la morale conseille: dans le livre des psaumes, tout est dit; il est une sorte de panacée pour le salut des hommes.», Ambroise de Milan, Enarratione s in XII psalmos davidicos, Praefatio, PL. 14, col. 923. 12 «Si, aux yeux de Dieu, tu le mérites, tu trouveras toutes les vertus dans les psaumes afin que te soient révélés les secrets des psaumes.», Alcuin, De usu psalmorum liber, Praefatio, PL. 101, col. 466. Voir aussi les lnstitutiones de Cassiodore (PL. 70, col. 1115) et le In librum psalmorum prologus du Pseudo-Augustin, édité par la Patrologie latine comme préface aux Enarrationes in psalmos (PL. 36, col. 63-64) et qui semble dériver d'une homélie de Basile de Césarée (Homelia in psalmum I, PG. 29, col. 211-214). Cette dernière a pu également influencer saint Ambroise. I3 Pierre Riché a pu regretter, il y a quelques années, que l'on n'ait pas mieux étudié l'impact des psaumes sur la mentalité médiévale (Jeux de mémoire. Aspects de la mnémotechnie médiévale: recueil d'études, dir. P. Zumthor et B. Roy, Montréal, Vrin, 1985, p. 137).

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Le Psautier une tradition antérieure 14 , lui reconnaît la qualité d'avoir été composé en vers métriques hébraïques qui ont disparu dans la traduction latine de Jérôme 15 • Ontils été remplacés par une autre forme poétique? Il semble que saint Jérôme ait traduit le Psautier selon les règles de la composition littéraire du ne siècle, le choix des mots dépendant souvent du rythme que l'auteur souhaitait imposer à ses phrases 16 . Honorius Augustodunensis qui se livre assez volontiers à des comparaisons entre la liturgie biblique et celle de son époque, a pu ainsi établir un parallèle entre la modulation syllabique du chant grégorien et les mètres hébraïques 17 . Ce point de vue ne peut pas être élargi à tous les auteurs du haut Moyen Age mais il incite à tenir compte de l'existence de paramètres poétiques inhérents à la vocalisation du texte illustré. En fait, pendant assez longtemps, la psalmodie reste dans une position d'intermédiaire entre la déclamation et le chant, l'habitude de réciter l'office n'apparaissant que fort tard dans le Moyen Age 18 . Mais plus important peut-être, si les mots et la musique sont véritablement interdépendants dans le chant grégorien 19 , on peut ajouter qu'un système d'inflexion vocale commun sert de base à tout le discours liturgique qui est lui-même assimilable à un chant20 , comme en témoigne Raban Maur dans le De institutione clericorum: «cette discipline est aussi noble qu'elle est utile puisque celui à qui elle ferait défaut ne pourrait remplir correctement sa charge ecclésiastique». A travers elle, ajoute-t-il, . Il arrive également que l'on prête au roi ou à l'un de ses musiciens, une rotta (ou crwth), sorte de lyre composée d'une caisse de résonance plate à long manche droit ou incurvé 21 . L'utilisation de l'archet n'est attestée, en Occident, qu'aux alentours de l'an mille 22 , de sorte que le rebec 23 et la vièle 24 (instrument qui, à la différence du rebec, a un corps étranglé en son milieu) n'apparaissent qu'un peu plus tard. Des évolutions similaires affectent les autres types d'instruments de musique. On rencontre ainsi, dans les images psalmiques des x1e et surtout xne siècles, des orgues25 et des chalemies26 (instruments à vent à anche double légèrement conique, munis ou non d'un pavillon). Plus notable encore est l'entrée en force des jeux de cloches dans l'iconographie psalmique romane27 . xme siècle: Angers, Bibl. mun., ms. 18, f' 13 (France septentrionale, vers 840-850); Boulogne, Bibl. mun., ms. 20 (vers 999); Londres, Br. Lib., ms. Cotton Tib. C VI, f' 16 v 0 à 18 (Winchester ?, mil. XIe s.); Rome, Bibl. Vallicel., ms. E. 24, f' 26 et 26 v 0 (umbro-roman, fin XIe ou déb. xne s.). 18 C. Page, art. cit. p. 302, 307-308. 19 Il existe des catalogues médiévaux d'instruments de musique, cf. infra, p. 54. 20 Par commodité, la cithara anglica sera nommée cithare, mais lorsque sa forme se rapprochera de la harpe gothique, elle sera qualifiée de «harpe». Sur ces instruments, R. Rensch, The Harp, Its History, Technique and Repertoire, Londres, G. Duckworth, 1969; Harps and Harpists, Londres, G. Duckworth, 1989. 21 Psautier de Klostemeuburg bei Wien, Stiftsbibl., CCI. 987, f' 11 v 0 (Franconie, fin du xe ou du début du XIe s.). 22 W. Bachmann, The Origins of Bowing and the Development of Bowed Instruments up to the Thirteenth Century, ire éd. ail. 1964, trad. Londres, New York, Toronto, Oxford University Press, 1969, pp. 58-59. 23 Leipzig, Univ. Bibl., ms. Nr 774, f' 30 v 0 et 31 (Soignies, XIe s.); Paris, Bibl. nat., ms. lat. 1987, f' 217 v 0 (Saint-Martial de Limoges?, vers 1080); Troyes, Bibl. mun., ms. 815, f' 1 (Cîteaux?, XIIe s.); Bourges, Bibl. mun., ms. 3, f' 255 v 0 (XIIe s.). Le rebec est également attribué au roi David et aux Vingt-quatre vieillards dans la sculpture romane, E. Reuter, Les représentations de la musique dans la sculpture romane en France, Paris, Leroux, 1938; M. Jullian, «L'image de la musique dans la sculpture romane en France», Cahiers de civilisation médiévale, XXX, 1987, pp. 33-44. 24 Hildesheim, Dom Bibl., Psautier de Saint-Alban, p. 56 et 417 (Saint-Alban, avant 1123); Paris, Bibliothèque del' Assemblée Nationale, ms. 2, f' 165 (France, l'e moit. XIIe s.); Londres, Br. Lib., ms. Cotton Nero C. IV, f' 46 (Winchester, vers 1150). 25 Utrecht, Universitiitsbibl., ms. 484, F 83); Württembergische Landesbibl., ms. Fol. 23, f' 163 v 0 ; Ivrea, Bibl. cat., ms. 85, f' 23 v 0 , Ivrea, vers l'an mille; Cambridge, St John Coll., ms. B. 18, f' 1; Dijon, Bibl. mun. , ms. 14, f' 13 v 0 • 26 Par exemple, Londres, Br. Lib., ms. Cotton Tib. C VI, f' 30 v 0 (Winchester?, mil. XIe s.); Lunel, Bibl. mun., ms. I, f' 5 v 0 et 6 (Angleterre, 1re moit. XIIe s.). 27 Les plus anciennes représentations du jeu de cloches dateraient de la première moitié ou du milieu du XIe siècle: Amiens, Bibl. mun., Fonds L'Escalopier, ms. 2, f' 11. 6. Il apparaît dans une douzaine d'images ultérieures.

