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French Pages 760 [764] Year 2018
Droit international privé
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Sandrine Clavel
5e édition
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Droit international privé
sous la direction de n
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HyperCours Dalloz
Dominique Chagnollaud de Sabouret Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
n
Serge Guinchard
Professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
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Droit international privé n
5 e édition 2018
n
Sandrine Clavel
Professeur à l'Université de Versailles Saint-Quentin (Paris Saclay), Doyen honoraire de la Faculté de droit et science politique, et membre du Laboratoire de droit des affaires et nouvelles technologies (DANTE)
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Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des GrandsAugustins, 75006 Paris).
Éditions DALLOZ 31-35 rue Froidevaux, 75685 Paris Cedex 14
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes de l’article L. 122-5, 2o et 3o a), d’une part, que les copies ou reproductions « strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, tout comme le fait de la stocker ou de la transmettre sur quelque support que ce soit, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée pénalement par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
© ÉDITIONS DALLOZ - 2018
ISBN 978-2-247-17835-3 CAMPUS 978-2-247-18154-4
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n un seul ouvrage, l'HyperCours de Droit international privé met à la portée des étudiants des moyens d'acquisition, de révision et d'entraînement performants. Il fournit en effet les connaissances théoriques indispensables, et propose les références, exemples, exercices et thèmes de réflexion qui permettent d'appréhender correctement la mise en application de ces connaissances. • Le cours, complet est décomposé en chapitres thématiques correspondant aux séances de travaux dirigés. La structure de chacun d'eux est annoncée, en début de chapitre, par un plan analytique. – Parallèlement au cours, sur la même page, l'ensemble du texte est découpé en blocs d'idées homogènes, selon une numérotation située dans la marge. Cette numérotation permet d'accéder à des définitions ou à des idées connexes (v. ss rubrique « Quid »). – Des mots ou expressions-clés sont signalés par la lettre « Q » en exposant. S'ils ne sont pas définis dans le cours même, il faut se reporter là encore à la rubrique « Quid » pour en connaître la signification précise. • Des rubriques pédagogiques (pages signalées par un bandeau de couleur) complètent le cours de chaque chapitre. Elles ont une double fonction : mieux faire comprendre et assimiler le cours, mais aussi préparer efficacement les étudiants aux épreuves des travaux dirigés, examens et concours. – La rubrique « Mémo » permet de synthétiser rapidement l'ensemble d'un cours. – La rubrique « Quid » permet de disposer immédiatement de définitions extensives des mots-clés du cours (signalés dans le cours par la lettre « Q » — pour « Quid » — en exposant). À chaque mot-clé est accolé un ou des numéro(s) correspondant au découpage signalé en marge dans le cours afin de les repérer plus rapidement, le tout à la façon des liens hypertextes. Parfois cependant, les numéros ne renvoient pas à un mot ou à une expression mais à des idées connexes. – La rubrique « Documents » offre une très large gamme de textes de référence. – La rubrique « Biblio » donne accès à une bibliographie sélective spécifique du chapitre. – La rubrique « Quiz » regroupe des tests corrigés (connaissances, compréhension) et sujets corrigés d'entraînement (commentaires d'arrêts, cas pratiques, dissertations). Pour ces derniers, elle comprend parfois une approche méthodologique. • Présentant une synthèse de la matière, des éléments de pratique et de documentation viennent à la suite du cours et des compléments pédagogiques. – Le sujet terminal propose un sujet d'examen corrigé correspondant à une épreuve type donnée en fin de semestre ou d'année et faisant appel à l'ensemble des connaissances acquises. – La bibliographie générale présente les ouvrages essentiels de la matière. • Pour s'orienter à l'intérieur de l'ouvrage, situés à la fin du manuel : – L'index alphabétique des termes utilisés prend pour repères les blocs d'idées homogènes numérotés en marge du cours et permet de trouver une notion rapidement. – La table des matières permet d'accéder facilement au cours et à sa structure. – La table des compléments pédagogiques signale les « rubriques pédagogiques ». – La table des Quiz répertorie les sujets corrigés par genre (tests de connaissances ou de compréhension, dissertations, commentaires d'arrêts, cas pratiques).
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Principales abréviations AFDI aff. al. Archives Phil. dr. art. Ass. plén. Bull. civ. C. civ. C. com. C. pr. civ. c/ CCE CEDH cep. CESEDA cf. Ch. mixte Ch. réun. chron. CIJ Circ. Civ. CJCE CJUE CMF Com. Comp. Concl. Conv. Conv. EDH Crim. D. Décis. Décr. Defrénois DH Dir. DP
Annuaire français de droit international affaire alinéa Archives de la Philosophie du droit article Cour de cassation, assemblée plénière Bulletin des arrêts de la Cour de cassation Code civil Code de commerce Code de procédure civile contre Communication Commerce électronique Cour européenne des droits de l'homme cependant Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile confer Cour de cassation, chambre mixte Cour de cassation, chambres réunies chronique Cour internationale de justice circulaire Cour de cassation, chambre civile Cour de justice des Communautés européennes Cour de justice de l'Union européenne Conseil des marchés financiers Cour de cassation, chambre commerciale comparer conclusion convention Convention européenne des droits de l'homme Cour de cassation, chambre criminelle Dalloz-Sirey ou Dalloz (Recueil) décision décret Répertoire du notariat Defrénois Dalloz hebdomadaire directive Dalloz périodique
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Droit international privé
J.-Cl. Int. JCP JDI JO L. obs. pan. préc. Procédures RDC Rec. cours La Haye Règl. Rev. arb. Rev. crit. DIP RG proc. RTD eur. S. s. somm. ss TFUE Trav. Com. fr. DIP v.
également Revue Europe exemple Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, par B. Ancel, Y. Lequette, 5 e éd., Dalloz, 2006 Juris-Classeur de droit international JurisClasseur périodique (E, éd. Entreprise ; N, éd. Notariale) Journal du droit international (Clunet) Journal officiel de la République française loi observation panorama précité Revue Procédures Revue des contrats Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye règlement Revue de l'arbitrage Revue critique de droit international privé Revue générale des procédures Revue trimestrielle de droit européen Sirey (Recueil) et suivants sommaire sous Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne Travaux du Comité français de droit international privé voir
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égal. Europe ex. GADIP
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Principales locutions latines Ad probationem Ad validitatem Auctor regit actum Culpa in contrahendo De plano Electio juris Forum actoris Forum arresti Forum more conveniens
Forum necessitatis Forum non conveniens
Actes jure imperii Actes jure gestionis Jure sanguinis Jure soli Jus cogens
Lege causae Lege fori Lege rei sitae Lex auctoris Lex causae Lex concursus Lex contractus Lex fori
À des fins de preuve Pour la validité (formalités requises -) La loi de l'État ayant institué une autorité publique régit les actes de cette autorité Faute précontractuelle De plein droit Choix de loi Tribunal du domicile du demandeur Tribunal du lieu de la saisie Litt. tribunal plus adéquat ; désigne la faculté reconnue à certaines juridictions, en particulier par le droit communautaire, de décliner leur compétence aux motifs qu'une autre juridiction est mieux placée pour statuer For de nécessité, c'est‑à-dire la juridiction dont la compétence internationale est retenue pour éviter un déni de justice Litt. tribunal non adéquat ; désigne la faculté reconnue à certaines juridictions, en particulier dans les pays de common law, de décliner leur compétence aux motifs qu'elles ne sont pas les mieux placées pour statuer Actes de souveraineté Actes de gestion Selon le droit du sang (nationalité fondée sur la filiation) Selon le droit du sol (nationalité fondée sur la naissance sur le territoire) Droit international public impératif, en ce sens qu'il est absolument indérogeable (alors que les États peuvent usuellement convenir, par traités, de déroger aux règles définissant les limites de leurs souverainetés) Selon la loi de la cause (c'est‑à-dire la loi applicable à la question de droit sur désignation de la règle de conflit) Selon la loi du for, c'est‑à-dire du tribunal saisi Selon la loi du lieu de situation de la chose Loi de l'État ayant institué une autorité publique Loi de la cause (c'est‑à-dire la loi applicable à la question de droit sur désignation de la règle de conflit) Loi du concours, c'est‑à-dire de la faillite Loi du contrat (expression employée pour désigner la loi qui régit à titre principal le contrat au fond) Loi du for, c'est‑à-dire du tribunal saisi
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Droit international privé
Lex loci protectionis
Lex mercatoria Lex rei sitae Lex societatis Locus regit actum Pacta sunt servanda Professio juris Ratione loci Rationae personae Rationae materiae Soft law Societas mercatorum Solo consensu Specialia generalibus derogant Summa divisio Ut singuli In favorem
Loi du lieu de conclusion de l'acte juridique Loi du lieu de réalisation du quasi-contrat Loi du lieu de célébration (d'un mariage, en général) Loi du lieu du dommage Loi du lieu du délit (le délit s'entendant aussi bien du fait générateur que du dommage) Loi du lieu de protection (expression employée pour désigner la loi du pays pour lequel la protection d’un droit de propriété intellectuelle est revendiquée) Loi des marchands Loi du lieu de situation de la chose Loi qui régit la société L'acte juridique est régi par la loi du lieu de sa conclusion (s'applique aujourd'hui à la forme des actes juridiques, pas au fond) Les conventions obligent ceux qui les ont conclues (force obligatoire des contrats) Droit reconnu au défunt de désigner, de son vivant, la loi qui régira sa succession En fonction de la localisation (de la situation, du litige) En fonction des personnes concernées (par la situation, le litige) En fonction de la matière en cause Droit mou ou souple ; s'applique aux normes dont l'application ou la nonapplication ne fait l'objet d'aucune sanction juridique La société des marchands Selon le seul consentement (transfert de propriété) Les règles spéciales dérogent aux règles générales Division axiomatique ou principale Pris individuellement En faveur
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Lex loci actus Lex loci quasi-contractus Lex loci celebrationis Lex loci damni Lex loci delicti
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Plan général de l'ouvrage PARTIE
1
THÉORIE GÉNÉRALE DU CONFLIT DE LOIS 1
chapitre
La méthode conflictuelle Compléments pédagogiques
2
chapitre
7 69
Les méthodes concurrentes Compléments pédagogiques
3
chapitre
5
97 129
L'application de la loi étrangère
147
Compléments pédagogiques
172
PARTIE
2
THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE JURIDICTIONS chapitre
4
189
La compétence internationale des juridictions
191
Compléments pédagogiques
240
chapitre
5
Les effets en France des décisions de justice étrangères
269
Compléments pédagogiques
298
chapitre
6
Les règles de procédure propres au contentieux international
313
Compléments pédagogiques
339 XI
Droit international privé
PARTIE
3
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ SPÉCIAL 7
Les personnes physiques Compléments pédagogiques chapitre
8
La famille Compléments pédagogiques chapitre
Les personnes morales Compléments pédagogiques chapitre
Les biens Compléments pédagogiques chapitre
Les actes juridiques Compléments pédagogiques chapitre
Les faits juridiques Compléments pédagogiques
sujets terminaux
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chapitre
351
353 403
425 496
525 551
10
563 580
11
589 630
12
649 677
691
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Introduction
Pour introduire l'étude du droit international privé, M. le professeur Pierre Mayer prend l'exemple d'une histoire de princesse, celle du mariage de la princesse Maria Christina de Bourbon avec le sieur Patino (le rappel de l'affaire Patino ouvre d'ailleurs aujourd'hui encore son « Précis » : P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., Montchrestien, 2014, no 1). Si cette histoire fut loin d'être un conte de fées, les époux ayant pendant près de vingt ans cherché à se séparer en maximisant leurs intérêts financiers respectifs, elle constitue pour les spécialistes de droit international privé un sujet de délectation, tant est remarquable « l'extrême diversité des questions posées ainsi que la qualité des réponses qui leur ont été apportées » (B. Ancel, Y. Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé (ciaprès GADIP), 5e éd., Dalloz, 2006, no 38-39, p. 330). Plus près de nous, l’affaire de la succession de Johnny Hallyday a replacé le droit international privé au cœur de l’actualité « people », fait dont la discipline n’est guère coutumière mais qui nous rappelle qu’elle est bien vivante. Car si le droit international privé est rempli d'histoires de princesses et de gens importants, il concerne aussi tout un chacun. L'accélération des déplacements internationaux des personnes et des échanges de biens transfrontières fait du droit international privé une matière dynamique, riche, nullement réservée à une élite ; elle concerne tout aussi bien l'exportateur dont le chiffre d'affaires se calcule par millions que l'étudiant Erasmus victime d'un accident de la circulation dans son pays d'accueil, le magnat du pétrole décédé lors d'un déplacement professionnel à l'étranger que le couple d'immigrés venu vivre en France. En effet, le droit international privé est la matière qui — par un ensemble de méthodes et de règles juridiques — organise le règlement des relations internationales entre personnes privées. Cette définition synthétique appelle quelques précisions. Le droit international privé s'intéresse tout d'abord aux personnes privées. Il n'appréhende donc pas les relations entre personnes publiques, États ou organisations internationales, qui relèvent du droit international public. Cette approche rationae personae de la matière doit cependant être nuancée. En effet, le droit international privé a vocation à intégrer dans son champ d'action certaines relations mixtes, qui mettent en prise le particulier avec la personne publique, lorsque cette dernière se comporte comme une personne privée. C'est le cas, par exemple, lorsqu'un État conclut un contrat de droit privé avec une personne étrangère, ou encore lorsqu'une organisation internationale embauche un salarié, parce que la personne publique, en concluant ce contrat, accepte de se soumettre au droit privé (en dépit d'éventuels aménagements). On pourrait alors être tenté de préférer, à l'approche rationae personae, une approche fondée sur la nature des rapports de droit appréhendés. Le droit international privé serait le droit qui, indépendamment de la qualité publique
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Droit international privé
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ou privée des personnes impliquées, réglemente les rapports soumis au droit privé. Mais là encore, l'approche est trop réductrice. D'une part, certains rapports qu'il est difficile de qualifier de purement privés sont traditionnellement rattachés au droit international privé, telles la nationalité et la condition des étrangers. D'autre part, il n'est pas rare que l'État intervienne dans les relations purement privées par le biais de règles ou de décisions de droit public (droit fiscal, décisions administratives), voire par le biais de règles de droit privé utilisées à des fins de politique publique (droit de la concurrence). Bref, l'effacement de la dichotomie droit public / droit privé, pour n'être pas propre au droit international privé, s'y retrouve avec une particulière vigueur : droit des relations entre personnes privées, droit des rapports de droit privé… le droit international privé n'est ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre. Le droit international privé n'envisage, ensuite, que les relations internationales qui se nouent entre les personnes. La relation internationale est usuellement conceptualisée comme celle qui se trouve affectée d'un élément d'extranéité, c'est‑à-dire dont tous les éléments constitutifs ne se rattachent pas à un seul et même État, mais à plusieurs ordres juridiques. Ainsi, est internationale la situation d'un couple franco-russe résidant en Ukraine, tout comme la situation d'un couple franco-français résidant en France mais dont le mariage a été célébré en Italie. Ne nous y trompons pas, l'identification de l'internationalité d'une situation, quoiqu'elle soit souvent instinctive, recèle de grandes difficultés, dont on se bornera à ce stade à donner un aperçu en posant deux questions : 1o Une situation est-elle internationale, quoique tous ses éléments constitutifs soient localisés dans un seul et même ordre juridique, pour l'unique raison que celui qui la contemple est lui-même extérieur à cet ordre juridique ? L'hypothèse correspond par exemple au contrat que, bien que tous ses éléments objectifs soient localisés dans un même pays, les parties auraient « internationalisé » en y introduisant une clause attributive de juridiction désignant un juge étranger ; s'agit-il pour le juge saisi d'un contrat international parce que ses éléments constitutifs sont localisés dans un autre ordre juridique que le sien ? Ces questions renvoient à la distinction, proposée par la doctrine, entre internationalité objective et internationalité subjective. 2o Une situation est-elle nécessairement internationale pour la seule raison que l'un de ses éléments constitutifs la rattache à un ordre juridique étranger ? Là encore, le droit des contrats fourni un exemple topique, imaginé par Goldman : le contrat conclu entre un producteur de melons à Cavaillon et un épicier italien dont l'établissement se situerait également à Cavaillon doit-il être considéré comme international à raison de la seule nationalité italienne de l'épicier ? Cette question impose une réflexion sur la relativité des éléments d'extranéité, c'est‑à-dire sur leur pertinence et leur portée en considération de la nature de la situation visée ; la nationalité des parties n'est peut-être pas, s'agissant d'un contrat professionnel, un élément pertinent. L'idée de relativité se retrouve du reste si l'on veut bien considérer que le droit international privé n'est un droit que relativement international. International par l'objet, il ne l'est en effet pas nécessairement par sa source. L'approche historique du droit international privé, que ne dément d'ailleurs pas la vision contemporaine que l'on peut en avoir, enseigne que le droit international privé est un droit de source essentiellement nationale. Chaque État a forgé son propre droit international privé, de sorte qu'il n'y a pas UN droit international privé, mais un droit international privé français, qui diffère substantiellement du droit international privé américain ou sénégalais. Le règlement d'une situation internationale peut donc singulièrement varier selon que l'on adopte le point de vue d'un État ou d'un autre, ou que, dans une
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Introduction
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perspective contentieuse, il soit soumis au juge d'un État ou d'un autre. Cette approche particulariste du droit international privé explique que la matière fasse la part belle aux règles qui régissent la compétence internationale des tribunaux et l'effet des jugements étrangers — lesquelles forment le socle des conflits de juridictions — puisque les modalités de traitement des situations de droit privé dépendront pour une large part des particularités du droit international privé du for, c'est‑à-dire du tribunal saisi. Elle explique aussi qu'il s'avère nécessaire d'adopter un point de vue donné, qui sera pour nous le point de vue français : seul le droit international privé français sera donc envisagé. Néanmoins, même si les sources nationales du droit international privé restent d'importance fondamentale, on observe une tendance actuelle certaine à l'internationalisation, et pour les pays européens à l'européanisation, des sources, qui conduisent à une harmonisation partielle des règles de droit international privé des États. Ces phénomènes, on le verra, contribuent à la profonde mutation que connaît à l'heure actuelle la matière ; matière vivante, le droit international privé n'est pas figé, mais en constante évolution. Le droit international privé, enfin, organise le règlement des relations internationales par un ensemble de méthodes et de règles. « Organiser » signifie « mettre en place les éléments nécessaires » en vue de parvenir à un objectif, ici le règlement des relations privées internationales. C'est l'aspect le plus central de la définition du droit international privé : le droit international privé ne procure pas lui-même les solutions aux questions que posent les situations internationales, mais il se borne à proposer des outils qui permettront d'identifier ces solutions. En effet, il existe fort peu de règles substantielles, de source nationale ou internationale, spécialement forgées pour régir les situations internationales. Le plus souvent, la relation internationale de droit privé sera soumise aux mêmes règles substantielles que celles qui s'appliquent aux relations internes équivalentes ; ainsi la loi française qui régit le divorce ne fait-elle pas de différence selon que le divorce considéré est purement interne, comme impliquant des époux français résidant en France et n'ayant aucun lien d'aucune sorte avec l'étranger, ou qu'il est au contraire international, parce que les époux sont par exemple de nationalité étrangère. Dans les deux cas, la loi française propose exactement les mêmes règles juridiques substantielles. La différence de traitement — car il y a toutefois une différence de traitement — s'opère alors en amont : alors que le divorce purement interne est nécessairement réglé par application de la loi française, le divorce international n'appelle pas systématiquement l'application de la loi française, la demande en serait-elle pourtant portée devant les juridictions françaises. Le droit international privé propose, partant du constat que la relation internationale a des liens avec plusieurs ordres juridiques et qu'aucun n'a a priori plus de titres à régir la situation, de sélectionner l'un des ordres juridiques impliqués, dont la loi substantielle sera appelée à régler la question posée ; ainsi le droit international privé français du divorce indiquera-t‑il si la loi française a bien vocation à régir un divorce international, ou s'il convient au contraire de lui appliquer la loi d'un autre État. En d'autres termes, le droit international privé appréhende un conflit de lois, et entreprend de régler ce conflit en faveur de l'une des lois en présence en forgeant des instruments spécifiques à cet effet. La théorie du conflit de lois est le courant de pensée qui synthétise la présentation de ces instruments destinés à coordonner les systèmes juridiques étatiques. Mais comme en amont, on l'a vu, l'identification de la juridiction compétente peut avoir une incidence majeure sur le règlement du conflit de lois (puisque rappelons-le chaque État définit son propre droit international privé qui sera appliqué par ses propres juridictions), la théorie du conflit de lois se double
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Droit international privé
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nécessairement d'une théorie du conflit de juridictions, qui représente le courant de pensée synthétisant la présentation des instruments destinés à coordonner les systèmes judiciaires étatiques par l'identification des juridictions compétentes pour régler les litiges privés internationaux, et par la détermination de la portée spatiale des décisions ainsi rendues. Théorie du conflit de lois et théorie du conflit de juridictions forment les deux piliers indissociables du droit international privé. Pour être indissociables, ces deux piliers n'en sont pas moins, et ce point est fondamental pour appréhender la matière sous de bons auspices, totalement indépendants. Ce principe d'indépendance des règles régissant les conflits de juridictions et des règles régissant les conflits de lois, souligné par la doctrine qui y voit « le fondement même de la conception du droit international privé » (H. Batiffol, P. Lagarde, Droit international privé, t. II, 7 e éd., LGDJ, 1983, n o 668, p. 446) et rappelé par la jurisprudence (Civ. 1re, 27 oct. 1993, Rev. crit. DIP 1995. 554, note P. Vareilles-Sommières), implique en particulier : 1o que la loi applicable est définie selon des règles différentes de celles qui régissent la compétence internationale des juridictions ; les règles de conflit de lois ont une autre teneur que les règles de conflit de juridictions, et l'observateur doit veiller à éviter l'erreur fréquente qui consiste à les confondre ; 2o qu'en conséquence, le juge français peut être compétent alors que la loi française n'est pas applicable, tandis que l'applicabilité de la loi française ne suffit pas, en général, à justifier la compétence des juridictions françaises ; 3o que la compétence des juridictions françaises n'emporte pas à elle seule l'applicabilité de la loi française. Fort de cette certitude, l'ouvrage présentera successivement la théorie générale du conflit de lois (partie 1) et la théorie générale du conflit de juridictions (partie 2), avant de transcender la dichotomie dans une partie spéciale qui envisagera le traitement des situations internationales de droit privé en considération de leur nature (partie 3).
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Théorie générale du conflit de lois La théorie générale du conflit de lois regroupe l'ensemble des méthodes qui permettent de sélectionner et/ou d'identifier, parmi les règles de droit substantiel posées par les différents ordres juridiques ayant des liens avec une situation internationale donnée, celle qui sera en définitive appelée à régler cette situation. Si l'on considère à titre d'exemple la demande en divorce formée devant les tribunaux français par deux époux franco-colombien, mariés en Argentine et résidant en France, la théorie du conflit des lois doit fournir les clés utiles pour déterminer laquelle, des lois française, argentine ou colombienne, fournira les règles de droit substantiel applicables au divorce.
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La méthode fondatrice du règlement du conflit de lois est la méthode conflictuelle. Cette méthode repose sur le postulat de la vocation concurrente des lois des différents ordres juridiques auxquels se rattache une même situation de droit privé à régir cette situation. Et elle propose de réduire cette concurrence en désignant celle de ces lois dont les dispositions substantielles seront appliquées. Cette désignation s'opère grâce à une règle de droit d'une nature spécifique, la règle de conflit de lois. La méthode conflictuelle fondée sur la règle de conflit de lois, méthode centrale du droit international privé, doit en premier lieu être présentée (chapitre 1).
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L'importance fondamentale de la méthode conflictuelle ne doit cependant pas masquer l'existence de méthodes concurrentes, qu'il est permis de rattacher à la théorie générale du conflit de lois, quoiqu'elles s'éloignent conceptuellement d'un mécanisme de règlement des conflits. Par certains aspects en effet, ces méthodes nient l'existence même du conflit, en reconnaissant la vocation prioritaire d'une règle de droit étatique donnée à régler une situation juridique internationale. Cette vocation prioritaire peut être fondée sur la particulière adéquation de la règle à la situation considérée (méthode des règles matérielles), sur la volonté d'un État d'imposer l'application de sa règle pour des motifs d'intérêt supérieur (méthode des lois de police), ou encore sur le souci de reconnaître des situations d'ores et déjà constituées en application de la règle (méthode de la reconnaissance des situations). Ces méthodes concurrentes, dont la vigueur actuelle conduit à une reconfiguration de la théorie générale du conflit de lois, méritent l'analyse (chapitre 2).
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Enfin, parce que la mise en œuvre des méthodes conflictuelle et concurrentes conduit souvent à la désignation d'une loi étrangère, dont l'altérité confronte le juriste à des difficultés inconnues en droit interne, il faudra s'arrêter sur les enjeux juridiques particuliers de l'application de la loi étrangère (chapitre 3).
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La méthode conflictuelle
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c h a p i t r e
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analytique
section
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La règle de conflit de lois § 1 L'objet de la règle de conflit
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Plan
A. Communauté d'objet : la désignation du droit substantiel applicable B. Variété des configurations
§ 2 Les sources des règles de conflit A. Règles de conflit nationales
B. Règles de conflit supranationales
§ 3 La fonction des règles de conflit A. Les termes du débat : l'approche fonctionnaliste de la règle de conflit B. La fonction régulatrice de la règle de conflit
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Le fonctionnement de la règle de conflit § 1 Détermination de la catégorie pertinente : l'opération de qualification A. Principes de qualification B. Modalités de qualification
§ 2 Sélection de la règle de conflit
A. Application de la règle de conflit du for B. Prise en considération de la règle de conflit étrangère
§ 3 Identification de la loi applicable A. Identification de l'ordre juridique compétent B. Identification des dispositions substantielles applicables
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La force obligatoire de la règle de conflit § 1 L'application d'office de la règle de conflit par le juge A. Obligation relative d'appliquer la règle de conflit B. Tempéraments au régime procédural de la règle de conflit
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§ 2 L'invocation de la loi étrangère par les parties A. Obligation pour le juge d'appliquer la règle de conflit
Compléments pédagogiques
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B. Notion d'« invocation de la loi étrangère »
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La méthode conflictuelle
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Méthode traditionnelle et spécifique du droit international privé, la méthode conflictuelle repose sur un instrument central : la règle de conflit de loisQ. On présentera ce qui caractérise cette règle de conflit (section 1), avant d'en analyser le fonctionnement (section 2) et de s'interroger sur sa force obligatoire (section 3).
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La règle de conflit de lois La règle de conflit de lois se caractérise principalement par son objet (§ 1), qui la distingue fondamentalement des règles de droit substantiel ou matériel. Mais il est également permis de l'appréhender en considération de ses sources (§ 2), voire de façon plus surprenante en considération de sa fonction (§ 3).
§
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1 L'objet de la règle de conflit
Toute règle de conflit de lois poursuit un même objectif : la désignation du droit substantiel applicable (A). Mais au-delà de cette communauté d'objet, les règles de conflit se caractérisent par la variété des configurations qu'elles peuvent présenter (B).
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A. Communauté d'objet : la désignation du droit substantiel applicable Posons l'hypothèse selon laquelle, à raison de l'internationalité de la situation donnée, les règles de droit substantiel de plusieurs États peuvent prétendre résoudre la question de droit posée. La règle de conflit de lois est une règle qui va proposer un critère de choix dont l'application permettra de désigner, parmi ces États, celui dont les règles seront appliquées. La règle de conflit de lois ne s'épanouit donc que dans un contexte spécifique — le conflit —, qu'il faut présenter (1) avant de détailler la façon dont la règle de conflit est mise en œuvre (2).
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1. Contexte : le conflit de lois
Pour qu'une règle de conflit de loisQ s'applique, il importe que plusieurs lois soient en conflit, c'est‑à-dire que plusieurs ordres juridiques soient concernés et aptes à résoudre la question posée.
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Droit international privé
Il est permis, de prime abord, de considérer que plusieurs ordres juridiques sont concernés chaque fois que la situation qui donne naissance à la question de droit est internationale, c'est‑à-dire que ses éléments constitutifs se trouvent localisés dans plusieurs États différents. Ainsi, une succession confronte plusieurs ordres juridiques, donnant naissance à un conflit de lois, lorsqu'un individu de nationalité française, résidant au Danemark, décède en Espagne en laissant des biens mobiliers et immobiliers au Danemark et en France. L'identification des règles substantielles qui régiront la succession impose un choix entre le droit français, le droit danois et le droit espagnol.
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Il peut arriver, toutefois, que sur une question donnée tous les États impliqués aient adopté, spontanément ou par le biais d'une convention internationale unifiant le droit matériel (v. ss 199 s.), des règles substantielles en tous points identiques : la loi de ces États a donc formellement, sur la question considérée, le même contenu. Fautil, dans une telle hypothèse, retenir qu'il existe une situation de conflit de lois appelant la mise en œuvre d'une règle de conflit, ou au contraire estimer qu'il n'existe pas de conflit de lois, qu'aucune sélection de loi applicable n'est donc à opérer et qu'il suffit de mettre directement en œuvre la solution substantielle d'une des lois en cause, généralement celle du for ?
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La doctrine contemporaine a théorisé cette configuration particulière en opposant « faux conflitsQ » et « vrais conflitsQ ». Le « vrai conflit » serait celui qui met en présence des lois de contenus différents revendiquant un même champ d'application, tandis que le « faux conflit » serait celui qui met en présence des lois au contenu analogue ou encore des lois différentes mais revendiquant des champs d'application qui ne se recoupent pas. Seul le vrai conflit devrait donner lieu à la mise en œuvre de la méthode conflictuelle.
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En droit positif, il est exact que l'équivalence des loisQ en concurrence peut ponctuellement neutraliser le conflit de lois. C'est ainsi, par exemple, que la Cour de cassation refuse de censurer les juges du fond qui auraient appliqué la loi française en lieu et place de la loi étrangère compétente, lorsque l'application de la loi étrangère aurait conduit au même résultat que celui atteint par l'application de la loi française (v. ss 157). Mais la portée de cette observation, s'agissant de la positivité de la distinction entre « vrais » et « faux conflits » en droit international privé français, doit être doublement nuancée. D'une part, la découverte de « faux conflits » y fait essentiellement figure de correctif à des dysfonctionnements constatés dans l'application de la méthode conflictuelle ; il est beaucoup plus question de « sauver » a posteriori des solutions auxquelles les juges français sont parvenus en malmenant la méthode conflictuelle, que de constater a priori l'existence d'un faux conflit pour renoncer à mettre en œuvre cette méthode (il existe toutefois au moins un exemple jurisprudentiel dans lequel le juge français a directement appliqué « les Codes civils français et belge », sans trancher le conflit en raison de l'équivalence des lois ; v. Civ. 1re, 13 avr. 1999, Cie Royale Belge ; v. rubrique Documents). Il faut dire que, le contenu de la loi ou des lois étrangères susceptibles d'être appliquées étant rarement connu du juge français ab initio, ce n'est qu'après des recherches approfondies qu'il pourra en apprécier l'équivalence éventuelle. Or il ne mène généralement ces recherches qu'une fois la
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La méthode conflictuelle
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compétence de la loi étrangère vérifiée, c'est‑à-dire après que la méthode conflictuelle a été mise en œuvre. D'autre part, il faut précisément définir ce que recouvre le concept d'« équivalence des lois » générant un « faux conflit », car des lois ayant formellement le même contenu peuvent ne pas être équivalentes. La nuance est illustrée par la célèbre affaire Hocke, tranchée par la Cour de cassation en chambre commerciale le 4 mars 1963 (v. rubrique Documents). M. Hocke avait tiré plusieurs lettres de change, en garantie desquelles M. Schubel avait donné son aval, mais sans préciser l'identité du bénéficiaire de l'aval : celui-ci profitait-il au tireur, ou au tiré ? Telle était la question posée. Deux États étaient impliqués dans la situation, la France et l'Allemagne, toutes deux signataires de la convention de Genève du 7 juin 1930 sur la lettre de change, qui avait unifié leurs législations internes relatives à cet instrument. Formellement donc, le droit allemand et le droit français étaient identiques, et ils contenaient tous deux une même règle substantielle en application de laquelle l'aval était présumé donné pour le tireur. Néanmoins, les systèmes juridiques allemand et français retenaient de cette même règle une interprétation différente, puisqu'en Allemagne la présomption était regardée comme simple, tandis qu'en France la présomption était considérée comme irréfragable. Derrière l'apparente unification, une divergence réelle subsistait. C'est sans doute ce qui explique que la Cour de cassation ait décidé que, en dépit de l'unification formelle, il convenait en l'espèce de mettre en œuvre la règle de conflit de lois désignant le droit allemand comme droit applicable. Les juges français devaient donc appliquer la règle de droit formellement commune aux droits français et allemand, mais assortie de l'interprétation retenue en droit allemand quant à la nature de la présomption. On le voit, l'unification des règles substantielles dans les États impliqués ne supprime pas toujours le conflit de lois. S'il importe que plusieurs ordres juridiques soient concernés par la situation pour qu'il y ait conflit de lois, il faut aussi que tous ces ordres juridiques soient aptes à résoudre la question posée. Cette exigence ne pose pas, en principe, de difficulté, puisque tout ordre juridique étant par définition complet, il comporte nécessairement une réponse à la question posée : si cette réponse n'apparaît pas expressément dans le corpus juridique de l'État considéré, elle peut au moins en être déduite par le biais de l'interprétation des règles existantes. Ce principe connaît toutefois des exceptions. En effet, le droit international public peut priver un ou plusieurs États de compétence relativement à une question donnée, et donc le ou les rendre inapte (s) à répondre à cette question. Ainsi, si la question posée est de savoir si un individu jouit de la nationalité française, il ne peut y avoir conflit de lois, car seul l'État français est habilité par le droit international public à déterminer quels individus peuvent se prévaloir de la qualité de Français. Les règles de droit international public peuvent donc neutraliser le conflit de lois, en donnant une compétence exclusive à un et un seul État. Ces compétences exclusives se déduisent des grands principes du droit international public. Ce droit consacre ainsi une compétence exclusive des États pour s'auto-organiser ; il en découle que, lorsqu'une autorité administrative doit intervenir dans une situation internationale et que l'on s'interroge sur les formes et modalités de son intervention, il ne saurait y avoir conflit de lois car c'est toujours la loi de l'État ayant institué cette autorité — lex auctoris — qui est compétente pour régir les conditions de son intervention, conformément au principe auctor regit actum. Le droit international consacre aussi une compétence exclusive des États pour déterminer les modalités d'imposition fiscale des activités conduites sur leur territoire, les
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Droit international privé
conditions d'attribution de leur nationalité ou encore les conditions du séjour des étrangers. Sur toutes ces questions donc, il n'y a pas de réel conflit de lois.
2. Mise en œuvre Lorsque le conflit de lois existe, la règle de conflit a pour objet de désigner l'ordre juridique dont les règles substantielles seront applicables. La caractéristique de la règle de conflit est donc d'être seulement désignatrice : elle ne résout pas directement les questions de droit posées, comme le fait le droit matériel (par ex. : le vendeur est-il tenu de garantir les vices cachés de la chose vendue ? la règle de conflit n'apporte pas de réponse à cette question), mais permet seulement de sélectionner l'ordre juridique dont les dispositions matérielles seront sollicitées pour résoudre la question (par ex. : la loi française, loi applicable au contrat de vente, est compétente pour déterminer si le vendeur est tenu de garantir les vices cachés de la chose vendue). Pour opérer cette désignation, la règle de conflit doit nécessairement proposer un critère de choix. Mais ce critère dépend de la configuration de la règle de conflit, particulièrement variable.
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B. Variété des configurations 24
Depuis la seconde moitié du XIX e siècle et les travaux de l'incontournable auteur allemand Savigny, la règle de conflit présentée comme « modèle » est la règle de conflit bilatéraleQ, également dite « savignienne » (1). En marge de ce modèle, cependant, des variations se sont dessinées (2), dont l'importance est aujourd'hui soulignée, au point qu'il est permis de se demander si la règle bilatérale peut encore faire figure de modèle.
1. Le « modèle » : la règle de conflit « savignienne » 25
La règle de conflit pensée par Savigny, et théorisée par la doctrine postérieure au titre de la « méthode savignienne », a pour particularité d'être définie en considération de la nature du rapport de droit litigieux ; elle vise à identifier le « centre de gravité » de ce rapport de droit — son « siège » selon l'expression même de Savigny — de façon à le localiser dans un ordre juridique dont la loi sera déclarée applicable. Il s’agit alors de « rattacher » la situation à cet État avec lequel elle a des liens particulièrement forts. Ce rattachement peut être opéré selon deux méthodes principales, dont le droit positif contemporain réalise le plus souvent une hybridation. La première, la plus proche du schéma imaginé par Savigny, repose sur un rattachement fixe ou rigide, opéré en considération d'un élément dont la qualité particulièrement localisatrice au regard de la nature du rapport de droit envisagé est reconnue in abstracto ; on retient ainsi traditionnellement en droit international privé français qu'en matière de successions immobilières, la loi applicable doit être la loi du lieu de situation de l'immeuble ; ou encore, qu'en matière délictuelle la loi applicable est la loi du lieu du délit. Les raisons qui conduisent précisément à retenir un élément de rattachementQ plutôt qu'un autre varient, parce qu'elles dépendent étroitement de la nature du rapport de droit considéré. Mais leur fondement est commun, car elles sont toutes principalement dictées par la prise en considération de l'intérêt privé des parties. Cette approche méthodologique s'appuie en effet sur un postulat central : l'indifférence des législateurs à l'égard de l'application de leurs propres lois de droit privé, qui a pour conséquence qu'en la matière, les États se bornent à « proposer » aux justiciables des règles de droit sans jamais (ou seulement
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exceptionnellement) revendiquer politiquement leur application. Cette indifférence justifie que l'on puisse opter abstraitement pour l'une ou l'autre des lois étatiques en présence, et que cette « répartition » des compétences législatives s'opère sans considération pour la volonté des États, mais dans le seul but d'offrir aux parties la solution la plus adéquate ou opportune. La seconde méthode, théorisée par la doctrine contemporaine sous l'appellation « principe de proximitéQ », repose sur un rattachement souple qui requiert du juge l'identification in concreto de la loi qui présente les liens les plus étroits avec le rapport de droit. Il n'y a donc pas formellement d'élément de rattachement prédéterminé, mais une simple directive offerte au juge. C'est la solution que retient en matière contractuelle la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, selon laquelle en l'absence de choix de loi par les parties, la loi qui régit le contrat est la loi de l'État qui présente les liens les plus étroits avec ce contrat (v. ss 980 s.). Les mérites respectifs de ces deux méthodes ont été analysés. Si le rattachement rigide confère plus de prévisibilité et donc de sécurité juridique aux parties, il risque ponctuellement de conduire à l’application d’une loi qui répond insuffisamment aux exigences de proximité. Le plus souvent, cela n’est pas gênant car la proximité n’est pas une fin en soi. La désignation de l’ordre juridique dont les liens avec la situation sont les plus significatifs est en effet elle-même retenue pour des raisons de prévisibilité, car elle est en général la loi dont les parties et les tiers ont « inconsciemment » prévu l’application. Mais on comprend qu’exceptionnellement, le rattachement puisse désigner une loi qui, n’étant pas celle qui a les liens les plus significatifs avec la situation, ne correspond pas à ces prévisions subliminales des parties ou des tiers. C’est pourquoi le droit positif contemporain, tout particulièrement les règlements européens de droit international privé, adopte le plus souvent une méthode hybride de désignation de la loi applicable : cette loi est normalement désignée par un rattachement rigide, mais celui-ci est tempéré par une clause d’exceptionQ qui autorise le juge, à titre exceptionnel, à évincer la loi désignée par le rattachement pour lui substituer la loi d’un autre État, qui entretient des liens plus étroits avec la situation. Dans tous les cas, la règle de conflit se caractérise par son abstraction car, conçue pour régler les intérêts privés des parties sans intervention d'une quelconque volonté politique des États, elle ne favorise pas l'application d'une loi plutôt qu'une autre. C'est la raison pour laquelle elle est en principe bilatérale en ce qu'elle conduit indifféremment à la désignation de la loi du for ou d'une loi étrangère. Elle est également neutre puisqu'elle ne cherche pas à privilégier une solution substantielle donnée ; elle est donc indifférente à la teneur de la loi applicable.
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Si ce modèle de règle de conflit — bilatérale, abstraite et neutre — traduit encore très largement la réalité du droit international privé contemporain, il ne peut suffire à en exposer tous les aspects, tant sont nombreuses les variations imaginées par la doctrine et le droit positif.
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2. Les variations
Pour présenter de façon complète les variations de la méthode, et les variétés de règles de conflit qui en résultent, il est intéressant de considérer les caractères de la règle de conflit savignienne pour déterminer en quoi certaines configurations actuelles de la règle de conflit s'en distinguent. Bilatérale ? La règle de conflit ne l'est
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a.
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pas toujours : il existe des règles de conflit unilatérales (a) dont l'importance est aujourd'hui mise en exergue par la doctrine. Neutre ? Là encore, on dénombre aisément des règles de conflit dessinées pour favoriser un résultat substantiel donné, dénommées « règles de conflit à coloration matérielle » (b). Abstraite ? Au-delà des règles de conflit à coloration matérielle, dont l'absence de neutralité implique nécessairement une absence d'abstraction puisqu'elles cherchent à privilégier un résultat substantiel donné, plusieurs configurations de la règle de conflit — sans nécessairement viser un résultat substantiel précis — traduisent au moins la volonté de leurs auteurs d'infléchir la désignation de la loi applicable en considération de données substantielles, dont la principale est sans doute le souci de protéger certaines parties faibles (c).
Remise en cause du bilatéralisme : les règles de conflit unilatérales
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L'unilatéralismeQ en droit international privé est un courant de pensée complexe à cerner, car il recouvre sous une appellation unique des réalités différentes. Historiquement, l'approche unilatéraliste est fondatrice, puisqu'elle caractérise ce que l'on pourrait qualifier de droit international privé « archaïque », c'est‑à-dire les méthodes mises en œuvre pour appréhender les situations juridiques « internationales », avant le XII e siècle et l'ébauche d'une doctrine de droit international privé par les statutistes. Jusqu'au XII e siècle en effet, deux principaux systèmes seront successivement mis en œuvre. Le système de la personnalité des loisQ, en vertu duquel chaque individu se voit appliquer la loi de son groupe d'appartenance, puis le système de la territorialité des loisQ, en vertu duquel toutes les personnes situées sur un territoire et toutes les actions réalisées sur ce territoire sont soumises à la loi de ce territoire. Il s'agit dans les deux cas de définir le domaine d'application d'une loi donnée : telle loi s'applique aux personnes appartenant à tel groupe ethnique, telle loi s'applique aux personnes se trouvant dans le ressort du territoire du souverain qui l'a édictée.
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La caractéristique méthodologique de l'unilatéralisme est donc d'affecter à une loi donnée un champ d'application spatial déterminé : il faut partir de la loi (et non du rapport de droit comme dans la méthode bilatérale) pour définir un critère de son application dans l'espace, comme le fait par exemple l'alinéa 3 de l'article 3 du Code civil : « les lois [françaises] concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étrangers ». Le critère de l'application de la loi dans l'espace est ici rigide, défini directement par la volonté du législateur : la loi française, dans ses règles régissant l'état et la capacité, « suit » les nationaux français en quelque lieu qu'ils se trouvent.
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Mais la distinction d'avec la méthode bilatérale n'est pas seulement d'ordre méthodologique. Originellement, elle repose aussi, et peut-être surtout, sur une différence de fondement. Car si le courant de pensée unilatéraliste retient que le domaine d'application des lois dans l'espace doit être ainsi défini, c'est initialement parce qu'il postule que, loin d'être indifférents à l'application de leurs lois, les États entendent définir l'emprise de leur souveraineté en fixant le domaine d'application de leurs lois dans l'espace. Or, le droit international public prescrivant de respecter cette souveraineté, il ne pourrait être envisagé d'appliquer une loi contre la volonté de l'État qui l'a édictée, à des situations qu'il n'a pas entendu viser. Cette analyse du conflit de lois en termes de conflit de souverainetés a été, on l'a vu, remise en cause par Savigny, qui a emporté sur ce point la conviction de la doctrine contemporaine.
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La méthode conflictuelle
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C'est pourquoi la doctrine unilatéraliste contemporaine (Quadri, Gothot) justifie la méthode par des motifs plus sociologiques : la norme étatique n’est pas abstraite, au contraire elle vise un groupe social défini, en considération de ses spécificités (notamment culturelles). Il serait donc légitime que le domaine d’application de la loi épouse les contours du groupe en considération duquel l’État a implicitement légiféré. Mais même ainsi, « l'unilatéralisme est toujours lié à l'idée qu'un État ne doit pas donner compétence à la loi d'un autre État dans un cas où celui-ci ne veut pas qu'elle soit appliquée » (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., n o 119). Or cette approche peut être contestée, ne serait-ce que parce qu'elle crée d'inextricables situations de lacune, ou de cumul : certains rapports de droit peuvent n'avoir été appréhendés par aucun État, ou au contraire par plusieurs États. Ainsi si les règles françaises sur la capacité des personnes prétendent s'appliquer aux Français en quelque lieu qu'ils se trouvent, tandis que les règles anglaises sur la capacité des personnes prétendent s'appliquer à l'ensemble des personnes domiciliées en Angleterre, un Français domicilié en Angleterre verrait sa capacité potentiellement soumise à deux lois différentes, tandis qu'un Anglais domicilié en France ne verrait sa capacité régie ni par le droit français, ni par le droit anglais. La méthode unilatérale est donc en réalité inapte à résoudre le conflit ; elle ne fonctionne qu'en présence de « faux conflits », en l'absence de tout chevauchement des domaines d'application des lois en présence. Ces défauts expliquent sans doute que la méthode conflictuelle unilatéraliste ne constitue pas la méthode de référence, ni même la méthode usuelle, en droit positif. En droit français, les règles de conflit sont essentiellement bilatérales, et les quelques règles de conflit unilatéralesQ posées par les Codes ont souvent été « bilatéralisées » par la jurisprudence. C'est ainsi que l'alinéa 3 de l'article 3 du Code civil précédemment exposé a donné naissance à la règle de conflit selon laquelle « la capacité des personnes est régie par leur loi nationale » (v. ss 638 ; v. aussi la bilatéralisation de l’article L. 210-3 du Code de commerce,v. ss 877 ; mais contra, le refus de bilatéralisation de l’article 309 du Code civil, v. ss 723). De même, le droit international privé européen (v. ss 63 s.) est essentiellement construit sur des règles de conflit bilatérales. Est-ce à dire que l'unilatéralisme doit être rangé dans un tiroir ? Loin de là, la doctrine actuelle souligne à la fois la permanence de l’unilatéralisme en droit international privé, voire son renouveau contemporain.
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Permanence, tout d’abord, car s’ils sont généralement indifférents à l’application de leur propre loi, les États ont parfois un intérêt à l’imposer, ainsi que l'admettait Savigny lui-même. De profondes divergences affectent parfois les politiques étatiques, et se traduisent d'un point de vue normatif. Or si Savigny, et une immense partie de la doctrine après lui, ont pu systématiser la méthode bilatérale, c'est parce que leur raisonnement a été mené sur le postulat d'une communauté de droit entre les États. La notion de « communauté de droit » est centrale dans l'œuvre de Savigny, qui raisonnait dans le contexte des États allemands du XIX e siècle : puisque finalement les lois des États se valent, il n'y a pas grande différence à affirmer que la loi d'un État régira les choses situées sur son territoire (formulation unilatéraliste) ou que les choses sont régies par la loi du lieu de leur situation (formulation bilatéraliste). On retrouve une base de raisonnement proche dans la doctrine des statutsQ, considérée comme la première expression construite d'une doctrine de droit international privé : née au XIII e siècle en Italie et dans le Sud de la France, cette théorie s'exprime par des règles bilatérales, parce qu'elle est fondée sur les principes de droit romain
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alors jugés universels. Quoi qu'il en soit, lorsque la communauté de droit cesse, la tolérance de l'État à l'égard de l'application d'une loi étrangère à des situations qu'il aurait voulu voir régies par sa propre loi cesse également ; à titre d'exemple, l'État français qui a édicté des règles protectrices des consommateurs en France peut être réticent à l'idée que la relation nouée entre un consommateur et un professionnel soit soumise à une loi qui ignore totalement la protection du consommateur, au moins lorsque la situation a certains liens avec la France. Il y a là place pour une forme d'unilatéralisme, puisque les États entreprennent d'imposer l'application de leur loi à des situations données. Mais cet unilatéralisme se traduit moins alors comme une modalité de la méthode conflictuelle, que comme une exception (ainsi l’exception d’ordre public international) ou une dérogation (ainsi les méthodes concurrentes des règles matérielles et des lois de police (v. ss 163 s.) à la méthode conflictuelle bilatérale.
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Renouveau, ensuite, car le droit international privé européen en plein essor (n o 63 s.) semble se construire sur la conciliation du bilatéralisme, « triomphant » dans les actes uniformes de droit international privé, et de l’unilatéralisme, « dominant » dans le droit matériel dérivé (S. Francq, « Unilatéralisme v. bilatéralisme : une opposition ontologique ou un débat dépassé ? Quelques considérations de droit européen sur un couple en crise perpétuelle », in T. Azzi, L. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 49).
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Renouveau, enfin, car l'accent aujourd'hui mis sur les droits fondamentaux de la personne conduit à privilégier une approche dictée par la considération des droits acquis, qui fonde la méthode émergente de la reconnaissance des situations (v. ss 217 s.). Quelle que soit la loi compétente selon la règle de conflit, le fait qu'un droit puisse être revendiqué sur la base de la loi d'un État donné (validité d'un mariage, bénéfice d'un nom de famille) fait naître à la charge des autres États un devoir de « reconnaissance » de ce droit. Cette approche traduit également une forme d'unilatéralisme, puisque le point de vue unilatéralement exprimé par un État sur une situation donnée sera ultérieurement tenu pour acquis dans les autres États.
b.
Remise en cause de la neutralité : les règles de conflit à coloration matérielle
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La neutralitéQ de la règle de conflit bilatérale signifie que celle-ci se désintéresse de la teneur substantielle de la loi qu'elle désigne, et donc du résultat substantiel concret de son application. La règle de conflit bilatérale est une méthode « mécanique », mais son caractère mécanique peut être remis en cause lorsque les circonstances l'exigent. Le droit positif a ainsi développé des règles de conflit qui poursuivent un objectif substantiel prédéfini, généralement désignées sous l'appellation « règles de conflit à coloration ou à finalité matérielleQ ». Il s'agit alors, par la règle de conflit, d'atteindre un résultat précis. Les méthodes pour atteindre ce résultat peuvent varier.
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Tout d'abord, la règle de conflit peut être construite sur la base d'un rattachement alternatif ou cumulatif. On en prendra deux exemples. En matière de filiation, l'article 311-17 du Code civil prévoit que « la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant » ; la règle a nettement pour objectif de favoriser la validité de la reconnaissance volontaire, puisque pour que cette validité soit admise, il suffit qu'elle soit acquise en application de l'une des deux
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lois désignées. En matière contractuelle, l'article 11 du Règlement CE du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») retient que le contrat conclu entre deux personnes qui se trouvent dans un même pays est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi qui régit le contrat au fond, ou de la loi du pays dans lequel il a été conclu. Ici encore, en posant un principe de validité acquis dès lors que l'une des deux lois désignées a été respectée, la règle favorise une solution matérielle donnée, la validité du contrat en la forme. Évidemment, plus le nombre de rattachements alternatifs est important, plus les chances de parvenir au résultat escompté sont importantes. Et en sens inverse, le législateur peut montrer sa défaveur pour une solution substantielle en mettant en œuvre un rattachement cumulatif ; c'est le système qu'a dégagé la jurisprudence, a contrario de l'article 311-17 du Code civil, pour la nullité de la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité : la reconnaissance est nulle seulement si sa nullité est acquise à la fois en application de la loi personnelle de l'auteur, et en application de la loi personnelle de l'enfant. Ainsi s'exprime la faveur pour la validité, et la défaveur pour la nullité, de la reconnaissance volontaire d'enfant. Une autre configuration des règles de conflit à coloration matérielle peut être trouvée dans les règles de conflit en cascadeQ. Les règles de conflit en cascade sont des règles qui posent plusieurs rattachements, lesquels jouent de façon subsidiaire les uns par rapport aux autres. Toutes les règles de conflit en cascade ne sont pas, cependant, des règles à coloration matérielle, car la définition de rattachements subsidiaires peut être dictée, non par la volonté de favoriser un résultat substantiel, mais par le souci de garantir l'identification d'une loi applicable dans les hypothèses où certains rattachements pourraient s'avérer inopérants. Pour illustrer cette différence, il est bon de raisonner sur deux exemples. Le premier, tiré de la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires (aujourd'hui supplantée par un règlement de l'Union européenne), propose une véritable règle de conflit à finalité matérielle. Les articles 4 à 5 de la convention prévoient en effet le système suivant : la loi applicable aux obligations alimentaires est normalement la loi interne de la résidence habituelle du créancier d'aliments ; cependant, « lorsque le créancier ne peut obtenir d'aliments du débiteur » en vertu de la loi ainsi désignée, il convient d'appliquer la loi nationale commune, laquelle devra à son tour être écartée, en faveur de la loi du for, si elle n'alloue pas d'aliments au créancier. L'objectif est clairement défini par les règles : il s'agit de favoriser l'allocation d'aliments au créancier, et à cet effet, d'appliquer les rattachements subsidiaires jusqu'à ce que l'un d'entre eux permette de désigner une loi prévoyant substantiellement cette allocation. Par opposition, la règle de conflit en cascade posée en matière de responsabilité du fait des produits par l'article 5 du règlement CE du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles n'apparaît nullement dictée par des considérations matérielles. La règle prévoit que la loi applicable est la loi du pays dans lequel la personne lésée et celle dont la responsabilité est invoquée ont toutes deux leur résidence ; mais comme il est possible que les deux parties résident dans des pays différents, un premier rattachement subsidiaire est prévu en faveur de la loi du pays de la résidence de la personne lésée, si le produit a été commercialisé dans ce pays ; et comme là encore la coïncidence peut ne pas s'opérer, un second rattachement subsidiaire est institué en faveur de la loi du pays dans lequel le produit a été acheté, si le produit a été commercialisé dans ce pays ; puis, pour la même raison un troisième rattachement subsidiaire en faveur de la loi
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Remise en cause de l'abstraction : les règles de conflit privilégiant l'application d'une loi particulière
Les règles de conflit à coloration matérielle, bien évidemment, ne sont pas abstraites puisqu'elles visent un résultat substantiel prédéterminé. Mais l'abstraction de la règle de conflitQ peut être remise en cause d'une autre manière, et à un autre degré, sans qu'il faille aller jusqu'à prédéterminer le résultat substantiel recherché. Ce cas de figure se rencontre lorsque la règle de conflit est bâtie de façon à privilégier, pour des raisons substantielles, une loi en particulier. Les règles de conflit protectrices d'une partie faible en offrent une bonne illustration. Ces règles entendent en effet, par la sélection de la loi applicable, corriger une asymétrie objectivement constatée entre les parties, mais sans pour autant chercher à garantir l'application de la solution substantiellement la plus favorable à la partie faible. Ainsi, en l'absence de choix par les parties de la loi applicable à un contrat de consommation, il est prévu que la loi appelée à régir ce contrat est la loi de l'État de résidence habituelle du consommateur, là où la mise en œuvre du principe général aurait dû conduire à l'application de la loi du professionnel, débiteur de la prestation caractéristique (sur le détail de ces règles et leur source, v. ss 976 s. et 990). La raison d'être de cette dérogation au principe général repose sur l'idée que la loi de l'État de sa résidence est la loi que le consommateur connaît, et sur les dispositions de laquelle il a donc légitimement pu se reposer ; c'est donc la volonté de garantir une bonne information du consommateur qui dicte le choix de la loi applicable. La règle de conflit n'est pas abstraite ; pour autant, elle n'a pas une réelle coloration matérielle, car elle ne tend pas à appliquer systématiquement la loi qui offre au consommateur le statut le plus protecteur — rien ne garantit en effet que la loi de l'État de résidence du consommateur est plus protectrice des intérêts de celui-ci que ne l'est la loi de l'État de résidence du professionnel. On voit ainsi apparaître une catégorie de règles de conflit, intermédiaire entre la règle de conflit bilatérale et neutre, et la règle de conflit à coloration matérielle. Il s'agit d'une règle de conflit qui, sans chercher à concrétiser un résultat substantiel donné, appréhende un objectif de politique générale pour le traduire dans le mécanisme de désignation de la loi applicable. Ce type de règle de conflit impose de s'interroger sur la fonction des règles de conflit. Mais auparavant, il convient de détailler leurs sources.
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du pays dans lequel le dommage est survenu, si le produit a été commercialisé dans ce pays. La différence entre règles en cascade à finalité matérielle et règles en cascade sans finalité matérielle opère donc au niveau des raisons qui conduisent à faire jouer le rattachement subsidiaire ; dans la règle à coloration matérielle, le rattachement subsidiaire est mis en œuvre là où le rattachement principal n'a pas permis d'atteindre le résultat voulu, tandis que dans la règle sans finalité matérielle, le rattachement subsidiaire n'est prévu que pour le cas où le rattachement principal serait inopérant, c'est‑à-dire serait inapte à jouer son rôle désignateur.
2 Les sources des règles de conflit
Il a été vu en introduction que l'internationalité du droit international privé s'exprime principalement dans son objet : le droit international privé régit les situations de droit privé à caractère international (affectées d'un élément
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d'extranéité), mais il ne s'agit pas, fondamentalement, d'un droit international en ce sens qu'il serait sécrété à un niveau supranational. Le droit international privé n'est pas, par essence, un droit international par la source, de sorte que les règles de conflit trouvent traditionnellement leur source dans les droits nationaux (A). Il n'en reste pas moins que, droit de coordination des systèmes juridiques étatiques, le droit international privé gagne en efficacité lorsque, dans tous les États, s'appliquent des règles de conflit communes. Conscients de ce besoin d'harmonisation des règles de conflit, les États se sont attachés à mettre en œuvre une concertation, qui a conduit à l'adoption de règles de conflit supranationales dont le développement est aujourd'hui considérable (B).
A. Règles de conflit nationales Il peut paraître paradoxal que le droit international privé se soit principalement développé dans un contexte purement national. Cette situation, que la doctrine a théorisée sous le terme de « particularismeQ », correspond pourtant à une réalité (1). L'autonomie des États dans le processus d'édiction de leurs règles de droit international privé se traduit tant dans la variété du contenu de ces règles que dans celle des sources internes dont elles résultent (2).
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1. Le particularisme du droit international privé De très nombreux auteurs, parmi les plus grands (Savigny, Mancini, Pillet) ont milité en faveur d'un véritable universalismeQ du droit international privé. L'universalisme est la théorie selon laquelle le règlement des conflits de lois doit être universel, c'est‑àdire répondre en tous lieux aux mêmes principes de solution. En d'autres termes, tous les États devraient appliquer les mêmes règles de conflit. Les justifications développées au soutien de cet universalisme varient au reste singulièrement d'un auteur à l'autre. Ainsi, pour Savigny, c'est la protection des intérêts légitimes des parties qui doit conduire à leur offrir, en tous lieux, des principes de solutions identiques, tandis que pour Mancini l'argument doit être trouvé dans le respect de la souveraineté des États et pour Pillet dans le respect des règles de droit international public qui constitueraient la source commune de toutes les règles de conflit de droit international privé.
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Pour autant, le réalisme oblige à constater que chaque État a développé de façon autonome son propre système de droit international privé et que, d'un État à l'autre, les règles de conflit diffèrent singulièrement dans leur forme et surtout dans leur contenu. Ainsi, pour l'établissement de la filiation naturelle, la France a-t‑elle édicté une règle de conflit qui prévoit en toute hypothèse l'application de la loi personnelle de la mère, tandis que le droit international privé belge prévoit l'application de la loi du père si la paternité est en cause, de la mère si la maternité est en cause. C'est cette réalité que la doctrine particulariste, sous la plume notamment de Bartin, a cherché à justifier, en faisant valoir que, s'il existe un mode de règlement des conflits de lois propre à chaque État, c'est qu'une étroite corrélation existe entre solutions du droit international privé et solutions du droit interne. Ainsi, les législations matérielles des États étant profondément différentes, il ne peut en aller autrement de leurs systèmes de droit international privé, puisque ceux-ci sont précisément construits en regard des droits internes.
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Pour déterminant que soit l'apport de cette théorie en termes de méthode, elle ne suffit pas à expliquer que les États aient juridiquement la liberté de définir comme ils l'entendent leurs règles de conflit. Cette liberté s'explique plus simplement par le constat, aujourd'hui quasi unanime, qu'il n'existe aucune prescription de droit international public de nature à encadrer la définition, par les États, de leurs systèmes de droit international privé. L'édiction de règles de droit, telles les règles de conflit, relève en droit international public de la compétence normative des États. Or le droit international public est, s'agissant de la compétence normative des États en matière de droit privé, essentiellement permissif (pour une présentation plus approfondie, v. ss 299 s.). Il ne pose pas ou peu de limites, et celles-ci, lorsqu'elles existent, concernent rarement les normes de droit privé.
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Encore cette affirmation doit-elle sans doute être aujourd'hui nuancée, en regard du développement d'un droit international public à caractère régional. On verra que le droit international public conventionnel constitue une source directe de règles de conflit appelées à se substituer, dans leur domaine d'application, aux règles de conflit nationales (v. ss 59 s.). Mais au-delà de cet impact direct du droit international public conventionnel sur l'édiction des règles de conflit, on relève également l'existence d'un impact indirect qui se traduit par un infléchissement des règles de conflit de source purement nationale, sous l'influence de ces textes supranationaux. En d'autres termes, même lorsqu'ils conservent la faculté d'édicter leurs propres règles de conflit, les États sont aujourd'hui parfois contraints, parce qu'ils sont signataires de conventions internationales, par des prescriptions dérivées de ces conventions. On en prendra deux exemples, qui constituent une anticipation de l'étude de la méthode de la reconnaissance des situations (v. ss 217 s.).
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Le premier concerne l'influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH) sur le conflit de lois. De prime abord, l'influence n'est guère manifeste. La convention comporte des prescriptions substantielles, tandis que le conflit de lois se borne à déterminer la loi applicable de façon neutre et abstraite. Ainsi, si l'application de la loi désignée par la règle de conflit heurte les droits et libertés fondamentales, ce n'est normalement pas en raison d'un vice de la règle de conflit, mais en raison d'un vice de la loi désignée — vice dont la méthode conflictuelle prévoit au demeurant la correction par l'exception d'ordre public international (v. ss 255 s.). A priori, de par sa nature purement désignatrice, la règle de conflit ne devrait jamais heurter les principes matériels issus de la convention. La réalité est autre, ainsi qu'en atteste la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : la règle de conflit peut porter atteinte, au moins dans sa mise en œuvre, à des libertés fondamentales. C'est ce qui ressort, par exemple, d'un arrêt Wagner rendu le 28 juin 2007 par la CEDH (Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch) : l'ordre juridique luxembourgeois avait refusé de reconnaître une adoption valablement prononcée à l'étranger, en application de la loi locale, entre une mère luxembourgeoise et un enfant étranger, aux motifs que la règle de conflit luxembourgeoise désignait comme loi applicable la loi de l'adoptant, c'est‑à-dire la loi luxembourgeoise prohibant l'adoption par un célibataire. La conformité de la loi substantielle luxembourgeoise à la convention n'est pas remise en cause (il n'est pas imposé aux États d'autoriser l'adoption par un célibataire) ; en revanche, la Cour européenne affirme que « l'intérêt supérieur de l'enfant devant toujours primer, les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement
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passer outre au statut juridique valablement créé à l'étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l'article 8 de la convention, faisant alors prévaloir les règles de conflit luxembourgeoises sur la réalité sociale et sur la situation des personnes concernées ». Ainsi, même si la règle de conflit luxembourgeoise, en ce qu'elle désigne la loi nationale de l'adoptant, n'est pas intrinsèquement contraire aux prescriptions de la Convention EDH, lesquelles sont purement substantielles, son application peut conduire à un résultat incompatible avec ces prescriptions, obligeant l'État luxembourgeois à la refouler. L'État n'est pas, on le voit, totalement libre de définir le mécanisme de règlement des conflits de lois, car ce règlement doit s'opérer dans le strict respect des dispositions substantielles de la Convention EDH. Une influence similaire peut être décelée s'agissant des principes et libertés fondamentaux consacrés par le droit de l'UE. Ainsi, si les États membres de l'Union européenne (UE) sont en principe libres de définir leurs règles de conflit de lois — sauf existence d'une source communautaire concurrente —, la mise en œuvre de ces règles de conflit ne doit pas violer les libertés communautaires ni les règles définies par la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Dès lors, un État ne peut opposer à un individu porteur de la double nationalité de deux États membres, pour refuser de lui reconnaître le nom de famille que lui attribue la loi de la nationalité conférée par l'autre État membre, la règle de conflit locale prévoyant que l'attribution du nom est régie par la loi nationale du for de l'intéressé (v. les détails de l'arrêt Garcia Avello et de la jurisprudence subséquente, v. ss 549), car cette application de la règle de conflit conduit à entraver la liberté de circulation reconnue aux personnes par le droit de l'UE.
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Néanmoins, sous réserve de cette influence pour l'heure circonscrite et indirecte du droit international sur l'édiction des règles de conflit par les États, les sources nationales du droit international privé conservent une place de choix.
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2. La variété des sources internes Souvent différentes dans leurs contenus, les règles de conflit unilatéralement adoptées par les États varient également dans leurs sources. Certains États, comme l'Allemagne, connaissent une tradition ancienne de codification législative des règles de droit international privé, et au cours des dernières décennies, de nombreux États ont adopté de véritables « codes » de droit international privé, c'est‑à-dire des ensembles cohérents de règles de conflit d'origine législative. C'est ainsi par exemple que la Belgique, dont le droit international privé s'est pourtant construit sur une base essentiellement jurisprudentielle, a codifié par une loi du 16 juillet 2004 l'ensemble de la matière.
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La France est indéniablement restée en retrait de ce mouvement de codification du droit international privé. Le droit commun français, c’est‑à-dire le droit international privé d’origine purement interne, est pour l’essentiel le produit de l’œuvre créatrice de la jurisprudence. Et les principes généraux consacrés par les juridictions constituent, encore aujourd'hui, une part importante du droit positif. Cependant, les grandes réformes législatives adoptées en matière civile au cours des trois dernières décennies n’ont pas ignoré le droit international privé, et ont parfois – avec plus ou moins de bonheur – édicté des règles de conflit de lois. On assiste donc, s’agissant du
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droit international privé d’origine interne, à un rééquilibrage progressif entre sources jurisprudentielles (a) et législatives (b).
a.
Principes généraux consacrés par la jurisprudence
En l'absence d'un corpus complet de règles de conflit de lois d'origine législative, il est dans un premier temps revenu à la jurisprudence française de définir ces règles. Certes, le droit français répudie l'idée de tout pouvoir créateur de la jurisprudence (C. civ., art. 5) ; la règle de conflit de lois étant une règle de droit, on voit mal pourquoi le droit international privé échapperait au principe. Reste que, le juge ne pouvant refuser de statuer au prétexte de l'insuffisance de la loi (C. civ., art. 4), l'absence de règles de droit international privé d'origine législative appelait nécessairement une réponse de sa part. C'est ainsi que de nombreuses règles de conflit ont été créées par la jurisprudence, sous le contrôle vigilant de la Cour de cassation. Cela explique la place fondamentale que tiennent, en cette matière, les grands arrêts : il est impossible d'évoquer la règle de conflit de lois applicable en matière délictuelle sans se référer à l'arrêt Lautour, le principe de l'autonomie de la volontéQ consacré en matière contractuelle sans revenir à l'arrêt American Trading Company, ou encore l'effet atténué de l'ordre public sans citer l'arrêt Rivière…
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Encore fallait-il, pour se conformer aux prescriptions de l'article 4, que le juge ancre son œuvre créatrice dans des dispositions à caractère législatif. C'est ce qu'il a fait tout d'abord en exploitant le seul texte qui était à l'origine proposé par le Code civil en matière internationale, l'article 3. L'article 3 du Code civil dispose que « les lois de police et de sûretés obligent tous ceux qui habitent le territoire [al. 1 er]. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française [al. 2]. Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étrangers [al. 3] ». On voit bien en quoi ce texte pouvait justifier, par un processus de bilatéralisation, l'édiction de la règle de conflit selon laquelle les immeubles sont régis par la loi du lieu de leur situation, ou de celle voulant que l'état et la capacité d'un individu soient régis par sa loi nationale. La lettre du texte justifie moins qu'il ait pu en être déduit, dans l'arrêt Lautour, que la loi compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle est la loi du lieu où le délit a été commis, ou encore, plus récemment, que « les lois nouvelles du pays d'origine sont sans incidence sur le régime matrimonial d'époux qui, ayant eu le statut de réfugiés, ont ensuite acquis une autre nationalité » (Civ. 1 re, 28 nov. 2006, Rev. crit. DIP 2007. 397, note P. Lagarde) ! Et l'on est donc inéluctablement conduit à en déduire que, sous couvert d'un visa de l'article 3 du Code civil, la jurisprudence française a surtout « occulté son œuvre créatrice » (H. Muir Watt, « Les principes généraux en droit international privé », JDI 1997. 417).
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La jurisprudence ne devait toutefois pas hésiter, par la suite, à prendre ses distances vis‑à-vis de ce rattachement artificiel. La nécessité d'ancrer les règles par elle définies dans des normes à valeur supérieure, législative ou quasi législative, l'a alors parfois conduite à substituer au visa de l'article 3 la référence aux principes généraux du droit international privéQ. La notion postule l'existence de principes à valeur normative qui, quoique non écrits, s'imposent avec la force d'une loi aux justiciables comme aux juges. Nombreux sont les arrêts qui se réfèrent expressément à ces principes, pour fonder par exemple la règle voulant que le régime matrimonial soit soumis à la loi à laquelle les parties ont entendu se référer, présumée être la loi du premier domicile
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commun des époux (Crim. 5 sept. 2001, Bull. crim. no 174) ; ou encore, la règle selon laquelle, si l'immunité d'exécution des États est de principe, elle peut toutefois être écartée lorsque le bien saisi a été affecté à une activité économique ou commerciale relevant du droit privé (Civ. 1re, 14 mars 1984, Eurodif, GADIP, n o 65 ; Rev. crit. DIP 1984. 644, note J.-M. Bischoff ; JDI 1984. 598, note B. Oppetit). Peu importe, en définitive, que le visa choisi soit celui de l'article 3 du Code civil ou celui des principes généraux du droit international privé. Dans les deux cas, ce visa traduit l'origine essentiellement jurisprudentielle des règles de conflit de lois françaises d'origine interne, caractère jurisprudentiel auquel le droit français semblait vouloir rester attaché en dépit du « vent de codification » du droit international privé soufflant dans de nombreux États proches. Cet attachement n'est pas sans justifications. Le droit international privé est un droit dont la mise en œuvre impose de fréquents ajustements et adaptations ; il est en prise directe avec des ordres juridiques étrangers aux particularités desquels il importe de pouvoir réagir in concreto, quitte à déduire de cette réaction une règle abstraite pour l'avenir. Seule la règle jurisprudentielle offre la souplesse nécessaire aux mécanismes d'adaptation ou de substitution dont on verra l'importance en droit international privé. Pourtant, l’intérêt du législateur français pour le droit international privé s’est incontestablement renforcé au cours des dernières décennies.
b.
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Règles de conflit d’origine législative
Le législateur français s'est longtemps abstenu de se mêler de l'édiction des règles de conflit de lois. Avant les années soixante-dix, la loi du 24 juillet 1966, reprise aujourd'hui par l'article L. 210-3 du Code de commerce, fait figure d’exception puisqu’elle pose une règle de conflit unilatérale selon laquelle les sociétés dont le siège social est situé en France sont soumises à la loi française (v. aussi C. civ., art. 1837). Mais cette solution n'était pas réellement créatrice, puisqu'elle se bornait à entériner, sous une forme unilatérale, la règle de conflit bilatérale d'origine jurisprudentielle selon laquelle les sociétés sont régies par la loi du pays dans lequel se situe leur siège social.
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Dans les années 1970, deux lois rompent cette tradition de réserve du législateur en matière de droit international privé. La loi du 3 janvier 1972 réformant le droit substantiel de la filiation, en premier lieu, entreprend d'assortir les règles matérielles qu'elle édicte de règles de conflit. Les articles 311-14 à 311-18 du Code civil, partiellement modifiés par une ordonnance du 4 juillet 2005, posent ainsi une règle de conflit générale, désignant comme loi applicable à l'établissement de la filiation la loi personnelle de la mère, assortie de règles spéciales dont la nature est intermédiaire entre règles de conflit et règles matérielles (pour le détail de ces règles, v. ss 736 s.). L'œuvre de codification du droit international privé de la filiation – à ce jour incomplète puisqu'elle n'envisage que l'établissement de celle-ci à l'exclusion de ses effets – s'est poursuivie sur le terrain de la filiation adoptive avec l'introduction au Code civil, par une loi du 6 février 2001, de trois articles (C. civ., art. 370-3 à 370-5) posant les règles de conflit en la matière (v. ss 759 s.). La loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce, en second lieu, crée la très commentée règle de conflit de l'article 310 du Code civil, devenu par suite de l'ordonnance du 4 juillet 2005 l'article 309 du Code civil, qui définit unilatéralement le domaine d'application de la loi française ; la loi française régit le divorce des époux lorsqu'ils sont tous deux de
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nationalité française, ou qu'ils sont tous deux domiciliés en France, ou encore lorsqu'aucune loi étrangère ne veut s'appliquer et que les tribunaux français sont compétents (pour la mise en œuvre de cette règle, v. ss 723 s.). À partir des années 1990 et surtout 2000, l’introduction de règles de droit international privé dans les codes français semble s’accélérer. Nombre de dispositions sont ainsi intégrées dans le Code civil (sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux par ex.), dans le Code de la propriété intellectuelle, dans le Code des assurances ou encore dans le Code du patrimoine (pour un panorama complet de ces règles, v. S. Clavel, E. Gallant, Les grands textes de droit international privé, Dalloz, 2016, 2e éd.). Mais, plus qu’à une véritable volonté du législateur de s’approprier la règle de conflit de lois, il faut dans un premier temps imputer ce phénomène à l’obligation qui lui est faite de transposer ou d’organiser l’application de textes d’origine supranationale, qu’il s’agisse de conventions internationales ou de directives européennes. Les dispositions concernées, si elles relèvent assurément du droit international privé, contiennent d’ailleurs assez peu de véritables règles de conflit de lois. Les réformes civiles les plus récentes, en revanche, paraissent s’être pleinement appropriées la problématique conflictuelle. Ainsi la loi du 12 mai 2009 de simplification et clarification du droit et d'allégement des procédures introduit-elle dans le Code civil un article 515-7-1 qui détermine la loi applicable aux partenariats enregistrés (sur cette règle de conflit, v. ss 699 v. ss 733). La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, surtout, s’empare de la dimension internationale de l’institution et introduit deux articles dans le Code civil, les articles 202-1 et 202-2, pour régler les difficultés pouvant naître de la célébration du mariage de deux époux de même sexe en présence d’un élément d’extranéité. Au passage, elle codifie les règles de conflit de lois traditionnelles, forgées par la jurisprudence pour identifier la loi régissant les conditions de fond et de forme du mariage (sur l’ensemble de ces dispositifs, v. ss 675 s.). Le législateur ne se limite d’ailleurs pas à consacrer des règles de droit international privé relevant de la méthode conflictuelle. Ainsi la loi du 18 novembre 2016, dite « Justice du XXI e siècle », intègre-t‑elle au Code civil un article 61-3-1 relatif au changement de nom qui constitue une illustration remarquable de la méthode de la reconnaissance des situations (v. ss 223 et 554).
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En marge de ces véritables règles législatives de droit international privé, on peut observer – au gré des dispositions des codes – des règles dont la teneur peut être exploitée pour façonner des règles de conflit. Ainsi, l'article 171-1 du Code civil, qui précise sous une forme unilatéraliste que le mariage des Français à l'étranger est valable si les conditions de fond posées par la loi française ont été respectées, venait-il confirmer, avant la consécration formelle de cette règle par la loi du 17 mai 2013, la compétence de la loi nationale des époux pour régir les conditions de fond du mariage ; de la même façon, on s'interroge aujourd'hui sur le point de savoir si l'article 311-22 du Code civil, introduit à l'occasion de la récente réforme des règles de dévolution du nom de famille, et qui prévoit que les règles françaises de dévolution du nom s'appliquent à l'enfant qui devient français, n'implique pas une règle de conflit en vertu de laquelle la dévolution du nom de famille serait régie par la loi nationale de l'intéressé (sur cette discussion, v. ss 541 s.). Il semble bien, ainsi, que l’on assiste à un rééquilibrage progressif, dans les sources internes du droit international privé, entre sources jurisprudentielles et sources législatives. Les sources textuelles prennent toutefois incontestablement
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l’ascendant, si l’on tient compte du développement exponentiel des règles de conflit d'origine supranationale.
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B. Règles de conflit supranationales Les mérites de l'universalisme, qui prône une unification du règlement des conflits de lois par les États, sont incontestables. L'harmonie des règles de conflit de lois garantit un traitement équivalent des situations, quel que soit l'ordre juridique compétent pour en connaître. Les parties jouissent ainsi d'une plus grande prévisibilité — les solutions étant partout les mêmes —, et les tentatives de fraude sont largement — quoique pas totalement — déjouées. L'harmonisation des règles de conflit de lois n'est toutefois pas « naturelle ». À l'origine, on l'a vu, l'édiction unilatérale par les États de leurs propres règles de conflit de lois a conduit à une grande disparité de ces règles. Mais, conscients des faiblesses de cette approche, les États se sont rapprochés pour édicter des règles communes. Ce processus d'uniformisation a été de longue date mis en œuvre à l'échelle internationale. À cette internationalisation des règles de conflit (1) répond en outre aujourd'hui, dans le contexte spécifique de l'Union européenne, un phénomène d'européanisation des règles de conflit (2) dont on peut légitimement se demander s'il n'est pas en passe de concurrencer l'unification internationale, ce qui impose de s'interroger sur ses mérites.
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1. L'internationalisation des règles de conflit C'est en adoptant des conventions internationales spécifiques que les États sont parvenus, généralement dans les domaines où la nécessité d'uniformisation leur semblait la plus pressante, à adopter des règles de conflit communes. Ces conventions internationales sont souvent désignées sous l'appellation conventions internationales de droit international privéQ, pour identifier leur objet — l'adoption de règles de conflit —, et les distinguer des conventions internationales de droit matérielQ (v. ss 199) qui tendent à uniformiser les législations substantielles des États sur des questions particulières. Conventions internationales de droit international privé et conventions internationales de droit matériel, si elles diffèrent par leur objet, n'en partagent pas moins une nature commune. Ce sont des traités internationaux, dont la conclusion entre États est régie par le droit international public, et dont l'insertion dans le droit des États signataires dépend des règles constitutionnelles de ces derniers. En France, le traité, normalement intégré au droit français au terme de sa ratification par le Parlement et de sa publication, a une valeur supérieure à la loi même postérieure ; les règles de conflit conventionnelles prévalent donc en toute hypothèse sur les règles de conflit d'origine nationale (sous réserve toutefois de réciprocité). Après maintes hésitations, les juges de l'ordre judiciaire civil, tout comme le Conseil d'État pour l'ordre administratif (« théorie de l’acte clair »), ont estimé qu'il était de leur pouvoir d'interpréter les traités dont il leur est demandé de faire application ; les juridictions criminelles, en revanche, persistent à considérer que l'interprétation d'un traité relève du pouvoir exclusif du gouvernement, et qu'il leur revient donc de solliciter une interprétation ministérielle lorsque la question du sens du traité se pose.
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En matière de droit international privé, les États en général et la France en particulier ont souvent conclu des conventions bilatérales. Mais les instruments les plus intéressants dans la perspective d'une réelle harmonisation des règles de droit international
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privé sont assurément les conventions multilatérales. Le processus d'internationalisation des règles de conflit par la voie conventionnelle multilatérale a bénéficié du rôle moteur joué en la matière par certaines organisations internationales, dont la principale est la conférence de La Haye de droit international privé. Cette organisation intergouvernementale, créée en 1893, a en effet pour objet même d'œuvrer à l'unification progressive des règles de conflit. À cet effet, elle dispose d'un secrétariat permanent dont les membres sont chargés de concevoir des projets dans les domaines utiles. Pour concrétiser ces projets sous forme de propositions de conventions internationales, ils organisent des sessions de travail entre des personnalités compétentes représentant le plus grand nombre d'États. Ces propositions sont ensuite soumises à la signature des États. Une fois entrées en vigueur, les conventions de La Haye lient les États signataires, qui s'engagent donc, dans le domaine de la convention considérée, à substituer les règles de conflit d'origine conventionnelle aux règles de conflit d'origine nationale. La conférence de La Haye, dans l'exercice de sa mission, a indéniablement connu des succès importants. Elle a touché à tous les domaines du droit, du droit des contrats (par ex. : Conv. 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels) au droit des personnes et de la famille (par ex. : Conv. 10 oct. 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants), en passant par le droit des biens (Conv. 15 avr. 1958 sur la loi applicable au transfert de la propriété en cas de vente à caractère international d'objet mobiliers corporels) et le droit patrimonial de la famille (Conv. 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux). Elle a non seulement œuvré pour l'unification du conflit de lois, mais aussi pour l'unification du conflit de juridictions et de la procédure internationale. En tout, on dénombre près de quarante conventions à ce jour, dont la destinée a été plus ou moins favorable, certaines signées par une soixantaine États (ainsi Conv. 15 nov. 1965 relative à la notification et à la signification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale) tandis que d'autres n'entraient jamais en vigueur voire même ne recueillaient aucune signature (par ex. : Conv. 15 nov. 1965 concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d'adoption). Car la conférence a aussi connu des échecs, confrontée à l'impossibilité de concilier ou réconcilier des traditions juridiques trop éloignées ; c'est ainsi qu'un projet de convention mondiale sur la compétence internationale des juridictions et l'effet des jugements étrangers, initié en 1996, a après plusieurs années de travail et de négociation conduit à l’adoption le 30 juin 2005 d’une convention bien plus modeste sur les accords d'élection de for ; les travaux en vue de l’élaboration d’une convention plus complète ont toutefois repris en 2016. Aujourd'hui, l'avenir de la conférence de La Haye se joue en outre du côté de l'Union européenne.
2. L'européanisation des règles de conflit 63
L'européanisation progressive des règles de conflit — qui ne touche évidemment que les États membres de l'Union européenne — s'est opérée au bénéfice d'une évolution institutionnelle de l'Union. À l'origine, la Communauté économique européenne ne disposait d'aucune compétence en matière de droit international privé ; tout au plus pouvait-elle encourager la conclusion, par les États membres en qualité d'États souverains, de conventions régionales destinées à harmoniser leurs règles de conflit.
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C'est ainsi qu'ont notamment vu le jour deux conventions importantes, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, et la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Ces deux conventions, si elles sont formellement des conventions internationales, ont été signées exclusivement entre États membres de l'Union européenne. Le rôle de la CEE se limitait donc à une fonction d'entremise, même si, ponctuellement, des règles de conflit éparses (et pas toujours très compréhensibles) étaient introduites dans des instruments de droit dérivé lorsque cette introduction servait l'objectif poursuivi (compétence sectorielle). Le traité d'Amsterdam, adopté en 1997, a constitué un bouleversement majeur du point de vue du droit international privé. Les États consacraient en effet par ce traité, et les nouveaux articles 61, 65 et 67 du traité CE qu'il introduisait, une véritable compétence de l'Union en matière de droit international privé. Rarement dispositions conventionnelles auront suscité une telle controverse ; aujourd'hui encore, près de vingt ans après, ces articles restent l'objet de débats, tant est encore discuté le point de savoir si l'Union européenne peut légitimement prétendre unifier, par le droit dérivé, les règles de conflit des États membres ! Quoi qu'il en soit des arguments juridiques et politiques excipés par l'un et l'autre camps (les « pro » et les « anti » compétence de l'UE en matière de droit international privé), la réalité est là : les règles de conflit de l'Union européenne se sont depuis lors multipliées. La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 a été convertie en règlement communautaire (Règl. no 44/2001 du 22 déc. 2000, depuis refondu par Régl. no 1215/2012 du 12 déc. 2012), tout comme la convention de Rome du 19 juin 1980 (Règl. dit Rome I n o 593/ 2008 du 17 juin 2008). Les règles de conflit de lois ont été unifiées en matière de procédures d'insolvabilité (Règl. n o 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité et sa refonte, Règl. n o 2015/848 du 20 mai 2015), en matière de délits, quasi-délits et quasi-contrats (Règl. dit Rome II no 864/2007, 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles), en matière de divorce (Règl. dit Rome III n o 1259/2010 du 20 déc. 2010) ; les règles de conflit de juridictions ont été rendues communes en matière civile et commerciale (Règl. du 22 déc. 2000 et sa refonte, préc., mais aussi Règl. n o 805/2004 du 21 avr. 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées…) comme en matière familiale (Règl. dit Bruxelles II bis no 2201/2003 du 27 nov. 2003, en cours de révision). Plus récemment, l'Union européenne s'est essayée à l'élaboration de corpus complets, associant dans un même instrument règles de conflit de lois, règles de conflit de juridictions et de coopération d'autorités ; ont ainsi été adoptés un règlement no 4/ 2009 du 18 décembre 2009 en matière d'obligations alimentaires, un règlement no 605/2012 du 4 juillet 2012 en matière de successions, un règlement no 2016/1103 du 24 juin 2016 en matière de régimes matrimoniaux et un règlement no 2016/1104 du 24 juin 2016 en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Progressivement, c'est un véritable système conflictuel que bâtit l'Union européenne (pour une approche complète des textes adoptés et des textes en cours de discussion, v. Rubrique Documents), système qui vient se conjuguer ou se substituer aux quelques règles de conflit sectorielles qu'elle avait jusqu'alors adoptées. Le nouveau Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), consolidant les traités antérieurs après l'adoption du traité de Lisbonne, confirme et affermit encore la compétence de l'Union en matière de droit international privé, notamment en ses articles 67 et 81 qui reprennent avec quelques modifications mineures les anciens
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articles 61 et 65 du traité CE. Mais ce sont principalement les articles 2 à 4 du TFUE qui exacerbent le sentiment d'une perte de maîtrise des États membres sur leur droit international privé. Le développement de règles de conflit d'origine européenne a en effet un impact évident, à la fois sur les règles de conflit nationales et sur les règles de conflit internationales. Il a un impact sur les règles de conflit nationales puisque, dans leur domaine d'application, les règles communautaires se substituent purement et simplement aux règles de conflit des États membres. Certes, ces règles nationales subsistent pour régir les questions qui n'entrent pas dans le domaine d'application des règles communautaires ; mais force est de constater que, là où l'Union européenne est intervenue, le rôle des règles de conflit nationales est devenu très résiduel. Ce « désengagement » des États membres est d'autant plus manifeste que, empruntant à la jurisprudence de la Cour de Justice, le TFUE institue une « quasi compétence exclusive » de l'Union en droit international privé. Certes, l'article 4 du TFUE précise que les règles adoptées dans le domaine de « l'espace de liberté, de sécurité et de justice » relèvent formellement d'une compétence partagée entre les États et l'Union. Mais cette énonciation est partiellement neutralisée par l'article 2, § 2 du TFUE, aux termes duquel dans les domaines où la compétence est partagée, « les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne ». Ainsi, plus les règles de droit international privé d'origine européenne se multiplient, moins les États ont de latitude pour adopter des règles nationales. L'existence d'une compétence de l'Union en matière de droit international privé a également une incidence sur le droit international privé de source internationale. Là encore, le TFUE confirme le transfert des compétences des États vers l'Union, puisque l'article 3, § 2 du traité énonce que « l'Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée ». En raison du foisonnement des règles de droit international privé européen, la conclusion de la plupart des conventions internationales de droit international privé s'avère de nature à affecter des règles communes. La compétence de l'Union sera donc souvent exclusive. L'évolution observée dans le processus d'adoption des conventions de La Haye offre une bonne illustration des conséquences pratiques de cette exclusivité. Dans un premier temps, le Conseil de l'Union s'est borné à autoriser les États membres à signer, ratifier ou adhérer aux conventions internationales de droit international privé susceptibles d'affecter des règles communes. C'est par exemple le mécanisme qui a été adopté pour la ratification par les États membres de la convention de La Haye du 19 octobre 1996 en matière de responsabilité parentale et de protection des enfants. Mais la conférence de La Haye a par la suite intégré dans ses conventions des dispositions autorisant les organisations régionales d'intégration, telle l'Union européenne, à devenir personnellement parties contractantes. L'Union pouvait alors elle-même ratifier les conventions, en lieu et place des États membres, ce qu'elle a fait pour deux conventions de La Haye (Conv. 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for et Prot. 23 nov. 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires). La ratification d'une convention par l'Union a pour effet de rendre cette convention applicable, dès son entrée en vigueur, dans tous les États membres (sauf le Royaume-
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Uni, l'Irlande et le Danemark). Ce processus a été parachevé par l'accession de l'Union européenne, en 2006, au rang de membre de la conférence de La Haye. En conclusion, l’Union européenne est devenue un acteur incontestable du développement du droit international privé en Europe. Ce développement, s’il a des effets positifs pour les sujets de droit qui y gagnent notamment en prévisibilité des solutions, suscite néanmoins deux types de difficultés. En premier lieu, l’hyperactivité de l’UE en matière de conflits de lois (multiplicité des règlements de DIP mais aussi nombreux textes de droit dérivé incluant des dispositions conflictuelles éparses) nuit à la cohérence d’ensemble du droit international privé européen. Il ne faut donc pas s’étonner que des réflexions soient actuellement menées pour structurer ce droit, le cas échéant dans le cadre d’une codification (v. Biblio. 2). En second lieu, l'élaboration parallèle de règles de conflit d'origine nationale, internationale et européenne soulève des questions de coordination de ces règles de conflit entre elles, qui n'en facilitent guère l'application, pourtant déjà réputée ardue (sur ces difficultés, v. ss 94 s.) ! Le développement du droit international privé européen est en outre directement en lien avec la réflexion aujourd'hui renouvelée sur les fonctions de la règle de conflit.
3 La fonction des règles de conflit
À la question : quelle est la fonction de la règle de conflit ?, les développements qui précèdent incitent à répondre qu'elle tend à coordonner les systèmes juridiques étatiques par une répartition des compétences législatives principalement définie en considération des intérêts privés des parties en cause, et plus marginalement en contemplation des intérêts des États impliqués.
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Un courant de pensée, dont les fondements sont anciens mais dont la vigueur est aujourd'hui renouvelée par les transformations de la matière imputables à la diversification de ses sources et à la globalisation, propose pourtant une lecture quelque peu différente de la fonction de la règle de conflit. La règle de conflit de lois pourrait et serait parfois mise au service des politiques publiques des États, embrassant ainsi une fonction régulatrice. Elle ne tendrait donc plus seulement à répartir de façon quasi « mécanique » les compétences législatives pour permettre la résolution des litiges privés, mais tiendrait compte, dans les modalités d'allocation de ces compétences, des intérêts étatiques : la règle de conflit de lois deviendrait ainsi un instrument au service des politiques publiques. Les présents développements n'ont pas pour ambition de traduire exhaustivement l'ensemble des idées qui fondent, et des applications qui concrétisent, cette doctrine relativement complexe. Ils prétendent seulement apporter un éclairage sur les réflexions relatives aux fonctions du droit international privé. À cet effet, on présentera les termes du débat relatif à l'approche fonctionnalisteQ de la règle de conflit (A), avant que de préciser l'idée même de fonction régulatrice de la règle de conflit (B).
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A. Les termes du débat : l'approche fonctionnaliste de la règle de conflit La méthode savignienne procède, pour une question donnée, à une allocation globale et abstraite de compétence à un ordre juridique déterminé, dont les règles substantielles seront alors déclarées applicables sans autre analyse (si ce n'est celle de leur conformité aux exigences fondamentales du for). En matière de responsabilité délictuelle par exemple, c'est la loi de l'État où le délit s'est matériellement réalisé qui reçoit compétence. Cette abstraction du raisonnement, qui conduit à une application « mécanique » de la loi désignée, exclut toute prise en considération des règles substantielles concernées. Or, selon certains auteurs, cette absence de prise en considération des règles substantielles en méconnaîtrait la nature profonde. En effet, les législateurs poursuivent souvent, lorsqu'ils édictent des règles même de pur droit privé, des objectifs substantiels de politique publique. Au-delà du seul règlement des litiges privés, les règles de droit privé participent d'un mouvement d'orientation et d'encadrement de la société dans son ensemble ; ainsi les règles de responsabilité civile délictuelle ne tendent-elles pas seulement à assurer la réparation du préjudice subi par la victime (fonction « privatiste »), mais aussi à orienter les comportements dans un sens jugé souhaitable par l'État (fonction « publiciste »). Ignorer la teneur et les fondements politiques des règles substantielles conduirait à en opérer une application dénaturante.
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Sur le fondement de cette observation, plusieurs théories remettant en cause la méthode conflictuelle savignienne ont été élaborées, proposant des méthodes alternatives, plus ou moins convaincantes et praticables, d'identification de la règle substantielle applicable en considération des politiques publiques sous-jacentes (pour un aperçu plus global et très critique de ces théories, v. P. Mayer, « Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé », Rec. cours. La Haye 2007, t. 327, p. 151-163). Néanmoins, ces propositions n'ont pas, en droit positif, fondamentalement bouleversé les bases du raisonnement en termes de méthode. Elles ont eu cependant le mérite de mettre en lumière l'immixtion fréquente, dans le droit international privé, de considérations de politique publique tirées de l'objectif social ou économique de la règle substantielle.
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Pratiquement, cette immixtion se concrétise le plus souvent en dehors de la règle de conflit de lois, puisque son expression la plus nette est incarnée par la méthode des lois de police, dont on verra qu'il s'agit précisément d'une méthode dérogatoire à la méthode conflictuelle (v. ss 168 s.). Elle innerve toutefois également la méthode conflictuelle, ainsi qu'en attestent les réflexions actuelles sur la fonction régulatrice de la règle de conflit.
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B. La fonction régulatrice de la règle de conflit 71
Dire que la règle de conflit de lois peut avoir une fonction régulatrice, c'est admettre que cette règle peut être utilisée au service de fonctions de régulation publique, c'est‑à-dire constituer un instrument de politique publique entre les mains des États. L'État, dans son rôle d'organisation de la vie sociale, fixe un certain nombre d'objectifs qu'il peut atteindre soit en imposant des prescriptions aux individus par le biais
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de règles de droit public, soit encore en « modelant » plus imperceptiblement leur comportement par le biais des règles de droit privé. La règle de conflit de lois, composante du droit privé, peut donc jouer un rôle en ce sens, ainsi que s'est attachée plus particulièrement à le démontrer, en France, le professeur Horatia Muir Watt. Le droit de l'Union européenne, moins sensible que ne l'est le droit français au cloisonnement entre droit public et droit privé, constitue un terrain particulièrement propice à l'éclosion de ces règles de conflit à fonction régulatrice. On en prendra un exemple, tiré de la responsabilité délictuelle en matière environnementale. Plusieurs auteurs (H. Muir Watt, « Rome II et les “intérêts gouvernementaux” : pour une lecture fonctionnaliste du nouveau règlement du conflit de lois en matière délictuelle », in S. Corneloup, N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire “Rome II” sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Litec, 2008, p. 129 ; O. Boskovic, « Les atteintes à l'environnement », in M. Audit, H. Muit Watt, É. Pataut (dir.), Conflits de lois et régulation économique, LGDJ, 2008, p. 195) ont en effet démontré en quoi la règle de conflit instituée par le règlement du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles en matière d'atteintes à l'environnement est de nature à garantir l'effectivité du principe substantiel « pollueur-payeur », et donc à prolonger l'action publique des gouvernements en matière de protection environnementale. En offrant à la victime d'une atteinte environnementale un choix entre l'application de la loi du lieu du fait générateur de la pollution, et celle de la loi du lieu où le dommage a été subi, la règle de conflit ne tend pas tant en effet à maximiser les chances de la victime d'obtenir réparation (finalité privatiste), qu'à minimiser les risques que le pollueur échappe à toute sanction pour l'inciter à adopter un comportement environnemental responsable (finalité publiciste). Elle permet notamment d'éviter aux États victimes d'avoir à subir les agissements de pollueurs qui prétendraient jouir de l'impunité au bénéfice d'une localisation de leurs activités dans un État dont la législation en matière environnementale serait peu exigeante.
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Cette idée que la règle de conflit de lois peut être investie de fonctions de régulation publique est à l'heure actuelle au cœur d'un bouillonnement intellectuel particulièrement stimulant. Pour autant, ses concrétisations positives restent fuyantes (v. en particulier les différentes études in M. Audit, H. Muit Watt, É. Pataut (dir.), Conflits de lois et régulation économique, op. cit.). Elle n'est en outre nullement incompatible avec la méthode conflictuelle bilatérale ou savignienne, qui au prix de certains infléchissements peut fournir les instruments conflictualistes propices à la poursuite d'objectifs de politique publique (en particulier, v. ss 39, les règles protectrices des consommateurs). Il n’est en effet pas forcément nécessaire de bouleverser les règles de conflit actuellement applicables pour leur attribuer une fonction régulatrice, et parfois une simple relecture, sous un prisme différent, y suffira (v. par ex. pour une lecture économique du principe de proximité : J. Carrascosa Gonzalez, « Règle de conflit et théorie économique », Rev. crit. DIP 2012. 521). On poursuivra à présent l'étude de la méthode conflictuelle en envisageant le fonctionnement de la règle de conflit.
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Le fonctionnement de la règle de conflit 74
Le droit international privé positif contemporain, suivant en cela les préconisations de Savigny, propose un nombre relativement important de règles de conflits de lois dont le contenu varie en fonction de la nature de la question de droit considérée. Il existe donc plusieurs catégories de droit international privéQ, à savoir des ensembles accueillant une pluralité de questions de droit unies par une communauté de nature. À chaque catégorie correspond une règle de conflit de lois spécifique jugée adaptée à la nature des questions qui y sont rattachées. À titre d'exemple, la catégorie « successions immobilières » accueille l'ensemble des questions relatives à la dévolution successorale des immeubles et est associée à une règle de conflit désignant la loi du lieu de situation de l'immeuble. Ce rattachement a l'avantage d'assurer une coïncidence des compétences juridictionnelle et législative (on verra que les juridictions du lieu de situation de l'immeuble ont ici une compétence exclusive) ; en outre, il tient compte de la compétence de la lex rei sitae en matière de transfert de propriété.
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Le fonctionnement de la règle de conflit postule donc la mise en œuvre d'une opération préalable fondamentale, qui consiste à classer la question de droit posée dans l'une des catégories du droit international privé : c'est la qualification (§ 1). Une fois cette qualification réalisée, chaque catégorie se voyant affecter une règle de conflit donnée, la sélection de la règle de conflit pertinente (§ 2), conduisant à l'identification de la loi applicable (§ 3), devrait pouvoir aisément s'opérer. En réalité, ces différentes étapes sont jalonnées de difficultés.
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1 Détermination de la catégorie pertinente : l'opération de qualification
Pour identifier la loi applicable à une question de droit donnée, il importe — afin de sélectionner la règle de conflit pertinente — de classer cette question de droit dans l'une des catégories forgées par le droit international privé. Par exemple, lorsque l'on s'interroge sur la loi applicable à une rupture de pourparlers précontractuels, il faut décider si la question posée (responsabilité pour rupture des pourparlers précontractuels) relève de la catégorie « contrats » ou de la catégorie « délits et quasi-délits », car ces deux catégories sont régies par des règles de conflit différentes. Si la question entre dans la catégorie « contrats », la règle de conflit régissant la matière contractuelle sera applicable ; si elle entre dans la catégorie « délits et quasi-délits », la règle de conflit régissant la matière délictuelle sera applicable. Pour appréhender l'opération de classement d'une question de droit dans une catégorie donnée, c'est‑à-dire l'opération de qualificationQ, il convient d'envisager dans un premier temps les principes de qualification (A), avant d'en détailler dans un second temps les modalités (B).
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A. Principes de qualification
1. Qualification lege fori
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Pour apprécier la nature de la question de droit et déterminer à quelle catégorie juridique cette question doit être rattachée, c'est‑à-dire pour la qualifier, il faut se placer du point de vue d’un ordre juridique déterminé, car tous les ordres juridiques ne qualifient pas à l’identique des situations pourtant semblables. Comment choisir cet ordre juridique de référence ? En cas de contentieux, il revient à l’ordre juridique du juge saisi (le for, étymol. « Cour de justice ») de qualifier la situation ; la qualification aux fins de détermination de la loi applicable est alors souvent précédée d’une opération de qualification aux fins de détermination de la juridiction compétente (les liens entre les deux opérations devant alors être envisagés : not., v. ss 952 s. et v. ss 1056 s.). Hors contentieux, c’est l’ordre juridique dont le point de vue est recherché qui doit être interrogé. Une fois cet ordre juridique de référence (nous l’appellerons désormais for) identifié, la question est de savoir si l’opération de qualification doit être réalisée selon les seules conceptions du for, ou s’il convient de tenir compte des conceptions étrangères, notamment de celles retenues par d’autres États impliqués dans la situation. Le principe en matière de conflit de lois, acquis de longue date, est celui de la qualification selon les conceptions du for, ou lege fori (1). Toutefois, la place grandissante du droit international privé d'origine européenne impose parfois de procéder à des qualifications dites autonomes (2).
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Par hypothèse, une situation juridique internationale entretient des liens avec plusieurs ordres juridiques. Or les ordres juridiques impliqués peuvent porter, sur la nature de la question considérée, des appréciations différentes. Ainsi, les pourparlers précontractuels peuvent être rattachés à la matière contractuelle dans le pays du domicile de l'une des parties, tandis qu'ils sont rattachés à la matière délictuelle dans le pays du domicile de l'autre partie ; l'union entre personnes de même sexe peut être qualifiée de mariage dans le pays de la nationalité des parties, et pas dans le pays de leur domicile. Faut-il alors laisser une place, dans ce « conflit de qualifications », au droit étranger pour déterminer la catégorie juridique dans laquelle la question doit être rangée ?
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Le problème a été expressément posé dans la célèbre affaire Caraslanis (v. rubrique Documents) : Caraslanis, de nationalité grecque, s'était marié en France, en la forme civile, avec une femme de nationalité française. Celle-ci ayant présenté une demande en divorce devant les tribunaux français, Caraslanis avait reconventionnellement sollicité l'annulation du mariage pour défaut d'une célébration religieuse pourtant exigée par la loi grecque. Ainsi, en application de la loi grecque, le mariage était nul, tandis qu'il était valable en application de la loi française. Il convenait donc de déterminer laquelle de ces lois était applicable. Or la solution du conflit de lois variait selon que la question litigieuse soit qualifiée : de règle de forme du mariage, auquel cas la loi française était applicable en qualité de loi du lieu de célébration ; ou de règle de fond du mariage, auquel cas la loi grecque pouvait éventuellement s'appliquer en qualité de loi nationale de l'époux. Et Caraslanis de soutenir que, selon les conceptions grecques du mariage, l'exigence d'une cérémonie religieuse était comprise comme une condition de fond. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 juin 1955, rejette le pourvoi formé par Caraslanis contre l'arrêt d'appel l'ayant débouté de sa prétention. La Haute juridiction y affirme que « la question de savoir si
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un élément de célébration du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de fond devait être tranchée par les juges français suivant les conceptions du droit français, selon lesquelles le caractère religieux ou laïc du mariage est une question de forme ». La règle est donc clairement posée : dans son analyse de la nature d'une question de droit, en vue de sa qualification pour identifier la règle de conflit de lois applicable, le juge français ne doit prendre en compte que les conceptions françaises, et n'a pas à considérer la qualification que pourraient donner à la question le ou les ordres juridiques étrangers impliqués dans la situation. Selon l'expression consacrée, la qualification s'opère exclusivement lege fori. Plusieurs justifications ont été proposées à cette solution globalement bien accueillie par la doctrine. La principale est la suivante. L'opération de qualification est une opération menée en vue de procéder à l'application de la règle de conflit du for. Elle consiste en effet à vérifier si les conditions d'application de cette règle sont réunies. En d'autres termes, elle pose un problème d'application, et en amont d'interprétation, de la règle de conflit du for : la règle de conflit inclut-elle dans son domaine de compétence la question litigieuse ? Cette interrogation, puisqu'elle impose l'interprétation de la règle de conflit du for, ne peut être résolue que par référence aux conceptions du for, et aucun droit étranger n'a un titre quelconque à définir le domaine d'application d'une règle de conflit qui n'est pas la sienne. Il importe toutefois de garder à l'esprit que le principe de qualification lege fori n'implique pas nécessairement un alignement de la qualification opérée en matière internationale sur les qualifications retenues en droit interne : la qualification s'opère certes selon les conceptions du for, mais ces conceptions peuvent être différentes, en matière internationale, de ce qu'elles sont en matière interne (sur ce point, v. ss 90).
2. Qualification autonome 81
Si les conceptions françaises doivent prévaloir pour déterminer le domaine d'application des règles de conflit définies par l'ordre juridique français, il est permis de s'interroger sur le point de savoir si ces mêmes conceptions françaises doivent présider aux qualifications nécessaires à la mise en œuvre de règles de conflit qui, quoiqu'intégrées à l'ordre juridique français, émanent de sources supranationales. L'application uniforme des règles de conflit de sources conventionnelle ou européenne ne peut être assurée que par l'adoption de qualifications communes à tous les États liés par ces règles.
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Ponctuellement, les conventions internationales ou les règlements de l'Union européenne définissent avec précision leur champ d'application, pour garantir une application uniforme des règles de conflit qu'ils posent. À titre d'exemple, le règlement « Régimes matrimoniaux » du 24 juin 2016 précise que la notion de régime matrimonial s'entend de l'« ensemble des règles relatives aux rapports patrimoniaux des époux entre eux et à l'égard des tiers » (art. 3), et prend soin de lister les questions qui ne sauraient recevoir cette qualification (art. 1 er, § 2). Cette définition autonome de la catégorie « Régimes matrimoniaux » se justifie en l'état des divergences très importantes de qualification qui affectent les droits des États membres en la matière.
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Dans le silence des textes, lorsqu'une juridiction spéciale est chargée de l'interprétation de l'instrument commun, la méthode de la qualification autonomeQ, qui n'est autre
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qu'un aspect de la méthode de l'interprétation autonome (sur laquelle v. ss 119), peut être imposée. Cette méthode consiste, en présence d'une notion juridique qui reçoit des définitions différentes dans les ordres juridiques liés par un instrument conventionnel ou européen, à offrir de cette notion une définition autonome, propre à l'instrument considéré. La Cour de justice de l'Union européenne y a très fréquemment recours ; elle a ainsi imposé, pour l'application de l'article 5 du Règlement « Bruxelles I » (en matière de conflit de juridictions donc), que les États membres procèdent à des qualifications autonomes des notions de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle ». Lorsqu'ils appliquent l'article 5 du Règlement « Bruxelles I », les juges des États membres ne doivent donc pas appréhender ces notions selon les conceptions en vigueur dans leur ordre juridique, mais selon la conception propre au droit de l'Union européenne, définie par la Cour de justice. Il faut noter que, si la définition d'une catégorie juridique est forgée pour les besoins d'un instrument particulier, et en tenant compte de ses spécificités, le risque est important d'aboutir, pour une même catégorie, à une définition fonctionnelle : une même catégorie juridique n'aura pas les mêmes contours selon le contexte considéré. Ainsi, l'action directe entre cocontractants extrêmes d'une chaîne de contrat translative de propriété, qui relève selon les conceptions françaises de la « matière contractuelle », intègre selon la jurisprudence de la CJUE la catégorie « matière délictuelle ». Si le juge français applique les règles de conflit d'origine purement nationale, il pourra donc retenir la qualification « contractuelle », alors que s'il applique les règles de conflit d'origine européenne, il devra privilégier la qualification « délictuelle » pour cette même action. Qu'en est-il en l'absence de précision du texte applicable et en l'absence de juridiction supranationale régulatrice ? Les juges nationaux doivent-ils recourir spontanément à la qualification autonome lorsqu'ils appliquent une règle de conflit issue d'une convention de droit international privé ? Si l'on juge, ainsi que le fait une partie de la doctrine (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 179), que la règle de conflit conventionnelle devient, par son intégration dans l'ordre juridique des États signataires, une règle de conflit nationale, on est conduit à faire prévaloir les conceptions du for. Ce serait toutefois porter atteinte à la fonction d'unification de la convention internationale. C'est pourquoi il est permis de préférer, dans une telle hypothèse, la méthode de l'interprétation autonomeQ. On pourrait en effet parfaitement imaginer que les juridictions nationales des États signataires prennent l'initiative, pour l'application du texte conventionnel, de dégager une notion autonome de façon à favoriser l'harmonisation des solutions dans une optique universaliste. Ce faisant, elles pourraient retenir une qualification différente de celle usuellement appliquée dans le for, mais réservée à l'application de l'instrument considéré. Force est toutefois de constater qu'en pratique, en l'absence de directive posée par le texte ou une juridiction supranationale, les juridictions nationales s'en tiennent aux qualifications du for.
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B. Modalités de qualification L'opération de qualification se réalise en deux temps. Une première étape consiste à analyser la question de droit posée (1), tandis qu'une seconde conduit à la classer dans une catégorie juridique jugée pertinente (2).
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1. Analyse de la question de droit Pour pouvoir classer une question de droit dans une catégorie, il convient de traduire les faits bruts en termes juridiques. Par exemple, si un individu prétend obtenir un dédommagement en compensation de la perte qu'il a subie parce qu'un cheval divaguant sur la voie publique a heurté sa voiture, la question traduite en termes juridiques est la suivante : cet individu a-t‑il droit à des dommages-intérêts en compensation d'un préjudice subi par la faute ou la négligence d'un tiers (le propriétaire du cheval) ? Ce raisonnement ne présente pas, a priori, de spécificités en droit international privé. Deux difficultés peuvent cependant se présenter.
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Tout d'abord, du fait de l'internationalité de la situation, les faits peuvent nous confronter à des concepts juridiques inconnus du for. Si un individu revendique en France la propriété de tableaux en sa qualité de trustee du défunt propriétaire, contre les héritiers du de cujus qui prétendent que la propriété de ces tableaux leur revient légitimement, on est contraint, pour circonscrire la question juridique qui se pose et la qualifier, de s'interroger sur la notion et le régime juridique du trust selon le droit étranger qui en a prévu la constitution. De même, si un individu de sexe masculin prétend pouvoir revendiquer une « contribution aux charges du mariage » en raison de l’union qu'il a contractée avec un individu de même sexe dans un pays qui autorise ce type d’union, la première tâche sera de vérifier si, au regard du droit étranger, le statut de ces deux individus est bien un mariage (indépendamment du point de savoir si le for acceptera, ensuite, de reconnaître ce mariage entre personnes de même sexe) ; il faut donc déterminer les caractéristiques et conséquences juridiques de cette union dans le droit étranger afin de s'assurer que le droit étranger lui a bien attribué la nature d'un mariage véritable ; en effet, de nombreux pays ont consacré des unions civiles entre personnes de même sexe, sans toutefois leur attribuer un régime juridique équivalent à celui du mariage. Cette analyse peut imposer d'entrer assez précisément dans le détail des dispositions étrangères. Il ne s’agit pas ici d’une application de la loi étrangère, mais d’une simple consultation pour comprendre les caractéristiques d'une institution inconnue du droit du for. Elle ne préjuge donc pas de la qualification que le for pourra lui réserver : le for n’est pas lié par une quelconque qualification retenue par le droit étranger. Car ce n'est qu'une fois compris le sens de l'institution étrangère que l'opération de qualification proprement dite peut commencer.
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Ensuite, il arrive très fréquemment que les prétentions émises par les parties postulent que soient tranchées, non pas une, mais plusieurs questions de droit successives. La jurisprudence a ainsi eu maintes occasions de se prononcer sur les prétentions successorales formulées par le conjoint du de cujus. Or cette prétention suppose, pour son traitement, qu'il soit répondu à deux questions : le conjoint a-t‑il vocation successorale ? le lien de famille qui fonde la prétention successorale (ici le mariage, mais il pourrait s'agir de la filiation) est-il constitué ? On aurait pu songer à régler la difficulté en soumettant la prétention dans son ensemble à une seule et même loi ; la question « principale » aurait absorbé ainsi les questions accessoires s'y rattachant. Et la Cour de cassation avait d'ailleurs paru, dans un premier temps, accréditer cette méthode. Dans l'arrêt Ponnoucanamale (Req. 21 avr. 1931, Rev. crit. DIP 1932. 526, note J.-P. Niboyet), il est vrai fort sujet à interprétation, elle avait en effet retenu que dès lors qu'une succession est soumise à la loi française, « la dévolution héréditaire en est réglée par cette loi quel que soit le
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statut personnel du de cujus ou des héritiers ». Et la loi française de succession a été appelée en l'espèce à se prononcer non seulement sur la vocation successorale d'un enfant adoptif, mais aussi sur la validité de la filiation adoptive invoquée.
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Cette méthode n'a finalement pas été celle retenue par le droit positif contemporain. En présence d'une prétention complexe, fondée sur plusieurs questions de droit, il faut « tronçonner » l'analyse, en distinguant chaque question autonome, et en lui appliquant son propre traitement en termes de qualification et de mise en œuvre subséquente de la règle de conflit. C'est l'enseignement de l'arrêt Bendeddouche (Civ. 1re, 3 janv. 1980, GADIP, no 61, Rev. crit. DIP 1980. 331, note H. Batiffol ; JDI 1980. 327, note M. Simon-Depitre), dans lequel la Cour de cassation, saisie de la prétention successorale de la seconde épouse d'un algérien polygame, énonce que « si la loi française régit la dévolution successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et l'établissement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution successorale relèvent de la loi personnelle ». À la question « le conjoint at‑il un droit successoral sur les immeubles du défunt ? », la Cour de cassation applique la qualification « succession immobilière » déclenchant l'application de la loi française du lieu de situation de l'immeuble, tandis qu'à la question « la seconde épouse d'un polygame peut-elle se prévaloir du statut de conjoint ? », elle applique la qualification « formation du mariage » déclenchant l'application de la loi personnelle des époux. Le cas du mariage polygamique illustre cependant une autre difficulté, celle de la sélection, au sein des catégories juridiques du for, d'une catégorie pertinente apte à accueillir la question posée.
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2. Sélection de la catégorie pertinente Une fois la question de droit analysée, c'est‑à-dire comprise et le cas échéant dûment décomposée, chaque question doit être rattachée à l'une des catégories du droit international privé. Lorsque la qualification se fait lege fori, donc en fonction des catégories et des conceptions du for, il est instinctif de s'inspirer des qualifications et catégories de droit interne. Ainsi, la sanction d'une rupture des pourparlers relevant en droit interne de la matière délictuelle, la qualification « délictuelle » semble également pouvoir s'imposer en matière internationale. Cet alignement sur les qualifications internes du for n'est toutefois pas toujours possible. Elle doit tout d'abord être écartée lorsqu'une qualification autonome est imposée par un texte ou une juridiction supranational (v. ss 81 s.). Ensuite, même en cas de qualification lege fori, l'alignement sur les qualifications internes du for doit également être tempéré si la qualification traditionnellement retenue en droit interne ne peut pas être pertinemment transposée en matière internationale. L'arrêt Silvia (v. rubrique Documents) offre une excellente illustration de ce que la qualification lege fori n'implique pas nécessairement un alignement pur et simple sur les qualifications de droit interne. Une femme de nationalité italienne avait conclu des actes juridiques dont elle demandait l'annulation en alléguant de ce qu'elle n'avait pu donner un consentement éclairé à ces actes car elle se trouvait sous l'emprise d'une grave dépression nerveuse lors de leur signature. Il faut préciser qu'elle ne bénéficiait pas, au moment de la conclusion des actes, d'une quelconque mesure de protection réservée aux incapables, en sorte que son incapacité n'était pas juridiquement reconnue. Dans le droit interne français applicable à l'époque des faits, lorsqu'une personne qui n'était pas juridiquement incapable se trouvait néanmoins, en fait, dans un état de démence ou d'insanité d'esprit lors de la conclusion d'un acte juridique, elle pouvait en
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demander l'annulation, non pas pour défaut de capacité, mais sur le terrain du vice du consentement. Et Mme Silvia soutenait, en conséquence, que la question qu'elle posait — annulation d'un acte conclu sous l'empire de la démence — ne devait pas être soumise à sa loi nationale comme le serait une question de capacité, mais devait être soumise à la loi de l'acte, comme le serait une question relative aux vices du consentement. Il faut dire que, par application de sa loi nationale italienne, sa demande était prescrite. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 1957, arrête pourtant une solution différente : « l'insanité d'esprit et la démence constituent en réalité des cas d'incapacité naturelle soumis à la loi personnelle et non à la loi régissant les actes juridiques incriminés comme les vices du consentement ». Entre la catégorie « capacité » soumise à la loi personnelle, et la catégorie « acte juridique » soumise à la loi de l'acte, la Cour de cassation tranche donc en faveur de la première pour les besoins de la qualification, ce alors même que l'analyse classique de droit interne conduisait à pencher en faveur de la qualification « vices du consentement » relevant elle-même de la catégorie « acte juridique ». L'arrêt est intéressant en ce qu'il impose de s'interroger sur les considérations ou les critères qui justifient qu'une qualification spécifique au droit international soit préférée à la qualification traditionnellement opérée en droit interne. Pourquoi avoir préféré la qualification « capacité » à la qualification « vice du consentement » (alors retenue en droit interne) ? C'est que le droit international privé doit tenir compte de ses propres contraintes et qu'il lui revient de définir l'étendue de ses catégories en fonction de la nature réelle des questions, de telle manière que chaque question entre dans la catégorie la plus adaptée à sa spécificité. L'objectif de protection qui sous-tend le régime des actes juridiques conclus par des individus en état de démence ne saurait s'accommoder de la qualification « acte juridique », qui conduirait à appliquer la loi d'autonomie, c'est‑à-dire la loi choisie par les parties (comment un dément pourrait-il en toute conscience choisir la loi applicable ?) ; alors que cet objectif est suffisamment garanti par la qualification « capacité » qui conduit à l'application de la loi personnelle de l'intéressé. Ainsi que le notent MM. Ancel et Lequette, « on constate ainsi l'influence du rattachement sur la qualification qui entraîne une certaine autonomie des catégories du droit international par rapport aux classifications internes du for » (GADIP, n o 29, § 7). En d'autres termes, la qualification lege fori, si elle conduit à faire prévaloir les conceptions du for sur celles du droit étranger, n'impose pas un assujettissement total aux conceptions du droit interne qui peuvent et doivent être infléchies lorsque les solutions auxquelles elles conduisent sont incohérentes au regard des principes qui régissent le droit international privé. La circonstance que les qualifications de droit international privé s'inspirent principalement des qualifications de droit interne – sous les réserves qui viennent d'être mentionnées – est de nature à susciter des difficultés particulières lorsque la situation juridique à qualifier met en jeu une institution inconnue du for, voire réprouvée par lui : un trust, un mariage polygamique, une répudiation… Les catégories du for n'ont en effet pas été conçues en considération de ces institutions étrangères, qui s'y rattachent donc difficilement. Faut-il alors considérer que, ne trouvant place au sein d'aucune de nos catégories juridiques, l'institution étrangère est « hors droit » pour refuser d'en tirer une quelconque conséquence juridique ? C'est ce qui a parfois été préconisé s'agissant du mariage polygamique (Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes, Paris, 1958, no 21, p. 17), et la jurisprudence n'a pas été insensible à cette thèse (v. Req. 14 mars 1933, Cousin de Lavallière, S. 1933. 1. 28,
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rapport Pilon, dans lequel les juges ignorent purement et simplement l'existence d'un mariage polygamique pour conclure au caractère naturel de la filiation des enfants nés de cette union). La solution n'apparaît toutefois pas conforme à l'esprit du droit international privé, qui doit être en mesure d'embrasser des situations juridiques même lorsqu'elles émanent d'ordres juridiques étrangers. Aussi la doctrine majoritaire préconise-t‑elle plutôt, face à une notion étrangère inconnue de notre droit, d'élargir les catégories du for de façon à y accueillir cette notion, dès lors qu'elle est suffisamment proche de nos propres conceptions. Encore faut-il alors définir les directives pertinentes qu'il convient de suivre pour mener à bien cette opération « d'adaptation » de nos catégories. Comment décider si une institution étrangère peut intégrer l'une de nos catégories, et comment décider laquelle de nos catégories est la plus adaptée pour recevoir cette institution ? Le critère déterminant est en principe celui de la fonction de l'institution étrangère : il convient d'apprécier les buts que poursuit l'institution, de façon à la classer dans la catégorie du for qui reçoit les institutions fonctionnellement équivalentes. Ainsi le mariage polygamique, inconnu du droit français, trouve-t‑il naturellement sa place dans la catégorie « mariage », dont il remplit exactement la fonction. Il a pourtant été observé que l'analyse fonctionnelle ne pouvait toujours à elle seule suffire. On a dit plus haut (v. ss 90) les liens étroits qui unissent les catégories juridiques et les éléments de rattachement qui leur sont affectés ; aussi une partie de la doctrine préconise-t‑elle que, outre l'aspect fonctionnel de l'institution étrangère, soit prise en considération, pour décider de la catégorie du for susceptible de l'accueillir, la pertinence du critère de rattachement affecté à la catégorie envisagée au regard des spécificités de l'institution étrangère (B. Ancel, Les conflits de qualification à l'épreuve de la donation entre époux, Paris, 1977, no 533 s. ; B. Ancel, Y. Lequette, GADIP, n o 30-31, no 4, p. 275). Ainsi le mariage polygamique peut-il effectivement intégrer la catégorie « mariage », ainsi que le postule sa fonction, car le critère de rattachement personnel est conforme à la nature de l'institution. On peut donc admettre, jusqu'à un certain point, que des institutions inconnues de notre droit intègrent les catégories juridiques du for au prix d'un élargissement plus ou moins important de ces catégories. Ce n'est qu'à cette condition qu'il devient possible de déterminer quelle loi est appelée à régir la question de droit posée puisque, de l'identification de la catégorie juridique dépend celle de la règle de conflit applicable. Pour autant, la détermination de la catégorie juridique à laquelle la question de droit considérée doit être rattachée ne suffit pas toujours à identifier avec certitude la règle de conflit applicable. Une étape de sélection de la règle de conflit de lois doit encore être franchie.
2 Sélection de la règle de conflit
L'idée même de sélection de la règle de conflit peut paraître surprenante, tant le principe d'application des règles de conflit du for est fermement inscrit en droit international privé (quoiqu'il ait pu être remis en cause par les partisans du conflit de systèmes, qui préconisent en certaines circonstances un abandon de la règle de conflit du for au profit d'une règle de conflit étrangère ; la théorie des conflits de systèmes dépasse toutefois l'objet de ce cours et ne sera pas abordée). Le juge français applique la règle de conflit française attachée à la catégorie juridique concernée ; il n'a pas a priori à se préoccuper des règles de conflit étrangères ni à envisager un
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« conflit » de règles de conflit. Tout est donc simple ? La simplicité doit être doublement nuancée. Tout d'abord, même lorsque l'on envisage exclusivement la ou les règles de conflit du for, il est possible de se heurter à un « conflit » imposant d'opérer une sélection parmi plusieurs de ces règles (A). Ensuite, même si le juge du for n'applique jamais une règle de conflit étrangère, il peut tout au moins prendre en considération cette règle de conflit et cette prise en considérationQ est de nature à influer sur la mise en œuvre de la règle de conflit du for (B).
A. Application de la règle de conflit du for 93
En au moins deux hypothèses, il est possible de se trouver confronté à une difficulté de sélection de la règle de conflit pertinente parmi plusieurs règles de conflits du for susceptibles de s'appliquer : lorsque deux ou plusieurs règles de conflit coexistent, pour une même catégorie juridique, dans notre droit (1) ; et lorsque deux ou plusieurs règles de conflit se succèdent dans le temps pour une même catégorie (2). On peut encore ajouter un cas de figure original, que l'on rencontre lorsque la règle de conflit du for dont l'application est dictée par l'opération de qualification n'apparaît pas totalement adaptée à la situation juridique considérée. Le problème n'est pas alors tant celui d'une sélection, que celui d'une altération ou d'une adaptation de la règle de conflit (3).
1. Coexistence de règles de conflit 94
La situation de coexistence de règles de conflit est rendue possible par la pluralité des sources du droit international privé. À un instant T, une même question peut, si l'on considère seulement sa nature juridique et donc sa qualification, être potentiellement régie par une règle de conflit d'origine nationale, et une règle de conflit d'origine conventionnelle, ou par deux règles de conflit trouvant leur source dans des conventions internationales distinctes. Envisageons l'acheteur d'un produit défectueux qui exerce une action en responsabilité contre le fabricant de ce bien pour obtenir réparation d'un dommage subi en novembre 2007 (on postulera qu'il n'existe ni contrat, ni action directe). Trois règles de conflit distinctes pourraient s'appliquer à son action en responsabilité : – la règle de conflit nationale, d'origine jurisprudentielle, qui précise qu'en matière délictuelle la loi applicable est la loi du lieu du délit ; – une règle de conflit conventionnelle, spécifique à la responsabilité du fait des produits, définie par la convention de La Haye du 2 octobre 1973, dont le contenu diffère quelque peu de la règle d'origine nationale ; – une règle de conflit européenne issue du règlement du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (sur l'ensemble de ces règles, v. ss 1076 s.). En une telle hypothèse, l'analyse de la nature de la question de droit ne suffit pas à déterminer quelle est la règle de conflit applicable. Pour sélectionner la règle de conflit applicable, il faut opérer un raisonnement en deux temps. Il faut, dans un premier temps, s'assurer que toutes les règles de conflit sont effectivement applicables, en analysant leur domaine d'application non seulement matériel, mais aussi temporel et spatial. Dans l'exemple considéré ci-dessus, la règle de conflit européenne doit être écartée, car la situation n'entre pas dans son domaine d'application dans le temps (le règlement ne joue que pour les faits générateurs
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survenus après son entrée en vigueur fixée au 11 janv. 2009). En revanche, la règle de droit commun, tout comme la règle conventionnelle, pourraient être applicables, car la question posée entre dans le domaine d'application matériel de la convention de La Haye tel que défini par ses articles 1 à 3, ainsi que dans son domaine temporel et, on le supposera, spatial (pour une illustration des difficultés pouvant naître de l'appréciation du domaine d'application matériel des règles de conflit, v. concernant précisément le point de savoir si la convention de La Haye du 2 octobre 1973 couvre les actions en responsabilité contractuelle : Civ. 7 mars 2000, Rev. crit. DIP 2001. 101, note P. Lagarde ; contra Civ. 1 re, 16 déc. 1997, Rev. crit. DIP 1998. 300, note P. Lagarde). Dans un second temps, s'il apparaît que les domaines d'application de deux règles de conflit se chevauchent, il s'avère nécessaire de sélectionner l'une des règles de conflit en présence. La hiérarchie des normes fournit un premier principe de sélection : la règle de conflit conventionnelle ou européenne prévaut sur la règle de conflit nationale, lorsque leurs domaines d'application respectifs sont identiques. Dans l’illustration proposée ci-dessus, c’est donc la règle conventionnelle qui devrait jouer, de préférence à la règle nationale. Mais les chevauchements de domaines d'application peuvent tout aussi bien concerner deux règles d'origine conventionnelle ou européenne, d'égale valeur hiérarchique. Comment régler alors le conflit ? Le premier réflexe doit être de consulter les dispositions spécifiques que ces textes pourraient inclure pour régler le conflit de conventions. Souvent, les textes supranationaux intègrent des clauses destinées à organiser leurs relations avec d'autres instruments internationaux ; il peut être prévu, par exemple, qu'une convention nouvellement adoptée ne porte pas atteinte à l'application des conventions antérieurement conclues par les États signataires dans le même domaine. La plupart des instruments européens de droit international privé comportent des dispositions de ce type (clauses de neutralisation). En l'absence de toute préconisation par le texte, la doctrine propose usuellement comme mode de règlement du conflit l'application du principe specialia generalibus derogant (sur l'ensemble des principes de règlement des « conflits de conventions », v. ss rubrique Débat du chapitre 2) : la règle de conflit la plus spéciale doit être préférée à la règle de conflit la plus générale. Ainsi, en présence d'un contrat de vente internationale de marchandises, la règle de conflit doit-elle être empruntée à la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes internationales, plutôt qu'à la convention de Rome qui définit la loi applicable aux obligations contractuelles en général. Encore faut-il mesurer les difficultés de cette méthode, ce qu'il est possible de faire sur la base d'un exemple : soit un contrat de vente internationale de biens mobiliers conclu entre un professionnel et un consommateur ; s'agissant d'une vente, les dispositions de la convention de La Haye sont plus spéciales que celles de la convention de Rome, mais seule la convention de Rome envisage spécifiquement l'hypothèse particulière du contrat de consommation. Faut-il alors faire prévaloir la convention de La Haye, ou la convention de Rome ? La seconde solution semble préférable, mais elle ne se rattache pas d'évidence au principe specialia… La solution serait sans doute de dénoncer, ainsi que certains l’appellent de leurs vœux, la Convention de La Haye de 1955 qui est, en ce qu’elle ne distingue pas les ventes aux consommateurs, obsolète.
2. Succession de règles de conflit On connaît, en droit matériel, les difficultés posées par le conflit de lois dans le temps. Cette difficulté existe aussi pour les règles de conflit de lois, car celles-ci ne sont pas
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immuables. Elles évoluent, elles se modifient, et peuvent donc revêtir, aux différents moments de la « vie » d'une situation juridique, des configurations distinctes. Comment déterminer, alors, laquelle de ces configurations doit être privilégiée ? Certaines règles de conflit, souvent d'origine conventionnelle ou européenne, s'accompagnent de l'énoncé de principes clairs régissant leur application dans le temps. Ainsi la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoit-elle, dans son article 17, que « la convention s'applique dans un État contractant aux contrats conclus après son entrée en vigueur pour cet État » (en France, la convention est entrée en vigueur le 1er avr. 1991), tandis que le règlement Rome I du 17 juin 2008, qui lui succède, précise en son article 28 qu'il s'applique aux contrats conclus après le 17 décembre 2009. En matière contractuelle, la succession des règles est donc simple à mettre en œuvre : les contrats conclus après le 17 décembre 2009 sont soumis aux règles de conflit du règlement Rome I, les contrats conclus entre le 1 er avril 1991 et le 17 décembre 2009 sont soumis aux règles de conflit de la Convention de Rome, les contrats conclus avant le 1 er avril 1991 restent régis par la règle de conflit de droit commun (v. ss 949 s.).
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Mais les textes ne précisent pas toujours les règles devant régir l'application dans le temps des règles de conflit qu'ils édictent. Dans le silence des textes, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt Ortiz (Civ. 1 re, 13 janv. 1982, GADIP, n o 62 ; Rev. crit. DIP 1982. 551, note H. Batiffol), que le conflit de règles de conflit dans le temps doit être réglé par application des mêmes principes généraux qui régissent le conflit dans le temps de lois matérielles. Le principe central est donc celui de l'application immédiate des règles de conflit nouvelles aux effets des situations en cours et aux situations nées après leur entrée en vigueur. Cette application s'opère sans rétroactivité : les conditions de constitution et les effets passés d'une situation juridique restent soumis à la règle de conflit ancienne. En outre, ce principe se conjugue à un principe de survie de la règle de conflit ancienne pour les effets futurs du contrat.
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La jurisprudence s'est montrée plus hésitante, en revanche, sur le sort à réserver aux règles transitoires insérées dans des lois édictant à la fois des dispositions matérielles et des règles de conflit. Les règles de droit transitoire spécialement édictées par ces lois peuvent-elles s'appliquer au conflit dans le temps de règles de conflit, ou doiventelles être réservées au règlement du conflit dans le temps des dispositions matérielles ? Dans l'arrêt Ortiz précité, la Cour de cassation avait refusé d'appliquer les dispositions transitoires, prévues par la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce, à la règle de conflit nouvelle posée par cette loi (devenue C. civ., art. 310, auj. C. civ., art. 309), aux motifs que ces dispositions constituaient « seulement des règles transitoires spéciales de la loi interne ». Dans un arrêt Imhoos (Civ. 1re, 11 juin 1996, Rev. crit. DIP 1997. 291, note Y. Lequette ; D. 1997. 3, note F. Monéger) en revanche, elle a jugé que les dispositions transitoires prévues par la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation s'appliquaient aussi bien pour la mise en œuvre des dispositions matérielles instituées par cette loi, que pour celle de ses règles de conflit et notamment pour l'application de l'article 311-14 du Code civil. Pour certains auteurs, ces atermoiements s'expliquent, ou peuvent au moins être minimisés, si l'on admet, en atténuant le principe général posé par l'arrêt Ortiz, la relative inadaptation des principes généraux du droit transitoire au règlement des conflits dans le temps de droit international privé (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., n o 253, qui
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préfèrent évoquer une coïncidence partielle). Dans la plupart des hypothèses, l'extension, au règlement des conflits de droit international privé, des règles de droit transitoire prévues pour les conflits de lois matérielles, fonctionne de façon satisfaisante. Mais il ne faut pas pour autant négliger deux considérations importantes qui justifient certains infléchissements : d'une part, les règles de conflit sont le plus souvent neutres, de sorte que les principes généraux du droit transitoire ne peuvent leur être appliqués que s'ils sont eux-mêmes indifférents au contenu des règles en conflit. Ainsi la règle de l'application immédiate de la loi nouvelle d'ordre public à des situations qui devraient normalement rester régies par la loi ancienne (contrat), justifiée par le souci de procéder à une harmonisation des situations dans un sens jugé substantiellement conforme à l'intérêt public supérieur, ne doit pas être transposée au règlement du conflit de droit international privé, car les conséquences d'un changement de loi applicable ne peuvent garantir une modification substantielle dans le sens voulu par le législateur. D'autre part, il faut garder à l'esprit que le changement de loi applicable emporte parfois des conséquences bien plus radicales que la seule modification du droit substantiel. MM. Mayer et Heuzé en prennent pour illustration le cas du régime matrimonial : l'application immédiate de la loi substantielle nouvelle altère certes le régime tel qu'il avait été envisagé par les parties, mais l'évolution est en quelque sorte « maîtrisée » par le législateur qui a pu en mesurer les effets pour décider, en toute connaissance de cause, de réviser la loi ; en revanche, le changement de loi applicable — comme conséquence du changement de la règle de conflit — est de nature à bouleverser fondamentalement les prévisions des parties en soumettant leur régime à une loi radicalement différente de celle qu'ils croyaient applicable à l'origine ; ainsi des époux mariés sous le régime de la communauté des biens, en l'absence de tout contrat de mariage, pourraient se trouver soumis à un régime de séparation de biens au bénéfice d'un changement de loi applicable (le régime « légal » étant la communauté des biens dans certains pays, la séparation des biens dans d'autres). Ces auteurs en tirent la conséquence que « le principe de survie de la règle ancienne est plus fort en droit international privé qu'en droit interne » (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 253). L'idée générale qui semble ressortir de cette analyse voudrait ainsi que, si aussi bien les principes généraux que les règles spéciales de droit transitoire applicables aux conflits dans le temps de lois matérielles peuvent en principe être appliqués aux conflits de droit international privé, cette extension ne peut se faire de façon automatique. Il convient, avant de l'opérer, de vérifier que la teneur du principe ou de la règle de droit transitoire est conforme aux considérations et objectifs spécifiques au droit international privé pour, à défaut, s'en écarter au bénéfice d'une règle spécialement forgée au profit du droit international privé.
3. Adaptation des règles de conflit La règle de conflit proposée par le droit positif doit-elle toujours être appliquée en l'état ? Le juge doit-il toujours aveuglément lui obéir ? Une réponse affirmative semble s'imposer, car le juge doit appliquer la loi. L'origine jurisprudentielle de la plupart des règles de conflit autorise pourtant à introduire une souplesse bienvenue dans le mécanisme. On l'a vu, la règle de conflit est en principe définie en considération de la particulière adaptation du rattachement qu'elle propose à la nature des questions juridiques incluses dans la catégorie qu'elle vise. Or en certaines circonstances, ce rattachement peut s'avérer partiellement inadapté.
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Tel est particulièrement le cas lorsque l'on est amené, conformément au raisonnement exposé plus haut (v. ss 91), à élargir les catégories du for pour y intégrer des institutions étrangères fonctionnellement équivalentes. On l'a dit, l'équivalence de fonctions ne suffit pas à justifier cette intégration et il faut également prendre en considération l'adéquation, à l'institution étrangère, du critère de rattachement affecté à la catégorie juridique où l'on entend placer cette institution. Mais même ainsi, alors que la règle de conflit s'avère globalement satisfaisante pour le règlement de la question de droit posée, certains ajustements peuvent être nécessaires. On reprendra à profit l'exemple du mariage polygamique. Son classement dans la catégorie « mariage », et plus précisément « règles de fond du mariage », conduit à lui appliquer la loi personnelle des époux, ce qui est un rattachement par principe satisfaisant. En application de la règle de conflit telle qu'elle est conçue pour les mariages monogamiques, on vérifiera donc que le mariage polygamique est validé par la loi personnelle de l'époux et par la loi personnelle de l'épouse. Mais par définition, l'hypothèse de polygamie ne se présente que lorsqu'un second mariage est envisagé, alors qu'un premier mariage a déjà été valablement contracté sans être dissous. L'appréciation de la validité du second mariage conduit donc à contrôler sa régularité au regard de la loi de l'époux, et au regard de la loi de la seconde épouse. Peut-on cependant ignorer la loi personnelle de la première épouse ? Soit — pour reprendre les faits de l'arrêt Chemouni — un homme de statut personnel polygamique qui épouse en premières noces une femme de statut personnel monogamique, par exemple une femme française. Est-il permis de valider le second mariage que cet homme pourrait contracter avec une seconde femme dont le statut personnel est polygamique ? L'admettre reviendrait à imposer un statut polygamique à la première épouse — qui ne serait plus que l'une des deux épouses de son mari — alors que son statut personnel prohibe la polygamie, ce qui est inadmissible. C'est pourquoi une partie de la doctrine propose, dans cette hypothèse, de procéder à une adaptation de la règle de conflit. Certes, le mariage polygamique doit être soumis à la règle de conflit régissant les conditions de fond du mariage, mais parce qu'il s'agit d'un mariage particulier, d'un mariage « à trois », il faudrait substituer à la règle de conflit imposant ici l'application cumulative des statuts personnels des deux époux impliqués, une règle de conflit imposant l'application cumulative des statuts personnels des trois époux impliqués. En d'autres termes, il ne suffirait pas que le second mariage soit valable au regard du statut personnel des deux parties à ce mariage, il faudrait encore qu'il soit validé par la loi personnelle de la première épouse (en ce sens : Y. Lequette, Rev. crit. DIP 1983. 277 ; ibid. 1989. 78 ; H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en droit international privé comparé », Rec. cours La Haye 1991, t. 1, no 72, p. 234 ; pour des propositions alternatives, v. ss rubrique Débat du chapitre 8). Si l'adaptation paraît naturellement plus aisée à l'égard des règles de conflit d'origine jurisprudentielle (ce que la jurisprudence a fait, la jurisprudence peut l'amender), elle devrait également pouvoir jouer à l'égard des règles de conflit d'origine législative ou conventionnelle. En effet, l'adaptation est justifiée par le fait que la situation juridique qui doit être traitée ne correspond pas en tout point à l'hypothèse pour le traitement de laquelle la règle de conflit a été forgée. En conséquence, l'interprétation et l'altération consécutive de la règle de conflit sont justifiées par l'esprit même de la règle. L'impératif d'adaptation de la règle de conflit se retrouve également, mais dans une tout autre optique, lorsque l'on aborde l'hypothèse de prise en considération de la règle de conflit étrangère.
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B. Prise en considération de la règle de conflit étrangère
1. La théorie du renvoi
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Parce que le droit international s'est à l'origine construit dans un contexte particulariste, tous les États n'ont pas adopté les mêmes règles de conflit, non plus d'ailleurs que les mêmes catégories juridiques de droit international privé. Une même catégorie peut donc se voir affecter un élément de rattachement donné dans un État, et un élément de rattachement différent dans un autre. Dans ce contexte, la doctrine s'est amplement interrogée sur la mesure dans laquelle l'hétérogénéité des règles de conflit des États impliqués dans la situation juridique considérée doit être prise en compte. Cette réflexion a donné naissance à deux principales théories doctrinales que l'on exposera ici, quoique leur fortune ait été, en droit positif, opposée : la théorie du renvoi (1), et la théorie des questions préalables (2).
On retrouve, aux origines de la théorie du renvoiQ, des traces très nettes d'unilatéralisme, puisqu'elle repose sur l'idée essentielle qu'il ne devrait pas être possible d'appliquer une loi étrangère, même désignée par notre règle de conflit, si cette loi ne veut pas s'appliquer à la situation considérée. La théorie préconise donc de consulter la règle de conflit de l'État désigné par la règle de conflit du for, selon un mécanisme que l'on présentera schématiquement, avant d'envisager ses justifications, d'apprécier sa positivité et d'en définir le domaine.
a.
Mécanisme
La règle de conflit française désigne, en matière de capacité, la loi nationale de l'intéressé. Lorsque ce dernier est anglais, la loi applicable est donc normalement, du point de vue français, la loi anglaise. Mais rien n'indique que la loi anglaise ait prévu de s'appliquer aux questions mettant en cause la capacité de ses nationaux. De fait, le droit anglais, c'est‑à-dire la règle de conflit anglaise, prévoit la compétence de la loi du domicile de l'intéressé. Si donc le national anglais dont il est question est domicilié en Angleterre, la loi anglaise accepte sa compétence ; elle est bien, du point de vue de l'ordre juridique anglais, la loi compétente. Certes, le rattachement retenu n'est pas le même que celui du droit français, mais peu importe puisqu'il y a ici une coïncidence dans la désignation de la loi : l'ordre juridique français, comme l'ordre juridique anglais, retient la compétence de la loi anglaise et c'est bien cette loi que le juge français appliquera. Il n'y a pas de renvoi. Si en revanche le national anglais est domicilié en France, la loi anglaise n'accepte nullement sa compétence. Du point de vue anglais, la loi compétente est la loi française. On considère qu'il y a alors un renvoi du droit anglais au droit français. Puisque l'ordre juridique auquel nous aurions été enclins à reconnaître compétence en vertu de notre règle de conflit s'estime incompétent, et juge au contraire que le droit français est compétent, il convient d'appliquer le droit français en conséquence du renvoi opéré par le droit anglais. Ce renvoi est dit au premier degré, parce que l'ordre juridique désigné par la règle de conflit du for renvoie à la compétence du for. On observera, car l'erreur est fréquemment commise, que l'ensemble du raisonnement est opéré par le juge français : c'est le juge français qui appréhende la règle de conflit anglaise pour en déduire l'existence d'un renvoi, sans qu'à aucun stade il n'y ait un quelconque « déplacement » de l'affaire devant le juge anglais, lequel n'est à aucun moment formellement consulté ! Le juge français ne doit pas oublier, cependant, qu’il doit raisonner comme le ferait le juge étranger, en
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b.
Justification
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appliquant les qualifications qu’il appliquerait, ou encore en réglant le conflit de nationalités comme il le ferait (v. ss 591). On peut encore envisager que le national anglais ne soit domicilié ni en France, ni en Angleterre, mais au Canada. Du point de vue français, la loi anglaise est compétente, mais du point de vue anglais, c'est la loi canadienne qui est compétente. Or la règle de conflit canadienne en matière de capacité retient la compétence de la loi du domicile de l'intéressé. Dans notre illustration, la loi canadienne reconnaît donc sa propre compétence pour régir la capacité du national anglais domicilié sur son territoire. Il y a renvoi, mais ce renvoi s'opère en faveur d'un ordre juridique tiers qui reconnaît la compétence de sa propre loi ; ce renvoi est dit au second degré, parce que l’ordre juridique désigné par la règle de conflit du for renvoie à la compétence d'un État tiers qui retient sa compétence. Là encore, l'intégralité du raisonnement est mise en œuvre par le juge français, sans qu'interviennent ni le juge anglais, ni le juge canadien.
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La prise en considération de la règle de conflit étrangère, telle que l'envisage la théorie du renvoi, est-elle justifiée ? Quoique plusieurs auteurs aient, sur des fondements divers, contesté le principe même du renvoi, la doctrine s'est globalement montrée favorable à son admission, sur la base de justifications diverses qui seront synthétiquement exposées.
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Une première justification est celle proposée par la thèse dite du « renvoi-règlement subsidiaire », développée par Lerebours-Pigeonnière (« Observations sur la question du renvoi », JDI 1924. 877). L'auteur observe que le fait que le droit étranger désigné par la règle de conflit du for ne se reconnaisse pas compétent révèle un dysfonctionnement de cette règle de conflit, qui doit donc être modifiée ou adaptée pour tenir compte du refus opposé par le droit étranger à sa désignation. Le rattachement prévu par la règle de conflit du for doit être réévalué au cas par cas pour définir, si la loi désignée ne se reconnaît pas compétente, une règle de conflit « subsidiaire » garantissant une harmonie des solutions. Cette analyse présente comme défaut pratique majeur de sacrifier excessivement la prévisibilité des solutions du conflit de lois. Le rattachement subsidiaire ne peut en effet être déterminé qu'au cas par cas, en considération de la teneur de la règle de conflit étrangère. Elle n'a guère convaincu.
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La principale justification de la prise en considération de la règle de conflit étrangère est au contraire largement fondée sur la prévisibilité des solutions qu'elle autorise, en ce qu'elle permet la coordination des systèmes juridiques des États impliqués dans la situation. C'est la thèse du « renvoi-coordination ». Pour illustrer l'intérêt d'une telle coordination en termes de prévisibilité des solutions, on reprendra le célèbre « rocher de bronze » de Raape : un oncle et sa nièce, tous deux de nationalité suisse et domiciliés en Russie, se marient à Moscou. La règle de conflit suisse de même que la règle de conflit russe désignent la loi russe du lieu de célébration pour régir la validité du mariage, loi russe qui valide ledit mariage. Ultérieurement, les époux déménagent en Allemagne, où les tribunaux allemands sont saisis de la question de la validité de leur union. La règle de conflit allemande désigne la loi nationale suisse des époux, qui invalide le mariage en raison des liens familiaux existant entre les époux, et cela alors même qu'au jour du mariage, les époux pouvaient valablement croire, au regard des règles de conflit des États suisse et russe impliqués dans la
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situation, que leur union était valable. Il est donc opportun que la règle de conflit allemande prenne en considération la règle de conflit suisse, qui renvoie elle-même à la loi russe, laquelle accepte sa compétence conformément à la règle de conflit russe. Ce renvoi (ici au second degré) protège les prévisions légitimes des parties, en même temps qu'il parvient à l'harmonie des solutions, puisque tous les États impliqués appliqueront finalement la même loi, à savoir la loi russe. Comment justifier théoriquement ce mécanisme dont l'intérêt — ponctuel — au regard de la fonction coordinatrice du droit international privé a ainsi été démontré ? Batiffol a proposé de considérer que le renvoi serait un mécanisme de coordination des ordres juridiques intégré par la règle de conflit elle-même. L'objet de la règle de conflit est de coordonner les ordres juridiques ; or cet objectif ne peut être considéré comme atteint si la loi désignée ne reconnaît pas sa propre compétence. Il faut donc aller plus loin, et accepter d'envisager une autre alternative que l'application de la loi désignée : « suivre le renvoi » pour garantir la meilleure coordination possible des systèmes juridiques. Cette approche a l'avantage de faire ressortir nettement que, si la règle de conflit étrangère entre en jeu, ce n'est nullement parce que le juge du for renoncerait à l'application de sa propre règle de conflit, mais au contraire parce que sa propre règle de conflit intègre une référence à la règle de conflit étrangère. La règle de conflit du for prévoit donc que, si la règle de conflit de l'ordre juridique qu'elle désigne n'envisage pas l'application de son propre droit substantiel, mais retient la compétence de la loi du for (renvoi au premier degré), ou prévoit la compétence de la loi d'un État étranger qui accepte cette compétence (renvoi au deuxième degré), c'est cette loi qui doit s'appliquer de préférence à la loi initialement désignée. P. Mayer y voit, à juste titre, une hypothèse de « prise en considération » de la règle de conflit étrangère, qui n'est pas appliquée par le juge du for, mais intégrée dans le présupposé de sa propre règle de conflit.
c.
Positivité
Le droit positif français a très tôt accordé ses faveurs au mécanisme du renvoi. Le renvoi au premier degré a été consacré dès 1882 par l'arrêt Forgo (Civ. 22 févr. 1882 ; v. rubrique Documents). Statuant sur la succession mobilière d'un national bavarois qui, résidant en France, n'avait pas été autorisé à y fixer son domicile de droit, les juges français considèrent en premier lieu la compétence de la loi bavaroise en application de la règle de conflit française qui désigne la loi du lieu du dernier domicile (de droit) du défunt. Puis, observant que « suivant la loi bavaroise, on doit appliquer (…) la loi de la résidence habituelle », les juges français concluent à l'applicabilité de la loi française sur renvoi de la loi bavaroise. On considère par ailleurs que le renvoi au second degré a été implicitement consacré en 1938 par l'arrêt De Marchi (Civ. 7 mars 1938, GADIP, no 16 ; Rev. crit. DIP 1938. 472, note H. Batiffol), lequel, statuant sur une hypothèse de renvoi au premier degré, se réfère au « caractère, en principe obligatoire, du renvoi fait par la loi nationale d'un étranger à la législation successorale d'un autre État pouvant être, le cas échéant, la législation française ». L'indication « le cas échéant » impliquant que le renvoi à la loi française, c'est‑à-dire le renvoi au premier degré, n'est qu'une configuration possible du mécanisme, accrédite l'idée que le renvoi à une autre loi que la loi française, c'est‑à-dire le renvoi au second degré, peut tout aussi bien être admis.
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Domaine
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Si le renvoi reste, en droit international privé français, un mécanisme de droit positif, il n'en faut pas moins observer que son domaine d'application, déjà traditionnellement limité, fait l'objet d'une réduction drastique qui le confine dans une fonction d'exception, notamment sous l’influence des sources supranationales du droit international privé.
Quoiqu’admis en droit positif, le renvoi paraît voué à une certaine désuétude. Traditionnellement exclu lorsque la règle de conflit autorise les parties à désigner la loi applicable (principe d'autonomie), pour ne pas déjouer les prévisions des parties, ou lorsque la règle de conflit est à coloration matérielle (v. ss 756), pour ne pas la détourner de son objectif, il est en outre quasi-systématiquement délaissé dans les conventions internationales et les règlements européens de droit international privé. En effet, dès lors que l’objectif de coordination des ordres juridiques est atteint par l’harmonisation des règles de conflit, l’usage du renvoi aux mêmes fins ne se justifie plus et son abandon constitue un facteur de simplification bienvenue. Il est toutefois permis de regretter, avec certains auteurs, que la question de la coordination avec les ordres juridiques des États tiers aux conventions ou aux règlements considérés – dont la loi peut être déclarée applicable car ces textes sont universels – soit ainsi abandonnée. À cet égard, le Règlement Successions qui écarte le renvoi quand la loi désignée est celle d’un État membre, mais l’admet partiellement quand la loi désignée est celle d’un État tiers, constitue une proposition intéressante (v. ss 793). Ainsi principalement circonscrit aux questions de capacité des personnes physiques (v. ss 645), de validité du mariage (v. ss 686), à certains aspects de la filiation (v. ss 756) ou de la succession (v. ss 824, 835 s., 839), le renvoi devient d’autant moins saisissable que son régime semble devoir varier selon la matière considérée. Cette approche fonctionnelle n’en facilite certainement pas l’appréhension.
2. La théorie des questions préalables 110
Le droit international privé positif français, on l'a vu (v. ss 89 s.), aborde les questions complexes en en traitant les différents éléments constitutifs comme autant de questions distinctes, soumises à un traitement autonome : la vocation successorale du conjoint est examinée en application de la loi qui régit la succession selon la règle de conflit du for, tandis que la qualité même de conjoint est traitée, conformément aux conceptions du for, sous l'angle du statut personnel, en application de la loi nationale des époux qui régit la formation du mariage. En mettant en œuvre un tel rattachement autonome, le droit international privé français ignore totalement la position qu'aurait eue, sur la validité du mariage, le droit qui régit à titre principal la succession. Une partie de la doctrine, sous l'influence originaire d'auteurs allemands et en France du professeur Paul Lagarde, a critiqué cette approche, et soutenu qu'il conviendrait, lorsqu'une question principale est soumise à une loi étrangère, de confier le soin de se prononcer sur la question préalable à l'ordre juridique étranger dont la loi est applicable à la question principale. Cette théorie, dénommée « théorie des questions préalablesQ » préconise donc que la question préalable soit traitée, non en application des règles de conflit du for, mais en application des règles de conflit de l'ordre juridique étranger dont la loi a été déclarée applicable à la question principale (rattachement dépendant). Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, la validité du mariage
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ne devrait pas nécessairement être examinée, comme le postule le droit international privé français, au regard de la loi personnelle des époux, mais au regard de la loi jugée compétente en matière personnelle par la règle de conflit de l'ordre juridique dont la loi a été appelée à régler la question principale de succession.
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Le débat sur la pertinence de ce rattachement autonome est aujourd'hui renouvelé (v. en part. les articles de S. Corneloup et S. Sana-Chaillé de Néré cités in Bibliographie 4), du fait du développement des règles de conflit de source européenne. Les règlements européens unifiant les règles de conflit de lois ne prennent pas parti sur la méthode devant être employée lorsque leur application suppose la résolution d’une question préalable, hypothèse pourtant très fréquente. C’est donc le droit international privé du for qui détermine la solution du rattachement des questions préalables : rattachement autonome, ou rattachement dépendant. Il en résulte des divergences nécessaires dans l’application des règlements européens par les États membres, en contradiction avec l’objectif d’harmonisation poursuivi. À titre d’exemple, les questions préalables d’état des personnes en matière de successions sont traitées en France par la méthode du rattachement autonome, tandis qu’elles le sont en Allemagne par la méthode du rattachement dépendant ; une même situation successorale conduira donc potentiellement à des résultats différents, selon qu’elle est réglée en France ou en Allemagne, alors pourtant que la règle de conflit de lois successorale est la même dans ces deux pays ! Pour pallier ces difficultés, plusieurs solutions sont actuellement discutées dans l’Union européenne. L’une consisterait à adopter une règle de rattachement harmonisée, pour les questions préalables de statut personnel, dans tous les États membres ; en l’état actuel des textes européens, le choix devrait être celui du rattachement autonome, mais des modulations pourraient être envisagées. Mais d’autres options sont également explorées, en particulier celle de l’adoption d’une règle de conflit de lois européenne harmonisée en matière de statut personnel, ou encore celle de la suppression pure et simple des questions préalables en matière d’état des personnes entre États membres par application de la méthode de la reconnaissance. Il faut espérer que ces questions, importantes en pratique, seront rapidement résolues.
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Le droit positif français n'a jamais fait sienne cette théorie. La Cour de cassation l'a au contraire nettement rejetée dans un arrêt Djenangi (Civ. 1re, 22 avr. 1986, Rev. crit. DIP 1988. 302, note J.-M. Bischoff ; JDI 1986. 1025, note A. Sinay-Cytermann). Saisie d'une prétention tendant à voir appliquer à la question préalable de validité d'un mariage la loi substantielle même qui devait régir la question principale de succession, la Cour de cassation rejette tout d'abord cette prétention en rappelant les termes de l'arrêt Benddedouche : « s'il appartient à la loi successorale de désigner les personnes appelées à la succession et de dire notamment si le conjoint figure parmi elles et pour quelle part, il ne lui appartient pas de dire si une personne à la qualité de conjoint ». Puis, allant au-delà de la demande, la Cour de cassation balaye d'un obiter dictum la théorie des questions préalables en ajoutant que la loi successorale n'a pas plus vocation à « définir selon quelle loi doit être appréciée cette qualité ». Ainsi, c'est bien à la loi désignée par la règle de conflit du for, et non à la loi désignée par la règle de conflit de l'ordre juridique compétent pour régler la question principale, que la question préalable doit être soumise.
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Droit international privé
§
Une fois sélectionnée la règle de conflit pertinente, l'identification de la loi applicable à la question de droit ne semble plus devoir poser de problèmes : la loi applicable est celle désignée par l'élément de rattachement retenu par la règle de conflit. La loi traitant de la capacité d'un individu est la loi nationale de l'intéressé : on applique la loi de l'État dont l'individu porte la nationalité. Cette facilité n'est une fois encore qu'apparente. D'une part, certaines difficultés relatives à l'identification de l'ordre juridique compétent peuvent se présenter (A). Ensuite, une fois cet ordre juridique identifié, il faut s'interroger sur les directives qui régissent le choix, au sein de cet ordre juridique, de la ou les règles substantielles précisément applicables à la question considérée (B).
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3 Identification de la loi applicable
A. Identification de l'ordre juridique compétent 114
L'ordre juridique compétent est celui désigné par l'élément de rattachement. Mais l'application concrète de l'élément de rattachement pose toute une série de difficultés, que l'on peut classer en trois catégories : les problèmes de définition du rattachement (1), ceux d'identification du rattachement (2), et ceux de manipulation du rattachement qui renvoient à l'hypothèse de fraude à la loi (3).
1. Problèmes de définition du rattachement 115
Le plus souvent, la définition du rattachement ne pose pas de réelle difficulté : par exemple le rattachement « lieu de situation des biens immobiliers », applicable en matière de successions immobilières, n'appelle pas de discussion spécifique. S'il en va ainsi, c'est parce que le rattachement considéré — lieu de situation des biens immobiliers — a un caractère purement factuel qui conduit à une certaine uniformité des solutions.
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Mais d'autres rattachements renvoient à des notions juridiques. C'est le cas de la nationalité ou encore du domicile. Parce qu'elles sont juridiques, ces notions peuvent recevoir des définitions différentes selon les ordres juridiques impliqués. Ainsi, dans l'affaire Forgo (v. rubrique Documents), la France et la Bavière retenaient de la notion de « domicile » des conceptions différentes, ce qui a permis de faire jouer le renvoi nonobstant l'apparente identité des éléments de rattachement respectivement retenus par les règles de conflit française et bavaroise. Lorsque les différents États impliqués dans la situation juridique retiennent des définitions différentes de l'élément de rattachement considéré, quelle définition convient-il de retenir pour l'application de la règle de conflit du for ?
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La solution semble aller de soi lorsque la règle de conflit — à propos de laquelle on s'interroge sur la définition de l'élément de rattachement — trouve sa source dans le droit interne. La règle de conflit du for doit être interprétée conformément au droit du for, et c'est nécessairement la conception qu'a le for de l'élément de rattachement qui sera retenu. Il convient donc, lorsque la règle de conflit française retient le domicile comme élément de rattachement, de se référer à la définition du domicile telle qu'elle est déterminée par les articles 102 et suivants du Code civil, c'est‑à-dire le lieu du principal établissement de l'intéressé. En revanche, ainsi que l'illustre l'affaire
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Forgo, si la règle de conflit considérée est une règle de conflit étrangère (dans le contexte du renvoi), l'élément de rattachement retenu par cette règle devra être appréhendé au regard de la définition qu'en donne le droit étranger.
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L'application des conceptions du for ne se justifie pas nécessairement, en revanche, pour les règles de conflit d'origine conventionnelle ou européenne. L'application uniforme de la règle de conflit suppose en effet que soit retenue une conception de l'élément de rattachement, commune à tous les États liés. Cette conception commune peut être matériellement dictée par le texte même ; le règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles définit ainsi la notion de « résidence habituelle » au sens du règlement (art. 23). Il arrive également que le texte, plutôt que de définir matériellement l'élément de rattachement, désigne la loi applicable à cette définition ; la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, qui prévoit qu'une disposition testamentaire est valable en la forme notamment si sa validité est reconnue par la loi du domicile du testateur, précise que « la question de savoir si le testateur avait un domicile dans un lieu déterminé est régie par la loi de ce même lieu ». Enfin, dans le silence du texte, il peut sembler justifié de recourir à la méthode de l'interprétation autonomeQ, particulièrement prisée par la Cour européenne des droits de l'homme et plus encore par la CJUE (v. ss 83) : l'élément de rattachement reçoit une définition autonome, indépendante de la conception que peuvent en avoir les États liés, et propre à l'instrument considéré. Il doit à cet égard être noté que, si la définition d'un élément de rattachement est forgée pour les besoins d'un instrument particulier, et en tenant compte de ses spécificités, le risque est important d'aboutir, pour un même rattachement, à une définition fonctionnelle : le rattachement n'aura pas le même sens selon le contexte considéré. L'observation a pu être faite à propos du critère de la résidence habituelle, qui reçoit des définitions différentes selon les textes qui y recourent (sur ce point, v. ss 377).
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Le raisonnement diffère légèrement lorsque l'élément de rattachement est la nationalité. Certes, c'est toujours la conception française de la notion même de nationalité qui guide la mise en œuvre de la règle de conflit française, mais les critères d'attribution de la nationalité pris en compte ne sont pas toujours les critères du droit français. On verra en effet que l'ordre juridique français ne peut poser les critères d'attribution que de la seule nationalité française d'un individu (v. ss 556 et s.). Si donc est alléguée, pour l'application de la règle de conflit française, la nationalité étrangère de l'intéressé, et que cette nationalité fait l'objet d'un débat devant le juge, c'est en toute rigueur par application des critères de l'État dont la nationalité est en cause que le juge du for vérifiera la réalité de la nationalité revendiquée. Le concept de « nationalité » est celui du droit français, mais la détermination précise de la nationalité peut conduire à mettre en œuvre le droit étranger. La difficulté, on le voit, est la frontière entre définition abstraite de l'élément de rattachement, et identification concrète du rattachement.
2. Problèmes d'identification du rattachement Aux difficultés de définition propres aux rattachements de nature juridique, s'ajoutent des problèmes d'identification du rattachement qui peuvent toucher aussi bien les rattachements de type juridique que ceux de type factuel.
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a.
L'hypothèse se rencontre tout d'abord en cas de pluralité de rattachements : la règle de conflit renvoie à la loi nationale de l'intéressé, mais ce dernier possède plusieurs nationalités ; la règle de conflit renvoie à la loi du lieu du délit, mais le délit est plurilocalisé… Il est certain qu'il importe alors, sous peine de priver l'élément de rattachement de son caractère opérationnel (la désignation de deux lois différentes étant inenvisageable, si ce n'est à la rigueur en cas de parfaite équivalence de ces lois), de sélectionner l'une des alternatives proposées. Mais il ne semble pas exister, pour opérer cette sélection, de principe de solution uniforme. Ainsi, en cas de double nationalité, la jurisprudence a-t‑elle choisi de faire prévaloir la nationalité du for sur les nationalités étrangères, ou à défaut de nationalité du for la nationalité la plus effective (v. ss 591), tandis qu'en matière délictuelle, elle s'efforce de déterminer, lorsque le délit est plurilocalisé, l'ordre juridique avec lequel la situation entretient les liens les plus étroits (v. ss 1107 s.). L'approche paraît donc devoir opérer au cas par cas. On pourrait toutefois proposer de dégager de ces solutions éparses une directive commune : il convient de privilégier, entre les différentes lois « en concurrence », celle qui entretient avec la situation considérée les liens les plus avérés.
b. 122
À la pluralité de rattachements peut être opposée l'absence de tout rattachement : la règle de conflit désigne la loi nationale, mais l'intéressé est apatride ; la règle de conflit désigne la loi du lieu de situation d'un bien, mais cette situation est inconnue. Là encore, il n'apparaît pas envisageable de définir une alternative qui s'appliquerait systématiquement en toute hypothèse. Dans la majeure partie des cas, la solution opportune paraît passer par la définition d'un critère de rattachement alternatif et subsidiaire. C'est le système textuellement prévu en cas d'apatridie, la loi du domicile de l'apatride étant, en application de l'article 12 de la convention de New York du 28 septembre 1954, substituée à sa loi nationale défaillante. C'est également la méthode que concrétisent les règles de conflit « en cascade », lorsque leur finalité n'est pas matérielle (déjà envisagée, v. ss 38). En dehors même des cas où un rattachement subsidiaire est institué par un texte, la doctrine contemporaine considère que le juge devrait définir un tel rattachement subsidiaire en fonction des circonstances de l'espèce. Une telle approche éviterait un recours trop systématique à la loi substantielle du for, qui constitue l'autre solution possible pour suppléer la défaillance du rattachement, mais qui ne fournit pas toujours une solution adéquate, en particulier lorsque la situation a peu de liens avec le for.
c. 123
Absence
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Pluralité
Succession
Enfin, la question la plus complexe est sans doute celle de la succession des rattachements, que la doctrine a théorisée sous l'expression « conflit mobileQ ». Le conflit mobile correspond à la situation dans laquelle le rattachement proposé par la règle de conflit (qui elle ne change pas) se modifie dans le temps, emportant la modification de la loi désignée par cette règle de conflit. Soit un individu ayant signé un contrat, dont la capacité doit être appréciée en application de sa loi nationale ; quelle loi convient-il d'appliquer si un changement de nationalité est intervenu depuis la conclusion du contrat ? Soit une sûreté réelle, régie par la lex rei sitae, constituée sur un bien meuble déplacé une fois la sûreté constituée : convient-il, pour apprécier la validité et l'opposabilité de la sûreté réelle, d'appliquer la loi du lieu de la situation actuelle du meuble, ou celle de sa situation au jour de la constitution de ladite
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sûreté ? Aujourd'hui encore, la doctrine semble divisée en deux factions quant aux principes appelés à régler le conflit mobile.
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Il est vrai que les solutions auxquelles conduisent l'une et l'autre de ces méthodes se rejoignent souvent. Mais la convergence n'est pas parfaite. Ainsi les partisans de la méthode du droit transitoire sont-ils naturellement plus enclins à favoriser l'application de la loi nouvelle que ne le sont les partisans de la méthode de l'interprétation. En effet, les règles de droit transitoire interne se sont construites sur l'idée qu'il
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Pour certains, le conflit mobile peut être tranché en faisant application des principes qui régissent les conflits de lois dans le temps en droit interne. En effet, si la cause de la modification n'est évidemment pas la même dans le conflit mobile (le contenu des lois substantielles n'est pas modifié, c'est l'évolution du rattachement qui conduit à désigner une autre loi que celle qui devait s'appliquer à l'origine) et dans le conflit de lois dans le temps (la même loi reste applicable mais son contenu substantiel évolue), le résultat n'en est pas moins identique : une même situation juridique se trouve potentiellement et successivement soumise à deux corps de règles substantielles dont le contenu diffère. Il conviendrait donc, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, de faire régir les conditions de constitution et les effets passés d'une situation juridique par la loi ancienne, et en vertu du principe d'application immédiate de la loi nouvelle, de soumettre les conditions de constitution future, de même que les effets futurs d'une situation juridique antérieurement constituée, à la loi nouvelle. Enfin, le principe de survie de la loi ancienne serait appliqué dans son domaine traditionnel, un contrat restant par exemple régi dans ses effets par la loi applicable au jour de sa conclusion (domicile du débiteur de la prestation caractéristique), sans que la loi nouvelle puisse venir en modifier le régime (par application de la loi du nouveau domicile du débiteur). À cette approche, une partie de la doctrine contemporaine, suivant en cela Bartin, préfère celle tirée de l'interprétation de la règle de conflit. On observe en effet que, par souci de complétude, certaines règles de conflit précisent le moment auquel il convient de se placer pour déterminer la loi applicable : en matière contractuelle par exemple, l'article 4, § 2 de la convention de Rome (formule non reprise dans le Règlement Rome I) indique que le contrat est régi par la loi de l'État de résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique au jour de la conclusion du contrat (noter ici l'équivalence avec la solution obtenue par application du droit transitoire) ; en matière de filiation, l'article 311-14 du Code civil précise que la nationalité de la mère à prendre en compte pour l'application de la règle de conflit est celle vérifiée au jour de la naissance de l'enfant. Dès lors, l'absence d'une telle indication dans la règle de conflit procéderait en réalité d'une imprécision ou d'une insuffisance, qu'il reviendrait au juge de résoudre en interprétant la règle à la lumière de considérations qui lui sont propres, de manière à définir l'élément temporel qui lui fait défaut. Considérons par exemple, le divorce d'un couple dont le domicile a changé pendant le temps de leur mariage. Ce divorce est régi par la loi du domicile des époux sans autre précision. Le juge doit interpréter la règle de conflit, et devrait rationnellement en déduire que c'est la loi de leur domicile actuel qu'il convient d'appliquer. En effet, dans la règle de conflit applicable au divorce, le choix de l'élément de rattachement est justifié par le souci de garantir une pleine intégration du couple dans son environnement socioculturel ; or seule l'application de la loi du domicile actuel paraît conforme à cet objectif de la règle de conflit.
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convient, dans un souci d'uniformisation du traitement des situations juridiques, de faire prévaloir, dans la mesure où cela est compatible avec la sécurité juridique (considération qui justifie les atténuations apportées au principe), la loi nouvelle sur la loi ancienne. Or, même s'il est permis de penser avec certains auteurs que l'impératif d'unité de législation n'est pas absent en droit international privé, cette préoccupation y est nécessairement moins vive qu'en droit interne puisque, par définition, des situations comparables seront soumises à des lois substantiellement différentes (ainsi, même si tous les mariages des couples résidant en France sont régis par la même règle de conflit, la mise en œuvre de celle-ci peut, en fonction des circonstances de l'espèce, conduire à l'application de lois substantielles très différentes). Le droit positif n'a jamais pris clairement parti sur les critères de règlement du conflit mobile. Évidemment, lorsque la règle de conflit traite le conflit mobile, ses termes sont respectés. Mais en l'absence de toute préconisation de la règle de conflit, la jurisprudence apparaît « réfractaire à la systématisation » (D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, Partie générale, t. 1, 4e éd., PUF-Thémis, 2017, n o 418). Si un arrêt ancien, tiré de la saga Patino (Civ. 1 re, 15 mai 1963, GADIP, no 39 ; Rev. crit. DIP 1964. 506, note P. Lagarde ; JDI 1963. 996, note Ph. Malaurie), semble exclure l'application des règles de droit transitoire, des arrêts plus récents (Chemouni, Civ. 19 févr. 1963, GADIP, n o 31 ; Rev. crit. DIP 1963. 359, note GH ; JDI 1963. 986, note A. Ponsard ; Société DIAC, GADIP, no 48 ; Rev. crit. DIP 1971. 75, note Ph. Fouchard ; JDI 1970. 916, note J. Derrupé) paraissent en revanche privilégier, en matière de conflit mobile, le principe de droit transitoire de l'application immédiate de la loi nouvelle. Mais la complexité des affaires en cause, tout comme la rareté des décisions relatives au conflit mobile, rendent l'interprétation périlleuse.
3. Problèmes de manipulation du rattachement : la fraude à la loi 127
Toutes les lois étatiques n'ont pas, loin s'en faut, le même contenu substantiel. Si le droit international privé se désintéresse généralement de cette considération (sauf le cas des règles de conflit à finalité matérielle évoquées plus haut, v. ss 35 s.), il n'en va pas de même des personnes impliquées dans la situation considérée. Pour ces personnes, l'important n'est pas de savoir quel droit sera appliqué, mais si le droit substantiel désigné par la règle de conflit leur donnera satisfaction. Et il va sans dire que l'application d'une loi donnée peut leur sembler préférable, en fonction de leur intérêt propre, à l'application d'une autre loi. Ainsi, si deux époux entament une procédure de divorce pour incompatibilité d'humeur, il est de leur intérêt que la loi applicable n'admette pas exclusivement le divorce pour faute, mais accueille également le divorce par consentement mutuel. L'objectif substantiel recherché par les personnes impliquées dans la situation explique qu'elles puissent souhaiter orienter la détermination du droit applicable.
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En certaines matières, il est couramment admis que les parties choisissent le droit qui régira leurs relations. Mais dès lors que les droits considérés sont indisponibles, les ordres juridiques sont plus réticents à admettre un choix de loi par les parties, et prétendent en conséquence imposer une règle de conflit qui déterminera impérativement la loi étatique compétente. C'est le cas en particulier dans les matières qui relèvent du statut personnel. Dès lors, les personnes impliquées peuvent être tentées
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d'infléchir la désignation du droit applicable en agissant sur le fonctionnement de la règle de conflit.
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Une autre technique se rattache en revanche exclusivement aux conflits de lois. Il s'agit de celle qui tend, sans prétendre « changer de règle de conflit de lois » par une exploitation des règles de compétence internationale des juridictions, à altérer la mise en œuvre de cette même règle de conflit de façon à ce que son application conduise à désigner la loi substantielle que l'on voudrait voir appliquer, en lieu et place de la loi substantielle qui est naturellement compétente. Ce résultat peut être atteint en procédant à une manipulation du critère de rattachement retenu par la règle de conflit. Ainsi, si une question donnée doit, d'après la règle de conflit du for, être tranchée par application de la loi nationale de l'intéressé, la méthode conduira ce dernier, si l'application de sa loi nationale ne lui donne pas satisfaction, à changer de nationalité de façon à rendre applicable une autre loi plus complaisante. Le montage est illustré par la célèbre affaire Princesse de Beauffremont laquelle, souhaitant divorcer de son époux — ce que sa loi nationale française lui refusait en 1875 — obtint sa naturalisation dans un duché allemand dont la loi admettait au contraire la désunion des époux. À cette démarche, la Cour de cassation (Civ. 18 mars 1878 ; v. rubrique Documents) oppose qu'il y a fraude à la loiQ française puisque la Princesse « avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent, en établissant son domicile dans l'État de Saxe-Altenbourg, mais dans le seul but d'échapper aux prohibitions de la loi française en contractant un second mariage et en aliénant sa nouvelle nationalité aussitôt qu'elle l'aurait acquise ».
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L'illustration permet immédiatement de comprendre la difficulté inhérente au traitement de cette manipulation de l'élément de rattachement. On l'a vu en effet, la modification dans le temps de l'élément de rattachement retenu par une règle de conflit est une situation banale, pour ne pas dire courante. Il ne saurait donc être question de stigmatiser tout changement affectant l'élément de rattachement, ce changement pouvant résulter de circonstances purement fortuites ou légitimes. En revanche, il n'est pas admissible que certains individus procèdent volontairement à cette manipulation dans une intention frauduleuse. C'est pourquoi le droit international privé sanctionne la fraude à la loi, c'est‑à-dire la manipulation dont l'objectif — le « seul but » dit la Cour de cassation — est d'évincer la loi normalement compétente au profit d'une autre loi jugée substantiellement satisfaisante.
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Encore convient-il, pour cela, d'identifier précisément les hypothèses dans lesquelles le changement d'élément de rattachement procède d'une fraude. On retient en
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La technique la plus couramment mise en œuvre consiste, par une manœuvre, à obtenir l'application de la règle de conflit de lois jugée la plus favorable à l'objectif substantiel poursuivi. Puisque les règles de conflit de lois ne sont pas les mêmes dans tous les États et que les juridictions étatiques appliquent toujours la règle de conflit du for, il suffit pour cela de saisir, pour trancher la question de droit litigieuse, le tribunal de l'État dont la règle de conflit de lois applicable à la question considérée désignera la loi jugée substantiellement satisfaisante. Si la fraude à la loi reste alors, le plus souvent, l'objectif des parties, l'instrument de cette fraude est une fraude à la compétence, qui sera envisagée dans la partie réservée aux conflits de juridictions (v. ss 418 et v. ss 422).
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principe que la fraude à la loi procède de la conjonction d'un élément objectif — la manipulation —, et d'un élément subjectif — l'intention frauduleuse. L'élément objectif de manipulation peut affecter, c'est l'hypothèse de l'affaire de Beauffremont, le critère de rattachement. Encore faut-il évidemment pour cela que ce critère soit par nature manipulable parce que la volonté peut l'infléchir, ce qui est le cas de la nationalité ou du lieu de situation d'un meuble par exemple, mais pas du lieu du délit ou du lieu de situation d'un immeuble. La jurisprudence atteste toutefois de formes plus raffinées de manipulation, affectant non pas le critère de rattachement mais la catégorie de rattachement considérée. La méthode consiste, pour parvenir à l'application de la loi substantielle jugée satisfaisante, à faire en sorte que la question de droit considérée n'intègre pas la catégorie juridique à laquelle sa nature devrait normalement l'affecter, mais une autre catégorie juridique, parce que la règle de conflit attachée à cette seconde catégorie désigne une loi substantielle plus satisfaisante que celle désignée par la règle de conflit attachée à la première catégorie. Le procédé est illustré par l'affaire Caron (Civ. 1 re, 20 mars 1985, Rev. crit. DIP 1986. 66, note Y. Lequette). M. Caron, souhaitant gratifier sa « secrétaire » au détriment de ses enfants, se heurtait au problème posé par la réserve héréditaire instaurée par le droit français au profit des enfants. Certes M. Caron résidait aux États-Unis, mais il possédait un immeuble situé en France. Or les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation de l'immeuble, et il ne semblait donc pouvoir échapper à l'application de la loi française et de sa réserve héréditaire. Pourtant, il aurait préféré que puisse être appliquée la loi américaine, qui ne prévoyait pas une telle réserve, et qui devait d'ailleurs régir en l'espèce sa succession mobilière. Pourquoi alors ne pas « transformer » l'immeuble en meubles ? M. Caron cède son immeuble en France à une société qu'il a créée aux États-Unis, et dont il détient l'intégralité des parts. Techniquement, il n'est donc plus propriétaire de l'immeuble en France, qui appartient à la société, mais son patrimoine inclut les parts de cette société, lesquelles ont un caractère mobilier. En tant que meubles, ces parts peuvent, conformément au droit américain, être intégralement léguées à sa secrétaire. Du moins auraient-elles pu l'être si les juges français n'avaient pas décelé ici une intention frauduleuse, qui les a conduits à sanctionner la fraude.
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Une intention frauduleuse, élément subjectif de la fraude à la loi, doit pouvoir être identifiée pour que l'existence de la fraude à la loi soit constatée. Selon la formule pertinemment forgée par la doctrine la plus autorisée, l'intention frauduleuse est caractérisée lorsqu'un individu parvient à « changer l'élément dont dépend la loi applicable pour obtenir le résultat recherché, sans accepter les conséquences plus essentielles normalement attachées à ce changement » (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 278). C'est bien ce que constate la Cour de cassation dans l'affaire de Beauffremont, puisqu'elle y relève que Mme de Beauffremont ne prévoyait pas d'exercer les droits et accomplir les devoirs attachés à sa nouvelle nationalité, qu'elle entendait d'ailleurs répudier aussitôt acquise ; la naturalisation avait bien pour seule finalité de lui permettre de divorcer, sans que Mme de Beauffremont ait le souci ou le souhait d'intégrer réellement la communauté de sa nouvelle citoyenneté. De même, dans l'affaire Caron, M. Caron n'avait-il pas réellement le souhait de perdre la jouissance de sa villa et de l'affecter au service de la société qu'il avait constituée ; son but était uniquement de contourner la réserve héréditaire.
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Lorsque ces deux éléments, objectif et subjectif, sont réunis, la fraude peut et doit être sanctionnée. Il suffit pour cela, et c'est la solution retenue par les tribunaux français, de constater l'inefficacité de la manipulation — de la tenir pour non avenue — : Mme de Beauffremont, toujours française aux yeux de l'ordre juridique français, ne saurait se prévaloir de la loi saxe-altenbourgeoise pour divorcer ; la succession de M. Caron, toujours propriétaire d'un bien immobilier situé en France, ne saurait échapper à l'application de la loi française. La doctrine s'est interrogée sur le point de savoir quelle devait être la portée de l'inopposabilité de la manipulation : doit-elle être totale — la naturalisation de Mme de Beauffremont est purement et simplement jugée non acquise — ou seulement partielle — Mme de Beauffremont serait généralement considérée comme ayant acquis la nationalité du Saxe-Altenbourg, sauf sur le point frauduleusement recherché, c'est‑à-dire la possibilité de divorcer ? Cette seconde approche renforce considérablement la sanction, puisque l'auteur de la fraude se trouve « pris au piège » d'un statut qu'il n'a pas réellement voulu, tout en étant privé du seul effet qu'il souhaitait en retirer. La jurisprudence n'a jamais tranché cette question, et la première approche, plus mesurée, est sans doute préférable. Il importe en toute hypothèse de souligner que le type de fraude qui vient d'être décrit est un phénomène très marginal en droit international privé contemporain. Sa quasi-absence du droit positif s'explique par deux considérations principales. D'une part, l'extension progressive du domaine d'application du principe de l'autonomie de la volontéQ – qui laisse aux parties la liberté de choisir la loi applicable – neutralise le risque de fraude à la loi : si les parties peuvent choisir la loi applicable, il n'y a a priori pas de place pour la fraude. D'autre part, la mondialisation qui touche le « marché » du droit, et qui place les différents systèmes juridiques dans une situation de concurrence internationale, incite les parties à recourir à des mécanismes à la fois plus simples et plus subtils consistant à placer totalement leur situation sous l'empire d'un système juridique considéré comme plus favorable. C'est alors essentiellement en exploitant les règles de compétence internationale que les parties tentent d'obtenir l'application d'une loi jugée plus conforme à leurs intérêts. La fraude mérite en conséquence d’être aujourd'hui envisagée d'une façon plus globale, ce qui sera fait (v. ss 418 et v. ss 422).
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B. Identification des dispositions substantielles applicables Une fois identifié l'ordre juridique dont la loi est globalement compétente, il est encore nécessaire, car le juriste ou le juge est saisi d'une question précise et concrète, d'identifier précisément quelles sont, au sein de cette loi, les dispositions substantielles applicables au rapport de droit considéré. Cette démarche a été, en droit international privé, longtemps complexifiée par l'éventualité d'une interposition d'une nouvelle opération de qualification. À ces problèmes de qualification (1), il faut également ajouter les problèmes liés à la résolution d'éventuels conflits dans le temps ou dans l’espace, affectant la mise en œuvre de la loi étrangère (2).
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1. Problèmes de qualification : les qualifications en sous-ordres Pour déterminer la loi globalement compétente, une qualification de la question litigieuse a déjà été retenue et appliquée — par exemple, la rupture des fiançailles relève dans la conception française de la responsabilité délictuelle et dépend donc de la lex loci delicti. Faut-il prolonger l'application de cette qualification pour l'identification des dispositions substantielles du droit étranger spécialement applicables — la
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fiancée se verrait attribuer des dommages-intérêts conformément au régime de la responsabilité civile du droit allemand lorsque la rupture a eu lieu en Allemagne ? N'est-il pas préférable, au contraire, de sélectionner les dispositions applicables du droit étranger en fonction des qualifications propres à ce droit — en Allemagne, la rupture des fiançailles relève du statut personnel, et les règles appliquées ne seront donc pas celles de la responsabilité civile délictuelle, mais celles qui régissent spécifiquement la rupture des fiançailles ? Pour certains, cette dernière solution, qui postule une seconde qualification lege causae, selon les conceptions du droit désigné, serait toujours nécessaire pour identifier les règles spécialement applicables. Cette difficulté a été réduite par la doctrine contemporaine, qui retient qu'il n'y a pas ici de réel problème de qualification. Le raisonnement adéquat est très clairement exposé par le professeur Mayer : « l'énoncé même de la question désigne, dans la loi compétente, la règle précise à appliquer : c'est celle dont le présupposé correspond aux faits allégués, et dont l'effet juridique correspond à la prétention… Peu importe dans quelle catégorie cette règle est rangée » (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 172). En d'autres termes, ni la qualification du for, ni la qualification de la lex causae ne doivent interférer dans la recherche des règles spécialement applicables. Cette recherche s'effectue dans un domaine décloisonné, celui de l'ensemble des règles du droit étranger, en vue d'identifier une règle dont le présupposé correspond aux faits de l'espèce et à la prétention émise. Pour reprendre l'exemple précité, dès lors qu'il existe en droit allemand une règle indiquant que « la fiancée délaissée a droit à compensation financière », cette règle doit être appliquée, peu important qu'elle relève en droit allemand de la matière délictuelle ou du statut personnel. La théorie de la qualification lege causae doit donc être rejetée, au moins lorsqu'il est question de rechercher la règle spécialement applicable (cette théorie fonde en revanche le mécanisme, décrit par la doctrine, du renvoi de qualificationQ ; v. rubrique Débat). Dans une hypothèse toutefois, la consultation des qualifications retenues par le droit étranger compétent peut se justifier. La doctrine a théorisé cette hypothèse sous l'appellation de « qualification en sous-ordresQ » : lorsque le régime juridique d'un rapport de droit dépend, dans le droit étranger, d'une qualification donnée, cette qualification doit à l'évidence être opérée, et elle doit l'être selon les conceptions du droit étranger, puisque la qualification est requise aux fins d'application de celui-ci. Pour bien comprendre la nuance, il faut raisonner sur un exemple, celui de la distinction entre meubles et immeubles. La distinction entre meubles et immeubles fonde parfois, en droit international privé, une distinction de catégories juridiques (qualification principale). C'est le cas en matière de successions : les successions mobilières sont régies par la loi du dernier domicile du défunt, les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation de l'immeuble. Pour identifier la loi applicable, il faut donc qualifier les biens pour déterminer si ce sont des meubles ou des immeubles ; cette qualification s'opère nécessairement lege fori, et la lex causae n'a pas à être prise en compte. Dans d'autres hypothèses, le droit international privé français n'applique aucune différence de traitement entre meubles et immeubles ; c'est le cas par exemple s'agissant des sûretés constituées sur ces biens, qui sont en toute hypothèse soumises à la lex rei sitae. Or le fait que le droit français n'opère pas de distinction entre meubles et immeubles au stade de la détermination de la loi applicable n'exclut pas que le droit étranger compétent applique un régime juridique différent aux sûretés constituées sur des meubles, et aux sûretés constituées
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sur des immeubles. Pour déterminer lequel de ces régimes doit être suivi, il faut donc qualifier les biens (qualification en sous-ordre), et cette qualification, s'agissant de décider de l'applicabilité de l'un ou l'autre des deux régimes institués par la loi étrangère, doit nécessairement s'opérer selon les conceptions que retient le droit étranger de la distinction meuble/immeuble. Ce mécanisme de qualification « en sous-ordre » est aujourd'hui admis par le droit international privé français.
2. Problèmes de conflits dans le temps et dans l’espace de la loi étrangère Tout comme la loi substantielle du for, la loi substantielle étrangère peut avoir été, à un moment donné, modifiée par le législateur qui l'a édictée. Lorsque la règle de conflit désigne une loi substantielle étrangère dont il apparaît qu'elle a été modifiée dans le temps, il faut donc décider du moment auquel il convient de se placer pour déterminer la teneur de cette loi : la situation doit-elle être régie par la loi dans sa version d'origine, ou par les dispositions nouvelles ? La Cour de cassation a répondu à cette question dans son arrêt de principe Leppert (Civ. 1re, 3 mars 1987, GADIP, no 73 ; Rev. crit. DIP 1988. 695, note M. Simon-Depitre). Dans une affaire de filiation à laquelle la loi allemande était applicable conformément à la règle de conflit posée par l'article 311-14 du Code civil, les juges du fond avaient jugé que, l'article 311-14 prescrivant l'application de la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant, il convenait d'appliquer la loi allemande dans ses dispositions en vigueur à cette date. Ils avaient donc fait application de la solution posée par le droit français pour résoudre le conflit mobile, afin de résoudre le conflit dans le temps de la loi allemande. La Cour de cassation censure ce raisonnement, en posant pour règle qu’« en cas de modification ultérieure de la loi étrangère désignée, c'est à cette loi qu'il appartient de résoudre les conflits dans le temps ». Il faut donc recourir aux principes réglant, en Allemagne, le conflit de lois dans le temps, pour résoudre le conflit affectant la loi allemande.
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La désignation de l’ordre juridique compétent ne règle pas nécessairement tous les conflits de lois dans l’espace. Cette situation se présente notamment lorsque l’ordre juridique compétent est celui d’un État fédéral. Si, selon le système en vigueur dans cet État, la question concrète relève de la compétence des États fédérés, il appartient au juge français de déterminer quel est l’État fédéré dont la loi est applicable, en mettant en œuvre les règles de conflit internes de l’ordre juridique globalement désigné (Civ. 1 re, 20 avr. 2017, no 16-14.349, D. 2018. 967, obs. S. Clavel ; D. 2017. 918 ; AJ fam. 2017. 416, obs. A. Boiché ; Dr. fam. 2017. Comm. 194, obs. M. Farge). L'étude du fonctionnement de la règle de conflit qui vient d'être achevée révèle, on l'aura constaté, une certaine complexité des questions posées, dont on peut se demander si elle n'est pas de nature à décourager particuliers et magistrats. Et de fait, en pratique, il n'est pas rare qu'une affaire « internationale » soit traitée par les tribunaux français comme une affaire purement « interne », par application de la loi française, sans que les parties soulèvent l'existence d'un élément d'extranéité et les conséquences qui en découlent. Il faut donc se demander si les magistrats et les parties peuvent renoncer à mettre en œuvre la méthode conflictuelle dans les situations internationales. En d'autres termes, il faut s'interroger sur la force obligatoire de la règle de conflit.
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La force obligatoire de la règle de conflit 141
La question de la force obligatoire de la règle de conflit de lois renvoie à l'appréhension de son statut procédural. La règle de conflit de lois doit-elle systématiquement être mise en œuvre par le juge lorsqu'il constate que la situation litigieuse dont il est saisi est affectée d'un élément d'extranéité ? Parce que la règle de conflit de lois est une règle de droit française — conduirait-elle même à l'application d'une loi étrangère —, sa mise en œuvre devrait se faire dans les mêmes conditions que celle des autres règles de droit françaises.
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À cet égard, l'article 12 du Code de procédure civile dispose que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables [al. 1er]. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée [al. 2]. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat [al. 3] ». Il ne ressort pas de la lecture de ce texte que l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de droit doive varier en fonction de la nature de cette règle : règles matérielles et règles de conflit devraient donc être soumises au même régime. Tout au plus est-il permis aux parties, pour les droits dont elles ont la libre disposition, de lier le juge par un accord exprès.
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L'application de l'article 12 du Code de procédure civile aurait donc dû conduire à mettre à la charge du juge français une obligation d'appliquer la règle de conflit, sauf accord contraire des parties pour les droits dont elles ont la libre disposition. C'est la solution retenue lorsqu'au moins une des parties invoque le droit étranger devant le juge français (§ 2). En revanche, la jurisprudence est plus hésitante sur l'existence d'une obligation pour le juge d'appliquer d'office la règle de conflit, en l'absence de toute invocation par les parties (§ 1).
§ 144
1 L'application d'office de la règle de conflit par le juge
Le régime de l'office du juge à l'égard de la règle de conflit, en particulier le point de savoir si le juge est tenu de mettre en œuvre cette règle de conflit lorsque les parties ne le lui ont pas demandé, a considérablement varié dans le temps. Au milieu du e XX siècle, la Cour de cassation a adopté une première position de principe, aux termes de deux arrêts célèbres, les arrêts Bisbal (Civ. 1 re, 12 mai 1959 ; v. rubrique Documents) et Compagnie algérienne de crédit c. Chemouny (Civ. 1re, 2 mars 1960 ; v. rubrique Documents) : elle y retenait en substance que l'application de la règle de conflit par le juge français n'était qu'une simple faculté lorsque sa mise en œuvre conduisait à la désignation d'une loi étrangère ; l'application de la règle de conflit n'était donc obligatoire, quelle que soit la nature des droits en cause, que lorsqu'elle conduisait à l'application de la loi française. Longtemps maintenue par le droit
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positif, cette solution a été vivement critiquée par la doctrine, qui soulignait l'incohérence existant à accorder aux règles de conflit, dont la nature de règle de droit n'est pas contestable, un traitement différent de celui réservé aux autres règles de droit. Sous l'influence de ces critiques, la jurisprudence a évolué jusqu'à consacrer l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit. Cette obligation n'est toutefois que relative (A), et elle supporte en outre des tempéraments (B).
A. Obligation relative d'appliquer la règle de conflit C'est avec les arrêts Rebouh (Civ. 1re, 11 oct. 1988 ; v. rubrique Documents) et Schule (Civ. 1re, 18 oct. 1988 ; v. rubrique Documents) que la Cour de cassation rompt pour la première fois avec sa jurisprudence antérieure, consacrant par ces décisions une véritable obligation générale, pour le juge français, d'appliquer la règle de conflit, y compris lorsque cette application conduit à la mise en œuvre de la loi étrangère. Néanmoins, cette unification du régime de la règle de conflit devait être de courte durée. Moins de deux ans après, la Cour de cassation dégageait en effet un régime spécifique de la règle de conflit dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits. Par la suite, l'évolution jurisprudentielle devait confirmer le caractère fondamental de la distinction opposant droits indisponibles (1) et droits disponibles (2), que nous retiendrons donc comme summa divisio.
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1. L'obligation de relever d'office la règle de conflit en présence de droits indisponibles L'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit de lois, posée par l'arrêt Rebouh en matière de droits indisponibles, n'a jamais été démentie par la suite. De nombreux arrêts ont rappelé que, dans les matières où les parties n'ont pas la libre disposition de leurs droits, le juge doit, même si les parties n'ont à aucun moment invoqué l'applicabilité du droit étranger, mettre d'office en œuvre la règle de conflit de lois. Non seulement cette position a été constamment réaffirmée, mais l'effectivité de la force obligatoire de la règle de conflit a été renforcée par un dispositif relatif à l'établissement du contenu de la loi étrangère. On verra en effet (v. ss 241 s.) que, pour garantir une application effective de la règle de conflit, lorsque celle-ci désigne une loi étrangère, la Cour de cassation acceptera de consacrer l'existence d'un devoir du juge de rechercher lui-même la teneur du droit étranger qu'il déclare applicable.
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Quelque fondée qu'elle puisse être, cette solution de principe repose sur une notion délicate à cerner : l'indisponibilité des droits litigieux. La distinction entre droits indisponibles et disponibles doit être opérée en fonction des conceptions du for, car elle détermine ici le régime procédural de la règle de conflit. Mais cette distinction n'est pas nécessairement clairement établie. Déjà naturellement empreinte d'incertitudes, la notion de droits indisponibles subit une évolution permanente sous le double effet de la place croissante réservée aux considérations d'ordre public dans les matières patrimoniales traditionnellement regardées comme disponibles, et de la progression de l'autonomie des parties dans les matières relevant de l'état des personnes et de la famille, traditionnellement regardées comme indisponibles. Il est certain, en toute hypothèse, qu'il n'est plus possible de raisonner, comme y invitait la jurisprudence dans ses premiers arrêts, par « matières » ou par « blocs » ; l'analyse doit
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être menée droit par droit, ce qui ne facilite guère la détermination de l'office du juge lorsqu'un même litige enchevêtre droits indisponibles et droits disponibles. Car si le juge a l'obligation de relever d'office la règle de conflit lorsque sont en cause des droits indisponibles, cette obligation s'efface lorsque les droits en litige sont disponibles.
2. La faculté de relever d'office la règle de conflit en présence de droits disponibles 148
L'évolution du régime procédural de la règle de conflit en matière de droits disponibles se présente « en dents de scie ». Peu après que l'arrêt Schule ait affirmé l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit en matière de droits disponibles, la Cour de cassation devait faire partiellement machine arrière pour affirmer, dans son arrêt Coveco (Civ. 1re, 4 déc. 1990 ; v. rubrique Documents), qu'il ne saurait être reproché au juge de n'avoir appliqué d'office la règle de conflit alors que les parties « n'ont pas invoqué sur ce point d'autres lois que celles spécialement tirées du droit français en une matière qui n'était soumise à aucune convention internationale et où la société Coveco avait la libre disposition de ses droits ». L'arrêt revient donc à la position antérieure à l'arrêt Schule, en ce qu'il affirme que l'application de la règle de conflit n'est qu'une simple faculté pour le juge lorsque sont en cause des droits disponibles ; mais ce retour s'effectue à une réserve près, nouvelle : la règle de conflit d'origine conventionnelle doit, même lorsque les parties ont la libre disposition de leurs droits, être appliquée d'office par le juge. Cette solution, qui conduisait à appliquer un régime procédural différent à la règle de conflit selon sa source, a été très vivement critiquée par la doctrine, qui a fait valoir que la source de la règle de conflit ne modifiait en rien sa nature, en sorte que la différence de régime procédural ne pouvait être justifiée. Le retour à un principe d'application facultative de la règle de conflit par le juge, tiré de la nature des droits en cause, a également été contesté, la doctrine faisant valoir que le caractère disponible des droits pouvait tout au plus, en application de l'article 12 du Code de procédure civile, autoriser les parties à écarter la règle de conflit, mais non permettre au juge, dans le silence des parties, de s'en abstraire.
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La Cour de cassation n'entendra que partiellement ces critiques. Sur un point, sa jurisprudence postérieure confirme le bien-fondé des critiques doctrinales, puisque l'arrêt Mutuelles du Mans IARD (Civ. 1re, 26 mai 1999 ; v. rubrique Documents) retient que « s'agissant de droits dont les parties avaient la libre disposition, la cour d'appel a légalement justifié sa décision sur le fondement de la loi française, dès lors qu'aucune des parties n'avait invoqué la convention de La Haye du 15 juin 1955 pour revendiquer l'application d'un droit étranger ». La source conventionnelle de la règle de conflit, ici vérifiée, n'apparaît donc plus comme le facteur déclencheur d'une obligation d'application de la règle de conflit : règles de conflit de droit interne et règles de conflit conventionnelles sont dorénavant soumises au même régime procédural. Mais ce régime — et en cela la Cour de cassation est restée sourde aux exhortations de la doctrine — est celui d'une application seulement facultative de la règle de conflit, en l'absence de toute invocation d'une loi étrangère par les parties.
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La distinction entre droits disponibles et droits indisponibles constitue donc bien, en l'état actuel de la jurisprudence, la summa divisio autour de laquelle s'organise le
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régime procédural de la règle de conflit : obligatoire pour le juge lorsque les droits en cause sont indisponibles, l'application de la règle de conflit n'est que facultative lorsque les droits sont disponibles. Cette approche positive pourrait toutefois, à terme, être remise en cause sous l'influence du droit européen (v. rubrique Débat). En outre et en toute hypothèse, les règles régissant l'office du juge font l'objet de tempéraments.
B. Tempéraments au régime procédural de la règle de conflit De longue date, il est admis que la faculté offerte au juge d'appliquer d'office la règle de conflit dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits trouve sa limite dans le droit reconnu aux parties de lier le juge sur la question de la loi applicable par le biais d'un accord procédural (1). À l'opposé, là où les parties n'ont pas la libre disposition de leurs droits, l'obligation faite au juge de relever d'office l'applicabilité de la règle de conflit du for semble s'opposer à l'admission d'un quelconque tempérament. La jurisprudence a toutefois démontré sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans une obligation stricte, en admettant le tempérament de l'équivalence (2).
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1. Droits disponibles et accord procédural L'article 12, alinéa 3 du Code de procédure civile autorise les parties, pour les droits dont elles ont la libre disposition, à lier le juge sur les qualifications ou les règles de droit applicables. C'est l'accord procéduralQ, conceptualisé en droit international privé comme une figure contractuelle dont l'objet est, pour les parties, d'imposer au juge l'application d'une loi autre que la loi normalement compétente. On conçoit l'intérêt de cet accord procédural pour les parties : puisqu'en matière de droits disponibles, sans avoir l'obligation d'appliquer la règle de conflit, le juge en a au moins la faculté, les parties peuvent souhaiter « verrouiller » le débat en s'assurant que le juge ne sera pas tenté de relever d'office, intempestivement, l'applicabilité d'un droit étranger. On imagine moins, de prime abord, l'intérêt d'un tel accord pour le juge. La Cour de cassation y verra pourtant un expédient utile pour éviter que des parties, ayant omis d'invoquer l'applicabilité d'une loi étrangère devant les juges du fond, ne viennent tardivement, en cause de cassation, reprocher à ce dernier d'avoir omis d'appliquer la règle de conflit. Bien sûr, cette dernière hypothèse ne vaut que dans un contexte où il est permis de reprocher aux juges du fond d'avoir omis d'appliquer la règle de conflit, c'est‑à-dire à la seule condition que cette application soit pour lui une obligation. Et c'est précisément pendant la courte période qui sépare les arrêts Schule et Mutuelle du Mans — période qui verra affirmée l'obligation, plus ou moins complète, faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit — que la notion d'« accord procédural » connaîtra ses développements les plus intéressants.
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C'est en 1988 que la Cour de cassation, par l'arrêt Roho (Civ. 1re, 19 avr. 1988, Rev. crit. DIP 1989. 68, note H. Batiffol), affirme pour la première fois nettement le droit pour les parties de conclure un accord procédural destiné, « pour les droits dont elles ont la libre disposition, [à] demander l'application d'une loi différente de celle désignée par une convention internationale ». L'arrêt, rendu au visa de l'article 12, alinéa 3 du Code de procédure civile, quelques mois avant que l'arrêt Schule ne consacre l'obligation pour le juge d'appliquer d'office la règle de conflit en matière de droits disponibles, présente un intérêt surtout pour l'opportunité qu'il offre aux parties de
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lier le juge, en lui interdisant d'user de la faculté de relever d'office la règle de conflit qui lui était alors reconnue sur le fondement de la jurisprudence Bisbal - Compagnie Algérienne de crédit. En 1990, au moment précis où l'arrêt Coveco consacre le statut procédural particulier de la règle de conflit conventionnelle, s'instaure un débat sur le point de savoir si l'accord procédural peut être admis, ainsi que cela avait été le cas dans l'arrêt Roho, lorsque la règle de conflit est d'origine conventionnelle. Car si le juge a l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit d'origine conventionnelle, peut-on encore admettre que les parties l'en empêchent par un accord procédural ? Ce débat traduit la confusion, encore prégnante aujourd'hui dans la jurisprudence, entre office du juge et pouvoir des parties. En réalité, il est parfaitement possible d'admettre tout à la fois que le juge ait l'obligation d'appliquer d'office une règle de droit, et que les parties puissent l'en empêcher par un accord procédural, car le raisonnement s'opère à deux niveaux intellectuellement étanches : l'office procédural du juge d'une part, et les droits substantiels des parties d'autre part.
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C'est en définitive la position à laquelle la Cour de cassation se rangera en 1997 par l'arrêt Hannover International (Civ. 1re, 6 mai 1997, v. rubrique Documents), en retenant que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s'accorder sur l'application de la loi française du for malgré l'existence d'une convention internationale ou d'une clause contractuelle désignant la loi compétente ; qu'un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par le contrat ». La Haute juridiction affirme donc sa volonté de maintenir l'accès à l'accord procédural toutes les fois que les droits sont disponibles, quelle que soit l'origine, conventionnelle ou interne, de la règle de conflit. Si le principe de la licéité de l'accord procédural est incontestablement posé par l'arrêt Hannover, celui-ci nous éclaire également sur les modalités de cet accord. Le texte de l'article 12, alinéa 3 du Code de procédure civile — retenu comme fondement par l'arrêt Roho — vise l'accord exprès, et dans plusieurs espèces la Cour de cassation avait manifesté sa volonté de maintenir cette exigence en matière internationale. L'arrêt Hannover témoigne toutefois d'une conception plus souple, en admettant — au prix d'un abandon du visa de l'article 12, alinéa 3 du Code de procédure civile — un accord implicite dès lors que celui-ci est suffisamment certain. La seule concordance des conclusions des parties, se fondant respectivement sur la loi française, suffit ainsi à caractériser l'accord procédural. L'assouplissement s'explique par la volonté de la Haute juridiction de « sauver » la décision des juges du fond ayant omis — à un moment où la jurisprudence leur en faisait encore, s'agissant d'une règle de conflit conventionnelle, l'obligation — de relever d'office la règle de conflit. La solution, réaffirmée de façon constante depuis (Civ. 1re, 1er juill. 1997, Karl Ibold, Bull. civ. I, no 222 ; Rev. crit. DIP 1998. 6, note P. Mayer ; 26 mai 1999, Delta Draht, no 96-21.333 ; Com. 12 juin 2001, Maglificio Pratesi, no 98-12.218 ; comp. avec l'exigence d'un accord exprès maintenue en droit interne sur le fondement de l'art. 12, al. 3 C. pr. civ. : Civ. 2e, 14 sept. 2006, Bull. civ. II, no 217), a perdu cet intérêt pratique particulier depuis que le juge n'a plus l'obligation d'appliquer la règle de conflit en matière de droits disponibles ; elle reste néanmoins un instrument utile pour les parties souhaitant se prémunir contre les velléités du juge de mettre en œuvre la faculté qui lui reste acquise de relever d'office l'applicabilité de cette règle de conflit.
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2. Droits indisponibles et équivalence des lois 156
La jurisprudence a finalement apporté une réponse négative à cette question en consacrant en 1988 (Civ. 1 re, 11 juill. 1988, Bao-Daï, Rev. crit. DIP 1989. 81, note P.-Y. Gautier), au moment même où elle affirmait l'obligation pour le juge d'appliquer d'office la règle de conflit, un tempérament à cette obligation, tiré de l'équivalence des lois. On retrouve ici l'idée de « faux conflit » déjà évoquée (v. ss 163 s.). La Cour de cassation décide ainsi que l'erreur commise par le juge, qui a appliqué une autre loi que celle désignée par la règle de conflit dans une hypothèse où il lui revenait pourtant d'appliquer d'office cette règle de conflit, n'a pas à être sanctionnée lorsqu'il existe entre la loi appliquée et la loi désignée par la règle de conflit une équivalence en ce sens que « la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois » (Civ. 1 re, 13 avr. 1999, Cie Royale Belge, v. rubrique Documents ; Civ. 1 re, 11 janv. 2005, Rev. crit. DIP 2006. 85, note M. Scherer). Allant plus loin, elle admet même que, ayant relevé l'existence du conflit de lois, le juge renonce à le trancher s'il apparaît que les deux lois en conflit sont équivalentes (Civ. 1 re, 13 avr. 1999, Cie Royale Belge, v. rubrique Documents ; Civ. 1re, 11 janv. 2005, préc.).
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Lorsque les droits sont indisponibles, le juge français doit relever d'office l'application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit ; telle est la règle incontestée depuis l'arrêt Rebouh (v. rubrique Documents). Est-ce à dire que l'application de la loi française, dans un litige portant sur des droits indisponibles, en lieu et place de la loi étrangère désignée par la règle de conflit, sera toujours sanctionnée ?
2 L'invocation de la loi étrangère par les parties
Lorsque la loi étrangère ou la règle de conflit a été invoquée par les parties, le juge a l'obligation d'appliquer, non pas nécessairement la loi invoquée, car elle peut l'avoir été à tort, mais plutôt la règle de conflit adéquate (A). Encore faut-il, pour mesurer les contours de cette obligation, comprendre ce que recouvre la notion d'« invocation du droit étranger » (B).
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A. Obligation pour le juge d'appliquer la règle de conflit L'invocation par les parties, ou par l'une d'entre elle, d'une loi étrangère n'oblige évidemment pas le juge à faire application de cette loi, mais seulement à mettre en œuvre la règle de conflit pertinente de façon à déterminer la loi applicable. La nuance est importante, car l'invocation de la loi étrangère faite par une partie peut être sans fondement. Cette invocation est donc simplement un déclencheur du raisonnement conflictualiste, qui s'impose alors au juge, mais elle ne conduit pas nécessairement à l'application de la loi revendiquée – sauf à reconnaître l'existence d'un accord procédural entre les parties, pour les droits dont elles ont la libre disposition, destiné à donner compétence à une loi que ne désigne pas la règle de conflit.
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La nuance explique encore le sentiment erroné qui peut se dégager, à la lecture de certains arrêts, d'une obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit dans des matières où les parties ont pourtant la libre disposition de leurs droits (Civ. 1re, 31 mai 2005, Bull. civ. I, n o 231 ; Com. 22 janv. 2008, no 06-18.822). Ces arrêts
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n'impliquent nul revirement de la jurisprudence Mutuelles du Mans ; en l'absence de toute invocation d'une loi étrangère par les parties, le juge n'a pas l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit, serait-elle d'origine conventionnelle. En revanche, dès lors qu'il existe une invocation ou qu'une contestation est soulevée sur la question de la loi applicable — quelque infondée qu'elle puisse paraître —, le juge doit appliquer la règle de conflit. Il apparaît alors essentiel de définir précisément les contours de cet événement déclencheur de l'office du juge qu'est l'invocation de la loi étrangère.
B. Notion d'« invocation de la loi étrangère » 161
Toute référence par l'une des parties à une loi étrangère vaut-elle invocation de cette loi, déclenchant l'obligation pour le juge de mettre en œuvre la règle de conflit ? L'admettre serait excessif. La Cour de cassation a toujours cherché à éviter que les parties n'attendent la dernière étape de la procédure — le pourvoi en cassation — pour « réaliser » qu'une loi étrangère était applicable et obtenir sur ce fondement une censure alors même qu'elles n'avaient pas songé à s'en prévaloir antérieurement ; c'est le sens de l'élargissement de la notion d'accord procédural retenu par l'arrêt Hannover. Considérer que la moindre référence par les parties à une loi étrangère dans leurs conclusions emporte obligation pour les juges du fond de mettre en œuvre la règle de conflit irait nettement contre le souci d'économie procédurale qui anime la Haute juridiction. On ne s'étonnera donc pas que la Cour de cassation ait circonscrit la notion d'« invocation de la loi étrangère » déclenchant l'obligation pour le juge d'appliquer la règle de conflit. Dans un arrêt Justin Colin (Civ. 1re, 28 janv. 2003 ; v. rubrique Documents), elle a dit pour droit que « le juge n'est tenu de mettre en œuvre la règle de conflit adéquate et d'appliquer le droit étranger que dans la mesure où ce droit est expressément invoqué par une partie », avant de préciser qu'il n'y a pas invocation en présence d'une « référence » à la loi étrangère « se limitant à une simple allégation (…) de laquelle aucune demande n'était déduite », ou encore si les références à la loi étrangère sont contradictoires (Com. 6 déc. 2017, no 16-15674). Ainsi, il n'y a réellement invocation que lorsqu'une prétention est directement fondée sur une argumentation faisant valoir la compétence d'une loi étrangère. Il faut que la partie ait déduit des conséquences concrètes de son appel à la loi étrangère ou à la règle de conflit, et si possible qu'elle ait démontré en quoi l'application de cette loi ou de la règle de conflit justifiait sa prétention. En bref, il faut que la loi étrangère ait été invoquée dans le cadre d'un moyen.
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Conclusion. La méthode conflictuelle, fondatrice du droit international privé, se présente comme un processus complexe par lequel un ordre juridique donné — l'ordre juridique du for — confronté à une situation internationale, s'efforce de coordonner l'intervention des divers ordres juridiques impliqués dans la situation, de façon à lui appliquer le traitement le plus rationnel et le plus opportun du point de vue de l'intérêt des parties, conçu essentiellement en termes de prévisibilité et de stabilité des situations. Pour autant, dans son entreprise de traitement des situations internationales, l'ordre juridique du for ne peut totalement s'abstraire des intérêts étatiques. Parfois représentés au cœur même de la règle de conflit — lorsque celle-ci embrasse une fonction régulatrice —, ces intérêts étatiques se manifestent et s'imposent le plus souvent en dehors de la méthode conflictuelle, dans le cadre de méthodes concurrentes qui imposent des dérogations partielles à la méthode conflictuelle.
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Compléments pédagogiques
Mémo
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La méthode conflictuelle vise, lorsqu'une situation présente des liens avec plusieurs ordres juridiques, à déterminer lequel de ces ordres juridiques fournira la ou les règle(s) substantielle(s) apte(s) à régir cette situation internationale. À cet effet, une règle de conflit est instituée pour résoudre le conflit de lois.
I. Les règles de conflit de lois diffèrent dans leurs configurations, leurs sources et leurs fonctions A. Configuration
– La règle de conflit savignienne ou bilatérale est celle qui se propose, considérant la nature d'un rapport de droit donné, d'en identifier le « centre de gravité » naturel au moyen d'un élément de rattachement, afin de localiser ce rapport de droit dans un ordre juridique dont la loi est déclarée applicable (par exemple : les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation des immeubles). Elle est dite « bilatérale » car elle peut conduire à l'application de la loi du for aussi bien qu'à celle d'une loi étrangère ; abstraite car elle ne favorise pas l'application d'une loi plutôt qu'une autre ; neutre car elle ne cherche pas à privilégier un résultat substantiel plutôt qu'un autre. – La règle de conflit unilatérale est celle qui définit le champ d'application d'une loi donnée dans l'espace (par ex. : la loi française régit la capacité des Français). – La règle de conflit à coloration matérielle est celle qui vise, dans le processus de sélection de la loi applicable qu'elle concrétise, à privilégier un résultat substantiel donné (par ex. : la créance d'aliment est régie par la loi de l'État de résidence habituelle du créancier d'aliments ; mais si cette loi ne permet pas au créancier d'obtenir des aliments, il faut alors appliquer la loi du for). Il existe en outre une forme hybride de règle de conflit qui, sans chercher à privilégier un résultat substantiel donné, prend en considération certains objectifs substantiels (par ex. : la règle de conflit protectrice du consommateur qui, sans chercher à privilégier l'application de la loi la plus favorable au consommateur, entend corriger l'asymétrie entre les parties en favorisant l'application d'une loi que le consommateur connaît : la loi de son domicile).
B. Sources
– Règles de conflit d'origine nationale : le droit international privé se caractérise par son particularisme, qui conduit chaque État à développer son propre système de règles de conflit. En France, les règles de conflit ont été essentiellement forgées par la jurisprudence, qui a entrepris cette œuvre créatrice sous couvert d'interprétation de l'article 3 du Code civil. Aujourd'hui, les principes généraux du droit international
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privé, dégagés par la jurisprudence, sont complétés — et occasionnellement bouleversés — par des règles de conflit d'origine législative.
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– Règles de conflit internationales : les États, convaincus des mérites de l'universalisme, ont entrepris d'harmoniser leurs règles de conflit dans certains domaines par voie conventionnelle. Des conventions internationales de droit international privé ont donc été adoptées, bilatérales ou, sous l'influence de la conférence de La Haye de droit international privé, multilatérales. – Règles de conflit de l'Union européenne : en 1997, le traité d'Amsterdam a consacré une compétence de l'Union européenne en matière de droit international privé. Depuis, de nombreuses règles de conflit d'origine européenne ont été adoptées, principalement sous la forme de règlements. Ce phénomène est aujourd'hui d'une telle ampleur qu'il tend progressivement à déposséder les États membres de leur pouvoir d'édicter des règles de droit international privé, cette compétence étant presqu'intégralement transférée à l'Union européenne alors même que l'édiction des règles de droit international privé relève en principe d'une compétence partagée entre États membres et Union.
C. Fonction
– En général, coordonner les systèmes juridiques étatiques par une répartition des compétences législatives principalement définie en considération des intérêts privés des parties. – Plus exceptionnellement, servir la politique publique étatique en jouant un rôle d'instrument « d'orientation » des comportements des personnes privées.
II. La mise en œuvre de la méthode conflictuelle impose de suivre trois étapes A. Qualification
Cette étape consiste à classer la question de droit posée dans l'une des catégories juridiques définies par le droit international privé du for. La qualification s'opère selon les conceptions du for lorsque la règle de conflit applicable est issue du DIP commun (arrêt Caraslanis). Lorsque la règle de conflit est issue du droit de l'Union européenne en revanche, la CJUE impose généralement aux États membres de procéder à des qualifications autonomes, selon les principes qu'elle définit ; ainsi, les qualifications sont-elles harmonisées dans toute l'Union européenne, de façon à garantir l'application uniforme des règles de conflit. Pour les règles de conflit conventionnelles, une qualification autonome pourrait s'avérer souhaitable, mais en l'absence de juridiction régulatrice, les juridictions des États signataires sont enclines à recourir à la qualification lege fori.
B. Sélection de la règle de conflit À chaque catégorie juridique est en principe attachée une règle de conflit donnée dans l'ordre juridique du for. Cette règle de conflit est celle qu'il faut appliquer. L'opération peut toutefois être rendue complexe par : – une coexistence dans l'ordre juridique du for de règles de conflit de sources différentes, dont il faudra départager les domaines d'application respectifs ;
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– une succession de règles de conflit du for dans le temps, que l'on tend à résoudre par application des principes du droit transitoire de droit interne, sous réserve d'éventuelles adaptations ;
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– l'inadaptation relative de la règle de conflit à la question posée, qui peut imposer un infléchissement ou une adaptation de cette règle. En outre, la technique du renvoi impose exceptionnellement de prendre en considération, dans les rares domaines où elle est admise, la règle de conflit de l'ordre juridique désigné par la règle de conflit du for, de façon à vérifier que cet ordre juridique étranger accepte bien la compétence de sa loi, et ne renvoie pas plutôt à la compétence de la loi du for (renvoi au premier degré) ou de la loi d'un État tiers (renvoi au second degré).
C. Identification de la loi applicable L'élément de rattachement de la règle de conflit permet de désigner la loi d'un État comme loi applicable (par exemple : en matière de successions immobilières, la loi applicable est la loi du lieu de situation de l'immeuble — le lieu de situation de l'immeuble est l'élément de rattachement). L'élément de rattachement peut également être source de difficultés : – si sa définition fait appel à des notions juridiques, car alors il convient d'adopter le parti d'un État donné ; normalement, la définition retenue sera celle du for, mais il peut en aller autrement si la règle de conflit est d'origine conventionnelle ; – s'il y a pluralité, absence ou succession (conflit mobile) de rattachements ; – si l'une des parties a entrepris de manipuler ce rattachement pour obtenir l'application d'une loi jugée plus favorable, concrétisant une fraude à la loi.
III. Le juge doit-il systématiquement mettre en œuvre la règle de conflit de lois lorsqu'il a à connaître d'une situation internationale ? À cette question de la force obligatoire de la règle de conflit, le droit positif offre une réponse tout en nuances. Si le juge doit impérativement mettre en œuvre la règle de conflit lorsque les parties ont invoqué une loi étrangère, il n'est tenu de le faire, en l'absence d'invocation de la loi étrangère par les parties, que lorsque sont en cause des droits indisponibles. Encore peut-il alors appliquer une autre loi que celle désignée par la règle de conflit si les deux lois, appliquées et applicables, présentent une suffisante équivalence. Lorsque les droits en cause sont disponibles, en revanche, le juge n'a jamais l'obligation, mais seulement la faculté, d'appliquer d'office la règle de conflit, à moins que les parties ne décident de l'en empêcher en donnant compétence, par un accord procédural, à une autre loi que celle désignée par la règle de conflit.
Quid
n Abstraction de la règle de conflit n o 39 Caractéristique d'une règle de conflit procédant à la désignation de la loi applicable sans favoriser l'application d'une loi en particulier.
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n A c c o r d pr o c é d u r a l n o 15 2 « Contrat processuel », admis lorsque les droits litigieux sont disponibles, et dont l'objet est, pour les parties, d'interdire au juge d'appliquer la loi normalement compétente pour lui imposer l'application d'une loi choisie par elles.
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n Ca t é g o r i e d e d r o i t i n t e r n a t i o n a l p r i v é n o 7 4 Ensemble cohérent accueillant une pluralité de questions de droit unies par une communauté de nature, et à laquelle le droit international privé affecte une règle de conflit qui sera utilisée pour déterminer la loi applicable à toutes les questions intégrant la catégorie. n Cl a us e d ’ e x c e p t i o n n o 2 5 Expression visant la disposition juridique qui autorise le juge à écarter par exception la loi normalement compétente, désignée par un élément de rattachement rigide, pour privilégier l’application de la loi d’un État qui entretient les liens les plus étroits avec le rapport de droit considéré. n Co n f l i t d e l o i s n o 1 7 Hypothèse dans laquelle plusieurs ordres juridiques étatiques, parce qu'ils sont tous impliqués dans une même situation « internationale », peuvent prétendre régir cette situation par application de leur loi substantielle nationale. n Conflit m o bi le n o 12 3 Situation dans laquelle le rattachement retenu par la règle de conflit se modifie dans le temps, emportant modification de la loi désignée par cette règle de conflit. n C o n v e n t i o n i n t e r n a t i o n a l e d e d r o i t in t e r n a t i o n a l p r i v é n o 6 0 Convention conclue entre des États en vue d'uniformiser, dans un domaine donné, leurs règles de conflit de lois et/ou de juridictions. n Co n v e n t i o n i n t e r na t i o n a l e d e d r o i t m a t é r i e l n o 60 Convention conclue entre des États en vue d'uniformiser, dans un domaine donné, leurs règles substantielles par l'édiction de règles matérielles communes. n D o c t r i n e d e s st a t u t s n o 3 3 Théorie doctrinale née au XIII e siècle en Italie et dans le Sud de la France et considérée comme la première expression d'un véritable droit international privé, car elle consacre la faculté pour le juge d'appliquer les statuts étrangers (à l'origine essentiellement les codes municipaux régissant les cités indépendantes du Nord de l'Italie) ; construite sur la base d'une glose (interprétation) du droit romain, elle s'attache à déterminer le champ d'application des statuts dans l'espace, en considération de leur nature et de leur qualité. n Él ém e n t d e r a t t a c h e m e n t n o 2 5 Élément constitutif d'un rapport de droit dont la qualité particulièrement localisatrice au regard de la nature de ce rapport de droit est reconnue in abstracto, justifiant qu'il soit retenu comme critère de sélection de la loi applicable.
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n Équivalence des lois n o 21
n F a u x c o n f l i t n o 20
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Caractéristique de deux lois qui présentent un contenu substantiel identique ou très proche, ou de deux lois dont l'application conduit au même résultat substantiel.
Situation qui met en présence des lois (conflit de lois) au contenu analogue ou encore des lois différentes mais revendiquant des champs d'application qui ne se recoupent pas, en sorte qu'il n'y a pas lieu de les départager.
n Fonctionnalisme n o 67
Terme employé pour désigner un courant doctrinal complexe prétendant régler les conflits de lois en déterminant le champ d'application dans l'espace des lois en cause, à partir d'une analyse des finalités politiques et/ou substantielles qu'elles poursuivent.
n Fr au d e à l a lo i n o 1 3 0
Technique destinée, par la manipulation d'un élément de la règle de conflit (élément de rattachement, catégorie de rattachement), à altérer la mise en œuvre de cette règle de conflit de façon à obtenir l'application, en lieu et place de la loi substantielle normalement compétente, d'une autre loi substantielle jugée plus favorable.
n Méthode de la qualification autonome no 83 Méthode imposant, en présence d'une question juridique qui reçoit des qualifications différentes dans les différents ordres juridiques liés par un instrument conventionnel ou européen, de procéder à sa qualification de façon autonome, c'est‑à-dire non pas en fonction des conceptions du for, mais en fonction d'une conception spécifique à l'instrument considéré.
n M é t h o d e d e l ' i n t e r p r é t a t i o n a u t o n o m e n o s 8 4, 1 1 9 Méthode d'interprétation imposant, en présence d'une notion juridique qui reçoit des définitions différentes dans les différents ordres juridiques liés par un instrument conventionnel ou européen, d'offrir à cette notion une définition autonome, propre à l'instrument considéré.
n Neutralité de la règle de conflit n o 36 Caractéristique d'une règle de conflit procédant à la désignation de la loi applicable sans chercher à privilégier une solution substantielle par rapport à une autre.
n Pa r tic ula ri sme n o 4 1
Théorie selon laquelle le règlement des conflits de lois est nécessairement particulier ou propre à chaque État, en raison de l'étroite corrélation qui existe entre les principes de solution retenus par le droit international privé et ceux propres au droit substantiel interne des États.
n P r i n c i p e d e l ' a u t o n om i e d e l a vo l on t é n o s 5 1 , 1 3 5 Principe de solution du conflit de lois préconisant l'application, à un rapport de droit, de la loi choisie d'un commun accord par les parties au rapport de droit considéré (le principe joue également en matière de conflit de juridictions, où il conduit à reconnaître aux parties à un rapport de droit la liberté de choisir la juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs à ce rapport de droit).
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n Principe de proximité n o 25 Principe de solution du conflit de lois préconisant l'application à un rapport de droit de la loi qui présente avec ce rapport les liens les plus étroits, ces liens étant appréciés in concreto (le principe joue également en matière de conflit de juridictions).
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n Pr i n c i p e s g é n é r a u x d u d r o i t i n t e r n a t i o n al p r i v é n o 5 3 Principes normatifs ou règles juridiques d'origine jurisprudentielle à valeur « quasi législative », dont l'objet est de définir des instruments propres au droit international privé, en particulier mais pas exclusivement des règles de conflit de lois. n P r i s e en co n s i d é r a t i o n n o 9 2 Technique consistant à intégrer une règle juridique dans le présupposé d'une autre règle juridique. Elle constitue notamment la base du renvoi, où elle justifie qu'une règle de conflit étrangère soit consultée avant que ne soit désignée, en application de la règle de conflit du for, la loi compétente — cette consultation étant imposée par l'intégration de la règle de conflit étrangère dans le présupposé de la règle de conflit du for (la règle de conflit du for devant se lire ainsi : en matière de capacité, la loi nationale de l'intéressé est applicable, à moins que la règle de conflit de l'ordre juridique national de l'intéressé ne prévoie la compétence de la loi du for, auquel cas la loi du for doit être appliquée de préférence à la loi étrangère nationale). n Q u a l i f i c a t i o n n o 76 Opération consistant à classer une question de droit dans l'une des catégories forgées par le droit international privé, de façon à pouvoir identifier, par la mise en œuvre de la règle de conflit que le droit international privé attache à cette catégorie, la loi substantielle étatique appelée à résoudre cette question. n Qualification en sous-ordres no 138 Mécanisme de droit positif justifiant qu'il soit recouru à la qualification lege causae (c'est‑à-dire selon les conceptions de la loi applicable à la question de droit) lorsqu'est en cause, non pas l'application de la règle de conflit en vue de la détermination de l'ordre juridique compétent, mais la détermination — au sein de l'ordre juridique étranger désigné par la règle de conflit du for — des dispositions substantielles applicables dès lors que cette détermination dépend, dans cet ordre juridique, d'une qualification préalable (par exemple : la loi étrangère compétente pour régir la validité d'une sûreté retient un régime différent selon que la sûreté affecte un meuble ou un immeuble — la qualification meuble ou immeuble doit s'opérer selon les conceptions de l'ordre juridique étranger compétent). n Rè g l e d e co n f l i t n o 1 3 Règle juridique dont l'objet est de désigner la loi substantielle étatique applicable à la réglementation d'une situation internationale. n Rè g l e d e co n f l i t à c o l o r a t i o n ma t é r i e l l e n o 3 6 Règle de conflit dont la configuration tend, tout en procédant à la désignation du droit substantiel applicable, à garantir un certain résultat substantiel jugé souhaitable. n R è g l e d e co n f l i t b i l a t é r a l e n o 24 Règle de conflit dont la particularité est de désigner indifféremment la loi du for ou la loi étrangère pour régir une question de droit en considération de sa nature juridique. 74
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n Rè g l e d e co n f l i t e n c a s c a d e n o 3 8 Règle de conflit construite sur la base d'une pluralité de rattachements jouant de façon subsidiaire les uns par rapport aux autres, soit en raison du risque de défaillance des rattachements retenus, soit dans le but de favoriser un résultat substantiel donné.
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n Rè g l e d e co n f l i t u n i l a t é r a l e n o 3 2 Règle de conflit dont la particularité est d'assigner à une loi étatique un champ d'application dans l'espace. n Re n v o i n o 1 0 2 Technique de prise en considération de la règle de conflit de l'ordre juridique désigné par la règle de conflit du for, de façon à vérifier que cet ordre juridique étranger accepte bien la compétence de sa loi, et ne renvoie pas plutôt à la compétence de la loi du for (renvoi au premier degré) ou de la loi d'un État tiers (renvoi au second degré), auquel cas l'une ou l'autre de ces lois sera appliquée en lieu et place de la loi de l'ordre juridique normalement compétent. n Re n v o i d e q u a l i f i c a t i o n n o 1 3 7 Modalité particulière de la technique du renvoi, dans laquelle le renvoi par l'ordre juridique étranger à la loi du for ne résulte pas d'une divergence des éléments de rattachement respectifs des règles de conflit du for et étrangère, mais d'une divergence des qualifications respectivement retenues dans l'ordre juridique du for et dans l'ordre juridique étranger. n Système de la personnalité des lois n o 29 Système de « droit international privé » archaïque, en vertu duquel chaque individu est régi dans toutes ses activités par la loi du groupe auquel il appartient. On l'oppose au système de la territorialité des lois. n Sy st èm e d e la t e rri to r ia lit é d es lo i s n o 2 9 Système de « droit international privé archaïque » en vertu duquel chaque individu est régi dans toutes ses activités par la loi du territoire sur lequel il se situe. On l'oppose au système de la personnalité des lois. n Th é o r i e d e s q u e s t i o n s p r é a l a b l e s n o 1 1 0 Théorie doctrinale d'origine allemande préconisant, lorsque la réponse à une question principale dépend de l'issue d'une question préalable (par exemple : la question principale étant « le conjoint peut-il hériter ? », la question préalable est « celui qui revendique la qualité d'héritier est-il un conjoint ? »), que la question préalable soit régie par la loi désignée — non par les règles de conflit du for — mais par les règles de conflit de l'ordre juridique dont la loi est applicable à la question principale. Cette théorie a été rejetée par le droit positif français. n U n i l a t é r al is m e n o 2 9 Courant doctrinal complexe qui repose sur l'idée commune et centrale que, d'un point de vue méthodologique, il convient d'assigner à chaque loi un champ d'application spatial déterminé.
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n Universalisme n o 42 Théorie selon laquelle le règlement des conflits de lois doit être universel, c'est‑à-dire répondre en tous lieux aux mêmes principes de solution.
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n Vr a i c o n f l i t n o 2 0 Situation qui met en présence des lois (conflit de lois) de contenus différents revendiquant un même champ d'application, qu'il est donc nécessaire de départager.
1) Les sources conventionnelles et l'interprétation des conventions C o m . 4 m ar s 19 6 3 , H o c k e
(Rev. crit. DIP 1964. 264 ; JDI 1964. 806, note B. Goldman) L'arrêt Hocke a été rendu dans une espèce relative à l'émission d'une lettre de change portant un aval sans désignation du bénéficiaire de celui-ci. La France et l'Allemagne, impliquées dans la situation, avaient alors la même législation substantielle sur la lettre de change, issue de la transposition de la convention de Genève du 7 juin 1930 sur la lettre de change, en vertu de laquelle l'aval était présumé donné pour le tireur. Mais alors que les juges français avaient interprété cette présomption comme étant irréfragable, elle était considérée comme simple selon la jurisprudence allemande. La décision illustre donc les limites de l'harmonisation des législations substantielles en l'absence de toute interprétation commune. La Cour de cassation apporte une solution à cette difficulté en imposant l'application de la méthode conflictuelle, nonobstant l'harmonisation des législations substantielles : la règle de conflit désignant en l'espèce la loi allemande, la présomption doit recevoir, même devant les juridictions françaises, la force que lui reconnaît la jurisprudence allemande.
2) L'opération de qualification C i v . 1 r e , 22 j u i n 1 9 55 , C a r a s l a n i s (GADIP, n o 27 ; Rev. crit. DIP 1955. 723, note H. Batiffol) L'arrêt Caraslanis pose le principe fondamental de qualification lege fori : l'opération de qualification doit être menée en prenant exclusivement en compte les conceptions juridiques du for. Le principe est énoncé dans une affaire relative à la validité d'un mariage qui avait été célébré en France, en la forme civile, entre un Grec et une Française. Le mari prétendait que le mariage était nulle faute d'une célébration religieuse exigée par la loi grecque qui régissait les conditions de fond du mariage ; l'épouse opposait la validité du mariage célébré conformément aux exigences de la loi française qui régissait les conditions de forme du mariage. La question était donc de déterminer si l'exigence de célébration religieuse était conçue comme une condition de fond du mariage (application de la loi grecque invalidant le mariage) ou comme une condition de forme du mariage (application de la loi française validant le mariage). L'époux soutenait que selon les conceptions grecques, il s'agissait d'une condition de fond du mariage. La Cour de cassation répond que « la question de savoir si un élément de célébration du mariage
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appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de fond devait être tranchée par les juges français selon les conceptions du droit français ». La qualification française « conditions de forme du mariage » l'emporte donc.
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C i v . 1 r e , 25 j u i n 1 9 57 , Si lvia (GADIP, n o 29 ; Rev. crit. DIP 1957. 680, note H. Batiffol) L'arrêt Silvia illustre la relative autonomie des catégories du droit international privé au regard des catégories juridiques de droit interne, nonobstant le principe de qualification lege fori. Il décide que la question de la nullité d'un acte juridique conclu sous l'empire de la démence par une personne qui ne faisait l'objet d'aucune mesure de protection juridique doit être rangée dans la catégorie de droit international privé « incapacités », alors même qu'en droit interne, l'incapacité dite « naturelle » (c'est‑à-dire de celui se trouvant en fait en état d'incapacité sans bénéficier pour autant d'une mesure de protection en droit) était alors sanctionnée au titre des vices du consentement, et relevait donc de la catégorie « conditions de fond des actes juridiques ».
3) Le renvoi R e q . 2 2 f év r . 1 8 82 , For g o (GADIP, n o 8 ; D. 1882. 1. 301)
L'arrêt Forgo consacre l'admission par le droit positif du renvoi au premier degré : statuant sur la succession mobilière d'un national bavarois qui, résidant en France, n'y avait pas été admis à domicile, l'arrêt retient que la loi désignée par la règle de conflit française est la loi bavaroise, loi du dernier domicile de droit du défunt, mais que, la règle de conflit bavaroise donnant compétence à la loi du dernier domicile de fait (résidence habituelle) du défunt, c'est la loi française qu'il convient d'appliquer sur renvoi du droit bavarois.
4) La fraude à la loi
C i v . 1 8 m a r s 1 87 8 , P r i n c e s s e d e B e a u f f r e m o n t (GADIP, n o 6 ; JDI 1878. 505 ; S. 1878. 1. 193, note C. Levillain) L'arrêt de Beauffremont affirme qu'il y a fraude à la loi en droit international privé lorsque les parties modifient volontairement le rapport de droit dans le seul but de le soustraire à la loi normalement compétente. En l'espèce, la fraude est caractérisée car la princesse de Beauffremont, citoyenne française soucieuse de divorcer de son époux alors que la loi française applicable le lui interdisait, avait sollicité et obtenu la nationalité de l'État de Saxe-Altenbourg « non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs » découlant de cette nationalité, mais « dans le seul but d'échapper aux prohibitions de la loi française » en divorçant pour pouvoir contracter un second mariage. L'arrêt retient que la loi française doit être appliquée nonobstant la manipulation, la fraude trouvant sa sanction dans sa propre inefficacité.
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5) La force obligatoire de la règle de conflit C i v . 1 r e , 12 m a i 1 9 5 9, B i s b a l
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(GADIP, n o 32 ; Rev. crit. DIP 1960. 62, note H. Batiffol ; JCP 1960. II. 11733, note H. Motulsky) L'arrêt Bisbal énonce, les juges étant saisis d'une demande de conversion d'une séparation de corps en divorce de deux époux de nationalité espagnole (droits indisponibles), que « les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu'elles prescrivent l'application d'une loi étrangère, n'ont pas un caractère d'ordre public, en ce sens qu'il appartient aux parties d'en réclamer l'application, et qu'on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d'office la loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française laquelle a vocation à régir tous les rapports de droit privé ». Il pose donc le principe du caractère facultatif de l'application de la règle de conflit pour le juge. Cet arrêt fera ultérieurement l'objet d'un revirement de jurisprudence consacrant l'obligation pour le juge d'appliquer la règle de conflit lorsque sont en cause des droits indisponibles.
C i v . 1 r e , 2 m a r s 1 9 60 , C i e A l g é r i e n n e d e C r é d i t c / C h e m o u n y (GADIP, n o 33 ; Rev. crit. DIP 1960. 97, note H. Batiffol ; JCP 1960. II. 11734, note H. Motulsky) L'arrêt Cie Algérienne de Crédit c. Chemouny énonce, les juges ayant rejeté la demande d'exequatur d'une décision libanaise de condamnation à des dommages et intérêts, en raison de la péremption du jugement étranger en vertu de la loi libanaise, qu'il ne saurait leur être reproché « de faire application d'office d'une loi étrangère dont les parties n'avaient pas fait état devant eux et qui n'intéressait pas l'ordre public ; [qu']en effet, il était loisible à la cour d'appel de procéder elle-même à la recherche et de préciser les dispositions du droit libanais compétent en ce qui concerne la décision judiciaire litigieuse rendue par défaut avant de se prononcer sur la demande d'exequatur dont elle était saisie ». Il complète donc l'arrêt Bisbal en retenant que, si le juge n'a pas l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit, il en a en revanche toujours la faculté. Lorsque sont en cause des droits indisponibles, la solution est, comme celle posée par l'arrêt Bisbal, aujourd'hui caduque ; elle reste valable pour les droits dont les parties ont la libre disposition.
C i v . 1 r e , 11 o c t . 1 9 88 , R e b o u h (GADIP, n o 74 ; Rev. crit. DIP 1989. 368 et chron. Y. Lequette, 277 ; JDI 1989. 349, note D. Alexandre ; ibid. 1990. 317, chron. D. Bureau) L'arrêt Rebouh consacre l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit de lois dans une espèce relative à une action en recherche de paternité, c'est‑à-dire mettant en cause des droits indisponibles. La solution, opérant revirement de la jurisprudence Bisbal-Cie Algérienne de Crédit (v. ci-dessus), correspond à l'état actuel du droit positif lorsque les droits litigieux sont indisponibles.
C i v . 1 r e , 18 o c t . 1 9 88 , S c h u l e
(GADIP, n o 75 ; Rev. crit. DIP 1989. 368 ; ibid. 277, chron. Y. Lequette ; JDI 1989. 349, note D. Alexandre ; ibid. 1990. 317, chron. D. Bureau) L'arrêt Schule consacre l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit de lois dans une espèce relative à la validité de la donation consentie par un de cujus, c'est‑à-dire mettant en cause des droits disponibles. Cet arrêt, « jumeau » de l'arrêt Rebouh (v. ci-dessus) qui
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consacre la même solution pour les litiges mettant en cause les droits indisponibles, opère comme celui-ci revirement de la jurisprudence Bisbal-Cie Algérienne de Crédit (v. ci-dessus) ; il ne connaîtra toutefois pas la même destinée, puisqu'il fera lui-même l'objet d'un revirement ultérieur (jurisprudence Coveco-Mutuelles du Mans (v. ci-dessous).
C i v . 1 r e , 4 d éc . 19 9 0 , C o v e c o
(GADIP, n o 76 ; Rev. crit. DIP 1991. 558, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; JDI 1991. 371, note D. Bureau) L'arrêt Coveco opère un revirement partiel de la jurisprudence Schule (v. ci-dessus). Saisie d'une action en responsabilité civile contractuelle, la cour d'appel avait retenu le défaut d'intérêt à agir du demandeur, indemnisé par son assureur, en application du droit français qui n'autorise pas ce demandeur à agir pour le compte de son assureur. Le demandeur lui faisait grief de n'avoir pas recherché, au besoin d'office, si la loi néerlandaise n'était pas applicable, ce que la jurisprudence Schule lui imposait s'agissant d'un litige relatif à des droits disponibles. La Cour de cassation rejette le moyen en retenant que « les parties, et particulièrement la société Coveco, n'ont pas invoqué sur ce point d'autres lois que celles spécialement tirées du droit français en une matière qui n'était soumise à aucune convention internationale et où la société Coveco avait la libre disposition de ses droits ». Elle consacre donc le caractère facultatif de l'application de la règle de conflit dans les litiges mettant en cause des droits disponibles, en réservant toutefois le cas de la règle de conflit d'origine conventionnelle, dont l'application s'impose en toute hypothèse au juge qui doit y procéder même d'office. L'arrêt Mutuelles du Mans (v. ci-dessous) est toutefois revenu sur cette dernière réserve.
Civ. 1 re, 6 mai 1997, Hannover International (GADIP, n o 84 ; Rev. crit. DIP 1997. 514, note B. Fauvarque-Cosson ; JDI 1997. 804, note D. Bureau) L'arrêt Hannover International consacre la validité de l'accord procédural, quelle que soit l'origine de la règle de conflit, dès lors que les droits en cause sont disponibles. Saisis d'une demande de condamnation à des dommages et intérêts pour défaut du matériel vendu, les juges du fond avaient statué par application du droit français — à une époque où la jurisprudence leur imposait pourtant, en vertu de l'arrêt Coveco (v. ci-dessus), d'appliquer d'office la règle de conflit d'origine conventionnelle. La Cour de cassation dispense pourtant en l'espèce les juges d'appliquer d'office la règle de conflit d'origine conventionnelle (ici issue de Conv. La Haye, 15 juin 1955) dès lors que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s'accorder sur l'application de la loi française du for malgré l'existence d'une convention internationale ou d'une clause contractuelle désignant la loi compétente ». L'arrêt précise en outre les modalités d'un tel accord procédural, qui peut non seulement être exprès, mais aussi « résulter des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par le contrat », donc être purement implicite.
C i v . 1 r e , 26 m a i 1 9 9 9, M u tu e lle s d u M an s IA R D (GADIP, n o 77 ; Rev. crit. DIP 1999. 707, 1re esp., note H. Muir Watt) L'arrêt Mutuelles du Mans IARD renverse la jurisprudence Coveco (v. ci-dessus) en affirmant que dans les litiges mettant en cause des droits disponibles, le juge n'a pas l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit de lois, quelle que soit la source de cette règle de conflit et serait-elle même d'origine conventionnelle. Saisis d'un recours en garantie formé par l'acheteur de marchandises contre le fabricant et l'importateur, les juges du fond pouvaient appliquer le
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droit français dès lors qu'aucune des parties n'avait invoqué la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels pour revendiquer l'application d'un droit étranger. Cette décision fixe l'état actuel du droit positif relatif à l'office du juge en matière de droits disponibles.
C i v . 1 r e , 13 a v r. 1 99 9 , Ci e R o y a l e B e l g e (Rev. crit. DIP 1999. 698, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 2000. 315, note B. Fauvarque-Cosson ; JCP 2000. II. 10261, note G. Légier) L'arrêt Cie Royale Belge concernait un accident de la circulation en Belgique causé par un cheval divaguant. La responsabilité du propriétaire était recherchée devant les juridictions françaises, qui avaient retenu cette responsabilité sur le fondement des « Codes civils français et belge ». Au pourvoi faisant valoir que la loi française était seule applicable, la Cour de cassation répond que « l'équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de conflit, en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois, justifie la décision qui fait application d'une loi autre que la loi compétente ». Elle consacre donc l'existence d'une dispense à l'obligation pesant sur le juge d'appliquer d'office la règle de conflit (aujourd'hui en matière de droits indisponibles, ici en matière de droits disponibles conformément à la jurisprudence Coveco (v. ci-dessus) alors en vigueur qui faisait obligation au juge de relever d'office la règle de conflit d'origine conventionnelle), dès lors qu'il y a équivalence des lois applicable et appliquée ; ici le juge, qui avait pourtant relevé l'existence du conflit, n'est pas tenu de le trancher en l'état de l'équivalence des lois en cause. Dans cet arrêt, la Cour de cassation définit, en outre, l'équivalence des lois, réalisée lorsque la situation de fait produit les mêmes conséquences juridiques en vertu des deux lois.
C i v . 1 r e , 28 j an v . 20 0 3 , J u s t i n C o l i n (Rev. crit. DIP 2003. 462, note B. Ancel) L'arrêt Justin Colin précise ce que constitue une invocation du droit étranger imposant au juge de mettre en œuvre la règle de conflit. Dans cette affaire concernant des droits disponibles (existence d'un apport immobilier), les parties avaient fondé les argumentations développées dans leurs conclusions sur le droit français, mais M. Colin avait, dans ses conclusions d'appel, fait une référence à la loi de l'État de New York. Il en déduisait, dans son pourvoi, que les juges du fond ne pouvaient statuer par application de la loi française sans s'interroger sur l'applicabilité de la loi new-yorkaise. La Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant que la simple référence faite à la loi de l'État de New York ne constitue pas une invocation expresse de la loi étrangère, laquelle suppose qu'une demande soit expressément fondée sur cette loi.
Présentation des principaux règlements de droit international privé de l'Union européenne Les règlements et directives matériels « sectoriels » incluant des règles de DIP ne sont pas envisagés. Pour un panorama complet, v. : S. Clavel, E. Gallant, Les grands textes de droit international privé, Dalloz, 2e éd., 2016. Les renvois correspondent aux chapitres de l'ouvrage dans lesquels ces règlements sont principalement abordés.
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I. Conflits de juridictions
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Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I), refondu par Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ; v. Chapitre 4 sur les aspects de compétence, Chapitre 5 sur les aspects de reconnaissance et d'exécution des décisions, Chapitre 6 sur les règles de procédure. Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (Bruxelles II bis), et sa proposition de refonte (v. ci-après) ; v. Chapitre 4 sur les aspects de compétence, Chapitre 6 sur les règles de procédure spécifiques, Chapitre 7 sur la responsabilité parentale, Chapitre 8 sur la désunion.
II. Conflits de lois
Règlement (CEE) n o 2137/85 du Conseil du 25 juillet 1985 relatif à l'institution d'un groupement européen d'intérêt économique (G. E. I. E.) ; ce règlement comporte essentiellement des règles matérielles, mais également quelques règles de conflit (v. Chapitre 9). Règlement (CE) no 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (S. E.) ; ce règlement comporte essentiellement des règles matérielles, mais également quelques règles de conflit (v. Chapitre 9). Règlement (CE) no 1435/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, relatif au statut de la société coopérative européenne (S. C. E.) ; ce règlement comporte essentiellement des règles matérielles, mais également quelques règles de conflit (v. Chapitre 9). Règlement CE no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II ; v. Chapitre 12). Règlement CE no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I ; v. Chapitre 11). Règlement (UE) no 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (Rome III ; v. Chapitre 8).
III. Coopération judiciaire en matière civile Règlement (CE) no 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale ; (v. Chapitre 6). Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées ; (v. Chapitre 5 & 6). Règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 relatif à la coopération des autorités nationales chargées de veiller à l'application de la législation en matière de protection des consommateurs, modifié par Règlement (UE) no 954/2011 du 14 septembre 2011, et par Règlement (UE) n o 524/2013 du 21 mai 2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation.
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Règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer, modifié par le règlement (UE) 2015/2421 du 16 déc. 2015 ; (v. Chapitre 5 & 6).
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Règlement (CE) no 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, modifié par le règlement (UE) 2015/2421 du 16 déc. 2015 ; (v. Chapitre 5 & 6). Règlement (CE) no 1393/2007 du 13 novembre 2007 du Parlement européen et du Conseil relatif à la signification et la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 ; (v. Chapitre 6). Règlement (UE) no 655/2014 du 15 mai 2014 du Parlement européen et du Conseil portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale (v. Chapitre 5 & 6).
IV. Règlements hybrides (conflits de juridictions et de lois et coopération) Règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité et sa refonte par Règlement (UE) n o 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité ; (v. Chapitre 9). Règlement (CE) no 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires ; (v. Chapitre 8). Règlement no 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen ; (v. Chapitre 8). Règlement (UE) no 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux (Chapitre 8). Règlement (UE) no 2016/1104 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés Chapitre 8).
V. Règlements en préparation Proposition de règlement révisé sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, et sur l’enlèvement international d’enfant, COM (2016) 411/2 (Bruxelles II ter).
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1) Sur l'histoire, les grandes théories et méthodes du droit international privé, l’objet et les variétés de règles de conflit - T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015. - H. Batiffol, « Le pluralisme des méthodes en droit international privé », Rec. cours La Haye 1973, t. II, p. 79. - P. Berlioz, « La clause d’exception », in T. Azzi, O. Boskovic, Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Bruylant, 2015, p. 189. - M. Fallon, P. Kinsch, C. Kohler (dir.), Le droit international privé européen en construction, Vingt ans de travaux du GEDIP, Intersentia, 2011. - S. Francq, « Unilatéralisme v. bilatéralisme : une opposition ontologique ou un débat dépassé ? Quelques considérations de droit européen sur un couple en crise perpétuelle », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 49. - P. Gothot, « Simples réflexions à propos de la saga du conflit des lois », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 343. - P. Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste en droit international privé », Rev. crit. DIP 1971. 1. 209 ; ibid. 415. - P. Lagarde, « Les interprétations divergentes d'une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois ? », Rev. crit. DIP 1964. 235. - P. Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye 1986, t. 196, p. 9. - A. Prujiner, « Le droit international privé : un droit du rattachement », in Études de droit international P. Lalive, Basle, Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 161. - P. Mayer, « Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé », Rec. cours La Haye 2007, t. 327, p. 9-377. - P. Mayer, « Le mouvement des idées dans le droit des conflits de lois », Droits 1985, n o 2, p. 129. - P. Mayer, La distinction des règles et décisions et le droit international privé, Dalloz, 1973. - R. M. Meijers, « L'histoire des principes fondamentaux du droit international privé », Rec. cours La Haye 1934, t. III, p. 543. - P. Remy-Corlay, « Mise en œuvre et régime procédural de la clause d’exception dans les conflits de lois », Rev. crit. DIP, 2003. 37. - G. P. Romano, « La bilatéralité éclipsée par l'autorité », Rev. crit. DIP 2006. 457. - G. P. Romano, « Le droit international privé à l'épreuve de la théorie kantienne de la justice », JDI 2012. Doctr. 3.
2) Sur les sources des règles de conflit - B. Ancel, « Destinées de l'article 3 du Code civil », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 1. - I. Barrière-Brousse, « Le Traité de Lisbonne et le droit international privé », JDI 2010. 1. - J. Basedow, « Spécificité et coordination du droit international privé communautaire », Trav. Com. fr. DIP 2002-2004, p. 275.
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- C. Brière, « Le droit international privé européen des contrats et la coordination des sources », JDI 2009. 791. - D. Bureau, « Les conflits de conventions », Trav. Com. fr. DIP 1999-2000. 201. - D. Bureau, « Les sources administratives du droit international privé français », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 169. - S. Clavel, « La simplification du droit à l’épreuve de l’harmonisation d’origine supranationale : le mirage d’un “droit commun” », in D. Bert, M. Chagny, A. Constantin (dir.), La simplification du droit, Institut Universitaire Varenne, collection « Colloques & Essais », 2015, p. 67. - B. Dutoit, F. Majoros, « Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions possibles », Rev. crit. DIP 1984. 565. - M. Fallon, P. Lagarde, S. Poillot-Peruzzetto (dir.), La matière civile et commerciale, socle d’un code européen de droit international privé, Dalloz, 2009. - M. Fallon, P. Lagarde, S. Poillot-Peruzzetto (dir.), Quelle architecture pour un code européen de droit international privé ?, Peter Lang, 2011. - E. Jayme, Ch. Kohler, « L'interaction des règles de conflit contenues dans le droit dérivé et des conventions de Bruxelles et Rome », Rev. crit. DIP 1995. 1. - D. Lefranc, « La spécificité des règles de conflit de lois en droit communautaire dérivé », Rev. crit. DIP 2005. 413. - Y. Lequette, « De Bruxelles à La Haye (Acte II) », in Vers de Nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 503. - H. Muir Watt, « Les principes généraux en droit international privé français », JDI 1997. 417. - H. Muir Watt, « La codification en droit international privé », Droits 1998, p. 149. - B. Oppetit, « Les principes généraux en droit international privé », in F. Terré (dir.), Le droit international, Dalloz, coll. « Archives Phil. dr. », 1987, t. 32, p. 179. - B. Oppetit, « Le droit international privé, droit savant », Rec. Acad. La Haye 1992. III. p. 331. - É. Pataut, « De Bruxelles à La Haye, Droit international privé communautaire et droit international privé conventionnel », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 662. - L. G. Radicati di Brozolo, « L'influence sur les conflits de lois des principes de droit communautaire en matière de liberté de circulation », Rev. crit. DIP 1993. 401. - M. Wilderspin, X. Lewis, « Les relations entre le droit communautaire et les règles de conflit de lois des États membres », Rev. crit. DIP 2002. 1 ; ibid. 289.
3) Sur la fonction régulatrice de la règle de conflit - B. Audit, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit », Rec. cours La Haye 1984, t. III, p. 219. - M. Audit, H. Muir Watt, É. Pataut (dir.), Conflits de lois et régulation économique, LGDJ, 2008. - J. Carrascosa Gonzalez, « Règle de conflit et théorie économique », Rev. crit. DIP 2012. p. 521. - P. E. Herzog, « Le début de la « révolution » des conflits de lois aux États-Unis et les principes fondamentaux de la proposition “Rome II”, Y a-t‑il un parallélisme inconscient ? », in Vers de Nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 71. - Y. Loussouarn, « La règle de conflit est-elle une règle neutre ? », Trav. Com. fr. DIP 1980-1981, p. 43. - H. Muir Watt, « Droit public et droit privé dans les rapports internationaux (Vers la publicisation des conflits de lois ?) », in F. Terré (dir.), Le privé et le public, Dalloz, coll. « Archives Phil. dr. », 1997, t. 41, p. 207.
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- H. Muir Watt, « Rome II et les “intérêts gouvernementaux” : pour une lecture fonctionnaliste du nouveau règlement du conflit de lois en matière délictuelle », in S. Corneloup, N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Litec, 2008, p. 129.
4) Sur le fonctionnement de la règle de conflit - E. Agostini, « Le mécanisme du renvoi », Rev. crit. DIP 2013, p. 545. - B. Ancel, « L'objet de la qualification », JDI 1980. 227. - B. Audit, « Qualification et droit international privé », Droits 1993, t. 18, p. 46. - M. Audit, « L'interprétation autonome du droit international privé communautaire », JDI 2004. 789. - J. Basedow, « Le rattachement à la nationalité et les conflits de nationalité en droit de l'Union européenne », Rev. crit. DIP 2010. 427. - S. Clavel, « La fraude », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 155. - S. Clavel, « La place de la fraude en droit international privé contemporain », Trav. Com. fr. DIP 2010-2012, p. 255. - S. Corneloup, « Les questions préalables de statut personnel dans le fonctionnement des règlements européens de droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 2010-2012, p. 189. - P. Courbe, « Retour sur le renvoi », in Le monde du droit. Écrits J. Foyer, Economica, 2008, p. 241. - J. Elhoueiss, « Retour sur la qualification lege causae en droit international privé », JDI 2005. 280. - J. Foyer, « Requiem pour le renvoi ? », Trav. Com. fr. DIP 1980-1981, p. 105. - J. Héron, « L'application dans le temps des règles de conflit », Rev. crit. DIP 1987. 305. - P. Lagarde, « La règle de conflit applicable aux questions préalables », Rev. crit. DIP 1960. 459. - S. Lemaire, « La qualification », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 35. - Y. Lequette, « Le renvoi de qualification », in Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 249. - L. Perreau-Saussine, « Le renvoi », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 139. - S. Sana-Chaillé de Néré, « Les questions préalables », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 123. - E. Wengler, « Réflexions sur la technique de qualification en droit international privé », Rev. crit. DIP 1954. 661.
5) Sur la force obligatoire de la règle de conflit - J.-P. Ancel, « L'invocation d'un droit étranger et le contrôle de la Cour de cassation », in Vers de Nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 3. - D. Bureau, « L'accord procédural à l'épreuve », Rev. crit. DIP 1997. 587. - S. Clavel, « Les mutations de l’office du juge à l’aune du développement des règles de droit international privé supranationales », in E. Pataut, S. Bollée, L. Cadiet, E. Jeuland (dir.), Les nouvelles formes de coordination des justices étatiques, RRJS, 2013, p. 57.
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Droit international privé
Quiz 1) Sujets corrigés
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- B. Fauvarque-Cosson, « L'accord procédural à l'épreuve du temps, retour sur une notion française controversée », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 263. - H. Gaudemet-Tallon, « De nouvelles fonctions pour l'équivalence en droit international privé ? », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 303. - S. Godechot-Patris, « Retour sur la notion d'équivalence au service de la coordination des systèmes », Rev. crit. DIP 2010. 271. - P. Mayer, « L'office du juge dans le règlement du conflit de lois », Trav. Com. fr. DIP 19751977, p. 233. - H. Muir Watt, « Les péripéties internationales de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ou la définition contemporaine du conflit de lois dans l'espace », in Mélanges C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 235. - M.-L. Niboyet-Hoegy, « La mise en œuvre du droit international privé conventionnel, Incidence des traités sur les pouvoirs du juge national », in Mélanges R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 313. - M. Niboyet, « Office du juge et déclenchement du raisonnement conflictuel », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 19. - A. Verdot, « L'applicabilité de la règle de conflit de lois d'origine conventionnelle en question », D. 2006. Chron. 260.
