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French Pages [227]
Histoire des idées religieuses et scientifiques dans l’Europe moderne
Bibliothèque de l’école des hautes études
sciences religieuses
Volume
150
Illustration de couverture : Physica, cours dicté en 1707 au Collège romain, p. 52. Le texte retenu est une présentation de la physique cartésienne (collection particulière).
Histoire des idées religieuses et scientifiques dans l’Europe moderne Quarante ans d’enseignement à l’École Pratique des Hautes Études
Jean-Robert Armogathe
H F
La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent cinquante volumes, Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…). Directeur de la collection : Gilbert DAHAN Secrétaire de rédaction : Cécile GUIVARCH Secrétaire d’édition : Anna WAIDE
Comité de rédaction : Denise A IGLE, Mohammad Ali A MIR-MOEZZI, Jean-Robert A RMOGATHE, Hubert BOST, Jean-Daniel DUBOIS, Michael HOUSEMAN, Alain LE BOULLUEC, Marie-Joseph P IERRE, Jean-Noël ROBERT
© 2012 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2012/0095/63
ISBN 978-2-503-54488-5 Printed in the E.U. on acid-free paper
Cliché : Marie Pillard
Liminaire Lorsque, jeune élève de l’École normale supérieure, nous avons suivi les conseils de Jacques Derrida, notre « caïman » de philosophie, et nous nous sommes rendu en Sorbonne, au premier étage de l’Escalier E, pour nous inscrire à l’École pratique des hautes études, nous n’imaginions guère que toute notre carrière universitaire allait s’y dérouler. C’était en novembre 1967. Nous avons parlé ailleurs des maîtres dont nous avons suivi les enseignements aux IVe, Ve et VIe sections de cet établissement. Il s’agit ici de l’enseignement que nous avons donné, sur la proposition de Jean Orcibal, à la section des sciences religieuses, la « Cinquième section », de 1970 à 2010. Notre quarantième (et unième) année d’enseignement est l’occasion de réunir les comptes rendus publiés dans l’Annuaire de cette section des sciences religieuses. Notre enseignement s’est renouvelé chaque année, suivant l’évolution de nos recherches et les intérêts de nos auditeurs. Comme plusieurs de nos maîtres et collègues, nous n’avons pas souvent trouvé le temps de développer ces recherches, car chaque année nous trouvait en train d’explorer le thème de l’année suivante. Quelques livres et de très nombreux articles sont issus de notre enseignement. Comme nous l’écrivions dans l’introduction de La nature du monde : Depuis près de quarante ans, j’ai souvent été le premier à lire ou à relire tel ou tel auteur du xvie ou du xviie siècle tombé dans l’oubli des bibliothèques et des archives. Je leur ai consacré de très nombreux articles, à côté d’autres types d’études, comme celles sur le jansénisme, sur la lexicographie philosophique moderne ou sur Descartes lui-même. Le présent ouvrage a été rédigé parallèlement à ces études érudites, comme à mon enseignement, depuis 1970, à l’École pratique des hautes études : ce sont ces études et mes conférences de l’EPHE qui constituent le continuum de mes recherches 1.
Le présent recueil comprend trois parties : le texte des comptes rendus, la partie scientifique de notre bibliographie, présentée sous forme raisonnée, et un index des matières et des noms. Nous avons inséré dans les comptes rendus entre crochets obliques les renvois aux articles de la bibliographie raisonnée : le chiffre romain renvoie à la partie, suivi de la date de l’item, éventuellement complétée d’une lettre (ainsi renvoie à la seconde
1. J.-R. A rmogathe, La nature du monde. Science nouvelle et exégèse au 2006, p. 14.
xviie siècle,
Paris
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partie, item a de l’année 1978). Les renvois occasionnels à un autre compte rendu sont indiqués par deux années successives ( renvoie au compte rendu de l’année universitaire 1998-1999). Il convient de noter que les dates indiquées sont celles des années universitaires où nous avons donné nos conférences, et non pas la date de publication de l’Annuaire.
