Faux et faussaires en art égyptienne

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MONUMENTA AEGYPTIACA XI Faux et faussaires en art égyptien Jean-Jacques FiECHTER

ASSOCIATION EGYPTOLOGIQUE BREPOLS 2005

REINE

ÉLISABETH

Autres ouvrages de J.-J. Fiechter

"Le Socialisme

français de l'Affaire Dreyfus à la Grande Guerre. Préface d'Henri Guillemin, Droz, Genève 1965.

Un

diplomate anméricain sous la Terreur Les années europeennes de Gouverneur Morris, 1789-1799". Fayard, Paris, 1983. -

"Memoires du duc de Lauzun, Général Biron". Orban, Paris, 1986. "LAmazone de Napoléon Mémoires de Régula Engel". Orban, Paris (1¢re édit. 1985). Cabédita, Yens (nouv. édit. 1989) -

"Les Abbayes Vaudoises". Cabédita, Yens, 1991. "Le baron Pierre-Victor de Besenval" "Prix d'Histoire Générale 1994, de l'Académie

Française.

Delachaux et Niestlé, Lausanne et Paris, 1993. "La moisson des dieux

-

La constitution des

grandes collections égyptiennes, 1815-1830"

Préface de Jean Yoyotte, Julliard, Paris, 1994. Tiré à

part".

Roman. Denoël,

Paris,

1993. "Grand

prix

de littérature

Policière", 1993. "L'ombre au tableau". Roman. Denoël, Paris, 1996. Prix "Empreinte d'or", 1996. Prix de littérature française du canton de Berne, 1998. "Mykérinos, le dieu englouti". Maisonneuve et Larose, Paris, 2001.

MONUMENTA AEGYPTIACA XI

Faux et faussaires en art égyptien par

Jean-Jacques FIECHTER

ASSOCIATION ÉGYPTOLOGIQUE REINE ÉLISABETH

BREPOLS

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Avant-propos et remerciements

Cet ouvrage tée il y a

les Faux et Faussaires en Art égyptien est l'aboutissement d'une recherche débu de ans. En tant qu'historien le sujet du vrai et du faux, sous aspects, m'a toujours fasciné, mais c'est un domaine délicat, d'aucuns le diront même "miné" qui nécessitait l'appui et la confiance des responsables des grands musées contactés. Ce genre de recherche exige donc beaucoup de temps, de voyages, de moyens et de persévérance. J'ai eu le grand de de tout cela ces privilège pouvoir disposer dernières années et sur

tousses

déjà plus vingt

ainsi à

son terme ce

projet ambitieux, qui prenait

parler...

un

de mener aspect quasiment chimérique, à force d'en

L'appui généreux et les conseils du Directeur de l'Association Egyptologique Reine lisabeth, l'ami Herman De Meulenaere, ont été décisifs dans la publication de cet ouvrage qu'il a bien voulu préfacer. Dans le labyrinthe très vaste et complexe des faux en art égyptien, le fil conducteur de notre recherche a été la personnalité mystérieuse du Maître de Berlin", Oxan Aslanian, le plus

grand

faussaire du 20° siècle dans ce domaine. En outre,

nous avons eu sans cesse recours

à l'étude fondamentale de Ludwig Borchardt sur Aegyptische Altertümer, die ich für neuzeitlich halte. Cette enquête, parue quasi confidentiellement en 1930, a gardé toute son originalité et son actualité. La Fondation Ludwig Borchardt, de Zürich, qui gère l'Institut Suisse du Caire que ce grand savant a Archéologique fondé, m'a tres généreusement autorisé à étudier et à citer les nombreux dossiers Borchardt a les

que constitus les faux et les faussaires dans les années trente. D'autres archives inédites à Hambourg, à Munich et à Berlin, concernant les recherches et la de cet correspondance égyptologue, ont contribué à étoffer ma documentation sur un sujet qui reste, par nature, confidentiel et ou les noms de faussaires ne sont que très rarement dévoilés. Le témoignage de Herbert sur

respondance

avec

Winlock, qui cite abondamment Aslanian, dès 1920, dans sa cor Albert Morton Lythgoe, le Conservateur en chef du Metropolitan Museum resté inédit jusqu'à nos jours. Grâce à la

de New York, est repris le flambeau de cette prestigieuse cette documentation exceptionnelle.

générosité de Dorothea Arnold, qui a institution, j'ai obtenu le privilge de consulter et de citer

Cette recherche sur les faux en art égyptien n'aurait pas été réalisable l'ouverture d'esprit de la quarantaine de musées

sans

la

contiance

et

que j'ai visités au cours des années. Ma reuse gratitude va donc aux chaleu nombreux conservateurs et à leurs collaborateurs, dans le monae entier, qui m'ont ouvert les réserves et les archives de leurs musées, en me

permettant d'uinse

AVANT- PROPOS ET REMERCIEM ENTS

IX

des documents souvent inédits. Dans l'impossibilité de les remercier nommément, sans risquer

d'en omettre certains, je les prie de croire à ma profonde reconnaissance pour leur disponibilhte leur patience, leurs bienveillantes suggestions et leurs encouragements, qui ont finalement permis à cet ouvrage de voir le jour.

Pour terminer, je tiens à exprimer ma gratitude amicale à Sylvie Donnat, Docteur en Egyptologie, qui a bien voulu participer activement à l'ëlaboration des centaines de fiches individuelles des faux et à l'harmonisation des références bibliographiques et des notes, durant tout le cours de ce long travail en utilisant en particulier les systèmes d'abréviations du Lexikon der Aegyptologie et

de B. Mathieu. J'adresse aussi mes remerciements à Mme M.-L. Halin, secrétaire de direction de l'Association Egyptologique Reine Élisabeth, qui a entrepris une ultime révision du manu-

scrit et a aidé à corriger les épreuves. A tous et à toutes, merci de tout cæur. Jean-Jacques FIECHTER

Le

problème des faux

en

général

Introduction Le faux en art existe depuis des millénaires. Dans l'antiquité romaine par exemple, les copies

de célèbres sculptures grecques classiques

réalisées en premier lieu pour répondre au desir

des patriciens romains qui les recherchaient pour orner leur palais, et sans aucune intention

vite proposées à des Phidias, Praxitèle ou Polyclète.

de

tromper

-

furent

assez

amateurs comme

étant des

pieces originales

de

Le commerce était juteux et le marché des faux s'étendit, exploitant les modes des differentes

XVI° siècle. A partir du epoques: petits bronzes antiques dès la fin du XVe et pendant tout le Au XIX° siecle, à la XVIIe siecle apparurent les premières contrefaçons de tableaux de maître. de Pompei et d'Herfaveur des nouvelles découvertes archéologiques, notamment la découverte recrudescence par là même une c o m m e un véritable 1818 acheté par le British Museum en

culanum, il y eut à nouveau un engouement pour

des faux

antiques Un

buste de

César,

l'Antiquité

et

antique, date de ce temps. On vit aussi apparaître de faux objets préhistoriques. Il n'existe pas de type d'euvre, peinture, sculpture, numismatique, gravure, orfèvrerie, n'ait été l'objet d'une falsification. L'art égyptien ne fait pas etc...

cachets, médailles, émaux,

qui

exception à la règle. absolument différent des faussaires modernes, Depuis très longtemps, mais dans un esprit C'est le cas de la célèbre Stèle de la les Egyptiens avaient recours à des inscriptions antidatées. Famine

gravée à l'époque ptolémaïque qui

se

présente

comme un

document du

règne du roi

Djéser' ou de la Stele de la fille de Khéops. la XXVe dynastie, à un style archaisant, même s'il ne relève bien souvent la datation ou l'authentification de cerpas d'une intention dolosive, complique taines pièces.

De

façon analogue,

le retour,

sous

Par ailleurs, de véritables faux ont été produits pendant l'Antiquité. Citons à titre d'exemple cette coupe en terre cuite, d'une forme très élégante, qui fut trouvée à Palestrina au XIX° siècle, sur un site romain datant des premiers ages, et sur laquelle on peut voir un pharaon, peut-être Sésostris 1et, monté sur un char et poursuivant ses ennemis. arm de son arc et de ses flèches. A le décor donne à penser que cette æuvre date de la XII° dynastie, mais le cheval

première

vue, et le char n'étaient pas encore introduits en Egypte, a cette epoque. Par ailleurs, si on examine

de plus près la représentation, on constate que les chevaux ne sont pas rattachés au char, que le pharaon paraît tuer plutôt ses propres troupes que ses ennemis et surtout que les hiéroglyphes

1

"Stèle de la famine à Séhel", dans BdE 24 (1953), p. 33-36. [Le Caire JE 2091] voir C. ZIVIE-COCHE, Giza au premier millénaire, Boston, 1991, p. 218-246 et pl. 40-41, et particulierement p. 221-222 pour d'autres exemples et les raisons de l'utilisation de protocoles royaux anciens qui ne peut etre assimilee a la falsification. Il s'agirait "d'honorer un ancêtre vénérable et par là même, simultanément, donner au texte les lettres de noblesse que lui confère une telle

BARGUET, P. Sur cette stèle

antiquité".

FAUX ET FAUS SAIRES EN ART EG YPTIEN

Sont totalement fantaisistes. I1 s'agit done d'un pastiche destinëà lexportation par des faussa

saires

phéniciens qui profitaient déjà, au dernier millénaire avant J.-C,, de l'egyptomanie qui se déve. loppera particulièrement sous l'empire romain. Ces objets n'ayant pas été fabriqués forcém ment avec l'intention de tromper, peut-on vraiment parler de faux? En revanche, le terme s'applique å ces premiers faux pharaoniques qui apparaissaient a milieu du XIX° siècle à la faveur d'un renouveau de l'Egyptomanie en Occident, et qui furent fabriqués avec l'intention avérée de profiter de la crédulité des acheteurs. Ils sont encore maladroits et ce ne sera qu'å la fin du XIX° siècle et au dcbut du XX* siècle qu'apparaitront sur le marché les premières contrefaçons de qualité: des ceuvres de véritables artistes, réalisées en

Egypte et en Europe et qui tromperont tant d'éminents spécialistes! Le phénomène des faux, même circonscrit à P'Egypte ancienne, est suffisamment vaste et compliqué pour que tous les spécialistes et les amateurs en prennent conscience, sans pour

autant tomber dans la paranoia. Les auteurs qui ont traité de la question des faux dans l'art se partagent, grosso modo, en deux groupes. Pour le premier de ces groupes, constitué de presque tous les spécialistes dans ce domaine. seul l'objet d'art authentique est de l'Art. Le faux reste un faux, destiné à tromper l'amateur naif.

Les lois vont dans le même sens, ce qui n'empêche pas qu'il y ait des millions de faux en circulation et pratiquement pas de faussaires en prison...!