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La musique dans les images

Les enlumineurs prêtent donc aux instruments de musique de leurs contemporains une attention qui dément l'idée reçue, née d'une lecture trop littérale des textes moralistes, selon laquelle la culture religieuse ignorerait ou condamnerait sans restriction toute exécution instrumentale. D'où leur vient cette connaissance, même partielle, des instruments de musique? La question de la place des instruments de musique dans l'Eglise a été débattue de longue date 28 . Certains historiens ont avancé que les orgues et les cloches entrèrent en usage dans la liturgie chrétienne dès l'époque romane29 . D'autres, plus prudents, relèvent que si la présence de l'orgue est attestée dans certains grands monastères, en particulier anglo-saxons, rien ne permet d'affirmer qu'il participait, de près ou de loin, au service liturgique avant la fin du Moyen Age 30 . En fait, lorsque nous parlons d'instruments de musique, une distinction s'impose: le monastère, le lieu de vie et lieu d'enseignement, n'est pas régi par des coutumes similaires à celles qui consacrent l'Eglise comme espace liturgique. Il serait donc abusif de considérer les images musicales psalmiques comme des représentations effectives de la liturgie chrétienne, mais tout autant d'élargir au reste du monastère les pratiques et interdits relatifs à celle-ci. Pour l'enquête iconographique, il est essentiel de relever que l'orgue et le jeu de cloches sont assez largement connus aux alentours de l'an mille, au moment même, propose Jean-Yves Hameline, où ils se présentent comme des objets de science, à l'image du monocorde 31 . Parmi les diverses 28 Cf. le résumé de J.W. Mac Kinnon, The Church Fathers and Musical Instruments, PhD., Columbia University Press, 1965, pp. 269-284. 29 Au sujet de l'orgue, J. Perrot, L'orgue de ses origines hellénistiques à !afin du XIII" siècle. Etude historique et archéologique, Paris, 1965, pp. 284-287 (citant un texte des M.G.H., t. CL VII, p. 431, Liber de temporibus); D. Knowles, The Monastic Order in England. A History ofits Developmentfrom the Times of St. Dunstan ta the 4th Lateran Council (940-1216), Cambridge University Press, 1950, p. 60 (citant la Vita sancti Oswaldi); A.E. Planchart, The Repertory of Tropes at Winchester, Princeton Univ. Press, 1977, vol. II, pp. 25-27, citant A. Holschneider, Die Organa von Winchester. Studien zum altesten Repertoire polyphoniker Musik, Hildesheim, 1968, pp. 131-144. Pour les témoignages littéraires d'un éventuel usage des cloches dans l'église, J. Smits Van Waesberghe, Cymbala, Bells in the Middle Ages, Rome, American Institue of Musicology, 1951 (Musical Studies and Documents n° 1), p. 18, et P. Price, Bells and Man, Oxford Univ. Press, 1983, pp. 91-92. 30 New Grave Dictionnary ofMusic and Musicians, éd. S. Sadie, Londres, Mac Millan, 1980, vol. 13, art. «organ», pp. 728-729; E.A. Bowles, La pratique musicale au Moyen Age, Paris, Minkoff-Lattès, 1983, p. 152 et «Were Musical Instruments Used in the Liturgical Service During the Middle Ages», Galpin Society Journal, X, 1957, pp. 40-56. 31 J-Y. Hameline, article «Le chant grégorien», dans Histoire de la musique. La musique occidentale du Moyen Age à nos jours, ss. dir. de M.C. Beltrando-Patier, Paris, Bordas, 1982, pp. 19-46. Ce phénomène est également souligné par H. Müller, R. Stephan, Die Musik des Mittelalters, Laaber Verlag, 1991, pp. 186-187. Ellen Hickmann a relevé l'existence, entre le xe siècle et 1200, de plus de vingts études de poids de cloches provenant d'une cinquantaine de manuscrits, et de plus de cinquante mesures de longueurs de tuyaux d'orgues,« Musica instrumentalis ». Studien zur Klassifikation des Musikinstrumentariums im Mittelalter, Baden-Baden, V. Koerner, 1971 (Sammlung Musikwissenschaftlicher Abhandlungen, Bd. 55), p. 94. Sur ces traités, cf. aussi, E.J. Hopkins et E.F. Rimbault, The Organ. lts History and Construction, Londres, 1887, 3e éd., Hilversum, F. Knuf, 1965, pp. 23-31 et 46; M. Huglo, «La lexicographie du latin médiéval et l'histoire de la musique», La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Age, Colloques internationaux du C.NR.S.,

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L'image organum qualités des instruments de musique, la capacité qu'ils ont, ou n'ont pas pour certains, d'incarner et de rendre accessibles aux sens les principes rationnels des proportions 32 , est incontestablement celle qui a été le plus largement exploitée par les enlumineurs. Cet aspect majeur de l'iconographie musicale sera largement étudié. La place qu'occupe l'instrument à cordes dans l'ensemble des instruments antiques et médiévaux est assez singulière. Il est prêté à David, qualifié de citharède dans la Bible, mais aussi à Orphée et à Apollon, les deux grands musiciens de la mythologie antique. Son jeu exige une grande dextérité et il n'est pas incompatible avec le chant: il est, dans l 'Antiquité, généralement associé aux poètes, ces intermédiaires entre le monde des hommes et celui des dieux33 . Plus proches dans le temps, et peut-être à l'origine de la faveur qu'obtiennent les instruments à cordes frottées dans l'iconographie anglo-saxonne, les crwths dont jouent les bardes irlandais ont un statut magique dans les récits légendaires 34 . A l'époque romane, l'instrument de prédilection des troubadours et des héros de la littérature courtoise est la harpe qui leur permet - les textes le disent explicitement - d'exprimer leur éloquence et leur sagesse, ces nouvelles vertus exigées du chevalier35 . L'instrument à cordes apparaît donc comme l'instrument du poète par excellence. La légende, telle qu'elle nous est rapportée par Boèce dans le De institutione musica, veut aussi qu'à partir des cordes sans cesse plus nombreuses de la cithare se soient constitués les grands systèmes musicaux des Grecs 36 . L'instrument à cordes est, à ce titre, également considéré comme un objet de science37 . L'appren-

n° 589, Paris, éd. C.N.R.S. 1981, pp. 382-399; J. Blades, Percussion Instruments and Their History, Londres, Faber, 1975, pp. 198-200. Nous reviendrons longuement sur ces instruments particuliers que sont l'orgue, le jeu de cloches et le monocorde, cf. pp. 86-91. 32 C'est la dimension «rationnelle» que possèdent les instruments de musique lorsqu'ils sont accordés, qui légitime leur présence dans les traités de théorie musicale et explique leur utilisation (du moins pour certains d'entre eux) dans l'enseignement des intervalles de la musique, F. Reckow, «Ürganum-Begriff. .. », art. cit., pp. 56-66. 33 A. Michel, In hymnis, op. cit., pp. 17 et sq.; voir aussi P. Dronke, The Medieval Poet and His World, Rome, Storia e letteratura, 1984 (surtout le premier essai). 34 E. O'curry, On the Manners and Customs of the Ancient Irish, Londres, Edimburg, Williams & Norgate, 1873, 3 vol., III, pp. 212-409. 35 Cette attitude commence à s'affirmer au milieu du XI 0 siècle, C. Page, Voices and Instruments of the Middle Ages. Instrumental Practice and Songs in France, 1100-1300, Londres, Melbourne, J.M. Dent & Sons, 1987, pp. 3-8 et 111-115. 36 H. Potiron, Boèce, théoricien de la musique grecque, Paris, Travaux de l'Institut catholique, 1961, pp. 55-60; W. Apel, «Mathematics and Music in the Middle Ages», Convegni del Centra di studi sulla spiritualità medioevale, XIII, 1972, pp. 135-165. 37 Il est intéressant de relever ici que le monocorde pouvait, paradoxalement, receler plusieurs cordes. On a beaucoup débattu de la chronologie de ces «polycordes» qui, bien que connus des Grecs, ne sont formellement attestés que dans les traités de la fin du Moyen Age, en l'occurrence dans la Musica speculativa de Jean de Muris, W. Nef, «The Polycord», The Galpin Society Journal, IV, 1951, pp. 20-24. Peut-être un tel instrument est-il représenté dans la glose marginale d'un De musica de Boèce daté du IXe siècle, Paris, Bibl. nat., ms. lat. 7200, f" 76. I. Humphrey, Le De institutione musica libri V d'Anicius Manlius Torquatus Severinus Boethius du manuscrit Paris, Bibliothèque Nationale, latin 7200 (IX' siècle), Paris, Thèse de !'Ecole pratique des hautes études, 1993, II, pl. 122 bis (le «polycorde» serait représenté vu de haut).

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La musique dans les images tissage de la théorie musicale ne pouvait qu'être facilité par l'étude d'un instrument à plusieurs cordes (le Speculum musicae de Jacob de Liège explique, au XIIIe siècle, que l'on enseignait les proportions mathématiques de la musique avec un psaltérion38 ). Quoiqu'il en soit, en arrière plan de l'instrument à cordes que tient David se profile toute une série de qualités «mathématique s», esthétiques et morales qu'il serait arbitraire de rejeter en dressant un mur entre une culture proprement monastique et une culture profane, cela d'autant plus que nous avons des témoignages de l'existence de moines musiciens, et que les contacts entre les abbayes et les jongleurs (dans le sens le plus neutre du terme) sont assez nombreux. Les circonstances se prêtaient assez naturellement à ces contacts. Puisqu'ils accompagnaient les pérégrinations des chrétiens sur les routes d'Occident39 , les jongleurs devaient faire halte dans les abbayes. Adamnan rapporte, par exemple, que saint Colomban demanda que l'une de ses compositions soit chantée par un poète de passage, et les annales irlandaises citent fréquemment, à partir de la fin du IXe siècle, le senchaid monastique chargé de raconter les vieilles légendes 40 . Jan Smits Van Waesbergue a supposé qu'allant de soi dans les monastères insulaires, la musique instrumentale était entrée dans les abbayes continentales dès la deuxième moitié du IXe siècle 41 . A l'appui de cette hypothèse, Ekkehart raconte que Tuotilo de Saint-Gall était un maître dans l'art de jouer de toutes espèces d'instruments à vent et à cordes. Il avait même obtenu que l'on mette un local de l'abbaye à sa disposition, afin qu'il puisse y enseigner la pratique des instruments à cordes à de jeunes nobles42 . Le poème d'un moine de Saint-Pierre de Gembloux fournirait également l'explication de l'usage d'un instrument à cordes 43 . Le monde monastique n'apparaît pas non plus comme l'implacable adversaire des jongleurs que l'on a pu décrire. Ces derniers étaient parfois associés à la dévotion chrétienne. Certaines pièces des drames liturgiques ne pouvaient être exécutées en leur absence 44 , et l'attitude d'une sainte Foy de Conques est fort révélatrice en ce qu'elle consent, par l'un de ses miracles, à ce qu'un histrion chante et danse dans son église 45 . Des fêtes de jongleurs se seraient même tenues de façon 38