A) Test de connaissances Énoncé
1. En droit international privé, la théorie retenant que le règlement des conflits de lois ne saurait être commun à tous les États mais est nécessairement propre à chacun d'eux est : a. la théorie universaliste ; b. la théorie particulariste ; c. la théorie nationaliste.
2. Une règle dont l'objet est de définir dans l'espace le domaine d'application d'une loi matérielle donnée est : a. une loi de police ; b. une règle de conflit bilatérale ;
c. une règle de conflit unilatérale.
3. La règle de conflit « savignienne » est principalement définie : a. dans un souci de respecter le champ d'application que les lois étrangères sont susceptibles de revendiquer, eu égard à la souveraineté des États ;
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b. dans un souci de privilégier, lorsque cela est possible, l'application de la loi du for ; c. dans un souci de protéger les intérêts privés des parties, conçus notamment en termes de prévisibilité et de stabilité des situations.
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4. Une règle de conflit qui, tout en procédant à la désignation de la loi applicable, cherche à privilégier un résultat substantiel donné est : a. une règle de conflit à coloration matérielle ; b. une règle de conflit en cascade ; c. une règle de conflit bilatérale. 5. Les textes relatifs aux droits fondamentaux : a. n'influencent jamais la mise en œuvre de la règle de conflit puisqu'ils se bornent à poser des principes substantiels ; b. comportent des principes qui se traduisent directement sous la forme de règles de conflit ; c. influencent indirectement la mise en œuvre de la méthode conflictuelle en en altérant le fonctionnement lorsqu'il conduit à la violation des principes substantiels qu'ils édictent. 6. Le droit international privé communautaire (aujourd'hui de l'Union européenne) existe : a. depuis l'origine de la CEE ; b. depuis le traité d'Amsterdam adopté en 1997 ; c. est devenu une réalité avec le traité de Lisbonne. 7. Les conventions internationales dont l'objet est d'unifier les règles de conflit de lois et de juridictions sont appelées : a. conventions internationales de droit international privé ; b. conventions internationales matérielles ; c. conventions bilatérales. 8. En présence d'une question de droit complexe, c'est‑à-dire se décomposant en plusieurs sous-questions, il convient d'appliquer : a. à l'ensemble de la question la loi qui régit la sous-question principale, b. à chaque sous-question la loi que désigne le droit international privé du for en fonction de sa nature juridique ; c. à la sous-question principale la loi désignée par la règle de conflit du for et aux sous-questions préalables la loi désignée par la règle de conflit de l'ordre juridique compétent au principal. 9. La qualification lege fori joue : a. dès que le juge français est saisi d'une question de droit international privé ; b. si le juge français est saisi d'une question de droit international privé et que les règles de conflit potentiellement applicables sont d'origine française ; c. si le juge français est saisi d'une question de droit international privé et que les règles de conflit potentiellement applicables sont d'origine européenne. 87
Droit international privé
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10. La qualification des incapacités naturelles conduit à les classer : a. dans la catégorie de droit international privé « conditions de fond des actes juridiques » ; b. dans la catégorie de droit international privé « incapacités » ; c. dans une catégorie de droit international privé autonome « incapacités naturelles ». 11. Une institution étrangère inconnue du droit du for : a. ne peut trouver place au sein des catégories de droit international privé du for et ne peut donc y être reconnue ; b. justifie la création d'une nouvelle catégorie de droit international privé du for ; c. trouve généralement place dans celle des catégories du for qui reçoit des institutions fonctionnellement équivalentes. 12. L'arrêt Forgo est un grand arrêt car il : a. consacre le renvoi au premier degré ; b. consacre le renvoi au second degré ; c. rejette la théorie du renvoi. 13. Dans les matières où le principe d'autonomie est consacré, le renvoi joue : a. toujours ; b. jamais ; c. seulement en présence d'une convention internationale. 14. Dans les règles de conflit d'origine conventionnelle, l'élément de rattachement s'apprécie : a. selon les conceptions du for ; b. en considération d'une définition autonome propre aux objectifs de la convention ; c. selon les conceptions de l'État où la convention a été signée. 15. L'hypothèse de modification de l'élément de rattachement de la règle de conflit dans le temps correspond : a. à la fraude à la loi ; b. au conflit de règles de conflit dans le temps ; c. au conflit mobile. 16. Dans l'affaire Caron, la fraude à la loi résulte : a. d'une manipulation de l'élément de rattachement de la règle de conflit ; b. d'une manipulation de la catégorie de rattachement ; c. d'un forum shopping. 17. En l'état actuel du droit positif, l'application de la règle de conflit pour le juge est, lorsque les droits sont disponibles et que les parties n'ont pas invoqué la loi étrangère : a. obligatoire ; 88
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La méthode conflictuelle
b. facultative ; c. obligatoire seulement si la règle de conflit est d'origine conventionnelle.
a. prohibé ; b. admis mais doit être exprès ;
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18. L'accord procédural est, lorsque les droits sont disponibles :
c. admis et peut résulter d'une simple concordance de conclusions des parties.
19. Lorsqu'en matière de droits indisponibles, les juges du fond ont omis d'appliquer la règle de conflit, leur décision : a. est néanmoins valide si les parties ont conclu un accord procédural ; b. est systématiquement censurée par la Cour de cassation ; c. peut être validée si la loi appliquée est équivalente à la loi qui aurait dû être appliquée en vertu de la règle de conflit.
20. En présence d'une invocation par une partie d'une loi étrangère, les juges : a. doivent appliquer la règle de conflit de lois pertinente et la loi compétente ; b. doivent appliquer la loi étrangère invoquée ; c. peuvent néanmoins appliquer la loi française si les droits sont disponibles. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratiques Énoncé n o 1
En vous aidant des connaissances acquises dans ce chapitre (et si besoin du chapitre 8 sur la famille), aidez le juge français à résoudre la question qu’il se pose dans l’action en recherche de paternité dont il est saisi. Cette action est exercée par Madame Lemercier pour le compte de son fils mineur Benoît contre Monsieur Ledrapier, sur le fondement du droit français. Monsieur Ledrapier est de nationalité française. Madame Lemercier était de nationalité belge lors de la naissance de son fils, mais elle a été naturalisée française depuis, et son fils est désormais également français. Le juge constate, à la lecture de l’article 311-14 du Code civil, que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ». Le juge français peut-il statuer sur l’action, comme cela lui est demandé dans les conclusions de Madame Lemercier sans contestation de la part de Monsieur Ledrapier, en application du droit substantiel français ? Il vous est précisé que l’article 62, § 1er de la loi belge de droit international privé dispose que : « L'établissement et la contestation du lien de filiation à l'égard d'une personne sont régis par le droit de l'État dont elle a la nationalité au moment de la naissance de l'enfant ou, si cet établissement résulte d'un acte volontaire, au moment de cet acte ». L’article 16 indique que : « Au sens de la présente loi et sous réserve de dispositions particulières, le droit d'un État s'entend des règles de droit de cet État à l'exclusion des règles de droit international privé ». Voir le corrigé en fin de rubrique.
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Droit international privé
Énoncé n o 2 Qualifiez, en détaillant votre raisonnement, les situations suivantes :
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1. La société METROPOLIS était en négociation avec la société MABUSE en vue de conclure un contrat de distribution. La société MABUSE a mis fin à la négociation alors qu'elle avait donné à METROPOLIS des assurances quant à la conclusion du contrat. METROPOLIS souhaite que MABUSE soit sanctionnée, au moins par l'allocation d'une somme d'argent, sinon par la conclusion forcée du contrat. Comment qualifiez-vous sa demande pour la détermination de la loi applicable ? (il vous est précisé que la rupture des négociations est intervenue le 14 septembre 2011 et que, si le contrat avait été conclu, le règlement « Rome I » sur la loi applicable aux obligations contractuelles aurait été applicable). 2. Mademoiselle LEIA, de nationalité américaine, était fiancée avec M. SOLO, également de nationalité américaine. Les fiancés vivaient en Allemagne. M. SOLO a brutalement rompu ses fiançailles alors que les invitations pour le mariage étaient déjà envoyées, pour aller rejoindre sa maîtresse en France. Mlle LEIA a saisi les tribunaux français pour obtenir que M. SOLO soit condamné à lui verser une somme d'argent en compensation de son comportement injurieux. Comment qualifiez-vous sa demande pour la détermination de la loi applicable ? (il vous est précisé qu'en Allemagne, la rupture des fiançailles est une question relevant du statut personnel, soumise à la loi nationale des intéressés ; en droit américain comme en droit français, il s'agit d'une question délictuelle soumise à la lex loci delicti). Voir le corrigé en fin de rubrique.
Énoncé n o 3
Testez vos connaissances sur le conflit mobile 1. Monsieur Bellet a signé un contrat en 2001, alors qu'il était âgé de 19 ans. Il était alors de nationalité française. En 2003, Monsieur Bellet a changé de nationalité. La loi de l'État de sa nouvelle nationalité fixe la majorité civile, et la capacité de conclure des contrats, à l'âge de 21 ans. Le contrat signé en 2001 est-il encore valable ? 2. Monsieur Goldman a acheté en Allemagne un meuble grevé d'un gage. Après avoir rapporté ce bien en France, il se heurte à la revendication du créancier gagiste qui entend obtenir la vente du bien. Quelle loi s'applique à la sûreté, la loi française ou la loi allemande ? 3. Monsieur et Madame Lucas, tous deux de nationalité française, souhaitent obtenir l'annulation de leur mariage, parfaitement valable au regard de la loi française de fond comme de forme. Peuvent-ils utilement changer de nationalité pour rendre applicable une loi annulant leur mariage ? Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. b ; 2. c ; 3. c ; 4. a ; 5. c ; 6. b ; 7. a ; 8. b ; 9. b ; 10. b ; 11. c ; 12. a ; 13. b ; 14. b ; 15. c ; 16. b ; 17. b ; 18. c ; 19. c ; 20. a.
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La méthode conflictuelle
Cas pratique n o 1
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On recherchera dans un premier temps quelle est la loi applicable à l’action en recherche de paternité, avant de se demander, dans l’hypothèse où la loi française ne serait pas retenue comme loi applicable, si le fait que les deux parties se fondent sur le droit français dans leurs conclusions a une incidence sur la réponse à la question.
1) Détermination de la loi applicable Le juge français applique normalement la règle de conflit française, ici posée par l’article 311-14 du Code civil. La mère étant connue, la loi applicable est sa loi nationale. Il y a toutefois un conflit mobile puisque la mère a changé de nationalité depuis la naissance de l’enfant. Heureusement l’article 311-14 du Code civil règle expressément ce conflit mobile en désignant la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Au jour de la naissance de l’enfant, la mère était de nationalité belge. Pour le droit international privé français, la loi belge est donc applicable. Il est néanmoins permis de se demander s’il n’y a pas lieu de faire jouer le renvoi. En effet, l’ordre juridique belge est considéré comme compétent par le DIP français, mais le DIP belge retient que l’établissement du lien de filiation à l’égard d’une personne est régi par la loi de l’État dont elle a la nationalité au moment de la naissance de l’enfant. En l’espèce, l’action concerne l’établissement de la filiation de l’enfant à l’égard de son père présumé, Monsieur Ledrapier, qui est français et l’était déjà au moment de la naissance de l’enfant. Le droit belge opère donc un renvoi au droit français sur la question litigieuse. Il importe peu que le droit belge n’admette pas le renvoi, l’important est ici de déterminer la position du droit français. En droit français, rien ne semble faire obstacle à l’admission du renvoi lorsque l’article 311-14 du Code civil est applicable ; il existe toutefois quelques discussions et surtout la Cour de cassation n’a pas encore rendu d’arrêt de principe en la matière (v. ss 756). Le juge français devra donc décider s’il convient de mettre ou non en œuvre le renvoi au premier degré. Dans l’affirmative, la loi française est applicable ; à défaut, c’est la loi belge qui doit s’appliquer. Le dilemme peut-il être simplement résolu en tenant compte de la volonté implicite des parties ?
2) Incidence de « l’accord » tacite des parties sur l’application de la loi française Madame Lemercier a fondé sa demande sur le droit français. Dans ses conclusions, Monsieur Ledrapier n’a pas contesté l’applicabilité de ce droit. On se trouve donc en présence d’un « accord procédural », dont la jurisprudence admet qu’il peut fixer le droit applicable. Néanmoins, cette observation est ici sans incidence, car les droits en cause (filiation paternelle) sont des droits indisponibles. Or en matière de droits indisponibles, le juge a l’obligation de relever d’office la règle de conflit, et les parties ne peuvent pas, par un accord procédural, rendre tacitement applicable une autre loi. Le juge français devra donc nécessairement relever l’applicabilité du droit belge en vertu de la règle de conflit française ; et sa décision finale dépendra de sa décision de mettre en œuvre, ou pas, le renvoi au premier degré.
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Droit international privé
Cas pratique n o 2
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La qualification s'opère lege fori pour déterminer si une règle de conflit issue du droit commun s'applique ; elle doit être opérée de façon autonome, selon les conceptions dictées par la CJUE, pour déterminer si une règle de conflit de l'Union européenne peut s'appliquer. 1. Pour procéder à la qualification en vue d'identifier la loi applicable, il convient en premier lieu d'analyser la situation : il s'agit d'une rupture de pourparlers précontractuels, le contrat n'ayant finalement jamais été conclu. La demande (dommages et intérêts ou conclusion forcée du contrat) vise à sanctionner le comportement de la partie qui n'a pas négocié de bonne foi en violant les engagements qu'elle avait pris. Il faut alors, dans un second temps, classer cette situation dans l'une des catégories du droit international privé. En droit français (interne comme international), la responsabilité pour rupture fautive de pourparlers relève de la matière délictuelle. C'est donc a priori une qualification « délictuelle » qu'il importe de retenir, si l'on suit du moins la méthode de qualification lege fori. Toutefois, le fait générateur s'étant produit le 14 septembre 2011, le règlement « Rome II » devrait s'appliquer pour déterminer la loi régissant la responsabilité non contractuelle. Il importe donc de mettre en œuvre la méthode de la qualification autonome, pour vérifier que la situation considérée entre bien dans la qualification « obligations non contractuelles » propre au règlement. La CJUE avait eu l'opportunité, pour l'interprétation du Règlement « Bruxelles I » (conflits de juridictions), de préciser que la rupture des pourparlers précontractuels relève de la matière délictuelle au sens du règlement (CJCE 17 sept. 2002, Tacconi, sur lequel v. ss 1061). Cette qualification est confirmée par le règlement « Rome II », dont l'article 12 régit la culpa in contrahendo, ce qui implique bien que la rupture des pourparlers relève des « obligations non contractuelles » au sens du droit de l'Union européenne. La qualification « matière délictuelle » est donc la qualification pertinente. 2. Mlle LEIA a saisi les tribunaux français, qui seront donc les autorités appelées à qualifier la demande en vue d'identifier la loi applicable. En principe, la qualification s'opère lege fori. Le point de savoir comment la rupture de fiançailles est qualifiée en Allemagne, ou aux États-Unis, est donc indifférente : ce sont les seules conceptions françaises qui dominent, et la qualification délictuelle doit donc être retenue. Il importe toutefois de vérifier, puisque la demande concerne a priori la matière délictuelle, si la règle de conflit applicable n'est pas issue du droit de l'Union européenne, car alors une qualification autonome devrait être préférée. On sait en effet que la matière délictuelle est aujourd'hui régie par le Règlement Rome II, sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Ce règlement est toutefois inapplicable aux obligations contractuelles « découlant de relations de famille » ; il ne devrait donc pas régir la loi applicable à la rupture des fiançailles. C'est donc bien la règle de conflit de lois d'origine nationale qui s'applique : la qualification est opérée lege for et la question relève de la matière délictuelle.
Cas pratique n o 3
1. Le conflit mobile résulte ici d'un changement de nationalité, pour l'appréciation de la capacité de Monsieur Bellet à conclure un contrat. La capacité est en effet régie par la loi nationale de l'intéressé. Or Monsieur Bellet était capable lors de la signature d'un contrat en 2001, puisqu'il était français et donc, en application de la loi française
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La méthode conflictuelle
régissant sa capacité, capable car âgé de 19 ans ; mais Monsieur Bellet a aujourd'hui changé de nationalité, et en application de la loi de sa nouvelle nationalité qui fixe la majorité civile à 21 ans, il n'était pas capable au jour de la conclusion du contrat.
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En raisonnant par analogie avec les règles du conflit de lois dans le temps, il faudrait considérer que la loi ancienne s'applique à la validité des situations constituées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (non-rétroactivité de la loi nouvelle). Ainsi, en l'espèce, c'est la nationalité ancienne, qui était celle de Monsieur Bellet au jour de la conclusion du contrat, qui devrait dicter la détermination de la loi applicable. Monsieur Bellet étant français au jour de la conclusion du contrat, la loi française régit sa capacité, en sorte que le contrat doit être considéré comme valable. Cette solution apparaît en outre conforme aux exigences de sécurité juridique, fondamentales en droit international privé, et tout particulièrement en droit international privé des contrats. Elle doit donc être retenue. 2. Le conflit mobile résulte ici d'un changement de localisation d'un bien meuble, grevé d'un gage. La question posée est en effet celle de la loi régissant la sûreté grevant le meuble. Or les sûretés réelles sont soumises à la lex rei sitae. Lors de l'acquisition du bien par Monsieur Goldman, la sûreté se trouvait soumise au droit allemand, puisque le bien se trouvait en Allemagne. Mais le bien a depuis été déplacé en France. En raisonnant par analogie avec les règles de conflit de lois dans le temps, il conviendrait de mettre en œuvre le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle : la sûreté est régie par le droit français à partir du moment où le bien est déplacé en France. C'est la solution qu'a consacrée la Cour de cassation dans une espèce proche (Société DIAC, GADIP, n o 48 ; Rev. crit. DIP 1971. 75, note Ph. Fouchard ; JDI 1970. 916, note J. Derrupé). Il est toutefois permis de s'interroger sur la pertinence de cette solution : si elle apparaît particulièrement protectrice des tiers, elle est en revanche peu protectrice des droits des parties à la sûreté, dont les droits pourront être modifiés selon la localisation du bien. Cette variabilité est d'autant plus gênante lorsque la sûreté est d'origine conventionnelle ; c'est la raison pour laquelle certains auteurs jugeraient souhaitable de maintenir l'application de la loi sous l'empire de laquelle la sûreté a été constituée. 3. Les parties envisagent ici de créer artificiellement un conflit mobile en changeant de nationalité, dans le but de changer la loi applicable à la validité de leur mariage. Est-ce possible ? La loi applicable à la validité formelle du mariage est, en droit international privé français, la loi du lieu de célébration du mariage. Un changement de nationalité des époux serait donc sans emport sur la loi applicable. La loi applicable à la validité au fond du mariage est, en revanche, la loi nationale commune des époux, en sorte qu'un changement de nationalité pourrait a priori induire un changement de loi applicable. Encore convient-il de vérifier si, selon les règles du conflit mobile, il serait possible d'apprécier la validité d'un mariage célébré alors que les deux époux étaient français, en application de la loi d'une nationalité commune acquise postérieurement à cette célébration. En raisonnant par analogie avec les règles de conflit de lois dans le temps, il faut considérer que la constitution d'une situation est régie par la loi sous l'empire de laquelle cette situation s'est constituée (non-rétroactivité de la loi nouvelle) : en l'espèce, la loi applicable à la validité au fond du mariage des époux Lucas devrait donc être leur loi nationale au jour de la célébration du mariage, soit la loi française.
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Droit international privé
Cette solution est conforme aux principes de sécurité juridique et de stabilité de l'état des personnes.
Débats
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Il est donc peu probable que les époux Lucas puissent obtenir l'annulation de leur mariage en changeant de nationalité pour rendre applicable une loi qui invaliderait leur mariage pour des raisons de fond : les règles du conflit mobile devraient en effet conduire à maintenir l'application de la loi française. Il convient en outre d'observer que la manœuvre des époux pourrait être qualifiée de frauduleuse, et donc privée d'effet.
Le renvoi de qualification
Le renvoi opère le plus souvent en raison d'une divergence des rattachements retenus par les règles de conflit de lois des États impliqués : le droit français prévoit que la capacité des personnes physiques est régie par la loi nationale, tandis que le droit anglais donne compétence à la loi du domicile de l'intéressé. La doctrine a toutefois souligné que la divergence des qualifications pouvait, tout aussi bien que celle des rattachements, provoquer une situation propice au renvoi. M. Lequette, dans l'article qu'il a consacré à cette question (« Le renvoi de qualification », in Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 249), en prend pour illustration une rupture de fiançailles entre deux Français, survenue en Allemagne. Selon le droit international privé français, la question doit être classée dans la catégorie « responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle » et soumise à la lex loci delicti, tandis que le droit international privé allemand y voit une question relevant du statut personnel, relevant de la loi personnelle des intéressés. Ainsi, quand bien même les éléments de rattachement retenus par les droits français et allemand en matière délictuelle et en matière de statut personnel seraient les mêmes, il y a bien un renvoi, de qualification, puisque le droit français se propose d'appliquer la loi allemande tandis que le droit international privé allemand retient, au bénéfice de la divergence de qualification, la compétence de la loi française. Faut-il admettre le renvoi dans cette hypothèse ? Quoique le droit positif n'ait pas été confronté à cette question et n'ait donc pu prendre parti à ce jour, on voit mal pourquoi ce renvoi devrait être refusé ; l'objectif de coordination qui se trouve au fondement de l'admission du renvoi justifie tout autant l'admission du renvoi de qualification que celle du renvoi « de rattachement ».
L'office du juge dans la mise en œuvre des règles de conflit peut-il évoluer sous l'influence du droit européen ? En l'état actuel du droit positif français, le juge doit impérativement mettre en œuvre, le cas échéant d'office, les règles de conflit de lois dans les matières où les parties n'ont pas la libre disposition de leurs droits ; en revanche, pour les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, aucune obligation n'est faite au juge d'appliquer d'office la règle de conflit de lois, y compris lorsque cette règle est posée par un texte supranational, tel un règlement de l'Union européenne. Cette solution,
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La méthode conflictuelle
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qui consiste à appliquer le même traitement procédural aux règles de conflit d'origine nationale et supranationale, est bien accueillie par la doctrine traditionnelle, qui rappelle qu'il n'y a aucune différence de nature entre ces deux types de règles de conflit. De surcroît, il existe dans l'Union européenne un principe d'autonomie procédurale des États membres ; or la question de l'office du juge relève de la procédure. Il appartient donc aux seuls États membres de définir les contours de l'office de leurs juges pour l'application des règles de conflit de lois, fussent-elles d'origine européenne. Un débat semble toutefois pouvoir être instauré, à l'heure actuelle, à l'examen de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Si celle-ci rappelle le principe d'autonomie procédurale des États membres, elle semble aussi considérer que les règles nationales régissant l'office du juge doivent être interprétées et appliquées d'une façon qui soit compatible avec la mise en œuvre effective des droits garantis par la législation européenne (CJCE 27 juin 2000, Oceano Grupo, aff. C-240/98 ; 21 nov. 2002, Cofidis, aff. C-473/00 ; 29 oct. 2006, Mostaza Claro, aff. C-198/05). La transposition de ce raisonnement au droit international privé suscite le débat. On peut opposer que les règles de conflit de lois sont abstraites et neutres, et que dès lors, elles ne confèrent aucun « droit » au justiciable. Celui-ci ne saurait donc se plaindre de ce que le juge d'un État membre n'a pas mis en œuvre d'office une règle de conflit de lois. L'abstraction et la neutralité de certaines règles de conflit de lois d'origine européenne sont toutefois discutables ; c'est le cas en particulier, on l'a vu (v. ss 39), des règles de conflit de lois applicables aux contrats de consommation, ou encore aux contrats de travail. Puisque la règle de conflit est ici protectrice des droits du consommateur ou du salarié, ne faut-il pas considérer que – quoique les droits soient disponibles – le juge doit appliquer d'office la règle de conflit protectrice même si le bénéficiaire de cette protection a omis d'en invoquer l'application ? Le droit positif français n'est pas en ce sens (Soc. 16 déc. 1992, n o 8944.187, Bull. civ. V, no 583) mais une évolution pourrait se dessiner sous l'influence de la CJUE (S. Clavel, « Les mutations de l’office du juge à l’aune du développement des règles de droit international privé supranationales », in E. Pataut, S. Bollée, L. Cadiet, E. Jeuland (dir.), Les nouvelles formes de coordination des justices étatiques, RRJS, 2013, p. 57 ; S. Clavel, « La simplification du droit à l’épreuve de l’harmonisation d’origine supranationale : le mirage d’un “droit commun” », in D. Bert, M. Chagny, A. Constantin (dir.), La simplification du droit, Institut Universitaire Varenne, collection « Colloques & Essais », 2015, p. 67). Il faut toutefois noter qu’à rebours de cette évolution, qui irait vers un rôle accru du juge dans l’application de la règle de conflit de lois, certains auteurs appellent une « redistribution des rôles entre juge et avocats », pour limiter la charge pesant sur le premier – qui se bornerait à déclencher le débat conflictuel – et la reporter sur les seconds alors chargés de déterminer le droit applicable. Cette solution serait plus compatible avec la tendance contemporaine à la « déjudiciarisation » du droit (M. Niboyet, « Office du juge et déclenchement du raisonnement conflictuel », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 19.
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Les méthodes concurrentes
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c h a p i t r e
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analytique
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La méthode des lois de police
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Plan
§ 1 Caractérisation des « lois de police » A. Critères des lois de police
B. Champ d'application des lois de police
§ 2 Application des lois de police
A. L'impérativité relative des lois de police B. L'impérativité limitée des lois de police
section
2
La méthode des règles matérielles de droit international privé § 1 Existence d'un corps de règles substantielles propres aux situations internationales A. Droit contraignant (hard law) B. Droit souple (soft law)
§ 2 Articulation des règles matérielles propres aux situations internationales et des règles de conflit de lois A. Éviction des règles de conflit de lois par les règles matérielles : la « méthode des règles matérielles » B. Combinaison des règles de conflit de lois et des règles matérielles : la « méthode conflictuelle »
section
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La méthode de la reconnaissance des situations § 1 Modalités méthodologiques
A. Un alignement du for sur le point de vue de l'État d'origine B. Une mise en œuvre marginalement imposée par les droits conventionnel et européen
§ 2 Conditions de mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance A. Existence d'une concrétisation du point de vue normatif de l'État d'origine B. Régularité de l'intervention de l'État d'origine dans la constitution de la situation
Compléments pédagogiques
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Les méthodes concurrentes
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La méthode conflictuelle « savignienne » s'est construite avec pour objectif fondamental de coordonner les ordres juridiques étatiques de la manière la plus conforme aux intérêts privés des individus impliqués dans les rapports de droit privé internationaux. Quelque efficace que puisse être cette méthode, qui reste centrale en droit international privé français, elle présente des limites ponctuelles qui expliquent que des méthodes dérogatoires — que l'on peut qualifier de concurrentes puisqu'elles empiètent sur le domaine d'action de la méthode conflictuelle — aient été progressivement forgées.
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D'une part, la méthode conflictuelle prend essentiellement en considération les intérêts privés des parties, parce qu'elle retient comme postulat l'absence d'intérêt des États à revendiquer l'application de leurs propres règles aux relations privées internationales. Si l'observation est le plus souvent exacte, il arrive néanmoins — et Savigny l'avait d'ailleurs relevé — qu'un ou plusieurs États aient un intérêt à ce que leurs règles juridiques saisissent prioritairement certaines situations qui entretiennent pourtant des liens réels — voire des liens plus étroits — avec d'autres ordres juridiques. La prise en considération de cet intérêt public ponctuel se concrétise dans la méthode des lois de police.
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D'autre part, confrontés à certaines situations internationales, les États peuvent considérer que la mise en œuvre de la méthode conflictuelle n'est pas de nature à offrir, pour la satisfaction des intérêts privés, la solution la plus satisfaisante. De longue date, le droit international privé a donc corrigé la mise en œuvre de la méthode conflictuelle en appliquant directement à certaines situations internationales des règles substantielles jugées particulièrement opportunes ou adaptées au regard de l'internationalité du rapport de droit. Cette démarche est appelée méthode des règles matérielles de droit international privé.
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Plus récemment, la doctrine a mis l'accent sur l'émergence d'une nouvelle approche, plus respectueuse encore des intérêts privés que ne l'est la méthode conflictuelle. Cette approche — dite « méthode de la reconnaissance des situations » — préconise de reconnaître certaines situations internationales dans l'ordre juridique du for, sans les soumettre au test de la méthode conflictuelle, dès lors que les parties ont pu fonder de légitimes prévisions sur ces situations parce qu'elles se sont régulièrement constituées selon les règles d'un État étranger.
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Ces trois méthodes concurrentes de la méthode conflictuelle classique, qui ont en commun leur fondement unilatéraliste, seront successivement présentées dans ce chapitre.
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La méthode des lois de police 168
La méthode des lois de police entend réintégrer, dans un mécanisme de coordination des ordres juridiques essentiellement conçu en considération des intérêts privés, des considérations d'intérêt public. Ainsi qu'on l'a observé (v. ss 66 s.), les règles de droit substantiel privé édictées par les États intègrent parfois des objectifs de politique publique. C'est le cas, par exemple, du droit de la concurrence qui, en prohibant notamment les contrats de droit privé qui seraient constitutifs d'ententes, vise à garantir une libre concurrence jugée favorable au développement économique ; c'est le cas, encore, du droit de la consommation qui, tout en cherchant à protéger le consommateur, veille à corriger une asymétrie des contractants jugée globalement défavorable au bon développement économique du marché. Dans les deux cas, la politique économique de l'État trouve dans les règles de droit privé des instruments destinés à garantir son efficacité.
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Lorsque l'efficacité de la politique publique d'un État dépend de l'application de ses règles de droit privé, on conçoit que sa tolérance à l'égard de l'application d'un droit étranger en lieu et place de son propre droit puisse être moindre. Or la méthode conflictuelle conduit parfois à écarter le droit d’un État alors même que celui-ci a des raisons impérieuses de régir la situation. Il en va ainsi, en particulier, lorsque le principe d’autonomieQ conduit à reconnaître aux parties le droit de choisir la loi applicable à leur situation, et leur permet ainsi d’écarter la loi d’un État pouvant pourtant faire valoir un impératif d’intérêt public. Même sans intervention de la volonté des parties, le critère de rattachement sur lequel repose la règle de conflit – défini abstraitement dans la méthode savignienne – peut s’avérer « fonctionnellement inadéquat » lorsqu’il ne permet pas qu’une règle de droit puisse être appliquée conformément à sa finalité (D. Bureau, H. Muir-Watt, no 561 ; B. Audit, L. d’Avout, Droit international privé, 7 e éd., Économica, 2013, no 180). La méthode des lois de police a alors pour objectif de permettre à un ordre juridique de faire exceptionnellement prévaloir sa règle de droit, dans des situations où celle-ci n’est normalement pas applicable : les dispositions du droit national sont dites internationalement impératives, en ce sens que leur application s'impose même aux situations affectées d'un élément d'extranéité que la règle de conflit conduirait normalement à soumettre à une loi étrangère. Conçue comme une dérogation ponctuellement apportée à la méthode conflictuelle, la méthode des lois de police conduit ainsi à évincer les règles de conflit pour laisser place à une application directe de règles substantielles participant de l'organisation des politiques publiques. L'application des lois de police repose sur un procédé qui diffère très nettement de celui qui caractérise la méthode conflictuelle ; c'est en cela qu'il existe une « méthode » des lois de police. Cette méthode ne concerne toutefois qu'un nombre limité de dispositions substantielles, les « lois de police », qu'il importe dans un premier temps de caractériser (§ 1), avant d'en préciser les modalités d'application (§ 2).
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1 Caractérisation des « lois de police » international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594514342
Une loi de policeQ est une disposition substantielle, que rien ne distingue le plus souvent des autres dispositions substantielles « ordinaires ». Elle reçoit pourtant, en droit international privé, un traitement spécifique, puisqu'elle est internationalement impérative : là où une disposition impérative ordinaire du droit français pourrait se voir évincée parce que la règle de conflit de lois désigne un droit étranger, la disposition internationalement impérative reste applicable nonobstant la compétence de principe du droit étranger. Pour bien comprendre la nuance, on peut raisonner sur deux exemples. Exemple no 1 : la règle qui limite l'efficacité des clauses limitatives de responsabilité entre deux professionnels de spécialités différentes est impérative en droit français ; elle joue donc pour tous les contrats soumis au droit français. Mais ce n'est pas une loi de police : un contrat régi par une loi étrangère pourrait donc contenir une clause limitative valable, même aux yeux de l'ordre juridique français, à condition que la loi étrangère applicable au contrat lui reconnaisse cette validité. Exemple no 2 : La règle posée par la loi du 31 décembre 1975, qui institue au bénéfice des sous-traitants le droit de réclamer paiement direct au maître de l'ouvrage, est impérative en droit français : le droit au paiement direct joue donc dans toutes les opérations de sous-traitance soumises au droit français. Mais cette règle est également une loi de police (Cass., ch. mixte, 30 nov. 2007, D. 2008. 753, note W. Boyault, S. Lemaire ; Rev. crit. DIP 2009. 728, note M.-E. Ancel). En conséquence, aux yeux de l'ordre juridique français, le sous-traitant doit pouvoir bénéficier de l'action en paiement direct même si l'opération de sous-traitance est soumise à un autre droit que le droit français, et même si le droit applicable n'institue pas d'action en paiement direct au bénéfice du sous-traitant. La caractérisation des lois de police soulève donc, on le comprend avec ces deux exemples, deux questions majeures. D'une part, il est nécessaire de s'interroger sur les critères qui permettent de distinguer les lois de police, dispositions internationalement impératives relevant de la « méthode des lois de police », des lois substantielles « simplement » impératives relevant de la méthode conflictuelle. D'autre part, il importe de circonscrire le champ d'application dans lequel ces dispositions internationalement impératives déploient leur autorité ; ce n'est en effet pas parce qu'une disposition est une loi de police qu'elle entend nécessairement régir toutes les situations affectées d'un élément d'extranéité. Bien plus, une loi de police ne peut sans doute être qualifiée comme telle que parce que sa mise en œuvre, dans une situation bien définie, apparaît indispensable à l’effectivité de la politique publique de l’État qui l’a édictée. L'impérativité internationale des lois de police ne se conçoit donc qu'en regard d'un champ d'application précisément déterminé (B), qui participe de la caractérisation des lois de police au même titre que les critères d’identification des lois de police (A).
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A. Critères des lois de police Dans un premier temps, le concept des lois de police a été essentiellement théorisé par la doctrine. Celle-ci définit synthétiquement les lois de police comme des règles substantielles dont l'application aux litiges privés internationaux est rendue nécessaire par les États en raison de leur contribution à la protection des intérêts publics fondamentaux, leur respect étant jugé essentiel à la sauvegarde de l'organisation sociale, politique ou économique du pays. Cette définition a inspiré, avec quelques
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1. Critère fonctionnel
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nuances, les textes de droit positif contemporain qui intègrent la notion de lois de police. L'article 9, § 1 du règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») précise par exemple qu'« une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ». Cette définition est intéressante en ce qu'elle propose de combiner, pour identifier les lois de police, un critère principal fonctionnel, relatif à l'objectif de la disposition substantielle considérée (1), et un critère complémentaire formel, relatif aux modalités d'application de la disposition (2).
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Pour distinguer les lois de police des autres règles de droit privé, et justifier ainsi le déclenchement de la « méthode » des lois de police, la doctrine retient traditionnellement un critère fonctionnel, tiré de l'objectif de la disposition considérée : une règle de droit privé est une loi de police lorsqu'elle participe de l'organisation sociale, politique et économique du pays. La jurisprudence témoigne de la pertinence de ce critère. La Cour de cassation a par exemple jugé que l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, qui pose des dispositions spécifiques aux ventes de navires et qui prévoit notamment que « tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel sur un navire francisé doit, à peine de nullité, être fait par écrit [al. 1er]. (…) L'acte doit comporter les mentions propres à l'identification des parties intéressées et du navire. Ces mentions sont fixées par arrêté ministériel [al. 3] », constitue une loi de police (Com. 14 janv. 2004, Bull. civ. IV, no 9). Pour justifier la qualification de loi de police, la Haute juridiction retient que « l'exigence a pour fonction le respect d'une réglementation devant assurer, pour des motifs impérieux d'intérêt général, un contrôle de sécurité des navires armés au commerce et à la plaisance leur conférant le droit de porter pavillon français et devant donner au cocontractant toutes les informations sur l'individualisation et les caractères du navire ». Exigence de sécurité et exigence d'information du cocontractant caractérisent ici les « motifs impérieux d'intérêt général » justifiant qu'il soit fait une application directe de cette loi. Si la sécurité est incontestablement un élément de politique publique (ordre public de direction), l'information du cocontractant, en ce qu'elle participe de la correction des asymétries du marché, semble pouvoir dépasser les seuls intérêts privés pour contribuer aux objectifs de protection que poursuit la politique publique économique (ordre public de protection).
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Ce critère fonctionnel, pour fondamental qu'il soit, ne manque pas de soulever des interrogations qui mettent en lumière les incertitudes affectant la caractérisation des lois de police. La première de ces interrogations concerne la notion d'« intérêt public de l'État », notion incertaine s'il en est. Le débat, qu'illustre l'arrêt du 14 janvier 2004 précité, oppose les tenants d'une conception stricte, pour qui les dispositions de droit privé essentiellement conçues pour protéger des intérêts privés ne sauraient relever de l'intérêt public de l'État, aux partisans d'une conception plus large (sur ce débat, v. P. de Vareilles-Sommières, « Lois de police et politiques législatives », Rev. crit. DIP 2011. 207, spéc. no 22 s.). La seconde interrogation concerne le degré d'implication que doit présenter la disposition substantielle considérée, dans la protection de
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l'intérêt public de l'État, pour pouvoir être qualifiée de loi de police. Selon l'observation pertinente de la doctrine, « dans les États modernes, on peut dire que toute loi tend pratiquement à garantir les intérêts économiques ou sociaux… En réalité, il existe entre les lois de police et les autres lois une simple différence de degré » (Y. Loussouarn, « Cours général de droit international privé », Rec. cours La Haye 1973, t. II, p. 328). Dans ces conditions, une disposition ne saurait être qualifiée de loi de police qu'à la condition que son respect s'avère absolument nécessaire à la mise en œuvre de la politique publique de l'État. L'article 9 § 1 du règlement « Rome I » illustre cette exigence, en rappelant que le respect de la disposition impérative doit être « jugé crucial » pour la sauvegarde des intérêts publics d'un État, si l'on veut pouvoir la qualifier de loi de police. Ces incertitudes affectant le critère fonctionnel des lois de police expliquent, sinon justifient, le rôle central joué par les juridictions dans la caractérisation des lois de police. Il revient en effet naturellement aux juges, dans leur mission d'application et d'interprétation des règles de droit, de décider si une disposition du droit interne doit être rendue internationalement impérative par sa qualification de loi de police. La reconnaissance jurisprudentielle reste à ce jour le seul indice réellement fiable du statut de loi de police d'une règle de droit. Dans son œuvre d'identification des lois de police, la jurisprudence française paraît s'inscrire résolument en faveur d'une conception large de la notion d'intérêt public : la nature de lois de police a ainsi été reconnue à plusieurs dispositions du droit de la consommation (Civ. 1re, 19 oct. 1999, Bull. civ. I, n o 281 ; 23 mai 2006, Bull. civ. I, no 258 ; Rev. crit. DIP 2007. 85, spéc. 22 s., note D. Cocteau-Senn), ainsi que, on l'a souligné (v. ss 170), aux dispositions de la loi du 31 décembre 1975 protectrices du sous-traitant. Ces règles paraissent pourtant protéger un intérêt privé, celui de la partie réputée « faible », et selon une conception étroite de l’intérêt public, on pourrait hésiter à y voir des lois de police. Mais elles participent également du bon fonctionnement du marché dans son ensemble, qu'elles visent à en corriger les externalités liées à des asymétries contractuelles ou à le protéger des défaillances en chaîne de ses acteurs ; en ce sens, elles répondent bien à une forme de protection de l’intérêt public largement conçu. Il faut toutefois préciser que, au-delà de la prise en considération du critère fonctionnel, les juridictions peuvent être guidées par un critère formel.
2. Critère formel
Une loi de police est une loi qui veut s'appliquer à « toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable » d'après la règle de conflit pertinente. C'est la formule énoncée par l'article 9, § 1 du règlement « Rome I », ou encore par l’article 30 des règlements Régimes matrimoniaux/patrimoniaux. Sur le fondement de ce critère formel, on pourrait être tenté de considérer que, dès lors qu'une disposition substantielle prétend s'appliquer à certaines situations internationales définies – indépendamment des liens que ces situations pourraient avoir avec d'autres ordres juridiques –, la qualification de loi de police s'impose. Il n'est pas sans intérêt d'observer, à cet égard, que l'article 16 du règlement du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») semble se satisfaire du seul critère formel pour l'identification des lois de police, puisqu'il précise que « les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l'application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l'obligation non contractuelle ». Aucune référence
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n'est donc faite à l'objectif poursuivi par la loi « impérative » ; à suivre la lettre de ce texte, la seule volonté de l'auteur de la loi, de la voir s'appliquer impérativement à des situations pourtant affectées d'un élément d'extranéité, suffirait à justifier l'éviction de la loi normalement compétente d'après la règle de conflit. Cette caractérisation des lois de police par le seul critère formel doit toutefois être considérée avec prudence. Le critère formel ne permet certainement pas, à lui seul, d'identifier avec certitude une loi de police. Certains auteurs proposent ainsi de distinguer les lois de police des lois d'application nécessaireQ, qui seraient des lois internationalement impératives du point de vue de leur auteur, alors même qu'elles ne remplissent pas le critère fonctionnel faute de participer d'une réelle politique publique. Le professeur P. Mayer considère, à titre d'exemple, que l'article 311-15 du Code civil français, qui prévoit que les règles françaises sur la possession d'état s'appliquent nécessairement aux familles qui résident en France, est une loi d'application nécessaire (elle remplit le critère formel puisqu'elle prétend s'appliquer aux familles même étrangères, dès lors qu'elles résident en France), mais pas une loi de police (elle ne remplit pas le critère fonctionnel faute de pouvoir être rattachée à une politique législative spécifique). L'article 9, § 1 du règlement « Rome I » semble confirmer, dans le même sens, que le critère formel – lorsqu'il est vérifié, ce qui ne sera pas toujours le cas car peu de règles définissent formellement leur champ d'application – joue en complémentarité avec le critère fonctionnel. Il ne peut donc, à lui seul, justifier la qualification de loi de police. Mais il constitue, lorsqu'il est vérifié, un indice qui justifie que l'on s'interroge sur la nature juridique de la règle de droit considérée. En outre, lorsqu'une disposition doit être qualifiée de loi de police en application du critère fonctionnel, il importe nécessairement de s'interroger sur le critère formel de son application. Une loi de police, si elle s'applique de façon internationalement impérative, ne vise en effet jamais toutes les situations affectées d'un élément d'extranéité, mais seulement celles qu'elle juge devoir entrer dans son domaine d'application.
B. Champ d'application des lois de police 177
Les lois de police, si elles prétendent saisir certaines situations internationales pour les régir impérativement, en dérogation à la loi désignée par la règle de conflit de lois, n'envisagent évidemment pas de réglementer toutes les situations internationales qui entrent dans leur domaine matériel d'application. Les lois de police, rappelons-le, s'appliquent impérativement parce que leur respect est jugé nécessaire à l'efficacité d'une politique publique de l'État qui les a édictées. Or cette efficacité n'a rien à gagner à appréhender des situations sans lien avec le for ; les lois de police ne doivent donc s'intéresser qu'aux seules situations internationales qui présentent avec le for un lien suffisant pour que leur application puisse servir les objectifs d'intérêt général qu'elles poursuivent. Pour prendre un exemple, on ne voit pas pourquoi les dispositions protectrices du sous-traitant issues de la loi française de 1975, dont on peut admettre qu'elle vise à garantir une certaine « salubrité » du marché économique français, devraient s'appliquer à l'action directe exercée par un sous-traitant turc contre un maître de l'ouvrage anglais pour une opération de construction réalisée en Angleterre. Rien que les situations ayant un lien avec le for, donc, mais pas nécessairement toutes les situations ayant un lien avec le for… Car il ne faut pas l’oublier, les lois de police sont au service de l’effectivité d’une politique
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publique ; il faut donc que le lien de la situation avec le for soit de telle nature et/ou de telle intensité que l’application de la loi du for à la situation considérée garantisse cette effectivité. La reconnaissance d'une loi de police doit donc s'accompagner de l’édiction d'un critère d'application qui permette de déterminer précisément quelles situations internationales entretenant un lien avec le for y seront soumises ; et idéalement ce critère d’application devrait être défini in concreto. Certaines lois qualifiées de lois de police définissent formellement leur domaine d'application. C'est le cas de l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967 (v. ss 172) qui spécifie que les exigences qu'il pose s'appliquent aux opérations portant sur les navires « francisés » : toute vente de navire battant pavillon français est donc soumise aux dispositions de ce texte (même si le contrat de vente est régi par une loi étrangère). D'autres, les plus nombreuses, ne définissent pas leur domaine d'application dans l'espace, alors pourtant qu'elles remplissent, aux yeux des juges, le critère fonctionnel justifiant qu'elles soient qualifiées de lois de police. Dans le silence des textes, c'est à la jurisprudence qu'il revient de fixer le critère d'application dans l'espace. L’exercice n’est pas toujours simple, ce qu’illustrent bien les hésitations qui ont présidé à la définition du critère d’application dans l’espace de la loi du 31 décembre 1975 relative à la protection des sous-traitants. Ayant qualifié certaines dispositions de cette loi de lois de police, la Cour de cassation française a tout d’abord retenu que, s’agissant d’une sous-traitance immobilière, ces dispositions devraient s'appliquer lorsqu'il est recouru à la sous-traitance pour la « construction d'un immeuble en France » (Cass., ch. mixte, 30 nov. 2007, préc. ; et pour une critique de ce critère, v. W. Boyault, S. Lemaire, note préc. sous l'arrêt). Mais le critère retenu n’est pas transposable tel quel à la sous-traitance mobilière. Les juges du fond ont cru, dans un premier temps, pouvoir s’abstenir de définir un critère d’application propre à cette sous-traitance mobilière et soumettre sans plus d’analyse à la loi française une opération de sous-traitance réalisée pour la fabrication de matériel de télécommunication. Mais la Cour de cassation les a rappelés à l’ordre (Com. 27 avr. 2011, no 0913.524, Rev. crit. DIP 2011. 624, rapp. A. Maîtrepierre ; ibid. 659, note M.-E. Ancel ; JDI 2012. 148, obs. P. de Vareilles-Sommières ; D. 2011. 1277, obs. X. Delpech ; ibid. 1654, note Y.-E. Le Bos ; ibid. 2434, spéc. 2438, obs. L. d'Avout ; D. 2012. 1229, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke) : les juges du fond ne peuvent appliquer ces dispositions, « sans caractériser l'existence d'un lien de rattachement avec la France au regard de l'objectif de protection des sous-traitants ». Il ne suffit donc pas de qualifier une disposition de loi de police, pour pouvoir l'appliquer indistinctement à toutes les situations ; son application ne joue que là où cela s'avère nécessaire pour assurer la protection de l'intérêt public considéré, et il appartient aux juges de définir les liens de rattachement exigés à cet effet, s'ils n'ont pas été prédéfinis par la loi ou la jurisprudence. En 2017 dans la même affaire, la Cour de cassation a finalement validé la décision des juges d’appel d’écarter l’application de la loi de 1975 en raison de l’absence de rattachement à la France « en lien avec l’objectif poursuivi » par cette loi (Com. 20 avr. 2017, no 15-16.922, D. 2018. 967, obs. S. Clavel et les notes cit.). Les juges français avaient en effet observé que l’Italie était le principal bénéficiaire économique de l’opération de sous-traitance mobilière – la fabrication des terminaux et l’installation des réseaux étant prévues sur son territoire –, et que l’opération n’entretenait aucun lien significatif avec la France qui ne correspondait ni au lieu d’établissement du sous-traitant, ni au lieu d’exécution de la prestation et/ou de destination finale des produits.
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Cette réserve s'explique dans la mesure où les lois de police opèrent par dérogation à la méthode conflictuelle, qui constitue le mode de règlement normal des situations privées internationales. L'application des lois de police doit donc, comme toute exception, rester précisément circonscrite.
2 Application des lois de police
Le propre des lois de police est qu'elles s'appliquent selon une méthode spécifique, dérogatoire à la méthode conflictuelle : la « méthode des lois de police ». Le juge qui constate que la situation internationale dont il est saisi entre dans le domaine d'application matériel et spatial d'une règle substantielle, qualifiée de loi de police, doit en principe appliquer directement cette règle, en raison des impératifs supérieurs qu'elle vise à garantir, même si cela doit le conduire à évincer la loi étatique normalement compétente selon la règle de conflit de lois. C'est en cela que les lois de police constituent des dispositions internationalement impératives. Elles saisissent en effet les situations internationales auxquelles elles jugent devoir s'appliquer, sans égard pour la loi qui aurait été compétente en application de la règle de conflit. Cette impérativité internationale des lois de police doit toutefois être doublement nuancée. On constate d'une part que cette impérativité n'est que relative, car elle ne joue pas à l'identique pour toutes les lois de police (A). On observe, d'autre part, que cette impérativité est limitée, car les parties ont les moyens d'échapper en pratique à l'application des lois de police (B).
A. L'impérativité relative des lois de police 180
Une opinion doctrinale traditionnelle propose de distinguer entre les lois de police du for, dont l'application est impérative pour le juge, et les lois de police étrangères, dont les titres d’application sont plus contestables et en tout cas moins forts. Ces deux affirmations méritent d’être approfondies. D'un côté, l'impérativité des lois de police du for doit composer, dans les pays de l'Union européenne, avec les exigences du droit de l'Union : des lois de police « européennes » s'imposent impérativement aux juges des États membres, tandis que l'impérativité des lois de police nationales peut se voir contestée en vertu des libertés fondamentales du droit de l'Union. On peut donc parler, à cet égard, d'une impérativité encadrée des lois de police du for (1). De l'autre, si le sort des lois de police étrangères suscite des interrogations persistantes, il n’en est pas moins certain qu’elles ne sont pas impératives pour le juge du for (2).
1. L'impérativité encadrée des lois de police du for 181
Les lois de police du for – c'est‑à-dire de l'ordre juridique saisi – doivent en principe obligatoirement être mises en œuvre par le juge du for : placé au service de l'ordre juridique qui l'a institué, le juge n'a pas d'autre choix que de respecter la volonté de cet ordre juridique. Dès lors le juge qui, saisi d'une situation internationale, constate qu'une disposition substantielle du for revêtant les caractères d'une loi de police entend régir cette situation, est tenu de l'appliquer ; il n'a pas à mettre en œuvre la règle de conflit pour vérifier si une loi étrangère n'est pas le cas échéant compétente. La notion de loi de police du for doit être largement conçue. Elle recouvre naturellement les lois substantielles qui ont été édictées et qualifiées de lois de police par les autorités nationales de l'État dont le juge est saisi. Mais elle englobe aussi les règles
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substantielles qui, parce qu'elles émanent d'une source supranationale qui lie l'État du for, s'y appliquent impérativement. En France, comme dans les autres pays de l'Union européenne, il importe donc de traiter sur un plan d'égalité les lois de police du for, et les lois de police européennes, qui revêtent les unes comme les autres un caractère internationalement impératif. Les lois de police européennes sont celles qui sont définies par le droit de l'Union européenne, en particulier par les textes de droit dérivé. Ces règles concrétisent les impératifs que l'Union entend voir respecter sur tout son territoire, y compris dans les situations qui sont pour elles « internationales », c'est‑à-dire extra-européennes parce qu'impliquant des États tiers à l'Union. C'est en cela que ces règles sont internationalement impératives. En effet, lorsqu'une situation a des liens avec l'ordre juridique d'un ou plusieurs États membres, et avec l'ordre juridique d'un ou plusieurs États tiers, l'application des règles de conflit de lois peut conduire indifféremment à la compétence de la loi d'un État membre – qui devrait suffire à garantir le respect du droit de l'Union en raison de la primauté de ce droit dans les États membres – ou à la compétence de la loi d'un État tiers. Or l'ordre juridique européen n'est pas nécessairement prêt, en toutes circonstances, à admettre que le règlement d'une situation internationale avec laquelle il entretient des liens échappe aux principes qu'il juge essentiels pour la conduite de la politique de l'Union. Il impose alors aux juges des États membres de mettre en œuvre certaines règles issues du droit de l'Union à titre de lois internationalement impératives, pour évincer la loi pourtant compétente d'un État tiers. La nature de loi de police de certaines dispositions du droit de l'Union est parfois expressément affirmée dans les textes mêmes ; c'est le cas par exemple des dispositions issues de la directive no 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, dont l'article 6, § 2 précise que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d'un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ». Cette disposition signifie bien que, même si le contrat est soumis à la loi d'un pays tiers en vertu de la règle de conflit applicable en matière contractuelle (choix de loi par les parties), les dispositions protectrices du consommateur prévues par le droit de l'Union européenne s'imposent, au moins a minima (v. en ce sens C. conso, art. L. 232-2). D'autres dispositions du droit de l'Union européenne ont été rendues internationalement impératives par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ; l'exemple le plus fameux en est l'arrêt Ingmar (CJCE 9 nov. 2000 ; v. rubrique Documents) qui a retenu le caractère internationalement impératif du droit de l'agent commercial à percevoir certaines indemnités de fin de contrat, consacré par la directive 86/653 du 18 décembre 1986. Ainsi, dans un contrat d'agence commerciale soumis à une loi qui ne reconnaît pas d'indemnité de fin de contrat au bénéfice de l'agent, celui-ci pourra-t‑il néanmoins revendiquer ce droit, sur le fondement de la directive, s'il a exercé son activité sur le territoire d'un État membre (critère d'application spatial défini par la CJUE). Cette solution devrait lier la France. Pourtant, dans un arrêt récent (Com., 5 janvier 2016, no 14-10628, D. 2016. 1047, obs. H. GaudemetTallon), la chambre commerciale de la Cour de cassation a cru pouvoir affirmer que la loi du 25 juin 1991 (issue de la transposition de la directive de 1986), « loi protectrice d’ordre public interne », n’est « pas une loi de police applicable dans l’ordre international ». Cette décision peut étonner, car la Cour de cassation se place
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ainsi en opposition directe avec la CJUE. Certes, les circonstances de l’arrêt le rendent conciliable avec la jurisprudence Ingmar, car la loi applicable était la loi allemande qui comporte naturellement des dispositions protectrices de l’agent commercial conformes aux exigences de la directive ; il n’était donc pas nécessaire de faire intervenir la loi française, comme loi de police, pour respecter les prescriptions de la Cour de l’UE. Le seuil de protection minimale imposé par la directive était suffisamment respecté par l’application du droit allemand. Mais la motivation de la Cour de cassation ne reprend pas cette justification, se bornant à disqualifier les dispositions protectrices de l’agent commercial de leur statut de loi de police. Il semble donc bien y avoir, ici, une opposition entre les deux juridictions suprêmes, française et européenne. Si le droit de l'Union européenne contribue à accroître le nombre des lois de police produisant leurs effets dans les États de l'Union, il a aussi un effet réducteur, en ce qu'il limite l'impérativité internationale de certaines dispositions pourtant qualifiées, par leur auteur, de lois de police. En effet, certaines lois de police purement nationales génèrent, du point de vue de l'Union européenne, des entraves à la libre circulation des personnes, des marchandises ou des services, et entrent donc en conflit avec la politique publique de l'Union européenne. Il en va ainsi, par exemple, lorsque l'État de destination prétend imposer à l'opérateur d'un autre État membre, pour lui permettre d'accéder à son marché, des sujétions que n'exige pas l'État d'origine. Cette disposition peut dissuader les opérateurs des autres États membres d'investir ce marché ou leur en rendre l'accès plus coûteux, en contravention avec l'objectif fondamental d'intégration du marché économique poursuivi par l'Union européenne. La tentation est alors de neutraliser purement et simplement ces lois de police nationales. Toutefois, certaines dispositions impératives constitutives d'une entrave peuvent être justifiées par un intérêt supérieur particulièrement digne de considération. Aussi le droit de l'Union n'a-t‑il pas purement et simplement banni le jeu des lois de police nationales dans l'espace de l'Union, mais s'est-il borné à en contrôler la légitimité à l'aide de deux tests : le test de compatibilité, et le test d'équivalence. Le test de compatibilité ou de proportionnalitéQ consiste à vérifier que la disposition qu'un État membre prétend appliquer à titre de loi de police est non discriminatoire, poursuit un but d'intérêt général, est nécessaire et proportionnée à l'objectif recherché. La disposition devant être, entre autres exigences, « nécessaire », le droit européen impose en outre un test d'équivalenceQ dont l'objet est de vérifier l'utilité réelle de la disposition : s'il existe déjà dans l'État d'origine une disposition, qui a été respectée, « équivalente » à celle prévue par la loi de police de l'État de destination, cette dernière doit s'effacer et se satisfaire du respect des seules exigences posées par l'État d'origine. Le for peut donc être contraint de renoncer à l'application de sa propre loi de police. À cet égard, la CJUE a envisagé dans un arrêt Unamar (CJUE 17 oct. 2013, v. rubrique Documents) un cas de figure particulier : celui où une loi de police d’un État membre prétendrait évincer la loi d’un autre État membre, pourtant parfaitement conforme au droit européen car résultant de la transposition d’une directive d’harmonisation minimale (la différence de contenu des lois procédant ici du choix de l’un des États d’aller au-delà de la protection minimale instituée par la directive). Sans fermer la porte à l’application de la loi plus protectrice au titre de loi de police, la CJUE exige toutefois que le juge saisi « constate de façon circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur de l’État du for a jugé crucial… d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle »
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prévue par la directive. Dans les relations avec les États tiers à l'Union européenne en revanche, le for retrouve sa marge de manœuvre — il peut appliquer comme bon lui semble ses lois de police – sous réserve du nécessaire respect des lois de police européennes.
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2. L’absence d’impérativité des lois de police étrangères Il n’est plus véritablement contesté, aujourd'hui, que les lois de police étrangères sont dignes de considération. Lorsqu’un État confère un caractère internationalement impératif à une règle de droit, pour des motifs impérieux d’intérêt public, il apparaît de bonne politique que les autres États – au moins par souci de courtoisie et de réciprocité – tiennent compte de l’existence de cette règle et de la volonté de son auteur de la voir appliquer. Et il est également admis sans plus de contestation qu’il n’y a pas d’obstacle juridique théorique à la mise en œuvre d’une loi de police étrangère, laquelle reste une règle de droit privé même si elle sert un intérêt public. La question des modalités de cette mise en œuvre éventuelle est en revanche moins bien fixée, et ce d’autant moins que les règlements européens n’ont pas une approche uniforme du traitement des lois de police étrangères. On mettra immédiatement à part le cas des lois de police de la loi normalement applicable (lex causae), qui ont vocation à s’appliquer à la situation au même titre que les autres dispositions de la lex causae parce que la règle de conflit du for les rend applicables, à la condition que la situation entre dans leur champ d’application. On s’arrêtera en revanche sur le sort des autres lois de police étrangères et sur les figures possibles de leur mise en œuvre.
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En matière contractuelle, la convention de Rome et le règlement Rome I ont formellement consacré la possibilité de « donner effet » aux lois de police étrangères (Conv. Rome, art. 7, §1er) ou à certaines d’entre elles (Règl. Rome I, art. 9 §3 qui vise les seules lois de police du pays où les obligations sont ou doivent être exécutées). Le régime d’application de ces lois diffère singulièrement de celui des lois de police du for, puisque leur application reste pour le juge du for une simple faculté. Il lui appartient de déterminer si cette application est justifiée au regard « de [la] nature et de [l']objet ainsi que des conséquences qui découleraient de [l']application ou de [la] non-application » de la loi de police considérée. Cette solution s'imposait, car on n'imagine pas que le juge du for puisse appliquer une loi de police étrangère dont le contenu serait en contradiction avec la politique du for. Cette règle fournit également les clés du règlement des conflits de lois de police : le juge devrait, en présence d’un tel conflit, apprécier les titres d’application respectifs des lois en conflit pour déterminer laquelle, de son point de vue, repose sur les justifications les plus légitimes et les plus pressantes. Il reste que, si une loi de police étrangère entre en conflit avec une loi de police du for, le juge donnera systématiquement priorité à la seconde, qu’il a l’obligation d’appliquer contrairement à la loi étrangère. Pour autant, cette latitude que le juge conserve dans la décision finale de donner effet ou non à une loi de police étrangère ne signifie pas qu’il peut délibérément ignorer celle-ci, lorsqu'elle existe et qu'elle est invoquée devant lui. Même si une loi de police n’a pas « force obligatoire », le juge doit l’analyser pour déterminer si un effet peut lui être donné, et lequel (Com. 16 mars 2010, no 08-21.511, Bull. civ. IV, n o 54 ; JDI 2011. Comm. 2, note A. Marchand ; JCP 2010. 530, note D. Bureau, L. d'Avout). En matière de successions, le législateur européen a opté pour une formule différente et originale en prévoyant, à l’article 30 du règlement, que les dispositions
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de la loi de l’État de situation des immeubles, des entreprises et de certaines catégories spéciales de biens sont applicables « dans la mesure où, en vertu de la loi de cet État, elles sont applicables quelle que soit la loi applicable à la succession ». On retrouve ici la définition des lois de police, mais pas la méthode qui leur est attachée car la loi de police considérée s’applique selon un mécanisme qui a pu être qualifié de « pseudo-bilatéralisation » (P. Mayer, V. Heuzé, no 132). En effet, dès lors que la loi de l’État de situation de ces biens se définit elle-même comme une loi de police, le juge saisi doit l’appliquer à la succession parce que la règle posée par le règlement la rend applicable. La méthode est bilatérale, mais l’applicabilité de la loi désignée par la règle de conflit reste conditionnée par sa propre auto-promotion au rang de norme internationalement impérative. Enfin, dans plusieurs règlements (Rome II, Régimes matrimoniaux, Régimes patrimoniaux), le législateur européen, tout en réservant le jeu des lois de police du for, n’a fait aucune référence aux lois de police étrangères. La question s’est posée de savoir s’il restait loisible au juge saisi de donner effet à une loi de police étrangère, qui créé une perturbation dans la mise en œuvre de la règle de conflit, lorsque cette possibilité n’est pas prévue par le texte. La CJUE a répondu à cette question en interprétant l’article 9, §3 du règlement Rome I qui, on l’a vu, prévoit le jeu des seules lois de police de l’État où les obligations contractuelles doivent être exécutées. Dans ces conditions, est-il possible pour le juge de donner effet aux lois de police d’un autre État ? La Cour considère que la liste des lois de police applicables dressée par l’article 9 du règlement est exhaustive : le juge ne peut donc « appliquer, directement ou indirectement » les lois de police étrangères non visées par le texte. En revanche, la Cour estime que le règlement « ne s’oppose pas à la prise en compte, en tant qu’élément de fait, des lois de police d’un État autre que l’État du for ou que l’État dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où une règle matérielle du droit applicable au contrat, en vertu des dispositions du même règlement, la prévoit » (CJUE 18 oct. 2016, Nikiforidis, aff. C135/15, Rubrique Documents). Cette « prise en compte comme élément de fait » renvoie à la technique de la prise en considération (v.ss 92), qui est également utilisée dans l’article 17 du règlement Rome II pour permettre la prise en compte, en matière délictuelle, des normes applicables dans le pays où survient le fait générateur d’un dommage.
B. L'impérativité limitée des lois de police 186
Obligatoires pour le juge, les lois de police le sont également et surtout pour les parties. La méthode des lois de police trouve en effet un terrain d'application privilégié dans les situations où les parties disposent d'une grande latitude pour déterminer le droit applicable, par la mise en œuvre du principe d'autonomie. On verra en effet que, lorsqu'une situation entretient des liens avec un autre ordre juridique que le leur, les États admettent de façon assez libérale que les parties, pour les droits dont elles ont la libre disposition, décident de soumettre leur relation à une autre loi que la leur, et échappent ainsi aux dispositions légales du for, y compris lorsque ces dispositions sont « d'ordre public » au sens du droit interne (c'est‑à-dire qu'il serait impossible, dans un contexte purement interne, d'y déroger par contrat). La tolérance des États n'est toutefois pas sans limite : certaines dispositions sont jugées tellement impératives que les États entendent voir leur application garantie, même si la loi choisie est la loi d'un État tiers. La méthode des lois de police
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prend alors tout son sens : les parties auraient-elles cherché à échapper à l'application d'une disposition impérative en choisissant la loi d'un autre État, elles seront « rattrapées » par l'application de la disposition évincée à titre de loi de police. Prenons un exemple : deux contractants, l'un français l'autre bolivien, concluent une entente dont les effets anticoncurrentiels se font ressentir sur le marché français. Ils prétendent échapper à l'application du droit français qui prohibe cette entente en soumettant leur contrat à la loi d'un État dont le droit de la concurrence, moins exigeant, valide l'entente. Le montage, qui prend ici la forme d'un choix de loi, sera alors déjoué par l'application de la loi française, évinçant la loi choisie, à titre de loi de police. Encore faut-il, on l'aura compris, que le juge français soit saisi pour connaître de la validité du contrat ; l'application des lois de police du for est toujours garantie, pas celle d'une loi de police étrangère. Aux yeux d'un juge non français, le risque est grand que la loi française n'apparaisse pas essentielle et ne soit pas appliquée. L'impérativité réelle de la loi de police dépend donc étroitement de la juridiction saisie. Or les parties disposent de plusieurs moyens, autres que le choix de loi, pour échapper à la compétence du juge d'un État dont les lois de police pourraient entraver leur dessein. Elles peuvent notamment insérer dans leur contrat une clause attributive de juridiction en faveur du juge d'un État dont la législation valide l'opération (le risque d'application des lois de police « étrangères » de l'État dont la législation a été contournée étant alors faible), ou encore y insérer une clause compromissoire donnant compétence à un arbitre (dont la position à l'égard des lois de police étatiques n'est pas toujours claire). Il s'agit là de solutions très simples en pratique, et cette simplicité conduit la doctrine à remettre en cause l'impérativité réelle des lois de police, auxquelles il est en définitive relativement aisé d'échapper.
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Les États ne sont pour autant pas privés de tout moyen, pour garantir l'impérativité internationale des lois de police qu'ils édictent. Une première option consiste à donner aux juridictions du for une compétence exclusive pour connaître des situations entrant dans le champ d'application des lois de police du for. Cette compétence exclusive conduira l'État considéré à juger invalides les clauses attributives de juridiction ou les clauses compromissoires par lesquelles les parties tenteraient, en échappant à la compétence du for, d'échapper à ses lois de police (pour une variante moins stricte, consistant à n’écarter qu’exceptionnellement les clauses attributives de juridiction : M.-N. Jobart-Bachellier, « Une impérativité active des règles de droit dans l’ordre international », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 245). La Cour de cassation française n'a toutefois pas choisi d'user de cette option. Elle a retenu, dans un arrêt Monster Cable (Civ. 1re, 22 oct. 2008, Bull. civ. I, n o 233 ; Rev. crit. DIP 2009. 69 ; JDI 2009. 11, M.-N. Jobart-Bachellier et F.-X. Train), qu'une clause attributive de juridiction est efficace même lorsque des dispositions impératives françaises constitutives de lois de police sont applicables au fond du litige. La CJUE semble adopter la même logique, en retenant qu’il ne peut être refusé de donner effet à une clause attributive de juridiction aux motifs que la juridiction désignée n’assurerait pas une application effective de l’interdiction des ententes posée par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; mais elle spécifie que sa décision est justifiée car et dans la mesure où la juridiction désignée est celle d’un État membre, en sorte que le système des recours internes et préjudiciels fournit une garantie suffisante de l’application effective de cette interdiction (CJUE 21 mai
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2015, Cartel Damage Claims, aff. C-352/13, RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot, D. 2016. 1054, obs. F. Jault-Seseke). Une autre option, qui se combine d'ailleurs souvent avec la première, consiste à refuser de reconnaître, dans l'État dont les lois de police auraient été applicables, les décisions de justice étrangères ou les sentences arbitrales qui ont omis d'appliquer ces lois de police. L'État dont les lois de police ont été éludées refuse ainsi de donner effet, dans son ordre juridique, à la tentative d'évitement de ses lois de police mise en œuvre par les parties. Si le lien avec le for est étroit, si l'État dont les lois de police ont été éludées constitue le « centre de gravité » de la relation, ce refus de reconnaissance sera problématique pour les parties, puisque la décision risque fort de se trouver purement et simplement privée d'effet. Là encore toutefois, les évolutions récentes observées en France sur le terrain des conditions d'accueil des jugements étrangers, de plus en plus libérales (v. ss 404 s.), rendent illusoire cette sanction tirée de la nonreconnaissance des décisions et contribuent donc au sentiment de « perte d'impérativité » des lois de police, exprimé par certains.
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La méthode des règles matérielles de droit international privé 190
On entend par « règles matérielles du droit international privéQ » un ensemble de règles substantielles, qui ont été spécifiquement définies en considération des situations juridiques internationales, et qui ne sont en principe destinées à s'appliquer qu'à ces dernières. La « méthode des règles matériellesQ » renvoie quant à elle à une modalité spécifique de l'application de ces règles, dérogatoire à la méthode conflictuelle. On parle en effet de « méthode des règles matérielles » lorsque ces règles sont directement appliquées aux situations internationales par le juge du for, sans détour par la règle de conflit de lois, et donc en dérogation potentielle à la loi étrangère compétente. Ceci précisé, il convient d'observer immédiatement que toutes les règles matérielles du droit international privé ne fonctionnent pas nécessairement selon cette méthode d'application directe ; en certaines hypothèses, elles s'appliquent en tant que dispositions substantielles de la loi applicable, donc sur désignation par la règle de conflit. Pour bien mesurer la distinction et cerner les modalités d'application de ces règles matérielles, on présentera tout d'abord les contours de ce corps de règles substantielles édictées pour les seules situations internationales (§ 1) avant d'envisager plus précisément leur articulation avec les règles de conflit de lois (§ 2).
§
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1 Existence d'un corps de règles substantielles propres aux situations internationales
On l'a vu, la méthode usuellement suivie pour assurer le traitement juridique des situations internationales consiste à leur étendre les dispositions que les États ont
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forgées pour la réglementation des situations de droit interne : un contrat de bail international est soumis aux mêmes dispositions substantielles qu'un contrat de bail interne. L'objet de la méthode conflictuelle est donc simplement, puisque la situation entretient par définition des liens avec plusieurs ordres juridiques, de déterminer auquel de ces ordres juridiques la réglementation de droit interne pertinente sera empruntée. Si le plus souvent les règles de droit interne sont parfaitement adaptées à la réglementation des situations internationales, il a pu apparaître, toutefois, que certaines de ces dispositions internes se prêtaient mal à une extension aux relations privées internationales, parce qu'elles en méconnaissaient les spécificités. Ce constat constitue l'un des motifs d'édiction de règles matérielles de droit international privé : créer des règles spécialement adaptées à l'internationalité des situations. Mais ce n'est pas le seul. Parfois, c'est la seule divergence des règles substantielles édictées par les États impliqués dans une situation qui paraît nocive ; l'observation se justifie tout particulièrement dans le contexte des relations économiques internationales, où l'hétérogénéité des législations étatiques est souvent perçue comme un frein au développement du commerce international. La solution consiste alors à créer par voie conventionnelle des règles substantielles destinées à régir des opérations données, non pas tant parce que ces règles sont matériellement plus adaptées aux relations internationales que ne le sont les règles de droit interne, mais plutôt parce que la démarche permet une harmonisation des législations des États signataires sur les questions considérées. Ces deux justifications à l'édiction de règles matérielles propres aux situations internationales se combinent parfois, en sorte qu'il n'est pas toujours aisé de faire le départ entre règles matérielles à fonction d'adaptation, et règles matérielles à fonction d'harmonisation. L'existence de règles matérielles « anationales »Q, c'est‑à-dire édictées en dehors de toute intervention étatique directement par les sujets de droit pour leurs propres besoins, en témoigne : ces règles traduisent tout à la fois un besoin d'adaptation aux spécificités du commerce international et la volonté de leurs auteurs de transcender la diversité des ordres juridiques étatiques.
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La référence au droit matériel a-national conduit à envisager la place très importante qu’occupe, dans la réglementation propre aux situations du commerce international, le « droit mou » ou « droit souple », c’est‑à-dire ces corps de règles que les États n’ont pas consacrés en exerçant leur pouvoir normatif, et qui n’ont de ce fait qu’une valeur facultative. L’absence de consécration de ces règles par les États au titre de règles contraignantes ne signifie pas que ces États ne soient jamais à leur origine, de façon directe ou indirecte. C’est ce que l’on constatera en présentant les différents types de règles substantielles propres aux situations internationales. Cette présentation, volontairement brève, sera abordée en distinguant le droit contraignant (hard law) (A) et le droit souple (soft law) (B).
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A. Droit contraignant (hard law) La notion de droit contraignant est ici choisie de préférence à la notion de droit impératif, pour traduire l’idée suivante : il s’agit d’envisager tous les ensembles de règles nés du pouvoir normatif d’un ou plusieurs États, et applicables comme tels aux
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situations qu’ils visent sans qu’une volonté privée ait besoin d’être exprimée en ce sens. Mais il y a dans le droit contraignant à la fois des règles impératives (applicables, ces règles ne peuvent être écartées par les parties) et des règles supplétives de volonté (applicables, ces règles peuvent cependant être écartées par les parties). Le droit contraignant est principalement composé des règles matérielles d’origine interne, et des règles matérielles d’origine conventionnelle.
1. Règles matérielles d’origine interne 195
Dans tous les États, on trouve nécessairement un corps de règles matérielles spécifiquement conçu pour régir des situations internationales. En effet, il existe des situations qui sont internationales par essence, qui n'ont aucun équivalent purement interne. Le droit national n'a donc d'autre alternative que de les envisager en tant que telles. Le cas de figure se rencontre par exemple s'agissant du droit de la nationalité ou de la condition des étrangers (v. ss 555 s.).
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Pour les situations qui ne sont pas internationales par essence, c'est‑à-dire qui peuvent se développer aussi bien dans un contexte purement interne que dans un contexte international, l'État se trouve confronté à un choix : soit il applique la même réglementation aux deux types de situations, internes et internationales ; soit il définit un corps de règles spécifiques propres aux relations internationales. Dans leur presque totalité, les États ont choisi la première option. Cela n'interdit pas que, ponctuellement, la législation conçue pour les relations de droit interne soit adaptée aux spécificités des relations internationales de droit privé.
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C'est notamment l'approche qu'a retenue la France. Si l'on exclut certaines législations propres aux situations internationales, intégrées au droit français par l'effet de conventions internationales (par exemple, le droit de la vente internationale de marchandises, sur lequel v. ss 200), le droit substantiel français ne distingue pas usuellement entre situations internationales et situations internes. Dès lors que le droit français est applicable, un couple « international » sera soumis aux mêmes règles de divorce qu'un couple « franco-français ». Il est cependant apparu, essentiellement dans le droit du commerce international, que les dispositions de droit interne pouvaient être ponctuellement inadaptées. La jurisprudence française a donc parfois écarté les dispositions de droit interne, pour y substituer des règles différentes, jugées plus conformes aux exigences propres à l'internationalité de la situation. C'est ainsi, par exemple, que l'arrêt Galakis (Civ. 2 mai 1966 ; v. rubrique Documents) a retenu que l'interdiction faite aux personnes publiques de conclure une clause compromissoire — alors posée par le droit français — ne pouvait s'appliquer lorsque ces personnes publiques concluent des contrats internationaux ; la règle de droit interne a été jugée inadaptée à la particularité des relations internationales, comme susceptible de dissuader les cocontractants étrangers de conclure des contrats avec des personnes publiques françaises (la possibilité de recourir à l'arbitrage dans ses relations avec une personne publique étrangère est en effet conçue comme une garantie offerte au contractant, qui serait autrement justiciable, en l'état des immunités juridictionnelles dont bénéficient les personnes publiques, des tribunaux de l'État cocontractant). La jurisprudence française a encore retenu comme règles matérielles le principe d'autonomie de la clause compromissoire (Civ. 7 mai 1963, Gosset, Rev. crit. DIP 1963. 615 ; Rev. arb. 1963. 60, note Ph. Francescakis ; 4 juill. 1972, Hecht, Rev. crit. DIP 1974. 82, note P. Level ; JDI 1972. 843, note B. Oppetit et chron.
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Ph. Francescakis) ainsi que les conditions de validité de cette clause (v. ss 1036 s.), ou celui de la validité de la clause-or (Civ. 21 juin 1950, Messageries Maritimes, v. rubrique Documents) dans les contrats internationaux.
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Les règles matérielles conçues en fonction de leur particulière adaptation aux situations internationales sont peu nombreuses, sans doute parce que les règles de droit interne sont dans l'ensemble tout à fait transposables aux situations internationales. Elles sont au surplus essentiellement cantonnées au droit du commerce international, et plus rares dans les domaines purement civils. On peut toutefois en trouver certaines manifestations y compris dans ces domaines ; ainsi, l'article 370-3 du Code civil, qui pose une règle de conflit en matière d'adoption internationale en désignant la loi de l'adoptant, comporte également une règle matérielle puisqu'il retient que l'adoption internationale est en toute hypothèse prohibée lorsque la loi nationale de l'un des époux ou la loi de l'enfant l'interdit (P. Mayer y voit, non une règle matérielle mais une loi d'application nécessaire ; v. P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 656). Mais les exemples sont rares. En réalité, le besoin d'harmonisation est sans doute plus réel que le besoin d'adaptation, justifiant que les règles matérielles soient aujourd'hui essentiellement d'origine conventionnelle.
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2. Règles matérielles d’origine conventionnelle Les États ont souvent adopté collectivement des conventions internationales de droit matérielQ destinées à harmoniser leur réglementation des relations internationales entre personnes privées. Là encore, les États ont principalement, pour ne pas dire exclusivement, œuvré en matière de relations économiques, en réglementant certains contrats internationaux. Les relations familiales sont restées quant à elles essentiellement régies par les règles de droit interne, que les États se sont efforcés de coordonner en harmonisant, par voie conventionnelle, les règles de droit international privé (v. ss 59 s.). La raison en est, on peut le penser, que les relations familiales même « internationales » sont fortement ancrées dans un ou plusieurs ordres juridiques nationaux, tandis que les relations commerciales internationales se développent presque indépendamment de ces ordres juridiques.
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En matière économique, l'impulsion est souvent confiée à des organisations spécifiques, chargées d'identifier les besoins, de bâtir des projets de conventions et de promouvoir leur adoption par les États. La plus importante de ces organisations est la Commission des Nations unies pour le droit du commerce international (CNUDCI), qui a été créée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1966, avec pour mandat de contribuer à l'harmonisation et à l'unification progressive du droit du commerce international. Le travail réalisé par la CNUDCI a été particulièrement important. Même si l'essentiel de ce travail se traduit aujourd'hui par l'adoption de textes qui ne sont pas des conventions internationales (des lois-modèles, des guides ou des recommandations — tous instruments de soft law), la CNUDCI est à l'origine de la plus populaire des conventions matérielles de droit privé : la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises. Cette convention propose une réglementation, partielle mais néanmoins ambitieuse, spécifiquement dédiées aux contrats de vente de marchandises qualifiés d'internationaux parce que passés entre deux parties ayant leurs établissements respectifs dans des États différents. La convention réglemente la formation de ces contrats, les obligations du vendeur et de l'acheteur ainsi que les recours en cas de rupture du
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contrat par l'une des parties. Elle a été ratifiée par près de quatre-vingt-dix États, ce qui constitue un remarquable succès. Si la convention de Vienne est, sur le terrain du droit matériel, la plus connue des réalisations de la CNUDCI (v. cep. aussi, dans un autre domaine, la convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères), l'organisation est à l'origine d'autres conventions internationales de droit matériel. On citera, par exemple, la convention sur la prescription en matière de vente internationale (1974, amendée en 1980, les deux étant entrées en vigueur le 1er août 1988) ; la convention sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit standby de 1995 ; la convention de 1978 sur le transport de marchandises par mer, dite « règles de Hambourg » ; ou encore, plus récemment, la convention sur l'utilisation de communications électroniques dans les contrats internationaux de 2005.
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Il faut encore évoquer l'influence en la matière de l'Institut international pour l'unification du droit privé dit « Unidroit ». Cette organisation intergouvernementale indépendante a pour objectif l'étude des besoins et des méthodes en termes de modernisation, d'harmonisation et de coordination du droit privé des États, et en particulier du droit commercial. Comme la CNUDCI, Unidroit a beaucoup recours à des instruments de soft law, sur lesquels on reviendra ultérieurement. Mais Unidroit est également à la source de plusieurs conventions internationales de droit matériel. Parmi les plus connues, il faut citer les deux conventions d'Ottawa de 1988, portant respectivement sur le crédit-bail international, et l'affacturage international. Surtout, on doit évoquer les deux conventions de La Haye de 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels et celle portant loi uniforme sur la formation des contrats de vente internationale des objets mobiliers corporels ; tandis que la première régit les obligations qui naissent de la vente, la seconde définit les règles relatives à la formation du contrat. Ces deux conventions sont toutefois aujourd'hui largement supplantées par la convention de Vienne précédemment évoquée.
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De nombreuses autres organisations internationales, spécialisées, existent, dont la fonction est de contribuer à l'harmonisation des règles de droit matériel dans leur domaine. On citera, à titre d'exemple, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), agence spécialisée de l'ONU créée en 1944 par la convention de Chicago, qui a pour objectif de contribuer à la sûreté, la sécurité et le développement durable de l'aviation civile. L'OACI est notamment à l'origine de la convention de Montréal, adoptée le 28 mai 1999 et entrée en vigueur le 4 novembre 2003, ratifiée par environ cent trente États. Cette convention remplace et modernise, entre les États signataires, la convention de Varsovie sur la responsabilité du transporteur aérien. On peut encore évoquer l'Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF), créée par une convention « COTIF » du 9 mai 1980, qui a pour objectif d'établir un système uniforme de droit applicable au transport de passagers et de biens par voie ferroviaire transfrontière. La convention COTIF reprend et modernise, en annexe, les règles uniformes relatives au contrat de transport international de passagers par voie ferroviaire (CIV) et les règles uniformes relatives au contrat de transport international de biens par voie ferroviaire (CIM), adoptées par deux conventions de Rome de 1924. Ces règles régissent la formation et le contenu
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de ces contrats, les obligations des parties, la responsabilité du transporteur et l'indemnisation.
B. Droit souple (soft law)
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Ce rapide panorama des conventions adoptées pour harmoniser les règles matérielles propres à certaines opérations internationales permet d'en mesurer la densité. Cette densité produit toutefois des effets pervers, qui nuisent à l'objectif d'harmonisation. Outre que ces conventions ne profitent pas du travail d'une juridiction spécialisée en vue de leur interprétation — l'interprétation, confiée aux juridictions des États signataires, n'est donc pas toujours « harmonieuse » —, elles se contredisent parfois lorsque leurs domaines d'application respectifs se chevauchent, créant un « conflit de conventionsQ » dont les principes de résolution ne sont pas, en dépit des efforts de la doctrine, parfaitement bien définis (sur ce point, v. ss rubrique Débat).
Beaucoup de règles dont la vocation est de régir spécifiquement les situations (commerciales) internationales ne puisent pas directement leur autorité dans la souveraineté des États. Elles appartiennent à des instruments qui sont offerts, aux États ou aux parties, et dont l’application dépend essentiellement de leur bon vouloir. Ces règles sont donc très spécifiques dans leur mise en œuvre, et c’est pourquoi il convient de les distinguer. Elles parviennent en effet à s'épanouir dans l'ordre juridique international en raison de la très grande liberté laissée aux opérateurs du commerce international, qui pourront choisir de s'y référer. On distinguera le droit souple sécrété, directement ou indirectement, par les États (1) du droit souple sécrété par les opérateurs privés (2).
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1. Droit souple sécrété par les États On l’a signalé, de nombreuses organisations internationales développent, en plus des conventions internationales adoptées par les États, des instruments de soft law. On pense notamment aux lois-modèles ou lois-types, dont l’objet premier est d’aider les États qui le souhaitent à bâtir, réformer ou moderniser leur législation nationale sur une question donnée en leur offrant un modèle de ce que pourrait être cette législation. Les lois-modèles s’adressent donc prioritairement aux États. D’autres outils visent plus spécifiquement les opérateurs du commerce international, même s’ils peuvent aussi servir de modèles aux États.
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À cet égard, il faut en premier lieu mentionner le travail effectué par Unidroit. À l'origine de propositions soumises avec succès aux États et ayant donné lieu à l'adoption de conventions internationales (v. ss 201), Unidroit a également adopté des instruments facultatifs qui proposent des règles matérielles spécialement adaptées aux relations privées internationales. Les plus connus sont les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, qui constituent un ensemble complet de 119 articles énonçant des règles propres à régir les contrats du commerce international. Ces principes ont été rédigés, et sont régulièrement enrichis, par un groupe d'experts représentant différentes traditions juridiques. Ce groupe s'est efforcé de définir les grands principes ou les grandes règles « transnationales », susceptibles d'être dégagés, en matière contractuelle, à partir de l'observation des différentes sources du droit des contrats internationaux : droits nationaux, conventions internationales, pratiques du commerce international. Mais il ne s'agit
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absolument pas d'une codification « à droit constant ». Les auteurs des principes ont fait œuvre créatrice, non seulement parce qu'ils ont dû opérer des choix entre des solutions parfois irréductibles, mais aussi parce que, ponctuellement, ils se sont volontairement dégagés de l'observation de la pratique pour proposer des règles jugées opportunes (on admet ainsi généralement que les dispositions des principes relatives au hardship sont profondément originales par rapport au consensus en vigueur dans les grands systèmes juridiques). Dans ces conditions, la nature juridique des Principes est particulièrement délicate à cerner. Il ne s'agit pas d'usages. Le préambule semble y voir des « Principes généraux du droit », mais la doctrine préfère leur reconnaître « une nature profondément originale ; ce ne sont ni des usages, ni des principes généraux du droit, ce ne sont pas non plus des conventions internationales ni des lois étatiques » ; « mais ils pourraient constituer une source nouvelle » (P. Mayer, « Principes Unidroit et lex mercatoria », in Ph. Fouchard, L. Vogel (dir.), L'actualité de la pensée de B. Goldman, Éd. Panthéon-Assas, 2004, p. 31). Ce qui est certain, c’est que ces principes peuvent prendre vie par deux voies différentes. D'une part, ils peuvent servir de « lois-modèles » au profit des États et accéder, par leur incorporation dans une législation nationale, au rang de normes juridiques. D'autre part, les personnes privées, en particulier les opérateurs du commerce international, peuvent s'y référer expressément et ainsi les incorporer dans leur contrat ; mais ils n'auront alors qu'une valeur contractuelle. Du point de vue de leur nature, comme de celui de leur contenu, les Principes Unidroit rappellent les Principes européens du droit des contrats, rédigés par une commission scientifique sous la direction du professeur O. Lando, pour servir de base aux négociations en vue de l'adoption d'un Code européen des contrats. Ces Principes ne constituent qu'un corpus de règles offert aux États comme loi-modèle, et aux parties comme référence. Ce type de production normative semble voué à se développer. Ainsi, les difficultés entrevues pour l’adoption du Code européen des contrats précédemment mentionné ont conduit l’Union européenne à opter plutôt pour un instrument souple et optionnel afin de définir un « droit commun européen de la vente ». La proposition de règlement relatif à un droit commun de la vente européenne (COM (2011) 635 final) a pour ambition de créer, à côté des droits nationaux des États membres applicables à la vente, un régime d’origine européenne spécifique aux ventes transfrontières. La particularité de ce régime est qu’il n’a pas vocation à se substituer aux droits nationaux, mais seulement à offrir aux parties une option que celles-ci pourront expressément choisir par convention. C’est bien la volonté des parties, et elle seule, qui rendra ce régime applicable.
2. Droit souple sécrété par les opérateurs du commerce international 208
Sans attendre l’intervention des États, les opérateurs du commerce international ont très tôt développé des règles matérielles spécifiques, pour leurs propres besoins. Si l'existence même de cette source de règles n'est pas contestée, la valeur juridique de ces règles est en revanche plus discutée. Il est impossible de ne pas évoquer, ici, le débat sur la lex mercatoriaQ. La lex mercatoria ou loi des marchands est une notion qui renvoie à des principes généraux qui, quoiqu'ils ne soient pas écrits et qu'ils soient déduits de la seule pratique des opérateurs du commerce international, s'appliqueraient avec force de loi aux contrats internationaux en raison de la force obligatoire que leur conférerait un ordre juridique international spécifique, « la communauté des marchands ». Ces principes incluraient, à titre d'exemple, le principe pacta sunt
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servanda, le principe de bonne foi, le droit à réparation en cas de violation du contrat… Il suffira de rappeler, ici, que l'absence de tout ordre juridique spécifique qui donnerait « force de loi » aux principes de la lex mercatoria — d'une societas mercatorum —, a été démontrée de façon particulièrement convaincante, et que l'entreprise de définition du contenu de la lex mercatoria est en toute hypothèse particulièrement aléatoire, pour refuser de reconnaître à la lex mercatoria le statut de « règles de droit ». Pour autant, il ne s'agit pas de nier que « les marchands » puissent être à la source de règles matérielles. Simplement, ces règles ne sont pas des règles « de droit » ; ce sont des normes de comportement qui, parce qu'elles peuvent être sélectionnées par les parties comme règles contractuelles, trouvent leur force dans le soutien que leur apportent les États en autorisant les contractants à choisir très librement les stipulations de leurs contrats internationaux. C'est ainsi par exemple que la place des usagesQ, en matière de contrats internationaux, ne saurait être ignorée. Ces usages renvoient à des pratiques contractuelles qui, en raison de leurs qualités, sont constamment répétées par les opérateurs du commerce international, au point de devenir la « norme » (au sens non juridique du terme) dans un secteur donné. Ces usages sont assez aisément accessibles grâce au travail de codification opéré par certaines organisations professionnelles, en particulier par la Chambre de commerce internationale. On citera, à titre d'exemple, les Incoterms ou encore les règles et usances relatives au crédit documentaire. Les organisations professionnelles « internationales » proposent également de nombreux contrats-modèles, ou des clauses types, que les parties peuvent adopter pour régir leur relation. Comment l'ensemble de ces règles matérielles, dont on comprend qu'elles sont très diverses, dans leur source, leur nature et leur fonction, fonctionne-t‑il, et quels sont en particulier les principes de leur articulation avec les règles de conflit de lois ?
§
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2 Articulation des règles matérielles propres aux situations internationales et des règles de conflit de lois
Les règles matérielles de droit international privé prétendent saisir des situations juridiques internationales, normalement soumises à la méthode conflictuelle. Comment règles matérielles et règles de conflit de lois s'articulent-elles ? Dans un certain nombre d'hypothèses, l'application des règles matérielles se présente comme dérogatoire à la méthode conflictuelle ; les règles matérielles évincent donc les règles de conflit de lois. C'est la « méthode des règles matériellesQ » à proprement parler (A). Mais il arrive fréquemment que l'application des règles matérielles soit seulement combinée avec celle des règles de conflit de lois, en sorte que la « méthode conflictuelle » reste de principe (B).
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A. Éviction des règles de conflit de lois par les règles matérielles : la « méthode des règles matérielles » Les deux justifications relevées à l'appui du développement des règles matérielles du droit international privé peuvent conduire, de façon plus ou moins convaincante, à une application directe de ces règles matérielles, sans détour par le mécanisme conflictuel.
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Tout d'abord, certains États, dont la France, semblent considérer que l'existence — dans leur ordre juridique — de règles substantielles particulièrement adaptées aux situations internationales justifie que le juge du for en fasse une application directe aux situations internationales dont il est saisi, sans détour par la règle de conflit. L'arrêt Messageries Maritimes (v. rubrique Documents), rendu par la Cour de cassation le 21 juin 1950, illustre parfaitement cette méthode. Un emprunt obligataire avait été émis par la société des Messageries maritimes, avec le concours de banquiers canadiens. Le montant de l'émission était stipulé en dollars canadiens, sur la base du dollar-or. Le remboursement des obligations s'effectua sur la base or, jusqu'en 1937. Le 10 avril 1937, une loi canadienne fut adoptée, posant le principe de la nullité des clauses de paiement en or insérées dans les contrats régis par la loi canadienne. La société Messageries maritimes invoqua cette nouvelle loi pour se soustraire à son obligation de paiement en dollar-or. Elle fut assignée par les porteurs devant les juridictions françaises. Les juridictions françaises décidèrent d'imposer le paiement en dollar-or, nonobstant les dispositions de la loi canadienne, aux motifs qu'« il appartient aux parties, en un tel contrat, de convenir, même contrairement aux règles impératives de la loi interne appelée à régir leur convention, une clause valeur-or dont la loi française du 25 juin 1928 reconnaît la validité en conformité avec la notion de l'ordre public international ». Plusieurs interprétations de cet arrêt ont été proposées. On a pu soutenir que la loi canadienne, loi du contrat, avait été écartée pour contrariété à l'ordre public international. Mais l'explication est généralement rejetée car les termes de l'arrêt ne témoignent pas d'une mise en œuvre de l'exception d'ordre public international : le juge français n'identifie pas formellement la loi canadienne comme la loi applicable, il n'analyse pas concrètement ses dispositions (sur le mécanisme de l'exception d'ordre public international, v. ss 255 s.). L'interprétation dominante retient donc plutôt une application directe de la loi française du 25 juin 1928 qui valide les clauses-or dans les contrats internationaux, justifiée par la particulière adaptation de cet instrument aux contrats internationaux (dans lesquels les parties raisonnent souvent sur la base de devises différentes, ce qui justifie l'intérêt de définir une devise de référence stable). Dès lors que le contrat est international au sens du droit français, la validité de la clause-or est assurée sans qu'il soit nécessaire de se préoccuper de la position de la loi désignée par la règle de conflit de lois.
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Ensuite, l'objectif d'harmonisation des règles substantielles poursuivi par la plupart des conventions internationales de droit matériel explique que ces conventions définissent en général directement leur domaine d'application : elles précisent, expressément, les circonstances de fait dans lesquelles elles entendent voir les règles matérielles qu'elles édictent appliquées par les États signataires. Ainsi, l'art. 1er, a) de la convention de Vienne prévoit l'application de la convention lorsque les deux parties au contrat de vente internationale de marchandises ont leurs établissements
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respectifs sur le territoire de deux États signataires de la convention. La convention a alors un effet d'éviction de la méthode conflictuelle : tout juge d'un État signataire doit, lorsqu'il est confronté à la situation visée (contrat de vente internationale de marchandises entre deux parties ayant leurs établissements respectifs dans deux États signataires différents), appliquer directement les dispositions matérielles de la convention, parce que cette convention s'impose à lui. Le conflit de lois est évincé. Cette éviction n'est toutefois pas systématique.
B. Combinaison des règles de conflit de lois et des règles matérielles : la « méthode conflictuelle » Il importe à titre préliminaire d'observer que de nombreuses conventions internationales de droit matériel, tout en mettant en place un mécanisme d'éviction de la méthode conflictuelle, lui conservent néanmoins un domaine d'application résiduel. La convention de Vienne, par exemple, précise dans son art. 1 er, b) que, lorsqu'elle n'est pas applicable en vertu de l'article 1 a) (application directe), les juges des États signataires doivent appliquer leurs règles de conflit pour déterminer la loi applicable et, lorsque la loi applicable est celle d'un État signataire, faire application de la convention.
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Le mécanisme du conflit de lois ne peut surtout être refoulé lorsque les règles matérielles dont l'application est envisagée sont du droit souple. Ces règles matérielles ne s'appliquent en effet qu'à la condition que les parties s'y soient référées, par l'effet d'une « contractualisation ». Elles s'appliquent donc, finalement, en tant que stipulations contractuelles. Pour cette raison, lorsque les parties se sont référées à un instrument de droit souple, le juge étatique doit normalement mettre en œuvre la méthode conflictuelle. En effet les règles issues du droit souple ne s'appliquent que pour autant que la loi étatique régissant le contrat leur confère autorité, en leur reconnaissant la valeur de stipulation contractuelle susceptible de lier les parties. Il revient donc au juge étatique, confronté à la référence opérée par des parties à des règles de droit souple, de mettre en œuvre la méthode conflictuelle pour déterminer quelle loi étatique régit le contrat, puis de vérifier que les règles adoptées par les parties sont en conformité avec les dispositions impératives de la loi applicable. Si la conformité est avérée, les règles adoptées par les parties s'imposent à elles en vertu du principe pacta sunt servanda normalement retenu par la loi du contrat ; si la conformité est écartée, la loi qui régit le contrat impose l'éviction des stipulations contractuelles qui la contrarient. Les règles de droit souple fonctionnent, au moins devant le juge étatique (la situation diffère devant l'arbitre qui, contrairement au juge, peut admettre le principe d'un contrat sans loi ; sur ces questions, v. ss 963 s.), en parfaite et nécessaire harmonie avec la loi du contrat, donc avec la méthode conflictuelle.
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Plus généralement, il conviendrait toujours de distinguer les situations internationales qui « participant à la vie sociale de plusieurs ordres juridiques internes, ne sont pas indépendantes des milieux nationaux que s'efforcent d'organiser les lois étatiques », et relèvent donc de la méthode conflictuelle, de celles qui « pour ainsi dire délocalisées, se développent en dehors de ces ordres et sociétés étatiques », et peuvent être directement régies par les règles matérielles spécialement forgées pour elles (B. Ancel, Y. Lequette, op. cit., n o 44, § 12).
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La méthode de la reconnaissance des situations 217
Le droit international privé conduit très souvent à porter une appréciation sur une situation internationale : tel mariage a-t‑il été valablement célébré ? telle société at‑elle valablement été constituée ? telle adoption peut-elle être admise ? Tel divorce peut-il être prononcé ? En principe, cette appréciation s'opère en application d'une loi jugée compétente parce que désignée par les règles de conflit du for ; ainsi, l'application de la loi désignée par la règle de conflit française permettra au juge français de décider si le mariage est valable, si le divorce doit être prononcé, si l'adoption peut légalement être réalisée. Mais dans certaines hypothèses, la situation s'est déjà constituée dans un ordre juridique étranger ; et si la situation était internationale au moment de sa constitution, l'ordre juridique qui a présidé à cette constitution l'a fait en conformité avec ses propres règles de conflit. Par exemple, la régularité du mariage célébré à l'étranger a en principe été vérifiée par l'ordre juridique étranger au regard des lois substantielles jugées compétentes d'après les règles de conflit de lois locales. Une question se pose donc : lorsqu'une situation s'est constituée à l'étranger en conformité avec la loi désignée par les règles de conflit locales, le for doit-il, pour en reconnaître l'existence ou la validité, la soumettre à un second examen à l'aune de la loi désignée par ses propres règles de conflit ?
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Le risque est évidemment, si une réévaluation est opérée dans l'État du for, que la situation qui s'était valablement constituée au regard des exigences de l'État étranger « d'origine » ne soit ultérieurement déclarée invalide dans l'État du for — que le mariage que les parties avaient légitimement pu croire valable puisqu'il l'était pour l'État du lieu de célébration ne s'avère, dès lors qu'elles se sont déplacées vers un autre État par exemple pour y fixer leur domicile, entaché de nullité. Le mécanisme du renvoi, on l'a vu (v. ss 102 s.), atténue partiellement ce risque. Mais son champ d'application est réduit. La mise en œuvre de la méthode conflictuelle trouve alors ses limites ; elle n'atteint pas l'objectif qu'elle s'est fixé de garantir une certaine harmonie internationale des solutions, dans le souci d'offrir aux parties la prévisibilité et la stabilité des situations auxquelles elles peuvent aspirer. Ce dysfonctionnement est d'autant moins acceptable que le choix du critère de rattachement adopté par le for dans la définition de sa règle de conflit n'est qu'un parti pris abstrait : « le critère de rattachement qu'il retient n'est que l'une des solutions possibles, assurément la meilleure à ses yeux, mais susceptible de céder la place à un autre lorsque son application conduirait à méconnaître des prévisions légitimes » (P. Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547, spéc. 571).
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La méthode de la reconnaissance des situationsQ, dont la doctrine n'a que récemment souligné l'émergence — tout aussi récente — en droit positif, offre un correctif à ce dysfonctionnement. Elle se présente en effet comme une méthode de résolution du conflit de lois, impliquant un alignement de l'appréciation, portée par le for sur une
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situation, sur le point de vue normatif précédemment concrétisé dans un État étranger dont les titres à régir la situation sont reconnus, dès lors que ce point de vue est conforme aux exigences de l'ordre public. Dans un premier temps, cette méthode s'est essentiellement formalisée dans le cadre de l'Union européenne, sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle. Elle tend cependant aujourd'hui à gagner son autonomie pour investir l'ensemble du droit international privé. On tentera de présenter l'état des idées, en examinant successivement les modalités méthodologiques du raisonnement (§ 1), puis les conditions de sa mise en œuvre (§ 2).
1 Modalités méthodologiques
La méthode de la reconnaissance des situations suppose un alignement du for sur le point de vue normatif de l'État où une situation s'est constituée (A). Rarement mise en œuvre spontanément par les États, cette méthode a connu ses premières applications, encore rares, sous l'influence du droit conventionnel et européen (B).
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A. Un alignement du for sur le point de vue de l'État d'origine Le propre de la méthode de la reconnaissance des situations est que l'État du for renonce à mettre en œuvre ses propres règles de conflit, en acceptant de reconnaître une situation pour la seule raison que celle-ci s'est valablement constituée au regard des règles (de conflit et/ou substantielles) de l'État d'origine. Par définition, les règles qu'a appliquées l'État d'origine en conséquence de la mise en œuvre de son propre système conflictuel ne sont pas les mêmes que celles que le for aurait appliquées en vertu de ses propres règles de conflit (sinon la méthode conflictuelle aurait suffi à justifier la « reconnaissance » de la situation). Mais la méconnaissance de la loi normalement compétente aux yeux du for n'est pas sanctionnée. Par exemple, une société a été constituée à l'étranger conformément aux règles de l'État où elle s'est constituée, lequel — parce qu'il applique la théorie dite « de l'incorporation » — reconnaît précisément la compétence de ses propres lois. Cette société a néanmoins son siège social réel en France. Or la règle de conflit française impose qu'une société se constitue en conformité avec la loi de son siège social réel. En application de la méthode conflictuelle, la société n'a donc pas été valablement constituée, puisqu'elle aurait dû l'être en France conformément aux exigences de la loi française ; en application de la méthode de la reconnaissance, sa validité peut pourtant a priori être reconnue si les règles de l'État de constitution ont été respectées.
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B. Une mise en œuvre marginalement imposée par les droits conventionnel et européen L'exemple de la reconnaissance des sociétés atteste de la positivité seulement relative de la méthode de la reconnaissance des situations. Le système qui vient d'être dépeint — reconnaissance de la société valablement constituée au lieu de son siège social statutaire nonobstant le lieu de son siège social réel — n'est en effet en vigueur que dans le contexte de l'Union européenne, où la Cour de justice de l'Union européenne l'a imposé sur le fondement des libertés de circulation et du droit d'établissement. Mais elle ne serait pas mise en œuvre, en France, pour les sociétés constituées, en violation des règles de conflit françaises, sur le territoire d'un État
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On a déjà évoqué, sur ce point, l'influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en décrivant notamment l'affaire Wagner (v. ss 46) : certains droits fondamentaux, tel le droit au respect de la vie familiale ou le droit au respect de la vie privée, peuvent imposer aux États signataires de la convention de reconnaître des situations qui se sont constituées à l'étranger, valablement au regard de l'État où elles se sont constituées, mais irrégulièrement du point de vue du for (v. not. sur la reconnaissance du lien de filiation issu de la GPA, v. ss 265, v. ss 758,v. ss 769 ; ou sur la reconnaissance du nom, v. ss 551 s.). Le droit de l'Union européenne a également largement contribué au développement de la méthode de la reconnaissance des situations, en construisant sur le fondement de la libre circulation des personnes. C'est ainsi que le principe de libre circulation des personnes morales a pu imposer la reconnaissance des sociétés constituées en violation de la règle de conflit du for (v. ss 222 et v. ss 853 s.). Quant à la libre circulation des personnes physiques, elle suppose, pour que son effectivité soit garantie, que l'intéressé jouisse de garanties suffisantes quant à la permanence de son statut. L’évolution de la jurisprudence européenne en matière de reconnaissance des noms patronymiques en est une bonne illustration, en ce qu’elle contraint progressivement les États membres à reconnaître les noms attribués dans les autres États membres, sans pouvoir opposer leurs propres règles (v. ss 547 s.). Il faut relever à cet égard l’introduction remarquable au Code civil français, par la loi « Justice du e XXI siècle », d’un article 61-3-1 qui consacre un principe de reconnaissance du nom acquis dans un autre État (v. ss 554). En marge des textes fondamentaux du droit de la CEDH et de l'Union européenne, il faut également évoquer l'influence réelle ou potentielle de la conférence de droit international privé de La Haye et de la Commission internationale d'état civil, qui sont à l'origine de plusieurs conventions internationales mettant en œuvre le mécanisme de la reconnaissance — pour la reconnaissance de la validité des mariages (Conv. La Haye 14 mars 1978, en vigueur mais non ratifiée par la France), des noms (Conv. CIEC 16 sept. 2005, non entrée en vigueur), ou des partenariats enregistrés (Conv. CIEC 5 sept. 2007, non entrée en vigueur). En dépit de ces avancées, la méthode de la reconnaissance reste encore marginalement utilisée. Elle ne peut en outre profiter indifféremment à toutes les situations. Il convient donc de préciser les conditions de sa mise en œuvre.
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tiers à l'Union européenne (Sur ce point, v. ss 847 s.). À ce jour, les États sont en effet peu enclins à mettre en œuvre spontanément la méthode de la reconnaissance des situations, qui implique on vient de le voir un renoncement à l'application de leurs propres règles. Mais la positivité de la méthode de la reconnaissance des situations croît sous l'influence des textes conventionnels.
2 Conditions de mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance
Pour pouvoir être reconnue, une situation constituée à l'étranger doit être revêtue au moins d'une présomption de régularité dans l'État d'origine, justifiant la légitimité des prévisions des parties fondées sur cette situation. C'est la raison pour laquelle la méthode de la reconnaissance des situations ne peut jouer, selon l'analyse qu'en fait
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la doctrine, qu'à la condition première que le point de vue normatif de l'État d'origine ait été suffisamment concrétisé. Nécessaire, cette condition est-elle suffisante ? Un couple français résidant en France peut-il aller à l’étranger, par exemple aux États-Unis, pour mettre en œuvre une gestation pour autrui – prohibée par le droit français – et y faire établir un lien de filiation à l’égard de l’enfant né de cette GPA, puis se prévaloir de ce lien de filiation en France, en excipant de la reconnaissance des situations ? Cette démarche pose une double difficulté. Tout d'abord, elle s'apparente fort à une fraude, puisque les intéressés ont été chercher à l'étranger la constitution d'une situation — ici un lien de filiation issu d’une GPA — de façon à l'invoquer dans un pays — la France — où cette situation ne pouvait légalement se constituer. Ensuite, elle heurte la conception française de l'ordre public international. On comprend bien qu'il est difficile pour l'ordre juridique français, dans ces conditions, d'accepter de s'aligner sur le point de vue étranger et de reconnaître inconditionnellement le lien de filiation. La méthode de la reconnaissance des situations ne peut donc être mise en œuvre que lorsqu'un État étranger a d'ores et déjà émis un point de vue normatif concret sur la validité de la situation constituée (A), et à la condition que l'intervention de cet État dans la constitution de la situation apparaisse légitime (B).
A. Existence d'une concrétisation du point de vue normatif de l'État d'origine Tout point de vue normatif susceptible d'être exprimé par un État étranger sur une situation internationale ne peut justifier une renonciation de l'ordre juridique du for à faire prévaloir son propre point de vue normatif. Tout d'abord, parce qu'une telle solution priverait le for de toute possibilité d'exprimer son point de vue normatif sur quelque question que ce soit ; en effet, abstraitement, les règles de droit des États régissent potentiellement toutes les situations possibles — on peut donc toujours trouver dans le système juridique des États étrangers une règle de droit apte à régir une situation donnée. Ensuite, parce que la raison d'être de la méthode de la reconnaissance des situations est de garantir le respect des prévisions des parties ; il faut donc qu'elles aient pu légitimement fonder des prévisions sur la base d'une application des dispositions d'un État étranger.
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C'est la raison pour laquelle la doctrine retient que l'alignement ne peut s'opérer que pour autant que le point de vue normatif de l'État d'origine s'est concrétisé — M. P. Mayer utilise le terme devenu populaire de « cristallisation ». Ce point de vue n'est donc plus totalement abstrait — il n'est plus une simple potentialité d'application de la règle. Toute la difficulté est de cerner un critère de la cristallisation ou de la concrétisation : à partir de quand peut-on considérer que le point de vue normatif de l'État d'origine s'est suffisamment concrétisé pour que la méthode de la reconnaissance des situations entre en action ?
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La plus forte manifestation du point de vue concret d'un État sur une situation est assurément la décision de justice rendue par ses juges, qui réalise l'application définitive de la règle de droit à la situation de fait considérée. Les décisions de justice font traditionnellement l'objet d'une reconnaissance qui n'est pas sans affinité avec la méthode de la reconnaissance des situations, mais qui doit en être distinguée car la seconde relève du conflit de lois, tandis que la première relève du conflit de
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juridictions. Dès lors, si la méthode de la reconnaissance des décisions diffère de la méthode de la reconnaissance des situations, il faut nécessairement considérer que la « cristallisation » déclenchant la mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations se situe en deçà de la décision, à un degré de concrétisation moindre. M. P. Mayer, précisément, retient que « le point de vue concret cristallisé est (…) dans un état intermédiaire entre un simple point de vue virtuel et un point de vue formalisé dans une norme concrète », c'est‑à-dire une décision (« Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé », préc., no 337). La doctrine s'accorde à considérer que la forme la plus manifeste de concrétisation, pour la mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations, se réalise en cas d'intervention d'une autorité publique : la célébration d'un mariage par un officier d'état civil, l’inscription sur un registre d’état civil, l'enregistrement d'une société par le greffier d'un tribunal sont autant d'occasions pour l'État, au travers de ses agents, d'exprimer un point de vue concret sur la validité du mariage, sur l’existence d’un lien de parenté, sur la régularité de la constitution de la société… Mais M. P. Mayer considère que d'autres formes de cristallisation, moins évidentes, peuvent opérer, notamment au bénéfice d'une sorte de « possession d'état » qui serait acquise dans l'État d'origine : « une cristallisation lente, propre au statut personnel se produit lorsque les parties vivent un certain temps dans un pays et y sont traitées d'une façon qui révèle le point de vue concret de l'ordre juridique de ce pays » (« Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé », préc., n o 341). Dès lors qu'il y a concrétisation, les parties peuvent avoir fondé des prévisions sur le point de vue concret exprimé par l'État d'origine. Encore faut-il que ces prévisions soient légitimes, ce qui impose de rechercher si le point de vue concret de tout État peut susciter l'application de la méthode de la reconnaissance, ou si l'État d'origine doit justifier de titres à régir la situation. Plus largement, la question invite à considérer les conditions de la reconnaissance.
B. Régularité de l'intervention de l'État d'origine dans la constitution de la situation 229
Si la méthode de la reconnaissance des situations n'a été que récemment formalisée par la doctrine, elle emprunte nombre de ses caractéristiques à une méthode du droit international privé, traditionnelle dans le cadre du conflit de juridictions : la méthode de la reconnaissance des décisions de justice étrangères (sur laquelle, v. ss 404). Une décision de justice n'est, on l'a vu, qu'une modalité spécifique – certes particulièrement puissante – de concrétisation du point de vue normatif de l'État dont les juges ont été saisis. Il est dès lors d'autant plus tentant de raisonner par analogie que la doctrine s'interroge sur le point de savoir si la méthode de la reconnaissance des situations mérite d'être distinguée de la méthode de la reconnaissance des décisions. Un tel raisonnement par analogie conduit à considérer que la régularité de l'intervention de l'État d'origine dans la constitution de la situation devrait s'apprécier à l'aune de trois conditions : la compétence de l'État d'origine (1), la conformité de la situation à l'ordre public international du for (2), et/ou l'absence de fraude (3).
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1. Compétence de l'État d'origine 230
Le droit positif, on le voit, ne semble pas avoir clairement décidé de la place qu'il convient d'attribuer à cette exigence de lien entre l'État d'origine et la situation objet de la reconnaissance. Pour le professeur P. Lagarde, « le choix (…) est affaire de politique législative et varie selon les situations à reconnaître » (P. Lagarde, « La reconnaissance. Mode d'emploi », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 482, spéc. 495). Mais le souci légitime de lutter contre la fraude justifie très certainement, en toute hypothèse, l'application d'une exigence qui ne paraît pas par ailleurs être, si elle est définie avec suffisamment de souplesse, extrêmement pénalisante pour les parties, tant l'existence du lien devrait naturellement se trouver avérée pour des raisons de pur fait.
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Toute situation doit-elle nécessairement, où qu'elle se soit concrétisée à l'étranger, être reconnue dans l'ordre juridique du for ? Une réponse positive pourrait a priori devoir s'imposer. La méthode de la reconnaissance des situations a pour objectif fondamental de garantir le respect des prévisions que les parties ont pu fonder sur le point de vue normatif concrètement exprimé par l'ordre juridique étranger. Or ces prévisions ont pu s'opérer, que les titres de cet ordre juridique étranger à régir la situation aient, ou non, été réels aux yeux du for. Une position libérale conduit donc à considérer qu'aucune exigence, relative aux liens qu'aurait eus l'État d'origine avec la situation, ne doit être formulée. C'est le système mis en place par la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, laquelle impose aux États signataires de reconnaître le mariage valablement célébré selon le droit de l'État de célébration, sans qu'un quelconque lien soit exigé entre cet État et la situation (ni relatif à la résidence des parties, ni relatif à leur nationalité par exemple). C’est aussi le parti pris dans le nouvel article 61-3-1 du Code civil français, qui n’exige pas, pour que soit reconnu en France le nom attribué à une personne par un autre État, qu’il existe un lien particulier entre cette personne et cet État (v. ss 554). On peut toutefois hésiter à alléger à ce point les exigences du for. Les prévisions des parties ne doivent être protégées que lorsqu'elles sont légitimes. L'État du for est certainement en droit de considérer que sont seuls dignes de reconnaissance les points de vue exprimés par des États qui ont des liens suffisants avec la situation. L'exigence pourrait au reste être posée en tant que telle, en laissant au juge le soin d'apprécier, au cas par cas, si les liens entre l'État d'origine et la situation qui s'y est constituée sont suffisants pour justifier un alignement du for sur le point de vue normatif concrètement exprimé par le premier. Elle peut également s'imposer sur la base d'une prédétermination de liens, jugés révélateurs d'une proximité suffisante pour justifier le caractère légitime des prévisions des parties. La convention du 16 septembre 2005 sur la reconnaissance des noms (non entrée en vigueur) prévoit, par exemple, que la déclaration faite par les époux, à la suite de leur mariage, sur le nom qu'ils porteront au cours de leur vie conjugale est reconnue si elle est faite dans un État dont l'un des époux a la nationalité, ou dans l'État de la résidence habituelle commune des époux au jour de la déclaration.
2. Conformité à l'ordre public international du for En toute hypothèse, le souci de respecter les prévisions légitimes des parties ne devrait pas conduire l'État du for à proroger dans son ordre juridique les effets d'une situation contraire à l'ordre public international, c'est‑à-dire d'une situation à
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3. Absence de fraude 233
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ce point incompatible avec les valeurs du for qu'elle en devient parfaitement inadmissible pour celui-ci. L'absence de contrariété à l'ordre public international est une condition incontournable en droit international privé (v. l’analyse détaillée de cette condition dans le Chapitre 3), qui s'avère pertinente quel que soit le contexte dans lequel s'opère l'évaluation du point de vue de l'État étranger : dès lors qu'il est question de donner effet à une norme étrangère — qu'il s'agisse de le faire dans le cadre de la méthode conflictuelle, de la méthode des lois de police, de la méthode des règles matérielles ou de celle de la reconnaissance —, la conformité à l'ordre public international du for constitue un seuil de tolérance auquel il devrait être impossible de déroger. Si cette condition semble ainsi devoir être imposée dans le cadre de la méthode de la reconnaissance, sa mise en œuvre est en revanche susceptible de se heurter, comme ailleurs (dans la méthode du conflit de lois, v. ss 264 s., et de la reconnaissance des jugements, v. ss 420), aux prescriptions des juridictions suprêmes européennes. La même observation vaut pour le contrôle de la fraude.
Quelle place faut-il réserver à la sanction de l'éventuelle fraude commise par les parties, qui auraient été à l'étranger y rechercher la constitution d'une situation qu'elles savaient ne pouvoir obtenir dans l'État où elles entendent lui voir produire ses effets ? La place de la fraude en droit international privé contemporain suscite bien des discussions. On peut en effet s'interroger sur l'autonomie, et donc la pertinence, de cette condition au regard des deux précédentes : si une situation a été constituée par un ordre juridique étranger compétent pour ce faire, et en conformité avec l'ordre public international du for, la fraude risque fort de s'avérer introuvable. Mais réciproquement, ne pourrait-on considérer qu'il est préférable, pour garantir une meilleure protection des intérêts privés des parties, de substituer aux contrôles objectifs de la compétence de l'État d'origine et de la conformité à l'ordre public international, un contrôle au cas par cas de l'absence de fraude, dans lequel la compétence de l'État d'origine et la conformité à l'ordre public ne constitueraient que des indices d'appréciation de l'existence d'une fraude ? Certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme (not. l'arrêt Wagner¸ préc., no 46 et 224, et McDonald, 29 avr. 2008, Rev. crit. DIP 2008. 830, note P. Kinsch) semblaient aller en ce sens. Mais les évolutions les plus récentes de la jurisprudence de la Cour strasbourgeoise conduisent à s’interroger, comme pour l’exception de contrariété à l’ordre public international, sur la désactivation de l’exception de fraude (sur la GPA, v. ss 265). La même observation s’impose au vu de la jurisprudence de la CJUE, notamment en matière de reconnaissance des sociétés (v. ss 853 s.).
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Compléments pédagogiques
Mémo
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La méthode des lois de police déroge à la méthode conflictuelle car, alors que la seconde est essentiellement conçue pour la protection des intérêts privés des justiciables, la première entend réintégrer, dans le traitement des situations internationales de droit privé, des considérations d'intérêt public. Elle tend donc ponctuellement à écarter l'application des règles de conflit de lois du for — et de la loi étrangère potentiellement compétente en vertu de ces règles de conflit —, pour procéder à une application directe, à certaines situations entrant dans leur champ d'application spatial, des règles substantielles du for dont l'application est jugée nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation sociale, politique et économique du pays. En droit positif, l'application des lois de police du for, de même que celle des lois de police de l'Union européenne dans les États membres, est conçue comme une obligation pour le juge ; l'application des lois de police étrangères, en revanche, est une simple faculté pour le juge lorsqu’elle est permise. Le plus souvent, ces lois de police étrangères ne seront que prises en considération La méthode des règles matérielles de droit international privé déroge également à la méthode conflictuelle, en ce qu'elle tend à l'application directe, à certaines situations internationales de droit privé soumises au juge du for, de règles substantielles spécifiquement édictées par l'ordre juridique du for pour le règlement des situations internationales. Ce n'est pas ici l'intérêt public qui justifie l'éviction de la méthode conflictuelle, mais le caractère jugé particulièrement adapté des règles considérées pour le règlement de situations que leur internationalité rend relativement indépendantes des ordres juridiques étatiques. Pour cette raison, la méthode joue exclusivement dans le domaine du commerce international, et même là, son application est relativement ponctuelle, sauf à être imposée par une convention internationale de droit matériel. Dans tous les autres cas, et donc le plus souvent, l'application des règles matérielles de droit international privé se décide au terme d'une mise en œuvre de la méthode conflictuelle, sans phénomène d'éviction de cette dernière. La méthode de la reconnaissance des situations déroge à la méthode conflictuelle, dont elle tend à corriger certains dysfonctionnements de nature à porter atteinte aux prévisions légitimes des parties. Elle consiste, lorsqu'une situation s'est valablement constituée dans un État étranger — l'État d'origine — à reconnaître cette validité sans vérification de la part du for — l'État d'accueil — ; celui-ci renonce donc à appliquer ses propres règles de conflit et se borne à aligner son point de vue sur celui de l'État d'origine : valable dans l'État d'origine, la situation sera également regardée comme valable dans l'État d'accueil. La mise en œuvre de cette méthode, qui se développe mais reste marginalement consacrée par quelques conventions internationales, par le droit de l’Union européenne et sous l’influence de la Cour européenne des droits de
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Quid
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l’Homme, suppose toutefois que l'État d'origine ait exprimé un point de vue normatif concret sur la situation considérée, généralement du fait de l'intervention d'une de ses autorités publiques. Il est en outre parfois exigé — mais cette condition n'est pas systématique — que l'État d'origine entretienne des liens suffisants avec la situation qui s'y est constituée. En principe, une situation ne devrait en toute hypothèse être reconnue que si elle n’est pas incompatible avec l'ordre public international de l'État d'accueil, et si elle a été constituée sans fraude.
n Co n f l i t d e c o n v e n t i o n s n o 2 0 3 Expression renvoyant à l'hypothèse où une même situation internationale entre très précisément dans le domaine d'application (matériel, temporel et spatial) de deux ou plusieurs conventions internationales différentes, qui prétendent donc toutes s'y appliquer.
n Co n v e n t i o n i n t e r na t i o n a l e d e d r o i t m a t é r i e l n o 19 9 Convention conclue entre des États en vue d'uniformiser, dans un domaine donné, leurs règles substantielles par l'édiction de règles matérielles communes.
n L e x me r c a t o r ia n o 2 08
Expression forgée par la doctrine pour désigner la « loi des marchands », à savoir un corpus de règles déduites de la seule pratique des opérateurs du commerce international, et s'appliquant avec force de loi aux opérations commerciales internationales en raison de la force obligatoire que lui conférerait un ordre juridique international spécifique, la « communauté des marchands ». Il n'est plus guère soutenu aujourd'hui que la lex mercatoria puisse réellement revêtir le statut de « règles de droit ».
n L o i d ' a p p l i c a t i o n n é c e s s a i r e n o 17 6 Toute disposition juridique substantielle dont la particularité méthodologique est de s'appliquer directement aux situations juridiques internationales, sans détour par la mise en œuvre d'une règle de conflit de lois, pour la seule raison que l'État qui l'a édictée prétend en imposer l'application. Parfois utilisée comme équivalent à la notion de « loi de police », la notion de « loi d'application nécessaire » en est au contraire distinguée en ce qu'elle n'en poursuivrait pas le but caractéristique.
n Loi de police no 170
Loi d'application nécessaire — c'est‑à-dire dont la particularité méthodologique est de s'appliquer directement aux situations juridiques internationales, sans détour par la mise en œuvre d'une règle de conflit de lois — se caractérisant par son objectif de protection des intérêts publics fondamentaux, son respect étant jugé essentiel pour la sauvegarde de l'organisation sociale, politique ou économique du pays qui l'a édictée.
n Pr inc ipe d ’ a u t o n o m i e n o 1 6 9 Principe de droit international privé en application duquel les parties sont autorisées à choisir la loi applicable à leur situation.
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n M é t h o d e d e l a r e c o nn a i s s a n c e d e s s i t u a t i o n s n o 2 1 9 Méthode de résolution du conflit de lois, impliquant un alignement de l'appréciation portée par le for sur une situation, sur le point de vue normatif précédemment concrétisé dans un État étranger dont les titres à régir la situation sont reconnus, dès lors que ce point de vue est conforme aux exigences de l'ordre public. n M é t h o d e d e s rè g l e s ma t é r i e l l e s n o s 1 90 , 2 10 Expression utilisée pour désigner un mécanisme d'application directe, aux situations internationales, des règles matérielles de droit international privé du for, sans détour par la règle de conflit de lois, justifié par la particulière adaptation de ces règles au caractère international de la situation. n Rè g l e s m a t ér i e l l e s a - n a t i o n al es n o 1 92 Règles substantielles propres aux relations internationales de droit privé, dont l'origine n'est pas étatique ; ces règles peuvent être proposées par des organisations internationales indépendantes des États, ou directement par les sujets de droit qu'elles concernent, à savoir les opérateurs du commerce international. n Règles matérielles du droit international privé n o 190 Ensemble de règles substantielles destinées au règlement des situations privées internationales et spécifiquement définies en considération des particularités de ces situations. n Test d'équivalence no 183 Mécanisme institué par le droit communautaire et visant à vérifier, lorsqu'un État prétend appliquer une loi de police du for à une situation, que cette dernière n'a pas déjà été soumise à des exigences équivalentes dans l'État d'origine ; si le test d'équivalence est vérifié, l'État de destination ne pourra imposer le respect de sa propre disposition mais devra se satisfaire du respect des seules exigences posées par l'État d'origine. n Test de compatibilité ou de proportionnalité n o 183 Mécanisme imposé par le droit communautaire, et subordonnant l'application des lois de police des États membres, susceptibles de constituer une entrave aux libertés de circulation communautaires, à la vérification de leur caractère non discriminatoire, nécessaire et proportionné au but d'intérêt général qu'elles poursuivent. n U s a g e s ( d u c o m m er ce i n t e r n a t i o n a l ) n o 2 0 9 Pratiques contractuelles répétées avec constance, dans le temps et l'espace, par les opérateurs du commerce international, au point de constituer des normes de comportement dans un domaine ou un secteur économique donné.
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Documents C i v . 2 1 j u i n 1 9 50 , M e s s a g e r i e s Ma r i t i m e s
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(GADIP, no 22 ; Rev. crit. DIP 1950. 609, note H. Batiffol ; S. 1952. 1. 1, note M.-L. Niboyet) L'arrêt Messageries Maritimes retient le droit pour les parties à un contrat international de stipuler, nonobstant la prohibition de la loi étrangère applicable au contrat, une clause valeur-or validée par la loi française « en conformité avec la notion de l'ordre public international ». Cet arrêt, dont la rédaction est ambiguë notamment en raison de la référence qu'il opère à l'ordre public international, est souvent considéré comme posant les fondements de la méthode des règles matérielles de droit international privé, en ce qu'il impose l'application directe, contre la loi normalement applicable à un contrat international, de la disposition substantielle française validant les clauses valeur-or dans les contrats internationaux en raison de son caractère particulièrement adapté à ce type de contrat. La formalisation plus nette de la méthode sera ultérieurement opérée par l'arrêt Galakis (v. infra).
C i v . 2 ma i 1 9 6 6, G a l a k i s
(GADIP, no 44 ; Rev. crit. DIP 1967. 553, note B. Goldman ; JDI 1966. 648, note P. Level) L'arrêt Galakis a une portée double. D'une part, il définit une règle matérielle de droit international privé en affirmant qu'« édictée pour les contrats internes », la prohibition faite aux personnes morales de droit public français de compromettre n'est pas applicable à un contrat international ; ainsi, il existe une règle substantielle propre aux situations internationales autorisant les personnes morales de droit publique à conclure des clauses compromissoires, alors que ces clauses sont (du moins étaient à l'époque) nulles dans les situations purement internes. D'autre part, il contribue à la construction de la « méthode des règles matérielles » en faisant une application directe de cette règle au contrat international, sans mise en œuvre de la méthode conflictuelle : peu importe donc la loi applicable au contrat, la clause compromissoire est validée par application directe des règles matérielles de droit international privé du for.
C J C E 9 no v . 20 0 0 , I n g m a r
(Rev. crit. DIP 2001. 107, note L. Idot ; JDI 2001. 511, note J.-M. Jacquet)
C o m p l ét é p a r : C J U E 16 f é v . 2 01 7 , A g r o F o r e i g n Tr a d e (C-507/15, D. 2017. 1012, obs. H. Gaudemet-Tallon) L'arrêt Ingmar de la CJCE a été rendu dans une affaire où l'agent commercial britannique d'une société américaine sollicitait, en suite de la rupture de son contrat d'agence, une indemnité de fin de contrat que la société américaine — arguant de ce que le droit de l'État de Californie, expressément choisi par les parties pour régir le contrat, ne prévoyait pas une telle indemnité — lui refusait. Les juges anglais, saisis sur le fond, s'interrogeaient sur le point de savoir si le seul fait que l'agent ait exercé ses fonctions sur le territoire britannique imposait, contre l'application de la loi californienne, qu'il se voie reconnaître le droit à indemnité de fin de contrat garanti par les articles 17 et 18 de la directive n o 86/658 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants. Saisie d'une question préjudicielle, la CJCE dit pour droit que « les articles 17 et 18 de la directive, qui
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C J U E 17 oc t . 2 0 13 , U n a m a r
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garantissent certains droits à l'agent commercial après la cessation du contrat d'agence, doivent trouver application dès lors que l'agent commercial a exercé son activité dans un État membre et alors même que le commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d'une clause du contrat, ce dernier est régi par la loi de ce pays ». Ce faisant, elle consacre l'existence d'une loi de police communautaire. Le critère d’application dans l’espace qui s’évince de l’arrêt Ingmar – à savoir l’activité de l’agent commercial sur le territoire d’un État membre - est confirmé 17 ans plus tard par l’arrêt Agro Foreign Trade, dans lequel la CJUE juge la protection instituée par la directive no 86/658 inapplicable à un agent commercial exerçant ses activités en Turquie, nonobstant l’établissement du commettant dans un État membre.
(C-184/12, D. 2014. 60, note L. d’Avout ; D. 2014. 60, obs. H. Gaudemet-Tallon ; JCP 2013. 1287, note C. Nourissat ; Europe 2013. Comm. 560, L. Idot) L'arrêt Unamar de la CJUE complète de façon intéressante l’arrêt Ingmar. Dans un contrat d’agence commerciale, les parties avaient choisi la loi bulgare comme loi applicable ; or l’agent avait exercé son activité en Belgique. La loi belge, plus protectrice de l’agent, pouvait-elle s’appliquer comme loi de police en lieu et place de la loi bulgare ? La particularité de la situation tenait ici au fait que la loi bulgare, qui a correctement transposé la directive n o 86/658, offre à l’agent la protection minimale requise par cette directive ; simplement, la directive prévoyant une harmonisation minimale, la Belgique a adopté un système plus protecteur de l’agent que la Bulgarie. D’où la question préjudicielle suivante : « Les articles 3 et 7 § 2 de la Convention de Rome doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent que les lois de police du pays du juge qui offrent une protection plus étendue que la protection minimale imposée par la directive soient appliquées au contrat ? ». La Cour de justice observe que le juge national, lorsqu’il apprécie si une loi nationale peut être qualifiée de « loi de police », doit « tenir compte non seulement des termes précis de cette loi, mais aussi de l’économie générale et de l’ensemble des circonstances dans lesquelles ladite loi a été adoptée pour pouvoir en déduire qu’elle revêt un caractère impératif, dans la mesure où il apparaît que le législateur national a adopté celle-ci en vue de protéger un intérêt jugé essentiel par l’État membre concerné ». Elle conclut que la loi du contrat, conforme à la directive, peut être écartée au profit de la loi de police du for, plus protectrice, « uniquement si la juridiction saisie constate de façon circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par la directive ».
C J U E 18 oc t . 2 0 16 , N i k i f o r i d i s (C-135/15, JCP 2016. 62, note S. Lemaire et L. Perreau-Saussine ; JDI 2017. 197, note E. Fohrer-Dedeurwaerder ; D. 2017. 1116, obs. H. Gaudemet-Tallon) L’arrêt Nikiforidis est l’occasion pour la CJUE de s’exprimer sur la portée de l’article 9, §3 du règlement Rome I dont la lettre ne prévoit la possibilité pour les juges des États membres de donner effet à des lois de police étrangères qu’à propos des lois de police de l’État où s’exécutent ou doivent s’exécuter les obligations contractuelles. La Convention de Rome n’incluait pas une telle limite, et prévoyait simplement la possibilité pour le juge de donner effet aux lois de police étrangères. La question posée était donc de savoir si l’article 9, §3 du règlement Rome I exclut désormais purement et simplement que le juge puisse donner effet aux
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lois de police étrangères, en dehors de celles de l’État où les obligations contractuelles s’exécutent. Après avoir rappelé que la réserve des lois de police est une mesure dérogatoire qui doit être interprétée strictement (point 44), la Cour considère que la liste des lois de police applicables dressée par l’article 9 du règlement est exhaustive : le juge ne peut donc « appliquer, directement ou indirectement » les lois de police étrangères non visées par le texte (points 4550). En revanche, la Cour estime que le règlement « ne s’oppose pas à la prise en compte, en tant qu’élément de fait, des lois de police d’un État autre que l’État du for ou que l’État dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où une règle matérielle du droit applicable au contrat, en vertu des dispositions du même règlement, la prévoit » (point 51). Les lois de police non visées par l’article 9, §3 peuvent donc être prises en considération.
1) Sur les lois de police
- B. Audit, « Du bon usage des lois de police », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 25. - L. d'Avout, « Le sort des règles impératives dans le règlement Rome I », D. 2008. 2165. - L. d’Avout, « Les lois de police », in T. Azzi, O. Boskovic, Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois », Bruylant, 2015, p. 91. - D. Bureau, H. Muir Watt, « L'impérativité désactivée ? (à propos de Civ. 1re, 22 oct. 2008) », Rev. crit. DIP 2009. 1. - Ph. Francescakis, « Quelques précisions sur les “lois d'application immédiate” et leurs rapports avec les règles de conflit de lois », Rev. crit. DIP 1966. 1. - H. Gaudemet-Tallon, « De nouvelles fonctions pour l'équivalence en droit international privé ? », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 303. - M.-N. Jobert-Bachellier, « La portée du test de compatibilité communautaire en droit international privé contractuel », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 475. - M.-N. Jobart-Bachellier, « Une impérativité active des règles de droit dans l’ordre international », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 345. - P. Mayer, « Les lois de police étrangères », JDI 1981. 277. - A. Nuyts, « L'application des lois de police dans l'espace (Réflexions au départ du droit belge de la distribution commerciale et du droit communautaire »), Rev. crit. DIP 1999. 31 ; ibid. 245. - A. Paret, « Le statut personnel en droit international privé européen. Les lois de police comme contrepoids à l’autonomie de la volonté ? », Rev. crit. DIP 2015. 837. - É. Pataut, « Lois de police et ordre juridique communautaire », in A. Fuchs, H. Muir Watt, É. Pataut (dir), Les conflits de lois et le système juridique communautaire, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2004, p. 117. - S. Poillot-Peruzetto, « Ordre public et lois de police dans l'ordre communautaire », Trav. Com. fr. DIP. 2002-2004. 65. - L. G. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage : vers des règles d'application semi-nécessaire ? », Rev. crit. DIP 2003. 1. - P. de Vareilles-Sommières, « Lois de police et politiques législatives », Rev. crit. DIP 2011. 207.
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2) Sur les règles matérielles
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- D. Bureau, « Les conflits de conventions », Trav. Com. fr. DIP 1999-2000. 201. - S. Clavel, « La confiance dans les instruments internationaux et européens de droit uniforme », in V.-L. Bénabou et M. Chagny, La confiance en droit privé des contrats, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2008, p. 11. - S. Clavel, « La simplification du droit à l’épreuve de l’harmonisation d’origine supranationale : le mirage d’un “droit commun” », in D. Bert, M. Chagny, A. Constantin (dir.), La simplification du droit, Institut Universitaire Varenne, collection « Colloques & Essais », 2015, p. 67. - P. Deumier, « Les Principes Unidroit ont 10 ans : Bilan en demi-teinte », RDC 2004. 774. - B. Dutoit, F. Majoros, « Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions possibles », Rev. crit. DIP 1984. 565. - B. Fauvarque-Cosson, « Règles impératives et instruments de droit souple », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015 p. 195. - E. Gaillard, « La distinction des principes généraux du droit et des usages du commerce international », in Études P. Bellet, Litec, 1991, p. 203. - P.-Y. Gautier, « Inquiétudes sur l'interprétation du droit uniforme international et européen », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 327. - B. Goldman, « Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria », in Études P. Lalive, Basle, Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 241. - Ph. Kahn, « La lex mercatoria et son destin », in Ph. Fouchard, L. Vogel (dir.), L'actualité de la pensée de B. Goldman, Éd. Panthéon-Assas, 2004, p. 25. - C. Kessedjian, « Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international : les Principes proposés par Unidroit », Rev. crit. DIP 1995. 641. - C. Kessedjian, « Les instruments optionnels en droit privé international », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015 p. 365. - P. Lagarde, « Approche critique de la lex mercatoria », in Mélanges B. Goldman, Litec, 1983, p. 125. - E. Loquin, « Les règles matérielles du commerce international », Rev. arb. 2005. 443. - E. Loquin, L. Ravillon, « La volonté des opérateurs vecteur d'un droit mondialisé », in E. Loquin, C. Kessedjian (dir), La mondialisation du droit, Litec, 2000, p. 91. - E. Loquin, « Où en est la lex mercatoria », in Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2000, p. 23. - P. Mayer, « Principes Unidroit et lex mercatoria », in Ph. Fouchard, L. Vogel (dir.), L'actualité de la pensée de B. Goldman, Éd. Panthéon-Assas, 2004, p. 31. - Ch. Pamboukis, « La lex mercatoria reconsidérée », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 635.
3) Sur la méthode de la reconnaissance des situations - S. Bollée, « L'extension du domaine de la méthode de la reconnaissance unilatérale », Rev. crit. DIP 2007. 307. - S. Clavel, « La place de la fraude en droit international privé contemporain », Trav. Com. fr. DIP 2010-2012, Pédone, p. 255. - G. Goldstein, H. Muir Watt, « La méthode de la reconnaissance à la lueur de la Convention de Munich du 5 septembre 2007 sur la reconnaissance des partenariats enregistrés », JDI 2012. Doctr. 12.
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Droit international privé
Quiz 1) Sujets corrigés
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- P. Lagarde, « La reconnaissance. Mode d'emploi », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 482. - P. Lagarde, « Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification : quelques conjectures », RabelsZ 2004. 225. - P. Lagarde (dir.), La reconnaissance des situations en droit international privé, Pédone, 2013. - P. Lagarde, « Sur la vulnérabilité des situations juridiques », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 441. - Y. Lequette, « De la "proximité" au "fait accompli" », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 481. - P. Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547. - P. Mayer, « Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé – Cours général de droit international privé », Rec. cours. La Haye 2007, spéc. p. 339-359. - H. Muir Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits acquis », Rev. crit. DIP 1986. 425. - Ch. Pamboukis, « La renaissance-métamorphose de la méthode de la reconnaissance », Rev. crit. DIP 2008. 513. - É. Pataut, « Le renouveau de la théorie des droits acquis », Trav. Com. fr. DIP 2006-2008. 71. - G. P. Romano, « La bilatéralité éclipsée par l'autorité. Développements récents en matière d'état des personnes », Rev. crit. DIP 2006. 457.
A) Test de connaissances Énoncé
1. Les règles matérielles de droit international privé d'origine conventionnelle ont généralement pour objet : a. d'unifier les règles de conflit de lois des États signataires ; b. de créer des règles spécialement adaptées à l'internationalité des situations et d'harmoniser les législations des États signataires ; c. d'harmoniser la jurisprudence des États signataires. 2. Une règle substantielle dont l'application directe aux situations internationales de droit privé est justifiée par des considérations de politique publique est : a. une loi de police ; b. une règle matérielle de droit international privé ; c. un principe général de droit international privé.
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3. L'arrêt de la Cour de cassation qui pose la règle matérielle de validité des clauses compromissoires insérées dans les contrats internationaux conclus par des personnes morales de droit public français est : b. l'arrêt Ingmar ; c. l'arrêt Galakis. 4. Unidroit est :
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a. l'arrêt Messageries Maritimes ;
a. une commission de l'ONU chargée d'harmoniser le droit du commerce international ; b. une organisation professionnelle prenant en charge la codification des usages du commerce international ; c. une organisation intergouvernementale indépendante travaillant à l'harmonisation et à la coordination du droit privé.
5. La méthode de la reconnaissance des situations joue au bénéfice : a. de tout point de vue normatif d'un État étranger ; b. du seul point de vue normatif d'un État étranger suffisamment concrétisé ; c. des décisions de justice étrangères.
6. Les lois de police s'appliquent indifféremment : a. à toute situation juridique dont le juge du for est saisi ; b. aux situations juridiques dont le juge du for est saisi dès lors qu'elles entretiennent des liens suffisamment étroits avec le for ; c. aux situations juridiques dont le juge du for est saisi à condition que ces situations entrent dans leur champ d'application spatial déterminé en fonction de l’objectif poursuivi.
7. La lex mercatoria est un ensemble de normes : a. qui peuvent être choisies par les opérateurs du commerce international à titre de règles contractuelles pour autant que la loi du contrat les y autorise ; b. qui constituent des règles de droit s'imposant aux opérateurs du commerce international avec force de loi ; c. qui constituent des usages dépourvus de toute valeur juridique en toutes circonstances.
8. Dans le règlement Successions, l’application des lois de police : a. est possible pour les lois de police du for, mais pas pour les lois de police étrangères ; b. n’est jamais possible ;
c. est envisagée selon un mécanisme original hybridant méthode des lois de police et méthode conflictuelle.
9. La méthode de la reconnaissance des situations justifie un alignement sur le point de vue normatif émis : a. par tout État où une situation juridique s'est constituée ;
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b. seulement par un État où une situation juridique entretenant des liens suffisants avec cet État s'est constituée ;
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c. selon les circonstances, par tout État où une situation juridique s'est constituée ou seulement par un État où une situation juridique entretenant des liens suffisants avec cet État s'est constituée.
10. En présence d'une loi de police, les parties : a. peuvent néanmoins user du principe d'autonomie pour choisir une autre loi et échapper ainsi à l'application de la loi de police ; b. peuvent tenter d'échapper à l'application de la loi de police en soustrayant le litige à la compétence du juge de l'ordre juridique d'origine de la loi de police par une clause attributive de juridiction ; c. ne peuvent en aucun cas échapper à l'application de la loi de police. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Commentaire d'arrêt Arrêt Com. 20 avr. 2017
(no 15-16.922, D. 2017. 916, et 2054, obs. L. d’Avout ; D. 2018. 967, obs. S. Clavel ; RDI 2018. 221, obs. H. Périnet-Marquet ; AJ Contrat 2017. 289, obs. V. Pironon ; Rev. crit. DIP 2017. 542, note D. Bureau) Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 27 avril 2011, pourvoi n o 09-13.524) que la société de droit italien Telecom Italia a, par un contrat conclu à Rome le 30 juillet 1999, commandé du matériel de télécommunication à la société de droit français CS Telecom ; que, le 15 septembre 1999, la société Crédit lyonnais (le Crédit lyonnais), agissant en qualité de chef de file d'un groupement bancaire, a consenti à la société CS Télécom une ouverture de crédit, en garantie de laquelle cette société s'est engagée à lui céder, dans les formes et conditions prévues par la loi n o 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, les créances qu'elle détenait sur sa clientèle ; que, le 4 avril 2000, la société CS Télécom a conclu avec une autre société de droit italien, la société Urmet, une convention dite de sous-traitance pour la fabrication du matériel commandé, qui stipulait que "la conclusion et l'interprétation du présent contrat seront soumis au droit suisse" ; que, le 30 janvier 2001, le Crédit lyonnais, en sa qualité de chef de file du groupement bancaire, a consenti à la société CS Telecom un second concours, sous forme de mobilisation de créances nées à l'export sur la société Telecom Italia, par bordereaux Dailly, réglés en partie ; que le matériel commandé ayant été fabriqué et livré, la société CS Telecom, qui ne s'était pas acquittée du prix, a, le 9 avril 2001, autorisé la société Urmet à se faire payer directement par la société Telecom Italia ; que, le 30 avril 2001, le Crédit lyonnais, toujours en sa qualité de chef de file du groupement bancaire, a notifié à la société Telecom Italia la cession de créances que lui avait consentie la société CS Telecom ; que cette dernière ayant été mise en redressement judiciaire le 2 mai 2001, la société Urmet et le Crédit lyonnais ont déclaré leurs créances respectives ; que la société Urmet a assigné les sociétés Telecom Italia et CS Telecom, les organes de la procédure collective de cette dernière, ainsi que le Crédit lyonnais, aux fins de voir dire que la société Telecom Italia devait s'acquitter
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directement entre ses mains des factures résultant du contrat du 4 avril 2000 et que les cessions de créance que la société CS Telecom avait consenties aux banques lui étaient inopposables ; Attendu que la société Urmet fait grief à l'arrêt de condamner la société Telecom Italia à payer au Crédit lyonnais, en sa qualité de chef de file du groupement bancaire, la somme de 4 103 180,50 euros correspondant au total des cessions de créances pour 3 479 228 euros, majoré des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2001, dans la limite de la somme dont la société Telecom Italia s'était reconnue débitrice, soit la somme de 4 103 180,50 euros, alors, selon le moyen : 1 o/ que la localisation en France de l'établissement principal de l'entrepreneur principal, ayant conclu un contrat de sous-traitance industrielle, et de celui des organismes auxquels il a cédé certaines de ses créances constitue un lieu de rattachement justifiant l'application de la loi de police du 31 décembre 1975, en ses dispositions relatives qui limitent la faculté pour l'entrepreneur principal de céder ou nantir des créances du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage, destinées à protéger le droit du sous-traitant à obtenir directement le paiement des travaux qu'il a réalisés auprès du maître de l'ouvrage, en lui rendant inopposables les cessions consenties en méconnaissance de ses droits ; qu'en retenant néanmoins que ni la localisation du siège social de la société CS Telecom, entrepreneur principal, ni le fait que son financement soit assuré par des banques françaises, ne suffisaient à caractériser un lien de rattachant à la France justifiant l'application de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 comme une loi de police, pour en déduire que la société Urmet, sous-traitante, pouvait se voir opposer les cessions de créances consenties par l'entrepreneur principal aux banques françaises en méconnaissance des dispositions de cette loi, la cour d'appel a violé l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975, ensemble les articles 3 du code civil et 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ; 2 o/ que la localisation en France de l'établissement principal de l'entrepreneur principal, ayant conclu un contrat de sous-traitance industrielle, constitue un lieu de rattachement à la France justifiant l'application de la loi de police du 31 décembre 1975, en ses dispositions consacrant le droit du sous-traitant d'obtenir directement le paiement des travaux qu'il a réalisés auprès du maître de l'ouvrage, si l'entrepreneur principal est défaillant ; qu'en retenant néanmoins que ni la localisation du siège social de la société CS Telecom, entrepreneur principal, ni le fait que son financement soit assuré par des banques françaises, ne suffisaient à caractériser un lien de rattachant à la France justifiant l'application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 comme une loi de police, pour en déduire que la société Urmet, sous-traitante, ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l'action directe, la cour d'appel a violé l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, ensemble les articles 3 du code civil et 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ; Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que l'application de la loi française du 31 décembre 1975 à la situation litigieuse suppose de caractériser l'existence d'un lien de rattachement de l'opération avec la France au regard de l'objectif de protection des soustraitants poursuivi par l'article 13-1 et qu'à cette condition, le sous-traitant étranger ayant contracté avec une société française bénéficie de la même protection que le sous-traitant français, l'arrêt retient que ni la circonstance que le recours à la société Urmet ait permis à la société de droit français CS Telecom, dont le siège social est situé à Paris, de remplir ses obligations et de recevoir en contrepartie le paiement de ses factures, ni le fait que le financement de cette société soit assuré par des banques françaises ne suffisent à caractériser l'existence d'un tel lien dès lors que le financement de l'entrepreneur principal et la satisfaction de ses objectifs économiques ne répondent pas au but de cet article ; qu'il retient encore que la situation, sur le territoire français, du siège social de l'entreprise principale, ne constitue pas un
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Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
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critère suffisant ; qu'il retient enfin que l'Italie est, au premier chef, le pays bénéficiaire économique de l'opération de sous-traitance, les terminaux ayant été fabriqués sur le territoire italien par les ingénieurs d'Urmet et installés sur les réseaux italiens de la société Telecom Italia ; que, de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire qu'en l'absence de tout autre critère de rattachement à la France qui soit en lien avec l'objectif poursuivi, tels que le lieu d'établissement du sous-traitant, mais également le lieu d'exécution de la prestation ou la destination finale des produits sous traités, lesquels sont tous rattachés à l'Italie, la condition du lien de rattachement à la France, exigée pour faire, conformément à l'article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, une application immédiate à l'opération litigieuse des dispositions de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975, et, pour les mêmes motifs, de l'article 12 de la même loi, n'est pas remplie ; que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Urmet aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
1. b ; 2. a ; 3. c ; 4. c ; 5. b ; 6. c ; 7. a ; 8. c ; 9. c ; 10. b.
Commentaire
Conseils méthodologiques pour l'introduction Le rappel des faits doit être le plus synthétique possible ; en revanche, les arguments de fond présentés dans le cadre de la procédure méritent d'être évoqués, le cas échéant de façon substantielle. Surtout, il est essentiel de présenter exhaustivement, dès l'introduction, les motifs de la décision commentée, ici de l'arrêt de la Cour de cassation. Ce sont ces motifs qui font l'objet du commentaire. Si le devoir est bien un véritable commentaire, l'étudiant ne doit pas craindre de déflorer son sujet en présentant la teneur de la décision dans le cadre de l'introduction. Le corps du devoir sera réservé au commentaire réel de la motivation, pas à sa seule présentation, de sorte que celle-ci peut et doit être opérée dans l'introduction.
Corrigé
L’arrêt commenté constitue l’épilogue d’une longue affaire – l’affaire Urmet – qui a permis à la Cour de cassation de préciser encore le régime des lois de police en France. Essentiellement conçu pour la protection des intérêts privés des justiciables – dont les légitimes prévisions doivent être respectées et la stabilité des situations garantie –, le droit international privé n'en prend pas moins ponctuellement en compte les intérêts des États, lorsque ceux-ci s'avèrent particulièrement impérieux. La méthode des lois de police a précisément pour objectif d'intégrer l'intérêt public dans le raisonnement de droit international privé. Elle autorise une dérogation ponctuelle au jeu des règles de conflit de lois, pour permettre l'application directe, à des situations internationales,
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de lois substantielles qui ont été édictées pour la sauvegarde d'une politique publique jugée cruciale pour l'organisation politique, économique ou sociale d'un État. Comme toute méthode dérogatoire, la méthode des lois de police a nécessairement un domaine d'application circonscrit. C'est ce qu'a illustré l’affaire Urmet, enfin close par l'arrêt commenté, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 avril 2017. L'espèce concerne une hypothèse de sous-traitance mobilière : un maître d'ouvrage italien avait commandé du matériel de télécommunication à une société française, laquelle avait sous-traité la fabrication de ce matériel à une société italienne, la société Urmet. Le contrat de sous-traitance était soumis, selon une clause de choix de loi, à la loi suisse. Le maître d'œuvre – placé par la suite en redressement judiciaire – n'ayant pas payé le sous-traitant, celui-ci sollicitait le paiement direct de ses prestations auprès du maître de l'ouvrage. Cette prétention se heurtait à deux difficultés. Tout d'abord, le droit suisse qui régissait en l'espèce le contrat de sous-traitance ne prévoit aucun paiement direct au bénéfice du sous-traitant. Ensuite et surtout, le maître d'œuvre avait, en contrepartie d'une ouverture de crédit, consenti une cession de ses créances nées du contrat principal à un groupement de banques, lequel prétendait donc entrer en concurrence avec le sous-traitant, et obtenir paiement des créances à son profit par le maître d'œuvre. C'est dans ces conditions que le sous-traitant assignait toutes les parties devant les juridictions françaises, pour voir dire en application de la loi française du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance qu'il pouvait obtenir paiement direct de la part du maître de l'ouvrage, et voir déclarer inopposables à son égard les cessions de créances au profit des banques. Dans un premier temps, les juges du fond avaient cru devoir faire droit à l'une et l'autre de ces prétentions, en appliquant la loi française du 31 décembre 1975 de protection des sous-traitants comme loi de police, conformément à la qualification désormais traditionnelle en France. C'est en effet par un arrêt de chambre mixte en date du 30 novembre 2007 que la Cour de cassation a pour la première fois affirmé que « s'agissant de la construction d'un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police ». Dans l’affaire Urmet, par un premier arrêt rendu le 27 avril 2011, la Cour de cassation n’en avait pas moins censuré la décision des juges du fond d’appliquer la loi de 1975, en leur faisant reproche de ne pas avoir caractérisé « l'existence d'un lien de rattachement de l'opération avec la France au regard de l'objectif de protection des sous-traitants poursuivi par » la loi de 1975. Le message était donc clair : même si la loi de protection des sous-traitants est une loi de police, internationalement impérative, elle ne s'impose que s’il existe un rattachement à la France, lequel doit être apprécié par les juges au regard de l'objectif poursuivi par la politique publique en cause. Faisant sienne cette doctrine, la cour d’appel de renvoi (Paris, 19 déc. 2014) jugeait alors, à rebours des premiers juges du fond, que la loi française du 31 décembre 1975 n’avait pas lieu de s’appliquer à l’opération considérée, en l’absence de tout lien de rattachement avec la France imposant la mise en œuvre de cette loi pour répondre à ses objectifs. Pour la cour d’appel, ni l’établissement de l’entrepreneur principal en France, ni le fait que l’opération économique profite à une entreprise française, ni le financement de l’opération par des banques françaises ne sont des critères de rattachement suffisants, au regard des critères prépondérants que sont le lieu d’établissement du sous-traitant et le lieu d’exécution de la prestation et/ou de destination finale des produits, qui désignent l’Italie comme
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principal bénéficiaire économique de l’opération de sous-traitance. La Cour de cassation valide cette appréciation en rejetant le pourvoi formé par la société Urmet, sous-traitant italien. L’arrêt est important car, s’il ne fait que rappeler que le domaine d’application de la « loi de police » du 31 décembre 1975 doit découler d’un rattachement défini au regard de l’objectif de la politique publique en cause (I), il permet de mieux comprendre comment doit s’apprécier le rattachement à la France en matière de protection des sous-traitants, notamment en matière de sous-traitance mobilière (II).
I. Domaine d'application de la loi du 31 décembre 1975 de protection des sous-traitants : nécessaire définition du rattachement au regard de l’objectif de la politique publique en cause Le point central de l’affaire Urmet, qui ressort nettement de l’arrêt commenté, réside dans l’idée que « l'application de la loi française du 31 décembre 1975 à la situation litigieuse suppose de caractériser l'existence d'un lien de rattachement de l'opération avec la France au regard de l'objectif de protection des sous-traitants ». Ainsi, la loi de 1975 ne saisit pas indistinctement toutes les opérations de sous-traitance (A), mais seulement les opérations dont le rattachement à la France justifie qu’elles y soient soumises, en considération de l'objectif poursuivi par la politique publique en cause (B).
A. La loi de 1975 ne saisit pas indistinctement toutes les opérations de sous-traitance Une loi de police se définit, principalement, par son objectif, c'est‑à-dire par un critère fonctionnel. On considère ainsi que peuvent être qualifiées de lois de police toutes les dispositions substantielles qui poursuivent des motifs impérieux d'intérêt général, parce qu'elles participent de l'organisation sociale, politique et économique du pays. C'est la formule définie par la doctrine, aujourd'hui reprise par l'article 7, § 2 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, visé par l'arrêt commenté, et par l'article 9, § 1 du règlement « Rome I », qui n'était pas applicable au cas d'espèce puisque les contrats avaient été conclus avant son entrée en vigueur. Une loi de police est au service d'une « politique législative », et son application est rendue internationalement impérative parce qu'elle est jugée cruciale pour la mise en œuvre effective de cette politique. La méthode des lois de police déroge donc à la méthode conflictuelle, puisqu'elle conduit à évincer la loi normalement applicable selon la règle de conflit, pour lui préférer une loi substantielle internationalement impérative qui saisit « directement » des situations pourtant affectées d'un élément d'extranéité. En matière de sous-traitance, la qualification de la loi de 1975 comme loi de police a donc pour effet l'éviction de la loi du contrat. C'est la raison pour laquelle, en l'espèce, on pouvait songer à l'invoquer alors même que le contrat de sous-traitance était régi par le droit suisse qui ne prévoit aucun paiement direct au bénéfice du sous-traitant : dès lors que les juridictions françaises se trouvaient saisies, les lois de police françaises – dont la loi du 31 décembre 1975 – étaient potentiellement applicables. Mais elles ne l'étaient précisément que potentiellement. Une loi de police n'a pas nécessairement vocation à régir toutes les situations du monde. Parce qu'elle opère de manière dérogatoire au regard du règlement traditionnel du conflit de lois, son champ d'application dans l'espace doit être précisément
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circonscrit. En outre, puisque son application directe aux situations internationales est justifiée par le souci de garantir l'effectivité de la politique publique qu'elle sous-tend, corrélativement cette application ne peut être internationalement impérative que lorsqu'elle s'avère cruciale pour la sauvegarde de la politique en cause. C'est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans cette affaire : il n'y a lieu d'appliquer une loi de police, aux situations internationales, que lorsque cette application est absolument nécessaire pour garantir que l'objectif, poursuivi par la politique publique qui soustend la loi de police, sera atteint. C'est donc en considération de cet objectif que son champ d'application dans l'espace doit être défini.
B. La loi de 1975 s’applique aux opérations de sous-traitance dont le rattachement à la France justifie qu’elles y soient soumises, au regard de l’objectif législatif poursuivi Dans l'arrêt qu’elle avait rendu en 2011, la Cour de cassation avait déjà souligné que le domaine d'application de la loi de 1975 devait être déterminé en considération de l'objectif poursuivi par la politique publique en cause. Au-delà de cette directive très générale, la Haute juridiction n’avait donné aucune indication quant au critère d'application de la loi de 1975, ni même quant à l'objectif poursuivi par la politique publique mise en œuvre par la loi de 1975. Cet objectif paraît être double. D'une part, l’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la loi de 1975 donne à penser qu’elle a voulu justifier la qualité de loi de police de cette loi en considération de son but de protection du sous-traitant. On pourrait de prime abord s'en étonner, en opposant que la protection du cocontractant faible relève de la garantie d'intérêts privés, non d'intérêts publics ou tout au moins de motifs impérieux d'intérêt général. Pourtant, dans le droit de la sous-traitance comme dans le droit de la consommation, se profile bien derrière la seule protection du cocontractant faible un objectif de politique publique : car la protection des sous-traitants a également pour objectif – c'est le second objectif – la protection du marché économique français dans son ensemble. Les défaillances des cocontractants directs des sous-traitants peuvent conduire ces derniers à la faillite, provoquant des « réactions en chaîne » dont le caractère est globalement désastreux. Pour éviter que la faillite de l'entrepreneur ne rejaillisse, par un effet « domino » démultiplié, sur l'ensemble de ses sous-traitants, il est prévu que le sous-traitant qui a indirectement effectué un travail pour le compte du maître de l'ouvrage peut recevoir paiement direct de la part de ce dernier. Dans ce contexte, le critère de l'établissement en France du sous-traitant peut sembler pertinent pour définir le domaine d'application dans l'espace de la loi de 1975. Il a pourtant été observé que ce critère risque d'encourager les entrepreneurs à privilégier l'emploi de sous-traitants établis hors de France. Il était donc loin d'être certain que ce critère puisse être pleinement satisfaisant. La solution retenue par la Cour d’appel de renvoi, et validée par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, apparaît à cet égard fort intéressante, car si elle prend en compte le lieu d’établissement du sous-traitant, elle ne l’envisage que comme un critère, parmi d’autres, d’appréciation du rattachement de la situation à la France.
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Droit international privé
II. Domaine d'application de la loi du 31 décembre 1975 de protection des sous-traitants : définition du rattachement, de la sous-traitance immobilière à la sous-traitance mobilière
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En matière de sous-traitance mobilière, la Cour de cassation valide l’approche « impressionniste » mise en œuvre par la cour d’appel, conduisant à combiner une pluralité de critères pour décider de l’applicabilité de la loi de police française (A). Cette solution apparaît de prime abord plus satisfaisante que celle édictée par la Cour de cassation en matière immobilière, mais les deux approches sont finalement moins éloignées qu’il n’y paraît (B).
A. Définition « impressionniste » du rattachement en matière de soustraitance mobilière Pour conclure à l’inapplicabilité de la loi de police française à l’opération de soustraitance litigieuse, la cour d’appel n’a pas raisonné sur le fondement d’un critère unique. Elle a plutôt mis en exergue une pluralité de critères pertinents, non sans écarter au passage les rattachements jugés inopérants. Pour la Cour d’appel, sont inopérants le fait que l’entrepreneur principal, maître d’œuvre ayant eu recours à la sous-traitance, ait son siège social en France et ait donc généré des revenus dans ce pays, tout comme le fait que le financement de cet entrepreneur principal ait été assuré par des banques françaises. L’analyse est assez convaincante. Si l’objectif de la loi de 1975 est de protéger les sous-traitants et le marché français lorsqu’il subit l’incidence de leurs éventuelles défaillances financières, on voit mal en quoi la situation de l’entreprise principale serait pertinente pour garantir l’objectif de la loi. En revanche, le lieu d’établissement du sous-traitant est le critère naturel d’application de la loi de 1975 comme loi de police. C’est bien ce que retient la Cour d’appel en l’espèce, mais en combinant ce critère avec un autre, ce qui lui permet de déminer les critiques touchant le critère du lieu d’établissement du sous-traitant, déjà évoquées : la cour d’appel observe en effet que « l'Italie est, au premier chef, le pays bénéficiaire économique de l'opération de sous-traitance, les terminaux ayant été fabriqués sur le territoire italien par les ingénieurs d'Urmet et installés sur les réseaux italiens de la société Telecom Italia ». L’opération est donc rattachée à l’Italie, non seulement par le lieu d’établissement du sous-traitant, mais aussi par « le lieu d'exécution de la prestation ou la destination finale des produits sous traités ». L’arrêt ne dit pas en revanche comment ces deux critères principaux doivent s’agencer lorsque, contrairement à la situation considérée où ils étaient par chance convergents, ils conduisent à rattacher l’opération à deux pays différents. Imaginons la même opération, exécutée en Italie, mais impliquant un sous-traitant établi en France. La loi française de protection des sous-traitants devrait-elle alors s’appliquer ? On le voit, l’arrêt ne répond donc pas à toutes les questions et les solutions devront encore être, à l’avenir, affinées. À cet égard, le régime de la loi de 1975 en matière de sous-traitance immobilière permet peut-être une ébauche de solution.
B. Parallélisme du rattachement en matière de sous-traitance immobilière ? Dans l’arrêt de principe rendu en chambre mixte le 30 novembre 2007, la Cour de cassation a défini le critère de rattachement à la France, justifiant l’application de la loi de 1975 aux opérations de sous-traitance immobilière. Elle a ainsi précisé que la loi de 1975 s'applique lorsque l'opération de sous-traitance est mise en œuvre « pour la
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Les méthodes concurrentes
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construction d'un immeuble en France ». Ce critère a fait l'objet de sévères critiques de la part de la doctrine. Il a certes été relevé que ce critère présente l'intérêt de garantir l'égalité entre sous-traitants français et sous-traitants étrangers travaillant sur un même chantier. En outre, c’est un critère économiquement neutre, car il n'existe pas de risque de « délocalisation » du chantier portant sur un immeuble en dehors du territoire français aux fins d'échapper à l'application de la loi de police. Mais il présente également des inconvénients, notamment en ce qu'il ne permet pas de protéger les sous-traitants français lorsque le marché litigieux s'exécute à l'étranger, alors pourtant – on l’a vu – que la loi de 1975 poursuit l'objectif d'assainir le marché économique français en évitant les faillites en cascade. Le critère retenu dans l’arrêt commenté pour la sous-traitance mobilière n’est pas sans affinités avec le critère ainsi consacré en matière immobilière. En tenant compte du pays bénéficiaire économique de l'opération de sous-traitance, qui correspond au lieu d’exécution de la prestation ou de la destination finale des produits, la cour d’appel a d’une certaine façon transposé à la matière mobilière le critère du « lieu de situation de l’immeuble » consacré en matière immobilière, puisque c’est bien au lieu de construction de l’immeuble que les prestations s’exécutent, et que c’est le pays où l’immeuble est construit qui est le principal bénéficiaire de l’opération économique. Mais les faits de l’affaire Urmet lui ont permis de renforcer la légitimité de ce critère en le combinant avec celui du lieu d’établissement du sous-traitant. On le voit, la question de savoir lequel des deux critères de rattachement devra prévaloir en cas de dissociation dans l’espace est absolument essentielle. La solution adoptée en matière de soustraitante immobilière donne à penser que le critère du lieu d’établissement du soustraitant devrait alors sans doute s’effacer devant le critère du « centre de gravité économique de l’opération ». Il faudra attendre une confirmation jurisprudentielle sur ce point.
Débat
Les conflits de conventions Le conflit de conventions est avéré lorsqu'une même situation internationale entre très précisément dans le domaine d'application matériel, temporel et spatial de deux ou plusieurs conventions internationales différentes. Dès lors que plusieurs conventions — dont les règles sont incompatibles (sinon, l'équivalence des conventions pourrait justifier que le conflit ne soit pas formellement tranché) — prétendent régir une même situation, il y a lieu de trancher le conflit en déterminant laquelle des conventions devra en définitive s'appliquer. Le règlement des conflits de conventions est parfois facilité par l'insertion, dans ces conventions, de clauses appelées « clauses de compatibilité » ou « clauses de neutralisation », dont l'objet est d'anticiper le règlement du conflit : une convention prévoit les modalités de règlement du conflit qui pourrait se nouer avec une ou plusieurs autres conventions. En l'absence de toute clause de compatibilité, la doctrine a envisagé certains principes supposés pertinents pour le règlement du conflit, que l'on peut résumer en quatre propositions dont la valeur respective est diversement appréciée par les auteurs en question, de sorte que l'ordre de présentation ici choisi ne traduit pas nécessairement une échelle de valeur :
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Droit international privé
1o prévalence des droits fondamentaux : lorsque l'une des conventions en cause a pour objet la consécration de droits fondamentaux (par ex. : Conv. EDH), elle devrait toujours prévaloir sur les conventions à caractère technique, visant à coordonner ou harmoniser les droits des États signataires ;
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2o principe de l'efficacité maximale : lorsque deux conventions poursuivent un même objectif, il faudrait toujours faire prévaloir celle dont l'application favorise le plus, au cas d'espèce, l'objectif recherché ; 3o principe de la convention la plus spéciale : la convention comportant les dispositions les plus spéciales devrait être préférée à la convention dont les dispositions sont plus générales ; 4o principe de la convention postérieure : la convention la plus récente devrait prévaloir.
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L'application de la loi étrangère
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c h a p i t r e
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analytique
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Plan
Établissement de la teneur de la loi étrangère § 1 Recherche du contenu de la loi étrangère A. Charge de la recherche de la teneur du droit étranger B. Modes d'établissement de la teneur du droit étranger
§ 2 Interprétation de la loi étrangère A. Pouvoir d'interprétation souverain des juges du fond B. Contrôle de dénaturation par la Cour de cassation
section
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Refus d'application de la loi étrangère en considération de sa teneur : l'exception d'ordre public international § 1 Le contenu de l'ordre public international français A. Une notion spécifique B. Une notion relative
§ 2 Le fonctionnement de l'exception de contrariété à l'ordre public international A. Un mécanisme d'exception
B. Une application circonstanciée
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Combinaison de la loi étrangère avec une ou plusieurs autres lois : les mécanismes d'adaptation et de substitution § 1 Problèmes de compatibilité
§ 2 Solutions de droit international privé : adaptation et substitution
Compléments pédagogiques
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L'application de la loi étrangère
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La méthode conflictuelle, en raison de son caractère « bilatéral », conduit fréquemment à l'application d'une loi étrangère. À un degré moindre, cela est également vrai des méthodes concurrentes : le juge du for a la faculté d'appliquer les lois de police étrangères, et la méthode de la reconnaissance des situations, si elle dispense le juge du for d'appliquer ses propres règles de conflit pour identifier la loi compétente et en assurer l'application, le contraint en revanche à vérifier que la situation a été régulièrement constituée du point de vue de l'État d'origine. Ceci peut supposer qu'il en consulte les règles de conflit, puis qu'il évalue la régularité de la situation à l'aune de la loi (étrangère) désignée par ces règles de conflit, même si l’intervention d’une autorité publique étrangère (« cristallisation ») l’autorise généralement à présumer de la régularité de la situation aux yeux de l’État d’origine.
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Or l'application d'une loi étrangère confronte le juge à une loi qu'il ne connaît pas, et sur laquelle il peut légitimement hésiter à se reposer aveuglément. L'application de la loi étrangère impose donc d'une part que sa teneur soit établie (section 1), d'autre part que cette teneur soit vérifiée, afin de s'assurer que rien ne s'oppose à sa mise en œuvre concrète par le juge du for. La vérification de la teneur de la loi étrangère peut en effet conduire à un refus d'application si le résultat de cette application est incompatible avec les valeurs fondamentales du for ; c'est l'exception d'ordre public international (section 2). Mais elle peut également révéler, lorsque l'application de la loi étrangère doit être combinée avec celle d'une ou plusieurs autres lois, des problèmes de compatibilité imposant la mise en œuvre de mécanismes d'adaptation ou de substitution (section 3).
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section
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Établissement de la teneur de la loi étrangère En droit processuel français, il est d'usage de distinguer le fait du droit : alors que le juge ne connaît pas le fait — dont les parties doivent donc rapporter la preuve —, il est supposé connaître le droit — ce qui dispense les parties d'établir l'existence des règles de droit qu'elles allèguent. On conçoit aisément que le juge français ne puisse se voir imposer une exigence aussi rigoureuse de connaissance du droit étranger. Ce principe de bon sens a longtemps conduit la doctrine de droit international privé, comme d'ailleurs le droit positif, à appliquer au droit étranger le régime procédural du fait, en mettant à la charge des parties le soin d'en établir le contenu. Pourtant, la Cour de cassation devait finalement affirmer, par l'arrêt Coucke (Civ. 1 re, 13 janv.
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Droit international privé
§ 237
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1993, Rev. crit. DIP 1994. 78, note B. Ancel) que la loi étrangère est une « règle de droit », et non un simple fait. L'alignement du régime procédural de la loi étrangère sur celui de la loi française n'est cependant pas total. Si après de longues années de lente évolution, la jurisprudence a finalement mis à la charge du juge la recherche du contenu de la loi étrangère (§ 1), les principes qui régissent l'interprétation de la loi étrangère restent assez différents de ceux qui régissent l'interprétation de la loi française (§ 2).
1 Recherche du contenu de la loi étrangère
Deux difficultés se présentent : qui a la charge d'établir la teneur du droit étranger (A) ? et comment, par quels modes, la teneur de ce droit peut-elle être établie (B) ?
A. Charge de la recherche de la teneur du droit étranger 238
Longtemps, la charge d'établir la teneur du droit étranger désigné par la règle de conflit a reposé exclusivement sur les parties. La position du droit positif en ce sens a été initialement fixée par l'arrêt Lautour (Civ. 25 mai 1948 ; v. rubrique Documents), lequel devait encore ajouter que cette charge repose sur le « demandeur en réparation » et non sur le défendeur. Il en ressortait donc que c'est à celui dont la prétention se trouve soumise à la loi étrangère (indépendamment d'ailleurs de sa position procédurale puisque des prétentions peuvent parfaitement être émises par le défendeur à l'appui d'un moyen de défense), et non à son adversaire, qu'il appartient de démontrer que la teneur de cette loi justifie qu'il soit fait droit à sa demande, et ce quand bien même l'applicabilité du droit étranger aurait été soulevée par son adversaire. Dans l'arrêt Lautour, il revenait donc à Mme veuve Guiraud, qui demandait à Lautour l'indemnisation du préjudice résultant du décès de son époux dans un accident de la circulation survenu en Espagne, d'établir que la loi espagnole applicable au titre de lex loci delicti lui conférait un droit à indemnisation, alors même que Mme veuve Guiraud avait fondé sa demande sur le droit français et que l'applicabilité du droit espagnol avait été soulevée par Lautour. Et l'incapacité du demandeur à la prétention à établir le bien-fondé de cette dernière selon la loi étrangère conduisait inéluctablement à son rejet pur et simple. Cette solution de principe est toutefois apparue doublement critiquable.
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D'une part, elle pouvait paraître excessivement sévère, dans toutes les hypothèses où l'impossibilité dans laquelle l'auteur d'une prétention s'était trouvé d'établir le contenu de la loi étrangère n'était pas imputable à sa négligence ou à sa passivité, mais à quelque circonstance indépendante de sa volonté. C'est pour répondre à cette critique que la jurisprudence devait ultérieurement infléchir le principe posé par l'arrêt Lautour : dans l'arrêt Thinet (Civ. 24 janv. 1984 ; v. rubrique Documents), la Cour de cassation retient que s'il « est exact que la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi, et non sur celle qui l'invoque », il en va différemment en cas de « défaillance de la loi étrangère dans son contenu général, défaillance à laquelle le juge doit suppléer par application de la loi française, en raison de sa vocation subsidiaire ». Lorsque ni la mauvaise volonté, ni la négligence de l'auteur de prétention ne sont en cause, son incapacité à établir la
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L'application de la loi étrangère
teneur du droit étranger n'est pas sanctionnée par le rejet de sa prétention, mais conduit à appliquer le droit français en vertu de sa vocation subsidiaire.
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Au début des années 1990, la position de la jurisprudence pouvait donc se résumer ainsi : en matière de droits indisponibles, il appartient à celui qui émet une prétention soumise au droit étranger d'établir le contenu de ce droit, à défaut de quoi elle est rejetée ; de façon dérogatoire, le droit français doit néanmoins s'appliquer en lieu et place du droit étranger s'il existe une impossibilité d'établir la teneur de la loi étrangère. En matière de droits disponibles, la charge d'établir la teneur du droit étranger repose sur celui qui prétend que la mise en œuvre de ce droit conduirait à un résultat différent de celui atteint en application du droit français.
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En matière de droits indisponibles, la solution devait s'avérer difficilement tenable en l'état de l'obligation faite au juge, dès 1988 (arrêt Rebouh ; v. ss 145 s.), de mettre en œuvre la règle de conflit, au besoin d'office. Il n'était guère logique en effet de retenir tout à la fois que le juge avait l'obligation de relever l'applicabilité du droit étranger, mais qu'il pouvait se reposer sur les diligences (et la bonne volonté) des parties pour mettre concrètement en application ce droit étranger. La seule façon de garantir l'effectivité de la désignation du droit étranger par la règle de conflit ne pouvait être que de confier au juge le soin de mener le raisonnement à son terme et de lui imposer, ayant retenu l'applicabilité du droit étranger, de procéder à son application en en recherchant concrètement la teneur. Le pas a été finalement franchi en 1998 par l'arrêt Lavazza, la Cour de cassation y affirmant qu'« il incombe au juge qui applique une loi étrangère de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'État concerné » (Civ. 1re, 24 nov. 1998 ; v. rubrique Documents et v. déjà Civ. 1re, 1er juill. 1997, Driss Abou, Rev. crit. DIP 1988. 60, note P. Mayer). La charge d'établir le contenu du droit étranger désigné par la règle de conflit passait enfin, en matière de droits indisponibles, des parties au juge.
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Fallait-il opérer une évolution similaire en matière de droits disponibles ? Cela ne s'imposait pas avec la force de l'évidence. Il était en effet acquis, aux termes des jurisprudences Coveco-Mutuelles du Mans, que le juge n'a nulle obligation de mettre en œuvre la règle de conflit lorsque les droits en cause sont disponibles — le silence des parties pouvant s'interpréter comme l'exercice de la liberté qui leur est reconnue de s'accorder sur l'application du droit français alors même que la règle de conflit désigne un droit étranger. Il pouvait donc tout aussi bien être retenu que, lorsque la règle de conflit a effectivement été mise en œuvre à la demande des parties ou sur
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D'autre part, elle pouvait sembler injuste en ce qu'elle était de nature à inciter le défendeur à la prétention à soulever l'applicabilité du droit étranger à des fins purement dilatoires. Là encore, la jurisprudence devait proposer un palliatif. Dans l'arrêt Amerford (Com. 16 nov. 1993 ; v. rubrique Documents et v. déjà en ce sens Civ. 1re, 5 nov. 1991, Bull. civ. I, no 293 ; Rev. crit. DIP 1992. 357, note M.-A. Moreau), la Cour de cassation énonce une nouvelle règle applicable dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits : « il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, de démontrer l'existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu'il invoque, à défaut de quoi le droit français s'applique en vertu de sa vocation subsidiaire ».
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initiative du juge, il revient aux parties d'en établir le contenu. Plus précisément, on aurait pu considérer qu'il revient à la partie qui prétend que l'application du droit étranger conduirait à un résultat différent de celui obtenu par application du droit français d'en rapporter la preuve. Moralité, intellectuellement, rien n'imposait un revirement de la jurisprudence Amerford. Pour autant, la solution posée par l'arrêt Amerford n'était pas à l'abri de toute critique, notamment en raison de la faveur trop importante qu'elle professait pour l'application de la loi du for. Aussi la Cour de cassation devait-elle finalement décider d'aligner le régime procédural de la loi étrangère, en matière de droits disponibles, sur le régime défini pour les droits indisponibles (v. Civ. 1re, 18 déc. 2002, D & J Sporting, Rev. crit. DIP 2003. 86, note HMW ; 13 nov. 2003, Besnard, Rev. crit. DIP 2004. 95, note B. Ancel). La position de principe actuelle a été clairement énoncée par deux arrêts « jumeaux » rendus le 28 juin 2005, l'un en matière de droits indisponibles (arrêt Aubin, v. rubrique Documents), l'autre en matière de droits disponibles (arrêt Itraco, v. rubrique Documents) : « il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ». De ces arrêts, il ressort certes que l'obligation de rechercher la teneur du droit étranger repose principalement sur le juge, qui en a en toute hypothèse la responsabilité finale, mais également que le juge peut se satisfaire des éléments fournis par les parties, invitées à « concourir » à l'établissement de la teneur du droit étranger. Ce n'est donc que si les parties ont failli, ou si les éléments par elles rapportés paraissent insuffisants, que le juge devra prendre en charge le travail de recherche. Mais, ainsi que l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour de cassation depuis, il ne pourra pas se dérober à cette tâche en s’abritant derrière une incertitude, ou derrière la défaillance des parties (pour faire jouer le risque de la preuve). La jurisprudence a cependant précisé que, confronté à une véritable impossibilité d'établir la teneur du droit étranger, le juge peut, même en matière de droits indisponibles, appliquer la loi française qui conserve sa vocation subsidiaire (Civ. 1 re, 21 nov. 2006, Bull. civ. I, no 500 ; Rev. crit. DIP 2007. 575, note H. Muir Watt). Est-ce à dire que les instruments mis au service des parties et du juge pour découvrir la teneur du droit étranger ne sont pas toujours fiables ? C'est ce qu'il convient à présent d'apprécier en envisageant les modes d'établissement de la teneur du droit étranger.
B. Modes d'établissement de la teneur du droit étranger 245
On l'a vu, même si la charge d'établir la teneur du droit étranger repose finalement sur le juge, les parties sont invitées à concourir à cette recherche. Elles y ont en outre intérêt, pour tenter de convaincre le juge du bien-fondé de leurs prétentions : la teneur du droit étranger est usuellement l'objet d'un débat devant le juge, débat auquel les parties entendent participer en arrivant suffisamment « armées ». Parties et juge ne disposent cependant pas des mêmes outils dans leur recherche respective de la teneur du droit étranger.
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Les parties usent essentiellement, pour établir devant le juge français la teneur du droit étranger applicable, du certificat de coutumeQ. Le certificat de coutume est un document établi en langue française par les autorités (généralement consulaires ou
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L'application de la loi étrangère
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diplomatiques) étrangères, ou plus souvent par un spécialiste (professeur de droit, avocat) consulté à cet effet, aux fins de présenter l'état du droit positif étranger sur une question donnée. Le certificat de coutume émanant des autorités publiques étrangères est souvent jugé plus fiable que celui rédigé par un spécialiste, car il plane sur ce dernier — directement consulté et donc rémunéré par les parties — un soupçon de partialité ; mais la consultation « privée » est en revanche souvent plus précise et donc plus utile que celle offerte par les autorités publiques, qui se bornent usuellement à reproduire les textes en vigueur sans offrir de réel éclairage quant à leur sens réel et contextuel. Le juge a plus de latitude que les parties. Il peut, comme elle, recourir à un consultant extérieur dans le cadre d'une expertise. Mais il dispose également de voies institutionnelles pour accéder à la connaissance du droit étranger. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, une convention du 7 juin 1968 dans le domaine de l'information sur le droit étranger (en vigueur en France depuis 1972) prévoit la création dans chaque État signataire d'un organe chargé de traiter les demandes de renseignement émanant de l'étranger. Le juge peut donc en principe obtenir les informations nécessaires par l'intermédiaire de ce service de renseignement institutionnel ; l'expérience a toutefois révélé que ce canal était peu utilisé. Dans le cadre de l'UE, une décision no 2001/ 470/CE du 28 mai 2001 (mod. par Décis. n o 568/2009 du 18 juin 2009) relative à la création d'un réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale a institué ce réseau, destiné à faciliter la coopération judiciaire entre les États membres en matière civile et commerciale par la mise en place d'un système d'information pour les membres du réseau. Le juge peut là encore, pour accéder au contenu du droit d'un État membre de l'Union européenne, consulter un référent étranger. L'intérêt de ces systèmes, sous réserve d'un fonctionnement utile, est de permettre au juge, non seulement de se renseigner sur le contenu formel du droit étranger, mais aussi d'obtenir des informations sur la manière dont ce droit est concrètement mis en œuvre dans son pays d'origine. Car, confronté aux seules dispositions brutes du droit étranger, le juge du for est nécessairement contraint de l'interpréter, avec le risque que cette interprétation n'en méconnaisse le sens réel.
§
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2 Interprétation de la loi étrangère
En dépit de l'affirmation du caractère « juridique » de la loi étrangère, le régime qui lui est appliqué sur le terrain de l'interprétation n'est pas sans rappeler celui réservé aux stipulations contractuelles, qui ont une nature factuelle : l'interprétation de la loi étrangère est en effet soumise au pouvoir souverain des juges du fond (A), sous la seule limite d'un contrôle de dénaturation par la Cour de cassation, contrôle que cette dernière conçoit néanmoins de façon élargie (B).
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A. Pouvoir d'interprétation souverain des juges du fond L'interprétation est un processus intellectuel dont l'objet est de révéler le sens réel d'une règle ambiguë. L'ambiguïté peut résulter de l'obscurité intrinsèque de la règle, ou de son inadaptation aux circonstances dans lesquelles son application est requise. Le droit français recourt usuellement au processus d'interprétation face à deux types de normes : la norme juridique et la norme contractuelle. Alors que l'interprétation
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Droit international privé
de la norme juridique est confiée aux juges du fond sous le contrôle de la Cour de cassation, organe chargé de veiller à la bonne application de la loi et à son uniformité, l'interprétation de la norme contractuelle — factuelle — est, elle, confiée au seul pouvoir souverain des juges du fond. On aurait pu penser que l'affirmation de la nature juridique de la loi étrangère générerait la mise en œuvre d'un certain contrôle de la Cour de cassation sur son interprétation. Tel n'est pas l'état du droit positif. Aujourd'hui comme hier, les juges du fond interprètent souverainement la loi étrangère, comme ils le font des stipulations contractuelles.
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Encore faut-il mesurer le sens de cette affirmation. Le juge français n'est appelé à réellement interpréter le sens d'une règle de droit étrangère que lorsque ce sens n'est pas connu, lorsque la règle est entachée d'une réelle ambiguïté. En revanche, lorsque le sens de cette règle a déjà été clairement révélé dans l'ordre juridique étranger, par exemple par la jurisprudence étrangère, le juge français doit s'aligner sur cette interprétation dès lors qu'elle est connue de lui. Ainsi que l'expriment très clairement MM. Mayer et Heuzé, « lorsque l'on dit qu'il doit appliquer la loi étrangère désignée par la règle de conflit, il faut entendre le droit étranger dans sa totalité, solutions coutumières et jurisprudentielles comprises (…). Il ne saurait donc être question de lui confier un véritable pouvoir d'interprétation, lui permettant de se dégager lui-même de la règle à partir d'un texte de loi. Il doit se contenter de constater la teneur de la règle, telle qu'elle résulte de l'ensemble des sources étrangères du droit, et notamment de la jurisprudence » (op. cit., no 196). Ce n'est donc que dans l'hypothèse où le juge n'aurait à disposition qu'un texte « brut » du droit étranger, dissocié de toute interprétation par les autorités du pays d'origine, qu'il lui reviendrait de mettre personnellement en œuvre son pouvoir d'interprétation. Cette hypothèse devrait être d'autant plus rare que le juge doit dorénavant mettre personnellement en œuvre les diligences requises pour cerner le contenu du droit étranger ; il en ressort nécessairement, ainsi que l’a confirmé la Cour de cassation, que sa mission de recherche a pour objet, plus que l'identification du « texte sec » de la loi étrangère applicable au cas d'espèce dont il est saisi, la détermination du sens réel des dispositions de la loi étrangère pertinente (en ce sens : Civ. 1 re, 18 juin 2002, Rev. crit. DIP 2003. 87, note H. Muir Watt). Le juge doit rechercher la teneur du droit étranger, non de la loi étrangère (Com. 24 juin 2014, n o 10-27.648, D. 2014. 1451 et 2196, chron. J. Lecaroz, D. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon). Un mouvement de balancier devrait ainsi conduire, la charge du juge en termes de recherche du droit étranger croissant, à réduire ses fonctions d'interprétation de ce droit : plus sa recherche est précise et complète, moins l'interprétation s'avère nécessaire. La principale mission de la Cour de cassation serait alors de veiller à ce que le juge français exerce avec suffisamment de diligence sa mission de recherche de la teneur du droit étranger (en ce sens : Civ. 1re, 21 nov. 2006, Bull. civ. I, n o 500 ; Rev. crit. DIP 2007. 575, note H. Muir Watt), ce nouveau contrôle se combinant avec le contrôle traditionnel de dénaturation de la loi étrangère.
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B. Contrôle de dénaturation par la Cour de cassation 252
La solution est constante : « l'application que fait le juge du droit étranger, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au
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contrôle de la Cour de cassation » (Civ. 1 re, 16 mars 1999, Rev. crit. DIP 1999. 713, note H. Muir Watt). Derrière la double affirmation du pouvoir souverain des juges du fond et du contrôle de dénaturation mis en œuvre par la Cour de cassation, la formule révèle toutefois l'originalité de ce contrôle, lorsqu'il est mis en œuvre pour l'application du droit étranger. En droit interne, les juges du fond ne peuvent dénaturer qu'un écrit, et plus précisément encore un écrit dont les dispositions sont claires et dénuées de la moindre ambiguïté. Tout appel à l'interprétation, justifié par l'obscurité de la norme contractuelle ou plus largement de l'écrit « factuel » (rapport d'expertise, conclusions d'appel, élément de preuve), exclut nécessairement l'existence d'une dénaturation. La Cour de cassation retient ainsi qu'il ne peut y avoir dénaturation lorsque la solution est déduite d'une lecture combinée de plusieurs documents, car la multiplicité des sources rend l'interprétation — exclusive de la dénaturation — nécessaire.
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En droit international privé, la Cour de cassation a de la dénaturation une conception beaucoup plus large et compréhensive. La raison en est, on l'a vu, que la fonction du juge français est bien plus de « constater la teneur » du droit étranger, que d'en « imaginer la teneur » potentielle par recours à l'interprétation. Le « référent » au regard duquel la Cour de cassation exerce son contrôle de dénaturation est donc nécessairement beaucoup plus large : non seulement le juge français ne doit pas méconnaître le sens clair et précis de la règle de droit étrangère « sèche », mais encore et surtout il ne doit pas en méconnaître le sens clair et précis tel qu'il ressort de tout élément du droit étranger susceptible de l'éclairer sur la portée de la règle de droit étrangère. C'est ainsi que la Cour de cassation, d'un côté admet qu'un juge du fond français puisse s'éloigner du sens littéral de la règle de droit étrangère s'il justifie par référence à d'autres sources du droit positif étranger la pertinence de sa position (Civ. 1 re, 1er juill. 1997, Sté Africatours, Rev. crit. DIP 1998. 292, note H. Muir Watt ; JDI 1998. 98, note I. Barrière-Brousse), et de l'autre, censure pour dénaturation la décision de juges du fond qui auraient omis de prendre en compte l'interprétation d'une disposition du droit étranger déjà donnée par la jurisprudence étrangère (Civ. 1re, 14 févr. 2006, Brianti, Rev. crit. DIP 2006. 833, note S. Bollée). On comprend dans ces conditions que le contrôle de dénaturation mis en œuvre par la Cour de cassation se double d'un contrôle strict de motivation et d'un contrôle tout aussi strict de la suffisance des diligences mises en œuvre par le juge dans la recherche de la teneur du droit étranger. Il reste que, entre cette forme étendue de contrôle de la dénaturation, et le contrôle de l'interprétation, la frontière semble bien mince au point que, pour certains auteurs, « la distinction est trop fine pour être viable » (H. Muir Watt, note sous Civ. 1 re, 22 oct. et 17 déc. 2008, Rev. crit. DIP 2009. 53, spéc. 11).
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L'accueil que réserve l'ordre juridique du for à la loi étrangère, et sa neutralité à l'égard de cette dernière, n'équivaut pas à un blanc-seing. On ne peut exclure en effet que la loi étrangère consacre des solutions tellement hétérogènes par rapport aux nôtres qu'elle en devienne inadmissible. Par exemple, on n'imagine pas un instant, si de telles lois étaient encore applicables au XXI e siècle, donner effet à la disposition qui conférerait au pater familias un droit de vie et de mort sur ses enfants. Il existe certaines valeurs fondamentales que l'on juge absolument indérogeables, et que l'on désigne sous l'appellation d'ordre public internationalQ. Mais parce que ces valeurs sont fondamentales et qu'elles sont donc très généralement respectées — même si ce n'est pas partout —, le risque que des lois étrangères puissent les contrarier ne doit pas conduire à répudier systématiquement — en amont — l'application du droit étranger et la méthode conflictuelle. Il s'agit seulement de contrôler in concreto que l'application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit ne conduit pas à un résultat incompatible avec ces valeurs fondamentales pour, dans l'hypothèse rare où cela s'avérerait, exclure finalement l'application de cette loi. Le respect nécessaire de l'ordre public international conduit donc à mettre en œuvre un mécanisme d'exception, dont on précisera le fonctionnement (§ 2), non sans avoir au préalable défini le contenu de l'ordre public international français (§ 1).
§ 256
1 Le contenu de l'ordre public international français
L'un des nombreux apports de l'arrêt Lautour (Civ. 25 mai 1948 ; v. rubrique Documents) réside dans son approche de la notion d'ordre public international ; saisie de l'argument tiré du caractère impératif en droit français de l'article 1384 du Code civil, et présenté pour faire échec à l'application de la loi espagnole désignée par la règle de conflit (loi espagnole qui ne connaissait pas la responsabilité du fait des choses), la Cour de cassation rejette le moyen aux motifs que « l'ordre public interne français n'a[yant] à intervenir qu'au regard des choses utilisées en France au moment de l'accident, sous la seule réserve des principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue, principes non remis en cause en l'espèce ». Par ces motifs, la Haute juridiction française fait expressément ressortir le caractère spécifique (A) et relatif (B) de la notion d'ordre public international.
A. Une notion spécifique 257
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Refus d'application de la loi étrangère en considération de sa teneur : l'exception d'ordre public international
L'ordre public international doit être soigneusement distingué de l'ordre public interne, dont il n'épouse pas les contours. L'ordre public interneQ recouvre l'ensemble
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des dispositions qui revêtent, en droit français, un caractère impératif en ce sens que ceux qui s'y trouvent soumis ne peuvent en écarter l'application par convention ; il renvoie donc à la distinction traditionnelle entre règles supplétives de volonté, et règles impératives ou d'ordre public. Cet ordre public interne, aux termes de l'arrêt Lautour, ne s'impose toutefois que dans les situations qui n'entretiennent de liens qu'avec l'ordre juridique français. Dès lors que la situation considérée est internationale, c'est à l'ordre public international qu'il convient de recourir. Et l'ordre public international n'inclut pas toutes les dispositions impératives du droit interne. Il ne vise, selon la formule de l'arrêt Lautour, que les « principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue ». La beauté de la formule compense sans doute son imprécision ; l'ordre public international est une notion particulièrement fuyante, rétive à toute tentative de synthèse. Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que le contenu même de l'ordre public international soit une source fréquente de contentieux, seuls les juges étant à même de trancher définitivement le point de savoir si un principe ou une règle donné est susceptible d'intégrer l'ordre public international. En dépit des difficultés auxquelles se heurte l'entreprise de synthèse en la matière, la doctrine a fait œuvre utile en proposant une classification qui a au moins l'avantage de faciliter la présentation des solutions d'ores et déjà acquises en droit positif. Trois grandes « catégories » de principes peuvent être distinguées.
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La première catégorie, directement inspirée de la formule de l'arrêt Lautour, vise les valeurs jugées comme répondant à des exigences de droit naturel : principe de liberté individuelle, principe de non-discrimination en fonction de la race… La Cour de cassation en a fait une application remarquée en 2006, en mettant en lumière la triste réalité d'un cas de figure traditionnellement présenté à titre d'hypothèse d'école pour illustrer cette première catégorie. Elle a en effet, au nom de l'ordre public international, écarté l'application d'une loi étrangère invoquée au soutien de la validation d'un « contrat de travail » liant une salariée qui avait été placée au service d'un employeur britannique « sans manifestation personnelle de volonté » et qui avait été employée « dans des conditions ayant méconnu sa liberté individuelle » : placée par des membres de sa famille au service de son employeur, elle devait, contre une rémunération dérisoire, le suivre en tout lieu où il irait sans faculté de revenir dans son pays d'origine avant un certain temps (Soc. 10 mai 2006, Bull. civ. V, n o 168 ; JCP 2006. II. 10.121, note S. Bollée). Cette forme d'esclavage « moderne », serait-elle validée par la loi étrangère applicable au « contrat », est inadmissible et la loi qui la valide doit donc être écartée.
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La deuxième catégorie de principes et règles susceptibles d'être inclus dans l'ordre public international appréhende, selon la formule traditionnelle, les principes qui constituent « les fondements politiques, sociaux de la civilisation française », c'est‑àdire les valeurs qui, sans être nécessairement partagées par l'ensemble des nations, contribuent à la structuration de notre société. On évoque à cet égard la laïcité, l’égalité entre l’homme et la femme (non discrimination en considération du sexe), ou encore le droit de propriété. On pourrait s'attendre à trouver ici l'ensemble des principes qui revêtent en France une valeur constitutionnelle. L'expérience révèle toutefois que la jurisprudence reste attachée à une conception fonctionnelle de l'ordre public international. Peu important sa source constitutionnelle, une règle n'accède
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au statut de principe d'ordre public international que si, par son contenu, elle s'avère absolument indispensable au maintien de la cohérence de notre ordre juridique (v. ainsi l'arrêt écartant l'allégation de contrariété à l'ordre public international formée à l'encontre d'une décision étrangère ayant prétendument méconnu la règle constitutionnelle du déféré préfectoral : Civ. 1 re, 28 févr. 2006, Rev. crit. DIP 2006. 848, note M. Audit).
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Poreuse est la frontière entre la deuxième catégorie, qui vient d'être présentée, et la troisième qui réunit les dispositions dont l'objectif est, selon la formule de Batiffol et Lagarde (op. cit., no 363), la « sauvegarde de certaines politiques législatives ». Comme précédemment, il s'agit d'identifier des principes ou des règles dont le respect est jugé essentiel pour l'organisation de notre société. La distinction repose essentiellement sur l'idée que les fondements de la civilisation française sont en quelque sorte des acquis, alors que les règles visant à la sauvegarde des politiques législatives seraient données, pour ne pas dire imposées par le législateur dans une optique volontariste. Il s'agirait donc moins de constater qu'un principe est fondamental, que d'affirmer, au besoin contre l'opinion dominante, sa valeur supérieure (en ce sens, P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 205, qui soulignent que c’est « parce que le législateur a voulu imposer une solution qui n’est pas acceptée sans résistance que le juge doit œuvrer pour que son respect soit général ») ; on pourra voir une telle volonté dans l’utilisation faite par la Cour de cassation de l’exception d’ordre public pour protéger la règle formulée par l’alinéa 2 du récent article 202-1 du Code civil, consacrant la validité du mariage entre personnes de même sexe (Civ. 1 re, 28 janvier 2015, no 13-50.059, D. 2015. 464, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. JaultSeseke ; ibid. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2015. 172, obs. A. Boiché ; ibid. 71, point de vue B. Haftel ; RTD civ. 2015. 91, obs. P. Puig ; ibid. 343, obs. L. Usunier ; ibid. 359, obs. J. Hauser ; Rev. crit. DIP. 2015. 400, obs. D. Boden, S. Bollée et B. Haftel, P. Hammje, P. de Vareilles-Sommières ; et v. ss 683). Ainsi défini, le contenu de cette catégorie entretient des affinités évidentes avec la catégorie des lois de police (v. ss 168 s.), dont le mécanisme d'application est pourtant très différent, puisqu'il évince la mise en œuvre de la méthode conflictuelle alors que l'exception d'ordre public internationalQ est partie intégrante du raisonnement conflictuel. Il existe par exemple en France une politique législative qui vise à protéger les consommateurs qui concluent certains contrats avec des professionnels ; on pourrait en déduire que la protection des consommateurs relève de l'ordre public international, et écarter l'application de toute loi étrangère qui n'instituerait pas une telle protection ou plus précisément qui n'instituerait pas une protection équivalente à celle offerte par le droit français. Pourtant, on l'a vu, la jurisprudence n'a pas hésité à qualifier certaines dispositions législatives en la matière de « lois de police ». Sans doute, ordre public international et lois de police ne doivent pas être confondus ; on ne peut néanmoins s'empêcher de penser, à l'examen de la jurisprudence, que ces deux notions présentent souvent pour les juges une équivalence fonctionnelle, qui les conduit à recourir à l'une, ou à l'autre, en fonction des circonstances factuelles, procédurales et juridiques dans lesquelles se présente l'espèce dont ils sont saisis (v. par ex., retenant une forme d'équivalence : P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., n o 216 ; contra Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, op. cit., no 380).
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Les deux dernières catégories présentées établissent en tout cas que la conception que se fait l'ordre juridique français des principes à caractère fondamental est
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B. Une notion relative
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primordiale. L'ordre public international, s'il se distingue de l'ordre public interne français, n'en est pas moins étroitement conçu en corrélation avec les valeurs qui cimentent notre ordre juridique. Il s'agit d'une notion relative.
La relativité de l'ordre public est double, car elle s'entend dans l'espace (1) et dans le temps (2).
1. Relativité dans l'espace
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Dans l'arrêt Lautour (v. rubrique Documents), la Cour de cassation vise les principes « considérés dans l'opinion française » comme doués d'une valeur absolue. La précision est importante, et elle explique que le droit international privé français ne se réfère pas simplement à l'ordre public international, mais à l'ordre public international français ou à la conception française de l'ordre public international. C'est que l'ordre public international traduit la représentation des valeurs fondamentales que se fait, à un moment donné, un ordre juridique particulier ; on sait ainsi que l’égalité des sexes est regardée comme un principe fondamental dans les civilisations dites « occidentales », alors qu'elle n'en est pas un dans de nombreux pays musulmans obéissant à la loi coranique. Ainsi, lorsque le juge français envisage l'ordre public international, il le fait en s'interrogeant sur le contenu de cette notion en France. Cela ne signifie pas, évidemment, que l’élaboration du contenu de l’ordre public international français est purement nationale. Elle subit en réalité des influences multiples.
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La plus remarquable contribution à la définition de notre ordre public international est évidemment celle de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui lie notre pays à un double titre : en tant qu'État signataire de la convention, tout d'abord, et en tant qu'État membre de l'Union européenne, ensuite, puisque la Cour de justice de l'Union européenne a considéré qu'il lui appartenait de veiller au respect des principes issus de la convention par les États membres (v. par ex., CJCE 28 mars 2000, Krombach, Rev. crit. DIP 2000. 481, note H. Muir Watt). Les principes posés par cette convention, tel le principe de l'égalité des sexes, celui du respect du droit de propriété ou du droit à un procès équitable, appartiennent tous à notre ordre public international. Surtout, les conséquences qu’attache la Cour européenne des droits de l'Homme à ces principes façonnent et précisent désormais l’ordre public international français (pour une illustration : CEDH 16 juin 2011, n o 19535/08, Pascaud c/ France, D. 2012. 1229, obs. H. GaudemetTallon ; F. Jault-Seseke, D. 2011. 1758 : une loi interdisant l'établissement de la filiation biologique est contraire à l'ordre public international). Cette confrontation ne va pas sans heurts, notamment lorsque certains principes traditionnellement consacrés en France pour leur caractère fondamental se trouvent remis en cause par la Cour EDH, aux motifs qu’ils heurtent d’autres principes qu’elle juge plus fondamentaux. Les récents développements en matière de filiation issue de la gestation pour autrui en fournissent une belle illustration. Le droit français considère, pour des raisons parfaitement légitimes d’indisponibilité de l’état et surtout d’indisponibilité du corps humain, que les conventions de mères porteuses sont contraires à l’ordre public international français. Certains couples français ont contourné l’interdiction de la GPA en France en y recourant à l’étranger ; ils se sont ensuite prévalus du lien de filiation établi à l’étranger en France, où ils ont demandé qu’il soit
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reconnu. La Cour de cassation a dans un premier temps considéré que la reconnaissance de ce lien de filiation ne pouvait qu’être refusée, en raison de la contrariété à l’ordre public international et/ou du caractère frauduleux du processus d’ensemble ayant conduit à son établissement (not. Civ. 1re, 19 mars 2014, no 13-50.005, Rev. crit. DIP 2014. 619, note S. Bollée ; et les comm. cités). Mais par deux arrêts Mennesson et Labassée du 26 juin 2014 (rubrique Documents), la Cour EDH a condamné cette position en affirmant qu’« interdire totalement l’établissement du lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés de la gestation pour autrui à l’étranger est contraire au droit des enfants au respect de leur vie privée au sens de l’article 8 » de la CEDH. La décision ne dit certes pas formellement que la France ne peut maintenir son principe d’ordre public international français prohibant les conventions de mères porteuses. Mais elle interdit bien indirectement à la France de sanctionner cette contrariété à l’ordre public international (ou cette fraude) par le refus de reconnaissance du lien de filiation, au moins à l’égard du père qui était en l’espèce le père biologique (la décision ne dit rien de la solution qui devrait s’appliquer à l’égard de la mère qui n’est pas la mère biologique). La Cour de cassation ne pouvait dès lors que s’aligner sur la position de la Cour européenne. Elle l’a fait en construisant, sur la base de l’article 47 du Code civil, un régime qui distingue selon la situation des parents d’intention. Lorsque le père d’intention est le père biologique de l’enfant, la transcription en France de l’acte d’état civil étranger faisant état de la filiation paternelle doit être admise dès lors que l’acte étranger n’est ni irrégulier, ni falsifié, et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, la circonstance d’un recours à la GPA ne pouvant y faire obstacle (Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, n o 1550002 et n o 14-21.323, D. 2015. 1819, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, Rev. crit. DIP 2015. 885). La mère d’intention, en revanche, est privée de la possibilité de faire constater son lien avec l’enfant car l’acte d’état civil étranger qui constate la filiation maternelle déclare des faits ne correspondant pas à la réalité. Pour la Cour de cassation en effet, la réalité s’entend, s’agissant de la mère, de la réalité de l’accouchement et non de « celle qui existe juridiquement au jour où l'acte de naissance étranger est dressé ». Pour la Haute juridiction, ce refus de transcription « poursuit un but légitime en ce qu'il tend à la protection de l'enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil », et n’est ni discriminatoire ni disproportionné au regard de ce but légitime, puisque : 1) l’enfant peut se voir délivrer un certificat de nationalité et être accueilli dans le foyer de ses « parents » ; 2) la filiation paternelle peut être établie et transcrite ; 3) l’enfant peut être le cas échéant adopté par l’épouse de son père, sa mère d’intention. Car si la Cour de cassation refuse la transcription de la filiation maternelle en France, elle considère en revanche que le recours à la GPA à l’étranger ne fait pas obstacle à l’adoption par la mère d’intention de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont remplies et l’intérêt supérieur de l’enfant respecté. La même possibilité est offerte aux couples de même sexe (Civ. 1 re, 5 juill. 2017, no 1616901, no 16-16495, no 15-28597, et no 16-16.455 (pour les couples de même sexe), D. 2018. 969, obs. S. Clavel). Les contours de l’ordre public international français sont également définis, au moins partiellement, par le droit de l’Union européenne. A priori, le droit de l’UE semble pourtant peu enclin à intervenir en la matière. Lorsque les règlements européens se réfèrent à l’ordre public international, ils visent par là la notion telle qu’elle est définie par chaque État membre. Mais la CJUE a marqué, en matière de conflits de
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juridictions, sa volonté de contrôler la façon dont les États membres définissent le contenu de leur ordre public, notamment pour éviter qu’une définition trop extensive ne prive les règlements de leur effet utile (v. ss 451), et cette position est très certainement transposable au conflit de lois. Par ailleurs, il est permis de considérer qu’il existe un « ordre public de l’Union européenne », c’est‑à-dire des principes ou des règles du droit de l’Union qui sont des dispositions d’ordre public. On peut y ranger, en premier lieu, les droits consacrés par la Charte des droits fondamentaux. La CJUE a également qualifié de dispositions d’ordre public les règles du droit européen de la concurrence (CJCE, 1 er juin 1999, Eco Swiss, aff. C-136/97) ou certaines règles protectrices des consommateurs (CJUE 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, aff. C488/11). Il est à noter que cette jurisprudence participe à la confusion fonctionnelle entre ordre public et lois de police. En toute hypothèse, les principes d’ordre public de l’Union européenne se retrouvent nécessairement dans l’ordre public international des États membres. Il faut également compter, pour la définition de l’ordre public international français, avec l’ordre public dit « réellement international », en ce sens qu'il recouvre des valeurs qui sont ou devraient être unanimement considérées comme essentielles et indérogeables par l'ensemble des nations. Le droit international public a progressivement admis que certains droits fondamentaux de la personne peuvent relever du jus cogens, ce droit tellement impératif que les États ne sauraient, même d'un commun accord, y déroger. La difficulté tient ici à l'identification précise de ces valeurs fondamentales absolues. En l'absence de véritable jurisprudence internationale sur ce point, les juges étatiques peuvent entreprendre de les dégager, mais leur entreprise s'expose au risque d'être influencée par leur propre conception des valeurs. Les arbitres sont également en position, dans les domaines arbitrables, d'identifier pour l'appliquer un ordre public réellement international. La pratique arbitrale s'y est ainsi parfois référée pour consacrer l'interdiction de la corruption ou la prohibition du trafic de drogue.
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Ainsi, si l'ordre juridique français ne se réfère usuellement qu'à l'ordre public international français, cette notion n'en traduit pas moins, au moins partiellement, une communauté de valeurs qui dépasse souvent le strict cadre national. L'ordre public international français combine des principes dont la valeur fondamentale est internationalement reconnue (par exemple la prohibition de l'esclavage et du travail forcé), et des principes dont le caractère essentiel est plus particulièrement retenu par notre région (Union européenne et Europe) ou par notre pays même s'il ne l'est pas de façon universelle (par exemple l’égalité des sexes emportant prohibition de la polygamie et de la répudiation). L’intégration dans l’ordre public international français de valeurs consacrées en dehors de l’ordre juridique français peut encore trouver une illustration dans l’expression de ce que certains ont qualifié d’effet réflexeQ de l’ordre public international (v. not. M.-L. Niboyet, G. Geouffre de la Pradelle, op. cit., no 383). Cet effet réflexe impliquerait la protection, par l’ordre juridique français, de valeurs jugées fondamentales par un ordre juridique étranger. De prime abord, cette approche est déstabilisante. Elle suppose en premier lieu, nécessairement, que les valeurs étrangères protégées soient compatibles avec les valeurs du for. Plus encore, elle suppose sans doute que le for trouve, dans la consécration de cet effet réflexe, un instrument pour conforter la fermeté de son propre principe fondamental. On pourrait ainsi voir une illustration de cet effet
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2. Relativité dans le temps
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réflexe en matière de mariage entre personnes de même sexe. La Cour de cassation a en effet considéré que l’alinéa 2 de l’article 202-1 du Code civil est d’ordre public international, en ce qu’il valide le mariage entre personne de même sexe « lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet » (Civ. 1re, 28 janvier 2015, préc., v. ss 261) ; une loi étrangère refusant le mariage entre personnes de même sexe pourrait donc être écartée en raison de sa contrariété à l’ordre public au motif qu’une loi étrangère – celle de la nationalité ou du domicile de l’un des époux – valide une telle union.
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Parce qu'il renvoie à la conception que se fait un ordre juridique, à un moment donné, des valeurs fondamentales, l'ordre public international a nécessairement un contenu variable. L'égalité de l'homme et de la femme, aujourd'hui érigée au rang de principe d'ordre public international, n'était certainement pas conçue comme tel au e XIX siècle. De la même façon, le traitement français de la faculté offerte aux époux de relâcher le lien conjugal a très souvent varié avant d'atteindre son état actuel. Plus récemment, la consécration législative du mariage entre personnes de même sexe a fait radicalement basculer le droit français, d’une situation où le mariage « homosexuel » était considéré comme contraire à l’ordre public international, à une situation où les lois étrangères qui prohibent le mariage entre personnes de même sexe encourent un risque important – selon les circonstances – de se voir juger contraires à l’ordre public international. Ainsi, non seulement la conception de l'ordre public international change dans l'espace, puisque tous les États n'en ont pas la même approche, mais elle se modifie également, au sein d'un même État, dans le temps.
270
Cette évolution temporelle conduit à s'interroger sur le moment auquel il convient de se placer pour apprécier la conformité d'une loi ou d'une situation à l'ordre public international. Le droit international privé français retient à cet égard un principe d'actualité de l'ordre public internationalQ, qui conduit le juge français à toujours prendre en considération, dans son appréciation de la conformité à l'ordre public, le contenu de cette notion au jour où il statue. Le caractère particulièrement fondamental des dispositions d'ordre public international justifie qu'il soit toujours fait une application immédiate de l'ordre public international nouveau. On le comprendra mieux une fois présentées les modalités précises de fonctionnement de l'exception d'ordre public international.
§
271
2 Le fonctionnement de l'exception de contrariété à l'ordre public international
L'ordre public international fonctionne selon un mécanisme d'exception (A) dont l'application est circonstanciée (B).
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L'application de la loi étrangère
A. Un mécanisme d'exception 272
Le contrôle de la conformité à l'ordre public international n'intervient donc qu'a posteriori, une fois la loi étrangère compétente désignée et appliquée. Il est important d'observer que ce contrôle s'opère in concreto : le point n'est pas de savoir si, dans son contenu abstrait, la loi étrangère heurte l'ordre public international français, mais si dans son application à l'espèce considérée elle conduit à un résultat incompatible avec cet ordre public. Bien sûr, parfois, contrariété in abstracto et contrariété in concreto se conjuguent : une loi admettant le principe de l'esclavage est abstraitement contraire au droit naturel, et elle l'est aussi par son effet concret de validation d'un « contrat » par lequel une personne se lierait indéfiniment à en servir une autre moyennant une rémunération dérisoire. Mais cette convergence n'est pas systématique. Une loi étrangère acceptable in abstracto peut conduire à un résultat inacceptable in concreto (et inversement) ; c’est le cas par exemple des lois étrangères qui ne connaissent pas la réserve héréditaire en matière de succession, lorsque cette privation place les descendants en situation de précarité économique (v. ss 837).
273
Lorsque l'application de la loi étrangère conduit à un résultat incompatible avec la conception française de l'ordre public international, le juge français doit renoncer à l'application de cette loi. Il n'en doit pas moins trancher le litige, et confronté à la défaillance substantielle de la loi étrangère, il n'a guère d'autre option que celle de faire appel à la loi française, en vertu de sa vocation subsidiaire. Encore doit-il limiter l'étendue de la substitution au strict nécessaire, puisque l'ordre public international ne déclenche qu'un mécanisme d'exception. Ainsi, lorsque plusieurs dispositions de la loi étrangère doivent s'appliquer à une même situation internationale, et que l'une d'entre elles présente seule une contrariété à l'ordre public, la loi française ne devrait se substituer qu'à cette seule disposition. Mais c'est alors la combinaison des dispositions issues de la loi étrangère et de celle issue de la loi française qui est de nature à susciter des difficultés (v. ss 284 s.).
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Le terme d'« exception » indique que l'intervention de l'ordre public international ne joue que pour faire ponctuellement échec à l'application d'une loi étrangère dont la compétence de principe n'est pas remise en cause. L'exception d'ordre public international fait partie intégrante de la mise en œuvre de la méthode conflictuelle. Ce n'est qu'une fois que le juge a suivi l'ensemble des étapes précédemment étudiées — qualification, sélection et application de la règle de conflit, recherche du contenu de la loi étrangère et application de ses dispositions — qu'il lui revient, dans le cadre d'un dernier contrôle, de vérifier que le résultat auquel le conduit l'application de la loi étrangère ne heurte pas excessivement les conceptions du for.
B. Une application circonstanciée L'ordre public international tend principalement, eu égard à son contenu, à maintenir une certaine cohérence dans l'ordre juridique du for ; il n'est pas souhaitable que sur le même territoire coexistent des couples qui seraient contraints — parce que leur statut personnel le prévoit — au respect de la monogamie, tandis que d'autres pourraient — parce que leur statut personnel les y autorise — contracter des unions polygamiques. Pour des raisons culturelles, la France a tranché en faveur de la monogamie, et les couples installés en France doivent se tenir à ce principe. Mais faut-il imposer la même rigueur à un couple qui vit habituellement dans un pays qui
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reconnaît la polygamie, et qui pour des raisons fortuites sollicite des juridictions françaises la reconnaissance de la validité de l'union ? On le comprend, la force avec laquelle le respect de l'ordre public international s'impose dépend de l'étroitesse des liens qu'entretient la situation juridique avec le for. Si ces liens sont lâches, les exigences imposées au titre de l'ordre public peuvent être assouplies ; c'est l'effet atténué de l'ordre public (1). Si au contraire ces liens sont étroits, les exigences imposées au titre de l'ordre public peuvent être renforcées ; c'est l'ordre public de proximité (2).
1. L'effet atténué de l'ordre public 276
Il est revenu à l'arrêt Rivière (Civ. 1re, 17 avr. 1953, v. rubrique Documents) de consacrer la règle de l'effet atténué de l'ordre publicQ, même si cette règle est en réalité « l'aboutissement d'une longue évolution » (B. Ancel, Y. Lequette, GADIP, no 26, § 1). Interrogée sur la possibilité de reconnaître le divorce par consentement mutuel de deux époux franco-russes, intervenu à l'étranger en application de la loi alors compétente, à un moment où l'ordre public international français faisait obstacle à ce type de dissolution du lien conjugal, la Cour de cassation, pour admettre la validité de ce divorce, pose pour la première fois la formule qui devait devenir traditionnelle, selon laquelle « la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger, et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ». Ainsi se trouvait concrétisée l'idée, déjà discutée en doctrine, qu'une situation qui s'est régulièrement constituée sans fraude à l'étranger peut être reconnue en France même si elle n'aurait pu y être directement consacrée pour des raisons d'ordre public. L'arrêt Rivière (v. rubrique Documents) aborde certes l'exception de contrariété à l'ordre public sous l'angle de la reconnaissance des décisions de justice étrangères, ici le jugement de divorce. Mais la jurisprudence devait ultérieurement confirmer, notamment par l'arrêt Bendeddouche (v. rubrique Documents), le jeu de l'effet atténué de l'ordre public dans le domaine du pur conflit de lois, en reconnaissant la validité d'un mariage polygamique célébré à l'étranger par application de la loi étrangère compétente, nonobstant la contrariété de la polygamie à l'ordre public international français. Depuis lors, l'application de la règle a été constante (pour une application récente en matière de polygamie, v. Civ. 2e, 2 mai 2007, no 06-11.418, calqué sur l'arrêt Bendeddouche). La règle de l'effet atténué de l'ordre public suscite trois remarques.
277
La première a trait aux conditions qui entourent sa mise en œuvre, au nombre de trois. Pour bénéficier de l'effet atténué de l'ordre public, il importe que les droits revendiqués aient déjà été acquis à l'étranger, qu'ils l'aient été en application de la loi normalement compétente en vertu des règles de conflit françaises, et enfin qu'ils l'aient été sans fraude.
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La deuxième conduit à s'interroger sur l'ampleur de la dérogation au jeu de l'exception d'ordre public qu'autorise la règle de l'effet atténué : tous les principes d'ordre public international peuvent-ils au même titre être évincés par cette règle ? La réponse doit être négative. L'individu qui solliciterait en France l'exécution d'un contrat, régulièrement conclu à l'étranger en application de la loi compétente, et dont l'objet serait de réduire un être humain à l'esclavage, ne pourrait évidemment
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profiter du bénéfice de l'effet atténué de l'ordre public. Le concept même de « l'effet atténué de l'ordre public » repose sur l'idée que certains principes, conçus comme essentiels dans la société française, peuvent légitimement ne pas être regardés comme tels à l'étranger et qu'il convient de professer une certaine tolérance à l'égard de ces cultures étrangères. Ainsi, il est admis que le principe d'égalité entre filiation naturelle et filiation légitime, reconnu en France, puisse ne pas l'être dans tous les ordres juridiques ; de même, on conçoit que la monogamie, considérée comme une valeur fondamentale de la société française, ne soit pas perçue comme essentielle dans tous les pays. Au regard de ces exemples, on comprend le critère de distinction entre situations pouvant donner lieu au jeu de l'effet atténué de l'ordre public, et situations purement et simplement inadmissibles : seuls les principes qui traduisent une conception des valeurs fondamentales que l'on peut considérer comme propre au droit français jouissent de l'effet atténué de l'ordre public, puisque l'éloignement de la situation considérée par rapport à l'ordre juridique français peut alors justifier l'éclipse de nos exigences ; en revanche, les principes de droit naturel, les principes tellement essentiels que toutes les nations devraient s'y tenir en considération d'un ordre public réellement international, sont absolument indérogeables, et l'absence de lien avec la France est sans emport sur la mise en œuvre de l'exception d'ordre public puisque, même à l'étranger, ces principes supérieurs auraient dû être respectés. L'analyse fournit les clés d'une discussion doctrinale fournie, sur le point de savoir si l'origine conventionnelle d'un principe fondamental impose son application systématique et interdit la mise en œuvre de l'effet atténué de l'ordre public. La question a été posée, en particulier, s'agissant de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. Or la question qu'il convient de se poser ici est simple : la seule consécration d'un principe par la CEDH suffit-elle à ériger celui-ci au rang de principe de droit naturel indérogeable ? On peut légitimement douter que la réponse doive être positive ; certains principes conventionnels sont des principes de droit naturel, d'autres sont bien plus des principes « régionaux » auxquels les États signataires de la convention ont accepté de se soumettre, mais auxquels d'autres États peuvent légitimement choisir de ne pas adhérer. L'analyse devrait donc toujours être menée, non pas en fonction de la source du principe, mais en fonction de sa teneur. La troisième et dernière remarque nous conduit à nous interroger sur les liens entre la situation constituée à l'étranger, et la France. En effet, le fait qu'une situation se soit constituée à l'étranger, même conformément à la loi applicable, ne suffit pas à exclure que cette situation puisse entretenir un lien tel avec la France que celle-ci puisse vouloir faire jouer sa conception de l'ordre public international. On peut en prendre pour illustration le cas d'un couple algérien, dont le mariage a été célébré en Algérie avant que les époux ne viennent fixer leur résidence en France. De nombreuses années plus tard, le mari décide de prendre une seconde épouse en Algérie. Le second mariage, polygamique, est célébré en Algérie conformément aux lois nationales du mari, de la seconde épouse mais également de la première épouse ; il est donc a priori parfaitement régulier. Ne pourrait-on pourtant considérer que la première épouse, en dépit de sa nationalité algérienne, peut prétendre à la protection instaurée par l'ordre public international français dès lors que le couple réside habituellement en France depuis de nombreuses années ? C'est pour réintroduire ces considérations tirées des liens de la situation constituée à l'étranger avec l'ordre juridique du for qu'est apparu le concept d'« ordre public de proximité ».
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Droit international privé
2. L'ordre public de proximité Si l'effet atténué de l'ordre public permet de ne pas sanctionner la violation de certains principes dont le caractère d'ordre public est avéré, l'ordre public de proximitéQ tend au contraire à renforcer les exigences de l'ordre public international dans les situations qui entretiennent des liens étroits avec le for. Des principes qui ne sont pas in abstracto considérés comme d'ordre public international peuvent néanmoins s'imposer comme tels, pour la seule raison que la situation entretient des liens de proximité avec la France. Ainsi, si la prohibition de toute dissolution du lien conjugal par l'effet d'un divorce n'est pas en elle-même contraire à l'ordre public international, elle le devient lorsque l'un des époux est français. Or il peut sembler curieux, voire irrationnel, qu'un même droit puisse être regardé tantôt comme relevant de l'ordre public, et tantôt pas.
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La particularité de cette approche a conduit à d’importants débats en doctrine, relatifs à la nature de l’ordre public de proximité. Certains ont proposé d’y voir un mécanisme proche des lois d'application nécessaire, un mécanisme de rattachement, en vertu duquel le rattachement d'un individu à la France, soit par sa nationalité, soit par sa résidence, l'autoriserait à revendiquer directement certains droits en application de la loi française, et ce par dérogation à la loi normalement désignée par la règle de conflit. D'autres auteurs considèrent au contraire que l'ordre public de proximité relève bien de l'ordre public international. Il traduirait alors le dépassement du critère tiré du lieu de constitution de la situation juridique (mis en œuvre pour le jeu de l'effet atténué de l'ordre public) par celui des liens de la situation avec le for : toute situation présentant des liens avec la France, qu'elle se soit constituée sur le territoire français ou en dehors, devrait être soumise aux mêmes exigences d'ordre public. Il révélerait également un certain « relativisme des valeurs », en imposant une hiérarchisation entre les droits fondamentaux : seuls les droits d'ordre public « réellement international » pourraient être imposés à ou par tous, tandis que les droits d'ordre public international « régional » n'auraient vocation à s'appliquer qu'en présence d'un lien suffisant avec la région concernée. D'autres auteurs finalement réunissent ces deux thèses en retenant que derrière le mécanisme de l'ordre public de proximité se cache tantôt un mécanisme de rattachement direct à l'ordre juridique français, tantôt une réelle forme d'exception d'ordre public international destinée à neutraliser l'effet atténué de l'ordre public. À ces hésitations propres à la nature du mécanisme, s'ajoutent également des incertitudes relatives à son domaine d'application et au critère de proximité sur lequel il repose, que révèle un rapide panorama de jurisprudence.
282
Le domaine d'application de l'ordre public de proximité ne semble pas extensible. Il en a été fait application par la jurisprudence dans les relations de couple, en matière de divorce (Civ. 1 re, 1er avr. 1981, De Pedro ; v. rubrique Documents, retenant le droit pour le Français résidant en France d'obtenir le divorce en application de la loi française, nonobstant la compétence d'un droit étranger prohibant le divorce), de validité du mariage polygamique (Civ. 1 re, 6 juill. 1988, Baaziz, Rev. crit. DIP 1989. 71, note Y. Lequette, retenant le droit pour la première épouse française de se prévaloir de la protection de l'ordre public contre une seconde union valablement contractée par son époux à l'étranger), de répudiation (Civ. 1 re, 17 févr. 2004, GADIP, no 64 ; Rev. crit. DIP 2004. 423, note P. Hammje ; JDI 2004. 1200, note L. Gannagé ; retenant la contrariété à l'ordre public de la répudiation régulièrement prononcée à l'étranger
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entre deux époux de nationalité étrangère, résidant en France). Il est également possible de voir une illustration de l’ordre public de proximité, quoique sous une forme tout à fait originale, dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation en matière de mariage entre personnes de même sexe (Civ. 1 re, 28 janv. 2015, préc.). L’article 202-1 al. 2 du Code civil pose une règle matérielle – la validité du mariage entre personnes de même sexe – pouvant déroger à l’application de la loi normalement applicable (loi nationale des époux) dès lors qu’il existe un rattachement (nationalité ou domicile ou résidence de l’un des époux) avec la France ou avec tout autre pays validant ce mariage (« effet réflexe », v. ss 268). La Cour de cassation juge cette règle d’ordre public international pour justifier l’éviction d’une loi étrangère pourtant désignée par une convention internationale liant la France ; mais cet ordre public ne joue à l’évidence que si les conditions d’application de l’article 202-1 al. 2 sont remplies, donc s’il existe un lien avec la France (ou un autre pays permissif). L’ordre public de proximité joue également un rôle en matière de filiation. Le législateur l'a consacré en matière d'adoption (C. civ., art. 370-3, al. 2 dérogeant au principe d'interdiction d'adoption d'un enfant de statut personnel prohibitif lorsque cet enfant est né en France et y réside habituellement). La jurisprudence l’a mis en œuvre, quant à elle, en matière d'établissement de la filiation naturelle, pour reconnaître à l'enfant français ou résidant en France le droit d'établir sa filiation naturelle quoique la loi étrangère compétente ne l'y autorise pas, à une époque où ce droit n'était pas considéré comme relevant de l'ordre public international français (Civ. 1 re, 10 févr. 1993, Latouz, Rev. crit. DIP 1993. 620, note J. Foyer ; JDI 1994. 124, note I. Barrière-Brousse). La Cour de cassation a toutefois rendu depuis deux décisions qui conduisent à s’interroger sur la pérennité du jeu de l’ordre public de proximité en la matière, puisqu’elles paraissent consacrer la contrariété pure et simple, à l'ordre public international, des lois étrangères prohibant l'établissement de la filiation naturelle, sans condition de lien avec la France (Civ. 1re, 26 oct. 2011, no 09-71.369, D. 2012. 1230, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; JDI 2012. 179, note J. Guillaumé ; Civ. 1 re, 27 sept. 2017, n o 16-19.654, D. 2018. 967, obs. S. Clavel, JCP 2017. 1311, note E. Gallant). La portée de ces décisions reste cependant discutée (v. obs. S. Clavel et note E. Gallant, préc.). On le voit, les principales applications de l'ordre public de proximité concernent le statut personnel et familial. La Cour de cassation a expressément refusé de faire jouer l'ordre public de proximité en matière délictuelle, à l'encontre de lois étrangères moins protectrices des victimes d'accidents de la circulation, pourtant françaises et domiciliées en France (Civ. 1 re, 4 avr. 1991, JDI 1991. 981, note G. Légier). Une partie de la doctrine considère donc que l'ordre public de proximité ne pourrait jouer qu'en matière de statut personnel, arguant du fait que le critère généralement retenu de la proximité — la nationalité ou le cas échéant le domicile — ne serait véritablement pertinent qu'en ce seul domaine. Pourtant, si les liens avec la France justifient la mise en œuvre de l'ordre public de proximité, le jeu devrait en être admis en toute matière, dès lors que les liens existent, sauf à en adapter le critère. Or précisément, ce critère de proximité, déclencheur du mécanisme, n'a pas été clairement défini par la jurisprudence, à moins qu'il ne faille considérer que ce critère est variable en fonction de l'objet de la situation litigieuse. Pour décider qu'une loi étrangère prohibant le divorce est contraire à l'ordre public de proximité, la jurisprudence paraît exiger cumulativement que l'un des époux soit français et réside en France (Civ. 1re, 1er avr. 1981, De Pedro, v. rubrique Documents ; v. aussi
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Droit international privé
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très net : Paris, 23 sept. 1988, D. 1988. IR 252) ; en revanche, pour offrir à la première épouse du polygame la protection de l'ordre public international français (Civ. 1 re, 6 juill. 1988, Baaziz, préc.), à un enfant le droit d'établir sa filiation naturelle (Civ. 1re, 10 févr. 1993, Latouz, préc.), à l'épouse répudiée le droit de s'opposer à cette répudiation (Civ. 1 re, 17 févr. 2004, préc.), la jurisprudence s'est satisfaite d'un critère alternatif, fondé soit sur la nationalité française de l'intéressé, soit sur sa résidence en France. Elle a en revanche refusé à deux époux marocains, qui demandaient à pouvoir adopter leur nièce marocaine, le bénéfice du jeu de l'ordre public de proximité pour écarter la loi marocaine qui prohibait cette adoption, alors même que l'enfant résidait en France (l'espèce considérée est antérieure à l'entrée en vigueur de l'art. 370-3 C. civ. préc. ; Civ. 1 re, 19 oct. 1999, JDI 2000. 737, note F. Monéger). L'examen de cette jurisprudence donne à penser que, loin de reposer sur une distribution claire des rôles entre critère de la nationalité et critère du domicile ou de la résidence, le jeu de l'ordre public de proximité renvoie à une appréciation au cas pas cas, opérée in concreto par les juges. Elle révèle en outre que le critère paraît devoir être apprécié dans le chef de celui qui prétend bénéficier de l'effet évictif de l'ordre public de proximité, et non dans le chef de celui contre qui le jeu de cet ordre public est invoqué, ce que confirment des décisions récentes (Civ. 1 re, 10 mai 2006, JCP 2006. II. 10165, note T. Azzi ; D. 2006. 2890, note G. Kessler et G. Salamé ; v. aussi, dans le même sens : Civ. 1 re, 25 avr. 2007, no 06-13.284, D. 2007. 1343 ; ibid. 2008. 1507) ayant refusé à des enfants étrangers et résidant à l'étranger le droit de faire établir leur filiation naturelle à l'encontre d'un père prétendu français et résidant en France. On pourrait pourtant considérer que la proximité résulte de la seule existence de liens avec la France, indépendamment de la qualité procédurale de celui qui contribue à la constitution de ces liens.
Combinaison de la loi étrangère avec une ou plusieurs autres lois : les mécanismes d'adaptation et de substitution 284
Les méthodes du droit international privé peuvent, à plusieurs niveaux, conduire à l'application combinée, à un même rapport de droit, de lois différentes. La situation se présentera notamment si le rapport de droit génère une question complexe (vocation successorale/qualité de conjoint), en présence d'un conflit mobile ou d'un changement de la règle de conflit (changement de la loi applicable aux effets du mariage par l'effet du changement de nationalité des parties ou tout simplement par l'effet du changement de la règle de conflit), ou encore si, une disposition donnée de la loi étrangère ayant été jugée incompatible avec l'ordre public international français, la loi française y a été substituée sur ce seul point précis. Or les lois dont la combinaison s'impose a priori peuvent s'avérer difficilement compatibles (§ 1), imposant la mise en œuvre de solutions pouvant conduire jusqu'à l'éviction de l'une des lois (§ 2).
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§
L'application de la loi étrangère
1 Problèmes de compatibilité 285
La difficulté de combinaison des lois applicables peut encore naître de ce que l'une des lois, appelée à régir les effets d'une institution, ignore cette institution dont la validité est pourtant consacrée par l'autre loi. L'hypothèse peut se rencontrer au bénéfice d'un conflit mobile, mais plus simplement encore parce que le droit international privé français n'applique pas toujours la même loi à la question de validité d'une institution et à celle de ses effets. Le mariage en fournit un exemple topique. La validité au fond d'un mariage est régie par la loi personnelle des époux, ce qui a conduit le droit français à reconnaître, en faisant jouer l'effet atténué de l'ordre public (v. ss 276 s.), la validité des unions polygamiques célébrées à l'étranger entre personnes dont le statut personnel autorise cette forme d'union. Les effets du mariage sont régis par la loi nationale commune des époux, à défaut de nationalité commune par la loi du domicile commun et, à défaut, par la loi du for. Il en ressort
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Il peut advenir, tout d'abord, que la combinaison de deux lois régissant deux aspects distincts d'une même question aboutisse à un résultat auquel aucune de ces deux lois n'aspirait. On empruntera à M. Mayer l'exemple éclairant des droits du conjoint survivant. En général, ces droits peuvent découler des dispositions propres au régime matrimonial, ou de celles qui régissent les successions. Les différents ordres juridiques s'efforcent, lorsqu'ils sont envisagés dans leur globalité, de parvenir à un certain équilibre de façon à préserver suffisamment les droits du conjoint : en droit anglais, la faiblesse des droits du conjoint sur le terrain du régime matrimonial (qui est légalement celui de la séparation de biens) est compensée par des dispositions favorables en matière de succession ; tandis qu'en droit français, la faible vocation successorale du conjoint est atténuée par un régime matrimonial légal plus favorable (communauté des biens). Mais en droit international privé, la question des droits découlant du régime matrimonial et celle des droits découlant de la vocation successorale dépendent de règles de conflit distinctes, et donc bien souvent de lois substantielles différentes. Ainsi le conjoint dont les droits seront déterminés — lors du décès de son époux emportant liquidation du régime matrimonial et liquidation de la succession — par le droit anglais s'agissant du régime matrimonial et par le droit français s'agissant du régime successoral (hypothèse d'un domicile matrimonial en Angleterre et d'un décès survenu en France) sera-t‑il particulièrement défavorisé. Au contraire, celui dont le régime matrimonial dépendra du droit français et la vocation successorale du droit anglais (hypothèse d'un domicile matrimonial en France et d'un décès en Angleterre) se trouvera dans une situation particulièrement enviable. En droit positif, une illustration proche peut être trouvée dans l'affaire Ferrari (Civ. 6 juill. 1922, GADIP, n o 12 ; JDI 1922. 714) : Mme Ferrari, devenue italienne par mariage, et son mari obtiennent, en application de la loi italienne, une séparation de corps par consentement mutuel ; revenue en France et réintégrée dans la nationalité française, Mme Ferrari sollicite qu'en application de la loi française devenue compétente par l'effet du changement de nationalité, la séparation de corps soit convertie en divorce. Or à l'époque des faits, le droit italien autorisait la séparation de corps par consentement mutuel mais pas le divorce, tandis que le droit français acceptait le divorce, mais pas par consentement mutuel. Ainsi la combinaison des deux lois successivement applicables conduisait-elle à un résultat — divorce par consentement mutuel — qu'aucun des droits français et italien n'aurait admis.
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Droit international privé
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que les effets d'un mariage polygamique peuvent se trouver soumis à la loi française, dès lors que le couple est domicilié en France, soit parce que les époux étaient ab initio de nationalité différente (les deux lois nationales admettant la polygamie), soit parce que l'un des époux a en cours de mariage changé de nationalité (affaire Chemouni). Il faut alors faire régir les effets d'un mariage polygamique par le droit français, et ce, alors même que le droit substantiel français n'a conçu les effets du mariage que dans la perspective d'un mariage monogamique. Certaines dispositions du droit français sont donc parfaitement incompatibles avec, ou inadaptées à, l'institution du mariage polygamique. Comment régler ces difficultés ?
2 Solutions de droit international privé : adaptation et substitution
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Le droit international privé répond généralement à ces difficultés de coordination des lois applicables par un mécanisme d'adaptationQ. D'une façon générale, on peut dire qu'il y a adaptation chaque fois que le fonctionnement ou le contenu de l'une des lois en présence est exceptionnellement altéré pour rendre son application compatible avec celle de l'autre loi. On peut par exemple régler les effets d'un mariage polygamique en application du droit français, en admettant l'effacement de certains des effets prévus par le droit français, jugés incompatibles avec la spécificité du mariage polygamique (devoir de fidélité, obligation de cohabitation). De même, parvient-on encore à admettre que les deux épouses d'un homme polygame puissent concourir à sa succession organisée par le droit français en les traitant non comme des épouses « concomitantes » (situation inconnue du droit français), mais comme des épouses successives (situation que connaît le droit français au travers de l'institution du divorce) (sur les phénomènes d'adaptation qu'implique la reconnaissance du mariage polygamique, v. ch. 8, rubrique Débat). L’adaptation est un mécanisme aujourd'hui revivifié en matière de droit réel par le droit international privé européen (v. ss 937).
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Force est toutefois de constater que l'adaptation, si elle est la solution la plus souhaitable comme respectant au mieux l'intégrité de la méthode conflictuelle, ne peut pas toujours offrir une solution viable. En cas d'inadaptation totale entre les différentes lois concernées, seule la solution d'une substitution d'une loi à une autre peut être envisagée. Il s'agira, constatant le caractère incompatible de deux lois appelées à régir un même rapport de droit, d'appliquer intégralement l'une de ces lois au rapport de droit, en renonçant à appliquer l'autre. C'est la solution implicitement retenue dans l'affaire Ferrari : la Cour de cassation y affirme que Mme Ferrari ne pouvait demander la conversion de la séparation de corps en divorce « qu'en se conformant aux règles édictées par la loi française, laquelle régissait dorénavant son statut personnel ». En d'autres termes, la Haute juridiction refuse la substitution de la séparation de corps italienne, pourtant valablement prononcée, à la séparation de corps de droit français qui seule peut fonder un divorce par conversion. La loi française est au cas d'espèce, du fait de l'inconciliabilité entre loi française et loi italienne, seule habilitée à régir l'ensemble du processus de conversion d'une séparation de corps en divorce, s'agissant tant du prononcé de la séparation de
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corps, que de sa conversion en divorce. L'espèce invite en outre à distinguer substitution des institutionsQ et substitution des loisQ.
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Conclusion. Le conflit de lois, parce qu'il conduit fréquemment à l'application d'une ou plusieurs lois étrangères, confronte le juge et le juriste à des difficultés inconnues du droit interne : difficulté d'établissement de la teneur du droit étranger ou difficulté de compatibilité substantielle ou matérielle entre les lois des différents États impliqués. Mais le droit international privé ne se limite pas à ces hypothèses de conflit de règles abstraites. Il peut advenir, en effet, qu'un État étranger ait déjà rendu une décision de justice en application d'une loi donnée, et que l'ordre juridique du for se trouve donc confronté, non à une règle générale et abstraite, la loi, mais à une norme concrète, le jugement. Or on l'imagine, rien ne paraît devoir exclure que les difficultés observées pour l'application de la loi étrangère ne se rencontrent à l'occasion de la confrontation avec un jugement étranger. La réflexion doit à présent être prolongée sur le terrain du conflit de juridictions.
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Compléments pédagogiques
Mémo
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I. Établissement de la teneur du droit étranger Après avoir longtemps laissé aux parties le soin d'établir la teneur du droit étranger applicable, la jurisprudence française a finalement récemment retenu, par les arrêts Aubin et Itraco, que — en matière de droits disponibles comme de droits indisponibles — la responsabilité de rechercher la teneur du droit étranger applicable revient au juge français, le cas échéant avec le concours des parties. Ce faisant, la jurisprudence française confirme l'affirmation, pourtant déjà énoncée dès 1993 par l'arrêt Coucke, que la loi étrangère est bien une règle de droit, et non un simple élément de fait, du point de vue de son régime procédural. Ce régime procédural reste cependant original, au moins en ce que la Cour de cassation refuse de contrôler l'interprétation souveraine que font de la loi étrangère les juges français chargés de l'appliquer, et se borne à mettre en œuvre un contrôle de motivation et un contrôle de dénaturation — ce dernier étant néanmoins plus étendu lorsqu'il est appliqué à la loi étrangère que lorsqu'il l'est, de façon traditionnelle, aux stipulations contractuelles. II. Exception d'ordre public international La contrariété du résultat auquel conduit — in concreto — l'application de la loi étrangère, au regard de certains principes jugés fondamentaux par l'ordre juridique français, justifie l'éviction de cette loi étrangère et la substitution de la loi française par le jeu de l'exception d'ordre public international. Le fonctionnement de l'exception peut être altéré par les deux mécanismes de l'effet atténué de l'ordre public — qui conduit à reconnaître, nonobstant sa contrariété formelle à l'ordre public, la validité d'une situation qui s'est constituée sans fraude à l'étranger en application de la loi compétente d'après les règles de conflit de lois françaises — et de l'ordre public de proximité — qui conduit à renforcer les exigences du for lorsque la situation considérée entretient des liens étroits avec le for. III. Adaptation et substitution
Lorsque l'application d'une loi étrangère est rendue difficile en raison de son incompatibilité avec une ou plusieurs autres lois concourant au règlement d'un même rapport de droit, le droit international privé a recours aux mécanismes de l'adaptation — qui autorise à altérer exceptionnellement le fonctionnement ou le contenu de l'une des lois en présence pour rendre son application compatible avec celle des autres lois — ou de la substitution — qui autorise à évincer la loi incompatible pour appliquer en lieu et place l'une des autres lois en présence.
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n Adaptation n o 287 Altération exceptionnelle du fonctionnement ou du contenu d'une règle de droit pour rendre son application adaptée à la particularité de la situation considérée ; joue notamment lorsque le règlement d'une situation suppose l'application conjuguée de plusieurs lois qui s'avèrent incompatibles. n Ce r t i f i c a t d e c o u t u m e n o 2 4 6 Document établi en langue française par les autorités (généralement consulaires ou diplomatiques) étrangères, ou plus souvent par un spécialiste consulté à cet effet, aux fins de présenter l'état du droit positif étranger sur une question donnée. n E f f e t a t t é n u é d e l ' o r d r e p u bl i c n o 27 6 Principe selon lequel la réaction de l'ordre public international français ne doit pas être aussi rigoureuse selon que la situation considérée se soit constituée en France, ou se soit constituée sans fraude à l'étranger en conformité de la loi applicable d'après les règles de conflit françaises ; dans ce dernier cas, il doit être admis que la situation, en dépit de son irrégularité au regard de la conception française de l'ordre public international, déploie ses effets en France. n E f f e t ré f l ex e ( o u e f f e t mi ro i r ) n o 2 6 8 Théorie selon laquelle certains mécanismes du droit international privé conçus au bénéfice de l’ordre juridique du for devraient s’appliquer, selon une sorte de parallélisme, au profit des ordres juridiques étrangers. L’effet réflexe est ainsi parfois invoqué pour faire produire effet, dans l’ordre juridique du for, à l’ordre public international d’un autre État. Mais c’est surtout en matière de compétence internationale des juridictions que l’effet réflexe a été conceptualisé, notamment pour faire valoir l’obligation dans laquelle le juge du for se trouverait de décliner sa compétence lorsque les juridictions d’un autre État reçoivent une compétence exclusive (v. Chapitre 4, Rubrique Débat). n E x c e p t i o n d ' o r d r e p u b l i c i n t e r n a t i o n a l n o 2 61 Mécanisme conduisant, dans le cadre et au terme de la méthode conflictuelle, à évincer la loi étrangère, pourtant désignée par la règle du conflit du for comme loi compétente, lorsque l'application de cette loi conduirait à un résultat incompatible avec les principes constitutifs de l'ordre public international français. n Ordre public de proximité n o 280 Expression forgée pour décrire un renforcement ponctuel des exigences de l'ordre public international du for lorsque la situation considérée entretient des liens étroits avec le for. n Ordre public international n o 255 Ensemble de principes jugés tellement fondamentaux dans l'opinion française qu'ils y sont regardés comme totalement indérogeables, en sorte notamment qu'une loi étrangère dont l'application conduit à un résultat qui leur est contraire doit être écartée par le jeu de l'exception d'ordre public international. 173
Droit international privé
n O r d r e p u b l i c i n t e r n e n o 25 7 Ensemble des dispositions jugées « impératives » en droit interne français, en ce sens que ceux qui s'y trouvent soumis ne sont pas autorisés à y déroger par convention ; ces dispositions ne s'imposent que dans les situations purement internes.
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n P r i n c i p e d ' a c t u a l i t é d e l ' o r d r e p u b l i c i n t e r n a t i o n a l n o 27 0 Principe selon lequel l'ordre public international de référence est celui en vigueur au jour où le juge apprécie la conformité d'une solution à l'ordre public international.
n S u b s t i t u t i o n d e s i n s t i t u t i o n s n o 28 8 Situation dans laquelle l'équivalence de deux institutions issues de deux législations nationales distinctes justifie que l'une de ces institutions soit utilisée à la place de l'autre comme prémisse de la règle de droit applicable (par exemple : le mariage polygamique étant équivalent au mariage monogamique, la loi française des effets du mariage monogamique peut être appliquée aux effets du mariage polygamique ; l'institution étrangère « mariage polygamique » est substituée à l'institution française « mariage monogamique »).
n S u b s t i t u t i o n d e s l o i s n o 2 88 Situation dans laquelle une loi donnée — généralement la loi du for — est appliquée à la place d'une autre loi normalement compétente, soit en considération du résultat inacceptable auquel l'application de cette loi compétente conduit (sanction de la contrariété à l'ordre public international du for), soit en considération de l'incompatibilité entre plusieurs lois appelées à régir ensemble un même rapport de droit.
Documents C i v . 2 5 m a i 1 9 48 , L a u t o u r
(GADIP, no 19 ; Rev. crit. DIP 1949. 89, note H. Batiffol ; S. 1949. 1. 21, note M.-L. Niboyet) L'arrêt Lautour est particulièrement riche. Outre qu'il définit la règle de conflit applicable en matière délictuelle (v. ss 1103 s.), il instruit sur le régime de la preuve de la loi étrangère et sur la notion d'ordre public international. Sur le premier point, l'arrêt pose le principe selon lequel la charge d'établir le contenu du droit étranger repose sur les parties. Bien plus, il opère une répartition de cette charge, en affirmant que « c'est au demandeur en réparation et non au défendeur qui en invoque la compétence qu'incombe la charge de la preuve du droit étranger applicable à la réparation d'un accident survenu à l'étranger ». Il revient donc à celui dont la prétention se trouve soumise à la loi étrangère d'établir le contenu de cette dernière, alors même que l'applicabilité de la loi étrangère aurait été soulevée par son adversaire, à défaut de quoi sa prétention ne peut qu'être rejetée. Sur ce point, l'arrêt Lautour ne correspond plus à l'état actuel du droit positif. Il est toujours d'actualité, en revanche, en ce qu'il définit de façon synthétique l'ordre public international comme un ensemble de « principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue », le distinguant formellement de l'ordre public interne et mettant en exergue son caractère relatif.
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1) Sur l'établissement du contenu de la loi étrangère C i v . 1 r e , 24 j an v . 19 8 4 , T h i n e t
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(Rev. crit. DIP 1985. 89, note P. Lagarde ; JDI 1984. 874, note J.-M. Bischoff) L'arrêt Thinet complète et infléchit la solution posée par l'arrêt Lautour (v. supra) en matière de preuve de la loi étrangère. Tout en rappelant, se calquant sur cet arrêt, que « la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi, et non sur celle qui l'invoque, fût-ce à l'appui d'un moyen de défense », il ajoute qu'il en va différemment en cas de « défaillance de la loi étrangère dans son contenu général, défaillance à laquelle le juge doit suppléer par application de la loi française, en raison de sa vocation subsidiaire ». En d'autres termes, le rejet de la prétention qui sanctionne en principe l'inaptitude du plaideur à établir le contenu de la loi étrangère soutenant cette prétention ne s'applique que lorsque cette inaptitude est imputable à sa négligence ou à sa passivité ; lorsque c'est la loi étrangère ellemême qui est défaillante, le juge français doit statuer sur la demande, en application du droit français qui a vocation subsidiaire.
Com. 16 nov. 1993, Amerford (GADIP, n o 82 ; Rev. crit. DIP 1994. 322, note P. Lagarde ; JDI 1994. 98, note J.-B. Donnier) L'arrêt Amerford modifie substantiellement le principe posé par l'arrêt Lautour (v. supra), en instituant une règle nouvelle relative a la charge d'établir la teneur de la loi étrangère, lorsque les droits en litige sont disponibles. Il énonce que « dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, de démontrer l'existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu'il invoque, à défaut de quoi le droit français s'applique en vertu de sa vocation subsidiaire ». Ce n'est donc plus celui qui émet une prétention, mais celui qui se prévaut de l'applicabilité d'une loi étrangère qui a la charge d'établir le contenu de cette dernière, ou tout au moins d'établir que l'application de cette loi conduirait à un résultat différent de celui obtenu par application de la loi française.
C i v . 1 r e , 24 n o v . 1 9 9 8 , L a va z za (Rev. crit. DIP 1999. 88, note B. Ancel ; D. 1994. 337, note M. Menjucq) L'arrêt Lavazza, rendu en matière de droits indisponibles (effet sur une créance de l'ouverture d'une procédure de faillite) affirme qu'« il incombe au juge qui applique une loi étrangère de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'État concerné ». Posée dans une hypothèse où le juge était tenu d'appliquer d'office la règle de conflit, eu égard à la nature indisponible des droits, la solution qui — opérant revirement de la jurisprudence Lautour-Thinet (v. supra) — lui impose de rechercher personnellement le contenu de la loi étrangère, apparaît seule susceptible de garantir l'effectivité de l'obligation d'appliquer le droit étranger désigné par la règle de conflit en ces matières.
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C i v . 1 r e , 28 j u i n 2 0 05 , A u b i n (Rev. crit. DIP 2005. 646, note B. Ancel et H. Muir Watt)
(GADIP, no 83)
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C o m . 2 8 ju i n 20 0 5 , I t r a c o Les arrêts Aubin et Itraco rendus respectivement par la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation définissent le droit positif actuel en matière de charge de la recherche de la teneur de la loi étrangère. Ils retiennent, respectivement en matière de droits indisponibles et disponibles (unifiant ainsi les régimes) qu'« il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ». Il revient donc toujours au juge d'établir la teneur du droit étranger applicable. À cet effet, il peut se fonder sur les éléments rapportés par les parties, mais il peut également et doit même, si les diligences des parties sont insuffisantes, en rechercher personnellement la teneur.
2) Sur l'ordre public international C i v . 1 r e , 17 a v r. 1 95 3 , Ri vi èr e
(GADIP, n o 26 ; Rev. crit. DIP 1953. 412, note H. Batiffol ; JDI 1953. 860, note R. Plaisant) L'arrêt Rivière synthétise le principe de l'effet atténué de l'ordre public international français. Saisis de la validité d'un divorce par consentement mutuel prononcé en Équateur entre deux époux russes, à une époque où le divorce par consentement mutuel était encore considéré en France comme contraire à l'ordre public international, les juges français décident cependant de retenir que ce divorce a pu valablement dissoudre le lien conjugal dès lors que « la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ». Formulée au cas d'espèce pour reconnaître un droit acquis à l'étranger par l'effet d'une décision de justice étrangère (conflit de juridictions), la règle est énoncée en termes suffisamment généraux pour pouvoir être étendue à des droits acquis à l'étranger sans interposition d'une décision de justice (conflit de lois), ce que confirmera ultérieurement l'arrêt Bendeddouche (v. infra).
C i v . 1 r e , 3 ja n v. 1 98 0 , B e n d e d d o u c h e (GADIP, n o 61 ; Rev. crit. DIP 1980. 331, note H. Batiffol ; JDI 1980. 327, note M. Simon-Depitre) L'arrêt Bendeddouche, outre qu'il règle les modalités de traitement des questions complexes (v. ss 88 et 89) en affirmant que « si la loi française régit la dévolution successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et l'établissement de la parenté nécessaire au jeu de la dévolution successorale relèvent de la loi personnelle », consacrant ainsi le principe du traitement autonome de chaque sous-question, étend au conflit de lois le jeu de l'effet atténué de l'ordre public international que l'arrêt Rivière (v. supra) avait consacré dans le conflit de juridictions ; il autorise ainsi à reconnaître — pour l'application des droits successoraux — la qualité de conjoint à l'épouse d'un polygame, nonobstant la contrariété de la polygamie à
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l'ordre public international français, après avoir constaté que le mariage avait été célébré à l'étranger conformément au statut personnel des deux époux : « la réaction à l'encontre d'une disposition de la loi étrangère contraire à la conception française de l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à la création en France d'une situation juridique prévue par cette loi ou qu'il s'agit seulement de laisser acquérir des droits en France, sur le fondement d'une situation créée sans fraude à l'étranger en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
C i v . 1 r e , 1 e r a v r . 1 98 1 , D e Pe d r o (JDI 1981. 812, note D. Alexandre) L'arrêt De Pedro est le premier à appliquer le mécanisme qui devait être ultérieurement conceptualisé par la doctrine sous l'appellation d'« ordre public de proximité ». L'épouse française d'un national espagnol, devenue espagnole par mariage mais s'étant séparée de son époux pour revenir vivre en France, sollicitait le prononcé de son divorce par les juridictions françaises, alors que la loi espagnole de la nationalité commune des époux, normalement applicable, prohibait le divorce. La Cour de cassation autorise pourtant le prononcé du divorce en application de la loi française, après avoir écarté la loi espagnole pour contrariété à l'ordre public international français « qui impose la faculté, pour un Français domicilié en France, de demander le divorce ». Ce sont donc les liens particuliers de la situation avec la France — et plus spécialement ici le double critère de la nationalité française et du domicile en France de l'intéressée — qui justifient que soit retenue une contrariété à l'ordre public international français de la loi espagnole, dont on comprend qu'elle aurait pu ne pas être retenue en l'absence de tels liens.
C E D H , 26 j u i n 2 0 1 4, M e n n e s s o n & La b a s s é e c / Fr a n c e (Req. 65192/11, et 65941/11, Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée ; D. 2014. 1797, note F. Chénedé, 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, 1787, obs. Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, 1806, note L. d’Avout, 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon) Les arrêts Mennesson & Labassée sont doublement importants, d’un point de vue méthodologique, et d’un point de vue substantiel. La CEDH était saisie de la question de la conformité à la Conv. EDH du refus de la France de reconnaître le lien de filiation existant entre des couples français, et leurs enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une gestation pour autrui (GPA). La position française était fondée sur l’interdiction stricte, posée en droit français, des conventions de mère-porteuse qui contrarient les principes fondamentaux d’indisponibilité de l’état et d’indisponibilité du corps humain. Dès lors, les juridictions françaises considéraient que le processus consistant pour des couples français à recourir à la GPA à l’étranger, pour ensuite tenter de faire reconnaître le lien de filiation en France, était contraire à l’ordre public international et/ou frauduleux. La CEDH condamne cette position, contraire au droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Conv. EDH en ce qu’elle interdit totalement d’établir un lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés de la GPA. Méthodologiquement, ces décisions illustrent comment la CEDH contribue à définir les contours de l’ordre public international des États contractants. Car substantiellement, l’effet de ces décisions est bien que, si formellement la France peut maintenir la prohibition d’ordre public des conventions de mèreporteuse, elle ne peut plus en sanctionner le recours par des couples français à l’étranger, ce qui prive grandement d’effectivité la prohibition. Encore faut-il souligner que la CEDH n’impose pour l’heure à la France l’établissement de la filiation qu’à l’égard du seul père biologique (la
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GPA étant réalisée par don de sperme et insémination artificielle de la mère porteuse) ; rien n’est dit de la situation de la mère de substitution. Faudra-t‑il lui permettre d’adopter les enfants de son époux ? ou reconnaître l’adoption prononcée à l’étranger à son bénéfice ? L’avenir le dira sans doute.
1) Pour un panorama des questions récentes liées à l'application de la loi étrangère - J. Foyer, « Diversité des droits et méthodes des conflits de loi », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 57.
2) Sur la « preuve » de la loi étrangère - B. Ancel, « Le transfert international des informations nécessaires à l'administration du droit privé », in Mélanges Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 4. - J. Foyer, « La loi française et la loi étrangère », in C. Puigelier (dir.), La loi. Bilan et perspectives, Economica, 2005, p. 75. - M.-N. Jobart-Bachellier, « Manque de base légale et application de la loi étrangère », in N. Molfessis (dir.), La Cour de cassation et l'élaboration du droit, Economica, 2004, p. 97. - Y. Loussouarn, « Le contrôle par la Cour de cassation de l'application des lois étrangères », Trav. Com. fr. DIP 1962-1964. 133. - P. Mayer, « Les procédés de preuve de la loi étrangère », in Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 617. - F. Mélin, « La Convention européenne dans le domaine de l'information sur le droit étranger : constat d'un échec », LPA 27 sept. 1999, no 192, p. 9. - M. Nicod, « Un droit venu d'ailleurs : la loi étrangère désignée par la règle de conflit », in Mélanges P. Jestaz, Dalloz, 2006, p. 417.
3) Sur l'ordre public international - J. Basedow, « Recherches sur la formation de l'ordre public européen dans la jurisprudence », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 55. - P. Courbe, « L'ordre public de proximité », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 227. - M. Forteau, « L'ordre public « transnational » ou « réellement international ». L'ordre public face à l'enchevêtrement croissant du droit international privé et du droit international public », JDI 2011. Doctr. 1. - J. Foyer, « Remarques sur l'évolution de l'exception d'ordre public international depuis la thèse de Paul Lagarde », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 285. - L. Gannagé, « L'ordre public international à l'épreuve du relativisme des valeurs », Trav. Com. fr. DIP 2006-2008. 205. - L. Gannagé, « À propos de l'« absolutisme » des droits fondamentaux », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 265. - P. Gannagé, « Vers un ordre public personnel dans le droit international privé de la famille », in Mélanges L. Boyer, PU sciences sociales Toulouse, 1996, p. 209.
