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French Pages 208 [201] Year 1994
DION DE PROSE DISCOURS
BITHYNIENS
(Discours 38-51)
Unité de Recherches Associée au CNRS 0338 Identité, Différences, Intégration dans les Sociétés de !'Antiquité
ISDN 2.251.60.520.7
Centre de Recherches d'Histoire Ancienne Volume 129
DION DE PRUSE DISCOURS
JBITHYNIENS
(Discours 38-51)
Traduction avec introduction, notices et commentaire par Marcel CUVIGNY
Annales Littéraires de l'Université de Besançon, 520 Diffusé par les Belles Lettres, 95 boulevard Raspail - 75006 PARIS 1994
A vant~propos
Cette traduction des Discours Bithy11iensa été faite à partir du texte grec présenté par H. Larnar Crosby dans son édition de la Loeb Classical Library (Dio Chrysostom IV, Disco11rses XXXVIJLX).Lorsque nous nous écartons de son texte, nous indiquons dans le commentaire les leçons que nous avons cru devoir préférer à celles qu'il a retenues. Notre traduction doit beaucoup à la sienne ainsi qu'aux traductions partielles et aux analyses minutieuses et pénétrantes que contiennent les trois ouvrages suivants : H. von Arnim, Lebenund Werkedes Dio von Prusa, Berlin, 1898.
C.P. Jones, The Roman World of Dio Chrysostom, Harvard University Press, 1978. P. Desideri, Dionedi Prusa, Messina-Firenze, 1978.
À Pierre Lévêque qui a bien voulu nous accueillir dans cette collection et à notre ami Jean-Claude Carrière qui s'est tant dévoué pour la réalisation de ce volume, nous exprimons ici notre profonde gratitude.
Rectificatif
Une permutation est malencontreusement survenue entre les pages 43 et 45. Il convient de rétablir comme suit: - la notice de présentation du Discours39 (qui aurait dt1 se situer en page 43) figure à la page 45 ; - la première page du texte du Discours 39 (qui aurait dt1 se situer en page 45) figure en page 43, la suite du texte étant constituée par les pages 46 à 48.
Introduction générale
Les Discours38-51 de Dion de Pruse forment dans la collection de ses oeuvres un ensemble d'un intérêt documentaire exceptionnel. Sauf, peut-être, le Discours42, réduit à son seul prologue et dont on ne peut rien dire, ils ont été prononcés devant les corps politiques - conseil ou assemblée - de Nicomédie (D. 38), de Nicée (D. 39), d'Apamée (D. 41) et de Prose (D. 40 et43-51) et ils nous apportent l'écho des conflits parfois aigus qui déchiraient les cités et la province de Bithynie. Dictés par l'actualité politique locale, ils contiennent des informations de premier ordre sur l'atmosphère, les problèmes, les ressorts et les pratiques de la vie municipale et provinciale à la fin du Ier et au début du Ile siècle de l'Empire. Enfin, et là n'est pas leur moindre intérêt, nous y trouvons une image plaisante des tribulations d'un philosophe honnête homme aventuré dans les eaux de la politique. Les Discours 38, 40 et 41 ont été suscités par des querelles entre cités. Dans le premier, Dion s'efforce de mettre fin à un conflit entre Nicomédie et Nicée qui se disputent le titre de "première cité" de la province. D. 40 et D. 41 ont été tenus l'un à Pruse, l'autre à Apamée, à l'occasion de la réconciliation des deux cités qu'opposait depuis longtemps un différend dont la nature nous échappe. Dans D. 39, Dion félicite.les Nicéens de vivre de nouveau en bonne entente. Les autres discours se rapportent aux affaires intérieures de Pruse. D. 46 est antérieur à l'exil de Dion. Celui-ci, alors jeune père de famille, ne doit pas avoir beaucoup plus de trente ans. Il a failli être lynché lors d'une émeute causée par la disette et se défend, devant une assemblée houleuse, d'être un spéculateur et un affameur. Les autres discours datent du règne de Trajan. Auréolé du prestige que lui valent son exi1 et la faveur impériale, Dion joue un rôle de premier plan à Pruse et se dépense sans compter pour transformer matérieJlement et moralement sa patrie dont il veut faire une cité moderne et vraiment grecque. D. 44 fait entrevoir l'accueil triomphal que Pruse réserva à son grand citoyen quand il y reparut après son exil; D. 49 et 51 nous font pénétrer dans la routine de la vie municipale : dans l'un, Dion décline l'archontat auquel le conseil veut le porter, dans l'autre, il commente une é]ection à laque1le on vient de procéder. Les harangues les plus intéressantes sont Jiées à
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Introduction
des crises provoquées par la résistance à sa politique de constructions (D. 40, 45, 47, 48), par des conflits entre l'assemblée et le conseil, le peuple et les notables (D. 48 et 50)) et par une répresssion conduite par le proconsul avec l'accord et peut-êtTe sur les instances de Dion (D. 43).
L'intérêt historique de ces oeuvres, qui ne représentent qu'une petite partie des interventions que Dion fit à l'assemblée ou au conseil, en qualité de magistrat, de commissaire ou de simple citoyen, fait d'autant plus regretter que certaines nous soient parvenues incomplètes. Si D. 40 n'a perdu que la fin de sa conclusion, D. 43 s'interrompt à un moment capital, alors que Dion, accusé de s'être associé au proconsul pour terroriser la ville, va présenter sa justification ; D. 44 s'arrête alors que Dion s'apprête à lire la lettre qu'il a écrite à l'empereur et la réponse qu'il en a reçue ; peut-être ces deux documents ne figuraient-ils pas dans ses papiers, à moins qu'on n'ait pas jugé opportun de les publier. Enfin, D. 45 a été amputé d'un développement où Dion rappelait les tracas que lui avaient causés ses consbuctions. Ces lacunes sont d'autant plus dommageables que, du fait de leur caractère circonstanciel, ces discours sont beaucoup moins limpides pour nous qu'ils ne l'étaient pour les auditeurs du moment. S'adressant à un public parfaitement informé, Dion est forcément allusif et imprécis. Il cite sans les désigner par leur nom l'empereur et les proconsuls qui ont appuyé son action et ce n'est que grâce à Pline le Jeune que nous pouvons décider que le gouverneur à poigne du Discours43 est Varénus Rufus, dont le nom est exceptionnellement cité au début du Discours48,œ qui permet de dater ces deux oeuvres à une année près. Dion rapporte en D. 45 qu'une fois connue la chute de Domitien, il se mit en route pour rencontrer son ami Nerva, le nouvel empereur; mais il le fait dans des termes tels qu'on discute encore pour savoir s'il put le joindre ou non et s'il séjourna ou non à Pruse avant de partir pour Rome. Il fait allusion en D. 44 aux revendications de Prose, mais d'une façon si ambiguë qu'on se demande si elles sont satisfaites ou non. Il évoque à deux reprises (40, 14-15 et 45, 3) les entrevues à la faveur desquelles il obtint de Trajan les privilèges qu'il sollicitait pour sa patrie ; agissait-il alors en qualité d'ambassadeur dfiment mandaté ou à titre seulement personnel ? Sur ce point, encore, les avis sont partagés. De même, bien qu'il porte tout entier sur la dispute qui oppose Nicomédie à Nicée pour le titre de "première cité", le Discours38 s'achève sans qu'on ait pu bien saisir si Nicomédie veut récupérer un titre qu'elle a perdu ou
Dion de Pruse
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si, le possédant, elle refuse de le partager avec sa vo1sme. La question a de l'importance, puisque la date du discours dépend de la réponse qu'on lui donne. D'éminents chercheurs, à commencer par le grand von Arnim, ont tenté de dater ces discours en s'aidant des recoupements qu'ils peuvent fournir. Dion revient en effet souvent sur les remous causés par ses constructions comme sur les conflits de l'assemblée et du conseil ; à plusieurs reprises, il annonce un prochain départ. On a pu espérer, en comparant ces différents passages, suivre les progrès de son entreprise édilitaire, déterminer l'évolution de la situation à Pruse et, du même coup, classer chronologiquement les discours et les situer approximativement dans le temps. Mais les rapprochements peuvent être trompeurs. Il est certain que le portique de D. 40 ( § 9) est identique à celui de 47, 17 ; d'autre part le bâtiment dont Dion promet l'achèvement prochain en 48, 11, est sans doute lui aussi un portique: s'agit-il toujours du même édifice? On peut hésiter, car on peut tirer de 45, 12 ("... je voulais embellir la ville et la doter de portiques et d'aqueducs ...") la conclusion que les projets de Dion comportaient la construction de plusieurs colonnades et, en outre, le Discours 40, que l'on juge en général antérieur au Discours 48, donne l'impression que le problème du portique appartient au passé. Pour passer à un autre problème, il est évident que durant ses dix années d'engagement au service de Pruse, Dion s'est absenté plusieurs fois, soit pour rencontrer l'empereur, soit pour des tournées de conférences ou des missions de conciliation. Il y a donc de la hardiesse à décider, comme le fait von Arnim, que tous les départs que Dion annonce à ses concitoyens se rapportent au même voyage continuellement reporté. De même, si l'on rapproche les endroits où il est question de sa participation au financement des constructions, on se trouve confronté à une véritable aporie et on est en droit de se demander si les retards de versement mentionnés en 40, 3 et 48, 11 se rapportent bien au même engagement. Un rapprochement que nous pensons avoir été le premier à faire pourrait, s'il était fondé, régler l'importante question de la \ datation du Discours47 par rapport au Discours40. Dion rappelle en 40, 12 les avanies dont l'ont abreuvé ses adversaires et l'envie qu'il eut de quitter Pruse. Or, en 47, 20, voyant ses travaux arrêtés par les défaillances des souscripteurs, il somme ses auditeurs de dire clairement ce qu'ils veulent. Sinon, déclare+il sans ambages, "je m'en irai" et il évoque ensuite longuement (47, 22-23) l'existence agréable et enrichissante qu'il mènerait loin de son ingrate patrie. Est-ce à cet épisode qu'il fait allusion dans le Discours 40 ? Si tel
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Introd uc:tion
était le cas, D. 47 serait antérieur à D. 40, mais il est parfaitement concevable que, comme les travaux sont tombés plusieurs fois en panne, Dion ait dû se livrer à plusieurs reprises à ce chantage pour imposer ses volontés. Au reste la diversité des résultats obtenus par ceux qui ont tenté de classer chronologiquement les DiscoursBithyniens1 montre, sinon l'impossibilité, du moins l'extrême difficulté de l'entreprise. Cela ne veut pas dire que, bien qu'ils aboutissent à des conclusions inconciliables, les efforts des chercheurs aient été vains. L'étude minutieuse des discours, leur mise en parallèle avec d'autres textes ou avec des documents archéologiques ont permis des avancées définitives et importantes. Ainsi C. Vielmetti a démontré que Dion exerçait l'archontat lorsque Varénus Rufus était proconsul et que c'est de lui-même et non, comme le croyait von Arnim, de son fils qu'il parle en 48, 17. C. P. Jones a brillamment établi en s'appuyant sur une inscription, que la cité d'Asie que Trajan a comblée de ses faveurs à l'égal de Pruse (45, 4), est Milet, à laquelle nul n'avait songé et, bien que certains en doutent encore, il nous semble assuré que le portique qui donna tant de soucis à Dion et dont la construction s'étala certainement sur plusieurs années, doit être distingué de la bibliothèque mentionnée par Pline le Jeune (10, 81), dont il dirigea également la construction. Mais il faut renoncer à imiter von Arnim et à faire des activités de Dion après son exil un récit suivi, où les données fournies par les Discours Bithyniens s'inséreraient à leur place comme les pièces d'un puzzle et s'ajusteraient aux renseignements tirés d'autres discours et du récit de Philostrate. Même C. P. Jones qui se contente d'esquisser la trajectoire politique de Dion à Pruse et décide qu'après une courte période de succès elle se réduit à une descente dans l'impopularité, nous paraît bien hardi. Voici ce que, à notre avis, on peut tenir au moins pour assuré. Lorsque Dion revoit Pruse et la Bithynie après son exil, il a au moins la cinquantaine (il se déclare lui-même vieux en 40, 19) et sa santé n'est pas brillante (cf. 40, 2; 47, 23 ; 48, 8 et 39, 7 si ce dernier discours est bien postérieur à l'exil). Il retrouve une famille diminuée et un patrimoine sérieusement écorné. Il parle en 44, 3 de frères et de parents que Pruse a honorés dans le passé et un peu plus loin (§ 5), il 1. Voici les classements auxquels ont abouti H. von Arnim, C. Vielmetti, C. P. Jones, P. Desideri et A. R. Sheppard. Von Arnim : 44, 40, 41, 47, 48, 45, 43, 50, 49 ; Vielmetti : 44, 47, 39, 48, 43, 45, 49, 40 ; Jones : 40, 41, 44, 45, 47, 49, 48, 50, 43; Desideri: 44, 48, 40, 41, 47, 50, 49, 43, 45; Sheppard : 44, 40, 41, 47, 45, 50, 49, 48, 43.
Dion de Pruse
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nous apprend que presque tous ceux qui viennent de faire son é]oge lui sont apparentés ; cependant, dressant au § 8 ]a Hste des membres de sa famille qui brûlent de servir ]a cité, i1 ne mentionne que son fiJs - un fi1sunique (cf. 40, 2) - et un neveu. Faut-il penser que ses frères sont morts ? De sa proche famHle il n'aurait donc retrouvé à son retour, le neveu mis à part, que sa soeur, sa femme et son fils. 11s n'allaient d'aiJleurs pas tarder à ]ui être enJevés : il mentionne en 47, 21 la mort de sa soeur, qui s'est ajoutée à ses malheurs passés et nous savons par Pline le Jeune (10, 81)) que l'ensemble monumental dont il était le curateur, englobait les sépultures de sa femme et de son fils. Sa relégation a certainement entraîné un amoindrissement considérable de sa fortune : il évoque les usurpations de ceux qui ont profité de son absence pour s'agrandir à ses dépens et la fuite d'une partie de ses esclaves (40, 2 ; 45, 10-11). De plus, à la mort de sa soeur, il a perdu, pour des raisons qu'il ne précise pas, tout ce qu'il lui avait remis en dépôt (47, 21). Il ne tenait qu'à lui de recouvrer ses biens volés mais, animé d'un désintéressement dont il souligne qu'il est exceptionnel, même chez les philosophes, il n'a rien réclamé, n'a engagé aucune action pour faire rendre gorge aux voleurs (45, 10 et 12). Aussi, d'une fortune qui devait être grosse, à en juger par les chiffres qu'il fournit à ses compatriotes dans le Discours46, il ne lui reste, à J'en croire, que peu de chose (47, 21 et 23 ; cf. 3, 15). Il n'est cependant que de l'écouter lui-même pour comprendre que le vagabond qu'il prétend être quand il s'adresse à ses concitoyens (47, 8) et même à l'empereur (11 56) reste possesseur d'une fortune confortable. Il a au moins retrouvé sa maison (47, 25), des esc]aves fidèles et une partie, sans doute non négligeable, de ses domaines (45, 10). Comment pourrait-il autrement trouver des prêteurs et \ s'endetter pour racheter des terres (47, 21) et ce d'autant plus que, comme il le déclare lui-même à Trajan (3, 15), il refuse les dons qu'on veut lui faire ? Comment pourrait-il se répandre en générosités (ibid.), en onéreuses souscriptions (40, 3 et 48, 11), offrir au moins en partie un portique à ses concitoyens (47, 12 et 21), bref, se livrer à de telles prodigalités (47, 21 et 3, 15) que, s'il quitte Pruse, il en sortira p1us maigre qu'il n'y est rentré (47, 20) ? Ces foJles dépenses ne videront d'ai11eurspas sa bourse, puisqu'il paya certainement de ses deniers au moins une bonne part du complexe portiques-biblothèquesépultures familiales que nous connaissons grâce à Pline le Jeune. Tout laisse penser que sous Trajan et au moins jusqu'au gouvernement de Pline, Dion s'occupa activement des affaires de sa
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Introduction
patrie et joua même un rôle de premier plan, soit en payant de sa personne, soit en faisant agir son fils ou ses amis. Il fut archonte sous le proconsulat de Varénus, mais ce n'est pas la seule fois que ses concitoyens l'ont porté aux honneurs, puisque, déclinant l'offre d'une magistrature, sans doute l'archontat, il rappelle l'empressement que ses collègues du conseil mettaient à l'élire (49, 15). Son fils exerça également la première magistrature à Pruse (50, 10) et, même si Dion s'en défend, on comprend à travers ses phrases entortillées que le fils fut le docile exécuteur des volontés du père. Ayant vécu dans la familiarité de l'empereur, dont il pouvait oser se dire l'ami (45, 3 ; 47, 22), Dion était forcément devenu le premier personnage de Pruse, celui vers qui convergeaient les regards, les espoirs et les ambitions de la cité. Par lui, qui avait l'oreille du prince et correspondait directement avec lui, les requêtes pouvaient être plus rapidement transmises, mieux défendues et avec un meilleur succès que par le canal du proconsul. Était-il absent, un décret le pressait de revenir pour régler quelque affaire pendante (40, 17 ; 44, 12 ; peut-être 41, 7). Sauf sur un point, l'octroi de la liberté, qu'il ne revendiqua sans doute pas avec beaucoup de chaleur, il ne déçut pas l'attente de ses compatriotes. Il obtint de Trajan, dans des conditions mal définies, au début du règne (40, 15), la création de cent nouveaux conseillers (40, 14 ; 45, 7; 48, 11) et l'érection de Pruse en chef-lieu de district judiciaire (40, 10 et 33 ; 45, 6-10 ; 48, 11), promotion maintes fois sollicitée par la voie proconsulaire et toujours refusée (45, 4-5). En retour de ces faveurs qui accroissaient l'importance, les ressources et la dignité de la cité et donnaient un coup de fouet à l'économie locale, Rome escomptait que Pruse serait désormais une cité sage, tranquille et disciplinée. Dion le déclare sans ambages dans le Discaurs44, prononcé peu après son retour (§§ 5 et 10). Il n'est pas douteux que, revenu dans sa patrie, il n'ait eu l'ambition d'en faire une espèce de cité-modèle et de montrer au monde ce que pouvait être une cité gouvernée par un philosophe (cf. 48, 14), c'est-à-dire par le type d'homme s~cialement destiné à cette tâche, comme il s'évertue à le prouver dans le Discours49. Il était d'abord urgent de doter Prose d'un décor monumental qui en fit une ville présentable. À en croire Dion qui avait, il est vrai, intérêt à noircir les-choses, c'était une agglomération mal bâtie, mal percée, peu aérée, mal desservie en eau, dotée de monuments publics qu'on avait honte de faire visiter au proconsul. La plupart des rues devaient ressembler à ce coupe-gorge qui menait à la maison de Dion
Dion de Pruse
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et où des émeutiers renoncèrent à se risquer (46, 12) et Pline dénonce la saleté et 1a vétusté des thermes publics (10, 23). Aussi la première initiative de Dion fut-elle de proposer à l'approbation de ses concitoyens un projet de réaménagement très ambitieux, puisque, de son propre aveu, il intéressait la totalité de la ville (40, 5) et impliquait quantité de démolitions, des transferts d'activités, ainsi que le déplacement de sanctuaires et de tombeaux (40, 9; 47, 11 et 16-17). Une pièce essentielle en était un portique qui devait correspondre à la percée d'une de ces avenues monumentales dont les cités d'Asie se dotaient à l'envi et qui étaient le symbole de la modernité, de la civilisation et du confort. Mais le programme ne se réduisait pas à ce portique, car un passage du Discours47 (§ 19) où il est question de malversations, de gabegies, de monuments achevés, de constructions dont on ne voit pas la fin, évoque une intense activité architecturale et implique d'autres édifices que le portique dont Dion avait la responsabilité. Nous avons constaté plus haut l'impossibilité où l'on est de suivre le progrès des travaux qui avaient été entrepris à l'initiative de Dion. Comme Pline, qui éplucha les comptes de la cité et les mémoires des entrepreneurs (10, 17a et b), ne parle pas de chantiers en panne ou d'édifices ruinés avant d'être achevés, comme c'était le cas à Nicée et à Nicomédie, on peut supposer que le programme de Dion fut, en gros, réalisé. En tout cas ce qui fut mené à terme ne ruina pas la cité, puisque Pline écrit à Trajan que Pruse pourra, sans obérer ses finances, s'offrir un nouvel établissement de bains (10, 23). Une cité, Dion insiste là-dessus (48, 12), n'a que faire d'une parure monumentale, si ses habitants ne donnent pas l'exemple de la moralité et des vertus civiques. De retour à Pruse, il s'employa à y faire régner l'ordre et la concorde, à convertir ses compatriotes au mode de vie et à la culture helléniques, bref, comme il le dit \ lui-même, à faire de sa patrie une cité à l'âme philosophique et vraiment grecque (44, 10-11 ; 43, 3). Ne nous méprenons pas en effet sur les compliments qu'il lui arrive de décerner à ses concitoyens ; à en croire certains passages du Discours 44 (§§ 5-6 et 8-9), Pruse serait, sur le plan des vertus civiques et privées, un pur joyau. En fait Dion attribue à ses concitoyens les qualités qu'il aimerait les voir acquérir. Peu sensible à la contradiction, il dénonce un peu plus loin (§§ 10-11) les tares qui enlaidissent sa patrie : le sport et la culture intellectuelle y sont méprisés; on néglige d'élever et d'éduquer ses enfants : comprenons que, suivant une pratique ordinaire en Bithynie, on les expose à la naissance, les destinant à devenir ces threptoiqui
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Introduction
motiveront un échange épistolaire entre Pline et Trajan (10, 65-66); enfin le peuple est indocile et remuant. Les magistrats et les notables ne sont d'ailleurs guère plus respectables que la masse de leurs concitoyens : malversations, abus de toutes sortes, exactions sont chose courante dans l'administration de la cité (cf. 43, 6-7 et 10 ; 48, 3-4 et 15). Philosophe et conférencier à succès, Dion se croyait plus qualifié que tout autre pour remédier au déficit culturel et moral de ses compatriotes. Il promet d'entrée de jeu de les initier à la philosophie au moyen d'entretiens privés et de conférences publiques (44, 10). Il tint parole, puisque le fameux Bvrysthénique(D. 36) fut prononcé à Pruse lors d'une de ces conférences dont lui-même certifie qu'elles étaient fort courues (42, 1). Enfin ses harangues à l'assemblée ou au conseil sont copieusement truffées de développements philosophico-politiques roulant souvent sur la concorde (40, 35-41 ; 48, 14-16) et de références significatives à l'histoire grecque (43, 3-6 et 8-10 ; 47, 2-5 ; 48, 12). Faire de Prose une cité vraiment grecque, paisible et sans crises n'était pas tâche aisée et les événements se chargèrent de rappeler à Dion le caractère utopique de ses ambitions. En dépit de sa bonne volonté, il ne réussit pas à établir la concorde et à empêcher ces turbulences si désagréables au pouvoir central. Son retour à Pruse signifiait l'éviction des clans et des politiciens qui tenaient la ville durant son exil. Ils ne se laissèrent pas déposséder du pouvoir sans réagir. On sait par Pline (10, 81) qu'un protégé de Domitien, le philosophe-délateur Archippos, poursuivît Dion de sa haine tenace. Celui-ci dut donc toujours compter avec une opposition qui, de façon sourde ou déclarée, fit tout ce qu'elle put pour traverser ses projets. En dépit de l'enthousiasme qu'il suscita initialement, le réaménagement de Pruse mécontenta nombre de gens du fait des démolitions et des transferts qu'il entraînait : forgerons dont on abattait l'échoppe et qui devaient se réinstaller ailleurs, dévôts scandalisés par le déplacement des sanctuaires et des tombeaux. Les adversaires de Dion parvinrent, à la faveur d'une propagande habilement orchestrée - "Dion démolit la ville" ; "Dion la vide de ses habitants" (40, 8) - à refroidir le zèle des souscripteurs et à arrêter les travaux du portique dont il était responsable. Le Discours40 a été prononcé lorsque la crise était, au moins provisoirement, révolue; Dion l'avait sans doute surmontée en menaçant de quitter la ville ou de recourir à l'autorité romaine, comme il le fait dans le Discours47; mais ces manoeuvres de sabotage durent se produire plus d'une fois,
Dion de Pruse
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puisqu'i] est question dans le Discours48 d'une construction en panne et de souscripteurs défaillants. Ce Discours48 a été prononcé au lendemain d'une agitation qui secoua toute ]a province et prit à Pruse un tour assez alarmant pour que l'autorité romaine prorogeât ]'assemblée (48, 1). Lorsque Varénus en autorisa de nouveau les réunions, sans doute au début de son proconsulat, l'émotion était loin d'être calmée. Le peuple était en effet très monté contre les notables qui rechignaient à honorer leurs engagements financiers ou détenaient indûment l'argent public, et voulait porter l'affaire devant le gouverneur. Dion, qui a été mis en demeure de ramener le calme (48, 5), conjure ses compatriotes de tenir le proconsul en dehors de l'affaire et de la régler entre eux à l'amiable (48, 2-3), allant même jusqu'à conseitJer ]'indulgence à l'égard des prévaricateurs (§ 15). On ignore quelle issue trouva ce conflit, mais on sait par le Discours43, qu'un peu p]us tard et pour des raisons qui nous demeurent obscures, la situation se détériora à Prusc et dans toute la Bithynie, et qu'avec l'accord de Dion, Varénus fut amené à sévir si vigoureusement que la province lui intenta, à sa sortie de charge, un procès dont Pline nous a rapporté les plaisantes péripéties (Dion, 43, 11 ; Pline, 5, 20; 6, 5 et 13 ; 6, 29, 11). Si Dion charmait ses compatriotes par ses accents de rossignol (47, 16), il échoua assurément à moraliser la vie politique à Pruse. Après le proconsulat de Varénus, les notables locaux continuèrent à se livrer aux dé]ices de la prévarication et il fallut toute l'énergie de Pline pour leur faire rendre gorge (Pline, 10, 17a et b; 10, 23, 2). Dion avoue d'ailleurs lui-même la vanité de ses efforts, lorsqu'il constate (48, 14) que, quoique philosophe et possédant une vocation éminente à gouverner, il n'a pas réussi à faire régner dans sa cité cette divine vertu de concorde, dont le ciel et le monde animal donnent l'exemple aux humains. On peut croire qu'il prit Ja défense du peupJe contre les \ notables et se mit à dos une partie non négligeable du conseil. La palinodie que constitue le Discours50 montre que, même appuyé par le pouvoir romain, un honnête homme animé des mei11eures intentions du monde ne pouvait triompher de la coalition des riches. Sans eux, Dion ne pouvait rien faire et il tire lui-même la morale de son aventure en 48, 10: "~tre seul, c'est n'être rien".
Discours 38 Notice
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Prononcé devant l'assemblée 1 de Nicomédie, métropole de la Bithynie, ce discours vise à apaiser une querelle qui opposait cette cité à Nicée, sa voisine, et dont l'enjeu était la possession du titre de "première cité". Adressé à un auditoire parfaitement informé de l'affaire, il ne nous éclaire qu'insuffisamment sur ses particularités, ce qui rend difficile de décider s'il est antérieur ou postérieur à l'exil de Dion. Monnaies et inscriptions 2 nous apprennent que Nicée posséda le titre de "première cité" sous le règne de Vespasien et le conserva sans interruption jusqu'à la fin du Ile siècle, où elle en fut dépouillée par Septime Sévère. Nicomédie semble avoir acquis ce même titre sous Domitien et elle le portait encore sous Sévère Alexandre. Deux situations sont envisageables: ou bien le discours a été tenu lorsque, Nicée étant seule gratifiée de ce titre, Nicomédie le revendiquait pour elle-même, ou bien les deux cités le possédaient et Nicomédie jugeant qu'un premier rang partagé n'en est plus un, exigeait qu'il fût ôté à sa rivale et réservé à elle seule. Dans le premier cas, le discours est antérieur à l'exil de Dion, puisque la sentence de relégation qui le bannissait de Bithynie date du début du règne de Domitien; dans le deuxième cas, deux solutions sont possibles: ou bien l'octroi du titre à Nicomédie a eu lieu avant cet exil et le discours pourrait avoir été prononcé au début du règne de Domitien, ou bien il est postérieur à la sentence de relégation et, du coup, l'intervention de Dion se trouve reportée après la mort de Domitien, sous Nerva ou sous Trajan.
1. Comme l'indique l'apostrophe livBpEç Nuco111JBtïc;, qui revient coru,tamment dans le discours : §§ 1, 5, 7, 21, 29, 30, 38, 44. 2. Pour toutes informations sur ce sujet, voir L. Robert, ''La titulature de Nicée et de Nicomédie : la gloire et la haine", Harvard Studies of Classical Philology, 81 (1977), p. 1-8; Bulletin épigraphique, 1979, 541, p. 512; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom: the Bîthynian years", A11t. Clnss., 53 (1984), p.163-164.
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Les savants qui ont examiné cette oeuvre à ta lumière des documents fournis par l'archéologie 3, ne sont pas d'accord sur la réponse à donner à cette question. L. Robert avec quelque hésitation 4, C. P. Jones avec assurances, jugent que le discours a été prononcé après l'exil, à une époque où les deux cités se partageaient le premier rang. C. Bosch et A. R. Sheppard qui a récemment repris l'étude du dossier, pensent que }'oeuvre ne se comprend bien qu'à l'époque où Nicée était seule à détenir le titre de "première cité". Il nous semble que leur point de vue rend mieux compte des divers passages où Dion évoque la querelle des deux cités ou, tout au moins, de presque tous. Exposant l'inanité de la dispute, Dion pose à son auditoire la question suivante (§ 26) : "Et nous, si nous recevons (anoA~1uv) le premier rang, parce que les Nicéens nous l'auront remis sans combat, percevrons-nous pour autant les impôts qu'ils per~oivent actuellement, ou bien citerons-nous à comparaître ici les cités qui ressortissent à leur juridiction?". Comme le remarque fort justement Sheppard 6, la question ne se comprend bien que si Nicomédie essaie d'obtenir quelque chose qu'elle n'a pas. Cette interprétation serait d'ailleurs assurée si l'on donnait au verbe &no).aµ~llvc,v le sens de recouvrerqu'il a justement un peu plus loin au§ 35 7. Il faudrait alors comprendre que Nicomédie cherche à récupérer un titre dont elle a été dépossédée. Or c'est peut-être ce qui s'est rée1lement passé, car il semble bien qu'elle soit qualifiée de "première cité" sur une monnaie datant du règne de Tibère 8. Si Nicomédie, qui est la métropole de la province, a, à une époque que nous ignorons, perdu le titre au profit de 3. Essentiellement C. Bosch, Die kleinasiatische Münzen der réimischen Kiiiseruit, Teil 11, Bd I, Bithynien, I. Hal/te, p. 224 ; L. Robert, "La titulature ...", p. 1-39 ; C. P. Jones, Tl1e Roma11 World of Dio Chrysostom, 1978, p. 84-89et 135; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p.157-173. 4. "La titulature ...", p. 4 : "Cette ép0que de Domitien, c'est celle tout au début de laquelle se place le discours de Dion, ou plutôt qui le précède". 5. The Rtlman World.", p. 85 : ..Dio's speech to Nicomedia, which can be dated securely to the period of his return, is delivered before the assembly". 6. "Dio Chrysostom ...", p. 164-165. 7. "Les cités retrouveront (lmo1$îv) donc forcément leur rang" ; en 33, 48, où il est seulement question de changer de rang, Dion emploie simplemenU~vsw : niv ilvuvr(av1ÔCl1J T~tv. 8. L Robert, "La titulature ...", p. 2, n. 4.
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Nicée, on comprend son acharnement à le récupérer et l'âpreté de ta querelle. Trois autres passages 9 nous orientent dans la même direction. "Nous nous imaginons, dit Dion au § 28, que, si nous sommes quelque part qualifiés de "première cité" sur une inscription, nous détiendrons le premier rang". Ne faut-il pas comprendre que, contrairement à Nicée qui se proclame fièrement "première cité" dans une inscription qui date du règne de Vespasien 10, Nicomédie ne peut afficher ce titre ni sur ses monuments, ni sur ses monnaies, pour la bonne raison qu'elle ne le possède pas, partagé ou non 11 ? On tirera la même conclusion de la question posée au § 30 : "Voulez-vous être tes premiers en réalité ou en porter le titre sans l'être ?", ainsi que de l'affirmation péremptoire du § 40 : "On veut être qualifié de "premier", soit ; mais si on tient vraiment le premier rang, un autre peut bien porter le titre, on reste le premier". Le partage du titre est évoqué par Dion au§ 39 : ''Si le titre de métropole vous est réservé ("Av 6È ..•t(a{pnov ij) et le premier rang partagé avec d'autres (xotvov ~), qu'y perdez-vous ?". L'emploi de l'éventuel dans cette phrase renvoie non à une situation existante, mais à un avenir plus ou moins proche et on n'a pas manqué de remarquer que Dion semble annoncer ici la situation que créera Domitien en accordant le titre à Nicomédie, tout en en laissant la jouissance à Nicée 12. Cependant, lorsqu'il évoque la politique des gouverneurs qui, pour commettre leurs malversations en toute impunité, jouent de l'antagonisme des deux cités, Dion fait une déclaration bien embarrassante(§ 37): "Les gouverneurs se sont avisés que vous êtes frappés d'une folie collective et ils vous traitent comme des enfants à A. R. Sheppard utilise un seul d'entre eux (§ 40) dans son examen du problème. 10. L'inscription gravée sur la frise de la porte orientale (Lefke kapi) et reproduite par L. Robert, "La titulature ...", p. 7. 11. Gêné par ce passage, C. P. Jones, The Roman World..., p. 87, accuse Dion de simplifier les choses ("he simplifies the issue for effect"), car œ n'est pas le titre en lui-même que revendiquait Nicomédie, mais son usage exclusif ; mais si ce titre était partagé, qu'est-ce qui empêchait Nicomédie de l'afficher, comme le fait sa rivale ? 12. C'est la solution qui sera adoptée pour mettre d'accord ~phèse, Smyrne et Pergame qui se disputaient également le premier rang : cf. S. R.F. Price, Rituals and Power, Cambridge U. P., 1984, p. 129; D. Magie, Roman Rule in Asi.aMinar, Princeton U. P., 1950, p. 6.36. 9.
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\ qui, au lieu d'objets de prix, on offre souvent des bricoles sans valeur ... De Ja même façon, au lieu de vous offrir, à vous, la justice, de vous épargner le pillage des cités, la spoliation des particuliers, les outrages, les exactions, ils vous offrent des mots et déclarentet écrivent que vous êtes les "premiers".Ensuite et pour le reste du temps ils peuvent, sans risque aucun, vous traiter comme les derniers des derniers". Indubitablement ce comportement se comprend très bien dans une situation où, les deux cités se partageant le titre et en revendiquant chacune l'exclusivité, les gouverneurs, suivant leurs intérêts du moment, l'octroient tantôt à l'une, tantôt à l'autre, dans leurs déclarations ou leurs écrits. Sensible à la difficulté, A. R. Sheppard pense que Dion fait a1lusion à des initiatives illégales de gouverneurs corrompus qui attribueraient à Nicomédie un titre auquel el1e n'a pas droit, puisque l'octroi de titres officiels dépendait de l'empereur 13. Le contenu et la forme de ce discours, l'image qu'il donne de son auteur peuvent, il est vrai, inciter à le rapporter à la dernière période de la vie de Dion, lorsque, so1Hcitéde toutes parts et partout comblé d'honneurs, il circule à travers l'empire pour morigéner les cités, leur porter ]a bonne parole de la concorde intérieure et extérieure et, plus généralement, leur dispenser des conseils frappés au coin de la bonne et saine philosophie. Les Nicomédiens lui ont récemment conféré le droit de cité et l'ont invité à venir chez: eux (§§ 1-2). Il est tentant de penser que cette initiative s'inscrit dans le même mouvement qui a entraîné tant de cités de l'empire à le couvrir d'honneurs, à l'inviter à résider chez: elles, à solliciter ses conseils, lorsque se répandit la nouvelle de l'insigne faveur dont il jouissait auprès de Trajan (44, 6 ; 47, 22). Dion a agréé cette distinction, mais il prend bien soin de préciser qu'on ne doit attendre de lui ni générosités financières, ni participation à des banquets, mais uniquement des consei1s, seule chose où il soit compétent (38, 1-2). Même profession de foi dans le deuxième Tarsique, oeuvre assurément postérieure à l'exiJ : il s'y présente également comme un conseiller expert (34, 33), désintéressé (34, 4 13. "Dio Chrysostom ...", p. 166; on doit, pensons-nous, rapprocher ce passage de 45, 5~, où il est question de gouverneurs qui faisaient des promesses non suivies d'effet ; C. P. Jones, The Roman World..., p. 186, n. 35, pense que Dion fait peut-être allusion au favoritisme que le gouverneur Julius Bassus aurait manifesté envers Nicée, qui lui adresse des remerciements dans une inscription où elle se proclame "première cité de la province".
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= 38, 9), inspiré par les dieux (34, 4 = 38, 51) ; il y définit, comme à Nicomédie, la conduite à tenir à l'égard des cités voisines comme à l'égard des gouverneurs (34, 38-41 et 46-48) et, parlant des litiges qui opposent une cité à une autre, il en dénonce aussi )'inanité (34, 48 = 38, 38). En outre, expert en politique, Dion l'est aussi en philosophie et, prêchant à Nicomédie la réconciliation avec Nicée, il ne se borne pas à faire miroiter aux yeux de ses auditeurs les bénéfices matériels et moraux qu'ils en retireront; avant d'aborder ce chapitre, il a tenu à asseoir son argumentation sur des bases métaphysiques et a exposé l'origine divine de la notion de concorde, présentée comme le ciment qui assure Ja cohésion et Ja pérennité du cosmos. Le même type de développements solennels et pontifiants se retrouve dans des discours tenus à Pruse après l'exil (38, 10-12 = 40, 35-36 et 48, 14). On aurait d'autres raisons de ranger cette oeuvre parmi les productions de la dernière période. Le rêve exprimé au § 47 d'une union des cités grecques qui déborderait les frontières des provinces est encore caressé devant l'assemblée de Pruse en 45, 13 et, si l'on descend dans le détail, on remarquera que la comparaison du conseiller politique avec le médecin (38, 7) se retrouve dans les discours tenus à Pruse (48, 2 ; 49, 13; 50, 4) et dans les deux Tarsiques (33, 44 ; 34, 26). Un vaisseau sur lequel règne Ja zizanie est voué au naufrage (38, 14) : même idée dans le deuxième Tarsique(34, 16). Si incontestables et même impressionnantes que soient ces analogies, on n'en doit cependant pas surestimer la portée. La description d'un Dion sophiste que les rigueurs de l'exil auraient transformé en philosophe n'a plus cours. Il n'est nullement silr que Dion ait attendu l'exil pour composer des discours politiques de haute tenue et faire la morale aux cités. Déjà la morale politique n'est pas absente du Discours 46, prononcé au début du règne de Vespasien. Synésius, qui se vantait de dater du premier coup d'oeil les écrits de Dion, attribuait tous les discours aux cités à la dernière période de sa vie 14. Or presque tout le monde s'accorde pour placer le Rhodien (D. 31) avant l'exil 15 et on peut se demander avec 14. Synésius, Dion, Migne LXVI, 1120 D-1121 A, reproduit dans les testimonia de l'édition von Arnim, p. 318. 15. La composition de ce discours, où la tournée agonistique de Néron en Grèce (67 p. C.) est donnée comme un fait tout récent (lyy10Ta t+• ~pwv),vient d'être placée sous le règne de Trajan par H. Sidebottom, ''The Date of Dio of Prusa's Rhodian and Alexandrian Orations", Historia, XLI(1992),p. 407-414.
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C. P. Joncs Ili ,il l'AJ,,nuulri11(D. 32), où von Arnim reconnaissait tous les carnct~rcs d'une oeuvre de la dernière période 17, n'a pas été
compos~ dum1 les années 71-75, donc au début du règne du premier Flavien. Il est bien risqué de dater une oeuvre de Dion à partir de critères uniquement littéraires. Pour W. Schmid 18, la composition du Discours ,38 a quelque chose de scolaire qui révèle l'oeuvre de jeunesse, tandis que pour C. Vielmetti et pour C. P. Jones 19 elle prouve que !'oeuvre est tardive. L. Lemarchand, qui s'est livré à une étude attentive du discours, y retrouve les éléments caractéristiques d'une production sophistique et ne voit dans les développements consacrés à la concorde que des lieux communs habituels aux rhéteurs 20. Effectivement on les retrouvera dans le discours d'Aelius Aristide Sur la concorde(23, 77) et Aelius Aristide ne s'est jamais piqué d'être un philosophe. Mais on sait maintenant que la théorie d'une période exclusivement sophistique dans la carrière de Dion est un leurre et l'étude de ses oeuvres montre que Dion, philosophe sans originalité, a débité des lieux communs toute sa vie. Ajoutons pour terminer que rien de ce que Dion dit de lui-même dans cette oeuvre n'oblige à placer le Discours 38 après l'exil. Nicomédie a pu lui conférer le droit de cité à l'époque flavienne : ami et conseiller de Flavius Sabinus, le neveu de l'empereur, familier de Titus et peut-être homme de confiance de Vespasien, s'il fut son émissaire auprès des Alexandrins, Dion était un personnage considérable qu'on avait intérêt à s'attacher. Dans un discours antérieur à son exil (D. 46) il rappelle lui-même à ses concitoyens soulevés contre lui qu'il a le bras long (46, 14) et il y a gros à parier qu'il fut autant courtisé par les cités avant son exil qu'après. Nulle part dans ce discours Dion ne fait allusion à cette période difficile de sa vie. Il avait pourtant l'occasion d'en dire un mot. 16. Acceptée par J. L. Moles ("The Career and Conversion of Dio Chrysostom", fHS, XCVIII,1978, p. 79-100) et P. Desideri (Dione di Prusa, p. 68), la thèse de C. P. Jones est combattue par H. Sidebottom (art. cit., p. 415-419),qui, comme von Arnim, date !'Alexandrin du regne de Trajan. 17. H. von Arnim, Lebtn und Werke des Dio von Prusa, Berlin, 1898, p. 435-455. 18. RE,s. v. Dion CocceÛJnus, col. 850. 19. C. Vielmetti, "I Discorsi Bitinici di Dione Crisostomo", Studi Ital. F,1. Class.,XVIII(1941), p. 102-104;C. P. Jones, The Roman World..., p. 85. 20. Dion de Pruse, les oeuvres a'avant l'exil, Paris, 1926,p. 146-153.
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Évoquant en effet les dimensions de sa fortune(§ 1), il ne déclare pas, comme il le fit tant de fois à Pruse, que son exil l'a complètement délabrée (40, 2), réduite à peu de chose (47, 23), vu qu'on l'a abominablement volé (45, 10-11). Il se borne à affirmer qu'elle n'est pas grosse (av p.iyav). l)jscrétion d'un homme distingué qui répugne à étaler ses malheurs ? Peut-être. Mais cet aveu modeste rappelle curieusement une déclaration faite avant son exil, à un moment où, maître d'une fortune intacte, Dion cherchait à la protéger contre la rapacité de ses concitoyens. Voulant en effet dans le Discours 46 décourager ceux qui lui reprochent de ne pas avancer d'argent pour des achats de blé, il explique que son père lui a laissé une fortune qui passe pour grosse, mais qui est en réalité médiocre et bien inférieure à d'autres ( § 5 tij plv &«1> ptyaATlv,6uvoJL&i Bè11ucpciv ). Comme il ajoute peu après(§§ 6 et 9) qu'il a dépensé plus que personne en liturgies et investi cinquante mille drachmes dans une opération immobilière, on comprend vite qu'en dépit de ses dénégations il compte parmi les plus riches propriétaires de la cité. Il en est peut-être de même à l'époque où il parlait aux Nicomédiens et la harangue qu'il leur adresse pourrait donc appartenir à la même période que le Discours46.
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Aux Nicomédiens, sur la concorde avec Nicée
1 Quand je réfléchis, Nicomédiens, aux raisons pour lesquelles vous m'avez accordé le droit de cité 1 ... Je constate en effet que je ne suis pas assez riche pour pouvoir penser que c'est mon argent qui a inspiré cet intérêt pour moi ; je sais que je ne suis pas homme à courtiser les foules 2 : ce n'est donc pas, me semble--t-il,pour servir docilement tous vos caprices que vous avez besoin de moi ; et puis je ne suis pas non plus un amateur de beuveries ni un compagnon sociable dans les réunions de ce genre; je ne puis donc procurer du plaisir aux foules par ce moyen. Alors, si je ne me méprends pas sur les vues que vous avez sur moi et si je sais en quoi je peux vous servir, je ne vois plus, pour expliquer ce droit de cité, que le fait que je suis peut-être plus que d'autres désireux et capable de vous conseiller sur les intérêts de votre cité. 2 Si c'est pour un autre motif, vous vous êtes mépris dans l'intérêt que vous me portez et moi, qui espérais me rendre utile à votre cité, j'ai bien l'air d'avoir répondu pour rien à votre invitation, puisque vous ne vous servez pas de moi pour la seule chose où je sois compétent. Mais si toutes les cités, et surtout les grandes, ont besoin des riches pour qu'ils les aident financièrement et fassent ces générosités que commande l'usage, besoin de flatteurs pour qu'ils les ravissent de leurs propos démagogiques, besoin de conseillers pour qu'ils assurent leur salut grâce à leur politique, moi, dans la mesure de mes moyens, je n'hésiterai pas à servir votre cité en la conseillant dans les affaires les plus importantes. 3 Il y a chez vous des choses qui demandent à être corrigées ; j'appliquerai un traitement à chacun de ces cas, si on croit que je dis la vérité sur les problèmes majeurs. Qu'est-ce qui me prend ou qu'ai-je en tête pour ne pas vous conseiller d'abord sur les problèmes mineurs et 1. En contravention avec la loi de Pompée, qui interdisait cette collation du droit de cité à un citoyen d'une autre cité de la province ; mais on sait par Pline le Jeune (10, 114 et 115) qu'elle n'était plus observée. H. Lamar Crosby suppose avec vraisemblance que Dion n'achève pas sa phrase et exprime son embarras par un geste d'impuissance. 2. Dion aime à insister sur sa rude franchise, qui le distingue des démagogues : cf. 32, 11 ; 33, 3 et 7 ; 34, 32 ; 35, 1 ; 50, 6.
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éprouver à ce niveau la docilité du peuple, mais pour vouloir d'emblée prendre le risque de vous conseiller sur l'affaire la plus importante ? C'est qu'à mon avis il est plus facile de convaincre les gens sur les problèmes majeurs que sur les problèmes mineurs et triviaux. On peut en effet se permettre de mépriser le mal dont ceux-ci sont la source, mais quand on refuse de se laisser convaincre au sujet de remèdes sans lesquels on ne peut être sauvé, il est évident qu'on ne voudra pas non plus entendre parler d'affaires mineures. 4 Que, si vous avez la patience d'écouter mes conseils, vous suivrez mon avis dans les matières sur lesquelles je suis venu vous conseiller, cela j'en suis absolument sûr. Mais voilà : il me semble difficile que vous ne jugiez pas insupportable, superflu, inopportun de m'écouter sur cette affaire-là. Aussi, pour prévenir des objections du genre "Pourquoi essaies-tu de nous conseiller sur une question qui ne figure jamais dans nos délibérations ?", "Pourquoi te donnes-tu la parole sur ce sujet quand nous ne te l'avons pas donnée ?", ''Pourquoi, quand tant de gens chez nous participent aux affaires, gens du pays, citoyens d'adoption, rhéteurs, philosophes, vieillards, jeunes hommes, jamais aucun n'a osé nous conseiller là-dessus ?", 5 je veux vous demander une seule chose, Nicomédiens, accordez-la moi, montrez de la complaisance: il s'agit d'écouter un discours superflu, inopportun et impropre à vous oonvaincre.Je ne pense même pas que ce soit une grande faveur: en effet, si j'emporte votre adhésion, il vaut la peine de prêter l'oreille à des paroles utiles et, si vous réservez cette adhésion, qu'y a-t-il de déplaisant à donner la parole à un ami qui accepte de parler inutilement ? Et quelle est cette chose sur laquelle je vais vous conseiller et que j'hésite à nommer 7 Son nom n'a rien qui déplaise, Nicomédiens, ni dans les foyers, ni dans les familles, ni parmi les amis, ni dans les cités, ni chez les peuples. 6 Je m'en vais en effet parler de la concorde, beau nom, belle chose. Mais si j'ajoute aussitôt la concorde avec qui, f ai peur que vous ne soyez convaincus que la concorde est certes belle en elle-même, mais que vivre en concorde avec les gens avec qui je dis qu'il faut le faire, vous estimiez la chose impossible. En effet ce qui vous inspire jusqu'ici une haine réciproque et empêche l'amitié de naître entre vous, c'est que, sans raison aucune, vous êtes persuadés que la concorde ne peut régner entre vos deux cités. Ne protestez pas si je reviens là-dessus, mais montrez un peu de patience. 7 Je vous dis, Nicomédiens, qu'il faut vivre en bonne entente avec Nicée. Écoutez et ne vous fâchez pas avant d'avoir entendu mes raisons. Car le malade ne s'irrite pas contre le médecin qui lui
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prescrit un traitement, mais, s'il écouté ses paroles sans plaisir, vu qu'il devra endurer le scalpel et le cautère, i1 obéit quand même. C'est en effet sa vie qui est en jeu. Mais pourquoi parler de cela ? En effet le remède que je présente aux cités est le remède le plus délicieux qui soit, un remède sans lequel aucun homme sensé ne consentirait à vivre. 8 Je veux diviser mon exposé et parler en premier lieu de la concorde en général, de son origine, de ses effets, puis, passant à l'opposé, r.omparer la discorde et la haine à l'amitié 3. Car Ja démonstration que la concorde est utile à tous les hommes m'amènera forcément à conclure que la concorde entre vos cités est la plus nécessaire et la plus utile des choses. Je n'omettrai pas de dire non plus comment, une fois établie, elle pourrait subsister. Je constate en effet que ce problème se pose souvent. 9 Mais je prie tous les Dieux, et les vôtres et les leurs, s'il est vrai que je parle actuellement par pure amitié pour vous et sans chercher dans votre réconciliation aucune gloire, aucun avantage personnel et si la chose doit avant tout profiter à votre cité, de m'inspirer des paroles dignes du sujet et de vous disposer à vous laisser convaincre par moi de ce qui est votre intérêt. 10 Tous les hommes ont toujours fait l'éloge de la concorde et en paroles et par écrit; ses éloges remplissent les poèmes et les traités de philosophie et ceux qui ont publié des histoires pour donner les faits historiques eux-mêmes en exemple, ont démontré qu'elle est pour les hommes le plus grand des biens 4 ; et si quantité de sophistes ont osé prononcer des discours paradoxaux, il est une chose, et celle-là seulement, qu'ils n'ont pas osé proclamer, à savoir que la concorde n'est ni belle ni salutaire s. Si l'on veut donc faire son éloge maintenant ou dans l'avenir, la matière est copieuse et on pourra toujours parler plus et mieux.