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Première partie
Comptes rendus parus dans l’Annuaire de la section des sciences religieuses
Nous reproduisons ci-après les comptes rendus de nos conférences publiés dans l’Annuaire de l’École pratique des hautes études, section des sciences religieuses. Après la soutenance de notre diplôme, dirigé par Jean Orcibal (les commissaires étant Daniel Robert et Richard Stauffer) sur Missions et conversions au diocèse de Mende (1628-1702), nous avons été invité par Jean Orcibal à donner à partir de novembre 1970 une « conférence libre » dans sa direction d’études (Histoire du catholicisme). Élu maître-assistant en 1972, devenu maître de conférences en 1982 dans la même direction d’études (occupée par Jean Orcibal, puis par Jacques Le Brun), nous avons été élu directeur d’études le 17 mai 1991, sur l’intitulé « Histoire des idées religieuses et scientifiques dans l’Europe moderne » (proche de l’intitulé qui fut, à partir de 1932, celui d’Alexandre Koyré, mort en 1964). Il convient de rappeler que de 1975 à 1988, nous avons animé de nombreux séminaires d’histoire et philosophie des sciences au Centre Interdisciplinaire d’Étude de l’Évolution des Idées, des Sciences et des Techniques (actuel Centre d’Alembert), fondé par E.-M. Laperrousaz au Centre d’Orsay de l’Université Paris-Sud XI. Enfin, nous assurons un enseignement annuel régulier depuis 1987 à Lecce (Italie), dans le cadre du Centro interdipartimentale di studi su Descartes e il Seicento (à l’Università del Salento qui nous a conféré en 2011 sa laurea honoris causa), et depuis 2002 à Belo Horizonte, Brésil, auprès de la Fafich, UFMG. Les sujets traités dans ces séminaires de doctorat sont habituellement différents des thèmes de nos conférences parisiennes. Directeurs d’études invités Giulia Belgioioso, Università degli Studi, Lecce Carlo Borghero, Università La Sapienza, Rome Alistair C. Crombie, Trinity College, Oxford Marta Fattori, Università La Sapienza, Rome Tullio Gregory, Università La Sapienza, Rome Jose Raimundo Maia Neto, UFMG, Belo Horizonte Cesare Mozzarelli, Università cattolica, Milan Maria das Gracias S’Nascimento, Université de Lisbonne Theo Verbeek, Université d’Utrecht Paola Vismara, Università degli Studi, Milan Chargés de conférences Frédéric Gabriel, docteur ès-sciences religieuses René-Guy Guérin, docteur ès-sciences religieuses Simon Icard, docteur ès-lettres André Pessel, inspecteur général honoraire de philosophie
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Direction de thèses (doctorat) 1 Olivier de Bernon, « L’épistémologie de Condorcet » (avec Paris-X) Laurent Déchery, « George Berkeley : Un essai pour une nouvelle théorie de la vision. Introduction, traduction et notes » (avec Paris-X) René-Guy Guérin, « L’astrologie au xviie siècle : étude sur la pratique des horoscopes, notamment à travers ceux du Roi-Soleil (1638-1715) » Patrick Sbalchiero, « Commentaires de la règle de saint Benoît dans la France moderne (1570-1790) » Jean-Louis Bischoff, « L’homme et Dieu chez Blaise Pascal » Claudio Buccolini, « Rem totam more geometrico concludas. La recherche d’une preuve mathématique de l’existence de Dieu chez Marin Mersenne » Massimiliano Savini, « Le développement de la méthode cartésienne dans les Provinces Unies (1643-1665) » Giuseppe Buffon, « Les Franciscains en Terre sainte (1869-1889) entre religion et politique. Une recherche institutionnelle » Giuliano