Dans le deuxième groupe, on trouve quelques esprits paradoxaux qui estiment que le faux est une forme de l'art et devrait être considéré comme aussi beau et aussi honorable que le vrai. En ce qui concerne l'art égyptien, ce n'est pas sur les considérations esthétiques que le débat devrait se porter tout d'abord. Il y a, bien sûr, des pièces absolument authentiques qui sont à nos veux très laides et des objets faux qui nous paraissent superbes, et les égyptologues admettent que si certaines pieces n'avaient pas été découvertes in situ dans des conditions ne permettant

aucun doute sur leur authenticité, elles auraient été rejetées comme des faux grossiers. Le premier problème que posent les faux et en particulier les plus réussis d'entre eux, est le

danger qu'ils constituent pour l'histoire en général. Si la confusion entre les eæuvres égyptiennes originales et les pastiches réalisés durant l'Antiquité romaine a longtemps égaré les savants sur

de fausses pistes, aussi bien dans le déchiffrement des hiéroglyphes que dans l'élaboration de théories sur l'art égyptien,' que dire des méfaits causés par les objets réalisés avec l'intention consciente de tromper! Une fausse inscription moderne, comme celle qui fut gravée sur une vasque authentique

conservée maintenant au Canada, indiquant la date de l'an 16 du règne d'Horemheb, peut ainsi semer la plus grande confusion dans la chronologie. Evidemment, sur le plan esthétique, le danger est aussi bien réel. Entre les deux guerres, les conclusions tirées par de nombreux spécialistes qui avaient pris pour objets de réflexion des pièces inauthentiques, eurent pendant un moment des répercussions étonnantes sur l'ëtude de l'art égyptien. Suite aux erreurs de jugement de ces éminents archéologues, éclairés et reputes, un grand nombre de nouveaux faux furent admis et considérés par leurs étudiants comme des

pièces représentatives de l'art pharaonique. Légyptologue américain G. Reisner cite le cas d'un relief de l'Ancien Empire du Musée de Berlin dont l'expressivité avait été utilisée par le professeur Steindorff, dans son ouvrage de reterence sur l'art des Egyptiens, pour démontrer qu'il y avait là un élément neuf et beau dans l'art égyptien qui jusque-là n'avait pas été perçu par les critiques d'art. Il croyait même plausible

Chr. Z1EGLER, "D'une égyptomanie à l'autre: P'héritage de l'Antiquité romaine", dans Egvpomaris Louvre, 1994, p. 19-20.

DR. REDFORD, "New light on the Asiatic Campaining of Horemheb", BASOR 211 (oct. 1973), p. 35 -49 SEE ctremarques critiques de J. YOYOTTE, "Le général Djehouty et la perception des tributs syriens", 92 (oct. 1991), p. 44.

G. REISNER, Notes inédites, Archives MFA, Boston. 6

G.

STEINDORFF, Die Blütezeit des Pharaonenreichs 20

ed. 1926, p. 10-11.

LE

PROBLEME DES FAUX

EN

GEN ERAL

rexistence d'une autre école de mait que

la source

sculpture en Egypte qui aurait échappé aux fouilleurs et il est l'ensemble des conclusions sur l'art pharaonique devait être révisé! Fort heureusement de ce "nouvel élément" fut dévoilée ds 1930 par L. Borchardt, comme on le verra au

chapitre III. Sil s'agissait bien d'une phase nouvelle et jusqu'alors inconnue de l'art égyptien, elle ne

devait

Anciens! Elle était le produit de faussaires modernes et habiles, de formation europeenne, qui utilisaient les formes expressives traditionnelles d'un art fort éloigné de l'esth rien aux

tique égyptienne. Lart des pharaons n'avait en effet rien d'un "art pour l'art". Il était, pour reprendre les mots J. Yoyotte, "radicalement utilitaire". Un bel objet était un objet qui possédait les criteres requis

pour remplir etficacement sa fonction qui, en l'occurrence, était essentiellement dordre rune-

raire ou

religieux. Læuvre, que nous disons d'art aujourd'hui, jouait maintien de l'ordre du monde et la renaissance des Aussi,

un

rôle

primordial

dans e

en vertu du principe selon trépassés. lequel representer une chose revient à lui donner une certaine forme d'existence, l'artiste devait-il

respecter nombre de règles précises. Le défunt devait être idéalisé, figuré dans la force de l'age, le VIsage serein. La vieillesse, la faim, la tristesse étaient laissées aux pauvres vivants dont les activi= tes quotidiennes étaient

reproduites sur les parois des tombeaux ou sous forme de maquette. La representation des émotions, si elle n'est certes pas absente, reste en conséquence théoriquement Circonscrite a des contextes

particuliers, aux pleureuses dans les scènes de procession funeraire, esquisses que faisaient les artisans pour leur propre plaisir. La volonte d'exprimer une émotion, qui est une des caractéristiques de la sculpture moderne est, elle, d'origine grecque.

ou aux

Cet

la

effet, obtenu

position

de la

partie par le modelé des traits, l'attitude de tout le corps et tête, n'est donc absolument pas typique de l'art égyptien, mème en

exceptions existent. Les nouveaux

faussaires qui apparurent

au

tournant

du XX° siècle

en

particulier

si ça et la des

grefferent donc

des carac-

téristiques de la sculpture moderne sur des formes de l'ancienne Egypte, égarant ainsi, quelque temps, les étudiants en art sur une fausse piste.

Dans la perspective de l'historien, le faux est donc un ennemi qu'il s'agit de débusquer. Il

exerce en

revanche

une

profonde

et

sourde fascination

large public, comme toutes les transgression. Les profits, parfois immenses, qu'on imagine découler de ces pratiques délictueuses, et surtout l'aura de mystère, fascinent certains esprits, amusés de surcroit par la lutte complexe que se livrent faussaires et experts dans une pratique qui se perpétue et se régénère à travers la constante évolution des techniques de fabrication et de détection. Pour ceux-là, un faussaire ne devrait être critiqué que s'il se livre à un travail médiocre. Mais c'est un sophisme: si le faussaire réalise un "faux parfait", personne ne s'aperçoit de la supercherie et il n'y a pas de problème. Dans le cas contraire, tout le monde s'aperçoit du plagiat, et il n'y a pas de problème non plus. Cette tendance à minimiser l'importance des taux se trouve mëme chez certains conserva teurs de musées. Lors de l'affaire des scarabees de Nechao, dont il sera amplement question plus sur un

activités qui relèvent d'une forme de

loin, Salomon Reinach qui, une dizaine d'annes plus tot, en 1896, avait été lui-même victime d'un habile faussaire, en achetant pour le compte du Louvre la tiare en or de Saïtaphernès, roi des Scythes,' écrivait à Gaston Maspero le 11 fëvrier 1909: J e suis très ému de la condamnaion vrament atroce que Capart et consorts ont obtenue contre les Bouriant. Après tout, les fausses tiares et les faux scarabes ne sont pas des objets indispensables comme les pièces de cent sous; et tandis quue l'acqureur d'un écu en plomb n'est pas un expert en métaux, l'acquéreur d'une tiare ou d'un scarabée esT payé pour savoir se defendre"

7

Le

cas

classique

d'un faux de

tout

premier

d'innombrables publications. s

IdF, Paris. Archives

de G. MASPERO:

1916, Paris, 1999, p. 247-248.

ms

ordre, que

l'on doit au faussaire

Rouchomovsky,

4039, folios 257-258. Voir E. DAVID, Gaston

fait

l'objet

Maspero

1846-

a

FAUX ET

FAUSSAIRES

EN ART EGYPTIEN

Largument est specieux. A une époque ou les billets de banque Irançais portaient encoro

la

mention"les contrefacteurs sont passibles de la peine de mort, il etait évidemment moins rIsqué

de 1abriquer des faux scarabées que de la fausse monnaie, mais le principe reste le meme.

t la

tromperie tout aussi condamnable. Quelle que soit sa position devant la question des faux, le specialiste en art ou en hictoi.

0ire devrait n'avoir de cesse, que ce soit par amour de la véritë ou tout simpleent pour sa satisfac

tion personnelle, de débusquer les ceuvres frauduleuses. Mais nous touchons là à un problème

complexe! Car il n'existe encore ni instrument sophistiqué, ni révelateur chimique, qui permet. et trait d'emblée et à coup sûr, de reconnaitre un faux, si celui-ci est de qualité. Un cil exerc

st

evidemment un atout majeur, et certains collectionneurs, Comme Christos Bastis, se sont méme

vantés de posséder un flair quasi divin: "Tous les objets me crient: hey, je suis authentique...

9

De nombreux antiquaires revendiquent ce don de déceler intuitivement les faux, qu'ils inti

tulent la musica. Ils estiment qu'il y a dans la vie des êtres privilégiés, pour ainsi dire, qui ont lintuition, le flair de reconnaitre une ceuvre d'art à première vue; ceci est dù en premier lieu a une sensibilité spéciale

qui est innée chez eux et ensuite à l'étude scrupuleuse, à la grande érudition et !habitude des yeux

acquise en visitant, sinon toutes, du moins la plupart des collections publiques et privées... Les conservateurs des musées sont généralement plus modestes, meme sils admettent parfois

comme le fait Thomas Hoving, qu'il existe des personnalités dotes

d'un vrai don de "dépisteur

de faux" (fakes buster) au nombre desquels il se met, tout en reconnaissant s'etre parfois lui aussi trompé. C'est de toutes façons un des risques du métier, admis par tous les conservateurs et les collectionneurs chevronnés. Pour ne citer qu'un témoignage parmi des centaines, mentionnons

celui de J. Capart qui tirait, de la fameuse escroquerie des scarabées de Néchao, dont il fut la victime au début de sa carrière, cet enseignement plein de philosophie

"ly aurait beaucoup de choses à dire sur les achats d'objets égyptiens que jai faits pour les Musées royacx d'Art et d'Histoire de Bruxeles er, comme les chasseurs, les archéologues ont de nombreux souvenirs au syje de leurs beaux coups qu'ils sont prêts à naer. Ils ont, hélas, aussi le souvenir d'amères déceptions dont ils ameraient autant ne pas parler. Leur attitude à cet égard est un peu la faute du public. Le monsieur qui n'a jamais eu, au cours de son existence, à prendre parfois en quelques minutes, une décision sur l'achat 0u le rejet d'une pièce antique, ne counait naturellement à peu près rien des difficultés et même des dangers

du métier. Il est facile de dire, après coup, d'une pièce dont on a péniblement démon1ré 1'inauthenticité: javais toujours pensé que cette piéce était fausse. Je n'ai pas encore pu, quant à moi, me faire ume opinion bien claire quant à ce point"0

Il est d'ailleurs de nombreux cas et nous en donnerons ici quelques exemples, de pièces d'une beauté exceptionnelle et juges incontestables pendant des décennies, qui furent retirés des collections parce qu'elles étaient inauthentiques. Des volumes entiers ont été consacrés aux difficultés de l'expertise dans le domaine artistique, mais il n'y a ni école, ni diplôme d'expert en art, alors qu'il existe d'innonmbrables diplômés des Beaux Arts, de l'histoire de l'art, de muséologie ou d'archéologie. Ce n'est d'ailleurs pas un des moindres maux de la formation académique que cette absence de familiarisation avec la question du faux.

