205 21 25MB
French Pages 328 Year 1971
EXCÉDENTS EXTERNES ET CORRECTION DU TAUX DE CHANGE
Publications de l'Université des Sciences Sociales de Grenoble
Collection du Centre de Recherche Économique et Sociale
SÉRIE ÉCONOMIE DU
FINANCEMENT
Cahiers d'Études n° 3
Les Cahiers d'Études de la série " Économie du Financement " sont publiés par le Centre de Recherche Économique et Sociale créé en 1964 au sein de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Grenoble. Ces Cahiers d'Études présentent les travaux des séminaires de la section " Économie du Financement " de ce Centre ainsi que les mémoires de jeunes chercheurs participant à cette recherche de groupe.
Paris MOUTON La Haye
Publications de l'Université des Sciences Sociales de Grenoble
EXCÉDENTS EXTERNES ET CORRECTION DU TAUX DE CHANGE Analyse des motivations et des effets de la réévaluation allemande de mars 1961
par ALAIN SAMUELSON Maître-Assistant à l'Université des Sciences Sociales de Grenoble
Préface de Jean WEILLER Professeur à l'Université de Paris-I (Sorbonne) Doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Poitiers
Paris MOUTON La Haye
© 1971, MOUTON & C°
Je voudrais exprimer ma très profonde reconnaissance au professeur J. Weiller qui a bien voulu accepter de reprendre la direction d'une recherche que j'avais entreprise sur les indications du professeur M. Byé, à qui j'étais déjà beaucoup redevable. Mes remerciements très chaleureux vont au professeur P. Llau qui a lu une première rédaction de ce travail et m'a obligeamment prodigué ses critiques et ses observations ainsi qu'aux professeurs B. Lassudrie-Duchêne et C. Goux qui m'ont encouragé à publier cette étude. Ma gratitude va également au professeur O. Veit qui nous a aimablement accueilli dans son institut à l'Université de Francfort-sur-le-Main à l'occasion d'une mission de recherche en Allemagne fédérale. Je dois enfin remercier l'Université des sciences sociales et l'Institut des sciences économiques de Grenoble grâce à qui ce travail est publié.
A
Marguerite.
PRÉFACE
Depuis près de quinze ans, périodiquement, l'idée d'une réévaluation du deutsche Mark fait sa réapparition. Mais les esprits sont partagés et les alternatives ne sont plus les mêmes selon les perspectives envisagées. Au printemps 1971, au moment où nous écrivons ces quelques lignes, la profonde perturbation du système monétaire international et les incertitudes du dollar ont redonné tout son lustre à l'option des changes flexibles. Triomphe d'un nouveau « système » ? Ne nous y trompons pas : pour un enseignement fondamental, on est souvent conduit à rechercher, par souci de doctrine parfois, mais surtout, semble-t-il, par nécessité de schématisation, une présentation très dépouillée (et ceci, dans la mesure où l'on gagne le pari d'intégrer les variables monétaires et financières dans un modèle didactique). Ainsi fait-on abstraction de ce qui est souvent décisif au moment d'une réévaluation, car alors, il ne s'agit évidemment plus de raisonner dans une sorte de vide institutionnel. Les études de caractère empirique et historique reprennent leur droit. Quoique l'on soit tenté de dire aujourd'hui de l'absence d'un véritable ordre monétaire à l'échelle internationale, nous sommes assez loin de ce vide institutionnel de l'enseignement le plus abstrait et ce sont les conditions historiques des expériences les plus récentes, leurs prolongements possibles dans un proche avenir qui doivent dicter la solution. Seules des études approfondies comme celle que propose ici Alain Samuelson fournissent à cet égard les enseignements nécessaires. Au début de 1971, on peut constater le ralliement tardif, aux Etats-Unis, en France ou dans quelques autres pays industriels, sur le plan théorique, de disciples apparents de Milton Friedman ou de Robert A. Mundell, mais les arguments présentés s'insèrent assez curieusement dans un ensemble de considérations mettant surtout
10
Excédents
externes
l'accent sur des relations monétaires et financières complexes, aussi bien entre ces pays que dans leurs relations avec le reste du monde. L'enjeu est évidemment très différent selon que l'on fait ainsi entrer ou non en ligne de compte les points de controverse très précis auxquels Alain Samuelson a consacré cette étude. Certaines des données recueillies remontent de longue date. On sait que la hantise de l'hyperinflation des années 1920 a persisté en Allemagne — et plus encore peut-être que celle de l'appareil de contrôle rigide des changes instauré au début des années 1930, avant même la chute du II* Reich. Ceci apparaît d'autant plus important qu'aujourd'hui l'alternative simple du temps de 1' « étalon or » a disparu. La décision de réévaluer une nouvelle fois peut désormais apparaître, par rapport au recours à une solution de flexibilité des changes, comme le meilleur gage d'attachement à des principes de stabilité monétaire. Le régime élaboré à Bretton Woods en vue des interventions du F.M.I. était celui de changes fixes « mais ajustables ». La politique monétaire et la politique budgétaire allemandes depuis le retour à la convertibilité externe du deutsche Mark à la fin de 1958 (et même quelques années auparavant) s'inscrivaient dans le cadre des règles du jeu auxquelles les experts internationaux étaient attachés. Compte tenu des circonstances dans lesquelles s'est posé le problème au cours des quinze dernières années, la réévalution était apparue comme une solution relativement « orthodoxe ». De plus, elle apportait un témoignage de persévérance dans la voie qui, au départ, avait été celle du « miracle allemand » ? Nous ne pouvons évidemment nous contenter, à cet égard, de commentaires qui furent bien — mais dans une autre acception du terme — de « circonstance ». On saura tout particulièrement gré à Alain Samuelson d'un remarquable effort de mise au point historique. Disons plus exactement qu'il a voulu rester fidèle à une méthode qui, si l'on tient compte de tant de préjugés actuels contre le nécessaire va-et-vient de la théorie aux faits, pourrait être qualifiée d'héroïque. Toute analyse des conditions actuelles de transmission de l'inflation importée est des plus délicates — et il en va de même en ce qui concerne les avantages et désavantages de taux de change qui « sautent » ou qui « glissent »... et « fluctuent » ou « flottent » 1. Pour une vérification systématique, il ne sert à rien de recourir à l'examen sommaire de quelques statistiques récentes d'importations
1. Cf. Maurice Scott, « Doit-on adopter des taux de change glissants ou sautants? », Cahiers de FI.S.E.A., « Economies et Sociétés », Genève, Droz, t. IV, n" 5, mai 1970.
Préface
11
et d'exportations (la structure des exportations allemandes n'est d'ailleurs pas de celles qui laissent supposer des délais d'ajustement rapides). Si l'on dispose d'un recul suffisant permettant de suivre, sur une assez longue durée, les conséquences d'une réévaluation, une confrontation beaucoup plus intéressante sera possible. Soyons attentifs à la méthode nécessaire pour ce genre d'études. Celle qu'on retrouve dans toute analyse approfondie d'un problème d'Economie internationale appliquée exige d'abord la meilleure formation théorique. Il suffit de se reporter à l'enseignement de licence d'Alain Samuelson sur Système monétaire international et monnaie européenne pour voir avec quel soin l'auteur s'efforce toujours de systématiser de la façon la plus scrupuleuse ce qui peut et doit s'exprimer à un certain niveau d'abstraction. Ne poursuivons d'ailleurs pas encore une telle lecture qui concerne un problème rendu d'autant plus difficile par les nouveaux rebondissements dans les relations Europe - Etats-Unis ou, plus précisément R.F.A. - Etats-Unis. Trop de considérations viennent à nouveau s'interposer entre ce qui semble relever surtout de l'analyse fondamentale et ce que doit trancher la décision de politique économique. C'est là précisément que, dans ce mouvement d'aller-retour entre des niveaux d'analyse plus ou moins proches d'une situation concrète apparemment si changeante, nous sommes heureux de retrouver les qualités de l'auteur de l'étude si lucide sur La Banque centrale de l'Allemagne de l'Ouest2 : rien ne pouvait remplacer sa connaissance approfondie des institutions aussi bien que des structures propres de l'économie ouest-allemande alors que nous sommes de plus en plus conduits à mettre l'accent sur un troisième aspect de la question monétaire, celui qui est de caractère mondial et ne concerne plus tant le deutsche Mark que le dollar, les euro-dollars, le F.M.I... Fallait-il insister sur d'autres expériences, plus anciennes et poursuivies dans un autre cadre institutionnel ? Bien sûr, nous sommes heureux d'un bref rappel comme celui de la réévaluation britannique en 1925. Mais lorsqu'on suivait la revalorisation de la livre sterling, c'était avec l'espoir du retour à un étalon-or de légende qui consacrerait, en dépit de la catastrophe toute récente de l'ancien mark dont « le Dr Schacht » allait d'ailleurs retirer un premier triomphe de
2. Volume publié en 1965 aux Editions Cujas, avec préface d'André Piettre. Comme le souligne le préfacier, « écrite avec clarté, l'analyse très fouillée et parfaitement objective de M. Samuelson montre bien l'empirisme et le pragmatisme qui n'ont cessé d'inspirer la Banque Centrale au-delà des professions de foi dogmatiques ».
12
Excédents
externes
magicien (faire resurgir une monnaie de ses cendres?), le rétablissement de l'ancien « pair » de chaque devise... A. Samuelson met l'accent sur les problèmes des dénivellations de taux d'intérêt — et ceci complète fort heureusement un autre rappel très bref. Dans une Etude sur le commerce extérieur en Europe, principalement en France 1919-19293, j'avais été conduit à m'attacher essentiellement au jeu des disparités de prix : le grand problème était alors celui de savoir si une nouvelle explication du change ne devrait pas se fonder, en phase d'inconvertibilité monétaire, sur un type de régulation plus ou moins automatique autour de la « parité des pouvoirs d'achat ». La théorie alors en vogue, celle du professeur suédois Gustav Cassel (assez fortement appuyée dans une première étude de M. Jacques Rueff, mais contestée par des auteurs comme Aftalion) avait généralement retenu l'attention et j'avais surtout voulu la tester. L'exemple anglais n'était pas des plus intéressants pour cet examen critique — et c'est peut-être, en définitive, quelques notations secondaires qui pourraient le plus nous intéresser encore. Ainsi, 1°) la livre sterling n'avait-elle cessé de faire figure de « monnaie forte » (on employait déjà l'expression) ; 2°) une légère dépréciation, puis une lente revalorisation faisaient-elles mieux apparaître certains effetsprix que des expériences plus brutales ; 3°) nombreux furent les commentaires de l'époque s'efforçant de démontrer que le retour à l'ancien pair de l'or n'était pas la cause des difficultés de l'économie anglaise : tour à tour, on invoquait la désorganisation de l'Europe « qui privait le commerce britannique de débouchés importants », puis le rapide relèvement économique de l'Allemagne 4 . On se reportera volontiers à des expériences de réévaluation beaucoup plus proches de nous, comme celle du dollar canadien qui retrouve toute son actualité. Faut-il insister sur le fait que le cadre institutionnel est aussi, en ce qui les concerne, très différent : il suffit de rappeler ici le caractère spécifique des liens monétaires et financiers entre le Canada et les Etats-Unis, ainsi que telles décisions de grandes firmes américaines qui auront joué en sens contraire à d'autres moments : par exempe en 1962. Du côté de l'économie allemande, en revanche, qu'il s'agisse de la réévaluation du deutsche Mark de 5 % en mars 1961, de celle de 3. Il s'agit là du sous-titre de l'édition de librairie (chez Marcel Rivière) de ma thèse concernant L'influence du change sur le commerce extérieur. Cette ancienne étude ne peut être reprise telle qu'elle est. Récemment, j'ai tenu à revenir plus particulièrement sur les conditions de l'expérience française {ci. Jean WEILLER, « Flexibilité ou fluctuation des changes? », Cahiers de l'I.S.E.A., « Economies et Sociétés », Genève, Droz, t. III, n° 3, mars 1969). 4. Cf. L'Influence du change..., op. cit., p. 131 et 137.
Préface
13
9,29 % d'octobre 1969 ou même du projet de réévaluations périodiques par paliers présentées par le Conseil des Sages de juin 1971, de très suggestives confrontations sont possibles et l'on a pu noter, au moins pour les deux décisions de réévaluation déjà prises, la persistance de certains traits marquants. Ce n'est pas seulement du côté des structures institutionnelles, mais aussi en ce qui concerne la structure économique proprement dite et la structure des échanges extérieurs qu'on retrouve, en dépit des très grands changements survenus dans l'ordre monétaire, une suffisante continuité. Une analyse minutieuse permet de mettre l'accent sur le fait que le sort du deutsche Mark, loin d'être simplement dépendant d'une réforme d'ensemble du système monétaire international, la commande dans une large mesure. Si l'on suit pas à pas cette analyse, à partir du modèle économétrique de Bôventer, établi avant la première réévaluation allemande (et compte tenu des controverses qui surgissaient déjà au moment de l'interprétation des résultats enregistrés en 1961 et 1962), on voit se dessiner une évolution des structures et des préférences de structure nationale particulièrement significative. On ne perdra de vue ni la liaison entre prix allemands et prix mondiaux ni le jeu des effets-revenus. Et c'est seulement par la suite que la divergence constatée entre les problèmes d'équilibre externe et d'équilibre interne permettront de mieux mettre en lumière tout ce qui concerne les opérations en capital, sans oublier qu'entre certaines hantises concernant les mouvements à court terme et la solution apparemment simple, trop simple sans doute, d'une bonne régulation des flux à long terme, s'interposent précisément une série de questions majeures relatives au rôle joué par la R.F.A. et le deutsche Mark dans l'ensemble des relations économiques internationales. A cet égard, une triple exigence semble bien s'imposer : a) s'abstenir de raisonner dans une sorte de vide institutionnel mais, au contraire, de faire la plus large place au jeu des institutions ; b) faire intervenir la continuité des structures et des préférences de structure sur une assez longue durée ; et enfin c) poursuivre seulement alors l'analyse dans le cadre mondial en s'efforçant de dissiper bien des incertitudes quant au jeu des mouvements internationaux de capitaux. Avec l'étude approfondie des institutions se manifestaient déjà certaines préférences de politique économique quant à la détermination des objectifs et au choix des moyens d'action. Peut-être la théorie dominante de laquelle relèvent certains calculs apparaîtra-t-elle quelque peu sommaire : ce qui leur donne cependant leur portée opéra-
14
Excédents
externes
tionnelle est bien lié pour une grande part à une persistance du jeu institutionnel à l'échelle nationale et des préférences de politique économique qui s'y expriment avec continuité. Ce qu'on pourrait appeler, un peu à la manière de C. P. Kindleberger au moment où il écrivait The Dollar Shortage, une tendance à la surexportation remonte à une vingtaine d'années et, du point de vue de l'ajustement des paiements internationaux, aurait pu être facilement niée. Si on l'acceptait provisoirement, elle pourrait être bien vite contestée dans une phase ultérieure où, par exemple, des flux réguliers d'investissements à long terme seraient venus accompagner un surcroît régulier d'exportations 5 . Nous ne voulons pas nous laisser entraîner, aujourd'hui plus que naguère, aux références naïves à quelque modèle simplificateur des textbooks d'autrefois, vantant les mérites d'un étalon or de légende. Nous avons suffisamment souligné les difficultés d'ajustement que ne manquait pas de rencontrer la Grande-Bretagne au moment où elle était censée conserver la plus grande maîtrise des flux de capitaux à court terme et à long terme. S'agissant de l'expérience de la R.F.A., je serais même prêt à insister sur un certain nombre de péripéties étudiées naguère quant à la manière paradoxale dont s'était affirmée dans la seconde moitié des années 1950 la nécessité de lutter contre l'inflation importée par le seul jeu de la politique monétaire — et ceci avant même le retour à la pleine convertibilité externe du deutsche Mark. Qu'il suffise à présent de tenir pour acquis le caractère historique mais qui a pu longtemps sembler précaire et le redeviendra peut-être dans un autre contexte institutionnel, du jeu des préférences de politique économique quant aux échanges extérieurs et aux mouvements de capitaux 6 . Quant à la structure des échanges — et très précisément aux préférences de structure nationale qui s'attachent tout particulièrement à celles-ci — la continuité apparaît peut-être encore plus grande. François Perroux insistait suffisamment naguère — à l'aube des expériences qu'Alain Samuelson n'avait cessé d'examiner sous l'angle monétaire — sur la persistance de la Ruhr comme pôle de développement. L'étude sera poursuivie en termes réels — et compte tenu non seulement de 5. Comme on a pu l'espérer notamment en 1969. Mais il faut toujours faire le départ entre ce qui relève de la continuité des investissements privés et de l'aide publique et ce qui doit être imputé par exemple aux opérations du Trésor. Voir déjà en première partie de cet ouvrage l'étude des solutions alternatives au déséquilibre des flux externes... 6. Cf., notamment, Jean Weiller, L'Economie internationale depuis 1950, Paris, P.U.F., 1965, première et troisième parties. Cf. à cet égard les thèses de MM. Teisserenc et Beaud notamment (Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris).