C. Page, Voices .. ., op. cit., p. 122. E. Faral, Les jongleurs en France au Moyen Age, Paris, Champion, 1910, pp. 55-60; E. Mâle, L'art religieux du XII" siècle en France. Etudes sur les origines de l'iconographie du Moyen Age, Paris, A. Colin, 1922, p. 304. 40 K. Hugues, «Irish Monks and Learning», Los manges y los estudios, IV semana de estudios monasticos, Poblet, 1961, Abadia di Poblet, 1963, pp. 61-86. 41 J. Smits Van Waesberghe, Musikerziehung., op. cit., p. 31. 42 W. Vogler, (dir.), L'abbaye de Saint-Gall, Rayonnement spirituel et culturel, Lausanne, Payot, 1991, pp. 57-59. 43 M. Huglo, «Les instruments de musique chez Hucbald de Saint-Amand», Hommage à A. Boutemy, Latomus, n° 145, 1976, pp. 178-196. 44 Jean Leclercq fournit plusieurs exemples de pièces des xe et XII° siècles qui supposaient la présence d'au moins un jongleur, «Joculator et saltator. Saint Bernard et l'image du jongleur dans les manuscrits», Translatio Studii; Manuscripts and Library Studies honoring O.L Kapsner, osb., Collegeville (Minness.), St John's University Press, 1973, pp. 124-148. 45 Bernard de Chartres, Liber miraculorum, II, 12, éd. Bouillet, p. 120 sq.; Jean Wirth propose qu'à l'origine de cette légende se trouve la polysémie du termefides qui siguifie «foi» et «vièle» en latin, J. Wirth, L'image médiévale. Naissance et développements (VJ"-XV" siècles), 39

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L'image organum régulière, à partir du xe siècle, dans l'abbaye de la Trinité de Fécamp 46 . Il semble enfin, et cela malgré les nombreuses condamnations ecclésiastiques47 , que des jongleurs étaient installés à demeure dans certains monastères (comme à Farfa aux XIe et xne siècles48 , ou à Winchester, au plus tard, au xne siècle49 ). Même si les «contours» chronologiques et géographiques de la présence d'instruments de musique dans les monastères sont imprécis, même s'il faut rester prudent dans l'interprétation des sources littéraires, et même s'il est impossible de généraliser les témoignages cités, il apparaît que le monastère n'était pas hermétiquement clos à la «culture instrumentale». Les conséquences en sont importantes: les enlumineurs pouvaient connaître non seulement la nature générique et les qualités acoustiques des instruments qu'ils représentaient mais aussi les techniques du jeu instrumental, de l'accord, ainsi que les attitudes corporelles qu'elles impliquaient. Ils pouvaient, en d'autres termes, avoir accès à la logique du fonctionnement des objets qu'ils plaçaient dans les mains des musiciens des images, ce dont - nous le verrons - les images elles-mêmes témoignent. Il serait vain toutefois de rechercher dans les images musicales des représentations de «concerts instrumentaux» au sens où nous l'entendons de nos jours: d'une part les associations d'instruments dans les images sont souvent invraisemblables50 ; d'autre part l'intention sous-jacente à la figuration des instrumentistes amène souvent les enlumineurs à favoriser des schémas et des classifications symboliques au détriment du réalisme de l'exécution. Si saint Augustin exhorte les chrétiens à avoir une certaine connaissance des instruments cités dans la Bible, c'est afin de pouvoir convenablement déterminer, comme dans la science des nombres, les rapports de préfiguration qu'ils entretiennent avec l'histoire de l'Eglise 51 . C'est dans cette même perspective que l'on peut comprendre l'intérêt de Cassiodore et d'Isidore de Séville pour les classifications instrumentales, ou encore concevoir qu'un traité aussi fantaisiste que l' Epistola ad Dardanum puisse être repris presque

Paris, Méridien Klincksieck, 1989, pp. 186-187. Voir aussi la légende plus tardive «Del tumbeor Nostre Dame» dans laquelle la Vierge accepte la dévotion en forme d'acrobatie d'un ancien jongleur qui s'est fait moine, J-C. Sclunitt, La raison ... , op. cit., p. 270 (la légende est également étudiée dans !'Encyclopédie du Catholicisme, t. VI, art. «jongleur»). 46 P. Zumthor, La lettre ... , op. cit., p. 71. 47 Voir en particulier les annexes du livre de E. Faral, op. cit., et l'ouvrage de E.L. Backman, Religious Dances in the Christian Churches and Popular Medecine, (1883), trad. de l'ail., Londres, 1952. On peut considérer que les interdictions de rétribuer les jongleurs réitérées par les conciles sont autant de preuves de la récurrence de telles pratiques pendant le Moyen Age. 48 V. De bartholomaeis, «Giullari Farfensi», Studi medioevali, Nuova Seria 1, 1928, 39, cit. par J. Leclercq, art. cit., p. 134. 49 Le harpiste Jeffrey semble attaché, vers 1180, à l'abbaye de Winchester. E. Parai, op. cit., p. 29. J-C. Schmitt, La raison, op. cit., p. 268, signale aussi la présence de jongleurs dans les cours épiscopales au début du XIII° siècle. 50 Si les images nous présentaient des concerts, la musique que David joue sur sa cithare ou sa harpe serait couverte par les sons puissants des instruments à vent (trompettes, olifants ou orgues) et les percussions. 51 Saint Augustin, De doctrina christiana, II, XVI, Œuvres de saint Augustin, ire série, t. XI, texte, trad., intr. de G. Combes et de l'abbé Farges, Paris, Desclée De Brouwer, 1949, pp. 278280 pour les nombres; pp. 280-281 pour les instruments de musique.

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La musique dans les images in extenso par Raban Maur52 . La remarquable permanence de l'exégèse des instruments de musique dans la littérature chrétienne interdit qu'on la néglige dans l'analyse iconographique même si elle doit y être utilisée avec circonspection. Dans les commentaires psalmiques, qui ignorent le terme de «harpa», les instruments à cordes, cithares et psaltérions53 , sont moins distingués sur un plan formel que sur un plan symbolique. Le psaltérion émet, dit-on, des sons en sa partie haute, la cithare en sa partie basse, et cette distinction toute théorique est un véritable lieu commun de la littérature exégétique 54 . Il est difficile de différencier les deux instruments dans les psautiers à illustration littérale; cela tient souvent de la gageure dans les autres images, à moins qu'ils ne soient nommés ou qu'ils ne possèdent dix cordes (le texte psalmique ne cite que le «psaltérion décacorde» 55 ) Ce serait de surcroît une erreur de considérer les images musicales comme des catalogues d'objets symboliques. Afin d'éviter de projeter sur les instruments des miniatures ce que nous apprend, par ailleurs, la littérature exégétique, il est important de revenir à la source analogique de l'interprétation. Outre leur répartition dans des classifications génériques, la définition symbolique des cithares, psaltérions, trompettes, orgues et cymbales repose sur la prise en considération de leurs caractéristiques acoustiques (les matériaux dont ils sont faits, la position de la caisse de résonance, la qualité rationnelle, rythmique, mélodique et l'amplitude