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- H. Gaudemet-Tallon, « Le pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses », Rec. cours La Haye 2005, t. 312, p. 9-488. - P. Hammje, « L'ordre public de rattachement », Trav. Com. fr. DIP 2006-2008. 153. - P. Hammje, « Droits fondamentaux et ordre public », Rev. crit. DIP 1997. 1. - R. Libchaber, « L'exception d'ordre public en droit international privé », in L'ordre public à la fin du XX e siècle, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 1996, p. 65. - P. Kinsch, « La “sauvegarde de certaines politiques législatives”, cas d'intervention de l'ordre public international ? », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 447. - P. Kinsch, « La non-conformité du jugement étranger à l'ordre public international mise au diapason de la Convention européenne des droits de l'homme », Rev. crit. DIP 2011. 817. - S. Poillot-Peruzetto, « Ordre public et loi de police dans l'ordre communautaire », Trav. Com. fr. DIP 2002-2004. 65. - D. Sindres, « Vers la disparition de l’ordre public de proximité ? », JDI 2012. Doctr. 10. - T. Struycken, « L'ordre public de la communauté européenne », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 617.
4) Sur les procédés d'adaptation et de substitution - H. Batiffol, « Réflexions sur la coordination des systèmes nationaux », Rec. cours La Haye 1967, t. I, p. 169. - Y. Lequette, « Ensembles législatifs et droit international privé des successions », Trav. Com. fr. DIP 1983-1984. 163. _ Pour les questions soulevées, en matière d’ordre public, par le mariage entre personnes de même sexe et par la gestation pour autrui, v. les bibliographies consacrées à ces sujets au chapitre 8 sur La famille.
Quiz 1) Sujets corrigés
A) Test de connaissances Énoncé
1. La loi étrangère suit : a. le statut procédural des règles de droit ; b. le statut procédural des éléments de fait ; c. un régime procédural original et pragmatique se rapprochant tantôt de celui des règles de droit, tantôt de celui des éléments de fait. 2. En matière de droits disponibles, la charge d'établir le contenu de la loi étrangère applicable repose : a. sur le juge depuis l'arrêt Lavazza de 1998 ; b. sur le juge depuis les arrêts D&J Sporting et Itraco de 2002-2005 ; c. sur les parties. 179
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3. Le critère de mise en œuvre de l'ordre public de proximité est : a. alternativement la résidence en France ou la nationalité française ; b. la résidence en France et la nationalité française cumulativement ;
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c. la résidence en France et la nationalité française, alternativement ou cumulativement selon les espèces.
4. L'interprétation de la loi étrangère par les juges du fond : a. s'exerce par rapport aux dispositions de la loi étrangère et est souveraine ; b. s'exerce par rapport aux dispositions étrangères légales, mais aussi coutumières et jurisprudentielle et est souveraine ; c. est contrôlée par la Cour de cassation.
5. Lorsque le fonctionnement d'une règle de droit est exceptionnellement modifié pour en rendre l'application compatible avec une autre disposition issue d'une loi étrangère, il s'agit : a. d'une adaptation ; b. d'un renvoi ; c. d'un conflit mobile.
6. Loi de police et exception d'ordre public international : a. relèvent de méthodologies différentes mais se rejoignent souvent par leur contenu ; b. relèvent d'une même méthodologie d'éviction de la loi étrangère ; c. ont des champs d'application toujours radicalement distincts.
7. Lorsque l'ordre juridique du for accepte de reconnaître les effets en France d'une situation qui, quoique contraire à l'ordre public international du for, s'est régulièrement constituée à l'étranger en application de la loi étrangère désignée par le droit international privé du for, il s'agit : a. de l'effet atténué de l'ordre public ; b. de l'ordre public de proximité ; c. d'une adaptation.
8. L'arrêt de principe qui consacre le jeu de l'effet atténué de l'ordre public dans le conflit de lois est : a. l'arrêt Rivière ; b. l'arrêt Bendeddouche ; c. l'arrêt de Pedro.
9. Les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales font partie intégrante de l'ordre public international français : a. vrai ; b. faux ; c. cela dépend des dispositions.
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10. En cas de modification dans le temps du contenu de l'ordre public international, la conformité à l'ordre public d'une situation s'apprécie au regard : a. du contenu de l'ordre public au jour de la constitution de la situation ;
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b. du contenu actuel de l'ordre public au jour où le juge statue ; c. du contenu actuel de l'ordre public, sauf en matière contractuelle où il y a « survie » de l'ordre public ancien. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Commentaire d'arrêt Arrêt
Civ. 1re, 26 oct. 2011, à par. Bull. civ. ; D. 2012. 1230, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viganotti ; JDI 2012. 176, note J. Guillaumé. « Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juin 2009), que, le 13 janvier 2001, est né en France Jérémy, reconnu, le 1er décembre 2000, par Mme Y…, de nationalité ivoirienne et par M. Z… ; que, par acte du 20 décembre 2001, M. Z… qui a contesté sa reconnaissance, et Mme Y… ont assigné M. A… en recherche de paternité et sollicité une expertise sanguine ; que, par jugement du 24 janvier 2006, le tribunal de grande instance de Paris a annulé la reconnaissance de M. Z…, l'expertise excluant sa paternité, dit recevable la demande en recherche de paternité et ordonné une expertise génétique sur les personnes de l'enfant, de la mère et de M. A… ; que, sur appel de ce dernier, la cour d'appel de Paris a invité les parties à s'expliquer notamment sur l'article 27 de la loi ivoirienne et sa conformité à l'ordre public français ; Attendu que M. A… fait grief à l'arrêt d'avoir dit recevable la demande de recherche de paternité à son égard et ordonné une expertise génétique, alors, selon le moyen : 1o/ qu'il résulte de l'article 26 de la loi ivoirienne 83-7999 du 2 août 1983 que "la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée…" ; que la loi ivoirienne ne prohibe en effet aucunement la recherche de la paternité naturelle de manière générale et précise même les conditions dans lesquelles cette paternité peut être constatée (art. 26, al. 2 s.) ; qu'en écartant néanmoins en l'espèce la loi ivoirienne normalement applicable au seul motif que "la prohibition de la recherche de la paternité naturelle pour un enfant né en France et élevé en France… est contraire à l'ordre public français…", les juges d'appel ont dénaturé les termes clairs et précis de la loi ivoirienne en violation de l'article 3 du code civil, ensemble l'article 26 de loi ivoirienne no 83 7999 du 2 août 1983 ; 2o/ qu'il n'est pas contesté que la loi ivoirienne normalement applicable permet de manière générale et sous respect de certaines conditions la recherche de la paternité naturelle (Code ivoirien de la famille, art. 26) et ne prohibe que la recherche de paternité de l'enfant adultérin (art. 27 du même code) dans le but de préserver l'épouse victime de l'adultère et ses enfants légitimes ; qu'en s'abstenant de rechercher en l'espèce en quoi la prohibition de la recherche de paternité d'un enfant à l'encontre d'un homme marié et le souci de préserver les intérêts de la famille légitime heurte l'ordre public international, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au
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Droit international privé
regard des articles 3 et 311-14 du code civil et de la notion française de l'ordre public international ;
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3o/ qu'en toute hypothèse et subsidiairement, quand bien même on admettrait que la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application d'une loi étrangère déclarant irrecevable l'action en recherche de paternité d'un enfant contre un défendeur marié, l'exception d'ordre public entraîne le seul rejet de la disposition particulière du droit étranger et non celui du droit étranger considéré dans son ensemble ; qu'en l'espèce, et contrairement à ce qu'ont affirmé les juges d'appel (arrêt p. 4, § 2), la loi ivoirienne ne prohibait aucunement la recherche de la paternité naturelle ; qu'il résulte en effet de l’article 26 de la loi ivoirienne no 83-7999 du 2 août 1983 que "la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée" ; que la loi ivoirienne normalement applicable prévoit dans son article 26, alinéa 2 des règles permettant à un enfant de rechercher et établir la paternité naturelle ; qu'en conséquence il appartenait aux juges du fond, après avoir déclaré l'article 27 de la loi ivoirienne contraire à la conception française de l'ordre public, de limiter la substitution de cette loi par la loi française à son seul article 27 et en déclarant les articles 22 et suivants de la loi ivoirienne applicable à l'action en recherche de paternité naturelle ; qu'en écartant de manière générale la loi ivoirienne normalement applicable sans préciser les limites de la substitution de cette loi par la loi française, la cour d'appel a violé les articles 3 et 311-14 du code civil et méconnu la notion française de l'ordre public international ; Mais attendu qu'ayant, à bon droit, mis en œuvre la loi ivoirienne, désignée par la règle de conflit de l'article 311-14 du code civil français, qui rattache l'établissement de la filiation à la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant et, ayant relevé que M. A…, étant marié au moment de la naissance de cet enfant, l'action en recherche de paternité était irrecevable en application des articles 22 et 27 du code de la famille ivoirien, la cour d'appel a exactement décidé que ces dispositions étaient contraires à l'ordre public international français dès lors qu'elles privaient l'enfant de son droit d'établir sa filiation paternelle ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. A… aux dépens. ». Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. c ; 2. b ; 3. c ; 4. b ; 5. a ; 6. a ; 7. a ; 8. b ; 9. a ; 10. b.
Commentaire d'arrêt
Conseils méthodologiques L'arrêt commenté doit impérativement être replacé dans son contexte jurisprudentiel antérieur, car il semble opérer une modification de la jurisprudence en matière d'ordre public international : le droit pour l'enfant d'établir sa filiation naturelle, qui n'était pas considéré comme relevant de l'ordre public international français et ne jouait donc
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Corrigé
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qu'au bénéfice de l'ordre public de proximité, semble ici accéder au statut de principe d'ordre public international « plein ». Il convient toutefois de rester prudent dans l'interprétation de l'arrêt, car il n'est pas impossible que la Cour de cassation ait tenu compte des liens existant avec la France. Comme dans tout commentaire, une bonne connaissance de la technique de cassation s'avère à cet égard indispensable. En outre, s’agissant de commenter un arrêt un peu ancien, sa portée doit être envisagée en tenant compte des éventuelles évolutions postérieures, qui sont supposées connues.
L'évolution du droit français a conduit à une harmonisation progressive du traitement des filiations légitime et naturelle, lesquelles ne font aujourd'hui l'objet d'aucune distinction en droit interne. Tous les droits étrangers n'ont pas connu la même évolution, et certains refusent encore de reconnaître la filiation hors mariage. Dans ce contexte, la question de la conformité de ces législations, en ce qu'elles excluent qu'un enfant puisse établir sa filiation naturelle, à l'ordre public international français, ne pouvait qu'être renouvelée. C'est apparemment cette voie du renouvellement qu'a emprunté la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, rendu en première chambre civile le 26 octobre 2011. Un enfant, né en France, avait été reconnu par sa mère, de nationalité ivoirienne, et par un homme se présentant comme son père. L'auteur de la reconnaissance en paternité naturelle l'ayant contestée, la mère engage une action en recherche de paternité contre un autre homme. L'action est déclarée recevable par les premiers juges, qui ordonnent une expertise sanguine. En cause d'appel, la cour d'appel est saisie d'un moyen tiré de la teneur de la loi ivoirienne, applicable à l'action en recherche de paternité selon l'article 311-14 du Code civil français : l'homme dont la paternité est recherchée fait en effet valoir que, selon la loi ivoirienne, si l'action en recherche de paternité naturelle est en principe recevable, elle ne l'est pas lorsque l'homme est marié au moment de la naissance de l'enfant. La cour d'appel n'en confirme pas moins la recevabilité de la demande de recherche de paternité et la prescription du test génétique, en faisant valoir que « la prohibition de la recherche de paternité naturelle pour un enfant né en France et élevé en France… est contraire à l'ordre public français ». Elle fait donc application d'une formule classique en droit international privé français, qui veut que le droit pour un enfant d'établir sa filiation naturelle, s'il ne relève pas nécessairement de l'ordre public international français, s'y rattache lorsque l'enfant est né en France ou y réside, en application du jeu de l'ordre public de proximité. L'homme se pourvoit en cassation. Il fait valoir en substance que la loi ivoirienne ne saurait être considérée comme contraire à l'ordre public international français dans la mesure où elle ne prohibe pas de façon générale l'établissement de la paternité naturelle, mais le fait seulement lorsque l'homme est marié, dans un souci de protection de la famille légitime, objectif qui ne saurait la rendre contraire à l'ordre public international français. La question posée visait donc à restreindre la portée du principe d'ordre public de proximité selon lequel un enfant français ou résidant en France ne peut se voir privé du droit d'établir sa filiation paternelle naturelle : ce principe peut-il s'appliquer lorsque la loi étrangère restreint ce droit pour la seule filiation naturelle adultérine, dans le souci de protéger la famille légitime ? Loin de répondre à cette question, la Cour de cassation choisit de statuer par une affirmation très générale : la loi ivoirienne est contraire à l'ordre public international
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français dès lors qu'elle prive l'enfant de son droit d'établir sa filiation naturelle. La Haute juridiction refuse donc de s'engager sur la voie d'une distinction entre filiation adultérine et filiation naturelle, lesquelles doivent recevoir un traitement identique. Surtout, elle ne reprend pas à son compte l'observation, qu'avaient faite les juges d'appel, relative aux liens de l'enfant avec la France et semble donc considérer que la loi ivoirienne est contraire à l'ordre public international français, indépendamment de toute considération de ces liens. C'est en cela que l'arrêt est particulièrement digne d'intérêt, car il semble conduire à une évolution de l'ordre public international français (I) en même temps qu'il consacre une répudiation de l'ordre public de proximité (II).
I. Une évolution de l'ordre public international français ? Traditionnellement exclu de l'ordre public international français (A), le droit pour un enfant d'établir sa filiation naturelle paraît y être intégré par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté (B).
A. L'exclusion traditionnelle, de l'ordre public international français, du droit d'établir sa filiation naturelle Conformément à l'article 311-14 du Code civil français, la filiation est régie par la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant. En application de ce texte, l'action en recherche de paternité naturelle était donc en l'espèce soumise à la loi ivoirienne. Or la loi ivoirienne juge irrecevable l'action en recherche de paternité naturelle lorsque l'homme était marié au jour de la naissance de l'enfant. La question de la conformité de cette loi à l'ordre public international français était posée. Une loi étrangère interdisant à un enfant naturel d'établir sa filiation, notamment à l'égard de son père, est-elle contraire à l'ordre public international français ? La réponse traditionnelle de la Cour de cassation est négative, selon une jurisprudence initiée par l'arrêt Latouz (Civ. 1re, 10 févr. 1993, Latouz, Rev. crit. DIP 1993. 620, note J. Foyer ; JDI 1994. 124, note I. Barrière-Brousse), et rappelée encore très récemment (Civ. 1re, 10 mai 2006, JCP 2006. II. 10165, note T. Azzi ; D. 2006. 2890, note G. Kessler et G. Salamé ; 25 avr. 2007, no 06-13.284, D. 2007. 1343 ; ibid. 2008. 1507) : le droit pour un enfant d'établir sa filiation naturelle ne relève pas de l'ordre public international français. Cette solution pouvait s'expliquer, dans la mesure où le droit français a lui-même longtemps distingué entre filiation légitime et filiation naturelle. Il était toutefois permis de s'interroger sur le point de savoir si la position restait tenable, en considération de deux paramètres. Le premier paramètre tient à l'évolution du droit interne français. Les réformes successives du droit de la filiation en France ont été dans le sens d'une assimilation parfaite de tous les types de filiation, notamment légitime et naturelle, au point que la distinction a aujourd'hui formellement disparu du Code civil français. Dans ce contexte, il pouvait sembler curieux que le régime de la filiation reste, du point de vue de l'ordre public international, distinct selon que la filiation en cause soit légitime ou naturelle. Le second paramètre tient au développement des droits fondamentaux sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans une espèce récente (CEDH 16 juin 2011, no 19535/08, Pascaud c/ France, D. 2011. 1758), la France a en effet été condamnée pour n'avoir pas reconnu au requérant le droit d'établir sa filiation biologique. La doctrine propose d'en déduire qu'« en droit international
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privé une loi étrangère qui interdirait en toutes circonstances l'établissement de la filiation biologique devrait, désormais, être considérée comme contraire à l'ordre public international » (D. 2012. 1229-1230, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. JaultSeseke). La jurisprudence traditionnelle française n'était-elle pas alors vouée à la disparition ? C'est apparemment ce qu'a pensé la Cour de cassation, puisqu'elle affirme la contrariété de la loi ivoirienne à l'ordre public international français. Ce faisant, elle intègre à celui-ci le droit pour un enfant d'établir la filiation naturelle.
B. L'intégration, dans l'ordre public international français, du droit d'établir sa filiation naturelle L'ordre public international est une notion relative dans l'espace mais aussi dans le temps : sa teneur varie selon la zone géographique, et selon le moment auquel on la considère. En France, la relation entre ordre public international et divorce a par exemple souvent varié : jugé contraire à l'ordre public international, le divorce y est devenu conforme à l'époque napoléonienne pour une brève période, avant d'y être finalement déclaré de nouveau contraire, jusqu'à la consécration contemporaine de la pleine conformité du divorce à l'ordre public international français. Le sort du droit d'établir sa filiation naturelle aura été moins chaotique, mais ce n'en est pas moins une évolution de la teneur de l'ordre public international français que la Cour de cassation consacre ici. En effet, on l'a rappelé, la règle de principe était jusqu'à une époque très récente que le droit pour un enfant de faire établir sa filiation naturelle ne relevait pas de l'ordre public international français. Or la Cour de cassation semble bien vouloir consacrer en l'espèce une solution différente. La Cour de cassation énonce en effet que la loi ivoirienne, en ce qu'elle prive l'enfant de son droit d'établir sa filiation paternelle, est purement et simplement contraire à l'ordre public international français. Elle n'était peut-être pas tenue d'aller si loin. Le pourvoi mettait en lumière le fait que la loi ivoirienne ne refuse pas, en toutes circonstances, l'établissement de la filiation naturelle, mais ne le fait que si cette filiation est adultérine. Il incitait en conséquence la Cour de cassation à établir une distinction entre filiation « simplement » naturelle, et filiation naturelle adultérine. Et il soulignait qu'une loi étrangère prohibant l'établissement de la filiation adultérine ne peut être considérée comme contraire à l'ordre public international, dans la mesure où elle peut se justifier par le souci de préserver les intérêts de la famille légitime. La solution aurait pu être viable, dans la mesure où – on l'a vu – la Cour européenne des droits de l'homme semble admettre des aménagements au droit d'établir la filiation naturelle. La Cour de cassation refuse toutefois d'entrer en voie de distinction : les dispositions de la loi ivoirienne, quel que soit leur domaine d'application et quels que soient leurs motifs, sont contraires à l'ordre public international français. Le refus de distinguer opposé implicitement par la Cour de cassation se comprend, dans la mesure où le droit français pose un principe d'équivalence de toutes les filiations, légitime ou naturelle, adultérine ou non. Le droit de l'enfant ne saurait varier en fonction du comportement de ses parents. Plus étonnante en revanche est l'absence de toute référence par la Cour de cassation aux liens que la situation entretenait avec la France, qui impose de s'interroger sur le sort réservé au mécanisme de l'ordre public de proximité.
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II. Une répudiation du mécanisme de l'ordre public de proximité ?
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L'exclusion du droit d'établir sa filiation naturelle du domaine de l'ordre public international français était traditionnellement tempérée, dans la jurisprudence française, par le jeu de l'ordre public de proximité : exclu du domaine de l'ordre public, le droit d'établir sa filiation naturelle le réintégrait au profit des enfants français ou nés en France, selon la solution initiée par l'arrêt Latouz. En excluant toute référence aux liens entretenus avec la France, la Cour de cassation choisit apparemment de faire jouer l'ordre public international « plein » (A) au détriment de l'ordre public de proximité dont le sort suscite donc l'interrogation (B).
A. Le jeu apparent de l'ordre public international « plein » La cour d'appel avait elle-même déjà écarté l'application de la loi ivoirienne sur le fondement de la contrariété à l'ordre public international, mais elle l'avait apparemment fait en faisant jouer l'ordre public de proximité. Elle avait en effet justifié sa décision en faisant valoir, ainsi que le rappelle le pourvoi, que « la prohibition de la recherche de la paternité naturelle pour un enfant né en France et élevé en France… est contraire à l'ordre public français ». C'est donc bien en raison de la « proximité » de la situation avec la France qu'elle justifiait l'érection du droit d'établir sa filiation naturelle au rang de principe d'ordre public international, dans la droite ligne de la jurisprudence Latouz. La décision d'appel, si elle était en apparence conforme à la jurisprudence traditionnelle, soulevait toutefois une interrogation quant aux liens de proximité retenus. Selon la jurisprudence antérieure, le droit pour l'enfant de faire établir sa filiation naturelle était consacré au profit de l'enfant français ou résidant en France. Or ici, la cour d'appel avait seulement relevé que l'enfant était né en France, et y avait été élevé. Il était donc difficile de savoir si l'enfant avait la nationalité française, et s'il résidait encore en France. La Cour de cassation aurait éventuellement pu censurer la décision, pour manque de base légale, sur ce fondement. Mais il est vrai qu'elle n'était pas invitée à le faire par le pourvoi. En toute hypothèse, la Cour de cassation choisit de ne pas se préoccuper d'éventuels liens avec la France. Elle souligne une contrariété pure et simple à l'ordre public international français, sans la justifier par la proximité. Il est donc permis de considérer que le droit pour l'enfant de faire établir sa filiation naturelle intègre dorénavant l'ordre public international français « plein », et qu'il peut jouer même au bénéfice d'enfants ne disposant d'aucun lien avec la France, dès lors que le juge français est compétemment saisi. Cette observation conduit naturellement à s'interroger sur les conséquences de la décision commentée sur l'ordre public de proximité.
B. Les conséquences sur l'ordre public de proximité L'ordre public de proximité a suscité d'importants débats – et critiques – en doctrine. L'arrêt commenté répond peut-être en partie à ces critiques. Il existe plusieurs « modalités » de l'ordre public de proximité. Il a souvent été conçu comme un mécanisme de correction des excès de l'effet atténué de l'ordre public. On sait en effet qu'une situation qui s'est régulièrement constituée à l'étranger peut parfois être reconnue en France, même si elle y est contraire à l'ordre public international (effet atténué de l'ordre public). Certains plaideurs ont cherché à tirer profit de cet effet atténué en allant constituer des situations, contraires à l'ordre public français, à l'étranger, alors même qu'ils avaient pour objectif de leur faire produire
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leurs principaux effets en France. Ces comportements frauduleux sont illustrés notamment par les répudiations dites « migratoires », c'est‑à-dire obtenue à l'étranger par un homme, en application de sa loi nationale, alors que le couple réside en France. L'ordre public de proximité permet alors de refuser de faire produire effet en France à la répudiation. Il « neutralise » l'effet atténué de l'ordre public. Dans ce contexte, il apparaît tout à fait acceptable et l'arrêt commenté ne devrait pas le remettre en cause. Une autre modalité plus contestée du jeu de l'ordre public de proximité, précisément illustrée par le droit d'établir la filiation naturelle, consiste à en faire un mécanisme visant à renforcer les exigences de l'ordre public international, en érigeant au rang de principe d'ordre public international des principes qui n'en relèvent pourtant pas, de façon à en garantir l'application à certains justiciables présentant des liens avec le for. Cette approche est pour le moins curieuse, car on conçoit mal qu'un principe puisse être, du point de vue de l'ordre public international, à géométrie variable. La démarche relève alors plutôt d'un mécanisme d'application nécessaire (les enfants français ou résidant en France ont le droit substantiel d'établir leur filiation naturelle, indépendamment de la teneur de la loi étrangère applicable) que d'un mécanisme d'ordre public international. En affirmant que le droit d'établir sa filiation naturelle relève de l'ordre public international, sans référence à une quelconque « proximité », la Cour de cassation clarifie le statut de ce principe, et semble vouloir mettre fin à une anomalie du droit positif. La portée de l’arrêt n’en a pas moins été discutée, notamment parce que la Cour de cassation l’a elle-même atténuée dans son rapport annuel pour l’année 2013, en y affirmant qu’il ne fallait pas comprendre cet arrêt comme un abandon de l’ordre public de proximité. Un arrêt rendu par la Cour le 27 septembre 2017, qui reprend exactement la solution consacrée par l’arrêt commenté en faisant jouer l’effet plein de l’ordre public international en matière de filiation naturelle, relance le débat. Il faut sans doute comprendre que l’ordre public atténué, s’il n’est pas abandonné d’une façon générale, n’a cependant plus vocation à jouer pour l’établissement de la filiation paternelle naturelle.
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Théorie générale des conflits de juridictions Quand une situation entretenant des liens avec plusieurs ordres juridiques prend une tournure contentieuse et que l'intervention d'un juge devient nécessaire, la question se pose de la sélection du juge qui sera appelé à statuer. En effet, tout comme il n'existe pas ou peu de règles de source internationale, il n'existe pas de juridictions internationales chargées du règlement des litiges privés internationaux. Une fois encore, ce sont les ordres juridiques étatiques qui doivent être sollicités pour « déléguer » les juridictions qu'ils ont instituées pour le règlement des litiges privés internes au règlement des litiges privés internationaux. Mais, puisque par définition plusieurs États entretiennent des liens avec le litige affecté d'un élément d'extranéité, il est nécessaire que des règles soient définies pour permettre la sélection du juge compétent. L'ensemble des problématiques liées à la détermination de la juridiction compétente pour connaître d'un litige privé international forme le droit de la compétence internationale des juridictions.
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Il est une autre conséquence liée à l'absence de toute juridiction spécialement instituée pour régler les litiges privés internationaux. Les décisions de justice rendues pour le règlement de ces litiges sont nécessairement des décisions « nationales » ; elles émanent du système judiciaire d'un État en particulier. Mais parce que ces décisions concernent un litige affecté d'un élément d'extranéité, il est probable que leurs effets ne puissent s'épuiser dans l'ordre juridique même où elles ont été prises ; ainsi le jugement français, par lequel il est décidé des modalités de garde de l'enfant d'un couple franco-anglais après que le couple se soit séparé et que les deux parents aient décidé de vivre dans leurs pays respectifs, devra-t‑il produire ses effets aussi bien en France qu'au Royaume-Uni. Le jugement rendu par les juridictions d'un État dans un litige privé international est donc appelé à circuler pour produire ses effets dans les ordres juridiques d'autres États. Mais l'on conçoit que les États puissent être réticents à accorder aux juridictions étrangères le même crédit que celui qu'ils réservent à leurs propres juridictions ; un jugement étranger n'offre pas nécessairement les mêmes garanties qu'un jugement local. En même temps, le jugement étranger est une concrétisation particulièrement forte du point de vue normatif d'un État sur une question donnée, et les parties ont donc légitimement pu faire reposer leurs prévisions sur son fondement. Les États acceptent donc généralement de faire produire aux jugements étrangers des effets équivalents à ceux reconnus aux jugements
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locaux de façon à respecter les légitimes prévisions des parties. Mais ils subordonnent ces effets à la mise en œuvre de certaines procédures destinées à vérifier que des conditions jugées essentielles par le for ont été respectées par la justice étrangère. L'ensemble des problématiques liées aux conditions d'efficacité des décisions étrangères dans l'ordre juridique du for forme le droit des effets des jugements étrangers. Traditionnellement, la matière dite « des conflits de juridictions » couvre ces deux questions : la compétence internationale des juridictions d'une part (chapitre 4), et l'effet des jugements étrangers, d'autre part (chapitre 5). Il est toutefois possible d'y adjoindre un troisième volet, couvrant les règles de procédure propres au contentieux international (chapitre 6). Il existe donc un droit processuel international, la notion étant ici entendue au sens de droit du procès relatif à un litige affecté d'un élément d'extranéité.
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La compétence internationale des juridictions
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analytique
section
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Plan
Sources des règles de compétence internationale des juridictions françaises § 1 Les règles de compétence édictées unilatéralement A. Contraintes liées au cadre théorique du pouvoir de juridiction B. Principes directeurs de la compétence internationale des juridictions
§ 2 Les règles de compétence édictées collectivement A. Les règlements européens
B. Les conventions internationales
§ 3 Les règles de coordination des sources section
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Typologie des principales règles de compétence internationale des juridictions françaises § 1 Compétence « renforcée »
A. Règles de compétence exclusive B. Règles de compétence protectrice C. Règles régissant les élections de for et la prorogation de compétence
§ 2 Compétence ordinaire
A. Compétence générale en matière civile et commerciale B. Compétence spéciale C. Compétence dérivée
§ 3 Compétence en matière provisoire A. Compétence du juge principal
B. Compétence du juge du provisoire
§ 4 Compétence exorbitante
A. Consécration des chefs de compétence exorbitante par le droit français B. Élimination des chefs de compétence exorbitante par le droit européen
Compléments pédagogiques
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La compétence internationale des juridictions Le droit de la compétence internationale des juridictions couvre l'ensemble des règles par lesquelles les États identifient les litiges privés internationaux (c’est‑à-dire affectés d'un élément d'extranéité) dont ils acceptent de voir le règlement pris en charge par les juridictions qu'ils ont instituées pour le règlement de leurs litiges privés internes. On conçoit sans peine que les États puissent vouloir limiter l’intervention de leurs juridictions à des litiges qui entretiennent des liens suffisants avec le for. D'une part, la justice est un service public qui a un coût que les États peuvent légitimement vouloir limiter ; d'autre part, l'éloignement de la situation litigieuse par rapport au for est source de complications, en termes d'accès aux preuves ou de signification des actes. Dans le même temps, les travaux de la doctrine contemporaine ont révélé que l'attraction vers le for de certains litiges internationaux, et notamment de litiges économiques, pouvait être un enjeu source d'une concurrence juridictionnelle entre les États. Il existe donc à l'heure actuelle une tension entre d'un côté le souci de limiter l'encombrement du rôle des juridictions nationales par les litiges internationaux, et de l'autre la volonté d'attirer devant les juridictions nationales certains litiges économiques conçus comme une source de prospérité nationale et un facteur d'influence du for sur la vie économique mondiale.
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Cette concurrence entre juridictions étatiques, pour le règlement des litiges privés internationaux, est née spontanément parce que les règles de compétence internationale ont d’abord fait l’objet d’une édiction unilatérale. Selon un principe lié au concept de souveraineté, chaque État édicte les règles de compétence internationale de ses propres juridictions, tandis qu'il ne se mêle en aucune façon de la manière dont les autres États définissent les règles de compétence internationale de leurs juridictions nationales. Le droit de la compétence internationale des juridictions françaises n'est donc pas nécessairement identique à, ni même proche du droit de la compétence internationale des juridictions australiennes par exemple. Cette méthode unilatérale a toutefois ses limites, dont les États sont suffisamment conscients pour avoir, au moins ponctuellement, cherché à coordonner leur action en la matière. En marge des règles nationales de compétence internationale des juridictions se sont donc développées des règles de compétence internationale de source « internationale » qui, se superposant aux règles d'origine nationale, sont un facteur de complexité.
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En effet, parce que les sources des règles susceptibles de régir sa compétence internationale sont multiples, le juge français doit respecter une méthodologie en deux temps pour apprécier sa compétence internationale pour connaître d’un litige. Dans un premier temps, il doit identifier, en considération des caractéristiques du litige dont il est saisi, la source pertinente des règles de compétence qu’il pourrait être conduit à appliquer. Il aura le choix entre des sources conventionnelles, des sources européennes et des sources internes. Dans un second temps, une fois cette identification opérée, le juge français doit déterminer quelle est, au sein du corpus de
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règles qu’il a jugé applicable, la règle de compétence internationale dont la mise en œuvre est juridiquement justifiée. Suivant cette méthodologie, les sources des règles de compétence internationale des juridictions françaises seront d’abord envisagées (section 1), avant que ne soit présentée la typologie des principales règles de compétence internationale des juridictions françaises (section 2).
Sources des règles de compétence internationale des juridictions françaises 296
En l'absence de toute répartition précise de la compétence de juridiction par le droit international entre les États, il est revenu à ces derniers de déterminer, unilatéralement, les règles de compétence juridictionnelle appliquées par leurs propres tribunaux. C’est ainsi que la France a élaboré un droit français de la compétence internationale des juridictions françaises, tandis que les autres États procédaient de même pour leurs propres juridictions. Une telle édiction unilatérale et concurrente des règles de compétence est évidemment de nature à générer des conflits de compétence, puisqu'il est possible, et en réalité fréquent, que plusieurs États retiennent la compétence de leurs juridictions relativement à un même litige international (conflits positifs) ; plus rarement, il advient qu'un litige puisse ne se trouver soumis à la compétence d'aucun tribunal étatique (conflits négatifs).
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Cette situation de concurrence entre les tribunaux étatiques pour connaître d'un même litige « international » se règle en principe simplement : il revient aux parties, et plus précisément au demandeur, d'opérer un choix entre les différentes juridictions étatiques compétentes, en saisissant l'une d'entre elles. Cela est toutefois de nature à générer certaines difficultés. À titre d'exemple, il peut advenir que les deux parties à un litige saisissent chacune, pour ce même litige, un tribunal étatique différent. À la dualité de procédures succédera alors — sauf à ce que soient mis en œuvre des procédés efficaces de litispendance ou de connexité internationale (v. ss 490 s.) — une dualité de décisions qui coexisteront dans l'ordre juridique international, et qui peut-être donneront à une même question des réponses contradictoires. Cette situation n'est pas souhaitable et dessert finalement l'intérêt des parties. Cela explique que les États se soient parfois accordés pour définir de façon concertée des règles de compétence internationale. Cette œuvre de définition collective des règles de compétence internationale s’est révélée délicate à mener à l’échelle mondiale, où elle a néanmoins connu quelques succès. Mais c’est surtout à l’échelle régionale, et en particulier européenne, qu’elle s’est avérée la plus féconde. Il existe ainsi aujourd'hui de multiples règlements européens qui régissent la compétence du juge français pour connaître des litiges internationaux. Toute la difficulté est alors pour ce juge de choisir, entre règles de compétence édictées unilatéralement par la France (§ 1) et règles de compétence édictées collectivement, au niveau régional ou mondial (§ 2). Ce choix s’opère selon des règles de coordination des sources qui doivent être présentées (§ 3).
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1 Les règles de compétence édictées unilatéralement international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594602103
Un État comme la France est-il totalement libre de définir les règles de compétence internationale de ses juridictions ? La réponse doit être nuancée, car les États sont assujettis au droit international public. Or le droit international public comporte des règles de compétence étatiqueQ, qui ont pour objet de réglementer l'aptitude des États à exercer certains pouvoirs dans l'ordre juridique international (ces règles, propres à la compétence des États et relevant du droit international public, ne doivent pas être confondues avec les règles de compétence internationale des juridictionsQ, propres aux juridictions et relevant du droit international privé). Le droit international public reconnaît ainsi aux États souverains deux types de compétences distinctes, qu'il réglemente : la compétence normativeQ, qui est le pouvoir d'édicter des normes ; et la compétence d'exécutionQ, qui est le pouvoir de procéder à des actes d'exécution matérielle. Le pouvoir de rendre des décisions de justice, que l'on désigne parfois en droit international sous l'appellation de « compétence ou pouvoir de juridictionQ », est en réalité une composante de la compétence normative. La compétence normative des États recouvre en effet deux types de prérogatives : le pouvoir de définir des règles, c'est‑à-dire des normes générales et abstraites ; et le pouvoir de prononcer des décisions, c'est‑à-dire des normes particulières et concrètes. Ainsi le pouvoir de prononcer des décisions de justice – pouvoir que l’État délègue à ses juridictions par l’effet des règles de compétence internationale qu’il définit – se trouve-t‑il théoriquement encadré par le droit international public. Ce cadre théorique n’est pas dépourvu d’effets concrets ; il peut interdire, ponctuellement, à un État d’adopter certaines règles de compétence internationale. Mais il reste cependant globalement permissif. On verra ainsi à partir du cas particulier de la France, après avoir rappelé les rares contraintes liées au cadre théorique de droit international public (A), selon quels principes directeurs les États définissent usuellement la compétence internationale de leurs juridictions (B).
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A. Contraintes liées au cadre théorique du pouvoir de juridiction Il est un principe de droit international public dont l'existence ne saurait être contestée : les États ont une compétence exclusive pour s'auto-organiser. On attache à cette compétence exclusive le pouvoir reconnu aux États d'instituer les organes nécessaires à leur fonctionnement, et de définir — dans la limite de leur propre compétence internationale — les pouvoirs délégués à ces organes. Et on en déduit, s'agissant de la compétence internationale des juridictions étatiques, la compétence exclusive reconnue à chaque État pour définir les règles de la compétence internationale de ses propres tribunaux. Pour autant, la compétence internationale des juridictions n'étant qu'une fraction du pouvoir de juridiction que le droit international public reconnaît aux États, on conçoit que la liberté des États, pour la définition de ces règles, puisse être bridée par le droit international public. Un État ne peut déléguer à ses juridictions plus de pouvoirs qu'il n'en a lui-même, et il ne peut donc définir les règles de compétence internationale de ses propres juridictions que dans le respect des limites posées par le droit international public. Si le raisonnement est incontestablement exact, il ne faut toutefois pas exagérer les contraintes que le droit international public impose aux États en la matière. Les contraintes avérées, relatives à la qualité des parties ou à l’objet du litige, sont rares
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(1), tandis que l’existence de contraintes relatives à la localisation du litige est contestée (2).
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1. Contraintes avérées relatives à la qualité des parties ou à l’objet du litige 300
Deux principales règles de droit international public sont de nature à contraindre l’exercice, par les États, de leur pouvoir de juridiction dans certaines affaires. Tout d'abord, l'interdiction faite aux États de juger leurs pairs, fondée sur le principe de souveraineté étatique, se traduit par la consécration au profit des États et de leurs représentants (pour les immunités des organisations internationales, v. rubrique Débat) d'immunités juridictionnellesQ. Parce que les États souverains sont égaux, ils ne peuvent se juger mutuellement. Les États sont donc dépourvus de compétence de juridiction pour régler les litiges mettant en jeu, en tant que partie, un autre État. Lorsqu'un État est attrait comme partie devant les juridictions d'un autre État, il peut opposer, en fonction de l'objet du litige, soit l'immunité de juridictionQ — qui interdit que ses actes soient jugés par un autre État —, soit l'immunité d'exécutionQ — qui interdit que ses biens soient saisis par un autre État. Le juge devant lequel ces immunités sont soulevées doit alors constater l'irrecevabilité de la demande formée contre l'État souverain étranger. L'absence de compétence internationale de l'État du for rejaillit sur les pouvoirs du juge : si un État ne peut juger un autre État, a fortiori le juge de celui-là ne peut-il juger celui-ci. Le droit des immunités juridictionnelles est aujourd'hui réglementé de façon assez précise par les États, sur la base de principes de droit international public essentiellement coutumiers dont la force a été récemment rappelée par la Cour internationale de justice. En France la Cour de cassation, tout en rappelant de façon constante le principe des immunités, en a dessiné un régime qui révèle leur caractère seulement relatif. D'une part, un État a toujours la faculté de renoncer tant à son immunité de juridiction qu'à son immunité d'exécution. La jurisprudence française est toutefois marquée, en ce qui concerne les modalités de renonciation à l’immunité d’exécution, par une certaine instabilité (Civ. 1 re, 28 mars 2013, NML ; Civ. 1re, 13 mai 2015, Commisimpex I ; Civ. 1 re, 10 janv. 2018, Commisimpex II, sur lesquels v. rubrique Documents). D'autre part et en toute hypothèse, tous les actes et tous les biens des États ne sont pas indifféremment couverts par les immunités juridictionnelles : d'un côté, seuls les actes de puissance publique (jure imperii), à l'exclusion des actes de pure gestion privée (jure gestionis) d'un État bénéficient de l'immunité de juridiction (Civ. 1 re, 25 févr. 1969, Sté Levant Express, v. rubrique Documents) ; de l'autre, seuls les biens que cet État a affectés à une activité liée à l'exercice de la puissance publique, c’est‑à-dire utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques, à l'exclusion de ceux affectés à une activité économique ou commerciale de droit privé (Civ. 1re, 14 mars 1984, Eurodif, v. rubrique Documents ; 1 oct. 1985, Sonatrach, v. rubrique Documents, 28 mars 2013, NML, v. rubrique Documents), sont couverts par l'immunité d'exécution. Ces règles jurisprudentielles ont été intégrées aux articles L. 111-1-1 à L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution, qui les précise, par la loi dite Sapin II (L. no 2016-1691 du 6 déc. 2016).
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Ensuite, la compétence exclusive reconnue aux États pour s'organiser implique que les juridictions d'un État sont nécessairement compétentes dans les litiges mettant en cause le fonctionnement des organes étatiques du for, et qu'elles sont
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corrélativement incompétentes pour connaître des litiges mettant en cause le fonctionnement des organes étatiques étrangers. En effet, le juge du for n'a aucun pouvoir d'injonction à l'encontre des organes publics étrangers. De ce fait, il ne peut : ni ordonner la transcription d'une mention sur un registre public étranger, ni imposer l'inscription d'un brevet à l'étranger ou au contraire sa radiation, ni même ordonner à un officier public étranger de procéder à une saisie… On le verra, la compétence exclusive ainsi posée par le droit international public fonde certaines compétences exclusives posées par le droit international privé. En revanche, le monopole de la contrainte reconnu aux États sur leur territoire par le droit international public – qui a longtemps justifié une impossibilité pour les États d’autoriser l’exécution de mesures de contrainte à l’étranger – voit aujourd'hui son incidence sur la compétence de juridiction se réduire dans une importante proportion (v. ss 341).
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2. Contraintes contestées relatives à la localisation du litige Le droit international public définit-il une sphère spatiale dans laquelle est enfermée l'action normative des États ? En d'autres termes, impose-t‑il à l'État de n'édicter des normes — règles ou en l'espèce décisions de justice — que relativement à des situations qui présentent des liens suffisants avec le for ? Pour prendre un exemple extrême, un État pourrait-il légitimement accepter que soient soumis à ses tribunaux des litiges purement internes à un autre État, ou bien cette revendication de compétence internationale serait-elle contraire au droit international public ?
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De prime abord, le droit international public paraît se désintéresser de ces questions. Plus exactement, il confère apparemment aux États une totale liberté que traduisent les termes du célèbre arrêt Lotus rendu par la Cour permanente de justice internationale le 7 septembre 1927 (Publications CJPI, Série A, no 10 ; Rev. crit. DIP 1928. 377, note H. Donnedieu de Vabres) : « loin de défendre d'une manière générale aux États d'étendre leurs lois et leur juridiction à des personnes, des biens et des actes hors du territoire, il leur laisse à cet égard une large liberté, qui n'est limitée que dans quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les plus convenables ». Sur la base de cet arrêt, une partie de la doctrine s'est attachée à démontrer qu'aucune règle prohibitive du droit international public n'interdit aux États d'étendre la compétence de leurs tribunaux à des litiges sans lien territorial ou personnel avec le for : aucune répartition « spatiale » des litiges entre les États ne peut donc être déduite du droit international public
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Certains auteurs ont pourtant soutenu que le droit international public, sans offrir de critère de répartition précis de la compétence de juridiction des États, imposerait tout au moins à ces derniers de ne retenir la compétence internationale de leurs tribunaux que relativement à des litiges présentant des liens raisonnables avec le for. À tout le moins leur serait-il interdit de s'immiscer dans les affaires des autres États souverains, et en conséquence de prétendre connaître des litiges purement internes à ces derniers. Empiriquement, il est vrai que les États s'abstiennent le plus souvent de retenir la compétence de leurs juridictions pour les affaires sans lien avec le for. On peut toutefois douter que le motif en soit leur souci de respecter une règle de droit international public ; il s'agit tout simplement d'une prescription que leur
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impose la raison. Un État n'a aucun intérêt à étendre excessivement la compétence internationale de ses tribunaux, alors même que l'instruction d'une affaire sans lien avec le for est relativement complexe. D'ailleurs, l'analyse de l'usage concret que font les États de leur pouvoir de juridiction confirme leur grande liberté en la matière.
B. Principes directeurs de la compétence internationale des juridictions 306
Dans le respect des rares contraintes posées par le droit international public, chaque État édicte librement les règles de compétence internationale de ses tribunaux. Le droit de la compétence internationale en France n’est donc pas identique à celui des autres États, et il n’est pas possible de présenter exhaustivement toutes les règles de compétence édictées par les États. Cependant, en dépit de différences réelles d’un État à l’autre, un certain nombre de convergences se dessinent, car les principes directeurs restent globalement les mêmes. Ce sont ces principes directeurs que l’on présentera, en spécifiant l’application qu’en fait le droit français de la compétence internationale. En schématisant, il est possible de distinguer quatre justifications majeures à la définition des règles de compétence : le souci de privilégier une bonne administration de la justice (1), le désir de protéger la souveraineté étatique (2), la volonté de garantir l'accès au for (3) et, enfin, l'intégration de considérations substantielles (4).
1. Souci de privilégier une bonne administration de la justice 307
La bonne administration de la justice intègre trois préoccupations principales : l'économie procédurale, l'efficacité de la justice, et l'équilibre entre demandeur et défendeur. L'économie procédurale tout comme l'efficacité de la justice postulent l'existence d'une proximité suffisante entre le for et le litige tandis que la recherche d'un équilibre entre demandeur et défendeur impose de veiller à une certaine neutralité des règles de compétence. En grande majorité, les États ont construit leurs règles de compétence internationale sur la base de ces considérations que l'on peut qualifier de « privatistes ». C'est le cas de la France.
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Les textes de droit processuel français ne comportant aucune règle de compétence internationale des juridictions françaises (cep. v. ss 389 s., les règles de compétence fondées sur la nationalité insérées au Code civil) ; il est revenu à la jurisprudence, comme elle l'avait fait en matière de conflit de lois, de définir ces règles de compétence. Mais cette œuvre a été étroitement fondée sur les textes, en application du principe fondamental posé par les arrêts Pelassa (Civ. 19 oct. 1959, Rev. crit. DIP 1960. 215, note Y. L. ; D. 1960. 37, note G. Holleaux) et Scheffel (Civ. 1re, 30 oct. 1962 ; v. rubrique Documents) : la compétence internationale des juridictions françaises se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne. C'est donc en utilisant les règles de compétence territoriale interne aujourd'hui posées par le Code de procédure civile que l'on définit les règles de compétence internationale. À la règle posée par l'article 42 du Code de procédure civile, selon laquelle « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur » (al. 1er), correspond donc la règle de compétence internationale selon laquelle « les juridictions françaises sont compétentes lorsque le défendeur est domicilié en France » ; à la règle posée par l'article 44 du Code de procédure
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civile, selon laquelle « en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble est seule compétente », correspond la règle de compétence internationale selon laquelle « les juridictions françaises sont seules compétentes en matière réelle immobilière lorsque l'immeuble est situé en France ». Ce dernier exemple atteste cependant de ce que, aux considérations de bonne administration de la justice, se mêlent parfois des considérations de souveraineté.
2. Protection de la souveraineté étatique Longtemps, la problématique de la compétence internationale des juridictions a été conçue en termes de conflits de souverainetés : certains litiges, parce qu’ils étaient considérés comme relevant de la sphère de souveraineté d’un État, devaient être soumis à ses juridictions. Cette approche a par exemple un temps justifié, en France, la règle de compétence des juridictions françaises pour connaître des litiges entre français, et la règle corrélative d’incompétence de ces juridictions pour connaître des litiges entre étrangers (règle finalement remise en cause par la jurisprudence Scheffel, v. rubrique Documents). Mais l'évolution des idées, parallèle à celle menée pour le conflit de lois, a conduit la doctrine à progressivement substituer au fondement de souveraineté un fondement privatiste et proximiste. Pourtant, l’idée qu’un État souverain serait fondé à exiger que certains litiges soient impérativement soumis à ses tribunaux n’a pas totalement disparu. Elle a souvent été invoquée pour justifier les règles de compétence exclusiveQ, par exemple celle réservant au juge du lieu d’exécution d’une mesure de contrainte la compétence pour ordonner cette mesure. Même dans ce domaine toutefois, les considérations de proximité tendent aujourd'hui à l’emporter sur les considérations de souveraineté (v. ss 336 s. sur les compétences exclusives). Et c’est essentiellement en matière économique que la souveraineté est encore invoquée par les États pour tenter de prendre l’ascendant sur le règlement de certains litiges internationaux. En France, les privilèges de juridiction fondés sur la nationalité (art. 14 et 15 du Code civil, sur lesquels v. ss 389 s.) pourraient être considérés comme une réminiscence de l’approche souverainiste, mais ces privilèges concrétisent également la volonté d’offrir aux plaideurs français la certitude d’un accès à un tribunal.
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3. Volonté de garantir l'accès au for Certaines règles de compétence traduisent la volonté de garantir l'accès des plaideurs au for. Là encore, les motivations peuvent s'avérer assez différentes selon la règle envisagée. La volonté de garantir l'accès au for peut être justifiée, tout d'abord, par le souci d'éviter d'éventuels conflits négatifs de compétence. On l'a dit, l'édiction unilatérale des règles de compétence internationale par les États peut avoir pour résultat qu'un litige donné échappe à l'emprise de toute juridiction étatique, car n'entrant dans le champ de compétence d'aucune. Cette situation est inadmissible, car elle prive les plaideurs d'un droit pourtant jugé fondamental : l'accès au juge. C'est pourquoi de nombreux États, dont la France, retiennent une règle de compétence internationale fondée sur le déni de justiceQ : si la compétence internationale des juridictions du for n'est pas autrement fondée, et que le demandeur justifie de l'impossibilité — matérielle ou juridique — dans laquelle il se trouve de saisir un quelconque tribunal étranger, les tribunaux du for peuvent se reconnaître compétence. Certains ordres juridiques exigent toutefois, à titre de condition supplémentaire, que le litige présente au moins un point de contact avec le for. C'est la position
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des juges du fond en France, mais la Cour de cassation n'a jamais eu l’occasion de confirmer cette exigence. C'est également l'option retenue par le droit de l'Union européenne qui consacre le for necessitatisQ dans le règlement Obligations alimentaires (art. 7), dans le règlement Successions (art. 11), dans le règlement Régimes matrimoniaux (art. 11) et dans le règlement Effets patrimoniaux des partenariats (art. 11)Q : lorsqu’elles ne sont pas compétentes selon les règles posées par ces règlements, les juridictions des États membres peuvent néanmoins retenir leur compétence, à titre exceptionnel, si la procédure ne peut être raisonnablement introduite ou conduite ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit ; mais il faut que le litige présente un « lien suffisant » avec l'État membre dont la juridiction est saisie. Tout autre est l'esprit qui préside à l'édiction par les États de règles de compétence exorbitanteQ. Le propre de la compétence exorbitante est d'être retenue alors même que les liens qu'entretient le litige avec le for sont a priori trop ténus pour justifier, sur la base de considérations de bonne administration de la justice, cette compétence. L'édiction d'une règle de compétence exorbitante marque alors la volonté d'un État d'« attirer » certains litiges vers le for. Cette attraction peut elle-même se justifier par des motifs divers : souci d'offrir une protection juridictionnelle aux nationaux — pour les chefs de compétence exorbitants fondés sur la nationalité (c'est le cas de C. civ., art. 14 et 15 français sur lesquels v. ss 389 s.) — ou aux locaux — pour le chef de compétence fondé sur le domicile du demandeur (forum actorisQ) ; souci de garantir une compétence du for dans des affaires potentiellement importantes d'un point de vue économique (compétence fondée sur la « nationalité » des biens), ou souci de conserver la maîtrise des biens situés sur le territoire — pour le chef de compétence fondé sur la présence des biens en cause sur le territoire (for du patrimoine). Les considérations de souveraineté se mêlent ici étroitement à celles de bonne administration de la justice.
4. Intégration de considérations substantielles 312
Certaines règles de compétence internationale sont dessinées de façon à intégrer des considérations d'ordre substantiel. C'est ainsi que se sont développées des règles de compétence protectrices des parties faibles, au profit des salariés ou des consommateurs. Le souci de protection se traduit généralement par la consécration d'un forum actoris au profit de la partie faible, alors même on l'a vu que ce chef de compétence est normalement jugé exorbitant : le consommateur peut par exemple saisir les tribunaux du lieu de son propre domicile. On peut également évoquer ici les règles qui valident les prorogations volontaires de compétence (clauses attributives de juridiction), car l'accueil que réservent les États à ces manifestations de volonté a pour objectif de favoriser le développement du commerce international. Les principes directeurs qui viennent d’être présentés, et qui guident l’édiction unilatérale des règles de compétence par les États, vont aussi guider le processus d’élaboration collectif de ces règles.
§ 313
2 Les règles de compétence édictées collectivement
L'absence de règle de droit international public coutumier, opérant une répartition des litiges de droit privé entre les États, pourrait être efficacement surmontée par la
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définition de règles conventionnelles de droit international public procédant à cette répartition. Aucune tentative destinée à élaborer un tel droit « mondial » de la compétence internationale des juridictions n'est toutefois parvenue à son terme ; on a évoqué, déjà (v. ss 62), l'échec du projet de convention mondiale sur la compétence internationale des juridictions et l'effet des jugements étrangers, initié en 1996 par la conférence de La Haye. Après plusieurs années de travail, ce projet a dû être abandonné en raison de l'impossibilité de parvenir à un accord entre des participants dont les traditions processuelles étaient trop éloignées, et si les discussions ont repris en 2016, elles ont été sagement limitées à la question de la reconnaissance et de l’exécution des jugements. Les travaux menés au début des années 2000 ont néanmoins permis l’adoption d’une convention internationale dont l’objet est plus modeste, puisque limité aux accords d’élection de for : La convention de La Haye du 30 juin 2005. L’Union européenne n’a pas rencontré les mêmes difficultés, et a fait œuvre utile pour élaborer un droit de la compétence internationale commun aux États membres. La construction d'un droit européen de la compétence internationale des juridictions a été entreprise de longue date. Mais à l'origine, la Communauté économique européenne n'avait pas reçu de compétence pour harmoniser les règles de droit international privé des États membres. C'est donc dans un premier temps, certes dans le cadre communautaire, mais par la voie diplomatique des conventions internationales, que les États européens ont entrepris de définir des règles de compétence communes. Cette entreprise a conduit à la signature de deux conventions majeures, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, signée entre les États membres de la CEE, et la convention de Lugano du 16 septembre 1988, signée entre d’un côté les États membres de la CEE, de l’autre les États membres de l’AELE. En 1997, le traité d'Amsterdam a renforcé les compétences communautaires. La version consolidée du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comporte désormais un article 81 (traité CE, ex-art. 65) aux termes duquel « 1o L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l'adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres. 2 o Aux fins du paragraphe 1, Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des mesures visant à assurer : (…) c) la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence ». Ce texte confère ainsi compétence à l’Union européenne pour adopter des règles de droit international privé, de conflit de lois ou de conflits de juridiction. Et les institutions européennes ont adopté de nombreux instruments en application de cette disposition. C'est ainsi qu'un règlement général dit Bruxelles I, relatif à la compétence des juridictions en matière civile et commerciale, a pu être substitué à la convention de Bruxelles. Ce règlement a depuis été refondu (Bruxelles I bis). D'autres règlements plus sectoriels, proposant des règles de compétence des juridictions, ont été adoptés pour compléter ce texte général par des règles spéciales. Ces règlements seront présentés (A), avant que ne soient envisagées les principales conventions internationales qui traitent, de façon moins complète, des questions de compétence (B).
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A. Les règlements européens Faisant usage des pouvoirs reçus de l'article 65 du traité instituant la Communauté européenne, tel que modifié par le traité d'Amsterdam, devenu article 81 du TFUE lors de l'adoption du traité de Lisbonne, le Conseil de l'Union européenne dans un premier temps, puis le Conseil et le Parlement (selon la procédure de co-décision), ont adopté plusieurs règlements en matière de compétence internationale des juridictions. Le « système Bruxelles » constitue assurément l’œuvre centrale de l’Union européenne, car il définit, pour la matière civile et commerciale, une sorte de « droit commun » européen de la compétence des juridictions (1). Ce système est complété par des règlements spécifiques à certaines branches spéciales du droit (2).
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1. Le « système Bruxelles » applicable en matière civile et commerciale 316
L’œuvre de concertation européenne a été initiée très tôt en matière civile et commerciale. Le règlement du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I, est certes le premier règlement à définir des règles de compétence communes en la matière, mais il succède en réalité à un corpus de règles issues d’une convention conclue entre les États membres de la CEE dès 1968 (la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 déjà mentionnée), dont il épouse le domaine d’application matériel. Dans ce même domaine, le règlement Bruxelles I est aujourd'hui à son tour remplacé par le règlement (UE) no 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis. Ces différents instruments, que l’on désignera collectivement sous l’appellation « système Bruxelles » pour la suite des développements, constitue, on l’a dit, une sorte de droit commun de la compétence des juridictions des États membres de l’Union européenne, en raison de son domaine d’application matériel large (a), et ce même si son champ d’application dans l’espace (b) reste limité. Les trois instruments que sont la convention de Bruxelles, le Règlement Bruxelles I et Règlement Bruxelles I bis étant conçus pour se succéder, ils s’articulent principalement, entre eux, en fonction de leur application dans le temps (c).
a. 317
Champ d’application matériel
Le système Bruxelles régit les litiges dont l’objet relève de la matière civile et commerciale. Cette notion n’est pas textuellement définie par les instruments, mais la CJUE impose néanmoins d’en retenir une définition autonome. Sont expressément exclues les « matières fiscales, douanières ou administratives » ainsi que les litiges relatifs à « la Responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta juri imperii) » (art. 1 Règl. Bruxelles I bis). On en déduit que les instruments du système Bruxelles ne régissent pas les litiges de droit public, c'est‑à-dire les litiges impliquant « une autorité publique agissant dans l'exercice de la puissance publique » (par ex., CJCE 16 déc. 1980, Rüffer, JDI 1982. 463, obs. J.-M. Bischoff). Dans cette approche, la nature de la juridiction saisie est indifférente, seule la nature du litige importe ; à titre d’exemple, la partie civile d’une décision pénale (rendue sur plainte avec constitution de partie civile) relève bien du système Bruxelles, même si les décisions pénales ne sont en principe pas couvertes. Tous les litiges de droit privé ne sont pas inclus dans le domaine d’application du système Bruxelles, quoique la CJUE tende à retenir une conception large de la matière civile et commerciale en interprétant strictement les exclusions textuelles.
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b.
Champ d’application spatial
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Sont ainsi exclus par l’article 1er les contentieux portant à titre principal sur la matière familiale (état et capacité des personnes physiques, régimes matrimoniaux, testaments, successions, obligations alimentaires découlant des relations de famille) ; l’arbitrage ; les faillites ; la sécurité sociale. Certains de ces contentieux sont appréhendés, sous l’angle de la compétence internationale, par d’autres règlements, d’autres sont laissés à la discrétion des États membres. En revanche, pour la CJUE, le fait qu’un litige dont l’objet principal relève du règlement pose une question préalable échappant au domaine d’application de celui-ci - par ex. la capacité d’une partie (question préalable) à conclure valablement un contrat (question principale) - ne fait pas obstacle à sa mise en œuvre pour identifier le juge compétent.
Le système Bruxelles a été conçu pour ne s’appliquer qu’aux seuls litiges intracommunautairesQ, globalement définis comme ceux dans lesquels le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre (mais ce critère général d’application dans l’espace n’est pas applicable pour toutes les règles de compétence, en particulier les règles de compétence exclusives, les règles relatives aux clauses attributives de juridiction et les règles protectrices). Lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État tiers, les règles européennes n’ont pas vocation à jouer, et ce sont donc les règles de compétence unilatéralement édictées par les États membres qui s’appliqueront. On notera à cet égard que l’idée « d’internationaliser » les règles de compétence européennes – c’est‑à-dire de les appliquer indifféremment aux litiges intracommunautaires et aux litiges impliquant des États tiers –, un temps discutée dans le cadre de la proposition de refonte du règlement Bruxelles I, a finalement été abandonnée (sauf pour certaines règles protectrices des parties faibles, v. ss 348).
c.
Champ d’application temporel
Lorsqu’un litige dont le défendeur est domicilié dans un État membre de l’Union européenne relève de la matière civile et commerciale, le juge doit choisir entre les règles de compétence issues de la Convention de Bruxelles, du règlement Bruxelles I ou du règlement Bruxelles I bis. Le critère pertinent pour opérer la sélection est normalement celui de la date d’introduction de l’action en justice. Les actions intentées à compter du 1 er mars 2002 relèvent en effet du Règlement Bruxelles I (sauf pour le Danemark, pour lequel l'entrée en vigueur est intervenue le 1er juillet 2007), celles intentées à compter du 10 janvier 2015 du Règlement Bruxelles I bis. Cette règle générale peut, exceptionnellement, être discutée pour l’application des dispositions relatives aux clauses attributives de juridiction (v. ss 354).
2. Les règlements spéciaux
318
319
En plus de ces dispositions générales, l'Union européenne a adopté des instruments plus sectoriels qui énoncent des règles de compétence des juridictions spéciales à certaines matières. Ces règlements spéciaux définissent leurs champs d’application matériel et temporel respectifs. Contrairement au système Bruxelles, ils ne limitent pas nécessairement leur champ d’application spatial aux seuls litiges dans lequel le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre. Il faut donc être très vigilant au moment de les mettre en œuvre.
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En matière familiale, un règlement du 23 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
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responsabilité parentale, dit « règlement Bruxelles II bis », abrogeant un précédent règlement du 29 mai 2000, dit « règlement Bruxelles II », est actuellement en vigueur. Les deux règlements successifs ne conditionnent pas leur applicabilité à la domiciliation du défendeur dans l’Union européenne. Leurs domaines d’application dans le temps sont naturellement différents, puisque l’un remplace l’autre (pour les actions introduites à compter du 1er mars 2005). Mais ils se distinguent surtout par leur domaine matériel d'application, le règlement Bruxelles II bis ayant élargi le domaine couvert par le règlement Bruxelles II. En effet, alors que le second ne traitait de la compétence qu'en matière matrimoniale (divorce, séparation de corps et annulation du mariage) et de responsabilité parentale à l'égard des enfants communs en cas de rupture du lien conjugal, le premier envisage, outre la compétence en matière matrimoniale, la responsabilité parentale dans son ensemble. Une révision du règlement Bruxelles II bis a été un temps envisagée pour non seulement réformer les règles de compétence, mais également y inclure de règles harmonisées de conflit de lois. La proposition de nouveau règlement présentée par la Commission le 17 juillet 2006, intitulée Rome III (COM [2006] 399 final), a reçu un accueil très mitigé de la part de certains États, hostiles à l'harmonisation des règles de conflit de lois en la matière. Dans ces conditions, 9 puis 12 États membres (dont la France) ont demandé à être autorisés à mettre en œuvre le mécanisme de coopération renforcée prévu par le traité, pour adopter un instrument applicable à eux seuls (au moins dans un premier temps). La Commission, puis le Conseil en mars et juin 2010, ont accepté le principe de cette coopération renforcée, et le règlement Rome III – liant les seuls États parties à la coopération renforcée et ne traitant que de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps – a été adopté le 20 décembre 2010 (Règl. UE no 1259/2010, sur lequel v. ss 715 s.). Le règlement Bruxelles II bis reste donc, dans le domaine de la compétence des juridictions, applicable en l'état ; une proposition de révision a toutefois été publiée le 30 juin 2016 (COM (2016) 411/2) et est actuellement soumise à la concertation.
322
L’Union européenne a également adopté le 18 décembre 2008 un règlement en matière d'obligations alimentaires (Règl. n o 4/2009 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires). Ainsi qu'il ressort de son intitulé, ce texte définit, outre des règles de conflit de lois, des règles de compétence des juridictions des États membres en la matière ; il s'applique aux actions intentées après 18 juin 2011, sans condition de domiciliation du défendeur dans l’Union européenne.
323
La même approche globale, incluant les (mais non limitée aux) questions de compétence, a été menée en matière de successions par le règlement n o 650/2012 du 4 juillet 2012, qui s’applique aux successions des personnes décédées après le 17 août 2015. L’application du règlement est en principe limitée aux successions des défunts qui avaient leur résidence habituelle dans un État membre au moment de leur décès, mais une disposition (art. 10, v. ss 825) permet d’étendre son application aux successions de certains défunts qui ne résidaient pas dans l’Union européenne au moment de leur mort, dès lors que certains biens successoraux sont localisés en Europe.
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Toujours en matière patrimoniale familiale, deux autres règlements traitant à la fois des questions de compétence, de loi applicable, et de reconnaissance et d’exécution
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des décisions ont été adoptés le 24 juin 2016 dans le cadre de la coopération renforcée entre certains États, dont la France. Le règlement n o 2016/1103 traite des régimes matrimoniaux, le règlement n o 2016/1104 des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Les règles de compétence qu’ils édictent s’appliqueront à toutes les actions dont seront saisis les juges français, relativement à des régimes matrimoniaux ou des effets patrimoniaux de partenariats ayant une incidence transfrontière, à compter du 29 janvier 2019. Le droit des procédures d’insolvabilité a également fait l’objet d’une coordination dans l’Union européenne. Un premier règlement n o 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité a défini des règles communes, notamment mais pas exclusivement relatives à la compétence des juridictions, applicables aux seules faillites intra-communautaires, c’est‑à-dire aux procédures concernant un débiteur dont le centre des intérêts principaux est situé dans l’Union européenne. Ce règlement a été récemment refondu par un règlement no 2015/848 du 20 mai 2015, qui s’applique aux procédures intra-communautaires ouvertes après le 26 juin 2017.
325
B. Les conventions internationales En matière de compétence internationale, les États ont beaucoup œuvré par voie de conventions bilatérales (pour un panorama complet des conventions bilatérales liant la France, v. S. Clavel, E. Gallant, Les grands textes de droit international privé, Dalloz, 2e éd., 2016). Ce manuel se concentrera toutefois sur les conventions multilatérales. On renoncera également à étudier, en dépit de son importance historique, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. L’épuisement progressif des contentieux initiés antérieurement au 1er mars 2002 (et pour les relations avec le Danemark, antérieurement au 1 er juillet 2007) conduit en effet à sa désuétude ; on peut toutefois se demander si cette convention ne pourrait être réactivée en conséquence du « Brexit » puisqu’elle lie encore le Royaume-Uni aux autres États membres de l’Union. Il convient en revanche de présenter les conventions de Lugano (1), ainsi que la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for (2).
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1. Les conventions de Lugano
Adoptée le 16 septembre 1988, la première convention de Lugano avait pour objet d'étendre l’application des règles instituées par la convention de Bruxelles aux relations entre les pays de la CEE et ceux de l'Association économique de libreéchange (AELE). Conséquence de l'absorption progressive des États membres de l'AELE par l'Union européenne, le nombre de ces États s'est réduit et ils ne sont plus aujourd'hui que trois : la Suisse, la Norvège, et l’Islande. Pour la rendre plus compatible avec l’évolution du droit de l’Union européenne, la Convention de Lugano a été révisée le 30 octobre 2007. La convention révisée est entrée en vigueur dans les relations entre l’Union européenne et : 1) la Norvège le 1 er janvier 2010 ; 2) la Suisse le 1er janvier 2011 ; 3) l’Islande le 1er mai 2011.
327
Le champ d’application matériel de la Convention de Lugano est identique à celui des instruments européens en matière civile et commerciale (système « Bruxelles »). Les dispositions relatives à la compétence sont proches, souvent identiques, mais elles peuvent parfois différer, et les divergences se sont accentuées avec l’entrée en
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vigueur du Règlement Bruxelles I bis. Il est donc essentiel de vérifier, en fonction des données spatiales du litige, si celui-ci relève du système « Bruxelles » ou du système « Lugano ». En matière de compétence, conformément à l’article 64 § 2 a) de la Convention de Lugano de 2007, c’est la réalisation du critère d’applicabilité dans un État de l’AELE qui emporte application de la convention plutôt que du système « Bruxelles ». Ainsi, dans une affaire présentant des liens avec la Suisse, la Norvège ou l’Islande, le juge français doit appliquer la Convention de Lugano si : 1) en matière de compétence exclusive, le chef de compétence est localisé dans l’un de ces trois pays ; 2) en présence d’une clause attributive de juridiction, les juridictions désignées par cette clause sont celles de l’un de ces trois pays ; 3) dans tous les autres cas, le défendeur est domicilié dans l’un de ces trois pays.
2. La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for 329
La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for est entrée en vigueur dans l’Union européenne le 1 er octobre 2015 ; elle s’applique en principe, dans les États contractants, aux conventions d’élection de for conclues postérieurement à cette date. À ce jour, elle ne lie, outre les États membres de l’Union européenne, que le Mexique et Singapour ; elle a été signée par les États-Unis d’Amérique, la Chine, le Montenegro et l’Ukraine, mais dans ces pays la ratification et donc l’entrée en vigueur sont encore attendues. Cette convention propose une réglementation assez complète des conventions relatives à la compétence des juridictions (élections de for ; sur lesquelles v. ss 351 s.), mais son champ d’application matériel est limité. D’une part, elle ne vise que les seuls accords exclusifs d’élection de for (art. 1.1), qu’elle définit comme ceux qui désignent « soit les tribunaux d’un État contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un État contractant, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal » (art. 3a). D’autre part, elle se dit applicable « en matière civile et commerciale » (art. 1.1), mais la généralité de cette portée est démentie par la très longue liste d’exclusions définies à l’article 2 ; elle ne régit en réalité que les clauses relatives aux litiges en matière contractuelle, et encore certains contrats usuels (not. transport) sont-ils exclus. Il conviendra cependant d’envisager avec précision les modalités de sa coordination avec le système « Bruxelles », dans le cadre de l’analyse de la teneur des règles de compétence internationale des juridictions françaises (v. ss 354), en application des règles de coordination qui vont être à présent exposées.
§ 330
3 Les règles de coordination des sources
Confronté à une multitude de sources possibles des règles régissant sa compétence internationale, le juge français doit, avant de pouvoir mettre en œuvre la règle applicable, identifier la source pertinente. Les sources internationales et européennes ayant une valeur hiérarchique supérieure aux sources internes, il doit d’abord vérifier si une convention internationale ou un règlement européen est applicable. Ce n’est que dans l’hypothèse où aucune convention internationale ni aucun règlement européen n’est applicable qu’il peut mettre en œuvre le droit commun français de la compétence internationale, lequel se trouve donc de plus en plus cantonné,
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avec la multiplication des sources supranationales, dans une fonction subsidiaire et résiduelle. Le raisonnement du juge français est ainsi articulé en trois étapes, au plus.
331
L’illustration proposée constitue le cas le plus simple, car un seul texte supranational est applicable pour déterminer la compétence des juridictions françaises. Mais il peut arriver – heureusement rarement – qu’un même litige entre dans le champ d’application de deux textes supranationaux. Il en va ainsi, par exemple, si une clause attributive de juridiction conclue le 21 décembre 2015 retient la compétence exclusive des juridictions françaises, car le litige entre alors dans le champ d’application du règlement Bruxelles I bis et de la convention de La Haye du 30 juin 2005 (sur ce cas particulier, v. ss 354). Lorsque tel est le cas, le juge doit – ce qui constitue une seconde étape du raisonnement – régler le conflit entre les normes supranationales concurrentes. Il utilisera en principe les clauses de déconnexionQ incluses dans les instruments supranationaux, dont l’objet est d’organiser la coordination entre ces instruments. Dans les instruments relatifs à la compétence internationale, ces clauses ont été prévues et évitent d’avoir à recourir aux règles mouvantes de règlement du conflit de conventions (v. Chapitre 2, Rubrique Débats).
332
Finalement – c’est la dernière étape, éventuelle – si le juge constate qu’aucun règlement européen ou convention internationale n’est applicable, il devra, pour apprécier sa compétence internationale, mettre en œuvre les règles de droit commun français, issues de l’internationalisation des règles de compétence territoriales. Ayant ainsi identifié la source des règles de compétence à laquelle il lui faut puiser, le juge français sera enfin en situation de rechercher, parmi les différentes règles proposées par la source considérée, celle qui s’applique au cas dont il est saisi. Il convient à présent de présenter la typologie et la teneur de ces règles.
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La première étape l’invite à déterminer, en considération des données factuelles du litige dont il est saisi, si celui-ci entre dans le domaine d’application d’un règlement européen ou d’une convention internationale. Pour mener cette analyse, il opère une triple vérification : en fonction de la matière du litige (champ d’application matériel) ; en fonction de la chronologie des événements pertinents (champ d’application temporel) ; en fonction de la localisation géographique des éléments du litige (champ d’application spatial). Ainsi, si le juge est saisi le 20 mars 2016 d’une demande en paiement du prix de marchandises vendues, formée par un vendeur anglais contre un acheteur français, il devra déterminer sa compétence internationale en application du règlement Bruxelles I bis car celui-ci régit : 1) la matière civile et commerciale, dont le contrat de vente relève ; 2) les actions en justice introduites après le 10 janvier 2015 ; 3) les actions formées contre un défendeur domicilié dans un État membre de l’Union européenne. L’applicabilité du règlement européen interdit de mettre en œuvre le droit commun français, qui cède devant la norme supranationale hiérarchiquement supérieure.
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section
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On comprend, au regard de ce qui vient d’être exposé quant aux sources des règles de compétence, que ces règles peuvent varier selon leur origine. La méthodologie consiste donc à rechercher dans la source qui a été jugée applicable quelle règle de compétence est pertinente en fonction des caractéristiques du litige. Il serait fastidieux de lister ici, instrument par instrument, l’ensemble des règles de compétence internationale ; en outre ces règles seront précisées, pour chaque matière, dans la partie spéciale de cet ouvrage (partie 3). Il est plus utile, en partant du constat que d'indéniables convergences existent quant à la teneur des règles de compétence internationale définies par les nombreux instruments applicables, de proposer une typologie des règles de compétence internationale permettant d’en souligner les spécificités. Par souci de synthèse, on distinguera la compétence « renforcée » qui se caractérise par sa particulière impérativité (§ 1), la compétence ordinaire (§ 2), la compétence en matière provisoire (§ 3) et enfin les compétences exorbitantes (§ 4).
§ 335
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Typologie des principales règles de compétence internationale des juridictions françaises
1 Compétence « renforcée »
Par compétence « renforcée », on entend ici des règles qui sont revêtues d'une particulière impérativité, en sorte qu'elles excluent le jeu des compétences ordinaires et qu'elles doivent – si leur applicabilité est acquise – être respectées aussi bien par les parties que par les juges. Si l'on tente de hiérarchiser entre elles ces règles de compétence renforcée, on est conduit à envisager par ordre décroissant d'impérativité les règles de compétence exclusive (A), les règles de compétence protectrices (B) et les règles régissant les élections de for et la prorogation de compétence (C).
A. Règles de compétence exclusive 336
Le contentieux de droit international privé se caractérise, on l'a déjà signalé, par la concurrence des ordres juridictionnels : les plaideurs ont en principe la possibilité de sélectionner, parmi les divers ordres juridiques dont les tribunaux se reconnaissent compétents pour un litige donné, celui de leur choix, en fonction de considérations qui leur sont propres ; et les États leur reconnaissent cette faculté. Exceptionnellement, un ordre juridique peut toutefois être enclin à considérer que ses tribunaux sont les seuls qui puissent légitimement se reconnaître compétence internationale pour statuer sur un litige qui entretient des liens spécifiques avec le for. Cette compétence est alors dite « exclusive ». Il faut toutefois bien être conscient que la prétention d'un État à imposer la compétence exclusive de ses juridictions peut ne pas être suivie d'effet dans les autres États, qui proposeront parfois néanmoins des chefs de compétence concurrents au profit de leurs propres juridictions. La question
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de l'effectivité de la compétence exclusive se pose alors. L'inventaire des règles de compétence exclusive (1) mérite ainsi d'être complété par une analyse du régime de ces compétences (2), pour en éprouver l'effectivité.
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1. Inventaire des compétences exclusives La compétence exclusive des juridictions françaises est aujourd'hui consacrée, en certaines hypothèses, par le droit de l'Union européenne. Le système Bruxelles (art. 22 Règl. Bruxelles I ; art. 24 Règl. Bruxelles I bis) définit en effet des chefs de compétence exclusive, dotés d’un champ d’application dans l’espace dérogeant au champ d’application général du système : les règles de compétence exclusives sont en effet applicables lorsque le critère de compétence qu’elles retiennent se réalise sur le territoire d’un État membre, même lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État tiers (alors que les règles de compétence ordinaire du règlement ne s'appliquent en principe que si le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre,v. ss 318 ; et sur l'effet « réflexe » de ces règles, v. ss rubrique Débat). L'énumération des compétences exclusives par les règlements européens est limitative.
337
Le droit commun français consacre également, lorsqu'il est applicable, des compétences exclusives au profit des tribunaux français. En l'absence de toute définition légale des règles de compétence internationale, il est revenu à la jurisprudence de déterminer quelles sont celles qui revêtent la qualité de règles de compétence exclusive. Mais cette détermination s'opère au cas par cas, sans qu'un « grand arrêt » ait entrepris d'en offrir une liste exhaustive. Tout au plus peut-on évoquer l'enseignement de l'arrêt Weiss (v. rubrique Documents) qui, retenant la compétence générale des juridictions françaises fondées sur les articles 14 et 15 du Code civil, réserve les « actions réelles immobilières et demandes en partage portant sur des immeubles situés à l'étranger », ainsi que les « demandes relatives à des voies d'exécution pratiquées hors de France » : si la compétence des juridictions françaises doit ici être écartée, c'est qu'une compétence exclusive est reconnue aux tribunaux étrangers. Par extension, une compétence exclusive doit très certainement être réservée aux juridictions françaises pour les mêmes actions lorsque les immeubles en cause sont situés en France et les voies d'exécution pratiquées en France ; la règle rejoint d'ailleurs celle posée par le droit de l'Union européenne, qui retient l'exclusivité de la compétence du tribunal du lieu de situation de l'immeuble en matière immobilière (art. 22-1 Règl. BI, art. 24-1 o Règl. BI bis) tout comme celle du tribunal du lieu d'exécution pour les mesures d'exécution (art. 22-5 o Règl. BI, art. 24-5 o Règl. BI bis).
338
Tout aussi complexe que l'identification du contenu précis des règles de compétence exclusive est l'appréhension des raisons qui justifient leur édiction. Fréquemment, les États y ont recours pour garantir l'application d'une loi locale, assurant ainsi une liaison exceptionnelle (v. le principe d'indépendance, v. ss 7) entre compétence juridictionnelle et compétence législative. On a évoqué, par exemple, l'impérativité somme toute relative que revêtent les lois de police dans l'ordre juridique international, en raison de la possibilité offerte aux parties d'échapper à la compétence juridictionnelle de l'ordre juridique étatique à l'origine de ces lois, et donc à leur application (v. ss 188 s.). Combiner l'édiction d'une loi de police, et la définition d'une compétence exclusive des tribunaux du for pour connaître des litiges dans lesquels cette loi est appelée à s'appliquer, apparaît donc comme un moyen de garantir son
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effectivité. La règle de compétence exclusive est ici dictée par des considérations de politique publique. Mais d'autres fondements peuvent être décelés. Certains renvoient à l'idée de souveraineté étatique : lorsqu'une compétence étatique normative est conçue comme exclusive par le droit international public, elle est nécessairement aussi exclusive en droit international privé ; ainsi, parce que les États ont une compétence exclusive pour s'auto-organiser, les litiges dont l'objet est le fonctionnement d'un service public sont normalement soumis à la compétence exclusive des tribunaux de l'État dont le service public est en cause (v. la compétence exclusive pour les inscriptions sur les registres publics). D'autres compétences exclusives, en revanche, restent attachées à l'idée de bonne administration de la justice, tant elles semblent dictées par des considérations de proximité et d'effectivité de la décision attendue ; c'est le cas, par exemple, de la compétence exclusive retenue en matière réelle immobilière. C'est en conservant à l'esprit ces hésitations que l'on présentera succinctement les trois principales compétences exclusives usuellement retenues : la compétence en matière immobilière, la compétence en matière d'exécution, et la compétence relative aux services et registres publics.
340
En matière immobilière, la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble est retenue, s'agissant des actions mettant en cause des droits réels à titre principal, tant par le droit français (v. arrêt Weiss, v. rubrique Documents et aussi par exemple, implicite : Civ. 1re, 26 mai 1999, no 97-12.996) que par le droit de l'Union européenne (Règl. BI, art. 22-1, Règl. BI bis, art. 24-1). Les actions personnelles en revanche, même relatives à un immeuble, échappent en principe à la compétence exclusive. À cette convergence des droits communs français et européens, deux exceptions doivent être relevées. Tout d'abord, il résulte de l'arrêt Weiss (v. rubrique Documents) qu'en droit français, les actions en partage d'immeuble relèvent de la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble, tandis que le système Bruxelles ne considère pas cette compétence comme exclusive dès lors que ces actions ont un caractère personnel ou mixte. Ensuite, les règlements européens incluent dans la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation de l'immeuble les actions en matière de baux d'immeubles. Ces actions revêtent un caractère personnel selon les conceptions françaises, et elles échappent donc à la compétence exclusive en droit commun. En droit européen, la décision a été prise de les inclure dans le domaine de la compétence exclusive, pour éviter toute divergence d'application entre les États membres. Une exception a toutefois été prévue pour les locations saisonnières : le demandeur bénéficie d'une option de compétence entre le tribunal du lieu de situation de l'immeuble et celui du domicile du défendeur pour les actions relatives à un bail d'immeuble conclu « en vue d'un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs », dès lors que propriétaire et locataire sont des personnes physiques domiciliées dans le même État membre.
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En matière d'exécution, il est de principe, en droit européen (Règl. B I 22-5 et Règl. B I bis 24-5) comme en droit commun français (arrêt Weiss, v. rubrique Documents ; et par ex. Com. 5 janv. 1999, Bull. civ. IV, no 2) que les juridictions d'un État ont une compétence exclusive pour connaître des voies d'exécution des décisions de justice
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La compétence internationale des juridictions
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mises en œuvre sur leur territoire. Encore convient-il de bien mesurer la portée de cette compétence exclusive, qui n'est pas absolue. Tout d'abord, s'agissant des voies d'exécution proprement dites, il importe de distinguer le contentieux de la réalisation de la mesure d'exécution, des autres contentieux relatifs à cette mesure. Seul le contentieux de la réalisation est soumis à la compétence exclusive du tribunal du lieu d'exécution ; il revient donc à ce dernier, et à lui seul, de connaître des contestations propres à la mesure d'exécution, par exemple d'une action en opposition à exécution. Le contentieux de l'autorisation, en revanche, échappe à la compétence exclusive des tribunaux du lieu d'exécution de la mesure. Toute juridiction, compétente sur le fondement d'un critère ordinaire, peut donc autoriser une mesure d'exécution, même si celle-ci est susceptible d'être exécutée à l'étranger. C'est ce qu'a affirmé la CJUE, dans le contexte européen, en autorisant le prononcé de mesures conservatoires sur des biens situés dans un autre État membre (CJCE 27 mars 1979, De Cavel, Rev. crit. DIP 1980. 614, note G. Droz ; 21 mai 1980, Denilauler, Rev. crit. DIP 1980. 801, note E. Mezger). Le contentieux de la validité de la mesure d'exécution paraît devoir aussi échapper à la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation, puisque le droit commun français admet dorénavant que les juridictions françaises peuvent statuer sur la validité d'une saisie pratiquée à l'étranger (implic. Civ. 1 re, 22 juin 1999, Rev. crit. DIP 2000. 42, note G. Cuniberti). En outre, même le contentieux de la réalisation semble pouvoir aujourd'hui échapper à la compétence exclusive du tribunal du lieu d'exécution : la Cour de cassation a en effet retenu que le juge de l'exécution français pouvait imposer à une banque de payer des sommes dues au titre d'une saisie-attribution, alors même que les sommes en question étaient détenues à l'étranger (Civ. 2 e, 14 févr. 2008, no 0516.167, D. 2008. 686). De fait, l'injonction adressée à une personne privée de rapatrier en France des sommes détenues à l'étranger, pour les besoins de l'exécution d'une mesure de contrainte, n'implique aucune activité matérielle des autorités publiques françaises en territoire étranger. L'idée que le principe de la territorialité de la contrainte ne ferait obstacle qu'à la seule réalisation matérielle d'une mesure de contrainte à l'étranger, mais ne s'opposerait pas à un traitement « juridique et intellectuel » de cette réalisation par le juge français, progresse en doctrine (v. en particulier : G. Cuniberti, « Le principe de territorialité des voies d'exécution », JDI 2008. 963) et dans la jurisprudence, en sorte que le contentieux de la réalisation de la mesure, purement intellectuel, semble pouvoir désormais échapper à la compétence exclusive du juge local. Ensuite, il convient de soigneusement distinguer le contentieux des voies d'exécution, du contentieux de fond qui sous-tend la mise en œuvre de ces voies d'exécution. Une voie d'exécution est exercée sur le fondement d'une créance : la compétence exclusive reconnue aux juridictions du lieu d'exécution de la mesure emporte-t‑elle compétence pour connaître du contentieux sur le fond de la créance ? La Cour de cassation française l'avait admis dans son arrêt Nassibian (Civ. 1re, 6 nov. 1979, v. rubrique Documents), avant de revenir sur cette solution dans l'arrêt Strojexport (Civ. 1 re, 11 févr. 1997, v. rubrique Documents) : requises de statuer sur la validité d'une saisie pratiquée en France, les juridictions françaises ne peuvent à cette occasion « se prononcer sur le fond de la créance que si leur compétence est fondée sur une autre règle ». La CJUE n'a pas nettement pris parti sur ce point pour l'application du droit de l'Union.
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Le contentieux des inscriptions sur les registres publics d'un État, enfin, relève en principe de la compétence exclusive des juridictions de cet État. La règle est déduite de la compétence exclusive que le droit international public reconnaît aux États pour s'auto-organiser, compétence qui implique qu'ils puissent décider souverainement du fonctionnement de ces registres, qu'il s'agisse de statuer sur la validité d'une inscription ou d'ordonner une inscription sur (ou au contraire une radiation de) ces registres. Ainsi, un tribunal français ne devrait-il jamais ordonner l'inscription d'une mention sur un registre d'état civil étranger, aurait-il même statué au fond sur l'événement justifiant cette inscription (par ex. : la validité d'un mariage). En droit européen, cette règle est posée d'une façon générale par le système Bruxelles (art. 223 Règl. BI ; art. 24-3 Règl. BI bis). On peut également y rattacher les compétences exclusives reconnues au tribunal du siège social d'une société pour les litiges relatifs à la validité, la nullité ou la dissolution de cette société et des décisions de ces organes (Règl. BI, art. 22-2 ; Règl. BI bis, art. 24-2 o, v. ss 884 s.), et au tribunal du lieu de dépôt ou d'enregistrement d'un brevet, marque, dessin, modèle ou droit analogue pour connaître des litiges relatifs à cette inscription et à la validité de ces droits (Règl. BI, art. 22-4 o ; Règl. BI bis, art. 24-4o). Dans les deux cas, le fonctionnement des registres publics (sur lesquels sont enregistrés les sociétés ou les droits de propriété intellectuelle) est en cause. Plus généralement, toute question relative au fonctionnement d'un service public étatique relève de la compétence exclusive des juridictions de l'État qui a institué ce service.
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2. Régime des compétences exclusives 343
Pour garantir l'effectivité des compétences exclusives, deux règles doivent être posées. Tout d'abord, la compétence exclusive étant justifiée par le souci d'un État d'imposer aux parties la compétence de ses juridictions, aucune dérogation à cette compétence, voulue par les parties, ne peut être admise. Les parties ne peuvent donc valablement conclure une clause attributive de juridiction faisant échec à une compétence exclusive ; la règle est prévue tant par le droit européen (Règl. BI, art. 23-5 ; Règl. BI bis, art. 25-4) que par le droit commun français (v. Civ. 1re, 17 décembre 1985, Compagnie des signaux, v. ss 357). Les parties ne peuvent pas plus déroger à une compétence exclusive par un accord tacite : la comparution volontaire devant une juridiction incompétente (Règl. BI, art. 24 ; Règl. BI bis, art. 26-1), qui lui confère normalement compétence (v. ss 352), est inefficace lorsqu’est en cause la compétence exclusive d’un autre tribunal, et le juge saisi à tort doit relever d’office son incompétence (Règl. BI bis, art. 27).
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Ensuite, la compétence exclusive doit, autant que faire se peut, être imposée aux autres États : seul le respect par les autres États des compétences exclusives des juridictions du for permet d'éviter que les parties ne puissent échapper à ces compétences. En droit commun, cette démarche s'avère particulièrement délicate, car le principe de souveraineté étatique posé par le droit international public interdit qu'un État prétende imposer aux autres États la compétence de ses propres tribunaux et l'incompétence corrélative de leurs propres juridictions ; ce serait méconnaître la compétence exclusive que le droit international public reconnaît aux États pour définir la compétence de leurs organes. Il n'en va autrement que lorsque la compétence exclusive de droit international privé est elle-même fondée sur une compétence exclusive de droit international public (ce qui n'est pas toujours le cas, on l'a
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vu), car alors la première s'impose aux États en vertu de la seconde. Souvent, les États respectent spontanément, ne serait-ce que par souci d'obtenir une réciprocité, les compétences exclusives des juridictions des autres États. Mais lorsque tel n'est pas le cas, l'État dont la compétence exclusive des juridictions a été violée n'a qu'un moyen indirect de sanction, qui consiste à refuser de reconnaître, dans son ordre juridique, les effets du jugement rendu en violation de cette compétence exclusive par les tribunaux d'un autre État. L'effectivité de cette sanction dépend donc du lieu où le jugement litigieux doit produire ses effets. Dans l'Union européenne, le caractère concerté des règles de compétence et l'obligation faite aux États de les respecter garantissent plus efficacement l'effectivité des compétences exclusives : les juridictions des États membres ont l'obligation de se déclarer incompétentes, le cas échéant d'office (Règl. BI, art. 25 ; Règl. BI bis, art. 27), lorsque le système Bruxelles consacre la compétence exclusive des tribunaux d'un autre État membre. Pour raffermir encore cette obligation, le système Bruxelles prévoit que la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues par les juridictions États membres doivent être refusées lorsqu’elles ont été rendues en violation d'une règle de compétence exclusive. Cette règle fait figure d'exception, car le système Bruxelles exclut en principe tout contrôle de la compétence du juge étranger au stade de l'accueil des jugements (sur ces questions, v. ss 455 s.).
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Si les règles de compétences exclusives sont, on le comprend, particulièrement contraignantes, leur application n’est pas pour autant sans limite. Il convient en particulier de relever que, dans le régime européen, la compétence exclusive ne vaut que lorsque le litige porte, à titre principal, sur une matière visée par les articles 25 du Règlement Bruxelles I et 27 du Règlement Bruxelles I bis. Un autre juge, compétent au principal en vertu d’une autre règle, peut en revanche trancher à titre préalable des questions qui relèvent par nature des matières visées par ces textes (H. GaudemetTallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 5 o éd., 2015, no 99). Ainsi, le juge saisi d’un litige relatif à la responsabilité délictuelle du propriétaire d’un immeuble pour le fait de cet immeuble pourrait, si le propriétaire allégué contestait sa qualité de propriétaire, se prononcer sur cette question.
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B. Règles de compétence protectrice Tout comme les règles de conflit de lois, les règles de compétence internationale des juridictions peuvent intégrer des considérations substantielles. Une illustration en a déjà été présentée à propos du for de nécessitéQ conçu pour garantir le respect du droit fondamental d'accès au juge reconnu à tout justiciable (v. ss 310). Mais ce sont incontestablement les règles de compétence dessinées pour la protection de certaines catégories de contractants présumés « faibles », tels les consommateurs, les salariés ou encore les assurés, qui concrétisent le plus évidemment cette démarche. Ces règles se caractérisent fréquemment par la consécration, au profit des contractants parties faibles, de privilèges spécifiques (1), tandis que leur effectivité est garantie par leur impérativité (2).
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1. Privilèges du demandeur « partie faible » L'éloignement du tribunal compétent, par rapport aux centres d'intérêt d'une partie, est toujours source d'un certain déséquilibre : la partie qui profite de la compétence
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du tribunal de son domicile, c'est‑à-dire normalement le défendeur, est avantagée, sinon substantiellement, du moins en ce que le coût et la contrainte d'une procédure devant une juridiction étrangère ne lui sont pas imposés. Il y a là une difficulté que l'on peine malheureusement à réduire. Elle devient cependant plus inacceptable encore lorsque le déséquilibre procédural se double d'une asymétrie objective entre les parties : l'une — le professionnel, l'assureur, l'employeur — a des moyens dont ne dispose pas l'autre — le consommateur, l'assuré, l'employé. Pour rééquilibrer un tant soit peu la relation, le système Bruxelles, et dans une moindre mesure le droit commun français, ont instauré au bénéfice des parties faibles un privilège en matière de compétence. Ce privilège consiste en l’instauration d'une option de compétence réservée à la partie faible. Pour accroître encore la protection des parties faibles, le règlement Bruxelles I bis a étendu le champ d’application des dispositions protectrices dans l’espace. En outre, la CJUE tend à interpréter largement les règles de compétence protectrices des parties faibles. En substance, ces règles prévoient que : - pour les contrats d’assurance, l’assureur ne peut agir que devant les juridictions de l'État membre du domicile du défendeur, que celui-ci soit preneur d’assurance, assuré ou bénéficiaire (Règl. BI, art. 12 ; Règl. BI bis, art. 14-1), tandis qu’il peut luimême être attrait devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile (Règl. BI, art. 9-1 a ; Règl. BI bis, art. 11-1 a) ou devant la juridiction de l’État membre où le demandeur a son domicile (Règl. BI, art. 9-1 b ; Règl. BI bis, art. 11-1 b). Il peut aussi, en matière d’assurance de responsabilité, être attrait devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit (Règl. BI, art. 10 ; Règl. BI bis, art. 12), ou devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet (Règl. BI, art. 11 ; Règl. BI bis, art. 13-1). Le titulaire de l’action directe contre l’assureur, si celle-ci est admise par la loi (v. ss 1087), bénéficie de l’option accordée à l’assuré (CJUE 20 juill. 2017, KABEG, aff. C-340/16, D. 2018. 976, obs. F. Jault-Seseke). - pour certains contrats de consommation limitativement définis (Règl. BI, art. 15 ; Règl. BI bis, art. 17 : les ventes à tempérament (payables en plusieurs versements) d'objets mobiliers corporels, les prêts à tempérament ou autres opérations de crédit liées au financement des ventes d'objets mobiliers corporels, ou tous les autres contrats si et seulement si le professionnel « par tous moyens, dirige ces activités » vers l'État membre où le consommateur est domicilié), le professionnel ne peut assigner le consommateur que devant les juridictions de l’État membre de son domicile (Règl. BI, art. 16-2 ; Règl. BI bis, art. 18-2). En revanche, le consommateur peut assigner le professionnel devant les juridictions de l’État membre où celui-ci est domicilié, ou devant les juridictions de son propre domicile (Règl. BI, art. 16-1 ; Règl. BI bis, art. 18-1). Le règlement Bruxelles I bis a étendu le champ d’application spatial de ce forum actoris, puisqu’il précise que le professionnel peut être attrait devant les juridictions de l’État membre où est domicilié le consommateur même s’il est luimême domicilié dans un État tiers (art. 18-1). - pour les contrats individuels de travail, l’action de l’employeur ne peut être portée que devant les juridictions de l’État membre du domicile du travailleur (Règl. BI, art. 20 ; Règl. BI bis, art. 22-1). En revanche, l’employeur peut être attrait, lorsqu’il est domicilié dans un État membre, soit devant les juridictions de son domicile, soit devant les juridictions du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail (Règl. BI, art. 19 ; Règl. BI bis, art. 21-1). Dans le règlement Bruxelles I bis, cette dernière règle de compétence est aussi applicable lorsque l’employeur n’est pas domicilié dans l’Union européenne (Règl. BI bis, art. 21-2). Si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, il peut saisir la juridiction du lieu
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de l’établissement d’embauche (Règl. BI, art. 19-2 b ; Règl. BI bis, art. 21-1 b) ii). Mais la CJUE impose une application restrictive de ce dernier critère qui, trop favorable à l’employeur, ne doit être appliqué que de façon très subsidiaire : lorsque le travailleur accomplit habituellement son travail dans plusieurs pays, il faut d’abord rechercher s’il est possible d’identifier le centre effectif de ses activités professionnelles, en tenant compte notamment du point de savoir s’il accomplit la majeure partie de son temps de travail dans un pays, ou s’il a un bureau dans un pays, à partir duquel il organise ses activités et où il retourne après chaque voyage professionnel. Ce n’est que dans le cas contraire, quand il est véritablement impossible de déterminer un lieu d’exercice habituel de l’activité professionnelle, que le critère du lieu d’embauche peut être mis en œuvre (CJCE 9 janv. 1997, Rutten, aff. C-383/95, CJUE 14 sept. 2017, Ryanair, aff. C-168/16, D. 2018. 977, obs. F. Jault-Seseke ; v. aussi dans le même sens la jurisprudence relative à la détermination de la loi applicable v. ss 991). Si la CJUE veille à interpréter les règles de compétence protectrices pour en assurer l’effet utile, elle s’efforce en revanche de limiter le champ des bénéficiaires. Elle considère ainsi, d’une façon générale, que le bénéfice de la règle de compétence protectrice est attaché à la personne titulaire du droit d’action, et non au droit d’action lui-même. Lorsque ce droit est cédé à un tiers, celui-ci ne peut pas revendiquer la compétence de la juridiction devant laquelle le titulaire originaire du droit, partie faible, aurait pu agir (CJUE 31 janv. 2018, aff. C-106/17, D. 2018. 976, obs. F. JaultSeseke, pour le bénéficiaire d’une cession de créance d’assurance ; CJUE 25 janv. 2018, Schrems II, aff. C-498/16, D. 2018. 976, obs. F. Jault-Seseke, pour la cession d’une créance née d’un contrat de consommation).
2. Impérativité des règles protectrices Pour garantir l'effectivité de la protection instituée au bénéfice de la partie faible, deux principes doivent être respectés. La compétence de protection est tout d'abord impérative pour les parties, ce qui pose la question de la validité des accords d’élection de for y dérogeant. La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for exclut de son champ d’application les conventions auxquelles « une personne physique agissant principalement dans un but personnel, familial ou domestique (un consommateur) est partie » – exclusions couvrant tant les contrats de consommation que les contrats d’assurance conclus par les particuliers –, ainsi que les contrats de travail (art. 2). Le droit commun français comme le droit de l’Union européenne traitent avec circonspection les accords d’élection de for inclus dans les contrats asymétriques. Le risque est évidemment que la partie forte ne profite de sa situation de supériorité pour imposer à la partie faible une clause qui lui est défavorable. Le système Bruxelles ne pose pas, pour autant, une prohibition générale des élections de for pour les litiges relatifs aux contrats impliquant des parties faibles. D’une part en effet, la partie faible n'a plus besoin de la même protection lorsque le contrat a déjà été conclu et que le litige est né, car elle ne se trouve plus dans la « nécessité » de conclure le contrat : les accords d’élection de for postérieurs à la naissance du différent sont donc admis. Pour la même raison, le juge devant lequel une partie faible comparaît peut se déclarer compétent, même s’il n’est pas le juge normalement compétent en application des règles protectrices, puisque l’on peut considérer que la partie faible a « accepté » sa compétence alors que le différent était déjà né (Règl. BI, art. 24 ; Règl. BI bis, art. 26-1) ; le règlement Bruxelles I bis a
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cependant complété sur ce point le règlement Bruxelles I pour renforcer la protection de la partie faible, en imposant au juge de s’assurer, lorsque la partie faible est défenderesse, « que le défendeur est informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d’une comparution ou d’une absence de comparution » (Règl. BI bis, art. 26-2). D'autre part, la partie faible n'a pas à être protégée contre une clause qui pourrait lui être favorable, car la « protection » s'opérerait alors à son détriment ; c'est pourquoi le système Bruxelles admet les clauses attributives de juridiction qui, sans réduire l'option conférée à la partie faible, lui permettent au contraire de saisir d'autres tribunaux que ceux que les textes l'autorisent déjà à saisir (Règl. BI, art. 13, 17 et 21 ; Règl. BI bis, art. 15, 19 et 23, respectivement en matière de contrat d'assurance, de contrat de consommation et de contrat de travail). En droit commun français, les clauses ayant pour objet d’entraver l’exercice de l’action en justice par le consommateur sont présumées abusives par l’article R. 2122, 10o du Code de la consommation ; or une clause attributive de juridiction obligeant le consommateur à saisir une juridiction lointaine et à engager des frais disproportionnés peut être considérée comme de nature à entraver l’exercice de l’action en justice. C’est que qu’a jugé la cour d’appel de Paris dans une affaire célèbre (Paris, 12 févr. 2016, n o 15/08624, Facebook Inc., D. 2016. 422, et 1045, obs. F. Jault-Seseke et 2141, obs. L. Larrieu ; RTD civ. 2016. 310, obs. L. Usunier ; CCE 2016. Repère 3, obs. C. Caron, Comm. 33, obs. G. Loiseau, et Étude 12, obs. F. Mailhé) pour rendre inopposable au consommateur résidant en France la clause attributive de juridiction incluse dans les conditions générales de Facebook. La compétence de protection est ensuite impérative pour les juges. Le système Bruxelles leur impose ainsi de retenir d'office leur incompétence, lorsqu'ils sont saisis en violation d'une règle de compétence protectrice, si la partie faible ne comparaît pas (Règl. BI, art. 26-1 ; Règl. BI bis, art. 28-1). Lorsque la partie faible comparaît, le relevé d’office de l’incompétence ne s’impose pas, car cette comparution vaut prorogation de compétence ; mais le règlement Bruxelles I bis exige dorénavant, on l’a signalé, que la volonté réelle de la partie faible de proroger la compétence du juge saisi soit vérifiée, au moins lorsqu’elle est défenderesse. Pour garantir l’effectivité de la protection, le système Bruxelles prévoit en outre que les décisions de justice rendues en violation des règles de compétence protectrices des parties faibles se voient refuser la reconnaissance et l’exécution dans les autres États membres (Règl. BI, art. 35 ; Règl. BI bis, art. 45. On notera que le règlement Bruxelles I bis étend désormais ce dispositif à la méconnaissance des règles protectrices des travailleurs, corrigeant ainsi une lacune du règlement Bruxelles I). Ce contrôle de la compétence indirecte est tout à fait exceptionnel dans le système Bruxelles, et marque la particulière impérativité des règles de compétence protectrices.
C. Règles régissant les élections de for et la prorogation de compétence 351
Dans les litiges internationaux, on l'a dit, les parties sont usuellement confrontées à une concurrence de compétences juridictionnelles, qu'il leur appartient de trancher. En réalité, il revient en principe au demandeur à la prétention de choisir le tribunal. Certes, des actions spécifiques développées dans certains systèmes judiciaires permettent parfois à la partie, défenderesse à la prétention, de prendre l'initiative de la
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saisine des juridictions et donc d'opérer la sélection du tribunal : ce sont les actions déclaratoires négativesQ. Mais le plus souvent le choix est laissé au demandeur à la prétention, qui est également demandeur à la procédure. Or le choix du tribunal est un avantage stratégique, que les parties peuvent ne pas vouloir laisser au hasard lorsqu'elles nouent une relation internationale. Plutôt que d'attendre qu'un litige survienne, et que le demandeur sélectionne discrétionnairement, parmi les juridictions compétentes, celle de son choix, les parties préfèrent donc parfois opérer cette sélection en amont, d'un commun accord, en concluant une clause d'élection de for. Une clause d'élection de forQ est donc en principe une clause par laquelle les parties déterminent et désignent, parmi les différents juges étatiques internationalement compétents, celui qui pourra connaître des litiges qui naîtront de leur relation. La notion de clause attributive de juridictionQ est souvent utilisée comme notion équivalente à celle de clause d’élection de for. Il est pourtant possible de les distinguer, en considérant que la clause attributive de juridiction ne se borne pas à sélectionner un juge parmi les juges compétents, mais attribue compétence au juge qu’elle désigne (sur l’effet attributif de compétence, v. ss 364 s.) ; on utilisera toutefois ici indifféremment l’une ou l’autre des notions pour désigner une même réalité : la clause de choix d’un juge étatique. Celle-ci doit être en revanche radicalement distinguée de la clause désignant, plutôt qu'un juge étatique, un juge privé, c'est‑à-dire un arbitre, nommée clause compromissoireQ. L'étude des clauses compromissoires et de l'arbitrage international en général relève usuellement du droit du commerce international. Sans être développé, le régime de la clause sera cependant abordé dans la partie spéciale de ce cours (v. ss 1036 s. et v. ss 1044). On se bornera à souligner ici que l'existence d'une clause compromissoire a pour effet, si certaines conditions sont remplies, de priver les juges étatiques de toute compétence. Enfin, il faut souligner que les règlements Bruxelles I donnent également effet à la volonté implicite ou tacite des parties de conférer compétence à une juridiction par la comparution volontaire sans contestation de compétence (Règl. BI, art. 24 ; Règl. BI bis, art. 26) : « outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente », sauf si cette comparution a pour objet de contester la compétence. La portée de cette disposition est très large ; elle permet notamment de faire échec à une clause attributive de juridiction. En revanche elle ne peut écarter la compétence exclusive d’un tribunal (v. ss 343), et son application en présence d’une partie faible est entourée de précautions (v. ss 349 et 450).
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Les conventions d’élection de for sont très largement admises en matière internationale. Elles font aujourd'hui l’objet de multiples réglementations : appréhendées de longue date par le droit commun français et le droit de l’Union européenne (art. 23 Règl. BI ; art. 25 Régl. BI bis et certains règlements spéciaux), elles sont à présent également réglementées par la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, qui est entrée en vigueur dans tous les États membres de l’Union européenne et au Mexique le 1 er octobre 2015, ainsi qu’à Singapour le 1 er octobre 2016. Avant d’envisager le régime de ces conventions, il importe donc de déterminer la source de la réglementation applicable, selon la méthode classique consistant à délimiter le champ d’application respectif de chaque instrument dans sa triple dimension matérielle, temporelle et spatiale.
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À cet égard, un conflit existe, pour les clauses conclues dans les contrats relevant de la matière civile et commerciale postérieurement au 1 er octobre 2015, entre le règlement Bruxelles I bis et la convention de La Haye. Les domaines d’application de ces deux textes se chevauchent en effet partiellement, non seulement sur le plan matériel (v. ss 329), mais aussi : - sur le plan temporel, puisqu’ils visent l’un et l’autre les clauses conclues après le 1 er octobre 2015. À cet égard, il faut souligner que si la convention précise qu’elle joue pour toutes les clauses conclues après son entrée en vigueur, le règlement Bruxelles I bis est malheureusement moins clair, puisqu’il vise d’une manière générale les actions intentées après son entrée en vigueur fixée au 10 janvier 2015 ; il ne spécifie pas, pour les clauses de compétence, si la date de la clause doit être prise en compte plutôt que la date d’introduction de l’action. Pour des raisons de prévisibilité, il semble préférable de retenir, avec une partie de la doctrine, que l’article 25 du règlement Bruxelles I bis ne s’applique qu’aux clauses conclues après le 10 janvier 2015, et qu’il ne peut donc régir une clause conclue avant cette date, même si l’action est intentée après le 10 janvier 2015 ; - sur le plan spatial, puisque le règlement Bruxelles I bis s’applique lorsque les juridictions d’un État membre sont désignées par la clause (il élargit ainsi le critère d’applicabilité que retenait le règlement Bruxelles I, dont l’article 23 n’était applicable qu’à la double condition que la clause désigne les juridictions d’un État membre ET que l’une des parties soit domiciliée dans un État membre), et que la convention de La Haye s’applique lorsque les juridictions d’un État contractant sont désignées par la clause : les États membres de l’Union européenne étant tous des États contractants, les deux textes sont donc théoriquement applicables chaque fois que les juridictions d’un État membre sont désignées. Pour résoudre ce conflit, une clause de déconnexionQ est prévue à l’article 26 § 6 a) de la convention de La Haye qui retient, en des termes peu clairs, que le droit européen doit s’effacer chaque fois qu’une partie (au moins) réside dans un État contractant non membre de l’Union européenne. À ce jour, le Mexique et Singapour étant les seuls États non européens liés par la convention, cette règle implique que la convention est applicable dans deux cas : 1) si les juridictions du Mexique ou de Singapour sont désignées ; ou 2) si les juridictions européennes sont désignées et que l’une des parties est domiciliée au Mexique ou à Singapour. Mais plus le nombre d’États contractants augmentera, plus le règlement européen perdra du terrain face à la convention, et plus la part résiduelle du droit commun français – qui ne s’applique plus aujourd'hui que dans le cas exceptionnel où le juge français est saisi alors qu’une clause attributive de juridiction désigne les juridictions d’un État qui n’est ni un État membre de l’UE, ni un État contractant – se réduira.
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C’est donc désormais en tenant principalement compte des sources conventionnelle et européenne qu’on appréhendera le régime des clauses d’élection de for, en envisageant les conditions de leur validité (1) puis leurs effets sur la compétence (2).
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1. Validité des clauses d'élection de for 356
En toute rigueur, avant d’envisager la validité d'une clause attributive de juridiction, il faudrait vérifier si le principe même d'un aménagement de la compétence des juridictions par les parties est admissible : c'est la question de la licéité de la clause, dont on estime traditionnellement qu’elle relève de la loi du juge saisi. La distinction entre validité et licéité peut sembler aujourd'hui assez théorique, car la licéité des
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a.
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clauses attributives de juridiction est globalement acquise en matière internationale, que l’on envisage les textes supranationaux ou les droits nationaux. L’approche doit cependant être affinée en fonction de la matière considérée (a). Une fois réglée la question de la licéité de la clause, sa validité doit encore être vérifiée. Un principe important conditionne l’appréhension de cette question : lorsque la clause est insérée dans un contrat international, elle est autonome par rapport au contrat substantiel qui la reçoit. Ce principe, posé par la jurisprudence française (Civ. 1 re, 19 mars 2002, JCP 2002. II. 10199, note Ph. Guez) et européenne (CJCE 3 juill. 1997, Benincasa, JDI 1998. 581, note J.-M. Bischoff), est dorénavant expressément consacré tant par la convention de La Haye (art. 3 d) que par le règlement Bruxelles I bis (art. 25-5). Il implique concrètement deux choses. D’une part, la nullité du contrat principal ne rejaillit pas nécessairement sur la clause attributive de juridiction qu’il contient (v. ss 1033). D’autre part, les conditions de validité d’une clause attributive de juridiction doivent être appréciées selon des règles propres, distinctes de celles applicables au contrat principal. Ce sont ces règles spécifiques qui seront ici détaillées, en distinguant les conditions de validité formelles (b) et substantielles (c) des clauses attributives de juridiction.
Conditions tenant à la matière considérée (licéité)
On peut considérer qu’un principe général de licéité des clauses attributives de juridiction existe dans les contrats internationaux. Le droit commun français est fixé en ce sens : l'arrêt Compagnie des Signaux (Civ. 1re, 17 déc. 1985, v. rubrique Documents) pose une règle matérielle de droit international privé de licéité de la clause, mais subordonne cette licéité à deux conditions : il faut que le litige soit relatif à un contrat international, et il ne faut pas que la clause fasse échec à une compétence territoriale impérative des juridictions françaises. La Cour de cassation a confirmé la licéité de principe des clauses attributives de juridiction dans les contrats internationaux en jugeant qu’une clause peut être appliquée même si elle permet aux parties de contourner l'impérativité des lois de police du for (v. ss 188). Le droit français consacre donc la licéité des clauses attributives de juridiction dans les contrats internationaux, mais ces clauses ne peuvent déroger aux règles de compétence exclusive (v. ss 343) ni aux règles de compétence protectrices des parties faibles (v. ss 349).
357
En dehors de la matière contractuelle, le droit français n’a pas expressément pris parti sur la licéité des clauses d’élection de for. La convention de La Haye s’intéresse également à la seule matière contractuelle (liste des exclusions de l’art. 2), et n’envisage pas la licéité des clauses en dehors de cette matière. Le droit de l’Union européenne pose également, au moins implicitement, un principe de licéité des clauses en matière contractuelle, sauf lorsque la clause prétend déroger à une compétence exclusive (v. ss 343) ; on a vu que, dans les contrats impliquant des parties faibles, la clause n’est pas illicite mais fait l’objet d’une réglementation spécifique (v. ss 349). Mais les évolutions du droit européen invitent également à s'interroger sur la licéité des clauses d’élection de for dans d’autres spécialités relevant de la matière civile et commerciale. En matière délictuelle, tout d'abord, les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis autorisent incontestablement les clauses attributives de juridiction puisque la licéité de principe de ces clauses est posée pour la matière civile et commerciale au sens de ces textes, incluant la matière délictuelle. Tout au plus importe-t‑il de s’assurer que la clause, généralement insérée dans un
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Sous l’influence du droit européen, même la matière familiale s'ouvre aux clauses attributives de juridiction. C’est particulièrement vrai pour le droit patrimonial de la famille avec le règlement Obligations alimentaires (v. ss 785), le règlement Successions (v. ss 1045), le règlement Régimes matrimoniaux (v. ss 796) et le règlement Effets patrimoniaux des partenariats (v. ss 814), qui attestent de la volonté d'offrir aux justiciables la possibilité de choisir d'un commun accord la juridiction compétente pour connaître de leur contentieux, sous réserve que cette juridiction entretienne des liens suffisants avec la situation. De façon plus modeste, en matière familiale non patrimoniale, le règlement Bruxelles II bis prévoit quelques rares et très encadrées prorogations de compétence en matière de responsabilité parentale (art. 12) ; en dépit de l’intérêt que pourrait revêtir la possibilité pour les époux de choisir la juridiction appelée à connaître de leur divorce, la proposition de règlement révisé publiée en juin 2016 ne prévoit pas d’introduire cette possibilité. Des règles de validité spécifiques s’appliquent à ces élections de for admises en matière familiale. Elles seront envisagées dans la partie spéciale, et l’on se concentrera ici sur les règles de validité des élections de for en matière civile et commerciale, c’est‑à-dire principalement en matière contractuelle et délictuelle.
b. 360
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contrat, inclut bien les actions délictuelles dans son champ d’application matériel (CJUE 21 mai 2015, Cartel Damage Claim, aff. C-352/13). La position du droit commun français peut être considérée comme équivalente, puisque la jurisprudence retient qu’une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat, si elle est rédigée en termes suffisamment généraux, est applicable aux actions délictuelles découlant de ce contrat (v. ss 1065).
Conditions formelles de validité
Le formalisme est important dans le régime des clauses attributives de juridiction, pour un motif de fond : il s’agit de garantir que les parties ont réellement donné leur consentement à la clause, qui est une condition essentielle de sa validité. Cet objectif est généralement atteint par l’exigence formelle, posée par une règle matérielle de droit européen et conventionnel, que la clause soit conclue par écrit, c’est‑à-dire insérée dans un document signé par les deux parties (Règl. BI, art. 23, a ; Règl. BI bis, art. 25, a ; Conv. La Haye, art. 3, c, i) ou dans une transmission électronique permettant de consigner durablement la convention (Règl. BI, art. 23, b ; Règl. BI bis, art. 25, b ; Conv. La Haye, art. 3, c, ii). C’est une exigence stricte, mais qui fait l’objet de tempéraments substantiels en droit commun comme dans le système Bruxelles. En droit commun, la Cour de cassation admet qu’une clause stipulée dans des conditions générales de vente peut produire ses effets lorsque le contrat renvoie aux CGV, au moins lorsque le cocontractant est un opérateur professionnel (v. Com., 21 février 2012, no 11-16.156 ; Rev. crit. DIP 2012. 630, note D. Bureau). Dans le système Bruxelles, la clause est également valable si elle est conclue « verbalement avec confirmation écrite » ; ou si elle est conclue sous toute autre forme 1) « conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles » ; ou 2) « dans le commerce international », « conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ». À titre d’exemple, la jurisprudence française a pu retenir, en application de cette dernière règle, qu’une clause attributive de juridiction incluse dans un connaissement maritime est opposable à l’expéditeur de la marchandise,
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même s’il n’a pas signé le connaissement. La convention de La Haye est un peu plus stricte puisqu’elle ne prévoit pas ces alternatives à l’écrit.
c.
Conditions substantielles de validité 361
Le règlement Bruxelles I ne comportait aucune disposition expresse relative à la validité au fond des clauses attributives de juridiction. Ce silence a soulevé de nombreuses interrogations, portant notamment sur le point de savoir si la validité au fond de la clause devait être vérifiée selon des conditions directement déduites du droit uniforme (détermination « autonome » des conditions de validité au fond des clauses attributives régies par le règlement), ou par renvoi aux droits nationaux, la question se posant alors de la détermination du droit applicable. Le règlement Bruxelles I bis apporte un complément heureux : la clause doit être appliquée « sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quand au fond selon le droit de » l’État membre dont les juridictions sont désignées par la clause (art. 25, 1). Le considérant 20 du préambule explicite cette disposition : « lorsque la question se pose de savoir si un accord d’élection de for en faveur d’une ou des juridictions d’un État membre est entaché de nullité quand à sa validité au fond, cette question devrait être tranchée conformément au droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées dans l’accord, y compris conformément aux règles de conflit de lois de cet État membre ». Ainsi, en dépit d’opinions doctrinales contraires, le règlement Bruxelles I bis semble bien renvoyer au droit international privé, et non à la loi substantielle, du juge élu.
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En substance, la validité d’une clause attributive de juridiction s’apprécie au regard de conditions de fond classiques telles celle d’un consentement réel et éclairé, ou encore de capacité des parties. Dans le régime institué par la convention de La Haye, la validité au fond de la clause attributive de juridiction s’apprécie principalement au regard du « droit de l’État du tribunal élu » (art. 5-1 et art. 6 a). Encore faut-il immédiatement préciser que par « droit », la convention renvoie non pas au droit substantiel, mais au droit international privé du juge élu. Ce sont donc les règles de conflit de l’État dont le juge a été élu qu’il faut consulter pour déterminer la loi applicable à la validité de la clause au fond (sur la loi applicable aux clauses attributives de juridiction, v. ss 1030 s.). Cette règle de principe doit être complétée lorsque le juge saisi n’est pas le juge élu : le juge saisi peut en effet également retenir la nullité de la clause si l’une des parties n’avait pas la capacité de la conclure selon la loi compétente en application de son propre droit international privé (art. 6 b).
2. Effets des clauses d'élection de for Une clause attributive de juridiction peut avoir deux effets : attribuer compétence aux juridictions élues (a) et/ou, conférer compétence exclusive au juge désigné en rendant incompétentes toutes les autres juridictions (b).
a.
363
Attribution de compétence aux juridictions élues
La clause attributive de juridiction peut attribuer compétence internationale au tribunal étatique désigné. Elle ne permet donc pas seulement de choisir une juridiction parmi les différentes juridictions internationalement compétentes : on admet — sous réserve d'acceptation par les juridictions désignées — qu'un tribunal internationalement incompétent (c'est‑à-dire incompétent selon ses propres règles de compétence internationale) puisse être rendu compétent par la seule convention des parties. Ceci
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explique qu’en matière civile et commerciale, ni le droit commun français, ni le droit européen, ni le droit conventionnel n'imposent que le tribunal choisi présente un lien quelconque avec le litige : les parties sont autorisées à choisir un tribunal neutre, ou dont la particulière compétence dans la matière qui forme la substance de leur contrat est usuellement reconnue. Deux types de limitations à cette faculté doivent cependant être signalés. L’une est prévue par la convention de La Haye, qui autorise les États contractants à faire une déclaration par laquelle ils ne connaîtront pas des litiges qui ne présentent pas de lien objectif avec leur territoire. L’autre résulte du droit européen, pour les matières familiales dans lesquelles le choix du tribunal compétent par les parties, lorsqu’il est possible, doit porter sur une juridiction ayant un lien avec le litige (v. ss 359). L’effet attributif de la clause doit par ailleurs être précisé sur deux points, relatifs à la compétence territoriale, et à la compétence d’attribution du juge élu.
365
Il est admis par le droit supranational comme par le droit national français que la clause d’élection de for peut attribuer une compétence internationale générale aux juridictions d’un État (« les tribunaux français »), ou une double compétence internationale et territoriale à une juridiction spécialement désignée (« les tribunaux de Paris »). Dans le premier cas, la clause ne permet donc pas d’identifier, parmi les juridictions de l’État désigné, le tribunal territorialement compétent. La solution communément retenue, confirmée textuellement par l’article 5, § 3, b) de la convention de La Haye, consiste à mettre en œuvre les règles de compétence territoriale interne de l’État concerné pour identifier la juridiction territorialement compétente. Cette solution connaît toutefois une limite, car ces règles ne permettent pas systématiquement d'identifier cette juridiction (notamment quand il n’y a pas de lien objectif avec le territoire). Le droit commun français régle la difficulté de façon assez brutale, en retenant que la désignation générale des juridictions d’un État ne peut produire d’effet lorsque l'application des règles de compétence interne de cet État ne permet pas d'identifier le tribunal spécialement compétent. Le droit de l’Union européenne et la Convention de La Haye sont moins exigeants : ils ne privent pas d’effet la clause, mais ils ne proposent cependant pas de règle permettant de déterminer le tribunal territorialement compétent. La doctrine considère qu'il devrait alors revenir au demandeur de choisir sans fraude le tribunal qu'il entend saisir, en se conformant aux exigences d'une bonne administration de la justice.
366
Le point de savoir si une clause d’élection de for peut avoir une incidence sur la compétence d'attribution des juridictions étatiques suscite plus de difficultés. Le droit européen et le droit conventionnel ne règlent pas la question, la convention de La Haye l’excluant même expressément (art. 5, § 3, a). En droit français, la compétence d'attribution, qui répartit les litiges entre les juridictions en fonction de la matière, est conçue comme d'ordre public interne. Elle était traditionnellement également conçue comme d'ordre public international (Com. 10 juin 1997, Bull. civ. IV, no 185 ; JDI 1998. 970, note S. Poillot-Peruzetto, refusant l'efficacité d'une clause attributive de compétence au tribunal de commerce de Marseille, alors que le défendeur était un non-commerçant. Cet arrêt semblait donc indiquer que les règles d'attribution de compétence posées par le droit français devaient nécessairement être respectées par les parties). Les solutions semblent toutefois avoir évolué. Dans un arrêt rendu le 9 janvier 2007 (n o 05-17.741, Gaz. Pal. 3 mai 2007, no 123, p. 27, obs. M.-L. Niboyet ; Rev. crit. DIP 2007. 647, note B. Ancel), la première chambre
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b.
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civile paraît en effet admettre une modification, par la clause attributive de juridiction, de l'attribution prévue par les règles de compétence françaises. Elle valide en effet la clause attribuant compétence au tribunal de commerce de Paris, alors que l'une des parties excipait que, en sa qualité de non-commerçant, elle ne pouvait être attraite devant le tribunal de commerce et que la clause attributive de juridiction ne pouvait déroger aux règles de compétence d'attribution. Elle le fait, il faut le signaler, dans une hypothèse où la clause était soumise à l'article 23 du règlement Bruxelles I. On peut s'interroger sur la portée d'une telle admission de l'aménagement des règles de compétence d'attribution. Dans l'arrêt considéré, le litige entrait dans la compétence matérielle tant du tribunal de grande instance que du tribunal de commerce ; seule la qualité des parties imposait de retenir la compétence du tribunal de grande instance. Mais peut-on admettre que les parties aménagent les compétences matérielles exclusives posées par le droit interne français ? Peuvent-elles ainsi déroger à la compétence exclusive réservée au tribunal d'instance en matière de baux immobiliers, ou au tribunal de commerce pour les actes de commerce ? La dérogation devrait être ici interdite. Il existe en effet des compétences d’attribution exclusives, tout comme il existe des compétences territoriales exclusives. La Cour de cassation a implicitement confirmé cette analyse en affirmant récemment que, même si une clause attributive de juridiction peut fixer la compétence pour connaître d’une rupture brutale des relations commerciales, cette clause ne peut déroger aux règles de compétence désignant des juridictions spécialisées instaurées par l’article D. 442-3 du Code de commerce (Com. 1er mars 2017, no 15-22675, D. 2018. 975, obs. F. JaultSeseke).
Incompétence corrélative des juridictions exclues
La clause attributive de juridiction est le plus souvent exclusive. Elle confère compétence au juge élu, et à lui seul. Cette compétence exclusive du juge élu se traduit concrètement par l'interdiction faite aux parties de saisir un autre juge que le juge élu, et par l'interdiction théorique faite aux autres juges de se déclarer compétents en violation de la clause.
367
1. Interdiction faite aux parties de saisir un autre juge que le juge élu Les parties qui concluent une clause attributive de juridiction s’engagent contractuellement à ne saisir que le ou les juges désignés par la clause. Toute saisine d’une juridiction exclue constitue donc une violation d’une obligation contractuelle par la partie demanderesse – à moins que la partie défenderesse comparaisse sans contester la compétence du juge saisi et proroge ainsi cette compétence (v. ss 352). Cette violation contractuelle doit pouvoir être sanctionnée. Une sanction possible est la condamnation de la partie demanderesse au paiement de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice résultant de la violation de la clause. Cette solution, peu usitée, soulève des difficultés notamment pour l’évaluation du préjudice. Une autre sanction plus efficace, pratiquée par les juridictions des pays de common law, est l'anti-suit injunctionQ. Cette injonction, qui a pour objet d'interdire aux parties de saisir une juridiction autre que celle désignée par la clause, constitue un mode d'exécution forcée de l'obligation contractuelle des parties. Elle est très efficace car sa violation fait l’objet de sanctions pénales. La Cour de cassation française, après s'être montrée un temps circonspecte à l'égard de cette mesure, paraît en avoir finalement admis la légitimité. Sa décision de reconnaître la conformité à l'ordre public international français d’une injonction américaine prononcée
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au soutien d'une clause attributive de juridiction, pour la revêtir de l'exequatur (Civ. 1re, 14 oct. 2009, JDI 2010. 146, note S. Clavel ; Rev. crit. DIP 2010. 158, note H. Muir Watt), ne permet toutefois pas de préjuger ce que serait son attitude s'il était requis des juges français qu'ils prononcent eux-mêmes une mesure de ce type au soutien d'une clause de procédure. Il est certainement regrettable que le juge français ne dispose pas d’outils aussi performants que ses homologues anglais pour imposer le respect des clauses attributives de juridiction. Cependant, dans le cadre européen, la CJUE interdit formellement l’usage des injonctions anti suit (CJCE 27 avr. 2004, Turner v. Grovit, Rev. crit. DIP 2004. 654, note H. Muir Watt), même prononcées au soutien d’une clause de procédure (à propos des injonctions au soutien des clauses compromissoires : CJCE, 10 février 2009, West Tankers, C-185/07, Rev. crit. DIP 2009. 373, H. Muir Watt ; JDI 2009, 20, B. Audit ; D. 2009. 981, C. Kessedjian ; LPA, 16 mars 2009, no 53, p. 15, S. Clavel). Cette position s’explique par le fait que le juge d’un État membre saisi en violation d’une clause attributive de juridiction devrait, en vertu des dispositions réglementaires européennes, de se déclarer incompétent. La portée de cette obligation doit toutefois être précisée. 2. Interdiction faite aux autres juges de se déclarer compétents
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La plupart des clauses attributives de juridiction sont dites « exclusives », en ce sens qu’elles attribuent compétence aux juridictions d’un seul État, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal. La convention de La Haye limite expressément son application aux seuls accords d’élection de for exclusifs. Quant au système Bruxelles, il précise qu’une convention attributive de juridiction est normalement exclusive, sauf convention contraire des parties. Il admet donc la possibilité qu’une clause attributive de juridiction ne soit pas exclusive.
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Lorsque la clause est exclusive, tout autre juge que le juge élu devrait en principe refuser de connaître du litige. C’est ce que prévoit l’article 6 de la convention de La Haye, selon lequel « tout tribunal d’un État contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit ». La convention nuance toutefois la portée de cette interdiction faite au juge exclu de statuer. Outre que le juge exclu peut conditionner son dessaisissement à une vérification de la validité de la convention attributive de juridiction, conformément aux règles qui ont été précédemment exposées (art. 6 a et b), l’article 6 de la convention prévoit que, même lorsque la clause est valable, le juge exclu peut refuser de se dessaisir si : 1) donner effet à la clause aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public du for (art. 6 c) ; 2) pour des motifs exceptionnels, la clause ne peut raisonnablement être mise en œuvre (art. 6 d) ; 3) le tribunal élu a décidé de ne pas connaître du litige (art 6 e). Dans l’Union européenne, le règlement Bruxelles I bis a récemment perfectionné le système qu’avait instauré le règlement Bruxelles I. Selon l’interprétation faite par la Cour de justice de cet instrument (v. la très contestée jurisprudence Gasser, v. ss 494), l'exclusivité de la compétence du juge élu, pourtant reconnue par l'article 23 du règlement Bruxelles I, ne lui conférait aucune priorité sur les autres juges. Saisi en second, le juge élu devait s’aligner sur la décision prise sur sa compétence par le juge exclu mais saisi en premier. Dorénavant, en application de l’article 31-2 du règlement Bruxelles I bis, dès le moment où le juge élu est saisi, toute autre juridiction, même antérieurement saisie, doit attendre la décision prise par le juge élu sur sa compétence et, si cette compétence est retenue, se dessaisir. En
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revanche, si un juge exclu est saisi en violation d’une clause attributive de juridiction, et que le défendeur comparaît sans contester sa compétence ni saisir parallèlement le juge élu, il y a lieu de considérer que les parties ont, par un nouvel accord de volonté, prorogé la compétence du juge initialement exclu (Règl. BI, art. 24 ; Règl. BI bis, art. 26). Une clause attributive de juridiction n’est pas exclusive lorsqu’elle instaure une ou plusieurs options de compétence, au profit d’une ou plusieurs parties. La convention de La Haye n’est pas applicable à de telles clauses, mais les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis les admettent et les régissent. Les clauses instaurant une option de compétence au profit des deux parties ne posent pas de difficultés particulières. Les difficultés apparaissent en revanche avec les clauses dites asymétriques, lorsque l’option n’est stipulée qu’en faveur d’une seule des deux parties. Les conventions de Bruxelles de 1968 et de Lugano de 1988 prévoyaient expressément cette possibilité, mais les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis n’ont pas repris textuellement cette disposition. Cependant, dans la mesure où une convention contraire à l’exclusivité est admise, il est a priori permis de considérer que les parties peuvent convenir d’une compétence n’ayant d’effet exclusif qu’à l’égard d’une d’entre elles. En 2012 (Civ. 1re, 26 septembre 2012, Bull. civ. I, no 176, pourvoi n o 11-26.022), la Cour de cassation française a toutefois invalidé à raison de sa potestativité une clause qui liait une seule des deux parties, tandis que l’autre se réservait la possibilité de saisir « tout autre tribunal compétent ». Cette jurisprudence a par la suite été infléchie dans un sens plus compatible avec la lettre des règlements (Civ. 1 re, 7 octobre 2015, n o 14-16898, D. 2016. 1045, obs. F. Jaunt-Seseke, et les réf.) : une option réservée à une seule partie est admissible dès lors que les termes de la clause permettent d’identifier les juridictions qui pourraient être saisies du litige avec suffisamment de précision pour garantir l’impératif de prévisibilité poursuivi par l’article 23 du règlement Bruxelles I (ou 25 du règlement Bruxelles I bis).
§
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2 Compétence ordinaire
Les règles de compétence ordinaire ne s'appliquent qu'en l'absence de toute compétence renforcée. Elles se distinguent des règles de compétence renforcée en ce qu'elles ne sont revêtues d'aucune exclusivité ou impérativité spécifique. Elles constituent donc des « propositions » faites aux parties, qui peuvent choisir de saisir une juridiction dont la compétence ordinaire est acquise, mais ne sont pas tenues de le faire. Les parties peuvent notamment conférer compétence à une autre juridiction, d’un commun accord exprès (par une clause attributive de juridiction) ou implicite (par la comparution du défendeur devant la juridiction saisie par le demandeur, sans contestation de compétence ; v. Règl. BI, art. 24 et Règl. BI bis, art. 26). La compétence ordinaire, qui est la plus fréquemment mise en œuvre, autorise ainsi la concurrence internationale des ordres juridictionnels. Les règles de compétence ordinaire sont essentiellement fondées sur des considérations de bonne administration de la justice ; elles se divisent entre règles de compétence généraleQ, qui s'appliquent sauf dérogation aux litiges en matière civile et commerciale (A), règles de compétence spécialeQ, qui s'appliquent seulement en certaines matières (B), et règles de compétence dérivéeQ, qui autorisent à retenir la compétence d'un tribunal à raison de sa compétence pour connaître d'un autre litige (C).
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Droit international privé
A. Compétence générale en matière civile et commerciale La règle de compétence internationale générale par excellence, applicable à la plupart des litiges en matière civile et commerciale, est celle qui désigne comme juridiction internationalement compétente le tribunal du domicile du défendeur. Si la consécration de la règle est quasi générale (1), la définition de la notion de domicile peut cependant varier (2).
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1. Consécration de la compétence du tribunal du domicile du défendeur 374
La compétence générale du tribunal du domicile du défendeur est consacrée en droit commun français par l'extension à l'ordre juridique international de l'article 42 du Code de procédure civile — extension qui conduit à considérer que les tribunaux français sont internationalement compétents lorsque le défendeur est domicilié en France. Elle est également retenue en matière civile et commerciale par le règlement Bruxelles I (art. 2) et le règlement Bruxelles I bis (art. 4).
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Les règlements européens propres à certaines matières ne comportent par définition que des règles de compétence spéciale ; il n'est donc pas étonnant de ne pas y trouver de règle instituant une compétence générale au profit des juridictions du domicile du défendeur. L'examen de ces textes atteste cependant de l'importance que conserve le « centre de vie » du défendeur, pour l'identification des juridictions compétentes. Seule la matière de la responsabilité parentale offre une dérogation notable à cette compétence, puisque l'article 3 du règlement Bruxelles II bis retient la compétence générale de l'État de résidence habituelle de l'enfant (qui n’est pourtant pas le défendeur). En matière matrimoniale ou patrimoniale familiale en revanche, les juridictions de l'État de « résidence habituelle » du défendeur reçoivent une compétence spéciale non exclusive. La référence à la « résidence habituelle » du défendeur doit être distinguée de celle faite au « domicile » du défendeur.
2. Définition de la notion de « domicile » 376
Les instruments du « système Bruxelles » ne définissent pas la notion de « domicileQ », en tout cas pour les personnes physiques. Tous se bornent en effet à renvoyer sur ce point à la loi de l'État considéré. Pour déterminer si une partie personne physique a son domicile sur le territoire d'un État membre, le juge saisi — quel qu'il soit — devra donc appliquer la loi de cet État. Ainsi le juge français s'interrogeant sur l'existence d'un domicile d'un plaideur en Allemagne devra-t‑il appliquer la notion de « domicile » consacrée par la loi allemande. En revanche, s'il s'interroge sur l'existence d'un domicile du défendeur en France, que ce soit en application du droit commun français (extension de C. pr. civ., art. 42), ou en application des instruments européens susvisés, il appliquera la définition française du domicile des personnes physiques proposée par l'article 102 du Code civil, qui dispose que « le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ». Pour les personnes morales, les règles sont un peu plus précises depuis l'entrée en vigueur du règlement Bruxelles I qui, modifiant sur ce point la convention de Bruxelles, indique que les personnes morales sont réputées avoir leur domicile au lieu de leur siège statutaire ou au lieu de leur administration centrale ou principal
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La compétence internationale des juridictions
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établissement. En d'autres termes, il suffit qu'une personne morale ait son siège statutaire, ou son administration centrale ou son principal établissement sur le territoire d'un État membre pour être réputée y avoir son domicile. Bien évidemment, malgré le gain de précision, cette solution n'est pas de nature à éviter les concurrences de compétences qui peuvent naître de l'absence de définition de la notion de « domicile des personnes physiques », ou de la définition « plurale » de la notion de « domicile des personnes morales ». Une personne physique pourra se voir attribuer plusieurs domiciles si elle répond aux conditions différentes posées par plusieurs lois ; une société pourra se voir attribuer plusieurs domiciles si son siège social, son administration centrale et/ou son principal établissement sont situés dans des États différents. Plus grave, une personne pourra se voir priver de tout domicile dans l'Union européenne, alors même qu'elle réside exclusivement sur le territoire de l'Union mais que, partageant son temps entre plusieurs États, elle n'entre pas dans les conditions de domicile posées respectivement par ces États. La notion de « résidence habituelleQ », retenue par les règlements applicables en matière matrimoniale et patrimoniale familiale, doit être formellement distinguée de la notion de « domicile ». Quoique cette notion ne soit — pas plus que celle de domicile — définie par les textes européens qui l'utilisent, la doctrine considère traditionnellement qu'elle renvoie à une analyse plus factuelle que le domicile, qui reçoit une définition juridique propre à chaque État membre ; conçu en fait, ce critère aurait ainsi pour intérêt de réduire les problèmes liés aux divergences de qualification entre États membres. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait pourtant retenu de la notion de « résidence habituelle », pour l'application des règlements de l'Union, une définition qui, construite sur le critère central de l'intention de l'intéressé, la rapprochait très nettement de celle de domicile. Elle a en effet affirmé que « la résidence habituelle, notion autonome de droit communautaire, se définit comme le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Civ. 1 re, 14 déc. 2005, D. 2006. Somm. 1503, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Gaz. Pal. 25 févr. 2006, p. 14, note Ph. Guez ; Dr. fam. 2006, no 17, obs. M. Farge). Mais la Cour de justice de l’Union européenne a condamné cette approche, en faisant prévaloir – principalement en matière de responsabilité parentale – une conception factuelle de la résidence habituelle, qui correspond « au lieu qui traduit une certaine intégration de l'enfant dans un environnement social et familial » (CJCE 2 avr. 2009, aff. C-523/07, Rev. crit. DIP 2009. 791, note E. Gallant), ou encore au « lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie » (CJUE 28 juin 2018, aff. C-512/17). La CJUE a listé (not. dans les deux arrêts cités) les principaux éléments factuels qui doivent/peuvent être pris en compte dans cette appréciation, mais ceux-ci varient en fonction des circonstances, notamment de l’âge de l’enfant. L’approche factuelle, que la Cour de cassation a désormais consacrée et qui appelle une interprétation souveraine des juges du fond, génère donc une certaine insécurité. En outre, la notion de résidence habituelle revêt manifestement en droit européen un caractère fonctionnel qui n’est pas pour clarifier les choses.
B. Compétence spéciale
Les règles de compétence spéciale sont spécifiquement conçues en considération des particularités d’une situation, en général d’une matière. Selon les circonstances, elles peuvent jouer par dérogation à la règle de compétence générale - seule la règle spéciale
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est alors applicable -, ou comme alternative à la compétence générale - le demandeur a alors une option de compétence. En matière civile et commerciale, dans le système Bruxelles, c’est cette seconde approche qui est retenue, alors que dans les règlements spéciaux, la première est généralement privilégiée. Les règles de compétence spéciale sont le plus souvent édictées en considération des spécificités d'une matière. De telles règles spéciales sont consacrées tant par le droit commun français de la compétence, que par le droit de l'Union européenne. À titre d'exemple, en matière d'obligations alimentaires, l'article 5-2 du règlement Bruxelles I consacrait la compétence spéciale du tribunal du domicile ou de la résidence habituelle du créancier d'aliments, qui sera le plus souvent le demandeur, à moins que, formée à titre d'accessoire d'une action relative à l'état des personnes, la demande ne soit portée devant la juridiction compétente pour connaître de cette action principale. Ce texte a cédé la place, depuis le 18 juin 2011, aux compétences spéciales instituées par le règlement Obligations alimentaires déjà évoqué. L'article 3 de ce règlement précise que le demandeur peut porter son action, au choix, devant : a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle ; b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle ; c) la juridiction compétente selon la loi du for pour connaître d'une action relative à l'état des personnes lorsque la demande formée au titre de l'obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si la compétence principale est fondée sur la seule nationalité des parties ; d) la juridiction compétente selon la loi du for pour connaître d'une action relative à la responsabilité parentale, lorsque la demande formée au titre de l'obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si la compétence principale est fondée sur la seule nationalité des parties. Cette disposition, qui se borne à reformater les règles antérieurement applicables, n'apparaît pas fondamentalement novatrice (v. plus précis. : v. ss 785 s.). D'autres règles de compétence spéciale à raison de la matière existent, en matière contractuelle (v. ss 1045) ou délictuelle (v. ss 1065 s.), en matière matrimoniale (v. ss 710), de responsabilité parentale et plus généralement de protection des incapables (v. ss 659 s.), en matière de faillites (v. ss 890 ), de successions (v. ss 825 et v. ss 829 s.), de régimes matrimoniaux (v. ss 795 s.) et d’effets patrimoniaux des partenariats (v. ss 814 s.). Ces différentes matières étant étudiées dans la partie spéciale de ce cours infra, il y sera renvoyé pour le détail des règles de compétence internationale des tribunaux qui leur sont propres.
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D'autres règles « spéciales » sont moins nettement rattachées à une matière, mais sont applicables à raison de la spécificité de la situation. Tel est le cas, par exemple, de la règle posée par l'article 7-5 du règlement Bruxelles I bis (ou Règl. BI, art. 5-5). Cette règle de compétence, qui peut fonctionner en toutes matières dès lors qu'en est cause une personne morale, prévoit que lorsque la contestation est relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou d'un établissement — c'est‑à-dire de toute émanation sans personnalité juridique de la personne morale —, compétence est reconnue au tribunal du lieu de situation de cette émanation. Cette disposition prolonge, en droit européen, la jurisprudence dite « des gares principales » forgée par le droit commun français.
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C. Compétence dérivée 381
L'article 8-1 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 6-5) autorise ainsi le demandeur confronté à plusieurs défendeurs à saisir le tribunal du domicile de l'un d'entre eux pour connaître de l'ensemble de la cause, sous réserve qu'il existe un lien de connexité ; la jurisprudence a précisé que les juridictions du domicile d’un codéfendeur restent compétentes pour connaître du litige même si le demandeur se désiste ultérieurement de son action intentée contre ce codéfendeur, sauf fraude. Le for des codéfendeurs joue aussi au profit du salarié intentant une action contre son employeur (Règl. BI bis, art. 20-1). Le règlement précise que le lien de connexitéQ est vérifié « à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ». La Cour de justice retient une conception stricte de l’inconciliabilité : « pour que des décisions puissent être considérées comme contradictoires, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit » (CJCE 13 juill. 2006, Roche Nederland, aff. C539/03, pt 2 ; D. 2007. 336, obs. J. Raynard ; Rev. crit. DIP 2006. 777, étude M. Wilderspin ; RTD eur. 2007. 679, obs. J. Schmidt-Szalewski) ; en outre, le fait que le résultat d’une décision puisse avoir une influence sur l’autre ne suffit pas à rendre les décisions à venir inconciliables (CJUE 20 avr. 2016, Profit Investment, aff. C-366/13). Cependant, si elle exige une « même situation de droit », la Cour de justice retient également que la connexité peut être vérifiée même lorsque les actions formées contre les différents co-défendeurs ont des fondements juridiques différents (CJCE 11 oct. 2007, Freeport, aff. C-98/06 ; RTD com. 2008. 451, obs. A. Marmisse-d'Abbadie d'Arrast ; RJ com. 2007. 442, obs. A. Raynouard ; Europe, 2007. comm. 364, obs. L. Idot). Une règle de compétence dérivée équivalente s'évince en droit commun de l'article 42, alinéa 2 du Code de procédure civile, dont l'application a été étendue par la Cour de cassation à la matière internationale sous réserve que soit constatée l'existence d'un « lien étroit de connexité » (Civ. 1 re, 24 févr. 1998, Rev. crit. DIP 1999. 309, note A. Sinay-Cytermann). Plus récemment, la Cour de cassation a posé une exigence complémentaire pour que le for des codéfendeurs puisse jouer en matière internationale, en imposant que la demande formée contre le codéfendeur domicilié
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Droit commun et droit de l'Union européenne consacrent également, selon des règles très proches, des compétences dites « dérivées », qui renvoient à la compétence qu'un tribunal tire, pour connaître d'un litige donné, de la compétence qui lui est reconnue dans un autre litige. L’objectif de ces règles est de permettre que des contentieux liés soient jugés ensemble, pour des raisons d’économie procédurale et de bonne administration de la justice. Elles ne peuvent cependant jouer à l’encontre d’une règle de compétence renforcée ; elles ne pourront ainsi déroger ni aux règles de compétence exclusives, ni à la compétence fondée sur une clause attributive de juridiction, ni – sauf exceptions mentionnées infra – aux règles protectrices des parties faibles. Il existe trois principales règles de compétence dérivée : la première applicable lorsque des demandes connexes sont formées contre plusieurs défendeurs ; la deuxième lorsqu’un tiers à la procédure est appelé en garantie ; la troisième en cas de demande reconventionnelle.
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en France ait un caractère sérieux (Com. 13 avr. 2010, n o 09-11.885). Cette condition a pour objet d'éviter que, au bénéfice d'une assignation fantaisiste d'un défendeur devant les juridictions françaises, n'ayant d'autre motif que de fonder la compétence de celles-ci, le demandeur ne cherche à y attraire un codéfendeur à l'égard duquel les juridictions françaises auraient été, sinon, dépourvues de toute compétence internationale.
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L'article 8-2 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 6-2) instaure la faculté pour le demandeur d'attraire un tiers, dans le cadre d'une demande en garantie ou d'une demande en intervention, devant le tribunal saisi de la demande originaire, « à moins qu'elle n'ait été formée que pour traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé ». Une solution similaire s'applique en droit commun français, en vertu de l'extension aux litiges « internationaux » de l'article 333 du Code de procédure civile disposant que « Le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, même en invoquant une clause attributive de juridiction ». L'extension ne joue toutefois que pour la proposition principale de ce texte (Civ. 1re, 12 mai 2004, Bull. civ. I, no 129), la Cour de cassation ayant exclu, en matière internationale, la neutralisation de la clause attributive de juridiction que le texte prévoit in fine (Com. 30 mars 1993, Rev. crit. DIP 1993. 680, note H. Gaudemet-Tallon).
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Enfin, l’article 8-3 du règlement Bruxelles I bis (règl. BI, art. 6-3) précise que le tribunal compétent pour connaître d’une demande est également compétent pour connaître des demandes reconventionnelles si celles-ci « dérive (nt) du contrat ou du fait sur lequel est fondé la demande originaire ». La compétence en matière reconventionnelle joue, exceptionnellement, même lorsque la demande reconventionnelle est formée par une partie forte contre un demandeur originaire qui est un assuré (Règl. BI bis, art.14-2 ; Règl. BI, art. 12-2), un consommateur (Règl. BI bis, art. 18-3 ; Règl. BI, art. 16-3), ou un travailleur (Règl. BI bis, art. 22-2, Règl. BI, art. 20-2).
§ 385
3 Compétence en matière provisoire
Une partie importante du contentieux est aujourd'hui jugée « au provisoire ». On connaît ainsi, en droit français, les procédures de référé qui permettent d’obtenir dans des délais très courts, aux termes d’une procédure simplifiée, qu’une expertise soit ordonnée, qu’une somme soit consignée, ou que le paiement d’une provision soit ordonné. Ces décisions et mesures provisoires sont parfois assimilées aux mesures conservatoires, dont l’objectif est de sauvegarder les droits d’une partie. L’assimilation n’est qu’en partie exacte, mais l’on envisagera néanmoins conjointement les mesures provisoires et conservatoires en les définissant comme des mesures caractérisées par leur réversibilité, ainsi que le fait la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 17 novembre 1998, Van Uden, v. rubrique Documents). Compétence pour prononcer ces mesures est traditionnellement reconnue au juge compétent pour connaître du litige au fond (A). Mais une compétence concurrente est également reconnue au « juge du provisoire », selon des règles qu’il faut spécifier (B).
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A. Compétence du juge principal
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Ni la convention de Bruxelles de 1968, ni le règlement Bruxelles I, ne spécifiaient que le juge compétent pour connaître du litige au fond est également compétent pour ordonner les mesures provisoires et conservatoires sollicitées dans le cadre de ce litige. La Cour de justice a cependant jugé sans ambiguïté que le juge compétent en vertu des règles de compétence du système Bruxelles « reste également compétent pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, sans que cette dernière compétence soit subordonnée à d’autres conditions » (arrêt van Uden préc., v. rubrique Documents). Cette solution est aujourd'hui indirectement confirmée, sous l’angle de l’effet des mesures provisoires, par le règlement Bruxelles I bis, dont l’article 42-2 implique que les décisions ordonnant une mesure provisoire ou conservatoire sont exécutées dans les autres États membres lorsqu’elles émanent d’une juridiction compétente pour connaître du fond. Le droit commun français était déjà fixé en ce sens ; tout au plus la compétence du juge principal était-elle contestée en matière de saisie conservatoire, lorsque les biens objets de la saisie étaient situés à l’étranger. On a vu cependant (v. ss 341 s.) qu’en droit de l’Union européenne, la CJUE a très tôt affirmé la possibilité pour le juge d’un État membre d’autoriser des mesures conservatoires sur des biens situés sur le territoire d’un autre État membre, ainsi que l’évolution qui a subséquemment marqué le contentieux des mesures d’exécution en droit commun français.
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B. Compétence du juge du provisoire Il résulte des articles 31 du règlement Bruxelles I et 35 du règlement Bruxelles I bis, mais aussi des règlements Obligations alimentaires (art. 14), Successions (art. 19), Régimes matrimoniaux (art. 19) et Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (art. 19) que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». De prime abord, cette règle ne manque pas d’étonner. Déjà, elle institue une dérogation générale à toutes les règles de compétence instituées par le règlement, même les plus impératives, ce qui peut surprendre. En outre, elle ne pose aucun critère de la compétence reconnue au juge du provisoire ; elle renvoie donc purement et simplement aux règles de compétence de l’État dont la loi prévoit la mesure provisoire ou conservatoire demandée. La Cour de justice est cependant intervenue pour limiter la portée de ce texte. Dans l’arrêt Van Uden (préc, v. rubrique Documents), elle a en effet affirmé que son application « est subordonnée, notamment, à la condition de l’existence d’un lien de rattachement réel entre l’objet de (la) mesure et la compétence territoriale de l’État (contractant) du juge saisi ». Il faut comprendre par là que le juge du provisoire ne peut en principe se déclarer compétent que lorsque la mesure sollicitée doit s’exécuter dans les limites de son territoire. Cette solution est implicitement confirmée par l’article 42-2 du règlement Bruxelles I bis, qui exclut les mesures provisoires et conservatoires ordonnées par le juge du provisoire du bénéfice du régime d’exécution de plein droit qu’il organise ; on comprend que ces mesures n’ont donc vocation à s’exécuter que sur le territoire du juge qui les édicte. Ainsi reformulée, la règle européenne rejoint la règle de droit commun français, qui donne en référé une compétence, alternative à celle du juge du fond, au juge du lieu où la mesure doit être exécutée. Internationalisée, cette règle implique que le juge
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§ 388
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français est compétent en référé lorsque la mesure sollicitée doit s’exécuter en France. Le dispositif du règlement Bruxelles II bis, applicable à la matière matrimoniale et à la responsabilité parentale, diffère en revanche assez substantiellement de cette règle générale. La compétence en matière provisoire et conservatoire est normalement exercée par le seul juge compétent au fond. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, sous condition d’urgence, que les juges d’autres États membres peuvent prononcer des mesures provisoires ou conservatoires à caractère simplement temporaire (art. 20).
4 Compétence exorbitante
La compétence d'un tribunal est dite « exorbitante » lorsqu'elle repose sur des liens, entre le litige et l'ordre juridique dont dépend ce tribunal, si ténus que la revendication de compétence par cet ordre juridique apparaît « déraisonnable ». La plupart des États consacrent des chefs de compétence jugés « exorbitants », dont il existe une grande variété. Certains États se reconnaissent ainsi une compétence sur la base de la seule présence de biens — appartenant au défendeur mais sans rapport avec le litige — sur leur territoire ; c'est le for du patrimoine. D'autres reconnaissent compétence à leurs juridictions lorsque le demandeur a son domicile sur leur territoire (c'est le forum actoris), voire même une simple résidence temporaire, ce qui permet opportunément au demandeur, une fois identifiée la juridiction qui lui sera favorable, de créer un chef de compétence en transportant brièvement sa résidence dans l'ordre juridique auquel cette juridiction appartient. Il faut bien comprendre que ce qui s'avère véritablement choquant, ce n'est pas tant qu'un État s'arroge une compétence déraisonnable (puisque l'exigence de compétence « raisonnable », on l'a vu, n'est pas incontestablement consacrée), que le fait qu'il consacre, par l'édiction de cette compétence, un avantage excessif au bénéfice de l'un des plaideurs — généralement le demandeur — en lui permettant d'imposer à son adversaire de plaider devant une juridiction le plus souvent éloignée de ses propres centres d'intérêts (puisque dépourvue de véritables liens avec le litige). Quoi qu'il en soit, la France ne déroge pas à la tradition et, comme la plupart des autres États, consacre des chefs exorbitants de compétence, fondés sur la nationalité française des plaideurs, en droit commun de la compétence internationale des tribunaux français (A). La possibilité de recourir à ces chefs exorbitants de compétence est cependant limitée par le droit européen (B).
A. Consécration des chefs de compétence exorbitante par le droit français 389
Le droit français consacre, par ses fameux articles 14 et 15 du Code civil, des chefs de compétence fondés sur la nationalité des parties, qui constituent de véritables privilèges de juridictionQ au profit du demandeur ou du défendeur de nationalité française. Ainsi, en application de l'article 14 du Code civil, « l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays
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étranger avec des Français ». C’est le privilège du demandeur français, qui peut toujours agir devant les juridictions françaises. Et en application de l'article 15 du Code civil, « un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations contractées en pays étranger, même avec un étranger ». C’est le « privilège » du défendeur français, qui peut (doit ?) être attrait devant les juridictions françaises. Pour comprendre le fonctionnement de ces privilèges de juridiction, il est nécessaire de distinguer selon que leur application est invoquée dans le cadre de l’instance directe, pour fonder la compétence des juridictions françaises (1), ou dans l’instance indirecte, pour faire échec à la compétence des juridictions étrangères (2).
1. Les privilèges de juridiction dans l’instance directe Lorsqu’ils sont invoqués dans l’instance directe – c’est‑à-dire devant le juge français saisi d’une demande au fond –, les privilèges de juridiction ont pour objet de fonder la compétence française. L’article 14 du Code civil donne compétence aux juridictions françaises pour connaître des demandes formées par des Français ; l’article 15 du Code civil leur donne compétence pour connaître des demandes formées par des étrangers contre des défendeurs français. Cette application des privilèges pour fonder la compétence des juridictions françaises est bien acquise, la jurisprudence étant constante sur ce point ; pour en comprendre la portée, il convient toutefois d’en préciser les conditions (a). En outre, il importe de souligner que, facultatifs pour les parties, les privilèges peuvent faire l’objet d’une renonciation par celles-ci (b). En revanche, l’idée – un temps agitée – de conférer aux juges le pouvoir d’apprécier l’opportunité d’exercer leur compétence sur le fondement des articles 14 et 15 du Code civil semble abandonnée, au moins jusqu’à nouvel ordre (c).
a.
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Conditions d’application des privilèges
Les privilèges de juridiction s’appliquent, à suivre la lettre des articles 14 et 15 du Code civil, lorsque le litige met en cause une partie de nationalité française et concerne « les obligations ». La jurisprudence a toutefois étendu leur domaine d’application. Mais elle a dans le même temps restreint leur application en consacrant leur subsidiarité. Elle a enfin précisé les modalités de détermination de la juridiction territorialement compétente.
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Le domaine d'application rationae personae des articles 14 et 15 du Code civil ne pose apparemment pas de difficultés : la nationalité française de l'une des parties est une condition à la fois nécessaire et suffisante d'application des privilèges. C'est une condition nécessaire, en ce sens que lorsque ni le demandeur, ni le défendeur n'ont la nationalité française, l'application des privilèges est exclue, cela quand bien même l'une des parties aurait son domicile ou sa résidence en France. À cette règle, il existe toutefois des exceptions, car certaines catégories d'étrangers peuvent bénéficier du jeu des articles 14 et 15 du Code civil. C'est le cas des réfugiés et des apatrides qui, en application des textes internationaux, jouissent, quant à l'accès aux tribunaux, des mêmes droits que les nationaux de leur État de résidence. C'est encore le cas de certaines catégories d'étrangers qui reçoivent devant les tribunaux français, en vertu de conventions internationales signées par la France, le bénéfice des privilèges de juridiction réservés aux nationaux français. Ainsi l'article 62 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 4-2), permet-il à toute personne domiciliée sur le territoire français d'invoquer contre un défendeur domicilié en dehors de
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l'Union européenne les règles françaises de compétence internationale, y compris les chefs de compétence exorbitants (pour une application : Civ. 1re, 3 juill. 1996, D. 1998. 283, note B. Audit) ; de même, l'article 7-2 du règlement Bruxelles II bis prévoit-il, dans les (rares) hypothèses où le droit commun des États membres est appelé à jouer, une extension des privilèges de juridiction d'un État membre au bénéfice des ressortissants d'un autre État membre qui y sont domiciliés (du moins si l'adversaire n'est pas « intégré » à l'Union européenne, c'est‑à-dire n'a pas la nationalité d'un État membre et n'est pas domicilié sur le territoire communautaire). C'est également une condition suffisante, car, hormis les cas qui viennent d'être évoqués, ni le domicile des parties, ni la nationalité de l'adversaire, ne sont des considérations utiles. Peu importe également l'origine des droits litigieux. Il est en effet de principe que les plaideurs de nationalité française peuvent invoquer les privilèges, même lorsqu'ils ont reçu les droits litigieux d'ayants cause qui, du fait de leur nationalité étrangère, n'auraient pu se prévaloir de ces privilèges (pour l'application de l'article 14 au bénéfice du cessionnaire français des droits d'un étranger : Civ. 1re, 14 déc. 2004, Bull. civ. I, no 311). La Cour de cassation a même admis au bénéfice du privilège, dans un arrêt Compagnie La Métropole (Civ. 1re, 21 mars 1966, GADIP, n o 43 ; JDI 1967. 380, note J.-D. Bredin ; Rev. crit. DIP 1966. 670), le plaideur de nationalité française exerçant en justice, non pas son action personnelle, mais celle d'un étranger dans les droits duquel il était subrogé. Le domaine d'application rationae personae des privilèges est donc largement conçu.
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En va-t‑il de même de leur domaine d'application rationae materiae ? Dans leur formulation, les textes des articles 14 et 15 du Code civil paraissent limiter l'application des privilèges aux litiges relatifs à des obligations contractuelles. Mais la jurisprudence a très vite étendu le jeu des privilèges aux autres actions, patrimoniales comme extrapatrimoniales. De même, quoique la question ait en son temps donné lieu à des débats doctrinaux, l'application des privilèges en matière gracieuse paraît définitivement consacrée (Civ. 1re, 9 déc. 2003, Bull. civ. I, no 247). Certaines actions échappent toutefois au jeu des articles 14 et 15 du Code civil, conformément aux enseignements de l'arrêt Weiss (Civ. 1 re, 27 mai 1970, v. rubrique Documents). Tel est le cas des actions réelles immobilières et des actions en partage d'un immeuble situé à l'étranger, ou encore des actions relatives à la mise en œuvre des voies d'exécution à l'étranger. Il n'est pas anodin de constater que toutes les actions visées correspondent à des situations dans lesquelles la compétence exclusive d'un tribunal étranger est usuellement reconnue, car cette circonstance constitue l'une des justifications de la dérogation au jeu des privilèges (v. ss 344 s.).
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Quoique leur domaine d’application soit large, les privilèges de juridiction sont en pratique assez exceptionnellement mis en œuvre, en raison de leur subsidiarité consacrée par la jurisprudence. Par un arrêt Société Brandies & Cognac from France (Civ. 1re, 19 nov. 1985, v. rubrique Documents), la Cour de cassation a en effet affirmé que « l'article 14 qui donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité du demandeur n'a lieu de s'appliquer que lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence territoriale n'est réalisé en France ». Les privilèges de juridiction ne doivent donc jouer qu’en derniers recours. La règle est pertinente car il apparaît peu opportun de retenir la compétence internationale des juridictions françaises sur le fondement d'un privilège, alors que cette compétence est également fondée par un chef de compétence ordinaire. En effet, on sait que les États refusent généralement
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de reconnaître les décisions étrangères rendues par un tribunal dont la compétence est jugée exorbitante. Appliquer le privilège, plutôt que la règle de compétence ordinaire, revient donc à hypothéquer les chances de circulation d'une décision qui sera plus aisément reconnue à l'étranger si la règle de compétence ordinaire est privilégiée. En outre, les privilèges de juridiction, contrairement aux règles de compétence ordinaire, ne permettent pas d’identifier aisément le tribunal territorialement compétent. Les privilèges de juridiction confèrent à l'ordre juridictionnel français une compétence générale. Mais comme par hypothèse, en raison de la subsidiarité des privilèges, aucun chef de compétence territoriale n'est constitué sur le territoire français, l'identification du tribunal spécialement compétent suscite des difficultés. Pour la Cour de cassation, il doit revenir au demandeur de choisir la juridiction devant laquelle il entend, en France, porter sa demande. Elle décide en effet que le demandeur peut « saisir de sa demande un tribunal de France, au besoin celui de son domicile, en l'état de la défaillance des règles internes de compétence territoriale » (Civ. 1re, 16 avr. 1985, Rev. crit. DIP 1987. 584). Néanmoins, la Haute juridiction paraît vouloir encadrer ce choix, qui doit s'exercer dans le respect de l'une ou l'autre des directives suivantes : le choix du demandeur doit être justifié soit par l'existence d'un lien de rattachement de l'instance au territoire français, soit par les exigences de la bonne administration de la justice (Civ. 13 juin 1978, Rev. crit. DIP 1978. 722, note B. Audit ; JDI 1979. 414, obs. P. Gannagé). Force est de constater que ces « limites » laissent en réalité au demandeur une très grande latitude.
b.
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Renonciation au bénéfice des privilèges
La faculté pour le bénéficiaire d'un privilège de juridiction d'y renoncer est bien ancrée dans notre droit, tant en ce qui concerne le privilège du demandeur, qu'en ce qui concerne le privilège du défendeur. Sur ce dernier, il faut toutefois observer, avec la jurisprudence, que dans la mesure où l’article 15 confère un droit aussi bien au défendeur français qu’au demandeur étranger, la renonciation ne peut émaner du seul défendeur français, mais doit émaner à la fois du demandeur et du défendeur. Si le principe de la renonciation est admis sans discussion, les difficultés se concentrent en revanche sur les modalités de cette renonciation. La renonciation expresse est évidemment efficace, mais elle est rare (v. toutefois, l'acceptation formelle de la compétence étrangère valant renonciation au bénéfice de l'art. 15 : Civ. 1re, 28 janv. 2003, Rev. crit. DIP 2004. 398, note H. Muir Watt). Plus fréquentes sont les renonciations implicites, déduites de la stipulation d'une clause attributive de juridiction ou d'une clause compromissoire. Lorsqu'une partie a accepté la compétence d'une juridiction expressément identifiée, il semble naturel de considérer qu’elle a au moins implicitement renoncé à se prévaloir des privilèges de juridiction (en ce sens : Civ. 1 re, 25 nov. 1986, SIACI, Rev. crit. DIP 1987. 396, note H. Gaudemet-Tallon), à moins que les circonstances de l’espèce ne démentent cette renonciation (Civ. 1 re, 20 nov. 2001, Rev. crit. DIP 2002. 564, note B. Ancel : pas de renonciation aux privilèges lorsque la clause attributive de juridiction, désignant les juridictions françaises, est jugée non valable). Les renonciations tacites, enfin, suscitent les problèmes les plus épineux. La renonciation tacite est celle qui est déduite du comportement procédural des parties. Il est généralement admis que la renonciation au privilège de juridiction peut être déduite de la participation, par le plaideur qui l’invoque, à une procédure étrangère sans contestation de la compétence des
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juridictions saisies (Civ. 1re, 30 septembre 2009, Bull. civ. I, no 191 ; Civ. 1re, 30 juin 1992, D. 1994. 169, note Ph. Guez). Cependant, là encore, tout est question de circonstances ; ainsi il a pu être jugé que le demandeur français, qui introduit une action à l'étranger avant de s'en désister, conserve la possibilité de réassigner en France sur le fondement de l'article 14 du Code civil (Civ. 1re, 27 janv. 1993, D. 1993. 602, note J. Massip).
Opportunité d’exercer la compétence fondée sur les privilèges
La question de savoir si les juridictions françaises, saisies sur le fondement des articles 14 ou 15 du Code civil, doivent nécessairement retenir leur compétence dès lors que les conditions d’application de ces textes sont remplies et que les parties n’y ont pas renoncé, ou doivent au contraire apprécier l’opportunité d’exercer cette compétence, mérite incontestablement d’être posée. Un exemple nous en convaincra : un époux de nationalité suisse décide de saisir les juridictions françaises d’une demande de divorce contre son épouse, de nationalité franco-suisse. Le couple s’est marié en Suisse, y a résidé pendant toute la vie commune, s’y est séparé par convention homologuée par un tribunal local ; les deux époux résident depuis, séparément, en Suisse. L’épouse défenderesse, qui a la double nationalité française et suisse mais aucun lien effectif avec la France, conteste la compétence des juridictions françaises et revendique celle des juridictions suisses. Les juridictions françaises doivent-elles, dans ce contexte, retenir leur compétence internationale ? L’article 15 du Code civil les y invite puisque la défenderesse est française. Pourtant, il conduit ici à attraire les parties en dehors de leur for naturel – la juridiction suisse —, alors même que le défaut d’effectivité de la nationalité française de l’épouse rend le lien avec la France particulièrement ténu. On comprend, au regard de cette illustration, qu’une partie de la doctrine ait pu soutenir que la compétence des juges français fondée sur la nationalité des parties ne devrait jouer qu'en présence d'un certain lien de proximité avec la France, en une forme de consécration limitée de la doctrine du forum non conveniensQ. En droit positif, plusieurs décisions de la Cour de cassation ont affirmé que « l'article 14 du Code civil n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à son profit une compétence impérativeQ, exclusive de la compétence indirecte d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux » (v. en particulier l’arrêt Banque de développement local c. Fercométal en date du 22 mai 2007, v. rubrique Documents). Certains auteurs se sont demandés s'il ne fallait pas voir dans l'emploi par la Haute Juridiction de l'expression « compétence facultative », une volonté de rationaliser le jeu des privilèges de juridiction, et notamment de l'article 14 du Code civil (sur cette discussion, v. B. Audit, « Vers la consécration du caractère facultatif du for de la nationalité française du demandeur (C. civ., art. 14) ? », D. 2007. Chron. 2548, et les notes sous les arrêts Prieur et Banque de développement local). Il appartiendrait ainsi au juge français, saisi sur le fondement de l'article 14 du Code civil, de décider si le litige présente avec la France des liens suffisants pour que la compétence internationale des juridictions françaises puisse être retenue. Par plusieurs arrêts rendus postérieurement (en particulier Civ. 1 re, 30 sept. 2009, 4 arrêts, Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon ; 16 déc. 2009, Rev. crit. DIP 2010. 165, note H. Muir Watt), la Cour de cassation a toutefois coupé court à ce débat : les juges français ne sauraient, lorsqu’ils sont saisis sur le fondement de l’article 14 ou 15 du Code civil, apprécier l'opportunité d'exercer leur compétence. Le caractère « facultatif » des privilèges de juridictions n’a d’incidence que lorsqu’ils sont invoqués dans le cadre de l’instance « indirecte ». On pourra regretter cette solution que la Cour
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de cassation a toutefois confirmée à de nombreuses reprises au cours de ces dernières années.
2. Les privilèges de juridiction dans l’instance indirecte 398
La Cour de cassation a finalement, et heureusement, opéré un spectaculaire revirement de sa jurisprudence en mettant fin à l'exclusivité du privilège de l’article 15 du Code civil, par un arrêt Prieur du 23 mai 2006 (v. rubrique Documents). Elle affirme dans cet arrêt que « l'article 15 du Code civil ne consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française impropre à exclure la compétence indirecte d'un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l'État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux ». Dorénavant, la nationalité française du défendeur ne peut donc plus, à elle seule, justifier le refus de reconnaître une décision rendue à l'étranger. Ce revirement a été étendu à l'article 14 du Code civil. Dans un arrêt Banque de développement local c. Fercométal en date du 22 mai 2007 (v. rubrique Documents), la Cour de cassation énonce que « l'article 14 du Code civil n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à son profit une compétence impérativeQ, exclusive de la compétence indirecte d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux ».
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La compétence des juridictions françaises fondée sur les privilèges de juridiction estelle exclusive ? La réponse est assurément négative lorsqu’il est prouvé que les parties y ont renoncé : un autre juge que le juge français doit pouvoir être compétemment saisi. Mais, en l'absence de renonciation établie de la part du bénéficiaire, il a longtemps été considéré que les privilèges de juridiction fondaient une compétence exclusive du juge français, privant corrélativement les juges étrangers de compétence pour connaître du litige impliquant une partie française. Cette dérive affectait plus particulièrement les procédures dans lesquelles le défendeur était de nationalité française. En effet, la saisine d’un juge étranger par un demandeur français est traditionnellement considérée comme valant renonciation par le demandeur au privilège de l’article 14 du Code civil. En revanche, la participation d’un défendeur français à une procédure étrangère ne valait pas nécessairement renonciation au privilège de l’article 15 du Code civil, surtout si celui-ci s’était prévalu d’une exception d’incompétence. Ainsi le défendeur français profitait-il d'une protection absolue et manifestement excessive, puisqu'il lui était toujours possible (sauf renonciation avérée au bénéfice du privilège) de faire obstacle à la reconnaissance en France d'une décision rendue à son encontre par des juridictions étrangères, quand bien même la compétence de ces juridictions aurait été tout à fait raisonnablement fondée (par exemple sur le critère du domicile du défendeur). Cette exclusivité de l'article 15 du Code civil était critiquée par la majorité de la doctrine française, qui rappelait avec rigueur que l'article 15 énonce simplement que le défendeur français « peut » être attrait en France, et non qu'il « doit » l'être.
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B. Élimination des chefs de compétence exorbitante par le droit européen Largement neutralisés par le droit de l’Union européenne (1), les privilèges de juridiction posent en outre un problème de compatibilité avec les dispositions de la Conv. EDH (2).
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1. Neutralisation des privilèges de juridiction par le droit de l’Union européenne 401
Le système Bruxelles neutralise doublement le jeu des privilèges de juridiction : dans son domaine d’application, il en interdit l’usage contre un défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre (Règl. BI, art. 3-2 ; Règl. BI bis, art.5-2) ; hors de son domaine d’application, il en banalise l’usage en énonçant que toute personne domiciliée sur le territoire français peut, quelle que soit sa nationalité, invoquer ces privilèges contre un défendeur est domicilié sur le territoire d’un État tiers (Règl. BI, art. 4-2 ; Règl. BI bis, art. 6-2 ; v. ss 392). Cette neutralisation se justifie pour deux principales raisons. D’une part, le droit de l’Union européenne repose sur un principe de confiance entre États membres, expliquant notamment qu'un régime libéral de circulation des décisions de justice puisse être institué (v. ss 448 s.) ; l'éradication des chefs de compétence exorbitants participe de la mise en œuvre de la confiance mutuelle. D’autre part, alors que les textes européens sont principalement fondés sur des considérations de bonne administration de la justice, les chefs de compétence exorbitants s'en écartent radicalement, ce qui explique leur mise à l'écart. Cette dernière raison est particulièrement pertinente s’agissant des privilèges de juridiction fondés, comme le sont les articles 14 et 15 du Code civil français, sur la nationalité. En effet, on observe plus largement en droit de l’Union européenne une véritable défaveur à l’égard de la nationalité prise comme critère de compétence. Même en matière familiale, où son usage était traditionnel dans les droits communs de nombreux États membres, les règlements européens préfèrent le critère de la résidence habituelle à celui de la nationalité, cantonné dans un rôle marginal et résiduel. Le critère de la résidence habituelle répond en effet plus sûrement aux exigences de proximité, centrales dans la construction du droit de l’Union européenne.
2. Discussion sur la compatibilité des privilèges de juridiction avec la Conv. EDH 402
La conformité des privilèges de juridiction fondés sur la nationalité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment aux exigences de l'article 6, est discutée en doctrine. L’article 15 du Code civil, en ce qu’il fondait une compétence exclusive des juridictions françaises opposable dans l’instance indirecte, soulevait incontestablement une difficulté réelle. La Cour européenne des droits de l'homme a d’ailleurs été saisie d’une requête lui demandant de juger que l'exclusivité de l'article 15 du Code civil était source de discrimination et de rupture du principe de l'égalité des armes. Elle a affirmé, en cette occasion, que « l'article 6 implique un contrôle des règles de compétence en vigueur dans les États contractants aux fins de s'assurer que celles-ci ne portent pas atteinte à un droit protégé par la convention » (CEDH 29 avr. 2008, McDonald,
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Rev. crit. DIP 2008. 831, note P. Kinsch). Elle n’a toutefois pas tranché directement la question de la compatibilité de l'article 15 à la Convention EDH, car elle a relevé que le demandeur disposait d'une voie de recours en France et que son omission à l'exercer lui interdisait de se plaindre de la décision française. En toute hypothèse, l'abandon de l'exclusivité de l'article 15 du Code civil par l'arrêt Prieur règle le problème particulier posé par ce texte. La réflexion pourrait se poursuivre à propos de l’effet direct de l’article 14 du Code civil, qui place le demandeur français dans une position privilégiée par rapport au défendeur étranger domicilié à l’étranger, ce qui pourrait être analysé comme une rupture du principe d’égalité des armes ; mais la Cour de cassation a rejeté cette analyse (Civ. 1 re, 29 février 2012, no 11-40.101, Rev. Crit. DIP 2012. 775, note L. Usunier, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke). Conclusion. L'étude de la compétence internationale des juridictions a révélé que les États ne réservent pas le même traitement à l'ensemble des règles de compétence qu'ils édictent, unilatéralement ou de façon concertée. Très souvent, une concurrence s'instaure entre juridictions étatiques, également compétentes pour connaître d'un litige international ; il revient alors aux parties de régler cette concurrence en sélectionnant l'un des tribunaux qui se reconnaît compétence internationale. Plus rarement, les États jugent que la compétence internationale de leurs juridictions doit être protégée, contre les parties — qui ne peuvent préférer la saisine d'un autre tribunal — et contre les tribunaux étrangers — dont la saisine ne peut constituer une alternative valable. Les moyens offerts aux États pour garantir l'effectivité des compétences impératives et exclusives de leurs juridictions sont toutefois réduits. Ils passent essentiellement par une réaction a posteriori, qui consiste à refuser de reconnaître, dans l'ordre juridique du for, les décisions de justice rendues par une juridiction étrangère incompétente aux yeux de ce for. L'étude de la compétence internationale des juridictions doit donc naturellement être complétée par celle des effets des décisions étrangères.
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Compléments pédagogiques
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I. Sources des règles de compétence Les États déterminent en principe librement les règles de compétence internationale de leurs juridictions, en l'absence de prescriptions issues du droit international public. Quelques prohibitions, nées du droit international public, peuvent toutefois avoir une incidence sur la définition de la compétence internationale des juridictions étatiques. D'une part, l'interdiction faite aux États de juger leurs pairs impose de consacrer, au profit des États et de leurs émanations, des immunités juridictionnelles. D'autre part, la compétence exclusive reconnue par le droit international public aux États pour s'auto-organiser impose en droit international privé de reconnaître aux tribunaux d'un État une compétence exclusive pour les litiges mettant en cause les services publics de cet État. En revanche, la compétence exclusive d'exécution dévolue aux États sur leur territoire ne semble plus guère affecter le contentieux des mesures d'exécution. Libres de déterminer unilatéralement la compétence internationale de leurs juridictions, les États n'en ont pas moins choisi, ponctuellement, d'adopter des règles de compétence internationale communes sur la base de la concertation. En droit de l’Union européenne, plusieurs règlements définissent ainsi la compétence des juridictions des États membres. En matière civile et commerciale, le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 a été récemment refondu, et les actions intentées à compter du 10 janvier 2015 sont désormais soumises au règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012, du moins lorsque le litige est intracommunautaire. En outre, un règlement du 23 novembre 2003, dit Bruxelles II bis, abrogeant et remplaçant un règlement du 29 mai 2000 dit Bruxelles II, réglemente la compétence judiciaire en matière matrimoniale et de responsabilité parentale. Un autre règlement du 29 mai 2000 traite de la compétence en matière de procédures d'insolvabilité ; ce règlement a été refondu par un règlement du 20 mai 2015. Un règlement du 18 décembre 2008, applicable depuis le 18 juin 2011, régit la compétence en matière d'obligations alimentaires ; un règlement Successions du 4 juillet 2012 définit la compétence pour connaître des successions ouvertes à compter du 17 août 2015 ; deux règlements du 24 juin 2016 posent les règles de compétence propres aux actions relatives aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrées, intentées après le 29 janv. 2019. À ces règlements européens, il faut ajouter diverses conventions internationales. La convention de Lugano du 16 septembre 1988 et sa version révisée le 30 octobre 2007 posent des règles de compétence applicables, en matière civile et commerciale, dans les relations entre les pays de l’UE et ceux de l’AELE. Enfin, la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, entrée en vigueur le 1er octobre 2015 dans l’Union européenne, pose des règles spécifiques aux
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clauses attributives de juridiction. Cette profusion de sources impose de mettre en œuvre des principes de coordination destinés à identifier, pour chaque litige, la source qui devra être consultée pour déterminer les règles de compétence applicables.
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II. Typologie des règles de compétences Certaines règles de compétence revêtent une particulière impérativité, en ce sens que lorsque le critère de compétence qu'elles posent est vérifié, les parties ne sont en principe pas autorisées à choisir une autre juridiction que celle désignée par la règle. Il est possible de hiérarchiser ces règles de compétence renforcée en distinguant : les règles de compétence exclusive, qui postulent que la juridiction désignée est la seule et unique à pouvoir se reconnaître valablement compétence internationale pour trancher le litige ; les règles de compétence protectrices, qui se traduisent usuellement par la consécration de compétences privilégiées instituées au bénéfice exclusif des parties faibles ; les règles régissant les élections de for, qui autorisent les parties à désigner, par une clause d’élection de for ou une clause attributive de juridiction, le tribunal qui reçoit compétence exclusive pour connaître de leur litige. En l'absence de compétence renforcée, les règles de compétence ordinaire confèrent au demandeur la faculté de choisir parmi différentes juridictions internationalement compétentes. Une règle de compétence générale permet ainsi au demandeur de saisir les juridictions du domicile du défendeur. Le demandeur bénéficie d'une alternative lorsque des règles de compétence spéciale instituent une compétence complémentaire, propre à une matière donnée (contractuelle, délictuelle…) ou lorsque des règles de compétence dérivée autorisent à concentrer des litiges relevant de la compétence de juridictions différentes devant l'une d'entre elles, en raison des liens qui existent entre ces litiges. Dans certaines matières, les règles de compétence spéciales ne sont pas une simple alternative à la compétence générale, mais se substituent totalement à celle-ci. Des règles de compétence spécifiques s’appliquent aussi pour le prononcé des mesures provisoires et conservatoires. En l'absence de règles de compétence renforcée ou ordinaire, il est possible de recourir à des règles de compétence exorbitante. La France, comme la plupart des États, institue une compétence exorbitante des juridictions françaises, avec les privilèges de juridiction fondés sur la nationalité, consacrés par les articles 14 et 15 du Code civil. Le régime de ces privilèges limite toutefois leur application : simplement subsidiaires, ils sont en outre facultatifs pour les parties, et non exclusifs. En outre, leur application est sinon prohibée, du moins largement marginalisée sous l'influence du droit européen.
Quid
n A c t i o n d é c l a r a to i r e n é g a t i v e n o 3 5 1 Action en justice, initialement créée dans les systèmes de common law, formée au principal par le défendeur à une prétention et tendant à faire déclarer la prétention future de son adversaire (demandeur à la prétention) mal fondée (par exemple : action en déclaration de non-responsabilité formée pour anticiper une éventuelle action en dommages-intérêts présentée par l'adversaire) ; cette action a pour avantage de 241
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permettre au défendeur à la prétention, qui en tant que défendeur à la procédure subit usuellement le choix de juridiction opéré par son adversaire, de renverser la perspective en devenant demandeur à la procédure, et d'imposer ainsi à son adversaire (demandeur à la prétention, défendeur à la procédure) son propre choix de juridiction.
n A n t i - s u i t i n j u n c t i o n n o 36 8 Injonction développée dans les systèmes de common law, dont l'objet est d'interdire aux parties de saisir une juridiction que le for juge incompétente, ou encore dont la compétence n'est pas suffisamment ferme pour justifier le préjudice qui découle, pour le défendeur, de sa saisine ; utilisée notamment pour sanctionner la saisine d'une juridiction opérée en violation d'une clause attributive de juridiction, elle constitue dans cette hypothèse un mode d'exécution forcée de l'obligation souscrite par les parties aux termes de la clause. L'efficacité de l'anti-suit injunction est garantie par l'application des sanctions pénales du contempt of court. n Cl a us e a t t r i b u t i v e d e ju r i d i c t i o n n o 3 5 2 Convention en vertu de laquelle les parties s'accordent pour donner compétence, relativement à un rapport de droit privé défini, à un tribunal de leur choix tandis que les juridictions des autres États se trouvent corrélativement privées de toute compétence ; usuellement insérée dans un contrat où sa validité est très généralement reconnue, la clause intervient plus rarement dans les autres matières. n Cl a us e c o m p ro m i s so i r e n o 3 5 2 Convention par laquelle les parties à un contrat ou plus généralement à tout rapport de droit privé arbitrable s'engagent à soumettre les litiges relatifs à ce rapport à un juge privé institué par elles, l'arbitre. n Cl a us e d e d é c o n n e x i o n n o s 3 3 2 , 3 5 4 Disposition d’un traité, d’une convention internationale ou d’un acte de droit dérivé organisant la coordination entre l’intrument qui la contient, et d’autres instruments internationaux ayant le même champ d’application. n Cl a us e d ’ é l e c t i o n d e f o r n o 3 5 2 Clause de nature processuelle, insérée dans un contrat substantiel, par laquelle les parties au contrat sélectionnent et désignent, parmi les différents juges internationalement compétents pour connaître des litiges relatifs au contrat, celui (élection exclusive) ou ceux qu’elles s’engagent à saisir de ces litiges, à l’exclusion de tous autres. n Co m p é t e n c e d' e x é c u t i o n n o 2 9 8 Pouvoir que le droit international public reconnaît aux États de procéder à des actes d'exécution matérielle. n Co m p é t e n c e ex c l u s i v e n o 3 09 Compétence des tribunaux d'un État conçue comme excluant toute compétence concurrente des juridictions des autres États.
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n Co m p é t e n c e e x o r b i t a n t e n o 3 11 Compétence des tribunaux d'un État retenue en l'absence de tout lien réellement significatif, du point de vue des exigences de bonne administration de la justice, entre le litige et le for.
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n Co m p é t e n c e i m p é r a t i v e n o s 3 97 , 39 9 Compétence des tribunaux d'un État conçue comme excluant toute dérogation que pourraient vouloir lui apporter les parties, notamment par la conclusion d'une clause attributive de juridiction. n Co m p é t e n c e no r m a t i v e n o 2 9 8 Pouvoir que le droit international public reconnaît aux États d'édicter des normes, à savoir des règles et des décisions. n Co m p é t e n c e ou p o u v o i r d e j u r i d i c t i o n n o 2 9 8 Pouvoir que le droit international public reconnaît aux États d'édicter, par l'intermédiaire de leurs tribunaux, des décisions de justice ; en réalité une composante de la compétence normative. n D é n i d e j u s t i c e n o 31 0 Situation dans laquelle aucun État ne reconnaît à ses juridictions une compétence internationale pour connaître d'un litige donné, en sorte que les parties se trouvent potentiellement privées du droit fondamental d'accès au juge ; pour pallier cette situation inadmissible, les États instituent généralement une règle de compétence internationale de leurs tribunaux fondée sur le déni de justice, appelée for de nécessité ou forum necessitatis. n Domicile n o 376 En droit français le domicile d'un individu, personne physique ou morale, renvoie au lieu de son principal établissement. n F o r d e n é c e s s i t é o u f o r u m n e c e s s i t a t i s n o s 31 0 , 34 7 Règle de compétence internationale autorisant un juge, dont la compétence internationale n'est pourtant pas acquise, à connaître d'un litige lorsqu'il apparaît que les parties ou l'une d'entre elles serai(en)t autrement victime (s) d'un déni de justice, parce qu'elle (s) se trouve(nt) dans l'impossibilité de saisir un autre juge. n For um a c tori s n o 3 1 1 Expression utilisée pour désigner le tribunal du domicile du demandeur. n F o r um n o n c o n v e n i e n s n o 39 7 Mécanisme propre aux systèmes juridiques de common law autorisant un juge dont la compétence internationale est juridiquement avérée de se dessaisir, pour des raisons d'ordre privé et/ou public et notamment lorsque les liens avec le for sont jugés trop minimes, dès lors qu'existe un for alternatif ; le jeu du mécanisme est subordonné à des conditions variables selon les systèmes juridiques considérés. n I m m u n i t é d ' e x é c u t i o n n o 3 00 Privilège reconnu aux États, à leurs émanations de même qu'à certaines organisations internationales, interdisant que l'appréhension matérielle de leurs biens puisse être 243
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ordonnée par les juridictions d'un autre État, ces biens seraient-ils situés sur le territoire de cet État.
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n I m m u n i t é d e j u r i d i c t i o n n o 3 00 Privilège reconnu aux États, à leurs émanations de même qu'à certaines organisations internationales, interdisant que leurs actes puissent être soumis aux tribunaux d'un autre État. n I m m u n i t é s j u r i d i c t i o n n e l l e s n o 30 0 Ensemble des privilèges dont bénéficient les États étrangers et leurs émanations de même que certaines organisations internationales, faisant obstacle à ce que ces États, émanations d'États ou organisations internationales soient traduites devant les juridictions d'un autre État ; les immunités juridictionnelles recouvrent l'immunité de juridiction et l'immunité d'exécution. n L i e n d e c o n n e x i t é n o 3 82 Rapport unissant deux demandes, si étroit qu'il y a intérêt à les juger ensemble pour éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. n L i t i g e i n t r a c o m m un a u t a i r e n o 3 18 D'une façon générale, litige caractérisé par l'existence d'un lien avec le territoire d'un ou plusieurs États membres de l'Union européenne ; plus spécifiquement (notamment pour l'application des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis), litige caractérisé par l’existence d’un domicile du défendeur sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne. n Privilège de juridiction n o 389 Règle de compétence offrant un avantage à une catégorie déterminée de plaideurs, assortie pour cette raison d'un régime procédural spécifique. n Rè g l e d e co m p é t e n c e d é r i v é e n o 3 72 Règle faisant découler la compétence d'un tribunal pour connaître d'un litige donné, de la compétence qui lui est reconnue dans un autre litige, en raison des liens qui unissent les deux litiges. n Rè g l e d e co m p é t e n c e g é n é r a l e n o 3 72 Règle de compétence internationale dont l'application, pour apprécier la compétence du juge saisi, est possible pour tous les litiges, quelle que soit leur nature ; la compétence générale est normalement reconnue aux tribunaux du domicile du défendeur. n Rè g l e d e co m p é t e n c e s p é c i a l e n o 3 7 2 Règle de compétence internationale dont l'application, pour apprécier la compétence du juge saisi, n'est permise qu'en certaines matières, comme alternative possible à la règle de compétence internationale générale du for du défendeur n Rè g l e s d e c o m p é t e n c e ét a t i q u e n o 2 9 8 Règles de droit international public dont l'objet est de réglementer l'aptitude des États à exercer certains pouvoirs dans l'ordre juridique international ; on distingue 244
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usuellement la compétence normative et la compétence d'exécution, plus rarement la compétence de juridiction.
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n Rè g l e s d e c o m p é t e n c e i n t e r n a t i o n a l e d e s ju r i d i c t i o n s n o 2 9 8 Règles par lesquelles un État définit la fraction de sa compétence normative dont il entend confier l'exercice à ses juridictions, en identifiant les litiges dont il accepte que le règlement soit assuré par ces juridictions. n Ré s i d e n c e h a b i t u e l l e n o 37 7 Critère de compétence des juridictions retenu en droit communautaire, ainsi d'ailleurs qu'en droit conventionnel (convention de La Haye), essentiellement en matière d'état des personnes et de droit familial ; normalement conçue comme une notion de pur fait, la résidence habituelle a parfois reçu une définition fondée sur l'intention de l'intéressé — c'est le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent et habituel de ses intérêts —, qui tend à la rapprocher de la notion de « domicile ». Il s'agit en toute hypothèse d'une notion fonctionnelle, dont la définition varie en fonction de la règle qui s'y réfère.
Documents 1) Principaux arrêts
A) Sur les immunités juridictionnelles C i v . 1 r e , 25 f é v r . 1 9 6 9, S t é L ev a n t Ex p r e s s (GADIP, n o 47 ; Rev. crit. DIP 1970. 102, note P. Bourel) L'arrêt Société Levant Express définit le régime, en droit français, des immunités de juridiction. À l'exception traditionnelle admise en cas de renonciation par le bénéficiaire de l'immunité à s'en prévaloir, l'arrêt ajoute une distinction fondée sur la nature de l'activité en cause : l'immunité de juridiction ne joue que pour autant que l'acte qui donne lieu au litige « constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt d'un service public », en sorte que l'activité conduite par l'organe d'un État étranger peut être soumise à la juridiction des tribunaux français lorsque, en application même de la loi de l'État considéré, elle entre dans la « catégorie des actes de commerce », « qui ne sont pas subordonnés de manière nécessaire à l'intervention d'un acte de souveraineté ». L'arrêt fonde donc la distinction entre actes jure imperii et actes jure gestionis sur la base de laquelle est construit le régime de l'immunité de juridiction.
C i v . 1 r e , 14 m a r s 1 98 4 , E u r o d i f (GADIP, n o 65 ; Rev. crit. DIP 1984. 644, note J.-M. Bischoff ; JDI 1984. 598, note B. Oppetit) L'arrêt Eurodif contribue à la définition du régime, en droit français, des immunités d'exécution. Il est d'ailleurs rendu au visa des « principes de droit international privé régissant les immunités des États étrangers ». Tout en rappelant que l'immunité d'exécution des États étrangers est de principe, il ajoute qu'elle peut être exceptionnellement écartée, notamment « lorsque le bien saisi a été affecté à l'activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ». Le régime de l'immunité d'exécution dépend donc de la nature de
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Droit international privé
l'activité à laquelle les biens en cause ont été affectés : affectés à une activité de souveraineté, les biens jouissent de l'immunité ; affectés à une activité commerciale de droit privé, les biens échappent à l'immunité.
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C i v . 1 r e , 1 e r o c t . 1 98 5 , S o n a t r a c h (GADIP, n o 66 ; Rev. crit. DIP 1986. 527, note B. Audit ; JDI 1986. 170, note B. Oppetit) L'arrêt Sonatrach complète l'arrêt Eurodif (v. supra) sur le régime de l'immunité d'exécution en précisant les modalités d'appréciation de l'affectation d'un bien à une activité. Il indique à cet égard que la qualité de la personne dans le patrimoine de laquelle les biens sont inscrits a une incidence sur la détermination de l'affectation de ces biens. Les biens qui sont directement la propriété de l'État sont ainsi en principe insaisissables — ce par quoi l'arrêt retient implicitement que ces biens bénéficient d'une présomption d'affectation à une activité de souveraineté. En revanche, les biens qui sont la propriété d'un organisme public, personnalisé ou non, échappent à l'immunité d'exécution lorsqu'ils font partie d'un patrimoine que celui-ci a affecté à une activité de droit privé.
C i v . 1 r e , 28 m a r s 2 01 3 , N M L
(trois arrêts publiés au Bull., n o 10-10450, n o 10-25938, n o 11-13323, JDI 2013. Comm. 10, note G. Cuniberti) Les arrêts NML durcissent le régime de la renonciation par les États à leur immunité d’exécution. Tout en rappelant que l’immunité d’exécution des États sur les biens « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » peut faire l’objet d’une renonciation par écrit, la Cour de cassation ajoute, au visa du « droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens », que cette renonciation écrite doit être opérée « de manière expresse et spéciale, en mentionnant les biens ou la catégorie de biens pour lesquels la renonciation est consentie ».
C i v . 1 r e , 13 m a i 2 0 1 5, C o m m i s i m p e x I (no 13-17751, Bull.I, no 107 ; Rev. Crit. DIP 2015. 652, note H. Muir Watt ; D. 2015. 1936, obs. I. Gallmeister, note S. Bollée ; D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout ; D. 2015. 2588, obs. T. Clay) Cet arrêt semble revenir partiellement sur la solution adoptée deux ans plus tôt par l’arrêt NML. Visant « les règles du droit international coutumier relatives à l’immunité d’exécution des États », il censure l’arrêt d’appel ayant refusé de reconnaître l’existence d’une renonciation aux motifs que celle-ci n’était pas « spéciale », en énonçant que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution ». L’article L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution, introduit par la loi Sapin 2, réintègre néanmoins l’exigence d’une renonciation spéciale, provoquant un nouveau revirement en 2018.
C i v . 1 r e , 10 j an v . 20 1 8 , C o m m i s i m pe x I I (no 16-22.494, D. 2018. 541, note B. Haftel ; 982, obs. F. Jault-Seseke) Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui s’était pourtant conformé à sa décision du 13 mai 2015 en retenant que « le droit international coutumier n'exige pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution » pour valider les saisies pratiquées par la société Commismpex sur les biens de la République du Congo. La Haute juridiction observe
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que la loi Sapin 2 réintroduit l’exigence d’une renonciation expresse et spéciale à l’immunité d’exécution, et que même si cette loi n’est applicable qu’aux mesures d’exécution mises en œuvre après son entrée en vigueur, le caractère isolé de la jurisprudence du 13 mai 2015 justifie de revenir à la jurisprudence du 28 mars 2013 (NML) « compte tenu de l'impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires ».
B) Sur le droit commun français C i v . 3 0 o c t . 1 96 2 , S c h e f f e l
(GADIP, no 37 ; Rev. crit. DIP 1963. 387, note Ph. Francescakis ; D. 1963. 109, note G. Holleaux) L'arrêt Scheffel, qui complète l'arrêt Pelassa pour former la célèbre « jurisprudence PelassaScheffel », énonce le principe directeur fondamental utilisé pour définir les règles de compétence internationale des juridictions françaises, en l'absence de définition légale : la compétence internationale des juridictions françaises se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne. Il confirme en outre que les articles 14 et 15 du Code civil, qui fondent la compétence internationale des juridictions françaises sur la nationalité française des parties, ne sont nullement limitatifs puisque « l'extranéité des parties n'est pas une cause d'incompétence des juridictions françaises ».
C i v . 1 r e , 27 m a i 1 9 7 0, W ei ss
(GADIP, n o 49 ; Rev. crit. DIP 1971. 113, note H. Batiffol) L'arrêt Weiss définit le domaine d'application rationae materiae des privilèges de juridiction fondés sur les articles 14 et 15 du Code civil. Il précise en effet, faisant application de l'article 14 du Code civil dans un litige ayant pour fondement la responsabilité extra-contractuelle, que les articles 14 et 15 du Code civil ont — alors même que la lettre du Code en limite l'application aux obligations contractuelles — « une portée générale s'étendant à toutes matières », mais qu'en revanche ils ne sauraient s'appliquer aux « actions réelles immobilières et demande en partage portant sur des immeubles situés à l'étranger » pas plus qu'à des « demandes relatives à des voies d'exécution pratiquées hors de France ». Implicitement, cet arrêt nous renseigne donc également sur les compétences qui sont, par nature, exclusives aux yeux de l'ordre juridique français.
C i v . 1 r e , 6 n o v . 19 7 9 , N as sib i an (GADIP, n o 59 ; Rev. crit. DIP 1980. 588, note G. Couchez ; JDI 1980. 95, rapport G. Ponsard) L'arrêt Nassibian, tout en rappelant la compétence exclusive des juridictions françaises pour statuer sur l'instance en validité d'une saisie-arrêt pratiquée en France (compétence exclusive déjà consacrée en 1931 par l'arrêt Cie Française de Navigation Cyprien Fabre), étend le champ de cette compétence en retenant que les juridictions françaises peuvent, à cette occasion, statuer sur l'existence de la créance fondant cette saisie, c'est‑à-dire sur le fond du litige. En d'autres termes, la compétence reconnue au juge territorial en matière de voies d'exécution fonde ici sa compétence, au fond, pour connaître du litige relatif à une créance (forum arresti ou compétence du for de la saisie), dès lors que cette créance constitue le fondement de la voie d'exécution. L'arrêt Nassibian a doublement perdu sa positivité : le forum arresti a été banni par l'arrêt Strojexport (v. rubrique Documents), tandis que les évolutions les plus récentes de la
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Droit international privé
jurisprudence française paraissent remettre en cause l'exclusivité de la compétence des juridictions territoriales pour statuer sur la validité d'une saisie devant être pratiquée sur le territoire.
C i v . 1 r e , 19 n o v . 1 9 8 5 , S t é B r a nd i e s & C o g na c f r o m F r a n c e
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(GADIP, n o 71 ; JDI 1986. 719, note A. Huet ; Rev. crit. DIP 1986. 712, note Y. Lequette) L'arrêt Société Brandies & Cognac from France pose le principe de la subsidiarité des articles 14 et 15 du Code civil. La Cour de cassation y affirme en effet que « l'article 14 qui donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité du demandeur n'a lieu de s'appliquer que lorsqu'aucun critère de compétence ordinaire de compétence territoriale n'est réalisé en France ».
C i v . 1 r e , 11 f é v r . 1 9 9 7, S t r o j ex p o r t (GADIP, no 60)
L'arrêt Strojexport opère revirement de la jurisprudence Nassibian (v. rubrique Documents), en privant les juridictions françaises de la compétence que leur reconnaissait cet arrêt pour connaître du contentieux au fond de la créance justifiant la mise en œuvre d'une voie d'exécution en France réservée à leur compétence exclusive. L'arrêt affirme en effet que les juridictions françaises ne peuvent se prononcer sur le fond de la créance que si « leur compétence est fondée sur une autre règle » que la seule compétence exclusive pour connaître de la validité de la mesure d'exécution.
C i v . 1 r e , 23 m a i 2 0 0 6, P r i e u r
(GADIP, n o 87 ; Rev. crit. DIP 2006. 870, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2006. 1377, note C. Chalas ; D. 2006. Chron. 1846, B. Audit) L'arrêt Prieur opère un spectaculaire revirement de jurisprudence, la Cour de cassation y supprimant le caractère exclusif de l'article 15 du Code civil. En affirmant que « l'article 15 du Code civil ne consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française impropre à exclure la compétence indirecte d'un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l'État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux », la Haute juridiction indique que le défendeur de nationalité française ne pourra plus se prévaloir de l'article 15 du Code civil pour faire obstacle à la reconnaissance en France d'une décision rendue à son encontre, à l'étranger, par un tribunal disposant d'une compétence indirecte (v. ss chapitre 5). Plus remarquable peut-être, mais plus contestée, est l'interprétation de l'arrêt y décelant la consécration d'un pouvoir d'appréciation, par le juge français, de l'opportunité de mettre en œuvre les privilèges de juridiction (forum non conveniens).
C i v . 1 r e , 22 m a i 2 0 0 7, B a n q u e d e d é v e l o p p e m e n t l o c a l c/ F er c o m é t a l (Rev. crit. DIP 2007. 610, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2007. 956, note B. Ancel et H. Muir Watt) L'arrêt Banque de développement local c/ Fercométal, si l'on en adopte une lecture a minima, transpose le principe posé par l'arrêt Prieur pour l'article 15 du Code civil à l'article 14, en affirmant l'absence d'exclusivité de la compétence des juridictions françaises fondée sur ce texte : « l'article 14 du Code civil n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux ». Le demandeur de
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nationalité française, qui a successivement saisi un tribunal étranger (sans que cette saisine opère renonciation à son privilège) puis un tribunal français, ne pourra plus se prévaloir de l'article 14 du Code civil pour faire obstacle à la reconnaissance en France de la décision rendue à son encontre par le tribunal étranger. Selon une lecture plus ambitieuse mais dont la positivité reste à confirmer, l'arrêt pourrait consacrer le pouvoir reconnu aux juges français, saisis sur le fondement de l'article 14 du Code civil, d'apprécier l'opportunité d'exercer cette compétence en fonction des circonstances de l'espèce (forum non conveniens).
C) Sur les clauses attributives de juridiction C i v . 1 r e , 17 d é c . 1 9 8 5, C o m p a g n i e d e S i g n a u x (GADIP, n o 72 ; Rev. crit. DIP 1986. 537, note H. Gaudemet-Tallon) L'arrêt Compagnie de Signaux définit une règle matérielle de droit international privé français : les clauses attributives de juridiction sont licites en matière internationale sous deux conditions : que le litige pour lequel elles jouent soit international, et qu'elles ne fassent pas échec à une compétence territoriale impérative des juridictions françaises. L'arrêt précise en outre les exigences du droit commun français relatives au degré de précision de la désignation à laquelle procèdent les parties : si celles-ci peuvent procéder à la désignation globale des juridictions d'un État étranger (sans indication du tribunal spécialement compétent), il importe toutefois que l'application du droit interne de cet État permette de déterminer le tribunal spécialement compétent.
D) Sur les mesures provisoires et conservatoires C J C E , 17 n ov e m b r e 1 9 9 8 , Va n U d en , a f f . C - 39 1 / 9 5 (Rev. Crit. DIP 1999. 340, J. Normand) L’arrêt Van Uden apporte des précisions sur le régime de l’article 24 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relatif à la compétence en matière provisoire et conservatoire, précisions transposables aux articles 31 du Règlement Bruxelles I et 35 du règlement Bruxelles I bis. Cet arrêt indique tout d’abord ce que ces textes ont omis de spécifier, à savoir que le juge compétent au fond est toujours aussi compétent pour prononcer des mesures provisoires et conservatoires relatives au litige principal, sans que cette compétence soit subordonnée à aucune condition. S’intéressant ensuite plus spécifiquement à la compétence du juge du provisoire, l’arrêt complète le dispositif très laxiste du système Bruxelles : si la compétence d’un juge pour prononcer une mesure provisoire ou conservatoire prévue par la loi d’un État s’apprécie conformément au droit national de cet État, il faut toutefois que soit respectée une condition d’« existence d’un lien de rattachement réel entre l’objet de cette mesure et la compétence territoriale de l’État » membre dont le juge est saisi. Cette exigence est comprise en France comme réservant la compétence au provisoire au juge de l’État sur le territoire duquel la mesure doit être exécutée. Enfin, l’arrêt précise ce qu’il faut entendre par « mesure provisoire et conservatoire » au sens du système Bruxelles ; considérant une procédure de référé-provision, la CJCE indique que le paiement d’une provision ne constitue pas une mesure provisoire, à moins d’une part que le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l’hypothèse où le demandeur n’obtiendrait pas gain de cause au fond, et d’autre part que la mesure sollicitée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant dans la sphère de compétence territoriale du juge saisi.
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2) Tableau de synthèse des domaines d'application respectifs des divers instruments sources de règles de compétence internationale pour les juridictions françaises
Convention de Bruxelles
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Instrument appliqué par le juge français lorsque les Date d’application conditions sont cumulativement réunies
Pour les actions intentées : – Entre le 1er février 1973 et le 1er mars 2002 (dans les relations entre membres « fondateurs ») – Entre le 1er janvier 1987 pour le R.-U., le 1er janvier 1988 pour l'Irlande, le 1er avril 1989 pour la Grèce, le 1er février 1991 pour l'Espagne et le Portugal, le 1er août 2000 pour l'Autriche, la Finlande et la Suède et le 1 er mars 2002 pour tous ces pays – Entre le 1er novembre 1986 et le 1 er juillet 2007, dans les relations avec le Danemark
Pour les actions intentées : – Après le 1 er janvier 1992 avec la Suisse ; Convention version révisée de Lugano et applicable à compConvention révisée ter du 1er janvier 2011 – Après le 1er mai 1993 avec la
Nature du litige
Localisation des éléments du litige
– Domicile du défendeur dans un État membre de l'UE Matière civile et – ou réalisation commerciale, à l'exclusion de : état d'un chef de et capacité des per- compétence exclusive de l'article 16 sonnes, régimes matrimoniaux, tes- au profit du tribunal d'un État taments, succesmembre sions, faillites et – ou domicile de procédures anal'une quelconque logues, sécurité des parties sur le sociale, arbitrage, territoire d'un État matières fiscales, membre et clause douanières ou attributive de juriadministratives diction au profit des tribunaux d'un État membre
Matière civile et commerciale, à l'exclusion de : état et capacité des personnes, régimes matrimoniaux, testaments, successions, faillites et procédures analogues, sécurité
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– Domicile du défendeur dans un État signataire de la convention et non membre de l'UE (Suisse, Norvège ou Islande) – ou réalisation d'un chef de compétence
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Norvège ; version révisée applicable à compter du 1er janvier 2010
sociale, arbitrage, matières fiscales, douanières ou administratives
– Après le 1er décembre 1995 avec l'Islande ; version révisée applicable à compter du 1er mai 2011.
Règlement Bruxelles I
Règlement Bruxelles I bis
exclusive de l'article 16 au profit du tribunal d'un État signataire de la convention et non membre de l'UE – ou domicile de l'une quelconque des parties sur le territoire d'un de ces États et clause attributive de juridiction au profit des tribunaux de l'un de ces États
– Domicile du défendeur dans un État membre de l'UE, sauf Danemark (1 er juill. 2007) – ou réalisation Matière civile et d'un chef de commerciale, à compétence exclul'exclusion de : état sive de l'article 22 et capacité des perau profit du tribusonnes, régimes nal d'un État matrimoniaux, tesmembre, sauf taments, succesDanemark (1 er juill. sions, faillites et 2007) procédures ana– ou domicile de logues, sécurité l'une quelconque sociale, arbitrage, des parties sur le matières fiscales, territoire d'un État douanières ou membre et clause administratives. attributive de juridiction au profit des tribunaux d'un État membre, sauf Danemark (1 er juill. 2007)
Pour les actions intentées après le 1er mars 2002 sauf dans les relations avec le Danemark, après le 1er juillet 2007
Pour les actions intentées après le 10 janvier 2015 ; Pour l’art. 25 sur les clauses attributives
Matière civile et commerciale, à l'exclusion de : état et capacité des personnes, régimes
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– Domicile du défendeur dans un État membre de l'UE,
Droit international privé
Règlement Bruxelles II
Règlement Bruxelles II bis
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de juridiction, sans doute seulement si la clause a en outre été conclue après le 10 janvier 2015.
Pour les actions intentées entre le 1er mars 2001 et le 1er mars 2005 sauf dans les relations avec le Danemark
Pour les actions intentées après le 1er mars 2005 sauf dans les relations avec le Danemark
matrimoniaux, testaments, successions, faillites et procédures analogues, sécurité sociale, arbitrage, matières fiscales, douanières ou administratives.
– ou réalisation d'un chef de compétence exclusive de l'article 24 au profit du tribunal d'un État membre, – ou clause attributive de juridiction désignant les juridictions d’un État membre (art. 25).
– Application à tout litige entrant dans le champ d'application matériel, sauf si l'application des – Divorce, sépararègles de compétion de corps et tence du règlement annulation du ne permet de désimariage gner ni le for, ni – Responsabilité aucun tribunal d'un parentale à l'égard État membre des enfants comme tribunal communs des compétent ; le droit époux à l'occasion commun français a de l'une des actions alors une compésusvisées tence résiduelle – L'applicabilité s'apprécie en réalité disposition par disposition – Application à tout litige entrant dans le champ d'application matériel, sauf – Divorce, séparation de corps, annu- si l'application des lation du mariage règles de compé– Attribution, exer- tence du règlement ne permet de désicice, délégation, retrait de l'autorité gner ni le for, ni aucun tribunal d'un parentale État membre comme tribunal compétent ; le droit commun français a
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alors une compétence résiduelle – L'applicabilité s'apprécie en réalité disposition par disposition
Pour les procédures d'insolvabilité ouvertes : - pour le règlement d’origine, après le 31 mai 2002, date d'entrée en vigueur Règlement Procédu règlement en dures d'insolvabiFrance, sauf dans lité. Et sa refonte les relations avec le Danemark - pour le règlement refondu, après le 26 juin 2017.
Entré en vigueur fin janvier 2009, le règlement remplace dans son champ matériel d'application le règlement Bruxelles I à compter de sa Règlement Obligadate d'application, tions alimentaires c’est‑à-dire pour les actions intentées après le 18 juin 2011 sauf dans les relations avec le Royaume-Uni et le Danemark
Règlement Successions
Applicable aux successions des personnes décédées le ou après le 17 août
Procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total du débiteur ainsi que la désignation d'un syndic, sauf pour les entreprises d'assurances, les établissements de crédit, certaines entreprises d'investissement et les organismes de placement collectif
– Application aux procédures dans lesquelles le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d'un État membre lié par le règlement
Obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d'alliance
– Application à tout litige entrant dans le champ d'application matériel.
Successions à cause de mort, hors aspects fiscaux, douaniers et
– Application à tout litige entrant dans le champ d'application matériel.
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Convention de La Haye sur les accords exclusifs d’élection de for
Règlement Régimes matrimoniaux
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2015, sauf en ce qui concerne la professio juris et les dispositions à cause de mort, qui peuvent être soumises aux dispositions du règlement (Chap. III) même si le de cujus est décédé antérieurement à cette date. Le règlement n'est pas applicable dans les relations avec le Danemark, le Royaume-Uni et l'Irlande.
administratifs ; y compris les testaments et pactes successoraux
-Application aux clauses attributives de juridiction désiValidité ou effet d’une clause attri- gnant les juridictions d’un État butive de juridiccontractant ; tion conférant compétence exclusive – il résulte d’une clause de déconaux juridictions Pour les convennexion (art. 26§ 6 a) tions d’élection de élues, en matière que lorsque les jurifor conclues après civile et commerle 1er octobre 2015, ciale, à l’exclusion dictions désignées des clauses conclues sont celles d’un État date d’entrée en par un consomma- membre de l’UE, la vigueur de la convention de teur et de celles Convention dans La Haye s’applique incluses dans un l’UE. contrat de travail. de préférence au règlement Bruxelles L’art. 2 de la convention prévoit I bis si l’une des parties est domiciliée une longue liste dans un État d’exclusions. contractant non membre de l’UE. Applicable, en ce qui concerne les règles de compétence, aux actions engagées après le 29 janvier 2019.
-Régimes matrimoniaux ayant une incidence transfrontière -Sont exclues un certain nombre de
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(Coopération renforcée) -Applicable à tout litige entrant dans son champ d’application
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La compétence internationale des juridictions
questions préalables listées à l’art. 1 § 2
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Applicable, en ce Règlement Effets qui concerne les patrimoniaux des règles de compépartenariats tence, aux actions enregistrés engagées après le 29 janvier 2019 Droit commun Tous les autres cas Code de procédure civile
Biblio
-Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ayant une incidence transfrontière
Tous les autres cas
(Coopération renforcée) -Applicable à tout litige entrant dans son champ d’application. Tous les autres cas
1) Connaissances générales sur la compétence internationale - L. Cadiet, E. Jeuland, S. Amrani-Mekki, Droit processuel civil de l'Union européenne, LexisNexis, 2011. - G. Cuniberti, « Action déclaratoire et droit judiciaire européen », JDI 2004. 77. - G. Droz, « Les droits de la demande dans les relations privées internationales », Trav. Com. fr. DIP 1993-1995. 97. - E. Gallant, V o « Compétence, reconnaissance et exécution (matières matrimoniales et de responsabilité parentale) », Rép. communautaire Dalloz. - P. Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye 1986-I, vol. 196, p. 9. - P. Mayer, « Droit international privé et droit international public sous l'angle de la notion de compétence », Rev. crit. DIP 1979. 1. - M.-L. Niboyet, « La globalisation du procès civil international dans l'espace judiciaire européen et mondial », JDI 2006. 937. - L. G Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage : vers des règles d'application semi-nécessaire ? », Rev. crit. DIP 2003. 1-36. - V. Rétornaz, B. Volders, « Le for de nécessité : tableau comparatif et évolutif », Rev. crit. DIP 2008. 225. - P. de Vareilles-Sommières, « La compétence internationale de l'Espace judiciaire européen », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 397.
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2) Plus spécifiquement, sur les règles européennes de compétence
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- J.-P. Beraudo, « Regards sur le nouveau règlement Bruxelles I sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale », JDI 2013. Doctr. 6. - F. Cadet, « Le nouveau règlement Bruxelles I ou l’itinéraire d’un enfant gâté », JDI 2013. Doctr. 7. - N. Castell, P. de Lapasse, « La révision du règlement Bruxelles I à la suite de la publication du livre vert de la Commission », Gaz. Pal. 28-29 mai 2010, no 148-149, p. 29. - E. Gallant, « Réflexions sur la résidence habituelle des enfants des couples désunis », in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 241. - H. Gaudemet-Tallon, M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6 e éd., LGDJ, 2018. - C. Nourissat, « Le règlement CE n o 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires », Procédures 2009. Étude 5. - A. Nuyts, « La refonte du règlement Bruxelles I », Rev. crit. DIP 2013. 1. - É. Pataut, « Qu'est-ce qu'un litige « intracommunautaire » ? Réflexions autour de l'article 4 du règlement Bruxelles I », in Justice et droits fondamentaux, Études J. Normand, Litec 2003, p. 365.
3) Sur les immunités juridictionnelles - R. Bismuth, « L’immunité d’exécution après la loi Sapin 2 », JDI 2018. Doctr. 4. - P. Bourel, « Aspects récents de l'immunité d'exécution des États et services publics étrangers », Trav. Com. fr. DIP 1983-1984. 133. - C. Kleiner, « L’affaire du siècle : NML c/ République d’Argentine ou la contribution des fonds vautours au droit international », in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 391. - Ph. Leboulanger, « La renonciation à l’immunité d’exécution : désordre ou pragmatisme ? », in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 455. - D. Nedjar, « Tendances actuelles du droit international des immunités des États », JDI 1997. 59. - F. Marchadier, « L'immunité souveraine en matière civile dans le contexte du droit européen des droits de l'homme », Rev. crit. DIP 2017. 159. - H. Muir Watt, É. Pataut, « Les actes iure imperii et le règlement Bruxelles I », Rev. crit. DIP 2008. 61. - H. Muir Watt, « Les droits fondamentaux devant les juges nationaux à l’épreuve des immunités juridictionnelles », Rev. crit. DIP 2012. 539.
4) Sur les privilèges de juridiction - B. Audit, « Vers la consécration du caractère facultatif du for de la nationalité française du demandeur (C. civ., art. 14) ? », D. 2007. Chron. 2548. - J. Basedow, « Le rattachement à la nationalité et les conflits de nationalité en droit de l'Union européenne », Rev. crit. DIP 2010. 427. - G. Droz, « Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français », Rev. crit. DIP 1975. 1.
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- A. Huet, « Le nouvel article 15 du Code civil », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 311. - H. Gaudemet-Tallon, « Nationalisme et compétence judiciaire : déclin ou renouveau ? », Trav. Com. fr. DIP 1986-1988. 177. - L. Usunier, « La compatibilité de l’article 14 du Code civil avec les droits fondamentaux, une question dépourvue de caractère sérieux ? », Rev. crit. DIP 2012. 775.
5) Sur les compétences exclusives - G. Cuniberti, « Le principe de territorialité des voies d'exécution », JDI 2008. 963. - P. Ganagé, « Regards sur les compétences judiciaires exclusives », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 283. - É. Pataut, Principe de souveraineté et conflits de juridictions, LGDJ, 1998. - Th. Vignal, « Réflexions sur le rattachement des immeubles en droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 2006-2008. 15.
6) Sur les clauses attributives de juridiction et les clauses compromissoires - M.-E. Ancel, « L'internationalité à la lumière de la convention d'electio fori », in Le monde du droit. Écrits J. Foyer, Economica, 2008, p. 21. - B. Audit, « Observations sur la convention de La Haye du 30 juin 2005 relative aux accords d'élection de for », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 171. - L. Cadiet, « Liberté des conventions et clauses relatives au règlement des litiges », LPA 5 mai 2000, p. 30. - T. C. Hartley, « Choice of court agreements, lis pendens, human rights and the realities of international business : reflections on the Gasser Case », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 383. - V. Heuzé, « Faut-il confondre les clauses d’élection de for avec les conventions d’arbitrage dans les rapports internationaux », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LDGJ, 2015, p. 295. - A. Huet, « Relations habituelles d'affaires et acceptation tacite d'une clause attributive de juridiction en droit international privé », in Mélanges A. Rieg, Bruylant, 2000, p. 501. - C. Kessedjian, « La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur l'élection de for », JDI 2006. 813. - C. Kessedjian, « Le règlement 44/2001 et l'arbitrage », Rev. arb. 2009. 699. - P. Mayer, « Les clauses relatives à la compétence internationale, insérées dans le contrat de travail », in Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 269. - É. Pataut, « Clauses attributives de juridiction et clauses abusives », in Études de droit de la consommation, Liber Amicorum J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 807. - B. Remy, « De la profusion à la confusion : réflexions sur les justifications des clauses d'élection de for », JDI 2011. Doctr. 2. - D. Sindres, « Retour sur la loi applicable à la validité de la clause d’élection de for », Rev. crit. DIP 2015. 787. - L. Usunier, « La Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for. Beaucoup de bruit pour rien », Rev. crit. DIP 2010. 37.
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1) Sujets corrigés A) Test de connaissances Énoncé
1. Le règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 s'applique : a. aux actions intentées postérieurement au 10 janvier 2015 ; b. aux instances en cours au 10 janvier 2015 ; c. aux actions intentées postérieurement au 12 décembre 2012 ; d. aux instances en cours au 12 décembre 2012. 2. L'immunité de juridiction : a. joue pour tous les actes des États ; b. joue pour tous les actes des États, sauf renonciation ; c. joue pour les seuls actes jure imperii des États, sauf renonciation. 3. Lorsque les conditions d’application de l’article 14 du Code civil français sont réunies et que le demandeur français l’invoque, le juge français : a. ne peut se déclarer compétent sur le fondement de ce texte car il est contraire à la Conv. EDH ; b. peut se déclarer compétent s’il l’estime opportun, c’est‑à-dire principalement lorsqu’il existe un lien de rattachement suffisant avec la France ; c. doit se déclarer compétent, sauf s’il est établi que le demandeur a renoncé au privilège. 4. Les privilèges de juridiction fondés sur la nationalité que consacre le droit français : a. s'appliquent en toutes matières ; b. ne s'appliquent qu'en matière contentieuse ; c. ne s'appliquent qu'en matière contractuelle. 5. En droit de l'Union européenne, les privilèges de juridiction fondés sur la nationalité : a. sont purement et simplement bannis ; b. sont exclus par principe, mais doivent être étendus au bénéfice des personnes domiciliées en France lorsque le droit international privé français est applicable ; c. sont toujours applicables. 6. Les actions en matière de baux d'immeubles : a. relèvent de la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble en droit communautaire mais pas en droit commun français ; b. relèvent de la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble à la fois en droit communautaire et en droit commun français ; 258
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c. ne relèvent de la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble ni en droit communautaire ni en droit commun français.
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7. Une règle de compétence à laquelle les parties ne peuvent pas déroger par convention est : a. une règle de compétence exorbitante ; b. une règle de compétence exclusive ; c. une règle de compétence impérative.
8. En droit de l'Union européenne, une règle de compétence protectrice d'une partie faible : a. est impérative en ce qu'elle ne peut faire l'objet d'aucune dérogation par les parties ; b. est impérative, mais les parties peuvent néanmoins conclure une clause attributive de juridiction si celle-ci est favorable à la partie faible ; c. n'est pas impérative, en sorte que les parties peuvent librement y déroger par des clauses attributives de juridictions.
9. Les règles relatives aux clauses attributives de juridiction posées par le Règlement Bruxelles I bis s'appliquent : a. lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre ; b. lorsque le tribunal désigné est le tribunal d'un État membre ; c. lorsque l’une des parties est domiciliée sur le territoire d’un État membre et que le tribunal désigné est le tribunal d’un État membre.
10. Les règles de la convention de La Haye du 30 juin 2005 s'appliquent : a. à toutes les clauses attributives de juridiction conclues après le 1er octobre 2015 ; b. aux accords exclusifs d’élection de for, conclus en matière civile et commerciale après le 1er octobre 2015 et désignant les juridictions d’un État contractant ; c. aux accords exclusifs d’élection de for, conclus après le 1er octobre 2015, si et seulement si le droit de l’UE n’est pas applicable.
11. En droit de l'Union européenne, les clauses attributives de juridiction : a. permettent de déroger aux règles de compétence internationale des juridictions, mais pas à leurs règles de compétence interne, territoriale comme d'attribution ; b. permettent de déroger aux règles de compétence internationale des juridictions, tout comme à leurs règles de compétence interne, territoriale et d'attribution ; c. permettent de déroger aux règles de compétence internationale des juridictions, tout comme à leurs règles de compétence interne territoriale, mais pas à leurs règles de compétence d'attribution.
12. La convention par laquelle les parties s'engagent à soumettre les litiges relatifs à un rapport de droit à un juge privé institué par elles est : a. une clause attributive de juridiction ; b. une clause compromissoire ; c. une anti-suit injunction.
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13. Dans le règlement Bruxelles I bis, le domicile des personnes morales s’entend de : a. leur siège social,
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b. le centre de leurs intérêts principaux, c. aussi bien le lieu de leur siège social, que celui de leur administration centrale ou de leur principal établissement.
14. Lorsqu’il y a plusieurs codéfendeurs possibles, le règlement Bruxelles I bis : a. autorise le demandeur à saisir le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, pour connaître de la totalité du litige ; b. autorise le demandeur à saisir le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, pour connaître de la totalité du litige, si les demandes sont liées par un lien de connexité ; c. oblige en toute hypothèse le demandeur à saisir, à l’égard de chaque codéfendeur, le tribunal de son propre domicile.
15. Pour obtenir le prononcé de mesures provisoires, le demandeur peut saisir, en application du règlement Bruxelles I bis : a. tout juge dont la loi autorise le prononcé de telles mesures ; b. tout juge dont la loi autorise le prononcé de telles mesures, si la mesure doit s’exécuter dans les limites de son territoire ; c. uniquement le juge compétent au fond. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Documents autorisés : un recueil de textes officiels (v. biblio générale en fin d’ouvrage). Déterminez les juridictions internationalement compétentes pour connaître des demandes suivantes : 1. Monsieur X., qui réside en Allemagne, a loué à Monsieur Y, également résidant en Allemagne, une villa en Espagne pour deux mois durant l’été 2014. La villa mise à disposition n’était pas du tout conforme au descriptif. Monsieur X intente une action le 20 septembre 2014 pour obtenir le remboursement du prix de la location. 2. Les sociétés S (immatriculée en France) et T (immatriculée en Italie) sont actuellement en contentieux à raison de la mauvaise exécution d’un contrat de vente. Les juridictions italiennes ont été saisies par la société S le 8 mai 2015. La société T entend opposer que la société S est une société fictive ; quelle juridiction peut connaître de cette demande ? 3. Monsieur C., qui réside en France, a acheté sur internet le 15 décembre 2014 divers cadeaux de Noël sur le site d’une société anglaise. Il a payé en ligne, en euros. Les biens achetés ne sont jamais arrivés. Quelles sont les juridictions compétentes pour connaître de sa demande en remboursement formée le 10 juin 2015 ?
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4. Monsieur X., qui réside en France, a conclu un contrat de travail le 10 mai 2008 avec une société américaine ; il a toujours travaillé en France. Il vient d’être licencié et veut exercer une action en indemnisation. Le contrat de travail comporte une clause attributive de juridiction désignant les juridictions de l’État du Massachusetts comme seules juridictions compétentes. Est-il obligé d’aller porter sa demande devant cette juridiction lointaine ? 5. La société française F a conclu un contrat le 2 janvier 2015 avec la société mexicaine M. Les relations entre les parties se sont rapidement dégradées et le contrat a été rompu. La société F veut agir contre la société M pour obtenir diverses indemnités. Le contrat comportait une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions mexicaines. La société F se demande si elle est tenue de saisir ces juridictions, ou si elle peut saisir les juridictions françaises, plus proches. Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. a ; 2. c ; 3. c ; 4. a ; 5. b ; 6. a ; 7. c ; 8. b ; 9. b ; 10. b ; 11. b ; 12. b ; 13. c ; 14. b ; 15. b.
Cas pratique
Conseils méthodologiques Pour résoudre un cas pratique portant sur la compétence internationale des juridictions, il importe toujours de s'interroger en premier lieu, au regard des caractéristiques matérielle, spatiale et temporelle du litige, sur la source de règles de compétence pertinente. Une fois cette source identifiée, il faut examiner en son sein quelles sont les règles de compétence qui pourraient s'appliquer, en respectant la hiérarchie de ces règles : le litige est-il soumis à une compétence exclusive, protectrice ou à une clause d'élection de for ? Dans l'affirmative, il est inutile de s'interroger sur l'application des règles de compétence ordinaire et exorbitante, qui sont normalement exclues. Dans la négative, il convient de rechercher quelles sont les règles de compétence ordinaire qui s'appliquent, sans oublier que ces règles jouent sans exclusivité les unes par rapport aux autres : dans un litige contractuel, si les juridictions d'un État sont compétentes en tant que juridictions du domicile du défendeur (compétence générale), les juridictions d'un autre État peuvent recevoir une compétence concurrente sur le fondement de la règle propre à la matière contractuelle (compétence spéciale). Il appartiendra alors au demandeur de choisir entre les compétences concurrentes. Enfin, si aucune compétence renforcée ou ordinaire n'est vérifiée et si le droit de l'Union européenne n'est pas applicable, les compétences exorbitantes des articles 14 et 15 du Code civil peuvent le cas échéant, en vertu de leur application subsidiaire, fonder la compétence des juridictions françaises.
Corrigé
1. Le litige concerne la location saisonnière d’une villa en Espagne, louée par Monsieur Y, résidant allemand, à Monsieur X., également résidant allemand, pendant deux mois durant l’été 2014.
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Il convient en premier lieu de déterminer la source des règles de compétence qui seront applicables. Les baux immobiliers relevant de la matière civile et commerciale, la Convention de Bruxelles, le règlement Bruxelles I ou le règlement Bruxelles I bis pourraient être applicables puisque le litige entre dans leur champ d’application matériel. L’action étant exercée le 20 septembre 2014, elle relèverait plus précisément du règlement Bruxelles I. Reste donc à vérifier que l’action entre dans le champ d’application spatial du règlement. Les baux d’immeubles sont régis par une section (6) et un article 22 spécifiques du règlement Bruxelles I, relatifs aux compétences exclusives, dont le champ d’application dans l’espace est dérogatoire : le texte est applicable en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, « sans considération de domicile », lorsque l’immeuble sur lequel portent les droits réels ou les baux est situé sur le territoire d’un État membre. C’est le cas en l’espèce, et l’article 22 du règlement Bruxelles I est donc applicable. Il est à présent possible de déterminer la juridiction compétente en application de ce texte. En matière de baux d’immeubles, les juridictions du lieu de situation de l’immeuble reçoivent en principe une compétence exclusive. Les juridictions espagnoles sont donc compétentes pour connaître de la demande de M. X. Mais l’article 22 prévoit, pour les locations saisonnières d’une durée de moins de six mois, la compétence alternative des tribunaux du domicile du défendeur, lorsque le locataire est une personne physique et est domicilié dans le même pays que le propriétaire. Ces conditions sont en l’espèce remplies. Les juridictions allemandes sont donc également compétentes. M. X pourra donc saisir, au choix, les juridictions espagnoles du lieu de situation de l’immeuble, ou les juridictions allemandes du domicile du défendeur. 2. Les juridictions italiennes ont été saisies par la société S. (immatriculée en France) d’une action relative à la mauvaise exécution du contrat de vente qui la lie à la société T (immatriculée en Italie). La société T oppose que la société S est une société fictive ; quelle juridiction peut connaître de cette demande ? On pense bien évidemment d’abord à la juridiction italienne, puisque la fictivité de la société S est ici invoquée comme moyen de défense à l’action dont cette juridiction est saisie. On sait cependant qu’il existe, dans le droit européen, une compétence exclusive en matière de validité et de nullité des sociétés ayant leur siège dans un État membre, au profit des juridictions de cet État. Il faut donc d’abord vérifier l’applicabilité du droit de l’UE, avant de déterminer si cette compétence exclusive interdit à la juridiction italienne de connaître du moyen de défense. Les règlements Bruxelles I ou Bruxelles I bis sont-ils applicables ? Le litige relève de la matière civile et commerciale, il entre donc dans le champ d’application matériel de ces textes. L’action principale a été intentée sur le fondement d’une règle de compétence ordinaire ; l’applicabilité des règlements dépendait donc du domicile du défendeur sur le territoire d’un État membre, condition vérifiée en l’espèce. Quant aux articles relatifs à la compétence exclusive éventuelle des juridictions de l’État du siège de la société dont la fictivité est alléguée, ils seraient également applicables puisque le siège de cette société est (au vu des éléments en notre possession) en France, donc dans un État membre. S’agissant enfin de l’application dans le temps, l’action ayant été intentée le 8 mai 2015, elle relève du règlement Bruxelles I bis. Le règlement Bruxelles I bis est donc applicable.
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Les juridictions italiennes compétentes au principal peuvent-elles connaître du moyen de défense tiré de la fictivité alléguée de la société française ? On l’a dit, l’article 24 du règlement réserve en principe une compétence exclusive, aux juridictions du lieu du siège de la société, pour connaître des actions relatives à la validité ou la nullité de cette société. Il reviendrait donc normalement aux juridictions françaises de se prononcer sur l’éventuelle fictivité d’une société française. On sait néanmoins que la CJUE a jugé que la compétence exclusive ne joue que lorsque la question couverte par l’article 24 constitue l’objet principal du litige ; un autre juge, compétent au principal, peut en revanche trancher à titre préalable une telle question. On peut donc conclure que le juge italien pourra statuer sur le moyen de défense tiré de la fictivité de la société, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge français. 3. Monsieur C., qui réside en France, a acheté sur internet le 15 décembre 2014 divers cadeaux de Noël sur le site d’une société anglaise. Il a payé en ligne, en euros. Les biens achetés ne sont jamais arrivés. Quelles sont les juridictions compétentes pour connaître de sa demande en remboursement formée le 10 juin 2015 ? Il est manifeste que Monsieur C. a contracté pour un usage étranger à son activité professionnelle ; il pourrait donc profiter des règles protectrices des consommateurs, qui sont prévues tant par le droit européen que par le droit commun français. Il faut donc trancher au préalable la question des règles de compétence applicables. L’action relève de la matière civile et commerciale. Elle a été intentée le 10 juin 2015, soit postérieurement à la date d’application du règlement Bruxelles I bis, qui semble donc applicable (à noter que la date de conclusion du contrat, antérieure à la date d’application du règlement Bruxelles I bis, est indifférente). Il faut toutefois encore vérifier l’applicabilité spatiale du règlement ; or le critère varie selon que la règle de compétence applicable est la règle protectrice du consommateur, ou la règle de compétence ordinaire. Les règles de compétence protectrices du consommateur posées par le règlement sont-elles applicables ? L’article 17 point 1 pose à cette applicabilité une condition tenant au type de contrat conclu. Le contrat n’est en l’espèce ni une vente à tempérament, ni un prêt à tempérament ou une opération de crédit liée au financement des biens acquis. En revanche, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un contrat conclu avec une personne qui « par tout moyen, dirige son activité » vers le territoire de l’État membre où le consommateur a son domicile. Monsieur C a en effet acheté le bien sur internet, sans se déplacer au Royaume-Uni. La détermination de l’existence d’une « activité dirigée » en cas de vente par internet soulève des discussions. Il ne suffit sans doute pas que le site soit accessible depuis l’État du consommateur. L’expédition de biens vers l’État du consommateur pourrait être un critère fiable, mais en l’espèce aucun bien n’a, justement, été expédié. Il faudra donc considérer les caractéristiques du site : en quelle langue est-il rédigé ? Fait-il mention des lieux où les biens seront expédiés ? Quelle est la devise de paiement ? Seule cette dernière information nous est donnée, les biens pouvant être payés en euros et pas seulement en livres anglaises. Mais il n’est pas certain que cela suffise, et il faudra rechercher si d’autres éléments confortent la preuve qu’il y a eu une activité dirigée vers la France. Si la démonstration est faite que l’activité était dirigée vers la France, lorsque le domicile du professionnel se situe dans un État membre, ce qui est le cas en l’espèce, le consommateur peut au choix saisir les juridictions du domicile du professionnel, ou
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les juridictions de son propre domicile. Monsieur C pourrait alors saisir soit les juridictions anglaises, soit les juridictions françaises.
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S’il n’est pas établi qu’il y a eu activité dirigée vers la France, le vendeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions de son domicile (règle de compétence générale de l’article 4) ou devant les juridictions du lieu où la chose vendue a été ou devait être livrée (règle spéciale de l’article 7-1, qui sera étudiée en détail dans le Chapitre 11). Les biens n’ont pas été livrés ; mais on peut postuler, s’agissant d’une vente sur internet, qu’ils devaient être expédiés par le vendeur au domicile de l’acheteur. Là encore, Monsieur C devrait donc avoir une option entre les juridictions anglaises du domicile du vendeur, et les juridictions françaises du lieu où les biens auraient dû être livrés. 4. Monsieur X., qui réside en France, a conclu un contrat de travail le 10 mai 2008 avec une société américaine ; il a toujours travaillé en France. Il vient d’être licencié et veut exercer une action en indemnisation. Le contrat de travail comporte une clause attributive de juridiction désignant les juridictions de l’État du Massachusetts comme seules juridictions compétentes. Est-il obligé d’aller porter sa demande devant cette juridiction lointaine ? Le régime des clauses attributives de juridiction dans les contrats de travail est spécifique, car il faut tenir compte de la nécessité de protéger le salarié qui est dans une situation de faiblesse au moment de la conclusion du contrat de travail. Cette protection est assurée en droit de l’Union européenne comme en droit français ; la convention de La Haye de 2005 sur les clauses d’élection de for exclut pour sa part les contrats de travail de son champ d’application, elle n’est donc pas applicable. Le droit de l’Union européenne est-il applicable ? La compétence en matière de contrat de travail relève de la matière civile et commerciale au sens des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, qui lui consacrent d’ailleurs une section spéciale. Les clauses attributives de juridiction dans les contrats de travail sont réglementées dans cette section spéciale, et non par les dispositions générales propres aux élections de for. Les règles spécifiques d’application dans le temps propre à la disposition régissant les clauses attributives de juridiction n’ont donc pas à être considérées. Seule importe la date d’introduction de l’action, qui sera postérieure au 10 janvier 2015. Le règlement Bruxelles I bis est donc potentiellement applicable. Reste à déterminer s’il l’est bien, alors que le défendeur est domicilié dans un État tiers. En principe, le système Bruxelles n’est pas applicable dans ce cas, mais le règlement Bruxelles I bis a récemment étendu le champ d’application de la section relative à la compétence en matière de contrat de travail. D’une part, selon l’article 20 § 2, lorsque l’employeur n’est pas domicilié dans un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l’employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, y avoir son domicile. En l’espèce, on peut penser que la société américaine a bien un établissement en France puisqu’elle y emploie au moins un salarié. D’autre part et en toute hypothèse, l’article 21 § 2 prévoit son application à un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre lorsque le travail s’exécute dans un État membre, ce qui est le cas ici. La section 5 du règlement Bruxelles I bis est donc applicable. La clause attributive de juridiction peut-elle être opposée par l’employeur ? Selon l’article 23 du règlement, inclus dans la section 5, il ne peut être dérogé aux règles de compétence prévues par le règlement pour les litiges relatifs aux contrats de travail
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que si la clause est postérieure à la naissance du différent, ou si elle permet au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles compétentes selon le règlement. La première condition n’est pas remplie. Quant à la seconde, il faut donc vérifier quelles sont les juridictions compétentes selon le règlement.
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Les juridictions compétentes selon le règlement sont définies par l’article 21 § 1 lorsque l’employeur est domicilié sur le territoire d’un État membre. Si l’on établit que la société américaine a bien un établissement en France, le salarié pourra alors agir, au choix, devant les juridictions de l’État membre où l’employeur a son « domicile » c’est‑à-dire son établissement (la France), ou devant les juridictions du lieu où le salarié accomplit habituellement le travail (la France). Lorsque l’employeur n’est pas domicilié dans un État membre, l’article 21 § 2 prévoit que le salarié peut agir devant les juridictions du lieu où il a accompli habituellement le travail. Ainsi, même s’il n’est pas possible d’établir que la société américaine a un établissement en France, les juridictions françaises restent compétentes. Le sort de la clause attributive de juridiction est donc scellé : elle prive le salarié de la compétence des juridictions françaises qui sont pourtant compétentes selon le règlement. Elle ne pourra donc pas être opposée au salarié s’il décide de saisir les juridictions françaises. 5. La société française F a conclu un contrat le 2 janvier 2015 avec la société mexicaine M. Les relations entre les parties se sont rapidement dégradées et le contrat a été rompu. La société F veut agir contre la société M pour obtenir diverses indemnités. Le contrat comportait une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions mexicaines. La société F se demande si elle est tenue de saisir ces juridictions ou si elle peut saisir les juridictions françaises, plus proches. En d’autres termes, elle se demande si elle est liée par la clause attributive de juridiction. La réponse semble devoir être positive : lorsqu’une clause attributive de juridiction est insérée dans un contrat par les parties, elle confère une compétence exclusive aux juridictions désignées. Toutes les autres juridictions sont corrélativement incompétentes. Cette solution est retenue par toutes les réglementations qui sont susceptibles de s’appliquer en France, qu’il s’agisse du droit commun, de la convention de La Haye de 2005 ou du droit de l’Union européenne (Bruxelles I). Il n’en irait autrement que dans deux cas. Tout d’abord, si la société décide de saisir les juridictions françaises et que la partie mexicaine ne conteste pas cette compétence, celle-ci sera acquise. Les parties peuvent en effet, par un nouvel accord procédural, modifier leur accord antérieur. Ensuite, même en cas de contestation par la société mexicaine, la clause pourrait être écartée par le juge français s’il pouvait être établi qu’elle est illicite, invalide ou inapplicable. Aucun élément factuel n’est ici invoqué, qui permettrait de le penser. À toutes fins utiles, on déterminera toutefois en fonction de quel texte ces questions devraient être ici évaluées par les juridictions françaises. Le contrat et la clause qu’il intègre ont été conclus le 2 janvier 2015. Cette date permet en premier lieu d’écarter la convention de La Haye de 2005, qui n’est applicable qu’aux clauses postérieures au 1er octobre 2015. Peu importe donc que les juridictions mexicaines soient désignées, circonstance qui aurait pu justifier l’application de la convention de La Haye, le Mexique ayant, comme la France, ratifié cette convention.
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Droit international privé
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La clause désigne les juridictions mexicaines. Cette circonstance permet d’écarter les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, qui ne sont applicables l’un et l’autre que si les juridictions désignées sont les juridictions d’un État membre (pour le règlement Bruxelles I, il faudrait même une condition complémentaire, le domicile d’une des parties sur le territoire d’un État membre). Les deux textes étant écartés, il n’est pas nécessaire de trancher l’épineuse question de l’application dans le temps (l’action étant intentée après le 10 janvier 2015 relativement à une clause conclue avant cette date, ce qui laisse subsister une hésitation entre application du règlement Bruxelles I bis et application du règlement Bruxelles I). Dès lors, en l’état de l’inapplicabilité du droit de l’UE et de la convention de La Haye, si la société française décidait de saisir le juge français en dépit de la clause, la validité et l’applicabilité de celle-ci serait appréciée par le juge français, si le défendeur mexicain décidait de s’en prévaloir, en application du droit commun français, fixé par la jurisprudence (Arrêt Compagnie de Signaux).
Débats
Immunités des organisations internationales Plus encore que les immunités juridictionnelles des États et de leurs représentants, les immunités des organisations internationales suscitent le débat. Ces immunités sont usuellement organisées par les traités constitutifs de l'organisation et/ou l'accord de siège. En dehors des restrictions aux immunités expressément prévues par ces traités, l'opinion majoritaire est que ces immunités sont absolues, en ce sens qu'il n'est pas possible d'en faire, comme pour les États, une application relative en fonction de la nature des actes ou des biens de l'organisation concernés. Ce caractère absolu des immunités des organisations internationales est d'autant plus problématique que, contrairement aux États qui peuvent tout au moins être attraits devant leurs propres juridictions, les organisations internationales ne sont soumises à la juridiction naturelle d'aucun tribunal. Certes, les traités constitutifs organisent parfois une juridiction « interne » à l'organisation, chargée de connaître des griefs émis par des tiers à l'égard de cette dernière. Mais en l'absence d'une telle juridiction, ou si sa compétence s'avérait limitée, il est envisageable que les personnes ayant souffert un préjudice à raison d'une faute de l'organisation – qu'il s'agisse d'un salarié, d'un cocontractant ou d'un tiers absolu – soient privées de tout recours effectif à un juge. C'est ce qui explique que la CEDH ait été saisie de la difficulté. Sa jurisprudence est nuancée : elle semble en effet admettre les immunités juridictionnelles des organisations internationales à la condition que les requérants disposent « d'autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la convention » (CEDH 18 févr. 1999, Beer & Regan c/ Allemagne, req. no 28934/95 ; Waite & Kennedy c/ Allemagne, req. n o 26083/94). La Cour de cassation française semble pour sa part disposée à protéger les droits des justiciables lorsque l'immunité apparaît déraisonnable. C'est ainsi qu'a pu être déclaré recevable un recours formé devant les juridictions françaises contre la Banque Africaine de Développement, nonobstant son immunité, aux motifs que « la Banque Africaine de développement ne peut se prévaloir de l'immunité de juridiction dans le litige l'opposant au salarié dès lors qu'à
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La compétence internationale des juridictions
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l'époque des faits elle n'avait pas institué en son sein un tribunal ayant compétence pour statuer sur des litiges de cette nature, l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constituant un déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu'il existe un rattachement avec la France » (Soc. 25 janv. 2005, Bull. V, n o 16 ; Rev. crit. DIP 2005. 477, note I. Pingel ; v. aussi, Soc. 13 déc. 2017, n o 15-13098, D. 2018. 974, obs. F. Jault-Seseke). De la même façon, la chambre sociale de la Cour de cassation décide qu’une organisation internationale ne peut pas revendiquer le bénéfice de l’immunité de juridiction à l’encontre du recours formé devant les tribunaux français par un salarié de l’organisation, dès lors que la procédure mise en place par les statuts du personnel de l’organisation, qui ne leur offrait pas un recours juridictionnel comportant des garanties d’impartialité et d'équité, était contraire à l’ordre public international français (Soc., 13 mai 2014, no 12-23805, Bull. civ. V, no 117). Les problèmes de compatibilité avec les normes fondamentales se posent également à propos de l’immunité d’exécution des organisations internationales. La Cour de cassation a jugé à cet égard, en attendant une éventuelle décision de la CEDH, que la règle spéciale voulant que les biens des banques centrales et des autorités monétaires étrangères ne puissent être saisis que sur autorisation du juge de l’exécution, à la condition que le créancier démontre que les biens en cause font partie d’un patrimoine affecté à une activité relevant du droit privé (CMF, art. L. 153-1), ne porte pas une atteinte excessive au droit à l’exécution consacré par l’article 6 de la Conv. EDH dès lors que la preuve exigée du créancier quant à l’affectation des biens n’est pas impossible à rapporter (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n o 16-10.661, D. 2018. 982, obs. F. Jault-Seseke).
Application d'office des privilèges de juridiction par le juge ? La position traditionnelle de la Cour de cassation est fixée en ce sens que les tribunaux français ne peuvent appliquer d'office les articles 14 et 15 du Code civil, ni pour l'appréciation de leur compétence directe, ni, au stade de l'accueil d'une décision étrangère, pour l'appréciation de la compétence indirecte du tribunal étranger. Cette solution a parfois été contestée aux motifs que le juge doit appliquer d'office la règle de droit aux faits allégués, en sorte que les privilèges pourraient être appliqués d'office lorsque l'une des parties a excipé de sa qualité de Français, même si elle ne s'est pas expressément prévalue des articles 14 ou 15 du Code. Quelques décisions jurisprudentielles vont en ce sens (Civ. 1re, 19 juill. 1989, Bull. civ. I, n o 296 ; 16 avr. 1985, Rev. crit. DIP 1987. 584). La doctrine majoritaire est cependant favorable à la nonapplication d'office des privilèges, plus compatible avec leur caractère facultatif pour les parties, et en dépit des décisions précitées, la jurisprudence traditionnelle est plutôt fixée en ce sens (Civ. 1 re, 26 mai 1999, Bull. civ. I, no 171 : « viole l'article 14 une cour d'appel qui soulève d'office l'application de ce texte qui n'est pas d'ordre public et qui n'était pas invoqué par la demanderesse »).
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Droit international privé
Effet « réflexe » des règles de compétence exclusive
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Les compétences exclusives instituées par le droit de l'Union européenne (Règl. Bruxelles I, 22 ; Règl. Bruxelles I bis, art. 24) ne jouent que si le critère de compétence qui les fonde se réalise sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne. A priori, le fait que le critère de compétence exclusive qu'elles retiennent se réalise dans un pays qui n'est pas membre de l'Union européenne est donc sans emport sur la compétence que les juridictions des États membres pourraient tirer des autres chefs de compétence posés par le droit de l'Union : l'article 24 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 22) n'est pas applicable, donc il ne protège pas la compétence du tribunal étranger en lui conférant un titre exclusif. Ainsi, une action réelle immobilière exercée contre une personne domiciliée en France, relativement à un immeuble sis au Maroc, pourrait être formée devant les juridictions françaises du domicile du défendeur, en application de l'article 2 du règlement, sans que les juridictions marocaines du lieu de situation de l'immeuble se voient reconnaître une compétence exclusive. C'est apparemment la position qu'ont adoptée les différents rapports officiels rendus sur les textes en cause. Une partie de la doctrine, en France sous l'impulsion de Droz, considère toutefois, contre cette position, que les compétences exclusives reconnues par le droit de l'Union européenne devraient avoir un « effet réflexe », imposant de reconnaître la compétence exclusive des juridictions d'un État non membre de l'Union européenne, lorsque cette compétence résulte de l'application des critères posés par les articles 22 du règlement Bruxelles I ou 24 du règlement Bruxelles I bis. Dans le cadre de la révision du règlement Bruxelles I, le GEDIP (Groupe européen de droit international privé) avait notamment proposé l'adoption de cet effet réflexe ou « règle en miroir » (v. les propositions du GEDIP : www.gedip-egpil.eu/documents/ gedip-documents-29FR.htm). La High Court de Londres (QBD) a, dans une décision du 3 avril 2012, retenu cet effet réflexe (v. C. Chalas, « L’affaire Ferrexpo : baptême anglais pour l’effet réflexe des articles 22, 27 et 28 du règlement Bruxelles I », Rev. crit. DIP 2013. 359). Toutefois, le règlement Bruxelles I bis n’a pas introduit l’effet réflexe des compétences exclusives posées par le nouvel article 24. L’effet réflexe a parfois aussi été revendiqué pour le jeu de l’exception de litispendance ou de connexité (v. l’affaire Ferrexpo préc.) ; il tend alors à justifier que les juridictions d’un État membre, compétentes sur le fondement du règlement mais saisies en second alors que les juridictions d’un État tiers ont déjà été saisies, puissent surseoir à statuer et se dessaisir au profit de la juridiction étrangère, si les conditions de recevabilité et d’accueil des exceptions sont remplies. Le règlement Bruxelles I bis a finalement adopté une exception de litispendance et une exception de connexité spécifiques pour les relations avec les États tiers (v. ss chapitre 6). Il ne s’agit donc pas réellement de faire jouer un effet réflexe aux règles européennes de litispendance et de connexité, puisque les règles applicables ne sont pas les mêmes selon que la juridiction première saisie est celle d’un État membre, ou celle d’un État tiers.
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
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c h a p i t r e
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analytique
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Plan
Évolution historique du droit des effets des jugements étrangers § 1 Modification de la nature du contentieux de l'exequatur § 2 Atténuation de l'exigence d'exequatur section
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Effets des jugements prononcés par les tribunaux des États non membres de l'Union européenne § 1 Les décisions étrangères internationalement régulières A. Conditions de régularité des décisions étrangères B. Accueil des décisions étrangères régulières
§ 2 Les décisions étrangères internationalement irrégulières A. Force probante et effet de titre B. Effet persuasif C. Effet de fait
section
3
Effets des jugements prononcés par les juridictions des États membres de l'Union européenne § 1 Des conditions de contrôle allégées A. Conformité à l'ordre public de l'État requis B. Absence d'inconciliabilité avec une décision produisant ses effets dans l'État requis C. Contrôle limité de la compétence indirecte
§ 2 Une reconnaissance de plein droit § 3 Une exécution facilitée
A. La procédure simplifiée instituée par le règlement Bruxelles I B. Les procédés de prorogation automatique de la force exécutoire nationale sur tout le territoire de l'Union C. Les procédures européennes harmonisées : une force exécutoire « européenne »
Compléments pédagogiques
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Les effets en France des décisions de justice étrangères Les décisions de justice françaises produisent, en France, trois principaux effets : la force exécutoire, l'autorité de chose jugée et l'efficacité substantielle. Elles bénéficient, sous certaines conditions, de la force exécutoireQ, conformément à l'article 501 du Code de procédure civile. Elles autorisent donc leur bénéficiaire à en obtenir l'exécution matérielle, le cas échéant en ayant recours à la contrainte publique (par ex., l'enfant qui s'est vu attribuer des aliments à la charge de ses parents peut demander, si ceux-ci ne s'exécutent pas spontanément, la saisieattribution d'une partie de leurs salaires). Elles jouissent également, conformément à l'article 480 du Code de procédure civile et là encore sous certaines conditions, de l'autorité de la chose jugée. La doctrine distingue en réalité deux aspects de l'autorité de la chose jugée, qui constituent deux effets distincts des décisions de justice. L'autorité négative de chose jugée est l'effet de la décision qui interdit aux parties de soumettre aux tribunaux un litige ou une question qui a déjà été tranchée par les juridictions dans cette décision. Ainsi, lorsque des dommages-intérêts ont été attribués à la victime d'un accident de la circulation par un tribunal, celle-ci ne saurait — parce qu'elle n'est pas satisfaite du montant alloué — former une autre demande, sur le même fondement, devant un autre tribunal. Elle ne peut, dans les conditions posées par la loi, qu'exercer des voies de recours contre la décision rendue. L'autorité positive de chose jugée, parfois aussi appelée efficacité substantielleQ, est l'effet modificatif de l'ordonnancement juridique attaché à la décision. Une décision de justice applique en principe une règle de droit générale et abstraite à une espèce particulière, pour en déduire une norme individuelle et concrète — la décision — : elle met en œuvre le droit objectif pour définir les droits subjectifs des individus. Cette décision a donc bien un effet normatif qui : – soit modifie l'état antérieur du droit — c'est le cas des jugements constitutifs qui créent une situation juridique nouvelle (ainsi la décision de divorce opère-t‑elle dissolution du mariage ; avant la décision, les époux sont mariés et donc liés l'un à l'autre par les obligations juridiques propres au mariage, après, ils ne le sont plus) ; – soit fixe les parties sur un état du droit qui était incertain — ce sont les jugements déclaratifs (la décision qui « prononce » la nullité d'un contrat ne fait que constater cette nullité, mais le fait avec une autorité particulière en rendant cette nullité certaine).
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Ces effets, propres aux décisions de justice, peuvent-ils profiter en France aux décisions de justice étrangères ? Un divorce prononcé entre deux époux à l'étranger peut-il produire ses effets en France, en sorte que les époux y seront regardés comme effectivement divorcés, avec les conséquences qui s'ensuivent (possibilité de se remarier…) ? Une personne qui a obtenu des dommages-intérêts alloués par une décision étrangère peut-elle obtenir que, sur le fondement de cette décision, une saisie-attribution soit opérée en France sur les biens de son débiteur ?
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Droit international privé
Notre droit international privé a connu, sur cette question, une évolution très importante, qui se caractérise par une libéralisation croissante des conditions d'accueil des décisions de justice étrangères. Même si ce chapitre entend essentiellement présenter l'état actuel du droit positif, il est fondamental de saisir les grands traits de cette évolution, ne serait-ce que parce qu'il est loin d'être certain — au regard des développements les plus récents — qu'elle soit achevée. L'évolution historique sera donc succinctement présentée (section 1), avant que ne soient abordées les règles de droit positif. Mais il faudra alors dépasser le cadre de la jurisprudence française, car si les effets en France des décisions de justice des États tiers à l’Union européenne restent aujourd'hui régis par le droit commun français, la plupart des décisions émanant des États membres de l’Union européenne bénéficient d’un régime plus favorable organisé par les règlements européens régissant la reconnaissance et l’exécution des décisions. Il faut donc distinguer les effets des jugements prononcés par les tribunaux des États non membres de l'Union européenne, soumis au droit commun français (section 2), des effets des jugements prononcés par les tribunaux des États membres de l'Union européenne réglés par le droit de l'Union (section 3).
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Évolution historique du droit des effets des jugements étrangers 407
Pour synthétiser, il importe de rappeler tout d'abord que le droit français se caractérisait, au début du XIX e siècle, par une attitude peu libérale à l'égard des décisions de justice étrangère. Le texte de référence était alors l'article 121 de l'ordonnance de 1629, dont il ressortait que les jugements étrangers n'auront point d'exécution en France, et les Français nonobstant ces jugements, pourront de nouveau débattre leurs droits comme entiers devant les tribunaux français. De prime abord, ce texte semble priver les décisions étrangères d'effets en France ; néanmoins, sa portée était atténuée, en droit positif, par la doctrine du juge naturel : si les Français ne pouvaient être affectés par les décisions étrangères, en revanche, les décisions rendues par les juridictions étrangères pouvaient s'appliquer au bénéfice de leurs nationaux. Le cloisonnement des ordres juridiques, à l'égard des décisions de justice, restait néanmoins assez étanche. L'adoption des Codes civil et de procédure civile allait changer les choses. En effet, très vite après leur promulgation, la Cour de cassation abandonne la référence à l'ordonnance de 1629. Dans l'arrêt Parker, rendu le 19 avril 1819 (GADIP, no 2), la Haute juridiction lui substitue le visa des anciens articles 2123 et 2128 du Code civil et 549 du Code de procédure civile, pour retenir que, en application de ces textes, les tribunaux français sont autorisés à rendre les décisions étrangères exécutoires en France. Une décision de justice étrangère peut donc produire des effets en France, mais seulement si elle est soumise aux juridictions françaises dans le cadre d'une procédure d'exequaturQ, qui est l'occasion pour les juges français — ainsi que le retient l'arrêt Parker — de réexaminer l'affaire au fond pour s'assurer qu'elle a été bien jugée. Cette méthode, que l'on nommera par la suite la révision au fondQ, permet
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
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certes de ne pas ignorer les décisions de justice étrangères, mais elle oblige le juge français à « refaire » le jugement. Les inconvénients de cette méthode sont toutefois gommés, ultérieurement, par l'effet d'une double évolution parallèle : d'un côté, la nature du contentieux de l'exequatur se modifie substantiellement (§ 1), tandis que, de l'autre, l'exigence d'exequatur est atténuée (§ 2).
1 Modification de la nature du contentieux de l'exequatur
Le système de la révision au fond repose, on l'a vu, sur un contentieux dit « subjectif » : le juge français saisi pour délivrer l'exequatur doit connaître de l'ensemble de l'affaire et statuer directement sur les droits subjectifs des parties, alors même que le juge étranger a déjà prononcé sur ces droits. La suppression de la révision au fond se réalise toutefois, progressivement, au fil des arrêts de principe, entre 1819 et 1964. En 1900, l'arrêt de Wrède (GADIP, no 10) abandonne la révision au fond pour les jugements d'état et de capacité et, en 1964, la Cour de cassation affirme, dans son grand arrêt de principe Munzer (v. rubrique Documents), que pour donner effet en France à une décision étrangère, les juges français doivent seulement vérifier que cette décision remplit certaines conditions limitativement énoncées : « cette vérification, qui suffit à assurer la protection de l'ordre juridique et des intérêts français, objet même de l'institution de l'exequatur, constitue en toute matière à la fois l'expression et la limite du pouvoir de contrôle du juge chargé de rendre exécutoire en France une décision étrangère, sans que ce juge doive procéder à une révision au fond de la décision ». Formellement condamnée, la révision au fond laisse ainsi place à un système de contrôle objectif de la décision étrangère, tendant à vérifier les qualités de l'opération juridictionnelle menée à l'étranger, plutôt que celle de la décision subjective prise par les juges étrangers.
