Fous, prodigues et ivrognes: Familles et déviance à Montréal au XIXe siècle 9780773560260

Vivre avec un individu alcoolique, dérangé dans son esprit ou dépensier à l’excès pouvait s’avérer désastreux pour les f

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French Pages 320 [319] Year 2007

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Table of contents :
Table des matières
Remerciements
Introduction. Une expérience historique de la déviance
1 «For years, we have never had a happy home.» Maladies, vices et dérèglements au sein des familles
2 Le substrat social d’une pratique judiciaire, l’interdiction
3 Juges, requêtes et intimés : la régulation judiciaire des tensions familiales
4 Médicalisation et institutionnalisation. Entre discours et «nécessaires» mises à l’écart
Conclusion. Les interactions de la déviance et la transition au capitalisme au Québec
Appendice. Les interdictions du district judiciaire de Montréal
Tableaux
Notes
Bibliographie
Index
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Fous, prodigues et ivrognes: Familles et déviance à Montréal au XIXe siècle
 9780773560260

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fous, prodigues et ivrognes

studies on the history of quebec / études d’histoire du québec John Dickinson Series Editor / Directeur de la collection 1 Habitants and Merchants in Seventeenth-Century Montreal Louise Dechêne 2 Crofters and Habitants Settler Society, Economy, and Culture in a Quebec Township, 1848–1881 J.I. Little 3 The Christie Seigneuries Estate Management and Settlement in the Upper Richelieu Valley, 1760–1859 Francoise Noël 4 La Prairie en NouvelleFrance, 1647–1760 Louis Lavallée 5 The Politics of Codificiation The Lower Canadian Civil Code of 1866 Brian Young 6 Arvida au Saguenay Naissance d’une ville industrielle José E. Igartua 7 State and Society in Transition The Politics of Institutional Reform in the Eastern Townships, 1838–1852 J.I. Little

8 Vingt ans après Habitants et marchands, Lectures de l’histoire des xvii e et xviii e siècles canadiens Habitants et marchands, Twenty Years Later Reading the History of Seventeenth- and Eighteenth-Century Canada Edited by Sylvie Dépatie, Catherine Desbarats, Danielle Gauvreau, Mario Lalancette, Thomas Wien 9 Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840–1900 Guy Gaudreau 10 Carabins ou activistes? L’idéalisme et la radicalisation de la pensée étudiante à l’Université de Montréal au temps du duplessisme Nicole Neatby 11 Families in Transition Industry and Population in Nineteenth-Century Saint-Hyacinthe Peter Gossage

12 The Metamorphoses of Landscape and Community in Early Quebec Colin M. Coates 13 Amassing Power J.B. Duke and the Saguenay River, 1897–1927 David Perera Massell 14 Making Public Pasts The Contested Terrain of Montreal’s Public Memories, 1891–1930 Alan Gordon 15 A Meeting of the People School Boards and Protestant Communities in Quebec, 1801–1998 Roderick MacLeod and Mary Anne Poutanen 16 A History for the Future Rewriting Memory and Identity in Quebec Jocelyn Létourneau

17 C’était du spectacle! L’histoire des artistes transsexuelles à Montréal, 1955–1985 Viviane Namaste 18 The Freedom to Smoke Tobacco Consumption and Identity Jarrett Rudy 19 Vie et mort du couple en Nouvelle-France Québec et Louisbourg au xviii e siècle Josette Brun 20 Fous, prodigues et ivrognes Familles et déviance à Montréal au xix e siècle Thierry Nootens

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Fous, prodigues et ivrognes Familles et déviance à Montréal au XIX e siècle thierry nootens

McGill-Queen’s University Press Montreal & Kingston • London • Ithaca

© McGill-Queen’s University Press 2007 isbn 978-0-7735-3117-8 (relié toile) isbn 978-0-7735-3184-0 (relié papier) Dépôt légal, 1er trimestre 2007 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier sans acide. Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines de concert avec le Programme d’aide à l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, et grâce à la contribution financière de l’Association internationale des études québécoises. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (padié) pour nos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Nootens, Thierry, 1973– Fous, prodigues et ivrognes : familles et déviance à Montréal au XIXe siècle / Thierry Nootens. (Studies on the history of Quebec = Études d’histoire du Québec; 20 ) Comprend des réf. bibliogr. et un index. isbn 978-0-7735-3117-8 (relié toile) isbn 978-0-7735-3184-0 (relié papier) 1. Aliénation mentale – Québec (Province) – Montréal – Histoire – 19e siècle. 2. Famille – Santé mentale – Québec (Province) – Montréal. 3. Santé mentale – Droit – Québec (Province). 4. Internement (Psychiatrie) – Québec (Province) – Montréal – Histoire – 19 e siècle. 5. Famille – Québec (Province) – Montréal – Histoire – 19 e siècle. 6. Montréal (Québec) – Conditions sociales – 19e siècle. I. Titre. II. Collection : Studies on the history of Quebec; 20 rc455.4.f3n66 2007

362.209714′2809034

c2006-905635-8

Ce livre a été composé par Interscript en 10/13 Baskerville.

Table des matières

Remerciements

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Introduction. Une expérience historique de la déviance 1 «For years, we have never had a happy home.» Maladies, vices et dérèglements au sein des familles

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2 Le substrat social d’une pratique judiciaire, l’interdiction 3 Juges, requêtes et intimés : la régulation judiciaire des tensions familiales 103 4 Médicalisation et institutionnalisation. Entre discours et «nécessaires» mises à l’écart 146 Conclusion. Les interactions de la déviance et la transition au capitalisme au Québec 201 Appendice. Les interdictions du district judiciaire de Montréal 217 Tableaux 227 Notes

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Bibliographie Index

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Remerciements

Plusieurs personnes ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à la réalisation de cet ouvrage, fruit d’une thèse de doctorat en cotutelle à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Angers. Sur le plan scientifique, les professeurs Jean-Marie Fecteau (Université du Québec à Montréal), Jacques-Guy Petit (Université d’Angers) et Peter Gossage (Université de Sherbrooke) m’ont offert en tant que directeurs de recherche une supervision attentive et très stimulante. Ma reconnaissance à leur égard est immense. Frédéric Chauvaud, Magda Fahrni et Mariana Valverde, membres du jury lors de ma soutenance, ont prodigué des commentaires avisés qui ont grandement enrichi ce travail. Le suivi administratif du cheminement de ma thèse a été assuré avec une gentillesse et une efficacité hors du commun par Pauline Léveillé, du département d’histoire de l’uqam. Aux Archives nationales du Québec à Montréal, Pierre Beaulieu a répondu avec un professionnalisme extraordinaire et une patience sans bornes à mes incessantes demandes de pièces judiciaires. Je tiens à le remercier sincèrement, de même qu’Aurèle Parisien, qui a accueilli favorablement ce projet de publication et donné maints conseils éclairés lors des premières étapes de sa réalisation. Le travail éditorial a été complété avec rigueur par Jonathan Crago, Joan McGilvray et Christophe Horguelin de McGill-Queen’s University Press. Deux évaluateurs anonymes ont pour leur part contribué à mieux faire ressortir mon positionnement dans les débats intellectuels abordés en ces pages. Mes collègues du Centre d’histoire des régulations sociales (chrs) de l’uqam ont réussi à faire d’un parcours doctoral une expérience forte de plusieurs amitiés. Hors de l’université, Jean-Michel Beaucher,

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Remerciements

Hélène Senneville, Mathieu Ouellette et bien d’autres personnes m’ont fourni les occasions (et les prétextes …) pour décrocher, ainsi que les espaces d’échange, de nature et de liberté tout aussi nécessaires, dans mon cas, à la production scientifique. Plusieurs organismes ont généreusement soutenu cette recherche. Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (crsh) m’a octroyé une bourse doctorale, de même que, durant une année, sa bourse de la Reine. Le diplôme d’études approfondies (dea) qui a jeté les bases de ce travail a bénéficié d’une aide pour stage en France de l’action concertée du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche (fcar, aujourd’hui fqrsc), du ministère de l’Éducation et du ministère des Relations internationales du gouvernement du Québec. Enfin, Associated Medical Services Inc. m’a décerné l’un de ses Hannah General Scholarship. Des portions du chapitre premier ont été publiées dans Thierry Nootens, «“What a Misfortune that Poor Child Should Have Married Such a Being as Joe” : les fils prodigues de la bourgeoisie montréalaise, 1850– 1900», The Canadian Historical Review, vol. 86, no 2 (2005), 225–256. Reproduit avec l’aimable autorisation de University of Toronto Press Incorporated (www.utpjournals.com). Des portions des chapitres 1, 3, 4 et de la conclusion ont été publiées dans Thierry Nootens, «Agency “virtuelle”? “Émotions” des acteurs? Quelques réflexions sur les rapports acteurs/institutions», dans Jean-Marie Fecteau et Janice Harvey (dir.), La régulation sociale entre l’acteur et l’institution. Pour une problématique historique de l’interaction, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005, 178–190. Reproduit avec l’aimable autorisation des Presses de l’Université du Québec.

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Introduction Une expérience historique de la déviance

À l’époque de la transition vers le capitalisme industriel, au dixneuvième siècle, bien des familles ont dû prendre d’importantes décisions à un moment ou l’autre de leur histoire. Émigrer, saisir des occasions professionnelles plus ou moins favorables, trouver un arrangement résidentiel satisfaisant, adapter éventuellement leurs comportements démographiques : ce ne sont là que quelques-uns des domaines où leur capacité à choisir et, de ce fait, à influencer leur futur, fut mise à l’épreuve. Les familles habitant Montréal à cette époque ont dû aussi composer avec un environnement difficile : revenus insuffisants pour plusieurs d’entre elles, crises économiques ralentissant les activités commerciales et industrielles, chômage saisonnier dans certains secteurs, parc immobilier trop restreint et souvent en mauvais état, conditions d’hygiène inadéquates, taux de morbidité et de mortalité élevés, notamment parmi les enfants en bas âge. Évidemment, l’aptitude des familles à répondre à ces problèmes dépendait en bonne partie de leur statut socio-économique. Les classes moyennes et la grande bourgeoisie purent par exemple s’offrir des habitations et des quartiers plus salubres, mieux aérés, à l’écart des zones malsaines et de la pollution des usines. Mais, dans l’ensemble, l’existence en milieu urbain au dix-neuvième siècle était marquée par le risque, par une incertitude répandue et structurelle1. C’est ce qui en fait un milieu particulièrement intéressant pour étudier la question du rapport des familles d’alors au désordre et à l’accident. Rappelons que Montréal est l’épicentre de la transition vers le capitalisme industriel au Bas-Canada/Québec. La ville croît alors de manière très importante : si on y compte environ 10 000 habitants en

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1816, la population s’élève en 1891 à près de 217 000 personnes2. Montréal passe du statut de petite ville commerçante à celui de métropole économique du Canada tout entier, avec à sa tête une puissante bourgeoisie capitaliste, très majoritairement anglophone. Des innovations technologiques et de nouveaux rapports de production déclassent la production de type artisanal dans bien des secteurs et engendrent une classe ouvrière nombreuse, dépendante de salaires et aux conditions de vie difficiles3. La croissance de l’agglomération est due essentiellement à des vagues d’immigration en provenance surtout des îles Britanniques et des campagnes canadiennes-françaises environnantes, migrants qui donnent à la ville un visage particulier aux plans ethnique, linguistique et religieux4. Les migrations des campagnards francophones, notamment, se font majoritairement en famille; des réseaux de parenté se reconstituent en ville5. Dans ce milieu en rapide évolution, des contingents importants d’ouvriers spécialisés ou non qualifiés, des artisans, des boutiquiers de toutes sortes, des commerçants et entrepreneurs capitalistes, des membres de l’élite petite-bourgeoise des professions libérales et des cols blancs tentent tous de se faire une place, de «se créer un avenir6 ». Et cela, bien sûr, à partir d’atouts inégaux. Mais des conflits familiaux plus ou moins graves peuvent survenir; des individus sont jugés embarrassants et gênants en regard du fonctionnement des familles et de leurs attentes. L’état ou la conduite de ces personnes peuvent commander, aux yeux de leurs proches, leur exclusion plus ou moins complète des rapports familiaux habituels. Ainsi, il est une autre catégorie de problèmes auxquels font face certaines familles montréalaises, pauvres ou non, tant démunies qu’«honorables»: c’est la déviance d’un de leurs membres, un individu considéré inapte, irresponsable ou dépravé par son entourage. Ce livre porte sur trois comportements jugés problématiques, soit la folie, la prodigalité (le fait de dilapider de manière déréglée son patrimoine) et l’ivrognerie, tels qu’ils sont vécus à Montréal au dix-neuvième siècle. Ces conduites perturbatrices peuvent avoir un impact très sévère sur les familles, sur les relations et les échanges dont elles sont faites. Elles mettent parfois sérieusement en péril l’économie familiale, les arrangements élaborés à partir de salaires, de biens immobiliers, d’entreprises ou d’héritages plus ou moins substantiels. Par contre, les familles montréalaises participent aussi à la construction de ces dérèglements en tant qu’entités sociales déviantes, en fonction de leurs attentes, de normes traduisant leurs besoins et leurs idéaux. Les familles définissent l’anormalité et y réagissent.

Introduction

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En fait, plusieurs acteurs sociaux participent au vécu et à la prise en charge de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie à Montréal au dix-neuvième siècle. Il y a l’individu regardé comme déviant lui-même, acteur et victime de l’histoire qu’il ne faut pas oublier; sa famille et son réseau de sociabilité (voisins, amis, connaissances); le droit et l’appareil chargé de le mettre en œuvre (cours, magistrats et officiers de justice); les médecins et les aliénistes; et enfin les institutions de toutes sortes (asiles, prisons, institutions charitables) dans lesquelles aboutissent maintes personnes jugées déviantes. Les trajectoires des personnes folles, prodigues ou ivrognes sont ainsi tissées de rencontres réunissant plusieurs protagonistes. Être considéré «anormal» à Montréal au dix-neuvième siècle est une expérience individuelle parsemée d’évaluations, de rencontres et de gestes importants (étiquetage judiciaire et médical, entrée à l’asile, etc.). Dans ces carrières déviantes, la multiplicité et l’hétérogénéité des parties impliquées entraîne une diversité de perspectives et d’actions. Comment la déviance est-elle vécue à Montréal au dix-neuvième siècle et de quelle façon toutes les parties impliquées, des parents et amis jusqu’aux institutions asilaires, participent-elles à la résolution (nécessairement imparfaite) de ce problème? Plus précisément, quels sont les rapports de pouvoir et les interactions à l’œuvre dans la régulation de la déviance? Ce livre est consacré à ces problèmes. Il s’agira donc d’analyser les interfaces où les groupes concernés se rencontrent et interagissent, de disséquer les lieux de contact (zones de conflit, d’échange, de collaboration ou de négociation, c’est selon) qui les mettent en présence les uns des autres. Les historiens ont souvent tendance à penser les choses sur le mode du tout l’un ou tout l’autre, du oui ou non. Aux thèses du contrôle social et de la domination des élites et de l’État a succédé la mise en valeur des stratégies et de l’agency des acteurs souvent silencieux du passé. À mon avis, une étude historique de la déviance ne peut faire l’économie d’une approche globale et surtout d’un examen des rapports entre les différentes parties impliquées. Ce qu’il convient d’étudier d’abord et avant tout, ce sont des espaces de tensions. En termes théoriques, ma démarche interroge les normes et la manière dont elles s’inscrivent dans les rapports sociaux. On peut attribuer à chacun des groupes impliqués un point de vue assez spécifique sur les problèmes rencontrés, des attentes particulières, de même que des idées quant aux solutions à apporter. Ainsi, plusieurs normes de nature différente s’entrecroisent ici7. Les plaintes d’une épouse au sujet

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d’un mari ivrogne, la manière dont une famille organise la pension d’une vieille tante mentalement déficiente, les paroles des aliénistes en tant qu’«experts» et la pratique de l’enfermement trahissent toutes, à des degrés divers, l’existence et le pouvoir de certaines normes. Normes qui sont aussi mouvantes, au gré des circonstances particulières des trajectoires des individus déviants et de l’évolution de la formation sociale bas-canadienne et québécoise au dix-neuvième siècle. Les normes ne sont donc pas simplement des «frontières» et la déviance n’équivaut pas seulement à un écart, à un «en-dehors» déterminé par les attentes d’une époque8. Certes, malades mentaux, prodigues et alcooliques ont fait la preuve de leur inaptitude par rapport aux attentes de leur milieu, en se montrant incapables de gérer leurs biens, trop malades ou trop vicieux (dans le cas des ivrognes et des prodigues) pour assumer leurs responsabilités. Mais normes, déviance et exclusion sont des objets mouvants et, surtout, négociés. S’ils donnent lieu à l’imposition de pouvoirs parfois totalitaires sur les individus, comme à l’occasion d’un internement asilaire ou du retrait de la capacité civile, ce ne sont pas des objets fixes. Normes, déviance et exclusion renvoient aux dynamiques particulières unissant certains individus à des groupes ou des institutions détenteurs de pouvoirs variables. Ces différents groupes ont une capacité plus ou moins grande à mettre en œuvre certaines réactions ou à susciter les réactions d’autres instances concernées. Une famille peut réagir seule, pour un temps, à la présence d’un aliéné en son sein; peut-être fera-t-elle ensuite appel à la justice pour lui retirer sa capacité civile, ou à l’asile pour l’enfermer. L’entourage devra cependant tenir compte des normes, du pouvoir et du fonctionnement de ces deux institutions. Chaque groupe concerné entretient aussi un rapport particulier aux déviances qui posent problème; ses intérêts et son pouvoir sont spécifiques. Assurément, la famille et l’asile ne sont pas des institutions sociales de même nature et de même calibre. Leurs logiques opératoires sont distinctes. Par conséquent, l’historien de la déviance doit s’efforcer de mettre en relief la spécificité de leur participation à la régulation des problèmes sociaux. Il s’agit aussi de voir ce que recouvrent les actions et interactions observées. Que cherche la famille en morigénant un fils dépravé? Que fait ou rend possible le droit civil, en tant qu’outil de régulation des affaires familiales? Que signifie l’application de normes médicales à un problème comme la folie? Que fait l’asile quand il retire de son foyer, pour un temps du moins, le malade mental ou l’ivrogne invétéré? Répondre à ces questions donne du sens aux gestes posés par les acteurs et aux rapports de force observés par l’historien.

Introduction

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Adopter une approche mettant l’accent sur les interfaces des trajectoires déviantes permet aussi d’éviter certaines thèses qui, valables sous bien des angles, ont le défaut d’être totalisantes, c’est-à-dire de confondre une partie du problème avec l’ensemble de son règlement. C’est le cas, par exemple, de l’approche par «stratégies» familiales et de la thèse de la «médicalisation» de la maladie mentale au dixneuvième siècle, deux écoles sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Disons d’emblée que l’étude des rapports qui se nouent entre les différentes instances de régulation (individus déviants, familles, médecine, droit, asiles, etc.) montre les limites et l’inachèvement de l’action de chacune. En ce sens, ce que ne peuvent pas faire la famille, le droit ou les aliénistes m’est apparu comme un objet historique tout à fait fascinant. C’est à ce titre que l’on peut espérer dépasser la dichotomie maintenant usée entre, d’une part, la perspective du contrôle et de la domination exercés par les élites bourgeoises et les experts de toutes sortes appuyés par l’État et, d’autre part, l’approche mettant l’accent sur l’agency, la débrouillardise et les stratégies des acteurs individuels et familiaux. Et ce, au profit d’une meilleure compréhension de la complexité de l’expérience historique de la déviance. Tout ce questionnement interpelle plusieurs secteurs des recherches historiques. L’histoire de la déviance et des problèmes sociaux au premier chef, bien sûr. Être jugé incapable ou scandaleux au dix-neuvième siècle, qu’est-ce que cela représente? Vivre à Montréal à cette époque, c’est occuper une certaine place en vertu de son sexe, de son âge et de sa classe sociale (pour ne nommer que ces éléments); c’est également tenter d’assumer un rôle familial et social accompagné d’exigences parfois strictes. Les circonstances dans lesquelles des personnes refusent apparemment de satisfaire ces exigences ou se montrent impuissantes à le faire, de même que les réactions de leurs proches et de la société, sont des données essentielles de l’expérience de la déviance au dixneuvième siècle. Il est possible de combiner deux grandes perspectives. Pour le courant sociologique de la labeling theory (théorie de l’étiquetage) et certains adeptes des thèses du contrôle, la déviance et son «traitement» relèvent surtout des réactions sociales à certains actes et de l’étiquetage subséquent des individus fautifs par des groupes détenteurs de pouvoir9. Toutefois, les théoriciens de l’étiquetage ont eu tendance à oublier un élément, soit qu’il ait pu réellement y avoir une conduite problématique au départ10. Le fardeau que certains agissements représentent ne peut être ignoré. Le dérangement mental d’une personne a souvent des conséquences fâcheuses, tant au plan humain

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que financier. Des études contemporaines ont clairement démontré l’impact négatif, pour la famille, de l’irruption de la maladie mentale11. La mise à l’asile d’une bourgeoise volage ou les sanctions frappant un jeune homme simple d’esprit qui s’est marié en secret avec une femme pauvre et de moralité douteuse (deux cas que nous rencontrerons dans ce livre) nous font évidemment crier à l’arbitraire des normes du dix-neuvième siècle. En termes symboliques, toutefois, ces situations ont aussi été vécues comme humiliantes et scandaleuses par l’entourage des fautifs. L’impact de la déviance dépend évidemment des normes propres à une époque et non de celles du chercheur. Conséquemment, les thèses de l’étiquetage et du contrôle méritent d’être complétées par un regard plus fonctionnaliste, en tenant compte du caractère concrètement perturbateur et dysfonctionnel de certains états et situations (délire, déficience mentale, consommation excessive d’alcool, etc.), et ce, surtout du point de vue de leurs conséquences relationnelles. Avec Ekland-Olson, on définira alors la déviance comme «a particular kind of relational disturbance – a breach in normative ties», et l’on postulera que «normative disruptions are frequently accompanied by changes in the strength of affective ties and patterns of exchange, resulting in strained or weakened relationships»; la sévérité de la rupture normative sera définie comme «the total amount of relational disturbance created12 ». C’est replacer la déviance, tout simplement, dans le tissu des rapports sociaux qui fut l’univers des individus du passé. Ce livre cherche aussi à contribuer à l’histoire de la famille. La famille est un nœud de relations, elle est faite de liens de proximité, de face à face. Des échanges réciproques (pas égaux, surtout pour le dixneuvième siècle!) qui vont de l’affection aux prestations économiques constituent la famille et permettent son existence, son inscription dans la durée. Son quotidien est fait de rapports de pouvoir et de négociations continuelles. De surcroît, elle représente pour le Montréalais du dix-neuvième siècle une unité de survie et de reproduction sociale très importante. C’est par elle que le fils héritier de milieu bourgeois reçoit un héritage patrimonial et symbolique chargé d’attentes; c’est là que les membres des classes laborieuses, bon gré mal gré, mettent en commun le fruit de leurs efforts. Quelles répercussions ont certains comportements sur les arrangements courants de la famille, sur des fonctions comme la survie quotidienne, le soin des enfants, la gestion du patrimoine et la transmission des biens? L’inaptitude d’un proche dérange les adaptations à la vie dans une cité où la pauvreté, la maladie

Introduction

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et la mort guettent. En réagissant à ce problème supplémentaire, les familles tentent de rétablir les arrangements adoptés pour faire face à un avenir incertain. Évidemment, une lecture trop mécanique du fonctionnement des familles est à proscrire. Leur histoire est faite de possibilités, d’échecs, de contingences. Ces éléments, objets de recherche singuliers qui mêlent attentes, ressources et rapport au temps, doivent être mis en évidence. Les réponses apportées aux troubles mentaux, à la prodigalité et à l’alcoolisme ne sont pas du seul ressort de l’entourage. Des appareils institutionnels, comme les tribunaux et les asiles d’aliénés, de même que des médecins et de nouveaux «experts» aliénistes concourent dans certaines circonstances à la gestion de ces situations épineuses. L’étude des trajectoires déviantes permet ainsi d’aborder d’un point de vue différent l’histoire du droit, de la médecine et de l’institutionnalisation. Le dix-neuvième siècle bas-canadien et québécois se caractérise par un développement important de l’appareil judiciaire et des normes juridiques que signalent par exemple la multiplication des districts judiciaires, la codification des lois civiles et la création de périodiques de jurisprudence. Le corps médical fait des efforts de professionnalisation. Dans la seconde moitié du siècle, l’institutionnalisation devient quant à elle l’un des modes privilégiés de réponse aux problèmes sociaux de toutes sortes. Le recours au système judiciaire, au corps médical ou aux asiles donne lieu à des interactions complexes entre les institutions, les spécialistes, les personnes que l’on cherche à mettre à l’écart et leurs proches. La nature de ces interactions renvoie au problème fascinant des rapports entre l’agir des acteurs individuels ou familiaux et l’action spécifique des institutions au sein de la société. Toutes ces interrogations doivent beaucoup à la présence d’une source judiciaire exceptionnellement riche : les dossiers d’interdiction13. Par la procédure civile de l’interdiction, l’entourage des individus tenus pour inaptes pouvait s’adresser à la justice pour leur retirer la capacité de gérer leurs biens et ensuite en confier l’administration à une tierce personne, appelée curateur ou curatrice. Au Bas-Canada, au début du dix-neuvième siècle, on peut interdire les fous et les prodigues. Par la suite, deux nouvelles catégories d’interdits sont introduites : les «ivrognes d’habitude» en 1870, les utilisateurs de certaines drogues en 189614. Le recours judiciaire de l’interdiction traverse le siècle et les bouleversements de la transition vers le capitalisme industriel sans modification

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majeure, outre l’ajout de nouvelles déviances susceptibles d’en être frappées. Cette persistance pose un problème diachronique fort intéressant : comment une formule ancienne de répression de la déviance s’est-elle si bien arrimée aux transformations du dix-neuvième siècle? En fait, comme nous le verrons, l’interdiction répondait adéquatement aux besoins de familles qui, vivant dans un environnement marqué structurellement par le risque et par l’absence de protection sociale, devaient s’efforcer de préserver biens, revenus et réputation. Les dossiers d’interdiction sont de véritables «sources-carrefour»: ils conviennent bien à l’étude de la confrontation des normes, des attentes, des intérêts et des gestes des différents acteurs de l’expérience de la déviance. La procédure commence par une requête plus ou moins détaillée dans laquelle un proche dénonce en principe les comportements de la personne qui justifieraient le retrait de sa capacité civile15. Des membres de l’entourage témoignent aussi dans de nombreux procès. Des requêtes et témoignages suffisamment étoffés éclairent l’origine des trajectoires des fous, des prodigues et des ivrognes : le conflit ou le problème mettant aux prises un individu et son entourage. Une fois la requête entre les mains de l’appareil judiciaire, le juge ou un officier de justice ordonne la convocation d’un conseil de famille, semblable à celui réuni dans les affaires de tutelle16. Les membres de cette assemblée donnent leur avis sur l’interdiction demandée et sur le choix d’un curateur. Le conseil de famille représente une prise directe de la demande sociale et familiale sur l’appareil judiciaire. Les personnes considérées malades mentales subissent en plus un interrogatoire17. En bout de ligne, le jugement rendu peut revêtir trois formes : le rejet de la requête, un prononcé d’interdiction ou, solution moins drastique que la curatelle, la nomination d’un conseil judiciaire18, sorte de demi-interdiction – les pouvoirs du conseil étant moins étendus que ceux du curateur19. Nombre de dossiers renferment aussi des témoignages médicaux et des certificats asilaires, documents qui trahissent l’implication de la médecine et des institutions d’enfermement dans les trajectoires des Montréalais considérés malades mentaux. Toutes les interdictions ayant frappé, entre 1820 et 1895 inclusivement, des habitants de Montréal pour folie, prodigalité ou ivrognerie20 ont été rassemblées dans un même corpus. L’étude porte sur un total de 511 cas, répartis en 330 cas de folie, 17 cas de prodigalité et 164 cas d’ivrognerie21. Les trajectoires individuelles des Montréalais interdits durant deux sous-périodes, de 1820 à 1850 (44 cas) et de 1893 à 1895

Introduction

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(41 cas), de même que certaines affaires particulièrement riches de la période intermédiaire (1851–1892), ont fait l’objet de reconstitutions détaillées. Ces reconstitutions ont été réalisées à partir des autres procédures judiciaires concernant les individus interdits, que ce soit des actes relatifs à leur capacité civile, à l’administration de leur fortune ou certains procès civils, comme des séparations de corps ou des litiges testamentaires. Chacun des quatre chapitres est consacré à un aspect de l’expérience et de la prise en charge de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie. Le chapitre premier se penche sur les interactions entre l’individu jugé déviant et ses proches, en dehors du recours aux institutions. L’impact de la déviance sur les familles montréalaises du dixneuvième siècle peut être profond, même dévastateur, mais les familles ne restent pas impassibles et réagissent tant bien que mal au dérèglement qui les affecte. Le chapitre 2 aborde les rapports entre les familles désireuses d’interdire un individu et l’appareil judiciaire. La pratique de l’interdiction apparaîtra alors fortement marquée par les situations particulières que vivent les familles; elle est de plus sujette à quelques manipulations de la part des Montréalais, en fonction des contingences et des conflits qui marquent leur existence. Le chapitre 3 examine la réponse de l’appareil judiciaire et la fonction du droit dans la régulation des tensions familiales. Les magistrats ne s’imposent vraiment que lorsqu’un conflit profond n’a pas trouvé de résolution au sein de la famille. Mais le droit, une fois l’interdiction prononcée, n’en joue pas moins un rôle très important, en laissant espérer un rétablissement partiel des familles affectées par la déviance et les antagonismes. Enfin, le chapitre 4 analyse la participation des médecins, des aliénistes et des institutions d’enfermement à la prise en charge de la déviance. La médicalisation de la folie à la fin du dix-neuvième siècle au Québec apparaît beaucoup moins réelle qu’on ne l’a cru jusqu’à maintenant, une fois élucidés les liens entre le corps médical, les familles, le droit et les asiles. La mise à l’écart institutionnelle des indésirables de tout acabit connaît néanmoins un succès certain au même moment, en tant que solution drastique de réclusion de personnes dérangées ou menaçantes sur lesquelles les familles de Montréal ne peuvent pas veiller aisément.

1 «For years, we have never had a happy home.» Maladies, vices et dérèglements au sein des familles Le 23 mai 1872, Athanase M., commerçant de Montréal, est interdit à la demande de sa femme Adeline. Celle-ci allègue dans sa requête que son époux «souffre maintenant et depuis longtemps d’une maladie dite manie aiguë et depuis le huit novembre dernier est interné à l’Asile des Aliénés de Québec». La requête, plutôt mince, ne détaille pas les tensions et les conflits qu’a pu susciter le dérangement d’Athanase au sein de son foyer. En poursuivant la lecture du document, on relève toutefois quelques conséquences de son état pour ses proches. L’économie familiale a certainement été affectée par la condition du chef de famille : outre le fait que le couple a «quatre enfants encore en bas-âge, l’aîné n’ayant que huit ans», Adeline précise que «depuis la maladie de son mari elle a dû souvent avoir recours à la bonne volonté de ses parents pour se procurer les moyens de subsistance nécessaires pour sa famille». Et l’avenir paraît bien sombre, puisque les médecins consultés ont déclaré qu’il était «très peu probable que son dit mari revienne jamais à la santé1». Les tensions et les problèmes vécus par les familles montréalaises représentent le point de départ de la trajectoire des fous, des prodigues et des ivrognes. Les frictions et les situations embarrassantes éprouvées par ces familles précèdent le recours à la justice et aux institutions d’enfermement. À cette étape des carrières de déviance, l’agir des individus considérés inaptes et embarrassants vient contrecarrer les attentes, les exigences et les projets de leur entourage. Aussi, comme les propos d’Adeline le suggèrent, bien des comportements ont un impact, parfois très sévère, sur le fonctionnement des familles, sur les échanges, les relations et les rapports de pouvoir qui les constituent.

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En histoire de la folie, plusieurs études sur les asiles ont examiné la conjoncture familiale précédant la relégation en institution. Richard W. Fox fut probablement le premier chercheur à souligner que les malades mentaux pouvaient représenter un poids considérable pour leur entourage et le voisinage2. D’autres travaux sur les processus d’internement ont également démontré que l’institutionnalisation était imputable à l’épuisement des proches, à des situations de crise, à des conjonctures domestiques pénibles3. L’asile constituait le dernier recours de proches à bout de forces4. Ces aspects ont souvent été négligés par l’approche du contrôle social, qui insiste plutôt sur les pouvoirs exercés à l’encontre du fou. Si ce chapitre examine lui aussi les problèmes concrets posés à l’entourage par la déviance, ce sera toutefois en dehors de la question de l’institutionnalisation. Les forces à l’œuvre dans la phase familiale et communautaire de l’exclusion des aliénés en ressortiront d’autant mieux. L’histoire de l’alcool a quant à elle privilégié l’analyse des mouvements de tempérance, très étudiés dans le monde anglo-américain5. Les difficultés causées aux familles par l’alcool ont été abordées par James L. Sturgis dans un article6, mais ce genre de travail est rare. Sturgis affirme que «too often temperance is studied simply as pressure-group politics, which divorces it from the social and familial misery from which it sprang7». Les dossiers des procès en interdiction d’ivrognes montréalais permettent d’observer quelques visages de cette misère. Enfin, la prodigalité, troisième déviance étudiée ici, serait un champ historique parfaitement vierge, si ce n’était de l’excellent ouvrage d’Anne Gotman, Dilapidation et prodigalité 8. Problèmes fort différents, la maladie mentale, la surconsommation d’alcool et la prodigalité ont cependant en commun de pouvoir mettre en péril la reproduction sociale des familles montréalaises. On pourrait définir la reproduction sociale comme l’ensemble des efforts concrets et des attentes dirigés vers certains buts, nécessairement imprévisibles mais désirés, ces buts étant, du point de vue des familles, leur perpétuation, le maintien de leur statut social et, si possible, l’expérience d’une promotion sociale, notamment au moyen de l’établissement avantageux d’enfants. Ce concept, précisons-le, n’implique pas la reproduction du même. Il s’agit plutôt d’une dynamique, d’un élan, et non seulement de comparaisons ou d’identités plus ou moins parfaites entre générations. Le rapport aux biens et aux revenus est évidemment central dans le processus de reproduction sociale, surtout dans le contexte du

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dix-neuvième siècle, ce qui implique des différences importantes en fonction du statut socio-économique des individus. Chez les classes laborieuses, la reproduction sociale suppose une débrouillardise quotidienne et la mise en commun des contributions de tous les membres de la famille pour suppléer à la faiblesse des salaires9. Chez les familles qui possèdent quelque bien et parmi les classes aisées, la transmission successorale des patrimoines joue un rôle fondamental. Au Québec, la question de la reproduction sociale a presque exclusivement été traitée dans le cadre d’études du milieu paysan, et plus spécifiquement à l’occasion de recherches sur la transmission des terres10. Peu de travaux ont été faits sur le milieu urbain, à l’exception de ceux de Bettina Bradbury sur les classes ouvrières11. De plus, toute cette littérature sur le milieu rural n’a pas considéré les ratés de la reproduction sociale. Il y a bien ces Exclus de la terre, pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif12. Leur exclusion est cependant liée au fonctionnement habituel du système, à ses contraintes structurelles. C’est la problématique des enfants qui ne sont pas munis d’une terre ou d’une propriété13, pour cause de manque de terres ou de pauvreté. Avec les troubles mentaux, la prodigalité et l’alcoolisme, nous avons plutôt affaire à des comportements individuels souvent contingents qui sortent de l’ordre des choses et qui bouleversent les attentes communes des familles et la manière dont elles tentent de maîtriser leur avenir. En ce sens, si Gérard Bouchard, dans son étude de la reproduction sociale des familles du Saguenay et de leurs stratégies foncières, n’a pas pu «montrer la famille en tension et en conflit14», les dossiers d’interdiction montréalais offrent la possibilité de remédier à cette lacune historiographique. Lacune que Geneviève Postolec a commencé à combler avec une étude intéressante sur l’exhérédation et la substitution aux dix-septième et dix-huitième siècles canadiens qui lui a permis de cerner certaines situations conflictuelles, tels les conflits d’alliance et la mauvaise gestion des biens, qui concernent aussi les interdits montréalais15. Les situations de déviance mettent en scène des échecs et des inachèvements de la reproduction sociale. Certains individus, par leurs agissements perturbateurs ou jugés tels, viennent contrecarrer cette dynamique à la fois matérielle et symbolique16. Leur histoire permet de révéler les «dynamiques internes» des familles ainsi que les situations non conventionnelles qu’elles peuvent vivre, deux aspects assez peu étudiés de l’histoire de la famille au Canada17. Les requêtes et les témoignages produits dans le cadre de procédures d’interdiction rendent compte des interactions entre les individus

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jugés embarrassants et leurs proches. Du fait de leur nature judiciaire, ces documents contiennent nécessairement des formules ou des passages relatifs à la loi et aux critères juridiques de définition de l’état d’incapacité. Cependant, au-delà de ces éléments de nature juridique, les requêtes et témoignages offrent clairement des espaces plus libres, plus individualisés. Les désordres et les tensions évoqués renvoient au vécu et aux normes des acteurs familiaux aux prises avec des situations de déviance. L’originalité même de chacune des suppliques et dépositions, bien que celles-ci soient mises en mots par des professionnels du droit, éclaire l’expérience de la déviance à Montréal au dix-neuvième siècle. Bien sûr, ces documents visent à convaincre des magistrats de la validité d’un certain point de vue. Sans doute livrent-ils, à l’occasion, des représentations un peu forcées de la «réalité», ou carrément fausses, dans les quelques cas d’utilisation frauduleuse du recours à la curatelle. Impossible de savoir si tel citadin souffre «réellement» du trouble qu’on lui attribue, à plus forte raison lorsque la folie, l’ivrognerie ou la prodigalité de l’intimé est niée par certaines personnes et que la requête en interdiction se trouve contestée (ce qui est rare). Toutefois, dans bien des cas, l’ensemble du dossier suggère clairement une certaine incapacité de l’intimé ou, pour employer un euphémisme, que «quelque chose ne va pas». Et j’ai choisi d’étudier les conséquences de la déviance, ce qui implique de considérer les perturbations concrètes causées par certains comportements. De toute façon, au-delà de la «vérité» de tel ou tel document, les dossiers pris globalement livrent des discours sur la déviance qui sont récurrents et qui, de ce fait, restituent une certaine vérité sur l’époque et ses attentes. On y trouve des représentations qui, mises en discours, sont socialement valables, vraisemblables pour le dix-neuvième siècle qui s’y exprime18. Une requête faite en 1851 doit avoir du sens pour ses contemporains. Par conséquent, le type de «vérité» offert ici, dans l’ensemble, est de l’ordre de la plausibilité19. Faisons en ce sens le choix d’une certaine ingénuité, le temps d’écouter ce que les Montréalais ont à dire. Dans ce chapitre, nous examinerons en premier lieu ce que les familles montréalaises dénoncent chez les fous, les prodigues et les ivrognes. Comme la déviance n’est pas seulement la transgression d’une ou de plusieurs normes mais aussi un dérèglement relationnel, le lien entre l’impact de certains états ou conduites et le rôle des fautifs au sein de leurs familles sera ensuite abordé. Suivra un examen plus approfondi des ramifications matérielles et symboliques de la déviance, ce qui permettra de mieux comprendre la manière dont les acteurs

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familiaux peuvent être interpellés par l’incapacité et les écarts d’un de leurs proches. Les réactions familiales à la folie, à la prodigalité et à l’ivrognerie compléteront l’analyse de cette première interface de la déviance.

les différents visages de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie Les difficultés rencontrées par les familles montréalaises vont de la perte d’autonomie d’une grand-mère en démence aux inquiétudes que cause un fils héritier ne répondant pas aux lourdes attentes de ses parents bourgeois. Pourtant, malgré la diversité des centaines de situations décrites par mes sources, les cas de folie, de prodigalité et d’ivrognerie présentent des caractères récurrents. Il est possible de cerner les principales «figures» du fou, du prodigue et de l’ivrogne que dessinent les plaintes et récriminations de l’entourage. Celles-ci montrent ce que les Montréalais perçoivent et expérimentent, la plupart du temps difficilement, comme des situations hors normes20. Le thème de la folie recouvre certainement la plus grande diversité de comportements jugés anormaux. Les formes de déviance mentale peuvent néanmoins se résumer à quelques types : l’idiotie ou la déficience intellectuelle, la fureur, la rupture avec la réalité (hallucinations ou retrait du monde) et la sénilité. Assurément, ces catégories ne sont pas parfaitement équivalentes d’un point de vue médical (le retard mental n’est pas un symptôme comme peut l’être une hallucination), mais il n’est pas question ici d’établir un classement nosographique. Il s’agit plutôt de situations problématiques assez bien caractérisées par le discours des acteurs familiaux dans les procès d’interdiction; c’est l’expérience de ces acteurs que je cherche à reconstruire. L’«idiotie», ou déficience mentale, est d’abord marquée par la longue durée, le problème remontant le plus souvent à l’enfance, ce qui implique une prise en charge prolongée de l’individu par son entourage. Honoré G., 54 ans, «depuis son bas âge … a toujours été et est encore aujourd’hui, sinon dans un état complet de démence du moins imbécile21». Charles M., interdit en 1889, «is of weak mind, and imbecile, and has been of such weak mind and imbecile ever since the age of about five years». Charles se trouve d’ailleurs, au moment de la présentation de la requête visant son interdiction, à Barre, dans l’État du Massachusetts, à la Barre School for the Feeble Minded22. La longue durée du dérangement implique souvent que certains apprentissages

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fondamentaux n’ont pu être menés à bien. La communication est parfois difficile, voire impossible. Josephte L., célibataire interdite en 1845 à l’âge de 56 ans, est «idiote de naissance»; un témoin dit «qu’elle ne peut se faire comprendre que difficilement». Son frère affirme qu’elle «auroit toujours été dans un état complet de démence & de folie, qu’elle ne peut articuler aucuns mots qu’avec beaucoup de difficultés23». Mary L., pour sa part, ne peut voir à ses besoins corporels24. Ces diverses incapacités contribuent à rendre la prise en charge de ces personnes particulièrement lourde. On souligne aussi leur vulnérabilité, leur incapacité à se tirer d’affaire. Jean-Baptiste S. «est idiot depuis sa naissance et dans un état complet d’imbécillité, incapable de gérer aucune affaire ni de pourvoir à sa subsistance». Il réside d’ailleurs avec sa mère et le second mari de celle-ci; il n’aurait pas de métier25. Honoré G., mentionné précédemment, n’est pas en mesure de «pourvoir à sa subsistance … n’a jamais fait sa première communion [et] a vécu aux dépens de ses frères et autres parents, en passant quelques semaines ou quelques mois, alternativement, chez l’un ou l’autre26». Dans son cas la longue durée, le manque de capacités (le rite de la première communion servant ici de repère) et la dépendance envers les autres se conjuguent. La déficience est vraiment un fardeau à long terme pour les parents. Pour David Wright, «the idiot family member confronted the natural order of progression of the other siblings and presented the family with the difficulty of a permanent child with its attendant impact on household economy and resource allocation27». Cette vulnérabilité, toutefois, n’est pas l’apanage des personnes déficientes et caractérise d’autres cas de troubles mentaux. Le frère de Robert W., ébéniste interdit en 1864, soutient qu’il a été «overreached by designing [persons]28», alors que Griffith J. «has been an easy prey to certain evil disposed persons who seek to obtain from him money and other effects by undue influence and taking advantage of [his] weak mental state». Une poursuite est en cours pour récupérer les 700 $ que lui auraient soutirés trois individus29. Outre les «idiots» et «imbéciles» qui, le plus souvent, ont toujours parus tels, les désordres mentaux se manifestent parfois sous la forme de crises exacerbées : c’est la fureur, cette violente agitation dénoncée la plupart du temps chez des hommes, du fait de leur plus grande dangerosité. Cette brutalité soudaine semble inexplicable : elle surgit de nulle part, aux yeux de ceux qui en sont les témoins et qui, à l’occasion, en font les frais. William H., inspector of pearl and potash, «is easily

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excited to be furious». Il a attaqué avec une barre de fer un journalier qui devait travailler pour lui et il l’a blessé en lui lançant l’objet. Cet ouvrier affirme «that he offered no kind of provocation whatever to offend the said W. [H.] or to induce him to exercise violence and that it is not to be supposed that any man in his senses would have acted» comme l’intimé30. La folie est invoquée lorsque les emportements font craindre une violence meurtrière. Un laitier a voulu frapper sa femme avec une hache. Un témoin, qui a réussi à s’emparer de l’instrument, dit qu’il n’a «no doubt whatever that this conduct was owing to no other cause than that of the mental derangement of which the said [H.] was then afflicted31». La fureur ou la dangerosité de certains individus recouvre fréquemment des hallucinations ou des ruptures avec la réalité. Un épicier, James S., imagine que des membres de sa famille conspirent contre lui. Il a menacé de tuer son frère qui habite avec lui et congédié sans aucun motif tous les commis que son frère, sa sœur et lui-même employaient dans leur entreprise commune32. Les fous considérés dangereux sont d’ailleurs sujets à l’intervention des pouvoirs publics, par recours à la police, aux juges de paix et à la prison. Bridget M., épouse d’un charretier interdite en 1871, menace la vie de ceux qui l’entourent, dit-on. Elle est envoyée en prison et conduite ensuite à l’asile de Beauport33. Si la violence extrême et inexpliquée constitue un symptôme assez évident de folie pour les Montréalais, les hallucinations et les ruptures avec la réalité constituent certaines des manifestations les plus distinctives et perturbatrices de la folie. L’interaction avec les proches, au cœur du quotidien familial, se dissout. Les échanges, souvent déjà complexes et parfois tendus, cessent de s’appuyer sur les bases communes de l’appréhension du monde. La sœur de Joseph B., médecin, dit que celui-ci «est très souvent dans un état d’agitation extraordinaire … il gesticule d’une manière étrange et désordonnée … il passe ordinairement toutes ses journées à marcher d’un côté à l’autre de sa chambre … il a une foule de manies étranges et folles … il paraît sans cesse préoccupé d’une idée fixe et enfin … après avoir parlé avec bon sens pendant quelques minutes il finit souvent par déraisonner complètement34». Norbert P., hôtelier, père de quatre jeunes enfants, mis sous curatelle en 1886, «ne peut répondre d’une manière sensée à aucune des questions qu’on lui fait … il exprime toutes sortes d’idées bizarres et uniques comme de toujours voir des voleurs

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partout et en toutes circonstances qu’il est l’évêque de Nicolet et autres idées semblables. C’est à peine s’il me reconnaît», se désole son épouse Philomène35. Certains leitmotivs hallucinatoires paraissent dominants, que ce soit à propos de la possession d’une immense fortune36 ou de religion. Edith S. s’est précipitée par la fenêtre de sa chambre d’hôpital (un hôpital privé) du troisième étage. Elle avait déclaré que le jugement dernier était arrivé ce matin-là37. Divagations et fantasmes puisent dans les repères culturels dominants d’une époque qui marie exaltation de la liberté d’entreprendre et très forte religiosité. Ces hallucinations et gestes inexplicables font aussi de la folie une déviance «résiduelle». Il existe des étiquettes reconnues pour les formes courantes de déviance (prostitution, vol, vagabondage, etc.), mais lorsqu’une situation problématique ne répond à rien de connu comme infraction aux normes, elle sera versée au vaste domaine, au fourre-tout de l’aliénation mentale38. Comment interpréter autrement, à première vue, l’agir de George D., notaire âgé d’environ 60 ans? Un dimanche, il a passé plusieurs heures à défaire, sans raison apparente, «le mécanisme des cabinets d’aisance dans le logement qu’il occupe & [il] a menacé avec accès de colère les personnes qui voulaient l’en empêcher39». Ces manifestations de folie posent souvent un défi insurmontable. On peut essayer tant bien que mal de soigner à domicile un travailleur qui s’est blessé au travail. Mais que faire d’un individu qui délire complètement? La famille ne peut que tenter de limiter les dégâts, comme nous le verrons plus loin en examinant les réactions familiales à la déviance. Les vieillards dont la sénilité progresse forment un autre groupe substantiel de personnes dont l’interdiction est requise. Elizabeth T., veuve âgée de plus de 81 ans, «is in her second childhood40». Le vieillissement, la maladie et la perte de certaines aptitudes physiques et intellectuelles se conjuguent fréquemment. Le fils de Charles R. soutient que ce dernier «seroit âgé d’environ soixante-huit ans, que depuis environ dix mois, il seroit atteint de Paralysie, qui le rendroit dans un état de démence continuelle et de faiblesse extrême, ne pouvant marcher seul ni supporter aucune fatigue quelconque, même seroit privé de l’usage de la parole41». Ainsi un membre autrefois productif de la maisonnée s’est-il transformé en acteur dépendant et impotent, difficulté supplémentaire pour les familles qui, faute de proches disponibles ou d’argent pour payer gardiens ou domestiques, ne peuvent que malaisément lui consacrer les soins nécessaires. Cette sénilité,

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comme la vulnérabilité d’autres malades mentaux, fait craindre pour les biens et le patrimoine, appréhension qui est sans l’ombre d’un doute l’un des motifs essentiels du recours à l’interdiction judiciaire. Thomas M., âgé de 85 ans, perd ou dissipe, apparemment, les sommes qu’il retire de la banque42. La description des comportements des aliénés a pour but, dans le cadre des procès d’interdiction, d’établir leur inaptitude à gérer biens et revenus. Avec les prodigues, les requêtes et témoignages s’en prennent directement à la mauvaise gestion par l’individu de son patrimoine. Ces prodigues sont le plus souvent de jeunes bourgeois qui, du fait d’héritages, se sont retrouvés munis de rentes importantes dès leur plus jeune âge. Leur entourage les considère comme des individus improductifs, dilapidateurs et viveurs. Si à la déprédation du patrimoine se greffent parfois d’autres comportements réprouvés (ivrognerie, conduites scandaleuses, etc.), les affaires de prodigalité nous ramènent en fait à un écart incompréhensible pour les proches : il y a un inaccomplissement inexplicable et inconvenant d’une certaine position sociale par l’intimé, alors que sa situation laissait entrevoir un avenir confortable et honorable. Joseph B. est âgé de 23 ans lorsqu’il est interdit en 1851 pour «prodigalité et mauvaise conduite». Sa jeunesse n’a donné que des déceptions à son père et aux membres de son entourage. Pour un témoin, «il a toujours été un enfant dépourvu de tout amour pour le bien … et enclin à tous les vices. Il n’a jamais rien valu à ma connaissance … sa mauvaise conduite lui a valu l’expulsion de toutes les écoles où son père l’a mis. Ses mauvaises dispositions le firent aussi chasser de tous les collèges où il avoit été placé par ses parents», en l’occurrence les collèges de l’Assomption, de Chambly et de Montréal. Lors de sa dernière expulsion, Joseph avait 14 ou 15 ans. Il était déjà fort dépensier, bradant jusqu’à ses vêtements, dit-on, pour obtenir de l’argent. Son père, tant par désespoir que pour se débarrasser de lui, l’a même engagé auprès de marchands faisant du commerce dans les «pays sauvages». Cette dernière initiative n’est pas très heureuse, car deux ans et demi plus tard «il est revenu, mais encore pire qu’auparavant», son penchant pour la bouteille ayant notamment grandi durant son périple. Désormais majeur, il recueille plusieurs héritages, en raison d’une série de décès dans sa famille (son père, sa tante, son grand-père et l’une de ses sœurs), ce qui le met en possession d’une fortune de 2 000 livres, somme non négligeable pour le milieu du dix-neuvième

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siècle. Ses actes de mauvaise administration se multiplient, son ivrognerie se poursuit, jusqu’à un emprisonnement pour vol et le transfert de la gestion de ses biens à un curateur nommé en justice. Plusieurs témoins affirment «que le seul moyen de conserver les débris de sa fortune seroit de le faire interdire, ce qui seroit dans son intérêt43». Ainsi, un jeune homme, pourvu au départ d’avantages certains (éducation, héritages), n’a pas rempli le rôle que ses proches pouvaient espérer lui voir jouer dans ces conditions. Comme le dit bien Anne Gotman, la dilapidation est «marque d’un irrespect appuyé pour l’économie et ses vénérables principes, travail, possession, anticipation, ainsi que pour la reproduction sociale et ses commandements : transmission, succession, promotion44». Augustin P. est lui aussi «en possession de biens et propriétés d’une grande valeur, lui venant de feu Augustin [P.] son père, en son vivant Écuyer, Bourgeois de la cité de Montréal, consistant dans l’usufruit à charge de substitution … de divers immeubles». Rappelons que l’usufruit consiste en la jouissance de biens, et souvent en l’appropriation des revenus qu’ils produisent, sans propriété effective et libre disposition des biens en question, cette propriété étant attribuée ou devant revenir à un ou des tiers45. Augustin a aussi l’usufruit du tiers des propriétés de son frère décédé. Ses avoirs devraient suffire à le soutenir lui et sa famille, «si les dits biens étaient administrés d’une manière sage et prudente, mais … par sa prodigalité, son inconduite, et sa maladministration, le dit Augustin … gaspille ses revenus en dépenses folles et inutiles, s’endette partout pour des sommes considérables et des objets superflus et inutiles et par suite néglige de faire faire les réparations nécessaires» aux immeubles desquels il tire ses revenus. C’est ce que soutient son beau-frère, un négociant46. L’état de rentier successoral offre la liberté de mener une vie oisive, à peu de choses près. Certains fils prodigues en seraient bien conscients. Ernest L., célibataire, est interdit en 1893 pour prodigalité, à l’âge de 23 ans. En principe architecte de profession, muni d’une place d’affaires, il «prétend qu’il est assez riche pour vivre à ne rien faire», d’après sa mère. Le conseiller juridique de cette dernière le décrit comme un personnage désœuvré : «Je pense qu’il est constamment absent de son bureau. Il n’est pas disposé à faire quoi que ce soit. Il m’a déclaré souvent … en différentes occasions, qu’il aimait mieux mener une vie irrégulière pendant cinq ans et de vivre à son goût et à sa manière plutôt que de vivre pendant dix ans comme un homme

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ayant des habitudes régulières.» Ernest, pour sa part, justifie son désœuvrement par un manque de travail. En tout cas, sa réputation n’est pas celle d’un travailleur acharné47. Il y a là, bien sûr, une atteinte flagrante à l’éthique de dur labeur et d’industrie de la bourgeoisie d’affaires. Celle-ci ne regarde pas vraiment d’un bon œil ce groupe d’héritiers menant la belle vie à partir des gains âprement obtenus par leurs pères48. Le statut d’héritier rentier est ambigu. En lui, l’héritage et ses effets sociaux et familiaux entrent en contradiction avec l’individualisme et le libéralisme économique. Ne pas travailler s’oppose aux valeurs et croyances usuelles de la bourgeoisie, qui exige que les individus se «fassent» eux-mêmes. Aussi le travail se trouve-t-il au cœur de l’identité masculine des classes moyennes du dix-neuvième siècle : le travail «fait» autant l’individu qu’il crée le statut de sa famille49, lorsque celle-ci dépend véritablement des efforts de son chef. Mais être à l’abri du besoin, être «indépendant», ne pas travailler de ses mains50 sont certainement pour la bourgeoisie des manifestations d’honorabilité. Ces fils nés dans l’aisance ont pu aussi véhiculer la réussite de leurs ascendants, du point de vue de ces derniers. Entre une réussite qui n’est pas la leur, une honorabilité toute faite et leur improductivité, les fils héritiers rentiers occupent une place quelque peu inconfortable, contradictoire, au sein de l’élite montréalaise. Quant aux ivrognes, ceux qui les côtoient les dépeignent fréquemment comme des gens dont l’inconduite est ancienne, profonde et incorrigible. Le frère d’André D., interdit en 1826, soutient que celui-ci est ivrogne depuis plus de dix ans. Il serait «esclave de cette passion»; il y consacre son argent et a dissipé pour l’assouvir une somme reçue de la succession de son père. Ce qui l’a réduit à un état de «misère déplorable51». Plus avant dans le siècle, Henriette M. raconte que son fils Charles F. «ne recule devant aucun moyen pour se procurer des liqueurs enivrantes52». État chronique, le penchant excessif pour la bouteille va très souvent de pair avec quatre dérèglements : la dilapidation, l’oisiveté, la violence et le scandale. Les plaintes au sujet des dépenses inopportunes reliées à ce «vice» et à cette «passion» abondent. L’épouse d’Isidore B., tailleur de son métier, affirme que ce dernier «s’est livré depuis plusieurs années, à une intempérance extraordinaire en usant de liqueurs fortes et enivrantes, et que pour satisfaire cette malheureuse passion, il dissipe tout l’argent qu’il gagne, et réduit, par cette conduite déréglée, votre suppliante & ses enfans à l’indigence». Des témoins prétendent qu’il se

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tient constamment dans les auberges53. Pour sa part, John M., gentleman, «est adonné à l’intempérance … et prêt à s’engager dans aucune transaction sans égard aux conséquences, il ne fait aucun cas de l’argent et le dépense comme de l’eau et il peut donner tout ce qu’il a54». La consommation excessive et régulière d’alcool entraîne naturellement l’oisiveté. Un jeune homme boit et ne fait rien, «n’ayant aucune profession, art ou métier55». Pierre S. est dénoncé par sa mère. Par son intempérance, «il se met dans l’impossibilité de gagner sa vie … il n’a aucun domicile et se met dans l’impossibilité d’en acquérir un, ou de se conduire en aucune manière quelconque ce qui cause à sa famille du trouble et de l’embarras … que par suite de son ivrognerie le dit [Pierre S.] ne peut pourvoir à son existence et est à la charge de ses parents56.» Sans présumer des raisons qui pourraient expliquer l’excessive consommation d’alcool de certains individus, à n’en pas douter son impact financier peut être sévère pour l’économie familiale. Surtout parmi les couches de la population montréalaise où l’équilibre budgétaire est fragile, ou encore qui arrivent à se maintenir à l’écart de la misère du fait de l’exercice par le chef de famille d’un métier qualifié, par exemple57. On l’aura compris, les conséquences économiques de la déviance ne doivent pas laisser dans l’ombre son impact sur les relations humaines des foyers montréalais. Un usage déréglé de l’alcool se double, souvent, de violences. L’interdiction de Fyfe F., épicier, est demandée par son épouse Adèle. Celle-ci avance dans sa requête que lorsque son mari «est sous l’emprise des liqueurs enivrantes [il] devient violent et se porte sur [elle] la dite requérante à des voies de fait et la menace de mort58». Ivre, Alexander S. a souvent menacé la vie de ses enfants. Un voisin et ami de la famille doit intervenir pour lui arracher des mains un rasoir avec lequel il les menace59. Cette séquelle de l’ivrognerie représente sans conteste un problème grave pour bien des personnes qui partagent l’existence des alcooliques. Marie-Aimée Cliche a d’ailleurs relevé que les procès en séparation de corps voient très souvent la femme se plaindre de la brutalité et de l’ivrognerie de son mari. Ces comportements sont au cœur des conflits conjugaux et du calvaire vécu par bien des femmes à Montréal au dix-neuvième siècle60. Outre la dilapidation des revenus, l’inactivité et l’agressivité, il arrive que les discours tenus sur l’ivrognerie évoquent scandales et déshonneur. Au-delà de ses conséquences financières et personnelles, la déviance affecte aussi la réputation du déviant et de ses proches. Il ne s’agit

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plus, ici, de gestes attribués directement à l’ivrogne, mais bien de la perception de ce dernier par son entourage et par la communauté montréalaise. La honte qui accompagne une déviance fait partie, de plein droit, du problème familial et social que représente cette déviance. Les mentions du caractère scandaleux de l’ivrognerie concernent, à deux exceptions près, exclusivement des femmes61. Peu de choses contreviennent autant aux attentes du dix-neuvième siècle et à la représentation de la femme pure et réservée, l’ange moral du foyer, qu’une femme soûle62. À plus forte raison quand un peu d’indécence se mêle à cette consommation d’alcool. La veuve d’un avocat «s’enivre d’une manière dégradante & demie vêtue parcourt dans cet état les rues de la dite Cité de Montréal … elle est par sa conduite une occasion de scandale pour le public & de honte & de disgrâce pour sa famille.» Elle dissipe aussi ses biens pour satisfaire sa passion, dit-on63. Margaret D. aurait par son ivrognerie ruiné sa réputation. Elle a de plus contrevenu aux exigences de son rôle de mère en mettant en péril «the health and moral of her children and has taught them even at their tender age to use intoxicating liquors and she incurs the danger of making of them also habitual drunkards64». Enfin, Marie M. «cause beaucoup de trouble, & scandales». Elle «laisse à désirer dans sa conduite. Ce serait rendre service à cette femme, à son mari et à ses enfants en la plaçant dans une maison où elle serait à l’abri des dangers du monde et surtout des hôtels65.» Les «dangers du monde» : on évoque ici à la fois la faiblesse de cette femme et le fait que c’est par elle que le scandale peut d’abord survenir… L’embarras qu’occasionne l’ivrogne prend donc une tout autre ampleur si son vice accède à l’espace public. Il faut toujours tenir compte des multiples regards susceptibles de se poser sur les conduites déviantes. Si les ivrognes dilapident leurs ressources, commettent des brutalités ou attirent le déshonneur, quelques-uns d’entre eux apparaissent tout simplement comme des fauteurs de troubles. Dominique M., prêtre et fils d’un juge haut placé, «par suite de son ivrognerie … occasionne toutes espèces de troubles et de chagrins à sa famille et met continuellement ses parents sur le qui-vive à propos des accidents qui pourraient lui arriver et les empêche ainsi de vaquer à leurs propres occupations66».

d év i a nc e s et r ô le s fa m i l i au x On le voit, le poids de la cohabitation avec certaines personnes peut être assez important. Cependant, nous ne devons pas nous borner à

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identifier des problèmes ou à dresser la liste de ce que la société montréalaise range du côté de l’anormal. La déviance recouvre des conjonctures particulières et des perturbations de rôles sociaux et familiaux67. Elle agit, se vit aussi comme un dérèglement, un déséquilibre des relations de proximité qui enserrent l’individu. Et ces mêmes relations ne sont ni égales ni indéfinies et dépendent du rôle de chacun au sein de la famille. Dès lors, l’examen des réactions familiales à la déviance ne saurait suivre directement le repérage des problèmes rencontrés. Un détour par les bouleversements relationnels est nécessaire. La situation des femmes dont les époux s’avèrent incapables de remplir leur rôle illustre parfaitement bien ce dérèglement des échanges et des prestations qui font la famille. Il s’agit certainement de l’une des situations domestiques les plus pénibles connues par les Montréalaises du dix-neuvième siècle. De nombreuses femmes s’évertuent à compenser ce dérèglement de la répartition des fonctions économiques et de la structure patriarcale des ménages. Cette conjoncture difficile, énoncée de la sorte, peut affecter tous les milieux. Les trajectoires de fils prodigues traduisent bien, de leur côté, les problèmes de rôle en milieu bourgeois. Le vécu des femmes dont le mari ne remplit pas ses obligations de pourvoyeur et de chef juridique du ménage est marqué, bien sûr, par un manque à gagner durable; des épouses se retrouvent aussi avec la tâche de pourvoyeuses de revenus. Bettina Bradbury a déjà mis en évidence les importantes difficultés rencontrées par les femmes mariées des classes laborieuses à la suite de la perte d’un conjoint, de même que les «stratégies» de survie adoptées en conséquence68. Même du vivant de l’époux, des troubles et des incapacités plus ou moins lourdes représentent un handicap considérable pour la reproduction économique des familles montréalaises, pauvres ou riches, bien que les riches ne soient pas directement menacés par la faim, il va sans dire. David M., bijoutier, souffre de folie depuis longtemps, selon son épouse Philomène. Avec l’aide de parents de son mari, elle le place à l’asile d’aliénés de Brattleboro, au Vermont. Après un séjour de plusieurs mois, il y est déclaré incurable. Philomène, incapable de défrayer plus longtemps les coûts de son institutionnalisation, le ramène à Montréal. Or, le couple a cinq enfants âgés de 15 mois à 14 ans. La requérante dit ne pas avoir les ressources nécessaires pour les faire vivre, «unless put in a position to carry on the business of her husband either personally or through another as conseil or curator». Son mari peut être une proie facile pour des gens malhonnêtes,

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et des médecins ont recommandé qu’il soit «put under restraint». Philomène est nommée curatrice, ce qui fait d’elle l’administratrice des biens de son mari69. Si on ajoute à un dossier d’interdiction les autres apparitions de l’incapable et de son curateur devant la justice (par exemple, pour obtenir l’autorisation de vendre certains de ses biens70), la déconfiture financière progressive qui suit très souvent l’incapacité du mari finit par faire surface. En 1824, Luc D. et Marie Adélaïde L. se marient. À partir de cette union, ou peu de temps après, Luc se serait mis à boire. Vers 1833 il ne contribue plus au soutien de sa famille. En 1835, à la veille de recevoir un héritage, il est frappé par une interdiction. Il a alors 34 ans et se trouve à la tête d’une jeune famille : son épouse doit même accoucher bientôt. Il boit, ne travaille pas et ne voit pas aux nécessités du ménage, lui reproche-t-on. Le requérant en interdiction, son frère, dit que «d’après l’expérience du passé Votre Suppliant est convaincu que cette passion est tellement enracinée chez le dit Luc [D.] qu’il lui seroit difficile pour ne pas dire presque impossible de s’en corriger». Après le décès du premier curateur, Marie Adélaïde est nommée curatrice, en 1838. On mentionne alors que «les raisons pour lesquelles le dit [D.] a été interdit, continuent encore». En 1839, une autorisation de vendre demandée par l’épousecuratrice montre que la situation économique de la famille est plus que mauvaise. Marie Adélaïde plaide à cette occasion «qu’ils ont plusieurs enfants, que le dit Luc [D.] ne peut subvenir aux besoins de sa famille, qu’il doit quatre-vingt-huit livres, cours actuel, argent emprunté, que ses créanciers le pressent & ses petits revenus [sont] insufisans pour vivre». Une somme intéressante a été offerte pour sa propriété du faubourg Saint-Laurent et elle souhaite pouvoir la vendre. Cette fragilité financière ne se démentira pas par la suite. Trois mois plus tard, en juillet 1839, Marie Adélaïde demande l’autorisation de retirer une somme de 100 livres (de celui qui a acheté la propriété de l’acte précédent, le propre frère de l’interdit) pour faire les réparations nécessaires à la maison qu’elle occupe, maison dont la jouissance lui a été donnée par la tante de l’interdit. Ce «prêt» d’une maison traduirait l’aide apportée par l’entourage de ce ménage en difficulté : la suppliante l’habite depuis mai 1838, moment où l’incapacité de l’interdit à s’occuper de sa famille a été consacrée par la justice. La requérante affirme aussi «qu’elle est endettée envers diverses personnes; qu’elle & ses enfants ont besoin de hardes, provisions, bois & autres choses nécessaires».

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Septembre 1840 : Marie Adélaïde présente une autre requête pour toucher 100 livres. Après avoir affirmé que «son mari a été malade pendant plusieurs mois & [qu’] il vit dans l’inaction», elle répète «qu’elle est endettée envers diverses personnes; qu’elle et ses enfants ont besoin de hardes, provisions, bois, et autres choses nécessaires». Enfin, dans un acte bien plus tardif (1853), elle rappelle que depuis 1833 (donc depuis 20 ans!), Luc D. n’a pas soutenu sa famille, «mais que c’est la suppliante seule qui a été dans la nécessité de pourvoir aux besoins de la famille. Que du mariage de la suppliante avec son dit Époux sont issus plusieurs enfans, dont quatre sont encore incapables de pourvoir à leur subsistance, & que la suppliante malgré son industrie ne peut réussir à élever sa dite famille dans les circonstances où elle est placée aujourd’hui.» Elle s’est endettée pour répondre aux besoins de ses enfants et de son époux alcoolique. Or, il ne reste maintenant qu’un bien à Luc D., la moitié indivise d’un lot, portion dont la valeur s’élève à 225 livres. Cette moitié ne rapporte rien, car il n’y a pas d’immeuble à cet endroit. Marie Adélaïde doit 300 livres «pour dépens qu’elle a été obligée de faire pour soutenir sa famille & faire l’éducation de ses enfans [et] elle n’a aucun moyen de liquider cette dette qui est une dette de sa communauté avec son dit époux». Elle requiert donc la vente de cette moitié de terrain71. Du fait de l’ivrognerie et de l’inactivité du mari, la division sexuelle des tâches et la structure patriarcale de la famille ont été tenues en échec. Il faut se départir des quelques immeubles possédés, et le sens pratique de l’épouse est mis à rude épreuve. Voilà donc deux jeunes familles, celles de David M. et de Luc D., fort affectées par l’irruption de la maladie mentale ou par la fréquentation trop assidue des débits de boisson. Les effets sont importants : absence pour un séjour asilaire, manque de moyens vu l’arrêt des activités économiques ou le détournement des revenus vers l’alcool, jeunes enfants que l’on parvient difficilement à entretenir et éduquer, épouse qui doit prendre la tête du ménage tout en composant avec l’incapacité légale qui l’affecte. Ces femmes doivent confronter une conjonction de problèmes, et ce, des années durant. Dans les deux exemples retenus, l’incapacité de Philomène et de Marie Adélaïde est en partie compensée par leur nomination comme curatrices. Reste que ce nouveau statut juridique ne leur procure aucune ressource supplémentaire pour soulager les besoins de la famille. La femme mariée doit donc mettre à contribution sa propre industrie et les ressources humaines (son réseau de parents et d’amis)

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et matérielles qui lui sont accessibles. Malgré le bouleversement des rôles causé par la condition du mari, la brèche ouverte dans la reproduction sociale doit être colmatée autant que possible. L’action des femmes dans la gestion des situations de déviance est absolument centrale. Quelques histoires de cette «compensation» en témoignent éloquemment. En mars 1836, Michel D., maître tonnelier marié à Julie M., perd sa capacité civile en raison d’attaques de folie. Le curateur nommé, François T., ne fait pas partie de la famille. Peu de temps après l’interdiction, ce curateur présente une requête pour être autorisé à faire un emprunt, afin d’effectuer des réparations aux maisons du couple et de rembourser les dettes de la communauté. L’état de folie de Michel n’a probablement pas favorisé l’entretien de ces immeubles. Le curateur désire également être autorisé à se servir des loyers des dites maisons pour subvenir aux besoins de l’interdit et de sa famille. Mais en 1837, Julie demande la destitution du curateur devant la Cour du banc du Roi. Elle dit qu’au moment de l’interdiction, son époux avait des immeubles dont les loyers «pouvoient mettre à même le dit Michel [D.], votre suppliante et ses enfans du nombre de neuf de vivre et subsister dans une honnête aisance». Or, manque de chance pour une famille dont le père est fou furieux, deux maisons ont brûlé en octobre 1836, «lesquelles n’étoient point assurées à aucune assurance contre le feu par la négligence et faute grave du dit François [T.] curateur … qui en sa dite qualité dans l’intérêt du dit Interdit et de sa famille étoit tenu et obligé de le faire». De toute évidence, ces maisons représentaient les principales ressources de Michel D., car après cet incendie ses revenus ont connu une baisse dramatique. Cette faute du curateur aurait même presque réduit la famille à la «mendicité». Michel est de surcroît endetté et le curateur réclame des frais de gestion importants. Enfin, au même moment, l’interdit se trouve dans la «maison des Insensés à Québec72» : Julie ne peut donc en aucun cas compter sur lui. L’un des membres du conseil de famille réuni à l’occasion de cette demande de destitution propose de confier la curatelle à Julie parce qu’elle est très «ménagère». A-t-elle vraiment le choix? Mais sa compétence semble reconnue, et elle obtient cette charge. Peu après, elle dépose une requête pour être autorisée à vendre des immeubles. Comme on le sait, l’interdit est endetté, et elle désire obtenir des fonds pour rebâtir l’une des maisons incendiées, celle qui représentait la principale source de revenus du ménage, du fait de «sa situation

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avantageuse, à l’entrée du faubourg St Laurent». Elle souhaite, pour amasser l’argent nécessaire, vendre trois propriétés de son mari. On l’y autorise. Or, un peu moins de cinq mois plus tard (en août 1837), elle requiert une nouvelle autorisation de vendre. Des trois emplacements sur quatre qu’elle a été autorisée à vendre par l’acte précédent, elle n’a réussi à en vendre qu’un seul, pour 156 livres, dont 75 livres comptant qui furent «employées par la dite Suppliante a payer quelques petites dettes et à se pourvoir des objets de ménage nécessaires pour la mettre en état de tenir maison de pension, seul moyen qui lui reste maintenant pour soutenir sa famille». À la folie et à l’incendie s’est donc ajouté l’insuccès de la vente d’immeubles. Julie se tourne donc vers l’une des quelques solutions praticables pour les femmes du dix-neuvième siècle à court de ressources : l’entretien de pensionnaires73. Le couple est alors encore endetté de 270 livres «par les petites dettes qu’il a fallu contracter à votre suppliante pour soutenir sa famille, vu le peu d’encouragement qu’elle a rencontré avec sa maison de pension». La tactique adoptée ne porte pas toujours ses fruits! Julie veut vendre cette fois-ci un emplacement qu’elle avait choisi de garder au départ, pour faire face aux dettes et à des dépenses de construction. La vente de l’immeuble est autorisée. Le 16 avril 1839, Michel D. est relevé de son interdiction à la demande de sa femme. Il a «recouvré sa santé et est capable de faire des affaires comme il les faisoit avant son interdiction». Seulement, il décède peu de temps après, le 22 octobre de la même année. Julie se retrouve donc seule avec sept enfants mineurs sur les bras âgés de 5 à 18 ans (trois enfants majeurs du couple sont absents de la province depuis longtemps) et auxquels elle sera nommée tutrice. Il ne reste alors à la communauté qu’un seul immeuble qu’elle et le subrogé-tuteur seront autorisés à vendre pour régler des dettes pressantes. Ainsi la situation financière guère reluisante de ce ménage a perduré malgré tous les efforts de Julie, elle qui a contesté la gestion du premier curateur, géré les biens du couple et tenté de créer une nouvelle source de revenus en tenant une pension74. Ce n’est pas tout : l’épouse qui s’évertue à trouver une solution à de graves problèmes financiers est parfois en butte à des comportements qui contrecarrent ses efforts. Le déviant, il faut le souligner, reste le plus souvent dans le paysage75. Joseph P., marchand, est marié en communauté de biens et a six enfants. Selon son épouse Éloïse, il a ruiné son commerce par des transactions malheureuses et sa manie «d’acheter des chevaux à tout prix». Venue à Montréal pour tenir une pension et

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de ce fait assurer le nécessaire à sa famille, elle soutient que son mari a recommencé à accumuler les transactions malheureuses, exposant du coup le peu de bien qu’il leur reste à se voir saisi à tout moment. Éloïse est nommée curatrice76. Dans ce cas-ci, la déviance du mari a pesé doublement, d’abord en handicapant probablement sur une longue période la santé financière du couple, et par la suite en compliquant singulièrement les initiatives d’Éloïse. La mise sous curatelle permet néanmoins de faire disparaître quelques embûches et d’ajouter au savoir-faire de l’épouse une certaine capacité juridique77. Bien que les sources ne soient pas explicites à ce sujet, plusieurs épouses se chargent probablement, de manière informelle, des affaires du ménage en cas d’incapacité du mari. Mais la chose est impraticable s’il y a, par exemple, une transaction importante à conclure. Que l’épouse soit nommée curatrice et prenne les commandes des affaires de son mari et de la communauté (s’il y en a une) crée sans contredit une situation inhabituelle pour le dix-neuvième siècle. C’est renverser tout simplement l’édifice sociojuridique de l’institution conjugale. En droit civil, la femme mariée figure en principe (à des degrés divers) parmi les incapables, groupe dans lequel on retrouve les mineurs et… les interdits. Le système judiciaire et l’entourage (qui joue un rôle important dans le choix du curateur par le biais du conseil de famille réuni lors de l’interdiction) reconnaissent probablement, et de manière pragmatique, la situation difficile de ces femmes et leur compétence à prendre en main, en ces circonstances exceptionnelles, la gestion du ménage78. Mais, comme on l’a dit, cela ne conduit pas nécessairement à un redressement de la situation : un affranchissement juridique n’équivaut pas à un affranchissement de la nécessité. De fait, à l’instar des deux trajectoires précédentes, la condition économique difficile et «descendante» des femmes paraît commune dans les affaires d’interdiction d’un époux. L’incapacité du mari frappe durement les ménages montréalais. Avec les fils prodigues de familles bourgeoises, le dérèglement de la reproduction sociale et des rôles familiaux se présente sous un autre jour. Ces jeunes hommes dérogent à ce que l’on attend d’un héritier; ils ne peuvent assurer de manière acceptable, par leur impéritie, la reconduction du statut social et de l’honorabilité de leurs ascendants. Si, comme on l’a vu précédemment, il y a un écart, un gouffre même, entre les possibilités qui s’offraient aux prodigues et la suite des événements, cet inaccomplissement survient à un moment spécifique et délicat du cycle familial des populations d’autrefois : l’établissement

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du jeune adulte de sexe masculin. Encore une fois, la déviance n’est pas le simple fait d’aller au-delà de certaines normes prétendument définies par des élites et des discours; elle possède notamment des liens intimes avec certaines temporalités, comme l’expérience difficile des Montréalaises l’a déjà montré. L’établissement du jeune homme, en tant que transition, comporte au moins quatre aspects. Ce passage correspond aux années où il devient majeur, il acquiert un état (par l’exercice d’une profession ou une participation aux entreprises familiales), il entre en possession d’héritages et il conclut un mariage. Assumer de manière raisonnable cette capacité juridique, montrer sa compétence ou du moins son assiduité dans une occupation quelconque, soutenir correctement épouse et nouveau foyer sont des éléments clés de la masculinité adulte des classes moyennes et bourgeoises du dix-neuvième siècle79. La masculinité n’est pas seulement une question d’«identités», de «valeurs» que donnent à lire des discours. C’est aussi, sinon davantage, une inscription sociale particulière, qui se traduit par le franchissement de seuils, par certains positionnements de l’individu80. Évidemment, il n’agit pas d’un moule : la transition peut s’effectuer de diverses façons et selon des rythmes variés. Mais les «carrières» des prodigues présentent des intrigues récurrentes : elles montrent des établissements bourgeois ratés, et révèlent que dans certains cas la transition ne se fait pas ou tourne carrément au vinaigre. Au-delà d’une gestion périlleuse compromettant un avenir en principe assuré, c’est bien l’échec de l’établissement qui unit ces mauvais garçons de la bourgeoisie montréalaise. Ernest L., notre jeune architecte désœuvré, fait l’expérience de ce genre d’échec à la toute fin du dix-neuvième siècle. Un père décédé, qui s’était probablement enrichi dans la spéculation immobilière urbaine, lui laisse ainsi qu’à ses cinq sœurs une fortune avoisinant les 200 000 $. Ernest mécontente son entourage à plus d’un titre. Il travaille peu; il a une concubine, au grand scandale de ses proches; il dort à l’hôtel alors que la maison paternelle lui est ouverte; il n’a pas d’«habitudes régulières»; il boit un peu; il contrefait des billets et accumule des dettes. Ce qui, faut-il le mentionner, ne correspond pas au portrait idéal d’un fils loyal, besogneux et empreint de moralité. Structurellement, la position d’Ernest sur l’échiquier familial est marquée par une espèce de blocage et de défaut d’insertion sociale. Sa mère a l’usufruit de la fortune paternelle, elle en a donc la jouissance, à charge de la transmettre ensuite à ses enfants. De ce fait, Ernest ne disposera peut-être pas de sa part avant un bon moment; il y a décalage

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entre sa capacité civile et son contrôle effectif d’une part d’héritage81. Il avoue même avoir envisagé de vendre sa part successorale à l’avance, pour obtenir des liquidités, ce qui pourrait faire figure, à la rigueur, de sacrilège. L’héritage dont on peut peser la valeur et tracer matériellement les contours est aussi fortement chargé symboliquement – dans ce cas-ci, du labeur de toute une vie d’un père décédé. Le mauvais fils contrevient donc à des attitudes, mais aussi à la marche temporelle et à l’inscription diachronique des familles. Il peut gâcher rapidement la patiente construction patrimoniale de ses ascendants82. Deux manières d’être et deux temporalités s’affrontent dans l’agir du prodigue. Ernest L. se présente comme un héritier aisé mais momentanément sans le sou. Il tente d’ailleurs de justifier ses dettes en affirmant que son père l’avait habitué à un riche train de vie. Sa mère a bien tenté de le «lancer», de lui donner des responsabilités en le chargeant de la collecte des loyers et en lui obtenant un poste dans une société. Mais ces responsabilités ont dû lui être retirées, vu son incompétence. À la suite du procès en interdiction qui lui est fait, sa mère obtient le rôle de curatrice, reprenant par là le contrôle de son fils majeur83. Désœuvré, bénéficiaire d’un héritage temporairement inaccessible, concubin plutôt qu’époux… L’établissement d’Ernest, ses débuts dans la vie comme homme juridiquement et économiquement autonome, s’apparentent à un échec quasi parfait. Michelle Perrot a déjà identifié comme l’une des grandes figures des drames familiaux du dixneuvième siècle les situations où l’enfant ne répond pas à l’investissement souvent intense dont il fait l’objet, aux lourdes projections dont il est le vecteur84. D’ailleurs, les similitudes entre les itinéraires des fils prodigues montréalais de la fin du dix-neuvième siècle et certaines disputes familiales de la France d’Ancien Régime sont parfois frappantes. Maurice Daumas85, Arlette Farge et Michel Foucault86, par exemple, ont montré que l’établissement des jeunes adultes mâles constituait alors le pivot de nombreuses querelles familiales exacerbées. Il faudra expliquer la persistance, en plein siècle de la transition vers le capitalisme industriel, de semblables conjonctures familiales conflictuelles.

l es r a m ific at io n s maté ri el le s et symboliques de la déviance La déviance des fous, des prodigues et des ivrognes, au-delà des conduites embarrassantes qu’on leur prête, du passif dont ils grèvent le fonctionnement du foyer, peut donc être interprétée fondamentalement

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comme une question de rôles familiaux. Rôles chargés d’attentes et d’exigences parfois très concrètes. Si la déviance est d’abord vécue dans les interactions entre acteurs familiaux, il importe de bien comprendre comment les proches de la personne gênante sont interpellés par des difficultés ou un conflit, et ainsi poussés à réagir. Dans certains cas, l’influence, l’ascendant de la déviance saute aux yeux : l’épouse ayant sur les bras l’incapacité de son mari ou les proches déçus par un fils déréglé sont directement concernés et préoccupés par les désordres rencontrés. Ces situations trahissent toutes deux la très forte imbrication, au dixneuvième siècle, entre les relations familiales et les biens et les revenus, tant chez les classes riches que celles moins fortunées. Cette intégration est évidemment vécue de manière différente selon les classes, mais les liens entre le matériel, le personnel et le familial sont une donnée essentielle de l’expérience de la déviance au cours de la transition vers le capitalisme industriel. Néanmoins, les attentes des familles montréalaises ne sont pas seulement de nature matérielle. Le scandale de l’ivrognerie de certaines femmes l’a déjà illustré. Certains actes inconvenants déclenchent l’ire de la famille, vu les efforts de celle-ci pour maintenir son honorabilité et sa réputation, ingrédients très importants de son statut dans cette société urbaine. En somme, les familles montréalaises tiennent à tout prix à éviter les chutes tant matérielles que symboliques. Le patrimoine et les revenus sont des nœuds de relations interindividuelles. Les biens impliquent les acteurs familiaux, les hiérarchisent et les opposent parfois. Dans les familles qui ont des biens, même modestes, à transmettre, le patrimoine et sa transmission relient les individus par des droits, les inscrivent dans un certain agencement, installent des attentes et des surveillances des acteurs familiaux les uns envers les autres. La mise en relation des personnes à travers les biens est d’ailleurs l’une des fonctions fondamentales du droit civil. Les écarts de George B., fils prodigue, ont la particularité de s’inscrire dans une trajectoire familiale qui s’apparente elle-même à une chute sociale étalée sur une assez longue durée, soit plus d’un demi-siècle. Une reproduction sociale déjà mal en point peut être achevée par un fils prodigue incorrigible. Les tensions vécues par cette famille montrent surtout à quel point la prodigalité n’est pas une idiosyncrasie : elle met en jeu les interactions serrées entre biens et rapports familiaux. George B. naît en 1867. Son grand-père paternel était conseiller législatif et seigneur de deux fiefs. Avec le père de George, les choses se

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gâtent. Amateur de chasse, de pêche et de chevaux, ce personnage meurt ruiné au terme d’une existence oisive. Sa seconde épouse finit ses jours dans un hospice de Montréal en 1939, après avoir loué des chambres à des étudiants. George, quant à lui, exhibe l’incapacité à acquérir un état stable et honorable qui caractérise les fils prodigues. Il exerce mille métiers : fonctionnaire vers les années 1894–1897, il aurait séjourné au Klondike pour être ensuite successivement membre de la police montée du Nord-Ouest, soldat américain, employé d’une compagnie de construction à Vancouver et entrepreneur-peintre à Seattle. Il meurt en 1926 à Montréal. Il aura eu deux enfants, dont une fille morte en bas âge en chutant malencontreusement d’une fenêtre. Son fils sera, lui, employé sur des bateaux. De conseiller législatif et seigneur à marin, les mâles se succédant en ligne directe dans cette famille connaissent une singulière débâcle sociale. C’est la grand-mère paternelle de George, la veuve du conseiller législatif, qui demande en 1893 qu’un curateur soit nommé pour gérer les avoirs de son petit-fils. Il a alors 25 ans. Elle lui reproche d’avoir dissipé «la plus grande partie» d’un héritage. Le père du prodigue, que l’on sait indolent, n’est ni requérant en interdiction ni membre du conseil de famille, ce qui témoigne de son statut de joueur déprécié dans l’ordre familial. Vu son insuffisance, c’est cette aïeule qui tente de redresser la situation précaire de la lignée et de préserver ce qui reste d’un patrimoine déjà mal en point. Cette femme a près de 77 ans. George récupère toutefois sa capacité civile par une nouvelle procédure judiciaire (une mainlevée d’interdiction) à la veille de son mariage avec la fille d’un sénateur, au début de l’année 1894. Les deux événements sont certainement liés : la consécration d’un nouveau chef de famille dépourvu de capacité civile aurait quelque chose d’absurde. Un mariage assez prestigieux, assorti d’une autonomie juridique et d’une apparente stabilité professionnelle (George est alors fonctionnaire et jouit de revenus intéressants), tout cela pourrait conduire à l’insertion sociale et familiale, à l’établissement du jeune homme. Il n’en est rien. En 1897, il perd à nouveau ses droits civils en raison de sa gestion dissipatrice. Cette fois, c’est un cousin qui intervient (la grand-mère qui avait requis son interdiction la première fois est morte en 1895). George aurait dilapidé le reste de ses biens, lesquels «valaient environ une quinzaine de mille dollars». C’est à son épouse Emma qu’échoit la fonction de curatrice87. Ainsi, le patrimoine n’implique pas seulement ceux qui se trouvent directement affectés par les frasques du déviant (épouses et enfants,

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ayants droit successoraux, etc.) ou le cercle étroit de la famille nucléaire. Les autres membres du réseau familial ne sont pas intéressés à voir une partie de celui-ci décliner et sombrer. Selon Anne Gotman, cette «socialisation» du patrimoine est bien présente dans les attitudes face aux mauvais héritiers : «C’est aux rapports sociaux de parenté que s’attaque la dilapidation de l’héritage88.» Aussi, «la dilapidation est une affaire de biens et une affaire de liens … [Le dissipateur] ne l’est pas seulement au regard d’un excès de dépense en soi, mais en vertu d’une place dans la lignée. Le dilapidateur sort de la lignée, ou s’y incruste, sort du rang ou en abuse. C’est en cela qu’il dérange, c’est aussi pour cela qu’il est rappelé à l’ordre89.» Pour George B., les «rappels à l’ordre» ne semblent pas avoir fonctionné. Sa fortune s’est envolée, son mariage et son établissement se concluent par des échecs. Et par son agir, une lignée autrefois prestigieuse, mais déjà déstabilisée par la fainéantise de son père, reçoit le coup de grâce. Les motifs qui poussent les membres de l’entourage à réagir renvoient en outre au maintien de l’honorabilité du groupe familial. La reproduction sociale concerne entre autres choses l’accession à une certaine respectabilité et la jouissance d’une considération avantageuse. Que le prodigue gère ses affaires de manière inepte suscite probablement déjà une certaine humiliation, puisque l’idéologie libérale interprète la réussite ou l’échec économique de l’individu en termes moraux – les familles «honorables» étant celles qui maintiennent un certain standing. Reste que l’honneur n’est pas seulement relatif au niveau de vie ou à la direction plus ou moins heureuse des affaires. La déviance entache aussi le nom, la réputation. Les actes de folie sur la place publique, le fils prodigue qui s’avère un raté et l’ivrognerie que les voisins observent blessent les familles montréalaises dans leur orgueil. La réputation se vit évidemment dans un rapport aux autres, dans des relations. Arthur S. «a été vu ivre mort dans le jardin Viger en face de la résidence de sa mère, à la grande humiliation de sa famille & et au grand scandale du public nombreux qui fréquente cet endroit90». L’espace public urbain est plus immédiat et soumet les individus à des regards plus fréquents, ce qui peut hâter les interventions contre la déviance91. L’histoire d’un mariage scandaleux montre bien comment l’honneur conditionne certaines réactions à la déviance et le caractère parfois fortement symbolique de celle-ci. Marie Joseph L. est interdit pour «faiblesse d’esprit» en 1879, à l’âge de 21 ans. Son père est entrepreneur. Ses frères deviennent médecin, collecteur et architecte, alors

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que lui sera finalement charpentier et travailleur manuel. Cette famille n’est peut-être pas aussi riche qu’elle veut le laisser croire, mais peutêtre se trouve-t-elle en quête de promotion sociale. Ce qui doit l’engager à tenir ses distances des couches «inférieures» de la société… On dit Marie Joseph atteint de faiblesse d’esprit, influençable et faible de caractère. Un instituteur dit qu’il ne pouvait à peu près rien apprendre. Ses capacités sont-elles inférieures? Tout le litige dans lequel il se trouvera impliqué donne l’impression d’un jeune homme faible et sans prise sur le cours des choses. Seulement, ce n’est pas l’incertaine «lenteur» de ce jeune homme qui va marquer sa famille et susciter une réaction très forte de ses proches, mais une mésalliance proprement dégradante aux yeux de ceux-ci. En mai 1879, Marie Joseph se marie en secret avec Margaret E. devant un ministre protestant. Ils se fréquentent, paraît-il, depuis un moment. Lui est à présent majeur, donc capable en théorie d’agir dans tous les actes de la vie civile. Mais sa famille découvre ce mariage au tout début du mois de juin. Une requête en interdiction est présentée le 23 du même mois dans le but de contrer cette union et de reprendre le contrôle de Marie Joseph. La famille de Marie Joseph déclare que l’épouse «n’a jamais reçu aucune éducation & qu’elle a toujours appartenu aux classes infimes de la société & a toujours vécu dans une condition humble & modeste», et que «ce mariage vu la condition sociale de [l’épouse] et la réputation peu enviable de sa famille est un mariage réprouvé par toutes les convenances sociales, & capable seulement d’infliger la flétrissure & le déshonneur au nom» du père de Marie Joseph. Le père et le frère de ce dernier affirment que Margaret a profité de la timidité et de la faiblesse de caractère du jeune homme pour le manipuler et lui faire consentir à cette union, allégation peut-être partiellement vraie. On ajoute, ce qui est plus grave, «que le dit Marie Joseph [L.] fils appartient à une famille placée dans d’excellentes conditions sociales, entourée de respect et d’estime & jouissant d’une réputation intacte d’honnêteté et de bonne conduite, qu’au contraire la défenderesse est fille naturelle et que sa mère est généralement réputée mener une vie de débauches et de dégradation». L’honneur met en jeu, à l’instar du patrimoine, les rapports entre les membres de la famille : les faits et gestes d’un membre de la lignée associent, obligent la parentèle92. Par ailleurs, le mariage, le «bon» mariage diraisje, est au dix-neuvième siècle une pièce essentielle de la reproduction

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sociale des familles. D’où l’importance accordée au choix du conjoint et, ici, le très vif émoi de la famille de Marie Joseph. De fait, Margaret et sa mère seraient de condition très modeste (cette mère fait de la couture pour des tailleurs) et plusieurs dépositions du procès en nullité de mariage qui a suivi suggèrent qu’elles arrondissent leurs fins de mois par un peu de prostitution. La mère a la réputation de tenir une maison de débauche, selon un sergent de police. Les témoignages montrent de plus que la maison de la grandmère de Margaret est fréquentée par de nombreux jeunes hommes… Si ce ne sont là que des rumeurs, du moins doivent-elles suffire, avec la condition modeste de Margaret, à rendre une alliance avec elle tout à fait impensable. La réputation d’une famille ne se maintient pas seulement au quotidien, dans les évaluations constantes des comportements et de la moralité, elle s’entretient aussi dans la durée et le devenir, par les nouvelles relations, matrimoniales ou autres, qui se greffent à son réseau de parenté et de sociabilité. Les alliances qui se nouent témoignent du rang de la famille dans la société et de sa valeur tant symbolique que matérielle. L’honneur, dans ce cas, n’est pas seulement individuel, il recouvre de sa toile toute la famille. Une mésalliance devient donc le problème de tout le groupe. L’interdiction de Marie Joseph L. est suivie d’un procès intenté en juillet 1879 par Margaret contre son beau-père. Elle veut obtenir une pension alimentaire. Mais Margaret est à son tour attaquée, au mois d’août suivant, par le père et le frère de l’interdit, au moyen d’une procédure en nullité de mariage. Notons que les proches n’ont pas seulement agi au plan légal : il est probable que le jeune homme ait été enfermé par ses parents ou du moins retenu chez lui juste après son mariage. Un témoin favorable à Margaret soutient que le père de Marie Joseph aurait menacé ce dernier d’exhérédation et que d’autres membres de la famille l’auraient renié en paroles. La profondeur de la blessure à leur amour-propre ne pourrait se dire plus clairement. L’issue de ce conflit traduit bien la honte qui l’imprègne. Le procès en nullité de mariage, référé à l’évêque catholique de Montréal, ne se clôt pas par un jugement, non plus que le procès pour pension alimentaire de Margaret. Qu’arrive-t-il? En mai 1884, un mariage religieux en bonne et due forme est célébré à Montréal entre les deux époux clandestins, après l’obtention d’une dispense des trois bans de l’évêque de Montréal, E.C. Fabre. Aucun témoin issu des familles des mariés ne signe l’acte de mariage: un prêtre du séminaire et un bedeau de l’église

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remplissent cette fonction. L’union est donc célébrée on ne peut plus discrètement. Enfin, Marie Joseph obtient une mainlevée d’interdiction en 1887, soit un peu moins de huit ans après le retrait de sa capacité civile. C’est son frère et curateur, qui avait combattu l’alliance déshonorante, qui requiert ce retour à un statut juridique normal. Marie Joseph est alors père de deux enfants. La requête dit «que les causes qui ont motivées [sic] la dite interdiction ont depuis longtemps disparu et qu’il est de l’intérêt du dit Marie Joseph [L.] qu’il soit relevé de sa dite interdiction à toutes fins que de droit93». Toute cette histoire est traversée d’ambiguïtés : le statut des parties (on ne sait même pas si la mère de Margaret était elle-même mariée), leur religion (une bonne partie du procès en nullité de mariage se passe à essayer d’établir si l’«épouse» est protestante ou catholique), la légalité du mariage et la réputation de la mariée font tous problème. Voir l’ambiguïté comme l’un des mécanismes susceptibles de chatouiller le sentiment de l’honneur et de susciter des réactions familiales musclées, cela permet de complexifier encore l’appréhension de la déviance comme phénomène familial et social. La déviance n’est pas qu’un écart à l’égard de certains idéaux; elle est vécue, entre autres choses, dans un espace où se jouent les statuts, les réputations et les valeurs.

entourage et coping Plusieurs éléments centraux de l’expérience de la déviance à Montréal au dix-neuvième siècle ont donc été identifiés. Certaines conduites ont un impact très sévère sur le fonctionnement et les projets des familles. Les tensions liées à la maladie mentale, l’alcoolisme ou la dilapidation des biens dépendent fortement du rôle et du statut, au sein de la famille, de l’individu considéré déviant. Le patrimoine, les revenus et l’honorabilité impliquent et relient entre eux les acteurs familiaux des situations déréglées. Les vicissitudes de Marie Joseph L. le montrent bien : les familles montréalaises ne restent pas impassibles et ont recours à divers expédients pour contrer les effets de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie. Les réactions familiales mises en œuvre en dehors du recours aux institutions, sujet que nous allons maintenant aborder, témoignent éloquemment de la responsabilité et du pouvoir de l’entourage dans la prise en charge et le contrôle de la déviance. L’attention portée à la gestion de la maladie mentale au sein de la communauté est d’ailleurs l’une des tendances les plus récentes en histoire de la folie94.

