Dictionnaire international des termes littéraires: L [Reprint 2020 ed.] 9783112322925, 9783112322918


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Dictionnaire international des termes littéraires: L [Reprint 2020 ed.]
 9783112322925, 9783112322918

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A S S O C I A T I O N I N T E R N A T I O N A L E DE L I T T É R A T U R E C O M P A R É E INTERNATIONAL COMPARATIVE LITERATURE ASSOCIATION

DICTIONNAIRE INTERNATIONAL DES TERMES LITTÉRAIRES Sous la direction de

ROBERT ESCARPIT

L

1973 MOUTON - PUBLISHERS • THE HAGUE PARIS

© Copyright 1973 in The Netherlands Mouton & Co. N. V., Publishers, The Hague No part of this booh may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers

Printed in Hungary

L

LAI ÉTYMOLOGIE

Couramment admis comme d'origine celtique; on rapproche l'irlandais laid, désignant un chant ou un poème

tristesse: Nell'ora che comincia i tristii lai a rondinella presso alla matina (Dante). JAPONAIS: Pas d'équivalence en littérature japonaise. RUSSE: pas d'équivalence en littérature russe.

ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Poésie narrative médiévale, en principe destinée à servir de thème à une composition musicale. Était en faveur à la fin du Xllème siècle. 2. Genre poétique lyrique à forme strophique complexe, cultivé du XlVème au XVIème siècle. ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

ALLEMAND: Leich pour les sens 1 et 2. ANGLAIS: Lay pour les sens 1 et 2. En anglais, le mot a un sens moins précis qu'en français auquel il emprunte parfois la forme lai pour le sens 2. Dans la poésie romantique, lay désigne un poème narratif de longueur moyenne: "The lay of the last Mmstrel" (Scottley); "Lays of Ancient Rome" (Maculay). ARABE: Aucun rapprochement ne peut être proposé, malgré quelques similitudes offertes par certaines formes de poésie strophique arabe, andalouse notamment. CHINOIS: Équivalent partiel: fsj ci. Le sens premier du caractère est 'mot', 'parole' et de là 'discours': il s'agit d'une poésie lyrique à forme strophique complexe, composée pour s'adapter à une mélodie; ce genre dont il faut souligner l'aspect non-narratif apparut au IXème siècle et connut une fortune considérable du Xème au Xllème siècle. ESPAGNOL: sans équivalent. FRANÇAIS: Pas d'équivalence aux sens 1 et 2. ITALIEN : Lai est attesté en littérature italienne et définit une courte poésie dont le thème est la L

COMMENTAIRE HISTORIQUE

Lorsqu'il apparaît, au Xllème siècle, le mot lai a plusieurs sens, tous groupés autour d'un seul concept, celui de mélodie: c'est essentiellement celui de mélodie instrumentale, même s'il s'y ajoute parfois celui de chant; par métaphore, on désigne aussi par lai le bruit des armes dans le combat ou le chant des oiseaux. Les premières fois qu'il est employé dans un sens proprement technique, le mot lai s'applique à des compositions musicales exécutées par les artistes bretons pour célébrer ou rappeler, pour illustrer une aventure légendaire ou héroïque. C'est ainsi que Marie de France, entre 1160 et 1170, raconta en vers français les histoires qui avaient, dit-elle, inspiré les musiciens bretons entendus par elle en Grande Bretagne: elle a écrit des contes, correspondant aux lais bretons musicaux, et ces contes ont pris aisément euxmêmes le nom de "lais bretons". A la suite de Marie, la mode s'en est répandue en France: très vite, le terme de lai s'est appliqué à des oeuvres purement narratives, à des récits plutôt brefs, qui furent d'abord des contes d'inspiration bretonne, puis des récits d'inspiration diverse, ce que nous appellerions des "nouvelles", comme le Lai d'Aristote, où Henri d'Andeli nous montre, dans une intention plus humoristique que morale, le philosophe pris aux rêts de l'amour, ou le Lai de l'Ombre, dans lequel Jean Renart réalise une sorte de marivaudage mondain extrêmement raffiné. Ces deux oeuvres datent de la première 1

LAI

moitié du XlIIème siècle, et il y a alors une bonne cinquantaine d'années que le lai est un genre purement narratif. Indépendamment du lai narratif, et plus ou moins en rapport avec l'origine musicale de ce dernier, apparaît en France un lai purement lyrique. Comme tous les genres lyriques, il a connu une certaine évolution et des formes apparemment diverses. Il s'agit, au XlVème siècle, à l'âge d'or des genres fixes, de poésies chantées, en vers de longueur fort variable, groupés en douze grandes strophes toutes différentes, mais chaque strophe étant double; la chanson comporte un effet d'écho dans le fait que la dernière strophe double est semblable, dans son schéma rythmique et dans sa musique, à la première strophe double. C'est, pour les grands poètes du XlVème siècle, le genre lyrique le plus difficile, où la virtuosité, tant pour

les paroles que pour la musique, doit faire des prodiges. Guillaume de Machaut y a excellé. Il faut noter que c'est d'après le terme lai que s'est formé celui de virelai, qui représente un tout autre genre lyrique: c'est une chanson à danser, sans aucun rapport avec le lai, qui s'appelait primitivement vireli. Il faut noter enfin que le terme de lai désigne pour Villon, au milieu du XVème siècle, une poésie lyrique assez indifférenciée, puisqu'au vers 973 de son Testament, il appelle lai un rondeau; il n'hésite pas du reste à intituler Lais, par jeu de mots, une série de huitains où il prétend faire toutes sortes de "legs" à ses contemporains. Sous sa forme narrative ou sous sa forme lyrique, le lai ne se trouve que dans la littérature française du moyen âge.

ÉTYMOLOGIE

2. Langue au sens 1 considérée dans l'emploi particulier qui en est fait par un sous-groupe (socioculturel) déterminé. La langue des cartésiens. 3. Manière d'écrire propre à un individu (style et lexique). La langue de Saint-Simon. 4. Par métaphore, système de signes ou d'expressions autre que celui des mots. La langue musicale.

Latin lingua, 'organe situé dans la bouche', mais aussi, dès les premiers textes, 'organe de la parole', 'propos tenus par un individu', 'système linguistique d'une communauté'. Des développements impériaux, dans le domaine de la rhétorique, préparent certains sens modernes: 'façon de s'exprimer', (chez Sénèque). La comparaison étymologique, (allemand Zunge, anglais longue), et le témoignage des anciens font supposer un archaïque dengua; l'hésitation d-jl- à l'initiale est connue par ailleurs sur le domaine étrusco-latin (odorj olere), et il semble que l'adoption de la forme lait été favorisée dans le peuple par la proximité du verbe lingo 'lécher'; on signale des phénomènes analogues en arménien et en lituanien. Il est remarquable que la liaison implicite avec l'acte matériel de lécher n'ait pas empêché lingua d'évoluer vers des emplois abstraits et intellectuels que n'ont pas connu, par exemple, les idiomes germaniques. ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Système d'expression de la pensée, au moyen de signes, comportant un vocabulaire et une grammaire définis. La langue française, la langue maternelle, la langue anglaise, une langue morte, etc.

Y.

LEFÈVBE

ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

Sprache pour les sens 1, 2, 3 et 4. A N G L A I S : Language pour les sens 1 , 2 , 3 et 4 . A R A B E : A U sens 1 (luga). Pour le sens 2 (Icalâm) ; kalâm désigne le discours, le langage et, plus largement, un système de pensée: 'Ci- y'.i Ji^'i (Icalâm al falasifa) définit à la fois le discours des philosophes, l'ensemble des idées et des raisonnements exprimés. ^L/'i (uslub), employé au sens 3, désigne proprement le style, l'utilisation des procédés stylistiques. Équivalent partiel du sens 4: ¿^ (ta'bir), signifie 'mode d'expression' et tend à devenir d'un usage général dans cette acception; (ta'bir convient à l'exemple d''expression musicale' sans recouvrir toutefois la notion d'écriture ou de système désignés). C H I N O I S : m (yan) et flf (yu), joints l'un à l'autre dans les deux sens, et parfois seuls, re-

L 2

ALLEMAND:

LANGUE

couvrent à peu près les divers sens de langue en français. E S P A G N O L : Lengua pour les sens 1, 2 , 3 et 4 . Idioma s'emploie également au sens 1; habla aux sens 1 et 2; lenguaje au sens 4. F R A N Ç A I S : sens 3 : style I T A L I E N : Lingua aux sens 1 et 3; linguaggio aux sens 2 et 4. JAPONAIS: Sens 1 m Sa (gengo), exemple: H (nippongo ou nihongo), 'la langue japonaise'. Sens 2: /' [Jân (yôgo) et, comme équivalent partiel ffîiM (jyutsugo), désignant la terminologie technique. Pour le sens 3 ; 5 : f i (buntai) serait 'la manière d'écrire propre à un individu'. R U S S E : M3BIK (jazyk) pour les sens 1 , 2 , 3 et 4 .

nommées "valeurs contextuelles"), des contenus correspondant plus ou moins exactement à ceux d'un certain nombre de mots sémantiquement apparentés, mais commutables avec langue: langage, parole, discours, style, etc. Dans l'optique de la géographie linguistique, le champ sémantique largement commun, représenté par les plus importants de ces mots et de leurs équivalents étrangers les plus proches, s'avère diversement réparti dans les différentes communautés linguistiques en Europe, comme en témoigne un rapprochement comparatif de leurs sens: lanj*ue Zunge

COMMENTAIRE HISTORIQUE I

SENS NON

la ngage discours parc>le (mot) Sprac he

ton igue language

TECHNIQUES

1. Le sens propre (A) de ce mot définissant "l'organe charnu situé dans la cavité buccale et servant, entre autres choses, à l'articulation de la parole", ne sert d'expression symbolique qu'à un sens figuré (B), greffé sur le premier et coexistant encore avec lui dans de nombreuses métaphores solidement conventionalisées: dénouer, délier la langue à quelqu'un. Tandis que de tels contextes favorisent le maintien de la figuration, d'autres, bien plus fréquents n'établissent aucun rapport figuratif évident entre le premier sens (A) et le second sens (B); il arrive ainsi que (A) s'efface devant (B) qui acquiert alors l'autonomie d'un sens susceptible d'alterner avec (A), sans en dériver synchroniquement. Ce sens (C) est entièrement institué dans le français contemporain: "langage parlé ou écrit propre à un groupe humain plus ou moins étendu", figurant par exemple dans langue maternelle, langue étrangère, langue morte, langue diplomatique. La "valeur sémantique globale" du terme, (sa "valeur en langue" selon la terminologie de G. Guillaume), comprend donc deux valeurs principales (A et C) entre lesquelles les liens associatifs sont souvent si faibles qu'ils justifieraient un cas d'homonymie entre les deux contenus et leur expression identique. Par conséquent, le sens (C), évolutivement secondaire, aurait une nouvelle "valeur globale". Celle-ci, embrassant à son tour u n vaste éventail de sens particuliers, recouvre, par ses diverses "valeurs d'emploi" (également

Re de sp e e c h

(Vfort) r

ord)

Cependant, ni la critique littéraire ni l'analyse scientifique de la littérature ne semblent avoir été sensiblement gênées par ces divergences terminologiques, auxquelles il est remédié par divers moyens, entre autres par des épithètes particularisantes: langue nationale, national tongue, national language, Nationalsprache. Dans les discussions métalittéraires, ce qui contribue encore à restreindre et de là à préciser les sens dans lesquels on emploie le mot langue, c'est le fait que, par rapport à la littérature de "belleslettres", comprise comme l'union d'un contenu littéraire avec une expression littéraire, la langue (au sens C) — avec son contenu littéral et son expression phonique ou graphique — n'est à considérer que comme une substance, une matière brute servant à la formation de la création artistique qu'est l'expression littéraire. 2. La langue (au sens C) constitue un système plus ou moins cohérent de transmission d'idées et de sentiments entre les usagers de ce système. La transmission peut s'effectuer dans des substances perceptibles d'ordres divers (alphabets en relief, par gestes, etc.), mais la transmission qui s'opère par voie orale ou graphique est la seule qui intéresse la littérature. Pour que le message transmis soit pleinement compris, il faut que le système de l'émetteur et celui du receveur soient identiques. Or, souvent, cette identité n'est que partielle, étant donné que les systèmes sont sus-

L 3

LANGUE

ceptibles de se transformer avec le temps et de ne pas rester uniformes dans des milieux géographiquement éloignés l'un de l'autre ou dans des couches sociales différentes. C'est ainsi qu'une langue nationale (par exemple le français) se divise normalement en variétés régionales, (par exemple le français régional de Toulouse), qui se superposent en superstrats (voir ce mot) à d'autres variétés locales, de dates plus anciennes, les dialectes ou patois. Ces derniers présentant des écarts plus importants avec la langue nationale, laissent sur celle-ci (à titre de substrats), une empreinte plus ou moins profonde selon les cas. Une telle langue commune se divise également en variétés caractéristiques des divers niveaux sociaux et des diverses professions des usagers ("dialectes sociaux" ou argots). Et enfin, les états de langue d'époques révolues subsistent souvent dans les langues littéraires sous la forme de survivances graphiques, phoniques ou grammaticales (archaïsmes). Ces variétés régionales et autres constituent pour les langues communes des sources d'enrichissement souvent exploitées à des fins artistiques par les écrivains cherchant à donner à leurs écrits de la couleur locale, sociale ou d'époque. On ne considère comme appartenant à la même langue que les systèmes entre lesquels les écarts sont trop faibles pour empêcher la compréhension mutuelle entre les usagers. Cependant, on qualifie aussi de langue, non seulement les systèmes qui ne se distinguent de ceux auxquels ils sont comparés que par des traits peu importants, mais encore les usages plus ou moins divergents que font d'un système donné ceux qui s'en servent (par exemple, la langue des cartésiens, la langue de Saint-Simon). Aussi bien, l'usage individuel ou collectif qui est fait d'un système donné, que ce système lui-même — qu'il ait la complexité d'une langue ou la simplicité d'un flexif — sont considérés comme l'expression du ou des caractère(s) particulier(s) à l'individu, au milieu ou au groupe que constituent les usagers en question: le caractère de la langue française est d'être française, elle est une expression de ce qui est français, comme le prétérit simple (expression et contenu réunis) a pour caractère propre d'être du français littéraire, d'en être l'expression et d'évoquer, par là, à l'intérieur de la civilisation française, l'univers de la littérature et le monde des lettrés. La relation qui existe

entre, d'une part le contenu qu'est un tel caractère particulier (par exemple: anglais, français, français littéraire, archaïque, régional ou individuel, etc. — valeurs dites "connotatives") et, d'autre part, l'expression par laquelle se révèle ce contenu, est appelée, par certains linguistes, une connotation (voir les divers sens de ce mot et, ci-dessous, la définition du sens dans lequel il est employé dans cet article). I I SENS TECHNIQUES