3. Il va donc traiter la question en philosophe et non en orateur ; il s'explique sur la différence entre les deux démarches en 22, 3-4. 4. Aelius Aristide (24, 7 et 14) cite Homère et Solon parmi les poètes qui ont fait l'éloge de la concorde ; Gorgias, Antiphon le Sophiste, Xénocrate, Chrysippe ont composé des fi&f)l bµovo{a,; ; Xénophon (MémQrables, 4, 4, 16) présente la concorde comme le plus grand des biens et Thucydide (2, 65, 12) juge que la discorde a été la cause essentielle de la défaite d'Athènes en 404. 5. Même réflexion chez Aelius Aristide (24, 4), qui s'inspire visiblement de Dion.
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11 Si l'on est curieux de connaitre son origine, il faut rapporter son principe aux plus hautes réalités divines. En effet elle est tout à la fois amitié, réconciliation, parenté et elle englobe toutes ces notions. Par quoi les éléments sont-ils unis, sinon par la concorde ? Elle est ce par quoi les réalités les plus hautes se conservent et son contraire est ce par quoi tout s'anéantit 6, Si nous, qui formons l'espèce humaine, n'étions voués à la mort et s'il ne fallait pas qu'il existât beaucoup d'agents de destruction, la discorde n'existerait pas non plus dans le monde humain, de même qu'elle n'existe pas chez les Dieux. Si nous sommes privés de la félicité divine et de la constante indestructibilité des Dieux, c'est uniquement parce que nous ne sentons pas tous la valeur de la concorde, mais que certains aiment son contraire, la discorde dont les avatars et les oeuvres sont les guerres et les combats, maux qui se propagent panni les peuples et les nations comme les maladies dans les corps. 12 En effet, sachant que la santé est pour les hommes le plus grand des biens, nous oeuvrons cependant souvent contre elle à notre détriment, soit en cédant aux plaisirs, soit en fuyant les saines fatigues et les sages régimes de vie. Et si les plus grands maux ne recevaient pas le renfort du plaisir du moment, ils n'auraient pas du tout la même nocivité. Mais la nature leur a fourni ce renfort pour leur permettre de tromper et de charmer leurs victimes. 13 Une chose qui pourrait faire prendre l'humanité en haine, en très grande haine, est que les hommes se laissent affliger par les maux en toute connaissance de cause. Citez seulement des noms à une ou à plusieurs personnes réunies et demandez-leur dans quelle catégorie elles rangent des noms comme "guerres", "discordes", "maladies" et autres termes du même genre, nul n'hésiterait à répondre qu'on les range parmi les maux, que ce sont vraiment des maux et qu'ils sont jugés et appelés des maux. 14 Leurs contraires, paix, concorde, santé, personne n'ira nier non plus que ce soient des biens et qu'on les désigne comme tels. Bien que l'opposition entre biens et maux soit aussi évidente, quelques-uns ou, plutôt, beaucoup parmi nous trouvent malgré tout du plaisir dans des maux avérés. Prenons un navire : tous ceux qui sont à bord savent que leur seule chance de salut est que les matelots s'entendent et obéissent au pilote, mais qu'en cas de discorde et d'indiscipline, les vents favorables deviennent souvent pour le navire des vents contraires et 6. L'idée se retrouve chez Dion (17, 11 et 40, 35) et chez Aelius Aristide (23, 76-77).
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qu'on manque ]es ports dont on est tout près; i1arrive cependant que, par bêtise, les mate1ots se querellent et le résultat est qu'Us meurent tout en étant conscients des causes de leur perte. 15 Et a1ors que le salut des maisons est dans la concorde des maîtres et 1a docilité des domestiques, la discorde des maîtres et la méchanceté des esclaves ont malgré tout causé 1a ruine de bien des maisons. Quel1e chance de salut reste-t-il au char, si ]es chevaux ne veulent pas courir avec ensemble ? Mais quand ils commencent à s'écarter l'un de l'autre, à tirer l'un à hue, l'autre à dia, il est absolument inévitable que le cocher soit en danger. Qu'est-ce qui fait les bons ménages, sinon la concorde entre mari et femme ? Les mauvais ménages, sinon leur mésentente ? Et quelle utilité les enfants ont-ils pour les parents, 1orsqu'ils commencent sottement à se rebeller contre eux ? La fraternité qu'est-ce d'autre que la concorde entre frères? L'amitié, que 1a concorde entre amis? 16 Et toutes ces choses sont non seulement bonnes et belles, mais encore très agréables. Leurs contraires non seulement mauvais, mais encore désagréables. Cependant nous ]es préférons souvent aux biens les plus agréab1es. Ainsi certains ont préféré la guerre à la paix en dépit de tout ce qui les sépare, non pas parce qu'il est meilleur ou plus agréable ou plus juste de se battre que de vivre en paix, mais on se bat pour être roi, pour être libres, pour acquérir un territoire quand on n'en a pas ou pour s'assurer la maîtrise de la mer. Or, malgré 1a grandeur de ces enjeux, beaucoup ont renoncé à poursuivre une guerre, considérant que c'était un mal et une chose indigne d'être préférée aux biens les plus précieux. 17 Mais guerroyer et se battre sans même une ràison valable, est-ce autre chose que la folie complète, qui pousse à désirer des maux ? Nous, les hommes, nous haïssons les fauves surtout parce qu'il y a une guerre inexpiable entre eux et nous. Mais il en est beaucoup parmi nous qui se plaisent à traiter les hommes comme des fauves dans la bataille qu'ils livrent à leur propre espèce. 18 Et nous ne sommes pas sensibles non plus aux signes divins, à tous ]es présages que les Dieux nous envoient pour nous apprendre à vivre dans la concorde. On dit en effet que ces signes sont comme des hérauts envoyés par les Dieux. Pour cette raison, chez nous aussi, la paix est déclarée par les hérauts, mais les guerres éclatent la p1upart du temps sans déclaration. Pour discuter de la paix, les ambassadeurs se rendent sans armes auprès de gens qui sont armés et il n'est pas permis de faire injure à aucun d'eux, car tous les messagers d'amitié sont gens de Dieu. Et lorsque des armées marchent l'une vers
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l'autre pour combattre, si un signe apparaît dans le ciel ou si la terre se met à trembler, les soldats font aussitôt demi-tour et se séparent, croyant que les Dieux ne veulent pas qu'ils combattent. 19 Mais rien n'est considéré comme un signe que les Dieux veulent la guerre 7. Et tout ce qui est si agréable aux hommes et qui marque le bonheur, nous le faisons lorsqu'arrive la paix : nous nous couronnons, nous sacrifions, nous faisons une fête. Dans les guerres, comme dans les deuils, nous faisons tout le contraire : nous nous enfermons chez nous, nous avons peur de tout, nous désespérons de la vie ; les femmes pleurent sur leurs maris, les enfants sur leurs pères, comme dans les pires catastrophes. 20 S'il se produit un séisme ou une épidémie, nous accusons les Dieux de faire le malheur des hommes et nous déclarons qu'ils ne sont ni justes ni bons, même s'ils nous punissent en toute justice des forfaits que nous avons commis, si grande est notre horreur devant les catastrophes nature1les. Mais la guerre, qui ne fait pas moins de victimes qu'un séisme, nous choisissons nous-mêmes de la faire et nous n'adressons aux fauteurs de guerre aucun de ces reproches que nous adressons aux Dieux pour les catastrophes naturelles, mais nous allons jusqu'à voir en eux des amis des peuples, nous écoutons leurs discours avec délectation, nous suivons leurs conseils et, en récompense des maux qu'ils nous causent, nous les payons, non pas de retour - ce serait leur rendre mal pour mal - mais de toutes sortes de faveurs, d'honneurs et d'éloges. Aussi seraient-ils bien fous d'épargner des gens qui leur savent gré des maux qu'ils leur font. 21 Commençons donc, Nicomédiens, par considérer les raisons du conflit et, si elles sont si sérieuses qu'il vaille la peine de faire une guerre, non pas brève, comme celles où l'on recourt aux armes et qui peuvent trouver un remède dans la rapidité de la décision, mais une guerre longue et intenninable que vous léguerez à vos enfants et à leur descendance et qui exclut tout espoir de réconciliation, luttons, disputons-nous et causons-nous tous les ennuis possibles 8, tout en étant désolés de ne pouvoir en causer plus. Mais si l'enjeu de cette lutte est un pur néant et si les enjeux apparents sont minces et misérables et ne méritent même pas que mfune des particuliers, à plus forte raison 7. En 12, 78 pourtant, Dion suggère que les éclairs présagent la guerre ou un massacre. 8. Ce fut ce qui arriva ; la querelle dura tout le IIe siècle et coûta cher à Nicée : elle prit, par haine de Nicomédie, le parti de Pescennius Niger contre Septime Sévère qui, pour se venger, la dépouilla de ses titres de "première cité", de "métropole" et de "néocore des empereurs" (L. Robert, "La titulature ...", p. 1-39).
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d'aussi grandes cités, se disputent pour euJi:11iu:ylcm, les abréviations "AM" qui figurent sur des monnaies de Nicomédie frappées à l'effigie de Germanicus. 12. Nicée, comme Celaenae (Dion, 35, 14), reçoit des tributs de villes et de villages situés sur son territoire. 13. Il s'agit des cités qui font partie du district judiciaire (conve11t11s j11ridicus) dont Nicée est le chef-lieu. Chaque année le proconsul tient ses assises à Nicée et y juge tous les procès du district ; sur l'importance de œ privilège, voir Dion, 35, 15 et 17; 40, 10 et 33. 14. Texte énigmatique et diversement interprété : W. Ruge, RE, s. v. Nikomedeia, col. 480, pense à une taxe levée par Nicomédie sur les résidents non-grecs ; C. P. Jones, The RoffUln World ..., p. 87, croit qu'il s'agit du tribut versé au fisc romain par la province et que la recette centrale se trouvait à Nicée.
t)!on de Prose
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homme qui n'est qu'un simple particulier et a parfaitement conscience de sa condition, s'évertuait à se faire appeler "roi", rnntrairement à son attente, il fera rire de lui, puisqu'il s'arroge un titre fallacieux qui n'est fondé sur rien de réel. Il en est de même dans d'autres domaines : si un homme veut passer pour f!1ltistesans savoir jouer de la flûte, musicien sans rien connaître en musique ou cithariste sans savoir non plus toucher la lyre avec art, des gens pareils passerontforcément pour fous. Et nous, nous nous imaginons que si nous sommesquelque part qualifiés de "premiers" dans une inscription 15, nous détiendrons le premier rang ? 29 Quel genre de premier rang, Nicomédiens ? Car je vous poserai encore et encore la même question. Quelle est l'utilité de cela ? Qu'est--ceque cela représente en réalité ? Nous rendra-t-il plus riches, plus grands, plus puissants 16? Même au niveau des particuliers, la vaine gloire est considérée comme une folie ; nous nous moquons d'eux autant qu'il est possible, nous les 5ffrent des mots et déclarent et écrivent que vous êtes les
19. Nicomédie et Nicée ont, par exemple, besoin du renfort des voix des autres cités lors des votes au conseil provincial (C. P. Jones, Tite Roman World..., p. 88).
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Discours 38
"premiers" 20. Ensuite et pour le reste du temps, ils peuvent sans risque aucun vous traiter comme les derniers des derniers. 38 Ces sortes de choses dont vous vous glorifiez sont considérées avec le plus grand mépris par les esprits sains et elles excitent particulièrement le rire des Romains et, ce qui est encore plus vexant, on les appelle "bêtises grecques" 21. Et en effet ce sont des bêtises, Nicomédiens, de vraies bêtises, mais grecques, non ; sauf à dire qu'elles sont grecques dans la mesure où, autrefois, Athéniens et Lacédémoniens ont lutté pour la gloire. Mais j'ai déjà dit tout à l'heure 22 qu'il ne s'agissait pas d'une gloire creuse, mais qu'ils luttaient pour une véritable domination ; à moins que vous ne croyiez maintenant qu'ils se battaient héroïquement pour avoir le droit de conduire une procession 23, comme ceux qui, dans un mystère, jouent à se battre pour quelque chose qui ne leur appartient pas 24. 39 Si le titre de métropole vous est réservé et le premier rang partagé avec d'autres, qu'y perdez-vous ? J'oserais même dire, moi, que si vous renoncez à tous ces titres, vous ne renoncez à rien de substantiel. Pensez-vous que vous verriez pour autant la mer se retirer loin de chez vous, votre territoire se rétrécir, vos revenus diminuer ? Avez-vous déjà été au spectacle ? Mais que dis-je ? Presque chaque jour vous assistez à un spectacle d'acteurs tragiques ou autres qui ont l'air de venir sur la scène pour vous réjouir et vous charmer, mais qui instruisent utilement ceux qui saisissent ce qui se passe. Est-ce que l'un des acteurs vous paraît être véritablement roi, tyran ou dieu ? 40 Ils en portent cependant les noms, sont des Ménélas, des Agamemnons, et des dieux et des héros ils ne portent pas seulement les noms, mais aussi les masques et les robes et ils donnent, 20. Mais le titre ne pouvait être conféré que par une décision impériale (L. Robert, "La titulature ...", p. 18). 21. Expression proverbiale: cf. Maxime de Tyr, 18, 4 d, Hobein. Le mépris pour les Grecs d'Asie s'exprime de façon particulièrement cinglante dans le ProFlnccode Cicéron,§§ 65-66. 22. Au§25. 23. Allusion topique à la rivalité entre Athènes et Sparte, qui se disputaient la propompeia, c'est-à-dire le privilège de conduire la procession, aux Eleutheria de Platées ; cf. Noe! Robertson, "A Point of Precedence at Plateia", Hesperia, 55 (1986), p. 88-102. Le titre de "première cité" donnait le droit de marcher en tête de la procession des délégués lors de la fête qui marquait la réunion de l'assemblée provinciale (S. R. F. Priœ, Rituals and Power,p. 129). 24. Nous ne savons à quoi Dion fait allusion ici.
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::omme eux, quantité d'ordres ; mais, la représentation terminée, ils ~·envont et ne sont plus rien. On veut être qualifié de "premier", soit ; mais si on tient vraiment le premier rang, un autre peut bien porter le titre, on reste 1e premier. En effet les noms ne gàrantissent pas qu'on possède les choses, ce sont les choses qui garantissent 1esnoms. 41 Et puis réfléchissez aussi à ce que produira la concorde. Actuellement vos deux cités ont chacune leurs propres citoyens, mais après la réconci1iation, chacune aura en plus les citoyens de ]'autre. Les libéralités, choses dont une cité a aussi besoin, considérez qu'elles vont doubler, ainsi que les bons offices. Il y a chez vous un homme ~loquent : i1 les fera profiter de son éloquence; i1 y a chez eux un homme riche: il financera aussi chez vous 25. Dans l'ensemble, aucun individu indigne de tenir le premier rang dans 1'État ne se rendra popu1aire chez vous parce qu'il parlera contre eux, ni chez eux parce qu'il par1era contre vous. Et si quelqu'un se révèle être un coquin qui mérite d'être puni, il n'échappera pas au châtiment en passant d'ici chez eux, ou de là-bas chez vous. 42 Pour le moment vos deux cités sont comme aux aguets l'une de l'autre et les criminels de 1'une trouvent refuge dans l'autre. La concorde rétablie, ils devront ob1igatoirement être honnêtes gens et respecter la justice ou quitter la Bithynie. Vous êtes fiers du chiffre considérable de votre population 26 : vous serez plus nombreux encore; vous croyez avoir suffisamment de territoire: vous en aurez plus qu'à votre suffisance. Tout, dans l'ensemble, se réunissant, récoltes, argent, mérites et puissance des individus, les ressources des deux cités doubleront. 43 Le plaisir, qui est le but de toute action humaine, sera pour vous plus grand que je ne puis dire. D'une part l'élimination de ce qui vous afflige - jalousie, esprit de chicane, disputes qui en résultent, complots réciproques, joie des malheurs du voisin, dépit de ce qui lui arrive de bien -, d'autre part l'étab1issement dans vos cités du contraire de tout cela - bonheur partagé, bonne entente, accord dans la joie -, est-ce que tout cela ne fait pas penser à une fête pub1ique ? Réfléchissez à ceci : 44 si une divinité, Nicomédiens, vous avait 25. Soit à titre d'évergète, soit à titre de magistrat : cf. Pline le Jeune, 10, 114, 3 et Dion, 41, 2. On pouvait être citoyen d'une cité et bouleute d'une autre; Dion, citoyen de Pruse et d'Apamée, se déclare prêt à servir Apamée, sa seconde patrie, en 41,3. 26. Nicomédie était très peuplée, au témoignage de Pline, 10, 41, 2 et pour Pausanias, 5, 12, 7, elle était la plus grande cité de Bithynie ; sur son territoire et ses activités économiques, voir L. Robert, "Documents d'Asie Mineure", BCH, CII 0978), p. 425-428.
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Discours 38
offert de posséder non seulement votre cité, mais en plus, si vous le vouliez, celle de Nicée, cela ne vous aurait-il pas semblé une faveur d'une énormité incroyable et n'auriez-vous pas fait toutes sortes de voeux pour l'obtenir ? Mais cette chose apparemment incroyable peut se réaliser maintenant et Nicée peut être à vous et ce qui est à vous à eux. 45 On admire les frères qui habitent une maison en mettant tout en commun et qui n'ont pas, mesquinement, divisé le patrimoine ; mais leur richesse suscite encore plus l'admiration, car elle est plus grande du fait même qu'elle n'a pas été partagée et que chacun d'eux n'en a pas eu la moitié, mais semble posséder le tout. De plus tout le monde les considère comme des gens vertueux, justes et vraiment frères. Si une telle fraternité 27 s'établit entre cités, ne sera-t-elle pas un bien plus grand et plus beau et une plus grande richesse ? 46 Il faut aussi qu'elle s'établisse à cause des ancêtres communs aux deux cités 28 et des Dieux qui reçoivent un culte semblable chez eux et chez vous. Il est particulièrement affligeant que, ayant tout en commun, ancêtres, Dieux, usages, fêtes et étant dans de nombreux cas unis par des liens personnels de parenté et d'amitié, nous nous battions comme des Grecs contre des barbares ou, comparaison plus juste au vu de votre comportement, comme des hommes contre des bêtes. 47 Refuserez-vous de vous regarder ? Refuserez-vous de vous écouter ? Vos cités ne se serreront-elles pas la main 29, sur votre initiative à vous ? Refuserez-vous d'acquérir en vous réconciliant 27. Il arrivait que des cités se décernent le titre de "soeurs" (D. Magie, Roman Rule in Asia Minor, p. 638) ; développements analogues chez Aetius Aristide, 7J, 44. 28. Allusion au peuplement originellement hellénique des deux cités : fondée vers 260 a. C., Nicomédie avait absorbé l'établissement mégarien d'Astacos détruit par Lysimaque ; Nicée était une création d'Antigone et de Lysimaque, qui y avaient installé des soldats d'Alexandre, mais elle se targuait d'avoir été peuplée à l'origine par les peuples les plus nobles de la Grèce (Dion, 39, 1). 29. Des monnaies proclamant la concorde de deux cités représentent leurs divinités se serrant la main; ainsi, sur une monnaie de Nicée, la nymphe Nikaia serre la main de la Déméter de Byzance (voir R. Merkelbach, Nihtia in der romischen Kaiseruit, 1987, RheinischeWestphalische Akademie der Wissenshaften, Vortriige G 289, p. 22). A. R. Sheppard remarque ("Homonoia in the Greek Cities of the Roman Empire", Ancient Society, 15-17 (1984-1986), p. 234) que la querelle entre Nicomédie et Nicée n'a pas donné lieu à la frappe de monnaies homonoia.
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tous les avantages que chaque cité possède ? Ne consentirez-vous pas l'i en profiter? Plût au ciel que du peuple d'Éphèse vous puissiez faire nussi votre frère; que les édifices de Smyrne fussent communs à eux et l'i vous! 48 Ces avantages immenses, vous les perdrez seulement à cnuse d'un mot : pour quel profit ? Pour quel plaisir ? Que l'établissement de la concorde sera profitable aux deux cités et que jusqu'ici la discorde ne vous a profité en rien, les nvantages qui résulteront de la concorde et les inconvénients que vous npporte la haine, c'est ce que je viens d'exposer sobrement. 49 Il me reste à montrer que ces avantages subsisteront une fois faite la rœonciliation. Certains nourrissent déjà des appréhensions sur ce point. J'admets les raisons qu'ils donnent de leur crainte, si ce qu'ils disent procède d'un réel désir de la concorde et de la peur qu'elle ne soit détruite et s'il ne s'agit pas au contraire de raisons qu'ils rivancent pour qu'elle ne s'établisse pas du tout. Eh bien, la plus grande et la plus sûre garantie que la concorde durera sera son utilité. Car si la seule démonstration orale de ses avantages semble déjà vous convaincre, l'épreuve des faits ne va-t-elle pas rendre cette démonstration encore plus convaincante? 50 Mon optimisme se fonde aussi sur le fait que vous vous défaites difficilement d'une habitude et si la discorde, qui est un si grand mal, a régné si longtemps entre vous par la seule force de l'habitude, n'est-il pas probable qu'on se familiarisera encore mieux avec la réconciliation, qui est plus agréable et plus conforme à la justice ? Il faudra conserver quelque méfiance, surtout à l'égard des gens du bas peuple, qui peuvent essayer de mettre la brouille entre vous. Ne les écoutez pas - car ils ne poursuivent qu'un but égoïste - lorsqu'ils voudront s'offrir cette a$pèce de joie et ne vous fâchez pas pour des broutilles. 51 Il est probable que les Dieux veilleront aussi particulièrement à ce que cette concorde persiste. Je crois en effet ~u'ils sont à l'origine de mon initiative et qu'il ne me serait jamais mtrement venu à l'idée de vous parler d'une question si importante rur laquelle personne avant moi, jeune ou vieux, n'a parlé. Il vaut la peine de leur adresser encore des prières. Je les ai priés en ::ommençant de vous disposer à suivre mes conseils; comme il me :;embleque vous le faites déjà, il me reste à prier pour qu'ils rendent à amais irrévocables vos nobles résolutions.
Discours 39
Sur la concorde,à Nicée, après la fin du conflit
1 L'honneur que vous me faites 1 me donne la joie qu'éprouve normalement l'homme sensé qui se voit honoré par une cité aussi distinguée et importante que la vôtre 2, qui ne le cède en puissance et en grandeur à aucune des cités illustres de par le monde et pas davantage sous le rapport de la noblesse de la race et de la composition de la population, formée des races les plus illustres et de la réunion, non de peuples inférieurs arrivant par petites bandes d'ici ou de là, mais de la fleur des Grecs et des Macédoniens 3. Et surtout e11ea eu comme fondateurs des dieux et des héros. 2 11convient à des gens installés par les Dieux de vivre dans la paix, la concorde et l'amitié mutuelles. Car il serait honteux qu'ils ne soient pas très heureux, chéris des Dieux et favorisés par la Fortune, désireux qu'ils sont de montrer que ce qu'on dit de leur origine est véridique et non pas une vaine et mensongère allégation. En effet des dieux qui sont fondateurs 4, parents et premiers ancêtres, désirent moins voir leur peuple posséder la beauté du territoire, l'abondance des récoltes 5, l'ampleur de la population que la sagesse, la vertu, un L
L'octroi du droit de cité, pense Louis Robert
("La
titulature ..."', p. 17) ;
C. P. Jones (Tlie Roma11 World ..., p. 90) est moins affirmatif.
2. Pourvue d'un vaste territoire, riche, peuplée, chef-lieu d'un district judiciaire, Nicée l!tait, après Nicomédie, la ville la plus importante de la province. 3. La fondation de Nic6e répond à l'installation de soldats par Antigone le Borgne et Lysimaque, mais la ville se targuait d'origines attiques, comme le montre la mention de Thésée et de Prométhée sur ses monnaies: cf. L. Robert, "La titulature ...", p. 17-18, où le début du texte est traduit et commenté. 4. Héraklès et Dionysos (cf. infra § 8) sont proclamés fondateurs sur les monnaies de la ville et dans l'inscription de la porte de Lefke (L. Robert, "La titulature ...", p. 9). S. La fertilité du territoire de Nicée est vantée par Strabon, 12, 4, 7; Dion développe id le thème majeur de sa prédication ; la richesse et le bonheur matériel ont moins d'importance que les vertus politiques et morales: cf. 13, 34-37; 32, 35-37; 33, 17-18 et tout le Discours 79.
Discours 39
Notice
Dans cette courte allocution prononcée à Nicée, Dion remercie la cité de l'avoir gratifié d'un honneur dont il ne précise pas la nature et célèbre la concorde qu'elle vient de retrouver après une période de troubles 1. Il évoque dans le Discours 48, adressé à ses compatriotes sous le proconsulat de Varénus en 104-105 ou 105-106, une agitation qui avait secoué l'ensemble de la Bithynie et entraîné la prorogation de l'assemblée de Pruse (48, 1 et 8). Les troubles de Nicée doivent-ils être rapportés à cette effervescence générale ? Von Arnim Je pense 2 et son hypothèse mérite d'autant plus d'être prise en considération qu'à Nicée comme à Pruse Dion invoque sa mauvaise santé pour abréger son discours (39, 7 = 48, 8). Il ne s'est guère mis en frais d'originalité pour remercier les Nicéens et leur vanter les charmes de la bonne entente. Son éloge n'est qu'un tissu de lieux communs et de comparaisons qu'on retrouve dans d'autres compositions. 11disposait visiblement pour chaque type de situations d'un stock de développements passe-partout qu'il reprenait sans se lasser chaque fois que le besoin s'en faisait sentir. Pour C. P. Jones, c'est l'assemblée de Nicée qu'il aurait régalée de cette pièce d'éloquence 3. Si tel est le cas, !'ordre du jour devait comporter des questions plus passionnantes. Dion le laisse lui-même entendre, car, après avoir expliqué que sa mauvaise santé lui impose d'être bref, il ajoute(§ 7): "... vous êtes peut-être plus intéressés par autre chose".
1. C. P. Jones, The Roman World..., p. 90, pense qu'il peut s'agir, comme à Tarse (cf. 34, 16), de dissensions entre l'assemblée et le conseil. 2. Leben u11d Werke ..., p. 373; C. P. Jones (The Roman World ..., p. 136) date le discours de ''circa 98 or later"; P. Desideri (Dione di Prusa, p. 273) le juge postérieur à l'exil. 3. C. P. Jones, Tlie Roman World..., p. 89.
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gouvernement respectueux des lois, la considération pour les bons citoyens, le mépris pour les mauvais. 3 Moi aussi je me réjouis de vous voir afficher la même contenance, parler d'une même voix et manifester la même volonté. Est-il plus beau spectacle qu'une cité unie dans ses sentiments ? Est-il musique plus noble ? Est-il cité qui prend de meilleures résolutions que celle où elles sont prises d'un commun acord? Cité qui agit plus facilement que œ11equi agit avec ensemble? Cité qui essuie moins d'échecs que celle qui prend des décisions unanimes 6 ? Est-il gens qui savourent mieux leur bonheur que ceux qui vivent dans la concorde? Gens à qui les événements fâcheux pèsent moins que ceux qui en supportent en commun le fardeau ? Gens à qui ]es ennuis arrivent plus rarement que ceux qui se protègent mutuellement ? 4 Est-il cité plus chère à ses citoyens ? Mieux considérée des étrangers ? Plus utile à ses amis ? Plus redoutable à ses ennemis? Est-il gens plus dignes d'être crus quand ils louent? Plus véridiques quand ils blâment? Plus près d'égaler leurs maîtres en dignité? Plus respectés de leurs maîtres? Plus chéris des bons magistrats ? Moins méprisés par les mauvais ? N'est-il pas évident que ceux qui vivent dans la concorde sont écoutés non seulement par Jeurs maîtres, mais encore par les Dieux 7 ? Mais chez ceux qui sont divisés, on n'entend même pas ce que l'autre dit. Personne n'entend nettement les paroles de choeurs qui ne chantent pas à l'unisson ; il en est de même pour les cités en proie aux dissensions. 5 Est-il édifices, étendue de territoire, chiffre de population qui rendent un peuple plus fort que ne le fait la concorde intérieure? Autant en effet il y a de citoyens dans une cité 011règne la concorde, autant il y a de paires d'yeux pour voir son intérêt, de paires d'oreilles pour entendre, de langues pour conseiller, d'esprits pour réfléchir. C'est exactement comme si un dieu avait donné une seule âme à une cité aussi grande et aussi peuplée. Car ni l'abondance 6. Ce passage et les comparaisons du § 6 induisent C. P. Jones (The Roman World ..., p. 90) à penser qu'il y a eu conflit entre l'assemblée et le conseil ; une monnaie de Nicée frappée sous Gordien III (238-244) et reproduite dans R. Merkelbach, Nikain..., p. 22, célèbre la concorde du Conseil et du Peuple qui sont représentés se serrant la main. 7. Ce sont les relations avec les autorités romaines qui sont évoquées ici ; Dion fait miroiter aux yeux des Nicéens l'espoir que, s'ils présentent aux gouverneurs un front uni, ils seront mieux à même de faire valoir leurs revendications.
)Ion de Pruse
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l'argent 8, ni l'ampleur de la population, ni aucun autre facteur de >uissanœ ne sont utiles à des gens qui se querellent, mais toutes ces :hoses, au contraire, leur sont plutôt dommageables et plus el1es sont ;randes, plus grand et douloureux est le dommage. De la même façon, !! crois, que d'être grand et bien en chair est un avantage quand on est :n bonne santé, alors que cet état est nuisible et expose à de graves langers quand on est malade et déficient ; 6 de même, si la concorde ~gne entre pilote et matelots, il n'arrive rien au vaisseau qui est en ner ni aux gens qui sont à bord; sinon, fatalement, plus il porte de •oiles, plus violente est la tempête et plus grand le désordre ; il en ·a pareillement pour un char : si le cocher sait commander comme il aut et que les chevaux s'entendent bien et soient dociles, ce char a les chances de gagner un concours et de sortir indemne d'un combat. ,fais si la discorde et le désordre s'en mêlent, le danger est d'autant ,lus grand que les chevaux sont plus forts et plus rapides 9. · Semblablement une cité où règne la concorde tire avantage de hoses comme l'abondance d'argent, l'ampleur de sa population, les ,onneurs, la gloire et la puissance ; sinon, elles sont causes l'embarras et de difficultés. C'est comme lorsqu'on élève ensemble un ;rand nombre de fauves ou de bestiaux : ils se cossent, se piétinent et 'écrasent mutuellement. Si j'étais en bonne santé 10, je ne cesserais pas de parler avant 'avoir, dans la mesure de mes moyens, développé suffisamment ce ujet. Mais, pour le moment, vous êtes peut-être plus intéressés par utre chose et moi, je suis bien inférieur à la grandeur de l'épreuve. 8 Il me reste à prononcer le plus court et le plus efficace des iscotirs, celui qui s'adresse aux Dieux. Ceux-ci en effet comprennent is pensées même exprimées en peu de mots, ce qui peut être un effet e leur grande bienveillance. De même que les bons pères conseillent !Ursenfants comme ils le peuvent et prient les Dieux pour eux quand s échouent à les persuader, je prie donc Dionysos 11, le premier 8. Cette aisance financière permit à Nicée de s'engager dans des réalisations monumentales qui lui causèrent bien des déboires (Pline Je Jeune, 10, 39, 1-4). 9. Comparaisons chères à Dion: cf. 34, 16 et 38, 14-15. O. Cette allusion donne à croire que le discours est postérieur au retour d'exil (cf. 48, 8). 1. Nicée tenait son nom de Nikaia, fille d'Antipatros et femme de Lysimaque, deuxième fondateur de la ville, mais une légende gratifiante avait fait de Nikaia une nymphe rendue mère par Dionysos et représentée en chasseresse sur les monnaies de la cité.
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Discours 39
ancêtre de cette cité, Héraclès, fondateur de cette ville, Zeus Polieus, Athéna, Aphrodite Philia, Homonoia, Némésis et les autres divinités, d'inspirer à cette cité à partir d'aujourd'hui un amour passionné d'eUe-même, l'unité des vues, mêmes volontés et mêmes pensées, d'en expulser la dissension, la discorde et l'esprit de querelle, afin qu'elle compte à l'avenir parmi les plus heureuses et les meilleures des cités.
Discours40 Notice
Le Discours 40 a été prononcé par Dion devant l'assemblée de :,ruse au cours d'un débat portant sur le règlement d'un conflit avec la ,ille voisine d'Apamée ; mais avant d'exprimer son avis sur cette lffaire, il évoque, dans un long retour en arrière(§§ 1-15), le premier ;éjour qu'il fit à Pruse après son exil. Ses auditeurs pouvaient à bon droit s'étonner de l'entendre -essasser des événements sans rapport avec l'ordre du jour. n a luinême conscience de l'incongruité de cette longue rétrospective et 'excuse avec désinvolture en expliquant qu'i1 a suffisamment parlé le l'affaire d'Apamée dans le passé pour n'en pas reparler >résentement (§ 16). Mais la véritable raison de ce retour en arrière emble bien être d'ordre tactique. Rentré de voyage il y a peu(§ 25), 1 était absent 1 lorsque ses concitoyens ont résolu de répondre avorablement aux ouvertures d'Apamée et on l'a invité à revenir 1ar décret (§ 17), jugeant indispensable sa participation aux 1égociations. Il ne s'est pas pressé de répondre à cet appel et a -olontairement traîné les pieds. li le dit sans ambages et en donne la ilison: il a à Pruse des ennemis qui n'ont pas désarmé (§§17-18)et lui nt rendu la vie quasiment intenable lors de son précédent séjour . .orsqu'il s'étend sur leurs manoeuvres, leurs critiques, leurs ragots, ref sur l'ingratitude dont on a payé son dévouement (§§ 7-14), >rsqu'il évoque la tentation qui l'a pris de tout abandonner et de ~prendre ses tournées de conférences (§§ 7 et 12), il adresse à ses ::>mpatriotesun avertissement sans frais : il accepte de servir encore, tais qu'on ne recommence pas. À cette date Pruse a reçu de Trajan tous les privilèges qu'à notre :mnaissance il devait lui accorder : augmentation du nombre des 1. Pour von Arnim (Lebe11und Werke.••, p. 325-328et 345-346)il était en mission et dirigeait l'ambassade qui obtint de Trajan la création de nouveaux conseillers (§ 14) ; opinion partagée par C. P. Jones (The Roma11World..., p. 138) ; mais, comme nous le verrons, les faveurs de Trajan sont bien antérieures à ce voyage de Dion et rien ne prouve en outre qu'elles aient ét6 le résultat d'une ambassade.
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Discours 40
conseillers (§ 14), élévation au rang de centre d'assises (§ 33) 2. Il les a octroyés sur la demande de Dion, mais les adversaires de celui-ci ont clamé qu'on aurait pu obtenir beaucoup plus (§ 14) ; ils ont également prétendu que Trajan avait reçu de façon insultante l'ambassade envoyée pour le remercier 3. L'enchaînement du texte, la formulation même des faits imposent l'idée que œs reproches et ces récriminations font partie de ces avanies dont Dion se plaint d'avoir été abreuvé lors de son premier séjour, avant le voyage dont il revient. Il est donc impossible de penser avec von Arnim et d'autres 4 que les faveurs impériales viennent d'être accordées et résultent d'une ambassade à laquelle il a participé et qui aurait motivé sa récente absence. En réalité elles doivent dater du début du règne, puisque Dion nous apprend (§ 15) que Pruse a été la première cité à bénéficier de la bienveillance du prince ; en outre rien ne laisse supposer qu'elles aient été obtenues à la suite d'une ambassade; elles ont l'air, au contraire, d'être l'effet d'une requête personnelle de Dion 5, impression que confirmera le Discours45. Il est question au§ 33 d'une autre ambassade qui est sur le point de partir, mais dont la destination et l'objet ne sont pas précisés. Il se peut, mais ce n'est pas sûr, qu'elle ait un rapport avec les assises, que
2. Von Arnim (Lebeu u11d Werke..., p. 328) pense également à une grosse subvention du trésor impérial et interprète dans ce sens l'allusion au fleuve d'or qui aurait pu arroser la ville(§ 14) ; mais on peut aussi bien songer aux sommes honoraires versées par les nouveaux conseillers. 3. Von Arnim (Leben 1111d Werke.... , p. 328) pense que le discours a été tenu peu de temps après le retour de cette ambassade de remerciements, mais rien dans la narration n'indique qu'elle appartient à un passé rJcent ; en revanche von Arnim a raison de croire que Dion n'en faisait pas partie ; P. Desideri (Dio11edi Prusa, p. T17, n. 18) est d'un avis contraire et identifie cette ambassade avec celle dont il serait question en 45, 3 ; mais rien dans ce dernier passage n'indique que Dion fasse le récit d'une ambassade. 4. Von Arnim, Leben 1md Werke ..., p. 325-328 ; C. P. Jones, The Romn11 World ..., p. 52; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p.160 et 172-173. 5. W. Schmid, RE, s. v. Dion Cocceianus,col. 855, C. Vielmetti "I Discorsi Bitinici ...", p. 93 et P. Desideri, Dio11edi Prusa, p. 266 et 382-384, pensent que les faveurs accordées à Pruse sont le résultat d'une démarche personnelle de Dion auprès de l'empereur (Nerva pour Schmid).
Iton de Prose
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>Ionvient justement d'évoquer. Pour von Arnim et C. P. Jones 6, elle crait chargée de remercier Trajan pour ce privilège ; on en devrait lors conclure qu'il a été accordé tout récemment et après les autres wcurs. P. Desideri et A. R. Sheppard ne le croient pas 7; avec ~tson, nous semble-t-il, car Dion présente les assises dans des termes ui suggèrent qu'elles font partie de ces événements ordinaires qui ~viennent périodiquement dans la vie de la cité(§ 33) : "C'est chez ous que se tiennent les assises et c'est chez vous qu'il faut être jugé". ln remarquera )'emploi du présent de l'indicatif : si le privilège cmait d'être octroyé, Dion emploierait le futur. Les grands travaux qu'il a fait entreprendre à Pruse et les ,anoeuvres de ses ennemis pour les entraver ou les arrêter sont mguement exposés(§§ 6-11). On notera qu'il parle de tout cela au assé 8. Les démolitions ont jeté à terre des quartiers délabrés; à leur lace se sont élevés des édifices qui doivent être achevés ou presque, uisque Dion mentionne la mise en place des colonnes et des corniches i 9). Pas un mot de monuments en panne faute de crédits et rien ne onne à penser que l'abnosphère de Pruse soit encore empoisonnée par es problèmes de constructions. Visiblement une première tranche de avaux a été menée à bien et c'est ce qui a permis à Dion de absenter. Comme l'a bien vu von Arnim 9, il n'est, au moment où il parle, ,argé d'aucune responsabilité publique, commissariat aux travaux J autre chose et, de ce côté, il semble·libéré de tout souci. Ses réoccupations sont d'ordre privé: il voudrait pourvoir à sa santé et ·tablir sa situation financière pour pouvoir honorer une souscription )nt il ne précise pas l'objet, disant seulement qu'elle a été spontanée nullement imposée (cf. § 3). Si elle se rapporte à des travaux en ,urs, comme le croit von Arnim 10, il ne peut s'agir que d'une nouvelle anche de constructions, pour laquelle Dion s'est engagé financièment, mais dont il n'a pas la direction, comme lors de son précédent 6. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 328 ; C. P. Jones, The Roma,i World ...,p.52. 7. P. Desideri, Dione di Prusa, p. 277, n. 18 ; A. R. Sheppard, "Dio
Chrysostom...", p.160. 3. Von Arnim, (Leben und Werke..., p. 353-354) croit que Dion rappelle la crise passée parce qu'il voit s'en préparer une autre qui aura édatê quand il prononcera le Discours 47, de peu postérieur à celui-ci. ). Lebe,i 11nd Werke ..., p. 352-353. ). Leben u,id Werke..., p. 344-345.
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Discours 40
séjour. Cet engagement est-il celui qui n'a pas encore été honoré au moment où il prononce le Discours 48 11 sous le proconsulat de Varénus, c'est-à-dire vers 105? Peut-être, car deux indices suggèrent que le Discours 40 est antérieur au Discours 48. L'un est que sous Varénus Pruse est au mieux avec ses voisins (48, 4): le différend avec Apamée est donc réglé; l'autre est que le long préambule du Discours 40 ne contient pas la moindre allusion aux troubles graves qui agitèrent Pruse avant l'arrivée de Varénus et reprirent sous son proconsulat. Les seuls ennuis dont se plaint Dion lui ont été causés par des esprits attardés et jaloux farouchement opposés à la modernisation de la ville. Pas plus que dans le discours suivant prononcé à Apamée, Dion ne précise les raisons de la brouille survenue entre les deux cités. Quand il déclare (§ 30) qu'il n'est ni étendue de territoire, ni ~mme d'argent qu'on doive préférer aux avantages d'une bonne entente, il peut faire allusion aux origines du différend, mais tout aussi bien énoncer une simple généralité. Toujours est-il que le conflit durait depuis nombre d'années, qu'il était antérieur au retour d'exil de Dion et qu'Apamée n'avait sans doute pas raison sur toute la ligne. On ne comprendrait pas autrement que l'orateur fasse l'éloge de ceux qui consentent à transiger sur leurs droits (§§ 20 et 34), qu'il se défende de conseiller à Pruse de s'humilier({§ 23) et recommande la générosité (§ 33). Les Apaméens ne devaient d'ailleurs pas être trop sûrs de la solidité de leur cause, puisqu'ils ont fait les premiers des ouvertures de paix (§§ 18 et 23). Pressenti par les deux cités pour défendre leur cause, Dion refusa de servir l'une et l'autre (40, 16; 41, 8) : citoyen de Pruse, il tenait à Apamée par toutes sortes de liens et d'obligations. Il se borna à prêcher les bienfaits de la concorde et à démontrer à ses concitoyens l'absurdité et la nocivité d'une querelle avec de si proches voisins (§ 16). On notera que ce conflit ne semblait nullement nuire aux affaires et à la circulation des personnes et des biens entre les deux cités (cf.§§ 22, 30 et 31). Lorsque Dion en évoque les effets pervers, il n'est question que d'échanges d'injures aux fêtes, banquets et spectacles où les deux populations se rencontrent (§§ 28-29). Il est vrai qu'une simple altercation pouvait dégénérer en rixe et une rixe en émeute. Quoiqu'il en soit les relations ne sont pas interrompues, 11. Cest l'opinion de von Arnim, Leben 1111d Werke..., p. 351-352; point de vue partagé par G. Sautel, "Aspects juridiques d'une querelle de philosophes", Revue Intenialio11aledes Droits de l 'Antiquité, 1956, p. 429et visiblement par C. P. Jones, The Roma11World..., p. 112-114 et P. Desideri, Dio11edi Prusa, p. 266-267.
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is seulement empoisonnées par la querelle. Dion notera même à amée (41, 10·11) le caractère paradoxal d'une situation où 1imosité pour la cité voisine n'empêche pas qu'on en honore ividuellement les habitants : ainsi tous les notables de Pruse sont 1yensd'Apamée. On soupçonne là une opération de débauchage ;tinée à opérer un transfert des générosités individuelles. alement le paradoxe est peut-être plus apparent que réel. Le flit est en voie de règlement et, comme le pense von Arnim 12, Dion ms doute été sollicité de participer à la délégation qu'on enverra pamée. Cela explique qu'il ait prononcé dans cette dernière ville >iscours41, où il célèbre la réconciliation des deux cités. Dans cette occasion où il s'adresse à ses compatriotes, Dion est blement au mieux de sa forme et bien différent de l'orateur irrité , bout de nerfs que nous aurons l'occasion de rencontrer 13. On sent 1 a ta situation bien en main 14 et quand il rapporte les critiques leuses dont on l'a accablé, c'est sans amertume et même avec nour. Ici et là il s'amuse, cherche à faire rire et grossit le trait 1u'àla bouffonnerie : on aurait voulu que l'empereur vînt à la porte 1eillir les citoyens de Pruse, comme un simple particulier recevant grands personnages ! qu'il s'enquît de leur santé et prît des velles de leurs amis qui n'étaient pas venus! (§ 13) ; si Dion :1itvoulu, c'est dix mille conseillers qu'aurait obtenus la cité et aurait été submergée sous un véritable pactole ! (§14). Cela sent mme détendu, très à son aise, qui a réduit ses ennemis au silence eut en rire et en faire rire librement Malheureusement pour Dion, ,ie municipale était le domaine de l'imprévisible et cette 1elliene dura pas.
Lebe11und Werke..., p. 364.
Cette différence de ton a été bien sentie par C. Vielmetti, "l Discorsi Biti11ici ..."1 p. 104, qui en conclut que les affaires de construction appartiennent à un passé déjà bien éloigné et (p. 107) que le discours a été prononcé vers 110 ; c'est ignorer les repères chronologiques fournis par Dion dans les §§ 1 et 5, qui prouvent que le discours n'est sépara du premier séjour à Prase que par le temps d'un voyage. P. Oesideri, Dione di Prnsn, p. 268 : "... e la sua posizione in città sembre nonostante tutto solida".
Discours 40 Dans sa patrie, sur la conc~rde avec Apamée
1 Je pensais, citoyens, que, maintenant que me voilà de retour, je goflterais enfin ce repos complet qui m'avait été jusque-là refusé et que je n'irais pas, de bon ou de mauvais gré, m'occuper d'aucune des affaires de la cité. Car, d'un côté, je vois que, grâce aux Dieux, beaucoup de gens, vieux ou jeunes, ont le désir et la capacité de gouverner la cité et de gérer correctement vos affaires, vu qu'ils ne manquent d'aucune des qualités que requièrent la parole et l'action 1 et que de plus ils sont au fait de la situation politique locale; d'autre part, à dire vrai, j'avais l'impression que ma présence pesait à certains 2, comme si j'étais un étranger inutile. 2 Et puis, je pense, je me disais que je devais songer à ma santé détruite par de si dures et continuelles épreuves 3, ainsi qu'à l'état tout à fait déplorable de mes affaires, si longtemps ruinées et que je n'avais nullement rétablies. Car si l'absence prolongée du maître suffit à anéantir même la fortune la plus considérable, quel effet peut-on attendre d'un exil de tant d'années 4 ? Un exil dont personne n'aurait espéré me voir revenir vivant, vous exceptés, vu l'immensité de votre affection pour moi. Et encore, la menace de la pauvreté n'avait rien de terrible pour nous :_car je ne suis pas sans la connaître par expérience, après avoir erré tant d'années sans avoir non seulement ni maison ni foyer, mais pas même la compagnie d'un seul domestique. Et je comptais bien que mon fils s, qui ne m'est pas moralement inférieur, n'aurait lui aussi aucune peine à supporter la pauvreté. 1. 2. 3. 4.