C'est un domaine ou l'apprentissage individuel et une réputation si possible sans tache, tous deux acquis au cours de longues années vouées à la pratique constante de cet exercice intellectuel, permettent d'acquérir un "cil" et une notoriété internationale. Mais même les plus

9

Cité par J. THEODOROU, "Antiquities and the F-World", dans Art and Auction, novembre 1992, p. ll

119. 10 Lettre de J. Capart du 7 juillet 1932 à R. Ducamp, du New York Times, citée par B. van de WALLE et a

La Collection égyptienne, p. 35. Voir également chap. VIII, n° 4.

ILE PROBLEME DES FAUX EN GÉNÉRAL

grands experts peuvent se tromper et, en dépit de ce que pense parfois le grand public, l'intégrité ou la compétence du spécialiste ne sont pas forcément à mettre en cause dans les affaires de

faux. Si les chantages, les pressions d'ordre politique ou l'appåt du gain ont pu dans certains cas

avoir influencé une prise de position, la majorité des experts jugent en toute bonne foi. Mais en T'absence d'un détail definitif ou d'examens scientifiques, qui apporteraient des élements indis-

cutables sur la modernité d'une cuvre, on se trouve parfois dans une impasse. Un bel exemple:

celui du Kouros du Musée Getty, énigme laissée sans solution en 1992 à l'issue d'un congrès qui

reunissait á Athènes les plus grands experts mondiaux en art grec archaique venus statuer sur

huit années de recherches, et qui ne réussit qu'à mettre en lumière la disparité des avis quant à

l'authenticité ou la fausseté de ce chef d'æuvre. On le comprend, la "traque" aux faux est une activité délicate, même aujourd'hui. Aussi,

cet ouvrage ne veut pas ètre un manuel pour apprentis fakes busters. Il veut simplement fami-

1ariser les professionnels en égyptologie et les amateurs avec la question des "faux" dans le cas specifique de l'Egypte ancienne, à travers un aperçu des faux les plus célèbres reconnus par les musees et une histoire de faussaires qui prendra pour point de départ le travail fondateur de

Ludwig Borchardt. Cest en effet grâce à l'enquête que mena ce grand égyptologue allemand, aux alentours des annees 1930, que fut révélée l'existence d'une nouvelle école de faussaires. Pour la premiere fois, un savant de réputation internationale étudiait systématiquement les grandes collections euro-

péennes afin d'y débusquer les "antiquités qu'il jugeait modernes", selon le titre de son article

qui fit l'effet d'une véritable bombe lors de sa parution. Les conservateurs et les collectionneurs crièrent au fou et l'accusèrent d'arrogance. Comment pouvait-il oser s'attaquer à des fleurons de

leurs collections et condamner, sans motiver ses verdicts, une soixantaine de pièces!

Soixante-dix ans après la parution de son article, la quasi totalité des pièces que L. Borchardt avait incriminées ont été retirées des collections publiques. Preuve de la qualité de son jugement et de son flair exceptionnel! Premier chasseur de faux, l'homme épingla en même temps un des faussaires les plus dous du XX° siècle, Oxan Aslanian, principal responsable des plus beaux

faux réalisés dans le premier tiers de ce siècle. Cet ouvrage est un hommage au travail fondatcur de Borchardt, et donc aussi une exploration du cas Oxan Aslanian, dit "Le Maitre de Berlin". C'est lui qui nous servira de fil rouge dans notre voyage dans le monde des faux et des faussaires. Après une mise au point de la notion de faux et un rapide récapitulatif sur les faux avant le XX° siècle, nous suivrons Borchardt dans Fenquête qui le mena à démasquer la nouvelle école de faussaires et son chef de file Aslanian. Nous nous intéresserons ensuite plus précisément à cette figure marquante, aux retombées de l'article de Borchardt dans le monde de légyptologie et des antiquaires, et à la poursuite de son

enquête après 1930, avec la mise en lumière du rôle trouble d'Emile Brugsch, frère du célèbre egyptologue. Puis, nous ferons le point sur les traqueurs de faux actuels et leurs méthodes et nous nous arrêterons sur quelques exemples douze cas concrets de faux célèbres aux histoires particulièrement

édifiantes - avant d'évoquer pour finir la question des pièces composites et des "faux-faux" En annexe, le lecteur qui souhaite approfondir la question trouvera environ deux cents fiches portant

sur

des faux identifiés par les musées.

Chapitre I: Qu'est-ce qu'un faux?

Il y a des faux de toutes sortes, mais selon la définition généralement admise, l'objet incrimine doit avoir étë réalisé dans l'intention de tromper. Sans cette volonté malveillante, il n'y a pas de faux, au point de vue juridique. Dans la réalité, la situation est plus complexe car il est souvent

difficile de prouver une telle intention. En regle générale, on peut distinguer quatre catégories principales de faux:

1 Les pièces qui sont copiées à l'identique, selon un modle

existant connu, qui a parfois servi

d'original pour le moule ou la reproduction. Les moulages produits par les musées pour satisfaire les amateurs d'art qui désirent posséder une copie aussi fidele que possible d'une oeuvre

prestigieuse, entrent dans cette catégorie. Tant que la copie est clairement identifiée et estampillée comme telle et mème si elle a subi un traitement ou une patine pour lui donner un aspect ancien, il ne s'agit pas d'un faux.

N'oublions pas que sans labondance des copies romaines des chefs-d'æuvres de la statuaire grecque, notre connaissance de cette sculpture serait bien limitée, car la plupart des originaux Sont perdus.

A cóté de ces reproductions "officielles", de très nombreux faussaires ont fabriqué à toutes les époques des copies destinées à tromper, dés le départ, en utilisant des techniques de reproduction de plus en plus raffinées. Dans certains cas, ce sont les musées eux-mèmes qui ont montré l'exemple en faisant réaliser des copies très fidèles des pièces de leurs collections qui leur paraissaient trop délicates pour qu'on puisse les mouler. Par conséquent, toutes les copies ultérieures ont été produites à partir de ce mod le et non de l'original. C'est le cas, par exemple, de la célèbre tête de Néfertiti du Musée de Berlin ou, jusqu'à récemment, pour la "tête de harpe" du Louvre. ll arrive parfois que des commerçants peu scrupuleux vendent ces copies comme des pièces authentiques, après les avoir maquillées et fait disparaitre les estampiles des musées.

On peut inclure dans cette catégorie tous les "souvenirs" de bazar vendus aux touristes qui ne peuvent tromper que les clients les plus naïfs. 2

Les spécialistes, qui connaissent bien les euvres existantes pour une époque donnée, arrivent très vite à discerner le mod le authentique reproduit par le copiste et ne s'y laissent pas tromper.

C'est la raison pour laquelle, dans le pastiche intégral, quand un objet a été entièrement fabri qué pour tromper, le faussaire évite de copier servilement un seul modèle précis. Il prend

généralement des éléments de différents objets authentiques et les assemble dans une nouvelle Composition. Certains faussaires doués assimilent "lesprit du temps" et produisent ainsi de vraies créations, qui se distinguent difficilement des pièces authentiques. En réalisant une æuvre qui n'a pas de modelie connu, le faussaire prend un risque. En effet, lorsqu'une pièce vraiment originale apparait sur le marché de l'art, les spécialistes ont tendance à s'en méfier. Georges Bénédite, qui a été un des grands conservateurs des antiquit s égyptiennes du Louvre, écrivait dans un article: "que le premier devoir d'un faussaire est de construire ses

FAUN

euvres selon un type cherche à imiter."

ET

FAUSSAIRES EN ART

reunissant les

caracteristiques

EGVr TIEN

reconnues et classees de

l'epoque qu'il

Les objets anciens,

3

largement restaurés et embellis pour en augmenter la valeur marchande, fortroisième catégorie de faux celle-ci a la particularité d'utiliser comme base des pieces authentiques, dont les rajouts modernes sont sOigneusement maquilles. Les pieces anciennes ment la

regravees ou repeintes entrent dans cette catégorie.

Une

4

les

quatrième catégorie

plus

de faux

est

formée

des

par piéces composites ou hybrides. Les exemples acéphales authentiques auxquelles on a adapté soit des têtes provenant d'une autre statue, soit des copies modernes. Comme c'est le cas

courants sont les statues

anciennes, mais

pour nombre de Sekhmet dans les musées, constituées de deux parties de statues différentes du meme type qui ont été rassemblées pour recrer une piece d'apparence intacte. Cette façon de procéder était largement admise jusqu'au XXe siecle, mme dans les plus grands musées. Aujourd'hui, un socle ou une tête même authentique, mais provenant d'une autre statue, sera oté

les

et

exposé séparément.

Dans l'art égyptien, l'histoire des faux est plus ancienne qu'on Si on fait abstraction de la copie phocéenne citée haut, on

multiples

plus

statues en

pierre

le croit

ne

peut classer

généralement. parmi les faux

bronze

produites par lr"Egyptomanie" romaine, puis par générale, ces ceuvres ne prétendaient pas provenir des bords du mystères d'Isis ou l'art pharaonique.

ou en

celle de la Renaissance. En règle Nil, mais seulement évoquer les

ne

En revanche, on constate que dès l'antiquité les voyageurs, les militaires, les pelerins puis les

touristes, ont rapporté dans leurs bagages des souvenirs souvent trafiqués. En règle générale, il

s'agissait surtout d'amulettes ou d'ouchebtis, car ces petites idoles, facilement transportables et bon marché

rappelaient

les

momies, symbole majeur de l'Egypte antique

pour les

Europens.