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Parler des réactions des acteurs familiaux ne va pas de soi, cependant. Il faut tenir compte autant de ce qui est visé par les réactions des familles que des contraintes qui sont les leurs. Avec les fous, les prodigues et les ivrognes, la famille est souvent en situation d’ordre à restaurer, de manque à compenser et de dégâts à limiter. La position critique de la femme dont le mari n’assume plus son rôle l’a bien montré. La famille subit parfois des tensions qui l’amènent au bord de la rupture. Il s’agit donc de préciser notre compréhension de la capacité des acteurs à prendre des décisions et à poser certains gestes. Les Montréalais du dix-neuvième siècle ont une «rationalité limitée95», au sens où ils ne disposent pas nécessairement de toutes les données du problème, ni, a fortiori, de tous les moyens pour le résoudre. Rien ne garantit non plus que la réponse donnée sera la bonne. Néanmoins, on peut croire qu’habituellement les familles tentent d’agir de manière raisonnable. Pour toutes ces raisons, le concept de «stratégies» devrait être laissé de côté, car il implique que les acteurs se comportent en fonction d’une rationalité assez étendue, qu’ils ont une bonne prise sur la situation et qu’ils sont capables de planifier des actes en fonction d’un futur assez éloigné. Surtout, ce terme sous-entend que les familles font toujours ce qu’elles ont à faire (malgré leur pauvreté, malgré les difficultés, etc.), ou plutôt qu’elles le font naturellement. C’est loger l’agir des acteurs à l’enseigne de l’évidence. Or, rien ne va de soi dans le vécu des individus et leurs itinéraires. À plus forte raison dans le cas présent : les arrangements mis en œuvre par les familles des déviants ont la plupart du temps l’aspect de l’inachevé, du «tant bien que mal» et de l’improvisation96. Le terme coping convient mieux à ces objets complexes que sont les gestes et attitudes des acteurs familiaux de la déviance. Employé en psychologie, sans véritable équivalent français, ce concept réfère aux actions de combattre, de rencontrer, de faire face97. Confrontés à l’anormalité et aux perturbations qui s’ensuivent, parents et amis affrontent le problème et cherchent un arrangement, une issue satisfaisante et aussi peu dommageable que possible pour la reproduction sociale de la famille. Bien sûr, les gestes de coping font eux aussi partie du fardeau, de l’impact de la déviance. Ces actions s’ajoutent aux tâches et aux soucis qui pèsent déjà sur les proches. Les paroles et les gestes destinés à contrer la déviance comptent éminemment parmi les charges qu’elle fait naître et contribuent aussi à remodeler les relations intrafamiliales. Le coping ne s’exerce pas dans le vide et dépend de certains éléments98. La sévérité et la durée des conduites perturbatrices donnent

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un peu la mesure de ce qui doit être accompli, du défi à relever. Le statut du déviant a également de l’importance : affronter un père d’âge mûr alcoolique et qui sait se faire craindre représente un plus grand défi que de chercher une pension pour une nièce orpheline et idiote depuis l’enfance. Les familles montréalaises, évidemment, ne disposent pas toutes des mêmes ressources financières et humaines. Enfin, problèmes et conflits peuvent survenir pratiquement à n’importe quelle étape du cycle familial. Ce moment détermine les ressources humaines qui seront disponibles (des enfants majeurs sont par exemple en mesure de jouer un rôle significatif) et le caractère plus ou moins dramatique des situations. Rappelons-nous ces mères chargées du soin de jeunes enfants et d’un époux malade ou incompétent. Le coping des familles prend des formes très diverses. Il n’y a pas que des carrières de déviance : la famille aussi a un vécu, une trajectoire marquée par la présence d’une personne considérée gênante; les réponses familiales évoluent donc dans le temps99. Pour cette raison, les formes de coping seront distinguées ici principalement selon leur situation dans le temps, et ce, sans vouloir suggérer que ces différents gestes et attitudes se succèdent dans un ordre déterminé. Chaque interaction avec la déviance d’un proche est unique. Mais en fonction de leur rapport au temps, les différentes réactions familiales peuvent être rassemblées en quatre groupes : les conseils, négociations et sanctions informelles; la «résignation» et la cohabitation; les réactions ad hoc; les mesures palliatives à plus long terme. Les situations pénibles dont les archives conservent le récit ne sont pas nées du jour au lendemain. Les démêlés les plus âpres ont certainement été précédés d’une longue succession d’entretiens, de conseils, de négociations, de regards obliques, de dénigrements et de menaces dont les dossiers d’interdiction livrent seulement quelques exemples, le reste étant à jamais enfoui dans leurs silences. Pourtant, toutes ces interactions essentiellement verbales ont parfois représenté une part très importante du vécu non institutionnel de la déviance. Une belle-sœur d’Édouard G., qui sera interdit en 1893, admet lui avoir déjà dit : «Tu n’y penses pas, de rôder avec autant d’argent que cela.» Et dans un autre échange : «Tu es souvent de boisson; ce n’est pas prudent d’avoir autant d’argent.» Ce à quoi Édouard aurait répondu : «Je ne suis pas fou; je suis capable d’en prendre soin100.» Joseph B., fils prodigue et incorrigible, reçoit pareillement des conseils, sans jamais les suivre, ce qui est aussi le cas d’une mère ivrogne et scandaleuse101. Ces conseils sont mêlés d’injonctions. Charles S. «has

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entirely lost his mental control and would not pay regard to the wishes or desires of those who were with him and his relations, and they could in no wise control him or make him act reasonably102». Si les proches ont finalement recours à l’interdiction, rien d’étonnant à ce qu’ils mentionnent que leurs conseils n’ont pas entraîné l’amendement désiré. La déviance, c’est aussi le fait d’être incontrôlable, de ne pas accéder aux demandes de l’entourage. Peu importe les motifs des proches ou l’incongruité des comportements du fautif, les liens qui les unissent donnent déjà des signes de tension et de faiblesse. En de rares cas subsistent des traces de sanctions très informelles. Ce peut être un quolibet ou un surnom. Joseph B. est surnommé «l’enfant prodigue» par ses connaissances103. Est-ce en vue d’exercer une certaine pression sur le jeune homme? Un regard, une étiquette le chargent en tout cas d’une réputation précise et peu reluisante. Il y a aussi des scènes domestiques. Joseph L., autre fils prodigue, se fait de son propre aveu chicaner par sa mère. Il explique : «C’est parce que je me conduis mal … Je me couche tard et je m’absente104.» Même si ces conseils et réprimandes échouent ou doivent être constamment renouvelés, peut-être les proches s’accommodent-ils du problème durant un laps de temps plus ou moins long, s’il n’est pas trop déstructurant, si la position occupée par le déviant est imposante ou si des solutions de rechange s’avèrent impraticables. Une des facettes les plus usuelles du coping consiste en la cohabitation avec le déviant, au quotidien et dans un certain accommodement ou avec résignation. Cette corésidence recouvre cependant des situations hétéroclites et est ambiguë à plus d’un titre. D’abord par son caractère «imposé» : il est naturel, pour l’époque, que la personne, malgré ses gestes déplacés, continue d’habiter la résidence qui est la sienne, à moins que ses agissements rendent sa présence intolérable. De plus, ce seuil de tolérance est bien difficile à mesurer, car il dépend de la dynamique familiale et de l’existence ou non de solutions institutionnelles ou extrarésidentielles. Ce n’est pas tout : la famille ne peut pas toujours se passer du déviant et de sa prestation de travail. Une femme âgée hébergée par sa fille l’aurait-elle été de toute façon, peu importe le désordre de son esprit? Probablement. Joseph G., ancien employé de la compagnie ferroviaire du Grand Tronc, interdit en 1865, «depuis plusieurs mois par suite de fatigues et de maladie … est devenu faible d’esprit et imbécile». Il garde la maison105. Rien de surprenant, à première vue. Mais un fait demeure : dans un nombre considérable de cas d’incapacité, la personne incapable cohabite avec

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des membres de son entourage ou se trouve accueillie quelque part. Un vieillard, interdit en 1825, réside avec sa fille qui en prend soin106. À l’autre bout du siècle, une veuve âgée de 83 ans, interdite en 1895, vit également avec sa fille107. Les exemples sont nombreux; ils couvrent l’ensemble du dix-neuvième siècle. La cohabitation ou l’hébergement sont parfois clairement liés à l’état de l’individu inapte. Un fils d’un premier lit, majeur mais «imbécile», habite avec sa mère remariée108. Adèle S., interdite en 1891, est «folle et en démence … depuis son enfance» : elle demeure avec son frère, un pompier109. Les soins prodigués à l’individu hébergé rendent sa prise en charge encore plus patente. Nicholas C., interdit en 1834 à l’âge de 25 ans, est en état de démence depuis sa naissance, ce qui implique un accommodement familial de longue durée. Sa mère, veuve depuis un moment et sûrement vieillissante, prend soin de lui ainsi que de sa sœur sourde-muette. Le décès de cette mère entraîne une requête en interdiction et la nomination d’un curateur pour voir à leurs affaires110. Les soins à donner sont lourds quand l’incapable ne sait pas ou ne sait plus manger, s’habiller lui-même ou voir à ses soins corporels111. La famille demeure la première ligne de défense face à la maladie et à la pauvreté à Montréal tout au long du dix-neuvième siècle. Les arrangements résidentiels trouvés jouent un rôle majeur en cas de problème ou de crise112. Avec le développement des asiles, cette cohabitation n’apparaîtra plus toujours obligée. On ne cesse pas pour autant d’héberger des incapables à domicile, comme les exemples précédents en témoignent. Joseph C. a résidé avec sa mère alors qu’il souffrait de troubles mentaux, mais celle-ci l’envoie pour finir à l’asile Saint-Jean-de-Dieu113. La solution asilaire, bien que de plus en plus populaire, ne remplace pas la famille qui reste la principale responsable de la prise en charge du fou114. En ce sens, l’asile s’ajoute aux options qui s’offrent aux Montréalais, dans certaines conditions, pour réagir à la déviance. Mais l’asile n’est pas un «service» auquel on fait appel; son fonctionnement met en jeu de complexes rapports de pouvoir115. J’analyserai en détail, dans le chapitre 4, l’intensification et la logique des placements à l’asile, placements qui s’avèrent le plus souvent des solutions de dernier recours. Si la cohabitation avec un incapable peut s’étaler sur plusieurs années ou toute une vie, maintes situations sont marquées par la nécessité d’agir immédiatement. Ces réactions ad hoc sont vécues dans une certaine urgence du faire, de la rupture qu’introduit la déviance

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dans l’ordre quotidien des choses. Cela va de la surveillance intensive à l’enfermement à domicile, en passant par de véritables confrontations physiques. L’hébergement de personnes malades et impotentes implique nécessairement une présence, plus ou moins assidue, auprès d’elles. Une surveillance beaucoup plus active s’impose pour éviter accidents et situations fâcheuses avec les aliénés dangereux ou vagabonds. Joseph L., épicier interdit pour folie au milieu du siècle, est jugé menaçant. Il a été gardé à vue par au moins deux hommes, ses beaux-frères. On l’enverra finalement à la prison du district116. Ailleurs, on a cru nécessaire de donner un surveillant à un homme âgé. Ce dernier, échappant à son gardien, se perd en plein jour117. Des ivrognes sont aussi guettés. La veuve d’un avocat trompe la vigilance de son fils pour se soûler, diton118. La surveillance privée n’est certes pas sans faille! La force physique d’hommes incontrôlables représente un réel problème pour plusieurs foyers montréalais. Luc Q., maçon, «se seroit porté aux plus grands excès en frappant rudement sa femme, Julie [L.], et auroit même menacé de la tuer … dans cette intention elle l’auroit dernièrement surpris avec un couteau caché sur lui et essayant de s’en servir à cette fin». Un journalier habitant la même maison doit lui enlever des mains une hache avec laquelle il menace son épouse119. Ailleurs, un homme s’élance au secours de la femme de Michael H., car celui-ci a tenté de la frapper avec le même instrument, aisément accessible dans une ville où bon nombre de ménages dépendent du chauffage au bois. Alerté par des cris, il s’est emparé de l’objet, ce qui a permis à la dame de fuir120. Les gestes posés sur-le-champ ou de manière très informelle ne visent pas exclusivement les aliénés dangereux. Un homme qui connaît depuis longtemps Émerante R., que l’on dit folle, pense «que sans le secours des voisins elle seroit morte de faim et de froid dans sa maison121». Les gens du quartier sont en contact avec des individus dont le dérangement a été colporté par la rumeur publique et les rapports de sociabilité. Les Montréalais font-ils preuve d’une certaine patience lorsque les manifestations de dérangement sont peu menaçantes? Julien P. a pris un objet dans le magasin d’un encanteur qui le connaît bien. Un commis ramène simplement le lunatique au magasin. Le propriétaire «allowed this matter to remain from a conviction that said [P.] was not sane122». L’entourage des ivrognes, pour sa part, subit les conséquences désagréables et plutôt terre à terre de l’abus d’alcool. La femme d’Antoine

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Y. et une servante doivent le déshabiller et le mettre au lit lorsqu’il rentre fort éméché un samedi en début d’après-midi, «ayant beaucoup de difficultés à se tenir debout» et sentant «fortement la boisson123». «Trouvé ivre mort sur le trottoir», un jeune commis est ramené chez sa mère124. L’alcoolisme, on l’a vu, va souvent de pair avec la violence dans le discours des Montréalais. On ne peut contenir Henry D. que par la force125. L’entourage ne reste donc pas inactif devant l’ivrognerie et peut combiner «récupération» de l’intempérant, mesures d’assistance et représailles. Les frères et la parenté d’André D., un alcoolique de longue date, «témoins des éxès [sic] que cette funeste passion lui faisoit commettre presque tous les jours & des dangers auxquels sa vie était exposée dans l’état d’abrutissement où il se mettoit auroient fait tous leurs efforts & employé même les moyens les plus rigoureux dans l’espérance de pouvoir le ramener à lui-même & de le corriger & guérir d’une telle passion. Mais en vain.» C’est là une représentation de l’attitude générale de la famille; des actions plus ponctuelles s’imposent aussi. Des témoins affirment que «sa vie est souvent exposée dans son état d’ivresse en autant qu’il a été trouvé très souvent couché dans les rues et sur les bancs des Bouchers dans un état d’insensibilité de manière que sans l’assistance et le secours de ses frères et d’autres personnes charitables qui en prenoient soin, il se seroit trouvé exposé à y mourir soit de froid ou [par] la suffocation». Sans un sou, André doit faire appel à ses frères pour subsister. Ces derniers ont même recours à la prison pour tenter de le ramener à un comportement plus acceptable126. Le poids de la déviance, le rôle actif de la famille et le nombre limité d’options qui s’offrent à elle ressortent clairement. Célibataire, André D. n’a toutefois pas plongé femme et enfants dans l’indigence. Les crises violentes de certains aliénés peuvent être suivies de l’une des formes les plus spectaculaires de coping : l’enfermement à domicile. C’est une solution malaisée qui montre que certaines familles montréalaises doivent impérativement se débrouiller. Avant le dernier tiers du dix-neuvième siècle, les ressources institutionnelles et asilaires de la région montréalaise sont très limitées127. Tout porte à croire que cette forme brute de gestion de la folie diminue en fréquence au fil du siècle, les dossiers d’interdiction la mentionnant de moins en moins. Mais peut-être devient-il aussi plus délicat d’évoquer ces enfermements, alors que l’asile est progressivement reconnu comme lieu de

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maîtrise institutionnelle de la maladie mentale. L’impression qui se dégage des archives, malgré tout, est celle d’une disparition de cette forme de coping. L’épouse de Michel D., individu interdit en 1836, doit faire face à de nombreux problèmes financiers, comme on l’a vu plus haut. Ce n’est pas tout : durant ses attaques de folie, Michel devient «furieux et intraitable». Julie déclare qu’on a dû «gêner sa liberté», pour sa sûreté et celle de ses enfants. Un voisin habitant la partie inférieure de la maison a été appelé en renfort pour aider à le mettre «in a small appartment prepared for his reception». Dans cette pièce, il est attaché. Son enfermement ne rend pas la cohabitation avec l’aliéné nécessairement plus facile, car le même voisin dit l’entendre vociférer «as a mad man» et faire du bruit presque tous les jours. D’ailleurs, le premier curateur du malade (avant son remplacement par l’épouse de Michel) avait été choisi notamment pour sa force physique. Les options qui se présentent à la famille dépendent aussi des ressources institutionnelles disponibles. Michel fera, peu après son interdiction, un séjour à l’Hôpital général de Québec128. Pourquoi si loin? Les sœurs Grises de l’Hôpital général de Montréal refusent à partir de 1830 de recevoir de nouveaux insensés dans leurs loges, ce qui crée un vide institutionnel pour la réception des aliénés dans la région montréalaise jusqu’à l’ouverture du Montreal Lunatic Asylum en 1839129. Entre-temps, le seul recours institutionnel dans le district est la prison130. François P., maître ferblantier interdit en 1877, se livre à de nombreuses manifestations de violence. On l’a attaché et gardé la nuit. Mais c’est probablement l’insuffisance et les inconvénients de cette solution qui font recourir l’entourage à la prison et à des institutions maintenant bien présentes dans le paysage institutionnel québécois : les asiles de Beauport (on l’y retrouve vers 1869) et de Saint-Jean-deDieu (il y séjourne plusieurs fois après 1873)131. Les avenues de résolution de la déviance violente et dangereuse s’élargissent au fil du siècle, avec la croissance du réseau institutionnel d’enfermement. Ainsi, hormis le cas de François P., les cas d’enfermement à domicile datent tous de la période précédant le développement d’un asile permanent, Saint-Jean-de-Dieu, sur l’île de Montréal, à partir de 1873132. Si la dangerosité du fou appelle des réactions immédiates, en d’autres circonstances les proches tentent de trouver un arrangement convenable à plus long terme, pour assurer à la fois la survie de l’individu incapable et le fonctionnement satisfaisant de la cellule domestique.

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Ces manœuvres comprennent certaines mesures de protection du patrimoine (en dehors de l’interdiction judiciaire proprement dite), des legs et arrangements financiers particuliers, ainsi que la mise en pension de la personne inapte. Les finances de bien des interdits et de leurs familles dépendent fortement de droits sur des terres ou des immeubles, de successions et de revenus comme des loyers. Toutes ces sources de revenus ont une très grande importance pour les couches de la population montréalaise à la condition parfois modeste qui ne dépendent pas uniquement de salaires et d’expédients pour survivre. Le coping des familles s’exerce évidemment dans le contexte particulier des différentes économies familiales du dix-neuvième siècle. Dans le cas des incapables, si leur trouble est sévère ou s’ils se trouvent dans l’impossibilité de travailler, ces ressources patrimoniales n’en sont que plus essentielles. Mary S., veuve âgée de plus de 80 ans, «imbecile from old age and infirmities», n’a ni parents dans la province ni amis au Canada pour prendre soin d’elle. Elle n’a pour toute ressource qu’une obligation (de la ville de Montréal, probablement) donnant 12 livres d’intérêts par année, ce qui est insuffisant pour la faire vivre, précise-t-on, et une réclamation de 500 livres contre une succession. Cette réclamation fait l’objet d’un litige en justice133. Pour sa part, Honoré G., interdit en 1890, doit tirer des revenus d’une vente faite par sa mère à un prêtre de la paroisse de l’Île Perrot. Son incapacité mentale remonte à son enfance et il ne peut assurer sa subsistance. La nomination d’un curateur pour administrer l’argent qui lui est dû stabiliserait en quelque sorte son entretien134. Certaines mesures de protection du patrimoine et des revenus de l’incapable s’apparentent à une sorte de curatelle aux biens dépourvue de sanction légale. Elles sont souvent appliquées durant une période de temps considérable. Voilà un bel exemple d’infrajudiciaire, c’est-à-dire de mécanisme social proche du droit et non sanctionné par la loi135. Mais des circonstances changeantes font finalement recourir à la curatelle. David M., bijoutier interdit pour folie et rencontré précédemment, avait un commerce rentable, «which with the kind assistance of his friends has been partially kept up and continued during his illness». Sa femme, requérante en interdiction, justifie sa démarche par sa crainte que David devienne la proie de personnes malhonnêtes136. Un hôtelier a pris temporairement le contrôle du reste de la fortune d’un homme abandonné qui vit dans son établissement, pour le protéger. Il demande son interdiction137. Évidemment,

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ces administrations informelles sont moins sûres qu’une véritable curatelle (elle-même pas toujours exempte de considérations intéressées), et même carrément impraticables si des actes importants doivent être ratifiés ou si des procédures judiciaires sont imminentes. D’autres mesures de prise en charge incluent une plus forte dose de juridique. C’est le cas de certaines clauses testamentaires. Différents arrangements financiers témoignent dans le même sens d’une officialisation plus grande de la gestion de l’incapable. Ces solutions signalent toutes une volonté d’assurer à long terme l’entretien d’un individu dont l’incapacité mentale a été constatée depuis un bon moment. Le frère de François G. (interdit en 1832), Jean-Baptiste, est obligé en vertu du testament de leur mère de le loger et de lui fournir une rente. Mais Jean-Baptiste, trouvant cette charge trop lourde, demande que l’entente soit modifiée. C’est le curateur de l’interdit, son cousin germain, qui informe la Cour de cette situation. Le curateur fait aussi valoir qu’il «y auroit du danger à placer le dit François [G.] dans une autre famille; vu qu’ayant toutes ses habitudes et ses affections dans celle-ci, où il est de plus traité avec une attention particulière, il y a l’esprit tranquille, et qu’en le forçant d’aller demeurer ailleurs, on lui causeroit par cette contrariété une irritation qui auroit probablement pour effet de consommer son aliénation mentale, ou de le porter à quelque acte de violence, qui contribueroit à rendre son état infiniment plus malheureux qu’il ne l’est.» Le curateur préfère nettement les soins et l’entretien prodigués par des parents. Le conseil de famille veille à ce que des ajustements financiers soient apportés et qu’ainsi la pension de l’interdit chez son frère se poursuive, ce dernier s’obligeant à «pourvoir à tous ses besoins tant en santé qu’en maladie [et à] lui faire faire des funérailles après son décès138». Marie, célibataire, est «atteinte de faiblesse d’esprit, absence de jugement et de raison équivallant [sic] à un état d’imbécillité presque complet». Par testament, son aïeule l’avait «mise sous les soins, surveillance et direction» de deux tantes célibataires, «tout en lui faisant certains legs ou avantages pour son soutien». Or, ces deux tantes sont décédées. L’oncle de Marie, grand philanthrope montréalais, requiert son interdiction et la nomination d’un curateur pour s’occuper de sa personne et de ses biens. Elle loge au moment des procédures à l’Asile de la Providence, rue Sainte-Catherine. Nous sommes en 1866139. L’accueil de personnes inaptes fait même l’objet d’espèces de «contrats d’entretien». Marie V., en «état de démence», est «logée, nourrie et entretenue» par son beau-frère et curateur depuis le

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décès de sa mère. Cependant, la seule ressource dont elle dispose est une modeste somme de 93 livres, qui représente sa part dans la vente de l’unique actif de la succession de son père (un journalier), une maison. Ces droits successoraux, des parts d’héritage, constituent souvent les seules ressources financières des incapables. Son curateur offre par contrat «de loger chez lui avec sa famille et nourrir à son pot et ordinaire et entretenir la dite Marie [V.] et en prendre soin, sa vie durant tant en santé qu’en maladie moyennant que la dite somme de quatre-vingt-treize livres quinze chelins cours actuel … soit cédée et transportée à votre dit suppliant», intérêts compris. Sa requête reçoit une réponse favorable 140. Margaret D., célibataire interdite pour folie en 1828, est hébergée par des proches. Il s’agit d’une authentique mise en pension. Cette femme éprouverait des troubles mentaux depuis 1816–1818. Auparavant, elle «always appeared to be a well informed sensible young woman». L’année de la mort de son père (en 1827), elle commence à pensionner chez son frère Richard et son épouse Marie B. À partir de ce moment, les dépenses pour le «board, lodging & washing» de Margaret sont comptabilisées. Quelque part entre 1839 et 1846, l’interdite se retrouve constamment alitée. Or, sa belle-sœur Marie B. va entreprendre en 1847 une action en justice afin d’être payée pour plus de 18 ans de prise en charge! Cet arrangement a donc été maintenu dans la longue durée et considéré, du moins par la ménagère responsable, comme une véritable pension. Cette dernière réclame 700 livres. Le curateur ad hoc nommé pour représenter Margaret refuse de payer. S’ensuit un procès qui durera plus de quatre ans. Que révèle cette cause? Le compte d’entretien de l’interdite, document d’archives assez rare, témoigne des multiples tâches liées à la présence de Margaret dans la maison : nourriture, lavage, couture pour faire diverses pièces d’habillement, achat de vêtements, transports occasionnels. On porte même au compte de l’interdite, pour les années 1839 à 1846, du brandy et du vin, sans aucun doute à titre de remède. Surtout, s’occuper en permanence de Margaret D. est considéré comme une très lourde tâche. Une servante de la maison dit que le tarif mensuel (3 livres) exigé par la demanderesse est raisonnable et qu’elle «ne la prendrai[t] pas pour cela, il faut être de sa famille pour l’endurer pour cette somme-là» Les dires de ce témoin peut-être partial, vu sa situation de dépendance, sont confirmés par un médecin, qui soutient que «considering the melancholy condition of the said Margaret [D.], and the trouble … no stranger would provide her with

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accomodation similar to that which she receives from the plaintiffs at the rate charged by them141». La trajectoire de Margaret D. montre ce à quoi ressemble la solution trouvée pour «régler» le cas d’un acteur familial de faible statut – en l’occurence une célibataire affichant des troubles mentaux depuis longtemps – et qui dispose de relations prêtes à le recevoir et capables de le faire. Mais pas gratuitement. Aussi, les réactions familiales à la déviance et à l’incapacité ne sont pas toujours unanimes, loin de là! Comme nous le verrons au chapitre suivant, l’interdiction d’un individu peut même susciter d’âpres conflits dans l’entourage, en raison des implications patrimoniales et financières du recours judiciaire. Toutes ces ententes impliquent une cohabitation avec l’incapable. Un arrangement résidentiel permet parfois de l’éloigner si ses comportements le rendent insupportable à ses proches. Les ressources humaines de l’entourage ne s’accommodent pas toujours non plus de la tâche parfois très lourde que représentent les soins et la surveillance à domicile. Les finances de la famille autorisent en certains cas une mise en pension en dehors du réseau familial. Un journalier est engagé pour garder chez lui Hypolite V., marchand montréalais mis sous curatelle en 1827 et victime de crises de fureur. Ce journalier révèle qu’on a dû fréquemment le mettre «dans la chemise», souvent «une journée & une nuit entière». Hypolite est ensuite envoyé chez un cultivateur de la paroisse de la Longue Pointe, à proximité de Montréal. Ce dernier rapporte : «J’ai été dans la nécessité de l’enchaîner & … je me trouve forcé à le mettre à la chaîne presque tous les jours.» Après une mainlevée, Hypolite subit une nouvelle interdiction en 1834. Ce second procès nous apprend qu’il a de nouveau été placé chez le même cultivateur142. Dans les années 1840, un médecin appelé auprès de Joseph L., cordonnier à «l’esprit dérangé», recommande son envoi dans un asile aux États-Unis. Joseph est plutôt transféré à Varennes «pour sa santé», transfert certainement décidé par son entourage143. Dans un cas de la fin du siècle, l’envoi à la campagne précède le recours à l’asile. La veuve Olivine T., interdite en 1895, «a toujours résidé avec son mari à Montréal, sauf qu’elle a été, vu son état de démence, transférée à la campagne à Beauharnois» durant deux ans. Elle est ensuite internée comme patiente publique à Saint-Jean-de-Dieu144. Avec de l’argent, on peut se permettre de ne pas prendre soin soimême du déviant. Quelques individus de condition aisée se retrouvent ainsi placés dans des pensions, à la fin de leur vie. Ce recours paraît

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leur être assez spécifique. Après son interdiction en 1832, un séjour dans un asile américain et la vente de sa propriété, Andrew A. devient pensionnaire. C’est un ancien ferblantier assez prospère, âgé d’environ 60 ans. La dame chez qui il loge – elle a, soit dit en passant, déjà hébergé une autre personne aliénée – connaît très bien la famille A. Mais la pension est une affaire qui se négocie. Lorsqu’on informe cette dame qu’Andrew A. est violent, elle fait savoir au curateur que cinq louis par mois ne suffiront pas : elle en demande six, ce que le curateur et l’épouse de l’interdit lui accordent. Après un mois de pension, elle sollicite une nouvelle augmentation, «vu qu’il falloit plus de suggestions [sic] et de petits soins que les autres pensionnaires n’exigeaient pas, tels que des douceurs entre les repas des bouillons le soir 145». Ces mises en pension montrent la diversité des solutions résidentielles appliquées à la folie, en dehors du recours à des institutions comme les hôpitaux, la prison et les asiles. La remarque vaut même pour la fin du siècle. Au début des années 1880, un avocat aurait «offert» à sa femme, que l’on tient pour dérangée mentalement, de devenir résidante d’une pension de la rue Sainte-Catherine. Elle habite là durant plusieurs semaines, «aux frais & dépens de son dit mari». Même s’il lui fait apparemment des visites fréquentes et veille à ses besoins, elle quitte d’ellemême ce pensionnat, «malgré les défenses de son mari», pour se rendre chez sa mère146. Les cas de mise en pension sont très rares chez les ivrognes. Cependant, si l’alcoolisme se double d’autres problèmes, les proches songeront peut-être à ce genre de réponse. Vers 1902, un mari paie 10 $ par mois pour que sa femme ivrogne et scandaleuse (la Cour du Recorder l’a reconnue coupable d’avoir fréquenté des maisons de débauche), et dont il est séparé, soit logée chez sa fille et son gendre. Il lui a même déjà loué une chambre ailleurs147. Toutes les réponses familiales à la déviance montrent que le problème vécu ne se résume pas à la «carrière» particulière d’un individu. Une conjoncture embarrassante ou conflictuelle structure, de manière plus ou moins profonde, l’expérience de la famille elle-même. En outre, les proches ont selon les circonstances et au fil du temps recours à une panoplie de mesures de coping, lequel est en quelque sorte à «géométrie variable». Pour Laurence Fontaine, «les stratégies ne peuvent se comprendre qu’en termes de jeux, de parties que l’on suit coup après coup, en examinant la trajectoire de chaque pion148». La typologie esquissée jusqu’à présent ne permet de saisir qu’imparfaitement la relation des réactions familiales à la diachronie, dynamique que rendent plus explicite des trajectoires familiales reconstituées en détail.

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L’interdiction et l’enfermement de John C., en 1895, marquent un conflit familial inextricable. Relevons d’abord, dans ce cas particulier, les éléments susceptibles de se répercuter sur l’entourage, soit les données relatives au statut et au rôle de l’intimé, à la sévérité des problèmes et aux ressources familiales (humaines et financières) disponibles. Ce gentleman de 68 ans, chef de famille doté de ressources imposantes (sa fortune avoisinerait les 200 000 $), semble fort autoritaire. Ses troubles de comportement durent depuis plusieurs années (depuis 8 à 10 ans selon ses enfants) et rendent la vie commune insupportable. Tous les enfants sont majeurs; l’une des filles est mariée et établie en dehors du domicile paternel. Cette combinaison particulière de facteurs (chef de famille sévère, comportements très problématiques, entourage comprenant plusieurs adultes) a contribué à engendrer une lutte exacerbée pour le contrôle du pouvoir dans cette maisonnée. Et vu l’époque particulière à laquelle cette histoire se situe (la fin du dixneuvième siècle), le recours à l’asile est envisageable. Si John C. se serait mis à boire dès 1880, ce sont surtout sa violence, sa paranoïa (il croit qu’on veut attenter à sa vie) et sa grossièreté (il traite ses filles de prostituées) qui le rendent invivable. Une de ses filles affirme : «For years, we have never had a happy home.» Son frère déclare quant à lui : «I always liked him when he was reasonable … but since he has been so bad to his wife and children I have not spoken to him; I have not spoken to him for years on account of that.» Un voisin a même arrêté de rendre visite à la famille en raison des tensions qu’elle vivait. L’impact de certaines formes de folie, comme bouleversement des échanges qui font la famille et sa sociabilité, est on ne peut plus clair dans ce cas. Les nuits au domicile familial sont constamment troublées par du grabuge et par la peur que l’homme suscite. Il pénètre dans les chambres de ses enfants et allume des allumettes au-dessus de leur tête. Ces agissements nocturnes conduisent à une véritable guérilla domestique. Son fils Sarsfield témoigne : «I used to keep a pillow on the floor at the foot of the door … You know that if you open a door with a pillow against it that way it will get under the door and jam it, and whenever I heard him coming I would wake right up.» Ce même fils, qui dit être «the protection of the family», en est déjà venu aux mains avec son père quand ce dernier a voulu frapper sa mère et l’une de ses sœurs. John C. fait aussi l’objet d’avertissements. Avec son épouse, «he would begin scolding and then after a long time Mrs [C.] would say to him for God’s sake to give her ease or she would have to leave the

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house to him». On a de plus tenu fermées les portes de la résidence. Le sentiment de gêne et de honte peut peser de manière importante sur les actions familiales, et les familles s’efforcent d’empêcher que la folie d’un de leurs membres accède à la sphère publique149. D’ailleurs, pour son frère James, John est une honte «to the name of the family, and he is considered by everybody to be a fool». Le déshonneur rejaillit sur la famille tout entière, affectant peu à peu les ramifications du cercle de la parenté et les relations de sociabilité. Les négociations informelles et les reproches n’ayant rien donné, les mesures ad hoc ne pouvant que prévenir certaines conséquences fâcheuses de la conduite du chef de famille, et non régler le problème à la base, la vie commune s’avère impossible. Les comportements déviants excèdent alors les ressources et la cohésion de l’entourage. Quand rien ne fonctionne, on peut essayer d’éloigner la folie ou… de s’en éloigner. Les filles du couple passent leurs soirées hors du foyer, et ce, jusqu’à une heure tardive. Le fils protecteur du reste de la famille quitte la maison par trois fois, pour finalement ne plus y revenir. Femme et enfants trouvent refuge chez la fille mariée et établie en dehors du domicile familial. Le gendre déclare : «I might say that my house was a kind of house of refuge for the members of the family one after another owing to the treatment they were getting from their father.» Le 11 septembre 1895, John C. est interné comme aliéné et fou dangereux à l’asile Saint-Jean-de-Dieu. Son épouse demande et obtient son interdiction le même jour. Le voilà à la fois enfermé et placé sous la puissance de sa femme, nommée curatrice! Le recours à l’asile (envisagé depuis des années) et à la justice civile, contre cette folie qui a brisé le foyer, est très tardif. Ce qui donne la mesure de la persévérance de l’entourage de John C., avant que les seuils institutionnels de réponse à la déviance ne soient franchis. Cependant, l’homme ne se tiendra pas pour battu. Il obtiendra, après appel, mainlevée de son interdiction le 23 décembre 1895, ainsi qu’un ordre pour sa libération de l’asile, sept jours plus tard150. Les gestes ponctuels ou répétés de déviance bousculent un quotidien que l’on voudrait réglé, des finances parfois déjà précaires, les projets d’établissement des enfants, le maintien ou l’ascension dans la hiérarchie sociale. Deux modes du temps et de l’agir s’entrechoquent alors : celui des comportements individuels, contingents et tenus pour déréglés, et celui de la bonne marche des familles et de leurs projets de plus long terme, leur mouvement de reproduction sociale.

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Les situations de folie, de prodigalité et d’ivrognerie montrent ce que les Montréalais du dix-neuvième siècle vivent comme tensions et problèmes au contact de gens jugés encombrants ou tout simplement inaptes. L’idiotie signifie pour les proches une dépendance pour la vie; la fureur met l’entourage en danger; les hallucinations brisent les échanges interpersonnels; la sénilité fait craindre pour le patrimoine. Le prodigue s’écarte sans raison du chemin tout tracé des fils de bonne famille et rate son établissement, alors que son avenir ne pouvait être qu’honorable et confortable. L’ivrogne est désœuvré, violent parfois, et suscite la honte. Ces circonstances pénibles bouleversent les échanges, les prestations et les exigences qui font la famille du dix-neuvième siècle. Le chambardement résulte de l’incapacité de l’individu à jouer de manière satisfaisante le rôle qui est le sien en vertu des attentes de son entourage et des nécessités du fonctionnement de la famille. En témoigne la situation dramatique des femmes qui ont à composer avec un époux dément ou ivrogne invétéré. L’échec du fils prodigue, en regard des lourdes attentes qui pèsent sur lui en tant qu’héritier, détraque la reproduction matérielle et symbolique des familles possédantes. L’entourage fait face, cependant, et cherche de manière parfois désespérée à maintenir les biens et les revenus, de même qu’à éviter que l’honorabilité de la famille soit entachée. Il va sans dire que les réactions familiales sont très diverses, quoique toutes destinées à compenser le déséquilibre vécu par le foyer, la lignée et le réseau de parentèle, le cas échéant. Le coping des familles montréalaises, qu’il soit d’une nécessité immédiate ou pensé pour le long terme, dépend de quelques variables identifiables, dont la sévérité des troubles, la position occupée par le déviant sur l’échiquier familial, ainsi que les ressources humaines et financières disponibles. Ces manœuvres ne sont pas simplement «stratégiques» et ne font pas que prouver la «débrouillardise» des Montréalais du passé. Leurs significations sont multiples, puisqu’elles montrent tout à la fois le fardeau que représente la prise en charge de certains individus, le rôle immense de la famille dans la gestion de la déviance et, surtout, le caractère limité des solutions auxquelles elle recourt. En somme, ces interactions entre les fous, les prodigues, les ivrognes et leur entourage montrent que celui-ci occupe une position très délicate. Les proches sont les premières personnes affectées par les situations problématiques en même temps que parties prenantes, puisque l’évolution de la situation les intéresse directement, que ce soit en

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termes affectifs ou financiers. Ils forment aussi le premier auditoire, qui identifie et étiquette la déviance. Enfin, parents et alliés sont les responsables de la prise en charge de la personne tant que le recours à des institutions d’assistance ou d’enfermement n’a pas eu lieu. Ce que l’interface entre déviants et entourage révèle, c’est que la position occupée par la famille est simultanément source de pouvoir et source de très lourdes responsabilités. Mon corpus donne même l’impression que, dans l’ensemble, l’aspect «fardeau de la déviance» domine. L’étude simultanée de l’impact de la déviance et du coping familial révèle un éventail d’actions placées sous le signe de l’inachevé, du «tant bien que mal», voire de l’improvisé. La famille, en ce sens, ne constitue pas un seuil de contrôle, de régulation et de sanction absolument efficace, tout en étant un acteur de premier plan. Ces rencontres déviants/entourage parlent également d’une époque. L’un des objectifs fondamentaux de l’histoire de la famille est de mettre en rapport le vécu des familles et les changements macrosociaux151. Ici, on remarque très peu de changement au fil du siècle dans les récits de l’impact de l’anormalité et des réponses qui lui sont données. L’importance primordiale des biens et des revenus, pour les familles montréalaises, persiste tout au long du dix-neuvième siècle, malgré la transition vers le capitalisme, ou plutôt en accord avec elle. En dépit de la diffusion progressive du salariat et de la division du travail de plus en plus accentuée, les protections restent peu nombreuses et les risques élevés. Le développement du salariat ne s’accompagne pas de la mise en place de protections (qui viendront beaucoup plus tard, notamment avec le développement des assurances étatiques152), bien que la société réagisse de différentes façons à la généralisation de cette précarité : extension du réseau charitable, sociétés de secours mutuel, tentatives de syndicalisation, quelques lois timides sur le travail, etc.153. Montréal, au dix-neuvième siècle, est un milieu de vie précaire. La mort et la maladie frappent, les faillites commerciales aussi. Si l’économie se transforme, les liens familiaux tissés autour des biens et des revenus demeurent tout aussi nécessaires et forts. L’imbrication des relations familiales avec les biens et les revenus demeure étroite du fait de l’importance de ces derniers pour la survie154, mais aussi par souci de maintenir les statuts, les possibilités d’alliance et l’honorabilité. Même à la fin du dix-neuvième siècle, l’impact de la déviance continue à être aussi dévastateur, et peut-être s’est-il même accentué avec la dépendance des familles envers les revenus du mâle pourvoyeur, dépendance qui s’accroît avec l’industrialisation et l’urbanisation. Ce qui rend

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notamment les familles plus vulnérables au détournement de ces revenus vers l’alcool155. Et chez les familles qui possèdent quelque bien, jusqu’au vingtième siècle l’héritage demeurera proprement «socialisé». Comme le souligne Anne Gotman, l’héritage était alors «véritablement socialisé … intervenait aux moments clés, fondateurs de [la] vie de famille [de l’individu] (naissances, fiançailles, mariages, décès…), déterminait sa course, son mariage, son état, sa notoriété, sans parler de son bien-être156». Avec la généralisation du salariat et les mesures de l’Étatprovidence, «le contrat intergénérationnel [sortira] de la famille pour être régulé à l’échelle de la collectivité157». Par conséquent, on ne combat plus du tout de nos jours avec la même ardeur, par exemple, la dilapidation et la prodigalité158. Mais au dix-neuvième siècle, «if a husband failed as a breadwinner or a child strayed from the fold – real possibilities amid the turmoil of the industrializing age – the entire household could be impoverished or disgraced. Family tranquillity depended on financial prudence and loyalty to accepted behavioral standards159.» Outre les risques de déchéance matérielle et symbolique, la valorisation croissante de la vie domestique et de la sphère privée160 constitue un facteur de tension et de stress pour les classes moyennes et bourgeoises, par l’investissement psychologique très lourd dans la vie au foyer et le développement de nouvelles exigences attachées à celle-ci161. Il en est probablement résulté une intolérance plus grande à l’inaptitude et au scandale. La famille n’est pas seule, pourtant. Nous devons maintenant tourner notre regard vers des formes tout à fait particulières de réponse à la déviance : le recours à des institutions comme la justice et l’asile. L’intégration d’instances étatiques aux processus de prise en charge de l’inaptitude ouvre de nouveaux espaces d’interaction entre individus déviants, familles et institutions.

2 Le substrat social d’une pratique judiciaire, l’interdiction

Le moment choisi pour solliciter l’interdiction d’Adèle M. auprès des tribunaux, en 1886, n’a pas dépendu uniquement des désordres causés par le penchant pour la bouteille qu’on lui attribue, vice qui remonterait à plus de trois ans dans son cas. Elle est veuve depuis quelques mois (son mari était ferblantier), et le requérant affirme «que depuis le décès de son dit époux cette passion est devenue plus dangereuse pour elle & sa famille vu qu’elle reste chargée d’administrer le patrimoine laissé par son dit époux». Ce patrimoine consiste, pour l’essentiel, en un dépôt de 3 000 $ à la Banque du peuple. On demande que son accès à cette somme soit bloqué1. Décès du mari, nouvelle capacité juridique (en tant que veuve) et un pécule susceptible d’attiser les conflits : toutes ces données, tous les liens financiers et humains enserrant Adèle, liens porteurs d’attentes, ont pesé sur la décision de recourir à l’interdiction. Les familles montréalaises aux prises avec la déviance d’un proche peuvent être amenées à rechercher une solution judiciaire au problème qui les affecte. L’interdiction offre la possibilité de mettre hors d’état de nuire, sur le plan légal, une personne jugée incompétente ou perturbatrice. Cette solution judiciaire ne peut être que partielle. Mettre le trublion au rang des incapables ne le guérit pas de sa folie ou de son ivrognerie; la cohabitation se poursuit le plus souvent. La présentation d’une requête en interdiction revêt néanmoins une importance considérable : le retrait de la capacité civile encouru par l’individu gênant et inapte influence sensiblement la suite des choses. Ce moment marque aussi l’entrée en scène de nouveaux acteurs de la gestion sociétale de la déviance : le droit et l’appareil judiciaire. La famille, dès lors, n’est plus seule.

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Cette nouvelle interface réunissant famille, droit et appareil judiciaire se présente en apparence comme une phase particulière au cours de laquelle des «demandes» familiales et communautaires sont sanctionnées ou non par un système étatique, la justice civile bas-canadienne et québécoise. Un modèle d’analyse juxtaposant input social et output judiciaire ne suffit pas, cependant. Comme dans le cas d’Adèle M., de multiples données influencent le transfert d’un problème vers l’espace judiciaire et les tractations qui s’y déroulent ensuite. Dans le présent chapitre et le suivant, je tenterai de cerner les mécanismes de cette interaction, où l’on voit un outil de régulation sociale aussi complexe que le droit intervenir dans des affaires d’abord et avant tout familiales. L’interdiction s’avère d’ailleurs un terrain propice pour aborder l’une des questions constitutives de la sociologie et de l’histoire du droit, celle de la malléabilité du droit au sein des dynamiques sociales2. Mais qu’est-ce qui s’ajoute aux trajectoires déviantes lorsque l’on parle de droit? Louis Assier-Andrieu a souligné le double état du droit, c’est-à-dire sa présence comme fondement de la société et, simultanément, comme élément organisateur de celle-ci. C’est à la fois «une donnée de base de l’agencement social et un moyen de canaliser le déroulement des relations entre les individus et les groupes. Le droit adhère ainsi intimement à l’état de la société qu’il représente, mais il s’en distingue pour exercer sa mission d’organisation, sa tâche normative3.» Dans les parcours des fous, des prodigues et des ivrognes, le droit civil joue aussi un double rôle. C’est lui qui confère aux membres de la famille un statut juridique (en fonction de l’âge et du sexe notamment), donnée de base du fonctionnement des familles. Le droit établit en outre certaines normes et obligations qui seront appliquées à des situations jugées embarrassantes. Dans l’ensemble, le rôle joué par le droit civil évolue de manière importante au dix-neuvième siècle. Le droit devient l’une des formes essentielles de régulation sociale au cours de la transition au capitalisme industriel, parallèlement au développement de l’État, cet «appareil centralisé de production, d’interprétation, d’application et de sanction de norme[s]4». Or, la pratique de l’interdiction, qui anéantit la capacité civile d’une personne, semble contredire l’une des tendances lourdes du dix-neuvième siècle : la valorisation, en certains domaines, du sujet de droit. L’individu propriétaire, contractant et autonome civilement se trouve au cœur des codes civils français et bas-canadien5. Et tandis qu’une égalité formelle (mais limitée) est proclamée, que se met en place une nouvelle logique individualiste fondée sur la liberté

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de l’engagement par contrat, la propriété et la recherche du gain, la société approfondit et systématise l’exclusion de ceux dont les comportements heurtent les normes6. Laissons en suspens, pour l’instant, l’exploration de ce paradoxe7. S’ils ne brillent pas par leur nombre, les travaux d’histoire de la justice civile et du droit civil au Québec présentent malgré tout un éventail d’approches assez distinctes les unes des autres8. Ces travaux peuvent être répartis en quatre catégories. Certaines recherches ont adopté une perspective formaliste et textuelle d’où les justiciables sont quasi absents, l’accent étant mis sur les règles, les concepts et la jurisprudence9. Le droit a alors, en quelque sorte, une vie propre en dehors de la société. D’autres auteurs ont abordé le droit civil à la manière de l’histoire sociale «classique», sérielle et structurelle. L’activité judiciaire, la pratique des institutions est examinée dans ces travaux pour ce qu’elle révèle de la société, ce qui relègue en fait le droit au statut de média et de lunette d’approche. On tombe alors dans l’excès contraire, celui d’une recherche de la société par l’entremise de sources judiciaires, sans que l’efficace de l’appareil de justice et du droit soit prise en compte sérieusement. Or, l’activité des tribunaux ne met pas le chercheur en communication directe avec la société ou les mentalités10. Certains travaux d’histoire sociale montrent des analyses mieux réussies et plus nuancées11, tout en n’évitant peut-être pas l’écueil utilitariste signalé par Donald Fyson, lorsque le droit sert surtout de cadre à la recherche et de source utile sans être vraiment interrogé12. D’autres chercheurs ont cependant examiné la place et la fonction du droit à l’intérieur de la logique sociale globale du dix-neuvième siècle. C’est le cas de Brian Young et Jean-Marie Fecteau13. Dans ces travaux, le droit n’est pas pris en compte seulement pour l’évolution de ses règles ou pour ce qu’il peut «montrer». Sa participation aux changements du dix-neuvième siècle en tant qu’institution structurante et structurée, de même que son rapport dialectique avec d’autres champs de régulation (l’État, la classe capitaliste), sont érigés en problématiques. En ce sens, la pratique de l’interdiction soulève une question analogue, mais de plus modeste envergure : quelle fonction globale le droit civil a-t-il remplie dans la régulation des affaires familiales au dix-neuvième siècle? Toutefois, la présente recherche sur les interdits montréalais relève dans l’ensemble d’une quatrième et dernière catégorie de travaux. Là, des emprunts à des disciplines comme la sociologie et l’anthropologie contribuent à une connaissance fine, parfois microsociologique, du fonctionnement complexe du droit. Le travail de Jean-Philippe Garneau sur le règlement des conflits sous le régime français fut

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innovateur à ce chapitre14. Cet auteur a également étudié le rapport entre droit et familles, et convié ses pairs à ne pas penser ce rapport en termes d’écart entre normes juridiques et pratiques sociales, puisque ce rapport constitue en fait une pratique unique dotée d’une certaine cohérence. Il s’agirait d’une rencontre entre des acteurs juridiques et familiaux contribuant ensemble, par leur implication, à la reproduction d’un usage, d’une pratique juridique spécifique15. Il y a donc de la place pour une histoire du droit interactionniste, dans laquelle le droit et les gestes posés par les acteurs sont analysés simultanément. Qu’en est-il des rencontres entre familles montréalaises, droit et justice civile dans le cas de l’interdiction? Le recours au droit et à la justice civile s’avère fortement conditionné par une foule de circonstances qui sont souvent étrangères à la sévérité des comportements perturbateurs et qui établissent en partie la spécificité de la pratique de l’interdiction. Si bien des familles montréalaises sont en quelque sorte prisonnières de la conjoncture dans laquelle elles se trouvent, il arrive que l’entourage manipule l’institution judiciaire de l’interdiction/ curatelle. Ces manœuvres doivent néanmoins, pour réussir, avoir intégré les principales façons de faire définies par le droit.

les circonstances sociologiques, pat ri m on i a le s et re lati o n n el le s des recours Dans quel terreau croissent les requêtes en interdiction? Les dérèglements éprouvés par les familles, examinés au chapitre précédent, sont bien sûr centraux. Mais le statut familial et social des personnes exerce un certaine influence. C’est ce que montrera un examen attentif des caractéristiques sociologiques des intimés. De plus, la conjoncture économique et patrimoniale vécue par la famille est souvent déterminante. L’arrivée prochaine d’une succession peut très bien conduire à une interdiction. Quelques facteurs à caractère relationnel, comme la capacité des proches à agir sur le déviant ou l’isolement de celui-ci, doivent également être considérés. Avant d’examiner les origines familiales et sociales des interdictions, quelques considérations quantitatives s’imposent. Est-ce que, dans l’ensemble, l’incidence de l’interdiction ne serait pas influencée par certaines évolutions globales du dix-neuvième siècle? La figure 1 montre la ventilation, par année et par type de déviance (folie, prodigalité ou ivrognerie), des 511 procédures concernant des habitants de la ville de Montréal, de 1820 à 1895 inclusivement16.

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20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 1820 1825 1845 1850 1855 1860 1860 1865 1865 1870 1870 1875 1875 1880 1885 1890 1895 1820 1825 1830 1830 1835 1835 1840 1840 1845 1850 1855 1880 1885 1890 1895

folie ivrognerie folie ivrognerie Figure 1 Procédures en interdiction, Montréal, 1820–1895

prodigalité prodigalité

Source : anqm, cc 601.

L’augmentation, à partir des années 1870, du nombre de demandes d’interdiction ressort clairement. L’ajout en 1870 d’une nouvelle catégorie d’incapables, celle des ivrognes, y est pour beaucoup. Mais cette augmentation des dernières décennies du siècle correspond-elle à une intensification du recours à la procédure ou traduit-elle seulement la très forte croissance démographique que Montréal connaît après 1850? La ville compte 57 715 habitants en 1851, 90 323 en 1861, 107 225 en 1871, 140 247 en 1881 et 216 650 en 189117. Comme les années de recensement peuvent présenter un nombre atypique de dossiers d’interdiction, j’ai fait la moyenne du nombre de démarches pour les cinq années entourant chacun des recensements (démarches de 1859 à 1863 pour l’année 1861, par exemple) et mis cette moyenne en rapport avec la population de la ville lors des mêmes recensements. Ce qui donne les ratios suivants : 6,6 recours par 100 000 habitants en 1851; 2,2 en 1861; 5,6 en 1871; 8,3 en 1881; 9,9 pour 1891. La pratique de l’interdiction semble donc s’intensifier durant les dernières décennies du dix-neuvième siècle. Le recours à cette branche particulière du droit civil, consacrée à la répression et à la gestion de l’incapacité, accompagnerait donc la croissance de l’archipel institutionnel destiné à contrer la déviance, le crime et la pauvreté au Bas-Canada/Québec, et celle de ses asiles, écoles de réforme et hôpitaux. Pour le reste, s’il n’est pas prouvé que l’instabilité politique entourant les Rébellions soit la cause de l’absence de procédures en 1839 et

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1840 (aucune démarche ces années-là), il est aussi difficile d’affirmer que les différentes crises économiques qui frappent la ville (comme celle, profonde, du milieu des années 187018) affectent la pratique de l’interdiction. Les écarts observés d’une année à l’autre, en nombre absolu, sont trop faibles pour être significatifs. Les grands événements politiques et économiques du temps n’ont probablement pas d’influence sur le rythme de sollicitation des tribunaux. L’interdiction concerne des conjonctures familiales aux temporalités spécifiques. L’observateur attentif aura relevé la présence de quelques interdictions pour ivrognerie antérieures à l’année de l’apparition officielle de cette sanction (1870). Cet intrigant phénomène de forcement des catégories juridiques sera analysé plus loin. L’interdiction pour ivrognerie devient même assez «populaire» après 1870 pour rejoindre et momentanément dépasser, à la fin des années 1880, le nombre de procédures visant des malades mentaux. Ces dernières connaissent par ailleurs quelques années fastes à la fin du siècle (20 recours en 1895). De fait, le développement très rapide de l’asile au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle n’a pas affecté la recherche de curatelles pour troubles mentaux, ce qui soulève l’intéressante question de l’évolution des rapports entre droit civil et enfermement19. L’interdiction pour prodigalité, pour sa part, est une rareté. Elle vise comme on l’a vu une population très spécifique, en la personne de bourgeois de sexe masculin et mauvais gestionnaires. Sous ces unités judiciaires officielles que sont les procédures d’interdiction, propres au comptage, se cachent des histoires familiales hétéroclites et antérieures aux recours. Le geste de la requête, posé à un moment précis de l’expérience familiale de la déviance, dépend souvent d’autres facteurs que la démence, l’oisiveté ou les dépenses irréfléchies, bien que ces situations rendent fréquemment impérieuse la nomination d’un curateur. Le statut du déviant dans la famille, son rang dans la hiérarchie sociale et juridique, constituent l’un de ces facteurs. D’emblée, en vertu de son sexe, de son âge et de son état civil, la capacité légale et le pouvoir de l’individu sur les revenus et les biens familiaux varient de manière significative. Vu l’inégalité considérable des «joueurs» familiaux en droit civil québécois au dix-neuvième siècle, l’interdiction s’avère plus pressante dans certains cas. En examinant aussi la langue et la profession de la population des interdits montréalais, on obtient un panorama assez complet de celle-ci. Parmi les affaires de troubles mentaux, les hommes dominent nettement sur les femmes (211 cas contre 119). Cette prépondérance

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masculine s’accentue même au fil du siècle. Pour la période précédant 1860, il y a 34 procédures contre des femmes jugées folles et 45 visant des hommes; de 1885 à 1895 les résultats sont de 47 et 82 dossiers respectivement. Cette forte présence masculine trahit sans aucun doute la position familiale et juridique avantageuse des hommes adultes, ainsi que leur rapport privilégié aux biens et aux revenus. Leur inaptitude jette souvent la famille dans l’embarras. Les contours de la population visée par une démarche d’interdiction pour folie ressortent avec plus de netteté avec le croisement des données relatives au sexe, à l’âge et à l’état civil (tableau 1). Les deux dernières informations, malheureusement, ne sont pas toujours disponibles. Deux sous-groupes se dessinent : les hommes d’âge mûr et mariés, les veuves d’un âge avancé. L’homme établi et chef de ménage détient un pouvoir important sur les finances de la maisonnée; sa déviance mentale ou alcoolique peuvent comme on le sait détruire l’économie domestique. Reste que l’état civil de plusieurs hommes est inconnu. Avocats et officiers de justice s’attachent en revanche à préciser l’état civil des femmes mises en cause (seuls 9 des 119 dossiers de femmes jugées folles ne fournissent pas cette information). Les femmes étant socialement définies par un lien de dépendance, leur état civil fait partie intégrante du recours aux magistrats. Les interdictions pour aliénation mentale féminine visent en grande majorité des femmes célibataires ou des veuves âgées : ces deux catégories rassemblent 91 des 119 dossiers féminins. Leur autonomie relative, leur liberté d’action patrimoniale en font des cibles plus fréquentes d’une intervention en justice. Quant à la langue, en matière de troubles mentaux le partage entre les deux grands groupes linguistiques se solde par une égalité. Il y a 162 procédures engagées contre des francophones et 168 procédures engagées contre des anglophones durant l’ensemble de la période 1820–189520. Cette répartition recèle cependant une anomalie diachronique. De 1875 à 1895 inclusivement, 95 instances pour folie visent des francophones et 103 des anglophones. Or, à partir des années 1860, les francophones redeviennent majoritaires à Montréal21. Durant les dernières décennies du siècle, les anglophones feraient donc un peu plus appel à l’interdiction pour folie. Cette légère disproportion témoigne certainement de la condition économique plus avantageuse d’une partie des anglophones de la ville. Le retrait des droits civils sert avant tout à protéger un patrimoine et des revenus.

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Dès lors, on peut se demander si l’interdiction pour folie affecte certaines catégories socioprofessionnelles plus que d’autres. Comme la structure socioprofessionnelle montréalaise se modifie considérablement entre le début et la fin du dix-neuvième siècle, les professions des personnes considérées folles à deux époques bien distinctes du développement de la ville, 1820–1850 et 1891–95, ont été comparées. Ces deux périodes présentent un nombre équivalent d’affaires, soit 63 et 69 cas respectivement (tableaux 2 et 3)22. La pratique de l’interdiction pour folie n’est pas vraiment représentative de la structure socioprofessionnelle de Montréal, où la classe ouvrière domine à partir de 1871, selon Bettina Bradbury23. Néanmoins, ce recours judiciaire affecte un large éventail de conditions et ne s’adresse pas qu’aux détenteurs de fortunes importantes. Le nombre d’artisans et d’ouvriers spécialisés visés s’avère fort appréciable. On a même cherché à interdire quelques personnes assimilables à des prolétaires (première catégorie). Si, comme nous le verrons plus loin, la conjoncture financière à l’échelle du ménage est très importante dans la pratique de l’interdiction, cela ne concerne pas uniquement les biens possédés ou contrôlés par la personne visée. En 1884, Antoine V., tailleur de pierres, obtient l’interdiction de sa mère âgée, elle-même veuve de journalier. Certains de ses enfants cherchent à la placer quelque part et cette mesure suscite probablement des dissensions. D’où la nomination d’un curateur, à même de favoriser un éventuel arrangement monétaire entre enfants, pour assurer la pension de cette veuve, même s’il est question de petites sommes24. De surcroît, il n’y a pas de changement significatif d’une époque à l’autre dans la répartition des intimés selon les catégories socioprofessionnelles, bien que les professions déclarées aient évidemment changé d’aspect. Dans l’ensemble, malgré certaines tendances (l’accentuation de la représentation masculine et anglophone), l’interdiction pour folie ne connaît pas de véritables bouleversements tout au long du siècle quant à la représentation des sexes, des groupes linguistiques et des catégories socioprofessionnelles. Pour ce qui est des affaires de prodigalité, le chapitre précédent a permis de mieux cerner une figure particulière, celle du fils prodigue de «bonne famille». Les 17 procédures de ce type concernent 16 hommes et une femme. Celle-ci est séparée de biens par contrat de mariage, ce qui est assez éloquent : aussi mince soit-elle en réalité, la marge de manœuvre que lui laisse la séparation de biens (simple administration des biens propres25) fait apparaître plus impératif,

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en cas de tensions, un contrôle légal absolu de l’épouse. Ici le mari, requérant, déclare qu’il s’est efforcé de contrôler les dépenses de sa femme. La situation rend nécessaire, à ses yeux, une mainmise judiciaire complète26. Les 16 hommes prodigues comprennent neuf individus mariés dont l’âge est disponible dans cinq cas (21, 32, 34, 34 et 74 ans), cinq célibataires dont quatre sont âgés de 22 à 25 ans, un veuf à l’âge inconnu, et un individu de 40 ans dont on ne connaît pas l’état civil. Ces quelques mesures donnent un peu plus de consistance au type du jeune homme prodigue célibataire ou nouvellement marié. Les archives de la curatelle ne renferment qu’un nombre limité d’affaires de ce genre, mais cela ne diminue en rien leur importance pour l’histoire de la famille au dix-neuvième siècle. Que l’on réussisse encore à la fin de cette période à interdire pour prodigalité un fils héritier qui a certes quelques dettes, mais dont le problème consiste surtout en son instabilité professionnelle et en sa paresse, cela évoque bien la persistance du rapport particulier que les familles possédantes entretiennent avec leur patrimoine et l’établissement de leurs enfants mâles. Treize hommes francophones, contre trois anglophones, se voient reprocher leur prodigalité. Les 16 hommes de ce groupe comprennent notamment : cinq «gentilhommes» ayant des revenus très substantiels, soit de 5 000 $ à 10 000 $ par an, ou ayant hérité, pour l’un d’entre eux, de biens valant 20 000 $; un architecte désœuvré (Ernest L., rencontré au chapitre précédent), en attente de sa part d’un sixième dans un héritage valant 200 000 $; un «vicomte» qui a dépensé de manière étourdie, dit-on, 71 000 $ en quatre ans; deux fils héritiers dont l’un sera accusé, lors de sa seconde interdiction, d’avoir dissipé pour environ 15 000 $ de biens; un «bourgeois» qui a gaspillé les biens à lui échus par succession de ses père et mère. Hormis un entrepreneur en chemins de fer dont la résidence sera vendue en 1893 pour 92 000 $, les autres prodigues sont des individus de condition moyenne ou modeste. Ceci confirme le portrait esquissé au chapitre précédent. La prodigalité, telle que vécue et dénoncée par la société montréalaise, suppose dans bien des cas un rapport aux biens marqué par une certaine oisiveté, oisiveté soutenue par des rentes ou des héritages opulents. La plupart des interdictions pour ivrognerie sont prononcées durant la seconde moitié du siècle. Elles affectent très majoritairement des hommes (137 procédures) et plus rarement des femmes (27). La disproportion entre les sexes est ici beaucoup plus marquée qu’en

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matière de maladie mentale. Les hommes jugés ivrognes comprennent 62 individus mariés, 4 célibataires, 5 veufs, un individu séparé et 65 dont l’état civil est inconnu27. Malgré l’insuffisance des données, le type du mari alcoolique ne serait cependant pas une vue de l’esprit. Les cas féminins rassemblent quant à eux 18 épouses et 9 veuves. Les 164 affaires d’ivrognerie concernent 95 anglophones et 69 francophones. Si les anglophones recourent proportionnellement plus souvent à la curatelle pour troubles mentaux que leurs concitoyens de langue française, cette tendance s’avère plus marquée en cas d’abus d’alcool. De surcroît, la très grande majorité des affaires de ce genre surviennent après 1870, lorsque la ville retrouve progressivement son visage francophone. La position plus enviable d’une partie des anglophones dans la structure sociale montréalaise, position à laquelle est inhérente, en principe, un plus grand souci de protection du patrimoine, doit à nouveau être évoquée. Reste que le déséquilibre est ici plus net. Le fait de trop boire ou fréquenter les débits de boisson, comportements «populaires», est-il moins bien accepté par les anglo-protestants de la ville? Les mouvements de tempérance sont pourtant bien présents chez les francophones du Bas-Canada à partir des années 184028. Le croisement des données sur la profession et la langue des «ivrognes d’habitude» a peut-être quelque chose à nous apprendre à ce sujet (tableau 4). L’interdiction pour abus d’alcool concerne elle aussi un vaste éventail de conditions sociales. Les ouvriers spécialisés et les artisans, les cols blancs (et équivalents), les marchands et les commerçants fournissent tous des contingents importants de personnes tenues pour ivrognes. Mais les 23 gentlemen de langue anglaise ressortent du lot. Certains indices laissent croire que certains d’entre eux vivent de leurs placements et appartiennent à l’élite de la ville. Le gentleman rentier, désœuvré, succombe-t-il plus facilement au «loisir» de la bouteille? Son milieu social se montre-t-il moins tolérant face à ce genre de comportement, en raison de son niveau de vie plus élevé, d’une certaine étiquette ou de conceptions culturelles différentes? Peut-être ces facteurs jouent-ils chacun un rôle. Les francophones du groupe se concentrent parmi les ouvriers, les artisans et les commerçants, tout en étant moins présents parmi les cols blancs (et équivalents), ce qui reflète assez bien la structure socio-économique montréalaise de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Surtout, on ne retrouve pas chez eux cette cohorte de gentlemen alcooliques que les familles anglophones croient bon de mettre au pas par l’interdiction.

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En somme, le statut sociojuridique des intimés revêt une importance fondamentale. Puisque l’interdiction sert à mettre à couvert patrimoine et revenus, les Montréalais se servent plus souvent de cette solution judiciaire pour neutraliser ceux qui peuvent, du fait de leur sexe et de leur état civil, troubler de manière importante le cours normal de l’économie familiale. En témoignent la faible représentation des femmes en général, très marquée dans les cas d’ivrognerie, ainsi que leur interdiction pour troubles mentaux lorsqu’elles sont veuves ou célibataires. L’influence de la langue et de la profession est un peu moins marquée. Les deux blocs linguistiques font appel à la curatelle, bien que la proportion d’anglophones soit nettement plus grande parmi les personnes considérées ivrognes. L’exclusion juridique pour folie ou alcoolisme affecte par ailleurs un large éventail de conditions. Les rares interdictions pour prodigalité ciblent la plupart du temps des hommes bien nantis, vivant de rentes et d’héritages familiaux. Or, ce groupe n’est pas totalement étranger aux deux dizaines de gentlemen ivrognes traînés en justice entre 1870 et 1895. L’oisiveté et l’état de rentier facilitent peut-être l’adoption de comportements déviants spécifiques – endettement prodigieux ou fréquentation de la bouteille – en contravention avec les fondements idéologiques de la classe bourgeoise que sont la mesure, l’épargne et l’esprit d’entreprise. Ce qui expose héritiers et gentlemen à la nomination d’un curateur. Si elles exercent une influence plus ou moins marquée selon les cas, toutes ces caractéristiques démographiques et sociologiques ne peuvent expliquer à elles seules la présentation de centaines de requêtes en interdiction par les familles montréalaises. Les acteurs ne sont pas des données, des états statiques et statistiques. Ils ont une histoire, appartiennent à un écheveau de relations familiales ou de sociabilité et expérimentent des conjonctures favorables ou, au contraire, inquiétantes. Ce sont des trajectoires individuelles et familiales qui font le demi-millier d’interdictions prononcées entre 1820 et 1895. Dans chacune d’elles, des circonstances plus contingentes et moins quantifiables que le sexe, la langue ou la profession influencent le transfert du problème vécu du milieu familial à la scène judiciaire. Moins quantifiables, dis-je, car requérants et témoins ne sont en rien tenus de mentionner qu’un procès concernant un héritage, par exemple, se trouve à l’origine de la requête en interdiction. Mais la richesse des sources et des histoires de vie reconstituées compense largement ce caractère un peu aléatoire de la documentation.