Préface
15
la politique monétaire mais encore de la politique commerciale et du jeu des négociations économiques internationales dans le cadre du Marché commun, du G.A.T.T. ou de la C.N.U.C.E.D. Nous voici conduits à mettre l'accent en même temps que sur une remarquable adaptation de l'exportation allemande à la demande mondiale, sur « l'emprise de structure » exercée par la R.F.A. dans ses relations avec le reste du monde. Bien des éléments interviennent lors des variations de caractère conjoncturel et, plus encore, au moment où se manifeste tout un jeu de réadaptation des flux réels. Il faut tenir compte des élasticités-prix et des élasticités-revenu appréciées selon des procédés économétriques dont on aura compris l'exigence de rigueur. Les flux monétaires et financiers seront tout à tour les causes de décisions de laisser le change fluctuer et, selon les cas, de dévaluer ou de réévaluer, puis les résultats plus ou moins prévisibles de ces décisions. A cet égard, on distinguera, sans doute, selon les périodes. Mais n'en a-t-il pas toujours été ainsi ? Certains disciples de Mrs Robinson n'ont-ils pas risqué d'être dupes d'une interprétation trop naïve de formules dont pourtant elle avait, elle-même, précisé la portée théorique concernant le critère des « élasticités critiques » ? Naguère c'est la nécessité d'un bon découpage par périodes qui nous était apparue : ainsi l'accent devait-il être mis sur la diversité des résultats à attendre d'une même disparité de prix selon les variations du revenu national, les déplacements internationaux de liquidités ou « fuites de devant la monnaie ». En sens inverse — et à une échelle toute différente —, les assauts subis à reprises successives par le deutsche Mark auront dû faire l'objet de réinterprétations attentives 7. Peut-être, en simplifiant beaucoup, sera-t-on conduit à dire que certaines constantes doivent toujours être recherchées du côté de l'évolution interne de l'économie allemande, tandis que de plus en plus, c'est de l'extérieur, dans l'étude des avatars du système international des paiements, qu'on trouvera, d'une expérience à l'autre, les différences les plus importantes. Nous laissons à une lecture approfondie de l'ouvrage d'Alain Samuelson le soin de rétablir toutes les nuances nécessaires. Sans doute était-il légitime de penser que les effets de la réévaluation de 1961 7. Notons seulement ici l'un des premiers points soulignés dans une étude de ce genre : bien qu'il ait toujours fallu tenir compte de certains délais d'ajustement, la structure des exportations allemandes depuis une vingtaine d'années n'est pas de celles qui laissent supposer que de tels délais puissent être rapides. On notera par la suite l'importance des retards d'adaptation, tandis que d'autres influences ne manqueront pas de se manifester.
16
Excédents
externes
n'ont pas bénéficié de la durée suffisante pour empêcher que le problème ne se pose à nouveau quelques années plus tard. En même temps se posait le problème de l'étalon or-dollar, puis de l'étalon dollar et de ce qu'on peut appeler, seon les optiques choisies, un déficit à résorber dans la balance des paiements des Etats-Unis ou un pseudo-déficit lié aux exigences du système monétaire international avec lequel, sous réserve de quelques ajustements mineurs, nous serions désormais condamnés à vivre. Nul doute que, pour la réévaluation de 1969, qui suivit d'ailleurs une première expérience de change flexible (au sens que nous attachons aujourd'hui à l'expression) on ait été conduit à mettre davantage l'accent sur cet aspect de la question. Et que dire des décisions du printemps 1971 ? Bien entendu, l'accent est de plus en plus mis sur le jeu spéculatif à l'échelle mondiale — de moins en moins sur les données structurelles de l'économie allemande. Ainsi se conçoit le regain de faveur que rencontre l'idée du recours durable à un système de change flexible pour les principaux pays ou groupes de pays. L'un des grands mérites de ce livre est de nous rappeler combien sont essentielles les analyses spécifiques concernant l'économie de la République Fédérable Allemande ainsi que les politiques économique, monétaire et financière dont ses dirigeants assument la responsabilité. Ceux qui parient à présent pour ou contre une nouvelle réévaluation du deutsche Mark envisagent souvent la situation au gré des fluctuations quotidiennes du marché des changes. Ils croient pouvoir se déclarer plus ou moins favorables à tel ou tel modèle de spéculation stabilisante à la Milton Friedmann ou de spéculation déstabilisante à la Baumol. En même temps, la discussion des problèmes relatifs aux autres marchés monétaires, aux euro-dollars et à la transformation du système monétaire international prennent généralement le pas sur l'examen attentif des motivations et des conséquences des importantes décisions à prendre par les autorités allemandes. Nous ne sommes pas en présence d'un dilemme simple. Il ne s'agit ni de faire un acte de foi quant aux vertus stabilisantes des changes flexibles, ni d'attendre d'une réévaluation du mark, comme naguère d'une dévaluation des monnaies faibles ou temporairement affaiblies, le remède à un « déséquilibre fondamental ». Naguère, derrière le « miracle allemand » célébré vers 1957-1958, semblait se profiler un double déséquilibre qui n'était pas sans relation avec celui-ci. Que penser à présent des conditions dans lesquelles un double mouvement inflationniste, tenant à la fois à des pressions internes et à ce qu'on continue à dénoncer comme « l'inflation importée », continueront à justifier certains types de politique monétaire et budgétaire ? Faut-il
17
Préface
croire que, du point de vue des relations économiques extérieures et du système monétaire international, le choix se limite désormais à la persistance de changes flottants (mais entre quelles limites ?) ou à une série de réévaluations par paliers (mais dont il resterait à déterminer la cadence) ? il
juin
1971
Jean WEILLER Professeur à l'Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne) Doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Poitiers
INTRODUCTION
De 1951 à 1961, l'Allemagne fédérale a enregistré un excédent commercial lato sensu de près de 50 milliards de DM, qui n'a pas été compensé, tout au contraire, par des sorties correspondantes de capitaux. En conséquence, une part appréciable de ces excédents de la balance des paiements courants a contribué à gonfler les réserves en or et en devises, qui se sont élevées à plus de 30 milliards de DM au terme de la décennie. Le déséquilibre permanent des flux externes de l'Allemagne a commencé à poser un problème dès 1956, mais ce n'est qu'après des années de politique monétaire très active, mais de plus en plus efficace, que le gouvernement fédéral dut procéder, malgré les réticences des autorités monétaires, à une réévaluation du mark le 3 mars 1961. A l'époque, cette opération parut à beaucoup n'être qu'un incident sans grande portée, ne serait-ce qu'en raison de la faiblesse du taux d'appréciation ou parce que, comme ce fut le cas pour O. Emminger on avait déclaré qu'il ne valait point la peine de poursuivre le débat sur la réévaluation. Il ne paraissait pas convenable de réaliser une seconde fois, de façon unilatérale, une telle opération. Or, avec du recul, on se rend à l'évidence qu'aucun problème n'a été résolu ; il aura donc fallu pratiquement une seconde décennie, certes coupée par une récession, pour prendre conscience de toutes les implications du déséquilibre de la balance en devises de l'Allemagne. Il pose en effet des problèmes multiples selon les niveaux d'analyse où l'on se place. En France, en Grande-Bretagne, à l'étranger d'une façon générale, on a naturellement surtout tendance à aborder le problème à son niveau le plus élevé, celui du système monétaire international. On 1. Die Herrschaft der Schlagworte in der jiingsten kussion, Kieler Vortâge, Kiel, 1961, p. 3.
wëhrungspolitischen
Dis-
20
Excédents
externes
s'efforce d'apprécier dans quelle mesure le déséquilibre permanent des flux externes de l'Allemagne résulterait des « dysfonctionnements » inhérents au système défini à Bretton Woods, qui se révélerait impraticable, parce que stabilité du taux de change, autonomie des politiques économiques et monétaires, convertibilité et liberté des échanges sont des objectifs incompatibles 2 . Dans cette perspective « la réévaluation du Deutsche-Mark, si faible qu'elle n'entraîna que celle du florin néerlandais, était un signe quelque peu symbolique, mais non moins révélateur, de la gravité du problème monétaire international 3 ». En Allemagne, les faits sont généralement perçus à un tout autre niveau : la persistance des excédents externes a posé réellement un problème à partir du moment où les autorités monétaires ayant épuisé leurs moyens d'intervention, il est apparu que l'économie allemande était soumise à un processus d' « inflation importée ». Dans cette seconde perspective, la réévaluation devait stimuler les importations et freiner les exportations, de façon à réduire les tensions inflationnistes en alimentant le marché interne allemand à une époque où la production nationale ne parvenait plus à suivre la demande. Le souci de la stabilité interne des prix l'emporta de loin sur les considérations plus larges du blocage du système monétaire international \ Dans une première partie, nous situerons notre analyse à ce niveau : après avoir distingué les principaux facteurs qui ont contribué à entretenir le déséquilibre des flux externes, nous essayerons d'analyser par quel mécanisme un processus inflationniste a pu être importé. Les solutions alternatives étant épuisées, ou peu praticables, la réévaluation de mars 1961 fut dans son inspiration une correction du taux de change originale par rapport aux précédentes appréciations cambiaires : nous consacrerons notre seconde partie à une analyse des effets réels de cette opération, en évoquant plus particulièrement le problème des élasticités, pour déterminer si elle a effectivement permis d'obtenir, ne serait-ce que transitoirement, un meilleur équilibre des flux externes et une neutralisation du processus d'inflation importée. 2. E. Salin, Alignement der Währungen Kyklos, 1960, p. 477 ; du même, « Die Aufwertung hätte nichts genützt », Die Zeit, 23 mai 1969. 3. Ph. Simonot, « Le souvenir de 1961 », Le Monde, 30 septembre 1969. 4. Cependant, notons que dès 1957 cet aspect n'était point ignoré des experts conscients du fait que la réduction des moyens de paiement, dont disposaient les partenaires, risquait de remettre en cause les principes de convertibilité et de libération des échanges, qui avaient favorisé l'expansion économique allemande. Cf. Gutachten des Wissenschaftlichen Beirats beim Bundswirtschaftsministerium, du 30 avril 1957.
CHAPITRE
PRÉLIMINAIRE
PRÉCÉDENTS HISTORIQUES : LES DIFFÉRENTS TYPES D E RÉÉVALUATION, LEURS MOTIVATIONS E T LEURS CONSÉQUENCES
L'histoire économique offre peu de cas de réévaluation, si l'on met à part les politiques de déflation qui ont été menées systématiquement par certains pays comme la Grande-Bretagne pour rétablir une parité de change de leur monnaie, qui avait dû être abandonnée à l'occasion de circonstanstes extraordinaires, comme la première guerre mondiale. Ces circonstances mises à part, rares sont les situations qui exigent un relèvement de la valeur externe de la monnaie ou de la parité-or. Sur ce point l'économiste est loin de disposer de références pratiques et théoriques multiples comme pour la dévaluation. Sur les 32 pays qui, le 18 décembre 1946, ont défini la parité de leur monnaie par rapport à l'or et au dollar (initial par values), 6 seulement n'avaient opéré aucune révision de cette parité initiale en 1967. Ce sont naturellement tout d'abord les Etats-Unis, ce qui n'a pas laissé de susciter des controverses, et 5 pays centre-américains, qui sont directement dans la sphère d'influence des Etats-Unis. On pourrait encore englober quelques autres pays latino-américains dans ce lot très restreint, mais ces pays ne réalisent aucune transaction à ce cours toujours officiel, mais devenu bien fictif. Selon F. Machlup 1 plus de 200 révisions du taux de change ont été effectuées de 1949 à 1961.
1. « Plans for Reforms of the International Monetary System », Special Papers in International Economics, n° 3, Princeton, 1961, p. 49. Dans cette étude Machlup se réfère à F. Pick, Gold : How and Where to Buy and Hold it, New York, 1961. Cf. également O. Veit, « Bretton Woods und die Währungsparitäten, Neue Zürcher Zeitung, 5 février 1967, Fernausgabe.