Mêmes compliments en 44, 8. Allusions du même genre en 40, 17-18; 41, 2; 43, 2 et 6; 45, 15. 0.47,23. Un exil d'une quinzaine d'années, si la mort de Flavius Sabinus dont Dion était le oonseiller et l'ami, se place vers 82 ; l'expression indique que Dion a été frappé de relegatioin perpetuum (von Arnim, Leben und Werke..., p. 232) ; Dion évoque encore sa vie de vagabond et de mendiant en 1, 9; 1, 50; 3, 13; 7, 1 ; 12, 16; 13, 10-11; 45, 1 et 50, 8. 5. Dion parle encore de son fils dans les Discours 44 et 50. À l'époque du Discours44, c'est-à-dire lors du retour de Dion à Pruse, il était âgé d'au moins 25 ans, âge minimum pour revêtir les magistratures
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3 Mais puisque le problème qui se pose à nous est de ne pas tromper notre patrie et de ne pas vous frustrer de l'exécution d'une promesse que nous vous avons faite sans que rien nous y force 6, promesse ni facile à tenir, ni légère financièrement, je pense que je me trouve confronté là à une difficulté qui mérite mûre réflexion. Car il n'est pas hypothèque plus pesante, ni grevée de plus gros intérêts, qu'une générosité qu'on a promise et l'on éprouve la honte et la douleur d'un emprunteur quand, du fait des atermoiements, cette générosité se transforme en dette; une dette dont ceux qui gardent le silence vous réclament le paiement d'une façon plus insupportable à tous points de vue que ceux qui hurlent. 4 Car en ces matières rien n'est aussi propre à rafraîchir la mémoire de vos débiteurs que le fait que vous n'y pensez plus. Voilà pourquoi, voyez-vous, je jugeais que je devais m'occuper de mes affaires et ne toucher à aucune affaire publique, pas même seulement en paroles, avant de me rendre compte, comme dit le poête, de ce qui va mal et de ce qui va bien sous mon toit 7. 5 Auparavant 8 en effet, je n'avais pas eu le moindre loisir, peut-être à cause de ma manie de me mêler de tout, moi qui, au lieu de me borner, comme j'aurais dii le faire, à me présenter devant vous, à protester de mon amitié, à sacrifier aux Dieux et, par Zeus, à vous
mineures, puisque son père le présente (44, 8) comme un jeune homme capable de servir la cité ; quand il est archonte et préside le conseil (50, 10), il a au moins 30 ans (cf. Pline le Jeune, 10, 79, 1-3) ; il peut donc être le jeune enfant mentionné par Dion dans le Discours 46 (§ 13) prononcé au début du règne de Vespasien (69-79) ; il mourra encore jeune, puisque Pline le Jeune, qui gouverna la Bithynie en 110-112, mentionne son tombeau, placé à côté de celui de sa mère dans le complexe monumental dont Dion avait dirigé la construction (Pline le Jeune, 10, 81, 2 et 7). 6. Dion ne précise pas la substance de cette pollicitation ; il peut s'agir d'une libéralité qui n'a rien à voir avec celle qui est mentionnée en 48, 11 et dont, comme ici, ses concitoyens ont scrupule à réclamer l'exécution, ni avec la proposition de contribution qu'il fait en 47, 19. 7. Hexamètre dactylique d'auteur inconnu. 8. C'est-à-dire lors du séjour qui a précédé son récent voyage et qui a, pensons-nous, suivi son retour à Pruse après l'exil.
)ion de Pruse
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:tonner Jecture, comme j'y étais ob1igé, de ]a lettre de l'Empereur 9, ,our ensuite me retirer aussitôt chez moi et me consacrer à mes ,ropres affaires, ai parlé en faveur d'un projet monumental, pas de na seule initiative : il y avait aussi Jes autorités romaines to qui :taient partisans de Ja chose, pour vous faire plaisir à vous et peut~treaussi à moi, et pour moderniser la ville et lui donner plus grand 1ir.Car vous savez qu'à cet égard nous étions en retard même sur nos 1oisinsn. 6 Quand je fis cette proposition, l'assemblée s'enthousiasma vous n'êtes en effet dépourvus ni de coeur, ni d'intelligence - et ,ombre de citoyens furent incités à faire des libéralités; et quand, ,lus tard, je vous ai de nouveau soumis cette affaire, p1usieurs fois au ,ouleutérion et plusieurs fois au théâtre 12 afin que, en cas de lésaccord et de refus de votre part, je n'importune plus personne - je ,ressentais en effet le travail qui en résulterait pour moi - le projet ut plusieurs fois ratifié par vous, plusieurs fois par ]es gouverneurs, ans que personne protestât. 7 Et quand J'entreprise démarra, tout le mal que je me suis donné métrer, mesurer, calculer, afin de réaliser quelque chose qui ne soit i laid ni inutile 13 - comme tant de constructions qui se sont élevées 9. On pense généralement que Dion évoque ici son retour à Pruse après l'exil, mais on n'est pas d'accord sur l'auteur et Je contenu de la lettre impériale. Pour A. R. Sheppard (~DioChrysostom ...", p. 161-162), elle émane de Nerva qui invite Dion à venir le rencontrer à Rome ; pour C. P. Jones, c'est la lettre de Trajan que Dion lit à ses concitoyens en 47, 13 et elle serait distincte de celle dont il donne lecture en 44, 12 (The Roman World..., p. 52, 106, 111, 138, 176, n. 65 et 190, n. 4); nous pensons au contraire qu'il ne faut pas l'en distinguer et que l'empereur, Trajan, y faisait part des faveurs qu'il accordait à Pruse sur la demande de Dion. O. Les proconsuls, sans l'autorisation desquels on ne peut entreprendre aucune construction nouvelle (cf. A. N. Sherwin-White, The Lettersof Pliny, p. 593 ; Digeste,L, 10, 3, 1). 1. Sur le délabrement et la saleté de Pruse, voir infra § 9, le Discours 47, § 15 et Pline Je Jeune, 10, 23 et 70. 2. C'est-à-dire au conseil et à l'assemblée. 3. Dion a donc été chargé de la direction des travaux ; cette fonction était confiée à un ou plusieurs commissaires qui portaient le nom d'épimélètes, d'épistates ou d'ergépistates et qui étaient normalement assistés d'un architecte (Dar.-Saglio, s. v. Epistatès, 704 b-705 a et R. Martin, Manuel d'architecture grecque,p. 172-173et 174-175). Le texte donne à penser que Dion a été seul épimélète, qu'il a choisi
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ailleurs et qui ont péri sans avoir servi 14 - et finalement les courses épuisantes que j'ai faites dans les montagnes, alors que je n'avais aucune expérience de ces choses et que je n'étais pas en peine de savoir à quoi m'occuper, étant justement plus qualifié pour d'autres activités peut-être plus dignes d'intérêt et plus susceptibles de m'assurer la gloire, et pas seulement chez vous 15, tout cela, je ne veux pas vous en faire le récit maintenant, car rien ne m'était pénible de ce que j'endurais pour vous. 8 Cette entreprise provoquait de la part de gens, peu nombreux certes, nombre de commentaires fort déplaisants : je rasais la ville, je l'avais anéantie en en expulsant pratiquement les citoyens, tout était détruit, sens dessus dessous, il ne restait rien. Ces gens gémissaient bien fort sur la forge d'un tel, mécontents de voir disparaître ces souvenirs du bon vieux temps, comme si on touchait aux Propylées, au Parthénon, ou bien comme si nous abattions l'Héraion de Samos, le Didyméion de Milet ou le temple d'Artémis à Éphèse 16 9 et non pas d'affreuses et ridicules masures beaucoup plus basses que les cabanes où se coulent les moutons et où aucun pâtre, aucun chien de race ne pourrait pénétrer. Vous-mêmes vous en rougissiez et vous n'en meniez pas large lorsque les gouverneurs y entraient 17 et ceux qui ne vous portaient pas dans leur coeur y trouvaient matière à se réjouir et à rire : des masures où il était à peu près impossible aux forgerons de se tenir debout, mais où ils travaillaient courbés, et avec cela croulantes, étayées, branlant et se fissurant à chaque coup de marteau. Pourtant certains étaient contrariés de voir disparaître les marques de notre pauvreté et de notre obscurité passées ; ils se
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lui-même les matériaux, participé aux travaux de métrage et d'arpentage et qu'il est même intervenu dans la conception de rouvrage. L'inexpérience qu'il affiche est toute relative : il avait déjà, mais pour son propre compte, fait construire un portique aux Sources Chaudes du temps de Vespasien (cf. 46, 9). La Bithynie était riche en carrières de marbre: cf. J. et L. Robert, 811ll.épigr., 1980,503. Comme les aqueducs de Nicomédie qu'on n'avait jamais terminés ou le théâtre de Nicée qui s'effondrait avant d'être achevé (Pline le Jeune, 10, 37, 1 et 39, 1-2). AUusion transparente à ses tournées de conférences : cf. 47, 22. Trois temples célèbres pour leur beauté et leurs proportions colossales. L'inspection des monuments publics faisait partie des attributions du gouverneur (Digeste, I, 16, 7, 1).
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.oquaient bien des colonnes et des corniches qui se montaient 18, des eliers que l'on construisait ailleurs, mais ils ne voulaient pas que >usayez plus d'ambition qu'eux-mêmes. 10 Sachez bien en effet que c'est les constructions, les fêtes, le ·oit de juger vous-mêmes vos affaires et de ne pas comparaître lieurs 19, de ne pas payer tribut comme, par exemple, un bourg 20, ~sttout cela qui exalte naturellement l'orgueil des cités, qui accroît dignité d'un peuple et lui vaut une plus grande considération de la lrt des résidents étrangers ainsi que des autorités ; et ceux qui ment leur patrie et qui ne redoutent pas de se montrer un jour férieurs à sa réputation retirent de cela une merveilleuse tisfaction. Mais ceux qui ont des sentiments opposés, qui veulent re puissants parmi des faibles et qui jugent que le lustre de la cité ~ifie leur propre obscurité, cela leur inspire forcément du chagrin de la jalousie. 11 Une chaussure doit vous aller et s'ajuster à votre ed et si elle semble trop grande, il faut la rétrécir; mais une cité, a ne doit ni la mutiler, ni la ravaler à son propre niveaù, ni la ?surer à l'aune de son âme, s'il se trouve qu'on a l'âme mesquine et rvile, surtout avec les exemples que l'on a, je veux dire Smyrne, •hèse et, plus loin, Tarse et Antioche 21. Je sais bien que déjà auparavant certains crevaient de rage en tendant ce langage et ne pouvaient supporter que vous vous :. Ces colonnes et ces corniches appartiennent certainement au portique mentionné en 47, 17 et 19 ; peut-être est-il encore question de lui en 48, 12. '· Pruse est devenue chef-lieu de district judiciaire et le proconsul y tient ses assises ; les citoyens de Pruse n'ont donc pas à se déplacer pour plaider ; sur l'incommodité que représentait cette obligation cf. infra § 33 et C. P. Burton, "Proconsuls, Assizes and the Administration of Justice under the Empire", JRS,LXV, 1975, p. 100. C. P. Jones pense (The Roman World ..., p. 108-109) que le district judiciaire de Pruse peut avoir été formé en réduisant celui d'Apamée dont Prose dépendait auparavant. Il s·agit des bourgs situés sur le territoire des cités et qui leur paient un tribut (cf. Abbott-Johnson, Municipal Administration in lhe Roman Empire,1926, p. 22 et 26). Allusion à la fièvre de construire qui saisit les cités à l'époque impériale : Smyrne et ~phèse s'étaient dotées sous les Flaviens de monuments superbes (D. Magie, Roman Rule ..., p. 583-58.5); pour Antioche, cf. 47, 16; Dion donne à entendre dans le premier Tarsique que Tarse était une fort belle ville et que des travaux colossaux y étaient en cours (33, 18, 23 et 28).
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accoutumiez à prêter l'oreille à de semblables discours et que l'on ose nommer votre cité avec des cités comme celles•Jà. 12 Cependant, avec leurs protestations indignées, ces propos qu'ils tenaient et leurs manoeuvres pour tarir les contributions et entraver les travaux, ils me mirent de telle humeur que, pour un peu, je me serais condamné à l'exil 22. Et il eilt été drôle qu'après un si long exil et d'aussi grandes épreuves, après avoir essuyé la haine d'un tyran, je rentre ici pour y goûter le repos et l'oubli de mes misères passées et que, ayant par une grâce divine échappé à grand peine et contre toute attente au déchaînement des flots et à la fureur de la tempête, je fasse pour ainsi dire naufrage ici, à l'intérieur du port. 13 Je m'étonne particu]ièrement de la malveillance ou, plutôt, de la sottise de certains, quand je me remémore ]es racontars suscités, tout d'abord, par l'ambassade de remerciements que vous avez envoyée 23. En effet le prince n'aurait pas reçu aimablement vos ambassadeurs, mais il se serait montré plutôt revêche: à croire qu'il aurait dû aller les accueillir à l'entrée, serrer dans ses bras ceux qui étaient arrivés, prononcer le nom de ceux qui n'étaient pas encore là, demander des nouve1les de tel ou tel, pour savoir ce qu'ils devenaient ou pourquoi tous n'étaient pas là. 14 D'autres racontaient 24 qu'il avait fait des tas de cadeaux à Smyrne, envoyé des sommes infinies d'argent avec les Némésis 25 et que, par Zeus, si c'eût été un autre que moi qui efi.t parlé, il lui aurait accordé dix mille bouleutes, aurait fait couler un fleuve d'or vers notre cité et c'est des millions qu'on nous aurait donnés 26. Rien de tout cela n'était vrai et je le regrette 22 C'est bien la menace qu'il profère en 47, 20. 23. Très certainement, comme le pense von Arnim (Leben und Werke ... , p. 328), une ambassade envoyée à Trajan pour le remercier de ses faveurs et non pas pour le féliciter de son avènement, comme le croit F. Millar, The Emperor in the Roman World, 1977, p. 414 ; le texte suggère clairement qu'elle comprenait plusieurs délégués, mais que Dion n'en faisait pas partie. 24. Il n'est plus question dans les lignes qui suivent de l'ambassade de remerciements, mais des entretiens ~ la faveur desquels Dion obtint pour sa patrie la création de nouveaux conseillers et l'érection de Pruse en chef-lieu de district judiciaire ; ses ennemis trouvaient qu'il aurait pu demander et obtenir beaucoup plus. 25. Déesses poliades de Smyrne dont le sanctuaire, le plus grand de la cité, était situé sur l'agora ; Trajan avait envoyé des statues de culte et une somme d'argent. 26, Trajan a accordé 100 bouleutes supplémentaires à Pruse (45, 7) ; von Arnim pense qu'il donna une somme d'argent pour financer les
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ien. 15 Car voir beaucoup de gens réussir et obtenir de grandes aveurs ne saurait contrarier un homme sensé, surtout quand il a été i? premier favorisé et quand peut-être il a donné le branle aux :1.veurs27. C'est comme si quelqu'un exigeait que le soleil brille, que '.eusenvoie de la pluie ou que les vents soufflent pour lui tout seul, ou ue personne d'autre que lui ne puisse boire aux sources. Mais notre mpereur, qui surpasse tous les hommes en bonté ainsi qu'en 1telligence, m'a accordé à moi ce que je lui demandais, moi, et à 'autres ce qu'ils lui demandaient, eux. 16 Pourquoi donc vous ai-je tenu tout ce discours, quand vous élibérez sur une autre question 28 ? Cest que je me suis déjà beaucoup ccupé de cette affaire et que j'ai prononcé ici beaucoup de discours sur 1 concorde, pensant que c'était utile à la cité et qu'il valait mieux 'être en conflit avec personne et encore moins, je pense, avec des gens i proches de nous, avec des voisins 29. Cependant je ne me suis pas ~du chez eux et ne leur ai pas adressé un mot gracieux, attendant ue notre cité se réconcilie officiellement avec eux et que vous soyez evenus leurs amis. Pourtant, dès le début, ils m'avaient envoyé un écret amical, m'invitant à venir chez eux 30. Et j'avais beaucoup 'autres obligations envers eux 31, autant que n'importe lequel de nos Jncitoyens. Cependant je n'acceptais pas d'être Je seul à bénéficier e leurs faveurs, mais je voulais partager leur amitié avec vous. Du :>Up,ils me regardaient de travers et m'en voulaient. 1
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constructions (Lebe11 und Werke..., p. 328) ; mais il est étrange que Dion ne rappelle pas cette subvention en 48, 11 ; peut-être fait-il aJlusion ici comme là aux rentrées d'argent procurées par la création de nouveaux bouleutes et par la tenue des assises. Pruse aurait donc été la première cité à bénéficier des faveurs de Trajan ; si Dion a rencontré l'empereur peu après son avènement, cette entrevue a eu lieu ailleurs qu'à Rome, où Trajan n'est rentré qu'à l'automne 99. La réconciliation avec Apamêe qui, comme nous l'apprend la suite du texte, a déjà fait l'objet de nombreux débats où Dion est intervenu. Apamée était située à trente kilomètres de Pruse, à un kilomètre à l'est de l'actuelle Mudanya. Décret honorifique encore mentionné en 41, 1. Nous traduisons par "obligations" Je terme 86ca1a et comprenons que Dion fait allusion à des services qu'Apamée aurait rendus à sa famille du temps de son exil ; von Arnim (Leben und Werke ..., p. 318) pense que sa femme et ses enfants y avaient trouvé refuge; pour C. P. Jones (The Roman World ..., p. 52), Dion ferait allusion à des liens familiaux.
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17 Et pour en venir au présent, bien que j'aie appris la réconciliation et la négociation de ce pacte d'amitié et bien que vous m'ayez invité à venir par décret, peut-être pour que je m'occupe aussi de cette affaire - vous espériez peut-être que si j'y participais également, on aboutirait plus facilement à un résultat plus solide; et certes, s'ils décernent maintenant des honneurs non seulement à ceux qui sont ici 32, mais aussi à moi avec les autres, réfllichissant que moi aussi je suis un de vos citoyens, c'est peut-être qu'ils sont devenus mieux disposés envers vous - malgrétout, je ne me suis pas trop pressé, appréhendant que ma présence gênât non les gens d'Apamée, mais certaines personnes d'ici. C'est en effet une réaction généralement répandue que de voir d'un mauvais oeil non pas ce qui se fait, mais ceux qui le font. 18 Car, l'an passé, leurs dirigeants me faisaient ces propositions et il vous était alors possible de sortir d'affaire. Mais moi, je redoutais que la chose ne heurtât certaines personnes d'ici, mécontentes que l'affaire se conclue par mes soins. Aussi ai-je, cette fois-ci, en quelque sorte volontairement lambiné. Car ce que d'autres peuvent faire aussi bien que moi pour la cité, cela, je demande qu'on le leur confie de préférence à moi. afin que personne n'y fasse obstacle et ne soit en proie aux affres de la jalousie. Mais une mission qui n'est pas facile et peut-être même trop délicate pour quelqu'un d'ici, croyez bien que je serai disposé à m'en acquitter tant qu'il me restera un souffle. 19 Et si quelqu'un est dévoué à la cité et capable de lui rendre service, je serai le premier à lui apporter mon témoignage et mon appui, et si une mf!me affaire aboutit heureusement, je décernerai les éloges avec beaucoup plus de plaisir et d'un bien meilleur coeur si le succès revient à un autre que si c'est moi qui en suis l'initiateur. Ce n'est pas en effet parce que je recherche la popularité, que je manque de laudateurs, que je désire la gloire, mais parce que je désire votre bien, que je veux voir arriver une chose qui vous est nécessaire et je prie tous les Dieux qu'ils m'accordent de voir le plus possible de gens plus capables que moi de servir la cité.
32. Passage obscur : le texte porte ,oïç napoiioi ; H. Lamar Crosby (Dio Chrysostom IV, Loeb Classical Library, p. 125)traduit "those who are already in Apamea", comprenant qu'il s'agit de citoyens de Pruse présents à Apamée pour y négocier ; on peut aussi imaginer qu'Apamée a accordé des honneurs à des citoyens présents à Pruse ainsi qu'à Dion qui en était absent.
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20 Et aujourd'hui, pour cette affaire, je loue l'archonte et rnteur de la proposition 33, car, disons-le, toute haine et toute ispute avec qui que ce soit sont sources de tracas et de difficultés :mr une cité ou pour un particulier, quelle que soit leur situation. hez les faibles en effet, elles ajoutent aux problèmes inhérents à ur condition la révélation humiliante de leur faiblesse et à ceux qui mt prospères elles peu vent causer ennuis et tounnents. Aussi les gens !Oséspréfèrent-ils essuyer une défaite sur des questions mineures et ? pas trop s'accrocher à leurs droits, plutôt que, s'ils chicanent sur ,ut et ne cèdent jamais rien à personne, de voir continuellement des ~ns comploter contre eux, leur faire la guerre, jalouser leurs succès, ire tout leur possible pour les empêcher et, s'ils les voient essuyer 1 L'Chec, chose courante dans le monde où nous vivons, se réjouir et les ;resser. 21 Il n'est en effet individu si faible et si impuissant qu'il ,it naturellement, qui, d'homme à homme, ne trouve l'occasion de ire sentir sa malveillance et sa haine, ou seul ou avec d'autres, de re le mot qui blessera infailliblement et de manigancer le coup qui ra du mal 34. Car il n'existe pas de maladie qui reste insensible au lint de ne jamais causer d'ennuis à ceux qui en sont affligés et de ne en leur interdire, mais même si à l'état de veille et quand on arche, elle ne handicape pas trop physiquement, elle vous attaque vous torture quand vous êtes couché et vous fait perdre le sommeil. 22 Dans ces conditions, je vous déclare, moi, que personne n'a mais intérêt à se faire haïr et à chercher querelle, pas même la us grande cité dans ses rapports avec le plus mince village. Mais rsque c'est avec des hommes qui habitent une cité qui n'est pas :tîte, qui ont un statut politique privilégié 35, et qui, s'ils se
3. La dl~ision de faire la paix a été prise au conseil et est présentement soumise à l'assemblée par un rapporteur (C. P. Jones, The Roman World ..., p. 91). L'archonte est sans doute le magistrat qui exerce la charge de premier archonte, fonction bien attestée à Prusc (cf. F. K. Domer, RE, s. v. Prusa ad Ofymp11m,col. 1081). L Mêmes réflexions en 41, 11 et 66, 15. >. Apamœ (Colonia Julia Concordia Apamea) était une colonie romaine qui jouissait du jus Italicum et dont le territoire, considéré comme une partie fictive de l'Italie, était exonéré du tribut (cf. F. Jacques}. Scheid, Rome et /'intégration de l'Empire I, p. 243-244). On sait par Pline le Jeune, 10, 47, 1, que dans une large mesure son administration échappait au contrôle du proconsul. Nous comprenons comme C. P. Jones (The Roman Wor/d..., p. 92) que c'est à ce statut privilégié que Dion fait allusion lorsqu'il parle de la no,.m:lav t(a(ptTov d'Apamée ; H Lamar Crosby traduit "superior
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conduisent sagement, ont la considération des gouverneurs et du crédit auprès d'eux - vous devez en effet entendre la vérité sans vous fâcher si, pour vous rendre service, on loue d'autres gens que vous - et surtout quand ils ont une frontière commune, sont voisins de votre ville et vous rencontrent presque quotidiennement du fait des mariages qui unissent la plus grande partie de nos deux populations et aussi parce que certains citoyens, pratiquement tous nos notables, ont obtenu ]'honneur dont ils jouissent 36, comment pourrait-on considérer qu'une telle hostilité ne saurait être source d'affliction et de maux ? 23 Et que personne n'aille penser que je dis qu'il faut se coucher devant eux et, si leur politique à notre égard n'est ni juste, ni raisonnable, leur adresser nous-mêmes des prières et des objurgations. Mais puisque d'eux-mêmes ils décident et s'efforcent d'établir des relations amicales, il est bien plus beau de nous montrer encore plus qu'eux partisans d'une telle politique et de transporter sur ce terrain la riva1ité engendrée par notre différend, afin de montrer que nous sommes plus raisonnables et méprisons davantage l'argent et le gain 37. 24 Car être distancés par d'autres dans une politique haineuse et propre, par Zeus, à susciter l'hostilité, est moins honteux que de l'être dans une po1itique de modération et de générosité. En effet être vaincu dans le premier cas peut vous faire taxer de faiblesse, mais dans le second de stupidité et d'agressivité. Autant il vaut mieux passer pour faibles que pour méchants, autant il est préférable d'être plus lents à se battre qu'à se réconcilier. 25 Entre autres raisons que vous auriez peut-être de m'écouter moi plutôt que d'autres, considérez également que mon intérêt n'est pas en cause et que ni la crainte d'un dérangement, ni ce11ed'une
government" ; pour S. Mitchell ("Iconium and Ninica", Historia, XXVUI,1979, p. 436), Dion veut dire que le droit de cité à Apamée est particulièrement désirable du fait qu'il implique la cité romaine. 36. Le texte porte Tlp.l\v: pour H. Lamar Crosby, il s'agit du droit de cité ; pour C. P. Jones, qui traduit "and certain of our citizens, virtually ail the most influential among us, have attained to office there" (The Roman World ..., p. 92), il s'agit du duumvirat, la magistrature suprême ; nous songerions plutôt à la cité romaine. Sur cette pluricitoyenneté, qu'interdisait la loi de Pompée, mais qui était passée dans les moeurs, voir A. J. Marshall, "Pompey's Organization ofBithynia-Pontus",JRS, LVIII, 1968, p. 103-109. 37. D. Magie (Roman Rule..., p. 599) pense que le différend entre les deux cités pouvait porter sur des droits de port et de douane.
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lépense ne m'incitent à me désintéresser de la conduite qu'il convient le suivre. En effet vous ne m'importunerez pas si je vous oppose un efus et vous ne me demanderez pas de partir en mission, comme si étais rentré depuis longtemps ici 38 : je le sais parfaitement ; !'autant plus que je ne crois pas vous être utile en vous consacrant mon ~rnpset en partant pour une pareille mission. Mais, comme je disais, ! crois que tout le monde, et pas seulement vous, a intérêt à ne pas se harger à la légère d'une inimitié qui ne s'impose pas tellement et, si ,ossible, à tout mettre en oeuvre pour se défaire des anciennes, onsidérant que le tort causé par la dispute est plus grand que ce qu'on erd à se réconcilier. 26 Toute paix, dit-on, est en effet préférable à 1 guerre et, pour les gens sensés, toute amitié a plus de prix et 'avantages que la haine, aussi bien dans les relations particulières ntre familles, que dans les relations publiques entre cités. Car vivre ans la paix et la concorde n'a jamais nui à personne, mais c'est 1erveille quand la haine et l'esprit de querelle ne causent pas 'énormes dommages tout à fait irrémédiables. Le nom de concorde ;t de bon augure et elle est, à l'expérience, chose excellente et utile à >us, mais les seuls mots de discorde et de conflit sont sinistres et éplaisants et les réalités pires et plus sinistres encore, car elles ?viennent à dire et à entendre, à faire et à subir quantité de choses igrettables 39. 27 À l'égard de gens qui sont si près et qui ont avec nous une ·ontière commune, la dispute et la haine ne ressemblent à rien 'autre qu'à une dissension à l'intérieur d'une même cité, vu que tariages et contrats créent quantité de liens entre nos deux cités, que resque chaque jour ce sont de continuelles allées et venues de l'une à rntre et que d'une certaine façon tous sont parents, familiers et jtes les uns des autres. L'inimitié et l'hostilité d'une cité voisine \traînent dans les relations toutes sortes de contrariétés et de ifficultés, comme il est vrai que sa bienveillance et son amitié sont ,antageuscs et désirables. 28 Songez combien il est plus agréable de ! rendre chez ses voisins s'ils sont animés de sentiments d'amitié et )n d'hostilité et combien il vaut mieux ne pas avoir à se méfier des 8.
;1_
Le texte peut donner à penser que Dion revenait d'ambassade et qu'on ne pouvait donc lui imposer de repartir en mission ; un règlement cité dans le Digeste, L, 7, 7 et 13, interdisait d'envoyer la même personne en ambassade plus d'une fois tous les deux ans. H. Lamar Crosby pense que Dion était allé à Rome, opinion que le rapprochement avec 41, 7 rend très probable. Mêmes lieux communs en 38, 10-16 et 41, 11-14.
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visiteurs étrangers et combien dans les foires, les fêtes publiques et les spectacles communs, il est préférable et plus sage de se rencontrer pour sacrifier et prier en commun, au lieu de se maudire et de s'insulter. 29 Et au stade et au théâtre, quelle différence entre les clameurs des spectateurs de deux cités, si ce sont des éloges et des compliments ou bien, au contraire, des invectives haineuses ! Car on se conduit alors non pascomme des gens raisonnables, non pas comme de sages cités, mais plutôt comme des filles mal embouchées qui, d'une chambre à l'autre, n'hésitent pas à échanger les pires grossièretés ; comme dit Homère, En proie à la colère, elles vont se disputer en plein milieu de l'agora: c'est la colère qui leur dicte ce comportement 40. 30 Ne pas subir cela, combien cela vaut-il ? Ne pas le faire, combien plus ? Est-il somme d'argent, étendue de territoire 41, si énormes soient-elles, qui vaillent que des gens sensés leur sacrifient la cordialité des relations quotidiennes, la bonne tenue au spectacle, le plaisir de se visiter ? Et certes la terre, la mer, les montagnes font tout pour vous réunir et, en dépit de vous-mêmes, vous imposent d'avoir des relations. Eux en effet ont besoin de votre bois et de nombreuses autres productions et nous ne pouvons utiliser aucun autre port pour nos importations, aussi bien que pour écouler nos produits 42. 40. Citation modifiée de 1'1/iade,20, 252-255. 41. H. von Arnim (Lebe11und Werke..., p. 359), C. P. Jones (Tl1e Ro111a11 World ..., p. 91), P. Desideri (Dio11edi Prusa, p. 413) concluent de ce passage que le conflit entre les deux cités était d'ordre territorial. 42. Sur le territoire et les ressources d'Apamée et de Pruse, voir L. Robert, "Des Carpathes à la Propontide", Studii Clasice, 16 (1974), p. 65-68. C. P. Jones (The Roman World..., p. 93) pense que le différend avait dégénéré en une véritable guerre économique, Apamée refusant à Pruse le transit de ses importations et de ses exportations, Pruse décrétant l'embargo sur toute marchandise à destination d'Apamée ; mais les lignes qui suivent montrent que les relations commerciales ne sont nullement interrompues entre les deux cités (§ 31). P. Desideri, qui s'est interrogé sur le caractère apparemment paradoxal de leurs rapports de voisinage (Dionedi Prusa, p. 413-414), émet l'hypothèse d'une fracture dans la couche des notables : d'un côté, les industriels et les commerçants, chauds partisans de la concorde puisque les économies de Pruse et d'Apamée sont complémentaires, de l'autre, les propriétaires terriens montés contre la cité voisine à cause d'un conflit territorial ; ce sont eux qui excitent le chauvinisme populaire.
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31 N'est-ce pas la pire des calamités pour eux comme pour nous, ue d'acheter à des gens qui ne sont pas vos amis, de vendre à des gens Ji vous haïssent, d'aborder chez des gens à qui votre vue pèse, de iœvoir des gens qui vous insultent, de banqueter parfois avec vos ires ennemis et, si on s'embarque, de bien savoir que le pilote et tous s matelots vous couvrent de malédictions et, le spectacle le plus ~plaisant qui soit, celui de ses ennemis, de l'avoir continuellement 1usles yeux, aussi bien sur mer que sur terre, de toujours en rencontrer 1e foule sur les routes, mauvais et déplaisant présage, qui fait que m est absolument sûr de dire ou d'entendre en passant quelque !plaisante parole ? 32 C'est pourquoi, pour ma part, considérant la upidité et la corruption des hommes, je me suis souvent dit qu'ils ,nt pires moralement que les bêtes les plus méprisées et les plus auvaises. Souvent en effet les hommes se battent quand ils se ncontrent et s'injurient avant de se séparer. Mais les fourmis, qui se iplacent en masses si compactes, ne se gênent jamais, mais montrent -aucoup de douceur quand elles se rencontrent et se croisent et elles prêtent mutuellement assistance. 33 Et puis la faveur qui est maintenant échue à notre cité pique ,rai dire au vif beaucoup de gens et froisse tout le monde: c'est chez ,us que se tiennent les assises et c'est chez vous qu'il faut être jugé. 1ison de plus pour être généreux et ne pas vous montrer odieux. nsi les ambassadeurs qui ont été élus pour cette affaire 43, d'où rtiront-ils ? Pas d'Apamée ? N'est•ce pas chez nos pires ennemis .'ils prendront la mer ? N'utiliseront-ils pas le port de la cité de nos nemis ? Ou bien feront-ils un détour, comme si la mer voisine était ngereuse et interdite à ta navigation ? Car je pense, moi, que ceux i se sont dans le passé querellés avec leurs voisins, trouvaient cette ligation plus intolérable et plus pénible que de prendre les armes Passage difficile et très discuté. Quelle est "cette affaire" (Toiho 10 npiiyp.a) qui a motivé l'envoi d'une ambassade ? Le différend avec Apamée, qui est également désigné comme "cette affaire" (TollTouToii au § 16 ? Cette interprétation a contre elle que, s'agissant d'ambassadeurs, l'utilisation du port d'Apamée ne peut se concevoir que pour une mission extérieure à la Bithynie. H. von Arnim (Lebe11 u,1d Werke•.•, p. 328) et C. P. Jones (T& Roman World ..., p. 52) croient que Dion songe à l'octroi des assises qu'il vient de mentionner et que Pruse avait décidé d'envoyer une ambassade chargée de remercier l'empereur, hypothèse repoussée par A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 160) ; H. Lamar Crosby traduit "envoys chosen for this function".
np«yjl.aToç)
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et d'envahir le pays, ou de donner l'assaut aux murailles, ou d'abattre les arbres, ou de mettre le feu aux récoltes. 34 Mais si cela est, à mon sens, intolérable, plus intolérable à tous égards en est la cause, à savoir l'hostilité et la haine, car il est impossible que ces sentiments produisent rien d'utile ou de bon. Le fruit de l'hostilité est le plus acide et le plus amer de tous, comme, au contraire, celui de la bienveillance est, selon moi, le plus délicieux et le plus utile. Car ne jamais céder ni faire de concession à son voisin, bien entendu sans faillir à l'honneur, et refuser, quand on obtient ceci, d'abandonner cela, ne dénote pas, comme certains pensent, le courage et la fierté, mais la folie et la stupidité. 35 Ne voyez-vous pas dans le monde du ciel et chez les êtres divins et bienheureux qui y résident, l'ordre, l'entente et la sagesse qui règnent éternellement et qui sont ce qu'on peut imaginer de plus beau et de plus auguste? Et aussi entre ce qu'on appelle les éléments, air, terre, eau et feu, l'harmonie éternelle, inébranlable et juste, toute la sagesse et la modération qui assurent la permanence de ces éléments qui se conservent et, en même temps, conservent l'ensemble de l'univers 44? 36 Observez en effet, encore que certains puissent juger cette doctrine fantaisiste et très contraire à vos idées, observez que ces réalités de nature incorruptible et divine, gouvernées par la pensée et la puissance du premier et du plus grand des Dieux, doivent leur perpétuelle conservation à leur amitié et à leur entente mutuelles, aussi bien celles qui sont les plus puissantes et les plus grandes, que celles qui paraissent leur être inférieures. Si cette association se dissolvait et si la discorde se mettait parmi elles, leur nature n'est pas impérissable et incorruptible au point de n'être pas perturbée et d'échapper à la corruption, impossible et incroyable, à ce qu'on dit, qui les ferait passer de l'être au néant. 37 Car ce que les savants appellent la prépondérance de l'éther 45 - cet éther où réside le principe royal et supérieur de l'activité de l'âme et que beaucoup n'hésitent pas à appeler un feu - s'effectuant en douceur et de façon réglée à des moments prescrits, paraît se réaliser dans une amitié et une entente parfaites. Ailleurs, en revanche, la cupidité et les conflits font très lourdement peser, du fait qu'ils violent les lois, la menace d'un anéantissement auquel l'univers ne sera jamais exposé, parce qu'une paix et -une justice parfaites y règnent et que, dans toutes 44. 45.
Même idée en 38, 11 ; cf. Aelius Aristide, 23, 76-77. Dion évoque aussi cette grande conflagration en 36, 47 et 50-53 ; la Souda, s. v . .6.(wv, p. 117 Adler, le crédite de la composition d'un ouvrage intitulé Ei +eaptoç ô xôoµoç.
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parties, tout se soumet et se plie à une loi intelligente, lui cède et
li obéit.
38 Ne voyez-vous pas comme le soleil s'efface devant la nuit 46 : permet aux astres moins brillants que lui de se lever et comme 1core il laisse la lune illuminer la terre entière en l'absence d'une 1mière plus éclatante ? Comme aussi les astres cèdent la place au licil, sans juger que la puissance de ce Dieu les met à mal et les 5truit ? Comme, en revanche, le soleil est parfois obscurci en plein ur par la superposition de la lune, elle à qui il donne son éclat, et ufois même voilé par les nuées les plus légères ou par quelque ·urne ténue suspendue au-dessus des lacs et des Aeuves, au point qu'il ;t parfois complètement masqué ou ne peut les percer que d'un mince pâle rayon ? 39 Ne voyez-vous pas comme dans leur incessant 1\letles planètes ne se gênent jamais mutuellement ? Et aussi comme terre se résigne à occuper la place qui lui est échue, la plus basse, 1mme le lest du navire, et comme l'eau accepte de la baigner et 1mme, au-dessus d'elles est suspendu l'air moelleux, au souffle enfaisant et tout en haut, embrassant tout, l'éther, feu divin dont sphère tourne autour du reste ? Ces puissances si grandes acceptent tte association et coexistent sans haine, mais de misérables mrgades d'hommes ordinaires, de faibles peuples qui n'occupent 1'unc portion de la terre, ne peuvent rester en paix ni voisiner sans )ubl~? 40 Mais des oiseaux qui ont nidifié les uns près des autres ne mplotent pas les uns contre les autres ni ne se disputent pour la 1urriturc et les brindilles. Il en est de même des fourmis, dont les >ussont voisins et qui transportent souvent du blé pris sur la même :e : elles se cèdent le pas, s'écartent de leur route et souvent 1ttellent à la même tâche. De même plusieurs essaims d'abeilles 1tinant dans une seule et même prairie, ne vont pas négliger leur 1vailpour se disputer la rosée des fleurs. 41 Souvent des troupeaux · bovins et de chevaux se mêlent et paissent sans trouble et cifiquement, au point de ne plus former qu'un seul et même ,upeau. Des chèvres et des moutons qui se sont mêlés dans la pâture ont passé la journée ensemble, sont séparés facilement et sans >lence par les pâtres. Mais, à ce qu'il semble, au point de vue de mitié et de la vie en commun, les hommes sont pires que les sliaux et que les fauves. Car ce que la nature a fait pour engendrer
J. Geel (Dio11isChrysostomi 'OAlflRIKOC, Leyde, 1840, p. 378) rapproche ces lignes d'Euripide,
Mémorables, 4,3,8.
P11énicie11nes,543-546 et de Xénophon,
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Discours 40
l'affection, cela peut devenir cause d'hostilité et de haine. Ainsi le premier amour et le plus vif, celui des parents pour les enfants ...
Discours 41
Notice
Le précédent discours laissait prévoir que Dion accepterait de articiper à l'ambassade que Pruse avait décidé d'envoyer à pamée. C'est en qualité de membre ou peut-être de chef de cette nbassade qu'il prononça devant le conseil et l'assemblée d'Apamée iunisl le présent discours. Le différend entre les deux cités n'est pas encore réglé : '1e sais J'il est difficile d'extirper ta discorde, dédare+il au § 9, surtout 1and elle dure depuis assez longtemps ... Malgré tout, je me fie au 1ractère de votre cité, jugeant qu'il est exempt d'intransigeance et ~ stupidité". On n'a donc pas encore trouvé tes termes d'un accord et nsistance avec laquelle Dion invite les Apaméens à manifester par ur intelligence et leur générosité qu'ils sont d'authentiques fils de Jme, le long développement protreptique sur les bienfaits de la mcorde, indiquent qu'une partie de l'opinion locale était hostile à réconciliation. Une minorité sans doute, car la phrase initiale du .scours suggère que la totalité du conseil et une partie de tssemblée étaient favorables à l'accord tel qu'il se dessinait 2. Pas plus à Apamée qu'à Pruse, Dion ne rappelle les causes du •nfli~ ni ne tente de définir les responsabilités des deux parties. 'entrée de jeu, c'est de lui-même et non de sa patrie qu'il fait ,pologie. À Apamée comme à Pruse il a des ennemis déclarés. II le it et perçoit parfaitement les raisons de cette hostilité : "S'il est !S gens mal disposés envers moi, déclare-t-il au§ 3, c'est surtout à 1x que je fais confiance. Il est en effet évident qu'ils ont ces ntiments parce qu'ils pensent que j'aime ma patrie et que je ferai ut pour assurer sa grandeur". À Apamée donc, des gens se sont émus ! la soudaine promotion de Pruse dont il a été l'artisan. D'un l. C'est l'opinion de C. P. Jones, The Roman World..., p. 93 ; P. Desideri, Dio11edi Prusa, p. 411, pense à une réunion du conseil élargi. L P. Desideri ( Dio11e di Prusn, p. 411) pense que le Discours 41 doit être considêré comme une introduction aux négociations sur les points spécifiques du contentieux entre les deux cités, négociations dont l'aboutissement normal était un traité d'homonoia.
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Discours 41
homme aussi bien en cour et aussi décidé à servir sa cité, on pouvait tout craindre. Pour calmer ces appréhensions, Dion fait valoir sa double citoyenneté, les services qu'il pourrait rendre à sa seconde patrie et enfin le refus qu'il a opposé aux sollicitations de ses compatriotes, qui voulaient qu'il employât ses hautes relations à faire triompher la cause de Pruse : "Comme nos deux cités étaient en querelle, explique-t-il au § 7, et que ma patrie faisait certes grand scrupule de m'importuner, mais tenait beaucoup à soulever de nouveau le problème et faisait appel à mon concours en me couvrant d'honneurs, pour une fois je n'ai pas accepté, alors qu'il n'est rien que j'aurais hésité à faire pour elle. Pourtant j'étais peut-être plus qualifié que personne pour cette tâche et j'avais des amis, et pas en petit nombre, ni dénués d'influence; je n'en dis pas plus pour éviter d'irriter et d'offenser certaines personnes. De plus je ne reculais pas devant le voyage, puisque d'autres raisons me poussaient à partir". Le voyage en question correspondrait bien à l'absence après laquelle Dion, de retour à Pruse, prononça le discours précédent. L'a1lusion aux puissants amis suggère qu'il se rendait à la cour. Mais ici non plus il ne nous indique les motifs de ce déplacement. Était-il chargé d'une mission ? C'est possible, mais en tout cas il ne pourrait s'agir d'une démarche liée à l'augmentation du nombre de conseillers ni à l'octroi des assises 3, Ces privilèges étaient en effet acquis avant le voyage de Dion. On peut aussi bien imaginer qu'i1 répondait à une invitation impériale dont Pruse aurait voulu profiter.
3. Comme le pensent H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 362-363, C. P. Jones, The Roman World..., p. 52-53 et 138, A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 160 et 172-173.
Discours 41 À Apamée, sur la concorde
1 Que vous, Messieurs les Conseillers et vous aussi qui formez la utie la plus raisonnable du reste de l'assistance t, vous êtes dans 3 dispositions amènes et amicales à mon égard, je crois le sentir. Je 1isen effet que j'attache un grand prix à votre bienveillance et que je ? vous ai jamais été contraire en paroles et en actes. Dès mon arrivée 1ezmoi, vous m'avez honoré officiellement en m'envoyant un décret 1 vous exprimiez la joie que vous causait mon retour et vous .'invitiez à me rendre chez vous 2. 2 Votre geste n'avait peut-être en de surprenant, car non seulement les autres cités, mais encore :atiquement la plupart des cités de même rang que la vôtre où j'ai é, m'ont, sans que je le demande, conféré la citoyenneté, le droit de éger au conseil et les premières magistratures, jugeant que je n'étais 1s incapable de leur rendre service, ni indigne d'être honoré. Mais : qui vient de vous n'émane pas d'une cité étrangère, mais d'une 1trie 3 qui honore un de ses fils par bienveillance et par gratitude. ue, comme il est normal dans une démocratie, il y ait ici des gens qui : m'aiment pas trop, je n'en serais pas étonné, vu la rivalité de nos !UX cités. Mais je sais fort bien que là-bas non plus je ne puis plaire à us les citoyens et que quelques-uns me sont hostiles simplement trce que je leur parais trop patriote et trop zélé 4. 3 Mais on doit, 1and on est raisonnable et pondéré, accorder cette liberté à ses ,ncitoyens. Car s'il se trouve dans une cité une personne que, même si le agit bien en tout, nul ne puisse contredire ni critiquer, cela n'est démocratique ni équitable, mais ce privilège est plutôt le lot des 1. Voir la note 1 de la Notice. Pour C. P. Jones (The Roma11 Worfd ...,
p. 93), les paroles de Dion suggèrent que, à Apamée comme à Pruse, les adversaires de la réconciliation se recrutaient dans le peuple et non chez les notables. 2. C'est le décret mentionné dans le discours précédent, § 16. 3. Von Arnim observe (Leben und Werke..., p. 360) que Dion était déjà citoyen d'Apamée avant son retour d'exil, puisque, dans le décret qui lui a été adressé à cette occasion, il n'est question que de félicitations et d'une invitation à venir et non de l'octroi de la qualité de citoyen. 1. Cf. 40, 9-11.
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Dîsco11rs41
tyrans que des bienfaiteurs 5. Si donc il est des gens mal disposés envers moi, c'est surtout à eux que je fais confiance. Il est en effet évident qu'ils ont ces sentiments parce qu'ils pensent que j'aime ma patrie et que je ferai tout pour assurer sa grandeur. Si donc ils se laissent persuader que je considère également Apamée comme ma patrie et que j'ai à coeur de la servir autant que je pourrai, ils changeront facilement de sentiment et m'aimeront comme les autres. 4 J'aime ma patrie et c'est la dernière chose que je nierais. Mais je leur demande s'ils jugent que cet amour est contraire à la justice et à l'honnêteté et s'ils ne voudraient pas compter un citoyen tel que moi parmi eux. Eh bien, il vous est possible d'avoir en moi un citoyen dont vous ne vous défierez pas et, avec moi, les gens les plus distingués de Pruse. Et, voyez-vous, c'est justement pour cela que vous auriez raison de me faire confiance. Car quand on est ingrat envers ses parents naturels, on ne saurait être dévoué envers ses parents adoptifs. 5 Et quand on aime ceux qui nous ont donné le jour, on ne saurait négliger ceux qui sont devenus nos parents par grâce. Dans le premier cas, on obéit à un mouvement naturel, dans le second, on accomplit un acte délibéré de gratitude. Je suis citoyen de nos deux cités ; mais les gens de là-bas, je n'ai pas à leur en savoir gré, alors que vous, je dois vous payer de retour en votre qualité de bienfaiteurs : c'est grâce à votre bienveillance et en vertu d'un don que je jouis ici du droit de cité. Or tous ceux qui ne doivent qu'à eux-mêmes d'avoir été faits citoyens, tiennent ce privilège de la générosité d'un don et non d'une nécessité naturelle. 6 Moi, c'est de l'une et de l'autre, car mon grand-père et ma mère ont reçu de l'empereur d'alors, qui était leur ami, à la fois la cité romaine et la vôtre, et mon père, la vôtre 6, S. Allusion aux efforts qu'il a déployés en faveur de Pruse, à ses activités édilitaires et à ses générosités financières ; l'emploi du mot "tyrans" est peut-être une allusion aux accusations de tyrannie que ses adversaires ont lancées contre lui : cf. 47, 18 et 23-24. 6. L'empereur accordait souvent la cité romaine à toute une famille en bloc (F. Jacques-J. Scheid, Rome et l'intégration de l'empire I, 1990, p. 274) ; la mère de Dion l'a donc acquise en même temps que son père à elle et l'empereur les a simultanément intégrés à la cité d'Apamée. Pour le père de Dion, ou bien, comme le pense C P. Jones (The Roma,1 World..., p. 7), il était déjà citoyen romain quand il reçut le droit de cité à Apamée, ou bien, comme le croit S. Mitchell ("Iconium and Ninica", Historia, XXVIII,1979, p. 436), il l'était devenu en recevant la citoyenneté d'Apamée, puisque les citoyens d'Apamée étaient citoyens romains.
on de Pruse
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msi je suis votre concitoyen et par grâce et par )a naissance 7. Il ~st pas raisonnable en effet de déterminer sa nationalité en montant plus haut que deux générations car, à dire vrai, personne · serait citoyen de quelque part. En outre la patrie de mes enfants, !St plutôt votre cité 8. Les enfants sont obligés de suivre leur père, iis un père a beaucoup plus de plaisir à suivre ses enfants. 7 Tout cela fait que je vous veux du bien et que f ai les sentiments m citoyen, comme je l'ai clairement montré. Car comme nos deux :és étaient en querelle et que ma patrie faisait certes grand rupule de m'importuner en voyant ma répugnance, mais tenait aucoup à soulever de nouveau le problème et faisait appel à mon ncours en me couvrant d'honneurs 9, pour une fois je n'ai pas accepté, ns qu'il n'est rien que j'aurais hésité à faire pour elle ; pourtant tais peut-être plus qualifié que personne pour cette tâche et j'avais s amis, et pas en petit nombre, ni dénués d'influence 10; je n'en dis s plus pour éviter d'irriter et d'offenser certaines personnes. De 1s je ne reculais pas devant le voyage, puisque d'autres raisons me ussaient à partir 11. 8 Cela étant, je me suis tenu à l'écart de ffaire, ne trahissant pas ma patrie, mais cédant aux scrupules que ,rouvais à votre égard et jugeant que je vous servirais mieux vous et x, si je pouvais faire de nos cités des amies en les délivrant des ciens motifs de dispute et en les incitant à la bienveillance et à la ri.corde pour l'avenir. C'est en effet la meilleure et la plus belle Von Arnim observe (Lebe11 1111dWerke..., p. 360) que Pasicratès, le père de Dion, n'ayant reçu le droit de cité à Apaméc qu'à titre personnel, il y a exagération de la part de Dion à dire qu'il est citoyen d'Apamée par la naissance. Von Arnim (l.ebc11uud Werke..., p. 361) pense que la famille de Dion a résidé à Apamée durant son exil et qu'il faut prendre au sens littéral le verbe su ivre (en grec auvbu:oea1) employé dans la phrase suivante. Des enfants de Dion nous ne connaissons par ailleurs qu'un fils dont il est fait mention en 40, 2, 44, 8 et 50, 5 et 10 et qui peut être le jUvenir;à l'expérience, c'est de lom le pire des maux 16.