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La plupart des circonstances immédiates du recours à l’autorité judiciaire ont, comme on pouvait s’y attendre, une dimension financière et patrimoniale. Si, comme le juriste L.P. Sirois l’affirme, «l’interdiction n’est généralement prononcée que contre celui qui a des biens à sauvegarder29», des biens très modestes représentent à l’occasion un enjeu de survie et de considération sociale crucial dans la société urbaine de la transition vers le capitalisme industriel. Une succession suscite souvent la mise sous curatelle. La trajectoire individuelle de déviance se trouve alors littéralement orientée, soulevée même, par le processus de transmission des biens familiaux. Des Montréalais appréhendent simultanément la dilapidation d’héritages et la dépendance à long terme de l’individu envers ses proches. James M. est interdit pour folie en 1880. Il ne travaille pas et a déjà dépensé en pure perte 2 400 $ tirés de la succession de son père. À la mort de sa grand-mère, qui a maintenant 80 ans, il aura droit à d’autres sommes. Sa sœur «fears that by his imbecility and prodigality he will dissipate the same and become a pauper and a charge upon his friends30». Figure rhétorique? Vu le rôle crucial de la famille dans la prise en charge de la pauvreté et de la maladie à l’époque, cette crainte peut être parfaitement fondée. Dans certains cas, le décalage temporel entre l’apparition des troubles et le recours judiciaire témoigne de l’influence de conjonctures successorales – autre manifestation de l’importance du temps dans l’analyse historique de la déviance. Le second mari d’Angélique D. meurt le 9 septembre 1832. Dans une requête datée du 20 du même mois, on précise que la veuve est en démence depuis quatre ans, mais aussi que son frère et les autres membres de la famille «ont intérêt» à ce qu’un curateur lui soit nommé. Par suite du décès de son époux, elle «a des droits et des réclamations à exercer : ce qu’elle ne peut néanmoins faire sans le secours & la nomination d’une personne intéressée à la conservation de ses droits31». Le hiatus temporel est encore plus évident dans les cas de retard mental. Une personne déficiente est fréquemment interdite uniquement en raison de l’arrivée d’une succession. Cela signifie que, en dehors de cette circonstance forçant la démarche en justice, la famille gère habituellement de manière autonome la situation. En 1883 sont interdits simultanément Elmire L. et son frère Cyprien. Ils ont «toujours été faibles d’esprit et dans un état habituel d’imbécillité». Majeurs «depuis longtemps» et placés l’une chez les sœurs de la Providence

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(«à leur établissement de la rue Sainte-Catherine»), l’autre chez les sœurs Grises, ils sont héritiers d’un oncle décédé dont l’épouse veut régler la succession. Il faut par conséquent leur nommer un curateur pour les représenter. Leurs père et mère sont décédés32. Si la personne a été placée à l’asile avant les procédures, c’est que sa présence au foyer a déjà été jugée impraticable ou indésirable. Mais l’interdiction survient parfois longtemps après l’institutionnalisation. Althaïs B., épouse d’un manufacturier de voitures, est interdite en 1877 alors qu’elle «serait sur le point d’être appelée à concourir avec [d’]autres de ses parents, dans le partage des biens composant la succession de feu Dame Euphrosine [B.], décédée». Elle est incapable de prendre part aux actes nécessaires, aussi le partage ne peut avoir lieu que si elle est interdite et confiée à un curateur. Or, elle est à l’asile de Beauport depuis huit ans33. Les interdictions «successorales» de personnes déjà internées sont assez nombreuses durant le dernier quart du dix-neuvième siècle. Ainsi, dans l’appel au tribunal, le calendrier de la transmission des biens peut l’emporter sur deux autres temporalités, celles de la déviance et de l’internement. Les trajectoires déviantes ne sont pas simplement linéaires. Elles s’avèrent aussi «multichronologiques». Certaines procédures destinées à protéger un héritage témoignent à leur manière de la forte imbrication des relations familiales avec les biens et les revenus dans le Montréal de la transition vers le capitalisme. Certaines personnes ne veulent pas souffrir la dépendance d’un proche qui dilapiderait une part successorale. Examinons un cas différent. Le père de Maurice D. a contracté deux mariages avant de mourir, le second avec une certaine Dorothée B. Or, cette seconde épouse que veut interdire Maurice est usufruitière de tous les biens du défunt, biens qui doivent par la suite échoir aux enfants des deux mariages (le requérant est issu du premier). Dorothée est également l’exécutrice testamentaire de son mari décédé. Elle cumule donc deux rôles patrimoniaux névralgiques. Cependant, elle donne des signes de démence depuis un an «& même des signes de folie qui font craindre au Requérant & à la famille & aux héritiers du dit feu … [D.] que la dite Dame Dorothée [B.] ne dissipe ses biens, fasse de mauvaises transactions & se trouve plus tard réduite à un état précaire». L’interdiction est obtenue et le requérant nommé curateur34. Les effets sociaux de l’héritage sont ici pleinement en action. Le règlement de questions monétaires et patrimoniales, autres que successorales, suscite pareillement des recours en justice. La mise sous

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curatelle d’un prodigue est sollicitée exactement le même jour que celui fixé pour le transfert entre ses mains, par les exécuteurs testamentaires de son ex-tuteur, d’une importante somme d’argent. C’est par ailleurs l’occasion de mettre fin à la longue série de comportements déviants de ce gentilhomme de 34 ans, père de famille, qui ne veille pas aux besoins des siens35 . Des requêtes surgissent même à l’occasion de poursuites judiciaires. Un demandeur voudrait faire annuler des actes préjudiciables à son beau-frère Antoine M. Il s’en prend surtout à un accord passé entre Antoine et une société de secours mutuels, après que ce journalier eut été amputé d’un bras. Le requérant juge désavantageux cet accord, du point de vue de l’accidenté. L’interdiction précède de 10 jours l’ouverture du procès intenté à la société. La curatelle fait en sorte qu’Antoine y sera légalement représenté36. Même s’il n’y a pas d’héritage à recevoir ou de règlement monétaire à concrétiser, la gestion plus quotidienne du patrimoine et des revenus peut déterminer le passage à la scène judiciaire; rien d’étonnant à cela, vu la finalité de l’interdiction. L’intimé a des biens parfois importants et ceux-ci doivent être gérés et surveillés. Ces raisons sont très fréquemment invoquées. William E., médecin et chirurgien, souffre de folie et est «interested in divers matters and affairs which require adjustment, and is proprietor of property and effects to a large amount». Sa famille a pris en charge la gestion de ses avoirs et on ne sait pas trop ce qui motive le passage à une curatelle officielle. Un acte important est peut-être en vue37. Jean M., marchand interdit en 1866, «a un magasin dans la cité de Montréal dans lequel il y a un fonds de commerce valant à peu près seize mille piastres … Il n’y a personne pour surveiller le dit établissement depuis la maladie du dit Jean [M.]38.» De toute évidence, la pratique de l’interdiction, institution judiciaire, est fortement imprégnée des circonstances économiques des individus visés et de leurs proches39. Il serait cependant erroné de réduire le droit relatif aux majeurs incapables à une mécanique qui ne se met en branle qu’à la suite d’un événement à caractère patrimonial ou financier. La déviance dénoncée demeure centrale, même si elle ne suffit pas toujours à expliquer le recours à la justice. Aussi, comme le chapitre précédent l’a montré, la première ligne de défense contre la déviance est l’entourage. Sa capacité à infléchir le cours des choses, en dehors des tribunaux, varie d’une conjoncture familiale à l’autre; l’incapacité des proches à agir peut déterminer le franchissement du seuil

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judiciaire. On l’a dit, le coping de l’entourage a souvent un caractère inachevé. Le recours aux magistrats survient fréquemment au moment où le réseau de parentèle et d’alliance constate, pour toutes sortes de raisons, son impuissance à prendre en main le problème. Des proches, qui ont peut-être déjà agi de manière non officielle et infrajudiciaire (chapitre premier), voient la situation leur échapper. La curatelle permet de rétablir leur influence. Robert W., agent d’assurances, a amassé une fortune considérable. Son neveu et partenaire en affaires, de même que d’autres membres de sa famille, ont pu assurer la gestion de certaines de ses affaires depuis qu’il n’est plus en état d’y voir. Mais il est des revenus qu’on ne peut toucher en raison de l’absence d’une personne légalement autorisée à cette fin, «the whole to the loss, injury and danger of his estate and of those to whom the same may hereafter come40». Ne perdons pas de vue non plus l’état et la conduite de l’individu visé par les démarches. L’entourage pose divers gestes pour contrer la déviance, en dehors du recours aux institutions : réprimandes, mesures ad hoc, mises en pension, etc. Le manque de contrôle sur l’intimé lui-même peut pousser l’entourage à franchir le seuil du monde judiciaire, quoique la question des biens ne soit jamais bien loin. Le mari d’Henriette D., une ivrogne, soutient que celle-ci se trouve «actuellement hors du contrôle de son mari, qu’elle habite avec des personnes disposées à l’exploiter … en flattant son penchant à l’ivrognerie». Les deux époux sont séparés de biens judiciairement. Le dossier contient d’ailleurs une requête pour qu’un ordre soit donné aux officiers d’une banque de ne remettre à l’intimée aucune somme tirée sur le compte qu’elle y possède41. Outre la capacité des proches à agir, certaines variables beaucoup plus personnelles pèsent parfois sur le transfert du problème de la sphère familiale au domaine judiciaire. L’isolement de la personne affecte par exemple son insertion familiale et communautaire. Requérants et témoins ont avantage à souligner, dans certains cas, le caractère pathétique de la situation de l’individu; cela souligne l’urgence d’agir. Malgré tout, certaines circonstances, sans être directement reliées à l’incapacité de l’intimé, rendent sa situation plus précaire. État de choses à laquelle la nomination d’un curateur remédie en partie. Le curateur d’un aliéné, notamment, doit en principe s’occuper aussi de la personne (et non seulement des biens) de son «protégé». Benjamin B., médecin, vit dans l’inactivité depuis longtemps et boit beaucoup. Surtout, il «habite seul … n’ayant aucune personne autre

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que des domestiques, pour avoir soin de sa personne & de ses biens … [Il] est complètement à la merci de ses domestiques pour son entretien et sa subsistance.» Auparavant, il «habitait avec sa mère qui en prenait soin», mais celle-ci est morte il y a quelques semaines. Ses biens ont une «grande valeur». L’isolement consécutif au décès de la mère, le remplacement de celle-ci par des gardiens inadéquats aux yeux de l’entourage (des serviteurs!), y sont pour beaucoup dans l’appel aux magistrats. Si Benjamin est interdit pour sa prétendue «démence» et «aliénation mentale», ses réponses lors de l’interrogatoire ne montrent pas de folie. L’homme avoue plutôt être «fénéant [sic] démoralisé» et consommer beaucoup d’alcool42. La disponibilité de caretakers, personnes susceptibles de se consacrer à l’incapable ou d’en superviser l’existence, affecte de manière importante autant le coping des familles que certains recours au droit civil. La mort ou l’indisponibilité de la personne investie de cette responsabilité précipite parfois l’interdiction. Marie H., veuve d’un marchand, perd sa capacité civile en 1850 pour cause de folie. Sa sœur avec qui elle habitait ne peut plus s’en occuper. Cela semble bien être la cause essentielle de l’interdiction, car Marie souffrait d’aliénation mentale depuis cinq ou six ans déjà43. Montréal accueille des contingents importants d’immigrants tout au long du dix-neuvième siècle. Des individus se retrouvent dépourvus, de ce fait, du filet de «sécurité sociale» primordial qu’est la famille. Robert C., journalier, est confié à un curateur en 1846. L’état mental de ce pauvre immigrant écossais ne serait pas des meilleurs. Deux témoins assurent que Robert «has no relations or kin in this country». Il n’y a que des amis au conseil de famille réuni pour son interdiction, «friends for want of any relations, in this Country44». On convoque des «amis» au conseil de famille en cas d’insuffisance du réseau familial dans le district; ces personnes ne connaissent pas toujours directement l’individu. Interdite en 1850, Mary S. est une veuve âgée de plus de 80 ans, «imbecile from old age and infirmities». Immigrante d’origine écossaise elle aussi, ses enfants l’ont précédée dans la tombe; elle n’a pas de parents dans la province. Son conseil de famille n’est pareillement composé que d’«amis»45. Même si la personne inapte ou gênante dispose d’un réseau de parents et d’alliés, rien ne garantit que ces derniers auront du temps à lui consacrer. Mary D., veuve d’un charpentier, souffre de «progressive dementia» et n’a pas de famille dans la province de Québec, hormis un fils «whose occupation is such as to prevent him from devoting the

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time & attention to the interest of his said mother that is requisite and necessary». Malgré l’enfermement de Mary à l’asile Saint-Jean-deDieu, la nomination d’un curateur semble s’imposer46. L’industrialisation et ses horaires de travail plus exigeants et rigides laissent peu de disponibilité à maints Montréalais, en plus d’avoir dissocié lieu de travail et résidence pour beaucoup d’entre eux. Un séjour asilaire impose, en certains cas, la nomination d’un curateur pour veiller à la gestion des biens d’un ménage. Dans la pratique de l’interdiction, l’enfermement apparaît comme une preuve assez lourde d’incapacité, puisqu’une institution a déjà, en principe, établi l’aliénation mentale. Mais l’absence de la personne a aussi des conséquences relationnelles et humaines très concrètes sur le foyer, surtout lorsque d’autres contingences ont déjà rendu la situation familiale plus que délicate. Nicol B., ingénieur, est interdit en 1849, très peu de temps après son départ pour l’asile d’aliénés de Brattleboro, au Vermont. Il avait eu à faire face au décès de son épouse, morte peu après avoir donné naissance à deux jumelles, il y a de cela deux ans. Cette mort prématurée l’a laissé seul avec huit enfants. Envoyé à l’asile à la fin de juin ou au tout début de juillet 1849, il est interdit à la demande de son beau-frère le 3 juillet. Comble de malheur pour cette jeune famille, Nicol meurt à l’asile 3 mois et demi plus tard47. Ainsi, certains facteurs et conjonctures conditionnent nettement la présentation de requêtes en interdiction. Le statut sociojuridique du déviant et les opérations que commande la gestion du patrimoine se démarquent à ce chapitre. La capacité des proches à contrôler la situation ou à s’occuper concrètement de la personne détermine également maintes requêtes. Les antécédents de cette pratique judiciaire sont à la fois patrimoniaux et relationnels. Dès lors, l’interdiction ne constitue pas une réaction simple et immédiate à des comportements jugés anormaux. Le franchissement du seuil judiciaire est fortement marqué par la contingence; la présentation d’une requête, toute formelle qu’elle soit, est un acte très chargé sociologiquement, très «situationnel». Ce qui traduit un phénomène fondamental de la sociologie de la déviance, à savoir que la reconnaissance et l’étiquetage de l’anormalité par des groupes détenteurs de pouvoir (ici, la famille et la justice bas-canadienne et québécoise) dépendent très souvent d’autres choses que des comportements anormaux eux-mêmes. Comme le dit Howard Becker, «le classement effectif dans la catégorie

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des déviants d’une personne qui a commis un acte déviant dépend de plusieurs facteurs extérieurs à son comportement réel48». Bien entendu, le statut familial des fous, des prodigues et des ivrognes, la conjoncture patrimoniale des familles montréalaises et la capacité de celles-ci à gérer la situation s’ajoutent ou se combinent, la plupart du temps, à des comportements jugés perturbateurs. Ces comportements demeurent sans contredit l’une des causes majeures de l’appel à la justice civile. Lorsqu’une personne déficiente est interdite seulement au moment d’une succession, c’est aussi parce que son état préalable la rendait déjà inapte, aux yeux de parents et amis qui la connaissent depuis longtemps, à disposer de cet héritage de manière sûre. Par conséquent, une étude catégorielle des circonstances des procès ne doit pas leurrer. Plusieurs mécanismes sont simultanément à l’œuvre dans l’expérience familiale et communautaire de la déviance, cet écheveau complexe d’éléments économiques, de comportements embarrassants, de données relatives à la structure des ménages et de relations humaines particulières. La requête n’est donc pas un fait social qui, au plan heuristique, se suffit à lui-même. C’est un moment dont il faut démêler les tenants et les aboutissants. Les démarches qui se contentent de compter les rencontres entre populations et appareils de contrôle montrent en cela certaines limites. Que signifient les courbes d’entrées à l’asile au dix-neuvième siècle? Peut-on directement en conclure que «le tissu des solidarités familiales s’effiloche49»? Reste le caractère névralgique de la conjoncture familiale dans la mise en œuvre de l’interdiction, hormis le fait que les règles de droit assurent d’emblée une place prépondérante aux proches comme requérants, témoins et membres du conseil de famille. La conjoncture et les relations familiales sont déterminantes dans la pratique de cette branche du droit civil, bien au-delà de ce que «prévoit» formellement le droit.

a cc è s à la j u s t i ce et n ég o c i at i o ns La concrétisation d’une requête en interdiction représente un moment très précis des trajectoires de déviance. La mesure du laps de temps séparant l’apparition des comportements déviants de la présentation d’une requête a-t-elle quelque chose à nous apprendre au sujet de l’accession de problèmes familiaux au domaine judiciaire? Les frais de justice peuvent aussi influencer la décision de recourir ou non aux

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tribunaux. Certains procès révèlent enfin un aspect souvent méconnu du fonctionnement des différents appareils institutionnels de régulation sociale : il s’agit des négociations qui précèdent l’intervention de ceux-ci au sein de la société. Les cas de folie, d’ivrognerie et de prodigalité décrivent des trajectoires aux rythmes différents. Celles-ci sont également, en elles-mêmes, multichronologiques, comme on l’a déjà remarqué. Les recours judiciaires mélangent au moins deux temporalités. Il y a d’abord le temps de la déviance, celui des problèmes et des tensions subies, endurées. Puis il y a le rythme propre aux démarches auprès du tribunal : des gens qui végètent à l’asile depuis des années peuvent se retrouver subitement sous curatelle. Les requêtes en interdiction ont l’intéressante particularité de mentionner, habituellement, à quand remonte le trouble de l’intimé. Ce qui permet de mesurer, de manière approximative, l’espace de temps séparant l’apparition des comportements dénoncés de la sollicitation de l’appareil judiciaire. Le nombre important d’affaires de folie et d’ivrognerie autorise quelques quantifications. En ce qui a trait aux désordres mentaux, la vitesse des réactions judiciaires a été mesurée pour deux périodes, soit 1820–1850 et 1891–1895 (tableau 5). Fait-on plus rapidement appel à la justice à la fin du siècle? De 1820 à 1850, les requêtes visent à peu près également des troubles endurés depuis un an (première à quatrième catégorie), depuis un an à cinq ans (cinquième catégorie) et depuis plus de cinq ans (sixième catégorie). Mais le nombre de cas indéterminés demeure important. Les requêtes de la seconde période sont encore moins explicites à ce sujet, plusieurs d’entre elles mentionnant seulement que la personne est en état d’aliénation mentale. Conclure à une accélération des recours au fil du siècle serait hasardeux. Néanmoins, l’imprécision même des dossiers de fin de période, qui sont de surcroît plus minces en moyenne, donne l’impression de démarches un peu plus expéditives. Nous verrons d’ailleurs, dans le chapitre suivant, que les interdictions pour folie sont alors de plus en plus l’apanage d’un personnage subalterne du système judiciaire, le député-protonotaire (délégué du protonotaire). Ce transfert des interdictions pour folie vers un échelon inférieur de la hiérarchie judiciaire n’est peut-être pas incompatible avec une plus grande diligence des procédures. Lorsque les proches d’un ivrogne s’adressent aux magistrats pour le faire interdire, sa consommation excessive d’alcool remonte le plus souvent à plusieurs années et même à plus de cinq ans. C’est ce que

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montrent une centaine de cas de la fin du siècle (tableau 6). En outre, dans 21 des 35 cas imprécis, le problème date aussi de plusieurs années («several years», «quelques années», «longues années», «for years past», etc.), sans que l’on sache si ces dossiers appartiennent à la catégorie «un à cinq ans» ou «cinq ans et plus». De toute évidence, les familles montréalaises patientent longtemps avant de sanctionner légalement leurs alcooliques. Plus longtemps, à tout le moins, que dans les cas d’aliénation mentale. La symptomatologie de chacune des déviances y est certainement pour quelque chose : la folie et ses diverses manifestations prennent à l’occasion la forme de coupures radicales avec le monde (hallucinations, démence sénile), alors que l’ivrogne, aussi dérangeant soit-il, n’est pas nécessairement réduit à un tel degré d’étrangeté et d’incapacité. On ne devient pas non plus subitement un «ivrogne d’habitude». C’est à un trouble ancré profondément que s’attaque ici la curatelle. Cette solution juridique vise une catégorie spécifique de buveurs, les cas lourds. L’accès des Montréalais à l’interdiction dépend entre autres des frais attachés aux procédures. Que l’interdiction soit contestée ou non change bien des choses. L’audition de nombreux témoins et la multiplication des démarches engendrent parfois des frais considérables. Mais la contestation de requêtes est un événement plutôt exceptionnel. Les dossiers portent souvent l’inscription d’un total de frais, sans que le détail soit précisé. Pour les causes qui se sont déroulées de manière non contradictoire, il s’agit probablement de ce qu’il en a coûté pour mettre l’individu déviant sous curatelle. Durant la période 1889–1895, une interdiction pour troubles mentaux non contestée, avec un nombre normal de témoignages, coûterait de 20 à 40 $ environ50. C’est sensiblement la même chose pour les interdictions d’ivrognes non contestées, à la même époque51. Pour des gens d’humble condition, la dépense serait très importante52. Mais la pratique de l’interdiction concerne en général des gens mieux nantis que la moyenne de la population montréalaise. La menace d’une misère consécutive à une gestion des biens erratique plane au-dessus des familles d’artisans et d’ouvriers qualifiés et des foyers petits-bourgeois. Dans certains cas, le fait que les biens et les revenus en jeu soient modestes les rend encore plus essentiels à la survie et au bien-être des familles. L’entourage juge alors acceptable la dépense engagée pour interdire. De toute façon, les frais de justice sont payés sur les biens de l’interdit. Mais les frais explosent dès qu’il y a opposition. Une procédure en mainlevée d’interdiction présentée par un menuisier interdit pour

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folie aurait coûté 136,05 $ en 1892, montant considérable pour un ouvrier qualifié. Sa femme s’est opposée à cette démarche; des témoins ont été entendus53. En 1894, un procès d’interdiction pour ivrognerie, opposant un duo mère/fils de milieu aisé, aurait engendré des frais substantiels, soit 179,10 $ pour la requérante et 135,20 $ pour l’intimé. De nombreux témoins ont été conviés. Le même tandem devra subir d’autres frais par la suite : le fils, requérant en mainlevée d’interdiction, à hauteur de 87,00 $, et sa mère, opposante, de 79,40 $ 54. Les plus gros frais relevés sont ceux reliés à l’affaire Rose M., dame interdite en 1895 au milieu de disputes familiales. L’intimée s’est défendue. Les avocats du requérant réclament peu après 234,10 $, somme que l’interdite sera condamnée à payer… Or, les avocats qui l’ont défendue demandent pour leur part 230,80 $ 55. Une fois envisagée l’interdiction du déviant, le réseau de relations (professionnelles, entre autres) et le savoir juridique de la famille sont mis à contribution. Un juge de la Cour supérieure qui requiert l’interdiction de son beau-fils sait comment s’y prendre56; l’élite de la ville connaît certainement mieux le fonctionnement des pouvoirs judiciaires et médicaux. Les familles, face à ce qu’elles perçoivent comme des comportements inadéquats, tentent, pour un temps du moins, de négocier avec la personne, de lui prodiguer des conseils et de lui faire connaître leurs attentes. À quoi s’ajoutent réprimandes, scènes domestiques et menaces. L’interface réunissant familles et appareil judiciaire comprend elle aussi un espace de négociations. Les tractations concernent l’opportunité d’en appeler à la justice. Malheureusement, la multitude de pourparlers et d’intrigues qui ont dû précéder la présentation de bien des requêtes nous sont inaccessibles. Seuls quelques dossiers en dévoilent les contours. Ces affaires confirment que c’est bel et bien au niveau de la famille que le recours en justice est décidé. Toutefois, porter à l’attention des tribunaux un problème de nature privée ne semble pas aller de soi. Dans le cas du fils prodigue Ernest L., ce jeune célibataire interdit en 1893, la mise sous curatelle a fait l’objet d’échanges nombreux et de marchandages compliqués. Vu ses frasques et son incompétence, le jeune homme se trouve finalement menacé d’interdiction. Mais ses promesses de réforme le sauvent pour un temps et font en sorte que sa mère paie ses dettes! Un témoin raconte qu’«après avoir mené une vie plus ou moins de débauche pendant quatre à cinq mois, à ce qu’il m’a dit, et n’ayant pas d’argent, il est allé trouvé sa mère lui racontant en quelle position il se trouvait, les dettes qu’il avait en cours; et c’est sur ses promesses de bonne conduite et de retour à la maison paternelle,

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que Mme [L.] s’est décidée à payer ses dettes. Il était question, dans ce temps, d’interdiction et ce n’est que sur les promesses de réforme de son fils qu’elle a promis de payer ses comptes et qu’elle a payé … ses comptes.» En fait, les négociations entourant une possible interdiction sont directement reliées à la transmission du patrimoine dans cette famille fortunée, ce qui montre à quel point ce processus de transmission oriente complètement, en certains cas, les trajectoires familiales et individuelles. Témoin cet échange entre l’avocat d’Ernest et un autre avocat qui a déjà conseillé sa mère, échange qui renvoie probablement à l’épisode narré ci-dessus : Q. Est-ce que l’intimé n’a pas dit qu’il consentirait à une donation entre vifs à sa mère de sa part dans la succession de feu son père, moyennant une certaine part dans les revenus? R. Il a demandé d’y songer. Q. Combien demandait-il? R. Il avait d’abord été question de l’interdire. Mais Mme [L.] a consenti à retirer sa demande en interdiction, moyennant qu’il consente une donation entre vifs de sa part dans la succession. Il a demandé quelques jours pour y songer. À la fin, il a dit qu’il ne voulait pas. Alors, Mme [L.] s’est laissée attendrir, et n’a pas continué sa demande en interdiction. Il est resté chez lui pendant quelque temps; mais, ensuite, il est parti de la maison paternelle, et il est pire que jamais.

L’arrangement proposé en l’occurence aurait constitué une «interdiction à l’amiable»… Le même échange, plus loin : Q. Il est indiscutable que le fils [L.] aurait consenti à une interdiction à l’amiable, si sa mère lui avait promis un revenu quelconque? R. Oui, en le faisant vivre richement, à ne rien faire.

La possibilité d’une interdiction «à l’amiable» n’est sûrement pas courante. Cette histoire est tout à fait exceptionnelle. Mais elle montre bien comment l’accès à la sphère judiciaire fait en certains cas l’objet de négociations. Avant d’en venir à demander l’interdiction, ce dont elle a discuté avec son «aviseur» légal, cette mère paye donc les dettes de son fils (près de 2 200 $). Un témoin dit qu’elle a été «faible»; le dossier révèle qu’elle a quand même grondé Ernest et qu’elle lui a fait des reproches… D’autres affirment que, hésitante, elle voulait retarder l’échéance de la mise sous curatelle.

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La condition d’incapable a un caractère plus ou moins infâme. La curatelle implique parfois un autre type de dépense que les frais de justice, en l’occurrence une perte affectant l’honorabilité et la réputation. La honte et la gêne menacent les familles aux prises avec la déviance. Un procès d’interdiction implique de dévoiler des troubles et des tensions que l’on a d’abord tenté de cacher et de régler sur la scène domestique et familiale. Échecs, anomalies et problèmes financiers s’étalent devant l’autorité judiciaire et le public. D’autres personnages, plus difficiles à identifier, ont aussi donné leur avis sur la situation d’Ernest. Un témoin soutient qu’il «n’y a personne à qui j’en ai parlé, qui ne m’a pas dit que c’était dans son plus grand intérêt et celui de sa famille, de l’interdire». La prodigalité de l’intimé est selon le même individu «de notoriété publique57», ce qui a dû favoriser les conseils et discussions en tous genres, et certainement augmenter l’embarras de cette mère bourgeoise, incapable de colmater les brèches ouvertes dans la vie privée familiale par les écarts de son rejeton, les commérages et les jugements du réseau de sociabilité. De milieu plus modeste, Exilia R., veuve d’un commerçant, est interdite pour ivrognerie en 1895 à la demande de son beau-frère. Cette sanction formelle a été précédée en mai 1894 par une autre demande d’interdiction, mais celle-ci a été interrompue par un arrangement passé devant notaire, le 26 mai, entre Exilia et le requérant d’alors, un certain Charles L. Celui-ci est le légataire fiduciaire de son époux décédé58. Cet arrangement règle le partage des biens du défunt, mais Exilia y reconnaît en même temps que les démarches en interdiction de Charles L. étaient justifiées. Elle promet en plus de modifier son comportement : «Elle entend modifier ses habitudes … de sobriété ou de tempérance.» Le cosignataire consent pour sa part à se désister de sa requête en interdiction. C’est la seule promesse d’amendement notariée retrouvée à travers les archives de la curatelle. La requête de 1895, à la suite de laquelle Exilia sera finalement interdite, mentionne que depuis l’arrangement, «la dite dame Exilia [R.] loin de modifier sa conduite et de cesser de faire usage de liqueurs enivrantes, a continué comme par le passé à s’adonner à la boisson». On apprend même qu’un autre processus d’interdiction avait débuté en août 1894 contre la déviante, à l’initiative de sa sœur, «mais que cette requête aurait été discontinuée en considération des pleurs et des promesses de la dite dame Exilia [R.] d’amender sa conduite, promesses plus que vaines, puisque sa conduite, depuis cette date, a toujours été de mal en pis59».

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Tant dans le cas d’Ernest que d’Exilia, c’est encore l’incapacité de la famille à contrôler la situation qui suscite le recours. L’individu déviant ne donne pas prise aux manœuvres de l’entourage qui cherche à le remettre à sa place ou à atténuer les perturbations engendrées par sa conduite. En fait, lorsque le contrôle exercé sur le fautif n’est pas effectif ou que ce dernier est en mesure de causer des torts importants (financiers et symboliques) à la famille, cette dernière requiert l’intervention de la justice. Bien sûr, certaines circonstances financières et patrimoniales lui forcent la main : successions, règlement financier à finaliser, etc. Certains actes ne peuvent être valablement ratifiés et exécutés sans le secours du droit civil, qui sert à assurer la représentation de la personne inapte. Dans quelques cas, la nomination d’un curateur remédie aussi au relatif abandon de certains individus et à la nécessité de veiller sur des personnes dépendantes ou mal en point. Mais c’est souvent parce que les caretakers familiaux «naturels» sont morts ou sont incapables de voir aux soins de leur parent. Conséquemment, s’il est malaisé de caractériser l’emploi de l’interdiction vu la multiplicité des conjonctures qui font recourir à cette pratique légale, globalement l’interdiction intervient surtout quand la famille a épuisé sa capacité à faire face elle-même à une situation donnée.

l es m a n i pu l at i on s s oc i a le s de l’appareil judiciaire Les familles ne sont pas pour autant prisonnières des conjonctures. Insister sur l’impact de la déviance sur l’entourage et sur le caractère fortement circonstanciel des recours judiciaires ne doit pas faire négliger la part d’autonomie des familles. L’histoire des phénomènes de régulation sociale doit sans cesse osciller entre deux pôles, soit, d’une part, le fardeau bien réel des contingences et des structures sociales, d’autre part, l’agency des acteurs doués de volonté. Les familles et la communauté montréalaises trouvent à l’occasion différentes manières de plier l’interdiction et le droit à leurs exigences. Ces manipulations sociales sont quelque peu marginales d’un point de vue quantitatif. Elles s’avèrent en revanche très significatives pour qui veut bien comprendre les relations qui se nouent entre les familles et le droit civil dans le cadre de la gestion de la déviance. Trois phénomènes traduisent les pressions sociales qui s’exercent sur l’institution judiciaire. Ce sont : la présence de requérants qui n’ont pas la qualité légale pour demander l’interdiction; le forcement des définitions juridiques des

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déviances; l’instrumentalisation de la procédure à l’occasion de conflits familiaux. Ces trois rencontres particulières avec le droit témoignent toutes d’un «élargissement» de la pratique de la curatelle au profit de ses utilisateurs montréalais. Certains conseils de famille litigieux sont aussi très significatifs. Ces réunions permettent aux parents, aux alliés et aux connaissances de l’intimé de donner leur avis sur l’opportunité de l’interdiction, de même qu’à propos du choix d’un curateur. Elles sont donc un lieu important d’interaction entre les volontés familiales (et, dans une moindre mesure, communautaires), l’appareil judiciaire et le droit. Au seuil de l’espace judiciaire se trouvent les requérants en interdiction. La possibilité d’être demandeur est en principe régie par certaines règles formelles. Les parents, les alliés ou le conjoint peuvent provoquer l’interdiction dans les cas de folie et de prodigalité60. Le cercle des individus habilités à amorcer formellement la sanction légale de ces déviances est donc assez large. Il l’est encore davantage dans les affaires d’ivrognerie : un «ami» a alors la capacité de demander l’interdiction61. Qu’une personne assume officiellement le rôle de requérant ne signifie pas, évidemment, que ce geste ne relève que d’elle seule. Des négociations précèdent les actions en justice; des conseils sont donnés par des proches ou des professionnels du droit. Cependant, une personne choisit ou accepte de jouer ce rôle sociojuridique. Par conséquent, les liens unissant demandeurs et intimés ont certainement quelque chose à nous apprendre. En ce qui concerne l’interdiction des aliénés, il faut noter que la règle relative aux requérants connaît un certain flottement juridique. En 1874, il est établi que «l’époux [ou l’épouse], le parent ou l’allié de l’imbécile et de celui qui est en démence peuvent seuls provoquer l’interdiction62», ce qui fera jurisprudence. Mais en 1881, le juge Dorion dit penser (ce qui fera aussi jurisprudence) que l’on doit admettre comme requérante «toute personne intéressée, à défaut de parents et alliés … Cela était permis avant le Code63.» Cette opinion est combattue par L.P. Sirois dans son traité Tutelles et curatelles 64. Les procès où le requérant n’a pas, en vertu d’une interprétation limitative du droit, la qualité requise pour agir, méritent donc une attention particulière. Examinons d’abord les liens unissant requérants et intimés, dans l’ensemble des dossiers. Les affaires de folie et d’ivrognerie montrentelles certaines tendances et évolutions à ce chapitre65? Pour ce qui est

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de l’aliénation mentale, les dossiers des années 1820–1850 et 1891– 1895 ont de nouveau été pris à témoin (tableau 7). Les demandeurs proviennent majoritairement de la famille nucléaire. Ce sont surtout des épouses, mères, fils, filles et frères qui font office de requérant. Les époux, quasi absents du groupe, font exception. Ces derniers ont bien plus de chances d’être la cible des procédures en raison de leur rôle familial et statut légal stratégiques. La présence des autres apparentés et des alliés parmi les demandeurs est négligeable, sauf en ce qui concerne les beaux-frères. Et ce qui change d’une période à l’autre, c’est essentiellement le nombre de cas inconnus (13 pour 1820–1850 et seulement 2 pour 1891–1895). Que les pièces des procès n’indiquent pas de liens familiaux entre requérants et intimés ne signifie pas que ces personnes soient étrangères l’une à l’autre. Il y a certainement là des amis, des relations d’affaires et de travail. Thomas T. réclame en 1825 l’interdiction de Joseph G., Indian trader. On sait seulement qu’il existe une entreprise au nom du requérant à cette époque66. En matière d’ivrognerie, pour faciliter la comparaison avec les affaires de folie de la fin de la période (colonne 1891–95 du tableau 7), nous examinerons l’identité des requérants dans un nombre analogue de procès pour la période 1887–1895 (tableau 8). Comme dans les cas de maladie mentale, ce sont le plus souvent certains membres de la famille nucléaire qui sont requérants pour combattre l’ivrognerie. Les requêtes proviennent souvent des époux et épouses, des pères et mères. Les frères sont aussi actifs en cette matière, comme dans les histoires de troubles mentaux. Rien de surprenant à ce que les hommes de l’entourage soient des acteurs légaux importants des affaires de déviance : leur statut sociojuridique les porte en quelque sorte à agir. En outre, au moment où la solution judiciaire est recherchée, les parents sont peut-être décédés ou les enfants trop jeunes pour faire quoi que ce soit, d’où l’implication des frères, tant en matière de maladie mentale que d’alcoolisme. Mais par comparaison avec les cas de folie, les pères et les époux de sexe masculin se montrent ici bien plus présents. Pourquoi? L’excès d’alcool affecte toutes les classes d’âge. Puisque les personnes âgées souffrant de sénilité représentent une part non négligeable des interdictions pour folie et que l’âge moyen des gens visés par une interdiction pour folie semble assez élevé67, il est normal qu’un peu plus d’enfants signent les requêtes dans ce genre d’affaires. Peut-être qu’ainsi les pères ont plus de chances de devoir intervenir auprès d’un fils qui souffre d’alcoolisme. Les épouses forment par ailleurs le groupe

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le plus important de requérants en matière d’ivrognerie, comme dans les dossiers de folie de la fin du siècle. Les femmes mariées, faut-il le rappeler, occupent une position peu enviable dans l’expérience de la déviance : principales victimes des désordres, en raison de la faiblesse de leur statut et de leur pouvoir économique, elles doivent aussi faire face aux charges très concrètes de la survie du ménage. Bien des Montréalaises n’ont d’autre choix que de solliciter l’officialisation de l’incapacité de leur mari. Nombre d’entre elles sont d’ailleurs nommées curatrices. Les maris, quant à eux, sont requérants en cas d’alcoolisme, ce qui n’est pas le cas dans les procès pour folie. Il est plutôt inutile de faire interdire une épouse pour troubles mentaux, puisque que celle-ci a déjà un statut similaire à l’interdiction en droit civil. La présence tant des époux que des épouses dans les affaires d’abus d’alcool tient peutêtre à un motif différent : l’interdiction pour ivrognerie autorise l’internement de l’intempérant(e). On peut alors se débarrasser concrètement, pour un temps donné, d’un conjoint incommode, peu importe son sexe68. Quelques demandeurs n’avaient pas, en vertu d’une interprétation stricte de la loi, la qualité requise pour agir dans les cas de folie. L’avis limitatif de certains juristes comme Sirois ne l’a pas emporté en pratique. Ce phénomène des requérants extrafamiliaux constitue un premier exemple d’adaptation de l’appareil judiciaire à certaines exigences sociales, exigences qui renvoient elles-mêmes à des situations particulières vécues par la communauté et les familles montréalaises. Qu’un requérant atypique se présente n’empêche pas, d’ailleurs, l’obtention de l’interdiction : ces requêtes ne sont pas rejetées par les autorités. Les affaires dans lesquelles le demandeur en interdiction pour folie n’appartient pas aux catégories strictement définies par l’article 327 du Code civil (conjoint, parents ou alliés) sont de deux ordres : soit la personne jugée déviante est isolée, soit le règlement de questions financières s’impose, situations déjà rencontrées lors de l’examen des circonstances des procès. Dans les cas d’isolement, la présentation d’une requête renvoie la plupart du temps à une réaction de la communauté devant la détresse de certains individus. L’interdiction de Griffith J., gentilhomme, est requise et obtenue en 1886 à la demande de l’hôtelier qui le loge. Ce dernier se présente comme son plus proche ami. Griffith connaît une situation atypique : il a été abandonné par sa femme et ses enfants. Il n’a ni parents ni alliés dans la ville, dans le district judiciaire ou au Canada. De surcroît, des personnes malintentionnées lui ont soutiré

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de l’argent, ce qui a entraîné un procès69. Catherine M., célibataire, est interdite en 1887 à la demande d’un révérend. Elle n’a pas non plus de famille dans le district de Montréal70. Des questions financières assez prosaïques expliquent ailleurs la présence d’un requérant extrafamilial. L’interdiction est alors sollicitée par des créanciers ou des relations d’affaires. Ceux-ci agissent souvent de leur propre chef, malgré la présence de parents qui pourraient requérir la mise sous curatelle d’une personne présentant en apparence de sérieux troubles mentaux. L’interdiction de Michael R., bijoutier à l’esprit dérangé, est réclamée et obtenue par l’un de ses créanciers, un certain William Dudley, de Birmingham en Angleterre. Or, le frère de Michael est présent au conseil de famille. Il est de toute évidence en désaccord avec les procédures71. L’interdiction de Daniel M., commerçant, a été requise par l’un de ses créanciers, créancier qui se fera en outre nommer curateur. Il avait donc tout intérêt à ce que le cas de Daniel soit jugé! Il règle après sa nomination les dettes de l’interdit par la vente de ses biens72. Il va sans dire que la présence de créanciers parmi les requérants, quoique très rare, constitue un nouveau témoignage de l’importance du rapport aux biens dans la pratique de l’interdiction. Quelques individus deviennent ainsi demandeurs à l’occasion du litige judiciaire qui les oppose à l’intimé. Séraphin M., notaire, est pourvu d’un curateur en 1879 à la requête des représentants d’un individu défunt qui sont en procès avec lui. Son beau-frère est chargé de la curatelle73. Quelques requérants se prévalent du titre d’«ami» de l’ivrogne. La loi l’autorise. Qu’est-ce qui se cache derrière cette étiquette «amicale»? Dans un cas, des gens procèdent alors que la famille ne le souhaite pas. L’interdiction et l’internement de Vincent D. sont demandés par un «ami» en 1886. La requête mentionne que les parents de Vincent, pour des «raisons spéciales», refusent de le faire interdire. La curatelle est quand même octroyée74. Mais quand des «amis» revendiquent l’interdiction de l’ivrogne, l’isolement social s’avère aussi important que pour les aliénés. L’individu qui porte à l’attention de l’appareil judiciaire l’état de Francis L. signale sa connaissance personnelle de la situation, de même que «to [his] personal knowledge … the said [L.] has no blood relations residing within the Dominion of Canada75». De fait, une «amitié» ou un lien non familial entre demandeur et intimé ne doivent pas nécessairement éveiller nos soupçons. Le caractère radical de l’interdiction, comme sanction sociale et juridique,

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n’implique pas que ceux qui tentent de contrôler la déviance agissent de manière malhonnête, loin de là. Le chapitre précédent a amplement documenté les perturbations que la déviance engendre parfois; les circonstances habituelles des recours nous sont maintenant connues. Quand Alexander M. réclame en 1888 l’interdiction de son voisin, Alexander S., pour abus d’alcool, il explique dans sa requête «that the said Alexander [S.] has neither parents allies or connections competent to act in the present matter and your petitioner is a near neighbor, and has taken the present proceedings as a friend of the family and in the interest of the children». Ce même voisin est déjà intervenu pour protéger les jeunes enfants de ce père alcoolique contre les violences de celui-ci. Il est nommé curateur76. Les liens d’amitié activés par l’interdiction de Henry C., en 1889, sont quelque peu différents. L’«ami» qui la requiert a en fait été mandaté par la famille de l’intimé, en Angleterre, pour veiller à sa personne et à ses affaires. L’isolement fait encore une fois sentir son influence : «The said Henry [C.] has no relatives, to the knowledge of your Petitioner, in the province of Quebec and Canada.» Cet «ami» obtient la charge de curateur. Le voilà maintenant en mesure de jouer pleinement son rôle77. Une autre facette de la pratique de l’interdiction témoigne de l’influence des impératifs sociaux et familiaux dans la mise en œuvre de cette branche du droit civil. Il y a de temps à autre forcement des catégories juridiques, soit une tentative souvent réussie de faire interdire des personnes dont les comportements ne répondent pas clairement aux définitions juridiques des déviances susceptibles d’entraîner la mise sous curatelle. La manifestation la plus flagrante de ce phénomène est sans conteste l’interdiction pour abus d’alcool avant 1870, année de l’instauration officielle de la curatelle aux ivrognes. La répartition diachronique des interdictions (figure 1) révèle que 19 cas d’ivrognerie sont jugés avant 1870. Il s’agit d’affaires où la consommation excessive d’alcool est bien ce qui est fondamentalement reproché à l’individu, même si d’autres problèmes peuvent s’y greffer. Que les Montréalais présentent avant 1870 de telles requêtes contre des ivrognes ne signifie pas que la démarche aille de soi. L’argumentation de ces suppliques est parfois un peu tortueuse. Mais elles réfèrent à des situations de crise aiguë. Vincent C., aubergiste, est interdit en 1826 à la demande de sa femme. Le discours de la requête emploie un artifice pour faire entrer ses agissements dans l’une des catégories alors légales d’interdiction,

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celle de la folie : «Depuis plusieurs années le dit Vincent [C.] est adonné à l’ivrognerie et … dernièrement ses excès ont affecté ses facultés mentales.» Les témoins décrivent une situation d’abus d’alcool, non sans mentionner aussi les problèmes mentaux : [Ils] déposent qu’ils connaissent le dit Vincent [C.] dont l’interdiction est sollicitée, depuis plus de deux ans, que depuis environ une [sic] an et demi le dit Vincent [C.] est entièrement adonné à la boisson et presque journellement enivré qu’il fait des faux marchés et prodigue son argent qu’en maintes occasions son esprit est aliéné, qu’il a dernièrement encore assisté à un bal dans un état d’ivresse, et a fourni de la boisson à toutes les personnes qui composoient l’assemblée et ce durant toute la nuit, que non content de cela il amena toutes les personnes du nombre de vingt et quelques dans sa maison et leur fit boire plusieurs verres de liqueurs fortes qu’il ne leur fit point payer, que depuis environ deux mois il se porte à des excès et à des emportemens furieux, qu’il a battu et frappé sans cause la requérante sa femme et lui a fait porter des marques pendant plusieurs jours, qu’en maintes occasions il a menacé de la tuer, avec une hache ou ce qui se rencontroit sous sa main, qu’il en a été empêché par quelqu’uns de ses voisins.

Les témoins croient qu’il doit être interdit et pourvu d’un curateur, sinon ses biens «seront bien vite dissipés et lui et la requérante seront inévitablement ruinés». La requête renchérit en précisant que ses comportements le rendent «incapable de faire des affaires [et] que le dit Vincent [C.] est d’ailleurs prodigue et dissipe tous ses effets fait des excès en tous genres et se conduit de manière à faire craindre qu’il n’aura plus bientôt les moyens de faire vivre sa famille». L’excès d’alcool n’est pas seulement une déviance : il a des usages sociaux, à la différence de la maladie mentale comme telle qui ne «sert» à rien. Le dossier laisse entrevoir quelques usages sociaux de l’alcool dans le Montréal pré-industriel : agrémenter bals, fêtes et rencontres, «traiter» dans un moment de généreuse dépense les amis comme les inconnus et jouir ce faisant d’une gloire passagère. L’alcool joue aussi un rôle social en milieu rural, durant les corvées et les bees (travaux collectifs)78. Mais cette sociabilité qu’attaqueront les sociétés de tempérance n’est pas tout. L’excès d’alcool s’accompagne souvent d’oisiveté et d’une mauvaise gestion des biens. Souligner la prodigalité de Vincent permet d’intégrer son vice à une catégorie reconnue d’interdiction. Bien que l’intéressé obtiendra une mainlevée, il sera interdit à nouveau en 1836 en raison des mêmes comportements problématiques : ivresse, violence

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(envers sa femme, qu’il a expulsée de leur maison) et gestion hasardeuse des avoirs. C’est la litanie des problèmes liés à l’ivrognerie. On allègue encore, lors de ce second procès, que son vice «le prive de sa raison79», ce qu’on ne mentionnera pas, habituellement, après 1870. Commerçant de tabac interdit en 1828, Henry D. présente lui aussi un large éventail de conduites embarrassantes : alcoolisme, violence, destructions de biens, dissipations, mauvaises fréquentations et jeu. On soutient dans la requête que l’usage de l’alcool affecte ses capacités mentales : «He is in the daily habit of intoxication from an excessive use of spirituous liquors, whereby he is almost constantly deprived of the ordinary degree of reason and prudence necessary to conduct his concerns and preserve his property from waste and ruin. That while so intoxicated and for a long time after, his faculties are so deranged as to render him violent80.» Bien sûr, les requêtes en interdiction pour ivrognerie antérieures à 1870 ont la possibilité de jouer sur une ambiguïté symptomatique : le fait d’être profondément ivre perturbe effectivement les facultés intellectuelles, du moins momentanément. Au surplus, un usage très intensif des boissons enivrantes peut entraîner des problèmes cérébraux. John O., interdit en 1856, a eu plusieurs attaques de delirium tremens. Un médecin l’atteste81. Néanmoins, dans bien des cas, la déclaration de maladie mentale est là pour ajuster la requête aux impératifs de la loi. Antoine R., boucher, est interdit en 1850. Détail éloquent, il a été ajouté en marge de la première page de la requête que «l’usage que fait le dit Antoine [R.] de boissons fortes ont [sic] altéré son esprit et son jugement et qu’il est devenu et est encore insensé82». Cependant, certaines requêtes antérieures à 1870 ne se donnent même pas la peine d’évoquer la maladie mentale83. C’est plutôt la description de l’ivrogne comme un prodigue ou, à la limite, comme un gestionnaire totalement irresponsable qui représenterait la technique favorite pour obtenir son interdiction avant 1870. Des conséquences désastreuses pour l’économie familiale sont certainement plus faciles à établir qu’une démence «habituelle». F. Langelier, homme de loi, dit qu’on a «pu de tout temps faire interdire les ivrognes prodigues84». L’avis de P.-B. Mignault va dans le même sens : «Avant cette législation [celle de 1870], on ne pouvait, en principe, interdire un ivrogne d’habitude. Je dis, en principe, car, pratiquement, ces ivrognes pour la plupart sont des prodigues, quand ils ne sont pas fous, en effet, ils se portent à des excès de prodigalité qui donnent lieu de craindre qu’ils ne dissipent leurs biens85».

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Ce qu’il faut interroger, c’est bien ce qui ne se fait pas «en principe», gestes très révélateurs des interactions entre situations familiales et normes juridiques. Le rapport aux biens joue de facto un rôle déterminant dans plusieurs cas de forcement des catégories du droit. On réussit dans les années 1830 à interdire un ivrogne oisif comme Joseph N. Il affiche plusieurs conduites indésirables, commet des actes de dissipation et de débauche. L’alcool est son problème principal, cependant. Sa mère lui accorde plus de ressources qu’à ses frères et sœurs en raison de sa pauvreté, pauvreté causée par son penchant pour la bouteille. Un témoin soutient qu’il «se trouverait réduit quelquefois à manquer des choses dont la possession est un des premiers besoins de la vie». Quels sont ses actes de dissipation? La requête précise qu’il est prodigue «lors même qu’il est à jeun & sobre». Mais soyons prudents : un autre déposant craint qu’il ne soit «sous peu chargé de dettes contractées sans nécessité pour satisfaire une passion dont il n’est pas le maître»; un horloger et un aubergiste le disent également dissipateur, ajoutant qu’il «vend tous ses effets pour satisfaire cette passion86». Ainsi, avec ou sans mention de troubles mentaux, on se plaint presque toujours de ce que l’ivrogne réduit sa famille à la misère ou ne la soutient pas du tout. Chez Hypolite L., interdit en 1835, l’ivrognerie a précédé la «maladie mentale» : «Cette passion qu’il ne peut plus maîtriser, & les vices qu’elle lui a fait contracter, le privent généralement de l’usage de la raison.» Mais surtout, il a une épouse et cinq enfants; il boit et sa mauvaise administration les a précipités dans l’indigence87. En 1856, Jane A. obtient l’interdiction de son époux, un fabricant de malles. Elle dit que son alcoolisme a affecté son esprit. Il néglige maintenant son métier, la maltraite et se montre mauvais gestionnaire. Or, avant de succomber à la boisson, il était, dit-elle, «a sober, honest industrious man and a kind and loving father and husband exercising his trade and business with honor and advantage to himself and family88». Malgré leur ambiguïté par rapport aux catégories juridiques officiellement disponibles, ces deux dizaines de requêtes en interdiction pour ivrognerie concernent des situations familiales particulièrement pénibles. Requérants et témoins ne négligent pas de dire combien la santé économique du ménage est menacée ou en lambeaux. Les détours discursifs par la folie et la prodigalité de l’ivrogne sont peut-être les artifices des professionnels du droit qui rédigent les requêtes, mettent en mots la détresse familiale ou les conflits domestiques. Ce n’est probablement pas le cas pour l’incurie financière des ivrognes. Le caractère

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hautement problématique de l’alcoolisme invétéré et des désordres qui l’accompagnent, souvent endurés durant plusieurs années, engendre une pression certaine sur l’appareil de justice, les règles de droit et leurs praticiens. Parmi ces 19 procès pour surconsommation d’alcool antérieurs à la loi de 1870, 17 se soldent par l’interdiction de l’intempérant. Dans deux cas, la requête est rejetée. Quelles que soient la gravité de la conduite de l’intimé et ses conséquences, l’interdiction donne parfois lieu à une lutte serrée entre différents acteurs familiaux. La charge de curateur, qui procure le contrôle légal des avoirs d’une personne, représente un enjeu de taille et une arme très puissante en cas de querelles intestines. Les conflits familiaux dans lesquels l’interdiction sert d’arme, autre forme de maniement du droit, laissent un peu dans l’ombre les comportements reprochés en tant que tels. C’est-à-dire que dans ces situations, la curatelle est recherchée pour régler un antagonisme antérieur ou parallèle à l’état problématique de l’intimé, même si cet état peut jouer un certain rôle. Il s’agit de fouiller en deçà ou au-delà de l’interdiction, de chercher à percevoir les démêlés qui la précèdent ou l’accompagnent. L’emploi de l’interdiction comme arme ressemble cependant aux phénomènes du requérant atypique et du forcement des catégories juridiques sur un point essentiel : une situation sociale et familiale donnée exerce aussi, à cette occasion, une pression sur l’appareil judiciaire et le droit. C’est néanmoins une forme bien particulière de pratique de l’interdiction. Je vais ici parcourir quelques généalogies conflictuelles, au cours desquelles l’interdiction a pu représenter un avantage à obtenir contre un adversaire. Dans un cas, les acteurs familiaux avouent sans ambages l’instrumentalisation de la procédure. On se souvient de Marie Joseph L., jeune homme dont la mésalliance mobilise sa famille tout entière contre lui89. Un de ses frères admet que l’interdiction a été subordonnée à une fin, la restauration de l’ordre et de l’honneur familiaux : «Je sais que nous avons fait cette interdiction pour empêcher le jeune homme de recommencer une pareille chose … pour l’empêcher de recommencer une pareille histoire; pour l’empêcher de retourner à un pareil mariage. Ce n’était pas mentionné, mais c’était bien notre intention.» D’ailleurs, Marie Joseph a été interdit pour sa «grande faiblesse d’esprit» et non à cause de folie. Habituellement, les procès pour aliénation affirment de manière plus tranchée le trouble mental de l’intimé. Il représente l’une des figures limites de l’inaptitude, celle

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du jeune homme à la volonté plutôt faible et aux capacités restreintes. Ce portrait est cependant marqué par la mésalliance de Marie Joseph : «Que le dit Marie Joseph [L.] fils est un jeune homme craintif, faible et timide, cédant à toutes les influences et manquant absolument de volonté, d’énergie, et qu’à l’époque du dit prétendu mariage, il était tellement faible d’esprit & tellement asservi aux volontés de la dite Défenderesse qu’il la laissait elle et ses parents employer tous les moyens pour lui faire contracter avec elle un mariage réprouvé par toutes les convenances sociales & contraire à ses intérêts les plus intimes.» Si l’histoire de Marie Joseph L. est inusitée, elle illustre en revanche à quel point la déviance est «situationnelle». L’évaluation de la capacité et des comportements d’une personne dépend étroitement des situations dans lesquelles les acteurs sont impliqués et des rapports de force qui les traversent. La déviance est à la fois problème concret (souvent) et chose évaluée (tout le temps); certains partis, intéressés, s’activent à faire valoir leur point de vue. Il est possible que Marie Joseph soit effectivement un peu plus «lent» que ses frères. Mais ce qui importe, c’est que la requête en interdiction fasse explicitement référence à son mariage honteux et argue d’une «faiblesse d’esprit [qui] n’aille pas jusqu’à lui faire perdre entièrement la raison [mais qui] le rend … incapable de gouverner sa personne». L’interdiction est prononcée90. Les acteurs dominants de cette conjoncture singulière et conflictuelle obtiennent donc ce qu’ils voulaient, l’interdiction du fils méprisable et mal marié. Dès lors, impossible pour lui d’exercer l’autonomie nécessaire à la fondation de son «ménage»… Dans un autre cas, ce n’est pas une mésalliance qui subordonne la curatelle aux impératifs familiaux, mais une succession litigieuse. Bernard C., bourgeois, est interdit à la demande de son frère en 1871, et ce, seulement quelques jours avant sa mort. Plus tôt, le 23 décembre 1870, Bernard a «fait» son testament, léguant sa fortune à sa mère et à deux institutions charitables. Sa mère doit recevoir entre autres choses les immeubles en usufruit. Cependant, elle a déjà 83 ans … Si elle venait à mourir, tous ces biens immeubles reviendraient aux deux institutions, le Saint-Patrick Asylum et le Saint-Bridget Refuge. Le testateur n’a pour parents, hormis cette mère âgée, qu’un frère nommé James. Les relations familiales sont mauvaises. Bernard est interdit à la requête de son frère le 10 janvier 1871, très peu de temps après la rédaction de son testament. Son incapacité mentale est alors patente. James se fait d’ailleurs nommer curateur conjointement avec un «ami» du conseil de famille, ami qui est en fait

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son beau-frère. Bernard meurt quatre jours plus tard, le 14 janvier 1871. En mai 1871, James, qui se dit spolié, entame des poursuites pour faire invalider le testament. Il affirme qu’il a été fait en état d’aliénation mentale et demande qu’on déclare Bernard mort intestat, pour qu’ainsi les biens du défunt aillent à sa mère et à lui-même, pour moitié chacun. Le 30 décembre 1872, la Cour supérieure casse le testament pour cause d’aliénation mentale. Bernard aurait été manipulé par certains membres de son entourage. La division de sa succession en deux parts est ordonnée; ce jugement sera confirmé en appel par la Cour du banc de la Reine. Le caractère instrumental de l’interdiction est évident dans ce dossier. Le frère du mourant, James, y a eu recours pour combattre un testament qui lui était défavorable et une transmission des biens jugée injuste et même frauduleuse91. La subordination d’une interdiction à des luttes intrafamiliales n’est pas toujours aussi nette que dans les cas de Marie Joseph L. et de Bernard C. La vieillesse se double parfois d’un déclin des facultés intellectuelles qui pourrait justifier la mise sous curatelle. Mais certains litiges où l’on a recours à l’interdiction s’apparentent à des conflits successoraux précédant la mort du testateur. Ces affaires témoignent d’un aspect peu reluisant du rôle de vieillard dans la société montréalaise du dix-neuvième siècle : celui de pourvoyeur d’héritages longtemps attendus. Pour les bénéficiaires éventuels de la transmission des biens, une mise sous curatelle laisse entrevoir le contrôle de ce processus. Des vieillards un peu séniles se retrouvent alors acteurs passifs et vulnérables dans des joutes familiales où leur état mental importe moins que les biens en jeu. Une requête en interdiction pour folie dirigée contre Esther B., âgée de 74 ans et veuve d’un bourgeois, est rejetée en 1880. La requête a été présentée par l’une de ses filles. On reproche à Esther d’être «faible de mémoire & jugement» et de manquer «de connaissances nécessaires des affaires pour pouvoir voir par elle-même à la gestion et conservation de ses biens». C’est en fait une dispute familiale qui a suscité la requête. En gratifiant l’une de ses filles d’une donation, Esther a mécontenté ses autres enfants. La requérante dit dans un témoignage que «les enfants trouvent qu’en donnant tout à Madame [V.] elle a commis une grande injustice». Esther aurait habité avec cette fille et le mari de celle-ci, Napoléon V., depuis la mort de son époux. Ce gendre se serait emparé sans procuration de la collecte des loyers appartenant à Esther et aurait empêché les autres enfants de venir la voir. L’intimée dit elle-même ne pas savoir compter

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l’argent, ni ce que valent et rapportent ses propriétés : ses capacités de gestionnaire sont donc faibles. Napoléon V. lui aurait «fait signer des papiers.» Elle ne sait manifestement pas de quoi il s’agissait. Le protonotaire rejette malgré tout la requête et l’avis favorable donné par la majorité du conseil de famille, «parce que la dite Esther [B.] [n’]a nullement paru en état de démence». Il semble bien qu’un homme marié à l’une de ses filles ait tenté de prendre le contrôle de la personne et des revenus de cette dame affaiblie, âgée, veuve et dépourvue des capacités nécessaires pour gérer ses affaires, et ce, dans le but d’orienter la transmission des biens à son avantage. Cette manœuvre contredirait le projet successoral plus égalitaire que voulaient réaliser Esther et son mari. Esther définit ce projet au cours de son interrogatoire : Q. Avez-vous donné quelque chose à vos enfants? R. Quelques fois mon vieux [c.-à-d. son mari décédé] leur donnait quelque chose, on donnait plus à mon garçon l’infirme qu’aux autres & à une de mes filles qui est veuve on disait quand on mourra ils sépareront ce que nous aurons également92.

Ces propos témoignent d’une intéressante adaptation de la transmission des biens aux besoins plus criants de certains enfants, du rôle de la famille en cas d’incapacité et de pauvreté, ainsi que de la forte imbrication des rapports familiaux avec les biens et les revenus. Plus globalement, cette trajectoire comporte quelques éléments typiques des interdictions conflictuelles mettant en scène des personnes âgées : capacités amoindries ou faibles; cohabitation avec un ou des enfants (ce qui rend vulnérable à des formes de contrainte); enfant, gendre ou bru qui tente d’exercer un certain contrôle à son profit93. Dans ce contexte, la présentation d’une requête en interdiction équivaut à une tentative de remplacement de la personnalité juridique des intimés, en vue de corriger une situation jugée inéquitable du fait de l’ascendant pris sur l’aïeul par un autre acteur familial. Rose M., dame séparée de son mari, est interdite en 1895 au milieu des disputes de ses enfants. Âgée de 67 ans, elle s’est défendue avec l’aide d’avocats, mais en vain, pour éviter la perte de ses droits civils. La question résidentielle joue encore un rôle ici : la cohabitation avec un des enfants suscite des tensions si ce dernier se met à agir au nom du vieillard. Rose demeure avec l’un de ses fils, Barnabé, qui a reçu d’elle une procuration et gère ses affaires. Il s’oppose à l’interdiction

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réclamée par un gendre. Barnabé aurait lui-même, auparavant, parlé de faire interdire Rose, ce qui montre que, pour lui, l’interdiction représentait peut-être autre chose que la protection de la personne et des biens de sa mère ou l’officialisation de son désordre mental. L’incapacité de Rose est donc surpassée, dans ce processus judiciaire, par les tensions familiales et les intérêts de chacun. Quelques témoignages mentionnent l’existence de tensions très vives entre l’intimée et ses enfants. Certains d’entre eux seraient même déshérités. Barnabé, quant à lui, serait l’héritier de la maison maternelle. Le juge, qui l’a interrogée chez elle (cet entretien l’a convaincu de son état d’incapacité), reconnaît clairement dans sa décision que la demande d’interdiction survient à l’occasion d’une mésentente familiale. Il s’efforce par conséquent de nommer comme curateur un individu désintéressé. L’histoire de Rose traduit la vulnérabilité structurelle des femmes seules, âgées et séniles face aux entreprises de leur entourage94. Des éléments formels d’autonomie (Rose était séparée de corps de son mari et possédait des biens qu’elle administrait elle-même) n’ont pas suffi à la prémunir contre une emprise familiale ou judiciaire. L’influence indue n’est pas toujours le fait d’un des enfants. Ceux-ci se sentent éminemment concernés quand le patrimoine familial menace de leur glisser entre les doigts au profit d’une personne étrangère. On le sait, la capacité des proches à contrôler la situation est centrale dans la pratique de l’interdiction. Zéphirin B., bourgeois de 61 ans, est interdit pour folie en 1885 à la demande d’une de ses filles et de l’époux de celle-ci. Le conflit concerne ici un remariage. Si l’intimé «depuis longtemps … serait tombé dans un état de démence et d’aliénation mentale», ce que deux aliénistes certifient, il aurait de plus fait un testament favorisant sa seconde épouse. Les requérants affirment «que l’influence que sa dite épouse Edwidge [C.] exerce sur le dit Zéphirin [B.] est préjudiciable aux intérêts de ce dernier. Que grâce à cette influence … il a fait son testament en faveur de la dite Edwidge [C.] forcément & depuis qu’il est dément95.» Hormis les tensions entourant la transmission de biens parfois modestes, il est un autre type de conflits familiaux à l’occasion desquels l’interdiction peut servir d’arme : les querelles conjugales. La procédure sert alors d’exutoire à certaines disputes matrimoniales exacerbées. La mise sous curatelle d’Emma C. s’inscrit dans un conflit d’alliance qui mêle inimitié, frasques, alcoolisme et argent. Épouse d’un commerçant (Joseph), Emma est interdite pour ivrognerie le

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26 novembre 1895 à la demande de son mari. Son intempérance est avérée, selon le juge. L’histoire de ce couple est toutefois bien particulière. Ils se sont mariés en 1876. Mais en 1893 et 1894, Emma est arrêtée et condamnée pour avoir fréquenté des maisons de débauche. Le conflit ne concerne pas seulement les deux époux. La requête en interdiction, datée du 3 septembre 1895, a été précédée le 30 janvier de la même année par un protêt notarié, au moyen duquel le père d’Emma retirait à Joseph la jouissance de logements que ce dernier avait réparés. Cet événement n’est en rien étranger au désir de Joseph d’interdire sa femme : en raison de cet acte notarié, c’est maintenant son épouse intempérante qui touche les revenus des loyers concernés. Joseph précise que «tant qu’il a administré lui-même il n’a pas cru qu’il était nécessaire de provoquer la nomination d’un curateur à sa dite épouse». Il est désigné curateur après que le juge eut affirmé la priorité du mari à remplir cette fonction, car un autre choix avait été fait par le conseil de famille en la personne du frère d’Emma. L’interdiction d’Emma est donc suscitée directement par l’enjeu du contrôle de certains biens, tout en étant enchâssée dans une histoire de mariage malheureux et de conduite déréglée. L’interdiction, puissant outil légal de contrôle des personnes et des patrimoines, ne règle cependant pas tout : le conflit peut bien perdurer! Emma contre-attaque en 1901 par une demande en séparation de corps. Le juge reconnaît son droit à intenter pareille poursuite contre son mari curateur, ce qui fera jurisprudence. Elle se plaint notamment de la désertion de son époux, de sa violence, de son refus de pourvoir à sa subsistance et du fait qu’en tant que curateur il s’approprie les «petits revenus» qui lui viennent de la succession de sa mère. Ils n’habitent plus ensemble depuis longtemps. Toutefois, c’est Joseph qui remporte cette nouvelle bataille, au moyen d’une demande incidente (c’est-à-dire une contre-poursuite) en séparation de corps. Il plaide la mauvaise conduite de son épouse et rappelle ses frasques éthyliques et sexuelles. Par le jugement, Emma n’obtient qu’une pension de 12 $ par mois, ce qui est fort mince. Et Joseph demeure son curateur! Dernier sursaut de l’épouse scandaleuse : elle revendiquera peu après ses biens meubles et demandera une reddition de comptes à son mari en 1903. Simplement pour être déboutée par le juge, sauf en ce qui concerne son piano96… Les mésaventures d’Emma montrent que l’appel au judiciaire doit chaque fois être compris comme le nouvel épisode d’une histoire

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familiale problématique, tant lorsque la conduite de l’individu constitue l’essentiel du problème que lorsque des circonstances relationnelles et patrimoniales sont plus déterminantes. De toute évidence, l’interdiction ne surgit jamais ex nihilo. Lors des conseils de famille, les proches donnent leur avis sur l’interdiction à prononcer et sur le choix d’un curateur. Ces assemblées représentent une zone névralgique de l’interaction entre les familles et la justice bas-canadienne/québécoise. Formellement aménagés par le droit, ces conseils constituent l’une des deux principales prises qu’ont les citoyens montréalais sur le déroulement des procès – la première et la plus importante demeurant bien sûr la présentation d’une requête. La réunion du conseil est à chaque fois nécessaire dans les cas de folie, de prodigalité ou d’ivrognerie. Sa composition suit à peu près les mêmes règles que pour les affaires de tutelle. Ainsi «doivent y être appelés les plus proches parents et alliés … au nombre de sept au moins97». On doit aussi convoquer le conseil en d’autres occasions : changement de curateur, autorisation de vendre des biens de l’intimé, mainlevée d’interdiction, etc. Ces actes sont d’ailleurs fort utiles pour reconstituer les trajectoires déviantes. Les juristes du temps font preuve d’une certaine ingénuité lorsqu’ils traitent de l’impartialité du conseil. P.-B. Mignault explique que «l’autorité judiciaire ne peut prononcer l’interdiction sans consulter le conseil de famille de l’interdit. Ce conseil est convoqué comme dans le cas de la tutelle, mais on ne permet pas à celui qui demande l’interdiction d’en faire partie. Il importe, en effet, dans une matière aussi grave, que le conseil donne son avis librement et qu’il n’apporte pas à sa délibération des opinions préconçues98.» Sirois, à propos de cette restriction touchant le requérant, affirme de même que cette disposition «est tout à fait rationnelle. L’avis du conseil de famille doit être impartial99.» En réalité, il ne fait pas de doute que les participants se présentent la plupart du temps à l’assemblée avec une opinion assez nette sur l’état de la personne, sa situation et leurs propres intérêts dans l’affaire. Un phénomène de préjugement est certainement à l’œuvre dans les avis donnés. En principe, le juge n’est pas lié par l’avis du conseil. Mais c’est seulement à l’occasion d’un litige de 1876 qu’il sera spécifié, ce qui fera jurisprudence, que «le juge qui prononce l’interdiction n’est pas obligé de suivre la majorité des parents et amis convoqués pour donner leur avis sur la nomination d’un curateur, tel avis n’étant qu’un mode d’instruction pour assister le juge dans l’exercice de ses

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attributions100». Un rappel semblable est donné en 1902 dans une autre cause rapportée101. Les magistrats ont-ils tendance à se fier aux avis exprimés par le conseil de famille? On pourrait le croire. C’est une donnée essentielle de la rencontre entre familles montréalaises et appareil judiciaire dans la pratique de l’interdiction. L’implication des juges dans les procès est toutefois une activité complexe qui ne se résume pas pour eux à acquiescer aux requêtes ou à les renvoyer102. Les assemblées du conseil de famille sont en fait le lieu de deux opérations : c’est là que l’entourage évalue l’état du «déviant» et qu’il donne son avis sur le curateur à nommer. Toutefois, nous savons que, dans les procès, l’état de l’intimé n’est pas la seule donnée en jeu; la déviance qui lui est attribuée peut être éclipsée par toutes sortes de considérations, de nature patrimoniale ou personnelle notamment. L’avis donné dépend à l’occasion de facteurs bien étrangers aux conduites problématiques elles-mêmes. L’opinion émise sur la condition de la personne risque même d’être contaminée par le second rôle des conseils, le choix du curateur. À qui appartiendra le contrôle légal de la personne et des biens de l’intimé? L’enjeu est parfois de taille. On tente en premier lieu de réunir les parents qui résident dans le district judiciaire de Montréal. Quand l’inaptitude de l’individu incriminé fait l’unanimité et que l’entourage s’entend sur la sélection du curateur, la composition de l’assemblée ne fait pas problème. Le nombre de participants risque en revanche d’être beaucoup plus élevé en cas de litige, que l’intimé s’oppose à l’interdiction et compte des partisans dans son entourage ou que les proches se disputent le contrôle de sa personne et de son avoir. D’autres situations confèrent une grande influence à l’entourage. Les gens ayant déjà donné leur opinion risquent d’être à nouveau convoqués lorsque l’avis du conseil sera encore nécessaire (pour une mainlevée ou une vente, par exemple)103. Des gens qui témoignent contre le déviant peuvent très bien, également, siéger au conseil de famille. Donnent-ils alors «librement» leur avis, comme l’imagine P.-B. Mignault? À l’assemblée participent quelquefois des individus que les dossiers désignent comme des «amis» de l’intimé. Des amis sont convoqués lorsque l’intimé n’a pas assez de parents et d’alliés dans le district judiciaire. Leur nombre plus ou moins important pourrait témoigner d’un certain isolement de la personne visée par l’interdiction, situation rencontrée précédemment. Il s’agit parfois d’amis véritables, ou du moins de personnes qui connaissent réellement l’intimé. Joseph L., cordonnier et veuf, est interdit pour folie en 1845 à la demande de sa sœur

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Barbe, qui habite avec lui depuis environ 20 ans. Il n’y a qu’un seul autre parent, son beau-frère, qui participe au conseil. L’intimé n’a pas «d’autres parens présents à Montréal». Les «amis» membres du conseil disent le connaître et avoir constaté son dérangement mental. Cinq d’entre eux concourent même à un autre conseil réuni peu après, alors que le curateur demande une autorisation spéciale104. Mais l’«amitié» de certains participants est parfois douteuse. Lors de l’interdiction d’Edward C., en 1894, trois étudiants en droit figurent à l’assemblée en tant qu’amis105. Leur présence a peut-être été requise dans les couloirs mêmes du palais de justice… C’est surtout lorsqu’il y a mésentente que le conseil rend bien compte de la dynamique familiale entourant l’interdiction. Les participants diffèrent parfois d’avis à propos de l’utilité de l’interdiction ou quant au choix du curateur. La demande sociale adressée aux différents appareils institutionnels de régulation n’est en rien unanime ou cohérente; la famille n’agit pas tout le temps comme un seul homme. Si on ne tient compte que des procédures d’interdiction comme telles106, les points de vue divergent lors de 45 conseils durant toute la période étudiée (1820–1895). Environ 9 % des assemblées sont donc marquées par un différend. Parfois le clivage est aisément identifiable. Il n’y a qu’un seul parent au conseil de famille de Marie O., en 1881. C’est l’unique personne à s’opposer à la requête présentée par l’époux de Marie, un avocat qui la dit folle. Les autres participants recommandent la nomination de ce dernier comme curateur. La qualité d’ «amis» de l’intimée dont ils se parent est à tout le moins suspecte. D’ailleurs Marie soutient au cours de son interrogatoire que des tensions de nature financière l’ont opposée à son époux et qu’elle n’a plus confiance en lui. Ils sont de plus séparés107. Dans le cas de la curatelle de Joseph B., obtenue en 1886 à l’instigation de sa femme, la ligne de partage au conseil est bien nette : ses frères s’opposent à l’interdiction, ses beaux-frères y souscrivent. Ils ne s’entendent pas non plus, bien sûr, sur la sélection d’un éventuel curateur108. Les dossiers judiciaires n’ont pas toujours gardé la trace de ce qui fonde les désaccords. Mais lorsque les procédures rapportent en tout ou en partie les arguments des deux camps (ce qui est rare), la rhétorique déployée s’avère très significative. Les gens qui refusent l’interdiction d’Élizabeth D., veuve d’un marchand, invoquent le fait qu’elle a assez «de biens pour vivre par elle-même». Ceux qui la favorisent mettent aussi de l’avant des arguments à caractère patrimonial, mais

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également des faits de déviance : elle aurait vendu et dissipé certains biens et elle boit tellement qu’elle est «à l’heure qu’il est … à charge de ceux qui demandent son interdiction et qu’elle escompte à l’avance ses revenus de Messieurs Jolicœur». Les prises de position diffèrent selon le lien de parenté : tous les beaux-frères qui s’opposent à la requête portent le même nom : Jolicœur. Or, les gens favorables à l’interdiction disent que c’est de personnes portant ce nom qu’elle tire ses revenus, en tout ou en partie (une rente viagère? Sont-ils les exécuteurs testamentaires de son époux défunt?)109. Les Jolicœur, qui combattent l’interdiction, n’ont probablement pas envie que les sommes qu’ils transfèrent à l’ivrogne passent sous le contrôle de tierces personnes, peu importe si Élizabeth boit trop ou non. Ils ont sans doute aussi la capacité d’exercer de manière informelle des pressions sur la veuve, sans recourir à une institution comme le droit. Pour leur part, les individus qui cherchent à la mettre sous curatelle et qui lui viendraient en aide (ils affirment qu’elle est à leur charge) souhaitent peut-être que ces mêmes fonds soient dépensés de manière plus pertinente, et par eux-mêmes. Julie H. s’est remariée avec un forgeron, Charles M., en 1836. Un fils issu du premier mariage de Julie va requérir et obtenir son interdiction pour folie en 1845. Une précédente tentative de sa part a avorté. Il s’était alors désisté de sa requête. Le second époux de Julie s’oppose à chaque fois aux procédures en engageant des avocats. Or, le deuxième procès porte davantage sur les comportements de ce second mari que sur l’état mental de Julie! Plusieurs témoins accusent Charles M. d’être oisif, de profiter des biens de sa conjointe, de la maltraiter et d’être un ivrogne. Il s’adonnerait à la paresse depuis qu’il a les biens de Julie sous son contrôle. Le fils du premier lit, requérant, insiste au cours du second procès sur la menace qui pèse sur les intérêts matériels de sa mère, les siens propres et ceux de ses deux sœurs. Les deux conseils de famille réunis sont à chaque fois unanimes sur un point : Julie doit être interdite. Mais la seconde assemblée se divise quant au choix du curateur. Le fils de Julie réclame la nomination d’une autre personne que Charles M., alors que certains participants optent pour ce dernier. Ce mari peu apprécié n’a toutefois pas réussi à mobiliser en sa faveur une portion suffisante du réseau social de sa femme. Un gendre est finalement chargé de la curatelle110. Dans le cas d’Adéline R., la mésentente est dûment constatée par le député-protonotaire, officier de justice chargé de l’affaire. Il note que les deux individus suggérés de part et d’autre de l’assemblée «ont tous

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deux renoncé … à leurs prétentions respectives à la dite charge de curateur dans le but de rétablir l’entente et l’accord dans la famille». L’enjeu est le suivant : l’intimée est riche111. Lorsque la cause des divisions au conseil nous est apparente, la position des acteurs concernés, leur intérêt et l’état de la circulation/transmission des biens dans la famille constituent des facteurs décisifs. L’opinion donnée dépend alors de tensions qui traversent le réseau familial, tensions qui dépassent et enveloppent la déviance de l’intimé. Reste que l’avis d’un participant peut être assez difficile à décoder. Antoine Y. est interdit pour ivrognerie en 1893 à la demande de son épouse. Il a amassé par une vie de labeur une fortune assez importante. Son gendre Zéphirin A. est nommé curateur. L’histoire d’Antoine est à partir de ce moment ponctuée de multiples conseils de famille. Lui cherche notamment, par trois fois, à retrouver sa capacité civile. Certains membres de l’entourage sont bien au fait de leurs intérêts lorsqu’ils s’impliquent dans la prise en charge d’un interdit, c’est indéniable. Mais quand au lien de parenté et à l’intérêt patrimonial s’ajoute pour certains acteurs une responsabilité légale dans la transmission des biens, le réseau familial qui enserre la personne prend l’aspect d’un véritable étau social, juridique et successoral. Ce cumul de rôles est une donnée cruciale de l’organisation sociojuridique des familles et de leurs conflits. Le fils d’Antoine et certains de ses gendres prennent part aux multiples conseils qui ont suivi son interdiction. Les gendres font systématiquement obstacle à ses tentatives de mainlevée. Certains d’entre eux disposent, dans cette épreuve de force, d’une position juridique et familiale très forte grâce au cumul de certains rôles. Zéphirin A. est à la fois curateur de l’interdit et exécuteur testamentaire de son épouse (elle meurt en 1896); un autre gendre, Jean-Baptiste L., est également exécuteur testamentaire de la défunte épouse. Or, comme gendres, ils se trouvent aussi indirectement héritiers de l’interdit. Si leurs épouses reçoivent des biens, ils en profiteront d’une manière ou d’une autre112. Mais Antoine Y. les aurait, dit-on, déshérités, probablement en ne laissant rien à ses filles. Contrôler la fortune de ce riche interdit est intéressant pour eux. Le curateur a pleins pouvoirs sur les biens de l’incapable. C’est ce qui explique, à n’en pas douter, leur opposition systématique lors des conseils réunis pour examiner l’opportunité de relever Antoine de son interdiction. Ces mêmes assemblées nous montrent cependant un fils, Édouard, qui chaque fois prend le parti de son père : noble piété filiale! Mais

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lors du dernier procès pour obtenir mainlevée (en 1898, procès qui se soldera par la victoire d’Antoine), la conduite d’Édouard apparaît sous un jour moins favorable. L’interdit dénonce le témoignage de son fils. D’autres témoins dépeignent Édouard comme un ivrogne de mauvaise réputation intéressé par l’argent de son père. Comment concilier cela avec les prises de position favorables de ce fils lors des conseils? Ce qui est en jeu dans cette histoire, ce n’est pas l’ivrognerie de l’interdit ou sa sobriété; c’est bel et bien le contrôle de son patrimoine. L’avocat d’Antoine soutient qu’Édouard faisait semblant d’être favorable à son père lors des procès précédents, mais que son intérêt «est le même que celui des gendres». Il décrit ceux-ci comme des personnes avides. Édouard, personnage faible, s’est peut-être entendu avec eux pour tirer profit de la situation et donner le change lors des conseils, en feignant une approbation des démarches de mainlevée. Le même avocat dit que la famille d’Antoine veut avoir ses biens, ce qui nous éloigne d’autant de l’impartialité imaginée par certains juristes. En cas de conflit, l’imbrication des relations familiales et patrimoniales, déjà très forte, va peser encore plus lourd. La lutte entre Antoine et ses gendres va d’ailleurs persister au-delà de la mainlevée obtenue en 1898. Ses gendres le poursuivront en leur qualité d’exécuteurs testamentaires de son épouse défunte. Ils s’intéresseront à tout ce qu’Antoine peut devoir à la succession de sa femme113… Toute procédure judiciaire a un passé et un contexte. Mais dans le cas précis de l’interdiction, le statut sociojuridique du déviant et les opérations reliées à la gestion du patrimoine exercent une influence majeure. Certaines données à caractère relationnel, comme l’incapacité des proches à gérer eux-mêmes la situation, jouent parfois un rôle déterminant. La présentation de requêtes s’inscrit en outre dans des trajectoires familiales différenciées d’expérience de la déviance et des conflits qui s’y rattachent. Le recours au judiciaire, à ce titre, varie en rapidité : l’entourage réagit plus tardivement par l’interdiction-curatelle à l’abus d’alcool. Moment particulier, l’appel à la justice est en outre précédé de négociations. Tout l’ancrage familial et communautaire de la procédure, enfin, se manifeste avec force par différentes manipulations sociales des règles juridiques : la présentation d’une requête par des demandeurs non qualifiés ou atypiques, le forcement des catégories juridiques de définition de la déviance, et l’emploi de l’interdiction comme arme à l’occasion de disputes.

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Les circonstances des recours et les manipulations sociales de l’appareil judiciaire corroborent un acquis de la sociologie de la déviance : la prise en charge d’un individu embarrassant par des appareils institutionnels de régulation, de même que l’officialisation de son état, dépendent souvent de bien autre chose que son comportement comme tel. Cela est vrai même si les perturbations causées par sa conduite sont considérables, comme le chapitre précédent l’a montré. Cet aspect de la circulation des problèmes sociaux d’une instance de pouvoir à une autre (ici de la famille à la justice) doit être souligné. Les conjonctures diverses et les tensions que vit l’entourage contribuent fortement à faire accéder les fous, les prodigues et les ivrognes au statut de déviants reconnus, étiquetés et sanctionnés légalement. Voilà la principale manifestation du constant dépassement de la déviance par son contexte familial et social à Montréal au dix-neuvième siècle. À première vue, l’ancrage familial et communautaire des procès et la possibilité d’un détournement plus ou moins prononcé des règles de droit témoignent d’une relative autonomie des familles montréalaises face à la règle juridique. Si d’emblée le droit civil fait de l’interdiction une pratique juridique fortement investie par la famille (la possibilité d’être requérant est en principe réservée aux parents et alliés dans les affaires de folie, on doit convoquer un conseil de famille en de multiples circonstances, etc.), sa mise en œuvre sur le terrain trahit une plus grande imprégnation par les exigences des Montréalais que ce que le droit laissait entrevoir. Ces exigences sont le produit des contraintes et des situations souvent difficiles auxquelles les habitants de la ville font face, ainsi que le résultat des conflits graves qui marquent leur existence de temps à autre. Toutefois, parler d’«autonomie», même relative, ne convient pas. La part de liberté des acteurs confrontés aux structures est parfois exagérée. Les circonstances de leurs faits et gestes, qu’elles soient faites de nécessités ou de conflits, ne sont par définition pas choisies, la plupart du temps. Tout en étant bien sûr les actrices principales de leur vécu, les familles montréalaises ne sont pas libres face à ces diverses conjonctures qui les concernent au plus haut point. Elles ne choisissent pas qu’un ivrogne soit à leur tête ou qu’une succession arrive à moment donné. Par ailleurs, si la règle juridique est contournée ou pliée, les demandeurs doivent quand même composer avec les façons de faire du droit. Dépasser ou infléchir cette règle nécessite même quelques efforts supplémentaires. Requérants et témoins s’évertuent alors à montrer combien une situation est désespérée (dans le cas d’une personne

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isolée et malade) ou vraiment scandaleuse. Avant 1870, l’ivrognerie est parée du voile de la maladie mentale ou désignée comme responsable de la déconfiture économique de la famille de l’intempérant. Les acteurs familiaux doivent au surplus se préparer à une longue lutte quand la curatelle est requise au milieu d’une crise familiale poussée à son paroxysme ou quand l’intimé a la capacité de se défendre. Le rapport entre familles et droit doit être pensé, dans le cas particulier de la curatelle, comme la rencontre structurée mais non rigide entre les contingences de la vie des Montréalais et un mode à la fois réglé et partiellement flexible de résolution juridique des aléas et tensions de cette existence. Les familles n’agissent pas à l’intérieur d’un «cadre» juridique. Nous sommes plutôt en présence d’un rapport où tant les contingences sociales que les articles du code civil jouent un rôle. La vision d’une mise en œuvre de stratégies familiales à l’intérieur d’un «encadrement» juridique est défectueuse pour une autre raison : c’est la cohérence que présente, à un certain niveau, la pratique de l’interdiction à Montréal au dix-neuvième siècle. La curatelle des majeurs constitue un résultat historique dont la spécificité est à montrer. C’est une pratique faite d’interactions conduisant à des résultats, et non la juxtaposition de diverses composantes. Contingences, volontés familiales et droit se fondent, se mêlent pour donner quelque chose de très particulier : la curatelle comme mode de règlement des problèmes et des conflits familiaux. Certaines logiques de régulation imprègnent ce phénomène, comme les tensions structurelles relatives à la préservation des biens. La présence de ces tendances lourdes contribue à faire de l’interdiction un problème historique unique et complexe. En termes diachroniques, les différents aspects de la rencontre entre familles et droit étudiés jusqu’à maintenant sont marqués par la continuité, à l’instar des interactions entre déviants et entourage, interactions analysées au chapitre précédent. Les circonstances des recours ne changent pas de manière significative au fil du siècle; les manipulations possibles de l’appareil judiciaire ne connaissent pas non plus d’évolutions marquantes. Si le jeu avec les catégories juridiques pour faire interdire des ivrognes n’est plus nécessaire à partir de 1870, on retrouve encore à la fin du siècle des requérants atypiques et des disputes dans lesquelles l’interdiction sert d’arme. Les assises familiales et communautaires de la pratique de l’interdiction changent très peu au dixneuvième siècle. Si malgré la transition au capitalisme, les revenus et les biens sur lesquels les familles fondent leur survie, leur condition socioéconomique et leur sociabilité conservent une importance essentielle,

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si les risques d’une «vie fragile» perdurent à l’aube du vingtième siècle en milieu urbain, rien d’étonnant à ce que l’interdiction, l’une des solutions partielles à la déstabilisation familiale et aux conflits marqués par le rapport aux biens, continue à être pratiquée à peu près de la même façon. L’interdiction connaîtrait-elle quand même certains changements, mais du côté de l’appareil judiciaire et du droit plutôt que du côté de leurs utilisateurs? L’affirmation tardive de l’autonomie des juges par rapport aux avis des conseils de famille intrigue. L’implication des magistrats dans les procès et la fonction exercée par le droit au sein des dynamiques familiales font l’objet du chapitre suivant.