22
Excédents
SECTION I. LA RÉÉVALUATION BRITANNIQUE DE
externes
1925
Les réévaluations intervenues avant la dernière guerre se caractérisent toutes par la volonté de retrouver une parité antérieure. On peut les qualifier de réévaluations classiques. L'histoire de la GrandeBretagne offre plusieurs exemples de réévaluation de ce type pendant et après les guerres napoléoniennes, mais la plus connue est celle de 1925, la Grande-Bretagne étant le seul pays qui ait voulu revenir après la dernière guerre à la situation monétaire d'avant 1914. Dans l'optique britannique, du fait que les Etats-Unis n'avaient point dévalué, il fallait que « la Livre puisse regarder le Dollar en face » 2. Il s'agissait avant tout d'une réévaluation de prestige, qui parut réalisable aux dirigeants britanniques, parce que les prix anglais avaient certes monté, mais guère plus que les prix mondiaux. Au cours des hostilités, l'aide américaine permit à la livre de se maintenir non loin de sa parité officielle, mais dès 1919, quand les Etats-Unis n'assurèrent plus leur soutien monétaire, le cours de la livre tomba pour atteindre en février 1920 son point le plus bas, qui traduisait une dévaluation de fait de plus de 30 % par rapport au dollar. Grâce à une politique de contrôle du crédit très stricte, comprenant en particulier la fixation du taux de l'escompte à 7 %, les autorités monétaires parvinrent à renverser le mouvement, en faveur d'une tendance à l'appréciation de la livre, de sorte que celle-ci était cotée au début de 1923 à 96,5 % de sa parité d'avant-guerre 3. Cette politique de déflation, poursuivie essentiellement sur les instances de la City, entraîna une grave dépression, ainsi que le chômage de plus d'un million de travailleurs. Dans de telles conditions la politique de restriction fut quelque peu relâchée en 1922 et le taux de l'escompte abaissé à 3 %. A la fin de 1922, l'activité économique reprit, le chômage se réduisit, mais les prix demeurèrent à la hausse et le cours de la livre s'effondra à nouveau, pour n'être plus qu'à 88 % de sa parité d'avant-guerre en 1924. Cependant à partir de l'été 1924, les conséquences de l'expansion du crédit des Etats-Unis, baisse du taux de l'escompte et achats de 2. O. Veit, Grundriss der Währungspolitik, 3' éd., Francfort-sur-le-Main, 1969, p. 402. 3. Cf. pour ces développements O. Emminger, « Die Englischen Währungsexperimente der Nachkriegszeit », Weltwirtschaftliches Archiv, t. XL, 1934, p. 270 et sq. ; A. Feavearyear, The Pound Sterling, a History of English Money, 2' éd., Oxford, Clarendon Press, 1963.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
23
titres sur le marché ouvert, provoquèrent un nouveau retournement de la tendance du cours de la livre, malgré la poursuite du mouvement de hausse des prix en Grande-Bretagne. Il faut bien noter qu'il s'agissait là d'un mouvement d'appréciation entièrement artificiel ; deux facteurs tout à fait indépendants de la situation véritable de l'économie britannique jouèrent dans le sens des intérêts des financiers de la place de Londres : la différence de taux d'intérêt entre Londres et New York d'une part, la spéculation à la réévaluation de la livre d'autre part 4 . L'afflux de capitaux à court terme suscité par ces deux facteurs spéculatifs permirent à la livre d'atteindre sa parité-or en mars 1925, pour la première fois depuis la guerre. Les autorités monétaires prirent alors la décision officielle de réévaluer, comme si elles ne faisaient qu'entériner une situation acquise dans les faits. Cette opération ne peut guère nous apporter des enseignements que sur ce que n'est pas un véritable processus de surévaluation et ce que ne doit pas être une décision officielle de réévaluation. En ce qui concerne l'évolution de la conjoncture, aucun indicateur économique ne laissait apparaître une sous-évaluation effective de la livre ; l'équilibre de la balance des paiements courants était précaire : les excédents ne s'étaient montés qu'à 102 millions de livres en 1923 ; 74 millions en 1924, 45 millions en 1925 ; 6 millions seulement en 1926. Il y avait toujours plus d'un million de chômeurs et l'équilibre des prix n'était obtenu qu'à la faveur d'une politique de restriction du crédit très rigoureuse. Cette expérience, qui n'a pas été heureuse pour la Grande-Bretagne et par contrecoup non plus pour les autres pays, a eu l'avantage de susciter une réflexion théorique plus approfondie, en fonction du souci de plein emploi, sur la définition d'un taux de change d'équilibre. A la suite des travaux de Nurkse, on admet désormais qu'il faut introduire des qualifications. « Le taux de change d'équilibre est celui qui assure le plein emploi, sans recours à des restrictions quantitatives, à un certain niveau des prix nationaux et étrangers et sur une certaine période à l'expiration de laquelle on peut compter sur l'absence de variations nettes dans les réserves de change, dont dispose le pays 5 . 4. M. Niveau, Histoire des faits économiques contemporains, Paris, P.U.F.. 1966, p. 292 et sq. 5. R. Nurkse, Conditions of International monetary equilibrium, dans : A.E.A., Readings in the Theory of International Trade, Philadelphie, 1949.
24
Excédents
externes
SECTION II. LES OPÉRATIONS RÉALISÉES PENDANT
LA SECONDE
GUERRE
MONDIALE
Les opérations de réévaluation réalisées pendant la seconde guerre mondiale ont été motivées par des entrées importantes et continues de devises en contrepartie d'excédents de la balance des paiements courants ou de la balance des capitaux. Le but de ces réévaluations était de préserver la stabilité du niveau interne des prix et de neutraliser les incitations externes à la hausse des prix (inflation importée). La première réévaluation de ce type est celle qu'a opérée le Danemark en 1942. La couronne danoise fut réévaluée de 8,2 % et un blocage des .salaires fut en même temps institué pour freiner la hausse rapide des prix de gros et du coût de la vie. Du fait que l'on fixa des prix plafond pour plus de 90 % des produits alimentaires, on ne peut juger de l'effet de cette réévaluation sur le niveau des prix 6 . Plusieurs pays exportateurs de matières premières comme le Venezuela, YArgentine et la Bolivie, qui demeurèrent neutres au cours des hostilités, améliorèrent considérablement la situation de leurs échanges externes. Pour profiter d'une position de caractère monopolistique, il leur était avantageux d'appliquer des taux de change multiples, de fixer en particulier un cours très favorable pour la monnaie nationale, à appliquer aux exportations exprimées en dollars par exemple \ En 1942, la Turquie mena une politique du même type en relevant de 40 % la prime de change pour les exportations payées en monnaie convertible et en réduisant la prime spéciale à l'importation de devises. Les cours fixés dans les accords de clearing demeuraient inchangés mais ces mesures équivalaient à une valorisation de la livre turque
6. 7. XII' 8.
XXII• Rapport de la B.R.I., p. 29, et XIIIe Rapport, p. 47 et 113. M. Byé, Relations économiques internationales, Paris, 1965, p. 269, et Rapport de la B.R.I., p. 47. XIII' Rapport de la B.R.I., p. 52.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
SECTION À OBJECTIF
III.
LES
25
RÉÉVALUATIONS
ANTI-INFLATIONNISTE
DE
L'APRÈS-GUERRE
Les deux principales opérations de réévaluation qui ont été réalisées immédiatement après la seconde guerre mondiale ont un caractère tout à fait différent de la réévaluation de la livre de 1925. On pourrait les qualifier de réévaluation de type moderne, à objectif anti-inflationniste. Ces opérations se sont soldées par un échec du point de vue de la politique économique et monétaire. Il nous paraît pourtant intéressant de nous y référer pour analyser les conditions économiques générales qui ont conduit à pratiquer une correction peu usuelle du taux de change et pour déterminer les motifs de l'échec, qu'il se soit agi d'erreurs d'appréciation au plan de la logique, ou que des facteurs liés aux circonstances aient joué un rôle prépondérant. A. La réévaluation de la couronne suédoise de 1946 A l'exemple du Canada, la Suède réévaluait la couronne suédoise de 16,7 % par rapport au dollar le 13 juillet 1946, ce qui portait la parité de la couronne au dollar de 4,20 à 3,60 9. Cette opération pouvait paraître normale de la part d'un pays hautement industrialisé, qui n'avait subi apparemment aucune des conséquences fâcheuses des hostilités. § 1. Les conditions économiques avant la réévaluation Dès le début de la guerre la Suède avait révisé la parité de la couronne et adopté le principe du contrôle des changes avec le souci essentiel de réglementer les mouvements de capitaux (celui-ci ne devient effectif qu'en décembre 1940). De 1939 à 1945, l'évolution des échanges externes de la Suède paraît tout à fait favorable : en raison d'importants excédents de la balance des services et de la balance des capitaux, qui compensèrent de plus en plus largement le déficit de la balance commerciale, les avoirs en or et en devises augmentèrent de près de 1,16 milliard de couronnes. En fait l'optique de la balance des devises est trompeuse. A la différence de celui du Canada, le volume du commerce extérieur 9. XVI'
Rapport
de la B.R.I.,
p. 54.
26
Excédents
externes
de la Suède, malgré l'évolution favorable des soldes, diminua de plus de la moitié de 1939 à 1944, la somme des importations et des exportations tombant de 4,4 milliards de couronnes en 1939 à 2,5 miliards en 1944 10. Les circonstances de la guerre, et en particulier la politique délicate d'équilibre que poursuivit la Suède, entraînèrent une modification profonde de la structure régionale du commerce externe : la part des exportations à destination de l'Allemagne passa de 19,6 % en 1939 à 40,9 % en 1944, tandis que les exportations à destination de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis ne représentaient presque plus rien en 1944. Ces déficiences et ces distorsions des flux externes eurent leur contrepartie sur le plan interne. Comme le Canada, de 1940 à 1945, la Suède ne put réaliser le plein emploi : le pourcentage de chômeurs qui s'éleva à 11 % de la population active était encore de 4,5 % en 1945. Le taux de croissance de la production fut pratiquement nul : sur la base 1937 = 100, l'indice de la production industrielle passa de 110 en 1939 à 113 en 1945. Cette stagnation ne permit qu'un maintien artificiel et relatif de la stabilité des prix. Les augmentations de l'indice des prix de gros et du coût de la vie sont plus accusées en Suède qu'aux Etats-Unis pour l'ensemble de la période 1939-1945. De plus il faut noter que la majeure partie de cette hausse a été acquise d'août 1939 à avril 1940 u . Ultérieurement la stabilité des prix put être obtenue en recourant à des mesures impératives, mais lorsque le blocage général des prix fut décrété en novembre 1942, les prix de gros avaient déjà augmenté de 65 % et l'indice du coût de la vie de 37,5 % 12. A la fin de la guerre, la Suède était donc dans une situation caractérisée « d'inflation contenue », quoique d'après les calculs de la Banque des Règlements internationaux, il semblerait que les coûts de production, le taux de salaire horaire en particulier, aient augmenté dans une bien moindre proportion 13.
10. Cité par R. Böllinger, Wahrungs Aufwertungen, thèse, Saarbruck, 1966, p. 153. 11. Cf. L. Mühlhaupt, « Strukturwandlungen und Nachkriegsprobleme der Wirtschaft Schwedens », Kieler Studien, n° 7, Kiel, 1952, p. 85. 12. Cf. R. Böllinger, op. cit., p. 155 et XIII" Rapport de la B.R.I., p. 115116. 13. W. Hesberg, « Betrachtungen zu den Aufwertungen Kanadas und Schwedens im Jahre 1946 », Wirtschaftpolitische Chronik, Cotogne, n° 1, 1961, p. 47.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
27
§ 2. Les motivations de la réévaluation suédoise La réévaluation de la couronne fut essentiellement considérée par ses promoteurs comme un moyen de lutte contre la hausse des prix. La Suède parvint à un quasi-plein emploi dès le début de 1946 par suite d'une forte expansion de la demande interne et externe. La situation des échanges externes paraissait très solide, puisque les réserves de la Banque Centrale augmentaient respectivement de 92 et 99 millions de couronnes au cours des deux premiers trimestres 1946. Cependant l'expansion même de la demande paraissait devoir impliquer des risques d'inflation : demande interne de biens d'investissement et de biens de consommation, en conjugaison avec l'afflux de commandes de l'étranger devaient dépasser les capacités de production immédiate de l'économie suédoise. A cela s'ajoutait, à l'instar de ce que redoutait le Canada, la crainte que la Suède ne subisse les conséquences du mouvement de hausse des prix qu'avait déclenché la suppression du contrôle des prix au Etats-Unis. A partir du moment où les principaux partenaires laissaient monter leurs prix, il était à craindre qu'un processus « d'inflation importée » ne vienne renforcer les facteurs proprement économiques d'inflation. Comme la Suède disposait de réserves en or et en devises pour un montant de 3 milliards de couronnes ce qui correspondait à la valeur de 8 à 10 mois d'importations normales, des experts tels que Lindahl et Dag Hammarskjoeld, alors président du Reichsbankrat, conseillèrent de façon urgente une révision du taux de change en prévision des effets de l'expansion. On pensait aussi que l'économie suédoise profiterait d'une baisse relative des prix à l'importation 14 . § 3. Les effets sur le plan externe de la réévaluation suédoise A la suite de la réévaluation un accroissement des importations supérieur à celui des exportations entraîna une nette détérioration de la situation de la balance des paiements. Le solde passif de la balance commerciale double au cours du dernier trimestre 1946 par rapport au second trimestre. L'année 1947 se solde par un déficit de la balance des paiements courants de 1,5 milliard de couronnes malgré le renforcement des restrictions aux importations. Cette détérioration est due principalement à une augmentation très rapide des importations au cours du premier semestre 1947. Il est à noter qu'il s'agit surtout d'un gonflement des impor14. Cf. A. Zänker, « Währungsaufwertungen. Die Kanadischen und Schwedischen Erfahrungen », F.A.Z., n" 260, 1960.
28
Excédents
externes
tations de biens d'investissement ( + 100 %), de textiles ( + 7 0 %), de matières premières minérales ( + 66 %) ; l'accroissement des importations en valeur étant de + 54 % 15. Du côté des exportations, on ne décèle par contre aucun ralentissement des ventes à l'étranger à la suite du relèvement du cours de la couronne. Comme nous le constaterons lors de l'étude des effets de la réévaluation du DM, il est difficile d'évaluer les effets propres d'une réévaluation, mais les circonstances spéciales de l'après-guerre ajoutent dans le cas de la réévaluation suédoise plusieurs éléments de confusion 16. — En ce qui concerne les caractères de l'offre et de la demande : la demande externe de produits tels que l'acier et le papier était pratiquement inélastique. Par ailleurs la demande interne de biens d'investissement était en Suède aussi intense que dans les pays qui devaient faire face aux nécessités de la reconstruction. — En ce qui concerne les effets de prix : les effets de prix de la réévaluation furent très rapidement neutralisés dans la mesure où les hausses de prix à l'étranger furent dans la plupart des cas plus rapides qu'en Suède. — En ce qui concerne les effets du taux de l'intérêt : du fait du maintien du contrôle des changes l'amélioration de la balance des capitaux perdait toute signification au regard d'une étude des effets de la réévaluation. A cela s'ajoute, dès la fin de 1946, la crainte d'une dévaluation ou de l'institution d'un contingentement des importations, ce que préconisait Myrdal, alors ministre du Commerce. Dans de telles conditions on ne peut guère distinguer les effets primaires de la réévaluation et apprécier les relations causales entre la réévaluation de 16,7 % et la hausse des importations en valeur de 54 % de 1946 à 1947. Force est pourtant d'admettre que sur le plan externe l'opération se solda par un échec : les avoirs en or et en devises de la Banque de Suède tombèrent de 3 milliards de couronnes en juin 1946 à 584 millions en septembre 1947 et de nouvelles pertes furent encore enregistrées dans les premiers mois de 1948 15. XVIII' Rapport de la B.R.I., p. 92. 16. A propos des réévaluations du Canada et de la Suède, on peut lire dans le XVII' Rapport de la B.R.I. : « Rétrospectivement, il faut reconnaître qu'il n'est pas facile de dire quelles ont été les conséquences réelles de ces revalorisations, un grand nombre d'autres facteurs ayant exercé une influence profonde sur la situation depuis l'été de 1946 » (p. 83). 17. Cité par R. Bôllinger, op. cit., p. 164 et XVIIIe Rapport de la B.R.I., p. 66.
Types
de réévaluation,
motivations
et
conséquences
Tableau 1 AVOIRS EN OR ET EN DEVISES DE LA BANQUE CENTRALE DE SUÈDE DE 1945 À 1949 (valeur en millions de couronnes en fin de trimestre) 1945
1946
1947
1948
1949
2 567
2 874
1 286
568
519
2 589
2 973
760
386
586
2 827
2 577
584
403
932
2 782
1 909
724
604
1 190
Source : Sveriges Riksbank Jahresberichte, 1950, p. 20.
Graphique 1 ÉVOLUTION DU SOLDE DE LA BALANCE COMMERCIALE DE LA SUÈDE DE 1946 À 1948
Millions de couronnes
1500
IMPORTATIONS
-287> 1000 EXPORTATIONS
500 1946
1947
Source : Sveriges Riksbank, Jahresberichte, 1950, p. 56.