Gasparri, « La ricezione della teoria cartesiana delle verità eterne nella seconda metà del XVII secolo » (ct : La Sapienza, Rome) Massimo Leone, « Les mutations du cœur. Histoire et sémiotique du changement spirituel après le concile de Trente (1563-1622) – mots et images » (ct : Fribourg) Doris Campa, « Francesco Fontana e l’ottica moderna » (ct : Lecce) Siegrid Agostini, « Claude Clerselier, editore e traduttore di René Descartes » (ct : Lecce) Agnese Alemanno, « Aspetti della cultura teologica nell’Università di Parigi (1604-1643). I commenti alla Quaestio II della Summa Theologiae di Tommaso d’Aquino (« Utrum Deus sit ») » (ct : Lecce) Mariel Mazzocco, « La relazione a Dio in Jean-Jacques Olier o la via del néant » (ct : Modena) Silvia Berardi, « L’epicureismo nel De Voluptate di Lorenzo Valla : tra retorica e filosofia » (ct : Modena) Francesco Campagnola, « Pluralità e mutazioni della ragione. Teorie dell’analogia nel Settecento inglese ed irlandese » (ct : Lecce) Deborah Miglietta, « La presenza dei Padri della Chiesa nella teologia di Tommaso Campanella » (ct : Lecce) Xavier Paroutaud, « Lumière de Rembrandt, Parole du Christ. Enquête sur l’expression religieuse de l’œuvre de Rembrandt » Thèses en cours Chiara Catalano, « Filosofia e teologia nell’Augustinus di Cornelio Giansenio » (ct : Lecce) Qinghua Liu, « Politique missionnaire française en Chine, xviie et xviii e siècle : le cas de la paroisse de Pe’tang » (ct : Université de Jinan, Guangzhou, RPC) Fang Liu, « La réception française de la culture chinoise (1735-1829) » (ct : Université de Jinan, Guangzhou, RPC)
1. Les premières thèses ont été délivrées « sous double sceau », avant que les statuts de l’EPHE lui permettent de délivrer le grade de docteur. L’abréviation « ct » désigne les thèses dirigées en cotutelle.
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Diplômes de l’École pratique des hautes études Pascal Maurice, « Le baptême d’un Éthiopien, une perspective cartésienne sur la mission » Christophe Rousseau Lefebvre, « Le cardinal Pitra » Somsri Bunarunraksa, « Monseigneur Jean-Baptiste Pallegoix (1805-1862) : imprimeur et écrivain »
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1970-1971 Formes et méthodes de la controverse au xviie siècle (I) 1. Nous avons essayé de répondre, par cette conférence libre, à un vœu d’Alfred Rébelliau 1 : étudier les controverses religieuses du xviie siècle non dans l’histoire de leurs épisodes, mais dans l’analyse des formes qu’elles ont revêtues. Nous ne nous proposions pas d’étudier l’histoire des controverses, mais de décrire des formes et de dégager des méthodes. Les controverses ne sont pas des curiosités historiques : elles sont révélatrices de structures logiques et sociales et méritent à ce titre de retenir toute notre attention. Leur contenu a déjà été étudié, de points de vue différents, par Alfred Rébelliau, Pontien Polman 2 et Remi Snoeks 3. Les travaux de ces prédécesseurs et les études d’Erich Haase 4 et de Mme Élisabeth Labrousse 5 nous ont permis de passer d’une analyse du contenu à une présentation synthétique du genre. 2. Nous avons d’abord présenté notre méthode : à partir d’un dépouillement exhaustif des écrits d’un auteur, il faut dégager des cadres logiques et en établir le catalogue. La lecture de ce catalogue permet de regrouper des schémas en thèmes. Il faut ensuite organiser ces thèmes en fonction du milieu de l’auteur, rechercher ses sources et son sillage. Ainsi comprise, la méthodologie des controverses peut servir de clef aux sciences religieuses modernes, en mettant à jour des chemins de pensée révélée chez des auteurs anciens. 