Parmi les théories du langage, une des plus connues est celle de C. K. Ogden et I. A. Richards (The Meaning of Meaning, Londres 1923). Selon ces auteurs, les faits de langue servent à établir, dans l'esprit des usagers, les relations illustrées par le triangle suivant: référence (notion)

symbole (signe linguistique, en tant que substance phonique)

réfèrent (objet empiriquement reconnaissable)

Il était essentiel, aux yeux de ces linguistes, de faire clairement ressortir, par cette figure, la différence de nature entre, d'une part l'onomatopée, qui établit une relation directe — symbolisée par la ligne brisée —, et, d'autre part, les signes linguistiques ordinaires, dans lesquels le symbole n'est relié au réfèrent que par voie indirecte, en passant par une grandeur toute idéale, la notion. Pour F. de Saussure "le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique" (Cours de linguistique générale, Paris 1916, p. 98), à la façon dont sont solidairement unis le recto et le verso d'une feuille:

L 4

image acoustique: signifiant

nom

concept: signifié

chose

LANGUE

Une précision de la formule saussurienne est apportée par Louis Hjelmslev, pour qui la relation appelée dénotation relie les formes différentes des deux entités solidairement unies (*-») dans le signe: la forme de l'expression et la forme du contenu. Celles-ci, à leur tour, s'insèrent entre deux substances qui les présupposent (->•): la substance de l'expression et la substance du contenu (Prolégomènes à une Théorie du langage, Paris 1968, d'après l'éd. danoise de 1943), substances qui existent tant à l'état de matière formée qu'à l'état de matière amorphe, et par conséquent, extralinguistique : forme de l'expression ( = signifiant)

(dénotation) forme du contenu (== signifié) A »

iée / substance formée (phonétiquement, graphémiquement etc.)



substance formée (d'unités composantes élémentaires)

»

substance non substance non linguistiquement formée linguistiquement formée (matière amorphe de (matière sémantique nature phonique, graamorphe) phique, etc.) Ce qui semble manquer au modèle hjelmslevien est le rattachement de la substance sémantique à l'univers des choses et des autres réalités phénoménologiquement constatables. Aussi, l'école onomasiologique a-t-elle complété ce modèle. E n premier lieu, elle soutient qu'en plus des structurations propres aux signifiés, qui sont entièrement du domaine de la langue, il faut faire entrer en ligne de compte des entités régies par d'autres structurations que celles de la langue: les concepts, qui présentent avec les signifiés des relations d'ordre divers. C'est ainsi qu'au caractère invariable d'un concept comme "70" arithmétiquement structuré, correspondraient, à l'intérieur du même état de langue, des signifiés de structures variables: sept-ante, soix-ante -f- dix. Il faut donc, suivant cette théorie, modifier le modèle hjelmslevien en prolongeant le côté droit par l'addition d'une relation supplémentaire, à savoir celle, qualifiée toutefois d'extralinguistique, qui existe entre, d'une part, le concept, subs-

tance "sémantique" indépendante de la langue, et d'autre part, la chose phénoménologiquement constatable. (Voir Klaus Heger, "Les bases méthodologiques de l'onomasiologie et du classement par concepts", Travaux de linguistique et de littérature III, 1, Strasbourg, 1965). Comme le modèle d'Ogden et de Richards, celui des onomasiologues met donc en évidence que le lien associatif, créé par le signe linguistique et rattaché par l'une de ses extrémités à l'aspect sensoriellement perceptible du signe, ne s'étend pas seulement aux entités solidairement correspondantes du plan des contenus: les signifiés, mais au-delà et en principe, indépendamment de ceuxci, à travers le réseau des concepts, jusqu'à l'univers des choses. Si les autres écoles linguistiques modernes se sont peu intéréssées aux rapports entre les signes, les concepts et les choses, ce n'est pas parce qu'elles nient l'existence de ces rapports, mais parce que, de toute évidence, les signifiés font encore partie de la langue ainsi par exemple, ceux représentés par des mots comme les suivants, qui ont joué un rôle non négligeable dans différentes littératures: centaure, licorne, Dieu, Jéhovah, tandis que l'étude des concepts et des choses correspondantes relèvent de l'ontologie. Suivant les théories littéraires fondées plus ou moins consciemment sur des conceptions conformes à ces vues, il faut opérer une distinction analogue à celle ici décrite entre le domaine de l'art littéraire et celui du monde des réalités. D'après ces théories, depuis celles de l'art pour l'art jusqu'à celles qui, aujourd'hui, se réclament de la conception saussurienne du signe, l'oeuvre littéraire, pour autant qu'elle s'engage dans les rapports existant entre les signifiés et le monde des réalités, dépasserait le domaine de l'art, étant donné que celui-ci, qui est affaire de forme — c'est-à-dire, consiste pratiquement en un jeu de sens, de sons et de rythmes —, ne saurait sortir du domaine de la langue, le moyen par lequel il s'exprime et qui s'arrête justement à la limite séparant la forme — soit physique (phonique, graphique, etc.) soit psychique (sémantique) — de la matière qu'on coule dans le moule formé (cette matière étant les réalités dont traite l'oeuvre en question, par exemple, des conditions sociales, des moeurs politiques, des tabous religieux, sexuels, etc.).

L 5

LANGUE I I I LANGUE ET ART LITTÉRAIRE

Pour l'art littéraire, la langue est la substance dans laquelle il s'exprime et dans laquelle il puise les éléments qui le constituent. En tant que substance, la langue se compose de plusieurs substances particulières, entremêlées les unes aux autres et appartenant chacune à l'une des deux catégories suivantes: les substances du plan de l'expression de la langue et celles du plan des contenus. De la première de ces catégories relèvent la mélodie de la phrase, le rythme prosodique, le timbre des sons ou la forme des lettres, des mots, des strophes, etc., et enfin, l'ordre dans lequel se suivent dans la chaîne parlée ou dans leur composition graphique, les divers représentants de chacune de ces substances. Les substances du plan du contenu ou substances sémantiques sont celle des sémèmes, celle de la métaphore, celle de l'onomatopée, et enfin, l'ordre sémantiquement pertinent dans lequel se suivent les unités appartenant à chacune de ces substances. Les matériaux de construction que constituent les unités de la chaîne parlée ou écrite tirent, dans l'art littéraire, leurs valeurs de trois sources différentes: a. de leurs qualités intrinsèques, b. de leur agencement symétrique (ou asymétrique) et c. des propriétés figuratives dont ils sont susceptibles. (a) Lorsque l'écrivain ne fait que mettre en valeur les qualités intrinsèques d'une langue ou d'une unité donnée de cette langue, sans faire subir à l'unité en question aucune transformation et sans lui imposer aucun arrangement intentionnel, comme c'est souvent le cas dans les titres des livres ou dans d'autres énoncés publicitaires ou exclamatifs, il se borne à faire de "l'art informel", étant donné qu'il présente telle quelle la substance dans laquelle il travaille, ou plus précisément, son activité consiste à choisir, dans les prélèvements qu'il fait dans cette substance phoniquement ou sémantiquement très variée, des échantillons particulièrement autoexpressifs. Les effets obtenus seront dûs, dans ce cas, au fait que, d'une part, toute langue est faite d'éléments plus ou moins agréables aux sens et à l'esprit — qu'il s'agisse des sons tantôt rauques et sourds, tantôt

caressants et doux à l'oreille, ou bien des sons, tantôt violents et lugubres, tantôt insinuants et enjôleurs — et que, d'autre part, surtout sur le plan de l'expression, ces éléments sont aussi toujours combinés conformément à certains principes d'équilibre et d'harmonie — qu'il s'agisse de l'harmonie vocalique ou bien de celle des consonnes, ou encore des règles d'alternance régissant la récurrence des syllabes toniques parmi les atones ou celle des unités verbales parmi les nominales. Constituant un système global composé de systèmes partiels, toute langue est déjà en soi une grande oeuvre d'art dotée des qualités esthétiques intrinsèques qui sont celles des systèmes dont elle est faite. (b) Cependant, si la matière brute a déjà ses beautés intrinsèques, celles-ci peuvent être aussi consciemment exploitées par un agencement des échantillons choisis qui fait ressortir ces qualités déjà inhérentes à la substance en question. Ainsi dans une langue qui approche de l'alternance régulière consonne—voyelle—consonne—voyelle, cette alternance peut être atteinte dans sa perfection — dans une étendue de texte donnée — si l'écrivain évite systématiquement les hiatus et les rencontres de consonnes. L a périodicité obtenue par de telles alternances systématisées, voulues et artificielles, et applicables à tous les éléments de la langue, depuis les allitérations jusqu'aux passages alternativement descriptifs et narratifs d'un roman, par exemple, n'est que la manifestation linéaire d'un principe plus général, celui de la symétrie ou plus généralement encore celui des jeux d'identité, quantitatifs et qualitatifs, principe fondamental de l'art non figuratif dans le langage aussi bien que dans les arts du dessin et de la couleur. Étant donné que les textes d'une langue connaissent aussi d'autres dimensions que celle linéaire, il convient de mentionner, bien que cette dimension soit de beaucoup la plus importante, que ces jeux de grandeurs à commune mesure, cette symétrie connaissent également, dans l'art littéraire, d'autres manifestations que celles que leur permettent les réalisations linéaires. Ainsi, dans les sociétés où le livre est le véhicule par excellence des textes artistiquement élaborés, c'est un rôle qui est loin d'être négligeable que celui de ces jeux d'identités visuels, d'ordre géométrique, qui sautent aux yeux dès qu'on ouvre un recueil de vers; formes le plus souvent rectan-

L 6

LANGUE

gulaires des strophes, dues à l'alignement régulier des vers réglés par une symétrie numérique parfois très simple, parfois légèrement compliquée par des alternances quantitatives ou qualitatives (vers pairs ou impairs); jalonnements essentiellement visuels des "rimes pour l'oeil" et des débuts de vers marqués par les majuscules, celles-ci quelquefois en enluminures à intervalles égaux. Parmi ces différentes homomorphies dans lesquelles se manifestent dans l'art littéraire les jeux d'identités, les mieux connues et les plus étudiées sont celles du plan de l'expression: homographies et homophonies des rimes, des assonances, des allitérations et des harmonies vocaliques, et surtout les homoprosodies des intonations et du mètre; mais il y a lieu de croire que l'artiste et son public sont parfois sensibles même au jeu subtil des homocinématies, c'est-à-dire à cette symétrie des mouvements articulatoires qui accompagne celle des homophonies composées de sons alternativement aigus ou graves, "durs" ou "mous" (langues slaves) et qui dans l'ioulement et dans certains refrains se rend particulièrement visible. Dans le plan du contenu, ces homomorphies se réalisent dans un univers où leur existence n'est constatable qu'indirectement, par les manifestations qu'elles provoquent dans le monde des perceptions sensorielles. Prenant la forme de synonymies (ou homosémies) et s'appliquant moins aux signes minima qu'à ceux qui ont dans le texte une certaine étendue (les "grands signes": mots, tournures ou phrases entières), elles jouent un rôle prépondérant dans toutes sortes de créations littéraires, mais surtout en poésie, où, lorsqu'elles se doublent d'homophonies, elles apparaissent sous la forme de refrains ou de répétitions des débuts de vers. Il y a lieu de souligner que, dans toutes les homomorphies de ces jeux d'identités non-figuratifs, les divers éléments qui y entrent ne tirent pas leurs valeurs des structurations ni des fonctions qui leur sont propres dans le système de la langue, mais uniquement des qualités particulières aux substances dans lesquelles se manifestent respectivement, leurs expressions et leurs contenus. Ces éléments de langue ne fournissent à l'art littéraire que la substance dans laquelle il s'exprime. (c) Les diverses substances physiques dans lesquelles se manifestent les différentes grandeurs

du plan de l'expression possèdent toutes des propriétés figuratives qui leur sont particulières la substance séquentielle, telle qu'elle se révèle dans l'ordre des mots, se prête particulièrement bien à la figuration de l'ordre chronologique d'une suite d'événements, ainsi qu'à la représentation d'un ordre hiérarchique, et par là, à la mise en vedette des éléments importants; au moyen de la substance prosodique des systèmes accentuels on peut imiter les divers rythmes de la nature, et avec les timbres variés de la substance phonique, clairs ou sombres, durs ou doux, sourds ou sonores, etc., l'artiste peut établir des correspondances entre ceux-ci et des phénomènes présentant des oppositions analogues dans la vie réelle, qu'il s'agisse de sons, de couleurs d'états d'âme. Si, dans les textes artistiquement élaborés ou non, les onomatopées ou mots imitatifs par leurs sons, sont relativement rares, les procédés onomatopoétiques le sont beaucoup moins; mais c'est dans les substances les plus difficilement observables qu'on y a le plus fréquemment recours. Le trait le plus caractéristique des onomatopées — abstraction faite des signes (affixes ou désinences) qui les font appartenir à telle ou telle catégorie paradigmatique — est que leurs sens reposent non sur une réunion arbitraire de phonèmes, mais sur un ensemble motivé de sons suggérant ou symbolisant par une imitation approximative, l'objet désigné. Le caractère motivé du rapport existant entre la face de l'expression et celle du contenu de ces désignations leur a fait réserver, par Saussure et Hjelmslev le terme de symboles motivés (cf. symboles arbitraires). Aux symboles reposant sur les qualités particulières d'une substance de l'expression, correspondent, dans le plan du contenu, les contenus symboliques que peuvent exprimer accidentellement ou par convention instituée, les sens propres des mots, grâce à quelque analogie entre l'image évoquée par ces sens propres et celle qu'ils suggèrent dans le contexte en question. Ces symboles du plan du contenu, appelés traditionnellement métaphores quand il s'agit de mots ou de tournures, apparaissent dans les dimensions les plus variées, depuis les simples flexifs jusqu'à l'ensemble que constitue toute oeuvre littéraire de fiction. Dans les flexifs, par exemple dans le cas du "présent historique" et dans celui des "pronoms

L 7

LANGUE

de courtoisie", on observe avec une netteté particulière comment le contenu symbolique s'acquiert par le transfert d'un membre de paradigme donné (par exemple le présent, le pronom vous) dans une place paradigmatique déjà occupée par un autre membre (le passé, le pronom tu). Au niveau des phénomènes grammaticaux, ces symboles du contenu sont généralement qualifiés de simples procédés de style. En ce qui concerne leur formation et leur fonction, ils sont cependant de la même nature que ces symboles des "très grands signes" qui permettent aux oeuvres littéraires d'exprimer l'inexprimable", c'est-à-dire d'exT A B L E A U (d'après

S E M I O L O G I Q U E

l o u i s H j e l m s l e v , Prolégomènes (1968) , pp. 138-167)

Sémio-

Expression

tique

(Méta-

méta-

signifiant)