1948
" '+76
Excédents
30
externes
Tableau 2 INDICES DES PRIX À LA CONSOMMATION ET D E GROS EN SUÈDE D E 1945 À 1948 (Moyenne
trimestrielle)
Années
Prix de gros 1935 = 100
Coût de la vie septembre 1931 = 100
1945
194
158
1946
I II III IV
185 185 185 189
159 160 162 164
1947
I II III IV
195 198 200 204
161 162 163 165
1948
I II III IV
209 214 216 217
170 173 174 176
Source : Skandinavska Banken, R. Bollinger, op. cit., p. 252.
und Sveriges Riksbank,
1948, p. 85, cité par
§ 4. Les effets sur le plan interne de la réévaluation suédoise Au cours de la période qui suivit immédiatement la réévaluation, il semble que la stabilité des prix ait été préservée. L'indice du coût de la vie marque une très grande stabilité du second trimestre 1946 au quatrième trimestre 1947. Par contre l'indice des prix de gros accuse une augmentation de près de 10 % au cours de la même période IS. Ce taux d'accroissement paraît peu important dans les circonstances économiques qui prévalaient alors et par rapport à l'évolution des prix des principaux pays industriels européens. Plusieurs écono-
18. Cf. tableau 3.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
31
mistes tels que S. Montgomery :9 et R. Ottinger 20 n'hésitent pas à considérer qu'il s'agit là d'une conséquence de la réévaluation. Plus exactement, ils estiment que la hausse des prix aurait été plus forte en l'absence de cette révision du taux de change. Il nous semble qu'une telle appréciation soit difficilement vérifiable dans la mesure où le contrôle des prix était toujours en vigueur, de sorte que les indices officiels ne reflètent guère que le niveau des prix autorisés. On pouvait également s'attendre à ce que cette réévaluation de 17 %, en suscitant un gonflement des importations, provoquât par le jeu inverse du multiplicateur un ralentissement du taux de croissance du produit national. Là encore il semble qu'il n'en ait rien été, puisqu'en 1946 et 1947 la croissance du produit national a été égale à celle des Etats-Unis ; en 1948, en raison des effets du ralentissement général de la conjoncture, il n'est plus question d'isoler un effet propre à la réévaluation. Dans la perspective la plus positive, ceci revient à dire que la réévaluation a pu contribuer à alléger le contrôle des prix et à ralentir le processus d'inflation importée. En définitive, il apparaît que la situation de la balance des paiements ne rendait pas une révision du taux de change indispensable. Bien que la Suède ne fût pas encore liée par les statuts du Fonds Monétaire international, on peut dire que l'évolution des flux externes ne laissait apparaître aucun « déséquilibre fondamental ». La balance des paiements suédoise était encore active au cours du premier trimestre 1946 ; le montant des réserves atteignit même son niveau le plus élevé à la fin de juin 1946, mais cet excédent résultait essentiellement de mouvements de capitaux de caractère spéculatif : entrées de capitaux à court terme et amélioration des termes de paiements. La balance commerciale, par contre, qui avait enregistré un excédent de 744 millions de couronnes au cours du second semestre 1945, se soldait avec un passif de 312 millions de couronnes au cours du premier trimestre 1946 Par ailleurs, les restrictions aux échanges, le maintien du contrôle des prix et des restrictions aux importations 19. « Post-War Economic Problems in Sweden », Lloyds Bank Review, avril 1948, p. 20-34. 20. « Auswirkungen und Lehren des Kronenaufwertung », in Probleme der öffentlichen Finanzen und der Währung. Festgabe für E. Grossman, Zürich, 1949, p. 291-301. 21. Skandinaviska Banken. Vierteljahresberichte, octobre 1946, p. 121 et 123, cité par R. Böllinger, op. cit., p. 161.
32
Excédents
externes
dans la plupart des pays ne laissaient pas augurer une évolution trop favorable des échanges externes. Sur le plan interne, en conjonction avec le contrôle des prix et des importations, la réévaluation était destinée à atténuer les tensions inflationnistes, sans que l'on renonçât pour autant à mener une politique économique et monétaire antidéflationniste en vue de maintenir le plein emploi et éviter une dépression que l'on estimait inévitable au cours des premières années d'après-guerre. Dans de telles conditions, le recours à une mesure aussi peu éprouvée que la réévaluation, alors que la situation des échanges externes n'était pas assurée, constituait une véritable gageure. Sans doute est-ce cela qui a permis à R. F. Mikesell d'écrire : « Il est peut-être plus vrai pour la Suède que pour tout autre pays de l'Europe de l'Ouest, que les difficultés de la balance des paiements d'après-guerre ont été provoquées par sa propre politique économique 22 . » De fait, au cours de ces années d'après-guerre, l'équilibre de l'économie suédoise fut plus affecté par l'absence d'une véritable politique de stabilisation du gouvernement et de la Banque Centrale que par les tendances à la hausse des prix à l'étranger et l'expansion des exportations. L'économie disposait de liquidités déjà excessives en raison de la politique de financement par l'emprunt qu'avait menée le gouvernement pendant la période des hostilités. Malgré le boom des investissements, la constitution de stocks importants, l'accroissement rapide de la consommation, les goulots d'étranglement de la production et les signes de plein emploi, le gouvernement crut devoir s'en tenir à une politique d'argent à bon marché. Le taux de l'escompte était à 2,5 % depuis février 1945, en partie pour les mêmes raisons qu'aux Etats-Unis 23 . En 1947, la Banque Centrale mena une politique de l'open market très active, tandis que le gouvernement élevait les taxes sur le chiffre d'affaires. Ces mesures fiscales et monétaires se révélèrent cependant insuffisantes en raison de l'augmentation rapide des salaires, du ralentissement des exportations et du coût élevé des réformes sociales. Cette évolution de l'économie suédoise en 1947 était vraiment différente de celle qu'avait prévue la Banque Centrale en 1946, lorsqu'elle préconisait la réévaluation. D'ailleurs Ivar Rooth, alors président de la Banque Centrale, démissionna à la fin de 1948 pour marquer son désaccord avec la politique monétaire et financière du gouvernement. Un an plus tard, lorsque la livre fut dévaluée, le 22. Foreign Exchange in the Post-War World, New York, 20th Century Fund, 1954, p. 238. 23. XVIII' Rapport de la B.R.I., p. 66 et 159.
33
Types de réévaluation, motivations et conséquences
gouvernement décida sans hésiter de dévaluer également la couronne suédoise de 44,5 % par rapport au dollar. Nous avons quelque peu insisté sur l'expérience suédoise pour montrer qu'en fait les difficultés économiques de la Suède dans les années qui suivirent la réévaluation n'ont pas été dues à cette révision du taux de change. Une telle mesure ne pouvait suffire en elle-même ; l'expérience suédoise met tout au plus en évidence le fait que le succès d'une intervention sur le taux de change implique une coordination des politiques monétaire, financière et économique. B. La réévaluation canadienne Le Canada a toujours mené une politique du taux de change très active. Un des premiers pays à abandonner l'étalon-or en 1929, il laissa librement fluctuer sa monnaie au cours des années 30 et cela jusqu'au 16 septembre 1939. A cette date le contrôle des changes fut institué et la parité du dollar canadien par rapport au dollar fut fixée à 90,9 U.S. cents = 1 dollar canadien, ce qui consacrait une dévaluation de fait de 10 %. Le dollar canadien demeura à ce niveau pendant toute la guerre. Au lendemain de la guerre, l'afflux de devises et les menaces d'inflation conduisirent le Canada à réévaluer le dollar canadien de 10 % le 5 juillet 1946, ce qui rétablissait la parité avec le dollar américain § 1. La situation de l'économie canadienne à la fin de la guerre Au cours de la guerre l'économie canadienne connut une grande prospérité. Le produit national brut aux prix du marché passa de 5,6 milliards de dollars en 1939 à 11,7 milliards en 1947, ce qui représentait une augmentation de 110 % 25. Cette croissance économique fut obtenue à la faveur d'une forte expansion des exportations, le plein emploi et une relative stabilité des prix. à) Le plein emploi fut réalisé pendant toute la durée des hostilités ; en 1945 le nombre de chômeurs ne dépassait pas 1,6 % de la population active. b) Malgré cela, si l'on se réfère aux principaux pays industriels, le Canada parvint à préserver une relative stabilité des prix. Dans un premier temps, au début du conflit, le niveau des prix s'éleva très 24. XVI' 25. Bank p. 65. 2
Rapport de la B.R.I., p. 54. of Canada. Statistical Summary.
Financial
Supplément,
1950,
34
Excédents
externes
rapidement. L'indice des prix de gros augmenta de 14 % d'août à décembre 1939 Après une certaine stabilisation en 1940, les tendances à la hausse se manifestèrent à nouveau au printemps 1941, quand l'économie parvint graduellement au plein emploi. Le gouvernement canadien institua alors un régime strict de blocage des prix avec les Maximum Price Régulations du 1" décembre 1941. Ces dispositions étaient renforcées par un contrôle des salaires, une taxation des bénéfices exceptionnels, ainsi que des subventions pour certains produits considérés comme de première nécessité et des mesures pour favoriser l'épargne". Cette politique fut extrêmement efficace ; en effet si l'on s'en tient au plan qui nous intéresse dans le cadre de notre étude, on constate que la hausse des indices des prix de gros et du coût de la vie fut moindre au Canada qu'aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suède et en Suisse (cf. tableau 3). Tableau 3 INDICES DES PRIX D E GROS ET D U COÛT D E LA VIE EN 1939 ET 1945 11937 = Indices prix de gros
100)
Indices coût de la vie
Pays 1939
1945
%
1939
1945
%
Canada
89
123
38 %
100
119
19 %
Etats-Unis
89
124
39 %
97
126
30 %
GrandeBretagne
95
156
64 %
103
132
28 %
Suède
101
167
65 %
104
149
43 %
Suisse
100
193
93 %
101
151
50 %
Source : Canadian Year Book,
1951, p. 964 et 970.
c) Au cours des hostilités, les excédents de la balance des paiements augmentèrent de façon considérable, ce qui entraîna un accroissement 26. K. W. Taylor, « Canadian War-Time Price-Control », Canadian Journal of Economic and Political Science, 1947, p. 83 et XIIe Rapport de la B.R.I., p. 97. 27. K. W. Taylor, loc. cit., p. 84.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
35
des réserves en or et en devises de près de 1,2 milliard de dollars de 1942 à 1945". Cet excédent résultait en grande partie des conditions exceptionnelles créées par le conflit, qui provoquèrent en particulier une intensification des échanges avec les Etats-Unis. Le Hyde Park Agreement d'avril 1941 prévoyait une augmentation de la production de matériel de guerre livrable aux Etats-Unis et aux Alliés avec règlement en dollars américains. De la sorte la balance des paiements courants du Canada, traditionnellement déficitaire à l'égard des Etats-Unis, fut pour la première fois en excédent en 1944 et en 1945. Par ailleurs, les exportations de capitaux américains au Canada, essentiellement sous la forme d'investissements de portefeuille, compensèrent toujours le déficit de la balance des paiements courants 29 . L'essentiel de l'excédent provenait pourtant de transactions en compte courant avec la zone sterling. De 1940 à 1945, il se monte à 5,6 milliards de dollars 30. En effet aucune restriction des échanges et des règlements n'avait été décrétée à l'égard de la Grande-Bretagne et des autres pays membres du Commonwealth. Ces excédents n'eurent pas pour contrepartie un accroissement des avoirs en or et en devises. Les livraisons canadiennes à la GrandeBretagne furent pour une grande partie financées soit par des crédits non remboursables (1 milliard en 1942), soit dans le cadre du programme d'aide mutuelle pour un montant global de 2 milliards de dollars 81 . § 2. Les motivations de la réévaluation canadienne A la fin des hostilités, l'économie canadienne se trouvait dans une situation assez délicate, en butte aussi bien à des risques d'inflation que de déflation : — Risques d'une déflation que pouvait induire une chute soudaine des excédents, dont l'augmentation était due aux livraisons de matériel aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne. C'est cette préoccupation qui avait décidé la Banque du Canada à baisser le taux de l'escompte le 8 février 1944 de 2,5 à 1,5 %. — Risques d'inflation qui pouvaient résulter tant d'un gonflement de la masse monétaire 32 que du déficit budgétaire, qui s'élevait à 28. Bank of Canada. Statistical Summary, 1950, p. 60. 29. XVII' Rapport de la B.R.I., p. 109. 30. P. Wonnacott, The Canadian Dollar 1948-1958, Toronto, University of Toronto Press, 1960, p. 37. 31. XIV' Rapport de la B.R.I., p. 151-152. 32. Cf. Bank of Canada. Annual Report, 1947, p. 35. Sur la base juin 1935 = 100, l'indice du montant des billets en circulation se situait à 455 en
36
Excédents
externes
plus de 2 milliards de dollars à la fin de l'année budgétaire, le 31 mars 1946. Dans un tel contexte la réévaluation du dollar canadien devait contribuer à la réduction des excédents de la balance des paiements d'une part, à la lutte contre les tensions inflationnistes d'autre part. Enfin, il faut rappeler le rôle déterminant de l'abolition du contrôle des prix aux Etats-Unis en juin 1946. Le Canada avait en effet opéré un relâchement progressif du contrôle des prix dès la fin de la guerre, afin d'éviter des hausses brusques, mais les prix américains exerçaient déjà une forte influence sur le niveau des prix canadiens. Or, la loi sur laquelle se fondait le contrôle des prix aux Etats-Unis et qui donnait pleins pouvoirs à l'O.P.A. (Office Price Administration) arrivait à expiration le 30 juin 1946. Le Président opposa son veto au renouvellement de cette loi, pour lequel le Sénat mettait de nombreuses conditions33. Cette décision entraîna une révision très brusque des prix américains. Sur la base 1935-1939 = 100, l'indice des prix de gros passa de 140,1 en juin 1946 à 154,7 en juillet de la même année, à 160,2 en août et à 176,6 en décembre 1946. De la part du Canada, le souci de prendre une mesure autonome pour enrayer les risques de répercussions directes des hausses de prix aux Etats-Unis a compté autant que celui de réduire les excédents externes. § 3. L'évolution de l'économie canadienne après la réévaluation Il semble que la réévaluation ait eu les effets que l'on en attendait. a) Flux externes : à partir du troisième trimestre 1946, les excédents de la balance commerciale sont de plus en plus réduits et atteignent leur niveau le plus bas un an après la réévaluation. Il est vrai que cette détérioration est un peu moindre, si on évalue importations et exportations en dollars américains. Elle résulte d'un accroissement des importations plus rapide que celui des exportations, tant en volume qu'en valeur. En volume, les importations augmentent en 1947 de 16 % et les exportations de 4,7 % seulement. Selon Bôllinger34, l'accroissement de 33,5 % de la valeur des importations résulte autant des hausses de prix des produits étrangers importés que de l'augmentation du volume des importations. Par contre, l'accroissement de 20 % des exportations juin 1945 au Canada, à 380 aux Etats-Unis, à 231 en Suède, à 204 en Suisse (XV Rapport de la B.R.I., p. 80). 33. Cf. The Economist du 6 juillet 1946, p. 15, et du 13 juillet 1946, p. 53. 34. Op. cit., p. 140.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
37
en valeur ne résulte pratiquement que de la révision du taux de change. D'autres éléments viennent obscurcir les effets propres de la réévaluation : en 1947 une bonne part du déficit commercial est dû aux crédits importants que le Canada consentit à la Grande-Bretagne et à d'autres pays européens. Alors que le Canada couvrait traditionnellement son déficit à l'égard des Etats-Unis par les excédents qu'il enregistrait auprès de la zone sterling, cette compensation multilatérale ne fut plus possible, du fait de l'inconvertibilité de la livre. Par ailleurs, le Canada était contraint de renforcer ses liens d'échange avec les Etats-Unis pour obtenir les produits que la Grande-Bretagne ne pouvait plus lui fournir. Le déficit à l'égard des Etats-Unis passe de 308 millions de dollars au cours du premier trimestre 1946 à 564 millions au second trimestre de la même année. Pour l'ensemble de l'année 1946, le déficit commercial du Canada à l'égard des EtatsUnis fut de 517 millions de dollars 35 . Cette évolution conduisit le Canada à instituer un contrôle à l'importation en 1947, essentiellement pour freiner les importations en provenance des Etats-Unis, le gouvernement ayant toujours la possibilité d'intervenir dans le cadre de l'Emergency Exchange Conservation Program. Il interdit certaines importations, institua des contingents et limita les quotas de devises pour les voyages de tourisme à l'étranger. Dès lors, si l'on peut estimer que la balance des biens et des services a réagi de façon normale pendant les dix-huit mois qui ont suivi la réévalution, après l'institution de contingents à l'importation, il n'est plus possible de déceler les effets de cette opération. En 1947, la détérioration de la balance des paiements courants fut renforcée par une évolution parallèle de la balance en capital. Ceci est encore plus sensible, si l'on élimine les prêts gouvernementaux à des pays étrangers, grâce auxquels ceux-ci ont financé leurs importations en provenance du Canada. S'agit-il là d'un effet propre de la réévaluation ? Oui, si l'on considère que le reflux de capitaux des spéculateurs en attente d'une réévaluation est un facteur positif ; mais il est vrai qu'à ces motifs de spéculation s'ajoutait une différence de l'ordre de 5 % des taux d'intérêt pratiqués pour les emprunts à long terme 86 . b) Après la réévaluation, la hausse des prix a été beaucoup moins 35. XVII" Rapport de la B.R.I., p. 53. Ce déficit n'avait été que de 146 millions de dollars en 1944 et de 5 millions en 1945. 36. Cf. R. A. Radford, « Canada's Capital Inflow 1946-1953 », International Monetary Fund Staff Papers, 1955, p. 240.
38
Excédents externes
accusée au Canada qu'aux Etats-Unis. Cependant l'effet d'isolement des tendances inflationnistes externes, qui peut avoir été obtenu par cette correction du taux de change, est difficilement appréciable en raison du maintien partiel du contrôle des prix au Canada, alors que les prix venaient d'être soudainement libérés aux Etats-Unis. D'ailleurs le retard à la hausse du niveau des prix canadiens par rapport à celui des Etats-Unis était déjà comblé à la fin de 1948. Au Canada, en décembre 1946, l'indice général des prix de gros s'établissait à 155 (août 1939 = 100), au lieu de 188 aux Etats-Unis et le coût de la vie n'atteignait que 126 contre 153. En 1947, les prix de gros ont augmenté de 28 % 37. En définitive, la réévaluation du dollar canadien de juillet 1946 n'a pu avoir qu'un effet très transitoire. Dès avant qu'elle n'intervienne la tendance était à la réduction des excédents de la balance des paiements courants, surtout à l'égard de la zone dollar. Comme le fait remarquer Wonnacott3S, le montant des avoirs en or et en devises avait commencé à diminuer dès le mois de mai 1946. La détérioration de la balance des paiements de l'année 1947 fut d'ailleurs rapidement dépassée grâce aux importants excédents commerciaux des années 1948-1949. Au moment de la dévaluation de la livre, le Canada rétablit l'ancienne parité de 0,91 U.S. dollar pour un dollar canadien, afin de demeurer en position intermédiaire entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne 39. Cependant cette parité se révéla rapidement trop faible : la hausse des prix internationaux suscita un nouvel accroissement des exportations canadiennes et la spéculation à la réévaluation du dollar canadien détermina des entrées massives de capitaux américains. Pendant quelque temps la Banque Centrale put neutraliser les effets inflationnistes engendrés par cet afflux de liquidités en épongeant le marché, mais une nouvelle expansion des investissements décida le gouvernement canadien à adopter le système de taux de change flexible le 30 septembre 1950. Cette mesure provoqua une réévaluation de fait du dollar canadien de 15 % par rapport au dollar américain40. A peu près à la même époque, on pourrait encore mentionner la réévaluation de la livre néo-zélandaise qui intervint en août 1948 : cette appréciation cambiaire mettait la livre néo-zélandaise au pair 37. XV1W Rapport de la B.R.I., p. 175. 38. Op. cit., p. 36. 39. G. S. Dorrance, « Canada's Floating Dollar », The Banker, XCV, 298, p. 299. 40. J. T. Hexner, « The Canadian Exchange Rate », in Public Policy, Harvard University, t. V, 1954, p. 249.
Types de réévaluation, motivations et conséquences
39
de la livre anglaise. Le montant des réserves de la Nouvelle-Zélande était alors sept fois supérieur à celui de 1939. Pour ce pays comme pour le Canada, cette mesure visait à freiner l'afflux excessif de devises. En fait peu de temps après la réévaluation, la Nouvelle-Zélande eut à affronter de sérieuses difficultés de la balance des paiements.
PREMIÈRE
PARTIE
CAUSES ET CONSÉQUENCES DE L'ACCUMULATION D'EXCÉDENTS EXTERNES PAR LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
La situation de l'Allemagne fédérale n'a absolument rien de comparable avec celle de pays comme la Suède et le Canada au lendemain de la seconde guerre mondiale. Nous avons en effet affaire à un pays dont la position externe est caractérisée par un excédent continu de la balance des paiements, obtenu à la faveur d'un régime de liberté des échanges et de convertibilité, en l'absence de toute réglementation autoritaire des prix et des salaires. C'est un cas que R. Hinshaw 1 analysait déjà en 1951, estimant alors que la réévaluation représentait sans conteste un moyen de neutraliser l'inflation d'origine externe (externally induced inflation) qui doit résulter de 1' « action des excédents nets de la balance des paiements sur le montant de la monnaie en circulation, le niveau interne des prix, le niveau des revenus monétaires ». De fait, le cas de l'Allemagne ne cesse pas de poser problème depuis plus d'une décennie et l'intérêt du débat qu'il a suscité dès 1955 autour de la réévaluation est en proportion directe des difficultés qu'éprouvent économistes et hommes politiques pour déterminer les facteurs qui sont à l'origine de cette situation. La controverse n'est d'ailleurs pas moindre en ce qui concerne les incidences de ces excédents externes sur les équilibres économiques généraux et le niveau des prix. Dans quelle mesure induisent-ils des pressions inflationnistes, dites importées, qui impliqueraient une révision de la parité officielle de change, en dehors même de toute concertation internationale pour un réajustement multilatéral des parités ? Nous consacrerons donc une première partie à l'analyse des causes et des conséquences de l'accumulation d'excédents externes par la République fédérale. 1. « Currency Appréciation as an Anti-Inflationary Device Journal of Economies, t. LXV, 1951, p. 450.
»,
Quarterly
CHAPITRE I
ÉVALUATION STATISTIQUE ET PRINCIPALES CAUSES DU DÉSÉQUILIBRE DE LA BALANCE DES PAIEMENTS
SECTION
I.
LES FAITS
: ÉVALUATION STATISTIQUE
DES
EXCÉDENTS
L'évolution de la balance des paiements de l'Allemagne de l'Ouest a déjà fait l'objet de nombreux travaux. Il n'est point dans notre intention d'en rappeler les diverses phases dans leur détail. Dans le cadre de notre étude, il convient cependant de marquer le caractère relativement ancien de la position excédentaire de l'Allemagne de l'Ouest, ainsi que d'évoquer l'amplitude du phénomène, que l'on peut saisir tant au plan de la balance commerciale que dans la balance en devises. à) La réforme monétaire du 30 juin 1948 n'a pas seulement marqué la fin de la période de lutte contre l'inflation contenue ; elle mit en place les conditions monétaires nécessaires à la reconstruction de l'ensemble de l'appareil économique. Mais, comme le précise J. Weiller, « contrairement à ce qui est souvent affirmé, la période néo-classique ne remonte pas à la réforme de 1948 1 ». Cette reconstruction impliquait que l'Allemagne parvienne à rétablir les flux d'échange avec l'extérieur, de façon à réaliser les importations massives de biens d'équipement et matières premières, indispensables à la reconstitution des industries d'exportation. Jusqu'à la guerre de Corée ces besoins de produits importés demeurèrent intenses et la balance des paiements courants fut constamment négative.
1. L'Economie
internationale
depuis
1950,
Paris, 1965, p. 52.
45
Evaluation statistique
Tableau 4 DÉFICIT DES PAIEMENTS COURANTS DE L'ALLEMAGNE FÉDÉRALE D E 1947 À 1950
Années
Solde
1947 1948 1949 1950 Source : XXe Rapport
commercial
— — — —
505 940 926 961
Solde des invisibles
Solde des paiements courants
+ 10 + 45 — 128 — 113
— 495 — 895 — 1 054 — 674
de la B.R.I., 1951, p. 113.
Comme on l'a souvent rappelé, malgré l'aide américaine accordée dans le cadre du plan Marshall, en octobre 1950, l'Allemagne avait pratiquement épuisé son quota auprès de l'U.E.P. La Banque Centrale dut mettre en œuvre une politique monétaire très restrictive malgré le nombre élevé de chômeurs. Cependant dès 1951 la situation des échanges externes de l'Allemagne se modifia fondamentalement : elle enregistre déjà un excédent de la balance des paiements courants de 800 millions de DM en 1951 ; puis les exportations allemandes augmentent régulièrement, de façon à quintupler de 1950 à 1957. Jusqu'à 1955 ces excédents furent bienvenus et favorisés par un ensemble de mesures financières et de crédit 2 . Ils permettaient en effet à la Banque Centrale de se constituer les réserves, dont elle jugeait avoir besoin pour faire face aux fluctuations des échanges externes. A partir de 1957 on peut cependant déjà lire dans le rapport annuel de la Bundesbank des affirmations telles que celle-ci : « L'équilibre conjoncturel est en butte à de très fortes pressions dues aux échanges externes 3 . » A la fin de 1959, les exportations allemandes représentaient 9,6 % 2. Cf. infra, chap. I, p. 37. 3. Deutsche Bundesbank, Geschäftsbericht,
1957, p. 27.
46
Excédents
externes
des exportations mondiales, ce qui plaçait l'Allemagne au second rang dans le monde comme exportateur devant la Grande-Bretagne. A la suite de F. Brechling 4 il vaut la peine de comparer les résultats obtenus par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui disposent d'un territoire et d'une structure industrielle très comparables : En valeurs absolues les exportations allemandes ont augmenté de 4 millions de dollars entre 1953 et 1957, alors que celles de la Grande-Bretagne ne s'élevaient que de 2 millions de dollars. Ceci correspond à un accroissement de 90 % des exportations allemandes et de 30 % pour les exportations britanniques. Une comparaison de l'indice des exportations en volume des principaux pays industriels de l'O.C.D.E. traduit bien le caractère exceptionnel de l'accroissement des excédents commerciaux de l'Allemagne (cf. tableau 5). b) En soi ce phénomène, dont nous serons amené à étudier les causes, n'aurait pas suffi à susciter un problème, si les autres éléments de la balance des paiements n'avaient pas en même temps évolué de façon à dégager un solde net des flux externes constamment positifs, ce qui contraignit la Banque Centrale à accumuler des réserves de plus en plus importantes (cf. tableau 7). Une certaine réduction des excédents de la balance des paiements courants se manifesta en 1955. On voulut croire alors que la situation de plein emploi à laquelle parvenait l'économie allemande allait entraîner un accroissement des importations plus important que celui des exportations. En fait, les années 1958, puis 1960, se soldèrent à nouveau avec des excédents records. A partir du troisième trimestre 1957, aux entrées de devises provenant des excédents commerciaux s'ajoutèrent des entrées de capitaux en raison de l'amélioration des termes de paiements et des achats spéculatifs de DM ou de titres libellés en DM. Ces mouvements de capitaux de caractère spéculatif furent assez importants pour compenser les soldes normalement passifs de la balance en capital et des prestations sans contrepartie s . A la fin de 1957 l'Allemagne fédérale avait déjà accumulé des réserves en or et en devises pour un montant de 23 milliards de DM, dont près de la moitié constituée par de l'or. Dix ans après la réforme monétaire, l'Allemagne disposait donc du second stock d'or parmi les pays occidentaux. 4. « Anglo-German Export Compétition », Three Banks Review, mars 1959, p. 7. Cf. également J. Markus, « Some Observation on the West Germán Trade Surplus », Oxford Economie Papers, mars 1965, p. 136 et sq. 5. Du fait que nous avons exposé le détail de cette évolution dans la Banane Centrale de l'Allemagne de l'Ouest (Paris, 1965), nous nous permettons d'y renvoyer.
Evaluation
47
statistique
Après une brève période de stabilisation de la balance en devises à la fin de 1958 et au début de 1959, par suite d'importantes sorties de capitaux à long terme, en quatre mois seulement, d'octobre 1959 à la fin de mai 1960, les avoirs en or et en devises augmentèrent de 4 milliards de DM, en sorte que le montant des réserves monétaires de la Bundesbank était de plus de 31 milliards de D M à la fin de 1 9 6 0 6 , ce qui représentait une multiplication par 3 par Tableau 5 INDICES DES EXPORTATIONS EN VOLUME DES DIFFÉRENTS PAYS DE L'O.C.D.E. DE 1950 À 1961 (1950 =
100)
Années
France
Allemagne
Italie
GrandeBretagne
Etats-Unis
1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961
100 117 100 106 132 141 127 139 146 174 204 215
100 140 152 172 210 245 284 324 336 383 440 464
100 114 102 109 122 142 168 193 205 252 304 365
100 98 92 94 98 106 112 114 109 114 120 124
100 129 130 137 133 134 160 168 147 142 164 163
Source : O.C.D.E., Statistiques générales, juillet 1962, p. 51. 6. On emploie couramment de façon abusive le terme d'excédent ou de déficit de la balance des paiements. Du fait qu'elle représente, quelle que soit sa forme, un enregistrement comptable correspondant à une période passée, cette balance est par définition équilibrée ; dès lors parler de solde actif ou passif de la balance des paiements n'a en soi pas de sens (cf. M. Byé, op. cit., p. 45). En fonction de notre préoccupation, il serait préférable de nous référer à la « balance en or et en devises », car le solde de cette balance nous indique le montant des liquidités que l'ensemble de l'économie a reçu ou perdu au cours de la période à l'occasion de ses opérations avec l'étranger, tant financières que réelles (cf. J. Weiller, La Balance des paiements, Paris, 1968, p. 23 et sq.). Nous préférons ne pas rentrer dans une analyse des différentes présentations de la balance des paiements et renvoyer à la section III du prochain chapitre (p. 72), l'étude détaillée de l'accroissement des liquidités provoqué par l'accumulation d'excédents externes, ce qui nous amènera à définir une notion de « création monétaire d'origine externe ».
48
Excédents O a. Ck CS
0> Cfl c Uj oj C ça - o d o , VD ^ o ¡2 Ml) G S Q. U°
y-i
«
Tf 1—( T-H CN
a
+++++++++++
t,
< »-H
I
i-H
X M
c S .2 g
fsl o o, Ë
* O D c " a s . g X
S 0
externes
«
+++++++++++
t"- C\ ©
»-< ^H ©
i—li—l^r-ll-*'-^
O £ W
XI es J3 t;
a
(Nf^-v-iooO^OoOiN^OOOS'^f W ^ N r t C C h f f i O O C ^ ^ O O ( S c S f O f ^ f n ^ t i o v o i o v o t ^ t * - *
S
o ^ H i ^ - v - í S D r a o o í S o o r o í s ^ o o C/3 I
I
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
© ^ H n o T f r v - j v o t ^ o o a N © * - « w i i o n i o i r i i n i o i o i o v i ^ »
49
Evaluation statistique o KO ok
3 m su Q su u. w w S w 05 § ¿3e S u a ¡2
50
Excédents
externes
rapport à leur niveau de 1952 et assurait une couverture moyenne de 70 % des importations annuelles 7 .
SECTION II. LES CAUSES DU DÉSÉQUILIBRE DES FLUX EXTERNES
La détermination des causes des excédents continus de l'Allemagne représente un véritable problème pour un économiste tel que Kindelberger, qui s'attend à un retournement de cette tendance depuis plusieurs années. « Il est vraisemblable, écrit-il, qu'il y a là une asymétrie quelque part dans le système, qui fait que l'Allemagne s'en sort toujours avec des surplus, plutôt qu'en alternance tantôt avec des excédents, tantôt avec des déficits. Cette asymétrie peut résider dans le talent des autorités, dans la sensibilité de l'économie aux changements de prix, dans le mode de réaction du système aux excédents et aux surplus... L'inflation constitue sans doute une part de l'explication, mais ce n'est pas une explication en soi, et elle ne rend pas compte de la période des années 50 » 8. Avec plusieurs économistes américains et français, il semble qu'il faille rechercher, à côté de facteurs circonstanciels, des causes que nous pourrions qualifier de structurelles au déséquilibre des échanges externes de l'Allemagne. Nous nous limiterons à recenser brièvement les principales d'entre elles, à seule fin de marquer combien une manipulation unilatérale du taux de change, en l'absence de toute modification du système monétaire international, est une mesure fondamentalement inadaptée à son objectif. A. Un facteur circonstanciel : le rôle des dépenses militaires Comme l'indique le tableau 8, de 1950 à 1962, une part importante des excédents de la balance des paiements courants provient des dépenses des troupes de stationnement. Selon H. J. Abs, ces entrées auraient été même la principale source des excédents 9. De fait, ce type de dépense a augmenté de façon constante en chiffres absolus pour aller jusqu'à représenter plus de 50 % des excédents de la balance des paiements courants au cours des trois années qui ont 7. Cf. U. Fensch, Zum Problem der internationalen Liquidität, Kiel, 1963, p. 30-31. 8. C. P. Kindelberger, « Germany's Persistent Balance of Payments Desequilibrium », in Trade, Growth and the Balance of Payments, Amsterdam, 1965, p. 231. 9. Cf. Keine Aufwertung der D.M., Cologne, Deutsche Industrieinstitut. 1960.
Evaluation statistique
51
précédé la réévaluation10. Ainsi en 1960 la balance des services aurait enregistré un déficit de 5,5 milliards de DM, si l'on exclut ces entrées d'une nature spéciale. Est-on en droit de suivre ce type de raisonnement ? Selon R. Meimberg ces dépenses ont une origine plutôt politique que commerciale, ce qui les rend inélastiques. Cette argumentation nous paraît critiquable sur deux points : une partie des dépenses des troupes étrangères se porte sur des produits allemands à cause de leur prix et de leur qualité. Ceci est particulièrement net pour les véhicules et les biens de consommation durable. Par ailleurs, comme le fait remarquer Boarman, « du fait de leur caractère très durable, ces dépenses peuvent être considérées comme des exportations induites par des éléments de structure ; elles doivent être compensées par des déficits dans d'autres secteurs de l'économie 12 ». Du point de vue global, il est évident que ces excédents commerciaux provenant d'achats de troupes étrangères a pour contrepartie une réduction des ressources qui pourraient être disponibles pour des exportations courantes. Notons de plus qu'à partir de 1958, les Etats-Unis et la GrandeBretagne ont exercé une pression sur le gouvernement allemand pour qu'il compense les dépenses des troupes de stationnement par des achats de matériel militaire américain. Ainsi dès 1960, les achats de cette catégorie de produits s'élèvent à 30 % des ressources obtenues par les dépenses militaires, mais en 1963 ils devaient s'élever à 3,8 milliards de DM, soit à 90 % des dépenses militaires. B. L'aide aux exportations et la politique commerciale Les différentes mesures d'aide du gouvernement allemand aux industries exportatrices ont fait l'objet de nombreuses études, inspirées tantôt par la volonté de dénoncer des pratiques irrégulières, tantôt par souci d'en apprécier les incidences économiques 10. Cf. Monatsberichte der Deutschen Bundesbank, janvier 1960, p. 46. 11. Zum Streit über den Wechselkurs der D.M., Francfort-sur-le-Main, 1960, p. 21-22. 12. Germany's Economic Dilemma, Londres, 1964, p. 295. 13. En français : cf. Problèmes Economiques, n° 818 ; Notes et Etudes Documentaires, n° 2905 ; en allemand : H. J. Jung, Die Exportförderung im wirtschhaftlichen Wiederaufbau der Deutschen Bundesrepublik, Cologne, 1957. J.-P. Möckers fait remarquer que l'effet de la politique d'exportation sur la balance des paiements, mais aussi sur la demande globale « est d'autant plus grand que la part des exportations dans le P.N.B, est importante... C'est donc en Allemagne et surtout en Grande-Bretagne que l'action de l'Etat sur les exportations doit se faire le plus sentir... Au total, c'est sans doute en Alle-
Excédents
52
externes
Tableau 8 PART DES RECETTES PROVENANT DES FORCES D E STATIONNEMENT DANS LA BALANCE DES PAIEMENTS COURANTS D E L'ALLEMAGNE FÉDÉRALE DE 1950 À 1963 (en millions de DM)
Années
Solde net de la balance des paiements courants
Recettes provenant des forces étrangères
1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961 1962
— 2 475 808 2 373 4 233 4 041 3 005 5 696 7 801 8 132 7 401 7 973 6 481 2 486
211 367 850 1 140 1 022 1226 1 757 2 660 3 877 4 102 4 309 3 824 4 436
%
, 45 36 27 25 41 31 34 48 56 54 58 172
Source : Monatsberichte der Deutschen Bundesbank, juin 1961, p. 36-37 ; janvier 1960, p. 46 ; mars 1963, p. 13.
A vrai dire, s'il est exact que ce facteur de politique économique a pu jouer de 1951 à 1955, comme d'ailleurs aussi bien en France et en Grande-Bretagne, on peut estimer que depuis 1956 le gouvernement allemand a mené dans l'ensemble une politique commerciale qui aurait dû atténuer le gonflement des excédents externes. Ainsi les réductions unilatérales des tarifs douaniers de 1956 et 1957 eurent pour résultat d'abaisser de 50 % le niveau des droits ad valorem. Il est vrai que cette politique de libéralisation avait aussi pour effet d'abaisser les prix de matières premières importées et de mettre en mouvements « une dynamique réciproque d'expansion du commerce magne que l'Etat a joué le rôle le plus efficace, puis en France » (Croissances économiques comparées : Allemagne, France, Royaume-Uni, Paris, 1969, p. 8081).
Evaluation statistique
53
international », dont l'Allemagne a été l'une des principales bénéficiaires. Dans son étude extrêmement précise et qui ne peut guère être soupçonnée de parti pris pour l'Allemagne sur un sujet aussi controversé, l'économiste britannique S. J. Wells déclare : « L'aide spécifique de l'Etat ne peut expliquer une part importante des exportations de l'Allemagne » Par ailleurs, du fait que la plupart des pays exportateurs de produits industriels, tout au moins en Europe, sont parvenus à élaborer des politiques d'aide à l'exportation très comparables, il serait assez vain de rentrer dans le détail d'analyses qui alimentent les controverses des différents groupes de pression auprès de leurs gouvernements respectifs. C. La disparité des taux d'inflation En janvier 1959, O. Emminger croyait pouvoir déclarer, en contradiction avec une précédente affirmation, que « la principale cause des excédents externes de la balance au cours des dernières années doit être recherchée dans un degré différent d'inflation. H n'est pas difficile pour les années 1956-1957 d'indiquer une série de pays dans lesquels une demande excessive a provoqué une détérioration de la situation de la balance des paiements par rapport à l'Allemagne 15 ». La lutte contre les tendances inflationnistes fut l'une des constantes de la politique économique et monétaire des pays occidentaux au cours de l'après-guerre. Ceux-ci recoururent aux différents instruments anti-inflationnistes dans des conditions assez dissemblables, en sorte que l'évolution des prix et des coûts a beaucoup divergé de pays à pays. L'Allemagne est-elle vraiment parvenue à n'admettre qu'un pourcentage d'accroissement des prix relativement plus faible 16 ? Nous nous heurtons tout de suite à la difficulté du choix de l'indice le plus susceptible de comparaisons internationales et le plus significatif pour le sujet qui nous occupe. Ce n'est pourtant point 14. British Export Performance : a comparative Study, Cambridge University Press, 1964, p. 81. 15. « Problème der Deutschen Zahlungsbilanz », Auszüge aus Presseartikeln, 1959, n° 15, p. 4. De son côté C. P. Kindelberger estime que « l'inflation représente assurément une partie de l'explication, mais par elle-même ce n'est pas une explication et elle ne réussit pas à rendre compte de 1* « évolution des années 50 » (loc. cit., p. 231). 16. M. Gilbert et I. Kravis, An International Comparison of National Products and the Purchasing Power of Currencies, Paris, O.C.D.E., 1954, p. 85.
54
Excédents
externes
le lieu de poser le problème de la notion de « niveau des prix », même s'il est indéniable que l'on ne peut mesurer avec exactitude que les variations de prix d'un bien déterminé. En principe, deux conditions sont requises pour procéder à des comparaisons de niveau de prix : identité des produits pris en considération dans le calcul des indices des différents pays et pondération similaire de ces produits. Or, il est bien connu qu'il est impossible de remplir ces deux conditions ; on n'a affaire à des produits similaires que dans le cas limite de matières premières. Les produits finis et plus particulièrement parmi ceux-ci les machines, les véhicules, les produits chimiques, et même les métaux, ont des qualités manifestement très différentes et représentent des avantages spécifiques pour le consommateur. Force est donc pour le statisticien le plus rigoureux de se contenter de comparer des indices de prix de biens dont généralement seule la fonction est vraiment identique. Dès lors, la difficulté revient à choisir des pays dont les structures de consommation et de production soient suffisamment comparables A cet égard, il est logique de procéder à une comparaison avec les pays du Marché commun, ainsi que les Etats-Unis, la GrandeBretagne, la Suède et la Suisse {cf. tableaux 9 et 10). Pour saisir la disparité des taux d'inflation et l'incidence que celle-ci a pu avoir sur les échanges extérieurs de l'Allemagne, on peut se référer à trois indices — coût de la vie, prix de gros, prix à l'exportation ou valeur unitaire d'exportation — dont la signification est assez différente. a) Indice du coût de la vie : c'est l'indice qui reflète le plus fidèlement les modifications du pouvoir d'achat dans chaque pays, mais il a l'inconvénient d'accorder une pondération importante à des éléments tels que les loyers, l'énergie et les services, qui ne rentrent guère en concurrence sur le marché international. Par ailleurs, dans la plupart des pays, en Grande-Bretagne et en France plus particulièrement, ces indices font l'objet de manipulations plus ou moins manifestes. Enfin, l'indice du coût de la vie ne tient généralement pas compte des améliorations qualitatives des produits, alors qu'elles sont souvent décisives dans le commerce international. Malgré cela, on peut se référer à l'évolution de l'indice du coût de la vie fourni par le Statistiches Jahrbuch : l'Allemagne est à ranger manifestement, avec les Etats-Unis et la Suisse, dans un groupe de pays où le coût de la vie a augmenté moins rapidement. Au vu 17. Il est encore plus difficile de répondre si l'on estime « que le succès de l'Allemagne dans le contrôle de l'inflation cinétique a été obtenu au prix d'un accroissement continu de l'inflation potentielle » (P. Boarman, op. cit., p. 19).
Evaluation statistique
55
de ces chiffres, le professeur Kiing va même jusqu'à affirmer « qu'il n'est pas étonnant que l'Allemagne ait enregistré d'importants excédents de la balance des paiements courants 18 ». b) Si l'on renonce à discuter de ce que peut avoir d'artificiel une méthode d'évaluation de la « compétitivité-prix » à partir d'un indice des prix à la consommation, il apparaît que les prix à la consommation se sont élevés de 1953 à 1957 de 7 %, c'est-à-dire plus qu'en Suisse, aux Etats-Unis et en France, mais sensiblement moins qu'en Grande-Bretagne, en Suède et en Hollande. Il est indéniable que la hausse de l'indice du coût de la vie et des prix à la consommation est encore moins caractéristique, si l'on cherche à établir une apparente liaison causale dans le temps entre excédents externes et évolution de l'indice des prix à la consommation : — Les excédents les plus importants ont été réalisés au cours des années où ce que certains économistes appellent la « disparité des degrés d'inflation » s'est atténuée, c'est-à-dire de 1957 à 1960 (cf. tableau 6). — Dans le cas particulier des échanges entre la France et l'Allemagne, il est notable que les excédents commerciaux enregistrés par l'Allemagne dans ses échanges avec la France ont augmenté malgré la relative stabilité des prix à la consommation de la France de 1955 à 1957. Rappelons, puisque ces mesures ont fait l'objet d'une nouvelle publicité lors de la crise du franc de novembre 1968, qu'en 1957 l'institution de contingents d'importation et le renchérissement des produits allemands provoqués par la dévaluation du franc n'ont pas empêché les excédents allemands à l'égard de la France de passer en valeur absolue de 1,9 milliard de DM en 1956 à 2,3 milliards en 1957. — De même, les échanges commerciaux avec les Etats-Unis se sont soldés, pour l'Allemagne, avec un excédent en sa faveur de 3,7 milliards de DM en 1959 contre 2,4 milliards en 1954, en raison d'un accroissement de 2,3 % de la part des exportations à destination des Etats-Unis dans l'ensemble des exportations de l'Allemagne. Or, au cours de cette période, les indices des prix à la consommation ont évolué de façon parallèle dans les deux pays, avec un léger avantage en faveur des Etats-Unis 18. « Der Ausgleich der Zahlungsbilanz als Voraussetzung der wirtschaftlichen Integration », Aussenwirtschaft, 1959, p. 64, cité par S. R. Carstens, Die Aufwertungsdebatte, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1963, p. 32. 19. Nous nous référons aux chiffres fournis par l'O.C.D.E. Cf. Statistiques générales, juillet 1962, p. 59.