Parmi cessouvenirs de voyage" figuraient déjà des multitudes de faux grossiers, et cela malgre l'abondance d'objets authentiques que l'on pouvait trouver, à bas prix sur le marché local. A travers les siècles, les acheteurs naifs se rassurent avec des arguments qui ne changent pas. Jean de Thévenot, qui visita Saqqåra en 1657, acheta des "idoles" sur place... "esquelles toutes je suis bien assuré qu'elles ont été tirées des momies et il ne faut point dire qu'iüs les contrefont, car outre qu'ils nont pas assez d'industrie pour cela, c'est que le vil prix pour lequel ils les donnent ne vaut pas seulement la matiere".2

A titre d'exemple, nous ne citerons qu'un oushebti, qui a la particularité d'avoir été fabri-

qué en Europe, vers le milieu du XVIIe siècle, dans une pierre verdâdre, rappelant assez bien la faience égyptienne émaillée verte, dont la formule était alors perdue. Le faussaire a suivi les

illustrations d'Athanasius Kircher, dans son Oedipus Aegyptiacus, paru à Rome en 1654, mais les inscriptions hiéroglyphiques au dos de l'oushebti sont fantaisistes. Cette curiosité a figuré depuis le XVII° siècle dans les collections de la Bodleian Library avant de rejoindre l'Ashmolean Museum d'Oxford, en 1937. L'étude des faux est une source d'information tout aussi valable que celle des originaux. La

négligence dans ce domaine d'investigations est à la base de la plupart des erreurs faites par les collectionneurs. En effet, les faux, une fois identifiés et connus, méritent d'être étudiés presque aussi soigneusement que les originaux, mais c'est un sujet qui est rarement abordé avec méthode et rigueur durant les études d'égyptologie. Le but principal de ce type de recherches est de ne présenter, tant aux spécialistes qu'au public fréquentant les musées, que des pièces pouvant légitimement servir de témoins de la culture pha-

raonique. Ne

pas le faire serait

se

rendre volontairement

complice de

cette

finalement, l'essence même du problème de l'authentification. Cet objet -

tromperie. Et c'est là,

faux - voyage sous une

prétendue identité et portera forcément un faux témoignage sur la vie et la culture du passé.

11Vraie ou fausse", 12 13

dans

RAAM, Vol. 45, Paris

1924.

Levant, Paris 1665, p. 262.

de THVENOT, voyagefait seventeenth Century: The Voir article de H. WHITEHOUSE, "Egyptology forgery in the 2 n° (1989), p. 187-195. Bodleian Shabti" dans Journal of the History of Collections,

J.

Relation d'un

au

case

of the

QU'EST- CE QU'UN FAUX? Le

problème de l'authenticité

eur taut a

agir avec

un

lesprit qu'un objet,

difficultés. Par conséquent,

d'autant plus vital pour les responsables des musées, quil précaution et de circonspection. Ils doivent sans cesse garder fois condamné, ne peut être ultérieurement blanchi qu'avec d'enormes est

maximum de une

le font les criminologues, ils doivent donner aux objets contestes le présumés innocents.. Cette difficulté psychologique s'ajoute à la lourde responsabiIite du conservateur qui achète pour son musée une pièce unique dont le prix est eleve. Le conservateur s'enflamme souvent devant un objet qu'il pourrait ajouter à ses collections. e s t conscient aussi des reproches qui lui seront faits s'il laisse échapper une piece unique qu comme

drot d'etre

purrait se retrouver plus tard parmi les trésors d'une collection rivale. Il lui est difficile d'obtenir des avis objectifs de collègues d'autres musées et il doit généralement se décider dans un delai de temps limité. Sil achète la pièce et que celle-ci se révèle être un faux, qui a peut-être deja étë

refuse par d'autres institutions rivales, sa réputation en sera sérieusement affectée. Tiraille entre

ces differentes exigences, il lui est quasiment impossible de conserver un jugement serein. On retrouve ces

dilemmes personnels dans les cas célbres de fraudes ou de tentatives de tromperie. Les ditticultës de discerner le vrai du faux varient énormément selon les cas. C'est une question tres et il a dejà été dit que les faux les plus faciles à détecter pour les spécialistes

complexe

sont ceux pour lesquels un modèle, dont l'origine est indiscutable, peut étre identifié avec certitude. Nous en donnerons de nombreux exemples. Heureusement, les progrès de la science ont permis d'ëtablir des systèmes d'analyses techniques, qui fournissent des indications précieuses, parfois même irréfutables pour certaines

categories d'objets. Nous étudierons plus loin les derniers développements dans ce domaine. Cependant, et en particulier pour les statues en pierre, l'authentification reste délicate. Certaines pièces demeurent donc dans les "limbes" de la critique artistique et, - selon la philosophie des musèes qui les possèdent, - elles sont soit retirées des expositions, soit maintenues en présenta-

tion avec une étiquette précisant, par exemple: "Dans le style de la.... dynastie, mais éventuel

lement moderne..". Il est évident que pour éviter d'être trop facilement démasqués, les meilleurs faussaires pren nent soin d'utiliser exclusivement les mêmes matériaux que ceux qui étaient employés par les artisans de la période qu'ils ont l'intention de dupliquer. C'est rarement à ce niveau qu'ils font des erreurs. Les problèmes d'épigraphie et de style sont en revanche plus difficiles à surmonter. C'est du reste sur ce plan-là que le travail des meilleurs faussaires modernes a été d'abord identifié par Ludwig Borchardt, comme nous le verrons en détail au chapitre III. L'enquête à laquelle ce grand égyptologue allemand a procédé vers 1930 marque une étape

décisive dans la traque des faux d'art égyptien. Selon Borchardt, les pièces de la nouvelle école présentaient généralement les caractéristiques suivantes: 1 Les traits du visage sont modelés de façon à exprimer le caractère ou l'émotion. 2

Linclination du cou est accentuée, ce qui donne à la tête une position différente de la position statique des vraies têtes égyptiennes.

3 Les surfaces sont extrêmement polies ce qui, dans les pierres dures, rend la pose des couleurs très difficile, alors que les statues anciennes, moins polies, étaient peintes sans problème. Dans le cas du calcaire, les faussaires ont utilisé des moyens de sculpture modernes et des

couleurs qui n'existaient pas dans l'ancienne Egypte. C'est la raison pour laquelle l'analyse chimique des pigments s'est révélée précieuse pour la détection des nouveaux faux. 4 L e s visages sont souvent asymétriques et en particulier les yeux. Un des deux yeux est généralement moins bien sculpté que l'autre.

5 L e traitement des différentes parties des statues est souvent inégal. En particulier, les cheveux des sculpteurs sont moins soigneusement travaillés que le visage.

FAUN ET FAUSSAIRES EN ART ËGYPTËN

6 L a forme genérale, l'attitude des corps et les habits sont généralement copiés de pièces connues, mais de grandeur différente. La plupart des pièces authentiques qui ont été identifiees comme ayant servi de modele sont de petite taille et ne montrent que la tête, dans les reliefs comme dans la statuaire.

7 L a simulation des dommages accidentels est très intelligemment faite, mais évite en général d'abimer le nez, le menton ou d'affecter l'expression du visage. En résumé, parmi les différents points susmentionnés, les deux principaux éléments qui

faussent ainsi l'ètude et l'appréciation de l'art égyptien sont l'expression des visages et la position des tetes. Cest principalement en se basant sur ces critères esthétiques que Ludwig Borchardt a pu

dénoncer les méfaits de l'école moderne de faussaires. Les conservateurs et collectionneurs concernés crièrent au fou et l'accusèrent d'une incroyable

arrogance pour oser s'attaquer à des fleurons de leurs collections, d'autant plus qu'il condamnait pres de soixante objets, sans motiver spécifiquement ses verdicts. Aujourd'hui, plus de soixante-

dix ans après la sortie de cette étude, la quasi totalité des pièces qu'il avait incriminées ont été

retirées des collections publiques. Ce simple fait prouve la qualité de jugement et le flair excep-

tionnel de ce premier chasseur de faux. Malgré toutes les précautions de l'égyptologue allemand, qui a évité de citer tout nom de faussaire dans son "brülot" et d'indiquer les musées ou les collections dont il a tiré ses exemples, la ZAS [Zeitschrift für Aegyptische Sprache und Atertumskunde), revue à laquelle il a collaboré, n'accepta de la publier que sous forme de supplément à son n° 66.I [1930]. Le tirage confidentiel de ce document fondamental, qui n'a jamais été réédité, nous a incité à en reproduire l'essentiel. Pour mener à bien son entreprise, Borchardt, qui résidait principalement au Caire, dans sa

grande maison du quartier de Zamalek, où il avait installé son propre institut de recherches, apres sa retraite de l'Institut Allemand, avait pu compter sur l'aide d'un de ses anciens collaborateurs, le Prof. Sauerlandt, directeur du Musée de Hambourg. Le dépouillement de l'abondante

correspondance entre ces deux égyptologues, miraculeusement préservée de la quasi destruction

de la ville durant la deuxième guerre mondiale, nous a permis de suivre les différentes phases de la recherche et de la rédaction de cet article. Les réactions des conservateurs de musées, des collectionneurs et des marchands trompés par ces faux sont significatives et quelques-unes figurent

plus loin, avec la description des objets contestés. Dans la correspondance très libre entre les deux savants, des noms de faussaires sont cités et en premier lieu celui d'Oxan Aslanian, surnommé plus tard le "Maître de Berlin".

La personnalité mystérieuse de ce faussaire, qui est restée inconnue jusque dans les années quatre-vingt, non seulement du grand public mais aussi de la quasi totalité des égyptologues et des amateurs d'art, véritable "fil rouge" dans le monde des faux en égyptologie, a fait l'objet d'une longue recherche originale, présentée au chapitre IV. Les archives du Musée égyptologique de Hambourg et celles des musées de Munich puis de Berlin et, par-dessus tout, les papiers personnels de Ludwig Borchardt au Caire, nous ont permis de comprendre comment ce grand

savant avait pu, le premier, saisir l'importance et la diversité des faux de la "Nouvelle Ecole". Grace à la confiance et à l'amabilité de la fondation que Borchardt avait créée en Suisse, avec sa femme Minnie, peu de temps avant sa mort, nous avons obtenu l'autorisation d'étudier en détail ses archives confidentielles, conservées à lhstitut Suisse de Recherches architecturales et archéologiques de l'Ancienne Egypte, qu'il a fondé. Nous avons pu nous rendre compte du sérieux et de l'ampleur des recherches qu'il a menes

pendant des années dans le monde très secret des faussaires en Egypte, au début du XX° siècle. Aslanian reste le principal responsable des plus beaux faux réalisés alors, mais il n'est pas le seul à avoir réussi à tromper pendant des décennies collectionneurs, experts et conservateurs

de musées. L'identification de certains autres faussaires exceptionnels apporte des contributions inédites aux recherches actuelles des "chasseurs de faux".

Chapitre II: Les faussaires en Egypte au début du XX° siecle

Avant d'aborder l'enqute

menée en Égypte par L. Borchardt en 1930 sur les différentes "écoles

de faux", il est nécessaire de rappeler les conditions, très différentes de celles de nos jours, gui régnaient alors en Egypte dans le commerce des antiquités et sur les concessions de fouilles. Malgré des durcissements successifs de la réglementation officielle, un certain laxisme resta de règle jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale. Durant toute la fin du XIX° siècle et la première moitié du XXx° siècle, les antiquités égyptiennes authentiques que l'on pouvait trouver sur le marché de l'art provenaient de l'une ou l'autre de ces sources:

1L'exploitation du sebakh, ce reste des briques crues des anciennes ruines, qui était utilise comme engrais. Cette pratique, maintenant abandonnée par suite de l'épuisement des sites et

l'emploi de fertilisants artificiels, ne livrait généralement que de petits objets ou des papyrus. Les découvertes plus importantes étaient souvent signalées aux autorités par des voisins jaloux

et aboutissaient au Musée du Caire..