§
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2 Atténuation de l'exigence d'exequatur
Dans le même temps, une autre difficulté née du système instauré par l'arrêt Parker devait être appréhendée. Il est en effet rapidement apparu que la procédure d'exequatur — quelle que soit la nature du contrôle opéré dans le cadre de celle-ci — générait des difficultés liées au décalage temporel entre le prononcé de la décision étrangère et celui de la décision française d'exequatur : ainsi, le divorce de deux époux prononcé à l'étranger pouvait certes produire des effets en France, mais seulement une fois l'exequatur délivré ; fallait-il pour autant en conclure que le remariage en France de l'un des époux divorcé, entre le prononcé de son divorce à l'étranger et l'exequatur de ce divorce en France, était nul pour avoir été contracté par un individu déjà marié ? Divorcé du point de vue du système étranger, le conjoint ne l'était en effet pas, faute d'exequatur, du point de vue de l'ordre juridique français. Cette difficulté sera là encore progressivement réglée, par la mise en place d'un système distinguant en fonction du type d'effet de la décision étrangère recherché en France, mais aussi, de façon plus contestable, en fonction de la nature de la décision en cause. C'est ainsi que seront consacrées l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugéeQ de plano de tous les jugements d'état et de capacité, ainsi que des jugements
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constitutifs patrimoniaux. L'expression de plano signifie que les deux effets considérés — efficacité substantielle et autorité de chose jugée — sont reconnus aux décisions concernées sans qu'il soit nécessaire de préalablement mettre en œuvre la procédure d'exequatur. Ces décisions bénéficient donc d'une sorte de présomption de régularité internationale, qui leur permet de déployer leurs effets de plein droit, tant du moins que leur irrégularité n'est pas établie en justice. L'action en exequatur n'est plus alors nécessaire que pour leur conférer force exécutoire. On observe que manquent à l'appel les jugements déclaratifs patrimoniaux, auxquels la jurisprudence française a longtemps réservé un régime étonnamment sévère — l'exequatur étant en toute hypothèse exigé — dont on peut heureusement penser qu'il a finalement été aligné sur celui des autres décisions (v. rubrique Débat). Reconnaissance de planoQ et exequatur des décisions étrangères. Telles sont les principales voies qu'il convient de suivre, selon que l'on souhaite voir les décisions étrangères déployer en France leur efficacité substantielle et/ou leur autorité de chose jugée, ou leur force exécutoire. Les conditions et les modalités concrètes de ces procédures doivent à présent être présentées d'un point de vue positif.
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Effets des jugements prononcés par les tribunaux des États non membres de l'Union européenne 411
Si le droit commun français a évolué dans le sens d'un plus grand libéralisme des méthodes, il n'offre toutefois pas un blanc-seing aux justices étrangères : pour pouvoir produire des effets en France, dans les conditions favorables qui caractérisent le droit positif actuel, les décisions de justice étrangère doivent présenter certaines qualités : elles doivent être internationalement régulières (§ 1). Celles qui ne sont pas internationalement régulières peuvent certes produire certains effets en France, mais pas ceux, propres aux décisions juridictionnelles, que sont l'efficacité substantielle, l'autorité de chose jugée ou la force exécutoire (§ 2).
§ 412
1 Les décisions étrangères internationalement régulières
Avant de préciser le régime de l'accueil des décisions étrangères régulières (B), il faut définir ce qu'est une décision de justice étrangère internationalement régulière, en cernant les conditions de régularité retenues par le droit positif (A).
A. Conditions de régularité des décisions étrangères 413
L'abandon de la révision au fond au profit d'un contrôle objectif de la décision étrangère, consacré par l'arrêt Munzer (v. rubrique Documents), a incontestablement
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
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été une étape marquante de la libéralisation progressive du régime de l'accueil des décisions étrangères. Mais cette libéralisation était loin d'être achevée. L'arrêt Munzer (v. rubrique Documents) posait en effet cinq conditions de régularité auxquelles l'effet en France des décisions étrangères était subordonné. Deux de ces cinq conditions devaient être par la suite abandonnées, l'une par l'arrêt Bachir (Civ. 1re, 4 oct. 1967, v. rubrique Documents), et l'autre, tout récemment, par l'arrêt Cornelissen (Civ. 1re, 20 févr. 2007, v. rubrique Documents). Il convient de se concentrer en premier lieu sur les conditions maintenues, qui sont de droit positif contemporain (1) avant de dire un mot des conditions abandonnées (2).
1. Les conditions maintenues
Des cinq conditions de régularité posées par l'arrêt Munzer (v. rubrique Documents), seules trois restent d'actualité, ainsi que l'énonce l'arrêt Cornelissen (v. rubrique Documents). Une décision étrangère n'est internationalement régulière que si elle a été rendue par un tribunal étranger internationalement compétent (a), si elle n'est pas contraire à l'ordre public international français (b), et si aucune fraude à la loi n'est caractérisée (c).
a.
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Compétence internationale du tribunal étranger
Pour qu'une décision étrangère soit considérée comme régulière et puisse donc produire des effets en France, elle doit avoir été rendue par un juge compétent. Cette compétence étrangère, appréciée du point de vue du for, est appelée compétence indirecteQ, pour la distinguer de la compétence directe que le juge français apprécie et exerce lorsqu'il est saisi d'une demande au fond. Compétence indirecte et compétence directe ne sont pas appréciées selon les mêmes règles. Alors que la compétence directe des juridictions françaises est appréciée par référence aux règles de compétence internationales françaises, (v. ss 334 s.), la compétence indirecte des juridictions étrangères s'apprécie, au stade de l'accueil de leurs décisions en France, en considération d'une règle distincte et spécifique. Cette règle a été posée par l'arrêt Simitch (Civ. 1re, 6 févr. 1985, v. rubrique Documents) : le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache de manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi, si les tribunaux français n'ont pas, selon les règles de compétence internationale directe, compétence exclusive, et si le choix de la juridiction étrangère n'a pas été frauduleux. La compétence internationale indirecte est donc soumise à trois conditions. 1. Lien caractérisé
Il doit exister un lien caractérisé entre le litige et le pays du tribunal saisi. On entend par là que des points de contact suffisants doivent exister. Les points de contact susceptibles d'être pris en considération pour apprécier la suffisance du lien varient en fonction de la nature des litiges. On envisagera, généralement, le domicile des parties, leur nationalité, le lieu d'exécution probable de la décision, la présence de biens appartenant aux parties sur le territoire, en matière contractuelle le lieu de conclusion et/ou le lieu d'exécution du contrat, en matière délictuelle le lieu du délit et/ou le lieu du dommage, en matière matrimoniale le lieu de célébration du mariage… Il importe donc que suffisamment de ces éléments, par leur localisation, rattachent le litige à l'ordre juridique du tribunal qui a statué. Encore faut-il déterminer à partir de quel seuil les liens peuvent être jugés suffisants. L'appréciation peut évidemment être d'ordre quantitatif (quatre points de contact sont préférables à
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un seul), mais elle doit également être d'ordre qualitatif (un seul point de rattachement particulièrement pertinent, comme le domicile du défendeur, peut être préférable à plusieurs rattachements faibles, comme la nationalité des parties et la langue du contrat en matière contractuelle). En fin de compte, il revient au juge français de procéder à une appréciation pondérée des éléments de rattachement, sous le contrôle de la Cour de cassation. 2. Absence de compétence exclusive des juridictions françaises
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Les tribunaux français ne doivent pas avoir reçu, selon leurs règles de compétence directe, une compétence exclusive. L'exigence se comprend aisément : si la compétence française est exclusive, cela signifie que l'ordre juridique français entend réserver le litige considéré à la compétence des juridictions françaises, et il est donc normal qu'il ne reconnaisse pas les décisions qu'auraient pu rendre, dans ce litige, des juridictions étrangères. S'il n'est pas possible d'imposer directement le respect des compétences exclusives françaises aux États étrangers, il est au moins permis de priver d'effets, dans notre ordre juridique, les décisions rendues en violation de cette exclusivité. Cela étant, les compétences exclusives réservées aux juridictions françaises ne sont pas totalement et fermement définies. On sait — car cela ressort de la jurisprudence — que les juridictions françaises ont une compétence exclusive pour ordonner des saisies en France, ou encore pour connaître des actions réelles sur des immeubles situés en France. Est encore exclusive la compétence que les juridictions françaises ont reçue d'une clause attributive de juridiction valable. En revanche, depuis 2006 et l'arrêt Prieur, la compétence de l'article 15 du Code civil, fondée sur la nationalité française du défendeur, n'est plus une compétence exclusive et est impropre, aux termes mêmes de l'arrêt, « à exclure la compétence indirecte du tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l'État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux ». La solution a été étendue à l'article 14 du Code civil par l'arrêt Fercometal rendu par la Cour de cassation en 2007 (sur ces arrêts, v. ss 398 s.). 3. Choix non frauduleux de la juridiction étrangère
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Enfin, le choix de la juridiction étrangère ne doit pas avoir été frauduleux. La fraude, faut-il le préciser, ne résulte jamais de la seule saisine d'une juridiction étrangère alors que les juridictions françaises sont internationalement compétentes : la situation de concurrence juridictionnelle est coutumière en droit international privé, et seul le choix du demandeur peut résoudre cette concurrence en sélectionnant, parmi les juridictions qui se reconnaissent compétence, celle qui lui semble la plus appropriée. Cependant, certains comportements ne sont pas tolérables. Tout d'abord, il n'est pas admissible qu'un justiciable crée artificiellement une situation de concurrence juridictionnelle, en organisant un rattachement fictif à un ordre juridique étranger dans le but de rendre ses juridictions compétentes. Une telle fraude à la compétenceQ serait ainsi caractérisée si un français domicilié en France créait artificiellement — par la constitution d'une résidence fictive — un chef de compétence internationale au profit d'une juridiction étrangère, de façon à obtenir de celle-ci le prononcé d'un divorce qui n'aurait pu être obtenu dans les mêmes conditions en France (pour une hypothèse similaire : Civ. 1re, 2 oct. 1984, Favreau, JDI 1985. 495, note B. Audit). Cette fraude doit être sanctionnée par un refus de reconnaissance, en France, du jugement rendu par le tribunal étranger dont la compétence a été créée frauduleusement.
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Plus délicat est le point de savoir si le choix d'une juridiction étrangère peut être jugé frauduleux lorsque les conditions de la compétence de cette juridiction sont réunies, sans aucune manipulation frauduleuse des parties. S'il existe une option de compétence, le demandeur doit pouvoir exercer cette option, et son choix peut être dicté par le souci d'obtenir la décision qui lui sera la plus favorable possible. C'est le forum shoppingQ. Certains auteurs contemporains soutiennent que le forum shopping ne peut jamais être frauduleux : l'option chasserait nécessairement la fraude. D'autres font intervenir la notion de fraude au jugementQ ; l'exercice de l'option serait frauduleux lorsqu'il tend à obtenir à l'étranger le prononcé d'une décision, dans le but de lui faire produire ses effets en France, alors que le juge français, s'il avait été saisi, n'aurait pu prononcer une décision équivalente. Plus précisément, il convient sans doute de considérer que le forum shopping est frauduleux lorsque le choix d'une juridiction étatique étrangère tend à éluder l'application de dispositions substantielles, que l'ordre juridique français juge internationalement impératives, à une situation juridique pourtant destinée à produire ses effets en France. Cette fraude au jugement est plus facile à déceler lorsque la juridiction étrangère est saisie dans l'objectif manifeste de faire échec à une saisine antérieure des juridictions françaises. La question s'est posée à de nombreuses reprises pour des couples étrangers résidant en France lorsque, l'un des époux ayant saisi les juridictions françaises d'une demande de contribution aux charges du mariage ou de divorce, l'autre époux s'était empressé d'aller saisir les juridictions étrangères de la nationalité du couple pour obtenir une décision, plus favorable à ses intérêts que ne l'aurait été la décision française. La jurisprudence française s'est un temps montrée réticente à sanctionner ces comportements au titre de la fraude, considérant que la seule saisine d'un juge étranger compétent, fût-ce postérieurement à la saisine du juge français dans la même affaire, ne pouvait être considérée comme frauduleuse (Civ. 1 re, 30 sept. 2009, no 08-18.769, Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon, 4 e esp. ; 16 sept. 2009, Rev. crit. DIP 2010. 164, note H. Muir Watt). La jurisprudence ultérieure atteste d'une évolution en la matière et du souci de la Cour de cassation de lutter plus efficacement contre des comportements opportunistes difficilement tolérables : l'existence d'une option de compétence n'exclut pas nécessairement la fraude. Lorsque l’un des époux saisit les juridictions étrangères d’une demande de dissolution du mariage alors que les juridictions françaises sont déjà saisies à cet effet, et que la décision étrangère est invoquée en France pour faire échec à la décision française à venir, il faut rechercher si la saisine des juridictions étrangères constitue une fraude. Il est ainsi permis de retenir le caractère frauduleux du comportement du mari ayant obtenu une décision de divorce en Algérie « dans le but de faire échec à l'exécution de la décision française devant intervenir », alors qu'il était dûment informé de l'action en contribution aux charges du mariage antérieurement intentée par son épouse en France (Civ. 1re, 20 juin 2012, no 11-30120, Rev. Crit. DIP 2012. 900, note H. Gaudemet-Tallon, commenté Rubrique Exercice du Chapitre 6) ; mais il est aussi possible de reconnaître une décision de divorce rendue par une juridiction marocaine, saisie alors que les juridictions françaises étaient déjà saisies de la même demande, si les pièces pertinentes établissent qu’il n’y a pas eu de fraude (Civ. 1, 31 mars 2016, no 15-12379, à par. au Bull.). Par définition, l’appréciation de la fraude ne peut se faire qu’in concreto, au cas par cas.
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Droit international privé
b.
Conformité à l'ordre public international français de la décision étrangère
Le contrôle de conformité de la décision étrangère à notre ordre public international intègre deux paramètres. Il faut en effet non seulement s'assurer que la décision étrangère, par son contenu, ne contrarie pas notre ordre public de fond, mais aussi qu'elle a, dans son élaboration, respecté les exigences de l'ordre public procéduralQ.
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L'ordre public international de fond ne présente pas, dans sa mise en œuvre au titre des conditions d'accueil des décisions étrangères, de spécificités par rapport aux contours qui sont les siens dans le conflit de lois. Le contenu de la décision étrangère — c'est‑à-dire, car la conformité à l'ordre public s'apprécie in concreto, le résultat auquel elle parvient — ne doit pas heurter notre conception de l'ordre public international (sur le contenu de l'ordre public international français, v. ss 256 s.). Encore faut-il que les exigences de cet ordre public ne soient pas atténuées en considération du peu de liens de la situation juridique avec l'ordre juridique français — le jeu de l'effet atténué de l'ordre public (v. ss 276 s.) est ici favorisé par le fait que la situation juridique née de la décision s'est constituée à l'étranger — ou, au contraire, renforcé en considération des liens étroits qu'entretient la situation juridique avec l'ordre juridique français (ordre public de proximité, sur lequel v. ss 280 s., ainsi que, pour sa mise en œuvre en matière de répudiations, v. ss 729). Il est important de relever les risques, que génère le contrôle de conformité à l'ordre public, d'une dérive vers la révision au fond, pourtant prohibée, de la décision étrangère. Lorsqu'il contrôle la conformité d'une décision étrangère au regard de l'ordre public international français, le juge du for est conduit à porter un jugement de valeur sur le résultat auquel le juge étranger est parvenu. Or il ne peut écarter cette décision que si son résultat est véritablement inadmissible du point de vue du for, et non parce qu'il est simplement différent de celui auquel lui-même serait parvenu. La Cour de cassation veille, et est souvent amenée à écarter des pourvois qui, sous couvert d'un grief de contrariété à l'ordre public international, ne tendent qu'à obtenir une révision au fond de la décision étrangère. Ponctuellement, elle est contrainte à censurer des juges du fond ayant, prétexte pris d'une contrariété à l'ordre public, écarté une décision étrangère qui, quoique substantiellement différente de celle à laquelle nous serions parvenus, ne heurte pas fondamentalement notre sens de la justice. Ce contrôle vigilant de la Cour de cassation s'enrichit aujourd'hui du contrôle non moins vigilant de la Cour EDH qui veille, on l'a signalé (v. ss 265), à ce que la définition de l'ordre public international des États signataires de la CEDH soit compatible avec les droits fondamentaux consacrés par la Convention. Un État ne saurait donc opposer un principe de son ordre public international, à la reconnaissance d'une décision de justice étrangère, si ce faisant il méconnaît un droit reconnu par la Convention (CEDH 3 mai 2011, Négrépontis, n o 56759/08, Rev. crit. DIP 2011. 817, note P. Kinsch).
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L'ordre public international procédural intègre l'ensemble des principes de procédure jugés si fondamentaux qu'il serait impossible d'admettre qu'une décision de justice ne les ayant pas respectés puisse produire effet dans notre ordre juridique. Le droit positif contemporain a très largement renoncé à contrôler la procédure suivie par le juge étranger (v. ss 424, la condition abandonnée de régularité de la procédure étrangère). Mais des exigences minimales sont imposées. Notamment, il est fondamental de pouvoir vérifier que le défendeur a bien été informé de la procédure diligentée devant le tribunal étranger, et qu'il a été en mesure de faire valoir ses
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c.
Absence de fraude à la loi
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droits devant ce tribunal : le respect du principe essentiel des droits de la défense est à ce prix. Il convient également que la procédure étrangère ait respecté le principe du contradictoire, et que le jugement soit motivé. La Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Pellegrini (CEDH 20 juill. 2001, Rev. crit. DIP 2004. 106, note L.-L. Christians), a du reste décidé que les juges des États parties à la Convention EDH doivent, pour laisser produire des effets aux décisions rendues par des juridictions d'États non signataires dans leur ordre juridique, vérifier que la procédure étrangère a été menée dans le respect des principes procéduraux déduits de l'article 6 de la convention (droit à un procès équitable). Il est aussi constant, en droit français, que les décisions de justice étrangères doivent être motivées, ou au minimum être complétées par des documents extrinsèques de nature à compléter la motivation défaillante.
Dans le cadre de la vérification de la compétence indirecte du juge étranger, on l'a vu, il est nécessaire de s'assurer que le choix de la juridiction étrangère n'a pas été frauduleux, ou plus largement qu’il n’y a pas eu de fraude au jugement. Plus généralement, l'arrêt Munzer (v. rubrique Documents) a subordonné la régularité des décisions de justice étrangères à l'absence de toute fraude à la loi. Ainsi qu'on l'a vu à propos du conflit de lois (v. ss 127 s.), la fraude à la loi est constituée lorsque, par une manœuvre, une partie animée par une intention frauduleuse est parvenue à écarter l'application de la loi normalement applicable au profit d'une autre, jugée plus favorable à ses intérêts. On pourrait ainsi imaginer sanctionner par un refus de reconnaissance une décision étrangère, que les parties auraient obtenue au bénéfice d'une telle fraude à la loi applicable, fraude à la loi que le juge étranger n'aurait pas pu ou voulu sanctionner. La suppression du contrôle de la loi appliquée par le juge étranger (v. ss 425) rend toutefois cette possibilité toute théorique. Plus vraisemblablement, le contrôle de la fraude à la loi dans le cadre de l'accueil des décisions étrangères peut se justifier dans la mesure où la « manœuvre » constitutive de la fraude à la loi peut consister en une exploitation des règles de compétence internationale. Tous les juges ne retenant pas les mêmes règles de conflit de lois, il suffira souvent de sélectionner – ou de rendre artificiellement compétent – le juge dont la règle de conflit de lois désigne la loi substantielle dont l'application est espérée, pour parvenir au résultat voulu et « frauder » la loi normalement compétente. Mais la condition d'absence de fraude à la loi ne présente alors pas de réelle autonomie par rapport à la condition de choix non frauduleux de la juridiction (sur laquelle v. ss 418).
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2. Les conditions abandonnées Les conditions de régularité des décisions étrangères ont été réduites à trois, après l'abandon successif des conditions de régularité de la procédure étrangère (a) et de conformité de la loi appliquée à la règle de conflit française (b).
a.
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Régularité de la procédure étrangère
La décision étrangère, pour être régulière, doit-elle avoir été rendue dans le respect des règles de procédure du for étranger ? La condition, posée dès le XIX e siècle, a été confirmée par l'arrêt Munzer (v. rubrique Documents), mais abandonnée trois ans plus tard par l'arrêt Bachir (v. rubrique Documents). Il faut dire que sa mise en œuvre se heurtait à de très sérieuses objections. Aux arguments pratiques — tirés de
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Droit international privé
b.
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l'incohérence et de la difficulté pour le juge français de vérifier qu'un tribunal étranger a bien appliqué ses propres règles de procédure, dont on peut penser qu'il les maîtrise mieux que le premier —, s'ajoute une considération plus fondamentale : importe-t‑il que le juge étranger ait bien appliqué ses règles de procédure si celles-ci sont, sur le fond, inadmissibles ? À l'inverse, la qualité d'une décision étrangère estelle remise en cause si une irrégularité mineure s'est produite dans la procédure étrangère, si mineure qu'elle ne remet pas en cause l'efficacité, à l'étranger, de cette décision ? Le « contrôle » de la procédure suivie à l'étranger ne se justifie donc qu'en considération de deux objectifs : vérifier que la décision est bien effective dans son ordre juridique d'origine, mais cette condition concerne la recevabilité de l'action sollicitant son accueil non sa régularité ; s'assurer que la façon dont la décision étrangère a été élaborée est conforme aux principes jugés essentiels en la matière, en d'autres termes que la procédure étrangère présente une qualité suffisante. Nul besoin, pour cela, de s'assurer que la loi de procédure étrangère a bien été respectée. Il suffit de vérifier que le déroulement du procès à l'étranger s'est effectué en conformité avec les exigences de l'ordre public procédural. Tel est le sens de l'arrêt Bachir qui, s'il abandonne formellement l'exigence de régularité de la procédure suivie à l'étranger, lui substitue celle de la conformité de cette procédure à l'ordre public procédural français (v. ss 421).
Conformité de la loi appliquée à la règle de conflit française
425
La condition de conformité de la loi appliquée par le juge étranger à la règle de conflit française est sans doute celle qui a provoqué les remous les plus importants dans la doctrine. La légitimité de l'exigence a été maintes fois contestée : comment pouvait-il être possible que l'arrêt Munzer, tout en posant le principe de prohibition de la révision au fond, exige que le tribunal étranger ait appliqué « la loi compétente d'après les règles françaises de conflit » ? La diversité des règles de conflit de lois, même si on peut souhaiter la réduire, n'est pas choquante en soi, et il est donc parfaitement légitime que le juge étranger ait appliqué la loi substantielle désignée par sa propre règle de conflit. L'exigence ne se comprend même pas d'un point de vue substantiel, puisque la jurisprudence française a pu juger la condition remplie dès lors que le juge étranger avait mis en œuvre un rattachement identique à celui retenu par la règle de conflit française, et cela alors même qu'il aurait fait une application à nos yeux erronée de la loi ainsi désignée (Civ. 1re, 24 nov. 1965, Loesch, Rev. crit. DIP 1966. 289, note P. Lagarde).
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La jurisprudence avait d'ailleurs elle-même atténué la portée de la condition par le tempérament de l'équivalence : elle jugeait ainsi régulière, quoi qu'elle n'ait pas appliqué la loi désignée par la règle de conflit française, la décision étrangère parvenant au résultat qui aurait été celui obtenu en application de la loi compétente. Mais, formellement, la condition était maintenue et la Cour de cassation y affirmait régulièrement son attachement.
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En 2006 toutefois, un premier infléchissement se dessinait : la Cour de cassation, dans l'arrêt Enfant Viola (Civ. 1re, 4 juill. 2006, Rev. crit. DIP 2007. 413 ; ibid. 422 la note de B. Ancel et H. Muir Watt), reprenait certes la condition mais sous une forme novatrice, indiquant qu'il convenait de vérifier si le jugement étranger avait été rendu en application de la loi appropriée. La substitution du terme de « loi appropriée » à celui de « loi compétente d'après les règles françaises de conflit » n'est pas
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passée inaperçue car elle donnait à penser que le contrôle de la loi appliquée pourrait se faire dorénavant avec plus de souplesse. La solution avait d'indéniables avantages en ce qu'elle permettait de maintenir un contrôle parfois bienvenu, notamment en présence de lois de police du for (la condition de conformité de la loi appliquée au droit international privé français autorisant à refuser de reconnaître des décisions qui auraient été rendues par application d'une loi étrangère alors qu'une loi de police française voulait s'appliquer), tout en en gommant les excès. Pourtant, moins d'un an plus tard, la Cour de cassation décidait finalement, avec l'arrêt Cornelissen du 20 février 2007 (v. rubrique Documents), la suppression pure et simple de la condition, anticipant ainsi de quelques mois l'évolution de la jurisprudence de la Cour EDH laquelle devait affirmer, dans un arrêt Wagner du 28 juin 2007 (v. rubrique Documents), que le refus de reconnaissance, par le Luxembourg, d'une décision étrangère d'adoption motifs pris du non-respect de la règle de conflit de lois luxembourgeoise, viole le droit au respect de la vue familiale consacré par l'article 8 CEDH. Si la suppression de la condition paraît donc bien acquise dans son principe, sa portée reste sans doute encore à mesurer (v. par ex., faisant un détour par la règle de conflit pour refuser la reconnaissance d'un jugement étranger d'adoption : Civ. 1re, 9 mars 2011, n o 09-72.371, JDI 2011. 967, obs. S. Godechot-Patris et J. Guillaumé ; D. 2012. 1239, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. jault-Seseke). En conclusion, en l'état actuel du droit positif, une décision de justice est susceptible de produire ses effets juridictionnels en France lorsqu'elle remplit trois conditions de régularité : – la compétence du juge étranger ; – la conformité à l'ordre public international ; – et, l'absence de fraude (à la loi ?). Mais cela ne suffit pas. Ces conditions doivent pouvoir être vérifiées dans le cadre d'une procédure diligentée en France, aux termes de laquelle la décision sera officiellement « accueillie » dans l'ordre juridique français. Ce sont les règles qui régissent l'accueil des décisions étrangères régulières qui seront à présent envisagées.
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B. Accueil des décisions étrangères régulières Les modalités tout comme les conditions d'accueil des décisions étrangères varient principalement en fonction de l'effet recherché en France, et marginalement de la nature de la décision étrangère considérée (sur le traitement spécifique longtemps réservé aux jugements déclaratifs patrimoniaux, v. rubrique Débat). On l'a vu, le droit français a progressivement substitué à l'exigence d'exequatur un mécanisme de reconnaissance de plano en France des principaux effets des décisions régulièrement rendues à l'étranger : l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée. L'extension de la reconnaissance (1) n'a cependant pas conduit à un abandon total de la procédure d'exequatur, qui reste imposée au moins pour voir conférer force exécutoire à la décision étrangère (2).
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1. Reconnaissance des décisions étrangères La reconnaissanceQ est le procédé tendant à voir constater l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée d'une décision étrangère, mais pas sa force exécutoire. Ainsi, une personne régulièrement divorcée à l'étranger peut jouir de son statut de
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a. 431
Voies procédurales aux fins de reconnaissance des décisions
Il existe trois moyens d'ordre procédural pour obtenir que soit officiellement consacrée ou exclue la reconnaissance, par l'ordre juridique français, d'une décision de justice étrangère, en tout ou en partie (la reconnaissance partielle est en effet possible) : l'action en inopposabilité, l'action en opposabilité, et la reconnaissance incidente. 1. Action en inopposabilité
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L'action en inopposabilitéQ est celle qui tend à faire constater qu'une décision étrangère ne peut produire le moindre effet en France, parce qu'elle ne remplit pas les conditions exigées pour sa reconnaissance. Cette action est une action dénégatoire, à propos de laquelle la jurisprudence a sans difficulté reconnu l'intérêt à agir du demandeur en inopposabilité : en effet, puisque la décision étrangère déploie ses effets de plano en France, une des parties à cette décision a nécessairement intérêt à faire constater qu'elle ne remplit pas les conditions de reconnaissance pour s'assurer qu'aucune conséquence juridique n'en sera tirée dans l'ordre juridique français. La jurisprudence française vérifie cependant que l'intérêt à agir est légitime, et décide traditionnellement que la partie qui a saisi le tribunal étranger du litige ne peut, par la suite, exercer l'action en inopposabilité en France, au moins lorsqu'elle est à l'origine de l'irrégularité. Ainsi, le demandeur qui aurait saisi un juge indirectement incompétent et obtenu de ce juge une décision ne pourrait, ultérieurement, s'opposer à la reconnaissance de cette décision en France, motif pris de l'incompétence du juge étranger. 2. Action en opposabilité
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divorcé en France sans avoir à solliciter formellement l'accueil de la décision étrangère de divorce en France par le biais d'une procédure d'exequatur. En revanche, si la décision de divorce a prononcé une condamnation pécuniaire contre l'un des époux, l'autre ne pourra pas en obtenir l'exécution forcée sur le territoire français sans passer, au préalable, par une procédure d'exequatur. La reconnaissance, on l'aura compris, ne suppose pas en principe une action en justice, puisqu'elle s'opère le plus souvent de plano : la décision étrangère déploie instantanément son efficacité substantielle et son autorité de chose jugée en France. Néanmoins, une action en justice peut parfois être nécessaire. En effet, la reconnaissance d'une décision étrangère en France reste en toute hypothèse subordonnée à sa régularité internationale. Or il peut exister un doute sur cette régularité. Dès lors, la personne qui a obtenu une décision de divorce à l'étranger peut vouloir, avant de se remarier en France, s'assurer que sa décision de divorce y est bien reconnue. À l'inverse, l'époux qui conteste la régularité de la décision de divorce obtenue à l'étranger par son conjoint peut vouloir faire officiellement constater cette irrégularité en France, pour que son statut d'époux ne puisse y être contesté. Des voies procédurales existent donc pour que la reconnaissance d'un jugement étranger soit opérée en justice. Ces voies procédurales seront présentées (a), puis il conviendra de lister les conditions de reconnaissance (b).
L'action en opposabilitéQ est celle qui tend à faire constater qu'une décision étrangère produit son efficacité substantielle en France et y est revêtue de l'autorité de la chose jugée, parce qu'elle remplit les conditions exigées pour sa reconnaissance. Il s'agit là encore d'une action déclaratoire, pour l'exercice de laquelle la question de l'intérêt à
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3. Reconnaissance incidente
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agir se pose avec plus d'acuité, car elle n'a pour but que de confirmer la régularité d'une décision qui produit déjà des effets en France, en vertu du principe de reconnaissance de plano. La Cour de cassation a toutefois tranché en faveur de sa recevabilité, en précisant que l'action en exequaturQ est une action qui peut être exercée « à toutes fins utiles ». Ainsi, action en inopposabilité et action en opposabilité ne sont-elles en réalité que des variantes de l'action en exequatur, dont elles épousent le régime procédural. La reconnaissance incidenteQ, enfin, est le procédé qui permet de faire constater à un juge français quelconque (pas seulement le juge de l'exequatur), saisi d'un litige principal, qu'une décision étrangère peut être reconnue en France car elle répond aux conditions de reconnaissance. À titre d'exemple, dans le cadre d'une action principale en divorce intentée en France par l'un des époux, le juge du fond saisi de la demande pourra s'assurer qu'une décision étrangère d'annulation du mariage, produite par l'autre époux pour s'opposer à la demande de divorce, remplit les conditions nécessaires pour être reconnue en France et justifier donc le rejet, voire l'irrecevabilité, de la demande de divorce.
b.
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Conditions de reconnaissance des décisions
Évidemment, pour pouvoir être reconnue en France, une décision étrangère doit en premier lieu être internationalement régulière. Mais cela n'est pas suffisant. La reconnaissance d'une décision étrangère, même régulière, ne doit pas conduire l'ordre juridique d'accueil à l'incohérence. Aussi la règle est-elle qu'une décision étrangère ne peut, serait-elle même régulière, être reconnue dans l'ordre juridique français qu'à la condition de ne pas être inconciliableQ avec une autre décision qui y produit déjà ses effets. Pour reprendre l'exemple précédent, une décision de divorce étrangère ne peut être reconnue en France si une décision définitive d'annulation du mariage y a déjà été rendue, et cela même si la décision étrangère de divorce a été prise avant le prononcé de la décision d'annulation en France. On considère usuellement que sont inconciliables les décisions dont les conséquences juridiques s'excluent mutuellement. Ainsi, si le jugement d'annulation du mariage et celui de divorce sont compatibles en ce qu'ils prononcent pour l'avenir la dissolution du mariage, ils ne peuvent être conciliés en ce que l'un — le jugement d'annulation — retient que les époux n'ont jamais été mariés, tandis que l'autre — le jugement de divorce — considère que ces époux ont bien été mariés pendant une période de temps donnée et en tire des conséquences.
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2. Exequatur des décisions étrangères Dès lors que l'effet recherché d'une décision étrangère est la force exécutoire, il est impératif — quelle que soit la nature de cette décision — d'obtenir la délivrance d'un exequatur par le biais d'une procédure d'exequatur. L'exequatur est l'acte qui confère force exécutoire, dans l'ordre juridique français, à une décision étrangère. Mais parce que la Cour de cassation a qualifié l'action en opposabilité d'action en exequatur « à toutes fins utiles », il est permis de considérer d'une façon plus générale que l'action en exequatur est l'action tendant à voir reconnaître tout ou partie d’une décision étrangère en France dans tous ses effets, y compris sa force exécutoire. La différence tient à ce que l'exercice d'une action en exequatur est indispensable pour conférer à une décision étrangère la force exécutoire, tandis qu'il est seulement facultatif pour
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a.
Conditions d'exequatur
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faire produire à une décision son efficacité substantielle et son autorité de chose jugée (sous réserve là encore du régime particulier des jugements déclaratifs patrimoniaux, v. rubrique Débat). Les conditions de l'action en exequatur seront présentées (a) avant que la procédure même ne soit envisagée (b).
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Pour pouvoir être revêtue de l'exequatur, une décision étrangère doit en premier lieu remplir les conditions requises pour sa reconnaissance. L'exequatur confère à la décision, en même temps que la force exécutoire, l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée. La décision étrangère doit donc non seulement être internationalement régulière, mais aussi ne pas être inconciliable avec une décision qui produit déjà ses effets en France.
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Mais pour que l'exequatur puisse conférer à la décision étrangère force exécutoire, une condition complémentaire est requise. La décision étrangère ne peut produire en France plus d'effets qu'elle n'en produit à l'étranger. Il faut donc, pour lui conférer force exécutoire en France, s'assurer de son caractère exécutoire à l'étranger.
b.
Procédure d'exequatur
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Il n'y a pas lieu d'entrer dans les détails processuels de l'action en exequatur, très largement communs aux actions en opposabilité et en inopposabilité. Il suffit de retenir que l’exequatur est normalement délivré dans le cadre d’une procédure spécifique, l’action principale en exequatur, relevant de la compétence du tribunal de grande instance statuant à juge unique, et que la procédure d'exequatur est en principe une procédure contentieuse : le demandeur en exequatur doit donc assigner la ou les autres parties au jugement étranger pour que celles-ci puissent le cas échéant, selon la nature de l'action intentée, contester ou au contraire alléguer que les conditions d'exequatur sont remplies. Il faut toutefois relever une décision récente de la Cour de cassation (Civ. 1re, 10 janv. 2018, n o 16-20.416, D. 2018. 982, obs. F. JaultSeseke) qui ouvre la porte, de façon assez novatrice, à une demande incidente en exequatur. La mise en œuvre de cette voie procédurale devrait néanmoins rester strictement cantonnée à des hypothèses où, comme dans l’espèce considérée, l’exequatur n’est pas demandé pour revêtir la décision étrangère de la force exécutoire, mais pour lui attacher d’autres effets concrets (par ex. comme dans la décision considérée, l’arrêt des poursuites individuelles contre un débiteur).
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Sur la recevabilité, outre les conditions traditionnelles liées à la qualité et à l'intérêt à agir (v. ss 432 et v. ss 433 pour les actions en opposabilité et en inopposabilité), il est essentiel de rappeler que la production de la décision étrangère dont l'exequatur est demandé est une condition de recevabilité de la demande. Il faut en effet que le juge français puisse vérifier la régularité de cette décision.
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Enfin, à propos de ce contrôle, il est intéressant de dire quelques mots de l'instance en exequatur, et notamment de l'office du juge en la matière : le juge de l'exequatur ou le juge du fond opérant un contrôle incident doit-il ou peut-il, quand les parties n'élèvent pas de contestation formelle sur la décision étrangère, relever d'office les moyens faisant obstacle à la délivrance de l'exequatur ? En l'état d'une jurisprudence peu lisible et d'une doctrine divisée, il est permis de synthétiser peu ou prou les solutions de la façon suivante : le juge de l'exequatur doit, comme les autres juges, respecter l'article 12 du Code de procédure civile qui lui impose de trancher le litige
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
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conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il lui revient donc de contrôler, au besoin d'office et au moins au regard des éléments qui sont dans le débat, si la décision étrangère soumise à reconnaissance ou à exequatur en remplit les conditions. Néanmoins, l'article 12 prévoit la possibilité pour les parties de lier le juge dans les matières où elles ont la libre disposition de leurs droits. Dans ces matières donc, et par exception, le juge devrait s'abstenir de relever d'office les moyens faisant obstacle à l'exequatur. Ainsi, si une entreprise française a été condamnée à des dommages-intérêts pour inexécution contractuelle par un juge étranger incompétent, et qu'elle n'entend pas contester cette décision en France — ce pour quoi elle peut avoir ses raisons, d'ordre commercial —, il n'est pas souhaitable que le juge français relève d'office la cause d'irrégularité tirée de l'incompétence du juge étranger. Cette approche connaît toutefois elle-même une limite : la préservation de l'intérêt privé des parties s'arrête là où commence celle de l'intérêt public ; et l'on ne voit pas comment un juge français pourrait ne pas relever d'office l'irrégularité d'une décision étrangère ayant condamné une entreprise française à exécuter un contrat illicite, par exemple un contrat de vente de produits stupéfiants. Même dans le domaine des droits disponibles, donc, il conviendrait de distinguer l'office du juge en fonction de la nature de la condition violée : les conditions d'intérêt privé (absence de lien caractérisé entre le litige et la juridiction saisie, ordre public de protection, certaines fraudes) ne devraient pas être relevées d'office, tandis que les conditions d'intérêt public (compétence exclusive française, ordre public de direction) devraient en toute hypothèse l'être. Qu'en est-il à présent lorsque l'une des parties à l'instance d'exequatur émet une contestation formelle à la délivrance de celui-ci ? Il s'agit ici de déterminer qui, du demandeur ou du défendeur en exequatur, doit établir la régularité/l'irrégularité de la décision étrangère soumise au contrôle du juge français. Là encore, les solutions positives comme doctrinales ne sont pas fermement établies. La réponse à cette question dépend finalement d'une alternative : soit l'on considère que la décision étrangère bénéficie — ainsi que le laisse entendre le principe de la reconnaissance de plano — d'une sorte de présomption de régularité, si bien qu'il revient au défendeur à l'exequatur d'établir que la décision est irrégulière ; soit on juge au contraire que la décision étrangère ne bénéficie pas d'une telle présomption, justifiant que le demandeur doive, dès lors que le défendeur conteste une condition de régularité, établir que la condition contestée est bien remplie. Le droit positif paraît plutôt pencher en faveur de la première analyse : « une décision de divorce étrangère est dotée de plein droit d'efficacité en France, sous réserve de l'exécution forcée, et c'est à celui qui invoque l'irrégularité de la décision d'en faire la preuve » (Civ. 1re, 19 janv. 1983, Rev. crit. DIP 1984. 492, note P. Mayer).
§
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2 Les décisions étrangères internationalement irrégulières
Lorsqu'une décision étrangère n'est pas régulière, elle ne peut être revêtue en France ni de l'efficacité substantielle, ni de l'autorité de chose jugée, ni de la force exécutoire, car ces effets sont réservés aux décisions de justice reconnues comme telles. Pour autant, la décision irrégulière n'en a pas moins une existence bien tangible et
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elle a pu produire des effets à l'étranger. Dès lors, il n'est pas possible de l'ignorer totalement. Le droit français lui reconnaît donc certains effets, mais qui ne sont pas propres aux décisions de justice. On distingue la force probante et l'effet de titre (A), l'effet persuasif (B) et l'effet de fait (C).
A. Force probante et effet de titre 444
Régulière ou non, la décision de justice étrangère constitue — au moins sur certains points — une constatation officielle opérée par une autorité publique. Ainsi, même si l'on peut choisir d'ignorer l'aspect décisionnel du jugement, « l'instrumentum » que constitue cet acte public n'en reste pas moins revêtu d'une force probante particulière. Le juge étranger a pu procéder à des constatations de fait — l'immeuble n'est pas étanche ; aucun contrat n'a été produit —, ou recueillir les déclarations de tiers — le témoin indique que M. X n'a pas respecté le feu rouge. Ces éléments peuvent être extraits de la décision étrangère, pour être utilisés comme éléments de preuve dans une procédure diligentée devant les tribunaux français. Mais il importe de soigneusement distinguer les constatations personnelles du juge étranger, qui sont revêtues de la force probante, de ses appréciations qui, puisque la décision étrangère ne produit pas d'effets juridictionnels en France, doivent être ignorées. Dès lors que le juge étranger quitte le terrain de la constatation, pour entrer sur celui de l'appréciation des éléments de preuve — aucun contrat n'a été produit, donc il n'y a pas eu d'accord entre les parties —, la force probante n'est plus en cause et ne peut donc être invoquée.
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On peut rattacher à la force probante un autre effet que les jugements étrangers, même irréguliers, produisent parfois : l'effet de titre. Lorsqu'une décision étrangère confère un titre juridique à une personne, ce titre peut lui être reconnu en France ; ainsi, celui qui s'est vu judiciairement reconnaître une créance à l'étranger peut-il déclarer cette créance dans une procédure collective ouverte en France, la décision étrangère établissant sa qualité de créancier. Il s'agit d'un avatar de la force probante, dans la mesure où l'on considère que la décision étrangère « prouve » l'existence du titre ; mais l'effet de titre se distingue de la force probante, selon l'exacte formule de MM. Mayer et Heuzé, en ce « qu'il porte sur l'état du droit consacré, non sur les faits dont il a été déduit » (op. cit., no 471).
B. Effet persuasif 446
L'effet persuasif reconnu à un jugement étranger recouvre l'hypothèse de « prise en considération » de ce jugement par le juge français. Sans proroger l'effet de la décision étrangère en France, le juge français se fonde partiellement sur cette décision pour établir sa propre conviction dans une affaire dont il est saisi à titre principal. La décision étrangère constitue donc l'un des éléments pris en compte par le juge français pour prononcer sa propre décision. Par exemple, le juge français, saisi d'une demande de changement de prénom, doit en application de l'article 60 du Code civil apprécier l'intérêt légitime du demandeur. La Cour de cassation a pu considérer que l'existence d'une décision étrangère autorisant un tel changement de prénom caractérise cet intérêt légitime, de sorte que le juge français doit à son tour, dans une décision française et en application de la loi française, autoriser ce changement (Civ. 1re, 25 oct. 2005, no 03-10.040).
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C. Effet de fait
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Cet effet est à la fois celui qui est le plus fréquemment attribué aux décisions étrangères irrégulières, et le plus difficile à cerner. En pratique, c'est en réalité l'effet de fait de l'exécution de la décision étrangère qui est le plus souvent pris en compte. L'exécution d'une décision étrangère induit en effet une modification de l'ordonnancement juridique, mais aussi une modification des prérogatives de fait qui découlent de la modification des prérogatives de droit. Ainsi, en présence d'une décision étrangère, irrégulière, opérant transfert de propriété avec dépossession, le juge français peut éventuellement refuser d'admettre que le propriétaire d'origine n'a plus la propriété du bien litigieux, mais il devra au moins reconnaître qu'il n'en a plus la possession. Il évitera donc de le condamner à mettre ce bien à la disposition d'un tiers. Le juge français peut également tenir compte du versement d'une somme d'argent à l'épouse, réalisée en exécution d'une décision de justice étrangère, pour apprécier l'existence d'une disparité entre les époux, condition d'attribution d'une prestation compensatoire (Civ. 1 re, 4 mai 2011, no 10-14.142, D. 2011. 1347 ; ibid. 2012. 1239, H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke). Au-delà de cette prise en compte des conséquences tangibles de l'exécution de la décision étrangère, dont on comprend qu'elle ne dépende pas de la régularité internationale de cette dernière, prise comme « un fait » dont la matérialité s'impose à tous, on constate dans la jurisprudence contemporaine française une tendance nette à étendre « l'effet de fait » d'une décision étrangère pour en couvrir certains aspects pourtant substantiels. À titre d'exemple, c'est en se fondant sur « l'effet de fait » d'une décision étrangère que les juges français ont pu admettre, sans autre examen, la qualité d'une partie à agir en contrefaçon, motif pris que les juges étrangers avaient statué sur la cession des droits d'auteurs et jugé que la partie demanderesse en avait acquis la titularité (Civ. 1 re, 22 janv. 2009, Rev. crit. DIP 2009. 533, note H. Muir Watt). Cette approche apparaît très contestable. On voit bien que c'est en réalité un effet substantiel de la décision qui est pris en compte, sous couvert d'effet de fait, ce que la Cour de cassation semble avoir finalement reconnu en opérant un revirement ultérieur de l'arrêt précité (Civ. 1 re, 22 mars 2012, n o 09-68.067, Bull. civ. I, no 61 ; Rev. crit. DIP 2012. 894, note S. Bollée ; JCP 2012. 669, note T. Azzi). Évidemment, une décision étrangère ne devrait produire d'effets substantiels en France qu'à la condition qu'il puisse être vérifié qu'elle y remplit les conditions de reconnaissance. Le recours à « l'effet de fait » apparaît donc parfois comme un expédient permettant de contourner les exigences posées pour la reconnaissance des décisions étrangères en France. Il participe, à cet égard, au mouvement général de libéralisation de l'accueil en France des décisions étrangères, encore accentué dans les relations avec les États membres de l'Union européenne.
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section
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Parce que la confiance est, entre États membres de l'Union européenne, renforcée, la circulation des décisions de justice est facilitée d'un État à un autre. La justice des États membres est réputée être une justice de qualité ; il n'y a donc pas lieu de contrôler trop strictement les décisions émanant des tribunaux de ces États. Le régime de circulation des décisions de justice entre États membres est ainsi doublement favorable : faveur du régime « général » qui s'applique en matière civile et commerciale, tout d'abord — ce régime, institué par la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, a été successivement libéralisé par le règlement n o 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I, et par le règlement no 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis — ; faveur, ensuite, des régimes spéciaux institués par les règlements dans les matières matrimoniale, de responsabilité parentale, alimentaire, d'insolvabilité, successorale, de régimes matrimoniaux ou encore d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. L'étude du régime de reconnaissance et d'exécution des décisions dans ces domaines spécifiques étant largement renvoyée à la partie spéciale, seul le régime institué en matière civile et commerciale par le système Bruxelles sera étudié dans cette partie générale. Négligeant la convention de Bruxelles de 1968 qui ne trouve plus guère à s’appliquer, on envisagera de façon comparative le régime issu du règlement Bruxelles I, et celui institué par le règlement Bruxelles I bis qui s’applique aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées postérieurement au 10 janvier 2015 (art. 66-2 Règl. BI bis). On montrera comment ce système assure la libre circulation des décisions de justice, par la définition de conditions allégées de reconnaissance et d’exécution (§ 1), combinées à un principe de reconnaissance de plein droit des décisions (§ 2) et à un régime d’exécution très favorable (§ 3).
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Effets des jugements prononcés par les juridictions des États membres de l'Union européenne
1 Des conditions de contrôle allégées
Une décision de justice rendue par les juridictions d'un État membre de l'Union européenne ne peut jamais faire l'objet d'une révision au fond (art. 36 Règl. BI, art. 52 Règl. BI bis). Le contrôle auquel sa reconnaissance et/ou son exécution peuvent être le cas échéant subordonnées ne peut porter que sur deux principaux points, conçus de façon restrictive. La décision ne doit pas être jugée contraire à l'ordre public de l'État membre requis de lui faire produire effet (A) ; et elle ne doit pas être inconciliable avec une décision qui y produit déjà ses effets (B). La compétence du juge d’origine n’est en revanche normalement pas vérifiée, sauf de façon très exceptionnelle (C).
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
A. Conformité à l'ordre public de l'État requis
1. Ordre public de fond
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Il ressort des articles 34 et 45 du règlement Bruxelles I, ainsi que des articles 45 et 46 du règlement Bruxelles I bis, qu'une décision émanant d'un État membre n'est pas reconnue ou exécutée sur le territoire des autres États membres si : – elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; – ou si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre. Formellement, seule la première condition renvoie à l'ordre public. Mais la seconde y est également relative, car elle tend à préserver les droits de la défense. Il est donc nécessaire de cerner ce que recouvre, au sens des règlements, le contrôle au regard de l'ordre public de fond (1), et le contrôle au regard de l'ordre public de procédure (2).
Chaque État membre peut en principe imposer, pour la reconnaissance et l'exécution des décisions des autres États membres, le respect de son ordre public international de fond. La condition ne semble pas différente de celle posée en droit commun (v. ss 419 s.). Une spécificité doit cependant être observée, car les États membres sont soumis, dans la mise en œuvre du droit de l'Union européenne, au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. En effet celle-ci, pour éviter que les objectifs du droit de l'Union européenne ne soient remis en cause par une conception trop large par les États de leur ordre public international, a jugé qu'il lui revenait de veiller au respect de certaines limites : l'ordre public de l'État requis ne peut être opposé par celui-ci qu'en présence d'une « violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle ou d'un droit reconnu comme fondamental » (CJCE 28 mars 2000, Krombach, v. rubrique Documents). Ainsi, non seulement la Cour de justice de l'Union européenne entend-elle contrôler le contenu de l'ordre public opposé à l'accueil d'une décision — seuls une règle de droit essentielle ou un droit fondamental peuvent être invoqués —, mais encore prétend-elle vérifier l'ampleur de la violation, seule une violation « manifeste » pouvant constituer un motif légitime de refus de reconnaissance. Il est vrai qu'il serait vain de mettre en place un régime de faveur, si les États pouvaient, par le biais du contrôle de conformité à l'ordre public, réintroduire les limites qu'ils imposent dans leur droit commun.
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2. Ordre public de procédure
Formellement, l'article 34 du règlement Bruxelles I et l’article 45 du règlement Bruxelles I bis ne réservent pas la condition de conformité de la décision étrangère à l'ordre public procédural de l'État requis. Ils ne reprennent qu'un élément de cet ordre public procédural dans leur point 2o : le défendeur doit en principe avoir reçu signification de l'acte introductif d'instance en temps utile pour préparer sa défense. Encore la portée de cette règle, qui vise à garantir le respect du principe du contradictoire, est-elle doublement limitée, puisqu’elle ne fait obstacle à la reconnaissance et/ou à l’exécution de la décision que si d’une part le défendeur était défaillant, et d’autre part qu’il était privé de voie de recours dans l’État d’origine. Par ailleurs, si le respect du contradictoire est une composante importante de l'ordre
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public procédural, elle est loin de le couvrir intégralement : quid de l'exigence de motivation ? quid de l'impartialité du juge ? Faut-il comprendre, dès lors, que le règlement n'autorise le contrôle du respect de l'ordre public procédural que sous l'angle de l'assignation en temps utile, et exclut que toute autre considération processuelle fondamentale puisse être opposée à la reconnaissance d'une décision émanant d'un État membre ? Cette interprétation était d'autant moins envisageable que l'Union européenne s'est officiellement engagée à respecter la Convention EDH, et que, on l'a vu, la Cour européenne des droits de l'homme a imposé aux signataires de ce texte d'en contrôler le respect au stade de l'accueil des décisions de justice étrangères (arrêt Pellegrini, préc.). Aussi n'est-il pas étonnant que, suivant d'ailleurs en cela la Cour de cassation française (Civ. 1 re, 16 mars 1999, Pordea, Rev. crit. DIP 2000. 223), la Cour de justice de l'Union européenne ait affirmé dans l'arrêt Krombach (v. rubrique Documents) que, nonobstant les dispositions spéciales relatives à l'assignation en temps utile, les États membres peuvent contrôler la conformité des décisions aux principes de procédure essentiels dans le cadre du contrôle de conformité à l'ordre public envisagé par l'article 34-1 du règlement Bruxelles I. Cette solution s’impose aujourd'hui d’autant plus qu’elle s’appuie désormais sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que l’a jugé la CJUE. Mais paradoxalement, l’article 47 de la Charte peut également avoir un effet réducteur sur le contrôle de conformité à l’ordre public procédural. C’est ce qui ressort d’un arrêt Meroni (v. rubrique Documents) rendu par la CJUE le 25 mai 2016, qui énonce que les droits des tiers doivent être principalement exercés dans l’ordre juridique d’origine et n’ont donc pas à être protégés dans l’État d’accueil par le biais de l’exception de contrariété à l’ordre public. Cette logique, que la CJUE prétend déduire de l’article 47 de la Charte, peut ne pas susciter l’adhésion dans la mesure où elle va au-delà de l’esprit du règlement Bruxelles I/I bis, qui n’a pas souhaité concentrer le contentieux dans le seul État d’origine, et où elle vide l’exception de contrariété à l’ordre public procédural d’une partie de sa substance. Elle a pourtant été réaffirmée par la CJUE quelques mois plus tard dans un arrêt Lebek (CJUE 7 juill. 2016, v. rubrique Documents).
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B. Absence d'inconciliabilité avec une décision produisant ses effets dans l'État requis 454
Une décision ne sera pas reconnue si elle est inconciliable avec soit une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis, soit une décision antérieurement rendue entre les mêmes parties dans un autre État, dès lors que cette décision remplit les conditions pour être reconnue dans l'État requis. Le règlement tire donc toutes les conséquences du principe de reconnaissance de plano qu'il consacre et que consacre également le droit commun de nombreux États membres. Aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, l'inconciliabilité est acquise lorsque les conséquences juridiques des deux décisions s'excluent mutuellement.
C. Contrôle limité de la compétence indirecte 455
La compétence du tribunal d'origine de la décision présentée à la reconnaissance ou à l'exécution n'est en principe pas contrôlée par le tribunal requis. Ce principe est
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posé de façon nette par les règlements (art. 35-3 Règl. BI ; art. 45-3 Règl. BI bis). La raison en est simple, même si elle n'est peut-être pas totalement convaincante : tout tribunal incompétent selon les termes du règlement devant se déclarer incompétent — sauf prorogation expresse ou tacite de sa compétence par les parties —, aucune décision ne devrait jamais, dans le système européen, émaner d'un tribunal incompétent, en sorte que la vérification est inutile. Cette logique n'est pourtant pas absolue, puisque le règlement prévoit des dérogations au principe. Dans certaines hypothèses limitativement énumérées, le tribunal requis peut refuser de reconnaître un jugement, motif pris de l'incompétence de la juridiction d'origine. Tel est le cas si le juge d’origine a méconnu : - les règles de compétence exclusives instituées par les articles 22 du règlement Bruxelles I ou 24 du règlement Bruxelles I bis ; - les règles de compétence protectrices des parties faibles (assuré/preneur ou bénéficiaire du contrat d’assurance, consommateur, travailleur) lorsque la partie faible était défenderesse (à noter : le règlement Bruxelles I bis étend le bénéfice de cette protection, instituée au stade de l’appréciation de la compétence indirecte, au travailleur, qui en était curieusement exclu par le règlement Bruxelles I). L'exclusivité de compétence reconnue aux juridictions désignées par une clause attributive de juridiction ne justifie en revanche pas un refus de reconnaissance des décisions rendues par un juge exclu par la clause. En effet, c’est au stade de l’instance directe que cette compétence est protégée, si le défendeur soulève l’exception d’incompétence. À défaut, celui-ci est réputé avoir implicitement admis la compétence du juge saisi en violation de la clause.
§
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2 Une reconnaissance de plein droit
Toute décision de justice, quelle que soit sa nature, peut faire l'objet d'une reconnaissance si elle remplit les conditions précédemment exposées. La reconnaissance s'opère normalement de plano, aux termes de l'article 33 du règlement Bruxelles I (art. 36 Règl. BI bis). Les jugements rendus par les juridictions des États membres produisent donc leur efficacité substantielle et leur autorité de chose jugée dans les autres États, sans qu'il soit besoin d'exercer une action en justice à cet effet. La reconnaissance peut toutefois également faire l'objet d'une procédure principale « en opposabilité », destinée à faire constater « l’absence de motifs de refus de reconnaissance » ; cette action sera alors calquée sur la procédure aux fins de refus d'exécution (v. ss 462). La reconnaissance peut encore faire l'objet d'une constatation incidente.
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Dans le cadre du règlement Bruxelles I, la question s'était posée de savoir si une action en inopposabilité pouvait être exercée pour faire constater l’absence d’effet de plano d’une décision violant les conditions de reconnaissance, le règlement ne faisant aucune allusion à cette action. La doctrine tendait à considérer que cette action était possible, mais qu'elle devait être conduite selon les règles procédurales prévues par le droit commun. Le règlement Bruxelles I bis confirme la possibilité d’exercer une action en inopposabilité, et précise que cette action doit être conduite selon la procédure prévue pour faire opposition à l’exécution (art. 45-4 Règl. BI bis).
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Pour la France, une circulaire du 12 février 2015 précise les juridictions compétentes pour connaître de ces recours relatifs à la reconnaissance, qu’il s’agisse des demandes en constatation d’absence de motifs de non-reconnaissance (action « en opposabilité ») ou des demandes en refus de reconnaissance (action en inopposabilité). Il s’agit du tribunal de grande instance lorsque la demande est formée à titre principal, ou de toute juridiction saisie au fond de l’affaire au principal lorsque la demande en reconnaissance ou non reconnaissance est invoquée à titre incident.
§
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3 Une exécution facilitée
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L’exécution d’une décision de justice sur le territoire d’un autre État membre que celui qui l’a rendue est possible, à la condition première que cette décision soit revêtue, dans l’État d’origine, de la force exécutoire. Pour établir le caractère exécutoire de la décision dans son État d'origine, le demandeur à l'exécution peut produire un certificat spécifique, dont le règlement prévoit la délivrance par le tribunal d'origine (art. 54 Règl. BI ; art. 53 Règl. BI bis) et réglemente la forme (Règl. BI annexe V ; Règl. BI bis annexe I), ou tout autre document équivalent (art. 55 Règl. BI).
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Le régime de l’action permettant d’exécuter une décision d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre a beaucoup évolué, dans le sens d’une simplification toujours renforcée. En effet, si le règlement Bruxelles I exige encore une « procédure » – allégée – visant à déclarer exécutoire la décision étrangère (A), le règlement Bruxelles I bis rompt avec cette logique et consacre, sur le modèle déjà adopté par certains règlements spéciaux, la prorogation automatique de la force exécutoire de la décision nationale sur tout le territoire de l’Union (B). Par ailleurs, certaines décisions issues de procédures harmonisées à l’échelle de l’Union jouissent d’une véritable force exécutoire « européenne » (C).
A. La procédure simplifiée instituée par le règlement Bruxelles I 462
En application du règlement Bruxelles I, pour pouvoir être exécuté sur le territoire d'un État membre, le jugement rendu par les juridictions d'un autre État membre doit y avoir été déclaré exécutoire. Il faut donc nécessairement recourir à une action en justice, la procédure d’exequatur. Mais celle-ci est grandement simplifiée. Le règlement prévoit en effet que, en première instance, l'action aux fins d'exécution est une procédure sur requête : la partie qui exerce l'action n'a pas à assigner son adversaire, et « La décision est déclarée exécutoire dès l'achèvement des formalités prévues à l'article 53, sans examen au titre des articles 34 et 35 » (Règl., art. 41). L'autorité compétente — qui en France n'est d'ailleurs pas un juge mais le greffier en chef du tribunal de grande instance — ne vérifie donc, à ce stade, aucune des quatre conditions de régularité normalement requises. Il doit se borner à contrôler que le demandeur a bien produit, conformément à l'exigence de l'article 53, une expédition de la décision étrangère « réunissant les conditions nécessaires à son authenticité ». C'est dire si la procédure peut être rapide. L'acte de l'autorité délivrant la force exécutoire ne reçoit d'ailleurs pas la qualification de « décision » mais celle de « déclaration constatant la force exécutoire ».
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Les effets en France des décisions de justice étrangères
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Ce n'est que si la partie contre laquelle l'exécution est demandée — laquelle doit recevoir signification de la déclaration constatant la force exécutoire — décide de former un recours contre cette déclaration, que la procédure deviendra contradictoire. Le recours, porté en France devant la cour d'appel, est l'occasion d'un examen de régularité de la décision étrangère, dans les limites des conditions précédemment définies. Cet examen peut-il être opéré d'office ? Quoique la jurisprudence soit peu claire, la réponse de principe semble être, en droit positif, négative, eu égard à la faveur affichée pour la circulation des décisions. Il est toutefois permis de se demander s'il ne serait pas souhaitable que certaines conditions au moins soient contrôlées d'office : on peut songer, notamment, à la condition de conformité de la décision étrangère à l'article 6 de la Convention EDH, dont la Cour européenne des droits de l'homme entend voir garantir le respect par le juge de l'exequatur. Plus claire est la réponse à la question de savoir qui, de celui qui se prévaut de la décision étrangère ou de celui qui en conteste la régularité, doit en établir en justice la régularité/l'irrégularité. Parce que le contentieux est inversé, la partie qui conteste la régularité de la décision étrangère se trouve en outre en position de demandeur — c'est‑à-dire en France d'appelant. C'est donc à lui qu'il revient d'établir que la décision n'est pas régulière, ainsi que semble l'admettre le droit positif (Civ. 1 re, 28 nov. 2006, no 05-16.591, Bull. civ. I, no 519). Ce système, déjà très favorable, est remplacé dans le règlement Bruxelles I bis par un principe d'exécution des décisions « sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire » (art. 39 Règl. BI bis). La force exécutoire des décisions nationales est donc prorogée de plein droit sur l’ensemble du territoire de l’Union.
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B. Les procédés de prorogation automatique de la force exécutoire nationale sur tout le territoire de l'Union La « confiance mutuelle » entre États membres de l'Union ne doit-elle pas justifier que les décisions rendues par les tribunaux d'un État membre, dotées de la force exécutoire dans cet État d'origine, soient automatiquement revêtues de la force exécutoire dans tous les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de mettre en œuvre une action en déclaration de force exécutoire dans l'État d'accueil ? L'idée s'est progressivement imposée en Europe, tout d'abord au travers de la procédure de certificationQ. Cette procédure tend à autoriser le tribunal d'origine d'une décision à émettre, dès lors qu'il constate que certaines conditions sont remplies, une sorte de « passeport », le certificat, permettant à la décision d'être exécutée dans tous les autres États membres sans qu'aucune procédure n'y soit plus requise aux fins d'exécution. Cette procédure de certification, consacrée de façon seulement sectorielle (1), s’est vu préférer, pour sa généralisation en matière civile et commerciale par le règlement Bruxelles I bis, un principe de force exécutoire de plein droit des décisions des États membres (2).
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1. Consécration sectorielle d'une procédure de certification La première expérience de certification, qui tend en quelque sorte à « déplacer » la procédure de contrôle depuis l'État d'exécution vers l'État d'origine de la décision, a été menée dans le cadre du règlement n o 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européenQ (TEE) pour les créances incontestées. Ce texte a mis en place, en matière civile et commerciale, un système permettant d'« assurer la libre
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circulation des décisions (…) sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l'État membre d'exécution préalablement à la reconnaissance et à l'exécution » (art. 1er). Ce système ne profite qu'aux créances incontestées, que l'article 3 définit comme celles : a) que le débiteur a expressément reconnues en les acceptant ou en recourant à une transaction judiciaire ; b) auxquelles le débiteur ne s'est jamais opposé au cours de la procédure judiciaire ; c) que le débiteur a dans un premier temps contestées, avant de s'abstenir de comparaître ou de se faire représenter à l'audience, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ; d) que le débiteur a expressément reconnues dans un acte authentique. Ces créances incontestées peuvent, une fois constatées par décision de justice, être directement recouvrées dans un autre État membre, sur la seule foi d'un titre exécutoire européen délivré par le juge d'origine. La certification d'une décision de justice comme titre exécutoire européen est certes soumise à des conditions, mais il appartient au juge d'origine de les vérifier, les juridictions de l'État du lieu d'exécution n'ayant pas à être saisies. Le juge d'origine devra ainsi, pour délivrer la certification comme titre exécutoire européen, vérifier que la décision est exécutoire dans l'État d'origine, et qu'elle a été rendue dans le respect des règles de compétence protectrices des assurés et des règles de compétence exclusives instituées respectivement par les sections III et VI du règlement Bruxelles I, ou encore, si le débiteur est un consommateur, qu'elle a été rendue dans l'État membre où celui-ci a son domicile. La CJUE a récemment rappelé que la certification étant un acte de nature juridictionnelle, elle doit relever de la compétence de juge (CJUE 17 décembre 2015, aff. C-300/ 14). L’article 509-1 du code de procédure civile, qui confie l’opération de certification au greffier, n’est donc pas conforme. En outre, si la créance est incontestée au sens de l'article 3, b) ou c) du règlement, c'est‑à-dire lorsque le défaut de contestation est déduit du défaut de comparution en justice du débiteur, la certification n'est possible que si la décision a été rendue dans l'État où le débiteur a son domicile. Surtout, dans cette hypothèse, la certification ne peut être opérée qu'une fois vérifié que la procédure mise en œuvre dans l'État d'origine a permis à ce débiteur d'être informé de la procédure judiciaire le visant. À cet égard, le règlement détaille les « normes minimales applicables aux procédures relatives aux créances incontestées », dont le respect conditionne la délivrance du certificat. Sans entrer dans le détail de ces normes, on précisera qu'elles tendent à garantir que les procédés employés pour informer le débiteur de la procédure et l'y attraire étaient suffisamment sérieux, et que le défaut de comparution de ce dernier est donc dû à sa propre carence, et non à celle du créancier ou des autorités. Les commentateurs ont toutefois majoritairement jugé ces garanties insuffisantes. Une fois délivrée la certification, les États membres dans lesquels l'exécution sera recherchée ne peuvent refuser celle-ci, sauf en cas d'inconciliabilité du jugement assorti du certificat avec une décision de justice rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant la même cause, produisant des effets dans l'ordre juridique de l'État membre d'exécution, et à la condition que cette incompatibilité n'ait pas été invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l'État membre d'origine. On comprend donc que, si cette incompatibilité a été invoquée mais que le juge
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d'origine l'a écartée, sa décision s'impose aux États d'exécution qui ne pourront plus invoquer l'incompatibilité pour refuser d'exécuter le jugement étranger.
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Le règlement Obligations alimentaires du 18 décembre 2008 a franchi une nouvelle étape dans la coopération judiciaire en matière civile et commerciale en Europe. Le règlement prévoit en effet que, pour les décisions rendues dans un État membre lié par le protocole de La Haye de 2007 (qui unifie les règles de conflit de lois), l'exequatur est purement et simplement supprimé : ces décisions sont exécutoires dans les autres États membres à la seule condition d'être exécutoires dans l'État d'origine (art. 17, § 2). Le mécanisme est donc encore simplifié par rapport à la procédure de certification, puisque le contrôle spécifiquement institué dans l'État d'origine, aux fins de certification, est supprimé. Le juge de l'État d'origine est simplement tenu de remplir un formulaire dont l'objet est, principalement, d'établir que la décision est bien revêtue de la force exécutoire dans l'État d'origine. Les droits de la défense sont formellement protégés par un mécanisme a posteriori dit de réexamenQ. Cette procédure autorise le défendeur n'ayant pas comparu à demander, devant le juge de l'État d'origine, un réexamen de l'affaire s'il peut justifier qu'il n'a pas été en mesure d'assurer sa défense, soit parce que l'acte introductif d'instance ne lui a pas été notifié ou lui a été notifié tardivement, soit en raison d'un événement de force majeure ou de circonstances extraordinaires sans faute de sa part (art. 19). Aucune procédure n'est donc possible (sauf exceptions limitativement conçues) dans l'État de destination. La généralisation de ce système à l'ensemble de la matière civile et commerciale n'a heureusement pas été retenue.
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Le règlement Bruxelles II bis a également mis en place, au profit de certaines décisions rendues en matière familiale, une procédure permettant d'obtenir l'exécution d'une décision de justice, rendue par les juridictions des États membres, dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire d'y exercer une action aux fins d'exécution. Le procédé profite, conformément aux articles 40 et suivants du règlement : – aux décisions de justice ayant accordé un droit de visite de l'enfant ; – en cas d'enlèvement d'enfant, c'est‑à-dire de déplacement ou de non-retour illicite de l'enfant du fait de l'un de ses parents, aux décisions ayant ordonné le retour de l'enfant. Comme pour le titre exécutoire européen, le procédé s'articule autour d'une certification, délivrée à la décision par le juge d'origine, aux termes de laquelle ce juge atteste de ce que cette décision remplit certaines conditions. Sur la base de la certification obtenue, le bénéficiaire de la décision pourra en demander directement l'exécution dans tous les États membres, sans avoir à y suivre une procédure d'exequatur.
2. Prorogation « de plein droit » de la force exécutoire nationale en matière civile et commerciale (Règl. Bruxelles I bis) Dans le cadre des discussions entamées pour la révision du règlement Bruxelles I, la Commission semblait favorable à une suppression de l’exequatur, combinée à l’organisation d'une procédure de réexamen dans l'État d'origine, sur le modèle du système adopté par le règlement Obligations alimentaires. Cette proposition a soulevé de très fortes oppositions, tant politiques que doctrinales. La Commission
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a elle-même admis les insuffisances actuelles de la procédure de réexamen, que chaque État membre est tenu de mettre en place sans pourtant qu'un modèle harmonisé ne soit imposé par l'Union. Surtout, même s'il est vrai qu'en matière civile et commerciale les règlements Rome I (v. ss 949 s.) et Rome II (v. ss 1076 s.) ont permis l'unification des règles de conflit de lois des États membres, tandis que les notifications et significations intracommunautaires ont été facilitées (v. ss 515 s.), il reste que les procédures civiles des États membres, en revanche, n'ont pas été harmonisées en sorte qu'il apparaît difficile d'admettre l'existence d'une réelle équivalence entre justices européennes. Toutes ces raisons et oppositions expliquent sans doute que le règlement Bruxelles I bis, tout en adoptant le principe d’une prorogation de plein droit de la force exécutoire des décisions de justice nationales, aille moins loin que les instruments sectoriels évoqués.
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Le principe du caractère exécutoire de plein droit des décisions rendues par les juridictions des États membres est, on l’a souligné, consacré (art. 39). Il n’est donc plus nécessaire, pour les décisions rendues dans les actions judiciaires intentées après le 10 janvier 2015, de mettre en œuvre l'action en déclaration de force exécutoire très simplifiée organisée par le règlement Bruxelles I : le jugement étranger est immédiatement doté de la force exécutoire dans les autres États membres, tout comme il y est immédiatement reconnu, sans procédure. Pour autant, il reste possible au défendeur de contester la force exécutoire conférée de plein droit au jugement étranger en exerçant, dans l'État d'accueil (et non dans l'État d'origine comme c'est le cas pour le Règlement Obligations alimentaires), une action en opposition à exécutionQ dont l'objet est de faire constater, par les juridictions de l'État d'accueil, que le jugement ne remplit pas les conditions nécessaires à son exécution en dehors de l'État d'origine (art. 46 et s. Règl. BI bis). Les arrêts Meroni et Lebek (v. rubrique Documents) de la CJUE, rendus à propos du contrôle de la conformité à l’ordre public procédural et déjà évoqués dans ce contexte (v. ss 453), soulèvent néanmoins des interrogations car la juridiction européenne semble vouloir instaurer, à rebours de l’esprit du règlement mais en se fondant sur l’article 47 de la Charte, une concentration du contentieux dans l’État d’origine.
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Pour la France, la circulaire du 12 février 2015 précise que la juridiction compétente pour connaître des demandes de refus d’exécution est : 1) le tribunal d’instance, pour les demandes formées dans le cadre d’une saisie des rémunérations ; 2) le juge de l’exécution, pour les demandes formées à la suite des autres mesures d’exécution forcée.
C. Les procédures européennes harmonisées : une force exécutoire « européenne » 472
Trois règlements ont institué des procédures transnationales harmonisées dont la particularité est qu'elles conduisent à l'édiction, par les juridictions nationales, de décisions qui jouissent immédiatement de la force exécutoire sur l'ensemble des territoires des États membres. La première de ces procédures, intitulée Injonction de payer européenneQ, a été créée par le règlement 1896/2006 du 12 décembre 2006 (récemment modifié par un règlement no 2015/2421 du 16 décembre 2015, appl. à compter du 14 juil. 2017). Elle permet au bénéficiaire d'une créance pécuniaire incontestée d'obtenir, dans un État membre, une injonction de payer laquelle sera,
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si le débiteur ne forme pas opposition devant les juridictions de l'État d'origine, immédiatement et directement exécutoire sur tout le territoire de l'Union européenne. S'il est loisible au débiteur d'exercer la voie de recours de l'opposition dans l'État d'origine, les possibilités de refus d'exécution dans l'État d'exécution sont en revanche réduites, limitées à l'inconciliabilité des décisions (dans les mêmes conditions restrictives que pour le titre exécutoire européen) ou à la preuve du paiement antérieur par le débiteur. Le règlement s'applique depuis le 12 décembre 2008. La seconde procédure harmonisée résulte du règlement n o 861/2007 du 11 juillet 2007 (également modifié par le règlement no 2015/2421 préc.) qui institue, pour les « petits » litiges en matière civile et commerciale dont la valeur n'excède pas 2 000 euros (5 000 euros dans la version révisée), une procédure rapide. En application de cette procédure, le juge d'un État membre auquel une demande de paiement est présentée par voie de formulaire par un créancier, peut soit rejeter la demande de paiement si elle est manifestement infondée ou irrecevable, soit, après avoir invité le défendeur à prendre parti sur la demande, statuer au fond. Cette décision peut alors circuler sur le territoire communautaire dans les mêmes conditions que l'injonction de payer (v. ss 472). Les voies de recours doivent être exercées dans l'État d'origine, tandis que les possibilités de s'opposer à l'exécution dans l'État d'exécution sont restrictivement conçues. Le règlement s'applique depuis le 1er janvier 2009.
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Une nouvelle procédure harmonisée a été créée par le règlement no 655/2014 du 15 mai 2014 qui organise une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires « destinée à faciliter le recouvrement transfrontière des créances en matière civile et commerciale ». Ce règlement, applicable à partir du 18 janvier 2017, prévoit la possibilité pour le titulaire d’une créance pécuniaire en matière civile et commerciale d’opter, lorsque les comptes bancaires devant faire l’objet d’une saisie sont situés dans un autre État membre que celui de son domicile ou que celui dont le juge est saisi, pour cette procédure particulière, alternative aux mesures conservatoires nationales. L’ordonnance, rendue au terme de cette procédure et délivrée en utilisant un formulaire spécifique, présente l’avantage d’être exécutoire dans tous les États membres, « sans qu’une déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire » (art. 22), sous réserve des recours pouvant être exercés ultérieurement par le débiteur.
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Compléments pédagogiques
Mémo
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Les effets en France des décisions de justice rendues par les tribunaux des États tiers à l’Union européenne relèvent du droit commun français ; en revanche, les décisions des tribunaux des États membres de l’Union européenne jouissent d’un régime de circulation simplifié, organisé par les règlements européens, en particulier les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis. On distingue la reconnaissance, et l’exécution des jugements étrangers. La reconnaissance des jugements étrangers est le procédé tendant à conférer à ces jugements deux de leurs effets particuliers — l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée — sur le territoire d'un État différent de celui où ils ont été prononcés. La reconnaissance s'opère en principe de plein droit, en droit commun français comme en droit de l'Union européenne, ce qui signifie qu'aucune procédure n'est nécessaire pour qu'une décision étrangère puisse produire son efficacité substantielle et son autorité de chose jugée en France. Mais des actions en « reconnaissance » peuvent être intentées par les parties qui souhaitent fixer leurs droits : l'action en opposabilité et l'action en inopposabilité. Traditionnellement, les décisions de justice étrangères ne pouvaient en revanche être exécutées en France – c’est‑à-dire y produire leur force exécutoire — qu'après mise en œuvre d'une procédure judiciaire spécifique, l'action en exequatur ou en exécution. Si l’exigence d’exequatur subsiste aujourd'hui en droit commun, pour exécuter les décisions émanant des tribunaux des États tiers à l’Union, elle a été progressivement supprimée par le droit européen, pour l’exécution des décisions des tribunaux des États membres. Dans un premier temps, le règlement Bruxelles I a maintenu la nécessité de poursuivre une action en exécution, tout en simplifiant et en accélérant la procédure. Mais le règlement Bruxelles I bis a finalement, pour les décisions rendues dans les actions en justice intentées à partir du 10 janvier 2015, purement et simplement supprimé la nécessité d’obtenir une déclaration des juridictions françaises, constatant la force exécutoire en France de la décision prononcée par le tribunal d’un autre État membre. Les décisions de justice des États membres produisent donc désormais leur force exécutoire en France « de plein droit ». Il reste néanmoins possible à la personne contre laquelle l’exécution est demandée de former devant les juridictions françaises une action en opposition à exécution pour empêcher l’exécution en France d’une décision de justice d’un autre État membre. La CJUE tend toutefois à limiter le contrôle pouvant être mis en œuvre dans l’État d’accueil. Les actions en justice, qu’il s’agisse des actions en opposabilité ou en inopposabilité, des actions en exequatur ou en opposition à exécution, ont pour finalité de vérifier si la décision rendue par le tribunal étranger remplit les conditions nécessaires à sa reconnaissance ou à son exécution en France ; il faut souligner que ces conditions
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Quid
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peuvent aussi être contrôlées de façon incidente dans le cadre d’un litige principal distinct. En droit commun français, les conditions de reconnaissance sont les suivantes : la décision étrangère doit avoir été rendue par une juridiction compétente ; elle ne doit pas contrarier l'ordre public international français ; elle ne doit pas concrétiser une fraude à la loi ; et, elle ne doit pas être inconciliable avec une décision qui produit déjà ses effets dans l'ordre juridique français. Pour l’exécution, une condition complémentaire est exigée : la décision doit être exécutoire dans l’État d’origine. Ces conditions de reconnaissance et d’exécution sont allégées en droit de l'Union européenne ; en particulier, le contrôle de la compétence de la juridiction d’origine a été abandonné, puisque les États membres de l’Union appliquent les mêmes règles de compétence.
n A c t i o n e n e x e q u a t ur n o 4 33 Procédure judiciaire dont l'objet principal est de conférer force exécutoire, dans un État, à une décision de justice étrangère, après avoir vérifié qu'elle remplit les conditions exigées à cet effet. L'exequatur pouvant être exercé « à toutes fins utiles », la procédure peut également être utilisée alors que l'effet recherché n'est pas la force exécutoire, aux seules fins de reconnaissance judiciaire de la décision étrangère. n A c t i o n e n i no p p o s a b i l i t é n o 4 3 2 Action en justice dénégatoire tendant à faire constater qu'une décision étrangère ne peut produire le moindre effet en France, parce qu'elle ne remplit pas les conditions exigées pour sa reconnaissance. n Action en opposabilité no 433 Action en justice déclaratoire tendant à faire constater qu'une décision étrangère produit son efficacité substantielle en France et y est revêtue de l'autorité de la chose jugée, parce qu'elle remplit les conditions exigées pour sa reconnaissance. n A c t i o n e n o p p o s i t i o n à e x é c ut i o n n o 4 7 0 Action en justice visant à faire constater qu'une décision, revêtue de la force exécutoire, ne peut pas ou ne doit pas être exécutée. Cette action est ouverte en France notamment pour permettre aux justiciables de faire obstacle à l'exécution d'une décision rendue dans un autre État membre, décision qui se trouve revêtue de plein droit de la force exécutoire en application du règlement Bruxelles I bis. n A u t o r i t é d e c h o s e j u gé e n o 4 0 9 Qualité d'une décision de justice qui, parce qu'elle fixe définitivement l'état du droit sur une question donnée, fait obstacle à ce que la même question soit à nouveau portée devant un juge. n Certification n o 464 Procédure née du droit de l’Union européenne, par laquelle le juge d'un État membre ayant rendu une décision de justice atteste que cette décision remplit les qualités et les conditions requises pour pouvoir produire tous ses effets, y compris la force 299
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exécutoire, dans les autres États membres de l'Union européenne sans qu'il soit nécessaire de diligenter, dans ces États, de procédure aux fins d'exequatur ou d'exécution.
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n Co m p é t e n c e i n d i r e c t e n o 4 15 Compétence internationale, appréciée du point de vue du for, de la juridiction étrangère qui a rendu une décision présentée à l'exequatur ou à la reconnaissance dans l'ordre juridique du for.
n E f f i c a c i t é s u b s t a n t i e l l e n o 4 04 Effet proprement normatif d'une décision de justice, traduisant la modification des droits subjectifs que cette décision réalise, qu'elle soit constitutive (création de nouveaux droits) ou déclarative (constatation officielle de droits préexistants, leur conférant une vigueur nouvelle).
n Exequatur n o 407
Force exécutoire conférée par les juridictions françaises aux décisions étrangères, au terme de la procédure du même nom.
n Fo r ce e x éc u to i re n o 4 04
Effet d'une décision de justice qui autorise le bénéficiaire à en réclamer l'exécution, au besoin avec l'assistance de la force publique.
n For um s h o p p i n g n o 41 8
Expression renvoyant au choix, par un plaideur, du tribunal compétent ; alors que ce choix est souvent nécessaire en raison de la concurrence « naturelle » entre juridictions étatiques, l'expression est usuellement empreinte d'une connotation négative en ce qu'elle s'applique au comportement du plaideur qui exploite cette concurrence pour orienter le résultat substantiel de la procédure dans un sens qui lui est favorable.
n F r a u d e à l a co m p é t e n c e n o 4 1 8 Procédé consistant à créer artificiellement un critère de compétence (déplacement temporaire de la résidence par ex.) permettant de fonder la compétence juridictionnelle d'un juge qui n'entretient pourtant pas de liens réels avec le litige, généralement parce que l'auteur de la manœuvre escompte en tirer un avantage (la décision rendue par le juge artificiellement compétent étant plus favorable).
n F r a u d e a u j u g e m e n t n o 4 18 Procédé visant à obtenir d'une juridiction étrangère le prononcé d'une décision de justice, dans le but d'en solliciter la reconnaissance et/ou l'exécution dans un for où cette décision n'aurait pu être prononcée.
n Inconciliabilité n o 435
Caractère de deux décisions de justice incompatibles, parce que leurs conséquences s'excluent mutuellement.
n I n j o n c t i o n d e p a y e r e u r op é e n n e n o 47 2 Décision de justice visant à faire obligation au débiteur d'une créance incontestée d'en payer le montant, et bénéficiant d'une force exécutoire immédiate, dès lors qu'elle a
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été certifiée par le juge de l'État d'origine, dans tous les États membres de l'Union européenne.
n Ordre public procédural n o 419
n Re c o n n a i s s a n c e n o 43 0
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Composante de l'ordre public international intégrant les principes fondamentaux de procédure, notamment les principes consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Procédé tendant à voir constater l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée en France d'une décision étrangère, mais pas sa force exécutoire.
n Re c o n n a i s s a n c e d e p l a n o n o 4 1 0 Modalité de reconnaissance d'une décision étrangère signifiant que les effets que cette reconnaissance attache à cette décision (efficacité substantielle, autorité de chose jugée) opèrent de plein droit, sans qu'il soit nécessaire d'exercer une action en justice préalable. La reconnaissance est donc acquise dès lors que les conditions auxquelles elle est subordonnée sont réunies, sans que l'intervention du juge ne soit requise pour constater la réunion effective de ces conditions.
n Re c o n n a i s s a n c e i n c i d e n t e n o 4 3 4 Modalité de reconnaissance d'une décision étrangère signifiant que les conditions auxquelles cette reconnaissance est subordonnée sont contrôlées, non dans le cadre d'une action principalement exercée à cet effet (action en opposabilité, en inopposabilité, en exequatur), mais dans le cadre d'une action au fond distincte à l'occasion de laquelle la décision étrangère a été invoquée, par le juge saisi de cette action principale.
n Ré e x am e n n o 46 8
Recours exceptionnel organisé dans l'État d'origine d'une décision judiciaire pour garantir la compatibilité de la suppression de l'exequatur dans l'Union européenne avec la protection des droits de la défense. Lorsqu'une décision pouvant être exécutée de plein droit dans tous les États membres de l'Union européenne est rendue sans comparution du défendeur, celui-ci doit nécessairement se voir reconnaître le droit d'exercer un recours extraordinaire, dans l'État d'origine, lorsque le défaut de comparution n'est pas imputable à sa faute ou à sa négligence. Cette procédure est actuellement mise en œuvre dans le cadre du règlement Obligations alimentaires.
n Ré v i s i o n a u f on d n o 4 0 7
Pratique consistant pour le juge du for, sollicité aux fins de reconnaissance ou d'exequatur d'une décision étrangère, à refaire l'ensemble de l'opération juridictionnelle pour vérifier que la décision prononcée par le jugement étranger correspond bien, dans son contenu normatif, à la décision qui aurait été prononcée par le for s'il avait été saisi. La révision au fond est aujourd'hui prohibée, tant en droit commun français que par le droit communautaire.
n Titre exécutoire européen n o 465 Certificat délivré par le juge ayant rendu une décision de condamnation au paiement d'une créance incontestée, attestant que cette décision remplit certaines conditions
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— posées par le droit communautaire — l'autorisant à être exécutée dans tous les États membres sans exequatur préalable.
Grands arrêts : les arrêts à retenir impérativement et leur apport majeur C i v . 1 r e , 4 ja n v. 1 96 4 , M u n z e r (GADIP, n o 41 ; Rev. crit. DIP 1964. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964. 302, note B. Goldman) L'arrêt Munzer de la Cour de cassation consacre l'abandon de la révision au fond des décisions de justice étrangères et lui substitue un contrôle objectif qui subordonne la délivrance de l'exequatur au respect de cinq conditions : – la décision étrangère doit avoir été rendue par un juge étranger compétent ; – la procédure suivie devant la juridiction étrangère doit avoir été régulière ; – la loi appliquée doit être la loi compétente d'après les règles françaises de conflit ; – la décision étrangère doit être conforme à l'ordre public international… – et exempte de toute fraude à la loi.
C i v . 1 r e , 4 o c t . 1 9 6 7, B a c h i r
(GADIP, n o 45 ; Rev. crit. DIP 1968. 98, note P. Lagarde ; JDI 1969. 102, note B. Goldman) L'arrêt Bachir de la Cour de cassation consacre l'abandon de la condition, posée par l'arrêt Munzer, de régularité de la procédure suivie devant la juridiction étrangère. En lieu et place de ce contrôle, il élargit la conception de l'ordre public international — auquel la décision étrangère doit être conforme — pour y intégrer un volet procédural : la conformité à l'ordre public international s'entend désormais de la conformité à l'ordre public de fond, mais aussi à l'ordre public de procédure.
C i v . 1 r e , 20 f é v r . 2 0 0 7, C o r n e l i s s e n (Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 1007. 1195, note F.-X. Train ; D. 2007. 1115, note S. Bollée et L. D'Avout ; JCP 2007. Act. 107, note C. Bruneau) L'arrêt Cornelissen de la Cour de cassation abandonne la condition, posée par l'arrêt Munzer, qui voulait qu'une décision étrangère régulière ait appliqué la loi compétente d'après les règles de conflit françaises. Désormais, aux termes même de l'arrêt, le contrôle de régularité des décisions étrangères s'opère en considération de trois conditions : la compétence du juge étranger, la conformité à l'ordre public international, et l'absence de fraude.
Civ. 1 re, 6 févr. 1985, Simitch
(GADIP n o 70 ; Rev. crit. DIP 1985. 369 ; JDI 1985. 460, note A. Huet) L'arrêt Simitch de la Cour de cassation définit la règle de compétence indirecte appliquée en France pour apprécier la compétence du juge étranger : le tribunal étranger ayant rendu une
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décision doit être reconnu compétent si, en l'absence de toute compétence exclusive française, le litige se rattache de manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux.
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C J C E 2 8 m a r s 2 00 0 , K r o m b a c h (Rev. crit. DIP 2000. 481, HMW ; JDI 2001. 691, obs. A. Huet) L'arrêt Krombach de la Cour de justice des Communautés européennes consacre, dans l'ordre juridique communautaire, le contrôle de conformité des décisions étrangères à l'ordre public procédural, en affirmant que ce contrôle ne doit pas être limité aux exigences procédurales expressément posées par les textes communautaires (signification de l'acte introductif d'instance au défendeur en temps utile pour qu'il puisse préparer sa défense : Conv. Bruxelles, art. 27-2 ; Règl. Bruxelles I, art. 34-2), mais peut être élargi à d'autres principes fondamentaux de procédure dans le cadre du contrôle de conformité à l'ordre public international autorisé par les articles 27-1 de la convention de Bruxelles et 34-1 du règlement Bruxelles I. Il marque toutefois aussi la volonté de la Cour de justice de contrôler l’application faite par les États membres de leur ordre public international, lequel doit être conçu de façon restrictive. La reconnaissance et l’exécution ne peuvent être refusée qu’en cas de violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique. La CJUE a à plusieurs reprises réitéré cette formule, contrôlant au cas par cas la conformité de règles, opposées par les États membres comme étant d’ordre public international, à cette définition.
C E D H 2 8 j u i n 2 00 7 , W a g n e r
(no 76240/01, D. 2007. 2700, note F. Marchadier ; ibid. 2008. 1507, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch ; RTD civ. 2007. 738, obs. J.-P. Marguénaud) L'arrêt Wagner est important en ce qu'il marque l'influence prise par la CEDH dans la définition des modalités de contrôle des décisions de justice étrangères. Il condamne le Luxembourg pour avoir refusé de reconnaître et de transcrire un jugement d'adoption étranger aux motifs que la loi luxembourgeoise, applicable selon la règle de conflit luxembourgeoise, n'avait pas été respectée. La CEDH énonce qu'en « faisant prévaloir les règles de conflit luxembourgeoises sur la réalité sociale et sur la situation des personnes concernées », le Luxembourg a violé l'article 8 de la Conv. EDH (droit au respect de la vie familiale). Ainsi, les États signataires de la Conv. EDH ne sont-ils pas totalement libres d'opposer des conditions de reconnaissance aux jugements étrangers : ici, l'État luxembourgeois est condamné pour avoir fait prévaloir la condition de conformité de la loi appliquée à la règle de conflit du for, sur le droit au respect de la vie familiale. Dans une autre espèce plus récente, l'État grec a été condamné pour avoir opposé un principe d'ordre public international grec (l'interdiction faite aux ecclésiastiques d'adopter des enfants) à la reconnaissance d'un jugement d'adoption étranger, en violation des droits fondamentaux consacrés par la Conv. EDH (CEDH 3 mai 2011, req. n o 56759/08, Negrepontis, Rev. crit. DIP 2011. 817, étude P. Kinsch ; JDI 2012. 214, note A. Dionisi-Peyrusse ; D. 2012. 1239, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke).
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Droit international privé
C J U E 25 m a i 2 0 1 6, M er o n i (aff. C-559/14, D. 2016. 1636, note E. Bonifay ; D. 2017. 1024. obs. F. Jault-Seseke ; JDI 2016. 1235, obs. L. Pailler, et 1473, obs. J.-S. Quéginer)
C J U E 7 j u i l l . 2 0 1 6, L eb e k
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L’arrêt Meroni marque un infléchissement – à confirmer – dans la mise en œuvre du contrôle des décisions prononcées dans les autres États membres, organisé par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis. Alors que le parti a été pris, et confirmé lors de la révision du règlement, de maintenir un véritable contrôle dans l’État d’accueil et de ne pas concentrer celui-ci au niveau de l’État d’origine (contrairement à l’option d’inversion du contentieux retenue dans le règlement Obligations alimentaires, v. ss 468), la CJUE limite le contrôle susceptible d’être mis en œuvre dans l’État d’accueil au visa de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Des tiers dont les droits étaient affectés par un freezing order (ordonnance de gel) prononcé par un juge anglais tentaient de s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution de cette décision dans d’autres États membres en faisant valoir qu’ils n’avaient pas été parties à la procédure d’origine, en sorte que la décision violait l’ordre public procédural. La CJUE juge que l’article 34 du règlement Bruxelles I ne permet pas de faire jouer l’ordre public procédural pour s’opposer à la circulation de cette décision, dans la mesure où, même non parties à la procédure d’origine, ces parties pouvaient y faire valoir leurs droits (par une voie de recours spécifique).
(aff. C-70/15, D. 2017. 1024, obs. F. Jault-Seseke) Dans l’arrêt Lebek, la CJUE semble poursuivre l’œuvre initiée dans l’arrêt Meroni de désactivation de l’exception de contrariété à l’ordre public procédural comme motif de refus de reconnaissance et/ou d’exécution d’une décision rendue dans un État membre de l’UE. Elle considère qu’il n’est pas permis de refuser, sur le fondement de l’absence de notification de l’acte introductif d’instance, l’exécution d’une décision prononcée en France, dont le débiteur n’avait pourtant eu connaissance que plusieurs années après son prononcé, au moment de la demande d’exequatur, alors que les voies de recours ordinaires en France n’étaient plus ouvertes. Cette décision est motivée par le fait que la signification tardive de la décision française au défendeur lui avait ouvert un délai de deux mois pendant lequel il lui était possible de demander un relevé de forclusion, ce qu’il avait omis de faire. Il importe donc bien que le débiteur saisisse toutes les chances – même les plus infimes – qui lui sont offertes dans l’État d’origine avant de pouvoir opposer l’exception de contrariété à l’ordre public procédural dans l’État d’accueil, ce qui accrédite encore le sentiment d’une inversion du contentieux pourtant peu conforme à l’esprit des règlements Bruxelles I / I bis.
Biblio
1) Sur le droit commun
- B. Ancel, « Les règles de droit international privé et la reconnaissance des décisions étrangères », Rev. crit. DIP 1992. 201. - B. Ancel, H. Muir Watt, « Les jugements étrangers et la règle de conflit de lois. Chronique d'une séparation », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 133.
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- P. Chevalier, « La nouvelle cartographie des voies ouvertes pour la reconnaissance et l’exécution en France des décisions étrangères », Rev. crit. DIP, 2014. 1. - E. Cornut, « Forum shopping et abus de choix de for en droit international privé », JDI 2007. 27. - P.-Y. Gautier, « La contrariété à l'ordre public d'une décision étrangère, échec à sa reconnaissance ou son exequatur », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 435. - G. Cuniberti, C. Normand, F. Cornette, Droit international de l'exécution. Recouvrement des créances civiles et commerciales, LGDJ, 2011. - S. Godechot-Patris, « Retour sur la notion d'équivalence au service de la coordination des systèmes », Rev. crit. DIP 2010. 271. - P. Kinsch, « La non-conformité du jugement étranger à l'ordre public international au diapason de la Convention européenne des droits de l'homme », Rev. crit. DIP 2011. 817. - H. Muir Watt, « Remarques sur les effets en France des jugements étrangers indépendamment de l'exequatur », in Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 301. - M.-L. Niboyet, L. Sinopoli, « L'exequatur des jugements étrangers en France ; étude de 1390 décisions inédites (1999-2001) », Gaz. Pal. 16-17 juin 2004, n o 168-169. - D. Sindres, « De quelques difficultés d'appréhension de la fraude au jugement », D. 2017. 1283. - P. de Vareilles-Sommières, « Le forum shopping devant les juridictions françaises », Trav. Com. fr. DIP 1998-1999. 49.
2) Sur le droit communautaire et de l'Union européenne - L. d'Avout, « La circulation automatique des titres exécutoires imposée par le règlement 805/ 2004 du 21 avril 2004 », Rev. crit. DIP 2006. 1. - C. Baker, « Le titre exécutoire européen, une avancée pour la libre circulation des décisions ? », JCP 2003. I. 137. - A. Boiche, « Règlement Bruxelles II bis : dispositions relatives aux enlèvements internationaux d'enfants », AJ fam. 2006. 180. - Ch. Bruneau, « La reconnaissance et l'exécution des décisions rendues dans l'Union européenne », JCP 2001. I. 314. - L. Cadiet, E. Jeuland, S. Amrani-Mekki, Droit processuel civil de l'Union européenne, LexisNexis, 2011. - N. Castell, P. de Lapasse, « La révision du règlement Bruxelles I à la suite de la publication du livre vert de la Commission », Gaz. Pal. 28-29 mai 2010, n o 148 à 149, p. 26. - N. Cochet, « La force exécutoire en l'absence de procédure harmonisée », in F. Jault Seseke, J. Lelieur, Ch. Pigache (dir), L'espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2009, p. 109. - G. Cuniberti, « La reconnaissance en France des jugements par défaut anglais. À propos de l'affaire Gambazzi-Stolzenberg », Rev. crit. DIP 2009. 685. - G. Cuniberti, « Abolition de l’exequatur et présomption de protection des droits fondamentaux. À propos de l’affaire Povse c/ Autriche, CEDH, 18 juin 2013 », Rev. Crit. DIP 2014. 303. - G. Cuniberti, « La procédure d'ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires établie par le règlement UE n o 655/2014. Aspects de droit international privé », Rev. crit. DIP 2018. 31.
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Droit international privé
Quiz 1) Sujets corrigés
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- A. David, « La force exécutoire dans les procédures harmonisées (procédures européennes d'Injonction de payer et de règlement des Petits litiges) », in F. Jault Seseke, J. Lelieur, Ch. Pigache (dir), L'espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 119. - G. Droz, H. Gaudemet-Tallon, « La transformation de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 en règlement du Conseil », Rev. crit. DIP 2001. 601. - F. Ferrand, « Le titre exécutoire européen ou les possibles tensions entre jugement sans frontières et procès équitable », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 107. - H. Gaudemet-Tallon, M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6 e éd., LGDJ, 2018. - M. Lopez de Tejada, L. d'Avout, « Les non-dits de la procédure européenne d'injonction de payer (règlement (CE) no 1896/2006 du 12 décembre 2006) », Rev. crit. DIP 2007. 717. - C. Nourissat, « Le règlement CE n o 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires », Procédures 2009. Étude 5. - A. Nuyts, « La refonte du règlement Bruxelles I », Rev. crit. DIP 2013. 1. - H. Péroz, « Le règlement CE du 21 avril 2005 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées », JDI 2005. 637. Sur le règlement Bruxelles I bis, v. aussi les réf. mentionnées au chapitre 4.
A) Test de connaissances Énoncé
1. La compétence indirecte des juridictions d'un État non membre de l'Union européenne s'apprécie : a. par application des règles de compétence directe du for : b. par application des règles de compétence directe du tribunal étranger concerné ; c. par application d'une règle de compétence spécialement définie aux fins d'appréciation de la compétence d'un tribunal étranger.
2. L'existence d'une clause attributive de juridiction conférant compétence exclusive aux juridictions françaises pour connaître d'un litige donné est un obstacle à la reconnaissance en France d'une décision rendue, dans ce litige, par une juridiction étrangère ? a. oui, toujours ;
b. oui, en droit commun, mais pas en droit de l’Union européenne ; c. oui, en droit de l’Union européenne, mais pas en droit commun ; d. non, jamais.
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3. Une décision rendue dans un État non signataire de la Convention européenne des droits de l'homme doit, pour pouvoir être accueillie dans les États signataires de cette convention, en respecter les principes, notamment procéduraux : b. faux.
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a. vrai ;
4. En droit commun français, la régularité de la procédure suivie par la juridiction étrangère est : a. contrôlée au regard des règles de procédure applicables dans l'ordre juridique étranger ; b. contrôlée au regard des règles de procédure du for ; c. contrôlée seulement au regard des principes de procédure jugés fondamentaux par l'ordre juridique du for ; d. pas contrôlée.
5. Pour être reconnue en France, une décision étrangère doit avoir acquis, dans l'État d'origine, force exécutoire : a. vrai ; b. faux.
6. Lorsqu'une partie conteste la régularité d'une décision étrangère pour s'opposer à sa reconnaissance et/ou son exécution en France : a. il appartient en toute hypothèse à celui qui se prévaut de la régularité de la décision d'établir qu'elle remplit les conditions de régularité ; b. il appartient, en droit commun français, à celui qui se prévaut de la régularité de la décision étrangère d'établir qu'elle remplit les conditions de régularité, tandis que, en droit communautaire, c'est à celui qui allègue de l'irrégularité de la décision étrangère d'établir cette irrégularité ; c. il appartient en toute hypothèse à celui qui conteste la régularité de la décision étrangère d'établir cette irrégularité.
7. En matière d'effets des jugements, le règlement Bruxelles I ou le règlement Bruxelles I bis s'applique : a. systématiquement ;
b. chaque fois que le défendeur était, dans le litige ayant donné au prononcé de la décision étrangère, domiciliée sur le territoire d'un État membre ; c. lorsque la décision étrangère à laquelle il convient de faire produire des effets a été rendue par les juridictions d'un État membre de l'Union européenne.
8. Dans le droit de l'Union européenne, la régularité de la procédure suivie à l'étranger : a. peut être contrôlée au regard de l'ordre public du for ; b. est contrôlée exclusivement pour vérifier que l'assignation a été délivrée en temps utile au défendeur pour lui permettre de présenter sa défense, conformément à l'article 34-2 du règlement Bruxelles I ; c. n'est pas contrôlée du tout.
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9. En application du règlement Bruxelles I bis, il est désormais possible de faire exécuter en France une décision de justice rendue dans un autre État membre : a. dans le cadre d’une procédure d’exequatur simplifiée, b. sans exequatur, mais avec la possibilité pour la partie contre qui l’exécution est demandée de former, en France, une procédure d’opposition à exécution, c. sans exequatur, mais avec la possibilité pour la partie contre qui l’exécution est demandée de former un recours dans le pays d’origine de la décision. 10. Le titre exécutoire européen : a. est délivré par le juge qui rend une décision et permet à cette décision d'être exécutée partout dans l'Union ; b. est délivré par le juge qui rend une décision et permet à cette décision d'être exécutée partout dans l'Union sous réserve d'un contrôle de conformité à l'ordre public par le juge de l'État d'accueil ; c. est délivré par le juge qui rend une décision et permet à cette décision d'être exécutée partout dans l'Union sous réserve qu'elle ne soit pas inconciliable, dans l'État d'accueil, avec une décision qui y produit déjà ses effets. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Documents autorisés : Règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis Monsieur Lajoie, qui réside en France à Strasbourg, a acheté à la société allemande Bier Inc. une magnifique « tireuse à bière » censée faire sensation lors de ses barbecues d’été. Le prix de la machine étant assez élevé, Monsieur Lajoie a décidé de profiter des modalités de paiement échelonnées (en 10 fois) proposées par le fabricant moyennant un intérêt. Malheureusement, la machine n’a pas survécu à sa première utilisation, en dépit des précautions prises par M. Lajoie. Celui-ci a donc décidé de cesser de payer les mensualités. La société Bier Inc. l’a assigné le 1er septembre 2014 en paiement du solde du prix et des intérêts devant les juridictions de première instance de Cologne (Allemagne). La procédure étant sans représentation obligatoire, M. Lajoie s’est défendu lui-même, en tentant d’établir qu’il avait parfaitement respecté les instructions d’utilisation… Mais avec peu de succès, puisqu’il a été condamné par décision du 15 mars 2015 à payer les sommes réclamées par le fabricant de la machine. La décision est devenue définitive, car il n’a pas exercé les voies de recours. La société Bier Inc., qui lui a signifié la décision, vient de lui adresser un courrier recommandé le mettant en demeure d’exécuter la condamnation. À défaut, menace-t‑elle, la décision allemande ayant de plein droit force exécutoire en France, elle la transmettra à un huissier de justice qui pourrait le cas échéant saisir ses biens. Monsieur Lajoie est paniqué. Pouvez-vous le rassurer ? Voir le corrigé en fin de rubrique.
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2) Corrigés Test de connaissances Cas pratique
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1. c ; 2. b ; 3. a ; 4. c ; 5. b ; 6. c ; 7. c ; 8. a ; 9. b ; 10. c.
Monsieur Lajoie s’inquiète du risque d’exécution, en France, d’une décision de justice allemande rendue à son encontre. On peut décomposer son problème en deux questions : la décision allemande est-elle exécutoire de plein droit, comme le soutient la société bénéficiaire ? Et dispose-t‑il de moyens juridiques pour s’opposer à cette exécution ? On envisagera successivement ces deux questions.
I. La décision allemande est-elle exécutoire de plein droit ? En France, les décisions de justice étrangères peuvent être exécutées, mais il convient en principe au demandeur à l’exécution de mettre en œuvre une procédure spécifique à cet effet, la procédure d’exequatur. Les décisions émanant d’un État membre de l’Union européenne, rendues en matière civile et commerciale comme c’est le cas en l’espèce, jouissent toutefois d’un régime d’exécution plus favorable. Ce régime n’est pas tout à fait le même selon que le texte applicable soit le règlement Bruxelles I, ou le règlement Bruxelles I bis qui l’a révisé. Lequel de ces textes est-il applicable en l’espèce ? Le règlement Bruxelles I bis est applicable à partir du 10 janvier 2015. Mais il précise qu’il ne s’applique, pour la reconnaissance et l’exécution des jugements, qu’aux décisions qui sont rendues dans des actions intentées à partir du 10 janvier 2015. Il ne suffit donc pas que la décision soit rendue après cette date, il faut que la juridiction qui l’a rendue ait été saisie après cette date. En l’espèce, la décision est certes en date du 15 mars 2015, mais l’assignation date du 1er septembre 2014. Le règlement Bruxelles I bis n’est donc pas applicable. Le règlement Bruxelles I étant applicable, il faut nuancer l’affirmation de la société Bier Inc. En effet on ne peut affirmer que la décision allemande est exécutoire de plein droit en France, cette solution n’ayant été consacrée que par le règlement Bruxelles I bis. Le règlement Bruxelles I, s’il ne va pas jusqu’à consacrer une force exécutoire de plein droit au profit des décisions émanant d’États membres, instaure cependant un régime favorable. La société Bier Inc. pourra dans un premier temps simplement demander au greffier du tribunal compétent d’apposer la formule exécutoire sur le jugement, au terme de vérifications purement formelles. Monsieur Lajoie recevra alors notification de la délivrance de la formule exécutoire, et il pourra former un recours contre cette déclaration de force exécutoire, devant la Cour d’appel qui sera chargée de contrôler si la décision contestée remplit ou non les conditions permettant de lui attribuer force exécutoire en France. Il faut alors vérifier si Monsieur Lajoie peut faire valoir, dans le cadre de cette opposition, des moyens juridiques utiles.
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II. Les moyens juridiques pouvant être invoqués au soutien du recours
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La décision allemande est définitive, et semble être exécutoire en Allemagne. Et il n’est pas allégué qu’une décision française inconciliable ait été rendue par les juridictions françaises. Il faut donc considérer les qualités intrinsèques de cette décision pour voir si l’une des conditions de régularité exigées par le règlement Bruxelles I fait défaut. Ces conditions de régularité ne sont pas très nombreuses. Il faut principalement que la décision étrangère soit conforme aux exigences de l’ordre public procédural, et de l’ordre public international de fond de l’État requis. S’agissant de l’ordre public procédural, aucune indication ne permet de penser qu’il n’aurait pas été respecté. En particulier, il ressort du rappel des faits que Monsieur Lajoie a bien été assigné en temps utile pour se défendre, puisqu’il s’est effectivement représenté lui-même devant les juridictions allemandes. Il ne semble pas non plus qu’une violation de l’ordre public international français de fond soit caractérisée. La situation ne semble donc guère favorable à Monsieur Lajoie. Mais son salut peut venir de l’article 35 du règlement. En effet, si la compétence de la juridiction d’origine ne peut en principe être contrôlée dans le cadre du règlement Bruxelles I, il en va différemment lorsque le litige concerne un consommateur, pour un contrat donnant lieu à la compétence protectrice prévue à la section 4 du Chapitre III. Une décision n’est pas reconnue si les règles de cette section ont été méconnues. Or quelle était la juridiction compétente selon la section 4 du chapitre III du règlement ? Le contrat en cause était un contrat de vente à tempérament d’objet mobilier corporel, visé par l’article 15 du règlement. Le consommateur pouvait donc bien profiter de la règle de compétence protectrice prévue par l’article 16 § 2 selon lequel le consommateur ne peut être attrait que devant les juridictions de l’État où il a son domicile. En l’espèce, Monsieur Lajoie est domicilié en France. C’est donc en violation de l’article 16 qu’il a été assigné devant les juridictions allemandes. On pourrait alors soutenir devant le juge français que l’exécution de la décision allemande ne peut intervenir en France, puisque cette décision a été rendue en violation de la section 4 du chapitre III du règlement. Malheureusement, il subsiste une difficulté. L’article 24 du règlement prévoit que le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparait est compétent ; or M. Lajoie a bien comparu. La seule exception à cette règle vise le cas où la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction ayant compétence exclusive au sens de l’article 22. La seconde condition n’est pas remplie, et rien n’indique que la première l’ait été, la défense de M. Lajoie ayant principalement consisté, nous dit-on, à arguer du respect des instructions d’utilisation. On peut alors se demander si l’article 24 est applicable quand la compétence est déterminée selon la section 4 du Chapitre III. Mais on rappellera que cette section valide les conventions d’élection de for conclues par le consommateur lorsqu’elles le sont après la naissance du différent. La comparution devant le tribunal, sans contestation de sa compétence, pourrait dont être considérée comme prorogeant la compétence de ce tribunal.
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Si le règlement Bruxelles I bis avait été applicable, M. Lajoie aurait sans doute pu se prévaloir de la nouvelle disposition du nouvel article 26 (qui succède à l’art.24 du règlement Bruxelles I), qui précise que si le consommateur défendeur comparaît, la juridiction doit l’informer de son droit de contester sa compétence et des conséquences d’une comparution ou d’une non comparution. Le règlement ne dit cependant pas expressément que le non accomplissement de cette formalité par le juge d’origine autorise un refus d’exécution dans un autre État membre. En conclusion, la seule chance de M. Lajoie, pour échapper à l’exécution, serait d’exercer une action devant la Cour d’appel, contestant la déclaration d’exécution. Il lui faudrait pour cela faire valoir que la règle prévue par le règlement Bruxelles I bis, qui impose à la juridiction d’origine devant laquelle un consommateur protégé comparaît de l’informer sur les conséquences de sa comparution, non seulement justifie un refus d’exécution lorsqu’elle a été violée (alors que ce n’est pas prévu par le texte), mais encore peut être appliquée, « par anticipation », lorsque le règlement Bruxelles I est applicable. Autant dire que le succès n’est pas garanti.
Débat
Régime des jugements déclaratifs patrimoniaux Formellement, la Cour de cassation n'a jamais étendu le bénéfice de la reconnaissance de plano aux jugements déclaratifs patrimoniaux. Au contraire, la jurisprudence a à plusieurs reprises exigé, pour qu'une telle décision produise efficacité substantielle et autorité de chose jugée en France, qu'une action en exequatur soit diligentée. Seul un arrêt Locautra (Civ. 1 re, 28 févr. 1974, JDI 1975. 534, note A. Ponsard) avait reconnu de plein droit l'efficacité d'un jugement allemand déclarant la nullité d'une vente, mais cette décision est restée isolée. Pourtant, au-delà d'un faible argument pratique — l'effet recherché de ces jugements est le plus souvent l'exécution en France, de sorte qu'il est naturel que l'exequatur soit généralement requis —, aucun argument théorique ne justifie ce régime dérogatoire. C'est la raison pour laquelle la doctrine majoritaire considère aujourd'hui que cette exception est dépassée. En outre, plusieurs considérations tirées du droit positif autorisent à penser que ces jugements pourraient, désormais, bénéficier d'une reconnaissance de plein droit. La première est tirée de l'admission de l'exception de litispendance internationale que la Cour de cassation n'a pas cantonnée en fonction de la nature des litiges (Miniera di Fragne), et qui peut donc jouer en matière déclarative patrimoniale. Or si la seule existence d'une procédure pendante à l'étranger justifie que les juges français sursoient à statuer, a fortiori le fait qu'une décision étrangère déclarative patrimoniale ait été déjà rendue à l'étranger devrait inciter le juge français à se dessaisir, sur le fondement de l'autorité de chose jugée de plein droit de la décision étrangère. En outre, plusieurs décisions de justice françaises donnent à penser que l'évolution est bel est bien en cours : un arrêt de la cour d'appel Aix en Provence a ainsi admis l'autorité de chose jugée d'un jugement déclaratif patrimonial étranger dans le cadre d'une reconnaissance incidente (Aix, 6 avr. 2000, JDI 2001. 1130), et dans un arrêt récent (Com. 29 avr. 2003, Bull. civ. IV, n o 65), la Cour de
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cassation, saisie d'un moyen faisant valoir qu'une décision déclarative patrimoniale étrangère ne pouvait produire aucun effet en France sans exequatur, et notamment pas l'autorité de chose jugée, s'est bornée à écarter rapidement l'argument en retenant que le juge français du contrôle incident n'avait en réalité pas statué sur l'autorité en France de la décision étrangère. Il conviendrait donc, si cela n'est pas déjà implicitement fait, d'aligner définitivement et clairement le régime des jugements déclaratifs patrimoniaux sur celui des autres décisions.
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Les règles de procédure propres au contentieux international
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c h a p i t r e
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Plan
Les incidents de compétence internationale § 1 L'exception d'incompétence internationale des juridictions françaises A. Exception soulevée par l'une des parties B. Exception relevée d'office par le juge
§ 2 Les exceptions recevables en présence d'une compétence internationale des juridictions françaises A. Exception internationale de chose jugée B. Exception de litispendance internationale C. Exception de connexité internationale D. Forum non conveniens
section
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Le droit d'action § 1 L'existence du droit d'action A. Intérêt à agir B. Qualité pour agir
§ 2 L'extinction du droit d'action A. Prescription B. Autres modes d'extinction
section
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L'instruction des litiges internationaux § 1 Notification et signification des actes à l'étranger A. Droit commun des notifications et significations à l'étranger B. Droit international et européen des notifications et significations à l'étranger
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§ 2 Administration de la preuve A. Les faits établis par les parties : le droit de la preuve
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B. Les faits établis par le juge : les mesures d'instruction et injonctions de produire
§ 3 Procédures européennes uniformes
Compléments pédagogiques
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Les règles de procédure propres au contentieux international Puisque le règlement des litiges internationaux est confié aux juridictions étatiques instituées pour le règlement des litiges internes, rien ne semble de prime abord devoir distinguer les règles de procédure applicables à l'instruction des litiges internes et internationaux. Les règles de procédure sont des règles de fonctionnement des juridictions et ce fonctionnement ne devrait pas être altéré par la nature des litiges en cause. Le droit positif et la doctrine ont longtemps souscrit à cette analyse, en retenant que la procédure est nécessairement soumise à la loi du for. La règle était et reste aujourd'hui encore essentiellement justifiée par des considérations de souveraineté : chaque État ayant une compétence exclusive pour s'auto-organiser, il est nécessairement maître des règles de fonctionnement des juridictions qu'il institue. La procédure ne peut donc être régie que par la lex fori, et la loi étrangère n'a aucun titre à y intervenir : la procédure n'est pas l'objet d'un conflit de lois. Conçue en termes de respect de la souveraineté étatique, cette solution serait en outre conforme à l'intérêt privé des parties : si ces dernières ont pu fonder de légitimes prévisions quant à leurs droits substantiels (justifiant que le for accepte de faire application de la loi étrangère sur la base de laquelle ces prévisions ont été fondées), elles n'ont en principe pas anticipé le caractère contentieux de leur relation et donc fondé de prévisions sur les règles de procédure. L'application de la loi du for en matière de procédure ne contrarie ainsi nullement leurs prévisions, et « il n'y a aucune raison de priver les juges nationaux de la commodité de l'emploi des formes procédurales du for » (M.-L. Niboyet, « Contre le dogme de la lex fori en matière de procédure », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 363, spéc. 369). Le droit de l'Union européenne confirme d'ailleurs indirectement la compétence de la lex fori en matière de procédure, puisque les conventions et les règlements régissant la compétence des juridictions et les effets des jugements renvoient, sur les questions de procédure, à la loi de l'État dont les juridictions sont saisies.
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Cette approche est aujourd'hui partiellement remise en cause par certains auteurs. Ces derniers relèvent d'une part le lien étroit qui lie la procédure au fond — les règles de procédure ont souvent une incidence fondamentale sur la substance des droits, ainsi les règles de preuve ou de prescription. Ils soulignent, d'autre part, le caractère contestable de la justification de la compétence de la lex fori par le principe de souveraineté étatique. Ce principe ne concernerait en réalité qu'un nombre limité de règles de procédure — celles qui définissent le pouvoir juridictionnel du juge. De même, il n'interdirait nullement que des règles de procédure soient empruntées à une ou plusieurs lois étrangères, notamment lorsque « l'application soudée de dispositions substantielles et procédurales dans un type de situations données [leur] apparaît nécessaire, en d'autres termes toutes les fois que les liens avec la substance des droits litigieux sont suffisamment étroits » (M.-L. Niboyet, préc.). De fait, tout en maintenant formellement intacte la compétence de principe de la lex fori, le droit
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positif a consacré un certain nombre de dérogations qui l'ont conduit à admettre l'application d'une loi étrangère à des questions qui relèvent pourtant de la procédure. Par exemple, on retient usuellement que la preuve des actes juridiques peut être rapportée selon les modes de preuve admis soit par la loi du for, soit par la loi du lieu de l'acte (car les parties ont légitimement pu se préconstituer un mode de preuve selon la loi locale, v. ss 522).
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À ces emprunts à la loi étrangère, qui s'ils restent très ponctuels n'en établissent pas moins la spécificité qui caractérise l'instruction des litiges internationaux, il faut ajouter un certain nombre de règles matérielles spécialement adoptées pour l'instruction de ces litiges. En effet, si le plus souvent les règles de procédure interne sont parfaitement adaptées à l'instruction des litiges internationaux, elles doivent parfois être modifiées pour conserver leur caractère utile. Ainsi, la notification d'un acte à l'étranger — qui postule l'intervention d'un officier public dont le champ de compétence est purement territorial — suppose l'instauration de règles spéciales, tout comme d'ailleurs l'obtention de preuves à l'étranger. En sorte que, nonobstant le principe d'application de la loi du for, la procédure suivie dans le contentieux international diffère parfois substantiellement de celle qui préside au règlement des litiges internes. Cette réalité est aujourd'hui traduite par des tentatives d'élaboration de règles transnationales de procédure civile : d'abord conduite par voie conventionnelle puis communautaire, sur des aspects ponctuels, cette entreprise a récemment pris une autre ampleur avec la définition et l'adoption conjointe, par Unidroit et l'American Law Institute, des Principes de procédure civile transnationale. Ces Principes, formés de 31 dispositions, visent à mettre en compatibilité les divergences caractérisant les règles de procédure civile des systèmes juridiques nationaux, en s'attachant aux particularités des litiges transnationaux. Instruments de soft law, ils ont vocation à servir de lois modèles. Mais ils pourraient aussi, au bénéfice d'un assouplissement de la compétence impérative de la lex fori comme loi de procédure, être appliqués à la demande des parties pour l'instruction des litiges internationaux.
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Ce sont les principales particularités de cette procédure propre au contentieux international — qu'elles se traduisent sous la forme de règles matérielles ou d'une réintroduction du conflit de lois — qui seront ici présentées par l'étude successive des questions où elles apparaissent nettement, à savoir les incidents de compétence internationale (section 1), le droit d'action (section 2) et l'instruction des litiges internationaux (section 3).
section
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Les incidents de compétence internationale 479
On entend par « incidents de compétence internationale » toutes les contestations qui peuvent être élevées, devant le juge français, pour le conduire à se dessaisir d'un litige international dont il a été saisi par l'une des parties, et qui se rattachent directement à l'internationalité de ce litige. Naturellement, ces contestations peuvent être soulevées lorsque le juge français a été saisi d'une affaire pour le règlement de laquelle il n'avait pas compétence internationale : c'est l'exception d'incompétence
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Les règles de procédure propres au contentieux international
internationale (§ 1). Mais des contestations peuvent également être utilement formulées alors même que le juge français jouit d'une compétence internationale (§ 2).
1 L'exception d'incompétence internationale des juridictions françaises international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594602367
§
Lorsqu'une partie a saisi une juridiction française en violation des règles de compétence internationale des juridictions françaises, il est fréquent que l'autre partie — si elle y a intérêt — soulève l'exception d'incompétence (A). Mais il peut également advenir que l'autre partie ne réagisse pas, soit parce qu'elle juge la saisine des juridictions françaises pertinente, soit par négligence. La question se pose alors de savoir si le juge français peut ou doit relever d'office son incompétence internationale (B).
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A. Exception soulevée par l'une des parties Une partie peut naturellement, si elle juge que la compétence internationale des juridictions françaises saisies par son adversaire n'est pas fondée, soulever l'exception d'incompétence internationaleQ. Le juge sera alors tenu d'examiner cette exception, pour se déclarer incompétent si elle s'avère fondée.
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Le jeu de l'exception est toutefois soumis à des conditions d'ordre procédural en droit commun français. Tout d'abord, s'agissant d'une exception de procédure, elle doit — selon le principe général consacré par l'article 74 du Code de procédure civile — être soulevée in limine litis, avant toute défense au fond ; à défaut, elle est irrecevable. Ensuite, la partie qui soulève l'exception doit, conformément aux instructions de l'article 75 du Code de procédure civile, « faire connaître (…) devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée ». La jurisprudence a confirmé le caractère nécessaire de cette désignation au soutien de l'exception d'incompétence internationale. On aurait pu penser, pourtant, qu'elle n'avait pas lieu de jouer en la matière. En effet, l'exigence est justifiée par l'obligation faite par l'article 96 du Code de procédure civile, au juge qui se déclare incompétent, de désigner la juridiction qu'il estime compétente, cette désignation s'imposant aux parties et au juge de renvoi. Or cette règle ne peut évidemment s'appliquer en matière internationale, car le juge français ne peut jamais imposer à un juge étranger de retenir sa compétence ; l'article 96 le confirme, qui retient que « Lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction (…) étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ». Dans ces conditions, on pouvait s'interroger sur la nécessité de maintenir l'obligation faite au demandeur à l'exception de désigner la juridiction compétente à ses yeux, obligation que la jurisprudence a pourtant choisi de maintenir (Civ. 1 re, 12 déc. 1973, Bull. civ. I, n o 330).
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Ces exigences restent valables lorsque les règles de compétence invoquées au soutien de l'exception sont des règles européennes. Les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, ainsi que le règlement Bruxelles II bis, renvoient à la loi du for pour les questions de procédures, sauf dispositions contraires absentes en l'espèce.
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B. Exception relevée d'office par le juge Le juge peut-il ou doit-il relever d'office son incompétence internationale lorsque les parties ont omis de le faire ? La question est réglée par les textes, dans un sens différent selon que l'on envisage le droit commun français ou le droit de l'Union européenne.
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En droit commun français, l'article 92, alinéa 2 du Code de procédure civile énonce que « devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d'office que si l'affaire (…) échappe à la connaissance de la juridiction française ». Il ressort de cette disposition, non seulement que le juge peut relever d'office son incompétence internationale, mais encore qu'il peut le faire en tout état de cause. Il ne s'agit toutefois que d'une simple faculté. Le juge n'est donc pas tenu de relever d'office son incompétence internationale, et les parties ne pourraient lui faire reproche de s'en être abstenu. En outre, cette faculté doit être maniée avec prudence par le juge ; en effet, le silence des parties peut résulter de leur ignorance ou de leur négligence, mais il peut également être justifié par leur volonté implicite de proroger la compétence des juridictions françaises (v. ss 364 s., sur les clauses attributives de juridiction). C'est pourquoi certains auteurs préconisent que le juge n'use de sa faculté que lorsque le défendeur est défaillant. La solution permettrait un alignement du droit commun français sur le droit « commun » européen défini par le système Bruxelles.
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Il ressort en effet des articles 27 et 28 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 25 et 26) que le juge d’un État membre incompétemment saisi n’est tenu de se déclarer d’office incompétent que dans deux cas limitativement définis : 1o lorsqu'une autre juridiction a une compétence exclusive au sens de l'article 24 du règlement Bruxelles I bis ; ou, 2 o lorsque le défendeur ne comparaît pas. Dans tous les autres cas, la faculté pour un juge, saisi alors que les dispositions du règlement ne lui confèrent pas compétence, de relever d’office son incompétence est neutralisée par la règle régissant les prorogations de compétence (Règl. BI bis, art. 261 ; Règl. BI, art. 24) : « la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente (…) [sauf] si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24 ». Rendue compétente par la comparution sans contestation du défendeur, la juridiction saisie ne peut naturellement relever d’office une incompétence qui n’est plus avérée. Sous l’empire du Règlement Bruxelles I, la règle ainsi formulée avait pu être contestée comme insuffisamment protectrice des parties faibles ; certains exprimaient le vœu que le juge incompétemment saisi d’une demande formée contre une partie faible jouisse d’une certaine marge de manœuvre pour décider de relever ou non son incompétence d’office (sur ce point, v. Chapitre 1, Rubrique Débats, « L'office du juge dans la mise en œuvre des règles de conflit peut-il évoluer sous l'influence du droit européen ? »). La critique a été prise en compte lors de la refonte du règlement : l’article 26-2 du règlement Bruxelles I bis prévoit ainsi désormais que, lorsque le défendeur est une partie faible au sens du règlement, la juridiction saisie en violation des dispositions protectrices doit, avant de se déclarer compétente, s’assurer « que le défendeur est informé de son droit de contester la compétence de
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la juridiction et des conséquences d’une comparution ou d’une absence de comparution ». Rien n’est dit en revanche du sort d’une décision qui serait rendue par une juridiction devant laquelle la partie faible aurait comparu, sans que cette formalité informative soit accomplie.
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En matière familiale en revanche, les règlements Bruxelles II bis (art. 17), Obligations alimentaires (art. 10), Successions (art. 15), Régimes matrimoniaux (art.15) et Effets patrimoniaux des partenariats (art. 15) prévoient tous l'obligation pour le juge de relever d'office son incompétence. Il en va de même en matière d’insolvabilité : la refonte du règlement Insolvabilité complète en effet le règlement d’origine sur ce point, et inclut désormais un article 4 précisant que « la juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité examine d’office si elle est compétente en vertu de l’article 3 ».
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2 Les exceptions recevables en présence d'une compétence internationale des juridictions françaises
Lorsque la compétence internationale des juridictions françaises est fondée, les parties ne sont normalement pas recevables à la contester. Le droit français exclut la possibilité, reconnue par certains droits de common law en application de la théorie du forum non conveniensQ, pour le juge de renoncer à exercer une compétence internationale pourtant avérée (v. en particulier le débat sur cette faculté lorsque la compétence est fondée sur les art. 14 et 15 du Code civil, v. ss 397). Le droit européen est également défavorable, sur le principe, au jeu de l’exception de forum non conveniens. La Cour de justice l’a énoncé dans un arrêt Owusu du 1er mars 2005 (rubrique Documents) : la règle de procédure du forum non conveniens ne peut pas être mise en œuvre par le juge d’un État membre pour refuser d’exercer une compétence que lui confère le règlement Bruxelles I ou I bis. Pourtant, la possibilité pour le juge de décliner sa compétence a été exceptionnellement consacrée par les règlements Bruxelles II bis et Successions sous la forme d'une version « positive » du forum non conveniens, le forum more conveniensQ ; les règlements Régimes matrimoniaux et Effets patrimoniaux des partenariats introduisent également une forme limitée de forum non conveniens. En droit commun, en revanche, ce n'est jamais la qualité des liens de l'affaire avec le for qui justifie un éventuel dessaisissement, mais plutôt l'existence de procédures parallèles. C'est ainsi que les parties sont en droit de se prévaloir, si les circonstances s'y prêtent, d'une exception internationale de chose jugée (A), d'une exception de litispendance internationale (B) ou d'une exception de connexité internationale (C). Marginalement, l'exception de forum non conveniens peut jouer en application du droit européen (D).
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A. Exception internationale de chose jugée L'exception internationale de chose jugéeQ est celle qui consiste, pour paralyser une action en justice, à faire valoir au cours de la procédure diligentée devant les tribunaux du for l'autorité de chose jugée d'une décision précédemment rendue par une juridiction étrangère. L'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée étant très généralement reconnues de plano aux décisions de justice étrangères (v. ss 430 s.), l'exception internationale de chose jugée est normalement admise dès lors que les
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conditions posées par la loi française, en tant que loi de procédure, à la recevabilité de cette exception sont réunies : le droit français a, en matière interne, assoupli la condition de triple identité de parties, d'objet et de cause traditionnellement exigée, pour y substituer celle d’identité des demandes formées entre les mêmes parties relativement à une même contestation. L'exception doit en toute hypothèse être présentée pendant le cours de la procédure, avant le prononcé du jugement français, car une fois ce jugement rendu se noue un conflit de décisions, nécessairement réglé en faveur de la décision française, la décision étrangère serait-elle même antérieure. Cette priorité de la décision française même postérieure, posée par le droit commun, est confirmée par le droit européen (Règl. BI bis, art. 45-1 c ; Règl. BI, art. 34-3). Si la chronologie des décisions importe, en revanche l'ordre des saisines est en principe sans incidence sur la recevabilité de l'exception de chose jugée : une décision étrangère peut faire obstacle à une procédure pendante devant les juridictions françaises, même si le juge étranger a été saisi postérieurement au juge français (Civ. 1 re, 30 sept. 2009, no 08-18.769, Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon, 4 o esp. ; 16 sept. 2009, Rev. crit. DIP 2010. 164, note H. Muir Watt). Il existe donc incontestablement une « prime à la rapidité » des procédures. Encore faut-il, et ce tempérament est bienvenu, que la saisine d'une juridiction étrangère, postérieure à la saisine de la juridiction française, ne marque pas une volonté de fraude au jugement destinée à faire échec à l'exécution de la décision française, auquel cas la décision étrangère, même antérieurement prononcée, ne pourrait être reconnue en France (Civ. 1 re, 20 juin 2012, no 11-30120, Rev. Crit. DIP 2012. 900, note H. GaudemetTallon, v. Exercice corrigé). L'impact sur les procédures françaises des jugements déclaratifs patrimoniaux étrangers, dont on a pu constater qu'ils s'étaient longtemps vus refuser toute autorité de chose jugée de plano (v. ss chapitre 5, rubrique Débat), reste encore incertain : l'alignement de leur régime sur celui des autres types de décisions, auquel paraît tendre le droit positif contemporain, devrait toutefois permettre d'harmoniser le régime de l'exception internationale de chose jugée. En toute hypothèse, cette harmonisation est acquise en droit européen puisque la reconnaissance de plano y joue pour toutes les décisions, indépendamment de leur nature.
B. Exception de litispendance internationale 490
L'exception de litispendance internationaleQ a pour objet de solliciter d'un tribunal, internationalement compétent, qu'il renonce à exercer cette compétence en raison de l'existence d'une procédure pendante, dans la même affaire, devant un tribunal étranger. Finalement admise par le droit commun français aux termes de l'arrêt Sté Migniera di Fragne (Civ. 1re, 26 nov. 1974, v. rubrique Documents), l'exception est formellement consacrée par le droit de l'Union européenne, aussi bien dans les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis que dans les règlements spéciaux (Bruxelles II bis, Obligations alimentaires, Successions).
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La coordination des sources en matière de litispendance, qui a soulevé des interrogations, a évolué. Dans le cadre du règlement Bruxelles I, l’article 27 relatif à la litispendance se veut applicable lorsque les juridictions de deux États membres se trouvent concomitamment saisies (le lieu du domicile du défendeur étant indifférent). Si les juridictions françaises (membres de l’Union) se trouvent saisies parallèlement aux juridictions d’un État tiers, le droit français de la litispendance internationale
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s’applique certainement lorsque la compétence des juridictions françaises est fondée sur les dispositions du droit commun français (par ex. parce que le défendeur est domicilié dans un État tiers). En revanche, le choix des règles de litispendance est plus délicat à opérer lorsque la compétence des juridictions françaises est fondée sur les dispositions du règlement Bruxelles I : faut-il faire jouer le droit commun français, parce que le critère formel de l’article 27 (demandes pendantes « devant des juridictions d’États membres différents ») n’est pas rempli ? Faut-il considérer que l’exception de litispendance ne peut pas jouer, parce que les juridictions des États membres ne peuvent pas refuser d’exercer une compétence qui leur est offerte par le règlement (solution posée par l’arrêt Owusu du 1 er mars 2005 (rubrique Documents)). Ou faut-il faire jouer un effet réflexe à l’article 27, en considérant que l’exception de litispendance prévue par le règlement peut être mise en œuvre lorsque le tribunal premier saisi est celui d’un État tiers (sur l’effet réflexe, v. Rubrique Débats du Chapitre 4) ? La question n’a jamais été tranchée. Le règlement Bruxelles I bis résoud toutefois cette difficulté. En effet, il ajoute au règlement Bruxelles I en instituant, à côté des règles de litispendance « ordinaire » applicables lorsque des juridictions d’États membres différents sont concomitamment saisies (art. 29 et s.), des règles de litispendance spécifiques applicables lorsque les juridictions d’un État tiers sont saisies parallèlement aux juridictions d’un État membre dont la compétence est fondée sur certaines dispositions du règlement (art. 33). Le droit commun français de la litispendance ne trouve donc plus à s’appliquer que lorsque l’exception est présentée devant les juges français, dont la compétence est fondée sur le droit commun français à raison de l’inapplicabilité du règlement, au profit des juridictions d’un État tiers. On envisagera chacune de ces réglementations, en distinguant la recevabilité de l’exception (1) et les conditions de son accueil (2).
1. Recevabilité de l'exception
Droit européen et droit commun français se rapprochent en ce qu’ils subordonnent la recevabilité de l'exception de litispendance aux mêmes conditions : il faut que deux procédures concernant le même litige soient pendantes devant deux juridictions concurremment compétentes. La notion de « juridiction » peut susciter des discussions (v. par ex., admettant qu’une situation de litispendance existe en cas de saisine préalable d’une autorité religieuse étrangère : Civ. 1re, 18 janv. 2017, n o 16-11.630, D. 2017. 1024, obs. F. Jault-Seseke). Mais c’est la condition d’identité de litige qui génère le plus de contentieux. En droit commun français, cette condition implique que les juges soient saisis des mêmes demandes entre les mêmes parties relativement à une même contestation. Formellement, la plupart des règlements européens retiennent la même solution, et ne prévoient le jeu de l'exception de litispendance que « lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties » (Règl. BI bis, art. 29-1 et 33-1 ; Règl. Bruxelles I, art. 27 ; Règl. Obligations alimentaires, art. 12 ; Règl. Successions, art. 17 ; Règl. Régimes matrimoniaux, art. 17 ; Règl. Effets patrimoniaux des partenariats, art. 17 ; contra sur le cas part. de Règl. Bruxelles II bis, art. 19, v. ci-après). Mais pour l'application du règlement Bruxelles I (transposable au règlement Bruxelles I bis), la Cour de justice de l'Union européenne a élargi la notion de litispendance en en retenant une définition autonome : l'existence d'une situation de litispendance est acquise chaque fois que les procédures parallèles pourraient conduire à des décisions inconciliables, leur
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Pour l’application de l’article 33 du règlement Bruxelles I bis, lorsque l’exception est soulevée devant les juridictions d’un État membre à raison de la saisine préalable des juridictions d’un État tiers, une condition supplémentaire est posée pour que le juge européen puisse recevoir l’exception de litispendance : il faut que sa compétence soit fondée sur les articles 4, 7, 8 ou 9 du règlement, c’est‑à-dire sur les règles de compétence ordinaires. L’exception ne peut jouer si la compétence du juge européen est exclusive (art. 24 ou 25), ou fondée sur les dispositions protectrices des parties faibles.
2. Accueil de l'exception 494
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objet ou leur cause seraient-ils distincts (en part. CJCE 8 déc. 1987, Gubisch, aff. 144/ 86, Rev. crit. DIP 1988. 374, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1988. 537, note A. Huet). Cette jurisprudence conduit à aligner le régime de la litispendance dans les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis sur celui formellement retenu par le règlement Bruxelles II bis. Ce règlement consacre en effet, en matière matrimoniale, une conception élargie de la litispendance : l'article 19-1 du règlement juge la situation de litispendance constituée dès lors que l'un des époux a initié l'une des trois actions en divorce, séparation de corps ou annulation du mariage, tandis que l'autre époux a intenté une autre de ces trois actions, même différente. Strictement, il n'y a donc pas identité d'objet et de cause, mais bien un risque d’inconciliabilité. En matière de responsabilité parentale, le règlement revient à une conception plus stricte de la litispendance, puisque celle-ci est avérée, selon l'article 19-2, en présence « d’actions relatives à la responsabilité parentale à l'égard d'un enfant, ayant le même objet ou la même cause » ; l'identité d'objet et de cause est réintroduite, mais l'identité de parties n'est pas exigée, dès lors qu'un même enfant est au cœur de la procédure.
Dans les relations entre juridictions d’États membres différents, le droit de l'Union européenne confère à l'exception une impérativité particulièrement forte. Conformément à l'article 29 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 27), dès lors que les conditions de recevabilité de l'exception de litispendance sont réunies, la juridiction saisie en second doit, d'office, surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie. Et une fois cette compétence retenue, serait-ce implicitement (CJUE 27 févr. 2014, aff. C-1/13, D. 2014. 1059, obs. F. Jault-Seseke : il suffit que l’incompétence n’ait pas été soulevée par les parties, ni relevée d’office par le juge), par le juge premier saisi, le juge saisi en second doit se dessaisir. Les articles 19 du règlement Bruxelles II bis, 12 du règlement Obligations alimentaires, 18 du règlement Successions et 17 des règlements Régimes matrimoniaux et Effets patrimoniaux des partenariats reprennent le même principe. Le juge saisi en second n'a donc aucun pouvoir d'appréciation. Tout au plus lui revient-il d'apprécier l'ordre chronologique des saisines respectives des juridictions en cause, selon les prescriptions aujourd'hui posées par l'article 32 du règlement Bruxelles I bis (reprenant celles de l’art. 30 du règlement Bruxelles I). En matière civile et commerciale, la priorité chronologique doit exceptionnellement céder lorsque le juge saisi en second l'est en vertu d'une compétence exclusive de l'article 24 du règlement Bruxelles I bis (ou 22 du règlement Bruxelles I). Cette interprétation, qu’autorisait implicitement un arrêt ancien de Cour de justice de l'Union européenne (CJCE 27 juin 1991, Overseas Union, aff. C-351/89, Rev. crit. DIP 1991. 769, note H. Gaudemet-Tallon, JDI 1992. 493, note A. Huet), a été confirmée par la haute juridiction européenne dans un arrêt récent (CJUE 3 avr. 2014, Weber,
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v. rubrique Documents) : le juge saisi en second doit, avant de faire jouer l’exception de litispendance, s’assurer que le juge premier saisi ne l’a pas été en violation des règles de compétence exclusives de l’article 22 du règlement Bruxelles I, ce qui interdirait que sa décision puisse être reconnue dans les autres États membres. Sous l’empire du règlement Bruxelles I, la Cour de justice avait en revanche refusé que la priorité chronologique puisse être inversée lorsque le juge saisi en second était compétent en application d'une clause attributive de juridiction, nonobstant le caractère exclusif de sa compétence (CJCE 9 déc. 2003, Gasser, Rev. crit. DIP 2004. 444, note H. Muir Watt). Cette décision, particulièrement critiquée, produisait un effet pervers, en dévaluant la compétence exclusive du juge élu et en affectant l'efficacité des clauses attributives de juridiction dans l'ordre juridique européen. Le règlement Bruxelles I bis a corrigé ce que beaucoup considéraient comme une grave erreur. Son article 31-2 spécifie désormais que la juridiction saisie en parallèle d’un autre tribunal auquel une clause attributive de juridiction attribue compétence doit, même si elle a été saisie en premier, surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal désigné par la clause prononce sur sa compétence. Et si ce tribunal décide de retenir sa compétence, les autres juridictions éventuellement saisies doivent se dessaisir. La priorité ainsi reconnue au juge élu par une clause attributive de juridiction ne cède que lorsque le juge exclu a été saisi par une partie faible, et que la clause apparaît invalide au regard des règles protectrices des parties faibles (art. 31-4). En droit commun français, l'exception est toujours simplement facultative pour le juge, qui apprécie l'opportunité d'y faire droit alors même que la situation de litispendance est constituée. Le pouvoir d'appréciation du juge résulte en effet de la condition que l'arrêt Société Mignera di Fragne (v. rubrique Documents) a posée à l'accueil de l'exception : il faut que la décision étrangère à intervenir soit susceptible d'être reconnue en France. La reconnaissance étant subordonnée à des conditions de compétence internationale du juge étranger, de conformité à l'ordre public international français et d'absence de fraude (v. ss 414 s.), le juge français est conduit à réaliser un « pronostic » de régularité d'une décision qui n'est même pas encore rendue. Il est donc nécessaire de lui laisser une certaine latitude. La difficulté de cette tâche quasi « divinatoire » conduit en outre à s'interroger sur les modalités de l'accueil de l'exception. En effet, alors que le droit européen indique clairement que le juge saisi de l'exception doit d'abord surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie, puis, une fois cette compétence établie, se dessaisir, l'arrêt Société Miniera de Fragne ne définit pas les conséquences concrètes qu'il convient de tirer de l'exception, si l'on décide de l'accueillir. La logique voudrait toutefois que le juge français surseoie alors à statuer — non pas jusqu'à ce que le juge étranger ait reconnu sa compétence — mais au moins jusqu'au prononcé de la décision étrangère. Ce n'est qu'à ce stade, en effet, que le pronostic de régularité pourra être confirmé et le dessaisissement prononcé ; car si la décision rendue devait s'avérer in fine irrégulière et insusceptible de reconnaissance, il importe évidemment que les parties puissent demander aux juridictions françaises de prononcer une décision effective dans l'ordre juridique français.
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Le droit européen applicable dans les relations avec les États tiers (Règl. BI bis, art. 33) se rapproche du droit commun français. En effet, l’accueil de l’exception de litispendance au profit des juridictions d’un État tiers n’est que facultative pour les juridictions des États membres. Cet accueil est subordonné à deux conditions cumulatives :
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Droit international privé
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1) que l’on puisse s’attendre à ce que la juridiction de l’État tiers rende une décision susceptible d’être reconnue dans l’État membre dont le juge est saisi ; et 2) que le sursis à statuer apparaisse, à la juridiction de l’État membre saisie de l’exception, nécessaire à une bonne administration de la justice. Le régime de l’exception défini par l’article 33 du règlement Bruxelles I bis se rapproche beaucoup de ce que devrait être ce régime en droit commun : le juge d’un État membre qui décide d’accueillir l’exception de litispendance au profit d’un État tiers doit surseoir à statuer ; il ne peut mettre fin à l’instance dont il est saisi que si « la procédure devant la juridiction de l’État tiers est conclue et a donné lieu à une décision qui est susceptible d’être reconnue et, le cas échéant, d’être exécutée » dans son ordre juridique (art. 33-3).
C. Exception de connexité internationale 497
L'exception de connexité internationaleQ (à ne pas confondre avec la compétence internationale fondée sur la connexité, sur laquelle v. ss 382) est celle qui tend à solliciter d'un tribunal, internationalement compétent pour connaître d'un litige, qu'il renonce à exercer cette compétence en raison de l'existence d'une procédure pendante, sur un autre litige connexe, devant un tribunal étranger. En effet, un souci de bonne administration de la justice peut alors justifier que ces deux litiges soient jugés ensemble par la juridiction première saisie. L'exception de connexité internationale est consacrée tant par le droit de l'Union européenne — et plus particulièrement par l'article 28 du règlement Bruxelles I ou 30 du règlement Bruxelles I bis, par l'article 13 du règlement Obligations alimentaires, par l'article 18 du règlement Successions et par les articles 18 des règlements Régimes matrimoniaux et Effets patrimoniaux des partenariats (car le règlement Bruxelles II bis, qui retient une conception large de la litispendance, n'a pas prévu le jeu de la connexité) — que par le droit commun français (Civ. 1 re, 20 oct. 1987, Rev. crit. DIP 1988. 540, note Y. Lequette ; JDI 1988. 446, note A. Huet). Comme pour l’exception de litispendance (v. ss 491 s.), le règlement Bruxelles I bis a en outre introduit un régime spécifique de l’exception de connexité internationale lorsque les juridictions d’un État membre sont saisies d’une telle exception au profit des juridictions d’un État tiers, alors que leur compétence est fondée sur les dispositions du règlement (art. 34). On s’interrogera sur les conditions de la connexité (1) et sur l'accueil de l'exception (2).
1. Conditions de la connexité 498
Pour qu'une situation de connexité, justifiant la réception de l'exception, soit constituée, il faut que deux demandes connexes soient pendantes devant deux juridictions concurremment compétentes. En droit commun français, l'article 101 du Code de procédure civile retient la connexité, en matière interne, lorsqu'il existe entre les deux affaires « un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble ». La jurisprudence semble toutefois vouloir retenir, en matière internationale, une conception plus stricte de la connexité, lorsqu'il existe entre les deux affaires pendantes « un lien de nature à créer une contrariété » de décisions (Civ. 1re, 22 juin 1999, Rev. crit. DIP 2000. 42, note G. Cuniberti). En droit de l'Union européenne, l'article 30-3 du règlement Bruxelles I bis (Règl. BI, art. 28-3) intègre une définition de la connexité, reprise de la jurisprudence de la Cour de
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Les règles de procédure propres au contentieux international
2. Accueil de l'exception
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justice de l'Union européenne : « sont connexes (…) les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ». Cette définition est reprise par l’article 13-3 du règlement Obligations alimentaires et les articles 18-3 des règlements Successions, Régimes matrimoniaux et Effets patrimoniaux des partenariats. Pour l’application de l’article 34 du règlement Bruxelles I bis, lorsque l’exception est soulevée devant les juridictions d’un État membre à raison de la saisine préalable des juridictions d’un État tiers, une condition supplémentaire est posée pour que le juge européen puisse recevoir l’exception de connexité : il faut que sa compétence soit fondée sur les articles 4, 7, 8 ou 9 du règlement, c’est‑à-dire sur les règles de compétence ordinaires. L’exception ne peut jouer si la compétence du juge européen est exclusive (art. 24 ou 25), ou fondée sur les dispositions protectrices des parties faibles.
Droit de l'Union européenne (intra-européen ou extra-européen) et droit commun français se rejoignent ici en ce qu'ils retiennent le caractère simplement facultatif de l'accueil de l'exception de connexité internationale par le juge. Cette faculté s'impose car l'accueil de l'exception suppose, tant en droit européen qu'en droit commun français, une appréciation par le juge saisi en second de « l'intérêt » qui existe à instruire ensemble les affaires prétendument connexes. En toute logique, en droit commun français, l'accueil de l'exception devrait également dépendre, comme en matière de litispendance internationale, d'un pronostic de régularité de la décision à intervenir à l'étranger. Il paraît en effet difficile d'admettre que le juge français renonce à connaître d'une demande et « renvoie » les parties devant un juge étranger saisi d'une demande connexe, si la décision à rendre par ce juge est non susceptible de reconnaissance en France. La Cour de cassation n'a toutefois pas énoncé cette condition dans l'arrêt, rendu en 1999, par lequel elle a défini le régime de l'exception de connexité internationale. Cet apparent libéralisme pourrait s'expliquer par le fait que l'accueil de l'exception de connexité ne conduit qu'au sursis à statuer, et non au dessaisissement (en ce sens : S. Lemaire, « La connexité internationale », Trav. Com. fr. DIP 2008-2010. 95). Les règles européennes applicables dans les relations avec les États tiers, introduites par le règlement Bruxelles I bis, précisent en tout cas que l’exception de connexité ne peut être accueillie, même s’il y a intérêt à instruire et juger les deux affaires ensemble, que si « l’on s’attend à ce que la juridiction de l’État tiers rende une décision susceptible d’être reconnue et, le cas échéant, d’être exécutée » dans l’État membre dont la juridiction est saisie de l’exception, et que cette juridiction est convaincue que le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice (art. 34-1). Si ces conditions sont réunies, cette juridiction pourra donc choisir de surseoir à statuer, et mettre fin à l’instance lorsqu’une décision susceptible d’être reconnue et exécutée aura été rendue par la juridiction de l’État tiers (art. 34-3). Enfin, à suivre les prescriptions du droit de l'Union européenne comme du droit commun, le prononcé d'un sursis à statuer en cas de connexité incombe au juge saisi en second lieu. Comme en matière de litispendance donc, c'est un critère chronologique qui s'applique. La pertinence de ce critère chronologique a toutefois été remise en cause par la doctrine, au profit d'un critère rationnel : priorité devrait être
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Droit international privé
réservée au tribunal qui entretient le plus de liens avec la question connexe (en ce sens, S. Lemaire, préc.).
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D. Forum non conveniens Si traditionnellement le juge français ne peut, en dehors des cas qui viennent d'être précisés, refuser d'exercer une compétence qui lui est dévolue, cette possibilité lui a été accordée très marginalement par le droit de l'Union européenne. Deux règlements instituent ainsi le forum more conveniens, qui autorise un juge compétent en vertu du règlement à renvoyer l'affaire à un autre juge qu'il juge mieux placé pour en connaître. Cette faculté a été en premier lieu instituée par le règlement Bruxelles II bis, pour les seules affaires relatives à la responsabilité parentale. Le règlement prévoit en effet, en son article 15, qu'exceptionnellement les juridictions compétentes en application des compétences réglementaires puissent « renvoyer » l'affaire à une autre juridiction « si elles estiment qu'une juridiction d'un autre État membre avec lequel l'enfant a un lien particulier est mieux placée pour connaître de l'affaire ou d'une partie spéciale de l'affaire, et lorsque cela sert l'intérêt supérieur de l'enfant ». Cette faculté reste toutefois étroitement encadrée, puisque le règlement définit ce qu'il convient d'entendre par la notion de « lien particulier » entre l'enfant et un autre État membre (art. 15-3). En outre, le règlement limite le jeu du forum more conveniens, d'une part en précisant que les juridictions ne peuvent y recourir d'office que « s'il est accepté par l'une des parties au moins », d'autre part en subordonnant le dessaisissement de la juridiction compétente et première saisie à la certitude que la juridiction à laquelle il est renvoyé acceptera de connaître de l'affaire (art. 15-1). Cette même volonté d'encadrer le recours au déclinatoire de compétence se retrouve aujourd'hui à l'article 6, a) du règlement Successions, qui prévoit la faculté pour le juge compétemment saisi de décliner sa compétence au profit d'autres juridictions dans la seule hypothèse où le défunt a choisi la loi applicable à sa succession (sur ce, v. ss 825). La juridiction saisie peut alors, à la demande d'une des parties (et non d'office), « décliner sa compétence si elle considère que les juridictions de l'État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu des circonstances pratiques de celle-ci, telles que la résidence habituelle des parties et la localisation des biens ». Ce sont des considérations un peu différentes, plus substantielles que proximistes, qui justifient l’intégration d’une sorte de forum non conveniens dans les nouveaux règlements Régimes matrimoniaux et Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Les articles 9 de ces textes prévoient en effet, sous l’intitulé « compétence de substitution », la possibilité pour une juridiction compétente de décliner cette compétence si « son droit international privé ne reconnaît pas le mariage concerné aux fins d’une procédure en matière de régimes matrimoniaux » et si « son droit ne prévoit pas l’institution du partenariat enregistré ». Il s’agit donc ici de garantir l’effectivité des droits des parties dans des hypothèses où celle-ci pourrait être remise en cause en raison du traitement national d’une question préalable non soumise au règlement.
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Le droit d'action
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section
Les règles de procédure propres au contentieux international
Le droit d'action revêt, en matière internationale, une spécificité qui justifie ici son étude. On sait en effet la compétence de principe reconnue à la loi du for en matière procédurale, dont on a vu qu'elle n'avait guère été, jusqu'à une époque récente, contestée. Pourtant, le droit d'action a de longue date été considéré comme susceptible de justifier la réintroduction du conflit de lois dans un domaine — la procédure — où il était traditionnellement exclu. C'est le lien étroit qui unit le droit d'action — droit subjectif de nature processuelle — au droit substantiel dont il tend à assurer la concrétisation en justice — soumis au conflit de lois — qui provoque cette potentielle réintroduction du conflit de lois : lorsqu'un plaideur présente une demande en justice, fondée sur un droit substantiel soumis à une loi étrangère (par exemple : créance contractuelle acquise aux termes d'un contrat régi par la loi allemande), l'existence de son droit d'action — qui conditionne la recevabilité de celle-ci — doitelle être appréciée strictement du point de vue du for, ou la loi qui régit le droit substantiel qui sous-tend l'action a-t‑elle un titre à intervenir ? Le droit international privé commun français — qui joue ici en toute hypothèse en l’absence de réglementation supranationale — n'adopte pas une solution globale pour « le droit d'action » considéré comme un tout. Il est donc nécessaire de distinguer en fonction des divers éléments constitutifs. On envisagera à cet effet l'existence du droit d'action (§ 1), puis son extinction (§ 2).
§
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1 L'existence du droit d'action
L'existence du droit d'action est subordonnée à deux principales conditions : un intérêt à agir (A), et une qualité pour agir (B).
A. Intérêt à agir
Dans l'arrêt Coveco (Civ. 1re, 4 déc. 1990, Rev. crit. DIP 1991. 558, note M.-L. NiboyetHoegy ; JDI 1991. 371, note D. Bureau), la Cour de cassation était saisie de la question de la loi applicable à l'intérêt à agir. Elle affirme à cette occasion que « l'exigence d'un intérêt né et actuel est commandée, en raison de son caractère procédural, par la loi du for, la loi applicable au fond n'étant à prendre en considération que si elle n'accorde pas de droits à celui qui agit en justice ». Il ressort de cet arrêt que la loi du for régit normalement l'intérêt à agir, s'agissant d'une question à caractère procédural. Elle s'applique donc notamment à l'exigence d'un intérêt né et actuel, dont l'objet est de contrôler la pertinence de la saisine des tribunaux et de limiter l'encombrement du rôle. Mais un titre d'intervention est reconnu à la loi applicable au fond, dont la portée divise la doctrine : pour certains, il devrait être tenu compte de la loi étrangère applicable au fond uniquement si elle prive le demandeur d'intérêt à agir ; pour d'autres, la loi étrangère applicable au fond devrait être prise en compte — les caractères de l'intérêt né et actuel étant définis par la loi de procédure — pour déterminer concrètement si cet intérêt existe.
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Droit international privé
Plus généralement, la doctrine estime, en l'absence de toute solution jurisprudentielle, que la condition de légitimité de l'intérêt à agir devrait être définie en considération de la loi applicable au fond, en raison du lien étroit qui l'unit à la substance. Le raisonnement est en réalité proche de celui appliqué pour l'exigence d'un intérêt né et actuel : il revient en effet à la loi de procédure de dire si l'exigence de légitimité de l'intérêt s'impose ; mais pour apprécier cette légitimité, la prise en considération de la loi applicable au fond du droit est nécessaire.
B. Qualité pour agir
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La qualité pour agir reconnue à un individu est normalement déduite de son intérêt à agir, elle-même liée à la titularité du droit substantiel qui fonde l'action en justice. Il arrive toutefois que la loi attribue qualité pour agir à un individu qui n'est pas titulaire du droit substantiel, ou limite au contraire le droit d'agir à certaines catégories d'intéressés. Dans tous ces cas, le fondement de l'attribution de la qualité pour agir est essentiellement substantiel (par exemple : c'est le souci de garantir les droits de l'enfant qui conduit à donner à sa mère qualité pour exercer l'action en recherche de paternité). Doctrine et jurisprudence tendent en conséquence à considérer que la qualité pour agir doit être régie par la loi applicable au fond du droit, plutôt que par la loi de procédure du for.
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Les débats se concentrent aujourd'hui sur les conditions juridiques de l'action d'un groupement d'individus qui souhaite agir pour protéger d’autres droits que les siens propres (sur la capacité à agir des personnes morales étrangères, v. ss 868 s.). La question s'est en premier lieu posée à propos de l'action des groupements dotés de la personnalité juridique (associations, syndicats) pour la défense d'un intérêt collectif. La jurisprudence semble bien sévère sur ce point, puisqu'elle subordonne la recevabilité de cette action à l'application cumulative de deux lois : un groupement ne peut agir pour la défense d'un intérêt collectif que si ce droit lui est reconnu par la loi qui régit le groupement, et par la loi du for devant lequel l'action est portée (M.L. Niboyet, G. de Geouffre de la Pradelle, v. op. cit., no 621 s.). La sévérité de cette solution est partiellement tempérée par le droit de l'Union européenne, en particulier par une directive du 11 juin 1998 (JOCE no L 166 du 11 juin 1998, p. 51 ; M.L. Niboyet, G. de Geouffre de la Pradelle, v. op. cit., n o 645). Une autre interrogation concerne le sort des actions de groupe ou class actions. La recevabilité de ces actions est soumise à la loi du for. En France, une action de groupe internationale peut désormais être reçue, à la condition qu’elle soit conforme aux exigences posées par la loi « Hamon » du 17 mars 2014 (no 2014-344). Sont donc recevables les actions de groupe internationales par lesquelles une association de consommateurs, représentative et agréée, cherche à « obtenir la réparation de préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales et contractuelles » (art. 423-1 et s. C. conso). D’autres systèmes juridiques, notamment mais pas exclusivement ceux de common law, sont beaucoup plus accueillants à l’égard de ces actions. La question de la reconnaissance et de l’exécution en France de décisions rendues dans le cadre de class actions peut donc se poser. La question de la compétence des juridictions pour connaître de ces actions est en revanche loin d’être réglée.
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§
Les règles de procédure propres au contentieux international
2 L'extinction du droit d'action
A. Prescription
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Le mode d'extinction du droit d'action qui suscite, du point de vue de la loi applicable, les discussions les plus soutenues en droit international privé est la prescription. On l'envisagera donc prioritairement (A), avant d'évoquer succinctement d'autres modes possibles d'extinction (B).
Les délais de procédure, étroitement liés au fonctionnement du service public de la Justice (car destinés à en assurer la suffisante célérité), relèvent manifestement de la loi de procédure. Le délai de prescription de l'action en justice, en revanche, a une nature plus discutable ; la tradition processualiste française atteste des interrogations que suscite la prescription, et notamment le point de savoir si elle envisage principalement la disparition, en conséquence de l'écoulement du temps, du droit d'action, ou également du droit substantiel qui le fonde. En droit international privé, la nature substantielle de la prescription paraît avoir été privilégiée, puisqu'on lui applique en principe la loi qui régit le fond du droit substantiel en cause, plutôt que la loi de procédure. Cela est par exemple admis de longue date en matière contractuelle, où la prescription des actions fondées sur le contrat est régie par la loi applicable à ce contrat. La compétence, en matière de prescription, de la loi qui régit le droit substantiel en cause jouit dorénavant d'un fondement textuel, puisqu'à l'occasion de la réforme de la prescription en matière civile, un article 2221 a été inséré au Code civil, disposant que « la prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte ».
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B. Autres modes d'extinction L'article 384 du Code de procédure civile envisage, comme mode d'extinction de l'action, la transaction, l'acquiescement et le désistement (d'action, à ne pas confondre avec le désistement d'instance). S'il appartient évidemment à la loi de procédure du for de décider de l'incidence que peuvent avoir, sur l'instance en cours, ces modes d'extinction du droit d'action, ils n'en sont pas moins, en tant qu'actes juridiques, soumis à leur loi propre.
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L'instruction des litiges internationaux Pour qu'un litige soit en état d'être jugé, un certain nombre d'actes de procédure sont nécessaires. Le plus souvent, les litiges « internationaux » sont jugés selon les mêmes règles de procédure que les litiges internes. Certaines adaptations ponctuelles peuvent toutefois s'avérer indispensables. Ainsi, le respect du contradictoire impose que les actes de procédure soient régulièrement portés à la connaissance respective des parties, par la voie de notifications et significations. Or les notifications et les significations à l'étranger, indispensables lorsque l'une des parties y est domiciliée,
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Droit international privé
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posent des problèmes spécifiques, justifiant l'adoption de règles matérielles qui leur sont propres (§ 1). Selon la même logique, le fait que des actes d'instruction, nécessaires pour garantir l'information suffisante du juge, puissent devoir être conduits à l'étranger, génère des difficultés très spécifiques. Plus largement, c'est l'ensemble de l'administration de la preuve qui, en matière internationale, appelle des solutions particulières (§ 2). Enfin, le droit communautaire a conçu de véritables procédures européennes uniformisées, donnant naissance à des règles de procédure exclusivement applicables au règlement des litiges transfrontaliers intra-européens (§ 3).
1 Notification et signification des actes à l'étranger
Les actes de notification et de signification revêtent une importance fondamentale en ce qu'ils constituent une modalité indispensable du respect des principes essentiels de la procédure, notamment des droits de la défense. Ce n'est que s'il est informé en temps utile de l'existence d'une procédure, et des arguments qu'entend faire valoir son adversaire, qu'un plaideur sera en mesure de présenter sa défense. Les actes de notification et de signification ont pour objet la délivrance de cette information. En droit interne, ces actes relèvent de la responsabilité des parties ; mais leur importance justifie qu'un contrôle de leur sérieux soit assuré par l'institution judiciaire. C'est la raison pour laquelle ils sont normalement accomplis, à la demande des parties, par un officier ministériel, généralement un huissier de justice. Mais le principe du cloisonnement des ordres institutionnels interdit toujours que les officiers ministériels d'un État accomplissent leur mission sur le territoire d'un autre État. C'est pourquoi, lorsqu'un acte doit être porté à la connaissance d'une partie domiciliée à l'étranger, les États en général, et la France en particulier, édictent des règles de procédure spécifiques. Ce système des notifications et significations de droit commun (A), on le constate, n'est toutefois pas aussi efficace que celui organisé dans les procédures purement internes, et il tend fréquemment à réduire les garanties offertes au destinataire de l'information. C'est pourquoi un droit international et européen des notifications et significations, reposant sur la coopération des États, s'est développé pour en améliorer l'efficacité (B).
A. Droit commun des notifications et significations à l'étranger 512
Le Code de procédure civile organise, pour les besoins des procédures conduites devant les juridictions françaises, les modalités de notification des actes de procédure lorsque le destinataire est domicilié à l'étranger. Il prévoit que ces notifications sont faites par voie de signification à parquet : l'huissier de justice chargé de la signification de l'acte le transmet au parquet, qui se charge, via le ministre de la Justice, de l'acheminer vers l'étranger (C. pr. civ., art. 684, 685). Dans le pays de destination, selon le contenu des accords bilatéraux conclus avec la France, la remise au destinataire est confiée soit aux autorités consulaires et diplomatiques françaises, soit aux autorités étrangères compétentes. Le Code de procédure civile prévoit également, pour garantir au mieux l'information du destinataire, que l'huissier doit, le jour même de la signification au parquet, envoyer au destinataire par lettre recommandée avec accusé de réception copie de l'acte signifié (C. pr. civ., art. 686). Lorsque le processus suit normalement son cours, la juridiction est en mesure de constater que
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l'acte a été signifié en temps utile, et elle peut donc normalement statuer. Dans le cas contraire, l'action judiciaire ne peut être indéfiniment neutralisée ; l'article 688 du Code de procédure civile prévoit alors que le juge peut statuer si trois conditions cumulatives sont remplies : 1) les formalités prescrites par les articles 684 à 687 du code de procédure civile ont été respectées ; 2) un délai de six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte ; 3) aucun justificatif de remise n'a pu être obtenu en dépit de démarches effectuées en ce sens auprès des autorités étrangères compétentes. Le juge français peut en toute hypothèse prescrire d'office des diligences complémentaires (C. pr. civ., art. 688, al. 2). L'efficacité du système est toutefois indéniablement améliorée lorsqu'une véritable coopération s'instaure entre les États.
B. Droit international et européen des notifications et significations à l'étranger La nécessité d'améliorer les systèmes de transmission des actes de procédure à l'étranger a très tôt conduit les États à mettre en œuvre des mécanismes de coopération par voie de convention internationale (1). Plus récemment, le droit de l'Union européenne a développé ses propres instruments de coopération entre États membres (2).
1. Droit conventionnel
Une convention relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale a été adoptée à La Haye le 15 novembre 1965. Cette convention a pour objectif de faciliter les notifications à l'étranger en en accélérant et fiabilisant la transmission. Son apport majeur est l'obligation qu'elle institue à la charge des États signataires de désigner une « Autorité centrale » spécialement chargée de recevoir et de traiter les demandes de notifications et de significations émanant de l'étranger. La convention prévoit également un allégement des formalités qui accompagnent la transmission. Elle impose à l'autorité requise de rendre compte des difficultés rencontrées à l'État requérant, et au juge de l'État requérant, si le défendeur ne comparaît pas, de surseoir à statuer aussi longtemps qu'il n'a pas été établi que l'acte introductif d'instance lui a bien été signifié. Surtout — et c'est sans doute son aspect le plus moderne —, elle précise que dans l'État requis, la signification peut être opérée selon les formes locales (application de la lex fori), mais également « selon la forme particulière demandée par le requérant », c'est‑à-dire en application d'une loi de procédure étrangère, si du moins cette forme « n'est pas incompatible avec la loi de l'État requis ». En cela, elle préfigure les textes les plus récents, adoptés dans le cadre de l'Union européenne.
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2. Droit de l'Union européenne Signe de l'importance pratique de ces questions, l'un des tout premiers règlements adoptés sur le fondement de l'article 65 du traité CE est le règlement no 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matières civile et commerciale. Ce règlement a été abrogé et remplacé par un règlement no 1393/2007 qui reprend le même intitulé, dit règlement Signification ou notification des actes, applicable à compter du 13 novembre 2008.
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Le règlement (on retiendra ici le second et plus récent) organise un processus de transmission directe, entre des entités locales désignées par les États membres et sous la supervision d'une entité centrale, des actes dont la notification ou la signification est requise ; la transmission peut ainsi s'effectuer d'huissier à huissier. L'entité requise est chargée de procéder à la signification ou la notification, soit selon les formes locales, soit « selon le mode particulier demandé par l'entité d'origine, sauf si ce mode est incompatible avec la loi » locale. La signification doit avoir lieu dans les meilleurs délais — le § 13 du préambule du règlement préconise une transmission « dans les jours qui suivent la réception de l'acte » — et au plus tard dans le délai d'un mois à compter de cette réception. Enfin, le règlement prévoit que la date de la signification ou de la notification de l'acte est « celle à laquelle l'acte a été signifié ou notifié conformément à la législation de l'État membre requis » (art. 9-1). Comme la convention de La Haye, il précise que, s'agissant de la signification d'un acte introductif d'instance, le juge doit surseoir à statuer lorsque le défendeur ne comparait pas, tant qu'il n'est pas établi que le défendeur a bien eu connaissance de l'acte.
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En marge de ce mode principal de transmission et notification des actes, imposé à tous les États membres, le règlement prévoit la possibilité de recourir à d'autres moyens plus exceptionnels : la signification « traditionnelle », par voie consulaire ou diplomatique, la signification ou notification postale par lettre recommandée avec accusé de réception — un huissier français peut notifier un commandement de payer par voie postale à des débiteurs domiciliés en Irlande (alors qu’il ne peut le faire selon le droit français, pour des débiteurs domiciliés en France) —, et surtout — mais soumise à l'autorisation de la loi locale — la signification « directe », entendue comme celle requise par une partie directement auprès des autorités compétentes de l'État membre requis. Un demandeur français pourrait ainsi faire procéder à la signification de l'acte introductif d'instance devant les juridictions françaises au défendeur domicilié en Belgique par un huissier de justice belge. Aucune hiérarchie n'est instituée entre les modes de signification, et il suffit donc de recourir au mode qui apparaît le plus opportun, eu égard aux circonstances de l'espèce (CJCE 9 févr. 2006, Plumex, aff. C-473/04).
§ 518
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2 Administration de la preuve
En droit processuel français, l'établissement des éléments de fait du litige incombe principalement aux parties ; c'est le droit de la preuve, qui en matière internationale sollicite le conflit de lois (A). Le juge dispose toutefois de moyens personnels pour rechercher les éléments de fait lorsqu'il le juge utile. À cet effet, il peut en droit interne ordonner des mesures d'instruction et enjoindre aux parties des productions. Dispose-t‑il des mêmes pouvoirs lorsque les éléments de preuve en cause sont situés à l'étranger (B) ?
A. Les faits établis par les parties : le droit de la preuve 519
Étroitement lié à la procédure, le droit de la preuve a également des liens non négligeables avec les droits substantiels en cause, puisque les règles de la preuve varient en fonction de la nature de ces droits : à titre d'exemple, l'établissement de la filiation naturelle fait appel à un régime et à des modes de preuve qui lui sont
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largement spécifiques, et il en va de même des actes juridiques. Le cas des actes juridiques, en outre, fait ressortir la potentielle importance du lieu de conclusion des actes : les parties ont légitimement pu se pré-constituer une preuve en considération des règles locales. Le droit de la preuve impose donc de circonscrire les domaines respectifs de la lex fori comme loi de procédure, de la loi applicable au fond, et de la loi du lieu de conclusion des actes juridiques, la lex loci actus. Les titres respectifs de compétence de ces lois varient selon la question posée : charge et objet de la preuve (1), admissibilité et force probante des modes de preuve (2) sont soumis à des régimes distincts.
1. Charge et objet de la preuve Charge et objet de la preuve sont traditionnellement soumis à la loi applicable au fond. La règle se comprend aisément s'agissant de l'objet de la preuve : les éléments dont la preuve doit être rapportée pour établir un droit dépendent de la consistance de ce droit, laquelle est définie par la loi applicable au fond. Elle s'impose aussi, peutêtre moins nettement, pour la charge de la preuve. Si les règles qui régissent la charge de la preuve peuvent sembler revêtir une fonction essentiellement procédurale, l'examen des présomptions légales atteste en réalité du lien indéfectible qui existe avec le fond du droit : la consécration d'une présomption légale a une fonction substantielle (par exemple : la présomption de propriété dont bénéficie le possesseur d'un meuble ; la présomption de paternité qui s'applique au mari de la mère…). L'application de la loi applicable au fond, plutôt que de la loi de procédure, se justifie donc.
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2. Admissibilité et force probante des modes de preuve Quels modes de preuve peuvent être présentés devant le juge, et quelle force probante ce dernier doit-il leur reconnaître ? La question apparaît étroitement liée aux pouvoirs du juge, puisqu'elle renvoie à l'établissement de sa conviction, donc au fonctionnement de la justice : la compétence de la lex fori semble devoir s'imposer. Cette compétence n'est toutefois que partiellement consacrée.
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Le régime de preuve des actes juridiques obéit, tout d'abord, à des règles spécifiques. La considération tirée des légitimes prévisions des parties impose ici un tempérament à la compétence de la loi du for, consacré par la jurisprudence : « s'il appartient au juge français d'accueillir les modes de preuve de la loi du for, c'est néanmoins sans préjudice du droit pour les parties de se prévaloir également des règles de preuve du lieu de conclusion de l'acte » (Civ. 1 re, 24 févr. 1959, Isaac, Rev. crit. DIP 1959. 368, note Y. L. ; JDI 1959. 1144, note J.-B. Sialelli). La pré-constitution des modes de preuve, selon les règles posées par la loi du lieu de conclusion de l'acte, doit donc être assurée d'effectivité par la consécration de la compétence, alternative à celle de la lex fori, de la lex loci actus. La solution est confirmée par la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, et aujourd'hui par le règlement Rome I (v. ss 1011), qui retiennent l'admissibilité des modes de preuve des obligations contractuelles consacrés soit par la loi du for, soit par la loi qui régit la forme de l'acte, c'est‑à-dire la loi du lieu de sa conclusion ou alternativement la loi du fond. La doctrine préconise d'ailleurs que cette solution soit étendue à toutes les hypothèses où la loi du for impose une pré-constitution de la preuve, que l'objet de la preuve porte sur des actes juridiques ou des faits juridiques. La force probante que peuvent
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se voir reconnaître les modes pré-constitués de preuve des actes juridiques doit également être soumise à la loi du lieu de conclusion de l'acte. Certains modes de preuve, ensuite, apparaissent trop étroitement liés à la nature des droits en cause pour pouvoir en être totalement dissociés ; tel est le cas chaque fois que la loi institue des modes de preuve spécifiques à une matière donnée, comme en matière de filiation par exemple. Dans cette hypothèse, la loi du fond retrouve un titre de compétence pour régir l'admissibilité des modes de preuve.
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B. Les faits établis par le juge : les mesures d'instruction et injonctions de produire 524
S'il revient aux parties d'établir les faits sur lesquels se fonde le litige, en en rapportant la preuve, le juge a la charge de l'administration de la preuve : c'est à lui d'organiser la façon dont la preuve est présentée en justice, qu'il s'agisse d'impartir des délais, de prononcer des injonctions de produire, de vérifier la véracité des documents versés aux débats… Il peut même, s'il s'estime insuffisamment informé, prescrire des mesures d'instruction utiles pour obtenir des informations complémentaires. Tous ces pouvoirs relèvent étroitement de la définition des pouvoirs du juge, et sont donc nécessairement soumis à la lex fori, quelle que soit la loi applicable au fond : aucun conflit de lois ne vient en principe s'y immiscer. Pour autant, le juge n’est pas nécessairement libre dans l’exercice de ces pouvoirs. Il faut notamment prendre en considération l’influence, déjà évoquée à maintes reprises, des dispositifs de protection des droits fondamentaux. La Cour de cassation semble ainsi déduire de l’article 6 de la Conv. EDH un véritable droit à la preuve, susceptible d’infléchir la façon dont le juge français exerce ses pouvoirs en matière probatoire dans les litiges internationaux (Com. 29 nov. 2017, no 16-22.060, D. 2018. 603, note C. Kleiner, et 974, obs. S. Clavel). En outre, le caractère international du litige peut avoir une incidence sur l'exercice par le juge de ces pouvoirs, lorsque les éléments de preuve en cause sont localisés à l'étranger. Peut-il légitimement ordonner la production d'une pièce détenue par une partie ou un tiers à l'étranger ? Peut-il légitimement prescrire une expertise dont la réalisation doit s'opérer sur un territoire étranger ?
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La réponse à ces questions était traditionnellement trouvée dans le principe de territorialité des mesures d’instruction, découlant de la compétence exclusive reconnue par le droit international public aux États pour l’accomplissement d’actes de souveraineté sur leur territoire. Ainsi privé du pouvoir d'ordonner des mesures d'instruction à l'étranger, le juge se trouve toutefois singulièrement paralysé dans l'instruction des litiges internationaux. C’est pour pallier cette difficulté que les États ont de longue date institué des mécanismes de commissions rogatoiresQ, destinés à organiser une coopération interétatique dans l'administration de la preuve : le juge saisi du litige peut solliciter d'une juridiction étrangère, dans l'ordre juridique de laquelle les mesures d'instruction doivent être réalisées, qu'elle y procède à sa place et lui communique les résultats de ses investigations (v. pour la France les art. 733 et s. C. Pr. c.). Ces mécanismes ont longtemps fonctionné sur une base purement volontaire, les États déférant aux commissions rogatoires émanant de l'étranger par souci de courtoisie internationale et de réciprocité ; l'exécution de la mesure, dépendant de la bonne volonté de l'État local, restait toutefois empreinte d'un certain aléa.
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C'est la raison pour laquelle ces procédés de coopération ont été institutionnalisés. Deux conventions de La Haye — la convention du 1 er mars 1954 relative à la procédure civile et surtout la convention du 18 mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile et commerciale — ont « rigidifié » le mécanisme des commissions rogatoires, en en organisant le fonctionnement et en en rendant l'exécution obligatoire pour les États signataires. Dans l'Union européenne, l'obtention des preuves à l'étranger est aujourd'hui grandement facilitée par le règlement no 1206/2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale. Droit conventionnel et droit de l'Union européenne ont en commun de permettre à l'autorité requérante de solliciter, sous réserve de compatibilité avec le droit de l'État requis, que des formes spécifiques — exigées par la loi du for — soient respectées. Ils encouragent, en outre, les États signataires ou États membres à accepter l'exécution directe des mesures d'instruction, sur leur territoire, par le juge étranger saisi du litige au fond. En marge de ces instruments de coopération, certains États ont développé des instruments unilatéraux permettant de mettre en œuvre, sans violation directe de la souveraineté étatique, des mesures d’instruction relatives à des éléments de preuve pourtant situés à l’étranger. C’est principalement par le biais d’injonctions extraterritoriales adressées aux parties, sous peine de sanctions locales – par exemple l’injonction de produire un document pourtant détenu sur le territoire d’un autre État – que cette instruction extraterritoriale peut être réalisée. Ces pratiques soulèvent deux questions. La première est celle de leur compatibilité avec les instruments de coopération conclus par les États. En 1987, la Cour Suprême des États-Unis a considéré, dans un arrêt Aerospatiale (15 juin 1987), que les mécanismes de coopération institués par le Convention de La Haye ne sont que facultatifs, et n’interdisent pas aux parties et aux juges de recourir à des procédés d’obtention de preuves prévus par le droit national. Cette décision a fait naître une controverse importante en Europe, sans doute plus en raison du caractère très agressif des mesures d’obtention de preuve prévues par le droit américain (discovery) qu’en raison de l’affirmation du caractère facultatif de la Convention. D’ailleurs, dans le contexte certes différent du droit européen, la CJUE a récemment affirmé, dans un arrêt ProRail du 21 février 2013 (C-332/11), le caractère simplement facultatif du Règlement Obtention des preuves : « la juridiction d’un État membre, qui souhaite qu’un acte d’instruction confié à un expert soit effectué sur le territoire d’un autre État membre, n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu [par le règlement] afin de pouvoir ordonner cet acte d’instruction ». Cette décision rejoint alors la seconde question, celle de savoir si le principe de territorialité des mesures d’instruction s’oppose encore à ce qu’un juge ordonne la réalisation d’un acte d’instruction sur le territoire d’un autre État, en dehors des procédés de coopération consentis entre États. Dans l’Union européenne, la question se pose avec une acuité particulière, car certaines expertises judiciaires pourraient être qualifiées de « mesures provisoires et conservatoires » au sens du règlement Bruxelles I bis, et dès lors être ordonnées de façon extraterritoriale par le juge compétent au fond (sur le régime des mesures provisoires et conservatoires, v. ss 385 s. ; et sur l’ensemble de la question, v. l’analyse approfondie de G. Cuniberti, « L’expertise judiciaire en droit judiciaire européen », Rev. Crit. DIP 2015. 519).
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§
La complexité de l'instruction des litiges internationaux peut, à maints égards, rebuter les plaideurs. Déjà confrontés en aval aux problèmes d'exécution des décisions, les plaideurs transfrontaliers doivent en outre faire face, en amont, aux difficultés d'accès au droit étranger et aux preuves, de même qu'à la lourdeur et aux incertitudes des significations internationales, sans même mentionner l'inconfort d'une procédure diligentée devant des juridictions étrangères, selon une procédure mal connue et parfois en une langue étrangère. L'enjeu des litiges transfrontaliers ne vaut pas toujours la peine que son traitement occasionne aux parties, lesquelles sont alors incitées à renoncer purement et simplement à faire valoir leurs droits en justice. C'est pour répondre au moins partiellement à ces problématiques que le droit de l'Union européenne a introduit dans l'espace européen des procédures uniformes dont l'objet commun est de simplifier, accélérer et réduire les coûts des procédures transfrontalières « simples ». Le règlement n o 1896/ 2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer tend ainsi à garantir un recouvrement rapide des créances liquides et exigibles ne faisant l'objet d'aucune contestation juridique. Le règlement no 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des Petits litiges permet un recouvrement rapide des petites créances dont le montant est inférieur à 2 000 euros (montant porté à 5 000 euros par un règlement no 2015/2421). Le règlement no 655/2014 du 15 mai 2014 portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires institue une procédure européenne permettant au titulaire d’une créance en matière civile et commerciale d’obtenir, dans les meilleurs délais, une ordonnance empêchant le transfert ou le retrait de fonds détenus par son débiteur sur un compte bancaire tenu dans un autre État membre. Le propre de ces règlements est d'introduire dans le droit des États membres des procédures nouvelles, qui ne se substituent pas aux procédures nationales, mais s'y ajoutent. D'une part, en effet, ces procédures ne s'appliquent qu'aux litiges transfrontaliers ; les procédures nationales restent donc applicables aux litiges internes. D'autre part, même dans les litiges transfrontaliers, ces procédures sont seulement facultatives pour les parties ; celles-ci peuvent opter, si elles le préfèrent, pour une procédure nationale. Mais la partie qui opte pour la procédure européenne bénéficie de plusieurs avantages. Elle est tout d'abord assurée de rencontrer, quel que soit l'État membre dans lequel elle exerce son action, des règles de procédures plus ou moins identiques, définies par les règlements. Elle sait ensuite que la décision rendue jouira d'une force exécutoire renforcée, car étendue à l'échelle européenne (sur cette force exécutoire « européenne », v. ss 472 et s.).
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3 Procédures européennes uniformes
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Compléments pédagogiques
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Aujourd'hui théoriquement contesté, le principe de soumission de la procédure à la loi du for, qui exclut prétendument tout conflit de lois en la matière, rencontre certaines limites en droit positif. D'un côté, le conflit de lois est parfois réintroduit pour permettre l'incursion, sur un point de procédure, d'une loi étrangère. De l'autre, des règles matérielles propres à l'instruction des litiges internationaux ont parfois dû être adoptées pour répondre à leur spécificité. Obéissent ainsi à des règles matérielles spéciales, posées par le droit commun français ou par le droit de l’Union européenne, les incidents de compétence internationale : l'exception d'incompétence internationale des juridictions françaises, l'exception internationale de chose jugée, les exceptions de litispendance et de connexité, ou encore l'exception européenne de forum non/more conveniens. De même, des règles matérielles spéciales ont été édictées pour les besoins de l'instruction extraterritoriale des litiges, notamment pour la réglementation des notifications et significations à l'étranger et pour l'obtention des preuves à l'étranger. Sur ces aspects, une coopération interétatique s'est d'ailleurs développée, tout d'abord par voie conventionnelle sous l'égide de la conférence de La Haye, puis plus récemment sous l'influence du droit de l'Union européenne. Dans ce contexte, de véritables procédures européennes, pour le traitement des injonctions de payer transfrontalières, le règlement des petits litiges transfrontaliers, ou encore les saisies conservatoires transfrontalières de comptes bancaires, ont en outre été instituées. Le conflit de lois est réintroduit chaque fois qu'il existe un lien étroit entre la procédure et la substance des droits en cause : la loi qui, d'après la règle de conflit de lois, réglemente ces droits substantiels a alors un titre à intervenir concurremment à la loi de procédure. Ce n'est qu'au terme d'une analyse ponctuelle, fondée sur l'examen de la nature des questions et des intérêts en cause, que la décision d'appliquer la loi de procédure, la loi qui régit le fond des droits ou la loi qui régit la forme des actes peut être prise. Ainsi le régime du droit d'action impose-t‑il de distinguer l'intérêt à agir, normalement régi par la loi de procédure, de la qualité pour agir et de la prescription, normalement régies par la loi du fond. De même, dans le droit de la preuve, la charge et l'objet de la preuve sont en principe définis par la loi du fond, tandis que l'admissibilité et les modes de preuve relèvent de la loi de procédure. À cette répartition générale de compétence, des exceptions notables sont portées pour tenir compte des légitimes prévisions des parties : la preuve des actes juridiques, par exemple, peut valablement être pré-constituée selon la loi qui régit la forme de ces actes, nonobstant la compétence de principe de la loi de procédure pour définir l'admissibilité des modes de preuve.
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Quid international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594602367
n Co m m i s s i o n r o g a t oi r e n o 5 25 Demande formée par la juridiction saisie d'un litige, à une autre juridiction mieux placée, aux fins de réalisation par la seconde des actes judiciaires (et notamment des mesures d'instruction) que la première estime nécessaires. n E x c e p t i o n d ' i n c o m p é t en c e in t e r n a t i on a l e n o 4 8 1 Exception de procédure par laquelle le défendeur fait valoir l'incompétence internationale de la juridiction saisie par le demandeur, et invite cette dernière à se déclarer incompétente. n E x c e p t i o n d e c o n n e x i t é i n t e r n a t i o n a l e n o 4 97 Exception de procédure par laquelle une partie sollicite d'un tribunal, internationalement compétent pour connaître d'un litige, qu'il renonce à exercer cette compétence en raison de l'existence d'une procédure pendante devant un tribunal étranger sur un autre litige connexe, afin, dans un souci de bonne administration de la justice, que ces deux litiges soient jugés ensemble par la juridiction première saisie. n E x c e p t i o n d e li t i s p e n d an c e in t e r n a t i o n a l e n o 4 90 Exception de procédure dont l'objet est de solliciter d'un tribunal, internationalement compétent, qu'il renonce à exercer cette compétence en raison de l'existence d'une procédure pendante, dans la même affaire, devant un tribunal étranger. n E x c e p t i o n i n t e r n a t i o n a l e de c h o s e j u g é e n o 4 8 9 Exception de procédure qui consiste, pour paralyser une action en justice, à faire valoir au cours de la procédure diligentée devant les tribunaux du for l'autorité de chose jugée d'une décision précédemment rendue par une juridiction étrangère. n F o r um m o r e c o n v e n i e n s n o 4 8 8 Mécanisme autorisant un juge dont la compétence internationale est juridiquement avérée à renvoyer l'affaire aux juridictions d'un autre État qu'il considère mieux placées pour en connaître, notamment en raison d'une plus grande proximité. Ce mécanisme a été introduit en droit français par le règlement Bruxelles II bis qui en autorise le jeu, à titre exceptionnel, en matière de responsabilité parentale. n F o r um n o n c o n v e n i e n s n o 48 8 Mécanisme propre aux systèmes juridiques de common law autorisant un juge dont la compétence internationale est juridiquement avérée de se dessaisir, pour des raisons d'ordre privé et/ou public et notamment lorsque les liens avec le for sont jugés trop minimes, dès lors qu'existe un for alternatif ; le jeu du mécanisme est subordonné à des conditions variables selon les systèmes juridiques considérés.
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Document C i v . 1 r e , 26 n o v . 1 9 7 4 , S t é M i g n i e r a d i F r a g n e
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(GADIP n o 54 ; Rev. crit. DIP 1975. 491, note D. Holleaux ; JDI 1975. 108, note A. Ponsard) L'arrêt Société Migniera di Fragne reçoit, après de longues années de refus jurisprudentiel, l'exception de litispendance internationale en droit commun français. Il précise toutefois que la réception de cette exception ne constitue pour le juge français qu'une simple faculté, et qu'elle ne peut en toute hypothèse être accueillie que lorsque la décision à intervenir est susceptible d'être reconnue en France.
C J C E 1 e r m ar s 20 0 5 , O wu su
(aff. C- 281/02, Rev. crit. DIP 2005. 698, note C. Chalas ; JDI 2005. 1177, note G. Cuniberti et A. Winkler ; Gaz. Pal. 2005, n o 148, p. 31, note M.-L. Niboyet). L’arrêt Owusu de la CJCE est un arrêt important. La juridiction européenne y indique que le système instauré par la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (et par la suite par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis) s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État contractant/ membre décline la compétence qu’elle tire de l’article 2 (ou 4 pour BI bis) en application d’un mécanisme du droit national tel celui du forum non conveniens, au profit d’une juridiction d’un État tiers qui serait le for le plus approprié pour connaître du litige. Un tel déclinatoire de compétence serait de nature à affecter la prévisibilité des règles de compétence posées par le système Bruxelles, et par voie de conséquence le principe de sécurité juridique. Il affecterait en outre l’application uniforme des règles de compétence et la protection juridique des personnes.
C J U E 3 a v r i l 2 0 1 4 , W e be r
(aff. C-438/12, Rev. Crit. DIP 2014. 704, note L. d’Avout) L’arrêt Weber confirme une interprétation de l’article 27 du règlement Bruxelles I relatif à la litispendance, que certains estimaient déjà implicitement posée par une décision antérieure de la CJCE (27 juin 1991, Overseas Union, aff. C-351/89, Rev. crit. DIP 1991. 769, note H. GaudemetTallon, JDI 1992. 493, note A. Huet). Il retient que le juge saisi en second doit, avant de surseoir à statuer en raison d’une exception de litispendance, examiner si, en raison d’une méconnaissance de la compétence exclusive prévue à l’article 22 du règlement Bruxelles I, une décision éventuelle au fond de la juridiction saisie en premier lieu ne sera pas reconnue dans les autres États membres. En d’autres termes, si le juge second saisi constate que le juge saisi en premier l’a été en violation des règles de compétence exclusives de l’article 22, il ne doit pas surseoir à statuer comme le prescrit l’article 27 du règlement Bruxelles I.
Biblio
1) Sur la loi applicable à la procédure et l'internationalisation des règles de procédure - F. Ferrand (dir.), La procédure civile mondiale modélisée, Éd. juridiques et techniques, 2004. - Ph. Fouchard, Vers un procès civil universel ? Les règles transnationales de procédure civile de l'ALI, Éd. Panthéon-Assas, LGDJ, 2001.
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- D. Foussard, « La loi étrangère dans le domaine de la procédure », in L'avenir du droit, Écrits J. Foyer, Economica, 2008, p. 348. - E. Jeuland, « Les développements procéduraux récents dans l'espace judiciaire européen : la naissance d'un ordre processuel interétatique », Trav. Com. fr. DIP 2008-2010. 55. - M.-L. Niboyet, « Contre le dogme de la lex fori en matière de procédure », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 363. - M.-L. Niboyet, « La globalisation du procès civil international dans l'espace judiciaire européen et mondial », JDI 2006. 937.
2) Sur la litispendance, la connexité et le forum more conveniens - L. Cadiet, E. Jeuland, S. Amrani-Mekki, Droit processuel civil de l'Union européenne, LexisNexis, 2011. - S. Clavel, « L'harmonisation des règles de compétence et des procédures de règlement des conflits (exception de litispendance) », in F. Jault Seseke, J. Lelieur, Ch. Pigache (dir), L'espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 45. - T. C. Hartley, « Choice of court agreements, lis pendens, human rights and the realities of international business : reflections on the Gasser Case », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 383. - D. Holleaux, « La litispendance internationale », Trav. Com. fr. DIP 1971-1973. 211. - A. T. Kastanidis, « La litispendance internationale au regard du règlement (UE) 1215/2012 », Rev. Crit. DIP 2015. 579. - S. Lemaire, « La connexité internationale », Trav. Com. fr. DIP 2008-2010. 95. - M.-L. Niboyet, « Les conflits de procédure », Trav. Com. fr. DIP 1995-1998. 71. - A. Nuyts, « La refonte du règlement Bruxelles I », Rev. crit. DIP 2013. 1. - K. Vandekerckhove, « Les règles dérogatoires (forum more conveniens et coopération judiciaire) », in F. Jault Seseke, J. Lelieur, Ch. Pigache (dir), L'espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 63.
3) Sur le droit d'action
- M. Audit, M.-L. Niboyet, « L'affaire Vivendi Universal SA ou comment une class action diligentée aux États-Unis renouvelle le droit du contentieux international en France », Gaz. Pal. 2010, n o 149, p. 14. - B. Fauvarque-Cosson, « La prescription en droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 20022004. 235. - S. Guinchard, « Une class action à la française ? », D. 2005. 32. - J. Lemontey, N. Michon, « Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France », JDI 2009. 535. - H. Muir Watt, « Régulation de l'économie globale et émergence de compétences déléguées : sur le droit international privé des actions de groupe », Rev. crit. DIP 2008. 581. - M.-L. Niboyet, « L'harmonisation européenne en matière d'actions en cessation transfrontières, un exemple concluant d'intervention du droit communautaire dans les relations de droit international privé », Gaz. Pal. 2000, no 62. - Ch. Seraglini, « Les effets en France des actions de groupe étrangères », Trav. Com. fr. DIP 2008-2010. 156.
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4) Sur l'instruction des litiges internationaux
Quiz 1) Sujets corrigés
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- V. Chauveau, « Le règlement communautaire n o 1206/2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les États membres pour l'obtention des preuves en matière civile et commerciale : à la recherche de son efficacité », in F. Jault Seseke, J. Lelieur, Ch. Pigache (dir), L'espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 145. - F. Cornette, « La notification des actes à l'étranger : l'état du droit communautaire », Gaz. Pal. 2009, n o 52, p. 11. - G. Cuniberti, C. Normand, F. Cornette, Droit international de l'exécution. Recouvrement des créances civiles et commerciales, LGDJ, 2011. - G. Cuniberti, « L’expertise judiciaire en droit judiciaire européen », Rev. Crit. DIP 2015. 519. - L. Focsaneanu, « L'instruction extraterritoriale des litiges économiques et la défense de la souveraineté des États », AFDI 1981. 629. - B. Hess, « Nouvelles techniques de la coopération judiciaire transfrontière en Europe », Rev. crit. DIP 2003. 215. - N. Meyer-Fabre, « L'obtention des preuves à l'étranger », Trav. Com. fr. DIP 2002-2004. 199. - P. Monin-Hersant, B. Nicod, « Réflexions sur la notification des actes à l'étranger », JDI 1989. 969. - É. Pataut, « Notifications internationales et règlement Bruxelles I », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 377. - F. Paulino Pereira, « La coopération judiciaire en matière civile dans l'Union européenne : bilan et perspectives », Rev. crit. DIP 2010. 1.
A) Test de connaissances
Énoncé (plusieurs réponses peuvent être possibles) 1. En matière familiale, le droit de l’Union européenne prévoit que l’exception d’incompétence : a. peut être soulevée d’office par le juge ; b. doit être soulevée d’office par le juge ; c. ne peut pas être soulevée d’office par le juge. 2. L'exception de procédure dont l'objet est de paralyser une action en justice en invoquant l'autorité d'une décision précédemment rendue par une juridiction étrangère est : a. l'exception de chose jugée ; b. l'exception de litispendance ; c. l'exception de connexité.
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3. Dans le règlement Bruxelles I bis, quand les juridictions d’un État membre et les juridictions d’un État tiers sont parallèlement saisies du même litige, le régime de l’exception de litispendance est défini par : a. le droit commun de l’État membre concerné ; b. les règles posées par le règlement pour régir la litispendance entre États membres, c. des règles posées par le règlement spécifiquement pour régir cette litispendance extra-européenne, différentes des règles régissant la litispendance intraeuropéenne. 4. En droit de l’Union européenne, quand le juge désigné par une clause attributive de juridiction est saisi alors qu’un autre juge est déjà saisi du même litige, le juge désigné par la clause : a. doit toujours surseoir à statuer puisqu’il est saisi en second ; b. doit surseoir à statuer si le règlement Bruxelles I est applicable, mais a priorité si le règlement Bruxelles I bis est applicable ; c. est toujours prioritaire sur le juge, même saisi en premier, dont la compétence est fondé sur une règle de compétence ordinaire. 5. L'exception de connexité internationale est facultative pour le juge : a. en droit commun français comme en droit de l'Union européenne ; b. en droit commun français mais pas en droit de l'Union européenne ; c. en droit de l'Union européenne mais pas en droit commun français. 6. En droit de l'Union européenne, l'appréciation de l'existence du droit d'action s'opère : a. selon des règles spéciales posées par le droit européen ; b. selon le droit commun de la juridiction saisie ; c. selon les Principes ALI/Unidroit de procédure civile transnationale. 7. La prescription de l'action en justice est régie : a. par la loi de procédure ; b. par la loi qui régit au fond le droit substantiel en cause ; c. par les Principes ALI/Unidroit de procédure civile transnationale. 8. En droit de l'Union européenne, la date de signification ou de notification d'un acte à l'étranger retenue pour les besoins de la procédure (notamment comme point de départ des délais) est : a. celle de la remise de l'acte à signifier aux autorités étrangères chargées de la signification ; b. celle à laquelle l'acte a été signifié conformément à la législation de l'État membre requérant ; c. celle à laquelle l'acte a été signifié conformément à la législation de l'État membre requis. 9. Les modes de preuve des actes juridiques sont ceux : a. exclusivement admis par la loi du for ; 344
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b. admis alternativement par la loi du for ou la loi du lieu de conclusion de ces actes, voire par la loi qui les régit au fond ;
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c. admis cumulativement par la loi du for ou la loi du lieu de conclusion de ces actes, voire par la loi qui les régit au fond.
10. Un juge peut ordonner une expertise sur le territoire d’un autre État : a. toujours ;
b. si l’exécution directe des mesures d’expertise a été autorisée par l’État concerné dans le cadre de la Convention de La Haye du 18 mars 1970 ou du Règlement européen no 1206/2001, c. en droit de l’Union européenne, dès lors que cette expertise constitue une « mesure provisoire et conservatoire » ; d. jamais. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Commentaire d'arrêt Arrêt
Civ. 1re, 20 juin 2012, no 30-120, Rev. Crit. DIP 2012. 900, note H. Gaudemet-Tallon « Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 13 janv. 2011), que M. X… et Mme Y…, de nationalité algérienne, se sont mariés à Beni Mouhli (Algérie) le 14 décembre 1962 et se sont installés en France où ils ont eu six enfants ; qu'en juin 2007, M. X… est revenu en Algérie ; que, par requête du 11 février 2008, l'épouse a sollicité la condamnation de son époux à lui payer une contribution aux charges du mariage ; que, saisi par le mari le 7 avril 2008, le tribunal de Beni Ourtilane (Algérie) a rendu le 24 mai 2008, un jugement prononçant le divorce des époux ; Attendu que M. X… fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée au jugement de divorce qu'il a obtenu en Algérie, déclarer recevable l'action en contribution aux charges du mariage formée en France par Mme Y… et fixer en conséquence à 500 euros par mois sa contribution à ces charges, alors, selon le moyen : 1o/ que les articles 1er, a) et 1er, d) de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 stipulent qu'en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Algérie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre État si, notamment, la décision émane d'une autorité compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'État où la décision doit être exécutée et ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'État où elle est invoquée ; qu'en déduisant le caractère frauduleux ou contraire à l'ordre public de l'action en divorce intentée par M. X… devant la juridiction algérienne de la seule antériorité de l'action en contribution aux charges du mariage intentée en France par Mme Y…, cependant que les deux époux étaient de nationalité algérienne et que M. X… résidait en Algérie avant l'introduction de l'action en divorce en sorte que rien ne permettait de suspecter une saisine frauduleuse de la juridiction algérienne, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;
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2o/ que l'ordre public s'appréciant de manière concrète, la cour d'appel ne pouvait affirmer que la juridiction algérienne avait constaté la répudiation unilatérale du mari sans rechercher si la référence du jugement au droit pour le mari d'obtenir la dissolution du lien conjugal n'était pas totalement inopérante, la juridiction algérienne ayant constaté les fautes que s'étaient mutuellement reprochées les époux et ayant expressément prononcé le divorce aux torts partagés de ceux-ci ; qu'ainsi la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1 er, d) de la Convention susvisée ensemble l'article 5 du protocole additionnel n o 7 à la Convention européenne des droits de l'homme du 22 novembre 1984 ; Mais attendu qu'il résulte des constatations et des appréciations souveraines des juges du fond, que M. X…, qui avait quitté le 28 juin 2007 le domicile familial en France où il résidait depuis plusieurs dizaines d'années, a saisi le 7 avril 2008 le juge algérien d'une demande en divorce pour échapper à une condamnation au versement d'une contribution aux charges du mariage pouvant intervenir suite à la requête déposée le 11 février 2008 par son épouse, requête dont il a eu connaissance le 1er mars 2008, date à laquelle il a signé l'accusé de réception de sa convocation à l‘audience du 19 mai 2008 devant le juge français ; Que la cour d'appel a pu en déduire que les circonstances de cette procédure précipitée en Algérie constituaient une fraude au jugement dans le but de faire échec à l'exécution de la décision française devant intervenir de sorte que c'est à bon droit qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée au jugement algérien de divorce du 24 mai 2008 du tribunal de Beni Ourtilane (Algérie) ; que, par ces seuls motifs, l'arrêt est légalement justifié ; PAR CES MOTIFS REJETTE le pourvoi. ». Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. a ; 2. a ; 3. c ; 4. b ; 5. a ; 6. b ; 7. b ; 8. c ; 9. b ; 10. b. et c.
Commentaire d'arrêt Introduction
L'installation sur le territoire français de couples de nationalité étrangère crée des conditions favorables au forum shopping dans les procédures de dissolution du lien conjugal. Le divorce des couples résidant en France est en effet soumis, devant le juge français, à la loi française, particulièrement respectueuse de l'égalité entre époux. La jurisprudence fourmille donc d'affaires dans lesquelles l'un des époux préfère saisir le juge de la nationalité commune, plutôt que le juge français de la résidence de la famille, dans l'espoir d'obtenir une décision plus favorable que celle qui aurait été rendue en France. Si la compétence du juge étranger est acquise, cette décision étrangère pourra produire ses effets en France, car le forum shopping n'est pas en soi illicite. Certains comportements sont toutefois inadmissibles. La jurisprudence française condamne ainsi, depuis 2004, la manœuvre consistant pour le mari à répudier
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son épouse résidant en France, devant les autorités de l'État de la nationalité commune du couple. C'est ici la contrariété de la répudiation à l'ordre public international de proximité qui justifie la réaction de l'ordre juridique français. Plus récemment, on a pu voir se développer une pratique consistant pour l'un des époux à saisir le juge étranger pour tenter d'obtenir de sa part, au bénéfice d'une procédure plus rapide et/ou moins exigeante, une décision destinée à faire échec à une procédure antérieurement initiée par l'autre époux devant le juge français. Si la jurisprudence française semble faire preuve de libéralisme à l'égard de cette pratique, l'arrêt commenté, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 juin 2012, témoigne de plus de sévérité. Un couple de nationalité algérienne avait résidé en France, avant que le mari ne retourne en Algérie en laissant son épouse en France, sans apparemment lui allouer de ressources. L'épouse saisit les juges français, en février 2008, d'une action aux fins de voir son mari condamné à contribuer aux charges du mariage. Le mari réagit en saisissant au mois d'avril 2008 les juridictions algériennes d'une demande de divorce, divorce que celles-ci prononcent en un temps record puisque la décision est rendue le 24 mai 2008. Le mari prétend alors opposer, à la demande en contribution aux charges du mariage fraîchement initiée par son ex-épouse, l'autorité de la chose jugée en Algérie : si les époux sont divorcés, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de contribution aux charges du mariage. La cour d'appel décide pourtant de rejeter la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée à l'étranger, en retenant le caractère frauduleux ou contraire à l'ordre public international de la décision obtenue en Algérie. Le mari se pourvoit en cassation. Son pourvoi présentait des chances raisonnables de succès. Il est de principe que l'autorité de chose jugée d'une décision de divorce étrangère est, si cette décision est régulière, opposable de plein droit en France. Et la jurisprudence de la Cour de cassation avait pu sembler, dans des espèces récentes, se fonder sur la seule appréciation chronologique du prononcé des décisions pour privilégier, en cas de conflit entre une décision rendue à l'étranger et une procédure pendante en France, la première, nonobstant l'antériorité de la saisine du juge français. Le mari semblait donc fondé à faire grief à la cour d'appel d'avoir justifié le rejet de l'autorité de chose jugée par une fraude au jugement, déduite de la seule antériorité de la saisine de la juridiction française par rapport à la saisine de la juridiction algérienne. La Cour de cassation rejette pourtant le pourvoi, aux motifs que la cour d'appel a pu déduire que « les circonstances de cette procédure précipitée en Algérie constituaient une fraude au jugement dans le but de faire échec à l'exécution de la décision française devant intervenir ». Ainsi, si l'exception de la chose jugée à l'étranger peut en principe être opposée en France pour faire obstacle au prononcé postérieur d'une décision française (I), cette exception ne résiste pas à la démonstration du caractère frauduleux de la saisine du juge étranger (II).
I. L'opposabilité de la chose jugée à l'étranger Depuis le début du XXe siècle, le droit international privé français reconnaît l'efficacité substantielle et l'autorité de chose jugée de plein droit des décisions de divorce étrangères, qui peuvent être opposées dans le cadre des procédures françaises (A), à la condition qu'elles revêtent certaines conditions de régularité qui n'apparaissaient pas toutes réunies en l'espèce (B).
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A. Une opposabilité fondée sur l'autorité de chose jugée de plein droit des décisions étrangères de divorce en France
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Le droit commun français était en l'espèce applicable, puisque le mari prétendait d'opposer en France l'autorité de chose jugée d'une décision algérienne ; les dispositions du règlement Bruxelles I, qui ne régissent les effets en France que des seules décisions rendues par les juridictions des États membres de l'Union européenne, n'avaient donc pas lieu de jouer. Même en droit commun français, toutefois, la Cour de cassation a -dès l'arrêt de Wrède prononcé en 1900- considéré qu'il est pertinent, en matière d'état des personnes, de faire produire aux décisions de justice étrangères leur efficacité substantielle et leur autorité de chose jugée de plano sur le territoire français. Dans le cas d'une décision de divorce prononcée à l'étranger, la reconnaissance de plein droit conduit à considérer que dès le prononcé de la décision étrangère, les époux doivent être considérés, « de plein droit » c'est‑à-dire immédiatement et automatiquement, comme divorcés en France ; c'est l'efficacité substantielle ou autorité positive de chose jugée. La reconnaissance de plein droit impose également d'admettre que la décision étrangère peut être opposée pour faire échec à une procédure intentée devant les juridictions françaises, lorsque cette décision établit le défaut d'intérêt à agir du demandeur à la procédure française. Telle était précisément l'argumentation développée par le mari en l'espèce : à son épouse qui l'avait attrait devant les juridictions françaises en contribution aux charges du mariage, celui-ci opposait que la demande était sans objet, puisque les époux étaient, au jour où les juridictions françaises étaient appelées à statuer, d'ores et déjà divorcés en application d'une décision rendue par les juridictions algériennes. La demande de contribution aux charges du mariage était donc en principe irrecevable. Pour prospérer, cette argumentation supposait cependant que les conditions de la reconnaissance de plein droit de la décision de divorce algérienne soient remplies.
B. Une autorité de chose jugée de plein droit conditionnée Même lorsqu'elle opère de plein droit, la reconnaissance est soumise à des conditions. Il faut que la décision étrangère soit internationalement régulière, ce qui suppose qu'elle ait été rendue par une juridiction internationalement compétente, sans fraude et en conformité avec l'ordre public international français ; et il faut qu'elle ne soit pas inconciliable avec une décision qui produit déjà ses effets dans l'ordre juridique français. Dans ce contexte, il appartient au juge français, lorsqu'une exception de chose jugée à l'étranger est présentée devant lui dans le cadre de la procédure principale dont il est saisi, de procéder au contrôle incident de la décision étrangère invoquée au soutien de cette exception. C'est au terme de ce contrôle incident que les juges du fond ont en l'espèce refusé de faire produire effet à la décision algérienne de divorce. Certes, formellement, la décision algérienne n'était pas inconciliable avec une décision française, puisque la procédure était encore pendante devant les juridictions françaises. La cour d'appel la juge en revanche irrégulière en se fondant, autant que l'on puisse en juger à lire les motifs de l'arrêt commenté, sur deux considérations alternatives. La première de ces considérations, tirée d'une contrariété de la décision algérienne à l'ordre public international français, ne retiendra pas longtemps l'attention, car l'arrêt ne permet pas de bien cerner dans quelle mesure elle a été
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effectivement retenue par la cour d'appel au soutien du rejet de la prétention du mari. Tout au plus croit-on comprendre que le caractère exprès de la procédure de divorce algérienne, menée à son terme en moins de deux mois, laisse planer une suspicion de répudiation, dont on sait qu'elle est considérée contraire à l'ordre public international français, lorsque l'épouse répudiée est française ou réside en France (Civ. 1 re, 7 févr. 2004). La seconde considération, tirée de la fraude, est en revanche centrale, puisque la Cour de cassation confirme la décision des juges d'appel de retenir le caractère frauduleux de la saisine du juge étranger, pour refuser de faire produire effet en France au divorce algérien.
II. L'exception de saisine frauduleuse du juge étranger La condition de fraude a parfois pu faire figure de mal aimée, car les juges ne se sont pas toujours montrés empressés de s'y référer. Pourtant la condition d'absence de fraude apparaît à un double titre parmi les conditions de reconnaissance des décisions étrangères, puisque l'arrêt Munzer retient l'exigence d'absence de fraude à la loi, tandis que l'arrêt Simitch précise que la compétence internationale du juge étranger ne peut être retenue si le choix de ce juge est frauduleux. C'est cette seconde version de la fraude, à savoir la fraude au jugement, qui justifie ici le défaut reconnaissance (A). L'arrêt est particulièrement intéressant en ce qu'il semble admettre, à rebours de la jurisprudence dominante, que la saisine d'un juge étranger, postérieure à la saisine du juge français, constitue un indice important dans l'appréciation de la fraude au jugement (B).
A. La fraude au jugement, motif de non reconnaissance Pour être reconnue et produire son efficacité de plein droit en France, une décision étrangère doit avoir été rendue par un juge internationalement compétent. C'est en 1985, par son célèbre arrêt Simitch, que la Cour de cassation a précisé les conditions d'appréciation de la compétence du juge étranger au stade de l'accueil des décisions de justice étrangère, c'est‑à-dire la compétence indirecte du juge. Le juge étranger peut être considéré comme compétent, et partant sa décision reconnue, s'il existe un lien caractérisé entre le litige et l'ordre juridique étranger, qu'aucun critère de compétence exclusive des juridictions françaises n'est constitué, et que la saisine du juge étranger n'a pas été frauduleuse. C'est cette dernière condition d'absence de saisine frauduleuse qui constitue ici le point de mire de la Cour de cassation. La question de l'autonomie de cette condition, et même de son effectivité, a pourtant souvent été posée. On s'est interrogé en particulier sur le point de savoir si la saisine d'un juge, présentant des liens caractérisés avec le litige, pouvait réellement être frauduleuse. Il existe en matière internationale une concurrence des ordres juridictionnels, qui laisse aux parties la possibilité d'opter en faveur de l'une quelconque des juridictions internationalement compétentes. Et certains auteurs soutiennent que l'exercice de cette option, le forum shopping, ne pourrait jamais être frauduleux, seule pouvant être qualifiée de fraude la manœuvre consistant à créer artificiellement un critère de compétence pour accéder à un for qui aurait été, sans cette manœuvre, fermé. En l'espèce, il n'existait aucune fraude à la compétence de ce type : le juge algérien était internationalement compétent comme juge de la nationalité commune des époux, critère traditionnellement considéré comme suffisant pour fonder la compétence internationale indirecte du juge.
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Pourtant, la cour d'appel, dont la décision est sur ce point confirmée par la Cour de cassation, retient l'existence d'une fraude au jugement, en se fondant sur la circonstance que la saisine du juge algérien est intervenue postérieurement à la saisine du juge français dans le but de faire échec à l'exécution de la décision française à intervenir.
B. La saisine postérieure du juge étranger, indice de fraude au jugement L'examen objectif des faits permet de comprendre, intuitivement, où se situe la fraude : alors que son épouse a déjà initié une action en contribution aux charges du mariage devant le juge français, le mari se presse d'allumer un contre-feu, en saisissant le juge algérien d'une demande de divorce. Il bénéficie alors, manifestement, d'un système juridique et judiciaire peu favorable à la femme, et obtient le prononcé du divorce en deux mois, alors que la procédure française est encore pendante. L'enchaînement des procédures et des décisions conduit à reconnaître la décision algérienne, puisqu'aucune décision n'a encore été rendue en France, qui puisse faire obstacle à la reconnaissance de la décision étrangère. Mais l'on sent bien que la procédure algérienne a vraisemblablement été intentée pour faire échec à la procédure française. Peut-on alors l'admettre, et reconnaître la décision rendue en Algérie ? Les juridictions françaises se montrent réticentes à sanctionner ce type de comportement, et elles ont déjà décidé qu'une décision étrangère pouvait faire obstacle à une procédure pendante devant les juridictions françaises, le juge étranger aurait-il été saisi postérieurement au juge français (Civ. 1re, 30 sept. 2009 ; 16 sept. 2009). L'argument invoqué était notamment qu'une partie ne peut se voir privée du droit de saisir un juge internationalement compétent de la demande de son choix. De fait, on comprend bien que ce n'est pas parce que l'épouse intente une action en contribution aux charges du mariage, que le mari doit être définitivement privé du droit d'exercer une action en divorce devant le juge de son choix, s'il souhaite divorcer. Pour autant, si ce droit doit lui être reconnu, il ne doit pas l'utiliser dans le seul but d'échapper aux conséquences d'une décision de justice française en passe d'être prononcée. C'est tout l'intérêt de la condition d'absence de fraude. L'appréciation de la fraude repose en effet sur la recherche d'un élément intentionnel : quel était le but poursuivi par la ou les parties concernées ? S'il apparaît que le but poursuivi est d'éluder les conséquences d'une décision de justice française à venir, la fraude est avérée. La saisine d'un juge étranger par une partie, postérieurement à la saisine du juge français par l'autre partie, n'est donc certainement pas systématiquement un élément constitutif de la fraude, ainsi que la Cour de cassation l’a ultérieurement confirmé (Civ. 1, 31 mars 2016, no 15-12379 ; Civ. 1re, 4 mai 2017, no 16-13645). Mais elle en constitue un indice, qui doit pousser les juges français à se montrer vigilants, et à rechercher les motifs justifiant la saisine du juge étranger. En l'espèce, nul doute que le caractère expéditif de la procédure algérienne de divorce a conforté l'appréciation, par les juges du fond, du caractère frauduleux de la saisine postérieure du juge algérien, et a convaincu la Cour de cassation de valider leur raisonnement.
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p a r t i e
Droit international privé spécial L'ensemble des méthodes du droit international privé se combinent pour assurer le traitement des questions de droit particulières qui se posent. Mais les modalités de cette combinaison varient singulièrement en fonction de la nature du rapport de droit considéré. Tantôt, le règlement d'une situation internationale s'opère par recours principal, voire exclusif, aux règles matérielles de droit international privé — c'est le cas pour la nationalité ou la condition des étrangers ; tantôt, il convoque la méthode de la reconnaissance des situations — par exemple pour le traitement du mariage ou du partenariat enregistré. Parfois, les lois de police perturbent sérieusement le fonctionnement de la méthode conflictuelle, tandis que leur intervention s'avère dans d'autres hypothèses marginale. La mise en œuvre concrète du droit international privé suppose donc, une fois ses méthodes assimilées, de considérer non seulement le contenu concret des règles utilisées pour le règlement de chaque type de situation en fonction de sa nature, mais aussi la façon dont les différentes méthodes du droit international privé s'agencent pour permettre ce règlement. Dans ces conditions, la meilleure approche consiste, pour chaque catégorie de questions de droit dont le traitement s'opère de façon uniforme, à présenter tout à la fois les méthodes utilisées et la teneur des règles (de conflit de lois, matérielles, de police, de compétence internationale…) qui s'y appliquent plus particulièrement.
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L'examen du droit international privé positif laisse toutefois apparaître un très fort affinement des catégories. Par exemple le mariage — dont on pourrait penser qu'il constitue une catégorie uniforme — reçoit en droit international privé un traitement différent selon que l'on envisage sa formation — et même plus précisément les conditions de fond de sa formation et les conditions de forme de sa formation — ou ses effets. Pareillement, les questions de droit propres aux actes juridiques peuvent être rattachées, selon leur nature, aux catégories « conditions de fond des actes », « conditions de forme des actes », ou « preuve des actes ». Il est donc particulièrement délicat de déterminer le niveau auquel il convient de se placer pour appréhender les règles spéciales du droit international privé.
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Logiquement, la barre devrait être placée à hauteur du plus petit commun dénominateur, c'est‑à-dire de la catégorie qui n'intègre que des questions de droit dont le traitement est parfaitement homogène ; on envisagerait ainsi « la forme des actes juridiques », ou « les effets du mariage ». Cette approche n'est cependant pas sans défaut. Elle interdit, en particulier, de percevoir les interactions qui peuvent exister entre catégories. Le traitement des questions de forme des actes juridiques, par
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exemple, est étroitement lié à celui des questions de fond, ne serait-ce que parce que les parties ont rationnellement pu s'aligner, pour définir la forme de leur acte, sur les exigences de la loi du fond ; on verra ainsi que la validité d'un contrat en la forme est acquise si ont été respectées, soit les prescriptions de la loi qui régit spécifiquement les questions de forme (lex locus actum), soit les prescriptions de la loi qui régit le fond du contrat (lex contractus). Se placer à un niveau trop précis de qualification génère également le risque de ne pas percevoir les grandes mutations et évolutions de la matière. Par exemple, ce n'est qu'en examinant globalement les questions relatives à l'état des personnes, à leur capacité et à leur statut familial — incluant le mariage, le divorce, la filiation et l'ensemble des sous-catégories propres à ces institutions —, que l'on peut appréhender l'ampleur de l'évolution du rattachement qui s'applique à ces matières. On constate alors l'abandon progressif du critère traditionnel de la nationalité au profit du critère de la résidence. Pour ces raisons de fond, combinées à ces considérations d'ordre pratique, il apparaît pertinent de se placer à un degré plus élevé de généralité pour la présentation des règles spéciales du droit international privé. Ce ne seront donc pas les catégories du droit international privé — comprises comme des ensembles cohérents de questions de droit unies par une communauté de nature et caractérisées par l'uniformité du traitement que leur réserve le droit international privé — que l'on retiendra comme critère de présentation. Ces catégories seront regroupées par grands « thèmes », même si l'ensemble des méthodes et des règles que recouvrent ces thèmes ne présentent pas une parfaite homogénéité. Cette approche ne nous dispensera évidemment pas, au sein de chaque thème, de distinguer plus précisément les différentes catégories de droit international privé concernées ainsi que leur régime spécifique. L'étude portera alors successivement sur les personnes physiques (chapitre 7), la famille (chapitre 8), les personnes morales (chapitre 9), les biens (chapitre 10), les actes juridiques (chapitre 11) et les faits juridiques (chapitre 12).
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Plan
L'état civil des personnes physiques § 1 Le nom A. La loi applicable au nom
B. La « reconnaissance » du nom
§ 2 La nationalité
A. La détermination de la nationalité des personnes physiques B. La condition des étrangers
§ 3 Le domicile
A. Le domicile, attribut de la personnalité B. Le domicile, élément de rattachement
§ 4 Les actes d'état civil A. Actes d'état civil français B. Actes d'état civil étrangers
C. Fonction des autorités diplomatiques et consulaires
section
2
La capacité § 1 Constatation de l'incapacité
A. Application de la loi nationale
B. Application dérogatoire d'une autre loi
§ 2 Mise en œuvre de mesures de protection de l'incapable A. La protection des mineurs B. La protection des majeurs
Compléments pédagogiques
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En droit interne, le droit des personnes physiques recouvre une pluralité de questions disparates touchant au nom, au sexe, aux droits de la personnalité, au domicile, au corps humain, à la capacité… Observées sous le prisme du droit international privé, ces questions sont d'autant plus difficiles à réduire à une catégorie unique qu'elles renvoient à des méthodes fondamentalement différentes. Pour n'en prendre qu'un exemple, les questions liées à la capacité des personnes physiques sont traitées par recours à la classique méthode conflictuelle, tandis que celles relatives à la nationalité des personnes physiques sont une illustration de la méthode des règles matérielles. Au-delà des spécificités de méthodes, on observe une hétérogénéité importante des qualifications. En droit international privé, toutes les questions qui touchent à la personne ne relèvent pas d'une seule et même catégorie. Ainsi, les droits de la personnalité, composante traditionnelle du droit des personnes en droit interne, sont traités de façon radicalement différente en droit international privé, puisque ce dernier les envisage exclusivement sous l'angle de l'atteinte qui peut leur être portée, et les classe donc dans la catégorie délictuelle. Enfin, certaines composantes du droit des personnes physiques, relatives à l'identification de la personne, jouent en droit international privé une fonction de rattachement qui génère une ambivalence de l'approche que l'on peut en avoir ; on songe ici au domicile, mais aussi à la nationalité. En définitive, c'est non seulement en abandonnant toute allégeance au droit interne des personnes physiques, mais aussi en décloisonnant les frontières internes du droit international privé, qu'il faut aborder ce chapitre, en étant bien conscient de la grande hétérogénéité des questions qui vont y être traitées. Leur seul point commun est de concerner la personne physique. On abordera à cet égard les aspects liés d'une part à l'état civil des personnes physiques (section 1), d'autre part à leur capacité (section 2).
section
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L'état civil des personnes physiques L'état civil s'entend, selon le Vocabulaire juridique Capitant, de la « situation de la personne dans la famille et dans la société ». L'état civil des personnes physiques traduit donc leur rattachement à un groupe social, qui peut être familial — le rattachement se traduit alors par le nom (§ 1) —, ou national — le rattachement se traduit alors par la nationalité (§ 2), à moins qu'il ne faille lui préférer le domicile (§ 3). Les informations relatives à l'état civil des personnes sont consignées dans les actes d'état civil, dont le régime international doit également être précisé (§ 4).
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§
En tant qu'élément de l'état de l'individu, le nom semble devoir être régi par la loi personnelle de l'intéressé, c'est‑à-dire par sa loi nationale, mais le système conflictuel français n'identifie pas un seul et unique rattachement applicable en toute hypothèse. Surtout, il n’est pas certain que l’approche conflictuelle traditionnelle (A) puisse se maintenir, sous les coups de boutoir que lui porte désormais la méthode de la reconnaissance des situations (B).
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1 Le nom
A. La loi applicable au nom 535
Les solutions traditionnelles du DIP français conduisent encore à distinguer les questions liées à l'attribution du nom (1), de celles liées au régime du nom (2), même si une certaine harmonisation semble se dessiner.
1. L’attribution du nom 536
L'attribution du nom est le plus souvent un effet de la filiation, ou encore un effet du mariage. Elle peut également résulter d'une décision de l'autorité publique. Le droit positif français marque une hésitation entre application de la loi des effets du lien qui fonde la transmission (a) et application de la loi personnelle de l'intéressé (b).
a.
Application de la loi des effets du lien qui fonde la transmission
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C'est dans une hypothèse où l'attribution du nom résultait de la filiation que la Cour de cassation s'est prononcée, pour la seule fois expressément, en faveur de la loi des effets du lien qui fonde la transmission du nom, en consacrant la compétence de la loi des effets de la filiation. Plus précisément, elle a adopté cette solution pour la transmission du nom par l'effet de la filiation légitime, à une époque où le droit français retenait encore la distinction entre filiation légitime et naturelle. Dans l'arrêt Canovas Guttierez (Civ. 1 re, 7 oct. 1997, v. rubrique Documents), elle a ainsi retenu que la transmission du nom aux enfants légitimes est régie par la loi des effets du mariage, qui était alors la loi applicable aux effets de la filiation légitime (la loi des effets du mariage est la loi nationale commune des époux, à défaut la loi du domicile commun ; pour la discussion sur la loi aujourd'hui applicable aux effets de la filiation légitime, v. ss 777).
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La doctrine en a naturellement déduit que la transmission du nom aux enfants naturels doit être soumise à la loi régissant les effets de la filiation naturelle, c'est‑àdire à la loi personnelle de l'enfant (sur la loi applicable aux effets de la filiation comme suite de la récente réforme de la filiation, v. ss 777). Quant à la transmission du nom à l'enfant adoptif, elle semble de la même façon devoir être régie par la loi des effets de l'adoption, c'est‑à-dire par la loi française si l'adoption a été prononcée en France, puisque l'article 370-4 du Code civil dispose que « Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française ». Lorsque l'adoption résulte d'un jugement étranger et que ce jugement est reconnu en France, la loi française est également applicable à la transmission du nom à l'enfant, au moins si l'adoption produit les effets d'une adoption plénière. L'article 357-1 du Code civil prévoit en effet que les règles françaises régissant la dévolution du nom s'appliquent à l'enfant qui a fait
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l'objet d'une adoption régulièrement prononcée à l'étranger, si cette adoption produit en France les effets d'une adoption plénière et que la transcription du jugement étranger est demandée en France.
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Lorsqu’exceptionnellement l'attribution du nom ne résulte pas d’une transmission, mais d'une décision de l'autorité publique, cette attribution relève nécessairement de la lex auctoris. En France, l'article 57 (al. 2) du Code civil prévoit par exemple que pour les enfants dont les parents ne sont pas connus, qui n’ont pas de nom attribué par filiation, l'officier d'état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l'enfant. L'officier d'état civil français, qui met en œuvre les pouvoirs que lui a conférés l'État français, ne saurait attribuer un nom par application d'autres dispositions que celles du droit français (v. sur le conflit d'autorités, la rubrique Débat).
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b.
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Par extension, il est admis que, lorsque l'attribution du nom résulte du mariage, c'est à la loi qui régit les effets du mariage qu'il revient de préciser si, et selon quelles modalités, les époux peuvent se transmettre leur nom. À l'inverse, il faut sans doute considérer que, en cas de dissolution du lien conjugal, il appartient à la loi qui régit les effets de cette dissolution d'en tirer les conséquences quant au nom : c'est donc à la loi qui régit les effets du divorce (v. ss 720 s.) qu'il reviendra de préciser si l'épouse ayant reçu par mariage le nom de son mari peut conserver ce nom, ou inversement.
Application de la loi personnelle de l’intéressé
Contre la solution qui semble découler de la jurisprudence, une partie de la doctrine française préconise, pour des raisons de simplification et d'articulation des lois, d'appliquer la loi personnelle de l'intéressé, qui définit par ailleurs le régime du nom. C'est la position de l'Instruction générale de l'état civil, dont le § 531 énonce que la transmission du nom est régie par la loi nationale.
541
Le législateur paraît avoir récemment consacré cette solution, au moins lorsque l'attribution du nom découle de la filiation : l'article 311-22 du Code civil, issu de la réforme des règles de dévolution du nom de famille (2002-2003), prévoit que les règles françaises de dévolution du nom « s'appliquent à l'enfant qui devient français en application des dispositions de l'article 22-1 ». L'article paraît donc poser une règle de conflit unilatérale implicite, selon laquelle la loi française sur la dévolution du nom de famille joue au profit des enfants français. Une fois bilatéralisée, cette règle imposerait d'appliquer à la transmission du nom par filiation la loi nationale de l'enfant. Cette solution, harmonisant le régime de transmission du nom aux enfants légitimes et aux enfants naturels, est sans aucun doute plus conforme à l'esprit de la récente réforme de la filiation, qui a abandonné la distinction formelle entre enfants légitimes et naturels. Une réponse ministérielle du 3 juillet 2014 (Rev. crit. DIP 2014. 978) semble bien confirmer l’applicabilité de la loi nationale de l’enfant. Mais la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de revenir sur sa jurisprudence Canovas Guttiriez (v. rubrique Documents).
542
Allant plus loin, certains auteurs se montrent favorables à la consécration, en droit international privé français, d'une option de législation qui autoriserait les époux, ou les parents, à sélectionner l'une de leurs lois nationales respectives, voire la loi de leur État de résidence commune, pour régir l'attribution du nom dans le couple et/ou aux enfants. La solution serait conforme aux exigences de la Cour européenne des droits
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2. Le régime du nom
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de l'homme, qui range le nom de famille au nombre des éléments de la vie privée des individus, et à l'esprit des récentes réformes intervenues en France à propos du nom de famille qui tendent à offrir aux conjoints et aux parents plus de liberté dans le choix du nom : à la liberté de choisir le nom, consacrée en droit substantiel, répondrait donc, en droit international privé, la liberté de choisir la loi applicable au nom parmi les différentes lois entretenant des liens avec la situation. On verra que cette solution a acquis une certaine positivité au bénéfice de l’application, faite au nom, de la méthode de la reconnaissance.
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En principe, le régime du nom est soumis à la loi personnelle de l'intéressé, c'est‑à-dire, à sa loi nationale. Mais les solutions sont en réalité un peu plus complexes. On distinguera la question du changement de nom, de celle de sa protection.
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Le changement de nom, lorsqu’il est demandé en France, peut être accordé par décret à toute personne qui justifie d'un intérêt légitime. On peut rapprocher de cette hypothèse celle de la francisation du nom, qui autorise la personne qui acquiert la nationalité française à solliciter le changement de son nom pour faciliter son intégration dans la communauté française. Dans les deux cas, le changement résulte d'une décision prise par une autorité publique. Lorsque le changement de nom est sollicité auprès des autorités françaises, celles-ci ne peuvent se prononcer qu'en application de la lex auctoris, donc de la loi française. On perçoit la difficulté à laquelle se trouvent confrontés les étrangers qui pourraient vouloir, parce qu'ils résident en France, y solliciter le changement de leur nom sans pour autant demander la nationalité française : leur loi personnelle nationale étant applicable, et les autorités françaises ne pouvant autoriser le changement qu'en application de la loi française, les autorités françaises ne peuvent a priori autoriser le changement de nom d'un étranger résidant en France. C'est en ce sens qu'est fixée la pratique ministérielle. La doctrine française déplore unanimement cette solution (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 488), faisant valoir que les autorités françaises pourraient parfaitement autoriser le changement de nom au bénéfice d'un étranger résidant en France, en application de la loi française intervenant à titre de loi de police, voire même qu'elles pourraient autoriser ce changement en application de la loi personnelle de l'intéressé (pour un approfondissement sur le conflit d'autorités et la compétence de la lex auctoris, v. rubrique Débat). La solution n'aurait toutefois qu'un domaine d'application limité, puisque la convention d'Istanbul en date du 4 septembre 1958, à laquelle la France est partie, comporte l'engagement par les États signataires de ne pas accorder de changement de nom aux ressortissants d'un autre État contractant. En contrepartie, cette même convention pose le principe de reconnaissance des décisions administratives et judiciaires prononcées par les États signataires relativement aux noms de leurs ressortissants. En toute hypothèse, le changement de nom régulièrement autorisé, à l'étranger, par les autorités administratives ou judiciaires compétentes, est reconnu en France (sur la reconnaissance du nom acquis à l’étranger, v. ss 554).
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La protection du nom — que l'on envisage sa protection contre les usurpations ou contre les utilisations abusives qui pourraient en être faites — dépend également, en principe, de la loi nationale de l'intéressé. C'est donc à cette loi qu'il revient de déterminer à quelles conditions la protection doit être accordée. Il semble toutefois
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qu'il faille envisager une possible application de la loi du for, sans que les auteurs tranchent clairement le point de savoir si cette loi doit intervenir à titre de loi de police ou de lex loci delicti (l'usurpation de nom portant atteinte aux droits de la personnalité, eux-mêmes régis par la lex loci delicti, v. ss 1070 s.). En outre, la question de l'articulation de la loi nationale et de la loi du for — la définition de leurs domaines d'application respectifs — n'apparaît pas plus tranchée.
B. La « reconnaissance » du nom Faut-il accepter de reconnaître le nom d’une personne pour la seule raison qu’il le porte en vertu d’une décision prise par une autorité étrangère ? En d’autres termes, faut-il renoncer à mettre en œuvre la méthode conflictuelle pour déterminer si le nom revendiqué par un individu lui est bien conféré par la loi applicable du point de vue de notre ordre juridique, et privilégier la « méthode de la reconnaissance » ? Poussé par les évolutions imposées par le droit international et européen, et notamment par la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH (1), le législateur français a récemment consacré le principe de reconnaissance du nom acquis dans un autre État (2).
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1. La reconnaissance du nom en droit international et européen Le droit international ne comporte, pour l’heure, aucune règle de droit positif relative à la reconnaissance du nom dévolu dans un autre État. En effet la convention sur la reconnaissance des noms, adoptée par la Commission internationale de l'état civil (CIEC)Q à Antalya le 16 septembre 2005, n’est pas encore entrée en vigueur. Cette convention prévoit que le nom que les époux déclarent prendre à l'occasion de leur mariage ou consécutivement à leur divorce est reconnu dans les autres États contractants, si la déclaration faite par les époux intervient dans un État contractant dont l'un des époux a la nationalité, ou dans l'État contractant de la résidence habituelle du couple au jour de la déclaration. La Convention consacre donc non seulement l’obligation de reconnaître le nom attribué dans un État ayant des liens suffisants avec le couple, mais aussi une certaine autonomie de la volonté, puisque les époux, en choisissant de procéder à la déclaration soit dans le pays national de l’un d’entre eux, soit dans leur pays de résidence, choisiront indirectement la législation applicable. En ce qui concerne les enfants, la convention n'envisage que le cas des enfants possédant plusieurs nationalités : le nom attribué à l'enfant dans l'État de son lieu de naissance est reconnu dans tous les États dont il a la nationalité, si l'État de son lieu de naissance est l'un de ceux dont il a la nationalité. Les solutions consacrées par la convention d’Antalya se retrouvent partiellement dans les jurisprudences de la CJUE et de la CEDH.
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C’est dans l'affaire Grunkin-Paul que la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 14 octobre 2008 (v. rubrique Documents), son arrêt le plus emblématique en la matière : deux époux de nationalité allemande ont un enfant né au Danemark où ils résidaient alors ; l'enfant, de nationalité allemande, est inscrit sur les registres d'état civil danois sous le double nom de ses deux parents, GrunkinPaul, ainsi que l'autorise la loi danoise applicable conformément à la règle de conflit de lois danoise. Les parents demandent ultérieurement l'inscription de leur enfant sur les registres d'état civil allemands, toujours sous le nom Grunkin-Paul. Les autorités allemandes s'y refusent, arguant que la loi allemande de la nationalité de
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l'enfant, désignée par la règle de conflit de lois allemande, impose le choix de l'un ou l'autre des deux noms. Saisie d'une question préjudicielle l'interrogeant sur la conformité de la règle de conflit allemande, retenant l'application de la loi nationale à la dévolution du nom de famille, aux principes de non-discrimination et de libre circulation des personnes dans l'Union, la Cour de justice répond que, si l'application de cette règle de conflit ne saurait constituer une discrimination, elle heurte en revanche le principe de libre circulation en ce qu'elle conduit à refuser de reconnaître à un enfant né et résidant dans un autre État membre le nom patronymique déterminé et enregistré dans cet État membre. L'État national de l'enfant ne saurait donc opposer la compétence de la loi nationale à celle de la loi de résidence habituelle et actuelle du titulaire du nom. La liberté de circulation peut en effet être altérée si un ressortissant, ayant valablement été enregistré sous un nom en application de la loi de l'État membre de son lieu de naissance correspondant à sa résidence actuelle, se voit refuser la reconnaissance de ce nom dans les autres États membres. La règle posée par la CJUE rejoint celle de la convention d’Antalya. Au-delà, elle annonce la consécration d’un principe de reconnaissance des noms au sein de l'Union. L’arrêt Grunkin-Paul vient en effet confirmer l’arrêt Garcia Avello (CJCE 2 oct. 2003, v. rubrique Documents) que la Cour avait antérieurement rendu dans un contexte légèrement différent. Deux époux belgo-espagnol résidaient en Belgique, avec leurs enfants nés en Belgique et porteurs de la double nationalité belge et espagnole. Alors que les enfants avaient été inscrits sur les registres belges sous le seul nom de leur père (Garcia Avello) en application de la loi belge, les parents sollicitaient que soit autorisé le changement de ce nom pour y substituer le nom attribué aux enfants en application de la loi espagnole (Garcia Weber). Les autorités belges s'y opposaient, faisant valoir que la règle de conflit belge imposait l'application de la loi nationale des intéressés, à savoir en l'espèce la loi belge (le conflit positif de nationalités devant être réglé en faveur de la nationalité du for, selon les principes coutumiers en la matière). La Cour de justice retient que cette décision des autorités belges, opposée aux enfants qui se prévalaient de leur loi nationale espagnole, est de nature à porter atteinte à la liberté de circulation et de séjour reconnue aux citoyens communautaires et à établir une discrimination. En l'espèce, on l'a vu, la famille résidait en Belgique, où les enfants étaient nés. Il ne s'agissait donc pas, comme dans l'affaire Grunkin-Paul, d'opposer la loi du lieu de naissance et de résidence des enfants à leur loi nationale, mais de leur permettre de choisir, pour régir l'attribution du nom, entre les dispositions de l'une ou l'autre des lois de leurs deux nationalités : entre la loi belge et la loi espagnole, les intéressés avaient choisi de se prévaloir des dispositions de la loi de leur nationalité espagnole, et l'État belge ne pouvait, en dépit de leur résidence en Belgique, leur imposer l'application de la loi de leur nationalité belge. Cette solution, qui il est vrai ne joue que dans un contexte bien particulier — les enfants ayant des liens étroits avec deux États membres de l'Union européenne — n'en est pas moins remarquable en ce qu'elle ménage, comme la convention d’Antalya, une place à l'autonomie de la volonté dans un domaine qui, relevant des droits indisponibles, lui était traditionnellement fermé. Elle a été récemment confirmée dans un arrêt Freitag (CJUE 8 juin 2017, aff. C-541/15, D. 2018. 966, obs. S. Clavel), par lequel la CJUE juge que l’État allemand ne saurait exciper de ce qu’un double national germano-roumain ne séjournait pas habituellement en Roumanie au moment où il y a acquis son nom, pour lui en refuser la reconnaissance en
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Allemagne : entre ses deux lois nationales, l’intéressé peut librement choisir. Dans l’intervalle, la CJUE a précisé les limites du principe de reconnaissance du nom entre États membres, en autorisant le refus de reconnaissance pour des motifs d’ordre public dont elle se réserve d’assurer le contrôle (v. not. CJUE 22 déc. 2010, Sayn Wittgenstein, aff. C-208/09 et CJUE 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, aff. C-438/ 14). Fondée sur le droit à la libre circulation des personnes dans l’Union européenne, l’utilisation de la méthode de la reconnaissance par la Cour de justice n’a toutefois qu’une portée limitée. Elle ne devrait pas imposer la reconnaissance d’un nom attribué dans un État non membre de l’Union européenne. C’est pourquoi l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme, qui vient étendre la portée de cette reconnaissance, doit être soulignée. On sait que la CEDH a à plusieurs reprises imposé aux États signataires de la Conv. EDH de reconnaître des situations constituées à l’étranger, en application du droit au respect privé ou au respect de la vie familiale (v. ss 223), sans qu’ils puissent opposer leurs règles de conflit de lois. Elle a notamment appliqué cette jurisprudence au nom. Un arrêt rendu le 5 décembre 2013 (Henry Kismoun c/ France, no 32265/10, Rubrique Documents) condamne en effet le refus par la France de reconnaître le nouveau nom d’un Franco-Algérien, qui avait été inscrit sur les registres d’état civil français mais avait ultérieurement opéré un changement de nom en Algérie, en application de la loi algérienne. Le refus opposé par le ministère de la justice était justifié d’un point de vue conflictuel, puisque la loi applicable au changement de nom était, pour l’État français, la loi française, et d’un point de vue substantiel, l’autorité française ayant considéré que le motif légitime, qui constitue en droit français la condition du changement de nom, n’était pas établi. La CEDH estime cependant que ce refus viole le droit au respect de la vie privée de l’individu, le droit à l’identité se traduisant notamment par le droit pour le requérant de se voir reconnaître le nom porté depuis de nombreuses années et partie intégrante de son identité.
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À l’analyse, on le voit, la CEDH ne reproche pas directement à la France d’avoir choisi d’appliquer la loi française désignée par la règle de conflit, plutôt que la loi algérienne de la seconde nationalité du requérant. Elle lui reproche plutôt d’avoir, en appliquant la loi française exigeant un motif légitime, considéré à tort que la volonté du requérant de voir reconnaître son identité ne pouvait pas constituer un tel motif légitime. Néanmoins, on comprend qu’il sera désormais difficile à la France d’opposer sa règle de conflit à la reconnaissance d’un nom attribué en application d’une loi étrangère, aux motifs que cette loi serait incompétente, au moins si la loi mise en œuvre à l’étranger entretient un lien raisonnable avec la personne physique concernée : en effet, si les motifs de sécurité publique invoqués dans l’affaire considérée par le gouvernement français pour justifier le refus de changement de nom n’ont pas convaincu la CEDH, qui a jugé que le « droit à l’identité » devait l’emporter, on voit mal comment de purs motifs de technique conflictuelle (la loi appliquée au nom n’était pas la loi applicable selon la règle de conflit française) pourraient être mieux reçus.
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On peut en revanche se demander si cette obligation de « reconnaître » le nom s’imposerait également, au titre du droit au respect de la vie privée, dans l’hypothèse où l’attribution résulterait d’une loi sans lien avec cette personne physique, par
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exemple d’une loi qu’elle aurait librement choisie. L’hypothèse est sans doute d’école. Quoi qu’il en soit, en droit de l’Union européenne, l’arrêt Freitag de la CJUE (déjà évoqué v. ss 550) semble implicitement admettre que la reconnaissance du changement de nom peut être conditionné à l’existence d’un lien avec l’État membre où le nom a été attribué. Pourtant la France, qui a récemment modifié son droit pour tenir compte des prescriptions des cours européennes, a choisi d’aller plus loin.
2. La reconnaissance du nom en droit français 554
L’évolution induite par le droit international et européen a conduit le législateur français à consacrer récemment, dans le cadre de la loi « Justice du XXI e siècle » (L. no 2016-1547 du 18 nov. 2016), un droit pour les personnes physiques à la reconnaissance du nom acquis dans un autre État. L’article 61-3-1 du Code civil dispose désormais, en son premier alinéa, que « toute personne qui justifie d’un nom inscrit sur le registre de l’état civil d’un autre État peut demander à l’officier d’état civil dépositaire de son acte de naissance établi en France son changement de nom en vue de porter le nom acquis dans cet autre État membre ». Si cet article prévoit un droit d’opposition au bénéfice du procureur de la République, qui doit être saisi par l’officier d’état civil « en cas de difficultés », il est remarquable de constater que le droit français ne subordonne cette reconnaissance à aucune condition, alors que d’autres États européens ont souhaité l’encadrer (par ex., l’art. 48 de l’EGBGB allemand subordonne la reconnaissance à deux conditions : que le nom ait été acquis au cours d’un séjour habituel dans cet autre État, et que ce choix ne contrevienne pas de manière manifeste à des principes essentiels du droit allemand). Ainsi, il semble que le droit français renonce à contrôler l’existence d’un rattachement suffisant à l’État où le nom a été acquis, pour reconnaître celui-ci. En revanche, il paraît évident qu’une fraude manifeste, ou une contrariété aux valeurs essentielles du droit français (ordre public) pourraient constituer une « difficulté » autorisant le procureur de la République à s’opposer à la reconnaissance du nom acquis à l’étranger.
§ 555
2 La nationalité
La nationalitéQ traduit le lien juridique rattachant un individu à un État en fonction d'un critère d'allégeance personnel, c'est‑à-dire, selon les termes de la doctrine publiciste, indépendamment de l'espace où l'individu se situe (critère territorial renvoyant au domicile, v. ss 626). De la nationalité des individus sont tirées des conséquences importantes : en droit international privé, bien sûr, pour la détermination des droits privés de ces individus (quelle est la loi appelée à régir les questions soumises à la loi nationale ?) ; mais aussi, plus largement, pour la détermination des relations juridiques entre individus et États (quel État est autorisé à exercer la protection diplomatique à leur égard ? et surtout quel est, lorsqu'ils se trouvent sur le territoire d'un autre État que leur État national, le traitement qui leur est réservé ?). La détermination de la nationalité (A) conduit donc nécessairement à s'interroger sur la condition des étrangers (B).
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Les personnes physiques
A. La détermination de la nationalité des personnes physiques 556
Deux conséquences concrètes sont attachées à cette exclusivité. D'une part, chaque État détermine librement les critères d'attribution de sa propre nationalité, et se trouve corrélativement privé du pouvoir de définir les critères d'attribution d'une nationalité étrangère : l'État français est seul compétent pour déterminer les critères d'attribution de la nationalité française. Encore cette exclusivité semble-t‑elle aujourd'hui subir des limitations, pour les États européens, sous la double influence du droit de l'Union européenne (CJUE 2 mars 2010, Janko Rottmann, aff. C-135/08, D. 2010. 2868, obs. O. Boskovic ; Rev. crit. DIP 2010. 540, note P. Lagarde et les art. de la Bibliographie) et du droit de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 11 oct. 2011, Genevese, req. n o 53124/09 et les art. de la Bibliographie). D'autre part, un État ne peut pas prétendre faire application des critères définis par un autre État pour décider, à titre principal, qu'une personne physique doit se voir reconnaître la nationalité de cet État. Chaque État a donc une compétence exclusive non seulement pour la définition des critères d'attribution de sa nationalité, mais aussi pour l'application de ces critères. Cette règle est toutefois nuancée, car on reconnaît usuellement aux juridictions d'un État le droit de constater la nationalité étrangère d'un individu, lorsque cette reconnaissance n'est pas faite à titre principal, mais à titre incident. Ainsi, si le juge français s'interroge sur la capacité d'un individu à conclure un contrat, il doit, conformément à la règle de conflit applicable aux questions de capacité (v. ss 636 s.), appliquer la loi nationale de cet individu. Il peut donc s'interroger, comme préalable à la résolution de la question principale, sur la nationalité de cet individu. Imaginons que ce dernier revendique la nationalité allemande (qui lui confère le statut d'incapable), et que cette nationalité allemande lui soit contestée par son adversaire, le juge français pourra alors vérifier, par application des critères d'attribution de la nationalité allemande définis par l'État allemand, si l'intéressé possède bien cette nationalité.
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Pour le juriste français, c'est toutefois principalement la question de la nationalité française reconnue ou déniée à une personne physique qui est susceptible de se poser. Et ce sont donc les règles d'établissement de la nationalité française qui doivent être, à titre principal, étudiées (1). Cela ne signifie pas, on l'a vu, que les autorités françaises soient systématiquement conduites à ignorer les difficultés posées par la nationalité étrangère, réelle ou supposée, d'un individu. L'édiction unilatérale, par les États, de la réglementation relative à l'attribution de leur nationalité peut par exemple conduire à des cumuls de nationalités, dont la résolution s'avère parfois indispensable (ex. d'un binational dont la majorité est fixée par l'une des lois nationales à 16 ans et par l'autre à 18 ans ; si cette personne conclut un contrat à 17 ans, doit-elle être considérée comme majeure ou comme mineure ?). Il existe donc un véritable
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Si la nationalité des personnes physiques est un pan du droit classiquement rattaché au droit international privé, il n'en épouse toutefois que très partiellement les méthodes. Le droit de la nationalité n'a aucun lien avec la méthode conflictuelle. Il faut plutôt y voir un ensemble de règles matérielles, pour l'édiction desquelles chaque État reçoit — s'agissant de l'attribution de sa propre nationalité — une compétence exclusive. Les questions de nationalité relèvent traditionnellement du domaine « réservé » des États, car elles sont une composante de leur souveraineté internationale.
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Droit international privé
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contentieux de la nationalité, qui peut se présenter à titre principal, lorsque la question de la nationalité française est l'objet principal du litige, ou à titre incident lorsque, de la résolution de la question de la nationalité, dépend la solution de l'objet principal du litige (2).
1. L'établissement de la nationalité française 559
Le droit français de la nationalité est aujourd'hui largement contenu dans les articles 17 et suivants du Code civil. Il s'agit toutefois d'un droit fortement « politique », objet de fréquentes modifications en fonction des majorités et des sensibilités politiques. Ainsi, si la base du droit contemporain de la nationalité trouve toujours ses sources dans une ordonnance du 19 octobre 1945, ce texte a été modifié à plusieurs reprises pour l'adapter au contexte juridique et politique de notre pays. Parmi les textes récents ayant réformé le droit de la nationalité, on peut citer la loi du 22 juillet 1993 qui a renforcé le contrôle en matière de nationalité, elle-même partiellement remise en cause par la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité, revenue à un plus grand libéralisme. Plus près de nous, les exigences requises pour l'obtention de la nationalité française ont été à nouveau successivement renforcées par les lois du 26 novembre 2003 (2003-1119) relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité et du 24 juillet 2006 (2006-911) relative à l'immigration et à l'intégration. En revanche, les lois du 20 novembre 2007 (20071631) relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, du 16 juin 2011 (2011-672) relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, et du 7 mars 2016 (n o 2016-274) relative au droit des étrangers en France ont à peine retouché le droit de la nationalité, tout comme la loi dite « Justice du XXI e siècle » du 18 novembre 2016 (n o 2016-1547) qui s’est limitée à y intégrer les modifications touchant à l’organisation de la justice.
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En dépit des réformes successives plutôt caractérisées, ces dernières années, par un durcissement, le droit de la nationalité français n'apparaît pas excessivement strict. Pour pouvoir se prévaloir de la nationalité française, il faut se l'être vu attribuer, ou l'avoir acquise. Le Code civil opère en effet une distinction entre l'attribution de la nationalité françaiseQ, c'est‑à-dire la reconnaissance de la nationalité française d'un individu dès sa naissance, dès lors que certains critères sont remplis (a), et l'acquisition de la nationalité françaiseQ, à savoir l'octroi de la nationalité française à un individu qui n'est pas né français, sans effet rétroactif (b). Par ailleurs, pour pouvoir se prévaloir de la nationalité française, il importe que l'intéressé n'en ait pas perdu le bénéfice pour l'une des causes envisagées par la loi (c) (sur l'ensemble, v. le tableau de synthèse présenté en rubrique Documents).
a. 561
L'attribution de la nationalité française
L'attribution de la nationalité française peut résulter de la filiation avec un Français (1 o), ou de la naissance en France (2 o). 1. Attribution par filiation avec un Français
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L'attribution de la nationalité française par filiation avec un Français est réglée par les articles 18 et 18-1 du Code civil. L'article 18 du Code civil prévoit l'attribution de la nationalité française aux enfants dont l'un des parents au moins est de nationalité française. Le texte ne distingue pas selon la nature de la filiation, pas plus que selon
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Les personnes physiques
l'identité (père ou mère) du parent de nationalité française. Deux précisions doivent toutefois être apportées à cette règle.
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D'autre part, en application de l'article 18, l'attribution de la nationalité française à raison de la nationalité des parents s'effectue au jour de la naissance de l'enfant : les parents doivent avoir la nationalité française au jour de la naissance de l'enfant, qui reçoit alors immédiatement et sans condition la nationalité française. Cette règle a contraint le législateur, soucieux de ne pas opérer de distinction en fonction de la nature de la filiation, à apporter des précisions relatives à la nationalité de l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière. Par définition, il existe un décalage dans le temps, lorsqu'un enfant est adopté, entre le moment de sa naissance et celui de l'établissement de sa filiation à l'égard de ses parents adoptifs. Pourtant, la formulation de l'article 18, qui dispose qu'« Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français », englobe nécessairement la filiation adoptive, tout au moins la filiation adoptive plénière (car l'adoption simple n'a pas d'effet de plein droit sur la nationalité de l'adopté, conformément à l'art. 21 C. civ.) ; le parent adoptif est bien un « parent » au sens de la loi. La nationalité française est-elle alors attribuée à l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière au jour de sa naissance, de façon rétroactive, ou au jour de son adoption ? La réponse s'évince suffisamment du concept même d'attribution de la nationalité, puisque l'article 20 du Code civil dispose que l'enfant français en application des dispositions relatives à l'attribution de la nationalité est réputé avoir été français dès sa naissance, « même si l'existence des conditions requises par la loi pour l'attribution de la nationalité française n'est établie que postérieurement ». Le législateur français n'a en toute hypothèse laissé aucune part au doute, puisque l'article 20 précise, en son alinéa 2, que la nationalité de l'enfant qui a fait l'objet d'une adoption plénière est déterminée par l'application des articles 18 et 18-1 du Code civil.
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D'une part, l'enfant dont un seul des parents est français jouit en principe, même s'il n'est pas né en France, de la nationalité française. Si la règle s’évince de la lettre même du texe, son application a soulevé des difficultés pour les enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (PMA) ou d’une gestation pour autrui (GPA) non autorisée par le droit français (sur ces questions, v. ss 265 et v. ss 769) ; une circulaire du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française, validée par le Conseil d’État (CE, 12 déc. 2014, n o 367324, D. 2015. 355, note H. Fulchiron, C. Bidaud-Garon) a rappelé l’obligation pour les autorités publiques de délivrer un certificat de nationalité française dans un tel cas, dès lors qu’est produit un acte d’état civil étranger établissant de façon suffisamment probante la filiation avec un Français (généralement le père biologique). Cependant, il est loisible à l’enfant né d’un seul français à l’étranger, en application de l'article 181 du Code civil, de répudier la qualité de Français dans les six mois précédant sa majorité ou dans les douze mois suivant cette majorité (sur les modalités de répudiation, v. rubrique Documents).
2. Attribution par naissance en France
L'attribution de la nationalité française par naissance en France est réglée par les articles 19 et 19-1 du Code civil. Bénéficient ainsi de l'attribution de la nationalité française les enfants nés sur le territoire français de parents étrangers. La vigueur de ce mode d'attribution de la nationalité française apparaît toutefois moindre par
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Droit international privé
comparaison à l'attribution par filiation, car la naissance sur le sol français n'est pas toujours suffisante à établir la nationalité française. Lorsque l'enfant né sur le territoire français ne dispose d'aucune nationalité établie par filiation, la nationalité française lui sera attribuée sans autre condition ; la naissance sur le sol français est donc suffisante. Il n'est pas concevable en effet qu'un enfant né sur le territoire français puisse être dépourvu de toute nationalité. Il doit au moins jouir de la nationalité française, car l'apatridie est une situation qui doit rester exceptionnelle. Ce sont les articles 19 et 19-1 du Code civil qui prévoient cette possibilité, en précisant les cas dans lesquels un enfant né en France est privé de toute autre nationalité. On ne s'étonnera pas que ces hypothèses visent toujours une défaillance du lien de filiation, puisque par définition l'enfant né en France ne peut se voir attribuer une nationalité étrangère que par l'effet de la filiation. Les textes visent donc : – le cas de l'enfant né en France de parents inconnus : faute de filiation établie, l'enfant ne peut recevoir aucune nationalité de ses parents (art. 19) ; – le cas de l'enfant né en France de parents apatrides : quoique ses parents soient connus, il ne peut recevoir d'eux aucune nationalité puisqu'ils sont eux-mêmes privés de nationalité (art. 19-1, 1o) ; – le cas de l'enfant né en France de parents ressortissants d'États dont le droit de la nationalité n'autorise pas la transmission de cette nationalité à l'enfant : la loi de la nationalité des parents n'autorise pas l'attribution de la nationalité par filiation, ou seulement par filiation paternelle… (art. 19-1, 2o).
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Lorsque l'enfant né sur le territoire français dispose d'une autre nationalité établie par filiation, il peut se voir attribuer la nationalité française — il aura alors une double nationalité —, mais la seule naissance sur le territoire français ne suffit plus ; des liens complémentaires avec la France sont exigés. Il faut, conformément à l'article 19-3 du Code civil, que l'un au moins des parents de l'enfant soit lui-même né en France. C'est la continuité de l'ancrage dans la communauté française sur plusieurs générations qui est ici récompensée. Encore faut-il que cette continuité ait un sens pour l'intéressé, ce qui n'est pas nécessairement le cas car on ne peut exclure que la naissance en France (de l'enfant et/ou de l'un de ses parents) ait été purement fortuite. Aussi l'article 19-4 du Code civil donne-t‑il à l'enfant à qui la nationalité française a été ainsi attribuée, et qui bénéficie d'une nationalité étrangère par filiation (art. 20-3), le droit de répudier la nationalité française, dans les six mois précédant sa majorité ou dans les douze mois suivant sa majorité (sur les modalités de répudiation, v. rubrique Documents).
b. 568
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L'acquisition de la nationalité française
La personne physique qui ne s'est pas vue attribuer, dès sa naissance, la nationalité française, peut encore obtenir cette nationalité française à un moment quelconque de sa vie, pour l'avenir. C'est l'acquisition de la nationalité française. Mais cette acquisition de la nationalité française est évidemment subordonnée à des conditions. Certaines conditions, communes à toutes les modalités d'acquisition de la nationalité française, sont relatives à la personne même qui sollicite cette acquisition. D'autres, particulières, recouvrent les circonstances dans lesquelles la nationalité française peut-être acquise et les formalités qu'il convient de respecter à cet effet. Elles touchent en réalité aux modalités d'acquisition de la nationalité française.
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1. Conditions générales
2. Conditions particulières
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Pour prétendre acquérir la nationalité française, une personne doit en être digne. L'article 21-27 du Code civil pose donc des conditions d'acquisition de la nationalité française relatives à la personne, et exclut du bénéfice de l'acquisition de la nationalité française : – la personne ayant fait l'objet d'une condamnation pour crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un acte de terrorisme (al. 1er) ; – la personne ayant été condamnée en France, quelle que soit la nature de l'infraction considérée, à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement sans sursis (al. 1er) ; – la personne frappée d'une interdiction de territoire français ou ayant fait l'objet d'un arrêté d'expulsion encore en vigueur (al. 2) ; – la personne qui séjourne sur le territoire français en violation des dispositions légales relatives au séjour des étrangers en France (al. 3). Par exception, ces conditions ne s'appliquent pas au mineur qui acquiert la nationalité française au cours de sa minorité et au condamné réhabilité (al. 4). L'acquisition de la nationalité française est symboliquement marquée par une « cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française » (C. civ., art. 21-28, 21-29), à l'occasion de laquelle sont rappelés les droits et devoirs du citoyen français et est remise la « charte des droits et devoirs » (sur laquelle v. ss 581).