Excédents O O
M O i H N O W ^ H
O
O
o
^
O
O
o o
O
'
o
n
^
^
N
H f f H H
O
O
o
o
^
N
f
i
ro
O
c
r
> ^
c
t
^
T
t s O H N Î S M N
t > C N N
—
-
'
O
f
r
'
C
H
t
l
X
'
H
o
o
i
n
i
n
^
^
- " H f f i f f i f i n ^ ^
o
O ^ H f ^ C S i S f r j f ^ r r j l o V û f - r ^ O O ' ^ 1-H 1—( ,-H
o o
o\ o
® ^
© ^
H
oo H
o\ H
N
»-i N
f i N
(S
© O O O O O O O O m V - i O N ^ ^ H V * ©
externes
Evaluation statistique
57
c) Indice des prix de gros : cet indice, et en particulier l'indice des prix des produits manufacturés, est d'un calcul plus aisé que l'indice du coût de la vie ; il laisse apparaître avec moins de retard les variations de la situation du marché et subit dans l'ensemble des fluctuations moins accusées. En ce qui concerne les comparaisons internationales, s'il a l'avantage d'être construit à partir des prix de produits qui font l'objet d'importantes transactions internationales, il a aussi l'inconvénient de refléter la structure économique particulière à chaque pays 2°. L'évolution de l'indice des prix de gros constitue pourtant un élément de référence caractéristique. Il apparaît que par rapport à la Grande-Bretagne, la France, la Suède, le niveau des prix de gros des produits manufacturés a été relativement constant en Allemagne de 1953 à 1959 (cf. tableau 10). Dans la plupart des pays, au cours de la décennie 1950-1960, la hausse de l'indice des prix de gros est inférieure à celle de l'indice du coût de la vie ; cette différence est particulièrement nette dans le cas de l'Italie. Par contre, la République fédérale représente une exception notable : jusqu'à 1960, l'indice des prix à la production industrielle demeure constamment au-dessus de l'indice du coût de la vie. Selon Mockers, ceci serait précisément dû à l'intensité de la demande étrangère de produits manufacturés allemands 21. Si l'on admet ce raisonnement, on voit bien que la thèse de la disparité des degrés d'inflation est assez fragile. Une analyse des indices de prix de gros de produits manufacturés met principalement en évidence l'évolution parallèle des prix allemands et des prix américains, qui représentent en ce domaine la véritable référence. d) Indice des prix à l'exportation et valeur unitaire d'exportation. A vrai dire, une analyse qui accorde un rôle primordial au niveau des prix relatif dans l'évolution des échanges externes ne peut être étayée que par une étude de l'évolution des prix à l'exportationLes indices de prix les plus caractéristiques sont ceux des catégories de produits qui constituent la plus grande part de l'ensemble des exportations. L'institution du Marché commun et le déficit de la balance des paiements des Etats-Unis a suscité plusieurs études 20. Certains statisticiens préconisent la construction d'indices mixtes (prix de gros et prix à la consommation), mais la détermination de leur composition ne peut aller sans un certain arbitraire. 21. Op. cit., p. 200. 22. Cf. Hang. Cheng, « Relative Movements in the Price of Exports of Manufactures — U.S.A. Versus Other Industrial Countries 1953-1959, l.M.F. Staff Papers, mars 1962, p. 80 et sq.
Excédents
58 o o
es c W
— oo p~ r- f—o o o o
It
(O «
Ï
(O
externes 1 C
^
®»SCTv>ovovoosot»>ovovoo o « o o o o o " - i o o o o > -
-?
caw
Evaluation statistique
69
F. L'élasticité de l'offre, facteur décisif de compétitivité On a souvent fait état d'un caractère de compétitivité que l'économie allemande détiendrait à un degré éminent 44 . Ce concept de compétitivité, auquel se sont naturellement plus spécialement attachés les auteurs anglo-saxons et certains économistes allemands, est en définitive peu opérationnel, parce que confus. Ainsi Angus Maddison fait souvent référence à une politique traditionnelle visant à contrôler la demande interne chaque fois que des tensions inflationnistes se sont manifestées. Pour expliquer le maintien de la compétitivité de l'économie allemande, il mentionne sans grande précision des politiques de prix et de revenu dans un contexte international où les élasticités de demande sont élevées. Ainsi il déclare : « Lorsque les excédents de la balance des paiements persistèrent en période de suremploi, il devint évident que ceci était dû à une position fortement compétitive et à de meilleurs moyens de défense domestiques contre l'inflation que ceux des autres pays 45 . » Pourtant il admet également que toutes les mesures prises pour réduire les excédents n'ont pas été couronnées de succès. A vrai dire, l'analyse de Maddison est caractéristique ; comme pour beaucoup d'économistes, l'articulation centrale de son raisonnement est que l'Allemagne a mieux que tout autre pays contrôlé les tensions inflationnistes induites par l'expansion ; les facteurs psychologiques, sociologiques et techniques auraient tous contribué à faciliter le maintien de la demande interne. Or ce qui importe avant tout, au-delà de l'organisation du marché et des politiques monétaire et fiscale, c'est la forte élasticité de l'offre, conséquence elle-même du taux de croissance soutenu de la production industrielle de l'Allemagne au cours de l'après-guerre. Sur ce point, nous ne pouvons que renvoyer à l'étude magistrale de M. Beaud. Cette conclusion est confirmée par une étude récente de Phan Duc Loi. A la suite de travaux de H. Tyszinski, cet auteur a voulu mettre en évidence l'importance du facteur structurel de la demande dans l'évolution de la position d'un pays exportateur. La partie non expliquée de cette évolution est attribuée à « l'effet de concurrence », dénomination commode pour inclure tous les autres facteurs. 44. Cf. E. Sohmen, « Compétition and Growth : the Lessons of West Germany », A.E.R., décembre 1959, p. 986-1003 et commentaires de K. W. Roskamp, Mac Bean, Shepherd, R. G. Opie, in A.E.R., décembre 1960, p. 10151031 ; cf. également, P. Boarman, op. cit. 45. Economie Growth in the West, Londres, G. Allen & Unwin, 1964, p. 138.
70
Excédents
externes
L'analyse confronte la position relative des principaux pays exportateurs de produits manufacturés au début et en fin d'une période déterminée. Le réseau des échanges est établi uniquement à partir de statistiques d'exportations évaluées fob. Phan Duc Loi utilise la méthode du calcul des parts théoriques de H. Tyszinski et de S. Spiegelglass et s'efforce en plus de tenir compte des effets de structure à la fois par produit et par destination. Ses calculs lui permettent d'établir le tableau suivant :
ÉVOLUTION D E LA POSITION CONCURRENTIELLE DES PAYS EXPORTATEURS D E PRODUITS MANUFACTURÉS D E 1953 À 1963 (PART RELATIVE)
Part relative 1963 Part relative en 1953
Imputable à :
réelle
théorique
Ecart 19631953
Etats-Unis
34,6
21,9
29,3
— 12,7
Allemagne
11,4
19,5
14,1
8,1
Royaume-Uni
18,3
14,2
15,9
7,7
8,8
7,8
France
—
l'effet de concurrence
— 5,3 2,7
— 7,4 5,4
— 2,4 0,1
— 1,7 1,0
4,1 1,1 4,2
Japon
3,3
7,5
2,8
Canada
5,8
4,3
4,9
Italie
2,8
5,8
2,9
Pays-Bas
3,2
4,2
4,3
1.0
Suède
2,3
3,3
2,6
1,0
Belgique
5,6
5,8
6,8
Autres
5,0
4,7
8,6
100,0
100,0
100,0
Total
l'effet de structure
—
—
1,5 3,0
— 0,5
4,7
— 0,9
— 0,6
0,1
2,9
1,1 0,3
— 0,1 0,7
0,2
1,2
1,0
0,3
3,6
— 3,9
0,0
0,0
0,0
Source : Phan Duc Loi, Effets de structure et mécanisme demande d'exportation, Paris, Cujas, 1968, p. 65.
des prix dans la
Dans la catégorie des pays qui ont accru leur part de marché, on trouve tout à fait en tête, dans l'ordre croissant, l'Italie, le Japon et l'Allemagne fédérale. Il est remarquable que l'effet de concurrence a exercé une influence non négligeable dans l'amélioration de leur
Evaluation
statistique
71
position relative. Sur un gain de 8 % du marché mondial réalisé par l'Allemagne fédérale, deux tiers paraissent imputables à des conditions de concurrence favorables, et un tiers à l'effet de structure. Phan Duc Loi remarque aussi « que l'imputation de l'évolution des parts de marché entre effets de structure et de concurrence permet de déceler une forte corrélation positive entre le taux de croissance d'une économie et les progrès concurrentiels ». Ainsi le Japon, l'Allemagne et l'Italie, qui ont bénéficié de taux de croissance supérieurs à 6 % en moyenne annuelle, sont les pays les plus compétitifs sur le marché international. La situation est exactement inverse pour les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada. On retrouve là une confirmation de la liaison bi-univoque entre la croissance et la capacité de concurrence d'une économie ouverte. G. La politique salariale Parmi les facteurs décisifs de la politique allemande d'après-guerre nous croyons devoir pourtant évoquer plus particulièrement la politique salariale. Selon l'optique envisagée, on peut se référer à une variable de comportement et parler de la « docilité des travailleurs allemands » ou à des données politiques et rechercher les incidences de la politique salariale sur les échanges externes 46. a) Il est un fait que sur le plan sociologique, auquel l'analyse de la répartition a souvent avantage à se placer, on constate que les leaders syndicaux allemands ont toujours été très soucieux depuis la guerre des incidences de leurs exigences de hausses de salaire, dès lors que la compétitivité des exportations allemandes pouvaient être mises en cause. Il suffit de citer à cet égard des dirigeants syndicaux tels que Hans Bœchler, Rosenberg et même O. Brenner. Pendant de nombreuses années, les discussions entre syndicats de salariés et entrepreneurs ont pris pour référence les statistiques de prix plutôt que les statistiques de productivité. D'ailleurs, un renforcement des capacités d'exportation de l'Allemagne était dans la logique de la recherche du plein emploi : l'augmentation des exportations, par le jeu du multiplicateur du commerce extérieur contribuait à l'augmentation parallèle du revenu national et de l'emploi. b) A s'en tenir au plan de l'analyse statistique, de 1950 à 1960, 46. H. C. Wallich, op. cit., chap. xn, p. 332-334. Cf. l'étude citée de J.-P. Mockers menée selon une méthode d'analyse structurale, qui vise « à faire apparaître la logique à laquelle obéissent les comportements et la logique à laquelle obéissent les flux » (op. cit., p. 36).
72
Excédents
externes
les salaires ont augmenté en moyenne moins rapidement que les recettes provenant de l'accroissement simultané de la productivité et des prix. Pour l'ensemble de la période, les revenus des salariés ont pris du retard par rapport aux recettes des entreprises, telles qu'elles résultent de l'augmentation de la productivité et de la hausse des prix. Beaucoup d'analystes des problèmes allemands adoptent implicitement le modèle développé par G. Bombach 47 , qui présente les conditions dans lesquelles on parviendrait à assurer une expansion dans la stabilité des prix, malgré un déséquilibre permanent entre l'investissement et l'épargne. Ceci apparaît essentiellement possible en raison de la détermination plus ou moins autonome des salaires. En effet, si la hausse des salaires est moins que proportionnelle à l'accroissement de la productivité, la demande potentielle ne doit pas susciter des mouvements inflationnistes de prix. Ce raisonnement ne peut être adopté sans restriction pour expliquer la compétitivité-prix des exportations allemandes. Certes en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, de 1950 à 1960, le salaire horaire moyen a été plutôt en avance sur les gains de productivité et ces pays ont dû incorporer dans leurs prix à l'exportation une part correspondante de l'accroissement de leurs coûts de main-d'œuvre 48. Les analyses plus précises de G. Hosmalin, qui confronte en particulier un indice du revenu brut réel du travail par salarié occupé et un indice de productivité globale, mettent en évidence deux sous-périodes : de 1950 à 1956, la courbe passe au-dessous de la courbe de productivité. A partir de 1956, de « dominé », le facteur salaire est devenu également en Allemagne de plus en plus « dominant » 49 . Pour reprendre les distinctions de J.-P. Daloz 50 , on peut admettre qu'au cours de la « période classique » de l'histoire économique d'après-guerre de l'Allemagne, l'offre a créé et précédé la demande, les entrepreneurs réalisant des investissements de caractère autonome en raison de fortes capacités d'autofinancement. Il est évident que les capacités d'exportation ont augmenté en fonction directe de l'ampleur de l'accumulation de capital que permettaient une main-d'œuvre abondante, de bas salaires et des bénéfices élevés. Cette situation évolua ; à partir de 1955-1956, la « rareté de la main-d'œuvre permit aux travailleurs de contester le partage réalisé 47. « Preisstabilitât, wirtschaftliches Wachstum und Einkommenverteilung ». Schw. Zeitschrift fur Volkswirt. und Stat., 1959, p. 1 et sq. 48. I.M.F. Staff Papers, t. IX, 1962, p. 101. 49. G. Hosmalin, « Le Rôle des salaires dans l'évolution de l'économie allemande », Revue Economique, mai 1962, p. 426. 50. L'Industrialisation et la formation de capital : l'industrie allemande de 1948 à 1962, Paris, Cujas, 1968.
73
Evaluation statistique
jusque-là ». C'est la période « néo-classique », dont la fin peut être placée en 1961, année de la réévaluation. Sans doute, en anticipant, on peut même dire que la réévaluation accéléra le passage d'une « économie de production » à une « économie de consommation ». Mentionnons enfin qu'un taux relativement faible d'accroissement des salaires, au-delà de son incidence sur la composante du coût des produits, devrait être encore pris en considération dans le cadre d'un autre type de séquence logique qui établirait une relation entre la répartition du revenu et l'équilibre de la balance des paiements. Ainsi R. Mundell a soutenu qu'un accroissement de la part des salaires entraîne une détérioration de la balance des paiements. Cette affirmation demanderait à être analysée avec précision, mais il est remarquable, comme le signale Kindelberger51, que la part des salaires dans le revenu national soit passée, en Allemagne, de 59,1 % en 1950 à 60,9 % en 1960, mais qu'elle se soit élevée à 64,8 % en 1963.
Tableau 15 SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ D A N S L'INDUSTRIE D E L'ALLEMAGNE FÉDÉRALE (CONSTRUCTION ET ÉNERGIES EXCLUES) (1950
=
Productivité
Taux de salaire par produit
116
108
107
119
131
118
111
117
Années
Salaires
1951 1953
Prix
1955
143
132
109
118
1957
161
137
118
124
1959
181
150
121
123
1960
200
160
125
125
Source : M. Beaud, op. cit., p. 196.
51. Loc. cit., p. 237.
100)
CHAPITRE II
EXCÉDENTS EXTERNES ET INFLATION IMPORTÉE
SECTION I. LA NOTION D'INFLATION IMPORTÉE
De 1950 à 1960, l'augmentation tout à fait ininterrompue des excédents de la balance des paiements, si l'on en exclut les transactions spéciales (cf. tableau 8), a été accompagnée d'une hausse également continue, mais assez modérée des prix Comme nous l'avons vu au précédent chapitre, chez la plupart des pays industriels occidentaux, ce mouvement de hausse des prix a été plus accusé, d'où l'idée s'est peu à peu imposée, plutôt chez les praticiens que chez les théoriciens, d'une économie allemande « îlot de stabilité » au milieu d'un environnement inflationniste, en butte aux pressions internationales à la hausse des prix. Pour qualifier les incidences d'une telle situation, on utilise couramment le terme « d'inflation importée ». Le terme n'avait guère été précédemment employé par les économistes anglo-saxons que pour qualifier la situation spécifique de la livre au moment de la guerre de Corée®. En effet, matières premières et produits agricoles représentant l'essentiel des importations britanniques, la hausse des prix de ces produits sur le marché international provoqua une forte augmentation de la valeur unitaire des importations, qui suscita une hausse des prix domestiques et des salaires. De juillet 1950 à juin 1951, l'indice des prix à l'importation augmenta de plus de 40 % ; jusqu'à décembre 1950, la hausse des prix de gros fut parallèle, puis se ralentit. Les prix à l'exportation augmentèrent à leur tour avec beaucoup de 1. Cf. tableau 9 et 10, p. 4 2 et 44. 2. Th. Wilson, Inflation, Oxford, 1961, p. 107. Les articles de Hinschaw et Hirschmann dans The Quarterly Journal of Economies (1950 et 1951) se rapportent à cette situation, ainsi que l'analyse plus récente de L. A . Dicks-Mireaux, « The Interrelationship between Cost and Prices Changes. 1949-1959 », Oxford
Economie Papers, 1961, p. 267.