3 Juges, requêtes et intimés : la régulation judiciaire des tensions familiales Comme on l’a vu au chapitre précédent, la pratique de l’interdiction, mécanisme juridique de régulation des problèmes familiaux, possède un fort substrat social. Mais le droit et les institutions chargées de le mettre en œuvre ne sont pas, en principe, les réceptacles passifs des desseins familiaux et des aléas de la vie en société, comme le laissent entendre certaines études selon lesquelles le droit fait simplement l’objet d’une utilisation «stratégique» par les familles1. Les acteurs familiaux doivent nécessairement tenir compte de la règle juridique, même lorsqu’ils «jouent» avec elle. Ils ne l’utilisent pas non plus tout à fait librement, vu la nécessité qui détermine bien des recours au droit. En outre, qu’advient-il des volontés et des sollicitations de l’entourage une fois que les tensions intrafamiliales accèdent à la scène judiciaire? Quel est le rôle des magistrats et des officiers de justice dans la métamorphose qui s’ensuit le plus souvent, soit le passage, pour l’individu visé, de l’état de personnage gênant pour son entourage à celui d’interdit, statut formel d’incapacité? Quelle fonction, globalement, remplit alors le droit dans la régulation des affaires familiales, une fois l’interdiction accordée? Il s’agit là d’aspects cruciaux des rapports entre familles, droit et appareil judiciaire. Nous verrons ici que les normes juridiques formelles de définition de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie traduisent certains a priori du regard porté sur ces problèmes. Les procès d’interdiction donnent aussi lieu à des interactions entre intimés et appareil judiciaire. Les échanges qui surviennent durant les interrogatoires (conduits dans les cas de folie seulement) et les réactions des individus aux procédures entamées contre eux témoignent à leur manière de la

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contribution de la justice civile bas-canadienne et québécoise au processus d’exclusion de la déviance au dix-neuvième siècle. Les quelques requêtes rejetées montrent que les magistrats et officiers de justice ne vont s’impliquer, concrètement, qu’en cas de conflit intrafamilial non résolu. Toutefois, malgré l’implication plutôt effacée, habituellement, du système institutionnel chargé de le mettre en œuvre, le droit, une fois positivement «activé» par l’effacement de la personnalité juridique de l’incapable, remplit une fonction tout à fait essentielle de régulation des difficultés familiales.

les normes juridiques formelles Les règles relatives à l’interdiction comptent parmi les quelques instruments que le droit civil destine explicitement au contrôle des tensions familiales. La séparation de corps, l’exercice de la puissance paternelle et les règles concernant les enfants illégitimes renvoient aussi à cette fonction régulatrice. La folie, la prodigalité et l’ivrognerie, pour être sanctionnées juridiquement, font nécessairement l’objet de définitions formelles, aussi approximatives soient-elles. L’examen des «présupposés» du droit doit précéder l’étude de l’implication concrète de l’appareil judiciaire dans les affaires d’interdiction. En outre, comme la pratique de l’interdiction ne correspond certainement pas à l’application directe et régulière de normes juridiques (le chapitre précédent l’a amplement montré), il faut voir dans quelles circonstances ces mêmes normes sont explicitement activées. Présenter les définitions relatives aux fous, prodigues et ivrognes n’équivaut donc pas à définir le «cadre» des affaires d’interdiction. C’est plutôt préparer le terrain à une meilleure compréhension de la manière dont les normes juridiques sont «jouées» dans le processus d’exclusion de la déviance. Les représentations juridiques des trois déviances renvoient toutes au problème du rapport aux biens. Comme l’interdiction pour alcoolisme apparaît durant la période étudiée, il faut prêter une attention particulière aux mesures mises en place à partir de l’Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude (1870). Cette législation particulièrement répressive s’inscrit dans le contexte, propre à la seconde moitié du dix-neuvième siècle, de mesures plus fermes contre la consommation et l’abus d’alcool – plus vigoureuses, certainement, que le prêche des sociétés de tempérance. L’article 325 du code civil de 1866 stipule que «le majeur ou le mineur émancipé qui est dans un état habituel d’imbécillité, démence ou

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fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente des intervalles lucides2». À propos de la folie et du degré de dérangement mental nécessaire pour justifier une interdiction, F. Langelier explique, dans son Cours de droit civil (1906) : Il y a trois facultés principales dans l’intelligence humaine : la mémoire, le jugement et la volonté. Il ne suffit pas qu’une de ces facultés soit affaiblie plus ou moins, pour qu’on puisse faire interdire celui chez qui cette faiblesse s’est montrée; car, c’est un fait d’expérience journalière, qu’avec l’âge la mémoire et la volonté, surtout, perdent beaucoup de leur force. Alors, il faudrait interdire tous les vieillards? Non : pour que l’affaiblissement de l’intelligence justifie l’interdiction, il faut qu’il soit tel, qu’il rende celui chez lequel il se produit incapable de se tirer d’affaire, comme on dit, c’est-à-dire, de se défendre dans la lutte pour la vie. Il ne suffit donc pas que son intelligence soit moins forte qu’elle n’était auparavant; il faut qu’elle soit moins forte que celle des personnes qui en ont juste assez pour se tirer d’affaire, dans le cours ordinaire de la vie3.

C’est là une définition à la fois vague et pragmatique de la folie. La capacité à «se tirer d’affaire» est cependant évaluée et déterminée, on le sait, par l’entourage de la personne et dépend de la conjoncture vécue par la famille. De plus, en droit, pour justifier une interdiction, ce «vice d’intelligence» doit avoir «un certain caractère de permanence4». Le Répertoire général de jurisprudence canadienne, de J.J. Beauchamp (1914), se voudrait assez précis en matière d’interdiction des malades mentaux : L’aliénation mentale ou folie est difficile à définir en droit à cause de ses diverses formes, de l’incertitude de la jurisprudence et de la diversité d’opinion chez les médecins aliénistes. L’on distingue en pathologie cérébrale : L’idiotie qui est un défaut de développement des facultés mentales. Il dépend le plus souvent de lésions cérébrales généralement héréditaires. L’imbécilité [sic] est l’état d’un esprit faible qui ne discerne que d’une manière animale. Le développement des facultés congénitales est néanmoins moins imparfait que chez l’idiot. La manie résulte d’une lésion des facultés intellectuelles ou affectives survenue après leur développement. Le maniaque est capable d’intervalles lucides, mais il est hanté d’idées fixes et extravagantes qu’il ne peut maîtriser. En dehors de sa manie, il peut agir et parler sensément. La démence consiste dans l’aliénation totale de l’intelligence. C’est le retour à l’état d’enfance5.

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Matière mouvante, objet qui ne s’énonce pas aisément, la folie est marquée d’entrée de jeu, pour le droit, par l’incertitude. Ce qui conduit presque inévitablement à l’appréhender de manière pratique, comme le souligne Langelier. Ainsi, à propos des catégories d’imbécillité, démence ou fureur, P.B. Mignault soutient que «les aliénistes modernes n’ont pas adopté cette classification, mais il faut suivre le texte de la loi, tout en tenant compte de la pensée évidente du législateur qui a voulu, par cette classification, comprendre tous les cas d’aliénation mentale6». Le regard du droit ne se veut donc pas, d’emblée, limitatif et exclusif, même pour une matière «difficile à définir»! L.P. Sirois le confirme, en affirmant qu’un «individu, quelque [sic] soit le caractère de sa folie, du moment qu’il est incapable de se diriger lui-même, doit être interdit7». Une décision rendue en 1908 par la Cour du banc du Roi, décision qui fit jurisprudence, s’inscrit parfaitement dans cette approche inclusive et pragmatique des troubles mentaux. Elle stipule que «l’affaiblissement mental, sans qu’il y ait folie ou démence, la diminution des facultés au point de rendre celui qui en est atteint incapable de se conduire lui-même et de conduire ses affaires est une cause d’interdiction8». De même, en 1911, à l’occasion d’une autre affaire portée en appel, le juge en chef L.A. Jetté admet qu’une femme âgée et célibataire dont on cherche à obtenir l’interdiction a «certainement des manies». Cependant, «il est prouvé d’ailleurs que c’est une femme qui connaît très bien son intérêt. Elle a un petit capital de $1500 et un intérêt dans une propriété immobilière. Elle administre son bien parfaitement; elle prête son argent – $300, $400 – à des commerçants; elle exige des intérêts, elle les reçoit, elle fait ses reçus elle-même, ses billets. Elle administre parfaitement9.» Ce qui contribue à la préserver d’une interdiction demandée par son frère, contrarié par une donation qu’elle a faite à des personnes étrangères à la famille10. Le critère de la capacité à gérer des biens s’impose également en Angleterre, au cours du dix-neuvième siècle, dans les procès mettant en cause les aptitudes mentales de certains individus11. L’article 326 du code civil concerne les prodigues : «Doivent également être interdits ceux qui se portent à des excès de prodigalité qui donnent lieu de craindre qu’ils ne dissipent leurs biens12.» Selon F. Langelier, par prodigue Il faut entendre un individu qui fait des dépenses excessives qui ne sont utiles ni à lui ni au public. Il ne faut pas confondre la prodigalité avec la libéralité;

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supposez, par exemple, qu’un individu qui a une fortune de vingt mille piastres en emploie quinze mille à fonder un hôpital, ou une maison d’éducation, ou une école; il fait certainement une dépense excessive quant à ses moyens; mais, personne pour cela ne songerait à le faire interdire, parce qu’il fait une dépense utile au public. Mais, il en serait autrement d’un individu qui gaspillerait sa fortune en ce qu’on appelle des folles dépenses, par exemple, des dépenses d’ivrognerie, de débauche, même des dépenses qui n’ont rien de malhonnête, mais qui sont parfaitement inutiles, par exemple, des dépenses pour achat de bijoux13.

Le dix-neuvième siècle assimile l’inutile à l’immoral, soit, mais l’ingénuité qui marque parfois le discours des juristes ressort également : l’individu qui songerait à remettre les trois quarts de sa fortune à une œuvre charitable aurait sûrement à faire face à d’intenses pressions familiales pour l’en dissuader. Dépenses inutiles ou pas, la prodigalité est surtout envisagée en regard du risque couru par le patrimoine. Sirois, reprenant les termes de l’article 326, dit que «pour qu’il puisse y avoir interdiction, il faut que la prodigalité soit telle qu’elle donne lieu de craindre que celui qui la fait dissipe ses biens, compromette sa fortune 14». Et dans l’esprit des juristes, le degré de prodigalité varie selon les revenus. «Telle dépense pourrait paraître excessive pour quelqu’un qui n’a qu’un revenu de cinq cent piastres, et ne l’être pas pour quelqu’un qui en a un de cinq mille15.» En 1907, un juge de la Cour de révision présente ainsi un cas de conduite prodigue : «La fortune de l’intimé, d’après son factum, était d’environ cinq mille piastres, et il admet que, dans l’espace de moins de deux ans, il a réduit son capital à $4,150. Il me paraît évident que, si l’intimé continue à faire les dépenses qu’il a faites, depuis un peu plus d’un an, avant la demande d’un conseil judiciaire, il s’en va inévitablement à la ruine, et je crois que les parents ont eu raison de s’alarmer. La nomination d’un conseil judiciaire a pour but de protéger celui à qui on le donne, et la preuve me satisfait que l’intimé a besoin de protection16.» L’excès des dépenses par rapport au capital est une limite à ne pas franchir : les frontières d’une bonne conduite économique sont étroitement surveillées. Qui réagit à cette soi-disant dégringolade financière? Les parents «alarmés» … Quant aux ivrognes, l’article premier de l’Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude prévoit que «sur requête assermentée présentée à l’un des juges de la Cour supérieure … de la part d’un parent, ou allié, et à défaut de parent, de la part d’un ami d’un

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ivrogne d’habitude, représentant que par suite de son ivrognerie, tel ivrogne d’habitude, dissipe ses biens, ou administre mal ses biens, ou met sa famille dans le trouble ou la gêne, ou conduit ses affaires au préjudice des intérêts de sa famille, de ses parents, ou de ses créanciers, ou [qu’il] fait usage de liqueurs spiritueuses en quantité si considérable qu’il s’expose à ruiner sa santé et abréger ses jours, tel juge, pour aucune de ces raisons prouvées devant lui à sa satisfaction, pourra prononcer l’interdiction de tel ivrogne d’habitude, et lui nommer un curateur …17» Le texte se signale par la quantité de «ou» qui le scandent et par l’énoncé des multiples conséquences de l’alcoolisme pouvant justifier l’interdiction : mauvaise administration, «trouble» ou «gêne» pour la famille, préjudice pour l’entourage et les créanciers, atteinte à la santé. La loi ratisse très large, comme pour la folie. Ce n’est pas tout : cette nouvelle sanction juridique accorde une très grande importance à la réputation de l’individu, au regard que son milieu porte sur lui. L’ivrognerie reçoit en droit une définition explicitement sociale lorsque vient le temps de prouver les faits. L’article 12 de la loi de 1870 précise en effet que «toute personne qui, d’après la commune renommée, dans son voisinage, aura acquis la réputation d’être un ivrogne, sera réputée un ivrogne d’habitude suivant le sens et l’intention du présent acte18». Le caractère exceptionnel de la curatelle aux ivrognes ne se limite pas à cet aspect du «repérage légal» des intempérants, loin s’en faut. D’autres dispositions, comme nous le verrons plus loin, en font un outil particulièrement efficace et radical de sanction de l’alcoolisme, du fait d’un amalgame entre retrait de la capacité civile et enfermement. Le regard posé par les juristes québécois sur l’ivrogne n’est pas empreint de bienveillance. P.B. Mignault tient à son endroit le discours suivant : «Voici une classe d’incapables qui ne sont ni aliénés ni prodigues, mais qui, par suite de la déplorable habitude qu’ils ont contractée, sont exposés à perdre la raison ou, au moins, dans leur ivresse, à dissiper follement leurs biens. Quoique cette passion – à moins d’admettre le principe de l’hérédité des vices, ce que je ne puis faire – ne doive inspirer que du dégoût, plutôt que de la compassion pour ceux qui en sont les victimes, il y a d’autres personnes, celles-ci innocentes de toute faute, qu’il s’agit de sauver de la ruine19.» L’insistance sur la bonne gestion des biens est encore on ne peut plus nette. Surtout, l’assimilation d’une déviance à une défectuosité morale, et non à une maladie, a des implications considérables : les mesures visant à l’endiguer

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seront certainement teintées de répression. La responsabilité individuelle de l’ivrognerie autorise une dure réplique sociétale. Problèmes assez spécifiques du point de vue de l’expérience des familles, la folie, la prodigalité et l’ivrognerie contribuent toutes à dérégler un aspect primordial de leur reproduction sociale : la bonne gestion des biens et des revenus. Ces problèmes appartiennent à une même grande famille de comportements perturbateurs, du point de vue des normes juridiques formelles. Juristes et magistrats les interprètent aussi comme autant d’entorses à la symbiose fondamentale entre relations familiales et préservation des avoirs. La sûreté matérielle des familles et les attentes de l’entourage rejoignent ici le droit civil. Les ivrognes peuvent s’apparenter aux fous ou se conduire en prodigues. Mignault écrit que «ces ivrognes pour la plupart sont des prodigues, quand ils ne sont pas fous, en effet, ils se portent à des excès de prodigalité20». Sirois y va aussi de son amalgame : «Avant cette disposition [la loi de 1870], on ne pouvait, en principe, interdire les ivrognes. Nous disons en principe, car, pratiquement, ces ivrognes sont des prodigues, quand ils ne sont pas des fous. On pouvait, dans ce cas, les faire interdire comme prodigues. Quelquefois ces ivrognes ne sont nullement prodigues, mais mettent leur vie et leur santé en danger, et l’on ne pouvait les atteindre par l’interdiction21.» Langelier joint sa voix au concert : «Le plus souvent c’est l’ivrognerie qui est la principale cause de la prodigalité des gens qui se ruinent22.» Un avocat plaidant devant la Cour du banc de la Reine, à la fin des années 1880, affirme que «l’ivrognerie ainsi que la prodigalité sont regardées comme une espèce de démence, et la loi considérant comme incapables les personnes ivrognes et prodigues, leur donne dans leur propre intérêt … des curateurs pour avoir le contrôle et l’administration de leurs biens, afin qu’ils ne les dissipent point23». En 1889, un juge du même tribunal parle de la prodigalité comme d’une «folie partielle qui n’affecte que les biens24». Vu les propos d’un Sirois, certaines interdictions pour ivrognerie antérieures à 1870 peuvent-elles encore être assimilées à des manipulations sociales de l’appareil judiciaire? Évidemment, on ne doit pas s’attendre, lorsque la demande sociale exerce des pressions sur le droit, à des détournements radicaux des formes et des règles juridiques. Ce qui est observé, c’est un espace de tensions entre impératifs familiaux et droit. Or, les interdictions pour alcoolisme antérieures à 1870 portent des marques de «détournement» de la curatelle. On

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insiste sur le fait que l’alcool affecte les capacités mentales du buveur, sur le caractère désastreux de son administration. Les affaires concernent des cas lourds d’alcoolisme. C’est certainement parce que l’interdiction des ivrognes n’est pas aisément praticable en droit civil que l’on juge nécessaire d’adopter une loi à cet effet en 1870. «Vice» et source de «dégoût», l’ivrognerie fait l’objet d’une véritable offensive juridique à partir de 1870 au Québec. La loi d’interdiction des ivrognes, présentée aux députés comme une mesure de protection de «la famille contre la ruine25», se signale par son caractère expéditif et total, notamment lorsqu’elle inclut la possibilité d’enfermer l’alcoolique contre son gré. Cette législation forme un outil cohérent, complet et radical de gestion de l’ivrogne. Parents et alliés peuvent requérir l’interdiction de l’ivrogne, mais à défaut de parents, comme on le sait, un «ami» peut s’en charger26 : le cercle de requérants potentiels est donc plus vaste qu’en cas de folie ou de prodigalité. Nous avons toutefois constaté, au chapitre précédent, l’existence de requérants non qualifiés en matière de folie et l’indécision des juristes à ce sujet. Et en pratique, ce sont habituellement des gens très proches de l’ivrogne (époux ou épouse, père ou mère, frère) qui sollicitent sa mise sous curatelle. Mais l’interdiction pour ivrognerie est soumise à une économie juridique particulière. Ouvrir la procédure à des étrangers en est une première manifestation. Pour Mignault, la qualité d’ami pourrait s’appliquer «à toute personne intéressée à prévenir la dissipation des biens de l’ivrogne 27». L.P. Sirois, qui préconise de s’en tenir à une définition stricte des personnes susceptibles de se porter requérantes contre les malades mentaux et les prodigues (conjoint, parents et alliés), croit que le créancier de l’ivrogne devrait pouvoir agir contre lui28. En matière de preuve, l’interdiction pour ivrognerie se distingue par son caractère expéditif. L’article 4 de la loi de 1870 dit qu’en «procédant à l’interdiction de toute personne comme ivrogne d’habitude, il ne sera pas nécessaire que la preuve d’aucun des faits prouvés à cet égard devant le juge, soit prise par écrit, ni que la personne qu’il s’agit d’interdire soit interrogée devant le juge; mais il suffira que le juge soit satisfait de la preuve orale faite devant lui29». Cette disposition fait le malheur du chercheur, qu’elle prive de nombreux discours sur l’ivrognerie30! Pour Mignault, outre la commune renommée de l’ivrogne, en matière de preuve «l’avis sous serment des membres du conseil [de famille] suffit. Cette preuve peut être contredite par le défendeur31.» En cas de folie, rappelons-le, l’intimé doit obligatoirement être interrogé par un

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juge ou un officier de justice. La loi de 1870 précise de surcroît que les procédures «seront sommaires», ce qui a pour effet d’accélérer le déroulement des procès32, et que «la décision du juge sera finale et sans appel, soit qu’il prononce l’interdiction, soit qu’il en rejette la demande33». La personne accusée de folie ou de prodigalité peut, elle, interjeter appel. Enfin, la loi 1870 associe deux puissants outils de contrôle des conduites déviantes : l’interdiction, privation de la capacité civile, et l’enfermement, exclusion physique de la personne pour un laps de temps plus ou moins long. La loi a la double ambition de réprimer et de guérir – en somme, de forcer la guérison. Selon son préambule, «l’expérience a démontré que les cas d’ivrognerie qui paraissent les plus incurables peuvent souvent se guérir par un traitement raisonné et régulier, et que ce traitement ne peut être suivi d’une manière efficace que dans des établissements organisés à cet effet34». Cet optimisme thérapeutique se fonde sur le moyen privilégié au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle pour venir à bout des maux sociaux : l’institution. La réalité, bien sûr, sera autre. Si la législation parle de «guérison», cela ne fera pas non plus de l’ivrognerie un objet forcément médicalisé. La pratique de l’enfermement des ivrognes montréalais aura surtout une fonction d’exclusion temporaire et un caractère répressif (chapitre 4). Le mariage entre interdiction et internement forcé est l’œuvre de l’article 17 de la loi, qui permet au curateur nommé de placer l’interdit dans «un établissement dûment licencié pour la guérison des ivrognes35». Précisons, pour finir, que la loi de 1870 place l’interdit pour ivrognerie dans un état d’incapacité aussi prononcé que l’aliéné, c’est-à-dire que la perte des droits encourue est complète et affecte aussi bien l’autonomie de la personne que l’administration de ses biens36. Cette règle est modifiée en 1879 : l’incapacité de l’ivrogne s’apparente dès lors à celle de l’interdit pour prodigalité37 et concerne seulement les avoirs38. Comment rendre compte de l’apparition de cette loi et de la transformation des ivrognes d’habitude en entité déviante? À partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, la lutte contre l’alcool adopte une stratégie plus agressive, de nature législative et prohibitionniste39. Les réponses sociétales à l’alcool, après l’éclosion et la croissance rapide de sociétés de tempérance dans les années 1830 et 1840 (phénomène qui culmine au Québec avec la croisade de Chiniquy en 1848–185140), se raidissent de manière significative. La lutte législative et juridique contre les ivrognes d’habitude vise une population qualitativement différente

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de la «clientèle» des sociétés de tempérance, notamment par la profondeur de la déviance. La loi québécoise de 1870 déplace aussi la source du contrôle exercé sur le buveur. Tandis que la tempérance mise sur l’expérience individuelle de conversion intérieure à une vie plus rangée41 (même si cette expérience est généralement vécue dans un cadre associatif), avec la notion juridique d’ivrogne d’habitude, on passe à une réplique exaspérée des proches et du droit. L’intégration, l’association et l’espérance de moralisation cèdent la place à l’exclusion de l’alcoolique et au déni de sa moralité. Par sa législation contre les ivrognes, la province de Québec se démarque-t-elle des autres États occidentaux? L’histoire des institutions pour alcooliques compte maintenant des études très utiles42, mais les mesures de contrôle de la capacité juridique des ivrognes ne semblent pas avoir retenu l’attention des chercheurs. Serait-ce en raison de l’originalité de l’entreprise québécoise? En France, pays dont le droit civil est bien sûr un proche parent de celui du Québec, l’interdiction pour ivrognerie n’existe pas comme telle au dix-neuvième siècle43. La province d’Ontario adopte deux lois concernant les ivrognes d’habitude, en 1873 et 1883. La concordance chronologique est assez frappante. Par la loi de 1873, l’Ontario s’autorise à construire un hôpital pour ivrognes d’habitude. Cette législation comporte aussi une définition de l’ivrogne d’habitude qui ressemble à s’y méprendre à celle contenue dans la loi québécoise : l’ivrogne y est celui qui, du fait de son penchant pour l’alcool, administre mal ses biens, les dissipe, met sa famille dans l’embarras, conduit ses affaires au préjudice des intérêts de sa famille et de ses créanciers, etc. Mais dans la loi ontarienne, la procédure de certification d’un individu comme ivrogne d’habitude est dirigée uniquement vers l’internement dans un asile public 44. L’équivalent d’une interdiction civile ordinaire est absent45. De toute façon, cette loi ne semble pas être appliquée, puisque le projet d’un asile public pour ivrognes paraît ne pas s’être réalisé46. La loi ontarienne de 1883, qui permettra l’admission forcée des ivrognes dans des asiles privés, ne comportera pas non plus de mesure équivalente au retrait des droits civils47. On a ailleurs montré les échecs rencontrés par les nombreuses tentatives anglaises de législation contre les ivrognes d’habitude (qui débutent aussi dans les années 1870)48. Ces efforts n’auront de succès qu’en matière d’enfermement à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, comme l’a révélé Mariana Valverde49. On peut donc dire qu’au Québec, une volonté profonde de préservation du patrimoine et de la

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sûreté matérielle des familles lors de la transition au capitalisme, alliée à la formule ancienne de droit civil qu’est l’interdiction, a accouché d’un mécanisme aussi original que radical de sanction de l’abus d’alcool.

les intimés dans l’arène judiciaire : v e r s l ’ av e u e t l a c o n s é c r a t i o n de la déviance Certains spécialistes de l’histoire de la folie se sont récemment ingéniés à faire sortir de l’ombre les propos et l’agency des patients internés50. Lykke de la Cour et Geoffrey Reaume affirment notamment que «the recreational and work cultures that patients were able to forge within the limited constraints of day-to-day living in psychiatric hospitals perhaps indicate the ways in which patients were able to create their own more therapeutic environments51». Cette conclusion, qui valorise l’intégration des malades à leur environnement asilaire, est sujette à caution. Remembrance of Patients Past, de Reaume, serait la manifestation la plus achevée de cette tendance52. Analysant le travail effectué par les patients, l’auteur traduit leurs émotions à partir de ce qu’ils font et hasarde qu’ils en tiraient un sentiment de fierté et une estime de soi53. Dans le cas d’une vieille dame dont on sait seulement qu’elle prend les poussières dans les salles, Reaume conclut que «the impression is of an elderly woman who wanted to do some household work as a way of feeling better», et que cela pouvait lui procurer de l’estime de soi (selfworth) 54. L’extrapolation est douteuse. La perspective du contrôle social oubliait souvent, il est vrai, les principaux intéressés de l’histoire de la folie : les aliénés eux-mêmes, délaissés au profit de l’identification des pouvoirs et des mécanismes institutionnels réglant leur sujétion. La prise en charge de l’aliénation mentale dans le passé demeure malgré tout l’un des cas les plus fantastiques de développement d’instances et de normes destinées à réduire la déviance. Reaume, il faut le préciser, tient compte du contrôle parfois sévère exercé par l’institution asilaire55. Cependant, sa démarche porte la marque d’un objectif éthique et politique : montrer que les malades mentaux sont des êtres humains dignes d’intérêt56 et méritant d’être valorisés. Il y a ici méprise : si l’agency des patients internés est à peu de chose près inexistante, cela n’implique pas que ce sont des êtres non dignes d’intérêt. Les dossiers d’interdiction montréalais conservent la trace de la participation, évidemment forcée, de certains intimés aux procédures.

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Les gens considérés fous doivent se soumettre à un interrogatoire, point focal de la rencontre entre les «malades» et l’appareil judiciaire. Quelques dossiers contiennent les réactions des intimés pris dans l’engrenage de l’interdiction : déclarations de soumission, refus, protestations, promesses de réforme. Les conditions dans lesquelles se manifeste cette agency montrent que l’individu, même doué de lucidité, rencontre un agencement de normes et de pouvoirs familiaux et judiciaires qui ne favorisent en aucune manière le maintien de son autonomie. En principe, les interrogatoires représentent un moment crucial de l’implication des juges et des officiers de justice dans l’interdiction des aliénés : ils doivent alors évaluer l’état de l’individu dont l’entourage réclame le retrait des droits civils. La véracité des allégations de la requête, le fondement, donc, de la demande sociale d’interdiction, devrait ici être mis à l’épreuve. En 1837, le juge Pyke écrit, avant d’aller interroger chez elle Sophie R. : «Considérant que la dite Dame Sophie [R.] n’a pas été amenée devant nous, ce jourd’hui, et n’ayant pu juger par nous-mêmes de la vérité des allégations mentionnées en la dite requête57 … » Dans quelles conditions se déroulent ces entretiens particuliers, et que révèlent-ils des interactions entre demande sociale, individus déviants et système judiciaire? Magistrats et officiers de justice conduisent les interrogatoires en ayant recours à des techniques informelles particulières, procédés orientés vers l’aveu de la folie. Cette rencontre, inassimilable à un simple rendez-vous entre l’appareil judiciaire et l’individu soupçonné de maladie mentale, subit déjà le poids d’un processus d’exclusion mis en marche par l’entourage. Certaines questions reviennent constamment. Les intimés doivent décliner leur nom, leur âge, leur état civil, leur religion, leur lieu de résidence, leur profession, leur condition de santé, le nombre de leurs enfants. Ces questions usuelles entendues, certains intimés font déjà connaître leur épuisement58. Les réponses livrent parfois quelques bribes de l’expérience de la maladie mentale dans le Montréal du dix-neuvième siècle. Interrogé sur son logement, Joseph B., probablement affecté de déficience intellectuelle, indique qu’il va quitter la maison qu’il habite rue Saint-Denis pour une autre résidence, rue Sherbrooke. Pourquoi ce déménagement d’un secteur bourgeois à un autre? Joseph répond entre autres choses que les garçons du voisinage le harcèlent59.

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Il est une autre catégorie de questions récurrentes : celles portant sur les affaires de l’intimé et sur sa capacité à y veiller, questions parfois très détaillées60, ce qui souligne l’importance primordiale de l’administration des biens dans la pratique de l’interdiction. Mathilde A., veuve d’un forgeron, connaît-elle bien l’identité de la personne qui perçoit ses loyers à sa place61? On demande aussi à plusieurs intimés s’ils désirent qu’on leur adjoigne d’un curateur. Certains acquiescent62, d’autres refusent63 ou n’en ont cure64. Insister sur certains sujets n’est pas tout. Des tactiques identifiables structurent beaucoup d’entretiens. Les difficultés vécues par l’individu au sein de la communauté montréalaise peuvent être évoquées, ou certaines situations qui ont conduit son entourage à douter de son équilibre mental. Lorsque c’est le cas, c’est signe que l’interrogateur a été mis au parfum des circonstances du recours en justice. William H. a-t-il tiré sur quelqu’un? Un témoin soutient qu’il a ouvert le feu sur une femme65. Le protonotaire s’enquiert auprès de Griffith J. de la fraude dont il a été l’objet, fraude qui rend nécessaire la nomination d’un curateur dans son cas66. Ces questions circonstancielles permettent de connaître un peu mieux l’état de l’interrogé, sa version des faits et sa capacité administrative. Mais les interrogateurs, ce faisant, cherchent surtout à confirmer les dires de l’entourage. L’examen de l’intimé, lorsque celui-ci est en mesure de répondre (de manière sensée ou non), ressemble le plus souvent à un mécanisme de production d’aveux. Pour ce faire, on l’amène fréquemment sur le terrain de son délire. Michael R., bijoutier interdit en 1851, est obsédé par une femme qui n’existerait que dans son imagination. Il en reparle au cours de son interrogatoire. Le juge précise que les propos de l’individu, en d’autres matières, sont rationnels et cohérents67. La réalité du désordre mental de certains intimés est manifeste. Ils sont «cuisinés» sur ce terrain. Rebecca P. est interrogée en 1884. L’ami qui sollicite son interdiction précise qu’elle souffre «from a religious mania and has frequently threatened to take her own life». Après des questions communes (sur son identité, son âge, son emploi du temps, etc.), le protonotaire attaque : «Have you any anxiety about future life68?» Au fil du siècle, les interrogatoires faits à l’asile sont de plus en plus fréquents, du fait de la progression de l’institutionnalisation de la folie. Mais durant une douzaine d’années, de 1866 à 1878, les personnes déjà internées au moment des procédures ne subissent pas

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d’interrogatoire69, et ce, en contravention avec l’obligation de rencontrer toutes les personnes menacées d’interdiction pour folie. Basile B. séjourne à l’asile des aliénés de Saint-Jean pendant qu’on cherche à l’interdire, en 1871. Le protonotaire de la Cour supérieure a néanmoins «supprimé l’interrogatoire du dit Basile [B.] comme étant inutile, à raison des dits affidavits constatant la détention du dit Basile [B.] dans le dit asile des aliénés70». La pratique est plus rigoureuse par la suite : du début des années 1880 jusqu’à la fin de la période étudiée (1895), toutes les personnes enfermées sont interrogées. En 1879, le protonotaire se rend même jusqu’au McLean Asylum de Boston pour y interroger Andrew W.71. L’interruption temporaire de l’examen des personnes enfermées est symptomatique du début de la montée en force de l’asile dans le champ de la régulation de la folie72. La justice se ressaisit par la suite. Pour l’appareil judiciaire montréalais, un séjour en institution constitue probablement une preuve quasi irréfutable de maladie mentale. On arrête d’ailleurs, en 1900, d’interroger les personnes internées, pour cette raison73. Auparavant, on demande fréquemment aux internés pourquoi ils se trouvent à l’asile74, s’ils y sont bien75, quelle est l’identité de la personne qui paie leur pension à cet endroit76 ou s’ils reçoivent des visites77. Ces interrogatoires de la fin du siècle sont souvent courts et dénués de tout commentaire. L’obligation de vérifier leur état mental ne représente plus alors qu’une formalité, promise à l’abolition. Dès cette époque, la solution asilaire a acquis une influence durable dans la régulation des conduites déviantes. Mais quelles données conduisent les juges et les officiers de justice à certifier le dérangement mental? Autant les réponses fournies que les circonstances mêmes de la rencontre sont importantes à ce titre. Dans bien des cas, l’interrogateur constate l’état de folie et interrompt l’exercice. La transcription de l’interrogatoire d’Ursule R. prend fin ainsi : «L’interrogatoire n’a pas été continué, vue que ladite Ursule [R.] ne cessoit de parler, de choses incohérentes et qu’elle nous a paru être complètement en démence78.» De fait, les réponses notées témoignent souvent du dérangement de l’intimé. Vital G., maçon mis sous curatelle en 1848, est questionné par le juge Mondelet : Q. R. Q. R.

Combien de temps avez-vous résidé à Montréal. Quatorze à quinze ans. Vous êtes riche, sans doute. Toute la terre est à moi, tout le Globe m’appartient.

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Q. Esce [sic] par succession que vous le possédez. R. C’est le maître d’en haut qu’il [sic] me l’a donné79.

Le dérèglement des propos peut évidemment aller de pair avec la bizarrerie des gestes et du maintien, comme dans le cas de George H., interrogé en 1890 au Bloomingdale Asylum de New York. L’homme se déclare infaillible et voyant. Il exhibe ses testicules à l’avocat délégué par la cour pour le rencontrer, dans le but de prouver, dit-il, la qualité de son sang. Ses propos sont aussi émaillés de paroles inintelligibles80. Ces états morbides témoignent de la gravité de certaines situations. L’interdiction s’avère alors pleinement justifiée. Quand l’interrogatoire ne révèle pas un délire profond, il peut montrer la faiblesse de certaines facultés intellectuelles. La mémoire d’Elizabeth R., veuve fort âgée, n’est manifestement pas bonne : elle ne se souvient plus de la cause du décès de son mari, ni du nombre de ses enfants81. La conversation est parfois tout simplement impossible. Marie B., célibataire interdite en 1866, est interrogée par le protonotaire : Q. R. Q. R. Q. R. Q. R.

Votre nom s’il vous plaît Mademoiselle. Avec plaisir. Quel est votre âge? Ce que vous voudrez, à votre bonne volonté. Où demeurez-vous? Où vous voudrez, en différentes places. Sortez-vous quelques fois? Bien à votre plaisir, comme vous voudrez.

Si les autres données de ce cas (célibat, institutionnalisation prolongée, soutien prévu dans le testament d’une aïeule) laissaient soupçonner une situation de déficience mentale, l’interrogatoire ne laisse plus grand doute82. Ailleurs, c’est l’incapacité ou le refus de répondre qui entraîne la conviction de folie. On ne tire ni réponses ni signes de la part d’Henry R., interrogé en 1890 à l’asile. Le député-protonotaire conclut : «I consider that said Henry [R.] is a complete wreck83.» L’incapacité à répondre relève dans plusieurs cas d’un état de santé déplorable84. Mais que penser d’une assertion pareille : «Le dit Joseph [L.] étant dans un état complet de démence & ayant le côté droit paralysé n’a pu prononcer un seul mot85»? Ce malade n’est

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peut-être pas dément. Mais son incapacité à gérer ses affaires est claire, et c’est ce que le système judiciaire cherche à établir. Quelques intimés résistent à la procédure. À la deuxième question que lui pose le protonotaire, John H., colporteur, lui répond que ce n’est pas de ses affaires. Il s’excite, brandit sa canne de manière menaçante et quitte la pièce, pour y revenir ensuite. Il refuse à nouveau de répondre et devient violent. Résultat : «The Protonotary under these circumstances did not ask the said Respondent any further questions86.» Le refus de répondre, en tant que réaction de défense de la part du sujet, est contre-productif et accélère son exclusion judiciaire. Robert B., interrogé à l’asile en décembre 1895, tance ainsi le député-protonotaire : «You may go to the devil, I don’t want to have any thing to do with you.» L’officier de justice conclut dans son rapport : «To several other questions he refused to answer, thus showing his insanity which appeared to me to be evident.» Comme l’homme a apparemment été interné de force, sa méfiance est compréhensible87. Les gens suspectés de folie, à plus forte raison les aliénés internés comme Robert B., font certainement face à un phénomène de préjugement, soit une présomption très forte et difficile à renverser d’incapacité mentale. Déjà, une requête en interdiction a été déposée contre eux; une partie ou la totalité de leur entourage appuie les démarches. Le moment de l’interrogatoire, dès lors, n’a rien de neutre, puisqu’il est chargé du poids d’un processus d’exclusion déjà bien avancé. Mais au-delà du contenu, pertinent ou non, volontaire ou involontaire, des répliques de l’intimé, la manière dont celui-ci livre ses réponses n’est pas innocente. L’entrevue ne met pas seulement en cause sa mémoire, ses idées, la justesse de ses propos, sa docilité. Elle est aussi, comme toute interaction, circonstancielle et situationnelle. N’importe quelle rencontre entre deux acteurs sociaux donne lieu à une série d’interprétations de part et d’autre, lectures parfois liées à des détails apparemment triviaux mais dont les participants vont néanmoins tenir compte. Dans le cas des interrogatoires pour folie, ces détails revêtent beaucoup d’importance, puisque l’acteur détenteur de pouvoir (l’interrogateur) est explicitement chargé d’analyser l’état de la personne qui lui fait face, et même de faire surgir sa déviance (les questions sur les délires le montrent). L’interrogatoire peut aussi être appelé à servir de preuve devant des personnes qui n’ont pas assisté à l’entretien, les juges et les membres du conseil de famille. L’avocat chargé d’interroger Fanny B. à l’asile de Toronto joint à son compte rendu ce commentaire : «I further certify that the foregoing answers given by the

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said Fanny [B.] were given in a mechanical and unintelligent manner, and it appeared to be impossible to excite any interest in her in any of the subjects alluded to in the foregoing questions, inasmuch as she appeared to be in a state of imbecility88.» Certaines circonstances physiques, susceptibles d’étoffer le constat d’incapacité de l’intimé, influencent certainement les interrogateurs, eux qui rencontrent concrètement des centaines de personnes en cour, à domicile ou en institution. On trouve des intimés au lit et faibles89, au lit et malades90. Le juge qui s’est rendu au domicile de Véronique L., célibataire de 34 ans interdite en 1847, rapporte avoir «trouvé ladite Véronique [L.] gissante [sic] au lit, entièrement enveloppée dans ses couvertures de lit, à laquelle nous avons adressé quelques questions, auxquelles elle a répondu aucunement, si ce n’est par un sourire irascible entremêlé de pleurs frénétiques91». L’état de Sarah W. est tel que le magistrat chargé de l’examiner ne juge pas approprié de lui poser des questions, simplement après l’avoir vue92. L’interrogatoire met en jeu des facteurs comme l’apparence et le maintien. Le juge Day s’est rendu à la résidence de William R., médecin interdit en 1843. Il connaît bien cet homme. Après avoir rapporté la teneur de leur entretien, Day ajoute : «I am satisfied as well from the extravagance of his conversation as from his manner of expression and his general demeanour differing entirely from his former habits and character which are well known to me, that he is in a state of mental alienation93.» On relève le fait que certaines personnes pleurent94. Joseph B. «est depuis son enfance dans un état d’imbécillité et de démence». Le protonotaire se rend chez lui pour l’examiner. Joseph vient le rejoindre dans le salon. Le protonotaire affirme : «It was evident to me from the mere appearance, manners and gestures of the said Joseph [B.] that he was in a state of imbecility and insanity95.» Toutes les situations relevées jusqu’à maintenant, hormis les cas où l’intimé refuse de répondre ou se met en colère, tendent à prouver le désordre mental des intimés, au moins du point de vue des agents de l’appareil judiciaire montréalais. D’autres interrogatoires sont bien moins probants. Ici, l’appareil judiciaire doit activer explicitement certaines normes juridiques et sociales (comme des attentes comportementales et morales) pour jouer pleinement son rôle d’instance de répression de la déviance subie et dénoncée par les familles. James M., interdit en 1880, semble répondre parfaitement aux questions qu’on lui pose. Sa sœur, dans la requête, le dit imbécile et prodigue; depuis trois ans, il aurait dépensé de manière étourdie

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2 400 $, somme issue de la succession de son père. Il ne travaille pas. La dissipation d’un héritage à venir est aussi appréhendée. James, dans ses réponses, donne sa version des faits. Après avoir refusé de rendre compte de ses dépenses, arguant du caractère privé de la chose, il dit avoir été obligé de dépenser de la sorte parce qu’il était malade et qu’il ne gagnait rien durant ce temps96. L’aptitude à administrer ses biens est la donnée essentielle des normes juridiques d’interdiction. Ce facteur peut supplanter l’interrogatoire comme critère de l’opportunité d’interdire. Les juges abordent aussi ces cas équivoques avec les normes propres à leur milieu bourgeois. C’est en présence de fortes tensions interpersonnelles, et lorsque l’incapacité de la personne n’est pas évidente, que les normes morales et comportementales exigeantes du dixneuvième siècle risquent d’entrer en action de la manière la plus éclatante. Ces situations délicates mettent également en relief les conditions d’une bonne intégration des individus à leur famille et à la société montréalaise. La déviance, rappelons-le, n’est pas qu’un problème de conduites déréglées ou d’imposition de pouvoirs, mais aussi un rapport particulier entre l’individu et son réseau social. James H., gentleman, est interdit en 1863 pour folie, à la requête de sa sœur. On le dit riche. Le juge qui procède à l’examen, S.C. Monk, le connaît personnellement. Les préoccupations à caractère patrimonial ne sont jamais très loin, mais les agissements de James défient carrément l’étiquette de l’élite montréalaise. Le juge dit avoir trouvé James dans la cuisine de la maison de son beau-frère, en compagnie de serviteurs. Il constate qu’il a l’air excité, qu’il est malpropre de sa personne et négligé dans son habillement. Le magistrat lui fait remarquer qu’il a eu vent de sa gestion négligente de ses biens. James dit au magistrat de se mêler de ses affaires. Monk lui reproche ensuite d’aimer fréquenter les cuisines et d’être si souvent en compagnie de domestiques. James rétorque (morceau d’anthologie pour l’étude de l’espace bourgeois au dix-neuvième siècle) qu’il est déterminé «to pass the rest of his life with that class of people, that among them he was free and perfectly independent and that they would not come round him, that he had no fancy for the drawing room or for the society of people who frequented it. In that place he said, he would always be alone as his language and demeanour would drive people out of it.» James rappelle que sa sœur l’a également mis en garde contre sa prédilection pour les «servants and that class of people». Mais il affirme qu’il a l’intention de se débarrasser de sa propriété et d’épouser

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une cuisinière. Quand le juge dit regretter avoir entendu «that he had difficulties with some servant girls», indice de promiscuité sexuelle, James répond notamment : «I don’t care a curse Sir what people say or think of me here, what I like is complete independence, and if I choose to give all my property to you or to any one else that is my business.» En plus de mettre son patrimoine en danger et de fréquenter les classes «inférieures», James semble chercher à s’extraire des relations étroites et intenses de la famille bourgeoise de l’époque97. Cette sociabilité lui pèse; il est exigeant d’être un fils de l’élite victorienne. Pour certains individus, surtout un peu excentriques, le mode de vie des classes supérieures peut certainement paraître rigide et ennuyeux. La déclaration du juge clôturant l’interrogatoire témoigne bien des attentes normatives et comportementales du magistrat, ainsi que de son rôle officiel d’interprétation de la déviance : «After a long conversation with the said James [H.], I found that his ideas were confused and incoherent, that there was perversity and exaggeration in all he said, and that in so far as it was possible to judge from his appearance and conversation, he was insane and one wholly incapable of managing his own affairs, the prevailing determination of his mind seeming to be, that of getting rid of his property in such a way as to shew his entire independence, and at the same time to gratify his predilection for servant men and servant women and others below him in station.» Or, les propos de James, ses vœux d’indépendance, tels que rapportés, traduisent plutôt une certaine cohérence de pensée. Il est interdit98. Au total, nombre d’interrogatoires montrent que les procédures d’interdiction s’attaquent souvent à des cas lourds d’incapacité. Réponses incohérentes, divagations, maintien particulier, certains gestes et circonstances matérielles convainquent l’interrogateur du bien-fondé de la requête. Les techniques d’appréhension de la folie employées par l’appareil judiciaire tendent aussi à faire avouer le désordre mental : retour sur les problèmes vécus, questions sur les délires. Les interrogatoires constituent donc surtout un moment de confirmation, de consécration des requêtes. Lorsque l’inaptitude ne saute pas aux yeux, le supracritère juridique de capacité à gérer ses affaires entre explicitement en action. Des normes morales et comportementales peuvent aussi faire barrière à l’individu, comme dans le cas de James H. Certains intimés, on l’a remarqué, refusent de répondre ou protestent contre la tenue de leur «examen». Il existe d’autres modalités de participation des intimés au déroulement des procès, lorsque ces derniers

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disposent de la lucidité nécessaire. Plusieurs se soumettent délibérément aux démarches qui les visent. D’autres promettent de réformer leur conduite. Quelques-uns, enfin, s’opposent aux procédures; certains mécanismes sociaux et judiciaires font cependant de la contestation des démarches d’interdiction une entreprise fort malaisée. Quelques individus décident de se soumettre aux fortes pressions familiales qui s’exercent sur eux. Avant son interdiction en 1845, Julien P. a consenti à ce qu’on lui adjoigne un conseil judiciaire99. Nous sommes alors en 1837. Il signe lui-même une requête en ce sens, dans laquelle il explique «que dans la vue de plaire à sa famille et de céder à leurs conseils, il est prêt à consentir à la nomination d’un conseil pour l’aviser à toutes fins que de droit dans la gestion et administration de ses biens et de ses affaires. Que jusqu’à ce moment des insuccès dans ses affaires y ont porté le dérangement, insuccès que la famille du requérant attribue au soussigné.» Julien avait déjà donné des signes de folie assez sérieux plusieurs années auparavant. Il obtient mainlevée du conseil judiciaire en 1839 et retrouve sa pleine capacité juridique. Mais il est carrément interdit en juillet 1845, quelques jours après son entrée au Montreal Lunatic Asylum. Ses comportements de folie n’ont pas cessé et ses affaires sont en déconfiture. Son épouse avait pour cette raison obtenu une séparation de biens deux mois plus tôt100. Certains ivrognes menacés d’interdiction jurent de réformer leur conduite. Le fait que la curatelle puisse se doubler pour eux d’un séjour forcé en institution n’est pas étranger à ces vœux de réforme. Anthony K., médecin, est interdit pour alcoolisme en 1888, à la requête de son neveu. Son engagement à modifier ses habitudes précède de seulement quelques semaines sa mise sous curatelle. Son interdiction était alors certainement envisagée. Cette promesse, signée de sa main, se lit comme suit : «I hereby promise, with God’s help, to abstain from the use of all intoxicating liquors, and beverage, for the space of six months101.» La promesse de tempérance de George B. précède de trois mois environ son interdiction. Ce vœu de changement est clairement attribuable à la menace d’interdiction et d’internement qui lui pend au nez : «[I] George [B.] do hereby agree that if I fail to keep a pledge of abstinence from the use of intoxicating liquors signed by me this day, I shall agree to have a petition for my interdiction granted; I shall & do hereby agree & consent to undergo treatment in such institution as my wife Dame Rosa [B.] may decide for my cure of the drinking habit; I hereby further promise & bind & oblige myself to forego & restrain

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from any further intercourse with any & all women in the city or else where & express my regret for any inconvenience & trouble caused by such conduct on my part, heretofore.» Selon toute apparence, il s’agit là d’un document préparé par l’un des avocats de la requérante, l’épouse de George. Ce dernier signe tout de même le document qui, bien que mis en forme par un professionnel du droit, réfère clairement aux problèmes éprouvés par le ménage : la surconsommation d’alcool et l’infidélité du mari. Le caractère conventionnel de cette tentative de résolution de l’ivrognerie, le lien qu’elle noue entre le déviant et son épouse, la mention d’un recours éventuel à des sanctions formelles (interdiction et enfermement) en cas d’échec : cette promesse relève de l’infrajudiciaire, de ces pratiques sociales qui, sans appartenir à l’exercice du droit proprement dit, montrent de fortes ressemblances avec celui-ci et empruntent certaines de ses logiques opératoires102. Malgré son serment d’abstinence, George sera interdit à la demande de son épouse. Il consent, notons-le, à sa propre interdiction. Sa femme, nommée curatrice, est autorisée par le jugement à mettre à exécution un ordre d’internement pour six semaines dans ce qui semble être un établissement privé103. Dans le cas de Joseph B., briquetier de son métier, il y a également coïncidence entre les promesses de réforme et la menace d’interdiction. La chronologie des événements est particulièrement intéressante. Ayant subi l’alcoolisme de son mari pendant deux décennies, Marie Philomène engage des procédures d’interdiction le 11 décembre 1891. Joseph fait appel à des avocats. Quelques jours plus tard, il «prend la tempérance» à la société de tempérance de la paroisse Saint-Jacques, promettant d’être sobre à l’avenir. Le conseil de famille se réunit le 22 décembre suivant, mais l’avis donné n’est pas unanime : il semble que les participants appartenant à la famille de sa femme se prononcent en faveur de l’interdiction et de la nomination de Marie Philomène comme curatrice, alors que deux de ses neveux, son frère et l’un de ses beaux-frères s’objectent à la mise sous curatelle. La cour accorde un sursis à Joseph. La sentence d’interdiction est «suspendue jusqu’à preuve de rechute du dit [B.] dans ses habitudes d’ivrognerie». Selon des témoins, Joseph continue à boire. Certains de ses voisins, qui habitent le même immeuble que lui, l’ont vu ivre le 23 février 1892. Ils allèguent du même souffle que Joseph, «très incommode en état de boisson … cause beaucoup de trouble aux voisins et à sa famille». C’en est trop : le 7 mars, Marie Philomène demande officiellement la mise en

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vigueur de l’interdiction. Dans l’immédiat, cette nouvelle démarche ne produit aucun effet sur Joseph : sa fille de 12 ans soutient qu’il «est arrivé en état d’ivresse à sa demeure», fin mars, et qu’il s’est soûlé en avril et en mai, ce que confirme une pensionnaire de la famille. L’interdiction est finalement rendue exécutoire le 27 juin 1892 et Marie Philomène est nommée curatrice104. Les promesses de tempérance, réaction ultime de certains individus menacés de sanctions légales, surviennent-elles trop tard pour faire dévier un parcours individuel marqué par la surconsommation d’alcool? Une trajectoire comme celle de Joseph renferme maints éléments d’interaction entre déviant, famille et appareil judiciaire. La marge de manœuvre de l’ivrogne est très mince. Son alcoolisme semble avéré; cette conduite perturbatrice éreinte l’entourage immédiat. Les réactions des proches sont centrales dans l’identification et l’exclusion de la déviance. Femme, enfants et voisins en ont assez. Par contre, l’intervention formelle et institutionnelle des proches, lors du conseil de famille, trahit certaines préoccupations parfaitement étrangères à la «réalité» probablement malheureuse de l’ivrognerie. La parentèle de l’épouse réclame la curatelle; celle de l’intimé s’y oppose. Voit-elle d’un mauvais œil l’interdiction de Joseph? Cette sanction reste dégradante et consacre publiquement l’incapacité de l’individu, ce qui fait tache. Renverser les habituels rapports juridiques et de genre de la famille en nommant Marie Philomène curatrice ne va pas de soi non plus. La demande sociale d’interdiction présentée par les principales victimes de l’ivrognerie de Joseph finit cependant par triompher. Mais la curatelle n’intervient qu’en bout de piste, après des années de conflits et de tensions. Promettre un changement de conduite, c’est admettre au moins l’existence d’un problème. D’autres défendeurs refusent de se soumettre. Cela va du refus de comparaître à l’engagement d’un avocat105, et jusqu’à l’appel du verdict rendu. Ces répliques mettent en lumière le rôle actif de plusieurs «victimes» de la pratique de la curatelle, de même que les rapports entre déviant, famille et justice. L’opposition d’une personne jugée inapte, face à une démarche qui consacre l’alliance de la famille et du droit dans la régulation de la déviance et la préservation du patrimoine, engage cette personne dans une entreprise difficile. C’est ce qu’illustre l’histoire d’Élise B., interdite en 1845. Fille de l’un des marchands les plus importants de L’Assomption, Élise se marie en 1831 avec l’avocat E.R., qui participera activement aux Rébellions de 1837–1838. Il doit d’ailleurs s’exiler aux États-Unis

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de décembre 1837 à novembre 1838 environ. Cette longue absence met probablement à mal les finances du couple. En avril 1838 débute une cause en séparation de biens dirigée contre ce mari absent. Il s’agit notamment de sauver ce qui revient à Élise dans la communauté de biens conjugale. Si on finit par établir ce que son mari lui doit, on ne trouve rien à saisir pour rendre cette séparation effective. On nomme ensuite le père d’Élise conseil de celle-ci, pour l’assister dans la conduite de ses affaires. En février 1840, son époux meurt à Montréal, la laissant seule avec une fille de 12 ou 13 ans, et dans une situation financière inconfortable. Son propre père étant décédé, son beau-frère Pierre A. (le mari de sa sœur) se charge d’elle à titre de conseil à partir de janvier 1843. Une requête en interdiction en date du 10 juillet 1845 est présentée conjointement par son frère, curateur à la succession vacante de son mari, et par son beau-frère, conseil judiciaire. Nous avons déjà pris acte du phénomène de l’imbrication des charges judiciaires et des liens de parenté, ce qui enserre l’individu jugé déviant dans un véritable étau. L’interdiction d’Élise est donc suscitée par deux individus qui occupent déjà des positions clés dans sa vie. Ceux-ci, dit la requête, «ont la douleur de voir que depuis plusieurs mois … [Élise] est tombée dans un état de démence». Voyons ce que recouvre cette «douleur». La requête est basée sur deux situations tenues pour anormales : la prodigalité prêtée à Élise (le plus important) et le manque d’éducation de sa fille. D’abord, cette veuve «dans sa folie … se livre à des prodigalités qui la réduisent au dénuement le plus complet». Elle aurait bradé des meubles et des vêtements. La requête mentionne aussi une situation patrimoniale et judiciaire très délicate : bien que munie d’un conseil judiciaire, Élise l’empêcherait d’agir. «Elle refuse d’autoriser son conseil, qui ne peut agir sans elle, à fournir à ses fermiers l’argent nécessaire aux réparations indispensables de ses fermes qui vont par là tomber dans un état de ruine complète.» Si elle ne concourt pas aux actes jugés utiles par son conseil, elle fait obstruction au rôle de celuici, puisqu’en théorie le conseil assiste la personne et ne peut agir à sa place (au contraire d’un curateur, qui représente une personne dépourvue de toute capacité civile). L’incapacité des proches à agir détermine maints passages à l’interdiction, comme on le sait. Au surplus, les requérants affirment qu’Élise «a négligé complètement l’éducation de sa jeune fille qui ne voit d’autre société que celle de filles de mauvaises familles, et de caractère suspect». Autre manifestation des exigences de la sociabilité bourgeoise!

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Les témoignages présentés concernent également la gestion des biens et l’éducation. Un notaire dit : «Je l’ai aussi bien connue pendant son mariage; alors et pendant ce temps, j’ai très souvent remarqué qu’elle n’avait aucune connaissance des soins du ménage; qu’elle ne connaissait rien à la valeur des choses.» Doit-on s’en étonner? Cette femme de la bourgeoisie, probablement éduquée à jouer du piano, à être agréable et à bien recevoir, aidée par des domestiques, présente certainement moins d’aptitudes pratiques qu’un homme d’affaires ou qu’une femme des milieux populaires habituée à trimer dur et à se débrouiller au quotidien. Le même témoin soutient qu’elle a vendu certains de ses biens, malgré qu’on lui donnât des provisions en grande quantité. Il la considère prodigue et incapable de gérer ses affaires. Sa déposition se termine sur une note ambiguë (et significative) quant à la «folie» d’Élise : «Je pense que Madame [R.] devrait être interdite pour cause de prodigalité.» Ailleurs, il précise qu’il «croit que la dite Dame [R.] est dans un état sinon de démence totale, du moins très approchant». La rareté de mentions aussi équivoques que celle-ci dans le reste du corpus d’interdictions montréalaises (le discours sur les fous est habituellement plutôt tranché) nous fait remettre en question la «démence» d’Élise. Nous devons plutôt insister sur les circonstances sociales et familiales de son exclusion légale. Le notaire revient aussi dans son témoignage sur l’incapacité d’Élise à élever convenablement sa fille : «Elle n’est point en état d’élever son enfant, jeune fille âgée d’environ treize ans. Cet enfant est sans cesse dans les rues avec des enfants fort au-dessous d’elle. Je l’ai vue dans les rues à des heures très avancées du soir. Elle a fréquenté des jeunes filles venant de parents de mauvaise vie, et continuant comme elle a vécu, elle se perdra infailliblement.» La rue, l’heure tardive et les mauvaises fréquentations : ces lieux communs de la déviance féminine au dixneuvième siècle consacrent Élise comme mère dangereuse et inconséquente. Mais avait-elle les moyens d’envoyer sa fille au couvent? On ne trouve pas dans ce dossier d’indications claires quant à la «démence» d’Élise. Il contient un long discours de celle-ci – les propos qu’elle a tenus durant son interrogatoire. Et ces paroles ne sont pas celles d’une personne complètement démente; elles font même preuve d’une certaine cohérence discursive, vu la façon dont Élise décrit les problèmes auxquels elle doit faire face. Elle fournit par la même occasion de précieuses indications sur la nature du conflit qui l’oppose à son réseau familial. Élise se plaint d’abord de son conseil et beau-frère, Pierre A. : «Mr. [A.] mon conseil n’a jamais eu pour moi le

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soin qu’il auroit dû avoir. Il reçoit mon argent et le garde pour luimême.» Il ne lui rendrait pas compte de sa gestion. À son avis, elle ne reçoit pas ce qu’il faut pour subsister, ce qui lui permet de justifier sa prétendue prodigalité. «L’été dernier j’ai été obligée de vendre mes meubles et effets pour vivre, vu que Mr. [A.] mon conseil ne donnoit pas assez pour vivre.» Elle donne quelques précisions sur les meubles vendus et ajoute : «J’ai vendu et fait vendre mes dits meubles pièces par pièces à fur et mesure [sic] que je me trouvois en besoin pour vivre.» Elle se dit d’ailleurs prête à vendre ses biens immobiliers pour obvier au manque d’argent. Ce qui fait presque figure de sacrilège en plein milieu du dix-neuvième siècle, quand terres et bâtiments sont essentiels au bien-être et au maintien du rang d’une bonne partie de la population. Néanmoins, si Élise est prodigue, elle connaît la valeur de ses revenus, le détail de ses propriétés immobilières et ce qu’elle retire de celles qui sont louées. Élise formule même à l’occasion de son interrogatoire un projet d’autonomie féminine tel qu’une veuve serait en droit de le faire : «Je ne voudrois pas avoir aucune personne pour m’assister à faire mes affaires, je voudrois faire mes affaires seul [sic] comme toutes les autres femmes … Je voudrois prendre maison à Montréal, et pour ce payer un loyer d’environ trente à quarante Louis.» Avec ses revenus, elle désire s’installer, «acheter un ménage, donner un piano à ma fille et tenir maison moi et ma fille … j’aimerais aussi à traiter [c.-à-d. recevoir] mes amis.» Peut-être ce projet a-t-il inspiré son désir de vendre rapidement et à rabais certains de ses biens de la région de L’Assomption. Elle a donné prise, ce faisant, aux accusations de prodigalité. D’un point de vue structurel, la position d’Élise face à son frère et à son beau-frère est très faible. Son mari et son père, ses «protecteurs naturels», personnes qui normalement la tiendraient dans des liens de dépendance doublés d’affection, sont décédés. Élise souffre aussi d’isolement social : personne dans son entourage ne conteste avec elle la démarche d’interdiction. Le conseil de famille est unanimement favorable à l’imposition de la curatelle et au choix, comme curateur, de son frère Joseph. En outre, le rapport aux biens, dans son cas, est dans une espèce d’impasse : son patrimoine a probablement pâti des activités politiques et de l’absence prolongée de son mari; elle a besoin d’argent pour continuer à vivre avec sa fille; elle ne contrôle plus ses biens par suite de la nomination d’un conseil pour «l’assister». La seule façon de résister, pour elle, consiste à ne pas appuyer les démarches de ce conseil. Cette résistance et ses velléités d’indépendance conduisent

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son entourage masculin à exiger le contrôle total de sa personne et de ses biens, à «casser» judiciairement cette forte tête. Élise est interdite le 12 juillet 1845. La formulation du jugement est significative : «Ladite Dame … est dans un état de faiblesse d’esprit tel qu’elle est incapable de gérer et administrer ses biens et affaires…» Où est passé son «état de démence»? La «faiblesse d’esprit» est en principe sanctionné par l’adjonction d’un conseil judiciaire. Mais Élise en a déjà un et le conflit perdure. Les rapports de pouvoir et de genre, ainsi que certaines normes morales et bourgeoises, ont servi à trancher cette situation familiale et personnelle aussi conflictuelle qu’équivoque. Son frère, qui a conjointement demandé l’interdiction, est nommé curateur d’Élise. Elle meurt quelque part avant 1850, sans avoir retrouvé la moindre parcelle de sa capacité civile106. Certains «accusés», en fin de compte, semblent assez conscients, assez lucides pour réagir aux démarches dirigées contre eux. En revanche, la déviance ou l’incapacité avérées, que ce soit par la surconsommation d’alcool ou des échecs répétés en affaires, ne laissent à peu près aucune marge de manœuvre à l’individu. Un autre facteur conditionne fortement les possibilités de défense de l’intimé : son entourage fait-il bloc contre lui? Dispose-t-il d’appuis107? La dynamique de déviance dépend d’un environnement humain, des liens interpersonnels de l’individu; la déviance consiste aussi en un dérèglement relationnel. À ce titre, le défaut d’intégration de l’individu à son réseau familial et social l’affaiblit grandement face à une opération de prise de contrôle juridique. L’accumulation de ruptures, d’éloignements, de relations ambiguës et d’inconforts sociaux de toutes sortes mène certainement à l’interdiction de personnes dont l’incapacité, en soi, ne crève pas les yeux. Le parcours du fils prodigue Ernest L., dont le cas a été examiné précédemment108, présente de lointaines similitudes avec celui d’Élise B., quoique son sort soit certainement plus enviable. Ernest, rappelonsle, s’endette pour subvenir à ses «besoins» de fils bourgeois. Sa mère, usufruitière de la succession, bloque son accès au patrimoine. Travaillant peu ou pas, vivant en concubinage, il choque son entourage. Le tout se termine par une interdiction. Ce cas et celui d’Élise prouvent que l’interdiction frappe aussi des individus qui, sans afficher une déviance avérée ou très grave, se trouvent en situation de blocage, de défaut d’intégration et même de désintégration sociale et familiale. Rappelons-nous aussi James H., gentleman affectionnant la compagnie des serviteurs et fuyant la bonne société. Élise, Ernest et James se trouvent carrément à côté du rôle qui, en principe, devrait

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être le leur. Les aléas de leurs parcours, leurs idiosyncrasies ont pour un temps contrarié les rapports de force de leur milieu, ainsi que les attentes quant aux relations entre individu, famille et communauté. Maurice Daumas a souligné que l’intégration ou non de l’individu à son réseau familial et social est une donnée centrale des conflits familiaux sous l’Ancien Régime109. La chose semble encore vraie au Québec au dix-neuvième siècle. L’individualisme de l’époque, individualisme économique de propriétaires masculins, n’autorise pas encore une désaffiliation sociale et familiale prononcée de la personne. Enfin, lorsque se présentent ces cas ambigus, quand la déviance n’est pas aussi manifeste que les détracteurs l’affirment et que le sujet paraît en mesure de répliquer (ne serait-ce que verbalement dans un procès joué d’avance), alors les normes strictes du dix-neuvième siècle entrent en action de manière explicite. La méfiance envers l’excentricité, l’attachement profond aux biens patrimoniaux et une morale puritaine manifestent alors leur pouvoir d’exclusion, pouvoir habituellement latent mais bien présent au sein des commérages et des évaluations de toutes sortes qui émaillent la sociabilité de ce temps.

le poids de la justice et la fonction du droit Mettre au jour les interactions présentes dans la pratique de l’interdiction est fondamental. Néanmoins, la finalité de la procédure ne doit pas être perdue de vue : une sentence judiciaire qui dépouille le déviant de sa capacité civile. Cet output est-il influencé par certaines actions des juges et des officiers de justice? Si, comme nous le verrons, l’implication concrète de l’appareil judiciaire dans le déroulement des procès est somme toute mineure, sauf en certaines circonstances, cela n’empêche pas le droit, une fois mis en œuvre de manière effective par l’interdiction et la mise sous curatelle, de jouer un rôle tout à fait crucial de régulation des trajectoires familiales marquées par la déviance. La reconnaissance de la déviance et son étiquetage ont d’abord lieu dans les familles et les réseaux de sociabilité des personnes embarrassantes. Ce sont aussi les proches parents qui mettent en marche le processus d’exclusion judiciaire. Le résultat recherché, la confiscation des droits civils de l’individu, n’a rien d’anodin. L.A. Jetté, juge en chef de la Cour du banc du Roi, déclare dans un jugement rendu en 1911 que la requête en interdiction est une des procédures les plus importantes dans l’administration de la justice, et l’on comprend à quels abus elle peut donner

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lieu. On a vu dans presque tous les pays, et surtout, malheureusement, dans les pays civilisés, des actes de tyrannie abominables accomplis au moyen de cette procédure; on a vu des gens qui ont été internés, parce qu’on voulait s’emparer de leur fortune. Le chiffre de la fortune n’y fait rien … il y a des gens qui sont ambitieux, même pour des petites sommes. La protection de la société, et je dirai sa protection indispensable, exige donc que l’interdiction ne soit prononcée que dans les cas où la loi la justifie110.

Le système judiciaire détient, en principe, le pouvoir de valider ou de rejeter les demandes qui lui sont adressées. L’évolution de la pratique de l’interdiction montre à ce chapitre des mouvements contradictoires. Les magistrats semblent établir progressivement leur autonomie par rapport aux demandes familiales, surtout dans le dernier quart du dixneuvième siècle. Cette affirmation s’effectue cependant de manière formelle, par l’entremise de cas qui font jurisprudence. Surtout, le pouvoir d’interdire, dans les affaires de folie, est de plus en plus exercé par des officiers judiciaires de statut inférieur. L’étude de la jurisprudence111 révèle deux tendances : l’appareil judiciaire valorise l’autonomie décisionnelle des magistrats, et il s’attend à une pratique plus rigoureuse de l’interdiction. Comme on l’a vu, ce n’est qu’en 1876, dans la cause Dufaux et Robillard, qu’est explicitement réaffirmée l’indépendance des juges envers l’avis majoritaire du conseil de famille, cet avis ne devant que les assister dans leur travail112. Une autre cause rapportée, Longtin c. Longtin, de l’année 1902, donne lieu à un rappel encore plus catégorique : «Le protonotaire et le juge … ne sont tenus d’adopter l’opinion ni de la majorité ni de la minorité, et doivent, au cas où il y a divergence d’opinion dans le conseil de famille, suivre l’avis qui leur paraît le plus impartial, et le plus dicté par le seul intérêt … de l’interdit113.» Même en matière d’interdiction pour ivrognerie, l’indépendance du juge est réaffirmée : il peut prononcer l’interdiction contre un avis majoritaire défavorable (Lafontaine c. Lafontaine)114. Que des principes semblables fassent jurisprudence et doivent être répétés est assez significatif. Fait intéressant, la jurisprudence établit également l’autorité du juge en regard des conseils de famille en matière de tutelle aux mineurs, autre mesure tant familiale que juridique de prise en charge d’incapables115. Il y a fort à parier que les vœux exprimés au conseil de famille déterminaient l’issue de la plupart des causes, avant ces rappels, et que cette situation a eu tendance à persister même après. Cela confirme le rôle déterminant de l’entourage dans

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l’identification de la déviance et son exclusion. Mais à quelle occasion les rappels à l’ordre surviennent-ils? Ces cas de jurisprudence concernent des interdictions litigieuses : le pouvoir des magistrats tend à s’affirmer en un point précis, celui de la mésentente des familles quant à la prise en charge des personnes inaptes. Pour le reste, le pouvoir judiciaire ne cherche pas vraiment à s’immiscer dans la régulation des affaires familiales. C’est là une donnée cruciale des relations entre familles et justice civile au dix-neuvième siècle. Il faut un conflit familial assez ouvert et des tensions exacerbées pour qu’un juge prenne les rênes de l’affaire et soustraie la curatelle au domaine de décision familial. Ainsi, dans les trois causes citées précédemment, c’est la nomination du curateur qui pose problème. Des tensions tant patrimoniales qu’humaines sont à l’œuvre, qui nous ramènent à cette imbrication entre rapports familiaux et rapports patrimoniaux, lot des familles du dixneuvième siècle. Dans l’affaire Dufaux et Robillard, un père cherche à récupérer la curatelle de son fils faible d’esprit, curatelle dont son gendre s’est emparé par l’intermédiaire d’un tiers acquis à sa cause. Le contrôle des biens du fils est en jeu : comme il n’a pas d’enfants, ces biens doivent revenir à sa sœur, épouse du gendre en question… dont elle est séparée de corps. Le père, en difficulté financièrement, chercherait selon ses adversaires à tirer profit des mêmes biens. Dans Longtin c. Longtin, le père d’une interdite demande le remplacement du curateur nommé, en l’occurrence son propre fils. Le frère/curateur devait prendre soin personnellement de l’incapable et lui payer une pension, en vertu des dispositions testamentaires d’un autre membre de la famille. Il a plutôt placé l’interdite comme patiente publique et sans ressources à l’asile Saint-Jean-de-Dieu, et il a en main une somme de 400 $ appartenant à sa «protégée». Le cas Lafontaine c. Lafontaine, enfin, oppose un homme à son frère qu’il veut faire interdire pour abus d’alcool. Malgré sa possession «d’une belle ferme dans la paroisse de Lanoraie», l’intimé est criblé de dettes par suite de son intempérance. Le juge prend acte de «l’acrimonie» du différend mettant aux prises l’intimé et l’individu (un parent, d’après les patronymes) proposé comme curateur par une partie du conseil. Il nomme par conséquent une autre personne à cette fonction. En dehors de ces disputes, dans les affaires plus communes où la déviance de la personne est avérée et où la curatelle fait l’unanimité parmi les proches, le pouvoir judiciaire n’a qu’à sanctionner la demande sociale d’interdiction et de transfert de la capacité juridique au curateur. Les problèmes familiaux ne font alors qu’une apparition

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fugace devant la justice civile, le temps de légitimer et de donner une assise formelle à la solution juridique recherchée par l’entourage. Revenons-en à la jurisprudence. Outre la relative valorisation de l’autonomie des magistrats, les causes rapportées insistent sur la nécessité d’un surcroît de rigueur dans les interrogatoires des personnes aliénées. Voici en partie ce qui a mené à l’annulation, en 1889, d’une interdiction. Ce sont les propos du juge Taschereau : Considérant, que toutes les procédures d’interdiction et la sentence d’interdiction elle-même sont irrégulières et nulles à la face du dossier : 1o parce que la requête en interdiction et les affidavits qui l’accompagnent ne contiennent pas l’articulation des faits de démence reprochés à la Requérante … 5o parce que le prétendu interrogatoire, auquel on aurait soumis la requérante, est irrégulier, illégal et nul, ne contient pas les questions faites à la Requérante, et ne rapporte que des prétendues réponses à des questions qui n’ont pas été mises par écrit; 6o parce que les dites prétendues réponses ne peuvent être appréciées qu’en regard des questions qui les auraient précédées … 8o parce que le conseil de famille paraît avoir opiné en faveur de l’interdiction, sans autre preuve que la lecture du dit prétendu interrogatoire116.

La Cour du banc du Roi invalide une autre sentence d’interdiction en 1911 (cause Chatelle c. Chatelle) parce que le protonotaire «s’est contenté d’exprimer son opinion personnelle sur l’état mental de l’appelante. Il aurait dû écrire les questions qu’il lui a posées et les réponses faites par elle … Les formalités requises dans les causes de ce genre doivent être observées strictement117.» L’évidence des principes réaffirmés (l’article 330 du code civil précise clairement que l’interrogatoire doit être consigné par écrit) et le caractère tardif de ces rappels étonnent à nouveau. Dans quelles circonstances la nécessité de tenir un interrogatoire selon les règles de l’art est-elle soulignée? Dans ce cas-ci, les rapports de jurisprudence cités sont tous issus de procès où l’intimé semble capable de contreattaquer ou de manifester une certaine autonomie. La cause Chatelle c. Chatelle concerne une «vieille fille de soixante-dix ans», caractérielle et un peu maniaque, certes, mais dont la cour reconnaît explicitement l’habileté à gérer ses affaires. Encore une fois, l’intervention effective de l’autorité judiciaire survient dans un contexte conflictuel assez bien défini, l’intimé réussissant ici à s’opposer à son entourage. Mais alors même que l’appareil judiciaire tente de réaffirmer sa préséance, la responsabilité des interdictions pour folie est progressivement

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transférée à des personnages subalternes de la hiérarchie judiciaire. N’y a-t-il pas en cela contradiction, dans la pratique d’«une des procédures les plus importantes dans l’administration de la justice», pour reprendre les mots du juge en chef Jetté? Les protonotaires, principaux officiers de justice de la Cour supérieure, dotés de responsabilités dans l’administration des affaires judiciaires (émission de brefs, taxation des témoins, etc.) et même de pouvoirs décisionnels concrets118, reçoivent en 1857 le même pouvoir que les juges quant aux nominations de curateurs119. De fait, à partir de la fin des années 1850, les en-têtes des requêtes en interdiction montrent que l’on s’adresse à la fois aux juges et au protonotaire du district judiciaire de Montréal. Les requêtes étaient auparavant adressées uniquement aux juges. Les commissaires chargés de la codification du droit civil, processus qui accouchera du Code civil du Bas-Canada de 1866, remarquent que les protonotaires ont «été investis, du moins par implication et en pratique, du pouvoir d’interdire, par une législation comparativement récente120». Les commissaires proposent de retirer aux protonotaires «l’exercice d’un pouvoir aussi exorbitant et aussi sérieux121». Mais l’amendement soumis à cet effet n’est pas retenu122. Au surplus, un nombre croissant d’interdictions pour folie seront accordées à la fin du siècle par un officier de justice de rang inférieur, le député-protonotaire, soit le délégué du protonotaire123. Les interrogatoires, point focal de la rencontre entre les intimés présumés fous et l’appareil judiciaire, sont témoins de ce glissement vers les échelons inférieurs de la justice. Durant les premières décennies couvertes par cette étude, ce sont des juges qui interrogent et examinent. Les magistrats se rendent parfois à la résidence de l’intimé, lorsque sa comparution au palais de justice s’avère impraticable. Le protonotaire se met à mener des interrogatoires à partir de la fin des années 1850. Le député-protonotaire fait quelques apparitions comme interrogateur à la fin des années 1860; il exerce même cette fonction de manière régulière au début de la décennie 1870. Cependant, sans doute à la suite de l’invalidation de procédures au cours desquelles le député-protonotaire avait mené l’interrogatoire124, le protonotaire procède de nouveau à la plupart des entretiens à la fin des années 1870, jusque vers 1888. Mais au début des années 1890, c’est à peu près toujours le député-protonotaire qui s’en charge. Ce transfert de la responsabilité des interdictions vers des personnages moins importants que les juges est probablement attribuable, du moins en partie, à l’augmentation du volume d’affaires traitées par la

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justice montréalaise au fil du siècle. En outre, les requêtes présentées visent de plus en plus des personnes qui séjournent déjà à l’asile. Vautil la peine alors, du point de vue de l’appareil judiciaire, de commettre un juge pour rencontrer un malade dont l’internement consacre déjà, à sa manière, le trouble mental? En 1900, l’interrogatoire des personnes enfermées en milieu asilaire sera même abandonné, cette étape étant alors remplacée par un certificat du surintendant médical de l’institution125. L’abandon d’un rouage important (du moins au plan formel) de l’interdiction traduit bien la montée de l’asile au sein des mécanismes de contrôle de la folie. Et dans l’ensemble, les dossiers d’interdiction pour folie de la fin du siècle, plus nombreux, donnent l’impression de se massifier et d’être moins soignés. Les juges continuent cependant, même en fin de période, à se charger des interdictions litigieuses qui entraînent de véritables procès. Ainsi, les rappels jurisprudentiels en faveur de l’autonomie des magistrats et d’un déroulement rigoureux des interdictions semblent aller de pair avec un suivi moins serré des interdictions «ordinaires». Les affaires qui font jurisprudence sont des cas particulièrement conflictuels. Soit des proches du déviant se disputent la fonction de curateur, soit l’intimé est capable de contester les démarches. Lieux cruciaux pour l’appréhension des rapports entre appareil judiciaire et familles au dixneuvième siècle, les cas qui font jurisprudence n’en demeurent pas moins, par nature, exceptionnels. Qu’en est-il, dans l’ensemble du corpus montréalais, de l’éventuel rôle de filtre de la justice civile devant les demandes familiales, en ce qui a trait au résultat ultime des procédures, soit le prononcé de l’interdiction? En d’autres termes, quel est le véritable output judiciaire de ces centaines de démarches? Très peu de requêtes sont rejetées par la cour. Seules 11 connaissent ce sort durant toute la période 1820–1895126. Une fois l’entourage résolu à obtenir la mise sous curatelle, la sanction judiciaire est presque assurée. L’interdiction frappe des cas plutôt lourds de déviance ou d’inaptitude. Certaines circonstances, notamment financières, rendent impérative son application, ce qui explique en partie le succès de démarches marquées par la nécessité. Par ailleurs, les membres de la famille et de l’entourage jouissent d’une influence vraiment très grande dans la pratique de cette branche du droit civil, par la possibilité qui leur revient d’être requérants, membres du conseil de famille, témoins, etc. Cette influence est formalisée par le droit. Par conséquent, la marche des procédures est sujette à une sorte d’inertie sociologique

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favorisant la demande sociale qui les porte, au détriment de l’autonomie des juges et des officiers de justice, relais étatiques de l’application de la loi. Les 11 requêtes rejetées datent de 1835, 1865, 1870, 1874, 1880, 1881, 1883, 1886, 1889, 1892 et 1894. Elles comprennent huit accusations d’ivrognerie d’habitude, deux cas de folie et une affaire combinant prodigalité et alcoolisme. Vu leur répartition dans le temps et l’augmentation du nombre d’interdictions au fil du siècle, on peut affirmer que l’autorité judiciaire ne s’oppose pas de plus en plus fréquemment aux requêtes, malgré l’affirmation formelle de son autonomie dans les périodiques jurisprudentiels. Peu nombreuses, les requêtes rejetées présentent néanmoins beaucoup d’intérêt. Dans quelles conditions une demande issue de l’entourage des déviants se voit-elle opposer un refus? Tout d’abord, les intimés concernés sont en état de se défendre. Cette capacité de contestation a plus de chance d’être le fait d’ivrognes que de personnes victimes de dérangement mental. Tel Charles B., forgeron, qui «a dit et déclaré qu’il nie tous les allégués de la dite requête et qu’iceux sont faux et malfondés127». Plusieurs individus engagent des avocats. Mais surtout, la requête risque d’être rejetée lorsque la procédure n’a pas reçu l’aval de tous les proches du défendeur. Des gens témoignent en faveur de l’intimé. Presque toutes les interdictions refusées le sont à la suite d’un conseil de famille où il n’y pas unanimité (9 dossiers sur 11)128. Cette proportion est très importante, en regard du nombre total de conseils de famille conflictuels dans l’ensemble du corpus, soit 45. Ne pas réussir à mobiliser l’entourage dans sa totalité handicape certainement les demandeurs. Ici se manifeste, sous une nouvelle forme, l’importance primordiale, dans les processus de prise en charge et d’exclusion de la déviance, du cercle familial et social le plus étroit, ainsi que des tensions qui peuvent l’affecter. Ces assemblées où il y a division cachent souvent des conflits familiaux plus profonds, des tensions qui dépassent, en quelque sorte, les comportements anormaux imputés à l’intimé. Alors réapparaît la figure de l’interdiction comme arme. John S., gentleman menacé en 1883 d’une interdiction pour ivrognerie, nie les allégués de la requête présentée par son frère. La mésentente touche la succession de leur père. Les deux hommes ne se parlent plus depuis deux ans. John poursuit d’ailleurs certains exécuteurs testamentaires de cette même succession pour obtenir le paiement complet de sa part. D’après lui, la

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requête de son frère vise à faire obstacle à ses démarches129. Pour sa part, Toussaint B. est accusé par son gendre d’ivrognerie et de prodigalité. Il engage des avocats et participe au procès. Les témoins produits par le requérant desservent celui-ci. Ils n’appuient pas vraiment ses prétentions. Certains disent que Toussaint est capable de conduire ses affaires; l’un va même jusqu’à évoquer des manœuvres louches. De fait, ce gendre a pris le contrôle du commerce de Toussaint, avec la complicité de son épouse, fille de l’intimé. S’emparer des affaires d’un homme affecté par le décès de sa femme (Toussaint est inactif depuis) et qui prend un coup à l’occasion valait peut-être le risque d’un procès130. Dans des cas pareils, l’appareil judiciaire reconnaît l’insuffisance de la preuve de déviance. L’ivrognerie d’habitude de John S. n’est pas établie : «Considering that it has not been proved that the said John [S.] had the reputation in the neighbourhood of being a drunkard or that he was such habitual drunkard I do dismiss the said petition and avis de parents131.» Dans les procès marqués par des conflits intrafamiliaux sérieux, le rôle des juges ne se limite pas à accepter ou à refuser la demande d’interdiction. Leur arbitrage est parfois nécessaire. Arthur S. est interdit pour ivrognerie en 1894 à l’âge de 26 ans, à la requête de sa mère. Les membres du conseil de famille différaient d’avis quant à l’opportunité d’interdire le jeune homme. Le juge prononce l’interdiction, mais il n’entérine pas le choix du curateur (un comptable qui ne semble pas faire partie de la famille) fait par la majorité des personnes présentes au conseil. Il choisit plutôt un oncle de l’interdit, personne néanmoins favorable à la curatelle. Plusieurs membres du conseil avaient recommandé qu’Arthur soit aussi interné dans une maison de santé. Cette possibilité est rejetée par le magistrat. Il faut dire qu’Arthur a fait appel à des avocats et convoqué une armée de témoins (au nombre de 26, contre 25 pour la poursuite!). C’est sans doute ce qui lui a permis de faire entendre sa version des choses et surtout d’exposer certaines tensions familiales au regard du système judiciaire132. Ainsi, les causes rapportées par la jurisprudence, de même que les requêtes rejetées, révèlent que le pouvoir judiciaire intervient concrètement dans les affaires familiales surtout en cas de tensions intrafamiliales exacerbées. Ces tensions opposent un individu apparemment lucide à son entourage, ou dressent les unes contre les autres des personnes du reste de la famille, quand l’entourage ne s’entend pas sur le sort à réserver à l’individu embarrassant. Des enjeux patrimoniaux ne sont jamais bien loin. Tous ces tiraillements donnent prise à l’appareil

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judiciaire et lui permettent de jouer un rôle régulateur. Cette relation très particulière entre droit civil et disputes familiales ne contredit pas les autres aspects de la pratique de la curatelle que sont l’effet déterminant des impératifs familiaux et l’existence de certaines formes de manipulation de la procédure par les requérants. L’influence de l’entourage et des chicanes familiales, de même que le relatif effacement du système judiciaire ne rendent pas compte, toutefois, de la fonction remplie par le droit civil une fois qu’il est mis en œuvre, «activé» par les sentences d’interdiction. L’influence exercée sur un outil institutionnel de régulation est une chose bien distincte, au plan sociologique, de l’efficace de ce même outil. Que signifie ou que permet l’obtention d’une sentence d’interdiction, du point de vue de la famille et de la régulation des troubles qui l’affectent? Une sanction légale de la déviance est appliquée; un individu considéré inapte perd sa capacité civile et l’autonomie économique, plus ou moins grande, qui était la sienne. Un curateur, gardien du déviant, entre officiellement en fonction et s’arroge en quelque sorte sa personnalité juridique. À n’en pas douter, c’est là un moment important des trajectoires déviantes. Le droit est intégré aux relations et aux rapports de force constitutifs du groupe familial. Globalement, le droit a pour fonction de «prévenir et traiter les conflits survenant dans la société au nom d’une référence partagée», et de «contrôler la survenance du désordre social selon un principe d’ordre traduit en normes de comportement ou en règles d’organisation133». Que «fait» le droit civil par l’entremise de la curatelle? En langage sociologique, «l’analyse fonctionnelle consiste à rapporter chaque institution à un rôle social déterminé134». Le droit, dans le cas de la curatelle, a d’un point de vue général un rôle de «re-positionnement», de rétablissement des familles. Il contribue à remettre sur les rails des familles déséquilibrées par des situations et des conduites qui sortent de l’ordre des choses. La curatelle favorise leur «combat» contre les contingences de toutes sortes135. D’où son importance dans le contexte montréalais du dix-neuvième siècle, lieu, rappelons-le, d’une «vie fragile» où maladies, accidents et déconfitures financières sont souvent au rendez-vous – à quoi peuvent s’ajouter troubles mentaux, intempérance, dilapidation des biens et conflits de tout acabit. Mais la nomination du curateur ne permet qu’un rétablissement partiel et imparfait de l’ordre familial affecté par la déviance. Il faut