52 Cassiodore, Institutiones, PL. 70, col. 1208-1209; Isidore de Séville, Etymologiae, lib. III, XXI, PL. 82, col. 166-169; Raban Maur, De universo, PL. 111, col. 495-500. 53 La cithare, mentionnée dans le Psautier, est aussi l'instrument dont joue David devant Saül. L'étymologie du terme «psaltérion» suggère d'elle-même une intime relation avec la psalmodie: en latin, le Psautier et le psaltérion se disent psalterium. Le nom de l'instrument dérive, selon certains auteurs chrétiens, du chant qu'il est destiné à accompagner, Isidore de Séville, Etymologiae, lib. III, XXII, PL. 82, col. 168; saint Jérôme, Tractatus de psalmis, CCSL 78, p. 201; pour d'autres auteurs, c'est le chant qui dérive du nom de l'instrument, Grégoire le Grand, In septem psalmos poenitentiales exp., PL. 79, col. 551; Rémi d'Auxerre, Enarrationes in ps., PL. 131, col. 138, 147; Honorius Augustodunensis, Selectorum psalmorum exp., PL. 172, col. 269 ; Pierre Lombard, In psalmos davidicos comment., Praefatio, PL. 191, col. 55. 54 Saint Jérôme, Tractatus de psalmis, CCSL. 78, p. 349; saint Augustin, De doctrina christiana, II, XVI, éd. cit., p. 280; Cassiodore, Expositio ps., Praefatio, CCSL 97, pp. 11-12; Grégoire le Grand, In septem psalmos poenitentiales exp., PL. 79, col. 551; Isidore de Séville, Etymologiae, lib. III, XXII, PL. 82, col. 168; Bède,In psalmorum librum exeg., PL. 93, col. 646 et 782; PseudoJérôme, Breviarum in ps., PL. 26, col. 989; Raban Maur, Comment. in Paralipomena, I, PL. 109, col. 346 et De universo, lib. XVIII, c. IV, PL. 111, col. 498; Haymon d'Auxerre, Explanatio in ps., PL. 116, col. 195 et 302; Rémi d'Auxerre, Enarrationes in ps., PL. 131, col. 14 7 et 306; Honorius Augustodinensis, Selectorum psalmorum exp., PL. 172, col. 269 et 306; Alanus de Insulis, Distinctiones, PL. 210, col. 742 et 914. 55 Ps, 32, 2; Ps 143, 9. L'association de cet instrument au Décalogue est l'un des topoï du symbolisme instrumental: Saint Augustin, De doctrina christiana, Il, XVI, éd. cit., p. 280 et Enarrationes in ps., CCSL 38, p. 251; Cassiodore, Expositio ps.,CCSL 97, p. 284; Isidore de Séville, Etymologiae, lib. III, XXII, PL. 82, col. 168; Bède, In psalmorum librum exegesis, PL. 93, col. 481; Grégoire le Grand, In septem psalmos poenitentiales expositio, PL. 79, col. 551; PseudoJérôme; Breviarum in psalmis, PL. 26, col. 915; Pseudo-Jérôme, Epistola ad Dardanum, PL. 30, col. 215; Raban Maur, Comment. in Paralipomena, I, PL. 109, col. 346 et De universo, XVIII, IV, PL. 111, col. 498; Haymon d'Auxerre, Explanatio in ps., PL. 116, col. 195; Rémi d'Auxerre, Enarrationes in ps., PL. 131, col. 147 et 306; Odon de Asti, In psalmos expositio, PL. 165, col. 1214; Honorius Augustodinensis, Selectorum psalmorum exp., PL. 172, col. 272.

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L'image organum des son émis) et de leurs caractéristiques formelles (la silhouette des instruments, le nombre et la disposition des cordes, des tuyaux et des objets qui entrent en percussion). Ces mêmes qualités génériques, plastiques et acoustiques, doivent retenir l'attention lors des analyses iconographiques, tout autant que les relations de similitude, de dissemblance et de complémentarité entre les instruments.

L'exécution instrumentale Dans l'iconographie des Arts libéraux mais aussi dans certaines scènes non psalmiques où David apparaît (dans l' Arbre de Jessé, par exemple 56), les instruments de musique attachés aux personnages sont induits par des conventions de représentation et utilisés comme des attributs: ils permettent de distinguer la figuration allégorique de la Musica de ses consœurs du Quadrivium 57 , et de différencier David de Salomon. Ils livrent la clé de l'identité de ceux qui les tiennent et se révèlent, par essence ou par histoire, être des musiciens. C'est un peu dans le même esprit qu'est représenté le jongleur dans l'iconographie moraliste de l'époque romane: vêtements spécifiques, vièles ou rebecs, contorsions caractéristiques sont autant d'éléments qui permettent l'immédiate reconnaissance d'un archétype social et moral 58 . Dans les psautiers, à l'inverse, aucun caractère physique ou vestimentaire, aucun objet, aucun comportement indépendant de l'exécution musicale ne caractérise individuellement ou socialement les compagnons de David. Ils sont musiciens mais n'entrent en aucune façon dans les typologies des moralistes. Leur identité n'est pas non plus liée à leur qualité d'instrumentistes: il arrive qu' Asaph, Eman, Ethan et Idithun soient représentés comme des scribes, et une rapide enquête sur les images qui nomment les quatre hommes montre qu'aucun d'eux ne tient régulièrement, ou ne serait-ce de façon significative, le même geme d'instrument59 . Les musiciens des images psalmiques s'inscrivent la plupart du temps dans un processus d'exécution instrumentale (par ce terme général sont désignés à la fois le jeu de l'instrument et son accord, deux aspects qui seront distingués plus tard). David est quelquefois représenté en amont de cette exécution instrumentale, avec cette suspension attentive du geste, ce corps interrogatif tendu vers la source d'insm. 14, m. 1s piration qui caractérisent les portraits d'Evangélistes du haut Moyen Age 60 . 56 Le lignage du Christ est représenté sous la forme d'une arborescence dans laquelle sont inscrits ses divers ancêtres, dont David qu'il est possible de reconnaître à l'instrument qu'il tient mais dont il ne joue pas toujours. Pour les exemples et leurs datations précises, A. Watson, The Early Iconography of the Tree of Jesse, Oxford Univ. Press, 1934. 57 Les Arts libéraux sont divisés en Trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et Quadrivium (mathématiques, géométrie, astronomie, musique). Pour leurs représentations, voir, entre autres, P. Verdier, «L'iconographie des Art Libéraux dans l'art du Moyen Age jusqu'à la fin du quinzième siècle», Arts Libéraux et Philosophie au Moyen Age, Actes du IV" congrès international de Philosophie médiévale, Montréal 1967, éd. Montréal, Paris, 1969, pp. 305-332. 58 Sur la codification des gestes en relation avec l'idée d'états de la société, J-C. Schmitt, La raison, op. cit., p. 144. 59 Dans le corpus, Asaph: 3 vents, 4 cordes, 2 percussions. Eman: 2 vents, 5 cordes, 3 percussions. Ethan: 5 vents, 4 cordes. Idithun: 4 vents, 3 cordes, 3 percussions. Sur la classification des instruments de musique en vents, cordes et percussions, cf. infra pp. 54-57. 60 Saint-Gall, cod. 22, p. 2 (avant 883); Klostemeuburg bei Wien, CCI. 987, f' 11 v 0 (Franconie, fin xe ou déb. xre s.) .

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La musique dans les images

Les instruments tenus par les musiciens ont donc vocation à être joués, et il est difficile de les considérer uniquement comme des attributs dans les miniatures psalmiques. S'ils permettent de reconnaître des musiciens, ils ne permettent pas de reconnaître des personnages. Le sens de lecture de l'image s'en trouve de ce fait strictement inversé par rapport à celui des représentations de Musica ou de David lorsqu'il prend place dans un Arbre de Jessé: les enlumineurs n'attirent pas notre attention sur le fait que ces personnages sont, par nature, des musiciens, mais ils mettent en avant le fait qu'ils sont des acteurs. A la différence de l'instrumentattribut dont la fonction est tournée vers l'extérieur de l'image, vers le spectateur, ces instruments-là inscrivent l'individu dans une séquence de son histoire personnelle et dans le contexte d'une expérience collective. Les personnages agissent à l'intérieur de l'image, et le résultat de leurs actions est une musique, un ensemble de sons spécifiques sur lesquels il est indispensable de s'interroger. Avant d'entrer véritablement dans l'analyse iconographique qui seule permettra d'étudier la qualité de ces sons, il est toutefois indispensable de proposer au lecteur un aperçu du contexte culturel et intellectuel dans lequel s'inscrit l'élaboration des miniatures. On excusera l'aspect sommaire de cette présentation, et l'on comprendra qu'étant donnée la nature de la problématique développée dans cet ouvrage, il n'était pas possible d'y restituer la théorie musicale et la pratique du chant chrétien dans leur histoire propre et dans toute leur complexité.