3. Nous avons ensuite introduit un siècle de controverses. Les années 1620-1650 sont la grande période de cet « art », pour les deux confessions. Il faut détruire l’erreur chez les adversaires ; François Véron permet aux catholiques de prendre le pas en contraignant les controversistes réformés à la défensive. Mais on assiste, en 1650-1660, à une crise : il s’agit davantage, alors, d’un débat sur la controverse que d’un débat de controverse. L’échec de la Fronde n’est pas étranger à cela : le pouvoir central s’est ressaisi, argumenter passe pour une faiblesse dont l’autorité retrouvée peut se passer. La controverse va perdre dès lors son aspect polémique pour devenir catéchétique. Elle sera prête à disparaître à la Révocation en devenant simple catéchèse. Les méthodes utilisées ont suivi cette histoire : la méthode « littérale » des années 1620-1650 paraît inadaptée. On cherche de plus en plus l’usage d’autres autorités que la lettre des Écritures : « conséquences » logiques tirées d’abord des Écritures, puis des Conciles et des Pères. Le juge des controverses deviendra le bon sens et la
1. A. R ébelliau (1858-1934), Bossuet, historien du protestantisme. Étude sur l’Histoire des variations et sur la controverse entre les protestants et les catholiques au xviie siècle, Paris 1891. 2. P. Polman, L’élément historique dans la controverse religieuse du xvie siècle, Gembloux 1932. 3. R. Snoeks, L’argument de tradition dans la controverse eucharistique entre catholiques et réformée français au xviie siècle, Louvain 1951. 4. E. Haase, Einführung in die Literatur des Refuge, der Beitrag der französischen Protestanten zur Entwicklung analytischer Denkformen am Ende des 17. Jahrhunderts, Berlin 1959. 5. Élisabeth Labrousse (1914-2000), nombreuses publications sur Pierre Bayle.
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Comptes rendus 1970-1971 lumière naturelle. Port-Royal dominera le renouveau de la controverse (16601687) en développant magistralement la méthode de prescription, faisant appel à l’autorité du jugement de l’Église. 4. La méthode littérale a retenu notre attention cette année, avec François Véron (1577-1649), jésuite, puis curé de Charenton et Charles Drelincourt (1595-1669), pasteur de l’Église réformée de Paris à Charenton. Après avoir rappelé ce que Véron devait au P. Gontery (1562-1616), nous avons dégagé un tableau des cinq méthodes proposées par Véron : N°
Contenu
Utilisation
I
sens littéral « par les termes exprès de l’Écriture »
défensive
II
sens littéral « avec les conséquences tirées des Pères et des Conciles »
probative
III
témoignage des Pères et des Conciles
défensive
IV
témoignage des Pères et des Conciles
probative
V
autorité de l’Église infaillible
défensive & probative
Ce tableau appelle quelques remarques : – les numéros sont ceux adoptés par Véron ; les méthodes III et IV sont distinctes (les arguments sont différents) ; – l’ordre des méthodes est obtenu en s’écartant de la lettre de l’Écriture ; – l’œuvre de Véron présente des exemples des cinq méthodes, mais la première a toujours eu sa préférence. Les controversistes réformés seront appelés à les utiliser tour à tour, avec une habileté croissante. Seule la cinquième leur sera interdite, ce qui explique son usage par Port-Royal.