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souligner le caractère inachevé de la solution juridique. L’individu problématique n’est pas guéri de son «mal» par le jugement, et la nomination d’un curateur n’efface pas non plus les problèmes financiers concrets auxquels doit faire face, par exemple, l’épouse d’un homme halluciné ou buveur. Si elle acquiert une capacité juridique inhabituelle, l’épouse curatrice demeure soumise aux exigences concrètes du soin des enfants et de la quête de revenus. Par son caractère inachevé, l’efficace du droit s’apparente à celle des manœuvres de coping de l’entourage. En cas d’inaptitude profonde des chefs de famille pourvoyeurs ou de certains fils héritiers, la curatelle ne fait souvent que ralentir la trajectoire descendante du groupe familial; le droit autorise, dirais-je, une chute contrôlée. En d’autres situations, le droit a plutôt un rôle stabilisateur et permet de parer à certains inconvénients, comme à l’occasion du contrôle exercé sur des personnes déficientes ou des vieillards déments. La précédent chapitre l’a montré : outre la nécessité de faire face à des comportements perturbateurs, la plupart des circonstances de recours à la curatelle ont une dimension financière et patrimoniale. Le droit infuse alors une certaine dose de stabilité à une conjoncture potentiellement risquée pour la famille. La transmission des biens doit idéalement être empreinte de prévisibilité. La curatelle sert aux acteurs familiaux à mieux assurer leur inscription socio-économique dans le temps, à raffermir leurs perspectives dans la conjoncture traversée, et ce, en re-positionnant la famille, grâce à la redéfinition du statut d’un parent ou d’un allié jugé inapte. Les appels à la justice civile répondent aussi, parfois, à l’indisponibilité de personnes capables de prendre la situation en main. Une fois concrètement activé par une sentence d’interdiction, le droit contribue, à sa manière et imparfaitement, à remédier à cette carence sociale et communautaire. Enfin, certains individus emploient l’interdiction comme arme, dans des contextes conflictuels où des intérêts matériels sont en jeu. L’interdiction, si elle est alors obtenue, remodèle aussi en partie les relations familiales. Ainsi, chaque dossier d’interdiction témoigne à sa manière de la fonction générale de re-positionnement qui est celle du droit des majeurs incapables. Certaines histoires familiales illustrent particulièrement bien cette fonction. Dans celles-ci, le droit intervient alors que des difficultés supplémentaires, étrangères à la déviance, affectent les ménages. Josephine F., jeune célibataire, est interdite en 1841 à la demande de son frère. Son dérangement mental remonterait à l’enfance. À la

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suite du décès de son père, un cordonnier, sa mère s’est remariée. Il subsiste encore des enfants mineurs de la première union. Le second mari est nommé tuteur à ces derniers, tandis qu’un fils majeur issu du premier lit, commis marchand de son état, requiert la mise sous curatelle de Josephine et reçoit cette charge. Par ailleurs, la communauté de biens de la première union laisse des dettes. Il est jugé bon, par conséquent, de vendre une terre appartenant à cette communauté et située dans la paroisse de Repentigny. Ce bien de famille est la propriété, entre autres héritiers, des enfants sous tutelle et de l’interdite. La vente est autorisée en justice; il est spécifié que la part de l’interdite, dans le produit de la vente, demeurera entre les mains de l’acquéreur. Mais celui-ci devra payer au curateur l’intérêt annuel attaché à cette part. Une partie de la «fortune» de Josephine fait donc l’objet d’une sorte de placement. La tutelle aux mineurs du premier lit, l’interdiction et l’autorisation de vendre sont toutes octroyées le même jour. Cela simplifie certainement les démarches judiciaires d’une famille peu fortunée. En même temps, cette conjonction d’actes indique comment le droit civil rétablit partiellement une situation familiale rendue difficile à cause d’un décès, d’une succession grevée de dettes et d’un remariage, événements compliqués par la présence de mineurs et d’une jeune adulte incapable de se tirer d’affaire toute seule136. Le chef de famille, c’est-à-dire le père décédé, voit aussi son rôle redistribué à deux adultes masculins : le nouveau mari, qui devient tuteur, et le fils majeur, qui s’occupera de la curatelle. Cette redistribution de rôles, si elle s’appuie évidemment sur les acteurs familiaux disponibles, s’effectue sous l’égide du droit, de l’officialisation des états et des responsabilités qu’il opère. Le droit civil vient ici réarticuler statuts des personnes et patrimoine, que ce dernier soit à liquider (dans le cas de la vente de la terre appartenant à la première communauté) ou à protéger (dans le cas des parts des mineurs et de l’interdite). L’intrication des relations humaines et du rapport aux biens est ici, à nouveau, on ne peut plus évidente. Matilda P., mère de quatre mineurs, perd son mari en 1838. Elle est tutrice de ses enfants jusqu’à son interdiction en janvier 1846. Sa trajectoire sera par la suite marquée par la présence assidue de son frère, principal point d’appui dans la gestion d’une situation familiale délicate. Ce frère, Thomas P., était déjà présent lors de la nomination de Matilda comme tutrice. Le jour de l’interdiction en 1846, il accepte les charges de tuteur aux enfants mineurs de sa sœur et de curateur à celle-ci. Il s’était d’ailleurs porté requérant tant pour la tutelle que

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pour la curatelle. Ce n’est qu’en 1870 qu’il se fait remplacer comme curateur, par l’un des fils de l’interdite. Cependant, deux ans plus tard, ce dernier, déclaré insolvable, fuit le pays. Thomas reprend alors du service pour quelques mois, jusqu’à sa mort, en décembre 1873. La longue implication de ce frère montre comment droit et liens familiaux s’imbriquent pour compenser tant bien que mal le déséquilibre causé par l’inaptitude, déséquilibre parfois accentué par certaines circonstances (ici, le décès du mari et la présence de mineurs). Si le droit, dans le cas de la famille P., règle la nomination d’un responsable légal à l’incapable et à ses enfants, cette investiture n’est pas seulement formelle : un compte de curatelle témoigne du caractère effectif de l’administration de Thomas137. Les nominations simultanées de curateurs et de tuteurs, pas aussi exceptionnelles qu’on pourrait le croire138, témoignent bien de la fonction régulatrice du droit civil. Ce dernier rend possible une certaine refonte de la famille, en répartissant les rôles laissés vacants par l’incapacité d’un membre ou à la suite de certains accidents (décès, abandons, etc.). Les personnes nommées reçoivent formellement la capacité d’agir. Ainsi, le droit civil, par la conjonction de la curatelle et d’autres dispositions du droit des personnes et des biens (tutelles, régimes matrimoniaux, successions, etc.) se présente comme un ensemble assez cohérent et efficace de remaniement des familles, en vue d’assurer à celles-ci la stabilité nécessaire à leur bon fonctionnement. Mécanisme sociologique fondamental de la pratique de la curatelle, cette fonction de redistribution des rôles et de refonte de la famille n’est cependant pas seule à l’œuvre dans les procès d’interdiction. Comme on le sait, l’appareil judiciaire semble ne vouloir intervenir de manière concrète dans les interdictions qu’à l’occasion de conflits familiaux irrésolus qui parviennent jusqu’à lui. Les magistrats peuvent débouter le requérant et même, exceptionnellement, imposer le choix d’un curateur. Dans les deux cas se trouve mise en valeur une autre fonction du droit, plus générale, celle de la régulation des conflits dans la société civile. Cela se fait par l’imposition d’une solution formelle et contraignante, qui ne fait pas disparaître les tensions à l’origine de la mésentente139. Le cas de Rose M., dame âgée interdite au milieu des querelles de ses enfants, a été abordé au chapitre précédent. C’est un autre exemple intéressant d’interaction entre le judiciaire et le privé. L’influence du juge, dans cette cause assez exceptionnelle, s’est surtout exercée en trois domaines : la détermination de l’état mental de la dame, la

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reconnaissance du conflit familial sous-jacent et le choix d’une personne apparemment impartiale comme curateur. Rose est interrogée deux fois, en mars et en décembre 1894. Son état s’est probablement détérioré au cours du procès. Lors de la deuxième rencontre, le juge, assisté du protonotaire, l’interroge à son domicile. La visite d’un juge de la Cour supérieure est inusitée à la fin du dix-neuvième siècle et trahit le caractère très litigieux de l’affaire. Ce second interrogatoire convainc le magistrat de l’inaptitude de la défenderesse. Pour lui, les facultés mentales de Rose M. «were and are so affected as to render her [mentally?] incapable of properly conducting her affairs, and to render her interdiction desirable». Le juge montre que les dissensions familiales dans lesquelles baigne cette affaire ne lui sont pas étrangères en nommant comme curateur une personne apparemment neutre : «Considering that in view of the dispositions of the different members of her family towards each other as revealed in the course of the proceedings herein and the motives by which they seem animated in asking for, or contesting the present demand it does not appear proper that either Joseph [C.] suggested by the majority or Baranabé [C.] suggested by the minority of the Family Council should be named curator to said contestant [i.e. Rose M.], but that on the contrary it seems rather in the interest of contestant that a disinterested person should be appointed such curator.» L’individu nommé curateur, Charles B., a été recommandé comme conseil judiciaire par le parti de l’intimée en cours d’instance. Le juge sait que Rose a confiance en lui140. Un conflit irrésolu n’appartient plus totalement aux acteurs familiaux une fois qu’il est transposé dans l’arène judiciaire. Mises à nu, les tensions familiales donnent prise à l’exercice de la fonction régulatrice du droit qui, ici, se fait arbitre de la chicane qui déchire une famille montréalaise. Le droit civil, par l’entremise du tandem interdiction/curatelle, exerce donc des fonctions très importantes au sein des affaires familiales. Outil de rétablissement des familles affectées par la déviance, les accidents divers et les antagonismes, le droit des majeurs incapables permet une redistribution des responsabilités et des rôles, plus ou moins étendus, de la personne inapte, vers d’autres acteurs familiaux. Des pratiques juridiques régissent aussi l’imbrication, fondamentale pour le fonctionnement de la famille du dix-neuvième siècle, des relations personnelles et du rapport aux biens. Enfin, la participation active de l’appareil judiciaire à certaines affaires, participation suscitée par la

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non-résolution de déchirements familiaux, amène le droit à remplir une autre de ses fonctions, soit celle de l’arbitrage et du règlement imposé. S’interrogeant sur le «mode d’opération du droit dans la société» et sur «la diversité des états du droit dans la société», Jean-Guy Belley convie les chercheurs à dépasser certaines représentations et, notamment, à se «sortir d’une représentation du droit comme substance solide remplissant en souplesse ou non une fonction de régulation dans une société conçue comme un champ de forces physiques141». Or, cette façon d’appréhender le droit me semble valable, malgré le caractère éminemment général de l’énoncé. Le droit civil n’est pas aussi «soluble» que le voudrait Belley, qui parle même de «dissolution du droit dans la société142». L’activation du droit, par la pratique de l’interdiction, constitue l’un des tournants, l’un des pivots des trajectoires individuelles et familiales marquées par la déviance143. La faculté de permettre le réagencement des relations juridiques, humaines et patrimoniales qui constituent la famille fait du droit civil un ordre normatif tout à fait central, bien distinct des autres normativités qui parsèment la société (religion, morale, gestion de l’espace public, etc.). L’étude des fonctions du droit et des dispositions réservées aux majeurs incapables met aussi en lumière la faiblesse heuristique des représentations du droit comme «cadre» de pratiques sociales ou de «stratégies» familiales. Une fois mis en œuvre, le droit constitue une nouvelle donnée du jeu des acteurs sociaux. Droit et relations familiales, dès lors inséparables, établissent de nouveaux rapports et une nouvelle dynamique, unique, de régulation des aléas de la vie en société. Après avoir examiné, au chapitre précédent, les circonstances de l’accès des problèmes familiaux à la scène judiciaire et les manipulations possibles de la procédure, j’ai analysé ici le rôle de l’appareil judiciaire et du droit face aux demandes d’interdiction et, plus globalement, dans les trajectoires de déviance. L’examen des normes juridiques formelles montre comment, en principe, magistrats et officiers de justice abordent les problèmes portés à leur attention. En cette matière, l’accord du regard juridique avec les préoccupations familiales est évident. La folie, la prodigalité et l’ivrognerie, du point de vue du droit, sont apparentées en tant que comportements portant atteinte aux biens, à la gestion prudente du patrimoine et des revenus. Cette norme juridique de fond, l’un des ingrédients essentiels de la pratique de l’interdiction, s’arrime parfaitement aux principaux soucis des familles : assurer la marche des affaires, éviter une chute honteuse,

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tenter un redressement malgré les accidents, la maladie ou les conduites perturbatrices. Dans le cas des alcooliques, le droit donne la possibilité aux familles de doubler le retrait des droits civils d’un internement. C’est ce qui fait de la législation consacrée aux ivrognes d’habitude un outil particulièrement efficace et radical de réponse à la déviance alcoolique. Malgré la forte présence des familles dans le déroulement des procédures, il existe quand même des moments, des espaces où le système judiciaire rencontre directement l’intimé. Les interrogatoires sont prescrits seulement dans les cas de folie, par ailleurs assez nombreux. L’interrogatoire s’apparente à un mécanisme de production d’aveux et, partant, d’officialisation de la déviance mentale. Les techniques mises en œuvre, les réponses données ou les circonstances physiques des entretiens conduisent presque inévitablement l’officier de justice à entériner le processus d’exclusion mis en marche par les familles. Certains interrogatoires et les velléités de résistance de quelques intimés démontrent toutefois que c’est en cas de déviance équivoque – soit lorsque l’incapacité de la personne ne saute pas aux yeux (réponses cohérentes, volonté d’autonomie, etc.) mais que son entourage recherche néanmoins l’effacement de sa capacité juridique – que risquent d’être activées de manière explicite les sévères exigences relatives à l’administration des biens et les lourdes préoccupations morales du dix-neuvième siècle. James H., gentleman aux inclinations par trop plébéiennes, de même qu’Élise B., veuve en quête d’indépendance, l’apprennent à leurs dépens. Marie Joseph L., jeune homme dont la mésalliance a soulevé l’ire de sa famille, a lui aussi rencontré ce type de barrage normatif sur son chemin (chapitres 1 et 2). Une déviance avérée conduit par contre certains individus à se soumettre ou à promettre de réformer leur conduite. L’influence et la cohésion de l’entourage représentent des données fondamentales de l’exclusion judiciaire des individus embarrassants. Face à des proches unis contre elle, en accord sur la conduite à tenir, une personne jugée déviante ne peut pas grand-chose. Certains intimés, dont l’inaptitude n’est pas aussi manifeste qu’on voudrait le laisser croire, vivent d’ailleurs une forme d’isolement social, de défaut d’intégration aux relations de proximité qui font la famille et la sociabilité plus large qui l’englobe. Leur interdiction est significative et met en relief l’aspect relationnel des dynamiques de déviance. De plus, c’est en cas de mésentente dans l’entourage que les juges interviennent concrètement dans le déroulement des affaires. La jurisprudence

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pousse apparemment l’appareil judiciaire à réaffirmer sa préséance théorique et à conduire plus rigoureusement les procès d’interdiction. Mais ces causes rapportées, comme les quelques requêtes rejetées, recouvrent en fait des querelles intrafamiliales. Soit l’intimé réussit à mener une lutte ouverte contre ceux qui veulent le dépouiller de sa capacité civile, soit l’entourage se dispute quant à la conduite à tenir avec l’incapable, et ce, souvent pour des raisons financières. Le fait que les magistrats interviennent précisément à l’occasion de querelles familiales irrésolues constitue une donnée essentielle des interactions entre justice, droit civil et familles. Autrement, le système judiciaire s’en tient surtout à accompagner le processus d’exclusion mis en marche par la famille et la communauté, de même qu’à confirmer les arrangements formels sollicités. Si la pratique de l’interdiction possède un fort substrat familial, si la justice intervient plutôt rarement dans le processus d’exclusion, la fonction remplie par le droit, une fois la sentence prononcée, est en revanche fondamentale. Le droit permet le «re-positionnement» de la famille traversée de tensions diverses. Ce que rend possible le droit civil, c’est une «refonte» imparfaite de la famille selon une logique redistributrice : il y a effacement de la personnalité juridique de la personne jugée inapte et réaffectation de ses rôle et statut familiaux à d’autres acteurs. Toutefois, le rétablissement qu’autorise le droit n’est que partiel. Le caractère inachevé de la régulation juridique rejoint à ce titre l’incomplétude des mesures non institutionnelles de coping des familles. Mais le droit ouvre une porte, laisse entrevoir un autre avenir, moins redoutable que celui que laisse présager la situation vécue par les acteurs familiaux. Le droit, mesure des rapports sociaux, régulateur des affaires familiales, joue aussi un rôle d’inscription temporelle de la vie en société. Le rapport des institutions et des acteurs à l’écoulement du temps doit être mis en valeur. Se marier, entrer au couvent, acheter une propriété, faire l’aumône, dénoncer une infraction, faire interdire un proche : n’est-ce pas, à chaque fois, placer un repère en regard d’un futur que l’on cherche à orienter? Enfin, les interactions entre droit, appareil judiciaire et familles sont globalement marquées par la stabilité. Les circonstances qui poussent les Montréalais à recourir à l’interdiction ne changent pas de manière significative au cours du siècle. L’apport du système judiciaire et du droit aux processus d’exclusion des fous, des prodigues et des ivrognes demeure lui aussi à peu près stable. Le critère de l’aptitude à gérer ses biens, la mise en œuvre de normes économiques et morales explicites

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dans les situations équivoques de déviance, les interventions en cas de mésentente dans l’entourage, la fonction de rétablissement des familles en difficulté : ces données cruciales de l’implication des magistrats et du droit n’évoluent pas de manière sensible. Toutefois, les interdictions de personnes déjà enfermées seront progressivement moins soignées, et traitées de plus en plus souvent par des personnages inférieurs de la hiérarchie judiciaire. Les quelques modifications apportées à la pratique de l’interdiction seront en quelque sorte le fait d’une «agression extérieure», de la montée rapide d’un nouvel appareil institutionnel au sein des mécanismes normatifs de réponse à la déviance : l’asile.

4 Médicalisation et institutionnalisation : entre discours et «nécessaires» mises à l’écart En 1827, Benjamin Berthelet, chirurgien et médecin de Montréal, certifie que depuis le commencement de décembre dernier, j’ai eu occasion de soigner en ma dite qualité le dit Hypolite [V.] que la nature de sa maladie étoit dans le principe une mélancolie qui augmentant de jour en jour finit par devenir un dérangement total de ses facultés intellectuelles, que dans le mois de février dernier sa maladie augmentât à un tel point qu’il devint furieux de manière qu’on fut dans la nécessité d’avoir recours à la force et de le gêner. Que d’après la nature de la maladie et les causes que j’ai pu connoitre l’avoir occasionné, je puis dire qu’à moins d’un événement extraordinaire, il y a bien peu d’espérance d’un recouvrement total à la raison chez lui1.

En seulement quelques phrases, le médecin montre que sa présence dans la trajectoire d’Hypolite a pris au moins deux formes : visites et soins, d’abord, mais également diagnostic et pronostic, assez sombres en l’occurence. Cette présence et ce langage relèvent de la «dite qualité» de M. Berthelet, de son statut professionnel spécifique au sein de la communauté montréalaise. Mais alléguer la «mélancolie», le «dérangement total» des facultés a-t-il eu un impact sur le sort du malade? Est-ce un langage vraiment spécialisé? Le médecin fait aussi allusion à une forme d’enfermement à domicile, ce qui témoigne indirectement du peu de ressources institutionnelles consacrées à la maladie mentale en ce début du dix-neuvième siècle. Ainsi, comment vont se traduire, pour les interdits montréalais (malades mentaux et ivrognes2), la présence médicale et la montée de l’asile durant les décennies qui vont suivre?

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À la différence des interactions étudiées précédemment, l’implication de la médecine et des institutions d’assistance et d’enfermement dans les trajectoires déviantes est marquée par des changements très importants pendant la période étudiée. Alors que le corps médical suit son processus de professionnalisation, un groupe de médecins s’érige en experts des maladies mentales. L’asile, nouvelle solution institutionnelle consacrée à la folie et censée la guérir, fait son apparition peu avant le milieu du siècle. Il connaît par la suite une croissance rapide. L’institutionnalisation des alcooliques se développe également, quoique beaucoup plus modestement que dans le cas de l’aliénation mentale. Ainsi apparaissent, dans les réponses aux déviances, de nouvelles façons de faire et de nouvelles normes liées au regard médical et à des pratiques de mise à l’écart des personnes tenues pour gênantes. La portée et le rôle de deux processus de régulation sociale doivent donc être évalués. On peut définir le phénomène de médicalisation comme l’appropriation par les discours et les explications des médecins de certains maux qui, auparavant, n’étaient pas interprétés, pour l’essentiel, de cette manière. Cette médicalisation, pour être concrète, doit s’accompagner de la reconnaissance par les autres acteurs impliqués d’une autonomie assez marquée des médecins dans le règlement du problème considéré – ou, du moins, de la reconnaissance de la prépondérance de leur avis3. Certaines études ont déjà relevé les résistances qu’a rencontrées au dix-neuvième siècle la représentation médicale de l’ivrognerie comme maladie4. Mais la folie est-elle réellement médicalisée à la fin de cette période au Québec, comme l’ont soutenu certains chercheurs? La réponse doit plutôt être négative, si la médicalisation d’un problème dépasse la simple production de discours pour se doubler d’une influence médicale importante dans les tentatives visant à le régler. S’il est possible de remettre en question la médicalisation de l’aliénation mentale au dix-neuvième siècle, ce n’est pas le cas de l’institutionnalisation de la déviance à la même époque. Une pléthore d’institutions consacrées à des populations embarrassantes spécifiques (asiles d’aliénés, prisons, hospices, institutions pour filles-mères, écoles de réforme, etc.) ouvrent leurs portes. La mise à l’écart physique, en milieu fermé et organisé, d’une partie des personnes considérées dangereuses, inaptes ou scandaleuses s’impose comme l’un des modes privilégiés de régulation sociale. Dans ce chapitre, je commence par critiquer l’idée d’une médicalisation de la folie au dix-neuvième siècle et celle d’une reconnaissance

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à cette époque de l’expertise des nouveaux spécialistes des désordres mentaux, les aliénistes. Je mets à contribution les dossiers d’interdiction, bien sûr, mais également d’autres procès mettant en cause la capacité mentale de certaines personnes, comme les litiges testamentaires. Je tente ensuite de voir comment les trajectoires des interdits aliénés et alcooliques rendent compte, à leur manière, du mouvement d’institutionnalisation de la déviance, tout en essayant d’identifier les logiques sous-jacentes à l’envoi en milieu asilaire.

médecins, aliénistes et droit civil : u n q u a s i - d é s av e u À partir du dix-neuvième siècle, le droit et la médecine prennent une place de plus en grande dans la vie des sociétés occidentales. Ces deux corps de savoirs et de pouvoirs gagnent aussi en influence au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle au Bas-Canada/Québec. La systématisation des règles du droit civil et criminel (en 1866 et 1892), la multiplication des districts judiciaires (surtout en 1857) et le développement de la jurisprudence, pour ne citer que ces phénomènes, assurent une diffusion de plus en plus grande des normes juridiques. Le corps médical, pour sa part, fait des efforts de professionnalisation et de contrôle de la pratique de la médecine. Le développement progressif de l’hygiène publique et certaines avancées scientifiques contribuent à accroître son crédit. Le droit, la médecine et l’une de ses spécialités nouvelles, l’aliénisme, s’entrechoquent parfois à cette époque. La prise en charge des cas de maladie mentale, notamment, a mis en rapport magistrats, médecins et aliénistes. Dès 1859, dans ses Commentaires sur les lois du Bas-Canada, Maximilien Bibaud exprime la réserve du pouvoir judiciaire envers la «médecine moderne» en matière de maladie mentale : «Quoique … la magistrature soit bien sujette à s’exagérer son rôle de résistance, tant qu’une doctrine physiologique n’a pas obtenu l’adhésion du sens commun, et la consécration de l’évidence, le pouvoir judiciaire, pour lequel tout doit être certain, rigoureux, irrécusable, est légitimement sur ses gardes5.» Comme les chapitres précédents l’ont montré, l’efficacité, le rayonnement d’une norme se révèle principalement dans les contacts et les éventuels conflits qui la lient à des normes d’origine différente. «On peut rarement investiguer sur l’effectivité d’une norme, écrivent des sociologues du droit, sans introduire une préoccupation internormative6.» Les rencontres entre médecine et droit constituent une

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excellente occasion de prendre la mesure de la médicalisation supposée de la folie au dix-neuvième siècle. Si la nouvelle spécialité médicale des maladies mentales se développe alors, on ne peut soutenir, comme le fait Peter Keating, que l’histoire de la psychiatrie au Québec au dix-neuvième siècle et au tout début du vingtième aboutit à «la reconnaissance d’une expertise médicale spécialisée en ce domaine, à la fois sur le plan clinique et sur le plan juridique ou médico-légal7». Denis Goulet s’est montré beaucoup plus prudent au sujet de l’influence et de la notoriété en général des médecins à la même époque. Ayant étudié «le processus d’institutionnalisation et de professionnalisation de la pratique médicale», il a par exemple établi qu’au début du vingtième siècle, les médecins doivent encore composer avec l’influence des rebouteurs et que les juges n’appuient pas nécessairement les poursuites pour pratique illégale de la médecine8. Comme l’a écrit Eliot Freidson, «la pratique, l’exercice ou l’application d’une compétence d’expert sont distincts, du point de vue de l’analyse, de la compétence ou du savoir lui-même9». Présents dans bien des procès, médecins et aliénistes ne semblent pas faire la démonstration, paradoxalement, d’une compétence particulière dans le domaine de la folie. On se trouve donc ici en présence d’un mode tout à fait particulier d’intervention au sein des processus de régulation des conduites déviantes. D’entrée de jeu, il faut souligner qu’aucune règle de droit ne rend obligatoire l’intervention de médecins ou d’aliénistes dans les procès d’interdiction pour folie ou ivrognerie. Le code civil ne mentionne même pas la présence des aliénistes avant 190010, comme si le pouvoir judiciaire civil pouvait parfaitement se passer des théories médicales ou psychiatriques. Les procédures d’interdiction pour folie rassemblent néanmoins deux types d’intervenants médicaux : les médecins «ordinaires», en principe non spécialistes des maladies de l’esprit, et les aliénistes qui, par leur travail en milieu asilaire, possèdent en principe une certaine expertise en la matière. Cette distinction ne va pas de soi. Comme le signalent André Paradis et Hélène Naubert, c’est à des «cliniciens généralistes» et non à des «médecins d’asile» que l’on doit «la plupart des textes cliniques et thérapeutiques sur l’aliénation mentale11» au Québec à cette époque. De surcroît, les médecins asilaires québécois du dix-neuvième siècle ne possèdent pas tous une formation en maladies mentales, bien que ce sera de moins en moins vrai à la fin du siècle.

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Par exemple, F.-X. Perrault, médecin à l’asile Saint-Jean-de-Dieu au début des années 1880, n’a pas reçu d’enseignement en cette matière12. Constance McGovern signale que les premiers dirigeants d’asiles américains ont commencé leur carrière comme médecins généralistes13. Ils n’en devinrent pas moins de véritables aliénistes. De fait, les aliénistes se distinguent par leur ancrage institutionnel, par leur travail dans des institutions consacrées à l’enfermement et (en théorie) au traitement de la folie. Cette expérience en fait de facto, jusqu’à un certain point, des spécialistes des maladies mentales. Les dossiers judiciaires montrent que lorsque les médecins d’asiles interviennent, ils agissent bel et bien en vertu de leur statut institutionnel particulier et de leur proximité avec les aliénés mentaux. Au-delà de cette distinction de statut, les interventions médicales sont elles-mêmes de deux ordres. Elles peuvent être concrètes, quand la présence du médecin non spécialiste ou de l’aliéniste se traduit par la production d’une pièce (déposition, avis, certificat asilaire) versée au dossier judiciaire. C’est le signe d’une participation active à l’affaire, donc au règlement du sort de l’intimé. D’autres dossiers renvoient de simples échos d’une présence médicale. Des problèmes ont été portés à l’attention d’un médecin, sans que celui-ci vienne déposer en cour ou ne produise une pièce utilisée lors des procédures. Considérant tous les dossiers où il y a présence médicale d’une manière ou d’une autre (interventions concrètes et simples «échos» compris), l’interdiction pour folie apparaît comme une pratique judiciaire où l’opinion médicale se fait entendre un peu moins d’une fois sur deux. De 1820 à 1895, 152 dossiers d’interdiction pour folie sur 330 (46,1 %) recèlent une présence médicale quelconque. Pour ce qui est des interventions plus concrètes (production d’un avis ou d’un certificat, témoignage lors du procès, etc.), l’implication des médecins non spécialistes et des aliénistes demeure non négligeable : 134 causes sur 330 (40,6 %) impliquent un concours médical manifeste14. Les participations médicales concrètes ne sont pas plus nombreuses à la fin du siècle qu’au début, ce qui va carrément à l’encontre de l’idée d’une médicalisation progressive de la folie. Dix-sept des 63 dossiers des années 1820 à 1850 (27,0 %) comportent une telle présence médicale, contre seulement 13 des 69 dossiers de la période 1891– 1895 (18,8 %). Bien des interdits de cette seconde période (44 sur 69) se trouvent déjà à l’asile lors du procès d’interdiction. Souvent, leur dossier ne comprend même pas de certificat asilaire. En fait, ce sont les premières décennies de la seconde moitié du siècle, de 1850 à

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1880, qui voient la plus importante proportion d’intimés faire l’objet d’un discours médical se traduisant par une pièce au dossier. Les pourcentages de participation médicale concrète des périodes 1851–1860, 1861–1870, 1871–1880 et 1881–1890 sont respectivement de 70,6 %, 77,8 %, 66,1 % et 28,7 % des dossiers. Ces importantes variations de la présence médicale relèvent probablement d’un ajustement procédural. Le chapitre précédent l’a montré, de 1866 à 1878 les gens déjà enfermés à l’asile ne sont pas interrogés, alors qu’en droit la chose est obligatoire. Or, dans les dossiers d’interdiction des gens internés à cette époque (1866–1878), la présence médicale est très forte. Ainsi, il est probable qu’à partir des années 1850, la montée de l’asile et la diffusion des discours médicaux sur la folie conduisent à une forte mais passagère contribution médicale à l’interdiction pour troubles mentaux. Pour le reste, au début dix-neuvième siècle, la présence médicale n’est peut-être tout simplement pas vraiment jugée nécessaire; et à la veille du vingtième, le succès de l’asile et son installation durable dans le paysage institutionnel québécois font probablement apparaître moins utile une contribution médicale aux procédures. D’ailleurs, l’internement à l’asile implique en théorie qu’une forme d’évaluation médicale de la santé mentale de la personne a eu lieu15. Ce qui est plus intéressant, au plan diachronique, c’est la participation croissante des aliénistes aux dossiers d’interdiction, surtout à partir des années 1870. Cela va évidemment de pair avec la mise en place d’institutions comme l’asile Saint-Jean-de-Dieu. Mais les dossiers qui comptent un ou des certificats asilaires demeurent dans l’ensemble bien moins nombreux que les causes auxquelles collaborent des médecins non spécialistes. Sur les 134 dossiers où l’intervention médicale est concrète, seulement 42 portent la marque du travail d’aliénistes; 99 contiennent des avis de médecins non spécialistes16. La situation est donc deux fois plus souvent favorable aux médecins qui ne sont pas rattachés aux asiles. Du reste, les aliénistes ne supplanteront pas, même en fin de période, les médecins «ordinaires»17. En fait, si des médecins (aliénistes compris) prennent part d’une façon ou d’une autre à l’interdiction des malades mentaux, c’est bien parce que les magistrats ne jugent pas cette pratique inconvenante. Les tribunaux ont permis l’adjonction de ces pièces aux dossiers judiciaires, ce qui traduit une acceptation minimale. Les requérants veulent probablement étoffer leurs requêtes et mettre toutes les chances de leur côté en ajoutant à leur exposé des «faits» un discours

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en principe plus neutre et apparemment scientifique. On aurait pu s’attendre, cependant, à une présence physique plus forte des médecins et surtout des aliénistes. Cette surprise de nature quantitative constitue le premier jalon de ma critique d’une médicalisation effective de la folie au dix-neuvième siècle. Du côté des ivrognes, les chiffres sont encore plus éloquents : les interdictions pour ivrognerie sont très faiblement marquées par le discours et la participation des médecins. Seulement 12 des 164 procès pour alcoolisme (7,3 %) laissent deviner une intervention médicale concrète. La tentative d’appropriation de l’ivrognerie par certains médecins, leur volonté de présenter ce problème comme une maladie rencontrent une forte opposition, notamment de la part d’activistes de la tempérance pour qui l’abus d’alcool constitue un péché et un vice à combattre par la prohibition18. Un des piliers de la transition au capitalisme, la valorisation de la subjectivité juridique et morale de l’individu, responsable de son sort, fait obstacle à la représentation du buveur comme malade, lui qui pose délibérément le geste de boire. Dans les quelques affaires d’intempérance où ils interviennent, les médecins constatent la trop grande consommation d’alcool et ses effets : «delirium tremens19», «délire tremblant20». À l’occasion de l’interdiction de la veuve Marguerite B., prononcée en 1866, son médecin certifie qu’elle «est adonnée d’une manière désordonnée à l’usage de liqueurs spiritueuses», ce qui aurait causé son aliénation mentale. La loi permettant l’interdiction des ivrognes n’est pas encore en vigueur. Qui plus est, «par sa conduite elle compromet l’honneur de sa famille21». Les simples considérations médicales sont dépassées par les conséquences symboliques de l’abus d’alcool. Le médecin de John M., fils d’un distillateur (!), déclare que celui-ci est «addicted to the use of intoxicating liquors». Lorsque John boit, il est extravagant et fait des achats intempestifs, «and has by such a course involved himself in an enormous amount of liability which if allowed to continue will entail ruin upon himself and his family22». L’ancrage social et familial de cet avis médical, son rapport avec le souci de la préservation des biens, est on ne peut plus évident. Médecins et aliénistes se prononcent donc : ils attestent l’incapacité mentale de la personne visée et, dans certains cas, traduisent l’état de l’individu par un diagnostic23. Ils œuvrent donc à la certification «scientifique» et à l’étiquetage d’un état de déviance qui, au départ, concernait uniquement l’intimé et son entourage. Si la plupart des

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dépositions médicales sont courtes, certains dossiers témoignent des conditions particulières dans lesquelles s’effectue cette rencontre entre une personne déjà jugée embarrassante par sa famille et le médecin non spécialiste ou aliéniste. La plupart du temps, le médecin non spécialiste déclare que l’individu souffre d’un dérangement mental et qu’il ne peut gérer ses affaires, référence directe à la finalité de la procédure d’interdiction. Le médecin, ne l’oublions pas, intervient dans un processus spécifique de retrait de la capacité civile. Voici un exemple commun de certificat médical : Montreal 31 Oct./1867 I have been medical attendant to Mr. Lewis [C.] for many years and have no hesitation in certifying that he is totally incapable of taking care of himself or managing his affairs in any way. His complaint Epilepsy has completely destroyed his mental faculties. W. Fraser MD24

Dans plusieurs cas, le médecin appelé à concourir au processus d’interdiction est le praticien auquel recourt habituellement la famille. Certains médecins connaissent l’intimé et ses proches depuis nombre d’années. Vu le stigmate attaché à l’aliénation mentale, rien de surprenant à ce que l’entourage fasse appel à celui qui a suivi et traité la famille depuis longtemps pour toutes sortes d’affections, certaines plus secrètes et honteuses que d’autres. Le médecin participe, dans une certaine mesure, à l’intimité familiale. C’est une donnée importante du caractère social de l’exercice de la médecine. Dans ces cas-là, on supposera une certaine proximité d’intérêts ou communauté de vues entre le praticien et ses clients, surtout si l’impact de la déviance sur la maisonnée est manifeste. Évidemment, avoir suivi le patient durant de nombreuses années permet aussi de constater un éventuel changement d’état mental. À propos de Joseph G., qu’il juge retombé en enfance, un médecin soutient : «I have known and treated him for fifteen years past therefore, the change, to me, is very manifest25.» Le travail des médecins non spécialistes s’inscrit dans une procédure à laquelle on leur demande de concourir; ils contribuent par le fait même à légitimer la demande familiale de mise sous curatelle. Mais estce qu’ils effectuent réellement un travail spécifique? Les interventions médicales plus détaillées jettent le doute sur l’existence d’une différence entre leurs techniques d’appréhension de la folie et le regard porté par les membres de l’entourage sur le trouble de l’individu.

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Le dossier d’Eugene C., ingénieur interdit en 1862, inclut le témoignage détaillé du Dr William H. Hingston26, médecin de la famille. Aux yeux du Dr Hingston, Eugene n’est pas sain d’esprit et est incapable de voir à ses affaires. Le praticien énumère les faits étayant son opinion. Ce sont : la propension de l’intimé à détruire des objets; «his having laboured under strong maniacal delirium»; son retrait dans sa maison et son séjour au lit, la plupart du temps «without any bodily weakness or illness to account for such a course»; et les propos tenus par l’intimé. Hingston se fie aussi à ce qu’ont observé d’autres personnes et au passé du malade27. Les dépositions aussi structurées et détaillées que celle-ci sont rares. Toutefois, hormis l’étiquette apposée au mal d’Eugene («strong maniacal delirium»), le discours du médecin ne diffère pas vraiment de celui des acteurs familiaux28. Le discours médical sur la folie semble très fortement imprégné par les normes comportementales du dix-neuvième siècle, ce qui contribue à rapprocher médecins et acteurs familiaux. Deux médecins assurent que Mary L. est folle et qu’elle devrait être envoyée à l’asile. Ils déclarent, pour l’essentiel, qu’elle a «on several occasions threatened her husband with personal violence. Has a wish to expose her person indecently, and exhibits violent fits of jealousy without cause. She has also on various occasions taken moveables from her house to dispose of them without necessity.» Ce n’est pas ce que l’on attend d’une femme victorienne respectable, chez laquelle doivent dominer réserve et pudeur… L’interrogatoire qu’on lui fait subir ne révèle pas une personne complètement hallucinée. On lui demande d’ailleurs à cette occasion si elle aime son mari autant qu’avant29. Les rencontres médecin/malade peuvent également s’apparenter aux interrogatoires menés par les juges et les officiers de justice. Ce sont les manières et la conversation qui convainquent de la folie de l’intimé : «The conversation and appearance of the said James [H.] at the said interview, left no doubt in the mind of this deponent that the said James [H.] is insane30.» On va rencontrer le malade et on lui pose des questions31. Les médecins ne se limitent pas toujours, cependant, à rencontrer le malade et à donner leur avis sur son état. Dans bien des cas, ils prodiguent des conseils sur la conduite à tenir avec lui. La remarque semble banale. Mais lorsque vient le temps d’étiqueter ou de certifier l’anormalité, les groupes détenteurs de pouvoir vont tenir compte du contexte et des conséquences de la déviance, et pas seulement de la condition ou des infractions aux normes de la personne fautive. Une

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personne furieuse représente un danger pour la société. Le médecin de William H. soutient que «the said William [H.] has been deranged in his mind. That he is easily excited so as become furious … [He] has repeatedly told the deponent that he considered his duty … to put out of the way by death or otherwise a number of persons in Montreal and in the opinion of the deponent it is very dangerous to Society to suffer the said William [H.] to go at large32.» S’ensuivent des recommandations d’internement en milieu asilaire33. En somme, les normes et le regard des médecins non spécialistes, en ce qui a trait à la folie, sont assez peu spécifiques. Leur influence sur l’issue des procès d’interdiction paraît faible, ne serait-ce que parce qu’ils sont absents de la majorité des affaires; ils ne font sans doute que cautionner un processus mis en branle par les familles des aliénés. Gudrun Hopf a aussi constaté la faible influence de la profession médicale dans des procédures semblables aux interdictions en Autriche34. Mais les médecins agissent aussi, parfois, comme confidents et conseillers des familles. Leur action, bien que peu efficiente, possède donc un certain ancrage social et familial. Devrait-on rechercher une quelconque «médicalisation» de la folie ailleurs que dans la reconnaissance d’une expertise et d’une autonomie décisionnelle? Remettons à plus tard de conclure à ce sujet : le processus d’institutionnalisation, phénomène qui entretient certains liens avec les représentations médicales, doit encore être abordé. Les aliénistes impliqués dans les interdictions font-ils, eux, la preuve de leur spécialisation? À l’instar des médecins ordinaires, les aliénistes ne produisent la plupart du temps qu’un certificat assez succinct établissant la présence à l’asile de l’intimé et son dérangement mental. En 1893, E.E. Duquette, de l’asile Saint-Jean-de-Dieu, «certifie que Stanislas [L.], avocat de Montréal, actuellement interné à l’Asile St Benoît Joseph, est atteint de paralysie générale depuis une couple d’années35». Disons à la décharge des spécialistes que solliciter un certificat asilaire n’implique pas que l’on désire un compte rendu complet de la santé mentale du «patient». Confirmer que la personne est folle et enfermée sert plutôt à faciliter l’obtention de l’interdiction. L’internement constitue sans contredit une forte présomption d’incapacité à gérer des biens. La fonction des aliénistes, lorsque ceux-ci sont requis, équivaudrait surtout à contribuer à l’officialisation d’un processus qui ne les concerne pas directement, plutôt qu’à trancher l’affaire. Tout en confirmant l’enfermement de l’individu et son incapacité à gérer son patrimoine, certains aliénistes posent néanmoins un geste

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spécifique : ils étiquettent son mal en termes psychiatriques. Cet étiquetage donne une allure scientifique à une démarche assez limitée : ranger les malades dans diverses catégories nosographiques à partir de symptômes comportementaux constatés de visu. Le certificat asilaire, s’il comporte une partie plus diagnostique, demeure lapidaire et surtout symptomatologique. François Elzéar Roy, «médecin propriétaire de l’asile des aliénés de Beauport», rend compte de la situation de Toussaint D., interné là-bas : «Je le vois très souvent. Je le considère incapable de prendre soin de sa personne et de ses biens. Il est taciturne & mélancolique, paroissant indifférent à tout ce qui l’entoure & le concerne. Je le considère dans un état voisin de la démence. Je déclare en outre que dans mon opinion, il est nécessaire de l’interdire36.» Un certificat du Dr Bourque, de Saint-Jean-de-Dieu, a été versé au dossier de Charles S., «notaire et commerçant de moulins à coudre» interdit en 1888 : «Charles [S.] … actuellement interné à l’asile, est atteint d’exaltation cérébrale avec désordre dans les idées et les actes. Presqu’à chaque fois que je le rencontre, il me montre des écrits extravagants et très souvent incohérents. Il y a chez lui prédominance de délire mystique. Tout dernièrement, il a voulu communier sans avoir été à confesse37.» Pour ce spécialiste (Bourque a suivi en France des cours de Magnan et introduit la doctrine de la dégénérescence au Québec38), les voies habituelles de la pratique religieuse servent aussi à juger l’état mental d’une personne. Le Dr Burgess, surintendant du Protestant Hospital for the Insane de Verdun, dit qu’Isabella M. «is a case of mild dementia. Occasionally given to swearing and flighty in her conversation. Liable … to commit extravagant and folish acts39.» Ce que Bourque et Burgess ont constaté, un membre de l’entourage des malades pourrait l’exprimer en termes à peu près semblables. Dans la rencontre aliéné/ aliéniste, il ne semble y avoir de spécifique qu’un diagnostic ou un travail très brut de certification et d’étiquetage. Les dossiers détaillant un tant soit peu le travail des aliénistes sont peu nombreux, mais assez évocateurs quant à l’action de ces derniers dans les procès. Il semble très rare que des aliénistes «sortent de l’asile» pour venir témoigner à l’occasion de l’interdiction litigieuse d’une personne non internée40. Zéphirin B., un homme âgé de 61 ans, a pourtant fait l’objet de leur expertise. Son interdiction est liée au litige patrimonial qui agite sa famille. Sa fille et son gendre, requérants, se plaignent de l’influence «préjudiciable» de la seconde épouse de Zéphirin : elle l’aurait poussé à faire un testament en sa faveur. E.E. Duquette et F.X. Perrault, de l’asile Saint-Jean-de-Dieu, ont laissé un

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compte rendu assez précis de leur évaluation de Zéphirin B., évaluation faite à la demande de la requérante. Ils l’ont rencontré chez lui, rue Dorchester. Ils l’ont interrogé et lui ont demandé son nom, son lieu de naissance, l’heure, l’âge de ses enfants. Zéphirin a apparemment répondu avec beaucoup de difficulté. Les deux spécialistes ont aussi tâché d’obtenir quelques informations sur sa maladie. Toutes ces questions auraient pu être posées par un simple député-protonotaire. Néanmoins, au plan physiologique, les deux experts relèvent qu’il y a «dans la physionomie et la parole de Zéphirin [B.] des signes significatifs de sa maladie, ses yeux sont infectés son regard stupide, ses lèvres sont tremblantes et il existe une contraction spasmodique des muscles de la face lorsqu’il parle. L’embarras de la langue est telle [sic] que l’articulation est excessivement difficile, et la parole inintelligible. Il y a paralysie presque complète des membres inférieurs et le malade ne peut plus se lever ni marcher.» Duquette et Perrault concluent de manière catégorique : «Il nous est impossible de nous méprendre sur la nature de la maladie dont souffre le dit Zéphirin [B.]. Et nous concluons : 1 – que le dit Zéphirin [B.] est atteint de démence paralytique progressive à la troisième période 2 – que son intelligence est entièrement anéantie … 4 – que cette maladie est fatalement incurable et doit le conduire bientôt à la mort 5 – qu’il était absolument incapable depuis plusieurs mois, d’apprécier un acte testamentaire et de tester sans influence étrangère.» Les deux experts répondent donc directement à la demande qui leur a été adressée. Difficile de dire si la décision d’interdire Zéphirin est influencée par leur intervention41. Un cas de jurisprudence du début du vingtième siècle montre que les juges, en matière d’interdiction, n’abandonnent aucunement leur pouvoir décisionnel au profit des aliénistes. En 1908, un tribunal statue que «the necessity for interdiction must be determined by the judge and family council by the actual condition of the party whose interdiction is sought, and not by mere opinions even of medical experts42». Le transfert de cette cause en appel à la Cour du banc du Roi permet à celle-ci de réaffirmer que «c’est au juge qu’il appartient d’apprécier les faits et l’interrogatoire qu’il fait de la personne à interdire. Le maintien, les gestes, etc., de celle-ci, au cours de cet interrogatoire, sont d’une valeur et d’un poids plus considérable que l’opinion des témoins, mêmes [sic] spécialistes, qu’il permet aux parties, sans y être tenu, de faire entendre43.» Dans cette affaire, des aliénistes de Saint-Jean-de-Dieu sont venus affirmer qu’une vieille dame n’était pas folle, contre l’opinion du juge de première instance qui, l’ayant

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interrogée lui-même, a choisi de prononcer l’interdiction. Un des juges de la Cour du banc du Roi ajoute qu’il «n’est pas besoin de spécialistes pour prouver qu’une personne est en enfance, qu’elle n’a pas son esprit, qu’elle ne reconnaît pas ses familiers», réaffirmant sans détour la primauté des juges en matière d’interdiction44. Voilà un premier aperçu de l’accueil fait aux théories médicales et aliénistes par la magistrature. La critique de la thèse d’une médicalisation de la folie au dix-neuvième siècle peut s’appuyer sur des procès civils, autres que l’interdiction, qui mettent aussi en cause l’équilibre mental d’une personne. Quelques interdits se retrouvent dans des imbroglios juridiques à la suite de transactions douteuses. Plusieurs litiges testamentaires, dans lesquels la capacité mentale du testateur est remise en question, font également jurisprudence durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle au Québec. Dans ces deux catégories d’affaires, l’intervention des médecins et des aliénistes, lorsqu’ils sont présents, concerne en principe un point crucial des débats : l’état mental de la personne. Quel cas fait-on de leur avis? Des procès de la fin du siècle impliquant des interdits montréalais révèlent un certain dédain des juges envers l’expertise aliéniste. Édouard G., veuf et ancien hôtelier, perd sa capacité civile en 1893. Une personne qui lui a vendu un piano juste avant son interdiction cherche à obtenir le solde du prix de la vente, somme que le curateur se refuse maintenant à payer, prétextant qu’au moment de cette vente Édouard était fou. La question débattue en justice s’énonce ainsi : Édouard G. a-t-il valablement consenti à cet achat? Le Dr Duquette, médecin aliéniste de Saint-Jean-de-Dieu, témoigne en faveur du curateur. Édouard G., maintenant interné, est sous ses soins. Selon lui, l’homme est atteint de paralysie générale au moins depuis 1891, date à laquelle il en était déjà à la «première période» de cette affection «incurable». Pour le spécialiste, il ne pouvait y avoir «consentement libre» au moment de l’achat du piano. Il décrit les symptômes qui caractérisent selon lui un malade qui en est à la première période de la paralysie générale. Cet exposé cadre assez bien avec les circonstances de la poursuite. «Les premiers symptômes observés habituellement consistent dans un changement de caractère, dans les habitudes de l’individu. Un individu qui, jusqu’à cette époque aurait été sobre, rangé, économe, devient tout à coup alcoolique, ou bien fait des achats de choses qui ne lui sont pas nécessaires, ou qu’il n’aurait pas

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achetées quand il était en bonne santé. Il devient irritable … Il a une satisfaction de lui-même.» Or, Édouard G. a déjà été traité pour abus d’alcool; et un des témoins le décrit comme un homme habituellement très avare… Le juge de première instance déclare que si de temps à autre l’interdit s’est conduit comme un insensé ou un ivrogne, cet état n’était pas continuel. Il n’est pas prouvé, selon le magistrat, que G. était alors fou ou faible d’esprit et que les causes de l’interdiction qui a suivi étaient alors notoires. Il rejette donc la thèse de l’aliéniste. Précisons qu’il y a deux critères juridiques permettant l’annulation d’un acte fait par un interdit avant son interdiction. Ce sont : primo, que les causes d’interdiction aient été connues de manière notoire au moment des faits; secundo, que l’on prouve que l’individu était dans un état habituel d’aliénation mentale ou de faiblesse d’esprit le rendant incapable de donner un consentement valable45. Pour le juge, la preuve et les témoins démontrent qu’Édouard était capable de contracter et que la transaction a été bien menée. Il tranche donc en faveur du demandeur. Renversée en révision, cette décision est rétablie par la Cour du banc du Roi. Le juge en chef Lacoste écarte le témoignage «tout théorique, tout spéculatif» du Dr Duquette et évoque la protection du public, en l’occurrence celle du contractant de bonne foi, qui ne doit pas perdre le produit de sa vente46. Le discours aliéniste est donc dépassé ici par l’un des éléments essentiels de la transition au capitalisme industriel : l’idéologie contractuelle, garante du maintien de l’ordre social, et incarnation autant du pouvoir que de la responsabilité des individus mâles et propriétaires. Les litiges relatifs à la capacité mentale de testateurs et qui font l’objet de rapports de jurisprudence montrent à leur tour le mauvais accueil reçu par les opinions médicales et aliénistes dans les procès de nature civile47. Il s’agit le plus souvent de poursuites intentées par des proches du défunt qui se disent lésés par des dispositions testamentaires anormales, extraordinaires, ou par une modification récente des intentions du testateur. L’influence indue exercée par un tiers sur un mourant aliéné ou trop faible pour résister à ses manipulations est aussi invoquée. L’un des juges de la Cour du banc de la Reine (le juge Ramsay) exprime bien, au début des années 1880, la partialité inhérente aux querelles testamentaires : «Cases of this sort always present considerable difficulty in appreciating the evidence … All one has to do is to bring into strong relief some facts and to subordinate all the others in order to transform an eccentric old man into a raving maniac or the reverse48.»

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Au début des années 1860, des legs faits quelques jours avant sa mort par le tout puissant gouverneur de la Hudson’s Bay Company, sir George Simpson, sont contestés49. Si plusieurs médecins témoignent de part et d’autre, l’opinion de l’un d’entre eux, voulant que le testateur n’était pas sain d’esprit au moment des faits, est rejetée du revers de la main comme exagérée. Devant la Cour du banc du Roi, le juge Badgley se montre intraitable et énonce sans détour les prérogatives des magistrats face à de «simples» opinions médicales : «Judges are not called upon to prosecute an inquiry, with more or less of merely medical science alone, into the influence of any particular cerebral lesion upon the faculties of man in general, but to ascertain and determine whether the individual in question did still preserve a sufficient mental capacity validly to make the act in contestation … as regards mere medical science and its professors, their fallibility has been strongly exemplified in the conflicting and contradictory opinions and doctrines advanced and propounded with very peremptory assertion by the several medical witnesses who have been examined in this case50.» Il faut chercher les faits, dit le juge, qui souligne sa préférence pour les dépositions des proches (dont deux médecins, en fait), des amis et des parents du défunt, contre la position des médecins qui prétendent que sir George n’avait pas la capacité mentale nécessaire. Les opinions médicales, poursuit Badgley, «cannot be allowed necessarily and absolutely to control judicial decision. Whatever may be the experience of the physician of the cause or the course or period of a patient’s physical suffering and life, his capacity to dispose of his property does not, before courts of justice, repose upon merely psychological or medical opinions and inferences, but upon all the facts and circumstances of the disease and its continuance, and as they are connected with and exhibited at the making of the disposition51.» Le seul expert consulté fut Joseph Workman, surintendant de l’asile de Toronto. Bien que n’ayant eu à se prononcer qu’à partir de la lecture des témoignages des médecins non spécialistes impliqués, sans jamais avoir vu le malade, Workman a aussi conclu à l’aliénation mentale continue du testateur. Le juge dit cependant que les médecins qui s’occupent de maladie mentale exagèrent habituellement la profondeur et la durée de celle-ci52. En bout de ligne, les legs litigieux sont reconnus avoir été faits alors que sir George était rationnel et conscient. L’issue du procès, l’absence d’aliénistes œuvrant dans les asiles québécois (qui se réduisent alors à Beauport et St-Jean-d’Iberville) et le peu de poids des théories médicales sont-ils imputables à l’ancienneté de

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ce litige testamentaire? De fait, dans les 21 causes s’étant traduites par des rapports de jurisprudence, causes qui s’échelonnent de 1851 à 1905, les aliénistes de la province n’apparaissent que très tardivement. Ils se signalent pour la première fois dans la cause Hotte c. Birabin, jugée par la Cour supérieure siégeant en révision en 190453. Aux États-Unis, James Mohr a relevé une forte pénétration des thèses médicales sur la folie dans les causes testamentaires américaines au dixneuvième siècle, en particulier de 1820 à 1870. Le savoir médical est alors surtout utilisé contre des testaments transgressant l’ordinaire d’une transmission des biens stable, conservatrice et faite à l’intérieur de la famille – le tout en réaction contre une époque de démocratisation et de libéralisme économique, selon le même chercheur. Mais à la fin du dix-neuvième siècle, les tribunaux américains se montrent beaucoup moins favorables à l’annulation de testaments fondés sur des allégations de folie, notamment en raison des atteintes portées à la liberté testamentaire. Les théories médicales et psychiatriques sont alors beaucoup moins bien reçues au sud de la frontière54. Au Québec, en matière criminelle, des aliénistes interviennent dans certaines causes célèbres de la fin du siècle, comme l’a montré Guy Grenier : affaire Hayvern (1881), affaire Dubois (1890) et affaire Shortis (1895)55. Toutefois, le fait de s’en tenir à l’analyse de grands procès pourrait donner une idée exagérée du niveau de médicalisation de la folie criminelle à la fin du dix-neuvième siècle56. Louise Labrèche-Renaud a fait le pari de suivre les trajectoires des personnes jugées aliénées ayant commis des actes criminels et par la suite envoyées à l’asile de Beauport, entre 1845 et 1892. Elle a démontré que les médecins sont à peu près absents de ces affaires et qu’on ne recourt pas, durant les procédures, à des explications de type médical. Elle souligne aussi la rareté de l’expertise psychiatrique en ce domaine57. Au surplus, en examinant les causes célèbres, Guy Grenier a montré que, malgré la présence de médecins et d’aliénistes en cour, le plaidoyer de folie n’est pas nécessairement mieux accepté58. Ainsi, le droit et le système judiciaire seraient longtemps presque imperméables aux thèses médicales et aliénistes, tant au civil qu’au criminel. Dès lors, peut-on vraiment parler de médicalisation de la folie? Simon Verdun-Jones a aussi remarqué, côté criminel, que les revues de jurisprudence canadiennes ne rapportent à peu près jamais, entre 1843 et la codification de 1892, de procès où la défense d’aliénation mentale est débattue59. Dans l’affaire Hotte c. Birabin, le point de vue des aliénistes Villeneuve et Chagnon (de l’asile Saint-Jean-de-Dieu) trouve grâce

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aux yeux des magistrats60. Selon les médecins, l’homme dont on attaque les dispositions testamentaires n’était pas fou, mais plutôt aphasique, et il avait de la difficulté à s’exprimer61. Un juge mentionne notamment que l’expertise du Dr Villeneuve en matière d’aliénation mentale est reconnue par les cours de justice62. L’année suivante, cependant, l’opinion d’autres aliénistes (les Drs Marois et Brochu) ne prévaut pas dans une autre dispute testamentaire63. Avant ces procès du tout début du vingtième siècle, des conflits testamentaires qui se rendent jusqu’en Cour suprême se déroulent sans aucune expertise aliéniste ni même un sérieux débat médical. Dans la cause Russell et Lefrançois, jugée en 1883, l’un des magistrats de cette cour (le juge Gwynne) fait remarquer que l’état mental du testateur n’a pas vraiment fait l’objet d’une discussion scientifique : «The evidence in the case does not appear to have been given with the view of determining, with scientific accuracy, what is the particular medical term for the mental disease under which Russell was suffering64.» Or, près de 72 témoins ont été entendus65. Auparavant, dans la même cause, l’un des juges de la Cour du banc de la Reine (le juge Ramsay) avait fait un sort aux théories médicales en matière testamentaire, après avoir rappelé que tant qu’il n’y a pas interdiction, l’individu est supposé sain d’esprit. Il s’était attaqué à la notion de folie progressive prise en compte favorablement par un autre magistrat : «As a medical view I dare say it is very correct, one readily conceives the idea that madness does not usually declare itself in an instant … but Courts take no notice of possibilities of this sort66.» Les magistrats appelés à se prononcer sur l’affaire Baptist c. Baptist, entendue par le plus haut tribunal du pays en 1894, font aussi leur travail sans qu’ait lieu un véritable débat médical sur l’état de santé de la testatrice. Des médecins non spécialistes ont donné leur avis, comme d’autres témoins. Mais leurs explications ne jouent pas de rôle important dans l’argumentation des juges67. Ainsi, en général, le discours médical, même issu de médecins non spécialistes, ne domine pas dans les décisions qui tranchent des litiges de nature testamentaire durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle68. Sauf exception, les médecins non spécialistes ne sont que des témoins parmi d’autres. Si on leur accorde quelque crédit, ce n’est pas nécessairement en raison de leur statut professionnel. Le procès testamentaire C. c. D. remonte au début des années 1870 et concerne l’un des interdits montréalais de mon corpus. Dans cette affaire, un homme attaque le testament de son frère qui a tout légué à

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leur mère âgée et à deux institutions charitables. Il fait interdire le testateur quelques jours avant sa mort, pour combattre ses apparentes «dernières volontés» (chapitre 2). Un long procès s’ensuit. Au cœur du litige, une question importante : Bernard C. était-il sain d’esprit au moment de faire son testament? Quatre médecins ont participé au procès. L’avis de l’un d’entre eux, le Dr Duncan C. McCallum, s’avère probant aux yeux du juge. Pour quelles raisons? Le magistrat déclare : «I consider the evidence of Dr. McCallum more valuable upon these points than all the other depositions taken togather [sic]. His acquaintance with the patient, and with his malady and its history, the plain and cogent reasons given for his conclusions, his obvious good faith and total absence of all interest in the suit – all these considerations give his evidence a weight with me that I find irresistible.» On pourrait conclure à une forte médicalisation de cette décision judiciaire. Le Dr McCallum, âgé de 46 ans, enseigne l’obstétrique au McGill College. Mais ce professionnel dit ne pas avoir fait d’examen particulier de Bernard C. et même ne pas pouvoir juger de la définition légale de la capacité à faire un testament. Pour lui, cependant, le malade était en état de démence. Par ailleurs, la déposition du Dr McCallum n’est pas le seul élément à convaincre le juge : le fait que Bernard C., catholique, soit mort sans sacrements le conduit aussi à conclure à sa démence et à son incapacité d’édicter un testament durant cette période69. Des médecins non spécialistes viennent encore témoigner dans une cause du début des années 1880. Un legs fait à l’université McGill par une dame aux comportements particuliers est remis en question. Le juge qui préside les débats n’accorde pas vraiment plus d’importance au témoignage des médecins, sauf en ce qui concerne l’un d’eux; mais c’est parce qu’il a été, en dehors de son rôle professionnel, impliqué dans la rédaction du testament et des dispositions relatives au legs litigieux. Il est aussi exécuteur testamentaire70. Toutefois, dans la cause Schiller c. Schiller, le témoignage du médecin personnel du testateur est jugé des plus importants71. Tout compte fait, la prise en compte des témoignages des médecins par les juges semble fortement circonstancielle : les praticiens ne jouissent pas d’un crédit qui, d’emblée, ferait de leur avis un élément déterminant de la décision à prendre. Que nous apprennent, en résumé, les interdictions et les autres procès civils examinés au sujet de la médicalisation de la folie au dixneuvième siècle? La présence des aliénistes et des médecins dans les affaires d’interdiction est inégale. Elle est même faible à la fin du

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siècle. Leur présence n’est pas jugée absolument nécessaire pour trancher une question aussi importante que le droit des gens à disposer de leur personne et de leurs biens. Le travail des médecins et des aliénistes dans les affaires d’interdiction consiste surtout à appuyer et à cautionner un processus d’exclusion juridique qui ne dépend pas d’eux. D’ailleurs, la proximité de leurs conceptions avec les vues des gens ordinaires trahit la faible spécialisation des deux groupes de médecins en matière de maladie mentale. Il leur est néanmoins possible, surtout pour les aliénistes, d’apposer des étiquettes spécifiques sur le trouble de l’individu. Enfin, dans les affaires d’interdiction, de transactions douteuses et de testaments nébuleux, les magistrats n’abandonnent aucunement leur pouvoir de décision au profit des médecins ou des aliénistes, loin de là. Évidemment, le tribunal est le terrain même d’exercice du pouvoir des juges. Mais ces derniers vont jusqu’à afficher un certain dédain face au savoir des nouveaux «experts». Ces résultats concordent avec les constatations de Peter Bartlett à propos de l’Angleterre72. Il y a donc lieu de mettre en doute fortement l’«expertise» des aliénistes ainsi que la médicalisation des problèmes mentaux, même à la toute fin du dix-neuvième siècle. Il faut éviter de confondre profusion des discours médicaux et médicalisation concrète de la folie, la seconde devant se traduire par une certaine prépondérance des médecins et des aliénistes dans les décisions prises au sujet des aliénés. André Cellard, dans un passage concernant le début du dixneuvième siècle au Bas-Canada, affirme que «sans aucun doute, la folie est désormais une créature de la médecine qui augmente sur elle son emprise à mesure que l’on avance dans le siècle. La folie est en effet devenue un objet d’étude du corps médical comme en font foi, ici comme ailleurs, les multiples publications “scientifiques” des médecins, à partir du deuxième quart du xix e siècle73.» Pour le même auteur, si l’on parle en termes médicaux et physiologiques de la folie dans les archives de la curatelle durant la première moitié du siècle, cela démontre sa médicalisation74. Or, la multiplication des discours médicaux ne correspond pas à une «emprise» sur la folie et la gestion des problèmes mentaux. Les procès civils de la fin du dixneuvième siècle, moment où le processus d’appropriation médicale de la folie devrait être fort avancé, montrent que ce n’est pas le cas. L’approche du «contrôle social», prompte à dénoncer tous les pouvoirs (y compris médical) s’exerçant sur le fou, rendrait-elle le

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chercheur susceptible de se montrer paradoxalement trop peu critique envers le travail des médecins et des aliénistes, en leur prêtant une influence qu’ils n’ont pas? Peter Keating, quant à lui, a soutenu que la crise des asiles des années 1880 dans la province et la crise de l’expertise psychiatrique à la même époque ont conduit à «un renforcement de cette expertise dans le domaine médico-légal75». On cherche le rôle et l’influence de cette expertise dans les procès examinés plus haut. La médicalisation de la folie ne se trouve pas dans l’histoire du concept de traitement moral, des péripéties administratives impliquant les médecins d’asile, de la mise en place d’enseignements en maladies mentales ou de la formation d’associations professionnelles. C’est pourtant là que Keating la cherche. Ces éléments sont négligeables quand on s’intéresse au règlement concret des cas de folie. La perspective de l’histoire des sciences et des institutions exagère elle aussi le niveau de médicalisation des troubles mentaux à la fin du dix-neuvième siècle. Si la médicalisation de la folie est très faible, peut-on en conclure que le rôle des médecins et aliénistes est dépourvu de toute efficace? Leur travail représente en fait une forme très spécifique de participation aux processus de régulation des cas de déviance mentale. En termes d’influence concrète sur les trajectoires des personnes jugées folles, leur rôle est plutôt marginal dans le domaine de la pratique du droit civil. Leur «spécialisation» cache en fait une assez grande proximité avec les conceptions des acteurs familiaux des situations de folie. La faiblesse de leur expertise donne à leur action l’apparence d’un cautionnement discursif des mécanismes de prise en charge et d’exclusion de la déviance, mécanismes qui ne dépendent pas d’eux mais bien des familles et, à un degré moindre, de l’appareil judiciaire. Il n’en demeure pas moins que si médecins et aliénistes sont présents, c’est que leur participation n’est pas jugée absurde. Leur mince influence ne s’exerce pas dans le vide. Dans certains cas, ils conseillent les familles sur les mesures à prendre, ce qui n’est pas négligeable. On voit un peu mieux, en ce sens, ce qui pourrait établir concrètement (au-delà des discours) une certaine (mais faible malgré tout) médicalisation de la déviance au dix-neuvième siècle : médecins et aliénistes ont profité des liens déjà établis entre le corps médical et les familles pour donner leur avis dans les cas de troubles mentaux. Loin d’être seulement scientifique, leur implication est tout aussi situationnelle que celle des autres acteurs des affaires de déviance. Peu efficace, leur

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discours se veut une réponse à une question des plus concrètes pour les familles : que faire avec la personne dérangée dans son esprit? La présence médicale est aussi portée, en quelque sorte, par un autre processus de régulation sociale : l’institutionnalisation de la déviance et des problèmes sociaux. En cette matière, médecins et aliénistes certifient encore l’anormalité de certaines personnes, jouent le rôle de conseillers au milieu de situations familiales difficiles ou conflictuelles, justifient les entreprises de contrôle (ici l’enfermement). Sans toutefois déterminer les entrées à l’asile. Les normes médicales et aliénistes sont par conséquent marquées par leur dépendance à l’égard d’autres pôles normatifs du règlement de la déviance : la famille et l’institution.

la mise à l’écart institutionnelle des indésirables : un succès certain Si la médicalisation de la folie ne connaît pas à la fin du dix-neuvième siècle le succès qu’on lui a prêté, il en va autrement de l’institutionnalisation de la déviance au même moment. Mettre une personne embarrassante à l’écart, en institution, est une solution de plus en plus fréquente à cette époque. Ce mouvement est perceptible dans les trajectoires des fous et des ivrognes montréalais qui subissent une interdiction. Dès lors, il nous faut cerner le rôle de l’internement dans ces trajectoires individuelles et comprendre les rapports de normes et de pouvoirs que suscite le recours à des institutions comme l’asile. L’apparition, la croissance et le fonctionnement des asiles d’aliénés à partir du début du dix-neuvième siècle, problématiques initiales de l’histoire de la folie, continuent à susciter maintes recherches. Le développement d’une nouvelle spécialité médicale s’appuyant sur l’asile, la psychiatrie, a également fait l’objet de nombreux travaux. Les premières histoires sociales de l’asile et de la psychiatrie ont d’abord brisé un mythe, celui voulant que les réformes institutionnelles du dix-neuvième siècle aient été des incarnations du progrès, le fruit de préoccupations humanitaires et de connaissances scientifiques et rationnelles. Après les œuvres fondatrices d’Erving Goffman et de Michel Foucault76, les thèses du contrôle social ont été appliquées à l’apparition et au développement de l’asile, surtout dans les années 1970 et au début des années 198077. Cette institution a alors été perçue comme l’incarnation de la volonté des élites sociales et médicales de mettre en place un nouvel outil de domination des classes

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pauvres et des indésirables de tout acabit, surtout en milieu urbain. Au Québec, cette perspective est représentée par les travaux de l’équipe dirigée durant les années 1970 par André Paradis et les recherches d’André Cellard78. Les tenants de l’approche du contrôle social ont souligné à l’envi l’échec des prétentions thérapeutiques de l’asile et sa transformation en institution à dominante carcérale. C’est ce qui a poussé certains auteurs comme Gerald Grob et Constance McGovern à tenter de défendre l’asile, l’«humanité» de ses carences et son caractère médical. Mais face aux procès intentés à l’institution asilaire et à la psychiatrie par les Foucault, Rothman et Scull, ces défenses se sont avérées bien maladroites et fort peu convaincantes. Grob explique par exemple qu’en fin de compte, l’asile était quelque chose d’humain et donc d’imparfait : «What emerged was an institution that reflected the human condition, with all of its strengths and weaknesses79.» C’est ce qu’on pourrait appeler de la philosophie historique à rabais. Est-ce que la théorie gynécologique des troubles mentaux féminins a contribué à créer un environnement thérapeutique pour plusieurs patientes, que des examens plus fréquents pouvaient rassurer80? Rien n’est moins sûr. Délaissant les aspects plus critiques de l’histoire asilaire, ainsi que ses enjeux idéologiques et politiques, une seconde génération de chercheurs s’est plutôt intéressée au fonctionnement concret de l’institution et plus spécialement aux relations entre familles et internement. Moins polémiques et un peu moins stimulants81, les résultats de ces travaux représentent néanmoins des acquis importants. On sait maintenant que les familles étaient les agents principaux de l’institutionnalisation et que la plupart du temps, les proches faisaient appel à l’asile une fois épuisée leur capacité à répondre au problème82. L’idée d’une appropriation de la folie par les médecins et les nouveaux experts aliénistes se trouvait déjà remise en question. Au Canada, on peut maintenant compter sur un ouvrage à la problématique bien équilibrée, dans lequel sont pris en compte autant les interactions entre les grands acteurs de la mise en place et du fonctionnement de l’asile (État, communautés, aliénistes, etc.) que les processus plus terre à terre des internements. Il s’agit de Committed to the State Asylum, de James Moran83. Qu’est-ce que les dossiers d’interdiction montréalais dévoilent à propos du rôle et des rouages de tout ce mouvement d’enfermement? Comme nous le verrons ici, le droit civil connaît quelques ajustements en raison de l’affirmation de la solution asilaire. Il est

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également possible de mesurer approximativement la progression de l’institutionnalisation des fous et des ivrognes et de repérer les lieux de leur internement. Cet internement intervient dans des circonstances spécifiques; par ailleurs, familles, magistrats et médecins (aliénistes compris) ont des rôles propres dans le franchissement, par les déviants, des seuils institutionnels. La formule asilaire, mise en place au cours des décennies 1830 et 1840 au Québec, connaît une extension très importante par la suite. Près de 3 000 personnes se trouvent dans les asiles d’aliénés du Québec en 190084. Ce développement de l’asile va de pair avec la popularité croissante de l’institutionnalisation de problèmes sociaux aussi divers que le crime, les vieillards démunis ou les naissances illégitimes. Le droit civil et le pouvoir judiciaire vont s’ajuster à la montée du recours asilaire, et ce, tant en ce qui concerne le contrôle de la folie que celui de l’alcoolisme. Pour ce qui est de l’aliénation mentale, il semble bien qu’au milieu du dix-neuvième siècle, l’interdiction judiciaire facilite dans certains cas l’admission à l’asile de Beauport. (Cette institution, inaugurée en 1845, est le premier asile permanent de la province.) Quelques rares dossiers en témoignent. L’épouse de François M., boucher, demande son interdiction en 1847, disant qu’elle «désire le faire interdire, afin de pouvoir le placer en l’asile des alliénés [sic], établi à Beauport85». Charles M. est enfermé «dans une petite chambre préparée à cette fin» et les «différents moyens [pris] pour le ramener à la raison» ont échoué. Son épouse déclare en janvier 1851, que «perdant tout espoir de pouvoir ramener son dit mari à la raison … [elle] auroit obtenu une place à l’Asile des Aliénés à Beauport; que par les réglemens [sic] de cet établissement … elle se trouveroit dans la nécessité de le faire interdire86.» Cette pratique semble cependant circonscrite aux premières années de fonctionnement de cet asile87. Par la suite, toute la législation québécoise sur les asiles d’aliénés des années 1870, 1880 et 1890 ne fera aucune référence à l’interdiction comme préalable à l’internement. En France, le principe voulant que l’internement du fou soit précédé d’une interdiction civile, règle la plupart du temps bafouée, disparaît avec la loi de 183888. Au Québec, le nombre d’interdictions prononcées à la fin du dix-neuvième siècle ne correspond pas du tout au nombre de plus en plus important d’admissions dans les asiles. En 1911, L.-P. Sirois précise qu’il «n’est nullement nécessaire de faire interdire une personne pour l’interner dans

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un asile89». Le juriste affirme aussi que le curateur ne peut faire interner l’interdit «sans l’autorisation du juge sur avis du conseil de famille … même s’il se conforme à toutes les dispositions de la loi sur les asiles relatives à l’internement». Mais Sirois reconnaît, et c’est l’essentiel, que «la pratique est tout à fait contraire90». Les règles d’admission des aliénés à l’asile se développent donc complètement en dehors de l’interdiction et du code civil. En outre, deux lois témoignent d’une certaine érosion du champ de régulation des conduites déviantes couvert par l’interdiction au profit de l’internement. Elles datent respectivement de 1884 et 1900. Il est possible à partir de 1884 de nommer «un administrateur provisoire aux biens de toute personne non interdite placée dans un asile d’aliénés91». La nomination est faite par le juge sur demande des parents, de l’époux ou de l’épouse, après réunion du conseil de famille. L’administrateur alors nommé équivaut à un curateur. Cela ressemble à s’y méprendre à une procédure d’interdiction. Peter Keating a interprété cette disposition comme une «sorte d’interdiction rétroactive» et soutenu que ce processus constituait «une reconnaissance après coup de l’équivalence de l’internement et de l’interdiction. Cet article rendait caduque l’obligation, que l’on trouvait dans le Code civil, de prouver l’existence d’“un état habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur” chez le sujet de l’interdiction; l’internement pouvait maintenant être décrété sous d’autres chefs et notamment ceux qui couvraient des “états aigus”92.» Suivant la logique de Keating, l’internement était avant cette loi «décrété» en vertu des critères d’interdiction pour folie, soit un état habituel d’imbécillité, démence ou fureur. Or, il n’en est rien : cette définition vague de la folie ne commande absolument pas l’accès à l’asile avant 1884. Aussi, dans quelle mesure des administrateurs provisoires sont effectivement nommés? Seul un suivi rigoureux des personnes ayant transité par l’asile permettrait d’en apprendre davantage. Toutefois, aucun dossier d’interdiction pour folie de personnes déjà internées ne mentionne l’existence de tels administrateurs provisoires. Et l’on doit, en principe, continuer à prouver la folie «chez le sujet de l’interdiction». De plus, l’entourage aura souvent intérêt à nommer un curateur en règle aux personnes internées, en vue de stabiliser la situation patrimoniale et financière de la famille. D’ailleurs, l’administrateur provisoire disparaît dès que la personne sort de l’asile ou qu’on lui nomme un curateur en empruntant la voie habituelle93, ce qui ne favorise en

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rien le recours à une mesure pareille. La pratique de l’interdiction pour folie ne semble pas ralentir sa progression après la loi de 1884 et connaît même une intensification à la fin du dix-neuvième siècle à Montréal94. Une seconde innovation législative témoigne d’un affaiblissement plus concret de l’interdiction et du pouvoir des juges. L’interrogatoire permet théoriquement au pouvoir judiciaire de filtrer les demandes de mise sous curatelle. En 1900, l’interrogatoire des personnes internées est aboli pour être remplacé par un certificat du surintendant médical de l’asile «constatant l’état mental du défendeur95». F. Langelier, juriste, rend bien compte de la place nouvelle occupée simultanément par l’institution et la médecine asilaires dans la prise en charge des malades mentaux : «On a cru, avec raison, qu’un certificat constatant l’internement dans un asile d’aliénés devait dispenser d’un interrogatoire. En effet, l’internement dans un asile d’aliénés est précédé d’une enquête sur l’état mental de la personne à interner, et, comme chaque asile d’aliénés a un surintendant médical qui est un aliéniste d’expérience, son certificat, donné après qu’il a constaté l’état mental de l’aliéné, a beaucoup plus de valeur que tous les interrogatoires qu’on pourrait lui faire subir96.» L’opinion de Langelier n’est pas exempte de naïveté quant à la rigueur administrative et médicale entourant les admissions à l’asile. Vu l’état déplorable des asiles québécois à la fin du dix-neuvième siècle97, quelle attention peuvent porter quelques surintendants débordés au dossier des individus visés par une interdiction à la suite de leur internement? Par ailleurs, comme on l’a vu, les interrogatoires de personnes internées s’interrompent durant les années 1866 à 1878, avant que l’appareil judiciaire n’en revienne à une pratique plus rigoureuse98. Les interrogatoires de personnes internées avaient donc déjà été jugés inutiles bien avant la modification apportée en 1900. La jurisprudence témoigne aussi de la montée de l’asile dans le champ de la régulation de la déviance mentale. Deux affaires relatives à la capacité civile de personnes jugées folles, bien qu’assez techniques en apparence, reflètent assez bien ce phénomène. En 1874, dans la cause d’Estimauville vs Tousignant, litige concernant une personne non enfermée, il est clairement établi «que l’imbécile et celui qui est en démence jouissent de leurs droits, tant qu’ils ne sont pas interdits, et qu’ils peuvent valablement les invoquer en justice99». Toutefois, au début des années 1890, une femme enfermée dans un asile mais non interdite poursuit en reddition de comptes un exécuteur testamentaire.

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Pour le juge, le fait même de l’internement ne laisse pas de doute sur son état mental : «Ici le doute n’est plus possible. Le fait est public et notoire. La demanderesse n’est plus libre, elle est sous les soins de l’État, sous l’autorité de la loi.» Par conséquent, selon le magistrat, la dame ne peut pas vraiment procéder. Ce serait risqué, dit-il, au plan légal et patrimonial. Idéalement, un curateur devrait être nommé100. Ainsi, le fait d’avoir franchi les portes de l’asile affecte la capacité civile de l’individu à la fin du dix-neuvième siècle. Si l’interdiction ne joue pas de rôle formel dans l’internement des fous, le pouvoir judiciaire n’abandonne pas toute velléité de surveillance de l’institutionnalisation. Il est certainement possible à la fin du siècle d’interner un individu sans faire intervenir le pouvoir judiciaire; et l’immense majorité des sorties s’effectuent sans qu’un juge de la Cour supérieure ne soit impliqué. Mais à partir de 1884, une personne internée ou un membre de son entourage peut demander sa libération au tribunal : «Le tribunal, après enquête et audition, ordonne cet élargissement, s’il y a lieu, sans délai, et sa décision est finale et sans appel101.» Bien sûr, une fois les portes de l’asile refermées sur lui, l’individu aurait fort à faire pour réussir seul pareille démarche. Au surplus, à la fin des années 1870 et durant les années 1880 apparaissent des causes d’habeas corpus à l’occasion desquelles des individus demandent à la cour de vérifier la légalité de leur réclusion ou de celle d’une autre personne102. Cette pratique judiciaire, quoique assez marginale, signale un interventionnisme plus grand du droit dans le fonctionnement des asiles en fin de période. Du côté des ivrognes, les réactions sociétales contre l’alcool et l’ivresse se durcissent au fil du dix-neuvième siècle. Rappelons qu’au mouvement de tempérance qui prend son envol dans les années 1820– 1840, mouvement pétri de religion et valorisant la conversion individuelle du buveur, s’ajoute, à partir du milieu du siècle, une approche beaucoup plus législative et prohibitionniste, à laquelle le projet d’interner de force les ivrognes n’est certainement pas étranger103. Un changement de perception des ivrognes s’opère alors : ces épaves morales menacent le caractère sacré de l’espace domestique, tout en contredisant l’éthique de travail de la transition au capitalisme et la conception de l’individu citoyen, selon Mark Lender et James Martin104. Très faible dans les cas de folie, la coopération du droit et de l’institutionnalisation est beaucoup plus étroite dans le contrôle de l’ivrognerie à partir de la loi de 1870. Comme on l’a constaté précédemment, l’interdiction des ivrognes a la particularité de marier répression civile,

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par la mise sous curatelle du buveur, et enfermement. Cette combinaison est plutôt inhabituelle en droit civil québécois105. Elle fait de l’interdiction des ivrognes un redoutable outil de sanction de la déviance. Surtout, et c’est la différence majeure avec la prise en charge des malades mentaux, l’internement forcé des ivrognes dans des établissements spécialisés passe par l’interdiction civile. Dans la loi de 1870, l’internement des ivrognes interdits est régi par trois courts articles. Les articles 15 et 16 disent que le lieutenantgouverneur pourra octroyer des autorisations de «tenir un asile pour la guérison des ivrognes» et qu’il fixera les règles de ces établissements. C’est l’article 17 qui unit interdiction et internement forcé, en prévoyant que «le curateur d’un interdit en vertu de cet acte pourra placer l’interdit dont il est curateur dans un établissement dûment licencié pour la guérison des ivrognes, et le retirer quand il le jugera à propos106». Le pouvoir du curateur, en matière d’internement, est donc apparemment sans limites! En 1884, James W., interdit l’année précédente, conteste son internement comme ivrogne d’habitude à l’asile Saint-Jean-de-Dieu sur ordre verbal de son épouse, sa curatrice. Dans sa décision du 26 février 1884, le juge en chef de la Cour du banc de la Reine, le juge Dorion, constate que la loi de 1870 est «a pretty crude piece of legislation, lacking in several particulars of the means of protection which ought to be available to those who might be harshly or improperly dealt with107». Il estime que le pouvoir donné au curateur de placer l’interdit pour ivrognerie dans une institution «may seem to be a very extensive power conferred upon a curator and may be liable to abuse … We may regret that no control seems to have been provided for cases of abuse of such an authority108.» Malgré l’inconfort des magistrats, le pouvoir du curateur de faire interner l’ivrogne est confirmé à l’issue ce procès, en vertu des dispositions de la loi. La demande de James W. est rejetée109. Une nouvelle loi entrée en vigueur la même année, plus précisément le 10 juin 1884110, abroge l’article 17 de la loi de 1870 et, selon Sirois, «il est certain que, d’après toutes ces dispositions, le curateur n’a plus le droit d’interner l’ivrogne, sans y être autorisé par le juge111». Ce pouvoir exorbitant du curateur, qui est presque toujours un membre de l’entourage de l’incapable, a donc connu une existence assez brève. En fait, la loi de 1884 ne retranche pas de l’interdiction pour ivrognerie les possibilités d’enfermement, bien au contraire. Elle détaille plutôt les dispositions à cet effet et accorde un rôle important au juge.