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DEUXIÈME PARTIE LE SON: ÉMISSION, PERCEPTION ET ANALYSE RATIONNELLE

IV. ACOUSTIQUE: LE SON COMME AIR EN MOUVEMENT Le son comme matière En latin classique et médiéval, deux termes génériques évoquent ce qui peut être perçu par l'ouïe: «sonus » et «vox». Leurs champs sémantiques entre le IXe et le xne siècles ne sont encore qu'imparfaitement connus, mais il est possible de témoigner de quelques-unes de leurs acceptions. Le champ sémantique de «vox» est particulièrement large, même s'il paraît centré sur le vecteur et la forme du discours. Pour les grammairiens classiques et leurs commentateurs du haut Moyen Age, il désigne, outre la voix humaine, tout ce qui résonne (quicquid sonuerit) 1. « Sonus » est également employé pour signifier tout retentissement, tout son, qu'il s'agisse d'une opération de langage ou d'une quelconque émission sonore 2 , mais constitue parfois aussi une sous-catégorie de «vox». Considéré par les théoriciens de la musique comme la traduction du grec phthongus 3 , il désigne, de façon plus

1 Donat, Ars maior, I, J. Holtz, Donat et la tradition de l'enseignement grammatical. Etude sur «!'Ars Donati » et sa diffusion (/Ve - /Xe siècles), et édition critique, Paris, éd. CNRS, 1981, (Documents, études et répertoires, n° XXV), p. 603 ; également attribué à Pompée dans un commentaire de Donat, CCCM. XL.D, p. 7. Les lettrés ont conscience que l'utilisation de vox pour désigner les sons émis par les animaux ou les phénomènes naturels est impropre, même si elle est tolérée. Sur le terme, A. Forcellini, Lexicon totius latinitatis, 1940, article «vox»: de la racine sont dérivés des verbes fonctionnels qui désignent l'émission de la voix avec les dimensions religieuses et juridiques qui peuvent en résulter (vocare, evocare, convocare, invocare ... ), A. Ernoult, A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincsieck, 1979, (4e éd.), p. 754. 2 De sa forme verbale «Sane/are» qui signifie faire entendre un son, un accent et par extension, chanter, faire résonner, sont dérivés plusieurs verbes: «resonare», «résonner»; «consonare», «résonner ensemble»; «personare», «résonner à travers»; «praesonare», résonner par avance, ou «obsonare», interrompre par un bruit (ces deux derniers verbes étant les moins usités), A. Ernoult, A. Meillet, op. cit., p. 635 sqq. «Le sonus est tout ce qui est entendu par l'oreille du corps» expliquent plusieurs gloses carolingiennes et romanes du De musica de Boèce, C.M. Bower et M. Bernhard (éd.), Classa maior in institutionem musicam Boethii, Munich, Verlag der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1993 (Veriiffentlichungen der Musikhistorischen Kommission, Bd. 9), p. 3, 166. 3 Cf. l'article «phthongus » du Handworterbuch der musikalischen Terminologie, Wisbaden, F. Steiner, 1972- (dir. H.H. Eggebrecht).

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L'image organum spécifique, le son apte à la mélodie 4 , un son diastematice dans lequel on peut identifier un intervalle 5 . Puisque les comportemen ts du son s'apprécient de façon empirique, les modalités de ses production, diffusion et perception ont été, très tôt, constituées en système de lois physiques. Depuis l' Antiquité gréco-romaine6, il est admis que le son est une forme dynamique, à savoir de l'air7 , qui est mis en mouvement par une percussion ou une impulsion8 . Il ne peut y avoir d'émission sonore sans impulsion initiale, et Boèce, dont le De musica est la source principale des notions d'acoustique du haut Moyen Age, est formel sur ce point: «le son ne peut être produit indépendamm ent d'une certaine impulsion et percussion, et il ne peut, en aucune façon, y avoir impulsion et percussion à moins qu'elles ne soient précédées par un mouvement9 ».

Le comportement du son Boèce explique les différentes hauteurs de sons par la qualité du mouvement qui les génère: plus la vitesse de la vibration déplaçant l'air est rapide, plus elle produit un bruit aigu que maintiennent dans sa hauteur les percussions réitérées des cordes; à l'inverse, plus le mouvement de vibration est lent et plus le son est grave 10 . Pour décrire les mécanismes physiques du déplacement du son dans l'air, 4 Boèce, De institutione musica libri V, I, c. VIII, éd. Anicii Manlii Torquati Severini Boetü De institutione arithmetica libri duo , De institutione musica libri quinque, éd. G. Friedlein, Leipzig, Teubner, 1867, réimpr. 1963, p. 195 (PL. 63, col. 1175); Musica Enchiriadis, PL. 133, col. 957; Johannes Affligemensis, De musica cum tonario, c. IV, Corpus scriptorum de musica (CSM) n° 1, p. 58 (PL. 150, col. 1395); Bernon de Reichenau, Prologus in tonarium, PL. 142, col. 1100; Guy d'Arezzo, Micrologus, c. XV, CSM n° 4, pp. 162-163. Pour les autres éditions et les éventuelles traductions de ces traités, cf. la présentation des sources littéraires en annexe. L'édition de M. Gerbert ne sera citée qu'exceptionnellement car elle reprend les textes de la Patrologie latine (Scriptores ecclesistici de Musica sacra, Typis St. Blasien, 1784, 3 vol., réimpr. 1963). 5 M. Bernhard, Studien zur Epistola «de armonica institutione» des Regino von Prüm, Munich, Ver!. der Bayerische Akademie der Wissenchaften, 1979, pp. 55-56. 6 Les trois sources antiques principales de cette étude sont: Platon, Timée, 40, 43, 80, 83, intr., trad., notes de L. Brisson, Platon, Timée et Critias, Paris, Flammarion, 1992; Aristote, De anima, III, E. Barbotin, Les Belles Lettres, 1966; Vitruve, De architectura, éd. trad., M. Nisard, Celse, Vitruve, Censorinus, Frontin, Œuvres complètes, Paris, Firmin-Didot, 1877. 7 L'air est le seul des quatre éléments qui soit invisible, comme le son. Quelques auteurs, qui se réfèrent à une étymologie fantaisiste de musica, avancent que l'humidité joue un rôle dans l'élaboration du son: Johannes Affligemensis, De musica, c. IV, (entre 1090 et 1111 ), CSM n° 1, p. 55 (PL. 150, col. 1395); Hugues de Saint-Victor, Didascalicon sive eruditionis didascalicae libri septem, Il, c. XIII, PL. 176, col. 755. 8 Vitruve, De architectura, III, éd. cit., p. 77, «Le son est un souffle qui s'écoule, sensible à l'oreille par percussion de l'air.» 9 Boèce, De musica, I, c. III, éd. Friedlein, p. 189 (PL. 63, col. 1173). 10 Boèce, De musica, IV, c. 1, éd. Friedlein, p. 301 (PL. 63, col. 1245). Cette description pythagoricienne des hauteurs de sons est exprimée par Platon dans le Timée; elle est reprise par Nicomaque qui la transmet à Boèce, H. Potiron, op. cit., p. 45. On la retrouve chez Macrobe (In Somnium Scipionis, II, c. IV, éd. cit., Paris, 1883, pp. 81-82) et chez certains auteurs médiévaux (par exemple Reginon de Prüm, De harmonica institutione, PL. 132, col. 487). Sur la théorie sensiblement différente d'Aristote et sur les discussions qu'elle entraîne au XIIIe siècle, voir

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Acoustique: le son comme air en mouvement il se réfère à une analogie que l'on trouve formulée par Alexandre d' Aphrodisias 11 : la progression du son dans l'air est semblable aux cercles concentriques qui se forment sur un plan d'eau après le jet d'une pierre; le son, qui est une forme de l'air, se reproduit jusqu'à ce qu'un obstacle s'oppose à sa progression 12 . Fort connue dans l' Antiquité, comme elle le sera au Moyen Age, cette image des vagues permet à Vitruve de justifier les forme et disposition en degrés des théâtres romains; il y adjoint cependant une nuance qu'il tire vraisemblablement de sa propre expérience du comportement de la matière sonore: si le son se déploie latéralement, il est aisé de constater qu'il est également ascendant 13 . Sur un plan strictement mécanique 14 , la voix n'est pas distinguée des autres types de sons, mais elle est d'autant plus dépendante de l'air que c'est le souffle issu des poumons et percuté par la langue qui est, pense-t-on, à l'origine de la phonie15. Nous retrouverons chez Guillaume de Conches, Adélard de Bath et Vincent de Beauvais, accompagnant la traditionnelle description de la propagation du son par vague, l'idée que le son informé (qui reçoit une forme) dans la bouche, se répercute identique à lui-même jusqu'à l'oreille de l'auditeur 16 . Certains textes C. Burnett, «Sound and Its Perception in the Middle Ages», The Second Sense. Studies in Hearing and Musical Judgementfrom Antiquity to the Seventeenth Century, Warburg Institute Surveys and Texts, XXII, 1991, pp. 43-69; M. Wittrnann, «Vox atque sonus »: Studien zur Rezeption der aristotelischen Schrift «De anima» und ihrer Bedeutung für die Musik-theorie, Pfaffenweiler, Centaurus Verlag, 1987, 2 vol. 11 Alexandre d' Aphrodisias, De anima, éd. I. Burns, Alexander, Praeter commentaria scripta minora, SupplementumAristotelicum 2.1, Berlin, 1887, pp. 487-12, C. Bumett, «Sound ... », art. cit., pp. 56-57. 12 Boèce, De musica, I, c. XIV, éd. Friedlein, p. 200 (PL. 63, col. 1179). 13 Vitruve, De architectura V, III, éd. cit., p. 77: «Cependant les cercles se meuvent sur la largeur du plan d'eau tandis que le son progresse autant en largeur qu'il s'élève, par degrés, en hauteur...» 14 Ne sont ici en cause, ni la distinction que font certains auteurs médiévaux entre la musica naturalis (dont la voix humaine fait partie) et la musica artificialis (qui implique, comme son nom l'indique, l'usage d'un intermédiaire créé de main d'homme), ni la position, différente selon les auteurs, que la voix humaine occupe dans les classifications musicales. Cette dernière repose souvent sur l'identité générique qu'on lui prête avec les instruments à vent ou à percussion. Sur le sujet, C. M. Bower, « Natural and Artificial Music: the Origins and Development of an Aesthetic Concept», Musica disciplina, n° 25, 1971, pp. 17-33; F. Müller-Heuser, «Vox humana». Ein Beitrag zu Untersuchung der Stimmèisthetik des Mittelalters, Ratisbonne, C. Bosse, 1963 (Kôlner Beitrage zur Musikforschung n° 26); E. Hickmann, «Musica instrumentalis ». Studien zur Klassifikation ... , op. cit., en particulier pp. 69, 87-89. 15 Sénèque, Quaestiones naturales, 29 (cit. par A. Forcellini, article «vox», Lexicon totius latinitatis); Boèce, De interpretatione in librum Aristotelis, PL. 64, col. 394. On retrouve cette même définition de la voix dans les traités grammaticaux du Moyen Age, par exemple dans la Glose de Muridach (Murethach) sur !'Ars maior de Donat, In Donati artem maiorem, éd. L.Holtz, CCCM., t. XL, 1977, p. 3. Pour les définitions élaborées de la phonie, définitions qui tiennent compte des dents, du palais, de la gorge, des poumons etc., Sedulius Scottus, In Donati artem maiorem, éd. B. Lôfstedt, CCCM, XLB, 1977, p. 4, ou encore, Bernon de Reichenau, Prologus in tonarium, PL. 142, col. 1100. 16 Adélard de Bath (Questiones naturales, XXI), Guillaume de Conches (Philosophia, III,24), Vincent de Beauvais (Speculum nat., XXV, 58). Cette théorie est très diffusée chez les auteurs du XIIIe siècle, C. Burnett, «Sound ... », art. cit., pp. 55-57.