S. 6.
Cf. 40, 21 et 66, 15. Cf. 38, 10-16 et 40, 26-32.
Discours 42 Notice
Dion a raconté aux Athéniens (D. 13) comment, lorsque l'exil le forçait à mener une existence de vagabond, les gens, le prenant pour un philosophe, venaient l'interroger sur le bien et sur le mal. Après de vains efforts pour les· détromper, il s'était résigné à endosser le personnage qu'ils voulaient à toute force lui imposer et, pour être en état de leur répondre, il s'était mis à réfléchir lui-même aux problèmes qu'on lui soumettait, quitte, lorsqu'il se b'ouvait court, à leur rapporter les avis "qu'un certain Socrate avait émis sur le sujet" (13, 14). Il est extrêmement douteux que Dion, qui avait déjà derrière lui une belle carrière de sophiste et qui, de plus, avait suivi les leçons de Musonius 1, se soit alors jamais b'ouvé embarrassé pour traiter des questions de morale et qu'il ait été forcé de rappeler ses souvenirs de l'Apologieou du Clitophon, mais on peut croire qu'au changement de vie que lui imposa l'exil, il fit correspondre un changement de style et que, ravalé au niveau des ignorants et des simples gens, il affecta lui-même l'ignorance et essaya de se comporter dans ses entretiens comme autrefois Socrate, qui désormais devint et resta le modèle majeur sur lequel il se régla. Cette métamorphose lui valut des succès tels que des cités sollicitèrent sa visite (44, 6) et que, ne pouvant le recevoir en Bithynie où il était interdit de séjour, ses parents et ses amis convinrent avec lui de venir l'entendre à Cyzique (19, 1-2). Il continuera à jouer la même comédie après son exil lorsque, admiré pour sa courageuse opposition à Domitien et distingué par la faveur de Trajan, il sera le héros que tout le monde voudra avoir entendu. Qu'il traite de philosophie ou de politique, il aimera dans ses préambules jouer au profane ébahi d'attirer tant de monde et à l'ignorant qui se demande ce qu'on peut attendre de lui. C'est ainsi qu'il se présente au début de deux discours tenus, l'un à Olympie (D. 12), l'autre à Celaenae (D. 35) et dans deux prolalies, le Discours 72, tenu très certainement à Rome et le Discours42, que les éditeurs 1. D'après le témoignage de Fronton, p. 133 Hout ; cf. C. P. Jones, The Roma,i World•.., p. 12 et P. Desideri, Dione di Prusa, p.6-16.
Discours 42
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anciens, se fondant sans doute sur le contenu de l'oeuvre dont ils possédaient 1a totalité, ont intitulé Conférence faite dans sa
patrie
2.
Le fait que Dion s'y adresse à ses concitoyens, pour qui sa vie est
forcément sans mystère et sa personnalité absolument transparente, rend ce préambule particulièrement savoureux. À des gens qui connaissent ses talents d'avocat (cf. 43, 6) et devant qui il s'est autrefois targué de n'être pas le dernier des orateurs (46, 7), il déclare que, bien que l'univers retentisse de ses discours, il ignore tout de l'éloquence (§ 2). Il leur a fait ou leur fera une très savante conférence sur le zoroastrisme (D. 36), mais il les assure néanmoins qu'il ne sait rien de rien sur rien. C'est pousser un peu loin la fausse modestie et lui-même reconnaît que certains étaient agacés par cette insistance à se dénigrer (§ 2). Mais l'aveu qu'il nous fait que ce type d'avant-propos lui était devenu habituel, prouve que cette humoristique affectation d'ignorance était particulièrement goiitée. Le public participait de bon coeur au jeu et s'égayait de protestations dont il n'était pas dupe et qui ne faisaient que piquer davantage sa curiosité. La conférence terminée, il sortait d'autant plus ravi de la qualité de la prestation dont on l'avait régalé, que l'orateur ne lui avait exactement rien promis. Ainsi l'ironie socratique, à l'origine procédé tactique pour forcer l'adversaire à se découvrir, est devenue chez Dion un simple tour d'adresse rhétorique, à peine mieux qu'une minauderie de vieille coquette.
2.. Nous ne voyons aucune raison de douter de la véracité du titre. Le ton et l'esprit du discours, les allusions qu'il contient à la célébrité universelle dont jouit Dion, nous portent à le placer, comme le fait C. P. Jones (The Roman World..., p. 136), après le retour d'exil.
Discours 42
Conférencefaite à Pruse
1 Votre opinion sur moi et sur cequ'on peut appeler aussi bien :ience que mon ignorance, je ne puis la saisir. Est-ce que vraiment désirez m'écouter parler dans l'idée que vous allez ouïr des ·eilles comme personne d'autre ne pourrait vous en faire entendre ~uement? Ou bien est-ce au contraire pour me confondre et me ver que je ne sais rien d'important ni de sérieux? 2 Si vraiment votre intention, je me livre à vous en toute quiétude, afin que assouvissiez votre envie. Sinon, l'opinion contraire me fait peur crains qu'après m'avoir écouté, vous ne portiez contre moi une nnnation qui sera non fondée puisque, de vous-mêmes, vous vous fait de moi une fausse idée. Je ne me suis en effet jamais targué ~s de personne d'avoir plus d'éloquence, d'intelligence ou de :e que le commun des hommes. J'insiste toujours là-dessu!\ avant endre la parole et j'essaie de détromper ceux qui réclament que je . Mais aux yeux de beaucoup, je dis cela simplement pour me valoir. 3 Malgré tout, sur œ sujet, mes pensées prennent tantôt une route, t une autre. Car lorsque je dirige mes regards sur moi-même et ton ignorance absolument complète, particulièrement en matière luence, je me dis que je suis un homme ordinaire et que iavant je mènerai une vie ordinaire; mais quand je porte les yeux ~sgens qui m'admirent et m'invitent à parler, je suis forcé de ·voir des soupçons sur moi-même et de me demander si je ne de pas quelque trésor et si je ne suis pas, à mon insu, comme ns animaux qui sont utiles aux hommes et dont la bile, le sang, Lisse, le poil ont, sans qu'ils le sachent, des vertus thérapeu; ; mais les hommes qui, eux, le savent, les pourchassent et nt lOut en oeuvre pour s'emparer d'eux, non pour leur viande, ,our cette vertu 1. 1 Il se peut alors que moi aussi, à chaque fois, on me force à · sans avoir besoin de mes discours, mais pour quelque chose
,Jine consacre les livres XXVIII-XXXIIde son Histoire t1at11rclleaux '[!mèdestirés des animaux.
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Discours42
d'autre. Car je ne puis supposer que c'est par ignorance et parce qu'on ne m'a jamais entendu, qu'on affiche cet empressement, à l'instar de beaucoup de gens qui désirent assurément quantité de choses parce qu'ils les ignorent. Car, à dire vrai, tous connaissent mes discours, et on les colporte partout, comme les enfants qui chantent le soir dans les villes leurs pauvres chansons. Mes discours, on se les communique pratiquement partout, non comme ils ont été prononcés, mais en les améliorant encore comme on peut. Les uns les corrigent délibérément et, 5 rougissant de garder en mémoire de pareilles pauvretés, ils procèdent à quantité de modifications et de réarrangements heureux. D'aulTes corrigent peut-être même sans le vouloir parce qu'ils n'ont pas très bonne mémoire. Le résultat est que ce n'est plus, comme on l'a dit, pour une obole qu'il est facile d'acheter ma science au marché 2, mais qu'il suffit de se baisser pour la ramasser par terre. Mes discours ont donc le même sort que la céramique de Ténédos. Tout navigateur qui passe par là embarque de la céramique, mais il n'est pas facile de la transporter sans la casser et beaucoup de gens, qui l'ont fêlée ou brisée, se trouvent sans le savoir ne posséder que des tessons.
2. Sans doute, comme le pense H. Lamar Crosby, un souvenir de I'Apologie de Socrate de Platon, 26 d.
Discours 43 Notice
Dion a prononcé ce discours devant l'assemblée de Pruse l, à la le d'un départ. La cité est alors en pleine effervescence. Dion ::upede recueillir des témoignages en faveur d'un gouverneur dont ait le procès(§ 11) et ce procès est sans doute en partie lié à une ? qui secoua la cité et qui dut être assez grave, puisqu'il souhaite . pas revoir de pareille (§ 7). S'adressant à un public qui avait l ces événements et les avait parfaitement en mémoire, il n'en ,elle pas le détail et nous devons nous contenter, pour nous en : une idée, de quelques brèves allusions(§§ 6-7), d'évocations du portement d'Épaminondas et de Socrate dans des circonstances ilaires (§§ 5-6 et 8-10) et d'un réquisitoire fictif où Dion a emblé les reproches que lui adressent ses adversaires(§§ 11-12). 1s allons examiner successivement ces différents éléments formation. Évoquant les graves événements dont sa patrie a été le théâtre, 1 déclare (§ 7) que si ses adversaires souhaitent le voir quitter ;e, c'est afin qu'il ne puisse "être aux côtés du peuple et que les imes de la délation n'aient personne pour les secourir et pathiser avec elles" et voilà pourquoi, continue-t-il, "une iine personne est bien fâchée de me voir ici". En effet, nous rend-il dans les lignes suivantes, nul ne défend mieux le peuple lui. Sacrifiant son bonheur personnel, il a pris sa part des neurs populaires et cela sans aucun motif d'intérêt, puisque, 1, citant un vers de l'Iliade (1, 154), on ne m'a jamais enlevé mes vaches ni mes juments.
Comme le pense C. P. Jones, The Roman World..., p. 102 et comme le suggère l'anecdote d'Épaminondas ; H. von Arnimest d'avis que Dion parle devant le conseil et l'assemblée réunis, vu qu'il déclare au § 3 que l'assemblée et le conseil ne sont pas incultes (Leben tmd Werke ..., p. 368-369) ; pour W. Schmid, RE, s. v. Dion Cocceianus, col. 856, Dion parle devant le conseil seul.
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Discours 43
On peut retirer de ce passage que le peuple de Pruse s'est trouvé plongé dans une situation difficile et que certains citoyens ont été traînés en justice. Tout cela est sans doute fort peu précis mais, si le vers de l'Iliade n'a pas été choisi au hasard, il ajoute à ces vagues indications un renseignement précieux : il y a eu des spoliations ou des extorsions auxquelles Dion a échappé. À qui ces abus ont-ils profité ? Dion l'indique peut--être au § 6 où, voulant montrer l'intégrité de sa conduite, il dénonce les comportements des mauvais citoyens : "Je n'intrigue, dit-il, contre aucun citoyen, je ne reçois d'argent de personne, je ne suis pas prêt à écraser d'impôts votre territoire et je n'ennuie personne sur l'agora". Vise-t-il ici ses ennemis ? On peut le croire car, évoquant plus loin le personnage de Socrate (§ 10), il fait de son action à Athènes une description qui n'est qu'une transposition transparente et avouée de sa propre conduite politique à Pruse ; Socrate, dit-il, "cherchait à préserver non seulement les jeunes, mais aussi les vieux de la corruption, par les blâmes et les reproches qu'il adressait à ceux qui étaient cupides ou débauchés ou qui prévariquaient, acquittant pour de l'argent, portant de fausses accusations, pillant les malheureux insulaires sous couvert de tribut ou de levées de troupes, commecertainsle font chez nous". Le rapprochement de ces trois passages nous éclaire sur la nature des malheurs du peuple de Pruse : procès iniques inspirés par la cupidité et le désir de s'approprier le bien du voisin, extorsions pratiquées par des magistrats ou des fonctionnaires malhonnêtes, juges, collecteurs d'impôts, agents recruteurs 2, bref par des notables qui ont eu bien soin de ménager les intérêts de Dion, personnage quasiment intouchable, comme il l'avoue lui-même au § 2 : "Moi, c'est ici (î-e à l'assemblée) qu'on m'accuse, vous, c'est au tribunal". Parmi les individus dont il s'est attiré la haine (§ 8), il en est un à qui sa présence à Pruse pèse particulièrement(§ 7). On peut croire que le personnage est un des auteurs des iniquités dénoncées par Dion. Celui-ci le stigmatise sous le couvert d'une anecdote dont Épaminondas est le héros. Elle ne se rencontre pas ailleurs que chez Dion mais, par sa substance - Épaminondas injustement accusé refuse de se défendre et riposte par une réplique qui déclenche l'hilarité 2. Sur le recrutement militaire en Bithynie, cf. Pline le Jeune, 10, 29 et 30 et A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 598~02 ; sur les abus des recruteurs, cf. Tacite, Hist., 4, 14, 2 et 6. P. Desideri, Dione di Prusa, p. 449, n. 51, a bien marqué que Dion dénonce par le biais de son portrait de Socrate la corruption de ses plus respectables concitoyens.
Dion de Pruse
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gé!'érale - elle rappelle si fortement la scène bien conn}le du procès d'Epaminondas rapportée par C. Népos, Plutarque et Elien 3, qu'on soupçonne volontiers Dion de l'avoir transformée pour l'adapter à sa propre situation. La plus grande partie du récit est occupée par la description de l'adversaire du héros de Thèbes (§ 5) : "un coquin achevé, frappé d'atimie qui, quand la cité était esclave et gouvernée par des tyrans, lui avait fait tout le mal possible". Comme l'a noté von Arnim 4, ce portrait fait fortement penser au Flavius Archippus qui, lorsque Pline gouvernait la Bithynie, essaya d'intenter à Dion un procès en lèse-majesté. Du témoignage de Pline 5, il ressort que le personnage avait jouéun rôle de premier plan à Prose sous la tyrannie :fe Domitien dont il était devenu le protégé, en dépit d'une :ondamnation aux mines qu'il avait réussi à ne pas purger. Atimie, ,erviœ des tyrans d'un côté, peine infamante 6, faveur d'un tyran de l'autre, voilà des similitudes qui n'ont certainement rien de fortuit. bi.rchipposétait, il est vrai, philosophe, alors que Dion présente son tdversaire comme un personnage qui pose à l'orateur(§ 6); mais 'exemple de Dion lui-même nous montre qu'on pouvait être les deux à a fois et un article de l'acte d'accusation qui clôt le discours dans son ~tatactuel, pourrait suggérer que l'ennemi de Dion faisait également ,rofession de philosophie. Dion est en effet accusé(§ 12) de concourir 1 pervertir le peuple en lui donnant lui-même "l'exemple de la ·ainéantise, de l'amour du plaisir et de la déloyauté" ; c'est damer )ien haut qu'il agit exactement au rebours de sa philosophie, qui ,rône l'amour du travail, le mépris du luxe et du confort. Cette ndignation vertueuse, inspirée sans doute par les absences )rolongées de Dion et par les tournées triomphales où il était
Plutarque, Mora/ia, 194 A-B, 540 D-E ; C. Nepos, Epam., 7, 8 ; Élien, Var. Hist., 13, 42. 4. Von Arnim, Leben und Werke..., p. 371 et 509-510. 5. Pline le Jeune, 10, 58 ; 59 ; 60 ; 81. Les adversaires d'Archippos le présentaient comme un forçat évadé (10, 58, 2) ; il avait dû jouer un rôle de premier plan à Pruse, car ses concitoyens lui avaient voté quantité de statues (10, 60, 1). 6. L'homme libre condamné aux mines, châtiment qui venait juste après la mort dans la hiérarchie des peines, devenait se.nms poeuae et perdait ses droits civils, politiques et familiaux : cf. Digeste, XLVIII, 19, 8, 4; 19, 28 et 36; Dar.-Saglio, s. v. Scrvitus poe,iae,p. 1285 a. 3.
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Discours 43
acclamé et choyé par ses admirateurs, a quelque chose qui sent le philosophe jaloux 7. La dernière pièce du dossier qu'il nous reste à examiner est l'acte d'accusation fictif, composé sur le modèle de celui de Socrate, où Dion rassemble les griefs de ses ennemis. Manifestement limpide pour son auditoire, ce petit morceau de rhétorique l'est beaucoup moins pour nous. En voici la partie la plus importante et la plus énigmatique : "Dion est coupable ... d'avoir persuadé un méchant gouverneur de torturer le peuple, d'exiler le maximum de gens et même d'en faire périr quelques-uns en les obligeant de se suicider par l'impossibilité où ils étaient, vu leur âge, de s'exiler ou de se résigner à quitter leur patrie. Actuellement encore il seconde en tout celui qui a tyrannisé la province et intrigue autant qu'il peut intriguer pour qu'il gagne son procès et rallie de force à sa cause les cités et les peuples" (§ 11). De ce texte ressort un fait sur lequel tout le monde est d'accord : on instruit le procès d'un gouverneur, auteur d'une répression qui lui a aliéné une partie de la population. Mais quand on s'interroge sur l'attitude de Dion dans cette affaire et sur les rapports qu'elle peut avoir avec la crise grave et les abus dénoncés aux §§ 6-7 et 10, on s'aperçoit que deux lectures sont possibles. Pour von Arnim 8, un soulèvement du prolétariat de Pruse a provoqué une intervention des autorités romaines et le gouverneur a sévi férocement ; mais Dion a fait exactement le contraire de ce qu'on lui reproche. Au lieu de s'associer à la répression, il a, comme Socrate, pris la défense du peuple (cf.§§ 6-7). En fait ses ennemis ne font que lui reprocher leurs propres forfaits, car ce sont eux et singulièrement l'orateur dénoncé au § 5, qui ont aidé le proconsul à mater la révolte et qui maintenant l'assistent dans son procès. Les accusations lancées contre Dion sont si absurdes et si contraires à l'évidence qu'elles tombent d'elles-mêmes et se retournent contre ses adversaires, si bien que Dion n'a même pas pris la peine de les réfuter 9. Cette interprétation a l'avantage de bien s'ajuster avec les autres informations du discours et de les compléter : le peuple de 7. Cf. 47, 22; dans le Discours 50, prononcé à la veille d'un départ, Dion a soin de préciser que, s'il part en voyage, ce n'est pas paur se donner du bon temps (50, 7). 8. Von Arnim, Leben und Werke..., p. 369-382. 9. J.Geel (Dionis Chrysostomi '0).up.rrnc6ç, p. 381) jugeait que ce discours n'était qu'un simple exorde et que Dion ne l'avait pas terminé ni même prononcé.
de Pruse
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~ a été victime des exactions d'un proconsul qui a trouvé des
>licesparmi les notables locaux ; il s'est rebe11é,la répression a ure, mais tout au cours de la crise, Dion n'a cessé de prendre fait 1se pour les classes populaires. · Nous connaissons par Pline le Jeune les noms de deux proconsuls 11rentaccusés par la province au terme de leur mandat. Ce sont s Bassus et Varénus Rufus qui gouvernèrent la Bithynie vers 01 et 105-106 et dont les procès occupèrent le Sénat début 103 Bassus et l'hiver 106-107pour Varénus 10. D'autres qu'eux ont pu 1ître ce genre d'ennuis, mais pas entre ces deux dates car, Pline lrmel, Varénus a été le premier gouverneur poursuivi après 1s11. Si l'un des deux est visé par Dion, von Arnim 12 pense qu'il ·ait plutôt de Bassus dont le profil répond assez bien à la iption de Dion : il fut en effet poursuivi pour extorsion et lité ; il exila des Bithyniens et ses actes furent cassés par le :. Mais Varénus est lui aussi un candidat sérieux au titre de :tant gouverneur", car il fut également poursuivi pour extorsion ,vée 13 et, comme le proconsul dont parle Dion, il obtint du Sénat irisation exceptionnelle de forcer à comparaître ses témoins à
Voir A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 274 et 354 ; Werner Eck, "Jahres und Provinzialfasten des senatorischen Statthalten von 69-70 bis 138-139",Chiron,13 (1983),p. 226. Pline le Jeune, 5, 20 1, : "Iterum Bithyni; breve tempus a Julio Basso et Rufum Varenum proconsulem delulerunt". Cette réflexion de Pline ôte, à notre avis, beaucoup de sa force à l'opinion de P. A. Brunt qui pense ("Charges of provincial Maladministration under the early Principate", Historia, X, 1%1, p. 214 et n. 77) que le "méchant gouverneur" ne peut être identifié, car rien n'autorise à supposer que Bassus et Varénus furent les seuls proconsuls oppresseurs du début du règne de Trajan. Si ce mauvais gouverneur est un prédécesseur de Bassus, il aurait sévi lors du premier séjour de Dion à Pruse ; or, ::iuand Dion évoque cette période, par exemple dans les Discours 40 ~ 45, il ne fait aucune allusion à des événements graves qui auraient ~ntraîné une répression proconsulaire. Si ce gouverneur n'est ni Bassus ni Varénus, il ne pourrait être alors qu'un successeur de Varenus et son proconsulat se placerait alors dans les trois ou quatre innées qui ont précédé l'arrivée de Pline (110 p. C. suivant W. Eck, 'Jahres und Provinzialfasten ...", p. 226). ~ben u11d Werke..., p. 379-381 ; la thèse de von Arnim a été reprise :,ar H. Lamar Crosby dans son édition de Dion (f. IV, p. 172-173). 6-..N. Sherwin-White, The Letlers of Pliny, p. 352.
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Discours 43
décharge 14. Mais s'il est, comme le pensent nombre de commentateurs 15, l'homme de la répression à Pruse, le scénario de von Arnim ne peut tenir et il faut lire autrement l'acte d'accusation. Le Discours 48 prononcé sous le proconsulat de Varénus (§ 1) nous apprend en effet que celui-ci était rempli de bienveillance pour le peuple de Pruse; il avait autorisé les réunions de l'assemblée suspendues, semble-Hl, par son prédécesseur et Dion le présente à son auditoire dans des termes flatteurs (48, 1). Si le Discours43 se rapporte aux événements de son proconsulat, la solution la plus simple et la plus raisonnable consiste à admettre que le réquisitoire dressé contre Dion contient des faits substantiellement exacts dont on a dénaturé le caractère. Le proconsul a bien été amené à sévir vigoureusement ; il a prononcé des condamnations à l'exil; Dion a peut-être inspiré ces mesures; il les a en tout cas approuvées, puisqu'il s'évertue à procurer à Varénus des témoins à décharge. Ce qu'il récuse, c'est le jour tendancieux sous lequel on présente les personnes et les faits. En réalité Varénus n'est un "méchant gouverneur" et un tyran de la province que dans l'esprit et les propos des ennemis de Dion. On l'accuse d'avoir "torturé" le peuple et "exilé le maximum de gens" : comprenons qu'il a réagi énergiquement et exilé à bon escient 16. C'est sans doute la thèse qui était soutenue dans l'apologie qui est annoncée après le réquisitoire et qui ne nous est pas parvenue. Étant donné que Dion se présente comme le défenseur du peuple, il est très probable que des notables aient figuré parmi les victimes de la justice proconsulaire 17. Nous savons en effet par le Discours 48 que les malversations de certains d'entre eux avaient exaspéré l'assemblée qui souhaitait une intervention de l'autorité romaine (48, 2-3). Dion, alors premier archonte, s'efforça de convaincre ses concitoyens de régler le problème à l'amiable et de tenir le gouverneur à 1'écart de leurs conflits. On peut imaginer que la 14. Voir Pline le Jeune, 5, 20, 2-7 et le oommentaire de Sherwin-White. 15. H. Dessau, "Zum Leben Dios von Prusa", Hermes, 34 (1899), p. 86 ; C. Vielmetti, "l Discorsi Bifinici...'",p. 97-99 ; C. P. Jones, The Roma11 World ..., p. 54, 102 et 140 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 270-272 ; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 168-169 et 171 ; A. N. SherwinWhite, The Letters of Pli11y, p. 275 et 352, pense que les deux personnages peuvent convenir. 16. Nous pensons que le verbe "torturer" (paoavl(t1v) est employé au figuré (co11traC. P. Jones, The Romnn World..., p. 188, n. 57). 17. Comme le pense, entre autres, A. N. Sherwin-White, The Lettcrs of P/iny,p. 276.
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méthode douce n'eut aucun succès et que les abus et les exactions de tout ordre se sont multipliés au point de faire déborder la coupe et d'obliger Dion à solliciter de Varénus une intervention énergique 18 qui aboutit à l'exil et au suicide de plusieurs coupables 19. Vue sous cet angle, l'action de Dion pouvait se comparer à celle de Socrate telle qu'il la représente à ses concitoyens pour les besoins de sa cause. Comme lui, il enseigne à la jeunesse le culte des vraies valeurs ; comme lui, il travaille à moraliser la vie politique en dénonçant les politiciens malhonnêtes q~i volent la cité, pressurent et oppriment les couches populaires. Epaulé par le gouverneur, il châtie les fripons, les force à restituer le produit de leurs rapines et rétablit l'ordre à Pruse. L'accuser d'être l'ennemi du peuple, c'est lui reprocher, comme à Socrate, de faire le contraire de ce qu'il fait réellement. Ce scénario est plausible. Le fait que l'acte d'accusation :1ttribue à Dion un rôle majeur dans la répression s'ajusterait bien :1vec ses fonctions de premier archonte. Et surtout, comme cette recherche de témoignages 20 à laquelle se livre Dion, n'est attestée ~ue pour le procès Varénus, nous inclinons fortement, comme beaucoup :l'autres, à penser que c'est au milieu de l'agitation qui a suivi son ?fOConsuJat et accompagné son procès que ce Discours 43 a été ,rononcé. Il serait donc postérieur d'un an ou plus au Discours48. Les notables avaient dtl voir avec colère et dépit un de leurs Jairs se retourner contre eux, sous prétexte d'ordre moral et de 18. Cf. C. P. Jones, The Roman World..., p. 101 : 'There must have bt.>en some disturbance at Prusa in which Dio had done as the wealthy werc sometimes tempted to do and had sided with the commons against his own class ..." et, p. 102, "Apparently, through his influence with this governor, Dio had certain of his ennemies exiled". C. Vielmetti ("I Discorsi Bitinici...", p. 99) pense que l'action de Dion a consisté à modérer la répression conduite par les notables pour mater l'agitation populaire et, d'un autre côté, à a1der le gouverneur à maintenir l'ordre ; il se serait fait ainsi des ennemis des deux côtés. 19. Le Digeste nous renseigne sur les pouvoirs répressifs du gouverneur à l'6gard des notables : il doit les empêcher de terroriser la province au point que nul n'ose témoigner contre eux (1, 16, 9, 5) ; veiller à l'exécution des pollkitations (L, 12, 6, 7 et 8); protéger les petits contre les grands et empêcher les extorsions (I, 18, 6, §§ 1-3). lO. C'est certainement ainsi qu'il faut interpréter l'expression "rallier de force à sa cause les cités et les peuples" que P. Desideri trouve obscure et interprète manifestement de travers (Dione di Prusa, p. 450, n. 56).
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Disco11rs43
défense du peuple, et prêter la main à une politique de coercition dont ils faisaient les frais. Ils avaient d'autant plus de raisons de s'indigner contre Dion qu'on avait eu soin de le ménager dans sa personne et dans ses biens (§§ 2 et 8). On s'explique sans peine que, parmi les griefs qu'il leur prête, il mentionne sa "déloyauté" (anun{a). Il était en effet un faux-frère qui s'était mis en travers de combines et d'abus extrêmement rentables et passés dans les moeurs. 11est très probable que leur offensive fit long feu et que, plus heureux que Socrate, Dion fut absous de tous les crimes qu'on lui imputait. Battus à Pruse, ses adversaires le furent aussi très certainement à Rome, où nous savons par Pline 21 que la Bithynie donna une triste image d'elle-même.
2.1. Pline le Jeune, 7, 6.
Discours 43
Discourspolitique,dans sa patrie
1 Il était une fois, dit-on, un Lydien qui n'avait pas d'ennuis : il 'lit en acheter 1 ! Notre Lydien eut donc des ennuis et ce fut bien t pour lui, puisqu'ils les avait lui-même désirés. Mais moi, sans
désirer, j'ai des ennuis par la faute de gens bêtes 2 et envieux, lplement parce que je passe pour vous aimer et que j'ai fait du bien la patrie en la rendant égale aux premières cités sous le rapport du ,g 3 et que je lui en ferai encore, si un dieu me l'accorde 4. 2 Je n'ai ; dit cela par vaine vantardise, car vous savez vous-mêmes que je i pas rappelé ces services dans les nombreux discours que j'ai tenus ,ant vous : j'entends seulement me défendre contre œux qui nous 1lent du mal, à moi et à vous, afin que, si la chose est possible, ils vent de dépit - et c'est ce qui pourrait arriver de mieux à toute la •- ou que, à tout le moins, ils éprouvent de la douleur. Que ce sont mêmes qui ont de l'aversion pour moi et pour la cité, vous en êtes 1s-mêmes témoins, si vous voulez vous rappeler qui vous aime et vous hait. Cependant ils en usent plus honnêtement avec moi ivec vous. Moi, c'est ici s qu'on m'accuse, vous, c'est au tribunal 6. Le mot, inspiré par les malheurs de Crésus, était passé en proverbe ; cf. Leutsch-Schneidewin, Paroemiographi, Diogénien, 1, 75 ;
Zénobios, 1, 87. Même récrimination en 41, 2. En obtenant l'érection de Pruse en chef-lieu de district judiciaire, Dion a haussé sa patrie au niveau de Nicée qui était à la fois "première cité" et chef-lieu de conventrls (cf. 38, 26) ; dans la hiérarchie des cités les centres d'assises venaient au second rang, après les métrop0les (Digeste,XXVII,1, 6, 2). Même vague promesse en 48, 12 et en 49, 15 ; Pruse aspirait après le statut de civitas libera(cf. 44, 11-12) qu'elle n'obtint jamais. À l'assemblée. corresp0nd au latin L'expression qu'emploie Dion, âtl 'toli 111\ti,aT«;, pro tribrmali, où tribunal désigne la tribune sur laquelle siège le magistrat et non la tribune des témoins (witness-box), comme le croit H. Lamar Crosby (cf. Actes des Apôtres, 25, 10) ; c'est là que siège le proconsul quand il tient ses assises, comme le montre une lettre de
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Discours 43
3 Si vous me voyez, suivant mon habitude, emprunter mes exemples à l'histoire grecque, ne vous moquez pas de moi. La raison en est que je ne méprise pas ma patrie, que je ne vous juge pas incapables de comprendre de telles choses et que je ne juge pas que l'Assemblée et le Conseil sont composés d'incultes. Je désire donc plus que tout que vous soyez Grecs dans l'âme 7 et ne soyez dépourvus ni d'esprit, ni de sens. Mais à tout le moins, vous ne perdez rien à entendre des discours susceptibles de vous profiter moralement. 4 Quel est donc cet exemple ? Il y avait à Thèbes un homme qui s'appelait Épaminondas B ; il aimait sa patrie plus que tout et, profitant de circonstances comme il s'en présentait alors, il lui rendit d'énormes services. Alors qu'ils étaient timorés, faibles et soumis à d'autres, il leur donna la première place en Grèce et fit qu'ils disputèrent l'hégémonie. C'étaient choses possibles à l'époque. Maintenant les temps ont changé, sauf qu'en ce qui regarde l'affection et le dévouement qu'on doit à sa patrie, les devoirs sont les mêmes. En effet les traîtres, les sycophantes, ceux qui font tout pour nuire à leurs concitoyens existaient aussi dans les cités d'alors. Et voyez : des gens 9 qui aimaient leur patrie, qui voulaient qu'il n'arrive rien de mal à leurs concitoyens et travaillaient à la grandeur de leur patrie, il y en avait alors beaucoup et ils faisaient de grandes choses ; mais maintenant ils sont moins nombreux et ne peuvent faire autant de bien. 5 Cet Épaminondas donc était haï par des gens qui ne le valaient pas : certains le calomniaient et le peuple, comme tout peuple, ignorait la vérité et se laissait séduire. Une fois, un coquin achevé, frappé d'atimie 10, qui, quand la cité était esclave et
Pline à propos d'une affaire où Dion est impliqué : "postulavit ut cognoscerem pro tribunali" (10, 81, 2) ; C. P. Jones pense, à tort selon nous, qu'il s'agit du tribunal de l'empereur devant lequel la cité serait accusée (Tlie Romn11 World ..., p. 102). 7. Pruse était en Mysie et les Mysiens ne passaient pas pour être très !!VO!ués : cf. Cicéron, Pro Flncco, 27, 65 ; Dion affiche la même ambition en 44, 10 et 48, 8; cf. aussi 50, 2. 8 Dion arrange, pour pouvoir l'appliquer à son propre cas, une aventure arrivée à Épaminondas : cf. Notice, n. 3. 9. Parmi lesquels Dion se range évidemment; cf. 41, 3 et 47, 13. 10 Dans ce récit, conçu pour imposer l'idée que, mutntis mutandis, Dion est un autre Épaminondas, cette précision vise évidemment un
>ionde Prose
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;ouvernée par des tyrans 11, lui avait fait tout le mal possible, l'ljuriait Épaminondas à l'assemblée et débitait quantité de propos lessants. Les menteurs, en effet, ne cherchent jamais à dire la vérité, •uisqu'ils ne peuvent rien dire de vrai, mais seulement à blesser. Lui, e levant, ne répondit rien, ne se justifia sur rien, mais il dit eulement dans son béotien : "Eh bien, prends garde au courroux de >amater". Bien entendu cette répartie mit les Thébains en joie t ils éclatèrent de rire, songeant, j'imagine, au dévouement 'Épaminondas pour le peuple et aux moeurs de sycophante de son 1sulteur. 6 Eh bien moi, si on m'adresse des reproches immérités, soit :Ornent,soit en beau style pour avoir l'air d'un orateur, et cela sans :re soi-même bien stylé, je répondrai comme Épaminondas. Sachez bien qu'ils font et disent cela parce que ma présence ici !Urporte ombrage 12, et rien que pour cela. En effet je n'intrigue >ntreaucun citoyen, je ne reçois d'argent de personne, je ne suis pas rêt à écraser d'impôts votre territoire 13 et je n'ennuie personne sur 1gora.En effet je ne suis pas orateur 14 et je n'ai parlé pour personne, 1ufune fois pour un malheureux que j'ai empêché d'être spolié par is parents et ses tuteurs qui, après lui avoir dérobé ses documents et )rès avoir dilapidé une bonne partie de sa fortune, portaient de ux témoignages contre lui. 7 Je n'ai plaidé dans aucun autre procès, bien que je ne gêne personne en rien. Mais si, comme certains le ,uhaitent, il se produisait ce qui est déjà arrivé 15 - le Ciel nous en 1
contemporain, peut-être Flavius Archippus : voir à son sujet la Notice,
p.8.5. l.
Archias et ses amis, imposés par Lacédémone ; Dion songe certainement aux activités de ses ennemis sous le règne du tyran Domitien, dont Archippos était sans doute le dcHateur ; on sait en effet par Pline le jeune (10, 58, 5 et 6) qu'il avait bénéficié de la mansuétude et des largesses de l'empereur. Même récrimination contre la jalousie de ses adversaires politiques en 40, 1 et 17-18. Pour financer, par exemple, sa politique monumentale ; sur ce sujet, voir Pline le Jeune, 10, 23, 2 et 24, 1. Même assertion modeste et qui ne trompe personne en 42, 3 ; Dion ne dissimule pas ses talents oratoires en 46, 7. H. von Arnim pense que Dion évoque une crise où il aurait pris le parti des petits et rapproche ce passage de 48, 8 et de 50, 3-4 (Lebe11 1111dWerke..., p. 371-373) ; C. P. Jones, The Roman World•.., p. 101, pense que Dion fait allusion à la crise qui a abouti à la dissolution de l'assemblée.
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garde - mais si, malgré tout, cela se reproduisait, on veut que je ne paraisse pas aux côtés du peuple et que les victimes de la délation n'aient personne pour les secourir et sympathiser avec elles. Voilà pourquoi une certaine personne est bien fâchée de me voir ici. Et en effet, s'il y avait ici davantage de gens comme moi - et il y en a personne ne parlera plus haut que moi. Moi, je vous parle plus franchement que personne, car je vous ai sacrifié mon bonheur 16 et j'ai pris ma part de vos malheurs. 8 Et maintenant, je dois partir, non pas le coeur léger, comme auparavant, quand tout le monde m'aimait et m'admirait 17, mais en butte à la haine de certains. Remarquez que, personnellement, je n'ai à me plaindre de rien, car on ne m'a jamais enlevé mes vaches ni mes juments 1s. Malgré tout je ne suis pas surpris de mes ennuis actuels, car le grand Socrate 19, dont je vous parle souvent, agissait en tout pour le bien du peuple sous la tyrannie des Trente et il ne se rendait complice d'aucun de leurs crimes. Même, chargé par eux d'arrêter Léon de Salamine 20, il n'obéit pas et il injuriait crument les tyrans, leur disant qu'ils ressemblaient aux mauvais pâtres qui, ayant reçu quantité de vaches en pleine force, réduisaient le troupeau à peu de chose et affaiblissaient les bêtes 21. 9 Plus tard, cependant, il fut calomnié par des sycophantes et le peuple, pour qui il s'était exposé et dont la situation était rétablie, le fit mettre à mort. Son accusateur était Mélétos, un répugnant sycophante. "Socrate, disait-il, est coupable de corrompre la jeunesse et de ne pas honorer les dieux qu'honore la cité et d'introduire d'autres divinités nouvelles" 22. À peu près juste le contraire de ce que faisait Socrate. 10 En effet il honorait les 16. la haute situation que lui offrait Trajan : cf. 45, 3. 17. S'agit-il du voyage évoqué dans Je Discours 40 et qui serait le premier que Dion a entrepris après son retour à Pruse ? Lorsque Dion reparut dans sa patrie, ses adversaires se sont faits tout petits et il a cru, comme le montre le Discours 44, que toute la cité se ralliait à lui ; mais depuis, Archippos et les autres ont relevé la tête. 18. llînde, 1, 154 ; citation topique : Dion élevait du bétail (cf. 46, 8). 19. Socrate, un des modèles sur lesquels il règle sa conduite, est encore mentionné en 47, 7 et 51, 7. 20. Platon, Apologie, 32, c-d. 21. Xénophon, Mémorables, 1, 2, 32. 22. Dion reproduit en changeant l'ordre des griefs et en modifiant quelques termes l'acte d'accusation de Socrate tel que le cite Diogène l.aërce, 2, 5, 40.
Dion de Pruse
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Dieux plus que personne, avait composé un péan en l'honneur d'Apollon et d'Artémis 23, celui que moi, je chante encore maintenant, E!til cherchait à préserver non seulement les jeunes, mais aussi les vieux, de la corruption, par les blâmes et les reproches qu'il :1dressait à ceux qui étaient cupides ou débauchés ou qui prévariquaient, acquittant pour de l'argent, portant de fausses ~ccusations, pillant les malheureux insulaires sous couvert de tribut lU de levées de troupes, comme certains le font chez nous 24. Le !\aïssant pour cela, ils prétendirent qu'il corrompait la jeunesse. 11 L'acte d'accusation dressé secrètement contre moi, à ce qu'il ;emble, était plus long et avait plus d'allure : "Dion est coupable de le pas honorer les Dieux soit par des sacrifices, soit par des hymnes, :l'abolir les fêtes traditionnelles 25, d'avoir persuadé un méchant ;ouverneur 26 de torturer le peuple, d'exiler le maximum de gens et :t'en faire périr quelques-uns en les obligeant de se suicider, par 'impossibilité où ils étaient, vu leur âge, de s'exiler et de se résigner 1 quitter leur patrie 27. Actuellement encore il seconde en tout celui 23. Diogène Laërce en cite le premier vers (D. L., 2, 5, 42), mais, dès !'Antiquité, on en contestait l'authenticité. 24. Les développements des §§ 8-12 sont destinés à nous faire comprendre que Dion est non seulement !'Épaminondas, mais le Socrate de Pruse: ce qu'il dit de Socrate et d'Athènes s'applique donc à la Pruse de son temps, mais les allusions sont moins transparentes pour nous qu'elles ne l'étaient pour les auditeurs de Dion. On peut ~éanmoins en retirer qu'il a entrepris de moraliser la vie politique de la cité, s'attaquant à la vénalité des délateurs, des juges, des magistrats, aux exactions commises par les percepteurs du tribut et par les recruteurs. Nous n'avons pas trouvé de texte indiquant que Socrate ait pris la défense des insulaires, mais il se peut que Dion porte à son crédit le réquisitoire que le Pseudo-Xénophon dresse contre la politique d'Athènes à l'égard de ses alliés dans la République des Athéniens, 1, 15-18. 25. la dévotion de Dion, qui n'était certainement pas une dévotion de fa~ade (cf. 52, 1), devait avoir un caractère personnel qui donnait matière aux critiques de ses ennemis. On sait par Pline le Jeune (10, 96, 5-6) que la délation religieuse f1orissaiten Bithynie. !6. Sur l'identité de ce gouverneur, voir la Notice, p. 87. ri. Un gouverneur avait le droit d'exiler dans et hors de sa province (Digeste, XLVIIl, 22, 7 ; Pline le Jeune, 10, 56, 2-4). On lit dans F. Jacques-J. Scheid, Rome el l'intégration de l'empire 1, p. 195 : "Dion fut accusé d'avoir poussé un gouverneur de Bithynie à torturer, bannir, faire exécuter des citoyens de Pruse" ; c'est ainsi que
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qui a tyrannisé la province et intrigue autant qu'il peut intriguer pour qu'il gagne son procès et rallie de force à sa cause les cités et les peuples 28. 12 Il corrompt aussi le peuple, s'érigeant en accusateur, se servant de son verbe et de sa langue pour persécuter les citoyens, les gens du peuple et faisant beaucoup d'autres choses que j'ai scrupule à rapporter en détail. Par sa conduite même il donne aux jeunes et aux vieux un pernicieux exemple de fainéantise, d'amour du plaisir 29 et de déloyauté et il achète les masses pour que personne ne lui reproche ses actes passés, mais qu'on oublie sa haine et ses complots''. Eh bien moi, je m'en vais répondre à cela, citoyens de Pruse, et après m'avoir entendu, condamnez-moi si bon vous semble ; car les Athéniens condamnèrent Socrate après avoir écouté sa défense.
von Arnim voyait les choses (Leben und Werke ..., p. 380) ; mais l'acte d'accusation parle seulement de désespérés que la peur de l'exil a poussés au suicide et il est probable que "torturer" est une exagération rhétorique. 28. Allusion aux pressions exercées sur les cités pour faire venir à Rome des témoins à décharge. 29. Allusion à ses tournées de conférences dont Dion ne cache pas le bonheur qu'elles lui procuraient (47, 22).
Discours44 Notice
On considère généralementque ce discours fut prononcé par Dion devant l'assemblée 1, lorsqu'il reparut à Pruse après son exil. Seul C. P. Jones 2 le place au début d'un deuxième séjour que Dion aurait fait dans sa patrie au retour d'une ambassade auprès de Trajan. En faveur de la première hypothèse milite le fait que le contenu du discours répond assez bien au récit que Dion fait lui-même en 40, 5 de son retour à Pruse et du premier contact qu'il eut avec ses compatriotes: "Au lieu de me borner ... à protester de mon amitié (♦~t), à sacrifier aux Dieux et, par Zeus, à vous donner lecture ... de la lettre de l'Empereur ...".Orle présent discours est si riche en protestations d'affection que les éditeurs antiques l'ont appelé ♦1Ao♦pov11Ttxbt et il s'achève sur la lecture d'un courrier échangé entre Dion et l'empereur 3. Quand ce retour à Prose eut-il lieu ? Avant ou après la rencontre de Dion avec le souverain ? Les avis sont partagés. Von Arnim, C. P. Jones et A. R. Sheppard optent pour le premier parti 4 ; W. Schmîd, C. Vielmetti et P. Desideri pensent que Dion avait déjà conféré avec le prince, soit Nerva, soit Trajan s, lorsqu'il se présenta devant ses compatriotes. Constatons d'abord qu'il est douteux que, comme le voudrait von Arnim 6, Dion se soit précipité à Pruse, une 1. Cf.§§ 1 ("concitoyens") et 10 (~peuple de Pruse"). 2. The Roman World..., p. 139. 3. Nous ne faisons que reprendre l'argumentation de von Arnim, l.ebe11 u11dWerke..., p. 346, qui garde, à notre avis, toute sa valeur. 4. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 314-317 ; C. P. Jones, Tite Roman World..., p. 52; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. lSS.160. 5. Nerva : W. Schmid, RE, s. v. Dion Cocceianus,col. 855; Trajan : C. Vielmetti, "I DÎscorsiBitinici...", p. 93 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 262-264, pense que Dion rencontra successivement Nerva et Trajan. 6. Leben und Werke..., p. 311-312; von Arnim place ce retour à la fin de l'automne 96 ; le Discours 44 daterait, selon lui, de l'hiver 96-97 ; C. P. Jones propose dubitativement la date de 101 (The Roman World ..., p. 139).
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fois connus l'avènement de Nerva et te rappel des exilés. Il déclare en effet au § 6 de ce discours qu'il a décliné les sollicitations de nombreuses cités qui Ie pressaient de "rester" chez elles "et de diriger leurs affaires". Le verbe "rester", les invitations officielles suggèrent, comme on l'a remarqué 7, des séjours plus longs que les pauses que s'accorde un voyageur pressé de rentrer chez lui. Surtout, la fin du texte (§ 12) force d'admettre que Dion a séjourné à la cour où on voulait le retenir. À ses compatriotes, qui rêvent d'obtenir le statut de civitas libera, Dion explique ce qu'il pense de cette revendication et ajoute: "Pour que vous connaissiez ma pensée par d'autres sources, je m'en vais vous lire la lettre que j'ai adressée à l'Empereur après l'invitation que j'ai reçue (&n; bc:>.fi&Tiv), lettre où je sollicitais mon congé pour me rendre chez vous (à~va, npèK;Ù!,Liic;) et Ia réponse qu'il m'a faite". On comprend généralement que Dion, invité par l'empereur 8 à venir le rejoindre, s'est excusé de ne pouvoir te faire en excipant des obligations qui l'appelaient ou le retenaient à Pruse. Mais l'emploi du verbe à4'E8~va•exclut cette interprétation : à+1éva1signifie au sens propre lâcherquelque chose que l'on tient et, au sens figuré, quitter ou congédierquelqu'un. P. Desideri 9 a donc raison de comprendre que Dion séjournait à la cour, où l'empereur voulait le retenir, lorsque ses concitoyens l'ont sollicité, par lettre, de revenir. Une situation analogue est évoquée par lui en 40, 17, où il relate que, absent de Pruse, il a été prié par décret de rentrer (1jtr1♦1aaJ,Livwv ùiwv t!IÈ xa>.&i'v)pour participer au règlement du conflit avec Apamée. Dion a donc séjourné à la cour, il y a plaidé la cause de Pruse et c'est là que l'empereur lui a conféré, en personne et non par lettre comme le croit von Arnim, cet honneur qui a suscité dans tout l'empire des décrets de félicitations (44, 6). Honneur conféré par l'empereur, présentation des requêtes de Pruse, départ de la cour pour répondre à l'appel de ses concitoyens, autant de faits que l'on retrouve curieusement dans le récit que Dion fait en 45, 3 de sa rencontre avec Trajan et de l'accueil qui lui fut réservé. Il y évoque en effet l'honneur extraordinaire qu'il reçut de 7. C. Vielmetti, "I DiscorsiBitinici...", p. 93 et n. 3; pour lui, Dion n'est pas rentré à Pruse avant 100. 8. Nerva : H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 315 ; F. Millar, The Emperor in the Roma11World, 1977, p. 470 ; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 162; Trajan: C. Vielmetti, "I DiscorsiBitinici...", p. 93. 9. Dionedi Prnsa, p. 264 et 277, n. 21 ; P. Desideri pense (ibid., p. 193) que la lettre impériale était le document officiel mettant fin à l'exil de Dion et l'autorisant à rentrer dans sa patrie.
fonde Prose
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rajan, les privilèges que celui-ci accorda à Pruse sur sa demande et 1 brillante carrière qui s'ouvrait devant lui, s'i1 n'avait refusé tes ignités et tes charges qu'on lui offrait, pour se consacrer à la tâche 1grate de la gestion municipale. À notre avis, c'est du même séjour u'il est question dans les deux discours, ce qui entraîne comme mséquence que l'empereur avec qui Dion a échangé les lettres qu'il t à la fin du texte est Trajan et non Nerva. Si cette conclusion est fondée, elle permet de situer ,ronologiquement ce discours par rapport aux faveurs accordées à ruse par Trajan (élargissement du conseil, élévation de Pruse au 111gde chef-lieu d'assises) et de dissiper )'ambiguïté d'un passage ll texte. Apr~s avoir exposé à ses concitoyens la conduite que le >uvoir romain attend d'eux dans la vie publique comme dans la vie '.ivée, Dion leur déclare ceci (§ 11) : ''En effet cette conduite vous :ofitera davantage que le nombre de conseillers, le jugement de vos faires à domicile, des revenus supplémentaires et même la liberté, vous pouvez aussi l'obtenir".Faut-il sous-entendre "comme vous rez obtenu le reste", à la suite de W. Schmid, C. Vielmetti, . P. Jones et P. Oesideri qui comprennent que, sauf la liberté, s revendications de Pruse sont d'ores et déjà satisfaites 10 ? . von Arnim et A. R. Sheppard comprennent au contraire "si jamais ,us pouvez obtenir la liberté avec le reste" et concluent qu'au ornent de cette harangue, les revendications de Pruse ne sont encore 1e des voeux pieux et que l'empereur ne leur fera droit, 1rtiellement, qu'après l'envoi d'une ambassade conduite par Dion i-même 1t. Cette façon de voir semble corroborée par un passage du 10 où, après avoir invité la jeunesse locale à cultiver la rhétorique la philosophie, Dion dit textuellement ceci : "Vous, peuple de use, je vous demande d'espérer la réalisation de ce qui dépend de ,s maîtres et de prier pour obtenir un accroissement de dignité, un re de gloire ou des ressources financières". li est tentant de mprendre que, lorsque Dion mentionne ce qu'on peut attendre de la nérosité romaine, il songe aux revendications qu'il énumérera un u plus loin : augmentation du nombre de conseillers, assises, :roissement des revenus, liberté. Mais C. Vielmetti juge, avec son selon nous, qu'il ne faut voir dans les paroles de Dion qu'un W. Schmid, RE, s. v. Dion Cocceianus, col. 855 ; C. Vielmetti, "I Discorsi Bitinici ...", p. 94 ; C. P. Jones, T~ Roman World..., p. 53-54 et 139; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 263 et 276. H. von Arnim, Leben 1111d Werke..., p. 315 ; A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 161-162.