Terminologie langagière (qui a pour objet le langage, c.à.d. les sémiotiques: langue, figurations et connotations)' ^

langagière

Contenu (Métasignifié)

primer plus que ce qu'expriment les signes linguistiques dans leurs sens non symboliques. Au rapport de figuration sémantique qui relie le "sens propre" au "sens figuré", le contenu "littéral" au sens "littéraire", correspond sur le plan de l'expression, un rapport de figuration phonique (prosodique, etc.), qui unit la face phonique de l'onomatopée à son contenu. D'une façon plus générale, la figuration, relation caractéristique du symbole motivé est le rapport qui existe, entre d'une part les deux catégories de substances du signe (celle de l'expression et celle du contenu) et d'autre part, les contenus qui constituent l'autre

Ponction sémiotique (4) E x p r e s s l o

I

C o n t e n u

méta-linguistique: I A Ï C U Ï SUBSTANCE ï O HME * amorphe [formée (phoné(phonique) (phone- mique) (i&tière l ti( l ue > de l'ex- | pression, Sons ,etcji I I I t Sémiotique symbolique Contenu Expression Ponction sémiotique (2) l figurative I (Figuré) (Figurant)

Sémiotique connotative

Fon'c tion sémiot Lque (1)

I SUBSTANCE formée I amorphe (sémé- | (Matière tique) | sémique:

lingui stique

Sens I

I Sémiotique symbolique Expression Contenu Ponction sémiotique(2) jfigurativej (Figurant)

1 ExpresI sion (Conno- P o n c t i o n tant) ; é m i o t i q u e(3) Connotative Contenu ™ ( Connoté)

P O E M E (sémémiaue)

Poncjtion sémiotique(3) Connotative

I

Spécificité du CONTEXTE SOCIO-CUiTUEEL des usagers du langage

L 8

(Figuré)

P o n e t i o n é m i o t i q |uel2L Connotative

LANGUE

face — elle aussi non articulée — des symboles. L'étude des symboles excède, par conséquent, le domaine de la linguistique, si par ce terme on entend l'étude du signe, entité caractérisée par le rapport de la dénotation, qui en relie les deux plans: celui de l'expression et celui du contenu; chacun des deux comprend non seulement une substance, mais aussi une forme présentant son articulation particulière en éléments non-signes: les figures de l'expression (phonèmes) et celles du contenu (sèmes ou composants de signifiés minima). Par contre, le rapport de la connotation est commun aux symboles et aux signes, et partant, d'une importance capitale pour toute étude de l'art littéraire; il relie le signe ou le symbole dans leur totalité comme expression, à un contenu qui est la caractéristique du groupe social formé par les usagers du signe ou du symbole en question — soit que ce groupe ne comprenne qu'un seul individu, soit qu'il embrasse toute une nation ou une communauté encore plus grande, soit enfin, qu'il s'agisse d'un sous-groupe qui tantôt s'allie à l'un, tantôt à l'autre des groupes plus compréhensifs entre lesquels il a le choix; (ce sont des choix de ce genre que fait un français en optant dans telle circonstance pour le passé simple, dans telle autre pour le passé composé, ou dans une assemblée

internationale, tantôt pour sa propre langue, tantôt pour l'anglais). Une figure nous permettra d'illustrer les fonctions essentiellement différentes de ces trois rapports, dont l'un, la dénotation, n'a aucune fonction artistique, tandis que cette fonction est la raison d'être même de la figuration et de la connotation, comme elle est celle des jeux d'identités décrits ci-dessus. LEIV

FLYDAL

BIBLIOGRAPHIE Flydal, Leiv 1962 "Les instruments de l'artiste en langage", Le Français Moderne 3. Heger, Klaus 1965 "Les bases méthodologiques de l'onomasiologie et du classement par concepts", Travaux de linguistique et de littérature III, 1 (Strasbourg). Hjelmslev, Louis 1961 Prolegomena to a Theory of Language, 2e éd. (Madison, U. S. A.) Jakobson, Roman 1960 "Linguistics and Poetics", in T. A. Sebeok (éd.), Style in Language (New York); en version française dans 1963 Essais de linguistique générale (Paris). Levin, Samuel R. 1962 Linguistic Structures in Poetry (La Haye). Mounin, Georges 1963 Les problèmes théoriques de la traduction (Paris). Odgen, C. K. and J. A. Richards 1923 The Meaning of Meaning (Londres). Poetics 1961 Poetics (Varsovie, Polska Akademia Nauk, 1961). Saussure, Ferdinand de 1931 Cours de linguistique générale (Paris).

LAPIDAIRE ÉTYMOLOGIE

ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

Transcription du latin lapidarius (de lapis 'pierre') pris au Moyen Âge dans le sens spécialisé de 'traité sur les propriétés des pierres précieuses. Le latin classique ne connaissait le mot qu'avec la valeur de 'gravé sur la pierre' (adj.) ou celle de 'tailleur de pierres' (subst.).

ALLEMAND: sens 1: Lapidist; Lapidarschrift au sens 2; Lapidarstil au sens 3. L'adjectif lapidar a, en allemand, les mêmes emplois que le qualificatif lapidaire aux sens 1 et 2. ANGLAIS: Lapidary, mêmes sens et mêmes emplois que lapidaire en français. ARABE: Pour le sens 1 : y>lj*JI ^ t f , Kitab al-tjawahir littéralement 'Livre des Pierres Précieuses'. La dérivation sémantique de lapidaire ne se retrouve pas en arabe: la forme signifiant "sculpté ou gravé" serait susceptible d'être un équivalent partiel du sens 2; de même, pour le sens 3: îtjàz (de la racine verbale WfGrZ? j i j ), exprimant l'idée de promptitude et de brièveté.

ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Au Moyen Âge, traité didactique sur les pierres précieuses. 2. Qualificatif appliqué aux inscriptions commémoratives ou votives gravées dans la pierre. 3. Se dit d'un style dont la concision et la noblesse s'apparentent à celles des inscriptions commémoratives gravées dans la pierre.

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LAPIDAIRE C H I N O I S : Pas de terme général correspondant au sens 1 de lapidaire en français; cependant l'existence de tels ouvrages est attestée: cf. F . De Mély, Les Lapidaires de l'Antiquité et du Moyen Age, tome 1: les Lapidaires Chinois (Paris, Leroux, 1896). faM shi-ke, désignant toute inscription gravée sur pierre, correspond au sens 2. Pour le sens 3: iÇÉfjfi bei-ming ti. E S P A G N O L : Lapidario, mêmes sens et mêmes emplois que lapidaire en français. F R A N Ç A I S : sens 1 et 2 : néant. Sens 3 : concis, laconique, succint. I T A L I E N : Lapidario, mêmes sens et mêmes emplois que lapidaire en français. J A P O N A I S : Pas d'équivalent aux sens 1 et 3 . Pour le sens 2 W3C hibun, désignant les phrases gravées dans la pierre. R U S S E : Pas d'équivalent au sens 1. Au sens 2

rpaBHpoBKa gravirovka (inscriptions gravées sur pierre). Au sens 3 JiariMAapHbiH lapidarnyj. COMMENTAIRE HISTORIQUE

Le terme de lapidaire s'applique à un certain nombre d'ouvrages en vers ou en prose, appartenant à la littérature 'savante' du Moyen Âge de langue latine ou de langue vulgaire: il s'agit essentiellement de catalogues de gemmes, dans lesquels chaque nom est suivi d'un froid exposé sur la valeur médicinale ou sur les vertus magiques ou symboliques de la pierre ainsi désignée. Les lapidaires médiévaux ont recueilli diverses traditions, grecques et latines, qui, d'Aristote à Marbode évêque de Rennes au Xlème siècle, passent par Pline l'Ancien et Isidore de Séville. Aux vertus naturelles et symboliques des pierres, le Moyen Âge a ajouté des valeurs morales et chrétiennes. Y.

LEFÈVRE

LARMOYANT ÉTYMOLOGIE

Adj. verbal de larmoyer (anciennement lermoyer), fait sur lerme, du latin lacrima. Le sens de l'ancien français est celui de 'pleurer'. Les valeurs fréquentatives ou atténuatives (yeux larmoyants) sont plus modernes et attachées à certaines formations en -oyer : par exemple guerroyer, verdoyer, rougeoyer. Au XYIème siècle, date où le mot est repris, la nuance contemporaine n'était pas sensible. A noter le sens factitif dont s'est chargé l'adjectif: 'qui provoque les larmes' ; ces sortes de glissements sont bien connus dans le vocabulaire des sentiments. ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Se dit de certaines oeuvres littéraires dont la matière et le style font appel à l'attendrissement et à la sentimentalité, avec une certaine affectation. 2. Dans l'expression le larmoyant ou comédie larmoyante, désigne un genre propre à la dramaturgie du XVIIIème siècle. ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES A L L E M A N D : au sens 1: weinerlich ou rührend. Au sens 2, la notion de 'comédie larmoyante' se traduit par rührendes Lustspiel; le substantif Rührstück désignant le genre avec une nuance péjorative.

A N G L A I S : au sens 1 : weeping, maudlin (péjoratif). Au sens 2: Weeping comedy, sentimental comedy ("An Essay on the Theatre; or a Comparison between Laughing and Sentimental Comedy", Westminster Magazine, déc. 1772.) ARABE: Pas d'équivalent dans le domaine littéraire. C H I N O I S : A U sens 1 : i^M liu-lei. Au sens 2, Í 8 S s h a n g - g a n qualifie le caractère émouvant d'une oeuvre littéraire; l'équivalent de 'comédie larmoyante' est {!Sû$il§!|, shang-gan ju. E S P A G N O L : Aux sens 1 et 2, le qualificatif lacrimoso: (obra lacrimosa, "El Delincuente Honrado, comedia en prosa del género lacrimoso de Jovellanos"; Echarri, Historia General de la Literatura Española); également au sens 2: llorón (comedias lloronas). F R A N Ç A I S : aucune équivalence. I T A L I E N : Équivalents au sens 1 : commovente, lagrimoso. Au sens 2, la dénomination générale genere patético recouvrirait partiellement la notion de comédie larmoyante. J A P O N A I S : Équivalents partiels au sens 1: f f fS. jôwa ou A'ffüSí, ninjôbanashi, 'roman d'amour'; idem pour le sens 2: A'fitlül, ninjôgeki, ou iffMÉilKJ, shimpa-higeki, 'tragédie nouvelle' (par opposition au genre classique (kabuki).

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LARMOYANT R U S S E : c.ne3JiHBaH, alezlivaja au sens 1. Pour le sens 2, la notion de comédie larmoyante est traduite par cJie3JiHBaa k o m ë a h h slezlivaja komedia.

genre nouveau? Ne peut-on sans abandonner la vraie Comédie prendre une route qui n'ait pas encore été frayée ? Car quand on nous recommande d'avoir Plaute, Térence, Molière et Regnard devant les yeux c'est sans doute nous indiquer de COMMENTAIRE HISTORIQUE très bons modèles: mais on ne peut pas dire qu'ils 1. Se dit pour caractériser un certain style ou aient tous écrit dans le même genre. Térence et manière, notamment de certaines comédies de la Molière ont excellé l'un et l'autre, et c'est par là première moitié du XVIIIème siècle qui font appel qu'ils se ressemblent. Quant au genre il faut opter, à la sensibilité. Votre style n'est pas larmoyant ils diffèrent entre eux. Térence a peint des hommes (Mme de Maintenon, Lettre au duc de Noailles du ordinaires. Molière a peint des hommes ridicules. 20 novembre, 1710). Il est vrai qu'en suivant ce Le premier s'est donc contenté de l'imitation dernier genre le fond sera toutours plus sérieux, exacte de la nature. Le second a cherché ce qu'il y jusque là même qu'il pourra être larmoyant (Fagan, avait de vicieux dans la nature. Pourquoi d'autres Préface de l'Amitié rivale (1736). On reproche à auteurs n'essayeraient-ils pas de peindre ce que la l'auteur le genre larmoyant de sa Comédie (Des- nature a d'aimable et de parfait? fontaines, Observations, IV, 1736; 79). Par extenIl est vrai qu'en suivant ce dernier genre le fonds sion, peut s'appliquer à toute œuvre littéraire sera toujours plus sérieux; jusques-là même qu'il dont la matière et le style disposent à l'attendrisse- pourra être larmoyant. Celui de Molière est bien plus ment et aux larmes faciles. favorable, et il serait à souhaiter qu'on l'employât 2. Dans l'expression comédie larmoyante, désigne encore. Mais outre qu'il faut peut-être pour y un genre propre à la dramaturgie du XVIIIème réussir un génie aussi heureux que le sien, l'entresiècle. Ce genre de comédie où l'on veut attendrir les prise est aujourd'hui plus difficile qu'elle ne spectateurs et que l'on appelle par dérision comédie l'était de son temps. Comment hasarder de faire larmoyante (Voltaire, Préf. de Nanine, 1750). Des- des portraits si l'on en fait bientôt des applications fontaines dit "dans le genre du Comique larmoyant" capables de faire proscrire un ouvrage?" (1736, v. plus loin). Subst.: le larmoyant. Le grand Le terme pouvait s'appliquer à une pièce que goût du larmoyant comique, Roman moral, roman son auteur donnait pour une "comédie héroïque". métaphysique (Voltaire, Le pauvre Diable, 1758). C'est le cas du Comte de Neuilly de Boissy (1736). 3. S'applique à certains personnages delà comédie Au sujet de cette pièce Desfontaines écrit dans ses larmoyante. Propre à la comédie larmoyan- Observations (IV: 308): "Je ne m'amuserai point te. Propre à attendrir. Un père larmoyant proche à relever les défauts de cette Pièce, qui a eu un si parent du père du Fils naturel. (Lanson, Nivelle de triste sort sur le Théâtre Italien, pour lequel il faut la Chaussée et la comédie larmoyante, 1903: 44). Les avouer qu'elle n'étoit pas faite. C'étoit pourtant valets mêmes sont larmoyants, puisqu'ils sont de- une Comédie dans le goût nouveau qu'on voudroit venus honnêtes. (Ibid., 42). Cet emploi du terme le introduire, c'est-à-dire dans le genre du Comique rapproche de son sens propre, qui larmoie, qui a Larmoyant. La versification étoit coulante et la larme facile, mais il se ressent de son emploi aisée, et le sujet bien conduit. Mais toute histoire romanesque ne convient pas au théâtre, et celle-ci comme expression littéraire. Fagan et Desfontaines emploient le terme au en est la preuve." Desfontaines était considéré comme celui qui premier sens (cf. ci-dessus 1,) à propos de l'Amitié rivale de Fagan (1736). Celui-ci se défend dans sa avait lancé le mot larmoyant. Écrivant en 1749, préface (publiée avant l'article de Desfontaines) dans ses Réflexions sur le comique larmoyant, P.-M. du reproche qu'on lui fait. "Mais n'est-ce pas un Martin de Chassiron l'attribue spécifiquement à devoir indispensable aux Auteurs d'étudier le goût Desfontaines: "Je me borne à vous parler de ce de leur siècle et depuis quelque temps cette nouvelle nouveau genre de comique que l'Abbé Desespèce de Comédie n'a-t-elle pas été un peu mise fontaines qualifiait de Larmoyant et auquel en effet il est difficile de trouver un nom plus décent en crédit? Doit-on d'ailleurs leur ôter l'espoir d'établir un et plus convenable" (p. 14). Chassiron emploie L 11