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La nouvelle loi établit que «le jugement prononçant l’interdiction pourra aussi ordonner, si telle demande a été faite, l’ordre [sic] d’interner l’interdit dans un établissement destiné à recevoir les ivrognes d’habitude pour tel espace de temps qui sera jugé nécessaire». Si l’ordre d’internement n’est pas alors obtenu, il pourra l’être plus tard «sur requête présentée à l’un des juges de la Cour supérieure». L’ordre doit mentionner notamment le lieu et la durée de l’internement. De surcroît, «nulle personne ne pourra être gardée ou retenue, contre son gré, par le directeur de l’un de ces établissements, à moins qu’il n’y soit autorisé par un ordre de l’un des juges de la Cour supérieure». Un juge peut même, sur requête, suspendre ou annuler l’ordre d’internement112. La réclusion de l’ivrogne passe donc par le droit civil (l’interdiction) et le pouvoir de surveillance des juges, du moins au plan formel113. Précisons que l’ordre d’internement est sujet à appel, contrairement à la sentence d’interdiction : «Comme l’internement n’est pas une suite nécessaire de l’interdiction et qu’il porte atteinte à la liberté de l’interdit, le jugement qui l’ordonne n’est pas sans appel114.» Enfin, toutes ces dispositions consacrées à l’internement de l’alcoolique ne font nulle part mention de l’avis des médecins, à la différence des lois régissant les admissions à l’asile d’aliénés. L’institutionnalisation des ivrognes ne s’encombre pas de normes médicales115, ce qui accentue son caractère punitif. Même s’il faut tempérer les atteintes à la liberté du sujet, boire demeure une faute dont celui-ci porte la responsabilité. À l’instar de l’interdiction, la relégation de l’individu déviant, forme institutionnelle très spécifique de coping, ne représente que l’une des options des familles traversant une conjoncture difficile. La plupart des formes non institutionnelles de prise en charge de l’anormalité continuent à être pratiquées durant la seconde moitié du dixneuvième siècle (donc au moment même où l’asile prend de plus en plus de place), hormis peut-être les enfermements à domicile116. James Moran l’a bien montré : l’asile s’ajoute aux autres réponses apportées à la maladie mentale117. Quelles sont les institutions utilisées dans les cas de folie et d’ivrognerie? De quelle manière le degré d’institutionnalisation de ces deux catégories déviantes évolue-t-il? L’analyse des différentes destinations institutionnelles des interdits pour folie a été divisée en trois périodes, en fonction de l’année d’interdiction des individus : 1820–1845, 1845–1873 et 1874–1895. Ce partage chronologique tient compte des dates d’ouverture d’asiles

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importants au Bas-Canada/Québec. Le premier asile permanent la province, celui de Beauport, près de Québec, entre en service en 1845; ce sera longtemps la seule ressource asilaire pour la population québécoise118. L’asile Saint-Jean-de-Dieu est officiellement fondé en 1873119. Situé dans l’est de l’île de Montréal, il connaît par la suite une croissance importante120. L’examen des destinations institutionnelles comporte certaines embûches méthodologiques. Nous sommes tributaires de ce que les dossiers judiciaires mentionnent à ce sujet. Les requérants ont cependant intérêt à faire connaître l’internement, passé ou présent, de l’intimé, preuve indirecte de dérangement. En outre, bien que cette obligation ne soit pas remplie de 1866 à 1878121, l’appareil judiciaire doit interroger l’individu jugé aliéné, même s’il se trouve en milieu asilaire. Or, les comptes rendus des interrogatoires mentionnent invariablement l’endroit où ils ont eu lieu. Par conséquent, les dossiers judiciaires témoignent assez bien de l’éventuel internement, passé ou présent, des intimés, au moment des procès. Par ailleurs, un même individu peut avoir à son actif, lors de son interdiction, des séjours dans des institutions différentes ou plusieurs séjours au même endroit. Les trajectoires individuelles des interdits des périodes 1820–1850 et 1893–1895 ont au surplus fait l’objet de reconstitutions détaillées. Nous disposons par conséquent, pour certains individus, d’indications sur des séjours institutionnels postérieurs à l’interdiction. De toute façon, la mise sous curatelle, événement circonstanciel, peut intervenir rapidement ou non au cours de la «carrière» du malade. Les sources demeurent donc inégalement précises quant au parcours institutionnel des personnes dites aliénées. Mais tout compte fait, il s’agit de bien percevoir la diversité des solutions institutionnelles pratiquées et de comptabiliser les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, font l’objet d’une mise à l’écart. Les séjours institutionnels postérieurs à l’interdiction ont donc aussi été considérés. Les trajectoires présentant plus d’un séjour institutionnel sont d’ailleurs peu nombreuses (une vingtaine, environ). Les séjours successifs d’une même personne au même endroit ont été comptés comme une seule occurrence. C’est utiliser une même ressource, quoique de manière répétée. Les séjours effectués à différents endroits par la même personne ont été recensés comme des occurrences différentes. Pour certains motifs, l’envoi dans une autre institution a été jugé approprié. Le résultat obtenu en bout de ligne reflète, bien imparfaitement, les destinations institutionnelles des personnes interdites pour folie à

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Montréal au dix-neuvième siècle, panorama des options plus ou moins praticables qui se présentent aux familles désireuses de mettre à l’écart un de leurs membres et, dans une moindre mesure, des formes d’intervention des pouvoirs publics pour contrôler la déviance mentale (tableaux 9, 10 et 11). Pour la période la plus ancienne, soit 1820–1845, le taux d’institutionnalisation approximatif est très faible. Seuls 6 des 43 interdits pour folie de cette période, soit 14,0 %, séjournent en institution. Dans les périodes subséquentes, le taux d’institutionnalisation s’accroît de manière prononcée. En 1845–1873, il est de 35,4 % (29 interdits sur 82). Pour les années 1874 à 1895, il s’élève à 64,9 % (133 interdits sur 205)122. La progression de l’institutionnalisation des aliénés représente une tendance majeure de l’histoire de la prise en charge de la déviance au dix-neuvième siècle. Des asiles comme Saint-Jean-de-Dieu et le Protestant Hospital for the Insane, situés sur l’île de Montréal, vont recevoir un nombre de plus en plus important de personnes jugées folles par leur entourage et les pouvoirs publics. Et la quasitotalité des malades envoyés en dehors de la région montréalaise à la fin du siècle aboutissent dans un asile privé ou public (asiles de Beauport, de Toronto ou asiles américains). Toutefois, bien des malades ne subissent pas d’institutionnalisation, même en fin de période. La famille demeure dans bien des cas le lieu principal de la prise en charge de la déviance mentale. Elle doit de toute façon jouer ce rôle avant l’internement ou le placement de l’individu, ou lors de son éventuel retour au foyer. La situation générale était bien différente durant les premières décennies du dix-neuvième siècle. La région montréalaise connaissait alors une pénurie de lieux réservés à la détention des malades mentaux. En 1830, les sœurs Grises refusent d’admettre d’autres aliénés dans leurs loges de l’Hôpital général123. Hormis les envois possibles aux États-Unis ou dans d’autres institutions hospitalières de la province124, il ne reste plus que la prison pour recevoir les aliénés de Montréal125. Un autre lieu consacré aux fous ne sera disponible qu’en 1839 avec l’ouverture, dans une partie de la prison de Montréal, du Montreal Lunatic Asylum. Cet asile ne sera en opération que jusqu’en 1845. C’est l’année où l’asile de Beauport, près de Québec, reçoit ses premiers malades. La région montréalaise connaît alors une autre période d’absence d’institution destinée aux malades mentaux, jusqu’à ce que les sœurs de la Providence commencent à garder des aliénés en 1852, dans le secteur de la Longue-Pointe, dans l’est de l’île.

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Néanmoins, un contrat de garde des aliénés en bonne et due forme, liant cette communauté et l’État, n’est signé qu’en 1873. L’asile SaintJean-de-Dieu, suite de cette œuvre, connaîtra dans les années qui suivent un développement rapide. Signalons aussi l’ouverture en 1884 de l’asile Saint-Benoît-Joseph, petit asile privé recevant des aliénés et des alcooliques, et surtout l’inauguration en 1890 du Protestant Hospital for the Insane de Verdun, en banlieue de Montréal. Si l’asile s’impose de plus en plus, les solutions institutionnelles pratiquées conservent une certaine diversité tout au long de la période. Même à la fin du dix-neuvième siècle, l’asile n’est pas la seule destination des Montréalais jugés fous. Les communautés religieuses, les hôpitaux et les institutions charitables protestantes accueillent encore quelques malades. La prison est même l’endroit le plus souvent mentionné durant les deux premières périodes (1820–1845 et 1845– 1873). Comme lieu de relégation des aliénés dangereux, notamment, la prison joue alors un rôle assez important dans la prise en charge immédiate de la folie126. Dans bien des cas, ces individus sont ensuite transférés à Beauport. Levi L., charpentier interdit en 1846, a été enfermé à la prison commune en attendant son admission à Beauport. Il est dangereux et sa famille et ses amis ne peuvent prendre soin de lui. Autant le recours aux médecins que diverses autres manœuvres ont échoué à lui faire retrouver la raison. Par conséquent, Levi se retrouve en prison127. Plus tard dans le siècle, des aliénés transitent toujours par la prison avant d’aller à l’asile128. Certains ont fait l’objet d’une procédure d’arrestation comme aliéné dangereux129. Des aliénés montréalais aboutissent aussi dans des asiles américains, notamment durant la seconde période (1845–1873). C’est le fait des milieux anglophones, de gens qui doivent rechigner à envoyer leurs malades dans des institutions catholiques, avant l’ouverture du Protestant Hospital for the Insane. Le transfert de malades vers l’Ontario relève probablement du même phénomène. L’époux d’Isabella L. dit que «she was confined in an insane asylum in Toronto until the opening of the insane asylum in Verdun in the District of Montreal130». Mais l’internement dans un asile américain représente à n’en pas douter une option coûteuse et malaisée, ne serait-ce qu’en raison des difficultés de transport131. Le développement d’importantes institutions asilaires dans la région montréalaise va faciliter la tâche des familles qui désirent confier le soin et la garde d’un proche à une institution. Il y a bel et bien une demande pour des recours institutionnels.

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À la différence des cas de folie, l’interdiction pour ivrognerie instaurée en 1870 règle à la fois la mise sous curatelle de l’ivrogne et son internement. Une fois déchus judiciairement, les alcooliques montréalais ont à craindre un internement forcé dans un établissement reconnu apte à les recevoir. De ce fait, l’interdiction marque souvent le début de la phase institutionnelle de leur parcours. Cependant, les séjours institutionnels antérieurs à l’interdiction ont peut-être quelque chose à nous apprendre132. Parmi les 164 procédures d’interdiction pour ivrognerie étudiées ici, 27 montrent que l’intimé a déjà un ou des séjours institutionnels à son actif à l’époque de son interdiction133. Ce qui donne un taux d’institutionnalisation, lors de ce passage précis de leurs trajectoires individuelles, de 16,5 %. Dans la plupart des cas (18), il s’agit de séjours en prison. Un petit nombre de personnes ont déjà séjourné dans des asiles pour ivrognes comme Saint-Benoît-Joseph. Trois femmes sont passées par l’Hôtel-Dieu de Montréal134 et le couvent du Bon Pasteur135, ce qui traduit en partie la spécificité des solutions institutionnelles réservées à la déviance féminine. Les sœurs du Bon Pasteur dirigent, rue Sherbrooke, une école de réforme et une école d’industrie pour filles. Les passages par la prison suivent des condamnations pour ivresse sur la voie publique ou pour vagabondage. Owen M., charretier, «has been for a long time continuously drunk and reckless wandering about the city and having been several times committed to prison as a vagrant136». D’autres individus ont été reconnus coupables d’ivrognerie par la cour du Recorder, tribunal de police municipal, et emprisonnés137. Au moment où sa femme demande sa mise sous curatelle, James H. est sous les verrous. Machiniste, il a été condamné par la cour du Recorder pour ivresse sur la voie publique – à 10 $ d’amende et trois mois de prison138. Puisque les interdictions pour ivrognerie constituent le point de départ de l’institutionnalisation spécialisée des buveurs, il est primordial d’examiner les internements demandés par les requérants et les ordres donnés en ce sens. Dans la loi de 1870, l’ivrogne se trouve à la merci de son curateur qui peut le faire interner suivant son bon vouloir. Les dossiers judiciaires ne révèlent donc que très peu de choses sur le sort institutionnel des personnes interdites sous ce régime. Par contre, à partir de 1884, c’est l’autorité judiciaire qui décide l’internement. À partir de cette année-là, plusieurs requêtes comportent un ajout inédit, soit une demande formelle d’internement, à laquelle le juge accède ou non au moment de rendre sa décision.

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Ainsi, à partir de la mise en vigueur de la loi de 1884 (le 10 juin 1884) jusqu’en 1895 inclusivement, 46 demandes d’internement accompagnent des requêtes présentées contre des alcooliques. Durant la même période, 89 procédures d’interdiction pour ivrognerie, au total, sont entreprises à l’encontre de Montréalais. La proportion des demandes d’internement est de 51,7 % (46/89). La possibilité de forcer une personne intempérante à séjourner dans un établissement représente clairement un motif important de recours à l’interdiction des ivrognes à la fin du siècle, en conjonction, bien sûr, avec le souci d’assurer légalement la préservation des biens et revenus familiaux, raison essentielle de la pratique de la curatelle. Les magistrats peuvent rejeter la requête en interdiction comme telle et, ipso facto, la demande d’internement qui la complète. C’est le cas d’un seul des 46 dossiers où l’internement du buveur est aussi sollicité. Trente-six jugements comportent un ordre d’internement. Dans sept autres cas, l’interdiction n’est pas suivie de l’ordre d’internement réclamé. Enfin, possibilité intéressante, le juge suspend sa sentence à deux reprises, quitte à sévir plus tard. Charles F. profite d’un tel sursis, tant en ce qui a trait à la perte de sa capacité civile qu’à son envoi en institution, requis par sa propre mère. Il comparaît au conseil de famille et promet de se corriger. Mais un épicier le surprend ensuite en état d’ébriété. Le couperet tombe : Charles est interdit et le juge prescrit un séjour d’un an à l’asile Saint-Benoît-Joseph139. Les requêtes spécifient parfois le lieu et la durée de l’internement souhaité. Un journalier, époux de Margaret O., veut expédier celle-ci au Bon Pasteur pour deux ans «or for such period as this Honorable Court may deem necessary». L’ordre donné suit la suggestion de la requête140. Le plus souvent, néanmoins, les demandeurs s’en remettent à la décision des magistrats, tant pour l’endroit que pour la durée de la relégation. Le pouvoir des juges est donc assez considérable à ce chapitre. Parmi les 36 ordres d’enfermement, la durée de séjour la plus couramment spécifiée est de un an (18 ordres), suivie de six mois (9 ordres). La sentence stipule ailleurs des durées d’un mois et demi (un ordre), deux mois (un ordre), trois mois (trois ordres), quatre mois (un ordre) ou deux ans (trois ordres). Ces mêmes ordres livrent un aperçu intéressant des établissements destinés à recevoir des ivrognes d’habitude, à la fin du siècle (tableau 12). Ainsi, l’asile Saint-Benoît-Joseph, petit établissement privé dirigé par les frères de la Charité et ne recevant aucun patient public (c’est-à-dire une personne internée aux frais de l’État)141, constitue la principale

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destination des ivrognes interdits de Montréal. On y retrouve aussi quelques aliénés (tableau 11). Les données présentées par André Paradis indiquent que Saint-Benoît-Joseph est l’institution asilaire où la proportion de revenus provenant des particuliers est la plus élevée de la province, à l’époque de la Première Guerre mondiale142. Comme nous le verrons plus loin, les interdits envoyés à cet endroit sont issus de milieux petits-bourgeois ou des classes supérieures. En général, l’établissement d’institutions publiques pour ivrognes n’a pas obtenu le soutien de l’État au dix-neuvième siècle et au début du vingtième143. Ce qui n’a pas empêché l’apparition de nombreuses institutions privées destinées aux traitement volontaire des alcooliques, notamment aux États-Unis144. Il n’y a pas non plus création d’institutions subventionnées par l’État québécois pour se consacrer spécifiquement au traitement des alcooliques, à la différence des mesures prises «en faveur» des aliénés. Des institutions privées comme le Belmont Retreat et l’asile Saint-Benoît-Joseph reçoivent néanmoins des ivrognes145. Là où la province de Québec se démarque, c’est dans la législation civile permettant le traitement institutionnel forcé des alcooliques. Ailleurs, aux États-Unis et en Angleterre par exemple, il existe très peu de dispositions législatives permettant d’obliger l’ivrogne à un séjour institutionnel pour le corriger de son vice146. En Angleterre, à partir des dernières décennies du dix-neuvième siècle, certains groupes cherchent à faire accepter des projets de loi visant les ivrognes d’habitude, en vue d’autoriser, entre autres choses, leur internement malgré eux. Dans ce pays, une loi à caractère pénal passée en 1898 rend possible l’internement des ivrognes d’habitude dans quelques établissements publics147. Mariana Valverde indique que cette loi frappera surtout des mères accusées de négligence envers leurs enfants, des femmes soupçonnées de prostitution et des récidivistes en matière d’ivrognerie148. En Ontario, ce n’est apparemment qu’à partir de 1883 que l’internement forcé des alcooliques, dans des asiles privés, est autorisé149. Sur l’île de Montréal, le gros asile Saint-Jean-de-Dieu, principalement destiné à la garde des aliénés, reçoit aussi quelques ivrognes interdits. Un dossier d’interdiction mentionne que cet asile est reconnu comme établissement pour ivrognes d’habitude150. Vu la capacité limitée de Saint-Benoît-Joseph, Saint-Jean-de-Dieu aide certainement à répondre à la demande. Il est notoire que les asiles d’aliénés reçoivent bon nombre d’alcooliques à la fin du dix-neuvième siècle; ce sont même les principaux lieux d’internement des ivrognes jusqu’aux premières décennies du siècle suivant151, outre la prison, peut-on croire.

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Mais la majorité des alcooliques qui échouent à l’asile d’aliénés sont probablement des individus trop pauvres pour séjourner dans un asile privé pour ivrognes152. Dans le cas spécifique des interdits pour ivrognerie, les personnes dont on prévoit l’envoi à Saint-Jean-de-Dieu ont probablement les moyens de payer leur pension comme patients privés, ce qui est intéressant, au plan financier, pour la communauté religieuse propriétaire de l’endroit, les sœurs de la Providence. Les hommes qui se trouvent dans cette situation sont marchands, commerçants, avocats, commis, artistes photographes ou gentilshommes; les femmes affectées par un ordre semblable sont mariées à des individus de milieu socioprofessionnel équivalent. En donnant l’ordre d’internement, les juges nomment le curateur pour exécuter le jugement ou l’autorisent à exécuter celui-ci. Le libellé de la loi de 1884 porte à croire que ces formules différentes conduisent au même résultat, soit l’enfermement effectif de l’ivrogne. La loi dit que le jugement doit mentionner le nom des personnes qui «devront exécuter» l’ordre d’internement153. De toute manière, si les requérants sollicitent l’institutionnalisation, les curateurs nommés, qui font aussi partie de l’entourage du déviant, profitent certainement de l’autorisation légale octroyée pour le mettre à l’écart. Des trajectoires pour lesquelles j’ai plus de détails montrent que les ordres d’internement sont bel et bien mis à exécution154. Les individus visés par une injonction pareille ne s’y soumettent pas tous docilement. Dans un cas, le juge impose la réclusion d’un homme pour six mois à l’asile SaintBenoît-Joseph et charge «tous huissiers du dit District de Montréal à prendre, arrêter & conduire le dit François [A.] quand besoin sera & à première réquisition au dit Asile St Benoit Joseph155». Comme le prononcé d’une interdiction, l’internement, qu’il soit temporaire ou prolongé, constitue un événement majeur des trajectoires individuelles et familiales. Puisque les circonstances entourant l’institutionnalisation des malades mentaux ont fait l’objet de maints travaux, tout comme le rôle central des familles dans les internements156, je me limiterai ici à l’examen de deux problèmes. D’abord, quel rôle joue l’internement en tant que tel dans les trajectoires déviantes? Ensuite, comment se combinent l’influence et les normes des différentes parties impliquées (familles, médecins, aliénistes et parfois juges) dans la mise à l’écart physique des incapables157? L’examen de l’institutionnalisation des malades mentaux complétera ma réévaluation critique du pouvoir exercé par les médecins et les

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aliénistes sur la déviance mentale. Déjà, les travaux d’André Paradis ont démontré que les asiles québécois comme Beauport et Saint-Jeande-Dieu, trop rapidement assimilables à des bastions du pouvoir médical et aliéniste, ne sont pas des espaces médicalisés avant la toute fin du dix-neuvième siècle, ou plus précisément qu’ils commencent alors un processus de médicalisation. Jusqu’à cette époque, ces institutions se trouvent dans un état déplorable, notamment en raison de leur sousfinancement chronique158. Aussi, selon l’auteur, «les conditions médiocres de l’enfermement asilaire furent un puissant obstacle à la médicalisation de la folie159». Le traitement des troubles mentaux des internés est longtemps presque inexistant à Beauport comme à SaintJean-de-Dieu. C’est ce que montre, notamment, la commission d’enquête sur les asiles de 1887–1888160. Le sous-financement fait même encore sentir ses effets délétères sur les conditions générales et la médicalisation dans les deux grands asiles francophones au début du vingtième siècle161. L’asile de Verdun, inauguré en 1890, sera d’emblée une institution plus médicalisée, en raison notamment de l’autonomie importante accordée au surintendant médical de l’endroit, T.J.W. Burgess162. Ce qui appuie la thèse d’un retard du Québec francophone dans les soins aux aliénés, malgré ce que peuvent affirmer les détracteurs de cette idée163. La médicalisation de la folie est donc beaucoup moins effective qu’on ne l’a cru, tant à l’intérieur des asiles qu’en dehors, comme le montrent les interdictions et d’autres causes civiles. Mais la proximité de médecins et d’aliénistes avec les attentes et les décisions familiales, qu’ils cautionnent, donne un certain ancrage social aux normes médicales. C’est aussi le cas, à peu de choses près, en matière d’internement. James Moran a souligné que la pauvreté, les difficultés rencontrées par les caregivers (ceux à qui échoit la tâche de prendre soin de l’aliéné) et le caractère incontrôlable de certains comportements déterminent en bonne partie l’internement asilaire de patients publics au dixneuvième siècle164. Les dossiers d’interdiction ne permettent pas un relevé systématique des différents contextes d’institutionnalisation. Toutefois, ils tendent à montrer que l’internement de la personne folle dépend surtout de la capacité de la famille à composer avec le problème qui se présente à elle. Certaines conduites sont tout simplement trop perturbatrices; en d’autres cas, l’entourage ne dispose pas des ressources humaines et matérielles pour y faire face. La violence et la dangerosité représentent certainement des facteurs importants de l’enfermement des aliénés165. Norbert P., hôtelier, a été placé à

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Saint-Jean-de-Dieu, vu «son état de démence et d’aliénation mentale qui faisait craindre des actes dangereux de sa part166». D’autres états mentaux rendent la cohabitation et le contrôle impossibles. James G. «has for sometime past been wandering about the streets acting in an erratic manner and using expressions of a nonsensical and absurd nature and has imagined and declared himself to numerous persons as having been married to Her Majesty the Queen of England». On l’interroge à l’asile de Verdun; son dérangement est manifeste167. Son errance contribue aussi, sans nul doute, à le faire séquestrer. Quelles sont les ressources du groupe familial et la disponibilité des proches? L’épuisement guette. La dégradation de la situation précipite l’internement. La condition de Joseph L., commis, «s’est aggravé[e] à un tel point que les parents de ce dernier ont été obligés de l’interner à l’asile de St. Jean-de-Dieu168». L’entourage d’un graveur envoyé au Protestant Hospital for the Insane de Verdun «could in no wise control him or make him act reasonably169». Le rôle de l’asile est bien de suppléer aux insuffisances de la famille qui ne peut plus ou ne veut plus supporter, du moins pour un temps, le fardeau de la cohabitation avec une personne considérée folle. Quant aux différents groupes impliqués dans l’enfermement des aliénés, on peut affirmer avec David Wright que «the expansion of asylums in the nineteenth century was … driven by demand directly from families170». Nos dossiers judiciaires montrent que la décision d’interner implique surtout la famille et secondairement les médecins avec qui elle fait affaire habituellement. Comme l’interdiction, l’internement est précédé de négociations et de discussions. Si des médecins et certains membres du réseau de sociabilité prodiguent des conseils à cet égard, la volonté de l’entourage immédiat prime. Joseph S., bijoutier, est admis au McLean Asylum for the Insane (Massachusetts) en avril 1854. La requête en interdiction de son épouse porte que «Joseph S. has been so removed & placed under restraint with the consent of relatives & friends & upon the advice of medical men». Deux médecins ont recommandé son envoi dans un asile d’aliénés171. S’agitil surtout de faire ressortir la légitimité et la nécessité de l’internement de Joseph? La responsabilité des proches dans ces démarches est parfois plus tangible. L’épouse de Robert M. l’a placé au Belmont Retreat, sur les conseils et instructions de deux médecins. Elle fait ensuite les démarches nécessaires pour le loger à l’asile de Beauport172. Ce sont des considérations pratiques autant que médicales qui poussent William E. Scott, médecin de Montréal, à recommander

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l’internement de la veuve d’un manufacturier. Médecin de cette famille depuis 14 ans, il a préconisé cette solution «partly because she was at times unmanageable and partly because … she would be more successfully treated in such an institution». Il va par la suite la rencontrer au McLean Asylum, au Massachusetts, ce qui traduit une familiarité importante avec cette famille. La veuve est plus tranquille, toutefois son état mental n’a pas connu d’amélioration. Le surintendant de l’endroit l’informe qu’il a été fréquemment obligé d’utiliser une camisole de force et de la nourrir à l’aide d’une pompe stomacale, puisqu’elle refusait obstinément de manger. Ses filles, requérantes en interdiction, soutiennent que ce séjour asilaire n’a pas eu d’effet sur elle et que son aliénation mentale est maintenant permanente. Vu l’état dans lequel il l’a trouvée, le magistrat chargé de l’interrogatoire n’a pas jugé bon de lui faire quelque question que ce soit173. Pareils cas sont évocateurs. S’il y a médicalisation de la folie au dixneuvième siècle, ce n’est pas par la production de discours «spécialisés» qui ont finalement assez peu d’influence sur les décisions importantes prises au cours des carrières de déviance. Sous l’angle des rapports bruts de pouvoir, il n’y a certainement pas d’appropriation médicale de l’aliénation mentale, même à la fin du siècle. En matière d’internement, comme pour les interdictions et certains procès civils, les médecins se font surtout conseillers des familles, du fait des liens déjà noués avec elles. Ils peuvent influencer quelques familles qui ne favorisent pas nécessairement, au départ, une solution drastique174. Mais la décision de faire interner demeure celle de l’entourage; le rôle de la profession médicale reste plutôt secondaire. Par ailleurs, les avis donnés par les médecins ont un ancrage plus social que scientifique, puisqu’ils ne servent pas essentiellement à diagnostiquer et à soigner – chose que les médecins sont à peu près incapables de faire, dans le second cas, même en asile. Leurs avis concernent d’abord et avant tout une question pratique : que faire de l’individu embarrassant? C’est là un problème marqué souvent par une criante nécessité, vu les obstacles posés au bon fonctionnement des familles dans bien des cas. Des trajectoires individuelles détaillées éclairent les différentes dynamiques d’institutionnalisation et contribuent à parfaire cette critique de la thèse de la médicalisation de la folie. Exceptionnelles par leur détail et leur caractère fortement litigieux, ces histoires n’en sont pas moins très révélatrices.

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Les comportements furieux de François P., maître ferblantier déjà rencontré (au chapitre premier), paraissent vraiment outranciers. Son épouse Mathilde explique qu’il «tombe dans des accès de fureur durant lesquels il se précipite pour se jeter par les fenêtres … [il] brise quand il n’en est pas empêché tous les meubles qui se trouvent autour de lui … enfin il a frappé & tenté de frappé [sic] très souvent les personnes qui l’entouraient, même a lancé à la tête de ces personnes des lampes & autres objets propres à les blesser & même les tuer; que le dit François [P.] est d’une grande force & que dans ses moments de fureur trois ou quatre hommes ont de la peine à le maîtriser & ne réussissent quelquefois à l’attacher qu’après une longue lutte.» Il est impossible d’en prendre soin à domicile; l’homme séjourne à plusieurs reprises en milieu asilaire. En 1877, alors qu’il est détenu à Saint-Jean-de-Dieu, François P. fait appel à des avocats pour être libéré. La requête d’habeas corpus présentée à cet effet aux autorités judiciaires, probablement l’une des premières tentatives de ce genre dans le district de Montréal175, porte la signature de Gonzalve Doutre. Ce n’est pas le premier juriste venu176. La démarche est couronnée de succès et l’homme obtient un ordre de libération de l’asile. Le juge affirme simplement que son internement à l’asile est illégal, sans plus. La libération de François P. est ordonnée malgré l’avis absolument contraire du Dr H. Howard, médecin attaché à l’asile Saint-Jean-de-Dieu et ancien surintendant de l’asile étatique de Saint-Jean d’Iberville177. Howard explique que François P. est sous ses soins depuis 12 mois. Il brosse un portrait assez inquiétant de l’individu : «He is an epileptic, subject of periodical attacks of mania, that when he gets these attacks he suffers from delirium, and his tendency, for the time being, is homicidal and I further declare that there is no maniac so dangerous to others as is an epileptic maniac.» La supérieure de l’asile, sœur Thérèse de Jésus, témoigne aussi dans l’affaire. Elle soutient que l’homme a encore des crises furieuses. Mais s’il sort de l’asile, François P. ne goûte pas très longtemps à la liberté. Dès son retour en ville, il aurait à nouveau des attaques de fureur. Une procédure d’arrestation comme dangerous lunatic est intentée contre lui, le même jour, probablement, que l’ordre de libération de l’asile. C’est son beau-frère Léon D. qui fait une déclaration à cet effet devant le magistrat de police. Il certifie, suivant les termes de la loi de 1851 (qui permet l’arrestation des aliénés jugés dangereux), que «François [P.] est fou furieux et tellement dérangé dans son esprit, qu’il met en danger sa propre personne et ses propriétés ou les

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personnes ou propriétés des autres s’il est laissé libre». Il requiert qu’il «soit appréhendé et traité suivant le statut en pareil cas». François est immédiatement mis en prison en vertu d’un mandat conjoint d’un juge de la Cour supérieure et du magistrat de police de Montréal178. Il est réexpédié à l’asile. Si son précédent séjour à Saint-Jean-de-Dieu a pu être contesté, son arrestation comme aliéné dangereux permet vraisemblablement de régulariser son internement. Une procédure d’interdiction lui est d’ailleurs signifiée alors qu’il attend son transfert vers l’asile. Son épouse, demanderesse, obtiendra la charge de curatrice, après qu’il aura contesté en vain cette nouvelle mesure prise contre lui179. Nous avons aussi déjà rencontré John C. et sa famille (à la toute fin du chapitre 2). Les manœuvres de coping de son entourage avaient alors retenu l’attention. Tous les témoignages des proches concordent : vivre auprès de cet individu paranoïaque, grossier, violent et dangereux est intolérable. Les tensions vont jusqu’à défaire cette famille : exaspérés et épuisés, ses enfants et son épouse finissent par quitter le domicile familial. John C. est simultanément interdit et enfermé à Saint-Jean-de-Dieu (comme fou dangereux, sur ordre du juge de paix) le 11 septembre 1895. Les négociations et discussions relatives à son internement montrent que son envoi à l’asile, quoique entièrement justifié selon les membres de son entourage, constitue une mesure de dernier recours. Le geste est par ailleurs ressenti comme honteux180. Son fils de 27 ans ne pense pas que la famille serait en sécurité advenant la sortie d’asile du patriarche, opinion partagée par d’autres enfants. Voici une partie du témoignage de ce fils : Q. I understand that it is with the greatest reluctance that the family have taken the step they have? R. Yes, indeed. Q. It was the last resort? R. Yes, the last resort.

Le gendre de John C., chez qui des enfants de ce dernier se sont réfugiés, affirme avoir recommandé depuis longtemps son placement en institution. Selon lui, la famille a été obligée de l’envoyer à l’asile pour des questions de sécurité et parce qu’il n’y avait pas d’autre solution. Mais si les membres de la famille étaient unanimes à ce sujet, «more than that they all feel the disgrace that it brings upon the family too».

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Par la suite, John C. conteste devant les tribunaux son interdiction et son internement. Beaux cas d’interactions entre normes de natures différentes, ces procès mettent en présence trois groupes de contrôle des conduites déviantes, soit la famille, la médecine (et sa branche aliéniste) et le pouvoir judiciaire. Des aliénistes déposent contre le malade et légitiment son internement. E.J. Bourque soutient qu’il est atteint d’un «délire de persécution», car les plaintes de C. contre sa famille ne sont pas véridiques. Requis de définir cette affection, Bourque répond que «d’abord il a eu des craintes d’empoisonnement … Il s’imaginait qu’on en voulait à sa vie. À plusieurs reprises, il a même réagi par des actes de violence, ce qui arrive quelquefois chez les persécutés.» Néanmoins, il croit une guérison possible si l’on tient C. à l’écart de son milieu, donc à l’asile. Mais, fait symptomatique de l’influence qu’exercent habituellement les familles en matière d’internement, le médecin n’aura pas d’objection si la famille de l’interné veut le récupérer. Reste que, de son point de vue, John C. est aliéné et dangereux et que son internement est approprié181. Le dossier contient aussi les dépositions de deux médecins non aliénistes. Ils croient comme la famille à l’aliénation de John C. et à la nécessité de l’enfermer182. Le médecin personnel de l’individu, W.H. Hingston, témoigne lors du procès. Il a signé deux affidavits devant le magistrat de police, contribuant à l’internement forcé. Son diagnostic diffère cependant de celui du Dr Bourque : «Simple mania or melancholy arising from the long continued use of strong liquor.» Parlant de la femme du malade, qu’il a conseillée en cette affaire, il soutient : «I never knew a woman stand so much without complaining as she did; there is not one woman in ten thousand that would have done it.» Le caractère «ultime» du recours à l’asile ne fait pas de doute. Toutefois, un médecin professeur à l’Université Laval dont l’avis est évoqué dans le jugement183 a visité John C. à l’asile. Il ne conclut pas au dérangement mental. Il contredit l’opinion du Dr Hingston, professionnel qui a certainement suivi John C. de plus près. Une fois à l’asile, le malade a peut-être modifié son comportement en vue de retrouver la liberté. Les internés peuvent aussi tenter de convoquer des «experts» prêts à défendre leur point de vue en cour. Ainsi, autant la famille, les aliénistes que la plupart des médecins non spécialistes impliqués jugent l’internement opportun. Mais ces différents intervenants ne sont pas toujours les seuls acteurs des institutionnalisations! John C., chef de famille bien nanti, réussit à soumettre son cas à l’attention des tribunaux, à la différence de l’écrasante

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majorité des personnes envoyées à l’asile. Ici, un pouvoir judiciaire animé de valeurs patriarcales mettra en échec la volonté d’exclusion de l’entourage du déviant, de même que l’«expertise» aliéniste ayant légitimé sa réclusion. Le juge en charge de l’affaire conclut à l’illégalité de l’internement de John C. et ordonne sa remise en liberté le 30 décembre 1895, peu après que son interdiction ait été annulée. Le magistrat écarte du revers de la main les avis des aliénistes; il relève plutôt que les hommes de science se sont contredits et que leurs propos ont embrouillé les choses, «tant il est vrai que la science du moins dans son état actuel & avec ses idées préconçues & par conséquent quelques fois [sic] arbitraires est souvent impuissante à présenter une solution indiscutable». Il aborde ensuite la question du délire de persécution, fondement de l’internement litigieux et de la position adoptée par la plupart des médecins et aliénistes. Pour le juge, «il est évident que depuis dix ans … le caractère de [C.] a été aigri, & qu’il a de plus en plus & constamment vécu en mauvais accord avec sa famille, que la paix ne régnait plus dans ce ménage.» C’est la faute des enfants et de l’épouse de John C. si ses comportements se sont déréglés. Les enfants n’ont pas respecté les règles strictes édictées par l’autorité paternelle, dit-il, notamment en ce qui concerne les repas. Ce père ne trouvait pas son déjeuner préparé comme il pouvait s’y attendre «& il a été obligé de le préparer lui-même»; ses enfants, de mèche avec leur mère, rentraient tard, au-delà de l’heure fixée par John C.184. Au fond, «toute la famille a semblé s’être contentée … d’un seul objet, secouer le joug de l’autorité paternelle qui lui pesait». Ces désobéissances auraient troublé C. et causé ses comportements violents185. Ainsi le juge déplace-t-il l’origine du problème : les attitudes des membres de la famille, souvent adoptées en réaction aux troubles engendrés par l’individu, deviennent la cause des tensions domestiques! Le renversement est complet. Impossible d’affirmer, alors, que les sentiments de John C. relèvent du «délire». Au bout du compte, le magistrat déclare que ce dernier n’est ni un aliéné ni un fou dangereux et que la séparation de corps aurait été plus appropriée, «au lieu de se débarrasser du père en envoyant à l’asile des aliénés un homme qui ne l’est pas». Les difficultés endurées avec patience par l’entourage, la volonté quasi unanime de mettre à l’écart un personnage insupportable et les opinions des médecins et aliénistes subissent ici une défaite face aux exigences très strictes du patriarcat et de la discipline familiale victorienne186.

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Les libérations fracassantes de l’asile sont probablement très peu courantes. Les valeurs sociales et morales de la fin du dix-neuvième siècle agissent surtout en sens inverse, c’est-à-dire en justifiant la réclusion d’individus indésirables. En témoignent l’enfermement et l’interdiction en juillet 1889 de Marie B., jeune femme considérée nymphomane. Son histoire illustre à nouveau les contributions respectives de la famille, des médecins, des aliénistes et des juges aux processus d’exclusion institutionnelle. Le beau-père de Marie est brièvement interrogé en cour à propos de l’irresponsabilité de celle-ci et de la nécessité de sa réclusion. Il raconte notamment qu’au moment où il l’a lui-même amenée à SaintJean-de-Dieu, il y a peu de temps, «she said that she had been in my house and was glad she had been there as she could say a prostitute had been in my house». La prudence est de mise avec ces paroles rapportées. Mais l’homme affirme que le chef de police (que Marie, apparemment, allait voir de manière répétée) et la mère de la jeune femme lui auraient demandé de la faire interner. Il déclare : «It was a very delicate thing for me to do; but it was a matter of duty.» La mère de Marie a en outre demandé son interdiction. L’indisposition de ce milieu bourgeois ressort de manière plus évidente à la lecture des autres dépositions. La jeune femme, mariée en août 1883 et maintenant séparée de son mari (depuis 1886 environ), se voit reprocher son inconduite sexuelle. Or, la conclusion d’une bonne alliance matrimoniale revêt une importance cruciale pour la reproduction sociale de la bourgeoisie, tant du point de vue matériel que symbolique. Nouvelle unité au statut économique «respectable», le jeune couple est aussi dépositaire du maintien de l’honorabilité des familles impliquées, une manifestation et une extension de leur prestige. La faute d’un parent ou d’un allié entache la réputation des autres membres du réseau familial. Du moins ces derniers le vivent-ils ainsi. Le dossier d’interdiction de Marie renferme les témoignages détaillés de deux médecins et d’un aliéniste. Le discours médical et psychiatrique est imprégné de considérations morales à la fin du dix-neuvième siècle, ce qui le rapproche des normes sociales de l’élite et diminue d’autant sa «spécialisation»; le climat de répression sexuelle y est aussi manifeste. Particularités biologiques des femmes et troubles mentaux y sont en relation étroite187. Marie est d’ailleurs accusée de pratiquer la masturbation, autre cause ou symptôme de maladie mentale. Le Dr Brodeur, médecin de Montréal, a eu la jeune femme sous ses soins. Elle l’a consulté, dit-il, pour des «affections de la matrice et de

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l’utérus.» D’après lui, «l’affection de la matrice est propre à produire, surtout sur un sujet déjà prédisposé, la [n]ymphomanie188». Marie est nymphomane : On voyait que c’était une femme certainement portée à la satisfaction de ses sens génisiques [sic] … Elle prenait toutes espèces de poses. Si vous la suiviez dans ses discours elle cherchait à entretenir des discours obscènes afin de vous amener à cette pratique de la satisfaction des sens. Personnellement, je ne puis pas dire que j’ai jamais été témoin de masturbation chez elle; mais il est un fait incontestable que le matin quand je l’observais … je trouvais une malade excessivement faible, excessivement pâle, les yeux excavés … et mon Dieu! Sans pouvoir donner une description de la figure de ces femmes portées à la lubricité, elle en avait l’aspect … Il y avait dans les poses qu’elle prenait quand j’arrivais, il y avait dans l’habillement dont elle se revêtait quelque chose de nature à attirer mon attention. Ainsi elle se revêtait de ses plus belles toilettes, diamants, et le reste, et le reste. Elle était toujours entourée des parfums les plus excitants. Eh bien, ensuite, c’était une femme qui aimait… comment dirais-je… Elle se plaignait fréquemment de maladie de poitrine, de tousser … Alors je l’ai auscultée à différentes époques, et je n’ai jamais découvert quoique ce soit [sic] … elle aimait que je l’ausculte; outre cela, des discours, des paroles, et outre cela, si on l’eut écoutée, des excitations à l’action. Parfois il y avait une impulsion chez elle qui la portait presque à vous prendre dans ses bras … pour vous manifester son amour.

Le Dr Brodeur possède une «maison de santé» où Marie a été hébergée. Il a demandé (incommodé par le comportement de la jeune femme?) à la mère de celle-ci de l’en retirer et de la séquestrer, notamment pour l’empêcher de lire des romans «tout ce qu’il y a plus obscènes, tout ce qu’il y a de plus propre à exciter ces émotions qu’elle aimait … [et] son organisation génitale». On enjoint au Dr Brodeur de dire si la nymphomanie est une aliénation mentale ou une passion. Il n’en est pas sûr, tout en penchant pour l’hypothèse du désordre mental. Mais de son point de vue, Marie ne peut «se conduire ellemême», notamment en raison de sa prodigalité. Elle aurait même voulu se «détruire», se suicider. Le Dr Duncan C. McCallum connaît quant à lui l’intimée depuis l’enfance189. Il l’a eue comme patiente et l’a visitée alors qu’elle séjournait à l’hôpital Notre-Dame. Ce médecin a recommandé à la mère de Marie de l’envoyer dans une institution spécialisée dans le traitement des maladies nerveuses, aux États-Unis; il a même signé un

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certificat médical joint à la demande d’internement à Saint-Jean-deDieu. Le rôle des médecins en tant que conseillers, en vue de l’internement, est ici bien visible. Pour McCallum, Marie n’est pas responsable de ses actes vu sa nymphomanie et sa monomanie. L’avis d’internement donné à la famille mêle avis professionnel, amitié et souci de l’honneur familial : «I gave this advice for the benefit of the lady herself, as I believed she had lost control of herself, and was liable to get into circumstances of the most unpleasant kind and that would have been very injurious to herself and a disgrace to her family; and as an old friend and adviser of the family, I gave this advice – to place her in such a position as she would … be protected against herself.» L’ancrage situationnel et familial de cet avis médical est patent. Il n’est pas question ici de traiter Marie mais bien de disposer de sa personne. Pour le médecin comme pour ses proches, elle est d’abord et avant tout un objet de scandale. Toujours selon McCallum, Marie souffre de monomanie, car elle a complètement perdu le contrôle de ses émotions et d’elle-même. Même si comme monomaniaque, elle peut discourir rationnellement sur d’autres objets que celui de son délire… A. Prieur, médecin aliéniste de Saint-Jean-de-Dieu, se voit également appelé à la barre des témoins. Qu’a-t-il observé concernant l’état mental de la jeune femme maintenant internée? Prieur débute par une ronflante affirmation de son expertise : «Dès la première entrevue que j’ai eue avec Madame … je me suis aperçu tout d’abord, sans rien connaître de ses antécédents, qu’elle souffrait mentalement parlant … Elle était dans un état d’excitation considérable; elle était même faible, elle avait les yeux hagards.» Bref, elle ressemblait à une personne qui aurait été conduite à l’asile contre son gré. Prieur a relevé par la suite des symptômes de nymphomanie : «Lorsqu’elle ne voit pas d’hommes, elle est beaucoup plus tranquille … Les différentes poses qu’elle a prises … ses regards; son désir de plaire … elle a même été … jusqu’à trouver adorable un horrible Chinois que nous avons à la maison [c’est-à-dire à l’asile]; d’après elle, elle le trouvait de son goût, cet homme-là.» Pour Prieur, à n’en pas douter, elle souffre de nymphomanie ou de «délire spécial», forme d’aliénation mentale et «loi pathologique des désirs vénériens». Elle «ne peut pas résister à l’impulsion qui la pousse à la satisfaction de ses désirs». Elle a répondu de manière lucide à l’interrogatoire du protonotaire, mais l’aliéniste ne l’en croit pas moins «irresponsable de ses actes».

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Quel est le rôle du système judiciaire dans cette affaire? Le juge De Lorimier intervient de temps à autre durant l’audition des témoignages. Ses préoccupations sont assez claires : l’opportunité d’interdire et d’interner Marie est pour lui liée au maintien de l’ordre social. La plupart des questions qu’il adresse aux médecins et à l’aliéniste portent sur le danger qu’il y aurait à laisser l’intimée en liberté et sur la nécessité de lui retirer sa capacité civile. Au Dr Brodeur, il demande s’il serait dangereux de la laisser libre, en ville. Le médecin répond qu’elle a produit «les scandales les plus désagréables» après avoir quitté sa maison de santé. À la même question, le Dr McCallum répond : «No, of course it would not be prudent, as far as morality is concerned.» L’aliéniste Prieur déclare quant à lui : «Non, il ne faut pas la laisser en liberté … J’ai connaissance qu’elle s’est exposée beaucoup à l’égard de certaines personnes qui auraient pu abuser d’elle.» Le magistrat revient à la charge avec le même témoin : «Si elle est laissée libre, elle pourrait troubler l’ordre public?» La réponse ne surprendra pas : «Oui, elle pourrait certainement troubler l’ordre public, je crois même qu’elle l’a déjà fait.» Son mari pourraitil réussir à la contrôler? Le médecin de Saint-Jean-de-Dieu ne le croit pas. En somme, la première ligne de défense contre la déviance, la cellule familiale, ne pouvant se porter garante du maintien des bonnes mœurs, l’institutionnalisation est jugée nécessaire. Ce que menace cette sexualité apparemment débridée, c’est la santé du tissu social fondée sur la stabilité des ménages, la réserve féminine et l’exclusivité conjugale des relations sexuelles. Le discours médical et aliéniste, une prétendue expertise, vient conforter une décision de préservation de l’ordre social, cautionner les préoccupations de la famille et de l’autorité judiciaire, véritables actrices de l’affaire. L’internement de Marie à Saint-Jean-de-Dieu, notons-le, a été précédé par des séjours dans diverses institutions. Elle est passée par la «maison de santé» du Dr Brodeur, a résidé à l’hôpital Notre-Dame, à l’Hôtel-Dieu et même chez certaines dames, probablement des tenancières de pension privée. L’asile, dernier recours, entre en scène à une étape avancée de la carrière de déviance de cette jeune bourgeoise. Hôpitaux et pensions privées ne sont vraisemblablement pas adaptés au contrôle d’un cas aussi spécial que le sien. L’inclassable, le résiduel de la déviance finit par aboutir à l’asile, fourre-tout des inconvenances sociales et des problèmes qui épuisent la famille.

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Marie ne séjournera pas longtemps à Saint-Jean-de-Dieu, puisqu’elle est autorisée à quitter l’asile à la fin du mois de septembre 1889, deux mois après son internement. Elle obtient mainlevée de son interdiction en mars 1891, malgré l’opposition de la famille de son mari. Toutefois, ce dernier obtient par la suite un jugement de séparation de corps contre elle, car elle entretient une liaison avec un autre homme, au grand scandale de sa belle-famille. Son amant confesse devant la cour avoir eu des relations sexuelles avec elle. La jeune femme perd par conséquent ses avantages matrimoniaux et son mari obtient la garde de leurs deux enfants190. Qu’ont en commun les histoires de François P., de John C. et de Marie B.? Elles rendent compte de l’insertion particulière de l’asile dans des trajectoires déviantes de la fin du dix-neuvième siècle. L’institutionnalisation intervient au moment où la famille se trouve incapable, souvent après avoir essayé de multiples solutions, de contenir les désordres. L’asile supplée à cette carence et les aliénistes légitiment la mise à l’écart191. Comme le droit, qui contribue par les règles relatives à l’interdiction à «re-positionner», à remettre partiellement en selle la famille affectée par la déviance, l’asile agit de manière supplétive et non «totale». L’asile n’est pas tout (l’influence des familles sur l’institutionnalisation le montre très bien) et il ne peut pas tout (vu, entre autres choses, l’absence d’une véritable thérapeutique de la folie). Néanmoins, enfermer l’individu gênant, événement très concret, soulage certainement les familles d’une partie du fardeau de l’anormalité. Du point de vue de l’interné, il y a imposition d’un pouvoir radical d’exclusion. Sa maladie, pour reprendre les termes d’Eliot Freidson, est «illégitime». La maladie illégitime «n’est pas une déviance acceptable, même si on pense que c’est une maladie». Les conséquences sont lourdes, «le déviant étant exempté de certaines obligations normales du fait de la déviance dont il n’est pas tenu pour techniquement responsable, mais n’obtenant que très peu de privilèges, ou pas du tout, et devant assumer certaines obligations nouvelles particulièrement handicapantes192». La possibilité d’un séjour forcé en milieu asilaire est l’une de ces conséquences. Du reste, on ne sait trop si la volonté des familles de prendre soin de leurs malades mentaux reste la même au dix-neuvième siècle193. Edgar-André Montigny n’a pas décelé de déclin de la volonté de prise en charge familiale des personnes âgées au cours de ce siècle en Ontario194. Nous savons par ailleurs que l’asile ne remplace pas les formes non institutionnelles de réponse à la maladie mentale et que

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l’institution ne se substitue pas à la famille195. Les formes de coping observées au chapitre premier persistent tout au long du siècle, hormis peut-être l’enfermement à domicile, même si l’asile finit par devenir une voie assez habituelle de règlement de la folie. Mais les contraintes de la vie urbaine et la montée de l’idéologie domestique196 (du moins dans les milieux petits-bourgeois et chez les classes possédantes), en conjonction avec la proximité d’institutions asilaires, peuvent conduire à faire interner plus rapidement un proche tenu pour aliéné. Pour le commun des internements, la pauvreté de la famille est un facteur majeur de recours à l’asile197. Cette pauvreté, à Montréal, est substantielle. Si la population d’interdits n’est pas parfaitement représentative de la structure socioprofessionnelle montréalaise, l’interdiction touche tous les milieux (chapitre 2). D’ailleurs, les gens de classe moyenne ou petite-bourgeoise expérimentent aussi, à leur manière, cette «vie fragile» de la transition au capitalisme industriel. Que le chef de famille sombre dans la folie et devienne inapte au travail, la pauvreté et les embarras guettent, rendant du coup plus malaisée la prise en charge à domicile. En ce qui concerne les ivrognes d’habitude, les motifs d’internement comprennent à la fois la santé de l’individu (on veut que des soins lui soient prodigués) et la volonté d’exclure, un temps du moins, une personne devenue insupportable. Mais la partie répressive des ordres d’internement paraît dominante. Gustave D. boit beaucoup trop, «au point que si ledit Gust. [D.] n’est pas interné dans un lieu ou institution où il pourra recevoir tous les soins que requiert sa position actuelle, il mourra sous peu des suites de son ivrognerie». Ces raisons «médicales» ne sont pas les seules. La requête signale que Gustave est devenu «une cause de trouble & de disgrâce pour sa famille, ses amis & la société». Ses avocats consentent à ce qu’il soit «interné» (c’est le terme employé) à l’hôpital Notre-Dame pour trois mois. Le juge se rallie à cette proposition, tout en augmentant la durée du séjour à six mois198. L’interdiction pour ivrognerie vise habituellement des cas «lourds» et chroniques de surconsommation d’alcool. La remarque vaut aussi pour l’enfermement de certains buveurs. La violence et la dangerosité semblent jouer un rôle non négligeable en cette matière. Dans une requête assez courte, l’épouse de William H., homme sans profession (probablement un rentier), explique que celui-ci est fort violent et dangereux, «that he uses the most insulting language to your petitioner and

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the servants» et qu’il la maltraite199. Amédée C., restaurateur, «met sa famille dans le trouble, par ses mauvais traitements, brise les vitres, chasse ses clients», selon sa femme. La santé économique du ménage doit s’en ressentir200. La mise sous curatelle règle tant bien que mal cette question de la gérance et de la préservation des biens. Si des comportements brutaux accélèrent le recours à l’internement, une saine gestion financière est plus facile en l’absence du fauteur de troubles. Comme dans l’enfermement des malades mentaux, le seuil de l’internement est franchi lorsque la famille ne peut plus affronter ou contenir par elle-même la déviance et ce qui l’accompagne. Ou lorsque les difficultés de la cohabitation dépassent en importance les inconvénients de la séquestration. Du fait de l’intrication de l’interdiction et de l’internement des ivrognes, des trajectoires individuelles laissent entrevoir les interactions entre les membres de l’entourage (d’où proviennent requérants et curateurs), le système judiciaire (qui supervise l’interdiction et l’internement forcé) et les institutions accueillant les alcooliques. La loi de 1884 permet d’obtenir ultérieurement un ordre d’internement si celuici n’a pas été sollicité lors de l’interdiction. Cela permet à une famille de répondre, autant que faire se peut, au problème d’alcoolisme chronique d’un de ses membres. John M., entrepreneur, est interdit en février 1894 à la demande de son père. D’après ce dernier, la situation dure depuis des années. Lors de la mise sous curatelle, l’internement n’est pas sollicité, puisque selon toute apparence, John M. séjourne déjà à l’asile Saint-Benoît-Joseph. Son père est nommé curateur. Mais en avril 1899, il obtient un ordre d’internement contre John, pour un séjour d’un an dans une institution de Québec. Plus de cinq ans se sont écoulés depuis l’interdiction. John a continué «from time to time to make an excessive use of liquor». Le fautif consent à ce nouveau séjour institutionnel. Cette retraite ne doit pas être très profitable, car un peu plus d’un an après, son père obtient un nouvel ordre de réclusion, à l’asile SaintBenoît-Joseph. À nouveau, John se trouve déjà à cet endroit lors des procédures : l’ordre obtenu permet de prolonger de manière coercitive sa réclusion, tout en comportant une possibilité intéressante, soit que l’internement pour un an à cet endroit puisse avoir lieu «without interruption, or by intervals, at the discretion of the said curator and of the judge, without any new formality of family council». Si John obtient finalement mainlevée de son interdiction en février 1903, c’est pour être encore une fois mis sous curatelle en octobre 1909. Son père/curateur

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est décédé entre-temps; c’est maintenant sa mère qui sollicite le retrait de capacité civile. John meurt deux mois plus tard, laissant seuls une épouse et trois enfants âgés de 8, 10 et 16 ans environ201. Les enfants n’ont probablement connu qu’un père alcoolique, interdit et interné périodiquement. Cette histoire témoigne d’une réalité de la dynamique institutionnelle : les allers-retours entre la vie en société et les périodes asilaires. Elle rend compte, au surplus, de l’efficace propre de l’institutionnalisation des ivrognes. L’internement ne fait qu’éloigner pour un temps l’individu problématique, tout en diminuant la tension affectant les relations familiales202. La solution n’est que partielle et temporaire. En outre, l’interdiction et l’internement du chef de famille posent des difficultés similaires à celles rencontrées par les femmes qui veulent faire sanctionner leur époux pour violence conjugale : la condamnation et l’emprisonnement de ce dernier engendrent des problèmes financiers et pratiques fort délicats203. C’est ce que vit l’épouse de William A., épicier interdit en 1890, qui doit aussi composer avec une règle particulière : l’interdiction pour ivrognerie ne s’annule pas aussi facilement qu’une interdiction pour folie. Y mettre fin est même plus ardu qu’interrompre la détention du buveur. William A. perd ses droits civils à la demande de son frère. Celui-ci soutient que William est un ivrogne d’habitude depuis trois ans; son prospère commerce d’épicerie en aurait été ruiné. L’intimé consent à l’interdiction et à son internement. Son épouse Catherine est nommée curatrice et un ordre d’internement prévoit son séjour pour un an au Belmont Retreat. Mais William profite rapidement d’un ordre de libération demandé par sa femme et obtenu à la mi-août 1890, soit moins de deux mois et demi après l’interdiction. Son épouse croit qu’il est maintenant sobre, même si sa santé est très mauvaise. Au mois de septembre suivant, Catherine, en qualité de curatrice, présente à la Cour supérieure une requête en mainlevée d’interdiction. Elle affirme que William, à présent libre, n’aurait jamais dû être interdit. L’incapacité juridique et l’éloignement du chef de famille ont sûrement engendré des perturbations graves dans l’économie familiale ou accéléré la déconfiture financière du ménage : «It is urgent in the interest of the family of the said William [A.] that his interdiction be removed in order to enable him to resume his commercial pursuits which will be for ever ruined if this interdiction is not removed at once». La réponse du juge est aussi courte que légaliste : vu la date d’interdiction et la règle spécifiant que le retrait d’une interdiction

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pour ivrognerie ne peut être accordé qu’après un an de sobriété204, il rejette la demande de mainlevée. Celle-ci ne sera accordée qu’en juin 1891, presque un an après l’interdiction originale. La requérante est toujours l’épouse/curatrice, qui allègue que durant l’année réglementaire William «has been habitually sober and it is now in the interest of Petitioner and her said husband and their family that he be relieved from such interdiction … and enabled to resume business and earn a living for his family». Il y a urgence. On ne connaît rien de la suite des choses, hormis le fait que William est de nouveau interdit en 1902205. Autre symptôme de l’importance des rôles familiaux dans les parcours de déviance, lorsque ni femme ni enfants ne dépendent des prestations économiques de l’alcoolique, la mise à l’écart des intempérants s’exerce plus librement. Prêtre de 28 ans, François F. a déjà transité par l’asile Saint-Benoît-Joseph, volontairement, en 1889. «[Il] y est resté à peu près sept mois, et il en est sorti sans être guéri.» Le jeune ecclésiastique y entre à nouveau pour un an, en soumettant luimême une demande à un juge de la Cour supérieure le 1er décembre 1890206. Lorsque son père entame des procédures d’interdiction, le 4 décembre 1891 (date de la requête), François se trouve à l’asile mais voudrait en sortir. Durant son séjour, «il a eu plusieurs accès de dipsomanie, et, en dépit de la surveillance la plus stricte, il a réussi à se procurer des liqueurs enivrantes … Dominé par sa maladie, et sachant que le temps fixé pour sa détention est expiré, il veut sortir de cet asile.» En présentant sa requête en interdiction, son père demande qu’on l’oblige à demeurer à Saint-Benoît-Joseph une année de plus. L’ordre donné prévoit une longue réclusion de deux ans207. Ainsi, le pouvoir de l’entourage sur l’interdit pour ivrognerie ne diminue pas tellement avec la loi de 1884, même si l’internement est désormais sujet à la surveillance du juge. Les proches ont la possibilité de présenter une requête pour faire interner, comme on le sait; ils peuvent même réclamer la suspension de l’ordre d’internement, sur «requête sommaire accompagnée d’une preuve satisfaisante que l’individu peut dans son intérêt et celui de sa famille être remis en liberté208». John K. profite d’une telle sortie précoce. Interdit en décembre 1894, il lui est enjoint de loger une année à l’asile SaintBenoît-Joseph. Dans la demande en mainlevée qu’il soumet un an plus tard, John explique qu’il a effectivement séjourné à l’asile susdit, mais (c’est ce qui nous intéresse ici) que son curateur l’a fait sortir avant que l’année de réclusion prévue soit écoulée. Le document indique en effet que «in conformity with the said order your Petitioner was then

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and there confined in the said asylum under the care of the said Brothers of Charity, and remained there until the month of June last past (1895) when his curator found that it was unnecessary to keep him in said establishment although the order given by the Honorable Justice Pagnuelo was for one year from the beginning of the said confinement; That ever since the said month of june the said Petitioner has been free from any restraint and has not touched a drop of liquor209.» La médicalisation et l’institutionnalisation de la déviance sont deux phénomènes apparemment centraux de la régulation sociale au dixneuvième siècle. Pourtant, dans les procès d’interdiction, la présence des médecins et des aliénistes est fort inégale au fil du siècle. Surtout, leur «spécialisation» en matière de folie est assez faible en regard des normes des acteurs familiaux et des techniques d’interrogatoire des officiers de justice. Reste la faculté, plus évidente chez les aliénistes, d’étiqueter en termes savants le mal dont souffre l’individu. Pour Robert Castel, c’est justement parce que les aliénistes français de la première moitié du dix-neuvième siècle n’instituent pas une véritable distance par rapport aux conceptions ordinaires de la folie qu’ils peuvent remplir la mission qui leur a été dévolue : maintenir l’ordre social210. D’une certaine manière, c’est aussi le cas au Québec à la fin du siècle. Peu nombreux et longtemps dépourvus d’une position dominante même au sein des asiles, les «experts» en maladies mentales ne se risquent pas vraiment à aller à l’encontre des volontés et des normes familiales en ce qui concerne les personnes jugées folles. Les interdictions d’alcooliques, quant à elles, ne font entrer en scène qu’une très faible présence médicale. L’internement n’exige même pas de certification médicale, à la différence de l’admission en asile des malades mentaux. Le dix-neuvième siècle se refuse à considérer comme une maladie ce désordre, ce défaut de la volonté et de la morale individuelle qui sont au fondement de l’ordre libéral. Si la force d’une norme relève «de la légitimité qui naît du sentiment de son adéquation à la réalisation du projet collectif 211», l’interprétation médicale et somatique de l’alcoolisme ne peut certainement pas s’imposer au dix-neuvième siècle. Mariana Valverde a bien montré que l’interprétation médicale de l’alcoolisme ne triomphera pas non plus au siècle suivant212. D’autres procès civils impliquant des interdits ou des personnes dont l’état mental est mis en doute (comme les causes testamentaires) prouvent que les juges n’abandonnent nullement leur pouvoir au

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profit des aliénistes. L’expertise de ces derniers n’est pas vraiment reconnue. Conseillers auprès des familles ou spécialistes sollicités en cour, médecins et aliénistes ne font la plupart du temps que cautionner et légitimer des processus (l’interdiction et l’internement) mis en branle par l’entourage et contrôlés de temps à autre par le pouvoir judiciaire. Par conséquent, du point de vue des rapports de pouvoir, la médicalisation de l’aliénation mentale au dix-neuvième siècle n’est pas vraiment effective, si ce phénomène correspond à l’acquisition par les médecins et les aliénistes d’une autonomie et d’une prépondérance substantielles dans le règlement des situations de maladie mentale. La présence et l’action médicales dépendent en fait de deux autres pôles normatifs beaucoup plus efficients, la famille (les médecins entretiennent déjà des liens de confiance avec elle) et l’institution (ils donnent des conseils et apportent leur caution aussi en matière d’enfermement). Certaines méthodes auxquelles ont eu recours d’autres chercheurs pour conclure à la médicalisation des troubles mentaux au dixneuvième siècle méritent donc d’être remises en question : repérage de discours médicaux, étude de la mise en place d’enseignements spécialisés, récit de luttes administratives et institutionnelles. Il importe de considérer la façon dont on a concrètement réglé le sort des personnes présumées folles. Sur ce plan, si les médecins et les aliénistes exercent une certaine influence, si la folie est quelque peu médicalisée, c’est essentiellement en vertu des rapports habituels des représentants du corps médical avec les familles, d’une proximité de vue avec les normes de leurs «clients» (notamment en matière de moralité) et de leurs interventions dans des situations souvent difficiles qui ne nécessitent pas de discours scientifiques élaborés, mais plutôt des réponses immédiates et pragmatiques : interdire ou enfermer. S’il y a une faible médicalisation de la folie au dix-neuvième siècle, c’est paradoxalement en raison de l’affinité des normes des médecins/aliénistes avec les attentes et besoins des familles montréalaises, et non en raison de leur spécialisation ou expertise, choses qui impliquent au contraire l’éloignement d’un corps professionnel par rapport au pouvoir et aux conceptions des autres groupes sociaux. L’institutionnalisation de la déviance connaît beaucoup plus de succès que sa médicalisation. Les règles et la pratique du droit civil en matière de désordres mentaux subissent même quelques ajustements traduisant l’influence grandissante de la solution asilaire. La suppression de l’interrogatoire des personnes enfermées à l’asile, en 1900, en

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constitue un bon exemple. Du fait de son usage spécifique, de son aptitude à garantir la gestion des biens de la personne inapte, et ce, à l’intérieur du cercle familial, l’interdiction continue à prospérer à la fin du dix-neuvième siècle. Mais l’asile Saint-Jean-de-Dieu et le Protestant Hospital for the Insane de Verdun reçoivent au même moment un nombre grandissant de Montréalais. La prison et d’autres institutions charitables continuent également à jouer un rôle, certes mineur, dans la prise en charge, temporaire ou non, de la déviance mentale. L’asile connaît de plus en plus de succès puisqu’il offre une solution radicale de mise à l’écart aux familles qui ne peuvent, surtout en milieu très urbanisé, s’occuper facilement d’une personne perturbée ou violente. Les différentes trajectoires étudiées ici corroborent un acquis important des études d’histoire asilaire : l’internement intervient la plupart du temps lorsque la famille, première ligne de réponse à la déviance et à l’incapacité, n’est plus capable de faire face à la situation. Que le seuil asilaire soit habituellement franchi à ce moment seulement des trajectoires déviantes confirme à quel point la famille demeure la principale actrice de la gestion sociétale de la maladie mentale, même à la fin du dix-neuvième siècle. Raison de plus pour ne pas admettre sans précautions l’impression de médicalisation de la folie qui se dégagerait de cette époque. La popularité de l’institutionnalisation se fait aussi sentir dans la répression de l’alcoolisme. À la différence des cas de folie, l’institutionnalisation des alcooliques passe par leur interdiction civile. L’internement des ivrognes est d’ailleurs soumis assez rapidement au contrôle des juges, après avoir relevé un temps (de 1870 à 1884) du bon vouloir des curateurs. Droit civil et système judiciaire en arrivent donc à contrôler un secteur non négligeable de la répression institutionnalisée de l’abus d’alcool. Mais l’entourage conserve une prérogative centrale à ce chapitre, puisque ce sont les proches qui demandent l’internement dans leur requête et qu’ils jouissent d’une certaine latitude pour obtenir la libération de l’intempérant. L’exclusion des ivrognes d’habitude a une forte connotation répressive : il s’agit d’enlever du chemin, pour un temps, une personne responsable de son vice. Cela dit, l’internement des alcooliques dans des lieux spécialisés ne touche qu’un nombre assez restreint de personnes des classes moyennes ou aisées, en l’absence d’institutions publiques pour intempérants. Les ivrognes des classes laborieuses finissent plutôt en prison213 ou à l’asile d’aliénés. Pour autant, cela fait-il de la curatelle et de la réclusion des ivrognes un épiphénomène historique? Pas si le chercheur s’éloigne un temps

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des sirènes du positivisme quantitatif pour interroger le sens des multiples situations vécues. Ces interdictions et internements sont des événements très graves du point de vue des familles. Et le sort réservé aux ivrognes interdits est le résultat d’une rencontre particulière entre la morale de la responsabilité individuelle du dix-neuvième siècle, le pouvoir familial face à la déviance et l’institutionnalisation comme mode de règlement des contingences et des problèmes sociaux.

Conclusion Les interactions de la déviance et la transition vers le capitalisme

L’expérience sociale et la régulation des cas de folie, de prodigalité et d’ivrognerie à Montréal au dix-neuvième siècle s’interprètent comme des constructions particulières, des agencements négociés et dynamiques de normes et de pouvoirs. Les trajectoires déviantes sont constituées de rencontres et de rapports de force mettant en présence différents acteurs : l’individu jugé incapable, son entourage, l’appareil judiciaire, les médecins et certaines institutions d’assistance et d’enfermement. Que montrent, en somme, les interactions qui sont à l’œuvre dans les trajectoires des fous, des prodigues et des ivrognes montréalais? Les tensions entre un individu jugé gênant et son entourage se trouvent la plupart du temps à la source des carrières déviantes. Troubles mentaux, dépenses inconsidérées et surconsommation d’alcool ont un impact parfois très sévère sur le fonctionnement des familles montréalaises. Ce fardeau de la déviance a été négligé par les thèses du contrôle social. Principales victimes des désordres de toutes sortes, les familles doivent réagir pour préserver des biens et des revenus et, dans certains cas, un honneur et un rang menacés. Si les manœuvres de coping sont très diverses, leur exécution dépend de certains éléments identifiables : sévérité des troubles, statut familial du fautif, ressources humaines et financières disponibles. Les familles peuvent opter pour la présentation d’une requête en interdiction. Cet acte judiciaire possède un important substrat familial et communautaire. Le statut du déviant, à nouveau, de même que certaines opérations financières et patrimoniales exercent une influence considérable sur la pratique, très sensible aux circonstances, du droit

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des majeurs incapables. L’étiquetage formel des fous, des prodigues et des ivrognes ne procède donc pas seulement de conduites perturbatrices. L’interdiction, fortement imprégnée des volontés et des besoins familiaux, subit aussi quelques manipulations de la part des Montréalais, en fonction des nécessités et conflits qui pèsent sur leur existence. La réponse de l’appareil judiciaire n’est pas étrangère à l’ancrage social et familial des recours entrepris, loin s’en faut. Dépositaires, en principe, des normes formelles définissant les comportements susceptibles de sanction civile, magistrats et officiers de justice s’en tiennent la plupart du temps à accorder les interdictions demandées. Interdictions qui, il faut le dire, concernent souvent des situations d’inaptitude assez prononcée. Hormis leur contribution à la production d’«aveux» de folie lors des interrogatoires de malades mentaux, les représentants de l’appareil judiciaire n’interviennent concrètement que dans un contexte très spécifique, lorsqu’un conflit familial ouvert et irrésolu se transporte dans l’arène judiciaire. Ils concourent alors, dans certains cas, à l’exclusion de personnes dont l’anormalité est équivoque, certes, mais qui se trouvent en plus, et surtout, en rupture de ban avec leur famille et son réseau de sociabilité. Certaines normes strictes, vouées à la préservation du patrimoine et à la moralité des conduites, risquent d’être explicitement activées à cette occasion. Médecins et aliénistes, pour leur part, n’influencent que faiblement les trajectoires des malades mentaux, principal sous-groupe de déviants rencontré ici. Les juges ne s’inclinent pas devant une «expertise» qui, au fond, ne diffère pas vraiment du regard et des critères des acteurs ordinaires des affaires de folie. Médecins et aliénistes, pour l’essentiel, cautionnent des processus d’exclusion qui ne dépendent pas vraiment d’eux. L’institutionnalisation, cette nouvelle réponse aux problèmes sociaux de tout acabit, a certainement beaucoup plus de poids comme phénomène régulateur. Solution radicale et immédiatement effective, le recours à l’asile empiète même légèrement sur l’espace judiciaire civil de règlement de la déviance à la fin du dix-neuvième siècle. La disparition de l’interrogatoire des personnes dites aliénées qui sont déjà internées, en 1900, est symptomatique. Malgré ces quelques ajustements, le droit civil n’est pas du tout déclassé par la montée de l’asile. L’interdiction continue à offrir une solution stable, tant au plan familial que patrimonial, au problème de la prise en charge des individus considérés inaptes. Le droit civil s’arroge même le contrôle de l’internement des ivrognes d’habitude, par l’entremise des lois de 1870 et 1884.

Conclusion

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quelques tendances fondamentales des trajectoires déviantes Ainsi peut-on résumer, en quelques traits, les rencontres entre les divers acteurs normatifs du parcours des fous, des prodigues et des ivrognes montréalais. Ces rencontres ne sont évidemment pas isolées. Proches, appareil judiciaire, médecins et institutions d’enfermement se succèdent ou se côtoient dans les trajectoires déviantes. Plusieurs individus traversent plus d’une fois les mêmes interfaces : une mainlevée d’interdiction est parfois suivie d’un nouveau retrait de la capacité civile, il y a des allers-retours entre le foyer et les asiles. De plus, certaines données fondamentales traversent et relient entre elles toutes ces interactions en partie spécifiques. Les itinéraires des interdits montréalais témoignent du rôle essentiel des familles et sont nettement marqués par la conjoncture familiale. L’entourage forme la première ligne de réponse à la déviance. Tout en étant les principales victimes de certaines conduites perturbatrices, les proches détiennent un pouvoir considérable d’étiquetage et de sanction des manquements à l’ordre familial. Responsables ad hoc du soin et du contrôle des individus, parents et alliés se chargent de recourir à des appareils formels de régulation comme le droit et les institutions d’enfermement. Nancy Christie a récemment insisté, dans le même sens, sur le rôle des familles dans la définition de l’appartenance et de l’exclusion dans le passé, les présentant du coup comme des lieux importants de régulation des conduites et des identités1. La cohésion même de l’entourage s’avère déterminante. L’intimé ne peut pas grand chose contre des proches unis contre lui, même s’il trouve les mots pour réagir et exposer sa version des choses. Une insertion familiale et sociale incomplète ou ratée risque fort de favoriser son exclusion civile, peu importe sa lucidité, lucidité dont les sources transmettent parfois quelque lueur. D’ailleurs, l’appareil judiciaire n’intervient de manière active dans la régulation des affaires familiales que lorsque l’alliance de la famille contre le déviant n’arrive pas à réduire celui-ci au silence ou lorsque l’entourage se dispute au sujet de l’interdiction, la plupart du temps pour des raisons financières. Le recours à l’asile dépend également de l’état des familles et de la conjoncture domestique. L’asile est sollicité quand la prise en charge du problème à domicile paraît trop lourde, quand l’ivrogne ne se corrige pas ou qu’une attitude scandaleuse n’est plus endiguée par l’influence des proches et leurs réactions informelles. En ce sens, l’activité

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d’institutions comme la justice et l’asile, toutes deux reconnues et appuyées plus ou moins directement par l’État bas-canadien et québécois (qui leur confie des missions spécifiques de régulation et de maintien de l’ordre), se nourrit de l’insuffisance des familles face aux difficultés qui les affectent. Le caractère subsidiaire de l’intervention de ces institutions souligne à nouveau le rôle immense et en partie caché du cercle familial dans la régulation de la déviance. Au fond, ce qu’on reproche aux Montréalais déviants, c’est de refuser ou d’être incapables de faire ce que leurs proches attendent d’eux. Voilà presque définie, en une phrase, la déviance à Montréal au dixneuvième siècle, du point de vue des familles de la ville. C’est le cas du chef de famille qui boit et ne fait rien. C’est également la situation, en quelque sorte, de la vieille tante célibataire placée à l’hospice et déficiente depuis son enfance : elle n’est pas non plus normalement «à sa place». Élise B., veuve d’un patriote, refuse de se soumettre au rôle qui lui est dévolu par les rapports de genre et les relations de pouvoir particulières qui structurent sa situation. Certains fils prodigues n’exécutent pas la tâche, chargée de très lourdes attentes, d’héritier d’une lignée riche et «honorable». Le statut et le rôle familial du déviant s’imposent de fait comme des données cruciales à toutes les étapes des itinéraires des interdits. Ce ne sont pas seulement des attributs personnels. Le statut/rôle, bien que nécessairement relatif à un individu en vertu de plusieurs facteurs (sexe, cadre sociojuridique, appartenance à une génération donnée, etc.), n’existe que par son inscription dans un écheveau de rapports humains et patrimoniaux. Le fait déviant, au-delà d’incapacités parfois lourdes à supporter et de l’arbitraire des normes, recouvre des conjonctures particulières et des perturbations de rôles sociaux et familiaux précis. L’impact de la déviance dépend d’abord de l’identité du «coupable» selon les tâches qui sont les siennes ou qui devraient l’être. Certaines personnes, déjà écartées des prestations et échanges familiaux courants, ne requièrent de l’attention qu’au moment de régler une succession. Le défi est tout autre si l’épouse chargée de nombreux enfants n’est plus en état de conduire la maisonnée ou si un mari pourvoyeur sombre dans l’alcoolisme. Les difficultés et l’intensité du coping sont elles aussi reliées au statut/rôle du déviant. Les manœuvres compensatoires des Montréalais dépendent beaucoup de la position de celui-ci sur l’échiquier familial. Les femmes aux prises avec l’incapacité

Conclusion

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prolongée d’un époux se retrouvent parfois devant un problème quasi insoluble. Le statut/rôle des intimés pèse encore lourdement sur les recours en justice. Le panorama sociologique (âges, sexes, états civils) de la population d’interdits est à ce titre éloquent. C’est également ce statut/rôle que le droit transfère ou redistribue en quelque sorte à d’autres personnes au moyen de l’interdiction et de la nomination de curateurs. Enfin, le statut prend du relief en cas de conflit, lorsque, par exemple, l’interdiction sert d’arme patrimoniale. Rappelons-nous la condition peu enviable de certains vieillards, pourvoyeurs prochains d’héritages ardemment désirés… Les gestes posés et les rapports de force observés prennent tout leur sens en regard des fonctions qui les sous-tendent. Les familles montréalaises tiennent à assurer leur bon fonctionnement au quotidien, à éviter bien sûr la misère, à préserver biens et revenus, à prévoir une transmission des biens sans surprises et un établissement convenable de leurs enfants. Ce sont là quelques manifestations de la fonction de reproduction sociale des familles. Ce concept ne renvoie pas à la reproduction du même, pas plus qu’il ne doit évoquer l’idée d’une reproduction parfaite, achevée. Il faut se méfier d’un emploi trop entier des concepts. Par exemple, recourir au concept de régulation sociale n’implique certainement pas que la société est parfaitement régulée ou que les interactions observées conduisent nécessairement à quelque chose d’abouti. Il est plutôt question ici d’une dynamique, de la recherche de résultats à la fois désirés et forcément incertains : les familles aspirent à préserver leurs conditions de vie et, au mieux, à connaître une promotion sociale par l’entremise, entre autres, de l’établissement avantageux des garçons et des filles. Les réactions des proches contre la déviance, que ce soit par des manœuvres non institutionnelles, l’interdiction ou l’enfermement asilaire, renvoient toutes plus ou moins directement à la recherche d’un bon déroulement de ce processus fondamental. Quand il est concrètement mis en œuvre par le prononcé d’interdictions et la nomination de curateurs, le droit laisse espérer un rétablissement partiel ou la stabilisation de la famille par le ré-agencement des rôles et statuts familiaux. D’autres branches du droit des personnes et des biens contribuent à ces réorganisations. Cette fonction du droit civil s’arrime bien aux besoins et désirs des familles montréalaises. Mais à l’instar des manœuvres de l’entourage, l’exercice de cette fonction juridique est imparfait. L’interdiction n’offre pas une solution

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intégrale aux tensions et aux déséquilibres vécus. La mise sous curatelle d’un mari n’enraye pas nécessairement une lente descente dans l’enfer de l’indigence urbaine. Les interventions médicales et aliénistes, quant à elles, représentent une forme tout à fait particulière de participation au règlement des affaires de déviance, fort différente des contributions respectives des familles et du droit civil. Elles n’ont qu’une faible influence directe. Certains médecins et aliénistes jouent néanmoins un rôle de conseiller auprès des familles en vue de l’interdiction ou de l’internement d’un proche. En fait, le travail d’appoint des médecins et des aliénistes, et plus largement le développement du regard et des discours médicaux sur la folie, sont portés d’une part par les liens existant déjà entre les familles et le corps médical, et d’autre part par la croissance d’un nouvel outil de régulation beaucoup plus puissant : l’institution asilaire. Mais l’enfermement, geste très spécifique et dont la logique n’est pas seulement médicale (loin s’en faut), ne peut assurer à lui seul l’imposition des normes médicales sur la folie dans le reste de la société. Les asiles comme Saint-Jean-de-Dieu et d’autres lieux assurent la prise en charge immédiate, sur une plus ou moins longue période, d’individus gênants. Dépourvus d’efficacité thérapeutique, les asiles québécois de la fin du dix-neuvième siècle possèdent toutefois un pouvoir brut. Ils soulagent la famille, au moins temporairement, du fardeau et des conflits qui accompagnent la cohabitation avec une personne incapable.

les interdits montréalais et le dix-neuvième siècle Chaque interaction observée entretient un rapport particulier avec le siècle de la transition vers le capitalisme industriel. Les relations entre les personnes embarrassantes et leurs familles changent très peu, que ce soit du point de vue de l’impact de la déviance ou des réactions de l’entourage. Cette persistance s’explique par le maintien, tout au long d’une période de forts bouleversements économiques, de la forte imbrication des relations familiales avec les biens et les revenus. Cela tient à l’importance de ces derniers pour la survie, le bien-être, le maintien du rang occupé dans la société, la conclusion d’un bon mariage et l’honneur des personnes. Cet enchaînement du familial et du matériel est une donnée centrale de l’expérience de la déviance au dix-neuvième siècle. Si les historiens font souvent de ce siècle

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l’époque par excellence du changement, on y trouve aussi des persistances qui entretiennent des rapports dialectiques avec une nouvelle logique de régulation marquée par le capitalisme. La pratique de l’interdiction témoigne aussi de cette dynamique et de sa pérennité. Les circonstances des recours en justice, les quelques manipulations auxquelles se livre de temps à autre l’entourage, la façon dont répondent l’appareil judiciaire et le droit aux sollicitations et aux conflits familiaux ne se transforment pas de manière substantielle2. L’interdiction équivaut, globalement, à une réponse au risque et à l’incertitude qui pèsent sur le dix-neuvième siècle en son entier. Malgré les disparités socio-économiques de la société montréalaise, ce risque concerne un peu tous les citadins. Les interdits proviennent d’ailleurs de toutes les classes sociales. Évidemment, l’extension de l’interdiction aux ivrognes d’habitude, à partir de 1870, est un événement marquant de l’histoire du droit civil et du contrôle de la consommation d’alcool au Québec. Toutefois, les caractéristiques essentielles de la pratique du droit des majeurs incapables ne s’en trouvent pas bouleversées. La curatelle des ivrognes demeure sous influence familiale et le droit sert aussi, en ce cas, à rééquilibrer partiellement des relations familiales affectées par des conduites jugées perturbatrices. Il s’agit toujours de maintenir la forte intégration entre les biens et la famille. Surtout, cette extension de l’interdiction, redevable au climat anti-alcoolique répressif de la seconde moitié du siècle, prouve à nouveau une chose : ce mécanisme mi-familial, mi-juridique et déjà ancien de régulation des problèmes familiaux ne tombe pas en désuétude. Il s’est bien intégré aux tensions propres à la transition vers le capitalisme industriel. L’interdiction cède pourtant un peu de place à un nouvel instrument de prise en charge de l’anormalité et des problèmes sociaux : l’asile. L’installation durable de l’asile dans le paysage institutionnel québécois lui permet de rogner quelque peu sur le champ couvert par l’interdiction. Toutefois, l’interdiction/curatelle continue à être pratiquée et connaît même une légère croissance à la fin du siècle. Elle présente toujours l’avantage d’organiser de manière stable, et entre les mains des familles, la gestion de la personne et des biens des incapables. Le mouvement d’institutionnalisation ne remplace pas, en général, les autres modes de gestion de la déviance; les asiles ne se substituent pas aux familles. Le rôle de celles-ci demeure fondamental, même à la fin du siècle. L’asile introduit en revanche un ensemble de

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possibilités inédites. La croissance phénoménale de Saint-Jean-de-Dieu, l’envoi de plusieurs dizaines d’ivrognes à l’asile Saint-Benoît-Joseph, de même que les interactions nouvelles entre familles et institutions, sont là pour le rappeler. Il n’en demeure pas moins que, replacée dans le contexte du dixneuvième siècle, l’interdiction paraît quelque peu paradoxale. Le maintien de cette pratique, le caractère quasi totalitaire des règles consacrées aux ivrognes d’habitude, l’exclusion sociale et juridique de personnes dont l’incapacité n’est pas aussi patente que leur entourage voudrait le laisser croire, l’interdiction en fin de période de fils prodigues oisifs… Toutes ces données semblent contredire l’une des tendances fondamentales du dix-neuvième siècle : la valorisation progressive de la subjectivité économique et juridique, du moins celle des hommes adultes et propriétaires. L’individualisme de la fin du vingtième siècle, avec ses composantes affectives, hédonistes et misant sur la réalisation de soi (cela dit sans jugement de valeur aucun), a été précédé par une forme spécifique au dix-neuvième siècle, légale et économique celle-là. Cette importance nouvelle et spécifique du sujet (un des piliers du libéralisme) s’est manifestée par exemple dans la place centrale dévolue aux relations contractuelles en droit civil, à l’occasion du processus de codification qui aboutira au Code civil du Bas-Canada de 18663. La liberté testamentaire avait auparavant été instaurée dans la province, en 1774 et 1801, entraînant la disparition de sauvegardes traditionnelles du patrimoine en faveur de la famille4. Le dix-neuvième siècle expérimente aussi le développement progressif de la démocratie bourgeoise et d’un espace politique public, au centre desquels figure aussi le sujet, ou du moins une certaine participation des communautés à la chose publique5. Or, l’interdiction prospère, et simultanément se développent des formes dures de contrôle de la déviance, comme l’enfermement6. Comment résoudre ces antinomies? Certaines parties du droit familial bas-canadien ne sortent pas indemnes des tensions auxquelles la transition vers le capitalisme soumet la société en vue d’accélérer la circulation des biens. Le douaire coutumier (créance automatique et protégée, en faveur de la veuve, sur les biens immeubles du mari décédé) se voit fragilisé de multiples façons par l’ordonnance d’enregistrement de 1841, qui vise notamment à rendre publics les droits, titres et hypothèques qui grèvent les immeubles. Le douaire coutumier disparaît de fait dans le Code civil du Bas-Canada de 1866. Le retrait lignager (droit de rachat de certains biens immobiliers

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par des membres de la famille, auprès d’un acquéreur éventuel) est aboli en 18557. L’interdiction, elle, ne contrevient pas vraiment aux exigences du commerce et de l’intensification des échanges, auxquelles répondent notamment l’abolition du régime seigneurial en 1854, l’unification du régime juridique des terres de la province et le développement de la jurisprudence. Le pouvoir de la famille d’assurer la préservation de son patrimoine et de ses revenus, sources de bien-être et d’honorabilité, ne saurait être remis en question, surtout quand la menace rime avec maladie, excentricité ou vice. Avec l’interdiction, il s’agit d’arrêter des personnes prétendument inaptes ou moralement défectueuses, justement incapables d’accéder, selon leurs proches, au rôle fondamental de contractant, de sujet libre de vendre et d’acquérir, moralement responsable de ses gains et de ses échecs, que met au premier plan le capitalisme. Le cas de l’ivrognerie est particulièrement éloquent. Décevant la valorisation de la subjectivité, insensible à la persuasion morale dans un siècle qui mise énormément sur la moralisation de ses pauvres et anormaux, l’ivrogne prête flanc à de rudes réactions sociétales. Le jugement d’interdiction prononcé contre lui n’est même pas susceptible d’appel! D’ailleurs, l’individualisme, masculin, juridique et économique, ne suppose pas et n’a pas entraîné un retrait, une rupture des liens intenses unissant l’individu et ses proches, tant chez les classes laborieuses que parmi les milieux plus aisés8. C’est tout le contraire. La force des liens de parentèle et d’alliance, leur utilité économique, sociale et affective dans un monde risqué expliquent à la fois le caractère explosif, dévastateur de certaines déviances, l’âpreté de certains conflits intrafamiliaux et la nécessité de mettre à l’écart, juridiquement et physiquement, certaines personnes. Au dix-neuvième siècle se développent aussi des normes comportementales plus rigoureuses, liées notamment à la valorisation de la vie privée familiale9. Le culte de la vie privée a évidemment plus de chances de se développer parmi les classes ayant les moyens de se procurer l’espace physique nécessaire à son déploiement. La population d’interdits compte proportionnellement plus de membres des classes moyennes et bourgeoises que la société montréalaise dans son ensemble. Les nouvelles exigences relatives à l’étiquette et à l’harmonie domestiques contribuent probablement à faire interdire plusieurs gentlemen. On s’efforce aussi, selon des modalités nouvelles, de moraliser les masses, de les discipliner. Le développement de l’asile et de la prison relève en partie de cette entreprise.