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avertissement d'ordre général sur les avantages et la nécessité de la discipline et qu'il veut seulement faire entendre à ses concitoyens que, s'ils sont sages, ils pourront espérer du pouvoir central les générosités habituelles, espérance justifiée par les privilèges déjà obtenus grâce à l'intervention de Dion 12. Nous nous rangeons d'autant plus volontiers à cette façon de voir que l'accueil enthousiaste réservé à Dion et l'accumulation d'honneurs dont il bénéficie s'expliquent mieux comme des marques de gratitude pour un service substantiel que, ainsi que le voudrait von Arnim, comme un hommage à sa conduite héroïque sous Domitien et un encouragement à exploiter la faveur impériale au mieux des intérêts de sa patrie. On observera que Dion ne fait pas la moindre allusion aux dures épreuves de son exil, comme on pourrait s'y attendre si elles avaient essentieUement motivé les honneurs qu'on lui décerne. Enfin une bonne raison de penser que l'augmentation du nombre de conseillers et l'octroi des assises sont déjà acquis est que Dion ne s'étend que sur la seule revendication qui ne sera jamais satisfaite, la liberté. Cette insistance répond évidemment au souci de dissiper les illusions que ses compatriotes entretiennent sur ce chapitre et, peut-être, de calmer leur déception 13. Tantôt il laisse entendre(§ 5) que son grandpère a failli l'obtenir de l'empereur et qu'il ne faut pas désespérer ; tantôt il insiste sur la rareté de ce privilège et sur sa parfaite vanité (§ 12). Ces allusions prudentes, ce détachement philosophique font soupçonner qu'au fond de lui-même il n'est pas partisan de la chose et qu'en admettant qu'il ait plaidé la cause de Pruse sur ce point, il n'a dû le faire qu'avec tiédeur. Émanciper Pruse de la tutelle proconsulaire ne paraissait souhaitable ni à lui-même, ni à l'empereur. Les éloges dithyrambiques qu'il adresse à ses compatriotes se conjuguent avec des exhortations morales qui laissent deviner que, bien que ses concitoyens so•ient les meilleurs fils du monde(§§ 5-6), la patrie de Dion est une cité remuante et à demi barbare qu'il importe de discipliner, de moraliser et de gagner à la civilisation hellénique (§ 10). Dion déclare en 45, 3 que son séjour à la cour lui permit de vivre dans l'intimité de l'empereur et de gagner son amitié : il dura donc un 12. "'I Disc:orsiBitimci ...", p. 94: "... non dobbiamo ... dare eccessivo peso ail' espressione & p.lv fonv napi:t,-c;.v06T011pcrtopwv Taita t>.n(tc1vê.>r; ~va, che va intesa corne esortazione agli abitanti di Prusa ad aver fiducia nella benevolenza dell' imperatore senza escludere che questa sia giustificata dalla concessione di benefici concreti". 13. Voir sur ce point C. Vielmetti, "I Discorsi Bitinic:i..", p. 94 et la note 1.
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emps appréciable. Si l'on observe qu'en cours de route Dion s'est 1rrêté dans diverses cités de l'empire, on peut imaginer que son 1bsencese prolongea assez longtemps pour inquiéter ses compatriotes, !Xtrêmementdésireux de récupérer leur grand homme et d'exploiter à eur profit le crédit dont il jouissait en haut lieu. Assurant d'entrée de jeu (§ 1) ses concitoyens de toute la joie 1u'il a de les revoir, Dion leur déclare qu'il ressent la profonde vérité lu mot d'Homère: "Rien n'est plus doux que la patrie". Ce sont les >ropres paroles qu'Homère met dans la bouche d'Ulysse à la veille le regagner Ithaque. À notre avis, les effusions de ce préambule, de nême que les protestations d'amour exclusif pour Pruse des§§ 6-7, ixpriment moins la joie de l'exilé qui revoit sa patrie après en avoir ;tééloigné presque aussi longtemps qu'Ulysse le fut d'Ithaque, que le lésir de rassurer ses concitoyens et de les convaincre qu'il ne songe pas :t n'a jamais songé à s'expatrier définitivement et à faire fortune à ~orne, comme ils ont pu le craindre. Le fait est qu'il ne s'était guère ,ressé de rentrer et, visiblement, parce que Trajan désirait se 'attacher, de la même façon que Calypso et Circé voulaient retenir Jlysse auprès d'elles, comme le rappelle le héros dans le récit d'où est-ce un hasard ?) Dion a tiré le mot qu'il a cité. Les dates proposées pour ce discours varient entre 97 et 101. .Jouspensons qu'il a été prononcé au début du règne de Trajan et qu'il ,ourrait bien être le premier en date des Discours Bithyniens.
Discours44
Protestation d'affection adressée à sa patrie qui propose de lui décerner des honneurs
1 Pour moi, àtoyens, il n'est pas de spectacle plus agréable que celui que vous m'offrez, de voix plus chères que les vôtres, d'honneurs plus grands que ceux que vous décernez, d'éloge plus éclatant que celui qui émane de vous. Tous les Grecs et, avec eux, le peuple romain pourront m'admirer et me louer, cela ne me mettrait pas autant la joie au coeur. Car en vérité, Homère, qui a prononcé tant de sages et divines paroles, n'a rien dit de plus sage et de plus vrai que ce mot: Rien n'est plus doux que la patrie 1. 2 Sachez pourtant bien que tous les honneurs, ceux que vous proposez maintenant comme tous ceux qui peuvent exister, je les trouve dans votre bienveillance et dans votre affection et que je n'ai besoin de rien d'autre. Un honnête homme se contente en effet d'être aimé de ses concitoyens et quand on a cela, quel besoin aurait-on encore de portraits, de proclamations, de places d'honneur ? Mais pas même d'une "statue dorée" 2 érigée dans les plus célèbres sanctuaires. Un seul mot inspiré par la bienveillance et l'affection est phis précieux que tout l'or du monde, que les couronnes et que tout ce qui éblouit. Aussi, faites comme je vous dis. 3 Et même si je dois accepter de tels honneurs, j'en compte déjà beaucoup d'autres chez vous. D'une part ceux de mon père, que vous lui avez conférés en sa qualité d'homme de bien qui, tout le temps qu'il vécut, fut à la tête de cette cité 3 ; d'autre part ceux de ma mère,
1. Odyssée, 9, 34; le mot était devenu proverbiaJ : cf. Lucien, Patr. E11c.,1. 2. Comme l'a noté Cobet (Mnemosyne 5, 1877, p. 96), Dion reprend deux mots de l'inscription que portait la célèbre statue de Zeus offerte par Cypsélos à Olympie: cf. Strabon, 8, 6, 20; Platon, Phèdre, 236 b; Photios, uxicon, s. V. K.~1&iv t'.lvâe,ip.a. 3.. Sans doute en qualité d'archonte, fonction à laquelle il fut maintes fois élu.
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Discours 44
à qui vous avez élevé une statue et un sanctuaire 4 et puis ceux de mes grands-parents et de mes ancêtres ainsi que ceux de mes frères et de mes autres parents. 4 Ils ont reçu de notre cité quantité de statues, de funérailles publiques, de jeux funèbres et beaucoup d'autres précieuses distinctions dont je n'ai oublié aucune et que je connais toutes mieux que personne. J'estime que j'ai contracté une dette de reconnaissance envers vous pour cela et je prie les Dieux d'être capable de l'acquitter. Je sais qu'assurément ils ont été des personnages de grand mérite et qu'ils ont obtenu tous ces honneurs en toute justice, mais cependant la cité les a surpassés en tout. En effet les projets que la malchance les a empêchés de réaliser, même de ceux-là notre patrie les a remerciés s. 5 Si par exemple mon grand-père 6 avait profité plus longtemps de l'amitié de l'empereur d'alors et si le temps ne lui avait pas été tellement mesuré, il s'était mis, paraît-il, en tête d'obtenir la liberté pour notre cité et il avait déjà rédigé une requête en ce sens. C'est un espoir auquel il ne faut pas renoncer tant que notre cité produira des hommes de bien, désireux de se distinguer, comme j'en vois maintenant. Car moi, qui ai séjourné dans bien des cités, je ne connais pas meilleures gens que les gens de chez vous. Je m'étendrais d'ailleurs sur le compte de chacun, si je n'avais scrupule à louer des gens dont presque tous sont mes parents, même si c'est une façon de les payer de retour pour les honneurs qu'on m'a décernés. 6 En effet j'ai écouté aussi à ce moment-là, rougissant terriblement des discours que l'on tenait, admirant la générosité, le zèle de ces personnes et aussi leur éloquence. 11n'y a donc pas à 4. Honneurs héroïques, comme ceux qui sont mentionnés au § 4 ; ils étaient réservés à de grands bienfaiteurs, souvent très proches du pouvoir romain et ils attestent le rôle éminent joué par la famille de Dion dans la vie de Pruse. La mère de Dion a dû mourir avant l'exil de son fils, car on imagine mal que de pareils honneurs aient été rendus à la mère d'un homme banni par le prince et ce, dans une cité où son ennemi Archippos faisait la loi (cf. 43, 5). Sur ces honneurs, voir S. R.F. Price, Rituals and Power, p. 50. Von Arnim observe (Lebe11 und Werke ..., p. 314) que Dion ne se mentionne pas parmi les membres de sa famille que Pruse a honorés dans le passé; il en conclut que les honneurs qui ont occasionné ce discours sont les premiers qu'il ait reçus de ses concitoyens. 5. Pruse est encore louée en 51, 3-5 de pousser la générosité jusqu'à récompenser de simples intentions. 6. Le grand-père maternel, dont il est encore question en 41, 6, 46, 3 et 50, 7. On pense en général comme von Arnim (Lebe11 und Werke... , p. 123) que l'empereur en question est Claude.
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s'étonner si je ressens, moi, pour ma patrie un amour si vif que je n'aurais pas préféré avoir plutôt pour patries Athènes, Argos ou Lacédémone, qui sont les premières et les plus glorieuses villes de la Grèce. Et je l'ai fait voir par mes actes. Beaucoup de gens m'ont en beaucoup d'endroits solJicité de rester et de diriger leurs affaires, non seulement maintenant, mais aussi auparavant, du temps de mon exil et certains ont envoyé des décrets à l'Empereur pour Je remercier de l'honneur qu'il me faisait 7, mais je n'ai jamais pris d'engagement, pas ml?me en paroles et je n'ai acheté ni maison, ni domaine à l'étranger, afin que rien ne pflt faire croire que ma patrie était ailleurs qu'ici. 7 Il serait en effet révoltant que les hommes aient moins le sens de la justice que les abeilles. Jamais l'une d'elles ne quitte son essaim pour émigrer dans un autre plus important ou plus prospère, mais elle fait partie intégrante de son essaim et travaille à l'accroître, même si l'endroit est plus froid, les prés moins bons, la rosée moins abondante, le travail des rayons plus difficile et le paysan plus négligent. On dit qu'elles sont si attachées les unes aux autres et chacune à son propre essaim, que lorsqu'à la mauvaise saison elles sont surprises à l'extérieur par un vent violent, chacune prend un caillou dans ses pattes pour se lester et vole avec, afin de n'~tre pas déportée par le vent et manquer sa ruche. 8 Mais lorsqu'on a une patrie aussi dévouée et aussi distinguée, comment ne lui sacrifierait--onpas tout? Cette considération fait que je me réjouis de voir mon fils, mon neveu et les autres jeunes gens - et grâce à Dieu j'en vois beaucoup, tous de bonne famille et ayant tous la mine d'hommes de bien - je me réjouis donc de les voir décidés à rivaliser - sans envie ni jalousie - entre eux ainsi qu'avec Je reste des hommes, de mérite, de prestige gagné pour eux et leur patrie et s'efforcer d'occuper chacun le premier rang dans sa patrie, pour la justice, le patriotisme et la capacité de bien servir son pays et d'assurer son essor. 9 Sachez bien en effet que, tout en ne faisant pas partie des plus importantes et des plus anciennement fondées s, notre 7. Dion ne précise pas la nature de cet honneur ; von Arnim suggère que ce peut être l'octroi du surnom de Cocceian11s (Leben und Werke ..., p. 315); H. l..amar Crosby (Dio Chrysostom IV, p. 196-197), son rappel d'exil ; pour tous deux l'auteur de cette faveur non spécifiée fut Netva ; nous rapprochons ce passage de 45, 3 et pensons que l'empereur en question est Trajan. 8. Même remarque en 48, 4. Pruse fut fondée au début du IIe siècle a. C par Prusias I de Bithynie gui l'implanta sur un éperon de !'Olympe,
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cité est plus connue que beaucoup, même dans le reste du monde et que depuis longtemps elle produit des citoyens capables de rivaliser avec presque tous les Grecs et qui ne se classent ni au dernier, ni au troisième, ni même au second rang. Je ne parle pas ici de moi, mais des autres que moi qui, ou bien ont émigré et, s'étant fait remarquer en bien des lieux, ont acquis une gloire remarquable 9, ou bien qui, participant à la vie municipale et demeurant ici, ne sont pas inférieurs à ceux-là ni pour parler, ni pour agir. 10 J'ai constaté que ce n'est pas seulement l'étude de l'éloquenœ, mais aussi celle de la philosophie, qui produit des hommes de bien et de valeur dans notre cité ; aussi, en privé comme en public, je n'hésiterai pas à y inciter les jeunes quand l'occasion s'en présentera. Et vous, peuple de Pruse, je vous demande d'espérer la réalisation de ce qui dépend de nos maîtres 10 et de prier pour obtenir un accroissement de dignité, un titre de gloire ou des ressources financières 11 ; mais ce qui dépend de vous, cherchez à l'obtenir en vous montrant supérieurs aux autres peuples par votre discipline, votre respect, votre soumission aux hommes de bien, votre amour du travail, votre sagesse dans la vie courante, l'intérêt porté à la culture physique et intellectuelle dans la mesure où ses affaires en laissent à chacun le loisir, le zèle que vous mettrez à élever et à éduquer vos enfants 12, le caractère vraiment grec, la tranquillité et la stabilité que vous donnerez à votre cité 13, le soin que vous prendrez de mettre l'âpreté et la virilité de votre caractère ainsi que
9.
10. 11. 12.
13.
au-dessus d'une plaine fertile ; sur sa médiocre importance, voir G. Mendel, "Inscriptions de Bithynie", BCH, XXIV (1900), p. 363-365. On considère ordinairement comme un des grands hommes de Pruse le médecin Asclépiade, connu et apprécié de Cicéron (De oratore, 1, 62), qui révolutionna la médecine par l'introduction de thérapeutiques douces (Pline, Hist. Nat., 7, 124 ; 23, 32; 26, 12-18) ; mais Strabon (12, 4, 9) le donne comme npouamlç, c'est-à-dire comme originaire de Prousias-sur-Mer, ville qui reprit sous Claude son ancien nom de Cios, et non de Pruse (npouoœuç) ; indication confirmée par Galien, fotrod. se11 medicr,s, § 4, Kuhn, 14, p. 683 ; · AoJC>.qnioBriç B,euvbt::,K1avbt::; sur ces deux ethniques, voir L. Robert, À trai>ers l'Asie Mineure, 1980, p. 77. Les autorités romaines. Sur ce passage, voir la Notice p. 99. Au lieu de les exposer, pratique courante en Bithynie, comme le rapporte Pline le Jeune, 10, 65-66. Cf. 43, 3 et 50, 2.
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otre intelligence au service du grand et du beau et d'éviter, autant ue possible, les dissensions, les troubles et les conflits intérieurs. 11 On peut en effet parler d'éducation à propos d'un peuple Jmme de philosophie et de moralité du caractère à propos d'une té. Autrefois les Athéniens, les Lacédémoniens et d'autres peuples !tlssirent, en se gouvernant de façon bien réglée, à rendre leurs cités randes et illustres, de petites et faibles qu'elles étaient. Mais la 1ose est encore possible aujourd'hui, si on le veut. En effet cette >nduite vous profitera davantage que le nombre de conseillers, le 1gement de vos affaires à domicile, des revenus supplémentaires et 1êmela liberté, si vous pouvez aussi l'obtenir 14. 12 Sachez bien en 'fet que ce que l'on appelle liberté, ce nom dont l'octroi est à la iscrétion des maîtres et des puissants, il n'est parfois pas possible e l'obtenir 15 ; mais la liberté véritable, celle que les hommes E!uvent réellement posséder, chaque individu et chaque cité se ,ctroient à eux-mêmes, en se conduisant pour leur part dignement, ms bassesse ni laisser-aller 16. Et pour que vous connaissiez ma msée par d'autres sources, je m'en vais vous lire la lettre que j'ai :tressée à l'Empereur après votre invitation 17, lettre où je ,llicitais mon congé pour me rendre chez vous, et la réponse qu'il m'a iite 18,
4. Sur œ passage équivoque et très discuté, voir la Nolice p. 99. Ces revenus supplémentaires sont les recettes produites par l'augmentation du nombre des conseillers et par la tenue des assises : cf. 48, 11. 5. Pruse était cité stipendiaire et son souhait de devenir civitas libera se comprend, vu les avantages liés à ce statut ; cf. Abbott-Johnson, Municipal Administration ..., p. 43-44 et 48-49 ; F. Jacques-]. Scheid, Rome et l'intégration de l'empire I, p. 226-230. 6. Cette idée forme le fond du Discours 80. 7. Nous justifions cette traduction du terme btA:{i8'1vemployé par Dion dans la Notice p. 98. 8. Si la lecture de ces deux lettres doit instruire les concitoyens de Dion de la différence entre la liberté palitique et la liberté véritable, c'est que la correspondance échangée entre Dion et l'empereur avait, au moins en partie, trait aux revendications de Pruse ; aussi nous rangeons-nous volontiers à l'opinion de W. Schmid qui pense (RE, s. v. Dion Cocceianus, col. 855) que dans sa lettre (celle qui est aussi mentionnée en 40, 5), l'empereur informait Dion qu'il accordait les priVilèges qu'il avait sollicités pour sa patrie.
Discours 45
Notice
Ce discours qui nous est parvenu incomplet, a été tenu par Dion devant l'assemblée de Pruse (cf.§§ 1 et 16). Il va bientôt s'absenter et veut rendre compte de ses activités pendant ce qu'i1 appelle son "séjour" (tmB11p.{aç § 1). La teneur du discours montre que ce séjour correspond à la période, déjà évoquée dans le Discours40, qui suivit le retour d'exil 1 et fut marquée par l'augmentation des effectifs du conseil, la promotion de Pruse comme centre d'assises et le démarrage des grands travaux d'urbanisme. Les informations que Dion nous livre sur ce dernier sujet aux§§ 12-16, recoupent remarquablement celles qu'on lit en 40, 5-9 : accord du proconsul, prise de parole de Dion, approbation enthousiaste de l'assemblée, souscriptions empressées des citoyens. Une seule différence, fort mince au demeurant : Dion prétend ici que la réunion de l'assemblée a été décidée par le proconsul à son insu 2 et qu'il a été entraîné presque malgré lui à parler en faveur des constructions, alors que le récit de D. 40 donne à entendre que toute l'opération a été concertée entre les autorités romaines et lui-même. De cette coïncidence il serait logique de conclure que ce compte rendu délivré à la vei1le d'un départ a précédé le voyage au retour duquel a été prononcé le Discours40. Si, comme on a plutôt tendance à le croire 3, le Discours45 lui est postérieur, il faut alors postuler que Dion considère comme faisant partie intégrante de son premier séjour
1. Seul à notre connaissance parmi les commentateurs, P. Desideri (Dione di Prusa, p. 270 et 280-281, n. 73) juge que ce séjour correspondrait à une brève visite que Dion a faite à Pruse. 2. Assertion peu crédible, suivant P. Desideri (Dione di Prusa, p. 281, n. 81). 3. Pour des raisons parfois peu convaincantes : ainsi A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ... ", p. 167-168) juge que le programme de constructions exposé dans le Discours 45 est plus ambitieux que celui du Discours 40 ; mais dans ce dernier discours, Dion ne dit rien des constructions qu'il projetait.
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Discours 45
à Pruse une absence qui put être assez longue 4. Quoi qu'il en soit de la
datation relative de ces deux oeuvres, leurs similitudes rendent évident qu'elles sont proches l'une de l'autre dans le temps s. Outre d'intéressantes informations sur l'élection des nouveaux conseillers et sur la première session des assises(§§ 8-11), le discours nous fournit sur les conditions dans lesquelles ces privilèges ont été obtenus, des renseignements qui recoupent les indications que nous avons cru pouvoir tirer de D. 40, 14-15. Ces privilèges, dont les adversaires de Dion minimisent l'importance, étaient depuis longtemps sollicités par la cité de Pruse qui s'abaissait aux pires flagorneries pour amener les gouverneurs à faire aboutir ses requêtes. Mais c'est Dion et Dion seul qui obtint que l'empereur accédât aux désirs de sa patrie (§ 5) et cette décision impériale fut prise à la suite d'entretiens qu'il eut avec Trajan (§§ 2-3). Le récit qu'il nous en fait donne en effet l'impression qu'il agissait à titre personnel et non en qualité d'ambassadeur dfi.ment mandaté par sa cité et lié par des instructions précises 6 : "L'Empereur régnant, dédare-t-il, nous 7 a témoigné une bonté, un intérêt que savent certes ceux qui étaient présents, mais que je ne 4. H. von Arnim (Leben und Werke..., p. 325 et 345) suivi par C. P. Jones (The Roman World ..., p. 52 et 138) et A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 172-173) croit que cette absence correspond à l'ambassade qui a obtenu de Trajan l'augmentation du nombre de conseillers et les assises ; cela les conduit à placer le Discours 45, qui nous montre l'application de ces décisions, après le Discours 40; mais nous pensons, avec W. Schmid, C. Vielmetti et P. Desideri, que l'octroi de ces privilèges a été la conséquence d'une démarche personnelle de Dion, antérieure à son retour à Pruse. 5. Ainsi C. P. Jones (The Roman World..., p. 138-139) date D. 40 de 101 et D. 45 de 10M03 et A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ..:·, p. 172-173) D. 40 de 101, D. 45 de 101-102. 6. Un édit de Vespasien limitait l'effectif d'une ambassade à l'empereur à trois personnes; il était le plus souvent de une ou deux personnes: cf. G. A. Souris, "The Size of the provincial Embassies to the Emperor under the Principate", Zeitsclirift für Papyrologie und Epigrap/Jik, 48 (1982), p. 235-244. On remarquera que, pas plus dans ce passage qu'en 40, 14, où il évoque aussi son entrevue, Dion ne prononce les mots "ambassade" ou "ambassadeur". 7. Comme l'indique la suite, "nous" désigne Dion et non un groupe de personnes ou une collectivité ; il arrive ailleurs à Dion d'employer alternativement le singulier et le pluriel pour se désigner lui-même : cf. 46, 4 et 6 ; 47, 1.
)ion de Pruse
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aurais rapporter sans navrer certaines personnes ; et même on ne me >rendrapas au sérieux si je raconte que, favorisé de tels égards, d'une amiliarité aussi étroite, d'une aussi vive amitié, j'ai négligé et néprisé tout cela, alléché par le désordre et les occupations, pour ne ien dire de plus, que j'ai trouvés ici. Cependant je n'ai nullement !Xploité à des fins personnelles l'occasion offerte par la ,ienveillance du prince, même partiellement, par exemple en établissant ma fortune détruite ou en acceptant une fonction l'autorité ou une situation qui fasse de moi un homme puissant ; tout e crédit dont je disposais, je l'ai em_ployépour vous et j'ai seulement 11 en vue l'intérêt de notre cité". A moins d'imaginer que Dion ne ,'offre le plaisir pervers d'avouer à ses compatriotes qu'il aurait pu orfaire à la mission qu'ils lui avaient confiée, il faut nécessairement :onclure que, s'il ne dépendait que de lui de faire tourner la faveur du >rince à son profit ou à celui de sa patrie, c'est qu'il n'était le nandataire de personne. Sa réticence à évoquer la chaleur de 'accueil impérial, l'aveu que son désintéressement peut paraître ncroyable, imposent l'idée qu'aucun citoyen de Pruse n'assistait à ces intretiens si cordiaux du prince et du philosophe. Autrement Dion 1uraiteu beau jeu de renvoyer les incrédules au témoignage de leurs :ompatriotes. Le Dion que recevait l'empereur n'était pas le chef l'une ambassade, mais un simple particulier (cf. § 4) et, plus >récisément, un philosophe vagabond, essentiellement porteur du nessage d'une prophétesse d'Élide, tel qu'il se décrit lui-même dans e premier Discourssur la royautéprononcé, comme l'a bien vu von \.rnim s, lorsqu'il rencontra Trajan pour la première fois (1, 9 et 56). il ressort également du récit de Dion que, lorsqu'il plaidait de açon si désintéressée la cause de sa patrie, il n'y était pas encore etourné 9, Les§§ 2-3 sont sans équivoque sur ce point. Après la mort 8. Leben und Werke ..., p. 324-327. 9. On ne peut rien dire de certain sur les mouvements de Dion entre l'avènement de Nerva et son retour à Pruse : sur ce sujet, quot homines, lot sententiae. Philostrate raconte dans ses Vies des Sophistes (Philostrati opera II, p. 7-8 Kayser) qu'au moment de la mort de Domitien, donc en septembre 96, Dion séjournait incognito dans un camp légionnaire. Von Arnim accepte ce récit et pense que, de ce camp qu'il identifie avec Viminacium en Mésie, Dion s'est rendu directement à Pruse; Schmid, Vielmetti et Desideri ajoutent également foi aux dires de Philostrate, mais pensent que, de Viminacium, Dion aurait gagné Rome sans passer par Pruse, où il ne serait rentré qu'après avoir rencontré l'empereur, Nerva pour Schmid
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Discours 45
de Domitien, Dion s'est mis en route pour rencontrer Nerva et a donc pris la direction de Rome 10. Il a été arrêté, il ne dit pas où, par une maladie qu'il qualifie de grave. Elle l'était, puisqu'elle l'empêcha de rencontrer le nouvel empereur. Contrairement à ce que pense von Arnim 11, Dion n'était pas à Pruse lorsqu'il est tombé malade et il n'y est pas revenu pendant sa maladie : il ne manquerait pas de prendre ses concitoyens à témoin du triste état où il se trouvait et de l'impossibilité où il était d'aller plaider leur cause à la cour. Un passage du Discours13, qui a embarrassé von Arnim 12, suggère qu'il finit par se retrouver à Rome sans être passé par Pruse. Si la rencontre avec Trajan eut lieu dans la capitale de l'empire, elle ne peut se placer avant fin 99 13. Il y avait alors près de trois ans que Domitien était mort. Si Dion a laissé passer tant d'années avant de rentrer dans sa patrie, où d'ailleurs sa femme et ses enfants ne résidaient peut-être plus 14, on s'explique sans peine pourquoi, après
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et Desideri, Trajan pour Vielmetti (cf. W. Schmid, RE, s. v. Dion Cocceianus, col. 854-855 ; C. Vielmetti, "[ Discorsi Bitinici ...", p. 90-93; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 260-264). Jones et Sheppard croient que Dion se trouvait du côté de la Crimée lors de l'avènement de Nerva. Pour Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 158-162), il aurait gagné Prose en 97 via la Dacie, la Mésie et la Grèce; pour Jones (The Roman World ..., p. 52), il se serait attardé dans les régions limitrophes de la Dacie et ne serait rentré à Pruse qu'après l'avènement de Trajan. Le discours que Dion prononça à Olympie après son exil (D. 12) est placé en 97 par Schmid, Vielmetti et Sheppard, en 101 par Jones, en 105 par von Arnim et Desideri. Rien n'indique que durant son court règne Nerva se soit éloigné de Rome; cf. Dion Cassius, 68, 1-4. Leben 1md Werke ..., p. 317 et 323 ; voir aussi A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 162 et 172; C. P. Jones (Tl1e Roman World ..., p. 52 et 138) promène Dion sur les confins de la Dacie et le fait rentrer à Pruse en 98. Le/Jen 11nd Werke..., p. 331-332 : après avoir exposé la teneur des discours qu'il tenait durant son exil, Dion passe sans transition aux conférences qu'il fit à Rome (13, 29). Trajan passa l'année 98 et une bonne partie de l'année 99 sur le Rhin, puis sur le Danube ; il revint en Italie au début de l'automne 99 (A. N. Sherwin-White, Letters of Pliny, p. 176). Parlant au§ 11 de ce discours du pillage de ses biens, il se compare à Od.ysseus dont, dit-il, les biens ont été pillés alors qu'il avait sur place "un père, une bonne épouse et des amis" ; c'est donner à entendre qu'il n'avait pas ces avantages : effectivement son père était mort
Dion de Pruse
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woir évoqué son exil au début du discours (§ 1), il déclare que sa ;lorieuse conduite pendant cette difficile période est mieux connue à 'étranger qu'à Pruse (§ 2): il avait eu tout loisir de la conter durant es années qu'il avait passées à Rome et ailleurs. Quand il revint à :>ruse, c'était presque de l'histoire ancienne, qui n'intéressait plus ;rand monde. Depuis qu'il est rentré à Pruse, Dion a, si on veut bien l'en ::roire, donné l'exemple de l'intégrité, du désintéressement, de la iiscrétion, du patriotisme. Les bienfaits qu'il a procurés à sa patrie, 1 n'en a pas tiré le moindre avantage. Les élections destinées à :ompléter le conseil ont donné lieu à une brigue effrénée, à des nanoeuvres illégales: il pouvait les dénoncer; il n'en a rien fait, se :ontentant de prêcher d'exemple ; il n'a poussé ni recommandé ,ersonne et s'est même abstenu de paraître aux élections(§§ 7-10). Il mrait pu profiter des assises pour récupérer ce qu'on lui a volé durant :on exil : il n'a pas élevé la moindre réclamation. Bref une conduite lont même peu de philosophes auraient été capables(§§ 10-12). Il a :ontrarié la cité avec ses constructions, mais son désir de faire de mseune ville modèle n'était qu'un rêve dont il parlait seulement en ,rivé. C'est le proconsul qui, sans le prévenir, a porté la question levant l'assemblée : du coup, lui ne pouvait que suivre le mouvement §§ 12-15). Il nous renseigne ailleurs sur les tracas que le éaménagement de Pruse lui a causés (D. 40 et 47), mais il est bien lommage que l'interruption de son récit au § 16 nous prive !'informations certainement précieuses. Nous aurions peut-être .ppris où en était la construction du portique et si la crise qui motiva e Discours47 était révolue ou encore à venir. Dion a certainement connu quelques moments difficiles . .'agitation qu'il évoque au § 3 est sûrement une allusion à l'émotion ausée par les démolitions dont il est question en 40, 8-9. Mais au noment où il parle, Pruse est loin d'être en pleine turbulence. On ritique et on grogne, mais on observe une certaine retenue ; on i'attaque pas de front, mais on affecte le ton doucereux(§ 15). Dion 1eparaît guère ému par cette opposition sournoise. Il ironise sur le lépit de ses adversaires et même plaisante sur l'intensité de l'amour u'il éprouve pour sa patrie (§§ 12-13). Il parle avec l'assurance de homme qui se sent approuvé par l'opinion. Il rappelle avec bien avant son exil et on peut tirer de 41, 6 que, comme le pense von Arnim (Leben und Werke ..., p. 318), sa femme et ses enfants s'étaient retirés à Apamée.
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nostalgie dans le Discours 43 une occasion où il a quitté Pruse accompagné de l'affection et de l'admiration générales (43, 8). Il s'agit peut-être du départ qui est annoncé au début de ce discours 15. Proche dans le temps du Discours40, le Discours45 est, comme lui, antérieur au proconsulat de Varénus 16, actuellement daté de 104-105 ou 105-106 17. C. P. Jones, qui a ingénieusement décelé au§ 4 une allusion aux faveurs accordées par Trajan à Milet, pense qu'il a été prononcé en 102 ou peu après 18. L'hypothèse est plausible, car les événements sur lesquels Dion s'explique, rencontre avec Trajan, élections au conseil, donnaient encore matière à controverse et appartenaient donc à un passé récent.
15. H. von Arnim,Leben und Werke..., p. 384 et C. P. Jones, The Rom1111 World, p. 139, considèrent cette annonce de départ comme une simple menace qui ne fut pas suivie d'effet. P. Desideri, Dione di Prusa, p. 267, pense que Dion quitta Pruse pour se rendre auprès de Trajan. Si tel est le cas, c'est peut-être lors de cette rencontre que Dion aurait prononcé le troisième discours Sur la royauté, où il fait allusion (§ 15) à ses prodigalités. 16. Sur ce point, voir C. P. Jones, The Roman World ..., p. 139 et A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 167 et n. 43 et p. 173 ; avis contraires : C. Vielmetti ("I Discorsi Bitinici...", p. 100-101) qui pense que Dion a prononcé ce discours juste avant de partir peur Rome où il devait assister au triomphe de Trajan (107 p. C.) et P. Desideri qui considère que D. 40 et D. 45 sont postérieurs à l'arrivée de Varénus en Bithynie, car c'est, selon lui, sous son proconsulat que les travaux de construction auraient vraiment démarré (Dione di Pn,sn, p. 266). 17. Date admise depuis la découverte de nouveaux fragments des Fastes d'Ostie (cf. A. N. Sherwin-White, Tite Letters of Pliny, p. 351-352) ; W. Eck ("Jahres und provinzialfasten ...", Chiron 13, 1983, p. 226) propose ca 105-106 ; chez von Arnim et Vielmetti, le classement chronologique des discours est faussé par une datation erronée du proconsulat de Varénus qu'ils placent en 102. 5 (1975),p. 405. 18. "An Oracle given to Trajan", Clliro11,
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fustification de sa conduite à Pruse
1 Citoyens, je veux vous rendre compte de mon séjour ici, puisque que je ne resterai plus longtemps. La façon dont j'ai supporté non exil, ne me laissant abattre ni par l'absence d'amis, ni par le nanque de ressources, ni par la maladie et endurant de surcroît inimitié non pas de tel ou tel de mes égaux 1 ... mais du plus puissant t du plus odieux des hommes, que tous, Grecs et barbares appelaient naître et dieu 2, mais qui était en réalité un méchant démon 3 et que, nalgré cela, je ne flattais ni n'essayais d'amadouer - au contraire je ? provoquais carrément et les vices de son caractère, par Zeus, ce ,'est pas maintenant que je me prépare à les dénoncer oralement ou aar écrit : cette dénonciation orale ou écrite est déjà chose faite et on trouve maintenant partout ces discours et ces écrits 4 - et cette onduite s'expliquait non par la folie, ni par le désespoir, mais par 1 confiance que j'avais dans une puissance et une assistance upérieures, ce1Iesdes Dieux, puissance et assistance que la plupart .es gens méprisent et tiennent pour inutiles. 2 Vous conter cela par le 1enu est à mon sens superflu, car ces aventures sont plus connues illeurs et rencontrent l'honneur et la célébrité qu'elles méritent s, mdis que si je raconte en détail chez vous le temps de mon exil, on ne ira pas que je me plains, mais bien plutôt que je me vante. Après la mort de cet individu et les changements qui ensuivirent, je me rendais à Rome auprès de l'excellent Nerva, ~ pense
1. Nous avons préféré ne pas tenter de traduire les quelques mots qui suivent : le texte grec est certainement défectueux et n'a pas encore reçu de correction satisfaisante. 2. Suétone, Domitien, 13, 2 et 4 ; cf. Pline le Jeune, Panégyrique, 2, 3 : "Nusquam ut deo, nusquam ut numîni blandiamur : non enim de deo, sed de cive, non de domino, sed de parente loquimur". 3. Dans le Discours 25, Dion compare les chefs d'État à des démons, bons ou mauvais, qui gouvernent, bien ou mal, les peuples dont ils ont la charge. 4 Cf. 42, 4. Dion mentionne encore la guerre qu'il fit à Domitien oralement et par écrit, en 3, 13 et en 50, 8. 5. Cf. 44, 1 et 6.
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mais, victime d'une grave maladie, j'ai été complètement frustré de l'occasion que m'offrait son règne, car avec lui j'ai perdu un empereur plein de bonté, qui avait de l'affection pour moi et était un vieil ami. Et je vous jure par tous les Dieux que ce n'est pas ce que j'aurais reçu pour moi ou pour l'un des miens, ce n'est pas cela que je suis consterné d'avoir manqué, mais ce que j'aurais pu procurer à vous et à notre cité en tant que telle, cela je le tiens pour un grand dommage et pour une grande perte. 3 Car ce que nous avons obtenu maintenant, i1 était possible de l'avoir alors et de profiter des circonstances actuelles pour recevoir d'autres faveurs; mais, puisque J'empereur régnant a fait preuve à notre égard d'une bonté, d'un intérêt que savent certes ceux qui étaient présents 6, mais que je ne saurais rapporter maintenant sans navrer certaines personnes - et même on ne me prendra pas au sérieux si je raconte que, favorisé d'un aussi grand honneur, d'une familiarité aussi étroite, d'une aussi vive amitié, j'ai négligé et méprisé tout cela, alléché par le désordre et les occupations, pour ne rien dire de plus, que j'ai trouvés ici - cependant je n'ai nullement exploité à des fins personnelles l'occasion offerte par la bienveillance du prince, pas même partiellement, par exemple en rétablissant ma fortune détruite 7, ou en acceptant en plus s une fonction d'autorité ou une situation qui me donne de la puissance, mais dans toute la mesure du possible j'ai orienté vers vous la faveur impériale et j'ai seulement eu en vue 1'intérêt de la cité. 4 Que ces privilèges soient utiles et considérables et que peu d'autres aient été aussi favorisés, sauf une seule cité 9, et une cité qui est peut-être une des plus illustres de l'Asie et a de si grands titres à la gratitude de l'Empereur, puisque c'est chez eux que la divinité lui a prédit l'empire par un oracle qui l'a, avant tous les autres, déclaré le maître du monde, n'en parlons pas. Mais que vous, vous aviez une 6. Cette expression vague donne à croire qu'il n'y avait pas de gens de
Pruse parmi les personnes qui assistaient à l'entretien ; Dion ne manquerait pas en effet d'invoquer leur témoignage. 7. Comme son grand-père maternel (46, 3). 8. En plus de ce qu'il avait obtenu pour Pruse; que Dion évoque cette possibilité donne à croire qu'il n'était pas chargé d'une mission officielle : un ambassadeur n'avait pas le droit de parler au prince de ses propres affaires (Digeste,L, 7, 15). 9. Milet, comme l'a montré C. P. Jones, "An Oracle given to Trajan", Chiron, 5 (1975), p. 403-406; voir aussi sur cette générosité de Trajan, S. Mitchell, "Imperial Building in the Eastern Roman Provinces", Harv. St11d.in Class.Phil.,91 (1987),p. 356.
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envie extrême d'obtenir ces avantages, qu'il y avait beau temps que vous les espériez, pour être ensuite déçus dans vos espoirs, que si des gouverneurs 10 vous en faisaient seulement la promesse - car aucun particulier 11 n'avait jamais compté sur ces faveurs ni n'avait rien promis • vous leur rendiez des honneurs extravagants, vous rendant en foule à leur rencontre, bien en dehors de la ville et allant les attendre dans d'autres cités, tout cela, il vaut peut-être la peine de l'avoir bien en tête. 5 S'il se fût agi de bagatelles sans importance 12, un homme d'honneur, insensible à l'envie et à la malveillance, aurait dû vous dire alors : "C'est de la folie et de la démence d'être si fort épris de telles bagatelles et de s'abaisser à de telles flagorneries 13 pour des choses qui ne sont ni nécessaires, ni importantes et avec cela incertaines et dépourvues de toute solidité". Mais la vérité est, j'imagine, qu'on aurait été bien fâché d'obtenir d'une
10. Nous avons, comme P. Desideri, traduit les§§ 4-5 en rejetant, sauf une (tt:l'lRÛTTJOlk), les corrections d'Emperius, qui n'aboutissent qu'à rendre le texte ininte1ligible : cf. Dio11edi Prusa,p. 385 et les notes 22, 25 et 26, p. 440. C. F. Clausen a montr~ le premier l'inutilité de ces corrections (De Dio11is Chrysostomi Bitl1y11icis q11ne vocnnt11r orntio11ibusIJIIOestio11es, Kiel, 1895, p. 11). 11. Texte grec : ... Toî'ç ùnoaxOjlivotc:11-ovovTi;>vf)yc110V(l)V - oû yàp 3~ -rù'lv l81c.i-riiivoù8dc o(m; npoat86Jlliœ oonon Offl ~mlaxno -... Allusion à sa propre démarche : lui, simple particulier, a réussi là où les proconsuls avaient échoué ; il a promis et obtenu des privilèges qui semblaient hors de portée ; cela semble indiquer que, lorsqu'il a sollicité Trajan, il avait eu des contacts avec ses compatriotes ; on aimerait savoir lesquels et à quoi il s'était exactement engagé. Empcrius intervertit inutilement -flyqiô"""vel {8u.itù'lv. 12. Comme le prétendent les ennemis de Dion qui, jaloux de ses succès, minimisent les faveurs obtenues : cf. 40, 14. 13. Texte grec: ... &tparu:uoV'[t(6v8J>61110UC oil-ri.,1"01ŒI~ inl rtflGYl,IŒO\V om 6vu-pafotç oanl&EYaAOtÇ •al -raiha 68{iA01çl,-, ,ccd11-TJBtv lxouot ~~11\0V. Nous avons préféré ,ancwii>c, la leçon de l'Urbi11nsgrnecus 124 (U) et du Mnrcinm1s 421 (f) à -rant1vouç, présenté par les autres manuscrits, qui entraîne comme sens "courtiser des gens d'aussi basse condition", expression qui s'applique mal à des gouverneurs ; de même nous avons préféré lxouo,, offert par les mêmes manuscrits, à lxovttç ; le sens n'en est pas beaucoup changé : Dion veut dire que les promesses des gouverneurs n'engagent qu'eux-mêmes. Sur l'usage qui consistait à se rendre en cortège à la rencontre de grands personnages, voir L. Robert, "Documents d'Asie Mineure", BCH, 108 (1984), p. 482-486.
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façon ou d'une autre un de ces privilèges 14 et, malgré tout, on efü été moins contrarié de le devoir à 1'action de tel ou tel gouverneur qu'à celle d'un concitoyen 1s.En outre, on s'abandonnait à l'espoir flatteur que les démarches n'aboutiraient pas. 6 j'ai d'ailleurs souvent entendu dire qu'un gouverneur vous ayant fait une réponse plutôt amène 16 au sujet des assises 17 et l'affaire ayant échoué, beaucoup de gens se moquaient de notre cité - pas des voisins : ç'aurait été moins scandaleux - mais des concitoyens qui disaient que notre cité avait des désirs plus gros qu'elle et que, pour la sottise, elle ne différait en rien de ceux qui jouent aux rois 18. Disant cela, ils n'avaient pas honte de déchirer leur propre patrie et de la démolir si bêtement dans leurs discours. Si ce sont des notables ou des gens considérés, ils s'anéantissent eux-mêmes, puisqu'ils sont à la tête d'une cité si faib1e et si obscure et s'ils font partie du rebut et de la lie de la population, ils accroissent leur indignité et la rendent moins supportable, s'ils sont les derniers de la dernière des cités.
14. Ici, comme en 40, 10-11, Dion vise les immobilistes, opposés par principe à la promotion et au développement de la cité. 15. Dion insiste sur le fait que, pour le plus grand dépit des jaloux, Pruse a vu ses rêves réalisés par lui, un simple citoyen, sans passer par l'entremise d'aucun gouverneur. 16. Texte grec : ... npçi6Ttpov àvnyp«ljlCIVTotru:pl Tiii; 6tot11~aa.)i; ,wv ~y&}LOV(a)V nvbç ; nous avons encore ici préféré la leçon des manuscrits, ~6upov, à la correction d'Emperius, np6ttpov (= "dans le passé''), qui oblitère partiellement un épisode pittoresque de l'histoire des efforts de Pruse pour devenir chef-lieu de district judiciaire : le rescrit du proconsul n'était pas une simple fin de non-recevoir ; il contenait des paroles aimables qui semblaient autoriser tous les espoirs, espoirs finalement déçus pour la plus grande joie des immobilistes. 17. Les assises: en grec 61ot11~ot.(a)C (= latin conventus juridicus), terme que von Arnim interprète à tort comme désignant l'administration financière (Leben und Werke..., p. 327-328 et 339-340) ; erreur reprise par H. Lamar Crosby ("administration of finances''), W. Elliger, Dion Siimtliche Reden, 1967 ("Sachen unseres Chrysostomos, Staatshaushaltes") et F. Millar dans un compte rendu de SherwinWhite, The.Lettersof Pliny, /RS, LVIII (1968), p. 223: "a rescript from a proconsul about the finances of Prusa". 18. Au texte des manuscrits, retenu par Lamar Crosby, Twv nal61o1vTwv ,iao1~v, nous avons préféré la correction de von Arnim, Twvm11Covn.iv
Ixia~.
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7 Mais pour que ces digressions ne m'écartent pas de mon sujet, ces faveurs ayant été obtenues - peu importe comment - et rapportées ici, examinez si j'ai agacé quelque citoyen, soit en parlant de moi en privé, soit en proclamant et en vous reprochant publiquement mes services 19, soit en poussant des gens que je voulais, ou bien regardez si, à l'inverse, quand on ne recruta pas moins de cent bouleutes 20, d'autres n'ont pas introduit des amis à eux et ne se sont pas arrangés pour avoir des collaborateurs et des alliés dans toutes Jeurs entreprises. Moi, je n'ai rien fait ni négocié de tel, pensant qu'il suffisait que j'exprime un désir pour qu'on me suive, moi plutôt qu'un autre. 8 Pour moi l'idéal eût été que personne n'introduisît pareil usage dans la vie politique, ni n'agît par cabales et ne divisât la cité en factions; mais à tout le moins, je voulais m'abstenir de pareilles fautes, même si je devais avoir moins de puissance que tout le monde et compter pour rien. Quelle faute ai-je commise et qu'ai-je omis de faire ? La vérité m'oblige à reconnaître que je n'ai jamais violé la justice et la loi et que je n'ai pas empêché les autres de les violer, quand je pouvais les arrêter d'un seul mot et venir dénoncer ce qui se passait à vous, bien que vous fussiez au courant, et aux gouverneurs. Et si vous ne m'écoutiez pas et que les gouverneurs se désintéressassent de la chose, il ne m'était pas difficile d'écrire à l'Empereur 21. 9 Mais je n'ai pas bougé, parce que je ne voulais pas avoir l'air d'accuser les gens ni de 19. Rappel analogue de son tact et de sa discrétion en 43, 2. 20. Nous savons par Pline le Jeune (10, 112, 1) que l'effectif des conseils des cités bithyniennes était fixé par la loi, mais que Trajan accorda à certaines d'entre elles de créer des consemers qui s'ajouteraient au nombre légal (ltsuper numerum legitimum''). Ce nombre légal ne nous est connu pour aucune cité de Bithynie; dans la province d'Asie, Éphèse, qui comptait près de 200 000 habitants, avait un conseil de 450 membres. P. Desideri pense qu'en demandant une augmentation du nombre des conseillers, Dion visait à ouvrir la gestion des affaires à de plus larges couches de la population et qu'il voulait renforcer l'influence des classes moyennes au détriment des gros propriétaires (Dione di Prusa, p. 387et 389). 21. Comme le remarque F. Millar, "The Emperor, the Senate and the Provinces", JRS, LVI (1966), p. 166, le fait que la Bithynie était une province sénatoriale n'empêchait pas Dion d'écrire directement à l'empereur sur les affaires de Pruse; écrire directement à l'empereur était un privilège réservé aux amis du prince, aux sénateurs, aux chevaliers de très haut rang et aux personnalités éminentes (F. Millar, The Emperor and the Roman World, p. 469-470).
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diffamer la cité et que je ne voulais mécontenter absolument personne ici. Voilà comment se régla l'affaire du conseil. Autrement, rien à dire. En effet vous n'avez élu ni des nullités, ni des indignes; sauf que tous ayant obtenu une distinction égale 22 - en toute justice, certes, et au vu de leurs mérites - ils avaient, comme les initiés, besoin d'introducteurs 23. Mais moi, et j'ai bien été le seul, je n'ai sollicité vos suffrages pour personne, de peur de paraître influencer le vote en apportant mon témoignage et de peur que d'autres n'hésitent à faire, par écrit ou oralement, des déclarations contraires aux miennes. 10 Ensuite ? Pendant les deux ou trois jours qu'a duré l'élection, je suis sorti de la ville, ne voulant pas, en assistant aux opérations, faire de personne mon débiteur, ou mon affidé, ou un élu reconnaissant. C'est pour vous en effet et non pour moi que j'avais demandé des bouleutes. Et puis ces temps-Uragepour parler sur ce ton à un auditoire irrité. Mais socialement, nancièrement et politiquement la position de Dion est solide. >epuis deux générations, sa famille fait la loi à Pruse. Le grand-père -.atemel, qui dut être une gloire de la sophistique, s'était acquis, ans des conditions que l'on aimerait connaître, l'amitié d'un mpereur : c'est tout dire. De son père Pasicratès, nous savons par un utre discours (44, 3) qu'il fut continuellement réélu archonte. Il 1issa à ses fils une beJle fortune qu'il avait sans doute accrue par usure 4, à voir la masse de créances qui figurent dans l'actif de la 1ccession. Dion a beau minimiser les choses, insister sur le mal qu'il à recouvrer les créances, sur les tracas - sans doute des procès- qui :compagnent son entrée en possession (§ 5), il est un homme riche et ui jouit du prestige et de l'influence que confère l'opulence. Enfin il ,t d'autant mieux armé pour se défendre, qu'il dispose de ces )nsidérables facteurs de puissance que sont le talent oratoire(§ 7) et :1.mitiédes Romains(§ 14). Celle-ci pourrait le servir grandement ans la passe difficile qu'il traverse. Il paraît bien seul en face de ?tte assemblée malveillante. Il n'exerce apparemment aucune mction publique et n'est pas au mieux avec les magistrats de la tés, qui n'ont visiblement pas levé le petit doigt pour le protéger et nt peut-être vu d'un assez bon oeil la manifestation dirigée contre 1i. Dion ne leur envoie pas dire (§ 14) qu'ils comptent pour rien à Hé des vrais chefs que sont les magistrats romains, sans compter u'il a probablement l'oreille de l'empereur. Les menaces sur •squelles il conclut sa harangue méritent d'être prises au sérieux. Dans ce discours prononcé sous les Flaviens 6, Dion se montre 11ssi franc, courageux et intraitable qu'il le sera lorsqu'il devra 4. C. P. Jones, The Roman World..., p. 6. S. Remarque de P. Desideri, Dione di Prusa, p.135et 194. 6. À peu près sûrement sous Vespasien. Von Arnim avait d'abord songé (Leben und Werke..., p. 207) au début du règne de Domitien, à cause
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affronter un prince courroucé et, bien après, sous Trajan, des assemblées tumultueuses. Tel il est ici, tel on le retrouvera quelque vingt ans plus tard. Une grosse différence toutefois : il mettra ses éminentes qualités intellectuelles et morales au service d'autres valeurs. À l'heure où il fulmine contre ceux qui ont voulu le lapider, il a le culte de la richesse ; il est un homme d'affaires avisé, un gros propriétaire certes respectueux du bien de ses voisins 7, mais aussi très soucieux de ses intérêts. Avec l'exil, il découvrira que les pauvres sont moralement supérieurs aux riches et il vénérera la vertu.
de l'allusion aux délateurs qui opéraient pour le compte du fisc impérial (§ 8), mais H. Dessau ayant observé que le règne de Vespasien, prince connu pour sa rapacité, convenait aussi bien, il a réétudié la question et abouti à la conclusion que c'est sous Vespasien que l'allusion de Dion se comprenait le mieux (cf. H. Dessau, "Zum Leben Dios von Prusa", Hermes, 34 (1899), p. 83-84 et H. von Arnim, "Zum Leben Dios von Prusa", ibîd., p. 374-376). 7. De l'assertion de Dion, "De mes voisins, jamais personne encore ... ne m'a accusé de le dépouiller ou de le chasser, légalement ou non''(§ 7), M. I. Rostovtseff (Histoire économique et socin/e de 1'Empire romain2, Paris, 1988, p. 447, n. 25) rapproche Sénèque, Ad Lucil., 90,39: "... licet agros agris adjiciat \.icinum vel pretio pellens vel injuria".
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Discours tenu dans sa patrie avant sa conversion à la philosophie
1 Je suis certes stupéfait de vous voir vous comporter ainsi, Messieurs, mais surtout je ne vois rien qui puisse motiver votre colère et c'est œ qui me jette dans la perplexité. Car une juste colère, on peut la fléchir par des prières, mais comment traiter une haine injustifiée ? Je vous demande de m'écouter, car je parle moins dans mon intérêt que dans le vôtre. En effet, si je ne suis coupable de rien, vous, de votre côté, vous ne voulez certainement pas haïr un de vos concitoyens sans raison et si je suis coupable, mon discours se retournera contre moi, au lieu de plaider pour moi. Et ainsi je serai plus puni que vous ne le désirez: se voir en effet convaincu d'être une canaille est à tous égards plus terrible que d'être lapidé et brûlé vif t. 2 Et commencez par apprendre que ce qui vous semble redoutable, les pierres et le feu, n'est redoutable pour personne, que vous n'êtes pas forts pour y avoir recours, mais bien les plus faibles des hommes, à moins de prendre en compte la force des brigands et des fous. La force d'une cité et d'un peuple est faite d'autres choses et, tout d'abord, d'intelligence et d'équité. Je n'ai pas besoin de rappeler que mon père 2 était un homme de bien. En effet quand vous rappelez son souvenir, ensemble ou individuellement, vous parlez toujours de lui avec éloge comme d'un citoyen non méprisable. 3 Sachez cependant que ces éloges ne lui servent de rien, mais que c'est lorsque vous nous approuvez, nous qui sommes issus de lui, que vous vous souvenez aussi de lui Et notre grand-père 3, personne, parlant de lui, n'irait dire qu'il a déshonoré 1. Dans l'excellent chapitre qu'il a consacré à ce discours (The Roman World ..., p. 19-25), C. P. Jones cite des exemples de magistrats et de notables lapidés ou brûlés lors de troubles populaires (p. 22). 2 Pasicratès, dont le nom nous est révélé par Photios, cod. 209, 165 a 39-40 et par la Souda, s. v. t:,.{t,>v, p. 117 Adler ; il présida le conseil de Pruse (50, 7), dirigea toute sa vie les affaires de la cité et fut couvert d'honneurs (44, 3). 3. Le grand-père maternel, dont il est question en 41, 6 et 44, 5 et qui fut lui aussi porté à la tête de la cité (50, 7).
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la cité et qu'il n'a rien dépensé de son bien. Ayant épuisé en générosités, au point qu'il ne lui resta rien, la fortune qu'il avait héritée de son père et de son grand-père, il en refit une autre grâce à son savoir 4 et à la générosité des empereurs. 4 Eh bien, il apparaît que, bénéficiant d'une telle amitié et d'une telle sollicitude, il n'a demandé aucune faveur pour lui-même, mais qu'il réservait et employait pour vous la bienveil1ance impériale. Et si quelqu'un pense que c'est du radotage que de vous rappeler le zèle et le mérite de vos concitoyens, je ne sais comment il entend recevoir un jour un bienfait de quelqu'un. Nous donc qui avons de tels ascendants, même si nous étions de fieffées canai11es,nous serions dignes malgré tout de quelque considération, et non d'être lapidés et brOlés vifs. S Mais examinez aussi, Messieurs, un peu sérieusement ce qu'il en est de moi. Mon père nous a laissé une fortune qui passait pour grande, mais qui, en valeur réelle, était médiocre et bien inférieure à d'autres. Il n'y avait en effet pas moins de quatre cent mille drachmes de créances s et, en dehors de cela, des affaires 6 qui nous posaient plus de problèmes que les créances. Il n'y avait en effet rien de solide dans ce que nous possédions. Mais, fort de l'autorité dont il jouissait, mon père possédait tout comme si personne ne devait le lui disputer. 6 Confronté à une telle situation, je n'ai pas encore recouvré mon lot de créances et j'ai assumé chez vous les plus lourdes liturgies; personne n'en a assumé plus que moi dans la cité et vous savez vousmêmes qu'il y a ici beaucoup de gens plus riches que moi. Pourquoi donc êtes-vous en colère contre moi et pourquoi, parmi tous les citoyens, avez-vous jeté votre dévolu sur moi et sur un autre pour nous traiter en parias et venez-vous nous attaquer avec des pierres et des torches ? Et que personne n'aille prétendre que je plaide la cause de
4. Peut-être en ouvrant une école de rhétorique, comme le suggère von Arnim (l.eben und Werke..., p. 122). 5. De créances et non pas de dettes comme l'a cru von Arnim (Lebe11 und Werke..., p. 126) et, après lui, T. R. S. Broughton (Roman Asia, p. 901): voir sur œ sujet C. P. Jones (The. Roman Worfd..., p. 6 et n. 46) qui pense que le père de Dion avait commis l'imprudence de prêter sur parole ou sans garanties suffisantes. ; H. Lamar Crosby traduit 6. Texte grec : ical npôy11aTaT01aiha ~v '"foreign business ventures of such nature" ; nous donnons à f(weev le sens de "en plus" qu'il a parfois chez Dion (cf. 44, 11 et 48, 13) et à np6yp.crrason sens ordinaire d"'ennuis"; il peut s'agir de procès.
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l'autre 7. Même contre un coupable, il n'y avait peut-être pas lieu d~ pousser la colère à ce point. Mais j'ai assez de mes problèmes. 7 Et considérez quel citoyen je suis à d'autres égards, en me comparant à qui vous voudrez parmi ceux que vous ne cherchez pas à brO.ler vifs. Je possède des terres et toutes dans le pays. De mes voisins, jamais personne encore, riche ou pauvre - et des pauvres il y en a beaucoup près de chez moi - ne m'a accusé de le dépouiller ou de le chasser, légalement ou non. Et personnellement, sans avoir des dons oratoires extraordinaires, je ne suis peut-être pas le dernier de tous en éloquence 8. 8 Est-il quelqu'un à qui j'aie fait tort dans un discours, soit que j'aie suscité une affaire à un homme tranquille, soit que j'aie ourdi une machination? Ai-je mis quelqu'un en danger de perdre sa fortune en déclarant qu'elle revenait à César 9 ou bien ai-je trahi quelqu'un dont j'étais l'avocat? Pour la disette actuelle, j'en suis moins responsable que personne. Peut-on dire que je suis le plus gros producteur de grain du pays et que je l'ai stocké chez moi pour en faire monter le cours ? Mais vous connaissez vous-mêmes le rendement de mes terres et vous savez que j'ai très rarement vendu du grain, même en période de production exœptionnelJe. Mais toutes ces années-ci, je n'en ai même pas eu de quoi subvenir à mes besoins. Tous mes revenus proviennent du vin et du bétail. Oui, dit-on, mais alors que je prête à intérêts, je refuse de fournir de l'argent pour acheter du grain. Je n'ai pas non plus à répondre sur ce point, car vous savez, vous, qui dans cette ville prNe de l'argent et qui en emprunte. 9 Quelle est donc la chose que je puis faire pour vous délivrer de la disette et que je refuse de faire ? Pourquoi me traitez-vous ainsi ? 7. Von Arnim remarque
que Dion ne daigne pas nommer son compagnon d'infortune et soupçonne quelque inimitié politique (Leben r.md Werke..., p. 208). 8. À l'époque Dion est sophiste ; von Arnim remarque (Lebe11 und Werke ..., p. 205) qu'il ne se prévaudra plus de ses talents oratoires quand il posera au philosophe. 9. Von Arnim pense ("Zum Leben Dios von Prusa", Hermes, 34, 1899, p. 375-376) aux dénonciations fiscales et aux confiscations d'héritages auxquelles on procédait si des témoins prétendaient que, de son vivant, le défunt avait déclaré que César était son héritier (cf. Suétone, Domitien, 9, 8 et 12, 4) ; comme elles furent inconnues sous Titus et dans les premières années du règne de Domitien, la déclaration de Dion ne peut se comprendre, suivant von Arnim, que sous Vespasien, dont la rapacité ne se démentit jamais (Suétone, Vespnsien, 16).
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Discours 46
Parce que, par Zeus, j'ai bâti des portiques et des boutiques près des Sources Chaudes 10?Car, suivant certains, je cause du tort à la cité en faisant cela. Mais qui a jamais été critiqué, ou par vous ou par personne au monde, parce qu'il construisait une maison sur un terrain qui lui appartenait ? Or j'ai acheté le terrain cinquante mille drachmes, plus cher qu'il ne valait à tous égards. Mais j'ai honte, par Zeus et par les Dieux, qu'un citoyen - je ne mets pas la cité en cause - soit assez méchant pour éprouver de la contrariété et de la jalousie, s'il voit que quelqu'un a construit un portique ou un atelier 11, 10 Certes la situation qui vous a exaspérés est vraiment préocÇUpante, mais elle n'est pas sans remède et n'appelle pas de tels excès. Le prix du grain a en effet dépassé le prix courant local, pas cependant à un point désespérant 12. Il existe des cités où, dans les meilleures années, le grain est toujours à ce prix. Voilà que vous recommencez votre tapage, comme si je disais qu'il serait bien que, chez vous également, il soit toujours aussi cher et jamais moins. Moi je dis qu'il faut faire en sorte qu'il soit moins cher, mais que, malgré tout, ce qui est arrivé ne doit pas vous inspirer une telle animosité ni vous mettre hors de vous. Car vos réactions actuelles sont sans commune mesure avec ce problème-là ; mais si nous avions tué vos femmes et vos enfants, vous n'auriez pas pu vous conduire plus sauvagement. 11 En effet, parce qu'on est irrité contre des concitoyens - laissons si c'est à tort ou à raison - de toute façon contre des concitoyens qui jouissent de la plénitude des droits et ne sont 10. Il s'agit des Basilika Therma, sources sulfureuses situées à deux kilomètres de Pruse, bien connues des anciens et figurées sur les monnaies de la ville : voir L. Robert, "Sur un type monétaire de Prusa de l'Olympe", Hellenica II, p. 94-102; F. K. Dôrner, RE, s. v. Prusa ad Olympum, col. 1082-1083. La construction de boutiques dans ce lieu fréquenté par les curistes devait être une excellente opération immobilière qui, comme telle, fit pas mal de jaloux. Le prix du terrain, 50 000 drachmes, correspond à la moitié du cens équestre (400 000 sesterces) ou au traitement d'un procurateur ducénaire (200 000 sesterces). 11. Dion suggère que les émeutiers auraient été commandités par quelque ennemi jaloux de ses spéculations immobilières. 12. Nous ne disposons pas de documents nous renseignant sur le prix du grain en Bithynie à la fin du Ier siècle de l'Empire ; nous savons qu'à cette époque, à Antioche de Pisidie, le boisseau de blé (= 8,75 !.) qui valait 8-9 as en période normale, voyait son prix fixé à un denier (= 16 as) par le proconsul en période de disette (T. R. S. Broughton, Roman Asia, p. 879).
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inférieurs à personne, ne pas chercher à dialoguer, mais lancer aussitôt des pierres et mettre le feu aux demeures afin, si vous l'aviez pu, de les faire f1amber eux avec leurs enfants et leurs femmes, qu'est-ce qu'il faut être pour se conduire ainsi? À mon avis, par Zeus et par les Dieux, même si ce que je vais vous dire doit vous déplaire, pas des indigents ni des nécessiteux, car l'indigence apprend à être sage 13. Et si vous croyez que je ne dis pas cela pour votre bien, vous vous trompez du tout au tout. 12 Si en effet vous êtes comme cela et si, lorsque vous vous mettez en colère contre quelqu'un - et il peut se passer beaucoup de choses justes et injustes dans une cité - vous trouvez normal de pousser la punition jusqu'à le brûler avec ses enfants et jusqu'à forcer certaines femmes - des personnes libres - à se montrer à vous les vêtements déchirés et vous suppliant comme à la guerre, y a-t-il un homme assez insensé et assez infortuné pour accepter de vivre un seul jour dans une pareille cité? Il est en effet bien préférable d'être exilé et d'habiter à l'étranger que de subir de telles avanies. Car maintenant la raison pour laquelle, à ce qu'on dit, vous avez fait demi-tour sur le chemin de ma maison, à savoir que vous vous êtes méfiés de l'encaissement de la ruelle, voyez comme elle est honorable ! 13 Si c'est à cela que je dois la vie, les temps sont venus de vivre dans une cité comme dans un camp et d'occuper les accidents de terrain, les hauteurs et les escarpements! Et encore, par les Dieux, quand on campe, on ne cherche pas à s'installer plus à l'abri que ses camarades, mais c'est contre les ennemis qu'on se tient en garde. Je rends grâce à la Fortune qui vous a fait faire demi-tour, que vous ayez pensé à cela ou à n'importe quoi d'autre. Cependant votre méfiance était sans objet, car je ne me serais pas défendu contre vous et, à cet égard, quand vous voudrez brfiler ma maison, vous pourrez le faire en toute sécurité. Moi, je me serais contenté de m'échapper avec ma femme et mon petit enfant. 14 Et que personne n'aille croire que ce qui m'a poussé à vous tenir ce discours, c'est plus une indignation intéressée que la crainte que j'éprouve à votre sujet, crainte qu'on n'aille un jour vous accuser d'être des brutes et des scélérats. Rien de ce qui se passe dans les cités n'échappe aux autorités - je veux parler des autorités plus haut placées que celles d'ici - mais, de la même façon que les parents 13.
Les émeutiers n'auraient donc pas été des indigents poussés au désespoir par la famine, mais des hommes de main stipendiés.
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Discours 46
dénoncent au maître d'école les enfants qui désobéissent à la maison, de même on rapporte à ces autorités-là les fautes des peuples 14. Votre conduite pourrait bien alors ne pas vous honorer et ne pas vous servir. Quant à ce qui est de s'occuper des approvisionnements et d'élire des gens qui soient qualifiés 15 et qui ne viennent pas d'assumer des liturgies ou, à défaut d'eux, ceux que vous voudrez, c'est une sage décision et personne ne s'opposera à vous là-dessus.
14. Dion brandit la menace d'une dénonciation auprès du proconsul. 15. Pour parer à la disette, on élisait des commissaires chargés d'acheter du blé aux frais du trésor grâce aux souscriptions des riches (sitônai, euthéniarques) ; Dion exige qu'ils ne soient pas recrutés parmi des citoyens qui viennent d'assumer une liturgie: il pense évidemment à lui-même. Comme le remarque C. P. Jones, ce discours est destiné à calmer la foule et à lui permettre d'échapper à la liturgie (The Roman World ..., p. 22).
Discours 47
Notice
Le Discours47 a été prononcé probablement devant l'assemblée de Prose t, au cours d'une séance agitée, traversée de sarcasmes et de clameurs dont l'écho se (ait encore entendre çà et là {cf.§§ 6 et 20). Nous le considérerions volontiers comme une riposte que Dion a improvisée sous le coup de l'émotion et prononcée de sa place 2. La situation est la suivante : la construction d'un portique se trouve arrêtée par suite de la défaillance des souscripteurs et Dion, visiblement responsable des travaux, est sommé soit d'achever le monument, soit de démolir ce qui a été édifié et de remettre les choses en l'état. Ce portique est sans doute aucun identique à la colonnade mentionnée dans le Discours 40, comme l'indiquent de nombreux recoupements : approbation unanime du projet et empressement des souscripteurs (47, 14 =40, 6 =45, 15-16) ; émoi causé par la démolition d'une forge, Dion accusé de raser la ville (47, 11 et 16 = 40, 8-9); son investissement total dans l'entreprise, les corvées qui l'accablent (47, 21 et 23 ; 40, 7); tout concorde et il ne fait nul doute que les deux discours ne soient proches dans le temps. On admet généralement 3 que le plus récent des deux est le Disrours 47 et l'on fonde essentiellement cette façon de voir sur une déclaration que fait Dion au § 8 : "Sachez-le bien : conformément à la résolution que j'avais prise de me taire depuis mon arrivée ici, je n'aurais pas ouvert la bouche, si je n'y avais été forcé. Car je me suis mêlé d'une entreprise qui m'a causé quantité de tracas et incroyablement écoeuré". Les développements qui suivent montrent que l'entreprise en question est la construction du portique. On a rapproché cette déclaration du début du Discours 40 ("Je pensais ... que, maintenant que me voilà de retour ... je n'irais pas ... m'occuper d'aucune des affaires de la cité") et conclu que, dans les deux cas, 1. C. P. Jones, The Roman World..., p. 113. 2. Cf.§ 12, "pour ne pas oublier ce qui m'a poussé à me lever". 3. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 346-347et 352-355; C. P. Jones, The Roman World ..., p. 113 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 389 ;
A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 167-168.
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Discours 47
Dion fait allusion à la longue absence qui a suivi son premier séjour à Pruse. Si cette interprétation est juste, D. 47 est assurément postérieur à D. 40 et le scénario imaginé par von Arnim 4 paraît absolument impeccable : lorsque Dion rentre de voyage, tout est calme, mais il craint le retour de turbulences comme celles qu'il a connues lors de son premier séjour (40, 8-12) ; il n'a pas tort car, lorsqu'il prononce le Discours 47, la crise a éclaté; les travaux sont en panne et on le presse de forcer les souscripteurs à honorer leurs promesses. Mais C. Vielmetti, qui tient D. 40 pour postérieur à D. 47, entend les choses autrement s. Quand Dion parle de son "arrivée ici"(§ 8), il ne songe pas à son retour à Pruse, mais simplement à son arrivée à l'assemblée, où il vient de prendre la parole : il y était venu avec l'intention de se taire, mais un incident relatif à ses constructions l'a poussé à se lever et à intervenir de sa place (cf. 47, 1 et 12). Cette interprétation a l'avantage sur celle de von Arnim que, en autorisant à admettre l'antériorité de D. 47 par rapport à D. 40, elle procure la solution de problèmes que l'hypothèse contraire laisse pendants. Évoquant en effet en 40, 11-12 les critiques et les manoeuvres de ses adversaires pour saboter son entreprise, Dion déclare qu'il en fut si contrarié qu'il lut sur le point de se "condamner à l'exil", c'est-àdire de tout abandonner et de quitter Pruse. Or c'est exactement la menace qu'il profère dans le Discours47 où, après avoir demandé à son auditoire ce qu'il doit faire, il poursuit (§ 20) : "Donnez-moi seulement une directive, sinon, je ne m'occuperai plus de rien en dépit de vos clameurs ou, plutôt, je m'en irai" et il évoque ensuite (§ 22) les satisfactions que lui procurerait un séjour à la cour auprès de son ami )'Empereur, ou une tournée triomphale de conférences dans les grandes villes de l'empire. Il est bien tentant de considérer que, lorsque Dion rappelle en 40, 12 l'envie qu'il eut de partir, il fait allusion au chantage auquel il se livre ici. Autre difficulté levée. Comme l'a bien noté von Arnim 6, lorsque Dion prononce le Discours 40, il n'est investi d'aucune fonction: il n'en est pas de même à l'époque du présent discours. C'est lui que l'on rend responsable de l'arrêt des travaux, lui que l'on presse d'intervenir auprès du proconsul pour faire payer les souscripteurs défaillants. Pour tourner la difficulté, von Arnim imagine qu'on s'adresse à lui, non parce qu'il serait curateur de la construction, mais 4. Leben und Werke..., p. 352-353. 5. "I Discorsi Bitinici...", p. 95 et n. 2. 6. Leben 1111dWerke ..., p. 352-153.
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parce qu'iJ fut l'initiateur de l'opération, qu'on l'en tient pour moralement responsable et qu'il continue à s'y intéresser bien qu'il ne soit muni d'aucun mandat officiel 7. Supposition démentie par les déclarations de Dion lui•même, qui déplore aux §§ 22.23 d'être soumis à des redditions de comptes, évidemment relatives à l'exécution des travaux et à l'emploi des crédits. Comme l'a bien vu P. Desideri s, Dion est commissaire aux travaux et c'est en cette qualité qu'on le met en cause et qu'on le presse d'intervenir. Poser l'antériorité du Discours 40 force à admettre qu'en dépit de ses résolutions (40, 1) et d'une expérience amère, Dion se serait laissé accabler de nouvelles responsabilités édilitaires. JI est plus simple de supposer que D. 47 a été prononcé avant D. 40, dans cette période de fièvre et de travail exténuant évoquée en 40, S· 12, alors que, épimélète des constructions, il courait la montagne, faisait des calculs, traçait des plans, ordonnait des démolitions, voyait s'élever la colonnade de son portique et devait périodiquement rendre des comptes. Dernier problème : Dion déclare dans le Discours 40 que son grand souci est d'honorer une promesse qu'il a faite à ses concitoyens sans y être obligé, il y a quelque temps déjà. Il s'agit du versement d'une grosse somme d'argent dont iJ ne précise pas la destination (40, 3). Or, abordant en 47, 19 le cas des souscripteurs en retard, il déclare qu'il est prêt à intervenir auprès du proconsul pour les obliger à s'exécuter et il ajoute : "Je suis prêt à honorer moi-même une partie de la pollicitation (p.époe T1it; ünoc,xéa&6>ç) afin de soulager les autres". On a jusqu'ici compris 9 que les promesses de versement dont il est question dans les deux discours n'en font qu'une et qu'au moment du Discours 47, Dion n'a pas, en dépit de sa bonne volonté, versé la contribution mentionnée précédemment dans le Discours 40. Mais ce scénario ne tient pas compte d'un passage jusqu'ici négligé par les commentateurs, où Dion affirme justement qu'il a versé et même largement versé pour la construction du portique. À ses concitoyens qui le pressent d'agir, il pose en effet au § 12 la question suivante : "Conseillez-moi ... : dois-je détruire ce qui a été construit à mes frais 7. Leben u 11d Werke..., p. 355. 8. Il pense que Dion fut curator durant toute la durée des travaux (Dione di Prnsa, p. 405-406) ; cf. C. P. Jones, The Roma11 World..., p.112. 9. H. von Arnim, Leben u11d Werke..., p. 351•352 ; G. Sautel, ''Aspects juridiques d'une querelle de philosophes au Ile siècle de notre ère", Revue lnternatio11aledes Droits de l'Antiquité, 1956, p. 429 et 433.
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et tout rétablir en l'état ancien ?". Cette générosité lui a coûté gros car, plus loin, menaçant de quitter Pruse, il déclare (§ 20) : "Bien différent du renard qui avait dévoré la viande et ne pouvait sortir du chêne tant il était gavé, moi je sortirai d'ici sans difficulté aucune: je suis en effet beaucoup plus maigre que lorsque je suis rentré" 10. Poser l'antériorité de D. 40 force à admettre que Dion a honoré J'engagement financier qui lui donnait tant de souci et que celui dont i1 est question dans le présent discours répond à une autre pollicitalion faite ultérieurement. Mais tout devient plus simple si l'on suppose D. 47 antérieur à D. 40 et si l'on comprend avec P. Desideri t t que la promesse dont Dion propose d'honorer une partie en 47,19, est une promesse faite non par lui, mais par d'autres, à qui il songe à se substituer partiellement. Du coup, ]'histoire de ses pollicitalions se présente sous un tout autre jour. Peu après son retour d'exil, Dion fait adopter un programme de grands travaux. Donnant lui-même l'exemple, i1 figure au premier rang des souscripteurs et construit à ses frais une fraction de portique. Des retards dans les versements entraînant un arrêt des travaux, Dion propose alors, de son propre mouvement, de se substituer en partie aux souscripteurs défaillants. C'est à ce deuxième engagement qu'il fera allusion plus tard, lors de son retour de voyage, dans le Discours 40, lorsqu'il parlera d'un très lourd engagement financier, pris sans y être obligé par rien et que personne n'ose lui rappeler, ce qui se comprend parfaitement, puisqu'il a endossé des obligations qui ne lui incombaient pas. Le Discours47 pourrait donc se placer durant le premier séjour de Dion à Pruse. En tout état de cause, il est postérieur de plusieurs années à son retour 12. D'entrée de jeu (§ 1), il déplore de s'être attelé 10. C'est peut-être à ces dépenses que Dion fait allusion devant Trajan en 3, 15, lorsqu'il déclare qu'il a refusé des sommes qu'on lui offrait, mais qu'il jette l'argent par les fenêtres (p{mwv +av~ao11a1noU.axu;; ), bien qu'il en ait peu. 11.
Di one di Prusa, p. 397 et 406.
12. H. von Arnim, (Lebe11imd Werke..., p. 357-358) date le discours de 102; A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 173) du proconsulat de Bassus (101-102); C. P. Jones (The Roma11World..., p. 139) "circa 102 or later"'. Les arguments invoqués sont d'inégale valeur. Ainsi A. R. Sheppard juge (p. 167) que D. 47 correspond, pour l'avancement des travaux, à une étape intermédiaire entre la situation de D. 40 et les ambitieuses additions de D. 45. Mais rien n'indique que le portique de D. 47 soit plus avancé que celui de D. 40 ou que les
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depuis longtempsà des tâches médiocres et obscures; il rappelle au § 21 ses interventions auprès des proconsuls, ce qui laisse entendre que les travaux ont été entrepris depuis au moins deux proconsulats et enfin, ce qui est dit des malversations financières au § 19 implique qu'elles s'étendent sur plusieurs exercicesbudgétaires. La mention des réceptions triomphales dont il est gratifié ailleurs que chez lui peut faire penser que son séjour à Pruse a été entrecoupé de tournées de conférences à l'extérieur, mais ceci n'est pas sO.rcar, aussitôt après, il gémit de n'avoir pu, depuis longtemps, se consacrer à ses chères études (§§ 22-23).Il se peut donc que, comme dans Je Discours44, il fasse simplement a11usionà l'accueil flatteur que nombre de cités lui ont réservé pendant et aussitôt après son exil (44, 6). Dion a découvert à l'occasion de ses activités édilitaires que nul n'est prophète en son pays. rt s'est heurté à une opposition sans doute très minoritaire, mais assez puissante pour contrarier sérieusement ses projets. Aux manoeuvres de ses ennemis, il répond par la menace et le chantage, comme dans le Discours 46, dont on retrouve ici les accents: même assurance et même arrogance fondées sur la conscience de sa valeur et sur sa confiance dans ses hautes relations. L'exil, d'où il n'est sorti vivant que grâce à la protection divine (45, 1), la faveur dont il jouit à la cour et qu'il évoque avec emphase (§ 22), l'ont convaincu qu'il est un être d'exception, voué à de plus hautes missions que les tâches subalternes auxquelles il s'abaisse à Pruse par devoir patriotique 13. Il fait lourdement valoir le prix du sacrifice qu'il a consenti à ses concitoyens, soit en insistant sur le caractère trivial des activités qu'on lui impose (§§ 1, 4, 8, 22), soit en exposant avec complaisance les honneurs et les joies auxquelles il renonce(§§ 22-23),soit enfin, lorsqu'il veut donner une idée de l'injustice dont il est victime, en invoquant - au risque de provoquer les sarcasmes - les exemples de Zénon, d'Aristote, d'Homère, de Socrate et même d'Héraclès (§§ 2-7). Il veut faire sentir à ses compatriotes qu'avec lui on n'a pas affaire au premier venu. Il le dit bien haut et brutalement. Que, dans ces conditions, il se soit fait traiter de tyran ne peut surprendre. 11relève l'accusation mais, en bon sophiste, il esquive le démolitions soient plus étendues et pour ce qui est des monuments énumérés en 45, 12, ce sont seulement des projets (portiques, aqueducs) ou des chimères (remparts, ports, arsenaux) dont Dion est le premier à rire. 13. Voir sur cc point H. von Arnim, Leben 1111d Werke..., p. 334.
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débat et, ignorant délibérément ce que son langage et son comportement avaient d'irritant pour les épidermes sensibles, il tente de ridiculiser ses adversaires en montrant qu'il est pur de crimes habituels chez les tyrans - viol, assassinat, torture - qu'on n'a jamais songé à lui reprocher et sa conclusion sera qu'il n'a rien d'un tyran, mais tout d'un roi, puisque c'est chose royale d'être calomnié quand on agit bien. Dion prétend, air connu, n'avoir que peu de ressources(§ 23; cf. 40, 2 et 45, 10). Il n'a retrouvé qu'une petite partie de ses biens et a même été frustré de ce qu'il avait déposé chez sa soeur, dont on doit croire qu'elle est morte depuis son retour d'exil (§ 21). Tout indique cependant que, même bien écornée par les usurpations de ses voisins et l'indélicatesse de ses débiteurs (45, 10), sa fortune est encore rondelette. On ne comprendrait pas autrement qu'il ait trouvé à emprunter pour racheter des terres, qu'il ait pu offrir une colonnade à sa cité et se lancer dans de folles dépenses(§ 21). Sa proposition de soulager de ses deniers les souscripteurs défai11ants vient d'un homme qui peut compter sur de substantielles rentrées.
Discours 47
Discours au peuple tenu dans sa patrie
1 Tout d'abord, Messieurs, n'imagine:zpas du tout que, lorsque je me lève, vous alle:zentendre des propos remarquables qui forceront votre admiration, je veux dire des propos élaborés pour faire plaisir, pour faire beau, pour faire savant. Peut-être même ne serais-je pas, de toute façon, capable de tout cela, mais la chance a peut-être voulu que j'en aie imposé sur ce point au public et à toutes les cités, ou alors il faut croire que, pour ce genre d'éloquence, je me trouve actuellement terriblement frappé d'impuissance et d'amnésie. Le langage reflète forcément la situation où l'on est et les occupations que l'on a et nous, cela fait longtemps que nous sommes engagés dans des activités humbles et peu glorieuses. 2 Et c'est peut-être inévitable. Car avant cela je m'étonnais que des philosophes quittent leur patrie sans y être forcés et choisissent de vivre ailleurs et cela, alors qu'ils déclaraient eux-mêmes qu'il faut honorer sa patrie, la mettre au-dessus de tout et qu'il est dans l'ordre des choses que l'homme participe aux affaires publiques et à la vie civique; je veux parler de Zénon, de Chrysippe, de Cléanthe, dont aucun ne resta chez lui en dépit de ses déclarations 1. Ils ne pensaient donc pas ce qu'ils disaient? Mais si, plus que tout, à mon sens. 3 C'était à leur avis une belle activité, vraiment bienheureuse et bien faite pour des sages que de s'occuper des affaires de sa cité. Mais ils appréhendaient les désagr~ments et les difficultés inhérentes à cette activité, l'ignorance des uns, la jalousie des autres, la sottise de ceux-là. Ou alors il fallait que, tout en étant sage, on pOt avoir la force et la puissance d'Héraclès. Mais ils jugeaient la chose impossible. 4 Et encore on nous dit qu'Héraclès soumit l'Égypte et la Libye, les peuples riverains du Pont-Euxin, les Thraces, les Scythes, qu'il s'empara d'Ilion avec une petite troupe et que s'étant rendu maître de tous ces peuples, il s'en fit roi. Mais lorsqu'il rentrait à Argos, il enlevait le fumier d'Augias, chassait les serpents, poursuivait les oiseaux afin qu'ils n'importunent pas les paysans de 1. Plutarque leur en fait grief dans De Stoic. rep., 2, 1033 A-C. Zénon de Citium, Cléanthe d'Assos, Chrysippe de Soles s'expatrièrent en effet définitivement pour faire de la philosophie à Athi'!nes.
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Stymphale et exécutait d'autres besognes de cet ordre, sales et basses, qu'on lui commandait. On dit que, pour finir, on l'envoya chez Hadès, tant son compatriote le traitait honnêtement ! Les Argiens et les Thébains louaient et aimaient Héraclès certes, mais ils le laissaient outrager 2. 5 Ce sont à mon avis des considérations de cet ordre qui firent qu'Homère, bon poète mais aussi philosophe dans l'âme 3, passa toute sa vie à voyager, au point que nul ne connaît sa patrie 4 et, semble-t-il, il préféra gagner quinze ou vingt drachmes à mendier et encore en passant pour fou s, plutôt que de vivre chez lui. Voilà pourquoi, plus tard, tout le monde se le disputa ; et son nom est connu de tous les Grecs et de tous les barbares, alors que Ios, s'il est vrai qu'il était d'Ios, la plupart des gens n'en ont peut-être pas entendu le nom ; et on ne parle pas beaucoup de Chios ni de Colophon et pourtant Colophon nous offre un poète qui n'est pas inférieur à Homère, je veux dire Apollon. Pythagore s'exila volontairement de Samos, alors gouvernée par un tyran, et partout ailleurs, surtout, je crois, en Italie, il était honoré comme un dieu. 6 Alors, doit-on dire depuis longtemps dans l'assistance, tu te compares, toi, à Homère, à Pythagore et à Zénon? Non certes, par Zeus! Sauf pour dire que vivre dans sa patrie a paru chose difficile à tous les philosophes. Car qu'imaginez-vous ? Qu'ils n'aimaient pas leur patrie et que si Homère plaint Odysseus et dit qu'il désire revoir la fumée d'lthaque et mourir aussitôt 6, lui-même n'aimait pas sa cité et qu'il ne confesse pas sous le couvert d'Odysseus l'amour qu'il portait personnellement à sa patrie et son désir de la revoir? 7 Mais le philosophe qui résida continuellement dans sa patrie, obéissant à ses concitoyens ainsi qu'aux lois, rendit-il un grand service aux Athéniens ? Je ne saurais l'affirmer ; mais je sais ce qu'il leur en cofita. Car encore de nos jours on leur fait des reproches au sujet de Socrate et on leur dit qu'ils se sont conduits de façon injuste et 2 Comme Héraclès, Dion se livre en dehors de chez lui à de nobles activités dignement récompensées, mais dans sa patrie on lui impose, comme Eurysthée à Héraclès, de vils travaux et le peuple assiste sans réagir aux affrontsqui lui sont infligés. 3. Sauf dans le Troikos (D. 11), qui n'est qu'un badinage, Homère est toujours présenté par Dion à la fois comme un grand poète et comme un sage. 4. Ailleurs (J, 119)Dion hésite entre Chios et Smyrne. 5. Allusion obscure. 6.
Odyssée, 1, 57-59.
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immorale à l'égard de cet homme et que ce fut la cause de tous les malheurs qui leur arrivèrent plus tard. 8 Ce que vous venez d'entendre n'est que le bavardage d'un vagabond babillard. Mais, comme je vous le demandais, ne me réclamez pas à présent, s'il vous plaît, un discours savant et sublime, mais des propos communs et misérables, comme le sont mes affaires. Sachez-le bien : conformément à la résolution que j'avais prise de me taire depuis mon arrivée ici 7, je n'aurais pas ouvert la bouche, si je n'y avais été forcé. Car je me suis mêlé d'une entreprise qui m'a causé quantité de tracas et incroyablement écoeuré. Avant cela, je ne savais pas ce que pouvait représenter l'opération des Thessaliennes qui font descendre la lune jusqu'à elles ; mais maintenant, j'en ai une assez bonne idée ! 9 Et il m'arrivait de célébrer le bonheur d'Aristote : il était originaire de Stagire - Stagire est un bourg du pays d'Olynthe et, vivant auprès de Philippe et d'Alexandre après la prise d'Olynthe, il avait agi pour que le site ffit de nouveau habité et je déclarais qu'il était le seul à avoir eu cette chance d'être le fondateur de sa patrie. Mais depuis, je suis tombé l'autre jour sur une lettre où il se repent et gémit et déclare que certains Stagirites empoisonnent l'esprit du roi et des hauts fonctionnaires qui se présentent, pour que rien de bien ne se fasse et que la ville ne soit pas du tout rétablie. 10 Si des gens qui étaient des exilés sans droits civiques allaient jusqu'à être mécontents à la perspective d'avoir une patrie et de vivre en citoyens libres et soumis à des lois, s'ils aimaient mieux être répartis en bourgs comme des barbares, plutôt que de posséder le statut et le titre de cité, y a-t-il lieu de s'étonner qu'on puisse être mécontenté par n'importe quoi d'autre ? Aristote a écrit dans sa lettre qu'il met les pouces 8 : croyez bien que moi aussi, je mets et mes pouces et d'autres encore, si j'en ai. 11 Ainsi la perversité de ces gens a été plus forte que le zèle d'Aristote, si bien qu'ils empêchèrent que leur bourg n'accédât à la dignité de cité et encore maintenant le site est inoccupé. Mais que personne ne me calomnie en disant que j'appelle notre cité une Stagire et que je la traite de bourg. Je puis en effet déclarer sous serment qu'aucune cité n'est pour moi supérieure à
7. À l'assemblée ou à Pruse? Voir à ce sujet la Notice p. 135-136. 8. Dion dit textuellement qu'il "lève les doigts" : les athlètes levaient la main quand ils se reconnaissaient vaincus.
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la nôtre, même si elle n'était constituée que de la forge d'un tel que j'ai détruite 9, moi le ravageur de cités et d'acropoles 10. 12 Pour ne pas oublier ce qui m'a poussé à me lever, j'ai peut-être commis une erreur très humaine. Maintenant que11epunition voulezvous m'infliger pour cette erreur, ou que dois-je faire ? Conseillezmoi, je vous le demande: dois-je détruire ce qui a été construit à mes frais 11 et tout rétablir en l'état ancien ? Mais ce sera peut-être impossible. 13 Alors quoi, par les Dieux ? Dites-le moi. Car pour moi, je pensais en voyant d'autres cités se lancer dans de telles dépenses, je ne veux pas seulement dire celles d'Asie, de Syrie, de Cilicie, mais nos proches voisines, Nicomédie, Nicée 12 et aussi les gens de Césarée 13, gens de bonne origine, certes, et tout à fait Grecs, mais qui habitent une cité bien plus petite que la nôtre, constatant que les citoyens de chacune de ces villes, s'ils peuvent s'opposer en tout, sont au moins d'accord pour bâtir et puis voyant que }'Empereur mandait par lettre qu'il voulait que notre cité gagne en importance à tous égards 14 - et permettez-moi de donner lecture de cette lettre, puisqu'il serait trop long et sans intérêt de lire celle d'Aristote -14 je pensais donc que vous aussi vous suivriez cet exemple et que personne ne serait fâché de voir réaménager la cité. Il en alla comme je pensais, car vous en décidâtes ainsi, versâtes spontanément et à plusieurs reprises de grosses contributions et vous étiez pleins d'ardeur. 9. a. 40, 8-9. 10. La mention d'acropoles suggère que les travaux de Dion intéressaient la vieille ville et des monuments particulièrement vénérés ; Wilamowitz, approuvé par von Arnim, a proposé de corriger acropoles en nécropoles. 11. Dion a donc payé sa part de portique et c'est parce que d'autres souscripteurs n'ont pas tenu parole que les travaux se sont trouvés arrêtés. 12. Sur les constructions entreprises à Nicée et à Nicomédie, voir Pline le Jeune, 10, 37, 39 et 49. 13. Caesarea Germaniké, petite cité proche de Pruse, puisque l'Olympe est figuré sur ses monnaies (D. Magie, Roman Rule..., p. 1357, n. 18). 14. Nous pensons avec Vielmetti que cette lettre émanait de Trajan et qu'elle est identique à celle dont Dion donne lecture en 44, 12 ("I Discorsi Bitinici ...", p. 94) ; contra H. von Arnim, Lebe11 und Werke ..., p. 315-316 ; P. Desideri, Dione dî Prusa, p. 44, n. 17. Par les perspectives flatteuses qu'elle ouvrait, cette lettre a déchaîné l'enthousiasme et joué un rôle déterminant dans les décisions qui furent prises.
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Que voulez-vous donc ? Car je vous jure par tous tes Dieux que, plutôt que de vous mécontenter vous ou certains parmi vous ou de paraître odieux, je refuserais de posséder le palais de Darius ou celui de Crésus ou de voir ma maison familiale dorée pour de vrai et pas seulement de nom, comme la maison de Néron. Car on n'a nul besoin d'une maison en or, pas plus que d'une marmite en or ou du platane des Perses 15. 15 Mais on a besoin d'une ville de belle apparence, plus aérée, dotée de targes espaces, offrant de l'ombre l'été et des abris ensoleillés l'hiver et possédant, au lieu de maisons basses et misérables, des édifices élevés dignes d'une grande cité 16. Tout cela pour que notre ville soit comme les poulains et les chiots de bonne race, dont on devine qu'ils seront de grande taille, si on leur voit des pattes hautes et bien développées, alors que si elles sont courtes et rachitiques, on dit qu'ils resteront toujours pareils. 16 Mais à quoi bon parler maintenant de cela ? Un sophiste m'a joliment traité de rossignol ; pour lui, c'était une injure. 11a dit cela, je pense, parce que, aux dires des poètes, te rossignol a, comme moi, la langue qui le démange. Mais je serais peut-être plutôt comme les cigales : en effet, prises de soif à force d'être au soleil, elles chantent bêtement sans que cela leur serve à rien 17. Malgré tout il y a une chose qu'il vaudrait peut-être mieux ne pas taire au sujet des tombeaux et des sanctuaires : c'est qu'il n'est pas probable que les gens d'Antioche n'aient touché à rien dans ce domaine. Ils avaient en effet plus d'espace à libérer que nous, eux dont la ville fait trente-six stades de longueur et qui ont construit des portiques des deux côtés, de part en part 18. Même chose à Tarse et à Nicomédie 19 où on a décidé 15. La "maison de Néron" est la fameuse domus aurea décrite par
16.
17. 18. 19.
Suétone (Néron, 31, 1-4} ;le "platane d'or", chef-d'oeuvre d'orfèvrerie, faisait partie des trésors de Suse (Hérodote, 7, 27 ; Xénophon, Hellén., 7, 1, 38). Dion voulait assurément transformer Pruse et la doter d'une parure monumentale digne du chef-lieu de district judiciaire qu'elle était devenue ; ces précisions et la suite du texte feraient penser que les constructions entreprises ne se bornaient pas à un portique ; c'est l'opinion de von Arnim (Leber1u11dWerke..., p. 342); voir aussi 48, 9. T. Kock a relevé dans la phrase de Dion les éléments d'un fragment iambique (C.A. F. III, Adespota 408). Allusion à l'avenue monumentale offerte par le roi Hérode de Judée, qui traversait Antioche (FI. Jos~phe, A11t.Jud., 16, 148). Nicomédie possédait une grande avenue bordée de portiques et parallèle au rivage, qui fut détruite en 120 par un séisme (cf. J. et L. Robert, 81111. épig,., 1974, 572).
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par un vote de déplacer les tombes 20. 17 Et Macrin 21, que vous avez fait figurer parmi vos bienfaiteurs, a transféré hors de l'agora 22 le tombeau et la statue du roi Prusias. C'est à croire que chez eux il n'y a pas un seul citoyen patriote et respectueux de la religion, mais que chez nous il y en avait une quantité. Mais faites comme vous voulez. Car que m'importe le portique de Pruse? Comme si je ne pouvais me promener où je veux, dans le Poecile à Athènes, dans le Persique à Lacédémone 23, dans les portiques dorés de Rome 24, dans ceux d'Antioche ou de Tarse, et entouré d'un plus grand respect ; ou comme si sortir pour une 20. Le déplacement de tombes était une opération banale : cf. Pline le Jeune, 10, 49, 50 et 68. 21. Peut-être Pompeius Macrinus de Mytilène, quaestor pro praetorc Ponti et Bithyniae vers 98-100 U.et L. Robert, Bull. épigr.,1981, 94). 22. L'agora de Nicomédie pour von Arnim, Leben u11d Werke..., p. 351 et C. P. Jones, The Roman World..., p. 112 ; de Pruse pour P. Desideri, Dio11edi Pr11sa,p. 390 et G. Hanfmann, From Croesus to Ctmsta,1ti11e, p.44, n.14. 23. Le Poecile d'Athènes bordait la partie nord de l'agora et était décoré de fresques de Polygnote et de Mycon ; suivant Lucien (Zeus Trng., 16), c'était un lieu où se rassemblaient les philosophes ; le Persique était le plus bel édifice de l'agora de Sparte ; sur ces deux édifices, voir Pausanias, 1, 15 et 3, 11, 3. 24. Contrairement à Persiq11eet à Poecile, portiques dorés ne désigne pas un monument précis : aucun édifice de Rome ne porte en effet ce nom. Si dorés (xpuaat;) est employé au sens littéral, on songe à des colonnades rehaussées d'or. De tels édifices sont attestés dans le monde antique : citons la cour de marbre du gymnase de Sardes (G. Hanfmann, From Croesus lo Consta11ti11e, p. 52) ; mais, dans l'état actuel de notre documentation, rien ne nous autorise à penser qu'à l'époque de Dion, Rome possède un portique orné de placages ou de feuilles d'or. L'adjectif dorés se réfère-t-il alors métaphoriquement à la splendeur ou à la couleur de certains édifices ? Properce applique l'épithète aurea au portique apollinien du Palatin, qui était construit en marbre jaune de Numidie : "aurea Phoebi porticus" (Élégies, 2, 31, 1-2) ; mais cet édifice n'était plus un endroit particulièrement fréquenté par les Romains, dont le portique-promenoir favori était le quadriportique attenant au théâtre de Pompée, les Porticus Pompeianae que Domitien avait somptueusement restaurés. Nous devons la substance de cette note à l'amitié de Pierre Gros, Directeur de l'Institut de recherche sur l'architecture antique du C.N.R.S., qui s'est penché sur ce texte avec une obligeance dont nous ne saurions trop le remercier.