LARMOYANT

encore l'expression "comique plaintif", qui n'a ludem iocumque, Francogallico sermone, comédie pas fait fortune: "Pénétré de la plus sincère admi- larmoyante, lacrimabunda appelari solet." ration pour le génie des Auteurs, je n'attaque Diderot dit "Comédie sérieuse" (De la Poésie jamais que le goût de leurs ouvrages, ou plutôt dramatique, 1758) et n'emploie pas l'expression celui du Comique plaintif pris en général (p. 14) . . . "comédie larmoyante". Pour La Harpe, les coméil est aisé de présager des destinées du Comique dies de La Chaussée appartiennent à un "genre plaintif — légitimé par la mode il passera avec elle" mixte"; il n'emploie le mot "larmoyant" qu'au (p. 69). C'est l'autorité de Voltaire qui a fait sens propre, à propos des personnages du Père de triompher larmoyant, avec sa nuance péjorative. famille de Diderot. On peut conclure que le terme Répondant à Chassiron, dans la préface de sa "comédie larmoyante" n'avait qu'un sens péjoratif Nanine (1750), il emploie l'expression "comédie au XVIIIème siècle. Pourtant, certains historiens larmoyante": "Cet académicien judicieux blâme de la littérature de la fin du XIXème siècle ont cru surtout les intrigues romanesques et forcées, dans qu'il avait été accepté généralement pour désigner ce genre de comédie où l'on veut attendrir les un genre dramatique, et l'employaient eux-mêmes spectateurs, et que l'on appelle par dérision de cette manière. Brunetière, qui confond, comme comédie larmoyante." Dans le Pauvre Diable Voltaire, la comédie que Diderot appelle''sérieuse" (1758), il emploie "larmoyant comique" (vid. sup. avec la tragédie que Diderot appelle "bourgeoise", 2è sens). Après les Entretiens sur le fils naturel de écrit: "du concours de ces circonstances . . . résulte, Diderot, où est employé le terme "tragédie bour- dans l'histoire du théâtre, la fusion de la tragédie geoise", Voltaire fait de cette nouvelle expression avec la comédie, sous les noms de comédie larun synonyme de "comédie larmoyante", et moyante et de tragédie bourgeoise" (Époques du déclare sa préférence pour les "comédies héroïques" théâtre français). De même Saintsbury: "This . . . de Corneille: "Peut-être les comédies héroïques was subdivided, also somewhat arbitrarily, into sont-elles préférables à ce qu'on appelle tragédie tragédie bourgeoise and comédie larmoyante" (A bourgeoise, ou la comédie larmoyante. En effet, cette Short History of French Literature, 1882). H . Lion comédie larmoyante, absolument privée de co- réserve le terme "Comédie larmoyante" pour les mique, n'est au fond qu'un monstre né de l'impuis- œuvres de La Chaussée, mais il y voit tout simplesance d'être ou plaisant ou tragique." (Commen- ment le nom d'un genre littéraire. (Histoire de la taire sur Don Sanche, 1762). Langue et de la Littérature française, éd. par Petit Lessing emploie le terme weinerlich dès 1753, de Julleville, 1898). pour traduire "larmoyant", à propos de la Cénie Gustave Lanson fait du terme "larmoyant" un de Mme de Grafigny, et ajoute qu'il est le premier emploi considérable dans son Nivelle de La Chaussée à l'employer (Werke, éd. Petersen et Olshausen, et la Comédie larmoyante (1903). A "comédie vol. Anmerkungen 8 — 15; 496). Il affirme que deux larmoyante", il ajoute "le larmoyant", "genre termes sont employés, das weinerliche Lustspiel, larmoyant", "drame larmoyant", "père larmopar les adversaires du nouveau genre, et das yant", "valets larmoyants","effusion larmoyante". rührende Lustspiel, par ses partisans. (Abhandlun- Selon lui, "le Glorieux de Destouches est une comégen von dem weinerlichen oder rührenden Lustspiele die larmoyante plutôt qu'une comédie de carac1754). Das weinerliche Lustspiel correspond exacte- tère; elle nous conduit à La Chaussée plutôt qu'elle ment à "la Comédie larmoyante"; das rührende ne nous ramène à Molière." Destouches "n'eut Lustspiel correspondrait à "la Comédie touchante". pas conscience de s'être approché si fort du genre Il ne semble pas que cette expression ait été larmoyant et d'y avoir amené la comédie, à tel courante en France, mais L. Y a r t a fait la théorie point qu'elle n'eut plus qu'un pas à faire pour le des "comédies morales et touchantes", dans le rencontrer." "Toute la comédie larmoyante est Mercure de France du mois de mars 1743. On peut donc dans le Glorieux, moralité, caractères veraussi noter une brochure publiée à Leipzig, en tueux, fictions romanesques, scènes touchantes, 1751, par C. F. Geliert, sous ce titre Pro Comoedia aucun élément ne manque." "Piron aussi aurait pu commovente commentatio. Geliert prend la défense, prétendre à l'honneur de créer la comédie larmalgré Aristote, de cette comédie "quae . . . per moyante. Il donna en 1728 les Fils ingrats, qu'il fit L 12

LAÊMoyAii'r imprimer sous le titre L'École des pères . . . Mais il n'a été occupé que d'étouffer le pathétique de son sujet, et de faire dominer le rire. Ainsi fut-il mal fondé à dire plus tard qu'il avait donné le modèle du larmoyant . . . Le larmoyant était pour Destouches une exception, pour Piron un défaut dans la comédie. L a Chaussée en fit l'essence et y fonda le mérite de son drame . . . Il eut l'audace . . . d'annoncer le dessein d'émouvoir au lieu de faire rire. Il donna vraiment l'existence au genre larmoyant en lui donnant l'indépendance." " L a Chaussée laissa la tragédie et revint au drame larmoyant. Il fit Mélanide." R. Jasinski propose de remplacer l'expression "comédie larmoyante" par "comédie touchante" ou "comédie d'attendrissement" (Histoire de la littérature française, 1947). E n effet, le sens péjoratif, qui s'attache encore à larmoyant rend ce mot inutilisable pour le critique qui voudrait apprécier équitablement l'œuvre de Destouches et de La Chaussée. Rappelons pourtant que Diderot proposait "comédie sérieuse", terme neutre et par conséquent très propre à servir comme nom de genre. La comédie sérieuse est sortie de la comédie de mœurs; elle ne doit rien à la tragédie. La comédie de mœurs de la fin du XVIIème siècle est satirique et, t a n t qu'elle choisit ses personnages parmi les types sociaux, bourgeoises prétentieuses, hommes à bonnes fortunes, chevaliers d'industrie, petits maîtres, elle se contente d'être spirituelle et de faire rire aux dépens de ses victimes. Mais le dramaturge se permet-il d'éprouver de la sympathie pour un de ses personnages, il altère la nature de la comédie satirique. C'est déjà le cas dans une comédie de mœurs de Boursault, Ésope à la Cour (1701). Boursault fait du personnage principal de sa pièce un homme sensible qui fait à sa maîtresse des reproches attendris: Ah ! Rodope, Rodope, à qui j'avois envie De donner les momens les plus chers de ma vie, Mon coeur, qui sans tendresse, auroit moins de courroux, Préviendroit vos raisons, s'il en étoit pour vous.

Pour l'instant, c'est une exception. Les comédies de Dancourt, de Régnard, de Lesage, acceptent encore les valeurs morales des honnêtes gens, sont sans pitié pour les bourgeois parvenus, et traitent avec une indulgence amusée les jeunes gentilshommes libertins. Mais Campistron et Le-

grand se laissent parfois attendrir. Le Plutus (1718) de ce dernier rappelle l'Ésope de Boursault, par l'importance donnée à la morale. Vers 1725, les oppositions de caractères qui avaient donné aux comédies plaisantes leur structure dramatique commencent à se remplacer par des réconciliations. Dans l'Ile des esclaves (1725), de Marivaux, les domestiques se réconcilient avec leurs maîtres. L'harmonie qui est la marque de la famille bourgeoise heureuse commence à trouver son pendant dans les comédies. Les dramaturges reprochent au beau monde son manque de respect pour le mariage et l'amour conjugal. Les premières comédies sérieuses sont consacrées aux rapports de famille, le Philosophe marié ou le Mari honteux de l'être (1727), de Destouches, et les Fils ingrats (1728), de Piron, repris sous le titre L'École des pères. Sur la scène anglaise, de même, le premier élément de "comédie sentimentale" qui fait son apparition est une réconciliation entre époux, dans The Tender Husband, de Steele (1705), mais cette comédie est une satire burlesque aux effets assez gros: le style particulier des pièces attendrissantes n ' y est pas encore employé. C'est le ton qu'adoptent les dramaturges français qui finit par distinguer la comédie sérieuse de la comédie plaisante. Il se crée un art du dialogue propre à l'expression des délicatesses du sentiment. "Comment espérer d'être bien plaisant, si l'on traite de farce tout ce qui n'est pas d'une grande délicatesse?" demande Fagan, dans sa préface de l'Amitié rivale. Destouches voulait encore faire rire, mais rire avec finesse, tout en reprochant doucement à l'objet de sa satire un travers dont il est possible de se guérir. Il croyait imiter de cette manière Le Misanthrope et donnait à ses pièces des titres de comédie de caractère, notamment dans Le Glorieux (1732), son chefd'œuvre. Mais une dramaturgie qui permet des changements de caractère, qui n'oppose plus les caractères les uns aux autres de façon irréconciliable, qui cherche à inspirer des sentiments tendres, n'est plus celle de la comédie plaisante. Elle se rapproche de l'art du roman et, en effet, dès le début, les adversaires de la comédie sérieuse lui reprochent le romanesque de ses intrigues. Le Préjugé à la mode, de La Chaussée (1735) commence en comédie de mœurs mais se termine par une réconciliation romanesque. Finalement, dans

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iABiio¥ANÏ

la Mélanide du même auteur (1741), il est si évident que la pièce est composée de scènes qui auraient pu constituer les derniers épisodes d'un roman, que Desfontaines propose d'employer les termes "drame romanesque" et "romanédie" pour en parler: "la Mélanide de M. de La Chaussée sera intitulée Drame romanesque, jusqu'à ce qu'il plaise au public d'adopter le mot nouveau que j'ose lui présenter: c'est celui de Romanédie. Il est assez analogue et n'a rien qui doive blesser" (Observations, XXV: 28). Notons encore que, dans ce cas, La Chaussée choisit comme titre un nom propre, Mélanide, renonçant aux titres génériques des comédies plaisantes. C'est à partir de ce moment que la "romanédie", genre essentiellement français, commence à se rapprocher d'un genre anglais, la tragédie bourgeoise, resté tout proche du drame élizabéthain, et que représente, au milieu du XVIIIème siècle, le Marchand de Londres de Lillo. Diderot distingue encore, dans son Discours sur la poésie dramatique (1758), entre la "comédie sérieuse" et la "tragédie domestique", n'employant le mot drame que dans un sens assez général ("Il y a une sorte de drame où l'on présenterait la morale directement."), mais le mot drame finit par l'emporter en France, alors qu'en Allemagne c'est le terme Bürgerliches Trauerspiel qui l'emporte. Diderot est le théoricien qui a donné au genre sérieux une existence indépendante, mais d'autres avant lui en avaient ébauché une défense. Diverses préfaces, depuis celle de Fagan en 1736, avaient réclamé pour la comédie le droit de peindre autre

chose que les ridicules des hommes. En 1743, dans le Mercure, L. Yart réclama pour elle le droit de faire pleurer: "Ce n'est point nuire à nos plaisirs que de mêler quelques Scènes morales à des Scènes Comiques, et de donner au Public des comédies qui fassent couler des pleurs. Les cœurs tendres, les hommes sensibles goûtent un plaisir réel à verser des larmes: Est quaedam flere voluptas. Nous avons une affection vive pour ceux qui nous sont unis par le sang, un attachement souvent plus fort pour nos amis, une compassion naturelle pour les malheureux, dans lesquels nous nous considérons nous-mêmes. C'est au Poëte vertueux à exciter en faveur de nos parens, de nos amis, de nos semblables, la nature, la raison, l'humanité, quand même ils seroient indignes de notre secours par leur ingratitude. On doit se garder . . . d'avilir dans un Bourgeois ce qui doit être respectable dans tous les hommes; la qualité de père, de maître, de mari doit être toujours épargnée; elle est sous la protection de la Religion et des Loix." (pp. 444—448). Yart la place encore sous la protection des comédies sérieuses, mais il reste encore à Diderot de faire la théorie des conditions, et de constituer un nouveau genre dramatique. J . S. SPINK

BIBLIOGRAPHIE Bernbaum, E. 19X5 The Drama of Senaïbility (Boston et Londres). Lanson, G. 1903 Nivelle de la Chaussée et la comédie larmoyante (Paris).

LECTURE ÉTYMOLOGIE

Transcription savante du latin médiéval lectura, remplaçant sur un type fréquent le latin lectio, devenu leçon par voie populaire. A l'origine est le verbe lego, legere, d'histoire complexe; sens premier: 'ramasser', comme l'atteste le composé (re)cueillir ; aux environs de ce sens vivent ceux de 'rassembler' (cf. collecte . . .), de 'choisir' (cf. élire). Le sens de 'lire' est propre au latin: on pense qu'il vient de l'expression legere oculis 'choisir du regard' (et l'on rapprochera alors l'évo-

lution du verbe d'origine germanique choisir, qui signifie 'apercevoir' dans tout l'ancien français). Mais deB emplois techniques comme legere senatum 'faire l'appel des sénateurs' peuvent avoir joué un rôle dans la spécialisation. On notera que le grec a le même verbe, mais que, parti lui-même du sens de 'ramasser, cueillir', il s'est spécialisé au sens de 'dire'. En somme, même type de spécialisation divergente qu'entre les deux verbes reden 'parler' et read 'lire', l'un allemand et l'autre anglais, mais d'origine commune.