La personne qui remplit les conditions susvisées peut acquérir la nationalité française selon des modalités fort diverses. α. Acquisition de plein droit
Il arrive, mais cela est rare, que la nationalité française soit acquise de plein droit. L'acquisition de plein droit s'opère dans deux hypothèses : – la première est prévue par l'article 21-7 du Code civil, qui dispose que « tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence ou s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans » (al. 1er). L'acquisition de plein droit de la nationalité française se produit donc, au jour de leur majorité, au bénéfice des enfants nés en France, ne bénéficiant pas de la nationalité française pour cette seule raison (v. ss 565 s.), dès lors que la naissance en France se cumule avec une condition de résidence en France. Pour justifier l'acquisition de la nationalité, la résidence en France doit être actuelle au jour de la majorité de l'enfant, ou à défaut, avoir duré au moins cinq ans depuis les onze ans de l'enfant. Si cette acquisition est automatique, en ce sens qu'elle ne suppose aucune formalité, l'intéressé peut néanmoins choisir d'y faire échec, en déclarant qu'il décline la nationalité française dans les six mois précédant sa majorité ou dans les douze mois suivant sa majorité. Conformément aux articles 21-8 et 26 du Code civil, cette déclaration est reçue par le greffier en chef du tribunal d'instance ou le consul à l'étranger ; – la seconde hypothèse d'acquisition de plein droit est prévue par l'article 22-1 du Code civil, au profit de l'enfant dont l'un des deux parents acquiert la nationalité française, quelles que soient les modalités de cette acquisition, postérieurement à sa
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β. Acquisition volontaire
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naissance. L'enfant acquiert alors lui-même automatiquement la nationalité française, sous quatre conditions : – l'enfant doit être mineur lors de l'acquisition de la nationalité française par l'un de ses parents ; – il ne doit pas être marié (art. 22-2) ; – il doit résider avec le parent ayant acquis la nationalité française ou alternativement avec ce parent en cas de séparation ou de divorce ; – il faut, lorsque le parent a acquis la nationalité française par naturalisation ou par déclaration, que le nom de l'enfant ait été mentionné dans le décret de naturalisation ou dans la déclaration. L'acquisition de la nationalité française par l'enfant dépend donc pour une large part de la volonté du parent devenu français. Cette acquisition dépend également, au moins négativement, de la volonté de l'enfant, puisque par application de l'article 223 du Code civil, celui-ci peut répudier la nationalité française ainsi acquise dans les six mois précédant sa majorité ou dans les douze mois suivant sa majorité (sur les modalités de répudiation, v. rubrique Documents).
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Si l'acquisition de la nationalité s'opère parfois, on l'a vu, de plein droit, elle est le plus souvent un acte volontaire, qui peut lui même revêtir deux formes : l'intéressé peut souscrire une déclaration de nationalité françaiseQ lui permettant, par l'effet automatique de la loi, de recevoir la nationalité française ; il peut également solliciter le bénéfice de l'acquisition de la nationalité française auprès d'une autorité publique compétente : c'est la naturalisationQ. Dans les deux cas, l'intéressé doit indiquer aux autorités compétentes la ou les nationalités qu'il possède déjà, et celles qu'il conserve ou au contraire auxquelles il entend renoncer (art. 21-27-1).
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i) Déclaration de nationalité française. Certaines personnes se voient autorisées à revendiquer la nationalité française par simple déclaration de leur volonté d'acquérir cette nationalité, dès lors que certaines conditions sont réunies. Dans tous les cas ou presque, les formes de la déclaration sont les mêmes. Conformément aux articles 26 et suivants du Code, la déclaration est reçue par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance ou le consul (sauf pour la déclaration de nationalité souscrite à raison du mariage, de la qualité d’ascendant ou de frère ou sœur d’un Français, reçue par le ministre chargé des naturalisations), qui l'enregistre dès lors qu'elle respecte les conditions légales. La décision de refus d'enregistrement peut être contestée dans un délai de six mois devant le tribunal de grande instance. En l'absence de réponse de l'autorité compétente dans un délai de six mois, l'enregistrement est présumé acquis (le délai est porté à un an pour les acquisitions par mariage). Les déclarations prennent effet à la date à laquelle elles ont été souscrites, sauf disposition contraire ; elles peuvent être contestées par le ministère public si les conditions légales ne sont pas remplies dans un délai de deux ans (C. civ., art. 26-4). En revanche, les conditions et circonstances dans lesquelles la déclaration peut être opérée sont variées, et le moment auquel cette déclaration doit être souscrite dépend de l'hypothèse considérée. On distingue ainsi, en suivant à peu de chose près l'ordre du Code civil, l'acquisition au titre de la filiation, l’acquisition au titre du lien par le sang avec un Français, l'acquisition au titre du mariage, l'acquisition à raison de la
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naissance et de la résidence en France, et l'acquisition par la possession d'état de Français.
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Le lien par le sang avec un Français peut sous certaines conditions permettre l’acquisition de la nationalité française. C’est le cas, depuis 2015, pour les ascendants directs de français âgés d’au moins 65 ans et résidant régulièrement et habituellement en France depuis au moins 25 ans (art. 21-13-1), et depuis 2016 pour les frères ou sœurs d’une personne devenue française en application des articles 21-7 ou 21-11, s’ils résident habituellement sur le territoire français depuis l’âge de six ans et ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d’enseignement sous contrôle de l’État (art. 13-1-2). La déclaration de nationalité doit, dans ces deux cas, être reçue par le ministre chargé des naturalisations.
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Le mariage, selon les termes de l'article 21-1 du Code civil, n'emporte aucun effet de plein droit sur la nationalité. Néanmoins, le mariage avec un Français peut, sous certaines conditions, permettre à un étranger d'acquérir la nationalité française, s'il en exprime la volonté dans une déclaration soumise au ministre chargé des naturalisations. La règle est posée par l'article 21-2 du Code civil, qui subordonne toutefois cette acquisition à plusieurs conditions. Pour prétendre acquérir la nationalité française, le conjoint d'un Français doit justifier d'une connaissance suffisante de la langue française. Il doit surtout avoir été marié au moins quatre ans (il s'agit là d'un durcissement imposé par la loi du 24 juillet 2006 ; le délai est porté à cinq ans si le
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La filiation à l'égard d'un français permet en principe, quelle que soit la nature de cette filiation, de bénéficier d'une attribution de la nationalité française. Il n'en va différemment que pour l'adoption simple, laquelle est exclue du bénéfice de l'attribution de la nationalité française. C'est donc naturellement dans l'hypothèse d'une adoption simple que l'acquisition de la nationalité française par déclaration trouve à s'appliquer. L'article 21 du Code civil précise à cet égard que l'adoption simple n'exerce « de plein droit » aucun effet sur la nationalité. En d'autres termes, elle n'emporte pas acquisition automatique ou de plein droit de la nationalité française par l'adopté. Mais l'article 21-12 du Code civil autorise le bénéficiaire d'une adoption simple par une personne de nationalité française à déclarer qu'il réclame la qualité de Français. Trois conditions sont posées à l'exercice de cette faculté. Outre l'exigence d'une adoption simple par un Français, il importe que l'intéressé réside en France à l'époque de sa déclaration, sauf si l'adoptant français réside lui-même à l'étranger, et qu'il forme cette déclaration à un moment quelconque « jusqu'à sa majorité », le cas échéant par l'intermédiaire de son représentant légal (le titulaire de l'autorité parentale) s'il est âgé de moins de seize ans. Est assimilé à l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption simple, pour la déclaration de nationalité, l’enfant qui est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française, ou confié au service de l’aide sociale à l’enfance, depuis au moins trois années ou plus généralement celui qui a été recueilli par un organisme lui ayant permis de recevoir une formation française pendant cinq années (art. 21-12 al. 3). Cette disposition est notamment importante en ce qu’elle permet à l’enfant de nationalité étrangère, qui fait l’objet d’un recueil légal ou kafala par un couple de nationalité française, d’acquérir la nationalité française et ultérieurement d’être, éventuellement, adopté par ce couple (sur cette adoption, v. ss 265 et v. ss 769).
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couple réside à l'étranger) avec son époux français et le mariage doit s'être traduit, pendant toute cette durée, par une « communauté de vie tant affective que matérielle ». À l'expiration du délai de communauté de vie exigé par le texte, le conjoint d'un français peut, à tout moment, sous réserve que la communauté de vie perdure et que son conjoint ait toujours la nationalité française, présenter une déclaration en vue de l'acquisition de la nationalité française. La nationalité sera alors acquise à la date de souscription de la déclaration. Mais en application de l'article 21-4 du Code civil, le gouvernement peut, par décret en Conseil d'État, s'opposer à l'acquisition de la nationalité pour indignité ou défaut d'assimilation. Il faut noter que le texte, tel que modifié par la loi du 24 juillet 2006, précise que la polygamie du conjoint étranger caractérise le défaut d'assimilation, de même que la commission d'infractions punies par l'article 222-9 du Code pénal, qui incrimine les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. C'est ici principalement la pratique de l'excision qui est visée comme présomption de défaut d'assimilation. Le renforcement, par la loi du 27 novembre 2003 puis par la loi du 24 juillet 2006, des exigences légales relatives à la communauté de vie, et notamment à sa durée, sont justifiées par le souci des autorités françaises d'éviter les mariages de complaisance, destinés à permettre à un étranger d'obtenir une nationalité française pour l'acquisition de laquelle il ne remplirait pas, autrement, les conditions. Il s'agit donc d'éviter les fraudes. Mais celles-ci ne peuvent néanmoins être totalement exclues. C'est pourquoi les autorités françaises disposent de divers instruments pour déjouer la volonté de fraude à la nationalité. Il est ainsi de règle que, lorsqu'un mariage nul a été contracté de mauvaise foi par les époux, la nullité de ce mariage emporte perte, par caducité, de la nationalité française le cas échéant acquise par l'effet de ce mariage. À l'inverse, l'article 21-5 précise expressément que, en cas de bonne foi des époux, la nullité du mariage est sans effet sur la nationalité. De même, quelle que soit la bonne ou la mauvaise foi des époux, la nullité du mariage est sans effet sur la nationalité des enfants du couple. Par ailleurs et en toute hypothèse, la fraude, dès lors qu'elle est constatée, est doublement sanctionnée. D'une part, elle entraîne l'application des sanctions pénales instituées à l'encontre de ceux qui contractent mariage aux seules fins d'acquisition de la nationalité française ; d'autre part, elle justifie l'annulation du mariage, sur action du ministère public, voire même la contestation par celui-ci du seul enregistrement de la déclaration formée aux fins d'acquisition de la nationalité française (le mariage étant en revanche, lui, maintenu. Cette « division » des effets du mariage, qui conduit à reconnaître les principaux effets du mariage tout en excluant son effet acquisitif de la nationalité française, s'impose de plus fort lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, puisque les juridictions françaises ne peuvent annuler un acte public étranger. Sur le conflit d'autorités, v. rubrique Débat). La naissance et la résidence en France peuvent encore autoriser la souscription d'une déclaration de nationalité française. On l'a vu, un enfant né en France de parents étrangers bénéficie, sous certaines conditions de résidence en France, d'une acquisition automatique de la nationalité. Mais ce dispositif, institué par l'article 21-7 du Code civil, laisse subsister — dans les mêmes circonstances — une possibilité d'acquisition de la nationalité française par l'effet d'une déclaration en cas de naissance et résidence en France. En effet, en l'absence de déclaration, l'effet acquisitif de nationalité française ne se produira qu'à la majorité de l'enfant. Or celui-ci peut souhaiter jouir de la nationalité française avant d'avoir atteint ses dix-huit ans. Cette
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possibilité lui est ouverte par l'article 21-11 du Code civil à partir de l'âge de seize ans. L'intéressé peut alors, sous réserve qu'il remplisse des conditions de résidence en France — résidence en France au jour de la déclaration et résidence habituelle en France, de façon continue ou discontinue, pendant une période de cinq ans minimum depuis l'âge de onze ans — acquérir la nationalité française en en faisant la déclaration sans attendre sa majorité (al. 1 er). Cette faculté est également ouverte aux parents qui peuvent, dès lors que leur enfant a atteint l'âge de treize ans, réclamer la nationalité française à son profit et en son nom, dès lors qu'est remplie la condition de résidence en France pendant une période de cinq ans à partir de l'âge de huit ans. L'enfant doit cependant donner son contentement personnel (al. 2). Possession d'état. Enfin, en application de l'article 21-13 du Code civil, toute personne qui a joui, « d'une façon constante, de la possession d'état de Français pendant [les] dix années » peut, par déclaration, réclamer la nationalité française. Cette disposition pose la question de la notion de « possession d'état de FrançaisQ », que le texte ne définit pas. Jouit de la possession d'état de Français la personne physique qui est généralement considérée comme de nationalité française par les tiers. À cet égard, l'attitude de l'administration française est traditionnellement considérée comme déterminante : ainsi, le fait de s'être vu attribuer par l'administration, pendant plus de dix ans, des documents dont la délivrance est normalement attachée à la nationalité française, tels que carte d'identité, passeport, carte d'électeur, est constitutif d'une possession d'état de Français.
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ii) Décision de l'autorité publique : la naturalisation. Lorsqu'une simple déclaration de volonté ne suffit pas à l'étranger pour acquérir la nationalité française, cette acquisition reste encore possible par décision de l'autorité publique. C'est la procédure de naturalisation. La procédure de naturalisation résulte, en principe, d'un décret qui accorde cette naturalisation, à la demande de l'étranger (C. civ., art. 21-15), dans un délai qui ne saurait excéder 18 mois à compter du dépôt de la demande complète. Ce décret est pris après enquête diligentée par le préfet. Cette enquête a pour objectif de vérifier que les conditions auxquelles la naturalisation est subordonnée sont effectivement remplies.
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Conditions propres à la personne. Certaines de ces conditions tiennent à la personne même de l'étranger. Pour recevoir la nationalité française par décision de l'autorité publique, il faut tout d'abord être âgé d'au moins dix-huit ans, conformément à l'article 21-22 du Code civil, qui prévoit toutefois dans son alinéa 2 une dérogation au profit du mineur resté étranger, quoique l'un de ses parents ait acquis la nationalité française (par exemple, parce que son nom n'apparaissait pas dans le décret de naturalisation du parent), lorsqu'il a résidé en France avec ce parent pendant les cinq ans précédant la demande de naturalisation du mineur. Pour recevoir la nationalité française par décision de l'autorité publique, il faut également en être digne. Cette dignité s'apprécie au regard de deux critères définis par l'article 21-23. Le premier critère exclut du bénéfice de la naturalisation les étrangers ayant fait l'objet de l'une des condamnations visées par l'article 21-27, à savoir : une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme ; toute infraction ayant conduit à l'application d'une peine égale ou supérieure à six mois de prison sans sursis. Il est à noter que lorsqu'une condamnation de ce type a été prononcée à l'étranger, les autorités françaises
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peuvent néanmoins décider de naturaliser l'individu concerné (le décret devant alors être pris sur avis conforme du Conseil d'État). Sont également exclus du bénéfice de la naturalisation les étrangers visés par un arrêté d'expulsionQ du territoire ou une mesure d'interdiction du territoireQ, de même que ceux dont le séjour en France est irrégulier. Le second critère, plus subjectif, exige pour la naturalisation que l'intéressé soit de « bonne vie et mœurs ». Conditions d'assimilation à la communauté française. D'autres conditions sont relatives à l'assimilation de l'étranger à la communauté française. Un lien suffisant avec le territoire est tout d'abord exigé, puisque conformément à l'article 21-16, l'intéressé doit résider en France au jour de la signature du décret. L'intégration culturelle est également requise, puisqu'en application de l'article 21-24, « nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l'histoire, de la culture et de la société françaises », et « des droits et devoirs conférés par la nationalité française », ainsi que par « l'adhésion aux principes et valeurs de la République ». À cet égard, l'article 21-21 prévoit d'ailleurs que la naturalisation française peut bénéficier à tout étranger francophone qui en fait la demande et « qui contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales ». La loi « Besson » de 2011 a imposé de surcroît la signature par le candidat à la naturalisation de la « charte des droits et devoirs du citoyen français », marquant son adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République (C. civ., art. 21-24, al. 2). Enfin, traduisant aussi bien l'exigence de lien avec le territoire que celle d'intégration culturelle, la naturalisation française est en principe subordonnée à une condition de stageQ, c'est‑à-dire de résidence habituelle et effective sur le territoire français pendant une certaine période précédant le dépôt de la demande de naturalisation. La résidence prolongée sur le territoire français permet en effet de garantir une assimilation suffisante de l'intéressé. La durée normale du « stage » est de cinq ans (art. 21-17). Mais cette durée est réduite ou supprimée dans plusieurs hypothèses : – elle est réduite à deux ans par l'article 21-18 si l'étranger a accompli avec succès deux années d'études supérieures en vue d'acquérir un diplôme d'enseignement supérieur français, s'il a rendu ou peut rendre par ses capacités ou son talent des services importants à la France, ou s'il présente un parcours exceptionnel d'intégration au regard de ses activités dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportif ; – elle est supprimée, en vertu de l'article 21-19, au profit de l'étranger qui a servi l'armée française, de celui qui a rendu ou est susceptible de rendre à la France des services exceptionnels, de même qu'au profit de l'étranger qui a officiellement obtenu le statut de réfugié. Elle est également supprimée, en application de l'article 21-20, pour les étrangers dont le français est la langue « naturelle » (étranger issu d'un pays francophone, dont la langue maternelle est le français, ayant été scolarisé au moins cinq ans dans un établissement scolaire de langue française). Au regard de l'ensemble de ces éléments conditionnant la naturalisation, révélés par les enquêtes diligentées à cet effet, le ministre décide discrétionnairement d'accepter la demande de naturalisation, de la rejeter, ou de l'ajourner. S'agissant d'une décision discrétionnaire, les possibilités de recours sont réduites, limitées à un droit de recours devant le Conseil d'État en cas d'erreur de droit ou de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir. Depuis quelques années, il
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Les personnes physiques
est toutefois prévu par l'article 27 du Code civil que les décisions de rejet ou d'ajournement de la demande de naturalisation doivent être motivées.
c.
La privation de la nationalité française
1. Perte de nationalité
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Lorsqu'une personne est titulaire de la nationalité française, elle peut en perdre le bénéfice. Le Code distingue formellement la « perte » de la nationalité françaiseQ, qui résulte de l'absence de liens effectifs avec la France, généralement combinée à la volonté de l'intéressé, et la « déchéance » de la nationalité françaiseQ, qui s'analyse comme une sanction appliquée à l'intéressé par la France. Dans tous les cas, un point est fondamental. Dans un souci d'éviter la constitution de situations d'apatridie, le droit français subordonne toujours la privation de la nationalité française à l'existence d'une nationalité « de substitution » au profit de l'intéressé. C'est vrai naturellement pour la perte de la nationalité française, l'intéressé ne pouvant répudier cette nationalité s'il ne bénéficie pas d'une autre nationalité. C'est vrai également pour la déchéance, quelle que soit la gravité des actes justifiant le prononcé de cette sanction. Le souci de lutter contre l'apatridie prévaut sur toute autre considération.
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Sous réserve donc qu'existe une nationalité de substitution, la perte de la nationalité française suppose en principe un acte de volonté de la part de l'intéressé. Il n'y a pas normalement de perte « automatique » de la nationalité française, par exemple par l'effet d'un mariage avec un étranger, et l'article 23 du Code civil précise à cet égard que l'acquisition d'une nationalité étrangère par un national français n'emporte pas, à elle seule, perte de la nationalité française. La déclaration de perte de nationalité française peut intervenir dans l'un ou l'autre des cas suivants : – acquisition d'une nationalité étrangère pour le Français de moins de 35 ans libéré des obligations militaires (C. civ., art. 23, 23-2) ; – faculté de répudiation de la nationalité française reconnue par les articles 18-1 (enfant né à l'étranger dont un seul des parents est français), 19-4 (enfant né en France dont un seul des parents est lui-même né en France) et 22-3 du Code civil (enfant ayant automatiquement acquis la nationalité française comme suite de l'acquisition de cette nationalité par l'un de ses parents ; C. civ., art. 23-3) ; – mariage avec un étranger et résidence du couple à l'étranger (C. civ., art. 23-5) ; – autorisation par décret (C. civ., art. 23-4).
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À titre exceptionnel, la perte de la nationalité française peut être « constatée » officiellement, sans manifestation de volonté de l'intéressé. C'est ce que prévoient les articles 23-6 à 23-8 du Code civil, qui fondent cette perte sur le défaut d'effectivité de la nationalité française. Selon l'article 23-6, la perte de la nationalité française peut être constatée par jugement lorsque l'intéressé, Français d'origine par filiation, n'en a point la possession d'état et n'a jamais eu sa résidence habituelle en France, et que les ascendants, « dont il tenait la nationalité française, n'ont eux-mêmes ni possession d'état de Français, ni résidence en France depuis un demi-siècle » (al. 1 er). Selon l'article 23-7, « le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'État, avoir perdu la qualité de Français » (C. civ., art. 23-7).
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2. Déchéance de nationalité
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Enfin, en application de l'article 23-8, « Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n'a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l'injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement ». Les Français ayant ainsi perdu la qualité de Français peuvent toutefois être réintégrés s'ils en font la demande, sans condition de stage.
La déchéance de la nationalité française est une sanction prévue par la loi à l'encontre de ceux qui ont acquis la nationalité française, et qui par leurs agissements s'en sont rendus indignes. Le Conseil constitutionnel a confirmé sa constitutionnalité (23 janv. 2015, no 2014-439 QPC). L'article 25 du Code civil prévoit quatre causes de déchéance : « L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : 1o S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ; 2o S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du Code pénal [atteintes à l'administration publique par des personnes exerçant une fonction publique — abus d'autorité, corruption] (…) ; 3o S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du Code du service national ; 4o S'il s'est livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ». Quelle que soit la gravité des actes reprochés, aucune déchéance n'est encourue s'il en résulte l'apatridie de l'intéressé. Au surplus, pour justifier la déchéance, les faits considérés doivent s'être produits soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de dix ans à compter de cette acquisition (quinze en cas d'actes de terrorisme). En dépit des débats qui ont enflammé la France en 2015 et 2016 quant à un éventuel renforcement de la déchéance de nationalité contre les auteurs d’actes de terrorisme nés français (impliquant une révision constitutionnelle), le projet a été abandonné en mars 2016 et le dispositif de déchéance de nationalité demeure inchangé.
2. Le contentieux de la nationalité 586
Le contentieux de la nationalité est multiple. À titre principal, on l'a vu, certaines décisions de l'autorité publique, relatives à la nationalité (enregistrement de la déclaration, rejet de la demande de naturalisation, décret de déchéance), peuvent être contestées devant les autorités compétentes, tantôt judiciaires, tantôt administratives, dont la fonction est alors de vérifier le respect effectif des textes par l'autorité décidante. Toujours à titre principal, le droit français reconnaît l'intérêt pour un individu, éprouvant des doutes sur sa nationalité française ou son absence de nationalité française, à demander en justice la levée de ce doute, dans le cadre d'une action déclaratoire ou dénégatoire. Il s'agit pour l'intéressé de solliciter des
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juridictions françaises qu'elles se prononcent sur le point de savoir si les conditions d'attribution ou d'acquisition (quand celle-ci est automatique) de la nationalité française sont réunies ou au contraire absentes, ou encore sur le point de savoir si les conditions de perte (automatique) de la nationalité française sont réunies. Enfin, à titre incident, il est très fréquent que la question de la nationalité, française mais cette fois-ci également étrangère (v. ss 557), d'un individu se pose comme préalable nécessaire à la résolution du litige principal. Cette question devra alors être tranchée par les autorités judiciaires compétentes. La compétence en matière de nationalité française est dévolue au tribunal de grande instance du domicile de l’intéressé (ou de Paris s’il demeure hors de France), tant à titre principal qu’à titre incident : dans ce dernier cas, la juridiction saisie au fond doit, s’il existe un doute sérieux sur une question préalable de nationalité française, surseoir à statuer et renvoyer la partie à se pourvoir devant le TGI (sur ces aspects de procédure, v. C. pr. civ., art. 1038 s.). Dans toutes ces hypothèses contentieuses, deux questions sont susceptibles de se poser : celle, tout d'abord, de l'appréciation judiciaire de la nationalité (a) ; celle ensuite, moins systématique mais particulièrement problématique, du règlement par le juge des conflits de nationalités (b).
Appréciation judiciaire de la nationalité
Lorsque la question, posée à titre principal ou incident, porte sur l'existence de la nationalité française, la loi applicable est toujours la loi française. La principale difficulté ne concerne donc pas l'identification de la loi applicable, mais plutôt celle de la disposition substantielle applicable. En effet, la succession rapide des législations en la matière génère des problèmes d'application de la loi dans le temps. Sur ce point, et s'agissant tout d'abord des lois relatives à l'attribution de la nationalité française, l'article 17-1 du Code civil prévoit que « les lois nouvelles relatives à l'attribution de la nationalité d'origine s'appliquent aux personnes encore mineures à la date de leur entrée en vigueur, sans préjudicier aux droits acquis par des tiers et sans que la validité des actes passés antérieurement puisse être contestée pour cause de nationalité » (al. 1er). S'agissant ensuite des lois relatives à l'acquisition de la nationalité française, l'article 17-2 du Code civil dispose que « l'acquisition et la perte de la nationalité française sont régies par la loi en vigueur au temps de l'acte ou du fait auquel la loi attache ces effets » (al. 2).
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La charge de la preuve de la nationalité française incombe toujours à celui qui s'en prévaut, conformément à l'article 30, alinéa 1 er du Code civil, ce qu'il soit demandeur ou défendeur à l'instance. Il lui revient donc d'établir que les conditions qu'il prétend remplir pour bénéficier de la nationalité française sont effectivement remplies. L'objet de la preuve dépend quant à lui naturellement des règles qui régissent la nationalité en cause ; ainsi, celui qui prétend jouir de la nationalité française en raison de sa naissance sur le territoire français et de la naissance de l'un de ses parents sur le territoire français (cas d'attribution de la nationalité prévu par l'art. 193 C. civ.) doit prouver ces deux événements exigés par la loi française, par exemple par la production de l'acte de naissance dressé par l'officier d'état civil français (lequel indique, conformément à l'article 57 du Code civil, le lieu de naissance). Le Code civil prévoit en outre un mode de preuve spécifique à la nationalité, le certificat de nationalité françaiseQ, régi par l'article 31 du Code civil et délivré par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance au vu des éléments fournis par le demandeur pour établir sa nationalité française. Ce certificat établit une
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Droit international privé
présomption de nationalité française, et permet ainsi d'inverser la charge de la preuve en imposant à celui qui conteste la nationalité française de son détenteur d'établir cette absence de nationalité. Lorsque la question, posée nécessairement à titre incident, porte sur la nationalité étrangère d'un individu, la loi applicable est toujours la loi de l'État dont la nationalité est revendiquée. La charge de la preuve repose, comme pour la nationalité française, sur celui qui se prévaut de la nationalité étrangère et les modes de preuve sont généralement libres.
b. 590
Règlement judiciaire du conflit de nationalités
La conjugaison de modes d'attribution et/ou d'acquisition de la nationalité jure sanguinis et jure soli génère d'inévitables conflits positifs de nationalitésQ. Mais il arrive également que se produisent des conflits négatifs de nationalitésQ, qui traduisent un défaut de nationalité. 1. Conflit positif de nationalités
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Il y a conflit positif de nationalités lorsqu'un même individu jouit d'une double, voire d'une triple nationalité, situation somme toute fréquente et peu troublante : le binational pourra par exemple jouir d'une double protection diplomatique. Il peut néanmoins s'avérer nécessaire, dans certaines circonstances, de trancher le conflit. Si un binational conclut un contrat à l'âge de dix-sept ans, que l'une de ses lois nationales le considère incapable tandis que l'autre lui reconnaît la capacité de conclure des actes juridiques, il est impossible d'appliquer cumulativement les deux lois nationales qui ont pourtant toutes deux vocation à régir la capacité. Pour limiter les difficultés nées de ces cumuls de nationalités, de nombreuses conventions internationales, multinationales ou bilatérales, ont été adoptées. Mais à défaut de convention, il faut trancher en faveur de l'une ou l'autre. Les principes de sélection sont relativement simples : – lorsque l'une des nationalités en cause est celle du for, la nationalité du for prévaut. Mais cette prévalence connaît des limites. On a vu ainsi, à propos de l'application de la loi nationale à l'attribution de nom de famille, que les jurisprudences de la Cour de justice de l'Union européenne et de la CEDH imposent parfois de reconnaître à l'intéressé (sous certaines conditions) le droit de se prévaloir, contre la nationalité du for, de son autre nationalité (v. ss 547 s.). Cette solution a été aussi consacrée par la Cour de justice pour l'application du règlement Bruxelles II bis : lorsque les époux possèdent à la fois la nationalité du for et la nationalité d'un autre État membre, les juridictions saisies ne peuvent, dans la mise en œuvre du critère de compétence fondé sur la nationalité consacré par le règlement, faire prévaloir la nationalité du for et refuser de tenir compte de la nationalité étrangère (CJCE 16 juill. 2009, aff. C-168/08, Rev. crit. DIP 2010. 184, note C. Brière ; JDI 2010. 4, note L. d'Avout). Par ailleurs, la Cour de cassation semble désormais admettre que, lorsque le conflit entre la nationalité française et une nationalité étrangère doit être résolu par le juge français pour mettre en œuvre une règle de conflit ou une loi étrangère, le juge français doit trancher ce conflit comme le ferait le juge étranger, en faisant le cas échéant prévaloir la nationalité étrangère sur la nationalité française (Civ.1re, 15 mai 2018, no 17-11.571, sur le renvoi en matière de successions ; comp. Civ. 1 re, 13 oct. 1992, Camara, no 90-19903) ;
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– lorsque les deux nationalités en cause sont étrangères, il convient de faire prévaloir la plus effectiveQ. C'est la solution qui peut être déduite des enseignements de l'arrêt Nottebohm rendu par la Cour internationale de justice le 6 avril 1955 — il faut en effet « faire concorder le lien juridique de la nationalité avec le rattachement effectif de l'individu à l'État » —, et mise en œuvre de façon constante par la Cour de cassation française. 2. Conflit négatif de nationalités : l'apatridie L'apatridieQ (conflit négatif de nationalités) est la situation de celui qui, pour des raisons qui peuvent être variées, ne jouit d'aucune nationalité. Le phénomène, ancestral, a été très tôt appréhendé par la communauté internationale, qui cherche tant à prévenir les situations d'apatridie qu'à trouver des solutions susceptibles de régler les difficultés qu'elle pose. L'approche contentieuse, qui nous occupe ici, tend à envisager le règlement des difficultés liées à l'apatridie. En effet, de nombreuses règles de conflit, de lois comme de juridictions, renvoient à la nationalité comme élément de rattachement ; c'est particulièrement vrai lorsqu'est en cause l'objet même de notre étude, c'est‑à-dire l'état des personnes. Le juge, saisi d'un litige mettant en cause un individu, et requis de mettre en œuvre le critère de la nationalité, est donc confronté à une impossibilité matérielle. Pourtant, aucun individu ne peut être privé d'état. C'est pourquoi une convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides prévoit que l'apatride doit être soumis quant à son statut personnel à la loi de son domicile, ou à défaut de domicile, à la loi de sa résidence (art. 12-1). Le même texte (art. 12-2) précise que les droits précédemment acquis par l'apatride en matière de statut personnel — c'est‑à-dire le cas échéant acquis en application de sa loi nationale avant qu'il ne devienne apatride — devront être respectés.
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B. La condition des étrangers La distinction entre « nationaux » et « étrangers », outre qu'elle influe sur le règlement du conflit de lois, détermine également le statut que l'État entend réserver aux individus concernés. De tout temps, les étrangers ont reçu un traitement différent de celui réservé aux nationaux, et usuellement moins favorable. Certes, on admet aujourd'hui que le droit international public, s'il concerne essentiellement les relations entre États souverains, génère des droits fondamentaux au profit des individus, droits que les États sont tenus de respecter indépendamment de la qualité de national ou d'étranger de ces individus. Mais au-delà de la consécration de droits fondamentaux de la personne dont le respect est impératif pour les États (jus cogensQ), le droit international public reconnaît aux États toute liberté pour définir le traitement qu'ils entendent réserver aux étrangers sur leur territoire ; leur compétence est ici encore, comme pour la nationalité, exclusive. Ceci ne leur interdit évidemment pas de définir des règles communes par la conclusion d'accords internationaux. À cet égard, des limites, importantes pour la détermination par les États européens de la condition des étrangers sur leur territoire, découlent aujourd'hui du droit de l'Union européenne et de la Convention européenne des droits de l'homme.
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La condition des étrangers en France, précisément, est déterminée par des sources multiples. Les sources purement nationales sont complexes. Une certaine clarté a toutefois été acquise au bénéfice de la codification du droit des étrangers intervenue
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1. Les citoyens européens 595
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en 2005 : le Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA) regroupe aujourd'hui l'essentiel des textes en la matière (Mayotte a toutefois un statut dérogatoire). Cette codification, qui semble porteuse de stabilité, ne doit cependant pas cacher le caractère profondément mouvant du droit des étrangers, droit politique et économique par excellence. L'ordonnance du 2 novembre 1945, qui constitue aujourd'hui encore la base du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a été sérieusement réformée par des lois récentes, et la doctrine relève la profonde mutation qui a affecté le droit des étrangers au cours des trente dernières années. De 1980 à 2018, vingt-sept lois sur l’asile et/ou l’immigration ont été votées. La plus importante réforme récente est issue de la loi n o 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, mais un nouveau projet dit « AsileImmigration » présenté le 21 février 2018 en Conseil des ministres et adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 22 avril 2018 devrait prochainement conduire à l’adoption d’une nouvelle loi. Ces dispositions de droit interne doivent en outre être combinées avec les sources supranationales qui lient la France. Les sources internationales comprennent des traités souvent bilatéraux dont l'objet est d'organiser sur une base réciproque les conditions de séjour de certains étrangers en France, mais aussi des traités fondamentaux relatifs aux droits de la personne, telle la Convention européenne des droits de l'homme. S'y ajoutent aujourd'hui des dispositions issues du droit de l'Union européenne et de l'Espace économique européen qui tendent tout à la fois à unifier le traitement de tous les citoyens européens, et à harmoniser le traitement réservé par les États membres aux ressortissants des États tiers. La liberté de circulation consacrée par le droit de l'Union européenne s'accompagnant d'une suppression des contrôles aux frontières internes de l'Union, il s'est avéré nécessaire que les États membres s'accordent sur les contrôles devant être exercés, par les États concernés, aux frontières externes de l'Union. L'accord de Schengen, signé le 14 juin 1985, constitue la base d'une politique commune d'immigration aujourd'hui institutionnalisée et déclinée sous forme de nombreux règlements et directives, mais également très décriée, certains la jugeant trop « laxiste », d’autres trop sévère. Le système Schengen est en outre aujourd'hui profondément bouleversé du fait de la crise migratoire et de la menace terroriste en Europe : tandis que de nombreux États membres, dont la France, ont « temporairement » rétabli les contrôles aux frontières internes en application des exceptions prévues par l’accord, les autorités européennes ont entamé en 2017 un programme de durcissement du « Code frontières Schengen ». L'influence du droit de l'Union européenne sur le droit français de la condition des étrangers ne peut cependant se comprendre qu’en opérant une distinction fondamentale entre citoyens européens (1) et étrangers (2), dont il est permis de distinguer, en raison de leur statut très particulier, les demandeurs d'asile (3).
Est citoyen européenQ tout national d'un État membre de l'Union européenne (TFUE, art. 20-1). Les articles 20-3 et 21 du TFUE consacrent le droit des citoyens européens « de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ». À ce droit à l'entrée et au séjour (a) vient s'ajouter un principe de non-discrimination qui postule l'égalité de statut entre citoyens européens et nationaux (b).
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a.
Les personnes physiques
Droit à l'entrée et au séjour 596
Le droit de l'Union européenne, par une directive no 2004-38 du 29 avril 2004, a en effet autorisé les États membres à restreindre le séjour des citoyens européens dans la stricte mesure nécessaire au maintien de la « cohésion économique et sociale » sur le territoire. C'est ainsi que l'article L. 121-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose aujourd'hui que pour séjourner en France audelà de trois mois, un citoyen européen doit justifier de ressources suffisantes résultant alternativement : 1o de l'exercice d'une activité professionnelle en France ; 2o de la justification, pour lui-même et sa famille, de ressources suffisantes et d'une assurance maladie ; 3o de la qualité d'étudiant conjuguée à la justification de ressources suffisantes et d'une assurance maladie. Le droit de séjour est également reconnu aux descendants directs âgés de moins de vingt et un ans, aux ascendants directs et au conjoint de tout citoyen européen remplissant l'une des trois conditions précitées. Après cinq ans de résidence ininterrompue en France, le citoyen européen se voit reconnaître un droit au séjour permanent sur le territoire français (CESEDA, art. L. 122-1).
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Le citoyen européen qui séjourne au-delà de trois mois sur le territoire français n'est pas astreint à la détention d'un titre de séjourQ. Il doit néanmoins, en application de l'article L. 121-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, être enregistré auprès de la mairie de sa commune de résidence. En outre, doivent toujours détenir un titre de séjour, sauf accords spécifiques, les citoyens européens qui exercent en France une activité professionnelle, ainsi que les nationaux d'États nouvellement membres de l'Union lorsque des mesures transitoires sont prévues par les traités d'adhésion.
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Mais la principale différence entre nationaux et citoyens européens non nationaux, relativement au séjour, concerne les mesures d'interdiction du territoire et d'expulsion. Il est de principe, en effet, qu'un État ne peut jamais expulser ses nationaux du territoire, ni leur interdire le séjour sur ce territoire. L'Union européenne n'impose pas l'extension de cette prérogative aux citoyens européens. Ceux-ci peuvent, lorsqu'ils présentent une menace particulièrement grave à l'ordre public de l'État sur le territoire duquel ils se trouvent, faire l'objet d'une interdiction de séjour, être expulsés et/ou interdits du territoire (CESEDA, art. L. 121-4).
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b.
Non-discrimination
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Le droit des citoyens européens à l'entrée sur le territoire des États membres de l'Union est une conséquence directe de la liberté de circulation et d'établissement consacrée par le TFUE (art. préc., également repris par l'art. 45 de la Charte des droits fondamentaux). Cependant, si tout citoyen européen, ainsi que tout ressortissant d'un État membre de l'EEE ou de la Confédération suisse, peut librement entrer sur le territoire d'un État membre pour y séjourner pour une durée de trois mois, son maintien sur le territoire au-delà de cette durée est subordonné à des conditions.
Le statut des citoyens européens séjournant sur le territoire d'un État membre dont ils ne sont pas les nationaux se définit en considération du principe de non-
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Droit international privé
discrimination. L'État membre où ils séjournent doit leur appliquer un traitement identique à celui qu'il réserve à ses nationaux. Ce principe joue en particulier pour l'exercice des activités professionnelles. Ainsi le citoyen européen a-t‑il des droits d'accès, équivalents à ceux reconnus aux nationaux, aux professions salariés ; il est assujetti aux mêmes conditions de travail et de rémunération. Il a également le droit de s'établir, dans les mêmes conditions qu'un national, dans une profession non salariée ; à cet effet, un principe de reconnaissance mutuelle et d'équivalence des diplômes est posé. Les interdictions usuellement édictées à l'encontre des étrangers (lesquelles sont elles-mêmes en voie de disparition, v. ss 610 s. et v. ss 872 s.) ne peuvent jouer contre les citoyens européens. Pour garantir l'effectivité de la liberté d'établissement, des dispositions en matière de sécurité sociale viennent compléter le dispositif.
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Traité à l'équivalent des nationaux pour les droits civils, le citoyen européen ne jouit pas, en revanche, des mêmes droits politiques. Rien n'impose aux États de lui attribuer un droit général de vote aux élections nationales. En revanche, le TFUE (art. 22) consacre le droit pour le citoyen européen d'être éligible et de participer, dans l'État membre de sa résidence, aux élections municipales nationales et aux élections au Parlement européen.
2. Les étrangers 603
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Certains étrangers qui ne sont ni citoyens européens, ni demandeurs d'asile, jouissent d'un régime dérogatoire au droit commun sur la base de traités bilatéraux conclus entre leur pays et la France ; c'est le cas notamment, on l'a signalé, des ressortissants de l'EEE et de la Confédération suisse, dont le régime est aligné sur celui des citoyens européens. Seul le régime de droit commun sera envisagé. Là encore, le droit d'entrée et de séjour sur le territoire (a) sera traité, avant que soit présenté le statut de l'étranger présent sur le territoire (b).
a.
Droit d'entrée et de séjour sur le territoire
1. Conditions d'entrée et de séjour
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Des exigences formelles conditionnent l'entrée et le séjour des étrangers sur le territoire : le candidat au séjour est ainsi normalement astreint, particulièrement pour les séjours de longue durée, à l'obtention d'un visaQ qui conditionne son entrée sur le territoire français ; il doit, en outre, être en possession des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il entend en exercer une, et des documents justifiant des conditions matérielles de son séjour (hébergement, assurance, etc.). Une fois entré, il doit encore obtenir, s'il entend séjourner plus de trois mois en France, un titre de séjour (parmi ceux listés au CESEDA, art. L. 311-2). La délivrance du visa d'entrée et du titre de séjour crée autant d'occasions pour les autorités françaises de vérifier que le candidat à l'entrée et au séjour en France peut y être admis.
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Toute personne, en effet, n'a pas automatiquement droit à l'entrée et au séjour en France. Bien au contraire, les autorités françaises disposent d'une certaine discrétion pour la reconnaissance de ce droit. Tout d'abord, on le comprend, l'entrée et le séjour en France peuvent être refusés à toute personne qui présente une menace pour l'ordre public ou qui fait l'objet d'une interdiction du territoire. Mais plus
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généralement, le refus d'entrée et de séjour peut être fondé sur « toute considération d'intérêt général », et notamment sur des considérations économiques. En revanche, la France ne pratique traditionnellement pas de politique de quotas visant à limiter ou au contraire à favoriser l'immigration de certains groupes de population. Sans aller jusqu'à l'instauration de quotas, cette position a néanmoins évolué avec la volonté affirmée ces quinze dernières années de favoriser une « immigration choisieQ ». La loi du 24 juillet 2006 a, en ce sens, institué un régime visant à faciliter l'entrée et le séjour des ressortissants étrangers pouvant rendre « par leurs capacités ou leurs talents, des services importants à la France ». L'évolution est encore renforcée par la réforme du droit au regroupement familial mise en œuvre par la loi du 24 juillet 2006, et surtout par la loi du 20 novembre 2007, qui constitue une étape supplémentaire dans le sens d'une immigration « choisie ». Le droit au regroupement familialQ autorise tout étranger séjournant régulièrement sur le territoire français à y faire venir certains membres de sa famille, de façon à lui garantir le droit constitutionnel de mener en France une vie familiale normale : conjoint et enfants mineurs d'un étranger séjournant régulièrement en France depuis une durée suffisante sont donc nécessairement autorisés à entrer et séjourner en France, du moins si l'étranger qui sollicite le bénéfice du regroupement familial dispose de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance. Les lois de 2006 et 2007 marquent toutefois une volonté de l'État français de réguler le regroupement familial : rehaussement de la durée de séjour préalable exigée pour l'étranger qui sollicite la venue de sa famille (dix-huit mois), augmentation des conditions de ressources (avec notamment la non-prise en compte des aides sociales au titre des ressources) et vérification des conditions de logement, contrôle plus strict de la réalité du lien familial (notamment avec l'instauration des fameux « tests ADN » volontaires), évaluation des capacités d'intégration des candidats au regroupement familial, institution d'un contrat d'intégration de la famille, sont autant de mesures dont l'objectif non dissimulé est de mieux contrôler, pour limiter et/ou orienter le regroupement familial, même si la Cour européenne des droits de l’Homme veille à ce que ces contrôles ne heurtent pas directement le droit au respect de la vie familiale consacré par l’article 8 de la Conv. EDH. L’étranger qui souhaite s’installer durablement en France doit souscrire avec l’État français un contrat d’intégration républicaine, par lequel il s’engage à suivre des formations, civique et linguistique, prises en charge par l’État ; il fait l’objet d’un accompagnement adapté à ses besoins pour faciliter ses conditions d’accueil et d’intégration (CESEDA, art. 311-9). Le fait d'être titulaire d'un visa, ou encore celui de séjourner sur le territoire français, le cas échéant sous couvert d'un titre de séjour régulier, n'implique pas nécessairement le droit d'entrer sur le territoire français ou de s'y maintenir. Les autorités françaises peuvent refuser à un étranger l'entrée sur le territoire, ou encore mettre en œuvre les mesures juridiques et matérielles nécessaires à son départ. 2. Refus d'entrée sur le territoire
Lorsque le refus d'entrée sur le territoire est signifié à l'étranger en amont, au stade de la délivrance du visa, aucun problème pratique ne se pose en principe : l'étranger peut certes exercer un recours administratif contre la décision, mais il ne se trouve pas alors physiquement en France. Il arrive toutefois que le refus d'entrée sur le territoire soit signifié à l'étranger au moment même de son passage à la frontière, alors qu'il se trouve physiquement en France (par exemple, à l'aéroport), soit parce
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3. Départ forcé
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qu'il ne peut produire un visa, soit parce que, bien que titulaire d'un visa, il constitue une menace pour l'ordre public ou fait l'objet d'une interdiction du territoire ou d'un arrêté d'expulsion (CESEDA, art. L. 213-1). Si l'étranger ne peut être immédiatement « réacheminé » par le transporteur (sur qui pèse une obligation légale), l'administration peut organiser son éloignement forcé (v. l’obligation de quitter le territoire français, v. ss 608). Pendant le temps nécessaire à l'organisation de la mesure d'éloignement, l'étranger intercepté au moment de sa tentative d’entrée sur le territoire est en principe placé en zone d'attenteQ. Parce que la zone d'attente ne dépend pas de l'administration pénitentiaire, et que la mesure n'est pas constitutive en soi, en tout cas en droit, d'une privation de liberté, le placement en zone d'attente peut être décidé par l'administration tant que sa durée n'excède pas quatre jours (CESEDA, art. L. 221-3) ; cette décision peut être contestée devant les juridictions administratives. Au-delà d'une durée de quatre jours, le placement en zone d'attente devient une mesure privative de liberté qui doit être autorisée par le juge judiciaire compétent, à savoir le juge des libertés et de la détention. Sa durée ne peut en principe excéder huit jours, sous réserve de prolongations exceptionnelles (CESEDA, art. L. 222-1 s.). Pendant la période d'attente, l'étranger doit bénéficier des services d'un avocat, de médecins et d'interprètes si nécessaire.
Si un ressortissant étranger se trouve en situation irrégulière sur le territoire au regard de la législation sur le droit d'entrée et de séjour, ou encore si sa présence sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public, son départ forcé peut être organisé par les autorités françaises. Le régime de ce départ forcé est aujourd'hui en grande partie d'origine européenne, la loi « Besson » du 16 juin 2011 ayant transposé en France la fameuse directive « retour » (Dir. no 2008/115/CE du 16 déc. 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les États membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier). On distingue à cet égard l'obligation de quitter le territoire françaisQ (qui remplace la reconduite à la frontière), modalité d'éloignement propre aux étrangers en situation irrégulière (CESEDA, art. L. 511-1 s.), de l'expulsion qui est une modalité d'éloignement appliquée aux personnes, en situation régulière ou non, qui présentent une menace pour l'ordre public (CESEDA, art. L. 521-1 s.). Ordre de quitter le territoire français (assorti le cas échéant d'une interdiction de retour) et expulsion sont des mesures de police relevant de la compétence de l'autorité administrative, prises sous forme d'arrêtés préfectoraux. Des procédures spécifiques (qui ne seront pas détaillées ici) encadrent le prononcé de ces arrêtés, soumis à recours devant les juridictions administratives. L'étranger frappé d'un ordre de quitter le territoire français ou d'un arrêté d'expulsion peut être, le temps que soient organisées les modalités de son départ, assigné à résidence ou placé en rétention administrativeQ dans un centre ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, si les conditions le justifient (le placement en rétention n'est pas automatique ; il est d'ailleurs possible de lui substituer une assignation à résidence). La loi du 7 mars 2016 a supprimé la compétence des autorités administratives pour connaître du contentieux du placement en rétention, et l’a transférée aux autorités judiciaires (juge des libertés et des détentions (JLD)). La durée initiale de la rétention administrative ne peut en principe dépasser 48 heures, mais elle peut être prolongée au-delà de ce délai, sous le contôle du JLD, pour une durée maximale de 45 jours. L’une des mesures-phares du projet de loi « Asile-immigration », qui est aussi l’une des plus contestées, prévoit de porter cette durée maximale à 90 jours.
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b.
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Ordre de quitter le territoire, interdiction de retour et expulsion doivent être distingués de l'interdiction du territoire. Si comme les premières, l'interdiction du territoire a pour conséquence le départ forcé de l'étranger concerné, sa nature juridique est en revanche bien différente : alors que les premières sont des mesures de police administrative, l'interdiction du territoire est une sanction pénale que prévoit l'article 131-30 du Code pénal comme une peine complémentaire assortissant la sanction de certaines infractions (plus de deux cents infractions à ce jour peuvent justifier le prononcé d'une interdiction du territoire, en majorité des infractions à la législation sur les étrangers).
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Statut de l'étranger présent sur le territoire
Tout étranger présent sur le territoire français, que sa situation soit ou non régulière, jouit de tous les droits fondamentaux reconnus à la personne humaine. Cela inclut bien évidemment le droit à la vie, à la protection de son intégrité physique et de sa santé, le droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants, mais aussi, le Conseil constitutionnel l'a récemment affirmé, le droit au mariage. Si les autorités françaises peuvent ainsi s'opposer à la célébration d'un mariage frauduleux ou l'annuler, elles ne peuvent refuser de célébrer un mariage au seul motif que l'un des époux est en situation irrégulière (ledit époux pouvant, nonobstant, faire l'objet d'une reconduite à la frontière car son seul mariage, même avec un Français, ne lui confère pas un droit au séjour). Le droit d'agir en justice doit également être reconnu aux ressortissants étrangers présents sur le territoire. Plus généralement, les étrangers qui séjournent régulièrement sur le territoire français jouissent des mêmes droits civils que les nationaux, en conséquence des principes d'égalité et de nondiscrimination dont la valeur est constitutionnelle : ils peuvent ainsi non seulement se marier (droit fondamental), mais aussi adopter un enfant, ou encore être propriétaires de biens meubles et immeubles. Cependant, il faut le noter, toutes les libertés publiques ne sont pas nécessairement conçues comme donnant naissance à des droits fondamentaux. La liberté de circulation des étrangers même en situation régulière, notamment, peut être entravée. L'illustration la plus évidente en est l'obligation qui leur est faite de se prêter aux contrôles d'identité et d'être en mesure de justifier, à cette occasion, de la régularité de leur séjour en France ; mais d'autres règles, moins connues, participent également de cet encadrement de la circulation des étrangers sur le territoire : obligation de déclarer tout changement de résidence dans un délai de huit jours, possibilité de subordonner le séjour dans certains départements à une autorisation préfectorale…
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Les autres droits que les droits jugés fondamentaux ne sont pas systématiquement reconnus au ressortissant étranger. Certains droits ne lui sont accordés qu'à la condition qu'il séjourne régulièrement sur le territoire. Bien plus, même en cas de séjour régulier, certains droits lui sont déniés ou sont assortis de conditions qui ne touchent pas les nationaux. Une première différence importante de statut touche ainsi aux droits politiques. Les étrangers ne peuvent être, même pour les scrutins locaux, ni éligibles ni électeurs. Mais les conséquences les plus importantes s'attachent aux différences de traitement en matière de droits « économiques ».
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On songe en premier lieu au droit d'exercer une activité professionnelle. D'une part, en effet, certaines activités professionnelles sont réservées aux nationaux — c'est le cas par exemple des emplois publics — ou ne peuvent être exercées par des ressortissants
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S'il est titulaire de droits, l'étranger admis au séjour en France est également soumis à des devoirs. Il doit naturellement respecter les lois de la République française. Mais il doit également en respecter les valeurs et la culture. C’est cet objectif, notamment, qui a conduit à instaurer un contrat d’intégration républicaine (CESEDA, art. L. 3119 s.) (v. ss 606).
3. Les demandeurs d'asile 614
Les demandeurs d'asile jouissent d'un traitement particulier, lié au caractère constitutionnel et conventionnel du droit d'asileQ. Le droit d'asile est en effet consacré tant par la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, que par le 4o alinéa du préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du « bloc de constitutionnalité ». L’Union européenne a en outre défini un « régime d’asile européen commun » que les États membres doivent respecter. En France, l'ensemble des dispositions relatives au droit d'asile sont aujourd'hui reprises par le Livre VII du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; elles ont été substantiellement réaménagées par la loi no 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile. Après l’adoption d’une loi du 20 mars 2018 (n o 2018-187) qui a apporté quelques modifications pour permettre « une bonne application du régime d’asile européen », une nouvelle réforme d’envergure devrait résulter du projet de loi « Asile-immigration » déjà évoqué, qui en matière d’asile affiche l’objectif d’améliorer le traitement de la situation des réfugiés. Ce sont ces dispositions que l’on envisagera schématiquement ici, en distinguant la reconnaissance du statut de réfugié (a) des conditions de l’entrée et du séjour des réfugiés en France (b).
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étrangers qu'après obtention d'une autorisation spéciale. Si ces prohibitions ou exigences d'une autorisation spéciale sont en net recul, l'exercice d'une activité professionnelle salariée par un étranger sur le territoire français est d'autre part, et en toute hypothèse, subordonné à une autorisation administrative de travail. L'autorisation de travail — dont sont dispensés les titulaires d'une carte de résident — est accordée par le préfet après vérification de certaines conditions, et notamment de la situation de l'emploi dans la zone géographique concernée. Plus généralement, le bénéfice de certains droits économiques est subordonné a minima à l'exigence d'un séjour régulier, voire à des conditions supplémentaires ; c'est le cas du droit à la protection sociale ou encore du droit aux aides sociales. Lorsque le séjour est régulier, on observe une tendance nette à l'alignement du traitement des étrangers sur celui des Français, en application du principe fondamental de non-discrimination. Par une décision remarquée, la Cour de cassation a ainsi mis fin de façon emblématique à une différence séculaire de traitement en matière économique, relative au bénéfice de la propriété commerciale : l'ancien article L. 145-13 du Code de commerce a été jugé contraire à l'article 14 de la Conv. EDH en ce qu'il subordonnait le droit au renouvellement du bail commercial à une condition de nationalité (française ou européenne) (Civ. 3 e, 9 nov. 2011, no 10-30.291, LPA 7 déc. 2011, n o 248, p. 9, note L. d'Avout).
Reconnaissance du statut de réfugié
Le statut de réfugiéQ n'est pas totalement uniforme, puisque l'on distingue le réfugié bénéficiant du droit d'asile constitutionnel de celui bénéficiant du droit d'asile conventionnel, lesquels doivent encore être distingués du bénéficiaire de la protection subsidiaire. En pratique, même si ces différents statuts répondent à des situations
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elles-mêmes différentes, leur reconnaissance procède d'une même et unique procédure.
α. Droit d'asile conventionnel
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1. Diversité des statuts
Le droit d'asile conventionnel permet de reconnaître la qualité de « réfugié » à la personne qui répond aux définitions de l'article 1 er de la convention de Genève. Tel est le cas, aux termes de la convention, de celui qui fait l'objet de persécutions personnelles, graves et avérées, ou d'un risque de persécution personnelle, grave et suffisamment sérieux, pour des raisons liées à ses convictions politiques ou religieuses, sa race, sa nationalité ou son appartenance à un certain groupe social. La qualité de réfugié est également reconnue à toute personne sur laquelle le HautCommissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat. β. Droit d'asile constitutionnel
Le droit d'asile constitutionnel permet de reconnaître la qualité de « réfugié » à toute personne faisant l'objet de persécutions personnelles « en raison de son action en faveur de la liberté » (CESEDA, art. L. 711-1). Cette disposition reprend les termes de l'alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, qui énonce que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ».
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γ. Protection subsidiaire : l'asile territorial Ces dispositifs sont complétés par un mécanisme de protection subsidiaire, dont l'objet est d'offrir une protection aux personnes qui n'entrent pas strictement dans le champ d'application du droit d'asile, mais dont il est avéré qu'elles ne peuvent se maintenir dans leur pays d'origine sans risque grave pour leur vie ou leur liberté. L'asile territorialQ est ainsi offert, conformément aux termes de l'article L. 712-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, aux personnes qui ne remplissent pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de « réfugié », mais qui établissent qu'elles sont exposées dans leur pays à une menace grave consistant en la peine de mort, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou encore, s'agissant d'un civil, à « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ». δ. Demandeur d’asile vulnérable
Cette catégorie spécifique de demandeur d’asile a été introduite dans le CESEDA dans le cadre de la réforme du droit d’asile de 2015 (art. L. 744-6, CESEDA). Sont en particulier concernés les « mineurs, mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle ». La constatation de la vulnérabilité,
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confiée à l’OFPRA (sur lequel v. infra), peut déclencher la mise en œuvre de règles spécifiques : examen prioritaire de la demande, examen accéléré, exclusion du maintien en zone d’attente… 2. Unité de procédure La procédure a pour objectif de vérifier que la personne qui se prévaut de la qualité de réfugié en remplit les conditions telles que définies par les articles L. 711-1 et s. du CESEDA. Les actes de persécutions et les motifs de persécution ouvrant droit pour leurs victimes avérées ou potentielles au statut de réfugié sont celles visées par la section A de l’article 1er de la Convention de Genève. Le statut de réfugié n’est pas accordé aux personnes relevant d’une clause d’exclusion des sections D, E et F de l’article 1 er de cette Convention (autre protection, ou raisons de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, qu’elles ont commis un crime grave de droit commun ou qu’elles ont entrepris des agissements contraires aux buts et principes de l’ONU). En outre, sont exclus du bénéfice de la protection les personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de considérer que leur présence en France constitue une menace grave pour la sûreté de l’État, ou qui ont été condamnées en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrotirsme ou puni de 10 ans d’emprisonnement, lorsque leur présence constitue une menace grave pour la société (art. L. 7116, CESEDA).
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Reconnaissance du statut de réfugié et reconnaissance du statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire sont soumises à une même procédure, dont les modalités concrètes varient en fonction des circonstances. Une demande doit être présentée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, qui est une autorité administrative. La demande est instruite selon l’une des trois procédures possibles : la procédure normale, la procédure accélérée, et la procédure pour les demandes formées par des personnes placées en rétention. Au terme de cette procédure, l'OFPRA rend une décision susceptible de recours devant une juridiction administrative spécialisée, la Cour nationale du droit d'asile. La décision de la Cour peut ellemême faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'État. Le projet de loi « AsileImmigration » prévoit, pour améliorer la situation des réfugiés, de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile par l’OFPRA et la CNDA ; il est cependant contesté en ce qu’il prévoit, en contrepartie, de réduire les délais d’action et de recours des demandeurs d’asile.
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La gravité de la situation particulière du demandeur d'asile justifie les spécificités de son régime d’entrée, d’accueil et de séjour en attendant le terme de la procédure visant à lui conférer ou lui refuser le statut de réfugié. Le refus d’entrée sur le territoire ne peut être opposé à celui qui demande à bénéficier du droit d’asile qu’au regard de conditions définies par la loi, incluant le caractère manifestement infondé de la demande d’asile (art. 213-8-1, CESEDA) ; il est pris par le ministre chargé de l’immigration, qui est toutefois lié par l’avis préalable de l’OFPRA s’il est favorable. Les conditions du séjour du demandeur d’asile en France, pendant le temps de l'instruction de sa demande, sont organisées. Le demandeur d’asile doit faire enregistrer sa demande en préfecture ; le préfet vérifie à cette occasion si la France est le pays responsable du traitement de cette demande selon le règlement « Dublin III » du 26 juin 2013 (règlement n o 604/2013 établissant les critères et mécanismes de
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b.
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détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride), et dans le cas contraire le demandeur est transféré vers l’État responsable ; dans l’attente du transfert, il peut être assigné à résidence et même désormais, en application de la loi du 20 mars 2018 (n o 2018-187) placé en rétention administrative. Si la France est compétente pour statuer sur la demande d’asile, l’enregistrement de la demande donne lieu à la délivrance d’une attestation de demande d’asile, qui vaut autorisation provisoire de séjour (très exceptionnellement, le demandeur peut être assigné à résidence voire placé en rétention administrative pendant la procédure. Le projet de loi « Asile-immigration » prévoit de limiter le droit au séjour pendant le temps de la procédure, ce qui soulève des interrogations). Le demandeur doit alors saisir l’OFPRA dans un délai de 21 jours. L’autorisation provisoire de séjour est renouvelable tant que l’OFPRA n’a pas statué, sauf cas particuliers (listés par l’art. 743-2 du CESEDA). Pendant le temps de la procédure, le demandeur d’asile doit être accueilli dans des conditions satisfaisantes ; un schéma national d’hébergement, reposant notamment sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), est établi, et le demandeur d’asile bénéficie d’une allocation spécifique (art. L. 744-9, CESEDA).
Séjour du réfugié et du bénéficiaire de la protection subsidiaire
Le demandeur d'asile qui s'est vu dénier le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire n'est pas autorisé à se maintenir sur le territoire, et peut le cas échéant faire l'objet des mesures d'éloignement adéquates, en principe l'ordre de quitter le territoire français.
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Si au contraire le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire lui est reconnu, il est admis au séjour ; un titre de séjour correspondant à sa situation lui est alors délivré, emportant autorisation de travailler sur le territoire français. Le statut protecteur peut en outre être étendu au conjoint (si le mariage est antérieur à sa reconnaissance) et aux enfants mineurs du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ; le cercle des personnes pouvant bénéficier de cette réunification familiale a été élargi par la loi de 2015 réformant le droit d’asile.
624
La convention de Genève n'impose pas de sujétions particulières aux États d'accueil, relativement au traitement des réfugiés pendant leur séjour. Elle se borne à préciser que les réfugiés doivent bénéficier du régime appliqué aux étrangers en situation régulière. La France ayant consacré un principe d'égalité de traitement entre nationaux et étrangers en situation régulière, les réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire y disposent donc de droits étendus.
625
§
3 Le domicile
Le domicileQ est un attribut de la personnalité. Mais il permet également de concrétiser le lien territorial d'un individu avec un État, et en cela il est susceptible de jouer une fonction de rattachement, dont on observe d'ailleurs qu'elle tend à concurrencer, en matière de statut personnel, le rôle dévolu à la nationalité par le Code civil. Or la détermination du domicile ne peut dépendre de la même loi, selon qu'on
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l'envisage comme attribut de la personnalité (A), ou comme élément de rattachement (B).
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A. Le domicile, attribut de la personnalité Il peut arriver que la question du domicile d'un individu soit posée en tant que telle, qu'elle constitue en elle-même une question substantielle. C'est le cas, par exemple, si l'on s'interroge à titre principal sur le domicile du mineur (son domicile est-il nécessairement fixé au domicile de ses parents ?), ou sur le domicile d'une femme mariée (peut-elle avoir un domicile autre que le domicile matrimonial ?). Quoi qu'elle soit parfois appréhendée comme une notion de fait, dépendant de la seule appréciation factuelle du juge saisi, le domicile est en réalité une notion juridique, c'est‑à-dire une notion dont la définition est donnée par la loi. On sait par exemple qu'en France, en matière civile (car le domicile fait l’objet d’une définition fonctionnelle : sa définition diffère en matière fiscale ou en droit de la nationalité), cette définition est posée par l'article 102 du Code civil. Or selon les traditions juridiques considérées, on observe que la notion juridique de « domicile » varie, parfois fondamentalement. Il faut donc, pour déterminer le domicile d'un individu dans une situation internationale, résoudre un conflit de lois. En tant qu'il est un attribut de la personne, le domicile dépend naturellement, en droit international privé français et en application de l'article 3 du Code civil, de la loi nationale de l'intéressé.
B. Le domicile, élément de rattachement 628
Mais en droit international privé, le domicile a le plus souvent une fonction de rattachement : il concrétise le lien d'un individu avec le territoire d'un État, lien dont plusieurs conséquences peuvent être déduites. Le domicile d'un individu dans un État peut ainsi fonder la compétence internationale de ses juridictions (v. ss 374 s.) ; il permet également, parfois, d'identifier la loi applicable (par exemple, la loi des effets du mariage de deux époux de nationalités différentes est la loi de leur domicile commun ; v. ss 693).
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Lorsqu'un État recourt au critère du domicile pour la mise en œuvre de ses règles de conflit (ou de ses règles matérielles), on conçoit que la conception retenue du domicile soit nécessairement celle de cet État. Si certains auteurs traduisent cette réalité en retenant que la notion de « domicile » est toujours celle du for, on peut préférer une approche plus « bilatérale », qu'une partie de la doctrine a conceptualisée en affirmant que la loi qui régit le domicile est la loi de l'institution pour laquelle la détermination du domicile est nécessaire. Ainsi, si la détermination du domicile est requise pour l'application d'une règle de compétence internationale française en matière civile et commerciale, on appliquera la conception civile française du domicile (C. civ., art. 102) ; si elle conditionne l'acquisition de la nationalité française, on appliquera la notion française du domicile de nationalité ; en revanche, si de la détermination du domicile dépend la mise en œuvre de la règle de conflit de lois étrangère — ce qui était par exemple le cas dans l'affaire Forgo où, pour déterminer si le droit bavarois renvoyait au droit français, il convenait de s'interroger sur la notion de domicile retenue par la loi bavaroise (v. ss 88) —, c'est alors la conception du « domicile » retenue par la loi étrangère qu'il conviendra d'appliquer. Cette approche
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du domicile — élément de rattachement — correspond à peu près à celle que retient la jurisprudence française dans la mise en œuvre du droit commun français.
§
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Elle n'est cependant pas celle que consacrent les principaux instruments internationaux utilisant le domicile comme élément de rattachement. Nombre de ces instruments préfèrent en effet renvoyer, pour la définition du domicile, à la loi territoriale : c'est à la loi de l'État sur le territoire duquel il est prétendu qu'un individu possède son domicile qu'il revient de décider si ce domicile est acquis. C'est la solution que retiennent, par exemple, l'article 59 du règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000, de même que l'article 1er de la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires. Mais à dire vrai, la plupart des textes internationaux préfèrent aujourd'hui, à la notion juridique de « domicile », celle, factuelle, de « résidence habituelle » (sur cette notion, v. ss 377). Ce critère est ainsi utilisé dans de nombreuses conventions de La Haye, de même que dans la plupart des règlements européens en matière familiale.
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4 Les actes d'état civil
Les informations relatives à l'état civil des personnes sont généralement consignées sur des registres officiels : ce sont les actes d'état civil. Acte de naissance, acte de mariage, acte de décès… sont des constatations officielles, par un officier public, d'événements touchant à l'état des personnes. L'intervention d'un officier d'état civil, habilité à prendre un acte public, renvoie au conflit d'autorités (v. rubrique Débat). En tant qu'autorité publique investie par l'État d'une mission non juridictionnelle, le service de l'état civil fonctionne nécessairement en application de la loi de l'État qui l'a institué. La loi applicable est donc toujours la lex auctoris : le service français de l'état civil est réglementé par la loi française (A), les services étrangers de l'état civil par la loi de l'État qui les a institués (B). Il faut en outre envisager la fonction des autorités diplomatiques et consulaires en matière d'état civil (C).
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A. Actes d'état civil français
Il revient à la loi française de définir le statut des officiers français de l'état civil, de même que les règles qui régissent la présentation et le fonctionnement des registres. Il lui revient surtout de préciser dans quelles hypothèses un acte d'état civil français doit être dressé. À ce titre, la loi française envisage les situations affectées d'un élément d'extranéité. Elle dispose que tous les événements touchant à l'état des personnes (et normalement constatés par un acte d'état civil, tels la naissance, le mariage ou le décès) doivent donner lieu à la rédaction d'un acte d'état civil en France, même lorsqu'ils concernent des étrangers, dès lors qu'ils se sont produits sur le territoire français ; il s'agit d'une loi de police. Elle prévoit également que les événements, survenus à l'étranger, affectant l'état des nationaux français, doivent être portés sur les registres français de l'état civil. Le plus souvent, il revient aux autorités diplomatiques ou consulaires de la France à l'étranger de dresser les actes d'état civil concernant les Français à l'étranger (v. ss 634). Mais l'inscription sur les registres français peut également résulter d'une transcription de l'acte d'état civil qui aura été dressé en territoire étranger par les autorités locales. Dans l'hypothèse où l'événement n'aurait pas donné lieu à rédaction d'un acte d'état civil à l'étranger, un
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jugement supplétif pourra être prononcé par le juge français avant d'être transcrit sur les registres français.
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B. Actes d'état civil étrangers Les actes d'état civil dressés à l'étranger le sont conformément à la loi de l'État dont le service est sollicité. Le droit français doit néanmoins intervenir pour déterminer quelle portée peut être attachée en France à ces actes étrangers. L'article 47 du Code civil énonce qu'un acte d'état civil étranger fait foi, sauf si des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent son irrégularité. La Cour de cassation subordonne toutefois la force probante des actes d'état civil étrangers, sauf convention internationale contraire, à la condition complémentaire de légalisationQ de ces actes, condition qu'elle juge aujourd'hui fondée, en l'absence de tout fondement textuel, sur la coutume internationale (Civ. 1re, 4 juin 2009, Rev. crit. DIP 2009. 500, note P. Lagarde). Les actes d'état civil étrangers concernant des nationaux français peuvent ainsi, on l'a vu, donner lieu à transcription sur les registres français si leur force probante est admise. Encore faut-il, naturellement, qu'ils ne concrétisent pas une contrariété à l'ordre public international français (à cet égard, on soulignera que le recours à une convention de mère porteuse à l’étranger (GPA) n’interdit plus la transcription de l’acte de naissance en France, v. ss 265) ou une fraude (falsification d’acte). Les actes d'état civil étrangers concernant les individus étrangers pour des événements survenus à l'étranger font également foi, aux termes du même texte et dans les mêmes conditions, de la survenance de l'événement. En revanche, ils ne donnent pas lieu, en principe (une dérogation est admise, sous certaines conditions, au bénéfice des étrangers résidant en France), à transcription sur les registres français d'état civil.
C. Fonction des autorités diplomatiques et consulaires 634
Une place doit être réservée, en matière internationale, à la possible intervention des autorités consulaires et diplomatiques pour l'exercice d'une mission d'état civil. L'article 48 du Code civil dispose qu'est valable l'acte d'état civil d'un national français reçu, en pays étranger, conformément aux lois françaises, par les agents diplomatiques ou consulaires. La faculté pour les autorités diplomatiques et consulaires d'exercer des fonctions d'état civil est consacrée par le droit international public, en particulier par la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, mais reste subordonnée à la permission de l'État sur le territoire duquel ces autorités officient. Sur le territoire français, la France reconnaît cette faculté aux autorités diplomatiques ou consulaires étrangères à l'égard de leurs nationaux, sous réserve du respect de l'ordre public. Mais l'enregistrement, sur les registres d'état civil étrangers, d'un événement survenu en France ne dispense pas les intéressés de l'obligation de faire dresser un acte d'état civil français. Il n'en va autrement que dans un cas particulier, la célébration d'un mariage en France, entre deux étrangers, par le consul de leur nationalité, laquelle n'a pas à être constatée par un acte d'état civil français (v. ss 678).
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Enfin, on signalera l'existence de plusieurs conventions internationales, élaborées sous les auspices de la Commission internationale de l'état civil (dont la France est membre), en vue d'harmoniser le droit des États membres, notamment dans le
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La capacité
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domaine de l'état civil, sur des questions telles que la délivrance des extraits d'actes d'état civil, la reconnaissance et la rectification des actes d'état civil ou encore la constatation de certains décès.
L'incapacité est un état de l'individu qui le rend inapte à exercer certaines prérogatives juridiques qui lui seraient normalement reconnues si son incapacité n'était pas avérée. L'incapacité de jouissance traduit ainsi l'inaptitude d'un individu à jouir de certains droits, tandis que l'incapacité d'exercice renvoie à son inaptitude à exercer certains droits. Dans tous les cas, la constatation d'un état d'incapacité a donc une incidence directe sur les droits qui peuvent être reconnus à l'individu : droit de recevoir une donation, droit de conclure un contrat… La constatation d'un état d'incapacité ne conduit toutefois pas seulement à interdire à l'intéressé de jouir ou d'exercer certains droits. Très souvent, cette constatation incite les États à mettre en œuvre des mesures destinées à protéger la personne incapable contre elle-même ou contre les tiers ; ce sont, en France, les mesures de tutelle, de curatelle, de sauvegarde de justice, mais aussi l'autorité parentale… La mise en œuvre de ces mesures de protection (§ 2) doit être distinguée de la constatation — souvent préalable à une question principale distincte — d'une incapacité (§ 1).
§
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1 Constatation de l'incapacité
Saisi d'une question principale touchant aux droits d'un individu — a-t‑il pu valablement conclure un contrat ? A-t‑il pu valablement recevoir une donation ? —, le juge peut être amené à trancher une question préalable relative à sa capacité juridique. L'incapacité étant une qualité de la personne, il revient en principe à la loi personnelle de l'intéressé de déterminer si celui-ci est capable. La règle est donc l'application de la loi nationale (A). À titre dérogatoire, toutefois, une autre loi peut être préférée à la loi nationale (B).
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A. Application de la loi nationale La loi nationale d'un individu régit en principe sa capacité. La règle s'évince de la bilatéralisation de l'article 3, alinéa 3 du Code civil, selon lequel « les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant à l'étranger ». Le rattachement par la nationalité a d'ailleurs l'avantage d'offrir une certaine permanence. Si la teneur de cette règle de conflit n'est pas discutée, il convient toutefois de s'interroger sur sa mise en œuvre (1), ainsi que sur les difficultés propres à l'application de la loi désignée (2).
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1. Mise en œuvre de la règle de conflit On apportera quelques précisions sur la qualification (a), l'identification du rattachement (b), et l'admission du renvoi (c).
a.
Qualification
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En dépit du principe de qualification lege fori, la catégorie juridique « incapacités » peut accueillir, en droit international privé, des questions ou des concepts qui ne relèvent pas toujours stricto sensu de la catégorie « incapacité » définie par le droit interne. La raison, on l'a vu (v. ss 90 s.), en est que la définition des catégories du droit international privé, même si elle s'opère en considération des conceptions du for, doit prendre en compte les spécificités de la matière internationale, et notamment la pertinence de l'élément de rattachement affecté à la catégorie au regard des questions que l'on entend faire entrer dans celle-ci. Le problème du traitement international des incapacités naturelles, déjà évoqué avec l'arrêt Silvia (v. rubrique Documents) à propos de la théorie générale des qualifications, en constitue incontestablement la meilleure illustration. On se bornera ici à rappeler les éléments saillants de cette affaire : une femme de nationalité italienne allègue avoir conclu deux actes juridiques — soumis à la loi française — alors qu'elle était, par suite d'une dépression nerveuse, incapable d'exprimer un consentement éclairé. À l'époque des faits (années 1940-1950), le droit substantiel français n'appréhendait l'incapacité de fait ou naturelle — c'est‑à-dire l'incapacité n'ayant pas été préalablement constatée par une autorité — que sous l'angle des vices du consentement. L'acte conclu sous l'empire d'un trouble mental pouvait certes être invalidé, mais sur le fondement de l'absence de consentement réel et éclairé, non sur celui de l'incapacité de son auteur. Or la question de l'existence du consentement est soumise, en droit international privé, à la loi de l'acte (souvent choisie par les parties), tandis que l'incapacité est soumise à la loi personnelle de l'intéressé. Dans son arrêt Silvia rendu le 25 juin 1957 (v. rubrique Documents), la Cour de cassation a choisi, en matière internationale, d'élargir la catégorie « incapacités » pour y accueillir, à côté des incapacités légales, les incapacités naturelles ; elle a donc appliqué la loi italienne de l'intéressée plutôt que la loi française de l'acte juridique. L'application de la loi personnelle de l'incapable, dictée par cette qualification, a pu en effet paraître plus protectrice de l'incapable que ne l'aurait été l'application de la loi de l'acte.
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D’autres difficultés de qualification peuvent se poser. La première concerne les incapacités spéciales. Alors que l'incapacité générale — laquelle ne vise que les incapacités d'exercice, aucune incapacité de jouissance ne pouvant être générale — est celle qui affecte un individu en raison de considérations tirées de sa personne (mineur, majeur protégé), les incapacités spéciales sont celles qui visent certaines catégories d'actes, réputés dangereux indépendamment de l'aptitude naturelle de leurs auteurs à les conclure. Considérons l'une des plus célèbres incapacités de jouissance : celle qui interdit au médecin de recevoir un legs de son patient en fin de vie. On conçoit bien que ce n'est pas une cause propre au médecin qui le rend inapte à recevoir ce legs particulier (il peut en recevoir de la part d'autres personnes que ses patients), mais la considération du lien spécial qui s'est créé, eu égard aux circonstances, entre patient et médecin. Puisque ces incapacités ne sont pas propres à la personne qu'elles frappent, on peut légitimement s'interroger sur le point de savoir s'il convient de leur appliquer la loi nationale de celle-ci. Et en définitive c'est
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la légitimité de leur intégration dans la catégorie de droit international privé « capacité/incapacité » qui est en cause, quand bien même leur qualification relèverait bien, en droit interne, de cette catégorie. Sans toujours aborder cette question sous l'angle de la qualification, la doctrine dominante s'accorde à considérer que les incapacités spéciales ne relèvent pas de la loi personnelle de l'incapable, mais doivent être soumises à la loi de l'institution pour le fonctionnement de laquelle elles ont été édictées. Ainsi, l'incapacité de jouissance spéciale du médecin, même si elle pose la question de la capacité d'un individu à recevoir un legs, doit être régie non par la loi personnelle applicable à la capacité, mais par la loi successorale applicable au legs ; de même, l'incapacité spéciale du tuteur lui interdisant de se porter acquéreur des biens du tutélaire doit être régie non par la loi personnelle du tuteur, mais par la loi applicable à la tutelle. Cette répartition entre incapacités générales soumises à la loi qui régit l'incapacité, et incapacités spéciales soumises à la loi de l'institution dont elles dépendent, n'est pas toujours aisée à opérer. En atteste l'un des arrêts Patino, rendu à propos de l'incapacité du mineur de conclure un contrat de mariage : cette règle est-elle une conséquence de l'incapacité générale propre à la personne du mineur (application de la loi personnelle), ou est-elle justifiée par la particulière gravité de l'acte considéré (application de la loi du contrat) ? Dans l'un des arrêts rendus dans cette affaire le 15 mai 1963 (GADIP, no 39 ; Rev. crit. DIP 1964. 506, note P. Lagarde ; JDI 1963. 996. note Ph. Malaurie), la Cour de cassation tranche en faveur de l'application de la loi personnelle du mineur, car il faut voir « dans les règles habilitant le mineur à conclure un contrat de mariage une simple modalité de son incapacité générale de contracter, édictée comme celle-ci dans son seul intérêt ». L'incapacité du mineur à conclure un contrat de mariage n'est qu'une application particulière de son incapacité générale à conclure des actes juridiques, organisée par la loi qui régit cette incapacité.
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Dans ce contexte, l'incapacité de la femme mariée — que le droit français ne consacre plus mais qui peut être maintenue à l'étranger — pose une difficulté complémentaire. S'il s'agit certes formellement d'une incapacité, qui interdit généralement à l'épouse de réaliser certains actes juridiques (vente de ses biens même propres, exercice d'une action en justice) sans l'accord de son époux, elle n'est pas posée en considération de la personne de l'épouse, mais en considération de son statut d'épouse ; ainsi que le relevaient justement les auteurs civilistes de la fin du XIX e siècle, cette incapacité n'est pas requise en faveur de la femme ou pour sa protection, mais en faveur de son époux dont elle tend à garantir l'autorité. On peut donc légitimement hésiter à y voir une « incapacité » soumise à la loi personnelle de l'épouse, en dépit d'arrêts anciens apparemment en ce sens. Puisque l'incapacité est un effet du mariage, on peut préférer soumettre l'incapacité de la femme mariée à la loi des effets du mariage, sans oublier de s'interroger sur le point de savoir si la loi étrangère consacrant cette incapacité constitue une violation de l’ordre public (v. ss 648).
643
b.
Identification du rattachement
Dès lors que, parce que la question posée peut être rattachée à la catégorie de droit international privé « incapacité », la loi nationale s'applique, deux difficultés de rattachement peuvent se présenter.
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c. 645
Admission du renvoi
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La première est liée au conflit mobile, lorsque l'intéressé a changé de nationalité : il convient dans ce cas, en application des principes de droit transitoire, d'appliquer immédiatement mais sans effet rétroactif la loi de la nouvelle nationalité. Ainsi, les actes conclus par l'intéressé postérieurement au changement de nationalité sont soumis à la loi de la nouvelle nationalité, tandis que les actes conclus avant ce changement restent soumis à la loi de l'ancienne nationalité. La seconde est liée à la situation de double nationalité, ou au contraire d'apatridie de l'intéressé. Les principes qui régissent les conflits positifs ou négatifs de nationalité s'appliquent alors (v. ss 590 s.).
En droit international privé français, la loi nationale de l'incapable s'applique en qualité de loi personnelle de cet incapable, c'est‑à-dire en tant que loi présentant un lien direct avec la personne. Or si en France la loi personnelle est — en application de l'article 3 du Code civil — la loi nationale, ce n'est pas le cas dans les pays de common law qui organisent le statut personnel en considération de la loi de la résidence de l'intéressé. Cette différence de rattachement génère une situation techniquement propice au renvoi. Le renvoi peut-il jouer en matière d'incapacités ? Rien ne semble l'interdire et la Cour de cassation a confirmé l'applicabilité du renvoi en la matière (Civ. 1 re, 21 sept. 2005, Bull. civ. I, no 336 ; Rev. crit. DIP 2006. 100, note H. Muir Watt) : elle valide en effet l'ouverture d'une tutelle en application de la loi française, au profit d'une nationale canadienne (la loi canadienne étant donc en principe applicable) domiciliée en France, le droit international privé canadien renvoyant à la loi française de résidence de l'intéressée.
2. Application de la loi désignée 646
La loi applicable ayant été désignée, il convient d'identifier son domaine précis d'application (a). En outre, si la loi applicable est une loi étrangère, l'exception d'ordre public peut venir interdire son application en considération du résultat auquel conduit cette application (b).
a. 647
Domaine d'application de la loi nationale
Une fois précisément circonscrite la catégorie de droit international privé « incapacité » — que nous avons finalement réduite aux questions touchant aux incapacités d'exercice générales —, le domaine d'application de la loi nationale apparaît large. La loi nationale définit en effet les causes de l'incapacité et délimite l'étendue de l'incapacité qui en résulte (l'incapable peut-il accomplir certains actes seuls et lesquels ?). La jurisprudence française applique ainsi la loi nationale de l'incapable pour décider si la nomination d'un administrateur judiciaire entraîne l'incapacité civile de l'individu, et lui interdit d'agir personnellement en justice (Civ. 1 re, 14 févr. 2006, Bull. civ. I, no 67). La loi nationale de l'intéressé définit également les sanctions applicables en cas de méconnaissance des formalités exigées ou des prohibitions posées. Il lui revient donc de préciser si l'acte conclu en méconnaissance d'une incapacité est atteint de nullité, absolue ou relative, si les règles de la lésion sont applicables, ou encore s'il peut y avoir confirmation de l'acte et par qui.
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Exception d'ordre public
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L'exception de contrariété à l'ordre public international français peut évidemment être invoquée contre l'application de la loi nationale étrangère de l'intéressé. Une telle contrariété à l'ordre public du for serait assurément constituée en présence d'une loi étrangère qui instituerait une incapacité de jouissance générale, privant un individu de toute aptitude à jouir d'un droit quelconque. Plus vraisemblablement, il est envisageable que certaines causes d'incapacité, prévues par le droit étranger normalement applicable, soient jugées contraire à l'ordre public international français. Tel est le cas, par exemple, de l'interdiction volontaire que certains droits étrangers acceptent de prononcer à la demande de l'intéressé. Enfin, même si cette difficulté n'affecte pas l'application de la loi nationale de l'intéressé mais celle de la loi des effets du mariage, la consécration par le droit étranger de l'incapacité de la femme mariée pourrait être jugée contraire à l'ordre public international français, en ce qu'elle consacre une rupture d'égalité entre l'homme et la femme, égalité pourtant consacrée par la Convention européenne des droits de l'homme. À tout le moins, cette incapacité devrait-elle être jugée contraire à l'ordre public de proximité lorsque la femme est française ou réside en France (v. ss 280).
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B. Application dérogatoire d'une autre loi Si l'incapacité est normalement régie par la loi nationale de l'incapable, des dérogations sont apportées à ce principe. On ne reviendra pas sur l'application aux incapacités spéciales de la loi de la matière pour les besoins de laquelle l'incapacité est posée, puisque nous avons choisi de traiter les questions relatives à ces incapacités spéciales, non comme des questions intégrant la catégorie de droit international privé « capacité/incapacité », mais comme des questions intégrant la catégorie de l'institution considérée (succession, tutelle, etc.). Il est alors normal que la loi appliquée soit celle que désigne la règle de conflit propre à la catégorie retenue (loi régissant la succession, loi régissant la tutelle, etc.). Il n'existe donc, lorsque la qualification de droit international « capacité/incapacité » peut être incontestablement retenue, qu'une seule dérogation notable au principe de l'application de la loi nationale de l'intéressée. Cette dérogation est justifiée par l'ignorance excusable de la loi étrangère.
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En effet, si l'incapacité d'une personne concerne évidemment cette personne — qui ne pourra en conséquence de cette incapacité librement exercer ses droits —, elle se manifeste également dans ses rapports avec les tiers (cocontractants, bénéficiaires de libéralités, conjoint, etc.). Or, lorsque les relations entre l'incapable et un tiers se nouent loin de l'État national de l'incapable, le tiers peut ne pas avoir eu conscience de contracter avec un incapable. Une telle situation s'était présentée dans l'affaire Lizardi (Req. 16 janv. 1861, v. rubrique Documents). Un national mexicain, âgé de vingt-deux ans, avait acheté des bijoux de grande valeur à des joailliers parisiens. Quelques années plus tard, il sollicite l'annulation de la vente, aux motifs qu'il était mineur lors de sa conclusion, en application de sa loi nationale mexicaine fixant la majorité à l'âge de vingt-cinq ans. La Cour de cassation s'oppose à cette prétention, en relevant que « si en principe on doit connaître la capacité de celui avec qui on contracte, cette règle ne peut être aussi strictement et aussi rigoureusement appliquée à l'égard des étrangers contractant en France ». Ajoutant que « le Français ne peut être tenu de connaître les lois des diverses nations et leurs dispositions
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concernant notamment la minorité, la majorité et l'étendue des engagements qui peuvent être pris par les étrangers dans la mesure de leur capacité civile » ; elle conclut qu'« il suffit alors, pour la validité du contrat, que le Français ait traité sans légèreté, sans imprudence et avec bonne foi ». Ainsi le droit international privé français s'attache-t‑il à préserver la sécurité des transactions conclues sur le territoire français, en en garantissant l'efficacité chaque fois que les circonstances ne sont pas de nature à inciter le commerçant local à la prudence : lorsqu'une opération contractuelle conclue sur le territoire français présente toutes les apparences de la régularité au regard des exigences de la loi locale, et que rien ne semble devoir imposer au cocontractant de s'informer sur la capacité de son partenaire, l'application de la loi étrangère ne peut invalider l'opération valablement conclue en application de la loi française. La méthode employée consiste donc à substituer à l'application de la loi nationale de l'incapable, celle de la loi française à titre de loi de police. Cette solution, issue de la jurisprudence française, bénéficie aujourd'hui d'un fondement textuel puisque le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoit, en son article 13, que « dans un contrat conclu entre personnes se trouvant dans un même pays, une personne physique qui serait capable selon la loi de ce pays ne peut invoquer son incapacité résultant d'une autre loi que si, au moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité ou ne l'a ignorée qu'en raison d'une imprudence de sa part ».
§
2 Mise en œuvre de mesures de protection de l'incapable
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Si la constatation d'un état d'incapacité peut conduire à invalider, ponctuellement, certains actes juridiques, elle a surtout pour effet principal de justifier la mise en œuvre de mesures de protection institutionnalisée de l'incapable. En droit interne français, le mineur est ainsi soumis à l'autorité parentale, au moins lorsque ses parents sont en mesure d'exercer cette fonction de protection, tandis que le majeur incapable sera, selon le degré d'incapacité, soumis à un régime de tutelle, de curatelle, ou de sauvegarde de justice.
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Les mesures de protection peuvent parfois découler directement de la loi. C'est le cas, en principe, de l'autorité parentale, qui est exercée de plein droit par les parents sur leurs enfants mineurs non émancipés. En ce sens, l'article 371-1 du Code civil indique que l'autorité parentale, définie comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » (al. 1 er), « appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » (al. 2). L'existence de l'autorité parentale n'est donc subordonnée à aucune décision judiciaire ou administrative. Il arrive cependant, soit parce que l’incapable est majeur soit parce que la protection légale du mineur se heurte à un obstacle (empêchement des parents), que la mise en œuvre de mesures de protection au profit de l'incapable appelle une décision des autorités publiques ; il est prévu par exemple en droit français que l'ouverture d'une mesure de protection juridique (tutelle ou curatelle) relève de la compétence du juge judiciaire. La mise en œuvre de mesures de protection pose alors, comme la constatation de l'incapacité, un problème de conflit de lois, puisqu'il importe de déterminer en application de
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quelle loi la mesure de protection doit être prononcée. Mais elle pose de surcroît un problème de conflit de juridictions et/ou d'autorités, car il convient de déterminer quelle autorité est compétente pour organiser la mesure de protection.
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C’est au contraire sur une telle coïncidence qu’ont été conçues les nombreuses conventions internationales qui régissent aujourd'hui largement la matière — ne laissant plus que très peu de place au droit commun français —, et qui consacrent principalement, pour l’adoption et la mise en œuvre des mesures de protection de l’incapable, la compétence des autorités de résidence habituelle de l’incapable appliquant leur propre loi. On présentera plus en détail les règles applicables, en distinguant la protection des mineurs (A) de la protection des majeurs (B).
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Le droit commun français est construit, de façon classique, selon un principe de dissociation des compétences législative et organique. La compétence internationale des juridictions françaises, déduite de l’extension à l’ordre juridique international de l’article 1211 du Code de procédure civile, est admise lorsque l’incapable réside habituellement en France ou lorsque son tuteur y est domicilié. La Cour de cassation admet également le jeu des privilèges de juridiction fondés sur la nationalité, posés par les articles 14 et 15 du Code civil (Civ. 1 re, 9 décembre 2003, Bull. civ. I, no 247 ; Defrénois 2004. 599, note J. Massip, refusant de laisser aux juges une marge d’appréciation dans la mise en œuvre de l’art. 14 C. civ., en dépit de l’incapacité du demandeur français). Le droit français retient par ailleurs la compétence de principe de la loi nationale de l’incapable (Civ. 13 avr. 1932, Château de Chambord, v. rubrique Documents) pour déterminer si une mesure de protection doit être mise en place, et dans l’affirmative quel type de mesure. Tout au plus admet-il ponctuellement l’intervention de la lex auctoris pour désigner les autorités publiques habilitées à participer à la mise en œuvre de la mesure de protection, et de la loi du domicile ou de la résidence de l’incapable lorsque celui-ci génère un danger pour la collectivité. Il est donc rare qu’il y ait coïncidence entre le juge ou l’autorité compétente, et la loi applicable.
A. La protection des mineurs La protection des mineurs est principalement organisée, on l’a dit, en recourant à la responsabilité parentale (1). Des dispositifs complémentaires de protection ont été institués pour lutter contre les enlèvements internationaux d’enfants (2).
1. Responsabilité parentale
La minorité n’est pas un « accident » ; elle est l’état ordinaire, selon la loi française, de toutes les personnes âgées de moins de 18 ans. La protection des mineurs est traditionnellement confiée aux parents ; titulaires de l’autorité parentale par l’effet de la loi, les parents assurent en principe « de plein droit » la représentation légale de leurs enfants mineurs. Il peut cependant advenir que l’un des parents, ou les deux, ne soient plus en mesure d’exercer la responsabilité parentale ; il convient alors de mettre en place des mesures de protection qui supposent l’intervention d’autorités publiques. Toutes ces questions sont aujourd'hui principalement régies par la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. Cette convention est entrée en vigueur en France le
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1er février 2011, et elle s'applique aux mesures prises en France à compter de cette date. Les mesures prises avant le 1er février 2011 restent normalement soumises à la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs, entrée en vigueur en France en 1972. Il faut en outre compter, en matière de compétence des juridictions, de reconnaissance et d’exécution des décisions, avec le règlement Bruxelles II bis dont le champ d’application matériel couvre la responsabilité parentale. C’est donc au regard de ces trois textes que l’on envisagera tout d’abord la loi applicable à la responsabilité parentale de plein droit (a), puis le régime international des mesures de protection des mineurs (b).
Loi applicable à la responsabilité parentale de plein droit
Alors que la convention de 1961 confiait, dans la continuité du droit commun français, la détermination du « rapport d’autorité résultant de plein droit de la loi » à la loi personnelle du mineur et prévoyait que le rapport d’autorité ainsi consacré était reconnu dans tous les États contractants (art. 3), la convention de 1996 rompt avec cette tradition et consacre l’applicabilité, à la responsabilité parentale attribuée de plein droit, de la loi de l’État de résidence habituelle du mineur (art. 16). Ce texte spécifie que la responsabilité parentale originellement attribuée subsiste en cas de changement de résidence habituelle ; mais c’est à la loi de l’État de la nouvelle résidence habituelle de déterminer si la responsabilité parentale doit être attribuée de plein droit à une personne qui n’est pas déjà investie de cette responsabilité. La loi de la résidence habituelle de l’enfant régit également l’extinction de plein droit de la responsabilité parentale (celle survenant sans intervention des autorités publiques, par ex. par l’effet de la majorité de l’enfant), les modalités d’exercice de cette responsabilité (art. 17) et les actes privés emportant délégation de cette responsabilité (art. 16 § 2 visant l’attribution ou l’extinction de la responsabilité parentale par un accord ou un acte unilatéral).
b.
Régime international des mesures de protection des mineurs
1. Compétence des autorités
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Lorsque des mesures de protection doivent être prises, consistant par exemple à priver de la responsabilité parentale de plein droit l’un de ses titulaires et/ou à confier cette responsabilité parentale à une tierce personne, l’intervention des autorités publiques s’avère nécessaire. Se pose donc en premier lieu une question de compétence des autorités, judiciaires ou administratives, habilitées à prendre ces mesures de protection. Cette compétence est définie, lorsque l’enfant réside sur le territoire d’un État membre, par le règlement Bruxelles II bis qui prévoit expressément sa primauté sur les règles de compétence issues de la convention de 1996 (art. 61, Règl. Bruxelles II bis). Lorsque le règlement n’est pas applicable parce que l’enfant ne réside pas dans un État membre, la convention de 1996 régit la compétence des autorités, si l’enfant réside dans un État contractant. La convention de 1961 ou le droit commun français pourraient s’appliquer dans les autres cas.
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Le règlement Bruxelles II bis consacre la compétence de principe des autorités du lieu de résidence habituelle de l'enfant. Le déplacement licite (sur le déplacement illicite, v. ss 665) du lieu de résidence de l'enfant emporte modification corrélative de la compétence au profit des autorités de la nouvelle résidence de l'enfant, mais les autorités de l'ancienne résidence conservent une compétence temporaire de trois
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mois pour modifier une décision relative au droit de visite du parent qui continue à résider dans l'État membre de l'ancienne résidence de l'enfant. Le règlement envisage également le risque que le lieu de résidence habituelle de l'enfant ne puisse être déterminé, et confère dans une telle hypothèse compétence aux juridictions de l'État membre sur le territoire duquel l'enfant est simplement présent. Enfin, le tribunal compétent en application de l'article 3 du règlement pour statuer sur la demande de divorce, de séparation de corps ou d'annulation du mariage formée par les époux peut connaître des questions relatives à la responsabilité parentale liées à cette demande, si l'un au moins des deux époux exerce l'autorité parentale et que la compétence de ce tribunal a été acceptée expressément par les parents ou les titulaires de la responsabilité parentale. La solution la plus novatrice du règlement tient à la consécration d'une exception de forum more conveniensQ, qui permet aux juridictions compétentes de « renvoyer » l'affaire à une autre juridiction « si elles estiment qu'une juridiction d'un autre État membre avec lequel l'enfant a un lien particulier est mieux placée pour connaître de l'affaire ou d'une partie spéciale de l'affaire, et lorsque cela sert l'intérêt supérieur de l'enfant » (art. 15 ; pour l'analyse de cette exception, v. ss 500). La révision en cours du règlement Bruxelles II bis (v. la proposition de règlement mentionnée in Chapitre 1, rubrique Documents) devrait opérer quelques modifications dans la mise en œuvre de ces règles, sans les remettre substantiellement en cause ; c’est principalement l’hypothèse du changement de résidence habituelle de l’enfant en cours de procédure que le nouveau règlement devrait appréhender, pour faciliter le passage d’une juridiction à l’autre. Les règles de compétence consacrées par la convention de 1996 sont assez similaires, puisque la convention retient la compétence de principe des autorités de l’État de résidence habituelle du mineur (art. 5). L’article 8 de la convention prévoit toutefois la possibilité, pour les autorités de l’État de résidence habituelle de l’enfant, de surseoir à statuer ou de demander directement à l’autorité d’un autre État contractant d’accepter sa compétence lorsqu’elles jugent que celle-ci serait « mieux à même d’apprécier dans un cas particulier l’intérêt supérieur de l’enfant ». L’autorité à laquelle il peut ainsi être renvoyé ne peut toutefois être que celle d’un État : a) dont l’enfant possède la nationalité, ou b) dans lequel sont situés des biens de l’enfant ; ou c) dont une autorité est saisie d’une demande de divorce ou séparation de corps ou d’annulation du mariage des parents de l’enfant ; ou d) avec lequel l’enfant présente un lien étroit.
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Le règlement Bruxelles II bis (art. 20) et la convention de 1996 (art. 11 et 12) prévoient, en cas d’urgence, la compétence des autorités de l’État sur le territoire duquel l’enfant est présent pour prendre des mesures provisoires et conservatoires. Ces mesures cessent lorsque les autorités normalement compétentes ont pris les mesures appropriées.
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2. Loi applicable
Cette question est principalement réglée par la convention de 1996, le règlement Bruxelles II bis ne comportant pas de règles de conflit de lois. La convention adopte un principe simple : les autorités compétentes, quel que soit leur titre de compétence,
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3. Effets des décisions
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statuent en application de leur propre loi (art. 15), même si elles peuvent exceptionnellement prendre en considération ou appliquer la loi d’un État avec lequel la situation présente un lien étroit « dans la mesure où la protection de la personne ou des biens de l’enfant le requiert ».
Les décisions émanant des autorités des États membres de l’Union européenne sont soumises, pour leur circulation, au règlement Bruxelles II bis qui prévoit leur reconnaissance de plein droit, et leur attache une force exécutoire de plein droit (v. ss 467). La circulation des décisions émanant des autorités des États non membres de l’UE, mais parties à la convention de 1996, est régie par cette convention. Ces décisions sont reconnues de plein droit ; et les motifs de refus de reconnaissance sont définis par la convention (art. 23). Mais leur exécution suppose un exequatur dont le régime est celui du droit commun français (v. ss 436 s.). Cette circulation est facilitée par la mise en place d’une coopération entre autorités. Pour les autres décisions, le droit commun français s’applique.
2. Enlèvements internationaux 665
Une protection particulière est instituée pour lutter contre les déplacements ou enlèvements illicites d'enfants en matière internationale. Un déplacement illiciteQ consiste en la modification de la résidence habituelle d’un enfant en violation des droits parentaux de l'un de ses parents (ou plus rarement des deux). La convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants traite spécifiquement de ces difficultés, qui font aussi l’objet de dispositions particulières dans la convention de La Haye de 1996 et dans le règlement Bruxelles II bis. En substance, tous ces textes instaurent un système dont l'objet est de « neutraliser » autant que faire se peut l'effet du déplacement illicite. À cet effet, ils organisent des mesures destinées à faciliter le retour immédiat de l’enfant dans l’État d’où il a été soustrait ; c’est dans cet État, et lui seul, que le litige entre les parents, relatif à la responsabilité parentale, pourra être réglé. Ainsi, en dépit du déplacement, la compétence du tribunal du lieu de la résidence habituelle de l'enfant avant le déplacement est maintenue pour statuer sur la responsabilité parentale, et les décisions rendues par ce tribunal doivent être reconnues dans le ou les États où l’enfant a été illégalement déplacé. Ce n’est que si le retour entraîne un risque grave de danger physique ou psychique pour l’enfant qu’il peut y être fait exception ; la juridiction de l’État où l’enfant a été déplacé peut alors prendre une décision de non-retour. Cette exception est conçue de façon très restrictive dans l’Union européenne, pour éviter que le dispositif de retour ne soit privé d’effet utile. Le souci de garantir l’efficacité de la procédure de non retour dicte d’ailleurs les principales modifications que devrait subir le règlement Bruxelles II bis, dans le cadre de sa révision actuellement discutée. La proposition de règlement révisé (Chapitre 1, rubrique Documents) prévoit ainsi une spécialisation du contentieux du retour, dont la célérité est par ailleurs renforcée, ainsi qu’un encadrement plus fort du refus de retour avec l’instauration d’un dialogue direct entre juge de l’État de la résidence habituelle, et juge de l’État où l’enfant a été déplacé illicitement. Une difficulté est cependant apparue lorsqu’ont été invoqués, au soutien de la demande de non retour, les droits fondamentaux issus de la Conv. EDH et de la
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Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, en particulier l’intérêt supérieur de l’enfant ou le droit au respect de la vie privée et familiale. La CEDH a en effet considéré dans plusieurs décisions que le retour de l’enfant ne peut pas être ordonné de façon automatique, mais qu’il convient d’apprécier in concreto l’intérêt supérieur de l’enfant (not. CEDH, 6 juillet 2010, Neulinger, no 41615/07, D. 2010. 2062, obs. I. Gallmeister, D. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke, RTD civ. 2010. 735, obs. J.-P. Marguenaud). Elle a ce faisant conféré un rôle important au juge de l’État dans lequel l’enfant a été illicitement déplacé, chargé d’examiner l’ensemble de la situation familiale pour apprécier cet intérêt supérieur, là où la CJUE, en optant pour une approche plus abstraite de cet intérêt, fait largement prévaloir une obligation quasi-systématique de retour. Cette situation est fort préjudiciable, puisqu’elle place le juge de l’État dans lequel l’enfant a été déplacé face à des obligations contradictoires : examiner la situation de l’enfant mais violer alors le droit de l’UE et la convention de 1980 ; ou ordonner le retour sans examen mais violer la Conv. EDH et la convention de New York. Il faut donc espérer que les deux Hautes Juridictions parviennent rapidement à coordonner leur action en cette matière délicate. L’infléchissement progressif de la jurisprudence de la CEDH, plus encline à considérer et protéger le mécanisme de retour, va dans le bon sens (v. D. Porcheron, « La jurisprudence des deux cours européennes (CJUE et CEDH) sur le déplacement ilicite d’enfant : vers une relation de complémentarité ? », JDI 2015. Doctr. 8).
B. La protection des majeurs
La protection des majeurs est organisée par une convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes. Cette convention, signée par la France le 13 juillet 2001, y est entrée en vigueur le 1 er janvier 2009. La convention retient la compétence de principe des autorités de l'État de résidence de l'incapable, appliquant leur propre loi, mais celles-ci peuvent renvoyer aux autorités d'un autre État mieux placé pour assurer la protection du majeur, selon le mécanisme du forum more conveniens. Les autorités nationales, toujours en application de leur propre loi, peuvent intervenir pour protéger le majeur lorsqu'elles considèrent être mieux placées pour apprécier l'intérêt de celui-ci, après en avoir avisé les autorités de la résidence habituelle. Les autorités compétentes peuvent choisir d'appliquer, en lieu et place de la loi du for, la loi d'un autre État avec lequel la situation présente un lien étroit, dès lors que la protection du majeur ou de ses biens le requiert. Les mesures prises en application de la convention sont reconnues de plein droit dans les États contractants.
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La convention ménage une certaine place à la volonté de l’adulte protégé. En effet, si sa représentation est en principe régie par la loi de sa résidence habituelle, la convention lui donne la possibilité de désigner, par écrit et à titre préventif, son représentant, en application, selon les circonstances, de la loi de sa résidence, de la loi de sa nationalité, de la loi d'une précédente résidence habituelle ou de la loi du lieu de situation de ses biens. Ce dispositif est en phase avec l’institution en France, par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection des majeurs (entrée en vigueur le même jour que la convention), d’un mandat de protection future (C. civ., art. 477 s.) qui permet précisément à une personne capable de désigner, pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts, un représentant. La convention
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renforce donc cette possibilité de choisir son futur représentant, en instituant la possibilité de choisir la loi régissant la protection, appelée à régir notamment le mandat de protection future (l’auteur d’un tel mandat peut ainsi choisir de le faire régir par une loi qui connaît ce dispositif et le valide). Lorsque le majeur objet de la protection réside dans un État non contractant, le droit commun français (v. ss 654) reste applicable. Et les mesures prises dans les États non contractants sont reconnues en France en application du droit commun français.
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Le droit des personnes physiques recouvre, en droit international privé, des questions totalement différentes, en termes de méthodes comme de rattachement. I. Le nom des personnes physiques est traditionnellement appréhendé par la méthode conflictuelle. On observe à cet égard une tendance croissante à soumettre à la fois l’attribution et le régime du nom à la loi personnelle de l’intéressé. Il faut aussi noter l’influence croissante en la matière de la méthode de la reconnaissance des situations, sous l’influence de la CJUE en application du principe de liberté de circulation et de la CEDH en application du droit au respect de la vie privée : la France doit alors reconnaître le nom attribué en application d’une loi étrangère, même s’il ne s’agit pas de la loi personnelle, quand ce nom a été attribué à, et porté par, l’intéressé à l’étranger. II. La nationalité des personnes physiques est régie par un ensemble de règles matérielles unilatéralement définies par chaque État pour l'attribution de sa propre nationalité. Les règles qui régissent la nationalité française sont fixées par les articles 17 et suivants du Code civil. Elles posent, pour l'établissement de la nationalité française, une distinction fondamentale entre attribution et acquisition de la nationalité française. La nationalité française est attribuée dès leur naissance aux enfants nés de parents dont l'un au moins est français, d'une part, aux enfants nés sur le territoire français, d'autre part. Dans ce dernier cas, l'attribution de la nationalité française à l'enfant né sur le territoire français de parents étrangers lui ayant transmis, par filiation, une nationalité étrangère, est soumise à la condition supplémentaire que l'un des parents soit lui-même né en France. La nationalité française est acquise non rétroactivement, sous certaines conditions, soit de plein droit (enfant né en France y ayant résidé au moins cinq ans entre l'âge de onze et dix-huit ans ; enfant mineur dont l'un des parents acquiert la nationalité française), soit par déclaration de volonté de la part de celui qui en réclame le bénéfice lorsque la loi l'y autorise (adoption simple, certains liens par le sang avec un Français, mariage avec un Français, naissance et résidence en France, possession d'état de Français), soit enfin par naturalisation, c'est‑à-dire décision de l'autorité publique. La nationalité acquise peut faire l'objet d'une déchéance, à titre de sanction d'un comportement d'une particulière gravité. Exceptionnellement, il est également prévu une perte de la nationalité française, généralement sur décision du porteur de cette nationalité. Le contentieux de la nationalité, qui en France ne peut porter à titre principal que sur la nationalité française mais peut envisager, à titre incident, la nationalité étrangère, renvoie aux règles qui régissent la compétence des juridictions, la preuve de la nationalité, et le traitement des conflits positifs (double ou plurinationalités) ou négatifs (apatridie) de nationalités.
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Les personnes qui ne jouissent pas de la nationalité française sont assujetties, sur le territoire français, à des règles spécifiques qui composent le droit de la condition des étrangers. L'entrée et le séjour des étrangers en France sont en effet réglementés : en substance, on peut affirmer que l'entrée et le séjour en France ne sont jamais un droit pour les étrangers, qui doivent donc y être autorisés par les autorités compétentes, sauf s'ils sont ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou peuvent régulièrement revendiquer le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire justifiant la reconnaissance du droit d'asile. En revanche, lorsqu'un étranger a été admis à séjourner en France et se trouve donc en situation régulière, ses droits civils sont en principe les mêmes que ceux réservés aux nationaux. Certaines distinctions restent toutefois perceptibles, notamment s'agissant des droits politiques et des droits économiques. III. Le domicile des personnes physiques suscite exceptionnellement la mise en œuvre de la méthode conflictuelle, lorsqu'il est envisagé en tant que tel ; il est alors défini par la loi nationale de l'intéressé. Mais le plus souvent, le domicile est appréhendé en tant qu'élément de rattachement. Le droit commun français applique alors, pour définir ce domicile, la loi de l'État ayant posé la règle (de conflit ou matérielle) faisant application de la notion de domicile. Les instruments de droit uniforme, quand ils ne prévoient pas une définition du domicile, renvoient plutôt, pour leur part, à la loi territoriale, c'est‑àdire à la loi de l'État sur le territoire duquel l'existence d'un domicile est alléguée. IV. La capacité des personnes physiques est appréciée en principe en application de la loi nationale de l'intéressé, sous la seule réserve de l'application de la loi du for pour protéger l'ignorance excusable des tiers (arrêt Lizardi). La protection des mineurs repose le plus souvent sur la responsabilité parentale que confère de plein droit aux parents la loi de la résidence habituelle du mineur, désignée par la Convention de La Haye de 1996. Lorsque des mesures de protection doivent être organisées, l’application de cette même convention et du Règlement Bruxelles II bis conduit à conférer une compétence principale aux autorités de l’État de résidence habituelle du mineur, appliquant leur propre loi. Les enlèvements internationaux d’enfants font l’objet d’un régime de protection spécifique, organisé par le règlement Bruxelles II bis, la convention de La Haye de 1996 et la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, reposant sur une procédure de retour immédiat de l’enfant dans l’État d’où il a été enlevé. La protection des majeurs est organisée par la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 qui retient la compétence de principe des autorités de l’État de résidence habituelle de l’incapable, appliquant leur propre loi.
Quid
n Acquisition de la nationalité française n o 560 Obtention de la nationalité française par une personne physique qui n'est pas née française, ce sans effet rétroactif.
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n A p a t r i di e n o 5 9 2 Situation d'une personne physique à laquelle aucun État ne reconnaît le bénéfice de sa nationalité (v. conflit négatif de nationalités).
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n A si l e te rr i t or i a l n o 6 1 8 Droit d'entrée et de séjour reconnu à une personne qui, quoiqu'elle ne remplisse pas les conditions l'autorisant à revendiquer le statut de réfugié, peut se prévaloir de la protection subsidiaire organisée par le droit français au profit des personnes qui établissent qu'elles sont exposées dans leur pays à une menace grave contre leur vie ou leur intégrité physique. n A t t r i b u t i o n d e l a n a t i o n a l i t é fr a n ç a i s e n o 5 6 0 Reconnaissance de la nationalité française à une personne physique dès sa naissance, dès lors que certains critères sont remplis. n Ce r t i f i c a t d e n a t i o n a l i t é f r a n ç a i s e n o 5 88 Acte dressé par le greffier du tribunal d'instance au vu des éléments de preuve de sa nationalité française présentés par une personne physique, et instituant au bénéfice de l'intéressé une présomption simple de nationalité française. n Ci t o y e n e u r o p é e n n o 5 9 5 Personne physique ou morale jouissant de la nationalité de l'un des États membres de l'Union européenne, à laquelle se superpose automatiquement la citoyenneté européenne consacrée par le TFUE. n Co m m i ss i o n i n t er n a ti o n al e d e l ' é t a t c i v i l (C I EC ) n o 54 8 Organisation intergouvernementale fondée en 1950 pour promouvoir la coopération internationale en matière d'état civil et améliorer le fonctionnement des services nationaux d'état civil ; la Commission est notamment à l'origine de nombreuses conventions internationales pour l'harmonisation du droit matériel en matière d'état civil. n Co n d i t i o n de s t a g e n o 5 81 Exigence, imposée au candidat à l'acquisition de la nationalité française par naturalisation, d'une résidence habituelle et effective sur le territoire français pendant une certaine période. n Co n f l i t n é g a t i f d e n a t i o n a l i t é s n o 5 9 0 Situation dans laquelle une autorité se trouve confrontée à une personne physique apatride, imposant de recourir à un autre critère que la nationalité pour la mise en œuvre du droit revendiqué (ex. : protection diplomatique, droit civil soumis à la loi nationale, etc.). n Co n f l i t p o s i t i f d e n a t i o n a l i t é s n o 5 9 0 Situation dans laquelle une autorité se trouve confrontée à la double ou plurinationalité d'une personne physique, imposant qu'un choix soit opéré au profit de l'une de ces nationalités.
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n D é c h é a n c e d e l a n a t i o n a l i t é fr a n ç a i s e n o 5 8 2
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Sanction applicable aux seules personnes physiques qui jouissent de la nationalité française en conséquence d'une acquisition de cette nationalité, et dont le comportement pénalement répréhensible et contraire aux intérêts de la nation ou incompatible avec la qualité de Français (ex. : acte de terrorisme) justifie que le bénéfice de cette nationalité leur soit retiré.
n D éc l a r at i o n d e n a t i o n al i t é f r a n ç ai s e n o 5 72 Manifestation, par une personne physique qui remplit les conditions d'acquisition de la nationalité française, de sa volonté de revendiquer cette nationalité.
n D é p l a c e m e n t i l l i c i te d ' e n f a n t n o 66 5 Déplacement d'un enfant, de son État de résidence vers un autre État, réalisé en violation des dispositions prises pour organiser le droit de garde, que ce droit de garde soit exercé de façon individuelle ou conjointe.
n Domicile n o 626
En droit français le domicile d'un individu, personne physique ou morale, renvoie au lieu de son principal établissement ; attribut de la personnalité et en cela élément du statut des personnes, le domicile est également un élément de rattachement en ce qu'il traduit le lien territorial entre un individu et un État.
n D r o i t d ' a s i l e n o 6 14
Droit fondamental de valeur constitutionnelle et conventionnelle, reconnu à une personne persécutée par les autorités dont elle dépend, à recevoir une protection de l'État d'accueil l'autorisant notamment à y séjourner et à y bénéficier de mesures d'accompagnement spécifiques.
n E x p u l s i o n n o 58 0
Décision relevant de la compétence de l'autorité administrative (arrêté préfectoral) et ordonnant l'éloignement d'un étranger, en situation régulière ou non, qui présente une menace pour l'ordre public.
n F o r um m o r e c o n v e n i e n s n o 6 6 0 Mécanisme autorisant un juge dont la compétence internationale est juridiquement avérée à renvoyer l'affaire aux juridictions d'un autre État qu'il considère mieux placées pour en connaître, notamment en raison d'une plus grande proximité. Ce mécanisme a été introduit en droit français par le règlement Bruxelles II bis qui en autorise le jeu, à titre exceptionnel, en matière de responsabilité parentale ; il est également prévu par la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.
n Immigration « choisie » no 605 Politique d'immigration visant à favoriser l'accueil des personnes physiques étrangères pouvant rendre, par leur compétence particulière, des services à l'État d'accueil.
n I n t e r d i ct i o n d u t e r r i t o i r e n o 5 8 0 Sanction pénale prononcée par les juridictions répressives en application de l'article 131-30 du Code pénal, au titre de peine complémentaire assortissant la
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Les personnes physiques
sanction de certaines infractions, en particulier mais pas exclusivement des infractions à la législation des étrangers.
n J u s co g e n s n o 5 9 3
n L é g a l i s a t i o n n o 6 33
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Partie du droit international public dotée d'une telle impérativité que les États souverains ne peuvent en aucun cas, même par convention, y déroger ; le droit international public contemporain y range, notamment, les droits de l'homme les plus fondamentaux.
Formalité par laquelle une autorité publique certifie la véracité des signatures apposées sur un acte public ainsi que la qualité de ceux qui l'ont rédigé.
n Nationalité no 555
Lien juridique rattachant un individu à un État en fonction d'un critère d'allégeance personnel.
n Nat ionalit é e ff ecti ve n o 5 91 Lien juridique rattachant un individu à un État en fonction d'un critère d'allégeance personnel, et présentant la particularité de se combiner avec, ou de traduire, des liens concrets réels entre cet individu et cet État (par exemple, résidence, paiement des impôts, exercice du droit de vote, etc.).
n Naturalisation n o 572
Mode d'acquisition de la nationalité française par décision discrétionnaire de l'autorité publique (décret ministériel).
n Or d r e d e q u i t t e r l e t e r r i t o i r e f ran ç ai s n o 6 08 Décision relevant de la compétence de l'autorité administrative (arrêté préfectoral) ordonnant l'éloignement d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français au regard de la législation des étrangers. Cette procédure remplace, ensuite de la transposition en droit français de la directive européenne « Retour », les anciennes procédures de reconduite à la frontière.
n Pe r te d e la n a t io n a lit é fr an ç a ise n o 5 8 2 Situation d'un individu qui se voit retirer la nationalité française, en principe sur sa propre demande, en conséquence de l'absence de lien réellement effectif avec la France.
n Possession d'état de Français n o 578 Situation de la personne physique qui, quoiqu'elle ne jouisse pas de la nationalité française, est généralement considérée comme de nationalité française par les tiers, et en particulier par l'administration française ; la possession d'état de Français fonde l'un des modes d'acquisition de la nationalité française.
n Ré f u g i é n o 61 5
Personne physique étrangère autorisée à se prévaloir du droit d'asile, et en conséquence d'un droit au séjour sur le territoire français.
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n Re g r o u p e m e nt f a m i l i a l n o 60 5 Droit reconnu aux étrangers en situation régulière sur le territoire français, pour leur permettre de mener une vie familiale normale, de faire venir leur conjoint et leurs enfants mineurs. n Rétention administrative no 608 Mesure de placement, dans des locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, d'un étranger en attente d'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire ; la rétention administrative est initialement décidée par l'autorité administrative (arrêté préfectoral), mais sa prolongation doit être autorisée par le juge judiciaire des libertés et de la détention. n Ti tre de séjour n o 5 9 8 Document délivré par l'administration d'un État et autorisant son porteur à séjourner sur le territoire de l'État considéré, voire à y exercer une activité professionnelle. n Vi sa n o 6 04 Document délivré par l'administration d'un État et autorisant son porteur à entrer sur le territoire de l'État considéré ; en France, il existe différents types de visas, de transit (entrée autorisée pour une durée de cinq jours), de court (trois mois) et de long séjour. n Zone d'attente n o 607 Tout local, ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, où peut être placé soit une personne physique étrangère qui s'est présentée aux frontières françaises sans disposer des documents exigés pour entrer sur le territoire, soit un demandeur d'asile dont la demande paraît manifestement infondée, dans l'attente, pour la première de l'organisation des modalités de son départ, pour la seconde de la décision ministérielle prenant parti sur le caractère manifestement infondé de sa demande d'asile.
Documents 1) Principaux arrêts A) Sur le nom
C i v . 1 r e , 7 o c t . 1 9 9 7, C a n o v a s G u t i e r r e z (Rev. crit. DIP 1998. 72, note P. Hammje) L'arrêt Canovas Gutierrez prévoit que la transmission du nom aux enfants légitimes est régie par la loi des effets du mariage. Par extension, on déduit de cet arrêt que l'attribution du nom est régie par la loi de l'institution dont le nom est un effet.
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Les personnes physiques
C J C E 2 oc t . 2 0 03 , G a r c i a A v e l l o (Rev. crit. DIP 2004. 184, note P. Lagarde ; D. 2004. 1476, note M. Audit)
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L'arrêt Garcia Avello est remarquable en ce qu'il paraît introduire une part d'autonomie de la volonté pour la détermination de la loi applicable à l'attribution du nom. Il précise en effet que la liberté de circulation et de séjour dont jouissent les ressortissants communautaires doit leur permettre, lorsqu'ils ont la double nationalité de deux États membres, de choisir celle de leurs deux lois nationales qu'ils entendent voir appliquer pour régir l'attribution de leur nom.
C J C E 1 4 o c t . 2 00 8 , C - 3 5 3/ 06 , G r u n k i n - P a u l (Rev. crit. DIP 2009. 80, note P. Lagarde) L'arrêt Grunkin-Paul illustre l'influence que peuvent avoir les principes et libertés communautaires sur la mise en œuvre du droit international privé des États membres, même dans les matières où les règles de conflit ne sont pas harmonisées. Cette décision retient en effet que l'État allemand ne saurait opposer à un national allemand la compétence de la loi allemande, résultant pourtant de la règle de conflit de lois allemande, pour lui refuser l'inscription sur les registres allemands d'état civil d'un nom déjà enregistré conformément à la loi danoise au Danemark, où l'intéressé était né et résidait. La Cour juge en effet que l'intéressé verrait sa liberté de circulation entravée s'il ne pouvait obtenir, dans son État national, la reconnaissance du nom qui lui a été attribué dans son État de résidence.
C E D H , 5 d éc . 20 1 3 , n o 3 22 6 5 / 1 0 , Henr y K i sm o un c/ F rance (RTD civ. 2014. 322, obs. J. Hauser ; D. 2015. 1056, obs. H. GaudemetTallon ; AJDA 2014. 147, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ Famille, 2014. 194, obs. C. Doublein). L’arrêt Henry Kismoun c/ France montre, à propos du nom, comment les droits fondamentaux conduisent à infléchir la mise en œuvre des règles de conflits de lois au profit d’une logique de pure reconnaissance. Le requérant, un Franco-Algérien, était né en France où il avait été inscrit sur les registres d’état civil sous un certain nom. Des circonstances familiales le conduisirent à partir vivre dès son plus jeune âge en Algérie, où il fût enregistré sous un nom différent. Revenant vivre en France vingt ans plus tard, le requérant demanda le changement du nom sous lequel il y avait été enregistré à l’état civil, au profit du nom qu’il portait en Algérie. En application de la loi française, cette demande fut rejetée aux motifs que l’intérêt légitime exigé par l’article 61 du code civil n’était pas établi. Aux termes d’une longue procédure, le requérant obtient la condamnation de la France pour ce refus. La condamnation est fondée sur le motif que le droit au respect de la vie privée, protégé par la Conv. EDH, comprend le « droit à l’identité », que le requérant pouvait légitimement demander à changer de nom pour porter un nom unique et que cette dimension identitaire de sa demande n’avait pas été prise en compte par les autorités françaises. Il faut observer que ce qui justifie la condamnation de la Cour est moins la prétention de la France à appliquer la loi française et à exclure la loi algérienne, que le fait que la loi française a été appliquée en violant les droits fondamentaux (la volonté du requérant de jouir d’une identité unique aurait dû être analysée comme un motif légitime de demande de changement de nom).
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Droit international privé
B) Sur la capacité C i v . 2 5 j u i n 1 9 57 , Si lvi a (GADIP, n o 29 ; Rev. crit. DIP 1957. 680, note H. Batiffol)
R e q . 1 6 j a n v . 1 8 6 1, L i z ar d i (GADIP, no 5)
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L'arrêt Silvia a été rendu à une époque où le droit interne français n'envisageait l'incapacité de fait ou naturelle (ne donnant pas lieu à l'organisation d'une mesure de protection légale) que sous l'angle des vices du consentement. Il conclut néanmoins que l'incapacité naturelle doit intégrer, en droit international privé, la catégorie « incapacité » et être soumise en conséquence à la loi nationale de l'incapable. La qualification « conditions de fond du contrat » — qui aurait conduit à l'application peu souhaitable de la loi du contrat — est donc rejetée, alors pourtant que cette seconde qualification était postulée par la conception du for (les vices du consentement étant régis par la loi du contrat). Cet arrêt atteste ainsi de ce que la qualification lege fori n'emporte pas nécessairement une identité des catégories forgées pour les besoins du droit international privé et de celles définies pour les besoins du droit interne. Aujourd'hui, la qualification retenue par l'arrêt Silvia (intégration des incapacités naturelles à la catégorie « incapacité ») est du reste retenue par la loi, y compris en droit interne.
L'arrêt Lizardi organise la protection de celui qui a légitimement ignoré la teneur d'une loi étrangère pourtant applicable. Il retient que, un Français ayant contracté en France avec un étranger, majeur selon la loi locale mais mineur et donc incapable selon sa loi personnelle, n'est pas « tenu de connaître les lois des diverses nations et leurs dispositions concernant notamment la minorité ». Il peut donc revendiquer, s'il est de bonne foi et qu'il a traité sans imprudence et légèreté, l'application de la loi française du lieu de conclusion de l'acte en lieu et place de la loi nationale de l'incapable pour déterminer la capacité de celui-ci à conclure le contrat.
C i v . 1 3 a v r . 19 3 2 , C h â t e a u C h a m bo r d (GADIP, no 14)
L'arrêt Château de Chambord précise qu'il revient à la seule loi nationale de l'incapable de régir sa capacité et, en cas d'incapacité, de prescrire les formalités habilitantes lui permettant d'exercer ses droits, quand bien même les droits en question seraient des droits indivis relatifs à un immeuble situé en France, eux-mêmes régis par la loi française du lieu de situation du bien.
2) Précisions sur le droit de la nationalité M o d a l i t é s d e ré p u d i a t i o n d e l a n a t i o n a l i t é f r a n ç a i s e l à o ù ce t t e répudiation est permise Le bénéficiaire de la nationalité française peut répudier cette nationalité dans les cas prévus par les articles 18-1 du Code civil (enfant né à l'étranger dont un seul des parents est Français), par l'article 19-3 du Code civil (enfant né en France de parents étrangers dont l'un au moins est né en France et bénéficiant d'une double nationalité), et par l'article 22-3 du Code civil (enfant ayant acquis de plein droit la nationalité française en conséquence de l'acquisition de cette nationalité par l'un de ses parents). Concrètement, cette répudiation de la nationalité française prend la forme, conformément aux articles 20-2 et 26 du Code civil, d'une déclaration reçue par le greffier du tribunal d'instance ou le consul à l'étranger. L'enfant peut renoncer à cette faculté,
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Les personnes physiques
et ainsi confirmer sa nationalité française, dès qu'il atteint l'âge de seize ans ; il n’a pas à être représenté (art. 17-3).
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Tableau de synthèse des conditions d'établissement de la nationalité française (les articles cités sont ceux du Code civil) Attribution de la nationalité française
Acquisition de la nationalité française
Perte de la nationalité française
– Enfant dont la filiation biologique ou adoptive (plénière) est établie à l'égard d'au moins un parent de nationalité française (art. 18 et 20, al. 2) – Enfant né sur le territoire français ne bénéficiant d'aucune autre nationalité par filiation (art. 19, 19-1) – Enfant né sur le territoire français et bénéficiant d'une autre nationalité par filiation, si l'un des parents est également né en France (art. 19-3)
* De plein droit – Enfant atteignant 18 ans, né en France et y résidant au jour de sa majorité ou y ayant résidé pendant au moins 5 ans entre les âges de 11 et 18 ans (art. 21-7) – Enfant mineur et non marié résidant avec un parent qui acquiert la nationalité française par naturalisation ou déclaration, si le nom de l'enfant est mentionné dans le décret de naturalisation ou dans la déclaration (art. 221, 22-2)
* De plein droit (constatation par jugement ou décret) – Personne à qui la nationalité française a été attribuée par filiation, dépourvue de possession d'état de Français et résidant à l'étranger, lorsque ses ascendants français n'avaient euxmêmes ni possession d'état de Français ni résidence en France (art. 23-6) – Français se comportant en fait comme le national d'un pays étranger dont il a aussi la nationalité (art. 237) – Français qui ne * Par déclaration de défère pas à volonté l'injonction qui lui – Mineur résidant est faite de résigner en France (ou à son emploi dans l'étranger avec une armée ou un l'adoptant) ayant service public fait l'objet d'une étranger, ou dans adoption simple une organisation par un Français internationale à (art. 21-12) laquelle la France – Ascendant direct n'est pas partie d’un Français, âgé (art. 23-8) de 65 ans au moins et résidant en
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Déchéance de la nationalité française
– Personne ayant acquis la nationalité française et bénéficiant d'une autre nationalité, condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme (art. 25 1o) – Personne ayant acquis la nationalité française et bénéficiant d'une autre nationalité, condamnée pour un crime ou un délit réprimé par le chapitre II du titre III du Livre IV du Code pénal (atteintes à l'administration publique commise par une personne exerçant une fonction publique) (art. 25 2o) – Personne ayant acquis la nationalité française et bénéficiant d'une autre nationalité, condamnée pour s'être soustraite aux obligations du Code
Droit international privé
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France depuis au moins 25 ans (art. 21-13-1) – Frère ou sœur d’une personne ayant acquis la nationalité française en application des art. 21-7 ou 2111, résidant habituellement en France depuis l’âge de 6 ans et ayant suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements soumis au contrôle de l’État (art. 21-13-2) – Personne mariée depuis au moins 4 ans avec un Français, justifiant d'une communauté de vie pendant cette période et d'une connaissance suffisante de la langue française (art. 21-1 à 21-6) – Mineur âgé de 13 à 18 ans, né et résidant habituellement en France, si la résidence est actuelle et a duré au moins 5 ans depuis que l'enfant a atteint 11 ans (art. 21-11) – Personne ayant joui de la possession d'état de Français pendant 10 ans (art. 21-13)
* Par déclaration de volonté – National français de moins de 35 ans, libéré des obligations militaires, ayant acquis une nationalité étrangère et résidant habituellement à l'étranger (art. 23) – Mineur, 6 mois avant sa majorité ou majeur 12 mois après sa majorité, né à l'étranger, auquel la nationalité française a été attribuée alors qu'un seul de ses parents est Français (art. 18-1, 23-3)
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du service national (art. 25 3o) – Personne ayant acquis la nationalité française et bénéficiant d'une autre nationalité, s'étant livrée au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France (art. 25 4o)
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Biblio
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* Par naturalisation – Toute personne majeure, de bonnes vie et mœurs, et n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation pour certains crimes et délits précisément définis, si elle est suffisamment assimilée à la communauté française, réside en France et y a résidé pendant une durée généralement fixée à 5 ans ; la décision de naturalisation est en toute hypothèse discrétionnaire (art. 21-15 à 21-251 o)
Les personnes physiques
– Mineur, 6 mois avant sa majorité ou majeur 12 mois après sa majorité, né en France, dont un seul des parents est lui-même né en France (art. 19-4, 233) – Mineur, 6 mois avant sa majorité ou majeur 12 mois après sa majorité, ayant acquis de plein droit la nationalité française comme suite de l'acquisition de la nationalité française par l'un de ses parents au cours de sa minorité (art. 223, 23-3). – National français marié avec un étranger, ayant acquis la nationalité étrangère et résidant à l'étranger (art. 23-5) – Personne y ayant été autorisée par décret (art. 23-4)
1) Généralités. Place de la loi nationale en matière de statut personnel - B. Ancel, « Destinées de l'article 3 du Code civil », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 1. - A. Borrás, J. Gonzáles Campos, « La loi nationale à l'heure de la réforme du droit international privé espagnol », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 137.
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Droit international privé
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- J. Basedow, « Le rattachement à la nationalité et les conflits de nationalité en droit de l'Union européenne », Rev. crit. DIP 2010. 427. - M. Hunter-Hénin, « Droit des personnes et droits de l'homme : combinaison ou confrontation ? », Rev. crit. DIP 2006. 743. - G. P. Romano, « La bilatéralité éclipsée par l'autorité. Développements récents en matière d'état des personnes », Rev. crit. DIP 2006. 457. - P. de Vareilles-Sommières, « Statut personnel et contrat : aspects internationaux », in D. Fenouillet et P. de Vareilles-Sommières (dir.), La contractualisation de la famille, Economica, 2001, p. 285.
2) Sur le nom et l'état civil - B. Ancel, « Le transfert international des informations nécessaires à l'administration du droit privé », in Mélanges Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 1. - C. Bidaud-Garon, « La force probante des actes de l'état civil étranger après la loi du 26 novembre 2003 », Rev. crit. DIP 2006. 49. - C. Brière, « Les couples binationaux et le choix du nom de famille », D. 2011. 804. - A. Dutta et alii, « Un nom dans toute l’Europe. Une proposition de règlement européen sur le droit international du nom », Rev. crit. DIP 2014. 733. - P. Hammje, in Rép. internat. Dalloz, V o « Nom, Prénom », 2 e éd. - F. Monéger, « Actualité de nom de famille en droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 2004-2006. 5. - A. Panet, « Le statut personnel en droit international privé européen », Rev. crit. DIP 2015. p. 837.
3) Sur le domicile
- P. Hammje, in Rép. Dr. internat. Dalloz, v o « Domicile », 2 e éd. - H. Muir Watt, « Le domicile dans les rapports internationaux », J.-Cl. Int., fasc. 543-10. - C. Nourissat, « Domicile, résidence : conflits de lois et conflits de juridictions », Gaz. Pal. 2007, n o 262-263, p. 8.
4) Sur la nationalité française et la condition des étrangers - S. Corneloup, « Réflexion sur l'émergence d'un droit de l'Union européenne en matière de nationalité », JDI 2011. Doctr. 7. - S. Corneloup, « “Maîtrise de l'immigration” et célébration du mariage », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 207. - S. Corneloup, « La réforme du droit d’asile », D. 2015. 1964 - H. Fulchiron, « La nationalité française entre identité et appartenance (réflexions sur la loi du 16 juin 2001 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité) », D. 2011. 1915. - H. Fulchiron (dir.), Les étrangers et la Convention européenne des droits de l'homme, LGDJ, 1999. - H. Fulchiron, « La place de la volonté individuelle dans le droit français de la nationalité », Trav. Com. fr. DIP 1999-2000. 175. - N. Guimezanes, « Vers une disparition des restrictions apportées à la libre circulation des ressortissants communautaires », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 355.
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Les personnes physiques
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- F. Jault-Seseke, « La loi n o 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Vers une nouvelle conception de l'intégration », Rev. crit. DIP 2008. 5. - F. Jault-Seseke, S. Corneloup, S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, Puf, 2015. - P. Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 4 o éd., 2011. - P. Lagarde, « Vers une approche fonctionnelle du conflit positif de nationalités », Rev. crit. DIP 1988. 29. - Y. Lequette, « La nationalité française dévaluée », in L'avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz, JurisClasseur, PUF, 1999, p. 349. - F. Marchadier, « L'attribution de la nationalité française à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme », Rev. crit. DIP 2012. 61. - K. Parrot, C. Santulli, « La directive “retour”, l'Union européenne contre les étrangers », Rev. crit. DIP 2009. 205. - E. Pataut, « Citoyenneté de l'Union européenne et nationalité étatique », RTD eur. 2010. 617. - J. Petit, T. Fleury Graff, G. Le Strat, « La réforme du droit d’asile », RTD eur. 2016. 9 - D. Turpin, « La loi no 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité », Rev. crit. DIP 2011. 499. - D. Turpin, « La loi n o 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration : choisir pour ne plus subir ? », Rev. crit. DIP 2007. 2. - D. Turpin, « Les nouvelles lois sur l'immigration et l'asile dans le contexte de l'Europe et de la mondialisation », Rev. crit. DIP 2004. 311.
5) Sur la capacité et la protection des incapables - E. Gallant, in Rép. communautaire Dalloz, 2007, Vo « Compétence, reconnaissance et exécution (matière matrimoniale et responsabilité parentale) ». - D. Porcheron, « La jurisprudence des deux cours européennes (CJUE et CEDH) sur le déplacement illicite d’enfant : vers une relation de complémentarité ? », JDI 2015. Doctr. 8. - M. Revillard, « La convention de La Haye sur la protection internationale des adultes et la pratique du mandat d'inaptitude », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 725. - P. Lagarde, « La Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes », Rev. crit. DIP 2000. 159. - P. Lagarde, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs, Rev. crit. DIP 1997. 217.
6) Sur le conflit d'autorités et les actes publics - L. d'Avout, « La circulation automatique des titres exécutoires imposée par le règlement n o 805/2004 du 21 avril 2004 », Rev. crit. DIP 2006. 1. - P. Callé, « L'acte authentique établi à l'étranger. Validité et exécution », Rev. crit. DIP 2005. 377. - R. Crône, « La réception d'un acte authentique étranger en France », in Mélanges M. Revillard, Defrénois 2007. 77. - A. Huet, « Un titre exécutoire européen parmi d'autres : l'acte authentique », in Mélanges en l'honneur de M. Revillard, Defrénois 2007. 183.
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Quiz 1) Sujets corrigés
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- P. Mayer, « L'acte authentique établi à l'étranger. Validité et exécution », Rev. crit. DIP 2005. 377. - H. Muir Watt, « La rencontre dans l'espace de figures hybrides (variations autour du conflit international de décisions), RG proc. 1998. 711 ; ibid. 1999. 291 - Ch. Pamboukis, « L'acte quasi-public en droit international privé », Rev. crit. DIP 1993. 565. - H. Péroz, « La circulation transfrontalière des actes notariés », JCPN 2004. I. 1600 - Adde les bibliographies spéciales à l'état civil (ss ce chapitre) et à la méthode de la reconnaissance des situations (ss chapitre 3).
A) Test de connaissances (certaines questions peuvent recevoir plusieurs réponses) Énoncé
1. L'attribution du nom à l'enfant naturel est régie : a. par la loi nationale de sa mère ; b. par la loi nationale de l'enfant ; c. par la loi de l'État du domicile de l'enfant. 2. L'attribution de la nationalité française recouvre les hypothèses d'octroi de la nationalité française à un individu qui n'est pas né français, sans effet rétroactif : a. vrai ; b. faux. 3. La nationalité française est attribuée par filiation aux enfants : a. dont un seul des parents est français ; b. dont les deux parents sont français ; c. dont les deux parents sont domiciliés en France. 4. L'enfant né en France de parents étrangers : a. ne jouit pas de la nationalité française ; b. jouit de la nationalité française si ses parents se sont mariés en France ; c. jouit de la nationalité française si l'un de ses parents est lui-même né en France ; d. jouit de la nationalité française si ses parents ne lui ont pas transmis de nationalité par filiation. 5. L'acquisition de la nationalité française s'opère de plein droit au bénéfice : a. des enfants ayant fait l'objet d'une adoption plénière par des Français ; b. des enfants nés en France de parents étrangers qui, à leur majorité, ont résidé pendant une période de cinq ans sur le territoire français depuis l'âge de onze ans ; c. des enfants ayant fait l'objet d'une adoption simple par des Français ; 416
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d. des enfants dont l'un des parents avec lequel ils résident acquiert, au cours de leur minorité, la nationalité française.
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6. Tout Français peut, si la gravité de ses agissements le justifie, être déchu de la nationalité française : a. vrai ; b. faux, la déchéance de la nationalité française ne peut frapper que ceux qui ont acquis la nationalité française, à l'exclusion de ceux qui se la sont vue attribuer ; c. faux, la déchéance de la nationalité française ne peut se produire si elle a pour effet de rendre l'intéressé apatride ; d. faux, aucun acte ne justifie la déchéance de la nationalité française. 7. Si une personne physique incapable selon sa loi personnelle conclut un contrat avec un tiers, son incapacité : a. est sans effet si cette personne est capable selon la loi du pays où le contrat a été conclu, sauf si son cocontractant connaissait ou devait connaître l’incapacité, b. emporte la nullité du contrat, c. valide ou annule le contrat, en fonction des prescriptions de la lex contractus. 8. Dans le système conventionnel, lorsqu’un enfant a été illégalement déplacé d’un État où il avait sa résidence habituelle vers un autre État (État refuge), son retour : a. ne peut pas être refusé par l’État refuge, b. ne peut pas être refusé par l’État refuge, sauf risque grave de danger pour l’enfant en cas de retour, c. peut toujours être refusé par l’État refuge, garant du droit au respect de la vie familiale. 9. La convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants : a. est entrée en vigueur en France le 1er novembre 1997 ; b. est entrée en vigueur en France le 1 er février 2011 ; c. n'est toujours pas entrée en vigueur en France. 10. Les textes conventionnels applicables à la protection des incapables retiennent à titre principal : a. la compétence des autorités de l'État national de l'incapable appliquant leur propre loi ; b. la compétence des autorités de l'État de résidence de l'incapable appliquant la loi nationale de ce dernier ; c. la compétence des autorités de l'État de résidence de l'incapable appliquant leur propre loi. 11. Un étranger présent sur le territoire français en violation de la législation sur les étrangers fait normalement l'objet : a. d'un ordre de quitter le territoire français ; 417
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b. d'une procédure d'expulsion ; c. d'une procédure d'extradition.
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12. Le placement en rétention administrative est : a. une mesure de privation de liberté justifiant l'intervention du juge judiciaire ; b. une mesure de privation de liberté ne justifiant l'intervention du juge judiciaire qu'au-delà d'une certaine durée ; c. une décision discrétionnaire de l'administration. 13. Un citoyen européen qui présente une menace pour l'ordre public peut se voir interdire l'entrée et le séjour en France : a. vrai ; b. faux. 14. Le demandeur d'asile a le droit de séjourner sur le territoire français en attendant que l'OFPRA statue sur sa demande : a. vrai ; b. vrai, mais il y a des exceptions ; c. faux. 15. L’attribution de plein droit de la responsabilité parentale est régie par : a. la loi nationale commune des parents, b. la loi nationale de l’enfant, c. la loi de la résidence habituelle de l’enfant. Voir le corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Dans le cadre de votre activité bénévole pour une association de quartier, on vous demande d’éclairer un certain nombre de personnes qui rencontrent des difficultés personnelles, et ne savent pas quels sont leurs droits et les voies qu’elles devraient le cas échéant emprunter pour faire reconnaître ceux-ci. 1. Dylan a eu 18 ans il y 4 mois. Il a acheté sur internet une console de jeu d’une valeur de 300 euros. Ses parents sont désespérés car ni Dylan ni eux-mêmes n’ont les moyens d’assumer cette dépense. Ils vous demandent s’ils peuvent faire quelque chose pour remettre en cause cet achat et être remboursé, d’autant que selon leur loi nationale algérienne, Dylan est encore mineur (la majorité est fixée à 19 ans en Algérie). 2. Vladimir est un national russe qui vit en France depuis 30 ans. Il est marié avec Natacha, elle-même de nationalité russe mais qui vivait en France depuis 18 ans. Ils ont eu un enfant, Petar, aujourd'hui âgé de 8 ans. L’enfant est né en France où il a toujours résidé avec ses parents, même s’il a réalisé de nombreux séjours dans sa famille maternelle en Russie pour les vacances. Il y a trois mois, Natacha est partie pour les vacances en Russie avec Petar. Vladimir vient de recevoir une lettre dans laquelle Natacha lui annonce qu’elle ne rentrera pas en France où elle ne peut pas exercer sa
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profession de danseuse, et qu’elle entend désormais vivre en Russie, dans sa famille, avec Petar. Vladimir n’imagine pas vivre sans son fils et ne sait quoi faire. Il est d’autant plus inquiet qu’il a reçu quelques jours après la lettre de Natacha, un courrier écrit par le père de celle-ci, le menaçant des pires représailles s’il tentait de revoir son fils « après tout ce qu’il lui a fait subir ». 3. Rachid a 10 ans ; il est de nationalité marocaine et il vit en France depuis 5 ans avec Ali et Souad qui l’ont recueilli dans le cadre d’une kafala de droit marocain. Ali et Souad ont tous deux la nationalité française. Ils souhaiteraient à présent pouvoir adopter Rachid, mais un ami leur a dit que ce serait très difficile car la loi nationale de Rachid, la loi marocaine, n’autorise pas l’adoption. Que peuvent-ils faire ? 4. Achraf est né en France de parents franco-algériens ; il a lui-même la double nationalité. Il a été inscrit sur les registres d’état civil sous le nom de Pierre V. Sa mère ayant quitté le foyer familial quand il avait 4 ans, il est parti vivre en Algérie avec son père. Il a été inscrit sur les registres d’état civil sous le nom de Achraf B. Aujourd'hui âgé de 38 ans, il revient vivre en France. Mais les autorités publiques refusent d’admettre son nouveau nom, et s’entêtent à n’utiliser que le nom de Pierre V. Peutil faire quelque chose ? Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. b ; 2. b ; 3. a et b ; 4. c et d ; 5. b et d ; 6. b et c ; 7. a ; 8. b ; 9. b ; 10. c ; 11. a ; 12. b ; 13. a ; 14. b ; 15. c.
Cas pratique
1. Dylan est de nationalité algérienne. Il est majeur selon le droit français, mais mineur selon le droit algérien. Cette circonstance peut-elle permettre de remettre en cause l’achat qu’il a contracté sur internet, pour une valeur de 300 euros ? La question qui se pose ici est une question de capacité ; un mineur non émancipé n’est pas capable de conclure seul des actes juridiques, dont un contrat de vente, en tout cas lorsque sa valeur est élevée. Quel est donc le droit qui régit la capacité de Dylan ? Selon la règle de conflit de lois applicable en France, la capacité est déterminée par la loi nationale de l’intéressé. C’est donc normalement à la loi algérienne de dire si Dylan est majeur ou mineur, ce qui semble rendre possible d’opposer sa minorité au vendeur pour faire annuler la vente pour défaut de capacité. Il existe cependant, s’agissant de la conclusion des actes juridiques, une règle fondée sur l’apparence : l’incapable ne peut opposer son incapacité lorsque les deux parties étaient dans le même pays lorsque le contrat a été conclu, et qu’il était capable au regard des lois de ce pays. En l’espèce, la vente a été conclue par internet. Il faudra donc vérifier si le vendeur avait ou non son établissement en France. Si oui, il pourra opposer la loi française, selon laquelle Dylan était majeur au moment de la vente. Si non, les parents de Dylan pourraient tenter de faire annuler la vente en invoquant la minorité de leur fils.
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2. Quels sont les droits de Vladimir vis‑à-vis de son fils ? La question qui se pose est celle de la responsabilité parentale. En application de la Convention de La Haye de 1996, la responsabilité parentale de plein droit est régie par la loi de la résidence habituelle du mineur. En l’espèce cette loi est la loi française : le père et la mère de l’enfant ont l’un et l’autre l’autorité parentale, et Vladimir a donc des devoirs mais aussi des droits sur son fils. Dans ces conditions, la décision unilatérale de Natacha de soustraire son fils en l’emmenant vivre en Russie avec elle constitue un déplacement illicite, aussi appelé enlèvement international d’enfant. Une convention de 1980, complétée par le règlement Bruxelles II bis, prévoit une procédure de retour. L’article 10 du règlement Bruxelles II bis dispose notamment que les juridictions de l’État membre où l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement restent compétence pour statuer sur son retour. Mais il faut se demander si la décision de retour que pourraient rendre les juridictions françaises sera exécutée en Russie… Il faudra sans doute vérifier si la Russie est partie à la convention de 1980 sur les enlèvements d’enfants, qui institue aussi une procédure de retour. Néanmoins, il y a un point qui doit inquiéter Vladimir. La lettre du père de Natacha donne à penser que celle-ci lui impute des faits graves à l’égard de leur fils. Or il est prévu par la Convention de 1980 qu’il est fait exception au retour lorsque celui-ci entraîne un grave danger pour l’enfant. Et la CEDH a parfois encouragé les juges du pays dans lequel l’enfant a été déplacé à vérifier de façon approfondie si l’intérêt supérieur de l’enfant commande ou au contraire s’oppose au retour. Vladimir pourrait donc se trouver contraint à se défendre, dans le cadre d’une action en justice devant les tribunaux russes, pour établir que son fils ne court aucun danger avec lui. 3. La kafala ou recueil légal est une institution connue par certains pays musulmans qui ne reconnaissent pas l’adoption ; elle consiste à confier un enfant à un couple d’accueil, dont l’un des conjoints doit être musulman. Elle ne crée pas de lien de filiation entre le couple et l’enfant. La loi marocaine, loi nationale de Rachid, n’autorise pas l’adoption. Il est donc exact qu’Ali et Souad ne peuvent pas adopter Rachid car l’adoption doit être possible selon la loi des adoptants et selon la loi de l’adopté. La solution serait alors que Rachid change de nationalité, pour devenir français, comme Ali et Souad… Mais cela semble un cercle vicieux, puisqu’il deviendra français s’il est adopté par ses parents d’accueil. En réalité, il existe un moyen pour qu’il devienne français. L’article 21-12 al. 3 du Code civil prévoit que, comme l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption simple, l’enfant qui est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française depuis au moins trois ans peut se voir attribuer la nationalité française par une procédure de déclaration pendant sa minorité. S’agissant d’un enfant de moins de 16 ans, la déclaration réclamant la nationalité française doit être faite par le représentant légal de l’enfant. Il faut donc qu’Ali et Souad mettent en œuvre cette procédure de déclaration. Une fois Rachid devenu français, l’adoption sera possible en application de la loi française de toutes les parties. 4. La situation d’Achraf correspond très exactement à celle qui a donné lieu à une décision de la CEDH dans une affaire Henry Kismoun. Les autorités françaises appliquent la loi nationale de l’intéressé à la question de son nom, et ils refusent de reconnaître le changement de nom opéré en application de la loi algérienne. Même si Achraf a la double nationalité franco-algérienne, c’est la nationalité française qui est prise en compte par les autorités françaises. Il faut donc croire qu’en application de la
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loi française, le changement de nom n’est pas possible. Mais la CEDH a jugé cette position contraire au droit au respect de la vie privée consacré par le Conv. EDH. Pour la Cour, le droit à l’identité implique le droit pour une personne de se voir reconnaître le nom porté depuis de nombreuses années, et partie intégrante de son identité. Le législateur français en a tiré les conséquences, et a introduit au Code civil un article 613-1 aux termes duquel : « toute personne qui justifie d’un nom inscrit sur le registre de l’état civil d’un autre État peut demander à l’officier d’état civil dépositaire de son acte de naissance établi en France son changement de nom en vue de porter le nom acquis dans cet autre État membre ». Achraf a donc d’excellentes chances, en se prévalant non seulement de la jurisprudence de la CEDH qui s’impose aux autorités françaises, mais encore et surtout désormais de la loi française elle-même, d’obtenir que son état civil soit modifié.
Débat
Conflits d'autorités et principe auctor regit actum La théorie des conflits d'autorités conceptualise un troisième pilier du droit international privé, qui vient s'ajouter aux conflits de lois et de juridictions. Elle appréhende l'activité des autorités publiques non juridictionnelles (préfets, officiers d'état civil, notaires, services administratifs divers, mais aussi juges dans une fonction non juridictionnelle) en intégrant d'une part les règles qui régissent la compétence internationale de ces autorités, d'autre part les règles relatives aux effets que peuvent produire les actes de ces autorités en dehors de leur État d'origine. Ces actes, appelés « actes publics », se caractérisent à la fois par leur origine — une autorité publique étatique —, et par leur finalité — produire des effets de droit privé —, mais surtout par la nature des pouvoirs exercés par l'autorité compétente : l'autorité compétente n'exerce pas une fonction décisionnelle mais une fonction purement réceptrice de la volonté privée (une autorité publique peut toutefois prendre une décision, mais celleci est alors qualifiée comme telle). Pour illustrer la distinction, l'acte par lequel le juge prononce un divorce en droit français est une décision, tandis que l'acte par lequel l'officier d'état civil « prononce » un mariage est un acte public : alors qu'il revient au premier de trancher une demande qui lui est présentée, après vérification que les conditions légalement exigées sont remplies, le second se borne à constater l'accord des époux, même s'il le fait là encore après vérification que les conditions légalement exigées sont remplies. Traditionnellement, la théorie des conflits d'autorités ignorait le conflit de lois en tant que tel. Le principe était en effet, et reste dans une très large mesure, celui de l'application nécessaire de la loi du for par les autorités publiques. L'adage auctor regit actum traduit l'idée qu'une autorité publique non juridictionnelle ne peut appliquer que la loi de l'État qui l'a instituée, laquelle est seule habilitée à définir les conditions de son fonctionnement. Une partie de la doctrine contemporaine s'est employée à partiellement remettre en cause cet axiome. Elle démontre ainsi que, si la lex auctoris est seule compétente pour définir les pouvoirs attribués aux autorités publiques (compétence organique), rien n'interdit en revanche que ces autorités
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appliquent, sur les aspects substantiels des situations dont elles sont saisies, une loi étrangère. Ainsi, les autorités publiques françaises pourraient-elles, dans la limite de leurs pouvoirs, autoriser un changement de nom en application d'une loi étrangère, c'est‑à-dire lorsque les conditions requises par la loi étrangère (nationale de l'intéressé) sont remplies ; en revanche, la « procédure » de changement de nom serait nécessairement celle prévue par la loi française. L'application de la loi étrangère, au fond, par les autorités publiques d'un autre État supposerait uniquement une vérification de la substituabilité des autorités en cause, c'est‑à-dire une vérification de ce que les autorités locales sont bien en mesure d'exercer des pouvoirs équivalents à ceux qu'exige (normalement de ses propres autorités) la loi étrangère appliquée. Au-delà de la réflexion sur la place que tient le conflit de lois dans la théorie des conflits d'autorités, aujourd'hui rejointe et parfois absorbée par la méthode de la reconnaissance des situations, la théorie des conflits d'autorités se concentre traditionnellement sur les questions de compétence des autorités, et d'effets des actes publics. La compétence internationale des autorités publiques est dans une large mesure un faux problème : une autorité publique est généralement compétente lorsque la loi étatique qui prévoit son intervention est applicable. Ainsi, la loi française imposant la déclaration à l'état civil de toute naissance survenue sur le territoire français, les services français d'état civil sont nécessairement compétents pour recevoir cette déclaration. L'exclusivité de cette compétence conduit généralement doctrine et jurisprudence à retenir que les juridictions d'un État sont radicalement incompétentes pour annuler un acte public étranger ; tout au plus peuvent-elles le juger inopposable dans leur ordre juridique et refuser d'y reconnaître ses effets. La question des effets des actes publics donne lieu à des discussions plus denses. Pour recevoir la force exécutoire (effet particulièrement caractéristique des actes publics) en France, un acte public étranger doit être revêtu de l'exequatur. La solution, posée par le droit commun, est confirmée par le droit communautaire. La plupart des règlements européens traitent, en marge de l'exequatur des décisions de justice, de l'exequatur des actes publics, soumis à la même procédure. En substance, l'exequatur d'un acte public suppose vérifiée la compétence de l'autorité qui l'a édicté, l'absence d'irrégularité intrinsèque de l'acte et sa compatibilité avec l'ordre public international de l'État d'accueil. Il faut toutefois être conscient de la dualité de ces actes : bien souvent, les actes publics constituent des instruments destinés à recevoir des déclarations ou des actes privés. L'acte authentique par exemple concrétise la manifestation de volonté d'une ou plusieurs personnes (par ex., testament, contrat) ; le mariage célébré par l'autorité publique consacre la volonté des époux de s'unir. Or traditionnellement, tout en conférant l'exequatur à l'instrument public selon la procédure qui lui est propre, le droit international privé réserve un traitement distinct à l'acte privé qu'il reçoit : sa régularité est vérifiée à l'aune du conflit de lois. Le mariage, célébré par une autorité publique, n'est reconnu qu'une fois vérifiée sa régularité au regard de la loi compétente selon notre règle de conflit ; le contrat authentifié par un notaire n'est valable au fond que si cette validité est confirmée par la lex contractus. La
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méthode de la reconnaissance des situations peut toutefois conduire à infléchir cette approche, là où elle est appliquée ; l'intervention de l'autorité publique constitue en effet la « concrétisation » du point de vue normatif de l'État étranger, qui rend légitime sa réception par souci de protection des intérêts privés des parties (sur ce, v. ss 217 s.).
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La famille
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c h a p i t r e
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analytique
section
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Plan
Droit extrapatrimonial de la famille § 1 Le couple A. La formation du couple B. La dissolution du couple
§ 2 Les enfants
A. L'établissement de la filiation B. Les effets de la filiation
§ 3 Les obligations alimentaires A. Conflits de juridictions B. Loi applicable
section
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Droit patrimonial de la famille
§ 1 Les relations patrimoniales du couple marié A. Régime matrimonial B. Donations entre époux
§ 2 Les relations patrimoniales du couple non marié A. Régime des biens des partenaires d'un partenariat enregistré B. Régime des biens des concubins en union libre
§ 3 Les successions
A. La conception unitaire consacrée par le règlement « Successions » B. L'approche scissionniste adoptée par le droit international privé d'origine nationale
Compléments pédagogiques
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Le droit international privé de la famille pose à l'heure actuelle des questions particulièrement complexes. Au-delà des aspects purement techniques, c'est la notion même de « famille », et les conceptions très diverses qu'en retiennent les différents systèmes juridiques, qui suscitent des interrogations : alors que certains droits sanctionnent pénalement les relations homosexuelles, d'autres consacrent le mariage entre époux de même sexe ; alors que la polygamie est contraire à l'ordre public international de certains États, elle est légalement admise par d'autres ; alors que certains pays favorisent l'adoption plénière, d'autres ne prévoient pas qu'une adoption puisse rompre les liens d'un enfant avec sa famille de sang, voire même n'autorisent pas l'adoption… Toutes ces profondes divergences sont autant d'occasions pour donner naissance à de délicats problèmes de qualification, d'adaptation, de jeu de l'exception d'ordre public international.
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Face à ces difficultés de mise en œuvre des règles de droit international privé, la définition de leur contenu semble susciter moins de controverses. Le droit international privé de la famille relève en effet principalement du statut personnel des individus. Mais deux interrogations majeures viennent nuancer le caractère péremptoire de cette affirmation. La première a trait à l'identification du rattachement idoine, avec un passage progressif — observé en droit positif — de la compétence de la loi nationale à celle de la loi du domicile ou de la résidence. La seconde, une fois le rattachement connu, concerne la sélection de la loi applicable aux, ou du tribunal compétent pour connaître des, rapports qui unissent par définition plusieurs individus, dont les nationalités et lieux de résidence ou domicile peuvent différer. Ainsi, quel tribunal est compétent pour prononcer le divorce d'époux de nationalités différentes résidant séparément dans des pays distincts ? Quelle loi régit l'adoption d'un enfant par une personne étrangère domiciliée dans un autre pays ? Le législateur et la jurisprudence français se sont efforcés, progressivement, de répondre à ces questions. Et leur œuvre a été complétée par maintes conventions de droit international privé, aujourd'hui relayées par le droit de l’Union européenne. À l'étude de ce régime propre aux aspects personnels du droit de la famille, il faut également adjoindre celle des aspects patrimoniaux nés des relations de famille. La spécificité est alors marquée puisque les personnes ne sont plus seules en cause. Ce sont leurs biens, observés sous le prisme des relations familiales, qui appellent un traitement par le droit international privé. Ce recentrage sur les biens justifie-t‑il que le régime propre au statut personnel soit évincé ? C'est à l'ensemble de ces questions que l'on tentera de répondre, en envisageant successivement le droit extrapatrimonial de la famille (section 1) et le droit patrimonial de la famille (section 2) en matière internationale.
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Droit international privé
section
1
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Les relations personnelles au sein de la famille se concrétisent principalement au travers des relations entre deux (ou plusieurs dans le cas de la polygamie) adultes ayant choisi de se lier par une certaine communauté de vie — le couple (§ 1) — et de celles nouées entre un ou plusieurs adultes et les enfants qui leur sont légalement rattachés (§ 2). On envisagera pour chaque type de relation aussi bien sa constitution que ses effets personnels. Mais parmi les effets personnels des relations de famille, on distinguera le cas des obligations alimentaires qui font l’objet d’un traitement relativement uniforme, quelle que soit la relation qui leur donne naissance (§3).
§ 672
1 Le couple
Le couple est une relation dont les personnes concernées peuvent choisir, ou non, de formaliser la constitution par un mariage ou aujourd'hui par la conclusion d'un partenariat enregistré (par exemple, en France le PACS). Mais, que le droit soit ou non intervenu au stade de la formation du couple (A), il est toujours sollicité lorsque survient le moment de sa dissolution (B).
A. La formation du couple 673
Les contours juridiques de la notion de couple ont été l’objet de très profondes transformations au cours de la dernière décennie. Le modèle du couple traditionnel, constitué d’un homme et d’une femme, a en effet été revendiqué par les couples de même sexe, soucieux d’accéder aux mêmes droits, qu’ils soient personnels ou patrimoniaux, que les couples hétérosexuels. Le droit français, résistant tout d’abord à ces évolutions, s’est cependant montré soucieux d’offrir un statut juridique à ces couples nouveaux en accordant une certaine reconnaissance assortie d’une relative protection patrimoniale. C’est ainsi qu’est né le « PACS », forme française de ce que le droit international privé appréhende sous le terme de « partenariat enregistré ». Puis les dernières barrières ont finalement cédé, et par une importante loi du 17 mai 2013 (n o 2013-404), le législateur français a reconnu le mariage entre personnes de même sexe. Il existe donc aujourd'hui deux formes d’unions, le mariage et le partenariat enregistré, qui sont l’une et l’autre ouvertes à tous les couples. Il ne faut évidemment pas oublier les unions libres ou concubinages, qui restent statistiquement nombreux, mais sont par définition moins réglementés par le droit au stade de leur formation. On les ignorera ici (ils seront envisagés seulement au stade de leur dissolution, v. ss 731 s.), pour se concentrer sur le mariage (1) et sur le partenariat enregistré (2).
1. Le mariage 674
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Droit extrapatrimonial de la famille
Le droit international privé distingue traditionnellement la formation du mariage (a) de ses effets (b).
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8
a.
La famille
La formation du mariage 675
Si l’approche conflictuelle est centrale dans le droit international privé du mariage, les conditions concrètes de sa mise en œuvre ne peuvent être exactement appréhendées qu’en tenant compte du lieu de célébration du mariage. En effet, il n’est plus possible aujourd'hui d’appliquer un régime parfaitement identique à la célébration d’un mariage en France, et à la reconnaissance d’un mariage célébré à l’étranger. On distinguera donc les deux hypothèses pour analyser plus précisément les règles qui viennent d’être exposées.
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En France, les règles de conflit applicables pour déterminer la loi régissant la formation du mariage ont été, comme l’essentiel du droit international privé, patiemment construites par la jurisprudence. Mais l’adoption de la loi du 17 mai 2013 sur le mariage entre personnes de même sexe a fourni l’occasion de codifier ces règles, qui forment à présent un chapitre spécifique (Ch. IV bis : des règles conflits de lois) du titre V que consacre le Code civil au mariage. Ce chapitre comporte des règles de conflit générales, valables pour tous les mariages ; à cet égard, cette codification a été principalement réalisée à droit constant ; elle formalise les règles préexistantes. Mais ces règles générales ont été complétées par des règles spécifiques, et innovantes, concernant la loi applicable au mariage entre personnes de même sexe, car même si ce mariage est désormais considéré en France comme de même nature que celui des couples de sexes différents, il n’en est pas ainsi dans tous les États du monde. De façon constante, il est prévu que pour être valablement formé, le mariage doit remplir des conditions de forme et des conditions de fond, traitées de façon autonome. Les conditions de forme du mariage sont régies par la lex loci celebrationis — la loi du lieu de célébration — (C. civ., art. 202-2), tandis que les qualités et conditions requises pour contracter mariage (conditions de fond) sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle (loi nationale) (C. civ., art. 202-1, al. 1). L’article 202-1 al. 1 a en outre été complété par une loi du 4 août 2014 (no 2014-873), pour y intégrer une règle matérielle : quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux au sens de l’article 146 et du premier alinéa de l’article 180. L’article 202-1 al. 2 crée une règle nouvelle, propre aux mariages entre personnes de même sexe : deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet. Cette règle, on y reviendra, élargit considérablement la portée spatiale de la loi substantielle française en ce qu’elle valide le mariage entre personnes de même sexe. Même s’il n’est pas repris textuellement par le code civil, un autre principe conflictuel forgé par la jurisprudence subsiste certainement, selon lequel la sanction applicable à la violation d'une condition est définie par la loi qui régit la condition violée. Cette loi sera donc en principe : – la loi nationale de l'époux concerné si la condition violée est une condition de fond (par ex., il reviendra à la loi française de dire si la nullité du mariage d'un mineur de nationalité française est encourue pour défaut d'autorisation parentale) ; – la loi du lieu de célébration si la condition violée est une condition de forme (il reviendra à la loi française de dire si un mariage célébré en France doit être annulé faute de respect des formalités de publicité).
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Droit international privé
1. Le mariage célébré en France La célébration d’un mariage en France appelle rarement l’intervention d’un juge ; il s’agit d’une compétence des autorités publiques que sont les officiers d’état civil. Ce n’est généralement qu’en cas de contestation de la validité du mariage qu’un juge sera saisi ; mais l’annulation du mariage est considérée comme un procédé de désunion, même si en droit il ne s’agit pour le juge que de constater une nullité préexistante. On renverra donc, pour la détermination du juge compétent pour connaître des actions en nullité du mariage, à la dissolution du couple (v. ss 709 s.). La célébration du mariage en France pose ainsi essentiellement des questions de conflit de lois, destinées à vérifier, lorsque la situation est internationale, si les conditions de célébration imposées par la loi applicable sont remplies. On distinguera sur ce point les conditions relatives à la validité formelle, de celles relatives à la validité substantielle. α. Validité formelle
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En la forme, le mariage célébré est France l'est toujours en application des formes dictées par la loi française, même lorsqu'il unit deux étrangers. Cette règle constante, quoique non visée par les textes, est la conséquence de l'application impérative de la loi du lieu de célébration aux conditions de forme du mariage. Il revient donc aux autorités désignées par la loi française — les officiers d'état civil dont la compétence est à cet égard exclusive — de célébrer sur le territoire français les mariages en application des formes prescrites par la loi française (publication des bans, célébration publique, etc.). Certaines de ces règles de forme ont d'ailleurs pour but d'éviter les mariages de complaisance (l'officier d'état civil qui soupçonne, après audition des époux, un défaut d'intention matrimoniale ou constate la situation irrégulière de l'un des époux doit en informer le procureur de la République qui pourra alors former opposition au mariage). Une seule exception est admise à cette compétence exclusive des autorités françaises et de la loi française : en application de la convention de Vienne du 24 avril 1963, la France autorise les diplomates et consuls étrangers à célébrer en France des mariages entre deux personnes ressortissant du pays étranger qu'ils représentent, selon les formes en vigueur dans ce pays. β. Validité au fond
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Au fond, la règle générale applicable à tous les mariages prévoit que le mariage célébré en France doit répondre aux conditions posées par la loi nationale des époux. Il faut distinguer, pour la mise en œuvre concrète de cette règle de conflit, selon que l’on envisage les conditions propres à la personne de chaque époux, ou les conditions qui, concernant le lien entre époux, ne peuvent s’apprécier qu’au regard des deux époux.
680
Les conditions propres à chaque époux (âge, existence et vices du consentement, autorisation parentale) s'accommodent d'une application distributive de leurs lois nationales (les conditions propres à chaque époux étant régies par la loi nationale de l'époux concerné). Le droit français prévoit toutefois désormais une dérogation à la loi nationale en ce qui concerne la condition spécifique du consentement. L’article 202-1 al. 1 in fine du Code civil pose en effet une règle matérielle, selon laquelle « quelle que soit la loi personnelle applicable », le mariage requiert le consentement des époux. La finalité de cette règle est double. En ce qu’elle renvoie
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La famille
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au consentement des époux au sens de l’article 180 al. 1 du Code civil, elle entend protéger l’époux dont le consentement n’aurait pas été libre (mariage forcé) ; l’exception d’ordre public aurait sans doute suffi à évincer une loi personnelle qui aurait dénié à l’un des époux le droit de consentir à son propre mariage. En ce qu’elle renvoie à l’article 146 du Code civil, la règle vise plutôt le défaut d’intention matrimoniale, et elle tend donc à lutter contre les mariages de complaisance. Certaines conditions ne peuvent s'apprécier qu'en considération des deux époux. Ces empêchements dits « bilatéraux »Q (existence d'un lien de parenté, monogamie, différence de sexe) sont en principe soumis à une application cumulative des lois nationales des deux époux, puisqu'ils concernent des conditions qui doivent être remplies par chacun des époux : le mariage entre deux cousins germains de nationalités différentes, par exemple, doit être autorisé par la loi nationale de chaque époux (mais pour la règle spécifique régissant désormais la condition de différence de sexe, v. ss 683).
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Lorsque le mariage est célébré en France, l'application de la loi nationale des époux aux conditions de fond du mariage peut naturellement se heurter à des obstacles tirés des conditions ou prohibitions posées par le droit français. C'est le cas lorsque l'union dont la célébration est sollicitée est polygamique : même autorisée par la loi nationale de tous les époux impliqués dans la potentielle relation matrimoniale, le mariage polygamique ne saurait jamais être célébré en France par les autorités françaises (qui sont exclusivement compétentes), car la monogamie est une valeur fondamentale en France (pour plus détails sur le traitement des mariages polygamiques par le droit français, v. rubrique Débat). Le fondement juridique d’une telle prohibition peut être discuté. Faut-il y voir une conséquence de l'exception d'ordre public international français qui jouerait ici — s'agissant de constituer une situation dans l'ordre juridique français — son effet plein (en ce sens, P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 574) ? Ne faut-il pas plutôt y voir une conséquence de la compétence exclusive des autorités publiques françaises qui, tenues par les termes de la lex auctoris, ne seraient pas habilitées à célébrer une union, même conforme aux lois nationales des époux, qui divergerait trop profondément des valeurs fondamentales françaises (en ce sens, D. Bureau, H. Muir Watt, op. cit., no 725 pour le mariage polygamique) ? En d'autres termes, la loi française ne donnerait aux officiers d'état civil français le pouvoir de célébrer des unions que conformes à certaines exigences essentielles (monogamie). Dans un cas (exception d'ordre public international), c'est le contenu même de la loi étrangère qui justifie son éviction ; dans l'autre (lex auctoris), ce sont les pouvoirs dévolus par la loi française aux officiers d'état civil qui viennent limiter la possibilité de célébrer certains mariages validés par la loi applicable au fond.
682
Quoi qu’il en soit du fondement de la prohibition de la célébration d’une union polygamique, il n’en est pas moins certain que l'exception d'ordre public international pourra jouer, pour évincer une loi nationale excessivement prohibitive (loi étrangère interdisant le mariage entre personnes de religions différentes) ou au contraire excessivement libérale (loi étrangère autorisant le mariage des enfants avec leurs parents). Encore faut-il veiller à mettre en œuvre le principe de l’actualité de l’ordre public international, dans un domaine où le contenu de cet ordre public est particulièrement volatil. On en prendra pour illustration le mariage entre personnes de même sexe : longtemps considéré comme contraire à l’ordre public international
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Droit international privé
2. Le mariage célébré à l'étranger
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français, il y est devenu parfaitement conforme en conséquence de sa consécration par la loi du 17 mai 2013. Mais le législateur français est allé plus loin en adoptant une règle spécifique au mariage entre personnes de même sexe, règle que l’on pourrait qualifier de « militante ». L’application de la règle générale qui veut que les conditions communes soient régies par une application cumulative des lois personnelles des deux époux devrait avoir la conséquence suivante : dès lors que la loi nationale de l’un des époux interdit le mariage entre personnes de même sexe, cette union devrait être illégale. L’article 202-1 al. 2 du Code civil neutralise l’application cumulative des lois personnelles dans ce cas. Il suffit que la loi personnelle (nationale) de l’un des époux valide l’union pour que celle-ci soit valable ; bien plus, il suffit que la loi du domicile ou de la résidence d’un des époux valide l’union pour que celle-ci soit valable. Ainsi, deux personnes de même sexe, dont les deux lois nationales prohibent l’union entre personnes de même sexe, peuvent se marier en France si l’une d’entre elles y est domiciliée ou y réside. La force de cette règle est très puissante. La France a signé un certain nombre de conventions bilatérales avec des pays dont la loi prohibe le mariage entre personnes de même sexe. Que faut-il faire lorsqu’une telle convention prévoit l’application de la loi personnelle des époux ? La hiérarchie des normes devrait conduire à faire prévaloir la convention, et donc l’application cumulative prohibante des deux lois personnelles, sur l’article 202-1 al. 2 du Code civil. Sans remettre formellement en cause cette hiérarchie des normes, la Cour de cassation a toutefois décidé, à propos d’un mariage franco-marocain, que la loi marocaine de l’un des époux, prohibant le mariage entre personnes de même sexe, devait être écartée sur le fondement de l’ordre public international, réservé par la convention (Civ. 1re, 28 janvier 2015, no 13-50059 ; v. ss 261, les réf. citées et l’analyse sous l’angle de l’ordre public international). Le droit absolu ainsi reconnu aux couples de même sexe ayant un rattachement avec la France de se marier est encore renforcé par une règle à caractère pratique, posée par l’article 171-9 du Code civil : lorsque les époux résident ou sont domiciliés à l’étranger, ils peuvent, si l’un d’entre eux au moins est français et que leur pays de résidence n’autorise pas leur mariage, se marier en France dans la commune de naissance ou de dernière résidence de l’un des époux ou dans la commune de résidence de l’un de leurs parents, voire, si aucune de ces circonstances n’est remplie, dans la commune de leur choix. Un visa doit obligatoirement être délivré à l’époux non français pour rendre cette cérémonie possible (CE, 9 juillet 2014, n o 382145, D. 2015. 450, obs. F. Jault-Seseke). Il importe toutefois de garder à l’esprit qu’un mariage ainsi célébré en France ne sera pas nécessairement reconnu dans le pays de résidence du couple, fût-il un État partie à la Conv. EDH, puisque la CEDH a récemment jugé que l’article 8 de la convention n’impose pas de reconnaître les mariages entre personnes de même sexe célébrés à l’étranger (CEDH 14 déc. 2017, n o 26431/12, Orlandi et a. c/ Italie, D. 2018. 980, obs. F. Jault-Seseke).
Un mariage célébré à l’étranger peut être invoqué en France pour de multiples raisons. Il peut l’être à l’appui de la revendication d’un droit (par ex. un droit à pension), devant les autorités administratives (sécurité sociale) ou devant les autorités judiciaires (contribution aux charges du mariage). Il peut l’être aussi parce que son existence ou sa validité est contestée en France (action en nullité d’un mariage célébré à l’étranger ou invocation incidente de la nullité du mariage). Lorsque la question se pose devant un juge français, sa compétence est généralement déterminée selon les règles propres aux circonstances ayant conduit à soulever la question de
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La famille
α. Validité formelle
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validité du mariage étranger ; ainsi le juge compétent pour connaître d’un recours contre la décision d’une autorité publique ayant refusé un droit est celui dans le ressort duquel l’autorité publique opère ; celui compétent pour une demande de nullité est le juge compétent en matière de dissolution du mariage (v. ss 709). Quelle qu’elle soit, l’autorité appelée à se prononcer sur la validité d’un mariage célébré à l’étranger devrait classiquement répondre à cette question en mettant en œuvre la méthode conflictuelle, c’est‑à-dire en interrogeant la loi applicable selon le DIP français. Il faut toutefois se demander dans quelle mesure cette approche peut ou doit être infléchie par la méthode de la reconnaissance des situations. On distinguera là encore, puisque les règles diffèrent, la validité formelle de la validité substantielle du mariage.
En la forme, le mariage célébré à l'étranger doit répondre aux exigences de la lex loci celebrationis. La règle est expressément posée par l'article 171-1 du Code civil pour le mariage des Français à l'étranger : « le mariage contracté en pays étranger entre Français, ou entre un Français et un étranger, est valable s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays de célébration ». A fortiori joue-t‑elle lorsque le mariage considéré est celui de deux étrangers. L'article 171-1 du Code civil réserve tout au plus, dans ses alinéas 2 et 3, la possibilité d'une célébration du mariage à l'étranger par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises, possibilité qui est absolue lorsque le mariage unit deux Français, mais conditionnée à l'existence d'un décret l'autorisant lorsque le mariage unit un Français et un étranger. Deux exceptions à l’application de la lex loci celebrationis doivent en outre être signalées.
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La première renvoie à l'hypothèse où le mariage célébré à l'étranger n'aurait pas respecté les formes prescrites par la loi locale, mais serait néanmoins reconnu comme valable par l'ordre juridique du lieu de célébration. La question a été posée dans l'affaire Zagha c/ Moatti : le mariage religieux de deux Syriens en Italie, célébré conformément aux formes prescrites par leur loi nationale mais en violation du droit italien qui exige un mariage civil, est-il nul ? La Cour de cassation (Civ. 1 re, 15 juin 1982, Rev. crit. DIP 1983. 300, note J.-M. Bischoff ; JDI 1983. 585, note P.-J. Lehmann) répond par la négative : puisque l'ordre juridique italien reconnaît la validité des unions célébrées en Italie selon les formes prescrites par la loi personnelle des époux, le mariage doit être tenu pour valable. C'est un renvoi au second degré : le droit international privé français prescrit l'application de la loi italienne du lieu de célébration, laquelle donne compétence à la loi personnelle des époux, laquelle valide l'union. On constatera que la solution à laquelle conduit ici le renvoi est équivalente à celle qui résulterait d’une mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations. On s’autorisera donc à considérer que le droit français tend à « reconnaître » la validité en la forme d’un mariage célébré à l’étranger, dès lors que cette validité formelle est reconnue par l’État où le mariage a été célébré.
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La seconde exception concerne le mariage des Français à l'étranger ; il s’agit moins d’ailleurs d’une exception à l’application de la lex loci celebrationis, qui s’applique, que d’obligations complémentaires mises à la charge des ressortissants français se mariant à l’étranger par le biais de règles matérielles. L'article 171-2 du Code civil prévoit ainsi que le mariage d'un Français, même célébré par une autorité étrangère, doit respecter les prescriptions de l'article 63 qui imposent la publication préalable
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β. Validité sur le fond
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(celle-ci sera, pour le mariage à l'étranger, opérée auprès des autorités diplomatiques ou consulaires françaises compétentes). Il prévoit encore l'obligation pour les époux de solliciter, avant la célébration de ce mariage, la délivrance d'un certificat de capacité à mariage (par les mêmes autorités françaises). Si l'absence de délivrance de certificat de capacité à mariageQ ne peut être opposée aux autorités étrangères, qui restent libres de célébrer l'union, elle est en revanche sanctionnée en France : les époux ne peuvent en effet réclamer la transcription en France du mariage célébré à l'étranger, destinée à le rendre opposable aux tiers, qu'à la condition de se soumettre aux formalités qu'ils ont éludées en ne demandant pas la délivrance d'un certificat de capacité de mariage. À cette occasion, l'officier d'état civil pourra informer le procureur de la République des mariages jugés douteux, et celui-ci pourra exercer, le cas échéant, une action en nullité du mariage. Les exigences de publicité préalable et de certificat de capacité à mariage ont toutes deux le même objectif : permettre aux autorités françaises de lutter contre les mariages de complaisance, même célébrés à l'étranger, en mettant les autorités françaises en mesure de s'assurer de la réalité de l'intention matrimoniale.
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Sur le fond, la validité d’un mariage célébré à l'étranger ne devrait être admise en France, en application de la méthode conflictuelle, que si les conditions de fond posées par la ou les lois nationales des époux, appliquées distributivement ou cumulativement en fonction de la condition considérée, ont été respectées. La règle s'évince de la bilatéralisation tout à la fois de l'article 3, alinéa 3 du Code civil et de l'article 171-1 du même Code (qui précise que le mariage des Français à l'étranger est valable si les conditions de fond posées par la loi française ont été respectées). Cette règle de conflit doit aujourd'hui être complétée d’une règle matérielle ; en effet la règle selon laquelle « quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux au sens des articles 146 et du premier alinéa de l’article 180 » du Code civil, semble avoir été édictée sans considération du lieu de célébration du mariage. La doctrine tend donc à considérer, souvent de façon critique, qu’elle s’applique aux mariages célébrés à l’étranger. On peut toutefois penser qu’un mariage célébré à l’étranger sans le consentement ou l’intention matrimoniale d’un époux tombait déjà sous le coup de la contrariété à l’ordre public international.
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Car l'éventuelle contrariété à l'ordre public international français de la loi étrangère applicable peut être naturellement être invoquée. Mais, parce que la situation s'est constituée à l'étranger, l'ordre public n'intervient en principe que dans son effet atténué. C'est ainsi que la jurisprudence française admet traditionnellement la validité de mariages polygamiques contractés à l'étranger, dès lors tout au moins que la loi nationale des époux (dont il est fait une application cumulative en cas de différence de nationalités) valide ce type d'unions (pour une analyse plus approfondie de la validité du mariage polygamique, v. rubrique Débat). C'est la solution retenue et précisée par les arrêts Chemouni (Civ. 1 re, 28 janv. 1958, v. rubrique Documents) et Bendeddouche (Civ. 1re, 3 janv. 1980, GADIP, no 61 ; Rev. crit. DIP 1980. 331, note H. Batiffol ; JDI 1980. 327, note M. Simon-Depitre ; déjà vu, v. ss 89 et v. ss 276).
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La famille
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L’application du droit français devra sans doute être repensée à l’aune de cette évolution. À l’heure actuelle, la reconnaissance d’un mariage célébré à l’étranger impliquant au moins un national français, sans contrôle de sa validité au regard de la loi désignée par la règle de conflit, semble difficilement envisageable. La rédaction de l’article 171-1 du Code civil est claire : le mariage contracté à l’étranger entre Français, ou entre un Français et un étranger, n’est valable que si le ou les Français ont respecté les règles de fond de la loi française. Mais s’il était considéré que le refus
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Quoique cette question ne remette pas nécessairement en cause l'application de l'ordre public international français, qui devrait rester opposable, il faut se demander si le raisonnement en termes de conflit de lois est bien la méthode pertinente. Le plus souvent, le mariage suppose l'intervention d'une autorité publique (certains droits, par exemple de common law, acceptent, exceptionnellement, des mariages sans célébration, lesquels seront nécessairement soumis au conflit de lois en vue de leur éventuelle validation). Or l'intervention de cette autorité publique constitue la concrétisation du point de vue normatif de l'État de célébration, sur laquelle les parties ont pu fonder de légitimes prévisions (quant à la validité de leur union). Le droit positif ne s'est pas montré insensible à la nécessité de respecter les prévisions légitimes des parties en la matière ; il a notamment, on l'a vu, mis en œuvre le renvoi au second degré pour valider, en France, une union formellement valable du point de vue de l'État du lieu de célébration alors que cette union était nulle selon la loi désignée par la règle de conflit française. Aujourd'hui, la méthode de la reconnaissance des situations pourrait être utilisée pour justifier que le mariage jugé valable (en la forme et sur le fond) par l'État du lieu de célébration soit reconnu en France, tout au moins si l'État du lieu de célébration avait un titre légitime à agir (nationalité ou résidence des époux) et si l'union n'est pas contraire à l'ordre public international. Cette méthode a été utilisée par la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, qui impose aux États contractants de reconnaître les mariages célébrés dans les autres États contractants sans pouvoir opposer leurs propres règles de conflit de lois. Cette convention (entrée en vigueur mais que la France n'a pas ratifiée) est toutefois jugée excessivement laxiste par certains auteurs, car elle n'exige aucun lien entre les époux et l'État du lieu de célébration du mariage. Les époux pourraient donc choisir l'État de leur convenance, et déterminer ainsi indirectement la loi applicable, sur le fond et en la forme, à la validité de leur mariage, dans une matière qui échappe pourtant traditionnellement au jeu de l'autonomie de la volonté. La CEDH s’est pour sa part implicitement prononcée sur l’obligation de reconnaissance du mariage célébré à l’étranger, à propos des mariages entre personnes de même sexe (CEDH 14 déc. 2017, Orlandi, no 26431/12, D. 2018. 446, note H. Fulchiron, 980, obs. F. Jault-Seseke). Tout en admettant que l’Italie puisse, en raison de la marge de manœuvre dont elle dispose en la matière, refuser de reconnaître le mariage célébré à l’étranger entre deux personnes de même sexe dont une de nationalité italienne, compte-tenu de l’intérêt pour l’État de ne pas laisser ses nationaux contourner sa loi prohibant ce type de mariage, la Cour condamne néanmoins l’Italie pour ne pas prévoir au moins une forme (autre que le mariage) de reconnaissance des unions entre personnes de même sexe. Cette décision laisse à penser que la Conv. EDH impose une reconnaissance des mariages, tout en laissant aux États une latitude — étroitement contrôlée — pour refuser cette reconnaissance pour des motifs tirés de la contrariété à l’ordre public ou à la fraude.
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de reconnaissance d’un mariage contracté par des Français à l’étranger viole leurs droits fondamentaux, notamment leur droit au respect de la vie familiale consacrée par la Conv. EDH, la loi française devrait nécessairement s’effacer.
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Les effets du mariage
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b.
Lorsque la validité du mariage est acquise, ce mariage produit des effets définis par la loi. Il convient donc, lorsque le mariage est « international », de rechercher quelle loi doit être appelée à définir ses effets. Plus rarement, il peut arriver qu'un mariage dont la nullité a pourtant été reconnue produise certains effets : c'est ce que le droit français nomme la putativité. Là encore, la loi qui définit ces effets doit être identifiée ; on distinguera donc d'une façon qui n'est qu'apparemment paradoxale les effets du mariage valable des effets du mariage nul. 1. Les effets du mariage valable
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La règle de conflit désignant la loi applicable aux effets du mariage a été empruntée à la jurisprudence Rivière-Tarwid, du nom de deux arrêts (respectivement Civ. 17 avr. 1953 ; 15 mai 1961, v. rubrique Documents) initialement rendus pour identifier la loi applicable au divorce. Le principe posé par ces arrêts est aujourd'hui encore applicable à la détermination de la loi des effets du mariage, alors qu'il ne l'est plus pour définir la loi du divorce depuis que le législateur a, par l'adoption de l'article 310 (auj., C. civ., art. 309) du Code civil, posé une nouvelle règle de conflit en la matière. La règle de conflit issue de la jurisprudence Rivière-Tarwid repose sur un rattachement de principe, auquel viennent s'ajouter deux rattachements subsidiaires. Assez naturellement dans un domaine concernant l'état des personnes, le rattachement de principe est la nationalité, et même plus précisément, puisque le mariage est un lien qui unit deux époux, la nationalité commune des époux : la loi applicable aux effets du mariage est donc normalement la loi de la nationalité commune des époux, et le changement de nationalité des deux époux emporte, pour l'avenir, application immédiate de la loi de la nouvelle nationalité commune. Mais les époux ne sont pas nécessairement de même nationalité lors du mariage ; ils peuvent même, au cours du mariage, perdre leur nationalité originellement commune lorsque l'un d'entre eux seulement change de nationalité. La jurisprudence Rivière prévoit alors l'application de la loi du domicile commun des époux, tandis que l'arrêt Tarwid a précisé que la notion de « domicile commun » devait s'entendre d'un domicile effectif de chacun des époux, même séparés, dans un même pays. En outre, si les époux n'ont ni nationalité commune, ni domicile commun, l'arrêt Tarwid retient, à titre infiniment subsidiaire, l'application de la loi du for.
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Ainsi définie, la loi des effets du mariage a cependant un domaine d'application très réduit. Elle régit en principe les relations personnelles entre époux (devoir de cohabitation, devoir de fidélité, devoir d'assistance, etc.). La jurisprudence française a toutefois décidé que les droits et devoirs respectifs des époux énoncés aux articles 212 et suivants du Code civil (qui couvrent précisément, s'agissant des rapports purement personnels, le devoir de fidélité, de secours et d'assistance, l'obligation de pourvoir moralement à l'éducation des enfants de même que l'obligation de communauté de vie) sont d'application territoriale. Cette application nécessaire de la loi française aux couples résidant sur le territoire français ampute donc très largement la loi des effets du mariage de son domaine naturel d'application.
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La famille
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L'obligation alimentaire entre époux, incluant la contribution aux charges du mariage, échappe également à la loi des effets du mariage. Longtemps régies par la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires (conflits de lois) et par le règlement Bruxelles I (conflits de juridictions), les obligations alimentaires sont aujourd'hui soumises au règlement CE no 4/2009 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires adoptée le 18 décembre 2008 (JOUE 10 janv. 2009, L7), qui est entré en vigueur le 18 juin 2011, en même temps que le protocole du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires (conçu et adopté par la conférence de La Haye aux fins de remplacer la convention du 2 octobre 1973), auquel le règlement renvoie pour les règles de conflit de lois (il convient de noter que le Royaume-Uni et l'Irlande sont liés par le règlement, tandis que le Danemark n'est lié que par certaines de ses dispositions ; Royaume-Uni et Danemark ont exclu l'application du protocole, que l'Irlande a acceptée). Dans les relations entre époux, le protocole prévoit tout d'abord la possibilité pour les intéressés de choisir une loi applicable, parmi les différentes lois présentant des liens avec le couple et définies par l'article 8 du protocole (loi nationale de l'un des époux, loi de la résidence habituelle de l'un des époux, loi applicable aux relations patrimoniales du couple, loi du divorce le cas échéant). En l'absence de choix, la compétence de principe est dévolue à la loi de l'État de résidence habituelle du créancier d'aliments. Mais l'article 5 du protocole pose une règle spéciale propre aux époux : la loi ainsi désignée ne s'applique pas lorsque l'une des parties s'y oppose et qu'une autre loi, en particulier celle de la dernière résidence habituelle commune, présente un lien plus étroit avec le mariage. Ce système dont la formulation est quelque peu obscure introduit finalement une option dont la particularité est qu'elle ne bénéficie pas au seul créancier d'aliments, mais aussi au débiteur. En effet, c'est l'opposition de toute partie — créancier ou débiteur d'aliments — à l'application de la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliments qui déclenche l'application de la loi présentant des liens plus étroits avec le mariage. Dans les relations entre époux, il n'y a donc pas de principe de faveur au profit du créancier d'aliments dans la détermination de la loi applicable. La juridiction compétente peut faire l'objet d'une élection par les parties, sous réserve que la juridiction choisie entretienne certains liens avec le couple (art. 4 : juridictions de la résidence habituelle ou de la nationalité de l'une des parties, juridictions compétentes pour connaître des différents du couple en matière matrimoniale ou de la dernière résidence habituelle du couple pendant au moins un an) ; à défaut, les juridictions compétentes sont au choix du demandeur celles de la résidence habituelle du défendeur, du créancier d'aliments, ou de l'action principale relative à l'état des personnes lorsque l'action alimentaire en est l'accessoire (art. 3). La loi des effets du mariage est encore écartée du règlement de l'essentiel des relations patrimoniales entre époux, qui relèvent principalement d'autres catégories (obligations alimentaires, v. supra ; régimes matrimoniaux, successions ; v. ss 792 s.). Ce sont donc surtout les donations entre époux qui constituent le domaine privilégié de la loi des effets du mariage. En effet, la jurisprudence Campbell-Johnston (Civ. 1 re, 15 févr. 1966, v. rubrique Documents), qui soumet les donations mobilières entre époux à la loi des effets du mariage, n'a à ce jour jamais été remise en cause, et a même été étendue aux donations immobilières entre époux.
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Droit international privé
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Enfin, la loi des effets du mariage ne régit plus, de longue date, la filiation ; sur ce point, son application résiduelle à la transmission du nom aux enfants légitimes est, on l'a vu, vacillante (v. ss 536 s.). En définitive, le domaine privilégié d'application de la loi des effets du mariage semble devoir être aujourd'hui réduit aux rapports personnels entre époux ne résidant pas en France, aux donations entre époux, et aux autres effets personnels du mariage (nom, capacité). La consécration du mariage entre personnes de même sexe soulève d’importantes interrogations puisque le législateur n’a pas réglé la question de la loi applicable aux effets d’un tel mariage. Or il est parfaitement envisageable que la loi des effets du mariage, définie selon les règles de conflit qui viennent d’être exposées, ne reconnaisse pas le mariage entre personnes de même sexe. Sera-t‑il possible de l’appliquer néanmoins pour définir les effets d’un tel mariage ? Et à défaut, quelle loi faudra-t‑il appliquer ? La même question se pose s’agissant des obligations alimentaires, puisque les instruments conventionnels et européens applicables ont été conçus en considération du mariage traditionnel. Leur application sera-t‑elle étendue aux relations entre époux de même sexe ? Toutes ces questions restent à trancher. 2. Les effets du mariage nul (la putativité)
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Le droit substantiel français prévoit qu'un mariage nul (et donc rétroactivement privé d'effets) peut néanmoins, sous certaines conditions, produire ses effets ou du moins certains d'entre eux ; le mariage peut ainsi être putatif au bénéfice des époux qui ont ignoré la cause de nullité (C. civ., art. 201), avec pour principal effet que la nullité joue sans rétroactivité, et est en toute hypothèse sans emport à l'égard des enfants du couple (C. civ., art. 202). Lorsque la situation est internationale, quelle loi convient-il d'interroger pour déterminer si le mariage peut, en dépit de sa nullité, produire certains effets ?
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La jurisprudence française a retenu qu'il revient à la loi qui régit la nullité — c'est‑àdire la loi de la condition violée — de déterminer si le mariage nul peut néanmoins produire des effets, puisque la putativité est un tempérament à la nullité (Civ. 6 mars 1956, Veuve Moreau, Rev. crit. DIP 1956. 305, note Ph. Francescakis ; D. 1958. 709, note H. Batiffol). Ainsi, si la nullité est due à la violation par les époux d'un empêchement à mariage, fondé sur leur lien de parenté et posé par leur loi nationale commune, la loi de leur nationalité commune déterminera s'ils peuvent bénéficier de la putativité du mariage. On admettra toutefois, avec une partie de la doctrine, que la loi des effets du mariage aurait un titre à régir cette question, le tempérament étant « lié à la nature particulière du mariage » plus qu'à la cause de nullité (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., n o 592). En toute hypothèse, une fois admis le principe de la putativité en application de la loi de la condition violée, seule la loi qui régit l'effet maintenu peut en définir les contours.
2. Les partenariats enregistrés 698
De nombreuses législations ont, au cours des dix dernières années, consacré des formes d'unions civiles différentes du mariage, donnant lieu à enregistrement par les autorités publiques. Ces unions, particulièrement hétérogènes d'un pays à un autre, sont regroupées sous l'appellation commune de « partenariats enregistrés ». Leur hétérogénéité rend délicat le traitement de ces partenariats par le droit international
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La famille
a.
Le PACS français
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privé. Un point semble toutefois acquis, en dépit de rares opinions en sens contraire : les partenariats enregistrés ne peuvent intégrer la catégorie « mariage », pas plus qu'ils ne constituent un « contrat » au sens des catégories du droit international privé ; leur appréhension ne peut se faire qu'en créant une catégorie autonome qui leur soit réservée. Une autre difficulté, de méthode, se traduit par l'hésitation que suscitent les partenariats entre mise en œuvre de la méthode du conflit de lois, et mise en œuvre de la méthode du conflit d'autorités, voire de la méthode de la reconnaissance des situations. Le législateur français a manifestement tranché, puisque de façon tout à fait inattendue la loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et clarification du droit et d'allégement des procédures a introduit dans le Code civil un article 515-7-1 qui dispose : « les conditions de formation et les effets d'un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l'État de l'autorité qui a procédé à son enregistrement ». Si ce texte tranche en faveur de la méthode conflictuelle, il suscite des interrogations sur le bienfondé de la solution adoptée, et laisse subsister des incertitudes sur sa portée. C'est pour rendre compte de ces hésitations que l'on confrontera le droit positif issu du texte de loi aux préconisations antérieurement formulées par la doctrine, en distinguant le régime en droit international privé du PACS français de celui des partenariats étrangers. (Sur les effets patrimoniaux de ces partenariats, et not. le Règlement (UE) no 2016/1104 du 24 juin 2016, v. ss 811 s.).
Le pacte civil de solidarité (PACS) prévu par le droit français ne peut être souscrit qu'en France, par enregistrement de la déclaration conjointe des partenaires au greffe du tribunal d'instance de leur résidence commune (le PACS français ne peut être reçu à l'étranger que par les autorités consulaires françaises). Il s'agit en effet d'un acte public (v. rubrique Débat du chapitre 7 : le conflit d'autorités), reçu par des autorités publiques en application de la lex auctoris : les autorités françaises compétentes pour recevoir la déclaration des partenaires officient nécessairement, selon les règles du conflit d'autorités, en application de la loi française. C'est ce que confirme, sous forme de règle de conflit bilatérale, le nouvel article 515-7-1 du Code civil. Corrélativement, les autorités étrangères ne sauraient enregistrer valablement un PACS français, puisque le partenariat enregistré par une autorité étrangère ne l'est valablement qu'en application des dispositions matérielles de la loi de cette autorité, qui ne peut par hypothèse être la loi française. L’article 515-7-1 soumettant les effets du partenariat à la même loi que sa constitution, les effets personnels d’un PACS français seront définis par la loi française. Encore convient-il ici de bien circonscrire le domaine d’application de cette loi, car certains effets personnels y échapperont pour être soumis à leur loi propre ; c’est le cas, notamment, des obligations alimentaires entre partenaires, qui sont régies par le règlement Obligations alimentaires (v. ss 783 s.).
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Envisagé sous l'angle du droit international privé, le PACS français pose une question spécifique : peut-il être contracté en France par des étrangers, ou par un Français et un étranger ? Puisque les autorités françaises, seules habilités à enregistrer un PACS français, ne peuvent procéder à cet enregistrement que conformément aux exigences de la loi française, la question est ici de savoir si des étrangers peuvent prétendre se soumettre à la loi française sur ce point. Et dans l'affirmative, faut-il considérer que tout étranger peut souscrire un PACS français simplement parce qu'il
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Droit international privé
l'a choisi, ou faut-il exiger un rattachement objectif avec la France — on songe ici en particulier à la résidence sur le territoire français ? Avant que ne soit adopté l'article 515-7-1 du Code civil, la doctrine française se montrait attachée à la condition que les partenaires admissibles au PACS présentent un lien objectif avec la France, le critère de rattachement devant être pour certains la nationalité des parties, pour d'autres leur domicile ou résidence habituelle.
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L'article 515-7-1 du Code civil coupe court à cette discussion doctrinale. Le texte n'exige en effet aucun lien objectif entre le for d'enregistrement et les partenaires. Cette solution particulièrement libérale implique que deux étrangers résidant à l'étranger pourraient parfaitement souscrire un PACS français, sous réserve de le faire auprès des autorités françaises. Ce partenariat serait alors susceptible de produire ses effets personnels, régis par la loi française, en France comme à l'étranger, au moins dans les États acceptant de le reconnaître et de lui faire produire les effets prévus par le droit français. En ce sens, il est permis de considérer que la règle de conflit française instaure au moins indirectement une liberté de choix de la loi applicable au profit des partenaires qui pourront, en sélectionnant le lieu d'enregistrement de leur partenariat (en droit français le lieu où ils décident de fixer leur résidence commune), opter pour la législation de leur choix.
b.
Les partenariats étrangers
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On a admis que les autorités françaises, tenues par la lex auctoris, ne peuvent enregistrer que le partenariat de droit français. Aucun partenariat étranger ne pouvant être valablement enregistré par les autorités françaises, la seule question est donc de déterminer si la validité et les effets d'un tel partenariat, d'ores et déjà souscrit à l'étranger, peuvent être reconnus en France.
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La doctrine a souligné que l'appréciation de la validité du partenariat souscrit à l'étranger pose une question de méthode. Plus qu'à la méthode du conflit de lois, les partenariats enregistrés renvoient à la méthode de la reconnaissance des situations (v. ss 217 s.), car au-delà du problème de la loi applicable se pose en réalité un problème d'autorité compétente : la difficulté n'est-elle pas en effet, partant du principe que la loi applicable est la lex auctoris — loi de l'autorité enregistrante — de vérifier que les parties ont régulièrement choisi l'autorité auprès de laquelle elles ont déposé leur demande d'enregistrement, notamment parce qu'elles ont choisi une autorité présentant suffisamment de liens avec leur situation ? L'enregistrement d'un partenariat par les autorités publiques d'un État constitue assurément la concrétisation d'un point de vue normatif de cet État. Dès lors, ce point de vue devrait être reconnu en France, indépendamment de tout contrôle de la loi appliquée, aux seules conditions que l'autorité enregistrante ait eu un titre suffisant à agir (par exemple, si cette autorité est celle du pays de nationalité ou de résidence commune des parties) et que les droits nés de ce partenariat soient conformes à l'ordre public international français. C'est cette méthode de la reconnaissance des situations que retient, en tout cas, la convention de la Commission internationale de l'état civil (v. ss 223) sur la reconnaissance des partenariats : le partenariat enregistré dans un État contractant doit par principe être reconnu dans les autres États contractants, mais ces derniers peuvent refuser la reconnaissance si au moment de l'enregistrement, aucun des deux partenaires ne se rattachait à l'État
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La famille
d'enregistrement par la nationalité ou la résidence habituelle. Cette convention n'est toutefois pas encore entrée en vigueur.
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Une fois reconnue la validité d'un partenariat étranger, il faut encore définir ses effets. La question est ici de savoir si l'on peut, comme on le fait en matière de mariage, dissocier le traitement de la validité du partenariat de celui de ses effets, en soumettant ces deux aspects à des lois différentes. Les auteurs y sont peu favorables. L'équivalence que présentent les mariages institutionnalisés par les divers droits étatiques autorise à en traiter les effets indépendamment de la loi qui les valide. Les partenariats, en revanche, se caractérisent par leur hétérogénéité. Selon les pays, ils poursuivent des objectifs très variés et/ou concernent des personnes différentes. Il n'est donc pas judicieux de dissocier validité et effets du partenariat. Comment, en effet, appliquer aux effets du partenariat de droit anglais, conclu entre un Français et un Anglais résidant en Arabie Saoudite, la loi saoudienne du domicile alors que cette loi ne connaît pas l'institution du partenariat ? Tout au plus pourrait-on appliquer la loi du domicile ou de la résidence commune aux effets d'un partenariat étranger lorsqu'il existe, dans l'État du domicile commun, un partenariat équivalent à celui valablement enregistré à l'étranger. Le plus simple est toutefois d'attacher au partenariat les effets prévus par la loi en application de laquelle ce partenariat a été contracté, sous réserve de conformité à l'ordre public international. Telle est précisément la solution adoptée par l'article 515-7-1 du Code civil, selon lequel les conditions de formation et les effets du partenariat sont régis par la même loi, celle de l'autorité enregistrante. Une fois reconnu en France, un partenariat étranger y produira les effets prévus par la loi sous l'empire de laquelle il a été constitué, sous
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Entre ces deux méthodes, on l'a dit, le législateur français a tranché en faveur de la méthode conflictuelle. Cette solution résulte suffisamment de la formulation, par l'article 515-7-1 du Code civil, d'une règle de conflit bilatérale, mais aussi de ce que ce texte vise les « dispositions matérielles » de la loi de l'autorité enregistrante. Ni le renvoi, ni aucune autre forme de prise en considération des règles de conflit du droit étranger ne sont permis. Il ne suffit donc pas que le juge français s'assure que, du point de vue de l'État où le partenariat a été enregistré, celui-ci est valable fût-ce par référence à une autre loi ; il faut qu'il vérifie que les conditions prévues par les dispositions matérielles de la loi de l'État d'enregistrement ont bien été respectées. L'attitude plus libérale d'un État étranger, qui accepterait — il est vrai de façon peu compatible avec les règles qui régissent le conflit d'autorités — d'enregistrer un partenariat constitué conformément à la loi d'un État tiers, ne pourrait être prorogée en France par la reconnaissance de ce partenariat. Étonnamment strict sur ce point, le droit français est par ailleurs fort libéral sous un autre aspect. Aucune exigence n'est en effet posée d'un lien quelconque entre l'État dans lequel le partenariat est enregistré, et les partenaires. Aucun titre de compétence spécifique n'est ainsi reconnu à la loi nationale des partenaires, pas plus qu'à la loi de leur résidence habituelle. C'est donc bien la solution libérale, selon laquelle les partenaires peuvent choisir librement l'autorité auprès de laquelle ils souhaitent enregistrer leur partenariat, et donc la loi régissant la constitution de celui-ci, qui prévaut dorénavant en droit positif. Encore faut-il, à l'évidence, que la loi de l'autorité enregistrante ne pose elle-même aucune condition relative à la nationalité des partenaires ou à leur résidence, puisque ces conditions devraient alors être respectées comme relevant des dispositions matérielles de la loi applicable.
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Droit international privé
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réserve du respect de l'ordre public international français ; le partenariat étranger pourrait donc produire en France plus d'effets que le PACS français. Encore faut-il nuancer cette affirmation. Les auteurs de la nouvelle disposition ont précisé que l'application de principe de la loi de l'autorité enregistrante aux effets du partenariat étranger opère sans préjudice des règles spéciales applicables à certaines matières. Ainsi les effets patrimoniaux du partenariat, mais aussi certains effets personnels tels la filiation ou les obligations alimentaires, sont-ils soumis à la loi désignée par les règles de conflit propres à ces catégories ; des difficultés d'adaptation pourront alors surgir, si la loi régissant ces catégories n'envisage pas le statut du partenaire.
B. La dissolution du couple 707
La désunion du couple marié (1) retient principalement l'attention, car son organisation relève d'un dispositif juridique très complet. La désunion du couple non marié (2) est en revanche moins réglementée.
1. La désunion du couple marié 708
En France, divorce et séparation de corps sont les modes traditionnels de dissolution du couple marié, l’annulation du mariage jouant un rôle plus marginal. Le droit international privé français organise le régime de la désunion devant le juge français (a), mais il appréhende également les effets que peut produire en France une désunion prononcée à l'étranger (c). À cet égard, l'hétérogénéité par rapport aux conceptions du for de certains modes de désunion autorisés à l'étranger, telles les répudiations, est de nature à générer des difficultés. À ces questions traditionnelles, il faut désormais ajouter les interrogations portant sur le régime international des divorces conventionnels, introduits en droit français par la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle du 18 novembre 2016, sans que les aspects internationaux de ces divorces privés ne soient envisagés (b).
a. 709
La désunion devant le juge français
Requis de prononcer un divorce, une séparation de corps, ou une annulation de mariage, le juge français doit s'interroger sur sa compétence internationale (1), d'une part, et sur la loi applicable aux causes de la dissolution (2), d'autre part. La compétence du juge et la loi applicable pour déterminer les effets de la dissolution doivent être envisagées séparément (3). 1. Compétence internationale du juge français pour prononcer le divorce
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Jusqu’à l’adoption de la loi Justice du XXI e siècle, les autorités judiciaires disposaient en France d'un monopole pour dissoudre les mariages. Même s’il est désormais possible aux époux d’opter pour un divorce conventionnel, certains divorces internationaux resteront soumis aux autorités judiciaires françaises. Mais pour qu'elles puissent connaître d'une demande de divorce, ces juridictions doivent être internationalement compétentes. Traditionnellement, la compétence internationale des juridictions françaises pour le prononcé du divorce était réglée par l'internationalisation de l'article 1070 du Code de procédure civile. Ce texte met en place un système de compétence hiérarchisé, d'où il résulte que le juge français est internationalement compétent pour connaître des divorces si la résidence de la famille est fixée en France ; à défaut, lorsque les époux résident séparément, le juge français est compétent si l'époux exerçant seul l'autorité parentale ou avec lequel résident
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habituellement les enfants mineurs en cas d'autorité parentale conjointe réside en France ; enfin, dans les autres cas, le juge français est compétent lorsque l'époux qui n'a pas pris l'initiative de la procédure réside en France. En l'absence de réalisation de l'un de ces chefs de compétence, il est également admis que la compétence internationale du juge français peut être fondée sur les articles 14 et 15 du Code civil, c'est‑à-dire sur la nationalité française du demandeur ou du défendeur. Ces textes — article 1070 du Code de procédure civile et 14 et 15 du Code civil — sont toujours en vigueur et potentiellement applicables. Mais leur domaine d'application a été considérablement restreint par les entrées en vigueur successives des règlements Bruxelles II du 29 mai 2000 et Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 (lui-même en cours de révision), respectivement les 1 er mars 2001 et 1er mars 2005. Ces règlements définissent les règles de compétence internationale des juges pour connaître des actions en divorce, en séparation de corps, et en annulation du mariage. On évoquera pour la suite les seules actions en divorce, mais les règles applicables aux deux autres types d’actions sont identiques ; en outre, seules les dispositions du règlement Bruxelles II bis, qui a abrogé et remplacé le règlement Bruxelles II, seront ici envisagées. La restriction apportée par le règlement européen au domaine d'application des règles de compétence internationale de droit commun en matière matrimoniale est très importante. Saisies d'un litige quelconque entrant dans le champ d'application matériel du règlement — divorce, séparation de corps ou annulation du mariage —, les juridictions françaises sont tenues d'appliquer le règlement Bruxelles II bis. Le droit commun français de la compétence ne peut s’appliquer, aux termes des articles 6 et 7 du règlement, que si trois conditions sont remplies : 1) le juge français n’est pas compétent en application du règlement ; 2) aucun autre juge européen n’est compétent selon le règlement ; 3) le défendeur ne réside pas dans un État membre ou n’est pas ressortissant d’un État membre. Les chances que ces trois conditions se trouvent remplies sont minces, car le règlement consacre de nombreux fors alternatifs, ayant des titres équivalents à connaître de la demande en divorce. En application de l'article 3 du règlement, la compétence peut être indifféremment exercée — selon le choix du demandeur — par les juridictions de l'État membre de résidence habituelle des époux, celles de la dernière résidence habituelle des époux si l'un d'eux y réside encore, celle de la résidence habituelle du défendeur, ou en cas de demande conjointe, celle de la résidence habituelle de l'un ou l'autre époux ; sont encore compétentes les juridictions de l'État membre de la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé au moins une année immédiatement avant l'introduction de la demande, ou s'il y a résidé au moins six mois immédiatement avant l'introduction de la demande lorsqu'il est ressortissant de l'État membre en question. Pour finir, l'article 3, b) du règlement retient également la compétence des juridictions de l'État membre de la nationalité des deux époux. Selon les termes de l'article 6 du règlement, les chefs de compétence ainsi définis revêtent un caractère exclusif à l'égard de l'époux qui a sa résidence sur le territoire d'un État membre, ce qui signifie qu'il ne peut être attrait devant les juridictions d'un autre État membre que celui de sa résidence que sur le seul fondement des chefs de compétence institués par l'article 3. L'utilisation principale du critère de la résidence habituelle impose de définir le sens de cette notion. On sait que la CJUE a tranché en faveur d’une approche factuelle de la notion, entendue
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Droit international privé
comme le lieu traduisant l'intégration des intéressés dans un environnement social et familial (sur le détail de cette jurisprudence, v. ss 377). La grande diversité des chefs de compétence institués par le règlement Bruxelles II bis a été à juste titre critiquée, car elle crée un risque de forum shopping, d'autant plus important que tous les États membres de l'Union européenne n'appliquent pas, en matière de désunion, la même règle de conflit de lois. C'est pourquoi une révision du règlement Bruxelles II bis a été envisagée. La proposition d'origine, dite Rome III (17 juill. 2006, COM [2006] 399 final), prévoyait une modification limitée des règles de compétence internationale posées par le règlement Bruxelles II bis, en même temps que l'adoption d'une règle de conflit de lois unifiée. En matière de compétence, il était question, tout d'abord, d'introduire une possibilité de choix de la juridiction par commun accord des parties dans les procédures de divorce et de séparation de corps : par une « convention attributive de compétence » formulée par écrit et signée au plus tard au moment de la saisine de la juridiction, les époux pourraient ainsi s'accorder sur la juridiction compétente, étant précisé que la juridiction choisie ne pourrait être que celle d'un État avec lequel les époux entretiennent des liens étroits. Le texte de la proposition précise ce qu'il faut entendre par « lien étroit ». Ainsi, un lien étroit existe lorsque : – l'un des critères de l'article 3 s'applique ; – ou, l'État concerné a été le lieu de la dernière résidence habituelle commune des conjoints pendant au moins trois ans ; – ou, l'un des conjoints est ressortissant de l'État membre concerné. Autres modifications notables en matière de compétence, la proposition de règlement Rome III supprimait l'article 6 instituant l'exclusivité des compétences, et modifiait l'article 7, rétrécissant encore le champ d'application du droit international privé des États membres. Le nouvel article 7 disposait que, lorsque les conjoints n'ont ni l'un ni l'autre leur résidence habituelle sur le territoire d'un État membre, et qu'ils ne sont pas ressortissants d'un même État membre (hypothèses où les critères de compétence de l'article 3 ne sont a priori pas applicables), les juridictions d'un État membre peuvent néanmoins être compétentes si les conjoints ont eu leur précédente résidence habituelle commune dans cet État membre pendant au moins trois ans. Le règlement Rome III n’a pu être adopté en l’état, en raison de l’importance des divergences entre États membres à propos de la règle de conflit de lois commune que le texte devait introduire. C’est donc dans le cadre d’une coopération renforcée que le règlement n o 1259/2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation, dit Rome III, a été adopté le 20 décembre 2010. Ce règlement ne pouvait dès lors plus réviser les règles de compétence du règlement Bruxelles II bis. Et ce n’est finalement que le 30 juin 2016 qu’a été publiée la proposition de règlement dite Bruxelles II ter (COM (2016) 411/2), destinée à réviser le règlement Bruxelles II bis. Mais cette proposition opère, en ce qui concerne la compétence du juge de la dissolution du mariage, de simples modifications rédactionnelles. Il n’est notamment plus question de permettre aux époux de choisir la juridiction pouvant connaître de leur divorce, alors que cette règle aurait pu s’avérer fort utile en pratique.
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2. Loi applicable aux causes de la dissolution
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La loi qui régit les causes d’annulation d’un mariage est naturellement celle (s) qui pose(nt) ses conditions de validité ; on renverra donc sur ce point à la partie
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consacrée au mariage (v. ss 675 s.). Quant à la loi régissant le divorce et la séparation de corps, elle a d’abord été définie, en droit français, par la jurisprudence RivièreTarwid (v. rubrique Documents), déjà évoquée à propos des effets du mariage (v. ss 693) puisque la solution qu'elle pose est aujourd'hui encore en vigueur pour identifier la loi qui régit ces effets. Il en résultait, on s'en souvient, que la loi régissant le divorce était la loi nationale commune des époux, ou à défaut de nationalité commune la loi du domicile commun des époux tel que défini par l'arrêt Tarwid, ou encore, à défaut de domicile « commun » dans un même État, la loi du for. Cette formulation classique d'une règle de conflit bilatérale a été remise en cause par le législateur français qui a choisi, lors de la réforme du divorce intervenue en 1975, d'adopter une règle de conflit unilatérale, dans le souci de favoriser l'application de la loi française aux divorces de couples même étrangers, mais intégrés à la communauté française. L'article 310 du Code civil, devenu article 309 du Code civil par l'effet d'une ordonnance du 4 juillet 2005, fixe donc le domaine d'application de la loi française dans l'espace. Cette règle a elle-même été supplantée par les règles de conflits issues du règlement Rome III, adopté le 20 décembre 2010 (v. ss 715), applicables aux actions judiciaires engagées à compter du 21 juin 2012, ainsi qu'aux clauses de choix de loi conclues après cette date. Tout au moins en va-t‑il ainsi pour la détermination de la loi applicable aux causes du divorce. En effet, le considérant 10 du règlement Rome III circonscrit le champ d’application matériel de celui-ci : « le présent règlement ne devrait s’appliquer qu’à la dissolution ou au relâchement du lien matrimonial. La loi désignée par les règles de conflit de lois énoncées dans le présent règlement devrait s’appliquer aux causes de divorce et de séparation de corps. […] des questions telles que les effets patrimoniaux du divorce ou de la séparation de corps, le nom, la responsabilité parentale, les obligations alimentaires ou autres mesures accessoires éventuelles devraient être réglées selon les règles de conflit de lois applicables dans l’État membre participant concerné ». On se bornera donc à présenter les règles de conflit issues du règlement Rome III pour déterminer, ici, la loi régissant les causes du divorce ; mais l’on envisagera le droit commun français à propos de la loi applicable aux effets du divorce. La disposition la plus novatrice du règlement Rome III, par rapport au droit français antérieurement applicable, est la consécration qu’il opère du droit pour les époux de choisir la loi applicable à leur divorce ; à défaut de choix, il prévoit une règle de conflit en cascade, dont l'application est tempérée par une règle de conflit à coloration matérielle.
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Aux termes de l'article 5 du règlement, les conjoints peuvent choisir d'un commun accord, par un écrit signé au plus tard au moment de la saisine de la juridiction (ou dans le cadre d'un accord procédural si la loi du for l'autorise), la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. Seule concession à l'indisponibilité, la loi n'est pas choisie de façon totalement libre, mais doit l'être sur une « liste » que propose le règlement ; il ne peut s'agir que : 1) de la loi de l'État de résidence habituelle des époux au jour de la conclusion de l'accord, ou ; 2) de la loi de l'État de la dernière résidence habituelle commune des époux pour autant que l'un des deux y réside toujours au jour de la conclusion de l'accord, ou ; 3) de la loi de l'État de la nationalité de l'un des conjoints au jour de la conclusion de l'accord, ou ; 4) de la loi de l'État du
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Droit international privé
for. On le voit, l'éventail de choix est assez large. Des règles spécifiques s’appliquent au consentement et à la validité de la convention opérant le choix de loi (art. 6 et 7). En l'absence de choix de loi, l'article 8 du règlement institue une règle de conflit en cascade retenant la compétence : 1) de la loi de la résidence habituelle commune des époux au jour de la saisine de la juridiction, ou à défaut de résidence commune ; 2) de la loi de la dernière résidence habituelle des époux si elle n'a pas pris fin plus d'un an avant la saisine de la juridiction et que l'un des époux y réside encore, à défaut ; 3) de la loi de la nationalité commune des époux, et enfin, à titre infiniment subsidiaire ; 4) de la loi du for. La mise en œuvre de cette règle de conflit est tempérée par une règle à coloration matérielle, prévue par l'article 10 du règlement : si la loi applicable selon l'article 5 ou l'article 8 du règlement ne prévoit pas le divorce, ou n'accorde pas à l'un des époux une égalité d'accès au divorce ou à la séparation de corps, la loi du for doit être appliquée en lieu et place de la loi normalement compétente. Cette disposition autorise donc une application « automatique » de la loi du for dans de nombreuses hypothèses où celle-ci aurait été en toute hypothèse applicable, en droit français et dans de nombreux pays européens, en vertu de l'exception d'ordre public international. Elle limite ainsi l'intervention de l'exception, même si le règlement en maintient par ailleurs l'application de principe (art. 12) ; le règlement ne prévoit pas, en revanche, le jeu des lois de police, alors même que l’introduction d’une possibilité de choix de loi aurait pu le justifier. Très classiquement, le règlement exclut le renvoi (art. 11). Il ne prend pas parti sur la loi applicable aux mesures provisoires prises pendant l’instance en divorce ; la Cour de cassation a jugé par deux fois en 2015 que ces mesures devaient être soumises à la loi du for, alors que la doctrine préconise l’application de la loi applicable au divorce.
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3. Compétence des juridictions et loi applicable aux effets du divorce
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On l’a dit, le règlement Rome III exclut de son champ d’application toute une série de questions qui relèvent des effets du divorce : effets patrimoniaux, nom, responsabilité, parentale, obligations alimentaires… Nombre de ces questions font l’objet d’autres règlements européens qui les traitent de façon autonome. La liquidation du régime matrimonial et les successions (l'époux divorcé a-t‑il vocation successorale ?) sont ainsi naturellement soumises à leur loi propre.
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La pension alimentaire et la prestation compensatoire (que le droit international privé assimile à une obligation alimentaire, au même titre que la pension) sont aujourd'hui régies par le règlement Obligations alimentaires et le Protocole de La Haye du 23 novembre 2007. Si la juridiction compétente et la loi applicable sont donc en principe celles définies spécifiquement pour les obligations alimentaires (sur lesquelles, v. ss 783 s.), le fait que l’obligation alimentaire soit fixée dans le cadre d’une procédure de divorce, comme conséquence de celui-ci, n’est pas indifférent puisque les ex-époux peuvent soumettre d'un commun accord leurs obligations alimentaires au juge saisi de leur demande de divorce (art. 4 c) i) Règl. Obligations alimentaires), et à la loi applicable à leur divorce (Prot., art. 8-1, d). En l’absence d’accord, le juge du divorce est l’une des juridictions compétentes pour connaître des obligations alimentaires (art. 3 c) Règl. Obligations alimentaires). Enfin, l'article 5 du Protocole autorise l'un des ex-époux à s'opposer unilatéralement à l'application de la loi normalement compétente selon l'article 3 du protocole, pour revendiquer l'application de la loi d'un État présentant un lien plus étroit avec le mariage. Cette règle
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pourra souvent conduire à l'application de la loi du divorce, si les parties ont saisi comme juge du divorce, le juge de l'État où la famille avait le centre de ses intérêts.
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Les autres effets du divorce, c’est‑à-dire principalement les effets personnels (par exemple le nom), sont normalement soumis à la loi du divorce. Encore faut-il déterminer quelle est cette loi ; on pense naturellement d’abord à la loi qui a été jugée applicable au prononcé du divorce. Mais certains auteurs ont souligné que, dans la mesure où le considérant 10 du règlement Rome III limite son application aux seules causes du divorce, la loi du divorce appelée à régir les effets de celui-ci devrait être identifiée en application des règles de droit international privé français (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 600). Si cette analyse devait être confirmée, l’article 309 du Code civil resterait donc applicable, sur ce point particulier, même pour des actions en divorce intentées après le 21 juin 2012. On présentera donc brièvement la teneur de la règle de conflit posée ce texte. L'article 309 du Code civil pose une règle de conflit unilatérale, qui détermine le domaine d’application de la seule loi française. La loi française s'applique dans trois hypothèses distinctes. Elle est tout d'abord applicable lorsque les deux époux sont de nationalité française. La double nationalité de l'un des époux n'exclut nullement l'application de la loi française, puisque le conflit de nationalités est réglé, selon la règle coutumière déjà envisagée, en faveur de la nationalité du for. Ensuite, la loi française s'applique, en vertu de l'article 309 du Code civil, lorsque les deux époux sont domiciliés en France. Ainsi, et c’est une profonde divergence avec la règle de conflit qu'avait forgée la jurisprudence avant l’adoption de la loi de 1975, la loi française s'applique au divorce de deux époux domiciliés en France, même s’ils ont par ailleurs la même nationalité. La loi française du domicile commun prévaut
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Les questions relatives à la responsabilité parentale, consécutivement au prononcé du divorce des époux, sont placées sous l'empire du dispositif juridique spécifique et dense, d'origine conventionnelle et européenne, développé pour la protection des mineurs. L'attribution et le retrait de la responsabilité parentale, des droits de garde et de visite font donc l'objet de règles propres, définies par les conventions de La Haye de 1961 et 1996 ainsi que par le règlement Bruxelles II bis (v. ss 658 s.). Ces textes admettent toutefois que la circonstance que la responsabilité parentale soit envisagée à l'occasion d'un divorce peut avoir une influence sur son régime. Le règlement Bruxelles II bis prévoit ainsi une compétence concurrente (à celle, principale, de l'autorité de l'État de résidence habituelle de l'enfant) au profit du for de la désunion : le juge compétent pour connaître d'une procédure de désunion (selon les critères posés par l'art. 3) peut également statuer sur la responsabilité parentale si trois conditions sont réunies : – que l'un des deux époux au moins exerce la responsabilité parentale ; – que les deux époux et le cas échéant les titulaires de la responsabilité parentale acceptent la compétence du for de la désunion ; – et que cette prorogation de compétence soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant (Règl., art. 12-1 ; cette disposition ne fait pas l’objet de modification substantielle dans la proposition de règlement révisé). Quant à la convention de La Haye de 1996, elle prévoit également une possible compétence du juge du divorce pour prendre les mesures de protection de la personne ou des biens de l'enfant (art. 10).
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donc toujours, devant le juge français, sur la loi de la nationalité commune des époux. Enfin, en application de l'article 309 du Code civil, la loi française s'applique dans les autres cas, lorsqu'aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence et que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce. Cette disposition est assurément la plus délicate à mettre en œuvre. Elle pose le problème de la détermination de la loi applicable lorsque les époux ne sont pas tous deux de nationalité française, et ne sont pas tous deux domiciliés en France. Dans cette hypothèse, la loi française n'est en principe pas compétente. Le juge français doit donc identifier la loi étrangère applicable, mais il ne dispose à cet effet d'aucune directive précise issue de la règle de conflit, puisque celle-ci ne se préoccupe que du domaine d'application de la loi française. La seule indication portée dans l'article 309 est celle, conforme à la méthode unilatéraliste, qui préconise d'appliquer la loi étrangère qui « se reconnaît compétence ». Le juge français doit donc examiner l'ensemble des lois présentant un lien avec le litige, pour déterminer si l'une de ces lois veut, selon ses propres règles de conflit, s'appliquer au divorce des époux. Deux difficultés peuvent alors se présenter : – soit, c'est la difficulté expressément envisagée par l'alinéa 3 de l'article 309 du Code civil, aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence pour régir le divorce des époux : le juge français applique la loi française, à condition qu'il ait au préalable pu retenir sa compétence internationale par application des critères qui ont été exposés plus haut ; – soit, et cette difficulté n'est pas réglée par l'alinéa 3 de l'article 309 du Code civil, plusieurs lois étrangères se reconnaissent une compétence concurrente pour régir le divorce, et il appartient donc au juge français de sélectionner celle de ces lois qu'il lui reviendra d'appliquer. Aucune méthode n'étant préconisée par l'article 309 du Code civil, plusieurs solutions ont pu être proposées et appliquées par les juges : l'application de la loi du pays avec lequel la situation entretient les liens les plus étroits ou celle de la loi du for, qui sont les solutions traditionnellement mises en œuvre dans le cadre de la méthode unilatéraliste pour régler les problèmes de cumul ; ou encore le retour à la jurisprudence Rivière-Tarwid (v. rubrique Documents). Mais aucun arrêt de principe n'a à ce jour tranché définitivement la difficulté. S'il conclut à l'applicabilité d'une loi étrangère, le juge français doit mettre en œuvre cette loi, sous les réserves habituelles. Il convient ici de noter l'interférence fréquente de l'ordre public international français ; aujourd'hui libéral sur la question du divorce, le droit français — après avoir longtemps prohibé le divorce et jugé contraire à l'ordre public international les lois l'autorisant — considère que la faculté de procéder, sinon à un divorce, du moins à un relâchement du lien conjugal, est une exigence d'ordre public international lorsqu'un français est en cause. C'est en effet à propos du divorce que la jurisprudence a forgé la notion d'« ordre public de proximité » : la formulation de l'article 309 du Code civil, pour large qu'elle soit, ne garantissant pas que tout ressortissant français puisse bénéficier de la loi française sur le divorce, la jurisprudence française a retenu, dans l'arrêt De Pedro (Civ. 1re, 1er avr. 1981, v. rubrique Documents), que les exigences de l'ordre public doivent être renforcées au profit d'un Français domicilié en France, lequel doit se voir reconnaître la faculté de demander le divorce. Cette position n'est dictée ni par le droit de l'Union européenne, ni par le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, qui ne consacrent ni l'un ni l'autre un « droit au divorce » au titre des droits fondamentaux.
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L’absence de toute intervention judiciaire disqualifie les règles de compétence internationale, au sens strict du terme. Un notaire français étant par définition « compétent » pour recevoir une convention de divorce conclue en application du droit français (v. Fiche 6 en annexe de la circulaire préc.), la question est plutôt de déterminer si l’accès au divorce conventionnel de droit français est conditionné par l’existence de liens du couple avec la France, et lesquels. Or en l’absence de toute disposition en ce sens, aucune exigence ne semble devoir s’imposer. Même si l’hypothèse devrait être rare, un couple qui n’aurait de rattachement à la France ni par sa résidence, ni par sa nationalité, devrait néanmoins pouvoir y souscrire un divorce conventionnel régi par l’article 229-1 du Code civil, si les conditions prévues par le droit français pour bénéficier de ce type de divorce sont remplies (notamment qu’aucun des époux ne soit placé sous un régime de protection et qu’il n’y ait pas de demande d’audition de la part d’un enfant mineur commun). Si la possibilité de recourir au divorce conventionnel est ainsi toujours régie par le droit français qui n’impose aucun lien particulier avec la France, cette question doit être distinguée de celle de la détermination de la loi applicable au divorce lui-même et à ses conséquences
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Selon le nouvel article 229-1 du Code civil, « lorsque les époux s'entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues par l'article 1374. Cette convention est déposée au rang des minutes d'un notaire, qui contrôle le respect des exigences formelles prévues du 1 o au 6o de l'article 229-3. Il s'assure également que le projet de convention n'a pas été signé avant l'expiration du délai de réflexion prévu à l'article 229-4. Ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire ». Cette disposition n’est assortie d’aucune règle de droit international privé. L’applicabilité des règles européennes régissant le divorce suscite le débat. Assurément le règlement Bruxelles II bis, dans ses règles régissant la compétence, n’a pas vocation à s’appliquer en l’absence de toute intervention d’un juge ; il pourra en revanche sans doute jouer, on y reviendra, en matière de reconnaissance et d’exécution des « décisions ». Quant au règlement Rome III en matière de loi applicable, son applicabilité soulève plus d’interrogations. La circulaire française du 26 janvier 2017 de présentation des dispositions en matière de divorce par consentement mutuel (Circ. 26 janv. 2017, no CIV/02/17) affirme sans plus de discussion que le règlement Rome III régit les divorces par consentement mutuel souscrits en application de l’article 229-1 du Code civil, en raison de la volonté de ses auteurs de lui conférer une large portée. Mais l’arrêt Sahyouni rendu ultérieurement par la CJUE (CJUE 20 déc. 2017, aff. C-372/16, D. 2018. 968, obs. S. Clavel) paraît invalider cette analyse. Saisie de la question de l’applicabilité du règlement Rome III à un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, la CJUE affirme que le règlement « vise exclusivement les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle » (§39). Il est loin d’être certain que le simple contrôle de légalité de la convention de divorce, confié au notaire, suffise à caractériser le « contrôle d’une autorité publique » exigé par la Cour. Si cette analyse devait être confirmée, il faudrait donc déduire du droit commun français le régime international de ces divorces conventionnels. Or les solutions ne sont guère évidentes, que l’on envisage la question de la compétence des autorités, ou celle de la loi applicable.
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La réponse à cette question est importante pour définir les conditions du prononcé du divorce, mais aussi pour déterminer les effets de ce divorce. Les effets personnels du divorce sont en effet normalement soumis à la loi du divorce (v. ss 720). Quant aux effets du divorce soumis à leur propre loi, telles la responsabilité parentale, la pension alimentaire et la prestation compensatoire, on a vu qu’ils subissaient une certaine attraction de la loi du divorce (v. ss 718 s.). Il est également important de s’interroger sur les effets que pourra produire, en dehors de la France, le divorce conventionnel enregistré par le notaire. Dans les relations entre États membres de l’Union européenne, il est raisonnable de penser qu’en ce qu’il opère la dissolution du lien conjugal, l’acte pourra bénéficier du régime de circulation simplifiée institué par le règlement Bruxelles II bis, prévu pour s’appliquer non seulement aux « décisions » mais aussi aux « accords entre parties exécutoires » (Régl. art. 46) (v. ss 727). Le droit français a d’ailleurs prévu que le notaire est habilité à délivrer le certificat prévu à l’article 39 du règlement Bruxelles II bis. Les choses pourraient être moins simples pour la reconnaissance des aspects de l’acte touchant à la responsabilité parentale, ou aux dispositions alimentaires, les règlements européens applicables à ces questions étant plus restrictifs dans la définition des mesures susceptibles de bénéficier du régime de circulation simplifié. Dans les relations avec les États tiers, la reconnaissance d’un divorce français conventionnel pourra se heurter à des obstacles importants, notamment sous l’angle de la contrariété à l’ordre public international de l’État d’accueil.
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extra-patrimoniales et patrimoniales. À cet égard, la circulaire du 26 janvier 2017 (fiche 4) invite les parties et leurs conseils à soumettre chaque question à la loi qui lui est applicable en vertu des règles de droit international privé, internationales ou françaises. Sur le principe du divorce, la circulaire propose aux parties d’user de la liberté de choisir la loi applicable qui leur est reconnue par le règlement Rome III pour soumettre cette question à la loi française, dès lors que celle-ci est la loi de leur résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention, de leur dernière résidence habituelle si l’un d’entre eux y réside encore, ou de la nationalité de l’un d’entre eux. L’applicabilité du règlement Rome III aux divorces conventionnels ayant été depuis écartée par la CJUE, la question de la loi applicable au divorce conventionnel français, en présence d’éléments d’extranéité, reste entière. Est-il possible de reconnaître aux parties le droit de choisir la loi applicable, sans aucun fondement juridique ? Ou faut-il revenir à la jurisprudence Rivière-Tarwid (v. ss 713) et appliquer la règle de conflit en cascade qu’elle institue ?
Les effets de la désunion prononcée à l'étranger
Dans de nombreux États, la désunion du couple procède d'une décision, rendue par une autorité publique, judiciaire ou non. Néanmoins, il peut arriver que la désunion procède d'une décision rendue par une autorité privée (c'est le cas, généralement, des décisions religieuses), voire qu'elle ne revête pas un caractère décisionnel, ce qui est souvent le cas des répudiations prononcées à l'étranger (la volonté privée étant simplement « reçue » par l'autorité religieuse). Pourtant, il a pu être remarqué que les dissolutions du lien conjugal intervenues à l'étranger, même en l'absence de toute intervention d'une autorité, sont usuellement traitées en France comme des actes de l'autorité publique, voire même comme des décisions, par mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance. Le règlement Bruxelles II bis adopte également une conception large de la notion de « décision » et couvre également les « accords entre
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parties exécutoires », ce qui paraît pouvoir inclure les actes des autorités religieuses. Sera donc ici envisagée la reconnaissance en France des décisions de désunions intervenues à l'étranger, étant précisé que la notion de « décision » est conçue de façon large : elle n'émane pas nécessairement d'une autorité publique, mais au moins d'une autorité à laquelle l'État étranger concerné reconnaît la prérogative de dissoudre ou de constater la dissolution du mariage. En ce qu'elles mettent fin au lien conjugal, les décisions de divorce ou plus généralement de désunion constituent des jugements constitutifs d'état, qui comme tels bénéficient du mécanisme de la reconnaissance de plano, au moins pour leur effet substantiel et leur autorité de chose jugée. Les jugements de divorce peuvent toutefois comporter des dispositions nécessitant un exequatur, comme par exemple l'interdiction faite à l'épouse divorcée de porter le nom de son ex-époux. L'accueil en France des décisions de désunion prononcées à l'étranger, par les voies de la reconnaissance et/ou de l'exequatur (v. ss 429 s.), est subordonné à certaines conditions de régularité, qui sont posées par le règlement Bruxelles II bis s'agissant des décisions rendues dans les États membres de l'Union européenne, par le droit international privé commun pour les décisions émanant d'États tiers (la France n'étant pas signataire de la convention de La Haye du 1 er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps).
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Le droit de l'Union européenne organise de façon très libérale la circulation des décisions de divorce et de séparation de corps au sein de l'Union. Le règlement Bruxelles II bis énonce expressément, en son article 24, l'interdiction faite à l'État d'accueil de contrôler la compétence de la juridiction d'origine, tandis que l'article 25 prohibe toute prise en compte de la disparité des lois applicables au stade de l'accueil des décisions ; cet article interdit notamment à un État qui ne permettrait pas le divorce d'opposer son ordre public aux décisions prononcées à l'étranger, fût-ce au profit de ses nationaux. Les seuls motifs admis de refus de reconnaissance ou d’exécution sont listés par l'article 22 du règlement. Une décision ne sera pas reconnue ou exécutée si elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis (mais on l'a vu, sans possibilité pour l'État requis d'opposer un ordre public prohibitif), si le défendeur n'a pas reçu signification de l'acte introductif d'instance en temps utile pour se défendre, ou encore si elle est inconciliable avec une décision qui produit déjà ses effets dans l'ordre juridique de l'État requis ; elle doit aussi, pour être déclarée exécutoire, être exécutoire dans l’État d’origine. Il importe de rappeler que certaines conséquences du divorce (obligation alimentaire, responsabilité parentale) sont soumises à leur propre régime, et que c’est donc en application des textes qui les régissent qu’il faudra apprécier à quelles conditions l’acte de l’autorité publique fixant ces conséquences peut être reconnu et exécuté dans un autre État.
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Le droit international privé d'origine nationale, sans être aussi libéral que le droit de l'Union européenne, favorise tout de même la circulation des décisions étrangères de désunion. Cela est d'autant plus vrai depuis la suppression, par l'arrêt Cornelissen, du contrôle de la loi appliquée par le juge étranger (v. ss 427). La décision étrangère de divorce sera donc reconnue et exécutée, en principe, pour peu qu'elle ait été rendue par un juge étranger jouissant d'une compétence indirecte, sans fraude et sans contrariété avec l'ordre public international français, et qu'elle ne soit pas
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inconciliable avec une décision produisant ses effets dans l'ordre juridique français ; elle doit, pour être exécutée, être exécutoire dans l’État d’origine. Pour illustrer la mise en œuvre de ces conditions, il est intéressant de s'arrêter un moment sur le cas des répudiations. La répudiation unilatérale, qu'autorisent certains droits étrangers au profit de l'époux, a longtemps posé de grandes difficultés à la jurisprudence française, soucieuse de garantir tout à la fois l'unité de l'état des personnes (impliquant la reconnaissance de la répudiation) et la protection des valeurs fondamentales de notre civilisation (impliquant une égalité au moins relative de l'homme et de la femme dans le mariage). Après avoir un temps refusé de faire produire un quelconque effet aux répudiations étrangères, le droit français a admis que l'effet atténué de l'ordre public pouvait conduire à reconnaître une répudiation régulièrement prononcée à l'étranger, conformément au statut personnel des époux (v. en ce sens, Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi, GADIP, no 63 ; Rev. crit. DIP 1984. 325, note I. Fadlallah ; JDI 1984. 329, note Ph. Kahn). La tolérance était nuancée en considération des circonstances dans lesquelles la répudiation avait été prononcée : il importait tout à la fois que le choix du tribunal saisi n'ait pas été frauduleux, que l'épouse ait été mise en mesure de faire valoir ses droits et ses prétentions dans le cadre de la « procédure », et qu'elle ait pu jouir de garanties financières suffisantes (v. par ex. Civ. 1re, 3 juill. 2001, Douibi, Rev. crit. DIP 2001. 704, note L. Gannagé). Cette position modérée a toutefois favorisé les fraudes à l'intensité de l'ordre publicQ. Certains époux de nationalité étrangère, résidant en France, ont en effet imaginé aller répudier leur épouse dans leur pays national lorsque le droit local les y autorisait, pour faire produire effet à cette répudiation en France, au bénéfice de l'effet atténué de l'ordre public, et éviter une procédure de divorce français souvent plus respectueuse des droits de l'épouse. La Cour de cassation a en conséquence modifié sa jurisprudence. Par cinq arrêts en date du 17 février 2004 (v. rubrique Documents), elle a condamné les répudiations — quelles que soient les garanties offertes à l'épouse — dès lors qu'il existe un lien de proximité suffisant avec la France (domicile de l'épouse en France). Le fondement de ce refus de reconnaissance pouvait alors encore être discuté. Quatre des arrêts précités se fondaient en effet sur la contrariété de la répudiation à l'ordre public français (de proximité) et européen (violation du principe de l'égalité des époux lors de la dissolution du mariage posé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) pour justifier le refus de reconnaissance. Le cinquième arrêt, en revanche, se fondait curieusement sur l'incompétence du juge étranger — alors même que le juge saisi avait été en l'espèce, s'agissant d'époux domiciliés en France, le juge de leur nationalité commune (juge dont la compétence indirecte était pourtant traditionnellement acquise en application des critères posés par l'arrêt Simitch). La jurisprudence postérieure a clarifié les choses. En confirmant la compétence du juge de la nationalité commune pour prononcer la désunion de deux époux domiciliés en France (Civ. 1re, 20 sept. 2006, Bull. civ. I, no 407), la Cour de cassation indique que c'est bien la contrariété à l'ordre public de proximité, et non l'incompétence du juge de la nationalité commune des époux, qui justifie le refus de reconnaissance de la répudiation ; cette solution est appliquée de façon constante, et étendue à toutes les formes de dissolution du mariage résultant d’une procédure étrangère ne respectant pas l’égalité des époux.
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2. La désunion du couple non marié
a.
Rupture de concubinage
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La notion de « couple » impliquant une stabilité suffisante de l'union, seules seront envisagées les ruptures de concubinage (a) et de partenariat enregistré (b).
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Le concubinage pose indubitablement un problème de qualification. Dans certains systèmes juridiques étrangers, le concubinage ou tout au moins certaines formes de concubinage présentent des caractéristiques (stabilité, effets) qui permettent de les rapprocher du mariage de droit français. Il devrait alors être permis d'intégrer ces formes particulières de concubinage dans la catégorie de droit international privé « mariage », le cas échéant au prix d'un élargissement de la catégorie du for (sur la méthode, v. ss 91) et de les traiter comme tels. La loi applicable à la rupture du concubinage serait alors la loi de la nationalité commune des concubins, et à défaut la loi de leur domicile commun.
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Mais le plus souvent, le concubinage est une union de pur fait, même si des conséquences juridiques en découlent. C'est pourquoi le droit international privé français n'appréhende usuellement pas le concubinage en tant que tel, c'est‑à-dire comme une institution autonome, mais seulement au travers des différentes conséquences juridiques qui s'y attachent. La rupture du concubinage pose alors deux questions principales : celle du sort du concubin délaissé ; et celle du règlement des relations patrimoniales entre concubins. Ignorant pour le moment les aspects patrimoniaux de la relation (v. ss 816), il faut dire un mot des aspects personnels de la rupture du concubinage. Cette dernière est — c'est du moins ce qui ressort d'une jurisprudence sporadique des juges du fond, la Cour de cassation n'ayant pas statué sur ce point — traitée sous l'angle de la responsabilité délictuelle. C'est donc la lex loci delicti (v. ss 1076 s.) qu'il faut interroger pour décider si la rupture de concubinage emporte droit à indemnisation pour le concubin délaissé. La doctrine n'adhère toutefois pas unanimement à cette position ; certains auteurs considèrent en effet que le régime du concubinage devrait, en toute hypothèse, être rattaché au statut personnel des intéressés et donner lieu à l'application de leur loi nationale commune ou de leur domicile commun.
732
b.
Rupture de partenariat enregistré
La qualification autonome réservée aux partenariats enregistrés, tout comme leur traitement selon la méthode du conflit d'autorités, impose de considérer que la rupture d'un partenariat enregistré est nécessairement régie par la loi en application de laquelle ce partenariat a été souscrit. Il revient donc à la lex auctoris de définir les causes admises de rupture, les modalités de cette rupture et ses conséquences personnelles pour les anciens partenaires. Ce raisonnement a été suivi par le législateur français, puisque le nouvel article 515-7-1 du Code civil (v. ss 698 s.) précise que la loi de l'autorité enregistrante régit tant la constitution du partenariat que les causes et les effets (personnels) de sa dissolution (pour les effets patrimoniaux, v. ss 811 s.).
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733
Droit international privé
§
2 Les enfants
L'évolution du droit matériel français de la filiation est caractérisée par un alignement progressif du traitement des différents types de filiations, en particulier légitime et naturelle. Un pas important a été franchi en ce sens dès la réforme du 3 janvier 1972, et l'harmonisation a été parfaite par une ordonnance du 4 juillet 2005, ratifiée par une loi du 16 janvier 2009 (n o 2009-61) qui a elle-même modifié ou abrogé diverses dispositions relatives à la filiation. Techniquement, cet alignement ne s'imposait pas en droit international privé, au moins pour l'établissement de la filiation : ce n'est pas parce que les règles de conflit sont les mêmes pour l'établissement de la filiation légitime et de la filiation naturelle que matériellement, l'équivalence de traitement est garantie ; la loi étrangère applicable au fond peut en effet maintenir la distinction. Le législateur a pourtant décidé une refonte d'ensemble du droit matériel et du droit international privé de la filiation. Alors que la jurisprudence avait élaboré un système conflictuel fondé sur une distinction entre loi applicable à la filiation légitime — loi des effets du mariage — et loi applicable à la filiation naturelle — loi nationale de l'enfant —, la loi de 1972 a introduit au Code civil une règle de conflit unitaire qui soumet l'établissement de la filiation naturelle et l'établissement de la filiation légitime à une même loi, la loi nationale de la mère.
735
Encore faut-il nuancer cette apparente unification des règles de conflit en la matière. Tout d'abord, la loi de 1972 a laissé subsister, à côté de la règle de principe posée par l'article 311-14 du Code civil, des règles de conflit spéciales qui traitent de modes spécifiques d'établissement de la filiation. Ces règles spéciales contribuent au maintien de la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle, même si l'ordonnance de 2005, par quelques modifications de détail contestables, a encore franchi un pas vers l'uniformisation des règles. Ensuite, cette uniformisation ne saurait en toute hypothèse être complète, car la spécificité marquée de la filiation adoptive impose le maintien de règles de conflit spécifiques. Enfin, le législateur ne s'est pas préoccupé de définir des règles de conflit propres aux effets de la filiation. Or la jurisprudence avait sur ce point adopté des règles de conflit distinctes selon la nature de la filiation envisagée, règles dont la pérennité est aujourd'hui d'autant plus questionnable que les conventions internationales ont une place notable pour la définition de la loi applicable aux effets de la filiation. Nous tâcherons donc de mesurer l'étendue et la pertinence des réformes récentes et des conventions internationales, en envisageant successivement l'établissement de la filiation (A) et les effets de la filiation (B).
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A. L'établissement de la filiation 736
On l'aura compris, il n'est pas envisageable d'appréhender les règles de conflit régissant l'établissement de la filiation sans opérer une distinction fondamentale entre filiation biologique (1), qui couvre les filiations naturelle et légitime, et filiation adoptive (2).
1. Filiation biologique 737
L'établissement de la filiation biologique dépend en principe, que les parents soient ou non mariés, d'une même loi désignée par la règle de conflit générale que pose
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La famille
l'article 311-14 du Code civil (a). Mais des règles spéciales, dont la nature doit d'ailleurs être envisagée avec prudence, complètent et/ou dérogent à cette règle générale (b). Ce n'est donc qu'une fois l'ensemble des règles définies que les modalités de mise en œuvre des lois applicables pourront être envisagées (c).
La règle générale de l'article 311-14 du Code civil
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a.
L'article 311-14 du Code civil dispose que « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ». La compétence de principe revient donc à la loi personnelle de la mère, c'est‑à-dire à sa loi nationale. Ce rattachement unitaire, consacré par le législateur alors que la jurisprudence avait retenu la compétence de la loi des effets du mariage pour la filiation légitime et de la loi nationale de l'enfant pour la filiation naturelle, a été largement commenté et critiqué. Peu respectueux de l'égalité des parents pour les uns, il garantirait plus de certitude pour les autres (mater semper certa est ; la consécration en France de l'accouchement sous X atténue toutefois la portée de cette justification). L'argument selon lequel le rattachement permettrait une application plus fréquente de la loi française, en une forme de faveur pour l'enfant, n'est guère plus convaincant, car la loi française n'est pas nécessairement la plus favorable. Et au revers, ce rattachement risque de priver un enfant français du bénéfice de la loi française lorsque sa mère est étrangère, sauf à faire jouer l'ordre public de proximité ou une éventuelle clause d'exception autorisant à préférer la loi des liens les plus étroits (non consacrée à ce jour par la jurisprudence). Au-delà de ces discussions sur la pertinence abstraite du rattachement, force est de constater que certaines difficultés affectent son application.
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Tout d'abord, la mère peut avoir plusieurs nationalités. Même si ce conflit positif de nationalités peut a priori se résoudre selon les principes traditionnels en la matière (sur le règlement du conflit positif de nationalités, v. ss 591 s.), la doctrine tend à privilégier l'application de la loi la plus favorable. À l'inverse, la nationalité de la mère peut n'être pas connue en raison de son apatridie. Cette hypothèse doit être distinguée de celle où l'enfant est né de mère inconnue qui seule justifie l'application subsidiaire de la loi nationale de l'enfant. La situation d'apatridie de la mère, en revanche, doit être réglée selon les principes applicables au conflit négatif de nationalité, c'est‑à-dire par mise en œuvre de la loi du domicile ou de la résidence habituelle de la mère.
739
Ensuite, la mère peut changer de nationalité. Le texte résout directement les difficultés liées à un éventuel conflit mobile, en cas de changement de nationalité de la mère : la loi applicable est la loi nationale de la mère « au jour de la naissance de l'enfant ». Même si l'on peut se féliciter de la précision de la règle de conflit législative sur ce point, il faut remarquer qu'elle remet en cause une jurisprudence antérieure particulièrement favorable à l'enfant. La Cour de cassation avait en effet retenu, dans son arrêt Verdier (Civ. 5 déc. 1949, GADIP, no 21 ; Rev. crit. DIP 1950. 65, note H. Motulsky), qu'en cas de conflit mobile l'enfant ou son représentant pouvait choisir, parmi les diverses lois s'étant succédé, les dispositions de la loi la plus favorable à l'enfant. Cette solution est rendue caduque par la lettre même de l'article 311-14 du Code civil.
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Enfin, lorsque la mère n'est pas connue, la loi personnelle de l'enfant doit être appliquée. La notion de « mère (…) pas connue », visée par l'article 311-14 du Code
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Droit international privé
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civil, pose un problème d'interprétation. Faut-il comprendre que la mère n'est pas connue chaque fois que le lien de filiation à son égard n'est pas établi ? La mère serait donc inconnue lorsqu'elle n'est pas « légalement » investie de la qualité de mère, même si, en fait, il existe au moins des indices permettant de considérer que son identité est connue. Ou l'expression renvoie-t‑elle à la seule hypothèse où il serait, en fait, impossible d'identifier la mère « présumée » ? L'enjeu est ici particulièrement important ; si l'on retient que la mère n'est « connue » que lorsque le lien de filiation maternelle est établi, cela implique que l'établissement du lien de filiation maternelle est toujours soumis à la loi nationale de l'enfant. Seul l'établissement de la filiation paternelle serait donc, sous réserve que la filiation maternelle ait été établie au préalable, soumis à la loi de la mère. Une telle réduction du domaine d'application de la loi de la mère paraît peu justifiable et contraire à l'esprit de la loi. C'est pourquoi la doctrine majoritaire était-elle favorable à une application de la loi de la mère quand bien même le lien de filiation maternel n'aurait pas été préalablement établi, dès lors que des indices suffisants de la réalité du lien pourraient être vérifiés. C'est en ce sens qu'a finalement tranché la Cour de cassation, en retenant que la loi personnelle de la mère est applicable si le nom de celle-ci est mentionné dans l'acte de naissance de l'enfant, et alors même que le lien de filiation maternel n'est pas établi (Civ. 1re, 11 juin 1996, Rev. crit. DIP 1997. 291, note Y. Lequette ; D. 1997. 3, note Fr. Monéger). Le domaine d'application de la loi nationale de la mère semble donc particulièrement large : qu'il s'agisse d'établir la filiation paternelle ou la filiation maternelle, et quel que soit le mode d'établissement de la filiation mis en œuvre, cette loi est applicable. Seules échappent à sa compétence les questions expressément soumises par le législateur à une autre loi, si tant est que la compétence de cette autre loi soit conçue comme une véritable dérogation à l'application de la loi nationale de la mère. Car plutôt qu'une dérogation, on pourrait envisager, dans certaines hypothèses, un simple concours des lois désignées. C'est ce à quoi il faut à présent réfléchir en étudiant les règles spéciales qui régissent l'établissement de la filiation en droit international privé.
b.
Les règles spéciales
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Le législateur avait, en 1972, posé quatre règles spéciales relatives respectivement à l'établissement de la filiation par possession d'état, à la légitimation par mariage, à l'établissement de la filiation par reconnaissance et à l'action aux fins de subsides. Il convient immédiatement de mettre à part la règle que posait l’article 311-18 du Code civil, avant son abrogation par la loi du 16 janvier 2009, en matière d’action aux fins de subsides, car cette règle relève des effets plus que de l’établissement de la filiation ; on l’envisagera donc au titre des obligations alimentaires résultant du lien de filiation. Les trois autres règles seront en revanche détaillées, même si celle qui traitait de la légitimation par mariage a été supprimée par l'ordonnance de 2005. En outre, il importe d'observer, à titre liminaire, que ces règles spéciales ne sont pas toutes des règles de conflit et que leur nature juridique doit donc être précisément cernée.
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L'article 311-15 du Code civil énonce une règle propre à l'établissement de la filiation par possession d'état. Le texte a été légèrement modifié par l'ordonnance de 2005,
1. Établissement de la filiation par possession d'état
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qui a supprimé la référence qu'il faisait originairement à la distinction entre enfants légitimes et naturels. Il dispose donc aujourd'hui : « toutefois, si l'enfant et ses père et mère ou l'un d'eux ont en France leur résidence habituelle, commune ou séparée, la possession d'état produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française, lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre d'une loi étrangère ». Conçu comme une exception à l'article 311-14 (ainsi que le signale l'emploi de l'adverbe « toutefois »), ce texte préconise, lorsqu'une possession d'état existe, que la loi française définisse, de préférence à la loi de la mère normalement compétente, les conséquences qu'il convient d'attacher à cette possession d'état. Cette dérogation à la compétence de la loi de la mère suppose néanmoins remplie une condition de résidence : l'enfant et ses parents, ou l'un de ses parents, doivent résider en France. Ce texte appelle une précision et suscite une question, qui ne sont pas sans lien. La précision concerne l'étendue de l'intervention de la loi française. Le texte indique que la loi française définit les conséquences qu'il convient de tirer de la possession d'état. Mais qu'en est-il des conditions de la possession d'état ? Sont-elles également réglées par la loi française ? Et qu'en est-il des effets négatifs que la loi française attache à l'absence de possession d'état (ex. suppression de la présomption de paternité en l'absence de possession d'état à l'égard du mari de la mère) ? Doivent-ils également prévaloir sur l'application de la loi normalement applicable ? Dans tous les cas, la doctrine majoritaire et la jurisprudence paraissent s'être ralliées à une interprétation extensive du texte : applicable aux conséquences tant positives que négatives attachées à la possession d'état ou à l'absence de possession d'état, la loi française définirait en outre les éléments constitutifs de cette possession d'état.
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La question est celle de la nature de la règle que pose l'article 311-15 du Code civil. Incontestablement, il s'agit d'une règle à caractère unilatéral, puisqu'elle définit le domaine d'application de la loi française : les conséquences de la possession d'état sont régies par la loi française lorsque « la famille » réside en France. Mais s'agit-il d'une règle de conflit unilatérale, ou d'une règle d'application immédiate ? La doctrine penche en faveur d'une règle d'application immédiate. En effet, la loi française n'est pas désignée, d'une façon générale, pour réglementer la possession d'état dans les familles résidant en France (règle de conflit unilatérale). L'article 311-15 du Code civil indique seulement que, si la loi française attache des conséquences (négatives ou positives) à la possession d'état, ce sont ces conséquences, définies par la loi française, qui doivent s'appliquer, le cas échéant par priorité aux conséquences qu'y attacherait la loi normalement applicable (loi nationale de la mère). Mais si la loi française se désintéresse de la question (parce qu'elle n'attache de conséquences ni à la possession d'état ni à l'absence de possession d'état), la loi normalement compétente retrouve son empire. La loi substantielle française déroge donc ici à l'application de la loi désignée par la règle de conflit, selon le mécanisme des lois d'application nécessaire.
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2. Légitimation par mariage
L'ancien article 311-16 du Code civil énonçait : « le mariage emporte légitimation lorsque, au jour où l'union a été célébrée, cette conséquence est admise, soit par la loi régissant les effets du mariage, soit par la loi personnelle de l'un des époux, soit par la loi régissant les effets du mariage. La légitimation par autorité de justice est régie, au
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choix du requérant, soit par la loi personnelle de celui-ci, soit par la loi personnelle de l'enfant ». La règle posée était donc une règle matérielle, destinée à favoriser la légitimation — qu'il s'agisse de la légitimation de plein droit par mariage ou de la légitimation par autorité de justice — par la consécration de rattachements alternatifs. Il suffisait que l'une des lois visées au texte prévoie la légitimation par mariage, ou autorise la légitimation par autorité de justice, pour que celle-ci puisse opérer.
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Très curieusement, l'ordonnance de 2005 a purement et simplement abrogé ce texte. Certes, on l'a dit, l'ordonnance de 2005 avait pour but de parfaire l'alignement total des filiations légitime et naturelle ; cet alignement rend inutile, en droit français, le mécanisme de la légitimation. Mais fallait-il pour autant supprimer la règle de conflit de lois applicable à la légitimation ? Rien n'est moins sûr, car le droit international privé confronte le juge à des lois étrangères qui n'ont sans doute pas toutes aboli totalement la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle. Si une légitimation prétendument intervenue en application d'une loi étrangère est contestée devant le juge français, il faut bien que ce dernier détermine la loi applicable, pour prendre parti sur le caractère légitime ou non de la filiation, dont certains droits étrangers peuvent tirer des conséquences. Or il n'y a plus de règle de conflit française en la matière.