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L'image organum antérieurs, en particulier les Etymologies d'Isidore de Séville, révèlent une conception de la voix moins concrète. S'ils insistent sur la percussion de l'air et sur la transmission dans l'espace du son audible, leur centre d'intérêt se situe en amont même de ce mouvement physique: c'est la modulatio qui produit «un mouvement à partir de l'esprit et du corps (ex anima et corpore motum) ». Selon Isidore, cette modulatio vocis concerne les opérations vocales «des tragédiens, comédiens, des chœurs et de tous ceux qui "modulent" des sons avec leur voix (voce propria canunt) 17 ». Pour Michel Huglo et Nancy Phillips, considérant les analyses métriques auxquelles se livre saint Augustin dans son De musica, la modulatio peut désigner, dans les textes médiévaux, la variation des tons de la musique mais aussi se référer à des rapports de durée 18 . De ce mouvement, ajoutent Isidore et les auteurs qui le suivront, «naissent des sons dont la réunion produit la musique (musica) que l'on appelle voix (vox) chez l'homme. 19 » En se référant au double mécanisme de sa production, les lettrés médiévaux insistent sur la potentialité rationnelle de la voix humaine 20 . Les théories acoustiques évoluent assez peu avant l'époque gothique et les traités scientifiques qui se développent à partir de la deuxième moitié du xrre siècle sont rarement novateurs 21 . Les auteurs se contentent souvent de citer Boèce et il faut attendre la traduction des Problemata du Pseudo-Aristote par Bartolomeo da Messina, vers 1250, pour que s'élabore une véritable discussion médiévale sur le phénomène sonore.

17 Sur le sens proposé de canere chez Isidore, U. Mehler, «Dicere » und« Cantare ». Zur musikalischen Terminologie und Aufführungspraxis des mittelalterlichen geistlichen Dramas in Deutschland, Ratisbonne, G. Bosse, 1981 (KOlner Beitrage zur Musikforschung n° 120), pp. 3233. La modulatio s'applique ici à des mécanismes spirituels (ou intellectuels) et physiques générant conjointement un mouvement, lui-même source de sonorité. De la relation qui va subordonner le corps à une dynamique intérieure de l'esprit, on retrouve l'expression dans de nombreuses miniatures du haut Moyen Age. 18 N. Phillips, M. Huglo, «Le De musica de saint Augustin et l'organisation de la durée musicale du IXe au XIIe siècle», Recherches augustiniennes, XX, 1985, pp. 117-131. Comme toute terminologie employée dans le discours sur la musique, modulatio est à employer avec circonspection (Handworterbuch der musikalischen Terminologie, op. cit., art. modulatio). 19 Isidore, Etymologiae, lib. III, XX, PL. 82, col. 164; Raban Maur, PL. 111, col. 496; PseudoOdon, PL. 133, col. 793. Sur la conception isidorienne de la musique, J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classique de l'Espagne wisigothique, 2e éd. revue et corr., Paris, Etudes augustiniennes, 1983, 3 vol., I, pars III, c. V, pp. 413-440. 2 Ce que Fritz Reckow («Organum-Begrif f. .. , art. cit.) montre tout au long de son argumentation sur l'origine du choix du terme organum (se référant, de part son histoire, aux qualités rationelles et mathématiques de la musique) pour désigner la polyphonie du haut Moyen Age. 21 Nous pouvons tout au plus relever quelques remarques originales, peut-être dues à des travaux arabes, comme par exemple cette étude d'Adélard de Bath sur le passage du son à travers les métaux (Adélard de Bath, Questiones naturales 22, éd. L. Baur, Beitrag zur Geschichte der Philosophie, XXXI, p. 26; L. Thomdike, A His tory of Magic and Experimental Science, New York, Columbia University Press, 1923, reéd. 1958, vol. II, p. 31). Sur les sources d'inspiration d'Adélard en matière musicale, C. Bumett, «Adélard, Music and the Quadrivium», Adelard of Bath, an English Scientist and Arabist of the Early Twelfth Century, éd. C. Bumett, 1987 (Warburg Institute Texts and Surveys XIV), pp. 69-86.

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V. LA SENSATION ET LA RAISON DANS L'APPRÉHENSION DU PHÉNOMÈNE SONORE L'audition du son

Dans la sensation telle que la définissent les auteurs antiques et médiévaux, l'être qui perçoit est acteur au même titre que celui (ou ce) qui émet22 . La percussion indivise, ininterrompue de l'air parvient jusqu'à l'oreille qui, d'après Aristote, contient un air immobile, sensible aux variations extérieures23 . L'oreille humaine, au demeurant différente chez chacun, n'est pas capable de percevoir l'intégralité des sons pour des raisons physiologiques. La qualité sensible peut être affectée soit par l'émetteur soit par l'auditeur: un son trop faible ou trop lointain, explique Boèce, est limité par sa propre incapacité à se répercuter indéfiniment dans l'air et à franchir les obstacles pour mettre en branle l'audition24 ; inversement, il est des qualités sensibles, disent Aristote et Macrobe, qui, parce qu'elles sont excessives, peuvent causer la douleur ou la destruction de la sensation25 . On comprend donc que les grammairiens et les théoriciens latins de la musique mentionnent presque systématiquement la qualité sensible du son dans leurs définitions: «Le son est de l'air frappé, sensible à l'audition», dira ainsi Donat, «dans la mesure où elle le perçoit (quantum in ipso est) 26». Si nous nous plaçons sur le strict plan de la sensation, le son n'existe évidemment que parce qu'il est audible. Cependant, dans le De anima, Aristote explique immédiatement après avoir proposé son schéma descriptif de la sensation, que le sensible existe aussi en dehors du sens, comme objet et comme sensible en puissance. Si son propos vise à contredire les affirmations radicales des physiologues

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Comme le dit Aristote (De anima, III, 2, éd. trad. cit., p. 71): «L'acte du sens et l'acte du sensible ne font qu'un, tout en différant par l'essence.» Pour les théories de la sensation que développent Boèce et saint Augustin, cf. infra pp. 42-45. 23 Aristote, De anima, II, 8, éd. trad. cit., p. 52. 24 Boèce, De musica I, c. XIV, éd. Friedlein, p. 200 (PL. 63, col. 1179). Voir aussi les commentaires que font les glossateurs médiévaux de ce passage, Glossa maior in institutionem musicam Boethii, éd. cit., pp. 90-93. 25 Aristote, De anima, III, 2, éd. trad. cit., p. 72. Macrobe, In Somnium Scipionis, II, c. IV, éd. cit., p. 82. Pour Aristote, repris par Jacob de Liège (Speculum musicae, I, 29), l'audition est une proportion que détruit la disproportion, C. Bumett, «Sound ... », art. cit., p. 47. 26 Donat, Ars major, ch. 1, De voce, L. Holtz, Donat, op. cit., p. 603. Cf. aussi Priscien (Institutiones grammaticae, II, 5, 1-2) que cite la glose de Sedulius Scottus, In Priscianum, CCCM. XL.C, éd. B. Lôfstedt, 1977, pp. 64 et 66, et Sedulius Scottus, Cam. in Don. maior, I, éd. cit., p. 4 («Si pour prendre un exemple, je bouge mes mains au-dessus de l'air, que je frappe cet air et que je n'excite ainsi aucun bruit, je n'aurai pas produit de son. Donc, bien que tout son soit de l'air frappé, tout air frappé n'est pas un son. Pour cela, et afin que soit montrée cette propriété du son, est mentionné immédiatement, [dans la définition de Donat, la formule suivante: le son est] sensible à l'ouïe dans la mesure de ce qu'il est[ ... ] c'est-à-dire dans la mesure où il n'est pas dissimulé à l'âme lors de l'audition.») Cette précision est également apportée par Boèce, De musica, I, c. III, éd. Friedlein, p. 189 (PL. 63, col. 1173).