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En fait, le progrès de normativités nouvelles destinées à réformer intérieurement les individus (que ce soit par le traitement moral ou le prêche des sociétés de tempérance), ainsi que la mise en place de lourds appareils institutionnels de sanction de la déviance, pourraient bien aller de pair avec la promotion d’une certaine forme d’égalité juridique et économique10. Égalité qui, en quelque sorte, engendrerait un certain vide, un vacuum parmi les normativités à l’œuvre dans la société, alors que sous l’Ancien Régime les normes se présentaient plutôt comme des éléments donnés, plus immédiats et liés notamment aux états, aux conditions rigides attribuées d’emblée aux individus. C’est l’hypothèse de Michel Foucault : «On comprend que le pouvoir de la norme fonctionne facilement à l’intérieur d’un système de l’égalité formelle, puisque à l’intérieur d’une homogénéité qui est la règle, il introduit, comme un impératif utile et le résultat d’une mesure, tout le dégradé des différences individuelles11.» Par conséquent, on peut croire que «les disciplines réelles et corporelles ont constitué le soussol des libertés formelles et juridiques12». À la lumière de toutes ces remarques, l’étude de la pratique de l’interdiction peut, modestement, nous convier à tenter de délimiter un peu mieux la montée d’un «ordre libéral» au dix-neuvième siècle au Québec. Fernande Roy, dans Progrès, harmonie, liberté, tout en décortiquant l’agencement des valeurs libérales, a essentiellement montré que les hommes d’affaires canadiens-français de la fin du dixneuvième siècle font la promotion de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre dans leurs journaux13. Doit-on s’en surprendre? Comment le libéralisme s’incarne-t-il dans l’existence des membres de cette même communauté d’affaires? La vie privée des familles bourgeoises montréalaises montre un rapport aux biens qui diffère nettement de ce discours. On ne laisse pas impunément des fils prodigues ou des ivrognes dilapider leurs héritages, à leurs risques et périls, dans un monde où, en principe, la déconfiture financière sanctionnerait elle-même l’incompétence et l’inaptitude à la gestion. Plus près du sujet traité ici, Jean-Marie Fecteau, dans La liberté du pauvre, s’est interrogé sur les rapports entre libéralisme, pratiques charitables et réponses au crime au dix-neuvième siècle. Il propose une vision holiste du rayonnement du libéralisme à l’époque, accordant à celui-ci le statut de «substrat commun» et de «langage universel de référence» de la dynamique sociale. Fecteau avance même, par exemple, que le catholicisme et l’Église doivent se redéfinir en fonction des valeurs libérales, que le catholicisme du temps est même «partie

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prenante de l’univers libéral14». Dans un esprit différent, Ian McKay a tenu compte de l’existence de réalités sociales marquées par des rapports non libéraux ou pré-libéraux, réalités contre lesquelles, justement, le libéralisme mène un combat pour s’imposer15. De fait, des avancées libérales ont très bien pu coexister avec des structures d’esprit différent, comme le patriarcat, où l’exercice juridique de la volonté du sujet est nié aux femmes. Comme l’affirme Richard Larue, «les dispositions mises en œuvre par les codificateurs bas-canadiens ont pour fondement une anthropologie juridique qui ne cherche pas à fonder la nature même de l’organisation familiale sur la volonté des sujets16». C’est aussi ce que montre le rapport aux biens observé ici. Les réformes imposées en faveur d’un maniement plus facile des biens, des marchandises et des immeubles favorisent le pouvoir des mâles propriétaires sur les choses. Or, au sein des rapports familiaux, le patrimoine, les revenus et leur maintien forment une référence essentielle dans la gestion des comportements individuels, exerçant dès lors un pouvoir, à l’inverse, sur les individus. Cette hypothèse d’une faible pénétration de l’individualisme et des rapports contractuels dans les interactions familiales au dix-neuvième siècle a déjà été formulée ailleurs17.

n o rm e s , r ep ré s e n tat i on s to tal i s a n te s et incomplétude des phénomènes sociaux Ce travail a mis en lumière quelques-unes des possibilités offertes par l’application d’un cadre d’analyse interactionniste à l’étude de la déviance dans le passé. Les processus de tentative de règlement des problèmes vécus se déroulent pour l’essentiel dans des rencontres, des rapports de force et des négociations continuelles. Il a également fallu tenir compte de quelques acquis de la théorie de l’étiquetage et de certaines considérations plus fonctionnalistes. Assimiler les normes à des frontières et, implicitement, la déviance à un «en-dehors» normatif, c’est-à-dire à tout ce qui s’écarte de ce qu’une époque juge désirable, ne permet pas de bien appréhender la pratique des normes et de l’exclusion. Normes, déviance et exclusion ne donnent pas prise à un repérage «fixiste» : ces phénomènes relèvent de certaines interactions entre individus et des relations que ceux-ci entretiennent avec des instances ou des groupes détenteurs de pouvoir. Refusant de faire de la déviance une simple dysfonction d’une positivité immédiate ou, à l’inverse, la créature d’élites avides

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de contrôle social, j’ai préféré faire des allers-retours entre les problèmes rencontrés par les familles et les apports de certains acteurs institutionnels et non institutionnels à l’élaboration et à la formalisation des trajectoires déviantes. S’en tenir à présenter les normes comme des seuils ou comme des discours de prescription séparés des pratiques sociales, c’est en outre laisser dans l’ombre le caractère circonstanciel, situationnel des phénomènes frères que sont les normes et la déviance. Normes et déviance ont nécessairement un ancrage social et relationnel. On sait maintenant à quel point le rôle et le statut du fautif ont de l’importance pour la suite des choses. Ces données, rappelons-le, déterminent en partie l’impact des conduites, la difficulté d’y répondre et la nécessité plus ou moins pressante d’interdire. La conjoncture familiale, tant humaine (présence ou non de caretakers, d’un réseau de sociabilité plus ou moins étoffé) que patrimoniale (statut socio-économique, état de la transmission des biens), de même que les contingences diverses qui affectent les Montréalais (revers financiers, décès, etc.), font aussi des normes et de la déviance des objets mouvants, dynamiques. Les ingrédients relationnels et humains de la déviance permettent au demeurant de mieux situer l’arbitraire des normes du dix-neuvième siècle. Cet arbitraire semble plus flagrant dans certaines histoires. Une jeune épouse à la sexualité débridée bouleverse certainement les rapports structurés et symboliques des familles possédantes. Cela peut lui valoir un séjour à Saint-Jean-de-Dieu. L’approche développée ici révèle que la déviance et les rapports de normes se présentent également comme l’entrechoquement de différentes temporalités. Les interactions entre malades mentaux, alcooliques, dilapidateurs et leurs proches équivalent, sous cet angle, à la collision entre deux registres du temps et de l’action. Des actes considérés gênants, ponctuels ou souvent répétés, portent atteinte à la marche régulière des activités de la famille et à ses projets à plus long terme. L’immédiateté de la déviance affecte des processus que l’on voudrait stables et réguliers. La déviance dérangerait aussi le temps passé et le temps futur, en amont et en aval de la situation problématique. Les fils prodigues, par exemple, désaxent autant une lignée, l’ascension sociale des générations précédentes, que les attentes et les projets familiaux dont ils sont investis. Le mariage secret d’un jeune homme avec une femme d’appartenance religieuse incertaine ou de moralité douteuse vient bouleverser complètement le passé de labeur, les plans, la projection dans le futur d’une famille probablement en

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quête de promotion sociale, engagée dans une lutte constante pour le maintien et l’accroissement de son honorabilité. Honorabilité qui dépend autant de son capital symbolique que de son statut économique. Les recours à la justice civile et à l’asile, bien que largement tributaires de l’inaptitude des personnes et des embarras qu’elles créent, ne sont pas nécessairement liés aux rythmes de la déviance, à ses retours et à son éventuelle permanence ou aggravation. L’interdiction de personnes lors de l’ouverture d’une succession, alors qu’elles séjournent depuis un bon moment à l’asile, est assez éloquente à ce titre. L’action des différents acteurs de la déviance entretient aussi un rapport au temps, rapport marqué par la fonction qui est la leur. Lorsque la famille réagit sur le champ, en exerçant une surveillance sur le fou ou en mettant au lit l’ivrogne retrouvé dans la rue par des amis, elle tente de préserver la bonne marche du quotidien des choses. L’interdiction, outil de «repositionnement» des familles, peut intervenir quand se présente une occasion de contrer partiellement le dérèglement vécu ou lorsque celui-ci menace d’avoir des conséquences encore plus désastreuses. Des interdictions sont prononcées à la veille d’importantes transactions financières, par exemple. La réorganisation familiale que facilitent l’interdiction et la nomination d’un curateur ancre la famille dans un horizon d’attente différent de celui que laissaient entrevoir les problèmes et les conflits vécus. Insister sur les rapports qui définissent les parcours de personnes considérées gênantes contribue par ailleurs à remettre en question certaines représentations trop achevées ou «totalisantes» des phénomènes de régulation. Les faits normatifs (quand le pouvoir d’une norme se fait sentir), les définitions de l’incapacité et la prise en charge de la déviance constituent des phénomènes dynamiques et, surtout, négociés. Qu’il y ait dans bien des cas imposition d’un pouvoir radical de sanction et d’exclusion n’implique pas l’adoption d’une représentation «unitaire» des moments forts des trajectoires déviantes. L’interdiction n’est pas réductible à un geste de contrôle posé par l’appareil judiciaire bas-canadien et québécois. C’est l’occasion d’une espèce de jeu entre les Montréalais et cet appareil, ses magistrats et officiers. Une requête n’équivaut pas seulement à une demande familiale de mise à l’écart ou à la dénonciation d’un proche. Cet acte précis signifie la mise en rapport, avec un minimum de cohérence, de données souvent contingentes de la vie des Montréalais, de leurs attentes et de normes juridiques formelles. Les quelques manipulations sociales de la procédure sont très révélatrices quant à ce jeu qui

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sous-tend des actes comme les requêtes. Les chercheurs en histoire de la folie peuvent compter les entrées à l’asile; la chose est nécessaire pour brosser un tableau des grandes évolutions de cette forme de régulation de la maladie mentale. Mais ces admissions, comme gestes, comme moments, ne sont pas nécessairement équivalentes entre elles. Il faut déconstruire ces actes apparemment homogènes. L’institutionnalisation fait l’objet de négociations et d’interactions entre les familles, le droit, les aliénistes et les communautés religieuses propriétaires d’asiles. Ces rapports peuvent se poursuivre une fois l’individu enfermé. Les entrées et sorties des ivrognes passés par Saint-BenoîtJoseph illustrent ce fait. La prudence à l’égard des représentations historiques totalisantes est aussi de mise pour les grandes évolutions de la régulation sociale au dix-neuvième siècle. Soyons clairs : l’identification de certains mouvements d’ensemble n’est pas en cause. C’est plutôt le rayonnement considérable qu’on leur attribue souvent d’emblée qui fait problème. Réduire une évolution complexe à un seul terme, trouver une explication de dernière instance est toujours séducteur et parfois utile. Mais les carrières des interdits montréalais montrent amplement que la médicalisation et l’institutionnalisation de la déviance, par exemple, ne balaient pas tout devant elles et que ces phénomènes ne s’approprient aucunement de façon exclusive les représentations de la folie et les solutions qu’on tente de lui appliquer. En particulier, les recherches mettant à l’avant-plan la médicalisation de la folie ne tiennent pas assez compte de l’influence concrète des discours et des interventions des médecins et aliénistes sur les trajectoires des aliénés. Cette médicalisation se présente comme une forme très particulière de régulation sociale qui ne se signale pas par une efficacité immédiate. Elle emprunte plutôt le mode du conseil, de la caution, et s’appuie sur les liens déjà noués, en d’autres occasions, entre le corps médical et les familles, ainsi que sur la montée en force de l’asile. Au fond, il faut insister sur les limites, les manques, les inachèvements et l’incomplétude de l’agir des acteurs sociaux et des appareils de régulation. L’efficace des normes propres aux acteurs impliqués dans la prise en charge de la déviance n’est intelligible qu’en circonscrivant au mieux leur pouvoir, leur influence, cela, bien sûr, par leur mise en rapport avec les autres normes en jeu. J’ai aussi tâché de souligner ce que les réactions des acteurs et les fonctions sous-jacentes à ces gestes ne pouvaient pas accomplir. Si la famille est la principale actrice des affaires de déviance, ses réactions se font sur le mode du «tant bien que

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mal». L’intervention du droit donne lieu à une réorganisation familiale qui ne règle pas le problème ou le conflit rencontré. La curatelle permet de le combattre, de mitiger ses effets économiques. Cette insistance sur les limites des phénomènes de régulation leur restitue une partie de leur complexité. Les phénomènes de régulation sont multiformes ou, du moins, binaires. La famille est à la fois victime de la déviance et le moteur de son règlement; si les normes juridiques semblent fortement structurées et cohérentes au plan formel, les rapports entre droit et familles se caractérisent par une certaine flexibilité répondant aux aléas et aux tensions marquant la vie des Montréalais. Que l’on comprenne bien : prendre en compte les limites et les multiples visages des dynamiques de régulation, ce n’est pas se réfugier dans les contresens ou les paradoxes. Il ne suffit pas d’affirmer que la «réalité» est plus compliquée qu’on l’a cru auparavant ou de constater que les phénomènes étudiés sont faits d’interactions complexes. Les aspects observés peuvent être complémentaires : rien d’étonnant, vu la quasi-absence de mesures de protections sociales au dix-neuvième siècle et l’importance fondamentale de la famille pour l’insertion sociale des individus, à ce que le groupe familial soit simultanément victime et acteur essentiel de la scène de la déviance. Le constat banal de la complexité des phénomènes peut par ailleurs être dépassé en retraçant les logiques expliquant les gestes posés par les acteurs impliqués, logiques assimilées ici à certaines fonctions sociales, ainsi qu’en identifiant les rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre dans les dynamiques étudiées. Sans bien sûr jamais y parvenir tout à fait, on peut alors dépasser l’indécision heuristique et l’ambivalence analytique qui caractérisent le constat premier de la complexité des choses et de l’enchevêtrement des rapports sociaux. Le cadre analytique de cet ouvrage interroge aussi les conceptualisations dichotomiques du fonctionnement de la société. C’est le problème des «paires antagonistes» en sciences sociales18. Deux de ces duos conceptuels ont été rencontrés dans ces pages et partiellement invalidés : les «stratégies» des familles versus les contingences de la vie et les contraintes de leur environnement; le droit versus les pratiques sociales dont il serait le «cadre». L’entre-deux de ces pôles complémentaires est peut-être ce qu’il y a de plus significatif. Ces deux problèmes renvoient aux rapports entre l’agency des acteurs et le caractère contraignant des structures et du fonctionnement des institutions. L’action des familles montréalaises n’est pas stratégique, vu son caractère

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inachevé et l’impossibilité pour elles de disposer de toutes les données du problème. L’interprétation stratégique marque aussi l’agir familial comme une évidence, comme si les familles faisaient toujours spontanément ce qu’il y a faire, malgré les difficultés de leur milieu. Or, c’est loin d’aller de soi. De son côté, le droit n’encadre pas des pratiques, puisque l’activation du droit se présente comme une rencontre à la fois structurée et flexible entre les contingences de la vie des Montréalais et les données d’un mode de résolution juridique. En fait, tous les rapports étudiés montrent des manœuvres, des influences, mais pas d’appropriation unilatérale ou d’encadrement étanche du déroulement du jeu de la déviance par l’un ou l’autre des participants. Il serait particulièrement intéressant d’appliquer le même cadre théorique et conceptuel à l’évolution de la prise en charge de la déviance et des conflits familiaux au vingtième siècle. Nous aurions à tenir compte, là aussi, de certaines persistances. La fonction d’enfermement des asiles québécois, dont nous avons observé les débuts, va par exemple perdurer et s’intensifier jusqu’au début des années 60 au Québec. Toutefois, l’implication plus grande de l’État dans la régulation des problèmes sociaux, à la suite de la Crise des années 30, le développement du travail salarié en conjonction, notamment, avec la mise en place progressive de protections sociales (sous la forme d’assurances publiques), de même que l’élévation du niveau de vie moyen, ont certainement changé le rapport des Montréalais au risque et à l’incertitude. Un rapport fait de nécessités, de tensions et d’attentes. C’est de ce rapport que nous parle, fondamentalement, l’expérience de la folie, de la prodigalité et de l’ivrognerie au dix-neuvième siècle. L’enchaînement serré des relations familiales avec les biens et les revenus pourra alors se relâcher quelque peu. Les conditions d’insertion des individus dans leur famille et dans la société, le vécu des liens familiaux et des rapports entre générations, la relation des acteurs au temps qui passe s’en ressentiront. Ce relâchement ouvrira un nouvel espace de possibles et permettra le développement de normativités qualitativement différentes et de nouvelles formes (peut-être à la fois plus subtiles et sournoises) d’évaluation de la normalité et de la capacité des individus.

Appendice Les interdictions du district judiciaire de Montréal

L’essentiel de la pratique de l’interdiction, d’un point de vue juridique et documentaire, est maintenant bien connu du lecteur : requêtes présentées par les proches, interrogatoire des malades mentaux, jugements et nominations de curateurs, etc. Toutefois, il a fallu passer sous silence certains aspects de la procédure qui risquaient de surcharger inutilement le propos, centré sur les dynamiques unissant les différents acteurs des affaires de folie, de prodigalité et d’ivrognerie. Or, l’ensemble de cet ouvrage est basé sur une recherche juridique, documentaire et méthodologique plus vaste dont il convient de faire part, puisque tout travail historique dépend d’une lecture critique et circonspecte de traces archivistiques.

historique de l’interdiction au bas-canada/québec L’interdiction est déjà, à l’aube du dix-neuvième siècle bas-canadien, un mécanisme juridique établi de régulation des problèmes familiaux. L’interdiction pour folie est bien intégrée au droit civil coutumier de la Nouvelle-France et de la province de Québec de l’après-Conquête1. Dans l’ensemble, cette procédure traverse le siècle et les bouleversements de la transition vers le capitalisme industriel sans modifications majeures. Cette formule ancienne de répression de la déviance s’est bien intégrée, bien arrimée à la nouvelle dynamique sociale et familiale du dix-neuvième siècle. En droit romain, la curatelle des fous et des prodigues existe2, mais seul le prodigue est interdit, le fou étant du fait de son état déjà incapable. Autrement dit, naturellement incapable à cause de sa maladie,

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le fou n’est pas interdit3. Rappelons que l’interdiction est précisément la consécration de l’incapacité de l’individu et que la curatelle, qui lui est intrinsèquement liée, est l’organisation subséquente de la gestion de sa personne et de ses biens. Selon Robert Pirenne, on peut supposer que l’interdiction s’étendit au fou à une certaine époque du Moyen Âge4. Sous l’Ancien Régime, en France, bien que fous et prodigues soient tous deux passibles d’interdiction, l’incapacité qui en découle est entière pour les premiers, moins considérable et soumise à la décision du juge pour les seconds. Mais même dans leur cas, l’incapacité peut être fort étendue5. On nomme un curateur aux fous et aux prodigues, mais l’interdit pour folie reçoit un curateur à la personne et aux biens, le prodigue seulement aux biens6. Avec le code Napoléon, en France (1804), l’interdiction ne s’appliquera plus qu’aux cas de folie, les faibles d’esprit et les prodigues recevant tous deux un conseil7 dont les pouvoirs sont désormais établis de façon rigide8. Hormis l’introduction de nouvelles catégories d’interdits (les ivrognes en 1870 et les utilisateurs de certaines drogues en 1896)9, le régime de l’interdiction et de la curatelle change fort peu au plan formel et procédural durant le 19e siècle au Bas-Canada/Québec. Lors de la codification des lois civiles du Bas-Canada, processus qui aboutira au Code civil du Bas-Canada de 1866, les commissaires chargés de ce travail doivent «insérer les lois civiles d’un caractère général et permanent actuellement en force … en exclure celles qui ne le sont plus, et … ne proposer que sous forme d’amendements, à part et distinctement du reste, les changements qu’ils croiront désirables10». Les articles établis par les commissaires pour régler l’interdiction et la curatelle s’appuient presque exclusivement sur des autorités d’ancien droit français. Les seuls amendements proposés visent à retirer au protonotaire le pouvoir d’interdire11. Cette modification ne sera même pas adoptée12 et les procédés, en ce qui a trait aux fous et aux prodigues, demeureront les mêmes jusqu’en 1900, année où l’interrogatoire des personnes aliénées et enfermées à l’asile est aboli13. Quant à la curatelle, le travail des commissaires contient un seul «article additionnel suggéré comme amendement à la loi en force». Il ne concerne que la durée de la charge de curateur14. L’introduction en 1870 de l’interdiction des ivrognes d’habitude représente tout de même un événement important. Le champ couvert par l’interdiction civile, formule assez radicale de sanction de la déviance et de l’inaptitude, s’élargit alors de manière significative. L’interdiction des ivrognes se signale

Les interdictions du district judiciaire de Montréal

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notamment par son caractère expéditif et par l’inclusion de règles permettant l’internement des intempérants (voir les chapitres 3 et 4).

le déroulement des procès Les parents, les alliés ou le conjoint peuvent provoquer l’interdiction des fous et des prodigues15. C’est le cas aussi des «amis» des ivrognes, à défaut de parents16. La réaction judiciaire à la déviance naît donc dans l’entourage, surtout immédiat, des personnes considérées inaptes. Cette réaction se concrétise par la rédaction d’une requête plus ou moins circonstanciée dans laquelle le requérant relève les agissements problématiques de la personne qui sont propres à justifier le retrait de sa capacité civile17. Un professionnel du droit formalise ces récriminations qui, au bout du compte, renvoient toujours à des situations vécues par les familles montréalaises, ou du moins à des représentations de ce qui peut être vécu comme un problème par ces dernières. Les membres de l’entourage témoignent aussi dans bien des procès, soit pour appuyer les démarches, soit (beaucoup plus rarement) pour prendre la défense de la personne intimée. Des requêtes et témoignages suffisamment détaillés nous renseignent sur la dynamique première des trajectoires déviantes : les tensions ou les embarras existant entre un individu et ses proches. Le juge ou l’officier de justice chargé de l’affaire (protonotaire ou député-protonotaire) ordonne ensuite dans tous les cas la réunion d’un conseil de famille, de la même manière que pour une tutelle18. Sept parents ou alliés masculins de l’intimé le composent habituellement, à l’exclusion du requérant. Le nombre de participants risque d’être plus élevé en cas de mésentente dans l’entourage au sujet de l’interdiction, chaque parti tentant alors de faire valoir son point de vue. Les membres donnent leur avis sur l’interdiction requise et sur la nomination d’un curateur. Des divergences au conseil trahissent fréquemment des conflits patrimoniaux et financiers exacerbés. Le curateur, ne l’oublions pas, aura le contrôle des biens et des revenus de l’intimé. Les personnes présumées folles subissent un interrogatoire19. Le prétendu aliéné se retrouve alors devant un représentant de l’appareil judiciaire chargé de déterminer son état mental. Selon F. Langelier, l’interrogatoire «a pour but de faire connaître à l’autorité judiciaire l’état mental de la personne20». On n’interroge pas les prodigues, mais «dans ce cas le défendeur doit être entendu ou appelé21». Les

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Appendice

ivrognes ne sont pas interrogés non plus mais conservent évidemment le droit de se défendre22, à l’instar de tous les intimés. En principe, le juge ou l’officier de justice n’est pas lié par l’avis du conseil de famille; les rappels de la jurisprudence en ce sens ont été évoqués au chapitre 3. «Le législateur a voulu qu’il fût éclairé, écrit un juriste, mais il laisse à sa discrétion le jugement qu’il convient de prononcer23.» Trois issues, lors du jugement, sont possibles : l’interdiction, le renvoi de la requête ou la nomination d’un conseil judiciaire24. Cette dernière solution n’est appliquée que dans les cas de folie ou de prodigalité (il n’y a pas de conseil judiciaire pour l’ivrognerie). «Des infirmités physiques, la vieillesse, l’affaiblissement des facultés mentales sont des causes de nomination d’un conseil judiciaire25.» Sorte de demiinterdiction, la nomination d’un conseil judiciaire est moins radicale que la curatelle, et les pouvoirs du conseil sont moindres que ceux du curateur. Le conseil judiciaire doit essentiellement donner son aval aux actes de nature économique de la personne assistée26. L’interdiction, même si l’intimé en appelle du jugement, prend effet le jour même27. La nomination d’un curateur l’accompagne. «Toute personne majeure, mâle et non interdite et frappée d’aucune incapacité peut être nommée28» à cette fonction. L’épouse a quand même la possibilité d’être curatrice29. Comme l’interdiction est un acte public30, le nom du nouvel incapable est inscrit sur un tableau «affiché publiquement dans le greffe de chacune des cours ayant, dans le district, le droit d’interdire31». L’effet de l’interdiction est plus ou moins considérable selon la catégorie de déviance. L’incapacité de l’interdit pour folie est complète : «Tout acte fait postérieurement par l’interdit pour cause d’imbécillité, démence ou fureur, est nul32.» L’incapacité du prodigue interdit est complète quant à ses biens33. La loi de 1870 avait d’abord placé l’interdit pour ivrognerie dans la même condition que l’interdit pour folie34, ce qui accentue le caractère répressif de la mesure. Mais cette disposition est modifiée en 1879. Après cette date, l’interdit pour ivrognerie connaîtra une situation semblable à celle de l’interdit pour prodigalité35. Au total, quelle que soit sa déviance, l’interdit n’a plus aucun contrôle sur ses affaires. Si l’interdit désire retrouver une vie normale, il doit obtenir mainlevée. Les démarches ressemblent à celles d’une interdiction36 (requête, réunion du conseil de famille, etc.). L’ivrogne interdit doit pouvoir démontrer une «année d’habitude de sobriété37»; il n’y a pas d’exigences formelles du même genre en ce qui concerne les aliénés et les prodigues.

Les interdictions du district judiciaire de Montréal

221

le corpus documentaire montréalais Le corpus documentaire utilisé ici rassemble toutes les interdictions ayant frappé des habitants de Montréal entre 1820 et 1895, inclusivement, pour folie, prodigalité ou ivrognerie38. L’année terminale est celle qui précède l’introduction de l’interdiction pour usage de certaines drogues (1896). La tranche diachronique retenue autorisait l’examen de formes tant anciennes (folie et prodigalité) que nouvelles (ivrognerie) d’interdiction. Ces affaires figurent dans le fonds des tutelles et curatelles de la Cour supérieure du district judiciaire de Montréal39. Aux 492 interdictions «réussies»40, j’ai ajouté 11 requêtes en interdiction rejetées et 5 procédures interrompues, ces dossiers présentant un intérêt particulier41. Le total de dossiers à l’étude est donc de 508, ensemble qui se répartit en 330 cas de folie, 17 cas de prodigalité et 164 cas d’ivrognerie42. En dehors de toutes ces démarches ayant visé l’interdiction d’une personne43, j’ai aussi analysé huit tentatives de mainlevée qui se sont soldées par un échec44. Bien d’autres documents ont été mis à contribution. Les trajectoires individuelles des Montréalais interdits durant deux sous-périodes, soit entre 1820 et 1850 et entre 1893 et 1895 (inclusivement dans les deux cas), ont fait l’objet de reconstitutions aussi exhaustives que possible. J’ai ainsi obtenu, respectivement, 44 et 41 parcours individuels plus détaillés. Certaines affaires particulièrement riches de la période intermédiaire (1851–1892) ont aussi été reconstituées en détail. Ces reconstitutions ont été effectuées, pour l’essentiel, à l’aide des autres apparitions des intimés ou de leurs curateurs dans le même fonds des tutelles et curatelles, à l’occasion de demandes de mainlevée, de nominations de conseil judiciaire, de changements de curateur, de nominations de curateur ad hoc, d’ordres d’internement et de demandes d’autorisation diverses (autorisations à vendre, à accepter une succession, à poursuivre en justice, etc.). Des documents de ce type, concernant les interdits des sous-périodes 1820–1850 et 1893–1895, ont évidemment parfois précédé ou suivi ces deux plages temporelles. Une personne interdite en 1825 a peut-être d’abord été munie d’un conseil en 1819, ou changé de curateur en 1839. Pour parer à cet inconvénient, j’ai examiné toutes les entrées du fonds des tutelles et curatelles en débordant de 15 ans l’ensemble de la période visée, tant avant qu’après celle-ci, pour couvrir en fin de compte les années 1805–1910.

222

Appendice

Le fonds des tutelles et curatelles a donc fourni l’essentiel de la documentation. Ce fonds comprend tous les actes relatifs aux tutelles, bien sûr, mais également les émancipations, les autorisations données à des femmes mariées, de même que les procédures relatives aux successions vacantes et aux substitutions. Cet ensemble documentaire possède ainsi une cohérence particulière et constitue l’un des plus importants dépôts d’actes de régulation judiciaire des affaires familiales et patrimoniales. C’est là qu’ont été rassemblées les procédures réglant le statut des personnes incapables en tout ou en partie (mineurs, mineurs émancipés, femmes mariées dans certaines situations, interdits, gens munis d’un conseil judiciaire) et la gestion de leur patrimoine. C’est dire son importance pour l’histoire du «jeu» du droit civil et familial au dix-neuvième siècle, jeu qui met aux prises des participants aux statuts inégaux avec les aléas de la fortune. Par ailleurs, les dossiers d’interdiction ou les dossiers connexes mentionnent parfois au passage un litige au civil concernant l’interdit, une séparation de corps, par exemple. Ces autres procès, lorsque accessibles, ont enrichi les trajectoires individuelles des individus mis sous curatelle entre 1820 et 1850 et entre 1893 et 1895. Ces conflits éclairent le contexte familial et conflictuel de trajectoires déviantes. La sous-série des ex parte de la Cour supérieure du district judiciaire de Montréal45 a de surcroît livré quelques causes d’habeas corpus où des personnes internées (ou leurs proches) requièrent leur libération, de même que d’autres procédures reliées à l’enfermement (comme des demandes d’internement). Les dossiers de cette sous-série particulière sont d’un grand secours pour mieux comprendre la dynamique de l’internement des aliénés et des ivrognes durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Enfin, j’ai fait l’examen exhaustif des sources juridiques et législatives imprimées pour tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’interdiction : code civil46, traités de droit civil et codes civils annotés47, codes de procédure civile annotés48, lois et jurisprudence. Toutes les causes de jurisprudence ayant un rapport avec l’interdiction ont notamment été prises en compte. Certaines d’entre elles concernent d’ailleurs des individus du corpus. De la cause rapportée dans les revues juridiques jusqu’aux pièces du procès lui-même, pièces souvent riches du point de vue qualitatif, il n’y a souvent qu’un pas assez aisément franchi. Il fallait s’assurer d’avoir rassemblé toutes les interdictions d’habitants de Montréal de la période 1820–1895. Un des principaux obstacles fut la présence de cours de circuit, instances détentrices d’une

Les interdictions du district judiciaire de Montréal

223

juridiction concurrente dans le domaine de l’interdiction et actives durant la même période. Avant 1849, les cours de circuit ne s’occupent que des «régions situées à l’extérieur des chefs-lieux des districts judiciaires49». Il n’y a donc pas de problème pour la période antérieure à cette année-là : les cours de circuit ne prennent sûrement pas en charge les causes d’interdiction de la ville de Montréal. Mais en 1849, année de la création de la Cour supérieure50, on établit une cour de circuit englobant notamment la ville de Montréal, tout en précisant que les juges des cours de circuit ont les mêmes pouvoirs que la Cour supérieure en matière de curatelle51. L’article qui prévoit cette juridiction concurrente est abrogé en 1857 : les juges de la Cour supérieure, à l’endroit où la Cour supérieure et une cour de circuit sont établies, ont alors juridiction pour les affaires de tutelles et de curatelles, et la loi mentionne que «les procédures en pareils cas formeront partie des records de la cour supérieure à l’endroit où ces procédures auront lieu52». Par conséquent, pour la période suivant 1857, le fonds des tutelles et curatelles de la Cour supérieure de Montréal doit inclure tous les interdits montréalais. Durant la période intermédiaire (1850–1857), des affaires d’interdiction sont entendues par la Cour de circuit de Montréal53, mais ces dossiers se sont retrouvés dans le même fonds des tutelles et curatelles (celui de la Cour supérieure) qui couvre tant les périodes antérieure que postérieure. Apparemment – et c’est la raison d’être de cette petite digression – la concurrence temporaire entre les deux tribunaux n’a pas affecté l’unité (notamment géographique) du fonds duquel a été tiré le gros de la documentation. Tous les interdits de la ville de Montréal doivent s’y trouver. L’ensemble des dossiers d’interdiction montréalais de la période 1820–1895 constitue donc une véritable série documentaire, aux qualités fort appréciables. Les documents sont originaux et la série est presque exhaustive. Seules quatre ou cinq procédures n’ont pas été retracées. De plus, très rares sont les dossiers où des pièces manquent à l’appel. La série est par ailleurs homogène (on n’y traite que d’interdiction) et exclusive d’un point de vue géographique (ce ne sont que des habitants de la ville de Montréal).

sélection des pièces et repérage de la jurisprudence Dans un premier temps, tous les index du fonds des tutelles et curatelles couvrant la période 1820–1895 (huit au total) ont été dépouillés

224

Appendice

pour identifier les cas d’interdiction. Chacun des dossiers repérés a ensuite fait l’objet d’une vérification pour établir s’il s’agissait d’une interdiction proprement dite. Les premières décennies du dix-neuvième siècle laissent place parfois à un certain flottement en ce qui concerne les appellations de procédures de mise sous curatelle. L’origine de la demande (issue de l’entourage dans le cas de l’interdiction), le type d’incapacité qui frappe l’intimé (plus grande dans le cas d’une interdiction suivie de la nomination d’un curateur que pour une simple nomination de conseil) et le degré de complexité des procédures (la réunion d’un conseil de famille et la tenue d’un interrogatoire dans les cas d’interdiction de malades mentaux, par exemple) sont des repères assez sûrs pour identifier les interdictions véritables. Car les index anciens mentionnent par exemple des «interdictions volontaires». Les documents auxquels ils font référence sont la plupart du temps des nominations de conseils (et non de curateurs) aux pouvoirs plus restreints, des actes dépourvus d’interrogatoires et des réunions de conseils de famille. Les démarches sont entreprises le plus souvent par l’individu lui-même, du moins en apparence. Ces affaires ont été laissées de côté. Les cas ambigus au plan procédural deviennent rapidement plus rares au fil du siècle, la codification de 1866 y étant sûrement pour quelque chose. Encore fallait-il mettre la main sur les interdits montréalais. Le critère de sélection géographique était le suivant : l’intimé devait habiter à Montréal au moment de la requête, suivant les limites de la cité à ce moment-là, peu importe l’époque de son arrivée en ville. Par bonheur, les requêtes mentionnent ordinairement l’endroit où demeure l’individu visé. Des instruments de recherche ont grandement facilité la localisation de certains lieux (paroisses, faubourgs, lieux-dits, etc.)54. Lorsque le lieu de résidence de l’intimé n’était pas précisé mais que des informations du même ordre relatives à son entourage étaient disponibles (conjoint, parents, amis, gens qui disent le connaître, témoins des faits, requérant, etc.), celles-ci ont servi à décider le rejet ou l’inclusion du dossier. Le lieu de résidence du curateur (qui s’occupe en principe assez directement de la personne et des biens de l’interdit) de même que les significations des huissiers (qui spécifient toujours l’endroit où elles ont été faites) se sont parfois révélés de précieux auxiliaires. L’absence d’indices de ce genre a conduit au rejet de quelques dossiers. Cette précaution s’imposait, vu le rayonnement géographique considérable de certaines institutions d’assistance et d’enfermement de la ville. À l’inverse, les quelques Montréalais partis à l’extérieur de l’agglomération ont été intégrés à la série documentaire

Les interdictions du district judiciaire de Montréal

225

lorsque ce déplacement, probablement forcé, a été motivé par leur état. Il fallait cependant des indices pertinents, comme lorsque des citadins ont été placés à la campagne du fait de leur dérangement mental. Malgré ces quelques difficultés, déterminer avec un minimum d’assurance le lieu de résidence des intimés n’a posé problème que dans un nombre restreint de cas. Tout le filtrage procédural et géographique effectué a grandement contribué à l’homogénéité du corpus documentaire. Les dossiers sélectionnés ont été partiellement informatisés à l’aide du logiciel de base de données Filemaker Pro (version 4). Les fiches informatiques ont été complétées par une collecte systématique des pièces qualitativement les plus riches des dossiers (requêtes, témoignages, certificats médicaux, interrogatoires). Un principe somme toute assez simple a guidé subséquemment le travail en archives : produire une reconstitution des trajectoires d’interdits et de leur contexte aussi substantielle que possible. D’où le croisement de certaines interdictions avec les autres sources mentionnées ci-dessus : réapparitions dans le fonds des tutelles et curatelles, litiges civils divers, présences éventuelles dans la sous-série des ex parte. En ce qui concerne la jurisprudence, les références incluses dans les ouvrages de droit (traités, codes civils annotés et codes de procédure annotés) et les compilations de jurisprudence55 ont permis de constituer d’une liste systématique de toutes les causes touchant la pratique de l’interdiction, causes rapportées dans des revues jurisprudentielles d’époque (The Lower Canada Jurist, La revue légale, etc.). Les rapports de jurisprudence permettent de mieux saisir l’évolution de la pratique de l’interdiction au dix-neuvième siècle; une quinzaine de nos interdits montréalais s’y retrouvent d’ailleurs. Des causes rapportées relatives à d’autres sujets comme les pensions alimentaires ou les frais asilaires ont même été examinées : certains interdits montréalais sont aussi parfois mêlés à ces affaires. En consultant la jurisprudence, il importait cependant de ne pas s’arrêter aux règles affirmées à l’occasion de procès litigieux, règles que répètent les codes civils annotés et autres ouvrages, et d’aller consulter la cause rapportée elle-même dans les périodiques. Un problème très technique ou même abstrus peut dissimuler une histoire familiale des plus intéressantes pour le chercheur. Les lois pertinentes, enfin, ont été identifiées à l’aide des références données par l’ensemble de la littérature juridique. Les index des différentes compilations législatives ou refontes de statuts produites au dixneuvième siècle et au début du vingtième ont été passés au crible56.

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Tableaux

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Tableaux

229

Tableau 1 Sexe, âge et état civil des personnes visées par une interdiction pour folie à Montréal, 1820–1895 Hommes

Femmes

Âge moyena

n

90

57,7

17



9

53,0

28

37,4

Veufs et veuves

8

56,0

63

75,8

Séparé(e)s

1



2



Divorcé(e)s

1







État civil inconnu

102

47,7

9



Total

211



119



État civil

n

Marié(e)s Célibataires

b

Âge moyen

Source : anqm, cc 601. a. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cas où l’âge est mentionné dans un certain sous-groupe (exemple : les femmes mariées), rien n’a été indiqué quant à l’âge moyen de ce sous-groupe. Voici le nombre de cas dans lesquels l’âge est mentionné, dans chacun des sous-groupes établis : 15 hommes mariés, 5 hommes et 9 femmes célibataires, 3 veufs et 16 veuves, 27 hommes dont l’état civil est inconnu. L’âge moyen est donc une mesure très approximative. b. Les intimés dits «fils majeur» ou «fille majeure» ont été rangés parmi les célibataires.

230

Tableaux

Tableau 2 Profession des personnes visées par une interdiction pour folie à Montréal, 1820–1850 Professiona

n

Ouvriers et équivalents : journalier, labourer

2

Ouvriers spécialisés et artisans : maçon (3), millwright, cabinet maker, maître tonnelier (2), forgeron (3), cordonnier (3), joiner and carpenter, charpentier, painter

16

Cols blancs et équivalents : inspector of pearl and potash, reverend (2), bourgeois (modeste rentier), gentilhomme (de condition petite bourgeoise), clerk and book keeper

6

Marchands et commerçants : aubergiste, indian trader, marchand (5), commerçant, boucher, jeweller

10

Professions libérales et équivalents : avocat (2), deputy commissary general of His Majesty’s forces, physician and surgeon, surgeon, engineer

6

Grands bourgeois : gentleman (fortune importante), tinsmith (biens considérables)

2

Divers et cas imprécis : bourgeois (sans indice sur la condition économique), esquire (idem), yeoman

3

professionb

18

Cas inconnus ou personnes sans Total

63

Source : anqm, cc 601. a. Je cite les titres de professions dans la langue dans laquelle ils sont mentionnés. Cela permet d’entrevoir la manière dont se répartissent les individus des deux grands groupes linguistiques. Les femmes mariées, veuves ou célibataires se voient attribuer la profession de leur mari, époux défunt ou père, lorsque cette information est disponible. Cet artifice permet de mieux cerner les milieux dans lesquels frappe l’interdiction pour folie. Les même règles ont été suivies dans les tableaux suivants. b. Parmi les gens sans profession figurent de nombreuses personnes déficientes depuis leur enfance, ainsi que des veuves dont la profession du mari défunt est inconnue. Cela vaut aussi pour le tableau suivant (tableau 3).

Tableaux

231

Tableau 3 Profession des personnes visées par une interdiction pour folie à Montréal, 1891–1895 Profession

n

Ouvriers et équivalents : laborer (4), journalier (2), milkman

7

Ouvriers spécialisés et artisans : engraver, shoemaker, machinist, watchmaker, forgeron, moulder, carpenter, baker, menuisier, maçon, cordonnier, ferblantier, compositor Cols blancs et équivalents : commis (2), accountant, insurance agent, agent, bourgeois (de modeste condition) (2) Marchands et commerçants : hôtelier (3), restaurant keeper, trader, entrepreneur, commerçant (3), bijoutier, merchant (2)

13 7 12

Professions libérales et équivalents : médecin, avocat (4), notary

6

Grands bourgeois : bourgeois (fortune importante), gentleman (fortune importante)

2

Divers et cas imprécis : gentleman (3) (sans indice sur la condition économique), bourgeois (idem), gentilhomme (idem)

5

Cas inconnus ou personnes sans profession

17

Total

69

Source : anqm, cc 601.

232

Tableaux

Tableau 4 Profession des personnes visées par une interdiction pour ivrognerie, selon la langue, Montréal, 1870–1895a

Professionb Ouvriers et équivalents : carter (2), laborer (5), limeur de scie, journalier (4)

Anglophones

Francophones

n

%

n

Total

%

n

7

7,9

5

8,9

12

Ouvriers spécialisés et artisans : tailor, master plasterer and contractor, contractor (2), iron moulder, iron finisher, cooper, machinist (2), hatter, ferblantier (3), charpentier, briquetier, menuisier (2), menuisier charpentier, entrepreneur menuisier, entrepreneur, cuisinier, tailleur, graveur, sellier, cordonnier, photographe

10

11,2

16

28,6

26

Cols blancs et équivalents : book keeper (2), clerk (6), insurance agent (2), agent, musician, bailiff of the Superior Court, journalist, gas meter inspector, commis (3), prêtre (2), professeur de musique, agent, journaliste

17

19,1

6

10,7

23

Marchands et commerçants : merchant (4), trader (3), grocer (3), trader and grocer, auctioneer, biscuit manufacturer, butcher, hotel keeper, commerçant (7), marchand (2), hôtelier, boucher, restaurateur (2), épicier

16

18,0

13

23,2

29

Professions libérales et équivalents : advocate (2), doctor, doctor of medicine and veterinary surgeon, architect, law student, notaire (2), avocat (2)

6

6,7

4

7,1

10

Grands bourgeois : gentleman (biens considérables), gentilhomme (revenus importants), individu à la fortune importante

2

2,2

1

1,8

3

Divers et cas imprécis : gentleman (23), esquire, farmer, bourgeois (3), gentilhomme, cultivateur

25

28,1

5

8,9

30

Cas inconnus ou personnes sans profession

6

6,7

6

10,7

12

89

100

56

100

145

Total Source : anqm, cc 601.

a. Le choix de la période 1870–1895 (145 cas au total) assure une certaine cohésion temporelle. b. Quelques requêtes concernant des francophones ont été rédigées en anglais et vice versa. Je cite la profession de l’individu telle quelle, tout en rangeant cette personne dans le groupe linguistique approprié.

Tableaux

233

Tableau 5 Laps de temps entre l’apparition des comportements de folie et la présentation d’une requête en interdiction à Montréal, 1820–1850 et 1891–1895 1820–1850 Laps de temps (d’après les requêtes et témoignages)

na

1891–1895

%

n

%

Moins d’une semaine

0

0

1

1,4

D’une semaine à moins d’un mois

3

4,8

1

1,4

13

20,6

11

15,9

2

3,2

2

2,9

16

25,4

10

14,5

11

17,5

4

5,8

18

28,6

40

58,0

63

100

69

100

D’un mois à moins de 6 mois De 6 mois à moins d’un an D’un an à moins de 5 ans 5 ans et plus Cas inconnus ou imprécis

b

Total Source : anqm, cc 601.

a. En raison de l’imprécision des informations contenues dans les dossiers, il n’est pas possible de calculer des laps de temps moyens pour chacune des deux périodes. Par exemple, les requérants peuvent simplement dire qu’une personne est en état de démence «depuis plus de deux mois» (catégorie 1–6 mois). Cette remarque vaut également pour le tableau suivant (tableau 6). b. Incluant quelques cas où l’on dit que la folie dure depuis plusieurs années, sans autre précision.

Tableau 6 Laps de temps entre l’apparition des comportements d’ivrognerie et la présentation d’une requête en interdiction à Montréal, 1882–1895 1882–1895 Laps de temps (d’après les requêtes et témoignages)

n

%

Moins d’une semaine

0

0

D’une semaine à moins d’un mois

0

0

D’un mois à moins de 6 mois

5

4,8

De 6 mois à moins d’un an

1

1,0

D’un an à moins de 5 ans

38

36,2

5 ans et plus

26

24,8

35

33,3

105

100

Cas inconnus ou imprécis Total Source : anqm, cc 601.

234

Tableaux

Tableau 7 Requérants en interdiction pour folie à Montréal, 1820–1850 et 1891–1895 1820–1850 Qualité des requérants en interdiction

n

Époux

0a

1891–1895

%

a

aa

n

%

Total

0

1

1,4

1

Épouse

8

11,8

15

21,7

23

Père

2a

2,9

2

2,9

4

3

a

4,4

7

10,1

10

Fils

8

a

11,8

6

8,7

14

Fille

1a

1,5

5

7,2

6

16

a

23,5

10

14,5

26

Sœur

2

a

2,9

1

1,4

3

Cousin

1a

Mère

Frère

1,5

1

1,4

2

1

a

a

1,5

2

2,9

3

1

a

a

1,5

1

1,4

2

6

a

8,8

8

11,6

14

1

a

1,5

2

2,9

3

Petit-fils

0

a

0

1

1,4

1

Autres alliés ou apparentés

3a

4,4

2

2,9

5

2

a

2,9

3

4,3

5

13

a

19,1

2

2,9

15

68

a

100

69

100

137

Neveu Oncle Beau-frère Gendre

Autres (non alliés/apparentés) Cas inconnus Total Source : anqm, cc 601.

a. Le total de cas dépasse ici le nombre de procédures en interdiction pour folie de cette période (63). Dans certains cas, deux requérants demandent conjointement la mise sous curatelle.

Tableaux

235

Tableau 8 Requérants en interdiction pour ivrognerie à Montréal, 1887–1895 Qualité des requérants en interdiction

n

%

Époux

12

16,2

Épouse

19

25,7

Père

11

14,9

Mère

5

6,8

Fils

3

4,1

Fille

1

1,4

Frère

8

10,8

Sœur

1

1,4

Cousin

1

1,4

Neveu

1

1,4

Oncle

1

1,4

Beau-frère

4

5,4

Gendre

1

1,4

Petit-fils





Autres alliés ou apparentés





Autres (non alliés/apparentés)

5

6,8

Cas inconnus

1

1,4

74

100

Total Source : anqm, cc 601.

236

Tableaux

Tableau 9 Institutions recevant des Montréalais interdits pour folie, 1820–1845 Institution

n d’interdits

Prisona

2 Asylumb

1

Hôpital général de Montréal (sœurs Grises)

1

Hôpital général de Québec

1

Hartford Insane Retreat, Connecticut

1

Total

6

Montreal Lunatic

Source : anqm, cc 601. a. Sur la prison de Montréal, voir Fecteau, Tremblay et Trépanier, «La prison de Montréal de 1865 à 1913». Les expressions «prison commune», «prison de Montréal» et «prison commune du district» réfèrent toutes à la prison du Pied-du-Courant. b. Asile temporaire en activité de 1839 à 1845 et occupant le troisième étage de la prison de Montréal. Voir Cellard et Nadon, «Ordre et désordre : le Montreal Lunatic Asylum et la naissance de l’asile au Québec», 346 et 365.

Tableaux

237

Tableau 10 Institutions recevant des Montréalais interdits pour folie, 1845–1873 Institution Prison

n d’interdits 10e

Asile de Beauport

9e

Brattleboro Asylum, Vermont

4e

McLean Asylum, Massachusetts

2e

Hôtel-Dieu de Montréal

2e

Autres (une seule occurrence) : Longue-Pointea («loges des fous»); Asile de la Providence, Montréalb; Asile provincial des aliénés, Saint-Jean, district d’Ibervillec; Belmont Retreat Private Lunatic Asylumd; Asile de Toronto; Asile des aliénés de Troy, New York

6e

Total

33e

Source : anqm, cc 601. a. L’intimé envoyé à cet endroit en 1858 ou 1859 parle des «cachots», des «loges des fous» et d’une ferme. Il s’agit sans aucun doute des installations destinées aux aliénés et appartenant aux sœurs de la Providence, dans ce secteur de l’est de l’île de Montréal. Ces installations sont à l’origine de l’asile Saint-Jean-de-Dieu, qui deviendra l’un des deux plus gros asiles d’aliénés de la province. Voir anqm, cc 601, 16/08/1858, no 310, et 03/02/1859, no 32. Voir également Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 99–100. b. Malgré son nom, il ne s’agit pas d’un asile d’aliénés, mais de l’institution charitable des sœurs de la Providence destinée, au départ, aux femmes malades et âgées. Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 83–84. Sur les débuts des sœurs de la Providence, voir Lapointe-Roy, Charité bien ordonnée, 68 et suivantes. c. Ce petit asile, propriété de l’État, est en activité de 1861 à 1875. Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 94–95. d. Asile privé de la région de Québec, de dimensions modestes, accueillant alcooliques et aliénés. Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 95. e. Le nombre de séjours institutionnels recensés (33) est plus élevé que le nombre d’interdits ayant un parcours institutionnel à la même époque. Je compte le séjour d’une même personne à des endroits différents comme autant d’occurrences. Cette remarque vaut aussi pour le tableau 11.

238

Tableaux

Tableau 11 Institutions recevant des Montréalais interdits pour folie, 1874–1895 Institution

n d’interdits

institutions asilaires de l’île de montréal Asile Saint-Jean-de-Dieu Protestant Hospital for the Insane, Verdun

79 a

Asile Saint-Benoît-Josephb

20 6

autres institutions de l’île de mont réal Prison

6

Hôtel-Dieu

5

Hôpital Notre-Dame

2

autres (une seule occurrence) : Montreal General Hospital; Asile Saint-Jean-Baptiste du village d’Hochelaga (sœurs de la Providence)c; Pension Notre-Dame de Lourdes, rue Sainte-Catherine; sœurs de la Providence, rue Sainte-Catherined; Hospice Gameline; Couvent des sœurs de la Providence, rue Fullumf; «sœurs Grises»; Couvent des sœurs Grises, rue Guy; The Home, institution charitable reliée au Montreal House of Refuge; Miss Gee’s private hospital, avenue McGill College; Ladies Benevolent Institution

11

autres institutions de la province de québec Asile de Beauport

6

autres (une seule occurrence) : Asile de Saint-Jean, district d’Iberville; Asile privé du Dr Walkens, ville de Québec

2

institutions hors québec Asile de Toronto

2

autres (une seule occurrence) : McLean Asylum, Somerville, Massachusetts; Bloomingdale Asylum, New York; Barre School for the Feeble Minded, Massachusetts; Asile privé du D r Brown, Barre, Massachusetts; Asile privé, État de New York

5

cas imprécis Asiles non spécifiés

4

autres (une seule occurrence) : maison de santé; cas inconnu

2

Total

150

Tableaux

239

Tableau 11 Institutions recevant des Montréalais interdits pour folie, 1874–1895 (suite) Source : anqm, cc 601. a. Cet asile psychiatrique, destiné aux personnes de religion protestante, ouvre ses portes en juillet 1890 à Verdun, en banlieue de Montréal. Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 111. b. Saint-Benoît-Joseph, inauguré en 1884, est un petit asile destiné à une clientèle privée d’aliénés et d’alcooliques. Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 41 (fig. 1). c. Il s’agit en apparence d’une institution charitable. d. C’est probablement la même institution charitable que celle identifiée dans le tableau précédent, à la note b. e. Idem. f. Il s’agit de la maison-mère des sœurs de la Providence.

Tableau 12 Institutions spécifiées par les ordres d’internement d’interdits pour ivrognerie à Montréal, 1884–1895 Institution

n d’interdits

Asile Saint-Benoît-Joseph

20d

Asile Saint-Jean-de-Dieu

9d

Bon Pasteura

3d

Belmont Retreatb

3d

Hôpital Notre-Dame

1d

Couvent de la Providence, Montréal

1d

Doctor Harwood’s Establishmentc

1d

Total

38d

Source : anqm, cc 601. a. Il s’agit fort probablement du couvent des sœurs du Bon Pasteur de la rue Sherbrooke. b. Voir le tableau 10. c. Il doit s’agir d’une maison de santé privée. d. Le total de 38 cas est légèrement supérieur au nombre d’ordres d’internement (36) émis par les juges, car dans deux cas l’ordre d’internement comporte un choix entre deux institutions.

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Notes

introduction 1 Modell, «Changing Risks, Changing Adaptations». 2 Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, 136; Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, 40. 3 Sur les familles ouvrières, voir l’incontournable Familles ouvrières à Montréal, de Bettina Bradbury. 4 Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, 43 et suivantes; Harvey, «Montréal et l’immigration au xix e siècle», 36–37. 5 Gagnon, «Parenté et migration». 6 À propos de l’enjeu, pour les familles montréalaises, du maintien des statuts et d’une promotion sociale, même modeste, on lira avec profit Olson, «Pour se créer un avenir». 7 On peut appliquer le concept de sociologie juridique d’internormativité à cette interrogation sur les rapports entre normes différentes et acteurs de calibres divers, comme je l’ai fait dans ma thèse. Voir Nootens, «Fous, prodigues et ivrognes». 8 Pour des exemples québécois de représentations un peu fixistes des normes et de la déviance, voir Lévesque, La norme et les déviantes, Cellard, «Folie, norme et rôles sexuels au Québec dans la seconde moitié du xix e siècle», et Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1600 à 1850. Pour Lévesque, la norme est émise par les discours des élites et est séparée des pratiques sociales. Cellard sépare quant à lui la perception des malades mentaux des réactions à leur présence. La réaction contre un malade mental peut dépendre de bien autre chose que de la «perception» qu’on a de lui. Dans quelles circonstances sa folie est-elle vécue, interprétée et combattue? Bien que «prescriptives» et porteuses du désir de plier les comportements à

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Notes des pages 7 à 13

un certain standard, les normes ne sont pas que des idées : elles sont aussi vécues, jouées et négociées, et parties prenantes des interactions sociales. Dans cette veine, voir par exemple le classique Outsiders, de Howard Becker, 32–33. Goldstein, «The Sociology of Mental Health and Illness», 387–388. Terkelsen, «The Meaning of Mental Illness to the Family»; Thompson et Doll, «The Burden of Families Coping with the Mentally Ill». Ekland-Olson, «Deviance, Social Control and Social Networks», 282. On trouvera en appendice des détails sur l’historique de la procédure au Bas-Canada/Québec, le déroulement des procès, la série documentaire utilisée ici et la manière dont elle a été constituée. On doit à André Cellard la découverte des interdictions comme sources d’une richesse exceptionnelle pour l’histoire de la folie au Québec. Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26; Loi modifiant le code civil, relativement aux personnes qui font usage d’opium ou d’autre narcotique, 59 V. (1895), c. 40. À cause de changements dans les règles de promulgation des lois dans la province, ces deux lois sont entrées en vigueur en 1870 et 1896 respectivement. Article 328 du Code civil du Bas-Canada de 1866. Article 329 du Code civil du Bas-Canada. Article 330 du Code civil du Bas-Canada. Article 331 du Code civil du Bas-Canada. Le conseil judiciaire a habituellement pour tâche de superviser les actes de nature économique de la personne assistée. Sirois, Tutelles et curatelles, 485 et suivantes. Ces affaires figurent dans le fonds des tutelles et curatelles du district judiciaire de Montréal, soit le fonds cc 601 des Archives nationales du Québec à Montréal (dorénavant anqm, cc 601). Cette ventilation générale selon la folie, la prodigalité et l’ivrognerie tient compte du motif principal du recours, motif qui est d’habitude clairement indiqué dans la requête.

chapitre premier 1 anqm, cc 601, 23/05/1872 (date de l’interdiction), no 279 (no de dossier dans le fonds cc 601). Les sources seront toujours citées telles quelles, sauf en ce qui concerne les accents. 2 Fox, So Far Disordered in Mind, 10–11, 163. 3 Warsh, «The First Mrs Rochester», 148; Tomes, A Generous Confidence, 13.

Notes des pages 13 à 14

243

4 Le fait est relevé par quantité d’études. Pour l’Ontario, voir Mitchinson, «Reasons for Committal to a Mid-Nineteenth-Century Ontario Insane Asylum», 104–105, ainsi que Montigny, «The Decline of Family Care for the Aged in Nineteenth-Century Ontario», 362. Pour l’Angleterre, on consultera Walton, «Casting Out and Bringing Back in Victorian England», 139 et 141, de même que Mackenzie, «Social Factors in the Admission, Discharge, and Continuing Stay of Patients at Ticehurst Asylum», 153. En ce qui concerne les États-Unis, il faut se référer à Tomes, A Generous Confidence, 109 et 113, de même qu’à Dwyer, Homes for the Mad, 87. Enfin, pour la France, voir Prestwich, «Family Strategies and Medical Power», 804–806. 5 Tyrrell, «Tasks and Achievements of Alcohol and Temperance Historiography», 383. 6 Sturgis, «The Spectre of a Drunkard’s Grave». 7 Ibid., 115. Ce constat est validé par le bilan historiographique de Marquis, «Alcohol and the Family in Canada», 312. 8 Gotman, Dilapidation et prodigalité. 9 Je m’inspire ici de Bradbury, Familles ouvrières à Montréal. 10 Voir Goy, «Introduction», dans Bonnain, Bouchard et Goy, Transmettre, hériter, succéder, 5. Mentionnons, parmi les études privilégiant la terre : Bouchard, Quelques arpents d’Amérique; Lavallée, La Prairie en Nouvelle-France; Dépatie, «La transmission du patrimoine dans les terroirs en expansion»; Landry et Bates, «Note de recherche. Population et reproduction sociale à l’île d’Orléans aux xvii e et xviii e siècles»; Greer, Peasant, Lord and Merchant, chap. 3; Gervais, «Succession et cycle familial dans le comté de Verchères 1870–1950». 11 Dans Quelques arpents d’Amérique, Bouchard donne quelques indications sur la reproduction de la famille ouvrière urbaine du Saguenay. Il constate des similitudes, en cette matière, avec les tendances égalitaires du monde paysan (327). 12 Bouchard, Dickinson et Goy, Les exclus de la terre. 13 Ibid., 10–11. Voir aussi Dépatie, «La transmission du patrimoine au Canada (xvii e–xviii e siècles)». 14 Bouchard, Quelques arpents d’Amérique, 482. 15 Postolec «L’exclusion de la succession par exhérédation ou par substitution au Canada aux xvii e et xviii e siècles». À propos de l’histoire des conflits familiaux au Québec, il faut mentionner les travaux de Kathryn Harvey sur la violence conjugale et ceux de Marie-Aimée Cliche sur les séparations de corps et les infanticides (entre autres choses). Mais ces auteures ne se réfèrent pas à la problématique de la reproduction

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Notes des pages 14 à 22

sociale. L’objectif de ce chapitre est de marier étude de la déviance et étude de la reproduction sociale. Perrot, «La famille triomphante», 82; Capdevielle, Le fétichisme du patrimoine, 314 et 371. Comacchio, «The History of Us», 214–215. Voir absolument, à ce sujet, Farge, «Les archives du singulier», 185–186; Farge, La vie fragile, 38–39; Daumas, L’affaire d’Esclans, 19 et 52. Daumas, L’affaire d’Esclans, 13. N’ont été retenus dans cette section sur les situations problématiques que les requêtes et témoignages des interdictions réussies, i.e. des procédures qui se sont effectivement soldées par la mise sous curatelle de l’intimé(e). anqm, cc 601, 09/09/1890, no 500. anqm, cc 601, 07/06/1889, no 296. anqm, cc 601,06/05/1845, no 341, et 26/02/1846, no 117. anqm, cc 601, 26/03/1887, no 141. anqm, cc 601, 09/11/1850, no 625. anqm, cc 601, 09/09/1890, no 500. Wright, «Childlike in His Innocence», 131. Voir aussi Wright, «Familial Care of “Idiot” Children in Victorian England», 188–190. anqm, cc 601, 29/02/1864, no 68. anqm, cc 601, 18/05/1886, no 257. anqm, cc 601, 22/06/1821, no 290. anqm, cc 601, 21/02/1853, no 87. anqm, cc 601, 12/05/1853, no 345. anqm, cc 601, 16/10/1871, no 423. anqm, cc 601, 17/02/1865, no 58. anqm, cc 601, 02/07/1886, no 324. anqm, cc 601, 25/02/1870, no 69. anqm, cc 601, 28/05/1890, no 314. Scheff, «Schizophrenia as Ideology», 7. anqm, cc 601, 25/07/1888, no 405. anqm, cc 601, 26/09/1891, no 478. anqm, cc 601, 25/09/1827, no 471. anqm, cc 601, 23/11/1892, no 659. anqm, cc 601, 18/03/1851, no 116. Gotman, Dilapidation et prodigalité, 34. Beauchamp, Répertoire général de jurisprudence canadienne, vol. 4, colonne 731 et suivantes. anqm, cc 601, 04/10/1869, no 353. anqm, cc 601, 06/06/1893, no 269.

Notes des pages 22 à 28

245

48 Bliss, A Living Profit, 21–22; Bliss, Northern Enterprise, 349–352. 49 Rotundo, American Manhood, 168–169, 175. 50 Sur la signification sociale du clivage entre travail manuel et non manuel au dix-neuvième siècle, voir Blumin, The Emergence of the Middle Class. 51 anqm, cc 601, 25/04/1826, no 242. 52 anqm, cc 601, 13/09/1893, no 433. 53 anqm, cc 601, 12/01/1854, no 20. 54 anqm, cc 601, 20/12/1866, no 445. 55 anqm, cc 601, 30/05/1837, no 333. 56 anqm, cc 601, 15/08/1884, no 313. 57 Bradbury, Familles ouvrières à Montréal, 113. 58 anqm, cc 601, 26/09/1887, no 525. 59 anqm, cc 601, 23/03/1888, no 160. 60 Cliche, «Les procès en séparation de corps dans la région de Montréal 1795–1879», 16. 61 Ces deux exceptions sont : anqm, cc 601, 23/03/1886, no 152; et 18/10/1895, no 583. 62 «Being labeled an alcoholic was a social catastrophe for women in Victorian America … The ideal woman was virtuous and pure; alcoholics were degraded. Women defended the home; alcoholics imperiled it. While mothers strove to raise their children in a morally upright environment, drunkards were constant impediments to this task. Alcoholism was considered to be so far from an acceptable standard of behavior for Victorian women that society could explain such conduct only in terms of extreme deviance.» Lender et Martin, Drinking in America, 117–118. 63 anqm, cc 601, 30/04/1866, no 185. 64 anqm, cc 601, 21/09/1870, no 336. 65 anqm, cc 601, 09/02/1892, no 87. 66 anqm, cc 601, 13/05/1884, no 203. 67 Mechanic, «Some factors in Identifying and Defining Mental Illness», 28. 68 Bradbury, Familles ouvrières à Montréal, chap. 6. Le concept de «stratégie» prête à discussion, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre. 69 anqm, cc 601, 11/12/1868, no 496. 70 Pour vendre un bien immobilier de l’interdit, le curateur doit être autorisé en justice à la suite de la réunion d’un conseil de famille. 71 anqm, cc 601, 06/08/1810 (à cette époque ancienne les dossiers du fonds cc 601 ne sont pas numérotés mais seulement datés); 27/02/1835, no 187; 19/01/1838, no 11; 30/03/1839, no 251; 05/07/1839, no 450; 22/09/1840, no 566; 22/12/1853, no 800. 72 Il s’agit fort probablement des loges de l’Hôpital général de Québec.

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Notes des pages 29 à 35

73 Bradbury, «Surviving as a Widow in 19th-Century Montreal», 152. 74 anqm, cc 601, 29/03/1836, no 281; 10/06/1836, no 454; Fonds de la Cour du banc du Roi/de la Reine du district judiciaire de Montréal (dorénavant désigné sous sa cote, tl 19), terme de février 1837, no 443, ex parte M. pour destituer; cc 601, 22/02/1837, no 102; 31/03/1837, no 210; 18/08/1837, no 498; 16/04/1839, no 290; 05/11/1839, no 727; 16/11/1839, no 758. 75 La progression de l’institutionnalisation des malades mentaux et des ivrognes sera abordée au chapitre 4. 76 anqm, cc 601, 16/05/1867, no 209. 77 La femme nommé curatrice a la simple administration des biens de la communauté et des siens propres. Aliéner un immeuble demanderait par exemple l’autorisation d’un juge. Beaudry, Le questionnaire annoté du code civil du Bas-Canada, t. 1, 531. 78 Ce phénomène rappelle la fréquence des nominations de veuves comme tutrices à leurs enfants mineurs, fréquence relevée dans Bradbury, «Itineraries of Marriage and Widowhood in Nineteenth-Century Montreal», 118 et 135 (note 34). 79 Davidoff et Hall, Family Fortunes. 80 Voir à ce titre Tosh, «What Should Historians Do with Masculinity?», 184. 81 Ce cas rappelle l’exemple plus extrême de blocage successoral suscité parfois par le système inégalitaire «à maisons» du sud de la France, lorsque l’héritier, désigné tel lors de son mariage, ne bénéficie d’une transmission concrète qu’au moment de la mort du chef de famille en titre. Derouet, «Dot et héritage», 289–290. 82 Gotman, Dilapidation et prodigalité, 40. 83 anqm, cc 601, 06/06/1893, no 269. 84 Perrot, «Figures et rôles», 146. 85 Daumas, L’affaire d’Esclans, 209 et suivantes, 273 et suivantes. 86 Farge et Foucault, Le désordre des familles, 158–159. 87 Jean-Jacques Lefebvre, «[S. de B., G.-R.]», Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9; Gautier, «La famille de [G.-R. S. de B.] (1810-1865)»; anqm, cc 601, 25/05/1893, no 259; 19/01/1894, no 40; 22/12/1897, no 697; 31/05/1910, no 453. 88 Gotman, Dilapidation et prodigalité, 11. 89 Ibid., 13. Voir aussi 40. 90 anqm, cc 601,18/10/1895, no 583. La zone adjacente au jardin Viger est alors un quartier nettement bourgeois. 91 Poutanen, «The Geography of Prostitution in an Early NineteenthCentury Urban Centre», 102 et 127.

Notes des pages 36 à 43

247

92 Sur les liens entre honneur et appartenance au groupe, voir Daumas, L’affaire d’Esclans, 81 et suivantes. 93 anqm, cc 601, 23/06/1879, no 295; 25/08/1879, no 352; 12/02/1887, no 61; Fonds de la Cour supérieure, greffe de Montréal (dorénavant tp 11), 1879, no 2705, Dame M.E. c. J.L.; tp 11, dossiers de grand format, 1879, no 416, J.L. c. M.E. 94 Bartlett et Wright (dir.), Outside the Walls of the Asylum. 95 Dortier, «Jeux des acteurs et dynamique du changement», 206. 96 Moch et al., dans «Family Strategy», offrent un examen critique et profitable du concept de stratégies. 97 Voir The Oxford English Dictionary, 903–904. 98 Ce qui suit doit beaucoup à Marsh, Families and Mental Retardation, 81–82 en particulier. 99 Terkelsen, «The Evolution of Family Responses to Mental Illness through Time», 151–152. Voir en outre Marsh, Families and Mental Retardation, 14. 100 anqm, TP 11, 1893, no 2131, B. c. D. 101 anqm, cc 601,18/03/1851, no 116; 30/04/1866, no 185. 102 anqm, cc 601,12/01/1891, no 18. 103 anqm, cc 601,18/03/1851, no 116. 104 anqm, cc 601, 06/06/1893, no 269. 105 anqm, cc 601, 17/03/1865, no 93; 17/03/1865, no 94. 106 anqm, cc 601, 11/01/1825, no 7. 107 anqm, cc 601, 16/08/1895, no 448. 108 anqm, cc 601, 09/11/1850, no 625. 109 anqm, cc 601, 14/07/1891, no 351. 110 anqm, cc 601, 20/11/1818, no 567; 21/06/1822, no 276; 29/04/1834, no 332. 111 Comme dans le cas des enfants «idiots». Wright, «Familial Care of “Idiot” Children in Victorian England», 183–184. 112 Bradbury, Familles ouvrières à Montréal, 85 et 87. En Angleterre, la famille nucléaire reste le lieu premier de prise en charge des «idiots» tout au long du dix-neuvième siècle. Wright, «Familial Care of “Idiot” Children in Victorian England», 178. La prise en charge familiale des personnes âgées, quand la chose est possible, ne semble pas diminuer au fil du dix-neuvième siècle en Ontario. Montigny, «The Decline of Family Care for the Aged in Nineteenth-Century Ontario». 113 anqm, cc 601, 09/04/1891, no 187. 114 Bartlett et Wright, «Community Care and its Antecedents», 4–5. 115 Comme l’a très bien montré J. Moran dans Committed to the State Asylum. 116 anqm, cc 601, 21/01/1857, no 28.

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Notes des pages 43 à 49 anqm, cc 601, 21/05/1885, no 259. anqm, cc 601, 30/04/1866, no 185. anqm, cc 601, 13/05/1823, no 190. anqm, cc 601, 21/02/1853, no 87. anqm, cc 601, 12/04/1850, no 225. anqm, cc 601, 05/07/1845, no 461. anqm, cc 601, 06/09/1895, no 492. anqm, cc 601,18/10/1895, no 583. anqm, cc 601, 04/01/1828, no 3. anqm, cc 601, 25/04/1826, no 242. Voir le chap. 4 à ce sujet. anqm, cc 601, 29/03/1836, no 281; tl 19, terme de février 1837, no 443, ex parte M.; cc 601, 22/02/1837, no 102. Keating, La science du mal, 47–48. Moran, Committed to the State Asylum, 17. anqm, tp 11, sous-série ex parte, 1877, no 684, habeas corpus G. Doutre requérant la libération de F.P.; cc 601, 02/10/1877, no 468; tp 11, 1877, no 849, ex parte S. requérant l’interdiction de F.P. Ces cas d’enfermement à domicile sont : anqm, cc 601, 13/05/1823, no 190; 06/08/1822, no 381; 27/07/1836, no 565; 24/01/1846, no 44; 19/04/1848, no 299; 08/05/1868, no 198. Les sœurs de la Providence commencent à garder des aliénés dans le secteur de la Longue-Pointe (où l’asile Saint-Jean-de-Dieu sera construit) dans les années 1850. Mais ce n’est qu’à partir du contrat signé par cette communauté avec le gouvernement, en 1873, que la solution asilaire se développera de manière significative dans la région de Montréal. Voir le chapitre 4. anqm, cc 601, 27/04/1850, no 39. anqm, cc 601, 09/09/1890, no 500. Arnaud, «Infra-droit». anqm, cc 601,11/12/1868, no 496. anqm, cc 601,18/05/1886, no 257. anqm, cc 601,03/02/1832, no 61, et 21/06/1839, no 422. anqm, cc 601, 21/07/1866, no 279. anqm, cc 601, 01/10/1833, no 1094; 01/10/1833, no 1098; 08/10/ 1833, no 1128; 11/10/1839, no 675. anqm, cc 601, 26/11/1828, no 602b; 01/09/1830, no 1079; 03/03/ 1847, no 127; 16/03/1847, no 160; 09/06/1857, no 355; tl 19, terme d’avril 1847, no 2190, D. et ux. c. E. anqm, cc 601, 17/04/1827, no 227, et 30/05/1834, no 394. anqm, cc 601, 23/12/1845, no 793.

Notes des pages 49 à 55

249

144 anqm, cc 601, 04/09/1895, no 486. 145 anqm, cc 601, 22/05/1832, no 328; 15/02/1833, no 187; 30/04/1833, no 610 B. 146 anqm, cc 601, 23/11/1881, no 535. 147 anqm, cc 601, 26/11/1895, no 663, et 18/03/1902, no 214; tp 11, 1902, no 2930, C. c. C.; tp 11, 1903, no 2020, C. c. C. 148 Fontaine, «Droit et stratégies», 1262. 149 Suzuki, «Enclosing and Disclosing Lunatics within the Family Walls», 119 et suivantes. 150 anqm, cc 601,11/09/1895, no 502; tp 11, sous-série ex parte, 1895, no 93, ex parte John C.; tp 11, plumitif des ex parte, 1895-97; tp 11, vol. 6 des jugements de 1895, 60, C. c. S.; tp 11, sous-série ex parte, 1895, no 90a, ex parte John C. c. Dame J.S. 151 Tilly, «Family History, Social History, and Social Change». 152 Castel, Les métamorphoses de la question sociale. 153 K. Polanyi affirme, à propos de la montée en force de la logique du marché autorégulateur au dix-neuvième siècle, que «l’histoire de la civilisation du xix e siècle fut faite en grande partie de tentatives pour protéger la société contre les ravages de ce mécanisme». Polanyi, La grande tranformation, 67. Sur la précarité marquant la condition salariale, voir Gossage, Families in Transition, 55 et 78, de même que Levine, «Industrialization and the Proletarian Family in England», 187. 154 L. Fontaine interprète les stratégies familiales et matrimoniales d’Ancien Régime comme des efforts faits pour tenter de contrôler un futur incertain (vu les taux de mortalité et la prévalence des maladies) et d’assurer l’existence de l’individu et de sa famille. Fontaine, «Droit et stratégies», 1267. 155 Blocker, American Temperance Movements, 20. Sur la dépendance à l’égard des salaires, voir aussi Bradbury, «The Fragmented Family», 111. Avec la séparation croissante des sphères privée et publique, la situation économique des femmes est devenue plus délicate. Lender et Martin, Drinking in America, 106 et 107. 156 Gotman, Dilapidation et prodigalité, 66. 157 Ibid., 67. 158 Ibid., 10, 13 et 195. 159 Lender et Martin, Drinking in America, 107. 160 Voir notamment, à ce sujet : Ryan, Cradle of the Middle Class; l’étude, maintenant vieillie, de Sennett, La famille contre la ville; et Perrot, «Manières d’habiter», 294. 161 Mintz, A Prison of Expectations, 21, 67–70, 118, 126–127.

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Notes des pages 56 à 58

chapitre 2 1 anqm, cc 601, 02/03/1886, no 108. 2 «Droit flexible», «droit soluble»: la sociologie du droit a depuis longtemps mis en évidence la plasticité du droit et la complexité de ses usages sociaux. Sur cette question, voir notamment Belley (dir.), Le droit soluble. Le caractère plus ou moins malléable du droit ne fait cependant pas l’unanimité parmi les chercheurs. 3 Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, 5. 4 Fecteau, «Prolégomènes à une étude historique des rapports entre l’État et le droit dans la société québécoise», 130. 5 Richard Larue s’est penché sur l’importante question de la place de l’individu dans la société du dix-neuvième siècle. Voir Larue, «Code Napoléon et codification des lois civiles au Bas-Canada». 6 Fecteau, «L’enfermement comme panacée», 184. 7 Des réponses seront apportées dans le présent chapitre et le suivant, ainsi qu’en conclusion générale. 8 Le travail de Donald Fyson intitulé «Les historiens du Québec face au droit» est indispensable. Des bilans historiographiques utiles ont été antérieurement réalisés par Masciotra («Quebec Legal Historiography») et Fecteau («L’histoire du droit dans le champ du savoir»). 9 Brisson, La formation d’un droit mixte. Brierley, «Quebec Civil Law Codification» est un exemple ancien d’approche semblable. Cette façon de faire est aussi présente dans les travaux du recueil dirigé par Patrick H. Glenn, Droit québécois et droit français. Pour une approche essentiellement descriptive du droit civil, voir également Zoltvany, «Esquisse de la coutume de Paris». Les articles de David Howes constituent cependant des analyses fines de l’évolution des logiques et fondements des normes juridiques. Howes, «From Polyjurality to Monojurality» et «La domestication de la pensée juridique québécoise». 10 L’étude de John A. Dickinson sur la Prévôté de Québec sous le régime français représente bien ce genre de démarche (Dickinson, Justice et justiciables). L’activité des cours ouvre une fenêtre sur le social pour Dickinson, qui affirme que «l’étude de l’activité judiciaire, en plus de renseigner sur le travail accompli par les officiers, permet de définir les sociétés et, à long terme, de retracer l’évolution des mentalités» (99). Le taux d’activité de la cour dénoterait «un changement dans la mentalité sociale» (179). Ailleurs, «l’examen de la nature des causes permet de reconstituer l’échelle de valeurs mise de l’avant par la société» (117). L’activité d’une cour ne rend pas compte directement des valeurs de ceux qui y font appel,

Notes des pages 58 à 60

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mais d’abord et avant tout de… son activité. Voir aussi la critique de JeanGuy Belley dans «Vers une sociologie historique de la justice québécoise», 414–415. L’article de Sylvio Normand «Justice civile et communauté rurale au Québec» adopte une perspective analogue à celle de l’ouvrage de Dickinson. Enfin, dans «Some Aspects of Civil Litigation in Lower Canada», Evelyn Kolish a voulu établir ce que ses données révélaient sur le rôle et sur le fonctionnement des cours civiles de l’aube du dix-neuvième siècle et sur la société du temps. Or, l’activité judiciaire courante n’est pas la transcription directe des débats, problèmes ou transformations fondamentales qui traversent la société. Bradbury et al., «Property and Marriage»; Gossage, «Tangled Webs». Mentionnons aussi, dans cette catégorie, les différents travaux de MarieAimée Cliche. Fyson, «Les historiens du Québec face au droit», 304 et suivantes. Fecteau, «Prolégomènes à une étude historique des rapports entre l’État et le droit dans la société québécoise»; Young, The Politics of Codification. Voir aussi Larue «Code Napoléon et codification des lois civiles au BasCanada». Notons que Evelyn Kolish a aussi examiné le droit privé comme enjeu politique dans une bonne étude, Nationalismes et conflits de droits. En lien avec les travaux de Young, on peut lire l’article de Murray Greenwood, «Lower Canada (Quebec) : Transformation of Civil Law, from Higher Morality to Autonomous Will 1774–1866». Dans Justice et règlement des conflits dans le gouvernement de Montréal à la fin du régime français, Garneau met en lumière de façon magistrale les pouvoirs, les mécanismes et les jeux d’instances formelles et informelles à l’œuvre dans l’exercice du droit. Garneau, «Droit et “affaires de famille” sur la Côte-de-Beaupré». L’usage examiné par Garneau est la dissolution de la communauté de biens. Sa thèse de doctorat défend avec brio la même perspective («Droit, famille et pratique successorale»). Sur les relations entre droit et pratiques sociales, on lira aussi avec profit Derouet, «Les pratiques familiales, le droit et la construction des différences (15e–19e siècles)», ainsi que Fontaine, «Droit et stratégies». Il s’agit de recours à l’interdiction, c’est-à-dire qu’y figurent aussi les quelques procédures d’interdiction rejetées (11) et les quelques procédures d’interdiction interrompues (5) relevées. Les quelques procédures qui se soldent par la nomination d’un conseil judiciaire ont été laissées de côté. Données tirées de Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, 136, et de Linteau, Durocher et Robert, Histoire du Québec contemporain, 153.

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Notes des pages 61 à 69

18 À propos des divers ralentissements économiques de la seconde moitié du dix-neuvième siècle qui affectent Montréal, voir Bradbury, Familles ouvrières à Montréal, 131–133, 163. 19 Cette question sera abordée au chapitre 4. 20 La répartition des dossiers selon la langue a été faite à partir des patronymes. Les quelques noms étrangers ont été versés au groupe des anglophones. Jusqu’à l’aube du vingtième siècle, la proportion de Montréalais d’ascendance autre que britannique ou française est plutôt négligeable. 21 Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, 44–45. 22 La répartition d’individus en catégories professionnelles est nécessairement imparfaite. Un même titre ou des professions semblables n’impliquent pas que la place occupée dans le système de production, la richesse et le prestige soient équivalents. Le terme «marchand» recouvre des conditions diverses; certains individus dits «bourgeois» ou «gentilshommes» sont parfois de modestes retraités. Cependant, la classification des intimés en catégories professionnelles approximatives représente assez bien les divers milieux qui font appel à l’interdiction. 23 Bradbury, Familles ouvrières à Montréal, 41. 24 anqm, cc 601, 09/01/1884, no 6. 25 Art. 177 du Code civil du Bas-Canada. 26 anqm, cc 601, 12/01/1887, no 9. 27 L’âge n’est pas assez souvent indiqué pour être pris en compte, et ce, tant pour les hommes que pour les femmes considérés ivrognes. 28 Noel, Canada Dry, chapitres 11 et 12. 29 Sirois, Tutelles et curatelles, 409. 30 anqm, cc 601, 15/03/1880, no 130. 31 anqm, cc 601, 20/09/1832, no 871. 32 anqm, cc 601, 24/11/1883, no 506. 33 anqm, cc 601, 06/10/1877, no 482. 34 anqm, cc 601, 19/04/1886, no 207. 35 anqm, cc 601, 13/04/1888, no 212. 36 anqm, cc 601, 14/04/1893, no 185, et tp 11, 1893, no 2750, C. vs S. 37 anqm, cc 601, 19/07/1843, no 331. 38 anqm, cc 601, 08/03/1866, no 90. 39 Gudrun Hopf a étudié des documents autrichiens semblables à la curatelle. Elle a également fait ressortir la très grande importance des intérêts patrimoniaux et des préoccupations matérielles de l’entourage dans le sort réservé aux personnes jugées mentalement inaptes. Hopf, «“Cretins” and “Idiots” in an Austrian Alpine Valley in the Late 19th and Early 20th Centuries», 12.

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anqm, cc 601, 27/08/1886, no 411. anqm, cc 601, 06/12/1878, no 487. anqm, cc 601, 27/07/1878, no 308. anqm, cc 601, 22/02/1850, no 53. anqm, cc 601, 22/08/1846, no 528. anqm, cc 601, 27/04/1850, no 39. anqm, cc 601, 26/08/1890, no 475. anqm, cc 601, 24/08/1847, no 546; 03/07/1849, no 423; 19/12/1849, no 837. Becker, Outsiders, 185. Cellard, «Folie, internement et érosion des solidarités familiales au Québec», 52. Exemples : 19,35 $ (anqm, cc 601, 05/08/1889, no 419); 21,10 $ (12/05/1893, no 241); 39,75 $ (24/07/1893, no 347); 27,85 $ (14/12/1894, no 697); 24,25 $ (09/11/1895, no 634); 33,73 $ (20/12/1895, no 706). Il est difficile de savoir si ces montants incluent les frais d’avocat, frais probablement assez peu élevés pour des interdictions non contestées. La remarque vaut également pour les procédures non contestées visant des ivrognes. Exemples : 27,85 $ (anqm, cc 601, 22/10/1892, no 587); 47.95 $ (16/01/1893, no 15); 29,55 $ (14/02/1894, no 100); 42,20 $ (15/11/ 1894, no 627); 35,80 $ (10/12/1894, no 686); 24,60 $ (30/09/1895, no 543). Terry Copp a établi à environ 405 $ par an le salaire moyen, en 1901, des travailleurs masculins des manufactures montréalaises. Copp, Classe ouvrière et pauvreté, 31. anqm, cc 601, 01/04/1892, no 204. anqm, cc 601, 06/10/1894, no 550; 18/10/1895, no 583. anqm, cc 601, 04/01/1895, no 1 1/2; 14/05/1895, no 277. anqm, cc 601, 12/03/1887, no 115. anqm, cc 601, 06/06/1893, no 269. Charles L. a donc reçu des biens de la succession du mari d’Exilia, à charge de les remettre plus tard à un ou des tiers. Archives du palais de justice de Montréal, 26/05/1894, no 615 du répertoire du notaire W.J. Proulx, arrangement entre C.L. et E.R.; anqm, cc 601, 08/11/1895, no 632. Art. 327 du Code civil du Bas-Canada. Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 1. 1874, D’Estimauville c. Tousignant, The Quebec Law Reports, vol. 1, 39.