2

Les travaux de construction ou de drainage: là aussi, les contrôles existants limitaient les

possibilités de trouvailles exceptionnelles fortuites 3 Les fouilles clandestines menées par des indigènes, soit dans des terrains leur appartenant, soit, le plus souvent, de nuit, dans des sites officiels de fouille, avec parfois la complicité des gardes supposés veiller sur ces lieux. Par suite de ces pratiques illicites des reliefs et des

peintures, ont été sauvagement détruits dans le seul but de prélever quelques éléments jugés vendables.

Des objets volés par les ouvriers indigènes sur les champs de fouilles "officiels" et non signa-

lés aux responsables des travaux. En règle générale, il s'agit là de petites pièces, facilement dissimulables dans les pans des galabiehs. Mais quand le contrôle était inefricace et relaché, des objets importants, repérés durant les travaux journaliers, étaient déterrés durant la nuit et sortis du champ de fouilles, avec la complicité des gardiens.

5

Des pièces provenant de collections locales, constitues principalement au XIX° siècle et leurs descendants, comme les collections Bircher, de qui ont été vendues ultérieurement par Benzion ou Tigrane Pacha. Ces collections comportaient déjà une part importante de faux..

6

Des objets ayant été acquis directement, au début du XX° siècle, dans la salle de vente du Musée de Boulaq, ou pour lesquels les commerçants locaux autorisés avaient obtenu des du Service des Antiquités égyptien. Là aussi, l'acheteur ne bénéficiait

permis d'exportation d'aucune

garantie réelle

d'authenticité...

A ces pièces provenant d'Egypte s'ajoutaient sur les march s des objets déja exportés, qui provenaient

7

sources

européens et américains des

suivantes:

Les différentes collections privées constituées durant la grande période des "consuls pilleurs" et de leurs agents, entre 1820 et 1850, et qui ont étë depuis mises en vente. Là aussi, la provenance "officielle" est souvent trompeuse, sans parler des innombrables objets, généralement des rescapés de l'expédition d'Egypte. Si faux, soi-disant rapportés dans leurs bagages par cette origine était crédible, elle aurait nécessit la mise en place d'une flotte supplémentaire!

FAUN ET FAUS SAIRES EN ART ÉGYPTIEN

12

Des pièces individuelles,

8

des voyageurs

européens

ou

souvent de

reçues

en

meilleur aloi, achetees

partage,

a

en

Egypte

titre de dons par les

au

XIX° siècle

souscripteurs

de

par

"Egvpt

Exploration Fund'" ou de la "British School of Archaeology" ou méme directement de certains égyptologues comme Davies ou Carter. Les faux sont nombreux parmi ces "souvenirs de voyage", mais de bonnes surprises existent aussi. Toutes sante

siècle Au

différentes

ces

sources ne

suffisaient naturellement pas à couvrir la demande crois-

d'antiquités égyptiennes et la part dans des proportions dramatiques. départ,

des faux

ne cessa

pas

d'augmenter pendant plus d'un

fabrication de faux était restée très artisanale. premiers témoins européens des débuts de la fabrication des faux en Egypte est un commerçant français, nommé Alfred Clerc, qui avait vécu années au Caire. plusieurs Collectionneur amateur et bibliophile, il résuma ses dans une lettre ouverte, adresexpériences sée à l'académicien M. de Saulcyl" dont nous citerons différents extraits caractéristiques, tout en cette

Un des

respectant la syntaxe d'époque:

ny

a

guere

que trois

quatre ans que l'on fabrique en assez grand nombre de fausses antiquites. temps, procurait des antiquités vraies et antiques à un prix très modéré." "...Depuis 1843 Surtout, un grand nombre de voyageurs, de touristes, plus ou moins aptes à voir ce qu'rls venaient vor, Sont tombes comme des nuées de sauterelles sur et dans les catacombes, les hypogées, les grottes." "..Les

Avant

ce

ou

on se

touristes anglais surtout ont tout gâté .

.Commnent fallait-il faire, bon Dieu, pour fournir des antiquités à tant d'amateurs, de demandeurs, de cureux? Comment trouver des divinités, des statuettes, des scarabées? Comment en trouver quand on n'en a pas? On en cherche, ou on en fabrique. On en court". fabriqua; ce fut le chemin le

plus

"..Voici comment ces supercheries s'accomplissent: Pour les objets en bois, les fabricateurs d'antiquités récentes et fraiches prennent un moyen bien simple; le premier fait à accomplir est de leur donner l'odeur et l'aspect antiques. Is prennent du bois de sycomore et le taillent sur un nodèle qu'ils veulent imiter; ensuite ils le font bouillir dans une décoction de tabac, puis le frottent de bitume en poussiere, ce qui lui fait sentir la momie et l'antique et le fait jaunir à la nuance convenable".

"..Jai vu aussi faire beaucoup de statuettes en plâtre. On fabrique une statuette en plare, on lui barbouille on jy mêle des raies noires pour marquer les yeux. Le devant des jambes, depuis la poitrine,

la tête de rouge,

c'est-à-dire depuis l'endroit ou l'on veut et doit dessiner des hiéroglyphes, est peint en jaune, et ensuite tout simplement avec du cirage anglais, on trace quelques à peu près hièroglyphiques, surtout en haut. On s'arrange de manière que ces inscriptions qui devraient descendre jusqu'en bas, aient l'air d'avoir été effacées par le temps, ce qui doit donner à la statuette un extérieur

antique".

.D'ailleurs, les hiéroglyphes sont faciles à reconnaitre par leurs formes hasardes

et fautives, par leur

allure gauche et mal assurèe et, surtout, pour ceux qui savent les lire, par leur sens coupé et incomplet et sOuvent nul".

..On

ausi à la même fabrique des scarabées prétendus funéraires, en plâtre et sans inscriptions. bien posé, mais les formes de sa tête trahissent visiblement la supercherie et le mensonge. Dans les scarabées antiques, la tête se continue horizontalement et en droite ligne avec le corps, et les yeux sont petits et placés de coté; dans ceux que l'on fait, la tëte tombe tout à coup et présente deux gros yeux ronds et de front; la couronne de la tête, au heu d'ëtre dentelée et en avant, est ronde et ramnpe par terre"

prépare

L'animal est

assez

...Les Arabes taillent encore des espèces de bas-reliefs. Ils prennent une pierre calcaire, la polissent avec

quelgue soin ety copiem, d'une autre pierre, un suyjet amique; mais ils n'y tracent que des hiërogtyphes, et jamais des figures; n'ayant aucune habitude du dessin, ils sentent qu ils ne représenteraient que des

monstruositeés à faire peur et qui ne se rapprocheraient en rien des formes humaines ou animales dont ils

oudraient agencer et coordonner les linéamems; ils ne peuvent obtenir cete netteté de traits, cette justesse d'ensemble, ce galbe particulier et physiognomonique qui caractérise les dessins et les images antiques"

14 Voir la Rezdrch III° année, 2 partie (15 octobre 1846

15 mars 1847), p. 649-667.

FAUSSAIRES AU DBUT e

DU XX* SIËCLE

13

doute qu ils tentent aussi de fabriquer des pièces de bronze. Les quelques bronzes faux que l'on ant

viennent de l'etranger, de Grèce principalement et aussi d'ltaie. C'est encore d'ltalie que viennent toutfaits et avec la jorme et la tournure antiques, des pendants d'oreilles, des bagues; mais ces objets ont généralement

trop de fini et de parfait". Le temo1gnage d'Alfred Clerc sur l'origine étrangère des premiers faux en Egypte est corro-

boré par un texte inédit de Jean-Jacques Rifaud, qui date d'avant 1826. Selon lui, la première collection constituée par le consul de Suède et de Norvège, Giovanni Anastasi, contenait déjà de nombreux faux. En grande partie, ceux-ci n'étaient pas de fabrication locale, mais provenaient d'Italie. Dans ses mémoires fictifs, Rifaud met en garde son correspondant contre ces "agioteurs d a

tiquités italiens, qui font souvent le voyage de Rome en Egypte et qui ont infecté le pays de ces jalstjt-

cations (..) lls savent adroitement lesfaire gober aux prétendus antiquaires du pays, qui ont la fureur de former des collections par spéculation et qui s'y font un très grand bénéfice (...) Comme vous voye, c'est

encore

à la

source

que l'on boit de la mauvaise eau..."

Rifaud avait offert à Anastasi de s'occuper de la collection que ce consul se préparait à vendre

au gouvernement hollandais, mais Anastasi avait préféré confier à Edouard Lavison, le chance

lier et drogman du consulat russe en Égypte, le travail d'emballage des antiquités et de rédaction

du catalogue. Le témoignage de Rifaud n'est peut-être pas objectif, mais les objets qu'il decrit correspondent bien aux faux "d'inspiration égyptienne", que l'on retrouve souvent dans les col-

lections de l'époque: une soucoupe coulée au plomb, ornée d'hiéroglyphes... une soucoupe en cuivre, ornée d'hiéroglyphes, un

grand

couteau

de la même matière

et

orné de

méme

une lampe de porphyre, dont le couvert était en calcaire teint en bleu foncé, le tout orné

d'hiéroglyphes, un encrier ou espère d'écritoire en pierre calcaire, teinte en gris, ayant cinq trous autour, ou se

trouvaient des couleurs et huit autres petits trous. Une coulisse était au-dessous, qu'à l'ongle on faisait couvrir ou ouvrir. Cette pièce était ornée d'hieroglyphes sur le bord du dessus,

une palette de couleur, en bois de sycomore, retirée des caisses de momies, dans laquelle était deux petits outils en bronze, le tout falsifie. Sur la palette, il y avait cinq trous, dans lesquels étaient induites des couleurs. Une petite planchette couvrait à coulisse, étant de mème bois, le cran étant creusé pour tenir les pinceaux.

Divers autres petits objets de posaient cette collection (...)

ce

genre

se trouvaient

meles avec les veritables

antiquités qui

com-

auront connaissance et pratique des savants archologues Enfin, il faut espérer que la elles n'auront pas à figurer leur savoir et autorit , reconnaître les pièces fausses et que par a pu tomber..." collection cette public, dans quel musée royal ou particulier

su

au

P'histoire des taux en art egyptien sans mentionner également le peut pas s'intéresser à et seul ouvrage entierement consacré aux fausses antiquiDr. T.G. Wakeling, auteur du premier étude. tés égyptiennes, avant la présente il résida des décennies å la fin du XIX° siècle, était de par la où Ce médecin anglais du Caire, locale. Il avait développé une passion pour les objets pratique de son métier proche de la population de touristes europeens et americains, qui commençaient à faux, fabriqués à l'intention des foules

On

15

ne

Archives .

16

201

Bibliothèque Publique

recto

à p. 202

et Universitaire

de la Ville de Gen ve:

Fonds Rifaud:

ms

supplt. 113,

verso0.

car selon les recherches effectuées par J. Raven, Conservateur du Ce vaæu a été apparemment exauc , mais sans les outils en bois a cinq trous, 1n7. AHI32, a été retrouvée, RMO de Leyde, seule la palette avant le la collection de transport aux Paysfaux ont probablement ete separes en bronze: "Les autres Bas" Lettre du 28 janvier 2000).

FAUN ET FAUSSAIRES EN ART EGYPTIEN

4

inonder 1Egypte chaque hiver. Ayant gagné la confiance des colporteurs indigenes, il leur ache-

tait à des prix d'ami les meilleurs faux de leurs inventaires et il publia en Angleterre, cn 1912. l

résultat de sa prospection systématique Forged Egyptian Antiquities. Ne payant ses achats que quelques piastres ou quelques livres, le Dr. Wakeling n'a pas acquis

de faux importants: statues en pierre ou reliefs de qualité, qui valaient déjà beaucoup d'argent sur place. C'est bien dommage, car il aurait pu apporter des renseignements très intéressants sur Jes

meilleurs faussaires qui oeuvraient alors en Egypte, tel qu'Aslanian. Mais dans les limites de ses recherches, il décrivit differentes catégories de petits faux, que l'on retrouve encore aujourd'hui dans bien des collections constitu es Par

avant la première guerre mondiale.

exemple, Wakeling présente

et illustre toute une série de statuettes et de modeles de tombes faites un vieil artisan de Gournah. Ce faussaire utilisait du bois ancien de bois, par de momies, alors en abondance. Les statuettes étaient plongées dans du plátre semi-liquide. Une fois séchées, elles étaient peintes selon les modèles authentiques. La méthode de détection des sculptures modernes qu'utilisait Wakeling était simple: il sentait l'objet faux, qui dégageait une odeur différente de celle des pièces authentiques! Selon le docteur, c'est la construction des grands hôtels et de belles demeures particulieres, dans la deuxieme moitié du XIX° siècle, a qui provoqué la venue d'artisans italiens, spécialisés dans la fabrication de moules pour les décors en plâtre et dans le "scagliola", c'est-à-dire l'imitation de la pierre pour des piliers ou parois. Ces "instructeurs" ont formé d'excellents faussaires. Wakeling a rencontré l'un d'eux, spécialisé dans les statues, qui s'est vanté de toujours copier d'après des antiquits véritables. Malheureusement, l'auteur ne cite que deux exemples: une

cercueils

en

statue en

granit qui

était

faux très bien travaillé et une autre, qui présentait le défaut d'avoir visage légèrement de biais, mais il n'en donne pas d'illustrations. En revanche, il montre une tête de bélier en granit rouge d'Assouan et ajoute: C'est le premier cas de faux en granit quej'ai vu. Le traval est grossier et les détails mal mais c'est un remarquable exemple de ce à quoi tendent les rendus, ndigenes et de la peine qu'ils prendront pour tromper les naifs et obtenir de l'argent. Le chapitre sur les scarabées donne beaucoup de détails sur les faux, qui deviennent de plus en plus difficiles à identifier même pour des égyptologues entraînés. Les responsables du Musée du Caire avaient du reste renoncé, quelques années auparavant, à leur pratique de donner des un

le

avis" sur les antiquités qu'on leur soumettait. Certains scarabées modernes, émaillés en utilisant des fragments d'éléments anciens broyés et fondus, ont la couleur appropriée. Mais le grain de l'émail reste souvent et

irrégulier

sous

l'émaillage subsistent des traces de saleté particulièrement entre les pattes. Wakeling men-

tionne aussi l'excellent travail d'un bijoutier de Qus, Abd-er-Rahim, qui faisait de très beaux faux en or. Cet habile artisan utilisait aussi des scarabées anciens en faience dont il meulait les inscriptions pour y regraver des cartouches prestigieux, avant de les re-émailler. Ces pièces

trafiquées restaient détectables parce que la base est plus mince que la normale et que le faussaire avait une façon du vautour Mout.

particuliere

de graver le

signe

du

faucon,

comme

s'il

s'agissait

du

signe

L'auteur décrit et illustre aussi toute une série de vases-canopes en terre émaillée bleue et de coupes en granit ou en diorite, refaites entièrement ou parfois reconstituées avec des éléments

anciens, provenant de pièces différentes, jointes avec une cire spéciale, moins dure que la pierre et détectable à l'ongle. Quant aux vases en verre, la pellicule irise des pieces anciennes est obtenue par un traitement à l'acide de la face externe et interne du flacon, mais ce film superficiel est généralement deta-

chable avec une lame.

Ce témoignage sur les faux en art égyptien reste valable, par sa description des fabrications locales les plus courantes au début du XXt siecle et par les anecdotes et souvenirs émaillent

le texte.

qui

PAUSSAIPES AU DEBUT D

K

5/hCLE

Ces taux de l"ancien type", traditionnellement fabriqués en Egypte par des artisans ia geies, arrivaient généTalement pas a tromper 1'archéologue averti. Pourtant, certaines de ces tomt encore ilhusion ct contiuent a figurer dans des collections ou publiques Les ateliers spécialisés qui fabriquaient ces reprod1sctions ne se cachaient généralernenit pas et

preces les

privees

noms de certains

Abd-cr-Rahim,

de

"artistes"

ont

été conservés dans les annales de

Qus, qui faisait

ces

superhes bagues

en or avec

parie Wakeling, ou Suleyman Ibrahim, de Gournah, qui fabriquait

l'égyptologie, tels le bijoutier des cartouches royauz des scarabées graves de d bee

qualité Cn vieux bonhomme, pres de Sohag, sétait spécialisé dans la gravure de l'ivoire et de l'or. Dans

I'ensemble,

tures et les

cette

proportions,

production restait assez primitive, surtout en ce qui concerne les sculpparier des inscriptions hiéroglyphiquet, qui avaient la particularte

sans

d'etre fantaisistes ou incxactes Le SeTvice des

Antiquités,

avec a sa

tête le

grand Maspero, ténoignait

une

certaine

synpatnie

pur ces modestes faussaires. Sir Walis Budge, grand acheteur pour le British Museurm a la fin du XIX sIecle, raconte dans son livre de souvenirs By Nile and Tigris, 2voir signalé à Maspero le

cas de la veuve du plus habile fabricant de fauz scarabées de la région de Louxor. Á la mort de

celui-ci, vers 1895, sa fermme avait contacté Budge pour lui offrir la vaste collection de faux, 2vec

quelques modeles authentiques, laissée par le défunt. Budge, ne pouvant acheter ce lot pour Brtsh Museum, contacta Maspero: Aec son bon en: et sa gentillerse corutumiere, celui-ci obtint ubsids crn argenm pour la veue et reprit toue: les fausses antiquités porur le Muée ézyptien. Il les decrat omme det plu: vnitructives..C'et un tres bom exemple de la politique patriarcale de Marpero

-d-

de: indigene:. Il 1'assurait ainsi d'une collection de faus, pour lesquels des marchands auraient

paye u bon prz, en let retirant du marché de: antiquités et, par la méme occasion, renforçait sa réputatiom de trater le: ndigene: avec bonté et générosité... * e

tallat cependant pas toujours se fier à l'apparente naïveté des faussaires locaux, qui

avaient souvent pBus d'un tour dans lcurs sacs á malice. Tous les égyptologues qui travaillaient en Egypte a la fin du XIX siecle en ont relevé des exemples édifiants. Nous citerons seulement trons anecdotes inédites, tirées des notes de G. Reisner, conservées au MFA de Boston.

1L'histoire de Kyticas et des têtes fausses dessphinx de Tanis C'était ver: 1902, quand je uis allé trouver le vieux Kyticas dans son magasin sur la grande rue du Caire, au sud de l'hötel Shepheard. Kyticas savait que je n'uchetais phus d'antiquités, mais il itait touJours heureux de m'acCueil1r, car il aimait avoir mon opinion sur ses objets. Il me montra une statue de Ancien Empire, qui était manifestement fausse et je le lhui dis franchement. Il m'assura qu'il ne l'avait pas encre payée et qu il renoncerait a l'acheter. Il me demanda alors si je voulais bien l'accompagner dans une maison ou on lui propsait d'acheter deur tétes gigantesques de sphinx de Tanis, provenant

der foruille: d'une société d'esploration officielle. Les tétes etaient de tres belles copies de deur des tétes trouvées a Tanis, avec les restaurationsfaites après Leur decnuverne'J'aifait remarquer la chose a Kyticas et je lui ai également nontré sur l'envers les traces du peigne d'acier utilisé par les sulpreurs modernes pour un surfaçage gross1er et rapide. Kyticas m'a déclaré que ce: prece: lui avaient étë offeres par un Europeen, dont je connassais tres bien le nom, qui

arait travalé a Tanit pour le ompte de cette société d'exploration Lhomme en question arriva pendant notre dscussion et Kyticas lui dit en ma présence qu'il avait décidé de ne pas acheter ces tétes, mais sans lui en donner la raison. Le vendeur avait laissé supposer aKyticas que cer tétes avaient éé volkes durant les fouilles. J'érais sur le point de repartir aux USA er des tétes ni ce qu'elles étaient devenues... je n'ai jamait u ce yu'il

avaitfait

2

En 1899 u 1990, quand nous camfpions a Der el Ballas, Lythgoe acheta, en mon absence, à un colporteur indigene, quelquer exemplaires de ces modeles de maisons de poterie, que Petrie a baptisé Soul house: Imaitons des ámesl. Quand je les vis, je les trouvai très jolies, avec leurs surfaces peintes

179DGE, B, Ne and Tipri, p. 325-926.

FAUX ET FAUSSAIRES EN ART EGYPTIEN en rouge. Mais quelques semaines plus tard, une grosse averse fit fondre ces maisons en poterie. Elles

étaient

en

boue

et fabriguées par les potiers-faussaires de Ballas (...)

A la même époque et toujours à Der el Ballas, nous fimes la connaissance d'un certam Abd-er-Rahim, de Qus. 1l nous offrit d'abord de petits objets authentiques, scarabées et amulettes, puis des colliers de perles, également anciens, que nous achetâmes. Une semaine plus tard, Abd-er-Rahim nous offrit un réel trésor: une bague en or massif avec le cartouche au nom d'Horemheb, de la fin de la XVIE dynastic. Il nous la laissa pour l'examiner et la photographier. Après beaucoup d'hésitations, nous décidames

qu'il devait s'agir d'un faux, principalement sur la base du signe erroné du faucon (Hor) dans le nom du

pharaon

et nous avons

rendu la

bague.

Par la suite, nous avons appris que Abd-er-Rahim était un bijoutier de Qus, bien connu comme faus-

saire. L'hiver suivant, jai revu la bague dans une boutique de Louxor et je crois bren que ce marchand

a été la victime de Abd-er-Rahim".

L'anecdote suivante, toujours citée par G. Reisner, illustre le fait que lingéniosité des faussaires de Haute Egypte faisait aussi des dupes parmi les commerçants locaux expérimentés. Au printemps 1901, un vieil antiquaire de Louxor, (que Reisner cite sous le nom d'enprunt

d'Ibrahim Suleyman, mais qui est vraisemblablement Youssouf Hassan) fidèle fournisseur et ami de l'égyptologue américain, lui confia la mésaventure qui venait de lui arriver et qui démontre l'habileté des faussaires indigènes à fournir une provenance plausible à leurs produits: Lété dernier, un jetune homme d'une famille parente de la mnenne est venu me rendre visite. Je lui

ai offert du cafë et des cigarettes et nous avons parlé de choses et d'autres. A la fin, il ma demandé si j'achetais des antiquités. Je lui ai répondu: "oui, pour autant qu'elles soient authentiques, car je savais que son frère et lui vendaient parfois des faux. "Seriez-vous satisfait si vous voyiez les objets dans leur tombe, avec la porte encore scellée?" me dit-il. Jai répondu oui, car je n'avais pas réalisé à quel point ces jeunes gens étaient mauvais. Il m'a alors parlé d'une tombe que lui et ses frères avaient trouvée à Gournah (sur la rive ouest) dont l'entrée était bloquée avec des briques de terre crue et du plâtre, comme une tombe ineiolée. lIs avaient retiré une brique et, à la humière d'une bougie, avaient vu que la tombe était remplie de choses merveilleuses. J'ai done pris rendez-vous avec lhui pour aller de nuit voir cette tombe intacte, ne soupçonnant aucun mal. Le premier soir otu nous nous sommes retrouvés, avec lui et son frère, dans leur maison de Gournah, nous avons attendu plus de la moitië de la muit avant de traverser l'ancion cimetire. Soudainement, l'un d'entre eux s'est exclam: "Chut, les gardions des

antiguités arrivent.." Nous sonmmes tous repartis, en nous dissimulant, dans différentes directions. La uit suivante, jë suis retourné et cette fois-ci nous sommes parvenus à la tombe et tout était là, comme ils l'avaient dit. F'ai regardé de mes propres yeux à travers le trou et j'ai u des steles, des vases, des sarcophages et des mommes, et bien d'autres choses, toutes recouvertes de poussière, comme dans une tonmbe ancienne, et je me suis décidé d'acheter le tout. Is me dirent qu'ils m'avaient donnë la premiere chance, car ils m'aimaient et qu'ils le faisaient par pure amitié. Et je les ai crus, qu'ils aillent en enfer... IIs sont revenus le lendemaim et nous avons discuté toute la journée du prix à payer. A la fin, nous sommes tombés d'accord et nous avons mis par écrit que je prendrai personnellement tout le contenu de la tombe, dont je ferai l'inventaire, et qu ils m'aideraient à transporter le tout jusqu'à mon

magasin. Jai accepté de leur payer 600 livres au comptant et 300 livres une fois les objets vendus. Ils n'ont formulé cette dernière conditton que dans le but de me tromper, car ils savaient bien que je ne pourrai pas vendre ces pieces. Nous avons tout ramen ici etj'ai mis sous clé les objets dans ma maison. Et j'ai éré heureux tout l'été en pensant à mon trésor et à la jalousie de Mohammed Mohassib et des autres marchands de Louxor quand cela se saurait! Je ne suis pas un áne, mais comment se préserver de la trahison des amis? Finalement, Sir Wallis Budge, qui achetait beaucoup pour le British Museum, est arrivé. Quelqu 'un est venu m'en aviser., en précisant que cet égyptologue se trouvait présentement chez Mohammed Mohassib. Je le récompensais de cette bonne nouvelle en lui donnant cing

piastres.

ai donc choisi une des meilleures stèles, qui était très belle, et je suis allé à la maison de Mohammed Mohassib. Jai parlé avee son fils à la porte du logis et je l'ai prié d'aller chercher son përe, car j'avais

quelque chose d'important à lui dire. Mohammed est descendu vers moi et je hui ai remis la stele en ui demandant de la

18

Voir

en annexe

des

montrer

exemples

à

Budge.

I

a

regardé la stele et m'a dit: "mais elle est fausse'". Jai bien ri

de faux similaires à l'U.C. de Londres.

/· .1/ ..\ \ , 1 / H /: \ , 1 f . /l f Ili . I

IJI . .\' .\' ' .\ li. < f /·

, car ;e l'm ·ms n ,c da ,1( w romb· , , . d t ti J ui rcpo11 11: ' 1110111 rc-la toujmm (L 1/udgc ". li est dane remnnte . B d l d "R d , • t•c,; 11 f:C ct i n t rcdcrccndu 11 111 11 ;:e la declare fa lrn ·•. (; 'éta tl cmnme 51 mon cr,e ur ecall ~ i ca n1 : . t • • "' • r; . · r t il ,cnc, 1 ratasrc pa r une p1errc li 111 a 1 011 111011rcr vo 11· /311d,?e er cc dermer 111 'a redit : "cette stele esl · r. l · . . eImrc mcm 1 a SC1" J c /eur ai rac · m o11 11I.1U11re e, ;e lcs a I przés de 111c m1vre chez moi. /ú v I11rent dcmc llle · . da 11s ma m mso n cr B1tdgc a ·d · 1 choses q11i sy 1rom.•01e111 cT déclara: "J-also, tmll bellcs es rega, e towes ,. J' . r. · · · 1 p • • ; csr1a so . • ai ators •w q11c;''a••a 1·1 d e rrompe. 0I1r paver 1111e partie des 600 hvrcs ,'avalS hypo1heque L l • , • ' . . • . · 1110 11 terra 111, cr ccr empr11 nr 11 ' s e r 1011;ow s pas re111bo11rsc. Q11a11T aux ;e11nes ,:e11S q111 m om ro11/e, 1 5 . . . . . . d • cr01 c n1 pams dans un aurrc i·ill age po11r l!'l.'lter e III c re11co11trer. Pe11 importe.' AI/ah est ;usie, et un ;our • . . . . . que 11011s avow el. e. anw. pendam /Gnl d ,annees v1endra 0 11 1ls epr01wcr0111 /'anie,.1ume a• 1e11r to 1ir. Dire " · · · · I d ct presque des parems' puisqu'1111 e mcs 011c es a epo11se la sceur de leur pere. Quelle perf1d1e... . · · rappor· · · · v1·ctt· mes d es egyptolog similaires , dont ont etc ont etc ues curopeens, . , D es a\·entures suJet de Budge auquel l'antiquaire M ohamm ed M ohassib fit visite r un sanctuaire mystétc es neux ª Kamak, et concernam Breasted, mené aussi dans un dépôt secret et fantomatiquc . Mais dans !'exemple ci-dessu s, il s'agi sait de toute une tomb e inviolée ... I

ª~

Les faux du " nouwau type " n'ont commencé à paraitre en Égypte qu 'à la fin du XIXe síecl e. H abitués jusqu'alor s aux médiocres fabrications locales, les égy ptolog ues ont acheté sans méfíance pour leurs mu sées les excellentes copies de statues de l'Ancien Empire, réali sées en partie par Aslanian. II a faliu attendre les année s 20 et 30 pour que l'activité de cette nouvelle école de faus saires soit publiquement dévo ilée par Borchardt. Non seu le ment leurs technique s, mais aussi leurs méthodes de vente étaient souve nt originale s. Un dernier exemple inédit, fourni encore par Rei sner, illustre la difficulté qu 'un égyptologue aussi averti que !ui, avait à faire face à cette nouvelle étape dans la fabrication de s faux égyptiens . Quand G . Reisner fo uillait à Giza, des colporteurs indigenes venaient réguliérement !ui offrir des antiquités plus ou moins authentiques, mais rarement de la qualité de la tête d 'ép oque salte qui lu i fut proposée, au printemps 1930, par un jeune Européen nommé Skitsas. Celui-ci lu i déclara étre un ingénieur diplômé, employé par une société locale, spécialisée dans les travau x d 'i rrigation et de construction sur des chantiers, en Haute et Moyenne Égypte . C 'était au cours d 'un de ces travaux, quelques mois auparavant, qu'il avait vu déterrer la tête de la statuette qu 'il présenta à Reisner. Le propriétaire du terrain !ui en avait fait présent et comme il était ambitieux et désirait se mettre à son propre compte, il cherchait maintenant à se constituer un petit capital de départ en vendant cette piéce. D'une hauteur d 'environ 10 cm, cette tête était fort belle, de style sa:ite. Le jeune homme accepta de la confier à Reisner pour qu'il l'étudie et la photographie. Aprés vérification, Reisner eut la confirmation que tout ce que Skitsas avait affirmé !e concernam était exact, à l'exception des circonstances de la trouvaille de la tête . Aprés plusieurs visites, !e jeune ingénieur lui avoua du reste avoir déjà vendu une tête similaire, mais avec !e nez cassé pour 200 lE à M. C. [Michel Cassira] . Rei sner hésita plusieurs jours avant de décider que la piéce était fausse, en se basa nt principalement sur le fini trop parfait de sa surface. Reisner renonça donc à l'achat et rendit la tête, mais en prenant soin de ne pas laisser deviner ses soupçons au jeune Grec, car il était désormais persuadé que celui-ci travaillait comme agent pour des faussaires trés habiles et bien organi sés. Cela se passait environ six mois avant que ne paraisse le pamphlet de Borch ardt, qui donna à Reisner d'autre s exemples de piéces similaires et cette " nouvelle école de faussaires". Du re ste, quand Borchardt eut J'occasion de voir les photos de la tête, il partagea compléte ment le jugement de Reisner et y vit un bon exemple de la façon dont _la ''. nouve lle école" cherchait à écouler sa marchandise, en donnant à ses faux une provenance md1scutable.