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L'image organum qui prétendent que la qualité sensible n'existe pas en dehors de la sensation27 , il nous met aussi sur la voie d'une autre analyse du phénomène sonore.

Le son en dehors de l'audition (la musique des sphères) Si le son est un objet, il peut également être pressenti par déduction à partir des lois mécaniques qui président à sa naissance. Certes, tout mouvement n'engendre pas la résonance acoustique , mais certains mouvemen ts l'implique nt de façon nécessaire, et c'est bien sur la base de ce raisonnement que Macrobe justifie, à la suite de ses augustes prédécesseurs 28 , l'existence de la musique des sphères: «Ne négligeons pas de dire que si nous n'entendon s pas distinctement par l'audition (non sentimus auditu) la musique qui naît du perpétuel mouvemen t du ciel, c'est parce que ce son est plus grand que celui qui peut être recueilli dans les étroits réceptacles des oreilles humaines 29 ». Et Boèce de s'étonner: «Comment serait-il possible qu'une si véloce machine céleste se meuve en une course muette et silencieuse? Bien que le son ne parvienne pas à nos oreilles, ce qui est nécessaire pour de nombreuses raisons, il est cependant impossible que le mouvement si rapide de corps de cette taille se produise sans le moindre son ... 30 ». L'on ne peut comprendre en quoi consiste cette musique sans se tourner vers la «construction de l'âme du monde» telle que Platon l'expose dans le Timée. Celleci comporte plusieurs phases: le mélange primordial est laminé en une plaque dans laquelle deux bandes sont découpées ; la première (bande du Même), recourbée de façon à donner un cercle, constitue la sphère des étoiles fixes; la deuxième (bande de l 'Autre) est subdivisée en sept sections qui seront à leur tour recourbées et constitueront l'orbite des sept planètes, la Terre restant immobile au centre; la dimension de ces segments est déterminée par les chiffres de la double suite géométrique de raison 2 et 3 dont les moyennes (médiétés harmoniques et arithmétiques) entretiennent entre elles des relations d'intervalles musicaux de quarte, quinte et ton31 . 27

Aristote, De anima, III, 2, éd. trad. cit., p. 71. Cicéron en parle dans le Somnium Scipionis, V, 18, mais aussi dans le De republica 6, 18, 18 et dans le De natura rerum, III, 11 ; nous la trouvons également mentionnée chez Pline, Naturalis historia 2, 22 (20), 84; Plutarque, De musica 1147; Nichomaque, Enchiridion 3; Censorinus, De die natali 12; Ptolémée, Harmonica 3, 10-16, 104-11, cit. par C.M. Bower, Fundamentals of Music, Anicius Manlius Severinus Boethius, intr., trad., notes, New Haven, Londres, Yale Univ. Press, 1989, p. 9, note 35. 29 Macrobe, In Somnium Scipionis II, c. IV, éd. cit., pp. 81-82. Sont connues 13 copies du In Somnium Scipionis datées du IXe siècle, 15 du xe, 36 du xre et 91 du Xne siècle, M. Huglo, «The Study of Ancient Sources of Music Theory in the Medieval Universtities», Music Theory and ifs Sources: Antiquity and the Middle Ages, ss. dir. A. Barbera, et C. Bower, Notre Dame (Indiana), University of Notre Dame Press, 1987 (Notre Dame Conferences in Medieval Studies I), t. I, pp. 150-172, fig. 5. 30 Boèce, De musica I, c. II, éd. Friedlein, pp. 187-188 (PL. 63, col. 1172). Nous retrouvons la même explication et justification de la musique des sphères chez des auteurs ultérieurs (Aurélien de Réomé, Reginon de Prüm, cf. infra.) 31 Les entiers de la suite géométrique de raison 2 sont 1, 2, 4, 16; ceux de raison 3 sont 1, 3, 9, 27, ce qui nous donne la série de nombres suivante: 1, 2, 3, 4, 6, 8, 9, 27. Les relations entre leurs moyennes arithmétique [x =(a+ b) / 2] et harmonique [x = 2a /(a+ b)] sont de l'ordre de 4:3 (quarte), 3:2 (quinte) et 9:8 (ton). Pour plus de détails, voir l'annexe 2 de l'ouvrage de Luc Brisson, op. cit., pp. 284-287. 28

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La sensation et la raison dans l'appréhension du phénomène sonore Les pythagoriciens appliquent le système des intervalles aux corps célestes: la rotation des sphères (les sept planètes et la sphère des étoiles fixes) produit des sons musicaux spécifiés par le rayon de leurs orbites avec l'axe de rotation immobile, la Terre, et c'est en tournant que chacune des planètes fait naître l'un des tons de l'échelle musicale diatonique 32 . Ces révolutions célestes musicales, puisque qu'elles conjuguent dynamique et sonorité seront comparées par beaucoup d'auteurs à une danse cosmique 33 . Les mouvements de l'âme individuelle platonicienne sont conçus selon le même schéma. Bien qu'imparfaite, elle est formée à partir du mélange qui servit à l'élaboration de l'âme du monde, de sorte que ses mouvements obéissent, comme les astres, aux lois mathématiques des révolutions produisant les sons et leurs accords 34 . Elle recèle donc les mêmes proportions et les mêmes mouvements circulaires que les sphères célestes35 . Cette conception du fonctionnement de l'âme individuelle influencera vraisemblablement les classifications des différents types de musique mais aussi la définition augustienne des «proportions» spirituelles sur laquelle nous allons revenir. Le thème de la musique des sphères est un véritable topos dans la littérature chrétienne de l 'Antiquité tardive et du Moyen Age. Certains auteurs s'arrêtent à la simple constatation que les mouvements du ciel sont régis par une harmonie musicale (Cassiodore, Ambroise de Milan, Isidore de Séville, Raban Maur36 ). D'autres, à partir du milieu du IXe siècle, associent de façon rigoureuse les tons de la musique aux différents sons que les mouvements concentriques des corps célestes produisent dans le ciel; l'explication gréco-boécienne des proportions mathématiques de la musique est alors bien connue, et le thème largement favorisé par la diffusion de la traduction et du commentaire que Calcidius a fait du Timée 37 • Entre les IXe et XIIe siècles, nous retrouvons la théorie de la musique des sphères, dans sa forme élaborée, chez Aurélien de Réomé (Musica disciplina), Jean Scot (Commentaire de Martianus Capella et De divisione naturae), Rémi d'Auxerre (Commentaire de Martianus Capella), Reginon de Prüm (De harmonica institutione), Henri d' Augsbourg (De musica), Hugues de SaintVictor (Didascalicon), Johannes Affligemensis (De musica), Odon de Asti (In 32 Ainsi que le rapporte Aristote dans le De Caelo, II, 9, C. Butler, Number Symbolism, Londres, Routledge & Paul, 1970, p. 5. Platon n'est pas concerné par la division de l'échelle musicale et dans le De Republica, il donne une explication mythologique de la musique des sphères. Elle est exposée par Macrobe, In somnium Scipionis, Il, c. IV, éd. cit., pp. 80-81. 33 Platon, Timée, 40c-40d, «Ür, décrire les danses de ces mêmes corps célestes, leurs juxtapositions les unes avec les autres, déterminer les rétrogradations et les progressions de leurs courses circulaires [... ] ce serait peine perdue, si on n'avait pas sous les yeux une représentation mécanique des mouvements considérés.», L. Brisson, op. cit., pp. 132 et 239, note 225. Sur la fortune du thème, voir le beau livre de James Miller, Measures of Wisdom. The Cosmic Danse in Classical and Christian Antiquity, Toronto, University Press, 1986. 34 Platon, Timée, 80 a et b, trad. cit., p. 200. 35 Platon, Timée 43a sq. et 85a., trad. cit., pp. 138 sq., et note 322, p. 246. 36 Ambroise de Milan, Enarrationes in XII ps., PL. 14, col. 922; Isidore, Etymologiae, lib. III, XVII, PL. 82, col. 163-164; Raban Maur, De universo, XVIII, IV, PL. 111, col. 495. 37 Calcidius, Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, éd. J.H. Waszink, 1962 (2e éd. J.H. Waszink, Leiden, 1975). Il nous en reste 71 copies des XIe et xue siècles, M. Huglo, «The Study... »,art. cit., fig. 5.