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La solution des litiges relatifs à la légitimation par mariage passe donc désormais par la mise en œuvre de la convention de Rome du 10 septembre 1970 sur la légitimation par mariage. Cette convention prévoit, en son article 1er que « Lorsque, selon les dispositions de droit interne de la loi nationale du père ou de la mère, le mariage de ceux-ci a pour conséquence la légitimation d'un enfant naturel, cette légitimation est valable dans les États contractants ». Cette convention était entrée en vigueur en France dès 1976, mais elle ne s'y appliquait pas, car elle réservait les dispositions nationales plus favorables. Or l'article 311-16 du Code civil était incontestablement plus favorable que les dispositions conventionnelles. Mais l'abrogation de ce texte ne laisse subsister, pour régir les légitimations par mariage, que le seul article 311-14 du Code civil ; la convention, qui prévoit une règle matérielle reposant sur un rattachement alternatif entre loi du père ou loi de la mère, est dorénavant plus favorable que le seul rattachement à la loi de la mère retenu par le droit français. Elle prévaut donc.
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Les légitimations par autorité de justice (c'est‑à-dire en l'absence de tout mariage des parents, à ne pas confondre avec les légitimations post nuptias judiciairement prononcées après le mariage de ceux-ci) en revanche, n'entrent pas dans le domaine d'application de la convention de Rome (contrairement aux légitimations post nuptias). Elles sont donc aujourd'hui soumises à la loi nationale de la mère, en application de l'article 311-14 du Code civil. 3. Établissement de la filiation par reconnaissance
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Il résulte de l'article 311-17 du Code civil que « la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ». La structure même de la règle dénote son caractère matériel : pour favoriser l'objectif de validité de la reconnaissance volontaire expressément posé, il suffit que les exigences de l'une quelconque des deux lois visées aient été respectées. Si la nature de la règle ne prête guère à discussion (quoique la Cour de cassation soit ponctuellement tenue de rappeler aux juges du fond qu'il s'agit d'une règle de conflit ; Civ. 1 re, 14 avr. 2010,
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no 09-14.335, Bull. civ. I, no 93, AJ fam. 2010. 281, obs. A. Boiché), les questions de son articulation avec l'article 311-14 du Code civil, et de son domaine d'application, ont en revanche donné lieu à controverse.
752
Le champ d'application de l'article 311-17 du Code civil est formellement restreint à la seule reconnaissance volontaire, et même plus précisément aux conditions de fond de cette reconnaissance (les conditions de forme étant traditionnellement régies par la lex loci actus). L'établissement forcé de la filiation, par le biais d'une action en recherche de paternité ou de maternité, lui échappe donc pour être régi par la loi nationale de la mère, en application de l'article 311-14 du Code civil. On pouvait, en revanche, se demander, eu égard à la lettre du texte, si d'une part la nullité de la reconnaissance volontaire, et d'autre part la contestation de la reconnaissance volontaire, entraient dans le domaine d'application de l'article 31117 du Code civil. La réponse ne pose guère de difficulté s'agissant de la nullité de la reconnaissance volontaire : si la validité de la reconnaissance est acquise dès lors que les exigences soit de la loi personnelle de l'auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant, ont été respectées, a contrario la nullité de la reconnaissance est encourue si elle se vérifie aussi bien au regard de la loi personnelle de l'auteur que de la loi personnelle de l'enfant. Alternatif pour favoriser la validation, le jeu des deux lois est nécessairement cumulatif lorsqu'il est question d'invalider la reconnaissance. Il reste que, la loi applicable devant régir les conditions d'exercice de l'action en nullité, il conviendra de sélectionner à cet effet soit la loi de l'auteur, soit la loi de l'enfant ; or l'article 311-17 ne fournit pas les clés de cette sélection. La question de savoir s'il convient d'appliquer l'article 311-17 du Code civil à l'action en contestation de reconnaissance volontaire appelle plus de débats. L'action en contestation ne vise pas l'acte de reconnaissance, mais la réalité du lien de filiation
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Contrairement à l'article 311-15 du Code civil qui, introduit par l'adverbe « toutefois », se présente incontestablement comme une dérogation à la solution de principe posée par l'article 311-14, la règle posée par l'article 311-17 du Code civil est a priori totalement autonome. Elle l'est d'autant plus que, tandis que l'article 311-14 du Code civil pose une règle de conflit de type « savignien », elle traduit pour sa part une règle de conflit à coloration matérielle. Faut-il y voir, dès lors, une exception à la compétence de principe de la loi nationale de la mère ? Les reconnaissances volontaires seraient exclusivement soumises à la validation de la loi nationale de l'auteur ou de la loi nationale de l'enfant. Ou faut-il considérer que l'article 311-17 du Code civil ne déroge pas à l'article 311-14 du Code civil mais le complète ? Les reconnaissances volontaires pourraient être soumises, outre à la validation de la loi nationale de la mère normalement applicable à l'établissement de la filiation, à celle de la loi nationale de l'auteur ou de la loi nationale de l'enfant. L'intérêt de cette interprétation est évidemment, au moins lorsque l'auteur de la reconnaissance est le père, d'instituer une chance supplémentaire de validation de la reconnaissance par application de la loi nationale de la mère, pour le cas où ni la loi nationale du père ni la loi nationale de l'enfant ne valident cette reconnaissance. Une partie de la doctrine s'est prononcée en faveur de cette dernière interprétation. En l'absence de tout arrêt de principe de la Cour de cassation, la jurisprudence des juges du fond semble pourtant fixée en sens contraire : le choix offert entre la loi de l'auteur de la reconnaissance et la loi de l'enfant est limitatif, et la loi de la mère ne constitue pas une alternative pour valider la reconnaissance.
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Droit international privé
c.
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supposé fonder cette reconnaissance. Aussi la compétence de l'article 311-14 du Code civil a-t‑elle parfois été soutenue, de préférence à celle de l'article 311-17. C'est pourtant en faveur de l'application de l'article 311-17 du Code civil que la Cour de cassation a finalement tranché (Civ. 1re, 6 juill. 1999, D. 1999. 483, concl. J. SainteRose ; JCP 2000. II. 10353, obs. Th. Vignal) : la contestation de reconnaissance ne peut prospérer que si elle est bien fondée au regard des exigences de la loi personnelle de l'auteur de la reconnaissance et de la loi personnelle de l'enfant. Une décision plus récente (Civ. 1re, 14 juin 2005, Bull. civ. I, no 205) avait cependant semé le doute en visant, dans une affaire portant sur une contestation de reconnaissance, l'article 31114 du Code civil ; mais la Cour de cassation a explicitement jugé depuis que l’article 311-14 du Code civil ne s’applique pas à l’action en contestation de reconnaissance de paternité (Civ. 1re, 15 mai 2013, no 11-12569, JDI 2013. 1145, note J. Guillaumé ; D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon).
Mise en œuvre des règles de droit international privé
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Il n'est pas inutile, avant d'aborder les aspects proprement relatifs à la mise en œuvre des règles qui viennent d'être exposées, d'en récapituler brièvement les domaines d'application respectifs. La loi nationale de la mère (ou de l'enfant si la mère est inconnue) a un domaine d'application particulièrement large, puisqu'elle régit tout mode d'établissement de la filiation qui ne fait pas l'objet d'une règle spéciale. Elle s'applique donc notamment aux actions en recherche de paternité et maternité, à la contestation de paternité légitime, aux légitimations par autorité de justice (conséquence de l'abrogation de l'art. 311-16), au désaveu préventif de paternité. Elle définit également les conséquences qu'il faut attacher à la possession d'état si la « famille » ne réside pas en France, voire même lorsque la « famille » réside en France, si la loi française ne lui attache aucune conséquence. Ce domaine d'application est d'autant plus large que la preuve de la filiation est soumise à la loi du fond. En raison du lien étroit, en la matière, entre fond du droit et questions de preuve, la jurisprudence retient que non seulement l'objet et la charge de la preuve doivent être déterminés en application de la loi nationale de la mère, loi applicable au fond (solution conforme au droit commun, v. ss 520), mais encore que l'admissibilité et la force probante des modes de preuve relèvent de cette même loi (alors que la loi applicable sur ce point est normalement la lex fori). Seules échappent à la compétence de la loi nationale de la mère : la définition des conséquences de la possession d'état lorsque la loi française prévoit ces conséquences et que la « famille » réside en France ; la validité et la nullité de la reconnaissance volontaire ; les légitimations par mariage et post nuptias ; l'action à fins de subsides ; et, avec des réserves en raison des incertitudes qui affectent la jurisprudence, les actions en contestation de reconnaissance volontaire. Enfin, les aspects relatifs à la forme des actes sont traditionnellement soumis à la lex loci actus.
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On l'a vu, le conflit mobile est, pour la mise en œuvre de l'article 311-14 du Code civil, réglé par le texte : la loi applicable est la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Les autres règles n'envisagent pas le conflit mobile. Les principes sont toutefois relativement bien acquis pour la mise en œuvre des règles propres aux légitimations par mariage — la loi applicable est celle vérifiée au jour de la célébration de l'union —, et aux reconnaissances volontaires — la loi applicable est celle vérifiée au jour de la reconnaissance. Seul l'article 311-15 du Code civil suscite quelque difficulté. La loi française régit les conséquences de la possession d'état si la
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famille réside en France. Mais à quel moment la condition de résidence doit-elle se vérifier ? Deux possibilités ont été retenues par la doctrine et la jurisprudence des juges du fond. Selon la première, la résidence en France devrait exister au jour où le juge statue sur les conséquences de la possession d'état. Selon la seconde, plus libérale, il suffirait qu'à un moment quelconque les conditions posées par le texte (possession d'état avérée et résidence en France) se voient vérifiées pour que les parties puissent, à un moment ultérieur et alors même qu'elles ne résideraient plus en France, solliciter le bénéfice des dispositions françaises relatives à la possession d'état. En l'absence de décision de la Haute juridiction, aucune de ces solutions ne peut être tenue pour acquise. Le renvoi peut-il jouer en matière de filiation ? Une réponse positive pourrait a priori être donnée, la filiation n'appartenant pas aux matières usuellement soustraites au jeu du renvoi (v. ss 109). Mais l'affirmation doit être immédiatement nuancée. D'une part, les règles spéciales posées en matière de filiation sont, on l'a vu, des lois d'application nécessaire (C. civ., art. 311-15) ou des règles de conflit à coloration matérielle (C. civ., art. 311-17, règles conventionnelles applicables aux légitimations et aux actions à fins de subsides). Leur nature particulière exclut donc normalement le renvoi. Tout au plus pourrait-on envisager, s'agissant des règles matérielles, de faire jouer un renvoi in favorem : le renvoi serait admis s'il permet d'atteindre l'objectif poursuivi par la règle, dans les cas où cet objectif ne peut être atteint par la seule application de la règle. La jurisprudence des juges du fond ne permet toutefois pas de conclure de façon décisive sur l'admission du renvoi in favorem, qui reste sujet à controverse. D'autre part, l'admission du renvoi est discutée même dans le cadre de la règle générale posée par l'article 311-14 du Code civil. Pour certains auteurs, la règle posée par ce texte étant une véritable règle de conflit, le renvoi devrait être admis. Pour d'autres, l'article 311-14 laisse transparaître, sous une forme conflictuelle, une véritable règle matérielle qui exclurait tout recours au renvoi. La jurisprudence des juges du fond, en l'absence d'arrêt de principe de la Cour de cassation, semble plutôt pencher pour l'exclusion du renvoi.
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L'ordre public international, enfin, est fréquemment sollicité en matière de filiation pour écarter la loi normalement applicable. Tout d'abord, on l'a dit, la compétence de principe reconnue à la loi nationale de la mère pose une difficulté car elle peut s'avérer insuffisamment protectrice de l'enfant français. Le problème s'est posé notamment en présence de lois prohibant l'établissement de la filiation paternelle naturelle. La jurisprudence a beaucoup évolué à cet égard. Jugeant dans un premier temps ces lois non contraires à l’ordre public, elle a par la suite opposé l'ordre public de proximité pour protéger les enfants français ou résidant en France (Civ. 1 re, 10 févr. 1993, Latouz, v. rubrique Documents). Plus récemment, la Cour de cassation a pu sembler vouloir abandonner l’ordre public de proximité pour retenir la contrariété pure et simple des lois étrangères prohibant l’établissement de la filiation paternelle naturelle à l’ordre public international français. Mais la portée de cette jurisprudence reste discutée (sur le détail de ces questions, v. ss 282). L'ordre public international intervient également dans le domaine de la preuve de la filiation, dont on a vu qu'elle est en principe soumise à la loi applicable au fond, donc potentiellement à une loi étrangère. Or de nombreuses lois étrangères consacrent en matière de filiation des systèmes de preuve jugés peu respectueux, soit de l'ordre public procédural, soit de l'ordre public de fond : c'est le cas des lois qui admettent qu'une filiation soit établie à
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Si l’ordre public international joue de façon récurrente pour évincer la loi applicable, c’est cependant en matière de reconnaissance du lien de filiation établi à l’étranger qu’il a donné lieu aux développements les plus commentés ces dernières années. On pense ici bien sûr à la controverse juridique majeure concernant la reconnaissance de la filiation, à l’égard de parents français, d’enfants nés de gestation pour autrui pratiquées à l’étranger. L’évolution concernant la reconnaissance du lien de filiation établi à l’étranger entre des parents français et des enfants nés d’une GPA a été exposée en détail, et on renverra donc aux développements pertinents (v. ss 265).
2. Filiation adoptive 759
Le droit français de l'adoption internationale, aujourd'hui fixé par les articles 370-3 à 370-5 du Code civil (a), est partiellement remis en cause par le droit conventionnel (b).
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l'égard du père sur la seule déclaration sous serment de la mère, de celles qui imposent sous la contrainte le recours aux tests génétiques, ou encore, de celles qui permettent qu'une action en recherche de paternité soit reçue contre un tiers donneur dans le cadre de la procréation médicalement assistée.
Droit français de l'adoption internationale
La loi no 2001-111 du 6 février 2001 relative à l'adoption internationale a introduit dans le Code civil des dispositions, reprenant en substance les acquis de la jurisprudence antérieure, qui envisagent tant la question de la loi applicable à l'adoption internationale, que celle des effets en France d'une décision étrangère ayant prononcé une telle adoption. 1. La loi applicable à l'adoption internationale
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La loi applicable à l'adoption internationale est définie par la mise en œuvre d'un principe, assorti de tempéraments.
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Selon la règle de principe, posée par l'article 370-3, alinéa 1 er du Code civil qui reprend sur ce point la solution antérieurement adoptée par l'arrêt Torlet (Civ. 1re, 7 nov. 1984, v. rubrique Documents), « les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union ». Le même alinéa ajoute que l'adoption ne peut être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre des époux la prohibe. La précision peut paraître de prime abord superfétatoire car si les deux époux sont de nationalité commune et que leur loi nationale prohibe l'adoption, celle-ci ne sera pas autorisée par la loi des effets du mariage. Mais il est envisageable que les deux époux, de nationalité différente, se voient tous deux interdire l'adoption par leur loi nationale respective, tandis que la loi de leur domicile commun, régissant les effets de leur union, en admettrait le principe. La précision signifie donc que pour les époux mariés, il ne suffit pas que la loi des effets de l'union — qui régira en toute hypothèse les conditions de l'adoption — admette le principe de cette adoption. Il faut aussi que la loi nationale de chaque adoptant l'accepte. On comprend donc que le texte envisage tant le principe de l'adoption que ses conditions, mais qu'il doit être lu différemment selon que l'on appréhende l'un ou l'autre de ses aspects. Pour que le principe de l'adoption soit acquis, il doit être admis par la loi nationale de chaque adoptant ; pour les époux mariés, ce principe doit en outre être acquis en application de la loi qui régit les effets
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de l'union (qui, sinon, ne pourrait en définir les conditions). Pour déterminer les conditions de l'adoption, on applique la loi de l'adoptant, ou en cas d'adoption par des époux mariés, la loi des effets du mariage.
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La règle de principe de l’article 370-3 alinéa 1 er du Code civil est assortie de deux tempéraments. Le premier (qui est en réalité le second dans l'agencement de l'art. 3703 puisqu'il est posé par l'al. 3) est relatif au consentement du représentant légal de l'enfant mineur. La jurisprudence antérieure à la loi de 2001 avait progressivement
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Ainsi comprise, la règle de l’article 370-3 alinéa 1 er du Code civil soulève des questions délicates pour sa mise en œuvre au profit des couples de même sexe. Depuis la loi du 17 mai 2013, les époux de même sexe peuvent adopter au même titre que les couples hétérosexuels, conformément à la règle posée par l’article 346 du Code civil : « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux ». L’intention du législateur sur ce point ne fait pas de doute, puisque la loi du 17 mai 2013 consacre un nouveau cas dans lequel l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise : lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint et n’a de filiation établie qu’à son égard (art. 345-1, 1 o bis, C. civ.). Ce texte n’a toutefois pas réglé toutes les difficultés. Tout d’abord, il ne répond pas à la question de savoir si l’enfant biologique de l’un des conjoints peut être adopté par l’autre lorsque cet enfant est issu d’une procréation médicalement assistée (PMA) ou d’une gestation pour autrui (GPA) pratiquée à l’étranger. En France, la PMA n’est pas ouverte aux couples de même sexe, et la GPA est interdite à tous. Mais les couples peuvent y recourir à l’étranger et faire transcrire la filiation biologique établie à l’étranger, à l’égard de l’un des membres du couple, sur les registres français (v. ss 265). L’époux ou l’épouse du parent biologique peut-il alors adopter en France l’enfant de son conjoint ? Dans un premier temps, les juridictions du fond ont refusé cette adoption, aux motifs que la PMA et/ou la GPA effectuées à étranger constituaient une fraude à la loi française. Par deux avis du 22 septembre 2014 (n o 14-70006 et 14-70007, D. 2014. 1876, obs. A. Dionisi-Peyrusse, et 2031, note A.-M. Leroyer, D. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon, JDI 2015. 101, note I. Barrière-Brousse), la Cour de cassation a cependant affirmé que « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation ». La Haute juridiction a également admis l’adoption par le conjoint du parent biologique d’un enfant né d’une GPA, dans les couples hétérosexuels comme dans les couples de même sexe (Civ. 1 re, 5 juill. 2017, n o 16-16.455, D. 2018. 969, obs. S. Clavel, sur l’ens. de la question, v. v. ss 766 et v. ss 769). Ensuite, dans la mesure où le principe de l’adoption doit être admis par la loi nationale de chaque époux, la question va nécessairement se poser de savoir si l’adoption peut être permise lorsque la loi nationale de l’un des époux, tout en autorisant l’adoption, la réserve aux couples hétérosexuels. Cette question n’a pas encore été tranchée par les juges français, qui pourraient décider, au regard du caractère « militant » du droit français en faveur du mariage entre époux de même sexe, qu’il est suffisant que la loi nationale de chaque époux autorise l’adoption (même si cette autorisation n’est envisagée que pour les couples hétérosexuels), ou encore qu’une loi qui poserait une telle prohibition est contraire à l’ordre public international français.
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forgé sur ce point un système combinant une règle de conflit et une règle matérielle. L'arrêt Torlet (v. rubrique Documents), tout en retenant la compétence de principe de la loi de l'adoptant, soumettait en effet les conditions du consentement ou de la représentation de l'adopté à la loi de l'enfant. Cette règle de conflit trouvait toutefois sa limite lorsque la loi nationale de l'enfant, ignorant l'institution de l'adoption, ne pouvait organiser les modalités du consentement de son représentant. L'application de la règle devait donc conduire soit à interdire l'adoption en cas de prohibition par la loi de l'adopté, soit à élaborer une solution alternative. C'est cette seconde approche que la Cour de cassation consacre, en définitive, dans l'arrêt Fanthou (Civ. 1 re, 10 mai 1995, v. rubrique Documents). La décision énonce ainsi que « deux époux français peuvent procéder à l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette institution, à la condition qu'indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ». Par cette formule, la Haute juridiction indique certes que la prohibition par la loi personnelle de l'enfant n'interdit pas l'adoption si celle-ci est admise par la loi de l'adoptant. Mais elle ménage l'intérêt du représentant de l'enfant en imposant, par une règle matérielle, que soit vérifiée la réalité de son consentement à l'adoption, et en particulier que ce consentement a été donné en toute connaissance des effets irréversibles attachés par la loi française à l'adoption plénière. Cette formule est celle reprise, à peu de chose près, par l'article 370-3, alinéa 3 du Code civil : « quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ». Imposée « quelle que soit la loi applicable », cette règle matérielle ne s'accompagne pas de l'énoncé de la règle de conflit permettant précisément de désigner la loi applicable au consentement du représentant de l'adopté. Or la règle matérielle, qui laisse de nombreuses questions non réglées (forme du consentement, identité du représentant habilité à donner ce consentement, etc.), ne peut suffire. Il est admis que le consentement du représentant de l'adopté reste soumis, conformément à la jurisprudence antérieure, à la loi nationale de l'adopté. Les difficultés qu'avait suscitées l'application de la loi nationale de l'adopté, dans les hypothèses où celle-ci ne connaissait pas l'institution de l'adoption, sont en toute hypothèse aujourd'hui réglées par le second tempérament apporté à la compétence de principe de la loi des adoptants, posé par l'alinéa 2 de l'article 370-3 du Code civil. En effet, alors que la jurisprudence antérieure admettait qu'une adoption soit prononcée en dépit de la prohibition posée par la loi nationale de l'adopté, ce texte prévoit désormais que « l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ». Certains auteurs y voient à juste titre une forme de prise en considération de la loi étrangère. En effet, l'adoption est régie par la loi nationale de l'adoptant si la loi personnelle de l'enfant ne la prohibe pas. La solution posée par la loi personnelle de l'enfant est donc intégrée dans le présupposé de la règle française. Même si le texte législatif infirme sur ce point la jurisprudence antérieure, il la valide
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sur un autre aspect, puisqu'il en ressort implicitement, ainsi que l'avait retenu l'arrêt Pistre (Civ. 1re, 31 janv. 1990, v. rubrique Documents) que les lois étrangères prohibant l'adoption ne sont pas contraires à l'ordre public international français. Cette confirmation est cependant assortie d'une atténuation : il doit être fait appel à l'ordre public de proximité pour écarter la loi prohibitive personnelle de l'enfant lorsque celui-ci est né et réside habituellement en France. En application de ces règles, on comprend que le droit français n’admette pas, traditionnellement, l’adoption des enfants étrangers confiés à des couples dans le cadre d’une kafala (ou recueil légal). La kafala est une institution de droit musulman, qui permet à un couple dont l’un au moins des conjoints est musulman de « recueillir » un enfant, que celui-ci jouisse ou non d’une filiation établie. Il ne s’agit pas d’une adoption, car le droit musulman prohibe celle-ci. Dès lors, tant que l’enfant est de nationalité étrangère (généralement algérienne ou marocaine), il ne peut être adopté par le couple qui l’a recueilli puisque sa loi personnelle ne l’autorise pas. En revanche, si l’enfant acquiert la nationalité française (v. ss 574), il devient « adoptable » dès lors que son représentant légal y consent (v. circ. Ministère Justice relative aux effets juridiques du recueil légal en France, 22 oct. 2014, BOMJ no 2014-11 du 28 nov. 2014). 2. L'adoption prononcée à l'étranger
La filiation adoptive établie par une décision étrangère doit en principe être reconnue en France. C'est ce qui ressort implicitement de l'article 370-5 du Code civil. Ce texte, qui prévoit que « l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant », est certes centré sur les effets en France de l'adoption étrangère (v. ss 773 s.). Mais il traite incidemment de la reconnaissance de la filiation adoptive établie par une décision étrangère. Il précise, en effet, que celle-ci produira ses effets en France, et donc qu'elle y sera reconnue, si elle a été régulièrement prononcée à l'étranger. Les conditions de régularité — que le texte ne rappelle pas — sont principalement celles du droit commun. Le juge étranger doit donc être internationalement compétent selon les prescriptions de l'arrêt Simitch, et sa décision ne doit être entachée ni de fraude ni de contrariété à l'ordre public international. Ce sont ces deux conditions qui ont, encore, retenu l’attention ces dernières années. La jurisprudence traditionnelle qui refusait, pour contrariété à l’ordre public international, la reconnaissance des jugements d’adoption par deux parents de même sexe (Civ. 1 re, 7 juin 2012, nos 11-30.261, 11-30.262, AJ fam. 2012. 397, note B. Hatfel) est devenue caduque en conséquence de la consécration en France du mariage entre époux de même sexe, qui induit, on l’a vu, le droit pour ces époux d’adopter. De la même façon, le fait que le conjoint de même sexe du parent biologique d’un enfant né à l’étranger d’une PMA (interdite en France dans les couples de même sexe) ou d’une GPA (interdite en France) se voie désormais reconnaître le droit d’adopter en France l’enfant de son époux (v. ss 763) implique qu’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger dans ces mêmes circonstances pourra être reconnu en France sans que l’ordre public international y fasse obstacle.
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Au-delà des conditions de droit commun, la reconnaissance d'une décision étrangère d'adoption suppose en outre une condition spécifique : la vérification directe et personnelle, par le juge français, de la réalité du consentement à l'adoption du représentant de l'enfant (Civ. 1re, 9 mars 2011, n o 09-72.371, JDI 2011. 967, obs. S. Godechot-Patris et J. Guillaumé). Il faut cependant, sur la question de la
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reconnaissance en France des décisions étrangères d'adoption, compter avec l'incidence du droit conventionnel.
b.
Le régime de l'adoption internationale, outre qu'il ressort parfois de conventions spéciales, est aujourd'hui infléchi par le droit conventionnel général. 1. Droit conventionnel général
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Droit conventionnel de l'adoption internationale
Le droit conventionnel général peut avoir une influence non négligeable sur le droit de l'adoption internationale. Certes, la Cour de cassation française a, dans un premier temps, repoussé les tentatives des plaideurs d'invoquer la Convention européenne des droits de l'homme à l'appui d'une exception d'ordre public international dirigée contre une loi étrangère prohibant l'adoption. L'arrêt Pistre (v. rubrique Documents) en fournit une illustration, lorsqu'il énonce que « les dispositions de la loi brésilienne qui prohibent l'adoption d'un enfant, en la forme plénière, par un étranger lorsque cet étranger ne réside pas au Brésil et qui repose sur le souci de ne pas couper complètement l'enfant de ses racines, ne sont contraires ni à la conception française de l'ordre public international, ni aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni à celles du Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques ». La Cour européenne des droits de l'homme a au moins partiellement confirmé cette analyse, puisqu’elle a jugé que le droit français, en ce qu’il interdit le prononcé ou la reconnaissance de l’adoption d’un enfant faisant l’objet d’une kafala, par le couple auquel il a été confié, dès lors que la loi personnelle de l’enfant exclut cette adoption, n’est pas contraire à la Conv. EDH (CEDH, 4 oct. 2012, Harroudji c/ France, no 43631/ 09, D. 2012. 2947, note P. Hammje, Rev. crit. DIP 2013. 146, note S. Corneloup ; et aussi CEDH, 16 déc. 2014, Chbibi Loudouci c/ Belgique, n o 52265/10, D. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon). Le Ministère de la Justice est néanmoins intervenu par voie de circulaire, pour préciser d’une part les conditions et modalités de la reconnaissance d’une kafala en France, d’autre part les conditions et modalités d’adoption de l’enfant légalement recueilli par le couple d’accueil, une fois l’enfant devenu français (circulaire du 22 octobre 2014 relative aux effets juridiques du recueil légal en France, préc., v. ss 765). Sur d’autres sujets en revanche, la Cour européenne des droits de l’Homme a adopté des positions plus tranchées, et a très nettement influencé le régime de la reconnaissance des décisions étrangères d'adoption. En effet, lorsqu'une décision d'adoption prononcée à l'étranger est présentée pour reconnaissance et transcription dans un État européen, des liens familiaux « préexistent de facto » entre les requérants dont le lien de parenté adoptive est d'ores et déjà acquis dans l'État d'origine. La Cour européenne des droits de l'homme veille alors à ce que le refus de reconnaissance et de transcription, le cas échéant opposé par l'État d'accueil, ne porte pas une atteinte injustifiée aux droits consacrés par la convention, notamment au droit à une vie familiale et au droit à la vie privée consacrés par l'article 8. Elle a ainsi, dans un arrêt Wagner (CEDH 28 juin 2007, v. rubrique Documents), condamné l'État luxembourgeois pour avoir refusé de reconnaître une adoption prononcée à l'étranger en application d'une loi incompétente. La CEDH a également, dans un arrêt Negrepontis (CEDH 3 mai 2011, v. rubrique Documents), condamné la Grèce pour avoir refusé de reconnaître, pour contrariété aux règles ecclésiastiques relevant de l'ordre public international grec, l'adoption de son neveu par un moine. En revanche, la CEDH n’a
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2. Droit conventionnel spécial
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pas tranché le point de savoir si l’adoption d’un enfant issu d’une GPA pratiquée à l’étranger doit nécessairement être reconnue, au nom du droit au respect de la vie familiale ou de la vie privée, dans l’État de résidence de ses parents. Il est néanmoins permis de voir son influence indirecte dans la récente consécration, par la Cour de cassation, du droit pour le parent d’intention d’adopter l’enfant biologique, né d’une GPA, de son conjoint ( v. ss 265, 758, 763, 766). Les États signataires de la Convention EDH ne sont donc pas totalement maîtres des conditions de reconnaissance, dans leur ordre juridique, des jugements d'adoption prononcés à l'étranger : la réalité « sociale » qui résulte de ces jugements doit parfois prévaloir sur les conditions de reconnaissance du for.
Le droit français de l'adoption internationale cède parfois la place à un droit d'origine conventionnel. La France est en effet signataire d'une convention de La Haye en date du 29 mai 1993, sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. L'existence de cette convention, entrée en vigueur en France le 1 er octobre 1998, ne prive toutefois pas d'intérêt le droit commun de l'adoption internationale. Les règles conventionnelles ne s'appliquent en effet, conformément aux dispositions de l'article 2-1 de la convention, que dans les relations entre États contractants, « lorsqu'un enfant résidant habituellement dans un État contractant (« l'État d'origine ») a été, est ou doit être déplacé vers un autre État contractant (« l'État d'accueil »), soit après son adoption dans l'État d'origine par des époux ou une personne résidant habituellement dans l'État d'accueil, soit en vue d'une telle adoption dans l'État d'accueil ou dans l'État d'origine ». Or si la convention compte un nombre désormais non négligeable de quatre-vingt-dix-neuf États contractants (au 28 juin 2018), un certain nombre de pays, et notamment parmi les pays musulmans, ont refusé d'y adhérer. Dans les relations avec les États non contractants, le droit commun français reste donc applicable.
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Le mécanisme mis en place par la convention repose sur un processus de coopération entre autorités des États d'origine et d'accueil, fondé sur la confiance entre États contractants, et conçu dans l'objectif principal de protection de l'intérêt supérieur et des droits fondamentaux de l'enfant. Les autorités de l'État d'origine de l'enfant reçoivent la mission d'établir, selon leur propre loi, que l'enfant est adoptable et que l'adoption internationale répond à son intérêt supérieur. Elles sont, en outre, chargées de recueillir, toujours selon leur propre loi, le consentement des représentants de l'enfant, après s'être assurées que ce consentement a été donné en pleine conscience des conséquences de l'adoption envisagée sur le lien de droit préexistant entre l'enfant et sa famille d'origine. Si l'enfant est en âge de donner un consentement, elles doivent également le recueillir et s'assurer qu'il a été donné en toute connaissance de cause. Les autorités de l'État d'accueil doivent pour leur part, en application de leur propre loi, vérifier que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter, qu'ils ont été entourés des conseils nécessaires et que l'enfant sera autorisé à séjourner sur le territoire. Le conflit de lois s'efface donc, on le voit, derrière le conflit d'autorités : chaque autorité agit en effet, dans le domaine de compétence qui lui est réservé, selon sa propre loi, conformément au principe auctor regit actum.
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La convention régit également la reconnaissance, dans un État contractant, d'une décision d'adoption prononcée dans un autre État contractant. Cette reconnaissance s'opère de plein droit dès lors qu'elle est « certifiée conforme à la convention par l'autorité compétente de l'État contractant où elle a eu lieu » (Conv., art. 23), sauf si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public « compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant » (Conv., art. 24). La convention détaille alors les effets qui s'attachent au lien de filiation établi par la décision étrangère d'adoption. Ces effets, largement communs à tous les modes d'établissement de la filiation, doivent donc être à présent envisagés.
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B. Les effets de la filiation 773
Les règles jurisprudentielles, antérieures aux interventions du législateur en matière de filiations biologique et adoptive, consacraient une unité de traitement entre conditions d'établissement et effets de la filiation, en les soumettant à une même loi. Ainsi, les effets de la filiation légitime étaient-ils soumis, comme son établissement, à la loi des effets du mariage, tandis que les effets de la filiation naturelle relevaient de la loi nationale de l'enfant ; l'arrêt Torlet (v. rubrique Documents) confirmait quant à lui que « les conditions comme les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale de l'adoptant ». L'intervention du législateur a brisé cette unité. La rupture est certaine, tout au moins, s'agissant de la filiation adoptive. Elle l'est moins pour les filiations biologiques, car formellement le législateur de 1972 ne s'est préoccupé que de la loi applicable à l'établissement de ces filiations. La loi appelée à en régir les effets reste donc incertaine. Cette incertitude du rattachement (1) est néanmoins de faible portée pratique, car sa positivité est restreinte. De nombreux effets de la filiation sont, en effet, aujourd'hui soustraits au rattachement général pour être soumis à des rattachements spéciaux (2).
1. Incertitude relative du rattachement 774
En matière d'adoption internationale, le législateur a clairement défini la loi applicable aux effets de l'adoption (a). Il n'a, en revanche, posé aucun principe pour identifier la loi applicable aux effets des filiations biologiques, si bien que les solutions sont à ce jour encore controversées (b).
a. 775
Solution acquise : la loi applicable aux effets de la filiation adoptive
La filiation adoptive pose une difficulté particulière en droit international privé, en raison de la très grande hétérogénéité que revêt l'institution de l'adoption selon les États. Si usuellement ce type de filiation a pour effet d'établir un lien de filiation entre l'adopté et les adoptants, son incidence sur le lien préexistant entre l'adopté et sa famille d'origine est beaucoup plus variable. Dans certains pays, ce lien initial est normalement rompu, comme c'est le cas en France avec l'adoption plénière. Mais dans beaucoup d'autres, il subsiste. Les effets qu'attachent les différentes lois à l'adoption peuvent donc être considérablement différents d'un pays à un autre. Dans ces conditions, il peut paraître hasardeux de soumettre les effets d'une adoption internationale à une autre loi que celle en application de laquelle l'adoption a été prononcée. En l'absence de toute équivalence des adoptions consacrées d'un pays à un autre, la prudence voudrait, pour éviter des problèmes d'adaptation, que les effets de l'adoption soient ceux prévus expressément par la loi applicable aux conditions de l'adoption. C'est ce qu'avait retenu la jurisprudence dans l'arrêt Torlet (v. rubrique
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Documents). Le législateur français a pourtant adopté un parti différent. L'article 3704 du Code civil dispose en effet que « les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française », tandis que l'article 370-5 énonce que « l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. À défaut, elle produit les effets de l'adoption simple ». L'adoption prononcée en France ne l'est pas nécessairement en application de la loi française, puisqu'elle est soumise à la loi de l'adoptant ou à la loi des effets du mariage en cas d'adoption par des époux. Les effets de cette adoption sont néanmoins toujours régis par la loi française. Quant à l'adoption prononcée à l'étranger, une fois la décision reconnue, ses effets sont également ceux de la loi française, sous réserve d'un contrôle d'équivalence entre l'adoption étrangère et les formes d'adoption régies par la loi française. Si l'adoption étrangère « rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant », elle produit en France les effets que la loi française attache à l'adoption plénière. À défaut, elle produit en France les effets que la loi française attache à l'adoption simple. Ce mécanisme reprend partiellement celui qu'institue la convention de La Haye de 1993 : lorsqu'une adoption a pour effet, dans l'État contractant où elle a été prononcée, de rompre le lien de filiation préexistant, « l'enfant jouit, dans l'État d'accueil et dans tout autre État contractant où l'adoption est reconnue, des droits équivalents à ceux résultant d'une adoption produisant cet effet dans chacun de ces États » (art. 26-2). C'est donc bien à la loi de l'État dans lequel l'adoption est invoquée qu'il appartient de définir les effets de celleci, en lui appliquant les dispositions locales régissant les adoptions équivalentes.
b.
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Solutions controversées : la (ou les) loi(s) applicable(s) aux effets des filiations biologiques
Le législateur, lorsqu'il a adopté les règles de conflit propres à la filiation en 1972, ne l'a fait formellement que pour l'établissement de la filiation. Depuis lors, doctrine et jurisprudence marquent une hésitation quant à la loi applicable aux effets de la filiation. Plusieurs opinions, opposées, ont été émises par la doctrine. Pour certains, la volonté du législateur de cantonner les règles législatives à l'établissement de la filiation, et l'inadaptation de ces règles à la réglementation des effets de celle-ci (notamment le caractère « figé », au jour de la naissance de l'enfant, de la règle générale et le caractère alternatif de certains rattachements alors qu'une loi unique s'impose pour la définition des effets de la filiation) interdiraient toute extension des premières. Les effets de la filiation devraient alors être déterminés en application d'un système propre qui pourrait être, selon les préconisations de certains auteurs, celui institué par la jurisprudence avant la réforme de 1972 (les effets de la filiation légitime seraient soumis à la loi des effets du mariage, ceux de la filiation naturelle à la loi nationale de l'enfant) ou encore, selon d'autres auteurs, un système reposant sur un rattachement spécifique et autonome (la loi nationale de l'enfant ayant à cet égard des titres de compétence particuliers). Un courant doctrinal opposé, minoritaire, considère que l'extension des règles relatives à l'établissement de la filiation aux effets de celle-ci s'impose, pour maintenir l'unité de la catégorie filiation et éviter les problèmes d'adaptation entre loi de l'établissement, et loi des effets. L'ordonnance du 4 juillet 2005 apporte un argument de texte à cette dernière opinion, puisqu'elle modifie l'intitulé du Livre Ier, titre VII, chapitre I, section II ; antérieurement intitulée « Du conflit des lois relatives à l'établissement de la filiation », cette
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section apparaît désormais sous le titre « Du conflit des lois relatives à la filiation ». On peut néanmoins légitimement hésiter à se rallier à cette approche, en raison des inconvénients réels qu'elle génère. Les rares décisions de jurisprudence sont malheureusement d'autant moins probantes qu'elles sont antérieures à l'ordonnance de 2005. Il faudra donc attendre pour savoir si les juges entendent tirer des conséquences de la modification apportée par cette ordonnance à l'intitulé de la section consacrée aux règles de conflit en matière de filiation. Il n'est pas certain, toutefois, que la jurisprudence française ait rapidement l'occasion de statuer sur la loi applicable aux effets de la filiation. En effet, le rattachement général est d'une positivité particulièrement restreinte.
2. Positivité restreinte du rattachement 778
Quel qu'il soit, le rattachement général a un domaine d'application réduit en raison de la multiplication des instruments conventionnels relatifs aux principaux effets de la filiation. Cette évolution sera illustrée par l'examen successif des trois principaux effets de la filiation que sont la dévolution du nom (a), l'autorité parentale (b) et l'obligation alimentaire (c).
a. 779
Dévolution du nom
On a déjà vu comment, pour la dévolution du nom aux enfants biologiques, le droit positif français a progressivement évolué en substituant à l’application de la loi régissant les effets de la filiation, celle de la loi nationale de l’enfant (v. ss 535 s.). Quant à la transmission du nom aux enfants adoptifs, elle est réglée par la combinaison des articles 370-4 et 357-1 du Code civil, qui la soumettent à la loi applicable aux effets de l'adoption (soit en France la loi française). On rappellera également l’émergence d’une obligation pour les États de « reconnaître », sans pouvoir opposer la loi compétente d’après leur règle de conflit, le nom attribué à l’enfant dans un pays étranger (v. ss 547 s.).
b.
Autorité parentale
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L'autorité parentale est un effet majeur de la filiation, puisqu'elle est dans la plupart des systèmes juridiques confiée de plein droit aux parents. Or on l'a vu (v. ss 657 s.), le régime international de l'autorité parentale est appréhendé par plusieurs instruments conventionnels — principalement la convention de La Haye de 1996 — et européens — le règlement Bruxelles II bis. On rappellera simplement ici que la convention de 1996 retient la compétence de principe de la loi de l'État de résidence habituelle de l'enfant (Conv., art. 17). Quant au règlement Bruxelles II bis, il définit la compétence des autorités appelées à statuer, le cas échéant, sur l'autorité parentale (sur les détails de ces règles, v. ss 657 s.).
781
Dans le système conventionnel, l'autorité parentale échappe donc largement, sinon totalement, à la loi des effets de la filiation. Même lorsqu'elle est soumise au droit commun français (lorsque l'enfant réside dans un État non signataire de l'une des conventions précitées), le droit positif ne semble pas enclin à faire appel à la loi des effets de la filiation. La doctrine préconise en général l'adoption d'un rattachement unitaire, conduisant à l'application de la loi nationale de l'enfant quel que soit le type de filiation considéré (puisque l'autorité parentale est un mode de protection de l'incapable mineur et que le régime de l'incapacité relève en principe de la loi nationale de l'intéressé). La jurisprudence n'est cependant pas clairement fixée, et
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tend à privilégier — de façon assez contestable — l'application de la loi française (sur les titres d'application de cette loi en matière d'incapacités, v. ss 636 s.).
c.
Obligation alimentaire
§
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Le droit des obligations alimentaires entre parents et enfants a longtemps été régi en France par deux conventions de La Haye : la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, dont le domaine d'application matériel couvre les obligations alimentaires entre parents et enfants, quelle que soit la nature du lien de filiation considéré ; et la convention de La Haye, en date du 24 octobre 1956, sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants. La convention de 1973 réservait en effet l'application de la convention de 1956 dans les rapports avec les États qui, signataires de cette dernière convention, n’avaient pas ultérieurement signé la convention de 1973. La convention de 1956 était cependant moins favorable que la convention de 1973, car elle prévoyait la compétence principale de la seule loi de la résidence habituelle de l'enfant, tandis que la convention de 1973 instituait une règle matérielle in favorem. Mais toutes les obligations alimentaires, y compris celles entre parents et enfants, sont aujourd'hui régies par le Règlement Obligations alimentaires, qui renvoie sur la question de la loi applicable au Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Cela est si vrai que le législateur a abrogé, par la loi du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance de 2005, l'article 311-18 du Code civil qui disposait que « l'action à fins de subsides est régie, au choix de l'enfant, soit par la loi de sa résidence habituelle, soit par la loi de la résidence habituelle du débiteur ». L’action aux fins de subsides est en effet couverte par le Règlement Obligations alimentaires, et par le Protocole du 23 novembre 2007, tout comme elle l’était d’ailleurs auparavant par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. On envisagera donc à présent ces textes, qui comportent des dispositions de faveur pour les enfants.
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3 Les obligations alimentaires
L’obligation alimentaire a une nature juridique particulière. Quoiqu’elle conduise à une obligation de payer, ce qui lui confère un aspect patrimonial, elle constitue néanmoins un effet personnel des relations de famille. En la matière, les États ont très tôt coopéré pour définir leurs règles de droit international privé, en sorte que le droit des obligations alimentaires échappe au droit commun français. C’est aujourd'hui le règlement CE no 4/2009 Obligations alimentaires, applicable depuis le 18 juin 2011, qui régit les obligations alimentaires en France. Le champ d’application de ce règlement est large, puisqu’il s’applique à toutes les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance (art. 1 § 1), dans les procédures engagées après le 18 juin 2011. Mais ce règlement ne fait pas table rase des nombreuses conventions internationales en vigueur en France en la matière, qu’il s’agisse de textes relatifs à la circulation des décisions, comme la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires ou la Convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille ; ou de textes relatifs à la loi applicable,
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A. Conflits de juridictions 784
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question sur laquelle le règlement renvoie d’ailleurs expressément au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Le protocole se substitue, conformément aux termes de son article 18, tant à la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires qu'à la convention de La Haye du 24 octobre 1956, sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants. Le protocole étant applicable en France depuis le 18 juin 2011 et d’application universelle (c’est‑à-dire applicable même si la loi qu’il désigne est celle d’un État non contractant), les conventions de 1956 et 1973 sur la loi applicable n’ont plus lieu de jouer. C’est donc en combinant le règlement Obligations alimentaires et les conventions internationales de La Haye actuellement applicables que l’on envisagera les conflits de juridictions (A) et la loi applicable (B).
Le règlement Obligations alimentaires, qu’il faut combiner avec différentes conventions internationales, comporte à la fois des règles de compétence internationale des juridictions (1), et des règles de reconnaissance et d’exécution des décisions (2). Il institue en outre un mécanisme de coopération entre autorités centrales, sur lequel on ne reviendra pas, destiné à faciliter et favoriser son application.
1. Compétence internationale des juridictions 785
Pour les procédures engagées après le 18 juin 2011, la compétence internationale des juridictions est régie par le Règlement Obligations alimentaires. Le règlement institue la possibilité pour les parties d’élire par une convention écrite, y compris avant la naissance du litige, les juridictions d’un État membre comme juridictions compétentes, si l’obligation alimentaire en cause ne concerne pas un enfant de moins de 18 ans. Mais les juridictions éligibles sont limitées. Il s’agit, aux termes de l’article 4 § 1 du Règlement, des juridictions de l’État membre : - où l’une des parties a sa résidence habituelle ; - dont l’une des parties a la nationalité ; - où les époux ont eu leur dernière résidence habituelle commune pendant un an ; - compétentes pour connaître du différent matrimonial, en ce qui concerne les obligations alimentaires entre époux ou ex-époux. À défaut de choix, l’article 3 du règlement permet au demandeur de saisir, au choix, les juridictions de l’État membre : - où le défendeur a sa résidence habituelle, - où le créancier a sa résidence habituelle, - compétentes selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande d’obligation alimentaire est accessoire à cette action (par ex. le juge du divorce), sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité de l’une des parties, - compétentes selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande d’obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité de l’une des parties.
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Une juridiction d’un État membre est en outre compétente si le défendeur comparaît sans contester sa compétence (art. 5). L’article 6 instaure une compétence subsidiaire, selon laquelle si aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en application des règles qui viennent d’être exposées, les juridictions de l’État membre de la nationalité commune des parties sont compétentes. L’article 7 institue le forum necessitatis (v. ss 310). Il s’agit, on le comprend, de multiplier les chances pour les parties de pouvoir saisir les juridictions d’un État membre, dès lors qu’elles ont un lien avec l’Union européenne concrétisé par leur nationalité ou leur résidence. Pour les procédures en cours, engagées avant le 18 janvier 2011, la compétence en matière d’obligations alimentaires est régie par le Règlement Bruxelles I lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre. Ce règlement retient, outre la compétence générale du domicile du défendeur, une règle de compétence spéciale (art. 5 § 2) conférant compétence au « tribunal du lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa résidence habituelle ou, s’il s’agit d’une demande accessoire à une action relative à l’état des personnes, devant le tribunal compétent selon la loi du for pour en connaître, sauf si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité de l’une des parties ». Les articles 23 et 24 sur les prorogations de compétence sont applicables.
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2. Reconnaissance et exécution des décisions Le règlement Obligations alimentaires ne s’applique qu’à la reconnaissance et à l’exécution des décisions des États membres de l’Union européenne. Il distingue à cet égard selon que l’État membre d’origine est ou non lié par le protocole de La Haye de 2007 qui unifie le conflit de lois. Si l’État membre d’origine est lié par le protocole, sa décision est reconnue et jouit de la force exécutoire dans les autres États membres de plein droit, sans qu’aucune procédure ne soit nécessaire si ce n’est une certification dans l’État d’origine (sur cette procédure, v. ss 464 s. et v. ss 468 s.). Si l’État membre n’est pas lié par le protocole, sa décision est reconnue de plein droit, mais son exécution suppose une procédure spécifique dans l’État d’accueil afin qu’elle y soit déclarée exécutoire ; les conditions sont sensiblement les mêmes que celles posées par le système Bruxelles en matière civile et commerciale.
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Le régime de circulation des décisions des États non membres peut relever du droit commun français (sur lequel v. ss 411 s.), ou des conventions de La Haye de 1973 ou de 2007 sur le recouvrement des aliments, toutes deux en vigueur en France, lorsque l’État d’origine de la décision est un État contractant. Ces conventions définissent les conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière d’aliments, avec l’objectif d’en faciliter la circulation. La Convention de 2007 institue en outre des mécanismes de coopération entre États contractants pour favoriser cette circulation.
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B. Loi applicable
Le règlement Obligations alimentaires ne comporte pas de règles de conflit de lois, mais il renvoie sur ce point, pour les États membres liés comme la France par cet instrument, au protocole de La Haye de 2007. C’est donc ce texte, applicable en France depuis le 18 juin 2011, qui définit désormais la loi applicable aux obligations
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alimentaires. On rappellera que la convention de La Haye de 1973, qui posait une règle de conflit à coloration matérielle (la loi applicable est celle de la résidence habituelle du créancier d'aliments ; mais si cette loi ne permet pas au créancier d'obtenir des aliments, celui-ci peut se prévaloir de la loi de sa nationalité si elle est commune au débiteur, ou encore de la loi du for), n’est plus applicable en France puisque le protocole s’y substitue. L’article 3 du protocole fixe une règle générale, selon laquelle la loi de l’État de résidence habituelle du créancier d’aliments régit en principe les obligations alimentaires. Le conflit mobile est traité par le § 2 de cette disposition, qui précise qu’en cas de changement de résidence habituelle, c’est la loi de l’État de la nouvelle résidence qui s’applique à partir de la date du changement.
790
Cette règle générale est complétée par différentes règles spéciales. L’article 4 définit ainsi une règle de faveur applicable dans les relations entre parents et enfants, ou dans les relations entre toute personne et une personne âgée de moins de 21 ans. Le texte prévoit que si la loi de l'État de résidence habituelle du créancier d'aliments normalement applicable n'attribue pas d'aliments à l'enfant, la loi du for s'applique ; et si la loi du for n'attribue toujours pas d'aliments à l'enfant, il est possible de recourir à la loi de l'éventuelle nationalité commune du créancier et du débiteur d'aliments. La CJUE, qui a en cette occasion confirmé sa compétence pour interpréter le Protocole, a précisé qu’il est permis de considérer qu’une loi n’attribue pas d’aliments à l’enfant lorsque les conditions légales de cette attribution ne sont pas remplies, même si l’attribution est consacrée sur le principe (CJUE 7 juin 2018, KP c. LO, aff. C-83/17). La Cour européenne règle dans la même décision une question relative à la coordination de l’article 4 et de l’article 3 : en cas de changement de résidence de l’enfant qui saisit les juridictions de sa nouvelle résidence d’une demande d’aliment, la loi de son ancien État de résidence régit en principe, en vertu des règles de conflit mobile posées par l’article 3, sa demande d’aliments pour la période précédant son changement de résidence. Néanmoins, si cette loi n’attribue pas d’aliments, la loi de la nouvelle résidence peut être appliquée à cette demande comme loi du for, pour la période où l’enfant résidait dans l’autre État, si et seulement si les juridictions de sa nouvelle résidence, saisies par lui, étaient compétentes pour connaître de la demande d’aliments se rapportant à cette période. La question des juridictions compétentes est importante, car le Protocole prévoit également une règle dérogatoire au principe posé par l’article 4, proposant une alternative chronologique applicable lorsque le créancier saisit l'autorité compétente de l'État de résidence habituelle du débiteur. La loi de cet État s'applique alors prioritairement ; mais si elle n'attribue pas d'aliments, la loi de la résidence habituelle de l'enfant est appliquée, et finalement en cas de défaillance de cette loi, l'éventuelle loi nationale commune du créancier et du débiteur. L’article 5 pose une règle spéciale applicable dans les relations entre époux et exépoux, dérogeant à l’article 3 : la loi de la résidence du créancier d’aliments ne s’applique pas dès lors que l’un des époux s’y oppose et que la loi d’un autre État, en particulier l’État de leur dernière résidence habituelle commune, présente un lien plus étroit avec le mariage. C’est alors la loi de cet État qui s’applique.
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Dans les relations entre adultes capables, ces règles de conflit de lois ne sont toutefois que subsidiaires, puisque les parties peuvent, selon l’article 8, procéder à un choix de loi et désigner la loi applicable par un accord écrit. Selon l’usage pour les conventions
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de choix en matière familiale, les parties ne peuvent cependant choisir qu’une loi ayant suffisamment de liens avec leur situation, à savoir : a) la loi nationale de l’une d’entre elles au moment de la désignation ; b) la loi de l’État de résidence habituelle de l’une d’entre elles au moment de la désignation ; c) la loi régissant leurs relations patrimoniales ; d) la loi régissant leur divorce ou leur séparation de corps. La loi choisie par les parties ne déroge cependant pas totalement à la loi de l’État de résidence habituelle du créancier d’aliment, qui reste seule applicable à la question de la possibilité pour le créancier de renoncer à son droit à des aliments (art. 8 § 4). Et elle doit en toute hypothèse être écartée si son application entraîne des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l’une ou l’autre des parties (art. 8 § 5). Avec le droit des obligations alimentaires, on a abordé, certes au titre des effets personnels des relations de famille, certains aspects patrimoniaux de ces relations. L'étude doit à présent être prolongée en envisageant, de façon plus complète, les effets que ces liens de famille ont sur le régime des biens, c'est‑à-dire le droit patrimonial de la famille.
Droit patrimonial de la famille Les effets patrimoniaux des relations de famille, de couple ou de filiation, font traditionnellement l’objet d’un traitement distinct de celui des effets personnels de ces relations. Alors que les effets personnels sont le plus souvent régis par la loi qui régit la relation, les effets patrimoniaux sont traités de façon autonome, au travers de catégories spécifiques du droit international privé. On les abordera en distinguant les relations patrimoniales du couple marié, c'est‑à-dire les régimes matrimoniaux (§ 1), les relations patrimoniales du couple non marié (§ 2) et les successions (§ 3).
§
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1 Les relations patrimoniales du couple marié
La plupart des droits étatiques sont organisés, s'agissant du régime des biens des époux, selon un même schéma : un régime légal est prévu (qui peut être selon les pays la séparation de biens ou la communauté de biens), régime auquel les époux sont autorisés à déroger par la conclusion d'un contrat de mariage. En outre, les époux peuvent se consentir des libéralités, ces donations entre époux étant parfois soumises à un régime distinct de celui réservé aux libéralités au bénéfice des « tiers ». Il faut donc distinguer, formellement, entre le régime matrimonial (A) et les donations entre époux (B).
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A. Régime matrimonial Fruits d'une élaboration progressive par la jurisprudence, les règles de conflit de lois françaises subissent aujourd'hui la concurrence de règles d'origine conventionnelles, et bientôt des règles européennes. La France est en effet signataire de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, applicable depuis le 1 er septembre 1992. En outre, un règlement n o 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux s’applique à compter du 29 janvier 2019. Si ce texte est le seul à poser des règles de conflit de juridictions spécifiques à la matière, il entrera en revanche en concurrence avec le droit conventionnel et le droit commun français pour la détermination de la loi applicable. Il faudra donc envisager l’articulation entre droit conventionnel, droit européen et droit commun français en la matière. On distinguera ainsi les conflits de juridictions (1) de la question de la loi applicable (2).
1. Conflits de juridictions
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Alors que le droit commun français ne comporte pas de règles de conflits de juridictions spécifiques aux régimes matrimoniaux, et s’en remet donc aux règles générales régissant la matière civile et commerciale (v. Chapitres 3 et 4), le nouveau règlement européen Régimes matrimoniaux traite de la compétence des juridictions, ainsi que de la reconnaissance et de l’exécution des décisions.
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Les règles de compétence internationale posées par le règlement sont applicables aux procédures intentées à compter du 29 janvier 2019. Après avoir précisé : – que les juridictions compétentes en matière de succession le sont pour statuer les questions de régime matrimonial en relation avec cette succession (art. 4) ; - et que les juridictions saisies d’une demande de divorce, séparation de corps ou annulation du mariage en application du règlement Bruxelles II bis sont compétentes pour statuer sur les questions de régime matrimonial en relation avec cette demande (art. 5, sous réserve de l’accord des époux dans un certain nombre de situations listées au § 2, sur lesquelles v. ci-après), le règlement dispose en son article 6 que les juridictions compétentes sont en principe celles : 1) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine ; ou à défaut, 2) celles de la dernière résidence habituelle des époux si l’un y réside encore au moment de la saisine ; ou à défaut 3) celles de la résidence habituelle du défendeur au moment de la saisine ; ou à défaut, 4) celles de la nationalité commune des époux. Le règlement laisse une place à la volonté des époux en leur permettant de choisir la juridiction compétente dans deux hypothèses. D’abord, on l’a signalé, si la juridiction saisie d’une demande de dissolution ou d’annulation du mariage en application du Règlement Bruxelles II bis est celle de la résidence habituelle du demandeur depuis au moins un an, celle de l’État national du demandeur s’il y réside depuis au moins six mois, ou celle compétente selon l’article 5 ou selon l’article 7 du règlement BII bis, il faut un accord des parties pour que cette juridiction puisse
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connaître également de la liquidation du régime matrimonial en vertu de l’article 5 du Règlement Régimes matrimoniaux. Ensuite, quand l’article 6 est applicable, les époux peuvent donner compétence exclusive aux juridictions de l’État dont la loi est applicable selon l’art. 22 (v. ss 799) ou l’art. 26 § 1 point a) ou b) (v. ss 801). La convention d’élection de for répond à des règles de forme fixées par le règlement ; elle doit en particulier être conclue par écrit. Le règlement retient également que la comparution volontaire (sur les conséquences de laquelle le demandeur doit être informé) devant une juridiction, sans contestation de sa compétence, lui confère compétence, mais seulement si la loi de cette juridiction est applicable en vertu de l’article 22 ou de l’article 26 § 1 a) ou b). Il prévoit que la juridiction compétente peut exceptionnellement décliner cette compétence si elle ne reconnaît pas le mariage concerné (art. 9) et instaure à la fois une compétence subsidiaire (art. 10) et un for de nécessité (art. 11). Les décisions rendues par les juridictions compétentes d’un État membre sont reconnues de plein droit dans les autres États membres liés par le règlement (art. 36) ; en revanche l’exécution forcée suppose une procédure dans l’État d’exécution (art. 42). Les conditions de non-reconnaissance et d’exécution sont très similaires à celles applicables en matière civile et commerciale
2. Loi applicable
Les règles de conflit posées par la convention de La Haye de 1978 déterminent la loi applicable aux mariages célébrés après le 1er septembre 1992. Les règles de conflit de lois posées par le règlement Régimes matrimoniaux s’appliquent aux mariages célébrés après le 29 janvier 2019, ou aux mariages antérieurs si les parties ont désigné la loi applicable à leur régime matrimonial après le 29 janvier 2019. Les mariages célébrés avant le 1er septembre 1992 devraient donc, sauf convention matrimoniale ultérieure, rester régis par le droit commun français. Les mariages célébrés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 devraient pour la plupart être régis par la convention de La Haye de 1978. Enfin, pour certains mariages célébrés à partir du 1 er septembre 1992 (ceux dont les époux auront désigné la loi applicable au régime matrimonial après le 29 janvier 2019) et pour tous les mariages célébrés à partir du 29 janvier 2019, il existera un conflit entre le dispositif conventionnel et le dispositif européen, l’un et l’autre retenant que la loi désignée a vocation universelle. Ce conflit est réglé par l’article 62 du Règlement, qui prévoit en substance que la convention prévaut sur le règlement, sauf dans les relations entre États membres dans lesquelles le règlement prévaut « sur les conventions conclues entre eux ». Cette disposition posera un problème d’interprétation similaire à celui constaté pour d’autres règlements européens : faut-il comprendre que le règlement ne peut prévaloir sur une convention que lorsque celle-ci ne lie que des États membres, et pas d’États tiers ? On observera que tel est actuellement le cas de la Convention de La Haye de 1978, qui n’est applicable qu’en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas et qui devrait donc toujours s’effacer devant le règlement lorsque celui-ci sera applicable, à moins qu’un État tiers ne la ratifie d’ici là. Ou suffit-il en toute hypothèse que la situation litigieuse n’implique que des États membres pour que le règlement prévale sur la convention ? On comprend que les trois sources sont et resteront longtemps pertinentes, en sorte que c’est sous cette triple dimension que l’on envisagera l’identification de la loi
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applicable (a), le changement de loi applicable (b) et le domaine de la loi applicable (c).
a.
Identification de la loi applicable
Lorsqu'ils établissent un contrat de mariage, les époux peuvent choisir la loi appelée à régir leur régime matrimonial, soit de façon expresse, soit de façon implicite mais « indubitable ». La convention de La Haye (art. 3) prolonge sur ce point le principe forgé par la jurisprudence française. Elle s'en éloigne toutefois partiellement. En effet, alors qu'en droit commun français les époux peuvent librement choisir la loi applicable à leur régime, la convention de La Haye ne les autorise à opérer leur choix que parmi l'une des lois suivantes : – loi nationale de l'un des époux ; – loi du lieu de résidence de l'un des époux au moment de la désignation ; – ou, loi du lieu de la première résidence de l'un des époux après le mariage. C'est cette même faculté de choix encadré que consacre le règlement européen, qui institue la possibilité pour les époux de choisir la loi applicable à leur régime matrimonial, parmi une liste de lois définies à l’article 22 : loi de résidence habituelle de l’un des futurs époux ou loi de nationalité de l’un des futurs époux, au jour où la convention est conclue. Le règlement spécifie les conditions de forme et de fond que doit remplir la convention portant choix de la loi applicable (art. 23 et 24). On observera finalement que, si le droit commun français et le droit européen favorisent l'unité du régime — la loi choisie étant appliquée à l'ensemble des biens, sans possibilité de dépeçage —, la convention de La Haye autorise le dépeçage en permettant aux époux de soumettre les immeubles à la loi de leur lieu de situation.
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En l'absence de tout contrat, les époux sont soumis au régime légal. Mais lequel ? Le droit commun français maintient dans cette hypothèse le principe d'autonomie : les parties peuvent expressément choisir la loi applicable à leur régime légal. Le plus souvent toutefois, l'absence de contrat de mariage se traduit par une absence de choix de loi. Il faut donc utiliser une règle supplétive. Même alors, la règle de conflit forgée par la jurisprudence française marque un attachement au principe d'autonomie. Conformément aux enseignements de l'arrêt Zelcer (Req. 4 juin 1935, v. rubrique Documents), les juges du fond doivent en effet procéder à une localisation subjective de la relation matrimoniale, en recherchant « d'après les faits et circonstances, et notamment en tenant compte du domicile matrimonial des époux, le statut matrimonial que [les époux] ont eu la volonté commune d'adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires ». C'est donc la volonté des époux qui est analysée, pour déterminer à quelle loi ils ont — au moins implicitement — entendu se soumettre. Cette approche a priori subjectiviste de la localisation des intérêts pécuniaires des époux est nuancée en raison du poids particulier affecté au critère du premier domicile matrimonial. La compétence de la loi du premier domicile commun est en effet qualifiée, dans la jurisprudence postérieure, de présomption de droit. Formellement donc, la loi applicable est celle du premier domicile commun. Mais la volonté des époux est prise en compte dans la localisation de ce premier domicile commun, défini comme le lieu où les époux entendent lors de leur mariage fixer leur établissement d'une manière stable. La volonté des époux fixe donc le lieu du premier domicile commun, lequel permet de désigner la loi applicable.
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La famille
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Le règlement réserve le jeu des lois de police du for et de l’ordre public, mais il exclut le renvoi. En cela, il rejoint les solutions applicables en droit conventionnel (la référence à la « loi interne » de l'État de la première résidence habituelle implique une exclusion du renvoi) et en droit commun français. La Cour de cassation avait en effet, par son arrêt Gouthertz (Civ. 1re, 1 er févr. 1972, v. rubrique Documents), retenu que le renvoi ne pouvait être admis en matière de régime matrimonial. L'affirmation se comprend puisque l'application du principe d'autonomie est usuellement exclusive du renvoi (sur les principes généraux, v. ss 109).
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b.
Changement de la loi applicable
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Cette prise en considération de la volonté des époux disparaît dans la convention de La Haye. Selon l'article 4 (al. 1er) de cette convention, si les époux n'ont pas clairement désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à « la loi interne de l'État sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage », (ou à titre très exceptionnel à la loi de leur nationalité commune). L'approche, purement objective, exclut toute analyse de la volonté des époux. La même approche objective est retenue par le règlement européen, selon lequel à défaut de choix de loi (écrit) par les parties, la loi applicable est, selon l’article 26 § 1, la loi de l’État : a) de la première résidence commune habituelle des époux après la célébration du mariage ; ou à défaut, b) de la nationalité commune des époux au moment de la célébration du mariage (inapplicable si les époux ont plus d’une nationalité commune) ; ou à défaut, c) avec lequel les époux « ont ensemble les liens les plus étroits » au moment de la célébration du mariage, « compte tenu de toutes les circonstances ». Cette règle est assortie d’une sorte de clause d’exception qui autorise à substituer une loi, parmi celles listées, à la loi normalement applicable (art. 26 § 2). On observera que la compétence de principe de la loi de la première résidence habituelle commune des époux ne va pas sans soulever des difficultés, liées à l’identification factuelle de cette première résidence commune (v. en part. les décisions citées par et les obs. de H. Gaudemet-Tallon, D. 2015. 1056).
Le bouleversement le plus important qu'a apporté la convention de La Haye au droit international privé des régimes matrimoniaux, par rapport aux solutions antérieurement posées par la jurisprudence française, réside dans la possibilité qu'elle institue, par le biais d'une règle matérielle, de changer la loi applicable au régime matrimonial. Le droit commun français n'ignorait certes pas totalement le changement de loi applicable. Il acceptait en effet, ainsi que le rappelle l'arrêt Zelcer (v. rubrique Documents), que les parties modifient leur régime matrimonial postérieurement à la célébration du mariage, à la condition que cette mutation du régime soit admise par la loi qui lui était initialement applicable. Et dès lors que la loi du régime en admettait la modification, la jurisprudence française considérait que le nouveau régime pouvait être emprunté à une autre loi que la loi initialement applicable : le changement de loi applicable pouvait donc être réalisé, à l'occasion d'une modification de régime matrimonial, lorsque la loi initialement applicable à ce dernier en consacrait la mutabilité.
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Droit international privé
La convention de La Haye va beaucoup plus loin. Elle pose, dans son article 6, une règle matérielle autorisant les époux, au cours du mariage, à volontairement soumettre leur régime matrimonial à une autre loi que celle qui lui était initialement applicable, sous la seule réserve que la loi nouvellement choisie soit la loi de la nationalité ou de la résidence habituelle de l'un des époux au moment de la désignation. Peu importe, donc, que la loi initialement applicable au régime autorise ou non la mutation. Cette faculté de changer la loi applicable au régime profite même aux époux dont le mariage est antérieur au 1er septembre 1992, date d'entrée en vigueur de la convention en France. Le changement joue en outre de façon rétroactive, y compris sur les biens des époux antérieurement acquis. La rétroactivité présente toutefois de réels dangers, pour les époux comme pour les tiers. On comprend dans ces conditions que la Cour de cassation ait récemment imposé que le changement volontaire de loi applicable respecte des règles de forme strictes : l’application combinée des articles 6 et 11 de la Convention impose, pour la Haute juridiction française, que le changement volontaire de loi fasse l’objet d’une stipulation expresse, incluse dans un acte équivalent à un contrat de mariage (Civ. 1 re, 13 déc. 2017, n o 16-27.216, D. 2018. 970, obs. S. Clavel, et les notes cit.). La solution retenue par le règlement européen semble plus satisfaisante. En effet, si le règlement prévoit, comme la convention de La Haye, que la loi applicable peut être modifiée par la volonté des parties (y compris si le mariage a été célébré avant le 29 janvier 2019), au profit soit de la loi de la résidence habituelle de l’un des époux au jour du changement de loi, soit de la loi nationale de l’un des époux au jour du changement de loi, il précise toutefois qu’en principe, ce changement n’a d’effet que pour l’avenir (art. 22, § 2). Certes, les parties peuvent par convention expresse lui conférer un effet rétroactif, mais alors celui-ci ne peut porter atteinte aux droits des tiers (art. 22, § 3).
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Quoiqu'il opère cette fois sans rétroactivité de principe (art. 8), tout aussi dangereuse est la consécration par la convention de La Haye d'un changement involontaire de la loi applicable au régime. À moins que les époux n'aient initialement choisi cette loi, l'article 7 de la convention attache, en effet, à certaines circonstances objectives la conséquence d'un changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial. Tel est le cas lorsque les époux ont, après le mariage, adopté une nouvelle résidence dans l'État de leur nationalité commune, ou encore ont adopté une nouvelle résidence et s'y sont fixés plus de dix ans. Cette solution n'est guère opportune, car les époux peuvent ne pas avoir eu conscience du changement de la loi applicable à leur régime : mariés sans contrat sous l'empire d'une loi dont le régime légal est la communauté de biens, ils peuvent ainsi, à leur insu, se trouver soumis à un régime légal de séparation de biens comme suite d'un changement de loi applicable, ou inversement. L’absence de rétroactivité, si elle est souhaitable, est en outre source de complication, puisqu’en cas de changement automatique du régime, il faut diviser les biens des époux en deux masses, l’une soumise au régime initial, l’autre au régime ultérieur (Civ. 1re, 12 avril 2012, no 10-27016, Rev. Crit. DIP 2012. 864, note C. Kleiner, JDI 2012. 950, note I. Barrière-Brousse, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke). Cette possibilité de changement involontaire n'est pas prévue, et on s'en réjouira, par le règlement de l'Union européenne.
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c.
La famille
Domaine de la loi applicable 806
La préservation des droits des tiers, en effet, peut justifier l'immixtion d'une autre loi que la loi du régime. Certes, conformément à l'article 9, alinéa 1er de la convention de La Haye, la loi applicable au régime matrimonial régit en principe les effets de celuici dans les relations entre les époux et les tiers. Mais il était dès lors important de s'assurer que les tiers ont une information suffisante sur la loi applicable, notamment en présence d'un contrat de mariage. C'est pourquoi l'alinéa 2 de l'article 9 réserve le droit, pour les États contractants, de subordonner l'opposabilité aux tiers de la loi choisie par les époux à des mesures de publicité ou à la vérification de la connaissance effective, par le tiers, de cette loi. Les règles de publicité instituées par le droit français, par exemple, s'appliquent impérativement aux mariages célébrés en France (C. civ., art. 75, 76, 1397-3), quels que soient le lieu de conclusion du contrat de mariage et la loi applicable au régime. Le règlement européen retient également une règle spécifique s’agissant de l’opposabilité de la loi du régime matrimonial aux tiers. Cette loi ne peut être opposée à un tiers que s’il en a eu connaissance ou aurait dû en avoir connaissance, hypothèse sur laquelle l’article 28 du règlement apporte des précisions. À défaut, les effets du régime matrimonial à l’égard des tiers sont régis par la loi de l’État régissant l’éventuel contrat entre le tiers et le ou les époux ; ou par la loi du lieu de situation des biens immeubles ou d’enregistrement des biens ou droits enregistrés lorsque les relations entre le tiers et les époux impliquent de tels biens.
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En droit commun français, la forme du contrat de mariage, tout comme celle d'une désignation de loi applicable par stipulation expresse en dehors de tout contrat, est normalement soumise à la règle de conflit propre à la forme des contrats : le contrat de mariage est valable en la forme si celle-ci répond aux exigences soit de la loi du régime matrimonial, soit de la loi de l'État où il a été conclu. À cette règle de conflit alternative, les articles 12 (contrat) et 13 (désignation expresse) de la convention de La Haye ajoutent toutefois une règle matérielle, selon laquelle l'acte « doit toujours faire l'objet d'un écrit daté et signé des deux époux » (art. 12 et 13 in fine). Quant au règlement européen, il édicte des règles spécifiques à la validité en la forme de la convention matrimoniale (art. 25) : il prévoit tout d’abord une règle matérielle selon laquelle « la convention matrimoniale est formulée par écrit, datée et signée par les deux époux » (la transmission par voie électronique étant équivalente) ; les éventuelles règles formelles supplémentaires sont quant à elles soumises au conflit de lois, avec la particularité que la loi de l’État de résidence habituelle des époux au moment de la conclusion du contrat de mariage, et la loi applicable au régime matrimonial, font l’objet d’une application cumulative (et non alternative comme en droit français). Si les époux ne résident pas dans un même État au moment de la
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La loi du régime matrimonial a un domaine d'application large, ce que confirme expressément l’article 27 du règlement européen : il lui revient de déterminer la composition du patrimoine des époux en conséquence du mariage ; elle définit l'attribution des pouvoirs aux époux ; elle régit même la preuve de l'appartenance des biens. Elle règle encore le partage des biens en cas de dissolution du mariage. Mais elle peut, sur ce dernier point, subir la concurrence d’autres lois. D’une part, les époux peuvent convenir de soumettre la liquidation du régime à une loi différente. D’autre part, la lex rei sitae peut être appelée à intervenir dans certaines hypothèses, notamment s’il faut liquider une indivision immobilière entre les époux. Enfin, il convient de réserver les droits des tiers.
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Droit international privé
B. Donations entre époux 809
En droit international privé, les donations entre époux sont soumises, qu'elles portent sur des biens mobiliers ou immobiliers, à la loi des effets du mariage (v. les développements et la jurisprudence v. ss 694). La loi régissant les régimes matrimoniaux n’a pas été retenue, principalement parce qu’elle laisse une place importante à la volonté des époux alors que les donations sont régies par des dispositions essentiellement impératives. Mais la multiplication des règlements européens reposera, à terme, la question du régime international de ces donations. Si elles sont expressément exclues du champ d’application du règlement Successions (art. 1 er et Cons. 14), sauf sur les questions du rapport éventuel de l’objet de la donation à la succession et de la réduction éventuelle des parts du bénéficiaire – soumises à la loi qui régit la succession –, il n’en va pas de même pour le règlement Régimes matrimoniaux qui non seulement n’exclut pas expressément les libéralités entre conjoints, mais encore définit largement son champ d’application. Le considérant 18 du règlement précise que la notion de « régime matrimonial » doit être interprétée de manière autonome, et comprend « non seulement les régimes de biens spécifiquement et exclusivement conçus par certaines législations nationales en vue du mariage, mais également tous les rapports patrimoniaux entre les époux et dans les relations de ceux-ci avec des tiers résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci ». Et le considérant 20, qui traite de l’exclusion des questions de capacité (non sans lien avec les donations entre époux), ne lève pas l’ambiguïté puisqu’il précise que l’exclusion des questions ayant trait à la capacité juridique générale des époux « ne devrait pas s’appliquer aux pouvoirs et aux droits spécifiques de l’un ou des deux époux à l’égard de leurs biens, qu’ils soient exercés entre eux ou à l’égard de tiers ». Sans doute la CJUE devra-t‑elle, un jour, déterminer si ce règlement s’applique aux donations entre époux.
§ 810
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conclusion du mariage, il suffit que soient respectées les exigences formelles, outre celles de la loi du régime matrimonial, de la loi de résidence de l’un des époux. Le règlement prévoit des règles distinctes, on l’a vu, à propos de la validité de la convention de choix de loi. Et des exigences formelles spécifiques s’appliquent au changement volontaire de loi applicable au régime (v. ss 804).
2 Les relations patrimoniales du couple non marié
Le cas des partenaires d'un partenariat enregistré (A) diffère de celui des concubins en union libre (B).
A. Régime des biens des partenaires d'un partenariat enregistré 811
L'article 515-7-1 du Code civil, introduit par la loi n o 2009-526 du 12 mai 2009, est venu préciser que les effets du partenariat, ainsi que les effets de la dissolution du partenariat sont régis, comme ses conditions de formation et de dissolution, par la loi de l'État dont l'autorité a procédé à l'enregistrement. En l'absence de toute distinction opérée par le texte, il paraît devoir être retenu que la lex auctoris est, conformément à ce qu'avait précédemment soutenu la doctrine majoritaire, applicable tant aux effets personnels qu'aux effets patrimoniaux du partenariat. Les commentateurs
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de l'article 515-7-1 du Code civil ont toutefois souligné que la règle de conflit générale posée par la loi française en matière de partenariats enregistrés ne devrait pas remettre en cause l'application des règles de conflit spécialement applicables à certaines matières, lorsqu'elles existent. En l'absence de toute précision sur les « effets » du partenariat soumis à la règle générale, une certaine incertitude subsiste donc sur le domaine d'application de la lex auctoris en matière d'effets patrimoniaux du partenariat ; on peut toutefois sans doute considérer qu’au moins les successions échappent à la lex auctoris et suivent leur régime propre. La règle française devra en toute hypothèse céder la place aux règles posées par règlement européen du 24 juin 2016 (UE no 2016/1104) mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Le champ d’application de ce règlement couvre tous les aspects des effets patrimoniaux de ces partenariats, y compris ceux concernant la liquidation du patrimoine du fait de la séparation du couple (considérant 18 du Préambule). Il exclut en revanche expressément de son domaine d’application les obligations alimentaires, la succession du partenaire décédé, la nature des droits réels portant sur un bien, les aspects de sécurité sociale (art. 1 er § 2).
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Le règlement définit la loi applicable aux partenariats qui seront enregistrés après le 29 janvier 2019. Les effets des partenariats antérieurs resteront donc normalement soumis à la règle de conflit du Code civil, sauf lorsque les partenaires auront désigné la loi applicable aux effets de leur partenariat par une convention postérieure au 29 janvier 2019. Car le règlement institue la possibilité pour les partenaires de choisir la loi applicable aux effets patrimoniaux de leur partenariat, parmi une liste de lois définies à l’article 22 : loi de résidence habituelle de l’un des partenaires ou loi de nationalité de l’un des partenaires, au jour où la convention est conclue ; ou loi de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé. La loi applicable peut être modifiée par la volonté des parties (y compris si le partenariat a été conclu avant le 29 janvier 2019), sans que cette modification puisse porter atteinte aux droits des tiers. Le règlement spécifie les conditions de forme et de fond que doit remplir la convention portant choix de la loi applicable (art. 23 et 24). En consacrant ainsi la possibilité pour les partenaires de choisir la loi applicable aux effets de leur partenariat, le règlement européen répond aux attentes d’une partie de la doctrine, qui militait en faveur de cette solution. À défaut de choix de loi par les parties, la loi applicable est en principe celle de l’État selon la loi duquel le partenariat enregistré a été créé (art. 26 § 1 ; solution du droit français actuel) ; cette règle est assortie d’une sorte de clause d’exception (art. 26 § 2). Enfin, il faut relever que le règlement définit une règle matérielle applicable à la validité en la forme de la convention partenariale (art. 25). Il réserve le jeu des lois de police et de l’ordre public, mais il exclut le renvoi.
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Les règles de conflit de lois du règlement sont complétées par des règles de conflit de juridictions, alors que le droit français ne comporte pas de règles spécifiques en la matière, ce qui conduit à appliquer les règles de compétence générale. Les règles de compétence internationale posées par le règlement sont applicables aux procédures intentées à compter du 29 janvier 2019. Après avoir précisé que les juridictions compétentes en matière de succession le sont pour statuer sur les effets du
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partenariat en relation avec cette succession (art. 4), le règlement dispose que les juridictions compétentes sont en principe celles : 1) de la résidence habituelle des partenaires au moment de la saisine ; 2) ou à défaut celles de la dernière résidence habituelle des partenaires si l’un y réside encore au moment de la saisine ; 3) ou à défaut celles de la résidence habituelle du défendeur ; 4) ou à défaut celles de la nationalité commune des partenaires ; 5) ou à défaut celles de l’État selon le droit duquel le partenariat a été enregistré (art. 6). Le règlement laisse une place à la volonté des parties en leur permettant de choisir la juridiction compétente dans deux hypothèses : si une juridiction a été saisie d’une demande de dissolution ou d’annulation du partenariat, les partenaires peuvent convenir de lui donner compétence pour connaître des questions patrimoniales (art. 5) ; et quand l’article 6 est applicable, les parties peuvent donner compétence exclusive aux juridictions de l’État dont la loi est applicable selon l’art. 22 ou l’art. 26 § 1. Les décisions rendues par les juridictions compétentes d’un État membre sont reconnues de plein droit dans les autres États membres liés par le règlement (art. 36) ; en revanche l’exécution forcée suppose une procédure dans l’État d’exécution (art. 42). Les conditions de non-reconnaissance et d’exécution sont très similaires à celles applicables en matière civile et commerciale (v. ss 449 s.). On observera finalement que ni le droit français, ni le règlement européen, n’appréhendent formellement la question, soulevée par la doctrine, de la frontière entre régime matrimonial et régime patrimonial des partenariats. Certains auteurs soutenaient en effet que le régime des biens des partenaires devrait être modulé en considération du type de partenariat souscrit et de sa qualification. Certains de ces partenariats sont, selon la loi sous l'empire de laquelle ils ont été constitués, assimilables à des mariages. Les effets patrimoniaux de ces partenariats pourraient alors relever du droit des régimes matrimoniaux. En réalité on peut considérer que le droit européen répond indirectement à cette difficulté : en adoptant le même jour deux règlements « jumeaux », qui soumettent à des règles très similaires les régimes matrimoniaux, définis comme « l’ensemble des règles relatives aux rapports patrimoniaux entre époux et dans leurs relations avec des tiers, qui résultent du mariage ou de sa dissolution » (art. 3 § 1, Règl. Régimes matrimoniaux) et les régimes patrimoniaux des partenariats enregistrés définis comme « régissant la vie commune de deux personnes prévu(s) par la loi, dont l’enregistrement est obligatoire en vertu de ladite loi et qui répond(ent) aux exigences juridiques prévues par ladite loi pour (leur) création » (art. 3 § 1, Règl. Effets patrimoniaux des partenariats), le droit européen laisse les juridictions nationales décider du point de savoir si une situation relève plutôt des uns, ou plutôt des autres. Le règlement Régimes matrimoniaux précise en effet que la notion de « mariage » reste définie par le droit national des États membres ; la CJUE ne devrait donc pas imposer une définition autonome de la notion de régime matrimonial destinée à la distinguer du régime patrimonial des partenaires.
B. Régime des biens des concubins en union libre 816
La jurisprudence n'a jamais clairement déterminé la loi applicable au régime des biens des concubins. La doctrine alterne entre compétence de la loi du lieu de situation des biens, et compétence de la loi d'autonomie. La première solution a
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3 Les successions
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l'inconvénient majeur de morceler le patrimoine des concubins, susceptible d'être soumis à des lois et des régimes distincts ; la seconde celui de son insécurité pour les tiers. Là encore, le jeu de la théorie de l'apparence devrait donc être admis pour autoriser les tiers, qui ignoraient légitimement la loi choisie par les concubins pour régir les biens, à se prévaloir de la loi locale.
L’appréhension des successions internationales est opérée, en droit comparé, selon deux traditions bien différentes. L’une, scissionniste, soumet potentiellement la succession internationale à des autorités et des lois différentes, en fonction notamment de la nature mobilière ou immobilière des biens composant l’actif successoral ; l’autre, unitaire, tend à soumettre l’ensemble de la succession à une même autorité et à une même loi. Alors que le droit international privé français des successions se caractérise plutôt par son approche scissionniste du règlement des successions, les instruments supranationaux privilégient l’approche unitaire.
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C’est le cas de la convention de La Haye du 1 er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort. On ne s’attardera pas sur cette convention, dont l’entrée en vigueur semble bien compromise : les Pays-Bas, seul État à l’avoir ratifiée, ont fini par la dénoncer… Les solutions qu'elle propose sont pourtant proches de celles qui constituent, aujourd'hui, le droit positif de l'Union européenne. Le règlement européen no 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen a en effet également opté pour une conception unitaire du règlement des successions. Les dispositions issues de ce règlement s’appliquent à toutes les successions des personnes qui sont décédés depuis le 17 août 2015 ; elles s’appliquent même, rétroactivement, aux choix de loi applicable à la succession, opérés avant le 17 août 2015. La loi applicable selon le règlement ayant une vocation universelle, le droit européen se substitue donc totalement au droit français à partir de cette date ; et la compétence des juridictions est également très largement régie par le règlement pour les actions intentées à compter de cette date. Le domaine d’application du droit commun français est donc désormais particulièrement réduit. On présentera en premier lieu l’approche unitaire retenue par le règlement européen Successions (A), avant de rappeler plus brièvement les caractéristiques de l’approche scissionniste adoptée par le droit commun français, qui s’applique désormais au seul règlement des successions en cours, ouvertes avant le 17 août 2015 (B).
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A. La conception unitaire consacrée par le règlement « Successions » Le Règlement du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen régit l'ensemble des successions à cause de mort, y compris les testaments et les pactes successoraux. Ce règlement, dont l’application a pour l’heure suscité peu de jurisprudence, est un texte complet, puisqu'il détermine non seulement la loi
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applicable (1), mais aussi les juridictions compétentes (2) et les conditions de la reconnaissance et de l'exécution des décisions et des actes (3) ; il crée en outre un instrument nouveau, le certificat successoral européenQ (4).
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1. Loi applicable 820
Par souci de sécurité juridique, le règlement autorise toute personne physique, de son vivant, à choisir comme loi régissant l'ensemble de sa succession la loi de la nationalité qui est la sienne au jour du choix, ou au jour de son décès (art. 22). Cette professio juris, quoique strictement encadrée, permet de « stabiliser » la loi applicable en optant pour la loi nationale, car à défaut la loi applicable à la succession tant mobilière qu'immobilière est celle de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (art. 21-1) ; elle permet également de « fixer » la loi applicable, car le règlement autorise la mise en œuvre, en l'absence de choix de loi, d'une clause d'exception, permettant aux autorités compétentes d'appliquer la loi d'un État ayant des liens manifestement plus étroits avec la succession (art. 21-2). La loi ainsi identifiée, qui régit la succession dans ses aspects mobiliers comme immobiliers, a un domaine d'application très large (art. 23) : dévolution, transmission, partage, responsabilité du passif successoral… Les dispositions à cause de mort (notamment les testaments), ainsi que les pactes successoraux, sont l'objet de dispositions spécifiques.
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Les testaments et autres dispositions à cause de mort (à l'exception des pactes successoraux) sont soumis, au fond, à la loi nationale du défunt s'il choisit de les y soumettre (art. 24-2), et à défaut de choix de la loi nationale, à la loi qui aurait été applicable à la succession du de cujus s'il était décédé le jour de l'établissement de la disposition considérée (art. 24-1). Le règlement réserve expressément l’application de la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, en vigueur en France depuis 1967. Aux termes de l’article 75 § 1 du règlement, cette convention continue à s’appliquer dans les États membres qui l’ont ratifiée, pour ce qui est de la validité formelle des testaments et des testaments conjonctifs, en lieu et place de l’article 27 du règlement. La convention prévoit que les dispositions testamentaires sont valables en la forme si elles répondent aux exigences : – soit de la loi du lieu où le testateur a disposé ; – soit de la loi de la nationalité du testateur au moment où il a disposé ou au moment où il est décédé ; – soit de la loi d'un État où le testateur avait un domicile ou sa résidence habituelle au moment où il a disposé ou au moment où il est décédé ; – soit, enfin, pour les immeubles, de la loi du lieu de leur situation. Cette règle de conflit alternative validante marque le souci de favoriser la validité formelle des testaments. Ce souci est très marqué dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et dès lors que la convention de 1961 continuera à s’appliquer, il n’y a pas lieu de penser que la pratique jurisprudentielle changera. À cet égard, il faut signaler l’incidence, en matière de validité des testaments, de la convention de Washington du 28 octobre 1973 sur la forme d’un testament international, en vigueur en France depuis le 1er décembre 1994. Cette convention instaure une forme de testament – assez peu contraignante – que tous les États parties se sont engagés à reconnaître comme valable. En application de cette convention internationale, la jurisprudence française reconnaît fréquemment la validité formelle de testaments qui ne répondent
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pourtant pas aux conditions formelles posées par le Code civil, même lorsque la loi française est applicable, dès lors qu’ils sont conformes aux conditions formelles définies par la convention de Washington.
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Le règlement définit le domaine de la loi applicable au fond, qui régit notamment les causes, le moment et l’ouverture de la succession, la vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts et autres droits, la capacité à succéder, l’exhérédation et l’indignité successorale, la responsabilité à l’égard des dettes de la succession, la quotité disponible, les réserves héréditaires, le rapport et la réduction des libéralités, ou encore le partage successoral (art. 23). Pour résoudre les difficultés de délimitation des domaines respectifs de la loi applicable au fond et de la loi applicable à la forme, il précise en outre les éléments qui relèvent de la validité au fond (art. 26). Le domaine d'application de la loi de la succession est large, mais il n'est pas absolu. La question préalable de la détermination des liens familiaux autorisant les intéressés (conjoint, enfants) à se prévaloir de la qualité d'héritiers fait ainsi l'objet d'un traitement autonome. S'il revient à la loi successorale de dire si un conjoint peut se prévaloir de la qualité d'héritier, la loi qui régit les conditions du mariage est en revanche applicable pour vérifier la réalité et la validité du mariage invoqué par le successible. Par ailleurs, le statut matrimonial du défunt suscite des problèmes de frontières avec d’autres catégories de droit international privé, et donc d’autres lois. En effet, si le décès d'un individu marié entraîne l'ouverture de sa succession, il implique aussi, préalablement, la liquidation de son régime matrimonial ; il peut aussi conduire à prendre parti sur le sort d’éventuelles donations consenties entre époux. La loi de la succession doit donc composer avec la loi qui régit le régime matrimonial des époux, et la loi des effets du mariage qui s'applique aux donations. Si en principe les différentes opérations se réalisent successivement en fonction de leurs lois propres, la détermination du domaine respectif des règles est en pratique assez délicate. C’est d’ailleurs cette question de délimitation qui a suscité la première intervention de la CJUE en interprétation du Règlement Successions (CJUE 6 oct.
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Les pactes successoraux sont quant à eux soumis, au fond, à la loi qui aurait été applicable à la succession de la personne concernée si elle était décédée le jour de la conclusion du pacte (art. 25-1) ; lorsque le pacte concerne la succession de plusieurs personnes, sa recevabilité est appréciée selon chacune des lois qui aurait régi la succession de chacune des personnes concernées si elles étaient décédées le jour où le pacte a été conclu, tandis que sa validité est soumise à celle de ces lois qui présentent les liens les plus étroits avec la situation (art. 25-2). La loi applicable à la forme du pacte successoral est déterminée par application de l’article 27 du règlement (la convention de La Haye de 1961 ne régissant que les dispositions testamentaires), qui prévoit que la validité formelle des dispositions à cause de mort est acquise si elles sont établies par écrit, en conformité avec l'une des lois suivantes : a) loi de l'État où la disposition a été prise ; b) loi de l'État dont le testateur ou au moins l'une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait la nationalité au jour où la disposition est prise ou au jour de son décès ; c) loi de l'État dans lequel le testateur ou au moins l'une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait son domicile au jour où la disposition est prise ou au jour de son décès ; d) pour les biens immobiliers, loi de l'État de situation des immeubles.
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Le règlement réserve classiquement le jeu de l’ordre public (art. 35), mais prône une interprétation stricte de l’exception, limitée à des circonstances exceptionnelles (sur l’incidence de cette approche sur le sort de la réserve héréditaire française, v. ss 838). Il ne comporte pas de réserve générale au profit des lois de police du for, mais prévoit un dispositif de nature similaire, au profit des « dispositions spéciales » de la loi de l’État de situation des biens immobiliers « qui, en raison de la destination économique, familiale ou sociale de ces biens, imposent des restrictions concernant la succession portant sur ces biens », lorsque ces dispositions sont d’application immédiate pour cet État (sur lequel v. ss 185) ; ce dispositif pourrait notamment profiter aux dispositions françaises relatives à l’attribution préférentielle (en ce sens, F. JaultSeseke, D. 2013. 1503). Enfin, de façon tout à fait exceptionnelle pour un règlement européen, le règlement consacre une modalité limitée de renvoi, lorsque la loi applicable est la loi d’un État tiers. Dans ce cas, il faudra prendre en considération les règles de droit international privé de cet État tiers si elles désignent comme loi applicable la loi d’un État membre, ou la loi d’un autre État tiers qui reconnaît l’applicabilité de sa propre loi. Le jeu de ce renvoi est toutefois neutralisé lorsque la loi applicable résulte d’un choix de loi par les parties ou de l’application de la clause d’exception ; il ne joue pas non plus pour la détermination de la loi applicable à la forme.
2. Juridictions compétentes 825
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2015, Matouskova, C-404/14, D. 2016. 1049, obs. F. Jault-Seseke : pour la détermination des juridictions compétentes, relève du règlement Bruxelles II bis, et non du règlement Successions, l’accord de partage successoral passé par le tuteur d’enfants mineurs). La loi de la succession doit aussi composer avec la loi du lieu de situation des biens qui composent la masse successorale, loi qui a vocation à régir certains aspects du régime de ces biens (v. sur la lex rei sitae, chap. 10). Là encore, la CJUE a déjà été conduite à se prononcer pour délimiter les domaines respectifs des deux lois (CJUE 12 oct. 2017, Kubicka, aff. C-218/16, D. 2018. 971, obs. S. Clavel et les notes cit. ; comp. en application du droit commun français : Civ.1 re, 25 mai 2016, no 15-16.935, D. 2017. 1016, obs. H. Gaudemet-Tallon et les notes cit.).
La compétence générale pour statuer sur une succession est dévolue aux juridictions de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (art. 4). Cette disposition permet donc de lier compétence juridictionnelle, et loi applicable. Le souci de garantir la liaison entre la compétence des juridictions et la loi applicable justifie qu'une compétence dérogatoire soit consacrée, lorsque le défunt a choisi la loi applicable à sa succession. Il est alors prévu que les juridictions de l'État membre dont la loi a été choisie par le défunt sont compétentes si les parties leur ont attribué compétence selon une convention d'élection de for (art. 5 et 7 b), ou si les parties ont comparu et accepté la compétence de la juridiction saisie (art. 7 c et 9), ou si la juridiction normalement compétente a choisi, à la demande d'une des parties, de décliner sa compétence à leur profit, parce qu'elle a jugé ces juridictions mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu des circonstances pratiques (art. 6 et 7 a). Il s'agit là d'une application de l'exception de forum more conveniens (sur laquelle v. ss 500). Enfin, le règlement institue une compétence subsidiaire fondée sur la situation des biens successoraux, applicable lorsque le défunt n'avait pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre.
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L'article 10 distingue deux hypothèses. Si l'État membre où se situent les biens successoraux est également l'État dont le défunt avait la nationalité au jour de son décès, ou l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle moins de cinq ans avant le changement en faveur de sa résidence actuelle, les juridictions de cet État sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession. Si ces conditions ne sont pas remplies, la compétence des juridictions du lieu de situation des biens est limitée à la succession portant sur ces biens particuliers. Lorsqu'aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu des règles qui viennent d'être présentées, l'article 11 consacre le forum necessitatis : les juridictions d'un État membre avec lequel la succession présente un lien suffisant peuvent exceptionnellement statuer, si aucune procédure ne peut être raisonnablement conduite dans un État tiers. Le règlement autorise la juridiction compétente en application de ces règles à refuser de statuer sur la succession relative à des biens qui se situent sur le territoire d'un État tiers, lorsqu'il apparaît que la décision qu'il pourrait rendre ne sera pas susceptible de reconnaissance ou d'exécution dans l'État tiers concerné. Cette règle permet notamment de ménager la compétence exclusive que certains États tiers réservent à leurs juridictions pour connaître des successions portant sur des immeubles situés sur leur territoire. Dans les relations entre États membres en revanche, aucun problème de reconnaissance ou d'exécution des décisions et des actes ne devrait se poser, puisque des règles communes sont adoptées.
3. Reconnaissance et exécution des décisions et des actes Le règlement consacre un principe de reconnaissance de plein droit des décisions de justice (art. 39) ; une décision peut toutefois ne pas être reconnue pour des motifs (art. 40) identiques à ceux consacrés par l'article 34 du règlement Bruxelles I (pour l'analyse précise de ces motifs de non reconnaissance, v. ss 449 s.). La procédure tendant à voir conférer force exécutoire aux décisions (art. 45 s.) est également très exactement calquée sur celle du règlement Bruxelles I (v. ss 462 s.). Les dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution des décisions sont complétées par des dispositions relatives aux effets produits, dans les États membres, par les actes authentiques et transactions judiciaires établis dans un autre État membre. Les actes authentiques ont ainsi force probante dans tous les États membres (art. 59) ; ils peuvent, comme les transactions judiciaires, être déclarés exécutoires conformément à la procédure prévue pour les décisions de justice. Ces dispositions sont très importantes pour la pratique successorale. Elles sont en outre complétées par la création d'un instrument nouveau : le certificat successoral européen.
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4. Certificat successoral européen Il est apparu nécessaire, pour garantir le règlement rapide des successions transfrontières, d'offrir aux héritiers, légataires, exécuteurs testamentaires et autres administrateurs de la succession, un instrument qui leur permette d'établir aisément dans tous les États membres leur qualité, une fois celle-ci reconnue par les autorités de l'État où la succession est réglée. C'est l'objet du certificat successoral européen. Ce document est délivré, à la demande d'un intéressé, par les autorités de l'État dont les juridictions sont compétentes pour régler la succession, selon des conditions et une procédure décrites par le règlement (art. 64 à 68). Il atteste de la qualité mentionnée, et voit sa force probante reconnue dans tous les autres États membres, sans autre formalité. Il permet notamment à son porteur d'établir sa qualité pour obtenir la
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remise des biens, ou de certains biens, relevant de la masse successorale, ou encore pour liquider ces biens. Le tiers ayant acheté ou délivré un bien sur la foi du certificat est protégé, à moins qu'il ne soit prouvé qu'il a agi de mauvaise foi, en toute connaissance de l'irrégularité du certificat ou en conséquence d'une négligence grave (art. 69).
B. L'approche scissionniste adoptée par le droit international privé d'origine nationale 828
L'approche scissionniste du règlement des successions, consacrée par le droit international privé français, concerne aussi bien la question des juridictions compétentes (1), que celle de la loi applicable (2). Cette approche dualiste n'est pas sans poser certaines difficultés pratiques. Elle conduit en effet à un morcellement du règlement des successions, peu conforme au principe d'universalité du patrimoine. Si la dévolution de l'ensemble des biens meubles est en principe appréhendée par une même juridiction en application d'une même loi (sous réserve de la mise en œuvre du droit de prélèvement et de l'incidence de la lex rei sitae s'agissant de la transmission successorale), la dévolution des immeubles impose l'ouverture d'autant de successions qu'il y a de localisations de ces immeubles. Chaque masse (meubles, immeubles situés dans un pays Y, immeubles situés dans un pays Z) est considérée comme autonome. Pour tempérer ce morcellement, le droit positif recourt au mécanisme du renvoi, qu’il emploie aux fins de règlement unitaire de la succession (3). Après avoir présenté ces éléments propres à la méthode conflictuelle, on dira un mot du traitement international des règles de droit français relatives à la réserve héréditaire et au droit de prélèvement (4).
1. Juridictions compétentes en matière de successions 829
Les actions relatives aux successions mobilières relèvent de la compétence du tribunal du pays du dernier domicile du défunt. La règle résulte de l'extension à l'ordre juridique international de la règle de compétence territoriale interne posée par l'article 45 du Code de procédure civile. À cette compétence de principe se conjugue la possible application des articles 14 et 15 du Code civil.
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Par dérogation à la règle de compétence applicable en matière interne — qui soumet l'ensemble des actions relatives aux successions au même tribunal du dernier domicile du défunt —, la jurisprudence a retenu, en matière internationale, une exception lorsque la succession porte sur un immeuble situé à l'étranger. Les litiges relatifs à la dévolution successorale des immeubles sont, en effet, soumis à la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation de l'immeuble. Les juridictions françaises sont donc exclusivement compétentes pour connaître des successions immobilières portant sur des immeubles sis en France, et, inversement, sont incompétentes pour connaître des successions portant sur des immeubles sis à l'étranger.
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Le caractère exclusif de la compétence ainsi dévolue devrait en principe exclure le jeu des articles 14 et 15 du Code civil, lorsque l'immeuble est situé à l'étranger. Formellement, l'arrêt Weiss (Civ. 1 re, 27 mai 1970, v. ss 338) n'exclut du domaine d'application des privilèges que les actions réelles immobilières et les demandes de partage portant sur des immeubles situés à l'étranger. Or les différents aspects des
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actions successorales ne revêtent pas tous cette nature. Une partie de la doctrine juge toutefois que les actions successorales portant sur des immeubles situés à l'étranger devraient, dans leur ensemble, être soustraites au domaine d'application des articles 14 et 15 du Code civil. Il faut cependant observer que l'exclusivisme de la compétence du tribunal du lieu de situation de l'immeuble n'est, en matière immobilière, que relatif. On verra par exemple qu'en la matière, le jeu du renvoi autorise, de façon a priori surprenante puisqu'il ne devrait jouer que pour la détermination de la loi applicable, les juridictions françaises à se déclarer compétentes pour connaître d'une succession portant sur des immeubles sis à l'étranger (v. ss 835). Cette particularité révèle que la compétence exclusive en matière de successions immobilières est principalement fondée sur le souci de garantir une coïncidence entre compétence judiciaire et compétence législative.
2. Loi applicable aux successions La jurisprudence française a forgé deux règles de conflit distinctes pour identifier la loi applicable aux successions mobilières et immobilières. En effet, alors que l'arrêt Stewart (Civ. 14 mars 1837, v. rubrique Documents) affirmait dès le début du XIX e siècle la compétence de la loi du lieu de situation de l'immeuble pour régir les successions immobilières, l'arrêt Ladeban (Civ. 19 juin 1939, v. rubrique Documents) rappelait un siècle plus tard que « d'après l'ancienne règle, toujours subsistante, les meubles héréditaires sont réputés exister au lieu d'ouverture de la succession et qu'en conséquence leur dévolution est régie par la loi du dernier domicile du défunt ». Peu important donc la situation réelle des meubles, ceux-ci étant « réputés » sis au lieu d'ouverture de la succession, les successions mobilières sont soumises à la loi du dernier domicile du défunt. La mise en œuvre de ces règles de conflit suscite quelques difficultés.
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La première réside dans la nécessaire qualification préalablement requise pour distinguer les biens immobiliers des biens mobiliers qui composent la succession. Certes, on l'a dit (v. ss 77 s.) s., la qualification lege fori semble s'imposer puisque l'opération de qualification est ici réalisée pour les besoins de l'application des règles de conflit françaises. C'est d'ailleurs la solution magistralement affirmée par un jugement du tribunal de grande instance de la Seine dans la célèbre affaire Stroganoff-Scherbatoff (TGI Seine, 12 janv. 1966, Rev. crit. DIP 1967. 120, note Y. Loussouarn) : « c'est à la loi française qu'il y a lieu de recourir pour déterminer si les objets sont des immeubles ou des meubles et en déduire la loi qui régit leur dévolution ; il n'est en effet pas possible de qualifier des biens successoraux selon la loi de leur situation, sous peine de donner compétence à cette loi alors qu'il s'agit précisément de dire laquelle est compétente ». Néanmoins, si la qualification lege causae est aujourd'hui unanimement rejetée dans cette hypothèse, une doctrine particulièrement autorisée s'interroge sur les titres que pourrait avoir la loi du lieu de situation des biens pour régir l'opération de qualification en lieu et place de la loi du for (v. P. Lagarde, « La qualification des biens en meubles ou immeubles dans le droit international privé du patrimoine familial », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 209, et les auteurs cités).
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Une seconde difficulté est celle de la détermination du domaine d'application des lois ainsi désignées. On peut s'interroger sur le point de savoir si les règles de conflit posées par la jurisprudence régissent exclusivement les successions ab intestat (sans
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dispositions particulières prises par le défunt) ou jouent, également, pour les successions testamentaires. Le testament étant un acte juridique, on aurait pu songer à mettre en œuvre le principe d'autonomie, en laissant au défunt le soin de choisir la loi appelée à régir, au fond, son testament. La solution aurait toutefois présenté, dans le contexte du droit français caractérisé par la protection des héritiers par la réserve héréditaire (réserve il est vrai aujourd'hui fragilisée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme du droit des successions), des risques importants ; le défunt aurait, en effet, pu gratifier un tiers au-delà de la quotité disponible en soumettant sa succession à une loi n'instituant pas la réserve héréditaire (pour une manœuvre en ce sens, v. l'affaire Caron étudiée v. ss 133). Le droit international privé français applique donc aux successions testamentaires, sur le fond, la loi qui régit les successions ab intestat. Il n'en va autrement que pour les questions de forme des testaments, puisqu’on l’a vu, ces questions sont régies par la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires (sur ces dispositions, v. ss 821).
3. Utilisation du mécanisme du renvoi pour restaurer l’unité de traitement 835
Classiquement retenu comme mécanisme de coordination des systèmes juridiques, le renvoi peut en matière successorale contribuer à rétablir une unité mise à mal par la dualité du système. Cela est manifeste lorsque la succession se compose de biens meubles et immeubles. Les juridictions françaises, compétentes au titre du lieu du dernier domicile du défunt, pourraient ainsi tenir compte du renvoi opéré à la loi française par le droit applicable à la succession des immeubles situés à l'étranger, de façon à soumettre l'ensemble de la succession, mobilière et immobilière, à une même loi. Il est vrai qu'en pratique, cette méthode se heurte à deux difficultés. La première est que l'unité ne peut être a priori assurée que par un renvoi au premier degré, c'est‑à-dire à la seule loi française. Or l'arrêt Ballestrero rendu par la Cour de cassation le 21 mars 2000 (v. rubrique Documents), qui a le premier clairement admis le renvoi en matière de successions immobilières, ouvrait la porte au renvoi au second degré. Le risque était donc que, le renvoi opérant au profit d'une loi tierce, la scission des successions ne perdure. Ce risque est aujourd'hui atténué par l'affinement que la Cour de cassation a apporté à sa jurisprudence. Après avoir semblé vouloir limiter l'admission du renvoi au renvoi au premier degré (Civ. 1re, 20 juin 2006, Wildenstein, JDI 2007. 125, note H. Gaudemet-Tallon ; Rev. crit. DIP 2007. 383, note B. Ancel), la Cour de cassation a finalement ciselé, dans son arrêt Riley (Civ. 1 re, 11 févr. 2009, Rev. crit. DIP 2009. 512, note B. Ancel ; JDI 2009. 567, note H. Péroz), un principe plus général : « en matière de succession immobilière, le renvoi opéré par la loi du lieu de situation de l'immeuble ne peut être admis que s'il assure l'unité successorale et l'application d'une même loi aux meubles et aux immeubles ». Seul importe donc que le droit étranger renvoie à la loi applicable au reste de la succession, que cette loi soit ou non la loi française (ce qui sera usuellement le cas si les juridictions françaises sont compétentes). (Sur le fait que le juge français doit mettre en œuvre la règle étrangère selon les conceptions du droit étranger, notamment pour résoudre un éventuel conflit de nationalités, v. ss 591). Seconde difficulté, le jeu du renvoi en matière immobilière paraît compromis par l'incompétence des juridictions françaises pour connaître des successions relatives à
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des immeubles situés à l'étranger : pour appliquer la loi française à une succession immobilière, sur renvoi opéré par le droit étranger normalement compétent, encore faut-il, en amont, que les juridictions françaises puissent connaître de cette succession immobilière… ce qui ne devrait pas être le cas si une loi étrangère est compétente, puisqu'alors l'immeuble est nécessairement situé à l'étranger. L'examen de la jurisprudence (not. l'arrêt Wildenstein préc.) révèle toutefois un « phénomène d'« absorption » de la compétence judiciaire par la compétence législative » (selon l'expression de Mme Gaudemet-Tallon, note préc.). La compétence de la loi française pour régir une succession immobilière, reconnue sur renvoi par le droit étranger, emporte corrélativement compétence des juridictions françaises pour connaître de cette succession. Tout en en admettant le principe, la Cour de cassation tempère toutefois ce « renvoi de compétence juridictionnelle » en excluant la compétence des juridictions françaises obtenue sur renvoi pour les « opérations juridiques et matérielles découlant de la loi réelle de situation de l'immeuble » (Civ. 1re, 23 juin 2010, Tassel, Rev. crit. DIP 2011. 53, note B. Ancel). En matière de successions mobilières, le renvoi avait été admis par l'arrêt de principe Forgo (v. ss 108). En dépit d'opinions contraires, la solution semble devoir être maintenue par le droit commun français.
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4. Réserve héréditaire et droit de prélèvement Le droit français comporte deux mécanismes protecteurs des héritiers : la réserve héréditaire, et le droit de prélèvement. La réserve héréditaire est une part de la masse successorale dont le de cujus ne peut pas priver les héritiers dit « réservataires » (les descendants et le conjoint s’il n’y a pas de descendant), et dont il ne peut donc librement disposer, par voie testamentaire notamment (C. civ., art. 912 s.). Le droit de prélèvement consacré par l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l'abolition du droit d'aubaine et de détraction, vient compléter la réserve, puisqu’il permet à un héritier de revendiquer prioritairement, sur les biens situés en France, la part successorale que lui attribue la loi française. L’application de ces deux mécanismes dans les successions internationales a soulevé de nombreux débats.
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La réserve héréditaire qu’institue le droit français n’est pas consacrée par tous les droits nationaux. Par exemple, aux États-Unis, il est légal de « déshériter » ses enfants, c’est‑à-dire de prévoir, par testament, que l’ensemble des biens du de cujus seront dévolus à une autre personne que les descendants. Dans les successions internationales, la question s’est donc posée de savoir si une loi étrangère, applicable à une succession, peut valablement, du point de vue de l’ordre juridique français, priver les descendants du de cujus de la quote-part de la masse successorale qui leur est réservée. Pendant longtemps, une opinion largement partagée — quoique jamais confirmée par la Cour de cassation — faisait valoir que la réserve successorale pouvait relever de l’ordre public international français, en sorte qu’une loi étrangère privant le descendant du de cujus de la quote-part réservée devrait être écartée à ce titre. L’adoption du règlement européen Successions, qui prône une conception stricte de l’exception d’ordre public (v. ss 824) a suscité des doutes quant à la possibilité de maintenir une telle analyse. La Cour de cassation a finalement tranché la question dans deux arrêts rendus le 27 septembre 2017 (Civ. 1 re, 27 sept. 2017, no 16-17.198 et 16-13.151, D. 2018. 971, obs. S. Clavel ; JCP G. 2017. 2117, note C. Nourissat et M. Revillard ; Defrenois 2018, no 8, p. 30, obs. P. Callé, JDI 2018. 113, note E. Bendelac,
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D. 2017. 2185, note J. Guillaumé ; RTD civ. 2017. 833, note L. Usunier) : « une loi étrangère […] qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français ». La Cour réserve cependant, comme l’autorise d’ailleurs le règlement européen, des cas particuliers correspondant à des circonstances exceptionnelles, en précisant que la réserve pourrait jouer au titre de l’ordre public international si les descendants établissent « se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ». Naturellement, il faut le rappeler, l’exception d’ordre public international français ne peut être mise en œuvre que si les juridictions françaises sont saisies et compétentes, et son efficacité est conditionnée par l’existence de biens successoraux sur le territoire français, sur lesquels l’héritier réservataire pourra faire valoir ses droits. Dans une succession internationale, la réserve héréditaire est donc renforcée par l’existence du droit de prélèvement.
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Le droit de prélèvement permet à un héritier de prélever prioritairement, sur les biens de la masse successorale situés en France, sa part d’héritage. Une jurisprudence traditionnelle retient que seuls les cohéritiers français peuvent, lorsqu'ils concourent au partage d'une succession avec des cohéritiers étrangers en application d'une loi étrangère, prélever sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés à l'étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en particulier en conséquence de l'application d'une autre loi que la loi française : à titre d’exemple, le cohéritier réservataire français peut revendiquer, sur les biens situés en France, la part de succession que lui aurait attribuée la loi française en application de la réserve, même si une autre loi ignorant cette institution est applicable à la succession. Plus généralement, chaque fois que la loi étrangère attribue au national français une part successorale inférieure à celle qu'il aurait obtenue en application de la loi française, celui-ci peut recueillir la différence sur les biens de la masse successorale situés sur le territoire français. Ce dispositif soulève plusieurs difficultés. Certaines sont des questions de technique juridique et ne seront pas rappelées ici (à cet égard v. la précédente édition). Car l’une des failles du mécanisme, plus fondamentale, a finalement conduit à sa neutralisation.
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Réservé au national français et donc instituant une discrimination fondée sur la nationalité, le droit de prélèvement apparaît peu compatible avec les principes fondamentaux. Par une décision du 5 août 2011 (n o 2011-156, Rubrique Documents) rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a confirmé cette analyse, et a déclaré l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 contraire à la constitution, en faisant valoir que si le législateur français « pouvait fonder une différence de traitement sur la circonstance que la loi étrangère privilégie l'héritier étranger au détriment de l'héritier français », la circonstance que le droit de prélèvement institué pour restaurer l'équilibre soit « réservé au seul héritier français » conduit à établir « une différence de traitement entre les héritiers venant également à la succession d'après la loi française et qui ne sont pas privilégiés par la loi étrangère », ce en violation du principe d'égalité devant la loi. L’interdiction, d’application immédiate, repose sur une motivation prudente qui ne condamne pas nécessairement le droit de prélèvement, mais qui impose aux autorités françaises, si elles entendaient le faire renaître législativement ou jurisprudentiellement, d'en élargir le
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à tous les héritiers, étrangers comme français, dont les droits successoraux été bafoués par la loi étrangère applicable. En toute hypothèse, la dominante considère que le règlement Successions exclut désormais, est applicable, toute mise en œuvre du droit de prélèvement de droit
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bénéfice auraient doctrine lorsqu’il français.
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Compléments pédagogiques
Mémo I. Mariage
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La validité du mariage est subordonnée à des conditions de fond et de forme. Les conditions de fond sont celles posées par la loi nationale des époux, appliquée distributivement pour les conditions personnelles à chaque époux, cumulativement pour les empêchements bilatéraux. En la forme, le mariage doit être célébré en conformité avec les exigences de la lex loci celebrationis. Ces règles de conflit, forgées par la jurisprudence, ont été introduites dans le Code civil (art. 202-1 et 202-2). Le mariage entre époux de même sexe, consacré en France en 2013, a donné lieu à l’introduction d’une règle spéciale – in favorem – dans le Code civil ; il est prévu que deux personnes de même sexe peuvent se marier dès lors que, pour au moins l’une d’elles, sa loi personnelle ou la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence habituelle le permet. En cas de violation d'une condition de fond ou de forme, la sanction est déterminée par la loi de la condition violée. L'ordre public international français s'oppose à ce que certaines unions, pourtant validées par la loi nationale des époux, soient célébrées en France ; c'est le cas des mariages polygamiques. En revanche, l'effet atténué de l'ordre public autorise traditionnellement à reconnaître en France les mariages polygamiques célébrés valablement à l'étranger. Les effets du mariage sont soumis à une loi propre. Ils sont définis par la loi de la nationalité commune des époux, à défaut de nationalité commune par la loi du domicile commun, ou par la loi du for en l'absence de domicile commun. Le domaine d'application de la loi des effets du mariage est toutefois limité : l'attribution du nom, en conséquence du mariage, en dépend ; en revanche, elle ne régit les autres effets personnels du mariage que pour autant que le couple ne réside pas en France, car alors ces effets sont soumis à la loi française qui s'impose comme loi d'application immédiate. L'obligation alimentaire, incluant la prestation compensatoire, soumise dans un premier temps à la convention de La Haye du 2 octobre 1973, puis depuis l'entrée en vigueur du règlement Obligations alimentaires au protocole de La Haye du 23 novembre 2007, lui échappe également. Sur le plan patrimonial, seules les donations entre époux entrent dans son champ d'application, les régimes matrimoniaux et les successions constituant des catégories autonomes régies par leurs propres règles de conflit. L'admission de la putativité du mariage, tempérament à la nullité, dépend en principe de la loi de la condition violée, mais une partie de la doctrine lui préférerait la loi des effets du mariage.
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La famille
II. Partenariats enregistrés
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L’article 515-7-1 du Code civil, introduit par une loi du 12 mai 2009, dispose que « les conditions de formation et les effets d'un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l'État de l'autorité qui a procédé à son enregistrement ». Si ce texte confirme que le partenariat est régi, tant dans sa constitution que ses effets et sa dissolution, par la lex auctoris, il n'exige aucun lien de rattachement objectif entre l'État de l'autorité enregistrante, et les partenaires, qui peuvent donc choisir de constituer leur partenariat dans un État même s'ils n'ont pas de lien avec celui-ci. Les effets du partenariat échappent assez largement à l’application de la loi qui régit le partenariat. Les obligations alimentaires font l’objet d’un traitement autonome. Quant aux effets patrimoniaux des partenariats, ils sont soumis, à partir du 29 janvier 2019, à un règlement européen (no 2016/1104) qui traite de la compétence des juridictions, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions (v. ss Régimes matrimoniaux et patrimoniaux).
III. Divorce
Lorsque le divorce est judiciaire, la compétence du juge français pour connaître des divorces internationaux, traditionnellement définie par extension de l'article 1070 du Code de procédure civile et application des articles 14 et 15 du Code civil, est aujourd'hui principalement régie par le règlement Bruxelles II bis, qui consacre de nombreux fors alternatifs principalement fondés sur la résidence, commune ou individuelle, actuelle ou passée, des époux, ou encore sur leur nationalité commune. Pour les actions engagées avant le 21 juin 2012, la loi applicable au divorce est définie par la règle de conflit unilatérale posée par l'article 309 du Code civil : la loi française régit le divorce lorsque les époux sont tous deux de nationalité française ou tous deux domiciliés en France. À défaut, le juge français devra appliquer la loi étrangère qui se reconnaît compétence (d'après ses propres règles de conflit). Et si aucune loi étrangère ne veut s'appliquer, la loi française retrouve un titre de compétence. Pour les actions engagées après le 21 juin 2012, la loi applicable au divorce est définie par le Règlement Rome III. Ce texte institue au profit des époux le droit de choisir la loi applicable, limité à certaines lois qui entretiennent des liens avec la situation du couple. À défaut de choix, une règle de conflit en cascade donne compétence à la loi de la résidence habituelle commune ; à défaut, à la loi de la dernière résidence habituelle des époux si cette résidence n'a pas pris fin plus d'un an avant la saisine du juge et si l'un des époux y réside encore ; à défaut, à la loi nationale commune ; à défaut, à la loi du for. Un tempérament matériel est prévu, qui autorise le juge à substituer la loi du for à la loi normalement applicable, si celle-ci n'autorise pas le divorce ou n'institue pas une égalité de droits entre les époux. Les effets du divorce sont en principe soumis à la même loi que son prononcé. Mais la plupart de ces effets sont en réalité aujourd'hui traités de façon autonome. Ainsi le régime des pensions alimentaires et prestations compensatoires est-il défini par le règlement Obligations alimentaires, tandis que la garde des enfants relève des règles qui régissent la responsabilité parentale (chapitre 7). L’introduction en droit français, par la loi Justice du XXI e siècle, d’un divorce sans juge soulève des interrogations quant au régime international de ce divorce conventionnel.
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Droit international privé
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En l’absence de toute disposition sur ce point dans la loi, une circulaire du 26 janvier 2017 fournit quelques indications. La possibilité de recourir à un divorce sans juge de droit français devrait être régie en toutes circonstances par le droit français, lequel semble assez libéral sur ce point en ce qu’il n’exige pas de lien particulier avec la France. En revanche, la circulaire invite les parties à soumettre le divorce — dans ses conditions et ses effets — à la loi qui lui est applicable selon les règles de droit international privé. Reste alors à déterminer quelles sont les règles de DIP pertinentes, sachant que la CJUE paraît avoir implicitement exclu l’application du règlement Rome III aux divorces conventionnels (Sahyouni). Le divorce prononcé à l'étranger peut être reconnu en France s'il satisfait aux conditions de régularité du droit commun français de la reconnaissance des décisions (jugements des États tiers) ou du droit européen posées par le règlement Bruxelles II bis (jugements des États membres). Les répudiations unilatérales prononcées à l'étranger ont suscité une jurisprudence contrastée. Un temps reconnues en vertu de l'effet atténué de l'ordre public, elles se heurtent aujourd'hui à un refus de reconnaissance lorsque la situation présente un lien de proximité avec la France, notamment si l'épouse y est domiciliée.
IV. Filiation A. Filiation biologique
L'établissement de la filiation biologique est soumis à la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère est inconnue, à la loi nationale de l'enfant. Cette règle de conflit générale posée par l'article 311-14 du Code civil est complétée par des règles spéciales. L'article 311-15 précise ainsi que, quelle que soit la loi applicable à la filiation, la possession d'état se voit attacher les conséquences imposées par la loi française, loi d'application nécessaire lorsque l'enfant et ses parents ou l'un d'entre eux résident en France. La légitimation par mariage, un temps soumise à une règle matérielle posée par l'article 311-16 du Code civil, dépend depuis l'abrogation de ce texte par une ordonnance de 2005 de la convention de Rome du 10 septembre 1970 sur la légitimation par mariage ; la légitimation est ainsi acquise si elle est prévue par la loi nationale du père ou de la mère. La reconnaissance d'enfant est valable, conformément à la règle matérielle posée par l'article 311-17 du Code civil, si elle a été souscrite régulièrement au regard des exigences soit de la loi nationale de son auteur, soit de la loi nationale de l'enfant. La détermination de la loi applicable aux effets de la filiation biologique est moins claire. Alors que certains auteurs préconisent un maintien de la distinction un temps consacrée par la jurisprudence entre effets de la filiation légitime, soumis à la loi des effets du mariage, et effets de la filiation naturelle, soumis à la loi nationale de l'enfant, d'autres prônent un rattachement unitaire par application de la loi nationale de la mère, compétente pour l'établissement de la filiation. Le domaine d'application de cette loi est en toute hypothèse limité : ni l'autorité parentale (résultant des règles propres à la protection des incapables mineurs), ni l'obligation alimentaire (régie dans un premier temps par la loi désignée par la convention de La Haye du 2 octobre 1973, et aujourd'hui par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007) ne lui sont soumises. Seule l'attribution du nom en conséquence de la filiation semble pouvoir encore en dépendre, mais là encore sa compétence est contestée au profit de la loi nationale de l'enfant.
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La famille
B. Filiation adoptive
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L'établissement de la filiation adoptive dépend, quant à ses conditions, de la loi de l'adoptant ou de la loi des effets du mariage en cas d'adoption par deux époux (C. civ., art. 370-3, al. 1er). En amont, le principe même de l'adoption (peut-elle être légalement envisagée ?) doit être admis non seulement par la loi qui en régit les conditions, mais aussi par la loi nationale de l'un et l'autre époux en cas d'adoption par un couple marié (C. civ., art. 370-3, al. 1er) et par la loi nationale de l'enfant (C. civ., art. 370-3, al. 2). Quant au consentement du représentant de l'enfant, s'il est soumis à la loi nationale de l'enfant, il doit en toute hypothèse être donné en conformité avec une règle matérielle française qui exige un consentement libre, sans contrepartie, obtenu après la naissance de l'enfant et en toute connaissance des conséquences attachées à l'adoption, notamment lorsqu'elle emporte rupture du lien de filiation préexistant (C. civ., art. 370-3, al. 3). Une convention de La Haye du 23 mai 1993 organise, dans son domaine d'application, une coopération entre les autorités de l'État d'origine de l'enfant et les autorités de l'État d'accueil, appliquant respectivement leur propre loi. Les décisions étrangères d'adoption peuvent être reconnues en France, en application de la convention de La Haye si elles sont certifiées conformes à celle-ci par les autorités de l'État contractant où elles ont été rendues, ou si elles ont été régulièrement prononcées selon le droit commun français de la reconnaissance des jugements dans les autres cas (C. civ., art. 370-5). La Convention européenne des droits de l'homme, notamment en ce qu'elle impose le droit au respect de la vie familiale, peut contraindre les États contractants à infléchir le jeu des conditions qui régissent la reconnaissance des décisions d'adoption prononcées à l'étranger pour tenir compte des liens familiaux qui préexistent de facto en conséquence de la décision étrangère. Les effets de la filiation adoptive sont toujours régis par la loi française, que l'adoption ait été prononcée en France (C. civ., art. 370-4) ou à l'étranger. L'adoption prononcée à l'étranger produit les effets que la loi française attache à l'adoption plénière si elle rompt le lien de filiation préexistant, ceux attaché à l'adoption simple dans les autres cas (C. civ., art. 370-5).
V. Obligations alimentaires
Un règlement CE no 4/2009 Obligations alimentaires régit, depuis le 18 juin 2011, toutes les obligations alimentaires découlant des relations de famille, parenté, mariage ou alliance. Ce règlement définit les juridictions compétentes pour connaître des demandes d’aliments. Sauf choix (encadré) de la juridiction par les parties, le demandeur peut saisir au choix les juridictions de la résidence habituelle du défendeur, de la résidence habituelle du créancier d’aliments, ou encore les juridictions compétentes pour connaître du divorce ou de la responsabilité parentale lorsque les aliments sont demandés dans ce contexte. Ces règles sont complétées par des dispositions relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions. En ce qui concerne la loi applicable, le règlement renvoie au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, qui retient la compétence de principe de la loi de l’État de résidence habituelle du créancier d’aliments, sauf choix (encadré) de loi par les parties.
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Droit international privé
VI. Régimes matrimoniaux et patrimoniaux
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Les régimes matrimoniaux des couples mariés avant le 1er septembre 1992 sont régis par le droit international privé commun français : la loi applicable est celle choisie expressément ou implicitement par les époux ; en l'absence de choix, la loi applicable est celle que les époux ont eu la volonté d'adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires, c'est‑à-dire selon une présomption de droit la loi de leur premier domicile commun. Les régimes matrimoniaux des couples mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 sont régis par la convention de La Haye du 14 mars 1978. En l'absence de choix de loi, la loi applicable est celle de la première résidence habituelle des époux. Le changement de loi applicable aux régimes matrimoniaux n'était possible en droit commun français qu'en conséquence d'un changement de régime matrimonial, lorsque ce changement était autorisé par la loi originairement compétente. La convention de La Haye prévoit, outre un possible changement volontaire de loi applicable par les époux, certaines hypothèses de changement automatique en conséquence du déplacement de la résidence habituelle des époux. La forme du contrat de mariage ou de la désignation de loi applicable par stipulation expresse est valable dès lors qu'ont été respectées les exigences, soit de la loi applicable sur le fond au régime, soit de la loi du lieu de leur conclusion. La protection des tiers justifie que l'opposabilité de la loi choisie par les époux (qui régit leurs relations avec les tiers) soit parfois subordonnée, comme c'est le cas en droit français, à des mesures de publicité instituées par la loi de l'État du lieu de célébration du mariage. Les mariages célébrés après le 29 janvier 2019 sont soumis, pour la détermination de la loi applicable au régime matrimonial, à un règlement européen du 24 juin 2016. Ce règlement consacre une possibilité de choix, encadré, de la loi applicable ; à défaut il retient l’applicabilité de la loi de la première résidence habituelle commune des époux après le mariage (avec des rattachements subsidiaires). Il prévoit le changement volontaire, en principe non rétroactif, de la loi applicable par les époux, mais pas le changement automatique par l’effet d’une modification de l’élément de rattachement. Il complète les règles de conflit de lois par des règles de compétence internationale des juridictions et des règles de reconnaissance et d’exécution des jugements. Il est à noter qu’un autre règlement du même jour détermine la loi applicable, les juridictions compétentes et les effets des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Il s’applique, pour la détermination de la loi applicable, aux partenariats enregistrés après le 29 janvier 2019.
VII. Successions
Le règlement européen du 4 juillet 2012, qui régit les successions ouvertes après le 17 août 2015, consacre un système moniste de règlement des successions, en soumettant l'ensemble de la succession à la loi de la résidence habituelle du défunt au jour de son décès. Il institue en outre la professio juris, c'est‑à-dire la possibilité pour le défunt de choisir sa loi nationale comme loi applicable à sa succession. Pour déterminer la loi applicable à la forme des dispositions testamentaires, il réserve le jeu de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 qui pose une règle de conflit
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La famille
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alternative validante. Dans le règlement, les règles de conflit de lois sont complétées par des règles de compétence qui favorisent la liaison entre compétence juridictionnelle et loi applicable, ainsi que des règles de reconnaissance et d'exécution des décisions de justice et des actes authentiques. Le règlement crée en outre le certificat successoral européen, qui atteste de la qualité d'héritier de son porteur et est reconnu dans tous les États membres. L’application du droit international privé commun français va progressivement se tarir, mais il régit encore les successions ouvertes avant le 17 août 2015. Ce droit consacre une approche scissionniste du règlement des successions. Les successions mobilières sont soumises à la compétence des tribunaux et de la loi de l'État du dernier domicile du défunt. Les successions immobilières sont soumises à la compétence des tribunaux (en principe exclusive) et de la loi de l'État du lieu de situation de l'immeuble. Le jeu du renvoi permet toutefois de restaurer ponctuellement une unité du traitement des successions mobilières et immobilières.
Quid
n C e r t i f i c a t d e c a p a c i t é à ma r i a g e n o 6 8 7 Document établi par les autorités françaises établissant que des futurs époux de nationalité française, dont le mariage doit être célébré à l'étranger, remplissent les conditions requises par la loi française pour contracter ce mariage ; le mariage de deux époux français célébré à l'étranger sans délivrance préalable du certificat interdit la transcription de ce mariage sur les registres d'état civil français. n Ce r ti f i c at s u cc e sso r a l e u ro p é e n n o 8 19 Document uniforme de droit européen établissant la qualité d'héritier, de légataire, d'exécuteur testamentaire ou d'administrateur successoral d'une ou plusieurs personnes qu'il désigne. Délivré (à compter de 2013) par les autorités habilitées de tout État membre de l'Union européenne dont les juridictions sont compétentes pour régler une succession transfrontalière, le certificat voit sa force probante reconnue dans tous les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure complémentaire. n Empêchements bilatéraux n o 681 Conditions de fond du mariage dont l'appréciation ne peut s'opérer qu'en considération des deux époux (existence d'un lien de parenté, différence de sexe). n Fraude à l'intensité de l'ordre public n o 729 Manœuvre consistant pour un justiciable à obtenir qu'une situation soit constituée ou qu'une décision soit prononcée dans un pays étranger, dans le but de lui faire produire des effets en France, parce que cette situation ou cette décision peut, si elle est constituée ou prononcée à l'étranger, produire un effet sur le territoire français en vertu du jeu de l'effet atténué de l'ordre public, alors qu'elle n'aurait pu être directement constituée ou prononcée en France, à raison de sa contrariété avec l'effet plein de l'ordre public international. 501
Droit international privé
1) Sur le mariage
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Documents
C i v . 1 r e , 28 j an v . 19 5 8 , C h e m o u n i (GADIP, n o 30 ; Rev. crit. DIP 1958. 110, note R. Jambu-Merlin ; JDI 1958. 776, note A. Ponsard) L'arrêt Chemouni fait pour la première fois application du jeu de l'effet atténué de l'ordre public pour justifier une solution qui était alors déjà admise : la reconnaissance de la validité d'un mariage polygamique, dès lors que ce mariage a été célébré sans fraude à l'étranger, en conformité avec la loi applicable en vertu du droit international privé français. L'arrêt énonce que « la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit acquis sans fraude à l'étranger et en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
C i v . 1 r e , 15 f é v r . 1 9 6 6, C a m p b e l l - J o h n s t o n (GADIP, n o 42 ; Rev. crit. DIP 1966. 273, note H. Batiffol ; JDI 1967. 95, note B. Goldman) L'arrêt Campbell-Johnston définit la loi applicable aux donations mobilières entre époux. Un époux de nationalité britannique avait fait donation à son épouse française, devant un notaire new-yorkais, de divers meubles et tableaux garnissant un appartement sis à Paris. Les deux époux étaient alors domiciliés en France. Quelque temps plus tard, la discorde s'étant installée dans le couple, l'époux prétend révoquer la donation, ce à quoi l'épouse oppose la compétence de sa loi nationale anglaise excluant la révocabilité des donations. La Cour de cassation conclut au contraire à l'applicabilité de la loi française, en vertu de laquelle les donations entre époux sont révocables, aux motifs que, les époux étant de nationalité différente, la loi applicable était « la loi du domicile commun, régissant les effets personnels du mariage ». Elle inclut donc les donations mobilières entre époux dans le domaine de la loi des effets du mariage, avant de décider, par un arrêt ultérieur (Civ. 12 juin 1979, Rev. crit. DIP 1980. 322, note G. Légier ; JDI 1980. 644, note G. Wiederkehr) d'y inclure également les donations immobilières entre époux. V. aussi infra sur les effets du mariage, les arrêts Rivière et Tarwid.
2) Sur le divorce
C i v . 1 r e , 17 a v r. 1 95 3 , Ri vi èr e
(GADIP, n o 26 ; Rev. crit. DIP 1953. 412, note H. Batiffol ; JDI 1953. 860, note R. Plaisant) L'arrêt Rivière définit la loi applicable au divorce. Le divorce de deux époux russes dont l'un était devenu Français par naturalisation, tous deux domiciliés en Équateur, avait été prononcé par les juridictions équatoriennes en application de la loi équatorienne. La possibilité de reconnaître ce divorce en France était doublement contestée. Un premier grief soulevait sa contrariété à l'ordre public international ; sur ce point, on le sait, la Cour de cassation oppose l'effet atténué de l'ordre public (v. ss 276). Le second grief soutenait que la loi française était applicable en raison de la nationalité française de l'épouse ; la Cour de cassation le rejette, affirmant à cette occasion
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La famille
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que lorsque les époux sont de nationalité différente, la loi applicable à leur divorce est la loi de leur domicile commun. La règle de conflit née de la jurisprudence Rivière, complétée par la jurisprudence Tarwid (v. infra), a été par la suite étendue aux effets du mariage. Elle ne reste de droit positif que sur ce dernier point, une nouvelle règle de conflit en matière de divorce ayant été depuis adoptée par le législateur.
C i v . 1 r e , 15 m a i 1 9 6 1, T ar w i d
(Rev. crit. DIP 1961. 547, note H. Batiffol ; JDI 1961. 734, note B. Goldman) L'arrêt Tarwid complète l'arrêt Rivière en précisant la notion de « domicile commun ». Il retient que le divorce de deux époux de nationalité différente peut être soumis à la loi de leur domicile commun s'ils sont « tous deux intégrés au milieu local par un établissement effectif dans le même pays ». De cet arrêt, il résulte que le domicile commun doit faire l'objet d'une appréciation concrète (et non purement juridique, comme l'aurait été la fixation systématique du domicile de l'épouse au domicile conjugal), et que le fait que les deux époux soient séparés n'exclut pas la reconnaissance d'un domicile « commun », tant qu'ils ont chacun leur domicile — entendu au sens d'établissement effectif — dans un même pays.
C i v . 1 r e , 1 e r a v r . 1 98 1 , D e Pe d r o (JDI 1981. 812, note D. Alexandre) Sur l'arrêt De Pedro qui, appliquant pour la première fois le mécanisme ultérieurement conceptualisé par la doctrine sous l'appellation d'ordre public de proximité, « impose la faculté, pour un Français domicilié en France, de demander le divorce » (v. le résumé in chapitre 3).
C i v . 1 r e , 17 f é v r . 2 0 0 4
(GADIP, n o 64 ; Rev. crit. DIP 2004. 424, note P. Hammje ; JDI 2004. 1200, note L. Gannagé) Quatre arrêts rendus par la Cour de cassation en première chambre civile le 17 février 2004 marquent un coup d'arrêt à la reconnaissance en France des répudiations prononcées à l'étranger sur la demande unilatérale du mari. Traditionnellement admise au bénéfice de l'effet atténué de l'ordre public, lorsqu'elle était valable au regard de la loi nationale de chaque époux et qu'elle ménageait les droits procéduraux et financiers de l'épouse, la répudiation unilatérale est dorénavant jugée « contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984, no 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l'ordre public international (…) dès lors que les deux époux ou la femme sinon les deux sont domiciliés sur le territoire français ». C'est donc le jeu de l'ordre public de proximité qui impose de protéger l'épouse, quand bien même sa loi nationale autoriserait sa répudiation unilatérale par le mari, dès lors qu'elle est domiciliée en France.
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Droit international privé
3) Sur la filiation C i v . 1 r e , 7 n o v . 19 8 4 , T o r l e t
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(GADIP, n o 67 ; Rev. crit. DIP 1985. 533, note M. Simon-Depitre ; JDI 1985. 434, note H. Gaudemet-Tallon) L'arrêt Torlet définit la loi applicable à l'adoption internationale et son domaine d'application, indiquant que « les conditions et les effets de l'adoption sont régis, lorsque l'adoption est demandée par une seule personne, par la loi nationale de celle-ci, la loi de l'enfant devant seulement déterminer les conditions du consentement ou de la représentation de l'adopté ». Ces solutions ne sont plus que partiellement en vigueur, en conséquence de l'évolution postérieure de la jurisprudence et surtout de l'intervention du législateur. Si les conditions de l'adoption sont toujours régies par la loi nationale de l'adoptant (ou la loi des effets du mariage en cas d'adoption par un couple), cette compétence est dorénavant assortie de tempéraments. Si les conditions du consentement ou de la représentation de l'adopté sont toujours soumises à la loi de l'enfant, cette règle de conflit est assortie d'une règle matérielle relative à l'exigence de consentement et aux caractères essentiels que celui-ci doit revêtir. Enfin, les effets de l'adoption ne sont plus, aujourd'hui, soumis à la même loi que les conditions de celle-ci.
C i v . 1 r e , 31 j an v . 19 9 0 , P i s tr e
(GADIP, n o 68 ; Rev. crit. DIP 1990. 519, note E. Poisson-Drocourt ; JCP 1991. II. 21635, note H. Muir Watt) L'arrêt Pistre, outre qu'il constitue une étape dans l'élaboration de la règle matérielle relative au consentement du représentant de l'adopté finalement énoncée par l'arrêt Fanthou (en ce qu'il retient que le contenu du consentement à l'adoption doit être apprécié indépendamment de la loi nationale de l'adopté, par la prise en compte de la volonté expresse ou présumée de la personne ayant consenti), affirme que les lois étrangères prohibant l'adoption d'un enfant en sa forme plénière par un étranger ne résidant pas dans l'État d'origine de l'enfant ne sont pas contraires à l'ordre public international français pas plus qu'aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme ou du pacte international des Nations unies relatif aux droits civiles et politiques.
C i v . 1 r e , 10 f é v r . 1 9 9 3, L a t o u z (Rev. crit. DIP 1993. 620, note J. Foyer ; JDI 1994. 124, note I. BarrièreBrousse) L'arrêt Latouz énonce pour la première fois que, si une loi étrangère prohibant l'établissement de la filiation naturelle n'est pas en soi contraire à l'ordre public international, il en est autrement si cette loi a « pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation ». La doctrine, sous l'impulsion majeure du professeur Jacques Foyer, a déduit de cette approche, déjà employée en matière de divorce par l'arrêt de Pedro, le mécanisme de l'ordre public de proximité : les liens particuliers qu'entretient une situation avec la France — ici la nationalité française ou la résidence en France de l'enfant — justifient un renforcement des exigences de l'ordre public — ici une loi qui serait normalement conforme à l'ordre public international français y est jugée contraire. La positivité de la solution posée par l'arrêt semble aujourd'hui remise en cause par une décision de la Cour de cassation qui affirme la contrariété pure et simple, à l'ordre public international français, d'une loi étrangère prohibant l'établissement de la filiation naturelle (Civ. 1re, 26 oct. 2011, à paraître Bull. civ. ; D. 2012. 1230,
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obs. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viganotti ; JDI 2012. 176, note J. Guillaumé ; v. le commentaire de l'arrêt ss Rubrique Quiz du Chapitre 3).
C i v . 1 r e , 10 m a i 1 9 9 5, F a n t h o u
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(GADIP, n o 69 ; Rev. crit. DIP 1995. 548, note H. Muir Watt ; JDI 1995. 625, note F. Monéger) L'arrêt Fanthou énonce que « deux époux français peuvent procéder à l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette institution, à la condition qu'indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ». Cet arrêt est aujourd'hui dépassé en ce qu'il prétend ignorer la prohibition de l'adoption par la loi personnelle de l'enfant adopté ; l'article 370-3, alinéa 2 du Code civil interdit en effet le prononcé d'une adoption que n'autorise pas la loi nationale de l'adopté. Il reste en revanche d'actualité en ce qu'il pose une règle matérielle relative au consentement requis pour l'adoption, complétant la règle de conflit qu'avait énoncée l'arrêt Torlet. Aujourd'hui reprise en substance par l'article 370-3, alinéa 3 du Code civil, cette règle matérielle exige que le représentant légal de l'enfant ait donné son contentement à l'adoption, quelle que soit la loi applicable à celle-ci (loi nationale de l'enfant selon l'arrêt Torlet, v. supra), et que ce consentement soit libre et éclairé, c'est‑à-dire notamment donné en toute conscience des conséquences attachées à l'adoption.
C E D H 2 8 j u i n 2 00 7 , W a g n e r
(Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch) L'arrêt Wagner marque l'infléchissement des règles de conflit de lois applicables en matière d'adoption sous l'influence de la Convention européenne des droits de l'homme. Une femme célibataire de nationalité luxembourgeoise avait adopté au Pérou un enfant péruvien ; elle sollicitait la reconnaissance de la décision péruvienne d'adoption au Luxembourg et sa transcription sur les registres d'état civil. Or le droit luxembourgeois subordonne la reconnaissance des décisions étrangères à l'application par le juge étranger de la loi compétente selon le droit international privé luxembourgeois (sous réserve du tempérament de l'équivalence). Le juge péruvien avait appliqué la loi péruvienne, qui autorise l'adoption par un célibataire. Mais la règle de conflit de lois luxembourgeoise retient la compétence de la loi nationale de l'adoptant, laquelle, s'agissant en l'espèce de la loi luxembourgeoise, prohibait l'adoption par un célibataire. Un refus de transcription est donc opposé à l'adoptant par les autorités luxembourgeoises. Saisie d'un grief de violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme — qui souligne la bonne foi de la requérante qui s'était fiée à une tolérance administrative ultérieurement remise en cause (les autorités luxembourgeoises ayant longtemps accepté la transcription des adoptions réalisées à l'étranger par des célibataires luxembourgeois) — énonce que « les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement refuser la reconnaissance des liens familiaux qui préexistaient de facto entre les requérantes et se dispenser ainsi d'un examen concret de la situation », et précise que « les motifs invoqués par les autorités nationales — à savoir l'application stricte [des] règles luxembourgeoises de conflit de lois (…) ne sont pas “suffisants” » pour justifier l'atteinte ainsi portée au droit au respect de la vie familiale. En d'autres termes, la seule application « automatique » des règles de conflit de lois d'un État ne saurait faire échec à la reconnaissance d'une situation familiale qui s'est déjà constituée à l'étranger, et ce refus de reconnaissance, s'il reste possible,
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doit être autrement motivé. Cette décision marque le passage qu'impose la Convention européenne des droits de l'homme de la méthode du conflit de lois à la méthode de la reconnaissance des situations.
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C E D H 3 m a i 2 0 1 1, N e g r e p o n t i s (Rev. crit. DIP 2011. 817, étude P. Kinsch, JDI 2012. 213, obs. A. Dionisi-Peyrusse, D. 2012. 1239, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. jault-Seseke) L'arrêt Negrepontis atteste du souci de la CEDH, dans le prolongement de l'arrêt Wagner, de veiller à ce que les conditions de reconnaissance, opposées par les États signataires pour l'accueil des jugements d'adoption étrangers, ne méconnaissent pas la réalité sociale du lien de filiation déjà établi, et donc le droit au respect de la vie familiale. C'est ici la condition de conformité à l'ordre public international du for qui est en cause. Un moine grec avait adopté son neveu aux États-Unis, et la reconnaissance de cette décision d'adoption était sollicitée en Grèce où l'adopté revendiquait le statut d'héritier. La Grèce oppose un refus de reconnaissance, en faisant valoir que les règles ecclésiastiques prohibent l'adoption par les moines, et que ces règles relèvent de l'ordre public international grec. La CEDH, appréciant la date, la nature et la source des règles en cause, conclut que « les motifs avancés par la Cour de cassation pour refuser de reconnaître l'adoption du requérant ne répondent pas à un besoin social impérieux. Ils ne sont donc pas proportionnés au but légitime poursuivi en ce qu'ils ont eu pour effet la négation du statut de fils adoptif du requérant ». La Cour se reconnaît donc le pouvoir d'apprécier la légitimité de l'érection de certaines règles juridiques au rang de principes d'ordre public international, pouvant faire obstacle à la reconnaissance d'une décision d'adoption étrangère. _ v. aussi les arrêts de la CEDH, Mennesson & Labassée (v. la rubrique Documents du chapitre 3).
4) Sur les relations patrimoniales Sur les donations entre époux, v. supra, l'arrêt Campbell-Johnston.
C i v . 1 4 m a r s 1 83 7 , S t e w a r t (GADIP, no 3)
L'arrêt Stewart énonce, au visa de l'article 3 du Code civil, que les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation de l'immeuble. Il pose, en outre, le principe du règlement autonome de chaque sous-masse successorale, en affirmant que le calcul de la réserve héréditaire sur un immeuble sis en France doit s'opérer selon la loi française, alors même que la succession serait réglée, à titre principal, par la loi du lieu où elle a été ouverte.
R e q . 4 j u i n 1 9 3 5 , Z el c e r
(GADIP, n o 15 ; Rev. crit. DIP 1936. 755, note J. Basdevant) L'arrêt Zelcer détermine la loi applicable aux régimes matrimoniaux lorsque les époux n'ont pas expressément choisi cette loi. Il indique que les juges du fond doivent « apprécier souverainement, d'après les faits et les circonstances, et notamment en tenant compte du domicile matrimonial des époux, le statut matrimonial que des étrangers, se mariant en France sans contrat, ont eu la volonté commune d'adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires ». Ultérieurement précisé par une jurisprudence faisant de la compétence de la loi du premier domicile matrimonial une présomption de droit, cet arrêt consacre un système de localisation du
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La famille
C i v . 1 9 j u i n 1 9 39 , L a d e b a n
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contrat qui, sans être purement subjectiviste, prend en compte la volonté des parties : la loi applicable est celle de l'État où les époux ont fixé leur premier domicile matrimonial, c'est‑à-dire de l'État où ils ont entendu fixer leur établissement d'une manière stable. L'arrêt indique encore que la mutabilité du régime matrimonial dépend de la loi du régime matrimonial initialement applicable.
(GADIP, n o 18 ; Rev. crit. DIP 1939. 481, note M.-L. Niboyet) L'arrêt Ladeban reprend, sous la forme d'une énonciation de principe, « l'ancienne règle » selon laquelle la dévolution des successions mobilières est régie par la loi du dernier domicile du défunt, dans la mesure où « les meubles héréditaires sont réputés exister au lieu d'ouverture de la succession ». L'arrêt tranche, par cette dernière formule, une controverse doctrinale, en confirmant que l'application de la loi du dernier domicile du défunt est justifiée par la localisation des biens — elle joue en tant que lex rei sitae au bénéfice d'une fiction de localisation de ces biens au domicile du défunt —, et non par un quelconque lien personnel qui unirait les meubles à la personne du défunt et justifierait l'application de sa loi personnelle.
C i v . 1 r e , 1 e r f é v r . 1 9 7 2, G o u t h e r t z (GADIP, no 51 ; Rev. crit. DIP 1972. 644, note G. Wiederkher ; JDI 1972. 594, note Ph. Kahn) L'arrêt Gouthertz exclut le jeu du renvoi en matière de régimes matrimoniaux, en justifiant sa décision par référence au rôle qu'y joue le principe d'autonomie : « le choix du régime dépendant de la volonté expresse ou implicite des époux, ceux-ci n'ont pu se référer qu'à la loi interne à l'exclusion des règles russes de conflit de lois “dont [elle déclare qu']il n'est pas raisonnable de penser qu'elles aient soupçonné l'existence” ».
C i v . 1 r e , 21 m a r s 2 00 0 , Bal lestr ero (Rev. crit. DIP 2000. 399, note B. Ancel ; D. 2000. 539, note F. Boulanger ; JDI 2001. 505, note M. Révillard) L'arrêt Ballestrero reprend formellement la solution antérieurement posée par l'arrêt Steward, en rappelant que le montant de la réserve héréditaire sur un immeuble est déterminé par la loi du lieu de situation de cet immeuble, confirmant ainsi le principe du règlement autonome de chaque masse successorale. Mais il tempère cette autonomie par le jeu du renvoi. Ainsi, les juges français peuvent, pour calculer le montant de la quotité disponible d'une succession, et donc de la réserve héréditaire, prendre en compte la valeur d'immeubles situés en Italie si « la loi italienne de conflit », normalement applicable au règlement de la succession sur ces immeubles, renvoie au droit français.
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C o n s . co n s t . 5 a o û t 2 0 1 1, n o 20 1 1 - 1 5 9 Q P C
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(D. 2012. 1228, Chron. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 440, obs. B. Haftel et A. Boiché ; JCP 2011, n o 1139, obs. M. Attal ; JCP N 2011. 1236, obs. E. Fongaro ; ibid. Chron. 1256, no 7, obs. H. Péroz ; Dr. fam. 2011, n o 173, obs. D. Boulanger ; Dr. et patr. déc. 2011. 93, obs. M.-E. Ancel ; Defrénois 2011. 1351, note M. Revillard ; LPA 27 oct. 2011, note L. d'Avout ; JDI 2012. 135, obs. S. Godechot-Patris). Le Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, déclare le droit de prélèvement contraire à la constitution, plus précisément au principe d'égalité devant la loi, en ce qu'il profite – dans la conception qu'en a retenue la jurisprudence française – au seul cohéritier français et exclut de son bénéfice les cohéritiers étrangers. Le Conseil concède pourtant que le législateur peut, pour rétablir l'égalité entre les héritiers garantie par la loi française, « fonder une différence de traitement sur la circonstance que la loi étrangère privilégie l'héritier étranger au détriment de l'héritier français ». Le droit de prélèvement pourrait donc renaître, pour rétablir sur les biens situés en France une égalité rompue par la loi étrangère applicable à la succession, mais il devrait alors bénéficier à tous les cohéritiers lésés, qu'ils soient français ou étrangers.
Biblio
1) Sur le couple (mariage, partenariats et concubinage) et les enfants - B. Ancel, H. Muir Watt, « Aliments sans frontières. Le règlement CE no 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires », Rev. crit. DIP 2010. 457. - A. Boiché, « Responsabilité parentale : la convention de La Haye du 19 octobre 1996 en vigueur au 1 er février 2011 », AJ fam. 2011. 93. - S. Bollée, « La gestation pour autrui en droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 20122014, p. 215. - A. Bonomi, « La compétence internationale en matière de divorce Quelques suggestions pour une (improbable) révision du règlement Bruxelles II bis », Rev. crit. DIP 2017. 511. - B. Bourdelois, « L'adoption internationale », Trav. Com. fr. DIP 2000-2002. 139. - D. Bureau, « Le mariage international pour tous à l’aune de la diversité », Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Audit, LGDJ, 2014, p. 155. - P. Callé, « Introduction en droit français d'une règle de conflit propre aux partenariats enregistrés », Defrénois 2009, art. 38989. - S. Clavel, « La fraude », in T. Azzi, O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Buylant, 2015, p. 151 (sur la GPA et la PMA). - P. Courbe, « L'influence des réformes du droit de la famille sur le droit international privé », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 703. - A. Devers, « L'efficacité des partenariats enregistrés à l'étranger », JCP N 2012, n o 25, p. 32. - A. Devers, M. Farge, « Le nouveau droit international privé du divorce », Dr. fam. juin 2012. Étude 13.
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La famille
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- A. Dionisi-Peyrusse, « La reconnaissance en France des situations familiales créées à l'étranger », AJ fam. 2011. 250. - J. Foyer, « Vingt ans d'application des articles 311-14 à 311-18 du Code civil », in Mélanges D. Huet-Weiller, LGDJ, 1994, p. 139. - H. Fulchiron, « Réflexions sur les unions hors mariage en droit international privé », JDI 2000. 889. - H. Fulchiron, « Le mariage entre personnes de même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnaissance du « mariage pour tous », JDI oct. 2013. Doctr. 9 - H. Fulchiron, « La lutte contre le tourisme procréatif : vers un instrument de coopération internationale ? », JDI 2014. Var. 2. - H. Fulchiron, C. Bidaud-Garon, « Reconnaissance ou reconstruction ? À propos de la filiation des enfants nés par GPA », Rev. crit. DIP 2015.1. - H. Fulchiron, « La CEDH et la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe célébrés à l'étranger : avis de tempête ou signal brouillé ? », D. 2018. 446. - E. Gallant, « Le nouveau droit international privé alimentaire de l'Union : du sur-mesure pour les plaideurs », Europe 2012. Étude 2. - E. Gallant, « Règlement n o 4/2009/CE du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires », in L. Cadiet, E. Jeuland, S. Amrani-Mekki (dir.), Droit processuel civil de l'Union européenne, Lexisnexis, 2011, p. 99. - H. Gaudemet-Tallon, « Incertaines familles, incertaines frontières : quel droit international privé ? », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 147. - P.-Y. Gautier, « Les couples internationaux de concubins », Rev. crit. DIP 1991. 525. - G. Goldstein, H. Muir Watt, « La méthode de la reconnaissance à la lueur de la Convention de Munich du 5 septembre 2007 sur la reconnaissance des partenariats enregistrés », JDI 2010. Doctr. 12. - P. Hammje, « « Mariage pour tous » et droit international privé », Rev. crit. DIP 2013. 773. - P. Hammje, « Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire et le droit international privé », Rev. crit. DIP, 2017. 143. - P. Hammje, « Réflexions sur l'article 515-7-1 du Code civil », Rev. crit. DIP 2009. 483. - P. Hammje, « Le nouveau règlement (UE) n o 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps », Rev. crit. DIP 2011. 291. - A. Huet, « La séparation des concubins en droit international privé », in Des concubinages, Droit interne, Droit international, Droit comparé, Études J. Rubellin-Devichi, Litec, 2002, p. 549. - N. Joubert, B. Morel, « Les partenariats enregistrés en droit international privé depuis la loi du 12 mai 2009 », JCP N 2009. 1285. - G. Khairallah, « Les partenariats organisés en droit international privé », Rev. crit. DIP 2000. 317. - H. Muir Watt, « La Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale », Trav. Com. fr. DIP 1993-1995. 49. - M.-C. Najm Kobeh, « La cour de cassation française et la répudiation musulmane », JDI 2015. Doctr. 7. - C. Nourissat, « Recouvrement des obligations alimentaires dans l'Union : loi applicable », AJ fam. 2009, doss. spéc. 3, p. 101. - A. Parret, « Le statut personnel en droit international privé européen », Rev. crit. DIP 2015. 837.
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Droit international privé
- H. Péroz, « La loi applicable aux partenariats enregistrés », JDI 2010. 399. - D. Sindres, « Le tourisme procréatif et le droit international privé », JDI 2015. Doctr. 4.
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2) Sur le droit patrimonial de la famille (régimes matrimoniaux, successions) V. le dossier Successions internationales, AJ Famille 2015. 357. - A. Bonomi, « Quelle protection pour les héritiers réservataires sous l'empire du futur règlement européen », Trav. Com. fr. DIP 2008-2010. 263. - F. Boulanger, « Codifications nationales et convention de La Haye du 1 er août 1989 : l'improbable unification du droit international des successions », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 156. - S. Corneloup, V. Egéa, E. Gallant, F. Jault-Seseke (dir.), Le droit européen des régimes patrimoniaux des couples. Commentaire des règlements 2016/1103 et 2016/1104, Société de législation comparé, collection « Trans Europe Expert », volume 13, 2018. - E. Fongaro, « L’anticipation successorale à l’épreuve du « règlement successions » », JDI 2014. Doctr. 5. - J. Foyer, « Réformes du droit interne et conflit de lois. Retour sur l'application internationale de la loi du 3 décembre 2001 », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 131. - S. Godechot-Patris, « Commentaire du règlement du 24 juin 2016 relatif aux régimes matrimoniaux : le changement dans la continuité », D. 2016. 2292. - N. Joubert, « La dernière pierre (provisoire ?) à l'édifice du droit international privé européen en matière familiale », Rev. crit. DIP 2017. 1. - G. Khairallah, « La volonté dans le droit international privé des régimes matrimoniaux », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 197. - P. Lagarde, « La qualification des biens en meubles ou immeubles dans le droit international privé du patrimoine familial », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 209. - P. Lagarde, « La nouvelle convention de La Haye sur la loi applicable aux successions », Rev. crit. DIP 1989. 249. - P. Lagarde, « Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions », Rev. crit. DIP 2012. p. 691. - C. Nourissat, « Une révolution copernicienne pour les successions internationales – Entrée en application du règlement (UE) no 650/2021 le 17 août 2015 », JCP. G. 2015 (doctr.), 935. - H. Peroz, « Régime matrimonial - Les lois applicables au régime primaire : Incidences du règlement (UE) 2016/1103 sur le droit applicable au régime primaire en droit international privé français », JDI 2017, doctr. 9. - L. Perreau-Saussine, « Le nouveau Règlement européen « Régimes matrimoniaux » », JCP G 2016. Étude 1116. - M. Révillard, « Les mesures de publicité relatives aux régimes matrimoniaux en matière internationale », Defrénois 1998. 1201. - M. Révillard, « Dix ans d'application de la Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux », Defrénois 2002. 893. - M. Révillard, « L'harmonisation du droit international privé de la famille dans la pratique notariale », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. GaudemetTallon, Dalloz, 2008, p. 789. - M. Révillard, « Proposition de règlements communautaires sur les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux des partenariats », LPA 6 juillet 2011, n o 133, p. 3.
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Quiz 1) Sujets corrigés
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- E. Vassilakakis, « La professio juris dans les successions internationales », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 803.
A) Test de connaissances Énoncé
1. Lorsque deux époux sont de nationalités différentes, les conditions de fond de leur mariage sont soumises à : a. la loi de leur domicile commun ; b. la loi du mari ; c. la loi de chaque époux, distributivement ou cumulativement selon la condition envisagée. 2. Les mariages célébrés en France, même entre étrangers : a. le sont toujours par les autorités françaises et selon les règles formelles prescrites par la loi française ; b. le sont toujours par les autorités françaises et selon les règles formelles prescrites par la loi française, sauf célébration par les consuls de l'État de nationalité commune des époux ; c. peuvent être célébrés selon les formes prescrites par une loi étrangère si le renvoi joue. 3. Un mariage polygamique : a. ne peut jamais être valablement célébré en France ; b. peut être célébré en France par les autorités consulaires étrangères ; c. peut être célébré en France par les autorités françaises si la validité de l'union est consacrée par la loi nationale commune des époux. 4. Un mariage célébré à l'étranger en violation des règles de forme de la lex loci celebrationis : a. est toujours nul et ne peut être reconnu en France ; b. peut être reconnu en France si l'État du lieu de célébration reconnaît néanmoins sa validité ; c. est valable car la forme du mariage n'est pas soumise à la lex loci celebrationis mais à la loi nationale commune des époux ou à défaut de nationalité commune par la loi de leur domicile commun.
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5. La jurisprudence Rivière-Tarwid : a. a forgé la règle de conflit désignant la loi applicable au divorce, mais cette règle ne s'applique plus aujourd'hui que pour déterminer la loi applicable aux effets du mariage ;
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b. a forgé la règle de conflit désignant la loi applicable au divorce, et cette règle s'y applique encore aujourd'hui ; c. a forgé une règle de conflit spécifique pour déterminer la loi applicable à l'obligation alimentaire entre époux.
6. En France, pour qu’un mariage entre personnes de même sexe soit considéré valable : a. il suffit que la loi nationale ou la loi du domicile ou la loi de la résidence habituelle de l’un des époux admette sa validité, b. il faut que la loi de la résidence habituelle des époux admette sa validité, c. il faut que les lois nationales de chaque époux admettent sa validité.
7. Les partenariats enregistrés, pour la définition de leur traitement par le droit international privé : a. relèvent de la catégorie « contrats » ; b. relèvent du statut personnel et intègrent la catégorie « mariage » élargie pour les recevoir ; c. relèvent du statut personnel et intègrent une catégorie autonome spécialement créée pour eux.
8. En droit positif, les effets personnels des partenariats enregistrés sont soumis : a. à la loi en application de laquelle ce partenariat a été enregistré, à savoir la lex auctoris ; b. à la loi du domicile commun des deux partenaires ; c. à la loi nationale commune des partenaires.
9. Selon l'article 309 du Code civil français, le divorce de deux époux domiciliés en France est prononcé par les juges français : a. en application de la loi nationale commune des époux ; b. en application de la loi des effets du mariage ; c. en application de la loi française, loi de leur domicile commun.
10. Le règlement Rome III a pour objet : a. d'abroger le règlement Bruxelles II bis ; b. de modifier les règles de compétence juridictionnelle posées par le règlement Bruxelles II bis et d'y adjoindre des règles de conflit de lois ; c. de définir des règles de conflit de lois applicables au divorce.
11. Selon le règlement Rome III, la loi normalement applicable au divorce est : a. la loi de la résidence habituelle commune des époux, mais ceux-ci ont une possibilité de choix encadré, b. la loi librement choisie par les époux,
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c. la loi nationale des époux.
12. Les répudiations unilatérales prononcées à l'étranger sur la demande du mari :
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a. sont reconnues en France si l'épouse reçoit une compensation financière suffisante ; b. ne sont pas reconnues en France ; c. ne sont reconnues en France qu'en l'absence de lien de proximité de la situation avec la France.
13. La loi applicable à l'établissement de la filiation biologique est aujourd'hui en principe : a. la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; b. la loi nationale de l'enfant pour la filiation naturelle et la loi des effets du mariage pour la filiation légitime ; c. la loi nationale de l'enfant au jour où la filiation est établie.
14. La possession d'état est régie :
a. par la loi française quand la famille réside en France ; b. par la loi nationale de la mère ;
c. par la loi nationale de la mère, sous réserve d'une règle d'application immédiate qui impose d'attacher à la possession d'état les conséquences prévues par la loi française lorsque la famille réside en France.
15. Selon le règlement Obligations alimentaires, la loi normalement applicable aux demandes d’aliments est : a. la loi de la nationalité commune du débiteur et du créancier d’aliments, b. la loi de la résidence habituelle du débiteur d’aliments, c. la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments. 16. En droit commun français, les effets d'une adoption prononcée à l'étranger sont soumis : a. à la loi nationale de l'adoptant ou à la loi des effets du mariage en cas d'adoption par un couple marié ; b. aux règles que le droit français attache aux adoptions plénières si l'adoption rompt de manière complète le lien de filiation préexistant, aux règles que le droit français attache aux adoptions simples dans les autres cas ; c. à la loi nationale de l'adopté.
17. Le changement de loi applicable aux régimes matrimoniaux : a. est accepté en tant que tel par la convention de La Haye de 1978 mais seulement en tant qu'il est une conséquence d'un changement de régime matrimonial autorisé par la loi initialement applicable selon le droit commun français ; b. est accepté par la convention de La Haye de 1978 mais pas par le droit commun français ; c. n'est accepté ni par la convention de La Haye de 1978 ni par le droit commun français.
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18. La compétence exclusive reconnue en matière de successions immobilières aux tribunaux du lieu de situation des immeubles : a. est consacrée par le droit commun français mais pas par le règlement européen sur les successions ; b. est consacrée par le droit commun français et par le règlement européen sur les successions ; c. n'est consacré ni par le droit commun français, ni par le règlement européen sur les successions. 19. La professio juris : a. est admise en droit français mais disparaît avec l'entrée en vigueur du règlement de l'Union européenne sur les successions ; b. n'est pas admise en droit français, mais est consacrée par le règlement de l'Union européenne sur les successions qui laisse à l'intéressé la possibilité d'opter pour sa loi nationale ; c. n'est pas admise en droit français, mais est consacrée par le règlement de l'Union européenne sur les successions qui laisse à l'intéressé la possibilité d'opter pour la loi de son choix. 20. Dans le règlement Successions, à défaut de professio juris, la succession est régie par : a. la loi de la résidence habituelle du défunt au jour de son décès, b. la loi nationale du défunt au jour de son décès, c. la loi du lieu de situation des immeubles appartenant au défunt. Voir corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Documents autorisés : Règlement Successions Monsieur Holiday, de nationalité française, est décédé au Panama, où il était domicilié depuis huit mois (il avait vécu auparavant toute sa vie en France), le 9 décembre 2017. Il laisse une importante succession mobilière et immobilière, constituée principalement d'un appartement à Paris, d'une villa en Andalousie (Espagne) et de divers biens mobiliers au Panama, en France et en Espagne. Deux personnes se disputent sa succession. Carla Mayeur, de nationalité américaine, se prévaut de sa qualité d'épouse. Yohann Malik, mineur de 9 ans représenté par sa mère Souad, se prévaut de sa qualité d'enfant (naturel) du défunt. Souad et Yohann Malik ont intenté une action en déclaration de paternité devant les juridictions françaises, car Monsieur Holiday n'avait pas officiellement reconnu l'enfant, aux besoins duquel il avait néanmoins pourvu. L'action est en cours. Ils font valoir qu'une fois reconnu le lien de filiation entre Yohann et le défunt, Yohann devrait être le seul héritier. Ils soutiennent en effet que le mariage contracté entre M. Holiday et Mme Mayeur n'est pas valide, dans la mesure où il a été « célébré » à Las Vegas le 23 mars 2011, alors d'une part que Monsieur Holiday, âgé de 78 ans et souffrant de la maladie d'Alzheimer, était dans l'incapacité de donner un
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consentement éclairé, d'autre part que Mme Mayeur n'était pas régulièrement divorcée de son précédent mari. Mme Mayeur, précédemment mariée à un ressortissant suédois, Sven Gustavsson, aurait en effet obtenu que le divorce soit prononcé le 1er février 2011 par le juge de l'État de New York, où elle venait de transférer sa résidence, sans que son époux soit régulièrement appelé à la procédure. Monsieur Gustavsson, actuellement résidant en France, y a d'ailleurs formé une action en inopposabilité du jugement de divorce, toujours pendante. Carla Mayeur soutient quant à elle être la seule héritière de son défunt époux. Elle souligne que l'action en déclaration de paternité intentée par Yohann et Souad Malik, tous deux de nationalité algérienne, ne peut prospérer puisque la loi algérienne prohibe l'établissement de la filiation hors mariage. Elle rappelle que l'enfant est né en Algérie, où il a été élevé par sa mère, à l'exception de courts séjours en France. Le notaire français chargé de la liquidation de la succession aimerait y voir clair. Il vous demande de l'éclairer sur les juridictions compétentes et la loi applicable pour régir la succession, et sur les chances pour chacun des prétendus héritiers de voir reconnaître ses droits. Il vous indique avoir procédé à quelques recherches préliminaires, qui lui ont permis d’apprendre qu’au Panama, la règle de conflit applicable aux successions prévoit que la succession sur les biens situés au Panama est soumise à la loi panaméenne, mais que la succession sur les biens situés à l’étranger est soumise à la loi du pays où ils sont situés. Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. c ; 2. b ; 3. a ; 4. b ; 5. a ; 6. a ; 7. c ; 8. a ; 9. c ; 10. c ; 11. a ; 12. c ; 13. a ; 14. c ; 15. c ; 16. b ; 17. a ; 18. a, c est admissible si l'on considère que la compétence exclusive de droit commun souffre d'exceptions ; 19. b ; 20. a.
Cas pratique
Monsieur Holiday est décédé ab intestat en laissant divers biens mobiliers et immobiliers, répartis entre la France, le Panama et l'Espagne. La question de la succession étant posée, il importe de s'interroger en premier lieu sur les règles applicables à la succession (I), avant de déterminer quels sont ses héritiers potentiels (II).
I. Les règles applicables à la succession Monsieur Holiday est décédé le 9 décembre 2017. Sa succession entre donc dans le domaine d'application du règlement de l'Union européenne « Successions » du 4 juillet 2012. C'est ainsi en application du Règlement Successions qu'il convient de rechercher quelles sont les juridictions compétentes (A) et quel est le droit applicable pour régir la succession (B).
A. Juridictions compétentes
L’article 4 du règlement retient la compétence générale, pour statuer sur les aspects tant mobiliers qu’immobiliers d’une succession, des juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès. Il peut être dérogé à cette compétence principalement lorsque le défunt avait choisi la loi applicable à sa
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succession ; mais en l’espèce, il n’est pas signalé qu’une telle professio juris ait été souscrite par M. Holiday. M. Holiday avait sa résidence habituelle au moment de son décès dans un État tiers à l’Union européenne.
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Dans un tel cas, l’article 10 prévoit une compétence subsidiaire. Les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où le défunt avait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou à défaut avait sa résidence habituelle antérieure de cet État membre s’il ne s’est pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de résidence. Il existe bien en espèce « des biens successoraux » non seulement dans un, mais dans deux États membres, la France et l’Espagne. Mais un seul d’entre eux, la France, répond aux conditions de l’article 10. Monsieur Holiday était en effet de nationalité française. Les juridictions françaises sont donc compétentes pour régler la succession de M. Holiday.
B. Loi applicable
Le règlement pose une règle générale. L’article 21 prévoit ainsi que la loi applicable à l’ensemble de la succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. Il ne distingue pas entre biens meubles et immeubles, comme le faisait auparavant le droit international privé français. En application de cette règle, la loi panaméenne devrait donc régir la succession, puisque selon l’article 20 du règlement, celui-ci s’applique même si la loi qu’il désigne n’est pas la loi d’un État membre. L’article 21 § 2 prévoit le jeu possible de la clause d’exception, si le défunt avait au moment de son décès des liens manifestement plus étroits avec un autre État que celui de sa résidence habituelle. On pourrait se demander si, en l’espèce, cette clause ne pourrait pas jouer en faveur de la loi française, puisque Monsieur Holiday n’a résidé au Panama que huit mois avant sa mort, alors qu’il avait vécu toute sa vie en France et qu’il était de nationalité française. Par ailleurs, l’article 34 du règlement prévoit que lorsque la loi d’un État tiers est désignée comme loi applicable, le renvoi peut jouer si les règles de droit international privé de l’État tiers dont la loi est applicable renvoient à la loi d’un État membre. Or le droit panaméen renvoie à la loi du lieu de situation des biens. Ainsi, si la loi panaméenne prévoit de s’appliquer pour la succession mobilière relative aux meubles situés au Panama, elle renvoie aux lois françaises et espagnoles, respectivement pour les biens situés en France et en Espagne, qui constituent l’essentiel de la succession. Les lois françaises et espagnoles sont donc applicables en vertu du renvoi. La question qui se pose est de savoir si le juge français, qui devra appliquer la loi panaméenne à la succession mobilière située au Panama, devra distinguer deux masses distinctes – les biens situés en France et ceux situés en Espagne – pour leur appliquer respectivement la loi française et la loi espagnole, alors que le règlement européen prévoit en principe l’unité successorale. On peut se demander si ces circonstances ne renforcent pas l’intérêt et la justification de recourir à la clause d’exception, pour retenir l’applicabilité de principe de la loi française.
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II. La détermination des héritiers La loi applicable à la succession va, en application de l’article 23 du règlement, régir la vocation successorale et la détermination des successibles.
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Selon le droit français (et on peut le supposer selon le droit espagnol et panaméen) des successions, l'épouse et les enfants du défunt ont tous vocation successorale. Encore faut-il que leur qualité d'épouse ou d'enfant soit établie. Or précisément, en l'espèce, ces qualités sont discutées. Or il ne revient pas à la loi successorale de déterminer si un individu peut revendiquer la qualité dont il se prévaut pour prétendre à la succession. L’article 1 er exclut du champ d’application du règlement les questions relatives à l’état des personnes et aux relations de famille. Il faut donc interroger le droit international privé français pour savoir si Mme Mayeur est bien l’épouse légitime du défunt, et si Yohann est son fils. Selon la solution constante résultant de l'arrêt Bendeddouche de la Cour de cassation, les questions préalables sont traitées de façon autonome, en application des règles de droit international privé qui leur sont propres. Il importe donc de s'interroger, en suivant cette directive, sur la vocation successorale de Mme Mayeur (A), puis de Yohann Malik (B).
A. La vocation successorale de Carla Mayeur Carla Mayeur revendique le statut d'épouse du défunt, statut qui lui confère en principe, selon la loi française qui régit la succession, vocation successorale. Le statut d'épouse de Mme Mayeur est toutefois contesté, et il importe donc, selon la méthode prônée par la jurisprudence Benddedouche, de rechercher si le mariage célébré entre Monsieur Holiday et Mme Mayeur l'a été valablement, au regard des lois applicables au mariage selon le droit international privé français. Deux causes potentielles d'invalidité du mariage méritent, eu égard aux faits de l'espèce, d'être analysées : le défaut de consentement de M. Holiday et l'absence de dissolution du premier mariage de Mme Mayeur. 1. Défaut de consentement de M. Holiday M. Holiday, âgé de 78 ans au moment du mariage, aurait souffert de la maladie d'Alzheimer altérant son consentement. La question du consentement relève des conditions de fond du mariage. Elle est soumise, même pour les mariages célébrés à l'étranger, à la loi nationale de l'intéressé (art. 202-1 C. civ.). Ainsi, puisqu'est en cause le consentement de M. Holiday, national français, la loi française est applicable. En toute hypothèse, si la loi française n’avait pas été applicable, il faut rappeler que l’article 202-1 du Code civil inclut désormais une règle matérielle relative à l’exigence de consentement des époux. Selon la loi française, le mariage n'est effectivement valable que si chaque époux a pu donner un consentement réel et éclairé. Néanmoins, il est évident qu'une discussion s'instaurera, si la question est portée en justice, sur la preuve de l'altération du consentement. En l'absence d'informations à cet égard, on se bornera à conclure que si l'invalidation du mariage pour défaut de consentement apparaît juridiquement possible, l'issue de la procédure dépendra des éléments de preuve produits et de l'appréciation du juge.
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2. Absence de dissolution du premier mariage de Mme Mayeur
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L'exigence de monogamie au moment de la célébration du mariage relève, selon la qualification française, des conditions de fond du mariage. Même pour les mariages célébrés à l'étranger, le mariage n'est valable que si les conditions de fond posées cumulativement – s'agissant d'un empêchement bilatéral – par la loi nationale de chacun des époux, sont respectées. En l'espèce, cela ne pose d'ailleurs guère de problème puisque tant la loi française, loi nationale de M. Holiday, que la loi américaine, loi nationale de Mme Mayeur, exigent que les deux époux se trouvent en situation de célibat lors de la célébration du mariage. La question est donc ici de savoir si Mme Mayeur pouvait être considérée comme célibataire au moment de son mariage avec M. Holiday. Il est indiqué que Mme Mayeur avait été précédemment mariée, mais qu'elle a obtenu le divorce de son premier mari. Du point de vue du juge français saisi de la succession, il faut donc décider si ce jugement de divorce peut être reconnu, de façon à déterminer l'état matrimonial (célibataire ou mariée) de Mme Mayeur lors de son second mariage, et à admettre ou non, en conséquence, la validité du mariage célébré postérieurement. Le jugement de divorce rendu par le juge américain pose ici difficulté, à tel point qu'une action en inopposabilité de ce jugement a été initiée en France par le premier époux de Madame Mayeur. Si cette action devait prospérer, le juge français ne pourrait évidemment considérer que Mme Mayeur était divorcée lors de son mariage avec Monsieur Holiday, et ce mariage devrait être tenu pour invalide. Le jugement de divorce pourra-t‑il être reconnu en France, ou y sera-t‑il au contraire déclaré inopposable ? Pour être reconnue en France, une décision de divorce rendue dans un États tiers à l'Union européenne (ce qui est le cas ici) doit remplir les conditions de régularité issues de la jurisprudence Munzer-Cornelissen (compétence du juge étranger, absence de fraude à la loi et conformité à l'ordre public international) et ne pas être inconciliable avec une décision qui produit déjà ses effets en France. En l'espèce, deux circonstances pourraient, le cas échéant, faire obstacle à la reconnaissance du jugement de divorce en France : l'incompétence du juge new-yorkais, et la non conformité à l'ordre public international. La compétence du juge new-yorkais fait-elle défaut ? La question peut se poser dans la mesure où il est indiqué que Mme Mayeur a saisi le juge de l'État de New York alors qu'elle venait juste d'y transférer sa résidence : ce juge s'est donc reconnu compétence sur le fondement du critère de la résidence – récente – du demandeur. On sait cependant que la compétence indirecte des juges est appréciée de façon libérale, aux termes de l'arrêt Simitch de la Cour de cassation. Il suffit qu'il existe un lien suffisant entre le litige et l'ordre juridique dont le juge s'est reconnu compétent, et qu'il n'y ait eu ni compétence exclusive de la juridiction française, ni choix frauduleux de la juridiction. Ici, il n'existe pas de compétence exclusive française, aucun élément ne permet d'établir (en l'état) une fraude dans le choix de la juridiction, et il existe bien un lien entre le litige et le juge new yorkais, lien qu'il est possible de considérer comme suffisant, quoiqu'une discussion puisse être éventuellement instaurée sur ce point. Les chances que le juge new-yorkais soit jugé incompétent sont limitées.
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La décision est-elle contraire à l'ordre public international ? On sait que le contrôle de l'ordre public international inclut, depuis l'arrêt Bachir de la Cour de cassation, un contrôle de conformité à l'ordre public de procédure. Or ici, il est indiqué que l'époux n'a pas été régulièrement appelé à la procédure. Cette circonstance constitue, a priori, une contrariété au principe fondamental du respect des droits de la défense, qui relève de l'ordre public international et interdit donc la reconnaissance du jugement en France. Il faudra certes s'assurer que l'allégation du défaut d'assignation est vérifiée : si M. Gustavsson a bien été assigné, mais a choisi de ne pas se présenter devant le juge, la contrariété à l'ordre public ne pourra être retenue. En conclusion, il semble que, au moins sur le fondement d'une contrariété à l'ordre public international de procédure, l'action en inopposabilité du jugement de divorce new-yorkais en France ait des chances de prospérer. Si tel devait être le cas, il serait impossible de considérer le mariage de M. Holiday et Mme Mayeur comme valable du point de vue français, puisque du point de vue français, la première union de Mme Mayeur n'aurait pas été régulièrement dissoute au moment de la célébration de la seconde union. On notera qu'une éventuelle putativité du mariage, qui pourrait être reconnue selon la loi de la condition violée soit en l'espèce la loi française, ne devrait pas influer sur la vocation successorale de Mme Mayeur.
B. La vocation successorale de Yohann Malik Yohann Malik revendique le statut d'enfant (naturel) du défunt, et sa mère exerce pour son compte (puisqu'il est mineur) une action en déclaration de paternité. L'issue de cette action dépend en grande partie de la loi applicable. Selon l'article 311-14 du Code civil, qui détermine la loi applicable aux actions en déclaration de paternité, la loi applicable est la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Souad Malik étant algérienne, la loi algérienne est applicable. Or la loi algérienne prohibe l'établissement de la filiation naturelle à l'égard du père. Pendant longtemps, la jurisprudence française a considéré que le droit pour l'enfant de faire établir sa filiation paternelle ne relevait pas de l'ordre public international, mais seulement de l'ordre public de proximité : il ne profitait donc qu'aux enfants nés et/ou résidant en France, ce qui n'est pas le cas de Yohann. Dans deux décisions ultérieures (Civ. 1re, 26 oct. 2011, Civ. 1re, 27 sept. 2017), la Cour de cassation a toutefois semblé vouloir consacrer la contrariété, à l'ordre public international, des lois étrangères privant l'enfant du droit d'établir sa filiation paternelle, indépendamment de toute prise en considération des liens avec la France. Les juges français devront donc, dans le cadre de l'action en déclaration de paternité formée devant eux, écarter la loi algérienne pour contrariété à l'ordre public international français, et lui substituer la loi française. La filiation de Yohann pourrait alors peut-être être établie, sous réserve que les conditions prescrites par la loi française soient remplies.
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Le traitement des mariages polygamiques par le droit français Le droit international privé français a assez tôt accepté de traiter le mariage polygamique comme une institution équivalente au mariage monogamique, pouvant à ce titre intégrer la catégorie française « mariage » (sur les problèmes de qualification de cette institution, v. ss 90 s.). Pour autant, sa régularité au regard des exigences du droit français, et notamment de l'ordre public international, n'est pas acquise. En outre, la reconnaissance éventuelle de la validité d'un mariage polygamique suscite des difficultés importantes pour en déterminer les effets. I. La validité du mariage polygamique, du point de vue français, dépend essentiellement du point de savoir si ce mariage doit être célébré en France, ou a été célébré à l'étranger. En effet, le mariage polygamique, qui génère une inégalité entre époux, est a priori contraire à l'ordre public international français ; seul le jeu de l'effet atténué de l'ordre public international peut donc autoriser sa reconnaissance. La célébration en France d'un mariage polygamique est inenvisageable. Les autorités françaises d'état civil ont une compétence exclusive pour célébrer les mariages sur le territoire français. Or ces autorités ne peuvent valablement célébrer un mariage polygamique. Cette prohibition peut s'expliquer en raison de l'obligation dans laquelle les autorités publiques françaises se trouvent de respecter l'ordre public international français qui joue ici son effet plein ; on peut alternativement y voir une absence pure et simple de pouvoirs, la lex auctoris ne pouvant leur avoir conféré les pouvoirs de célébrer une union contraire aux valeurs fondamentales de la République. Le choix de l'un ou l'autre de ces fondements, entre lesquels la doctrine marque une hésitation, n'est pas sans portée : seule la justification de la prohibition par l'effet plein de l'ordre public international explique que le droit français refuse de reconnaître la validité des mariages polygamiques prononcés en France par les autorités consulaires ou diplomatiques de l'État national des époux. Certains auteurs ont soutenu que la célébration des mariages polygamiques en France devrait être autorisée car les conséquences d'une annulation du mariage illégalement célébré en France seraient trop graves pour les parties. Il est difficile de souscrire à cette analyse ; c'est une chose que de vouloir atténuer les conséquences que pourrait avoir l'annulation pour les intéressés (atténuation que la putativité du mariage semble pouvoir prendre en charge), c'en est une autre que d'admettre, en amont, la célébration de telles unions en France. Incontestablement, la polygamie génère une inégalité entre époux, et sur ce point, le rapprochement parfois opéré avec l'époux monogame en situation de concubinage adultère est sans portée (car si l'époux adultère peut être indifféremment un homme ou une femme, l'époux polygame est toujours le mari, l'épouse « subissant » la situation de polygamie). Cette inégalité est incontestablement contraire à l'ordre public et à la Convention européenne des droits de l'homme (v. attestant de l'incompatibilité de la polygamie avec les valeurs françaises et de la volonté de lutter contre le phénomène : Réponse ministérielle, JO déb. Sénat, 2 déc. 2010, Rev. crit. DIP 2011. 180).
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La reconnaissance de la validité d'un mariage polygamique célébré à l'étranger est en revanche traditionnelle. L'effet atténué de l'ordre public justifie, selon la jurisprudence française (arrêts Chemouni et Bendeddouche), que les droits acquis sans fraude à l'étranger, en application de la loi compétente selon le droit international privé français, produisent leurs effets en France. Cette jurisprudence traditionnelle pose toutefois deux questions. La première est celle de la détermination de la loi applicable à la validité du mariage polygamique. L'absence de lien conjugal antérieur est une condition de fond du mariage. Elle dépend donc incontestablement de la loi nationale des époux. S'agissant d'un empêchement bilatéral, il importe que la loi nationale des deux époux contractant la seconde union (qui est un mariage polygamique) l'autorise. Mais cette seconde union rend également polygamique la première union, qui ne l'était pas jusqu'alors, et qui peut donc avoir été contractée par une première épouse de statut personnel monogamique. Un débat s'est instauré en doctrine pour déterminer l'influence que doit exercer la première union — et notamment la loi nationale de la première épouse — sur la validité de la seconde union. Plusieurs solutions ont été proposées, sans que la jurisprudence tranche clairement en faveur de l'une ou de l'autre : – application cumulative de la loi de tous les époux ; le caractère polygamique du mariage devrait être valable non seulement selon la loi nationale des deux époux contractant la seconde union, mas aussi selon la loi nationale de la première épouse ; Cette solution a été jugée par certains excessivement sévère ; – application de la loi des effets du premier mariage ; la validité de la seconde union, polygamique, devrait être reconnue par la loi des effets du mariage. Cette solution n'est cependant guère protectrice de la première épouse de statut monogamique, qui pourrait se voir imposer le second mariage dès lors que le couple réside dans un État où la polygamie est admise ; – mise en œuvre de l'ordre public de proximité ; la seconde union sera valable à la seule condition que la nationalité française de la première épouse n'impose pas un renforcement des exigences de l'ordre public français, par le jeu de la proximité, faisant échec à l'effet atténué de l'ordre public (en ce sens : Civ. 2e, 1er déc. 2011, no 10-27.864, Rev. crit. DIP 2012. 339, note P. Lagarde : est contraire à l'ordre public international français le mariage de deux époux algériens alors que le mari était encore, au jour de la seconde union, uni à une femme de nationalité française). Cette solution ne devrait toutefois pas être limitée à la protection de la seule femme de nationalité française, mais devrait être étendue à toute épouse de statut personnel monogamique (aussi une partie de la doctrine préconise-t‑elle alors de faire au moins jouer un ordre public de proximité européen, profitant à toute épouse dont la nationalité impose une protection par la Convention européenne des droits de l'homme). La seconde question est celle, aujourd'hui posée par certains auteurs (B. Ancel, Y. Lequette, op. cit., n o 30-31, § 6), de la pertinence du maintien de cette tolérance à l'égard du mariage polygamique célébré à l'étranger. Soit deux époux de nationalité algérienne vivant en France ; leur intégration à la communauté française n'impliquet‑elle pas le droit, pour l'épouse algérienne, de revendiquer l'égalité entre les époux que consacre le droit français comme valeur fondamentale, et de s'opposer en
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conséquence à la reconnaissance en France d'une seconde union que son mari serait allé contracter dans son pays d'origine. L'ordre public de proximité justifie ici qu'il soit fait échec à l'effet atténué de l'ordre public, en raison des liens qui existent avec la France. Le critère ne peut donc être, comme le prévoit le jeu de l'effet atténué, la seule célébration à l'étranger de l'union en conformité avec la loi nationale des époux ; il faut aussi tenir compte des liens étroits que les époux pouvaient, à l'époque de la célébration des unions, entretenir avec la France. En d'autres termes, l'effet atténué ne pourrait plus jouer qu'au profit d'unions polygamiques contractées à une époque où les époux impliqués n'avaient aucun lien avec la France, dans le cas où ces époux seraient, postérieurement à la célébration de ces unions, venus vivre en France. La présentation est incontestablement séduisante et mériterait d'être consacrée. L'actuel débat public sur la polygamie en France pourrait conduire à une telle consécration. Pour l’heure, on notera toutefois que les arrêts les plus récents de la Cour de cassation tendent plutôt à faciliter la reconnaissance du statut de conjoint de l’épouse polygame. Elle a ainsi rappelé à plusieurs reprises, s’agissant de déterminer la qualité de conjoint survivant pour l’attribution d’une pension au titre de la sécurité sociale, que cette qualité ne peut pas être déniée à la seconde épouse d’un polygame tant qu’une action en annulation n’a pas prospéré (Civ. 2e, 5 novembre 2015, n o 14-25565, JDI 2016. 7, note M. Farge, Civ. 2e, 12 février 2015, no 13-19751 et Civ. 2e, 9 octobre 2014, no 13-22499, Rev. crit. DIP 2015. 621, note E. Ralser). Il n’y a pas de nullité « de plein droit » : tant que le mariage n’est pas annulé, il est supposé valable. Cette précision est très importante en ce qui concerne les effets du mariage polygamique et les droits pouvant être revendiqués par la seconde épouse. II. Les effets du mariage polygamique posent également des difficultés importantes. Les effets du mariage étant régis, à défaut de nationalité commune des époux, par la loi de leur État de résidence ou par la loi du for, il est parfaitement envisageable que la définition des effets d'un mariage polygamique échoie à une loi qui ne connaît pas le mariage polygamique et n'en prévoit pas les effets. Bien sûr, certains effets du mariage monogamique peuvent être transposés au mariage polygamique (par exemple, la contribution aux charges du mariage) ; mais d'autres sont difficilement compatibles avec cette forme d'union. Il faut alors procéder ici à l'adaptation de la loi applicable ou à la substitution d'une autre loi. En ce qui concerne les rapports personnels entre époux, la doctrine préconise usuellement que la loi française des effets du mariage soit adaptée ou évincée lorsque ses préconisations sont incompatibles avec la particularité de l'union polygamique : le devoir de fidélité jouerait ainsi pour le mari à l'égard de ses deux femmes, l'obligation de cohabitation serait atténuée pour ne pas imposer aux deux épouses de cohabiter (mais cette obligation de cohabitation est déjà très largement atténuée en droit interne). Il importe ici de trouver un équilibre entre l'effectivité de la reconnaissance de l'union polygamique, qui suppose que la particularité de cette union se traduise dans la particularité de ses effets, et le souci de ne pas choquer excessivement la communauté dans laquelle les époux s'insèrent. Les difficultés les plus importantes concernent cependant les rapports pécuniaires entre époux car ces rapports peuvent avoir une incidence directe sur la communauté française. Que l'époux soit tenu à deux contributions aux charges du mariage, ou à deux pensions en cas de dissolution des unions, cela est admissible : il a choisi de se
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marier deux fois, il en assume personnellement les conséquences financières. Que les deux épouses se prévalent du droit à réversion de la pension de retraite de leur mari, ou encore que les deux foyers réclament le bénéfice des aides sociales, est plus problématique. Le mari n'a cotisé que pour une seule pension de retraite, et il ne peut en principe se prévaloir que d'un seul foyer. Or on l’a vu, la Cour de cassation a admis que, du moins tant que le mariage n’est pas annulé, la seconde épouse d’un bigame a le statut de conjoint survivant au sens du droit de la sécurité sociale. Il faut donc définir les modalités de règlement des droits respectifs des deux épouses : la reconnaissance du statut d'épouse devrait conduire à reconnaître les droits corrélatifs ; mais la « communauté française » n'entend pas payer au-delà de ce qu'elle accepte usuellement de payer (une seule pension de retraite, un seul foyer recevant les aides sociales). Plusieurs solutions peuvent être envisagées et ont été expérimentées en pratique, sans qu'aucune ne donne pleinement satisfaction : – reconnaissance des droits à une seule épouse : on peut alors choisir de privilégier l'épouse vivant en France (pour la réversion de la pension) ou celle qui forme sa demande en premier ; – partage des droits entre les deux épouses (mais selon quel critère ? pour la mise en œuvre d'un critère de partage fondé sur la durée de cohabitation, efficace si les cohabitations se sont succédé sans se chevaucher, v. : Civ. 2 e, 14 févr. 2007, JDI 2007. 933, note B. Boudelois). À l'heure actuelle, on le voit, que l'on envisage leur validité ou leurs effets, le régime des mariages polygamiques en France est loin d'être fixé.
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La constitution des sociétés § 1 Constitution en France
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Plan
§ 2 Constitution à l'étranger : la « reconnaissance des sociétés » A. Méthode conflictuelle
B. Méthode de la reconnaissance des situations
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La condition des sociétés
§ 1 Attribution de la nationalité aux sociétés A. Pertinence du concept de « nationalité des sociétés » B. Critères d'attribution de la nationalité des sociétés
§ 2 Conséquences attachées à la nationalité des sociétés A. Protection diplomatique
B. Reconnaissance des attributs de la personnalité C. Exercice des droits économiques
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3
Le fonctionnement des sociétés § 1 La société in bonis
A. La lex societatis, loi applicable au fonctionnement des sociétés B. Les juridictions compétentes pour connaître des litiges relatifs au fonctionnement des sociétés
§ 2 La société en cessation des paiements A. Le droit commun français des faillites internationales B. Le droit européen des faillites internationales
Compléments pédagogiques
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Les personnes morales
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Il existe plusieurs catégories de personnes morales de droit privé. En droit français, par exemple, on distingue les sociétés, les associations et les syndicats, ou encore les groupements d'intérêt économique. La société constitue cependant l'archétype de la personne morale, aussi ce chapitre y sera-t‑il principalement consacré. Plus précisément, ainsi que son intitulé le laisse deviner, seules les sociétés revêtues de la personnalité morale y seront envisagées (certaines sociétés pouvant ne pas jouir de la personnalité morale, ainsi la société en participation en droit français).
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La société jouit de la personnalité juridique. Comme on l'avait fait pour les personnes physiques, il apparaît donc légitime de s'interroger, lorsqu'elle est étrangère, sur sa condition en France et sur la réglementation de son activité. Ce sont ainsi tout à la fois la nationalité des sociétés et la condition des sociétés étrangères qui doivent retenir l'attention. Mais cela ne saurait suffire. La société est en effet une personne morale, c'est‑à-dire une fiction juridique. Cette particularité impose, pour le traitement des sociétés, que soient envisagées deux questions qui ne se posaient pas pour les personnes physiques. Tout d'abord, la personnalité juridique doit-elle être reconnue à toute société qui la revendique ? S'il ne fait pas de doute que toute personne physique jouit, par cette seule qualité, de la personnalité juridique reconnue aux êtres humains, la personnalité juridique d'une personne morale dépend en revanche de la loi. En sorte que, lorsqu'une société a des liens avec plusieurs États, un conflit de lois paraît devoir se poser : selon quelle loi faut-il décider si la société s'est régulièrement constituée, et partant s'il est possible de lui reconnaître la personnalité juridique ? Cette première question se prolonge par une seconde : une fois la société valablement constituée, en application de quelles règles son fonctionnement doit-il être assuré ? Le traitement des personnes morales par le droit international privé impose donc de se pencher successivement sur la constitution des sociétés (section 1), sur leur condition (section 2) et sur leur fonctionnement (section 3).
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La constitution des sociétés La régularité de la constitution des sociétés, dont dépend en principe la reconnaissance de leur existence comme personnes morales, est une question qui connaît d’importants bouleversements depuis plusieurs années. On distinguera selon qu’une société soit constituée en France, ou à l’étranger. Si une société a été constituée en France, son existence est en effet acquise, du point de vue de l'ordre juridique français, dès lors que les règles posées par le droit français ont été respectées ; mais il faut se demander s’il existe une condition complémentaire, tenant à l’existence du
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siège social de cette société en France (§ 1). En revanche, si une société a été constituée à l'étranger, la question qui se pose en France est moins de savoir si cette constitution s'est valablement réalisée sous l'empire de la loi applicable, que de déterminer si l'ordre juridique français est prêt à la reconnaître (§ 2).
1 Constitution en France
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L'article 1837, alinéa 1er du Code civil dispose que « toute société dont le siège social est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française ». Ainsi, les sociétés constituées en France le sont nécessairement, dès lors que leur siège social est en France, en application de la loi française. Au-delà de son affirmation textuelle, la solution paraît rationnellement s'imposer. Il ressort de l'article 1842, alinéa 1er du Code civil (de même que de l'art. L. 210-6, al. 1 er C. com. pour les sociétés commerciales) que les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. L'immatriculation étant reçue par une autorité publique française et portée sur un registre public français (le registre du commerce et des sociétés), elle ne peut l'être qu'en application de la lex auctoris. Ainsi, l'autorité publique recevant une demande d'immatriculation d'une société anonyme en cours de constitution vérifiera que les conditions posées par la loi française pour la constitution des sociétés anonymes (capital minimum, nombre d'associés, etc.) ont été respectées. Pourtant, le fait qu'une société se constitue sur le territoire français n'exclut pas l'existence de possibles éléments d'extranéité.
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Tout d'abord, un ou plusieurs des associés fondateurs peuvent être de nationalité étrangère. Cette circonstance a normalement peu de conséquences : les investisseurs étrangers peuvent librement créer des entreprises et sociétés en France en application de la loi française. Tout au plus une obligation de déclaration leur est imposée si la valeur de l'investissement dépasse un certain seuil. En outre, l'exercice par la société ainsi constituée de quelques rares activités (ex. jeux d'argent, cryptologie, armement) impose aux investisseurs étrangers d'obtenir une autorisation préalable (sur l'ensemble de ces questions, v. CMF, art. L. 151-1 s., R. 151-1 s., réglementant les relations financières avec l'étranger).
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Ensuite, le siège social de la société dont l'immatriculation par les autorités françaises est sollicitée pourrait être situé à l'étranger. Il faut cependant distinguer ici selon que l’on considère le siège social statutaireQ — celui que les associés ont mentionné dans les statuts — ou le siège social réelQ — le véritable siège opérationnel de la société, le centre de décision. Si le siège d’une société qui veut se constituer en France est fixé sur le territoire français par les statuts, il n’y a pas d’obstacle à son immatriculation en France, même si son siège réel devait être situé à l’étranger. Car d'une part, les autorités chargées de l'immatriculation ne sont généralement pas en mesure de déterminer où se situera le siège opérationnel de la société ; d'autre part, on peut douter s'il soit économiquement rationnel de refuser qu'une société se constitue en France, en application de la loi française, aux seuls motifs que son activité est destinée à se déployer, même exclusivement, à l'étranger. Il y a un véritable intérêt économique, on le sait, à attirer les sociétés… La situation est différente si les associés présentent à l’immatriculation en France une société dont la localisation du siège est prévue, par les statuts, à l’étranger. En application de l’article 1837, alinéa 1 er du
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Code civil, on considère en effet traditionnellement que seules les sociétés dont le siège social statutaire est en France peuvent acquérir la personnalité morale en application de la loi française, par immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Si certaines sociétés dont le siège statutaire est à l’étranger doivent néanmoins être immatriculées en France, ce n'est que, lorsqu’elles ont une activité en France, postérieurement à leur constitution et à leur immatriculation dans l’État où elles ont leur siège, à de simples fins de publicité. Ces sociétés doivent pour cela avoir été au préalable reconnues en France.
2 Constitution à l'étranger : la « reconnaissance des sociétés »
Une société constituée à l'étranger et qui y a acquis, en application de la loi locale, la personnalité morale, est-elle valable et peut-elle être reconnue comme telle en France ? Cette question de la reconnaissance des personnes morales constituées à l'étranger est traditionnellement appréhendée, en droit international privé français, en termes de conflit de lois (A). Mais la méthode conflictuelle est en la matière aujourd'hui fortement infléchie par la méthode de la reconnaissance, sous l’influence du droit supranational (B).
A. Méthode conflictuelle
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Le droit international privé français retient traditionnellement, par bilatéralisation de la règle unilatérale posée par l'article 1837, alinéa 1er du Code civil, que la constitution des sociétés est régie par la loi du lieu de leur siège social. Une société dont le siège social est situé en Allemagne ne pourrait donc être valablement constituée qu'en application du droit allemand. Or en pratique, les États n'immatriculent ou n'incorporent les sociétés qu'en application de la lex auctoris. Du rapprochement de ces deux règles, deux conséquences peuvent être déduites.
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La première concerne les sociétés dont le siège social est situé en France. Puisque la loi applicable à la constitution de ces sociétés est nécessairement, ainsi qu'il ressort de l'article 1837, alinéa 1er du Code civil, la loi française de leur siège social, elles ne sauraient être valablement constituées à l'étranger selon une loi étrangère applicable en tant que lex auctoris. Une société dont le siège social est situé en France ne peut jamais, du point de vue français, être valablement constituée à l'étranger, et sa personnalité morale ne saurait donc être reconnue en France si elle l’a été. Cette solution concrétise le refus opposé par le droit international privé français à la mise en œuvre du principe d'autonomie en matière de constitution des sociétés : les associés fondateurs ne peuvent pas librement choisir la loi à laquelle se trouve soumise la constitution de leur société. Ils doivent constituer leur société conformément à la loi du pays où se situe ou se situera le centre des activités de celle-ci. C'est ici que la distinction entre siège social statutaire et siège social réel, relativement indifférente lorsque la société se constitue en France, prend tout son sens ; on ne peut en effet exclure que les associés fondateurs, pour échapper frauduleusement à l'application de la loi française, ne décident de localiser fictivement le siège statutaire de leur société à l'étranger, alors même que le siège réel, c'est‑à-dire le centre de direction effective de la société, se
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situe en France. Cette manœuvre permet de constituer une société sous les auspices plus cléments d'une loi étrangère plus libérale, en évitant l'application de la loi française, éventuellement plus sévère ; les fondateurs pourraient par exemple échapper aux règles françaises relatives au capital social minimum. Aussi le droit positif français refuse-t‑il de reconnaître la validité des sociétés constituées au lieu et en application de la loi de leur siège social statutaire, lorsque celui-ci apparaît frauduleux. La seconde conséquence a trait aux sociétés dont le siège social est situé à l'étranger : la validité de leur constitution dépend en principe de la loi du lieu de leur siège social. Ceci implique, si chaque État applique exclusivement sa propre loi en matière de constitution des sociétés, qu'une société ne puisse être reconnue qu'à la condition d'avoir été constituée dans le pays du lieu de son siège social, en application de la loi locale. Plus qu'un problème de conflit de lois, c'est donc une question de compétence des autorités qui se pose : du point de vue français, seules les autorités du pays où se situe le siège social de la société sont internationalement compétentes pour constituer la société en application de leur propre loi. Il est donc permis de s'interroger sur la pertinence du recours au conflit de lois en la matière. Ainsi que le relève une partie de la doctrine contemporaine, la reconnaissance des sociétés paraît plutôt devoir être rattachée à la méthode de la reconnaissance des situations.
B. Méthode de la reconnaissance des situations 851
La méthode conflictuelle traditionnellement appliquée en France recule sous l’influence du droit supranational, qui impose dans certaines hypothèses de reconnaître les sociétés régulièrement constituées à l'étranger (1). Plus généralement, et sans remettre en cause les principes fondamentaux sous-jacents du droit international privé français des sociétés, il est permis de considérer que la méthode de la reconnaissance des situations est plus adaptée que la méthode conflictuelle aux problématiques générées par la constitution des sociétés, ce que la jurisprudence française semble en passe d’admettre (2).
1. Influence des règles supranationales 852
À l'heure actuelle, la remise en cause la plus nette de l'approche conflictualiste traditionnellement mise en œuvre en droit international privé français est imputable au droit de l'Union européenne (a). Le droit international, concrétisé par une convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, n'a qu'une portée purement théorique puisque cette convention n'est pas entrée en vigueur (b).
a. 853
La reconnaissance imposée par le droit de l'Union européenne
En Europe, tous les États membres n'appliquent pas les mêmes règles que la France. Alors qu'en France, mais aussi dans d'autres pays comme l'Allemagne ou le Danemark, une société n'est regardée comme valablement constituée qu'à la condition de l'avoir été dans le pays et en application de la loi du lieu de son siège social, d'autres États ont adopté un système plus libéral : une société est valablement constituée dès lors qu'elle a été régulièrement créée selon la loi du pays d'enregistrement. Selon cette théorie dite « de l'incorporation »Q, une société peut donc être constituée et immatriculée dans un État même si son siège social est situé à l'étranger, et quoique l'ensemble de son activité se déploie à l'étranger ; il suffit que la loi du lieu
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d'incorporation, c'est‑à-dire d'immatriculation, ait été respectée. Il résulte de cette divergence que certaines sociétés, régulièrement constituées du point de vue de l'État du lieu de leur immatriculation quoique leur siège social soit à l'étranger, ne sauraient être considérées comme valables du point de vue d'États moins libéraux, à défaut de coïncidence entre le lieu de leur immatriculation et le lieu de leur siège social. Cette position restrictive constitue, pour le droit de l'Union européenne, une entrave à la liberté d'établissement et une atteinte au principe de reconnaissance mutuelle. Une société régulièrement constituée du point de vue de la législation d'un État membre (celui de son lieu d'incorporation) devrait être reconnue partout dans l'Union européenne et être autorisée à y exercer son activité économique. C'est en tout cas ce qu'a affirmé la Cour de justice de l'Union européenne dans une série d'importants arrêts initiée par l'arrêt Centros (CJCE 9 nov. 1999, v. rubrique Documents). Dans cette décision, la Cour de justice a invalidé la position de l'État danois, qui prétendait refuser de reconnaître une société incorporée en Angleterre, aux motifs que, cette société, n'ayant jamais eu la moindre activité en Angleterre, aurait dû respecter la législation danoise où devait en définitive se localiser son principal établissement ; en d'autres termes, pour l'État danois, la société immatriculée en Angleterre ne pouvait être reconnue faute d'avoir été constituée au lieu, et en application de la loi du pays, de son siège social réel. Pour la CJUE, les dispositions du traité CE « s'opposent à ce qu'un État membre refuse l'immatriculation d'une succursale d'une société constituée en conformité avec la législation d'un autre État membre dans lequel elle a son siège sans y exercer d'activités commerciales, lorsque la succursale est destinée à permettre à la société en cause d'exercer l'ensemble de son activité dans l'État où cette succursale serait constituée, en évitant d'y constituer une société et en éludant ainsi l'application des règles de constitution des sociétés qui y sont plus contraignantes ». Ainsi, tout État membre est tenu de reconnaître une société régulièrement immatriculée en application de la législation d'un autre État membre, même si ce dernier n'était pas, du point de vue du premier, l'État compétent pour procéder à la constitution de la société (faute de siège social, statutaire ou réel). En pratique, cette solution conduit à introduire le principe d'autonomie que le droit international privé français avait écarté en la matière : toute personne souhaitant exercer une activité économique en France peut, aux motifs qu'elle juge la législation française relative à la constitution des sociétés commerciales trop contraignante, immatriculer sa société dans un autre État membre, en application d'une législation locale moins exigeante. Cette société sera nécessairement reconnue en France, où elle pourra donc exercer son activité économique. La liberté d'établissement garantie par le droit de l'Union européenne ne peut toutefois être poussée trop loin. Ainsi que l'a rappelé la Cour de justice (CJCE 16 déc. 2008, Cartesio, v. rubrique Documents), les États membres, s'ils sont tenus de reconnaître une société régulièrement constituée dans un autre État membre, restent libres de définir les conditions du rattachement d'une société à leur propre ordre juridique. Ainsi un État qui applique le critère du siège social réel peut-il sans violer le droit européen refuser qu'une société, régulièrement constituée dans son ordre juridique mais ayant entrepris de transférer son siège social dans un autre État membre, conserve « sa qualité de société relevant du droit national de l'État membre selon la législation duquel elle a été constituée ». En d'autres termes, une société régulièrement constituée en Hongrie, pays mettant en œuvre le critère du siège
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social réel, ne peut prétendre transférer son siège social en Italie tout en conservant son statut de société de droit hongrois et son inscription au registre des sociétés hongroises. Si la Hongrie doit reconnaître l'existence juridique des sociétés constituées dans les autres États membres, où que se situe leur siège social réel, elle n'est pas tenue d'enregistrer comme sociétés de droit hongrois des sociétés dont le siège social réel est localisé, ab initio ou par l'effet d'un transfert de siège, dans un autre État membre.
La reconnaissance préconisée par le droit international
Les solutions aujourd'hui imposées dans l'Union européenne rejoignent méthodologiquement celles préconisées en droit international. Une convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, associations et fondations étrangères pose en effet comme principe que « la personnalité juridique, acquise par une société, une association ou une fondation en vertu de la loi de l'État contractant où les formalités d'enregistrement ou de publicité ont été remplies et où se trouve le siège statutaire, sera reconnue de plein droit dans les autres États contractants » (art. 1er, al. 1 er). Tout en imposant la reconnaissance de la société régulièrement constituée au lieu de son immatriculation, cette convention ne va toutefois pas aussi loin que le droit communautaire, car elle pose un critère de compétence de l'État d'immatriculation : pour que la reconnaissance de la société s'impose, elle doit avoir été enregistrée dans l'État où se trouve son siège statutaire. La convention est même plus stricte, puisqu'elle admet qu'un État puisse ne pas reconnaître une société constituée en application de ces règles, si le siège réel de cette société se situe sur son territoire (art. 2, al. 1 er et 2) ; les États sont donc autorisés à faire prévaloir, lorsque leur législation le prévoit, le siège réel sur le siège statutaire comme critère de compétence. Même si cette convention n'est pas entrée en vigueur, elle nous invite à réfléchir sur la méthode qui devrait être suivie pour apprécier la régularité de la constitution des sociétés. Substantiellement, les règles qu'elle pose ne diffèrent guère, en effet, des règles du droit international privé français : la société doit se constituer dans l'État où se localise son siège statutaire, conformément à la loi de cet État. Mais méthodologiquement, la différence est nette, puisqu'elle traduit une mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations.
2. Particulière adaptation de la méthode de la reconnaissance des situations 856
La reconnaissance des sociétés ne génère pas un réel conflit de lois : chaque État applique usuellement sa propre loi, comme lex auctoris, pour régir les formalités de constitution et d'enregistrement des sociétés par ses autorités publiques. Le raisonnement devrait donc, pour une partie de la doctrine contemporaine, être déplacé sur le terrain de la méthode de la reconnaissance des situations. La seule question serait de savoir si le for doit aligner son point de vue sur celui de l'État étranger qui a accepté de « donner vie » à une société en procédant à son enregistrement par application de la lex auctoris. Les circonstances requises pour la mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations sont indéniablement réunies, puisqu'il existe une cristallisation d'un point de vue d'un ordre juridique étranger, matérialisé par l'enregistrement de la société par l'autorité publique étrangère. Mais les conditions de mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance des situations sont-elles remplies ?
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La méthode de la reconnaissance des situations traduit la volonté du droit international privé de privilégier un alignement de la réalité juridique sur la réalité concrète : la société, puisqu'elle existe à l'étranger, est reconnue dans l'ordre juridique du for pour peu que cet alignement ne soit pas inacceptable en raison d'une fraude des parties (incorporation dans un État sans lien avec la société, pour de pures raisons d'opportunisme juridique) ou des particularités de la société (ordre public). Les évolutions récentes de la jurisprudence française dénotent que les juridictions sont loin d’être insensibles à ce raisonnement. Dans un arrêt du 21 octobre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation (no 13-11805, RTD com 2015. 103, chron. A. Constantin, D. 2015. 1056, obs H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. DIP 2015. 541, note L. d’Avout) a ainsi jugé que l’appréciation de l’exactitude du siège social d’une société est soumise à la loi dont dépend cette société. Elle semble donc renoncer à déterminer si la société existe et est valable du point de vue de l’ordre juridique français, puisqu’elle s’aligne à cet égard sur le point de vue de la loi étrangère à l’origine de la constitution de la société sans vérification préalable de l’applicabilité de cette loi du point de vue de l’ordre juridique français.
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On l'a vu (v. ss 230 s.), l'une des conditions dont l'exigence est actuellement discutée par la doctrine est relative à la compétence de l'État d'origine : cet État doit-il justifier de titres de compétence pour régler la situation, suffisants pour que le for s'aligne sur son point de vue ? Le droit de l'Union européenne, apparemment, rejette toute condition de compétence : peu importent les liens unissant la société à l'État dans lequel elle a été incorporée ; dès lors que cet État a accepté de l'enregistrer, tous les autres États membres doivent la reconnaître. Hors du contexte européen (et pour certains dans ce contexte même), un tel libéralisme peut paraître tout à fait excessif. La convention de La Haye adopte d'ailleurs, on l'a observé, une position moins laxiste, en exigeant que l'État de constitution soit tout au moins celui du lieu du siège social statutaire de la société, voire celui de son siège social réel. Adopter la méthode de la reconnaissance des situations n'implique donc pas de libéraliser à l'excès les exigences du for ; il s'agit seulement de prendre acte d'une particularité méthodologique qui, la loi applicable étant par hypothèse la lex auctoris, conduit à reléguer le conflit de lois au second plan, au profit d'une discussion relative à la compétence de l'ordre juridique d'immatriculation de la société. Ainsi, peu importe finalement que la société ait été constituée en application de la lex auctoris ou de toute autre loi ; l'essentiel est que cette société ait été régulièrement constituée du point de vue de l'ordre juridique où elle s'est incorporée, dès lors que cet ordre juridique est à nos yeux compétent pour procéder à cette constitution. En outre, si la compétence de cet ordre juridique est acquise, mais que l'application de ses règles conduit à un résultat inadmissible du point de vue du for, l'exception d'ordre public international constitue un dernier rempart efficace.
La condition des sociétés Une fois la constitution de la société validée, et partant, sa personnalité morale reconnue, elle devrait jouir de toutes les qualités normalement attachées à la
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personnalité juridique. Une partie de la doctrine a toutefois justement observé que l'expression « reconnaissance d'une société » reçoit, en droit international privé, un double sens. Parfois entendue comme la reconnaissance de la personnalité morale de la société, elle recouvre dans d'autres hypothèses la « reconnaissance de droits élémentaires » qui sont normalement le corollaire de la personnalité juridique (P. Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547, spéc. 570). En d'autres termes, il faut distinguer reconnaissance de la personnalité juridique, normalement liée à la reconnaissance de la validité de la constitution de la société (v. ss 847 s.), et reconnaissance des droits propres à cette personnalité juridique, qui dépend d'un autre paramètre : la nationalité de la société. En effet, l'examen du droit positif révèle que les sociétés étrangères ne jouissent pas nécessairement, en France, des mêmes droits que les sociétés françaises, même s'il existe une tendance indéniable à l'alignement. Il conviendra donc d'examiner les règles qui commandent l'attribution d'une nationalité aux sociétés (§ 1), avant de détailler les conséquences attachées à cette nationalité (§ 2).
1 Attribution de la nationalité aux sociétés
Peut-on légitimement parler de nationalité des sociétés ? Longtemps discutée, cette question ne semble plus guère faire débat (A), même si les critères d'attribution de la nationalité restent empreints d'une certaine diversité (B).
A. Pertinence du concept de « nationalité des sociétés » 861
C'est en se fondant sur les enseignements d'une célèbre décision du Tribunal des conflits rendue dans une affaire Mayol-Arbona (T. confl. 23 nov. 1959, Rev. crit. DIP 1960. 180, note Y. Loussouarn) que certains auteurs ont entrepris de contester le concept même de « nationalité des sociétés ». Le Tribunal des conflits y énonce que « la nationalité d'une société ne peut être déterminée qu'au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont l'application à la société intéressée dépend du point de savoir si celle-ci est ou n'est pas française ». En d'autres termes, il n'existerait pas une nationalité des sociétés, mais plutôt un concept essentiellement relatif : chaque fois que l'attribution d'un droit ou d'une prérogative à une société dépendrait de sa nationalité, il conviendrait de déterminer cette nationalité en considération des dispositions législatives particulières en cause. Ce relativisme absolu semble condamner le concept même de « nationalité » : une même société pourrait se voir attribuer des « nationalités » différentes selon la nature de l'enjeu de cette attribution.
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Pourtant, la doctrine contemporaine révèle que ce débat est largement tari : le concept de « nationalité » est une réalité en droit positif, ne serait-ce que parce que la jurisprudence s'y réfère. Pour autant, il est permis de se demander si le parallélisme que l'on pourrait être tenté de faire avec la nationalité des personnes physiques est justifié. On l'a vu (v. ss 555 s.), chaque État dispose d'une prérogative exclusive pour attribuer sa nationalité aux personnes physiques. La transposition du raisonnement devrait conduire à retenir que, de la même façon, chaque État identifie exclusivement et unilatéralement les personnes morales qui jouissent de sa nationalité. Or on constate une très nette tendance, en droit positif, à la bilatéralisation des
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règles de nationalité. Dans son important arrêt CCRMA (Civ. 1re, 30 mars 1971, v. rubrique Documents), sur lequel on reviendra, la Cour de cassation énonce qu'« en principe, la nationalité d'une société se détermine par la situation de son siège social ». De là à considérer qu'une société qui a, par exemple, son siège au Luxembourg est une société luxembourgeoise, abstraction faite de toute prise en considération des règles luxembourgeoises régissant la nationalité des sociétés, il n'y a qu'un pas que les juridictions françaises n'ont pas hésité à franchir (v. par ex. Com. 9 avr. 1991, Interpart, Bull. civ. IV, no 123, dans lequel la Cour de cassation affirme que la société Interpart, ayant son siège social dans le Grand-Duché de Luxembourg, est une société luxembourgeoise). Cette démarche, peu satisfaisante d'un point de vue intellectuel, permet de douter que la nationalité des sociétés, même si elle n'est pas un faux concept, puisse être rapprochée de la nationalité des personnes physiques.
B. Critères d'attribution de la nationalité des sociétés Le droit français adopte, pour la détermination de la nationalité des sociétés — ou mieux pour décider si une société peut se voir attribuer la nationalité française —, un critère principal qui est celui du lieu de son siège social. La solution a été posée par l'arrêt CCRMA (v. rubrique Documents) déjà évoqué. L'assemblée plénière de la Cour de cassation a, par un arrêt du 21 décembre 1990 (Rev. crit. DIP 1992. 70, note G. Duranton), précisé ce critère en énonçant que « la nationalité, pour une société, résulte en principe de la localisation de son siège réel, défini comme le siège de la direction effective, et présumé par le siège statutaire ». En d'autres termes, il convient de se référer principalement au siège statutaire, qui normalement correspond au siège réel ; si l'absence de concordance entre siège statutaire et siège réel est établie, la nationalité de la société devrait toutefois être celle de l'État où la société a son siège réel.
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À ce critère principal, la jurisprudence française a parfois préféré, ou adjoint, d'autres critères : – le critère du contrôle, qui conduit à attribuer à la société la nationalité des détenteurs du capital ; – le critère de la direction effective, qui impose de prendre en compte le lieu où opèrent les organes dirigeants de la société, et le cas échéant une éventuelle subordination économique à une autre personne morale ; – le critère de l'incorporation, qui retient le lieu d'immatriculation de la société ; – le critère du principal établissement, qui se fonde sur le lieu d'exploitation effectif de la société.
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Comment l'articulation de ces critères avec le critère du lieu du siège social s'opèret‑elle ? Les auteurs, en dépit de variations subtiles dans leurs raisonnements, retiennent en substance la même analyse : le critère du siège social, qui coïncide normalement, au moins en France, avec le critère de l'immatriculation (v. ss 844), permet en principe de déterminer la nationalité de la société ; néanmoins, lorsque le siège social statutaire est fixé en France, la nationalité française pourrait être déniée à la société en cause s'il résultait, de l'examen des autres critères, l'absence de liens réels avec la France. Les autres critères permettent donc de vérifier que le critère du siège social remplit effectivement sa fonction de rattachement de la personne morale à l'ordre juridique français. Si seul le siège social est fixé en France, mais que les
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§ 866
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autres critères (contrôle, direction effective) rattachent la société à un autre ordre juridique, on peut douter que la nationalité française doive lui être attribuée. Cette question de nationalité est importante pour les sociétés, car des conséquences non négligeables lui sont attachées.
2 Conséquences attachées à la nationalité des sociétés
Les sociétés « étrangères » ne jouissent pas, en France, exactement des mêmes prérogatives que les sociétés françaises. La différence de traitement se révèle de façon variable sur trois principaux plans : pour la mise en œuvre de la protection diplomatique (A), pour la reconnaissance des attributs de la personnalité (B), et enfin pour l'exercice des droits économiques qui constituent en principe l'objet même des sociétés (C).
A. Protection diplomatique 867
Il est de principe, en droit international public, que les États ne peuvent exercer la protection diplomatique qu'à l'égard de leurs nationaux. La solution a été expressément confirmée, s'agissant de la protection diplomatique des sociétés, par le célèbre arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l'affaire Barcelona-Traction (CIJ 5 févr. 1970, Rec. CIJ 1970. 42) : la société Barcelona Traction, dont le siège social tant statutaire que réel était situé au Canada, s'était trouvée placée, aux termes d'une procédure complexe, sous contrôle espagnol contre la volonté des dirigeants canadiens et de la plupart de ses actionnaires, dont certains avaient la nationalité belge. L'État belge avait en conséquence présenté une demande devant la Cour internationale de justice, pour le compte des actionnaires belges, tendant à « obtenir réparation du dommage qui aurait été causé à ces personnes par le comportement prétendument contraire au droit international de divers organes de l'État espagnol ». Pour répondre à cette demande, la Cour se pose « la question du droit pour la Belgique à exercer la protection diplomatique d'actionnaires belges d'une société, personne morale constituée au Canada, alors que les mesures incriminées ont été prises à l'égard non pas de ressortissants belges mais de la société elle-même ». Constatant que seuls les intérêts de la société avaient été lésés, à l'exclusion des intérêts personnels des actionnaires belges, la Cour conclut que la Belgique n'avait pas qualité pour agir, car « la règle traditionnelle attribue le droit d'exercer la protection diplomatique d'une société à l'État sous les lois duquel elle s'est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège ». Cet arrêt est important à un double titre. D'une part, il énonce clairement que les États ne peuvent exercer la protection diplomatique qu'au bénéfice des seules personnes morales revêtues de leur nationalité. D'autre part, il prend parti — quoique son interprétation sur ce point soit sujette à controverse — sur les critères d'attribution de la nationalité des personnes morales, confirmant l'importance du critère du siège social et du lieu d'incorporation.
B. Reconnaissance des attributs de la personnalité 868
La reconnaissance de la personnalité morale d'une société (v. ss 859) devrait normalement conduire à lui reconnaître tous les attributs attachés à la personnalité
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juridique : aptitude à conclure des actes juridiques (à distinguer du droit d'exercer une activité économique régulière, qui n'est pas un attribut de la personnalité), droit d'ester en justice… Mais en réalité, les choses n’ont pas toujours été aussi simples.
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Quoique de nombreux décrets aient été adoptés pour reconnaître aux sociétés anonymes d'un État donné le droit d'exercer des droits en France, et que la restriction ne concerne pas, en toute hypothèse, les sociétés ressortissantes d'un État membre de l'Union européenne, la position du droit français apparaissait excessivement stricte. Il est en outre étonnant qu'elle ait pu être formellement maintenue après sa condamnation implicite par la jurisprudence au début des années 1990 : dans plusieurs arrêts rendus en 1990 et 1991 (Crim. 12 nov. 1990 ; Civ. 1 re, 25 juin 1991, Rev. crit. DIP 1991. 667, note G. Khairallah), la Cour de cassation a en effet estimé qu'en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1 er du protocole additionnel no 1, « toute personne morale, quelle que soit sa nationalité, a droit au respect de ses biens et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ». Il en ressortait que dès lors, toute société étrangère pouvait, même en l'absence de décret, agir en justice pour protéger ses intérêts patrimoniaux. Il n'en restait pas moins que, tous les droits n'étant pas également protégés par la Convention européenne des droits de l'homme (ex. droit de conclure des actes juridiques), et tous les États n'étant pas couverts par les décrets pris en application de la loi de 1857, certaines sociétés anonymes étrangères ne pouvaient encore jusqu'à récemment exercer en France certains droits pourtant normalement attachés à la personnalité juridique. L'abrogation de la loi de 1857 par la loi no 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit a mis fin à cette situation injustifiable.
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Ces tergiversations, en ce qu’elles concernent en particulier le droit d’agir en justice des sociétés étrangères, peuvent être mises en parallèle de celles relatives au droit d’agir des associations étrangères, qui semble enfin connaître son épilogue. Il est aujourd'hui admis en droit français que, si les associations étrangères disposant d’un établissement en France doivent, comme les associations françaises, faire l’objet d’une déclaration en préfecture pour pouvoir exercer leurs droits, cette exigence ne
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Le droit français a longtemps reconnu aux sociétés étrangères valablement constituées (c'est‑à-dire revêtues de la personnalité morale) la jouissance de tous les droits normalement attachés à la personne. Il a cependant durci sa position, en 1857, à l'égard des seules sociétés anonymes étrangères. Ce durcissement s'est produit en réaction à la position prise par la Cour de cassation belge dans une décision Paricirisie (Cass. Belgique, 8 févr. 1849, in F. Rigaux et G. Zorbas, Droit international privé, Les grands arrêts de la jurisprudence belge, Bruxelles, Larcier, 1981, p. 97), qui faisait obstacle à la reconnaissance du droit pour une société anonyme française à agir en justice devant les juridictions belges. Par une loi du 14 mars 1855, le législateur belge reconnaissait alors aux sociétés françaises le droit d'ester en justice et d'exercer tous les droits en Belgique, sous réserve de réciprocité, tandis que le législateur français, par une loi du 30 mai 1857, offrait aux sociétés belges ladite réciprocité. Mais l'article 2 de cette loi ajoutait que la faculté pour les sociétés anonymes étrangères d'exercer des droits et d'ester en justice en France devait être accordée par décret. Elle n'était donc plus attachée automatiquement à la reconnaissance de la régularité de la constitution de la société étrangère.
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peut en revanche conditionner l’action en justice des associations étrangères qui n’ont pas d’établissement en France. Celles-ci doivent pouvoir agir pour défendre leurs droits, sans avoir à procéder à cette déclaration préalable, dès lors qu’elles sont dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont elles relèvent… Mais il aura fallu l’intervention de la Cour européenne des droits de l’Homme (15 janv. 2009, Ligue du monde islamique, no 36497/05, D. 2009. 374, obs. M. Léna et 2771, obs. J.-F. Renucci), de la Cour de cassation (Crim. 8 déc. 2009, no 09-81607, D. 2010. 202, obs. M. Léna et 2254, obs. J. Pradel, et 2326, obs. L. d’Avout et S. Bollée) et du Conseil constitutionnel (7 nov. 2014, n o 2014_424 QPC, Rev. crit. DIP 2015. 383, note L. d’Avout) pour fixer cette solution !
C. Exercice des droits économiques 872
S'agissant des activités économiques, et notamment du droit d'exercer une activité commerciale régulière sur le territoire français, le droit français opérait une distinction en fonction de la nationalité de la société, mais celle-ci est en voie d'estompement. Les sociétés ressortissantes d'États membres de l'Union européenne sont en toute hypothèse assimilées aux sociétés nationales.
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Il existe toute d'abord une réglementation de l'activité économique des sociétés étrangères sur le territoire, puisqu'il est admis par le droit international public que la détermination des conditions de l'entrée et du séjour des étrangers sur le territoire relève de la souveraineté de l'État, lequel peut subordonner cette entrée et ce séjour à des conditions relatives à l'activité économique. C'est ainsi qu'une personne étrangère qui entend exercer sur le territoire français une activité commerciale, industrielle ou artisanale doit en faire la déclaration préalable auprès du préfet du département où l'exercice de cette activité est prévu (C. com., art. L. 122-1), même si la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a supprimé l'exigence d'obtention d'une carte de commerçant étranger. Quelques activités ne peuvent même être exercées en France par des sociétés étrangères que sous réserve d'autorisation préalable ; c'est le cas, par exemple, pour l'exercice même ponctuel de prestations de sécurité privée. En outre les investissements étrangers en France, s'ils sont en principe libres (CMF, art. L. 151-1), peuvent être soumis à autorisation ou déclaration préalable (CMF, art. L. 151-2 s.).
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Certaines limites peuvent, ensuite, affecter les droits des sociétés pourtant autorisées à exercer une activité économique sur le territoire. Le droit français privait ainsi les sociétés étrangères de certains droits reconnus aux sociétés françaises. Mais ces particularismes disparaissent progressivement. Ainsi, si traditionnellement le droit à la propriété commerciale ne profitait pas au commerçant étranger (C. com., art. L. 145-13), la Cour de cassation, par une décision remarquée (Civ. 3 e, 9 nov. 2011, n o 10-30.291, LPA 2011, no 243, p. 9, note L. d'Avout), a mis fin à l'application de l'article L. 145-13 du code de commerce, aux motifs que cette disposition, qui subordonne sans justification d'un motif d'intérêt général le droit au renouvellement du bail commercial à une condition de nationalité, constitue une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention EDH. Certains droits de la propriété intellectuelle ont encore un régime spécifique (à titre d'ex., conformément à l'art. L. 611-1, al. 3 CPI, les sociétés étrangères ne bénéficient de la protection de leurs brevets en France que si les Français jouissent d'une réciprocité de protection
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dans les pays dont elles sont ressortissantes), mais les nombreuses conventions internationales auxquelles la France est partie en cette matière en tempèrent la mise en œuvre.
Le fonctionnement des sociétés Le fait qu'une société, française ou étrangère, puisse exercer son activité économique sur le territoire français, ne préjuge évidemment pas de la régularité de cette activité. La société doit respecter les législations en vigueur qui encadrent cette activité, tel par exemple le droit de la concurrence. En outre, la société étant une personne juridique, donc une fiction, il est nécessaire de se préoccuper des règles qui régissent son fonctionnement : qui peut agir pour le compte de la société, à quelles conditions… ? L'organisation interne de la société dépend en principe de la lex societatis. Mais cette solution ne vaut que pour la société in bonis (§ 1). L'entreprise en cessation des paiements, en revanche, voit son fonctionnement perturbé par l'immixtion de la lex concursus (§ 2).
§
1 La société in bonis
L'identification de la loi applicable au fonctionnement de la société s'opère assez simplement par la mise en œuvre d'une règle de conflit bilatérale permettant la désignation de la lex societatis (A). La détermination des juridictions compétentes pour connaître des litiges relatifs au fonctionnement de la société suscite plus de difficultés (B).
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A. La lex societatis, loi applicable au fonctionnement des sociétés Le droit français pose une règle de conflit unilatérale pour identifier la loi applicable au fonctionnement des sociétés françaises. L'article 1837, alinéa 1er du Code civil dispose en effet que « toute société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française », tandis que l'article L. 210-3, alinéa 1er du Code de commerce adopte une formule similaire pour les seules sociétés commerciales et les groupements d'intérêt économique. La jurisprudence a bilatéralisé cette règle de conflit, dont il ressort qu'une société est soumise, quant à son fonctionnement, à la loi de son siège social. La lex societatis est la loi du siège. Mais faut-il prendre en considération le siège statutaire, ou le siège réel de la société ? À cet égard, les alinéas 2 des deux articles précités indiquent que « les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société si le siège réel est situé en un autre lieu ». Il y a là un premier élément de réponse à notre question : dans leurs relations avec la société, les tiers peuvent se prévaloir, indifféremment, de la loi du lieu du siège social statutaire, ou de la loi du lieu du siège social réel. Ainsi, si le dirigeant d'une société a valablement engagé celle-ci envers un tiers
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au regard des conditions posées par la loi du lieu du siège social réel, ce tiers pourra exiger le respect de son engagement par la société, même si le dirigeant n'avait pas le pouvoir de le souscrire en application de la loi du lieu du siège statutaire ; et inversement.
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Un autre élément de réponse peut être trouvé dans le rapprochement entre loi régissant le fonctionnement de la société, et loi régissant sa constitution. L'article 1837 du Code civil, on l'a vu, s'applique à l'une et à l'autre de ces questions. Il y a donc normalement coïncidence entre la loi applicable à la constitution d'une société, et la loi applicable à son fonctionnement. Cette coïncidence est bienvenue : en effet, il peut s'avérer particulièrement délicat de mettre en œuvre, pour déterminer le fonctionnement d'une société, une loi autre que celle qui a présidé à sa constitution. Comment en effet définir les conditions de fonctionnement du conseil d'administration, dont l'existence est prescrite par le droit français pour la constitution des sociétés anonymes, selon une loi autre que la loi française et qui n'institue peut-être pas d'organe social équivalent ? Il est assurément préférable que la même loi régisse la constitution et le fonctionnement des sociétés. Dès lors, en cas de différence de localisation du siège social réel et du siège social statutaire, et réserve faite de la protection des tiers, la loi suivie pour la constitution de la société devrait être prioritairement retenue pour régir son fonctionnement, qu'elle corresponde à la loi du siège social statutaire ou du siège social réel. Il faut toutefois observer que l'obligation, posée par le droit communautaire, de reconnaître des sociétés qui se seraient constituées dans un autre État membre de l'Union européenne alors même que leur siège social serait en France (v. ss 853), est de nature à générer des difficultés d'articulation entre loi applicable à la constitution, et loi applicable au fonctionnement de la société : constituée sous l'empire de la loi étrangère du pays d'incorporation, une société dont le siège social est en France serait soumise, pour son fonctionnement, à la loi française. Faut-il alors renoncer à l'application de la loi du siège social, pour prolonger la compétence de la loi de constitution ? On voit mal comment une autre solution pourrait être retenue, au moins lorsqu'il est substantiellement impossible de coordonner les deux lois.
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Finalement, on observera encore, incidemment, que l'utilisation du critère de rattachement du siège social pour l'identification de la lex societatis est de nature à générer une confusion avec la loi nationale de la société, dont l'identification est soumise au même critère (v. ss 863) : du point de vue français, la lex societatis et la loi nationale de la société ne font, en principe, qu'un. Mais, quoiqu'une partie de la doctrine soit encline à utiliser indifféremment les termes de lex societatis et de loi nationale, il serait préférable de soigneusement les distinguer, ainsi que le préconisent certains auteurs. D'une part, l'application du critère du siège social peut conduire à des résultats différents, selon que l'on envisage la détermination de la nationalité d'une société ou celle de sa lex societatis (pour la nationalité, le critère du siège social est tempéré par la prise en considération d'autres critères ; ce n'est pas le cas pour l'identification de la lex societatis) ; la coïncidence n'est donc pas nécessaire, même en droit français. D'autre part, si la coïncidence entre loi nationale et lex societatis s'opère souvent du point de vue français, c'est en raison d'une tendance contestable à bilatéraliser notre critère d'attribution de la nationalité aux sociétés. Si l'on adopte un raisonnement unilatéraliste (plus satisfaisant, v. ss 862) en matière de nationalité, il est parfaitement concevable que la lex societatis définie par le droit
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international privé français ne coïncide pas avec la nationalité étrangère de la société, car l'État dont la société a la nationalité n'utilise pas nécessairement le critère du siège social pour l'attribution de sa nationalité. Cette absence de concordance est en toute hypothèse sans gravité car les conséquences attachées à la nationalité des sociétés (détaillées, v. ss 866 s.) doivent être soigneusement distinguées des questions soumises à la lex societatis. Le domaine de la lex societatis est particulièrement large. S'appliquant normalement, sous réserve des exceptions déjà envisagées, à la constitution de la société, elle en définit également les conditions de dissolution, de liquidation et de partage. Il revient donc à la lex societatis de fixer la durée d'une société et de préciser à quelles conditions les associés peuvent y mettre fin de façon anticipée, avant de préciser les modalités de liquidation et de répartition des éventuels boni de liquidation. La lex societatis régit également la vie de la société : elle définit le fonctionnement des organes sociaux, par exemple la périodicité de leur réunion et les règles de majorité s'appliquant à leurs délibérations ; elle règle surtout les pouvoirs des différents organes de la société, en particulier des dirigeants sociaux qui engagent en principe la société à l'égard des tiers ; elle s'applique dans les rapports entre la société et ses associés et/ou administrateurs, ainsi que dans les rapports entre associés — il lui revient ainsi de déterminer si et à quelles conditions des associés minoritaires peuvent exercer une action en abus de majorité contre les associés majoritaires. D'une façon générale, il est permis de considérer que toute question touchant au fonctionnement de la société entre a priori dans le domaine d'application de la lex societatis. Mais cette compétence n'est pas sans limites.
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Les activités de la société restent en effet soumises, dans leurs modalités, aux lois définies en considération de leur nature propre. Imaginons, à titre d'exemple, que l'activité d'une société, conforme à son objet social validé par la lex societatis, cause un préjudice à un tiers. Nonobstant la régularité de cette activité au regard de la lex societatis, le tiers peut chercher à engager la responsabilité de la société en application de la lex loci delicti. Il n'y a pas là une atteinte au domaine de la lex societatis, car ce n'est pas directement le fonctionnement de la société qui est en cause, mais la détermination des conséquences qui peuvent ou doivent être tirées de ce fonctionnement. Plus pertinente est la considération d'une possible immixtion de la lex rei sitae. À maintes occasions, le fonctionnement de la société implique des biens : lors de sa constitution, avec la libération des apports ; pendant sa vie, avec les garanties que la société peut consentir sur ses biens ; à sa dissolution, qui peut donner lieu à la cession des biens de la société ou à leur partage. Dans toutes ces hypothèses, la lex rei sitae peut perturber la mise en œuvre des règles posées par la lex societatis : un associé ayant apporté un immeuble à la société pourrait se voir contraint par la lex societatis à libérer cet apport, alors que la loi du lieu de situation de l'immeuble y ferait obstacle.
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Il est une autre loi susceptible de jouer un rôle dans le fonctionnement de la société : la loi du for prise comme loi de procédure. En effet, la personne morale étant une fiction juridique, la question se pose de sa capacité pour agir en justice et surtout des pouvoirs qui doivent être conférés à cet effet. En outre, la qualité pour agir de la personne morale peut dans certaines hypothèses faire défaut. La capacité pour agir en justice reste en principe dans la dépendance de la lex societatis, à laquelle il revient,
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au-delà de la capacité, de définir les pouvoirs des représentants de la société, c'est‑àdire de déterminer quelles personnes sont habilitées à agir en justice pour le compte de la société. La qualité pour agir, en revanche, ne peut s'abstraire des exigences de la loi de procédure : c'est à cette dernière qu'il revient de déterminer si certaines actions doivent être regardées comme « attitrées », c'est‑à-dire réservées à une personne définie. Cet aspect est fondamental dans le fonctionnement de certaines personnes morales, en particulier les associations et les syndicats (cela est moins vrai pour les sociétés, qui n'agissent en principe que pour défendre leurs propres intérêts) formés pour défendre un intérêt collectif : le seul fait que la loi régissant le fonctionnement de la personne morale l'autorise à défendre un intérêt collectif en justice ne saurait suffire à rendre son action recevable devant les tribunaux français. Il importe que le droit français lui reconnaisse également qualité pour agir, pour que sa demande soit jugée recevable par les tribunaux français (v. ss 506). Le fonctionnement de la société est encore fréquemment soumis aux prescriptions d'autres lois que la lex societatis lorsque ce fonctionnement met en cause des aspects relevant de l'organisation politique, sociale ou économique du ou des États sur le territoire desquelles elle déploie son activité. Cela est manifeste s'agissant de la législation sociale : nombreux sont les États qui, comme la France, imposent aux entreprises qui emploient des salariés sur leur territoire de respecter certaines prescriptions jugées internationalement impératives (lois de police), telles les règles de sécurité ou encore les règles régissant les comités d'entreprise. L'impérativité des réglementations boursières, pour les sociétés faisant appel public à l'épargne, relève du même mécanisme des lois de police : toute société prétendant réaliser une opération sur un marché réglementé est en principe tenue de se soumettre aux obligations qui régissent ce marché. Un autre empiétement manifeste sur le domaine de la lex societatis se produit lorsque la société se trouve en situation de cessation des paiements (v. ss 887).
B. Les juridictions compétentes pour connaître des litiges relatifs au fonctionnement des sociétés 884
Une part importante des questions touchant au fonctionnement des sociétés est soumise, en droit de l'Union européenne, à la compétence exclusive des juridictions de l'État sur le territoire duquel se trouve le siège social de la société concernée. Les articles 22-2o du règlement Bruxelles I et 24-2 o du règlement Bruxelles I bis prévoient en effet que relèvent de la compétence exclusive de ces juridictions, les litiges « en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés », ainsi qu'en matière de « validité des décisions de leurs organes » (v. ss 341). Cette disposition soulève deux difficultés, l'une relative à la détermination du siège social de la société, qui constitue le critère de compétence des juridictions, l'autre relative au champ d'application de la compétence exclusive.
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Les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis n'ont pas imposé de solution pour la détermination du siège social, notamment le point de savoir s'il doit s'agir du siège statutaire, ou du siège réel. L'article 24-2o du règlement Bruxelles I bis (ou 22-2 dans Bruxelles I) prévoit in fine que « pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé ». Ce renvoi peut surprendre, dans la mesure où l'article 60 précise que les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur
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siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement. Cette définition aurait donc pu être reprise, plutôt que de recourir au droit international privé du for. Il est vrai que cette définition, qui propose des critères alternatifs pour la détermination du « domicile » des personnes morales, apparaît peu compatible avec le caractère exclusif de la compétence instituée par l'article 24-2 o (ou 22-2). Même en renvoyant au droit international privé du for, toutefois, une option peut s'offrir au demandeur. Si le siège statutaire et le siège réel sont dissociés, par exemple, il est parfaitement envisageable que l'État du siège statutaire retienne, en application de son droit international privé, la compétence exclusive de ses juridictions, tandis que l'État du siège réel retiendra, en application de son droit international privé, la compétence exclusive des siennes. Une fois déterminée la juridiction exclusivement compétente, encore faut-il délimiter les litiges relevant de cette compétence exclusive. La formule de l'article 22-2 o du règlement Bruxelles I, reprise par l’article 24-2 du règlement Bruxelles I bis, souffre à cet égard d'un manque de précision, notamment en ce qu'elle vise la « validité des décisions » des organes de la société. Retenir une interprétation large du champ d'application de la compétence exclusive, comme l'a parfois fait la Cour de cassation française, génère le risque qu'une partie importante d'un contentieux qui n'est pas directement lié au fonctionnement des sociétés, mais qui est lié à l'adoption en amont d'une décision par un organe de celle-ci – tel le contentieux des contrats devant être approuvés par le conseil d'administration – se trouve soumis à la compétence exclusive des juridictions du siège de la société. C'est pourquoi la position adoptée par la Cour de justice de l'Union européenne, qui semble vouloir consacrer une conception étroite du champ d'application de la compétence exclusive de l'article 22-2o, apparaît préférable : la compétence exclusive ne joue que pour les litiges qui portent à titre principal sur la validité des décisions des organes de la société (CJUE 12 mai 2011, Morgan Chase, aff. C-144/10, Rev. crit. DIP 2011. 922, note E. Treppoz ; et déjà, moins net : CJCE 2 oct. 2008, Hasset, aff. C-372/07).
§
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2 La société en cessation des paiements
L'administration de la société en cessation des paiements est fréquemment confiée à une autorité spécifique, que l'on appellera syndic. L'existence du syndic, ses pouvoirs, l'éventuel dessaisissement du débiteur — tous éléments qui altèrent et modifient le fonctionnement de la société — sont des questions qui échappent à la lex societatis, pour être soumises à la lex concursus. Quelle est donc cette loi de la faillite, appelée à régir très largement le fonctionnement de la société en cessation des paiements ? L'une des caractéristiques majeures du droit des faillites internationales réside dans la liaison qu'il opère entre compétence législative et compétence juridictionnelle : la loi applicable à une procédure de faillite est en principe celle de l'État où cette procédure a été ouverte. Identifier la lex concursus suppose donc, au préalable, de vérifier quelles sont les autorités compétentes pour ouvrir une procédure de faillite à l'encontre d'une société dont l'activité économique se déploie dans plusieurs ordres juridiques.
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Deux types de sources coexistent actuellement, en droit français, pour déterminer les autorités compétentes et la loi applicable en matière de faillites internationales. Il existe en effet un droit européen des faillites, qui repose sur le règlement no 1346/
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2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, applicable aux procédures ouvertes après le 31 mai 2002, révisé par un règlement no 2015/848 du 20 mai 2015, lui-même applicable aux procédures d’insolvabilité ouvertes à compter du 26 juin 2017. Mais l’application territoriale de l’un et l’autre de ces règlements est limitée aux seules procédures ouvertes contre un débiteur dont le centre des intérêts principaux est situé sur le territoire d’un État membre ; en outre sont exclues de leur champ d’application matérielle les procédures concernant des entreprises d’assurance et des établissements de crédit, des entreprises d’investissement ou des organismes de placement collectif. Le droit commun français reste donc applicable dans un certain nombre de cas. Même si aujourd'hui le droit européen est d’application plus fréquente que le droit commun français, on présentera d’abord celui-ci (A), ce qui permettra de fixer les principes fondamentaux du droit international de l’insolvabilité, et de mieux comprendre les solutions innovantes retenues par le droit européen des procédures d’insolvabilité (B).
A. Le droit commun français des faillites internationales 889
La loi française est applicable comme lex concursus à toutes les faillites ouvertes par les autorités françaises. Souvent, la lex concursus coïncide alors avec la lex societatis, car les autorités françaises ont indiscutablement compétence pour connaître de la faillite des sociétés dont le siège social est en France (1). Mais la coïncidence ne saurait être systématique, puisque les tribunaux français acceptent de façon assez libérale d'ouvrir une procédure de faillite à l'égard de sociétés dont le siège social est à l'étranger (2).
1. Compétence des autorités et de la loi françaises pour régir la faillite des sociétés dont le siège social est en France 890
L'extension à l'ordre juridique international de l'ancien article 1er alinéa 1er du décret no 85-1388 du 27 décembre 1985 (devenu, sans changement de son contenu, C. com., art. R. 600-1 après abrogation du Décr. 27 déc. 1985 par Décr. n o 2005-1677 du 28 déc. 2005) a de longue date conduit les tribunaux français à se reconnaître compétence pour ouvrir une procédure collective à l'encontre d'une société dont le siège social se situe en France. Bien plus, il avait toujours été admis par la doctrine majoritaire que, le titre de compétence des autorités françaises étant alors particulièrement fort, la procédure ainsi ouverte ne limitait pas ses effets au territoire français, mais les déployait en dehors même de ce territoire : étaient donc couverts par la procédure de faillite française les biens de la société situés à l'étranger, ainsi que les créanciers étrangers. Mais ce n'est qu'assez tardivement que la Cour de cassation a officiellement consacré ce principe d'universalité de la failliteQ française, dans son arrêt Banque Worms (Civ. 19 nov. 2002, v. rubrique Documents) : « le redressement judiciaire prononcé en France produit ses effets partout où le débiteur a des biens ». Compétente comme lex societatis pour régir le fonctionnement de la société in bonis dont le siège social est en France, la loi française reste compétente, comme lex concursus, si cette société vient à déclarer sa cessation des paiements. Mais la loi française peut également saisir, comme lex concursus, une société dont le fonctionnement n'était pas soumis à sa compétence faute de siège social en France.
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2. Compétence des autorités et de la loi françaises pour régir la faillite des sociétés dont le siège social est à l'étranger 891
Traditionnellement, une importante partie de la doctrine proposait d'atténuer les conséquences de cette revendication particulièrement extensive de compétence par une limitation territoriale des effets des procédures ouvertes, en France, contre les sociétés ayant leur siège social à l'étranger : en vertu d'un principe de territorialité de la failliteQ, seuls les biens situés en France et les créanciers « français » de ces sociétés auraient été touchés par la procédure française. La jurisprudence de la Cour de cassation donne toutefois à penser que, pour la Haute juridiction, toute faillite ouverte en France est toujours soumise au principe d'universalité, quelle que soit la vigueur des liens qu'entretient la société avec la France (Com. 21 mars 2006, Khalifa Airways, Rev. crit. DIP 2007. 105, note G. Khairallah ; Rev. sociétés 2006. 653, note S. Bollée, affirmant l'universalité de la procédure ouverte en France contre une société qui y possédait un établissement tandis que son siège social était en Algérie). Cette approche est toutefois partiellement remise en cause par le droit de l'Union européenne, qui conduit aussi à la raréfaction du contentieux relatif au droit commun français.
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Poursuivant son entreprise d'extension à l'ordre juridique international de l'article 1er, alinéa 1er du décret du 27 décembre 1985 (auj. C. com., art. R. 600-1), la jurisprudence française a également retenu qu'une procédure collective peut être ouverte en France contre une société dont le siège social se situe à l'étranger, par le tribunal du lieu du centre principal de ses intérêts en France. Il suffit donc qu'une société étrangère ait « des intérêts » en France pour que la compétence des autorités françaises soit acquise pour ouvrir à son encontre une procédure collective ; sont naturellement visées les sociétés qui ont en France un établissement, mais également celles qui y possèdent simplement des biens ou qui y exercent une quelconque activité, voire celles qui ont contracté avec des Français (puisque les art. 14, 15 C. civ. sont applicables). La compétence des autorités françaises, et partant de la loi française, est donc conçue de façon particulièrement extensive.
B. Le droit européen des faillites internationales Le droit européen des faillites repose principalement sur le règlement no 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (complété par plusieurs directives qui ne seront pas envisagées ici), refondu par le règlement no 2015/848 du 20 mai 2015. Ces règlements ont pour objet de définir des règles de conflits de juridictions et des règles de conflits de lois communes aux États membres, afin de coordonner l'application des droits substantiels de ces derniers en la matière ; ils comportent également un nombre limité de règles matérielles, directement applicables aux procédures entrant dans leur domaine d'application. À titre liminaire, il importe donc de préciser le champ d’application de ces règlements.
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Rationae materiae, le règlement no 1346/2000 vise « [les] procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d'un syndic » (art. 1 er, § 1er). La rédaction du règlement n o 2015/848 est un peu différente, et conduit à élargir le champ d’application matériel du règlement en couvrant les procédures d’insolvabilité provisoires,
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les procédures qui permettent d’éviter l’insolvabilité et les procédures ouvertes sans intervention d’un juge. Mais la définition abstraite des procédures visées importe à dire vrai assez peu. En effet, ces procédures doivent faire l’objet d’une inscription par les États membres sur une liste portée en annexe A du règlement (art. 2, a). Or après moult débats, il a été retenu par la CJUE qu’une procédure ne relève du règlement européen que si elle est mentionnée dans cette liste ; une procédure qui répondrait aux critères de définition posés par l’art. 1 er mais ne serait pas inscrite sur la liste ne relèverait pas du règlement, et au contraire une procédure inscrite sur la liste mais ne répondant pas aux critères de l’art. 1er en relèverait tout de même. Rationae temporae, le règlement no 1346/2000 s'applique aux procédures ouvertes postérieurement au 31 mai 2002, date de son entrée en vigueur ; le règlement no 2015/848 s’applique aux procédures ouvertes après le 26 juin 2017. Rationae loci, le règlement no 1346/2000 vise les procédures ouvertes contre un débiteur dont le centre des intérêts principaux est situé sur le territoire d'un État membre, dès lors qu’elles ont un effet trans-européen. En dépit de nombreux appels à « l’internationalisation » des règles de compétence du règlement (c’est‑à-dire à leur applicabilité dans les relations avec les États tiers), et d’une jurisprudence de la CJUE tendant à étendre ce champ d’application (en part. CJUE 16 janv. 2014, Schmid, Rubrique Documents), le champ d’application territorial du règlement reste strictement identique dans sa refonte de 2015. Lorsque le règlement est applicable, il définit la compétence des autorités (1) et la loi applicable (2). Le nouveau règlement refondu institue par ailleurs des règles spécifiques pour les groupes de sociétés (3). Il est important de signaler que l’application du règlement 2015/848 en France a justifié l’adoption d’une ordonnance du 5 novembre 2017 portant adaptation du droit français au règlement (UE) n o 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité (n o 2017-1519), qui introduit diverses dispositions dans le Code de commerce. Ces dispositions, matérielles, ne seront pas envisagées dans ce chapitre essentiellement consacré aux règles de droit international privé.
1. Compétence des autorités 895
Solution de compromis, le système de compétence instituée par le règlement repose sur la mise en place d'une procédure principale de portée universelle (a), coordonnée avec une ou plusieurs procédures secondaires de portée territoriale (b).
a.
Procédure principale
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La procédure principale a pour particularité d'être universelle : elle frappe tous les biens de la société, où qu'ils se situent, et concerne tous ses créanciers. Elle relève de la seule compétence des juridictions de l'État où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur (art. 3, § 1er). Dans le règlement n o 1346/2000, une présomption est posée pour les personnes morales ; le centre des intérêts principaux est présumé localisé au lieu du siège statutaire de la personne morale, jusqu'à preuve du contraire. La notion de « centre des intérêts principaux » soulève de nombreuses questions, et a suscité une importante jurisprudence. Elle génère deux principaux risques.
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Tout d’abord, on pouvait craindre que les juridictions des États membres n'adoptent des interprétations divergentes de cette notion, sapant ainsi l'objectif d'harmonisation et de coordination du règlement. La CJUE a limité ce risque de deux façons. Dans
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l'instance directe, d'une part, tout en laissant une marge d'appréciation aux juges des États membres en affirmant que la notion de « centre des intérêts principaux » du débiteur ne se confond pas nécessairement avec son siège social (présomption simple) et « doit correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers » (CJCE 2 mai 2006, Eurofood, v. Rubrique Documents), la Cour de justice confère une force particulière à la présomption. Elle juge en effet qu'en cas de transfert de siège avant l'introduction d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, le centre des intérêts principaux d'une personne morale est présumé se trouver au nouveau siège de celle-ci dès lors qu'elle y a eu une activité réelle, fût-ce une activité limitée aux besoins de sa liquidation (CJUE 20 oct. 2011, Interedil, v. Rubrique Documents). Dans l'instance indirecte, d'autre part, la Cour de justice « verrouille » la notion en retenant que « la procédure d'insolvabilité principale ouverte par une juridiction d'un État membre doit être reconnue par les juridictions des autres États membres, sans que celles-ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l'État d'ouverture » (arrêt Eurofood, préc.). Formellement, cette décision impose une reconnaissance de plein droit des jugements d'ouverture d'une procédure principale, conformément à l'article 16 du règlement, même si la compétence des autorités ayant ouvert cette procédure est contestable au regard de l'article 1er, § 1er du règlement. Au-delà, elle implique que l'appréciation de la notion de « centre des intérêts principaux du débiteur » opérée par la juridiction première saisie s'impose, dès lors que cette juridiction a retenu sa compétence, à tous les États membres dont les juridictions ne pourront plus se reconnaître compétence pour ouvrir une procédure principale. En effet, toute procédure subséquemment ouverte ne pourra qu'être secondaire. Le règlement no 2015/848 confirme ces solutions, et renforce la prévisibilité en instituant une présomption applicable aux personnes physiques : le centre des intérêts principaux des personnes physiques exerçant une activité libérale ou indépendante est présumé être le lieu d’activité principal de l’intéressé ; pour les autres personnes physiques, il est présumé être le lieu de la résidence habituelle de l’intéressé. Ensuite, le critère du centre des intérêts principaux du débiteur induit un risque non négligeable de fraude. Puisque le centre des intérêts principaux s’entend du siège de la société au jour de l’introduction de la demande (arrêt Interedil préc.), on ne peut en effet exclure que le débiteur, sentant la tempête venir, n’opère un transfert opportuniste de siège social (ou de résidence habituelle pour les personnes physiques) vers un pays dont la législation en matière d’insolvabilité lui est plus favorable. Ce forum shopping est frauduleux, car les États membres de l’UE n’ont jamais entendu conférer au débiteur insolvable une liberté de choisir la loi applicable à son insolvabilité. L’un des apports majeurs de la refonte du règlement et du nouveau règlement no 2015/ 848 réside dans le dispositif mis en place pour lutter contre de tels processus frauduleux. Le règlement précise désormais que la présomption ne joue plus si le siège de la société ou le lieu de l’activité principale du professionnel personne physique a été transféré dans un autre État membre dans les trois mois précédant la demande d’ouverture, ce délai étant porté à six mois pour le transfert de la résidence habituelle des autres personnes physiques (art. 3) ; il prévoit également l’obligation pour le juge saisi de vérifier d’office sa compétence (art. 4).
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b.
Procédures secondaires
Le règlement no 1346/2000 prévoit la possibilité d'ouvrir une ou plusieurs autres procédures, alors même que le centre des intérêts principaux du débiteur se situe sur le territoire d'un État membre dont les juridictions sont donc compétentes pour ouvrir une procédure principale, au lieu où ce débiteur « possède un établissement » (art. 3, § 2 à 4). L'article 2h définit l'établissement comme « tout lieu d'opération où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains ou des biens » (définition reformulée par l’art. 2 § 10 du règlement 2015/ 848 : « tout lieu d’opérations où un débiteur exerce ou a exercé au cours de la période de trois mois précédant la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale, de façon non transitoire, une activité économique avec des moyens humains et des actifs). Les possibilités d'ouvrir une procédure secondaire sont donc limitées. Aucun chef de compétence secondaire, autre que la présence d'un établissement, n'est admis ; et la Cour de justice retient une conception stricte de la notion d'établissement, laquelle requiert la présence d'une structure comportant un minimum d'organisation et une certaine stabilité en vue de l'exercice d'une activité économique, la seule présence de biens ou de comptes bancaires étant insuffisante (arrêt Interedil, préc., v. ss 897). Toute procédure ouverte alors qu’une procédure principale est en cours est nécessairement une procédure secondaire ; il en va ainsi, même si la procédure ouverte en second l’est dans l’État du siège de la société débitrice (CJUE 4 sept. 2014, Burgo Group, aff. C-327/13, D. 2015. 45, note R. Dammann et A. Rapp).
900
La procédure secondaire se caractérise doublement. D'une part, il s'agit d'une procédure dont l’effet est purement territorial. Les effets de la procédure secondaire « sont limités aux biens du débiteur se trouvant » sur le territoire de l'État où cette procédure est ouverte (art. 3, § 2 in fine).