L'inflation
importée
75
retard jusqu'à la fin de 1951, époque à laquelle les trois indices se rejoignirent à un niveau de 30 % supérieur à celui de juillet 1950 s . Dépassant cette notion étroite, les économistes allemands entendent actuellement par inflation importée un processus de hausse du niveau des prix domestiques engendrée par une hausse des prix à l'étranger *. Notons tout de suite que se référer à la situation excédentaire des flux externes comme facteur causal spécifique de l'inflation importée, comme la plupart des économistes allemands le font à la suite de W. Röpke, a le désavantage d'exclure une analyse plus générale qui pourrait rendre aussi bien compte de la situation de la GrandeBretagne en 1950-1951 que celle de l'Allemagne depuis 1957 5 . C'est en quelque sorte entendre par inflation importée une hausse des prix nationaux provoquée par une inflation à l'étranger. Dans une telle perspective, le risque est grand de suivre un raisonnement qui soit de façon implicite étroitement quantitativiste dans la mesure où il assimile inflation importée et afflux de devises, en reliant directement la hausse des prix à l'accroissement de la quantité de monnaie disponible qui résulte de l'afflux de devises. En le réduisant à l'essentiel, on a la séquence logique suivante : étant donné une situation de stabilité interne des prix dans le pays A, si le niveau des prix s'élève dans le groupe de pays B, les importations de A diminueront et celles de B augmenteront. A la faveur de ce mouvement en sens inverse des flux commerciaux 6, le pays A doit forcément enregistrer un excédent de la 3. G. W. Maynard, « Import Prices and Inflation : the Expérience of U.K. 1950-1952 », Oxford Economic Papers, p. 248. 4. Cf. H. Jenkis, Die importierte Inflation, Meisenheim/Glan, Verlag A. Hain, 1966 ; Uwe Westphal, Die importierte Inflation beim festem und flexiblem Wechselkurs, Tübingen, 1968 ; P. M. Boarman, op. cit. Au plan de l'histoire des théories économiques, il paraît bien que Ricardo faisait déjà une théorie d'un certain type d'inflation importée, lorsqu'il analysait la relation entre l'accroissement de la quantité de monnaie et la hausse des prix dans un pays A d'une part, et l'afflux d'or qui en résultait dans le pays B, où il exerçait une action inflationniste (cf. Gide et Rist, Histoires des doctrines économiques, Paris, Sirey, 1947, p. 183). 5. La théorie, ou plutôt l'esquisse de théorie de l'inflation importée suscitée par un « effet direct de prix » élaborée par Stützel pour démontrer que la hausse des prix domestique n'est pas entretenue par les excédents de la balance des paiements, nous semble s'appliquer beaucoup plus au cas britannique. Selon Stützel en effet ce type d'inflation résulterait du renchérissement des importations et du désir d'obtenir des profits plus élevés sur les marchés étrangers. La transmission des hausses de prix résulterait de la tendance à l'égalisation des prix en économie de marché ; nous évoquerons donc cette théorie dans la dernière section de ce chapitre, consacrée à la transmission de l'inflation importée. 6. L'inflation d'un pays tend « à rendre favorable la balance commerciale du reste du monde », amenant ainsi indirectement une augmentation de la
76
Excédents externes
balance des paiements et de la balance en devises, qui a normalement pour contrepartie un accroissement de la quantité de monnaie disponible. Ce dernier suffit, à lui seul, pour les quantitativistes au sens étroit du terme, à engendrer un mouvement de hausse des prix. Parmi les économistes les plus connus à avoir suivi un tel raisonnement, citons Röpke, L. A. Hahn et P. M. Boarman 7 . Tous sont d'accord pour conclure de leurs analyses que lutter contre l'inflation importée par une politique de déflation n'a d'autre effet que d'entretenir les éléments mêmes qui sont à la base du processus d'inflation importée 8. En fait, la relation entre hausse des prix, même modérée, et excédents externes paraît incontestable en Allemagne : on peut en rendre compte à partir d'une analyse macro-économique au niveau des flux économiques généraux (malheureusement, il ne serait point possible de l'étayer par les données de la comptabilité nationale) ou d'une analyse menée en termes de quantité de monnaie. Nous ferons état de l'une et de l'autre, du fait qu'elles nous paraissent complémentaires, quitte ensuite à nous efforcer de préciser le mode de transmission de l'inflation importée, de façon à expliquer la relation même entre un gonflement des liquidités lié aux flux externes et une hausse du niveau des prix domestiques, relation qui est la seule à pouvoir justifier le terme d'inflation « importée ». Nous ne voulons pas évoquer par contre le problème de la relation entre quantité de monnaie et niveau général des prix, celui-ci étant d'ailleurs à l'heure actuelle posé le plus souvent dans une autre perspective, en vue de déterminer les conditions monétaires d'une croissance équilibrée 9. Nous nous en tenons à l'acquis de la théorie post-keynésienne qui établit seulement une relation causale indirecte entre les variations de la quantité de monnaie et celles des prix absolus des biens : niveau de la demande effective et élasticité, prix de l'offre de biens et de services déterminant les variations du niveau général des prix. « La théorie économique contemporaine possède grâce à Keynes une concepdemande effective (M. Flamant, Théorie de l'inflation et politiques anti-inflationnistes, Paris, Dalloz, 1952, p. 140). 7. W. Röpke, « Das Dilemma der importierten Inflation », in W. Röpke gegen die Brandung, éd. par A. Hunold, Zürich, 1959, p. 295 ; L. A. Hahn, Autonome Konjunkturpolitik und Wechselkursstabilität, Francfort-sur-le-Main, 1957, p. 11 et sq.; P. Boarman, op. cit., p. 47 et sq. 8. C'est au terme d'un raisonnement quelque peu analogue que les économistes américains (Bernstein, Haberler, Machlup) en viennent à conseiller à l'Allemagne d'admettre un certain degré d'inflation. Cf. infra, chap. m, section III. 9. E. M. Classen, Monnaie, revenu national et prix, Paris, Dunod, 1968, p. 3.
L'inflation
importée
77
tion très claire du processus qui engendre l'inflation dans le cas où un fait quelconque augmente la demande globale sans que la production soit en même temps augmentée10. »
SECTION II. L'ANALYSE MACRO-ÉCONOMIQUE DE L'INFLATION IMPORTÉE
Etant admis que l'inflation est une hausse du niveau général des prix qui résulte d'un excès durable de la demande globale sur l'offre globale, on peut isoler en termes globaux la demande supplémentaire suscitée par des excédents de la balance commerciale Partons de l'égalité : (1) Y = Cd + Id + X Tous les symboles correspondent à des grandeurs globales ex ante pour la période t, évaluées sur les prix de la période t — I. Soit Q le produit disponible pour le marché national et M les biens importés de l'étranger. (2) Q = Cd + Id + M On en déduit la différence entre le revenu national et le produit disponible : (3) Y — Q = X — M Ainsi les excédents commerciaux correspondent à un excédent de revenu sur le produit disponible. Cet excédent de revenu aura un effet plus ou moins inflationniste à la période t selon qu'il sera plus ou moins épargné. Si cet excédent a pour contrepartie une formation égale d'épargne, l'effet inflationniste est entièrement neutralisé. Si l'on tient compte de l'investissement domestique Id, pour que l'écart inflationniste soit comblé, il faut obtenir l'égalité suivante : (4) S = Ii + (X — M) C'est ce que rappelle également M. Beaud 12 en se référant à la pro10. H. Denis, « Inflation par les coûts et structures économiques », Revue Economique, janvier 1962, p. 10. 11. Cf. K. Häuser, « Das Inflationelement in den Exportüberschüssen des Bundesrepublik Deutschland », Weltwirtschaftliches Archiv, t. LXXXIII, p. 166187, et Ch. Böcker, Die « importierte Inflation » und ihre Ursachen unter besonderer Berücksichtigung des Beispiels West-Deutschlands, thèse, Fribourgen-Brisgau, 1960, p. 57 et sq. 12. Op. cit., p. 169.
78
Excédents
externes
blématique de la croissance plutôt qu'à celle de l'inflation : « La croissance rapide nécessite une forte épargne et la réalisation d'un excédent extérieur exige une épargne supplémentaire... La réalisation d'un excédent appréciable à l'égard du reste du monde nécessite que le niveau d'épargne réalisé soit supérieur au niveau de l'investissement d'un montant égal à l'excédent extérieur. » Häuser 13 distingue dans l'épargne envisagée pour la période t, soit S = Y — C, deux parties distinctes : Sd, l'épargne réalisée en valeurs nationales, et Sx, l'épargne réalisée en valeurs étrangères : (5) S = Sd + Sx Pour isoler l'effet inflationniste propre aux excédents externes, Häuser suppose que l'épargne domestique est égale à l'investissement domestique, soit : (6) I = Si Dès lors, pour que les conséquences inflationnistes des excédents commerciaux soient neutralisés, il suffit que nous ayons l'égalité : (7) Sd — Id = (X — M) — Sx En d'autres termes les excédents de la balance des paiements courants n'ont pas d'effet inflationniste, s'ils sont compensés par des exportations de capitaux d'un niveau égal. Notons qu'en définitive cette présentation à partir de la théorie de la détermination globale du revenu demeure dans l'optique quantitative. Selon les termes de Häuser, « la mesure finale de l'écart inflationniste, qui a pour origine les excédents de la balance des paiements courants, dépend de la proportion dans laquelle une partie des afflux de fonds aux incidences inflationnistes est réexportée à l'étranger ». Cette analyse macro-économique est d'un intérêt certain pour l'analyse de la situation allemande, mais elle se heurte à plusieurs limitations pratiques. Les comptes nationaux ne distinguent pas les types d'épargne qui réduisent effectivement le revenu disponible et ceux qui n'épongent que les liquidités du système bancaire du pays, dont la balance des paiements courants est excédentaire. L'effet premier d'un excédent de la balance des paiements courants est d'accroître le revenu disponible : les facteurs de production, qui sont intervenus dans le processus de production des biens exportés ou qui ont assuré des prestations de service en faveur de l'étranger, doivent recevoir une rémunération correspondante. 13. Ibid.,
p. 168
L'injlation
importée
79
Le multiplicateur du commerce extérieur rend compte de l'effet théorique de revenu additionnel pour l'ensemble de l'économie. D'ailleurs pour compenser cet effet de multiplication du revenu, des exportations supplémentaires de capital doivent intervenir pour susciter un effet de contraction égal du revenu ; théoriquement en tenant compte de l'effet inverse du multiplicateur, il est possible d'évaluer le supplément de capital qui doit être ainsi exporté. De plus dans la mesure où les exportations de capitaux à court ou long terme sont financées sur les réserves excédentaires entretenues par les banques, elles ne provoqueront pas forcément une contraction du revenu disponible. Dans le cadre de la comptabilité nationale pourtant, ce type d'épargne contribue à équilibrer les comptes globaux tout autant que les opérations d'épargne qui épongent effectivement une partie du revenu disponible. Le problème est donc de disposer de comptes de financement assez précis pour saisir les différents modes de financement des excédents de la balance des paiements courants : prêts à long terme, investissements directs, accumulation d'or et de devises. Seule la connaissance de ces différentes modalités de financement pourrait permettre d'évaluer l'effet inflationniste des excédents de la balance des paiements courants.
SECTION
III.
PAR
L'ACCROISSEMENT
L'ACCUMULATION
DES
LIQUIDITÉS
D'EXCÉDENTS
PROVOQUÉ
EXTERNES
Si nous admettons la présentation macro-économique de l'inflation importée, nous pouvons dans un second temps nous efforcer de calculer quel a été le volume de liquidité supplémentaire, présumé de nature inflationniste, que l'ensemble de l'économie a obtenu dans le cadre de ses échanges externes. A dessein nous ne reprenons pas l'expression que Häuser emploie à ce propos, « le volume d'inflation », car c'est déjà là admettre que toute création monétaire d'origine externe est de nature inflationniste, ce qui est faux aussi bien dans les faits qu'en théorie. Nous préférons nous référer aux études statisques de H. Jenkis 14 qui sont plus rigoureuses, moins inspirées par le souci d'étayer une thèse que celles de Stützel et Häuser lui-même.
14. Op. cit., p. 30 et sq.
80
Excédents
externes
A. La notion de création monétaire d'origine externe On peut distinguer une notion étroite et une notion large de la création monétaire d'origine externe. à) La notion étroite : solde de la balance des biens et des services + ou — les exportations de capitaux à long terme et dons = volume de l'accroissement à long terme de la masse monétaire d'origine externe. b) Notion large : volume de l'accroissement à long terme de la masse monétaire + ou — solde net des mouvements de capitaux à court terme = volume de l'accroissement à long et court termes de la masse monétaire, d'origine externe. La notion large a l'intérêt de comprendre non seulement les éléments « normaux » de la création monétaire d'origine externe, mais également ceux de caractère spéculatif (hot money, dépôts en attente de réévaluation...). Ces capitaux à court terme ont d'autant plus d'importance que les chiffres, qui apparaissent dans les statistiques de la balance des paiements, représentent des soldes nets de mouvements divers dans un sens ou dans l'autre au cours d'une même année. La notion large permet aussi de tenir compte du poste « erreurs et omissions », dont les variations traduisent indirectement l'évolution des termes de paiements, qui a pris souvent une grande signification en Allemagne au cours de la dernière décennie Si l'on retient donc la notion large, en mettant en rapport les chiffres ainsi obtenus avec la « formation de capital monétaire auprès des établissements de crédit provenant de sources intérieures » ou « volume de la monnaie active de la Deutsche Bundesbank », on peut évaluer la part de l'accroissement de la quantité de monnaie qui a pour origine des excédents de la balance des paiements 16. B. L'analyse statistique de l'accroissement d'origine externe
de la masse
monétaire
Depuis 1951 la balance des paiements de l'Allemagne de l'Ouest a été pratiquement constamment positive. Il est pourtant préférable de distinguer deux périodes dans la mesure où ce processus externe
15. A. Samuelson, op. cit., p. 190. 16. Cf. Erwin Gros, « Das Geldvolumen im Konjunkturzyklus », Zeitschrift für das gesamte Kreditwesen, n° 4, 1955, p. 7 ; cf. également J. Massot, Les Banques et l'investissement en Allemagne occidentale, Paris, L.G.D.J., 1960, p. 94-101.
81 u-T
m
0 ON
r»"
+
ON >0 ON 00 «-> ON
Pi
n ri
+
s
+ +
+ r; ri
1 00
1 NO Tf rn O
1 (N en
1 00^ «H
+ 1 en 00 m y-*
>0
+ +
+
+
7—1
+
1 NO 0"
«n VI 0"
1
+
+
+ +
+
00
ON O
0" +
r-î +
ON en 1-H 0
00 1-H
T-H O
n -H" 0"
1
+ +
+
rn 0
t-ri +
M rf +
1952
+
ON rn
•sr +
+ 1
+
1 O