L 14

LËCÎÛftË ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Action de traduire par des sons, oralement ou mentalement, un document écrit. 2. Assimilation, par la pensée, du contenu d'un texte. La lecture d'un grand quotidien m'occupe une heure par jour. 3. Action ou art de lire pour les autres. La lecture du contrat fut faite devant trois témoins. Nous avons assisté à la lecture d'une comédie inédite. 4. La chose lue. C'est une lecture qui élève l'esprit. 5. La culture livresque. Shakespeare n'était pas sans lecture (La Harpe, Lycée, "Introduction"). ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES A L L E M A N D : Sens 1, 2 et 4 : Lektilre; sens 3:Lesung ; sens 5: Belesenheit. Lesen s'emploie également aux sens 1 et 2; Lesestoff au sens 4. A N G L A I S : Reading aux sens 1, 2 et 3 . Au sens 4 : Reading matter. Au sens 5, la notion de culture livresque par les expressions well-read (a well-read man ou a man of some reading). ARABE: , gird'a pour les sens 1, 2 , 3 et 4 le terme taqâfa, désignant la culture du lettré, peut être considéré comme un équivalent partiel du sens 5 de lecture en français. La lecture coranique mérite une mention particulière, car plusieurs termes servent à la désigner: qirâ'a désigne la lecture récitée du livre sacré, exercice de lecture par excellence, d'où le nom même de Coran, appellation qui vient de l'arabe ¿T°Jï qur'ân (extrait de la même racine verbale); des termes différents désignent la récitation du Coran, selon qu'elle est accompagnée d'une mélodie, d'un rythme, ou d'une modulation. Les trois termes correspondants sont: ¡}yr , tilâwa; tartil; o. J.*; taijwid. C H I N O I S : A U sens 1: 88ff lang-song ou bien g]§îg lang-du (lecture avec prononciation distincte des sons). Au sens 2: 53 yue ou kan (exemple: yue bao 'lire le journal'; ^f/M5{ kan xiao-shuo 'lire un roman'). Au sens 3: J Ë H xuan-du 'idée de lire pour autrui', avec parfois une nuance de proclamation (exemple: jËU^JfnJ xuan-du pan-ci, 'lire la sentence'). Au sens 4 du-wu. Au sens 5, ^ FPI xue-wen traduit l'idée de 'savoir acquis par l'étude' et peut être considéré comme un équivalent partiel de culture livresque. E S P A G N O L : Lectura, mêmes sens, mêmes emplois que lecture en français.

F R A N Ç A I S : au sens 1, on emploie déchiffrer pour un morceau de musique. Sens 5: Culture. I T A L I E N : Sens 1 et 2 : Lettura. Sens 3 , 4 et 5 : Letture. J A P O N A I S : A U sens 1 et 4 dokusho. Au sens 2: fil® tsûdoku; 53IR etsudoku; 53W, etsuran. Au sens 3: §fJÛï rôdoku (lecture à haute voix, déclamation ou récitation), kyakuhon-norôdoku (lecture d'une pièce); ^ f f ï J t - honyomi ou fí?(Jf'a"tL yomiawase (lecture d'une pièce de théâtre avant la répétition). Au sens 5 I^HÈ gakushiki (savoir livresque). R U S S E : MTEHHE ctenie pour les sens 1, 2, 3 et 4 . Pour le sens 5: HawraHHOCTb nacitannost'.

COMMENTAIRE HISTORIQUE

Si répandue que soit l'opinion contraire, toute lecture d'un livre de littérature n'est pas effectivement, authentiquement, 'littéraire'. Sans aucun doute, la lecture satisfait de nombreuses fonctions et nécessités spirituelles ou sociales. Mais une seule lecture se réalise sur le plan proprement dit de la littérature et peut être faite sous l'angle spécifique de l'art littéraire. C'est pourquoi il faut établir une nette différence entre la psychologie, la sociologie, l'éthique et l'esthétique de la lecture, chacune ayant ses propres objectifs, quoique interférants et interdépendants. La confusion est si fréquente que presque toutes les études consacrées à la "lecture" parlent en fait de "lectures" tout à fait différentes. D'où, encore une fois, la nécessité d'introduire un minimum d'ordre dans ce "carrefour de significations" qu'est l'idée de lecture. Toutes les lectures ne sont pas forcément littéraires. 1 . E n grandes lignes, L E S ACCEPTIONS COURANTES, consacrées, traditionnelles, soi-disant normales, nécessaires, de la lecture sont les suivantes: a. L A LECTURE-INFORMATION, pour connaître, s'instruire, se documenter, d'usage personnel et professionnel: la lecture des journaux, la consultation des ouvrages et de la presse de spécialité. Elle satisfait la curiosité pratique ("que se passe-til?") et intellectuelle ("être au courant d'une question"), accumule des nouvelles, des idées, des faits. L'existence de l'homme moderne est inimaginable sans ce genre de lecture quotidienne, d'une qualité et d'une quantité extrêmement relatives et variables. C'est le premier degré, la forme em-

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bryonnaire, introductive, de la lecture littéraire proprement dite, étant donné que — entre autres — elle informe aussi sur l'existence, le contenu et le progrès de la littérature ("qu'est-ce qui paraît ?", "quel sujet a tel livre?", etc.). b. LA LECTURE-DISTRACTION, pour éviter l'ennui, tuer le temps. C'est la lecture dans le train, dans les salles d'attente, pendant les heures 'libres', quand 'on n'a rien à faire', avant le coucher, etc. Elle poursuit des effets immédiats, tels l'amusement, la relaxation, l'élimination des temps morts, du vide intérieur. La satisfaction d'excitations et de fonctions physiologiques (sommeil, rire, pleurs, etc.) y est également incluse. Limitée presque toujours à un niveau très bas, élémentaire, vulgaire même, cette lecture, par sa gratuité et ses disponibilités, approche tout de même de la lecture littéraire, plus que ne le fait la simple 'information'. Elle introduit dans le mécanisme de la lecture un coefficient quelconque de plaisir, d'inutilité et de désintéressement pratique, de nature à l'ennoblir, à la 'réhabiliter', fût-ce même à la limite. c. LA LECTURE-REFUGE, compensation, évasion, qui nous offre la revanche sur la réalité ennemie, dure, hostile. Elle élimine, fût-ce d'une façon éphémère, les complexes, les 'frustrations', les inhibitions, la souffrance psychique ou morale. Avec son aide, nous 'oublions', nous 'réalisons' des projets imaginaires, nous nous accordons des équivalences illusoires, utopiques, vitales pourtant. Sous cet aspect, c'est la lecture la plus féconde et la plus efficace de toutes, attestée par des confessions célèbres: "En l'espace de quatre heures je ne sens aucun ennui, j'oublie tout chagrin, je ne crains pas la pauvreté et la mort ne m'effraie pas". (Machiavelli, lettre à Francesco Vettori, du 10 déc. 1513), "L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégâts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté." (Montesquieu, Sur luimême). d. LA LECTURE-PLAISIR. L'effet et le stimulant de la lecture distrayante, compensatoire, et en dernière analyse de toute lecture libre, disponible. C'est Montaigne (1. I I , ch. V I I I ) qui, parmi les premiers, en fait l'analyse: "Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honneste amusement". L e plaisir de la lecture, réalisé de façon parfaite par la lecture littéraire, est accru

par la répétition, la confrontation, la réputation littéraire (Leopardi, Parini, ovvero délia gloria, V, 1824). Dans sa synthèse, entrent les formes supérieures tant du "divertissement" que de la vocation "imaginative". Mais il n'y a pas de lecture de type esthétique qui ne spiritualise le "plaisir" des livres et ne refasse, à un degré élevé, la rêverie spécifique à la lecture. Car la lecture d'une coiffeuse est une chose et celle de Montesquieu en est une autre, quoique en définitive, tous les deux puissent dire que: "Aimer à lire, c'est faire un échange des heures d'ennui, que l'on doit avoir en sa vie, contre des heures délicieuses." (Montesquieu, Cahiers). Tous les types de lecture supposent un certain isolement, sollicitent un certain temps libre, un minimum de trêve et d'affranchissement des obligations immédiates, et plus particulièrement ce dernier point. I l y a là une nostalgie que les critiques et les vrais lecteurs éprouvent souvent, d'autant plus puissante et pesante que le rythme de la vie moderne tend à supprimer la solitude, à accaparer l'esprit, jusqu'à l'asphyxie et à la standardisation. La volupté de la lecture libre, "égoïste", dirigée exclusivement par le goût, les inclinations et les dispositions intérieures, au delà de toute nécessité professionnelle et journalistique, cette volupté là était perdue déjà à l'époque de Sainte-Beuve, qui l'évoque à maintes reprises, avec de grands et obsédants regrets ("Qu'est-ce qu'un classique?", Causeries du lundi, I I I ) . A notre époque, elle est devenue une chose rare, déplorée souvent par les plus grands écrivains et essayistes (Paul Valéry, Alain, André Maurois, etc.). De nos jours combien peuvent se permettre des lectures étendues, personnelles, dans une indépendance et dans une sécurité totales? e.

LA

LECTURE-CULTURE,

instrument

de

la

mémoire et de la formation intellectuelle, littéraire, par accumulation, assimilation et sédimentation spirituelle. C'est l'ancienne lectio de la rhétorique antique (Quintillien, I, 8), "le magasin d'idées" dont parlait J. J. Rousseau (Les Confessions, I, V I ) , la lecture-explication, la lectureexercice littéraire, spécifique à l'enseignement classique occidental, et dont la théorie et la systématisation ont été faites au X V I I I è m e siècle (Rollin, 1732: I, I I , I I I , ch. 3). Le résultat est: "Tout ce qu'on retient après avoir oublié tout ce

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qu'on a appris", selon la formule de Saint-Marc Girardin. Elle implique une sélection; des listes préférentielles, de la discipline, de la méthode et une certaine 'ascèse' et équivaut à la formation de la culture classique, fondamentale, par des textes non facultatifs ou pris au hasard, mais indispensables, essentiels. Cette lecture ne se confond pas avec l'information littéraire, ni avec la documentation, ni avec l'érudition. Elle n'est pas non plus dilettante, ni savante, mais seulement substantielle, non multa, sed multum, selon le dicton latin. Sénèque la recommandait déjà (Ad Luc, II). f. L A L E C T U R E - E X I S T E N C E , acte qui 'engage' tout l'être en lui donnant un contenu, une direction, de la tension, de la profondeur et un profil spirituel. C'est la lecture qui transmet et impose des normes éthiques, produit des résidus moraux, constitue une source de 'sagesse', fonction cultivée et étudiée théoriquement sans cesse par les moralistes (Sénèque, Montaigne, etc.), depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Ce type de lecture chasse la solitude, introduit un sens intérieur, résout les contradictions de la conscience, élimine les causes et les effets du déséquilibre moral, organise l'univers spirituel, efface la discontinuité et la dégradation de l'âme. La lecture-existence contribue, dans une mesure égale, et souvent d'une manière décisive, au développement intérieur (chose reconnue par presque toutes les autobiographies célèbres), à l'intégration et à la spiritualisation de toute l'existence. La lecture féconde purifie et, en même temps, amplifie; diversifie et consolide; calme et intensifie les mouvements de l'âme, avec des perspectives toujours plus vastes vers le monde et vers la vie, vers les idées et les émotions profondes, jusqu'à l'aspiration totale d'un livre-mythe, unique, qui satisfait et absorbe toute l'existence. Forme éminente de dialogue intérieur, d'une mutualité parfaite — le livre éclairant la vie et la vie éclairant le livre —, par la stimulation continue de la capacité de dédoublement et de transposition de la conscience, cette lecture entretient et développe aussi la possibilité de la communication, du dialogue intérieur. Elle nous rend sociables en nous introduisant, selon la formule de Paul Souday, dans La société des grands esprits (1929). Il s'agit des grands écrivains classiques et par eux nous pénétrons dans l'univers de leurs héros, avec

une familiarité et une fraternité totales et, en tout cas, dans un esprit de compréhension et de participation universelles. La conscience de l'alterego, si nécessaire à la solidarité humaine, se forme et se consolide surtout par cette lecture, forme de confrontation intérieure, largement ouverte. Par l'intermédiaire de la lecture nous explorons l'essence de la vie, nous nous frayons un chemin vers le contenu et l'essence même de l'existence, nous nous connaissons toujours mieux. Nous nous cherchons dans les livres et nous apprenons à lire dans nos profondeurs. Toute lecture devient donc une technique de l'introspection, une méthode d'auto-lecture. Je me parcours, je me découvre, je me confirme, ou me nie. En tout cas, j'apprends à m'analyser mieux, à avoir une perception plus claire de ce que je suis, de ce que je ne suis pas, ou de ce que je pourrais être. De cette façon on arrive à des révélations imprévues, souvent bouleversantes. Car la lecture, la vraie, nous agite et nous incite, nous trouble, produit des impulsions, réveille des vocations. C'est un événement capital de notre biographie morale, peut-être le seul qui nous guérit intégralement de l'aliénation, nous restitue l'essence originaire, non corrompue, dans sa plus authentique forme. Dans le cas des écrivains, des créateurs, le pas est si décisif que les autres bienfaits 'littéraires' de la lecture deviennent souvent secondaires. Certes, l'écrivain lit aussi pour entretenir et consolider son élan, pour réaliser le climat spirituel et esthétique dont il a besoin (voyez le témoignage de Stendhal à propos de ses lectures du Code civil, ou ceux d'Emerson, des Dialogues de Platon). Mais sans une impulsion initiale, sans le projet créateur entrevu, une fois, souvent dans une lecture (l'instinct créateur étant en essence 'imitatif'), la lecture intentionnelle devient sans objet précis et, surtout, sans finalité profonde. Pour toutes ces raisons, la lecture-acte d'existence entre pleinement dans le substrat du jugement purement littéraire, auquel elle donne plus d'expérience et de dimension humaine, un supplément considérable de perception et de subtilité. 2. La reconnaissance des caractères "classiques" de la lecture est accompagnée de plus en plus à l'époque moderne de nombreux symptômes de crise de l'idée de lecture. La vérité est que la lecture, qu'elle le veuille ou non, tombe de plus en plus