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D'autre part, la ou les procédures secondaires doivent être coordonnées avec la procédure principale. Coordonnée ne signifie pas nécessairement subordonnée ; la jurisprudence a progressivement défini l’articulation entre procédure principale et secondaire, laquelle peut être considérée comme autonome de la procédure principale. Le règlement 2015/848 a dans l’ensemble confirmé cette appréhension de la procédure secondaire. À titre d’exemple, la clôture de la procédure principale n’emporte pas nécessairement celle des procédures secondaires ; une procédure secondaire peut être ouverte, même si ses objectifs diffèrent de ceux de la procédure principale ; le juge de la procédure secondaire a une compétence partagée avec le juge de la procédure principale pour déterminer quels sont les actifs qui relèvent du périmètre de la procédure secondaire, et échappent donc à la procédure principale, ou encore pour connaître des actions annexes.
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Car c’est l’un des effets importants de la procédure secondaire : une fois ouverte, elle interdit au syndic de la procédure principale d’appréhender les biens situés dans le ressort de la procédure secondaire, qui vont donc être exclusivement affectés au règlement de celle-ci. Néanmoins, la procédure principale conserve un « rôle prédominant » (jurisprudence de la CJUE reprise par le cons. 48 du préambule du règlement no 2015/848). Le syndic de la procédure principale reçoit des pouvoirs particuliers dans le but de satisfaire par priorité les objectifs de la procédure principale : droit de demander une suspension temporaire de la procédure secondaire, droit de proposer
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2. Loi applicable
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la clôture de la procédure secondaire (le règlement 2015/848 ajoute la possibilité de proposer cette clôture sans liquidation), droit de solliciter et d'obtenir des informations de la part des syndics des procédures secondaires, droit de requérir la coopération des syndics des procédures secondaires, qui doivent notamment transférer à la procédure principale le surplus d'actif dégagé après liquidation de la procédure secondaire. Pour toutes ces raisons, le syndic de la procédure principale peut avoir intérêt à solliciter lui-même l'ouverture de procédures secondaires, ce que le règlement l'autorise à faire.
La loi applicable à une procédure ouverte en application de l'un des critères susmentionnés est en principe la loi de l'État sur le territoire duquel la procédure a été ouverte (Règl. art. 4, § 1er ; et Règl. refondu, art. 7, § 1 pour la proc. principale, et art. 35 pour la procédure secondaire). Le droit européen maintient donc le principe de liaison des compétences législative et juridictionnelle. Le domaine de la lex concursus de la procédure principale est particulièrement large. Cette loi s'applique notamment, selon l'article 4, § 2 du règlement (art. 7, § 2, Règl. refondu), pour la détermination : des débiteurs pouvant être touchés par la procédure, des biens faisant l'objet d'un dessaisissement, du sort des biens acquis par le débiteur après l'ouverture de la procédure, des pouvoirs du débiteur et du syndic, des conditions d'opposabilité d'une compensation, des effets de la procédure sur les contrats en cours et sur les poursuites individuelles (sauf les instances en cours), des créances à produire et des règles concernant cette production, leur vérification et leur admission, des règles de distribution de l'actif, des conditions et effets de la clôture de la procédure, des droits des créanciers après cette clôture… Ce domaine d’application est d’autant plus large que la CJUE juge la liste des questions couvertes, proposée par l’article 4, non exhaustive ((CJUE 9 nov. 2016, ENEFI, aff. C-212/15, D. 2017. 1019, obs. H. Gaudemet-Tallon ; l’arrêt retient ainsi que la lex concursus doit régir le sort des créanciers n’ayant pas participé à la procédure d’insolvabilité, car toute autre solution porterait atteinte à l’efficacité de cette procédure). Mais pour large qu'elle soit, la compétence de la lex consursus n'est pas absolue. Deux types de limites l'affectent.
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D'une part, le règlement réserve la compétence concurrente d'autres lois : lex rei sitae pour la détermination des droits réels des tiers et créanciers sur les biens du débiteur (Règl. art. 5, Règl. refondi, art. 8) et des droits du vendeur bénéficiant d'une clause de réserve de propriété (Règl. art. 7, Règl. refondu, art. 10), ainsi que pour les contrats portant sur un immeuble (Règl. art. 8, Règl. refondu, art. 11) ; loi de la créance du débiteur insolvable pour la mise en œuvre de la compensation (Règl., art. 6 ; Règl. refondu, art. 9) ; loi du contrat de travail pour la détermination des effets de la procédure sur le contrat et le rapport de travail (Règl. art. 10, Règl. refondu art. 13).
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D'autre part, le règlement pose un certain nombre de règles matérielles relatives à l'information des créanciers et à la production de leurs créances (Régl. art. 39 à 42 ; Règl. refondu, art. 53 à 55). Ces règles, directement applicables à toute procédure ouverte en application du règlement, ont pour objet de garantir l'égalité de tous les créanciers concourant à la procédure principale, quel que soit leur lieu de résidence. Même si le constat est nuancé par certains auteurs, il est généralement admis que le règlement refondu renforce les droits des créanciers.
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3. Règles spécifiques aux groupes de sociétés Comment traiter la faillite des groupes de sociétés ? Faut-il considérer qu’il existe un lien entre les différentes procédures ouvertes à l’encontre de sociétés appartenant au même groupe ? La Cour de justice s’était montrée très réticente à l’admettre. Dans l’arrêt Eurofood, déjà évoqué, elle avait jugé que, dans un groupe de sociétés, « le [seul] fait que [les] choix économiques [de la filiale] soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre État membre ne suffit pas pour écarter la présomption ». Les sociétés d'un même groupe sont donc en principe juridiquement autonomes, ce qui interdit que la procédure ouverte contre une société puisse être étendue à une autre société du même groupe, à moins que les deux sociétés n'aient le centre de leurs intérêts principaux dans le même État membre (CJUE 15 déc. 2011, Rastelli, aff. C-191/10, D. 2012. 403, note J.-L. Vallens).
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Le nouveau règlement 2015/848 innove assez nettement en la matière, puisqu’il crée des règles spécifiques applicables aux procédures d’insolvabilité concernant des membres d’un même groupe de sociétés (art. 56 et s.). S’il ne remet pas en cause l’ouverture de procédures indépendantes pour chaque membre du groupe, il institue toutefois un mécanisme de coopération et de communication entre les autorités (praticiens de l’insolvabilité ou juridictions) désignées dans, ou saisies de, chaque procédure concernant chaque membre. Ce mécanisme peut être mis en œuvre de façon informelle. Mais il peut aussi être organisé par voie conventionnelle dans le cadre d’une procédure de coordination collective, confiée à un coordinateur qui est un syndic différent de ceux en charge de chaque procédure. Le coordinateur est investi de missions nombreuses et importantes (décrites à l’art. 72) ; à titre principal, il est chargé de définir un programme de coordination et d’élaborer des recommandations pour l’action coordonnée des organes des procédures nationales. Formellement, les recommandations ne lient pas ces organes des procédures nationales ; on peut pourtant espérer que le mécanisme sera efficace.
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Compléments pédagogiques
Mémo I. Constitution des sociétés
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Généralement traitée selon la méthode du conflit de lois, la constitution d'une société est normalement soumise à la loi du lieu du siège social de la société : si la société a son siège social en France, elle doit donc être constituée conformément à la loi française (C. civ., art. 1837, al. 1 er). Cette approche traditionnelle a toutefois été partiellement remise en cause par le droit de l’Union européenne. Selon une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne initiée en 1999 par l'arrêt Centros, un État membre de l'Union européenne ne saurait refuser de reconnaître une société immatriculée dans un autre État membre, en application de la loi locale, aux seuls motifs que cette société n'aurait pas dans cet État son siège social (statutaire ou réel). En toute hypothèse, méthodologiquement, on peut préférer à l'approche par le conflit de lois une approche selon la méthode de la reconnaissance des situations : les États n'enregistrent en effet les sociétés qu'en application de la lex auctoris. Il n'y a donc pas à proprement parler de conflit de lois. Il est seulement question de déterminer si le for accepte de reconnaître une société constituée à l'étranger, c'est‑à-dire de s'aligner sur un point de vue concrétisé par un acte public étranger. Cette substitution de méthode n'interdit toutefois pas, en dehors du contexte communautaire, de subordonner l'alignement du for sur le point de vue d'un ordre juridique étranger à la suffisante compétence de cet ordre juridique pour procéder à l'immatriculation (lieu du siège social).
II. Nationalité et condition des sociétés étrangères La nationalité des sociétés dépend essentiellement, en France, d'un critère tiré de la localisation de leur siège social réel, présumé être le siège social statutaire. D'autres critères peuvent néanmoins être utilisés ponctuellement, pour valider la réalité des liens d'une société avec la France : critère du contrôle ; du principal établissement ; de la direction effective. De la nationalité, française ou étrangère, d'une société, dépend sa condition. Une société ne peut jouir de la protection diplomatique que du seul État dont elle a la nationalité. En outre, les sociétés étrangères, comme toutes les personnes étrangères, peuvent voir leur activité économique limitée ou réglementée sur le territoire. En revanche, lorsqu'une société étrangère est admise à exercer une activité économique sur le territoire, l'évolution du droit positif va dans le sens d'une équivalence de ses droits civils et commerciaux à ceux des sociétés nationales.
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III. Fonctionnement des sociétés
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Selon la règle de conflit de lois consacrée, le fonctionnement d'une société est régi par la loi du lieu de son siège social ou lex societatis. Une compétence exclusive est dévolue aux juridictions de l'État où se situe le siège social de la société, pour tous les litiges relatifs à la validité ou la dissolution de la personne morale, ou à la validité des décisions de ses organes. Quoique la lex societatis jouisse d'un large domaine d'application, celui-ci est ponctuellement limité. La principale limitation apparaît en cas de soumission de la société à une procédure collective. La lex concursus — qui est selon le principe de liaison des compétences législative et juridictionnelle applicable en la matière, la loi de l'État dans lequel la procédure a été ouverte — a dès lors vocation à s'immiscer dans la détermination des règles de fonctionnement de la société. L'identification des autorités compétentes et de la loi applicable en matière de faillite internationale est aujourd'hui largement soumise au règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, lui-même révisé par un règlement du 20 mai 2015, qui permet d'ouvrir une procédure principale, universelle, au lieu du centre des intérêts principaux du débiteur, présumé être, pour une société, le lieu de son siège social, et pour une personne physique le lieu de son activité principale ou le lieu de sa résidence habituelle.
Quid
n Principe de territorialité de la faillite n o 892 Principe selon lequel une procédure de faillite ouverte dans un État ne déploie ses effets que d'une façon strictement territoriale ; seuls les biens situés sur le territoire et les créanciers locaux sont concernés.
n P r i n c i p e d ' u n i v e r s a l i t é d e l a fa i l l i t e n o 8 9 0 Principe selon lequel une procédure de faillite ouverte dans un État déploie ses effets de façon extraterritoriale, en englobant tous les biens du débiteur où qu'ils soient localisés et en appelant tous les créanciers, même étranger, à concourir.
n S i è g e s o c i a l ré e l n o 8 4 6
Siège social d'une société tel qu'il est localisé par le centre de direction effective de cette société.
n S i è g e s o c i a l st a t u t a i r e n o 84 6 Siège social d'une société tel qu'il est localisé dans les statuts d'une société.
n T h é o r i e d e l ' i n c o r p or a t i o n n o 8 5 3 Mode d'acquisition de la personnalité morale fondée sur la seule exigence d'un enregistrement par l'autorité publique conformément aux prescriptions de la lex auctoris (aucune condition relative à la compétence internationale de cette autorité n'est posée).
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Documents
C J C E 9 no v . 19 9 9 , C e n t r o s
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1) Sur la reconnaissance des sociétés (Rev. sociétés 1999. 386, note G. Parléani ; D. 1999. 550, note M. Menjucq ; JDI 2000. 482, note M. Luby) L'arrêt Centros est la première d'une série de décisions par lesquelles la Cour de justice des Communautés européennes a affirmé l'obligation pour les États membres, fondée sur les principes de liberté d'établissement et de non-discrimination, de reconnaître les sociétés régulièrement constituées dans les autres États membres, nonobstant l'éventuelle irrégularité de ces sociétés au regard de leurs propres règles de conflit.
C J C E 1 6 d é c . 2 0 0 8, C a r t e s i o
(Rev. crit. DIP 2009. 548, note J. Heymann ; JDI 2009. 665, note S. Francq ; JCP 2009. II. 10027, note M. Menjucq) L'arrêt Cartesio réitère une solution que la CJCE avait déjà consacrée vingt ans plus tôt, dans son arrêt Daily Mail (27 sept. 1988, aff. 81/87). Il retient en effet que l'État Hongrois n'a pas l'obligation d'accepter de maintenir sur le registre des sociétés hongroises une société qui, si elle avait lors de sa constitution selon le droit hongrois son siège social réel sur le territoire hongrois, ne remplit plus cette condition en conséquence d'un transfert de ce siège en Italie. Selon la Cour, la liberté d'établissement et le principe de reconnaissance mutuelle institués par le droit communautaire ne sauraient priver un État membre du droit d'empêcher une société « constituée en vertu du droit national de cet État membre de transférer son siège dans un autre État membre tout en gardant sa qualité de société relevant du droit national de l'État membre selon la législation duquel elle a été constituée ». Si cet arrêt est important, c'est parce que, depuis l'arrêt Daily Mail, la CJCE a, sur le fondement de la liberté d'établissement et du principe de reconnaissance mutuelle, imposé aux États membres appliquant le critère du siège social réel pour la constitution des sociétés de reconnaître les sociétés régulièrement constituées dans d'autres États membres où elles n'ont pas leur siège social, à la faveur d'une législation locale plus libérale. Si cette reconnaissance des sociétés étrangères s'impose aux États membres, ceuxci restent donc libres de subordonner l'attribution du statut de société de droit local au respect du critère du siège social réel, tant lors de la constitution de la société qu'en cours de vie de cette société, dans l'hypothèse d'un transfert de siège social.
2) Sur la nationalité des sociétés C i v . 1 r e , 30 m a r s 1 97 1 , CC R M A (GADIP, n o 50 ; Rev. crit. DIP 1971. 451, note P. Lagarde ; JDI 1972. 834, note Y. Loussouarn) L'arrêt CCRMA énonce, sous une forme bilatérale contestable, qu'en principe la nationalité d'une société se détermine par la situation de son siège social (l'arrêt envisage également les conséquences d'un changement de souveraineté affectant le territoire sur lequel le siège social de la société était situé ; cet aspect n'est pas envisagé ici).
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3) Sur les faillites internationales Civ. 19 nov. 2002, Banque Worms
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(D. 2002. 3341, note A. Lienhard ; D. 2003. 797, note G. Khairallah ; JCP 2002. II. 10201, concl. J. Sainte Rose, note S. Chaillé de Néré ; JCP E 2003.1470, note M. Menjucq ; Rev. crit. DIP 2003. 631, note H. Muir Watt ; JDI 2003. 132, note P. Roussel-Gall) L'arrêt Banque Worms est particulièrement remarquable en ce qu'il consacre, pour la première fois expressément, le principe d'universalité de la faillite ouverte en France. Autre aspect marquant, l'arrêt s'attache à garantir l'effectivité de ce principe d'universalité, qui implique que les biens situés à l'étranger comme les créanciers étrangers soient soumis à la faillite française. Pour imposer aux créanciers le respect de la suspension des poursuites, même sur des biens situés à l'étranger, la Cour de cassation n'hésite pas à enjoindre à un créancier qui avait initié une procédure de saisie devant les juridictions espagnoles, sur un bien situé en Espagne, de mettre fin à cette procédure conduite en violation du principe de suspension des poursuites individuelles. Il y a là une notable consécration, en droit français, d'un instrument proche de l'anti-suit injunction des droits de common law.
C J C E 2 ma i 2 0 0 6 , E u r o f o o d
(aff. C-34/04, Rev. sociétés 2006. 360, note J.-P. Remery ; D. 2006. 1268, note A. Lienhard ; Rev. crit. DIP 2006. 811, étude F. JaultSeseke, D. Robine,) L'arrêt Eurofood permet à la Cour de justice de préciser la notion de « centre des intérêts principaux » du débiteur, au sens du règlement Insolvabilité, en regard de la présomption qu'institue le règlement en faveur du lieu du siège statutaire de la personne morale. Elle indique que le centre des intérêts principaux du débiteur ne se confond pas nécessairement avec le siège social de la société (présomption simple) et « doit correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers » (pt 32) ; il « doit être identifié en fonction de critères à la fois objectifs et vérifiables par les tiers » (pt 33). Elle ajoute que l'appréciation portée sur l'identification du « centre des intérêts principaux » du débiteur, par les juridictions d'un État membre qui se sont reconnues compétentes sur le fondement du règlement, ne peut être contestée par les juridictions des autres États membres qui doivent reconnaître la décision d'ouverture.
C J U E 20 oc t . 2 0 11 , I n t e r e d i l
(aff. C-396/09, D. 2011. 2593, note A. Lienhard ; ibid. 2011. 2915, note J.-L. Vallens ; Rev. crit. DIP 2012. 189, note F. Jault-Seseke, D. Robine ; Rev. sociétés 2011. 726, note Ph. Roussel-Galle ; ibid. 2012. 116, note T. Mastrullo) L'arrêt Interedil complète l'arrêt Eurofood pour la détermination du « centre des intérêts principaux du débiteur » au sens du règlement Insolvabilité. Rappelant que le centre des intérêts principaux d'une personne morale se situe au lieu de l'administration centrale de celle-ci, tel qu'il peut être établi par des éléments objectifs et vérifiables par les tiers, la Cour de justice énonce que lorsque les organes de contrôle et de direction d'une société se trouvent au lieu de son siège statutaire et que les décisions de gestion de cette société y sont prises, de manière vérifiable par les tiers, la présomption instituée par le règlement ne peut pas être renversée. Il en va ainsi même en cas de transfert de siège statutaire vers un pays où les décisions de gestion prises sont
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principalement des décisions relatives à la liquidation de la société. Enfin, la notion d'« établissement » au sens du règlement doit être interprétée en ce sens qu'elle requiert la présence d'une structure comportant un minimum d'organisation et une certaine stabilité en vue de l'exercice d'une activité économique, la seule présence de biens isolés ou de comptes bancaires ne répondant pas, en principe, à cette définition.
C J U E 1 6 j a n v i e r 2 0 1 4 , Sc hmi d (Aff. C-328/12, D. 2014. 915, note F. Jault-Seseke et D. Robine, Rev. crit. DIP 2014. 670, note D. Bureau, JCP. G. 2014. 253, note F. Mélin) L’arrêt Schmid mérite d’être retenu en raison de ses enseignements sur le champ d’application spatial du règlement Insolvabilité (no 1346/2000). Une procédure d’insolvabilité avait été ouverte en Allemagne contre une personne physique qui y résidait. En cours de procédure, apparaît la nécessité d’exercer une action révocatoire contre un défendeur résidant en Suisse, pour obtenir la remise en cause d’un contrat et la restitution d’une somme. La question se posait de la compétence des juridictions allemandes pour connaître de cette action. En effet, la CJUE avait déjà retenu dans un arrêt Seagon (CJUE 12 févr. 2009, aff. C-339/07) que les juridictions de l’État membre où est ouverte la procédure collective ont compétence pour connaître de l’action révocatoire contre un défendeur domicilié sur le territoire d’un autre État membre. Mais en vat‑il de même lorsque ce défendeur est domicilié dans un État tiers ? Ne fallait-il pas plutôt utiliser ici, s’agissant d’une action contre un résidant suisse, les règles de compétence de la Convention de Lugano ? En amont, la question se posait de l’applicabilité du règlement à une procédure collective qui n’avait de lien qu’avec un seul État membre. La CJUE retient tout d’abord, sur cette dernière question, que si le règlement ne s’applique qu’aux procédures collectives ayant un effet transfrontière, il est applicable même si le seul élément d’extranéité implique non un État membre, mais un État tiers. Dès lors, elle considère qu’il est justifié d’étendre sa jurisprudence Seagon et de retenir la compétence des juridictions allemandes, en charge de la procédure d’insolvabilité, pour juger l’action révocatoire exercée contre un résidant suisse.
Biblio
1) Sur la reconnaissance des sociétés, la loi applicable à leur constitution et à leur fonctionnement - L. d’Avout, « Siège social, fictivité et fraude : hésitations autour du rattachement français des sociétés », Rev. crit. DIP 2015. 541. - T. Ballarino, « Les règles de conflit sur les sociétés commerciales à l'épreuve du droit communautaire d'établissement », Rev. crit. DIP 2003. 373. - S. Bollée, « L'extension du domaine de la méthode de la reconnaissance unilatérale », Rev. crit. DIP 2007. 307. - C. Kleiner, « Le transfert de siège social en droit international privé », JDI 2010. 315. - P. Lagarde, « La reconnaissance. Mode d'emploi », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 482.
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Droit international privé
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- P. Lagarde, « Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification : quelques conjectures », RabelsZ 2004. 225. - Y. Loussouarn, « La convention de La Haye sur la reconnaissance des personnes morales étrangères », Trav. Com. fr. DIP 1958-1959. 67. - V. Magnier (dir.), L'entreprise et le droit communautaire : quel bilan pour un cinquantenaire ?, PUF, 2007. - P. Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547. - M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, Montchrestien, 2001. - M. Menjucq, « Mondialisation et rattachement juridique des sociétés », in Aspects actuels du droit des affaires, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 831. - M. Menjucq, « La notion de siège social : une unité introuvable en droit international et en droit communautaire », Droit et actualité, Études J. Béguin, Litec, 2005, p. 499.
2) Sur la nationalité des sociétés - J. Béguin, « La nationalité juridique des entreprises devrait correspondre à leur nationalité économique », in Le droit privé à la fin du XXe siècle, Études P. Catala, Litec, 2001, p. 859. - J.-P. Niboyet, « Existe-t‑il une nationalité des sociétés ? », Rev. crit. DIP 1927. 402. - v. aussi les articles cités dans la rubrique précédente.
3) Sur la « faillite » internationale - B. Ancel, « Le droit français et les situations d'insolvabilité internationale. Les réponses du droit international privé », Gaz. Pal. 1999. 2. Doctr. 1394. - J. Béguin, « Un îlot de résistance à l'internationalisation : le droit international des procédures collectives », in Mélanges Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 31. - D. Bureau, « La fin d'un îlot de résistance. Le règlement du conseil relatif aux procédures d'insolvabilité », Rev. crit. DIP 2002. 613. - D. Dammann, V. Bleicher, « Interrogations sur les effets extraterritoriaux du règlement d’insolvabilité n o 1346/2000/CE », D. 2014. Chron. 1708. - F. Jault-Seseke, D. Robine, « L'interprétation du règlement n o 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, la fin des incertitudes ? », Rev. crit. DIP 2006. 811. - F. Jault-Seseke, D. Robine (dir.), L'effet international de la faillite : une réalité ?, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2004. - F. Jault-Seseke, D. Robine, Le droit européen des procédures collectives à la croisée des chemins, Coll. « Grands colloques », LGDJ, 2013. - F. Jault-Seseke, D. Robine (dir.), Le nouveau règlement insolvabilité : quelles évolutions ?, coll. « Pratique des affaires », Joly éd., 2015. - F. Jault-Seseke, D. Robine, « Le règlement 2015/848 : le vin nouveau et les vieilles outres », Rev. crit. DIP 2016. 21. - M.-N. Jobart-Bachellier, « Quelques observations sur le domaine d'application de la loi de la faillite », DPCI 1995. 4. - M.-N. Jobart-Bachellier, « Les procédures de surendettement et de faillite internationale ouvertes dans la communauté européenne », Rev. crit. DIP 2002. 491. - V. Marquette, C. Barbé, « Les procédures d'insolvabilité extracommunautaires. Articulation des dispositions du règlement 1346/2000 et du droit commun des États membres », JDI 2006. 511.
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Quiz 1) Sujets corrigés
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- M. Menjucq, « L'apport du droit communautaire au règlement des faillites internationales », Trav. Com. fr. DIP 2002-2004. 35. - J.-L. Vallens, « Entrée en vigueur du règlement européen révisé UE 2015/848 du 20 mai 2015 sur les procédures d'insolvabilité », D. 2017. 1257.
A) Test de connaissances Énoncé
1. Une société constituée en France le sera : a. toujours en application de la loi française ; b. en application de la loi du lieu de son siège social, qui peut être le cas échéant une loi étrangère ; c. en application de la loi choisie par les fondateurs. 2. L’adoption d’un règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité a pour conséquence : a. que le DIP commun français n’est plus applicable et va tomber en désuétude ; b. que le DIP commun français ne s’applique plus qu’aux procédures qui n’entrent pas dans le champ d’application temporel, spatial et matériel du règlement ; c. que le DIP commun français va continuer à s’appliquer car le règlement ne sera applicable qu’à partir de juin 2017. 3. En droit européen, une société constituée dans un État membre de l'Union européenne est reconnue en France : a. dès lors qu'elle a été valablement constituée du point de vue de l'État où elle a été immatriculée ; b. si elle a dans l'État où elle a été immatriculée son siège social ; c. dès lors qu'elle avait un lien suffisant avec cet État. 4. La nationalité française d'une société se détermine : a. en considération de la localisation de son siège social en France ; b. en considération de la nationalité française des associés ; c. en application d'une pluralité de critères dont le principal est la localisation du siège social en France. 5. Une société étrangère valablement constituée jouit automatiquement en France de tous les attributs attachés à la personnalité juridique : a. vrai pour toutes les sociétés ; b. vrai, sauf pour les sociétés anonymes ; c. faux. 557
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6. Dans ses rapports avec les tiers, la société : a. peut toujours se prévaloir de la loi du lieu de son siège social statutaire comme lex societatis ; b. peut toujours se prévaloir de la loi du lieu de son siège social réel comme lex societatis ; c. peut se voir opposer indifféremment la loi du lieu de son siège social statutaire ou de son siège social réel comme lex societatis. 7. Le droit commun français des faillites internationales : a. consacre le principe de l'universalité des faillites ouvertes en France ; b. consacre le principe de l'universalité des seules faillites ouvertes en France lorsque la société y a son siège social ; c. ne consacre pas le principe de l'universalité des faillites ouvertes en France. 8. Le droit européen des faillites : a. consacre le principe d'universalité des faillites qu'il régit ; b. consacre le principe d'universalité des seules faillites principales, à l'exclusion des faillites secondaires ; c. ne consacre pas le principe d'universalité des faillites qu'il régit. 9. En droit européen des faillites, le « centre des intérêts principaux du débiteur » s'entend, s'agissant d'une personne morale : a. du lieu de son siège social statutaire, en vertu d'une présomption irréfragable ; b. du lieu de son siège social statutaire, s'il correspond au lieu de son administration centrale tel qu'il peut être établi par des éléments objectifs et vérifiables par les tiers ; c. de tout lieu où le débiteur exerce des activités économiques suffisamment autonomes dans le cadre d'une structure organisée et stable. 10. Le droit européen des faillites consacre le principe de liaison des compétences juridictionnelle et législative : a. vrai, en toute hypothèse ; b. vrai sous réserve d'exceptions ; c. faux. Voir corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Documents autorisés : les règlements Insolvabilité no 1346/2000 et no 2015/848/ La société Mabulle, dont le siège social est en France, exerce des activités économiques de distribution, outre en France, dans plusieurs pays européens. Elle a un établissement en Italie, une succursale au Portugal et plusieurs immeubles en Espagne. Elle connaît des difficultés économiques importantes. Elle a saisi les juridictions françaises le 3 mai 2017 d’une demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde prévue par le droit français. Elle souhaite pouvoir licencier certains salariés
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Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
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employés en France, en Italie et au Portugal. Elle voudrait également vendre un ou deux immeubles espagnols, dont un au moins fait l’objet d’une hypothèque. Elle vous demande conseil : peut-elle bénéficier de la procédure de sauvegarde prévue par le droit français ? Les établissements et les biens situés à l’étranger seront-ils couverts ?
1. a ; 2. b ; 3. a ; 4. c ; 5. a ; 6. c ; 7. a ; 8. b ; 9. b ; 10. b.
Cas pratique
L’activité économique de la société Mabulle se déploie sur le territoire de plusieurs États membres de l’Union européenne. Il convient donc, pour déterminer si la procédure de sauvegarde de droit français pourra être mise en œuvre et quels seront ses effets, de vérifier au préalable si l’un des deux règlements Insolvabilité peut s’appliquer. On peut déjà écarter l’application du règlement 2015/848, qui ne régit que les procédures ouvertes après le 26 juin 2017. En revanche, le règlement 1346/2000 pourrait peut-être s’appliquer, car il régit les procédures ouvertes après le 31 mai 2002. Il faut cependant vérifier si ses autres conditions d’application sont remplies. Rationae materiae, le règlement semble applicable : l’activité de distribution de la société Mabulle ne conduit pas à l’exclure du champ d’application du règlement ; et quant à la procédure de sauvegarde de droit français, elle fait partie des procédures couvertes par le règlement car elle est mentionnée à l’annexe A. Rationae loci, le règlement est également applicable : la procédure collective a un effet transfrontière, et le centre des intérêts principaux de la société Mabulle se situe nécessairement dans l’Union européenne puisqu’elle y déploie la totalité de son activité économique. C’est donc en application du règlement no 1346/2000 que le régime de la procédure à laquelle la société Mabulle entend se soumettre va être apprécié. La société Mabulle a déjà saisi les juridictions françaises d’une demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde. On commencera par vérifier que les juridictions françaises sont bien compétentes et si elles peuvent ouvrir une telle procédure ; on envisagera ensuite les effets d’une telle procédure, pour déterminer si elle couvrira les établissements et les biens situés dans les autres pays européens.
I. Compétence des juridictions françaises pour ouvrir une procédure de sauvegarde Selon l’article 3 du règlement, « les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire ». En application de la présomption posée par ce texte, les juridictions françaises sont bien compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité, puisque le siège statutaire de la société Mabulle est en France. Certes, la présomption est seulement une
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présomption simple, mais on sait que la CJUE lui confère une force particulière. Et rien dans les faits ne nous permet de penser que la France n’est pas le pays où la société Mabulle gère habituellement ses intérêts.
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On retiendra donc la compétence des juridictions françaises. L’article 4 du règlement précise que la loi applicable à la procédure est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte. Il semble donc tout à fait possible d’obtenir l’ouverture de la procédure de sauvegarde prévue par la loi française ; les juges français vérifieront que les conditions d’ouverture de cette procédure sont remplies. Cependant, parce que la société Mabulle a des activités et des biens sur le territoire d’autres États membres, il faut s’interroger sur la portée de la procédure française à leur égard.
II. Effets de la procédure de sauvegarde française Parce que la France correspond au centre des intérêts principaux de la société Mabulle, et que les juges français sont apparemment les premières juridictions saisies d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à son égard, il est permis de considérer que la procédure ouverte en France constitue la procédure « principale » au sens du règlement. Cela signifie, en principe, qu’elle a un effet universel, c’est‑à-dire qu’elle peut appréhender les actifs et les dettes de la société où qu’ils se trouvent. La procédure ouverte en France pourra donc englober l’établissement italien, la succursale portugaise, et les immeubles espagnols. Il faut toutefois noter s’agissant du licenciement des salariés que, si le plan de sauvegarde de l’entreprise prévoyant ces licenciements devra être approuvé par le juge français, en revanche la procédure de licenciement elle-même sera régie par la loi du contrat de travail. De même, si le juge français devra approuver le plan en ce qu’il prévoit la vente des immeubles en Espagne, cette circonstance n’affecte pas le droit des créanciers hypothécaires, qui reste régi par la lex rei sitae espagnole. Cependant, il ne faut pas oublier que le règlement Insolvabilité réserve la possibilité, une fois ouverte la procédure principale, d’ouvrir des procédures secondaires. Or l’ouverture d’une ou plusieurs procédures secondaires a une incidence importante sur l’effet de la procédure principale. Il faut donc vérifier si une ou plusieurs procédures secondaires peuvent être ouvertes en Italie, au Portugal et/ou en Espagne, avant d’envisager leurs effets éventuels. Une procédure secondaire peut être ouverte par les juridictions de l’État membre dans lequel le débiteur a un « établissement » (art. 3 § 2), que le règlement définit comme « tout lieu d’opérations, où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens ». Il n’en fait guère de doute que l’établissement en Italie, et la succursale au Portugal, entrent dans cette définition. Mais qu’en est-il des immeubles en Espagne ? La CJUE a jugé que la seule présence de biens ne suffit pas à constituer l’existence d’un établissement au sens de cette définition (Interedil). Ainsi, si un créancier ou un salarié en faisait la demande, une procédure secondaire pourrait être ouverte en Italie et/ou au Portugal. En revanche, aucune procédure secondaire ne pourra être ouverte en Espagne.
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La procédure secondaire est ouverte en application de la loi de l’État où elle est ouverte. Ses effets sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur le territoire, mais elle a pour effet de soustraire ces biens, au moins dans un premier temps, à l’emprise de la procédure principale.
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Ainsi, si une procédure secondaire était ouverte en Italie et/ou au Portugal, en application respectivement de la loi italienne et de la loi portugaise, le sort de l’établissement et de la succursale dans ces pays serait réglé de façon autonome par rapport à la procédure ouverte en France. Les biens localisés dans cet établissement et cette succursale seraient affectés en priorité au règlement local. En revanche, les immeubles situés en Espagne resteraient sous la seule emprise de la procédure principale ouverte en France.
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Les biens
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c h a p i t r e
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analytique
section
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Qualification et lex rei sitae
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Plan
§ 1 Qualification autonome de droit européen § 2 Qualification en droit international privé commun section
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Pertinence du rattachement au lieu de situation des biens § 1 Fondements du rattachement
A. Impérativité d'un rattachement fondé sur des considérations de souveraineté B. Rationalité d'un rattachement fondé sur des considérations d'effectivité et d'opportunité
§ 2 Relativité du rattachement
A. Force du rattachement pour les droits réels immobiliers B. Relativité du rattachement pour les droits réels mobiliers
section
3
Champ d'application du rattachement par le lieu de situation des biens § 1 Nature et contenu des droits réels § 2 Constitution et acquisition des droits réels § 3 Opposabilité des droits réels aux tiers § 4 Extinction des droits réels
Compléments pédagogiques
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Les biens
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Les biens étant de purs objets de droits, le droit international privé les envisage en tant que tels, en traitant du régime des droits qui portent directement sur ces biens ou droits réels. La doctrine propose en réalité de distinguer le régime international des biens pris ut singuli, c'est‑à-dire des droits réels, et le régime international des biens pris en tant qu'universalité. L'étude du patrimoine en droit international privé conduit alors à envisager le droit des faillites internationales ou du surendettement, celui des successions internationales ou encore celui des nationalisations. Le droit des successions et le droit des faillites ayant déjà été envisagés (respectivement, v. ss 817 s., v. ss 887 s.), le droit du surendettement et le droit des nationalisations étant exclus du champ de la présente étude, ce sont désormais les seuls droits réels portant sur des biens ut singuli qui seront ici considérés.
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En droit français, les droits réels recouvrent en principe le droit de propriété et ses démembrements — droit d'usage et d'usufruit, nue-propriété, servitude — ainsi que l'ensemble des sûretés réelles parfois qualifiées de « droits réels accessoires » — hypothèque, antichrèse, gage… Mais la conception des droits réels — non pas seulement leur régime mais également leur consistance — peut varier de façon assez substantielle d’un État à l’autre. Tel droit considéré comme réel en France peut être qualifié de droit personnel en Allemagne ; tel démembrement de propriété prévu par la loi d’un État peut être purement et simplement inconnu dans un autre État. Les droits réels soulèvent donc des questions non négligeables en droit international privé. Les problématiques traditionnelles touchent à la constitution ou à l'acquisition de ces droits, aux règles régissant leur exercice — quelles prérogatives emportent-ils pour leur titulaire ? —, leur preuve, leur protection et leur extinction.
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Les droits réels n’ont pas été harmonisés dans l’Union européenne, et le droit international privé européen n’a pas non plus entrepris de construire un système général des conflits de lois relatifs aux droits réels. Pour autant, les droits réels ne sont pas totalement ignorés par les instruments européens de DIP. Les dispositions éparses dans les différents règlements permettent de dessiner, en mosaïque, une ébauche de système de coordination entre les États membres, qui repose principalement sur le mécanisme de l’adaptation. En droit international privé français, le régime des droits réels se caractérise par la prévalence traditionnellement reconnue à la lex rei sitae. Si par un arrêt de principe, la Cour de cassation affirme en 1837 (Civ. 14 mars 1837, Stewart, v. rubrique Documents) que les immeubles situés en France sont soumis à la loi française qui s'applique « à tous les droits de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles », elle le fait en rappelant que cette règle, posée par l'article 3, alinéa 2 du Code civil, est conforme « aux anciens principes » ; elle remonte donc en réalité à l'Ancien droit. Comparativement, la consécration de la soumission des droits réels mobiliers à la lex rei sitae apparaît plus tardive. Ce n'est en effet qu'en 1933, par l'arrêt Kantoor de Mas (Req. 24 mai 1933, v. rubrique Documents) que la Cour de
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Droit international privé
section
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cassation tranche la question, restée controversée sous l'empire de l'Ancien droit, de la compétence législative en matière réelle mobilière. La Cour affirme que la loi française est « seule applicable aux droits réels dont sont l'objet les biens mobiliers situés en France ». Bilatéralisées, ces deux règles conduisent à soumettre les droits immobiliers comme mobiliers à la loi du lieu de situation des biens sur lesquels portent ces droits. Mais cette solution de principe pose d'épineuses questions. D'une part, il est permis de s'interroger sur la pertinence du rattachement au lieu de situation des biens, car si la force de ce rattachement est incontestable pour les droits réels immobiliers, il n'apparaît que relatif pour les droits réels mobiliers (section 2). D'autre part, il est impératif de soigneusement circonscrire le champ d'application du rattachement à la lex rei sitae (section 3), car les opérations portant sur les droits réels sollicitent souvent des instruments juridiques soumis à leur loi propre : quid, par exemple, du régime de transmission des droits réels par contrat ? L'opération est-elle soumise à la loi du contrat, ou à la loi du lieu de situation du bien ? Les frontières de la loi réelle doivent ainsi être précisément définies. Enfin, il est important de s'interroger en amont sur les difficultés de qualification qui conditionnent la mise en œuvre de la lex rei sitae : comment déterminer si un droit relève de la catégorie des droits réels, et dans l'affirmative s'il s'agit d'un droit réel mobilier ou immobilier (section 1).
Qualification et lex rei sitae 911
Puisqu'il existe une catégorie autonome de droit international privé relative aux « droits réels », la première question qu'il convient normalement de se poser est celle de la nature des droits en cause : le droit invoqué est-il réellement un droit réel ? Si oui, s'agit-il d'un droit réel portant sur un bien corporel ou incorporel, sur un bien mobilier ou immobilier ? C'est un problème de qualification. En dehors des hypothèses, relativement rares, où une qualification autonome de droit européen s'impose (§ 1), la question de la qualification des droits réels soulève, en droit commun, des interrogations et discussions originales (§ 2).
§ 912
1 Qualification autonome de droit européen
Plusieurs règles issues des règlements européens envisagent les droits réels, en sorte que cette notion doit faire l’objet d’une définition européenne, pour la mise en œuvre de ces instruments. En matière civile et commerciale, il existe une règle de compétence des juridictions propre à la matière réelle immobilière, puisque l'article 24-1 du règlement Bruxelles I bis (Règl. Bruxelles I, art. 22-1) prévoit la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation de l'immeuble, en matière de droits réels immobiliers et de baux d'immeubles. Il est également fait référence aux droits réels dans le règlement Rome I du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui dispose en son article 4-1, c) que le contrat ayant pour objet un droit réel
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Les biens
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immobilier ou un bail d'immeuble est régi par la loi du pays où est situé cet immeuble. Pour l'application de ces règles, la notion de « droit réel », et même plus précisément de « droit réel immobilier », qu'il convient de retenir est naturellement une conception autonome de droit européen. Cette autonomie s'évince de la lettre même des dispositions précitées. Alors que celles-ci visent les droits réels immobiliers, les règlements Bruxelles I et I bis et le règlement Rome I prennent soin d'y inclure les baux d'immeuble. Or on sait que selon les conceptions françaises, le droit au bail sur un immeuble est considéré comme un droit personnel ; une qualification lege fori conduirait donc à exclure le droit au bail d'immeuble de la catégorie des « droits réels ». Pourtant, le droit européen a fait le choix de qualifier le droit au bail d'immeuble de droit réel. Cette qualification autonome doit être respectée toutes les fois que la règle applicable est de source européenne. La jurisprudence a par ailleurs été conduite à affiner la notion autonome de « droit réel immobilier », dont la Cour de justice retient une interprétation stricte. Sont des actions réelles immobilières les seules actions qui sont directement fondées sur un droit réel (CJCE, 17 mai 1994, Webb, aff. C-294/92, Rev. crit. DIP 1995. 190, note Beraudo ; JDI 1995. 477, note Bischoff) et qui « tendent à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et à assurer au titulaire de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre » (CJCE, 10 janvier 1990, Reichert I, aff. 115/88, Rev. crit. DIP 1991. 154, note B. Ancel ; JDI 1990. 503, note Bischoff). Le règlement Insolvabilité inclut également une règle spécifique pour la protection des droits réels des tiers (Règl., art. 5 ; et Règl. refondu, art. 8) : les droits réels des tiers sur des biens appartenant au débiteur restent régis, lorsqu’ils se trouvent au moment de l’ouverture de la procédure collective sur le territoire d’un autre État membre, par la loi de cet État (lex rei sitae). La CJUE a jugé que, même si la qualification de droit réel relève du droit de l’État où est situé le bien affecté, les droits considérés comme « réels » par cet État doivent remplir, pour relever de l’article 5, certains critères qui sont listés au §2 de cet article (CJUE 26 oct. 2016, SCI Senior Home, aff. C-195/15, D. 2017. 1019, obs. H. Gaudemet-Tallon). C’est donc bien une notion autonome du droit réel qui doit être retenue, « afin de ne pas priver de son effet utile la limitation du champ d’application de l’article 5 » du règlement. Les règlements Successions (art. 31), Régimes matrimoniaux (art. 29), et Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (art. 29) font eux-aussi référence aux droits réels, pour mettre en place un mécanisme d’adaptation qui sera exposé plus loin (v. ss 937). Là aussi, la notion de droit réel peut appeler une définition européenne, de façon à délimiter clairement le champ d’application des différentes lois en cause. En matière de successions, la CJUE a ainsi déjà été conduite à préciser les contours de la notion de droit réel (CJUE 12 oct. 2017, aff. C-218/16, Kubicka, D. 2017. 2101 ; D. 2018. 971, obs. S. Clavel ; Europe 2017. Comm. 495, obs. L. Idot ; JCP N 2017, n o 43-44, p. 5, note D. Boulanger).
2 Qualification en droit international privé commun
En droit international privé commun français, la qualification — droit personnel ou réel, droit réel mobilier ou droit réel immobilier — doit selon des principes bien établis s'opérer lege fori lorsqu'elle est conçue comme un préalable à la mise en œuvre de la règle de conflit du for (v. ss 78 s. mais sur les qualifications en sous-ordre,
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v. ss 137 s.). Ainsi, pour déterminer si un droit relève bien de la catégorie « droit réel » et doit être, comme tel, soumis à la lex rei sitae, ce sont les conceptions françaises de la notion de droit réel qu'il convient normalement de suivre. Ce principe, parmi les mieux établis du droit international privé, fait pourtant l'objet de discussions en matière réelle. Une partie de la doctrine contemporaine souligne en effet l'importance qu'il conviendrait d'attacher à la lex rei sitae pour les besoins de qualification (L. d'Avout, Sur les solutions du conflit de lois en droit des biens, Economica, 2006), celle-ci s'opérerait-elle même comme préalable à la mise en œuvre de la règle de conflit du for. Largement retenue par les droits étrangers, la qualification lege rei sitae des droits réels s'imposerait en effet pour des raisons d'effectivité et d'harmonie internationale des solutions : en appliquant, pour décider du sort des droits réels, les qualifications de ces droits telles qu'elles sont posées par la lex rei sitae, le juge français s'assurerait de l'effectivité de sa décision, qui sera nécessairement mise en œuvre dans le pays de situation des biens ; il retiendrait en outre une qualification conforme à celle retenue par la plupart des autres États. Mais pour l'heure, le droit positif français n'a pas clairement tranché en faveur de cette qualification lege rei sitae (v., recherchant une certaine positivité du principe, P. Lagarde, « La qualification des biens en meubles ou immeubles dans le droit international privé du patrimoine familial », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 209).
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Pertinence du rattachement au lieu de situation des biens 915
La pertinence du rattachement par le critère du lieu de situation des biens doit être éprouvée à l'aune de ses fondements contemporains (§ 1), qui justifient aujourd'hui la relativité du rattachement (§ 2).
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1 Fondements du rattachement
L'application de la lex rei sitae aux droits réels, en particulier immobiliers, a parfois été présentée comme dictée par des considérations de droit international public. Le fondement de la compétence de la lex rei sitae n'apparaît toutefois pas aussi convaincant, selon que l'on envisage l'impérativité d'un rattachement fondé sur des considérations de souveraineté (A), ou la rationalité d'un rattachement fondé sur des considérations d'effectivité et d'opportunité (B).
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A. Impérativité d'un rattachement fondé sur des considérations de souveraineté 917
L'argument de souveraineté, pris comme justification du rattachement juridictionnel et législatif au lieu de situation des biens immobiliers, devait toutefois être ultérieurement contesté, et la doctrine contemporaine paraît l'avoir complètement abandonné. De fait, on l'a vu (v. ss 299 s.), seule la compétence d'exécution des États est, en droit international public, purement territoriale, tandis que la compétence normative peut être librement exercée de façon extraterritoriale. Rien n'interdit donc juridiquement à un État de soumettre à sa propre loi un bien, même immobilier, situé à l'étranger, ni même de prendre concrètement parti, dans une décision de justice, sur la nature ou le contenu des droits réels affectant ce bien.
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Une partie de la doctrine française a longtemps considéré que l'État du lieu de situation des biens devait, pour des raisons de souveraineté, se voir reconnaître une compétence exclusive sur ces biens. Cette compétence s'entendait aussi bien d'un point de vue juridictionnel — avec la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation du bien — que législative — avec la compétence de la lex rei sitae. Encore faut-il immédiatement préciser que la souveraineté des États n'était convoquée que pour justifier le régime international des droits réels immobiliers ; pour les droits réels mobiliers en revanche, nul argument de souveraineté ne paraissait pouvoir être invoqué, et cela d'autant moins qu'historiquement les meubles avaient traditionnellement été rattachés à la personne et au statut personnel avant d'être finalement et tardivement soumis à la lex rei sitae.
B. Rationalité d'un rattachement fondé sur des considérations d'effectivité et d'opportunité S'il n'est pas contraire au droit international public qu'un État appréhende, par ses normes (règles ou décisions), des biens situés sur le territoire d'un État étranger, c'est que cette appréhension est purement théorique ou normative. La souveraineté de l'État sur le territoire duquel se trouvent les biens est sauve, car cet État pourra toujours matériellement faire obstacle à la mise en œuvre concrète des normes étrangères. Seul l'État « territorial » a un réel pouvoir sur les biens.
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En matière de droits réels immobiliers, et à un moindre degré en matière mobilière (car les meubles sont mobiles et peuvent donc passer de l'emprise matérielle d'un État à celle d'un autre), des considérations de pure effectivité peuvent donc justifier la compétence tant juridictionnelle que législative réservée à l'État du lieu de situation des immeubles : par hypothèse, la norme se réalisera nécessairement au lieu de situation de l'immeuble. Par souci d'économie procédurale, il est donc rationnel que les juridictions du lieu de situation de l'immeuble reçoivent compétence exclusive, leur décision pouvant être exécutée sans recours à une procédure d'exequatur préalable. La même conclusion s'impose, s'agissant de la loi applicable, en considération de l'importance que joue la publicité foncière pour l'opposabilité des droits réels immobiliers aux tiers. La publicité foncière ne garantit l'effectivité des droits réels immobiliers, en en assurant l'opposabilité aux tiers, qu'à la condition d'être opérée conformément aux exigences de la loi du lieu de situation des biens ; seul l'État du lieu de situation de l'immeuble peut en effet matériellement protéger les
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prérogatives du titulaire du droit contre les immixtions des tiers, et il ne le fera que si le droit a été régulièrement publié en application de la lex auctoris. Il est donc rationnel que la loi applicable aux droits réels immobiliers et la loi applicable à la publicité foncière coïncident. Plus généralement, la compétence de la lex rei sitae s'explique par des considérations d'opportunité. Tout d'abord, dans la pure tradition savignienne, la nature même du rapport de droit considéré — un droit portant directement sur un bien — conduit naturellement à l'adoption d'un rattachement par le lieu de situation du bien, qui est le critère le plus pertinent de localisation. Ensuite, l'application de la lex rei sitae est celle qui assure la meilleure protection des tiers, car c'est la loi dont la compétence leur est la plus apparente. Enfin, certains auteurs font pertinemment valoir que l'application de la lex rei sitae permet de garantir l'application d'une loi qui serait sinon un facteur perturbateur du conflit de lois, en ce qu'elle serait souvent applicable à titre de loi de police : le droit des biens concerne en effet directement l'organisation économique de l'État sur le territoire duquel ils se situent. Cet État peut donc vouloir tout à la fois rationaliser leur exploitation et sécuriser le marché en garantissant une information loyale des tiers, par l'application impérative de ses propres lois.
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En définitive, même si la compétence de la lex rei sitae ne s'impose pas absolument d'un point de vue juridique — aucune règle supérieure n'en exigeant le respect, les États pourraient y déroger —, les arguments sont nombreux qui justifient que le droit positif ait pu, de façon quasi universelle, consacrer cette compétence. Pourtant, la pertinence du rattachement peut ponctuellement être mise en cause d'un point de vue purement matériel.
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2 Relativité du rattachement
La force du rattachement au lieu de situation des biens est réelle en matière immobilière, même si certaines difficultés d'application apparaissent de façon ponctuelle (A). L'application du rattachement au lieu de situation des biens n'est en revanche que relative en matière mobilière (B).
A. Force du rattachement pour les droits réels immobiliers 924
Les droits réels immobiliers subissent doublement l'attraction du lieu de situation des biens. En matière de conflits de juridictions, tout d'abord, les litiges relatifs aux droits réels immobiliers sont soumis, en droit commun français comme en droit européen, à la compétence exclusive des juridictions de l'État de situation de ces immeubles (v. ss 340 s.). En matière de conflits de lois, ils relèvent de la compétence de la lex rei sitae. L'attraction très forte de la lex rei sitae dans ce domaine se traduit par le fait qu'y sont soumis non seulement les aspects proprement réels des droits portant sur les immeubles, mais également un ensemble de questions qui relèvent formellement d'autres catégories du droit international privé. On verra ainsi que les contrats ayant pour objet un droit réel immobilier sont par principe soumis à la lex rei sitae, par dérogation à la règle de conflit normalement applicable aux contrats (v. ss 997) ; et on a vu, déjà, qu'en droit commun français les successions immobilières sont
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soumises à la compétence des juridictions du lieu de situation des immeubles ainsi qu'à la lex rei sitae (v. ss 828 s.). La compétence de la lex rei sitae n'est toutefois alors pas absolue : les parties à un contrat ayant pour objet un droit réel immobilier peuvent choisir de le soumettre à une autre loi ; quant aux successions immobilières, le droit de l'Union européenne a choisi de les faire régir par la loi de la dernière résidence habituelle du défunt, comme les successions mobilières. En outre, le critère du lieu de situation des biens peut s'avérer délicat à mettre en œuvre, même en matière immobilière où la fixité des immeubles facilite en principe sa détermination. La jurisprudence a ainsi eu à connaître des difficultés relatives à la plurilocalisation des immeubles, lorsque ceux-ci se situent de part et d'autre d'une frontière : il existe alors deux juridictions potentiellement compétentes, et deux potentielles leges rei sitae. La Cour de justice de l'Union européenne a statué, dans pareille configuration, sur la détermination de la juridiction exclusivement compétente : elle a jugé que chaque juridiction devait recevoir une compétence exclusive pour connaître des droits immobiliers relatifs à la portion d'immeuble située sur son territoire, consacrant donc un « éclatement » du contentieux relatif à un même immeuble (CJCE 6 juill. 1988, Scherrens, Rev. crit. DIP 1989. 545, note H. GaudemetTallon). En matière de loi applicable, en l'absence de règle de conflit de lois européenne, il n'existe aucune jurisprudence de la CJUE. La Cour de cassation française, pour sa part, a évité de trancher la difficulté en jugeant qu'un litige relatif à une promesse de vente portant sur un immeuble transfrontalier relevait de la compétence de la loi choisie par les parties pour régir l'acte, hors de toute considération de la lex rei sitae (Civ. 1 re, 21 juill. 1987, Rev. crit. DIP 1988. 699, note J. Héron). Les commentateurs ont quant à eux marqué leur réticence à l'application distributive des deux leges rei sitae (chacune régissant les droits relatifs à la portion de l'immeuble située sur son territoire), et leur préférence pour une compétence de l'ordre juridique (tribunaux et loi applicable) présentant les liens les plus étroits avec la situation (celle correspondant à la localisation de la portion la plus importante de l'immeuble, la localisation d'éventuels bâtiments, le domicile des parties, etc.). Encore faut-il sans doute réserver certaines questions, telle la publicité foncière, qu'il semble nécessaire de soumettre, pour chaque portion d'immeuble, à la loi locale.
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B. Relativité du rattachement pour les droits réels mobiliers En matière de droits réels mobiliers, le rattachement au lieu de situation des biens présente un caractère relatif. Certes, on l'a vu (v. ss 910), les droits réels mobiliers sont en principe soumis à la lex rei sitae. Mais d'une part, cette compétence de la loi du lieu de situation ne se prolonge pas par la compétence des juridictions du lieu de situation du meuble ; il n'y a pas de règle de compétence juridictionnelle spéciale à la matière réelle mobilière, et les règles ordinaires sont donc applicables. D'autre part, la détermination de la loi du lieu de situation des meubles peut s'avérer, dans diverses hypothèses, fort délicate, en sorte que la compétence alternative d'une autre loi peut être prévue. Les principales difficultés concernent les biens échappant à toute souveraineté (1), les biens incorporels (2), les biens en transit et les biens déplacés (3).
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1. Biens échappant à toute souveraineté Certains biens sont juridiquement impossibles à localiser, non parce que l'on ignore où ils se trouvent, mais parce qu'ils se situent en un lieu qui échappe à toute souveraineté étatique : la localisation matérielle du bien ne permet pas alors de désigner la loi d'un État comme loi applicable. Tel est le cas pour les biens qui se situent en haute mer (au-delà des eaux territoriales) ou dans un espace aérien sur lequel ne s'exerce aucune souveraineté, c'est‑à-dire en pratique pour les navires et les aéronefs. Le droit international privé procède alors à une localisation fictive. Ces biens sont en effet généralement immatriculés, et le rattachement s'opère en faveur de la loi du pays d'immatriculation ou « loi du pavillon ».
2. Biens incorporels
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Les biens incorporels étant dépourvus de toute matérialité, leur localisation ne peut, si on cherche à l'opérer, qu'être fictive. Le droit positif n'adopte pas un rattachement unique propre à tous les biens incorporels, mais fait dépendre ce rattachement de la nature du bien considéré.
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Concernant les droits de propriété littéraire et artistique, le droit commun français distinguait traditionnellement entre la titularité du droit, soumise à la loi du pays d’origine (c’est‑à-dire la loi du pays où l'œuvre a été publiée pour la première fois) et la protection du droit, soumise à la lex loci protectionis – la loi du pays où la protection est revendiquée. Le principe voulait en effet qu'une œuvre ne soit protégée par le droit français que si le droit revendiqué bénéficiait d'une protection dans le pays de première publication, et sous réserve de réciprocité (la loi du pays de première publication devant protéger les œuvres publiées pour la première fois en France pour que les œuvres qui y ont été publiées y soient également protégées). La France est toutefois signataire de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (révisée à plusieurs reprises), dont l’article 5 § 2 stipule que la jouissance et l’exercice des droits « sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’œuvre », en sorte que « l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée ». En application de ce texte, la Cour de cassation a finalement jugé que la lex loci protectionis doit être appliquée aussi bien à la question de la titularité du droit qu’à celle de sa protection (Civ. 1re, 10 avril 2013, ABC News, Rubrique Documents). Cette solution, dont la doctrine considère qu’elle se substitue totalement à la précédente (y compris lorsque la Convention de Berne n’est pas applicable), conduit à s’interroger sur la notion même de lex loci protectionis. Il faut se garder d’y voir, comme on pourrait être tenté de le faire par un raccourci trompeur, la loi du juge saisi (loi du for) pour « protéger » le droit (même si de facto on saisira généralement le juge français lorsque la protection sera revendiquée en application de la loi française). La notion du pays où la protection est réclamée renvoie en réalité plus exactement à celle de pays pour lequel la protection est réclamée ; si un droit d’auteur est violé en France, c’est à la loi française de dire si ce droit est reconnu sur son territoire au bénéfice de celui qui s’en prévaut (titularité) et quels sont effets qu’il y déploie (le droit reconnu à l’auteur exclut-il son usage par les tiers ?). La lex loci protectionis pourrait ainsi être regardée comme une application particulière de la lex
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rei sitae aux propriétés immatérielles (M. Vivant, « Propriété intellectuelle, lex protectionis et loi réelle », D. 2011. 2351) ; le domaine de celle-ci correspond au domaine de celle-là (titularité, prérogatives reconnues au titulaire). Quant au point de savoir quelles conséquences devront être attachées à la violation de ce droit, la question ne relève plus du domaine de la lex rei sitae, mais de celui de la lex loci delicti, puisque la contrefaçon de droits d’auteur et droits voisins constitue un délit. On verra toutefois que la lex loci delicti n’est autre, en la matière, que la lex loci protectionis (v. ss 1097 s.). Les droits de propriété industrielle (brevets, marques, dessins et modèles), qui font normalement l’objet d’un enregistrement ou d’un dépôt, sont de la même façon protégés de façon strictement territoriale, en application de la loi de l'État dans lequel ils ont été déposés et enregistrés. Encore faut-il souligner que cette présentation, véhiculée par la doctrine internationaliste, est souvent dénoncée par les spécialistes de droit de la propriété intellectuelle, qui la jugent méconnaître la réalité de l’acte de dépôt ou d’enregistrement, purement déclaratif et non constitutif de droits. On peut donc préférer retenir, comme en matière de propriété littéraire et artistique, la référence à la lex loci protectionis, qui est bien ici la loi où le droit a été enregistré et qui offre à ce droit, pour son seul territoire, une protection. Les effets pervers de la territorialité — qui limite la reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle et sa protection au ressort d’un seul territoire et de sa loi – sont quelque peu atténués par des conventions internationales (v. par ex. la Convention de Berne préc.) et, au sein de l'Union européenne, par des dispositifs de protection dont la portée n’est plus nationale mais « communautaire ». Ont ainsi été adoptés un règlement sur les dessins et modèles communautaires (Règl. n o 6/2002 du 12 déc. 2001) et un règlement sur la marque communautaire (Règl. no 207/2009 du 26 fév. 2009, recodifiant un règlement antérieur de 1993 et ses modifications successives). En vertu de ces textes, le droit de propriété industrielle « communautaire » jouit d’une protection uniforme sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Ce sont donc ces règlements qui régissent la titularité du droit, ainsi que les prérogatives qui y sont attachées. Les choses sont un peu plus complexes pour les brevets, les négociations en vue d’adopter un brevet communautaire ayant échoué. C’est donc par le mécanisme de la coopération renforcée qu’un règlement sur le « brevet européen à effet unitaire » a été adopté (Règl. no 1257/2012 du 17 décembre 2012). Ce règlement ne définit pas directement l’étendue des droits du déposant, mais prévoit une règle de conflit renvoyant, sur ce point, à la loi de l’État du domicile ou du principal établissement du déposant au jour du dépôt. Cependant la loi de cette État sera sur ce point elle-même issue de, et donc harmonisée par, un accord international : l’accord du 19 février 2013 relatif à une juridiction unifiée du brevet qui, contrairement à ce que peut laisser entendre son titre, n’est pas seulement relatif à l’organisation, la compétence et le fonctionnement de cette juridiction unifiée ; il définit aussi les droits conférés par le brevet européen à effet unitaire. Le règlement européen ne peut donc être lu et appliqué qu’en combinaison avec l’accord sur la juridiction unifiée du brevet, et c’est la raison pour laquelle son application a été reportée à la date de l’entrée en vigueur de l’accord (qui interviendra lorsque 13 États l’auront ratifié). On ne développera pas plus ici ce régime complexe, mais on signalera l’adoption en France d’une ordonnance du 9 mai 2018 et d’un décret du 31 mai 2018, pris pour assurer la compatibilité de la législation française avec les
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règlements européens sur le brevet européen à effet unitaire et pour en mettre en œuvre la juridiction unifiée du brevet. Il est un autre bien incorporel dont la localisation apparaît impossible : la créance. Aussi les auteurs proposent-ils de localiser fictivement la créance au domicile du créancier, ou au domicile du débiteur. Il faut toutefois observer que le régime des créances est très largement couvert par la loi de leur source. Il ressort ainsi de l'article 14 § 2 du règlement Rome I du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (v. ss 949 s.) que la cessibilité d'une créance, ou encore les conditions d'opposabilité de sa cession au débiteur (questions qui seraient régies par la lex rei sitae s'agissant d'un bien corporel) sont soumises à la loi de la créance cédée, c'est‑à-dire à la loi applicable au contrat ayant donné naissance à cette créance. La Cour de cassation a pour sa part récemment précisé que, lorsque la qualité de créancier est débattue, c'est la loi de la source de la créance qu'il convient de consulter pour déterminer si celui qui revendique une créance en est bien titulaire (Com. 13 sept. 2011, no 10-25.533, D. 2011. 2518, note L. d'Avout et N. Borga ; Rev. crit. DIP 2011. 870, note J.-P. Remery ; D. 2012. 1233, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. JaultSeseke).
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3. Biens en transit et biens déplacés 932
Les biens en transit sont ceux qui se trouvent en déplacement au moment où ils font l'objet d'une opération juridique : une sûreté réelle est constituée sur un navire qui fait route vers l'Australie ; des marchandises expédiées par bateau depuis Le Havre jusqu'à Madagascar sont vendues alors qu'elles ne sont pas encore parvenues à destination ; un bien est revendiqué alors qu'il se trouve à bord d'un train l'acheminant vers Moscou… Lorsque les biens en transit sont immatriculés, ou lorsqu'ils sont transportés à bord de biens immatriculés (navires et aéronefs), la solution retenue consiste à appliquer, comme lex rei sitae, la loi du pays d'immatriculation. Dans les autres cas, les difficultés sont plus épineuses. Il n'est pas nécessairement impossible de déterminer matériellement en quel lieu se situe précisément la chose en transit au moment où elle fait l'objet d'une opération juridique : l'action en revendication peut par exemple être exercée au moment précis où le train transportant des marchandises vers Moscou est arrêté en gare de Bucarest. Faut-il pour autant appliquer la loi roumaine à l'action en revendication ? Certains auteurs sont favorables à cette solution : il conviendrait d'appliquer la lex rei sitae à la chose en transit chaque fois que cette loi est identifiable (par ex. Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, op. cit., no 658). On peut toutefois ne pas être convaincu par une solution qui conduit à privilégier l'application d'une loi qui entretient avec la situation des liens purement fortuits. Il semble donc que, que la lex rei sitae soit ou non identifiable, son application à la chose en transit doive être écartée. Il est alors nécessaire d'identifier un critère de rattachement subsidiaire : doctrine et droit positif paraissent hésiter à cet égard entre la compétence de la loi du pays d'expédition des biens, et celle de la loi du pays de destination des biens, la doctrine marquant une certaine faveur pour la loi du pays de destination.
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Contrairement à la chose en transit, le bien déplacé n'est pas en mouvement lorsqu'il fait l'objet d'une opération juridique, mais sa localisation dans l'espace a changé dans le temps. Il s'agit donc d'un problème de conflit mobileQ : la lex rei sitae est-elle la loi de la situation initiale ou actuelle du bien ? Ce conflit mobile ne concerne, a priori, que
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les biens mobiliers. La solution de principe retenue par le droit français est l'application de la loi de situation actuelle du bien (Civ. 1 re, 8 juill. 1969, Sté. DIAC, v. rubrique Documents), plus protectrice de la sécurité des tiers. Mais cette solution doit être tempérée en fonction de l'objet précis de la question de droit posée. Il conviendra donc de l'éprouver en considérant distinctement les diverses questions qui entrent dans le champ d'application de la lex rei sitae.
Champ d'application du rattachement par le lieu de situation des biens La lex rei sitae, même lorsqu'elle est identifiable, ne régit pas nécessairement tous les aspects du rapport de droit portant sur un bien. Les frontières qui délimitent sa compétence doivent donc être précisément circonscrites. On procédera à cette délimitation en envisageant successivement les principales questions qui peuvent se poser à propos des droits réels : leur nature et leur contenu (§ 1), leur constitution ou leur acquisition (§ 2), leur opposabilité aux tiers (§ 3) et enfin leur extinction (§ 4).
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1 Nature et contenu des droits réels
En dehors de l'hypothèse spécifique où la qualification est opérée comme préalable à la mise en œuvre de la règle de conflit (sur laquelle, v. ss 911 s.), il revient en principe à la lex rei sitae de déterminer non seulement la nature des droits réels en cause – s'agit-il de droits mobiliers ou immobiliers par exemple – mais également leur contenu.
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Les droits réels confèrent en effet à leur titulaire des prérogatives, qui sont en principe définies par la loi. Lorsqu'une personne, qui revendique un droit réel sur un bien, se prévaut en France d'une prérogative sur ce bien, il faut donc déterminer en application de quelle loi cette prérogative doit être définie. Cette loi est normalement la lex rei sitae. Ainsi, les droits qu'un individu prétend détenir sur un bien situé en France, à raison du droit de propriété qu'il a acquis sur ce bien en vertu d'un contrat de vente, seront-ils ceux que la loi française attache au droit de propriété, abstraction faite de toute considération de la loi applicable au contrat de vente. Résultant de l'arrêt Stewart (v. rubrique Documents) pour la matière immobilière (seule la loi française peut en tant que lex rei sitae définir les droits réels dont fait l'objet un immeuble situé en France), la solution est confirmée en matière mobilière par l'arrêt Société DIAC (Civ. 1 re, 8 juill. 1969, v. rubrique Documents) qui résout au surplus l'éventuel conflit mobile qui pourrait se produire : les droits réels mobiliers sont soumis à la lex rei sitae ; et en cas de déplacement du meuble, il revient à la loi du lieu de situation actuelle du bien de déterminer si la prérogative réclamée sur ce bien peut être reconnue. La Cour de cassation refuse donc qu'un créancier gagiste revendique un droit de propriété sur le gage, droit que lui reconnaissait pourtant la
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La détermination de la consistance des droits réels par la lex rei sitae suscite également des difficultés en droit européen. L’absence de définition harmonisée des droits réels dans les États membres de l’Union européenne est en effet de nature à limiter l’efficacité des règles de droit international privé harmonisées touchant à la matière patrimoniale. Par exemple, si la loi qui régit le régime matrimonial d’un couple selon le règlement Régimes matrimoniaux confère un droit réel particulier sur un bien à l’un des époux, mais que l’État du lieu de situation de ce bien ne connaît pas ce type de droit réel, l’économie du système est atteinte. Il est donc important de mettre en place un correctif. On aurait pu songer à imposer une reconnaissance pure et simple des droits réels consacrés par la loi applicable au fond, mais cette solution n’a pas été retenue, ce qui illustre bien la force de la compétence de la lex rei sitae en matière de droits réels. Les règlements européens régissant la matière patrimoniale (Règl. Successions, art. 31 ; Règl. Régimes matrimoniaux et Règl. Effets patrimoniaux, art. 29) ont plutôt opté pour la méthode de l’adaptation : lorsqu’un droit réel est prévu par la lex causae (loi régissant au fond la succession ou la relation patrimoniale entre conjoints ou partenaires), mais est inconnu dans l’État membre où ce droit est invoqué — qui sera souvent l’État de situation de ce bien —, il faut dans cet État procéder à une adaptation en reconnaissant l’existence du droit réel qui, dans sa loi, est le plus proche du droit réel d’origine, « en tenant compte des objectifs et des intérêts poursuivis par le droit réel en question ». On le voit, que ce soit en droit français ou européen, il est bien difficile d’appréhender les droits réels sans envisager, au-delà de leur consistance, la question de leur source. Il convient donc à présent de préciser les règles relatives à la constitution et/ ou à l'acquisition des droits réels.
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loi allemande du lieu de situation du bien au jour de la constitution du gage ; en effet, du fait que le bien ait été déplacé en France, la loi française prohibant le pacte commissoire (c'est‑à-dire interdisant au créancier gagiste de s'approprier le gage ; cette prérogative lui est aujourd'hui reconnue par l'art. 2348 C. civ.) devenait applicable comme loi du lieu de situation actuelle du bien. La solution ainsi définie fait toutefois l'objet de critiques doctrinales. Un important courant de pensée considère en effet que, lorsque la constitution d'un droit réel résulte d'un acte juridique, il n'est pas envisageable d'ignorer la loi qui régit cet acte juridique pour apprécier la consistance des droits qui en découlent, seraient-ils réels.
2 Constitution et acquisition des droits réels
Il n'est pas rare que la loi fasse directement découler la constitution ou l'acquisition de droits réels de certains faits juridiques ou circonstances. Ainsi, en droit français, l'article 682 du Code civil constitue-t‑il au profit du propriétaire d'un fonds enclavé une servitude de passage. Dans cette hypothèse, et pour tous les modes de constitution ou d'acquisition des droits réels qui sont propres au droit des biens, la lex rei sitae est compétente. Une difficulté peut cependant se poser, si le bien considéré est un meuble, en conséquence d'un éventuel conflit mobile. La loi applicable est alors normalement celle du lieu où se trouve le bien au moment de l'acquisition ou de la constitution du droit réel. Si un droit sur un meuble a été antérieurement et complètement acquis au lieu de la situation initiale du meuble, ce droit acquis en application de la lex rei sitae d'origine n'est pas remis en cause au lieu de situation actuelle
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du bien. À l'inverse, tous les droits qui seront acquis sur le bien postérieurement à son déplacement le seront en application de la loi de sa situation nouvelle. Mais il n'est pas à exclure que l'acquisition ou la constitution d'un droit ait été seulement amorcée dans l'État où le bien se trouvait initialement, le déplacement s'opérant alors que le droit n'a pas été définitivement acquis. Tel serait le cas en présence d'une acquisition par la prescription ; on peut en effet imaginer qu'un bien, initialement situé dans un pays où la possession emporte prescription au terme d'un délai de vingt ans, soit déplacé, après dix ans de possession dans le pays d'origine, vers un pays où la prescription suppose une possession d'une durée de trente ans. Une telle situation ne pourrait toutefois se présenter en France, où la prescription acquisitive ne joue que pour les biens immobiliers, qui ne sont pas susceptibles de déplacement. En matière mobilière, l'application du principe « en fait de meubles possession vaut titre » aura pour conséquence qu'un meuble, dont un individu sera entré en possession à l'étranger sans que cette possession y ait eu, en vertu de la lex rei sitae, un effet acquisitif de propriété, sera réputé propriété de son possesseur une fois déplacé en France, par application de l'article 2276 du Code civil (C. civ., anc. art. 2279) comme actuelle lex rei sitae. Cette solution, confirmée par la jurisprudence, est critiquée par la doctrine. Plus fréquemment, l'acquisition ou la constitution d'un droit réel procède d'un acte juridique (contrat, testament, donation), voire d'un fait juridique (décès, mariage), relevant d'une catégorie propre. La lex rei sitae est alors confrontée à une autre loi : la lex contractus, la loi qui régit la succession ou le régime matrimonial. Il importe dès lors d'articuler lex rei sitae et loi propre à l'événement constitutif du droit réel. Et cette articulation est délicate.
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Pour en limiter les difficultés, le droit positif consacre ponctuellement, on l'a observé (v. ss 924 s.), l'attraction par la lex rei sitae, qui s'applique alors au droit réel comme à l'acte juridique qui le fait naître ou le transfère. Mais cette attraction ne joue pas systématiquement. En l'absence de coïncidence entre lex rei sitae et loi propre à l'événement constitutif ou translatif du droit réel, il est admis que les domaines d'application respectifs de ces deux lois se déterminent en application des principes suivants : la loi de l'événement constitutif ou translatif (loi du contrat, loi successorale) en définit les conditions (conditions de validité du contrat, détermination des successibles, etc.), de même que les effets purement obligatoires (ne portant pas sur les droits réels) ; la lex rei sitae s'applique, en revanche, aux effets réels de l'événement, en particulier aux conditions et modalités de transfert de ces droits. On peut illustrer ce mécanisme par un exemple. Dans la vente, le droit français consacre le principe du transfert de propriété solo consensu, tandis que d'autres droits (de tradition germanique, par exemple) n'attachent pas automatiquement ce transfert de propriété à la conclusion du contrat de vente : des formalités ou actes complémentaires sont exigés. Si un contrat de vente soumis à la loi allemande porte sur un meuble situé en France, le transfert de propriété s'opérera en principe solo consensu, car la loi française en tant que lex rei sitae régit le transfert de propriété.
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Au-delà de l'attraction par la lex rei sitae, ou de l'application distributive de la lex rei sitae et de la loi de l'acte, c'est parfois l'extension de la loi de l'acte qui est préconisée. On l'a signalé (v. ss 936), une difficulté peut apparaître lorsque des biens, sur lesquels des droits réels ont été constitués par acte juridique, sont déplacés : l'application, à la
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détermination des prérogatives du titulaire du droit réel, de la loi de situation actuelle des biens, peut déjouer les prévisions des parties, lorsque la loi de situation actuelle attribue au titulaire du droit réel des prérogatives, différentes de celles résultant de la loi sous l'empire de laquelle les droits ont été créés. En effet, ainsi que le soulignent certains auteurs, au moment de la constitution du droit réel considéré, les parties ont nécessairement conçu ce droit en considération de la loi d'autonomie. C'est donc à la loi d'autonomie, plutôt qu'à la lex rei sitae, qu'il devrait revenir de définir le contenu des droits réels constitués. Dangereuse pour les tiers (dont l'ignorance de la loi d'autonomie est vraisemblable alors qu'ils sont en mesure de connaître la lex rei sitae), cette solution serait néanmoins admissible sous couvert de certains correctifs qui pourraient se traduire par une éviction ponctuelle de la loi d'autonomie pour protéger les tiers, soit en considération de leur ignorance légitime, soit en raison de la nature de loi de police de la lex rei sitae (sur cette idée v. P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 681). Le droit positif ne s'est toutefois pas clairement rallié à cette approche. Mais on le voit, la question de l'opposabilité des droits réels aux tiers est absolument centrale.
3 Opposabilité des droits réels aux tiers
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L'opposabilité des droits réels aux tiers est généralement subordonnée à l'accomplissement de formalités. Dans certains cas, ces formalités affectent directement les prérogatives portant sur les biens, par exemple lorsque la constitution d'un droit réel sur un bien impose la dépossession. Dans d'autres, ces formalités prennent la forme d'une publicité par enregistrement sur un registre public ou par tout autre moyen pertinent. Il paraît judicieux de distinguer ici en fonction de la nature, immobilière ou mobilière, du droit considéré.
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Les droits réels immobiliers, pour être opposables aux tiers, doivent indubitablement respecter les exigences prescrites par la lex rei sitae. Ainsi le droit de propriété contractuellement acquis sur un immeuble situé en France doit-il nécessairement donner lieu à publication sur les registres de publicité foncière tenus par les autorités françaises, en application de la lex auctoris. Pour les États, il s'agit là d'une exigence de police. Pour les parties, il y va de l'effectivité du droit, dont la protection contre les immixtions des tiers sera nécessairement assurée par les autorités françaises. Or l'ordre juridique français ne protégera ce droit que s'il a été régulièrement publié. La seule question qu'il convient de se poser est donc de déterminer si les exigences, le cas échéant prescrites par la loi applicable au contrat (ou à l'événement constitutif du droit réel), doivent aussi être respectées. En pratique, ce respect ne s'impose que si la validité de l'acte constitutif ou translatif en dépend ; ainsi, si la loi du contrat prescrit, à peine de nullité, une publication sur des registres tenus au domicile du vendeur, l'exigence devrait être respectée même si l'immeuble se situe sur le territoire d'un autre État (et en complément de la publicité réalisée au lieu de situation de l'immeuble).
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L'opposabilité des droits réels mobiliers appelle des solutions plus complexes, non seulement parce que les formalités requises sont plus variées dans leur nature (lorsque de telles formalités sont exigées, ce qui est rare pour l'opposabilité du droit de propriété mais plus fréquent pour l'opposabilité des sûretés réelles mobilières sans
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dépossession), mais aussi en raison du risque de conflit mobile. La loi applicable est là encore, en principe, la lex rei sitae et plus précisément, en cas de conflit mobile, la loi du lieu de situation actuelle : le déplacement du bien devrait donc s'accompagner de l'accomplissement, par le titulaire de droits réels sur ce bien, des formalités prescrites par la loi de la nouvelle situation. Ce n'est qu'à cette condition qu'il sera garanti de l'opposabilité de ses droits réels aux créanciers locaux. Mais la lex rei sitae n'organise pas nécessairement la réalisation matérielle des opérations de publicité des droits réels mobiliers au lieu de situation des biens, puisque cette situation est par définition changeante (contrairement à la publicité foncière en matière immobilière). Il en résulte une difficulté spécifique lorsque le lieu où la publicité doit être effectuée, selon les exigences de la lex rei sitae, se situe à l'étranger. Par exemple, le contrat de crédit-bail d'un bien situé en France doit, en application de la loi française, être publié au greffe du tribunal de commerce du siège ou domicile du locataire ; si l'établissement du locataire est à l'étranger, la publicité ne peut pas s'y opérer conformément aux exigences de la loi française (pas de registre au greffe du tribunal de commerce). Le droit positif français semble considérer que le non-respect des exigences de la lex rei sitae ne peut être opposé au titulaire du droit réel si la mesure de publicité prescrite par cette loi était matériellement impossible à réaliser.
§
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4 Extinction des droits réels
L'extinction des droits réels, dans le patrimoine d'un individu, s'opère usuellement (sauf disparition matérielle de la chose) par transfert de ces droits vers un autre patrimoine (vente, cession d'un droit d'usufruit). Elle pose alors les mêmes difficultés et est soumise aux mêmes règles que l'acquisition des droits réels, dont elle est le corollaire : la même opération emporte extinction du droit dans un patrimoine, acquisition dans un autre (sur les règles régissant l'acquisition, v. ss 938 s.).
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Cette extinction peut également être pure et simple. En droit français, l'extinction de l'usufruit procède de diverses causes telles que le non-usage trentenaire ou encore l'abus de jouissance. S'agissant de règles propres au droit des biens, il convient pour déterminer les causes et modalités de l'extinction de faire application, comme on l'avait fait pour les modes de constitution des droits réels propres au droit des biens, de la lex rei sitae. Cette extinction peut, en outre, trouver sa source dans un acte juridique, par renonciation unilatérale de son titulaire (droit d'abandon en droit français) ou par convention (terme conventionnel d'un droit d'usufruit). Là encore, si les conditions de l'acte sont soumises à sa loi propre, ses effets réels (extinction du droit réel) sont déterminés par la lex rei sitae.
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Compléments pédagogiques
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I. En droit international privé français, la loi applicable aux droits réels est, que ces droits portent sur des biens mobiliers ou immobiliers, la loi du lieu de situation des biens en cause ou lex rei sitae. Plus que par des considérations de souveraineté parfois invoquées, ce rattachement se justifie par des considérations d'effectivité des droits réels et d'opportunité. II. L'identification de la lex rei sitae n'est pas cependant toujours aisée : plurilocalisation des biens immobiliers, absence de souveraineté sur l'espace où se localisent les biens, déplacement régulier (biens en transit) ou occasionnel (conflit mobile) des biens, nature incorporelle de ces biens sont autant d'hypothèses dans lesquelles la détermination de la lex rei sitae est difficile, voire même impossible. C'est pourquoi le droit positif a été ponctuellement conduit à adopter des rattachements subsidiaires : les navires et aéronefs sont soumis à la loi du pays où ils sont immatriculés, les biens en transit à la loi de leur pays de destination, les biens incorporels se voient appliquer des rattachements propres qui varient en fonction de leur nature. Quant au conflit mobile, il trouve sa solution dans l'application de la loi du lieu de situation actuelle du bien pour la détermination des prérogatives attachées aux droits réels revendiqués sur ce bien (arrêt Société DIAC). En revanche, si la question posée est celle de l'acquisition ou de la constitution des droits réels, la loi applicable est en principe celle du lieu de situation du bien au jour de cette acquisition ou constitution, nonobstant son déplacement subséquent. III. Le domaine d'application de la lex rei sitae doit être déterminé avec précision. La difficulté la plus aiguë réside dans la délimitation des frontières des domaines respectifs de la loi réelle et de la lex contractus, car les opérations sur les droits réels se réalisent fréquemment par voie conventionnelle. La règle veut que la lex rei sitae ne s'applique qu'aux droits réels à proprement parler ; elle définit leur nature, les prérogatives qui leur sont attachées, leurs modalités de constitution spécifiques (sans intervention d'un contrat) ou encore leur opposabilité aux tiers. En revanche, la lex contractus définit les conditions de validité du contrat portant sur un droit réel et ses effets purement personnels ; la lex rei sitae n'intervient que pour définir les conditions et modalités des effets du contrat qui sont constitutifs ou translatifs d'un droit réel (ex. : le transfert de propriété dans la vente est soumis à la lex rei sitae, même si la vente est soumise à une autre loi). IV. En matière de droits réels, le droit européen n’a harmonisé ni le droit substantiel, ni le droit international privé. Néanmoins des dispositions éparses dans les différents instruments européens de droit international privé instaurent une coordination entre États membres, en instituant un mécanisme d’adaptation. Les règlements Bruxelles I/I bis et Rome I prévoient également, en matière civile et commerciale, des
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Quid
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règles de compétence et de conflit de lois propres aux situations impliquant des droits réels immobiliers.
n Conflit m o bi le n o 93 3 D'une façon générale, situation dans laquelle le rattachement retenu par la règle de conflit se modifie dans le temps, emportant modification de la loi désignée par cette règle de conflit ; en droit international des biens, hypothèse de déplacement dans l'espace d'un bien emportant modification de la lex rei sitae appelée à régir les droits réels sur ce bien.
Documents C i v . 1 4 m a r s 1 83 7 , S t e w a r t
(GADIP, n o 3 ; S. 1837. 1. 95 ; DP 1837. 1. 275) L'arrêt Stewart énonce que « l'article 3 du Code civil, conforme aux anciens principes, soumet les immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers, à la loi française », en sorte que « tous les droits de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles » sont soumis à la loi française. La formule, bilatéralisée par la jurisprudence, confirme donc la compétence séculaire (découlant des « anciens principes ») conférée à la loi du lieu de situation des immeubles pour régir les droits réels portant sur ces immeubles.
R e q . 2 4 m ai 1 9 33 , K a n t o o r d e M a s (S. 1935. 1. 253, note H. Batiffol ; Rev. crit. DIP 1934. 142, note J. P. N.) L'arrêt Kantoor de Mas tranche une controverse ancienne relative à la loi applicable aux droits réels portant sur les biens meubles. Alors que ces droits étaient jusqu'alors souvent considérés comme soumis à la loi du domicile de leur propriétaire, la chambre des requêtes énonce pour la première fois incontestablement que la loi française est « seule applicable aux droits réels dont sont l'objet les biens mobiliers situés en France ». Cette affirmation, reprise par l'arrêt DIAC (v. infra), conduit à retenir une fois bilatéralisée que les droits réels portant sur les meubles sont, comme ceux portant sur les immeubles, soumis à la loi du lieu de situation des biens en cause.
C i v . 1 r e , 8 j u i l l . 1 9 6 9, St é D IA C (GADIP, n o 48 ; Rev. crit. DIP 1971. 75, note Ph. Fouchard ; JDI 1970. 916, note Derruppé ; JCP 1970. II. 16182, note H. Gaudemet-Tallon) L'arrêt Société DIAC traite d'un gage assorti d'une clause de réserve de propriété constitué en application du droit allemand sur un bien alors situé en Allemagne. Le bien ayant été ultérieurement déplacé en France, la question se posait de savoir si le titulaire du gage pouvait se prévaloir du droit de propriété attaché à ce gage par le droit allemand, alors que le droit français prohibait à cette époque le pacte commissoire (C. civ., anc. art. 2078, al. 2 : le créancier gagiste ne peut s'approprier le gage et toute clause l'autorisant à le faire est nulle). La Cour de
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cassation s'y oppose, prenant doublement parti sur la loi applicable à la détermination de la teneur des droits réels mobiliers et sur la solution du conflit mobile. Énonçant que la loi française est « seule applicable aux droits réels dont sont l'objet les biens mobiliers situés en France », elle retient que la loi française, applicable au bien mobilier déplacé en France, interdit de reconnaître le droit de propriété dont se prévalait le créancier gagiste en application du droit allemand. C'est donc la loi du lieu de situation actuelle du bien meuble qui définit les prérogatives attachées aux droits réels qui grèvent ce bien.
C i v . 1 r e , 10 a v r i l 2 0 13 , A B C N e w s (no 11-12.508, n o 11-12.509, n o 11-12.510, D. 2013. 2004, note T. Azzi et 1973, chron. M. Vivant ; JCP 2013. 493, obs. A. Lucas-Schloetter et 701, note E. Treppoz ; RTD com. 2013. 725, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2013. Étude 18, obs. M.-E. Ancel ; D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon) L’arrêt ABC News revient sur une solution ancienne, posée par un célèbre arrêt Le Chant du Monde rendu par la Cour de cassation en 1959, selon lequel le régime du droit d’auteur relevait de l’application distributive de deux lois : la loi du pays d’origine (loi du pays de première publication de l’œuvre), applicable à la question de la titularité du droit ; et la loi du pays pour lequel la protection était revendiquée (lex loci protectionis), applicable à la protection de ce droit. Le régime français était donc dit scissionniste, par opposition aux régimes dit unitaires qui appliquent une même loi aux questions de titularité et de protection du droit d’auteur. Or l’article 5 § 2 de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, que la France a ratifiée de longue date, prévoit en substance que la jouissance et l’exercice d’un droit sont soumis à la loi du pays où la protection est réclamée, et exclut expressément toute référence à la loi d’origine. En application de cette disposition, dans laquelle la Cour de cassation voit une règle de conflit de lois, l’arrêt ABC News revient à un système moniste dans lequel la titularité du droit dépend, comme sa protection, de la loi du pays où la protection est réclamée. La doctrine considère que la solution vaut également pour les cas, rares, non soumis à la Convention de Berne.
Biblio
- L. d'Avout, « L'inexorable territorialité du droit français des biens, ou comment la tradition peut aboutir à l'injustice », JCP 2010. 284. - L. d’Avout, « La loi applicable à la cession de créance ou de contrat après l’ordonnance du 10 février 2016. Premières analyses de droit des conflits de lois en perspective française », D. 2017. 457. - M. Cabrillac, « La reconnaissance en France des sûretés réelles sans dépossession constituées à l'étranger », Rev. crit. DIP 1979. 487. - D. Carré, « La loi applicable aux droits réels portant sur des biens virtuels », D. 2017. 337. - J.-C. Galloux, « L'ordonnance du 9 mai 2018 et le décret du 31 mai 2018 relatifs au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet », D. 2018. 1276. - K. Kreuzer, « La reconnaissance des sûretés mobilières conventionnelles étrangères », Rev. crit. DIP 1995. 465.
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Quiz 1) Sujets corrigés
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- P. Lagarde, « La qualification des biens en meubles ou immeubles dans le droit international privé du patrimoine familial », in Mélanges M. Révillard, Defrénois 2007. 209. - P. Lagarde, « Sur la loi applicable au transfert de propriété. Requiem pour une convention mort-née », in Liber Amicorum G. A. L. Droz, Kluwer, 1996, p. 151. - Th. Vignal, « Réflexions sur le rattachement des immeubles en droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 2006-2008. 15. - P. Véron, « Le brevet européen à effet unitaire et la Juridiction unifiée du brevet (aspects de droit international privé) », Trav. Com. fr. DIP 2012-2014, p. 181. - M. Vivant, « Propriété intellectuelle, lex protectionis et loi réelle », D. 2011. 2351.
A) Test de connaissances (certaines questions peuvent appeler plusieurs réponses) Énoncé
1. La loi applicable aux droits réels portant sur des biens mobiliers est : a. la loi du domicile de leur propriétaire ; b. la loi du lieu de situation des biens considérés ; c. la loi du for.
2. Lorsque des marchandises sont en transit, la loi applicable est : a. la loi du lieu de leur situation ;
b. le cas échéant, la loi applicable au navire ou à l'aéronef à bord duquel la marchandise est transportée ; c. la loi du lieu de destination des marchandises. 3. La loi qui régit les droits de propriété littéraire et artistique est : a. la loi du pays d’origine du droit,
b. la loi du pays d’origine en ce qui concerne la titularité du droit, et la loi du pays où la protection est revendiquée en ce qui concerne la protection du droit, c. la loi du pays où la protection est revendiquée. 4. Lorsqu'un bien a été grevé d'un droit réel institué par la loi du lieu où le bien était situé au jour de la constitution du droit, et que ce bien est ultérieurement déplacé, les prérogatives que le titulaire du droit réel peut revendiquer sont celles : a. définies par la loi du lieu de situation actuelle du bien ; b. définies par la loi du lieu de situation du bien au jour de la constitution du droit réel ; c. définies par la loi qui régit l'acte constitutif du droit réel.
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Droit international privé
B) Commentaire d’arrêt C i v . 1 r e , 25 m a i 2 0 1 6
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5. Dans un contrat translatif de propriété, le moment auquel s'opère le transfert de propriété est déterminé par : a. la lex rei sitae ; b. la lex contractus ; c. la loi qui présente en toute hypothèse les liens les plus étroits avec la situation. Voir corrigé en fin de rubrique.
(no 15-16935, D. 2017. 1016, obs. H. Gaudemet-Tallon ; AJ fam. 2016. 499, obs. A. Boiché ; RTD civ. 2016. 672, obs. M. Grimaldi ; Dr. fam. 2016. Comm.193, obs. M. Farge ; JCP 2016. 850, note L. PerreauSaussine) Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Robert Jean-Baptiste X.. a engagé une action en partage des biens dépendant, notamment, des successions de ses parents, Robert Félix X.. et Thérèse Y…, de nationalité française, décédés respectivement en 1966 et 2000, dont la dernière résidence habituelle était fixée en France ; qu'il s'est opposé à ce que la masse partageable comprenne un immeuble situé en Espagne, acquis indivisément par ses ascendants en 1965, soutenant en être devenu propriétaire par l'effet de la loi espagnole concernant la prescription acquisitive ; Sur le premier moyen, ci-après annexé : Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; Mais sur le second moyen, pris en ses deux branches : Vu l'article 3, alinéa 2, du code civil ; Attendu que, pour homologuer l'acte de partage comprenant l'immeuble litigieux, et rejeter la demande de M. X.. tendant à exclure ce bien, l'arrêt, après avoir relevé que ce dernier acceptait la compétence des juridictions françaises pour statuer sur la propriété du bien, retient que, par l'effet de la règle de conflit de lois relative aux successions immobilières désignant la loi espagnole applicable au bien situé en Espagne, et du renvoi, opéré par cette loi, à la loi nationale du défunt, la loi française est applicable, et, qu'en conséquence, M. X.. ne peut revendiquer la propriété de l'appartement litigieux par l'effet d'une prescription acquisitive d'une durée de quinze ans, admise par le droit espagnol ; Qu'en statuant ainsi, alors que la loi espagnole du lieu de situation de l'immeuble était applicable pour déterminer la propriété de ce bien, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il homologue l'acte de partage comprenant l'immeuble litigieux et rejette la demande de M. X.. tendant à exclure ce bien, l'arrêt rendu le 4 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ; Condamne Mme Bénédicte X.. et MM. Michel et Simon X.. aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
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Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille seize.
2) Corrigé Test de connaissances 1. b ; 2. b et c ; 3. c ; 4. a ; 5. a.
Commentaire d’arrêt
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Voir le corrigé en fin de rubrique.
La compétence de la lex rei sitae en matière de droits réels est un principe bien acquis en droit international privé. Pour autant, la mise en œuvre de cette loi ne va pas sans difficulté, notamment parce qu’il est rare que les droits réels soient considérés de façon autonome. Le plus souvent, ils sont abordés dans un contexte particulier, par exemple celui d’un contrat les créant ou les transférant. La question délicate de l’articulation entre lex rei sitae, qui régit les droits réels, et une autre loi (par exemple la lex contractus) peut alors se poser. C’est justement l’articulation entre lex rei sitae, et loi régissant une succession, que vient préciser l’arrêt commenté rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 25 mai 2016. Un héritier engage, devant les juridictions françaises, une action en partage des successions de ses parents contre, on le suppose, ses co-héritiers. Il s’oppose toutefois à l’inclusion dans la masse partageable d’un immeuble situé en Espagne, aux motifs que cet immeuble serait déjà devenu sa propriété exclusive par l’effet de la prescription acquisitive prévue par la loi espagnole. Malgré tout, l’acte de partage final inclut l’immeuble litigieux. Cet acte de partage est homologué par les juridictions françaises du fond. En effet, la Cour d’appel de Pau juge, dans un arrêt du 4 novembre 2013, d’une part que le demandeur avait accepté la compétence des juridictions françaises pour statuer sur la propriété du bien ; d’autre part que, par l’effet de la règle de conflit de lois relative aux successions immobilières désignant certes la loi espagnole pour régir le bien situé en Espagne, mais autorisant le renvoi opéré par la règle de conflit espagnole à la loi nationale du défunt, la propriété du bien, et notamment l’acquisition par la prescription, devait être régie non par la loi espagnole mais par la loi française en vertu de laquelle la prescription n’était pas acquise. L’héritier à l’origine de l’action en partage forme alors un pourvoi en cassation, reçu par la Cour de cassation qui rappelle, au visa de l’article 3 alinéa 2 du Code civil, que « la loi espagnole du lieu de situation de l’immeuble était applicable pour déterminer la propriété du bien ». En soi, cette décision ne surprend guère. Certes, le raisonnement de la Cour d’appel pour déterminer la loi applicable à la succession immobilière n’était pas erroné. On sait en effet que, si les successions immobilières sont en principe régies par la loi du lieu de situation de l’immeuble, la Cour de cassation a déjà admis, par le passé, l’utilisation du renvoi lorsqu’il permet l’unité successorale, c’est‑à-dire l’application d’une même loi aux successions mobilières et immobilières, ce qui aurait été le cas en l’espèce… si la question posée avait été une question de succession. Car l’erreur des juges du fond se situe en réalité en amont, dans la décision d’appliquer la loi successorale pour déterminer la propriété de l’immeuble litigieux. Le rappel, par la Cour de cassation, qu’en droit international privé français la propriété d’un bien est déterminée en application de la lex rei sitae apparaît donc totalement justifié (I). Mais
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alors il est permis de s’interroger sur une question que la Cour de cassation laisse en suspens, car elle ne lui était pas posée : celle de la compétence des juges français pour statuer sur la propriété d’un immeuble situé en Espagne (II).
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I. Un rappel justifié : la propriété d’un bien est déterminée en application de la lex rei sitae La compétence de principe de la lex rei sitae pour régir les droits réels, et notamment la propriété d’un bien, est indiscutable (A). Sa mise en œuvre est toutefois délicate, ainsi qu’en atteste l’erreur commise par la Cour d’appel (B).
A. Un principe bien acquis
En matière immobilière, l’attraction du lieu de situation du bien est très forte. Elle est traduite, de façon unilatérale, par l’article 3 aliéna 2 du Code civil dont la rédaction est restée inchangée depuis sa première promulgation en 1803 : « les immeubles, mêmes ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». Par « immeubles », il faut naturellement comprendre ici les immeubles situés en France. Il n’est donc guère étonnant que la Cour de cassation ait, dès 1837, posé la règle selon laquelle « tous les droits de propriété et autres droits réels qui sont réclamés » sur des immeubles situés en France sont soumis à la loi française (arrêt Stewart). Bilatéralisée, cette règle prescrit que les droits de propriété et autres droits réels sur un immeuble sont régis par la loi du lieu de situation de cet immeuble. Si cette compétence de la lex rei sitae a pu sembler d’abord fondée sur des considérations de souveraineté, puis aujourd'hui sur des considérations d’effectivité, elle s’explique aussi plus simplement par des considérations de proximité : le siège des droits réels sur un bien est le bien lui-même. Aussi, au moins pour les biens corporels, la localisation du droit peut-elle naturellement suivre celle du bien. C’est sans doute la raison justifiant que la Cour de cassation ait étendu la compétence de la lex rei sitae aux droits réels portant sur des meubles (arrêt Kantoor de Mas, 1933), alors que les considérations de souveraineté et d’effectivité sont moins prégnantes qu’en matière immobilière. La décision prise par la Cour de cassation n’est donc pas étonnante : la loi espagnole du lieu de situation d’un immeuble est applicable pour déterminer la propriété de cet immeuble… La solution est acquise, on l’a vu, de longue date, et le visa de l’article 3 alinéa 2 du Code civil est là pour le rappeler. Il revient à cette loi de déterminer non seulement comment la propriété peut être acquise et par qui, mais aussi quelles sont les prérogatives conférées au titulaire de la propriété sur son bien, et comment ce droit de propriété peut s’éteindre. Considérant la fermeté de la règle de conflit de lois, on pourrait en revanche s’étonner de l’erreur commise par la Cour d’appel. Mais cette erreur ne fait que révéler à quel point la mise en œuvre de cette règle, même bien établie, est délicate.
B. Une mise en œuvre délicate
Le droit international privé a érigé les droits réels en catégorie autonome. Pour autant, les interactions avec d’autres catégories de DIP sont nombreuses et fréquentes. L’illustration la plus connue de ces interactions est celle qui existe avec la catégorie « contrats ». En effet, les droits réels trouvent bien souvent leur origine dans un contrat, que celui-ci les crée ex nihilo (par exemple une servitude conventionnelle est un contrat qui crée un droit d’usage sur un bien immobilier) ou en opère transfert (par exemple le contrat de vente est un contrat qui transfère la propriété sur un bien). Or le
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contrat est régi par la lex contractus tandis que les droits réels sont régis par la lex rei sitae. Il faut alors bien veiller à appliquer distributivement ces deux lois : tandis que la loi qui régit le contrat s’applique à sa formation, à sa validité, et aux obligations personnelles qu’il génère, la lex rei sitae est exclusivement applicable aux obligations réelles pourtant nées du contrat. L’arrêt commenté, et l’arrêt de la Cour d’appel qu’il censure, illustrent quant à eux les problèmes de frontières entre la catégorie « droits réels », et la catégorie « successions ». Les successions concernent la dévolution d’un patrimoine à cause de mort. Mais qui dit patrimoine dit propriété ; il est donc normal que des questions de droit de propriété se posent à l’occasion du règlement d’une succession. Il convient alors d’être vigilant. Certes, il appartient bien à la loi successorale de déterminer comment la dévolution doit s’opérer : qui peut hériter, et dans quelle proportion ? En revanche, il n’appartient pas à la loi successorale de déterminer la consistance du patrimoine du de cujus. Cette question est, au moins pour part, une question de droit de propriété : pour savoir si un bien entre dans la masse successorale, il faut en effet vérifier que le de cujus en est bien propriétaire, et cette question relève de la lex rei sitae. On signalera que d’autres lois peuvent encore venir concourir à la détermination de la masse successorale, comme par exemple la loi qui régit le régime matrimonial. En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas assez finement délimité les domaines respectifs de la loi successorale et de la lex rei sitae. L’héritier alléguait que l’immeuble litigieux ne devait pas entrer dans la masse successorale, car il n’était plus dans le patrimoine des défunts puisqu’il en était déjà devenu propriétaire par l’effet de la prescription acquisitive. Avant donc de déterminer qui devait hériter de cet immeuble et dans quelle proportion – question qui aurait bien relevé de la loi successorale–, les juges du fond devaient rechercher si l’immeuble pouvait être inclus dans la masse successorale. Pour cela, ils devaient rechercher qui en était propriétaire, et ils ne pouvaient le faire qu’en application de la lex rei sitae espagnole, non en application de la loi successorale française. Si la décision de la Cour de cassation qui censure ce raisonnement erroné convainc pleinement sur le terrain de la loi applicable, elle soulève en revanche des questions en matière de compétence des tribunaux.
II. Une question laissée en suspens : le juge français est-il compétent pour statuer sur la propriété d’un immeuble situé en Espagne ? Dans l’attendu principal de l’arrêt, la Cour de cassation reproche aux juges français d’avoir appliqué la loi successorale française, plutôt que la loi espagnole du lieu de situation, pour déterminer la propriété de l’immeuble situé en Espagne. Ainsi formulée, la décision signifie implicitement que les juges français auraient pu statuer sur cette question, s’ils l’avaient fait en application de la bonne loi. Ceci peut a priori surprendre, puisqu’en matière réelle immobilière le juge du lieu de situation de l’immeuble jouit d’une compétence exclusive (A). La solution s’explique toutefois car la question du droit de propriété se posait à titre préalable (B).
A. Compétence exclusive du juge du lieu de situation de l’immeuble en matière réelle immobilière La compétence du juge en matière réelle immobilière est réglée par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis. La date d’introduction de l’action en l’espèce n’est pas
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connue. On peut cependant affirmer sans risque d’erreur que le Règlement Bruxelles I bis n’était pas applicable, l’action initiale ayant nécessairement été intentée avant le 10 janvier 2015. L’applicabilité du règlement Bruxelles I est en revanche plausible, puisqu’il joue pour les actions intentées après le 1er mars 2002. Or l’héritier agissait en partage des successions de ses parents dont le dernier en vie était décédé en 2000 ; il est donc tout à fait possible que son action ait été intentée après le 1er mars 2002. Et dans le cas contraire, elle relevait au moins de la Convention de Bruxelles de 1968. Or en matière de compétence pour connaître des droits réels immobiliers, les textes successifs ont toujours appliqué la même solution : le tribunal du lieu de situation d’un immeuble est compétent pour connaître des actions relatives aux droits réels portant sur cet immeuble. Non seulement ce tribunal est compétent, mais il jouit sur ce point d’une compétence exclusive. Les juridictions espagnoles sont donc normalement exclusivement compétentes pour trancher la question du droit de propriété d’un immeuble situé en Espagne, et cette compétence exclusive emporte l’incompétence corrélative du juge français. À cet égard, peu importerait d’ailleurs que, comme l’ont relevé les juges d’appel, le demandeur au pourvoi ait accepté la compétence des juridictions françaises pour statuer sur la propriété de l’immeuble, puisqu’une compétence exclusive est par nature impérative. Il ne peut donc y être dérogé par les parties. Pourtant, la compétence des juridictions françaises peut ici être retenue car la question du droit de propriété sur l’immeuble n’était qu’une question préalable.
B. Compétence du juge de la succession pour connaître une question préalable La compétence exclusive posée par les versions successives de la Convention de Bruxelles, du règlement Bruxelles I et du règlement Bruxelles I bis connaît toutefois une limite. Elle ne joue que lorsque l’instance porte, à titre principal, sur la matière réelle immobilière. Si en revanche une question relevant de la matière réelle immobilière se pose accessoirement dans un litige dont l’objet principal est différent, le juge saisi de la question principale peut trancher la question préalable sans violer la compétence exclusive du juge du lieu de situation de l’immeuble. En l’espèce, l’objet principal de l’instance n’était pas la propriété de l’immeuble, mais la succession. En matière de successions immobilières, les juridictions du lieu de situation de l’immeuble ont en principe aussi une compétence exclusive. Mais cette exclusivité n’est ici que relative, car la jurisprudence retient depuis quelques années que le renvoi – qui joue normalement uniquement pour la détermination de la loi applicable – peut aussi fonder l’extension de la compétence des juridictions appelées à connaître de la succession mobilière aux questions de succession sur des immeubles situés à l’étranger. La Cour d’appel semble considérer que, tout comme le renvoi, l’acceptation par l’héritier de la compétence, pour statuer sur la propriété du bien immobilier, des juridictions compétentes pour connaître de la succession mobilière, proroge leur compétence internationale à la succession immobilière. On ne s’en étonnera pas, tant la recherche d’un règlement unitaire d’une même succession, qu’elle soit mobilière ou immobilière, imprègne le droit positif.
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analytique
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Plan
La qualification contractuelle en droit international privé § 1 Qualification autonome de droit européen § 2 Qualification lege fori section
2
La loi applicable aux contrats internationaux § 1 La loi du contrat A. Principe d'autonomie B. Rattachements subsidiaires
§ 2 Les lois concurrentes
A. Délimitation du domaine de la loi du contrat B. Éviction de la loi du contrat dans son domaine
section
3
Le tribunal compétent en matière contractuelle § 1 Réglementation des élections de for A. Conventions d'élection de for B. Conventions d'arbitrage
§ 2 Règles de compétence « protectrices » des parties faibles § 3 Règles de compétence ordinaire A. Droit européen de la compétence en matière contractuelle B. Droit commun de la compétence en matière contractuelle
Compléments pédagogiques
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La catégorie des actes juridiques recouvre l'ensemble des manifestations de volonté qui produisent des effets de droit. La forme et l'objet de ces manifestations peuvent être fort divers. Sont des actes juridiques les contrats en général, les donations, les testaments, les contrats de mariage et même « l'institution » du mariage, la reconnaissance volontaire d'un enfant, les conventions collectives… Nombre de ces actes sont rattachés à une catégorie spéciale dont ils relèvent : c'est ainsi que le testament est rattaché à la catégorie « succession », que « l'institution » du mariage est envisagée dans le cadre d'une catégorie propre, que la reconnaissance d'enfant est régie par les dispositions applicables à la catégorie « filiation » (sur toutes ces questions, v. ss 669). En définitive, une fois retranchés les actes juridiques rattachés accessoirement à des catégories dont l'objet principal n'est pas « l'acte juridique », la réglementation de droit commun des actes juridiques paraît devoir appréhender principalement les contrats patrimoniaux non familiaux. Sans doute pourrait-on choisir d'y intégrer également les contrats dits « de mariage », car le droit international privé français applique dans une très large mesure aux régimes matrimoniaux les principes qui régissent les actes juridiques non familiaux. Les spécificités du droit international privé des régimes matrimoniaux sont cependant telles qu'elles justifient qu'ils fassent l'objet d'une analyse différenciée (v. ss 793 s.). Le présent chapitre se concentrera donc sur les contrats patrimoniaux non familiaux. En la matière, une conception large du droit international privé pourrait conduire à envisager, outre les règles de conflits de juridictions et de lois applicables à la matière contractuelle, les nombreuses règles matérielles propres aux contrats du commerce international, qu’elles soient issues du droit national ou des conventions internationales de droit matériel (sur ces questions, v. ss 190 s.). Une telle étude du régime substantiel des contrats internationaux relève toutefois plutôt du droit du commerce international, et seul le droit international privé des contrats patrimoniaux non familiaux sera ici abordé.
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Le droit international privé des contrats puise ses règles à des sources multiples. En France, la principale de ces sources, pour le conflit de lois, est aujourd'hui le règlement no 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I, qui a été adopté le 17 juin 2008. Le juge français est tenu de mettre en œuvre ce règlement pour déterminer la loi applicable à tous les contrats entrant dans son domaine d'application matériel (v. rubrique Documents), et conclus postérieurement au 17 décembre 2009, ce quelle que soit la localisation des éléments du litige et quelle que soit la loi applicable. Le règlement a en effet une vocation universelle ; il s'applique donc même si la loi désignée par la règle de conflit n'est pas la loi d'un État contractant. Les contrats conclus avant le 17 décembre 2009, mais après le 1er avril 1991, sont régis par la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Cette convention, qui a été adoptée par les États membres de l'Union européenne avant d'être remplacée par le règlement Rome I, en partage les principales caractéristiques. Les règles de conflit dites « de
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droit commun » élaborées par la jurisprudence française ne régissent donc plus aujourd'hui que : 1) les contrats exclus du domaine matériel d’application des règles de conflit européennes ; 2) les contrats conclus avant le 1er avril 1991, qui échappent au domaine d’application temporel de ces règles. Les règles de conflit de droit commun comme européennes réservent le jeu des conventions internationales antérieurement signées par les États membres, au nombre desquelles figurent plusieurs conventions de La Haye déterminant la loi applicable à certains contrats spéciaux.
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Règles de conflit de droit commun, règles de conflit conventionnelles et règles de conflit européennes présentent d'indéniables points de convergence, mais également des divergences importantes qui seront signalées. Le règlement Rome I, s'il ne révolutionne pas fondamentalement les règles de la convention de Rome, y apporte néanmoins des aménagements sensibles. Une analyse comparée de la convention de Rome et du règlement Rome I s'impose d'autant plus que, si la convention est soumise depuis le 1 er août 2004 (date d'entrée en vigueur du protocole autorisant le recours préjudiciel au profit de toutes les juridictions) à l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne, comme l'est le règlement à raison de sa nature d'acte européen, la Cour de justice a clairement signifié qu’elle n'entend pas donner une interprétation commune aux deux textes, mais bien au contraire en respecter les spécificités respectives là où elles existent (CJCE 6 oct. 2009, ICF, v. rubrique Documents). Le règlement des conflits de lois en matière contractuelle sera donc envisagé au regard du droit commun français, de la convention de Rome et du règlement Rome I, outre les conventions internationales de La Haye relatives à des contrats spéciaux.
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Au-delà du conflit de lois, il importe de considérer le conflit de juridictions, et plus particulièrement l'identification du tribunal spécialement compétent pour connaître des litiges en matière contractuelle. La question des effets des jugements tranchant des litiges contractuels ne mérite pas une analyse spécifique car les principes de droit commun sont applicables, et il suffira donc de s'y reporter (v. ss 411 s. ; v. toutefois, évoquée au chapitre 5, la controverse relative au régime des jugements déclaratifs patrimoniaux). La compétence internationale en matière contractuelle, en revanche, appelle plus d'attention. Elle doit, comme pour le conflit de lois, être envisagée en considération de plusieurs sources : à côté d'un droit français de la compétence internationale dont l'application se marginalise, les dispositions de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 en matière contractuelle ont suscité la controverse. Les adoptions successives du règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 puis du règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 (sur les domaines respectifs des textes, v. ss 316 s. et le tableau de synthèse rubrique Documents du chapitre 4) n’ont que partiellement réglé les difficultés de détermination du for du contrat en droit européen. La situation est encore complexifiée, pour les clauses d’élection de for, par l’entrée en vigueur récente de la convention de La Haye du 30 juin 2005. C'est en tenant compte de ces sources multiples que seront envisagées la loi applicable aux contrats internationaux (section 2), et les juridictions compétentes en matière contractuelle (section 3), non sans qu'aient été au préalable résolues les questions de qualification (section 1).
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La qualification contractuelle en droit international privé Même en limitant l'étude des actes juridiques aux seuls contrats patrimoniaux non familiaux (v. ss 1055), des difficultés de qualification peuvent se présenter. Par exemple, une partie qui agit à l'encontre de son cocontractant pour obtenir l'indemnisation d'une rupture brutale de relation commerciale établie, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5 o du Code de commerce français, exerce-t‑elle une action de nature contractuelle ? La réponse à cette question conditionne la détermination de la loi applicable, et donc l'applicabilité de l'article L. 442-6-I-5 o. La qualification dépend du point de savoir si une règle de compétence ou de conflit européenne est susceptible de jouer, auquel cas une qualification autonome s'impose (§ 1), ou si le litige se situe dans le domaine du droit commun, auquel cas la qualification lege fori devra jouer (§ 2).
§
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1 Qualification autonome de droit européen
C'est pour l'application des règles européennes de compétence des juridictions, qui prévoient une compétence spéciale en « matière contractuelle », que la Cour de justice de l'Union européenne a tout d’abord affirmé qu'il convenait de retenir de la notion de « matière contractuelle » une définition autonome, c'est‑à-dire propre au système européen et détachée des qualifications nationales. Mais si la CJUE a clairement posé le principe de la qualification contractuelle autonome, elle n’a pas pour autant donné une définition générale de la « matière contractuelle ». À ce jour, le principal élément de qualification qui ressort de façon récurrente de sa jurisprudence est l’exigence d’un « engagement librement assumé d’une partie envers une autre ». L’application que fait la Cour de justice de ce critère suscite toutefois des interrogations. Sa mise en œuvre est souvent restrictive, comme en témoigne le célèbre arrêt Jacob Handte (CJCE, 17 juin 1992, v. rubrique Documents) refusant la qualification contractuelle aux actions intentées dans les chaînes de contrats entre cocontractants extrêmes de la chaîne. Mais la Cour de justice a plus libéralement retenu la nature contractuelle – pas nécessairement manifeste – d’une action fondée sur des actes de concurrence déloyale, de fraude et d’abus de confiance dès lors que ces actes, commis dans le cadre d’une relation contractuelle par un cocontractant contre l’autre, constituent un « manquement aux obligations contractuelles » (CJUE 13 mars 2014, C-548/12, Brogsitter, v. rubrique Documents). De nouveaux enseignements ressortent de la décision Granarolo rendue par la Cour de justice le 14 juillet 2016 (C-196/15, Rubrique Documents), alors qu’elle était interrogée par une juridiction française pour déterminer si l’action fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L. 442-6 I 5 o du Code de commerce peut être qualifiée de délictuelle, comme c’est le cas en droit commun français (pour l’analyse plus détaillée de cette question, v. ss 1063 s.), au sens du règlement Bruxelles I. Dans l’affaire ayant donné lieu à la question
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En matière de conflits de lois, l'absence d'interprétation de la Convention de Rome par la Cour de justice de l'Union européenne a longtemps neutralisé toute discussion sur la notion d'« obligation contractuelle » au sens de ce texte. L'adoption du règlement Rome I, et de son pendant en matière délictuelle le règlement Rome II (sur lequel v. ss 1055), révèle que la notion d'obligation contractuelle au sens de ces règlements sur la loi applicable épouse les contours de la « matière contractuelle » telle que l'a définie la Cour de justice pour la mise en œuvre de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I. Théoriquement, du fait de l’autonomie du conflit de lois et du conflit de juridictions, on pourrait certes envisager que les qualifications retenues pour la mise en œuvre de l’un et l’autre diffèrent. L'harmonie des qualifications en droit européen semble pourtant opportune, et la Cour de justice devrait poursuivre son œuvre de définition de la « matière contractuelle », en interprétant de façon consistante aussi bien le règlement Bruxelles I que le règlement Rome I.
§ 955
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préjudicielle, il n’existait pas de contrat-cadre entre les parties, dont l’une distribuait néanmoins les produits de l’autre depuis plus de 25 ans. La CJUE retient pourtant, contre l’avis de l’avocat général, qu’une rupture brutale de relations commerciales établies dans un tel contexte relève de la matière contractuelle s’il existe entre les parties une « relation contractuelle tacite ». Et tout en précisant qu’il revient au juge étatique d’apprécier si une telle relation existe, elle lui fournit des directives précises : « la démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ». Cette décision est importante en ce qu’elle permet de mieux cerner ce qui peut constituer une « relation contractuelle ». Elle l’est aussi en ce qu’elle ne raisonne pas, comme le fait le juge français en la matière, en fonction de la source, légale ou contractuelle, de l’obligation d’indemnisation. La qualification contractuelle doit jouer si la rupture intervient dans le contexte d’une relation contractuelle, tacite ou a fortiori expresse (contrat-cadre), même si l’obligation d’indemnisation résulte d’une obligation légale.
2 Qualification lege fori
Pour l'application du droit international privé commun, aujourd'hui très résiduelle, mais aussi pour l'application du droit international privé d'origine conventionnelle, la qualification lege fori est en principe privilégiée. Les qualifications de droit interne tendent alors à être étendues à la matière internationale ; c’est ainsi que l’action directe exercée dans le cadre des chaînes de contrats translatives de propriété, de nature contractuelle en droit interne, reçoit la même qualification en droit international privé français. On observe là le décalage qui peut exister et persister entre les qualifications autonomes de droit européen et les qualifications lege fori (v. Civ. 3e, 16 janvier 2013, pourvoi no 11-13.509, no 11-13.509, Rev. crit. DIP 2013. 620, note D. Bureau, D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon). Il faut cependant rappeler que les catégories du droit international privé n'épousent pas nécessairement les exacts contours des catégories de droit interne (v. ss 90). La doctrine admet par exemple que
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l'engagement unilatéral de volonté, qui ne constitue pas un contrat en droit interne, relève pourtant en matière internationale de la catégorie « contrats », pour la détermination de la juridiction compétente et de la loi applicable. Quelle est, donc, la loi applicable à la catégorie « contrats internationaux » ainsi conçue ?
La loi applicable aux contrats internationaux Lorsque l'on évoque la loi du contrat (ou lex contractus), l'on renvoie généralement à la loi qui régit le contrat au fond. La loi du contrat est celle qui en pose les principales conditions de validité, qui définit les obligations qui en découlent pour les parties, précise les remèdes en cas d'inexécution, etc. Si ces questions sont évidemment centrales, il ne faut pas oublier que le régime du contrat couvre un domaine plus large : des conditions de forme peuvent être exigées, des difficultés de preuve se présenter ; l'opposabilité du contrat aux tiers peut être discutée, renvoyant souvent à des questions de publicité… Or tous ces aspects — que l'on hésitera à qualifier d'« accessoires » tant ils peuvent se révéler d'une cruciale importance —, ne sont pas nécessairement soumis à la loi qui régit le contrat au fond. C'est pourquoi il conviendra, après avoir identifié la loi du contrat (§ 1), d'envisager les titres d'application que peuvent revendiquer d'autres lois, concurrentes (§ 2).
§
1 La loi du contrat
La matière contractuelle est, en droit international privé, le terrain d'élection traditionnel du principe d'autonomie. La loi applicable au contrat international est la loi choisie par les parties (A). En l'absence de choix par les parties, des rattachements subsidiaires s'appliquent pour identifier la loi du contrat (B).
A. Principe d'autonomie
Si la consécration du principe est indéniable (1), sa mise en œuvre soulève encore quelques difficultés ponctuelles (2).
1. Consécration du principe
Le principe d'autonomie a été consacré de longue date par le droit commun français. C'est en 1910 que, dans un arrêt American Trading Co. (Civ. 5 déc. 1910, v. rubrique Documents), la Cour de cassation affirmait pour la première fois sous forme de principe que « la loi applicable aux contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions, est celle que les parties ont adoptée ». Elle traduisait ce faisant une évolution depuis longtemps amorcée et sonnait le glas de la compétence jusqu'alors traditionnellement dévolue à la loi du lieu de conclusion du contrat. Encore l'arrêt American Trading Cie n'abandonne-t‑il que partiellement la solution ancienne, puisqu'il y est précisé que, en l'absence de choix par les parties, la loi du lieu de conclusion du contrat retrouve son empire. De ce point de vue, l'arrêt
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est obsolète, puisque la compétence subsidiaire de la loi du lieu de conclusion du contrat sera ultérieurement remise en cause (v. ss 976 s.). Ainsi consacré en droit français, le principe d’autonomie jouit d’une large reconnaissance en droit comparé des contrats internationaux. La Conférence de La Haye a d’ailleurs adopté des Principes sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux, qui ont été approuvés le 19 mars 2015. Ces principes non contraignants proposent un régime complet de choix de la loi applicable à ces contrats. Ils ont pour ambition d’offrir un guide des bonnes pratiques, qui ne s’impose pas aux États mais que ceux-ci peuvent choisir d’adopter ou prendre pour source d’inspiration. Il est naturellement trop tôt pour savoir quel sera le destin de ces Principes, et s’ils feront l’objet d’une application concrète. En Europe, le principe d'autonomie a en toute hypothèse été érigé au rang de solution de principe par la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Le principe premier dans la convention, posé par l'article 3 § 1 er, est en effet que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». L'article 3 § 1er du règlement Rome I reprend très exactement cette formulation.
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Une différence notable paraît toutefois affecter l'application du principe d'autonomie dans le contexte national et dans le contexte européen. La jurisprudence française a toujours soigneusement circonscrit le domaine d'application du principe d'autonomie en autorisant les parties à y avoir recours dans les seuls contrats internationaux ; dans un contrat purement interne, les parties ne peuvent prétendre échapper à l'application de la loi française par la sélection de la loi d'un autre État. S'en est suivi le développement d'une jurisprudence dense pour tenter de définir la notion de « contrat internationalQ », rendue peu lisible par l'hésitation persistante entre l'application d'un critère juridique — est international le contrat dont tous les éléments ne sont pas localisés dans un même ordre juridique — et l'application d'un critère économique — est international le contrat qui génère un mouvement de flux et de reflux par-dessus les frontières ou qui met en jeu les intérêts du commerce international. Formellement, le droit européen ne réserve pas l'utilisation du principe d'autonomie aux seuls contrats internationaux. La convention de Rome, et aujourd'hui le règlement Rome I, n'envisagent certes l'applicabilité de leurs dispositions, en ce compris le principe d'autonomie, que dans les « situations comportant un conflit de lois ». Mais rien n'impose que ce conflit de lois soit objectivement constatable, comme résultant d'un éparpillement géographique des éléments localisateurs du contrat (résidence des parties, lieu de conclusion, lieu d'exécution, etc.) ; il pourrait donc avoir été créé de toutes pièces par des parties qui auraient volontairement inséré, dans un contrat purement interne, une clause de choix d'une loi étrangère, générant ainsi artificiellement un conflit de lois par leur seule volonté. Tout en admettant cette possibilité, le droit européen en limite néanmoins les conséquences. En effet, tant la convention de Rome que le règlement Rome I retiennent que lorsque tous les éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix [de loi] dans un pays autre que le pays dont la loi est choisie, le choix des parties ne doit pas porter atteinte à l'application des dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet pas de déroger par accord (art. 3 § 3 Conv.). En d'autres termes, les parties peuvent certes choisir une loi étrangère, mais celle-ci ne régira pas le contrat : toutes les dispositions d'ordre public interne du pays où les éléments du contrat sont localisés seront opposables aux parties, qui pourront
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tout au plus emprunter à la loi étrangère certaines dispositions lorsque les règles de la loi locale sont purement supplétives de volonté. La loi étrangère est donc simplement contractualisée, et le « choix de loi » opéré n'en est pas réellement un. Pour comprendre la nuance, le sens de la notion de « choix de loi » doit être à présent expliqué.
2. Mise en œuvre du principe
Le principe d’autonomie a un domaine d’application large. Il s’applique à la quasitotalité des contrats, y compris aux contrats caractérisés par une asymétrie des parties — comme le contrat de consommation ou le contrat de travail —, du régime desquels on aurait pourtant pu songer à l’exclure afin de protéger la partie faible. Le choix a plutôt été fait de soumettre ces contrats au principe d’autonomie, en en limitant les effets pervers par des dispositifs correctifs (présentés v. ss 1021). La mise en œuvre du principe d’autonomie suppose la sélection, par les parties, d'une loi. Il convient donc de s'interroger d'une part sur l'objet du choix (a), d'autre part sur les modalités de choix (b).
a.
Objet du choix
Les parties jouissent d'une grande liberté dans l'exercice de leur choix, puisqu'elles peuvent élire une ou plusieurs lois substantielles étatiques. Néanmoins cette liberté n'est pas absolue. 1. Une loi substantielle étatique
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Le choix des parties est réputé porter sur une loi substantielle. La mise en œuvre du principe d'autonomie est en effet traditionnellement jugée incompatible avec celle du renvoi, susceptible de ruiner les prévisions des parties (v. ss 109) ; c'est donc bien la loi substantielle de l'ordre juridique désigné qui s'applique, à l'exclusion de toute prise en considération des règles de conflit de lois sécrétées par cet ordre juridique. L'exclusion du renvoi est du reste formellement affirmée par la convention de Rome et le règlement Rome I.
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La loi substantielle sélectionnée doit être une loi étatique quelconque. Quelconque, parce qu'il n'est généralement (des exceptions existent, en matière d'assurance par exemple, v. ss 992) pas exigé que la loi choisie par les parties présente un lien objectif avec le contrat : les parties peuvent désigner une loi neutre. Mais il faut en revanche que leur choix se porte sur une loi étatique. Il importe de bien mesurer le sens et la portée de cette affirmation, déduite de la convention de Rome. La référence nécessaire à une loi étatique implique que les parties ne peuvent se borner à sélectionner un ensemble de règles, même précises, ne constituant pas un ordre juridique complet. Ainsi, les parties ne sauraient désigner comme loi applicable au contrat le droit international en général (Civ.1 re, 17 mai 2017, no 15-28767, D. 2018. 971, obs. S. Clavel), pas plus que les Principes UnidroitQ ou une quelconque codification privée. La proposition de règlement Rome I, dans sa version d'origine, avait pourtant prévu d'étendre l'option de loi applicable aux « principes et règles de droit matériel des contrats, reconnus au niveau international ou communautaire ». Cette petite révolution n'a pas eu lieu, le texte définitif du règlement n'ayant pas maintenu cette disposition, confirmant ainsi l'importance attachée au choix d'une loi étatique.
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Encore convient-il de doublement nuancer l'exigence de choix d'une loi étatique. D'une part, le nécessaire choix d'une loi étatique ne vaut que lorsque le litige en matière contractuelle est porté devant les juridictions des États membres de l'Union européenne : les arbitres internationaux, de même que certains juges étrangers, peuvent parfaitement valider le choix de dispositions qui ne seraient pas empruntées à une loi étatique. D'autre part, les parties peuvent évidemment se référer expressément à des principes ou règles de droit matériel des contrats internationaux : ce choix n'est pas sans incidence, puisque les règles choisies sont incorporées au contrat, « contractualisées », et qu'elles sont donc susceptibles de définir le régime du contrat à l'égal des autres clauses contractuelles. Mais ce n'est pas un « choix de loi » au sens de la convention de Rome et du règlement Rome I.
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On comprend alors que c'est la portée du choix de loi qui doit être précisément mesurée. Ce que l'on appréhende sous l'appellation « choix de loi », c'est la sélection d'une loi appelée à régir le contrat en tant que manifestation de l'autorité du pouvoir normateur. Les parties ont certes la faculté de choisir la loi qui régit leur contrat, mais, une fois ce choix opéré, la loi retenue doit pouvoir s'imposer à eux avec toute son autorité : le contrat est soumis à la loi choisie. On en déduit usuellement que la loi choisie par les parties peut parfaitement invalider certaines clauses insérées par les parties au contrat, voire même invalider le contrat dans son ensemble. Il n'y a donc de réel « choix de loi » que lorsque les parties acceptent de placer leur contrat sous l'empire d'un ordre juridique donné ; le « choix » de règles matérielles, tels les Principes Unidroit, est un choix de clauses contractuelles, pas un choix de loi ; le contrat qui comporterait exclusivement une telle référence aux Principes Unidroit, sans référence à une loi étatique, serait, du point de vue des juges des États membres de l'Union européenne, un contrat ne comportant aucune clause d'electio jurisQ. Dans ces conditions, le juge n'aurait d'autre alternative que de procéder à une recherche de la loi objectivement applicable en l'absence de choix. La convention de Rome et le règlement Rome I, exigeant d'une part un choix de loi et précisant d'autre part que cette loi régit le contrat, refusent le contrat sans loiQ, c'est‑à-dire le contrat qui échapperait à toute autorité d'une loi étatique. 2. Plusieurs lois étatiques
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Tenues de choisir une loi étatique, les parties peuvent cependant décider d'en sélectionner plusieurs. Le règlement Rome I, tout comme auparavant la convention de Rome, a en effet admis la technique du dépeçageQ : « les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat » (art. 3 § 1 er Conv. Rome et Règl. Rome I). Il leur est donc loisible de soumettre des « parties » distinctes de leur contrat à des lois différentes. Si l'admission du dépeçage ne fait guère débat, au moins dans le contexte communautaire (en droit commun, la jurisprudence n'a pas nettement tranché la question, et la doctrine est partagée), les modalités du dépeçage sont en revanche plus controversées.
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La discussion trouve son fondement de la prohibition du contrat sans loi : on l'a vu, le contrat doit être soumis à l'autorité d'une loi étatique. Or, bien utilisé, le dépeçage pourrait parfaitement permettre aux parties de contourner l'autorité de la loi choisie : il suffirait de soustraire au domaine de la loi choisie l'ensemble des questions pour lesquelles la réglementation impérative proposée par cette loi paraît inopportune aux parties, pour les soumettre à une autre loi, dont la réglementation serait plus libérale. Ainsi, l'équilibre d'une loi admettant libéralement la résiliation
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unilatérale du contrat, en contrepartie de strictes dispositions relatives à la responsabilité contractuelle de l'auteur de la résiliation (dommages-intérêts punitifs), pourraitil être compromis par la décision des parties de soumettre les questions relatives à la responsabilité contractuelle à une autre loi, moins sévère sur ce point (qui n'indemniserait par exemple que les dommages réels prévisibles). C'est cette tension, entre rejet du contrat sans loi et admission du dépeçage, qui conduit une partie de la doctrine à considérer que le dépeçage ne saurait être pratiqué que dans le respect de nécessaires limites. Pour la doctrine majoritaire, le dépeçage ne peut jouer que pour des parties objectivement détachables du contrat ; la notion de « partie du contrat » visée par le règlement Rome I et la convention de Rome renverrait alors à « un sous-ensemble de droits et d'obligations logiquement détachables du contrat » (P. Mayer, V. Heuzé, op. cit., no 748 ; D. Bureau, M. Muir Watt, op. cit., no 897 ; Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, op. cit., no 578). Par exemple, un contrat de vente assorti d'une prestation de maintenance pourrait être soumis à une loi pour la partie « vente », et à une autre pour la partie « maintenance ». Mais il ne devrait pas être possible de soumettre à des lois différentes des éléments distincts du régime d’un même contrat.
b.
Modalités du choix
Le choix de loi prend le plus souvent la forme d'un accord d'electio juris, et même plus précisément d’une clause de choix de loi insérée dans le contrat principal (1). D’autres modalités de choix de loi sont néanmoins possibles (2). 1. L’accord d’electio juris
Comme toute convention, l’accord d’electio juris par lequel les parties s’entendent sur la loi qui régira leur contrat doit répondre, pour être valable, à certaines conditions de fond et de forme. Certains aspects de la validité au fond des conventions de choix de loi sont régis par des règles matérielles. On a vu ainsi (v. ss 961) que le point de savoir si une clause de choix de loi peut être valablement insérée dans un contrat purement interne pour le soustraire à la loi du pays dans lequel se localisent ses éléments est directement tranché par l’article 3, §3 du règlement Rome I. Mais les règles matérielles ne répondent pas à toutes les questions susceptibles de se poser. Il est possible, par exemple, qu’un professionnel cherche à faire invalider la clause de choix de loi incluse dans le contrat qu’il a conclu avec un partenaire économique en faisant valoir que cette clause crée un déséquilibre significatif entre les parties. L’article 1171 du Code civil français dispose qu’une clause produisant un tel effet doit être réputée non écrite. Mais parce que le contrat est international, on ne peut tenir pour acquis que le droit français régit la clause de choix de loi. Il faut donc, comme pour le contrat principal lui-même, rechercher quelle est la loi applicable à la convention d’electio juris. Le règlement Rome I envisage cette question à partir d’une fiction : « L'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du [règlement] si le contrat ou la disposition étaient valables » (art. 10). Ainsi la validité au fond de la clause de choix de loi, qui est une disposition du contrat, est-elle soumise à la lex contractus, sans qu’il faille s’arrêter au cercle vicieux que provoque un tel raisonnement (si la lex contractus invalide la clause qui l’a désignée comme loi du contrat, alors la lex contractus n’était pas applicable et ne pouvait pas l’invalider…).
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D’un point de vue formel, l’accord de choix de loi est le plus souvent une disposition expresse conclue par écrit ; c’est la « clause de choix de loi ». Mais doit-il nécessairement être scellé par écrit ? Au-delà des exigences élémentaires de prudence qui incitent à retenir la forme écrite, les règles de droit imposent-elles cette forme ? Le règlement Rome I, pas plus que la convention de Rome, ne comportent d'indication à cet égard : il faut un choix exprès, mais il n'est pas dit que ce choix doit être transcrit dans un écrit. Il faut donc interroger la loi qui régit la forme du contrat, pour déterminer si une clause de choix de loi écrite est exigée ad validitatem. Si tel n'est pas le cas — la clause pouvant valablement être conclue verbalement —, le débat se poursuit sur le terrain de la preuve : selon quelles règles faut-il prouver l'existence d'un choix de loi verbal ? C'est alors la loi qui régit la preuve du contrat qui doit être consultée. Il faut préciser que le choix de loi n’intervient pas nécessairement au moment même où le contrat est conclu. Les parties peuvent, par un accord exprès postérieur à la conclusion du contrat, sélectionner la loi applicable lorsqu'elles avaient omis de le faire, voire même amender le choix initialement opéré (art. 3 § 2 Conv. et Règl.). Le choix tardif, comme la modification d'un choix antérieur, opèrent alors rétroactivement, sous réserve d'une importante limite : la loi nouvellement choisie est réputée avoir régi le contrat depuis sa conclusion, mais elle ne saurait affecter, ni la validité formelle du contrat, ni les droits des tiers.
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Le dépeçage étant admis, dans les limites définies (v. ss 968 s.), la clause peut circonscrire l’application de la loi choisie à certaines questions précisément définies. Lorsque la clause est rédigée de façon large, la loi choisie a vocation à régir l’ensemble des questions normalement soumises à la lex contractus (v. ss 1004 s.). Elle peut même voir son influence étendue au-delà des limites du contrat, notamment à des questions relevant normalement de la lex loci delicti, mais étroitement liées au contrat (v. ss 1086). 2. Les autres modalités de choix
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En l’absence d’accord exprès, il est admis qu’un choix de loi implicite peut être déduit par le juge des circonstances de la cause. Cette méthode peut toutefois générer des effets pervers, si le juge se laisse aller à une approche trop « divinatoire » de la volonté des parties. Elle risque donc, poussée à l'excès, de ruiner la prévisibilité du système, pourtant fondamentale en matière contractuelle. C'est pourquoi, en droit commun comme en droit communautaire, on s'accorde à considérer que le choix doit résulter « de façon certaine » des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Il faut également rappeler qu'en matière contractuelle, le choix de loi peut être tacite lorsqu'il prend la forme d'un accord procédural. Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent lier le juge en exigeant de lui qu'il applique une autre loi que la loi initialement choisie (choix exprès modificatif du choix initial). Mais même en l'absence d'accord exprès, le juge n'est pas tenu de relever d'office l'applicabilité de la loi choisie au contrat, si les parties ont devant lui toutes deux soumis leur argumentation à une autre loi. Ainsi, la concordance des écritures des parties à un procès, se fondant sur une même loi, vaut choix tacite de cette loi pour régir le contrat.
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B. Rattachements subsidiaires
1. Le rattachement général
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En l'absence de choix de loi par les parties, il revient au juge de déterminer la loi applicable au contrat. Droit commun, droit européen mais également droit conventionnel lui fournissent à cet effet des rattachements subsidiaires. S'il existe un rattachement général, valable pour tous les contrats (1), de nombreuses dérogations existent en faveur de rattachements spéciaux, propres à certains contrats (2).
Droit commun français (a) et droit européen (b) (le droit conventionnel n'adoptant que des rattachements spéciaux) proposent l'un et l'autre un rattachement général. En dépit d'une certaine convergence, ces deux rattachements restent distincts.
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Le rattachement subsidiaire de droit commun français a beaucoup évolué : après avoir longtemps appliqué la loi du lieu de conclusion, voire la loi nationale commune des parties, la jurisprudence française a opté pour la théorie de la localisation du contrat, qu'elle cantonne néanmoins dans une fonction purement subsidiaire. Cette théorie, développée par Batiffol, reposait en effet sur l'idée fondamentale que le juge doit toujours localiser le contrat pour identifier l'ordre juridique compétent ; la volonté des parties, même expressément exprimée, n'est donc qu'un indice parmi d'autres que le juge doit prendre en compte pour identifier le « centre de gravité » du contrat. Or la Cour de cassation préfère à cette approche moniste (la loi applicable est toujours déterminée selon les mêmes directives, que les parties aient ou non exprimé une volonté) une approche dualiste qui distingue selon que les parties aient, ou non, choisi la loi applicable au contrat. C'est le sens de l'arrêt Fourrures Renel (Civ. 1 re, 6 juill. 1959, v. rubrique Documents) selon lequel si « la loi applicable aux contrats, en ce qui concerne leur formation, leurs conditions ou leurs effets, est celle que les parties ont adoptée », « à défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de rechercher, d'après l'économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants ».
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En l'absence de tout choix de loi exprès par les parties, les juges du fond doivent donc pour identifier la loi applicable prendre en considération un certain nombre d'indices, qui peuvent être purement objectifs (lieu de conclusion et d'exécution du contrat, domicile et nationalité des parties) ou plus subjectifs (tribunal choisi, langue dans laquelle le contrat est rédigé). L'analyse de ces indices leur permet, au cas par cas, de déterminer l'ordre juridique avec lequel le contrat présente les rattachements les plus significatifs. La loi de cet ordre juridique est alors appliquée au contrat. Cette méthode traduit une mise en œuvre du principe de proximitéQ, le contrat étant en définitive régi par la loi du pays avec lequel il entretient les liens les plus étroits. En ce sens, le droit communautaire puis européen, applicable aux contrats conclus après le 1 er avril 1991, ne semble pas consacrer de véritable rupture, même s'il infléchit quelque peu les solutions pour leur conférer plus de prévisibilité.
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b.
Droit de l'Union européenne
1. Convention de Rome
Formellement, le rattachement général adopté par la convention de Rome est très proche de celui retenu par le droit commun français, dans son dernier état. L'article 4
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§ 1 er de la convention pose en effet à titre de principe que la loi applicable est la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. Comme en droit français, il s'agit donc de mettre en œuvre le principe de proximité, pour localiser objectivement le contrat.
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Une profonde différence de méthode oppose toutefois les deux sources. Alors qu'en droit commun français, le juge opère cette localisation de façon « impressionniste », en fonction des données propres à chaque espèce, les auteurs de la convention de Rome ont souhaité introduire plus de sécurité et de prévisibilité dans le système. Pour concilier le rattachement souple par les liens les plus étroits avec cet objectif de prévisibilité, ils ont apporté une précision sous la forme d'une présomption rigide. L'article 4 § 2 indique à cet effet que : « le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale ».
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Le juge et les parties peuvent donc se reposer sur un « indice » fort et prédominant pour identifier la loi des liens les plus étroits : la loi applicable est celle du pays de résidence du débiteur de la prestation caractéristique. La convention ne définit pas la notion de « prestation caractéristiqueQ », prestation qui « caractérise » le contrat considéré, et dont on admet généralement qu'elle vise la prestation « pour laquelle le paiement est dû » : dans la vente, la prestation caractéristique est l'obligation de livrer la chose vendue (le paiement d'un prix n'étant pas caractéristique) ; dans le bail, l'obligation de mettre la chose donnée à bail à disposition du preneur (le paiement d'un loyer n'étant pas caractéristique) ; dans le louage d'ouvrage, l'obligation d'accomplir la prestation attendue (le paiement du prix n'étant pas caractéristique) … Il va sans dire que, pour certains contrats, l'identification de la prestation caractéristique est particulièrement délicate (contrat de concession ou de franchise), voire impossible (contrat d'échange, contrat de consortium).
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Malgré l'introduction d'une présomption rigide destinée à sécuriser le régime, la convention de Rome n'en reste pas moins fondamentalement attachée au principe de proximité. Au-delà de l'énonciation formelle de la compétence de la loi des liens les plus étroits par l'article 4, § 1 er, la convention rappelle que la présomption ne vaut qu'en ce qu'elle permet d'identifier la loi des liens les plus étroits. Lorsque les vertus « localisatrices » de la présomption peuvent être remises en cause, la présomption doit être écartée. C'est le sens de la clause d'exception instituée par l'article 4 § 5 de la convention, qui précise que « lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays » que celui désigné par la présomption, celle-ci doit être écartée au profit d'une localisation objective en fait. Les modalités de mise en œuvre de la présomption, prise en étau entre le principe général de compétence de la loi des liens les plus étroits et la clause d’exception, ont été progressivement affinées par la CJUE (CJCE 6 oct. 2009, ICF, v. rubrique Documents) et la Cour de cassation. Elles se résument schématiquement de la façon suivante : Dans un premier temps le juge doit, en tout état de cause, rechercher quelle est la loi applicable en vertu de la présomption (résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique). Lorsque la présomption est inopérante (par exemple dans un contrat d’échange, où il n’y a pas de prestation caractéristique), le juge doit
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2. Règlement Rome I
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nécessairement rechercher le pays qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat, pour en appliquer la loi. Même lorsque la présomption permet d’identifier la loi applicable, le juge doit, dès lors qu’une partie se prévaut d’une autre loi, procéder à une comparaison des liens existant entre le contrat et, d’une part la loi désignée par la présomption, d’autre part la loi dont il est allégué qu’elle aurait des liens plus étroits avec le contrat. La loi qu’il doit appliquer est celle qui lui apparaît, au terme de cet examen, entretenir les liens les plus étroits avec le contrat. Ce mécanisme a fait l’objet d’importantes critiques doctrinales, en raison de l’insécurité juridique qu’il génère pour les parties quant à la loi applicable au contrat. Il a été réformé par le Règlement Rome I.
Le règlement Rome I apporte des modifications relativement significatives au système antérieur. Tout d'abord, le règlement Rome I supprime la faculté que la convention de Rome réservait au juge, en application de l'article 4, § 1, de dépecer le contrat (le dépeçage par les parties, on l'a vu, est en revanche maintenu). Mais il est vrai que ce pouvoir du juge était enfermé dans des limites étroites, que la CJUE a rappelées dans son arrêt ICF (v. rubrique Documents).
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Ensuite le règlement Rome I n'affirme plus, comme le faisait la convention, la compétence de principe de la loi des liens les plus étroits. L'article 4 — qui traite de la loi applicable à défaut de choix — s'ouvre sur une série de règles de conflit spéciales à certains types de contrats en fonction de leur nature (art. 4, § 1 er ; v. ss 994 s. les rattachements spéciaux), puis formule en son paragraphe 2 un rattachement rigide général, appelé à régir tous les contrats ne bénéficiant pas d'un rattachement spécial : « le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ». Formellement, ce qui n'était dans la convention de Rome qu'une présomption utilisable pour faciliter l'identification de la loi des liens les plus étroits devient, dans le règlement Rome I, une règle de conflit rigide.
985
Mais cette règle rigide peut être infléchie. Il ressort en effet des § 3 et 4 de l’article 4 du règlement que, d'une part « lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique », d'autre part « lorsque la loi applicable ne peut pas être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ». La loi des liens les plus étroits peut donc s'appliquer, non seulement lorsqu'aucun rattachement rigide n'est applicable ou praticable (fonction supplétive visée au § 4), mais aussi, alors même qu'un rattachement rigide prévu par le texte pourrait jouer, si ce rattachement s'avère insuffisamment localisateur eu égard aux circonstances de la cause (clause d'exception instituée par le § 3). Mais dans ce dernier cas, l’emploi de l’adverbe « manifestement » tend à dorénavant limiter l’usage de la clause d’exception. Il reste que, derrière une différence rédactionnelle certaine, convention de Rome et règlement Rome I n'apparaissent pas si éloignés du point de vue du rattachement général qu'ils édictent. Le constat est bien différent s'agissant des rattachements spéciaux.
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Droit international privé
2. Les rattachements spéciaux Tous les contrats ne sont pas nécessairement soumis, pour la détermination de la loi applicable en l'absence de choix de loi par les parties, au rattachement général qui vient d'être présenté. D'une part, la convention de Rome et le règlement Rome I ont institué, à côté de ce rattachement général, des rattachements spéciaux, propres à certains contrats. D'autre part, les textes de droit européen réservent l'application des conventions internationales que les États membres ont pu conclure en la matière, et qui pour certaines ont édicté des rattachements spéciaux. L'adoption de rattachements spéciaux semble obéir à deux types de considérations. On observe ainsi que certains de ces rattachements sont définis, au moins pour partie, en considération d’un objectif de protection d'une partie faible (a). Mais la plupart d'entre eux restent dictés par une approche proximiste, vouée à définir un critère de rattachement jugé plus approprié à la nature et à l'objet du contrat considéré (b).
a.
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Rattachement édicté pour la protection d'une partie faible
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Le droit communautaire a introduit, en droit international privé des contrats, des considérations « paternalistes » conduisant à mettre la règle de conflit de lois au service d'un objectif de protection des parties faibles. Cet objectif de protection s'est traduit par deux « méthodes » bien distinctes. D'un côté, le principe d'autonomie, quoique maintenu sur le principe, est étroitement encadré dans sa mise en œuvre par les parties (v. ss 1021 s.), de façon à garantir que la partie forte n'abuse pas de sa position pour imposer à la partie faible le choix d'une loi qui lui serait trop défavorable. De l'autre, les rattachements applicables en l'absence de choix de loi par les parties ont été conçus pour favoriser — dans une mesure qui se veut raisonnable — la partie faible et rétablir ainsi un certain équilibre dans la relation.
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C'est tout d'abord au bénéfice des consommateurs et des travailleurs que la convention de Rome a mis en place ce dispositif. Le règlement Rome I l'étend aux assurés et dans une moindre mesure aux usagers des transports. 1. Le contrat de consommation
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Dans les contrats de consommation, la loi applicable en l'absence de choix par les parties est la loi de l'État de résidence du consommateur. La solution, posée par l'article 5 de la convention de Rome, est maintenue par l'article 6, § 1 er du règlement Rome I. Elle se veut protectrice (même si rien ne garantit que la loi de l'État de résidence du consommateur est celle qui lui est le plus favorable), en ce qu'il s'agit de la loi que le consommateur est réputé connaître, et dont il est susceptible d'avoir pris en considération les dispositions lors de la conclusion du contrat. Son caractère protecteur est renforcé par l’application nécessaire qui doit en être faite, le règlement excluant le jeu de la clause d’exception, et par une appréhension généreuse de la notion de consommateur : le consommateur est défini par le règlement comme une personne contractant « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle », ce qui n’exclut pas que le contrat puisse avoir un lien marginal avec son activité professionnelle (CJUE 25 janv. 2018, Schrems II, aff. C-498/ 16, D. 2018. 976, obs. F. Jault-Seseke et les notes cit.). La protection instituée par ces dispositions ne profite toutefois pas à tous les consommateurs. Certains consommateurs, qui ont sciemment assumé le « risque » de conclure un contrat international, verront leur contrat soumis au rattachement général — et donc à la loi de leur cocontractant, débiteur de la prestation caractéristique. C'est le cas chaque fois que
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Les actes juridiques
2. Le contrat de travail
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le consommateur a activement sollicité le prestataire étranger, soit en se déplaçant dans le pays étranger pour y conclure un contrat, soit en prenant contact avec celui-ci de sa propre initiative pour conclure le contrat. Le règlement Rome I réserve ainsi l'application du rattachement spécial de l'article 6 aux contrats conclus par un consommateur avec un professionnel : – « a) [qui] exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle » (par exemple, parce qu'il y a un établissement) ; – ou « b) [qui] par tout moyen dirige son activité vers le pays » dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle. L'utilisation de cette notion d'« activité dirigée », qui n'apparaissait pas dans la convention de Rome (laquelle limite cependant également, selon des critères un peu différents, l'application du rattachement spécial), a pour objectif d'harmoniser l'application du règlement Rome I avec celle des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis sur la compétence des juridictions (v. ss 1043 s.). Mais il n’est pas toujours aisé de déterminer si un professionnel dirige son activité vers un autre pays. C’est particulièrement vrai lorsque le professionnel propose ses produits sur un site Internet. En effet, les sites peuvent être consultés partout dans le monde, même si la démarche du professionnel est purement locale. Sur ce point le règlement rappelle, reprenant les termes d'une déclaration conjointe de la Commission et du Conseil, que « le simple fait qu'un site Internet soit accessible ne suffit pas pour rendre applicable l'article [6, § 1er], encore faut-il que ce site Internet invite à la conclusion de contrats à distance et qu'un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. À cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site Internet ne constitue pas un élément pertinent » (Cons. 24). Ces précisions ne lèvent malheureusement pas toutes les difficultés, loin s’en faut, et la CJUE a déjà dû intervenir pour tenter de préciser la notion d’activité dirigée (not. : CJUE 17 oct. 2013, Emrek, aff.- C-218/12 ; CJUE 6 sept. 2012, Mühlleitner, aff. C-190/11).
Pour les contrats de travail, la loi applicable en l'absence de choix de loi par les parties est la loi du pays dans lequel le travailleur accomplit habituellement le travail. L'article 8, § 2 du règlement reprend en substance les dispositions qu'avait consacrées la convention de Rome dans son article 6, § 2. Dans les deux textes, il est précisé que l'accomplissement temporaire du travail dans un autre pays que celui où ce travail est habituellement accompli ne modifie pas la loi applicable. Un travail doit être réputé temporaire, conformément au considérant no 36 du règlement, « lorsque le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d'origine après l'accomplissement de ses tâches à l'étranger ». Plus généralement, la Cour de justice préconise de retenir une conception large du « lieu d'exécution habituelle du travail » ; ainsi, lorsque le travailleur exerce son activité dans plusieurs pays, le lieu d'exécution habituelle est le pays « où ou à partir duquel, compte tenu de l'ensemble des éléments qui caractérisent l'activité, le travailleur s'acquitte de l'ensemble de ses obligations à l'égard de son employeur (CJUE 15 mars 2011, Koelzsch, aff. C-20/10, Rev. crit. DIP 2011. 447, note F. Jault-Seseke ; JDI 2012. 187, note C. Brière). Ce n’est que lorsqu’il est impossible de localiser le lieu d'exécution du travail qu’un rattachement subsidiaire, désignant la loi du lieu de l'établissement d'embauche, doit être préféré. Si le caractère protecteur de ces dispositions est incontestable, les considérations proximistes n’en sont toutefois pas totalement absentes. L’article 8 § 4 du règlement prévoit ainsi que la clause d’exception peut jouer pour écarter la loi du lieu
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Droit international privé
3. Le contrat d'assurance
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d’exécution habituelle du travail au profit d’une autre loi avec laquelle le contrat entretient des liens plus étroits, et la CJUE a refusé que la mise en œuvre de cette clause d’exception puisse être infléchie dans une optique de faveur pour le travailleur (CJUE 12 sept. 2013, Schlecker, aff. C-62/12). La Cour de cassation française, qui contrôle la mise en œuvre de la clause d’exception par les juges du fond, en impose toutefois une application restrictive.
La détermination d'un rattachement spécifique aux contrats d'assurance est une nouveauté du règlement Rome I. La convention de Rome excluait de son domaine d'application les contrats d'assurance couvrant des risques situés dans les territoires des États membres, et pour les autres contrats, couverts par la convention, aucun rattachement spécial n'était proposé. Il faut dire que la matière est largement régie par des directives européennes qui, loin de se borner à une harmonisation des règles matérielles, proposent également des règles de conflit de lois. Ces règles, inscrites en France aux articles L. 181-1 et suivants du Code des assurances, sont applicables aux contrats qui, par leur nature ou leur date de conclusion, échappent au règlement Rome I. Car dans un souci de clarification et d'accessibilité de la règle de conflit, le règlement Rome I a donc réintroduit dans son champ d'application l'ensemble des contrats d'assurance. Il le fait en rappelant, dans son considérant no 32, qu'il est nécessaire de « garantir un niveau suffisant de protection (…) des preneurs d'assurance », et que cette protection ne peut suffisamment résulter des dispositions propres à la protection des consommateurs (art. 6), qui sont donc inapplicables en la matière. Pour instituer cette protection, il édicte un rattachement spécial qui ne s'applique ni aux contrats couvrant les grands risques, ni à la réassurance — ces deux types de contrats ne nécessitant pas une protection particulière du preneur d'assurances, lui-même professionnel averti (sur ces contrats, v. ss 1000) — : un contrat d'assurance conclu par un preneur d'assurances « ordinaire », si les risques couverts sont situés à l'intérieur du territoire des États membres, est régi, en l'absence de choix de loi par les parties, par la loi de l'État membre où le risque est situé au moment de la conclusion du contrat (art. 7, § 3, al. 3). Aucune clause d'exception n'est prévue. En outre, le choix de loi est lui-même encadré puisqu'il ne peut porter que sur un certain nombre de lois limitativement énumérées par l'article 7 § 3 (loi de l'État membre où se situe le risque ; loi de la résidence habituelle du preneur d'assurance ; loi de l'État national du preneur d'assurance pour les contrats d'assurance-vie ; le cas échéant loi de l'État membre du lieu de survenance du risque). Si les risques couverts sont situés en dehors du territoire des États membres, aucune disposition spéciale n'est prévue, ainsi que le confirme l'article 7, § 1 (« le présent article s'applique aux contrats visés au paragraphe 2 [grands risques] que le risque couvert soit situé ou non dans un État membre, et à tous les autres contrats d'assurance couvrant des risques situés à l'intérieur du territoire des États membres ») ; il convient donc de revenir au rattachement général, qui devrait normalement conduire à l'application de la loi de l'assureur en l'absence de choix de loi, solution à laquelle conduisait déjà la convention de Rome (les contrats d'assurance portant sur un risque situé en dehors du territoire des États membres étant couverts, ils étaient nécessairement soumis, en l'absence de disposition spéciale, à la règle générale). (Sur la loi applicable à l’action directe de la victime d’un dommage contre l’assureur, v. ss 1087).
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Les actes juridiques
4. Le contrat de transport de personnes
b.
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Les dispositions relatives au contrat de transport, contrairement à celles portant sur l'assurance, ne font pas figure de nouveauté absolue. L'article 4, § 4 de la convention de Rome proposait déjà une présomption spécifique pour le transport de marchandises. Mais le transport de marchandises est généralement un contrat entre professionnels (v. ss 999). L'apport du règlement Rome I porte sur le transport de passagers, qui seul bénéficie — aux termes du considérant no 32 déjà envisagé à propos de l'assurance — d'un rattachement qu’on pourrait supposer protecteur du passager : à défaut de choix de loi — choix qui, pour la protection du passager, ne peut porter que sur un nombre limité de lois (loi de la résidence habituelle du passager, de résidence ou de l'administration centrale du transporteur, loi du lieu de départ ou loi du lieu de destination) —, la loi applicable est, aux termes de l’article 5 § 2 du règlement, la loi du pays de la résidence habituelle du passager, si soit le lieu de départ, soit le lieu d'arrivée se situe également dans ce pays. À défaut, la loi applicable est celle de la résidence habituelle du transporteur. À l’évidence, cette disposition est moins inspirée de considérations protectrices du passager (applicabilité de la loi du pays de résidence habituelle du passager) que de considérations proximistes (la loi du pays de résidence du passager ne joue que si un autre critère objectif — lieu de départ, ou lieu d’arrivée — rattache le contrat à ce pays), ces dernières étant renforcées par le jeu possible de la clause d’exception (Règl., art. 5 § 3). La protection du passager, qui peut être considérée comme une partie faible vis‑à-vis du transporteur, est en réalité assurée ailleurs. La loi du contrat de transport s’applique en effet de façon très supplétive, car la responsabilité du transporteur est directement régie par des conventions matérielles et des règlements européens qui prévoient un régime d’indemnisation favorable au passager.
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Rattachement édicté en considération de l'objet du contrat
Pour de nombreux contrats, l'existence d'un rattachement spécial n'est justifiée que par des considérations tirées de la nature même du contrat. Il s'agit tantôt de préciser, pour un type de contrat donné, le rattachement général, tantôt d'ériger un rattachement véritablement dérogatoire. Alors que la convention de Rome n'édictait qu'un nombre limité de rattachements spéciaux, le règlement Rome I les multiplie. L'article 4 s'ouvre dorénavant sur une liste de rattachements spéciaux, comportant pas moins de huit règles de conflit, auxquelles s'ajoutent les rattachements spéciaux prévus en matière de transport de marchandises (art. 5) et d'assurances entre « grands » professionnels (art. 7). Il faut encore compter avec les rattachements spéciaux institués par les conventions de La Haye. On ne présentera que rapidement les principales de ces règles de conflit.
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1. Le contrat de vente de biens meubles La vente de biens meubles est régie par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle. Cette disposition, qui résultait implicitement de la présomption générale posée par la Convention de Rome, est désormais expressément fixée par l'article 4, § 1, a) du règlement Rome I. Cette règle de conflit rigide est toutefois tempérée par le jeu de la clause d’exception, réservée par l'article 4 § 3 du règlement. Pour cette raison, il est permis de considérer que la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objet mobiliers corporels, à laquelle la France est partie et qui reste applicable, déroge bien au droit de l'Union européenne. Si elle prévoit en effet pour la vente
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Droit international privé
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internationale de marchandises, comme le droit de l’Union européenne, l’applicabilité de la loi de la résidence du vendeur, elle n’instaure en revanche aucune clause d'exception autorisant le juge à écarter la loi ainsi désignée. Saisi d’une vente internationale de marchandises, le juge doit donc normalement rechercher, en fonction des circonstances, s’il faut appliquer la convention de La Haye de 1955 ou la règlement Rome I pour déterminer la loi applicable. Le juge français ne manquera toutefois pas de s’interroger au préalable sur l’application de la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM), qui pose des règles matérielles directement applicables à ces contrats (v. ss 200 et 214 s.). Lorsque la CVIM est applicable, la lex contractus n’a qu’une fonction supplétive, afin de résoudre les questions que la CVIM ne règle pas, comme la prescription de l’action en dommages et intérêts par exemple. Également dérogatoire à la règle générale, l'article 4-1 point g du Règlement Rome I précise que les ventes de biens aux enchères, qui supposent usuellement l'intervention d'une autorité publique, sont soumises à la loi du pays où la vente est réalisée. On rappellera toutefois que dans les contrats de vente, la lex contractus ainsi désignée ne régit pas les droits réels et leur régime (v. ss 938 s.). 2. Le contrat de prestation de service
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Le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle, à moins que le contrat ne présente des liens plus étroits avec un autre pays (clause d’exception). Là encore, l'apport du règlement — la convention ne prévoyait pas expressément de rattachement mais le rattachement général conduisait au même résultat — n'est pas manifeste. 3. Le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble
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Le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'immeuble. La solution, prévue au règlement, est reprise de la convention de Rome qui l'incluait déjà, témoignant de l'attraction par la lex rei sitae en matière immobilière (v. ss 924 et v. ss 940). Comme la convention, le règlement prévoit une dérogation à cette règle pour les baux d'immeubles conclus pour une période de moins de six mois : les « locations saisonnières » convenues entre un propriétaire et un locataire résidant dans le même pays sont soumises à la loi de ce pays, indépendamment de toute considération du lieu de situation de l'immeuble. Il réserve en outre le jeu de la clause d’exception. 4. Les contrats de franchise et de distribution
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Les contrats de franchise et de distribution sont respectivement régis par la loi du pays de résidence du franchisé ou du distributeur. Cette règle nouvellement insérée dans le règlement Rome I est sans doute, s'agissant des rattachements spéciaux, l'un de ses apports majeurs, car elle clôt une divergence apparue dans les jurisprudences des États membres. Dans ce type de contrats, eu égard aux obligations respectives des parties, la prestation caractéristique n'est pas aisée à identifier : certains pays avaient décidé qu'il convenait d'appliquer la loi du franchisé ou distributeur, d'autres — dont la France — jugeaient que la loi applicable était celle du franchiseur ou du fournisseur. Cette dernière position est invalidée. La nouvelle disposition est parfois justifiée par des considérations protectrices d'une partie souvent jugée faible — le franchisé, le distributeur, et sans doute le concessionnaire, en dépit de l'absence de disposition expresse en faveur de ce dernier. Elle dessert toutefois la cohérence du réseau
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Les actes juridiques
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puisqu'en l'absence de choix de loi, les contrats conclus avec des partenaires étrangers seront tous soumis à des lois différentes, là où l'application de la loi de la « tête » de réseau favorisait l'unité. Cela étant, la clause d'exception de l'article 4, § 3 du règlement reste applicable, et pourrait permettre de revenir, si la cohérence du réseau était trop profondément remise en cause, à la loi des liens les plus étroits qui pourrait être celle de la « tête » de réseau. 5. Le contrat de transport de marchandises Le contrat de transport de marchandises a changé subrepticement de régime. L'article 4, § 4 de la convention de Rome prévoit que « si le pays dans lequel le transporteur a son établissement principal au moment de la conclusion du contrat est aussi celui dans lequel est situé le lieu de chargement ou de déchargement ou l'établissement principal de l'expéditeur, il est présumé que le contrat a les liens les plus étroits avec ce pays ». L'article 5, § 1er du règlement Rome I retient pour sa part qu'à défaut de choix de loi, « la loi applicable au contrat de transport de marchandises est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la résidence habituelle de l'expéditeur se situe dans ce pays ». On note quelques changements — la référence à la résidence habituelle plutôt qu'à l'établissement principal, l'absence de référence au moment auquel il convient de se placer pour apprécier cette résidence, la référence au lieu de livraison plutôt qu'à celui de déchargement — dont l'avenir nous dira s'ils modifient substantiellement le résultat de l'application du texte. Cela est cependant d'autant moins probable que le règlement réserve, comme la convention, le jeu de la clause d'exception. La modification la plus substantielle résulte donc plutôt de l'instauration par le règlement d'un rattachement subsidiaire que ne prévoyait pas la convention : si les conditions précédentes ne sont pas satisfaites, la loi applicable est la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison que les parties ont convenu. Dans la convention, la non-satisfaction des conditions imposait de revenir immédiatement à la loi des liens les plus étroits (solution confirmée par CJUE 23 oct. 2014, Haeger & Schmidt, C. 305/ 13). Dans le règlement, la clause d’exception prévue par l’article 5, §3 devrait donc jouer moins souvent, ce d’autant plus que la Cour de cassation française veille à en restreindre l’application pour ne pas ruiner la prévisibilité. Le champ d’application matériel de la règle spéciale propre aux contrats de transport de marchandises a suscité d’importantes interrogations, et déjà justifié plusieurs interventions de la CJUE. La Cour retient comme solution générale que cette règle doit jouer si et seulement si « l’objet principal du contrat consiste dans le transport proprement dit », le juge national ayant la charge d’apprécier si cette condition est remplie. Ainsi le contrat d’affrètement au voyage peut-il entrer dans le champ d’application de la règle lorsque le fréteur ne se borne pas à mettre à disposition un moyen de transport, mais assume certaines obligations de transport (CJCE, 6 octobre 2009, ICF, aff. C-133/08, Rubrique Documents). Il en va de même, théoriquement, pour la commission de transport si le commissionnaire ne se limite pas à organiser le transport, mais le réalise lui-même (CJUE 23 oct. 2014, Haeger & Schmidt, C. 305/13). Cette situation ne devrait toutefois que rarement se rencontrer en droit français, compte tenu de la définition même du contrat de commission de transport, lequel peut donc être considéré comme globalement exclu du champ d’application de la règle spéciale de l’article 5. C’est ainsi la règle générale qu’il convient d’appliquer à ce contrat.
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Droit international privé
6. Le contrat d'assurance de grands risques Le contrat d'assurance de grands risques est régi, en l'absence de choix des parties, par la loi du pays de la résidence habituelle de l'assureur, et ce que le risque soit situé dans ou hors du territoire des États membres. Le contrat de réassurance, ne faisant pas l'objet d'un rattachement spécial, est soumis au rattachement général. Dans les deux cas, la clause d'exception s'applique.
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1000
7. Les contrats de représentation et d’intermédiaires
1001
Sont visés sous cette catégorie très générale tous les contrats en vertu desquels une personne se voit confier la charge d’agir, vis‑à-vis de tiers, au nom et/ou pour le compte d’une autre (contrat de mandat, contrat d’agence commerciale, contrat de courtage…). La loi qui régit le contrat proprement dit, c’est‑à-dire les relations entre le représentant et le représenté, pourrait être déterminée en application du règlement Rome I, mais celui-ci réserve l’application de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation, applicable en France : le contrat est soumis, en l'absence de choix de loi (art. 5), à la loi de l'État dans lequel l'intermédiaire avait, au moment de la conclusion du contrat, son établissement professionnel ou à défaut sa résidence habituelle (art. 6, al. 1). La loi de l'État où l'intermédiaire exerce à titre principal son activité de représentation doit toutefois être préférée, si elle coïncide avec la loi de l'État de résidence du représenté (art. 6, al. 2). La loi régissant l'existence et l'étendue des pouvoirs de l'intermédiaire dans les rapports entre représenté et tiers ne peut être définie par le Règlement Rome I, cette question étant expressément exclue de son champ d’application (Règl., art. 1 § 1, g). Mais elle est envisagée par la Convention de La Haye de 1978, selon laquelle ces questions sont normalement soumises à la loi du pays dans lequel l'intermédiaire avait son établissement professionnel au moment où il a agi (art. 11, al. 1). Par souci de protection des tiers, la loi du pays dans lequel l’intermédiaire a agi sera préférée dans certaines circonstances listées par l’article 11, al. 2 de la Convention.
1002
Avec cette dernière précision, on comprend que, une fois la lex contractus identifiée en application des dispositions précédemment présentées, il reste à vérifier que cette loi est bien applicable à la question posée (théoriquement, cet aspect du raisonnement devrait être préalable, mais bien souvent il ne peut être abordé de façon éclairée qu'une fois la lex contractus identifiée). En effet, la lex contractus subit la concurrence d'autres lois.
§ 1003
2 Les lois concurrentes
Le domaine d'application de la lex contractus, dont l'article 12 du règlement Rome I (Conv., art. 10) propose un aperçu, est très large. Il mérite toutefois d'être précisément délimité (A), avant que ne soient détaillées les circonstances susceptibles de conduire à l'éviction ponctuelle de la lex contractus dans son domaine même d'application (B).
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11
Les actes juridiques
A. Délimitation du domaine de la loi du contrat
1. Questions incluses
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Si la plupart des questions touchant au contrat sont incluses dans le domaine de la loi du contrat (1), quelques notables exceptions doivent être relevées (2).
La compétence de la loi du contrat, quoique générale, n'est pas toujours exclusive. Sur certains aspects, des alternatives, voire des dérogations exceptionnelles, existent, de sorte qu'il convient de distinguer une compétence « exclusive » (a) d'une compétence partagée (b).
a.
Compétence « exclusive »
1004
1005
La loi du contrat régit la formation du contrat : les principales conditions de validité au fond, telles que le consentement, l'objet, la cause, mais aussi le processus d'échange des consentements (notion d'offre, d'acceptation, rencontre des volontés) y sont soumis. Tout au plus le droit européen impose-t‑il parfois, pour vérifier l'existence du consentement, une forme de prise en considération de la loi de l'État de résidence habituelle des parties. L'article 10 du règlement (Conv., art. 8) retient en effet que, si le consentement est en principe régi par la loi du contrat, une partie peut se référer à la loi de sa résidence habituelle « pour établir qu'elle n'a pas consenti », chaque fois qu'il ne serait « pas raisonnable de déterminer l'effet du comportement de cette partie » d'après la lex contractus. On admet généralement qu'il en serait ainsi au profit d'une partie à laquelle son contractant opposerait son silence pour en déduire, selon la loi du contrat, la conclusion de celui-ci. En amont, il est aujourd'hui acquis que les pourparlers précontractuels, et notamment la question de la responsabilité qu'ils peuvent générer à la charge des cocontractants, sont soumis – quoique cette responsabilité ne soit pas qualifiée de contractuelle – à la loi du contrat. Le règlement Rome II du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, soumet en effet la culpa in contrahendo à la loi du contrat : « la loi applicable à une obligation non contractuelle découlant de tractations menées avant la conclusion d'un contrat est, que le contrat soit effectivement conclu ou non, la loi qui s'applique au contrat ou qui aurait été applicable si le contrat avait été conclu » (art. 12). S'il devait s'avérer, néanmoins, que cette loi ne puisse être déterminée (par exemple parce que les négociations n'auraient pas atteint un niveau d'avancement suffisant pour pouvoir analyser la physionomie du contrat à conclure et donc pour identifier le débiteur de la prestation caractéristique ou la loi des liens les plus étroits), il conviendrait alors de revenir à la règle de conflit propre aux obligations non contractuelles (v. ss 1081 s.).
1006
La loi du contrat régit également le contenu de celui-ci : elle s'applique pour son interprétation, pour la détermination de la licéité des clauses contractuelles, ainsi que pour la définition des obligations personnelles des parties (sur les obligations réelles, v. ss 1015). En cas d'illicéité d'une clause, il lui revient de définir la sanction encourue, et notamment son incidence sur la validité du contrat. La loi du contrat est d'ailleurs compétente, d'une façon plus générale, pour définir les conséquences de la nullité pour défaut d'une condition de validité au fond.
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S'agissant de l'extinction du contrat, la loi du contrat jouit principalement d'une compétence partagée, puisque l'extinction procède le plus souvent de l'exécution
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b.
Compétence « partagée »
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(ou de l'inexécution) du contrat, et qu'à cet égard d'autres lois ont un titre à intervenir (v. ss 938). La lex contractus régit toutefois la prescription et les déchéances fondées sur l'expiration d'un délai. La convention de Rome et le règlement Rome I édictent des dispositions spéciales relatives à la cession de créance, à la subrogation et à la compensation, qui ne seront pas envisagées (v. toutefois, sur la cession de créances, v. ss 931).
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Sur certaines questions, la loi du contrat est compétente, sans toutefois que cette compétence soit exclusive : une autre loi que la loi du contrat peut intervenir.
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Une autre loi que la lex contractus intervient pour les questions relatives à la forme du contrat : la conclusion du contrat est-elle subordonnée à des solennités ou formes spécifiques ? Il revient par principe à la loi du lieu de conclusion du contrat, en application de la règle locus regit actum, de le préciser. Mais la règle locus regit actum a toujours été conçue comme facultative pour les parties : ces dernières peuvent donc déterminer la forme de leur convention en considération d'une autre loi que la loi du lieu de conclusion. C'est la solution posée en droit commun français par l'arrêt Chaplin (Civ. 28 mai 1963, v. rubrique Documents), et en droit européen par la convention de Rome (art. 9) et le règlement Rome I (art. 11) : la compétence de la loi du lieu de conclusion n'est conçue que comme une alternative à la compétence de la loi du contrat. Si, sans respecter les exigences de forme de la loi locale, les parties se sont conformées aux exigences de la loi du contrat, leur convention ne peut être invalidée pour des raisons de forme. La règle de conflit ici posée est donc alternative et validante : il suffit que la forme du contrat respecte les exigences soit de la loi du lieu de conclusion du contrat, soit de la loi du contrat, pour que le contrat soit valable en la forme. A contrario, le contrat ne pourra être tenu pour nul en la forme que s'il méconnaît à la fois les exigences posées par la loi du lieu de conclusion et par la lex contractus.
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La loi du contrat a encore une compétence partagée en matière de preuve du contrat. On a vu (v. ss 522) que la preuve des actes juridiques obéit à des règles spécifiques qui imposent de ménager une place, à côté de la loi du for normalement compétente en une matière étroitement liée à la procédure, à la loi du lieu de conclusion du contrat et à la loi applicable au fond du contrat. La solution avait été posée par la jurisprudence française, qui retenait que « s'il appartient au juge français d'accueillir les modes de preuve de la loi du for, c'est néanmoins sans préjudice du droit pour les parties de se prévaloir également des règles de preuve du lieu de conclusion de l'acte » (Civ. 1re, 24 févr. 1959, Isaac, Rev. crit. DIP 1959. 368, note Y. L. ; JDI 1959. 1144, note J.-B. Sialelli). Elle est confirmée par le droit de l'Union européenne. Comme en droit commun, celui-ci retient la compétence de la loi du contrat pour la détermination de la charge de la preuve et des présomptions (art. 14 § 1er Conv. et 18 § 1er Règl.). S'agissant des modes de preuve et de l'administration de la preuve, il énonce que sont admissibles tous les modes de preuve admis soit par la loi du for, soit par la lex contractus, soit par la loi du lieu de conclusion du contrat pour autant que la preuve puisse être administrée selon ce mode devant le tribunal saisi (Conv., art. 14, § 2 ; Règl., art. 18, § 2).
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2. Questions exclues
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L'exécution (forcée) et l'inexécution du contrat peuvent également justifier le concours d'une autre loi que la loi du contrat. S'agissant des modalités d'exécution, tout d'abord, il importe « d'avoir égard », selon la formule posée par les textes européens, à la loi du pays où l'exécution a lieu (Conv., art. 10, § 2 ; Règl., art. 12, § 2). La compétence de la lex contractus reste donc acquise sur le principe : il lui revient de déterminer quelles modalités d'exécution forcée, en nature ou par équivalent, peuvent être concrètement mises en œuvre. Mais l'application de la lex contractus opère sous réserve d'une prise en considération de la loi du lieu d'exécution : les mesures dictées par la lex contractus ne peuvent être mises en œuvre que sous réserve de compatibilité avec les exigences de la loi du lieu d'exécution. Ainsi, un mode d'exécution forcée (par exemple, une saisie d'un genre particulier) prescrit par la lex contractus ne pourra être utilisé si la loi du lieu d'exécution s'y oppose formellement. La loi du contrat doit également partager sa compétence s'agissant des sanctions de l'inexécution du contrat. D'abord, l'inexécution du contrat emporte usuellement une obligation pour le créancier de prendre certaines mesures telles que la mise en demeure, ou la constatation de l'inexécution. Là encore, si la compétence de principe est dévolue à la lex contractus, il faut prendre en considération la loi du lieu d'exécution (art. préc.). Ensuite, l'inexécution du contrat génère l'application de sanctions, pour l'édiction desquelles la lex contractus doit composer avec la loi du for envisagée comme loi de procédure. Le droit européen énonce, en effet, que si la loi du contrat régit « les conséquences de l'inexécution totale ou partielle de ces obligations, y compris l'évaluation du dommage », ces conséquences doivent être définies « dans les limites des pouvoirs attribués au tribunal par sa loi de procédure » (Conv., art. 10, § 1c ; Règl., art. 12, § 1c).
Certaines questions sont traditionnellement exclues du domaine d'application de la lex contractus. C'est le cas, principalement, de la capacité des contractants. L'incapacité des parties, de même que les sanctions applicables, ne sont pas envisagées par les textes européens. Elles sont appréciées, selon les exigences posées par les règles de conflit françaises, en considération de la loi nationale des intéressés lorsqu'il s'agit de personnes physiques. La convention de Rome et le règlement, tout en rappelant qu'ils ne s'appliquent pas à la capacité des personnes physiques, font une exception à cette exclusion en retenant que « Dans un contrat conclu entre personnes se trouvant dans un même pays, une personne physique qui serait capable selon la loi de ce pays ne peut invoquer son incapacité résultant d'une autre loi que si, au moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité ou ne l'a ignorée qu'en raison d'une imprudence de sa part » (art. 11 Conv. ; art. 13 Règl.). Cette formule, qui n'est pas sans rappeler celle de l'arrêt Lizardi en droit français (v. ss 650), protège donc l'ignorance légitime d'une partie ayant conclu un contrat avec un incapable. Quelle que soit l'incapacité de son cocontractant au regard de la loi normalement applicable, une partie peut se prévaloir de sa capacité si celle-ci ressort de la loi du lieu de conclusion du contrat. Deux conditions sont néanmoins requises pour que la loi du lieu de conclusion s'applique ainsi en tant que règle matérielle d'application nécessaire : – les deux parties doivent être physiquement présentes au lieu de conclusion du contrat ; – et, l'ignorance doit être réelle et légitime.
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Les personnes morales ne connaissent pas de problèmes de capacité. En revanche, la question des pouvoirs de ceux qui prétendent les engager par la conclusion d'actes juridiques peut se poser. En droit commun français, les pouvoirs du représentant des sociétés sont régis, on l'a vu, par la lex societatis (v. ss 880). Là encore donc, la loi du contrat n'a pas à intervenir. Le droit européen ne remet pas en cause ce principe puisqu'il ne s'applique pas « à la question de savoir (…) si un organe d'une société, d'une association ou d'une personne morale peut engager, envers les tiers, cette société, association ou personne morale » (Conv., art. 1er, § 2f ; Règl., art. 1er, § 2g).
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Enfin, les contrats portant sur des droits réels conduisent normalement à l'application de la lex rei sitae sur certains aspects de la relation. Si le contrat lui-même (sa validité, les conditions de sa formation, les obligations personnelles qui en découlent pour les parties) reste en principe régi par la lex contractus, sous réserve de son éventuelle éviction exceptionnelle (v. ss 1016), les obligations réelles qu’il fait naître ainsi que le contenu des droits réels dont il opère création (ex. constitution d'hypothèque) ou transfert (ex. vente) sont exclusivement définis par la lex rei sitae. C'est donc la lex rei sitae qui dicte les caractères du droit de propriété, ou plus généralement qui énonce les prérogatives que le droit réel fait naître au profit de son titulaire (quels sont les droits de l'usufruitier ou du créancier hypothécaire sur le bien ?). Cette dissociation nette entre domaine de la lex contractus et domaine de la lex rei sitae n'est toutefois pas toujours aisée à mettre en œuvre en pratique (pour une délimitation plus précise, v. ss 938).
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B. Éviction de la loi du contrat dans son domaine 1016
Même dans son domaine d'application, la lex contractus peut être ponctuellement évincée pour laisser place à l'application d'une autre loi. Aux méthodes d'éviction traditionnelles (1) — règles matérielles, lois de police, exception d'ordre public international —, le droit européen a ajouté une méthode d'éviction originale, comparative, spécifiquement destinée à protéger les parties faibles (2). L'éviction de la loi du contrat peut en outre résulter, en fait, de sa non-application par le juge (3).
1. Méthodes traditionnelles 1017
On le sait, la loi désignée par la règle de conflit peut être écartée lorsque l'application d'une règle matérielle (a) ou d'une loi de police (b) est privilégiée. En outre, la loi désignée s'efface nécessairement en cas de contrariété à l'ordre public international du for (c).
a. 1018
Incidence des règles matérielles
On l'a vu (v. ss 211 s.), le recours aux règles matérielles permet parfois d'échapper à l'application de la loi du contrat. Essentiellement développée en droit du commerce international, la méthode des règles matérielles déroge à la méthode conflictuelle en prônant l'application directe de règles substantielles, jugées particulièrement adaptées, aux litiges internationaux. On connaît à cet égard les solutions dégagées par la jurisprudence pour valider, contre le sens de la loi du contrat, certaines clauses jugées opportunes dans les contrats internationaux (sur la clause compromissoire ou la clause-or, v. ss 197 et 212, arrêts Galakis et Messageries Maritimes). Surtout, certains contrats sont principalement régis par des règles matérielles posées par des conventions internationales ; c’est le cas notamment de la vente de marchandises (v. ss 995)
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b.
Incidence des lois de police
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ou du contrat de transport (v. ss 993). L’intervention de la lex contractus est alors limitée, puisqu’elle ne s’applique qu’aux questions non réglées par les conventions matérielles applicables. Au-delà de ces véritables dérogations à la lex contactus, les principes et règles du droit international peuvent aussi simplement infléchir l'application de la loi du contrat. L'interprétation du contrat en fournit une illustration intéressante. En effet, l'interprétation du contrat est en principe soumise à la lex contractus. L'examen de la pratique jurisprudentielle révèle toutefois une prise en considération particulièrement fréquente par les juges des principes internationaux propres à l'interprétation des contrats du commerce international, et en particulier des règles d'interprétation posées par les Principes d'Unidroit, pour l'interprétation de ces contrats.
Les lois de police du for, et dans une moindre mesure étrangères, ont pour effet l'éviction de la loi normalement compétente. Ce mécanisme ayant été longuement analysé (v. ss 168 s.), il suffira ici d'observer son importance toute particulière en matière contractuelle. La matière contractuelle est en effet le domaine d'application privilégié du principe d'autonomie : les parties peuvent écarter les dispositions de la loi d'un État, alors même que cet État entretiendrait avec leur relation les liens les plus étroits. Il était donc important que les États soient corrélativement autorisés à imposer aux parties les dispositions dont ils jugent le respect essentiel pour des motifs d'intérêt public. C'est pourquoi la convention de Rome (art. 7, § 2) et le règlement Rome I (art. 9, § 2) réservent l'effet « des lois de police du juge saisi » et, dans une moindre mesure (définie précisément v. ss 184 s.), des lois de police étrangères. Les lois de police jouent en particulier — mais pas seulement — dans les contrats asymétriques, qu’il s’agisse des contrats de consommation, d’assurance ou de soustraitance.
c.
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Incidence de l'ordre public international
L'ordre public international français peut naturellement faire échec à l'application de la lex contractus qui y serait contraire. Encore faut-il préciser que le droit de l'Union européenne subordonne l'éviction de la loi du contrat à sa contrariété manifeste à l'ordre public international du for (art. 16 Conv. ; art. 21 Règl.). En outre, l'ordre public international français inclut également, on l'a vu (v. ss 265 s.), l'ordre public européen et l'ordre public conventionnel — en particulier la Convention européenne des droits de l'homme. La jurisprudence française a ainsi pu écarter, comme contraire à l'ordre public international, la lex contractus autorisant un employeur à priver de liberté, contre une rémunération dérisoire, son employé (Soc. 10 mai 2006, JDI 2007. 531, note J.-M. Jacquet ; JCP 2006. II. 1405-1408, obs. S. Bollée).
2. Méthode comparative
Le droit de l'Union européenne a institué, pour garantir la protection des parties faibles, une méthode qui par nature ne se rattache ni tout à fait à l'ordre public international, ni tout à fait aux lois de police. Dans les contrats impliquant une partie faible, le choix a été fait de maintenir le principe d'autonomie, permettant ainsi aux parties de choisir la lex contractus. Mais le risque est alors que la partie forte ne profite de sa position pour imposer à la partie faible le choix d'une loi étatique défavorable à cette dernière. Pour pallier ce risque, la convention de Rome a organisé un mécanisme original, repris par le règlement Rome I. Ce mécanisme repose sur
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l'identification d'une « loi de référence », qui n’est autre que la loi applicable en l’absence de choix (v. ss 900 et 991), laquelle constitue le minimum de protection auquel la partie faible est en droit de prétendre. Lorsque les contractants choisissent une loi pour régir leur contrat, cette loi est appréciée à l'aune de la « loi de référence » : – si elle est aussi ou plus favorable à la partie faible que l'est la loi de référence, elle s'applique ; – si elle est moins protectrice de la partie faible que ne l'est la loi de référence, c'est cette dernière qui s'applique. Ainsi, la loi choisie par les parties à un contrat de consommation ne peut-elle priver le consommateur de la protection qui lui serait assurée par les dispositions impératives de la loi de son pays de résidence habituelle, tout comme la loi choisie par les parties à un contrat de travail ne peut priver le travailleur de la protection qui lui serait assurée par les dispositions impératives de la loi du lieu d'exécution du travail (ou de la loi du lieu d'embauche si le travail s'exécute dans plusieurs États). Il s'agit d'un mécanisme d'éviction a posteriori de la loi compétente (une fois son contenu vérifié) qui fonctionne comme l'exception d'ordre public international, mais pour des motifs de politique publique qui le rapprochent de la méthode des lois de police.
1022
Dans les contrats de consommation, le bénéfice de ce dispositif protecteur est limité à certains consommateurs, qui sont en substance ceux qui n’ont pas activement recherché la conclusion du contrat international (le professionnel étranger a réalisé des démarches pour atteindre des consommateurs résidant à l'étranger ; sur ces aspects, v. ss 990). Dans les autres cas, le consommateur ne jouit d'aucune protection spécifique par la méthode comparative. Est-il alors possible de pallier cette absence de protection en ayant recours au mécanisme des lois de police ? Certains auteurs s'y opposaient, considérant que l'esprit des textes européens serait alors détourné. La Cour de cassation a toutefois admis que certaines dispositions protectrices du consommateur instituées par le droit français peuvent s'appliquer, à titre de lois de police, pour protéger le consommateur résidant en France (Civ. 1 re, 23 mai 2006, Rev. crit. DIP 2006. 85, note D. Cocteau-Senn). La protection des consommateurs opère donc deux fois, sur le fondement de la méthode comparative et à défaut sur celui de la méthode des lois de police.
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Cette protection est également renforcée, pour en garantir l’effectivité, par le recours au droit des clauses abusives. Le risque est en effet que le consommateur, confronté à une clause de choix de loi imposée par le professionnel, n’ait pas conscience de la protection dont il bénéficie, et ne songe donc pas à revendiquer l’application des dispositions plus favorables de la loi de son État de résidence. Pour limiter ce risque, la CJUE a jugé qu’une clause de choix de loi insérée dans un contrat de consommation constitue une clause abusive lorsqu’elle n’informe pas suffisamment le consommateur de son droit de se prévaloir des dispositions impératives de la loi de son État de résidence (CJUE 28 juill. 2016, VKI c/ Amazon, aff. C-191/15, D. 2017. 1016, obs. H. Gaudemet-Tallon et les notes cit.).
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L’application du dispositif aux contrats de travail a fourni l’occasion de préciser la notion de dispositions impératives de la loi de référence. Sous l’empire de la convention de Rome, cette notion avait pu donner lieu à des interprétations variables par la
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chambre sociale de Cour de cassation, qui avait retenu parfois – de façon contestable – que seules les lois de police de la loi de référence étaient applicables à ce titre, et parfois – plus justement – que toutes les dispositions d’ordre public interne (au sens de l’article 3 § 3 de la Convention) de la loi de référence étaient visées. La reformulation de la règle par le Règlement Rome I ne laisse aucune place au doute, puisque les articles 6 § 2 (consommation) et 8 § 1 (travail) ne visent plus les « dispositions impératives » de la loi de référence, mais « les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi » de référence. Ce sont donc bien toutes les dispositions d’ordre public interne de la loi de référence qui doivent être mises en œuvre, contre la lex contractus, si la partie faible les invoque. Il appartient normalement à la partie faible, qui se prévaut de ces dispositions, de rapporter la preuve de leur caractère impératif en droit interne. La Cour de cassation a toutefois expressément indiqué qu’en droit du travail français, les dispositions impératives concernent la durée légale du travail, les congés payés, l’entretien préalable de licenciement, le délai de préavis et la cause réelle et sérieuse du licenciement (Soc. 21 mars 2018, n o 17-10220). Enfin, il faut signaler une dernière difficulté d’application relatives aux modalités concrètes de comparaison entre la lex contractus et la « loi de référence » : les mérites respectifs de ces deux lois doivent-ils être appréciés « globalement », c'est‑à-dire en considération du dispositif de protection qui s'évince de l'ensemble de leurs dispositions, ou « spécialement », en comparant disposition par disposition ? La solution de principe posée par la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 novembre 2002 (Rev. crit. DIP 2003. 446, note F. Jault-Seseke), mérite d’être approuvée : « la détermination du caractère plus favorable d’une loi doit résulter d’une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause ». Encore faut-il ne pas avoir une conception trop étroite de la notion de « même objet » ou « même cause » ; c’est malheureusement une telle approche étroite qu’a retenue la chambre sociale dans l’arrêt précité. Elle a en effet choisi de comparer, pour calculer l'indemnité de licenciement d'un salarié dont le contrat était soumis à la loi autrichienne alors que son travail s'exécutait en France, non pas les dispositions respectives de ces deux lois relatives au licenciement en général, mais les dispositions respectives de ces deux lois chef d’indemnisation par chef d’indemnisation, pour appliquer à chaque chef la loi accordant le plus de droits au salarié. Il est difficile de souscrire à cette méthode, qui favorise excessivement la partie faible en lui confectionnant un statut « sur mesure » auquel elle n'aurait eu droit, ni en application du droit autrichien, ni en application du droit français !
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3. Non-application par le juge
Même lorsque l'application de la lex contractus n'est limitée par aucune des méthodes ci-dessus évoquées, sa mise en œuvre peut être contrariée en conséquence des règles qui régissent l'office du juge. On rappellera en effet qu'en matière contractuelle, les droits en cause étant essentiellement disponibles, le juge n'est en principe pas tenu de relever d'office l'application de la loi étrangère compétente si celle-ci n'a pas été invoquée par les parties. L'omission par les parties de se prévaloir de la lex contractus peut donc justifier, le droit positif français admettant l'accord procédural tacite des parties, l'application de la loi française (sur l'ensemble de ces questions, v. ss 144 s.). Encore faut-il, pour cela, que le juge français soit compétent pour connaître du litige.
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section
3
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Le contrat est un instrument de prévision : il organise, pour le futur, les relations entre les parties. En cas de litige, le choix de la juridiction compétente pour en connaître est, en matière internationale, déterminant. Il est donc naturel que la matière contractuelle soit le domaine privilégié des élections de for. Ces élections de for constituent toutefois une occasion supplémentaire, pour une partie « forte », de prendre l'avantage sur une partie « faible ». Or le besoin de protection de la partie faible est particulièrement important sur le plan juridictionnel ; les frais d'une action en justice à l'étranger peuvent en effet s'avérer grandement dissuasifs pour un consommateur ou un travailleur. C'est pourquoi le droit contemporain de la compétence internationale en matière contractuelle comporte nombre de dispositions protectrices des parties faibles. On envisagera donc la réglementation des élections de for (§ 1), et les règles de compétence protectrices des parties faibles (§ 2), avant de présenter les règles de compétence ordinaires (§ 3) applicables subsidiairement.
§ 1028
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Le tribunal compétent en matière contractuelle
1 Réglementation des élections de for
Les parties à un contrat peuvent choisir de soumettre les litiges relatifs à celui-ci à une juridiction étatique de leur choix, par la conclusion d'une convention d'élection de forQ (A). Elles peuvent également soustraire ces litiges à la compétence des juridictions étatiques pour les soumettre à un juge privé aux termes d'une convention d'arbitrageQ (B).
A. Conventions d'élection de for 1029
La licéité de principe et les conditions de validité des clauses attributives de juridictionQ, qui constituent les conventions d'élection de for les plus usuelles (celles que les parties intègrent à leur contrat substantiel, par opposition à celles que les parties concluent par un acte séparé), ont déjà été envisagées, de même que leurs effets (v. ss 351 s.). Il n'est donc pas nécessaire d'y revenir longuement. La matière contractuelle constituant toutefois le domaine d'élection privilégié des élections de for, on dira quelques mots de la loi applicable à (1), et du domaine d'application de (2) la clause attributive de juridiction intégrée dans un contrat.
1. Loi applicable à la clause attributive de juridiction 1030
Comme tout contrat, la clause attributive de juridiction dépend, pour sa validité, d'une loi étatique. Certes, on l'a vu (v. ss 360), la validité formelle des clauses attributives de juridiction est directement réglée par les textes supranationaux – convention de La Haye de 2005 (art. 3) ou règlements européens Bruxelles I (art. 23) ou Bruxelles I bis (art. 25) – lorsqu’ils sont applicables, et ils le sont
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dorénavant presque systématiquement en raison de leur large champ d’application. En revanche, ces textes ne définissent pas de règle matérielle relative à la validité au fond des conventions d’élection de for. Il semble donc logique de se reporter à une loi étatique pour traiter de ces questions. Pour l’application du règlement Bruxelles I, une partie de la doctrine inspirée par une jurisprudence pourtant peu explicite de la CJUE soutenait néanmoins que, la clause attributive de juridiction devant être considérée comme autonome non seulement par rapport au contrat principal, mais aussi par rapport au droit national, sa validité au fond devrait être appréciée directement au regard de règles matérielles issues du droit uniforme européen. Mais la convention de La Haye de 2005, puis le règlement Bruxelles I bis, ont écarté cette méthode matérielle pour privilégier une approche conflictuelle : la validité au fond d’une clause attributive de juridiction s’apprécie principalement au regard du « droit » de l’État dont les juridictions ont été élues, la notion de « droit » incluant les règles de conflit de cet État (sur ce point, v. ss 361 s.). Pour déterminer la loi applicable à la validité au fond d’une clause attributive de juridiction, il faut donc consulter le droit international privé de l’État dont les juridictions ont été élues. La convention de La Haye ne prévoit qu’une exception à cette règle : en matière de capacité, elle autorise le juge exclu, lorsqu’il a été saisi, à apprécier la capacité des parties selon la loi désignée par son propre droit international privé (art. 6 b). Quelle loi régit donc, selon le droit international privé français, la validité au fond d’une clause attributive de juridiction ? Il importe d'observer immédiatement que la convention de Rome et le règlement Rome I excluent de leur domaine d'application les clauses d'élection de for ; pour le juge français, la loi applicable à ces stipulations doit donc être déterminée en application du DIP commun français (v. ss 958 s. et v. ss 978 s.). À cet égard, l'autonomie de la clause attributive par rapport au contrat substantiel qui la contient devrait logiquement pouvoir conduire à appliquer à la clause une loi différente de celle qui régit le contrat principal. Mais lorsque ce contrat principal comporte une clause de choix de loi, la vraisemblance devrait conduire à considérer que les parties ont entendu soumettre toutes les dispositions contractuelles, y compris la clause attributive de juridiction, à cette loi. On peut cependant se demander ce que serait la position du juge si la loi choisie conduisait à l’invalidation de la clause attributive de juridiction ; ne pourrait-il être tenté de retenir l’existence d’une volonté implicite des parties, distincte de la volonté exprimée pour le contrat principal et spécifique à l’élection de for, pour soumettre la clause d’élection de for à une autre loi que la lex contractus qui l’invalide ? Selon la même logique, en l’absence de choix de loi, une « localisation » spécifique du contrat de procédure que constitue la clause attributive de juridiction pourrait être invoquée pour soumettre cette clause à une autre loi que celle régissant le contrat substantiel (pour une étude approfondie de la question, v. D. Sindres, « Retour sur la loi applicable à la validité de la clause d’élection de for », Rev. crit. DIP 2015. 787).
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2. Domaine d'application de la clause Lorsque les parties insèrent une clause attributive de juridiction dans leur contrat, il leur est loisible de préciser les questions qu'elles entendent soumettre à la compétence exclusive du tribunal désigné. Elles peuvent par exemple choisir le tribunal compétent pour connaître de « l'ensemble des litiges dérivant du contrat », ou des seuls « litiges relatifs à l'exécution du contrat ». Chaque fois que le domaine
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Droit international privé
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d'application matériel de la clause a ainsi été circonscrit par les parties, leur volonté doit être respectée. Selon sa rédaction, la portée de la clause peut même dépasser le cadre strict du contrat et couvrir par exemple les relations délictuelles entre les parties (v. ss 1065).
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Une difficulté particulière a été soulevée, toutefois, lorsque l'objet du litige est l'existence ou la validité du contrat. Si la nullité du contrat substantiel qui intègre la clause attributive de juridiction est alléguée, par exemple en raison d'un vice du consentement, on pourrait être enclin à considérer que cette nullité invoquée est de nature à priver la clause d'efficacité. S'il devait en effet s'avérer que le contrat est nul et que cette nullité rejaillit sur la clause attributive de juridiction, le juge aurait statué alors qu'il n'était pas internationalement compétent. Pour des raisons évidentes de sécurité juridique, un principe d'autonomie de la clause attributive de juridiction par rapport au contrat substantiel qui l'intègre a été consacré en droit conventionnel, européen et français (v. ss 356). Il en résulte que le juge désigné par la clause est exclusivement compétent pour statuer sur la nullité ou la résolution du contrat.
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Dans son domaine matériel d'application, la clause attributive de juridiction lie à l'évidence les parties au contrat substantiel dans lequel cette clause a été insérée. Mais peut-elle rayonner au-delà du contrat, et être opposée à des personnes qui n'y étaient pas originellement, voire qui n'y sont toujours pas, parties ? C'est la question du domaine d'application personnel de la clause et de son opposabilité. Le droit positif n'admet l'extension du jeu des clauses attributives de juridiction au-delà du périmètre du contrat que de façon très restrictive. La Cour de justice de l'Union européenne comme la Cour de cassation ont admis que la clause peut être opposée à ou par le cessionnaire du contrat ou le subrogé dans les droits de l'un des cocontractants (sous certaines réserves dans ce dernier cas). De même, dans l'hypothèse d'une stipulation pour autrui, il a été retenu que le bénéficiaire de la stipulation pouvait se prévaloir d'une clause insérée au contrat (laquelle ne lui serait en revanche sans doute pas opposable ; v. CJCE 14 juill. 1983, Gerling, Rev. crit. DIP 1984. 146, note H. Gaudemet-Tallon). Ces solutions s’expliquent en ce que le « tiers » (cessionnaire, subrogé…) succède ici normalement aux droits et obligations du cocontractant initial ; il devient lui-même partie au contrat. Peuvent-elles être étendues à des hypothèses où le tiers succède à certains droits d’un cocontractant, sans devenir lui-même partie au contrat d’origine ? Selon les circonstances, la jurisprudence met en œuvre deux raisonnements bien distincts. Le premier, qui semble désormais constituer le principe, est strict et retient que la clause d’élection de for ne peut être opposée à un tiers au contrat que lorsque celui-ci y a donné son consentement effectif. Cette solution a été dégagée tout d’abord à propos de l’action en responsabilité exercée, dans les chaînes de contrats translatives de propriété, par le tiers sous-acquéreur contre le fabricant. La clause contenue dans le premier contrat n’est opposable au sous-acquéreur que s’il y a donné son consentement effectif (CJUE 7 févr. 2013, RefComp, aff. C-543/10, D. 2013. 1110, note S. Bollée, Rev. crit. DIP 2013. 710, note D. Bureau, JDI 2013. 1201, note S. Clavel). Ce raisonnement a été appliqué à la question de l’opposabilité, aux/par les dirigeants d’une société, de la clause conclue par la société (CJUE 28 juin 2017, Leventis, aff. C-436/16, D. 2018. 975, obs. Jault-Seseke et les réf.), ou encore à celle de l’opposabilité au destinataire d’une marchandise transportée par mer, non porteur du connaissement, d’une clause insérée dans celui-ci (Com. 27 sept. 2017, n o 15-25927, D. 2018. 975, obs.
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F. Jault-Seseke et les réf.). Cette dernière solution n’allait pas forcément de soi, car c’est justement à propos des connaissements maritimes que le raisonnement alternatif a été consacré. Selon ce second raisonnement, une clause contenue dans un connaissement maritime est opposable au tiers porteur de celui-ci si, selon la loi applicable, ce tiers est considéré comme ayant succédé aux droits et obligations du chargeur (v. not. CJCE, 9 juillet 2000, Coreck Maritime, aff. C-387/98, JDI 2001. 701, note Bischoff ; Rev. Crit. DIP 2001. 358, note Bernard-Fortier). Plus rare, cette solution n’est toutefois pas propre au tiers porteur d’un connaissement, puisqu’elle a également été appliquée à l’acquéreur de titres obligataires à propos de la clause insérée dans le prospectus d’émission des titres (CJUE 20 avr. 2016, Profit Investment, aff. C366/13, D. 2017. 1022, obs. F. Jault-Seseke et les réf.). On comprend que la notion de succession dans les droits des parties à une clause attributive de juridiction doit être appréhendée avec prudence. A fortiori, l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction à des tiers absolus doit être écartée. La CJUE a ainsi refusé que la clause puisse être opposée à la victime d’un dommage exerçant l’action directe contre un assureur (CJUE 13 juill. 2017, Assens, aff. C-368/16, D. 2018. 976, obs. F. Jault-Seseke). Surtout, la jurisprudence refuse ainsi, en application de l'effet relatif de la clause attributive de juridiction, que des codéfendeurs (au sens de : Règl. Bruxelles I bis, art. 8-1, Règl. Bruxelles I, art. 6-1 ; C. pr. civ., art. 42, al. 2) puissent être conjointement attraits devant un tribunal rendu compétent par une clause ne liant qu'un seul d'entre eux (Civ. 1 re, 5 janv. 1999, JDI 2000. 75, note A. Huet). Le demandeur ne peut alors que présenter ses demandes pourtant connexes devant des juridictions distinctes, puisque le souci de concentration des compétences ne peut justifier qu'une partie à une clause attributive de juridiction soit assignée devant une autre juridiction que celle désignée par la clause, prétexte pris du lien avec un autre litige soumis à une autre juridiction (Civ. 1 re, 20 juin 2006, D. 2006. 1841, note X. Delpech ; Gaz. Pal. 28 nov. 2006, p. 25).
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B. Conventions d'arbitrage
Les litiges internationaux peuvent être soustraits à la compétence des juges étatiques par la conclusion d'une convention d'arbitrage, généralement une clause compromissoireQ, pour être soumis à la juridiction d'un juge privé institué par les parties : l'arbitre international. Sans entrer trop avant dans une étude qui relève essentiellement du droit du commerce international, on envisagera brièvement les principaux aspects du régime des clauses compromissoires (1), et leurs effets (2).
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1. Régime de la clause compromissoire En France, le régime des clauses compromissoires est défini par le droit français de l'arbitrage international, inclus au code de procédure civile, et récemment réformé (Décr. n o 2011-48 du 13 janv. 2011). Le droit de l'Union européenne ne réglemente pas les clauses compromissoires ; et les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, qui traitent de la compétence des juridictions, excluent formellement l'arbitrage de leur domaine d'application matériel. La compétence des juges étatiques pour statuer sur l'existence ou la validité d'une clause compromissoire, et plus largement sur tout litige dont l'objet principal a trait à l'arbitrage, est donc en principe réglée par leur propre droit national, tandis que la réglementation substantielle des clauses est ellemême soumise au droit national. L'étanchéité entre droit national et droit de l'Union
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européenne, en la matière, ne va pas sans poser certains problèmes. L'un des effets de la clause compromissoire étant, on y reviendra, de priver les juges étatiques de compétence pour connaître d'un litige, la clause compromissoire emporte nécessairement des conséquences sur l'application des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, en ce qu'ils déterminent la compétence des juridictions des États membres en matière contractuelle. Pour cette raison, la CJUE avait jugé sous l’empire du Règlement Bruxelles I que, dans certaines hypothèses et notamment lorsque l'objet principal d'un litige porte sur une matière relevant du domaine d'application du règlement (par exemple une demande de dommages et intérêts fondée sur la responsabilité contractuelle), la compétence des juges pour connaître d'une question préalable ayant trait à l'arbitrage relève de l'application des dispositions du règlement (CJCE 10 févr. 2009, West tankers, aff. C-185-07, Rev. crit. DIP 2009. 373, H. Muir Watt ; JDI 2009. 20, B. Audit ; D. 2009. 981, C. Kessedjian ; LPA 16 mars 2009, n o 53, p. 15, note S. Clavel). Très contestée, cette jurisprudence a suscité une vive opposition. À l’occasion de la révision du règlement Bruxelles I, certains ont plaidé pour une réintroduction au moins partielle de l'arbitrage dans son domaine d'application ; la doctrine française y était cependant majoritairement opposée. Le règlement Bruxelles I bis a finalement maintenu l’exclusion, et a même tenté de la renforcer par un considérant du Préambule. Le considérant 12 détaille ainsi les principales conséquences qu’il faut attacher à l’exclusion de l’arbitrage : droit pour la juridiction saisie sur le fondement du règlement de ne pas statuer et de renvoyer les parties à l’arbitrage s’il y a une convention d’arbitrage ; inapplicabilité du règlement à la circulation des décisions étatiques statuant sur la validité ou l’applicabilité d’une clause compromissoire, ainsi qu’à toutes les actions relatives à l’organisation de la procédure arbitrale ; primauté sur le règlement de la Convention de New York du 10 juin 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences étrangères. Si ces précisions sont bienvenues, elles n’ont malheureusement pas levé toutes les interrogations (v. ss 1041 sur le sort des injonctions anti-suit au soutien de l’arbitrage).
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Les parties ne peuvent valablement décider de recourir à l'arbitrage, par la conclusion d'une convention d'arbitrage, que si la matière du litige est arbitrableQ. Du point de vue français, sont par exemple inarbitrables, en ce sens que leur connaissance ne peut échapper aux juridictions étatiques, les litiges relatifs à l'état des personnes et aux droits de la personnalité ou encore ceux relatifs à la matière pénale. La question de l'arbitrabilité des litiges impliquant des parties faibles fait l'objet de règles spécifiques (v. ss 1044). On ne peut qu’observer l’extension progressive du domaine des matières arbitrables.
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Lorsque le recours à l'arbitrage est possible, la clause compromissoire doit encore être valablement conclue. De ce point de vue, le droit français de l'arbitrage consacre l'autonomie de la clause, notion qui recouvre deux réalités distinctes. On évoque en premier lieu l'autonomie de la clause compromissoire par rapport à la loi étatique. La formule signifie que la validité de la clause compromissoire ne s'apprécie pas au regard de la loi du contrat (c'est‑à-dire de la loi désignée par la règle de conflit applicable en matière contractuelle), mais en considération d'une règle matérielle française directement applicable dès lors que les juridictions françaises sont saisies. La méthode a été consacrée par l'arrêt Dalico, qui pose les conditions de validité de la clause (Civ. 1 re, 20 déc. 1993, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon) : « en vertu d'une règle
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matérielle de droit international de l'arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence, et son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Ces conditions de validité ont été précisées par un arrêt Soerni (Civ. 1re, 8 juill. 2009, Rev. crit. DIP 2009. 779, note F. Jault-Seseke ; D. 2009. 2959, obs. Th. Clay ; Rev. arb. 2009. 529, note D. Cohen) qui énonce que « l'engagement d'une société à l'arbitrage ne s'apprécie pas par rapport à une quelconque loi nationale, mais par la mise en œuvre d'une règle matérielle déduite du principe de validité de la convention d'arbitrage fondée sur la volonté commune des parties, de l'exigence de bonne foi et de la croyance légitime dans les pouvoirs du signataire de la clause ». Il ressort également de ces décisions que l'autonomie de la clause compromissoire doit être, en second lieu, envisagée par rapport au contrat qui l'intègre (v. déjà, Civ. 1 re, 7 mai 1963, Gosset, Rev. crit. DIP 1963. 615, note H. Motulsky ; JDI 1964. 82, note J.-D. Bredin ; Civ. 4 juill. 1942, Hecht, v. ss 197). En ce sens, l'autonomie de la clause — que certains auteurs préfèrent dénommer séparabilité — implique que son sort est indépendant de celui du contrat substantiel qui l'accueille. Ainsi la nullité du contrat principal, pas plus que sa résolution ou sa résiliation, n'ont d'incidence sur l'existence et la validité de la clause compromissoire (C. pr. civ., art. 1447 ; v. aussi le nouvel art. 1230 du C. civ.). La compétence de l'arbitre est donc acquise, quelle que soit, au fond, la destinée du contrat principal.
2. Effets de la clause compromissoire L'effet principal d'une clause compromissoire est d'investir l'arbitre du pouvoir juridictionnel nécessaire pour trancher le litige au fond. Accessoirement, l'arbitre reçoit, en vertu de l'effet positif du principe de compétence-compétenceQ, le pouvoir de statuer sur sa propre compétence ; même si l'une des parties conteste son pouvoir juridictionnel, il lui appartient de statuer sur la validité de son investiture (C. pr. civ., art. 1465). Corrélativement, les juges étatiques sont, par l'effet de la clause compromissoire, privés de compétence. On pourrait toutefois songer à leur reconnaître au moins le pouvoir de statuer sur la validité de la clause compromissoire lorsque celle-ci est contestée devant eux ; ils ne se dessaisiraient alors, le cas échéant, qu'une fois la validité de la clause vérifiée. Néanmoins, pour garantir l'effectivité de l'arbitrage international, le Code de procédure civile français retient que les juridictions étatiques doivent se déclarer incompétentes dès lors qu'elles constatent l'existence d'une convention d'arbitrage, « à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle » (C. pr. civ., art. 1448). Cette priorité offerte à l'arbitre pour statuer sur sa propre compétence est appelée « effet négatif du principe de compétencecompétenceQ ». Cette particularité du droit français, très favorable à l'arbitrage, ne se retrouve pas dans tous les systèmes juridiques, même au sein de l'Union européenne.
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Opposable au juge étatique, la clause compromissoire produit naturellement son effet principal à l'égard des parties, qui sont liées par la clause et doivent la respecter en portant leurs demandes devant la juridiction arbitrale. En droit français, l'effet négatif du principe de compétence-compétenceQ permet de garantir l'effectivité de la clause, puisque si l'une des parties saisit un juge français en violation de la clause, celui-ci la renverra en principe à l'arbitrage. D'autres droits, qui ne consacrent pas l'effet négatif du principe de compétence-compétence, ont toutefois développé des
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instruments performants pour imposer aux parties le respect de la clause compromissoire. On songe notamment aux injonctions anti-suit des droits de common law, déjà envisagées comme sanctions des clauses attributives de juridiction (v. ss 368), et qui sont également appliquées pour sanctionner le non-respect des clauses compromissoires. La CJUE s'est toutefois opposée à l'usage de ces injonctions anti-suit, au soutien des clauses compromissoires, lorsque le juge saisi en violation de la clause est le juge d'un État membre de l'Union européenne (arrêt West tankers, préc. v. ss 1037). Cette jurisprudence sera-t‑elle maintenue, sous l’empire du règlement Bruxelles I bis qui renforce l’exclusion de l’arbitrage de son domaine d’application (v. ss 1037) ? Cette question reste en suspens, la CJUE n’ayant pas saisi l’occasion qui lui était donnée de se prononcer clairement sur ce point (CJUE 13 mai 2015, GazProm, aff. C536/13, D. 2015. 2031, S. Bollée, ibid. 2288, obs. Th. Clay ; Cahiers de l’arbitrage, 2016/1, p. 63, S. Clavel). Au-delà des parties stricto sensu, d'autres personnes peuvent être liées par la clause compromissoire, car sa circulation est favorisée par le droit positif français. Selon un principe bien établi, la clause compromissoire est tout d'abord opposable au subrogé dans les droits d'une partie, ainsi qu'au cessionnaire du contrat qui la contient (Civ. 1re, 10 janv. 2006, RTD civ. 2006. 552, obs. J. Mestre et B. Fages). Elle est également transmise dans les chaînes de contrats homogènes (Civ. 1 re, 6 févr. 2001, Peavy, D. 2001. Somm. 1135, obs. Ph. Delebecque ; Rev. crit. DIP 2001. 522, note F. Jault-Seseke) tout comme hétérogènes lorsqu'elles sont translatives de propriété (Civ. 1re, 27 mars 2007, D. 2007. 1086, obs. X. Delpech et 2077, note S. Bollée ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; D. 2008. Pan. 184, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke). Elle joue, à certaines conditions, dans les groupes de contrats (pour une application récente au contrat de crédit-bail : Com. 25 nov. 2008, D. 2009. 2959, obs. Th. Clay ; ibid. 1516, note G. Pillet ; et au contrat de sous-traitance : Civ. 1 re, 26 oct. 2011, n o 10-17.708). Elle est également personnellement opposable au dirigeant d'une société ayant signé le règlement intérieur dans lequel elle était incluse (Civ. 1 re, 22 oct. 2008, D. 2009. 2959, obs. Th. Clay et les notes citées).
§
2 Règles de compétence « protectrices » des parties faibles
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Les règles de compétence protectrices des parties faibles qui s’appliquent dans les contrats de consommation, dans les contrats de travail et dans les contrats d’assurance ont déjà fait l’objet d’une présentation exhaustive, à laquelle il sera renvoyé. On rappellera simplement que la protection passe ici par un encadrement des clauses attributives de juridiction (sur lequel, v. ss 349 s.), ainsi que par la consécration de règles de compétence dérogatoires conçues en faveur de la partie faible (sur lesquelles, v. ss 348).
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À ce bref rappel, on ajoutera encore quelques mots sur le sort réservé aux conventions d’arbitrage insérées dans des contrats impliquant des parties faibles. À bien des égards, l'arbitrage international peut sembler une voie de droit inadaptée pour les particuliers. Souvent fort coûteux, il emporte en outre renonciation à l'exercice des voies de recours ordinaires (seul le recours en annulation de la sentence pouvant être admis). On ne s'étonnera donc pas que le droit positif soit particulièrement réservé
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lorsqu'une clause compromissoire est intégrée dans un contrat de consommation ou de travail. La règle est régulièrement rappelée s'agissant des clauses compromissoires insérées dans les contrats de travail : si la clause n'est pas nulle, elle est en revanche inopposable au salarié (Soc. 28 juin 2005, Rev. crit. DIP 2006. 156, note F. Jault-Seseke ; récemment repris par Soc. 12 mars 2008, n o 01-44.654). La jurisprudence s’est montrée plus hésitante en ce qui concerne les clauses compromissoires insérées dans les contrats de consommation, retenant qu’il appartient à l’arbitre, en vertu du principe de compétence-compétence, d’apprécier leur opposabilité à la partie faible (Civ. 1 re, 21 mai 1997, Jaguar, Rev. arb. 1997. 537, note E. Gaillard ; 30 mars 2004, Rado, Rev. arb. 2005. 115, Boucobza ; D. 2005. Pan. 3051, Th. Clay). Cette solution, qui oblige le consommateur à saisir l’arbitre pour obtenir, le cas échéant, que la clause lui soit jugée inopposable, n’est pas satisfaisante. Mais il n’est pas certain qu’elle soit encore d’actualité. L’article 2061 al. 2 du Code civil énonce désormais que « Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée » ; l’applicabilité de cette disposition aux contrats internationaux est toutefois questionnée. Reste alors l’incidence de l’article R. 212-2 du Code de la consommation, qui prévoit que sont présumées abusives les clauses ayant pour objet de supprimer ou entraver l’exercice de l’action en justice par le consommateur, « notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ». Cette présomption de caractère abusif devrait suffire à écarter l’effet négatif du principe de compétence-compétence dans les contrats de consommation. Le consommateur peut ainsi saisir le juge, même en présence d’une clause compromissoire, pour que celui-ci apprécie son opposabilité.
3 Règles de compétence ordinaire
Lorsque les parties n'ont pas désigné la juridiction compétente pour connaître de leurs litiges, et qu'aucune règle de compétence exclusive ou protectrice n'est applicable, le tribunal compétent doit être déterminé par recours aux règles de droit applicables. Celles-ci diffèrent en droit de l'Union européenne (A), applicable lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union, et en droit commun français (B), applicable dans les autres cas.
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A. Droit européen de la compétence en matière contractuelle Lorsqu’il n’y a ni compétence exclusive, ni clause attributive de juridiction valable et applicable, ni compétence protectrice d’une partie faible, les actions de nature contractuelle peuvent évidemment être introduites devant les juridictions du domicile du défendeur, conformément à la règle de principe (v. ss 374 s.). Le droit européen institue toutefois une compétence spéciale, alternative à la règle générale (le défendeur a donc le choix), propre à la matière contractuelle. L'article 7-1 du règlement Bruxelles I bis (5-1 du Règl. Bruxelles I) énonce : « Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.
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b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est : – pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; – pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu de ce contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ; c) Le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ». Le point b) doit être envisagé à titre préalable, car il pose une règle simplifiée, qui n’est cependant applicable qu’aux actions concernant un contrat de vente de marchandises ou un contrat de fournitures de services (1). Pour tous les autres contrats, il est nécessaire d’appliquer le point a), dont la mise en œuvre – qui a donné lieu à une abondante jurisprudence de la CJUE, est assez complexe (2).
1. Règle de compétence applicable aux ventes de marchandises et aux fournitures de services 1047
Lorsque l’action concerne un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture de services, le point b de l’article 7-1 du Règlement Bruxelles I bis pose une règle rigide destinée à faciliter l'identification du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande. Pour les contrats de vente de marchandises, la compétence est ainsi dévolue au tribunal du lieu de livraison des marchandises, qui est irréfragablement (et souvent fictivement) présumé être celui du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande. Pour les contrats de prestation de services, la compétence est dévolue au tribunal du lieu où les services doivent être fournis. Pour autant, il ne faudrait pas penser que l’application de cette disposition ne suscite aucune difficulté.
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Tout d’abord, il n’est pas toujours facile d’identifier quel est, en fait, le lieu où les marchandises sont ou doivent être livrées, et surtout le lieu où les services sont ou doivent être fournis. Il faut en principe retenir ce lieu tel qu’il est défini par le contrat, mais celui-ci peut être muet, ou encore définir des lieux d’exécution multiples. Dans ce dernier cas, la CJUE a jugé qu’il faut retenir le lieu de la livraison principale ou de la fourniture principale de services (CJUE 3 mai 2007, Color Drack, aff. C-386/05 ; CJUE 11 mars 2011, Wood Floor, aff. C-19/09) ; si aucun lieu « principal » d’exécution ne peut être identifié, la CJUE retient des solutions variables, en fonction des circonstances (dans l’arrêt Color Drake, en matière de vente, elle a considéré que le demandeur pouvait choisir entre les différents lieux ; dans l’arrêt Wood Floor, en matière d’agence commerciale, elle a jugé qu’il fallait alors retenir la compétence du tribunal du domicile de l’agent). Pour certains contrats de prestation de services, le lieu de l’exécution est particulièrement difficile à déterminer ; c’est le cas notamment pour la prestation de transport. À propos du transport aérien de passager, la CJUE a jugé qu’il faut prendre en compte les différents éléments de localisation de l’exécution du contrat, pour rechercher quel tribunal entretient les liens les plus étroits avec le contrat (CJUE 9 juill. 2009, Peter Rehder, aff. C-204/08).
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Ensuite, la qualification de « contrat de vente de marchandises » et de « contrat de fourniture de services », peut donner lieu à discussion. Le contrat de distribution offre une très bonne illustration de la difficulté. La Cour de cassation a longtemps considéré que ce contrat ne constituait ni un contrat de vente, ni un contrat de fourniture de services au sens du point b) de l’article 7-1 du Règlement Bruxelles I,
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avec pour conséquence l’inapplicabilité de cette disposition pour identifier le tribunal compétent et le retour obligatoire au point a. La CJUE a toutefois retenu une solution contraire, en optant après quelque hésitation pour une interprétation relativement extensive de l’article 7-1 point b. Le contrat de distribution « typique », c’est‑à-dire celui qui repose sur une sélection des distributeurs par un fournisseur conférant aux premiers un ensemble d’avantages, est bien un contrat de fourniture de services (CJUE 19 déc. 2013, Corman Collins, aff. C-9/12, D. 2014. 1059, obs. F. JaultSeseke, et 1967, obs. L. d’Avout ; Rev. Crit. DIP 2014. 660, note D. Bureau). En revanche, si la relation entre les parties se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison de marchandises, la relation contractuelle correspond à une vente de marchandises (CJUE 14 juill. 2016, Granarolo, aff. C-196/15, Rubrique Documents). La Cour de cassation française a donc finalement dû modifier sa jurisprudence pour s’aligner sur la solution imposée par la Cour de justice.
2. Règle de compétence applicable aux autres contrats Pour les contrats autres que la vente de marchandises et le fournisseur de services, le tribunal compétent est celui du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. La mise en œuvre concrète de cette formule a suscité d'importantes difficultés et de nombreuses interventions de la CJUE. Pour schématiser, on peut distinguer deux étapes dans le raisonnement.
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La première étape, pour déterminer le tribunal compétent, est l'identification de l'obligation qui sert de base à la demande. Cette référence à l'obligation « qui sert de base à la demande » n'était pas inscrite dans la version d'origine de la convention de Bruxelles, et a été imposée par la Cour de justice des Communautés européennes dans son célèbre arrêt De Bloos (CJCE 6 oct. 1976, v. rubrique Documents). C'est donc l'obligation qui fonde directement l'action en justice qui doit être considérée. À titre d'exemple, dans une action en paiement d’une redevance due au titre d’un contrat de licence de marque, l'obligation qui sert de base à la demande est l'obligation de payer pesant sur le bénéficiaire de la licence. Cette solution, qui écarte celle qui aurait consisté à retenir l'obligation caractéristique du contrat, pose une difficulté pratique lorsque, comme cela est fréquemment le cas, plusieurs demandes, fondées sur des obligations différentes, sont présentées en justice ; ainsi lorsque le créancier invoque à la fois un manquement à une obligation de payer pour en demander l'exécution forcée et un manquement à la bonne foi pour obtenir des dommagesintérêts. La Cour a, dans cette hypothèse, distingué deux cas de figure : – si l'une des deux obligations peut être jugée principale par rapport à l'autre, seulement accessoire, elle a jugé dans son arrêt Shenevaï (CJCE 15 janv. 1987, v. rubrique Documents) que l'obligation à prendre en considération est l'obligation principale ; le juge compétent pour connaître du litige portant sur cette obligation pourra donc connaître de ceux afférant aux obligations accessoires ; – mais, si les deux obligations sont équivalentes, elle a décidé dans son arrêt Leathertex (CJCE 5 oct. 1999, Rev. crit. DIP 2000. 76, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2000. 540, note F. Leclerc) que la compétence ne peut être concentrée au profit du juge compétent pour connaître de l'une de ces deux obligations ; il faut donc dissocier les procédures, alors même que ces obligations procéderaient du même contrat (sauf à utiliser l'art. 6 Règl. BI ou 8 Règl. BI bis sur lequel, v. ss 381 s.).
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La seconde étape, une fois identifiée l'obligation qui sert de base à la demande, consiste à localiser le lieu d'exécution de cette obligation. On pourrait bien évidemment songer à une pure localisation en fait. Mais cette localisation en fait a été jugée inopportune, en raison des difficultés qu’elle soulève. Il revient donc aux règles juridiques de déterminer le lieu qu'il convient de retenir comme lieu d'exécution. La difficulté est particulièrement nette pour les obligations de payer : où ces obligations s'exécutent-elles en fait, sachant que les paiements sont aujourd'hui essentiellement immatériels ? Pour pallier la difficulté, les législations nationales posent des règles de droit, selon lesquels le paiement est quérable (domicile du débiteur) ou portable (domicile du créancier). Mais s'il faut recourir aux règles de droit, quelles sont les règles qu'il convient d'appliquer dans le cadre du droit européen ? Si chaque juge appliquait sa propre conception, il serait très facile de choisir le juge en fonction de la conception qu'il applique ; la solution consistant à recourir aux règles du for favoriserait donc le forum shopping. Aussi la Cour de justice a-t‑elle imaginé un système plus complexe. Dans l'arrêt Tessili (CJCE 6 oct. 1976, v. rubrique Documents), elle a retenu que « le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée au sens de l'article 5-1 est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ». En d'autres termes, le juge saisi doit, pour apprécier sa compétence, mettre préalablement en œuvre le conflit de lois pour rechercher la loi applicable à l'obligation qui sert de base à la demande. Une fois cette loi identifiée (en principe la lex contractus), le juge doit suivre les prescriptions de cette loi pour déterminer le lieu de l'exécution des obligations. Ainsi, s'agissant d'une obligation de payer, si la loi du contrat est la loi française, l'obligation s'exécute au domicile du débiteur puisque la loi française retient que le paiement est quérable.
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Complexe, ce système s'est heurté à une certaine hostilité des juges du fond qui préféraient recourir, lorsque cela était possible, à une localisation purement factuelle, et ce en dépit des censures systématiquement prononcées par la Cour de cassation. Nombreuses sont les voix à s’être élevées pour réclamer une refonte totale de la règle de compétence spéciale en matière contractuelle. On l’a vu, le règlement Bruxelles I a apporté une certaine simplification, pour les contrats de vente de marchandises et les contrats de fourniture de services, et la CJUE semble vouloir adopter une conception assez libérale de ces notions pour étendre le champ d’application de la règle simplifiée. La règle posée par le point a) de l’article 7-1 du règlement Bruxelles I bis (art. 5-1, Règl. Bruxelles) reste toutefois applicable à un nombre non négligeable de contrats, et il est certainement regrettable que la révision du règlement n’ait pas été mise à profit pour adopter une autre approche, qui aurait pu consister en une suppression pure et simple du for contractel.
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B. Droit commun de la compétence en matière contractuelle 1054
Les juridictions françaises ont une compétence générale lorsque le défendeur est domicilié en France. Cette règle, née de l'extension à l'ordre juridique international de l'article 42 du Code de procédure civile, s'applique en matière contractuelle. Mais elle est complétée par une règle spéciale, qui offre au demandeur une alternative. En matière contractuelle, en effet, l'article 46 du Code de procédure civile autorise le demandeur à saisir, outre le tribunal du domicile du défendeur, « la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ». Ce texte, qui a été étendu à la compétence internationale, autorise donc à
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retenir la compétence des juridictions françaises, en matière contractuelle, chaque fois que dans un contrat de vente la livraison de l'objet du contrat est attendue en France, ou que dans un contrat de prestation de services l'exécution de cette prestation est due en France. La portée de cette règle de compétence est cependant limitée. Applicable aux ventes et aux prestations de services, elle est textuellement inapplicable lorsque le contrat en cause est d'une autre nature. Par exemple, la jurisprudence française a retenu que, le contrat de cautionnement ne constituant pas une prestation de services, la compétence de la juridiction ne peut être déterminée en application de l'article 46 du Code de procédure civile. Bon nombre de litiges contractuels restent donc soumis à la seule juridiction du domicile du défendeur.
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Compléments pédagogiques
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I. La loi applicable aux contrats internationaux est aujourd'hui principalement définie, en France, par le règlement Rome I du 17 juin 2008 applicable aux contrats conclus après le 17 décembre 2009, qui remplace la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles encore applicable aux contrats conclus entre le 1er avril 1991 et le 17 décembre 2009. Le droit européen retient comme solution de principe, ainsi que le faisait le droit international privé commun (qui régit encore les contrats conclus avant le 1er avril 1991), le principe d'autonomie : les parties peuvent librement choisir une ou plusieurs (technique du dépeçage) lois étatiques pour régir leur contrat. En l'absence de choix, le règlement Rome I retient la compétence de la loi de l'État de résidence du débiteur de la prestation caractéristique, à titre de rattachement général, complété par divers rattachements spéciaux pour certains types de contrats (transport, contrat portant sur un droit réel immobilier ou un droit d'utilisation d'un immeuble, franchise…). La loi ainsi désignée peut cependant être écartée au bénéfice de la loi d'un autre État, qui entretient des liens plus étroits avec le contrat (clause d'exception). Une règle de conflit dérogatoire joue pour les contrats impliquant une partie faible (contrat de travail, contrat de consommation, contrat d'assurance…), dans lesquels le principe d’autonomie est par ailleurs encadré. La convention de Rome consacre une approche légèrement différente, puisqu'elle retient la compétence de principe de la loi de l'État qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat, présumée être la loi de l'État de résidence du débiteur de la prestation caractéristique. Cette présomption générale ne vaut pas pour tous les contrats. Certains sont soumis à une présomption spéciale pour identifier la loi des liens les plus étroits (transport) ; d'autres à une loi impérativement définie par une règle de conflit spéciale. Système conventionnel et système réglementaire ne s'éloignent donc que peu dans leur résultat, même si la méthode diffère. La loi ainsi définie ou lex contractus a un domaine d'application large. Elle couvre la phase précontractuelle, de même que la formation, l'exécution et la rupture du contrat. Elle cède toutefois ponctuellement la place à d'autres lois sur des aspects spécifiques : la capacité des parties, régie par la loi nationale des intéressés ; les pouvoirs des représentants des sociétés, régis par la lex societatis ; le contenu des droits réels en cause, soumis à la lex rei sitae. Elle a en outre parfois une vocation concurrente à celle d'autres lois, comme en matière de preuve ou de forme des contrats, où la loi du lieu de conclusion et la loi du for ont des titres à intervenir de façon alternative. Enfin, dans son domaine d'application, la lex contractus est parfois évincée par la mise en œuvre des mécanismes classiques des lois de police, des règles matérielles, ou en raison de sa contrariété à l'ordre public international. Son éviction peut également être justifiée en raison de l'insuffisante protection qu'elle offre à une partie jugée faible : le droit européen impose en ce sens de comparer la lex contractus
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à une loi de référence désignée pour fixer le minimum de protection requis (loi de la résidence du consommateur, loi du lieu d'exécution du travail pour le travailleur) ; la lex contractus ne joue alors qu'à la condition d'être plus favorable.
Quid
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II. Le tribunal spécialement compétent en matière contractuelle peut être choisi par les parties dans le cadre d'une clause attributive de juridiction ; les parties peuvent même préférer le recours à une justice privée par la voie de l'arbitrage international. L'étendue de leur liberté varie toutefois en fonction de la nature du contrat en cause. Dans les contrats caractérisés par une asymétrie des parties, les clauses attributives de juridiction ne sont usuellement admises que dans des limites précises (contrats de consommation, de travail, d'assurance), et les clauses compromissoires sont parfois purement et simplement inopposables à la partie faible (contrat de travail). À défaut de choix, le tribunal compétent est le tribunal du domicile du défendeur (règle générale). Mais il existe une compétence spéciale, alternative, propre à la matière contractuelle, définie par l'article 7-1 point a du règlement Bruxelles I bis (art. 5-1, Règl. BI). Il s'agit du tribunal du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande. Pour faciliter la mise en œuvre de ce texte, le point b de l'article 7-1 pose comme règle, pour les seuls contrats de vente et de fourniture de services, que le tribunal compétent est, en matière de vente, celui du lieu de livraison des marchandises, et en matière de prestation de services celui du lieu où les services doivent être fournis. Mais lorsque le contrat n'est ni une vente, ni une prestation de services, il faut revenir au principe, selon la méthode progressivement définie par la Cour de justice de l'Union européenne (jurisprudence De Bloos-Tessili) : après avoir identifié l'obligation qui sert de base à la demande, il convient, pour déterminer son lieu d'exécution, d'interroger la lex contractus. Le tribunal compétent est donc celui du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande doit, d'après la lex contractus, être exécutée. Des règles de compétence dérogatoires sont posées pour les litiges relatifs aux contrats impliquant une partie faible. Le droit commun français, applicable lorsque le défendeur est domicilé en dehors de l’Union européenne, comporte également une règle de compétence spéciale à la matière contractuelle, pour les seuls contrats de vente et de prestation de services (art. 46, C. pr. civ.).
n A r b i t r a b i l i t é n o 1 03 8 Qualité de ce qui est arbitrable, des litiges qui peuvent, par nature, être soumis à l'arbitrage. Certains litiges sont inarbitrables. n Cl a us e a t t r i b u t i v e d e ju r i d i c t i o n n o 1 0 29 Clause de nature processuelle, insérée dans un contrat substantiel, par laquelle les parties au contrat attribuent compétence au juge qu’elles désignent pour le règlement des litiges relatifs à ce contrat. n Cl a us e c o m p ro m i s so i r e n o 1 0 3 6 Clause de nature processuelle, insérée dans un contrat substantiel, consacrant l'existence entre les parties d'une convention d'arbitrage pour le règlement des litiges relatifs à ce contrat. 631
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n Cl a us e d 'e l e c t i o ju r i s n o 9 67 Clause contractuelle par laquelle les parties à un contrat choisissent la loi à laquelle elles entendent soumettre ce contrat.
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n Co n v e n t i o n d ' a r b i t r a g e n o 10 2 8 Convention par laquelle les parties à un contrat ou plus généralement à tout rapport de droit privé arbitrable (sur l'arbitrabilité, v. ss 1038) s'engagent à soumettre les litiges relatifs à ce rapport à un juge privé institué par elles, l'arbitre.
n Co n v e n t i o n d ' é l e c t i o n d e f o r n o 1 0 28 Convention en vertu de laquelle les parties s'accordent pour donner compétence, relativement à un rapport de droit privé défini, à un tribunal de leur choix tandis que les juridictions des autres États se trouvent corrélativement privées de toute compétence.
n Co n t r a t in t e r n a t i o n a l n o 9 6 1 Selon les cas, contrat affecté d'un élément d'extranéité, c'est‑à-dire dont tous les éléments ne sont pas localisés dans un même ordre juridique (critère juridique), ou contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international (critère économique).
n Co n t r a t sa n s lo i n o 9 6 7
Expression désignant un contrat que les parties auraient décidé de soustraire à l'autorité de toute loi étatique, par exemple en le soumettant directement à un corpus de règles doctrinales tels les Principes Unidroit ; dans le système conflictuel issu de la convention de Rome et du règlement Rome I, le contrat sans loi n'est pas admis, tout contrat étant nécessairement régi par une loi étatique.
n Dépeçage no 968
Technique autorisant les contractants, ou le juge en l'absence de choix de loi par les parties, à soumettre les différentes parties du contrat à plusieurs lois distinctes. Les modalités pratiques du dépeçage par les parties sont discutées par la doctrine, et le dépeçage par le juge est strictement encadré par le droit communautaire.
n E f f e t n é g a t i f d u p r i nc i p e d e c o m p é t e n c e - c o m p é t e n c e n o 10 4 0 Effet du principe de compétence-compétence qui conduit à conférer à l'arbitre une priorité pour statuer sur sa propre compétence, en interdisant au juge étatique qui constate l'existence d'une convention d'arbitrage de se prononcer sur la validité de celle-ci tant que l'arbitre ne s'est pas lui-même prononcé.
n Effet positif du principe de compétence-compétence no 1040 Effet du principe de compétence-compétence qui conduit à reconnaître à l'arbitre le pouvoir de statuer sur la régularité de son investiture, c'est‑à-dire sur la validité et le domaine d'application de la convention d'arbitrage.
n Prestation caractéristique n o 982 Souvent décrite comme la prestation pour laquelle le paiement est dû, la prestation caractéristique est l'obligation fondamentale du contrat, dont l'exécution réalise l'effet contractuellement poursuivi par les parties (livraison de la chose dans la vente,
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mise à disposition du bien dans le bail, exécution de la prestation dans le contrat de services, etc.).
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n P r i n c i p e d e c om p é t e n c e - c o m p é t e n c e n o 1 04 1 Principe du droit de l'arbitrage, en vertu duquel l'arbitre reçoit une compétence pour statuer sur sa propre compétence, c'est‑à-dire apprécier la validité de son investiture par la convention d'arbitrage ; on distingue un effet positif et un effet négatif du principe. n Principe de proximité n o 979 Principe de solution du conflit de lois préconisant l'application à un rapport de droit de la loi qui présente avec ce rapport les liens les plus étroits, ces liens étant appréciés in concreto ; le principe est aussi visé dans les conflits de juridictions, où il justifie que compétence internationale soit reconnue à un tribunal dès lors qu'il entretient des liens suffisamment étroits avec le litige. n P r i n c i p e s U n i d r o i t (i n e xt e n so , P r i n c i p e s d ' U n i d ro i t r el at i f s a u x co n t r a t s d u c o m m e r c e i n t e r na t i o n a l ) n o 9 6 5 Ensemble de normes définies par un groupe d'expert, constitué par Unidroit, en considération de leur particulière adaptation à la réglementation des contrats internationaux ; ces normes, qui n'ont fait l'objet d'aucune adoption formelle par les États, n'ont pas force de loi mais les parties peuvent, usant de la liberté qui leur est laissée en matière internationale, y recourir volontairement par une contractualisation.
Documents 1) Principaux arrêts
C i v . 5 dé c . 1 9 1 0 , A m e r i c a n T r a d i n g C o m p an y (GADIP, n o 11 ; JDI 1912. 1156)
L'arrêt American Trading Company est considéré comme le premier à avoir formellement consacré le principe d'autonomie en droit international privé français des contrats. Il énonce en effet que « la loi applicable aux contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions, est celle que les parties ont adoptée ». Il précise encore que « cette manifestation peut être expresse, mais [qu']elle peut s'induire des faits et circonstances de la cause, ainsi que des termes du contrat ». Au-delà de cet apport majeur, cet arrêt fait naître une discussion sur la possible admission, par le droit commun français, du contrat sans loi ; la Cour de cassation y valide en effet une clause contractuelle (clause exclusive de responsabilité du capitaine d'un navire) pourtant nulle en application d'une disposition impérative de la loi américaine que les parties avaient choisie, aux motifs que ces dernières n'avaient pas entendu se soumettre à la loi américaine sur ce point : « s'il avait été convenu entre les parties que leurs accords seraient régis par l'acte du Congrès des États-Unis du 13 février 1893, il résulte de l'esprit et des termes de leur convention que, dans leur commune intention, elles n'entendaient se soumettre à la loi américaine que pour tout ce qui n'aurait pas été expressément prévu par la charte-partie ». Or la loi choisie par les parties ne régit effectivement leur contrat que si elle s'impose aux parties dans toutes ses dispositions impératives ; l'arrêt paraît donc consacrer, mais
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il est ambigu, une possibilité de contrat sans loi qui reste aujourd'hui discutée en doctrine sur le principe, et que le droit international privé communautaire a en toute hypothèse répudiée.
C i v . 1 r e , 6 j u i l l . 1 9 5 9, F o u r r u r es R e n e l
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(GADIP, n o 35 ; Rev. crit. DIP 1959. 708, note H. Batiffol) L'arrêt Fourrures Renel consacre l'approche dualiste du droit international privé français des contrats. S'il retient la théorie de la localisation du contrat, en énonçant que les juges du fond doivent « rechercher, d'après l'économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants », il ne valide cette méthode qu'en l'absence de déclaration expresse des parties quant à la loi applicable, après avoir rappelé qu'en principe, la loi applicable aux contrats est celle que les parties ont adoptée. Ainsi, l'identification de la loi du contrat repose bien sur deux règles alternatives : soit les parties ont expressément choisi la loi applicable à leur contrat, et cette loi s'applique en vertu du principe d'autonomie ; soit les parties n'ont pas choisi la loi applicable à leur contrat, et il revient aux juges d'identifier cette loi en localisant le contrat d'après ses termes et les circonstances de la cause.
C i v . 2 8 m a i 1 9 63 , C h a pl i n
(Rev. crit. DIP 1964. 0513, note Y. Loussouarn ; JDI 1963. 1004, note B. Goldman) L'arrêt Chaplin consacre le caractère facultatif de la compétence de la loi du lieu de conclusion comme loi applicable à la forme des actes juridiques. Il pose en effet le principe selon lequel « la règle locus regit actum ne s'oppose pas à ce que les contrats internationaux soient passés en France en une forme prévue par la loi étrangère qui les régit au fond ».
C J C E 6 oc t . 1 9 76 , D e B l o o s
(Rev. crit. DIP 1977. 761, note P. Gothot et D. Holleaux) L'arrêt De Bloos précise, à une époque où l'article 5-1 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 visait seulement, comme tribunal compétent en matière contractuelle, celui du « lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée », quelle est l'obligation qui doit être prise en compte pour rechercher le tribunal compétent : il s'agit de l'obligation qui sert de base à la demande. La formule, ultérieurement intégrée au texte de la convention, a été conservée par le règlement Bruxelles I, mais est privée d'une partie de sa portée. Pour les contrats de vente et les contrats de prestation de services, en effet, les tribunaux compétents sont respectivement ceux du lieu d'exécution de l'obligation de livraison et de l'obligation de prestation de services ; l'obligation caractéristique de ces contrats est donc retenue, de préférence à l'obligation qui sert de base à la demande. Celle-ci reste cependant le critère de détermination de la compétence des tribunaux chaque fois que le contrat qui constitue le fondement du litige n'est ni une vente, ni une prestation de services.
C J C E 6 oc t . 1 9 76 , T es s i l i
(Rev. crit. DIP 1977. 761, note P. Gothot et D. Holleaux ; JDI 1977. 702, note J.-M. Bischoff et A. Huet) L'arrêt Tessili complète l'arrêt De Bloos dans l'explicitation des modalités de mise en œuvre de l'article 5-1 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Alors que l'arrêt De Bloos identifie l'obligation contractuelle qu'il convient de prendre en compte pour apprécier la compétence des tribunaux en matière contractuelle (obligation qui sert de base à la demande), l'arrêt Tessili précise comment le lieu d'exécution de cette obligation doit être déterminé. À une
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localisation en fait ou selon les règles substantielles du for, l'arrêt préfère une localisation « déterminée conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflits de la juridiction saisie ». Il impose donc un détour par le conflit de lois pour déterminer la juridiction compétente. Comme pour l'arrêt De Bloos (v. supra), cette solution est partiellement remise en cause par le règlement Bruxelles I, pour les contrats de vente et les contrats de prestation de services.
C J C E 1 5 j an v . 19 8 7 , S h e n ev a ï
(Rev. crit. DIP 1987. 798, note G. Droz ; JDI 1987. 465, note J.-M. Bischoff et A. Huet) L'arrêt Shenevaï, tout en confirmant l'arrêt De Bloos (v. supra), y apporte une précision. La règle, énoncée par cet arrêt, imposant de prendre en compte l'obligation qui sert de base à la demande pour déterminer le tribunal compétent en matière contractuelle conduisait en effet potentiellement à un éclatement du contentieux lorsque plusieurs obligations différentes, s'exécutant en des lieux différents, fondaient la demande. Aussi l'arrêt Shenevaï tempère-t‑il les effets pervers de cette solution en préconisant, dans les hypothèses où plusieurs obligations découlant d'un même contrat servent de base à l'action du demandeur, que le juge se fonde sur l'obligation principale, parmi les obligations en cause, pour établir sa compétence. Quelques années plus tard, l'arrêt Leathetex (CJCE 5 oct. 1999, Rev. crit. DIP 2000. 76, note H. GaudemetTallon ; JDI 2000. 540, note F. Leclerc) limitera la portée de cette règle en en excluant l'application lorsque les obligations en cause sont équivalentes.
C J C E 1 7 j u i n 1 9 92 , J a c o b H a n d t e (Rev. crit. DIP 1992. 727, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1993. 469, note J.-M. Bischoff) L'arrêt Jacob Handte apporte une contribution importante à la définition de la notion autonome de « matière contractuelle » au sens de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I (domaine d'application de la règle de compétence internationale spéciale en matière contractuelle définie par l'art. 5-1 de ces textes). Il précise en effet qu'un litige n'entre dans la matière contractuelle au sens de l'article 5-1 que s'il existe « un engagement librement assumé d'une partie envers une autre ». En France, cet arrêt prend un relief particulier, dans la mesure où il fait application de cette définition pour décider que l'action directe du sous-acquéreur d'une chose contre son fabricant, dont la nature contractuelle est admise en droit interne français, ne saurait intégrer la « matière contractuelle » au sens de l'article 5-1 de la convention de Bruxelles.
C J C E 6 oc t . 2 0 09 , I C F , a ff . C - 1 38 / 0 8 (Rev. crit. DIP 2010. 199, note P. Lagarde ; D. 2010. 236, note F. JaultSeseke ; JCP 2009. 50. 36, note L. d'Avout et L. Perreau-Saussine ; JDI 2010. 5, C. Legros) Premier arrêt rendu par la CJCE en interprétation de la convention de Rome, après l'entrée en vigueur tardive du premier protocole du 19 décembre 1988, l'arrêt ICF confirme un certain nombre de solutions déjà plus ou moins bien établies. Il précise tout d'abord le domaine d'application de la présomption spéciale instituée par l'article 4, § 4 de la convention pour les contrats de transport de marchandises ainsi que pour « les contrats d'affrètement pour un seul voyage ou d'autres contrats lorsqu'ils ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises » en indiquant que, si cette règle peut s'appliquer à d'autres contrats d'affrètement que le contrat d'affrètement au voyage, c'est à la condition que l'objet principal du contrat
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soit un transport de marchandises, et non la simple mise à disposition d'un moyen de transport. Il confirme ensuite qu'en matière de dépeçage par le juge, une partie du contrat ne peut être soumise à une loi différente de celle appliquée au reste du contrat que « lorsque son objet se présente comme autonome ». Enfin, il retient que la clause d'exception de l'article 4, § 5 doit jouer dès lors que le contrat entretient des liens plus étroits avec une autre loi que celle désignée par les présomptions de l'article 4, et ce même si la loi désignée par ces présomptions entretient des liens réels avec le contrat. Ce faisant, l'arrêt rejette, comme l'avait fait la Cour de cassation française, l'idée qu'une hiérarchie doive être instituée entre la présomption de l'article 4, § 2, et la compétence de principe de la loi des liens les plus étroits posée par l'article 4, § 1.
C J U E 13 m a r s 2 0 14 , B r o g s i t t e r , a f f. C- 5 48 / 12 (D. 2014. 1058, obs. F. Jault-Seseke et 1973, obs. S. Bollée ; Rev. crit DIP 2014. 863, note B. Haftel L’arrêt Brogsitter, rendu en interprétation de l’article 5-1 du règlement Bruxelles I, est particulièrement intéressant pour comprendre le sens et la portée de la notion autonome européenne de « matière contractuelle », ainsi que le travail réalisé par la CJUE dans la mise en œuvre de la règle de compétence spéciale de l’article 5-1 (7-1, Règl. Bruxelles I bis). Un professionnel commercialisant des montres estimait que son cocontractant avait, en violation de l’exclusivité promise, commercialisé pour son propre compte des mécanismes d’horlogerie conçus dans le cadre du contrat. Il entendait non seulement agir en violation de l’exclusivité contractuelle, mais aussi engager la responsabilité de son cocontractant pour des actes de concurrence déloyale, fraude et abus de confiance. Or cette action en responsabilité devait normalement recevoir la qualification délictuelle selon le droit allemand applicable. La CJUE, après avoir rappelé que la notion de matière contractuelle doit recevoir une définition autonome (peu importe donc la qualification retenue par le droit allemand), décide que, si la seule existence d’un contrat entre les parties ne suffit pas à rendre contractuelles toutes les actions en responsabilité exercées entre elles, cette qualification doit être appliquée si « le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat ». Elle marque ainsi un infléchissement de sa jurisprudence qui tendait jusqu’alors à concevoir de façon restrictive la notion de matière contractuelle. Elle atténue également la portée de sa jurisprudence Kalfelis (v. l’arrêt rubrique Documents du Chapitre 12), qui interdit traditionnellement de porter devant une même juridiction, compétente en vertu de l’article 5-1 ou de l’article 5-3 du règlement Bruxelles I (art. 7-1 et 7-3, Règl. Bruxelles I bis), des demandes fondées sur des obligations contractuelles et sur des obligations délictuelles.
C J U E 1 4 j u i l l e t 2 0 1 6 , G r a n a r o l o , a f f . C - 19 6 / 1 5 (D. 2016. 1575, et 2025, obs. S. Bollée ; D. 2017. 1021, obs. J. JaultSeseke ; AJ Contrat 2016. 442, obs. I. Luc ; Rev. crit. DIP 2016. 703, note F.-X. Licari ; RTD civ. 2016. 814, obs. L. Usunier, et 837, obs. H. Barbier ; Europe 2016. Comm. 375, obs. L. Idot ; RDC 2016. 700, obs. B. Haftel) L’arrêt Granarolo était particulièrement attendu en France, puisque la question préjudicielle posée à la CJUE portait sur la qualification de l’action en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies fondée sur l’article L. 442-6, I, 5o du Code de commerce français. En droit commun français, cette action, serait-elle fondée sur un contrat-cadre, est usuellement qualifiée de délictuelle car la chambre commerciale de la Cour de cassation considère qu’elle a
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un fondement légal, et non contractuel. La CJUE était invitée à indiquer si cette qualification délictuelle pouvait être retenue, pour l’application de l’article 5 du règlement Bruxelles I, dans une hypothèse où aucun contrat-cadre n’avait été formalisé par les parties, mais où l’une des parties distribuait les produits de l’autre depuis plus de 25 ans. Alors que l’avocat général avait conclu à la nature délictuelle de l’action, la CJUE adopte une position plus nuancée, qui privilégie toutefois assez nettement la qualification contractuelle. Même en l’absence de contrat-cadre, l’action doit être considérée comme contractuelle si elle s’inscrit dans une « relation contractuelle tacite » entre les parties ; a fortiori comprend-on qu’elle est contractuelle s’il y a un contrat-cadre. La CJUE en profite pour détailler, à destination des juges des États membres, les critères à prendre en compte pour apprécier – puisque cette mission leur incombe – s’il existe une relation contractuelle tacite : la démonstration « doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants », parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ». L’arrêt est enfin intéressant en ce qu’il précise la jurisprudence antérieure permettant de déterminer si une relation de distribution est une fourniture de services – ce qui implique généralement une sélection des distributeurs par le fournisseur en contrepartie d’avantages conférés par le second aux premiers, selon l’arrêt Corman Collins (CJUE 19 déc. 2013, C-9/12) – ou une vente de marchandises – ce qui est le cas lorsque la relation se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison et l’enlèvement de marchandises.
2) Tableau comparatif des domaines d'application de la convention de Rome et du règlement Rome I Convention de Rome Domaine d'application temporel
Domaine d'application matériel
Règlement Rome I
Contrats conclus après le 1er avril 1991
Contrats conclus après le 17 décembre 2009
Obligations contractuelles (art. 1er, § 1er)
Obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale, à l'exclusion notamment des matières fiscales, douanières et administratives (art. 1er, § 1er)
Exclusions – Obligations contractuelles concernant les testaments et successions, les régimes matrimoniaux et les droits et devoirs découlant des relations de famille (art. 1er, § 2, b)
Exclusions – Obligations découlant des relations de famille (art. 1 er, § 2, b) – Obligations découlant des régimes matrimoniaux et autres régimes patrimoniaux ayant selon la loi applicable des effets comparables (art. 1er, § 2, c)
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– Obligations nées des lettres de change, chèques et autres instruments négociables (art. 1er, § 2, d) – Conventions d'arbitrage et conventions d'élection de for (art. 1er, § 2, e) – Contrat de société, d'association, fonctionnement de la personne morale, responsabilité des associés (art. 1er, § 2, f) – Trust (art. 1er, § 2, h) – Inclus, sauf assurance maladie, assurance décès, assurance invalidité et assurance-vie gérées par des entreprises qui ne sont pas des entreprises d'assurances (art. 1er, § 2, j) – Obligations découlant des tractations menées avant la conclusion du contrat (art. 1er, § 2, i)
– État et capacité des contractants personnes physiques, sauf article 11 : protection de l'ignorance légitime (art. 1 er, § 2, a) – Pouvoirs des représentants des personnes morales (art. 1er, § 2, f) – Pouvoirs des intermédiaires (art. 1er, § 2, f) – Preuve et procédure, sauf article 14 (art. 1er, § 2, h)
– État et capacité des contractants personnes physiques, sauf article 13 : protection de l'ignorance légitime (art. 1 er, § 2, a) – Pouvoirs des représentants des personnes morales (art. 1er, § 2, g) – Pouvoirs des intermédiaires (art. 1er, § 2, g) – Preuve et procédure sauf article 18 (art. 1er, § 3)
Situations comportant un conflit de lois (art. 1er, § 1er), même si la loi désignée est celle d'un État non contractant (art. 2)
Situation comportant un conflit de lois (art. 1 er, § 1er), même si la loi désignée n'est pas celle d'un État membre (art. 2)
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Domaine d'application spatial
– Obligations nées des lettres de change, chèques et autres instruments négociables (art. 1er, § 2, c) – Conventions d'arbitrage et conventions d'élection de for (art. 1er, § 2, d) – Contrat de société, d'association, fonctionnement de la personne morale, responsabilité des associés (art. 1er, § 2, e) – Trust (art. 1er, § 2, g) – Contrats d'assurance couvrant des risques situés dans les territoires des États membres (sauf réassurance) (art. 1 er, § 3)
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2) Sur le droit international privé communautaire et européen des contrats - M.-E. Ancel, « Les contrats de distribution et la nouvelle donne du règlement Rome I », Rev. crit. DIP 2008. 561. - L. d'Avout, « Le sort des règles impératives dans le Règlement Rome I », D. 2008. 2165. - T. Azzi, « L'office du juge dans la mise en œuvre de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 647. - C. Brière, « Le droit international privé européen des contrats et la coordination des sources », JDI 2009. 791.
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Droit international privé
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- D. Bureau, L. d'Avout, « Les lois de police étrangères devant le juge français du contrat international », JCP 2010. II. 530. - S. Corneloup, N. Joubert (dir.), Le Règlement communautaire « Rome I » et le choix de loi dans les contrats internationaux, Litec, 2011. - G. Cuniberti, « L'incidence du lieu d'exécution sur la loi applicable au contrat. La difficile cohabitation des articles 4-2 et 4-5 de la Convention de Rome du 19 juin 2003 », JCP 2003. I. 153. - V. Eckelmans, « Le dépeçage dans la Convention de Rome », in Mélanges R. Vander Elst, Nemesis, 1986, p. 243. - F. Ferrari, « Quelques remarques sur le droit applicable aux obligations contractuelles en l'absence de choix des parties (art. 4 du règlement Rome I) », Rev. crit. DIP 2009. 460 - J. Foyer, « Le contrat d'« electio juris » à la lumière de la Convention de Rome du 19 juin 1980 », in L'internationalisation du droit, Mélanges Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 169. - J. Foyer, « Entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles », JDI 1991. 601. - S. Francq, « Le Règlement Rome I. Quelques changements », JDI 2009. 41. - B. Haftel, « Entre “Rome II” et “Bruxelles” : l'interprétation communautaire uniforme du règlement “Rome I” », JDI 2010. Doctr. 11. - V. Heuzé, « De la compétence de la loi du pays d'origine en matière contractuelle ou l'antidroit européen », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 393. - H. Kenfack, « Le Règlement Rome I, navire stable aux instruments efficaces de navigation ? », JDI 2009. 3. - P. Lagarde, « Vers une révision de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) », Rev. crit. DIP 2006. 331. - P. Lagarde, « Le nouveau droit international privé des contrats après l'entrée en vigueur de la convention de Rome du 19 juin 1980 », Rev. crit. DIP 1991. 287. - P. Lagarde, A. Tenenbaum, « De la convention de Rome au règlement Rome I », Rev. crit. DIP 2008. 727. Sur la clause d’exception, v. les références Rubrique Biblio du Chapitre 1.
3) Sur les principes matériels applicables aux contrats internationaux - P. Deumier, « L'utilisation par la pratique des codifications d'origine doctrinale », D. 2008. Doctr. 494. - P. Deumier, « Les Principes Unidroit ont 10 ans : Bilan en demi-teinte », RDC 2004. 774. - E. Loquin, « Les règles matérielles du commerce international », Rev. arb. 2005. 443. - P. Mayer, « Principes Unidroit et lex mercatoria », in Ph. Fouchard, L. Vogel (dir.), L'actualité de la pensée de B. Goldman, Éd. Panthéon-Assas, 2004. - G.-P. Romano, « Le choix des principes Unidroit par les contractants à l'épreuve des dispositions impératives », JDI 2007. 473.
4) Sur la protection des parties faibles - M.-E. Ancel, « La protection internationale des sous-traitants », Trav. Com. fr. DIP 20082010. 225.
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- S. Francq, « Le droit international privé comme outil de régulation du marché intérieur : la consommation », in M. Audit, H. Muir Watt, É. Pataut, Conflits de lois et régulation économique, LGDJ, 2008, p. 115. - P. Lagarde, « Heurts et malheurs de la protection internationale des consommateurs dans l'Union européenne », in Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 511. - E. Loquin, « Arbitrabilité et protection des parties faibles », Trav. Com. fr. DIP 2004-2006. 135. - P. Mayer, « La protection de la partie faible en droit international privé », in J. Ghestin et M. Fontaine (dir.), La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 513. - V. Parisot, « Vers une cohérence des textes communautaires en droit du travail ? Réflexion autour des arrêts Heiko Koelzsch et Jan Voogsgeert de la Cour de justice », JDI 2012. Doctr. 7. - É. Pataut, « Régulation des rapports de travail en Europe et conflit de lois », in M. Audit, H. Muir Watt, É. Pataut, Conflits de lois et régulation économique, LGDJ, 2008, p. 135. - F. Valencia, « Parties faibles et accès à la justice en matière d'arbitrage », Rev. arb. 2007. 45. - P. de Vareilles-Sommières, « Le sort de la théorie des clauses spéciales d'application des lois de police en droit des contrats internationaux de consommation. Nature de l'article 5 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 », D. 2006. 2464.
5) Sur la compétence en matière contractuelle - P. Berlioz, « La notion de fourniture de services au sens de l'article 5-1 b) du règlement Bruxelles I », JDI 2008. 6. - G. A. L. Droz, « Delendum est forum contractus ? (vingt ans après les arrêts De Bloos et Tessili interprétant l'article 5.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 », D. 1997. Chron. 351. - V. Heuzé, « De quelques infirmités congénitales du droit uniforme : l'exemple de l'article 5.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 », Rev. crit. DIP 2000. 595. - H. Muir Watt, « Peut-on sauver le for européen du contrat ? », RG proc. 1998. 371. - V. Pironon, « Dits et non-dits sur la méthode de la focalisation dans le contentieux – contractuel et délictuel – du commerce électronique », JDI 2011. Var. 4. - A. Von Overbeck, « Interprétation traditionnelle de l'article 5-1 des Conventions de Bruxelles et de Lugano : le coup de grâce ? », in Mélanges G. Droz, Martinus Nijhoff, 1996, p. 287.
6) Sur les élections de for - v. bibliographie citée supra Rubrique Biblio du chapitre 4. - Th. Clay, « « Liberté, Égalité, Efficacité » : la devise du nouveau droit français de l'arbitrage », JDI 2012. Doctr. 4. - N. Dorandieu, « La transmission des clauses de compétence en droit international privé », JDI 2002. 1001. - V. Heuzé, « Faut-il confondre les clauses d’élection de for avec les conventions d’arbitrage dans les rapports internationaux ? », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 295. - C. Kessedjian, « Le Règlement 44/2001 et l'arbitrage », Rev. arb. 2009, no 4, p. 699-729. - E. Loquin, « Arbitrabilité et protection des parties faibles », Trav. Com. fr. DIP 2004-2006. 135. - D. Sindres, « Retour sur la loi applicable à la validité de la clause d’élection de for », Rev. crit. DIP 2015. 787.