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promenade n'intéressait que moi et pas un autre citoyen. Mais nulle part personne n'a un gymnase pour lui tout seul afin d'y faire du sport, ni un portique, ni un bain, ni aucun autre bâtiment public ; ou alors je suis stupide et j'ai perdu l'esprit. 18 Mais, comme je vous l'ai demandé, conseillez-moi. Car tout en voulant vous complaire de toutes les façons, je ne sais que faire. Actuellement en effet, si je me mêle de cette entreprise et m'active pour que la construction se poursuive, certains disent que j'agis en tyran et que je démolis la ville avec tous ses sanctuaires. À coup sûr, c'est moi qui ai mis le feu au temple de Zeus ! Pourtant j'ai tiré les statues de la décharge 25 et maintenant elles se dressent bien en vue dans la cité. Mais si je me tiens coi, ne voulant ni faire pleurer ni offense.r personne, vous vous mettez tous à hurler : "Qu'on poursuive la construction ou qu'on démolisse ce qui est fait !". Et c'est à moi qu'on a l'air de faire des reproches et de s'en prendre. 19 Que voulezvous donc que je fasse ? Ce que vous direz, je le ferai et pour le reste je ne ferai entendre aucune protestation, pas même si on n'a pas rendu de comptes pour une construction qu'on a faite, pas même si, pour une construction en cours, on reçoit régulièrement des magistrats élus chaque année de l'argent qu'on s'en va pour ainsi dire jeter dans le tonneau sans fond, pas même s'il arrive n'importe quoi 26. Qu'est-cc que cela peut me faire en effet ? Je ne me promènerai pas sous le portique, sachez-le bien. Alors dois-je continuer le travail et aller trouver le proconsul et l'inviter à faire payer les souscripteurs en usant de douceur et en ayant égard à leur situation financière 27? J'y suis prêt et même en plus à honorer moi-même une partie de la 25. Le texte des manuscrits porte 11v6i;)voc (pus d'un abcès); nous avons adopté la correction de Capps, µ,wc.,voç; P. Desideri (Dio11edi PruSII, p. 445, n. 20) opte pour celle de Casaubon, 1-1.v~t'lvoi; (moulin). Les incendies étaient fréquents et dévastateurs. À Nicomédie, la gérousic et le temple d'Isis brûlèrent avec une partie de la ville durant une absence de Pline (Pline le Jeune, 10, 33, 1) ; à Nicée, le gymnase avait également été détruit par un incendie (Pline le Jeune, 10, 39, 4). À Pruse, on dut murmurer que Dion avait fait mettre le feu au temple de Zeus afin de créer de l'espace pour ses constructions. 26. À Pruse comme à Nicée et à Nicomédie, les travaux publics donnaient lieu à des malversations de toute espèce : cf. Pline le Jeune, 10, 38, 2. 27. Toute pollicitation devait être honorée (Digeste, L, 12, 14) ; le recours au proconsul était une solution extrême que Dion exclut en 48, 2-3 et 10.
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pollicitation afin de soulager les autres 28. 20 Donnez-moi seulement une directive; sinon je ne m'occuperai plus de rien en dépit de vos clameurs ou, plutôt, je m'en irai 29, Car, bien différent du renard qui avait dévoré la viande et ne pouvait plus sortir du chêne tant il était gavé 30, moi, je sortirai d'ici sans difficulté aucune. Je suis en effet beaucoup plus maigre que lorsque je suis rentré. Et par les Dieux, ne croyez pas me faire plaisir en poussant des clameurs au sujet du portique. À ce que j'entends dire, il n'y a à peu près qu'une seule personne qui cherche à me faire plaisir dans cette cité et qui prenne mes intérêts à coeur et je n'ai ni ami, ni parent qui ait autant de sollicitude pour moi. Regardez un peu : ne trouvez-vous pas qu'il raisonne bien sur mon intérêt et qu'il a de l'affection pour moi 31, 21 cet homme qui, tout d'abord, pense qu'après avoir connu quantité de dangers et d'épreuves, je dois ne me mêler de rien, m'occuper de mes affaires, ne pas faire ma cour aux gouverneurs ni consacrer mon temps à quoi que ce soit d'autre ? Ensuite, comme je n'ai retrouvé qu'une petite partie de ma fortune et qu'aux autres préjudices que j'ai subis s'est ajouté le fait qu'il ne m'est rien revenu à la mort de ma soeur et qu'au contraire j'ai perdu ce qu'elle avait à moi 32 et comme j'ai emprunté pour payer les terres 33, je devrais, d'après lui, rembourser cette dette et mes dettes antérieures et ne pas construire un portique ni dépenser au delà de mes moyens. 22 Ensuite, étant donné la familiarité, peut-être même l'amitié qui me lient à l'Empereur 34 et à quantité de gens qui sont peut-être les plus 28. Texte difficile et diversement interprété: pour H. von Arnim, (Leben und Werke..., p. 352, n. 1), Dion s'offre à faire un versement anticipé ; pour T. R. S. Broughton (Roman Asin, p. 775), Dion propose de verser plus que sa part ; P. Desideri traduit : "Maio sono pronto non solo a fare questo, ma anche a contribuire in parte di tasca mia, afinché gli altri siano sollevati" (Dione di Pmsa, p.397). 29. Peut-être est-ce cette tentation de partir que Dion évoque en 40, 12. 30. Ésope, Fab. 30 (Le renard devenu ooèse). 31. Comme l'a bien vu H. Lamar Crosby (Dio Chrysostom IV, p. 266, n. 2), tout ce développement est ironique, nous dirions même humoristique; le personnage si pressé de voir Dion s'occuper de ses propres affaires est un de ceux qu'indispose sa présence à Pruse et doit être Archippos ou l'un de ses amis. 32. Des biens dont elle était dépositaire, pense von Arnim, Leben und Werke ..., p.320. 33. Pour von Arnim (Leben und Werke..., p. 321), des terres achetées pour reconstituer sa fortune foncière. 34. Trajan : ci. 45, 3.
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puissants des Romains, je n'ai qu'à vivre avec eux honoré et admiré, au lieu d'être soumis chez vous au contrôle de tel ou tel 35. Et si j'ai plaisir à voyager, je n'ai qu'à faire le tour des plus grandes cités, escorté d'une foule d'admirateurs et de bienfaiteurs. Car ceux que je vais voir m'en ont de la reconnaissance, ils me demandent de prendre la parole, de leur donner des conseils, ils viennent à ma porte dès l'aube et je n'ai pas à dépenser ni à contribuer, si bien que tous s'émerveillent et que certains pourraient dire : Oh là là ! Cet homme est aimé et honoré de tous ceux dont il visite la ville et le pays 36. 23 Cela vaudrait mieux que de me lancer dans la dépense avec si peu de moyens, de consacrer mon temps à des occupations inutiles, de ruiner par insouciance une santé qui réclame des soins 37 et beaucoup d'attention, de tenir si longtemps mon âme à l'écart de la philosophie et des études analogues, d'être soumis au contrôle de tel ou tel, d'entendre parfois des injures et de recevoir des coups de crocs. Par les Dieux, celui qui s'inquiète et raisonne ainsi à mon sujet n'est-il pas de tous les hommes celui qui me veut le plus de bien et mérite le plus mon affection ? Lorsque j'entends parler de moi comme d'un tyran, cela me paraît absurde et ridicule. 24 Car je sais ce que font les tyrans : ils séduisent les femmes des autres, débauchent les enfants, frappent et maltraitent les hommes libres sous les yeux de tous et m~me ils en torturent en les jetant par exemple dans un chaudron d'eau bouillante, ou bien ils les enduisent de poix 38, toutes choses que je n'ai jamais faites. Je sais aussi qu'un tyran femelle, Sémiramis, une vieille débauchée, forçait les gens à coucher avec elle 39 et j'ai entendu parler d'un tyran qui faisait comme elle, un insolent vieillard 40.
35. Il peut s'agir de commissaires aux comptes qui contrôlent sa gestion ; mais il n'est pas exclu que Dion songe aux critiques que n'importe quel citoyen se croit en droit de lui adresser. 36. Odyssée, 10,38-39. 37. Autres allusions à sa mauvaise santé en 39, 7; 40, 2; 48, 8. 38. Traitement infligé aux chrétiens par Néron (Tacite, A1111ales, 15, 44, 7). 39. Dion est le seul à rapporter ces débauches de Sémiramis, qui avait surtout laissé Je souvenir d'une princesse guerrière et conquérante. 40. Tibère, d'après Wilamowitz.
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25 Quel rapport avec moi ? Alors est-ce parce que je rebâtis luxueusement ma maison 41 et ne la laisse pas tomber en ruine? Ou parce que je suis moi-même vêtu de pourpre et non d'un méchant manteau ? Alors c'est parce que je laisse pousser ma barbe et mes cheveux 42 ? Mais peut-être cela dénote-t-il non le tyran, mais le roi. On a dit en tout cas qu'entendre dire du mal de soi quand on agit bien, cela aussi est chose royale 43.
41.
H. Lamar Crosby (Dio Chrysostom IV, p. 271, n. 2) pense que, comme la suivante, cette question est faite sur le mode ironique ; c'est aussi notre avis. G. Hanfmann (from Croesus to Conslanti11e,p. 44, n. 14) comprend le texte autrement et écrit que Dion "concedes that he built his house in a luxurious style". 42. Cheveux longs, barbe, manteau grossier, Dion a conservé la tenue de vagabond qu'il a adoptée au début de son exil (13, 10) et dans laquelle il parcourut les contrées grecques et barbares (1, 50). Elle était celle des mendiants (13, 11), de certains philosophes ((13, 11), et particulièrement des Cyniques (34, 2) ; elle se recommandait à lui pour avoir été celle de Socrate et de Diogène (72, 16) ; c'est sous cet aspect qu'il adresse à Trajan son premier discours Sur la royauté (cf. 1, 56) et qu'il se présente à Alexandrie (32, 22), à Olympie (12, 15), à Tarse (34, 2), à Celaenae (35, 2) et à Rome (72, 16). 43. Mot passé en proverbe (cf. Marc Aurèle, 7, 36), attribué à Alexandre par Plutarque, Moralia,181 E, à Antisthène par Épictète, 4, 6, 20.
Discours 48
Notice
Le Discours 48 est adressé à )'assemblée de Pruse, auprès de laquelle Dion s'apprête à introduire Varénus Rufus, le gouverneur de Bithynie, qui a fait une halte dans la cité et doit en repartir le lendemain (§§ 1 et 3). Si, comme von Arnim le suppose avec de bons arguments 1, le proconsul vient d'arriver dans sa province, la harangue de Dion pourrait dater de l'été 105 2, année où a été engagée la deuxième guerre Dadque, à laquelle il fait d'ail1eurs allusion (§ 5). La situation à Pruse est alors la suivante. La malhonnêté de certains notables qui détenaient indûment de l'argent public (§§ 3, 4, 9), la lenteur de certains souscripteurs à s'acquitter de leurs promesses(§ 11) ont provoqué dans l'opinion un mécontentement qui s'est tourné contre les coupables et aussi contre le conseil où, la solidarité sociale aidant, ils ont dfi trouver pas mal de défenseurs. La mauvaise humeur populaire n'a pas débouché sur des désordres graves ni sur un conflit ouvert entre deux parties de la cité: il n'y a eu ni procès, ni exil, ni remaniement du conseil(§ 13). D'après Dion qui s'efforce, il est vrai, de minimiser les choses et qui parle seulement d'une crise de confiance (§§ 8 et 16), on n'a même pas effectué de démarches auprès de tous les intéressés pour leur faire rendre gorge(§ 3). L'agitation s'est apparemment contenue dans les limites de l'assemblée, dont les séances ont été toutefois assez houleuses pour que le gouverneur, sans doute le prédécesseur de Varénus 3, qui avait à faire face ailleurs à d'autres désordres(§ 8), ait décidé d'en interdire )es réunions. Depuis, la fièvre est sans doute quelque peu retombée, puisque Varénus, présenté par Dion comme un homme intelligent et généreux, vient d'autoriser le peuple à se réunir de nouveau (§ 1). Si nous comprenons bien certaines allusions (§ 5), Dion qui est alors le 1. Leben und Werke..., p. 376-377. 2. A. N. Sherwin•White, Tite Letters of Pliny, p. 60-61. 3. C'est l'opinion de von Arnim, Lebe,, und Werke... , p. 377, de P. Desideri, Dione di Prusa, p. 448, n. 33 ; mais pour C. P. Jones, The Roma11World..., p. 113, ce pourrait Pire Varénus lui•même.
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Discours 48
premier magistrat de la cité 4, est pour beaucoup dans cette décision, prise au terme d'une discussion assez vive où il s'entendit enjoindre de commencer par "réconcilier" ses "concitoyens".Indigné, iJ répliqua qu'on avait beaucoup exagéré les choses et promit que dorénavant les réunions du peuple ne donneraient lieu à aucun tumulte(§ 2). C'est ce qu'il s'efforce d'obtenir dans un discours manifestement conçu pour amener ses auditeurs à offrir au proconsul le spectacle d'une assemblée digne et responsable, occupée à discuter sagement des affaires courantes. Sa tâche n'est pas simple. Même atténuée, l'agitation demeure (§ 10). En effet les fripons n'ont rien restitué, les souscripteurs en retard rien versé et la situation financière n'est toujours pas assainie. Que le problème soit évoqué au cours des débats, les passions se renflammeront et le proconsul verra ce qu'il en est des assurances qu'il a reçues de Dion. Aussi celui.ci conjure-t-il le peuple de ne pas aborder cette pénible affaire et de la régler à l'amiable entre gens de Pruse (§§ 3 et 10-11).Défense même de prononcer le mot "dîssension" (a-raaiv, § 16). Il fait valoir le poids que la concorde rétablie donnera à la cité et à lui-même dans leurs rapports avec le pouvoir romain (§§ 7, 10, 12); il prononce un vibrant éloge du conseil, qu'il présente comme l'élite de la cité (§ 4} et va même jusqu'à se faire l'avocat des coupables, plaidant la négligence ou l'ignorance (§ 9), rappelant leurs générosités passées (§ 10) et la spontanéité de leurs promesses (§ 11). Si un arrangement avec eux se révNe impossible, il sera bien temps de soumettre l'affaire au gouverneur, mais c'est bien la dernière chose que souhaite Dion qui agite l'épouvantail des désagréments qu'entraînerait un tel recours (§ 13). En effet, s'il trouve absolument justifiées les réclamations de Ja foule, sa situation, ses fonctions et même ses convictions lui interdisent de se couper du conseil et de ces notables, occasionnellement fripons, mais aussi évergètes, dont l'appui lui est indispensable. Satisfaire à la fois aux impératifs de l'honnêteté et à ceux de l'opportunité po1itique n'est pas facile. Mais on remarquera que s'il prêche au peuple la patience et l'indulgence, suggérant même qu'on laisse aux prévaricateurs une partie de leurs rapines (§ 15), il entend bien leur en faire restituer l'essentiel. La menace d'un recours au proconsul s'adresse au moins autant à eux qu'aux démagogues 4. Comme l'a démontré C. Vielmetti ("I Discorsi Biti11ici..." 1 p. 96-97) approuvé par P. Desideri (Dione di Prusa, p. 448, n. 37) et A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 170).
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irresponsables s, car l'exemple de Pline le Jeune n,trntroftVC)( (1"4tt, célérité un gouverneur consciencieux pouvait foire rcntror l'l\rf11,t dans les caisses publiques 6, Néanmoins les efforts de Dion 1>011, ménager la chèvre et le chou n'ont peut-être pas eu grand !l11ccC,1 CM le Discours 43, qui est contemporain du procès de Varénus, no1111 apprend que le proconsul se livra, avec l'appui de Dion, à une répression énergique qui se traduisit par l'exil de plusieurs citoycn!l (43, 11-12).Si ces événements sont reliés d'une façon ou d'une autre au recouvrement de l'argent public, il y a gros à parier que certains notables figuraient parmi les victimes de la justice proconsulaire. Une des raisons de l'irritation populaire est que la rétention irrégu1ière de fonds publics ralentit les travaux d'urbanisme à Pruse et en particulier la construction d'un bâtiment dont Dion ne précise pas sur le coup la nature, mais qui paraît bien être un portique : ''Pensez-vous que je vous parlerais d'un portique ou de quelque chose d'autre, si je vous voyais vous disputer ?", demande-t-il au § 12. Il est exclu que, comme certains le pensent 7, cet édifice qui, au témoignage de Dion est près d'être achevé (§ 11 "il se fait et sera prochainement terminé"), soit identique au complexe monumental dont il demandera la réception quelque cinq ans plus tard, lors de la légation de Pline 8. Cet ensemble comprenait certes un portique, mais aussi une bibliothèque et un tombeau. S'agirait-il donc du portique mentionné dans les Discours 40 et 47, qui ont toutes chances d'être antérieurs au Discours48 9? Le portique de D. 47 est en partie sorti de 5. Cf. P. Desideri, Dione di Prusa, p. 396, qui parle d'une "véritable déclaration de guerre" aux notables corrompus. 6. Pline le Jeune, 10, 1,nt, et 23. 7. Par exemple H. von Arnim, Leben und Werke ..., p. 509, C. P. Jones, The Roman World ..., p. 112-114, A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 171-172 ; mais A. N. Sherwin-White a montré de façon convaincante (The Letters of Pliny, p. 675-676) qu'il s'agit de deux édifices différents. 8. Pline le Jeune, 10, 81, 7. 9. Antérieurs d'une année pour H. von Arnim (Leben und Werke ... , p. 382) dont la chronologie est faussée par la date erronée (102-103) qu'il attribue au proconsulat de Varénus ; environ quatre ans pour C. P. Jones (The Roman World ..., p. 138-139) et A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ..., p. 173); P. Desideri, pour qui ces travaux n'ont vraiment démarré que sous Varénus, croit que les trois discours sont postérieurs à l'arrivée de celui-ci en Bithynie et que D. 48 est le premier en date (Ditme di Prusa, p. 267) ; à ce compte le portique,
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terre; il se peut que la construction n'en soit pas très avancée, puisque certains parlent de démolir ce qui est édifié et de remettre les choses dans l'état antérieur; ce qui est construit l'a été aux frais de Dion, qui s'est donc acquitté de sa pollicitation (47, 12) ; cependant, pour accélérer les travaux, il s'offre à payer une partie de ce que doivent les autres (47, 19). Dans le Discours40, Dion parle du portique comme d'un problème qui lui a donné bien du souci, mais qui apparemment ne se pose plus ; cela ne signifie certes pas que l'édifice soit terminé. L'affaire qui le préoccupe alors est d'honorer une promesse fort onéreuse qu'il a faite sans y être obligé et que personne n'ose lui rappeler (40, 3). Or on apprend dans le Discours48 qu'il est toujours en dette avec la cité. Parlant des réclamations adressées aux souscripteurs qui trainent pour honorer leurs engagements, il s'écrie (§ 11) : "Pourquoi réclamez-vous à eux et pas à moi 7 Parce que vous jugez que j'ai versé ? Alors vous portez à mon crédit le fait que j'ai élevé ma patrie en dignité en lui procurant des rentrées financières grâce aux sommes versées par les conseillers et à l'augmentation de revenus procurée par les assises ?". La mention dans les deux discours d'un engagement financier qu'il n'a pas honoré et dont personne n'ose lui parler a quelque chose de troublant: ne s'agirait-il pas du même? Il faut alors supposer qu'en 105 Dion ne s'est pas encore acquitté d'une promesse déjà ancienne quand il prononçait le Discours40. Pareille lenteur semble à juste titre étrange à von Arnim 10. Mais si c'est vraiment 1a même dette qui est en souffrance, le portique dont il est question dans les Discours40, 47 et 48 est également le même. S'il s'agit d'une autre souscription, elle peut alors se rapporter à un autre portique, car on ne doit pas oublier que la vaste opération de modernisation lancée par Dion prévoyait la construction de plusieurs édifices et peut-être - pourquoi pas? • de plus d'un portique 11, Nous nous trouvons confrontés à deux problèmes liés l'un à l'autre, qui ne pourraient recevoir de solution à peu près assurée que si on était en mesure de situer exactement les trois discours dans le temps. Or c'est loin d'être le cas.
dont Dion nous dit qu'il sera bientôt terminé, aurait été construit en un temps record. 10. Leben 1md Werke..., p.351-l52. 11. Il résulte clairement de 47, 19 que plusieurs constructions, confiées à différents curateurs, avaient été entreprises.
Discours 48
Discourspolitique tenu à l'assemblée
1 Tout d'abord, Messieurs, nous devons remercier l'éminent Varénus 1 de toute la bienveillance qu'il a manifestée à notte cité et parce que, comme nous voulions réunir l'assemblée, il nous y a de nouveau autorisés 2, non seulement sans difficulté, mais encore avec plaisir. Cette décision révèle un homme qui vous fait confiance et qui sait que vous n'abuserez nullement de sa permission. En effet personne n'entasse jamais du bois vert pour faire du feu, car on sait qu'il dégagera forcément une masse de fumée désagréable et un gouverneur sensé ne réunit pas un peuple en effervescence 3, à moins d'y être obligé par une raison impérieuse. 2 Vous, maintenant, tâchez de ne pas le décevoir et de lui offrir le spectacle d'une assemblée sage et belle en commençant, à mon avis, par arborer la parure de l'amitié mutuelle et de la concorde et, s'il vient quand nous l'inviterons 4, renvoyez à plus tard les autres questions, celles qui soulèvent des clameurs. Il examinera lui-même les affaires de la cité, même si vous voulez l'en empêcher. Pour le moment, rendez-lui grâce, saluez-le et recevez-le aimablement et respectueusement afin qu'il n'éprouve pas 1. Varénus Rufus fut gouverneur de Bithynie vers 105-106 ; Pline le Jeune nous a conté les péripéties du procès que la province lui intenta quand il sortit de charge (5, 20; 6, 5, 13 et 29; 7, 6 et 10); voir le commentaire de A. N. Sherwin-White, TiteLetters of Pliny, p. 351-353 et 407-408.Nous avons traduit par "éminent" le grec ,cplmOToç (= latin egregius),titre honorifique donné aux proconsuls, qui se retrouve par exemple dans des lettres d'Hadrien : cf. Abbott-Johnson, Municipal Admi11istratio11 ..., Doc.78, p. 398, 1.10-11 et Doc.8.3,p. 405, l. 15. 2. Von Arnim pense que Varénus vient d'arriver dans sa province (Lcbe11und Werke..., p. 377) : s'il y résidait depuis longtemps, il serait parfaitement informé des affaires de Pruse, ce qui n'est justement pas le cas ; dans ces conditions, c'est certainement son prédécesseur qui a prorogé l'assemblée. 3. Cela laisse entendre que les dernières réunions de l'assemblée avaient été particulièrement tumultueuses et que la ville avait été le théâtre de désordres ; C. P. Jones (The Roman Worfd..., p. 101) suggère qu'ils peuvent correspondre à la crise évoquée dans le Discours 50, §§ 3-4. 4. Ce qu'il fera lui-même au § 15.
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la méfiance et l'ennui d'un médecin qui vient soigner des malades, mais le plaisir et la bonne humeur de celui qui vient visiter des gens en bonne santé. 3 En effet il partira peut-être demain, mais il reviendra un peu plus tard. Et alors, si nous ne vous amenons pas à régler la question des fonds publics que détiennent des particu1iers 5 en nous prenant les uns les autres comme juges et comme arbitres, alors, dis-je, i1 sera temps de parler et de hurler. Mais déclencher les hostilités auparavant risque d'être tout à fait maladroit. En quelle occasion les avez-vous sondés et quand leur avez-vous demandé quelque chose ? Et qui a refusé de vous écouter ? Et vos amabilités pour moi, je vous en prie, faites-les à tout Je monde 6. Dans un banquet i1est tout à fait choquant qu'Wl seul convive ait à boire et, dans ce cas, on en veut non seulement à l'échanson, mais aussi au buveur. Il en va de même pour les éloges en politique. 4 En faisant comme je vous dis, vous vous honorerez vous-mêmes, car il n'est rien qui honore plus une cité que les éloges qu'e11edispense à ses citoyens. De quoi d'autre en effet pouvez-vous tirer de la fierté ? D'autres cités ne l'emportent-elles pas sur vous en grandeur et aussi, par Zeus, en richesse, en prospérité, en beauté des monuments publics ? Il y a une seule chose pour laquelle nous rivalisons avec à peu près tout le monde: c'est la possession de citoyens doués pour la parole et pour l'action et, c'est le plus important, patriotes 7. Si on vous ôte cela, est-il une cité, même la plus petite, à qui vous serez supérieurs aux yeux de l'opinion ? Maintenant en effet, si vous avez une dispute avec une cité 8 - qu'aucun dieu ne permette cela ! - et qu'ensuite les gens de là-bas injurient nos concitoyens, les traitant de pillards et de fourbes 9, comment le prendrez-vous ? Ne serez-vous pas ulcérés ? Ne vous mettrez-vous pas aussitôt à crier, à injurier ? S'il se trouve, n'en viendrez-vous pas aux mains, comme si souvent déjà 10 ? 5 Alors ce que vous ne supporterez pas d'entendre de la bouche d'autrui, cela, le direz-vous contre vous-mêmes ? S'il éclate jamais une dispute et que ces gens-là vous reprochent d'avoir de 5. Type courant de malversation, comme le prouvent les Lettres de Pline le Jeune, 10, 1?3, 3, 23, 2 et 38, 2 et les déclarations de Dion, infra au§9. 6. Dion est donc toujours très populaire (cf. § 11). 7. Mêmes éloges en 40, 1 et 44, 5-6. 8. Le différend avec Apamée appartient donc au passé. 9. Ces termes confirment que la crise politique a été essentiellement provoquée par les malversations des notables. 10. La mésentente entre cités aboutissait donc souvent à des rixes.
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mauvais citoyens, d'être divisés, ne ressentirez-vous pas de la honte 11 ? Car moi, je vous jure par tous les Dieux que f ai été ulcéré de m'entendre dire 12 : "Réconcilie tes concitoyens" et j'ai donné libre cours à mon indignation. Puissé-je ne pas voir le jour où vous aurez besoin qu'on vous réconcilie ! Mais, comme on dit, que ce malheur aille plutôt frapper la tête de nos ennemis, je veux dire les maudits Gètes 13, mais autrement aucun de nos frères de race. 6 À quoi servirait en effet notre séjour ici, si nous ne vous amenions pas par la persuasion à de tels sentiments, nous associant toujours, dans la mesure de nos capacités, aux exhortations à l'entente et à l'amitié et cherchant à extirper de toutes les façons la haine, la discorde, la passion déraisonnable et insensée de la dispute ? Car c'est un beau spectacle, également profitable à tous qu'une cité où tous ont mêmes opinions, de l'amitié les uns pour les autres, mêmes sentiments, blâment et touent les mêmes choses, portant dans les deux cas un témoignage auquel bons et méchants peuvent se fier. 7 Il est beau en effet de chanter à l'unisson un seul et même chant, comme un choeur bien entraîné, mais non pas de faire dissonance, comme les mauvais instruments et de faire entendre deux sortes de notes et de sons, parce qu'on a deux ou plusieurs sortes de caractères, ce qui provoque en général le mépris, les échecs et fait perdre toute autorité chez soi et auprès des gouverneurs 14, En effet personne ne distingue clairement ce que disent les choeurs dissonants ou les cités en proie à la discorde. Si, en effet, lorsqu'on voyage sur le même bateau, il n'est pas facile de se sauver isolément, mais seulement tous ensemble, il en va de même pour les citoyens d'une même cité. 8 Aussi, puisque vous vous distinguez par votre culture, votre génie naturel et votre qualité de purs Grecs, il convient que vous manifestiez justement par votre bonne entente la noblesse de votre caractère 15. Je pourrais, je pense, en dire beaucoup là-dessus comme le mérite l'importance du sujet, si ma santé n'était pas tout à fait délabrée 16 et si, comme je le disais, je ne voyais pas que vous ne vous obstinez Texte des manuscrits : ale7Xv~otk; nous avons traduit la correction de Naber, a \oxuVEîo8e ("Animadversiones criticae ad Dionem Chrysostomum", Mnemosync,38, 1910, p. 102). 12. Dion ne précise pas par qui, mais, étant donné cc qui suit, il doit s'agir du proconsul plutôt que de l'empereur. 13. Rome est donc engagée dans la deuxième guerre Dacique (105-107). 14. Même argument en 39, 4. 15. Cf. 43, 3 ; 44, 10 et 50, 2. 16. Cf. 39, 7 ; 40, 2 ; 47, 23 et 52, 1. 11.
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pas 17. Car cette maladie ne s'est jamais déclarée chez vous et elle n'y couve pas non plus, mais il y a peut-être eu un petit accès de méfiance qui nous est venu, comme une ophtalmie, de chez nos voisins t B. C'est un phénomène qui affecte souvent la mer aussi : quand ]es grands fonds ont été fortement agités et qu'une tempête s'est déchaînée au large, on en ressent souvent vaguement ]es effets dans les ports. 9 Pensez-vous qu'une agora, un théâtre, des gymnases, des portiques, de l'argent peuvent être utiles à des gens divisés ? Ce n'est pas cela qui fait la beauté d'une cité, mais la sagesse, l'amitié, la confiance mutuel1e. Lorsque vous critiquez le Conseil, les dirigeants, l'é1ite, n'est-ce pas vous-mêmes que vous critiquez ? Si les meilleurs d'entre vous sont des canailles, que faut-il penser des autres? Alors, nous devons perdre ce qui nous appartient ? Nul ne le prétend. Mais sachez bien que dans toutes les cités il y a des fonds publics et des particuliers qui les détiennent, certains sans le savoir, certains autrement. Et il faut y avoir l'oeil et les récupérer sans aller quand même jusqu'à la haine et la dissension. 10 Ces gens-là sont généreux et ils ont souvent contribué de leur argent. Persuadez-les, exhortez-les; s'ils se montrent rétifs, discutez avec eux seuls, hors de toute présence étrangère. N'est-ce pas à vous qu'i] arrive fréquemment de nous louer une journée entière en nous donnant les noms de "héros" ou d"'olympiens" ou de "sauveurs" ou de
17. Texte peu sûr: Dion renvoie peut-être à ce qu'il a dit au§ 5. 18. On croyait que l'ophtalmie était contagieuse, au même titre que la gale et la peste (Galien, De differentiis febrium, 1, 3, Kühn VU, p. 279) ; on expliquait cette contagion, à laquelle Dion fait encore allusion en 36, 11, par la mobilité et la matérialité du rayon visuel ; cf. Plutarque, SymposiaquesV, 7, 681 A-D; Aristote, ProblèmesVII, 8, 887 a 22-27, trad. Louis, CUF : "Est-ce en ce qui concerne l'ophtalmie parce que !'oeil est le sens le plus mobile et que, plus que les autres, il s'assimile ce qu'il pen;oit et que, par exemple, il se trouve entraîné par la vue d'un objet en mouvement, si bien qu'en regardant en face un oeil affecté d'un trouble, il est lui-même affecté au plus haut degré ?" (âVT1~Unwv nTapuy11tv'I) Tap6.TTncn 116AtaTa; cf. Ovide, Remedia amoris, v. 615, "dum spectant laesos (scil. oculos) oculi laeduntur et ipsi"). Von Arnim tire de ce passage la conclusion que toute la Bithynie a été en proie à des troubles et que les dissensions de Nicée (D. 39) peuvent appartenir aux mêmes événements (Lebe11 und Werke..., p. 373).
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"pères nourriciers" 19 ? Alors, par Zeus et par les Dieux, vous allez être convaincus de faux témoignage à vos propres yeux ? Parlez-vous maintenant sous le coup de la colère ou bien disiez-vous alors cela pour flatter ? ~tes-vous trompés maintenant ou bien vouliez-vous tromper alors ? Ne mettrez-vous pas fin à cette agitation et ne reconnaîtrez-vous pas que vous avez des concitoyens tout à fait distingués et une cité faite pour être heureuse ? Moi, avec l'aide des Dieux 20, je peux vous faire beaucoup de bien, mais si je suis secondé par ces gens-là ; je vous rappelle le proverbe : ~tre seul, c'est n'être rien. 11 Mais peut-être êtes-vous fâchés que la construction ne soit pas terminée. Elle se fait et sera très rapidement achevée, surtout si ces gens-là s'y intéressent et s'y dévouent, à condition qu'ils donnent de bon gré. Car leurs promesses, ils ne vous les ont pas faites de mauvais gré 21. Et pourquoi réclamez-vous à eux et pas à moi? Parce que vous jugez que j'ai versé 22? Alors vous portez à mon crédit le fait que j'ai élevé ma patrie en dignité en lui procurant des rentrées financières grâce aux sommes versées par les conseillers 23 et à l'augmentation de revenus procurée par les assises 24? Mais c'est tout 19. Sur ces acclamations, qui se retrouvent dans les inscriptions, voir L. Robert, Hellc11icaVII, p. 74-81 (où ce passage est commenté) et XI-Xll, p. 569. 20. C'est-à-dire de l'empereur, comme plus loin au § 11, suivant P. Desideri, Dionedi Prnsn,p. 449, n. 44. 21. Dans un grand élan d'enthousiasme, au contraire, si l'on en croit Dion lui•même: cf. 40, 6; 45, 16; 47, 14. 22. Sur ce passage embarrassant, voir la Notice, p. 154. 23. On sait par Pline le Jeune (10, 112, 1) qu'en Bithynie les sommes honoraires versées par les nouveaux conseillers étaient de 1000 ou 2000 deniers. En même temps qu'elle accroissait la dignité de la cité, la création de 100 conseillers avait donc rapporté à Pruse cent ou deux cent mille deniers. On rapprochera du texte de Dion la lettre adressée par Antonin le Pieux à une cité inconnue à laquelle il accorde la même faveur : ~111t:UTaiôy6ofpcovta u~ïv la-rGav·6\6l>T 6è lxacnoc; ntVTClJ(oa{aç'Anucài; (500 drachmes = 500 deniers) fva ânb µtv Toil ~yi8011.iit a({w11a ùµdv npocrtiV1lTŒ\, lino 6t Të;.;v & U>aoucn 1ff>6ao5oç (J. et L. Robert, Bull. épigr., 1956, 159). À XP11J1ÔTv
Claudiopolis, les sommes honoraires versées par les nouveaux conseillers avaient été investies dans la construction d'un bain colossal (Pline le Jeune, 10, 39, 5). 24. La tenue des assises était une aubaine pour le commerce local et pour les finances municipales: cf. Dion, 35, 15.
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comme si j'avais formé des voeux pour vous et que les Dieux aient exécuté la chose. 12 Si l'occasion se représente, je recommencerai et je la saisirai le coeur confiant si les gens d'ici sont mes amis et je ne porterai aucun de ces services sur votre compte. En effet les parents ne comptent pas parmi les dépenses faites pour les enfants les voeux qu'ils forment pour eux. Pensez-vous que je vous parlerais d'un portique ou de quelque chose d'autre si je vous voyais vous disputer? Mais ce serait comme si, à un malade affligé d'une fièvre cérébrale et à qui il faudrait poser un cataplasme après l'avoir mis au lit, on faisait une onction de myrrhe et on présentait une couronne ! Cela, c'est un luxe bon pour )es gens en bonne santé, pour ceux qui ne souffrent de rien. Lorsque les Athéniens étaient divisés en factions, faisaient venir les ennemis et, les malheureux, se trahissaient mutuellement, croyez-vous qu'ils ne possédaient pas les Propylées, le Parthénon, leurs portiques et Je Pirée ? Mais les Propylées, les arsenaux et le Pirée lui-même ne leur servaient qu'à amplifier l'écho de leurs lamentations 25. 13 Certes une cité grande et populeuse divisée en factions et raisonnant de travers peut supporter un certain temps la mauvaise fortune, mais regardez pourtant ce qui se passe : est-ce qu'on ne s'accuse pas mutuellement? Est-ce qu'on ne s'exile pas ? Est-ce qu'on n'introduit pas des gens au conseil pour en exclure d'autres? Est-ce que tout n'est pas remué comme dans un séisme ? N'est-il pas vrai que tout est déséquilibré et que rien n'est sfir ? On en vient au point de ne pas se contenter des dirigeants qu'on a, mais, comme dans les maladies incurables, on a besoin de médecins étrangers 26. Et il arrive
25. Allusion au blocus d'Athènes de 405-404: les Athéniens mouraient de faim et craignaient d'être réduits en esclavage (Xénophon, Hellé11iq11es,2, 2, 14--23). 26. Pour Athènes, ce furent les Spartiates. Cette description des maux - procès, exils, destitutions - que produit la discorde dans une grande cité est-elle, comme le pense P. Desideri (Diane di Prusa, p. 448, n. 40), une allusion à la situation à Pruse ? Cela s'accorderait mal avec l'affirmation répétée que Pruse n'est pas et n'a jamais été en proie à la discorde(§§ 5, 8 et 16); mais l'éventualité d'une telle crise n'est pas à exclure et, pour la conjurer, Dion agite la menace d'une intervention romaine. On sait par le Discours 43 que la situation se détériora au point que le proconsul dut sévir.
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ce qui arrive aux chevaux ombrageux : lorsque le mors ne les retient pas,on leur impose en plus un caveçon 'Zl. 14 Moi, je m'inquiète pour vous, mais je m'inquiète aussi pour moi. Si en effet un philosophe engagé dans la politique 28 n'a pas su instaurer la concorde dans sa cité, c'est aussi épouvantable et irrémédiable que si un charpentier naviguant sur un vaisseau ne le rendait pas capable de naviguer et que si un homme qui se prétend pilote penchait du côté d'où vient le flot ou bien que si un architecte, ayant la charge d'une maison et la voyant menacer ruine, ne s'occupait pas de cela, mais s'imaginait qu'il fait quelque chose en la plâtrant et en la couvrant d'enduit. Si je m'étais proposé de vous parler de la concorde, je vous aurais dit beaucoup de choses et sur les phénomènes du monde humain et sur ceux du monde céleste, à savoir que ces grandes et divines réalités ont besoin de la concorde et de l'amitié 29. Sans elles il y aurait danger de mort et de destruction pour ce bel ouvrage qu'est l'univers. 15 Mais je parle peut-être trop longtemps, alors qu'il faudrait aller inviter le gouverneur. J'ajouterai seulement un mot : n'est-il pas honteux que les abeilles s'entendent bien et qu'on n'ait jamais vu un essaim divisé en factions et se faisant la guerre ? Elles vivent en travaillant ensemble et se procurent mutuellement la nourriture qu'elles consomment. N'y a-t-il pas cependant chez elles aussi ce qu'on appelle des bourdons, créatures insupportables qui dévorent le miel? Oui, par Zeus, il en naît. Pourtant même ces bêteslà, les paysans les laissent, ne voulant pas semer le trouble dans l'essaim et ils préfèrent perdre du miel plutôt que de jeter le désordre dans toute la ruche 30, 16 S'il se trouve, il n'y a pas chez nous d'insectes paresseux, dont le bourdonnement sonne faux et qui goûtent au miel. Et prenons les fourmis 31 : il est tout à fait plaisant de voir comme elles s'accommodent bien d'habiter côte à côte, comme elles effectuent leurs sorties, comme elles se partagent les fardeaux, 27. En grec,ljlâ>.,ov;Dion parle encore en 35, 3 de cette pièce du harnais
qu'on fixait en perçant la machoire. 28. Dion lui-même qui, comme l'a démontré C. Vielmetti, exerçait les fonctions de premier archonte. 29. Telle est la substance des exposés solennels et pontifiants qu'il fait en 38, 11-15et 40, 35-39. 30. Dion suggère donc que l'on laisse aux voleurs une partie du produit de leurs rapines. 31. Les abeilles et les fourmis, modèles de solidarité et de bonne entente, sont encore citées en exemple en 40, 32 et 40.
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comme elles se cèdent mutuellement la place. N'est-il pas honteux que nous, des hommes, ayons moins de raison que des bêtes si minuscules et si dépourvues de raison ? Tout cela est peut-être une digression, mais en tout cas il ne faut pas parler de dissension chez nous; interdit de prononcer ce mot. 17 Mais il me semble qu'une fois la cité purifiée, non pas avec de l'oignon de mer et de l'eau, mais avec une chose beaucoup plus pure, la raison, il faut régler ensemble les autres problèmes, s'occuper des agoranomes et du reste et inviter le Conseil à y songer, afin que, comme d'habitude, il pourvoie aux intérêts de la cité. Ce sera en effet pour vous une tâche tout à fait facile. Il vaut la peine que vous vous y atteliez sérieusement et particulièrement à cause de l'archonte que vous avez élu 32, pour éviter que, ayant pris un homme inexpérimenté, vous ne l'abandonniez ensuite aux flots et à la houle.
32.
H. von Arnim (Lebe11u11d Werke.••, p. 390) croyait qu'il s'agissait du fils de Dion, mais C. Vielmetti ("I Discorsi Bitinici ...", p. 96-97) a montré que cet archonte n'est autre que Dion lui-même ; c'est en cette qualité qu'il va chercher le proconsul ; l'allusion à son inexpérience donnerait à croire qu'il exerce cette fonction pour la première fois.
Discours 49
Notice
Le titre de cette oeuvre, Discours tenu au conseil pour refuser une magistrature, est dû à un éditeur qui disposait d'éléments d'appréciation qui nous manquent, car rien dans le texte n'indique expressément que Dion s'adresse aux membres du sénat local. Cependant ce que nous savons du mode d'élection des magistrats dans l'orient romain 1 rend la chose à peu près sûre : les magistrats étaient élus par le conseil et ce choix était ensuite soumis à la ratification de l'assemblée. Dion a pris la parole pour décliner une magistrature à laquelle les conseillers se préparaient à l'élire. Mais son refus et l'exposé de ses raisons sont précédés d'une longue dissertation destinée à démontrer que seul le philosophe est qualifié pour gouverner les hommes ou pour consei1ler les princes et qu'il n'a pas le droit de se dérober à l'appel de sa cité lorsqu'elle veut lui confier la direction de ses affaires. Il y a quelque chose d'incongru dans cette longue litanie de lieux communs truffés d'exemples historiques ; elle semble sans objet puisque, comme Dion le souligne lui-même (§ 14 "la suite logique de ces développements serait que j'exerce l'archontat, puisque vous le voulez"), la conclusion du discours est exactement le contraire de ce qu'on attendait. Faut-il imaginer que Dion, pédagogue impénitent, a saisi l'occasion d'une élection pour régaler ses collègues d'un morceau d'éloquence destiné à leur inculquer le respect de la philosophie (cf. 44, 10) et l'amour de la culture grecque (cf. 43, 3) ? Veut•il, puisqu'il ne peut déférer à leur désir, orienter leur choix vers un de ses amis, comme lui philosophe ? ou les détourner d'élire un adversaire qui pose au philosophe, mais qui n'en a que la tenue et le nom ? On serait tenté de le croire, lorsqu'on entend Dion fustiger les tartuffes de la philosophie dans un passage (§§ 11-12) qui avait de quoi faire grincer des dents à Archippos et à sa bande. ll est donc
1. Voir I. Lévy, "~tudes sur la vie municipale de l'Asie Mineure sous les
Antonins", REG,VIII (1895),p. 214.
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possible que cette dissertation soit moins innocente et moins accessoire qu'il n'y parait. Un discours tenu à Pruse où Dion se proclame philosophe est évidemment postérieur à son exil 2, mais cette intervention au conseil est si dépourvue de références à l'actualité, qu'il est impossible de lui assigner une date plus précise et même de la situer par rapport aux autres oeuvres de la même période. On n'y trouve aucune a11usion aux constructions, à la guerre Dacique ou à la crise qui a secoué la cité sous le proconsulat de Varénus. Dion a décliné la magistrature parce qu'il doit absolument quitter Pruse. Von Arnim qui veut que toutes les annonces de départ contenues dans les discours se rapportent au même déplacement, pense que le voyage devenu inévitable est celui dont il est question dans les Discours 45 et 50 et propose la séquence 45-50-49 3. Mais on peut supposer sans grand risque d'erreur qµ'entre 100 et 110 Dion a dû quitter Pruse à plusieurs reprises pour des destinations proches ou lointaines ! Pour mieux faire accepter son absence, Dion laisse entendre qu'elle peut être profitable à la cité (§ 15) : "Des occupations toujours plus nombreuses ... m'ont jusqu'ici retenu malgré moi ; mais maintenant ce n'est pratiquement plus possible. Il vaut mieux pour moi et peut-être pour vous que je ne prolonge pas mon séjour ici". S'agirait-il d'un voyage à la cour d'où, comme précédemment, il pourrait rapporter faveurs ou privilèges? Par exemple cette liberté que Pruse désirera toujours sans jamais l'obtenir 7 On ne peut que conjecturer. La substance même du discours impose l'idée que la magistrature à laquelle on voulait porter Dion était la magistrature suprême de la cité 4, en l'occurrence la fonction de premier archonte 5, que Dion occupa sous le proconsulat de Varénus. L'avait-il déjà exercée à l'époque de ce discours? Von Arnim pense que non 61 mais le passage sur lequel il fonde son opinion suggère aussi bien le contraire 2. C. P. Jones, The Roman World ..., p. 139. même classement chez 3. Lebe11 und Werke ... , p. 383-384 A. R. Sheppard, "Dio Chrysostom ...", p. 173. Pour C. P. Jones, The Rom11nWorld ..., p. 139, D. 50 est bien postérieur à D. 49. 4. H. von Arnim, Lebe11und Werke..., p. 388-389. 5. F. K. Dôrner, RE, s. v. Prusa ad Olympum, col. 1081. 6. Le/1en 11nd Werke ... , p. 389 ; selon lui, Dion aurait déjà été élu archonte dans le passé sans avoir été candidat et il aurait refusé la magistrature en arguant de sa qualité de philosophe ; c'est pour prévenir semblable mésaventure que, cette fois-ci, il se dérobe avant le vote.
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(§ 15): "... je vous demande de ne pas procéder à un vote. Je sais en
effet qu'il n'y aurait pas eu besoin de voter à bulletins secrets, mais que, de même qu'auparavantvous avez tous voté à découvert lorsque vous avez supposé que j'acceptais, vous auriez fait la mf!me chose aujourd'hui". Il est difficile de ne pas tirer de ces lignes la conclusion que Dion a déjà exercé des charges municipales et - pourquoi pas ? • cette fonction suprême qui constitue le thème unique du discours. Si tel était le cas, celui-ci pourrait bien être chronologiquement postérieur au Disco1trs48 7 prononcé sous le proconsulat de Varénus. Dion, qui était alors archonte, y insiste en effet sur son inexpérience politique (48, 17) dans des termes qui donnent à penser qu'il exerçait l'archontat pour la première fois. À l'époque du présent discours, les relations de Dion avec le conseil ne sont assombries d'aucun nuage S. On ne comprendrait pas autrement qu'on ait voulu lui confier la direction des affaires. On le sent très à l'aise et sûr de lui. Il ne pouvait échapper à personne que c'est son propre portrait qu'il brosse lorsqu'il décrit le philosophe comme un personnage plus qualifié que quiconque pour conseiller les princes ou gouverner les peuples et qui doit cette compétence à un contrôle parfait de ses passions. Cette image avantageuse qu'il donne de lui-même avait de quoi agacer ou faire rire un auditoire qui n'aurait pas été conquis d'avance.
7. C'est ce que pensent, après von Arnim (Leben und Werke..., p. 385), C. Vielmetti ("I Discorsi Bitinici...", p. 101-102) et P. Desideri (Dione.di Pr11s11,p. 268-269) ; C. P. Jones (Tite Roman World..., p. 139) et A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 169) placent ce discours avant le proconsulat de Varénus. 8. Cf. C. Vielmetti, "I Discorsi Bitinici...", p. 101 et P. Desideri, Dio11edi Prusa, p. 266 et 278, n. 39; je ne comprends pas pourquoi C. P. Jones juge qu'à l'époque de ce discours, la popularité de Dion a décliné (The Roma11World..., p. 139).