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dans l'excès, et donc dans le défaut de ses qualités. D'où une tendance à nier directement ou indirectement la lecture, objet de contestation sous différentes formes. On peut distinguer en général quatre aspects essentiels: a. La négation directe, par l'affirmation de l'impossibilité de la lecture, dans une situation-limite comme celle mémorablement formulée par Mallarmé dans Brise marine (1865): "La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres." Le dégoût d'exister, par excès de vibration vitale, existentielle, entraîne le dégoût profond pour la lecture, le refus catégorique du livresque. Quand l'existence perd son sens, devient absurde, ou repoussante, le livre ne peut plus rien dire. Le néant absolu transforme en néant la notion même de lecture. Elle ne donne plus rien. Elle ne peut plus rien dire à personne. Que pourrait-on trouver dans les livres dans une telle situation? b. La diffusion des théories anti-littéraires dans une zone importante de la littérature moderne, le refus du concept d''art littéraire' nié dans son essence, jettent le discrédit aussi sur la notion, toujours traditionnelle, de 'lecture'. Voilà un acte impossible, inutile, dépourvu de sens, ridicule même, ont l'air de dire (et, souvent, affirment !) les adeptes de la non-littérature actuelle, de l'antipoésie, de l'anti-roman, etc. En tout cas, il ne peut plus être question d'une lecture purement littéraire, avec les finalités esthétiques, puisque celle-ci . . . n'existe même pas. Pour ce qui est des esthètes, ils se contentent de constater, objectivement, qu'on lit d'autant moins, qu'on écrit et qu'on parle plus; que les écrivains — en général — ne lisent pas l'œuvre de leurs confrères. Ils se contentent surtout de faire des boutades d'une vérité amère, comme celle de Jean Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les lettres (1941): "Chacun sait qu'il y a, de nos jours, deux littératures: la mauvaise, qui est proprement illisible (on la lit beaucoup). Et la bonne qui ne se lit pas." c. La transformation de la lecture en abus, en stupéfiant et même en vice, formule vulgarisée par Valéry Larbaud dans un essai connu, Ce vice impuni, la lecture . . . (1936), empruntée à une poésie de Logan Pearsall Smith, d'ailleurs citée. Tant que la littérature reste dans les limites de la passion, si intense que soit celle-ci, sa valeur ne

peut pas être mise en question. Mais il arrive souvent que la lecture (phénomène observé déjà par J. J. Rousseau, dans les Confessions, I, 1. V) s'altère, glisse dans la manie, dans le 'vice', en devenant une sorte d"opium' qui superpose à la réalité les fictions et les illusions du monde imaginaire. L'automatisation, la nécessité purement physiologique de lire constitue, elle aussi, une dégradation. La transformation de la lecture, de stimulant de la vie spirituelle en adoption mécanique de formules, schémas donnés et lieux communs par une paralysie et un remplacement de l'idéation personnelle (Proust, 1921: 253—54) se révèle aussi négative et dangereuse. Dans ces circonstances, tout le mécanisme et toutes les fonctions de la lecture se dégradent par la perversion. "La lecture-vice et la conversation-bavardage empêchent la méditation et la rêverie — disait Brîncusi —. La lecture-vice, sans études, ne devrait pas rester impunie." (Pandrea, 1967: 247). d. L'étendue immense, d'inspiration phénoménologique, de la notion de lecture, suivie par sa suprasollicitation métaphorique dans les domaines les plus imprévus, la transformation en 'lecture' de toute acte de connaissance et de valorisation, l'assimilation de la 'lecture' à n'importe quel genre de déchiffrement et d'interprétation esthétique, psychologique, métaphysique, etc. Cette acception a une certaine nuance d'affectation même chez les plus grands critiques et esthéticiens. Wôlfflin parle couramment de la "lecture" des tableaux. Lire une peinture (parfois aussi dans le sens de son imitation sous un autre aspect) est une expression très fréquente, propre à classer entre le cliché et la coquetterie intellec tuelle. De même dans l'avant-garde moderne italienne apparait une théorie de la "lecturespatiale", de la "poésie visuelle", qui se déroulerait devant nos yeux comme un spectacle. Maib toujours dans la peinture il existe aussi une lecture de l'homme, du contenu humain découvert par la "lecture complexe offerte par toute image" (Huyghe, 1965: 105) ainsi qu'une "lecture du monde". Enfin, on peut devenir aussi le lecteur de n'importe quelle "aventure" spirituelle produite par la lecture proprement dite, acception la plus extensive de toutes (Roudaut, 1967: 237). 3. En réservant la notion de lecture dans le sens propre à l'acte de parcourir en lisant la littérature

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en tant qu'art, puisque toute écriture littéraire demande d'abord qu'on la lise, la lecture étant la condition et le mode spécifique d'existence de la littérature, un fait devient évident: la définition moderne de la lecture souffre des modifications importantes, non seulement par rapport à ses fonctions courantes unanimement admises, mais aussi par rapport au concept traditionnel de la lecture esthétique, équivalent en grandes lignes au 'plaisir' littéraire. Nous avons dépassé depuis longtemps la phase des esclaves à bonne mémoire, qui savaient par coeur les poètes et servaient de 'livres' dans l'antiquité (Sénèque, AdLuc., XXVII). De même, celle de la lecture comme forme d'initiation, de déchiffrement de langages secrets, mysticomagiques. La lecture moderne, profane par définition, se développe dans d'autres directions, représentant autant d'objectifs spécifiques. Il faut ajouter aussi que la notion moderne de lecture ne nie, au fond, aucune des fonctions élémentaires de la lecture, qu'elle absorbe seulement, les assimile et les associe à son propre point de vue. Celui-ci semble avoir le sens suivant, de nature à modifier et à réorienter radicalement la relation et le circuit traditionnels: é c r w a i n - l t v r e - l e c t e t j r : a. Le premier lecteur du livre devient l'auteur lui-même — thèse aujourd'hui parfois contestée —, mais non pas à la manière dont Walter Scott, vieux et un peu fatigué, lisait ses propres romans et ne les reconnaissait plus, mais à la manière de l'écrivain lucide, type Edgar Poe, qui élabore son propre projet littéraire, poursuivi et lu pas à pas jusqu'aux moindres détails. La lecture cesse d'être 'gratuite'. Elle a un but précis, une intention artistique délibérée. Son essence n'est plus le "plaisir", mais la confrontation analytique et en dernière instance "critique". D'ailleurs, phénomène important, toute lecture moderne aspire vers la "critique", tend à se transformer en "critique littéraire". b. Le lecteur moderne devient, à son tour "critique". Evidemment, de façon empirique, sans envergure, non systématisé dans des chroniques et des études. "Critique" quand même, puisqu'il poursuit, en partie, moins le "plaisir" que le sens et la "tendance" du livre, non pas tant le délassement que la découverte de la signification intérieure. Il est, en tout cas, préoccupé par la valeur du livre, par son "prix" littéraire. Toute lecture

qui arrive à des jugements de valeur, même confus, se confond en essence avec l'un des aspects fondamentaux de l'acte de critique. Le lecteur actuel renonce d'habitude à blâmer, par timidité ou par sagesse (en définitive, se dit-il, les mauvais livree vont échouer de toute façon), il évite de louer publiquement, par discrétion et par complexe d'infériorité vis-à-vis des "spécialistes". Valéry Larbaud, dans Ce vice impuni, la lecture, a décelé aussi cet aspect. Donc on peut admettre que le lecteur moderne tend, dans ses formes supérieures, à être un critique potentiel, qui renoncerait, dans un esprit amateur, dilettante, prudent ou conformiste, au professionnalisme. c. Le lecteur-type, exemplaire, idéal, devient ainsi le critique littéraire. Le fait est notoire que le vrai critique de l'époque moderne se considère comme un vrai "lecteur", idée avancée par SainteBeuve, approuvée par les impressionnistes, par Croce, et beaucoup d'autres: "Le critique n'est qu'un homme qui sait lire, et qui apprend à lire aux autres" (Pensées, XVIII, Portraits littéraires, III). Il part toujours de "l'impression qu'une dernière et plus fraîche lecture a laissé en nous, impression pure, franche, aussi prompte et naïve que possible." (La Fontaine, Portraits littéraires, I). "Naïveté" veut dire, bien sûr, ingénuité et authenticité. Un fait capital dans l'histoire de la critique littéraire, c'est que le point de départ n'est plus le principe idéal, le dogme esthétique, mais l'impression esthétique produite par la lecture, comme mode immédiat et spécifique d'absorber la littérature. D'où aussi la tendance de la critique esthétique et, en général de la "nouvelle critique", de revenir toujours, sous une forme ou l'autre, à ce moment premier de toute critique possible, la lecture. La tentative d'établir un diagramme de la lecture critique, une analyse de la structure de la lecture littéraire, offerte, parmi d'autres, par J. A. Richards (1963: 117 — 18), qui se pose la question très simple: qu'est-ce qui se passe quand on lit?, est représentative justement pour cette solution du problème. 4. La modification de la relation lecteur-texte amène la modification de la notion même de lecture critique. Elle respecte, reconnaît la structure littéraire et s'y adapte d'une manière toujours plus adéquate. L a l e c t u r e m o d e r n e devient une technique de parcourir la littérature et de nous y introduire. Elle présuppose un angle spécial de

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perception et d'analyse orientées par des méthodes précises. Les anciens manuels, traités, guides spirituels et de sagesse, basés sur des lectures sélectionnées et systématisées, type Imitatio Christi, sont remplacés à notre époque par les nombreux 'arts' et 'leçons' de lecture, d'usage littéraire ou didactique. Parmi ceux-ci nous rappelons: Arnold Bennett, Literary Taste, How to form, it . . . (1909), Emile Faguet, L'art de lire (1920), Ezra Pound, How to read (1928) et ABC of reading (1934). Une bonne synthèse éthico-littéraire, dans le sens de la lecture-existence, nous est offerte par le philosophe Louis Lavelle, dans La lecture (La Parole et l'Ecriture, Vie partie, 1942). Après avoir parcouru ces textes, on arrive à une série de conclusions précises, consolidées d'ailleurs par toute l'expérience et l'orientation théorique de la critique moderne, qui fait par prédilection des 'lectures', y compris B. Croce (Letture di poeti . . ., 1950) et beaucoup d'autres critiques de toutes les dimensions et orientations. Prise en soi, la notion s'est transformée en un vrai lieu commun, fondée pourtant sur quelques réalités essentielles: a. La lecture critique devient finalité en soi. D"étude', poursuivant la vérité 'objective', elle se transforme dans son propre but, entrepris en vue de la réalisation et de la satisfaction intrinsèques. Ce qui la domine, c'est le mécanisme de la cohérence et de la validité interne, la spontanéité, même l'innocence, de se fixer dans un plan ou dans un autre. D'où une très caractéristique liberté et désinvolture des points de vue, l'aspect 'essayiste', sinon directement antiméthodique, de la lecture critique moderne. L'ancienne dispute de la subjectivité dans la critique littéraire est absorbée et dépassée par la disponibilité continuelle de l'interprétation. b. L'oeuvre littéraire étant unité, structure, organisme fonctionnel, sa lecture adéquate ne peut être que globale, ne pouvant surprendre et parcourir la totalité du système littéraire que de cette façon. Cela impose l'abandon de la lecture fragmentaire, dispersée, désarticulée, en faveur de la lecture intégrale, continue, sans grandes pauses. On doit donc lire le livre en une seule fois, d'un bout à l'autre. Ainsi seulement il peut être embrassé (Alain, Propos de Littérature, XXVI, 1934). Et comme certains aspects peuvent nous échapper, le retour, la relecture devient souvent nécessaire.

La conclusion modifie aussi le rythme de la lecture: lent, en tout cas sans précipitation, sans cadences accélérées, journalistiques, proposées par les soidisant méthodes modernes de 'lecture rapide' (Comment lire mieux et plus vite, la méthode "Celer" etc.). c. Toute structure littéraire part d'un principe d'organisation, suggère un sens, cache une signification qui demande à être révélée. La beauté, comme dit Ezra Pound lui aussi, dans ABC of reading, c'est "de l'aptitude pour le sens" (ch. VIII), sens qu'il faut surprendre et définir. C'est pourquoi, la lecture critique doit expliquer et, pour mieux dire, déchiffrer. Pour employer un terme très moderne, elle décode, elle décrypte, elle 'apprend' à lire un livre, par une sorte de re'alphabétisation' du lecteur (Ricardou, 1967: 20). La lecture demande en permanence quel est le sens du livre, se concentre sur la signification la plus profonde, découvre le SIGNIFIÉ dans le SIGNIFIANT, conformément à la terminologie sémantique. De cette manière, la lecture prend la forme d'un acte interrogatif, signifiant et projectif, puisqu'elle surprend et, en même temps, projette un sens, un faisceau de lumière sur l'œuvre. C'est, à proprement parler, le moment crucial de la lecture, l'instant de la grande révélation, quand l'esprit se pose la question: "Qu'y a-t-il au-delà du texte?", "Où va le livre?". D'où aussi la supposition philosophique que la lecture entretiendrait dans le monde l'existence du sens et de la finalité. Mais, de cette façon, les facilités de la lecturedistraction disparaissent définitivement. En fait, l'œuvre littéraire oppose une résistance, se laisse difficilement 'exprimer'. Elle a des opacités inévitables. La lecture devient donc un effort de déchiffrement, d'exploration de tout un champ sémantique. Toute facilité est exclue. Paul Valéry (1962, I: 645), précurseur évident de la 'nouvelle critique', avouait: "Je ne sais à peu près rien d'un livre qui ne me résiste pas", thèse qui justifie aussi l'hermétisme poétique (Je disais quelquefois à Stéphane Mallarmé . . . 1931). d. Le déchiffrement de la lecture moderne se produit toujours à l'intérieur d'un système, d'un 'code'. D'une façon plus simple, le critique fixe sa propre méthode de lecture, n'ayant d'autre obligation envers soi et envers le livre que celle de la conséquence et de la continuité de l'angle de per-

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ception. L e "code critique" est la variante moderne de la notion traditionnelle d"herméneutique', d"interprétation', d"art de lire', préoccupé de fixer les conditions minimales requises par n'importe quel code de lecture. Dans tout livre nous choisissons N O T R E livre, que nous intégrons et parcourons conformément à N O T R E système de lecture. Il en résulte que la lecture ne peut pas être platement et conventionnelle ment 'objective'. Car telle est la signification de la lecture critique moderne: "des parcours personnels visant au dégagement de certaines structures et au dévoilement progressif d'un sens" (Richard, 1964: 7). Tout cela, par rapport spontané ou intentionnel, et en tout cas convergeant, à une vision synthétique, totalisante (Marino, 1968: 367 — 72). L a lecture globale se confond ainsi avec la lecture féconde, significative et — disons-le encore une fois — réitérée. Cela parce que, après plusieurs lectures fortuites, inutiles, une seule offre la chance d'une vraie pénétration. e. Les sens étant multiples, la lecture moderne (en réalité éternelle !) implique des déchiffrements différents dans des 'codes' variés. Les textes sont par définition polyvalents, polysymboliques. N'IMP O R T E Q U I peut trouver dans ses lectures à peu près N ' I M P O R T E Q U O I . Dans une lettre, Frédéric I I fait justement une telle observation en justifiant toutes les interprétations morales possibles (le 31 oct. 1767; Sainte Beuve, X I I : 3 7 8 - 7 9 ) . D'ailleurs, seulement de cette façon peuvent apparaître les fonctions et les lectures différenciées, originales, successives, superposées, aléatoires, des mêmes oeuvres, phénomène qui définit toute la fécondité de la lecture, empirique ou critique. Acte éminemment libre, la lecture nous dirige dans toutes les directions imaginables, même arbitraires et fantaisistes, etc., filtrées par l'esprit critique, mais toujours possibles. L'ambiguïté de la lecture et la pluralité des lectures, sont une même et seule chose. C'est une observation ancienne, presque banale, exprimée souvent aussi par la formule qu'on "ne lit pas deux fois le même livre" avec le même regard, que la lecture redécouvre sans cesse le livre, vu et lu dans des perspectives toujours différentes, etc. Faire des lectures à l'intérieur de la lecture, c'est encore un des mots d'ordre de la 'nouvelle critique'. Cela repose, une fois de plus, sur une bonne tradition, puisque des esprits comme

Paul Valéry, Ezra Pound, L . Lavelle, etc. ont dit auparavant — les citations sont inutiles — exactement la même chose. L a théorie, non moins moderne de la lecture-essai n'exprime pas une autre idée. f. Plus le code s'annonce strictement personnel et variable, plus la lecture devient technique, sélective et restrictive. Pourquoi les écrivains, les poètes lisent-ils en général si peu de poésie et de littérature et, en tout cas, selon des critères très préférentiels? Parce qu'ils ne peuvent intégrer les lectures qu'à leur propre formule intérieure. E t plus la sensibilité est mobile, plus le kaléidoscope des lectures est imprévisible. Cette position, dans son essence, n'est pas 'moderne' non plus, puisque Montaigne la connaît déjà (Des livres, 1. 11, ch.X). Mais à peine ces derniers temps lui a-t-on fourni une justification, non seulement psychologique, mais sémantique aussi. L a possibilité et la nécessité de choisir les sens du livre (corrélatifs aux différents moments et degrés de réceptivité littéraire), sont devenues claires pour tout le monde. En ce qui concerne l'esprit de sélection — basé sur de nombreux critères — traduit par des canons, par des listes officielles, des 'bibliothèques idéales', etc., son action se fait sentir depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, sans interruption. g. L e cadre de la lecture personnelle est offert par la conscience actuelle du lecteur-critique, à un moment donné de son 'actualité'. E n général, la lecture critique est moderne, synchronique, non pas diachronique. Donc adaptée, dérivée ou correspondante à la sensibilité et aux orientations esthétiques contemporaines, situation qui n'exclut pas, naturellement, une grande variété de nuances propres. Seulement, le système critique n'est pas 'autonome'. Bien qu'il ait une identité personnelle, il reflète la sensibilité, les repères et la conscience esthétique de l'époque. Tous les critiques actuels pratiquent seulement de pareilles lectures modernes. On ne peut pas imaginer les Etudes sur le temps humain de Georges Poulet, par exemple, sans l'assimilation des théories modernes sur le temps, les études de Roland Barthes sans l'adoption des théories structuralistes, etc. Toute lecture critique moderne est implicitement ou explicitement référentielle, contextuelle, branchée au mouvement d'idées de l'époque et donc, substantiellement parlant, historique.