Ch 3 pitrc III : La gra nde enquête d e Ludwig Borchar dt,

cn 1Q30

l \·nqu~tc n laqucllc 1c grand ég , 1 li · ' · . ) fHo oguc a emand 1,udw1g Borch ardt a procede vcr11 1930 m arque une et np c dcc1c.1,·e don Vstématiqu cm l · . d . · 1 · ' . · .. . .. .. en etu 1e cs grandes collcct1on s eu ropeennec; pour y detecter 1es anuquitcs qu 11 Jugcan modc · · . rn c.-, ··, e.e Jon le tllre de son art1clc, qu1· fi t l'effct d 'u ne bombe lors d e ~a r arullon . Borchardt ,. préscnte 56 ob· · · ·· · ·. Jets, repartis en 14 groupes par matteres et techmquec;. Nous avon s consen ·e )e., dimensiom o nginales de s clich és de son texte. Pour chaqu c P_ircc, Borchardt indique seulement sa hauteur et la date de sa premiére apparimm sur k ~arche de l'an • Dans six cas, Borch ardt a,·ait vu l'objet mais n 'avait pas pu en obtenir de photos 8 temp5. r o ur sa publication et il s'est contenté de le décrire en se référant à une aut re picce photograph iée. Dans ci nq cas, il n'avait pas pu examiner la pi~ce, mais en possédait une photo . Le numéro donn é par B orchardt est alors suivi d 'un astérisque. ~ e te~te _lui-mêm e occupe m oins d e 4 pages. Borchardt rappelle, en introductio n, q u 'il s'est tOUJours mteressé au problém e des faux en égyptologie et qu'avant la premiére g uerre m ondiale, il avait réguliercm em tenu au couram ses collégues des musées allemands, à t itre confide ntiel, de ses découverte s sur les m éthodes de falsification utilisées en Égypte. Au retour d e la paix, aprés 1920, ses charges à la tête de l'Institut Allemand du Caire l'avaient totalemem accaparé et ce n 'est qu'en novembre 1929 qu'il avait profité de sa retraite pour reprendre ses recherches sur les fau x. On venait de !ui offrir une piéce exceptionne lle, mais trés similaire à un objet qu 'il avait acheté des années plus tôt et dont il se doutait maintenant qu'il s'agissait d 'un faux . Piqué au vif, il s'était décidé à rechercher l'identité de ce faussaire, qui possédait un tel niveau d 'habileté pour avoir réussi à le tromper avant-guerr e, alors qu'il b énéficiait d éjà d 'une longue expérience. Son enquête personnelle en Haute-Égyp te lui prouva que les écoles traditio nnelles de fabrication artisanale de faux, qu'il connaissait depuis des années et qui se perpétuaien t d e pere en fils, n'atteignaie nt toujours pas ce niveau d'habileté manuelle et d e maitrise st ylistique. Par contre, duram les années de guerre, un certain faussaire du Caire avait envoyé à Louxor des objets tres bien imités, pour y être vendus, caril espérait en obtenir de meilleurs prix q u e dans la capitale. D 'aprés ses information s, ce faussaire faisait venir de Haute Égypte, p o ur ses reuvres, les matériaux qu'il payait à des prix relativemen t élevés. Par une série de coincidenc es, Borchardt fut mis sur la piste d'autres faussaires , d 'origine européenne , travaillant au Caire , tous dou és sur le plan manuel et artistique. Dans un certain sens, on pouvait parler d'une véritable "école de faux de Basse Égypte", pour tenir compre de leurs différences avec les faussaires de Haute Égypte. Cette "école" avait des lien s avec l'étranger ou elle écoulait l'essentiel de sa production. Au départ, ces fau ssaires n e travaillaiem que le calcaire et 1e grés, mais trés vite, comme les artisans de Haute Égypte, ils s'étaiem essayés à tomes les sortes de matériaux et ne paraissaient pas craind re les difficultés provoquées par la dureté de la diorite ou du granit. L eurs reu vres étaient roujours réalisées sur la base de modeles existants et Borchardt, qui connaissait bien le Musée du Caire, avec leque! il avait longtemps collaboré, a pu, dans bien des cas identifier les sources de ces copies.

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r,

Le développement qui suit reprend la démonstration de Chr. GOEDICKE , R. KRAUSS , dans J ahrbuch S tiftung Preuss. Kulturbesitz (1999), p. 204-220. Voir Jes photographies des états successifs de la piéce dans D. WILDUNG , dans Festschrift z um 150jiihrigen Bestehen des Berliner Ágyptischen Museums (1975), Taf. 34.

22 0

FA UX /; T FA USSA IN ES h' N ANT ii G YPT/1.:' N

ne sembla pas particulierement suspect, en raison de l'existence en Égypte d'une pratique consista m à badigeonner la pierre pour imiter le granit. L'état de l'ob jet ayant cependant empiré depuis, des analyses scientifiques sont venus aujourd'hui remettre sérieusemem en doute l'a ncienneté de la piece. • L'inauthenticité de la stele est d'autam plus probable que son modele présumé a été identifié. li s'agit de la stéle fragmentaire CG 34006 dont la paremé thématique avec la piéce de Berlin fut soulignée trés tôt, notamment par K. Sethe . Le paralléle concerne uniquement \es scénes figurées , la piéce du Caire montrant Thoutmosis i er face à une divinité, suivi de son épouse Âhmés et d'une autre femme royale. 1 Les inscriptions sont différemes, mais, au début du xxc siécle, la titulature de Thoutmosis II était bien connue. ~ Tous ces éléments incitem donc à considérer la stele de Berlin comme un faux. Reste la question cruciale de son auteur. La qualité et la nature de l'ceuvre impliquem en effet que le fau ssaire ait bénéficié des consei\s d 'un personnage particulierement compétent. II eut de surcroit, d'une maniére ou d'une autre, un accés privilégié à la stéle du Caire qui servit de modele, puisque si cet objet était connu delongue date dans le milieu égyptologique,• il ne fut publié en photographie qu'en 1909, soit plusieurs années apres son acquisition. 'º Se pose du reste la question des motivations du faussaire ou de son commanditaire. Manifestement, ce n'était pas l'argem puisque la stele fut vendue à L. Borehardt pour la modeste somme de 39 [,E. Tout porte donc à conclure que la stele fut exécutée dans le but d'apporter un nouveau document au débat sur les liens qui unissaiem Hatchepsout et Thoutmosis II . À !'origine de cette falsification, il ne pouvait done y avoir qu'un égyptologue et le premier suspect dans cette affaire n'est autre que L. Borchardt en personne, ce\ui-là même qui, quelques décennies plus tard, devaient traquer le célebre faussaire O. Aslanian! L. Borchardt acheta en effet la stele alors même qu'il connaissait parfaitemem la piece modele du Caire puisque son maitre, A. Erman, s'était penché dessus, tout comme son ami H. Schafer, chargé de l'étude du documem dans le cadre du travai! préparatoire au grand dictionnaire hiéroglyphique de Berlin. L. Borchardt avait déjà en outre, certes dans ces jeunes années, réalisé une falsification afin de jouer un mauvais tour à un collégue assyriologue. 11 Ainsi, si aucune preuve formelle ne permet de se prononcer de façon définitive sur la culpabilité de L. Borchardt dans cette affaire, un sérieux faisceau de présomptions le désigne néanmoins comme le suspect numéro un. Son implication dans ce faux expliquerait du reste parfaitemem que les autorités du "département égyptien" du musée, A. Erman, son ancien professeur, et H. Schafer, un de ses proches parfait connaisseur de la stele du Caire, aient exprimé des 1913 leurs réserves sur la stele de Berlin, mais dans des termes volontairement évasifs. Bibliographie: Urk. IV (1906), p . 143-145. G. ROEDER , Ágypiische Inschriften aus den Koniglichen Museen zu Berlin II, Berlin, 1913, p. 103. K. SETHE, Das Hatschepsw-Problem noch einmal untersucht, APAW, 1932. PM V (1937), p . 122. D. W_ILDUNG, "Zwei Stelen aus Hatschepsuts Frühzeit", dans Festchrift zum J50jiihrigen Bestehen des B erlina Agyptischen Museums, Berlin, 1975, p. 255-259 et Taf. 34.

Chr. GOEDICKE , R. KRAUSS, "Der Denkstein Berlin ÃGM 15699 - eine Ãgyptologen-Falschuno" dans Jahrbu ch Stiftung Preuss. Kulturbesitz (1999), p. 204-220. "' '

10

Chr. GOEDICKE , R. KRAUSS, op. cit., p . 207-209. P. LACAU, Steles du Nouvel Empire, (CGC), Le Caire, 1909, p. 11-13 et pi. V. Chr. GOEDICKE , R. KRAUSS, op. cit., p. 213-215. Ibid., p . 215-216. P. LACAU, loc. cit.

11

C hr. GOEDICKE , R . KRAUSS, op. cit., p. 217-218.

6

1

8 9

A 1\ ' N I· X h .\

Fiche X · 5 - Stclc de Horcmhcb

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(pi. 18, fig . 118)

Lieu d e conse1·vation : Boston MFA, iwv. 25.63 1. Desc n 'ption : Stclc frag m cntairc, cintréc à !'o ri gin e, rcprésentant le roí ( Ho rcmh cb) coiffé de la c0uro nn c blcu c ct présc nt ant un houqu et de íleurs à un e di vinité. La sce nc était acco mpa gnéc d'un pcndant sym étriqu e auj ourd 'hui perdu . La picce es t en effet cassée depuis lc milieu du bord gau che ju squ 'au départ de la parti e ar rondic au bord dro it. Bon état généra l d e la sc ul pture et restes de polychromi e (rouge, ora nge et jaune). H . 11 5 cm (deuxi ém e fra gm ent inclu s); L. 90 cm . Histo,·· ique de l 'acquisition : L a stéle a été achetée par G . Reisne r en 1925 au Se r vice des Antiquités égyptien . Raisons d es doutes sur l'authenticité : Si cette stéle est fragm entaire, sa co mposition enticrc est connu e gráce à B. Gu nn qui, vers 191 3-1914, a vu au Caire le deuxi ém e fragm ent, aujourd ' hui manquant . Une photographie de celui-ci figure d 'ailleurs dans les papiers de l'égyptologue conser vés au Griffith lnstitute . Si la sculpture des deux fragm ents et, en particulier, du seul qui ait survéc u jusqu 'à nos joun,, cs t d 'un e qualité remarquable, R . Hari porte l'attention sur un certain nombre d 'anomalics, tant en ce qui concern e la scéne que l'inscription: "L c .faussaire qui a fabriqué ce docu ment ne manque pas d 'habileté; 0 11 s'étonne cependant que R eisner sair laissé tromper, car, du poinz de v ue sty lisúque déjà, il y ades erreurs et des maladresses évidences et qui prov iennent probablement du faú que l'exécutam a plutót pastiché que copié des reliefs authentiques; i/ a mém e ajouté des détails qui trahúsent la supercherie: ainsz~ dans la pareie supén'eure vue par G unn, le dieu est coiffé correaement des gmndes plumes amoniennes mais on a ajouté un disque solaire sur la base de ces plumes: on semble avoir confondu Osiris et Amon, ce qui se confirmerait sur l'emploi du soe/e sur leque/ se ú ent le dieu; on consta tera en outre que ce socle épouse la plante des pieds, ce qui n'a évidemment rien d 'égyptien. D 'autres déta1:ts seraient à relever (par exemple, le fait que les deux bouquets som trop rappr-ochés l'un de l'autre, que les deux queues de panthere du roi se croisent, etc.), mais /e texte fou m1ille de tarll d 'incohérences qu 'il suffit en lui-même à attester la fausseté de la stele.

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