5. Drelincourt fit l’objet de nos conférences du deuxième semestre. Véron trouva en lui un adversaire de choix. Fils d’un greffier de la Cour de Bouillon, né à Sedan (1595), où il fit ses études, Charles Drelincourt fut aussi, à Saumur, l’élève de Marc Duncan († 1640). Ministre en 1618, il reçut très jeune, en 1620, un office pastoral à Charenton. Face à Véron, qui se vantait de la simplicité de sa Briève méthode, Drelincourt usa de moyens simples et faciles : « Ce qu’il a écrit contre l’Église romaine a fortifié les Protestants plus qu’on ne sauroit dire ; car avec les armes qu’il leur a fournies, ceux mêmes qui n’avoient aucune étude, tenoient tête aux moines et aux curés, et prêtoient hardiment le collet aux missionnaires » 6. 6. Son Abrégé des controverses (1re éd., 1624) est un sommaire des erreurs de l’Église romaine. La croyance romaine est tirée de Bellarmin (1542-1621) (surtout), des textes tridentins, de l’Institution du P. Pierre Coton, s.j. (15641626) et de la Vérité de Pierre Charron (1541-1603). Prises l’une après l’autre, les thèses sont confrontées à l’Écriture dans la version de Louvain (éd. de 1612). Les Réparties succinctes (1638) de Jean-Pierre Camus (1584-1652)
6. P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. 2, Amsterdam, Leyde, La Haye, Utrecht 1760, article « Drelincourt », p. 310.
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Comptes rendus 1970-1971
confirment à la fois l’importance de Bellarmin et le succès de l’Abrégé. Mais la méthode littérale n’est pas probative et gêne Drelincourt : il doit, dès l’édition de 1625, recourir aux conséquences et user d’arguments logiques. Dans le Combat romain (1629), qui ne contient que deux des treize traités annoncés, il avait prévu de montrer que les missionnaires « veulent disputer avec des loix injustes et une méthode ridicule ». 7. On retrouve en substance ce traité manquant dans le cinquième des Dialogues familiers (1648, écrits en 1646) : le Chrétien réformé prouve au Missionnaire qu’il est injuste de le vouloir contraindre à la preuve littérale de sa créance : « Je vous demande mille écus », dit-il au missionnaire, « je soutiens que vous me les devez et que vous êtes obligé à me les payer contant, que dites-vous à cela ? ». La logique juridique de la controverse véronienne est elle-même remise en cause : le Chrétien réformé distingue entre les articles de foi ceux qui ont dans l’Écriture des termes équivalents de ceux qui en sont tirés par conséquences nécessaires et évidentes. Le souci de lutte contre les Sociniens apparaît dans la défense des propositions tirées par conséquence. « La doctrine affirmative et positive est une, simple et invariable… Mais les erreurs et les superstitions […] changent souvent de face. Et c’est la raison pour laquelle les articles qui les condamnent et les rejettent varient nécessairement selon les diverses inventions des hommes » (voir le 4e dialogue, sur la Consubstantialité du Fils au Père). Les Neuf dialogues (1655) prolongent sur le service des Églises les Dialogues familiers. L’Avertissement aux fidèles sur les disputes et le procédé des Missionnaires (1654) doit être situé dans un contexte historique très différent de l’Abrégé des controverses. Le fait nouveau est, avec la Fronde, la diffusion de la littérature de colportage, utilisée avec habileté par Véron pour ses « cahiers ». Drelincourt explique que c’est la raison qui l’a poussé à reprendre la plume, muette sur ces problèmes depuis 1646. L’Avertissement contient plus des conseils de méthode que des preuves et reprend les grandes lignes des Dialogues. 8. Nous avons remis l’examen du Traité des Justes Causes de la Séparation (1640), désirant en grouper l’étude avec nos recherches sur Théophile Brachet de la Milletière (1588-1665) 7. Nous avons terminé l’année avec Véron ou le Hibou des Jésuites opposé à la Corneille de Charenton, attribué par Bayle à Drelincourt : il s’agit en réalité d’un texte du ministre de Charenton Jean Mestrezat (1592-1657). Son intérêt est de témoigner du succès populaire de la méthode véronienne : « Méthode tellement ridicule qu’il n’y a crocheteur ni chambrière qui dedans un quart d’heure ne la puisse sçavoir aussi bien que Véron ». Madame Élisabeth Labrousse, docteur ès-lettres, chargée de conférences à la IVe section des Hautes Études, nous a fait l’honneur de participer activement à nos conférences 8.
7. Voir depuis : R. J. M. van de Schoor, De irenische theologie van Théophile Brachet de la Milletière (1588-1665), Nimègue 1991 (tr. angl. : Leyde 1995). 8. Outre Élisabeth Labrousse (CNRS), les trois autres « auditeurs assidus » de cette première année furent Jean Baubérot (EPHE), Solange Deyon et Dorian Tiffeneau (CNRS).
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1971-1972 Formes et méthodes de la controverse au xviie siècle (II) Nous avons traité cette année, en quinze conférences, de la controverse dite naturelle, à laquelle restent attachés les noms de Richelieu et de son collaborateur du Laurens. 1. Dès son premier ouvrage de controverse, Richelieu se distingue des méthodes contemporaines, littérales ou historiques, déjà illustrées par Gontery. Les principaux points de la foi catholique (dont la première édition, Poitiers 1617, pose des problèmes de bibliographie matérielle), ouvrage rédigé contre les quatre pasteurs de Charenton (Mestrezat, Pierre du Moulin, Samuel Durand et Montigni), a été provoqué par le conflit qui les opposa au jésuite Jean Arnoux (1575-1636). Confesseur du roi depuis mai 1617, celui-ci avait prononcé, devant la Cour, les dimanches 18 et 25 juin de la même année, deux violents sermons accusant les Réformés d’avoir falsifié l’Écriture ; il prenait pour preuves les passages « cotés à la marge » de la Confession de foi de La Rochelle 9. Cette polémique donna lieu à la publication d’une Défense de la Confession de Foi (Charenton, 1617), due en grande partie à Pierre du Moulin et qui est, en fait, le premier état du Bouclier de la Foi (1618, consulter la dernière édition revue, 1635). Cette Défense était précédée d’une grande Lettre au Roi où les ministres réformés rappelaient leur fidélité à la couronne et la justesse des fondements de leur foi et mettaient le roi en garde contre les Jésuites régicides. C’est à cette Lettre que s’est efforcé de répondre Richelieu, évêque de Luçon, alors en disgrâce. Il rejette dès les premières pages les voies de contrainte : Les voies les plus douces sont celles que j’estime les plus convenables pour retirer les âmes de l’erreur : l’expérience nous faisant connaître que souvent aux maladies d’esprit les remèdes violents ne servent qu’à les aigrir davantage.
La raison figure parmi les critères de vérité, au même titre que l’Écriture et les Pères (mais en troisième position : p. 42, 44, 76, 105 ; elle prendra la première place dans le Traité, 1651, p. 135) ; à l’argumentation en forme logique, Richelieu ajoute une réflexion originale, qui connaîtra une grande fortune en controverse, à partir des règles du langage. Son raisonnement nous semble pouvoir être réduit à deux principes : 1) « le terme vrai n’ajoute rien à la chose », verum non addit enti (p. 121). 2) « tout ce qui signifie, signifie à raison des accidents » (p. 130). De ces deux principes résulte une interprétation de l’Écriture très différente de l’interprétation réformée. C’est au sens, et non à la lettre, que se réfère l’exégète (p. 76), puisque « ce ne sont pas les noms qui font les choses » (p. 45) ; la controverse littérale est vidée de son intérêt et le fondement de la foi réformée, dans sa Confession, logiquement contestable ; bien plus, « l’essence
9. J.-R. A rmogathe, « Quelques réflexions sur la Confession de foi », .
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Comptes rendus 1971-1972
des sacrements et sacrifices consiste en signification » (p. 131), ce qui permet une théologie sacramentelle qui néglige l’explication physique de la Transsubstantiation, mais conduit au baptême des enfants. 2. Avant de passer au Traité (posthume) qui contient la méthode pour convertir les hérétiques (1651), nous avons étudié un témoignage peu connu de la tolérance du Cardinal. Il s’agit d’un Discours sur la Valteline, traduit de l’italien et publié par le très officieux Mercure françois 10. En Valteline, après le Veltliner Mord, Saint-Barthélemy rhétique de 1621, le traité de Madrid (25 avril 1621) avait été rompu par Olivarès : devant l’invasion espagnole, la Savoie, Venise et la France avaient apporté leur appui aux bandes protestantes de Jürg Jenatsch. Justifier cette politique anti-catholique en Engadine était d’autant plus difficile que la révolte de Rohan en France (au début de 1625) créait une contradiction entre la politique extérieure et la politique intérieure de Richelieu, qui était entré au Conseil du Roi en avril 1624. L’auteur du Discours – peut-être un collaborateur de Paolo Sarpi (1552-1623) 11 – fait un éloge prudent de la liberté de religion pratiquée par les Grisons : Ils prétendent que, puisque Dieu en créant l’homme lui a laissé son francarbitre, les consciences doivent être libres, les hommes ne pouvant ôter ce que Dieu a naturellement donné à tous les hommes 12.
L’auteur réserve cette liberté aux infidèles et semble admettre la violence pour les apostats 13. Il reste qu’il rappelle que l’Église « prie Dieu pour l’extirpation des hérésies, mais non pas des hérétiques » 14 et il s’étend sur les exactions espagnoles dans les Indes occidentales : « Qu’y a-t-il au monde de plus injuste que la conquête de tous ces pays-là ? » 15 Il est vrai que cette condamnation des entreprises coloniales, comme l’éloge d’Henri IV 16, sont des thèmes de la propagande anti-espagnole. Les besoins de la politique entraînent à des progrès de conscience : c’est ici qu’est citée pour la première fois, semble-t-il, une phrase de Lactance souvent reprise (jusqu’à Bayle) par les avocats de la tolérance : « La piété et la cruauté sont choses bien différentes, et la vérité et la force, la justice et la cruauté ne peuvent jamais être ensemble ». 3. La Méthode de Richelieu est un ouvrage posthume, rédigé en collaboration avec Louis du Laurens et publié, à la demande de Madame d’Aiguillon 17 (privilège du 6 juin 1646) par les soins de Jacques Gaudin, qui prit sa défense contre Antoine Martel, en 1681. Jacques Lescot, évêque de Chartres de
10. Mercure françois, 1625, XI, p. 126-181. 11. Voir nos conférences 1988-1989. 12. Mercure françois, 1625, XI, p. 146. 13. Ibid., p. 155. 14. Ibid., p. 149. 15. Ibid., p. 130. 16. Ibid., p. 137. 17. Marie-Madeleine de Vignerot du Plessis (1604-1675), duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu.
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Comptes rendus 1971-1972
1642 à sa mort (1656), donna son approbation en 1650, comme le firent sept docteurs de Sorbonne, Cornet, Duval, Hallier, Le Maistre, C. Morel, Péreiret et Sainte-Beuve. Dès les premières pages apparaît la ligne méthodique de l’argumentation, faisant remonter son dessein au siège de La Rochelle. Richelieu écrit : « Je pensais durant ce siège à retirer de l’hérésie par la raison ceux que le roi retirait de la rébellion par la force » 18. Les quatre livres du Traité se regroupent par paires : les deux premiers traitent de l’Église, les deux derniers des points fondamentaux et non-fondamentaux (qu’il n’accepte de distinguer que par concession aux Réformés), le quatrième livre est resté inachevé 19. Commencer par la définition des marques de la vraie Église, notae ecclesiae, était le seul début possible dans la controverse naturelle, à mi-chemin entre la méthode scripturaire et l’argument de prescription. Richelieu dit d’ailleurs que sa méthode est plus courte que celles qui ont recours, à titre de démonstration, à l’Écriture ou aux Conciles et aux Pères 20. Il se situe très exactement à l’articulation entre la méthode littérale véronienne et la perpétuité port-royaliste. la lumière naturelle la perpétuité de la foi
les termes exprès de l’Écriture écriture
bon sens 1 2
Richelieu (c. 1645)
Véron (c. 1630)
église
Port-Royal (c. 1660)
par un raisonnement certain et évident (partie