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LECTÜKE

h. Ce qui est effectivement moderne, malgré la relativité de cette idée effleurée par Emerson (The American Scholar, 1837), c'est surtout l'assimilation de cette lecture polyvalente, optative, à l'acte de la recréation littéraire, aux termes d'une collaboration et même d'une certaine complicité créatrice. La lecture constitue, plus que toute autre chose, le mode spécifique, nécessaire, universel, de réaliser la littérature, de la rendre réelle, concrète, possible, toujours actuelle. Ce qui équivaut à la théorie de la lecture en tant qu'activité, acte créateur, libre, inépuisable, réalisé par la confrontation conjuguée (mais très 'risquée', 'aventureuse' même) OBJET-SUJET, AUTEURLECTEUR. Par conséquent, le livre n'existerait qu'en tant que reflet dans la conscience du lecteur. Donc, par la lecture, véritable recréation dirigée par le texte, mais qui dépasse involontairement le texte dirions-nous, par une sorte d"'imitation" du troisième degré, dans le genre du 'mimésis' platonicien (l'idée prototype-objet-image). La démonstration en a été faite dans des termes éloquents par Jean-Paul Sartre (Qu'est-ce que la littérature, II, 1948), et adoptée, directement ou non par presque toute la "nouvelle critique". Presqu'une paraphrase: Nisin, 1960. Cette lecture anti-mécanique, anti-passive, constitue la contribution essentielle du lecteur qui, selon la formule de Maurice Blanchot "dans la mesure où il lit, il écrit" (La littérature et le droit de la mort). Il remplit l'espace, le vide immense qui précède la lecture, dit oui à l'éventualité du livre (Lire, Blanchot, 1958: 253—63), principe repris aussi sous la forme de la lecture — 'écriture'. Étant une méthode non pas d'assimilation, de clarification ou d'explication, mais voulant assumer la littérature, la lecture de ce type transforme le lecteur en un quasi-auteur hypothétique, potentiel, virtuel, et pourtant non pas moins nécessaire. Car c'est seulement par une telle lecture que la littérature arrive à son terme, à une

existence concrète. Et donc, en second lieu à une conscience de soi, à une signification et à une valeur. En fait, la lecture, quel que soit son genre, ne peut être qu'active, dans la mesure où elle produit des associations et des dissociations permanentes, des commentaires, des prises de position, des négations, des participations, qui intègrent le livre, totalement ou en partie, à des synthèses mentales, à des schémas, à des centres de préoccupation et points de vue nouveaux. De cette façon, la lecture devient plus qu'une confrontation, collaboration ou recréation: elle devient une véritable aventure spirituelle, pleine de risques et d'expériences inédites, toujours fécondes. A D R I A N MARINO BIBLIOGRAPHIE Blanchot, Maurice 1958 L'espace littéraire (Paris, Gallimard). Huyghe, René 1965 Les puissances de l'image (Paris, Flammarion). Marino, Adrian 1968 "Sistemili lecturii", Introducere in critica literara (Bucarest, 1968), 367—72. Nisin, Arthur 1960 La littérature et le lecteur (Paris, Éditions Universitaires). O'Neil, R e v . J. L., O. P. 1901 Why, When, How and What Ought to Read (Boston). Pandrea, Petru 1967 Brîncusi (Bucarest, Meridiane). Proust, Marcel 1921 Pastiches et mélanges (Paris, N. R. F.). 16e éd. Ricardou, Jean 1967 Problèmes du nouveau roman (Paris, Seuil). Richard, Jean-Pierre 1964 Onze études sur la poésie moderne (Paris, Seuil). Richards, J. A. 1963 Principles of Literary Criticism (London, Routledge and Kegan Paul). Rollin, Charles 1732 "De la lecture et de l'explication des auteurs", De la manière d'enseigner et d'étudier les belles lettres par rapport à l'esprit et au coeur, nouv. éd., I (Paris). Roudaut, Jean 1967 "A propos de la lecture", Nouvelle Revue Française 176. Sainte-Beuve Causeries du lundi X I I (Paris, Garnier). Valéry, Paul 1962 Oeuvres I (Paris, Bibliothèque de la Pléiade).

LÉGENDE ÉTYMOLOGŒ

É T U D E SÉMANTIQUE

Adaptation savante d'un adjectif verbal passif du latin legere (voir LECTURE), legenda 'choses à lire', neutre pluriel, qui s'est spécialisé dans ce sens seulement en latin médiéval.

1. Du latin médiéval legenda 'ce qui doit être lu'. Texte religieux contenant la vie d'un saint. Recueil de textes religieux concernant la vie des saints. (Légende Dorée du 13ème

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siècle).

LÉGENDE

2. Récit traditionnel et mythique. Tous les pays qui n'ont plus de légende seront condamnés à mourir de froid. (Patrice de la Tour du Pin, La Quête de la Joie, Prélude). 3. Relation fabuleuse sur des personnages ou des événements ayant une vérité historique. La légende de Charlemagne. 4. Inscription d'une pièce, d'une médaille ou d'un emblème héraldique. 5. Texte accompagnant une image, un dessin humoristique, une caricature.

récit traditionnel et mythique, transmis oralement dans le peuple); également au sens 2: BçnS minwa, 'légende populaire'. Équivalent partiel au sens 3: shiden 'récit historique'. Équivalent partiel au sens 4: mei (aphorisme ou historique, d'un style concis, en général rimé et écrit en caractères chinois). Équivalents partiels du sens 5: 4 M godai et Sait gasan (titre d'un tableau, présenté parfois sous forme de poème, mais ne s'appliquant pas précisément aux caricatures). R u s s e : Au sens 1 jkhtë zitie. Aux 2, 3, 4 et 5

jiereHAa legenda. ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

Allemand : Legende pour les sens 1, 2, 4 et Sage pour le sens 3. Anôlais: Legend pour les sens 1, 2, 3 et 4. Pour le sens 5: Legend et caption (caption étant emprunté à l'américain). A r a b e : Sens 1: J^rt s*ra j^P-Î ahbâr; aux sens 2 et 3 i'j^W-J] ustûra. Au sens 4 Si'âr. Au sens 5 ¡sj-'-' magzâ. Chinois: Difficulté de trouver, en chinois, des équivalents aux sens 1, 2 et 3, donnés au mot légende en français. Pour les sens 2 et 3: {ÇI8; chuan-shuo donne l'idée d'un récit traditionnel qui s'est transmis dans le peuple et qui s'est généralement enrichi d'aspects non historiques s'il possédait au départ une base historique. f$-aj' chuan-qi apparait mieux adapté au sens 2 de légende en français: il traduit l'idée de récit merveilleux, extraordinaire et désigne un genre littéraire en faveur du Vllème au Xème siècle. Pour le sens 3: ift ming, désigne tout texte gravé sur un objet quelconque. Équivalents partiels pour le sens 5: zhu-jie (idée d'explication écrite, d'annotation) et JLfi1J fan-li: principes d'explication; (les termes cités ne recouvrent pas l'idée de 'légende' d'un dessin humoristique). Espagnol: Leyenda mêmes sens, mêmes emplois. Équivalents aux sens 5: pie, epigrafe, letra. F r a n ç a i s : Sens 1: hagiographie. Sens 2: folklore (au sens large de l'ensemble des traditions d'un pays). Mot emprunté à l'anglais et employé en français depuis 1846. Sens 3: mythe. Sens 4: exergue. I t a l i e n : Leggenda pour les sens 1, 2 et 3. Au sens 4: Motto. Au sens 5: Didascalia. J a p o n a i s : f i l é densetsu;

hagoromo-

densetsu, équivalents au sens 2 (désignent tout

COMMENTAIRE HISTORIQUE

1. From the Latin word legere 'to read'; thus, a piece of reading, what should be read. Originally the word referred to a book containing accounts of the lives of the saints, arranged in calendrical order. 2. Religious legend (légende réligieusejhagiographique). The meaning of Legende as a collective term was later narrowed down to refer to the chapters of the book, each of which contained the life story (vita) of a single saint. In the course of the early Middle Ages it became customary to read the lives of the principal saints of their feast day at divine office and in the refectory. The origin of the Christian legend as a genre of literature can be traced back to the times of the apostles. They are anonymous, and connected with great names in Church literature. The oldest pieces are concerned with the birth and childhood of Jesus Christ. Because of their apocryphal character, most of them were not included in the official canon of the Church. Early legends kept generally to historical facts, but later on, around the 6th to the 8th century, mythical and folktale-motifs began to infiltrate into the miracles of the saints, mostly by the impact of oriental and antique tradition. The liber legendarius, containing lives of the saints devoted to their commemoration at the day of their death, was known probably as early as the 4th century, and its popularity grew gradually throughout the Middle Ages. Up to the 13th century, legend collections were distinguished from the liber passionarius ; the acts of the martyrs. Later on, the difference becomes more or less obscure, while the legend assumes a definite literary form inspired by the Church, its aim being the

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strengthening of religious conviction by the re- the Greak herds). The hero, mostly because of his lating of edifying examples. However, the Vitae, miraculous origin or supernatural association, is because of the scarcity of authentic historical endowed with superhuman power and knowledge. materials, were composed mainly of irrational His adventures on the earth and beyond it consist miracle elements. Consequently, the lives and the of struggles against evil mortals and demons. legends of the saints became more and more mixed Constituents of the epic are historical facts and up and transformed into fictitious stories. There- myth and folktale motifs; their balance differs fore, the Council of Trent (1546 — 63), while re- according to the age and cultural environment. cognizing the advantages of the cult of the saints, The content of the heroic legend is hard to distook a stand against superstitious worship deve- tinguish from parallel myths and tales. Historical loped around the saint's reliques and supported events and personalities are pictured with anaby the legends. Some of the best known legend chronistic subjectivity. Heroic legends of some collections are the Windberg legendry (about 1065), kind are known all over the world. The modern the Speculum historíale of Vincent de Bauvais discovery of historical legends originates in the (1264) and probably the most popular: the Legenda 18th century's nostalgic search for the heroic past, Aurea (1250) of the Domincian bishop Jacopus a for the Golden Age of national glory. Following Vorágine, which has been translated, rewritten, Macpherson's example (Ossian, 1765) pursuit after and republished in almost every European country, national Homers became a general fashion in and spread through oral transmission among the Europe; the mythology of the ancient pagan people. Religious legends penetrated folk tradition religion, heroic poetry, medieval literature and quite early by means of sermons from the pulpit. folklore preserved by the common folk were seen Because of the rapid folklorization of legends, the as representing the virtues of the past. In the Church no longer approved of their use after the course of the 19th century, nations engaged in the Reformation. The most complete collection of search for their own folk epic as proof of their saints' legends is the Acta Sanctorum, started by right to independence. Following their study of Johannes Bolland in 1643 in calendrical order, the Homeric epic, investigators proceded to the which remains uncompleted to this day. Romantic study of the German and Romance heroic poetry writers of the 18th and 19th century renovated restored from early written sources. Meanwhile, this by then outmoded genre. The keen interest of field notes of travelers and research scholars made Herder, Goethe, and the Grimm Brothers led to a the South Slavonic, Russian, Central Asian new renaissance of medieval saints' legends. Many Turkish, Finnish and many other epics living on modern authors have devoted themselves since to the lips of peasants also available. The heroic age reshaping vitae into modern novels or into stylized was thought to be the epoch in which heroic mystery plays. poetry flourished. However, this period would be 3. Parallel miracle stories of the great non- hard to identify with one certain era. Heroic legend was first thought to be of aristocratic origin. Christian religions (Buddhist, Moslem, etc.). 4. From the end of the Middle Ages the word Professional poets performed their art at royal legend assumes the meaning of an 'inauthentic palaces, princely courts, to entertain the highborn. information'. From the 16th century it might be The poems, preserved in manuscripts, were conan 'improbable relation' ; in the Age of the Refor- sidered as individual art creations based on history mation it becomes 'a lie; a fiction' (Martin Luther: and folklore. Parallel themes in folktales — such Legende — lügende). I n modern common speech it as those in the Dragonslayer, Young Siegfried, and might carry the meaning of 'an untrue story, Beowulf; the Goldener-tale and Hildelied; the tales of the Persecuted Queen and Berte aus grans based on belief'. pies — were pointed out as proving t h e relation5. Heroic legend (legende héroïque, légende ship of the two genres. However, t h e discovery épique). A poem composed of traditional motifs performed orally in song, accompanied by a that heroic legends were still being related in the musical instrument or in prose. I t is centered late 19th and 20th centuries in isolated, backward around a known or assumedly historical hero (from rural communities, forced a change in opinion as b 24