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L'image organum psalmos expositio), Adélard de Bath (De eodem et diverso), Alexandre Neckam (De naturis rerum) 38 . Contestée par certains auteurs «aristotéliciens»39 , la musique des sphères sera encore prise en compte dans l'œuvre d'un Robert Grosseteste (De artis liberalibus40 ), et servira de toile de fond à la Divina Commedia41 • La raison éclaire la perception auditive

On comprendra de l'exposé précédent que certains «sons» musicaux ne sont accessibles qu'à la raison, dans la mesure où elle les déduit de comportements de la matière qu'elle résume en un système mathématique faisant office de loi universelle. Les réserves sur l'aptitude de l'audition à percevoir uniformément et correctement les sons émis ont, de ce fait, d'importantes conséquences sur la définition boécienne du jugement musical. Ecartant les positions extrêmes d'Aristoxène et de Ptolémée pour se ranger en grande partie à l'avis des pythagoriciens, Boèce estime complémentaires le jugement de l'ouïe et celui de la raison: pour lui, le sens et le calcul recèlent par nature les mêmes paramètres d'analyse42 . Il se rapproche en cela de la conception augustinienne du jugement43 .

38 Aurélien de Réomé, Musica disciplina (840-849), c. IV et surtout c. VIII, , CSM. n° 21, p. 66 et 80; Jean Scot (v. 810 - v. 877), Glosae Martiani, E. Jeauneau, Conférence Albert-leGrand, 1974, Montréal, Institut d'études médiévales Albert-le-Grand, 1978, pp. 101-166 (passage concerné, pp. 119-130); De divisione naturae, I, PL. 122, col. 476; Rémi d'Auxerre (841908), Commentum in Martianus Capella, I, 19, 11-12, Remigii Autissiodorensis commentum in Martianum Capellam, intr. et éd. de C.E. Lutz, Leiden, 1962, pp. 101-102; Reginon de Prüm, De harmonica institutione, PL. 132, col. 487-489; Henri d' Augsbourg (+ 1083), De musica, Musica Heinrici augustensis magistri, éd. J. Smits Van Waesbergue, Buren, K. Knupf(Divitiae musicae artis, A VII), 1977, p. 53; Hugues de Saint-Victor (1096-1141 ), Didascalicon, II, c. XIII, PL. 176, col. 756 (sur «l'école de Chartres» et ses relations avec la cosmologie boécienne, P. Courcelle, La «Consolation de la Philosophie» dans la tradition littéraire. Antécédents et postérité de Boèce, Paris, Etudes augustiniennes , 1967, p. 183); Johannes Affligemensis, De musica (entre 1090 et 1111), c. IV, CSM n° 1, p. 57 (PL. 150, col. 1395); Odon de Asti,/n psalmos expositio, PL. 165, col. 1260; Adélard de Bath, De eodem et diverso (1105-1116), éd. H. Willner, Des Adelard von Bath Traktat «De eodem et diverso», Münster i. West., 1903, p. 10; Alexandre Neckam (1157-1217), De naturis rerum, I, 15, éd. Th. Wright, Rerum Britannicarum Medii Aevi Scriptores, t. XXXIV, Londres, 1863, cit. par L. Thomdike, op. cit., II, p. 203. 39 Comme Roger Bacon ou Jean de Grocheo, par exemple, qui s'inscrivent en faux contre la musique des sphères: celle-ci est une donnée purement intellectuelle que Jacob de Liège qualifiera dans son Speculum musicae (v. 1270) de «metaphorica locutio», M. F. Bukofzer, «Speculative Thinking in Mediaeval Music», Speculum, XVII, 2, 1942, pp. 165-180. 40 Robert Grosseteste, De artibus liberalibus, éd. L. Baur, Die Philosophischen Werke des Robert Grosseteste Bischofs von Lincoln, Münster, 1912 (Beitriige zur Geschichte der Philosophie, Bd. IX), pp. 2-3. 41 K. Meyer-Baer, op. cit., pp. 118 et sq. 42 J. Caldwell, «The Concept of Musical Judgment in Late Antiquity», The second Sense .. ., op. cit., pp. 161-168. 43 Les relations entre les théories de la perception de Boèce et d'Augustin sont encore plus évidentes si l'on lit le passage des Commentaires sur l'Isagoge de Porphyre de Boèce consacré aux quatre pouvoirs de l'âme (CSEL n° 48, pp. 135-169), cf. E. Bubacz, «Boethius and Augustine on Knowledge of the Physical World», Atti del congresso internazionale di Studi Boeziani, Pavie, oct. 1980, Rome, 1981, pp. 287-296.

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La sensation et la raison dans l'appréhension du phénomène sonore

Saint Augustin étudie dans son De musica les rapports entre les syllabes longues et brèves d'un vers d'Ambroise de Milan. Par le biais de cette étude, il s'interroge sur le paradoxe du rapport entre la sensation44 qui est tout entière du côté de la connaissance et de l'esprit, et le sensible qui se trouve, au contraire, du côté du corps: pourtant, l'âme étant supérieure au corps, celui-ci ne saurait agir sur cellelà. La solution qu'il propose et qui exercera une profonde influence sur la pensée occidentale45 , est contenue dans le livre VI de l'ouvrage. Elle met en jeu des nombres qui constituent, pour les lettrés chrétiens, les principes ordonnateurs de la Création46 . La principale étape du raisonnement d'Augustin consiste dans la localisation exacte des « numeri/rhythmi47 » impliqués dans le processus de la sensation. Sont-ils présents «dans le son de celui qui entend», «dans le sens de celui qui écoute», «dans l'acte de celui qui prononce», «également dans notre mémoire»? Ne doit-on pas y adjoindre les «nombres» les plus excellents, ceux du jugement? Chaque catégorie de nombres constitue, en fait, le degré d'une échelle: les «nombres» sonores, entendus et proférés correspondent aux changements physiques de la production, de la propagation et de l'audition du son; les t:u:crrei';· •

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Ill. 21 : Amiens, Bibl. mun., fonds L'Escalopier, ms. 2, :F l 1.5v0 Psautier glosé, Angers, première moitié ou milieu du XI 0 siècle.

Ill. 21* (schéma)

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Ill. 22: Amiens, Bibl. mun., fonds L'Escalopier, ms. 2, f" 11.6 Psautier glosé, Angers, première moitié ou milieu du XIe siècle.

Ill. 22* (schéma)

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Ill. 23 : Cambridge, Univ. Lib. , ms. Ff. 1.23, f' 4v 0 Psautier Glosé, Wichcombe (Gloucestshire), entre 1030 et 1050.

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Ill. 26 : Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 1150, f' 7v 0 Psautier-hymnaire glosé, Saint Germain des Prés, milieu du XI 0 siècle.

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Ill. 27 : Londres, British Library, ms. Landsdowne 383, f' l 5v 0 Psautier de Shaftesbury, Herreford ?, entre 1130 et 1140.

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Ill. 28: Londres, British Library, ms. Cott. Tiberius. C. VI., f" 30v 0 Psautier, Winchester? milieu du xre siècle.

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Ill. 29 : Pommersfelden, SchloBbibliothek, Codex. 334 (2776), f' 148 v 0 Bible latine, St Castor in koblenz, Cologne (?), avant 1077 et début xne siècle.

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Ill. 30 : Coblence, Landeshauptarchiv , Bestand 701Nr.153 , f' 153 Seconde Bible de Coblence, Rhénanie, fin du XIe siècle.

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Ill. 31: Leipzig, Universitiitsbibl., Bibl. Albertina, ms.774, f" 30v0 Psautier, Soignies-en-Hainaut, 2° moitié ou fin du XI 0 siècle.

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Ill. 32: Leipzig, UniversitiitsbibL , Bibl. Albertina, ms. 774, f" 31 r 0 Psautier, Soignies-en-Hainaut, 2e moitié ou fin du XIe siècle.

221

Ill. 33 : Rome, Bibl. Apostolica Vaticana, ms. Pal. 39, f' 44 Bible, Italie?, 2° moitié XI 0 siècle.

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Ill. 34 : Cambridge, Trinity College, ms. B.5.26, f'l Commentaire sur les psaumes (Saint Augustin), Christ Church de Cantorbery, entre 1070 et 1100.

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Ill. 35: Cambridge, Corpus Christi College, ms. 391, f' 24 Psautier, Worcester?, vers 1080.

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Ill. 36 : Rome, Bibl. Vallicelliana, ms. E. 24 c. 27 Psautier d'Andrea , Umbro-roman, fin du XIe ou du début du XIIe siècle.

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