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Notes des pages 80 à 89

63 1881, Clément et Francis, Décisions de la Cour d’appel, vol. 1, 348. 64 Sirois, Tutelles et curatelles, 396. F. Langelier est du même avis. Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 2, 16. 65 Peu nombreuses, les affaires de prodigalité ne comportent pas de tendance particulière en ce qui a trait à l’identité des requérants. 66 anqm, cc 601, 11/01/1825, no 7. 67 Tableau 1. 68 Voir le chapitre 4 à ce sujet. 69 anqm, cc 601, 18/05/1886, no 257. 70 anqm, cc 601, 16/09/1887, no 500. 71 anqm, cc 601, 01/07/1850, no 379. 72 anqm, cc 601, 08/03/1894, no 150, et 14/11/1895, no 642. 73 anqm, cc 601, 05/02/1879, no 43. 74 anqm, cc 601, 23/03/1886, no 152. 75 anqm, cc 601, 24/07/1891, no 373. 76 anqm, cc 601, 23/03/1888, no 160. 77 anqm, cc 601, 06/05/1889, no 229. 78 Wilson, «Bees». 79 anqm, cc 601, 21/06/1826, no 326, et 14/11/1836, no 854. 80 anqm, cc 601, 04/01/1828, no 3. 81 anqm, cc 601, 13/09/1856, no 582. 82 anqm, cc 601, 29/08/1850, no 485. 83 anqm, cc 601, 12/01/1854, no 20. 84 Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 2, 29. 85 Mignault, Le droit civil canadien basé sur les Répétitions écrites sur le code civil de Frédéric Mourlon, t. 2, 307. 86 anqm, cc 601, 30/05/1837, no 333. 87 anqm, cc 601, 14/08/1835, no 670. 88 anqm, cc 601, 13/02/1856, no 79. Pour d’autres affaires antérieures à 1870 combinant ivrognerie, mauvaise gestion et pauvreté qui affecte la famille, voir : anqm, cc 601, 25/04/1826, no 242; 24/08/1832, no 648c; l’histoire de Luc D. (27/02/1835, no 187; 30/03/1839, no 251; 05/07/ 1839, no 450; 22/09/1840, no 566 et 22/12/1853, no 800); 13/11/1835, no 916; 29/08/1850, no 485; 12/01/1854, no 20; 23/11/1860, no 381; 20/12/1866, no 445; 09/07/1868, no 273. 89 Voir le chapitre premier. 90 anqm, cc 601, 23/06/1879, no 295, et 25/08/1879, no 352; tp 11, 1879, no 2705, Dame M.E. c. J.L.; tp 11, dossiers de grand format, 1879, no 416, J.L. c. M.E.

Notes des pages 90 à 98

255

91 anqm, cc 601, 10/01/1871, no 12; TP 11, dossiers de grand format, 1871, no 851, C. c. D.; TP 11, vol. 2 des jugements de 1872, 825; 1872, C. c. D., The Lower Canada Jurist, vol. 17, 59–63. 92 anqm, cc 601, 06/12/1880, no 525. 93 Pour d’autres exemples, voir anqm, cc 601, 08/03/1886, no 124, ou 01/10/1891, no 486. La jurisprudence renferme aussi des conflits de ce type (1866, Evanturel c. Evanturel, Lower-Canada Reports, vol. 16, 353– 372; 1892, Baptist et Baptist, Les rapports judiciaires officiels de Québec. Cour du banc de la Reine, vol. 1, 447–491). 94 anqm, cc 601, 04/01/1895, no 1 1/2. 95 anqm, cc 601, 26/12/1885, no 591. 96 anqm, cc 601, 26/11/1895, no 663; 18/03/1902, no 214; 1901, Dame C. c. C., Rapports de pratique de Québec, vol. 4, 427–428; TP 11, 1902, no 2930, C. c. C.; tp 11, 1903, no 2020, C. c. C. 97 Code civil du Bas-Canada, art. 251. Voir également l’art. 329. 98 Mignault, Le droit civil canadien, 278. 99 Sirois, Tutelles et curatelles, 400. 100 1876, Dufaux et Robillard, La revue légale, vol. 7, 470–471. 101 1902, Longtin c. Longtin, La revue de jurisprudence, vol. 9, 217– 220. 102 Leur contribution aux procès sera analysée au chapitre suivant. 103 Lors de procès pour mainlevée (pour mettre fin à l’interdiction), le juge convoque parfois délibérément les membres du conseil qui s’était prononcé en faveur de l’interdiction. Le parcours judiciaire de William H. en témoigne : anqm, cc 601, 22/06/1821, no 290, 17/07/1821, no 356, et 13/12/1821, no 568. 104 anqm, cc 601, 23/12/1845, no 793, et 10/01/1846, no 7. 105 anqm, cc 601, 15/11/1894, no 627. 106 Ce qui exclut le grand nombre de conseils de famille réunis à l’occasion de demandes d’autorisation à vendre, de changements de curateur, de requêtes en mainlevée d’interdiction, etc. 107 anqm, cc 601, 23/11/1881, no 535. 108 anqm, cc 601, 30/10/1886, no 523. Des gens qui s’opposent à une interdiction en tant que membres du conseil peuvent néanmoins indiquer quelle personne ils aimeraient voir nommée curateur ou curatrice si l’interdiction était malgré tout prononcée. 109 anqm, cc 601, 04/07/1877, no 314. 110 anqm, cc 601, 09/07/1845, no 470, et 04/09/1845, no 576. 111 anqm, cc 601, 04/02/1891, no 57.

256

Notes des pages 98 à 109

112 Ces héritages contribueraient évidemment au bien-être matériel et symbolique de leurs ménages. Le contrôle de l’époux sur les biens de sa femme varie selon le régime matrimonial qui les unit (communauté ou séparation de biens). Le mainmise du mari est fort importante même sous le régime de la séparation de biens. 113 anqm, cc 601, 21/11/1893, no 581; 06/09/1895, no 492; 11/05/1896, no 283; 03/06/1896, no 320; 09/10/1896, no 582; 15/06/1898, no 334; tp 11, 1898, no 1527, A. c. Y.; TP 11, vol. 5 des jugements de 1899, no 1173.

chapitre 3 1 Comme le fait Sylvie Perrier dans son étude sur la tutelle des mineurs dans la France d’Ancien Régime. Perrier, Des enfances protégées, 15, 18, 28, 49, 63, 229 et 231. 2 Code civil du Bas-Canada, art. 325. 3 Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 2, 13. 4 Ibid., 14. 5 Beauchamp, Répertoire général de jurisprudence canadienne, vol. 1, 226. 6 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 271, note a. 7 Sirois, Tutelles et curatelles, 392. 8 1908, Gingras et Richard, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 18, 154. Je souligne. 9 1911, Chatelle et Chatelle, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 21, 160. 10 Ibid., 158 et suivantes. Un vice de procédure (l’interrogatoire n’a pas été conduit selon les règles de l’art) est la cause principale de l’annulation de l’interdiction prononcée contre la dame. 11 Jackson, «“It Begins with the Goose and Ends with the Goose”», 374. 12 Code civil du Bas-Canada, art. 326. 13 Langelier, Cours de droit civil, t. 2, 15. 14 Sirois, Tutelles et curatelles, 393. Je souligne. 15 Langelier, Cours de droit civil, t. 2, 15. 16 1907, Sainte-Marie c. Bourelle, Les rapports judiciaires de Québec. Cour supérieure, vol. 31, 355. Je souligne. 17 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 1. 18 Ibid., art. 12. 19 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 306. 20 Ibid., 307. 21 Sirois, Tutelles et curatelles, 418.

Notes des pages 109 à 112

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22 Langelier, Cours de droit civil, t. 2, 29. 23 1888, Heppel et Billy, The Quebec Law Reports, vol. 15, 46. 24 1889, Greene et Mappin, The Montreal Law Reports. Court of Queen’s Bench, vol. 5, 110. 25 Assemblée nationale du Québec, Débats de l’Assemblée législative, 1ère législature, 3e session, 1869–1870, 137. 26 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 1. 27 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 309. Langelier ne mentionne pas cette possibilité. Selon lui, l’ami ne peut agir qu’à défaut de parents et d’alliés. Langelier, Cours de droit civil, t. 2, 31. 28 Sirois, Tutelles et curatelles, 396, 397 et 420. 29 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 4. 30 Certains dossiers, exempts de dépositions écrites, contiennent des listes impressionnantes de témoins appelés à la barre. 31 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 310. 32 Martineau et Delfausse, Code de procédure civile de la province de Québec annoté, 726 et suivantes. 33 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 7 et 13. Je souligne. 34 Ibid., préambule. 35 Ibid., art. 17. Les mesures concernant l’internement des ivrognes d’habitude seront examinées plus en détail au chapitre suivant. 36 Ibid., art. 3. 37 Acte pour amender l’acte de cette province 33 Vict., chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude», 42–43 V. (1879), c. 28. 38 Sur l’incapacité des ivrognes d’habitude, voir Sirois, Tutelles et curatelles, 428 et 429. 39 Noel, Canada Dry, 9–12, 77 et 87. 40 Noel, «Dry Patriotism», 36–40. La première société de tempérance du Bas-Canada est fondée à Montréal en 1828. Blais Hildebrand, Les débuts du mouvement de tempérance dans le Bas-Canada, 32. 41 Martin, «Moral Suasion». 42 Baumohl et Room, «Inebriety, Doctors, and the State»; Baumohl, «Inebriate Institutions in North America». 43 L’ivrognerie habituelle en France peut cependant tomber sous la coupe du conseil judiciaire, par l’entremise de l’article 499 du code Napoléon. Cet article n’est cependant pas consacré aux ivrognes. Assez vague, il vise

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surtout, implicitement, la catégorie elle-même floue des «faibles d’esprit». Nootens, «Fous, prodigues et faibles d’esprit», 50–52. Ainsi, Cheryl Krasnick Warsh fait fausse route lorsqu’elle laisse entendre que cette loi de 1873 permet l’envoi dans des asiles privés des alcooliques dangereux ou des ivrognes qui dilapident leurs biens. Warsh, Moments of Unreason, 12. An Act to Provide for the Establishment of an Hospital for the Reclamation and Cure of Habitual Drunkards, Statutes of the Province of Ontario, 36 V. (1873), c. 33. Le petit asile provincial pour ivrognes d’Hamilton est transformé en asile d’aliénés avant même son ouverture. On tient un référendum à la fin des années 1880 à Toronto au sujet de la construction d’un asile public pour ivrognes; le projet est rejeté. Au tout début du vingtième siècle, la Ontario Society for the Reformation of Inebriates transfère des ivrognes de la cour de police de Toronto à un quartier spécial du Toronto General Hospital. Enfin, les démarches d’un réformateur auprès du gouvernement ontarien à la fin des années 1890, en vue de construire un asile pour ivrognes, sont infructueuses. Baumohl, «Inebriate Institutions in North America», 107– 112 (notes comprises). An Act Respecting Private Asylums for Insane Persons and Inebriates, Statutes of the Province of Ontario, 46 V. (1882–1883), c. 28. Dans les lois révisées de l’Ontario de 1897, la procédure de certification des ivrognes d’habitude n’est encore destinée qu’à leur internement, dans un asile privé quelconque. The Revised Statutes of Ontario, 1897, vol. 2, c. 318, art. 97 à 108. Radzinowicz et Hood, «Curing and Restricting the Habitual Drunkard», 294 et suivantes. Valverde, Diseases of the Will, chapitre 4. De la Cour et Reaume, «Patient Perspectives in Psychiatric Case Files»; Reaume, «Keep Your Labels Off My Mind!» De la Cour et Reaume, «Patient Perspectives in Psychiatric Case Files», 260. Je souligne. Reaume, Remembrance of Patients Past. Ibid., 166 et suivantes. Ibid., 168. Reaume souligne lui-même qu’il est difficile de savoir ce que les patients pensaient durant leurs années de labeur institutionnel (173). Dès lors, comment parler de fierté et d’estime de soi? Dans sa conclusion, surtout. Reaume analyse aussi de manière très efficace les abus commis envers les patients et l’exploitation de leur travail. Reaume, Remembrance of Patients Past, 5, 22, 244, 245 et 253. Voir aussi Reaume, «Portraits of People with Mental Disorders in English Canadian History».

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anqm, cc 601, 16/10/1837, no 615. Voir aussi 04/02/1862, no 34. anqm, cc 601, 29/01/1884, no 44. anqm, cc 601, 06/02/1880, no 62. anqm, cc 601, 02/08/1882, no 350. anqm, cc 601, 16/09/1880, no 411. anqm, cc 601, 18/06/1862, no 191. anqm, cc 601, 23/10/1878, no 423. anqm, cc 601, 21/05/1885, no 259. anqm, cc 601, 22/06/1821, no 290. anqm, cc 601, 18/05/1886, no 257. anqm, cc 601, 01/07/1850, no 379. anqm, cc 601, 28/11/1884, no 472. Hormis une exception, de l’année 1878. anqm, cc 601, 03/04/1871, no 169. Il ne s’agit pas de l’asile Saint-Jeande-Dieu mais bien de l’asile étatique à Saint-Jean-d’Iberville (dans la région du Richelieu), en opération de 1861 à 1875. anqm, cc 601, 09/10/1879, no 420. Le retour de l’interrogatoire des personnes internées, à la fin des années 1870, ne semble pas faire suite à une décision de jurisprudence particulière. Sirois, Tutelles et curatelles, 402. anqm, cc 601, 29/07/1878, no 309. anqm, cc 601, 09/08/1879, no 339. anqm, cc 601, 30/04/1881, no 240. anqm, cc 601, 02/08/1882, no 350. anqm, cc 601, 02/05/1843, no 222. anqm, cc 601, 16/12/1848, no 783. anqm, cc 601, 27/06/1890, no 367. anqm, cc 601, 20/04/1886, no 209. anqm, cc 601, 21/07/1866, no 279. anqm, cc 601, 13/08/1890, no 457. Voir aussi 19/04/1848, no 299. anqm, cc 601, 01/08/1851, no 359; 26/07/1890, no 430; 25/04/1893, no 206; 14/12/1894, no 697. anqm, cc 601, 31/10/1893, no 533. anqm, cc 601, 07/06/1887, no 301. anqm, cc 601, 04/12/1895, no 675. anqm, cc 601, 22/05/1889, no 267. anqm, cc 601, 14/03/1868, no 104. anqm, cc 601, 18/04/1873, no 199. anqm, cc 601, 15/06/1847, no 394.

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Notes des pages 119 à 130 anqm, cc 601, 21/01/1862, no 20. anqm, cc 601, 19/07/1843, no 331. anqm, cc 601, 11/01/1825, no 7. anqm, cc 601, 06/02/1880, no 62. anqm, cc 601, 15/03/1880, no 130. Voir à ce sujet l’excellent A Prison of Expectations, de Steven Mintz. anqm, cc 601, 11/03/1863, no 77. Malgré deux tentatives de mainlevée, James demeurera sous la coupe d’un conseil judiciaire. Rappelons que les pouvoirs du conseil judiciaire sont moins étendus que ceux du curateur. Le conseil doit surtout assister son protégé dans des opérations à caractère économique. anqm, cc 601, 25/04/1837, no 274; 06/05/1839, no 347; 05/07/1845, no 461; tl 19, mai 1845, no 1523, G. c. P. anqm, cc 601, 05/06/1888, no 310. Arnaud, «Infra-droit», 300. anqm, cc 601, 21/04/1892, no 237. anqm, cc 601, 27/06/1892, no 373. Une quarantaine d’intimés ont les ressources et la capacité mentale nécessaires pour recourir aux services d’un avocat. anqm, cc 601, 28/02/1838, no 70; 17/06/1839, no 418; tl 19, vol. 2 des registres de jugements de 1839, p. 1357, B. c. P.; tl 19, 15/07/1839, no 1219, B. c. P.; cc 601, 03/03/1840, no 141; 03/03/1840, no 142; 06/ 03/1840, no 153; 31/01/1843, no 34; 12/07/1845, no 477 (il s’agit du dossier d’interdiction, qui contient notamment les longues explications d’Élise). Marie-Aimée Cliche a noté l’importance de l’appui de la famille pour les femmes du dix-neuvième siècle qui font face à des situations pouvant conduire à une séparation de corps (violence, alcoolisme, etc.). Cliche, «Les procès en séparation de corps dans la région de Montréal 1795–1879», 18. Voir les chapitres 1 et 2 à son sujet. Daumas, L’affaire d’Esclans, 44 et suivantes. 1911, Chatelle et Chatelle, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 21, 161. Les cas de jurisprudence examinés proviennent de tout le Bas-Canada/ province de Québec. 1876, Dufaux et Robillard, La revue légale, vol. 7, 470–471. 1902, Longtin c. Longtin, La revue de jurisprudence, vol. 9, 217. 1889, Lafontaine c. Lafontaine, The Lower Canada Jurist, vol. 34, 111. 1876, Béliveau et Chèvrefils, Rapports judiciaires de Québec, vol. 2, 191–200; 1896, In re Hébert, La revue de jurisprudence, vol. 2, 367–368; 1902, Tessier c. Dubeau, La revue de jurisprudence, vol. 9, 323–326.

Notes des pages 132 à 137

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116 1899, Léveillé c. Léveillé, La revue de jurisprudence, vol. 5, 380–381. Cette cause est d’ailleurs entachée d’autres irrégularités. 117 1911, Chatelle c. Chatelle, La revue légale. Nouvelle série, vol. 17, 368. Cette cause est décrite plus en détail dans Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 21, 158–162. 118 Au sujet des protonotaires, voir Audet, Les officiers de justice. 119 Acte pour amender les actes de judicature du Bas-Canada, 20 V. (1857), c. 44, art. 91. 120 Code civil du Bas-Canada. Premier, Second et Troisième rapports, 224. 121 Ibid. 122 De Lorimier et Vilbon, La bibliothèque du code civil de la province de Québec, vol. 3, 83. Cette proposition des codificateurs de retirer aux protonotaires leur pouvoir en matière de tutelles et curatelles a été critiquée par des juges (Morin, «La perception de l’ancien droit et du nouveau droit français au Bas-Canada», 35). Leur importante charge de travail y est assurément pour quelque chose. 123 Audet, Les officiers de justice, 103, note 507. Dans le district de Montréal, le député-protonotaire finit par exercer certains pouvoirs du protonotaire. 124 1876, Dufaux et Robillard, La revue légale, vol. 7, 473. 125 Loi amendant le Code civil, 63 V. (1900), c. 39. 126 J. Moran a étudié des documents assez semblables aux dossiers d’interdiction, soit des writs de lunatico inquirendo, produits au New Jersey durant la première moitié du dix-neuvième siècle. Il n’a trouvé aucun refus opposé par les autorités judiciaires à une demande de retrait de la capacité civile. Moran, «Asylum in the Community», 227. 127 anqm, cc 601, 13/11/1835, no 916. 128 Dans un cas tout à fait isolé (anqm, cc 601, 13/03/1889, no 116), les membres du conseil se prononcent à l’unanimité contre l’interdiction. 129 anqm, cc 601, 08/06/1883, no 234. 130 anqm, cc 601, 11/05/1865, no 165. 131 anqm, cc 601, 08/06/1883, no 234. 132 anqm, cc 601, 06/10/1894, no 550. 133 Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, 41 et 60. 134 Dortier, «Robert K. Merton», 96. 135 Sur ce point précis, mon analyse rejoint celle de Sylvie Perrier qui, dans son étude sur la tutelle en France sous l’Ancien Régime, affirme que «la mise sous tutelle des mineurs est un autre de ces mécanismes, à la fois juridiques et sociaux, qui permettaient aux familles de résister collectivement aux coups du sort, en protégeant à la fois le patrimoine familial et les enfants devenus orphelins». Perrier, Des enfances protégées, 12. Voir aussi 232.

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Notes des pages 139 à 149

136 anqm, cc 601, 04/12/1841, no 747; 04/12/1841, no 748; 04/12/1841, no 749. 137 anqm, cc 601, 13/03/1838, no 87; 24/01/1846, no 42; 24/01/1846, no 44; 21/05/1870, no 196; 18/04/1873, no 200; 27/01/1874, no 34. 138 Pour un autre exemple : anqm, cc 601, 19/03/1895, no 154, et 19/03/ 1895, no 155. 139 Sur la fonction du droit dans la résolution des conflits, voir Arnaud et Farinas Dulce, Introduction à l’analyse sociologique des systèmes juridiques, 118 et suivantes. 140 anqm, cc 601, 04/01/1895, no 1 1/2. 141 Belley, «Une métaphore chimique pour le droit», 7–8, 12. 142 Belley, «Conclusion – Un nouvel esprit scientifique pour l’internormativité», 274. 143 Pour une autre critique de la position minimaliste de Belley quant au statut du droit étatique parmi les autres ordres normatifs de la société, voir Fyson «Les historiens du Québec face au droit», 323–324.

chapitre 4 1 anqm, cc 601,17/04/1827, no 227. 2 La prodigalité, qui concerne peu d’individus, ne fait pas l’objet de discours médicaux spécifiques ou de l’instauration de solutions institutionnelles spécialisées. 3 Robert Castel utilise une définition plus radicale de la médicalisation de la folie. Le processus, consacré par la loi de 1838 en France, implique pour cet auteur la reconnaissance de la compétence des médecins à ce sujet et l’instauration de leur «monopole» de la «prise en charge légitime» des fous. Castel, L’ordre psychiatrique, 11, 16 et 61. Pour Peter Conrad et Joseph Schneider, une conséquence de la médicalisation d’une déviance est la domination substantielle des médecins, comme experts, dans la gestion d’un problème. Conrad et Schneider, «Medicine as an Institution of Social Control», 497. 4 Brown, «What Shall We Do with the Inebriate?», 51. 5 Bibaud, Commentaires sur les lois du Bas-Canada, t. 1, 82. 6 Robert, Soubiran-Paillet et Van de Kerchove, «Normativités et internormativités», 29. 7 Keating, La science du mal, 147. 8 Goulet, Histoire du Collège des médecins du Québec 1847–1997, 22, 81–85. 9 Freidson, La profession médicale, 329. 10 Voir la Loi amendant le code civil, 63 V. (1900), c. 39, analysée infra.

Notes des pages 149 à 154

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11 Paradis et Naubert, Recension bibliographique, 13 et 14. 12 Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 52. 13 McGovern, Masters of Madness, 44. Sur la professionnalisation des aliénistes au dix-neuvième siècle, on consultera également Dowbiggin, Inheriting Madness, et Goldstein, Console and Classify. 14 Un dossier peut contenir plusieurs interventions médicales, et même contenir des interventions des deux types (médecins non spécialistes et aliénistes). Sur les 134 dossiers d’interdiction pour folie où une implication médicale est tangible, 101 ne comptent qu’une intervention, 25 en comptent 2, 6 en comptent 3, un seul en a 4. Au-delà, on ne rencontre qu’un cas exceptionnel comportant huit interventions. 15 Voir par exemple les certificats médicaux nécessaires pour faire interner dans l’Acte relatif aux asiles d’aliénés dans la province de Québec, 48 V. (1885), c. 34. 16 Le total d’interventions est supérieur à 134 puisque quelques dossiers (7) comportent à la fois des certificats d’aliénistes et des interventions de médecins non spécialistes. 17 De 1880 à 1895 inclusivement, donc au moment où l’asile est bien en place, 21 dossiers comportent un ou des certificats asilaires. Vingt-deux dossiers comptent une ou des interventions de médecins non spécialistes. 18 Krasnick, «Because There Is Pain», 17–19. Voir aussi Brown, «What Shall We Do with the Inebriate?», 51. 19 anqm, cc 601, 13/09/1856, no 582. 20 anqm, cc 601, 11/05/1865, no 165. 21 anqm, cc 601, 30/04/1866, no 185. 22 anqm, cc 601, 20/12/1866, no 445. 23 Vu le très faible nombre d’interventions médicales dans les cas d’ivrognerie et leur concision, je m’attarde ici aux interdictions pour folie. 24 anqm, cc 601, 02/11/1867, no 403. 25 anqm, cc 601, 11/01/1825, no 7. 26 Le Dr Hingston, important personnage de l’histoire de la médecine au Québec et maire de Montréal de 1875 à 1877, sera aussi mêlé dans les années 1890 à un litige concernant l’internement d’un individu, John C. (voir infra). Keating, La science du mal, 87–88. Sur Hingston, voir Denis Goulet et Othmar Keel, «Hingston, sir William Hales», Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13. 27 anqm, cc 601, 18/06/1862, no 191. 28 Voir aussi à ce sujet Tomes, A Generous Confidence, 122, ainsi que Dwyer, Homes for the Mad, 118. 29 anqm, cc 601, 12/07/1869, no 247.

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Notes des pages 154 à 160

anqm, cc 601, 11/03/1863, no 77. anqm, cc 601, 03/10/1868, no 382. anqm, cc 601, 22/06/1821, no 290. anqm, cc 601, 02/08/1854, no 475. Hopf, «“Cretins” and “Idiots” in an Austrian Alpine Valley in the Late 19th and Early 20th Centuries», 22. anqm, cc 601, 31/10/1893, no 533. anqm, cc 601, 30/06/1871, no 257. anqm, cc 601, 17/01/1888, no 29. Keating, La science du mal, 116. anqm, cc 601, 03/10/1890, no 557. Voir cependant le cas de l’interdiction conflictuelle de Rose M. anqm, cc 601, 04/01/1895, no 1 1/2. anqm, cc 601, 26/12/1885, no 591. 1908, Gingras c. Richard, La revue de jurisprudence, vol. 15, 26. 1908, Gingras et Richard, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 18, 154. Ibid., 158. Voir les art. 335 et 986 du Code civil du Bas-Canada (1866). Pour cette histoire, voir : anqm, cc 601, 15/06/1893, no 287; tp 11, 1893, no 2131, Brady c. Dubois; 1895, Brady et Dubois, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc de la Reine, vol. 5, 407–417. Deux juges de la Cour du banc du Reine ne souscrivent pas à la décision finalement rendue. Le juge Bossé se dira notamment en accord avec la position du Dr Duquette. Le repérage des litiges testamentaires mettant en cause l’état mental du testateur a été mené à partir du vol. 4 du Répertoire général de jurisprudence canadienne de J.J. Beauchamp, 660 et suivantes, de même qu’à partir d’un autre ouvrage du même juriste, Le code civil de la province de Québec annoté (tome 1). Les causes publiées dans les périodiques de jurisprudence sont des litiges que des rapporteurs ont cru bon de porter à l’attention des autres professionnels du droit. Mais ces rapports, parfois très détaillés, renferment la plupart du temps les motifs à partir desquels les juges ont tranché le litige. Si l’expertise aliéniste s’imposait en cours d’instance, les rapports en conserveraient sûrement la trace. 1882, Russell et Lefrançois, Décisions de la Cour d’appel, vol. 2, 311. Sur Simpson, voir John Galbraith, «Simpson, sir George», Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8. 1864, Colvile et Flanagan, The Lower Canada Jurist, vol. 8, 255. Ibid., 257.

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52 Ibid., 268. 53 La seule exception serait une éventuelle participation du Dr Jean-Étienne Landry, l’un des propriétaires de Beauport, à la cause Évanturel c. Évanturel (1866, Lower-Canada Reports, vol. 16, 353–372). 54 Mohr, «The Paradoxical Advance and Embattled Retreat of the “Unsound Mind”». 55 Pour ces procès, voir Grenier, Les monstres, les fous et les autres. 56 Ibid., 14 et 66. 57 Labrèche-Renaud, Les racines juridiques de l’aliénation mentale et l’institutionnalisation au Québec, 208, 210, 216, 219, 221, 363 et suivantes, 484–485. D’ailleurs, Guy Grenier ignore, dans son ouvrage, l’importante thèse de Louise Labrèche-Renaud. 58 Grenier, Les monstres, les fous et les autres, 17 et 243. 59 Les deux seules exceptions étant le cas de Riel et l’affaire Dubois. VerdunJones, «The Evolution of the Defences of Insanity and Automatism in Canada from 1843 to 1979», 14–15. 60 1904, Hotte c. Birabin, Les rapports judiciaires de Québec. Cour supérieure, vol. 25, 283, 285, 292–293, 295–296. 61 Ibid., 295–296. Fait intéressant, cette opinion l’emporte sur l’avis d’un médecin non spécialiste qui connaît le testateur depuis très longtemps et pour qui l’aphasie signale une incapacité mentale et rend inapte à faire un testament. 62 Ibid. 63 1905, The Ministers and Members of St. Andrews Church et Brodie, Les rapports judiciaires de Québec. Cour du banc du Roi, vol. 14, 149–161. 64 1883, Russell et Lefrançois, Reports of the Supreme Court of Canada, vol. 8, 383 et 384. 65 1882, Russell et Lefrançois, Décisions de la Cour d’appel, vol. 2, 298. L’opinion d’un médecin est mentionnée par la Cour du banc du Roi et la Cour suprême, mais cet aspect n’est pas dominant. 66 Ibid., 313. 67 1892, Baptist et Baptist, Les rapports judiciaires officiels de Québec. Cour du banc de la Reine, vol. 1, 447–491; 1894, Baptist et Baptist, Reports of the Supreme Court of Canada, vol. 23, 37–61. 68 En dehors des litiges testamentaires proprement dits, quelques rapports de jurisprudence réfèrent aussi à des poursuites relatives à la capacité mentale d’un individu, dans un contexte de transmission ou de transfert de biens. Ces rapports traduisent de même la quasi-absence de considération du pouvoir judiciaire pour les théories médicales ou pour la nécessité d’explications médicales durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle. C’est le

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cas de donations litigieuses (1885, Collette c. Bouvier, La revue légale, vol. 14, 97–110; 1886, Bouvier et Collette, The Lower Canada Jurist, vol. 21, 14–22) ou de la légalité d’un mariage que certaines personnes disent avoir été contracté par l’époux durant une période de delirium tremens, trois jours avant sa mort (1857, Scott et Paquet, The Lower Canada Jurist, vol. 4, 149–208; 1867, Scott et Paquet, The Lower Canada Jurist, vol. 11, 289– 293). Cette dernière cause dut être tranchée par le Conseil privé de Londres. Pour cette histoire, voir : anqm, cc 601, 10/01/1871, no 12; 1872, C. c. D., The Lower Canada Jurist, vol. 17, 59–63; tp 11, dossiers de grand format, 1871, no 851, C. c. D. 1882, The Royal Institution for the Advancement of Learning c. Scott, The Lower Canada Jurist, vol. 26, 247–270. 1892, Schiller c. Schiller, Les rapports judiciaires officiels de Québec. Cour supérieure, vol. 1, 521–522. Bartlett écrit notamment que «the definition of madness in nineteenthcentury law was never an essentially medical question» et que si les témoignages médicaux concernant la folie deviennent plus fréquents dans la pratique du droit au fil du siècle, ils ne gagnent pas nécessairement en influence. Bartlett, «Sense and Nonsense», 24 et 34. Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1600 à 1850, 158–159. Ibid., 152 et suivantes, 207. Keating, La science du mal, 109. Dans les années 1880, l’État québécois et les propriétaires d’asiles sont en lutte pour le contrôle de ces institutions, notamment au plan médical. Goffman, Asiles; Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique. Goffman, sociologue, a démoli les prétentions thérapeutiques de l’asile du milieu du vingtième siècle. Foucault, de son côté, a jeté les bases d’une véritable histoire critique de la psychiatrie. Le traitement moral, caution thérapeutique du développement des asiles au début du dix-neuvième siècle, n’est pour lui qu’une nouvelle méthode plus subtile de pénétration et de remodelage de l’esprit des malades. Voir à ce sujet les œuvres maintenant classiques de Rothman (The Discovery of the Asylum; Conscience and Convenience) et de Scull (Museums of Madness). Scull et Rothman n’expliquent pas de la même façon, précisons-le, la naissance de l’asile au dix-neuvième siècle. En deux mots, pour Rothman les Américains de l’ère jacksonienne ont cru l’ordre social menacé et ont répondu à cette «menace» par l’asile. Scull affirme, entre autres choses, que c’est l’économie capitaliste, par son effet corrosif sur les relations familiales et sociales (et donc sur la prise en charge

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d’individus embarrassants), qui constitue le facteur essentiel de la mise en place d’un réseau d’asiles en Angleterre à la même époque. Paradis (dir.), Essais pour une préhistoire de la psychiatrie au Canada (1800– 1885). Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1600 à 1850. Grob, Mental Illness and American Society, 16. McGovern, «The Myths of Social Control and Custodial Oppression», 12– 13. McGovern a aussi tenté d’établir le caractère médical de l’asile en soutenant par exemple que les patientes recevaient de l’attention de la part des médecins, puisque les prescriptions devaient être notées dans un registre (Ibid., 13). L’extrapolation est on ne peut plus hasardeuse. Dans un magnifique article, Thomas Brown a fustigé les implications de ce virage en histoire de la folie. Il dénonce le cantonnement de ces recherches aux démonstrations empiriques, ainsi que leur négligence des aspects politiques de l’histoire de la folie et des relations de pouvoir qui y sont à l’œuvre. Brown, «Dance of the Dialectic?». Les études portant sur l’interface famille/asile sont fort nombreuses. Mentionnons : Fox, So Far Disordered in Mind; Tomes, A Generous Confidence; Walton, «Casting Out and Bringing Back in Victorian England»; Mackenzie, «Social Factors in the Admission, Discharge, and Continuing Stay of Patients at Ticehurst Asylum, 1845–1917»; Dwyer, Homes for the Mad; Warsh, «The First Mrs Rochester»; Mitchinson, «Reasons for Committal to a Mid-Nineteenth-Century Ontario Insane Asylum»; Warsh, Moments of Unreason; Wright, «Family Strategies and the Institutional Confinement of “Idiot” Children in Victorian England». L’article qui fait le tour de la question est l’œuvre de David Wright : «Getting Out of the Asylum», lecture essentielle pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à l’histoire de l’institutionnalisation au dix-neuvième siècle. Moran, Committed to the State Asylum. Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 57 (fig. 7). anqm, cc 601, 20/05/1847, no 342. anqm, cc 601, 28/01/1851, no 36. Il ne s’agit pas d’un interdit de mon corpus, le malade provenant de la paroisse de Boucherville. Peter Keating rapporte lui aussi cette pratique d’interdire avant l’envoi à Beauport, pratique qui ne touche cependant qu’une partie des personnes admises. Keating, La science du mal, 58. Louise Labrèche-Renaud, sans donner de référence, soutient que l’accès à Beauport passe par l’interdiction ou l’emprisonnement de la personne. Labrèche-Renaud, Les racines juridiques de l’aliénation mentale, 512 (voir aussi 442). Léandre T. est interdit en 1866 alors qu’il se trouve déjà à l’asile de Beauport. anqm, cc 601, 29/ 08/1866, no 318.

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Notes des pages 168 à 172 Castel, L’ordre psychiatrique, 50 et suivantes, 168–170, 219–220. Sirois, Tutelles et curatelles, 397. Ibid, 443. Acte relatif aux asiles d’aliénés subventionnés par la province de Québec, 47 V. (1884), c. 20, art. 45. Keating, La science du mal, 95–96. Acte relatif aux asiles d’aliénés subventionnés par la province de Québec, 47 V. (1884), c. 20, art. 47. Les dispositions relatives à l’administrateur provisoire sont toujours présentes dans les statuts refondus de 1909. Les statuts refondus de la province de Québec, 1909, t. 2, art. 4155 et suivants. Voir le chapitre 2. Loi amendant le code civil, 63 V. (1900), c. 39. Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 2, 21. L.P. Sirois tient un discours semblable. Sirois, Tutelles et curatelles, 402. Voir à ce sujet les démonstrations convaincantes d’André Paradis dans ses articles «L’asile québécois et les obstacles à la médicalisation de la folie (1845–1890)» et «Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec (1845–1918)», contributions majeures à l’histoire de la psychiatrie au Québec. Voir le chapitre 3. 1874, D’Estimauville c. Tousignant, The Quebec Law Reports, vol. 1, 39. 1892, Mercier c. Mercier, Les rapports judiciaires officiels de Québec. Cour supérieure, vol. 2, 479–480. Acte relatif aux asiles d’aliénés subventionnés par la province de Québec, 47 V. (1884), c. 20, art. 44. Cet article figure toujours dans les statuts refondus de 1909, à l’art. 4154. Voir à ce sujet la sous-série ex parte du fonds de la Cour supérieure (anqm, tp 11, s2, ss12). Antony Coltel signale cependant que la majorité des demandes de libération de l’asile passent par le secrétaire provincial. Coltel, Les habeas corpus en matière civile, 49 et 50. Baumohl, «On Asylums, Homes, and Moral Treatment», 399–400, 430 et suivantes. Lender et Martin, Drinking in America, 114–116. On pourrait cependant établir des parallèles avec la correction paternelle en droit civil français, mesure qui permet l’incarcération des enfants «incorrigibles». Schnapper, «La correction paternelle et le mouvement des idées au dix-neuvième siècle (1789–1935)». Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 17.

Notes des pages 172 à 174

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107 1884, Ex parte W., Décisions de la Cour d’appel, vol. 3, 366. Notons que l’ivrogne se trouve à l’asile Saint-Jean-de-Dieu. Le rapport de jurisprudence signale que cet établissement, d’abord et avant tout consacré aux malades mentaux, est titulaire d’une autorisation à recevoir des ivrognes en vertu de la loi de 1870. 108 1884, Ex parte W., Décisions de la Cour d’appel, vol. 3, 367. 109 Pour ce cas, voir idem, ainsi que anqm, cc 601, 08/05/1883, no 191. 110 Acte pour amender l’acte 33 Victoria, chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la [guérison] des ivrognes d’habitude», 47 V. (1884), c. 21. L’intitulé de la loi de 1884, en reprenant celui de la loi de 1870, substitue le mot «réclusion» au mot «guérison», qui est celui effectivement employé en 1870. Voir l’art. 4 concernant le moment de son entrée en vigueur. 111 Sirois, Tutelles et curatelles, 426. Les sérieuses réserves émises par le juge en chef Dorion ont peut-être joué un rôle dans l’adoption de cette nouvelle loi. La Cour du banc de la Reine est la plus haute instance judiciaire de la province. 112 Acte pour amender l’acte 33 Victoria, chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la [guérison] des ivrognes d’habitude», 47 V. (1884), c. 21, art. 2. 113 À partir de 1922, le juge peut «ordonner d’office l’internement» de l’ivrogne d’habitude sans prononcer d’interdiction. Loi amendant le Code civil relativement à l’internement des ivrognes d’habitude, 13 Geo. V (1922), c. 71. Jusqu’à cette loi, l’internement forcé des ivrognes passe par leur interdiction. 114 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 313. 115 La loi de 1884 prévoit qu’un médecin sera attaché à l’établissement recevant des alcooliques. Reste que l’internement des ivrognes d’habitude, en lui-même, n’implique aucune caution médicale. 116 Voir le chapitre premier. 117 Moran, Committed to the State Asylum, 79–80, 99 et 170. 118 Selon le compte rendu détaillé de l’ouverture de l’asile de Beauport fait par James Moran, cette institution reçoit, le 5 octobre 1845, 52 patients du Montreal Lunatic Asylum, institution temporaire qui ferme alors ses portes. Moran, Committed to the State Asylum, 25. Cette date précise a été adoptée comme ligne de partage entre les deux périodes institutionnelles 1820–1845 et 1845–1873. 119 1873 marque l’année de fondation officielle de l’asile Saint-Jean-de-Dieu. Le contrat alors signé entre les sœurs de la Providence et le gouvernement représente une étape importante de la vie institutionnelle de la

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Notes des pages 174 à 177 région montréalaise. Toutefois, les sœurs gardaient déjà des malades mentaux dans le même secteur. Voir la notice que Denis Goulet et André Paradis consacrent à Saint-Jean-de-Dieu dans Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 99–100. Sur les débuts de cette institution, voir également Keating, La science du mal, 180 (note 5). Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 99 et suivantes; Moran, Committed to the State Asylum, 41. Cette omission temporaire affecte près d’une vingtaine de cas. Contrairement à ce que laisse entendre André Cellard dans un article récent, je n’ai pas estimé à 60% la proportion d’aliénés provenant des Cantons de l’Est enfermés au début du vingtième siècle. Ce pourcentage concerne plutôt la proportion d’interdits pour folie (groupe plus restreint que l’ensemble des personnes jugées folles) déjà internés au moment de la présentation d’une requête en interdiction contre eux. Cellard, «Folie, internement et érosion des solidarités familiales au Québec», 54 et 57 (note 19); Nootens, «Famille, communauté et folie au tournant du siècle», 117. Keating, La science du mal, 47–48. Par exemple, Michel D., interdit en 1836, séjournera à l’Hôpital général de Québec. anqm, cc 601, 29/03/1836, no 281; tl 19, terme de février 1837, no 443, ex parte Morin pour destituer; cc 601, 22/02/1837, no 102. Moran, Committed to the State Asylum, 17. Voir les dossiers anqm, cc 601, 22/06/1821, no 290; 21/01/1857, no 28; 22/01/1891, no 34. anqm, cc 601, 10/07/1846, no 439. Voir les dossiers anqm, cc 601, 31/07/1868, no 298; 23/05/1872, no 279; 30/04/1881, no 240 (l’interrogatoire); 29/09/1884, no 376. La persistance du rôle de la prison dans la gestion sociétale de la folie, malgré la croissance de l’asile, est très bien expliquée par Moran, Committed to the State Asylum, 79, 98–100, 106. Voir la trajectoire de François P., infra. anqm, cc 601, 03/10/1890, no 557. anqm, cc 601, 23/12/1845, no 793. Contrairement à ce que j’ai fait pour les aliénés, j’ai dans un premier temps exclu les données institutionnelles postérieures à l’interdiction des alcooliques. Les individus qui ont plus d’un séjour institutionnel repérable sont l’exception. anqm, cc 601, 04/07/1877, no 314. anqm, cc 601, 09/02/1892, no 87.

Notes des pages 177 à 180

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136 anqm, cc 601, 23/11/1860, no 381. 137 anqm, cc 601, 05/11/1872, no 540. De la cour du Recorder relèvent notamment les infractions criminelles mineures et les entorses aux règlements municipaux. 138 anqm, cc 601, 02/08/1889, no 416. 139 anqm, cc 601, 13/09/1893, no 433. 140 anqm, cc 601, 22/10/1892, no 587. 141 Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 41 (fig. 1). 142 Cette proportion tourne alors autour de 75 %, contre 14 à 18 % pour Saint-Jean-de-Dieu. Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 72. 143 Baumohl et Room, «Inebriety, Doctors and the State», 154, 164–165. Cet article est le meilleur disponible sur la question de l’internement des ivrognes. Voir aussi Baumohl, «Inebriate Institutions in North America», 95. Pour le Canada, voir Krasnick, «Because there is pain», 17 et suivantes. Pour la France, voir Huertas, «Madness and Degeneration, Part II», 19–21. 144 Brown, «What Shall We Do with the Inebriate?», 55–56. Brown signale qu’il n’y a en 1909 que trois asiles étatiques pour ivrognes aux ÉtatsUnis. Sur l’histoire de l’institutionnalisation des ivrognes, on lira également avec profit Baumohl, «On Asylums, Homes, and Moral Treatment». 145 Paradis, «L’asile, de 1845 à 1920», 41 (fig. 1). 146 Brown, «What Shall We Do with the Inebriate?», 49, 54–56. 147 Radzinowicz et Hood, «Curing and Restricting the Habitual Drunkard», 294 et suivantes. 148 Valverde, Diseases of the Will, chap. 4. 149 An Act Respecting Private Asylums for Insane Persons and Inebriates, Statutes of the Province of Ontario, 46 V. (1882–1883), c. 28. Sur la législation ontarienne touchant les ivrognes d’habitude, voir le chapitre 3. Dans le chapitre 9 de son Moments of Unreason, qu’elle consacre au séjour des alcooliques au Homewood Retreat (un asile privé), Cheryl K. Warsh ne nous donne malheureusement pas d’indications claires quant au fonctionnement concret de la législation ontarienne sur les ivrognes d’habitude. 150 anqm, cc 601, 04/04/1887, no 160. 151 Baumohl et Room, «Inebriety, Doctors and the State», 142. 152 André Paradis signale que Saint-Jean-de-Dieu doit effectivement composer avec une clientèle d’alcooliques. Paradis, «Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec», 586.

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153 Acte pour amender l’acte 33 Victoria, chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la [guérison] des ivrognes d’habitude», 47 V. (1884), c. 21, art. 2. 154 anqm, cc 601, 28/03/1894, no 189, complété par tp 11, ex parte, 1894, no 36, ex parte John W. 155 anqm, cc 601, 13/08/1887, no 432. 156 Voir les travaux cités en introduction du chapitre premier et ceux mentionnés dans le présent chapitre, de même que le chapitre 4 de Committed to the State Asylum, de James Moran. Moran insiste sur le fait que, si la demande sociale joue un rôle important dans les internements, ceux-ci dépendent aussi de négociations avec les instances étatiques et asilaires. 157 Je laisse de côté le détail de l’évolution des procédures d’admission dans les asiles québécois au dix-neuvième siècle. 158 Paradis, «L’asile québécois et les obstacles à la médicalisation de la folie», et «Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec». 159 Paradis, «L’asile québécois et les obstacles à la médicalisation de la folie», 301. 160 Ibid., 317 et suivantes. 161 Paradis, «Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec», 588 et suivantes. 162 Paradis est catégorique : «Le traitement moral ne fut jamais appliqué sérieusement dans les asiles du Québec avant l’arrivée de Burgess à l’asile de Verdun.» Paradis, «Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec», 583. 163 Labrèche-Renaud, Les racines juridiques de l’aliénation mentale, 447 et suivantes; Grenier, Les monstres, les fous et les autres, 16, 40 et suivantes, 48, 206 et suivantes, 264 et suivantes. 164 Voir le chapitre 4 de Committed to the State Asylum. 165 Mitchinson, «Reasons for Committal to a Mid-Nineteenth-Century Ontario Insane Asylum», 96 et suivantes. 166 anqm, cc 601, 02/07/1886, no 324. 167 anqm, cc 601, 09/10/1895, no 560. 168 anqm, cc 601, 22/01/1890, no 36. 169 anqm, cc 601, 12/01/1891, no 18. 170 Wright, «Getting Out of the Asylum», 143. Voir aussi, du même auteur, «The Certification of Insanity in Nineteenth-Century England and Wales», 270. 171 anqm, cc 601, 02/08/1854, no 475.

Notes des pages 182 à 187

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172 anqm, cc 601, 28/02/1871, no 101. Les médecins conseillent aussi l’enfermement dans anqm, cc 601, 04/09/1882, no 384; 27/07/1891, no 375; 19/03/1895, no 154. 173 anqm, cc 601, 21/01/1862, no 20. 174 Pour Nancy Tomes, les conseils du médecin de famille sont souvent essentiels au moment de recourir à l’asile. Tomes, A Generous Confidence, 106. 175 D’après les plumitifs de la sous-série ex parte des archives de la Cour supérieure (anqm, tp 11, s2, ss12). 176 Auteur d’un traité de procédure civile, Doutre a aussi pris part à la réforme du Barreau et aux activités de l’Institut canadien, ce qui lui valut d’être en butte à Mgr Bourget, l’autoritaire évêque de Montréal. JeanRoch Rioux, «Doutre, Gonzalve», Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10. 177 H. Howard est un personnage important de l’histoire de la psychiatrie au Québec. Goulet et Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec, 94–95; Rodrigue Samuel, «Howard, Henry», Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11. 178 Bizarrement, ce n’est qu’à partir de 1890 que le Recorder ou le magistrat de police de Montréal peuvent faire enfermer un aliéné jugé dangereux. C’est auparavant la responsabilité des juges de paix. Ce n’est peut-être pas à cette procédure que l’on a recours en l’espèce. An Act to Authorize the Confinement of Lunatics in Cases where There [sic] Being at Large May Be Dangerous for the Public, 14–15 V. (1851), c. 83, art. 5; Les statuts refondus de la province de Québec (1888), vol. 2, art. 3211 et suivants; Acte amendant la loi concernant les asiles d’aliénés, 54 V. (1890), c. 29. 179 anqm, tp 11, ex parte, 1877, no 684, G. Doutre requérant la libération de François P.; cc 601, 02/10/1877, no 468; tp 11, 1877, no 849, S. requérant l’interdiction de François P. 180 À propos de la honte ressentie par les familles de l’élite anglaise comptant un aliéné parmi elles et de la culpabilité entourant l’internement, voir Mackenzie, «Social Factors in the Admission, Discharge, and Continuing Stay of Patients at Ticehurst Asylum», 155–156. 181 L’assistant du Dr Bourque à Saint-Jean-de-Dieu, E.P. Chagnon, participe aussi à ce procès. Il corrobore les dires de son patron. 182 Les deux mêmes médecins ont été consultés à l’occasion de l’interdiction et ont penché en faveur de celle-ci. 183 Le témoignage proprement dit ne figure pas au dossier. 184 En fait, le procès démontre que les jeunes filles fuyaient la maison en raison des comportements de leur père. L’une d’entre elles précise : «Mother always knew where we were when we were out at night.»

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Notes des pages 187 à 195

185 Le magistrat épouse les thèses de l’avocat représentant John C. 186 anqm, cc 601, 11/09/1895, no 502; tp 11, ex parte, 1895, no 93, ex parte C.; tp 11, 1895, no 90 A, ex parte C. c. S.; tp 11, plumitif des ex parte, 1895-97, no 93 et no 90A; tp 11, vol. 6 des jugements de 1895, p. 60, C. c. S.; tp 11, vol. 4 des jugements de 1895, p. 717, C. c. S. 187 À ce sujet, voir Showalter, «Victorian Women and Insanity», 322 et suivantes, ainsi que Mitchinson, «Hysteria and Insanity in Women». 188 Dans l’ensemble des pièces du dossier, le greffier a écrit «lymphomanie», alors que les comportements reprochés à l’intimée réfèrent de toute évidence à la nymphomanie. L’officier de justice ne devait pas être confronté fréquemment à des débats de ce genre… 189 Le même médecin a témoigné dans un des litiges testamentaires analysés supra. 190 anqm, cc 601, 18/07/1889, no 381; 05/03/1891, no 101; tp 11, 1893, no 1668, D. c. B. 191 Sur le cautionnement par les aliénistes d’une demande sociale d’institutionnalisation des malades mentaux, voir par exemple Tomes, A Generous Confidence, 88–89. 192 Freidson, La profession médicale, 241. 193 Voir à ce sujet les réflexions critiques de David Wright dans «Getting Out of the Asylum», 152–154, ainsi que Tomes, A Generous Confidence, 125 et suivantes. 194 Montigny, «The Decline of Family Care for the Aged in NineteenthCentury Ontario». 195 Bartlett et Wright, «Community Care and Its Antecedents», 4–5. 196 Nancy Tomes mentionne ce problème, tout en précisant qu’il n’est pas prouvé que la montée de l’idéologie domestique, dans laquelle la famille joue le rôle de refuge paisible et ordonné contre les tribulations du monde extérieur, intensifie l’internement des malades mentaux. Mais Tomes souligne que l’asile répond aux besoins particuliers de la famille du dix-neuvième siècle. Tomes, A Generous Confidence, 127–128. 197 Moran, Committed to the State Asylum, 116–117. 198 anqm, cc 601, 23/03/1886, no 152. 199 anqm, cc 601, 02/01/1891, no 1. 200 anqm, cc 601, 04/01/1888, no 8. 201 anqm, cc 601, 14/02/1894, no 100; 22/04/1899, no 220; 29/06/ 1900, no 300; 03/02/1903, no 101; 13/10/1909, no 861; 07/01/1910, no 9. 202 Pour les alcooliques, voir Warsh, Moments of Unreason, 152. Dans le cas de l’internement des malades mentaux, voir Mackenzie, «Social

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Factors in the Admission, Discharge, and Continuing Stay of Patients at Ticehurst Asylum», 169. Harvey, «Amazons and Victims», 140–141. Voir l’art. 9 de la loi de 1870, intégré à peu près tel quel dans le code civil en 1889 (à l’art. 336n). anqm, cc 601, 02/06/1890, no 323; 25/06/1890, no 363; 14/08/ 1890, no 460; 18/09/1890, no 519; 23/06/1891, no 309; 01/12/1902, no 888. La loi de 1884 prévoit aussi les modalités de l’internement volontaire de l’ivrogne. anqm, cc 601, 21/12/1891, no 657. Acte pour amender l’acte 33 Victoria, chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la [guérison] des ivrognes d’habitude», 47 V. (1884), c. 21, art. 2, sections 7b et 7e. anqm, cc 601, 10/12/1894, no 686 et 17/12/1895, no 701. Je ne sais pas si la «requête sommaire» nécessaire pour faire sortir John K. de l’asile a été présentée, mais c’est son curateur, de toute façon, qui a jugé que l’internement avait assez duré. Castel, L’ordre psychiatrique, 126–127. Robert, Soubiran-Paillet et Van de Kerchove, «Normativités et internormativités», 18. Valverde, Diseases of the Will. Brown, «What Shall We Do with the Inebriate?», 56.

conclusion 1 Christie, «Introduction», 15. 2 Hormis, bien sûr, l’interdiction d’ivrognes avant la loi de 1870, loi qui rend inutile cette forme de manipulation du droit. 3 Young, The Politics of Codification, 12, 17, 44, 130, 158 et 179. 4 Sur cette question, voir Morel, Les limites de la liberté testamentaire dans le droit civil de la province de Québec. 5 John Little a fait état de la participation et du rôle des communautés dans la mise en place d’institutions à caractère étatique au milieu du dixneuvième siècle. Little, State and Society in Transition. 6 Paradoxe relevé par Jean-Marie Fecteau dans «L’enfermement comme panacée», 184. 7 Young, The Politics of Codification, 45–46, 82, 84, 147–148. Voir également Normand, «La codification de 1866», 48–50. Sur le douaire, voir Bettina Bradbury, «Debating Dower».

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8 Hareven, «The History of the Family and the Complexity of Social Change»; Noël, Family Life and Sociability in Upper and Lower Canada, 275– 276 notamment. 9 Perrot (dir.), Histoire de la vie privée, vol. 4, De la Révolution à la Grande Guerre, 191, 197, 227, 293–294. 10 Pour Marcel Gauchet et Gladys Swain, c’est bel et bien le développement de la démocratie, donc la transformation de l’exercice du pouvoir et de la représentation du sujet, qui a rendu possible l’idée de modifier, de réformer l’individu en son intériorité par l’action aliéniste. La révolution démocratique permet d’envisager la possibilité de façonner la société et les gens qui la composent, de les investir. Gauchet et Swain, La pratique de l’esprit humain. 11 Foucault, Surveiller et punir, 216. Voir aussi 258. 12 Ibid., 258. Voir également Castel, L’ordre psychiatrique, 231. 13 Roy, Progrès, harmonie, liberté. 14 Fecteau, La liberté du pauvre, 87, 267–270, 274–275, 332, 336. Affirmer que l’Église a profité d’une ouverture, d’un champ propice à son action (comme la prise en charge de la pauvreté) du fait des bouleversements opérés par le duo libéralisme/capitalisme n’est pas la même chose que de dire qu’elle fut «partie prenante de l’univers libéral». 15 McKay, «The Liberal Order Framework». 16 Larue, «La codification des lois civiles au Bas-Canada et l’idée de loi naturelle», 25. 17 Christie, «Introduction», 13. 18 Rocher, «Les “phénomènes d’internormativité”», 41.

appendice 1 André Cellard analyse de nombreux dossiers d’interdiction pour folie du dix-huitième siècle dans Histoire de la folie au Québec (92 et suivantes, 231). 2 Ourliac et Malafosse, Histoire du droit privé, t. 3, Le droit familial, 100–101. 3 Pirenne, «De l’interdiction des fous et des prodigues dans l’ancien droit coutumier français», 633–634. 4 Ibid., 642, 646–647, 649. Voir aussi Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, 436. 5 Petot, Histoire du droit privé français, 518–520. 6 Lepointe, Droit romain et ancien droit français, 434. 7 Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, 439. 8 Hervé, Le fou, le prodigue et le faible d’esprit dans les deux derniers siècles de l’ancien droit, 86.

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9 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26; Loi modifiant le code civil, relativement aux personnes qui font usage d’opium ou d’autre narcotique, 59 V. (1895), c. 40. En vertu de l’article 2 du Code civil du Bas-Canada en vigueur en 1870, article qui porte sur la promulgation des lois, la loi sur l’interdiction des ivrognes est entrée en vigueur le jour de sa sanction, soit le 1er février 1870 (le texte de la loi n’indique pas le moment de son entrée en vigueur). Voir l’article 2 du Code civil du BasCanada de 1866 et l’Acte concernant les statuts de cette province, 31 V. (1868), c. 6, art. 2. L’interdiction des adeptes de certaines drogues n’est entrée en vigueur que le 20 février 1896, en raison des modifications apportées aux règles de promulgation des lois. Voir l’Acte pour déterminer le temps où les statuts de cette province deviendront en force, 35 V. (1871), c. 4, de même que l’Acte concernant les statuts de la province de Québec, 49–50 V. (1886), c. 95. Il faut employer avec prudence l’édition historique et critique du code civil réalisée par Paul-A. Crépeau et John E.C. Brierley (Code civil 1866–1980). On pourrait croire, à sa lecture, que l’interdiction pour ivrognerie n’est possible qu’à partir de 1889 (voir la p. xviii où les auteurs expliquent leur système de référence aux sources et au moment d’entrée en vigueur des lois, de même que les articles 336a et suivants). Or, il ne s’agit que du moment de l’intégration au code civil de l’interdiction des ivrognes et des modifications qui lui ont été apportées entre-temps. Le problème se répète par exemple avec les modifications apportées à l’article 2 du code, le Code civil 1866– 1980 indiquant que ces modifications entrent en vigueur en 1889, en vertu des Statuts refondus de 1888. Or, les lois citées ci-dessus montrent que ces modifications sont antérieures aux Statuts refondus de 1888. 10 Code civil du Bas-Canada. Premier, second et troisième rapports, 138. Il s’agit ici du second rapport des commissaires. 11 Ibid., 340–344. Les amendements suggérés sont bien indiqués. 12 De Lorimier et Vilbon, La bibliothèque du code civil de la province de Québec, vol. 3, 83. 13 Loi amendant le code civil, 63 V. (1900), c. 39. 14 Code civil du Bas-Canada. Premier, second et troisième rapports, 226 et 346. Il s’agit toujours du second rapport des commissaires. Par cette modification, on veut permettre à celui qui n’est ni époux (ou épouse), ni ascendant, ni descendant de l’interdit d’être relevé de la charge de curateur après dix ans d’administration. Cet amendement est adopté (voir l’article 344 du Code civil du Bas-Canada de 1866). 15 Article 327 du Code civil du Bas-Canada. 16 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 1.

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17 Bien des requêtes ne détaillent que de manière imprécise les comportements reprochés à l’intimé. D’autres sont par contre très explicites à cet égard. 18 Article 329 du Code civil du Bas-Canada. 19 Article 330 du Code civil du Bas-Canada. 20 Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 2, 19. 21 Article 330 du Code civil du Bas-Canada. 22 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 6. 23 Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, 278–279. 24 Article 331 du Code civil du Bas-Canada. 25 Sirois, Tutelles et curatelles, 483. 26 Ibid., 485 et suivantes. 27 Ibid., 407. 28 Ibid., 435. 29 Ibid., 436–437. 30 Ibid., 389. 31 Article 333 du Code civil du Bas-Canada, et Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 14. 32 Article 334 du Code civil du Bas-Canada. 33 Voir l’article 343 du code, ainsi que la cause 1889, Greene et Mappin, The Montreal Law Reports. Court of Queen’s Bench, vol. 5, 109–110. 34 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 3. 35 Acte pour amender l’acte de cette province 33 Vict., chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude», 42–43 V. (1879), c. 28. 36 Sirois, Tutelles et curatelles, 415–416, 426. 37 Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude, 33 V. (1870), c. 26, art. 9. 38 À l’exclusion d’un cas de consommation de drogues datant de 1889, de même que quelques cas d’interdiction de sourds-muets. Quelques individus ont pu être interdits plus d’une fois, s’il y a eu mainlevée. 39 Fonds cc 601 des Archives nationales du Québec à Montréal (anqm). 40 Incluant les cas spéciaux suivants : deux interdictions suivies d’une nomination de conseil et une nomination de curateur sans interdiction. Ces dossiers, par leur forme et par les effets sur la capacité de l’intimé, doivent être assimilés à des interdictions pures et simples. 41 Il s’agit aussi de procédures visant des habitants de Montréal.

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42 Cette ventilation générale selon la folie, la prodigalité et l’ivrognerie tient compte du motif principal du recours, motif habituellement clairement indiqué dans la requête. Dans trois cas, cependant, on dénonce des déviances «doubles», c’est-à-dire que l’on reproche simultanément à l’intimé des déviances différentes et bien distinctes (ivrognerie et prodigalité, par exemple). Ces trois dossiers ont été comptés comme six cas séparés de déviance, d’où le total de 511 déviances. La plupart du temps, lorsque les requêtes et les témoignages placent côte à côte certaines déviances (par exemple, folie et prodigalité), il est assez facile de déterminer le problème dominant, celui qui est à la source des tensions vécues par la famille. 43 Les quelques dossiers où la requête en interdiction se solde par la nomination d’un conseil judiciaire ont été laissés de côté. 44 Ces démarches concernent aussi des résidants de Montréal. Voir les critères de sélection géographique, infra. 45 Sous-série tp 11 s2 ss12 des anqm. Les ex parte sont des procédures spéciales qui commencent de manière non contradictoire par une requête adressée à l’autorité judiciaire. Cela va des expropriations aux demandes de rectification des registres de l’état civil. 46 Outre le Code civil du Bas-Canada de 1866 lui-même, les rapports des commissaires chargés de la codification sont fort utiles. En énonçant le droit en vigueur lors du processus de codification et en explicitant les modifications que les commissaires ont cru bon soumettre, ces rapports constituent un bon point de départ pour étudier les pratiques juridiques de la période précodificatrice. Pour la période suivant la promulgation du code, le travail historique et critique de Crépeau et Brierley (leur Code civil 1866– 1980, déjà cité) permet de suivre les principales modifications apportées par la suite aux différents articles. Cet ouvrage de référence est cependant sujet à caution, comme je l’ai montré ci-dessus. 47 L’ouvrage de Sirois, Tutelles et curatelles, semble être le premier traité portant spécifiquement sur ce sujet à paraître dans la province (en 1911). D’autres traités de droit et codes annotés ont été examinés. Voici les principaux : Perrault, Questions et réponses sur le droit civil du Bas-Canada; Des Rivières Beaubien, Traité sur les lois civiles du Bas-Canada; Bibaud, Commentaires sur les lois du Bas-Canada; Beaudry, Le questionnaire annoté du code civil du Bas-Canada; De Lorimier et Vilbon, La bibliothèque du code civil de la province de Québec; De Bellefeuille, Le code civil annoté; De Bellefeuille, Le code civil annoté étant le code civil du Bas-Canada (2e édition); Mignault, Le droit civil canadien; Beauchamp, Le code civil de la province de Québec

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annoté et Supplément au code civil annoté de la province de Québec; Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec. Doutre, Les lois de la procédure civile; Mignault, Code de procédure civile du Bas-Canada annoté; Martineau et Delfausse, Code de procédure civile de la province de Québec annoté; Beullac, Code de procédure civile de la province de Québec annoté. Kolish, Guide des archives judiciaires. District de Montréal, vol. 2, Cour de circuit 1849–1953, 11. Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction (sic) civile en première instance, dans le Bas-Canada, 12 V. (1849), c. 38. La Cour supérieure sera dès lors la juridiction civile générale de première instance de la province de Québec. Les jugements de la Cour supérieure peuvent cependant être portés en appel à la Cour de révision (créée en 1864) et à la Cour du banc de la Reine. Ibid., art. 74. Les cours de circuit telles que définies par cette loi sont des tribunaux civils inférieurs à la Cour supérieure, auxquels on réserve par exemple les poursuites pour des montants relativement peu élevés, jusqu’à 200 $, par exemple, en 1867. Acte pour amender les actes de judicature du Bas-Canada, 20 V. (1857), c. 44, art. 91. C’est ce qu’indiquent des entrées dans les index du fonds des tutelles et curatelles. Les en-têtes de requêtes montrent aussi que des gens s’adressent à la cour de circuit dans ces années-là. Courville (dir.), Paroisses et municipalités de la région de Montréal au xix e siècle (1825–1861); Benoît et Gratton, Pignon sur rue; Robert, Atlas historique de Montréal; Les quartiers municipaux de la ville de Montréal. Des atlas anciens consultés aux anqm, ainsi qu’une liste chronologique des érections de paroisses dans le diocèse de Montréal (non publiée), se sont aussi avérés utiles en certains cas. Le Répertoire général de jurisprudence canadienne de J.J. Beauchamp est le point de départ obligé de toute recherche sur la jurisprudence du dixneuvième siècle. Pour couvrir le champ jurisprudentiel de la manière la plus complète possible, j’ai également consulté les quatre volumes de C.H. Stephens intitulés The Quebec Law Digest, publiés à Montréal en 1878, 1882, 1886 et 1891. Ont également été parcourus : Andrew Robertson, A Digest of all the Reports Published in Lower Canada, to 1863; Ramsay, A Digested Index to the Reported Cases in Lower Canada; Ramsay, Ramsay’s Appeal Cases; Kirby et Mignault, Table générale des rapports judiciaires de Québec 1892–1898; Beauchamp, Deuxième table générale des

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rapports judiciaires de Québec 1898–1908. Mentionnons aussi : Beauchamp, Le répertoire de la Revue Légale, et Beauchamp, Répertoire de la Revue Légale n.s. [nouvelle série] et de la Revue de Jurisprudence. 56 Des compilations des lois en vigueur sont produites en 1843, 1845 et 1857, et des statuts refondus en 1861, 1888 et 1909.

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Bibliographie

sources A) Sources manuscrites archives nation al es d u q uébec, cen tre d e m o n t r é a l (anqm) Fonds tutelles et curatelles. District judiciaire de Montréal (cc 601). Dossiers. 1805–1910. (cc 601, s1). Index. 1795–1899. 10 vol. (cc 601, s3). Plumitifs des tutelles, curatelles et testaments prouvés. 1900–1910. 12 vol. (cc 601, S2). Fonds Cour du banc du Roi/de la Reine du district judiciaire de Montréal (tl 19). Fonds Cour supérieure. Greffe de Montréal (tp 11, s2). Sous-série ex parte de la Cour supérieure du district judiciaire de Montréal (tp 11, s2, ss12).

B) Sources imprimées légi slation Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction [sic] civile en première instance, dans le Bas-Canada. 12 V. (1849), c. 38. An Act to Authorize the Confinement of Lunatics in Cases where There [sic] Being at Large May Be Dangerous for the Public. 14–15 V. (1851), c. 83. Acte pour amender les actes de judicature du Bas-Canada. 20 V. (1857), c. 44. Acte concernant les statuts de cette province. 31 V. (1868), c. 6. Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude. 33 V. (1870), c. 26.

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Bibliographie

Acte pour déterminer le temps où les statuts de cette province deviendront en force. 35 V. (1871), c. 4. An Act to Provide for the Establishment of an Hospital for the Reclamation and Cure of Habitual Drunkards. Statutes of the Province of Ontario. 36 V. (1873), c. 33. Acte pour amender l’acte de cette province 33 Vict., chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la guérison des ivrognes d’habitude». 42–43 V. (1879), c. 28. An Act Respecting Private Asylums for Insane Persons and Inebriates. Statutes of the Province of Ontario. 46 V. (1882–1883), c. 28. Acte relatif aux asiles d’aliénés subventionnés par la province de Québec. 47 V. (1884), c. 20. Acte pour amender l’acte 33 Victoria, chapitre 26, intitulé : «Acte pour pourvoir à l’interdiction et à la [guérison] des ivrognes d’habitude». 47 V. (1884), c. 21. Acte relatif aux asiles d’aliénés dans la province de Québec. 48 V. (1885), c. 34. Acte concernant les statuts de la province de Québec. 49–50 V. (1886), c. 95. Acte amendant la loi concernant les asiles d’aliénés. 54 V. (1890), c. 29. Loi modifiant le code civil, relativement aux personnes qui font usage d’opium ou d’autre narcotique. 59 V. (1895), c. 40. Loi amendant le code civil. 63 V. (1900), c. 39. Loi amendant le code civil relativement à l’internement des ivrognes d’habitude. 13 Geo. V (1922), c. 71. S TAT U T S R E F O N D U S

Les statuts refondus de la province de Québec. 3 vol. Québec, Charles-François Langlois, 1888. The Revised Statutes of Ontario, 1897. 3 vol. Toronto, L. K. Cameron, 1897. Les statuts refondus de la province de Québec, 1909. 4 vol. Québec, Charles Pageau, 1909. D É BAT S

Assemblée nationale du Québec. Débats de l’Assemblée législative. 1ère législature, 3e session, 1869–1870.

codes civils, codes de procédure civile, codes annotés et traités de droit Beauchamp, J.J. Le code civil de la province de Québec annoté, tome 1. Montréal, C. Théoret, 1904. – Supplément au code civil annoté de la province de Québec, vol. 1. Montréal, Wilson et Lafleur, 1924. Beaudry, Édouard A. Le questionnaire annoté du code civil du Bas-Canada, tome 1. Montréal, C.O. Beauchemin et Valois, 1872.

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administrateur provisoire, 169, 268n93 agency, 7, 79, 113–114, 121–122, 132, 135–136, 215, 258n54, 258n55 alcool, histoire de l’, 13 aliénistes, 149–50, 166, 197; certificats, 10, 149–152, 155–162, 170, 186, 190–191. Voir aussi folie, médecins, médicalisation asile de Beauport, 45, 156, 160–1, 168, 174–6, 181–2, 237–8, 269n118 asile de la Providence, 237–8. Voir aussi hospice Gamelin asile de Saint-Jean-d’Iberville, 160, 184, 237–238 asile de Toronto, 160, 175, 237–238 asile de Verdun, 156, 175–6, 181–2, 199, 238–239 asile des aliénés de Troy, 237 asile privé du Dr Brown, 238 asile privé du Dr Walkens, 238 asile Saint-Benoît-Joseph, 155, 176– 180, 194, 196, 208, 214, 238–239 asile Saint-Jean-Baptiste, 238 asile Saint-Jean-de-Dieu, 42, 45, 49, 52, 116, 131, 150, 151, 155–158, 161, 172, 174–176, 179–182, 184–185, 188, 190–192, 199, 206, 208, 212, 237–239, 248n132, 269n107, 269n119, 271n142, 271n152. Voir aussi Longue-Pointe, sœurs de la Providence

asiles. Voir folie, institutionnalisation, ivrognerie asiles américains, 175–176, 189, 238. Voir aussi asile des aliénés de Troy, asile privé du Dr Brown, Barre School for the Feeble Minded, Bloomingdale Asylum, Brattleboro Asylum, Hartford Insane Retreat, McLean Asylum asiles ontariens, 176. Voir aussi asile de Toronto Assier-Andrieu, Louis, 57 Badgley (juge), 160 Barre School for the Feeble Minded, 16, 238 Bartlett, Peter, 164, 266n72 Beauchamp, J.J., 105 Becker, Howard, 72 Belmont Retreat, 179, 182, 195, 237, 239 Berthelet, Benjamin, 146 Bibaud, Maximilien, 148 biens et revenus. Voir patrimoine Bloomingdale Asylum, 117, 238 Bossé (juge), 264n46 Bouchard, Gérard, 14 Bourque, Dr, 156, 186 Bradbury, Bettina, 14, 25, 63 Brattleboro Asylum, 25, 237 Brochu, Dr, 162 Brodeur, Dr, 188–189, 191

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Index

Brown, Thomas, 267n81 Burgess, Dr T., 156, 181 capitalisme, transition vers, 3–4, 54–55, 101–102, 159, 171, 206–211, 249n153. Voir aussi individualisme, libéralisme caretakers, 71 Castel, Robert, 197, 262n3 Cellard, André, 164, 241n8, 242n13, 270n122 Chagnon, Dr, 161, 273n181 Chiniquy, 111 Christie, Nancy, 203 Cliche, Marie-Aimée, 23, 260n107 code Napoléon, 218 codification, 133, 218, 279n46 cohabitation, 41–42, 247n112 commission d’enquête sur les asiles, 181 conflits familiaux, 88–93, 95–99, 124, 131, 135–136, 140–141, 243n15 Conrad, Peter, 262n3 conseils de famille, 10, 94–99, 124, 135–136, 219, 255n103, 255n106, 255n108; jurisprudence, 130–131 conseils donnés par les proches, 40–41 conseils judiciaires, 10, 125, 127, 220, 242n20, 260n99 contrats d’entretien, 47–8 contrôle social, 7, 13, 113, 164, 166–167 coping, 39–40, 50, 138. Voir aussi cohabitation, conseils, contrats d’entretien, enfermement à domicile, négociations, patrimoine, pension, réactions ad hoc, testaments cour du Recorder, 177, 271n137, 273n178 couvent des sœurs de la Providence, 238–239 couvent des sœurs Grises, 238 couvent du Bon Pasteur, 177–178, 239 curatelle. Voir droit, interdiction dangerous lunatic, 184 Daumas, Maurice, 32, 129 Day (juge), 119 De la Cour, Lykke, 113

De Lorimier (juge), 191 déficience intellectuelle, 16–17, 105, 114, 117. Voir aussi faiblesse d’esprit démence, 105 député-protonotaire, 74, 133, 261n123 déviance, 4–8, 14–15, 19, 25, 53–54, 72, 89, 100, 154, 192, 201, 204, 211– 213; et honneur, 38; comme perturbation relationnelle, 8, 25, 120. Voir aussi femmes, rôles Dickinson, John A., 250n10 Doctor Harwood’s Establishment, 239 Dorion (juge), 80, 172, 269n111 Doutre, Gonzalve, 184, 273n176 droit : croissance, 148; fonction, 33, 137–141, 144, 205–206; histoire du, 9, 58–59, 250n10, 251n15; manipulations, 79–80, 82–93, 96–101, 135– 136; et société, 57, 100–101, 103– 104, 142, 215–216, 250n2; transformations, 208–209 Dubois (affaire), 161 Duquette, Dr E.E., 155–159, 264n46 Ekland-Olson, Sheldon, 8 enfermement. Voir institutionnalisation enfermement à domicile, 44–45, 173 entourage : rôle, 69–72, 79, 134–135, 143. Voir aussi caretakers, isolement ex parte : procédures, 222, 279n45 Fabre, E.C., 37 faiblesse d’esprit, 35–36, 88–89, 128. Voir aussi déficience intellectuelle famille : histoire de la, 8–9, 14; et régulation sociale, 203–204. Voir aussi conflits familiaux, déviance, entourage, reproduction sociale, rôles, stratégies familiales Farge, Arlette, 32 Fecteau, Jean-Marie, 58, 210 femmes : âgées, 92; et déviance, 25–30, 82, 246n77, 246n78; et folie, 125– 128, 167, 188–192, 274n188; et institutionnalisation, 195–196; et ivrognerie, 24, 78, 92–93, 97, 152, 245n62. Voir aussi rôles

Index folie, 25–26, 28–30, 51–52, 90–92, 125– 128, 141, 154–159, 182, 184; histoire de la, 13, 38, 113, 147, 166–167, 266n76, 266n77, 267n80, 267n81; individus interdits, 61–63, 229–231; institutionnalisation, 13, 42, 44, 61, 72, 113, 115–116, 134, 151, 166–171, 173–176, 180–193, 199, 270n122, 272n156, 273n174, 274n196; médicalisation, 147, 149–166, 180–181, 183, 187–191, 197–198, 262n3, 265n68, 266n72, 272n162. Voir aussi déficience intellectuelle, démence, faiblesse d’esprit, femmes, fureur, hallucinations, interrogatoires, manie, normes juridiques, sénilité fonctionnalisme, 137 Fontaine, Laurent, 50, 249n154 Foucault, Michel, 32, 166–167, 210, 266n76 Fox, Richard W., 13 Fraser, Dr W., 153 Freidson, Eliot, 149, 192 frères de la Charité, 178, 197 fureur, 17–18, 49, 184. Voir aussi violence Fyson, Donald, 58 Garneau, Jean-Philippe, 58, 251n14 Gauchet, Marcel, 276n10 Goffman, Erving, 166, 266n76 Gotman, Anne, 13, 21, 35, 55 Goulet, Denis, 149 Grenier, Guy, 161 Grob, Gerald, 167 Gwynne (juge), 162 habeas corpus, 171, 184, 222, 268n102 hallucinations, 18–19, 115 Hartford Insane Retreat, 236 Hayvern (affaire), 161 héritages. Voir successions Hingston, Dr William, 154, 186, 263n26 Home, The, 238 honneur, 22–24, 33, 35–38, 52, 78, 185, 188, 190–193, 273n180

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Hopf, Gudrun, 155, 252n39 Hôpital général de Québec, 28, 45, 236, 270n124 Hôpital général de Montréal, 45, 175, 236 Hôpital Notre-Dame, 189, 191, 193, 238–239 hospice Gamelin, 238 Hôtel-Dieu, 177, 191, 237–238 Howard, Dr H., 184 idiotie. Voir déficience intellectuelle imbécillité. Voir déficience intellectuelle individualisme, 22, 57–58, 152, 171, 173, 197, 208–210. Voir aussi libéralisme infrajudiciaire, 46, 123 institutionnalisation, 9, 42, 147, 166, 198, 202, 206–207, 214. Voir aussi aliénistes, folie, interdictions, ivrognerie interdictions : circonstances, 59, 61–73, 79, 93–94, 201; effets, 56, 159, 220; frais, 75–76; historique, 217–218, 277n14; et institutionnalisation, 61, 72, 82, 115–116, 168–171, 174, 198– 199, 207, 267n87; jurisprudence, 157–158, 170–171, 222, 225; à Montréal, 59–61, 221–225; négociations qui les précèdent, 76–78; procédure, 9–10; requérants, 80–84, 219, 234– 235, 278n17; rapidité, 74–75, 233. Voir aussi conseils de famille, droit, folie, interrogatoires, ivrognerie, jugements, mainlevée d’interdiction, prodigalité, requêtes, témoignages interrogatoires, 10, 114–121, 133–134, 151, 170, 174, 218–220; jurisprudence, 132. Voir aussi normes juridiques, normes sociales isolement, 70–71, 82–84, 95–96, 127– 129, 260n107 ivrognerie, 22–24, 26–27, 43–44, 50, 78, 84–87, 92–93, 97, 152; et dilapidation, 22–23; et honneur, 23–24; individus interdits, 64–65, 232; institutionnalisation, 111–112,

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Index

122–123, 171–173, 177–180, 193– 197, 199, 258n46, 258n47, 269n107, 269n113, 271n144, 271n149, 271n152; interdictions avant 1870, 84–88, 109–110; lutte contre elle, 111–112, 171; médicalisation, 147, 152, 173, 197, 269n115; et oisiveté, 23; procédure d’interdiction, 110– 113, 218–219; promesses de réforme, 122–124; et violence, 23, 193–194. Voir aussi alcool, femmes, ivrognes d’habitude, normes juridiques, tempérance ivrognes d’habitude : Angleterre, 112; France, 112, 257n43; Ontario, 112, 258n46, 258n47. Voir aussi ivrognerie Jetté, L.A. (juge), 106, 129, 133 jugements, 10, 220 juges. Voir système judiciaire juges de paix, 18, 273n178 jurisprudence, 280n55. Voir aussi conseils de famille, interdictions, interrogatoires, testaments justice. Voir système judiciaire Keating, Peter, 149, 165, 169, 267n87 Kolish, Evelyn, 251n10 labeling theory, 7–8. Voir aussi déviance Labrèche-Renaud, Louise, 161, 267n87 Lacoste (juge), 159 Ladies Benevolent Institution, 238 Landry, Dr Jean-Étienne, 265n53 Langelier, F., 86, 105–106, 109, 170, 219 Larue, Richard, 211 Lender, Mark, 171 Lévesque, Andrée, 241n8 libéralisme, 22, 57, 152, 159, 161, 197, 208–211, 276n10, 276n14. Voir aussi capitalisme, individualisme Little, John I., 275n5 Longue-Pointe, 175, 237 McCallum, Dr Duncan, 163, 189–191 McGill College, 163

McGovern, Constance, 150, 167, 267n80 McKay, Ian, 211 McLean Asylum, 116, 182–183, 237–238 mainlevée d’interdiction, 220 maison de santé, 191, 238–239 maison des Insensés à Québec. Voir Hôpital général de Québec manie, 105 mariage, 35–38, 88–89, 92, 188 Marois, Dr, 162 Martin, James, 171 masculinité, 22, 31 médecins : témoignages, 10, 146, 149– 155, 160–163, 186, 188–191. Voir aussi aliénistes, folie, ivrognerie, médicalisation médicalisation, 7, 9, 148–149, 202, 206, 214. Voir aussi folie, ivrognerie Mignault, P.-B., 86, 94–95, 106, 108–110 Miss Gee’s Private Hospital, 238 Mohr, James, 161 Mondelet (juge), 116 Monk, S.C. (juge), 120 Montigny, Edgar-André, 192 Montréal, 3–4 Montreal General Hospital, 238 Montreal House of Refuge, 238 Montreal Lunatic Asylum, 45, 122, 175, 236, 269n118 moralité. Voir honneur Moran, James, 167, 173, 181, 261n126, 269n118, 272n156 Naubert, Hélène, 149 négociations, avec les déviants, 40–41 normes, 4–6, 148, 201, 210–213, 241n8. Voir aussi normes juridiques, normes sociales normes juridiques, 104, 119–120; et folie, 104–106, 109; et ivrognerie, 107–109; et patrimoine, 109, 120; et prodigalité, 106–107, 109 normes sociales, 119–121, 129, 209 officiers de justice. Voir député-protonotaire, protonotaire, système judiciaire

Index Pagnuelo (juge), 197 Paradis, André, 149, 179, 181, 271n152, 272n162 patrimoine, 33–35, 54–55, 68–69, 92– 93, 97–98, 106–108, 127, 131, 138– 139, 195–196, 206–207, 211, 249n155, 252n39, 256n112; protection, 46–47; comme question d’interrogatoire, 115. Voir aussi normes juridiques, successions, testaments pension d’aliénés, 48–50 pension Notre-Dame de Lourdes, 238 Perrault, Dr F.-X., 150, 156–157 Perrier, Sylvie, 261n135 Perrot, Michelle, 32 Pirenne, Robert, 218 Polanyi, Karl, 249n153 police, 18, 184–5, 188, 273n178 Postolec, Geneviève, 14 préjugement, 118 Prieur, Dr A., 190 prison, 18, 43–45, 50, 175–177, 179, 185, 199, 236–238, 270n128 prodigalité, 20–22, 33–35, 76–78, 86, 125–128; et établissement, 30–32; histoire de la, 13; individus interdits, 63–64. Voir aussi normes juridiques Protestant Hospital for the Insane. Voir asile de Verdun protonotaire, 133, 218, 261n122. Voir aussi député-protonotaire psychiatrie. Voir aliénistes Pyke (juge), 114 Ramsay (juge), 159, 162 réactions ad hoc, 42–45 Reaume, Geoffrey, 113, 258n54, 258n55 régulation sociale, 213–216. Voir aussi famille reproduction sociale, 13–14, 52, 205, 243n11 requêtes, 10, 14–15; rejetées, 134–136 rôles : cumul, 98, 125; familiaux, 25– 32, 53, 61–66, 139–140, 204–205 Rothman, David, 167, 266n77

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Roy, Dr François Elzéar, 156 Roy, Fernande, 210 Saint-Bridget Refuge, 89 Saint-Patrick Asylum, 89 Schneider, Joseph, 262n3 sciences, histoire des, 165 Scott, Dr William, 182 Scull, Andrew, 167, 266n77 sénilité, 19–20, 117. Voir aussi démence Shortis, affaire, 161 Simpson, sir George, 160 Sirois, L.P., 67, 80, 82, 106–107, 109– 110, 168–169, 172 sociétés de tempérance, 65, 111–112, 152, 171 sœur Thérèse de Jésus, 184 sœurs de la Providence, 67, 175, 180, 238–239, 248n132, 269n119. Voir aussi asile de la Providence; asile SaintJean-Baptiste; couvent des sœurs de la Providence; hospice Gamelin sœurs du Bon Pasteur, 177 sœurs Grises, 45, 68, 175, 236, 238. Voir aussi couvent des sœurs Grises stratégies familiales, 7, 39, 53, 101, 103, 142, 215–216, 249n154 Sturgis, James L., 13 successions, 22, 67–68, 89–92, 99. Voir aussi patrimoine, testaments Swain, Gladys, 276n10 système judiciaire : influence, 130–137, 187, 191, 202, 261n126 Taschereau (juge), 132 témoignages, 10, 14–15 testaments : clauses en faveur des incapables, 47; jurisprudence, 159–163, 264n47. Voir aussi successions Tomes, Nancy, 273n174, 274n196 transmission des biens. Voir patrimoine, successions tutelle, 139–140 usufruit, 21 Valverde, Mariana, 112, 179, 197

308 Verdun-Jones, Simon, 161 Villeneuve, Dr, 161–162 violence, 17–18, 43, 50–51, 84–87, 181–182, 184. Voir aussi fureur, ivrognerie

Index Warsh, Cheryl K., 258n44, 271n149 Workman, Dr Joseph, 160 Wright, David, 17, 182 Young, Brian, 58