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1) Sujets corrigés A) Test de connaissances (certaines questions peuvent recevoir plusieurs réponses) Énoncé
1. Le règlement Rome I s'applique en France : a. si les parties s'y réfèrent ; b. pour la plupart des contrats conclus après le 17 décembre 2009 ; c. pour tous les contrats, sauf s'il existe une convention spéciale. 2. Le principe d'autonomie signifie : a. que les parties peuvent choisir la loi applicable à leur contrat ; b. que les parties peuvent soustraire leur contrat à la loi applicable pour le soumettre à des règles matérielles non étatiques ; c. que les parties sont indépendantes l'une par rapport à l'autre. 3. Les principes de La Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux sont : a. une convention internationale adoptée dans le cadre de la Conférence de droit international privé de La Haye consacrant le principe d’autonomie et définissant son régime ; b. un dispositif de soft law fixant des règles matérielles applicables aux contrats du commerce international ; c. un instrument non contraignant adopté par la Conférence de La Haye de droit international privé, définissant le régime du choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux. 4. Les parties peuvent soumettre un contrat interne à une loi étrangère de leur choix : a. jamais ; b. toujours ; c. sous réserve de respect des dispositions impératives de la loi de l'État dans lequel se localisent les éléments du contrat ; d. sous réserve que la loi choisie ait un certain lien avec le litige. 5. Dans les chaînes de contrat translatives de propriété, l’action directe exercée par le sous-acquéreur d’une chose contre le fabricant ayant contracté avec l’acquéreur intermédiaire est de nature : a. contractuelle ; b. contractuelle en droit français et délictuelle en droit européen ; c. délictuelle. 642
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6. Dans le règlement Rome I, en l'absence de choix de loi, la loi qui régit normalement le contrat est : a. la loi du lieu d'exécution de la prestation caractéristique ; b. la loi du lieu de résidence du débiteur de la prestation caractéristique. c. la loi de l’État qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat. 7. La loi applicable au contrat de consommation est, en l’absence de choix par les parties : a. la loi du domicile du consommateur ; b. la loi de la résidence du professionnel, débiteur de la prestation caractéristique ; c. la loi la plus favorable au consommateur. 8. Les locations saisonnières (moins de six mois) sont nécessairement régies par la loi du lieu de situation de l'immeuble : a. en toute hypothèse ; b. sauf si le propriétaire et le locataire résident dans le même pays car alors la loi de l'État de résidence commun s'applique ; c. jamais, la loi applicable étant la loi de l'État de résidence du propriétaire, débiteur de la prestation caractéristique. 9. La clause d’exception prévue dans la Convention de Rome et le règlement Rome I a pour objet : a. de permettre au juge d’écarter la loi normalement applicable au contrat pour privilégier l’application d’une autre loi qui présente des liens plus étroits avec le contrat ; b. de permettre aux parties de choisir, dans leur contrat, la loi applicable à certaines questions spécifiques, en faisant échapper ces questions à l’empire de la lex contractus ; c. de permettre aux parties d’exclure l’application d’une loi qu’elles veulent absolument éviter. 10. En matière contractuelle, le tribunal compétent est : a. nécessairement le tribunal du domicile du défendeur ; b. au choix du demandeur, le tribunal du domicile du défendeur ou le tribunal du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ; c. nécessairement le tribunal du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande. Voir corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique
La société SCOUNDREL & Co. est une société immatriculée à Londres (Royaume-Uni). Elle conçoit, fabrique et commercialise des logiciels de comptabilité. Elle exerce une partie de son activité au Royaume-Uni, mais vend aussi ses logiciels dans d’autres pays européens, en particulier en France, au Danemark et aux Pays-Bas. Pour étendre son activité dans ces pays, la société SCOUNDREL a utilisé deux méthodes. Dans un premier temps, elle a recruté un agent commercial, M. Såeren. Domicilié au
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Danemark, M. Såeren était chargé, aux termes d’un contrat conclu le 18 septembre 2007, de rechercher des clients pour l’entreprise en France, au Danemark et aux PaysBas. Dans un second temps, la société SCOUNDREL a embauché un salarié français, M. Personne, pour la représenter de façon permanente dans ces trois pays. Embauché à Londres le 28 décembre 2011, Monsieur Personne est contractuellement basé à Paris et exerce ses fonctions en France, au Danemark et aux Pays-Bas. Aujourd'hui, grâce à l’action conjuguée de son agent et de son salarié, la société SCOUNDREL a développé une importante activité en France (elle a eu moins de succès au Danemark et aux Pays-Bas), et elle envisage la création d’une filiale dans ce pays. Elle sollicite vos conseils car elle souhaiterait mettre fin aux contrats d’agence commerciale de Monsieur Såeren et de travail de Monsieur Personne. S’agissant de la rupture du contrat d’agence commerciale, la société SCOUNDREL vous indique que la question a déjà été évoquée avec Monsieur Såeren, qui menace de saisir les tribunaux français pour obtenir une indemnité de fin de contrat. La société SCOUNDREL voudrait savoir si le paiement d’une telle indemnité est sérieusement envisageable, sachant que le contrat d’agence commerciale comporte une clause de choix de la loi de New York, qui ne prévoit pas l’obligation pour le commettant de payer une telle indemnité. Le contrat ne comporte en revanche aucune clause attributive de juridiction. Quant à la rupture du contrat de travail, la société SCOUNDREL pense ne pas craindre grand-chose. En effet, le contrat de travail comporte une clause compromissoire précisant que tous les litiges en découlant seront soumis à un tribunal arbitral dont le siège sera à Londres, ainsi qu’une clause de choix de la loi anglaise. N.B. : La résolution du cas fait appel à des connaissances délivrées dans ce chapitre, ainsi que dans les chapitres 2 et 4 auxquels le présent chapitre renvoie expressément (notamment sur les lois de police et sur les règles de compétence). Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Test de connaissances
1. b ; 2. a ; 3. c ; 4. c ; 5. b ; 6. b ; 7. a ; 8. b ; 9. a ; 10. b.
Cas pratique
La société Scoundrel souhaite rompre deux contrats qui la lient : l’un d’agence commerciale conclu en 2007 avec un agent commercial domicilié au Danemark chargé de rechercher des clients en France, au Danemark et aux Pays-Bas (1) ; l’autre de travail conclu en 2011 avec un salarié basé à Paris et exerçant ses fonctions en France, au Danemark et aux Pays-Bas (2).
I. La rupture du contrat d’agence commerciale L’agent commercial menace de saisir les juridictions françaises pour solliciter une indemnité de fin de contrat, indemnité que la société Scoundrel juge apparemment ne pas devoir payer puisqu’elle n’est pas prévue par la loi de l’État de New York, applicable selon elle au contrat en vertu d’une clause de choix de loi. Il convient, pour pouvoir la rassurer, de déterminer quelles seraient les chances de succès d’une action
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en justice de l’agent commercial, en paiement d’une indemnité de fin de contrat. Pour cela, on vérifiera si les juridictions françaises que l’agent veut saisir sont compétentes (A), puis on déterminera la loi applicable à l’action en justice de l’agent commercial (B) pour apprécier ses chances d’obtenir gain de cause.
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A. Le tribunal compétent pour connaître de l’action en paiement d’une indemnité de fin de contrat Si l’agent commercial exerce une action en justice contre la société Scoundrel, la détermination du tribunal compétent devra intervenir en application du Règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 puisque l’action en justice entre dans le champ d’application temporel (action postérieure au 10 janvier 2015) et matériel (action contractuelle relative à un contrat d’agence commerciale, couvert par le règlement) du règlement. L’action ne mettant pas en cause une compétence exclusive ou une compétence protectrice d’une partie faible au sens du règlement, et en l’absence de clause attributive de juridiction, ce sont les articles 4 et suivants du règlement qui s’appliquent dans la mesure où le défendeur, la société Scoundrel, est domicilié sur le territoire d’un État membre. L’agent commercial, demandeur, pourrait tout d’abord agir, en application de l’article 4 du règlement, devant les juridictions du domicile du défendeur, c’est‑à-dire devant les tribunaux anglais. S’il choisit cette solution, le tribunal spécialement compétent devra être identifié par application des règles de compétence interne anglaises. Mais l’agent semble plutôt vouloir saisir les juridictions françaises. Sontelles compétentes ? L’action relevant incontestablement de la matière contractuelle, l’agent commercial pourrait opter, en application de l’article 7-1, pour le tribunal du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande. Le point b) de l’article 7-1 précise que, pour les contrats de fourniture de services, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est le lieu où les services ont été ou auraient dû être fournis en vertu du contrat. Le contrat d’agence commerciale constitue bien, selon la jurisprudence de la CJUE (arrêt Wood Floor du 11 mars 2010), un contrat de fourniture de services au sens de ce texte. Il faut donc rechercher en quel lieu les services devaient être fournis selon le contrat. Le contrat prévoit que l’agent commercial doit rechercher des clients en France, au Danemark et aux Pays-Bas. Il n’y a donc pas un lieu d’exécution, mais des lieux d’exécution multiples. Dans des circonstances similaires, la CJUE a préconisé, dans son arrêt Wood Floor, de retenir le lieu de fourniture « principale » des services, et dans l’hypothèse où aucun lieu principal ne pourrait être défini, de privilégier la compétence du tribunal du domicile de l’agent. La société Scoundrel nous a indiqué qu’elle n’a pas eu beaucoup de succès au Danemark et aux Pays-Bas, mais qu’elle a développé une importante clientèle en France. L’agent commercial pourrait ainsi faire valoir qu’il a principalement fourni ses services en France, pour saisir les juridictions françaises. En termes de compétence, il semble donc que l’agent commercial pourrait saisir au choix les juridictions anglaises, ou les juridictions françaises. S’il saisit les juridictions françaises, celles-ci devraient donc se déclarer compétentes. Quelle loi appliquerontelles ?
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Droit international privé
B. La loi applicable à l’action en paiement d’une indemnité de fin de contrat et la solution au fond
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S’il est saisi, le juge français devra rechercher la loi applicable à l’action contractuelle de l’agent commercial. C’est naturellement la loi qui régit le contrat qu’il faut interroger pour déterminer si l’agent commercial peut revendiquer, en droit, une indemnité de fin de contrat. On peut rappeler ici qu’une telle indemnité est prévue par le droit français ; elle est d’ailleurs prévue par tous les droits européens, car l’indemnité de fin de contrat dans l’agence commerciale a été imposée par une directive européenne de 1986. Le contrat d’agence commerciale a été conclu en septembre 2007, soit avant l’entrée en application du Règlement Rome I (fixée au 17 décembre 2009), mais après l’entrée en vigueur de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles. La Convention pourrait donc s’appliquer. Mais elle réserve les conventions antérieurement applicables. Or la France a ratifié la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation. C’est donc cette Convention qu’il faut privilégier pour déterminer la loi applicable au contrat d’agence commerciale. Comme la Convention de Rome, la Convention de 1978 consacre le principe d’autonomie, les parties pouvant choisir de faire régir leur contrat par la loi d’un État qui n’entretient pas de lien avec le contrat. Le choix de la loi de l’État de New York pour régir le contrat d’agence commerciale produit donc ses effets. Dans ces conditions, la société Scoundrel semble pouvoir échapper au paiement de l’indemnité de fin de contrat, si celui-ci n’est pas prévu par la loi new-yorkaise. Il faut cependant compter avec l’interférence des lois de police. Dans un arrêt Ingmar rendu en 2000, confirmé par un arrêt Agro Foreign Trade en 2017, la Cour de justice a en effet jugé que les dispositions de la directive de 1986 garantissant certains droits à l’agent commercial après la cessation du contrat d’agence doivent nécessairement trouver application lorsque l’agent a exercé son activité dans un État membre, même lorsque le commettant est établi dans un pays tiers et que le contrat est régi par la loi de ce pays. En l’espèce, l’agent a exercé son activité sur le territoire de l’Union européenne. Bien plus, le commettant est établi dans un État membre. On peut donc penser que les juges considéreront que l’indemnité de fin de contrat s’impose, même si le contrat est régi par la loi new-yorkaise qui ne la prévoit pas. Certes, puisque les juges français sont saisis, on pourrait faire valoir que la chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé, en 2016, d’appliquer les règles françaises qui régissent l’indemnité de fin de contrat comme des lois de police. La portée de cette décision pourrait toutefois être discutée par l’agent. Dans l’affaire considérée, la loi applicable était la loi allemande qui est également issue de la transposition de la directive de 1986, et qui prévoit donc une indemnité de fin de contrat. La Cour de cassation ne heurtait donc pas la jurisprudence de la CJUE en refusant d’appliquer le droit français comme loi de police, puisque la loi allemande offrait suffisamment de garanties à l’agent. Il n’en irait pas de même ici. Si les juges français sont saisis, il est donc vraisemblable qu’un débat s’instaurera devant eux pour déterminer si la loi française doit s’appliquer, comme une loi de police, pour attribuer une indemnité de fin de contrat à l’agent nonobstant l’applicabilité de la loi américaine. L’agent fera valoir la jurisprudence Ingmar de la Cour de justice ; mais la société Scoundrel pourra invoquer la formulation très générale de
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Les actes juridiques
l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 janvier 2016 : la loi du 25 juin 1991 n’est pas une loi de police applicable dans l’ordre international.
II. La rupture du contrat de travail
A. La juridiction compétente
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La société Scoundrel entend rompre le contrat de travail qui la lie à son salarié. Même si l’on ne sait pas quelles sont les compensations qu’elle entend offrir à celui-ci, on comprend que l’opération ne l’inquiète guère, en raison de la soumission du contrat de travail au droit anglais et de l’existence d’une clause compromissoire dans ce contrat, clause qui obligerait le salarié, s’il entendait contester les conditions de son licenciement, à porter sa contestation devant un tribunal arbitral basé à Londres. Il est pourtant loin d’être certain que la tranquillité d’esprit de la société Scoundrel soit justifiée. On reviendra sur la juridiction compétente (A), et sur la loi applicable au licenciement (B).
La société Scoundrel évoque une clause compromissoire qui paraît la rassurer, sans doute parce qu’elle imagine que cela pourrait dissuader le salarié, ou rendre plus difficile pour lui, d’exercer une action en justice pour obtenir des indemnités consécutives à son licenciement. Malheureusement, la société Scoundrel se réjouit un peu rapidement. En France, il est de jurisprudence constante que la clause compromissoire insérée dans un contrat de travail est inopposable au salarié. Ainsi, si les juridictions françaises sont compétentes et que le salarié décide de les saisir, celles-ci accepteront de statuer même si la société Scoundrel invoque la clause compromissoire. Mais les juridictions françaises sont-elles compétentes ? L’action étant intentée après le 10 janvier 2015 (date d’entrée en application du règlement Bruxelles I bis) relativement à un contrat de travail (couvert par le règlement), il faut consulter en premier lieu le règlement Bruxelles I bis. L’article 21-1 prévoit qu’un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre (ce qui est le cas de la société Scoundrel) peut être attrait : 1) devant les juridictions de l’État membre de son domicile ; ou 2) dans un autre État membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail. Si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, c’est la juridiction du lieu de l’établissement d’embauche qui est compétente. Le salarié peut donc évidemment saisir les juridictions anglaises. Mais peut-il aussi saisir les juridictions françaises ? Il est indiqué que Monsieur Personne exerce ses activités en France, au Pays-Bas et au Danemark. L’intérêt de la société Scoundrel serait de faire valoir que dans ces conditions, le salarié n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, et que dès lors les juridictions anglaises de l’établissement d’embauche sont compétentes. Mais il faut compter avec la jurisprudence de la CJUE qui retient, aussi bien pour la détermination du tribunal compétent (arrêt Rutten) que pour l’identification de la loi applicable (arrêt Koelzsch), une conception extensive de la notion de lieu habituel d’exercice de l’activité professionnelle, et une application très subsidiaire du critère du lieu d’embauche. Notamment, il est possible de retenir qu’un salarié exerce habituellement son travail dans un pays s’il y a le centre effectif de ses activités, même s’il est conduit à voyager régulièrement à l’étranger, par exemple s’il y a un bureau à partir duquel il organise son travail. En l’espèce, on sait
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Droit international privé
que Monsieur Personne est « basé à Paris ». On sait aussi que le nombre de clients au Danemark et aux Pays-Bas est faible. Il est donc probable que les juridictions françaises retiendront leur compétence au titre du lieu d’exercice habituel de l’activité professionnelle.
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B. La loi applicable au licenciement Si les juridictions françaises sont compétentes, quelle loi appliqueront-elles au licenciement ? C’est en principe la loi qui régit le contrat de travail qui régit également le licenciement. En l’espèce, il y a une clause de choix de la loi anglaise. Cette loi est réputée moins protectrice que la loi française. Mais va-t‑elle réellement s’appliquer ? En matière de contrat de travail, le règlement Rome I ici applicable (le contrat a été conclu après le 17 décembre 2009, date d’entrée en application du règlement) autorise les parties à choisir la loi applicable ; mais elle prévoit que la loi choisie ne peut pas priver le salarié des dispositions plus protectrices de la loi du pays où il exécute habituellement son travail. En application de la jurisprudence de la CJUE déjà évoquée, il est assez vraisemblable que les juges considéreront, en l’espèce, que le travail s’exécute habituellement en France. Dès lors, si le salarié invoque des dispositions plus protectrices du droit français, le juge français devra mettre en œuvre ces dispositions. L’applicabilité de principe de la loi anglaise ne protège donc pas la société Scoundrel.
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Délits et quasi-délits
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Plan
§ 1 La qualification délictuelle en droit international privé A. Qualification autonome de droit européen B. Qualification en droit international privé commun français
§ 2 Le tribunal compétent en matière délictuelle A. Pluralité de dommages
B. Pluralité de faits générateurs
§ 3 La loi applicable aux obligations délictuelles et quasi délictuelles A. Droit européen et conventionnel B. Droit commun français
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Quasi-contrats
§ 1 La loi applicable en droit international privé français § 2 La loi applicable en droit international privé européen A. Aspects de qualification
B. Règles de conflit applicables
§ 3 Le tribunal compétent pour connaître des actions fondées sur les quasi-contrats
Compléments pédagogiques
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Les faits juridiques
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Les faits sont souvent sources d'obligations, soit que, involontaires et préjudiciables à autrui, ils obligent leurs auteurs à en assumer les conséquences dommageables (responsabilité délictuelle et quasi délictuelle), soit que, volontaires et profitables à autrui, ils obligent leur bénéficiaire à indemniser leur auteur (quasi-contrats). La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, c'est‑à-dire le traitement des délits et quasi-délits (section 1), tient une place centrale dans le droit international privé, dont elle a largement éprouvé les méthodes. Traditionnellement plus discrets, les quasicontrats (section 2) ont reçu un éclairage nouveau en raison de l'adoption de règles de conflit communes aux États membres de l'Union européenne par le règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.
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Délits et quasi-délits La matière délictuelle et quasi délictuelle, on l'a dit, a vivement sollicité les méthodes du droit international privé. L'observation vaut tant sur le plan des qualifications (§ 1) qu'en matière de conflits de juridictions, pour l'identification du tribunal compétent en matière délictuelle (§ 2), et de conflit de lois, pour la détermination de la loi applicable aux obligations délictuelles et quasi délictuelles (§ 3).
§
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1 La qualification délictuelle en droit international privé
Le droit international privé français comporte en matière civile et commerciale — dont relève une part substantielle de la « matière délictuelle » — deux corps distincts de règles. L'un, d'origine européenne, constitué par le règlement Rome II en matière de conflit de lois et par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis en matière de conflits de juridictions, l'autre, d'origine nationale, applicable subsidiairement.
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La qualification de ce qui relève de la « matière délictuelle » varie très sensiblement d'un ordre juridique à un autre, y compris dans l'espace européen. Pour n'en prendre qu'un exemple, la rupture des pourparlers précontractuels relève, dans certains pays comme la France, de la qualification délictuelle, tandis que dans d'autres, elle reçoit une qualification contractuelle. Ces divergences ne sont guère favorables à une application cohérente des textes pourtant adoptés par l'Union européenne dans un objectif d'harmonisation des règles de droit, et l'on conçoit donc que le droit européen ait pu souhaiter faire de la notion de « matière délictuelle » une notion autonome, c'est‑à-dire une notion dont la teneur est définie pour les besoins du droit
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Droit international privé
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de l'Union européenne, sans égard pour les conceptions du for saisi. Il en résulte toutefois des divergences selon que la notion de « matière délictuelle » est appréhendée sous l'angle du droit de l'Union européenne (1) ou du droit commun français de la compétence internationale (2).
A. Qualification autonome de droit européen 1059
C'est principalement pour l'application de la convention de Bruxelles et aujourd'hui des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis que la notion de « matière délictuelle » a reçu une interprétation autonome. Les contours de la notion ne sont malheureusement pas totalement clairement fixés. La notion de « matière délictuelle » a en effet été définie par défaut par la Cour de justice de l'Union européenne, qui considère qu'il faut y rattacher « toute demande mettant en jeu la responsabilité du défendeur et ne se rattachant pas à la matière contractuelle » (CJCE 27 sept. 1988, Kalfélis ; 27 oct. 1998, La Réunion européenne, v. rubrique Documents). Il y a là deux éléments de définition, l'un positif — une demande mettant en jeu la responsabilité — l'autre négatif — une demande ne se rattachant pas à la matière contractuelle.
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La demande, pour pouvoir être rattachée à la matière délictuelle, doit mettre en jeu la responsabilité du défendeur. La difficulté, on le pressent, sera ici de cerner la notion d'« action mettant en jeu la responsabilité ». La Cour de justice de l'Union européenne a pu, un temps, sembler mettre en œuvre un critère tiré de l'objet de l'action : serait une action en responsabilité celle qui tend à condamner le débiteur à réparer les dommages qu'il a causés, c'est‑à-dire celle qui repose sur l'invocation d'une créance d'indemnisation (CJCE 26 mars 1992, Reichert II, Rev. crit. DIP 1992. 720, note B. Ancel ; JDI 1993. 461, note A. Huet, excluant que l'action paulienne puisse être rattachée à la matière délictuelle puisqu'elle ne tend pas à offrir une indemnisation du préjudice subi par le créancier, mais à faire disparaître à son égard les effets de l'acte de disposition passé par son débiteur). Mais certains arrêts postérieurs invalident cette approche du critère, ainsi cet arrêt qualifiant de « délictuelle » l'action d'une association de consommateurs visant à la suppression d'une clause abusive dans les contrats types d'un professionnel (CJCE 1er oct. 2002, VKI c/ Henkel, Rev. crit. DIP 2003. 682, note P. Rémy-Corlay), ou cet autre qualifiant de délictuelle l’action en déclaration de non-responsabilité (CJUE 25 oct. 2012, Folien Fischer, aff. C-133/11, Rev. crit. DIP 2013. 501, note H. Muir Watt ; D. 2013. 2300, obs. L. d’Avout).
1061
La demande, pour pouvoir être rattachée à la matière délictuelle, ne doit en outre pas se rattacher à la matière contractuelle. Encore faut-il pouvoir définir clairement ce que recouvre la matière contractuelle. La Cour de justice de l'Union européenne considère traditionnellement qu'une situation relève de la matière contractuelle lorsqu'il existe un « engagement librement assumé d'une partie envers une autre » (v. ss 953 s.). Elle a par exemple retenu, en application de ce critère, que ne relève pas de la matière contractuelle et doit donc être rattachée à la matière délictuelle l'action en responsabilité fondée sur une rupture des pourparlers précontractuels (CJCE 17 sept. 2002, Tacconi, Rev. crit. DIP 2003. 682, note P. Rémy-Corlay), ou encore l'action directe exercée dans les chaînes de contrats même translatifs de propriété (CJCE 17 juin 1992, Jacob Handte, v. rubrique Documents ; sur la notion de « matière contractuelle », v. ss 953).
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Le règlement Rome II qui définit la loi applicable aux obligations non contractuelles, d'adoption beaucoup plus récente, n'a pas encore donné naissance à une jurisprudence relative aux contours de la notion d'« obligation non contractuelle ». Le domaine d'application matériel du règlement, qui couvre par exemple les ruptures de pourparlers précontractuels, autorise toutefois à penser que les notions d'« obligation non contractuelle » au sens du règlement Rome II, et de « matière délictuelle » au sens du règlement Bruxelles I, donneront lieu à des interprétations convergentes, ce qui est souhaitable pour préserver la cohérence de l'ordre juridique de l'Union. Il n'en va pas nécessairement de même en droit commun français.
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B. Qualification en droit international privé commun français En droit international privé commun français, la qualification de ce qui relève de la matière délictuelle s'opère bien évidemment lege fori, selon les conceptions françaises. Il n'y a pas plus de définition globale de la matière délictuelle en droit commun français, pour l'application des règles de droit international privé, qu'il n'y en a en droit de l'Union européenne. On en prendra pour preuve les incertitudes qui affectent la qualification de l’action en indemnisation de la rupture brutale de relations commerciales établies, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5o du Code de commerce. En droit interne, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient traditionnellement que cette action, basée sur une obligation légale, revêt une nature délictuelle même si la relation commerciale est le plus souvent organisée par un contrat-cadre ; et elle a étendu cette qualification en matière internationale (pour une application récente, Com. 25 mars 2014, Guerlain, n o 12-29534, v. ss 1113). Cependant la 3 e chambre civile de la Cour de cassation favorise quant à elle la qualification contractuelle. Il y a donc bien une incertitude sur la nature, délictuelle ou contractuelle, de cette action. La CJUE, on l’a vu (v. ss 953), a jugé un peu différemment pour l’application du droit de l’Union européenne : peu importe que la source de l’obligation soit légale ou contractuelle, ce qui compte c’est de déterminer si la relation durable entre les parties s’inscrit dans un contrat, formalisé ou simplement tacite. Cela ne signifie pourtant pas que la difficulté est définitivement réglée en droit français, car les qualifications de droit commun français ne sont pas nécessairement alignées sur celles de droit européen. La divergence la plus fameuse est celle qui perdure pour la qualification de l'action directe du sous-acquéreur dans les chaînes de contrats translatifs de propriété, considérée de façon systématique (lorsque le droit européen n’est pas applicable) comme contractuelle par les juridictions françaises depuis l'arrêt Lamborghini rendu par la Cour de cassation en 1979, tandis que la Cour de justice de l'Union européenne a choisi d'y voir, on l'a exposé, une composante de la matière délictuelle.
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De telles divergences de qualification sont sans doute incontournables, et si elles ne favorisent guère la cohérence des ordres juridiques nationaux — une même action pouvant être qualifiée de contractuelle dans un contexte donné et de délictuelle dans un autre —, elles ne présentent pas de difficultés pratiques insurmontables, dès lors que les qualifications sont fermement acquises. C'est donc surtout le manque de prévisibilité des qualifications — en l'absence de toute prise de position jurisprudentielle antérieure — qui suscite la critique.
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Droit international privé
§
2 Le tribunal compétent en matière délictuelle
Quelques actions en matière délictuelle font l’objet de règles de compétence spécifiques (not. pour les violations des droits de propriété intellectuelle, v. ss 930). Mais l’essentiel de ces actions est soumis aux dispositifs institués en droit européen par les règlements Bruxelles I / I bis, et en droit commun par l’article 46 du Code de procédure civile, qui seront ici présentés. La licéité des clauses attributives de juridiction en matière délictuelle a déjà été brièvement envisagée (v. ss 358). En pratique, les clauses attributives de juridiction susceptibles de s’appliquer aux actions délictuelles sont le plus souvent insérées dans un contrat préexistant entre les parties, et sont étendues à des actions délictuelles en raison du lien qu’elles entretiennent avec le contrat. Cette extension est admise en droit européen (CJUE 21 mai 2015, Cartel Damage Claim, aff. C-352/13, à propos de l’application de la clause d’un contrat aux actions en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence), et par le droit commun français (avec une jurisprudence fournie, notamment, sur l’application de la clause conclue par les parties à l’action en rupture brutale des relations, nonobstant sa nature délictuelle ; v. réc. Com. 1 er mars 2017, no 15-22975, D. 2018. 975, obs. F. Jault-Seseke et les réf. cit.). Le principal point d’attention concerne ici la rédaction de la clause : en droit européen comme en droit commun, il importe qu’elle soit rédigée en des termes suffisamment larges pour couvrir les actions délictuelles pouvant survenir entre les parties. En l'absence de clause ou si celle-ci est illicite, le demandeur a toujours la possibilité, en droit européen comme en droit commun, de saisir le tribunal du domicile du défendeur en application de la règle de compétence générale posée respectivement par les articles 4 du règlement Bruxelles I bis (Règl. Bruxelles I, art. 2) et 42 du Code de procédure civile. Mais il dispose également d'une option qui l'autorise à saisir un tribunal spécialement compétent pour connaître des actions en matière délictuelle.
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L'article 7-3 du règlement Bruxelles I bis (Règl. Bruxelles I, art. 5-3) retient ainsi qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le défendeur peut être attrait « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire », tandis que l'article 46 du Code de procédure civile instaure la compétence de « la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ». La notion de « fait dommageable », qui se retrouve dans les deux règles, invite à la réflexion. Dans l’article 46 du Code de procédure civile français, elle semble être distinguée de celle de dommage, puisque le texte offre une alternative entre le lieu où se produit l’un, et le lieu où se produit l’autre. Et de fait, la jurisprudence française a précisé que, pour l'application de l'article 46 du Code de procédure civile, la notion de « fait dommageable » s'entend de la faute ayant entraîné le dommage (Civ. 2 e, 24 févr. 1982, RTD com. 1982. 541, obs. A. Benabent et J.-C. Dubarry). Il faut donc lire en réalité que le demandeur a une option entre le tribunal du lieu du fait générateur (ou événement causal), et celui du lieu du dommage.
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Le droit français résoud ainsi textuellement la difficulté suscitée par ce que l’on appelle le délit complexeQ, c'est‑à-dire celui dont le fait générateur et le dommage qui
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Les faits juridiques
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en résulte se trouvent dissociés dans l’espace. L'exemple est connu : une entreprise chimique déverse des déchets toxiques dans une rivière dans un pays A ; cette rivière traverse, ensuite, un pays B où des exploitants agricoles, qui irriguent leurs cultures avec l'eau de ladite rivière, subissent un dommage. Quel est le tribunal compétent pour connaître de la demande d’indemnisation des exploitants ? L’article 46 C. pr. civ. répond en offrant une option à la victime entre le tribunal de lieu du fait générateur (pays où les déchets ont été déversés) et le tribunal du lieu du dommage. Les articles 5-3 du règlement Bruxelles I ou 7-3 du règlement Bruxelles I bis visent en revanche uniquement la compétence du tribunal du lieu du fait dommageable. Que faut-il comprendre en cas de délit complexe ? La Cour de justice de l'Union européenne a très tôt réglé ce problème dans une célèbre affaire de pollution transfrontière, par son arrêt Mines de Potasse d'Alsace (CJCE 30 nov. 1976, v. rubrique Documents), qui offre à la victime une option : elle peut saisir, au choix, le tribunal du lieu du fait générateur ou celui du lieu du dommage, puisque l'un et l'autre localisent également le fait dommageable.
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Droit de l'Union européenne et droit commun français se rejoignent donc, par l'effet de l'interprétation proposée par la Cour de justice de l'Union européenne, en offrant une option utile dans l'hypothèse d'un délit complexe. Pour autant, toutes les difficultés ne sont pas réglées. Il peut en effet s’avérer extrêmement délicat de localiser le lieu de réalisation d’un fait générateur ou d’un dommage, car chacun de ces événements peut être lui-même plurilocalisé ou complexe : le dommage peut être souffert en plusieurs lieux ; le fait générateur peut résulter de la conjugaison de plusieurs événements survenant dans des pays différents. En quel lieu se localise l’événement causal d’une entente illicite ? Où se localisent le fait générateur d’un cyberdélit, et le dommage en résultant ? La jurisprudence doit progressivement affiner les règles, en répondant à de telles questions. On illustrera ces difficultés en considérant l’hypothèse d’une pluralité de dommages (A), puis celle d’une pluralité de faits générateurs (B).
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A. Pluralité de dommages
C’est en matière d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité que la question a été le plus clairement tranchée. En effet, lorsqu’une publication attentatoire à la vie privée ou aux droits de la personnalité d’une personne est faite dans un pays A, la victime souffre bien souvent du dommage en des lieux multiples. Quels tribunaux peut-elle alors saisir ? La Cour de justice de l'Union européenne s’est prononcée sur cette question dans son arrêt Fiona Shevill en date du 7 mars 1995 (v. rubrique Documents). Elle a choisi d’offrir à la victime une option complète : l’action peut être portée devant le tribunal du lieu du fait générateur ou devant le tribunal de l'un quelconque des lieux où le dommage est subi. Mais elle a assorti cette solution libérale d'une limitation des pouvoirs du juge de nature à orienter le choix de la victime : – si, en effet, celle-ci opte pour le tribunal du lieu du fait générateur unique, cette juridiction pourra connaître du litige dans son ensemble, c'est‑à-dire statuer sur la réparation des dommages en quelque lieu qu'ils se soient produits ; – si, en revanche, la victime opte pour le tribunal de l'un des lieux de réalisation du dommage, cette juridiction verra sa compétence limitée puisqu'elle ne pourra
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Droit international privé
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statuer que sur le seul dommage subi sur son territoire. Ainsi, si la victime choisit le tribunal de l'un des lieux de réalisation du dommage, elle devra, pour obtenir réparation de l'ensemble de son préjudice, dupliquer les procédures dans tous les États où le dommage aura été subi. On considère généralement que cette solution, posée pour les atteintes aux droits de la personnalité, est transposable aux autres hypothèses de pluralité de dommages.
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La CJUE a précisé ces solutions dans le cas où l'atteinte aux droits de la personnalité est réalisée par internet et prend donc la forme d'un cyberdélit. Il faut alors distinguer deux types de contentieux (CJUE 17 oct. 2017, aff. C-194/16, Bolagsupplysningen OÜ, D. 2018. 276, note F. Jault-Seseke). L’action en responsabilité peut être exercée par la victime pour demander réparation de l'intégralité de son préjudice, au choix, devant le tribunal du domicile du défendeur (compétence générale), du lieu d’établissement de l'éditeur/émetteur des contenus (lieu du fait générateur), ou encore, mais uniquement pour les dommages subis localement, devant les juridictions de chacun des États membres où le dommage a été subi (CJUE 25 oct. 2011, eDate et Martinez, rubrique Documents). On retrouve ici l’application classique de la jurisprudence Fiona Shevill. On notera toutefois que, lorsque le dommage résulte d’un cyberdélit, la CJUE précise que le lieu de ce dommage s’entend du lieu où la publication « est accessible ou l’a été ». Surtout, à ces options classiques, la Cour en ajoute une nouvelle, inédite : la victime peut aussi demander réparation de son entier préjudice au tribunal du centre de ses propres intérêts, c'est‑àdire de sa résidence habituelle. Cette règle profite également aux personnes morales, dont le centre des intérêts doit être fixé au lieu de leur activité (CJUE 17 oct. 2017, préc.). L’action en rectification qui peut être exercée par la victime contre l’auteur du site, en application du droit européen de la protection des données, ne peut en revanche être portée que devant les juridictions du domicile du défendeur, celle du fait générateur ou celle du centre des intérêts de la personne concernée (CJUE 17 oct. 2017, préc.). Si la doctrine considère que tous les délits d'atteinte à la personnalité et à la vie privée, et pas seulement ceux réalisés par internet, devront bénéficier de ce nouveau critère de compétence (D. 2012. 1235, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke), il ressort en revanche de plusieurs arrêts postérieurs de la CJUE que le critère du centre des intérêts de la victime ne concerne que les atteintes aux droits de la personnalité, et ne peut pas être étendu aux autres cyberdélits. Comment doit alors s’opérer la localisation du dommage résultant de ces cyberdélits ?
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Pour déterminer le lieu du dommage causé par un cyberdélit, la chambre commerciale de la Cour de cassation a en droit commun français élaboré une méthode originale dite « de la focalisation », qui la conduit à rechercher quel est l’État dont le public a été ciblé par l’action litigieuse sur internet. Ce « ciblage » doit être évalué en considération d’un faisceau d’indices (langue employée, monnaie, utilisation d’un site. fr, etc…). Mais cette méthode semble doublement condamnée. Elle l’est d’abord en droit commun par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui privilégie pour sa part un autre critère, plus large, de « l’accessibilité du site » : le dommage est réputé souffert dans tous les pays où le site est accessible au public. Elle l’est aussi en droit européen, où la CJUE s’est également penchée sur la question de localisation du fait dommageable pour la détermination de la compétence en matière de cyberdélits, et a arrêt après arrêt précisé sa jurisprudence. Si les droits de
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la personnalité font l’objet d’un traitement spécifique (v. ss 1071 le critère du centre des intérêts de la victime), le régime de la compétence pour les autres cyberdélits, sans être totalement uniforme, répond à quelques lignes forces. S’agissant de la localisation du dommage causé par une contrefaçon de droit d’auteur, la CJUE a à plusieurs reprises clairement rejeté la méthode de la focalisation. Elle semble préférer le critère du lieu d’accessibilité du site, sous réserve que les droits dont la protection est réclamée soient garantis par l’État du for (CJUE 3 oct. 2013, Pinckney, aff. C-170/12, D. 2014. 411, note T. Azzi ; Rev. crit. DIP 2014. 189, note L. Usunier). Il faut sans doute considérer que le juge de l’État où le site est accessible ne peut statuer que sur les dommages subis localement, conformément à la jurisprudence Fiona Shevill (v. soutenant cette solution : T. Azzi, note préc. sous l’arrêt Pinckney). En matière de contrefaçon de marques, en revanche, la CJUE a refusé d’appliquer le critère d’accessibilité du site : le lieu du dommage est le lieu de l’État membre d’enregistrement de la marque (CJUE 19 avr. 2012, Wintersteiger, aff. C-523-10, D. 2012. 1926, note T. Azzi). En cas de violation d’une interdiction de revente en ligne, la CJUE localise le dommage dans le pays où le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes (CJUE 21 déc. 2016, Concurrence, aff. C-618/15, D. 2017. 1021, obs. F. Jaut-Seseke) ; la doctrine préconise de retenir plus largement, pour les cyberdélits en matière commerciale, le critère du marché affecté. D’autres décisions viendront sans doute encore compléter cette construction subtile. La pluralité de dommages peut également résulter de la survenance de préjudices successifs, qu’il s’agisse de préjudices indirects ou de préjudices par ricochet. Les préjudices indirects sont les conséquences financières d’un fait dommageable, enregistrées postérieurement à la réalisation de celui-ci, tel le préjudice économique (perte de salaires consécutive à une incapacité par exemple). Ce préjudice est usuellement subi par la victime au lieu du centre principal de ses intérêts, domicile ou résidence habituelle. Faut-il alors lui permettre de saisir les juridictions de son domicile pour en obtenir l'indemnisation ? Cette solution a été écartée tant par la Cour de justice de l'Union européenne pour l'application du droit européen, que par la Cour de cassation pour l'application du droit commun : l'ensemble des demandes d'indemnisation, concerneraient-elles des préjudices indirects, doit être concentré au lieu de réalisation du dommage initial. Le préjudice par ricochet est celui de victimes qui subissent un préjudice personnel, mais qui n’est que la conséquence du préjudice subi par une victime directe, et non le résultat de l’événement causal initial. Peuvent-elles saisir le tribunal du lieu de leur domicile ou résidence habituelle, où le dommage par ricochet est considéré comme subi ? La Cour de cassation retient, pour l'application du droit commun, que le dommage des victimes par ricochet est réputé subi au lieu même du fait dommageable initial, refusant de proroger la compétence du tribunal de la résidence de ces victimes. La Cour de justice de l'Union européenne adopte la même solution pour le droit de l'Union (CJCE 11 janv. 1990, Sté Dumez, Rev. crit. DIP 1990. 368, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1990. 497, note A. Huet). Ainsi le régime défini pour identifier le juge compétent pour connaître du préjudice indirect est-il en harmonie avec celui textuellement posé par le Règlement Rome II pour la détermination de la loi applicable à l’indemnisation de ce préjudice (sur lequel, v. ss 1083).
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B. Pluralité de faits générateurs Lorsque plusieurs faits générateurs concourent à la réalisation du dommage, on peut tout d’abord considérer que, si ce dommage se produit en un lieu unique, la victime peut (doit ?) saisir les juridictions du lieu du dommage de son action en responsabilité contre l’ensemble des coauteurs. La Cour de cassation française, pour l'application de l'article 46 du Code de procédure civile, a tranché en ce sens en matière interne (Com. 7 mars 2000, Bull. civ. IV, no 48 ; D. 2000. AJ 251, note B. Poisson), et cette solution pourrait être étendue à l'ordre juridique international. En droit européen, la même solution peut s’appliquer puisque le tribunal du lieu du dommage est bien compétent. Mais la question plus complexe est de savoir si l’action peut être portée devant les juridictions du lieu où l’un quelconque des faits ayant contribué à la réalisation du dommage s’est produit, pour lui demander de statuer sur tout le dommage, à l’encontre de tous ses auteurs ? La CJUE s’est prononcée dans différentes hypothèses où les coauteurs du dommage n’étaient pas tous assignés, pour conclure qu’il n’est pas possible, dans ce cas, d’attraire un coauteur devant les juridictions de l’État de réalisation de l’un des éléments constitutifs de l’événement causal si ce coauteur n’a personnellement commis aucun acte dans cet État (CJUE 16 mai 2013, Melzer, aff. C228/11 ; CJUE 3 avr. 2014, Hi Hotel, aff. C-387/12). Il semble donc bien qu’il n’y a pas de compétence globale des juridictions du pays de l’un événements causaux pour connaître de l’entier litige. Chaque coauteur doit être assigné devant le tribunal du lieu où il a commis son propre acte causal. Mais la règle des codéfendeurs (v. ss 382) devrait permettre de concentrer le litige devant l’une des juridictions concernées, si tous les coauteurs sont assignés et qu'elle correspond au domicile de l'un d'entre eux.
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En matière de cyberdélits dans lesquels plusieurs actes concourent à la réalisation de l’événement causal, la CJUE semble vouloir employer, pour localiser le fait générateur, une méthode différente, consistant à retenir un seul de ces actes comme critère pertinent. Elle paraît ainsi préférer, au critère du lieu d’affichage du contenu (correspondant au lieu de situation du serveur), celui du « déclenchement du processus technique d’affichage » – correspondant au lieu d’établissement de l’annonceur – plus certain et prévisible (CJUE 19 avr. 2012, Wintersteiger, aff. C-523-10, D. 2012. 1926, note T. Azzi).
§
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3 La loi applicable aux obligations délictuelles et quasi délictuelles
Le droit international privé français a longtemps retenu, en matière de responsabilité civile extra-contractuelle, une règle simple en apparence, consacrant la compétence de la lex loci delicti ou loi du lieu du délit. Les seules exceptions résultaient de quelques conventions internationales de droit international privé dont la France était signataire. Quoiqu'il préserve l'application de ces conventions, le règlement no 864/2007 du 11 juin 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit Rome II, a profondément modifié ce système, puisqu'il consacre, outre un rattachement général qui diffère légèrement du rattachement de principe qu'avait adopté le droit commun français, une myriade de rattachements spéciaux. Le règlement se substitue aujourd'hui largement au droit commun français, dont
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l'application devient très résiduelle. On envisagera donc en premier lieu le droit européen et conventionnel (A), avant de présenter brièvement le droit commun français (B).
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A. Droit européen et conventionnel Les États membres de l'Union européenne ont éprouvé quelques difficultés à fixer une position commune sur la question de la loi applicable à la responsabilité civile extra-contractuelle. En dépit de discussions fournies, aucune convention unifiant les règles de conflit en matière délictuelle n'a jamais été adoptée. C'est donc finalement par le biais d'un règlement européen que les solutions ont été imposées. Le règlement Rome II adopté le 11 juillet 2007 a vocation à se substituer aux règles de conflit élaborées par les États membres. En effet, après rappel de ce que le règlement ne s'applique que « dans les situations comportant un conflit de lois » (art. 1 er, § 1er), c'est‑à-dire affectées d'un élément d'extranéité objectif (art. 14, § 2 qui précise que le seul choix par les parties d'une loi étrangère ne permet pas d'internationaliser la situation, qui reste soumise aux dispositions impératives du pays dans lequel tous les éléments de la situation sont localisés), l'article 3 du règlement affirme le caractère universel de celui-ci : « la loi désignée par le présent règlement s'applique, même si cette loi n'est pas celle d'un État membre ». Les juges des tribunaux des États membres, à l'exception des juges danois puisque le Danemark n'est pas lié par le règlement Rome II, devront donc nécessairement mettre en œuvre la règle de conflit d'origine européenne de préférence à la règle de conflit d'origine nationale. La primauté de la règle de conflit européenne ne vaut toutefois, à l'évidence, que dans le domaine d'application du règlement.
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Temporellement, le règlement précise qu'il s'applique aux faits générateurs survenus postérieurement à son entrée en vigueur, et fixe sa date d'application au 11 janvier 2009 (art. 31, 32). La combinaison des deux articles a immédiatement soulevé un problème d'interprétation : fallait-il considérer que les juges nationaux doivent appliquer le règlement aux seuls faits générateurs survenus après le 11 janvier 2009 ? Ou retenir, avec certains auteurs, qu'à compter du 11 janvier 2009, les juges nationaux doivent appliquer le règlement à toute affaire dont ils sont saisis portant sur un fait générateur survenu après l'entrée en vigueur du règlement le 20 août 2007 ? La Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ce point. Dans un arrêt Homawoo rendu le 17 novembre 2011 (v. rubrique Documents), elle a jugé que le règlement s'applique seulement lorsque le fait générateur du dommage s'est produit après le 11 janvier 2009.
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Matériellement, le champ d'application du règlement est large, puisqu'il vise « les obligations non contractuelles », incluant expressément les délits et la responsabilité délictuelle, y compris objective, les quasi-délits et la responsabilité quasi délictuelle, ainsi que les quasi-contrats (v. ss 1118 s.). Mais ce champ d'application n'est pas absolu. D'une part, il n'appréhende que les obligations non contractuelles « en matière civile et commerciale », excluant expressément les matières fiscales, douanières et administratives, mais aussi, dans le domaine civil, les obligations découlant de relations de famille (y compris les obligations alimentaires) ou des régimes matrimoniaux, les obligations nées des lettres de change, chèques et autres instruments
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négociables, celles résultant du droit des sociétés et des relations nées d'un trust créé volontairement, les obligations consécutives à un dommage nucléaire de même que (alors que la proposition d'origine avait prévu de les inclure dans le domaine du règlement) les obligations découlant d'atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, y compris la diffamation. Sur toutes ces questions donc, le droit commun des États membres reste applicable. D'autre part, l'article 28 du règlement réserve l'application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l'adoption du règlement et qui règlent les conflits de lois en matière d'obligations non contractuelles. L'article 28 § 2 du règlement précise immédiatement que ce texte prévaut entre les États membres sur les conventions conclues exclusivement entre deux ou plusieurs d'entre eux dans la mesure où elles concernent uniquement les matières relevant de son champ d'application. Conformément à l’article 29 du Règlement, les États membres ont notifié à la Commission les conventions dont ils entendent réserver l’application ; la liste a été publiée le 17 décembre 2010 (JOUE, 17 déc. 2010, C 343/05). Ont ainsi vocation à s'appliquer en France, de préférence au règlement, deux conventions de La Haye (qui ont été ratifiées par la France et ne lient pas exclusivement des États membres mais aussi des États tiers), l'une du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation, et l'autre du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits. La France a également réservé l’application de la convention du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, et la convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance des brevets européens. En matière de responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, le règlement s'articule autour d'une règle de conflit générale (1), combinée à des règles de conflit spéciales qui seront confrontées aux règles de conflit conventionnelles issues des conventions de La Haye précitées (2).
1. La règle de conflit générale 1081
La loi applicable au délit, désignée par les règles issues du règlement (a), jouit d'un domaine d'application large (b).
a.
Désignation de la loi applicable au délit
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La règle de conflit générale posée par le règlement Rome II en matière de responsabilité délictuelle et quasi délictuelle repose sur un rattachement de principe, néanmoins assorti d'exceptions.
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Le règlement a adopté un rattachement de principe rigide, dans le souci de garantir la prévisibilité des solutions. Tout en réaffirmant la compétence de la lex loci delicti dans son préambule (Cons. 15), le règlement renforce encore la prévisibilité en précisant que la loi applicable est la loi du lieu du dommage, la lex loci damni, quel que soit le pays dans lequel se produit le fait générateur de ce dommage et quel que soit le lieu où les conséquences indirectes du fait surviennent (art. 4, § 1 er). Ce dernier point est important, car il règle les difficultés suscitées par la survenance d’un préjudice indirect ou d’un préjudice par ricochet. Lorsque l’indemnisation d’un tel préjudice est recherchée, la loi applicable reste celle du lieu où le dommage initial s’est produit, ainsi que l’a depuis confirmé la CJUE. Par ailleurs, le choix de la loi du lieu du dommage permet d’éviter le dilemme suscité par les délits complexes, source des
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tergiversations de la jurisprudence française (v. ss 1107 s.). Le préambule justifie ce choix, qui « crée un juste équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée et [qui] correspond également à la conception moderne de la responsabilité civile et au développement des systèmes de responsabilité objective » (Cons. 16). Pour autant, l'application de la loi du lieu du dommage n'est pas nécessaire, puisque l'article 4 prévoit deux exceptions, auxquelles il convient d'ajouter la possibilité réservée aux parties, par l'article 14, de choisir la loi applicable. L'article 4 § 2 précise tout d'abord que, lorsque celui dont la responsabilité est mise en cause et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique de préférence à la loi du lieu du dommage. Il est permis de voir dans cette solution une illustration, particulière, du principe de proximitéQ, puisqu'elle assure la compétence de la loi d'un État avec lequel les deux parties ont un lien étroit, alors que le lieu du dommage pourrait n'être que purement fortuit.
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Mais c'est ensuite avec l'article 4 § 3 que le principe de proximité trouve sa consécration la plus nette, au bénéfice d'une clause dérogatoire (clause d’exception) permettant d'écarter aussi bien la loi du lieu du dommage que la loi de la résidence habituelle commune « s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens plus étroits avec un autre pays ». Expressément consacré, le principe de proximité n'en reste pas moins cantonné dans une fonction extrêmement subsidiaire. Ainsi, il est permis de s'interroger, à la lumière de l'expérience de la clause d'exception instituée en matière contractuelle par la convention de Rome, sur la place qui lui sera alors réservée face à un rattachement fixe — la loi du lieu du dommage — qui devrait se révéler d'un usage relativement aisé. Les juges seront-ils enclins à utiliser la clause d’exception ? Cette question se posera sans doute avec une particulière acuité pour les actions délictuelles intentées dans le contexte d’une relation contractuelle. L’article 4 § 3 précise en effet, in fine, qu’« un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».
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Enfin, l'article 14 du règlement prévoit une possibilité de choix de la loi applicable par les parties, limitée à des hypothèses clairement énumérées et somme toute assez classiques : le choix de loi est possible entre toutes personnes postérieurement à la survenance du fait générateur, et à tout moment, y compris avant la survenance du fait générateur, entre personnes exerçant toutes une activité commerciale. S’il est rare que les parties anticipent la question de la loi applicable à leurs relations délictuelles, la possibilité qu’institue l’article 14 présente néanmoins un intérêt réel lorsque le délit donnant lieu à la responsabilité survient entre deux personnes qui sont par ailleurs parties à un contrat incluant une clause de choix de loi. Dans ce cas, la jurisprudence française retient en application du droit commun que la loi choisie par les parties dans leur contrat peut couvrir les aspects délictuels découlant du contrat, si cette clause est formulée en termes suffisamment larges. Ce raisonnement a notamment été appliqué pour soumettre à la loi choisie par les parties au contrat des questions délictuelles telles que la rupture brutale des relations commerciales établies (Com. 21 juin 2017, n o 16-11.828, D. 2018, 972, obs. S. Clavel ; D. 2017. 2054,
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b.
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obs.L. d’Avout ; Com. 25 mars 2014, no 12-29.534, Guerlain, D. 2014. 1250, note F. Jault- Seseke, 1967, obs. S. Bollée, 2488,) ou les actions en concurrence déloyale entre cocontractants. Il faut toutefois relever qu’en droit européen, ces questions tendent à recevoir la qualification contractuelle (v. ss 953) en sorte que c’est à ce titre qu’elle sont logiquement soumises à la lex contractus.
Domaine de la loi applicable au délit
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La loi applicable, qui est toujours la loi substantielle désignée par la règle de conflit puisque le règlement exclut tout recours au renvoi, a un domaine d'application large. Elle régit, conformément aux enseignements de l'article 15 du règlement, les conditions et l'étendue de la responsabilité, les causes d'exonération, de limitation et de partage de responsabilité, l'évaluation des dommages, la transmissibilité du droit à réparation aux ayants droit à titre universel ou particulier, la détermination des éventuelles victimes par ricochet, la responsabilité du fait d'autrui ou encore la prescription. La loi applicable peut également déterminer les mesures pouvant être prises par le tribunal pour assurer la prévention, la cessation du dommage ou sa réparation, mais il convient alors de la combiner avec la loi du for à titre de loi de procédure, seule habilitée à déterminer les pouvoirs du juge. En d'autres termes, la loi applicable au délit définit les mesures pouvant être prises, le juge ne pouvant les prononcer que dans la mesure où son propre droit l'y autorise. La loi applicable détermine enfin le point, très important en pratique, de savoir si la victime d’un fait dommageable peut exercer l’action directe contre l’assureur du responsable (pour le tribunal compétent, v. ss 348), mais l’article 18 du règlement prévoit à cet égard une compétence alternative : l’action directe peut également être exercée par la victime contre l’assureur si la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit. Il suffit donc que l’une des deux lois – loi régissant la responsabilité délictuelle ou loi régissant le contrat d’assurance – admette l’action directe pour que celle-ci puisse être exercée, ainsi que l’a jugé par CJUE. Il importe de rappeler ici que l’article 18 ne s’applique que lorsque l’auteur du dommage est tenu d’une obligation délictuelle à l’égard de la victime. Néanmoins, lorsque l’auteur est tenu envers la victime sur la base d’une obligation contractuelle, la Cour de cassation française considère par analogie que l’action directe contre l’assureur est possible si elle est prévue par la loi du contrat source de responsabilité ou par la loi applicable au contrat d’assurance (Civ. 1 re, 9 sept. 2015, no 14-22.794, D. 2015. 1846, 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon, 1161, obs. M. Bacache, et 2025, obs. S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2016. 119, note S. Corneloup ; RTD com. 2016. 590, obs. P. Delebecque).
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En dépit de ce domaine d'application large, la loi du délit pourra être écartée. Le règlement consacre tout d'abord, très classiquement, l'exception d'ordre public international, qui peut être mise en œuvre pour écarter ponctuellement la loi applicable au délit, l'article 26 du règlement précisant toutefois que l'incompatibilité avec l'ordre public du for doit être manifeste pour pouvoir donner lieu à substitution. Le règlement réserve ensuite l'application des lois de police du for (art. 16), mais sans envisager — contrairement à ce que retient le règlement Rome I en matière contractuelle — une possible application des lois de police étrangères. Le règlement organise enfin, et ceci est plus novateur, un mécanisme de prise en considération de la loi du pays où le comportement dommageable se produit, pour l'appréciation de ce comportement et de son caractère fautif. L'article 17 prévoit en effet que « pour évaluer le comportement de la personne dont la responsabilité est invoquée, il est tenu compte,
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en tant qu'élément de fait et pour autant que de besoins des règles de sécurité et de comportement en vigueur au lieu et au jour de la survenance du fait qui a entraîné la responsabilité ».
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2. Les règles de conflit spéciales En complément de la règle de conflit générale, le règlement opte pour un certain nombre de rattachements spécifiques à des délits spéciaux, auxquels il convient parfois de substituer ou d'adjoindre des règles de conflit d'origine conventionnelle. Si certains de ces rattachements spéciaux dérogent ouvertement à la compétence de la lex loci delicti, d'autres en revanche se bornent à en préciser la mise en œuvre en considération des spécificités des atteintes visées.
a.
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Responsabilité du fait des produits
La responsabilité du fait des produits est envisagée par l'article 5 du règlement, qui ne concerne que la réparation des dommages causés par le produit, à l'exclusion de ceux causés au produit. La loi applicable est alors déterminée par une règle de conflit en cascade. Sera ainsi appliquée, en principe, la loi du pays dans lequel les deux parties ont leur résidence habituelle au moment de la survenance du dommage. En l'absence de résidence habituelle dans un même pays, la loi applicable est : – celle de l'État de la résidence habituelle de la victime si le produit a été commercialisé dans ce pays ; – à défaut, la loi du pays où le produit a été à la fois commercialisé et acheté ; – à défaut, la loi du pays dans lequel le dommage est survenu, si le produit a été commercialisé dans ce pays. Une clause dérogatoire permet ici de préférer la loi d'un pays entretenant des liens plus étroits avec le fait dommageable (art. 5 § 2) ; en outre, celui dont la responsabilité est invoquée est « protégé » par l'application de la loi du pays de sa résidence habituelle « si cette personne ne pouvait raisonnablement pas prévoir la commercialisation du produit » (art. 5 § 1er in fine) dans le pays dont la loi serait normalement applicable.
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Cette règle de conflit ne devrait toutefois avoir en France qu'un champ d'application extrêmement résiduel, puisque le règlement n'affecte pas « l'application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties (…) et qui règlent les conflits de lois en matière d'obligations non contractuelles ». (art. 28, § 1 er). Or la France a réservé l’application de la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits. Cette convention détermine la loi applicable à la responsabilité des fabricants de produits, mais aussi des fournisseurs et des autres personnes constituant la chaîne de préparation et de distribution commerciale des produits, que cette responsabilité soit de nature contractuelle ou délictuelle (sur ce dernier aspect, v. Civ. 7 mars 2000, Rev. crit. DIP 2001. 101, note P. Lagarde) ; la convention est en revanche inapplicable dans les relations entre cocontractants directs (art. 1er, al. 2). Cette convention stipule que la loi applicable est la loi de l'État où le fait dommageable s'est produit si cet État est aussi : – l'État de la résidence habituelle de la victime directe ; – ou, l'État de l'établissement principal de la personne poursuivie ; – ou, l'État sur le territoire duquel le produit a été acquis par la victime directe (art. 4, c).
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b.
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La loi applicable peut aussi être la loi de l'État de résidence habituelle de la victime directe si cet État est aussi : – l'État de l'établissement principal de la personne poursuivie ; – ou, l'État sur le territoire duquel le produit a été acquis par la victime directe (art. 5, b). Lorsque ni l'article 4 ni l'article 5 ne permettent de déterminer la loi applicable, le demandeur peut opter en faveur de la loi de l'État du principal établissement de la personne poursuivi, ou de celle de l'État sur le territoire duquel le fait dommageable s'est produit.
Responsabilité en matière d'atteintes à la concurrence
1092
L'article 6 du règlement, qui exclut toute possibilité de choix de loi en la matière (§ 4), distingue l'acte de concurrence déloyale, de celui qui restreint la concurrence sur le marché (pratique anticoncurrentielle).
1093
S'agissant des actes de concurrence déloyale, le régime diffère selon que l'acte crée : – un préjudice collectif, auquel cas la loi applicable est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles d'être affectés (art. 6, § 1 er) ; – ou, uniquement, un préjudice individuel, auquel cas la loi applicable est celle définie par l'article 4, à savoir la loi du lieu du dommage ou celle de la résidence habituelle commune des parties, voire la loi des liens les plus étroits (art. 6 § 2). Dans cette hypothèse, un choix de loi pourrait jouer en dépit de l’exclusion prévue par l’article 6, §4, car la responsabilité pourrait être exceptionnellement qualifiée de contractuelle lorsque l’acte de concurrence déloyale est commis entre cocontractants (v. ss 953).
1094
Quant au régime des pratiques anticoncurrentielles, qui affectent le marché, il épouse en grande partie les solutions traditionnelles, en retenant que la loi applicable est en principe celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l'être (art. 6, § 3, a). On peut y voir une concrétisation de la théorie de l'effet, en application de laquelle les États imposent unilatéralement la compétence de leur droit de la concurrence à l'encontre de toute pratique produisant des effets anticoncurrentiels dans leur ordre juridique. Mais la théorie apparaît ici sous une forme remarquablement bilatéralisée. L'article 6, § 3, b) règle quant à lui l'hypothèse où plusieurs marchés sont affectés par une même pratique anticoncurrentielle : le demandeur en réparation peut, s'il agit devant la juridiction du domicile du défendeur, fonder l'ensemble de sa demande sur la loi du for, pourvu qu'il s'agisse d'un État membre et que le marché de cet État compte parmi ceux qui sont affectés par la pratique anticoncurrentielle. Lorsqu’il y a atteinte au marché, que ce soit par des actes de concurrence déloyale ou par des pratiques anticoncurrentielles, la clause d’exception ne peut jouer.
c. 1095
Responsabilité en matière environnementale
En cas d'atteinte à l'environnement, l'article 7 du règlement instaure une option au bénéfice du demandeur, qui peut choisir de se fonder alternativement : – soit sur la loi du lieu du dommage ; – soit sur la loi du pays dans lequel le fait générateur du dommage s'est produit.
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Les faits juridiques
d.
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Les atteintes à l'environnement concrétisent fréquemment des délits complexes, dans lesquels fait générateur et dommage sont au moins partiellement dissociés. Pour ce type de délit complexe, on observe donc que le règlement tranche en faveur d'un système optionnel au bénéfice de la victime, proche de celui retenu en matière de compétence internationale (v. ss 1067 s.), mais contraire au droit commun français qui avait exclu la possibilité d'une option en matière de conflit de lois (v. ss 1107 s.). Derrière cette option se profile une règle de conflit dont la fonction régulatrice est manifeste : en favorisant les chances pour la victime d'obtenir la condamnation de l'auteur du dommage, la règle entend activement dissuader les auteurs potentiels d'atteintes à caractère environnemental (v. la discussion sur la fonction régulatrice de la règle de conflit, v. ss 66).
1096
Responsabilité pour atteinte aux droits de la propriété intellectuelle
Lorsqu’un droit de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevet, marque…) est violé, le règlement Rome II retient que la loi applicable à l’action exercée par la victime est nécessairement (ni choix de loi possible, ni jeu de la clause d’exception) celle du pays pour lequel la protection est revendiquée (art. 8), c’est‑à-dire la loi du pays où le fait générateur (acte de contrefaçon, par ex.) a été commis. La loi qui régit les conséquences de la violation du droit est donc la même que celle qui régit la titularité du droit et l’étendue de la protection qui lui est accordée (v. sur ce point et sur l’identification de la lex loci protectionis, v. ss 929), ce qui est heureux. Ainsi, si le titulaire d’une marque demande sa protection contre des actes de contrefaçon réalisés en France, c’est la loi française qui déterminera si cette protection doit être accordée, dans quelle mesure et selon quelles modalités ; les mêmes actes réalisés en Allemagne seront soumis à la loi allemande. La question de savoir si cette règle de conflit est applicable en France peut se poser, puisque la Cour de cassation a jugé que l’article 5 § 2 de la Convention de Berne comporte une règle de conflit de lois (v. ss 929) ; on pourrait donc penser que la Convention de Berne l’emporte, conformément à l’article 28 du règlement, sur celuici. Mais la France n’a pas réservé le jeu de la Convention de Berne dans sa déclaration faite à la Commission en application de l’article 29, ce qui suscite l’interrogation des spécialistes de la matière. Une autre difficulté concerne l’application de cette règle de conflit lorsque la contrefaçon est réalisée sur internet (cyberdélit) : la loi du pays pour lequel la protection est revendiquée étant la loi du pays où l’atteinte au droit est commise, où faut-il considérer qu’est commise une contrefaçon sur internet ? Sur ce point, la CJUE ne paraît pas insensible à la théorie de la focalisation, théorie qu’elle rejette pourtant en matière de compétence des tribunaux (v. ss 1072). Elle a en effet déjà pu juger – pour l’application de la directive 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données et non pour l’application de l’article 8 du règlement Rome II – que l’accessibilité du site contrefaisant dans un pays ne permet pas à elle seule de considérer qu’une atteinte au droit de propriété intellectuelle y est commise, mais qu’il faut rechercher quel était le public ciblé, en prenant en considération un certain nombre d’indices (CJUE 18 oct. 2012, Football DataCo, aff. C-173/11, D. 2012. 2736 ; D. 2013. 533, obs. N. Alaphilippe, et 1503, obs. F. JaultSeseke ; RTD eur. 2012. 947, note E. Treppoz ; Europe 2012. Comm. 506, obs. L. Idot). Dans cet arrêt, la CJUE refuse clairement d’utiliser le critère du lieu de situation du serveur web (théorie de l’émission) pour identifier le pays où l’atteinte est commise.
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1097
Droit international privé
Parce qu’il existe des droits de propriété intellectuelle de portée communautaire, régis par des instruments spécifiques (v. ss 930), l’article 8 § 2 prévoit que les atteintes à ces droits particuliers sont prioritairement régis par ces instruments ; et seulement à défaut par la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit. L’article 8, §2 est en particulier applicable lorsque les règlements spéciaux renvoient au droit international privé des États membres.
e. 1099
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1098
Responsabilité pour fait de grève
L'article 9 du règlement prévoit l'application, pour régir la responsabilité du travailleur, de l'employeur ou de l'organisation syndicale mise en cause pour fait de grève ou de lock-out, de la loi du pays de la résidence habituelle de la personne dont la responsabilité est recherchée et de la personne lésée, lorsque ces deux personnes résident dans le même pays. À défaut, la loi applicable est celle du pays dans lequel cette grève ou ce lock-out ont été engagés. Il convient de préciser que, lorsque la responsabilité du travailleur est recherchée, le règlement ne s'applique qu'à celle-ci ; l'éventuelle rupture du contrat de travail consécutive au délit est régie par la loi du contrat.
f.
Responsabilité du fait d'accidents de la circulation
1100
Le règlement ne comporte aucune règle de conflit spéciale en matière d'accidents de la circulation ; les rattachements généraux de l'article 4 devraient donc normalement s'appliquer. Mais, on l'a vu, le règlement réserve l'application des conventions internationales auxquelles les États membres sont parties. Or la France est signataire de la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation, et en a réservé l’application. Cette convention prévoit certes qu'elle ne déroge pas aux conventions auxquelles les États seront parties, et qui, dans des matières particulières, règlent la responsabilité civile extra-contractuelle découlant d'un accident de la circulation routière ; le silence du règlement sur la question évite néanmoins ici tout conflit potentiel, la règle spéciale posée par la convention devant prévaloir sur la règle générale définie par le règlement, ainsi que l’a confirmé la Cour de cassation.
1101
La convention de La Haye repose sur une règle de principe — l'application de la loi de l'État sur le territoire duquel l'accident est survenu (art. 3) — consacrant la compétence de la lex loci delicti, mais ce principe est assorti de nombreuses dérogations, en fonction des circonstances, en faveur de la loi du lieu d'immatriculation du ou des véhicules impliqués (art. 4).
g. 1102
Responsabilité découlant d'un dommage nucléaire
On le sait, le règlement exclut formellement les dommages nucléaires de son domaine d'application. Il laisse donc le champ totalement libre à l'application de la convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, signée le 29 juillet 1960. Cette convention, qui comporte essentiellement des dispositions de droit matériel, précise que pour les questions que la convention ne règle pas, la loi du for compétent d'après les règles de la convention est applicable.
B. Droit commun français 1103
Compte tenu du champ très large couvert par le droit européen et conventionnel, le droit international privé commun français ne devrait plus faire l'objet que d'une
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Les faits juridiques
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application très résiduelle, mais néanmoins essentielle puisqu'il couvre par exemple les atteintes aux droits de la personnalité et à la vie privée (exclues du domaine du règlement Rome II par son art. 1 er-2, g), lesquelles suscitent on le sait un contentieux très abondant (pour une présentation plus précise des délits exclus du champ d'application du règlement et soumis au droit commun, v. ss 1079). On présentera donc brièvement la construction jurisprudentielle qui a conduit à consacrer la compétence de principe de la loi du lieu du délit (1), non sans laisser ouverts les débats quant à l'opportunité de consacrer des solutions alternatives (2).
1. Affirmation de principe de la compétence de la loi du lieu du délit La compétence de la loi du « lieu où le délit a été commis » est fixée par un incontournable arrêt de principe, l'arrêt Lautour (Civ. 25 mai 1948, v. rubrique Documents). Un accident de la circulation s'était produit en Espagne entre deux camions, conduits respectivement par deux chauffeurs de nationalité française. La veuve de l'un des chauffeurs demande réparation de son préjudice à l'employeur de l'autre chauffeur, M. Lautour, sur le fondement de la présomption de responsabilité encourue par le gardien de la chose en application de l'article 1384 du Code civil (la responsabilité du fait des accidents de la circulation était encore régie en France par le droit commun de la responsabilité). M. Lautour oppose à cette demande l'applicabilité de la loi espagnole, loi du lieu du délit, qui n'institue pas une telle présomption de responsabilité et exige la preuve de la faute. Les juges du fond font droit à la demande de la veuve, en se fondant sur divers motifs que la Cour de cassation balaye pourtant en faisant valoir qu'« en droit international privé la loi territorialement compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle de la personne qui a l'usage, le contrôle et la direction d'une chose, en cas de dommage causé par cette chose à un tiers, est la loi du lieu où le délit a été commis ».
1104
Par cette décision, la Cour de cassation opte pour un rattachement — le lieu du délit — dont les mérites sont certains, d'une part en raison de sa neutralité à l'égard des parties, d'autre part en ce qu'il permet une harmonisation du traitement des comportements délictueux commis sur un même territoire. La Haute juridiction tranche par là même le débat qui divisait à l'époque la doctrine : alors que certains auteurs préconisaient l'application systématique de la loi du for en matière délictuelle, la Cour de cassation rejette implicitement cette solution en faisant prévaloir la loi étrangère sur la loi française ; elle exclut en outre la compétence souvent revendiquée de la loi nationale commune des parties, tout comme celle de la loi du lieu d'exécution de la décision à rendre. Mais en dépit de « son caractère éminemment pédagogique » salué par la doctrine (B. Ancel, Y. Lequette, GADIP, no 19, § 1), l'arrêt Lautour n'a pas totalement mis fin aux controverses doctrinales. En outre, le choix de la loi du « lieu du délit » devait s'avérer, à l'usage, source de difficultés que la jurisprudence mettra près de soixante ans à régler.
1105
2. Remise en cause de la compétence de la lex loci delicti La lex loci delicti a-t‑elle nécessairement vocation à régir le délit ? Une première situation pouvant conduire à sa mise à l’écart a déjà été rencontrée, à propos des délits commis entre deux parties à un contrat, dont la jurisprudence française a admis qu’ils pouvaient être soumis à la loi désignée par les parties dans la clause d’electio juris insérée au contrat rédigée en termes suffisamment larges (v. ss 1086).
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Droit international privé
a.
Délits complexes
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Au-delà, le critère du « lieu du délit » est intrinsèquement porteur d'une difficulté. La notion de « délit civil » renvoie en effet au fait illicite commis par une personne et ayant causé un dommage à autrui. Deux éléments se conjuguent donc pour que le délit civil soit constitué : un fait illicite et un dommage. Or dans une situation internationale, il est envisageable que le fait générateur illicite ou fait dommageable, d'une part, et le dommage en résultant, d'autre part, se trouvent dissociés dans l'espace ; c’est l’hypothèse d’un délit complexe, déjà rencontrée pour l’étude de la compétence des juridictions. La lex loci delicti — mais quelle est-elle alors ? — peut-elle s’appliquer à ces délits complexes (a) ? Au-delà de cette difficulté pratique, la portée de la compétence de la lex loci delicti a parfois été discutée par la doctrine. Sans remettre en cause la compétence de principe de cette loi, certains auteurs se sont en effet interrogés sur la nécessité d'instituer des rattachements spéciaux, en fonction de la nature du délit (b).
1107
Lorsque le lieu du fait générateur et le lieu du dommage sont dissociés dans l'espace, quelle loi convient-il d'appliquer ? Faut-il faire prévaloir la loi du lieu du fait dommageable, ou la loi du lieu où le dommage a été effectivement subi, voire opter pour une tierce solution ?
1108
En faveur de la loi du lieu du fait générateur, on soulignera que le fait générateur est la source de la responsabilité, et surtout que cette loi est celle en considération de laquelle l’auteur a réglé son comportement. En faveur de la lex loci damni, on fera valoir sa facilité de mise en œuvre, le dommage étant souvent plus aisé à localiser du fait de sa matérialité, ou encore l'idée que le droit de la responsabilité civile est centré sur le dommage, qu'elle a pour objet de réparer, plus que sur la faute (la responsabilité civile n'ayant pas une fonction punitive).
1109
Mais la jurisprudence française n'a jamais clairement tranché en faveur de l'une ou de l'autre des solutions. Si certains arrêts paraissent vouloir appliquer la loi du lieu du dommage (Civ. 1re, 8 févr. 1983, Banque Veuve Morin Pons, JDI 1984. 123, note G. Légier), d'autres au contraire visent la loi du lieu du fait dommageable (Civ. 1re, 30 mai 1967, Kieger, Rev. crit. DIP 1967. 728, note P. Bourel ; v. aussi Com. 18 oct. 1994, Bull. civ. IV, n o 292 ; Civ. 1re, 21 avr. 1971, Rev. crit. DIP 1972. 302, note P. Lagarde ; JDI 1972. 58, note J. Bigot). Et la Cour de cassation a finalement choisi d'affirmer, dans plusieurs arrêts plus récents, que la loi du lieu du fait générateur et celle du lieu du dommage ont toutes deux pareillement vocation à régir la responsabilité civile extracontractuelle. C'est ce qui ressort notamment d'un arrêt Gordon, rendu le 14 janvier 1997 (Rev. crit. DIP 1997. 504, note J.-M. Bischoff ; JCP 1997. II. 22903, note H. Muir Watt). L'espèce concernait une action en concurrence déloyale exercée par une société ayant subi un dommage en France du fait de la publication aux États-Unis et de la diffusion en France de revues comportant des affirmations dommageables à son encontre. Fallait-il appliquer, comme l'avait fait la cour d'appel, la loi américaine en tant que loi du lieu du fait dommageable entendu comme la publication des revues, ou la loi française ? La Cour de cassation tranche en faveur de la loi française, en constatant que, tant le fait générateur constitué par la diffusion des revues que le dommage, se sont produits en France, après avoir énoncé que « la loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit », ce lieu s'entendant « aussi bien de celui du fait générateur du
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dommage que du lieu de réalisation de ce dernier ». Cette affirmation, récemment reprise dans l'arrêt Bureau Veritas (v. ss 669) confirme les titres équivalents de la loi du lieu du fait générateur et de la loi du lieu du dommage à régir la responsabilité extracontractuelle. Mais elle ne permet pas de résoudre l'alternative proposée par ces deux lois. Dans l'arrêt Gordon, la solution est trouvée au bénéfice de la coïncidence, sur le territoire français, du lieu de réalisation de l'un des éléments constitutifs du fait générateur (la diffusion des revues) et du lieu de réalisation du dommage ; la loi française est donc appliquée de préférence à la loi américaine dont le seul titre d'application est le lieu de réalisation d'un des éléments constitutifs du fait générateur (la publication). Mais en l'absence de coïncidence, quand la dissociation des lieux du fait générateur et du dommage est totale, comment arbitrer entre les deux lois puisqu'elles sont toutes deux susceptibles d'application ? La Cour de cassation ne le dit pas. Seules deux solutions peuvent être envisagées. Il est tout d'abord possible, par souci de faveur envers la victime, de réserver à celle-ci le droit d'opter pour la loi qu'elle préfère voir appliquer. C'est la solution qu’a retenue la jurisprudence en matière de conflit de juridictions, puisqu'elle laisse à la victime le choix entre les tribunaux du lieu du dommage et ceux du lieu du fait générateur (v. ss 1067 s.). Mais l'autonomie du conflit de lois et du conflit de juridictions ne milite pas en faveur de la transposition, et la doctrine ne se montre guère favorable à une solution (Rev. crit. DIP 1997. 511, obs. J.-M. Bischoff ; JCP 1997. II. 22903, n o 3, obs. H. Muir Watt) qui offre à la victime un privilège excessif et injustifié. La Cour de cassation a du reste implicitement écarté cette possibilité de choix par la victime dans ses arrêts postérieurs. Puisqu'il faut donc choisir, et que le choix par le demandeur est exclu, la seule solution envisageable consiste à confier au juge le soin de déterminer laquelle, de la loi du lieu du fait générateur ou de la loi du lieu du dommage, il convient d'appliquer. Comme ce choix ne peut évidemment s'effectuer sur la base du caprice du juge, la méthode devrait imposer à celui-ci de se livrer à une appréciation des circonstances objectives de l'espèce pour déterminer, au cas par cas, si l'application de la loi du lieu du fait générateur, ou celle du lieu du dommage, est plus appropriée. L'on retrouve alors l'esprit de la méthode du groupement des points de contacts ou du principe de proximité.
1110
Plusieurs arrêts postérieurs confirment l'influence du principe de proximité pour la résolution des difficultés générées par les délits complexes. Le premier, l'arrêt Mobil North Sea en date du 11 mai 1999 (JCP 1999. II. 10183, note H. Muir Watt), approuve les juges du fond qui avaient entrepris de rechercher, en l'état d'un dommage subi sur le territoire britannique comme suite de faits générateurs commis en des lieux multiples, « le pays qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable » pour en appliquer la loi. Constatant que les parties étaient pour la plupart des sociétés britanniques, que les contrats signés s'étaient référés aux normes britanniques, que l'auteur présumé du délit était intervenu en tant qu'organisme de certification habilité par le gouvernement britannique, la Cour de cassation en déduit que les juges du fond ont pu considérer que la loi écossaise était applicable « comme étant celle du lieu où s'était produit le dommage ». L'arrêt reste néanmoins, notamment en raison de cette dernière précision, empreint d'une indéniable ambiguïté. Certes, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir recherché la loi ayant les liens les plus étroits avec le litige. Mais elle semble par la suite valider cette
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recherche comme étant de nature à identifier la loi du lieu du dommage, donc la lex loci damni. L'arrêt Mobil North n'adopte donc pas la méthode du groupement des points de contact à titre de solution de principe, puisqu'il y a recours dans un contexte très spécifique de plurilocalisation des faits générateurs.
1112
Le second arrêt Bureau Veritas (Civ. 1 re, 27 mars 2007, v. rubrique Documents) est moins ambigu, même s'il ne lève pas totalement les incertitudes. Un navire libérien chargé de marchandises avait sombré dans les eaux territoriales de Madagascar en raison de son état de délabrement. La société de classification Bureau Veritas avait pourtant, à la suite de plusieurs visites dont la dernière effectuée en Chine, certifié l'état de navigabilité du navire. Sa responsabilité était donc recherchée par les assureurs ayant indemnisé le propriétaire des marchandises perdues. Quelle loi convenait-il d'appliquer à cette action en responsabilité ? La Cour de cassation, après réaffirmation du principe selon lequel « la loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit ; en cas de délit complexe, ce lieu s'entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que du lieu de réalisation de ce dernier », tranche en faveur de l'application de la loi française. Pour justifier la compétence de cette loi, elle écarte tout d'abord la compétence de la loi du lieu du dommage en raison de son caractère fortuit en l'espèce, avant d'affirmer qu'« il convient de rechercher le lieu du fait générateur ; qu'ayant relevé que la société de classification dont la responsabilité était recherchée avait son siège en France, que le règlement que celle-ci avait élaboré pour le classement des navires avait été établi en France, que les dossiers de classification pouvaient y être examinés, que la décision de classement était prise au siège du Bureau Veritas (…), la cour d'appel ayant considéré que le lieu où le navire avait été visité pour la dernière fois, la Chine, n'était pas déterminant, a exactement décidé que la loi française présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable était applicable ». Un enseignement et une observation découlent de cet arrêt. Tout d'abord, il en ressort, plus clairement que de toute autre espèce antérieure, qu'en cas de délit complexe, l'alternative entre loi du lieu du dommage et loi du lieu du fait générateur doit être résolue en application du principe de proximité, en faveur de la loi du pays ayant les liens les plus étroits avec le délit. Mais la mise en œuvre concrète du principe de proximité au cas d'espèce est pour le moins surprenante : après avoir balayé la loi du lieu du dommage, sommairement qualifié de « fortuit », la Haute juridiction opte pour la compétence de la loi française, alors que celle-ci n'apparaît pas nettement être la loi du lieu du fait générateur (a priori plutôt situé en Chine). Certes, il existe d'indéniables points de contacts avec la France, mais il n'est pas certain que cela puisse suffire à y localiser le fait générateur. En sorte que, pour certains auteurs, cet arrêt concrétiserait une application du principe de proximité, non pas comme élément départiteur des compétences concurrentes de la loi du lieu du dommage et de la loi du lieu du fait générateur, mais à titre de solution de principe, directement applicable aux délits complexes.
1113
Un dernier arrêt Guerlain (Com. 25 mars 2014, n o 12-29534, D. 2014. 1250, note F. Jault-Seseke et D. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon ; Rev. crit. DIP 2014. 823, note O. Boskovic ; JCP 2014. 619, note D. Bureau) relance la discussion. Une rupture brutale des relations commerciales établies, dont on sait qu’elle reçoit la qualification délictuelle en droit français, était invoquée par une société qui distribuait au Chili les produits d’une société française. Le fait générateur (décision de résilier) s’était
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Les faits juridiques
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donc produit en France, et le dommage au Chili. La Cour de cassation, après avoir rappelé conformément à sa jurisprudence antérieure que le lieu du fait dommageable « s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier », approuve la Cour d’appel d’avoir « recherché le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable », et d’avoir considéré que ces liens résultent en l’espèce de la relation contractuelle préexistant depuis plus de douze ans entre les parties. Dès lors, le contrat ayant été conclu à Paris, soumis à la loi française et à la compétence des juridictions françaises, c’est bien la loi française qui devait s’appliquer à l’action délictuelle fondée sur la rupture brutale. Si cet arrêt a relancé le débat, c’est parce que la formule employée par la Cour de cassation « en cas de délit complexe, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable » a été interprétée diversement. Certains y ont vu une application classique de la jurisprudence antérieure, utilisant le principe de proximité pour départager la loi du fait générateur et la loi du dommage (note O. Boskovic préc.) ; d’autres ont estimé que la Haute juridiction instituait ainsi une règle nouvelle, permettant d’utiliser directement le principe de proximité pour identifier la loi applicable aux délits complexes (note D. Bureau, préc.). On notera cependant que plusieurs arrêts postérieurs de la chambre commerciale sont revenus à la mise en œuvre traditionnelle du principe de proximité dans sa simple fonction départitrice (v. les arrêts cités par H. Gaudemet-Tallon, obs. préc.). On le comprend, il n’est guère aisé de conclure qu’il existe pour les délits complexes, en marge de la compétence générale de la lex loci delicti, une compétence spéciale en faveur de la loi des liens les plus étroits. Certainement ce débat finira-t‑il par se tarir, puisque, rappelons-le, la règle posée par le règlement Rome II et retenant l’application de la seule loi du lieu du dommage, s’est substituée au droit commun français pour tous les faits générateurs survenus après le 11 janvier 2009. Il est alors sans doute plus important de rechercher s’il n’y a pas lieu de faire exception à la compétence de la lex loci delicti pour certains délits spéciaux qui restent régis par le droit commun français.
b.
Délits spéciaux
La lex loci delicti ne pourrait-elle être écartée lorsque la nature du délit le justifie ? Cette discussion s'est principalement concentrée sur les délits occasionnant une atteinte à la vie privée ou aux droits de la personnalité, ce qui lui laisse toute son actualité puisque ces délits ne sont pas couverts par le Règlement Rome II. Ce type de délit revêt une nature particulière en ce que le lieu où le dommage est subi est difficile à identifier, ou au moins à localiser, puisqu'il est ressenti en tout lieu où la publication est réalisée, et en tout lieu où la victime se transporte. Il a donc été soutenu que le lieu de réalisation du dommage pourrait être « concentré » dans la personne de la victime, justifiant ainsi l'application de sa loi personnelle ou, mieux, de la loi de l'État de son domicile. La Cour de cassation française ne paraît pas favorable à cette thèse. Ainsi, dans l'arrêt Farah Diba (Civ. 1 re, 13 avr. 1988, Bull. civ. I, no 98 ; Rev. crit. DIP 1988. 546, note P. Bourel), alors que le moyen faisait valoir que les juges auraient dû rechercher quelle était la loi personnelle de la victime pour déterminer si une responsabilité était encourue par les auteurs de l'atteinte à la vie privée, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux motifs que « les conséquences de l'atteinte à la vie privée d'une personne ou de la violation du droit qu'elle possède sur son image relèvent de la loi du lieu où ces faits ont été commis ». En cas d'éclatement ou de
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Droit international privé
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La question du traitement des atteintes aux droits de la personnalité conduit naturellement à envisager plus généralement celle de la loi applicable aux cyberdélits. Ainsi qu’il a été vu pour la compétence des tribunaux, la chambre commerciale de la Cour de cassation utilise ici la méthode « de la focalisation », qui la conduit à rechercher quel est l’État dont le public a été ciblé par la publication litigieuse sur internet, tandis que la Première chambre civile semble préférer le critère plus large de « l’accessibilité du site » : le dommage est réputé souffert dans tous les pays où le site est accessible au public. Cette hésitation est regrettable, mais les actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale – qui constituent, avec les atteintes aux droits de la personnalité, les principaux cyberdélits – étant couverts par le Règlement Rome II, c’est sur ce terrain, et sous le contrôle de la CJUE, que la solution finale doit être envisagée (v. la loi applicable aux contrefaçons sur internet en droit de l’UE, v. ss 1097).
section
2
Quasi-contrats 1117
Certaines obligations ne naissent ni d'un contrat, ni d'un délit ou quasi-délit. En droit français, leur source est conceptualisée sous l'appellation de quasi-contrats, terme qui couvre normalement l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires et le paiement de l'indu. Plus proches des délits et quasi-délits que des contrats, les quasi-contrats étaient traditionnellement soumis, en droit international privé français, à une règle de conflit inspirée de celle posée en matière délictuelle, conduisant à l'application de la lex loci quasi-contractus (§ 1). Le droit de l'Union européenne renouvelle en profondeur cette approche, tant sur la notion de « quasi-contrat » que sur la définition de la « loi applicable » (§ 2). Il conviendra, enfin, d'évoquer succinctement les aspects de conflit de juridictions, pris sous l'angle de la compétence internationale des juridictions (§ 3).
§ 1118
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difficulté à identifier le lieu du dommage, la Cour de cassation, plutôt que de substituer à la règle de conflit traditionnelle une règle de conflit spécifique (loi personnelle de la victime), préfère donc retenir l'autre branche de l'alternative proposée par la règle traditionnelle en consacrant la compétence de la loi du lieu du fait générateur.
1 La loi applicable en droit international privé français
La jurisprudence française, sans être particulièrement abondante, a dégagé la règle de conflit applicable aux quasi-contrats, sur le modèle proposé en matière délictuelle : la loi applicable est celle du lieu de survenance du fait qui a donné naissance à l'obligation (Civ. 1re, 1er juin 1976, JDI 1977. 91, note B. Audit). Ainsi, pour le paiement de l'indu, la loi applicable est-elle normalement la loi du lieu où le paiement a été reçu ; pour l'enrichissement sans cause, la loi applicable est la loi du lieu où
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l'enrichissement s'est produit ; pour la gestion d'affaires, la loi applicable est celle du lieu où le résultat de la gestion d'affaires s'est manifesté. Des opinions doctrinales ont opposé à cette règle de conflit l'attraction par la loi de la relation préexistante entre les parties : lorsque, comme cela est souvent le cas, la naissance de l'obligation quasi contractuelle est liée à l'existence d'une relation juridique ou économique entre les parties (ainsi le cas d'un mandat, lorsque le mandataire a agi dans l'intérêt du mandant au-delà des pouvoirs dont il a été investi, ouvrant la porte à la reconnaissance d'une gestion d'affaires), la loi applicable à cette obligation serait celle-là même qui régit la relation préexistante (dans notre exemple, la loi du contrat de mandat). La jurisprudence française n'a toutefois jamais consacré cette position. Le droit de l'Union européenne, qui s'y rallie, ouvre donc de nouvelles perspectives.
2 La loi applicable en droit international privé européen
Le règlement Rome II aborde, au-delà des obligations nées des délits et quasi-délits, celles résultant « de dommage causé par un fait autre qu'un fait dommageable, tel qu'un enrichissement sans cause, une gestion d'affaires ou une “culpa in contrahendo” » (Cons. 29). Il englobe donc dans son domaine d'application les instruments que le droit français qualifie de quasi-contrats, sans toutefois user lui-même de cette qualification. Précisément, il importe de s'arrêter un instant sur les aspects de qualification (A), avant de définir les règles de conflit applicables (B).
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A. Aspects de qualification
Le règlement couvre, outre les faits usuellement qualifiés de « quasi-contrats » (1), les conséquences préjudiciables des fautes commises dans le cadre des négociations précontractuelles ou « culpa in contrahendo » (2).
1. Les « quasi-contrats »
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Le règlement Rome II, on l'a dit, ne traite pas formellement des quasi-contrats. Il définit toutefois des règles de conflit propres à l'enrichissement sans cause — dans lequel il inclut expressément le paiement de l'indu (art. 10, § 1er) — et à la gestion d'affaires, en sorte que les instruments que le droit français qualifie de « quasicontrats » sont évidemment couverts par ses dispositions.
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La question se pose toutefois de savoir si les contours de l'enrichissement sans cause et de la gestion d'affaires, au sens du droit européen, correspondront précisément aux contours de ces mêmes notions en droit français. Une réponse négative est prévisible. En effet, ces notions reçoivent des définitions assez variables d'un État membre à un autre. Or on conçoit mal que, dans le cadre d'un règlement dont les dispositions seront soumises à l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne, l'on puisse s'accommoder de qualifications divergentes d'un État membre à un autre. Aussi faut-il sans doute considérer, quoique le règlement ne le mentionne pas expressément à propos de l'enrichissement sans cause et de la gestion d'affaires (il le fait en revanche pour la culpa in contrahendo), que ces notions recevront une définition autonome, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne.
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2. La « culpa in contrahendo » Le règlement envisage dans un même chapitre (chapitre III) l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires et la « culpa in contrahendo ». Du point de vue du droit français, les qualifications que revêtent d'une part l'enrichissement sans cause et la gestion d'affaires (quasi-contrats), d'autre part la faute commise dans le cadre de négociations précontractuelles (délit ou quasi-délit), diffèrent substantiellement. Le rapprochement est possible, en droit européen, dans la mesure où celui-ci n'utilise pas formellement le concept de « quasi-contrat » ; il se justifie dans la mesure où la règle de conflit définie pour déterminer la loi applicable à la culpa in contrahendo rejoint, dans son fondement, celles appliquées à l'enrichissement sans cause ou à la gestion d'affaires, puisqu'elles renvoient toutes à la relation préexistante des parties. La culpa in contrahendo ne sera toutefois pas abordée dans cette section consacrée aux quasi-contrats, et l'on renverra, à son propos, au chapitre propre aux actes juridiques (v. ss 1006).
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B. Règles de conflit applicables 1124
Le règlement Rome II a fait sienne la solution consistant à rattacher le quasi-contrat à la relation préexistante des parties (1). Il prévoit toutefois des règles subsidiaires (2), et des règles alternatives (3).
1. Règle de principe 1125
La règle de principe posée par l'article 10, § 1er pour l'enrichissement sans cause et par l'article 11, § 1er pour la gestion d'affaires est la même : lorsque l'obligation non contractuelle se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu'une obligation découlant d'un contrat ou d'un fait dommageable présentant un lien étroit avec cette obligation non contractuelle, la loi applicable est celle qui régit cette relation. Les arguments en faveur de cette solution sont nombreux, et la doctrine qui, on l'a vu, l'avait d'ailleurs préconisée, l'a accueillie avec chaleur.
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Pour autant, la formule utilisée « relation existante entre les parties » n'est pas à l'abri de certaines interrogations. À titre d'exemple, on peut discuter du sens précis de la notion de « relation existante » : couvre-t‑elle les seules relations juridiques, ou également les relations de fait ? Inclut-elle les relations à naître, ou seulement celle qui préexistent ? Peut-elle s'appliquer à la relation rétroactivement effacée, notamment par l'effet d'une nullité contractuelle ? Est également source de controverses la détermination des « parties » à la relation : la relation préexistante unit-elle nécessairement les mêmes parties que celles à l'obligation non contractuelle considérée, ou peut-elle consister en un lien de l'une de ces parties avec un tiers ? Sur l'ensemble de ces questions, les réponses — dont certaines peuvent d'ores et déjà être déduites des termes et de l'esprit du règlement (sur ce, v. G. Légier, « Enrichissement sans cause, Gestion d'affaires et Culpa in contrahendo », in S. Corneloup, N. Joubert (dir), Le règlement communautaire Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Litec, 2008, p. 145, spéc. p. 158-165) — devront être apportées par la Cour de justice de l'Union européenne pour qu'une application uniforme du texte soit garantie.
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2. Règles subsidiaires 1127
La règle de conflit adoptée est une règle de conflit en cascade. Au rattachement de principe à la loi qui régit la relation existante entre les parties s'adjoignent deux rattachements subsidiaires : – si la loi applicable ne peut être déterminée par rattachement à la relation préexistante, il convient alors d'appliquer la loi du pays où les deux parties ont leur résidence habituelle au moment où le fait donnant naissance à l'obligation survient (art. 10, § 2, 11, § 2) ; – si les deux parties n'ont pas leur résidence habituelle dans le même pays, la loi applicable est celle du pays dans lequel le fait donnant naissance à l'obligation s'est produit (art. 10, § 3, 11, § 3).
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3. Règles alternatives
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Toutes les obligations non contractuelles ne se rattachent pas à une relation existante entre les parties. Ainsi l'individu qui, en l'absence de son voisin, prend les mesures conservatoires nécessaires pour empêcher la dégradation de l'immeuble de ce dernier créé bien une situation propice à la reconnaissance d'une gestion d'affaires, alors qu'il n'existe aucune relation juridique entre les parties. Le règlement Rome II se devait donc d'envisager des règles subsidiaires, pouvant être appliquées lorsque la règle principale est inopérante.
Quelle que soit la règle de conflit, principale ou subsidiaire, applicable, elle peut être écartée : – à l'initiative des parties. L'article 14 du règlement, qui autorise les parties à choisir la loi applicable à leur obligation non contractuelle, couvre les obligations non contractuelles nées d'un enrichissement sans cause ou d'une gestion d'affaires. Dès lors, par un accord postérieur à la survenance du fait donnant naissance à l'obligation, voire même, si les parties sont commerçantes, par un accord négocié avant la survenance de ce fait, les parties peuvent sélectionner la loi qui régira leur relation ; – à l'initiative du juge. Les articles 10, § 4 et 11, § 4 prévoient respectivement, pour l'enrichissement sans cause et pour la gestion d'affaires, la possibilité de faire prévaloir sur la loi désignée par les rattachements rigides visés aux § 1er, 2 et 3, la loi d'un pays avec lequel l'obligation non contractuelle présenterait des liens manifestement plus étroits.
§
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3 Le tribunal compétent pour connaître des actions fondées sur les quasi-contrats
En droit commun français, aucune règle spéciale ne définit la compétence territoriale interne des juridictions françaises en matière de quasi-contrats. La Cour de cassation a expressément indiqué (Civ. 2e, 7 juin 2006, Bull. civ. II, no 149, jurisprudence constante depuis lors) que les options de compétence offertes par l'article 46 du Code de procédure civile ne pouvaient être appliquées aux actions fondées sur un quasi-contrat. Il en résulte nécessairement que les tribunaux français ne peuvent être compétents que lorsque le défendeur est domicilié en France.
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En droit de l'Union européenne, tout comme en droit français, aucune règle de compétence n'est spécialement définie par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis pour régler les litiges relatifs aux quasi-contrats. Faut-il en déduire que les parties se trouvent nécessairement confinées à la mise en œuvre de l'article 2 du règlement (compétence du tribunal du domicile du défendeur) ? Les alternatives envisageables sont les règles de compétence applicables aux actions contractuelles, ou celles applicables aux actions délictuelles. La CJUE a ponctuellement accepté de mettre en œuvre les règles de compétence applicables à la matière contractuelle pour les actions fondées sur des loteries publicitaires – actions que le droit français qualifie de quasi-contractuelles – mais c’est parce qu’elle a estimé que ces actions pouvaient, lorsqu’il y a un engagement librement assumé de la part du promoteur de la loterie, recevoir la qualification contractuelle. On peut seulement en déduire que, s’il est possible d’identifier un « engagement librement assumé » dans un quasi-contrat, alors les règles de compétence régissant la matière contractuelle peuvent être revendiquées. S’agissant des règles de compétence applicables aux actions délictuelles, on sait que la CJUE accepte de les voir jouer pour « toute demande mettant en jeu la responsabilité du défendeur et ne se rattachant pas à la matière contractuelle » (v. ss 1059 s.). Et on sait également que cette définition l'a conduite à inclure dans la « matière délictuelle » au sens des articles 5-3 du règlement Bruxelles I et 7-3 du règlement Bruxelles I bis, la culpa in contrahendo, couverte par le chapitre du règlement Rome II consacré aux quasi-contrats ; on pourrait donc faire valoir qu'une action fondée sur une obligation non contractuelle née d'un enrichissement sans cause ou d'une gestion d'affaires pourrait de la même façon être portée, outre devant le tribunal du domicile du défendeur, devant celui du lieu où le fait qui a donné naissance à l'obligation s'est produit. Certes, on peut opposer à cette prétention que l'action en indemnisation fondée sur l'enrichissement sans cause ou la gestion d'affaires n'est pas une action en responsabilité (contrairement, notamment, à celle fondée sur la rupture des pourparlers précontractuels) ; mais on a vu que la Cour de justice de l'Union européenne a parfois fait jouer l'article 5-3 pour des actions ne pouvant formellement être qualifiées d'« actions en responsabilité », telle l'action paulienne, en sorte que l'argument n'est pas nécessairement dirimant. Finalement, on pourrait considérer, avec H. Gaudemet-Tallon (Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 5 e éd., 2015, no 183), qu’il faut suivre, pour la mise en œuvre des règles de compétence, les mêmes directives que celles posées par le règlement Rome II en matière de conflit de lois : si l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires se rattachent à une relation préexistante entre les parties, de nature délictuelle ou contractuelle, ils pourraient alors être soumis à la juridiction compétente pour connaître du délit ou du contrat préexistant, tout comme ils peuvent être soumis à la loi applicable à ce délit ou à ce contrat. À défaut, le recours ne pourrait être porté que devant la juridiction du domicile du défendeur.
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Compléments pédagogiques
Mémo I. Délits et quasi-délits A. Tribunal compétent
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En droit commun français, l'article 46 du Code de procédure civile offre au demandeur une alternative entre tribunal du lieu du fait générateur et tribunal du lieu du dommage. En droit de l'Union européenne, les articles 5-3 du règlement Bruxelles I et 7-3 du règlement Bruxelles I bis s'appliquent en « matière délictuelle ». La matière délictuelle, conçue par la Cour de justice de l'Union européenne comme une notion autonome, inclut en principe toute demande mettant en jeu la responsabilité du défendeur et ne se rattachant pas à la matière contractuelle. L'article 5-3 donne compétence au tribunal du lieu du fait dommageable. L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes Mines de Potasse d'Alsace précise qu'en cas de délit complexe, c’est‑àdire de dissociation du lieu du fait générateur et de celui du dommage, le demandeur jouit d'une option entre le tribunal de l'un ou l'autre de ces lieux. Les situations de pluralité de dommages ou de pluralité de faits générateurs ont conduit la jurisprudence à préciser la règle, notamment pour les atteintes aux droits de la personnalité, pour les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, et pour les cyberdélits.
B. Loi applicable en droit européen et conventionnel Le droit de l'Union européenne issu du règlement Rome II du 11 juillet 2007 régit, à quelques exceptions près, dont celle notable des atteintes aux droits de la personnalité et à la vie privée, la responsabilité pour les délits et quasi-délits en matière civile et commerciale, pour tous les litiges relatifs à des faits générateurs survenus après le 11 janvier 2009. Le règlement Rome II pose la compétence de principe de la lex loci delicti, tout en précisant qu'il s’agit de la loi du lieu du dommage ou lex loci damni. À la lex loci damni, il impose toutefois de préférer la loi de l'État de résidence habituelle de l'auteur du dommage et de la personne lésée lorsqu'ils ont tous deux leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage. À la lex loci damni, il est également possible de préférer l'application d'une autre loi, qui présenterait des liens plus étroits avec la situation. Enfin, ces lois ne s'appliquent que sous réserve que les parties n'aient pas valablement choisi la loi applicable, ce qui est possible en certaines matières si le choix intervient
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après la survenance du fait générateur, ou en toute hypothèse entre personnes exerçant toutes une activité commerciale.
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L'ensemble de ces rattachements généraux ne jouent cependant qu'à défaut d'un rattachement spécial, propre à la nature du délit ou quasi-délit. Le règlement Rome II prévoit de tels rattachements spéciaux pour la responsabilité du fait des produits, la responsabilité en matière d'atteintes à la concurrence, la responsabilité en matière environnementale, la responsabilité pour atteinte aux droits de la propriété intellectuelle, la responsabilité pour fait de grève. Des règles spéciales, qui prévalent sur celles du règlement, sont également posées pour la responsabilité du fait des produits par la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, et pour la responsabilité du fait d'accidents de la circulation par la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation.
C. Loi applicable en droit commun français La loi applicable est, depuis l'arrêt Lautour, la loi du lieu du délit (lex loci delicti). La loi ainsi désignée reçoit une compétence générale, et s'applique quelle que soit la nature du délit ou quasi-délit en cause. En revanche, les difficultés pratiques d'application de la loi du lieu du délit aux délits complexes ont conduit la jurisprudence à affiner, pour ces dernières, la règle de compétence générale. Il ressort ainsi des décisions les plus récentes que, si en matière de délits complexes les lois du lieu du fait générateur et du lieu du dommage ont une vocation concurrente à régir la situation, il importe, pour déterminer celles des deux qu'il convient d'appliquer, de mettre en œuvre le principe de proximité pour sélectionner la loi qui entretient les liens les plus étroits avec le litige.
II. Quasi-contrats A. Loi applicable
En droit international privé commun français, la loi applicable était traditionnellement celle du lieu de survenance du fait ayant donné naissance à l'obligation quasi contractuelle. En droit européen, le règlement Rome II privilégie, lorsqu'une relation entre les parties préexiste à la naissance de l'obligation, l'application de la loi qui régit cette relation préexistante. À défaut de relation préexistante entre les parties, la loi applicable dépend d'une règle de conflit en cascade désignant la loi du pays où les deux parties ont leur résidence habituelle au moment de la réalisation du fait générateur de l'obligation ; à défaut, la loi du pays où ce fait générateur s'est réalisé. Les parties peuvent en outre choisir la loi applicable si le fait générateur de l'obligation s'est déjà produit ou si elles sont commerçantes ; enfin le juge peut privilégier aux lois précitées la loi des liens les plus étroits.
B. Tribunal compétent
En droit commun français, l'article 46 du Code de procédure civile est inapplicable pour la détermination du tribunal compétent en matière de quasi-contrats. En droit européen, la possibilité de fonder la compétence du tribunal, dans les litiges relatifs aux quasi-contrats, sur l'article 5-3 du règlement Bruxelles I n'a jamais été clairement affirmée et reste sujette à controverse.
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Quid international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594701586
n D é l i t co m p l e x e n o 1 0 67 Délit caractérisé par la dissociation géographique de ses éléments constitutifs ; l'expression couvre tout à la fois le délit dont le fait générateur et le dommage se sont produits dans des ordres juridiques différents, et l'hypothèse où plusieurs faits générateurs plurilocalisés ont donné naissance à un dommage unique, ou inversement celle où un seul fait générateur a donné naissance à plusieurs dommages subis en des lieux distincts. n P r i n c i p e d e p r o x i m i t é n o 1 0 84 Principe de solution du conflit de lois préconisant l'application à un rapport de droit de la loi qui présente avec ce rapport les liens les plus étroits, ces liens étant appréciés in concreto ; le principe est aussi visé dans les conflits de juridictions, où il justifie qu'une compétence internationale soit reconnue à un tribunal dès lors qu'il entretient des liens suffisamment étroits avec le litige.
Documents
1) Sur la loi applicable en matière délictuelle et quasi délictuelle C i v . 2 5 m a i 1 9 48 , La u t o u r
(GADIP, no 19 ; Rev. crit. DIP 1949. 89, note H. Batiffol ; S. 1949. 1. 21, note M.-L. Niboyet) L'arrêt Lautour est d'une particulière richesse. Fondamental pour la détermination du régime de la preuve du droit étranger et pour la délimitation de la notion d'« ordre public international » (sur ces aspects, v. les apports de l'arrêt exposés supra chapitre 3, rubrique Documents), il reste également LE grand arrêt en matière délictuelle et quasi délictuelle. Saisie de la question de la loi applicable à une action en responsabilité civile opposant deux Français relativement à un accident de la circulation survenu en Espagne, la Cour de cassation y affirme en effet que « la loi compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle est la loi du lieu où le délit a été commis ». Cette règle de conflit, qui pose la compétence de principe de la lex loci delicti en droit international privé français, n'a jamais été démentie à ce jour, même si la jurisprudence ultérieure a été conduite à la préciser, notamment pour le traitement des délits complexes.
C i v . 1 r e , 27 m a r s 2 00 7 , Bu r e au V er i t as (Rev. crit. DIP 2007. 405, note D. Bureau) L'arrêt Bureau Veritas contribue, au terme d'une longue évolution jurisprudentielle (qui n'est d'ailleurs peut-être pas totalement achevée), à définir le régime international des délits complexes. Après avoir rappelé, reprenant l'enseignement de l'arrêt Lautour (v. supra), qu'en matière délictuelle la loi applicable est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit, la Cour de cassation y confirme sa jurisprudence antérieure en énonçant qu'« en cas de délit complexe, ce lieu s'entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que du lieu
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de réalisation de ce dernier ». Puis elle utilise, pour sélectionner celle de ces deux lois qu'il convient d'appliquer, la méthode du groupement des points de contact, énonçant ce faisant implicitement que la loi applicable aux délits complexes doit être identifiée conformément au principe de proximité. L'interprétation de l'arrêt suscite néanmoins une interrogation, en considération de l'usage concret que fait au cas d'espèce la Cour de cassation du principe de proximité : le principe de proximité ne joue-t‑il qu'un rôle départiteur de la compétence des seules lois du lieu du fait générateur et du lieu du dommage, dont la compétence de principe est par ailleurs affirmée par l'arrêt ? ou permet-il d'échapper à l'application de l'une ou l'autre de ces deux lois pour sélectionner une loi tierce, qui entretiendrait les liens les plus étroits avec le litige alors même qu'elle ne serait ni la loi du lieu du fait générateur, ni celle du lieu du dommage ?
C J U E 17 no v . 20 1 1 , H o m a w o o (aff. C-412/10, D. 2011. 2933 ; Europe 2012, no 54, obs. L. Idot) L'arrêt Homawoo règle l'incertitude suscitée par la combinaison des articles 31 et 32 du règlement Rome II, relativement à son application dans le temps. L'article 31 prévoit en effet que le règlement s'applique aux faits générateurs de dommages survenus après son entrée en vigueur ; l'article 32, intitulé « date d'application », précise que le règlement est applicable à partir du 11 janvier 2009. La date d'entrée en vigueur du règlement étant fixée au 20 août 2007, et la date d'application au 11 janvier 2009, plusieurs interprétations étaient permises. La Cour de justice retient finalement la plus simple, en procédant d'une relecture de l'article 31 : le règlement Rome II s'applique uniquement aux faits générateurs survenus après sa date d'application, soit le 11 janvier 2009, et non après son entrée en vigueur, soit le 20 août 2007.
2) Sur le tribunal compétent en matière délictuelle et quasi délictuelle C J C E 3 0 n o v . 1 9 7 6 , M i n e s Po t a s s e A ls a c e (D. 1977. 613, note A. L. Droz ; Rev. crit. DIP 1977. 563, note P. Bourel ; JDI 1977. 728, note A. Huet) L'arrêt Mines de Potasse d'Alsace permet d'adapter l'article 5-3 de la convention de Bruxelles et aujourd'hui du règlement Bruxelles I au traitement des délits complexes. Alors que l'article 5-3 ne prévoit la compétence en matière délictuelle que du seul tribunal du lieu du « fait dommageable », la Cour de justice des Communautés européennes a affirmé, dans cet arrêt, que « l'expression “lieu où le fait dommageable s'est produit” doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage ». Ainsi, en cas de dissociation dans l'espace du lieu du fait générateur et du lieu du dommage, la victime jouit d'une option : elle peut saisir alternativement le tribunal du lieu du fait générateur, ou celui du lieu du dommage.
C J C E 2 7 s e pt . 19 8 8 , K a l f e l i s
(Rev. crit. DIP 1989. 117, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1989. 457, note A. Huet) L'arrêt Kalfelis précise que la notion de « matière délictuelle » au sens de l'article 5-3 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 est une notion autonome comprenant « toute
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demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur, et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5-1 o ». L'arrêt indique également que, lorsque la demande présentée en justice est fondée à la fois sur des obligations contractuelles et des obligations délictuelles, le « tribunal compétent au titre de l'article 5-3 o pour connaître de l'élément d'une demande reposant sur un fondement délictuel n'est pas compétent pour connaître des autres éléments de la même demande reposant sur des fondements non délictuels ».
C J C E 1 7 j u i n 1 9 92 , J a c o b H a n d t e (Rev. crit. DIP 1992. 727, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1993. 469, note J.-M. Bischoff) Sur l'arrêt Jacob Handte, v. ss résumé chapitre 11.
C J C E 7 ma r s 1 9 95 , F i o na Sh e v i l l (Rev. crit. DIP 1996. 487, note P. Lagarde ; JDI 1995. 543, note A. Huet) L'arrêt Fiona Shevill énonce, dans une affaire où la complexité du délit résultait non seulement de la dissociation des lieux du fait générateur et du dommage, mais également de la plurilocalisation du dommage, que le demandeur peut saisir, au choix, le tribunal du lieu du fait générateur ou l'un des tribunaux correspondant à l'un des lieux où le dommage était subi. L'ampleur de l'option est néanmoins tempérée par la limitation des pouvoirs du juge saisi : alors que le juge du lieu du fait générateur unique peut connaître de l'ensemble de la demande et indemniser le dommage quel que soit le lieu où il a été subi, les tribunaux des différents lieux de dommage ont une compétence territorialement limitée qui ne les autorise à statuer que sur le seul dommage subi dans leur ressort territorial.
C J C E 2 7 o c t . 1 99 8 , L a R é u n i o n e u r o p é e n n e (Rev. crit. DIP 1999. 323, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1999. 625, note F. Leclerc) L'arrêt La RéUnion européenne énonce que la notion de « matière délictuelle » ou « quasi délictuelle » au sens de l'article 5.3 comprend « toute demande qui vise à mettre en cause la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5.1 », c'est‑à-dire s'il « n'existe aucun engagement librement assumé d'une partie envers une autre ».
C J U E 25 oc t . 2 0 11 , e D at e A dv er ti sing et M ar ti n ez (JDI 2012. 197, note Guiziou ; Rev. crit. DIP 2012. 389, note H. Muir Watt ; D. 2012. 1233, obs. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz) L'arrêt eDate Advertising prolonge l'arrêt Fiona Shevill en matière d'atteintes aux droits de la personnalité réalisées au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet. Il élargit l'option initialement offerte par la Cour de justice, en offrant à la victime la possibilité de solliciter réparation de l'intégralité du dommage subi non seulement aux juridictions du lieu d'établissement de l'émetteur de ces contenus (lieu de réalisation du fait générateur), mais aussi aux juridictions de l'État « où se trouve le centre des intérêts » de la victime. Le centre des intérêts de la victime correspondant usuellement à sa résidence, l'arrêt consacre donc un forum actoris que l'arrêt Fiona Shevill n'avait pas retenu. Comme ce dernier arrêt en revanche, l'arrêt eDate
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Advertising reconnaît à la victime le droit de saisir les juridictions des États membres où le contenu mis en ligne est accessible, mais cette compétence est limitée à la réparation du dommage subi sur le territoire. La question de savoir si la solution consacrée par l'arrêt eDateAdvertising doit être limitée aux atteintes aux droits de la personnalité par internet, ou vaut pour ce type d'atteintes quel que soit le support utilisé, n'est pas clairement tranchée.
C J U E 13 m a r s 2 0 14 , B r o g s i t t e r , a f f . C- 5 48 / 12 (D. 2014. 1058, obs. F. Jault-Seseke et 1973, obs. S. Bollée ; Rev. crit DIP 2014. 863, note B. Haftel) v. Rubrique Documents du Chapitre 11.
Biblio
1) Sur la loi applicable en matière délictuelle - S. Bollée, « La responsabilité extra-contractuelle du contractant en droit international privé », Mélanges B. Audit, LGDJ, 2014, p. 119. - O. Boskovic, « Les dommages et intérêts en droit international privé », JCP 2006. I. 163. - H. Gaudemet-Tallon, « Droit international privé de la contrefaçon. Aspects actuels », D. 2008. 735. - P. Herzog, « Le début de la “révolution” des conflits de lois aux États-Unis et les principes fondamentaux de la proposition “Rome II”. Y a-t‑il un parallélisme inconscient ? », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 71. - F. Monéger, « The Last Ten ou les derniers États des États-Unis d'Amérique fidèles à la lex loci delicti », in Le droit international privé : esprit et méthodes, Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 575. - M. Vivant, « Propriété intellectuelle, lex protectionis et loi réelle », D. 2011. 2351.
2) Sur le règlement Rome II - T. Azzi, « Atteintes aux droits de propriété intellectuelle et conflits de lois. De l'utilité de l'article 8 du règlement Rome II », Propr. intell. 2009. n o 33, p. 324. - T. Azzi, E. Treppoz, « Contrefaçon et conflits de lois : quelques remarques sur la liste des conventions internationales censées primer le règlement Rome II », D. 2011. 1293. - L. d'Avout, « Que reste-t‑il du principe de territorialité des faits juridiques ? (une mise en perspective du règlement Rome II) », D. 2009. 1629. - L. d'Avout, « Tensions institutionnelles autour de la future juridiction européenne des brevets », D. 2011. 2434 - C. Brière, « Le règlement (CE) n o 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») », JDI 2008. 31. - S. Corneloup, N. Joubert (dir.), Le Règlement communautaire Rome II, Actes colloque 20 sept. 2007, Dijon, coll. « Travaux du CREDIMI », Litec, 2008.- F. Guerchoun et S. Piédelièvre, « Le Règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») », Gaz. Pal. 23 oct. 2007, p. 4 ; Gaz. Pal. 30 oct. 2007, p. 9. - T. Kadner Graziano, « Le nouveau droit international privé en matière de responsabilité extracontractuelle », Rev. crit. DIP 2008. 445.
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- G. Légier, « Le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations extra-contractuelles », JCP 2007. Act. 348. - E. Treppoz, « La lex loci protectionis et l’article 8 du règlement Rome II », D. 2009. 1643.
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3) Sur la compétence des juridictions - H. Gaudemet-Tallon, M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6 e éd., LGDJ, 2018. - K. Kerameus, « La compétence internationale en matière délictuelle dans la Convention de Bruxelles », Trav. Com. fr. DIP 1992-1993. 255. - G. Lardeux, « La compétence internationale des tribunaux français en matière de cyberdélits », D. 2010. 1183. - V. Pironon, « Dits et non-dits sur la méthode de la focalisation dans le contentieux – contractuel et délictuel – du commerce électronique », JDI 2011. Var. 4.
4) Sur les quasi-contrats - H. Chanteloup, Les quasi-contrats en droit international privé, LGDJ, Paris, 1998. - G. Légier, « Enrichissement sans cause, Gestion d'affaires et Culpa in contrahendo », in S. Corneloup, N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Litec, 2008, p. 145.
Quiz 1) Sujets corrigés
A) Test de connaissances Énoncé
1. En droit commun français, la loi applicable aux délits complexes est : a. la loi du lieu du dommage ; b. la loi du lieu du générateur ou la loi du lieu du dommage, sur sélection par le juge conformément au principe de proximité ; c. la loi du lieu du fait générateur ou la loi du lieu du dommage, au choix du demandeur. 2. En matière de cyberdélit, la CJUE tend plutôt à retenir comme juridictions compétentes : a. celles du pays dont le public a été ciblé ; b. celles du pays où se trouve situé le serveur ; c. celles du pays où le site est accessible. 3. Le règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles s'applique : a. aux faits générateurs survenus après le 11 juillet 2007 ; b. aux faits générateurs survenus après le 11 janvier 2009 ; 683
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c. aux procédures ouvertes après le 11 juillet 2007 ; d. aux procédures ouvertes après le 11 janvier 2009.
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4. Les conventions internationales signées avant l'entrée en vigueur du règlement Rome II par les États membres en matière de loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle : a. prévalent sur le règlement, sauf si elles ont été exclusivement conclues entre États membres ; b. prévalent en toute hypothèse sur le règlement ; c. doivent être dénoncées car le règlement prévaut. 5. Dans le règlement Rome II, la loi applicable aux obligations délictuelles et quasi délictuelles est la loi du lieu du délit entendue comme : a. entre la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu du dommage, celle qui présente les liens les plus étroits avec la situation ; b. la loi du lieu du fait générateur ; c. la loi du lieu du dommage. 6. Dans le règlement Rome II, la responsabilité découlant des atteintes à l'environnement est régie : a. par la loi des liens les plus étroits ; b. par la loi du lieu du fait générateur ; c. par la loi du lieu du dommage ; d. par la loi du lieu du fait générateur ou la loi du lieu du dommage, au choix du demandeur. 7. Pour les délits complexes, le tribunal compétent est : a. le tribunal du lieu du dommage ; b. le tribunal qui entretient les liens les plus étroits avec le litige ; c. le tribunal du lieu du fait générateur ou celui du lieu du dommage, au choix du demandeur. 8. Pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice personnel, les victimes par ricochet peuvent saisir : a. le tribunal compétent pour connaître du dommage initial, d'où dérive leur propre préjudice ; b. le tribunal de leur propre domicile, où le dommage par ricochet est subi ; c. le tribunal qui entretient les liens les plus étroits avec le litige. 9. En droit européen, en cas d’atteinte aux droits de la personnalité, la victime peut : a. saisir les juridictions de son État de domicile ou résidence qui statueront selon la loi désignée par le DIP du juge saisi ; b. saisir les juridictions de son État de domicile ou de résidence qui statueront en application de la loi de son État de domicile ou de résidence ; c. saisir les juridictions de son État de domicile ou de résidence qui statueront en application de la loi du lieu du dommage. 684
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10. Droit de l'Union européenne et droit commun français se distinguent, pour la détermination de la loi applicable aux quasi-contrats, en ce que le droit européen retient la compétence de principe de la loi qui régit la relation préexistante, alors que le droit commun français a toujours refusé cette solution, privilégiant l'application de la loi du lieu du fait qui a donné naissance à l'obligation : a. vrai ; b. faux. 11. En matière d'obligations non contractuelles, les clauses de choix de loi sont autorisées (plusieurs réponses possibles) : a. en toute hypothèse ; b. entre commerçants ; c. par un accord postérieur à la survenance du fait générateur d'obligation ; d. jamais. Voir corrigé en fin de rubrique.
B) Cas pratique Énoncé
Documents autorisés : l’un des recueils de textes de la bibliographie (Grands textes ; Code de DIP…) Monsieur Laguigne, qui vit à Paris, est parti en vacances en Espagne au mois de juillet 2017 pour visiter le magnifique Parc national de Picos de Europa. Mais ce qui devait être un séjour de rêve a tourné au cauchemar. De retour en France, il vient vous exposer ses difficultés et rechercher vos conseils. 1. Le 20 juillet, alors qu’il roulait sur une petite route de montagne, il a eu la chance exceptionnelle de voir un ours brun sortir d’un fourré sur le bas-côté. Malheureusement, cet événement l’a distrait, et il a percuté un rocher. Lui-même n’a souffert aucun dommage mais il avait à bord un touriste allemand qui visitait aussi le parc, et qu’il avait pris en auto-stop. Or celui-ci a été blessé. Monsieur Laguigne vient de recevoir un courrier d’avocat, lui demandant une indemnisation importante au titre de la perte de salaires consécutive à l’arrêt de travail de la victime. La demande est fondée sur le droit allemand. Monsieur Laguigne est bien ennuyé, car sa voiture n’était pas assurée… Il voudrait en savoir un peu plus sur l’action en justice que la victime pourrait intenter contre lui s’il ne payait pas. 2. Un malheur n’allant jamais seul, l’accident a occasionné une importante fuite d’huile de son moteur. Toute l’huile s’est déversée dans un très beau lac du Parc national. L’office gestionnaire du Parc lui réclame là encore une indemnisation, destinée à remettre le site en état. S’il ne paye pas, l’office le menace de poursuites judiciaires. M. Laguigne vous interroge sur la juridiction qui pourrait être saisie et sur la loi applicable. 3. Comble de malheur, M. Laguigne se trouvait en très petite tenue au volant de sa voiture au moment de l’accident, car il faisait très chaud. Un passant a pris une photo de lui. La photo a été postée sur le site internet espagnol d’un magazine. Elle a fait le tour de l’Europe : à son retour en France, ses collègues se sont moqués de lui, de même que ses correspondants professionnels allemands et italiens. M. Laguigne se
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demande quelle action en justice il pourrait intenter pour que la photo soit retirée et qu’une indemnisation lui soit versée.
2) Corrigés Test de connaissances
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Voir le corrigé en fin de rubrique.
1. b ; 2. c ; 3. b ; 4. a ; 5. c ; 6. d ; 7. c ; 8. a ; 9. a ; 10. a ; 11. b et c.
Cas pratique
M. Laguigne a subi différents désagréments de nature bien différente. Il convient donc de les examiner successivement, en distinguant l’accident de la circulation et ses suites directes (I), la pollution environnementale (II) et l’atteinte à sa vie privée (III).
I. L’accident de la circulation
L’accident s’est produit en Espagne, impliquant le conducteur résidant en France et un passager résidant en Allemagne. La demande d’indemnisation formée par la victime allemande l’est pour obtenir compensation de la perte de salaires consécutive aux dommages corporels subis. Il s’agit donc d’une demande concernant un préjudice indirect. Il faut tenir compte de cette qualification pour déterminer quelle serait la juridiction compétente pour connaître de l’action de la victime, et quelle serait la loi applicable à cette action.
A. Juridiction compétente
L’action en responsabilité délictuelle, si elle est intentée, le sera postérieurement au 10 janvier 2015 à l’encontre de M. Laguigne qui est domicilié en France. Les conditions d’application matérielle, temporelle, et spatiale du Règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 sont remplies et c’est donc en application de ce texte que les juridictions compétentes doivent être identifiées. Conformément à l’article 4 du Règlement, le défendeur peut être attrait, d’une façon générale, devant les juridictions de l’État de son domicile. Monsieur Laguigne pourrait donc être attrait devant les juridictions françaises, et plus spécifiquement devant les juridictions parisiennes (la compétence territoriale étant régie par le droit national français, donc par l’article 42 du Code de procédure civile). Mais l’article 7-3 du règlement prévoit, en matière délictuelle, une compétence alternative au profit des juridictions de l’État où s’est produit le fait dommageable. La qualification délictuelle de l’action n’est ici pas contestable. En revanche, on peut se demander où s’est produit le fait dommageable. En effet, si l’accident de la circulation et donc le préjudice corporel qui en est résulté s’est produit en Espagne, la demande d’indemnisation concerne un autre préjudice, la perte de salaires consécutive, préjudice qui s’est manifestement produit en Allemagne où la victime réside et sans doute travaille. L’article 7-3 donne-t‑il donc compétence aux juridictions espagnoles, ou aux juridictions allemandes ? La CJUE a décidé que lorsqu’un dommage induit des préjudices indirects il importe, notamment pour des raisons de prévisibilité, de concentrer l’ensemble des demandes d’indemnisation au lieu de réalisation du dommage initial. Peu importe donc que le
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préjudice économique de la victime se localise en Allemagne. Il est la conséquence du dommage survenu en Espagne, et ce sont donc les juridictions espagnoles qui seront compétentes pour en connaître.
B. Loi applicable
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La victime allemande a donc le choix entre porter son action devant les juridictions françaises ou devant les juridictions espagnoles, sans pouvoir saisir les juridictions allemandes. Ainsi M. Laguigne peut-il peut-être espérer être assigné en France, ce qui lui évitera les tracas de devoir aller se défendre à l’étranger, car la victime allemande n’a pas de raison manifeste de préférer les juridictions espagnoles (même si elle peut en droit choisir de les saisir).
L’accident, fait générateur du dommage, s’est produit en juillet 2017, donc bien postérieurement à l’entrée en application du Règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. Ce texte, qui a une vocation universelle, est normalement applicable pour déterminer la loi applicable, et ce que les juridictions françaises ou espagnoles soient saisies. Mais la France a ratifié la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière (tout comme l’Espagne d’ailleurs), et elle en a réservé l’application, conformément à l’article 28 du règlement. C’est donc la Convention de La Haye qui déterminera la loi applicable à l’action en responsabilité fondée sur l’accident de la circulation. L’article 3 de la Convention précise que la loi applicable est en principe la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est intervenu, soit en l’espèce la loi espagnole. Cependant, l’article 4 prévoit un certain nombre de dérogations. L’une de ces dérogations (point a) concerne la situation où un seul véhicule est impliqué dans l’accident et est immatriculé dans un autre État que celui où l’accident s’est produit, ce qui est le cas en l’espèce. La loi interne de l’État d’immatriculation est alors applicable à différentes actions en responsabilité ; elle régit notamment la responsabilité envers une victime qui était passager et qui avait sa résidence habituelle dans un autre État que celui sur le territoire duquel l’accident est survenu. En l’espèce, la victime était bien un passager ne résidant pas dans le pays où s’est produit l’accident. Il faut donc préférer, à l’application de la loi espagnole du lieu de l’accident, celle de la loi française de l’État d’immatriculation du véhicule. Le recours de la victime devra donc être exercé non sur le fondement du droit allemand, comme l’indique le courrier d’avocat, mais en application du droit français.
II. La pollution environnementale M. Laguigne a causé un dommage à l’environnement. Il vous demande quelle juridiction pourrait saisir l’office espagnol gérant le parc qui entend lui demander une indemnisation, et en application de quelle loi cette demande serait jugée.
A. Juridictions compétentes
L’action en responsabilité délictuelle, si elle est intentée, le sera postérieurement au 10 janvier 2015 à l’encontre de M. Laguigne qui est domicilié en France. Les conditions d’application matérielle, temporelle, et spatiale du Règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 sont remplies et c’est donc en application de ce texte que les juridictions compétentes doivent être identifiées.
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Conformément à l’article 4 du Règlement, le défendeur peut être attrait, d’une façon générale, devant les juridictions de l’État de son domicile. Monsieur Laguigne pourrait donc être attrait devant les juridictions françaises, et plus spécifiquement devant les juridictions parisiennes (la compétence territoriale étant régie par le droit national français, donc par l’article 42 du Code de procédure civile). Mais l’article 7-3 du règlement prévoit, en matière délictuelle, une compétence alternative au profit des juridictions de l’État où s’est produit le fait dommageable. Aussi bien le fait générateur que le dommage se sont produits en Espagne. Les juridictions espagnoles seront donc compétentes. L’office gérant le parc aura une option entre les juridictions françaises, et les juridictions espagnoles. On peut craindre qu’il ne choisisse de saisir les juridictions espagnoles, pour des raisons de proximité, ce qui obligera M. Laguigne à se défendre devant les juridictions étrangères.
B. Loi applicable
La pollution s’est produite en juillet 2017, donc bien postérieurement à l’entrée en application du Règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. Ce texte, qui a une vocation universelle, est normalement applicable pour déterminer la loi applicable, et ce que les juridictions françaises ou espagnoles soient saisies. Le règlement Rome II comporte des dispositions spéciales à la responsabilité en cas d’atteinte à l’environnement. L’article 7 du règlement prévoit que la loi applicable est normalement la lex loci damni désignée par l’article 4, mais que le demandeur peut choisir de fonder ses prétentions sur la loi du pays dans lequel le fait générateur s’est produit. Il y a donc une option, pour le demandeur, entre loi du lieu du dommage et loi du lieu du fait générateur lorsque ceux-ci sont dissociés dans l’espace. En l’espèce toutefois il n’y a pas une telle dissociation : fait générateur et dommage se sont produits en Espagne. La loi espagnole sera applicable, que l’action soit portée devant le juge espagnol ou devant le juge français.
III. L’atteinte à la vie privée
Une photo de M. Laguigne en tenue très légère a été postée sur le site web espagnol d’un magazine. La photo a aussi été vue (au moins) en France, en Allemagne et en Italie. M. Laguigne veut agir en justice contre – on l’imagine – le magazine qui a posté la photo sur son site. Il s’agit d’un cas d’atteinte à la vie privée et/ou aux droits de la personnalité (droit à l’image) commise sur internet (cyberdélit), ce qui complique tant l’identification du tribunal compétent que la détermination de la loi applicable.
A. Juridiction compétente
Comme dans les cas précédemment envisagés, et pour les mêmes raisons, le règlement Bruxelles I bis est applicable, le défendeur étant manifestement une personne morale dont le siège est en Espagne. Outre les juridictions espagnoles du domicile du défendeur, M. Laguigne pourra donc saisir, en application de l’article 7-3, les juridictions du lieu du fait dommageable. Mais où se localise le fait dommageable en l’espèce. De façon assez classique en matière d’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité, le délit est un délit complexe avec dissociation entre le lieu du fait
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générateur et le lieu du dommage. La situation est encore complexifiée par le fait qu’il s’agit d’un cyberdélit.
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On sait que la CJUE a de longue date décidé que, lorsqu’il y a dissociation entre le fait générateur et le dommage, la victime a une option entre les tribunaux du lieu de l’un ou de l’autre (Mines de Potasse d’Alsace). Encore faut-il pouvoir identifier le lieu du fait générateur, et le lieu du dommage. Pour les cyberdélits, la CJUE semble considérer que le fait générateur est constitué par le « déclenchement du processus technique d’affichage », qui correspond usuellement au lieu de l’établissement de l’annonceur (Wintersteiger). En l’espèce, le fait générateur doit donc être considéré comme constitué en Espagne. En ce qui concerne le dommage, les choses sont plus complexes car la photo a été vue dans de nombreux pays ; or l’atteinte aux droits de la personnalité est constituée, selon la CJUE, dans tous les pays où le site était accessible. Le dommage s’est donc produit a minima en Espagne, en France, en Allemagne et en Italie. En 1995, dans son arrêt Fiona Schevill, la CJUE a retenu que lorsque le dommage résultant d’une atteinte aux droits de la personnalité se produit dans plusieurs pays, la victime peut saisir soit les juridictions du lieu du fait générateur d’une action en indemnisation de son entier préjudice ; soit les juridictions de chaque pays où le dommage est souffert, mais chacune ne peut alors connaître que du seul dommage subi sur le territoire. Plus récemment, en 2011 dans l’arrêt Edate et Martinez, la CJUE a réitéré cette solution, en ouvrant une option supplémentaire à la victime, qui peut aussi demander l’indemnisation de son entier préjudice aux juridictions du centre de ses propres intérêts, c’est‑à-dire de sa résidence habituelle. Ainsi, M. Laguigne a en l’espèce une option : – il peut saisir les juridictions espagnoles d’une demande en réparation de son entier préjudice, soit sur le fondement de l’article 4 (compétence générale), soit sur le fondement de l’article 7-3 (lieu du fait générateur) ; le choix du fondement aura une incidence sur la compétence territoriale, mais le cas ne permet pas de déterminer celle-ci. – il peut saisir les juridictions françaises d’une demande en réparation de son entier préjudice, comme juridictions du centre de ses intérêts ; – il peut saisir aussi les juridictions italiennes et allemandes, mais elles ne pourront connaître que du préjudice subi respectivement en Italie et en Allemagne. Cette solution n’apparaît donc guère judicieuse.
B. Loi applicable
Les atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité sont exclues du champ d’application du règlement Rome II. Il faut donc rechercher, si les juridictions françaises sont saisies, la loi applicable selon le droit international privé commun français, qui retient la compétence de principe de la lex loci delicti. Mais en matière d’atteinte aux droits de la personnalité, la Cour de cassation s’est référée en 1988 à la compétence de la « loi du lieu où les faits ont été commis », sans autre précision. La formule paraît vouloir renvoyer à la loi du lieu du fait générateur, dont on pourrait alors considérer ici qu’il s’agit de la loi espagnole. Cependant, en matière de cyberdélits, la Cour de cassation retient des solutions spécifiques : la chambre commerciale applique la méthode de la focalisation pour
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retenir la loi du pays dont le public est ciblé ; la première chambre civile applique la loi du pays où le site est accessible. S’agissant d’une atteinte aux droits de la personnalité par internet, il semble plus pertinent de retenir le critère posé par la première chambre civile, et l’on pourrait donc soutenir que la loi applicable est la loi du pays où le site est accessible. Cette solution induit toutefois une territorialité de la protection (application de la loi de chaque pays à la portion d’atteinte réalisée sur son territoire) qui se comprend car les règles ont été principalement développées pour traiter des contrefaçons, (avec la territorialité de la protection des droits de propriété intellectuelle). Mais il semble moins justifié de demander au juge d’appliquer distributivement les lois des différents pays concernés à la portion d’atteinte aux droits de la personnalité qui leur est propre. Une dernière solution serait de faire valoir que, comme l’a fait la Cour de justice en matière de compétence des juridictions, il faut en matière d’atteinte aux droits de la personnalité appliquer la loi personnelle de la victime, à savoir la loi de son domicile, qui pourrait régir l’atteinte dans sa totalité. En 1988, la Cour de cassation a refusé cette solution. Mais il y a eu de nombreuses évolutions depuis, et peut-être sa jurisprudence pourrait-elle évoluer sur ce point également.
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1) Sujets corrigés Cas pratique Énoncé
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Sujets terminaux
Documents autorisés : un recueil de textes officiels au choix Monsieur Springsteen est un ressortissant américain. Il a épousé une Française, Béatrice, en 1998. Les époux ont eu deux enfants, Patricia née en 2000 et Prosper né en 2005. Le couple a vécu aux États-Unis, où Patricia est née, de 1998 à 2003, puis à Madrid – où Prosper est né – de 2003 à 2005. Toute la famille vit depuis en France, mais Patricia est repartie depuis 2 ans aux États-Unis pour y faire ses études. Monsieur Springsteen a reçu il y a quelques mois un message anonyme qui lui annonçait que Prosper n’était pas son fils biologique. Confrontée, Béatrice a avoué qu’elle avait eu une liaison, et qu’elle pensait en effet que Prosper n’était pas son fils biologique. Monsieur Springsteen se sent trahi ; et ce d’autant plus que depuis cette explication, Béatrice a quitté le domicile conjugal et est repartie vivre en Espagne, en laissant Prosper à son époux ! Il souhaite engager une action en divorce contre son épouse, et contester sa paternité à l’égard de Prosper. Il voudrait savoir si les juridictions françaises pourront connaître de ces actions, et quelle loi elles appliqueraient. Il se demande aussi s’il pourrait saisir d’autres juridictions que les juridictions françaises, au cas où la loi qu’appliqueraient celles-ci ne lui serait pas favorable. Il s’inquiète également des effets patrimoniaux de ce divorce. Lui et Béatrice n’ont pas conclu de contrat de mariage, il n’a aucune idée du droit applicable à la liquidation de leur régime matrimonial, et il croit comprendre que les modalités du partage seront très différentes selon que l’on applique la loi française ou la loi américaine. Enfin, Monsieur Springsteen, qui est assez connu de par sa profession, a vu ses déboires conjugaux étalés sur les sites internet d’une certaine presse à scandale, ce dans toute l’Europe. Il veut agir en justice pour faire cesser ces publications attentatoires à sa vie privée, mais ne sait pas où agir et sur le fondement de quelle loi. Vous l’éclairerez sur l’ensemble des questions posées. N.B. : Toute personne née aux États-Unis est citoyenne américaine ; un enfant né en dehors des États-Unis peut obtenir la nationalité américaine si au moins un de ses parents est américain. La nationalité espagnole est attribuée aux personnes nées d’un père ou d’une mère de nationalité espagnole, ou de toute personne née en Espagne de parents étrangers si l’un au moins des parents est né en Espagne. Voir le corrigé en fin de rubrique.
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Droit international privé
Commentaire d'arrêt
Com. 6 déc. 2017
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Arrêt (no 16-15.674, D. 2018. 966 et 971, obs. S. Clavel, JPC E 2018. 31, obs. C. Nourissat) Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 18 février 2016), que la société Arban, exerçant l'activité de fabrication de menuiseries, s'approvisionnait en vitrages, depuis l'année 2001, auprès de la société de droit italien Taroglass ; qu'invoquant des non-conformités affectant des commandes passées en 2008 et 2009, elle a refusé d'en acquitter le réglement ; qu'estimant ce refus injustifié et lui reprochant la rupture brutale de leur relation commerciale, la société Taroglass l'a assignée en paiement de ses factures et en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce ; que parallèlement, la société Arban a assigné en réparation de divers préjudices la société Taroglass, qui a soulevé la prescription de cette demande en application du droit civil italien ; que les procédures ont été jointes ; que la société Axa, assureur de la société Taroglass, a été appelée en garantie ; que la société Taroglass a été mise en liquidation selon les dispositions applicables en droit italien, M. X… étant désigné commissaire judiciaire ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Arban fait grief à l'arrêt de la déclarer prescrite en son action concernant les livraisons effectuées par la société Taroglass avant le 22 juillet 2008 alors, selon le moyen : 1 o/ que la société Arban, dans ses conclusions, se prévalait expressément du caractère contraire à l'ordre public international de l'article 1495 du code civil italien, dans la mesure où il faisait partir la prescription de l'action contre le vendeur à partir de la livraison de la marchandise, même si l'acheteur n'était pas en mesure d'agir ; qu'en énonçant que la société Arban ne faisait pas valoir la contrariété de ce texte à l'ordre public international et n'affirmait pas que la détermination du point de départ de la prescription avait été érigée en règle d'ordre public, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Arban, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ; 2 o/ que le fait d'admettre qu'un droit étranger régit un litige n'interdit pas de soutenir qu'un texte de ce droit étranger est inapplicable comme contraire à l'ordre public international ; qu'en énonçant que la société Arban ne pouvait pas à la fois admettre que le droit italien régissait le litige et prétendre que l'article 1495 du code civil italien était contraire à l'ordre public international et inapplicable, la cour d'appel a violé les articles 3 et 6 du code civil ; 3 o/ qu'est contraire à l'ordre public international un texte de loi étranger qui, dans les contrats de vente, fait partir l'action en responsabilité contre le vendeur de la date de la livraison, peu important que l'acheteur ait connaissance du vice de la chose et soit donc en mesure d'agir ou non ; que l'article 1495 du code civil italien impose précisément une telle règle ; qu'en l'estimant applicable en France, la cour d'appel a violé les articles 3 et 6 du code civil ; Mais attendu que la contrariété à la conception française de l'ordre public en matière internationale doit s'apprécier en considération de l'application concrète, aux circonstances de la cause, de l'article 1495 du code civil italien, désigné par la règle de conflit de lois mobilisée en l'absence de disposition spécifique sur la prescription prévue par la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, et qui fixe à un an, à compter de la livraison, l'action de l'acheteur en dénonciation des défauts de conformité de la chose vendue ; qu'il
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Sujets terminaux
Et sur le second moyen :
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résulte de l'arrêt, dont les constatations ne sont pas critiquées sur ce point, que les vitrages estimés non conformes n'ont été fabriqués par la société Taroglass qu'à partir de la première semaine du mois de mai 2008 et ont donc nécessairement été livrés postérieurement à la société Arban, tandis qu'il résulte des conclusions de cette dernière qu'elle a été en mesure de déceler la tromperie, dont elle se disait victime de la part de son fournisseur, et de découvrir l'absence de conformité des marchandises dans le courant du mois de janvier 2009 ; que, dès lors, et à supposer que l'article 1495 précité ne prévoie aucune dérogation au point de départ du délai de prescription, même dans le cas où l'acheteur était dans l'impossibilité d'agir, la société Arban ne se trouvait pas dans cette situation, le délai d'un an, qui avait commencé à courir en mai 2008, n'étant pas encore expiré en janvier 2009 ; qu'en cet état, le moyen qui, en ses deux premières branches, critique des motifs surabondants et, en sa troisième, ne procède pas à une analyse concrète du droit étranger, est inopérant ; Attendu que la société Arban fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. X…, ès qualités, la somme de 186 457,19 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1 o/ qu'en relevant d'office, sans le soumettre à la discussion des parties, le moyen selon lequel elle n'était pas saisie d'une contestation relative à l'application du droit italien à l'action en responsabilité engagée par la société Taroglass, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ; 2 o/ que les moyens nouveaux sont recevables en appel ; qu'en se fondant sur le fait que l'applicabilité du droit italien à l'action en responsabilité engagée par la société Taroglass n'avait pas été discutée en première instance pour en déduire qu'elle n'était pas saisie d'une contestation sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 563 du code de procédure civile ; 3 o/ que le dispositif des conclusions d'appel doit comprendre les prétentions des parties, mais non les moyens qu'elles soutiennent ; que la société Arban avait obtenu en première instance le rejet de l'action en responsabilité de la société Taroglass, de sorte que sa seule prétention était la confirmation du jugement sur ce point ; que l'inapplicabilité du droit français à cette action au profit du droit italien était un moyen au soutien de cette prétention, qui n'avait pas à figurer dans le dispositif des conclusions d'appel ; qu'en ne s'estimant pas saisie d'une contestation sur l'applicabilité du droit italien, faute de demande dans le dispositif des conclusions d'appel de la société Arban, la cour d'appel a violé l'article 954 du code civil ; 4 o/ que lorsque l'action en responsabilité délictuelle pour brusque rupture des relations contractuelle est fondée sur un délit complexe, la rupture ayant été décidée dans un pays mais ses effets ayant été subis dans un autre, la loi applicable est celle du pays parmi ces deux présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ; que la rupture des relations entre les parties a été décidée par la société Arban en France et ressentie par la société Taroglass en Italie ; qu'en ne déterminant pas avec lequel de ces deux pays le fait dommageable présentait les liens les plus étroits, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et L. 442-6 du code de commerce ; Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel s'est bornée à constater, sans en tirer de conséquence juridique, que, devant les premiers juges, les parties n'avaient pas discuté l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce à la demande de la société Taroglass ; qu'il suit de là qu'elle n'avait pas à inviter les parties à formuler leurs observations sur ce simple constat et que le grief de la deuxième branche manque en fait ; Et attendu, en second lieu, qu'il résulte des conclusions d'appel de la société Arban que, si celleci, dans le dispositif de ses écritures, demandait la confirmation du jugement en ce qu'il avait « débouté » son fournisseur de sa demande fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce,
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Voir le corrigé en fin de rubrique.
2) Corrigés Cas pratique
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elle exposait, dans le corps des mêmes écritures, qu'elle était fondée, en application de ce texte, à interrompre ses relations commerciales avec la société Taroglass du fait de la perte totale de confiance intervenue en suite des errements de ce fournisseur, tout en affirmant aussitôt que cette société, invoquant un préjudice subi en Italie, ne pouvait demander qu'il en soit fait application ; qu'en l'état de ces conclusions contradictoires, qu'elle était tenue d'interpréter, la cour d'appel a pu estimer qu'elle n'était pas saisie d'une contestation sur l'application du droit italien, ce qui rend inopérant le grief de la quatrième branche ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli.
Monsieur Springsteen est un ressortissant américain. Il a épousé une Française, Béatrice, en 1998. Les époux ont eu deux enfants, Patricia née en 2000 et Prosper né en 2005. Le couple a vécu aux États-Unis, où Patricia est née, de 1998 à 2003, puis à Madrid – où Prosper est né – de 2003 à 2005. Toute la famille vit depuis en France, mais Patricia est repartie depuis 2 ans aux États-Unis pour y faire ses études. C’est au regard de ces éléments de fait que les questions posées vont devoir être envisagées. Au préalable, on peut néanmoins s’interroger sur la nationalité des deux enfants. Patricia est née aux États-Unis d’un père américain et d’une mère française. Conformément à l’article 18 du Code civil, l’enfant dont l’un des parents est français a la nationalité française même s’il n’est pas né en France, à moins qu’il ne répudie la qualité de français dans les 6 mois précédant sa majorité ou dans les 12 mois suivant cette majorité. En l’absence d‘indication sur ce point, on peut considérer que Patricia est française. Dans la mesure où est citoyenne américaine toute personne née aux États-Unis, Patricia a donc la double nationalité franco-américaine. Prosper est né en Espagne d’un père américain et d’une mère française. Comme Patricia, pour les mêmes raisons, il a la nationalité française. En revanche il n’a apparemment pas d’autre nationalité. Il est né en Espagne, mais il n’est pas dit que l’un de ses parents y soit né aussi, donc il n’a pas la nationalité espagnole. Il pourrait obtenir la nationalité américaine puisque son père est américain, mais il n’est pas dit que des démarches aient été réalisées en ce sens. On retiendra donc que Prosper a seulement la nationalité française.
I. L’action en divorce
M. Springsteen envisage dans un premier temps de saisir les juridictions françaises ; il s’interroge sur leur compétence (A) et la loi (B) qu’elles appliqueraient, avant de s’interroger sur les autres juridictions qui pourraient éventuellement être compétentes (C).
A. Compétence des juridictions françaises La compétence des juridictions françaises pour connaître d’un divorce international doit être appréciée en considération des dispositions du Règlement Bruxelles II bis.
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Sujets terminaux
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En application de l’article 3 du règlement, les juridictions compétentes sont en principe celles de l’État membre sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle des époux, ou sur le territoire duquel se trouve la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore ; il faut comprendre ces conditions au moment de l’introduction de la demande de divorce. On pourrait le cas échéant discuter du point de savoir si Béatrice, partie il y a quelque mois en Espagne, y a déjà sa résidence habituelle, d’autant qu’elle est partie sans son fils. Mais la résidence habituelle est une notion factuelle, et le seul fait que Béatrice vive de façon non temporaire en Espagne devrait suffire. Il faudra toutefois conserver cette possible discussion à l’esprit, au cas où la fixation de la résidence habituelle de Béatrice en France serait pertinente. L’article 3 donne en toute hypothèse compétence aux juridictions françaises au titre de la dernière résidence habituelle commune dans la mesure où M. Springsteen vit encore en France, la discussion sur la résidence de Béatrice est donc ici sans intérêt.
B. Loi applicable par les juridictions françaises En France la loi applicable au divorce est, pour les actions engagées après le 21 juin 2012, déterminée par application du règlement Rome III. Le règlement (art. 5) permet aux époux de choisir d’un commun accord la loi régissant les causes de leur divorce, parmi la loi de leur État de résidence habituelle ou de leur dernière résidence habituelle ou de la nationalité de l’un d’entre eux, chaque critère étant apprécié au jour de la conclusion de l’accord, ou encore de choisir la loi du for. Ainsi, M. Springsteen et son épouse pourraient choisir la loi française ou la loi américaine. Mais rien ne dit qu’ils parviendront à un accord. En l’absence d’accord, l’article 8 du règlement confère compétence à la loi de la résidence habituelle commune des époux au jour de la saisine de la juridiction, ou à défaut de résidence commune, à la loi de la dernière résidence habituelle des époux si elle n’a pas pris fin depuis plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un y réside encore. L’explication avec Béatrice ayant eu lieu « il y a quelques mois », on comprend que la résidence habituelle commune des époux a pris fin il y a moins d’un an. Ainsi la loi française sera-t‑elle applicable à leur divorce.
C. Autres juridictions compétentes M. Springsteen peut-il saisir d’autres juridictions ? En ce qui concerne les juridictions européennes qu’il pourrait saisir, il faut consulter le règlement Bruxelles II bis. Si l’article 3 donne, on l’a vu, compétence aux juridictions françaises comme juridictions de la dernière résidence commune des époux, il prévoit également toutes une série de compétences alternatives. C’est au demandeur de choisir quelles juridictions il entend saisir. Le texte précise qu’en cas de demande conjointe, il est possible de saisir les juridictions de la résidence habituelle de l’un ou l’autre des époux. On ne sait pas ici si Béatrice sera d’accord pour divorcer et si les époux auront intérêt à former une demande conjointe. Mais si c’était le cas elles pourraient saisir les juridictions espagnoles. Les autres critères de compétence donnent compétence aux juridictions françaises. Sauf si les époux présentent une demande conjointe, M. Springsteen n’aura donc pas d’alternative dans l’Union européenne.
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Droit international privé
En revanche, la question se posera de savoir s’il peut saisir les juridictions américaines, puisqu’il est citoyen américain et que la famille a des liens avec les États-Unis. La compétence des juridictions américaines sera appréciée par celles-ci en application du droit américain.
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II. L’action en contestation de paternité L’action en contestation de paternité devrait être intentée devant les juridictions du domicile de la famille. Dans la mesure où Prosper réside encore en France avec son père, il est permis de considérer que les juridictions françaises sont internationalement compétentes pour connaître de l’action en contestation de paternité que M. Springsteen pourrait engager. L’article 311-14 pose une règle de conflit générale qui régit l’action en contestation de paternité : la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, lorsque la mère est connue, ce qui est le cas en l’espèce. L’action en contestation de paternité sera donc régie par la loi française.
III. Le droit applicable au régime matrimonial Les époux se sont mariés en 1998. La convention de La Haye de 1978 détermine la loi applicable aux régimes matrimoniaux pour les mariages célébrés après le 1 er septembre 1992. Elle est donc applicable en l’espèce. Il nous est indiqué que les époux n’ont pas conclu de contrat de mariage. En l’absence de contrat, la convention de La Haye désigne comme loi applicable celle de l’État sur le territoire duquel les époux ont établi leur première résidence habituelle après le mariage. Apparemment, la première résidence habituelle des époux a été fixée aux États-Unis, et la loi américaine est donc a priori applicable. Cependant, l’article 7 de la convention de La Haye prévoit la mutabilité automatique de la loi applicable au régime matrimonial lorsque les époux ont, après le mariage, adopté une nouvelle résidence dans l’État de leur nationalité commune, ou ont adopté une nouvelle résidence et s’y sont fixés plus de dix ans. Les époux n’ayant pas de nationalité commune, la première hypothèse n’est pas vérifiée. En revanche, la famille vit en France depuis 2005, donc depuis plus de dix ans. Dans ces conditions, on peut considérer que la loi qui régit le régime matrimonial a changé, et qu’il s’agit de la loi française. On observera cependant que ce changement opère sans rétroactivité. Il faut donc considérer que tous les biens des époux acquis jusqu’en 2005 constituent une masse soumise au droit américain, et que ceux acquis depuis 2005 constituent une masse différente, soumise au droit français.
IV. L’action pour violation du droit au respect de la vie privée On envisagera d’abord les juridictions compétentes, puis la loi applicable.
A. Juridictions compétentes
L’action pour violation du droit au respect de la vie privée est une action en responsabilité délictuelle qui relève, pour la détermination de la compétence des juridictions, du règlement Bruxelles I bis puisqu’elle sera intentée après le 10 janvier 2016.
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Sujets terminaux
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En matière délictuelle, le demandeur peut saisir soit les juridictions du domicile du défendeur, soit les juridictions de l’État où s’est produit le fait dommageable. La CJUE a consacré une option en faveur de la victime, quand il y a dissociation spatiale entre le lieu du fait générateur et le lieu du dommage : la victime peut saisir au choix les juridictions de l’État dans lequel s’est produit l’un ou l’autre (Mines de Potasse d’Alsace). Les atteintes aux droits de la personnalité par internet posent toutefois des difficultés supplémentaires pour la localisation du fait générateur et du dommage. La CJUE a rendu récemment une nouvelle décision envisageant spécifiquement ces difficultés, très favorable à la victime : la victime peut au choix demander réparation de l’intégralité de son préjudice au tribunal du domicile du défendeur (compétence générale), au tribunal du lieu d’établissement de l’éditeur/émetteur de contenu, ou au tribunal du centre de ses propres intérêts. Elle peut encore demander réparation aux juges de chacun des États membres où le dommage a été subi mais seulement pour les dommages subis localement. En l’espèce, on ignore le lieu où est établi l’émetteur des contenus. Le plus simple pour M. Springsteen est sans doute de saisir les juridictions françaises de son pays de résidence, qui pourront connaître de sa demande pour toute l’Europe.
B. Loi applicable
Le règlement Rome II qui définit la loi applicable aux obligations non contractuelles ne couvre pas les atteintes à la personnalité. On doit donc mettre en œuvre le DIP français qui retient la compétence de la lex loci delicti. Là encore, s’agissant d’un délit sur internet, le lieu du délit est bien difficile à localiser. Si la chambre commerciale tend à utiliser, pour les cyberdélits, la méthode de la focalisation, la première chambre civile dont l’action considérée devrait relever retient plutôt le critère de l’accessibilité du site. Le dommage est donc réputé subi dans tous les pays où le site est accessible. Cela ne dit pas quelle loi doit finalement être appliquée à l’action. La jurisprudence française retient traditionnellement qu’au titre de la lex loci delicti, la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu du dommage ont des titres équivalents à s’appliquer ; le juge doit retenir l’une ou l’autre, en fonction du principe de proximité. Il y a fort à penser en l’espèce que, si M. Springsteen se prévalait de la loi française, celle-ci serait appliquée par les juges français.
Commentaire d'arrêt
L’arrêt Arban, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 décembre 2017, est d’une particulière richesse, puisqu’il permet — au-delà des précisions qu’il apporte sur le régime des contrats internationaux de vente de marchandises — d’illustrer plusieurs aspects importants de la théorie générale du droit international privé : la méthode des règles matérielles et sa coordination avec la méthode conflictuelle ; l’exception d’ordre public international ; le régime procédural de la règle de conflit ; et plus indirectement — mais apparaissant néanmoins en filigrane — la qualification et le jeu des lois de police. Il comporte également une référence au droit international privé commun français en matière délictuelle. Les faits à l’origine du litige étaient pourtant d’une grande simplicité. La société de droit français Arban s’approvisionnait en vitrages, depuis 2001, auprès de la société de droit italien Taroglass. Insatisfaite de certaines livraisons, elle a refusé d’en régler le prix. Taroglass a donc exercé une action devant les juridictions françaises, pour obtenir le paiement du prix des marchandises non payées, ainsi qu’une indemnisation pour la
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Droit international privé
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rupture brutale des relations commerciales dont elle s’estimait victime. La société Arban a à son tour judiciairement requis diverses réparations en alléguant du défaut de conformité des marchandises livrées. Les deux affaires ont été jointes. Deux des points tranchés par les juges du fond ont conduit la société Arban à se pourvoir en cassation. La cour d’appel a tout d’abord jugé son action en dénonciation des défauts de conformité de la chose vendue prescrite en application de la loi italienne. Le premier moyen développé par la société Arban lui en fait reproche, en faisant valoir que la loi italienne devait être écartée en raison de sa contrariété à l’ordre public international. La Cour de cassation rejette le moyen. Après avoir confirmé l’applicabilité de principe de la loi italienne à la prescription de l’action litigieuse, la Haute juridiction rappelle que la contrariété à l’ordre public international doit être appréciée in concreto, pour conclure que la prescription italienne, même courte, ne viole pas la conception française de l’ordre public. La Cour d’appel a ensuite condamné la société Arban à payer diverses sommes en application de l’article L. 442-6, I, 5o du Code de commerce, en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies. Le second moyen de la société Arban lui en fait grief, en faisant valoir que la demande de la société Taroglass aurait dû être soumise à la loi italienne, invoquée par elle, en vertu de la règle de conflit applicable en matière délictuelle. Là encore, la Cour de cassation rejette le moyen. Pour elle, l’applicabilité du droit français découle suffisamment d’un accord procédural entre les parties, en l’absence de réelle invocation du droit italien par la société Arban. On envisagera donc, suivant la logique de l’arrêt commenté, la question de la loi applicable à la prescription de l’action en dénonciation des défauts de conformité dans la vente (I), avant de considérer la question de la loi applicable à la rupture brutale des relations commerciales établies (II).
I. Loi applicable à la prescription de l’action en dénonciation des défauts de conformité dans la vente Les contrats de vente de marchandises ont la particularité de faire l’objet d’une règlementation matérielle d’origine supranationale : la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM). Cette convention est d’application directe, et évince donc le plus souvent le jeu de la règle de conflit propre aux contrats de vente internationale. C’est pourtant en mettant en œuvre cette règle de conflit qu’il est décidé, dans l’affaire commentée, d’appliquer la loi italienne, en tant que lex contractus, à la prescription de l’action (A). Les titres de la loi italienne à s’appliquer étant peu douteux, la demanderesse au pourvoi excipait de sa contrariété à l’ordre public international français pour tenter d’obtenir son éviction ; mais l’argumentation est rejetée aux termes d’une analyse in concreto de la contrariété alléguée (B).
A. Application de la loi italienne comme lex contractus à une question non régie par la CVIM La CVIM s’applique aux contrats internationaux de vente de marchandises conclus entre des parties établies dans deux États contractants. La France et l’Italie ayant signé et ratifié la CVIM, celle-ci était incontestablement applicable au contrat litigieux et définissait donc l’essentiel de son régime, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la lex
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Sujets terminaux
contractus. Mais, ainsi que le rappelle la Cour de cassation, la CVIM ne comporte aucune disposition sur la prescription de l’action en dénonciation des défauts de conformité. Il faut donc rechercher, selon la règle de conflit de lois, quelle est la loi applicable à cette question pour compléter les dispositions lacunaires de la CVIM.
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La Cour de cassation estime, confirmant une solution déjà consacrée par elle un an plus tôt (Com. 2 nov. 2016, n o 14-22.114), que la prescription de l’action litigieuse doit alors être soumise à la loi du contrat. Et elle valide l’analyse des juges du fond ayant considéré que la loi du contrat est en l’espèce la loi italienne, en vertu de la « règle de conflit de lois mobilisée ». La Cour n’explicite cependant pas le raisonnement et n’indique pas quelle est cette règle de conflit mobilisée. On sait pourtant qu’en matière de contrat de vente de marchandises, trois sources de règles de conflit coexistent en droit français : la règle de conflit de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, le système « Rome » — renvoyant lui-même à la convention de Rome ou au règlement Rome I selon la date du contrat —, et le droit commun français. Même s’il est probable que c’est la convention du 15 juin 1955 qui devait s’appliquer, on peut observer que les dispositions de tous les instruments considérés convergeaient en l’espèce vers l’application de la loi italienne, loi de l’État de résidence du vendeur. Ses titres étaient donc incontestables. C’est donc sur un autre terrain, celui de la contrariété à l’ordre public international, que la demanderesse fondait son pourvoi.
B. Conformité in concreto de la loi italienne à l’ordre public international La société Arban faisait valoir que la loi italienne était contraire à l’ordre public international français, non pas tant en raison du court délai de prescription — d’un an — instauré par elle, mais en raison du point de départ de ce délai à compter « de la date de la livraison, peu important que l'acheteur ait connaissance du vice de la chose et soit donc en mesure d'agir ou non ». Le raisonnement sous-jacent était assez clair : en fixant un court délai d’une année à compter de la livraison, sans prendre en considération la date à laquelle l’acheteur a eu, ou a pu avoir, connaissance du défaut, le droit italien prive potentiellement l’acheteur d’un recours effectif. D’un point de vue abstrait, l’argument aurait peut-être pu prospérer. Mais c’était oublier que l’exception de contrariété à l’ordre public international doit s’apprécier in concreto, ce que la Cour de cassation ne manque pas de rappeler. Reprenant les constatations des juges du fond, la Cour relève en effet que même si la date de livraison des marchandises litigieuses n’est pas précisément connue, celle-ci est en toute hypothèse postérieure au mois de mai 2008. Elle observe par ailleurs qu’il ressort des propres énonciations de la société Arban qu’elle a eu connaissance des défauts au mois de janvier 2009. À cette date, la prescription annale n’était donc pas écoulée et la société Arban aurait pu, si elle avait été diligente, exercer l’action dans les délais impartis. In concreto, la société Arban aurait été en mesure de faire valoir ses droits ; elle est donc mal fondée à invoquer une éventuelle et abstraite contrariété de la loi italienne à l’ordre public international français.
II. Loi applicable à la rupture brutale des relations commerciales établies La société Arban, condamnée à payer des dommages et intérêts à son partenaire en application de l’article L. 442-6, I, 5o du Code de commerce, pour rupture brutale des
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relations commerciales établies, contestait devant la Cour de cassation l’applicabilité de la loi française. La Cour de cassation valide la décision des juges d’appel d’appliquer la loi française en raison de l’accord procédural des parties (A), ce qui lui évite de répondre à la question de savoir quelle était, en vertu de la règle de conflit, la loi applicable à l’action en indemnisation de la rupture brutale (B).
A. Application de la loi française fondée sur l’accord procédural des parties Pour conclure à l’applicabilité du droit français à l’action en rupture brutale des relations commerciales établies, les juges du fond s’étaient manifestement fondés sur l’existence d’un « accord procédural » entre les parties, en jugeant que, selon des modalités différentes qui ne seront pas explicitées ici, celles-ci avaient accepté l’applicabilité de principe de la loi française. Le recours à l’accord procédural était tout à fait possible, et il n’est guère étonnant que la Cour de cassation le valide, puisque les droits en cause étaient incontestablement des droits disponibles. Le juge français n’avait donc pas à relever d’office l’applicabilité (éventuelle) de la loi italienne. Il n’en serait allé autrement qu’en présence d’une invocation, par l’une des parties, de cette loi. Et précisément, la société Arban faisait valoir, devant la Cour de cassation, qu’elle avait invoqué la loi italienne et ainsi créé une obligation pour le juge français de mettre en œuvre la règle de conflit de lois pertinente. Même si une telle cause invoquée entraîne bien, en droit, un tel effet, la Cour de cassation refuse de faire droit à l’argumentation car elle estime, conformément à sa ligne traditionnelle de conception stricte de la notion d’invocation, qu’il ne pouvait être considéré que la société Arban avait véritablement invoqué la loi italienne devant les juges français. Certes, elle y avait fait référence, mais cette référence ne pouvait valoir invocation dès lors qu’elle s’était contredite dans ses conclusions, en contestant, d’un côté, l’application d’une disposition du droit français au profit du droit étranger, et en se prévalant, de l’autre, de cette même disposition contre son adversaire. C’est une approche bien sévère, qui permet à la Cour de cassation de sauver l’arrêt d’appel, et d’éviter d’avoir à se pencher sur la question de la loi applicable à l’action en indemnisation pour rupture des relations commerciales établies.
B. Non-détermination de la loi applicable à l’action en indemnisation de la rupture brutale L’action en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies pose en France une lancinante question, celle de savoir si l’article L. 442-6, 1, 5o du Code de commerce qui la prévoit constitue ou non une loi de police. Cette question n’a toujours pas été, à ce jour, fermement tranchée par la Cour de cassation. Elle était en toute hypothèse dépourvue de pertinence en l’espèce, puisque les juges du fond ne s’étaient pas fondés sur le caractère de « loi de police » de la disposition considérée pour justifier sa mise en œuvre, et que la demanderesse au pourvoi cherchait à échapper à la loi française, non à convaincre les juges de son applicabilité. La demanderesse au pourvoi se prévalait donc plutôt de la règle de conflit applicable en matière délictuelle. Elle invoquait le droit commun français, sans que l’on puisse déterminer si c’était à bon droit. Les commandes litigieuses dataient en effet de 2008 et 2009, sans autre précision, et le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles s’applique aux faits générateurs survenus après le 11 janvier 2009. On acceptera l’applicabilité du droit commun français, mais les
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Sujets terminaux
éventuelles commandes postérieures au 11 janvier 2009 dépendaient en réalité du règlement Rome II.
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En droit commun français, l’action en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies reçoit, au moins dans la jurisprudence de la chambre commerciale saisie en l’espèce, la qualification délictuelle. La société demanderesse au pourvoi arguait donc de la règle de conflit applicable en matière délictuelle, qui retient la compétence de la lex loci delicti. Mais elle faisait valoir qu’en présence d’un délit complexe, la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment les arrêts Gordon, Mobil, Bureau Veritas et Guerlain) invite les juges du fond à mettre en œuvre le principe de proximité pour décider quelle est, entre la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu du dommage, celle présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable. Et elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir procédé à cette recherche. L’argument aurait peut-être pu prospérer, s’il avait été soulevé devant la Cour d’appel, et non tardivement devant la Cour de cassation qui a préféré s’en remettre à l’ « accord procédural » des parties pour mettre un point final à l’affaire.
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Bibliographie générale 1) Ouvrages généraux
- B. AUDIT, L. D'AVOUT, Droit international privé, 7 e éd., Economica, 2013. - D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit international privé, Partie générale, t. 1, 4 e éd., PUF, coll. « Thémis », 2017. - D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit international privé, Partie spéciale, t. 2, 4 e éd., PUF, coll. « Thémis », 2017. - H. BATTIFOL, P. LAGARDE, Droit international privé, t. I, 8 e éd., LGDJ, 1993 ; t. II, 7 e éd., LGDJ, 1983. - H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe, 5 e éd., LGDJ, 2015. -H. GAUDEMET-TALLON, M.-E . ANCEL, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6 e éd., LGDJ, 2018. - Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL, P. de VAREILLES-SOMMIÈRES, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013. - P. MAYER, V. HEUZÉ, Droit international privé, 11 e éd., Montchrestien, 2014. - F. MONÉGER, Droit international privé, 8 e éd., Litec, coll. « Objectif Droit Cours », 2018. - M.-L. NIBOYET, G. de GEOUFFRE de la PRADELLE, Droit international privé, 6 e éd., LGDJ, 2017. - Th. VIGNAL, Droit international privé, 4 e éd., Armand Colin, coll. « U », 2017.
2) Recueils de textes et de jurisprudence - B. ANCEL, Y. LEQUETTE, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5 e éd., Dalloz, 2006. - M. ATTAL, J. BAUCHY, Code de droit international privé français, 4e éd., Bruylant, 2017-2018. - C. BRIÈRE, L’essentiel des Grands arrêts du Droit international privé, Gualino, 1 re éd., 2016. - S. CLAVEL, E. GALLANT, Les grands textes de droit international privé, Dalloz, 2 e éd., 2016. - V. HEUZÉ, Les textes fondamentaux du droit international privé, LGDJ, 2 e éd., 2016.
3) Ouvrages d’aide à la révision - B. HAFTEL, Droit international privé, Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2018. - H. FULCHIRON, C. NOURISSAT, E. TREPPOZ, A. DEVERS, Travaux dirigés de droit international privé, 5 e éd., LexisNexis, 2018. - J. GUILLAUMÉ, Le droit international privé en tableaux, Ellipses, coll. « Le droit en fiches et en tableaux », 2017. - J.-P. LABORDE, S. SANA-CHAILLE DE NÉRÉ, Droit international privé, 19 e éd., Dalloz, coll. « Mémentos », 2017. - F. MÉLIN, Droit international privé, 8 e éd., coll. « Mémentos », Gualino, 2018. - M.-C. MEYZEAUD-GARAUD, Droit international privé, 4 e éd., Bréal, coll. « Lexifac Droit », 2014.
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Droit international privé
- M.-L. NIBOYET, I. REIN LESCASTEREYRES, L. DIMITROV, Droit international privé. Exercices pratiques, LGDJ, 2 e éd., 2015. - V. PARISOT, Le droit international privé en schémas, Ellipses, coll. « Le droit en schémas », 2017.
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4) Ouvrages cités en corps de texte par le seul nom de leur auteur - B. ANCEL, Y. LEQUETTE, Grands Arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5 e éd., Dalloz, 2006, cité GADIP pour un renvoi aux arrêts, cité B. Ancel, Y. Lequette pour un renvoi à la partie doctrinale. - H. BATTIFOL, P. LAGARDE, Droit international privé, LGDJ, t. I et II, cité H. Batiffol, P. Lagarde. - D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit international privé, Partie générale, t. 1 et 2, 4 e éd., PUF, coll. « Thémis », 2017, cité D. Bureau, H. Muir Watt. - M.-L. NIBOYET, G. de GEOUFFRE de la PRADELLE, Droit international privé, 6 e éd., LGDJ, 2017, cité G. de la Pradelle, M.-L. Niboyet. - Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL, P. de VAREILLES-SOMMIÈRES, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013, cité Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières. - P. MAYER, V. HEUZÉ, Droit international privé, 11e éd., Montchrestien, 2014, cité P. Mayer, V. Heuzé.
5) Principaux sites Internet www.conflictoflaws.net : Actualités et points de vue sur le droit international privé www.europa.eu : portail de l'Union européenne (et plus particulièrement europa. eu/scadplus/ leg/fr/s22003.htm pour la consultation des conventions, règlements et projets de règlements) www.hcch.net : site de la conférence de La Haye justicecivileeuropeenne. wordpress. com : Brèves et commentaires sur la justice civile européenne www.uncitral.org : site de la Commission des Nations unies pour le droit commercial (CNUDCI) www.unidroit.org : site d’Unidroit
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Index alphabétique Les chiffres sans crochets renvoient aux numéros de paragraphe du cours. Les chiffres entre crochets renvoient aux définitions des mots dans la rubrique « Quid ».
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A
- exercice (pouvoirs) : 880 - intérêt à agir : 503, 504 - prescription : 508 - qualité pour agir : 505, 506, 880 - en exequatur : 433, 436-442, 460, 468, [p. 299] - en inopposabilité : 432, 433, 439-442, 458, 459 s., [p. 299] - en opposabilité : 433, 436, 439-442, 457, 459 s., [p. 299] - en opposition à exécution : [p. 299] - paulienne : 1060 - réelle immobilière : 338, 340, 393, 831, 835, 912, v. Droits réels
Abstraction de la règle de conflit : 26, 28, 39, [p. 71] Accidents de la circulation : 282, 1079, 1100-1101 - convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation : 1079, 1100-1101 Accord procédural : 152-155, 159, 161, [p. 72], 718, 975, 1026 Acquiescement : 509 Acte authentique : 826, v. Acte d'état civil, Conflits d'autorités Acte clair (théorie de l’-) : 60 Acte d'état civil : 227, 631-635 - contentieux des inscriptions sur les registres d’état civil : 342 - légalisation : 633 - v. Commission internationale de l'état civil - v. État civil - v. Transcription Acte public : v. Acte d'état civil, Auctor regit actum, Conflits d'autorités, Lex auctoris Action - à fins de subsides : 743, 754, 782 - de groupe : v. Class action - déclaratoire négative : 351, [p. 241], 586 - désistement d'– : 509 - directe - contre l’assureur : 348, 1087 - loi de police : 177 - qualification : 83, 953, 955, 1061, 1063 - droit d'– : 501-509, 610, 868-871 - capacité à agir : 868-871, 880, 882
Adaptation : 91, 99-100, 284-288, [p. 173], 706, 775, 777 - Droits réels : 910, 937 Adoption internationale : 759-772, 775-776 - acquisition de la nationalité (adoption simple) : 574 - attribution de la nationalité (adoption plénière) : 564 - consentement du représentant légal de l'adopté : 764, 767, 771 - convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale : 770-772, 776 - couples de même sexe (par des) : v. Mariage - effets : 775-776 - gestation pour autrui : v. Gestation pour autrui (GPA) - kafala (recueil légal) : v. Kafala - ordre public international : 46, 765, 769, 772 - de proximité : 282-283, 765 - plénière : 538, 564, 763, 764, 766, 775, 776 - procréation médicalement assistée : v. Procréation médicalement assistée (PMA) - reconnaissance des jugements étrangers d’- : 46, 427, 766-767, 769, 772
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Droit international privé
- clause d’élection de for : 349 - compétence des juridictions : 348-350 - loi applicable : 992, 1000 - réassurance : 1000 - reconnaissance et exécution des jugements : 456 - Entreprises d’assurances - Insolvabilité : 888 Auctor regit actum : v. Conflits d'autorités, Lex auctoris Autonomie de la volonté : [p. 73], v. Principe d'autonomie Autorité de la chose jugée : 404, 430, 433, [p. 299] - de plano : 409, 430, 457 - exception de chose jugée : 489 Autorité parentale : v. Responsabilité parentale
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- simple : 564, 574, 775, 776 - transmission du nom : 538, v. Nom Aéronefs : 927, 932 Affrètement au voyage : v. Transport Agence commerciale : v. Représentation (contrat de –) American Trading Co. : 959 Anti-suit injunction : 368, [p. 242], 1041 Apatridie : 122, 392, 566, 582, 585, 592, 644, [p. 405], 739, v. Droit d'asile Apparence : 649-651, 816, 941, 1013 Appel en garantie : 383 Application d'office de la règle de conflit : v. Office du juge Arbitrabilité : 197, 1038, 1044, [p. 631], v. Arbitrage international, Clause compromissoire Arbitrage international : 197, 352, 1036-1042, 1044 - révision du règlement Bruxelles I : 1037 - v. Arbitrabilité - v. Clause compromissoire Article 3 du Code civil : 30, 32, 52-54, 627, 638, 645, 688, 910 Articles 14 et 15 du Code civil : 389-402 - divorce : 711 - et CEDH : 402 - et compétence exclusive des juridictions étrangères : 338, 393, 831 - et droit de l’UE : 401 - exclusivité : 398-399, 417 - incapacités : 654 - office du juge : 387 - reconnaissance et exécution des jugement étrangers : 398-399, 417 - renonciation : 396 - subsidiarité : 394 - successions : 829, 831 - tribunal territorialement compétent : 395 Asile : [p. 405], v. Droit d'asile Associations : 506, 855, 882 - action de groupe : v. Class action - convention de la Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance des - : 855 - droit d’action : 871 - qualité pour agir : 506, 882 - v. Sociétés Assurances - action directe de la victime contre l’assureur : v. Action - contrat d’assurances - assurance de grands risques : 1000
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B
Bachir : 413, 424 Bateaux et navires : 172, 178, 927, 932, 1079, 1112 Baux commerciaux : v. Propriété commerciale Baux d'immeubles : 340, 912, 997 - compétence exclusive des juridictions : 340, 366 - locations saisonnières : 340, 997 - loi applicable : 997 - qualification : 912 Bendeddouche : 89, 111, 276, 689 Biens - en transit : 932, 933 - incorporels : 928-931, 1097-1098 - plurilocalisés : 925 - v. Droits réels Bilatéralisme : v. Règle de conflit Bonne administration de la justice : 307-312, 339, 365, 372, 381, 395, 401, 496, 497, 499, 919922 Brevet : v. Propriétés intellectuelles
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C
Capacité : v. Action, Incapacité Caraslanis : 79 Catégorie du droit international privé : 74-91, [p. 72], 528-531 - adaptation : 99-100
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Index alphabétique
- opposabilité : 1041, 1042 - principe de compétence-compétence : 1040 - validité : 197, 1037-1039 - v. Arbitrabilité - v. Arbitrage international Clause d’electio juris : [p. 632], v. Clause de choix de loi, Principe d'autonomie Clause d’élection de for : 352, [p. 242], v. Clause attributive de juridiction Clause d’exception : 25, [p. 72] - et contrat : 983, 986, 990, 991, 992, 993, 9951000 - et délits : 1085, 1090, 1093, 1094, 1097 - et effets des partenariats enregistrés : 813 - et filiation : 738 - et régimes matrimoniaux : 801 - et succession : 820, 824 Clause de choix de loi - abusive : 1023, 1060 - contrats de consommation : 1023 - divorce : 715, 718 - matière contractuelle : 961, 972 s. - matière délictuelle : 1086 - obligations alimentaires : 718, 791 - régimes matrimoniaux et patrimoniaux : 799, 813 - v. Principe d'autonomie - v. Professio juris Clause de déconnexion : 332, 354, [p. 242], v. Clause de neutralisation Clause de neutralisation : 94, v. Clause de déconnexion CNUDCI : 200 Codéfendeurs : 382, 1035, 1074 Commission de transport : v. Transport Commission internationale de l'état civil : 223, 554, 635, [p. 405], 704 Commission rogatoire : 525, [p. 340] Compatibilité ou proportionnalité - test de- : [p. 131] Compétence étatique : 22, 298-305, 917 - de juridiction : 298, 304-305, [p. 243], 475, v. Immunités juridictionnelles - d'exécution : 302, 341, [p. 242], 525-526, v. Immunités juridictionnelles - exclusive : 299, 301, 309, 339, [p. 242] - impérative : [p. 243] - nationalité : 556, 557 - normative : 44, 298, 304-305, [p. 243]
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- manipulation (fraude) : 133 Certificat de coutume : 246, [p. 173] Certificat successoral européen : v. Successions Certification : 464-468, [p. 299], 787 Chaînes de contrats : v. Contrat Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : 266, 453, 596 Choix de loi : v. Clause de choix de loi, Principe d'autonomie Class action : 506 Clause abusive : 182, 349, 1023, 1044, 1060 Clause attributive de juridiction : 351-371, [p. 242], 1028-1035, [p. 631] - abusive : 349 - action directe : 1035 - asymétrique : 371 - autonomie : 356, 1033 - circulation : 1034-1035 - clause d’élection de for (distinction) : 351352, v. Clause d’élection de for - compétence d’attribution : 366 - compétence territoriale : 365 - contrats asymétriques (parties faibles) : 349350, 1043 - convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for : 329, 332, 349 - convention de Lugano : 328 - effets : 363-371, 383, 396, 417, 456 - licéité : 343, 349, 356-359 - litispendance : 494 - loi applicable : 1030-1031 - lois de police : 187, 188 - matière contractuelle : 1028-1035 - matière délictuelle : 358, 366, 1065 - opposabilité : 1034-1035 - potestativité : 371 - validité formelle (règles matérielles) : 360 - validité substantielle : 361-362, 1030-1031 Clause compromissoire : [p. 242], [p. 631] - abusive : 1044 - autonomie : 197, 1039 - circulation : 1042 - contrat impliquant une partie faible : 1044 - définition : 352 - droit de l'Union européenne : 1037 - effectivité : 1041 - effets : 1040-1042 - extension : 1042 - lois de police : 187
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Droit international privé
Concession (contrat de -) : v. Distribution (contrat de -) Concubinage - effets patrimoniaux : 816 - qualification : 731 - rupture de - : 731-732 Concurrence - des juridictions : 135, 293-294, 296-297, 336, 351, 372, 376, 403, 418 - v. Droit de la concurrence Condition de stage : [p. 405] Condition des étrangers : 593-625 - citoyens européens : 595-602, [p. 405] - v. Droit de séjour - v. Entrée sur le territoire français - v. Expulsion - v. Regroupement familial Conférence de La Haye de droit international privé : 61, 62, 65, 313, 694, 960, v. Conventions de La Haye Conflit - dans le temps : 95-98, 124, 139, 269-270 , 587 - de conventions : 94, 203, [p. 130] - de décisions : 297, 489 - de nationalités : 121, 554, 590-592, 644, 723, 739 - de qualification : 78 s., 91 - de souverainetés : 31, 42, 164, 168-189, 309 - de systèmes : 92 - mobile : 123-126, 139, [p. 72], 284, 286, [p. 581] - contrat : 124, 981 - droits réels : 933, 936, 938, 941, 944 - filiation : 124, 740, 755 - incapacités : 644 - obligations alimentaires : 789 Conflits d'autorités : v. Lex auctoris Conflits de juridictions - notion : 5-7 - v. Compétence internationale des tribunaux - v. Exécution des jugements étrangers - v. Reconnaissance Conflits de lois : [p. 72] - faux : 20, 21, 31, 157, 475 - notion : 6, 7, 17-22 - vrai : 20, 21 Connexité - exception de – internationale : 497-499, [p. 340]
Compétence exclusive : v. Compétence étatique, Compétence internationale des tribunaux
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Compétence internationale des tribunaux : 293403, 415-418 - clause attributive de juridiction : v. Clause attributive de juridiction - comparution volontaire : 343, 349 s., 352, 368, 370, 372 - déni de justice : v. Déni de justice - dérivée : 381-384, v. Appel en garantie, Codéfendeurs, Demande reconventionnelle - directe : 293-403 - Effet reflexe : v. Effet - élection de for : v. Clause attributive de juridiction, Clause d’élection de for - exception d'incompétence : 480-487 - exclusive : 188, 309, 335-346 - articles 14 et 15 du Code civil : 398-399, 402, 417 - compétence étatique : v. Compétence étatique - compétence indirecte : 415-417, 441, 456, 466 - droits réels immobiliers : 308, 338, 340, 393, 912, 920, 924-926 - exception d’incompétence : 486 - exception de litispendance : 494 - questions incidentes ou préalables : 317, 346, 886 - sociétés : 884-886 - successions : 830-831 - exorbitante : 311, 388-403, [p. 243], v. Articles 14 et 15 du Code civil, Forum actoris - générale : 373-377 - impérative : 335-350, 399 - incidents de - : 479-503, v. Autorité de la chose jugée, Connexité, Litispendance internationale - indirecte : 344-345, 398-399, 415-418, 455456, [p. 300] - loi de police : v. Loi de police - ordinaire : 372 s. - protectrice des parties faibles : 312, 347-350 - provisoire : 385-387, 526 - spéciale : 378-380 - v. Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - v. Conventions de Lugano - v. Immunités juridictionnelles - v. Règlements de l'Union européenne
708
Index alphabétique
- de consommation : v. Consommateur - de distribution : v. Distribution (contrat de -) - de franchise : v. Distribution (contrat de -) - de mariage : v. Régimes matrimoniaux - de mère-porteuse : v. Gestation pour autrui (GPA) - de prestation de services : 996, 1049, 1054 - de représentation : v. Représentation (contrat de –) - de sous-traitance : v. Sous-traitance - de transport : v. Transport - de travail : v. Travail - dépeçage - par le juge : 984 - par les parties : 799, 968-970 - droits réels (contrat constitutif ou translatif de –) : v. Droits réels - exécution : 1008, 1012 - forme : 37, 1010 - groupe de – : 1042 - international (notion) : 961, [p. 632] - interne : 961 - interprétation : 1007, 1018 - loi applicable à défaut de choix : 976-1002 - négociation : v. Pourparlers précontractuels - notion de matière contractuelle : 952-955 - nullité : 1007, 1031 - ordre public international : 259, : 1020, v. Ordre public international - ordre public interne (dispositions impératives) : 961 - portant sur un droit réel : 937-941, 997, 1015, v. Droits réels, Lex rei sitae - pourparlers précontractuels : v. Pourparlers précontractuels - pouvoirs : 1014, v. Sociétés - prestation caractéristique : 981-986, 9951001 - preuve : 522, 975, 1011, v. Preuve - principe d'autonomie : 957 s., 1021 s., v. Principe d'autonomie - principe de proximité : 25, : 979 s., v. Principe de proximité - Principes d’Unidroit : v. Principes d'Unidroit - qualification : 952-955 - règles matérielles propres au - : 197 s., 213, 948, 1018, 1037 s., v. Règle matérielle du droit international privé - renvoi : 964, v. Renvoi - responsabilité contractuelle : 1012
lien de connexité : 382, [p. 244], v. Codéfendeurs Consommateur - clause abusive : v. Clause abusive - clause compromissoire : 1044 - contrat de consommation : 990, 1021-1025 - action de groupe : v. Class action - clause attributive de juridiction : 349 - compétence directe des juridictions : 312, 347-350, 384 - loi applicable : 39, 73, 990, 1021-1025 - principe d'autonomie : 1021-1025 - reconnaissance et exécution des jugements : 456, 466 - lois de police : 168, 182, 266, 1025 - ordre public international : 261, 266 - vente au - : 94, 348 Contrainte (territorialité de la -) : 302, 309, 341, 436, 525, 526, v. Voies d'exécution Contrat - accord procédural : 152-155, 974, 1026, v. Accord procédural - asymétrique : 39, 988-999, 1020-1025, 10431044, v. Assurances, Consommateur, Transport, Travail - capacité : 1013, v. Incapacité - chaînes de - : 83, 953, 955, 1034-1035, 1042, 1061, 1063, 1091, v. Action - clause abusive : v. Clause abusive - clause attributive de juridiction : v. Clause attributive de juridiction - clause compromissoire : v. Arbitrabilité, Arbitrage international, Clause compromissoire - clause de choix de loi : 967, 971-975, 10211025, v. Principe d'autonomie, Principes de La Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux - clause d'exception : v. Clause d’exception - clauses contractuelles (licéité) : 1007 - compétence juridictionnelle : 1027-1049, v. Clause attributive de juridiction, Clause compromissoire, Compétence internationale des tribunaux - conflit mobile : v. Conflit - consentement : 1006 - contractualisation de règles matérielles : 215, 966, 967 - d’assurance : v. Assurances - de bail : v. Baux d'immeubles - de concession : v. Distribution (contrat de -)
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-
709
Droit international privé
Contrefaçon : v. Propriétés intellectuelles
- du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires : 38, 694, 782, 783 s. - du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation : 1001 - du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux : 62, 794 s. - du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale : 770-772, 776 - du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants : 65, 657 s., 722, 780 - du 13 janvier 2000 sur la protection des majeurs : 666 - du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for : 62, 65, 313, 329, 332, 349, 353 s., 951, 1030 s. - du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille : 783, 788 - protocole du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires : 468, 694, 721, 782, 783 s. Conventions de Lugano : 314, 327-328, 371 Cornelissen : 413, 414, 427, 728 Courtage : v. Représentation (contrat de –) Créance - cession de - : 931, 1008 - compétence internationale des juridictions : 341 - incontestée : 465 s., 472 s., 527, v. Injonction de payer européenne, Titre exécutoire européen - localisation : 931 - production de - : 445, 903-905, v. Faillites internationales - titularité : 931 Culpa in contrahendo : v. Pourparlers précontractuels Cyberdélit : 1071-1072, 1075, 1097, 1116, v. Focalisation (méthode de la -)
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- rupture brutale des relations commerciales établies : v. Rupture brutale des relations commerciales - sans loi : 215, 967-970, [p. 632] - validité : 1006, 1010 Convention d'arbitrage : [p. 632], v. Arbitrage international, Clause compromissoire Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 : 63-64, 314, 316 s., 448, 1050-1053 Convention de Rome du 19 juin 1980 : 25, 63-64, 94, 96, 124, 184, 522, 946, 949, 950, 954, 9561026, 1031 Convention d'élection de for : [p. 632], v. Clause attributive de juridiction Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 46, 223, 265, 278, 402, 420, 421, 427, 451, 453, 463, 551-553, 557, 593-594, 605, 612, 648, 691, 724, 729, 769, 870, 1020 Convention internationale - conflit de – : 94, 203 - de droit international privé : 60, 109, [p. 72] - de droit matériel : 60, [p. 72], 199-203, 213, 214, [p. 130] - interprétation : 60, v. Interprétation Conventions de la Commission internationale de l'état civil (CIEC) : v. Commission internationale de l'état civil Conventions de La Haye - du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels : 62, 94, 149, 995 - du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés : 852, 855, 857 - du 24 octobre 1956 sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants : 782, 783 - du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs : 657 s., 722 - du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testatmentaires : 119, 630, 821, 822, 834 - du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation : 1079, 1100 - du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits : 94, 1079, 1091
710
Index alphabétique
n
D
- conventionnel : 616 - demandeur d’asile vulnérable : 619 - territorial (protection subsidiaire) : 618 Droit de la concurrence : 3, 168, 186, 266, 875, 1092-1094, 1109 - déloyale : 953, 1093, 1109 - pratiques anticoncurrentielles : 1094 - rupture brutale des relations commerciales établies : v. Rupture brutale des relations commerciales Droit de prélèvement : v. Successions Droit de propriété : v. Droits réels, Transfert de propriété Droit de séjour : 597-599, 604-607, 622, 623-625 Droit international privé - définition : 2 Droit international public : v. Compétence étatique, Conflit, Immunités juridictionnelles, Souveraineté Droits acquis : 35, 166, 217-218, 224 s., 276 s. Droits de la défense : 421, 450, 452-453, 463-468, 511, 870, v. Fraude Droits de la personnalité : 532, 546, 1038, 10701072, 1079, 1103, 1115-1116 Droits réels : 904, 908-947 - acquisition : 938-941 - adaptation : 910, 937 - conflit mobile : v. Conflit - constitution : 938-941 - contrat constitutif ou translatif de – : 938-941, 995, 997, 1007, 1015 - immobiliers : 340, 910, 913, 917, 924-925, 943, 997, v. Action, Compétence internationale des tribunaux - mobiliers : 910, 913, 917, 926-933, 944 - opposabilité aux tiers : 917, 941, 942-945 - prérogatives du titulaire : 935-937, 941 - prescription extinctive : 947 - qualification : 911-914 - en sous-ordre : 137-138 - transfert de propriété : v. Transfert de propriété - v. Action - v. Biens - v. Lex rei sitae - v. Propriétés intellectuelles
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Délit complexe : [p. 679] Délits : v. Cyberdélit, Lex loci damni, Lex loci delicti, Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle Demande reconventionnelle : 384 Déni de justice : 310, [p. 243], v. For de nécessité Dépeçage : [p. 632], v. Contrat Déplacement illicite d'enfant : [p. 406], v. Enlèvement d'enfant Diffamation : v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle Discrimination : v. Non-discrimination Distribution (contrat de -) : 998, 1049 - concession : 982, 998, 1049 - franchise : 982, 998, 1049 Divorce : 56, 707-729 - compétence judiciaire : 321, 359, 710-715 - conflit dans le temps : 98 - conflit mobile : 124 - conventionnel : 722 s. - effets : 539, 720-723 - élection de for : 359 - fraude : 130 s., 418 - litispendance : 492 - loi applicable : 716-719 - nom : 723 - ordre public international : 276, 724, 728729 - de proximité : 280, 282, 283 - principe d'autonomie : 717-718 - reconnaissance du jugement de divorce : 430, 435, 725-728 - v. Répudiation (d’épouse) - v. Séparation de corps Domicile : 116, 117, 374-377, [p. 243], 532, 626630, [p. 406] - matrimonial : 693, 800 - personnes morales : 376 - personnes physiques : 376 Donation : 817 s. - capacité à recevoir : 636-637 - droit réel : 939 - entre époux : 694, 809, 823 Droit d'asile : 614-625, [p. 406] - Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile : 622 - constitutionnel : 617
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Droit international privé
n
E
- certification : v. Certification - d’adoption : 766-767, 769, 772 - d’obligation alimentaire : 787-788 - de class action : 506 - de divorce : 726-729 - de faillite : 897 - de régimes matrimoniaux : 797 - de régimes patrimoniaux : 812, 814 - de responsabilité parentale : 664 - de succession : 825-826 - exequatur : 407 - immunités : v. Immunités juridictionnelles - mesures provisoires et conservatoires : 387 - opposition à exécution (action en -) : 470 - v. Voies d'exécution Exécution des sentences arbitrales : v. Reconnaissance Exequatur : [p. 300], v. Exécution des jugements étrangers Expertise judiciaire : 526, v. Mesures d'instruction Expulsion : 580, 599, 608, [p. 406]
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Effet - atténué de l'ordre public : [p. 173] - de fait : 447 - de titre : 445 - persuasif : 446 - réflexe : [p. 173] - de l’ordre public international : 268, 282 - et compétence exclusive : 337 - litispendance et connexité internationale : 491 Effets des jugements étrangers : 404 s., v. Autorité de la chose jugée, Effet, Efficacité substantielle, Exécution des jugements étrangers, Exequatur, Reconnaissance Efficacité substantielle : 404, 430 s., 457 s., [p. 300] - de plano : 409, 430, 457 Élément de rattachement : 25, 37, 38, 90, 91, 100, 113-135, [p. 72], 218 - alternatif ou cumulatif : 37 - manipulation : 130 - rigide ou souple : 25, 979-986 - v. Domicile - v. Nationalité Élément d'extranéité : 4 Empêchements bilatéraux : [p. 501] Engagement unilatéral de volonté : 955 Enlèvement d'enfant : 665 - exécution de la décision de retour : 467 Enrichissement sans cause : v. Quasi-contrats Entrée sur le territoire français : 596, 604-607, 622 Environnement (droit de l'-) : 72, 1068, 1095, 1096 Équivalence - des lois : 21, 121, 156-157, [p. 73], 426 - fonctionnelle : 91, 100, 261, 706, 775, 776 - test d'- : 183, [p. 131] État civil : 533-635 - instruction générale de – : 541 - v. Acte d'état civil - v. Commission internationale de l'état civil - v. Gestation pour autrui (GPA) État des personnes : 533-635 Exception internationale de chose jugée : [p. 340] Exécution des jugements étrangers : 436-442, 460474 - action en exequatur : v. Action - articles 14 et 15 C. civ. : 398-399
n
F
Faillites internationales : 887-907 - groupe de sociétés : 906-907 - liaison des compétences législative et juridictionnelle : 887, 903 - principe de territorialité : 892, 900, [p. 552] - principe d'universalité : 890, 892, 896, [p. 552] - production de créance : 445, 903-905 - reconnaissance des jugements étrangers de faillite : 897 - règlement CE du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité : 893 s. - règlement UE n o 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (refonte) : 893 s. - société ayant son siège social à l'étranger : 891 s., 899 s. - société ayant son siège social en France : 890, 896 s. Faux conflit : [p. 73], v. Conflits de lois Filiation : 56, 734-784 - action à fins de subsides : 743, 782, v. Obligation alimentaire - adoptive : v. Adoption internationale, Kafala
712
Index alphabétique
Franchise : v. Distribution (contrat de -) Fraude - à la compétence : 418, [p. 300] - à la loi : 127-135, [p. 73], 422 - à la nationalité : 576, 610 - à l'intensité de l'ordre public : 276, 729, [p. 501] - au jugement : 418, [p. 300], 489 - et reconnaissance des situations : 233 - forum shopping : v. Forum shopping - v. Gestation pour autrui (GPA) - v. Mariage - v. Procréation médicalement assistée (PMA) - v. Sociétés
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- autorité parentale : v. Responsabilité parentale - biologique : 737-758, 777-782 - clause d’exception : v. Clause d’exception - conflit mobile : v. Conflit - conflits dans le temps : 98, 139 - effets : 735, 773-783 - légitimation : 747-750, 754 - nationalité : 562 s., 574, 765, v. Adoption internationale, Nationalité - nom : 537 s., v. Nom - obligation alimentaire : 782, v. Obligation alimentaire - ordre public international : 265, 278, 282, 283, 757, 758, 766, 769, 772 - de proximité : 282, 283, 757 - v. Gestation pour autrui (GPA) - v. Ordre public international - v. Procréation médicalement assistée (PMA) - possession d'état : 744-746, 754, 755 - preuve : 519 s., 754, 757, v. Preuve - recherche de paternité ou de maternité : 753, 754 - reconnaissance d'enfant : v. Reconnaissance - renvoi : 756, v. Renvoi - responsabilité parentale : 780-781, v. Responsabilité parentale Focalisation (méthode de la -) : 1072, 1097, 1116 Fonction - de la règle de conflit : 66-73 - régulatrice : 39, 71-73 Fonctionnalisme : 67-70, [p. 73] For de nécessité : 310, 347, [p. 243] - obligations alimentaires : 785 - régimes matrimoniaux : 796 - successions : 825 For des codéfendeurs : v. Codéfendeurs For du patrimoine : 311 Force exécutoire : [p. 300] Force probante des jugements : 444 Forgo : 108, 116, 117, 629, 836 Forum actoris : 311, 312, 348, [p. 243] Forum more conveniens : 488, 500, [p. 340], 660, 666, [p. 406], 825, v. Forum non conveniens Forum necessitatis : v. For de nécessité Forum non conveniens : [p. 243], [p. 340] Forum non conveniens : 397, : 488, 500, v. Forum more conveniens Forum shopping : 418, [p. 300], 715, 898, 1052, v. Fraude
n
G
Galakis : 197, 1018 Gestation pour autrui (GPA) : 265 - adoption : 265, 766, 769 - attribution de la nationalité française : 563 - établissement de la filiation biologique : 265, 758 - fraude : 265 - méthode de la reconnaissance des situations : 223 s., 233 - ordre public international : 265, 633 - transcription sur les registres d’état civil : 633 Gestion d'affaires : v. Quasi-contrats Grève : v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle, Travail Groupe - action de – : v. Class action - de contrats : v. Contrat - de sociétés : v. Faillites internationales Groupement d'intérêt économique : 841, 877
n
H
Hocke : 21
n
I
Ignorance (de la loi étrangère) : v. Apparence Immeubles : v. Action, Droits réels, Lex rei sitae, Successions
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Droit international privé
- méthode de l’– autonome : 83, 84, 119, [p. 73], 953-954, 1059 Invocation du droit étranger : 158-161
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Immigration : 594, 605 - « choisie » : 605, [p. 406] - v. Condition des étrangers - v. Droit de séjour - v. Entrée sur le territoire français - v. Regroupement familial Immunités juridictionnelles : 53, 57, 197, 300, [p. 244] - de juridiction : [p. 244] - d'exécution : [p. 243] Incapacité : 90, 636-666 - conclusion d’actes juridiques : 1013 - conflit mobile : 644, v. Conflit - de la femme mariée : 643, 648 - majeurs incapables : 666 - mesures de protection : 652-666 - mineurs : 642, 656 s., 781 - naturelle : 90 - ordre public international : 648, v. Ordre public international - qualification : 640-643 - renvoi : 645, v. Renvoi - spéciale : 641, 642 Incompétente internationale : [p. 340], v. Compétence internationale des tribunaux Inconciliabilité des décisions : 382, 435, 437, 454, 466, 472, [p. 300], 492, 498, 727, 728 Injonction anti-suit : v. Anti-suit injunction Injonction de payer européenne : 472, [p. 300], 527 Injonctions de produire : 524-526 Insolvabilité : v. Faillites internationales Instruction des litiges : 510-527, v. Mesures d'instruction Interdiction du territoire : 580, 599, 605, 607, 609, [p. 406] Intérêt à agir : 503, 504, v. Action Intermédaires : v. Représentation (contrat de –) Internationalité des situations : 4 - objective : 4 - subjective : 4 Internet : v. Cyberdélit, Droits de la personnalité, Focalisation (méthode de la -), Propriétés intellectuelles Interprétation - de la loi étrangère : 248-254 - de la règle de conflit : 80, 100, 124-125 - des contrats : 1007, 1018 - des traités et conventions internationales : 60
n
J
Juge naturel : 407 Jugements constitutifs : 404, 409, 726 Jugements déclaratifs : 404 - patrimoniaux : 409, 429, 436, 489, 951 Jus cogens : 267, 278, 281, 593, 610, [p. 407]
n
K
Kafala - acquisition de la nationalité française : 574 - adoption de l’enfant : 765, 769 - ordre public international : 769 - reconnaissance en France : 569 Krombach : 265, 451, 453
n
L
Lautour : 51-52, 238, 239, 256 s., 1104, 1105 Légalisation : [p. 407], v. Acte d'état civil Légitimation : v. Filiation Lex auctoris - actes d’état civil : 632 - adoption : 771 - droits réels : 920, 943 - fonctionnement des autorités publiques : 22, 631 s. - incapacité : 654 - mariage : 682 - nom : 540, 545 - partenariats enregistrés : 699, 703, 704, 733, 811 - sociétés : 844 s. Lex contractus : 530, 939-941, 956 s. - domaine : 1004 s. - v. Contrat Lex loci actus : 519, 522, 530, 753, 754, 1010, v. Contrat Lex loci damni : 1083, 1108 s., v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle
714
Index alphabétique
- v. Loi d'application nécessaire Loi étrangère - Dénaturation : 252-254 - interprétation : 248-254 - preuve : 237-247 - recherche de la teneur de la- : v. Office du juge - v. Loi de police Lotus : 304
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594701586
Lex loci delicti : 137, 238, 546, 732, 881, 929, 1076 s., v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle Lex loci protectionis : 929, 930, 1097, v. Propriétés intellectuelles Lex loci quasi-contractus : v. Quasi-contrats Lex mercatoria : 206, 208, [p. 130], v. Règle matérielle du droit international privé Lex rei sitae : 881, 904, 910 s., 997, 1009, 1015, v. Contrat, Droits réels, Successions Lex societatis : 875 s., v. Sociétés Litige intracommunautaire : [p. 244] Litispendance internationale : 297, 490-496 - effet réflexe : v. Effet - exception de- : [p. 340] - v. Compétence internationale des tribunaux - v. Office du juge Lizardi : 650, 1013 Locations saisonnières : 340, 997 Locus regit actum : v. Lex loci actus Loi d'application nécessaire : 176, 198, [p. 130], 281, 694, 746, 756, 1013, v. Loi de police Loi de police : 11, 70, 164, 168-189, [p. 130] - Actes d’état civil : 632 - champ d'application : 177-178 - clause attributive de juridiction : 188, 357 - compétence exclusive des juridictions : 188, 339 - conflit de – : 185 - contrat : 1019, 1025, v. Consommateur - critères d'identification : 170-176 - de l'Union européenne : 182, 183, 1019, 1088 - définition : 170-176 - divorce : 719 - droits réels : 921, 941, 943 - du for : 180-183, 1019 - étrangère : 184, 187, 234, 1019, 1088 - impérativité : 186-189, 339 - incapacité : 650 - nom : 545, 546 - ordre public international : 261, 266 - partenariats enregistrés : 813 - reconnaissance et exécution des jugements : 189, 427 - régimes matrimoniaux : 185, 802 - responsabilité civile délictuelle et quasidélictuelle : 185, 1088 - sociétés cotées : 883 - successions : 185, 824 - unilatéralisme : 33
n
M
Mandat : v. Représentation (contrat de –) Mariage : 57-58, 674-697 - action en annulation du – : 321, 493, 677, 708 s. - célébration : 675-678, 685-687 - certificat de capacité : 687, [p. 501] - conditions de fond : 675, 679-682, 689 - conditions de forme : 675, 678, 685-687 - consulaire : 634, 678, 685 - contrat de – : v. Régimes matrimoniaux - de complaisance : 576, 610, 678, 680, 687 - donations entre époux : v. Donation - effets du - : 692-698 - personnels : 694 - empêchements bilatéraux : 681 - entre personnes de même sexe : 57, 673, 675, 683 - adoption : 763, 766 - effets : 695 - ordre public international : 261, 268, 282 - qualification : 78, 87 - validité : 683 - incapacité de la femme mariée : 643, 648 - légitimation par – : v. Filiation - nationalité : 576, 583 - nullité : 79, 675, 696, 697, 716 - nom : 539, 554, v. Nom - obligation alimentaire : 694, v. Obligation alimentaire - ordre public international : 261, 268, 269, 682, 683, 689, v. Ordre public international - polygamique : 89, 91, 100, 268, 275 s., 286, 287, 576, 682, 689 - putatif : 692, 696, 697 - reconnaissance : 217 s., 690-691 - régime primaire : 694 - renvoi : 106, 686, v. Renvoi
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Droit international privé
-
n
N
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594701586
- situation irrégulière d'un conjoint : 610 - validité : 678-690 Marque : v. Propriétés intellectuelles Maternité de substitution : v. Gestation pour autrui (GPA) Matière civile et commerciale : 317 Messageries Maritimes : 197, 212, 1018 Mesures d'instruction : 524-527 Mesures provisoires et conservatoires : 385-387, 474, 526, 527 Munzer : 408, 413, 414, 422, 424, 425 Mutuelles du Mans IARD : 149
v. v. v. v. v.
Filiation Gestation pour autrui (GPA) Kafala Procréation médicalement assistée (PMA) Sociétés
Naturalisation : [p. 407], v. Nationalité Neutralité de la règle de conflit : 26, 36-38, [p. 73] Nom - attribution : 536-543 - changement : 545 - protection : 546 - reconnaissance : 230, 547-554 - v. Adoption internationale - v. Divorce - v. Filiation - v. Loi de police - v. Mariage
Nationalité : [p. 407] - conflit de - : 121, 554, 590-592, 723, 739 - conflit négatif de - : [p. 405] - conflit positif de - : [p. 405] - des personnes morales : v. Sociétés - des personnes physiques : v. Nationalité française - effective : 121, 591, [p. 407] - élément de rattachement : 118, 121, 532, 556, 557 - étrangère : 118, 556, 557, 589 Nationalité française : 118, 121, 532, 555-592 - acquisition : 560, 568-581, [p. 404] - de plein droit : 571 - par mariage : 576, 583 - par possession d'état : 578 - volontaire : 572-581 - attribution : 560-567, [p. 405] - jure sanguinis : 562-564 - jure soli : 565-567 - certificat de - : 588, [p. 405] - compétence fondée sur la – : v. Articles 14 et 15 du Code civil - conflit de - : 121, 554, 590-592, 723, 739 - déchéance : 582, 585, [p. 406] - naturalisation : 579-581 - Déclaration : [p. 406] - naturalisation : 572 - perte : 582-584, [p. 407] - possession d’état : 578 - preuve : 588 - v. Adoption internationale - v. Compétence étatique
Non-discrimination : 259, 260, 402, 548, 549, 600602, 612, 840, 870, 874 Notifications internationales : 450, 452, 453, 468, 477, 511-517
n
O
Obligation alimentaire : 64, 322, 783-791 - choix de loi : 791 - compétence des juridictions : 379, 785-786 - conflit mobile : v. Conflit - convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires : 38, 694, 782, 783 - convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille : 783, 788 - enfants : 782, 783 s. - entre époux : 694, 783 s. - entre ex-époux : 720-721 - entre partenaires : 699, 706, 783 s. - exception de connexité : 497 s. - exception de litispendance : 490 s. - loi applicable : 789-791 - mesures provisoires et conservatoires : 387 - protocole du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires : 65, 694, 721, 782, 783
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Index alphabétique
- v. Preuve - v. Procréation médicalement assistée (PMA) - v. Répudiation (d’épouse) - v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle - v. Sociétés - v. Successions - v. Travail Ordre public interne : 182, 186, 257, [p. 174], 366, 599, 605, 607, 608, 961
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594701586
- reconnaissance et exécution des jugements : 468-470, 787-788 - règlement obligations alimentaires : v. Règlements de l'Union européenne Office du juge - Application de la règle de conflit : 144-157, 974, 1026 - Exception d’incompétence : 345, 350, 484487, 898 - Exception de litispendance : 494 - Exequatur : 441, 463 - Forum more conveniens : 500, v. Forum more conveniens - Privilèges de juridiction : 397 - Recherche de la teneur de la loi étrangère : 238-244 Ordre de quitter le territoire : [p. 407] Ordre public international : 212, 232, 233, 255-283, [p. 173], 419-421, 450-453, 633 - actualité de l’– : 270, [p. 174], 683 - compétence internationale des juridictions : 366 - conception fonctionnelle : 260 - de l’Union européenne : 266, 451-453 - de proximité : 280-283, [p. 173], 643, 648, 718, 729, 738, 757, 765, v. Principe de proximité - de rattachement : 281 - effet atténué : 276-279, 420, 689, 729 - effet réflexe : 268, 282 - et lois de police : 261, 266 - exception d'- : 261, 271-274, [p. 173] - fraude à l’intensité de l’ – : 276, 279 - procédural : 421, 424, 452-453, [p. 301] - reconnaissance et exécution des jugements étrangers : 419-421, 424, 450-453, v. Antisuit injunction - réellement international : 267, 278, 281, v. Jus cogens - v. Adoption internationale - v. Consommateur - v. Contrat - v. Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - v. Divorce - v. Filiation - v. Gestation pour autrui (GPA) - v. Incapacité - v. Kafala - v. Mariage
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P
PACS : v. Partenariats enregistrés Pacte successoral : v. Successions Paiement de l'indu : v. Quasi-contrats Partage - d'immeuble : 338, 340, 393, 831 - liquidation de régime matrimonial : 806 - successoral : 820, 823, 831, 837 Partenariats enregistrés : 222, 698-706, 811 s. - Clause d’exception : v. Clause d’exception - conclusion en France : 699-702 - effets personnels : 698-702, 706 - qualification : 733, 815 - reconnaissance du partenariat étranger : 703706 - régimes patrimoniaux : 811-815 - rupture de – : 733 Particularisme : 5, 41-44, 101, [p. 73] Patino : 1, 126, 642 Personnalité des lois : 29, [p. 75] Personnes morales - domicile : 376 - émanations sans personnalité juridique : 380 - v. Associations - v. Sociétés - v. Syndicats Personnes publiques : 3, 97, v. Immunités juridictionnelles Polygamie : v. Mariage Possession d'état - de Français : 578, [p. 407] - filiation : 744-746, 754, 755 Pourparlers précontractuels : 76, 90, 1006, 1058, 1061, 1062, 1123 Pratiques anticoncurrentielles : v. Droit de la concurrence
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Droit international privé
Principes de La Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux : 960 Principes d'Unidroit : [p. 633] - de procédure civile transnationale : 477 - relatifs aux contrats du commerce international : 206, 207, 965, 967, 1018 Principes européens du droit des contrats : 207 Principes généraux du droit international privé : 51-58, [p. 74], 206 Prise en considération : 92, 101-108, [p. 74], 184185, 446, 504, 765, 1006, 1012, 1018, 1088 Privilèges de juridiction : 389-402, [p. 244], v. Articles 14 et 15 du Code civil, Office du juge Procédure civile internationale : 475-478 Procédure de réexamen : v. Réexamen Procréation médicalement assistée (PMA) : 763 - adoption : 763, 766 - attribution de la nationalité française : 563 - établissement de la filiation biologique : 265 - fraude : 265, 763 - ordre public international : 265, 757 Professio juris : v. Successions Propriété commerciale : 601, 612, 874 Propriétés intellectuelles - brevet : 301, 342, 874, 930, 1079 - compétence des juridictions : 342 - contrefaçon : 447, 929, 1072, 1097, 1116 - cyberdélit : v. Cyberdélit - focalisation : v. Focalisation (méthode de la -) - lex loci protectionis : v. Lex loci protectionis - propriété industrielle : 342, 874, 930, 1079, 1097 s. - propriété littéraire et artistique : 929, 1097 s. Protection des incapables : v. Incapacité Publicité - droits réels : 920, 942-945 - foncière : 920, 925, 942-945 - immatriculation des sociétés : 846, 855 - mariage : 675, 687 - régimes matrimoniaux : 807 - registres publics : v. Registres publics
Prescription - acquisitive : 938 - extinctive : 200, 508, 1008, 1087 Prestation caractéristique : [p. 632]
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
Présomptions : v. Preuve Preuve - actes juridiques : 522, 1011 - administration de la - : 518-527 - admissibilité des modes de - : 521-523, 754 - charge de la - : 520, 754 - force probante : 521-523, 754 - objet de la - : 520, 754 - ordre public international : 757 - présomptions : 520 Princesse de Beauffremont : 130-135
Principe d'autonomie - choix de la loi applicable : v. Clause de choix de loi - choix du tribunal compétent : v. Clause attributive de juridiction - concubinage : 816 - contrats : 957-975, 988, 1021 s. - Divorce : 716, 718 - droits indisponibles : 128 - droits réels : 941 - et fraude : 135 - et lois de police : 186, 1019 - et renvoi : 109, 802 - mariage : 690 - notion : 135, 957 s. - obligations alimentaires : 791 - partenariats enregistrés : 813 - parties faibles : 1021 s. - Principes de La Haye : v. Principes de La Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux - régimes matrimoniaux : 799-800, 802 - responsabilité civile délictuelle et quasidélictuelle : 1086 - sociétés : 849, 854 - successions : v. Professio juris, Successions - testament : 834 Principe de compétence-compétence : 1040, 1041, 1044, [p. 633] - Effet négatif : [p. 632] - Effet positif : [p. 632]
n
Principe de proximité : 25, 73, [p. 74], 307, 309, 979 s., [p. 633], 1084 s., 1110-1113, [p. 679], v. Clause d’exception, Ordre public international
Qualification : 76-91, 137-139, [p. 74] - autonome : 81-84, [p. 73], 377 - conflit de - : 78 s., 91
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Q
Index alphabétique
n
R
Rebouh : 145, 146, 156, 242 Reconnaissance : [p. 301] - de plano (de plein droit) : [p. 301] - d'enfant : 37, 751-755, 758 - des jugements : 313, 430 - action en inopposabilité : v. Action - action en opposabilité : v. Action - articles 14 et 15 C. civ. : 398-399 - d’adoption : 766-767, 769, 772 - d’obligation alimentaire : 787-788 - de class action : 506 - de divorce : 726-729
- de faillite : 897 - de plano (de plein droit) : 410, 430-435, 457, 489, 726 - de régimes matrimoniaux : 797 - de régimes patrimoniaux : 812, 814 - de responsabilité parentale : 664 - de succession : 825-826 - effets : v. Autorité de la chose jugée, Efficacité substantielle - incidente : 434, 457, 557 - lois de police : 189 - des situations : 11, 35, 45-47, 166, 217-233, [p. 131], 547-554, 686, 690-691, 698, 704, 705, 769, 851-859 - et exécution des sentences arbitrales : 189, 200, 1037 - incidente : [p. 301] - mutuelle : 219, 314, 601, 854 Recueil légal : v. Kafala Réexamen : 468, 469, [p. 301] Réfugié : 392, 581, 614-625, [p. 407], v. Apatridie, Droit d'asile Régimes matrimoniaux : 794-808, 815 - changement automatique de régime : 805 - changement de loi applicable : 803-805 - clause d’exception : v. Clause d’exception - compétence internationale des juridictions : 795-796 - contrat de mariage : 799, 808 - effets des jugements : 797 - loi applicable : 798-808 - preuve : 806 - publicité : 807 - qualification : 815 - régime légal : 800, 805 - renvoi : 802 Régimes patrimoniaux (des partenariats enregistrés) : v. Partenariats enregistrés Registres publics : 301, 339 s., 342, 548 s., 631634, 844, 846, 930, 942 s., v. Acte d'état civil, Publicité, Transcription Règle de compétence - dérivée : [p. 244] - étatique : [p. 244] - générale : [p. 244] - internationale des juridictions : [p. 245] - spéciale : [p. 244] Règle de conflit : [p. 74] - définition : 13, 15-39 - fonction régulatrice : 66-73, 1096
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
- en sous-ordres : 138, [p. 74] - lege causae : 137, 138, 833 - lege fori : 78-80 - lege rei sitae : 833, 913, 914 - renvoi de - : 137 - v. Action - v. Baux d'immeubles - v. Concubinage - v. Contrat - v. Droits réels - v. Incapacité - v. Mariage - v. Partenariats enregistrés - v. Quasi-contrats - v. Régimes matrimoniaux - v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle - v. Successions Qualité pour agir : 505, 506, 880, v. Action Quasi-contrats : 1079, 1117-1131 - choix de loi : 1129 - clause d'exception : 1129 - compétence juridictionnelle : 1130, 1131 - loi applicable : 1118 s. - principe d'autonomie : 1129 - principe de proximité : 1129 - qualification : 1120-1123 Questions - complexes : 88, 89, 110-112 - incidentes : v. Compétence internationale des tribunaux - préalables (théorie de –) : 110-112, [p. 75], v. Compétence internationale des tribunaux
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Droit international privé
Quasi-contrats, Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle - Rome III : 64, 321, 715-719, v. Divorce - signification ou notification des actes : 515517 - Successions : 64, 109, 323, v. Successions - titre exécutoire européen : v. Titre exécutoire européen Regroupement familial : 597, 605, 624, [p. 408] Renvoi : 102-109, [p. 75], 218 - au premier degré : 103, 108, 826 - au second degré : 103, 106, 108, 686 - de qualification : 137, [p. 75] - in favorem : 756 - v. Contrat - v. Filiation - v. Incapacité - v. Mariage - v. Principe d'autonomie - v. Régimes patrimoniaux (des partenariats enregistrés) - v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle - v. Successions Représentation (contrat de –) : 1001-1002 - agence commerciale : 182, 183, 1001 - commission de transport : v. Transport - convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation : 1001 - dépassement du mandat : 1001, 1118 - lois de police : 182-183 Représentation légale : v. Protection des incapables, Responsabilité parentale Répudiation (d’épouse) : 268, 282, 283, 725, 729 Réseau judiciaire européen : 247 Résidence habituelle : 119, 377, [p. 245], 630, 711 Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle : 68, 1055-1073 - accident de la circulation : v. Accidents de la circulation - action directe : v. Action - atteinte aux droits de la personnalité : v. Droits de la personnalité - atteinte aux droits de la propriété intellectuelle : 1097-1098, v. Propriétés intellectuelles - choix de loi : 1086 - clause attributive de juridiction : 358, 1065, v. Clause attributive de juridiction
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
- interprétation : 80, 100, 124-125 - régime procédural : 144-161 - variétés - à coloration matérielle : 36-39, [p. 74], 694, 747, 751, 756, 834, 1010 - bilatérale : 24, 26, 29, [p. 74] - en cascade : 38, 122, [p. 75], 719, 1090, 1128 - savignienne : 25, 26 - unilatérale : 29-34, [p. 75], 542, 716, 877 Règle matérielle du droit international privé : 6, 11, 165, 190-216, [p. 131], 282, 357, 360, 402, 477 s., 510-517, 528, 532, 556, 675, 680, 687, 688, 747, 749, 752, 756, 764, 803, 804, 808, 813, 837, 893, 905, 948, 967, 1013, 1018, 1030, 1039 - a-nationales : 204-209, 215, [p. 131] - fonctions : 191-193, 212, 213, [p. 131] Règlements de l'Union européenne - Bruxelles I : 64, 314-319, v. Clause attributive de juridiction, Compétence internationale des tribunaux, Exécution des jugements étrangers, Procédure civile internationale, Reconnaissance - Bruxelles I bis : 64, 314-319, v. Clause attributive de juridiction, Compétence internationale des tribunaux, Exécution des jugements étrangers, Procédure civile internationale, Reconnaissance - Bruxelles II bis : 64, 310, 321, 359, 375, 387, 392, 467, v. Divorce, Responsabilité parentale, Séparation de corps - Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés : 64, 324, v. Partenariats enregistrés - injonction de payer : 472, 527 - Insolvabilité : 64, 325, v. Faillites internationales - obligations alimentaires : 64, 322, 359, 379, 387, 468-470, 490, 492, 494, 497, 498, 694, 699, 721, 782, 783-791, v. Obligation alimentaire - petits litiges : 473, 527 - procédures d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires : 474, 527 - Régimes patrimoniaux : 64, 324, v. Régimes patrimoniaux (des partenariats enregistrés) - Rome I : 37, 64, 96, 124, 171, 173, 175, 176, 184, 469, 522, 651, 912, 931, 949 s., v. Contrat - Rome II : 64, 72, 119, 175, 184, 469, 954, 1006, 1055 s., v. Pourparlers précontractuels,
720
Index alphabétique
Révision des jugements étrangers : 407, 408, 413, 420, 425, 449 Rivière : 276, 693, 716, 723 Rupture brutale des relations commerciales : 366, 953, 1063, 1065, 1086, 1113
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
- clause d’exception : 1085, v. Clause d’exception - compétence juridictionnelle spéciale : 10651075 - concurrence déloyale : 1093, v. Droit de la concurrence - cyberdélit : v. Cyberdélit - délits complexes : 121, 1067 s., 1083, 1096, 1106-1114 - délits de presse : v. Droits de la personnalité - délits environnementaux : 72, 1095-1096 - délits spéciaux : 1089 s. - diffamation : 1079, 1103 s. - dommage nucléaire : 1079, 1102 - fait de grève : 1099, v. Travail - fait des produits : v. Responsabilité du fait des produits - loi applicable : 1076 s., 1104 s. - loi de police : 1088 - notion de matière délictuelle : 1057-1064 - ordre public international : 282, 1088 - v. Fonctionnalisme - v. Lex loci damni - v. Lex loci delicti - préjudice indirect : 1073 - principe d'autonomie : 1086 - principe de proximité : 1084 s., 1110-1113, v. Principe de proximité - qualification : 83, 90, 137, 953, 1056-1064 - renvoi : 1087 - rupture brutale des relations commerciales établies : v. Rupture brutale des relations commerciales - rupture de concubinage : 732 - rupture de fiançailles : 137 - rupture des pourparlers précontractuels : v. Pourparlers précontractuels - victime par ricochet : 1073, 1087 Responsabilité du fait des produits : 38, 94, 1079, 1090-1091 - convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits : 94, 1079, 1091 - v. Responsabilité civile délictuelle et quasi délictuelle Responsabilité parentale : 652, 653, 657-665, 722, 780-781, v. Enlèvement d'enfant Responsabilité quasi contractuelle : v. Quasicontrats Rétention administrative : 608, [p. 408] Révision au fond : [p. 301]
n
S
Salarié : v. Travail Sécurité du territoire : 552, 599, 605, 607, 608, 620 Séjour des étrangers : v. Droit de séjour Séparation de corps : 285, 288, 321, 492, 708 s., 727, v. Divorce Services publics : 378, 508, 631-634, 682, v. Immunités juridictionnelles, Publicité, Registres publics Significations internationales : v. Notifications internationales Silvia : 90 Simitch : 415 Société DIAC : 126, 933, 936 Sociétés - associés étrangers : 845, 864 - comité d'entreprise : 883 - compétence des juridictions : 884 s. - constitution : 843-858 - convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés : 855, 857 - cotées : 883 - dissolution : 880 - domicile : 376 - droit d'agir en justice : 868-870, 882 - droits économiques : 872-874 - droits fondamentaux : 868-870 - fraude à la loi : 849, 858, 898 - groupes de – : v. Faillites internationales - immatriculation : 844, 853-855 - nationalité : 860-865, 867, 879 - opposabilité aux tiers : 846, 877 - ordre public international : 857 - personnalité morale : 846, 849, 855, 859 - pouvoirs des organes sociaux : 877, 880, 882 - principe d'autonomie : 849, 854 - procédures collectives : v. Faillites internationales - propriété commerciale : 874 - protection diplomatique : 867 - publicité : 846
721
Droit international privé
- mobilières - compétence des juridictions : 487, 825 s., 829, 838 - loi applicable : 820 s., 832 s. - qualification : 138, 833 - ordre public international : 824 - pacte successoral : 819, 822 - partage : 823, 831, 837 - professio juris : 820 - renvoi : 109, 824, 831, 835, 839 - réserve héréditaire : 133, 823, 834 - testamentaires : 819, 821, 834 Sûretés réelles : v. Droits réels Syndicats : 506, 841, 882
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
- reconnaissance : 221 s., 847-859 - ressortissantes de l'Union européenne : 853 s., 870, 872, 878 - siège social - à l'étranger : 846, 850, 863, 891 - en France : 844, 846, 849, 863, 865, 890 - réel : 849, 854, 855, 857, 863, 877-879, [p. 552] - statutaire : 849, 855, 857, 863, 876-879, 896, [p. 552] - transfert : 854 - transfert de siège : 854 - v. Conflits d'autorités - v. Lex auctoris - v. Lex societatis - v. Personnes morales - v. Reconnaissance Soft law : 200, 201, 204-207, 477 Sous-traitance - clause compromissoire : 1042 - lois de police : 170, 174, 177, 178 - paiement direct : 170 Souveraineté : 31, 42, 65, 204, 294, 298-305, 309, 335-345, 475, 476, 511, 525, 526, 556, 917918, 927, v. Compétence étatique, Exécution des jugements étrangers, Immunités juridictionnelles Statuts (doctrine des –) : 29, 33, [p. 72] Subsidiarité (de la loi du for) : 239, 240, 244, 274, 693, 719 Substitution - des institutions : 288, [p. 174] - des lois : 273, 274, 288, [p. 174] Successions : 817-827 - ab intestat : 834 - attribution préférentielle : 824 - certificat successoral européen : 819, 827, [p. 501] - clause d’exception : v. Clause d’exception - compétence internationale des juridictions : 825, 829-831 - mesures provisoires et conservatoires : 387 - droit de prélèvement : 828, 837-840 - effets des jugements : 826 - fraude à la loi : 133 - immobilières - compétence des juridictions : 487, 825 s., 830 s., 835 - loi applicable : 820, 832 s. - qualification : 138, 833
n
T
Territorialité des lois : 29, [p. 75] Testament : v. Successions Théorie de l'incorporation : [p. 552] Titre de séjour : 598, 604, 606, 624, [p. 408] Titre exécutoire européen : 465-467, [p. 301] Traité - Interprétation : 60 Traité d'Amsterdam : 64, 314, 315 Traité de Lisbonne : 64, 315 Transaction : 48, 466, 509, 826 Transcription : 265, 301, 538, 632, 633, 687, 769, v. Acte d'état civil Transfert de propriété : 62, 447, 938-941, 1015, v. Vente internationale Transport - Aéronefs : v. Aéronefs - affrètement au voyage : 999 - bateaux et navires : v. Bateaux et navires - biens en transit : v. Biens - clause attributive de juridiction : 329, v. Clause attributive de juridiction - commission de transport : 999 - de marchandises : 200, 202, 999 - de passagers : 202, 993, 1048 Travail - Clause attributive de juridiction : 349 - clause compromissoire : 1044 - condition des étrangers : 601, 604, 612, 624 - contrat de - compétence des juridictions : 312, 348-350, 382, 384, 1043
722
Index alphabétique
n
U
- consommateur : v. Consommateur - convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels : 62, 94, 995 - convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises : 200, 213 - d’immeuble : 925, 997 - de navires : 172 - dépeçage : 970 - loi applicable : 94, 200, 201, 213, 982, 995, 997 - prestation caractéristique : 982 - proposition de règlement de l’UE relatif à un droit commun de la vente européenne : 207 - transfert de propriété : 62, 938-941, 1015, v. Transfert de propriété Visa : [p. 408]
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- loi applicable : 991, 1022-1025 - ordre public international : 259, 1020 - principe d'autonomie : 1022-1025 - grève : 1099 - insolvabilité de l’employeur : 904 - lois de police : 883 - reconnaissance et exécution des jugements étrangers : 350, 456
Unidroit : 201, : v. Principes d'Unidroit Unilatéralisme : 29-35, 55, 56, 58, 102, [p. 75], 167 s., 294, 298 s., 542, 716, 723, 746, 848, 877 Union libre : v. Concubinage Universalisme : 33, 42, 59, 119, [p. 76] Usages : 206, 209 - du commerce international : [p. 131] - v. Règle matérielle du droit international privé
n
V
Vocation subsidiaire de la loi du for : v. Subsidiarité (de la loi du for) Voies d'exécution : 302, 309, 338, 341, 393, 474, 527 Vrai conflit : 20, 21, [p. 76]
Vente internationale - aux enchères : 995 - clause attributive de juridiction : 360 - compétence des juridictions : 1046-1049, 1054
n
Z
Zone d'attente : 607, 619, [p. 408]
723
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Principales abréviations Principales locutions latines Plan général de l'ouvrage 1
partie
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Table des matières VII IX XI
Théorie générale du conflit de lois chapitre
1
La méthode conflictuelle section 1
La règle de conflit de lois § 1 L'objet de la règle de conflit
5
7
11 11
A. Communauté d'objet : la désignation du droit substantiel applicable
11
1. Contexte : le conflit de lois
11
2. Mise en œuvre
14
B. Variété des configurations
14
1. Le « modèle » : la règle de conflit « savignienne »
14
2. Les variations
15
a. Remise en cause du bilatéralisme : les règles de conflit unilatérales
16
b. Remise en cause de la neutralité : les règles de conflit à coloration matérielle
18
c. Remise en cause de l'abstraction : les règles de conflit privilégiant l'application d'une loi particulière
20
§ 2 Les sources des règles de conflit
20
A. Règles de conflit nationales
21
1. Le particularisme du droit international privé
21
2. La variété des sources internes
23
a. Principes généraux consacrés par la jurisprudence
725
24
Droit international privé
b. Règles de conflit d’origine législative
25 27
B. Règles de conflit supranationales
27
2. L'européanisation des règles de conflit
28
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1. L'internationalisation des règles de conflit
§ 3 La fonction des règles de conflit
31
A. Les termes du débat : l'approche fonctionnaliste de la règle de conflit
32
B. La fonction régulatrice de la règle de conflit
32
section 2
Le fonctionnement de la règle de conflit
34
§ 1 Détermination de la catégorie pertinente : l'opération de qualification A. Principes de qualification 1. Qualification lege fori 2. Qualification autonome B. Modalités de qualification
34 35 35 36 37
1. Analyse de la question de droit
38
2. Sélection de la catégorie pertinente
39
§ 2 Sélection de la règle de conflit
41
A. Application de la règle de conflit du for
42
1. Coexistence de règles de conflit
42
2. Succession de règles de conflit
43
3. Adaptation des règles de conflit
45
B. Prise en considération de la règle de conflit étrangère 1. La théorie du renvoi a. Mécanisme b. Justification c. Positivité d. Domaine
47 47 47 48 49 50
2. La théorie des questions préalables
§ 3 Identification de la loi applicable
50 52
A. Identification de l'ordre juridique compétent
52
1. Problèmes de définition du rattachement
52
2. Problèmes d'identification du rattachement
53
a. Pluralité b. Absence
54 54 726
Table des matières
54
c. Succession 3. Problèmes de manipulation du rattachement : la fraude à la loi B. Identification des dispositions substantielles applicables
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1. Problèmes de qualification : les qualifications en sous-ordres 2. Problèmes de conflits dans le temps et dans l’espace de la loi étrangère
section 3
La force obligatoire de la règle de conflit § 1 L'application d'office de la règle de conflit par le juge A. Obligation relative d'appliquer la règle de conflit
56 59 59 61
62 62 63
1. L'obligation de relever d'office la règle de conflit en présence de droits indisponibles
63
2. La faculté de relever d'office la règle de conflit en présence de droits disponibles
64
B. Tempéraments au régime procédural de la règle de conflit
65
1. Droits disponibles et accord procédural
65
2. Droits indisponibles et équivalence des lois
67
§ 2 L'invocation de la loi étrangère par les parties
67
A. Obligation pour le juge d'appliquer la règle de conflit
67
B. Notion d'« invocation de la loi étrangère »
68
Compléments pédagogiques
chapitre
2
Les méthodes concurrentes section 1
La méthode des lois de police
69
97
100
§ 1 Caractérisation des « lois de police » A. Critères des lois de police 1. Critère fonctionnel 2. Critère formel
101 101 102 103
B. Champ d'application des lois de police
§ 2 Application des lois de police
104 106
727
Droit international privé
A. L'impérativité relative des lois de police
106
1. L'impérativité encadrée des lois de police du for
106
2. L’absence d’impérativité des lois de police étrangères
109
section 2
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B. L'impérativité limitée des lois de police
La méthode des règles matérielles de droit international privé § 1 Existence d'un corps de règles substantielles propres aux situations internationales
110
112 112 113
A. Droit contraignant (hard law)
1. Règles matérielles d’origine interne
114
2. Règles matérielles d’origine conventionnelle
115
B. Droit souple (soft law)
117
1. Droit souple sécrété par les États
117
2. Droit souple sécrété par les opérateurs du commerce international
118
§ 2 Articulation des règles matérielles propres aux situations internationales et des règles de conflit de lois
119
A. Éviction des règles de conflit de lois par les règles matérielles : la « méthode des règles matérielles »
120
B. Combinaison des règles de conflit de lois et des règles matérielles : la « méthode conflictuelle »
121
section 3
La méthode de la reconnaissance des situations § 1 Modalités méthodologiques
122 123
A. Un alignement du for sur le point de vue de l'État d'origine
123
B. Une mise en œuvre marginalement imposée par les droits conventionnel et européen
123
§ 2 Conditions de mise en œuvre de la méthode de la reconnaissance
124
A. Existence d'une concrétisation du point de vue normatif de l'État d'origine
125
B. Régularité de l'intervention de l'État d'origine dans la constitution de la situation
126
1. Compétence de l'État d'origine
127
2. Conformité à l'ordre public international du for
127
3. Absence de fraude
128 728
Table des matières
Compléments pédagogiques 3
L'application de la loi étrangère section 1
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chapitre
129
147
Établissement de la teneur de la loi étrangère § 1 Recherche du contenu de la loi étrangère
149 150
A. Charge de la recherche de la teneur du droit étranger
150
B. Modes d'établissement de la teneur du droit étranger
152
§ 2 Interprétation de la loi étrangère
153
A. Pouvoir d'interprétation souverain des juges du fond
153
B. Contrôle de dénaturation par la Cour de cassation
154
section 2
Refus d'application de la loi étrangère en considération de sa teneur : l'exception d'ordre public international § 1 Le contenu de l'ordre public international français A. Une notion spécifique B. Une notion relative 1. Relativité dans l'espace 2. Relativité dans le temps
156 156 159 159 162
§ 2 Le fonctionnement de l'exception de contrariété à l'ordre public international A. Un mécanisme d'exception
156
162 163 163
B. Une application circonstanciée
1. L'effet atténué de l'ordre public
164
2. L'ordre public de proximité
166
section 3
Combinaison de la loi étrangère avec une ou plusieurs autres lois : les mécanismes d'adaptation et de substitution § 1 Problèmes de compatibilité
168 169
729
Droit international privé
§ 2 Solutions de droit international privé : adaptation et substitution
Compléments pédagogiques
172
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2
partie
Théorie générale des conflits de juridictions chapitre
4
La compétence internationale des juridictions section 1
170
Sources des règles de compétence internationale des juridictions françaises § 1 Les règles de compétence édictées unilatéralement A. Contraintes liées au cadre théorique du pouvoir de juridiction
189
191
194 195 195
1. Contraintes avérées relatives à la qualité des parties ou à l’objet du litige
196
2. Contraintes contestées relatives à la localisation du litige
197
B. Principes directeurs de la compétence internationale des juridictions
198
1. Souci de privilégier une bonne administration de la justice
198
2. Protection de la souveraineté étatique
199
3. Volonté de garantir l'accès au for
199
4. Intégration de considérations substantielles
200
§ 2 Les règles de compétence édictées collectivement A. Les règlements européens
200 202
1. Le « système Bruxelles » applicable en matière civile et commerciale
202
a. Champ d’application matériel
202
b. Champ d’application spatial
203
c. Champ d’application temporel
203
2. Les règlements spéciaux
203 205
B. Les conventions internationales 1. Les conventions de Lugano
205
2. La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for
206
§ 3 Les règles de coordination des sources 730
206
Table des matières
section 2
§ 1 Compétence « renforcée »
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
Typologie des principales règles de compétence internationale des juridictions françaises
208 208 208
A. Règles de compétence exclusive 1. Inventaire des compétences exclusives
209
2. Régime des compétences exclusives
212 213
B. Règles de compétence protectrice 1. Privilèges du demandeur « partie faible »
213
2. Impérativité des règles protectrices
215
C. Règles régissant les élections de for et la prorogation de compétence 1. Validité des clauses d'élection de for
216 218
a. Conditions tenant à la matière considérée (licéité)
219
b. Conditions formelles de validité
220
c. Conditions substantielles de validité
221
2. Effets des clauses d'élection de for
221
a. Attribution de compétence aux juridictions élues
221
b. Incompétence corrélative des juridictions exclues
223
1. Interdiction faite aux parties de saisir un autre juge que le juge élu
223
2. Interdiction faite aux autres juges de se déclarer compétents
224
§ 2 Compétence ordinaire
225
A. Compétence générale en matière civile et commerciale
226
1. Consécration de la compétence du tribunal du domicile du défendeur
226
2. Définition de la notion de « domicile »
226
B. Compétence spéciale C. Compétence dérivée
227 229
§ 3 Compétence en matière provisoire
230
A. Compétence du juge principal
231
B. Compétence du juge du provisoire
231
§ 4 Compétence exorbitante
232
A. Consécration des chefs de compétence exorbitante par le droit français 1. Les privilèges de juridiction dans l’instance directe
232 233
a. Conditions d’application des privilèges
233
b. Renonciation au bénéfice des privilèges
235
731
Droit international privé
c. Opportunité d’exercer la compétence fondée sur les privilèges 2. Les privilèges de juridiction dans l’instance indirecte B. Élimination des chefs de compétence exorbitante par le droit européen
236 237 238 238
2. Discussion sur la compatibilité des privilèges de juridiction avec la Conv. EDH
238
Compléments pédagogiques
chapitre
5
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. Neutralisation des privilèges de juridiction par le droit de l’Union européenne
240
Les effets en France des décisions de justice étrangères section 1
269
Évolution historique du droit des effets des jugements étrangers
272
§ 1 Modification de la nature du contentieux de l'exequatur
273
§ 2 Atténuation de l'exigence d'exequatur
273
section 2
Effets des jugements prononcés par les tribunaux des États non membres de l'Union européenne § 1 Les décisions étrangères internationalement régulières A. Conditions de régularité des décisions étrangères
274 274 275
1. Les conditions maintenues
a. Compétence internationale du tribunal étranger 1. Lien caractérisé
274
275 275
2. Absence de compétence exclusive des juridictions françaises
276
3. Choix non frauduleux de la juridiction étrangère
276
b. Conformité à l'ordre public international français de la décision étrangère
278
c. Absence de fraude à la loi
279 279
2. Les conditions abandonnées
a. Régularité de la procédure étrangère
279
b. Conformité de la loi appliquée à la règle de conflit française
280
B. Accueil des décisions étrangères régulières
732
281
Table des matières
1. Reconnaissance des décisions étrangères
282
1. Action en inopposabilité
282
2. Action en opposabilité
282
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
a. Voies procédurales aux fins de reconnaissance des décisions
281
283
3. Reconnaissance incidente
b. Conditions de reconnaissance des décisions 2. Exequatur des décisions étrangères
283 283
a. Conditions d'exequatur
284
b. Procédure d'exequatur
284
§ 2 Les décisions étrangères internationalement irrégulières
285
A. Force probante et effet de titre
286
B. Effet persuasif
286
C. Effet de fait
section 3
287
Effets des jugements prononcés par les juridictions des États membres de l'Union européenne § 1 Des conditions de contrôle allégées A. Conformité à l'ordre public de l'État requis 1. Ordre public de fond
288 288 289 289 289
2. Ordre public de procédure
B. Absence d'inconciliabilité avec une décision produisant ses effets dans l'État requis
290
C. Contrôle limité de la compétence indirecte
290
§ 2 Une reconnaissance de plein droit
291
§ 3 Une exécution facilitée
292
A. La procédure simplifiée instituée par le règlement Bruxelles I
292
B. Les procédés de prorogation automatique de la force exécutoire nationale sur tout le territoire de l'Union
293
1. Consécration sectorielle d'une procédure de certification
293
2. Prorogation « de plein droit » de la force exécutoire nationale en matière civile et commerciale (Règl. Bruxelles I bis)
295
C. Les procédures européennes harmonisées : une force exécutoire « européenne »
Compléments pédagogiques
296 298
733
Droit international privé
chapitre
6
section 1
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
Les règles de procédure propres au contentieux international
Les incidents de compétence internationale § 1 L'exception d'incompétence internationale des juridictions françaises
313
318 319
A. Exception soulevée par l'une des parties
319
B. Exception relevée d'office par le juge
320
§ 2 Les exceptions recevables en présence d'une compétence internationale des juridictions françaises
321
A. Exception internationale de chose jugée
321
B. Exception de litispendance internationale
322
1. Recevabilité de l'exception
323
2. Accueil de l'exception
324
C. Exception de connexité internationale
326
1. Conditions de la connexité
326
2. Accueil de l'exception
327
D. Forum non conveniens
section 2
Le droit d'action § 1 L'existence du droit d'action A. Intérêt à agir B. Qualité pour agir
§ 2 L'extinction du droit d'action A. Prescription B. Autres modes d'extinction
section 3
328
329 329 329 330 331 331 331
L'instruction des litiges internationaux
331
§ 1 Notification et signification des actes à l'étranger A. Droit commun des notifications et significations à l'étranger
734
332 332
Table des matières
B. Droit international et européen des notifications et significations à l'étranger
333 333
2. Droit de l'Union européenne
333
§ 2 Administration de la preuve
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. Droit conventionnel
334
A. Les faits établis par les parties : le droit de la preuve
334
1. Charge et objet de la preuve
335
2. Admissibilité et force probante des modes de preuve
335
B. Les faits établis par le juge : les mesures d'instruction et injonctions de produire
§ 3 Procédures européennes uniformes
Compléments pédagogiques 3
partie
Droit international privé spécial 7
chapitre
Les personnes physiques section 1
L'état civil des personnes physiques § 1 Le nom A. La loi applicable au nom 1. L’attribution du nom
336 338 339
351
353
355 356 356 356
a. Application de la loi des effets du lien qui fonde la transmission
356
b. Application de la loi personnelle de l’intéressé
357
2. Le régime du nom
358 359
B. La « reconnaissance » du nom
1. La reconnaissance du nom en droit international et européen
359
2. La reconnaissance du nom en droit français
362
§ 2 La nationalité
362
A. La détermination de la nationalité des personnes physiques 1. L'établissement de la nationalité française
735
363 364
Droit international privé
a. L'attribution de la nationalité française
364 364
2. Attribution par naissance en France
365
b. L'acquisition de la nationalité française
366
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. Attribution par filiation avec un Français
1. Conditions générales
367
2. Conditions particulières
367
c. La privation de la nationalité française
373
1. Perte de nationalité
373
2. Déchéance de nationalité
374
2. Le contentieux de la nationalité
374
a. Appréciation judiciaire de la nationalité
375
b. Règlement judiciaire du conflit de nationalités
376
1. Conflit positif de nationalités
376
2. Conflit négatif de nationalités : l'apatridie
377
B. La condition des étrangers 1. Les citoyens européens
377 378
a. Droit à l'entrée et au séjour
379
b. Non-discrimination
379
2. Les étrangers
380
a. Droit d'entrée et de séjour sur le territoire
380
1. Conditions d'entrée et de séjour
380
2. Refus d'entrée sur le territoire
381
3. Départ forcé
382
b. Statut de l'étranger présent sur le territoire 3. Les demandeurs d'asile
383 384
a. Reconnaissance du statut de réfugié
384
1. Diversité des statuts
385
2. Unité de procédure
386
b. Séjour du réfugié et du bénéficiaire de la protection subsidiaire
§ 3 Le domicile
387 387
A. Le domicile, attribut de la personnalité
388
B. Le domicile, élément de rattachement
388
§ 4 Les actes d'état civil A. Actes d'état civil français B. Actes d'état civil étrangers
389 389 390
C. Fonction des autorités diplomatiques et consulaires
736
390
Table des matières
section 2
La capacité
391 391
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
§ 1 Constatation de l'incapacité
391
A. Application de la loi nationale
1. Mise en œuvre de la règle de conflit a. Qualification
392 392
b. Identification du rattachement
393
c. Admission du renvoi
394 394
2. Application de la loi désignée a. Domaine d'application de la loi nationale
394
b. Exception d'ordre public
395
B. Application dérogatoire d'une autre loi
395
§ 2 Mise en œuvre de mesures de protection de l'incapable A. La protection des mineurs 1. Responsabilité parentale
396 397 397
a. Loi applicable à la responsabilité parentale de plein droit
398
b. Régime international des mesures de protection des mineurs
398
1. Compétence des autorités
398
2. Loi applicable
399 400
3. Effets des décisions
400
2. Enlèvements internationaux B. La protection des majeurs
Compléments pédagogiques
chapitre
8
La famille section 1
Droit extrapatrimonial de la famille § 1 Le couple A. La formation du couple 1. Le mariage
401 403
425
428 428 428 428 737
Droit international privé
429
a. La formation du mariage 1. Le mariage célébré en France
430
2. Le mariage célébré à l'étranger
432 436
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
b. Les effets du mariage 1. Les effets du mariage valable
436
2. Les effets du mariage nul (la putativité)
438 438
2. Les partenariats enregistrés a. Le PACS français
439 440
b. Les partenariats étrangers B. La dissolution du couple
442 442
1. La désunion du couple marié a. La désunion devant le juge français
442
1. Compétence internationale du juge français pour prononcer le
divorce
442
2. Loi applicable aux causes de la dissolution
444
3. Compétence des juridictions et loi applicable aux effets du divorce
446
b. Le divorce conventionnel en France
449
c. Les effets de la désunion prononcée à l'étranger
450
2. La désunion du couple non marié
453
a. Rupture de concubinage
453
b. Rupture de partenariat enregistré
453
§ 2 Les enfants
454 454
A. L'établissement de la filiation 1. Filiation biologique
454
a. La règle générale de l'article 311-14 du Code civil
455
b. Les règles spéciales
456
1. Établissement de la filiation par possession d'état
456
2. Légitimation par mariage
457
3. Établissement de la filiation par reconnaissance
458
c. Mise en œuvre des règles de droit international privé 2. Filiation adoptive
460 462
a. Droit français de l'adoption internationale
462
1. La loi applicable à l'adoption internationale
462
2. L'adoption prononcée à l'étranger
465
b. Droit conventionnel de l'adoption internationale
466
1. Droit conventionnel général
466
2. Droit conventionnel spécial
467
738
Table des matières
468
B. Les effets de la filiation 1. Incertitude relative du rattachement
468 468
b. Solutions controversées : la (ou les) loi(s) applicable(s) aux effets des filiations biologiques
469
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
a. Solution acquise : la loi applicable aux effets de la filiation adoptive
2. Positivité restreinte du rattachement a. Dévolution du nom b. Autorité parentale
470 470 471
c. Obligation alimentaire
§ 3 Les obligations alimentaires A. Conflits de juridictions
470
471 472
1. Compétence internationale des juridictions
472
2. Reconnaissance et exécution des décisions
473
B. Loi applicable
section 2
Droit patrimonial de la famille
473
475
§ 1 Les relations patrimoniales du couple marié A. Régime matrimonial 1. Conflits de juridictions 2. Loi applicable
475 476 476 477
a. Identification de la loi applicable
478
b. Changement de la loi applicable
479
c. Domaine de la loi applicable
481
B. Donations entre époux
482
§ 2 Les relations patrimoniales du couple non marié
482
A. Régime des biens des partenaires d'un partenariat enregistré
482
B. Régime des biens des concubins en union libre
484
§ 3 Les successions
485
A. La conception unitaire consacrée par le règlement « Successions » 1. Loi applicable 2. Juridictions compétentes
485 486 488
3. Reconnaissance et exécution des décisions et des actes
489
4. Certificat successoral européen
489 739
Droit international privé
B. L'approche scissionniste adoptée par le droit international privé d'origine nationale
490 490
2. Loi applicable aux successions
491
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. Juridictions compétentes en matière de successions 3. Utilisation du mécanisme du renvoi pour restaurer l’unité de traitement
492
4. Réserve héréditaire et droit de prélèvement
493
Compléments pédagogiques
chapitre
9
Les personnes morales section 1
La constitution des sociétés § 1 Constitution en France
496
525
527 528
§ 2 Constitution à l'étranger : la « reconnaissance des sociétés » A. Méthode conflictuelle
529 529
B. Méthode de la reconnaissance des situations
530
1. Influence des règles supranationales
530
a. La reconnaissance imposée par le droit de l'Union européenne
530
b. La reconnaissance préconisée par le droit international
532
2. Particulière adaptation de la méthode de la reconnaissance des situations
section 2
La condition des sociétés
532
533
§ 1 Attribution de la nationalité aux sociétés
534
A. Pertinence du concept de « nationalité des sociétés »
534
B. Critères d'attribution de la nationalité des sociétés
535
§ 2 Conséquences attachées à la nationalité des sociétés
536
A. Protection diplomatique
536
B. Reconnaissance des attributs de la personnalité
536
C. Exercice des droits économiques
538 740
Table des matières
section 3 539
§ 1 La société in bonis
539
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
Le fonctionnement des sociétés A. La lex societatis, loi applicable au fonctionnement des sociétés
539
B. Les juridictions compétentes pour connaître des litiges relatifs au fonctionnement des sociétés
542
§ 2 La société en cessation des paiements A. Le droit commun français des faillites internationales
543 544
1. Compétence des autorités et de la loi françaises pour régir la faillite des sociétés dont le siège social est en France
544
2. Compétence des autorités et de la loi françaises pour régir la faillite des sociétés dont le siège social est à l'étranger
545
B. Le droit européen des faillites internationales
546
1. Compétence des autorités a. Procédure principale
546 548
b. Procédures secondaires 2. Loi applicable
549
3. Règles spécifiques aux groupes de sociétés
Compléments pédagogiques
chapitre
10
Les biens section 1
Qualification et lex rei sitae
545
550 551
563
566
§ 1 Qualification autonome de droit européen
566
§ 2 Qualification en droit international privé commun
567
section 2
Pertinence du rattachement au lieu de situation des biens § 1 Fondements du rattachement
568 568
741
Droit international privé
569
B. Rationalité d'un rattachement fondé sur des considérations d'effectivité et d'opportunité
569
§ 2 Relativité du rattachement
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
A. Impérativité d'un rattachement fondé sur des considérations de souveraineté
570
A. Force du rattachement pour les droits réels immobiliers
570
B. Relativité du rattachement pour les droits réels mobiliers
571
1. Biens échappant à toute souveraineté
572
2. Biens incorporels
572
3. Biens en transit et biens déplacés
section 3
Champ d'application du rattachement par le lieu de situation des biens
574
575
§ 1 Nature et contenu des droits réels
575
§ 2 Constitution et acquisition des droits réels
576
§ 3 Opposabilité des droits réels aux tiers
578
§ 4 Extinction des droits réels
579
Compléments pédagogiques
chapitre
11
Les actes juridiques section 1
580
589
La qualification contractuelle en droit international privé
593
§ 1 Qualification autonome de droit européen
593
§ 2 Qualification lege fori
594
section 2
La loi applicable aux contrats internationaux § 1 La loi du contrat A. Principe d'autonomie 1. Consécration du principe
595 595 595 595
742
Table des matières 2. Mise en œuvre du principe
597 597
a. Objet du choix
597
2. Plusieurs lois étatiques
598
b. Modalités du choix
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. Une loi substantielle étatique
599
1. L’accord d’electio juris
599
2. Les autres modalités de choix
600
B. Rattachements subsidiaires 1. Le rattachement général
601 601
a. Droit commun français
601
b. Droit de l'Union européenne
601
1. Convention de Rome
601
2. Règlement Rome I
603 604
2. Les rattachements spéciaux
a. Rattachement édicté pour la protection d'une partie faible
604
1. Le contrat de consommation
604
2. Le contrat de travail
605
3. Le contrat d'assurance
606
4. Le contrat de transport de personnes
607
b. Rattachement édicté en considération de l'objet du contrat
607
1. Le contrat de vente de biens meubles
607
2. Le contrat de prestation de service
608
3. Le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail
d'immeuble
608
4. Les contrats de franchise et de distribution
608
5. Le contrat de transport de marchandises
609
6. Le contrat d'assurance de grands risques
610
7. Les contrats de représentation et d’intermédiaires
610
§ 2 Les lois concurrentes
610
A. Délimitation du domaine de la loi du contrat 1. Questions incluses
611 611
a. Compétence « exclusive »
611
b. Compétence « partagée »
612
2. Questions exclues
613
B. Éviction de la loi du contrat dans son domaine 1. Méthodes traditionnelles
614 614
a. Incidence des règles matérielles
743
614
Droit international privé
b. Incidence des lois de police
615
c. Incidence de l'ordre public international
615 615
3. Non-application par le juge
617
section 3
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
2. Méthode comparative
Le tribunal compétent en matière contractuelle
618
§ 1 Réglementation des élections de for
618
A. Conventions d'élection de for
618
1. Loi applicable à la clause attributive de juridiction
618
2. Domaine d'application de la clause
619
B. Conventions d'arbitrage
621
1. Régime de la clause compromissoire
621
2. Effets de la clause compromissoire
623
§ 2 Règles de compétence « protectrices » des parties faibles
624
§ 3 Règles de compétence ordinaire
625
A. Droit européen de la compétence en matière contractuelle
625
1. Règle de compétence applicable aux ventes de marchandises et aux fournitures de services
626
2. Règle de compétence applicable aux autres contrats
627
B. Droit commun de la compétence en matière contractuelle
Compléments pédagogiques
chapitre
12
Les faits juridiques section 1
Délits et quasi-délits
628 630
649
651
§ 1 La qualification délictuelle en droit international privé
651
A. Qualification autonome de droit européen
652
B. Qualification en droit international privé commun français
653
§ 2 Le tribunal compétent en matière délictuelle A. Pluralité de dommages
654 655
744
Table des matières
658
B. Pluralité de faits générateurs
§ 3 La loi applicable aux obligations délictuelles et quasi délictuelles
658 659
A. Droit européen et conventionnel
660
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
1. La règle de conflit générale
a. Désignation de la loi applicable au délit
660
b. Domaine de la loi applicable au délit
662 663
2. Les règles de conflit spéciales a. Responsabilité du fait des produits
663
b. Responsabilité en matière d'atteintes à la concurrence
664
c. Responsabilité en matière environnementale
664
d. Responsabilité pour atteinte aux droits de la propriété intellectuelle
665
e. Responsabilité pour fait de grève
666
f. Responsabilité du fait d'accidents de la circulation
666
g. Responsabilité découlant d'un dommage nucléaire
666
B. Droit commun français
666
1. Affirmation de principe de la compétence de la loi du lieu du délit
667
2. Remise en cause de la compétence de la lex loci delicti
667
a. Délits complexes b. Délits spéciaux
section 2
Quasi-contrats
668 671
672
§ 1 La loi applicable en droit international privé français
672
§ 2 La loi applicable en droit international privé européen
673
A. Aspects de qualification 1. Les « quasi-contrats »
673 673 674
2. La « culpa in contrahendo »
674
B. Règles de conflit applicables 1. Règle de principe 2. Règles subsidiaires 3. Règles alternatives
674 675 675
§ 3 Le tribunal compétent pour connaître des actions fondées sur les quasi-contrats
Compléments pédagogiques
675 677
745
Droit international privé
691
Bibliographie générale Index alphabétique Table des Quiz
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
sujets terminaux
703 705 747
746
international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:889491294:88866237:41.86.232.253:1594782031
Table des Quiz
Les chiffres envoient aux numéros des pages. Le chapitre de cours concerné est indiqué entre crochets. Sauf indications contraires (pagination italisée), tous les sujets sont corrigés en fin de la rubrique pédagogique.
Tests de connaissances
p. 86 [La méthode conflictuelle] ; p. 136 [Les méthodes concurrentes] ; p. 179 [L'application de la loi étrangère] ; p. 258 [La compétence internationale des juridictions] ; p. 306 [Les effets en France des décisions de justice étrangères] ; p. 343 [Les règles de procédure propres au contentieux international] ; p. 416 [Les personnes physiques] ; p. 511 [La famille] ; p. 557 [Les personnes morales] ; p. 583 [Les biens] ; p. 642 [Les actes juridiques] ; p. 683 [Les faits juridiques].
Commentaires d'arrêts
p. 138 [Les méthodes concurrentes] ; p. 181 [L'application de la loi étrangère] ; p. 345 [Les règles de procédure propres au contentieux international] ; p. 584 [Les biens] ; p. 692 [Sujet terminal] .
Cas pratiques
p. 89 [La méthode conflictuelle] ; p. 260 [La compétence internationale des juridictions] ; p. 308 [Les effets en France des décisions de justice étrangères] ; p. 418 [Les personnes physiques] ; p. 514 [La famille] ; p. 558 [Les personnes morales] ; p. 643 [Les actes juridiques] ; p. 685 [Les faits juridiques] ; p. 691 [Sujet terminal] .
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5 e édition
Sandrine Clavel
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Droit international privé Droit savant mais aussi droit vivant, le droit international privé est en perpétuelle évolution. Patiemment construit en France par la jurisprudence, sous l’autorité souvent déterminante de la doctrine, il se renouvelle aujourd’hui en profondeur sous l’influence des textes fondamentaux (Convention européenne des droits de l’homme) et surtout du droit de l’Union européenne. Dans une partie générale, cet ouvrage présente, au travers de la théorie des conflits de lois et de celle des conflits de juridictions, les méthodes fondatrices du droit international privé (méthode conflictuelle, méthode des règles matérielles, méthode de la reconnaissance des décisions) mais aussi des méthodes plus récemment éprouvées (méthode des lois de police et méthode de la reconnaissance des situations). Il expose également, dans une partie spéciale, la variété des règles du droit international privé en fonction des matières en cause : état des personnes et capacité, droit de la famille (patrimonial et extrapatrimonial), personnes morales (sociétés), droit des biens, actes juridiques (contrats), faits juridiques (délits et quasi-contrats). Il est à jour des textes et jurisprudences publiés à la date du 1er juillet 2018. Ce manuel s’adresse aux étudiants de master en droit privé et carrières judiciaires ou en droit international privé. Il intéressera également les étudiants préparant le concours d’avocat (CRFPA) ainsi que ceux suivant des masters spécialisés en droit civil, droit de la famille, droit notarial, droit des contrats, droit des affaires... souhaitant apporter une dimension internationale à leur spécialité. S andrine Clavel est professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin, doyen honoraire de la Faculté de droit et science politique, responsable de la Law School de l’Université Paris-Saclay et membre du Laboratoire de droit des affaires et nouvelles technologies (DANTE).
ISBN 978-2-247-17835-3 5359570
36 e