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Discours tenu au conseil pour refuser ·une magistrature 1 Pour les gens sages et instruits l'exercice du pouvoir n'est ni déplaisant ni compliqué. Rien en effet ne leur plaît autant que de faire le bien. Quand on gouverne une cité, un peuple ou plus encore, on a toute latitude pour faire le bien et, de plus, on y est presque obligé. En effet un chef malfaisant n'est pas toléré non seulement par les hommes, qui passent pour être la plus maligne des espèces, mais non plus par les animaux les plus dénués de raison. 2 Car ni les boeufs ne supportent la négligence des bouviers, ni les troupeaux de chèvres et de moutons des pâtres qui les détruisent : ou bien ils s'enfuient et refusent d'obéir, ou bien même ils se défendent contre les méchants gardiens qu'on a mis à leur tête. Les chevaux qui jettent à terre les cochers ignorants leur infligent une punition plus sévère que celle que les coups de fouet leur infligent à eux-mêmes. Mais, de tous les êtres, l'homme est le plus ingénieux et le plus intelligent, si bien qu'il est le plus hostile de tous à un mauvais chef et le mieux disposé de tous à l'égard d'un bon. Aussi ceux qui savent commander ont plaisir à le faire et rien ne semble difficile à celui qui s'est exercé à cette tâche dès le début et qui s'y trouve préparé. 3 On verra que le vrai philosophe ne travaille à rien d'autre qu'à se rendre capable de bien gouverner sa propre personne, sa maison, la plus grande des cités et, d'un mot, le genre humain si on lui confie le pouvoir et, tout en n'ayant pas lui-même besoin d'autres chefs que la raison et la divinité, il sera capable de consacrer sa réflexion et ses soins au reste des hommes. Cela n'a pas non plus échappé aux rois et à ceux qui, jouissant d'un pouvoir absolu, ne sont pas totalement dénués de sens. Ils ont en effet besoin de gens bien instruits pour les conseiller dans les affaires les plus importantes et, tout en donnant eux-mêmes des ordres aux autres, ils reçoivent des ordres de ces gens-là concernant ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter. 4 Ainsi Homère dit qu' Agamemnon avait toujours besoin de l'avis de Nestor et que toutes les fois qu'il ne suivit pas ses conseils,
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il le déplora et s'en repentit aussitôt 1. Et Philippe, qui semble avoir
été le plus habile des rois, plaça Aristote auprès de son fils Alexandre pour l'instruire et le diriger, estimant qu'il n'était pas lui-même capable de lui apprendre la science du gouvernement royal Il prétendait exercer son autorité sur les Macédoniens, les Thraces, les Illyriens et sur tous les Grecs, mais il plaçait son fils sous l'autorité d'un autre et, donnant lui-même des ordres à tant de myriades d'individus, il ne voulait pas en donner à Alexandre et à lui seul. Il jugeait qu'il ne courait pas le même risque à se tromper dans le gouvernement des autres que dans celui de son fils. 5 Cependant, étant auparavant otage à Thèbes, il vivait avec Pélopidas 2, un homme instruit, au point que l'on dit même que celui-ci fut son éraste ; il voyait agir et entendait parler Épaminondas 3, qui ne dut pas au hasard d'acquérir une telle puissance en Grèce et d'y renverser à tel point la situation qu'il abattit Lacédémone qui y faisait la loi depuis si longtemps, mais au fait qu'il avait écouté les leçons de Lysis, le disciple de Pythagore 4. C'est pour cette raison, je pense, que Philippe l'emporta de beaucoup sur les précédents rois de Macédoine. Cependant, ayant bénéficié d'une telle éducations, il n'osait pas éduquer lui-même Alexandre. 6 Il apparaît que les philosophes ont rarement gouverné les hommes, je veux dire revêtu ce qu'on appelle les fonctions de gouvernement en étant stratèges, satrapes ou rois, mais que les gens qu'ils ont gouvernés ont reçu d'eux quantité d'énormes bienfaits. Les Athéniens, de Solon, d'Aristide et de Périclès, le disciple d'Anaxagore; les Thébains, d'Épaminondas 6; les Romains, de Numa 1. Comme le remarque H. Lamar Crosby (Dio Chrysostom IV, p. 297), Homère ne le dit nulle part expressément, mais le rôle qu'il attribue à Nestor rend la chose évidente. 2. Tradition aberrante ou erreur de Dion : selon Plutarque (Pélopidas, 26, 5-8), Philippe logea chez Pamménès et c'est celui-ci et non Pélopidas qui aurait été son éraste (cf. Pélopidas, 18, 2 et la note de R. Flacelière dans l'édition de la CUF). 3. Tradition suivie par Plutarque, Pélopidas,26, 7 et Justin, 7, 5. 4. Même assertion chez Cornélius Népos, Épaminondas, 2, 2. 5. Pour les besoins de sa démonstration, Dion embellit outrageusement le personnage de Philippe: Plutarque, plus objectif, ne manque pas de remarquer (Pélopidas,26, 7-8) que, si Philippe était un aussi grand stratège que le héros thébain, il n'avait aucune de ses qualités morales. 6. Il faut, pour accepter la démonstration de Dion, prendre le mot philosophedans un sens assez large: Solon fut l'un des sept Sages et
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à qui, suivant certains, Pythagore communiqua sa science 7; tous les
ltaliotes, des Pythagoriciens 8, ces Italiotes qui furent si longtemps heureux et qui jouirent d'un maximum de concorde et de paix tout le temps que ceux-là gouvernèrent leurs cités. 7 Et si les peuples les plus puissants ne peuvent pas toujours avoir les philosophes pour rois, ils les ont officiellement nommés tuteurs et chefs des rois. Les Perses l'ont fait, je crois, pour ceux qu'on appelle chez eux les mages 9, parce qu'ils étaient versés dans la science de la nature et savaient comment il faut adorer les Dieux ; les Égyptiens pour les prêtres, qui possédaient la même science que les mages, vu qu'ils s'occupaient du culte et connaissaient le pourquoi et le comment de tout; les Indiens pour les brahmanes 10, qui possèdent plus que tout le contrôle de soi, la justice et l'amitié de la divinité, ce qui leur permet de connaitre l'avenir mieux que les autres hommes ne connaissent leur présent ; 8 les Celtes pour ceux qu'ils appellent druides 11, gens qui s'occupent aussi de mantique et des autres sciences. Les rois ne pouvaient rien faire ni décider sans eux, si bien qu'à la vérité c'est les druides qui commandaient et les rois étaient leurs serviteurs et les exécuteurs de leurs décisions, bien qu'ils siégeassent sur des trônes d'or, habitassent de grandes demeures et banquetassent somptueusement. li est en effet dans l'ordre des choses qu'il exerce avec compétence tout gouvernement celui qui exerce
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Dion déclare en 22, 2 qu'il faut le considérer comme un philosophe plutôt que comme un orateur, au même titre qu'Aristide et Épaminondas ; si Périclès fut effectivement le disciple d'Anaxagorc, Platon voit en lui tout le contraire d'un homme d'État philosophe (Gorgias,515 c-516 d). Plutarque (Numa, 8) considère avec beaucoup de scepticisme la tradition qui fait de Numa un disciple de Pythagore ; Cicéron la traite d'erreur invétérée (Républtque, 2, 15, 29) et Tite Live (1, 18, 2-3) la combat avec vigueur. Sur le succès de Pythagore auprès des Grecs d'Italie, voir Porphyre, Vie de Pythagore,20-21. Chez Hérodote, pas plus que chez Xénophon, les mages n'apparaissent comme les conseillers des rois. Strabon (17, 3 et 5) présente les prêtres égyptiens comme les fam ilicrs des rois ; pour Néarque, cité par Strabon (15, 66), les brahmanes suivaient les rois en qualité de conseillers. Diodore qualifie les druides de philosophes (5, 31, 2), mais ni lui, ni César (cf. De bel/o Ga/lico,6, 13-14), ni Strabon (cf. 4, 4, 4) ne font d'eux les conseillers des rois.
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continuellement le gouvernement le plus difficile et n'y commet aucune faute. 9 Or le philosophe se gouverne constamment lui-même, ce qui est à tous égards plus difficile que de régner sur l'ensemble des Grecs et sur l'ensemble des barbares 12. Quelle race d'hommes en effet est aussi sauvage que les colères, les jalousies, l'amour de la dispute, qu'il lui faut maîtriser ? Qu'y a-t-il d'aussi fourbe, malicieux et traître que les plaisirs et les passions, par lesquels il ne doit jamais se laisser vaincre ? D'aussi violent, paralysant et avilissant pour l'âme que les craintes et les chagrins, auxquels on ne doit jamais le voir céder ? 10 Quelles armes, quelles protections peut-il leur opposer comme les rois et les stratèges d'une cité le font contre leurs ennemis ? Quels autres alliés ou gardes du corps peut-il utiliser contre eux, sinon les discours sages et sensés? À qui d'autre peut-il assigner la surveillance ou confier la garde ou quelle autre sorte de serviteurs peut-il employer ? Mais ne doit-il pas, attentif et vigilant, exercer lui-même jour et nuit cette surveillance afin de n'être pas inconsciemment ou bien renversé par les plaisirs, ou paralysé par les craintes, ou égaré par la passion, ou abattu par le chagrin, au point de s'écarter dans sa conduite de la stricte morale et de la stricte justice et de se trahir lui-même ? 11 Mais l'homme qui exerce cette autorité fermement et en se contrôlant peut du coup, sans difficulté, dominer même l'humanité entière. Lorsque je développe ces idées sur les philosophes, que personne n'imagine que je parle en songeant à la tenue et au titre. Quand on a du sens, on ne juge pas en effet le vin d'après le vase, car dans un vase de bonne qualité on trouvera souvent du vin éventé qui vient du cabaret. On ne juge pas non plus l'homme bien éduqué sur sa tenue 13. 12 Mais je ne m'étonne pas que le commun des hommes se laisse abuser par ces dehors. En effet les prétendants mirent Odysseus et Iros aux prises au vu de leur tenue, ne voyant aucune différence entre eux. Un philosophe qui vivait il n'y a pas si longtemps, déclara qu'Isménias 14 n'avait pas tort d'être particulièrement indigné qu'on appelât flûtistes les joueurs de flûte des funérailles. À mon avis, ce n'est pas du tout la même chose. En effet les joueurs de flûte des funérailles ne font aucun mal aux morts et ne les importunent nullement, alors que, parmi ceux qui se prétendent philosophes, il y
12. L'idée que gouverner son âme est plus ardu que gouverner le monde se retrouve en 62, 4. 13. Même mise en garde en 34, 2.3 et 35, 11. 14. Antigénidas, d'après Apulée, Florides, 4, 1-2.
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en a qui font des choses vraiment inadmissibles ,s. 13 M,11~ le véritable philosophe n'a pas d'autre tâche que le gouvernement de~ hommes 16 et celui qui hésite à administrer sa cité alors qu'elle y consent et fait appel à lui, sous prétexte qu'il n'en est pas capable, ressemble à quelqu'un qui refuserait de se soigner tout en prétendant être médecin, mais qui serait tout à fait disposé à soigner d'autres hommes pour de l'argent et des honneurs, comme si la santé était un moindre salaire que le salaire qu'on reçoit d'autrui ; ou bien c'est comme si quelqu'un prétendant être un pédotribe ou un professeur qualifié, consentait à instruire les enfants des autres, mais envoyait les siens chez un maître moins qualifié ou comme si, négligeant ses propres parents, un homme était prêt à avoir plus d'égards pour les parents d'autrui, parce qu'il voit qu'ils sont plus riches et plus connus que les siens. 14 Car il n'est pas plus juste ni non plus, par Zeus, plus agréable de mépriser ceux qui nous tiennent de près, pour être utiles à ceux qui ne nous sont rien. La suite logique de ces développements serait que j'exerce moi-même l'archontat 17, puisque vous le voulez. Or sachez bien que, s'il n'y avait pas d'impossibilité, je n'attendrais pas que vous me sollicitiez, mais que je solliciterais moi-même et que je vous adresserais des appels. Car cela fait aussi partie des devoirs d'un homme honnête et sage de poser sa candidature et de gouverner ses concitoyens en leur sachant gré de son élection et non pas de ruiner et de discréditer la fonction 18. 15 Où est donc l'impossibilité dans le cas présent? Je vous demande d'ajouter foi à mes paroles, car je pense ne vous avoir jamais trompés en rien et jamais jusqu'ici je n'ai parlé contre ma pensl>e.Des occupations toujours plus nombreuses ... 19 m'ont jusqu'à présent retenu malgré moi ; mais maintenant ce n'est pratiquement plus possible. Il vaut mieux pour moi et peut-être pour
15. Même accusation en 32, 9; 34, 3; 77-78, 34-35. 16. À la même époque, Plutarque soutient dans Maxime mm principib11s... (Plan. 28) la thèse que le philosophe est investi d'une mission politique à laquelle il ne doit pas se dérober et Platon avait consacré d'amples développements de la République (473 d-502 c) à démontrer que le philosophe était seul apte à gouverner les hommes. 17. Sans doute la fonction de premier archonte, magistrature attestée à Prose et dans d'autres cités de Bithynie (F. K. Domer, RE, s. v. Prusa ad Olympum, col. 1081). 18. En la refusant comme si c'était une corvée indigne de soi. 19. Ici une lacune, sans doute peu importante, décelée par Wilamowitz.
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vous 20 que je ne pro]onge pas mon séjour ici. Aussi je vous demande de ne pas procéder à un vote. Je sais en effet qu'i1 n'y aurait pas eu besoin de voter à buUetins secrets 21, mais que, de même qu'auparavant vous avez tous voté à découvert ]orsque vous avez supposé que j'acceptais, vous auriez fait ]a même chose aujourd'hui. Mais la situation n'est p]us la même et comme je sais qu'il n'eût pas été besoin de me supplier pour que j'exerce l'archontat, je ne rougis pas de vous supplier de m'en dispenser.
20. Parce que, pense von Arnim (Lebe,i und Werke ..., p. 385), Dion se rend auprès de l'empereur dont il pourrait obtenir quelque faveur pour Pruse; cette vague promesse qu'il fait à ses concitoyens montre qu'il peut négocier avec l'empereur pour le compte de sa patrie sans avoir reçu aucun mandat officiel ; c'est sans doute dans ces conditions qu'il obtint, tout au début du règne, l'augmentation du nombre de conseillers et l'érection de Pruse en chef•lieu de conventus. 21. Sens peu sûr : les manuscrits portent 'En1C1T(ljl«t yàp 6t1 OÜlt av tBc{ieTiv (t&t\&nArnim) «naotl.t)(; , âUà ~antp nplmpov tv Tij> +avcpç désigne un comptage des voix, procédure qui n'aurait pas été nécessaire, puisque Dion aurait ~té élu à l'unanimité ; C. P. Jones (The Ro1TU1n World..., p. 98) pense que le mot désigne soit un contrôle des candidats, soit un mode de scrutin ; nous avons opté pour ce dernier sens, étant donné que la procédure évoquée par Dion est opposée au vote découvert. H. Lamar Crosby traduit: "'For I feel sure that I should not have had to submit to investigation, but that, as previously you elected me unanimously by acclamation when you suspected I was willing to take office, you would have done the same nowtoo".
Discours 50
Notice
Le Discours50, qui est, comme les Discours43 et 45, une apologie (cf. § 9), a été prononcé devant le conseil de Prose que le fils de Dion, alors premier archonte (cf. § 10), devait à ce titre présider.
Propagées par des adversaires malveillants des rumeurs se répandent, que Dion entend juguler sans plus attendre : "Je n'aurais jamais parlé ainsi, dit-il au § 9, si je n'avais terriblement souffert - comme une fois déjà - d'entendre dire que je trahis votre cause". Un peu plus loin (§ 10), il rapporte les ragots que l'on colportait pour donner du corps à cette accusation: il empêche le conseil de se réunir et gouverne la cité par le truchement de son fils à qui il souffle tout ce qu'il doit faire. Sur ce dernier chef il réplique qu'il s'est abstenu quelque temps d'assister aux séances du conseil pour ne pas influencer son fils et au reproche global de trahir cette haute assemblée, il répond en en faisant un vibrant et emphatique éloge qui constitue l'essentiel de son intervention. De l'aveu même de Dion, ce n'est pas la première fois qu'il essuie des attaques de ce genre. À quels événements le "comme une fois déjà" du § 9 peut-il renvoyer ? On est bien tenté de songer à une crise qu'il évoque plus haut (§§ 3-4), au cours de laquelle il se serait désolidarisé de ses pairs pour prendre la défense du peuple : "Si, dit-il, j'ai plaint le peuple lorsqu'il était à plaindre et tenté de le soulager autant qu'il était en mon pouvoir, cela ne signifie pas que je me sentais plus proche de lui. Prenez notre corps : c'est toujours également à la partie malade que nous accordons nos soins et nous nous occupons davantage de nos pieds que de nos yeux quand les pieds nous font mal et ont quelque chose, alors que nos yeux sont sains. Si fai dit que le peuple était à plaindre, que personne ne croie que je veux dire qu'on le traitait de façon injuste et illégale, puisque ceux que les médecins traitent avec le scalpel et le cautère et qui subissent cela pour leur salut, nous les plaignons également et que leurs mères et leurs pères pleurent sur eux, tout en sachant que c'est pour leur bien". Les comparaisons médicales dont le texte est fard suggèrent que Dion s'est rangé aux côtés du peuple lors d'une répression dont il aurait réprouvé la sévérité. Cette répression, inspirée par les notables du
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Discours 50
conseil, ne peut se confondre avec celle dont Varénus fut l'auteur et dont les ennemis de Dion dénonçaient la férocité (43, 11-12), mais elle pourrait, comme le pensent von Arnim et C. P. Jones 1, être liée à la crise mentionnée en 43, 7, qui amena Dion à prendre la défense de gens du peuple victimes de dénonciations calomnieuses. Le rapprochement est tentant et, s'il était fondé, le Discours50 pourrait être postérieur au proconsulat de Varénus. C'est l'opinion de C. P. Jones et de P. Desideri 2. Elle nous semble plus probable que œlJe de A. R. Sheppard qui place cette intervention de Dion en 103, après le proconsulat de Bassus 3, Mais il faut songer aussi que Dion eut sans doute plus d'une fois l'occasion de s'opposer au conseil et qu'il peut faire allusion à un conflit tout à fait différent. Même s'il arrive que MM. les conseillers se fassent copieusement huer à l'assemblée et ailleurs(§ 6 et 8), à l'époque de ce discours la situation à Pruse est relativement calme. La position de Dion est bien assise, puisque son fils a été porté à la tête de la cité 4. Ses adversaires forment peut-être une forte minorité au sein du conseil, mais rien dans les propos de Dion ne suggère qu'il fait face à une offensive de grand style, comme celles auxquelles répondent les Discours 43 et 47. On songe plutôt à une propagande insidieuse qui visait à lui aliéner le conseil en dénonçant dans ses façons d'agir une désinvolture révélatrice du mépris dans lequel il aurait tenu ce respectable corps. Dion, qui n'est peut-être pas pur de tout reproche, s'empresse de rassurer ses collègues: il a pour eux la plus grande estime, ils sont le fleuron de la cité; chemin faisant, il les crédite à trois reprises de vertus aussi rares en politique que l'indépendance, la dignité et le courage (§§ 4, 6, 8). Cet éloge hyperbolique avait de quoi surprendre ses auditeurs. li a d'ailleurs Jui-même conscience de ce qu'il avait d'inattendu et, prévenant les interruptions, il s'écrie (§ 6) : "Que s'est-il passé, me dira-t-on, que t'ont fait ces gens pour que tu insistes à ce point?". Cette question, nous nous la posons également, curieux de l'entendre préciser quel est le geste noble et généreux qui le pousse à couvrir de fleurs des gens dont il nous a laissé soupçonner ailleurs qu'ils pouvaient se comporter en franches 1. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 371-373 ; C. P. Jones, The Roman World ..., p. 101 et 139. 2. C. P. Jones, The Roman World ..., p. 139 ; P. Desideri, Dione di Pnisa, p. 268 et 393. 3. "Dio Chrysostom ...", p. 168-169et 173. 4. A. R. Sheppard ("Dio Chrysostom ...", p. 168-169) tire argument de ce fait pour placer le discours avant le proconsulat de Varénus.
Dion de Pruse
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canailles. Nous serons déçus : pour justifier ses effusions, Dion ne trouve rien d'autre à dire (§§ 4, 6, 8) que, chaque fois que le conseil a été mis à l'épreuve, il a manifesté ses excellentes qualités. Bref, il ne s'est rien passé. · Dion est à la veille d'un départ, départ plusieurs fois différé mais, pour le ooup, irrévocablement résolu(§ 7). Ce ne peut être celui qui a mis fin à son premier séjour à Pruse: dans le Discours40, où il rappelle longuement les tracas qu'il a connus durant cette période, Dion ne mentionne ni répression, ni conflit avec les notables. Faut~il alors songer aux départs qui sont annoncés en 43, 8, 45, 1 et 49, 15 ? Pour von Arnim, suivi par P. Desideri et A. R. Sheppard, il s'agit du même qu'en 49, 15 s. Von Arnim estime que les remises auxquelles Dion fait allusion, s'expliquent parce qu'il devait rencontrer l'empereur, dont le retour à Rome était oontinuellement retardé ; le Discours 50 et le Discours 49, de peu postérieur, auraient été prononcés à la fin de son séjour à Pruse. C. P. Jones 6 croit que D. 49 est antérieur à D. 50 et considère que les annonces de départ qu'ils contiennent n'ont pas été suivies d'effet et ne sont peut-être que du bluff.
5. H. von Arnim, uben und Werke..., p. 383-385 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 268-269; A. R.Sheppard, "DioChrysostom...", p. 173. 6. The Roman World..., p. 139.
Discours50
Sur sa conduite politique 1, au conseil 1 }'avais déjà pour vous, Messieurs, l'affection qu'il est normal qu'un homme honnête et non dépourvu de sens éprouve pour le rorps le plus inteJJigent et Je plus solide de sa patrie. Avoir plus de considération pour d'autres que pour vous, c'est comme si, tout en se prétendant patriote, quelqu'un se plaisait au milieu des maisons particulières et des échoppes de sa ville et regardait d'un oeil plus indifférent l'agora, le prytanée, le bouleutérion et les autres lieux sacrés; ou bien, par Zeus, c'est comme si un Lacédémonien avait aimé la populace et méprisé les rois, les éphores et les gérontes, qui surpassaient tout le monde en sagesse et assuraient le salut de la cité. 2 Même à Athènes, où régnait la démocratie la plus radicale et où la foule et les gens du peuple avaient la part la plus belle, il n'y eut jamais un démagogue assez éhonté, pas même le fameux Hyperbolos, ou Cléon, pour penser que l'Aréopage ou le Conseil des Six Cents 2 méritent moins de considération que le peuple. Et si je mentionne continuellement Athènes et Lacédémone, que les critiques acerbes me pardonnent de vous juger dignes de tels exemples et de penser qu'il ne me convient pas, puisque je crois parler à des Grecs 3, d'évoquer d'autres peuples que ceux qui furent la fleur de la Grèce. 3 La preuve de mes bons sentiments et de ma confiance à votre égard, qu'elle vous soit fournie par le fait que, bien que je ne puisse
1. Le titre grec Ri:pl tl;iv lpy6lv tv .~ ~ovlîj est ambigu : P. Desideri (Dione di Prusa, p. 268) comprend que lpy6lv d~signe les constructions de Dion et traduit : S11ilavoriin consiglio; il pense que œ discours, où Dion ne mentionne pas ses grands projets monumentaux, est incomplet ou bien qu'il provient d'un recueil où l'on avait rassemblé les discours que Dion avait prononcés en qualité de commissaire aux travaux; étant donné le contenu du texte qui nous est parvenu, nous avons donné à lpyt.>vle sens d"'actes", qu'il a souvent chez Dion. 2. À l'époque d'Hyperbolos et de Cléon, c'est-à-dire au Ve siècle, le conseil d'Athènes comptait cinq cents membres ; le nombre de conseillers fut porté à six cents en 307-306 et ramené à cinq cents par Hadrien. 3. CT.43,3; 44, 10; 48,8.
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compter sur l'appui d'une coterie 4 et que je n'aie pas d'amis intimes parmi vous, je me présente p1ein de confiance devant vous et sans m'estimer défavorisé pour autant, évidemment parce que je me fie à l'amitié que j'ai pour vous collectivement et aux bons sentiments que j'éprouve pour vous tous et parce que je ne passe pas pour un personnage influent ou redoutable s et que je ne cherche pas à me faire courtiser par ce moyen. Si j'ai plaint le peuple lorsqu'il était à plaindre et tenté de le soulager autant qu'il était en mon pouvoir, cela ne signifie pas que je me sentais plus proche de 1ui. Prenez notre corps: c'est toujours également à la partie malade que nous accordons nos soins et nous nous occupons davantage de nos pieds que de nos yeux quand les pieds nous font mal et ont quelque chose, alors que nos yeux sont sains 6, 4 Si j'ai dit que le peuple était à plaindre, que personne ne croie que je veux dire qu'on le traitait de façon injuste et illégale, puisque ceux que les médecins traitent avec le scalpel et le cautère et qui subissent cela pour leur salut, nous les plaignons également et que leurs mères et leurs pères pleurent sur eux, tout en sachant que c'est pour leur bien 7. Comme je le disais plus haut quand je déclarais que je vous aimais déjà avant d'avoir éprouvé suffisamment vos sentiments, eh bien, maintenant, je vous jure par tous les Dieux que pour ma part je juge que le Conseil est digne d'être honoré et aimé, mais que de plus 4. Il a refusé de profiter des élections au conseil pour s'y constituer un groupe de partisans dévoués (45, 7~10). 5. Malgré tout il ne répugne pas à faire quelquefois parade des excellentes relations qu'il entretient avec l'empereur et avec les plus puissants des Romains : cf. 45, 3 et 47, 22. 6. Cf. C. P. Jones, Tlie Roman World..., p. 96 : "When speaking before the councillors, Dio compares them to the most solernn buildings and sanctuaries of the city, white others are like the houses or the shops ; the council is the eyes of the city, the people its feet". 7. Limpides pour les auditeurs de Dion, ces allusions sont parfaitement obscures pour nous ; on peut comprendre que, pour des raisons qui nous échappent, le conseil prit des mesures salutaires pour la cité, mais pénibles pour les petites gens et que Dion aurait tâché d'en atténuer la rigueur; on ne peut cependant exclure l'hypothèse que, pour amadouer ses auditeurs, Dion édulcore considérablement la vérité et qualifie de salutaire une politique oppressive du genre de celle qu'il dénonce dans le Discours 43 ; H. von Arnim (Lebe111111d Werke ..., p. 371-373) et C. P. Jones (The Roman World..., p. 101) pensent d'ailleurs que Dion fait allusion à la crise mentionnée en 43, 7 et 48, 8, crise qui aurait abouti à la prorogation de l'assemblée.
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j'admire votre force, votre sincérité et votre indépendance. 5 Je me suis comporté de façon à paraître avoir payé ma dette au peuple autant que je le pouvais en ma qualité de citoyen et à rester votre débiteur sans jamais pouvoir vous surpasser en bonté 8. Et ce mot d'un orateur de jadis 9, mot qui peut paraître excéder les bornes de la flagornerie, "J'aimerais tout voir avec les yeux du peuple", je pourrais à bon droit le reprendre en m'adressant à vous. Et si mon fils ici présent 10 est intelligent et sage, je pense qu'il vous consacrera toute sa vie et qu'il n'aura pas pour vous moins d'égards que moi. 6 Que s'est-il passé, me dira-t-on, que t'ont fait ces gens pour que lu insistes à ce point 11 ? Peut-être est-ce une inspiration qui m'est venue toute seule, un élan de l'âme qui m'a porté vers vous. En tout cas sachez bien que je ne puis aimer ou honorer en paroles ni une assemblée, ni un conseil, ni un individu, qu'il soit satrape, dynaste ou tyran, sans les avoir d'abord loués en mon for intérieur et sans avoir jugé favorablement leur personnalité morale. Or vous, chaque fois pratiquement que j'ai mis vos sentiments à l'épreuve, je constate que vous n'avez jamais fait montre d'injustice, de docilité, de bassesse, de versatilité, de balourdise, de timidité devant les huées 12 ou les difficultés. 7 Aussi pourrais-je dire avec assurance que vous avez certes à votre tête des hommes de mérite, mais aucun qui vous vaille et qu'il en fut ainsi dans le passé, même avec mon père, mon grand-père 13 et ceux des autres, tous gens de bien et dignes d'estime. Et que personne n'ai11epenser que je dis cela pour parvenir à présider le Conseil. Car moi, pour beaucoup de raisons, je m'en vais partir - et croyez qu'au moins aujourd'hui je dis la vérité 14 - et je ne 8. Flatterie habituelle chez Dion: cf. 44, 4 et 51, 3-5 et 9. 9. Nous n'avons pu l'identifier. 10. En qualité de président du conseil de Pruse, pense von Arnim, Lebe11 und Werke...,
p. 387.
11. Cette question montre qu'entre Dion et le conseil les relations ont été un moment assez tendues. 12. À l'assemblée, où les propositions du conseil étaient parfois mal reçues : cf. infra § 8. 13. Ces hommes de mérite qui sont à la tête du conseil, sont les archontes, qui forment le bureau directeur de cette assemblée (I. Lévy, "Études sur la vie municipale de l'Asie Mineure sous les Antonins", REG, XII, 1899, p. 270, n. 5). Pour von Arnim (Lebe111md Werke ..., p. 123), le grand-père évoqué par Dion est le grand-père maternel, dont il est encore question en 41, 6, 44, 5 et 46, 3. 14. On doit comprendre que Dion a largement utilisé la tactique de la fausse sortie.
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pars peut-être pas pour m'enrichir ou mener la belle vie 15. Simplement je n'ai pas pu garder mes pensées pour moi. 8 Il n'y a pas à craindre que j'aie jamais l'air de vous flatter, moi qui n'ai pas flatté le tyran que j'avais pour ennemi, qui n'ai pas proféré une parole dénuée de noblesse ni indigne d'un homme libre, alors que beaucoup se satisfaisaient de vivre en disant et en faisant n'importe quoi 16. Mais ce qui se passe chez vous me semble grand et divin. Ce que vous êtes dans le privé, je ne le sais pas exactement, quoique je vous croie meilleurs que les gens du commun ; mais dans la vie publique, lorsque vous êtes réunis ici ou encore à l'Ecdésia, je sais que vous n'avez jamais rien dit ou pensé qui soit bas ou indigne d'hommes libres, qu'aucune sollicitation n'a prise sur vous, aucune promesse, aucune menace, en admettant même qu'on essaie de vous intimider par des menaces. Pourquoi ne dirais-je pas ce que je pense, comme si le philosophe devait se borner à dénoncer ce qui cloche et dissimuler ce qui va mieux, ou comme si la vérité était utile seulement quand on évoque ce qui est mal et non ce qui est bien, parce qu'alors elle est flatteuse ? 9 Alors toi, dira-t-on, tu t'es levé pour faire l'éloge du Conseil? Qu'y a-t-il de mal, si cet éloge est véridique ? Si vous vous montrez différents de ce que j'ai dit, cette louange n'est pas un éloge de vos mérites, mais elle condamne celui qui l'a prononcée. Cependant je n'aurais jamais parlé ainsi, si je n'avais terriblement souffert - comme une fois déjà 17 - d'entendre dire que je trahis votre cause. Voilà pourquoi je me suis justifié. Je n'ai pas dédaigné de me justifier - pourquoi pas? - et je n'ai pas jugé que je m'abaissais pour autant. Car, à ce qu'on dit, c'est s'abaisser que de prononcer sa défense devant 15. Allusion à ses tournées de conférences-, que certains voient d'un mauvais oeil : cf. 43, 12. 16. Pour von Arnim (Leben und Werke..., p. 237), Dion insinue qu'il aurait pu, par une adroite flatterie, apaiser Domitien. L'opposition ouverte et tapageuse qu'il se fait gloire d'avoir pratiquée au péril même de sa vie (cf. 3, 13 et 45, 1) était désapprouvée par le prudent Tacite : cf. Agricola, 3, 2 ("juvenes ad senectutem, senes prope ad ipsos exactae aetatis terminos per silentium venimus") et 42, 5-6 ("... non contumacia neque inani jactatione libertatis famam fatumque provocabat. Sciant quibus moris est inlicita mirari, posse etiam sub malis principibus magnos viros esse"). 17. Dion est donc entré plusieurs fois en conflit avec les notables et, comme la suite le fait comprendre, il a dû, une fois déjà, chanter la palinodie.
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un juge endormi et, par Zeus, devant un tyran pervers et méchant, mais devant des concitoyens, des parents et des amis que l'on considère comme des gens raisonnables, ce n'est pas de la bassesse, mais seulement un acte de bon sens et de justice. J'ai donc bien fait alors et maintenant que je vous connais mieux, j'ai encore mieux fait. 10 J'ai appris en effet que certains ont cru - et le bruit en a couru - que je m'étais opposé à ce qu'on réunit le Conseil 18 et j'ai aussi entendu dire que l'on pense que dans le gouvernement de la cité, tout absolument se fait suivant mes avis. Or moi, je ne nie certes pas que mon fils répugnerait à rien faire contre mon gré dans les affaires de sa compétence, ni autrement qu'en essayant de deviner aussi ma pensée, mais je vous jure que je ne lui ai jamais rien ordonné, je veux dire en matière d'affaires publiques, mais, venant d'un père, un conseil ou l'indication de ce qui semble être le meilleur parti a la valeur d'un ordre 19. Cette suspicion a fait que je me suis abstenu un certain temps de paraître au Conseil. Avoir en effet jugé mon fils digne d'assumer des responsabilités politiques, parce que j'estimais qu'il était actuellement capable de délibérer sur nos affaires et d'administrer la cité, mais le réduire entre temps au rôle de simple particulier et le déposséder de ses prérogatives légales ne serait ni convenable ni juste de la part d'un homme de mon âge 20.
18. Le fils de Dion est premier archonte et possède le droit exclusif de réunir le conseil. 19. Explication embarrassée qui a de quoi faire sourire : si le fils de Dion consulte son père et ne fait rien qui puisse lui déplaire, c'est comme si Dion gouvernait à sa place. Ce passage en dit long sur les exigences de la morale antique en matière de respect filial. 20. Texte altéré, dont le sens n'est pas sûr.
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Notice
Ce discours, intitulé À Diodore,bien que ce nom n'apparaisse nulle part dans le texte, a été qualifié de mystérieux et de bizarre 1, Il l'est effectivement et à plus d'un titre. Dion l'a tenu, pense-t-on, à l'assemblée 2, après avoir entendu louer un personnage qui, après avoir dirigé l'éducation des éphèbes - sans doute en qualité de gymnasiarque 3 - vient d'être investi, à titre viager (§ 6), d'une magistrature qui fait de lui le contrôleur de la moralité publique et lui donne '1'autorité suprême (r,u:yia-rT)v ~v) en matière de sagesse, de discipline et de bonnes moeurs" (§ 6). Von Arnim• a songé à une espèce de préfecture des moeurs; 1. Lévy, approuvé par C. P. Jones s, pense qu'il s'agit du premier archontat qui, dans Ies inscriptions bithyniennes, est couramment appelé µqlcm, ~Xll . Dion parle certes du nouvel élu comme si sa fonction comportait des responsabilités politiques, puisqu'il déclare (§ 5) à ses compatriotes qu'il est digne de les commander et qu'iJ le compare plus loin à Périclès (§ 7). Mais il faut alors supposer que le premier archontat pouvait être conféré à titre viager, ce qui n'est attesté
1. C. Vielmetti, "I Discorsi Bitinici ..", p. 108; C. P. Jones, The Roman World ..., p. 98 ; P. Desideri, Dione di PruSll, p. 278-279 ; Photios luimême qui écrit (cod. 209, 167 a 35-38, trad. R. Henry, CUF) : "le discours suivant intitulé À Diodore, entreprend une exhortation à la vertu et prétend louer la cité en couvrant d'éloges Diodore qui l'avait louée", semble avoir compris le discours de travers. 2. H. Lamar Crosby, Dio Chrysostom IV, p. 326, n. 2 ; C. P. Jones, The Roman World..., p. 99. 3. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 386 ; C. P. Jones, The Roman World ..., p. 98. 4. Leben und Werke ..., p. 386. 5. I. Lévy, "Êtudes sur la vie municipale de l'Asie Mineure sous les Antonins", REG, XII (1899), p. 274, n. 4 ; C. P. Jones, The Roman World ...,p.98.
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nul1e part en Bithynie 6. II est alors permis de se demander si Dion n'a pas qualifié la fonction de "suprême", parce qu'il voulait en souligner l'importance et signifier qu'elle comportait une autorité absolue dans le domaine à ses yeux capital de l'éducation et de la culture. On en revient alors à l'hypothèse de von Arnim et on songe à une charge qui destinait son détenteur à devenir ce que Socrate - à qui il est d'ailleurs comparé (§§ 7-8) - voulait être à Athènes, à savoir le pédagogue de toute la cité. Le nouvel élu est-il le Diodore auquel, si l'on en croit le titre, le discours est adressé ? Si tel est le cas, on s'expliquerait bien J'apostrophe du § 6, où Dion, voulant souligner l'honneur qu'on lui fait et l'importance de la tâche qui l'attend, s'écrie : "... observe que chez les anciens personne ... n'a obtenu de ses concitoyens un honneur aussi grand". Moins satisfaisante nous semble l'hypothèse de H. Lamar Crosby et de P. Desideri 7, qui pensent que Diodore est l'orateur qui a parlé juste avant Dion. Il ressort en effet du texte que plusieurs éloges, et non un seul, ont été prononcés 8 et que c'est à tous et non à l'un d'entre eux que Dion fait allusion au début de son intervention. L'opinion de von Arnim, suivant qui le nouveau magistrat serait le fils de Dion, ne nous semble fondée sur rien 9 ; celle de P. Desideri 10 qui songe à Dion lui-même est, en dépit de toutes les difficultés qu'elle soulève, moins audacieuse qu'il ne semble au premier abord. Ce que Dion dit du personnage peut en effet s'appliquer à lui-même : il a rendu de grands services à la cité (51, 4 = 45, 4) et a l'intention d'en rendre encore ; il parle avec franchise et n'hésite pas à critiquer ; Dion le compare à Socrate (§§ 7-8), à qui il aime se comparer lui-même (43, 8-11). Enfin ce ne 6. L'archontat ne figure pas parmi les magistratures viagères citées par 1. Lévy, ''Études sur la vie municipale ...", p. 263 ou par A. H. M. Jones, The Gre.ekCity, 1940, p. 175.
7. H. Lamar Crosby, Dio Chrysostom IV, p. 324; P. Desideri, Dio11edi Prusa, p. 27S-279,n. 4. 8. Cf.§ 3 : "Alors, dira-t-on, tu t'es levé pour critiquer ceux qui font des éloges ? ... Je me rends compte que vous avez fait si complètement l'éloge de cet homme ...". 9. H. von Arnim, Leben und Werke..., p. 386 ; voir C. P. Jones, The Roman Worfd..., p. 188, n. 32 ; cette hypothèse a été émise en premier lieu par Selden ; acceptée par Reiske, elle est combattue par J. Geel p. 399). (Dionis Chrysostomi 'OAUfU1uc6':, 10. Dione di Prusa, p. 278-279,n. 40 et p. 449, n. 51.
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serait pas la seule fois que Dion parlerait de lui-même à la troisième personne (cf. 48, 17). Une chose paraît s1lreen tout cas : si le nouveau magistrat n'est pas Dion, il lui ressemble comme un frère. Quel que soit ce personnage, Dion a été agacé par les compliments dont on l'a couvert et il profite de l'occasion pour faire la leçon aux orateurs politiques et leur enseigner par l'exemple que la meilleure façon de louer un magistrat est de louer la cité qui l'a élu. Cest donc à un éloge de Pruse qu'il consacrel'essentiel de son discours (§§ 3-9). La substance de ce panégyrique est que sa patrie surpasse les autres cités en hauteur de vues, en désintéressement, en générosité, toutes vertus que Dion lui accorde aussi libéralement dans le Discours 44 (§§ 2-5). Mais, fort bien venus dans cette dernière harangue, ces compliments dithyrambiques sont assez inattendus ici, vu qu'ils succèdent à un préambule où Dion se gausse de l'hypocrisie et de la servilité de ses concitoyens, qui se couvrent d'éloges à l'assemblée et au conseil, mais se déchirent à belles dents sur l'agora (§§ 1-2). Il est étrange d'entendre célébrer pour leur amour de la vérité, même désagréable, des gens à qui on vient de reprocher de débiter sans rougir les pires flagorneries. On s'est demandé si cet éloge de Pruse n'était pas ironique 11 ; il est pour le moins inconséquent Cette oeuvre est considérée comme postérieure à l'exil 12. Les ressemblances qu'elle offre avec le Discours44 nous semblent mettre la chose hors de doute.
11. C. P. Jones, The Ronum World..., p. 99. 12. C. P. Jones, The Roman World..., p. 137.
Discours 51 À Diodore 1 1 Je suis très surpris, Messieurs, que, sans approuver ni aimer quelqu'un, on puisse néanmoins se lever pour te louer en paroles et parfois débiter un éloge long et composé avec un soin excessif. Car agir ainsi, c'est s'avouer coupable des faiblesses les plus honteuses, envie, mesquinerie et la pire de toutes, la servilité. Déjà chez les anciens on n'avait pas tort de dire : Tu as parlé comme un esclave 2. Voyons : n'est-ce pas en effet se conduire en esclave que d'agir autrement qu'on ne penseà la face d'une aussi nombreuse assemblée 3 - et cela, pas au pied levé, mais après préparation et mûre réflexion - et de couvrir de flatteries et de paroles admiratives une personne qu'on n'aime pas ? Et encore je mesure mes paroles. 2 Chez vous, tout le monde fait l'éloge de tout le monde : vous le savez, bien sO.r.Aussi je partage votre joie et j'estime que vous êtes bienheureux, si nous sommes tous épris les uns des autres à œ point-là. Mais je voudrais que les multiples éloges qu'on peut entendre dans les réunions du Conseil et de l'Assemblée, on les entendît aussi sur l'agora 4 et partout où on se rassemble. En réalité le langage varie avec les lieux et, comme on fait dans les exercices d'école, nous argumentons dans les deux sens. Eh bien, si un étranger assiste à une séance de l'Ecclésia, il pensera que notre cité est composée de héros et de sages 5 ; mais s'il pénètre sur l'agora, de quoi il pensera qu'el1e est faite, je n'ai pas besoin de le dire: vous le savez en effet vous-mêmes. 3 Alors, dira-t-on, tu t'es levé pour critiquer ceux qui font des éloges ? 1. Ce nom est attesté à Pruse : J. et L. Robert (Bull. épigr., 1981, 677) signalent l'épitaphe d'un Lucius Aelius Flavius Diodoros de Pruse, mort à vingt-deux ans et trois mois. 2. Euripide, Phéniciennes, 392. 3. Une assemblée "si nombreuse" ne peut être que l'assemblée de Pruse, remarque H. Lamar Crosby, Dio Chrysostom IV, p. 326, n. 2. 4. On y médisait sans retenue du tiers et du quart : cf. Démosthène, Ambassade, 122, Midienne, 104. S. On peut douter qu'un étranger assistant aux séances de l'assemblée au cours desquelles Dion prononça les Discours 46 et 47 aurait eu cette impression.
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Non, par Zeus, mais pour que, si c'est possible, nous aimions les hommes et la vertu pas seulement ici, mais également en tout lieu et en tout temps. Je me rends compte que vous avez fait si complètement l'éloge de cet homme qu'il est impossible de faire plus. Mais votre éloge à vous mérite aussi d'être fait, car il me semble que vous surpassez de beaucoup tous les peuples. Et cela, je ne l'aurais pas dit, si je ne le pensais également. En effet partout ailleurs, on n'a d'yeux que pour l'utilité et pour ceux qui donnent ou peuvent donner : c'est ceux-là qu'on loue. Vous, au contraire, vous attachez un grand prix au dévouement et à la bonne volonté 6. 4 Je ne veux pas dire que cet homme-là n'a pas accompli beaucoup de grandes choses - il en a accompli en effet - mais qu'il vous a suffi qu'il en ait eu aussi simplement la volonté. De plus, ailleurs, on admire les gestes les plus dérisoires, je veux dire tous ceux qui comportent une dépense, mais vous, vous estimez les choses les plus importantes à leur juste valeur et plus important à tous égards que le fait de dépenser est le fait de veiller sur les intérêts de la cité et de montrer qu'on veut votre bien. En outre, la plupart des gens détestent ceux qui leur font la leçon, même s'ils se bornent à des paroles, mais ceux qui prennent plaisir à flatter, c'est merveille comme on les approuve : chez vous, au contraire, celui qui use de la plus grande franchise, qui vilipende et qui corrige ceux qui commettent des fautes, celui-là est aimé plus que tous. 5 Le moyen de ne pas aimer une cité où l'on pratique une politique telle que les honneurs surpassent les générosités qu'ils récompensent, que celui qui morigène avec bienveillance est plus aimé que celui qui discourt pour flatter et que la plupart des gens ont plus envie d'être corrigés et redressés que d'être courtisés et choyés 7? Le moyen de ne pas être émerveillés par votre comportement et de ne pas reconnaître le bonheur de celui que, nombreux comme vous êtes, vous avez jugédigne de vous gouverner? 6 Je constate, moi, que c'est une grande joute qui s'engage entre lui et vous. Celui en effet à qui toute une cité et tout un peuple 6. Même éloge en 44, 4. 7. Si l'on en croit Dion, Pruse offrirait un exem pie parfait de démocratie, puisqu'il déclare aux Alexandrins (32, 27) que, dans la démocratie divine et vraiment royale, le peuple "est disposé à goûter la franchise et refuse de se laisser constamment choyer" ; peut~tre a-t-il en tête les reproches que Démosthène adressait aux Athéniens, qu'il accusait de "se laisser courtiser et choyer" par les démagogues (8, 34).
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confient de bon gré leur éducation, celui qu'on a choisi pour veiller sur la vertu de la collectivité et qu'on a investi de l'autorité suprême en matière de sagesse, de discipline et de bonnes moeurs, comment l'épreuve qu'il affronte ne serait-elle pas une grande épreuve, s'il ne veut pas se montrer inférieur à l'opinion que vous avez de lui ? Pour bien te pénétrer de cette idée, observe que chez les anciens personne, même parmi ceux que l'on ne cesse d'admirer, n'a obtenu de ses concitoyens un honneur aussi grand. 7 Le fameux Périclès qui vécut, dit-on, à l'époque où Athènes était au faîte de sa puissance, obtenait certes la stratégie; cependant il ne parut pas digne de l'exercer toute sa vie 8 ... il ne s'agissait plus d'administrer une caisse ni de s'occuper de constructions, mais de rendre les citoyens vertueux et Socrate 9 voulait morigéner ceux qui commettent des fautes et, dans la mesure de ses moyens, les rendre meilleurs : cependant, faute d'une bonne éducation, les gens d'alors ne le supportèrent pas. 8 Mais vous qui confiez vos personnes et demandez qu'on vous éduque, comme vous valez mieux que ces gens qui s'indignaient que quelqu'un conçût spontanément le désir de les éduquer et qui, non seulement n'honoraient point, mais tuèrent celui qui prenait soin d'eux ! [comme les Athéniens l'ont fait à Socrate 10) Quel plus bel éloge pourrait-on donc faire de cet homme ici présent et de vous-mêmes, vous qui, ayant constaté qu'il a rendu meilleurs les éphèbes et les jeunes gens, pensez aussitôt qu'il peut vous rendre meilleurs vous aussi. Et, par Zeus, il est impossible que l'éducation et la vertu soient indispensables aux éphèbes et pas aux gens avancés en âge et à la cité tout entière. C'est comme si un médecin pensait que ses soins sont indispensables aux enfants et aux adolescents, mais pas aux adultes. 9 Et comment ne pas admirer la générosité de cette cité en matière d'honneurs ? Quelles nobles
8. Plutarque déclare (Périclês, 16, 3) que Périclès tint le premier rang à Athènes pendant quarante ans et qu'il fut stratège quinze ans de suite ; l'année qui précéda sa mort, il fut relevé de son commandement, mais réélu peu après (ibid., 35, 4 et 37, 2). 9. Socrate, dont un accident a fait disparaître le nom au début de cette phrase. 10. Nous considérons, comme von Arnim, que cette fin de phrase est une glose, dont l'insertion dans le texte a sans doute été favorisée par la disparition, un peu plus haut, de quelques mots où le nom de Socrate devait figurer.
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distinctions - portraits 11, statues, ambassades auprès des cités ou de l'Empereur 12 - avez-vous rechigné à accorder ? Ne décernez-vous pas des honneurs collectivement ? Chacun n'adresse-t-il pas ses fé1icitations individue11emcnt? Comment ne pas ressentir de 1a joie à vous voir être comme cela ? Comment ne s'efforcerait-on pas de vous faire tout le bien possible ? Eh bien, je pense que moi aussi j'ai, dans la mesure de mes moyens, fait l'éloge de cet homme. En effet la 1ouange adressée à ceux qui approuvent quelqu'un et l'honorent, est évidemment le plus bel éloge qu'on puisse lui adresser à lui-même.
11. Sur les portraits - peints sur bois ou sur métal - et sur les différents types de statues, voir J. et L. Robert, Bull. épigr., 1976, 344 et 581, p.529-530. 12. Nous avons retenu la correction de Reiske, reprise par von Arnim, np;a~E&lvn,; (MSS. npEa~Euov'ta