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to the scope and the socio-historical background of the genre. The style and compositional techniques of their author-performer were traced back to the Homeric and medieval jongleur tradition, and those "Homers of the 20th century" like the Central Asian Turkish Suleiman Stalski, Dzambul Dzabaiev, the three generations of the Russian Riabinine family, and a number of BalkanSlavonic guslars opened a new perspective to heroic legend scholarship. According to Honti, heroic poetry is not the creation of one class, of either the aristocracy or peasantry; it is the common contribution of whole cultures, as national tradition. Russian scholars, on the other hand, claim epic poetry is an early form of folklore creation; a synthesis of history and folklore in which the most essential moments of early history; struggles against natural forces, struggles for freedom and independence; are artistically expressed. The types of heroic legends differ according to their social background. Greek epic poetry, for example, is a product of early Aegeian, Mycaneaean culture, based on the highly structured polytheistic Greek religion. The heroes are demigods, their bodies, graves, and relics are objects of worship, and their legends are closer to mythology than to history. The epics of the ancient Celts and Anglo-Saxons (Cuchulainn, Beowulf), and the Icelandic family-saga originated in a military democracy of clan organization which emphasized the personal interest of the hero. The rational and factual appearance of German epics as those of Ermanarich, Dietrich, Siegfried, can be ascribed to the age of Migrations, when, with their conversion to Christianity, the German tribes weeded out the pagan elements in the legends. Different circumstances shaped the legendry of Central Asian nomadic tribes, the Kirghiz Manas, the Usbek Gorogoly, the Kalmyk Alpamys, the Assyrian-Babylonian Gilgamesh, and the Indie Mahabharata. Even those legends having their origin in the age of feudalism are far from being identical. Carolingian and Merovingian legendry is not only a chivalrous court literature but also a deeply religious one, supported by the Church and related to the cult of the canonized heroes (such as Charlemagne). The Celtic Mabinogion maintained behind the ideals of chivalry and romance its pagan Celtic spirit. The Russian bylini-cjcles

dealing with events in the courts of Princes of Kiev, Novgorod and Moscow are, because of their patriarchal tendency, much closer to the South Slavonic junacke pesne, which is characterized by the struggle against the Turkish rule, centering around the hero Marko Kralevié. The extent of the heroic legend is hard to define because of its close connection with the related genres, of myth and folktale, sharing a common stock of motifs with them. Related kinds of verse poetry share also similar traits both in content and in style. Based on Vesselovski's 19th century historicalpoetical thesis, Russian scholars have worked out a genetical-typological comparative method in order to find a common denominator for the types of the heroic legend. Encompassing the realm of the genre, they include besides the classical pieces and the 19th —20th century Slavonic types also the whole body of historical songs, outlaw songs, and epic ballads that might have originated in the older heroic poetry. 6. Folk Legend (Légende populaire, German: Sage, English: Legend) is a folk narrative genre and as such belongs to the study of Folklore. I t is a short prose narration created by the people and transmitted orally from generation to generation. I t s most striking feature is that teller and audience treat its subject as reality. The legend is composed of the same traditional narrative motifs as the other folklore forms, but distinguishes itself from other folklore genres by its attitude toward reality. Its principal aim is to explain, to teach, to help, to advise, to enlighten. I t answers an unuttered question: W h a t is it? Why is it so? What can be done about it? Consequently, the form of the legend is not so well shaped and stable as t h a t of a folktale. I t s concern is rather with the legitimizing of its topic, than with its framework. Consequently, the style and composition of a folk legend depend on its plot. I t s most characteristic motifs are exact and detailed evidences concerning place, time, and persons involved, in order to give credit to the story (Sydow: Zeugensagen). When the folk legend relates an experience of the teller, it is told in the first person (an "Erlebnissage") however, in most cases the teller refers to other reliable people: relatives, neighbors, etc. as having had the experience. The folk legend theme is always an unusual, frequently supernatural and

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LÉGENDE

often tragic experience, occurring in the usual environment of average men. The incident penetrates unexpectedly into everyday life and stops abruptly. Sydow distinguishes between a simpler form, the Memorat (telling of a personal experience without artistic pretense or traditional motifs) and the more polished Fabulat, a story of one episode, which though also based on personal observation, is polished and transformed by the traditional creative procedure of the folk. Traditionally transmitted and varied, the folk legend can become more complex; the combination of related legends into a long chain of episodes is as common as the interlinking of anecdotes. Another distinction of legends is on the basis of their spread: local legend is attached to local (historical, geographical) environment; while the migratory legend is more shaped and scattered over wide ethnic or cultural areas. To determine the characteristic features of the folk legend, scholars have attempted to contrast the legend to the other principal genre of folk narrative, the folktale. In his introduction to the first legend-collection by the Grimm Brothers' Deutsche Sagen (1816), Jakob Grimm writes "Das Märchen ist poetischer, die Sage historischer". According to Benfey "Das Märchen wollte unterhalten, die Sage belehren". F. Panzer stresses the different attitude of the two genres toward reality, as does Röhrich. Many scholars state that the essence of the folk legend is in its expression, statement, teaching, edification. R. Köhler calls a legend "das Archiv der Urgeschichte eines Volkes", while according to Wehrmann it is a dramatized superstition. Fr. Ranke says, "die Sagen gehören in den naiven, unkritischen Wissenschaft des Volkes." the author's opinion is supported by the fact that the people call legends "true stories". Many believe that the folk legend is no art genre like the tale since it is built up on a nucleus of truth that is known to the people and is more or less a topic for general conversation; in most cases it does not develop into an artistic story. This opinion is based on observation in legend-telling communities where legend-plots come forward mostly as collective discussion-topics, based on individual experiences. (Honti, Fr. Ranke, Röhrich). Peuckert however stresses that the aim of the legend is essentially a relation, talk, information without aesthetic

aspiration, although: the content of the experience appears in the form of a compositional whole. K. W. Schmidt on the other hand believes in the artistic, oral literary character of the legend. The diverse and different opinions have been synthesized by Liithi. According to him, tale and folk legend are not distinguished by their being believed or not believed, but by their different attitude toward the supernatural. The legend is a glimpse into an entirely different, peculiar and strange world that is sharply divided from our world, while the tale does not distinguish between the real and the superhuman world. The nucleus of a legend is an extraordinary experience, and the reference to evidences serves to legitimize it. In short, a legend is a primitive concept, originally serving the purpose of explanation, with a tendency toward both primitive science and poetry; thus its shape is artistic, although the structure is more primitive than that of an intricate folktale. Because of the unstable outward form and ramifying contents of the folk legend, its insertion into categories is problematic. Its form and extent depends greatly on the giftedness of the actual raconteur. It might be a long and well shaped, artistic creation and it might be a simple information, an advice or a statement about a belief, practical action. Indexing of national legend stock by its themes, motifs or dramatis personae has proved unsuccessful since they are too flexible and variable in their continuous oral formation. Classification of the more stable migratory legends (or Fabulats) seems to be more successful. There is no international legend index comparable to the tale-type index as yet, although the number of legend collections are enormous. Folk legend tradition has not succumbed even in our days; it survives and continues to recreate itself in new shapes and forms even in the highly civilized, industrialized modern Western urban societies. To classify legends by their themes is not without problems. The unanimously accepted categories have been the historical (concerning a historical person and/or event), local (or belief-stories concerning local experience about encountering supernatural beings or the adventures of people with supernatural knowledge) and etiological (explanation of geographical, or natural phenomena). It might happen that all three features are present in the

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LÉGENDE Christiansen, R. Th. 1958 Migratory Legends (Helsinki). Ellis Davidson, H. R. 1965 "Hero", Encyclopaedia Britannica 11, 438—440. Hand, W. D. 1965 "Status of European and American Legend Study", Current Anthropology 6, 439—46. Honti, J. 1941 Notices sur la légende populaire (Budapest). Jolies, A. 1930 Einfache Formen (Halle/Saale). Lord, A. B. 1960 The Singer of Tales (New York). Lüthi, M. 1961 Voilesmärchen und Volkssage (Bern—München). Paris, G. 1891 Poèmes et légendes du Moyen Age (Paris). Peuckert, W. E. 1965 Sagen : Geburt und Antwort der magischen Welt (Berlin). Ranke, F. 1935 Volkssagenforschung (Breslau). Rosenfeld, H. 1961 Legende (Stuttgart). Röhrich, L. 1965 Märchen und Wirklichkeit (Wiesbaden). Schirmunski, V. 1961 Vergleichende Epenforschung I (Berlin). Sydow, C. W. von 1948 "Kategorien der Prosa-Volksdichtung", Selected Papers on Folklore 60—85 (Copenhagen). Vries, J. de 1961 Heldenlied und Heldensage (München).

same story: that is attached to a certain locality, mention a historical event, and explains the nature of something as a conclusion. In such cases the dominant of the three is taken into account. Since 1962 the International Society for Folk Narrative Research has undertaken the task of classification. An international committee is in charge of building up national catalogues as preliminary work for an international index and has proposed the following categories: (1) Etiological and eschatological. (2) Historical legends and legends concerning the history of civilization. (3) Mythic legends, supernatural beings and forces. (4) religious legends, myths of Gods and heroes. LINDA DBGH BIBLIOGRAPHY Bédier, J. 1908—1913 Les légendes épiques, 4 vol. (Paria). Bowra, C. M. 1952 Heroic Poetry. (London).

L E T T R E ÉTYMOLOGIE

Remonte au latin littera, litterae, comme le montrent les dérivés savants littéraire, littérature ; dans lettre(s), la graphie par -tt- est un souvenir latinisant. La filiation des sens ne pose pas de problème particulier (au singulier 'caractère d'écriture'; au pluriel collectif 'missive', comme en latin: on rap> pellera les lettres patentes et même encore de nos jours les lettres de créance, le singulier étant dans ce sens, récent. Autre direction sémantique: 'domaine littéraire', comme dans belles lettres. C'est l'origine même du mot en latin qui fait difficulté. Faute de certitude, on évoquera seulement l'hypothèse la plus séduisante: d'après l'expression antique litteris mandare 'consigner par écrit', on a été amené à penser que les litterae étaient, collectivement, le support matériel du message, et à y voir une adaptation du grec diphtera 'cuir traité, plaquette de cuir' (employée en particulier pour écrire). En grec, et déjà à une date ancienne, le mot avait perdu son sens étymologique: Hérodote signale que les Ioniens en faisaient déjà un équiL

(S)

valent de biblos, 'papyrus' (cf. LIVRE). Par le vieux persan, qui l'avait emprunté au domaine méditerranéen, des langues orientales connaissaient le mot avec un sens analogue: turc defter 'cahier'. A. Sens littéral ETUDE SÉMANTIQUE

1. Signe représentant, dans la langue écrite, un son ou un groupe de sons. 2. Sens strict des mots d'un texte. Nous tenons pour lettre morte le fatras philosophique contenu dans cet ouvrage. Certains ont cru devoir suivre à la lettre les principes éducatifs de J. J. Rousseau. ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

sens 1 et 2: Buehstabe. sens 1 et 2: Letter. harf, mêmes sens, mêmes emplois

ALLEMAND: AUX ANGLAIS: AUX ARABE:

pour 1 et 2. CHINOIS: A U sens 1: ^ zi et S l ^ wen-zi (caractère, ensemble des caractères composant l'écriture). 27

LETTRE(S)

Au sens 2 zi-mian (les signes employes pour un texte et leur signification); wen-yi (le sens d'un texte) ou ^ î i zi-yi (même sens). ESPAGNOL: Letra: mêmes emplois pour 1 et 2. FRANÇAIS: sens 1: caractère. I T A L I E N : Lettera: mêmes sens, mêmes emplois pour 1 et 2. JAPONAIS: A U sens 1: moji ou ^ ji. Au sens 2: ^ î i jigi (sens des mots); buni (sens des phrases); jfcîj-MV) I? mojidôrini ou ^ f U M V? I? jigidôrini correspondent à l'expression 'à la lettre'; ; kûbun correspond à l'expression 'lettre morte'. R U S S E : SyKBa bukva aux sens 1 et 2. B . Sens littéraire

JAPONAIS: Au sens 1: Î C ^ W i i ï t n bungakutekizôkei, littéralement 'profondes connaissances en lettres' ou ^Hfe gakushiki 'érudition'. Au sens 2: bungaku 'littérature' ou, par opposition aux genres de la littérature populaire: junbungaku. Au sens 3: bunka ou À Î f t ^ jinbunkagaku 'sciences humaines'. R U S S E : A U sens 1 : 06pa30Banne obrazovanie (sens large d'instruction, de culture). Au sens 2: SejiJieTpHCTHKa belletristilca. Au sens 3 le terme (J)HJioco(J)HH filosofija, pris au sens large.

C. Sens épistolaire ÉTUDE SÉMANTIQUE

ÉTUDE SÉMANTIQUE

1. Ensemble des connaissances acquises par l'étude des textes littéraires. Sa conversation montrait bien qu'il avait des lettres. 2. Équivalent de littérature (q. v.): Belleslettres, Lettres Humaines. 3. Dénomination des disciplines universitaires réputées non scientifiques. ÉQUIVALENTS LINGUISTIQUES

sens 1: Literarische Bïldung. Au sens 2: Schône Wissenschaften ; Belletristerei avec une nuance plus péjorative que Belletristik. Au sens 3: Humaniora; Geisteswissenschaften; Oesellschaftswissenschaften. ANGLAIS: A U sens 1: Literary culture 'avoir des lettres': to be a lettered (literate) person. Au sens 2: Letters (pluriel); Belles-Lettres est plus rarement attesté, c'est un emprunt direct du français. Au sens 3: Arts (Faculty of Arts). A R A B E : ^ I J T âdâb pour les sens 1, 2 et 3. CHINOIS: A U sens 1 : ^fJ] xue-wen (voir Lecture sens 5) et wen dans l'expression ~$CA. wen-ren ou 3Cdb wen-shi, désignant 'l'homme qui a des lettres'. Aux sens 2 et 3: wen-xue. ESPAGNOL: le pluriel letras pour les sens 1, 2 et 3. FRANÇAIS: Sens 1: culture, érudition. Sens 2: Belles-Lettres (désuet), ou simplement Lettres. Sens 3. Humanités (pour la connaissance des langues et littératures grecques et latines). Lettres humaines. I T A L I E N : Le pluriel lettere pour les sens 1, 2 et 3. ALLEMAND: AU

L

1. Document écrit au moyen duquel on communique avec une personne déterminée. Nous avons justifié notre absence par une lettre. 2. "Lettres" désigne un recueil groupant tout ou partie d'une correspondance célèbre. Les lettres de Madame de Sévigné. 3. "Lettres" désigne un ouvrage littéraire présenté sous la forme d'une correspondance imaginaire. Les lettres Persanes de Montesquieu. EQUIVALENTS LINGUISTIQUES ALLEMAND: Sens 1: Brief. Sens 2 : Briefe (Die Briefe Goethes an Frau von Stein). Sens 3: Briefwechsel. ANGLAIS: Sens 1: Letter. Sens 2 et 3: pluriel Letters. A R A B E : sens 1: