Comptabilités: Revue d'histoire des comptabilités [8]


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Informations bibliographiques
Sommaire
Éditorial
Introduction
Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie
1. La documentation disponible
1.1. Uruk
1.2. La chronologie de la période d’Uruk
1.3. La culture d’Uruk hors d’Uruk
2. Les écuelles grossières, restes tangibles d’un système de ration ?
3. La pratique du scellement : première pratique administrative de contrôle des biens ?29
4. L’écriture
Conclusion
Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur le Moyen Euphrate (XVIIIe siècle av. J.-C.)
1. Mesurer le grain
2. Écrire un compte
3. Tenir et rendre des comptes
Conclusion
La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien
1. Archives de Mari
2. La population du palais
3. Les scribes des tablettes administratives de Mari
4. Les cuisines du palais
4.1. Le service des cuisines
4.2. Les textes désignés comme « repas du roi »
4.3. Les scribes de ces textes
Conclusion
De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dans les ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Égypte)
1. L’ostracon ‘Ayn Manâwir n° 5469 et la question des équivalences établies entre des produits de natures différentes.
2. L’équivalence 1 mesure d’orge = 1 mesure amidonnier, une convention
3. La chronologie de la présence de monnaie grecque à ‘Ayn Manâwir se précise.
Conclusion : les produits convertibles étaient-ils des « monnaies marchandises » ?
Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period*
Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research
1. Types of texts
2. Question of find spots
3. Formal properties
4. Terminology
5. Question of bullae
Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BCE): epigraphic sources and their interpretations
1. Nature of the sources
2. LMLK jar-handle stamps
3. Samaria ostraca
4. Gibeon jar handles
5. Kenyon ostracon 3 from the Ophel excavations in Jerusalem
6. “Fiscal” bullae
7. Arad Hebrew ostraca
8. Other documents
9. Concluding remarks
De la légitimité des normes comptables.Transcription de la table ronde du 16 octobre 2015 à Paris-Bercy, Ministère des Finances et des comptes publics
Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradiccionesSánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748
Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016
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Comptabilités: Revue d'histoire des comptabilités [8]

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités

 

8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1873 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529   Référence électronique Comptabilités, 8 | 2016, « Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien » [En ligne], mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 18 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1873 Ce document a été généré automatiquement le 18 septembre 2020. Tous droits réservés

SOMMAIRE Éditorial

Véronique Chankowski

Dossier

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Introduction Grégory Chambon

Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Aline Tenu

Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur le Moyen Euphrate (XVIIIe siècle av. J.-C.)

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Grégory Chambon

La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Nele Ziegler

De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dans les ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Égypte) Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Damien Agut-Labordère

Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Manuel Molina

Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Boris Alexandrov

Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BCE): epigraphic sources and their interpretations Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Alexey Lyavdansky

Débat De la légitimité des normes comptables.Transcription de la table ronde du 16 octobre 2015 à Paris-Bercy, Ministère des Finances et des comptes publics Béatrice Touchelay et Rouba Chantiri

Compte rendu Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradiccionesSánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748 Anne Dubet

Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016 Albert Broder

Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Éditorial Véronique Chankowski

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/comptabilites/2052 ISSN: 1775-3554 Publisher IRHiS-UMR 8529 Electronic reference Véronique Chankowski, « Éditorial », Comptabilités [Online], 8 | 2016, Online since 12 June 2016, connection on 23 April 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2052

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Éditorial

Éditorial Véronique Chankowski

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Après le dossier du n° 6 de la revue, qui était consacré aux comptabilités antiques, celui de ce n° 8 exploite la documentation du Proche-Orient ancien en s’intéressant à l’archéologie de la comptabilité : de la question des liens entre les débuts de l’écriture et la construction des systèmes comptables, on en vient à l’exploration des supports matériels, analysés ici dans une perspective qui interroge la rationalité des pratiques mises en œuvre.

2

Ce dossier érudit pose une fois encore, à travers l’analyse des supports et de leurs textes comptables, la question fondamentale de l’organisation des documents, dans ce qui est bel et bien un système comptable qui rend compte d’une organisation institutionnelle et juridique. Cette question, nécessairement pluridisciplinaire, est aujourd’hui au centre de plusieurs travaux : de ce point de vue, les sources anciennes entrent pleinement en dialogue avec celles des autres périodes dans l’élaboration de questionnements féconds.

3

Souhaitons donc que cette approche transversale et ce principe de longue durée que la revue Comptabilité(s) a placés au centre de sa politique éditoriale suscite de nouvelles propositions et contribue à élargir encore l’horizon.

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Bonne lecture !

AUTHOR VÉRONIQUE CHANKOWSKI Professeur d'Histoire égéenne et économie antique Directrice du laboratoire HiSoMA (UMR 5189) [email protected]

Comptabilités, 8 | 2016

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Introduction Grégory Chambon

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1875 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Grégory Chambon, « Introduction », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 25 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1875

Ce document a été généré automatiquement le 25 avril 2019. Tous droits réservés

Introduction

Introduction Grégory Chambon

1

Avant de s’intéresser à une archéologie de la comptabilité au Proche-Orient ancien, il convient de définir la signification exacte de cette entreprise, en même temps que ses enjeux et ses limites. Deux sens du terme même « archéologie » sont assumés dans ce numéro : celui de la discipline scientifique, si familière aux spécialistes de l’Antiquité, qui s’appuie sur une herméneutique pour analyser les vestiges matériels, et celui de la méthode inspirée de cette herméneutique qui vise à explorer le domaine des « choses dites », des archives, si cher à Michel Foucault1.

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Il ne s’agit donc pas d’entamer une quête des origines2, qui présupposerait une histoire linéaire de la comptabilité à travers les âges, et qui s’avouerait à la fois artificielle et vaine 3. L’enjeu est non seulement de déceler et de décrire des pratiques comptables dans différents types de sources (épigraphiques, archéologiques, iconographiques…), mais aussi de saisir leurs conditions d’apparition, leurs caractéristiques et leurs finalités dans des contextes socio-économiques et culturels déterminés, en essayant autant que se peut d’appréhender les modes de pensées des Anciens.

3

Ce numéro se propose plus particulièrement d’explorer et d’interroger, à côté de l’analyse des textes comptables eux-mêmes, la part indissociable de culture matérielle4 dans laquelle se développent, se concrétisent et s’expriment les rationalités pratiques mises à l’œuvre dans les sociétés proche-orientales de la proto-histoire et de la haute Antiquité. Il est bien connu que le sens d’un texte ne réside pas uniquement dans son contenu mais s’appréhende également dans son contexte – « avec le texte » – et faire dire aux textes ce pour quoi ils n'étaient absolument pas faits représente l’une des tâches difficiles de l’historien5.

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Ce travail présuppose donc une étude des textes anciens selon plusieurs points de vue, bien au-delà du déchiffrement et de la traduction. Le premier contact que l’on peut avoir avec un document comptable antique est d’ailleurs avant tout matériel ; il s’agit de tablettes ou de scellements en argile, de papyri ou de reliefs en pierre, et donc de supports d’écriture produits, d’après les travaux de Béatrice Fraenkel, par trois actes : « fabriquer un artefact […], produire un énoncé et poser un acte qui modifie le cours des choses, petites et grandes »6. Bien que ces actes interagissent, chacun a son importance.

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Introduction

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Le premier acte, la fabrication d’un artefact, dont l’étude est facilitée par la diplomatique des documents maintenant répandue dans les travaux sur le Proche-Orient ancien, pose la question de la matérialité des supports et, de façon concomitante, de la pertinence des sources dont nous disposons pour reconstruire les pratiques comptables anciennes.

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D’une part, en effet, seuls les documents inscrits sur des supports non périssables nous sont parvenus, et l’importance des actes comptables inscrits sur d’autres types de support, que nous savons avoir existé, reste encore souvent à évaluer. Boris Alexandrov questionne ainsi le rôle exact joué dans la comptabilité des Hittites par les tablettes en bois, recouvertes de cire ou sur lesquelles on pouvait probablement écrire avec de l’encre, à côté du nombre de tablettes en argile trouvées en Anatolie, beaucoup plus faible que ce que l’on serait en mesure d’attendre de l’administration. De même, Alexey Lyavdansky souligne que les ostraca retrouvés dans le sud du Levant restent actuellement pratiquement les seules sources permettant d’appréhender les pratiques comptables de cette région dans la première moitié du Ier millénaire av. J.-C. ; la grande majorité des textes de comptes de cette période, rédigés sur des papyri ou sur du cuir, n’a en effet pas résisté au temps.

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D’autre part, on est en droit de se demander en quoi les données souvent parcellaires et éparses auxquelles l’historien est confronté, en raison de cette pérennité ou non des supports et du hasard des fouilles, permettent d’obtenir une image d’ensemble fiable des pratiques comptables d’une société donnée. Les ostraca du Levant sont, par exemple, considérés par les spécialistes comme de simples brouillons, destinés à rédiger des récapitulatifs et des livres de comptes sur des matériaux périssables, aujourd’hui disparus. De plus, il nous faut admettre que les sources écrites ne sont pas nécessairement le reflet des pratiques comptables mais seulement un de leurs éléments constitutifs. Comme le montre par exemple Aline Tenu, le développement de la comptabilité à Uruk, à la fin du IVe millénaire, qui accompagne les débuts de l’urbanisation et la naissance de l’État, ne se caractérise pas uniquement par « l’invention » d’une écriture minimale et normative à des fins administratives, mais également par l’usage concomitant de petits jetons en argile, des calculi, et par l’emploi des sceaux cylindres. Ces derniers constituaient en particulier un système sophistiqué permettant un contrôle efficace des biens, même en l’absence d’écriture. La question se pose également de savoir si les administrateurs des sociétés les plus anciennes ont souhaité constituer de véritables archives de comptes, ou si ce sont les fouilles actuelles qui les considèrent comme telles. Par exemple, il n’existait pas en Mésopotamie et en Égypte de véritables « archives d’État » et à caractère public : nos propres catégories archivistiques ne s’appliquent donc pas automatiquement à la documentation cunéiforme ou démotique7. Manuel Molina souligne en particulier combien serait utile de connaître avec précision le contexte archéologique de milliers de textes comptables de l’empire sumérien d’Ur III, ainsi que les relations de forme et de contenu entre les différentes archives regroupant ces textes, afin d’en comprendre la véritable fonction et d’en établir une typologie plus fine.

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Nous savons cependant que les Anciens faisaient la plupart du temps le tri, et se débarrassaient des documents qui avaient une valeur temporaire, comme les mémorandums, les petits billets quotidiens de comptabilité, les actes de remises de dettes, et ce sont les textes littéraires ou religieux qui étaient conservés pour la postérité. Dès lors, pourquoi ont-ils parfois décidé de conserver des documents comptables, qui normalement auraient dû être détruits ? Le cas des archives concernant la gestion du grain dans le palais de Mari, au XVIIIe siècle avant J.-C., révèle ainsi que la plupart des

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Introduction

petits billets enregistrant des opérations ponctuelles étaient conservés plusieurs années, malgré leur reprise dans de grands récapitulatifs sur plusieurs mois. L’écrit servait-il donc vraiment à garder la trace d’une opération, susceptible d’être soumise par la suite à un contrôle, ou bien avait-il un effet de prestige ?8 9

Ces questions nous conduisent à nous intéresser au deuxième acte, celui de la production de l’énoncé, que nous devons chercher, afin d’en comprendre à la fois le sens et la portée, à mettre en relation avec d’autres pratiques que celles du domaine de l’écrit, comme par exemple la pesée de métaux, les mesures de denrées, la confection de produits consommables, ou la transaction commerciale. Cette production s’inscrit tout d’abord dans une temporalité courte qu’il nous faut comprendre : à quel moment exact, dans l’enchaînement des opérations administratives, était rédigé un document comptable ? Il semble que les scribes aient voulu la plupart du temps fixer par écrit les occasions où les quantités de denrées et les nombres d’items particuliers (outils, armes, bijoux etc.) étaient susceptibles de changer, du fait même de leur manipulation (opérations de pesées et de mesures, conditionnements pour le transport, le stockage, etc.). Les Anciens pouvaient ainsi opérer, comme le montrent l’exemple des textes comptables d’Ur III et celui des archives du Palais de Mari, une véritable traçabilité des produits à l’échelle d’une province administrative ou à celle d’une administration palatiale.

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Les formulaires nous apparaissent alors bien souvent stéréotypés, concis et laconiques. Les scribes ne cherchaient en fait pas à consigner par écrit les moindres détails des opérations mais s’en tenaient aux informations principales (quantités et types de produit, protagonistes, lieu, type d’opération, date), qui pouvaient leur servir de moyens mnémotechniques afin de rappeler les termes d’un accord ou la nature d’une transaction. On pourrait être tenté d’interpréter systématiquement les informations chiffrées des textes comme l’enregistrement objectif de données effectives, susceptibles de fournir un tableau économique fiable de la gestion et des flux de biens au Proche-Orient ancien. En réalité, on a affaire parfois à de véritables écritures comptables, intégrant des estimations ou des opérations à anticiper (taxes, remises de dettes…) ou procédant de conventions, servant à assurer la lecture et prévenir des éventuelles fraudes9. Damien Agut remarque ainsi que ce que l’on pourrait interpréter comme des équivalences pratiques entre produits (le miel, le vin, l’orge, l’amidonnier…) fondées sur leurs valeurs marchandes dans les textes juridiques démotiques trouvés à ‘Ayn Manâwir en Égypte, correspondent en réalité à des relations fictives définies par les comptables, afin de réaliser des parités notariales à partir de produits (l’argent et l’orge) investis de fonctions monétaires. De même, mon étude sur la comptabilité du grain à Mari révèle le caractère prévisionnel de plusieurs documents, prenant en considération des transactions réalisées mais intégrant également des estimations forfaitaires liées aux taxes sur les produits agricoles dues au Palais. Produire un énoncé dans un cadre comptable implique donc aussi la référence à une temporalité longue, par l’intégration de résultats antérieurs ou l’enregistrement de données programmatiques.

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Cet acte mobilise des compétences scribales respectant des normes graphiques et de « mise en page » particulières ainsi que les règles de notations des nombres et unités de mesures appropriées. Ce caractère normatif n’était pas forcément contraignant : les scribes prenaient parfois une certaine liberté dans leurs façons d’écrire et malgré le caractère stéréotypé de la terminologie comptable, une même nomenclature pouvait renvoyer à des réalités administratives différentes qui nous échappent parfois, la seule indication véritable sur sa signification exacte étant apportée par le contexte que nous

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Introduction

cherchons à reconstruire. Ceci est particulièrement vrai lorsque cette nomenclature a été empruntée à une culture de langue différente, comme on peut le voir dans la façon dont les Akkadiens ou les Hittites s’appropriaient des termes sumériens, ou bien les Égyptiens des unités pondérales grecques dans leur propre comptabilité. Les documents comptables ont souvent vocation à « marcher » ensemble, dans le sens où ils sont liés par leur contenu ou une partie de leur contenu, à travers un enchaînement d’opérations administratives : le quitus sert par exemple à rédiger des récapitulatifs mensuels qui euxmêmes seront intégrés dans des récapitulatifs sur de grandes périodes ; les billets de dépenses et de recettes permettent de réaliser l’équilibre des comptes, et ainsi d’établir des notices prévisionnelles10. 12

Ces divers constats montrent combien il est difficile mais essentiel de réaliser une typologie des documents comptables au plus proche des préoccupations réelles des Anciens, qui rend compte – sans jeu de mots – à la fois de la terminologie employée, du format du texte, du type de support et du contexte de l’opération. Souhaiter empêcher tout anachronisme ne signifie pas pour autant éviter toute discussion avec un comptable professionnel : il est en effet pertinent de se demander jusqu’où et de quelle façon des compétences modernes dans le domaine de la comptabilité peuvent être utiles au spécialiste de l’Antiquité11, non pas, rappelons-le, pour faire une « histoire de la comptabilité », mais pour aider à préciser un vocabulaire descriptif et produire des « histoires de pratiques comptables » dans leurs contextes socio-culturels.

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On doit également se poser la question de l’auteur du document : les comptables écrivaient-ils eux-mêmes les documents ou supervisaient-ils un groupe de scribes qui en avaient la charge ? Peut-on alors déceler une forme de hiérarchie comptable à travers l’étude des documents mêmes ? La question ne se pose en fait pas dans les mêmes termes en Égypte et en Mésopotamie : contrairement aux habitudes égyptiennes, il n’était pas de coutume pour les scribes de Mésopotamie – sauf exceptionnellement – de mentionner leurs noms dans les actes comptables qu’ils rédigeaient. On doit donc faire souvent appel à la paléographie, à l’orthographe dans les textes ou à des listes de personnes nommées avec leur fonction, pour identifier différents scribes. Suivant ce principe, Nele Ziegler réussit à distinguer trois mains de scribes dans la comptabilité des cuisines du Palais de Mari, et à révéler qu’il s’agit de femmes qui ont joué un rôle important dans l’administration : en réorganisant les textes chronologiquement, elle arrive à retrouver la durée de leurs fonctions respectives.

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Enfin, concernant le troisième acte, qui modifie le cours des choses, petites ou grandes, nous nous intéressons ici surtout au principe d’intention, explicitée ou non, dont est porteur le document comptable. Il s’agit bien entendu du plus difficile à reconstituer, puisqu’il touche les catégories et les modes de pensée des Anciens, et répond souvent à des problématiques historiquement déterminées ainsi qu’à des préoccupations évoluant au cours du temps.

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Pourquoi tenaient-ils des comptes ? Cette question en apparence naïve, très souvent occultée dans les travaux historiques par la question du « comment ? », ouvre plusieurs pistes de réflexions concernant le Proche-Orient ancien, que les contributions de ce numéro ont souhaité aborder : Quelles sont les motivations qui ont conduit à traduire par écrit les opérations matérielles effectuées (mesures, calculs, conversions, inventaires…) ? Un énoncé comptable peut-il être performatif12 ? Quelle est la part d’innovation dans les procédés comptables ? Tenir des comptes implique-t-il de rendre des comptes ? Quelles étaient les institutions mobilisées et avec quels dispositifs de contrôle ? Quel est le lien

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Introduction

entre le développement des plus anciennes pratiques comptables que l’on peut identifier et la question de la naissance de « l’État » ? 16

L’archéologie de la comptabilité au Proche-Orient ouvre ainsi de nouveaux chantiers, qui impliquent plusieurs sciences sociales. Fig 1 : Petite jarre trouvée à Mari sur le Moyen-Euphrate, avec inscription de son volume en unités de capacité. Les pratiques de comptabilité et de mesures étaient directement liées dans le cadre des activités administratives au Proche-Orient.

A. Parrot, Le Palais de Mari, BAH 70, 1969, p. 135 et pl. XXXII.

NOTES 1. Foucault, M., L’archéologie du savoir, Paris, 1969. 2. La naissance de la comptabilité est très souvent associée aux débuts de l’écriture au ProcheOrient, au tournant du IVe millénaire, mais cette question est actuellement débattue, comme le montre Aline Tenu pour le cas de la Mésopotamie. On remarque néanmoins que la documentation cunéiforme témoigne dès ses origines d’un lien fort entre les notions de literacy et de numeracy (voir E. Robson, « Literacy, Numeracy, and the State in Early Mesopotamia », in K. Lomas, R. D. Whitehouse, et J. B. Wilkins (eds.), Literacy and the State in the Ancient Mediterranean, Londres, 2007, p. 37-50.). 3. Je renvoie aux remarques de Véronique Chankowski dans ses propos introductifs du numéro 6 de Comptabilité(S), Comptables et comptabilités dans l’Antiquité, 2014. 4. Ce champ de recherche comprend les artefacts, les milieux humains et les techniques, et rend possible l’étude historique mais également anthropologique de la relation entre sujets, objets et savoirs. Comme le rappelle Luc Bourgeois dans son argumentaire pour le colloque « La culture matérielle : un objet en question », qui s’est tenu à Caen les 9 et 10 octobre 2015 : « […] parler de culture matérielle est une façon d’aborder l’histoire économique en se fondant sur ce qu’il y a de plus concret et de plus visible et de participer ainsi à une forme d’anthropologie, ce qui est possible, même pour des périodes hautes » (« La culture matérielle : un objet en question », Colloque, Calenda, Publié le mercredi 01 juillet 2015, http://calenda.org/334214). 5. Pour la façon dont interagissent texte et contexte, que Marcel Mauss abordait par une réflexion sociologique, je renvoie en particulier aux travaux de Jean-Pierre Vernant. 6. Fraenkel, B., « Actes écrits, actes oraux : la performativité à l’épreuve de l’écriture », Études de communication [En ligne], 29 | 2006, mis en ligne le 20 novembre 2014 (http://edc.revues.org/369).

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Introduction

7. Voir à ce sujet les remarques de Chambon, G. et Arkhipov, I., « Pratiques comptables dans le Palais de Mari au Proche-Orient ancien (début du IIe millénaire av. J.-C.) », in O. Mattéoni & P. Beck (éds.) Classer, dire, compter, Actes du colloque Discipline du chiffre et fabrique d’une norme comptable à la fin du Moyen-Âge (Archives Nationales et Cour des Comptes : 10-11/10/2012), Paris, 2015, p. 361-374 (en particulier p. 362). 8. À propos du rôle de l’écrit dans la gestion économique du III e millénaire, voir par exemple l’étude de Steinkeller, P., « The function of written documentation in the Administrative Praxis of Early Babylonia », in Michael Hudson & Cornelia Wunsch (éds.), Creating Economic Order: RecordKeeping, Standardization and the Development of Accounting in the Ancient Near East, Bethesda, 2004, p. 65-85. 9. Chambon, G. « L’historien face aux données chiffrées et métriques de la documentation cunéiforme: intérêt pour l’histoire sociale et culturelle », actes du Colloque Les matériaux de l’historien de l’Orient (Collège de France - Société Asiatique - CNRS : 29-30/05/2012), Journal Asiatique 301/2, Paris, 2013, p. 367-384. 10. On retrouve par exemple chez les marchands assyriens du début du IIe millénaire, comme l’a montré Cécile Michel, plusieurs types de documents qui interagissent et aident à la comptabilité des marchands, pour organiser une caravane commerciale (contrat de transport, lettre d’instruction, compte de la caravane…) : voir Michel, C., « La comptabilité des marchands assyriens de Kaniš (XIXe siècle av. J.-C.) », Comptabilités [En ligne], 6 | 2014, ( http:// comptabilites.revues.org/1437). 11. Je renvoie aux remarques introductives de l’article de Jean-Guy Degos : Degos J-G., « Axiological history, a relevant way to reconcile historians and accountants », Accounting and Financial History Research Journal, Muuhasabe ve Finans Tarihi Arastirmalari Derisi (Turquie) Vol. 1, n°2, 2012, p. 22-38. 12. Cette question de la performativité de l’énoncé doit être abordée du point de vue historique et anthropologique. Selon le premier point de vue, il est en particulier intéressant d’analyser la façon dont les rationalités pratiques s’exprimaient à travers la rhétorique des Anciens ; je renvoie par exemple aux travaux de Giovanna Cifoletti sur la dialectique rhétorique des mathématiciens et juristes de la Renaissance, qui n’était pas un art de persuader mais un art de penser, de l’ordre de la lisibilité, de la brièveté et de l’utilité (Cifoletti, G., « Mathematics and Rhetoric. Introduction », in G. Cifoletti (ed.) The Art of Thinking Mathematically, Early Science and Medicine 11/4, 2006, p. 369-389).

AUTEUR GRÉGORY CHAMBON Maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale Directeur d’études à l’EHESS, équipe AnHIMA (en cours de nomination) [email protected]

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien The emergence of Accounting in Mesopotamia Die Anfänge des Rechnungswesens in Mesopotamien Los inicios de la contabilidad en Mesopotamia Aline Tenu

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1877 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Aline Tenu, « Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ comptabilites/1877

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Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie

Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien The emergence of Accounting in Mesopotamia Die Anfänge des Rechnungswesens in Mesopotamien Los inicios de la contabilidad en Mesopotamia Aline Tenu

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L’apparition de la comptabilité et de l’écriture est souvent perçue comme le signe d’une complexification des sociétés dont les besoins de gestion avaient dépassé le cadre des seules maisonnées. En particulier, elles sont associées à la période dite d’Uruk du nom du site éponyme localisé dans le sud de l’Irak actuel. Celle-ci couvre plus d’un millénaire entre env. 4200 et 3100 av. J.-C. et est marquée par de nombreuses mutations qui constituent ce que Gordon Childe a appelé la « révolution urbaine ». Cette expression forgée en 1936 et développée en 1950 est un décalque de celle de « révolution néolithique » proposée par le même auteur. Si l’indéniable importance des changements est bien rendue par cette formule, elle a peut-être eu tendance à gommer le rôle, dans ces processus, de traditions anciennes déjà existantes. C’est en particulier perceptible dans le domaine de la gestion et de l’administration car la période d’Uruk est souvent considérée comme le début de la gestion bureaucratique et de l’administration étatique centralisée, grâce aux développements de pratiques comptables élaborées qui auraient conduit en particulier à l’invention de l’écriture. Indépendamment de celle-ci, ces pratiques peuvent être reconnues dans différents objets archéologiques : les écuelles grossières, dont on a associé la fabrication à la rémunération du travail obligatoire, et les scellements et sceaux-cylindres interprétés comme les « signatures » de fonctionnaires et d’administrateurs. Avant de détailler ces trois domaines (céramique, sigillographie et écrit), il paraît indispensable de rappeler brièvement sur quelles sources reposent nos connaissances de la période d’Uruk.

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Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie

1. La documentation disponible 1.1. Uruk 2

La période d’Uruk tire son nom du site où elle a été reconnue pour la première fois. Uruk, la moderne Warka, se trouve actuellement dans le sud de l’Irak près de la ville de Nasriyah. Fig. 1 : carte du Proche-Orient à l’époque d’Uruk

A. Tenu, d’après M. Sauvage 3

Des fouilles régulières y ont débuté en 1912-1913, mais ce n’est qu’à partir de 1928 que des missions annuelles y furent menées1. L’archéologue et architecte Julius Jordan entreprit alors l’exploration du quartier central du site où se dressait – toujours impressionnante – la ziggurat édifiée à la fin du IIIe millénaire av. J.-C. Ce quartier monumental dit de l’Eanna couvre près de 9 ha et a livré un ensemble de bâtiments datés principalement de la seconde moitié du IVe millénaire2.

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Fig. 2 : plan schématique du quartier de l’Eanna à Uruk (niveau V-III)

©DAI Orient Abteilung 4

La superficie de ces édifices est impressionnante3 : le « bâtiment calcaire » mesure 76 x 30 m, le bâtiment D atteint quant à lui 80 x 50 m. Le bâtiment E (57 m de côté) était organisé autour d’une vaste cour carrée de 784 m2.

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Au sud-est du site, un autre chantier fut ouvert dans le secteur de la ziggurat d’Anu, où fut dégagé un bâtiment (« le temple blanc » 24 x 19 m) érigé au sommet d’une terrasse haute de 13 m4.

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Ces deux zones ont livré les plus anciens textes proto-cunéiformes en contexte archéologique5. L’échelle de ces bâtiments, leur nombre et leurs dimensions montrent sans ambiguïté la capacité des « dirigeants » (pour garder un terme neutre) d’Uruk à mobiliser d’importantes ressources matérielles, logistiques et humaines. Il a fallu faire venir certains matériaux de fort loin (le bois des charpentes provenait de la côte levantine), mais aussi organiser la fabrication et le maçonnage de millions de briques 6. Tout cela demandait une main d’œuvre abondante qu’il fallait recruter, organiser et rétribuer, mais aussi des compétences techniques d’architecte, de maçon ou de charpentier. S’il paraît évident que ces édifices ne pouvaient être de simples habitations domestiques, leur interprétation soulève toujours de nombreuses discussions. S’agit-il de temples, pour reprendre la première hypothèse des fouilleurs, de palais, de maisons communautaires qui auraient fonctionné sur le modèle des maisons de roseaux (les madhaif) utilisés par les chefs tribaux du sud de l’Iraq jusqu’à nos jours 7 ? Il n’est guère aisé de trancher d’autant que les bâtiments, qui ne suivent pas tous les mêmes plans, pouvaient avoir des fonctions différentes et surtout que les distinctions que nous opérons entre les domaines des pouvoirs séculiers et religieux peuvent n’avoir, pour cette haute époque, aucune pertinence.

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1.2. La chronologie de la période d’Uruk 7

Afin de connaître la stratigraphie des périodes plus anciennes, un sondage profond ( Tiefschnitt) fut ouvert dans le « bâtiment calcaire » du quartier de l’Eanna sur une surface de 150 m2. Julius Jordan y reconnut 13 niveaux antérieurs au sol du « bâtiment calcaire » (niveau 5), numérotés de 6 à 18. Les niveaux 1 à 5 correspondent à la fin du IVe millénaire et au IIIe millénaire. La périodisation de l’époque d’Uruk repose sur les résultats obtenus dans ce sondage et fait encore l’objet de nombreuses discussions, mais le cadre général est globalement accepté par tous. La période d’Uruk commence au niveau XII de l’Eanna (Uruk ancien) et les bâtiments dégagés en extension appartiennent aux niveaux V et IV8. L’étroitesse du sondage qui se réduisait au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans les niveaux les plus anciens fit qu’aucun bâtiment ne put être dégagé. Les débuts de la période d’Uruk ne sont donc connus que par des tessons et l’évolution urbaine de la ville nous échappe complètement. De manière plus générale, seuls des bâtiments publics ont été découverts à Uruk : on ignore tout de ses quartiers d’habitations et de son urbanisme.

1.3. La culture d’Uruk hors d’Uruk 8

Des niveaux de l’époque d’Uruk ont été découverts ailleurs en Mésopotamie du Sud (Nippur, Ur, Tello ou Abu Salabikh), mais atteints au fond de sondages étroits, identifiés par des décapages de surface ou mal publiés, les informations qu’ils fournissent ne permettent guère de compléter vraiment les données provenant d’Uruk même. En revanche sur des sites plus lointains en Iran, en Syrie ou en Turquie (Fig. 1) a été mis au jour du matériel urukéen. Certains n’ont livré que quelques formes céramiques ; d’autres apparaissent comme de véritables « colonies » à l’instar de Djebel Aruda ou de Habuba Kebira/Tell Qannas sur l’Euphrate où des tablettes archaïques portant des signes de nombres ont été découvertes. Ce dernier, élevé sur un site vierge, occupait plus d’une vingtaine d’hectares et témoignait d’un évident plan d’urbanisme : un rempart régulier, une voirie soigneusement conçue, la division du terrain en lots réguliers9. Il ne fait guère de doute que ses bâtisseurs connaissaient déjà d’autres villes, peut-être Uruk même.

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Les rythmes, les modalités, les raisons de cette expansion urukéenne alimentent de nombreuses recherches10 dont l’exposé dépasse largement le cadre de cet article. On peut répartir les différentes propositions en quatre grandes catégories. La première est l’hypothèse commerciale (nécessité d’organiser les réseaux permettant l’approvisionnement du Sud mésopotamien en bois, métal etc.), la seconde l’hypothèse agricole (nécessité de trouver de nouvelles terres pour nourrir une population toujours grandissante), la troisième l’hypothèse environnementale (stress climatique) et enfin l’hypothèse politique (fuite devant un système de plus en plus coercitif). Vers 3100-3000, le « réseau » urukéen s’effondre dans des circonstances qui nous sont une nouvelle fois inconnues.

10

L’édification de quartiers monumentaux ou encore la création ex-nihilo de véritables villes très éloignées de Mésopotamie du Sud ont nécessité des capacités d’organisation et de planification qui n’ont pu être possibles que par la maîtrise d’outils comptables élaborés. Plusieurs éléments constitueraient les marqueurs d’une complexité socio-économique nouvelle, mais leur interprétation n’est pas toujours aisée. En effet, leur caractère

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innovant et unique à Uruk reste discuté quand on les examine dans le contexte élargi du Proche-Orient de cette période.

2. Les écuelles grossières, restes tangibles d’un système de ration ? 11

Ces récipients constituent le matériel céramique le plus aisément reconnaissable de la période d’Uruk. Il s’agit de bols moulés sans grand soin, réalisés dans une pâte grossière avec un fort dégraissant végétal11. Fig. 3 : Écuelles grossières à bord biseauté trouvées à Ur

© British Museum 12

Ils apparaissent au tout début de l’Uruk ancien (Eanna niveau XII) à la fin du Ve millénaire av. J.-C. La fonction de ces écuelles est d’autant plus difficile à établir qu’elles ont été retrouvées dans des contextes très variés. Identifiées d’abord dans le secteur monumental de l’Eanna à Uruk, elles furent ensuite trouvées dans des quartiers domestiques comme à Djebel Aruda (Syrie), où elles servaient de céramiques de cuisson, ou à Hacinabi (Turquie) où elles étaient utilisées pour le traitement du bitume. Plus surprenant peut-être, de nombreuses écuelles ont été mises au jour en contexte funéraire. Les quantités sont également très diverses : de quelques exemplaires à plusieurs milliers. Ainsi, A. Millard12 rappelle qu’à Choga Mish, au cours de la troisième campagne, 250 000 tessons d’écuelles grossières furent identifiés. Une des premières explications fut celle proposée par R. Campbell Thompson à la suite de la découverte d’écuelles à Ninive, en Mésopotamie du Nord : elles auraient servi de vases votifs destinés à contenir des offrandes13. Cependant, la proposition qui a, à la fois, le plus convaincu la

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communauté scientifique et suscité le plus de critiques a été émise par H. Nissen en 1970 puis développée dans d’autres ouvrages14. Ayant remarqué que les écuelles constituaient environ 80 % du corpus céramique de l’époque et qu’elles avaient toujours des dimensions comparables, il proposa qu’elles représentent des unités de mesure standard, destinées à faciliter la gestion et la comptabilité des denrées. 13

L’existence dans les textes archaïques d’unités de capacité, ainsi que le fait que le volume des écuelles correspondait environ à la moitié de ce qui était versé comme ration quotidienne d’orge dans des textes plus récents (0,8 litre) étayent cette hypothèse. H. Nissen souligna de plus la ressemblance entre la forme des écuelles découvertes sur les sites et le signe sumérien NINDA qui signifie le pain. Le signe associé à celui de la tête forme un nouveau mot que l’on traduit par « paiement » (GU7). Fig. 4 : Signe NINDA (le pain) et sa combinaison avec celui de la tête SAG qui donne la signification « paiement »

H. Nissen, P. Damerow et R. K. Englund 1993, Archaic bookkeeping. Early writing and techniques of economic administration in the ancient near east, Chicago, University of Chicago Press, fig. 12 14

Pour H. Nissen, l’ensemble de ces données indiquerait qu’il existait dès cette époque une organisation centralisée dans laquelle les travailleurs recevaient chaque jour une ration en rétribution du travail fourni. Cette proposition a été vivement critiquée notamment par T.W. Beale15 qui a soulevé un certain nombre de réserves. À la suite d’une série de mesures, il conclut que la capacité des écuelles grossières variait trop pour être utilisables comme récipients standard16, que la quantité d’orge qu’elles pouvaient contenir était insuffisante pour la ration quotidienne d’un homme et qu’en plus elles ne se prêtaient au transport ni du grain ni des liquides. Ce dernier point est essentiel car dans la théorie de H. Nissen, les écuelles servaient à recevoir une forme de paiement qui, versé sous forme de grain, nécessitait ensuite d’être préparé avant d’être consommé. Il ne s’agissait donc pas de nourrir les personnels sur leur lieu de travail. C’est surtout le contexte funéraire

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qui suggéra à J.-D. Forest de revoir la proposition de H. Nissen de « bols à ration » perçue en paiement. Pour lui, les écuelles grossières sont associées à des banquets, essentiellement donnés dans un cadre privé. Les grandes accumulations d’écuelles grossières traduiraient des fêtes particulièrement fastueuses offertes par les plus hautes personnalités des élites urbaines. De la vaisselle était produite pour ces occasions exceptionnelles au cœur même des maisons en fonction du nombre des convives. Ces récipients réalisés ad hoc étaient ensuite délibérément jetés, « vraisemblablement pour des raisons idéologiques »17. Cette forme céramique extrêmement frustre connut ensuite un très grand succès du fait que sa rapidité de fabrication en faisait un vase à tout faire commode et peu onéreux. Pour J.-D. Forest, l’usage des écuelles grossières reflète des pratiques de partage et non de distribution18. 15

L’enjeu de la recherche autour des écuelles grossières est essentiel pour la compréhension du développement de la gestion centralisée des ressources. S’agit-il vraiment de mesures standard développées pour faciliter et accélérer les processus comptables ? Correspondent-elles à un fonctionnement complexe de distribution de rations permettant de rétribuer le travail ? Servaient-elles plutôt à des distributions alimentaires consommées tout de suite ? Dans ce dernier cas, la question demeure de savoir si elles étaient réservées à des événements sociaux précis, importants pour la communauté ou si, au contraire, elles tenaient lieu de « vaisselle jetable » servant à la nourriture des gens travaillant sur les chantiers ou dans les administrations par exemple.

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Les écuelles grossières sont connues depuis longtemps et comme elles forment une part importante de la culture d’Uruk, de nombreuses recherches leur ont été consacrées. Aujourd’hui pourtant leur étude ne peut s’affranchir de celle d’autres récipients qui partagent beaucoup de leurs caractéristiques. Sans entrer dans le détail, on peut mentionner deux grandes formes céramiques dont l’analyse suscite le même type de questionnement : les bols coniques d’une part et les Coba Bowls d’autre part.

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Des bols coniques ont notamment été découverts sur le site d’Arslantepe en Turquie actuelle, dans deux complexes différents. Le plus ancien, appelé Temple C, a été dégagé au sommet d’une plateforme très soigneusement bâtie en pierre qui le surélevait. Daté entre 3900 et 3500-3450 av. J.-C. (LC 3-LC 4), il couvrait une superficie d’environ 400 m 2 (niveau VII)19. Des centaines de bols produits en masse y furent découverts dont certains étaient encore empilés et associés à des scellements d’argile (cf. infra). Pour l’archéologue M. Frangipane, il ne fait guère de doute que la fonction première de ce bâtiment tournait autour de la distribution de nourriture à un nombre important de personnes dans le cadre de fêtes ou de cérémonies. La présence des scellements indique, quant à elle, que cette fonction était étroitement connectée à des procédures administratives20. Au niveau suivant (VIA, période LC 5), un nouvel ensemble fut édifié : ce quartier palatial comportait deux temples, des cours, des pièces de stockage et était articulé autour d’une rue fermée par une porte. Une des pièces (A 340) était, semble-t-il, principalement dédiée à la redistribution car il y fut retrouvé une centaines de bols coniques produits en masse ainsi que des scellements. L’étude des restes paléobotaniques indique que ce sont des repas qui étaient distribués et M. Frangipane considère qu’à ce moment-là, les distributions étaient devenues une pratique quotidienne, reposant sur une gestion centralisée des ressources de base et du travail21. Les repas seraient ainsi une forme de rémunération, dans le contexte d’un système administratif élaboré dont rend bien compte la multiplication des scellements (cf. infra)22.

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En Mésopotamie du Nord, d’autres bols de même type à fond plat ont été trouvés. Nommés Coba Bowls, ils partagent les mêmes caractéristiques que les écuelles grossières ou les bols coniques : fabriqués en grande quantité sans grand soin, leur diamètre oscille entre 18 et 26 cm23. Datés du LC 1 et LC 2, ils ont été découverts dans des bâtiments publics ou dans des unités domestiques soignées et bien équipées que l’on associe volontiers à des résidences d’élite. Pour J. Baldi24, tout indique que ces bols étaient utilisés soit pour la distribution de repas soit pour celle de ration. Il n’exclut aucune des deux possibilités. Pourtant elle reflète potentiellement deux situations radicalement différentes.

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Quelle que soit l’interprétation que l’on retient pour ces bols produits en masse, la découverte de lots de plusieurs dizaines d’exemplaires traduit une gestion collective des produits. La question est de savoir si elle trahit une véritable révolution dans l’organisation du travail et une étape décisive dans le développement des pratiques comptables et bureaucratiques, ainsi qu’en témoigneraient également le développement du sceau-cylindre et l’invention de l’écriture, ou des festins donnés lors d’événements importants. Les naissances, les mariages, les décès, les guerres ou les passages à l’âge adulte sont autant de moments qui peuvent être accompagnés de rituels associés à des repas. Dans un cas, il s’agit de distribution donnée en rétribution d’un service ou d’un travail qui s’inscrit dans une relation « inégalitaire », dans l’autre il s’agit d’un moment de partage, même si celui qui offrait le repas pouvait y trouver l’occasion de montrer sa richesse, son pouvoir ou son influence25.

20

L’interprétation des données archéologiques n’est guère aisée car les mêmes découvertes peuvent être analysées de manière très différente26. Cela s’explique dans doute par le fait que ces deux pratiques, redistributives et festives, peuvent ne pas avoir pris des formes très différentes concrètement et n’avoir pas été exclusives l’une de l’autre. Elles traduisent cependant des fonctionnements très distincts, notamment d’un point de vue comptable et social. On aurait dans le premier cas une comptabilité centralisée et hiérarchisée contrôlée par un petit nombre, dans le second une gestion plus collective maîtrisée et contrôlée par les acteurs de ces repas.

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Les écuelles grossières à bord biseauté urukéennes appartiennent à une classe céramique répandue sur l’ensemble du Proche-Orient au IVe millénaire, mais pour P. Butterlin, les complexes découverts à Uruk sont « représentatifs d’une organisation socio-politique très hiérarchisée » et les activités redistributrices et festives s’y déroulaient dans un cérémoniel dont la mise en scène devint de plus en plus hiérarchisée27. On aurait alors affaire, dans ce cadre, à la quatrième étape décrite par M. Frangipane dans le développement de l’administration : celle où la gestion des biens et de la main d’œuvre est centralisée et où il n’y a plus ni réciprocité, ni identité entre les consommateurs et les producteurs28.

3. La pratique du scellement : première pratique administrative de contrôle des biens ?29 22

La pratique du scellement est presque toujours interprétée dans un contexte administratif avec l’idée sous-jacente que le sceau représentait en quelque sorte une « signature »30. Elle était associée à des procédures bureaucratiques complexes, organisées et nécessitant d’être « officiellement » validées à l’aide d’un sceau qui authentifiait la personne responsable. L’époque d’Uruk vit en effet un accroissement

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considérable de la pratique liée à l’invention du sceau-cylindre, mais l’usage du sceau s’inscrivait déjà dans une longue histoire dont il n’est pas inutile de rappeler quelques jalons. 23

Les plus anciennes attestations de sceau proviennent de sites syriens31. Une des découvertes les plus spectaculaires a été faite sur le site de Tell Sabi Abyad dans la vallée du Balikh où les vestiges d’un « village brûlé » daté vers 6300 av. J.-C. ont été dégagés. Près de 300 scellements y ont été retrouvés dont près des deux tiers (201) dans la petite pièce 6 du bâtiment 6. Elle ne couvrait pas plus de 3 m2 et n’était accessible que par le sommet. Son sol était jonché, outre les scellements, de jetons (cf. infra), de figurines animales et humaines, de vaisselles miniatures. Le contexte très particulier de cette découverte montre qu’il ne s’agit pas ici d’une zone de poubelle, mais au contraire d’un endroit de stockage destiné à conserver du matériel ayant une certaine valeur. Les scellements étaient brisés et n’étaient plus du tout associés aux récipients et paniers sur lesquels ils avaient été appliqués. L’ensemble du matériel découvert dans la pièce correspondrait à des pratiques administratives dont il avait été nécessaire de garder une trace : les scellements enregistraient ainsi la circulation des produits ou des services représentés par les vaisselles, les figurines ou les jetons. Au moins 67 cachets différents ont été utilisés32. Vu la dimension modeste du site, il paraît donc vraisemblable que beaucoup d’habitants possédaient leur propre sceau-cachet, qui servait comme marque de propriété. Les analyses d’argile faite sur les scellements eux-mêmes montrent d’autre part qu’ils étaient faits localement. Les jarres ou les paniers scellés ne provenaient donc pas d’ailleurs.

24

L’hypothèse la plus vraisemblable pour P.M.M.G. Akkermans est que ces cachets servaient de marqueurs de propriété pour les biens stockés dans ces bâtiments collectifs. Une partie importante de la population devait être composée de pasteurs qui laissaient au village du grain, des animaux ou des biens qu’ils devaient retrouver à leur retour. L’étude de l’iconographie des sceaux et des empreintes laissées par le contenant qu’ils avaient scellés indique de plus une certaine spécialisation des espaces de stockage33. Les trouvailles de Tell Sabi Abyad précèdent de près de 3000 ans l’invention de l’écriture et du sceau cylindre, mais elles témoignent d’un système complexe et bien organisé de gestion collective des biens individuels. Dès cette époque, le rôle du scellement dans les pratiques gestionnaires est central.

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Les pratiques administratives connectées aux sceaux n’ont cessé de se développer et plusieurs sites du début du IVe millénaire montrent la place croissante des scellements dans le contrôle des biens. C’est en particulier le cas d’Arslantepe en Turquie, dans le complexe palatial du niveau VII. Plusieurs études ont permis de comprendre les processus de « comptabilités » et d’archivage des scellements. Ils étaient apposés sur les contenants conservés dans des pièces de stockage ou dans des ateliers. Une fois les contenants ouverts, les scellements devenus caduques étaient regroupés dans un autre récipient ou sur une étagère de la pièce où ils avaient été retirés des récipients. La pièce A 340 qui a livré d’importantes quantités de bols produits en masse (cf. supra) se rapporte à cette étape. Ensuite, les scellements des différentes pièces étaient transportés vers un autre espace entièrement dédié à leur archivage. Ils étaient finalement jetés quand les comptes étaient clôturés et la période administrative, qu’ils documentaient, achevée34. L’espace A 206 a livré près de 1 800 scellements portant plus d’une centaine de sceaux différents 35. Les chercheurs considèrent qu’ils représentent seulement l’administration d’une vingtaine de jours, encore identifiables par une analyse stratigraphique fine du

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remplissage de la pièce. Comme ils ont été mis au rebut en lots cohérents, il est encore possible de voir que ces derniers correspondent à des transactions, sans doute une centaine par jour36. Ce nombre très élevé, la diversité des sceaux employés ainsi que la variété des objets et récipients scellés indiquent, pour M. Frangipane, la nécessité d’enregistrer les mouvements de produits dont la gestion était centralisée. Même en l’absence d’écriture, ce système sophistiqué permettait un contrôle efficace des biens37. 26

Pour en revenir à l’époque d’Uruk, H. Pittman a proposé à la suite de M.K. Brandes et de R. Dittmann que le sceau n’ait pas constitué une signature de l’individu responsable38. Elle a, en effet, souligné que les sceaux sont tous anépigraphes et que de fait et contrairement aux périodes postérieures leur propriétaire ne pouvait être connu. Ce qui lui paraît déterminant, c’est la richesse du répertoire iconographique développé à l’époque d’Uruk et qui se réduisit considérablement quand au IIIe millénaire le nom du propriétaire fut inscrit. Le choix du sceau ne dépendrait pas de la personne qui scellait, mais du contexte dans lequel le sceau fut appliqué : occasion particulière, éventuellement date, destination des produits pouvaient ainsi être compris grâce au sceau, porteur de sens en lui-même. La diversité des scènes représentées, le soin apporté aux détails figurés, le choix du motif (actions rituelles ou militaires, fabrication des biens, tissage, battage ou stockage du grain)39 auraient apporté des informations « comptables » dont on voulait conserver la trace. Ils auraient ainsi renseigné les acteurs de la transaction (récipiendaire, livreur), les bureaux administratifs impliqués, l’occasion (fête cultuelle, événement politique…). Ils ne reflèteraient en rien la hiérarchie des administrateurs ainsi que le propose H. Nissen qui considère que les sceaux « schématiques » faits rapidement appartenaient à des institutions alors que ceux, plus complexes et surtout uniques, étaient détenus par des personnages occupant une haute place dans la hiérarchie40. Même si le style et l’iconographie des sceaux de l’époque d’Uruk présentent une grande homogénéité sur l’ensemble du vaste territoire où ils ont été identifiés depuis la haute vallée de l’Euphrate, la Mésopotamie du Nord, le Zagros ou la Susiane, les thèmes privilégiés ne sont pas toujours les mêmes et cela pourrait suggérer des fonctionnements économiques différents41. Quoiqu’il en soit, l’usage des sceaux à l’époque d’Uruk prit une importance inédite42 : la variété et la complexité des scènes illustrées pourraient indiquer que le recours au scellement était nécessité par un nombre accru d’opérations.

4. L’écriture 27

L’invention la plus connue de l’époque d’Uruk est celle de l’écriture, mais là encore elle constitue le prolongement de techniques anciennes qui trouvent leurs origines dans de petits jetons d’argile (souvent appelés tokens) dont l’utilisation remontent au VIIIe millénaire av. J.-C. L’étude la plus complète et la plus discutée sur les jetons et leur rôle dans l’invention de l’écriture est due à D. Schmandt-Besserat qui a consacré une véritable somme à l’analyse de plus de 8000 jetons parue en 199243. Elle a débuté ses recherches sous la direction de P. Amiet qui avait – en même temps que M. Lambert – supposé que les petits objets d’argile que l’on trouvait en fouille dans des enveloppes scellées représentaient des unités de compte, des calculii44. Pour D. Schmandt-Besserat, ces jetons apparurent avec l’agriculture quand la survie du groupe dépendit de la culture, du stockage et de la gestion des biens de première nécessité comme l’orge. Leur forme était très simple (cônes, sphères, disques, cylindres, tétraèdres et bulles ovoïdes) et ils existaient en général en deux tailles afin de différencier les quantités (environ 1 et 3 cm).

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Ces « jetons simples » pour reprendre l’expression de D. Schmandt-Besserat n’ont pas évolué jusqu’au milieu du IVe millénaire et ils auraient appartenu pendant toute cette longue période à un système unifié à l’échelle du Proche-Orient : les cylindres auraient représenté des ovins ou bovins, les sphères de l’orge et les tétraèdres des unités de travail. Dans cette comptabilité très ancienne, les produits étaient comptés grâce à des jetons qui leur étaient réservés en correspondance un-à-un : pour enregistrer trois jarres d’huile, il fallait trois jetons ovoïdes et trois jetons ovoïdes ne pouvaient renvoyer qu’à trois jarres d’huile. Il n’existait pas encore de nombre abstrait, indépendant du produit comptabilisé, qui serve à tout compter. 28

Au milieu du IVe millénaire, le système devint plus complexe car d’autres types de jeton apparurent : les « jetons complexes » Fig. 5 : Jetons complexes découverts à Suse

Wiki common 29

Pouvant prendre la forme de vaisselle miniature, d’outils, de meubles ou d’animaux, ils pouvaient également être incisés ou percés. La multiplication des formes dans le contexte des premières cités traduirait la diversité nouvelle des biens produits : les triangles représenteraient des lingots de métal, les disques plusieurs types de tissu grâce à différentes incisions. Les jetons pour la bière, le miel et l’huile auraient pris la forme des vases qui les contenaient habituellement. Ces calculii étaient utilisés pour garder la trace des biens qui étaient produits, stockés et redistribués. Au même moment naquit la nécessité de pouvoir les regrouper en ensemble cohérent. Contenu d’un même panier, traitement par un même fonctionnaire, parties d’une même transaction, on ne sait guère ce qui a justifié ces choix dans l’Antiquité, mais on en trouve clairement la trace archéologique. Certains jetons percés étaient enfilés sur une ficelle, d’autres étaient enfermés dans une enveloppe d’argile creuse de forme sphérique ou ovoïde.

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Apparemment ces « bulles » conservaient le souvenir d’une action administrative. Toutes étaient en effet recouvertes d’un à quatre déroulés de sceau. Pour éviter de casser la bulle, les tokens étaient parfois pressés à la surface de la bulle afin que leur empreinte soit visible. Fig. 6 : Enveloppe scellée avec traces de calculii

© cdli 30

Actuellement sur environ 150 enveloppes de ce type qui ont été retrouvées, seules 80 ont été ouvertes aussi n’est-il pas évident qu’il y ait toujours eu correspondance entre le contenu et la surface, mais plusieurs exemples semblent néanmoins le confirmer. À ce stade, il n’était plus nécessaire de conserver les jetons à l’intérieur puisque leur présence était connue grâce à la trace qu’ils avaient laissée sur l’enveloppe. Les enveloppes furent donc aplaties et prirent ainsi la forme des premières tablettes45.

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Fig. 7 : Tablette numérale

© cdli 31

Ces dernières sont dites numérales car elles ne comportent que des signes numéraux (faits par des jetons, incisés au calame ou même avec les doigts) et des empreintes de sceau. L’ordre dans lequel ces marques étaient réalisées n’est pas fortuit et correspond à la naissance d’une véritable syntaxe. Il donne une première indication sur un possible système métrologique, qui d’après R. Englund devait être différent selon que l’on comptait des objets ou des capacités de mesures46. Ces premiers « textes » ne nécessitent aucunement de connaître la langue de leur rédacteur pour être compris, c’est sans doute ce qui explique leur succès dans des sites éloignés d’Uruk : Habuba Kebira, Mari, Ninive ou Suse47.

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Un peu plus tard apparurent les tablettes que R. Englund qualifie de « numéroidéographiques » et qui ne sont connues qu’à Uruk et en Susiane. Outre des empreintes de sceau, on y remarque des notations numériques ainsi qu’un ou deux idéogrammes représentant des produits de base tels des épis de céréales, du bétail ou des poissons 48. Elles témoignent d’un changement radical dans les processus comptables car la manière de noter les nombres devint à ce moment-là indépendante de l’objet compté.

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Fig. 8 : Texte administratif d’Uruk conservé au Pergamon Museum

Wiki common 33

Pour D. Schmandt-Besserat, il s’agit de l’invention des nombres abstraits49.

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Ces tablettes très anciennes – on parle des textes « archaïques » d’Uruk – apparaissent au niveau IV de l’Eanna. Elles ne sont pas encore écrites en cunéiforme, mais en protocunéiforme.

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Ce schéma est très simplifié, mais il existe un large consensus chez les spécialistes pour y reconnaître les grandes étapes du développement de l’écriture. Dans le détail, en revanche, plusieurs réserves ont été émises sur l’analyse faite par D. Schmandt-Besserat sur les jetons. Outre les difficultés liées à l’identification même des jetons (comment, en effet, distinguer une vaisselle miniature utilisée comme jeton de celle utilisée comme amulette ?), son idée d’un système unique et cohérent de jetons représentant, sur le tout Proche-Orient et pendant plusieurs millénaires, exactement les mêmes produits dans les mêmes quantités n’a pas du tout convaincu50. Le lien qu’elle vit de plus entre la forme des jetons et celle des premiers signes d’écriture a lui aussi été vivement critiqué, notamment par R. Englund51 car la ressemblance est subjective. Mais c’est surtout le fonctionnement économique et comptable que son analyse révélerait qui soulève le plus de questions. En effet, si on retient son identification du jeton représentant le mouton, il n’y en a qu’un au VIIe millénaire et trois au IVe, alors que la vache et le chien ne sont documentés qu’une seule fois. On s’attendrait à ce que ces animaux et surtout les moutons soient bien plus présents dans les gestions anciennes. Sur les cinquante jetons complexes qu’elle associe à des signes cunéiformes, dix-huit n’apparaissent qu’une fois. À l’inverse, le jeton le plus fréquent (136 exemples) signifierait « une journée de travail » ou « travail d’un homme ». Or il est attesté dès le VIIIe millénaire et 42 exemplaires en sont connus pour le VIe millénaire. P. Zimansky se demande alors s’il est vraiment crédible d’imaginer que les

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premiers villageois gardaient davantage trace des journées de travail que du nombre de leurs têtes de bétail52. Surtout, on peut s’interroger sur la pertinence d’une telle catégorie pour le Néolithique. Que signifierait dans un tel contexte la comptabilité des journées de travail ? Celle-ci n’a de sens que si elle s’insère dans une organisation du travail centralisée. La question de la gestion du travail est centrale, on le voit, dans la compréhension du développement de la bureaucratie car elle constitue une ressource abstraite et non un bien que l’on produit. C’est aussi l’appréhension que l’on a du travail qui conditionne pour beaucoup l’interprétation des bols produits en masse, comme bols standards pour des rations. 36

Que disent les premières tablettes de l’administration et de la comptabilité ?

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Environ 5 410 textes et fragments sont connus pour la période correspondant à l’Uruk IV et l’Uruk III dont plus de 5 000 proviennent du secteur de l’Eanna53. Plus de 1 500 signes non numériques sont attestés par plus de 40 000 occurrences54. Le travail de déchiffrement et de compréhension de ces textes est donc considérable.

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Environ 85 % des textes archaïques sont administratifs, le reste est majoritairement composé de listes lexicales. Parmi ces listes figure pour R. K. Englund et H. Nissen le plus ancien texte littéraire connu55. Dans les textes administratifs, on peut distinguer deux types différents. Le premier consiste en des reçus, des billets, des enregistrements simples faits sur de petites tablettes d’env. 8 cm de côté pouvant être divisées en cases. Le second type est plus rare et regroupe des tablettes qui peuvent être deux à trois fois plus grandes. Elles comportent un nombre plus importants d’entrées et de cases et reflèteraient une syntaxe et donc des comptes plus complexes.

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Ces tablettes documentent la circulation de biens, mais ne disent rien des institutions qui en assuraient la gestion. De fait, le fonctionnement de l’État nous échappe presque complètement.

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Quelques indications nous sont en revanche parvenues sur les individus qui recevaient ces biens. Cinquante tablettes en particulier mentionnent des personnes ou des groupes d’individus qui sont clairement considérés comme des travailleurs dépendants. Un texte enregistre ainsi 211 personnes, réparties en différents groupes de travailleurs hommes et femmes captifs. R. K. Englund souligne d’ailleurs que le signe qui apparaît en seconde place par sa fréquence, s’il l’on exclut les signes numériques, est celui qui désigne les femmes captives d’origine étrangère. L’importance du travail servile est confirmée par des listes récapitulatives de travailleurs locaux et étrangers. Elles classent les individus selon leur âge et leur sexe, de la même manière qu’elle organise les animaux domestiques des troupeaux gérés par l’État56. Les travailleurs serviles seraient donc considérés comme des « humains domestiqués »57. Pour R. K. Englund, cette force de travail servile représentait la principale composante de la main d’œuvre des élites urukéennes58. Les sceaux-cylindres montrent, par ailleurs, de nombreuses scènes de siège, de bastonnades où apparaissent des prisonniers entravés et des figurines de captifs ont également été découvertes à Uruk même59. L’image qui se dessine donc de la société d’Uruk laisse peu de doute sur l’emploi d’une importante main d’œuvre non libre. On suppose que cette dernière travaillait pour l’État ou pour de grandes familles et que si elle n’était pas rétribuée elle devait tout de même être nourrie. Ces travaux récents donnent de nouveaux arguments à la théorie des écuelles grossières comme bol à ration. On imagine ainsi les files de travailleurs employés sur les grands chantiers d’Uruk pour bâtir les somptueux bâtiments du quartier de l’Eanna et attendant de recevoir leur écuelle pleine de nourriture ou de grain.

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Conclusion 41

L’étude des procédures comptables montre qu’elles ont une longue histoire en Orient qui a commencé bien avant la phase d’urbanisation dont elles sont bien souvent considérées comme une des caractéristiques. À l’époque d’Uruk cependant, de nouveaux besoins se firent jour qui entraînèrent une bureaucratie croissante et l’invention de nouveaux modes de gestion. L’écriture en est directement issue, même si très vite les scribes comprirent que les possibilités qu’elle offrait dépassaient très largement le cadre du simple enregistrement des biens et des personnes. Toute la difficulté, c’est comprendre si l’époque d’Uruk marque un changement de nature ou d’échelle des pratiques comptables et administratives. Sur ce point, il n’y a pas vraiment de consensus mais les mutations profondes qui la caractérisent par ailleurs signalent malgré tout une période d’innovations majeures. Un élément peut être mis en avant qui indiquerait qu’à partir de cette époque il ne s’agit plus seulement de gestion des biens, mais bien de centralisation économique et politique. Un seul motif est présent sur presque tous les sites où des sceaux-cylindres urukéens ont été découverts ; celui d’un personnage nommé le « roiprêtre »60. Très reconnaissable, il est représenté dans toutes les activités qui seront par la suite celles par excellence des souverains mésopotamiens. Il chasse les bêtes sauvages et notamment les lions, il mène la guerre, soumet ses ennemis, apporte l’abondance à son pays, pourvoie aux besoins du temple. Fig. 9 : Sceau-cylindre fragmentaire représentant le roi-prêtre

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On ne sait si ce personnage représente un souverain réel et identifié identique sur tous les sites ou s’il est la personnification du pouvoir indépendamment de la ou des personnes qui l’exerce. Peut-être est-il l’homme pour lequel la bureaucratie travaille ?

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NOTES 1. Pour une présentation de l’histoire des fouilles d’Uruk, voir, entre autres, Englund, R., « Texts from the Late Uruk Period », in J. Bauer, R.K. Englund et M. Krebernik (éds.) Mesopotamien : Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Fribourg, Academic Press ; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 30-39 ; Butterlin, P., Les temps proto-urbains de Mésopotamie. Contacts et acculturation à l’époque d’Uruk au Moyent-Orient, CNRS éditions, Paris, 2003, p. 23-27. 2. Pour une présentation concise des bâtiments découverts dans l’Eanna, voir Butterlin, P. « D'Uruk à Mari. Recherches récentes sur la première révolution urbaine en Mésopotamie», Histoire urbaine 3/2010 (n° 29), p. 137-144. URL : www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2010-3page-133.htm. DOI : 10.3917/rhu.029.0133 ; Algaze, G., « The end of prehistory and the Uruk period » in H. Crawford (éd.) The Sumerian World, Routledge, Londres, 2013, p. 75-79 et Heinz, M., « Public buildings, palaces and temples », in H. Crawford (éd.) The Sumerian World, Routledge, Londres, 2013, p. 180-185. 3. Uruk. 5000 Jahre Megacity. Catalogue de l’exposition 25 avril - 8 septembre 2013, Pergamonmuseum, Berlin, Michael Imhof verlag, Petersberg, p. 119. 4. Algaze, G., op. cit., p. 76. 5. Butterlin, P., op. cit, p. 24. 6. Uruk. 5000 Jahre Megacity. Catalogue de l’exposition 25 avril-8 septembre 2013, Pergamonmuseum, Berlin, Michael Imhof verlag, Petersberg, p. 120. On a calculé que l’érection du bâtiment C avait nécessité un million de briques. 7. G. Algaze note que cette idée avait déjà été émise par l’archéologue Walter Andrae en 1936 (Algaze, G., op. cit. p. 78). 8. La périodisation la plus communément retenue est celle proposée par Dietrich Sürenhagen en 1993 : Eanna XII-IX : Uruk ancien, Eanna VIII-VI : Uruk moyen, Eanna V-IV Uruk récent. Le niveau suivant (Eanna III) date de la période de Djemdet Nasr du nom du site où elle a été identifiée pour la première fois. Quoique n’appartenant plus vraiment à l’époque d’Uruk, elle lui est étroitement associée. La plupart des textes archaïques d’Uruk sont en fait attribuables à ce niveau III de l’Eanna. En Mésopotamie du Nord, une autre chronologie a été adoptée à la suite de travaux organisés à Santa Fe sous la direction de M. Rothmann (Uruk Mesopotamia and its neighbors : crosscultural interactions in the era of State, J. Currey, School of American research press, Oxford, Santa Fe, 2001). Elle divise la période en cinq sous périodes dénommées LC (Late Chalcolithic) 1 à 5. 9. Vallet, R ., « Habuba Kebira ou la naissance de l’urbanisme », Paléorient 22, 1996, p. 45-76, http://www.persee.fr/doc/paleo_0153-9345_1996_num_22_2_4636 et Vallet, R., « L’urbanisme colonial urukéen, l’exemple de Djebel Aruda », Subartu 4, 1998, p. 53-87. 10. Algaze, G., The Uruk world system : the dynamics of expansion of Early Mesopotamian civilization, Chicago, Londres, The University of Chicago Press, 1993 ; Algaze, G., « The end of prehistory and the Uruk period » dans The Sumerian World, éd. H. Crawford, Routledge, Londres, 2013, p. 82-86 ; Butterlin, P., op. cit. p. 97-158. Voir aussi la présentation très commode d’Emery, A., Concevoir et bâtir dans la Mésopotamie protohistorique : l'utilisation de schémas architecturaux au IV e millénaire av. J.C., Thèse de l’Université Panthéon-Sorbonne - Paris I , 2007, notamment p. 53-65. 11. X. Faivre (« Rations et notion de capacité standard dans la céramique du Proche-Orient », Cahier des thèmes transversaux ArScAn IX 2007-2008, Nanterre, CNRS, Paris I, Paris X, p. 307, http:// www.mae.u-paris10.fr/arscan/IMG/pdf/C9_T9_Faivre2.pdf) rapporte que des études ont montré que la fabrication d’une écuelle prenait moins d’une minute.

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12. Millard, A.R., « The Bevelled-Rim Bowls : Their Purpose and Significance », Iraq 50, 1988, p. 52. 13. Cité par Millard A.R., op. cit., p. 50. 14. Nissen, H., « Grabung in den Quadraten K/L XII in Uruk- Warka », Bagdader Mitteilungen 5, 1970, p. 137 ; Nissen, H., Damerow P., et Englund, R. K., Archaic bookkeeping. Early writing and techniques of economic administration in the ancient near east, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p. 14. 15. Beale, T. W., « Bevelled Rim Bowls and Their Implications for Change and Economic Organization in the Later Fourth Millennium BC », Journal of Near Eastern Studies 37, 1978, p. 289-313. 16. D’autres mesures réalisées sur les écuelles du site de Rubeideh par R. Killick confirment celles de T.W. Beale : elles montrent que leur volume varie du simple au double et qu’aucune catégorie de taille, même grossière, ne peut y être distinguée (A. Emery 2007, op. cit., p. 66) 17. Forest, J.-D., « Les bevelled rim bowls. Nouvelle tentative d’interprétation », Akkadica 53, 1987, p. 17. 18. Id. 19. Frangipane, M., « Fourth Millennium Arslantepe : the development of centralised society without urbanisation », Origini XXXIV, 2012, p. 20 et p. 24. 20. Id. 21. La question des repas et des festins à Arslantepe a été particulièrement étudiée par M. B. D’Anna. Voir D'Anna, M. B., « Between Inclusion and Exclusion : Feasting and Redistribution of Meals at Late Chalcolithic Arslantepe (Malatya, Turkey) », dans Between Feasts and Daily Meals. Towards an Archaeology of Commensal Spaces, eTopoi. Journal for Ancient Studies, Special Volume, 2012, p. 97-123, http://www.topoi.org/publication/20082/ ; D' Anna, M.B. et Guarino, P., « Continuity and changes in the elite food management during the 4th millennium BC. Arslantepe Periods VII and VI A : A Comparison », in M. Frangipane (ed.), Economic Centralisation in Formative States. The Archaeological Reconstruction of the Economic System in 4th Millennium Arslantepe, L’Erma, Rome, 2011 ; D' Anna, M.B. et Jauss, C., « Cooking at 4th millennium BCE Chogha Mish (Iran) and Arslantepe (Turkey). Investigating the social via the material » in S. Kerner, C. Chou & M. Warmind (eds.), Commensality and Social Organisation ; Food and Identity, Bloomsbury, Londres, 2015. 22. Frangipane, M., op. cit., p. 33. 23. Baldi, J. S., Coba bowls, « Mass-production and social change in Post-Ubaid times », in C. Marro (éd.) After the Ubaid : interpreting change from the Caucasus to Mesopotamia at the dawn of urban civilization (4500-3500 BC), Varia Anatolica 27, Istanbul, Institut Français d'Etudes Anatoliennes Georges-Dumézil, 2012, p. 394. 24. Id., p. 403. 25. M. Frangipane a proposé de distinguer quatre types différents de pratiques redistributives qui correspondent également à quatre étapes différentes : le partage, la redistribution égalitaire, la redistribution hiérarchisée et enfin la centralisation. Voir Frangipane, M., « The Development of Administration from collective to centralized Economies in the Mesopotamian World. The transformation of an institution from System-serving to self-serving », dans Cultural Evolution. Contemporary Viewpoints, éd. G. Feinman et L. Manzanilla, New York, 2000, p. 220-221. 26. B. Helwing (« Feasts as a social dynamic in Prehistoric Western Asia – three case studies from Syria and Anatolia », Paleorient 29/2, 2003, p. 63-85) dans son étude des « festins » et des données d’Arslantepe n’évoque pas la possibilité qu’il puisse s’agir de ration, contrairement à la fouilleuse, M. Frangipane. 27. Butterlin, P., « D’Uruk à Mari. Recherches récentes sur la première révolution urbaine en Mésopotamie », Histoire urbaine 3/2010 (n° 29), 2010, p. 143-144, URL : www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2010-3-page-133.htm. DOI : 10.3917/rhu.029.0133. 28. Frangipane, M., « The Development of Administration from collective to centralized Economies in the Mesopotamian World. The transformation of an institution from System-

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serving to self-serving », dans Cultural Evolution. Contemporary Viewpoints éd. G. Feinman et L. Manzanilla, New York, 2000, p. 221. 29. C’est la proposition reprise dans Frangipane, M., op. cit., 2000, p. 222. 30. Voir par exemple Englund, R. K., « Texts from the Late Uruk Period », in J. Bauer, R.K. Englund et M. Krebernik (éds.) Mesopotamien : Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, , Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Fribourg, Academic Press ; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 43. 31. Akkermans, P.M.M.G et Duistermaat, K., « Of storage and Nomads. The Sealings from the late Neolithic Sabi Abyad », Syria, Paléorient 22/2, 1997, p. 18-19. 32. Akkermans, P.M.M.G et Duistermaat, K. , op. cit., p. 19 et p. 27. Voir aussi le site internet http://www.sabi-abyad.nl/. 33. Akkermans, P.M.M.G et Duistermaat, K. , op. cit., p. 26-27. 34. Ferioli, P., et Fiandra, E., « Archive techniques and methods at Arslantepe », in P. Ferioli, E. Fiandra, G. G. Fissore & M. Frangipane (éds.), Archives before Writing : proceedings of the International Colloquium, Oriolo Romano, October 23-25, 1991, Turin, Scriptorium, 1994, p. 150. 35. Frangipane, M., « The record function of clay sealings in early administrative systems as seen from Arslantepe-Malatya », in P. Ferioli, E. Fiandra, G. G. Fissore & M. Frangipane (éds.), Archives before Writing : proceedings of the International Colloquium, Oriolo Romano, October 23-25, 1991, Turin, Scriptorium, 1994, p. 125. 36. Ferioli, P., et Fiandra, E., op. cit., p. 149. 37. Frangipane, M., op. cit., p. 134. 38. Pittman, H., « Seals and sealings in the Sumerian world », in H. Crawford (éd.) The Sumerian World, Routledge, Londres, 2013, p. 325. 39. Pittman, H., « Toward an understanding of the role of glyptic imagery in the administrative systems of proto-literate greater Mesopotamia », in P. Ferioli, E. Fiandra, G. G. Fissore & M. Frangipane (éds.), Archives before Writing : proceedings of the International Colloquium, Oriolo Romano, October 23-25, 1991, Turin, Scriptorium, 1994, p. 181. 40. Cité par Pittman, H., op. cit., p. 178. 41. Pittman, H., « Seals and sealings in the Sumerian world », in H. Crawford (éd.) The Sumerian World, Routledge, Londres, 2013, p. 325. 42. Environ 2000 scellements ont été mis au jour à Uruk. 43. Schmandt-Besserat, D., Before Writing (2 vols), University of Texas Press, Austin, 1992. Voir aussi Schmandt-Besserat, D., « Two Precursors of Writing : Plain and Complex Tokens », in W. M. Senner (éd.) The Origins of Writing, University of Nebraska press, Lincoln et Londres, 1991, p. 27-41 ; Schmandt-Besserat, D., « The Earliest Precursor of Writing », Scientific American 238/6, 1977, p. 50-58 ; Schmandt-Besserat, D., « Tokens, Seals and Administration in Uruk in the Fourth Millennium B.C. », in Beschreiben und Deuten in der Archaeologie des Alten Orients, Festschrift für Ruth Mayer-Opificius, Altertumskunde des Vorderen Orients vol. 4, 1994, p. 283-296 ; SchmandtBesserat, D., « The Token System of the Ancient Near East : its Role in Counting, Writing, the Economy and Cognition », in C. Renfrew (éd.) The Archaeology of Measurement, Comprehending Heaven, Earth and Time in Ancient Societies, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, p. 27-34. 44. Amiet, P., « Il y a 5000 ans les Élamites inventaient l’écriture », Archeologia 12, 1966, p. 16-23 ; Lambert, M., « Pourquoi l’écriture est née en Mésopotamie », Archeologia 12, 1966, p. 24-31. 45. Les enveloppes et les calculii ne disparurent cependant pas complètement car un exemplaire daté du XVe siècle fut découvert sur le site de Nuzi. 46. Englund, R. K., « Accounting in Proto-Cuneiform », in K. Radner & E. Robson (éds.) The Oxford Handbook of Cuneiform Culture, Oxford University Press, Oxford, 2011, p. 34. 47. Englund, R. K., « Texts from the Late Uruk Period », in J. Bauer, R. K. Englund & M. Krebernik (éds.) Mesopotamien : Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Fribourg, Academic Press ; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 48, note 98.

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48. Englund, R., op. cit., p. 49-50. 49. Schmandt-Besserat, D., « The Token System of the Ancient Near East : its Role in Counting, Writing, the Economy and Cognition », in C. Renfrew (éd.) The Archaeology of Measurement, Comprehending Heaven, Earth and Time in Ancient Societies, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, p. 31. Différents systèmes numériques continuèrent cependant d’exister, voir Englund, R. K., « Accounting in Proto-Cuneiform », in K. Radner & E. Robson (éds.) The Oxford Handbook of Cuneiform Culture, Oxford University Press, Oxford, 2011, p. 36-41. 50. Voir par exemple Zimansky, P., « Review of Before Writing by Denise Schmandt-Besserat », Journal of Field Archaeology 20/4, 1993, p. 516. 51. Englund, R. K., « Texts from the Late Uruk Period », in J. Bauer, R. K. Englund & M. Krebernik (éds.) Mesopotamien : Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Fribourg, Academic Press ; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 51-52. 52. Zimansky, P., « Review of Before Writing by Denise Schmandt-Besserat », Journal of Field Archaeology 20/4, 1993, p. 516. 53. Englund, R., « Texts from the Late Uruk Period », in J. Bauer, R. K. Englund & M. Krebernik (éds.) Mesopotamien : Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit , Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Fribourg, Academic Press ; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 30. 54. Damerow, P., « The Origins of Writing as a Problem of Historical Epistemology », Cuneiform Digital Library Journal 2006 :1, http://cdli.ucla.edu/pubs/cdlj/2006/cdlj2006_001.html, p. 6. 55. Nissen, H., Damerow P. et Englund R. K., op. cit., p. 25-29. 56. Englund, R., op. cit., p. 176-181. 57. Algaze, G., op. cit., p. 81. 58. Englund, R. K., « The smell of the Cage », Cuneiform Digital Library Journal 29 :4, 2009, http:// cdli.ucla.edu/pubs/cdlj/2009/cdlj2009_004.html. 59. Uruk. 5000 Jahre Megacity. Catalogue de l’exposition 25 avril-8 septembre 2013, Pergamonmuseum, Berlin, Michael Imhof verlag, Petersberg, p. 162, fig. 24.5. 60. Pittman, H., « Seals and sealings in the Sumerian world », in H. Crawford (éd.) The Sumerian World, Routledge, Londres, 2013, p. 325-326.

RÉSUMÉS La comptabilité a souvent été présentée comme une « invention » de l’époque d’Uruk (4200-3100 av. J.-C.) en Mésopotamie du Sud. Intiment liée à l’écriture, elle aurait accompagné les débuts de l’urbanisation et la naissance de l’État. L’utilisation à très grande échelle d’écuelles grossières produites en masse et le développement du sceau-cylindre seraient d’autres témoins de ces nouvelles pratiques gestionnaires. L’article vise à replacer ces découvertes dans leurs contextes afin de voir dans quelle mesure elles constituent vraiment une innovation dans les procédés comptables et administratifs. We often consider accounting has been invented during the Uruk period (4200-3100 BC) in southern Mesopotamia. Intricately linked to writing, it would have been contemporary with the beginnings of urbanisation and the birth of the State. The wide use of mass-produced bowls and the development of cylinder seals would also reveal the appearance of these new management practices. The aim of this paper is to replace these discoveries in their contexts in order to

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investigate in what extent they constitute innovations in accounting and administrative procedures. Das Rechnungswesen wurde oft als „Erfindung“ des südmesopotamischen Uruk-Zeitalters (4200-3100 v. Chr.) dargestellt. Da es eng mit dem Schriftgebrauch verbunden war, soll es an den Beginn des Städtewesens und die Ursprünge des Staates gekoppelt sein. Der häufige Gebrauch von Glockentöpfen, die massenhaft hergestellt wurden, und die Entwicklung des Rollsiegels sei ein weiterer Beweis für diese neue Form der Verwaltung. Der hier vorliegende Aufsatz hat zum Ziel, diese Entdeckungen in ihren jeweiligen Kontext zu stellen, um zu sehen, in welchem Maße sie wirkliche Neuerungen in der Entwicklung des Rechenwesens und der Verwaltung darstellten. Suele presentarse la contabilidad como una “invención” de los tiempos de Uruk (4200-3100 a.C.) en la parte sur de Mesopotamia. Estrechamente asociada a la escritura, habría acompañado la incipiente urbanización y el nacimiento del Estado. El uso en gran escala de groseras escudillas producidas en masa y el desarrollo del sello-cilindro serían otros testigos de aquellas nuevas prácticas de gestión. Este artículo se propone ubicar estos descubrimientos en su contexto para determinar en qué medida son una verdadera innovación en los procedimientos contables y administrativos.

INDEX Palabras claves : Uruk, escudillas groseras, sellos, escritura, contabilidad, administración, centralización, redistribución Keywords : Uruk, bevelled-rim bowls, seals, writing, accounting, administration, centralisation, redistribution. Mots-clés : Uruk, écuelles grossières, sceaux, écriture, comptabilité, administration, centralisation, redistribution. Schlüsselwörter : Uruk, glockentopf, siegel, schrift, rechnungswesen, verwaltung, zentralisation, umverteilung.

AUTEUR ALINE TENU Chercheur au CNRS UMR 7041 (ArScAn, équipe Histoire et archéologie de l’Orient cunéiforme) [email protected]

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur le Moyen Euphrate (XVIII e siècle av. J.-C.) Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Writing, Counting, Measuring : Grain Accounting in the Palace of Mari on the Middle Euphrates (18th century BC) Schreiben, zählen, ausmessen: Die Kornabrechnung im Palast von Mari am Mittellauf des Euphrats (18. Jh. v. Chr.) Escribir, contar, medir: contabilidad del grano en el palacio de Mari en el Medio Éufrates (siglo XVIII a.C.) Grégory Chambon

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1907 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Grégory Chambon, « Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur le Moyen Euphrate (XVIIIe siècle av. J.-C.) », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1907

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Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur l...

Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur le Moyen Euphrate (XVIII e siècle av. J.-C.) Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Writing, Counting, Measuring : Grain Accounting in the Palace of Mari on the Middle Euphrates (18th century BC) Schreiben, zählen, ausmessen: Die Kornabrechnung im Palast von Mari am Mittellauf des Euphrats (18. Jh. v. Chr.) Escribir, contar, medir: contabilidad del grano en el palacio de Mari en el Medio Éufrates (siglo XVIII a.C.) Grégory Chambon

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Parmi les milliers de textes comptables datant de la période dite « paléobabylonienne » et retrouvés sur des sites archéologiques en Irak et en Syrie, ceux trouvés dans le palais de la ville antique de Mari (XIXe-XVIIIe siècles av. J.-C.) constituent une mine d’informations sur la comptabilité antique1.

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Écrire, compter, mesurer : comptabilité du grain dans le palais de Mari sur l...

Fig. 1 : carte du Proche-Orient à l’époque des archives de Mari

Dans Charpin D. et Ziegler, N., Mari et le Proche-Orient à l'époque amorrite : essai d'histoire politique, Florilegium Marianum V, Mémoires de NABU 6, Paris, n. 29, p. 28 2

Comme Mari était la capitale d’un royaume du Moyen-Euphrate (site moderne de Tell Hariri), on pourrait s’attendre à de véritables archives « d’État », regroupant les documents nécessaires à la gestion politique et économique du royaume. En réalité, ces archives concernent les comptes personnels du roi, qui nous renseignent sur la façon dont le palais était administré et approvisionné en denrées et équipements divers, et sur la façon dont le personnel était entretenu. On distingue alors généralement les « archives vivantes » des « archives mortes » selon que les textes ont été accumulés et conservés, par exemple dans de grandes jarres, pour être utilisés jusqu’au dernier moment, ou bien mis au rebut par les administrateurs qui souhaitaient s’en débarrasser2. À côté de ces documents retrouvés dans diverses salles du palais, on dispose également de pièces d’archives provenant des résidences de hauts fonctionnaires du palais, où habitaient leur famille et leur domesticité.

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Bien qu’aucune synthèse sur les pratiques comptables à Mari n’existe pour l’instant, des commentaires sur la tenue des comptes et la gestion des archives accompagnent les éditions de plusieurs corpus, définis par le type de denrées dont on assurait la comptabilité, comme l’huile, le métal, la viande ou encore le vin. Les éditeurs ont en particulier cherché à établir une typologie de ces documents à partir de leur format et surtout de la terminologie administrative employée par les scribes. L’identification de mots « clefs » en langue sumérienne ou akkadienne – les deux principales langues employées dans les textes de cette période – a servi de critère pour classer ces textes en grandes catégories, qui comprennent les « bordereaux de réception », les « billets de dépense », les « memoranda » et les « récapitulatifs » enregistrant des opérations sur un ou plusieurs mois. Même si ce principe fondé sur des considérations terminologiques et lexicales facilite une première appréhension des documents, il n’en demeure pas moins

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insuffisant lorsqu’il s’agit d’en réaliser une typologie plus fine, plus à même de correspondre aux catégories comptables des Anciens. Ce qui permet en réalité à l’historien de connaître le caractère de l'opération – entrée, sortie, achats de denrées dans le cadre du palais – est moins la nomenclature administrative que le contenu du document – types et quantités de produit, acteurs, lieux et événements… L’étude des pratiques comptables nous amène donc à nous intéresser, au-delà du formulaire, au contexte même de rédaction du document et aux modalités pratiques de l’opération. Un corpus récemment édité de 205 textes concernant la gestion du grain dans le palais de Mari sous le règne de Zimrî-Lîm (1775-1762 av. J.-C.) offre la possibilité de mieux appréhender ces activités humaines qui conditionnent la production des écrits comptables. Écrire, compter, mesurer3 représentent les facettes principales de cette comptabilité4.

1. Mesurer le grain 4

Malgré le caractère assez stéréotypé de ces documents comptables, les scribes n’explicitaient pas toujours le mode d’acquisition du grain pour les besoins du palais, car l’évocation d’une personne – marchand, administrateur, percepteur, intermédiaire… –, la mention d’une date précise ou d’un lieu suffisaient la plupart du temps, comme repères mnémotechniques, à rappeler au comptable le contexte de l’opération. La mise en série de ces documents ainsi que leur contextualisation permettent néanmoins d’identifier trois façons principales de s’approvisionner, que l’on retrouve dans plusieurs institutions de la même période en Mésopotamie : l’achat de grain à des marchands ou directement à des régions productrices, les taxes sur le profit agricole et le loyer en grain qui doit être versé par le locataire d’une prébende à son propriétaire (ici le Palais).

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On pourrait penser que la quantité de grain sur laquelle portaient les termes de l’accord, qu’il soit de nature commercial ou fiscal, était rigoureusement celle exprimée sur le texte comptable, inscrite sur la première ligne. Une donnée chiffrée ne reflétait en réalité pas toujours le volume de grain reçu réellement par le palais lors d’une opération ; nous verrons en particulier plus bas que certains chiffres étaient à caractère prévisionnel, tenant compte de recettes non encore perçues. Lorsqu’il s’agissait bien de données effectives, enregistrées sur les petits bordereaux de réception de grain par les comptables, elles correspondaient au résultat d’une opération de mesure.

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La question est alors de savoir à quel moment était effectuée la mesure du grain, et par conséquent, à quel moment était rédigé le document comptable enregistrant cette mesure. L’iconographie mésopotamienne, contrairement à celle de l’Égypte antique représentant des scènes très détaillées de mesures du grain, près des fleuves ou dans les greniers des palais, n’apporte malheureusement sur ce point aucune information utile. Plusieurs lettres paléobabyloniennes, issues de la correspondance entre marchands ou administrateurs, nous renseignent en revanche sur les contextes des pratiques de mesures et sur les personnes impliquées ; il semble que l’on ait mesuré le grain à chaque fois qu’il changeait de conditionnement pour son transport ou pour son stockage5. Cette opération était tout d’abord réalisée sur l’aire de battage, où l’on collectait le grain de la moisson et séparait le grain des épis d’orge ou de blé. Puis on le transportait sur des ânes et/ou par bateau jusqu’aux palais. La rentrée du grain dans les réserves, où il était stocké dans de grandes jarres ou dans des silos, donnait alors lieu à une contre-mesure, qui faisait apparaître parfois des différences avec les quantités attendues, en raison de pertes

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occasionnées lors du transport, de la prise en compte d’impuretés – sable, déchets organiques – mêlées au grain, ou même dans certains cas de fraudes. Il n’est donc pas étonnant de constater, lors de pratiques de mesure concernant de grandes quantités de grain, la présence de véritables prud’hommes (ebbum) supervisant les diverses manipulations du produit, contrôlant les mesures et vérifiant d’éventuels calculs6. Lorsque l’orge ou le blé sortaient des entrepôts, pour la consommation ou le paiement en ration de certaines catégories de personnel, ils subissaient de même une nouvelle mesure garantissant la quantité perçue. 7

Les documents administratifs, contrairement aux lettres, sont avares d’informations sur les opérations de mesure. Plusieurs documents paléobabyloniens du Centre mésopotamien7, en particulier de la ville de Sippar, attestent l’emploi d’une « radouère » ( giš mêšequm en akkadien), une baguette en bois pour enlever le « comble », c’est-à-dire le cône supérieur d’un volume de grain dans un sac ou une jarre afin d’effectuer une mesure « rase », une pratique attestée également à l’époque plus tardive dite médioassyrienne8 (dernier quart du IIe mil-lénaire av. J.-C.) et au Moyen Âge en Europe. Le corpus concernant le grain à Mari n’en fait pas état ; mais, comme nous l’avons vu, certaines pratiques relevaient de l’implicite dans le formulaire très concis des textes, et rien n’exclut l’usage de la radouère sur le Moyen-Euphrate, une région qui entretenait des échanges commerciaux réguliers avec la Mésopotamie. Tout au plus, les scribes exprimaient parfois qu’une quantité de grain était considérée « selon la mesure du marché » (ina 1 [ou 1 ½] gur [ou bán] mahîrtim), « selon la mesure (de la taxe) šibšum » (ina gur šibšim) ou « selon la mesure ‘de référence’« (ina gur kittim). Par exemple : ARM XII 15 « 30 (unités de capacité) GUR de burrum (type d’orge ou de blé), selon la (mesure) GUR du marché ; reçu par (le fonctionnaire) Ilu-kân, d’auprès Etel-pî-šarrim, dans la maison de Mutu-Bisir ».

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L’étude des contextes d’usage respectifs des trois expressions montre qu’elles ont été interprétées jusqu’à présent à tort comme des références à des étalons matériels utilisés lors des mesures. Elles relèvent en réalité purement de la nomenclature administrative, afin d’indiquer le mode d’acquisition du grain : par le commerce (mesure du marché), par une taxe sur le profit agricole (mesure de la taxe-šibšum) et par un loyer prélevé sur les agriculteurs exploitant les terres du palais (certainement la mesure « de référence »). On a donc affaire dans l’exemple du texte ARM XII 15 à deux registres comptables différents selon la façon d’exprimer les quantités de grain. Le premier terme GUR (dans « 30 GUR ») joue le rôle d’une simple unité de mesure qui permet d’exprimer la quantité, alors que le second (dans « selon la (mesure) GUR du marché ») renvoie à une information administrative concernant la provenance du grain. Les comptables pouvaient ainsi opérer une véritable traçabilité du grain circulant hors et dans le palais, en indiquant aussi bien les quantités mesurées à chaque étape, que la façon de les acquérir.

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Pratiques de mesures et pratiques comptables interféraient donc dans la gestion au quotidien du grain. Les premières entraînaient la rédaction de documents comptables, qui enregistraient les quantités de produit et légitimaient ainsi les opérations de mesure, tandis que les secondes rendaient possibles des vérifications par les autorités palatiales

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lors des contre-mesures. L’étude historique de cette relation entre pratiques d’écriture et pratiques de mesures met en effet en lumière des modes de raisonnements économiques dont les écrits comptables constituent à la fois une trace et un élément essentiel, et ouvre ainsi de nouveaux types de questionnements, qui peuvent susciter l’intérêt des anthropologues et des historiens des sciences et techniques : quels étaient les milieux de spécialistes mobilisés dans et « autour de » la tenue des comptes et dans quel cadre d’apprentissage acquéraient-ils leurs compétences ? Comment s’opérait la normalisation des écrits comptables pour rendre possible des synthèses, des vérifications et éventuellement des prévisions ? Je souhaite apporter dans ce qui suit quelques éléments de réflexion pour aborder ces deux vastes champs d’investigation, à partir des conceptions des Anciens eux-mêmes, mises en œuvre en particulier dans la façon dont ils écrivaient un compte.

2. Écrire un compte 10

Écrire un compte représentait, au delà du simple geste technique, un acte mobilisant plusieurs savoir-faire, dont la complexité variait selon le type de document produit. Les compétences scribales de base comprenaient, outre les règles fondamentales d’écriture et de syntaxe, ainsi que d’expression de la date sous la forme ne varietur mois / jour / année, une bonne connaissance des unités de capacité et de leur notation, afin d’exprimer les quantités de produit. Les scribes étaient alors en mesure d’écrire des petits bordereaux de réception, établis pendant une réception de grain et qui constituaient le type de document comptable le plus courant. Si on considère que plusieurs de ces textes étaient rédigés en moyenne par mois, en fonction des diverses opérations d’approvisionnement du Palais, on peut évaluer leur nombre sur les treize années du règne de Zimrî-Lîm à plusieurs centaines, dont seule une partie nous est parvenue. On doit en réalité distinguer, parmi ces bordereaux, ceux qui portaient l’empreinte du sceau cylindre d’un fonctionnaire, qui en garantissait le contenu, de ceux, copies des premiers, qui n’étaient pas scellés et qui n’apportaient aucune certification. Plusieurs « brouillons » pouvaient être ainsi réalisées, avant l’établissement du document qui faisait foi. Il existait alors un modèle type de bordereau, avec une nomenclature spécifique, qui offrait la possibilité d’enregistrer différents types d’information sur la nature et le contexte de l’opération.

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Il se présentait de cette façon sur la tablette d’argile :

Quantités (exprimées en unités de capacité) de grain (orge, blé…) Réception (namharti) par un fonctionnaire Contexte de la réception : La réception peut avoir eu lieu - auprès d’un individu - dans une « maison » - sur un stock - par l’intermédiaire d’un individu Date : mois, jour et année

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Malgré le style concis, avec l’emploi de mots clefs qui remplaçaient les phrases élaborées, et le format en apparence stéréotypé, les scribes faisaient parfois preuve d’une certaine liberté dans l’usage des règles d’écriture. Par exemple, la graphie de certains signes cunéiformes s’écarte parfois des usages traditionnels, traduisant probablement une forme de personnalisation. De même, l’expression akkadienne consacrée pour indiquer la « réception » du grain, namharti, est parfois remplacée par son équivalent sumérien šu-tia. Il ne s’agit pas là de coquetteries de scribes connaissant parfaitement les nomenclatures sumériennes et akkadiennes et qui emploieraient alternativement l’un ou l’autre terme mais d’habitudes propres, qui nous révèlent des mains différentes ; l’usage du terme sumérien est ainsi très certainement à attribuer aux femmes scribes responsables de la comptabilité des intendantes et des repas du roi (à propos de ces intendantes, voir N. Ziegler dans ce numéro). Fig.2 : M.10310. Réception de 10 gur (1200 litres) d’orge par Ilu-kân, d’auprès de Etel-pî-šarrim. Le 24 du mois xi de l’année de règne de Zimrî-Lîm 8

Texte administratif de Mari (M.10310). Réception de 10 gur (1200 litres) d’orge par Ilu-kân, d’auprès de Etel-pî-šarrim. Le 24 du mois xi de l’année 8 du règne de Zimrî-Lîm 13

Les scribes pouvaient exprimer également de plusieurs manières les modalités de réception du grain. La comparaison d’un petit bordereau de réception et d’un petit récapitulatif sur plusieurs jours reprenant entre autres ce bordereau, est particulièrement éclairante sur ce point. Alors que le premier document indique que du grain a été réceptionné dans la « maison » d’un certain Sabîmum, le second mentionne simplement que le grain a été perçu d’auprès Sabîmum. Cette nuance est plus subtile qu’il n’y paraît. Le terme « maison » en akkadien, bîtum, est en effet polysémique et peut être compris au sens premier comme une habitation, un bâtiment, ou bien, au sens socioéconomique, comme l’ensemble des biens matériels, alimentaires et humains dont

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disposait un particulier ou dont était responsable un fonctionnaire. Comme son titre est mentionné dans d’autres documents administratifs, nous savons que Sabîmum était le responsable d’un quartier près d’une porte du Palais, où avaient lieu de nombreuses transactions et manipulations de denrées provenant de l’extérieur. Le sens à retenir ici pour l’akkadien bîtum est donc celui de « centre administratif », explicité sur le bordereau mais simplement évoqué sur le récapitulatif à travers le nom de son responsable, connu de l’administration. Cette interprétation ne vaut pas en revanche pour toutes les expressions du même type « dans la maison de + nom propre ». En effet, elles renvoyaient parfois au domaine agricole d’un propriétaire terrien, s’acquittant d’une taxe sous forme de grain ou vendant ses produits agricoles au Palais, ou encore à l’ensemble des biens (dont des quantités de grain) possédés par un fonctionnaire palatial, dont une partie était intégrée aux stocks du palais après son décès. 14

On s’aperçoit donc que derrière une même nomenclature comptable se dessinent des réalités administratives différentes, la seule indication véritable sur sa signification étant le nom de l’individu concerné : la mention d’un nom propre suffisait à faire connaître implicitement au comptable les informations sur la nature de l’opération. En cas d’homonymie ou d’ambiguïté, les scribes n’hésitaient d’ailleurs pas à rappeler la fonction ou le statut de l’individu délivrant le grain.

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De manière générale, les « techniques textuelles »9 sur les documents comptables, même si elles obéissaient à des règles de rédaction, n’étaient pas pour autant figées. Des détails sur les contextes des opérations, concernant le lieu et les protagonistes et inscrits sur les bordereaux journaliers de réception de grain n’étaient par exemple pas systématiquement repris dans les récapitulatifs mensuels, et, réciproquement, des informations sur ce contexte (noms des protagonistes, lieu et nature de la transaction…), absentes sur les bordereaux, réapparaissaient sur certains récapitulatifs. Dans les cas où les scribes reprenaient bien les données chiffrées et contextuelles des petits comptes dans les récapitulatifs, on peut constater parfois de légères différences dans les quantités notées ou dans la façon d’orthographier certains termes ou anthroponymes. Ces phénomènes, souvent considérés comme marginaux par les éditeurs de textes et imputés à de simples erreurs de scribes, s’avèrent particulièrement intéressants à étudier, car ils offrent une clef de compréhension des procédés comptables. Le « statut de l’erreur » que les médiévistes ont déjà bien problématisé dans les études de diplomatique des documents, pose en effet une double question : les rédacteurs des récapitulatifs s’appuyaient-ils toujours sur l’ensemble des bordereaux qui concernaient la période d’exercice comptable et que l’administration avait scrupuleusement conservés, ou bien se fiaient-ils à des témoignages oraux des protagonistes des opérations ? A-t-on affaire à l’enregistrement de résultats effectifs ou bien à des données programmatiques ?

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La réponse à la première question fait toujours l’objet de débat au sein de la communauté assyriologique. Alors que pour certains, les scribes n’étaient pas en mesure de retrouver tous les originaux, trop dispersés dans les archives du Palais, pour rédiger les récapitulatifs10, d’autres assurent qu’ils avaient bien sous les yeux l’ensemble des pièces comptables, lors de cette rédaction11. S’il est vrai, dans la plupart des cas, que les rédacteurs des récapitulatifs concernant le grain ne reproduisaient pas de façon fidèle le contenu des bordereaux et pouvaient ajouter, compléter ou passer sous silence une information, cela ne signifiait pas pour autant que les originaux n’étaient pas à leur disposition. Par exemple, le fait que certains noms propres étaient parfois orthographiés différemment (phonétiquement ou de façon idéogrammatique) sur un bordereau et sur le

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récapitulatif suggère que le premier était lu à haute voix devant le scribe qui le recopiait. Il faut, de plus, s’entendre sur ce que l’on nomme documents « originaux ». Dans certains cas, il était spécifié que le document récapitulant plusieurs opérations devait être confronté aux bordereaux de réception scellés, et donc certifiés par l’administration, afin d’en corriger ou compléter le contenu ; cela signifie donc qu’il avait été rédigé dans un premier temps à partir de témoignages oraux ou de duplicata à disposition. On ne détruisait d’ailleurs pas systématiquement ces derniers, puisque plusieurs dizaines nous en sont parvenues. Le rôle des duplicata dans cette comptabilité ne se limitait donc pas à celui de brouillons intermédiaires, destinés à rédiger un document abouti. Ils fonctionnaient comme de véritables pièces comptables, susceptibles d’être utilisés dans la rédaction des récapitulatifs, mais dont seuls les exemplaires scellés pouvaient servir de justificatifs. On ne peut donc distinguer de manière tranchée les écrits temporaires des écrits visant à une certaine permanence. 17

Considérer que seuls les documents scellés garantissaient la fiabilité des chiffres et des informations revient à raisonner en terme de données effectives enregistrées, et donc nous amène à la seconde question. Concernant la période dite d’Ur III, précédant l’époque paléobabylonienne (fin du IIIe millénaire av. J.-C.), il est clair que les écrits comptables se sont développés moins pour un contrôle a posteriori que pour permettre des prévisions 12. Qu’en était-il des documents administratifs de Mari ? On a déjà prêté un caractère prévisionnel aux listes de rations, qui, une fois établies, pouvaient servir de prévisions pour la prochaine distribution puisque les effectifs du personnel du palais ne variaient guère d’un mois à un autre13. Mais peut-on trouver dans la comptabilité de Mari la trace de véritables données prévisionnelles et donc d’opérations administratives anticipées, en vue d’assurer l’approvisionnement constant du Palais en grain ?

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La réponse à cette question nous oblige à reconsidérer le modèle pyramidal appliqué souvent actuellement à la comptabilité des Anciens et que l’on peut résumer ainsi : les éléments comptables de base établis lors des diverses manipulations du grain, les bordereaux, serviraient à rédiger les récapitulatifs des opérations sur une journée, qui eux-mêmes seraient repris dans des récapitulatifs mensuels, utilisés à leur tour pour composer les bilans sur plusieurs mois. Il faut en réalité éviter toute idée a priori sur la nature de ces pratiques et raisonnements économiques, et essayer de comprendre comment l’organisation de ces textes et contextes comptables rendait possibles la synthèse, la mise à jour, mais aussi la prévision, et ainsi réfléchir aux deux finalités de cette comptabilité : « tenir des comptes » et « rendre des comptes ».

3. Tenir et rendre des comptes 19

L’identification de petits corpus concernant les mêmes opérations sur le grain et la mise en ordre chronologique des textes qui les composent, permettent de dépasser la simple analyse terminologique et d’aborder la typologie complexe des documents comptables. Pour illustrer ce propos, nous prenons l’exemple de quatre documents, notés d’après leurs numéros d’édition FM XV n° 46, n° 58, n° 65 et n° 66. Bien qu’ils puissent être, à première vue, tous qualifiés de « récapitulatifs », comme ils reprennent diverses réceptions de grain par le Palais enregistrées sur des bordereaux, leurs formulaires diffèrent sensiblement. Un texte porte une date en partie cassée (le n° 65), deux une date partielle avec le jour et le mois (les n° 46 et n° 58) et un ne mentionne ni le mois, ni le jour, ni l’année (n° 66). Nous sommes néanmoins sûrs que ces quatre documents

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recouvrent des opérations qui se sont déroulées entre le mois ix et xii de la 5e année du règne de Zimrî-Lîm, car nous disposons des bordereaux qu’ils reprennent, qui, eux, sont datés avec précision (mois, jour et année). L’analyse de leur formulaire et des données chiffrées, dont certaines varient légèrement d’un document à un autre, permet de connaître dans quel ordre ils ont été écrits, et ainsi de mieux comprendre leur fonction dans le système de comptabilité du Palais. 20

La rédaction des n° 46 et n° 66 précède celle des n° 58 et n° 65. Le premier texte, le n°46, qui porte des chiffres ronds concernant les quantités de grain, contrairement aux bordereaux de réception qu’il est censé reprendre, regroupe en réalité des estimations forfaitaires correspondant à une redevance qui devait être perçue dans différentes « maisons » (exploitations agricoles et structures administratives) en une journée. Le fonctionnaire en charge de cette perception avait certainement ce document en main, lorsqu’il a fait avec son équipe la tournée des « maisons » pour récupérer le grain. De la même façon, les quantités rondes et les informations vagues enregistrées sur le n° 66 s’opposent aux indications détaillées des bordereaux ; par exemple, le premier évoque un achat de grain à des marchands de la ville d’Imâr, alors que les seconds précisent le nom de la personne qui a délivré le grain, un agent commercial. Les n° 46 et n° 66 énumèrent donc des opérations programmées, comprenant des estimations de redevance et des achats envisagés. Une fois ces opérations terminées et certifiées sur les bordereaux qui donnent avec précision leur date, les véritables récapitulatifs n° 58 et n° 65, concernant les données effectives, ont été établis. Les scribes commençaient par rédiger des récapitulatifs mensuels, comme le n° 58 enregistrant les opérations du 16 / mois x au 16 / mois xi, qui ont servi par la suite à composer le n° 65 qui concernait une période de plusieurs mois. On est donc amené à distinguer des états prévisionnels de recettes, des bordereaux de réception, des récapitulatifs de réceptions intermédiaires et des récapitulatifs de réceptions finals. L’étude d’autres petits corpus dans les archives sur le grain, selon ce même principe de contextualisation et de comparaisons des données chiffrées et informatives, offre la possibilité d’enrichir cette typologie : il existait des aide-mémoire, précisant les lieux où devait être reçu le grain, des récapitulatifs de dépenses intermédiaires et des récapitulatifs de réceptions finals, concernant le grain et d’autres denrées délivrées aux intendantes des cuisines, qui préparaient les repas du roi et du personnel palatial.

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Comme une partie de ces documents intégrait des données prévisionnelles (estimations forfaitaires ou montages d’opérations commerciales), il nous faut dépasser la simple dialectique dépenses / recettes, à l’origine de l’opinio communis selon laquelle les institutions (Palais ou Temples) de l’époque paléobabylonienne comptabilisaient uniquement les biens qu’ils possédaient en propre et inventoriaient l’état réel de leurs stocks. Il semble en fait plus juste de parler d’ « actif » et de « passif » afin de souligner que la comptabilité du grain à Mari s’appuyait à la fois sur l’effectif (état réel des stocks) et sur le programmatique (estimations à moyen ou long terme). Deux textes provenant de la ville de Sippar dans le Centre mésopotamien révèlent que ces pratiques devaient très certainement s’étendre à d’autres régions que le Moyen-Euphrate14. Du grain stocké dans les entrepôts palatiaux, sous le contrôle d’un agent commercial, est en effet prêté à des particuliers alors que le volume total des stocks, enregistré après ces opérations, reste paradoxalement inchangé. Cela signifie donc soit qu’il était prévu qu’une quantité déterminée de grain pouvait à tout moment être retirée par le débiteur dans l’entrepôt, soit que ce grain avait bien été livré matériellement, mais que l’état des réserves de

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l’entrepôt tenait compte du fait qu’il devait être rendu, lors du remboursement de la dette, et donc ne laissait pas apparaître la diminution de volume. 22

Dans tous les cas, il s’agit bien de raisonnements économiques fondés sur le calcul de l’actif et du passif, dont la différence permet d’obtenir le « solde » pour le bilan comptable. La nomenclature administrative disposait d’ailleurs d’un terme pour désigner ce résultat, bašîtum, dont l’interprétation est parfois ambiguë, puisqu’il peut être traduit au sens premier par « ce qui est disponible », renvoyant ainsi à l’état réel du stock. Des documents spécifiques, mettant en regard le total des réceptions (l’actif) et le total des dépenses (passif) de grain sur une période déterminée (que la comptabilité moderne qualifie de « période d’exécution comptable »), ont néanmoins clairement pour vocation d’aider à obtenir le bašîtum qui reflète alors moins les denrées disponibles au sens pratique, que le résultat d’un calcul. Ces bilans comptables étaient établis lors de l’apurement des comptes, le nipiṣ nikkassî, qui étaient réalisés au moins une fois par an dans la « maison de l’administration » du Palais. Les scribes produisaient à cette occasion de véritables notifications de bilan comptable, datées au jour, au mois et à l’année et spécifiant le nouveau solde qui intégrait le solde précédent, sur la base de ce qu’ils nommaient « les informations inscrites sur les tablettes scellées pendant un an », et donc de pièces justificatives (fig. 2). Fig. 3 : M.10596. Notification de bilan comptable. Apurement de comptes d’Ilu-kân portant sur 887 gur 9 silà de petits pois, tenant compte d’un solde ancien, pour un an.

Texte administratif de Mari (M.10596). Notification de bilan comptable. Apurement de comptes d’Ilukân portant sur 887 gur 9 silà de petits pois, tenant compte d’un solde ancien, pour un an 23

La mise en série de plusieurs documents montre plus précisément que les bilans comptables pouvaient être rédigés non pas nécessairement à partir de l’ensemble des simples bordereaux scrupuleusement conservés et dont les totaux auraient tous été

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additionnés, mais de façon cumulative, à partir des données des mois précédents auxquelles on a ajouté les nouvelles données du mois en cours. Ce principe suppose que les comptables n’avaient pas, a priori, déterminé une période précise pour laquelle ils devaient établir un récapitulatif, mais plutôt que cette période avait été choisie a posteriori , ce qui nécessitait de s’appuyer sur des récapitulatifs mensuels voire des récapitulatifs sur plusieurs mois déjà établis auparavant. 24

Nous avons évoqué jusqu’à présent essentiellement les procédés mis à l’œuvre dans l’écriture des comptes ; nous nous intéressons maintenant aux acteurs impliqués, dont le rôle doit nécessairement être pris en considération pour dresser une image d’ensemble de la comptabilité du grain à Mari. La tenue des comptes était assurée par des scribes de l’administration, dont les noms n’apparaissent pas dans les textes. Tout au plus apprendon, sur un récapitulatif de réceptions de grain sur six mois, que la rédaction d’un tel document relevait du « service de Sîn-iddinam », un des chefs des archives du palais ( šandabakkum). Un nom revient en revanche sur presque tous les documents concernant la gestion du grain : celui d’Ilu-kân, chef du service des intendantes du palais. Ce service avait en charge l’approvisionnement en grain, provenant des récoltes, des redevances de particuliers ou des opérations commerciales, ainsi que sa redistribution dans le palais pour sa transformation en produits consommables (pains, gâteaux et plats divers…). On qualifie d’ailleurs souvent le corpus sur le grain à Mari des « archives d’Ilu-kân », dans le sens où il fait référence aux activités de ce dernier sur les treize années du règne de Zimrî-Lîm, plutôt que dans celui où il constituerait un ensemble de documents comptables rédigés et conservés dans un même lieu par le fonctionnaire. Ces documents ont été en effet retrouvés dans deux salles différentes du palais, respectivement à l’entrée de la « maison » des intendantes et dans la zone des cuisines, près du lieu des banquets royaux. L’intervention du service d’Ilu-kân dans la rédaction des documents comptables devait d’ailleurs se limiter aux bordereaux de réceptions ou de dépenses, indiquant des opérations effectives, qui constituent les seules pièces comptables, dans l’ensemble de la documentation, sur lesquelles on a retrouvé le sceau du fonctionnaire ; si l’établissement en amont des données prévisionnelles relevait probablement également de ce service, à même de connaître les besoins alimentaires du Palais, la réalisation des récapitulatifs et des notifications comptables à partir des bordereaux était assignée aux experts comptables du service de Sîn-iddinam, afin de procéder à l’apurement des comptes dans la maison de l’administration.

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Outre les noms des personnes, responsables de services administratifs, chefs d’exploitation agricoles ou marchands qui délivraient le grain à Ilu-kân, on trouve parfois sur les documents comptables ceux d’autres protagonistes de l’opération, qualifiés de GÌR, un terme sumérien signifiant au sens propre « pied » mais que l’on traduit dans le contexte administratif par « intermédiaire ». On a affaire de nouveau à un terme administratif qui recouvre, comme le terme bîtum, des réalités pratiques différentes, que seul le nom même de l’individu rappelait aux scribes ; GÌR pouvait désigner aussi bien des « transporteurs », des « convoyeurs », qui organisaient le transport du grain par bateau sur l’Euphrate, ou l’acheminaient entre les différents services du palais, que des « percepteurs » de taxes sous forme de grain ou des « administrateurs » du palais. L’apurement des comptes impliquait sous la mention GÌR également des personnes, dont le rôle consistait à rassembler et fournir des documents justificatifs concernant la gestion du grain pour les calculs et les vérifications. Le point commun entre tous les GÌR est en fait la reconnaissance par l’administration de leur responsabilité dans l’opération, quelle

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qu’elle soit ; il leur incombait dans la plupart des cas de récupérer (et probablement de rédiger) les documents comptables témoignant de l’opération dont ils étaient responsables (transport, perception de taxe, opération administrative…) et on sait que les comptes ne pouvaient être achevés tant que l’on ne possédait pas ces documents, pour les confronter à ceux indiquant les opérations prévisionnelles. 26

De façon générale, cette notion de responsabilité devant l’autorité royale est centrale dans la façon de « tenir les comptes » et surtout de « rendre des comptes » dans l’administration de Mari. La relation des fonctionnaires au pouvoir se caractérisait par un système de prestations et de contre-prestations ; si le roi les nommait et garantissait la pérennité de leurs fonctions et des droits conférés par leur statut, il leur appartenait de montrer leur fidélité et de prouver leur compétences pour la charge qui leur était assignée. La responsabilité du comptable reposait alors certainement moins sur la fiabilité de ses comptes, comme semblent le montrer les différences chiffrées repérées entre les billets et les récapitulatifs, que sur sa capacité à obtenir l’équilibre des comptes et réaliser un bon bilan comptable à la fin de l’année. Tout arriéré (ribbatum en akkadien et lá-u en sumérien) dans la gestion des stocks était en effet clairement pointé du doigt, à charge du responsable de pouvoir le combler rapidement. Lors de l’apurement des comptes concernant le grain, Ilu-kân devait alors certainement produire des pièces à conviction pour vérifier le calcul de l’actif et du passif, afin d’établir le bilan comptable, qui engageait sa propre responsabilité devant le roi, comme le montre clairement l’expression consacrée dans les notifications finales, portant sur le « bilan comptable d’Ilu-kân ». Comme certains documents révèlent que les comptes avaient lieu « devant les dieux », il est fort probable que cet engagement moral s’accompagnait d’une prestation de serments, selon le même procédé que celui mieux connu de l’entrée en fonction du personnel palatial15. La principale préoccupation dans la comptabilité du grain à Mari résidait donc dans la possibilité d’identifier les différents acteurs des opérations administratives, à tous les niveaux. Ce n’est donc pas les écrits comptables qui s’organisaient selon un modèle pyramidal, comme l’a montré plus haut la diversité typologique des documents, mais les responsabilités des personnages impliqués, allant des simples particuliers qui délivraient le grain, jusqu’à Ilu-kân au sommet de la structure administrative, en passant par les divers « intermédiaires », transporteurs, marchands, administrateurs…

Conclusion 27

Écrire, compter, mesurer. La tenue des comptes concernant la gestion du grain dans le palais de Mari faisait appel à plusieurs pratiques, dans et à côté des textes, qu'il nous faut aller chercher au-delà des informations laconiques et austères des formulaires. Les scribes ne décrivaient pas, par exemple, la façon dont on réalisait les opérations de mesure et de contre-mesure de grain mais se contentaient d’enregistrer les résultats en unités de capacité. Il leur importait surtout de connaître, à côté des quantités, la provenance du produit et le responsable administratif qui l’avait réceptionné. Les modalités d’acquisition, que se soit par le marché, le système de redevances ou le transfert d’une réserve à une autre, pouvaient, ou non, être explicitées. On pourrait alors penser que certains scribes étaient plus méticuleux que d’autres ; en réalité, les noms mêmes des protagonistes enregistrés dans les textes suffisaient le plus souvent à transmettre

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implicitement ces informations, puisque les comptables savaient de qui il s’agissait et quel était le rôle de chacun dans l’approvisionnement en grain. 28

Les écrits comptables ne visaient cependant pas uniquement à garder la trace d’une réception ou d’une dépense. Ils servaient de moyens de contrôle pour l’autorité royale, devant laquelle le fonctionnaire devait rendre des comptes et justifier de la bonne gestion des stocks de denrées qui lui avaient été confiés lors de l’apurement des comptes, une fois par an. La préoccupation majeure était alors moins de connaître l’état réel des stocks que d’être sûr de pouvoir approvisionner régulièrement le Palais, afin d’éviter des ruptures de stock. On établissait à cette fin de petits états prévisionnels, qui rappelaient par exemple les montants en grain dus par des particuliers au palais ou le montage d’opérations commerciales. Après la moisson de printemps, ces données programmatiques étaient confrontées aux données effectives, c’est-à-dire aux quantités réellement perçues par le Palais et les éventuels manques à gagner devenaient des arriérés pour les débiteurs concernés. Ce type de comptabilité s’appuyait donc sur le calcul d’actifs et de passifs, plus complexe qu’un compte portant sur des recettes et des dépenses, puisqu’il intégrait des estimations forfaitaires dans le cadre des redevances ou des dettes devant être perçues par le Palais. En ce sens, les scribes produisaient de véritables écritures comptables, prenant en considération prévisions, estimations, résultats antérieurs et opérations réelles. Ce constat ouvre de nouvelles perspectives de recherche dans l’étude des comptabilités de l’époque paléobabylonienne ; au delà des simples informations sur la gestion des denrées et des données chiffrées que l’on interprète traditionnellement comme l’enregistrement brut et objectif de réalités économiques, se dessine un ensemble de savoir-faire complexes et de rationalités pratiques mobilisés pour répondre aux véritables préoccupations des Anciens, qui demande à être étudié de façon approfondie.

NOTES 1. Les documents comptables de Mari ont été essentiellement publiés dans les séries Archives Royales de Mari (vol. VII, IX,XI, XII, XVIII, XIX, XXI à XXV, XXX à XXXII) et Florilegium Marianum (vol. III, IV, X à XII). De nombreux textes administratifs de Mari et d’autres sites paléobabyloniens ont été intégrés dans le corpus numérique en ligne ARCHIBAB (sous la direction de Dominique Charpin) sur http://www.archibab.fr/. 2. Selon les expressions choisies par D. Charpin (Charpin, D., « L’historien face aux archives paléobabyloniennes », in H. D. Baker, B. Janković et M. Jursa (éds.) Too much data ? Generalizations and Model-building in Ancient Economic History on the Basis of Large Corpora of Documentary Evidence, AOAT, Münster (à paraître en version anglaise ; la version française est accessible sur http:// www.digitorient.com), 2009, p. 15. 3. Le titre de cet article a été choisi en référence à l’ouvrage Coquery, N., Menant, F. & Weber, F. (éds.), Écrire, Compter, Mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, 2006, qui prône une approche pluridisciplinaire pour étudier les pratiques comptables et les raisonnements à caractère économique. 4. Chambon, G., Les archives d’Ilu-kân : gestion et comptabilité du grain dans le palais de Mari, Florilegium Marianum XV, Paris, 2016.

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5. Voir l’article à paraître de Chambon, G., Marti, L. & Pommerening T. « Specificied grain measures in Ancient Near East: different standards or administrative operations (2nd Mill. B.C)? » in G. Chambon & A. Otto (eds.) Weights and Measures as a Window on Ancient Near Eastern Societies, Série Subartu, 2016. 6. Chambon, G., « Les mâdidum et le commerce du grain sur l’Euphrate », Revue d'Assyriologie et d'Archéologie 105, 2011/1, p. 193-198. 7. Veenhof, K. R. « sagílla = saggilû », in J.M. Durand & J.R. Kupper (éds.), Miscellanea Babylonica, Mélanges offerts à Maurice Birot, Paris, p. 285-306. 8. Voir l’article à paraître de Postgate, N., « On some Middle Assyrian Metrological Points », in G. Chambon & A. Otto (eds.) Weights and Measures as a Window on Ancient Near Eastern Societies, Série Subartu, 2016. 9. Je reprends ici l’expression et le sens proposé par Chemla, K. « Écritures pratiques et histoire des sciences », in Coquery, N., Menant, F. & Weber, F. (éds.), Écrire, Compter, Mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, 2006, p. 265-275. 10. Sasson, J. « Accounting discrepancies in the Mari NÌ.GUB [NÍG.DU] texts », in Mél. Kraus, Leyde, 1982, p. 326-341. 11. Charpin, D. « L’historien face aux archives paléobabyloniennes », in H. D. Baker, B. Janković et M. Jursa (éds.) Too much data ? Generalizations and Model-Building in Ancient Economic History on the Basis of Large Corpora of Documentary Evidence, AOAT, Münster (à paraître en version anglaise ; la version française est accessible sur http://www.digitorient.com, 2009), p. 19. 12. Wilcke, C., Zeitschrift zur Assyriologie 60, 1970, p. 166. 13. Charpin, D., « L’historien face aux archives paléobabyloniennes », p. 19. 14. Voir la note dans NABU 2015/4 de Thibaud Nicolas, « La prise en compte d’actifs comptables dans les archives de l’entrepôt du kârum de Sippar ». 15. Voir les remarques de Durand, J.-M., Documents épistolaires du Palais de Mari, Tome I, LAPO 16, Paris, p. 33.

RÉSUMÉS Plusieurs milliers de documents comptables de la période paléobabylonienne (env. 1800-1600 av. J.-C.) ont été retrouvés dans le palais de Mari, et environ 6 000 d’entre eux publiés. Cette étude de cas concerne un administrateur palatial, Ilu-kân, dont le nom apparaît sur un peu plus de 200 textes administratifs. Il était responsable des réceptions de grain pour le Palais. Ce corpus offre l’opportunité d’étudier la signification exacte et l’importance de la terminologie administrative, ainsi que les informations (détaillées ou non) sur la transaction, pour une meilleure compréhension des pratiques comptables. Cette relation complexe entre mesures, procédures administratives et enregistrement des données concerne à la fois la culture matérielle et la culture scribale, dans leur contexte social. In the palace of Mari, many thousands of accounting texts from the Old Babylonian Period (c. 1850–1600 BC) were excavated and over 6000 of them were published. This case study is related to a Mari official, Ilu-kân, whose name appears in ca. 200 administrative documents. He was the person responsible for receiving deliveries of grain to the Palace. This corpus offers the opportunity to investigate the exact meaning and the importance of administrative terms and (detailed or not detailed) information about the transaction for the study of accounting practices.

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This complex relationship between measuring, administrative procedures and recording concerns both material and scribal cultures, within their social context. Mehrere tausend Rechnungsdokumente des altbabylonischen Zeitalters (etwa 1800-1600 v. Chr.) wurden im Palast von Mari gefunden, und ungefähr sechstausend von ihnen sind veröffentlicht. Diese Fallstudie betrifft einen Palastverwalter, Ilu-kân, dessen Name auf etwas mehr als zweihundert Verwaltungstexten erscheint. Er war für die Getreideeinnahmen des Palasts verantwortlich. Dieses Korpus bietet die Gelegenheit, die genaue Bedeutung und die Wichtigkeit der verwaltungstechnischen Terminologie, sowie die mehr oder weniger detaillierten Informationen zu den Transaktionen zu untersuchen, um so ein besseres Verständnis für die konkrete Rechnungspraxis zu bekommen. Diese komplexe Beziehung zwischen Maßen, administrativen Prozeduren und der Aufzeichnung von Daten betrifft sowohl die materielle, als auch die schriftliche Kultur in ihrem sozialen Kontext. Se han encontrado miles de documentos contables de la época paleobabilónica (hacia 1800-1600 a.C.) en el palacio de Mari y se han publicado unos 6000. Este estudio de caso se centra en un administrador palaciego, Ilu-kân, cuyo nombre aparece en algo más de 200 textos administrativos. Era responsable de recibir el grano destinado al Palacio. Este corpus permite estudiar el significado exacto y la importancia de la terminología administrativa, así como las informaciones (pormenorizadas o no) sobre la transacción, facilitando una mejor comprensión de las prácticas contables. Esta relación compleja entre medidas, procedimientos administrativos y registro de la información concierne a la vez a la cultura material y a la cultura de los escribas, en su contexto social.

INDEX Mots-clés : comptabilité, tenir des comptes, Proche-Orient, cunéiforme, Mari Palabras claves : contabilidad, teneduría de cuentas, Próximo Oriente, cuneiforme, Mari Keywords : accounting, bookkeeping, Ancient Near East, cuneiform, Mari Schlüsselwörter : rechnungswesen, kontenführung, naher und mittlerer Osten, Keilschrift, Mari.

AUTEUR GRÉGORY CHAMBON Maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale Directeur d’études à l’EHESS, équipe AnHIMA (en cours de nomination) [email protected]

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Accounting in the kitchens of a Mesopotamian king Das Rechnungswesen in den Küchen eines mesopotamischen Königs La contabilidad en las cocinas de un rey de Mesopotamia Nele Ziegler

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1920 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Nele Ziegler, « La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 21 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ comptabilites/1920

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La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien

La comptabilité dans les cuisines d’un roi mésopotamien Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Accounting in the kitchens of a Mesopotamian king Das Rechnungswesen in den Küchen eines mesopotamischen Königs La contabilidad en las cocinas de un rey de Mesopotamia Nele Ziegler

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Le site de Mari (Tell Hariri, Syrie) proche de la ville actuelle d’Abou Kemal sur l’Euphrate est célèbre pour son palais du XVIIIe siècle av. J.-C. Ses vestiges architecturaux et les textes qui y ont été retrouvés livrent des témoignages très détaillés sur la vie d’une cour mésopotamienne.

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Fig. 1 : carte du Proche-Orient à l’époque des archives de Mari

Charpin D. et Ziegler, N., Mari et le Proche-Orient à l'époque amorrite : essai d'histoire politique, Florilegium Marianum V, Mémoires de NABU 6, Paris, p. 28.

1. Archives de Mari 2

La documentation écrite retrouvée à Mari est en effet exceptionnelle. Elle est estimée à 20.000 textes et fragments, qui forment un lot épigraphique cohérent : plusieurs dizaines de milliers de textes administratifs, souvent datés, documentent le quotidien du palais, ses dépenses régulières et occasionnelles, tandis que la correspondance passive des deux derniers rois de cette ville fournit un regard complémentaire sur les événements et l’organisation de la société de l’époque1. Une centaine de documents juridiques et quelques rares œuvres « littéraires » complètent le tableau. Les textes sont rédigés en écriture cunéiforme sur des tablettes en argile dans une langue sémitique, l’akkadien. La densité de la documentation écrite permet de reconstituer et comprendre le fonctionnement de l’administration et de la comptabilité. L’image ainsi gagnée peut servir de paradigme pour d’autres grands ensembles architectoniques contemporains, palais royaux ou grandes demeures.

2. La population du palais 3

La documentation administrative retrouvée à Tell Hariri provient de la gestion du palais royal, habitat privé du roi et de son vaste harem, et, par ailleurs, siège de l’administration centrale et lieu d’exercice du pouvoir royal. Le palais de Mari, découvert il y a plus de 80 ans, est bien connu et a été étudié tant du point de vue archéologique que textuel. Pour l'analyse architecturale, on citera notamment les travaux de J.-C. Margueron2. Par ailleurs, les textes découverts dans ce bâtiment ont permis à J.-M. Durand de retrouver les

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désignations anciennes des différentes parties du bâtiment et de reconstituer leurs fonctions3. Fig. 2 : plan du palais de Mari – 1 : l'entrée officielle avec les secteurs administratifs (le bît têrtim) et la grande cour (131) ; au sud, la chapelle d’Ištar (132) – 2 : chapelles diverses – 3 : un secteur dans lequel il y avait des réserves et dépendances et où le dernier roi de Mari, Zimri-Lim, avait ses appartements à l'étage – 4 : une deuxième cour (106) avec la salle du trône (65) et les cuisines ainsi qu’une zone administrative groupée autour des petites cours (1 et 70) – 5 : le secteur où étaient logées les femmes du palais (au moins une partie d'entre elles) – 6 : le secteur des cuisines et de l’administration de ces dernières.

In E. Lévy (éd.), Le système palatial en Orient, en Grèce et à Rome, Strasbourg, 1987 4

Le palais était l’habitat du roi, de sa famille et de leur domesticité. Nous savons par plusieurs sources concordantes que les habitants réguliers du palais étaient quasiment en totalité de sexe féminin. Jetons d’abord un œil sur un compte-rendu mensuel des dépenses de plusieurs centaines de litres d’huile effectuées depuis les réserves du palais de Mari ; rappelons qu'à cette époque, l'huile servait notamment aux soins corporels, le savon étant alors inconnu. Ce texte, presque intact4, commence par indiquer les dépenses occasionnelles et se termine par celles plus régulières destinées au roi, à la population de son palais ainsi qu'à diverses personnes rattachées à la personne du souverain, serviteurs et soldats de sa garde du corps.

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Le texte administratif FM 3 605 énumère les différents postes de dépenses en mettant tout à gauche les quantités dépensées et, en retrait à droite, les justifications. L’extrait cidessous commence à la septième ligne du revers6 :

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Fig. 3 : FM 3 60 revers

Texte administratif de Mari (FM 3 60 revers)

« — […litres] rations d’huile du roi. — [x +] 32 5/6 l7 et 1/8 l de ration d’huile : le palais : 2 femmes 2 l chaque ; 3 femmes 1 1/2 l chaque ; 3 femmes 1 l chaque ; 182 femmes 1/2 l chaque ; 8 femmes 1/3 l chaque ; 117 femmes ¼ l chaque ; 35 femmes 1/8 l chaque et pour 15 portiers ¼ l chaque. — 3 l de ration d’huile : 3 nourrices-mušêniqtum. — 69 l de ration d’huile : les nomades (de la garde royale) dirigée par Kalalum : 1 homme 1 l ; 6 hommes 2/3 l chaque ; 10 hommes 1/2 l chaque ; 237 hommes 1/3 l chaque. — 13 1/3 l et ¼ l de ration d’huile : (service) des appartements privés-ṭemmennum : 1 homme 2/3 l ; 1 homme 1/2 l ; 49 hommes ¼ l chaque. — 5 l 10 sicles de ration d’huile : (les porteurs) du palanquin : 1 homme à 2/3 l ; 18 hommes ¼ l chaque. — 4 2/3 l de ration d’huile : (la garde personnelle, composée) d’hommes originaires du Nurrugum : 1 homme 2/3 l ; 15 hommes ¼ l chaque. Total : […]+ x l d’huile. Dépenses effectuées pour un mois. Responsable : Šub-Nalu. » 6

Ce récapitulatif mensuel énumère, comme nous venons de le voir, les dépenses d'huile pour la personne royale, la quantité étant malheureusement cassée. Le palais est mentionné après le roi, et à part. Il était habité alors par 350 femmes, énumérées selon la quantité d’huile reçue, ainsi que par 15 gardiens de porte8. Cette population palatiale est traitée séparément des trois nourrices qui exerçaient leur métier très vraisemblablement en dehors du palais, selon ce que nous savons des coutumes mésopotamiennes 9. Suivent les rations attribuées à la garde royale ainsi qu’à des domestiques du roi. Ces hommes accompagnaient le monarque dans ses nombreux déplacements, mais nous ne savons pas s’ils étaient logés avec lui dans le palais lors de ses séjours dans la capitale. Cependant, ils

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ne figurent pas dans la population désignée comme « le palais » par les textes économiques : on peut donc supposer qu’une majorité d'entre eux ne passaient pas la nuit dans ce bâtiment. 7

Le palais n’était pas uniquement une demeure, c'était aussi le centre de l’administration. Nous savons de manière certaine que les administrateurs du palais vivaient en dehors de ce bâtiment et qu’ils s’y rendaient pour leur travail. Cela est dit clairement par un haut fonctionnaire, responsable des réserves du palais, Mukannišum10. Même ce fonctionnaire n’avait pas accès au palais à certaines heures de la journée. Dans une lettre au roi il explique en particulier pourquoi il n’avait pas pu accéder aux réserves palatiales11 : « Lorsque la tablette de mon seigneur m’est arrivée, c’était la nuit ; les verrous du palais étaient mis et je n’ai pas (pu) faire sortir ces lances. »

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D’autres textes indiquent que le palais était fermé aux heures de la sieste et que c'était un des moments où les femmes de la famille royale pouvaient y circuler plus librement.

3. Les scribes des tablettes administratives de Mari 9

Les textes retrouvés dans le palais de Mari portent très exceptionnellement une indication sur leur auteur, rédacteur véritable. Cette situation pose la question de la réalité de l’administration. On sait de façon sûre que certains fonctionnaires savaient lire et écrire12 : écrivaient-ils eux-mêmes les textes de leur comptabilité ou supervisaient-ils un groupe de scribes sous leurs ordres ? La réponse varie probablement d’un service à l’autre. Pour l’instant, elle ne peut pas être donnée avec précision, sauf dans un cas : celui de l’administration des cuisines du palais. On verra ci-dessous que le cas de cette administration est doublement intéressant, car il démontre l’implication active de femmes scribes dans la gestion du palais13. Qui plus est, elles étaient parmi les auteurs les plus prolifiques de tablettes de comptabilité.

4. Les cuisines du palais 10

Les fouilles de A. Parrot dans les années 193014 ont permis le dégagement de plusieurs ensembles de pièces et petites cours au sud-ouest du palais qui furent identifiées assez vite comme cuisines, grâce à la présence des nombreux fours, et à la découverte de vaisselle en céramique15. Dans l’analyse architectonique du palais, J.-C. Margueron avait désigné cet ensemble de pièces, donc les cuisines à strictement parler, comme « unité des services alimentaires »16. À côté se trouvait un ensemble de pièces autour de la cour 1 que J.-C. Margueron désigne comme la « salle de l’administration et ses dépendances », et qui avait été identifié par A. Parrot avec un « quartier de l’intendance ». Dans la publication des fouilles, ce dernier introduisit le chapitre qui y était consacré par ces mots 17 : « Cette appellation nous a été suggérée par la trouvaille dans une des salles proches de la cour 1, d’un important lot de plusieurs centaines de tablettes de caractère économique. De certains aménagements de la cour, nous avons cru pouvoir aussi donner une interprétation évoquant les fonctions d’un intendant ou si l’on veut, d’un personnage préposé à des enregistrements. […] Il ne s’agit ni d’appartements, ni de “communs”, mais de salles où l’on était occupé aux besognes de l’État ».

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Fig. 4 : le début du dégagement des tablettes de la S 5 du palais de Mari

A. Parrot, MAM II, p. 218 fig. 254 11

Dans la description de la salle 5, attenant à la cour 1, A. Parrot écrit 18 : « L’importance de cette chambre tenait à ce qu’elle abritait plusieurs centaines de tablettes, entassées dans des jarres superposées contre la paroi sud. Nous n’avons pas retrouvé de traces d’étagères […] : en ce secteur, où les murs étaient encore hauts de 3,15 m à 3,50 m, les trouvailles épigraphiques commencèrent à moins d’un mètre des superstructures architecturales et se poursuivirent jusqu’au dallage 19. Toute la chambre avait été carrelée (…) et l’usure manifeste indiquait une grande circulation. Affaissements, craquelures, témoignaient de ces allées et venues, entre ce dépôt d’archives et la cour 1, où le fonctionnaire procédait aux enregistrements. »

12

Il est rare que nous puissions faire le lien entre archéologie et les textes, et la situation de l’administration des cuisines royales est exceptionnelle. Pour A. Parrot, il était évident que la personne qui avait rédigé les tablettes administratives était de sexe masculin. Ce présupposé peut être corrigé grâce à l’analyse des textes.

4.1. Le service des cuisines 13

Nous avons vu ci-dessus que le palais de Mari était habité majoritairement par des femmes. A la fin de la première année du règne de Zimri-Lim, lors de la rédaction de FM 3 60, elles étaient au nombre de 350. Nous disposons d’autres textes sur les rations distribués aux femmes du harem, plus détaillés et plus tardifs. Nous voyons ainsi qu’un mois après la rédaction de FM 3 69, le palais comportait déjà 384 habitants, notamment suite à la déportation des femmes depuis une ville conquise20. Ces femmes du palais, énumérées nominalement avec leurs rations, étaient entre autres les princesses, donc les filles ou sœurs du roi, ses épouses, les musiciennes de différentes catégories, des

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chambrières, les servantes de la reine, des gardiennes de portes, des porteuses d’eau et les femmes travaillant dans les cuisines palatiales21. 14

Le service des cuisines était sous les ordres d’un homme, Ilu-kân (voir l’article de G. Chambon dans ce numéro), qui n’était pas un habitant du palais22 mais le responsable des stocks à l’extérieur du palais. Dans ce service des cuisines, placé sous son autorité, s’activaient selon le moment entre 25 et 40 femmes qui exécutaient des tâches diversifiées, en tant qu’administratrices des cuisines (abarakkatum « économe »), ou spécialistes de la confection de gâteaux (ša mersim), boulangères ou cuisinières, ou encore chargées de la préparation de boissons, bières himrum ou alappânum. Aux spécialistes de l'élaboration des mets se rattachaient des auxiliaires : meunières, préparatrices de céréales-burrum, puiseuses d’eau et d’autres, ainsi que … des femmes scribes 23. Selon la documentation disponible, elles étaient deux à travailler dans les cuisines24.

4.2. Les textes désignés comme « repas du roi » 15

Plusieurs centaines de textes appartiennent à un lot assez homogène et plutôt laconique, que nous désignons, par décalque avec la nomenclature des textes akkadiens, comme « repas du roi ». Il s’agit de textes qui énumèrent des quantités de préparations à base de céréales et de légumineuses dépensées pour « le repas du roi et de la troupe à Mari 25 ». On peut citer à titre d'exemple le texte ARM 12 10726 : « 86 l de pain-kum 12727 l de pain levé 70 (l) de gâteau-mersum 10 (l) de bière-alappânum 5 l de šipkum 2 l de pappasum 10 (l) de fèves pour (accompagner ?) la plante-nagappum 7 l d’huile ½ l de miel 5 l de sésame Total : 283 l de pain 10 l de bière-alappânum 10 l de šipkum Repas du roi et de la troupe à Mari. Date : 28 viii-année 3 de Zimri-Lim (Yaminites 1). »

16

Des textes de ce genre ont été retrouvés par centaines dans la salle 5, mais aussi dans d’autres pièces du palais. Ils ont été écrits lors du séjour du roi dans son palais ou lorsque les cuisines palatiales étaient chargées de préparer des denrées supplémentaires pour la table royale. La date est systématiquement mentionnée sur ces textes. Les documents étaient ensuite stockés dans des jarres et archivés, mais non détruits ou recyclés comme ce fut le cas d’autres documents administratifs périmés.

4.3. Les scribes de ces textes 17

Les textes des « repas du roi » ne donnent pas un aperçu sur les habitudes culinaires de l’époque, car ils répertorient uniquement les quantités de céréales et de légumineuses, mais pas les quantités de viandes ou autres denrées qui étaient utilisées en même temps pour la préparation des repas.

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Or leur masse considérable et la nature homogène de ces plusieurs centaines de textes a permis à M. Birot, leur principal éditeur, de distinguer trois mains de scribe grâce à plusieurs critères épigraphiques, voire graphologiques. M. Birot décrivit sa démarche en ces termes28 : « Cet examen nous a permis de déterminer des types d’écriture en prenant comme critères un certain nombre de signes pris parmi ceux qui sont écrits le plus souvent et qui présentent les différences les plus nettes et les plus constantes, en observant qu’à une forme donnée de tel d'entre eux correspond telle forme pour chacune des autres. Le tableau ci-contre montre comment ont été définis les trois types d’écriture A, B et C. » Fig. 5 : tableau graphologique des mains de scribe A, B et C

M. Birot, ARM 12, p. 17 19

Une fois que M. Birot fut capable de distinguer les mains A, B et C, qu’il soupçonnait appartenir à trois personnes différentes, il répartit chronologiquement les textes écrits par les différentes mains et édités dans son volume. Or, au début des années 1960, lors de la rédaction de ce livre, la succession chronologique des années de Zimri-Lim n’était pas encore bien établie et M. Birot se servit de cet argument pour répartir les années. Aujourd’hui, les noms d’années du règne de Zimri-Lim suivent un ordre relativement bien établi29. Il est donc possible de refaire le tableau de M. Birot avec la répartition en nombre de textes d’ARM 12 selon les mains de scribe, en mettant les années de Zimri-Lim dans leur séquence définitive :

Année de règne30

Sigle de M. Birot, ARM 12, p. 17-18

Main A

Main B Main C

ZL 3

Yaminites I

93

50



ZL 4

Ašlakka I

11

3



ZL 5

Trône de Šamaš I

150

24



ZL 6

Recensement

13 (mois i-iii) 21

160

ZL 7

Dur-Yahdun-Lim



220

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ZL 8

ZL 9

20

Statue de Ḫatta



6

145

muballiṭum



2

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Expédition d’Elam —

1

34

Il est aujourd’hui possible d’attribuer les mains A, B et C à des femmes scribes ayant travaillé dans les cuisines du palais. Quatre listes énumérant les femmes du harem de Mari nomment les femmes scribes des cuisines. Le texte le plus ancien date du mois xi ZL 1 (Kahat) et énumère les rations d’huile attribuées aux femmes travaillant dans les cuisines et rattachées au « service d’Ilu-kan ». Ce texte indique31 : « ¼ l (d’huile) : Belti-lamassi ¼ l : Ahum-mati 2 femmes scribes »

21

Même si ce texte est plus ancien que les données enregistrées ci-dessus, il me semble possible d'identifier Belti-lamassi32 et Ahum-mati avec les « mains A et B », bien répertoriées comme celles ayant rédigé les « repas du roi » des années ZL 3 jusqu’au début ZL 6. À ce stade, il est encore impossible d'être plus précis, en identifiant l'une des femmes comme « main A » et l'autre comme « main B ».

22

Un autre texte est datable du milieu du règne, probablement des années ZL 6 ou ZL 7. Il s’agit d’une liste nominative des femmes du harem, qui énumère parmi le personnel des cuisines les deux femmes scribes, Eštar-šamši et Belti-lamassi33. Nous pouvons donc les identifier avec les mains B et C.

23

Si l'on combine cette information avec la précédente, la conclusion s'impose : Beltilamassi étant commune aux deux textes, c'est elle la « main B ». Par élimination, Ahummati est la « main A » et Eštar-šamši la « main C ».

24

Ahum-mati est donc attestée au début du règne et a rédigé les textes attribués à la « main A » ; elle collaborait avec Belti-lamassi qui est attestée durant toute la période documentée par les textes rédigées par la « main B ». Eštar-šamsi, soit la rédactrice des textes attribués à la main C, prit le relais de Ahum-mati après le troisième mois de l’année ZL 6.

Conclusion 25

L’administration des cuisines du palais représentait une tâche certainement impressionnante et quotidienne. Lorsque le roi résidait dans sa capitale, il avait l’habitude de prendre ses repas avec un nombre de convives variable, mais toujours important34. Les documents qui enregistraient les dépenses en céréales et légumineuses lors des « repas du roi et de la troupe » sont un genre de textes au premier abord assez peu passionnants. Mais, pour l’instant, il s’agit du seul corpus de textes pour lequel les chercheurs avaient pu clairement définir des mains différentes. Or il nous semble désormais possible d’identifier ces « mains » avec les femmes énumérées comme « scribes des cuisines ». Elles travaillaient à deux et avaient la charge de rédiger les centaines de textes des « repas du roi » découverts dans les ruines du palais de Mari – elles sont, à leur modeste niveau, probablement les rédactrices les plus prolifiques en nombre de textes qu’on ait pu identifier à ce jour pour toute la documentation cunéiforme.

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NOTES 1. Pour les textes de Mari, consulter le site web www.archibab.fr. Il donne accès à la bibliographie complète, la transcription et le contenu des textes. Pour une présentation générale, voir Durand, J.-M., Charpin, D., Chambon, G., Jacquet, A., Marti, L. et Reculeau, H., « Tell Hariri / Mari : Textes », Supplément au Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008, p. 213-456 (téléchargeable sur www.archibab.fr). 2. Margueron, J.-C., Recherches sur les palais mésopotamiens à l'Âge du Bronze , Bibliothèque Archéologique et Historique 107, Paris, 1982 et id., Mari, métropole de l'Euphrate au IIIe et au début du IIe millénaire avant J.-C., Paris, 2004. 3. Durand, J.-M., « L’organisation de l’espace dans le palais de Mari », in E. Lévy (éd.), Le système palatial en Orient, en Grèce et à Rome, Strasbourg, 1987, p. 39-110. 4. Il manque l’angle inférieur gauche de la tablette. De ce fait, certaines quantités sont cassées. 5. Le texte FM 3 60 a été édité par Duponchel, D., « Les comptes d'huile du Palais de Mari datés de l'année de Kahat », in D. Charpin & J.-M. Durand (éds.), Florilegium Marianum III. Recueil d'études à la mémoire de Marie-Thérèse Barrelet, Mémoires de NABU 4, Paris, 1997, p. 201-262 spécialement p. 229-234. 6. Extrait de FM 3 60 : 47-66. La date figure tout en bas du revers : « mois Belet-biri, 30 e jour de l’année où Zimri-Lim a conquis (la ville de) Kahat ». Le texte date donc du dernier jour du dixième mois, probablement notre mois de janvier, de l’année 1774 av. J.-C. 7. La mesure qa (également notée sila₃ = silà) employée correspond approximativement à notre litre, voir Chambon, G., Normes et pratiques : L’homme, la mesure et l’écriture en Mésopotamie. I. Les mesures de capacité et de poids en Syrie Ancienne, d’Ébla à Émar, Berliner Beiträge zum Vorderen Orient 21, Gladbeck, 2011, spécialement p. 25-28. Un qa est divisé en 60 sicles, les subdivisions se font soit par fractions de qa (2/3, ½, 1/3), soit par l’indication des sicles (15 ou 7 ½ sicles correspondant à ¼ ou 1/8 de qa). J’ai décidé de rendre les quantités énumérées par simplicité en « litres » avec les fractions. 8. Cette population palatiale est connue par ailleurs grâce à des listes plus détaillées, voir Ziegler, N., Florilegium Marianum IV. Le Harem de Zimrî-Lîm, Mémoires de NABU 5, Paris, 1999. Les textes édités dans ce volume portent le sigle FM 4 suivi d’un numéro. 9. Ziegler N., « Les enfants du palais », Ktèma 22, 1997, p. 45-57. 10. À l’époque de Zimri-Lim, Mukannišum est un des hommes-clés de l’administration du palais de Mari et de la gestion des réserves de toute nature. Pour cet homme, voir en dernier lieu Lafont, B., « La correspondance de Mukannišum trouvée dans le palais de Mari : nouvelles pièces et essai d'évaluation », in D. Charpin & J.-M. Durand (éds.), Florilegium Marianum VI. Recueil d'études à la mémoire d'André Parrot, Mémoires de NABU 7, Paris, 2002, p. 373-412 (avec bibliographie antérieure). 11. ARM 13 9 : 26-30 (a été édité par « Bottéro, J. « Lettres de Mukannišum », in Archives Royales de Mari XIII, Textes divers, transcrits, traduits et commentés par Dossin G. et al.). 12. Plusieurs hauts fonctionnaires se décrivent comme « scribe » sur leur sceau ; pour d’autres, ce sont des allusions dans des lettres qui permettent de savoir qu’ils savaient écrire. Pour cette question, voir Charpin, D., Lire et écrire à Babylone, Paris, 2008, notamment p. 41-50. 13. Voir ici Charpin, D. op. cit. n. 10, p. 50. La question des femmes scribes a été développée par ailleurs, notamment par Ziegler, N., Florilegium Marianum IV, 1999, p. 91-92 et p. 106 ; Lion, B. et Robson, E., « Quelques textes scolaires paléo-babyloniens rédigés par des femmes », Journal of Cuneiform Studies 57, 2005, p. 37-54 ; Lion, B., « Les femmes scribes de Sippar », Topoi Supplement

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10, 2009, p. 289-203 ; ead., « Literacy and gender », in K. Radner & E. Robson (éds.), Handbook of Cuneiform Culture, Oxford, 2011, p. 90-112. 14. Parrot, A., Mission archéologique de Mari II. Le palais. Architecture, BAH 68, 1958, p. 206-244 (abrégé ci-dessous en MAM II) 15. Une partie des moules décorés, retrouvés dans la salle 77 du palais, peuvent être admirés au Louvre dans la salle 3 des Antiquités Orientales : voir pour la vitrine http://cartelen.louvre.fr/ cartelen/visite?srv=obj_view_obj&objet=salle_105_25660_AO0003.004.jpg_obj.html&flag=false. 16. Voir e.g. Margueron, J.-C., Mari, métropole de l'Euphrate (op. cit. n. 2), p. 459-500. 17. Parrot, A., MAM II, p. 206. 18. Parrot, A., MAM II, p. 217-218. 19. Margueron, J.-C., BAH 107, p. 302 explique en revanche cette hauteur des découvertes épigraphiques au dessus du sol par le fait que les conteneurs à tablettes seraient tombés de l’étage ; cette même interprétation est donnée par id., Mari. Métropole de l’Euphrate, p. 466. Le lieu de stockage définitif des tablettes, dans la salle 5 ou éventuellement dans une pièce au dessus de cette dernière n’a pas d’incidence sur les auteurs de ces textes. 20. Le texte FM 4 3 énumère des déportées de la ville de Kahat (Tell Barri) ; cf. Ziegler, N., FM 4, p. 131-140. 21. Pour le service des cuisines, voir Ziegler, N., FM 4, p. 98-109. 22. Pour cet homme voir la monographie de Chambon G., Les archives d'Ilu-kân : gestion et comptabilité du grain dans le palais de Mari, Florilegium Marianum XV, Paris (à paraître). 23. Pour ces femmes scribes, voir Ziegler, N., FM 4, p. 106. 24. On n’oubliera pas de mentionner que le harem de Mari hébergeait par ailleurs un autre groupe de femmes scribes : pour celles-ci, voir Ziegler, N., FM 4, p. 91-92. Dans les premières années de règne de Zimri-Lim, elles étaient au nombre de neuf femmes ; pour les autres époques, les données ne sont pas si précises. Ces femmes n’étaient pas rattachées directement au service des cuisines mais étaient mentionnées dans les listes proches des économes (abarakkatum) et des servantes de la reine. On peut supposer qu’elles exécutaient des tâches administratives. Nous ne savons pas si elles pouvaient également rédiger la correspondance des femmes du palais (pour ces lettres, voir Durand, J.-M., Les Documents épistolaires du palais de Mari, tome III, LAPO 18, Paris, 2000, chapitre XV). 25. Cette indication connaît quelques petites variantes. En dehors de la ville de Mari, c’est notamment la ville de Der qui pouvait être le lieu de consommation de ces denrées. Cette dernière abritait un sanctuaire important à une douzaine de kilomètres au sud de Mari. En dehors de cela, les textes de ce genre ne semblent rédigés que lors des séjours du roi, ou dans l'attente de sa venue, mais jamais en son absence. La nourriture consommée quotidiennement par les femmes du harem n’est donc pas enregistrée en même temps que « les repas du roi », ou ces textes n’ont pas été retrouvés. 26. Le texte ARM 12 107 a été édité par Birot, M., Textes administratifs de la salle 5 du palais (2 e partie) , ARM XII, Paris, 1964. Le volume est cité ci-dessous avec le sigle ARM 12. 27. Le texte utilise la mesure kôr, 120 qa que je transpose en 120 l. 28. Birot M., ARM 12, p. 16-17. Voir aussi p. 17 n. 1 dans laquelle M. Birot fait allusion à des observations semblables faites par M. L. Burke, dans son volume sur les Textes administratifs de la salle 111 du palais, ARM XI, Paris, 1963, p. 125 § 6. 29. Voir pour cela le point fait sur la chronologie dans Charpin D. et Ziegler, N., Mari et le ProcheOrient à l'époque amorrite : essai d'histoire politique, Florilegium Marianum V , Mémoires de NABU 6, Paris, 2003 qui citent les études antérieures, spécialement aux p. 257-262. 30. Les années de règne de Zimri-Lim (1775-1762 av. J.-C.) sont désignés par les sigles ZL 0-ZL 13. 31. FM 4, p. 137 texte n° 3, col. vi 6’-8’. 32. On notera que le nom de cette femme scribe a été notée en sumérien, ereš-la-ma-gu, une façon supposément plus « chic » et savante de noter ce nom propre, même si cette graphie ne

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suit pas les conventions de noter le sumérien. Nous savons par ailleurs que le nom était prononcé en akkadien (Belti-lamassi) grâce à des attestations phonétiques (cf. Ziegler, N., FM 4, p. 91-92 et 106). 33. FM 4 30 : iv 3’-4’. 34. Voir pour les convives du roi Lafont, B., « Le ṣâbum du roi de Mari au temps de Yasmah-Addu », in J.-M. Durand & J.-R. Kupper (éds.), Miscellanea babylonica. Mélanges offerts à Maurice Birot, Paris, 1985, p. 161-179 et Ziegler, N., « Samsî-Addu et ses soldats », in Ph. Abrahami & L. Battini (éds.), Les armées du Proche-Orient ancien ( IIIe-Ier mill. av. J.-C.). Actes du colloque international organisé à Lyon les 1er et 2 décembre 2006, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, BAR International Series 1855, Oxford, 2008, p. 49-56.

RÉSUMÉS En Mésopotamie ancienne, la gestion de la nourriture consommée dans un palais avait recours à l’écrit. Dans le palais de Mari (Tell Hariri,

XVIIIe

siècle av. J.-C.), plusieurs centaines de textes ont

été archivés qui relatent les dépenses en céréales, épices et légumineuses lors des séjours du roi dans sa capitale. Ces textes sont datés et assez répétitifs. S’ils jettent une lumière sur les quantités différentes de denrées consommées quotidiennement à la table du roi, ils ne permettent pas d’avoir une vision globale de l’alimentation dans l’antiquité et peu de chercheurs se sont intéressés à ces textes. Il est désormais possible d’identifier les auteurs anonymes de cette documentation administrative grâce à l’analyse paléographique. Il s’agit de trois femmes scribes, intégrées dans le service des cuisines palatiales. In ancient Mesopotamia, the accounting of the foodstuff consumed inside a palace was done in writing. In the Mari palace (Tell Hariri, 18th century BC), hundreds of cuneiform texts of this kind have been archived. These documents give the amounts of cereals and dry food consumed during the stays of the king in his capital city. The documents are dated, but their contents is rather repetitive. Even though these texts give insight into the quantities of food used day by day by the palace kitchens, they give no clear picture regarding the eating habits in this period and region, and thus few scholars were interested in this kind of documentation. These texts are anonymous. Thanks to the paleographic analysis, it is now possible to identify the authors of this administrative documentation. Three female scribes quoted among the kitchen personnel wrote these numerous texts. Im alten Mesopotamien griff die Verwaltung der Palastküchen auf die Schreibkunst zurück. Im Königspalast von Mari (Tell Hariri, Syrien, 18. Jh. v. Chr.) wurden viele hundert Texte archiviert, die die Ausgaben v.a. von Getreide, Gewürzen und Hülsenfrüchten während der Aufenthalte des Königs in seinem Palast Tag für Tag festhielten. Die Texte sind datiert und sehr repetitiv. Selbst wenn sie die täglich fluktuierenden Ausgaben für die Mahlzeiten des Königs und seines Gefolges festhalten, erlauben sie es nicht, sich ein Bild von den Ernährungsgewohnheiten dieser antiken Stadt zu machen, und aus diesem Grund haben sich nur wenige Forscher für diese Dokumentation interessiert. Nun ist es möglich, dank der graphologischen Analyse die Personen zu identifizieren, die diese hunderte von Texten verfasst haben : es handelt sich um drei Schreiberinnen, die innerhalb der Palastküchen angestellt waren.

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En la Mesopotamia antigua, la gestión de los alimentos consumidos en palacios se hacía por escrito. En el palacio de Mari (Tell Hariri, siglo XVIII a.C.), se han archivado cientos de textos que describen los gastos por cereales, especias y verduras durante las estancias del rey en su capital. Estos textos comportan fechas y son repetitivos. Si echan luz sobre las cantidades de alimentos consumidas cada día en la mesa del rey, no permiten tener una visión global de la alimentación en la Antigüedad, por lo que pocos investigadores se interesaron por ellos. Ahora es posible identificar a los autores anónimos de esta documentación administrativa, gracias al análisis paleográfico. Se trata de tres mujeres escribas integradas en la domesticidad de las cocinas palaciegas.

INDEX Mots-clés : Mésopotamie, cunéiforme, administration, alimentation, cuisines palatiales, Mari (Tell Hariri, Syrie), femmes-scribes Keywords : Mesopotamia, cunéiform, administration, eatings habits, food, palace kitchens, Mari (Tell Hariri, Syria), female scribes Palabras claves : Mesopotamia, cuneiforme, administración, alimentación, cocinas palaciegas, Mari (Tell Hariri, Siria), mujeres escribas Schlüsselwörter : Mesopotamien, Keilschrift, Verwaltung, Ernährung, Palastküchen, Mari (Tell Hariri), Schreiberinnen

AUTEUR NELE ZIEGLER Directrice de recherche au CNRS UMR 7192 (Proche-Orient – Caucase : Langues, archéologie, cultures) [email protected]

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dans les ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Égypte) Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Emmer Wheat for Barley : the Meaning of the Converted Quantities in the Ayn Manawir Demotic Ostraka (Kharga Oasis, Egypt) Zweikorn im Austausch gegen Gerste : Vom Sinn der Konvertierung von Maßeinheiten auf den demotischen Ostraka des ´Aya Manâwir (Oase Charga, Ägypten) Trigo turgidum a cambio de cebada : el significado de la conversión de cantidades en los ostraca demóticos de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Egipto) Damien Agut-Labordère

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1945 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Damien Agut-Labordère, « De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dans les ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Égypte) », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ comptabilites/1945

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De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dan...

De l’amidonnier contre de l’orge : le sens de la conversion des quantités dans les ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Égypte) Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Emmer Wheat for Barley : the Meaning of the Converted Quantities in the Ayn Manawir Demotic Ostraka (Kharga Oasis, Egypt) Zweikorn im Austausch gegen Gerste : Vom Sinn der Konvertierung von Maßeinheiten auf den demotischen Ostraka des ´Aya Manâwir (Oase Charga, Ägypten) Trigo turgidum a cambio de cebada : el significado de la conversión de cantidades en los ostraca demóticos de ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga, Egipto)

Damien Agut-Labordère

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Située à l'extrême sud de l'Oasis de Kharga, la fouille du site de 'Ayn Manâwir par l’Institut français d’archéologie orientale a permis la mise au jour d’un ensemble daté des Ve et IVe siècles av. J.-C. composé d’habitats massés autour d'un temple 1. Loin d'être anecdotique dans le paysage pourtant extrêmement riche de l'archéologie égyptienne, cette découverte offre l’exemple unique d’un village oasien de l’Âge du Fer. En sus des éléments bâtis et des galeries drainantes qui permettaient d'irriguer le terroir agricole 2, les fouilleurs ont exhumé des centaines d'inscriptions sur tessons de poterie (ostraca) qui témoignent à la fois du fonctionnement des institutions locales mais aussi des petites affaires conduites par les notables du cru. Ces textes ont tous été rédigés en démotique, terme qui désigne à la fois un niveau de la langue égyptienne mais aussi une écriture

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cursive mise au point dans le nord du pays durant la première moitié du C.3

VIIe siècle av. J.-

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Un peu plus de 460 documents (désignés au moyen de l’abréviation d’O.Man.) ont pu être traduits sous la direction de Michel Chauveau et sont aujourd'hui accessibles en ligne sur le site Achemenet.com dirigé par Pierre Briant4. Il s'agit là d'une documentation exceptionnelle à plusieurs titres. D'abord parce qu’elle permet de connaître le fonctionnement et la vie quotidienne de ce village avec un degré de précision sans équivalent pour aucun des autres sites ruraux d’époque pharaonique. Ensuite parce que cette documentation renseigne la manière dont les oasiens avaient organisé la gestion de la ressource hydrique, vendant, louant des "jours d'eau" afin d'irriguer les champs et les jardins. Enfin parce que les ostraca de 'Ayn Manâwir révèlent la plus ancienne mention d'une monnaie grecque – en l'occurrence le statère d'argent – en Égypte. Datée 412 av. J.C., cette attestation montre que quatre-vingt ans avant la conquête d’Alexandre le Grand, les pièces grecques avaient commencé à circuler dans l’espace égyptien.

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D'abord mise en évidence par Michel Chauveau dans un article fondamental5, la présence précoce de statères dans la documentation démotique, émanant de ce site éloigné de la vallée du Nil, n'a depuis lors cessé d'intriguer les historiens, suscitant des interprétations opposées. Si certains y ont vu la preuve que des monnaies circulaient sur le site de 'Ayn Manâwir dès la fin du Ve siècle av. J.-C., d'autres chercheurs se montrèrent plus réservés, considérant que les statères n'étaient mentionnées dans les textes démotiques qu'à titre d'unité de compte. Il est vrai que la manière dont les scribes démotiques exprimaient les montants en argent laisse planer le doute quant à la nature des moyens de paiement effectivement employés dans les transactions. Dans la plupart des cas, le nombre de statères est en effet suivi ou précédé d’une équivalence exprimée en unités pondérales égyptiennes (le dében de 91 gr. ou la qité de 9,1 gr. à proportion de 5 statères pour 1 dében). Cette conversion quasi systématique de la monnaie d’argent grecque en monnaie égyptienne, ou réciproquement, entretient effectivement une suspicion légitime quant à la réalité de l’utilisation des statères à 'Ayn Manâwir. En 2014, l'auteur de ces lignes a repris cette question et, s'appuyant sur le fait que les statères apparaissent au moins par trois fois sans leur équivalent égyptien, défendu l'idée que la monnaie grecque avait bien atteint l'extrême sud de l'oasis de Kharga6.

4

Le présent travail propose de reprendre cette question en s'interrogeant sur le sens même de la pratique consistant à convertir les statères en débens ou en qités. Pour ce faire, nous proposons d’abandonner momentanément la question de la monnaie d’argent pour mieux y revenir par la suite (Partie 3). En effet, cette manière d’associer deux types de biens selon un rapport fixe est aussi attestée pour deux céréales, l’orge et le blé amidonnier (Partie 2) qui participaient à une vaste « chaîne d’équivalences » qui n’est aujourd’hui connue que par un seul et unique document, l’O.Man.5469 (Partie 1).

1. L’ostracon ‘Ayn Manâwir n° 5469 et la question des équivalences établies entre des produits de natures différentes. 5

Ce document tout à fait exceptionnel est daté de 380 av. J.-C. Il s’agit d’une déclaration par laquelle un particulier, nommé Nesinher, s’engageait à verser une rente en céréales à un certain Imhotep.

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Ostracon de ‘Ayn Manâwir 5469 (1.) En l'an 2, mois de Thot du pharaon v.p.s. Nectanébo Ier v.p.s., Nesinher fils de Pétosiris et de Neshor a déclaré à Imhotep fils de Horkheb(2.) et de Tabastet : « Moi, je te donnerai 16 artabes de belle orge chaque année à partir d'aujourd'hui jusqu'à la fin de (3.) l'an 10, je te les donnerai et je les donnerai (à) Pétéamenheb fils d'Imhotep, ton fils, après que tu aies fait ton temps(4.) 2 (mesures) de miel = 4 (mesures) de vin pur = 8 (mesures) de ricin = 24 (mesures) de blé … Je devrai te les donner à partir d'aujourd'hui. (5.) Je devrai les donner (à) Pétéamenheb fils d'Imhotep jusqu'à l'accomplissement des dix années. Les biens nommés que je donnerai en compensation(6.) … chaque mois.(7.) je ne pourrai aller au tribunal pour (8.) produire un document contre toi à leur sujet … Sans qu'il puisse y avoir d'argument à t'opposer. » (9.) Écrit par Nesinher fils de Pétéisé en présence de quatre hommes … étant témoins : (10.) Inaros fils d'Amontefnakht ; Hor fils de Horkheb(11.) Pétéamenheb fils de Pétéisé ; Pétubastis fils d'Amenirdis. Déclaration établissant une rente. 6

La rente annuelle due par Nesinher consistait donc en 16 mesures de « belle orge » (ἰt nfr).

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Dans la mesure où l’unité employée pour évaluer la quantité d’orge était vraisemblablement l’artabe, imposée par les Perses en Egypte au Ve siècle av. J.-C., Nesinher s’engageait donc à fournir tous les ans pas moins de 624 l. de céréales à son créancier. Nous ne savons pas précisément en quoi consistait cette « belle orge » : s’agissait-il d’une variété particulière de cette céréale ? Ou bien de grains d’orge ayant subi un traitement spécifique après le battage ? Il nous est, à l’heure actuelle, impossible de répondre à ces questions.

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Quoiqu’il en soit, la ligne 4 de ce document est pour notre propos d’une importance capitale. C’est en effet à cet endroit que se trouve exprimée une série d’équivalences comptables unique par le nombre de produits impliqués : Fig. 1 : (l. 4, extrait) ἰby 2 w῾b ἰrp 4.t tgm 8 bt 24 (fac-similé réalisé par Michel Chauveau) « 2 (mesures) de miel ( =) 4 (mesures) de vin pur ( =) 8 (mesures) de ricin ( =) 24 (mesures) de blé amidonnier »

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Comme les scribes démotiques avaient établi une équivalence de 1 à 1,5 entre les quantités d’orge (ἰt) et d’amidonnier (bt), les 16 mesures de la rente correspondent donc bien aux 24 mesures d’amidonnier présentes à la fin de la liste. C’est donc bien par rapport au montant de la rente établie au profit d’Imhotep que cette liste d’équivalences avait été établie. L’échelle de conversion employée par les scribes démotiques peut donc être reconstituée de la manière suivante : 1 mesure de miel = 2 mesures de vin = 4 mesures de ricin = 8 mesures de belle orge = 12 mesures de blé amidonnier.

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L’examen de cette série fait apparaître quelque chose d’étrange quant à sa réalité pratique. Il est d’abord tout à fait surprenant que les unités employées traditionnellement dans la documentation démotique, pour évaluer la quantité de ces différents produits, ne soient pas les mêmes. Ainsi, le miel et le vin sont-ils normalement mesurés au moyen du hin équivalant à 0,4 l. alors que, comme nous l’avons déjà vu un peu plus haut, les céréales étaient évaluées au moyen de l’artabe d’environ 30 l. De même, la division par deux répétée au fur et à mesure que l’on descend l’échelle des équivalences – à l’exception notable du dernier niveau, entre l’orge et l’amidonnier – a, par sa régularité, quelque chose de suspect si l’on considère que cette échelle reflète la valeur marchande de ces différents produits.

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Deux hypothèses ont été émises pour expliquer l’existence de ces jeux de conversion. Michel Malinine a ainsi proposé que les scribes démotiques y recouraient lorsque les créanciers ou les bénéficiaires consentaient à ce que les dettes ou les rentes leur fussent réglées par l’un ou l’autre des produits mis en équivalence7. À l’opposé, Sven Vleeming estime plus vraisemblable que cette pratique servait en réalité à prévenir les erreurs de lecture ou les tentatives frauduleuses de modifier les chiffres et les nombres en proposant une « réécriture » de ce montant recalculé selon un rapport conventionnel8.

2. L’équivalence 1 mesure d’orge = 1 mesure amidonnier, une convention 12

La documentation de ‘Ayn Manâwir permet de trancher cette question et d’écarter l’hypothèse d’une interchangeabilité des deux produits mis en équivalence. En effet, si celle-ci est envisageable dans le cadre d’une reconnaissance de dette, d’un acte établissant une rente ou d’un ordre de livraison, elle perd tout sens lorsqu’une équivalence entre de l’orge et du blé amidonnier apparaît dans un reçu. L’objet de ce dernier type de document étant de certifier qu’une certaine quantité d’un produit précis a bien été remise, il serait absurde qu’un individu affirme avoir reçu une certaine quantité de l’une ou de l’autre de ces céréales. Or, au moins, deux reçus découverts à ‘Ayn Manâwir contiennent une équivalence comptable entre l’orge et le blé amidonnier9.

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Le premier concerne une quantité d’orge remise entre le 8 juillet et le 6 août 436 av. J.-C. à un collecteur de redevances travaillant pour le temple d’Osiris-iou, nommé Horkheb fils de Hor : Ostracon de ‘Ayn Manâwir 6893 (1.) Horkheb fils de Hor est satisfait pour les 5 (artabes) d'orge (2.) qui font 7 (artabes) et demie de blé amidonnier (reçues) de la part de Hor, fils d'Onnophris (3.) Écrit par Khaous en l'an 29, (4.) le dernier jour du mois de Pharmouthi.

14

Le même phénomène se répète en O.Man. 5747 daté du printemps 426 av. J.-C. Cette foisci, Horkheb livre une grande quantité d’orge (et un peu de semences de ricin) au temple pour laquelle Khaous, l’une des scribes travaillant pour cette institution, lui délivre le reçu suivant : Ostracon de ‘Ayn Manâwir 5747 (1.) En l'an 39, 2ème jour de Phamenoth. Reçu de la part de Horkheb (2.) fils de Hor : 168 (artabes) d'orge qui font 252 (artabes) de blé amidonnier (3.) 4 + [ ] (mesures) de semence de ricin. Écrit par Khaous.

15

Ces reçus montrent que l’équivalence établie entre l’orge et l’amidonnier dans la documentation juridique démotique ne signifiait donc pas que ces céréales étaient substituables l’une à l’autre mais servait à assurer la lecture de la quantité de produit effectivement impliquée dans la transaction. Ainsi, seule la quantité et le produit figurant dans le premier terme de la comparaison avaient en l’espèce une réalité physique.

3. La chronologie de la présence de monnaie grecque à ‘Ayn Manâwir se précise. 16

Ceci posé, nous pouvons maintenant en revenir aux cas de conversions impliquant de l’argent. En premier lieu, le fait que les équivalences de ce type soient de nature

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conventionnelle permet d’expliquer l’inadéquation pondérale observée dans le rapport établi entre le dében et le statère. En effet, dans la mesure où le poids du statère oscillait entre 17 et 17,30 g, celui cumulé de cinq statères (censé équivaloir à un dében dans la documentation démotique) se situait entre 85 et 86,5 g. soit 5 à 6 g. en dessous de celui du dében égyptien (qui, rappelons-le, pesait 91 gr.)10. Inexplicable dans le cas d’une équivalence réelle entre les deux monnaies, impliquant par exemple la possibilité d’effectuer des opérations de change entre elles, l’existence de cet écart cesse d’être problématique si l’on considère qu’il s’agissait là d’une parité scribale, notariale, du même type que celles avec laquelle les scribes démotique liaient fictivement les quantités d’orge et de blé amidonnier. 17

Ensuite, si nous ne retenons que les documents mentionnant réellement des statères, c’est-à-dire ceux où la monnaie grecque apparaît en première position ou de manière isolée, la chronologie des attestations de la monnaie grecques à ‘Ayn Manâwir se voit sensiblement précisée11 :

Date

du

document

(av. J.-C.)

18

Référence des ostraca mentionnant un statère sans équivalence(*) ou un statère en première position dans une équivalence12

412

O.Man. 7547*

410

O.Man. 3928

408

O.Man. 3972

410

O.Man. 4160*

402

O.Man. 4158

400

O.Man. 4161

394

O.Man. 6056

392

O.Man. 5488

381

O.Man. 4067

377

O.Man. 6048A

On notera que les documents liés à des transactions ayant impliqué de la monnaie grecque sont particulièrement nombreux entre 412 et 400 av. J.-C. (6 occurrences en 12 ans) pour ensuite se faire de plus en plus rares (4 attestations en 33 ans). Comme si, après son apparition, la monnaie grecque n’avait plus été présente qu’à titre résiduel. Même si cette chronologie ne repose que sur un nombre réduit de documents, il apparaît clairement que la « statérisation » de l’économie manâwirite est un phénomène ponctuel concernant la dernière décennie du Ve siècle av. J.-C.

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Conclusion : les produits convertibles étaient-ils des « monnaies marchandises » ? 19

Si, à ‘Ayn Manâwir, les montants en argent pesés ou frappés étaient convertis de manière quasi systématique par les scribes, l’orge ne l’était que parfois et, chose plus surprenante, l’amidonnier jamais. L’analyse de l’emploi des formules d’équivalence fait ainsi apparaître que les montants en amidonnier ne furent jamais exprimés en équivalent orge. Seules les quantités d’argent et d’orge semblent avoir été susceptibles de conversion. Or, l’analyse de la documentation locale fait apparaître que l’orge et l’argent ont aussi en commun d’avoir été investis de fonctions monétaires. Outre le fait qu’ils servaient d’unité de compte, ils étaient aussi employés comme moyen de paiement ou de cautionnement 13. Il est donc possible que la convertibilité d’un produit soit étroitement liée au fait qu’il pouvait aussi servir de monnaie. À l’appui de ceci, il est particulièrement frappant d’observer que le ricin, pourtant bien attesté dans la liste de conversion de l’O.Man. 5469, n’est en revanche jamais converti dans les très nombreux documents - principalement des reçus - qui le mentionnent14. Or, si elle faisait bien l’objet d’une redevance levée par le temple local d’Osiris-iou, l’huile de ricin ne semble jamais avoir servi de monnaie au sein de l’économie locale, pas plus que le vin ou le miel, deux autres produits présents dans la partie « haute » de la liste de l’O.Man. 546915. Ainsi est-il possible de supposer, que si les scribes démotiques disposaient d’une échelle de conversion permettant de sécuriser l’écriture des quantités d’un grand nombre de produits, seules les quantités de ceux qui pouvaient servir de monnaie étaient susceptibles de pouvoir devenir, au sein de la documentation écrite, autre chose que ce qu’ils étaient réellement.

NOTES 1. Wuttmann, M. et al., « Premier rapport préliminaire des travaux sur le site de ‘Ayn Manâwir (oasis de Kharga) », Bifao 96, 1996, p. 385-451 ; Wuttmann, M. et al., « ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga). Deuxième rapport préliminaire », Bifao 98, 1998, p. 385-451. 2. Wuttmann, M., « Les qanats à ‘Ayn Manâwîr (oasis de Kharga, Égypte) » in P. Briant (éd.), Irrigation et drainage dans l’Antiquité, qanats et canalisations souterraines en Iran, en Égypte et en Grèce, Paris, Thotm Ed., 2001, p. 109-136. 3. On trouvera deux excellentes introductions générales aux études démotiques en lisant Depauw, M., A Companion to Demotic Studies, Bruxelles, Fondation égyptologique Reine Elisabeth, 1997 et Hoffmann, F., Ägypten : Kultur und Lebenswelt in griechisch-römischer Zeit : Eine Darstellung nach den demotischen Quellen, Berlin, Akademie Verlag, 2000. 4. Chauveau, M., « Les archives d’un temple des oasis au temps des Perses », BSFE, 137, 1996, p. 32-47 ; Chauveau, M., « The Demotic Ostraca of ‘Ayn Manâwir », Egyptian Archaeology. The Bulletin of The Egypt Exploration Society, 22, 2003, p. 38-40 (http://www.achemenet.com/fr/tree/?/ sources-textuelles/textes-par-regions/egypte/ayn-manawir/ostraca-d-ayn-manawir#set). 5. Chauveau, M., « La première mention du statère d’argent en Égypte », Transeuphratène, 20, 2000, p. 137-143.

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6. Agut-Labordère, D., « L'orge et l'argent », Les usages monétaires à ‘Ayn Manâwir à l'époque perse, Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2014/1 69e année, p. 75-90. 7. Malinine, M., « Un prêt de céréales à l’époque de Darius I (Pap. dém. Strasbourg N° 4) », Kemi 11, 1950, p. 1-23, voir les p. 5 et 14. 8. Vleeming, S. P., The Gooseherds of Hou (pap. Hou) : A Dossier Relating to Various Agricultural Affairs from Provincial Egypt of the Early Fifth Century B. C., Louvain, Peeters, 1991, p. 185 (note ll). 9. Au moins deux autres reçus (O.Man. 6019 et 6020) pourraient aussi contenir ce type d’équivalence. Toutefois le piètre état de conservation de ces documents impose d’attendre de disposer de photographies infrarouges pour assurer nos lectures à ce sujet. 10. Chauveau, M., Transeuphratène 20, 2000, p. 142 ; Picard, O., « La monnaie lagide au regard des historiens modernes » in P. Pion & B. Formoso (éds.), Monnaie antique, monnaie moderne, monnaies d’ailleurs, Paris, De Boccard, 2012, p. 77-87, spécialement p. 79. 11. On pourra comparer cette chronologie avec celle de l’histogramme n° 2 que l’on trouvera en Agut-Labordère, D., Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2014/1 69e année, p. 83. 12. Agut-Labordère, D., Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2014/1 69e année, p. 79, notes 18 et 19. 13. Agut-Labordère, D., Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2014/1 69e année, p. 84-86. 14. Agut-Labordère, D. et Newton, C., « L’économie végétale à ‘Ayn-Manâwir à l’époque perse : archéobotanique et sources démotiques » ARTA 2013.005, p. 1-49, p. 16-18, p. 36-38, http:// www.achemenet.com/document/ARTA_2013.005-Agut-Newton.pdf. 15. Il est vrai que le premier n’est que peu attesté dans la documentation manâwirite alors que le second ne l’est qu’une seule fois.

RÉSUMÉS La documentation démotique d’époque perse (Ve-IVe siècle av. J.-C.) provenant du site de ‘Ayn Manâwir, au sud de l’Oasis de Kharga (Égypte) éclaire la signification de la pratique singulière observée dans les contrats et les documents comptables démotiques consistant à convertir une quantité d’orge en quantité de blé amidonnier. Il s’agit là très vraisemblablement d’une pratique scribale visant à éviter les erreurs de lecture ou les tentatives de falsification. Par ricochet, cette avancée permet de préciser la portée de la conversion des statères d’argent grecques en unités pondérales égyptiennes et, ce faisant, de réévaluer la chronologie de la présence effective de la monnaie grecque à ‘Ayn Manâwir. The Demotic ostraca coming from the site of Ayn Manâwir (south of Kharga Oasis, Egypt) dated to the Persian period (5th-4th century B.C.) helps to clarify the meaning of the puzzling practice of converting amounts of barley in emmer wheat attested in demotic contracts and accounting documents. This is most likely a scribal practice to avoid reading errors or tampering attempts. In turn, this development allows to specify the scope of the conversion of Greek silver staters in Egyptian weight units and to reassess the timing of the occurrence of the Greek currency in ‘Ayn Manâwir. Die demotische Dokumentation des persischen Zeitalters (5.-4. Jh. v. Chr.), die aus der Fundstelle ´Aya Manâwir im Süden der Oase Charga (Ägypten) stammt, bringt mehr Klarheit über eine einzigartige Praxis, die in den demotischen Verträgen und den Rechnungsdokumenten beobachtet wurden und die darin bestehen, eine Maßeinheit der Gerste in eine Maßeinheit des

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Zweikorn umzurechnen. Es handelt sich hier sehr wahrscheinlich um eine Schreiberpraxis, die zum Ziel hatte, Lektürefehler oder Fälschungsversuche zu vermeiden. Indirekt erlaubt dieses Verfahren, die Bedeutung der Konvertierung von griechischen Stater-Münzen aus Silber in ägyptische Gewichtseinheiten besser zu verstehen und so die chronologische Entwicklung der realen Präsenz von griechischem Geld in ´Aya Manâwir neu zu bestimmen. La documentación demótica de la época persa (siglos V-IV a.C.) procedente del sitio de ‘Ayn Manâwir, al sur de la Oasis de Kharga (Egipto), aclara el significado de la práctica singular, observada en los contratos y documentos contables demóticos, consistente en convertir cantidades de cebada en cantidades de trigo turgidum. Se trata muy probablemente de una práctica de los escribas destinada a evitar los errores de lectura o los intentos de falsificación. Como consecuencia, este avance permite precisar el alcance de la conversión de los estáteres de dinero griegos en unidades de peso egipcias y, por tanto, reevaluar la cronología de la presencia efectiva de la moneda griega en ‘Ayn Manâwir.

INDEX Mots-clés : blé, orge, comptabilité, Égypte, période perse, Achéménide, argent, statère, monnaie, monétarisation, économie, agricole Keywords : wheat, barley, accounting, Egypt, persian period, Achaemenid, silver, stater, currency, monetization, agricultural, economy Schlüsselwörter : weizen, gerste, rechnungswesen, Ägypten, persisches zeitalter, Achämenidenreich, silber, geld, monetarisierung, wirtschaft, landwirtschaft Palabras claves : Trigo, cebada, contabilidad, Egipto, época persa, Aqueménides, plata, estáter, moneda, monetarización, economía, agrícola

AUTEUR DAMIEN AGUT-LABORDÈRE Chercheur au CNRS UMR 7041 (ArScAn, équipe Histoire et archéologie de l’Orient cunéiforme) [email protected]

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Archives et comptabilité dans le Sud mésopotamien pendant la période d’Ur III Archive und Rechnungswesen im Süden Mesopotamiens im Zeitalter von Ur III Archivos y contabilidad en el Periodo de Ur III (2110-2003 a.C.) Manuel Molina

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/comptabilites/1980 ISSN: 1775-3554 Publisher IRHiS-UMR 8529 Electronic reference Manuel Molina, « Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period », Comptabilités [Online], 8 | 2016, Online since 20 June 2016, connection on 19 April 2019. URL : http:// journals.openedition.org/comptabilites/1980

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Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period

Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period* Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Archives et comptabilité dans le Sud mésopotamien pendant la période d’Ur III Archive und Rechnungswesen im Süden Mesopotamiens im Zeitalter von Ur III Archivos y contabilidad en el Periodo de Ur III (2110-2003 a.C.) Manuel Molina

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By the end of the 22nd century BC, king Ur-Namma inaugurated in Southern Mesopotamia the so-called Third Dynasty of Ur (2110-2003 BC). In this period, a large, well structured and organized state was built up, to such an extent that it has been considered by many a true empire. Its architect was Šulgi, who reorganized the administration of the state, introduced a new tax system, and launched an ambitious policy of territorial expansion. The consequence was the production of an enormous mass of written documentation, unearthed from private and official archives found in Sumerian cities, that makes this century the best documented in the history of ancient Mesopotamia.

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Most of these texts were legally or illegally excavated during the last decade of the 19th century and the first half of the 20th century, while many others were found and sold by looters during the aftermath of the I and II Gulf Wars in 1991 and 2003. It is estimated that some 120,000 administrative cuneiform tablets, plus an indeterminate number of other documents stored in the Iraq Museum, are currently kept in collections all over the world1. Some 96,000 of them are catalogued in BDTNS2: 64,500 have been published in handcopy, photo, transliteration and/or translation; 16,500 have been published only through their cataloguing data; and 15,000 remain unpublished (including images of « unpublished unassigned » tablets in CDLI).

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This material constitutes the largest corpus of cuneiform texts for any period in the history of ancient Mesopotamia. Unfortunately, the immense majority of them were not excavated legitimately, so that essential information conveyed by their archaeological context has been lost forever. On the other hand, by their actions, looters and dealers have provoked the dispersion of the corpus in hundreds of small and large collections, which complicates the identification of the provenance of the tablets and the reconstruction of their archival relationships. Taken globally, Ur III texts can be found today in at least 758 collections in 40 different countries. Considered individually, the dispersion of some of the archives is also striking: the provincial archive of Girsu, which was in part officially excavated, is split up into at least 214 different collections; the archives of Umma and Puzriš-Dagān, which on the contrary were never excavated by archaeologists, except for a few recent campaigns (see below), are dispersed in at least 483 and 411 different collections respectively. Other cases showing different distribution depending on the circumstances of the acquisition of the documents, are those of GAR šana and Irisaĝrig, sites with a similar corpus of preserved documents which are dispersed in at least 21 and 52 collections respectively. In general, today cuneiform texts from almost every site are still being sold and resold in galleries and auction houses.

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These written documents are for the most part cuneiform tablets. Their size and length are variable, from texts of one or two lines, to others much longer, as for example MVN 15, 390, the longest Ur III text known at present, with 1,663 lines. Most common Ur III tablets have 5-15 lines and are 5-4 cm long/wide, although there are of course hundreds of much longer documents.

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Many of them, about one third of the administrative documents, were sealed. The seal impression was the result of rolling a cylinder seal over the surface of the tablet. With it, the owner of the seal acknowledged the contents of the document. Sealing was thus typically made on receipts, which are today preserved in large quantities as testimonies of transactions made within public institutions, but also in other kinds of documents that will be described below. Seals were also impressed on envelopes (of which more than 3,000 are currently preserved) that sometimes wrapped the tablets, which in turn were usually ruled and unsealed. As most of the envelopes had been broken in antiquity (and also in modern times by dealers3), it is difficult to ascertain how many of the preserved unsealed tablets could actually have been sealed in their envelopes, except for some tablets with breaks on the corner that suggest they were encased4. Therefore, lost envelopes and the lack of systematic studies for a large part of Ur III documents eventually make it difficult to understand why a text was or was not sealed, beyond the obvious fact that for example inventories or other kinds of list did not need to be sealed.

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Fig. 1: BM 12920+A

Tablet and envelope from Girsu, unpublished, BDTNS 052089 6

The way tablets were classified and archived has been studied for certain groups of texts. The role played here by the so-called labels, or pisaĝduba-texts, is essential. These were tablets with holes through which cords passed to attach them to a container (p i s a ĝ – d u b – b a «tablet-container»). They summarized the contents of the tablets kept in the container, and also recorded the periods of time to which those tablets were related. The fact that those periods could be of one or more years indicates that the containers were periodically revised and reorganized, denoting the existence of long-term archival procedures that are discussed below. Fig. 2 : BM 110745

Label, or pisaĝduba-text, from Umma, unpublished, BDTNS 069634

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The vast majority of Ur III tablets were written in the Sumerian language. Only about one hundred texts, virtually all of them from Northern and Middle Babylonia, were written in Akkadian. In accordance with a predominantly Sumerian-speaking population5, Sumerian was in fact the sole language used in administration in Southern Mesopotamia during the Ur III period, including the state archives of Puzriš-Dagān. Akkadian could be sporadically preferred in the area of Nippur (for example in Irisaĝrig) and further north when writing letters, sale and loan documents, or other kinds of legal text.

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Not unexpectedly, in a large corpus composed of documents from several different places and environments, terminology, lexicon and formulas are very rich and diverse. Short receipts or asyntactic lists coexist with complex legal documents, letters or long balanced accounts. In general, a simple administrative text does not follow the usual Sumerian syntax. Instead, it records6 first the reason why the text was written –which syntactically would correspond to the absolutive in a Sumerian sentence– typically transferred countable objects or units (people, animals, objects, commodities, workdays...), with numerals and measures written before the count noun. A more detailed description of the count noun or an explanation on its provenance, destination or the purpose of the transfer could follow, now using other noun phrases, finite and non-finite clauses, or adverbial clauses. Thus, the deliverer, one of the participants in the transfer, was usually expressed through the idiom k i Personal Name – t a «from PN». Other participants were the receiver (eventually marked with the ergative case), and different types of overseers, conveyors or authoritative persons (u g u l a, ĝ i r i 3, m a š k i m, etc.). The date, which in its most complete form included the day, the month and the year name, could close the text. Some examples of different types of text will be presented below.

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In all Ur III administrative texts, numbers and measures obviously play a fundamental role. Already in his law collection7, king Ur-Namma boasted about the introduction of a fair metrology, which largely followed Sargonic traditions. And in fact weights and measures were consistently used with the same standards in virtually all the Ur III texts 8, although based on different usages of computation9.

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Measuring and counting followed the so-called «sexagesimal system», which had its roots in the archaic period. It was based on a sexagesimal structure and an additive principle, and consisted of series of numerals alternating the factors ten and six. The different orders of magnitude were indicated by the shape of the signs or by special words 10. Thus, countable objects were noted through the following sequence:

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Other measure systems combined specific words and different shapes of sign. In these cases, either the sign was replicated, or the sequence for countable objects was followed (particularly for g í n, s ì l a, g u r, s a r, weight and length measures), until the higher measurement unit was reached:

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A distinctive feature of Ur III administrative practice was the regular dating of tablets through a system that combined local and state calendars. In the preceding periods, months were named according to local calendars, an usage that continued with the Third Dynasty of Ur, although now the calendar in use at Ur was also followed in other archives managed by or bound to the royal administration, such as those of Puzriš-Dagān and GAR šana11. But the real difference with former periods was the acceptance of a common dating system with year-names throughout the Ur III state. Years were thus called after the same remarkable event in all royal, provincial, local and private administrations. This procedure had already been applied during the Sargonic period12, but its use was then much more limited. The dissemination of such a dating system over a vast area during the Ur III period is important for various reasons: a) It reveals the duration and range of influence of the Ur III state, both in administrative and political terms. Note, for example, that a text found at Tell Brusti, close to Tell Shemshāra, at a distance of almost 600 km from Ur as the crow flies, was dated with a year-name of Ibbi-Suen, the fifth and last king of the dynasty13. It is also assumed that the last dated tablets with official state year-names in a given city mark the end of its political dependence from the Ur III state organization. Thus, dated texts from the state archives of Puzriš-Dagān belong to Ibbi-Suen’s third regnal year (IS 3); the last texts from GARšana and Irisaĝrig (also royal settlements) are dated to IS 4; and shortly after, the archives of Umma and Girsu (IS 5), and Nippur (IS 7 or IS 8), separated from the state organization. Logically, the capital of the state, Ur, was the place where the archives remained longest in use: the final dated texts belong to IS 23. b) The names of the years recalled important events related to the territorial policy of the Ur III kings (military expeditions against this or that city, etc.), the political life (coronation of kings), the state internal organization (foundation of the Puzriš-Dagān complex, recruiting of an army), religious events (appointing priests), or building works (erection of the Šara temple, the wall against the Amorites, etc.). These designations

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obviously belong to the sphere of the royal propaganda, but provide interesting information that can be contrasted with other sources. c) Texts dated with year-names allow the establishment of an internal chronology of tablets, the reconstruction of their archival relationships and, consequently, diachronic and synchronic studies on economy, religion, administration, or the political history of the Ur III state. Fig. 3: BM 110975

Balanced account of a shepherd recording year-names from Šu-Suen 1 to Šu-Suen 5, unpublished, BDTNS 069861 13

The Ur III Dynasty ruled during some one hundred years, but the cuneiform tablets so far preserved are unevenly distributed within this span of time. An administrative reorganization took place by the middle of Šulgi’s reign, the second monarch of the dynasty, and in his 39th regnal year, the Puzriš-Dagān complex was founded. These were significant changes that boosted the production of administrative tablets, to an extent that 90% of them are concentrated between the final years of Šulgi’s reign and the eighth regnal year of Ibbi-Suen, i.e. in about one third of the whole duration of the dynasty.

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Fig. 4: Chronological distribution of Ur III texts

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A characteristic feature of year-names in their abbreviated form is that they can be ambiguous, i.e. they can potentially designate two (or even more) different years. Thus, for example, the 45th year of Šulgi (Š 45) and the 2nd year of Amar-Suen (AS 2), respectively named mu dŠul-gi Ur-bí-lumki Lu-lu-buki Si-mu-ru-umki ù Kára-harki 1-šè saĝbi šu-búr-ra ì-ra («Year in which Šulgi smashed the heads of Urbilum, Lullubum, Simurrum and Karhar in a single campaign») and mu dAmard-Suen Ur-bí-lumki mu-hul («Year in which Amar-Suen destroyed Urbilum»), were abbreviated as mu Ur-bí-lumki bahul («Year in which Urbilum was destroyed»). This ambiguity could be taken as an argument against the archival coexistence of tablets bearing these year-names, but it is probable that they are only ambiguous to modern scholars, not to ancient archivists, a fact that is being shown by close analysis of at least some text groups. It is thus now clear, for example, that only certain archives used certain abbreviated forms of year-names, which did not conflict with the same form known today for a different year14.

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But not all the texts were dated by year: that depended on the scope of the archives to which they belonged. For example, most of the « messenger texts » from Girsu were not dated with year-names, thus suggesting that they were not intended to be kept through the years, or at least that they were not periodically reorganized in containers with other texts dated to different years. Likewise, letter-orders were rarely dated, which speaks in favour of their immediacy and of the different conditions of archive keeping in antiquity.

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The identification and the life of the archives is thus an important issue that is being slowly disentangled, given the mass of documentation and the almost inexistent information about its provenance. These constraints have frequently brought confusion about what is intended by «archive». Sallaberger’s description is in our view a good starting-point: «Als ‘Archiv’ bezeichnen wir hier die aus einer Institution stammenden

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Texte, ohne daß wir damit sagen konnten, sie seien in der Antike unbedingt an einem Ort aufbewahrt worden. Ein ‘Archiv’ ist aber nicht eine um einen Personennamen oder ein Thema zusammengestellte Textgruppe oder Dossier»15. 17

As it will be seen below, a large number of Ur III tablets can be classified in large and coherent groups not only on the basis of their contents, but also of their archival relationships. This means that they once belonged to a closed and well organized archive, comprising documents selected for long-term preservation. Whether or not the documents were considered as living archives is a different question, largely depending on their identification and the circumstances of the finding.

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At present, 27 sites have been identified as the provenance of Ur III administrative texts (in brackets: the number of the texts ascribed to that provenance considered as doubtful) 16 : Adab (Tell Bismaya): 116 texts (16); Awal (Tell al-Sulaimaḫ): 3; E-Šu-Suen (Aradĝu archive, Tell Abū-Juwan?, close to Nippur): 215 (4); Ešnunna (Tell Asmar): 156; GARšana (east of Umma province): 1,507 (20); Gasur (Jorgan Tepe): 1; Girsu (Tellō): 26,619 (692); Irisaĝrig (Adams 1056?, close to Nippur): 1148 (50); Isin (Išān Baḥrīyāt): 4; Kiš (Tell Uḥaimir): 6; Kisurra (Tell Abū Ḥaṭab): 4; Lagaš (Tell al-Ḥiba): 2; Mari (Tell Ḥarīrī): 8 (2); Nippur (Tell Nuffar): 3,697 (35); Puzriš-Dagān (Tell Drēhim): 15,647 (125); SI.A-a archive (uncertain prov.): 80; Sippar (Tell Abū Ḥabba): 3; Sippar-Amnānum (Tell ed-Dēr): 1; Šuruppag (Tell Fāra): 3; Susa (Šūš): 75; Tell al-Wilayaḫ (ancient Dabrum?): 18; Tell Brusti (close to Shemshāra): 1; Tell Išān Mizyad: 50; Tūram-ilī archive (from Irisaĝrig?): 59; Umma (Tell Ǧoḫa): 29,940 (360); Ur (Tell Muqejjir): 4,297 (20); Uruk (Warka): 21 (2).

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Most of these sites have been officially excavated at one time or another, but when large groups of tablets have been found, this has generally been the result of looting, except for Ur and Nippur, and partly Girsu. Unfortunately, even in these cases no significant information about the way the tablets were archived could be obtained.

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Ur (Tell Muqejjir) was regularly excavated by Leonard Woolley, from 1922 to 1934, but texts dated to the years of the Third Dynasty of Ur were found in secondary context, i.e. used as filling under the floors17.

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Ur III texts from Nippur (Tell Nuffar) were excavated by the end of the 19th century and the middle of the 20th, although several texts from illegal excavations can also be found in museums and private collections. Texts excavated in this site did not come, in any case, from large institutions such as those to which the royal or provincial archives of PuzrišDagān, Girsu or Umma belonged. Instead, the tablets from Nippur belonged to minor institutions or private archives that were organized in a simpler way. The most remarkable group of texts from this site belongs to the administrative archive of the Inanna temple: 1,163 Ur III administrative tablets and/or fragments were found there, but once again the bulk of them, more than 900, were found in secondary contexts, used as fill in a foundation platform during the Parthian period18. From their contents, chronological distribution, and the scarce numbers of tags found, it seems that the process of discarding tablets after their incorporation into large summary accounts was more pronounced than in other provincial and royal archives. On the other hand, several clay sealings found in a bin in Locus 1 and in the trash pit in the back courtyard (Locus 137), had been broken off jars, bags and boxes, or had secured doors, most probably those belonging to Locus 2 and 419. This possibly exemplifies the circumstances of the finding of other bullae and clay sealings from other sites.

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In 1894, Ernest de Sarzec excavated at Girsu (Tellō), the capital of the largest and richest province of the Ur III state, an enormous archive of some 30,000 cuneiform tablets, later identified with the provincial archive. Unfortunately, looters discovered the findspot shortly before De Sarzec’s excavation and sold thousands of tablets, mainly dated to the years between Šulgi 44 and Amar-Suen 5, to museums and private collectors20. Besides, the archaeological methods of that time were not refined enough and, despite the fact that tablets were found stored on clay benches, their position and organization were not recorded. The fate of the archives from Umma (Tell Ǧoḫa) and Puzriš-Dagān (Tell Drēhim) was much worse. These sites were intensively plundered since 1908/09 (Puzriš-Dagān) and 1911 (Umma). At Tell Drēhim, looters despoiled those known today as the « Shoearchive » and the «Treasure archive»21, and notably the huge royal archive for cattle management, while the governor’s archive was extensively looted at Tell Ǧoḫa. The circumstances surrounding the Gulf Wars in 1991 and 2003 boosted new illicit diggings in these two sites, so that excavations were undertaken by the State Board of Antiquities and Heritage in Iraq with the aim of protecting them. These works unearthed the sole (and scarce) cuneiform documents from Umma and Puzriš-Dagān discovered after official excavations22. Other cuneiform texts from these two sites were possibly found in the course of illicit excavations and are being sold in the antiquities market, but it is not easy to distinguish them from other texts coming from earlier looting.

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The looting in the areas where the sites of Puzriš-Dagān and Umma lay were also heavily plundered, and huge quantities of tablets dated to the time of the Third Dynasty of Ur were thus found23. Within the Umma province, the case of GARšana is well known. In this royal town, whose exact location remains unknown24, or in its surrounding area, an archive of more than 1,500 tablets from the household of princess Simat-Ištaran and her husband Šu-Kabta was discovered and sold by looters25. To this area also belongs a small group of texts apparently from the household of princess Šu-Eštar, a rural estate most probably very similar to the one belonging to Simat-Ištaran, whose location cannot be ascertained either26.

25

In the area of Puzriš-Dagān and Nippur a huge archive of no doubt much more than one thousand tablets, from ancient Irisaĝrig, was also found by looters27. The exact position of Irisaĝrig remains unknown as well28. The texts found belonged to the archive of governor Urmes, who was closely bound to the royal administration. Finally, it is worth mentioning the archive of Ardaĝu, most probably found by looters at ancient E-Šu-Suen, a rural estate very closely located to Nippur29.

26

To sum up, more than one hundred years of illicit diggings, and to a very minor extent of official excavations, have brought to light a vast corpus of cuneiform tablets that document the accounting procedures of different types of administration. Thus we have large quantities of texts from private archives (Nippur, Tūram-ilī archive, SI.A-a archive); rural estate archives (Aradĝu archive, Šu-Eštar archive, GARšana); a temple archive (Nippur); provincial archives (Umma, Girsu, Irisaĝrig); and archives from royal institutions (Ur and Puzriš-Dagān).

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All these texts show in general very similar principles of accounting and administration, partly inherited from earlier periods, and partly fully developed and used by minor and major administrations under the rule of Ur III kings. A thorough description of them is

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beyond the scope of the present contribution, but some of the most representative ones will be presented below. 28

Generally, with all due exceptions, administrative texts deal with the movement of assets in a broad sense (persons, animals, objects, workdays, commodities, etc.), or with their specific situation in a given administrative context. Texts thus recorded the incoming (a) and outgoing (b) of assets to and from an institution or a private household; their movements inside them (c); or provided a snapshot (d) of their existence in a particular moment and place, and of their relationship with other goods or persons connected to them (e.g. inventories, balanced accounts, lists of workers, etc.). Other documents could be variants of types b (e.g. sale documents, loan documents) and c (e.g. letter-orders), or in some way of type d (e.g. other legal documents). Depending on the kind and size of the administration where the documents were issued, one or other type of texts predominated30. A private archive would prevalently keep record of texts of type a and b, and particularly of the latter in the form of sealed receipts. Institutions with more complex economic interests tended to keep more documents of types b, c and d, and more exceptionally of type a (as was the case of Puzriš-Dagān). Large institutions, whose economy was strongly interrelated with the rest of the Ur III state, were prone to keep an ever increasing number of texts of type c31, which also covered a much broader span of time than did small or medium-sized institutions. As said above, the great majority of our texts come from large institutions, i.e. provincial or royal archives, and are therefore chiefly of type c. This also means that they kept track of where items were at any one time, repeatedly mentioning them in several different documents. Theoretically, it would be possible to follow the passage of an item over offices, workshops or elsewhere in the institution, through an interconnected chain of documents, from its arrival until its expenditure or final destination.

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At Puzriš-Dagān, a management and redistribution centre for livestock32, the delivery of animals was recorded at the central bureau through documents of a varied typology, depending on the organizational stage of the administration. An example of this kind of text would be the following: CST 174 1 sila4 Ur-mes sagi, 1 máš Zi-kur-ì-lí, 1 sila4 zabar-dab5, 1 sila4 Árad-ĝu10, 2 máš niga, [Lú]-ĝiškim-zi-da, 1 sila4 Ṣi-lu-uš-dDa-gan, 2 sila4 Šeš-Da-da saĝĝa, 1 sila4 Kur-ĝìri-nišè, mu-kux, Na-sa6 ì-dab5, iti ezem-dNin-a-zu, mu ús-sa Ki-maški ba-hul, u4 1-kam 1 lamb (from) Urmes, the cup-bearer; 1 goat (from) Zikur-ilī; 1 lamb (from) the zabardab-official; 1 lamb (from) Aradĝu; 2 fattened goats (from) Lu-ĝiškimzida; 1 lamb (from) Ṣilluš-Dagān; 2 lambs (from) Šeš-Dada, the temple administrator; 1 lamb (from) Kur-ĝiriniše. Deliveries. Nasa received them. Date: Šulgi 47/v/1.

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Shortly after their arrival, animals were routed somewhere else within the Puzriš-Dagān organization (for example, to the kitchens), or to their final destination (for example, the cult). In fact, pairs of texts record the receipt of animals and their immediate disbursement, as was the case for those recorded in the above-cited text, expended for cultic purposes by the same official on the same day33: PDT 1, 415: 1 sila4 dEn-líl, mu-kux Ur-mes sagi, 1 sila4 dNuska, mu-kux zabar-dab5, 1 máš niga d En-líl, 1 máš niga dNin-líl, mu-kux Lú-giškim-zi-da, 1 sila4 dEn-líl, 1 sila4 dNin-líl, mukux Šeš-Da-da, 1 sila4 Hur-saĝ-ga-lam-ma, mu-kux Ṣi-lu-uš-dDa-gan, 1 sila4 dNanna, mu-kux Kur-ĝìri-ni-šè, zabar-dab5 maškim, 1 sila 4 é-uz-ga, mu-kux Árad-ĝu10, A-a-

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kal-la maškim, u4 1-kam, ki Na-sa6-ta ba-zi, iti ezem-dNin-a-zu, mu ús-sa Ki-maški ba-hul 1 lamb (for) god Enlil, delivery (from) Urmes, the cup-bearer; 1 lamb (for) god Nuska, delivery (from) the zabardab-official; 1 fattened goat (for) god Enlil (and) 1 fattened goat (for) goddess Ninlil, delivery (from) Lu-giškimzida; 1 lamb (for) god Enlil (and) 1 lamb (for) goddess Ninlil, delivery (from) Šeš-Dada; 1 lamb (for) the Hursaĝ-galama, delivery (from) Ṣilluš-Dagān; 1 lamb (for) god Nanna, delivery (from) Kur-ĝiriniše, being the zabardab-official the commissioner; 1 lamb (for) the «taboo-house», delivery (from) Aradĝu. Ayakala was the commissioner. Expended by Nasa. Date: Šulgi 47/v/1. 31

As Christina Tsouparopoulou has recently shown34, documents like this one dated to the same month were put altogether into a leather bag (k u š d u 10 – g a), closed with a cord and sealed with a bulla. At the end of the year, the contents of this and other leather bags were emptied into another container, which was tagged with a label (the so-called pisaĝduba-tablet) describing its contents (see an example of these labels from the Umma provincial archives on Fig. 2).

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The storage of tablets in containers (probably large baskets) identified with labels was widely used in large archives, such as those of Umma, Girsu and Puzriš-Dagān, and affected all kinds of documents. Thus, for example, tablets recording judicial cases tried in Girsu in the course of a year by a specific collegium of judges were all kept in a single container: ITT 3, 6046: pisaĝ dub-ba, di til-la ì-ĝál, Árad-dNanna, sukkal-mah énsi, ĝìri Šu-ì-lí, Lú-diĝir-ra, Lú-dNin-ĝír-su, di-ku5-bi-me, mu má-gur8-mah ba-dím Tablet-container: there are concluded cases (inside). (Being) Arad-Nanna grand vizier (and) governor. (Cases) under the responsibility of Šū-ilī, Lu-diĝira, (and) LuNinĝirsu: they were the judges. Date: Šu-Suen 8.

33

Tablets from containers were digested into monthly and annual summaries, of which several specimens have survived. There are many examples from Puzriš-Dagān and from the other administrations. Actually, in large institutions, simple records and summary accounts were two levels of recording and archiving that coexisted for very long periods. The summary, an ubiquitous text category of varied typology that involved all kinds of documents, was aimed at supervision, planification and quick consultation. The so-called Sammelurkunden, digests of judicial texts, are a good example of summaries issued for consultation35.

34

With the purpose of an internal control of the materials delivered to a craft workshop at Ur, an exhaustive annual summary was issued by a scribe at the end of the fifteenth regnal year of king Ibbi-Suen. The document, deemed «an accountant’s nightmare»36, was published by Leon Legrain in UET 3, 1498 (see photo on Fig. 5). It is a twelve-column large tablet that incorporated the information provided by some 400 day accounts, excavated by Leonard Woolley, plus an indeterminate number of tablets that have been lost. It was divided into eight sections, each one corresponding to the ateliers of the sculptors, goldsmiths, stone-cutters, carpenters, blacksmiths, leather workers, felters/rope-makers, and reed workers. The process of organizing the information, conveniently described by Marc Van de Mieroop, was based on two main criteria, namely, the section of the workshop to which materials or utensils were delivered, and the name of the deliverer. Sometimes, original documents upon which the summary was based were quoted almost verbatim, and at others the information from small or large groups of texts was

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combined. Here follows an excerpt from the section of the goldsmiths showing the correspondence between individual receipts and the summary:

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1 silver sceptre weighing 362 grams, 1 bronze spear point, 1 bronze sceptre, 1 bronze standard?, 1 mace made of mangrove wood from Meluhha, 1 mace made of almond wood (set with) gold on its reverse, from Amar-Iškur; 975 grams of copper for (making) harvest knives, from Ilšu-rabi. Fig. 5 : BM 130460

UET 3, 1498, BDTNS 011803, photo courtesy of Palmiro Notizia

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A more sophisticated variant of these summaries was the balanced accounts (n i ĝ 2 – k a s 7), of which several hundreds have been published. They were used to ascertain the fulfilment of production and other obligations by organizations, officials, merchants and other provincial or state employees, and to plan the expectations for the near future. Balanced accounts could deal with labour, arable land, manufactured goods, raw materials, or foodstuff37. To compile them, a quite stable system of equivalences was used, according to which products and work were converted into its equivalent value at fixed conversion rates. The most used equivalences were in barley, labour (workdays) and silver, although others were also used (wool, dates, oil, etc.)38. Conversions were possible in several directions (for example, workdays could be converted into silver), so that the value of all kinds of assets could be quantified and compared, and when necessary the labour needed to produce them could be estimated. To give an example, in a merchant’s balanced account, equivalences in silver were given as follows (excerpt from STA 1, balanced account of merchant Ur-Dumuzida):

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Other examples of equivalences in labour used in balanced accounts are the following39: CT 9, pl. 46 BM 21348 ... 39,390 sa gi, šà Nibruki, 15,904 sa gi, šà Uri5ki ù Unuki, guruš-e 10 sa-ta, á-bi 5,530 lá ½ guruš u4 1-šè ... 39,390 reed bundles (collected) at Nippur, 15,904 reed bundles (collected) at Ur and Uruk, each worker (collecting) 10 bundles (per day), its labour: 5,529½ workdays (lit. «workers for 1 day»). ITT 2, 621 ... 154 éren šà-gu4, 30 lá 1 UN-ga6, u4 130-šè, á-bi 23,790 guruš u4 1-šè 15 šidim u4 75-šè, á-bi 1,125 guruš u4 1-šè ... 154 eren-ox-drivers, 29 menials, (have worked) for 130 days; its labour: 23,790 workdays (lit. «workers for 1 day»). 15 masons (have worked) for 75 days; its labour: 1,125 workays (lit. «workers for 1 day»).

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The structure of balanced accounts was similar in most cases: the balance carried over from a former balanced account, plus new items or workforce made available during the period under supervision, constituted the debits section; the next section included the expenditures credited to the person to whom the balanced account belonged; then followed the comparison between the preceding totals and the report of a positive or negative balance; and the document usually finished by recording the dates to which the balanced account applied and the name of the person or organization involved.

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How this process worked will be better understood with the example of balanced accounts issued at Umma to monitor the labour performed by workers throughout the

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province40. The accounting procedure began with a job performed by a work-gang under the responsibility of a foreman (u g u l a). Once the work had been completed, a tablet sealed by an official from the «Fiscal Office» recording the completion was delivered to the foreman. A sample of this kind of sealed tablet is on Fig. 6, which reads: BM 110781: 36 ĝuruš u4 1-šè, ki-su 7 a-šà dNin-ur4-ra-ka gub-ba, 160 ĝuruš u4 1-šè, ki-su 7 a-šà d Nin-hur-saĝ-ka gub-ba, 22 ĝuruš u4 1-šè, ki-su 7 a- Ur-gar gub-ba, ugula Lugalkù-ga-ni, kišib Šà-kù-ge, mu Si-ma-númki ba-hul. Seal: Šà-kù-ge, dub-sar, dumu d Šára-ĝá 36 workers during 1 day (i.e. 36 workdays) were in service at the threshing floor of the field of Ninurra; 160 workers during 1 day (i.e. 160 workdays) were in service at the threshing floor of the field of Ninhursaĝ; 22 workers during 1 day (i.e. 22 workdays) were in service at the threshing floor of the field of Urgar. Foreman: Lugalkugani. Seal of Šakuge. Date: Šu-Suen 3. Seal: Šakuge, scribe, son of Šaraĝa. Fig. 6: BM 110781

Receipt tablet of workdays, unpublished, BDTNS 069670 40

By the end of the year, the foreman presented all his sealed receipts documenting the work (counted as workdays) performed under his responsibility. After examining the receipts, a balanced account was issued. These kinds of balanced accounts, of which several specimens are preserved41, took into consideration the work performed during the previous year, the work expected and the work actually performed during the year just concluded, according to the following scheme: a) Balance (expressed in workdays) carried over by the foreman from the previous year, summarized as « remainder» (s i – ì – t u m) b) List of workers at the disposal of the foreman. At the end of this section: Total (a+b) of expected labour performance (expressed in workdays) for the year just concluded, summarized as «debits» (s a ĝ – n í ĝ – g u r 11 – r a). c) List of sealed tablets presented by the foreman. At the end of this section: Total (c) of labour (expressed in workdays) credited to the foreman, summarized as «booked out» (z i – g a – à m). d) Balance of production (expressed in workdays), summarized as «deficit» (l á - ì) or «surplus» (d i r i g) when a+b (debit) was respectively greater or lesser than c (credits).

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e) Colophon: - Balanced account (n í ĝ – k a s 7 a k) of PN (the foreman). - Period of the balanced account (e.g. from month x to month y of year z). 41

Section a was evidently written on the basis of a similar balanced account for the previous year, while section c was prepared after the individual receipts presented by the foreman. For the writing of section b, detailed inspection lists of workers, some of which have survived, were most probably used.

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Once issued, these balanced accounts could be sent to other offices to calculate the amounts of wool and barley due to the workers as compensation for the work performed. Likewise, individual receipts presented by the foreman could be sent to other offices to compile other kind of documents. Finally, when all these documents had been used wherever necessary, they were archived in tablet-containers, which were tagged with pisaĝduba-tablets42.

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A very interesting example of how these containers were classified and managed can be found in the following text recording their delivery: Santag 6, 20: 1 gipisaĝ kišib lá-ì, 1 gipisaĝ kišib níĝ-kas7 nu-ak, 1 gipisaĝ kišib énsi ma-da, 1 gipisaĝ kišib a-gù-a ĝá-ra, kišib Da-da-ga, kišib pisaĝ-dub-ba, mu ús-sa a-rá 3-kam Si-mu-ruum ba-hul-ta, mu Ur-bí-lumki-šè, 1 gipisaĝ kišib en8 tar, 1 gima-ad-lí-um kišib Lúdiĝir-ra 1 reed-container (with) receipt tablets (recording the repayment ? of) arrears; 1 reed-container (with) receipt tablets (for) balanced accounts not yet compiled; 1 reed-container (with) receipt tablets of the governors of the provinces; 1 reedcontainer (with) receipt tablets (already) deducted from the debits (lit. «charged to the account»). (These are containers) received by Dadaga (and) received by the chief bookkeeper, (with documents dated) from «the year after the year Simurrum was destroyed for the third time» (Šulgi 33) to «the year Urbilum (was destroyed)» (Šulgi 45). 1 reed-container (with) receipt tablets (that have to be) investigated. 1 reed-bucket (with) receipt tablets of Lu-diĝira.

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All these balanced accounts, inspection lists, inventories, receipt tablets, labels and bullae are only a sample of the rich typology of administrative texts that inform us about the accounting procedures in Ur III times. Their potentiality for research on the history of economy and administration, and, in general, for the history of early Mesopotamia, is immense. However, their archival relationships and contents are still imperfectly understood. More than fifty years after the pioneering work of Tom B. Jones and John W. Snyder (SET, 1961), many new and very significant studies on Ur III texts have certainly been written, but an exciting world of research still remains open.

NOTES *. Photographs of tablets are published with the kind permission of the Trustees of the British Museum. They have all been taken by the author, except for BM 130460 (UET 3, 1498), taken by Palmiro Notizia. All the abbreviations used are those of BDTNS (see, fn. 2).

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1. See Molina, M., «The Corpus of Neo-Sumerian Tablets: an Overview», in Steven J. Garfinkle and J. Cale Johnson (eds.), The Growth of an Early State in Mesopotamia: Studies in Ur III Administration. BPOA 5, Madrid, 2008, pp. 19-53. The estimates have not changed much since this publication. 2. Molina, M., Database of Neo-Sumerian Texts, http://bdtns.filol.csic.es, 2002–. All statistical data provided in this contribution are based on BDTNS. 3. Kraus, F. R., « Die Istanbuler Tontafelsammlung », Journal of Cuneiform Studies 1, 1947, pp. 116f. 4. Hattori, A., Texts and Impressions: a Holistic Approach to Ur III Cuneiform Tablets from the University of Pennsylvania Expeditions to Nippur. Ph. D. Diss., University of Pennsylvania, 2002, pp. 49; Tsouparopoulou, Christina, The Ur III Seals Impressed on Documents from Puzriš-Dagān (Drehem). HSAO 16, Heidelberg, 2015, pp. 57f. 5. See

Sallaberger,

W.,

« Das

Ende

des

Sumerischen.

Tod

und

Nachleben

einer

altmesopotamischen Sprache », in Peter Schrijver and Peter-Arnold Mumm (eds.), Sprachtod und Sprachgeburt, Bremen, 2004, pp. 109-140; Id., « Sumerian Language Use at Garšana. On Orthography, Grammar, and Akkado-Sumerian Bilingualism », in David I. Owen (ed.), Garšana Studies. CUSAS 6, Bethesda, 2011, pp. 337-339. Different views have been expressed by Michalowski, P., «The Life and Death of the Sumerian Language in Comparative Perspective», in Jeremy Black and Gábor Zólyomi (eds.), Special Volume in Honor of Professor Mamoru Yoshikawa. The Study of Diachronic and Synchronic Variation in Sumerian: Papers Presented at the 6th Meeting of the Sumerian Grammar Discussion Group, Oxford, 17th and 18th September 1999. ASJ 22, Hiroshima, 2000 (publ. 2005), pp. 177-202; Rubio, G., « Šulgi and the Death of Sumerian », in Piotr Michalowski and Niek C. Veldhuis (eds.), Approaches to Sumerian Literature: Studies in Honour of Stip (H. L. J. Vanstiphout). CM 35, Leiden, 2006, pp. 167-179. 6. See Sallaberger, W., « Ur III-Zeit », Mesopotamien. Akkade-Zeit und Ur III-Zeit. Annäherungen 3. OBO 160/3, Freiburg/Göttingen, 1999, pp. 200, 214; Id., « Textformular und Syntax in sumerischen Verwaltungstexten », in Jeremy Black and Gábor Zólyomi (eds.), Special Volume in Honor of Professor Mamoru Yoshikawa, op. cit., pp. 249-278. 7. Prologue of Laws of Ur-Namma, 135-139: see Wilcke, Cl., « Der Kodex Urnamma (CU): Versuch einer Rekonstruktion », in Tzvi Abusch (ed.), Riches Hidden in Secret Places. Ancient Near Eastern Studies in Memory of Thorkild Jacobsen, Winona Lake, 2002, pp. 308f. 8. For some deviations, see Gomi, T., « A note on gur, a capacity unit of the Ur III Period », ZA 83, 1993, pp. 31-41; Id., « On Various Expressions for ‘Difference’ in Neo-Sumerian Texts », in Arne A. Ambros and Markus Köhbach (eds.), Festschrift für Hans Hirsch zum 65. Geburtstag gewidmet von seinen Freunden, Kollegen und Schülern. WZKM 86, Vienna, 1996, pp. 143-150. 9. Marginal numbers in administrative texts have been recently identified as an illustration of different computational methods based on the use of positional notations and sexagesimal factors: Ouyang, X. and Proust, Ch., « Place value notations in the Ur III period: Marginal numbers in administrative texts », in Karine Chemla, Agathe Keller and Christine Proust (eds.), Cultures of Computation and Quantification in the Ancient World, Springer, forthcoming. 10. See Proust, Ch., « Numerical and Metrological Graphemes: from Cuneiform to Transliteration », CDLJ 2009: 1, pp. 5f. 11. See most recently Cohen, M., Festivals and Calendars of the Ancient Near East, Bethesda, 2015. 12. The earliest text dated by year stems nevertheless from the time of Eanatum I (see Sallaberger, W. and Schrakamp, I., « Philological Data for a Historical Chronology of Mesopotamia in the 3rd Millennium », in Walther Sallaberger and Ingo Schrakamp (eds.), ARCANE 3, Turnhout, 2015, p. 35). 13. Eidem, J., The Shemshāra Archives 2. The Administrative Texts, Copenhagen, 1992, p. 13 fn. 6. 14. See Hilgert, M., Cuneiform Texts from the Ur III Period in the Oriental Institute. 2: Drehem Administrative Documents from the Reign of Amar-Suena. OIP 121, Chicago, 2003, pp. 19f. Other examples are given by Sallaberger, W., « Ur III-Zeit », op. cit., p. 232. 15. Sallaberger, W., « Ur III-Zeit », op. cit., p. 245.

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16. See Molina, M., «The Corpus of Neo-Sumerian Tablets: an Overview », op. cit., pp. 52f. Information updated as of November 2015. 17. See Widell, M., The Administrative and Economic Ur III Texts from the City of Ur, Piscataway, 2003, pp. 91-101, with previous literature. 18. Zettler, R. L., « Administration of the Temple of Inanna at Nippur under the Third Dynasty of Ur: Archaeological and Documentary Evidence », in McGuire Gibson and Ronald D. Biggs (eds.), The Organization of Power: Aspects of Bureaucracy in the Ancient Near East, SAOC 46, 2nd ed., Chicago, 1991, p. 105. 19. Zettler, R. L., The Ur III Temple of Inanna at Nippur: The Operation and Organization of Urban Religious Institutions in Mesopotamia in the Late Third Millennium B.C. BBVO 11, Berlin, 1992, p. 72. 20. Jones, T. B., « Sumerian Administrative Documents », in Stephen J. Lieberman (ed.), Sumerological Studies in Honor of Thorkild Jacobsen on his Seventieth Birthday. AS 20, Chicago/London, 1975, pp. 43f. 21. See Paoletti, P., Der König und sein Kreis. Das staatliche Schatzarchiv der III. Dynastie von Ur. BPOA 10, Madrid, 2012. 22. Al-Mutawalli, N., « Administrative Cuneiform Texts from Umma in the Iraq Museum. Excavation of Shara Temple », Sumer 55, 2010, pp. 45-86; AI-Mutawalli, N. and Ali Ubeid Shalkham, «From the Archive of

DI.KU5-mīšar:

Excavation of Drehem (Ancient Puzriš-dDagan) »,

Sumer 59, 2014, pp. 93-112. 23. Stone, E. C., « Patterns of Looting in Southern Iraq », Antiquity 82, 2008, pp. 125-138; Id., «An Update on the Looting of Archaeological Sites in Iraq », in Jesse Casana (ed.), The Cultural Heritage Crisis in the Middle East. NEA 78/3, Boston, 2015, pp. 178-186. 24. See Molina, M., and Steinkeller, P., « New Data on GARšana and the Border Zone between Umma and Girsu/Lagaš », in Gonzalo Rubio, Lluis Feliu and Fumi Karahashi (eds.), The First Ninety Years: A Sumerian Celebration in Honor of Miguel Civil. SANER 12, Berlin/Boston, 2016, in press, for its location at the eastern area of the Umma province, not faraway from Girsu, with previous literature (notably the different views expressed in former publications by Wolfgang Heimpel and Piotr Steinkeller). 25. The archive was published in an exemplary way by Owen, D. I., and Rudolf H. M., The Garšana Archives. CUSAS 3, Bethesda, 2007. 26. Some of these texts were published by Shayma’a Salah, « New Cuneiform Texts from the Third Dynasty of Ur in the Iraq Museum » [in Arabic], Sumer 55, 2010, pp. 133-152; others were published by Owen, D. I. Cuneiform Texts Primarily from Iri-Saĝrig/Āl-Šarrākī and the History of the Ur III Period. 2. Catalogue and Texts. Nisaba 15/2, Bethesda, 2013; and others are still unpublished and kept in the Iraq Museum. 27. The tablets from Irisaĝrig have been published by Owen, D., Cuneiform Texts Primarily from IriSaĝrig, op. cit. 28. See Molina, M., « On the Location of Irisaĝrig », in Steven J. Garfinkle and Manuel Molina (eds.), From the 21st Century BC to the 21st Century AD. Proceedings of the International Conference on Neo-Sumerian Studies Held in Madrid, July 22-24, 2010, Winona Lake, 2013, pp. 59-87. 29. Most of the tablets from this archive will be published by Studevent-Hickman, B. Ur III Texts from the Vicinity of Nippur Belonging to the Archive of Aradmu, JCS SS, in press. 30. See Steinkeller, P., « Archival Practices at Babylonia in the Third Millennium », in Maria Brosius (ed.), Ancient Archives and Archival Traditions: Concepts of Record-Keeping in the Ancient World, Oxford, 2003, pp. 37-39. 31. Cf. for example the statistical analysis for Puzriš-Dagān texts presented by Hilgert, M., Cuneiform Texts from the Ur III Period, op. cit., pp. 14f. 32. For its organization, see Jones, T. B., and Snyder, J. W., Sumerian Economic Texts from the Third Ur Dynasty. A Catalogue and Discussion of Documents from Various Collections, Minneapolis, 1961, pp. 212-238; Maeda, T., « Bringing (mu-túm) Livestock and the Puzurish-Dagan Organization in the

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Ur III Dynasty », ASJ 11, 1989, pp. 69-111; Sigrist, M., Drehem, Bethesda, 1992: Sallaberger, W., « Ur III-Zeit », op. cit, pp. 260 f. ; Tsouparopoulou Ch., « A Reconstruction of the Puzris-Dagan Central Livestock Agency », CDLJ 2013: 2, 15 pp., with previous literature. . 33. Jones, T. B., and Snyder, J. W., Sumerian Economic Texts, op. cit, pp. 215f. 34. Tsouparopoulou, Ch., «‘Counter-archaeology’: Putting the Ur III Drehem Archives Back to the Ground », in Y. Heffron, A. B. Stone and M. J. Worthington (eds.), At the Dawn of History: Ancient Near Eastern Studies in Honour of J. Nicholas Postgate, Winona Lake, in press, who also discusses the different types of bullae and their relationship with the archival procedures. 35. Falkenstein, A., Die neusumerischen Gerichtsurkunden. 2, Munich, 1956, pp. 263-393; Molina, M., « From Court Records to Sammelurkunden: A New Tablet from Umma and TCL 5, 6047 », in Natalia Koslova, Ekaterina Vizirova and Gábor Zólyomi (eds.), Studies in Sumerian Language and Literature. Festschrift für Joachim Krecher. BuB 8, Winona Lake, 2014, pp. 399-421. 36. Van de Mieroop, M., « An Accountant’s Nightmare. The Drafting of a Year's Summary », AfO 46-47, 1999-2000, pp. 111-129. See also Loding, Darlene, A Craft Archive from Ur. Ph. D. Diss., University of Pennsylvania, 1974. 37. See most recently Ouyang, X., Monetary Role of Silver and its Administration in Mesopotamia during the Ur III Period (c. 2112-2004 BCE): A Case Study of the Umma Province. BPOA 11, Madrid, 2013, pp. 38-40, with previous literature. 38. See Englund, R. K, « Equivalency Values and the Command Economy of the Ur III Period in Mesopotamia », in John K. Papadopoulos and Gary Urton (eds.), The Construction of Value in the Ancient World, Los Angeles, 2012, pp. 427-458. 39. Labour equivalences given in these and other texts (e.g., see below BM 110781) are expressed in workdays, which means that the days recorded on the text were not real days of work but accounting units (« workdays »): 10 guruš u4 1-šè does not mean that «10 workers (worked) for 1 day», but that 10 workdays were performed by n workers during n days (e.g. 4 four workers during 2.5 days, or 20 workers during 0.5 days). 40. See Steinkeller, P., «Archival Practices at Babylonia in the Third Millennium», op. cit.; Englund, R. K., «The Year: ‘Nissen returns joyous from a distant island’», CDLJ 2003: 1, 18 pp. 41. See Studevent-Hickman, B., The Organization of Manual Labor in Ur III Babylonia. Ph. D. Diss., Harvard University, 2006, vol. II, pp. 361-451. 42. All this process has been analysed and described in more detail by Steinkeller, P., « Archival Practices at Babylonia in the Third Millennium », op. cit.

ABSTRACTS The Ur III period (2110-2003 BC) is documented through an imposing corpus of administrative cuneiform tablets. It is estimated that some 120,000 documents, plus an indeterminate number of texts stored in the Iraq Museum, are currently kept in collections all over the world. Unfortunately, most of them are deprived of archaeological context, which makes it difficult to identify their provenance and reconstruct their archival relationships. This contribution provides an overview of the physical features of Ur III texts, their administrative typology, the places and the kinds of archives where they were kept, and some of the administrative procedures followed in large institutions.

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Archives and Bookkeeping in Southern Mesopotamia during the Ur III period

La période d’Ur III (2110-2003 av. J.-C.) est documentée par un impressionnant corpus de tablettes administratives écrites en cunéiforme. On estime qu’environ 120 000 documents, plus un nombre indéterminé de textes de l’Iraq Museum, sont actuellement conservés dans des collections du monde entier. Malheureusement, le contexte archéologique de beaucoup de ces documents est inconnu, ce qui rend difficile d’identifier leur provenance et de reconstruire les relations entre les différentes archives. Cette contribution propose un aperçu des caractéristiques matérielles des textes d’Ur III, de leur typologie administrative, de leurs lieux d’origine, des types d’archives dans lesquelles ces documents étaient conservés et de quelques procédures administratives suivies dans les grandes institutions. Das Periode Ur III (2110-2003 v. Chr.) ist durch ein beeindruckendes Korpus von Verwaltungstäfelchen dokumentiert, die in Keilschrift geschrieben sind. Man schätzt, dass ungefähr 120.000 Dokumente in den Sammlungen der ganzen Welt aufbewahrt werden, zu denen noch eine unbestimmte Zahl von Texten aus dem Irak-Museum kommen. Leider ist der archäologische Kontext vieler dieser Dokumente unbekannt, was es schwer macht, ihre Herkunft zu identifizieren und zu bestimmen, in welcher Beziehung die verschiedenen Archive zueinander stehen. Dieser Beitrag bietet einen Überblick über die materiellen Charakteristika der Texte der Periode Ur III und eine verwaltungstechnische Typologie. Er zeigt ferner, an welchen Orten sie konserviert wurden, und präsentiert einige verwaltungstechnische Verfahren, die in den damaligen großen Institutionen angewandt wurden. El periodo de Ur III (2110-2003 a.C.) es conocido por su impresionante corpus de tablillas cuneiformes de carácter administrativo. Se calcula que alrededor de 120.000 documentos, más un número indeterminado de textos del Museo de Irak, se conservan actualmente en colecciones de todo el mundo. Lamentablemente, la mayor parte de ellos carecen de contexto arqueológico, circunstancia que complica notablemente la identificación de su procedencia y la reconstrucción de sus relaciones de archivo. En este artículo se ofrece una panorámica de las características físicas de los textos de Ur III, su tipología administrativa, los lugares de procedencia y los tipos de archivo donde se guardaban, así como algunos de los procedimientos administrativos empleados en las grandes instituciones.

INDEX Palabras claves: Periodo de Ur III, contabilidad, sumerio, archivos, inventarios, balances contables, recibos, tipología, administrativa Schlüsselwörter: Das Ur III-Zeitalter, Rechnungswesen, sumerisch, Archive, Inventare, Haushaltskonsolidierung, Beleg, verwaltungstechnische Typologie. Mots-clés: Période d’Ur III, comptabilité, sumérien, archives, inventaires, équilibre des comptes, reçus, typologie administrative Keywords: Ur III period, accounting, Sumerian, archives, inventories, balanced accounts, receipt tablets, administrative typology

AUTHOR MANUEL MOLINA Chercheur au Consejo Superior de Investigaciones Científicas (Madrid) [email protected]

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Les textes comptables de Boğazköy dans les recherches hittitologiques actuelles Rechnungswesen in Boğazköy aus der aktuellen hethitischen Forschung Los textos contables de Boğazköy en las investigaciones hititológicas actuales Boris Alexandrov

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/comptabilites/2010 ISSN: 1775-3554 Publisher IRHiS-UMR 8529 Electronic reference Boris Alexandrov, « Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research », Comptabilités [Online], 8 | 2016, Online since 20 June 2016, connection on 03 May 2019. URL : http:// journals.openedition.org/comptabilites/2010

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Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research

Accounting texts from Boğazköy in current Hittitological research Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Les textes comptables de Boğazköy dans les recherches hittitologiques actuelles Rechnungswesen in Boğazköy aus der aktuellen hethitischen Forschung Los textos contables de Boğazköy en las investigaciones hititológicas actuales

Boris Alexandrov

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The Hittite kingdom (ca. 1650‒1180 BCE) was a prominent player on the Ancient Near Eastern scene1. While at the dawn of their history Hittites occupied a small territory in the Kizil-Irmak river valley in Central Anatolia, subsequently they succeeded to extend their control far beyond the peninsula. In the heyday of their might, in the second half of the XIVth century BCE, Hittite kings held sway over vast territories in the Syro-Palestine region, Middle Euphrates valley and Upper Mesopotamia. The Hittite kingdom was a heterogeneous state from ethnolinguistic and cultural point view. Its backbone was formed by the Indo-European peoples of Hittites and Luwians. Two writing systems were in use for their languages: Mesopotamian cuneiform and indigenous Anatolian hieroglyphic script. Hittites were among many other Ancient Near Easterm cultures to adopt cuneiform. Rather frequently, such a borrowing was not isolated, it could go hand in hand with adoption of different cultural phenomena, such as special forms of education based on a set of literary and ‘scientific’ compositions, some ideological and social concepts, archival and accounting practices.

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Hittite cuneiform corpus is analogous to other cuneiform corpora of the Ancient Near East in some aspects and differs in other. The vast majority of Hittite cuneiform texts originate from the Hittite capital Hattusa / Boğazköy: ca. 27000 tablets and fragments 2. They are written in different languages: apart from Hittite which was official language of the empire and was used to write down the majority of the corpus, there are documents in Sumerian, Akkadian and Hurrian, languages of three influential cultures, as well as in

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Palaic, Luwian, some Indo-Aryan dialect and Hattic. Apart from the linguistic diversity, the Hittite corpus is interesting due to the distribution of different text genres. The classification of Hittite corpus was suggested by T. van den Hout3: A. Texts with multiple copies

B. Texts in single copies

Historical narratives, treaties, edicts (CTH 1‒147, 211‒216)

Letters (CTH 151‒210)

Instructions (CTH 251‒275)

Land deeds (CTH 221‒225)

Laws (CTH 291‒292)

Lists and rosters (CTH 231‒239)

Celestial omina (CTH 531‒535)

Economic administration (CTH 240‒ 250)

Hymns and prayers (CTH 371‒389)

Court depositions (CTH 293‒297)

Festivals (CTH 591‒721)

Cult inventories (CTH 501‒530)

Rituals (CTH 390‒500)

Non-celestial omina (CTH 536‒560)

Mythology, Anatolian (CTH 321‒338) and non-Anatolian (CTH 341‒369) Hattian, Palaic, Luwian, Hurrian texts (CTH 725‒791)

Hippological texts (CTH 284‒287)

Lexical lists (CTH 299‒309)

Oracle practice (CTH 561‒582)

Vows (CTH 583‒590) Tablet collection shelf lists (CTH 276‒282) Tablet collection labels (CTH 283)

Sumerian and Akkadian compositions (CTH 310‒316, 792‒ 819)

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It is based on whether a text was written in multiple copies or had only one single copy. The former are called prescriptive, and the last ones descriptive. The economic and administrative texts fall into second category. That corresponds to their ephemeral nature: since they were of only temporal use and often reflected an intermediate stage of accounting operations, there was no reason to copy them.

4

Globally, there are three groups of texts that belong to the sphere of administrative and economic management. First of all, purely accounting documents, the so-called inventories (which include rosters and lists of materials and commodities), cadaster texts, cult inventory texts, and documents related to management of tablet collections: shelf lists, or catalogues, and labels4.

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As for their number it can hardly exceed one thousand texts and fragments for Boğazköy collection5. This number deserves further corrections and precisions, at the same time it conveys a trustworthy proportion between the administrative-economic texts and the rest of the corpus. This proportion is striking, only about 3 percent of the documents are ephemeral whereas Mesopotamian archives provide a drastically different picture. One

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may refer to the calculations of the specialists on Old Babylonian corpus, according to whom, the number of administrative texts, e.g., from Mari is 8,000 against 30,000 of their total number. So, the question is pending why the Hittites left so few accounting texts. 6

Hittite administrative and economic documentation has recently attracted a considerable attention of scholars. What follows is a brief presentation of the corpus and the related problems according to these new publications.

1. Types of texts 7

The main body of accounting documentation is grouped in the current version of Laroche catalogue under the numbers (230‒250) and is called “Bestandsaufnahmen”. The first ten are different lists, of places, men and women, of fields and some other. The lists of toponyms probably played a significant role for composing taxation documentation and related types of documents. The field texts (CTH 239), according to T. van den Hout, “were used by Hittite administration as a register on the basis of which either the amount of seed to be handed out or the amount of tax in relation to the yield of a field could be determined”6.

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The entries from 241 to 250 are inventory texts. According to M. Giorgieri and C. Mora, the inventories provide the following information: they describe the materials which are either received or distributed. The most frequently mentioned are metals (copper, tin, silver, gold and iron) either as bars, or finished objects such as cups, weapons or decorations. One can see also wool and textiles. But food and drinks are extremely rare for this type of texts: one can refer to very few documents like a bread distribution list KBo 18.1897. Next the inventories give information on the containers in which the items were kept, usually boxes and chests. They note the type of transaction, either tribute ( MANDATTU) or gift (IGI.DU8.A). The provenance of the goods is stated. There is also a record of persons responsible for registration and control of the goods. Finally, the receiving organism and person is mentioned, it can be either one of the storing places like “the Seal House” (É NA4KIŠIB), or a temple or a single person or a group of persons8. It should be noted that not all this information is obligatorily present in the inventories. The structure and content of inventory text can be exemplified by: IBoT 1.31 (translation by S. Košak)9: Obv. (1) 1 red basket, large: filled (with) blue, red and purple wool. / (2) 1 red basket, large, on lion feet, a show piece: contains Amorite (3) linen. (Contents) jotted down on the wooden board. (4) Furthermore it also (contains) Cypriot linen: 37 (pieces). (5) 1 leather bag with straps: (contains) seeds of the Hurrian ebony. (6) 1 leather bag with tightly fastened straps: 2 ritual gowns, 1 festive garb, (7) 2 fine garments; total: 5 garments, 3 cloaks, 1 fine garment, 1 luxurious garment (8) 1 pair of red leggings, 1 pair of blue, 1 vest, (9) 1 blue vest, 1 blue head-band, present (from) Aspunawiya, (10) 1 yellow garment, 1 blue, while the queen put in 1 garment (11) in the colour of ehlipakki-stone, with knots. They have not yet inventorized this basket. / (12) 1 red basket, large, on lion feet: tribute from Ankuwa, (13) the garments are accounted for on the wooden writing board. Said the queen: (14) “When I send it into the seal-house, then they will (15) make final tablet”. / (16) 1 red basket, no feet: (contains) white and red (textiles). / (17) 1 red basket, no feet: (contains) wool (died with) the purple of the sea. / (18) 1 red basket: contains rhyta. Not yet inventorized. / (19) 1 silver pyxis. /

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(20) 1 red basket, on lion feet: filled with straps on linen. / (21) 1 basket, small, red: assorted (items) from Yarawiya. / (22) 1 basket, small, red: assorted (items) from the town Pasura. / (23) 1 basket, red: contains Hurrian shirts, ornamented with gold; (24) not inventorized. / (25) 1 white bag of smooth leather, short: contains Hurrian wool. / (26) 11 (pairs of) leggings (set with) crescents. Pupuli has the soap. / Rev. (1) (From) 9 shekels of gold a pin will be made: the hand of Zuzuli. (2) (From) 1 mina of gold a beaker will be made: the hand of Ehli-Kušuh. (3) 1 mina 15 shekels of gold: (with) the jewelers to be refined. / (4) 1 copper bathtub, 1 copper basin, 1 (set of) cymbals, (5) 1 field knife, 1 copper wash basin, 1 (set of) cymbals, (5) 1 field knife, 1 copper lance, 2 ceremonial copper axes of the secret house. / (6) 6 ŠA.KIŠ-garments: hand of Kapiwa; he will wash (them). / 9

A large group of ephemeral texts is represented by the so-called cult inventories (CTH 501 ‒530)10. They aimed at centralizing control over the cult and managing the temple organizations which included the care of buildings, personnel and necessary materials for religious ceremonies. Judging from the cult inventories the procedure was divided in several stages. As T. van den Hout writes, “first, there were reports on the current state of the temples through consultation of temple personnel, through archival research, oracle investigations, and inventories”11. Based on this research the king took a decision concerning necessary measures to improve the cult. The texts then describe what changes were made, and what the new state of affairs was. That can be illustrated with an extract from the cult inventory of the Storm-god (KBo 2.1, CTH 509, translation by H.A. Hoffner)12: Šuruwa (ii. 9‒20) “The former state (of the cult in the city Šuruwa): four deities in all — one stela representing the Storm-god of Šuruwa, one stela representing the Sungoddess, one stela of Mount Auwara, (The present state:) one iron bull-statue of one šekan in size (representing the Storm-god of Šuruwa), one silver stela of the Sun-goddess, on which rays are depicted in silver, one club with a sun disc and a crescent as ornamentation and on which is one iron figure of a standing man one šekan in size (representing the Mountain-god Auwara), one iron statue of a seated woman the size of a fist (representing the female deified spring Šinaraši). Four deities of the city Šuruwa which My Sun commissioned to be made.(Šuruwa has) ten festivals (each year): five in the fall and five in the spring. (The offerings for each festival are) 12 sheep, 6 PARISU-measures and two SŪTU of flour, [?] vessels of beer, 3 PARISU of wheat for the temple built. Piyama-tarawa is in charge of the silver and gold”.

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Another type of cult inventories is devoted to the description of sacral statues (translation by H.A. Hoffner)13: (KUB 38.2 ii 8‒13) “The Storm-god of Heaven: cult image (of) a seated man, gold-plated; in his right hand he holds a club in his left hand he holds a gold (hieroglyphic sign for) “Good (ness).” He stands on two silver-plated mountains (represented as) men. Beneath him is a silver base. Two silver animal-shaped vessels (are there). His two festivals are in fall and spring. [They give it] from the house [of the king.]”

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This latter type probably also reflects a part of reports that were made in the course of inspections of cult centers. However, as is clear from these examples, cult inventories provide only indirect data on economic matters and can be hardly classified as

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accounting documents in proper sense. The same is true of library management texts which helped to organize the storage of documents.

2. Question of find spots 12

There are different loci where the tablets were unearthed in Boğazköy, but three of them stand out for the quantity of finds. These are Temple I and House on the Slope in the Lower City, and the royal citadel, Büyükkale, in the Upper City. Fig. 1: The site of Hattusa / Boğazköy

Hattusa map from history-book.net 13

As for the inventory texts, they were found in the stores of the Great Temple, Temple I in the Lower City, but they are absent in the House on the Slope, the only two exceptions being KBo 18.185 and KBo 31.55 which come from the post-Hittite archaeological layer. There is a discussion about the find spot of the important document known as Inventory of Maninni (KUB 12.1)14. It originates from H. Winckler’s excavations and therefore lacks a documented provenance. However, there is fragment in KBo 13 from the House on the Slope which is claimed to be an indirect join to KUB 12.1. For scholars like E. Laroche, there is no problem, since they view the text as cult inventory, and House on the Slope is well known for keeping a lot of material related to cult and religion. For other scholars, like S. Košak and C. Carter, there are substantial parallels between KUB 12.1 and economic texts, namely the jewellery inventories. They regard the proposed join as unconfirmed and point out to the fact that the only known colophon mentioning Maninni was found in the Great Temple magazines. Consequently, the main text is also likely to originate from this area, and not from the House on the Slope. Summing up, there is no sound evidence

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for the House on the Slope as stocking place for purely economic texts. As for the Great Temple, it was mainly the surrounding stores that housed inventories. The texts are unearthed in rooms 5, 10, 11, 12, 14, 21, in excavation dumps in squares L/17, 19. In absolute numbers the assemblage of economic documents from Temple I is the biggest: there are 38 inventory texts. 27 of them date to the late New Hittite period (second half of the XIIIth century BC)15. 14

On Büyükkale inventories are found in several buildings: A, B, C, D, E, K, and M. Among them Building D clearly stands out with its 21 texts and fragments. According to van den Hout, 35% of late New Hittite texts in this building are economic records16. Fig. 2: Royal citadel on the Büyükkale hill

Hethiter und ihr Reich. Das Volk der 1000 Götter. Stuttgart; Bonn, 2002, p. 97 15

There are also other find spots of the inventory texts: Temple 2 in the Lower City, Sarıkale-river vale in the Upper city, but they are clearly marginal. Thus, two major complexes responsible for economic administration in the Hittite capital can be singled out: Temple 1 and Building D on Büyükkale.

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The large number of economic texts in the Temple I is of no surprise given its strategic position near the entry to the city, next to the gates. It is likely that its magazines served as the first stocking place for incoming goods. There they were inventorized for the first time, than packed and given away for further redistribution among other services and personnel. On the contrary, it would be quite unnatural to place such office of initial control at the royal citadel. It would either create a rather uncomfortable situation when the scribes and clerks would have circulate between magazines in the Lower town and citadel (everyone who visited Boğazköy can confirm that this is not an easy task) or allow the access of goods directly to the citadel which is very problematic because there was only one road accessible for wheeled transport.

3. Formal properties 17

From the formal point of view, Hittite inventories are divided into texts written in one single column and in three columns on each side of the tablet. The first group is written in a hasty and somewhat sloppy writing which evidently reflects their status of intermediate documents subject to further processing17.

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It is generally thought that this form served primarily to fix the initial receipt of tax goods. Subsequently full ledgers in three columns were composed on the basis of these texts. As T. van den Hout writes, ledgers fixed “places and manner of storage, they contained information on whether the goods were sealed or not and whether any transport documents were present”. Another way of reworking the initial documents was to write down the receiving institution, the provenance of goods, and whether the amounts paid were correct18.

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With these full ledgers, according to van den Hout, a new stage of bureaucratic procedure started: “the raw materials were either assigned to various workshops” for production of goods, or finished products were distributed as gifts to temples and to individuals for their services19. And in the end special inventories were made to provide accounts for the final goods produced by the workshops.

4. Terminology 20

There are some terms specific to the Hittite inventory texts: - MANDATTU ‘tribute’ (Akkadian) - IGI.DU8.A ‘present, show piece’ (Sumerian) - lalami- ‘accounting receipt’ (Luwian) - ŠU ‘handed out to’ (Sumerian) - ĪDE (Akkadian)

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The Akkadian word MANDATTU, very frequent in the economic texts, designates tribute and payments made by the subjects of the Hittite crown. We have clear description of what it was and how it was imposed on the vassals of Hittite king in the juridical texts from Ugarit. In fact, they contain the list of payments to the king and additional presents for the high officials of Hatti. It is not excluded that such personal presents were marked in Hittite inventory texts by the term IGI.DU8.A.

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The third, lalami-, is a substantivized participle of the Luwian verb lala- ‘to take, to receive’, meaning ‘accounting receipt’. Its use can be illustrated by the following example (translation by S. Košak)20: KBo 9.91 (CTH 241.5) obv. 1‒18 1 la-la-me-eš TÚGhu-ni-pa GAB __________________________________________________ 2 3 TÚGmaš-[š]i-aš BABBAR 3 A-NA LÚ.MEŠ a-ra-un-na 4 URUNe-ri-ik a-ša-an-du-la-aš ___________________________________________________ 5 la-la-me-eš ŠA GIŠPISAN pa-ra-a SUM-u-aš 6 2 TÚGGÚ uz-za-i-mi-ia 7 2 TÚGGÚ SA5 1 TÚG !ŠÀ.GA.DÙ KUR Kar-dDu-ni-aš 8 a-na LÚ.MEŠ a-ra-un-na a-ša-an-du-la-aš URUNe-ri-ik 9 1 GÍR GAB KÙ KUN SAG.DU NA4DU8.ŠÚ.A 10 IŠu-na-DINGIR-LIM IKán-nu-wa-ri-ša-an ____________________________________________________ 11 la-la-me-eš tup-pa-aš GÍR 12 3 GÍR ŠÀ.BA 2 LÍL 1 LÚMU 13 A-NA [LÚ.MEŠ] a-ra-un-na a-ša-an-du-la-aš 14 URUNe-ri-ik _____________________________________________________

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15 la-la-me-eš GIŠPISAN KUR Mi-iz-ri BI-IB-RI KÙ.BABBAR 16 (erased) 17 1 GÚ UR.MAH 2 GAL KÙ.BABBAR LÚ.MEŠ a-ra-un-na 18 a-ša-an-du-la-aš URUNe-ri-ik _______________________________________________________ (1) Receipt (for) the hunipa-cloth (of) the brea[st] ________________________________________________________ (2) 3 white sash belts (3) for the yeomen (4) of the garrison of Nerik ____________________________________________________________________ (5) Receipt of the chest for delivery: (6) 2 Hurrian? shirts, ... (7) 1 red shirt, 1 sash belt from Babylon (8) for the yeomen of the garrison of Nerik. (9) 1 dagger, (its) front (is) shimmering, its tail and pommel (are of) rock-crystal: (10) Sunaili and Kannuwari (made/gave) it. ____________________________________________________________________ (11) Receipt of the chest (of) daggers: (12) 3 daggers: thereof two field knives, 1 kitchen knife (13) for the yeomen of the garrison (14) of Nerik ____________________________________________________________________ (15) Receipt of the chest (from) Egypt, (with) silver rhyta: (17) 1 (shaped like the) neck of a lion, 2 silver beakers: for the yeomen (18) of the garrison of Nerik. 23

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This term reminds of Mesopotamian ŠU.TI.A. Probably, the term ŠU, literally ‘hand’, should be regarded as a counterpart of lalami-: it is attested with personal names and should be understood as ‘handed out to’. It designated the craftsmen to whom the state gave raw materials to manufacture the products in need. There is one case, KBo 18.159, when this expression is replaced by the Akkadian preposition IŠTU while the structure of the text is similar to those having ŠU. T. van den Hout argues that this text should be met at the final stage of economic cycle, when the palace received the manufactured goods from the workshop21. Another key-word that appears many times is Akkadogram ĪDE. It is rather enigmatic, since it has no direct correspondence in Mesopotamian material. Its use is illustrated by the following example (translation by S. Košak)22: KUB 40.95 II 1‒4 1 URUDU GUN 3 BI-I[B-RU] NA4NUNUZ ½ BÁN NA4NU[NUZ] 2 [LÚ.]MEŠ URUMa-a-ša IŠa-li-iq-qa-aš I-DI 3 URUDU 3 [x GIŠŠU]KUR 2 URUDUdu-pí-ia-li-iš 1 GIŠBAN 1 ME GIKAK.Ú [TAG] 4 A-NA IPí-ha-A.A LÚ[DUB.SA]R? ITa-ki-LUGAL-ma IZu-zu-[li] I-DI (1) 1 (ingot of) copper of 1 talent (in weight), 3 rhyta of beads (containing) ½ BÁN of beads: (2) the people of Maša (delivered it), Šaliqqa checked it. 3 (ingots of) copper, (3) x spears, 2 javelins, 5 bows, 100 arrows (were given) (4) to Pihamuwa, the scribe, Takišarruma and Zuzuli checked it.

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According to S. Košak, the term, meaning literally in Akkadian “he knew”, must reflect a control operation on behalf of the bureaucrats receiving taxes or final products from the workshops23. C. Mora further hypothesized that the term has a technical meaning “sealed”24: to her mind, Hittite inventory texts not always reflected purely economic transactions of exchange and redistribution, some of them were lists of prestigious goods

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that were given to the Hittite elite as presents, IGI.DU8.A. These goods were kept in special stores in the royal citadel sealed with personal seals of the recipients. So, the very moment of depositing these goods in such stores was described in the inventories. There are important, though indirect arguments in favour of Mora’s idea, that derive from other characteristic features of inventory texts. First of all, they usually contain rather small, in comparison with the royal lists from Alalah, Ugarit, and Nuzi, quantities of materials or goods. They give a strange proportion of metals: for example, bronze very often is absent, and references to iron are not as frequent as one can expect. They mention many rare objects poorly known from other texts25. All this strengthens the impression that at least some of inventories are related to the private assets, and not that of the state. 26

All these terms refer to different operations and stages of bureaucratic control in a very brief manner. However, we have some additional insights on how these procedures took place. We have already seen a special remark in the inventory text IBoT 1.31 saying that a preliminary description of the received goods was given on the so-called writing boards: “[T]ribute from Ankuwa, the garments are accounted for on the wooden writing board. The queen said: ‘When I send it into the seal-house, then they will make final tablet’”. There is a discussion among Hittitologists how these writing boards looked like and what script and language were used to write on them. Some scholars suggest that they were wooden tablets covered with wax and were written in cuneiform, other think that they were not necessarily wax tablets, but simple wooden ones and they were written in hieroglyphs with ink and the language was Luwian.

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Another piece of information derives from a court deposition concerning the affair of Ura-Tarhunta26. Ura-Tarhunta was a high functionary responsible for distribution of state assets between other administrators and servicemen. Evidently, he appropriated some of these assets, and therefore was accused of embezzlement. A part of accusation runs as follows (translation by H.A. Hoffner)27: (§ 1) With respect to the fact that [the queen] on several occasions turned to UraTarhunta, the son of Ukkura, the Overseer of Ten, various items — namely, chariots, items made of bronze and copper, linen garments, bows, arrows, shields, maces (or, perhaps ‘weapons’), civilian captives, large and small cattle, horses and mules, (the charge is that) he regularly failed to indicate on a sealed tablet what was issued to whom. He also had no manifest(?) or receipt. The queen says: “Let the ‘Golden Grooms’, the queen’s šalašhā-men, Ura-Tarhunta and Ukkura proceed to make comprehensive statements under oath in the temple of Lelwani”.

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And in the end of the deposition comes a justification of Ura-Tarhunta’s father who was also involved in the case (translation by H.A. Hoffner): (§ 28) Thus says Ukkura, the Queen’s Overseer of Ten: “When they sent me to Babylonia, I sealed the LE’U-tablets that I had concerning the horses and mules. Also a receipt was not formalized. For that reason I didn’t pay close attention. As soon as the horses and mules arrive, I will seal them in the same way. It was presumptuous of me, but it was not a deliberate offence. I didn’t just look the other way, saying: “Some things get lost, other don’t”. I didn’t take a horse or mule for myself or give one to anyone else”.

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From these passages, we learn that the accounting documents had to be sealed, and notsealing them was a violation of the procedure subject to persecution. The Akkadian term LE-U5 corresponds here to the wooden writing-board in the translation of IBoT 1.31. Having based on these and other contexts, C. Mora amply reconstructed the bureaucratic procedure of goods acquisition by the palace28.

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The first of the cited passages from Ukkura’s deposition contains yet another technical term, dušdumi-. It is marked with a glossing sign and is clearly of Luwian origin based on the same morphological model as lalami-. The interpretation of this term poses a problem, since, unlike lalami-, we do not encounter it in the economic texts. The proposed renderings are ‘Beurkundung, Quittung’29 and ‘manifest’, as in H.A. Hoffner’s translation. Those are rather general interpretations which allow different functions of the document designated by the term. Meanwhile, the word’s etymology may be quite eloquent on the matter. I. Yakubovich has suggested that the underlying stem here is tuwa- ‘to place’ which is related to Russian stavit’ or Latin sisto. Dušdumi- has a reduplication of this stem, just as its Latin cognate. The initial consonantal cluster was automatically simplified, but it was kept between vowels inside the word: the intervocalic position blocked the simplification rule30. So, dušdumi- means something which is left, deposited. Since we do not have attestation of the term in the extant economic records, we may surmise that the documents of dušdumi- type were left for those who paid, a sort of payment note and quittance and were not intended to be kept in the official archives.

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Another interesting issue which arises together with these observations is that some significant part of accounting terminology is Luwian. One can add here a term parzakiš ‘clay bulla’31. Sometimes they are marked with gloss sign, sometimes not.

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Not only terminology, but the very way it is used can be quite specific in Hittite accounting texts. Thus, Sumerogram ŠU.NIGIN ‘total’ which is wide spread in accounting documents of many epochs and regions can be placed at the beginning of a text in Hittite 32 , while the general rule was to write it at the end.

5. Question of bullae 33

In the beginning the question was asked, why the corpus of Hittite accounting texts is so modest. Some possible answers were already mentioned and hinted at. T. van den Hout thinks that a great bulk of documentation of the initial stage of control was simply destroyed and recycled. He further argues that the Hittite economy was archaic and autarkic, and ordinary taxation could be realized without much administrative effort and didn’t demand an elaborated accounting system33. Besides he believes that there were some alternative ways to provide accounts. This is directly connected to his interpretation of bullae found on Büyükkale and Nişantepe.

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Bullae are pieces of clay with seal impressions, the seals are of two types: royal and those of high dignitaries. The most important finds of clay bullae were made in 1990‒91 in the Upper City, on the hill of Nişantepe: some 3400 items in a building called Westbau. The total amount of bullae with previous finds in Building D on Büyükkale is 3538 of which 2092 are sealed with royal seals and 1364 with those of high dignitaries34. Another important point is that the Nişantepe bullae were found along with royal land donations, and both groups of documents are in complementary chronological distribution: the land deeds date from Tudhaliya I to Arnuwanda I (ca. 1400), and clay bullae are of the Empire period (from 1350 on). Bullae could be used in different ways: they could seal containers, wooden writing-boards, probably, doors, could be attached as sealings to the juridical documents. Despite their multifunctionality, a question arises: what was the goal to accumulate such huge amounts of bullae in one single place? If they were collected and stored deliberately, what purpose did this collection serve for? Unfortunately, no exact

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answer is possible. One of the first versions said that the bullae sealed the land deeds of the Empire period written on perishable materials, wooden writing-boards covered with wax35. 35

C. Mora who has recently published several articles on the mystery of bullae finds is prone to discard, at least partly, this view. To her mind, the bullae might have sealed containers with precious items which belonged to palace elite36. All these collections have nothing to do with central state archives, they are private by their nature. The Westbau on Nişantepe would be then analogous to store-rooms in modern banks intended to secure precious things and assets belonging to individuals.

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T. van den Hout is also skeptical towards the idea that Westbau bullae accompanied juridical texts. It seems unlikely that the Hittites switched from clay to wood to write legal documents of great importance intended to be kept for centuries. Wooden tablets are easily destroyed, and a text written on wax can be changed. Another, strong practical argument against this view is that there is too much bullae with royal seals: as we see in the land donations each document had a seal of king and of several witnesses mentioned in the text, the average number of them is four. Here the number of royal bullae is bigger than that of all the rest by 628 entries. At the same time T. van den Hout rejects the idea that the function of bullae was to seal the containers with goods: if it were non-perishable goods, we should have archaeologically traceable evidence of them, but it is not the case. If those were perishable goods, then why were they kept for decades and even centuries, after they lost their qualities or even spoiled. So, T. van den Hout assumes that these bullae represent a sort of non-written testimonies of passed transactions which were important to be kept. He refers to sophisticated accounting practices in preliterate societies, a good example being represented by finds at chalcolithic site of Arslan-tepe in Turkey37. The use of such practices ― though, for a time being, they remain totally obscure to us, ― could partly account for the fact that Hittite corpus of economic texts is so meager.

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Recently, W. Waal has convincingly argued that the Hieroglyphic script had much longer history than is traditionally assumed. In fact, it was used already in the period of Assyrian colonies38. W. Waal also pointed out that there are in fact no sound arguments in favor of the use of wax- covered tablets in Anatolia. More probably, Anatolians wrote on wood with ink, and such documents could serve for a long period of time. For example, they came down from different regions of ancient world such as Egypt and Britain of Roman times. These new data seem to shed a favorable light on the original idea that the Nişantepe bullae were attached to the land deeds.

NOTES 1. The participation in the project was supported by the Russian foundation for the humanities (14-21-17004a). 2. Van den Hout, T., « A Classified Past: Classification of Knowledge in the Hittite Empire » in R.D. Biggs, J. Meyers and M.T. Roth (eds.), Proceedings of the 51 st Rencontre Assyriologique Internationale

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Held at the Oriental Institute of the University of Chicago, July 18‒22, 2005, SAOC 62, Chicago, 2008, p. 213 adduces the number 26,789. For other Hittite sites see http://www.hittiteepigraphs.com. 3. Van den Hout, T., « A Classified Past…», p. 213; Van den Hout, T., « The Written Legacy of the Hittites » in H. Genz & D.P. Mielke (eds.) Insights into Hittite History and Archaeology, Colloquia Antiqua 2. Leuven, Paris, 2011, p. 59‒66. For an earlier version of the same classification and detailed comments see van den Hout, T., « Another view of Hittite literature » in Stefano de Martino & Francа Pecchioli Daddi (eds.) Anatolia antica. Studi in memoria de Fiorella Imparati, Firenze, 2002. p. 857‒878. This classification captures essential features of the Hittite corpus, but at the same time there is at least one additional point that it should take in consideration. As in Mesopotamia, Hittite accounting texts could be written in several copies. As Mesopotamian material shows, this was caused by practical needs: in some cases all participants of a transaction wanted to have a document testifying to its completion. Abbreviation CTH corresponds to the Catalogue des textes hittites, first compiled by a French scholar E. Laroche in 1971. Its up-to-date electronic version can be consulted at www.hethither.net. 4. Main publications of originals: Freydank, H. Keilschrifturkunden aus Boghazköi. Heft 42: Feldertexte, Gegendstandslisten, kultische und andere Texte in hethitischer Sprache. Berlin, 1971 ; Güterbock, H.G., Keilschrifttexte aus Boghazköi. Heft 18: Hethitische Briefe, Inventare und verwandte Texte. Berlin, 1971. Text editions: 1) Economic records: Souček, V., « Die hethitischen Feldertexte », ArOr 27, 1959, p. 5‒43, p. 379‒395 ; Košak, S., Hittite Inventory Texts (CTH 241‒250), THeth 10, Heidelberg, 1982. 2) Cult inventories: von Brandenstein, C.-G. Hethitische Götter nach Bildebeschreigungen in Keilschrifttexte, Leipzig, 1943 ; Carter, Ch., Hittite Cult Inventories, Chicago, 1962 ; Hazenbos, J., The Organization of the Anatolian Local Cults during the Thirteenth Century B.C. An appraisal of Hittite cult inventories, Leiden, Boston, 2003 ; 3) Tablet collection texts: Dardano, P., Die hethitischen Tafelkataloge aus Ḫattuša (CTH 276‒281), StBoT 47, Wiesbaden, 2006. 5. The book of Siegelová, J, Hethitische Verwaltungspraxis im Lichte der Wirtschafts- und Inventardokumente, Prague, 1986 which represents the most comprehensive treatment of purely economic texts, contains edition of 119 documents. Košak, S., op. cit. has edition of 108 texts, but the material of two books significantly overlaps. 6. Van den Hout, T., « Administration in the Reign of Tutḫaliya IV and the Later Years of the Hittite Empire » Th. P. J. van den Hout (ed.) with the assistance of C. H. van Zoest, The Life and Times of Ḫattušili III and Tutḫaliya IV. Proceedings of a Symposium Held in Honour of J. de Roos, 12‒13 December 2003, Leiden, PIHANS 103, Leiden, 2006, p. 84. 7. Siegelová, J., op. cit., p. 360‒362. Van den Hout, T., « Administration and Writing in Hittite Society » in M.E. Balza, M. Giorgieri & C. Mora (eds.) Archivi, depositi, magazzini presso gli ittiti. Nuovi materiali e nuove ricerche / Archives, Depots and Storehouses in the Hittite World. New Evidence and New Research. Proceedings of the Workshop Held at Pavia, June 18, 2009, StMed 23. Genova, 2012, p. 44‒45 also refers to a small fragment mentioning flour, KBo 32.134. 8. Giorgieri, M. and Mora C., « Luxusgüter als Symbole der Macht » in G. Wilhelm (ed.) Organization, Representation and Symbols of Power in the Ancient Near East. Proceedings of the 54th Rencontre Assyriologique Internationale at Würzburg 20‒25 July 2008, Winona Lake, 2012, p. 655. 9. Košak, S., op. cit., p. 5–6. 10. The most recent treatment is provided by Cammarosano, M., « Hittite Cult Inventories ‒ Part Two: The Dating of the Texts and the Alleged ‘Cult Reorganization’ of Tudḫaliya IV », AoF 39/1, 2012, p. 3‒37 and Cammarosano, M., « Hittite Cult Inventories ‒ Part One: The Hittite Cult Inventories », WdO 43, 2013, p. 63‒105, who estimates a total number of cult inventories as ca. 550 fragments. 11. Van den Hout, T., « Administration in the Reign of Tutḫaliya IV…», p. 84.

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12. Hoffner, H. A. Jr., « Hittite Cult Inventories » in W.W. Hallo (ed.) Context of Scripture. Archival Documents from the Biblical World, Leiden, Boston, Köln, 2002, p. 63. 13. Hoffner, H. A. Jr., « Hittite Cult Inventories », p. 65. 14. Ibid : 86‒87. 15. Ibid: 85. 16. Loc. cit. 17. Siegelová, J., op. cit., p. 4. According to the author, one sixth of the economic texts are one column tablets. 18. Van den Hout, T., « Administration and Writing... », p. 46. 19. Loc. cit. 20. Košak, S. op. cit., p. 24‒29. Siegelová, J., op. cit., p. 98‒99. 21. Van den Hout, T., « Administration in the Reign of Tutḫaliya IV…», p. 86. 22. Kempinski, A., Košak, S., « Hittite Metal “Inventories” (CTH 242) and Their Economic Implications », Tel Aviv 4/1‒2, 1977, p. 88‒89. 23. Ibid, p. 88. 24. Mora, C., « I testi ittiti di inventario e gli ‘archivi’ di cretule. Alcune osservazioni e riflessioni » in D. Groddek & M. Zorman (eds.) Tabularia Hethaeorum. Hethitologische Beiträge Silvin Košak zum 65. Geburtstag, DBH 25, Wiesbaden, 2007, p. 540 ; Mora, C., « The Enigma of the ‘Westbau’ Depot in Ḫattuša’s Upper City » in M.E. Balza, M. Giorgieri & C. Mora (eds.) op. cit., p. 63, supported in van den Hout, T., « Seals and Sealing Practices in Hatti-Land: Remarks à propos the Seal Impressions from the Westbau in Ḫattuša », JAOS 127/3, 2007, p. 346. 25. Kempinski, A., Košak, S., op. cit., p. 92. 26. See text edition in Werner, R., Hethitische Gerichtsprotokolle, StBoT 4, Wiesbaden, 1967, p. 3‒20. 27. Hoffner, H. A. Jr., « Records of Testimony Given in the Trials of Suspected Thieves and Embezzlers of Royal Property » in W.W. Hallo (ed.), op. cit., p. 57‒60. 28. 1) delivery of goods packed in different containers to the palace magazines, redaction of provisional wooden tablets describing those goods; 2) sealing operations that concerned both containers and cover documents, lalamis; 3) definitive acquisition of goods by the palace and their transfer under the responsibility of high ranking functionaries, the stage is accompanied by the redaction of clay ledgers to be kept in the archives, these ledgers were not sealed and contained verification ĪDE-formula; 4) the goods were placed in the official storage buildings, sometimes together with wooden tablets which helped to rapidly identify them; Mora, C., « I testi ittiti di inventario e gli ‘archivi’ di cretule…», p. 539‒540. 29. Tischler, J., Hethitisches etymologisches Glossar, T. III. Lfg. 10: T, D / 3, Innsbruck, 1994, p. 470. 30. For etymology of Luwian tuwa- s. Yakubovich, I., « Reflexes of the Anatolian -xa conjugation in Lycian / Workshop on Luwic dialects », October 2013 (handout), p. 5. 31. Košak, S., op. cit., p. 52. 32. HKM 104, see del Monte, G., « I testi amministrativi da Maşat Höyük / Tapika », Orientis antiqui miscellanea Vol. II, Roma, 1995, p. 112. 33. Van den Hout, T., « Administration and Writing…», p. 45, 47, 48. 34. Ibid., p. 52. 35. Marazzi, M., « Sigilli e tavolette di legno: le fonti letterarie e le testimonianze sfragistiche nell’Anatolia ittita » in M. Perna (ed.) Administrative Documents in the Aegean and Their Near Eastern Counterparts, Torino, 2000, p. 79‒98 ; Marazzi, M., « Sigilli, sigillature e tavolette di legno: alcune considerazioni alla luce di nuovi dati » Vita. Belkıs Dinçol ve Ali Dinçol’a Armağan / Festschrift in Honor of B. Dinçol and A. Dinçol, Istanbul, 2007, p. 465‒474. 36. Mora, C., « The Enigma of the ‘Westbau’ Depot …», p. 65, 66. 37. Van den Hout, T., « Administration and Writing …», p. 53.

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38. Waal, W., « They wrote on wood. The case for a hieroglyphic scribal tradition on wooden writing boards in Hittite Anatolia », AnSt 61, 2011, p. 21–34; Waal, W., « Writing in Anatolia: The Origin of the Anatolian Hieroglyphs and the Introduction of the Cuneiform Script », AoF 39/2, 2012, p. 287–315.

ABSTRACTS Accounting texts represent an important part of the Hittite textual corpus which draws a considerable attention of Hittitologists. There are several aspects that justify this interest. Hittite accounting documents are not that numerous as their counterparts in the archives of Syria and Mesopotamia. For example, the documentation concerning distribution of food rations is almost totally absent. Hittite accounts employ specific terminology that is unknown from other traditions, while Hittite use of Mesopotamian technical terms can significantly diverge from common Mesopotamian practice. Hittites wrote their accounts not only on clay, but on perishable materials, such as wood, as well. Some alternative forms of accounting, other than writing, were probably in use among the Hittites. Les documents comptables constituent une partie importante du corpus épigraphique hittite qui suscite grandement l’intérêt des hittitologues. Plusieurs aspects justifient cet intérêt. Tout d’abord, les textes comptables hittites ne sont pas aussi nombreux que leurs homologues des archives syriennes et mésopotamiennes. Par exemple, la documentation concernant la distribution des rations alimentaires est presque totalement absente. Ensuite, la comptabilité hittite emploie une terminologie spécifique qui n’est pas connue à travers d’autres traditions. En même temps, l’utilisation par les Hittites des termes techniques mésopotamiens pouvait s’écarter des usages normatifs respectés en Mésopotamie. Enfin, les Hittites rédigeaient leurs comptes non seulement sur de l’argile, mais aussi sur des supports périssables comme le bois. Il est ainsi probable que parallèlement au recours à l’écrit, les Hittites aient pratiqué d’autres formes de comptabilité. Die Rechnungsdokumente stellen einen wichtigen Teil des epigraphischen Korpus der Hethiter dar, der das Interesse der Hethitologen stark auf sich gezogen hat. Mehrere Aspekte rechtfertigen dieses Interesse. Die Texte zum Rechnungswesen der Hethiter sind nicht so zahlreich wie jene aus den syrischen und mesopotamischen Archiven. Zum Beispiel fehlt fast völlig eine Dokumentation zur Verteilung der Nahrungsmittelrationen. Außerdem benutzt das hethitische Rechnungswesen eine spezifische Terminologie, die in anderen Traditionen unbekannt ist. Gleichzeitig konnte der Gebrauch spezifisch technischer, mesopotamischer Ausdrücke durch die Hethiter vom normativen Gebrauch der Termini in Mesopotamien abweichen. Schließlich führten die Hethiter ihre Konten nicht nur auf Ton, sondern auch auf vergänglichem Material wie Holz. Es ist daher wahrscheinlich, dass die Hethiter neben der Schriftpraxis auch andere Formen der Rechnungsführung angewendet haben. Los documentos contables constituyen una parte importante del corpus epigráfico hitita que suscita gran interés entre los especialistas de los hititas. Varias razones justifican este interés. Primero, los textos contables hititas no son tan numerosos como los de los archivos de Siria y Mesopotamia. Por ejemplo, la documentación relativa a la distribución de raciones de alimentos es casi inexistente. En segundo lugar, la contabilidad hitita emplea una terminología específica,

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que no se conoce en otras tradiciones. Al mismo tiempo, el uso entre los hititas de términos técnicos mesopotámicos podía desviarse de los usos normativos de Mesopotamia. Por fin, los hititas redactaban sus cuentas no solo en arcilla sino también en soportes perecederos como la madera. Así, es probable que además de valerse del escrito, los hititas practicasen otras formas de contabilidad.

INDEX Mots-clés: Royaume hittite, archives de Boğazköy, textes comptables hittites Keywords: Hittite kingdom, Boğazköy archives, Hittite accounting texts Palabras claves: Reino hitita, archivos de Boğazköy, textos contables hititas Schlüsselwörter: Hethiterreich, Archive aus Boğazköy, hethitische Rechnungstexte

AUTHOR BORIS ALEXANDROV Enseignant-chercheur, Université d’État de Moscou Lomonossov, Faculté d’histoire [email protected]

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Comptabilités Revue d'histoire des comptabilités 8 | 2016

Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BCE): epigraphic sources and their interpretations Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Administration économique dans les royaumes d’Israël et de Judah (env. 931-587 av. J.-C.) : sources épigraphiques et leurs interprétations Wirtschaftsverwaltung in den Königreichen Israel und Juda (etwa 931-587 v. Chr.): epigraphische Quellen und ihre Interpretation La administración económica en los reinos de Israel y Juda (hacia 931-587 a.C.): las fuentes epigráficas y sus interpretaciones Alexey Lyavdansky

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/comptabilites/2024 ISSN: 1775-3554 Publisher IRHiS-UMR 8529 Electronic reference Alexey Lyavdansky, « Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BCE): epigraphic sources and their interpretations », Comptabilités [Online], 8 | 2016, Online since 20 June 2016, connection on 19 April 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2024

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Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BC...

Economic administration in the kingdoms of Israel and Judah (ca. 931 – 587 BCE): epigraphic sources and their interpretations Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien Administration économique dans les royaumes d’Israël et de Judah (env. 931-587 av. J.-C.) : sources épigraphiques et leurs interprétations Wirtschaftsverwaltung in den Königreichen Israel und Juda (etwa 931-587 v. Chr.): epigraphische Quellen und ihre Interpretation La administración económica en los reinos de Israel y Juda (hacia 931-587 a.C.): las fuentes epigráficas y sus interpretaciones Alexey Lyavdansky

How did they keep accounts in the kingdoms of Israel and Judah in the first millennium BCE? Given the obvious limitations related to scarcity of the written sources from the Southern Levant in this period (ca. 931 – ca. 587 BCE), it is better to ask: How and what can we know about accounting practices in Ancient Israel? There are two main bodies of textual evidence for the given place and period: the text of the Hebrew Bible and the epigraphy. Benzion Barlev provides an interesting attempt to explain one of the texts in the Bible related to the sphere of accounting (Ex 38:21-31)1. A number of studies are dedicated to the issue of taxation in the kingdoms of Israel and Judah based on biblical texts2. The purpose of the present paper is to make a survey of the epigraphic documents related to accounting practices in a broader sense from Southern Levant in the first half of the first millennium BCE3. This study is not exhaustive: we have chosen the most important epigraphic corpora and some isolated documents relevant for the topic. We also do not discuss many details pertinent to the analysis of the documents, for which see references to literature. Special attention is given to Samaria ostraca, because their

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interpretation caused much controversy and because they were often used as models discussing other corpora and documents from Ancient Israel. The sources are reviewed in the chronological order of their discovery, because in some instances the new epigraphic data were interpreted in the light of former discoveries and their interpretations. Fig. 1. Map of the kingdoms of Israel and Judah in the first half of the first millennium BCE.

In Bible History Online (http://www.bible-history.com/maps/israel_judah_kings.html)

1. Nature of the sources If we would try to make an overall picture of accounting or economic administration in the polities of the Southern Levant in the first half of the first millennium BCE, we would inevitably encounter an insurmountable obstacle. One of the main peculiarities of the economic and other types of documentation in this region within the said period is that the coverage of different types of accounting by the available sources would be necessarily incomplete. But it would be incomplete not only in the general sense, which is natural for historical sources of antiquity. The specific problem here is related to the fact that some considerable part of documentation is lost forever for environmental reasons. It is common knowledge that in Palestine papyrus and skin do not survive or almost do not survive into the modern period4. The papyri survived from the monarchic period are easy to count on one’s hand: actually we have only one papyrus from Palestine (Murabbaʕ at Papyrus, VIII-VIIth century BCE), and one papyrus found in Egypt, sent from Palestine (Adon letter, end of VI century BCE), both documents are letters5. What does it mean for the history of the accounting? As the analysis of epigraphic data from Ancient Israel shows, some part of documentation was most probably made on papyrus. Two examples from scholarly discussion of epigraphic documents may illustrate this point.

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Anson Rainey, while discussing the nature of Samaria ostraca, which represent probably one of the main accounting corpora from monarchic Israel, suggested that these ostraca are just “scraps”, i.e. their content was summarized in a lost papyrus ledger (an account book, Großbuch). The ostraca, after being registered in the overall document, were discarded, thrown away6. One of the Aramaic ostraca from Arad (No. 38) was interpreted as an exercise, the main document (a bill of sale?) would have been executed on papyrus or leather: “A listing of a man’s belongings is not a subject fit for writing on sherds, but is very common in documents on papyrus or parchment”7. Following this, it is natural to assume, that there were some types of documents (e.g. longer account lists, bills of sale or lists of belongings) which were produced mainly or only on papyrus. This entails that some important part of documentation from Israel is lost for us because it was created on perishable material. This situation is different from that in contemporaneous Syria and Mesopotamia, where longer documents could be compiled in much more enduring cuneiform. Be it for the reasons of the climate, or for the reasons of insufficient development of literacy, but the fact is that the epigraphic sources from Palestine are usually scarce and isolated. If we take the sources from the palace of Samaria, the capital city of the Kingdom of Israel, its life and institutions for the period ca. 931 – ca. 720 BCE are documented by the main corpus of 102 ostraca from the first half of the VIIIth century BCE, by a fragment of a bowl with letters lyh, and by 10 assorted short inscriptions from the second half of the VIIIth century BCE: designations of ownership, a list of personal names, and a short document labelled “Barley letter”, probably related to administrative matters 8. If we compare these data from Samaria with the documentation of the palace of Ugarit, we shall see that the sources in Ugarit reveal many aspects of economic and administrative activity9: 1. Lists of villages: a) Lists of mobilization of villagers for military purposes; b) A list of payments of tribute in silver to the Hittite king; c) Payments by the villagers to the royal treasury; d) Tablets recording the distribution of “food” or “rations” to the villages; 2. The documents of the gittu-estates (units of royal economy); a) The tablets concerning villagers, villages and royal service people, who had to deliver their share of their own produce to the gittu-estates; b) Texts concerning stocks of agricultural tools on various gittu-estates; c) Lists of the state of cattle on the gittu-estates; d) Texts concerning agricultural products (cereals, wine, oil, etc.) which are at the gittu-estates, including fodder and products delivered by the villagers and (nonagricultural) craftsmen to the stores; e) Tablets concerning ‘royal servicemen’, who had agricultural professions; f) Many texts also deal with the deliveries from the gittu-estates for certain persons.

Even if all the economic and cultural differences between Late Bronze Age polities like Ugarit and the Levant Iron Age polities like Samaria are taken into account, the difference in the density of sources is drastic. The only viable explanation of this gap would be that most of the documentation in Samaria was written on papyrus.

2. LMLK jar-handle stamps This group of inscribed artefacts originating from many places in Judah is commonly known as lmlk jar-handle stamps or impressions. Technically these are jar-handles with

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stamps bearing a short inscription, which consists of the prepositional phrase lmlk ‘to/for the king’ and one of the four geographical names ḥbrn, zyp, šwkh, or mmšt. These handles are believed to belong to one of the types of earthenware vessels with four handles of average capacity 45,33 l. The first specimens of this type were discovered in 1869 by Charles Warren during excavations in Jerusalem. At the moment there are more than 2000 lmlk jar-handles known, ca. 70% of them are provenanced and came from archaeological excavations10. Because some of the vessels had stamps on more than one handle, it is difficult to assess, how many vessels are testified by the above figures. Fig. 2. A lmlk impression on a jar handle.

In Imlk web site (http://www.lmlk.com/research/lmlk_z2u.htm)

All of the localities where the lmlk stamps were found, are within the borders of the ancient kingdom of Judah. The three geographical names on these stamps are identified almost with certainty as Hebron, Sokho and Ziph. The fourth name is difficult to relate to any place known in Judah. It was generally assumed that mmšt is a variant of the Hebrew word mmšlt ‘government’ and may point to Jerusalem as a center of administrative district in Judah. Though the dates of these inscriptions are debated, most would agree that they come from the period between the mid VIIIth century to 587 BCE. One of the popular theories connects lmlk stamps with the reign of Hezekiah, specifically with the last years before the Sennacherib’s invasion of Judah in 701 BCE11. Recently an alternative view was advanced that the practice of lmlk stamps persisted several decades after 701 BCE12. The purpose of these stamps was variously explained, but all theories assumed that these inscriptions testify to some sort of economic administrative practice in the kingdom of Judah. One of the most popular interpretations was offered in 1899 by Charles ClermontGanneau, who came to the conclusion, that lmlk jars were used for products which were delivered regularly to the royal storehouses located in the four chief cities of the kingdom 13 . Consequently, the products (oil, wine or grain) are the tributes or taxes in kind collected by royal administration. Charles Clermont-Ganneau also supposed that the lmlk impressions were made on jars before baking in royal manufactories; so, these jars were at the onset intended to be standard delivery capacities controlled by the royal administration.

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Another theory assumed that the four cities were the places where the jars were manufactured14. In fact, this view does not depart deeply from the “store cities” theory of Clermont-Ganneau, because it also presupposes governmental control and does not exclude that the jars were used for tax-collecting. This theory, labelled “royal potteries” theory, apparently was disproven when it was shown that the clay for lmlk jars originates from one source in the Shephelah area15. The hypothesis put forward by Nadav Na’aman may be seen as a specific modification of the “store cities” theory. The four cities are not only storage centers, they are rather redistributive centers. According to this hypothesis, the jars with lmlk impressions were manufactured in one center and then sent to the four administrative districts. In each of the four towns the royal jars were filled with products and sent to fortified cities in these districts. All this was done under the king Hezekiah as part of the planned preparations for war with Assyria. It is very important to note that Na’aman explicitly denies any direct connection of this system of control with tax-collecting: “The lmlk jars were assigned for the storing of provisions for the anticipated hard time of siege rather than for the gathering of taxes”16. On the other hand, the products for these preparations were to be gathered by all possible means, including taxes and tithes17. The recent interpretation of these sources advanced by Oded Lipshits, Omer Sergi and Ida Koch views the Sitz im Leben of lmlk jars quite differently. They also suggest that there is a certain administrative system behind lmlk stamp impressions. This administrative system was created to answer demands of the Assyrian administration when Judah became a vassal kingdom of Assyria in the last quarter of VIII c. BCE. In order to pay the tribute to Assyria, the standardized mass-production of pottery was established. It facilitated storage and transportation of products under royal centralized control18.

3. Samaria ostraca The corpus of texts discussed further comes from Samaria, a capital of the ancient “Northern” Kingdom, or kingdom of Israel (ca. 931 – ca. 720 BCE) 19. During the work of the Harvard expedition on the site of Samaria (arab. Sebesṭiye) in 1908-10 under directorship of George A.Reisner 102 ostraca with alphabetic inscriptions were found20. Among them 25 items are illegible21. The ostraca were found in the debris on the floor of a building near the king’s palace. Most of the ostraca have the date according to the reign of an unnamed king. The dates are 9th, 10th and 15 th year of a king. Ivan Kaufman notes, that ostraca from different years were found together; that means that they were probably kept together22. The content of the inscriptions also points to the fact that they constitute a sort of unified archive. Commonly accepted dating of Samaria ostraca is the first half of the VIII century BCE23. There are attempts to classify the inscriptions on these ostraca by patterns or types 24, but basically they follow the same structure. By “structure” we understand the deep syntactic structure which may be expressed variously on the surface. One of the typical texts is the ostracon No. 17.

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Fig. 3. A Samaria ostracon (no. 17).

In Reisner, G. A., Fisher, C. S. and Lyon, D. G., Harvard Excavations at Samaria, 1908-1910. Vol.1. Text, Cambridge MA, 1924, p. 239.

1 bšt hʕšrt mʔz 2 h lgdyw nbl šm 3 n rḥṣ 1 In the tenth year (of the king) from ʔAzza 2 to Gaddiyau a jug of 3 washed25 oil.

Almost invariably, an inscription on Samaria ostracon begins with the dating formula bšt h-X ‘in the year X’. Then follow two prepositional phrases m-GN ‘from GN’ and l-PN ‘to PN’; the order of these phrases may be different. After that usually a commodity (wine or olive oil) and its quantity is stated. It is noteworthy, that the quantity is almost always the same – one jug or skin (nbl), but the numeral ‘one’ is always omitted. Only two ostraca, no. 1 and 2, specify a number of jars near the name of every (sending?) person. Quite often a text may be expanded or shortened. Thus, some additional persons may be named, sometimes also with the preposition l- ‘to’, but more often without any prepositions. Another geographical name can be also added, usually with the preposition m- ‘from’. The word ‘wine’ (yn) is sometimes specified by the phrase ‘the Vineyard of the Tell’: yn krm htl ‘the wine of the Vineyard of the Tell’. Several ostraca omit commodity, but it is supposed that a commodity was implied by the context of the transaction. Some authors single out the group of ostraca from the year 15, which are 24 in number. Their characteristic traits are: the absence of any product, be it wine or olive oil; additional geographical name with the preposition m-, which is understood as a clan name; an additional personal name without any preposition26. Summing up, these inscriptions register transfer of wine or olive oil from a certain place to a certain person. In the case of no. 17 it is understood that a jug of choiced olive oil came to the person named Gaddiyau from the location named ʔAzza. If we follow this interpretation, which we can call the simplest for reasons to be seen further, there arise some questions: Who are the persons receiving wine or oil? What is the economic reality behind these texts? Why these ostraca were kept in one place in the vicinity of the king’s palace? One of the authoritative theories, putted forward by Martin Noth, claimed that the recipients of the products were court officials, collecting yield from the king’s estate27. The ostraca themselves were understood as dockets attached to the product by its sender or as accompanying documents (Begleitschreiben)28. Thus, the documents were written not in the city Samaria, but in the vineyards and olive groves belonging to the king. The final recipient, or beneficiary, of these products was the king of Israel, but the products

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were not sent as tax, as it was claimed by many authors before and after Martin Noth. Although the theory was quite popular until the 1960-s, there were many critical remarks from the proponents of other theories29. Another interpretation was suggested by the famous Israeli archaeologist Yigael Yadin. His core argument was that the meaning of the preposition l- should be understood differently: it does not mean ‘to’, as it was claimed by excavators and Noth; it denotes possession and stands for ‘belonging to’, ‘of’30. Now, the persons referred to by the names after preposition l- (l-men), are not recipients, but senders, or owners of the estates. The names without preposition l- refer to sub-tenants or associates of the land owners. The transaction recorded by the ostraca involved registering shipments of the tax in kind, which came to the king’s storehouse from landowners. The ostraca are receipts written in Samaria. One point was common for theories of Noth and Yadin: the final beneficiary of the transaction is the king according to both interpretations. The theory of Yigael Yadin met strong opposition from the part of Anson Rainey, who advanced an alternative view31. According to Rainey, even if wine and oil went through the king’s storehouse, the king was not the beneficiary: these products were destined to the nobles or high officials who lived in the capital and were “eating at the king’s table”. The products came to the noblemen from their estates which were granted to them by the king. A. Rainey compared this situation with the system of royal land grants which existed in Ugarit and which was reliably documented by many written sources. Another important point was that the ostraca were written in Samaria, but not as receipts: they were used as scratch-pad notations, which were discarded after the information from them was copied on a ledger (a register), probably made of papyrus32. Frank M. Cross supports certain tenets of Yadin’s theory: the ostraca are tax receipts, lmen are lords in Samaria, non-l-men are their (sub)-tenants. Only one point by Cross is different, because according to him the final recipients of tax shipments are lords themselves, not king33. An interesting solution to the problem that the ostraca from the year 15 omit commodities, was suggested by William H. Shea. These ostraca, according to him, are not tax-receipts, they are military conscription dockets. The personal names without a preposition are the names of young men sent by the clans to the capital to serve as warriors. The names with preposition l- ‘to’ are the names of military officers under whom the conscripts are going to serve. Thus, the typical text can be read as follows: “Year 15: (sent) from (the clan of) Abiezer to (the officer) Asa (son of) Ahimelech, (the conscript) Baala from (the town of) Elmattan.”34 A modification of this theory may be found in the publication of John Dearman, who sees these documents as related to a very specific kind of tax, the corvée (forced labor) system: “…perhaps the "shipment" in these ostraca is named and consists of the workers themselves whose personal names are included along with clan and village names; that is, these particular ostraca are records of clan contributions to the corvée system or national draft”35. Recent interpretation by Roger Nam suggests that the recipients of very sophisticated and valuable products (“aged wine” and “washed oil”) were in fact “friends” of the king from the Samaria nobility. These choiced commodities, which were supplied in very small quantities, were probably used by king to manipulate his subjects, including or excluding them into/from the “club” of the recipients of such commodities. In other words, the transaction involved rather symbolic than economic sense: it deals with the exchange of

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loyalty and support from the part of local leader for the opportunity to take part in the consumption of elite products36 .

4. Gibeon jar handles Archaeological excavations at Gibeon (el-Ğīb, 9 km NNW of Jerusalem) in 1956-57 led by Pritchard have revealed 56 inscriptions on handles of storage jars, which may be considered as a unified group37. Later six more inscriptions of the same type were added to the corpus38. At the same place were found 83 lmlk jar stamps and some other inscriptions. The inscriptions on jar handles may be grouped to several patterns, but a big part of them, including the damaged ones, are of the following pattern: gbʕn gdr PN. Let us take no. 14 as a prototypical example: gbʕn gdr ʔmryhw. Following the interpretation of Pritchard himself, the inscription may be translated ‘(From) Gibeon. (Belonging to) the wine estate of Amariah’39. This interpretation is corroborated by the unique no. 51, where both gdr and PN are preceded by the preposition l-: gbʕn l gdd l ḥnn [ yhw nrʔ]. This reading is far from being universally accepted, because the reading and the meaning of the word gdr was variously contested. First, some authors including Pritchard himself at the beginning of his research read gdd instead of gdr, which would probably be a personal name40. There were also suggestions to see in gdr a geographical name, “a place name in the Gibeon area”41, or a personal name42. Nevertheless, these various readings do not affect the understanding of a principal purpose of these inscriptions. Since it was generally assumed that these jars were destined to keep wine, it was suggested that these inscriptions are related to the wine production industry at Gibeon. The personal names on the inscriptions would then refer to the individual owners of the vineyards. The purpose of the inscriptions would be either a trade-mark, or an address to return the used jar to its owner43. It was Anson Rainey, who included Gibeon jar handles into broader discussion of the economic administrative practices in the kingdoms of Judah and Israel. A. Rainey was against the view that the discussed inscriptions from Gibeon reflect the economic life of some private institution. In his view the wine-collecting installation at Gibeon was part of the royal property included into the system of land grants comparable to the one which existed in Ugarit44. The crucial argument was that Gibeon jar handles were discovered in the same stratum as lmlk seal impressions 45. Accordingly, the names on inscribed jar handles referred to individual recipients of the wine from Gibeon: they lived at the royal court, but owned a land at Gibeon by way of a royal grant, exactly as it was the case in Samaria according to Rainey’s view. Thus, the jars with inscribed handles went to individuals, the jars with lmlk handles went to the king46. Rainey’s interpretation did not gain much support among scholars. It is probably instructive to follow the view of I.Kaufman, who rightly compares Gibeon jar handles with other jar labels from Israel and Egypt, which bear names of producers47.

5. Kenyon ostracon 3 from the Ophel excavations in Jerusalem Among the ostraca discovered in Jerusalem during the excavations at the Ophel led by Kathleen Kenyon, there is one specimen, which deserves special attention, Kenyon

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Ostracon 3. Its significance for the history of accounting in Judaea was highlighted by the interpretation of André Lemaire, which is generally accepted until now48. The text is dated to the end of VIII c. BCE on palaeographic grounds. (1) 200 (2) mnw 18 (3) lʕšr (1) 200 (2) They have counted 18 (3) to give a tithe49.

We do not have here any reference to a product, but it may be omitted, as it happens in some of the Samaria ostraca and in “fiscal” bullae, which are discussed further. The practice of the tithe tax is amply attested in the text of the Hebrew Bible50. According to Lemaire, this ostracon is the only clear evidence of this practice in epigraphic sources from Judaea51. If the interpretation is correct, this document may be considered as an example of the approximate counting of the tithe: 18x100/200 = 9%. Another possibility is that the text implies double counting of the tithe: first, 10 percent of 200 is counted, which is 20; then, before the tithe goes to the main beneficiary, 10 percent of 20 is counted to some other beneficiary, supposedly a tax collector. So, the main beneficiary receives the tithe as 18 items or measures of a product; a tax collector would then get 2 items or measures of a product. Actually, this interpretation is based on a biblical source, which reflects similar practice: ‘When you receive from the Israelites the tithe I give you as your inheritance, you must present a tenth of that tithe as the Lord’s offering’ (Num 18:26)52. Other ostraca, found in 1964 in Jerusalem by the same archaeological team, also deserve our attention. Here it will suffice to point out, that ostraca 2 and 4 in all probability are administrative documents, because they are lists of products (jars of oil and grain) and their quantities; in one case a geographic name is designated on one of the sides of the ostracon (no. 4). Obviously, these documents, found in one place, may have been part of an economic administrative archive.

6. “Fiscal” bullae First published in 1990, this type of bullae was at the onset of their research related to the taxation system in Ancient Judaea53. According to the recent study by G. Barkay, there are over 56 bullae of this type published, some others awaiting publication54. Most of the “fiscal” bullae come from antiquities market. Only two specimens originate from controlled archaeological excavations55. There are two types of “fiscal” bullae according to the components of the inscription: 1) date, city, the phrase lmlk, e.g. b-26 šnh ʔltld lmlk ‘in the year 26 Eltolad to the king’. 2) date and personal name with the preposition l-, e.g. 21 šnh lyšmʕʔl ʕšyhw ‘(in) the year 21 to Yshmaʕʔel (son of) ʕAśayahu’. Following Avigad, whose interpretation is accepted in its main points by the subsequent authors, the more accurate translation of an example of the type (1) would be ‘In the 26th year [of king X] Eltolad [paid] to the king’. The personal names on the bullae in the group (2) are assumed to refer to officials, who were responsible for collecting taxes for a king 56. These interpretations are based on the obvious structural analogy of these inscriptions with Samaria ostraca and lmlk jar handles. These parallels were pointed out by Avigad in

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the first publication, dedicated to these artefacts. Though there were a number of publications on “fiscal” bullae after 1990, only the recent article of Barkay provides thorough discussion of the purpose of these bullae, but the author follows Avigad in his main points including references to such parallels as Samaria ostraca, lmlk jar handles and Phoenician seals. As far as the date of these documents is concerned, Yitzhak Avishur and Michael Heltzer dated fiscal bullae to the time of the king Josiah and related their Sitz im Leben to the reforms of this king in the late VII th century BCE. Gabriel Barkay dates fiscal bullae to the time of the king Manasseh in the first half of the VIIth century BCE 57. Not all the documents presented by Barkay as belonging to these two groups of “fiscal” bullae, exactly follow these patterns. Some of them omit one of the components. For example, there is a group of five bullae bearing only the name Yshmaʕʔel (son of) ʕ Aśayahu with the preposition: l-yšmʕʔl58. Since there is no date, it is natural to cast doubt on the belief that these five bullae also belong to the group of "fiscal" bullae. The main reason to consider these bullae as fiscal is the name of the official which appears in a more typical context on other bullae of this type.

7. Arad Hebrew ostraca The town Arad is Southern Judaea is a place with rich archaeological history, its strata ranging from the period of the Early Bronze Age until the Roman period. For our purposes it is enough to review only the documents pertaining to the period of the early Israelite monarchy. But it is interesting to note that the later documents from Arad dating to the Persian period also clearly testify to administrative and economic activity in this region. Given the variety of epigraphic material found in Arad’s Iron Age strata59, we should restrict our focus even further. It is the archive of Eliashiv, a corpus of documents from the early VIth c. BCE, well-known among students of Ancient Israel. It is believed that Eliashiv was a commander of fortress Arad. “The stratum VI archive pertaining to Eliashib attests to the daily operation of an administrative supply center which served the needs of local patrols and probably catered in part to the trade caravans passing through the area”60. The types of documents in this archive include the following ones: rations for mercenaries (nos. 1, 2, 4, 7); rations for other purposes (nos. 18, 31); provisions to be sent to the city Beersheba (no. 3); deliveries of barley from different places (no. 25). As opposed to other corpora, which reflect some governmental activities, this collection of documents registers economic activity of a local official. We are dealing here with the economic administration on a small scale, or on a lower level, than it is the case with the corpora related to centralized royal economy.

8. Other documents For the sake of completeness of the present survey it is necessary to mention some other documents apparently related to economic administrative practice. They were not presented here in detail for different reasons: some of them are less important for the present discussion, others are not from Israel or Judah:

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1) two ostraca from Tell Qasile (near Tel Aviv): a) the phrase lmlk, a quantity of olive oil and a personal name; b) a delivery of gold from Ophir to Beth Horon61; 2) lists of persons, e.g. the Ophel (Jerusalem) ostracon discovered in 1924 62; 3) lists of goods, e.g. Kenyon ostracons 2 and 4, found in Jerusalem, mentioned above in the section on Kenyon ostracon 3; 4) epigraphic documents from adjacent polities in Southern Levant, e.g. Ammonite ostracon from Tell Hesban, which is interpreted as distributions from the royal stores 63.

9. Concluding remarks From the point of view of geography the foregoing survey shows an uneven picture for the kingdoms of Israel and Judah. Only Samaria ostraca belong with certainty to the documents from the kingdom of Israel. The site Tell Qasile, mentioned in the section “Other documents” could have been Israelite town, but the theophoric element -yhw points to the Judaean authorship of the inscriptions. Samaria ostraca (first half of the VIII century BCE) is the earliest big corpus of inscriptions in Southern Levant. It corresponds to common view that the Israelite kingdom was more advanced economically in the VIII century BCE, than its southern neighbour, the kingdom of Judah. All the other corpora and inscriptions discussed above come from Judaea. Most probably they are from the period when the kingdom of Israel ceased to exist – ca. 720 – ca. 587 BCE. Therefore, if the Israelite kingdom survived the Assyrian invasion in 720, the picture would have been obviously different. On the other hand, we do not see clear reasons, why accounting would stop after the establishment of Assyrian rule on the territory of the kingdom of Israel. Another conspicuous comparative feature is that the epigraphic documents from the Israelite kingdom do not show anything close to the system of lmlk jars, which existed in the kingdom of Judah. To put it more boldly, in the VIII century BCE we have one local archive form the city of Samaria in the kingdom of Israel, and more than 2000 lmlk jar handles found in around 40 localities throughout the kingdom of Judah. Most of the inscriptions discussed are apparently related to deliveries, because they include the prepositional phrase with the directive-dative preposition l- ‘to, for’. This led many reseachers to think that these inscriptions are tax-collecting documents. This view was reinforced by the fact that some of these inscriptions bear the phrase lmlk ‘to (for) the king’. Actually, the lmlk jar handles were discovered before all the other documents surveyed here. One of the first popular interpretations by Charles Clermont-Ganneau related these inscriptions to taxation system of the kingdom of Judah. Probably this interpretation was decisive for the analysis of many documents found later, especially for the Samaria ostraca and for the bullae which were called “fiscal” by their first researcher Nathan Avigad. The recent contribution of Gabriel Barkay is a good example of this tendency: lmlk jar handles, Samaria ostraca and “fiscal” bullae are considered tout court as taxation documents, all the other possible interpretations were not even mentioned64. We should bear in mind, that one of the functions of the preposition l- is to denote possession. Thus, the phrase l-mlk may be translated “belonging to the king”. This possibility was considered by a number of authors analyzing inscriptions discussed here. Therefore, the available sources do not allow us to conclude with certainty that all of these “taxation” corpora are really related to any system of taxation. Some of them could have been storage documents, rather than delivery documents, as many would think. The

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inscriptions which do not have the word mlk ‘king’, but have presumed dates according to the reign of a king (e.g. Samaria ostraca) could have bear these dates only as dates. I.e. they could be private documents, rather than documents related to royal administration. With all these doubts and caveats in mind, we should wait for newer sources or for other interpretations to come before we can conclude anything certain about the accounting systems in the kingdoms of Israel in Judah.

NOTES 1. Barlev, B., « A biblical statement of accountability », Accounting History 11.2, 2006, p. 173-197. Though this study ignores the findings of modern critical theory, it deserves attention, because it is a unique endeavour to interpret an Ancient Hebrew text in terms of the history of accounting. 2. Oden, R. A. Jr., « Taxation in Biblical Israel », The Journal of Religious Ethics 12, 1984, p. 162-181; Jose, M. L. and Moore, Ch. K.. « The development of taxation in the Bible: improvements in counting, measurement, and computation in the ancient Middle East », The Accounting Historians Journal 25.2, 1998, p. 63-80; Miller, G. P., « Taxation in the Bible », New York University Public Law and Legal Theory Working Papers. 2012, Paper 367. http://lsr.nellco.org/nyu_plltwp/367. We should also mention a very important study of taxation in Southern Levant, based both on biblical and epigraphic evidence, but covering a later period: Lemaire, A. « Taxes et impôts dans le Sud de la Palestine (IVe siècle avant J.-C.) », Transeuphratène 28, 2004, p. 133-142. 3. For a similar but outdated account of epigraphic material from ancient Judea and Israel with a focus on bookkeeping see: Dearman, J. A., « On Record-Keeping and the Preservation of Documents in Ancient Israel (1000-587 BCE) », Libraries & Culture 24.3, 1989, p. 344-356. For a recent review of epigraphic sources from Ancient Israel related to taxation cf. Barkay, G., « Evidence of the Taxation System of the Judean Kingdom –– A Fiscal Bulla from the Slopes of the Temple Mount and the Phenomenon of Fiscal Bullae », in Lubetski Meir & Lubetski Edith (eds.), Recording New Epigraphic Evidence. Essays in Honor of Robert Deutsch, Jerusalem, 2015, p. 17-50. 4. « All things considered, we may assume that the majority of the early Israelite contemporary written documents, and particularly the literary works, were written on papyrus or leather, which in the damp soil of the Holy Land could not be expected to endure, as it has survived in the drier soil and climate of Egypt. » (Diringer, D., « The royal jar-handle stamps of ancient Judah », The Biblical Archaeologist 12.4, 1949, p. 70). Cf. also Rollston, Ch. A.. Writing and literacy in the world of ancient Israel: epigraphic evidence from the Iron Age, Atlanta, 2010, p. 74-79. 5. There is no doubt that papyri were used extensively for writing: it is testified by numerous bullae which were attached to papyrus/leather documents, or sealed papyrus/leather documents, e.g. a cache of 53 bullae from the city of David, cf. Rollston, Ch. A. op. cit., p. 77. 6. Rainey, A. F., « The Sitz im Leben of the Samaria Ostraca », Tel Aviv 6, 1979, p. 91. The author points to the similar practice of « scratch-pad notations » in the cuneiform world, but gives no references. 7. Naveh, J., « The Aramaic Ostraca from Tel Arad », in Aharoni Yohanan (ed.), Arad Inscriptions. Jerusalem, 1981, p. 166. 8. The reading of this complicated document is uncertain, that is why it is not included into the reviewed sources, cf. Renz, J., Die althebräischen Inschriften: Text und Kommentar, Darmstadt, 1995, p. 136-139; Dobbs-Allsopp F. W., Roberts J . J. M., Seow Ch.-L., and Whitaker, R. E., Hebrew

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Inscriptions. Texts from the Biblical Period of the Monarchy with Concordance, New Haven, London, 2005, p. 487-490. 9. Heltzer, M., « The Economy of Ugarit », in Wilfred G. E. Watson and Nicholas Wyatt (eds.), Handbook of Ugaritic Studies (Handbuch der Orientalistik, Bd. 39), Leiden, 1999, p. 423-454. 10. 2,251 Total; 1,526 via documented lmlk_corp.htm accessed 31.10.2014.

excavations:

http://www.lmlk.com/research/

11. Ussishkin, D., « The Destruction of Lachish by Sennacherib and the Dating of the Royal Judean Storage Jars », Tel Aviv 4, 1977, p. 28–60; Na’aman, N., « Hezekiah’s Fortified Cities and the LMLK Stamps », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 26, 1986, p. 5-21. 12. Lipschits, O., Sergi O. and Koch, I., « Royal Judahite jar handles: reconsidering the chronology of the lmlk stamp impressions », Tel Aviv 37.1, 2010, p. 3-32. For a rejoinder see: Ussishkin, D., « The Dating of the lmlk Storage Jars and Its Implications: Rejoinder to Lipschits, Sergi and Koch », Tel Aviv 38.2, 2011, p. 220-240. For a summary of the debate see: Finkelstein, I., « Comments on the Date of Late-Monarchic Judahite Seal Impressions », Tel Aviv 39.2, 2012, p. 75-83. 13. Clermont-Ganneau, Ch. S., « Note on the Inscribed Jar-Handle and Weight Found at Tell Zakariya », Palestine Exploration Quarterly 31, 1899, p. 204-209. 14. To our knowledge, the earliest form of this interpretation is to be found in Bliss, F. J. and Macalister, R. A.S., Excavations in Palestine during the Years 1898-1900, London, 1902. 15. Na’aman, N., op. cit., 1986, p. 17. 16. Na’aman, N., op. cit., 1986, p. 16. 17. Na’aman, N., op. cit., 1986, note 11, p. 17. 18. Lipshits, O. et al. op. cit., 2010, note 12, p. 7. 19. Samaria became the capital of the Northern Kingdom around 880 BCE. 20. Reisner, G. A., Fisher, C. S. and Lyon, D. G., Harvard Excavations at Samaria, 1908-1910. Vol.1. Text, Cambridge MA, 1924, p. 227-246. Now the ostraca found in Samaria in 1908-10 by the Harvard expedition are kept in the Istanbul Archaeological Museum. The sherds no. 62 and 63 are jar labels, all the other items are true ostraca (Reisner, G. A., op. cit., p. 227f.). For a qualitative summary of the research on Samaria ostraca see: Kaufman, I. T., « Samaria (Ostraca) », The Anchor Bible Dictionary. Vol. 5, New York, 1992, p. 921-926. 21. Renz, J. op. cit. 1995, p. 89-110. It is often claimed that only 63 ostraca were published, but it is not true at least since the appearance of the following work: Davies, G. I., Ancient Hebrew Inscriptions. Corpus and Concordance, Cambridge, 1991. 22. Kaufman, I. T., op. cit.. 23. Renz, J., op. cit. p. 86. 24. Renz, J., op. cit. p. 80f.; Kaufman, I. T., op. cit.. 25. I.e. choiced oil. According to Roger Nam it is analogous to the ‘fine oil’ in cuneiform sources, a Sumerian logogram Ì.DÙG.GA: Nam, R. S., « Power Relations In The Samaria Ostraca », Palestine Exploration Quarterly 144.3, 2012, p. 160. 26. Shea, W. H., « Israelite Chronology and the Samaria Ostraca », Zeitschrift des Deutschen Paleastina-Vereins 10, 1985, p. 17. 27. Noth, M., « Das Krongut der israelitischen Könige und seine Verwaltung », Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins 50, 1927, p. 211-244. The innovative point of Noth’s theory was that the vineyards and olive groves sending wine to the king belonged to the king. Before Noth it was accepted that the vineyards and olive groves belonged to private owners: « Man versteht sie [Ostraka] als Begleitschreiben zu an den Hof abgelieferten Naturalabgaben der israelitischen Grundbesitzer » (Noth, M., op. cit., p. 219). 28. It is interesting, that Martin Noth referred to analogous documents from Ancient Egypt, inscriptions, which registered shipments of wine and other products to the king’s storehouses from the period of the New Kingdom. The weak point of this analogy is that the Egyptian

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inscriptions were not true ostraca: they were intended as inscriptions on the vessels, i.e. jar labels. 29. Yadin, Y., « Recipients or Owners: A Note on the Samaria Ostraca », Israel Exploration Journal 9, 1959, p. 184-187; Cross, F. M, « Ammonite Ostraca from Heshbon. Heshbon Ostraca IV-VIII », Andrews University Seminary Studies 13, 1975, p. 1-20. 30. Yadin, Y., op. cit. p. 185. 31. Rainey, A. F., « Administration in Ugarit and the Samaria Ostraca », Israel Exploration Journal 12, 1962, p. 62-63; Rainey, A. F., op. cit. 1979. 32. It is to be noted in this connection that among Samaria ostraca we have two unique items, ostraca no. 1 and 2. Beyond the usual components (date, origine, recipient, commodity) their texts include a list of extra persons with corresponding figures. The excavators of Samaria noticed that ostraca 22-27 have the same heading with date, origin and recipient (a product is omitted but understood): « In the year 15 from Ḥēleq to ʔĀšā (son of) ʔAḥīmelek ». Thus, the content of the ostraca 22-27 could have been summarized in a list comparable to ostraca 1 and 2, cf. Reisner, G. A. et al. op. cit. 1924, p. 231f.). If we accept this interpretation of ostraca 1 and 2, then these ostraca with lists of persons are exactly those ledgers meant by Anson Rainey. But his suggestion that the ledgers were of papyrus is superfluous, if we have examples of ledgers on ostraca. 33. Cross, F. M., op. cit. 1975. 34. Shea, W. H., op. cit. 1985, p. 18. 35. Dearmank, J. A., op. cit. 1989, p. 346. The forced labor (ms /mas/ in Biblical Hebrew) is documented amply in the Bible for various periods of the history of unified monarchy and of the Kingdom of Judah (Oden, R. A., op.cit., 1984, p. 165f.). One of the Ancient Hebrew inscriptions from the discussed period, a seal dated to the VIIth century BCE, has the name of the person responsible for the forced labor: lplʔyhw ʔšr ʕl hms “ belonging to PN who is over (in charge of) the corvée”, cf. Avigad, N., « The chief of the corvée », Israel Exploration Journal 30, 1980, p. 171. 36. Nam, R. S., op. cit. 2012. 37. Pritchard, J. B., Hebrew inscriptions and stamps from Gibeon, Philadelphia, 1959. 38. Pritchard, J. B., « More inscribed jar handles from el Jib », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 160, 1960, p. 2-6; Frick, F. S., « Another Inscribed Jar Handle from el-Jib », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 213, 1974, p. 46-48. 39. Cf. « (aus) Gibeon, einem Weingut des ʔAmaryāhû zugehörig » (Renz, J., op. cit., 1995, p. 259). 40. For the summary of the discussion see: Dobbs-Allsopp Frederick W. et al., op. cit. 2005, p. 168. 41. Albright, W. F., « Reports on Excavations in the Near and Middle East (Continued) », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 159, 1960, p. 37. 42. Dobbs-Allsopp, F. W. et al., op. cit. 2005, p. 167f.; Renz, J., op. cit., 1995, p. 259. 43. Pritchard, J. B., op. cit., 1959, p. 16. 44. Rainey, A. F., « The Samaria Ostraca in the Light of Fresh Evidence », Palestine Exploration Quarterly 99, 1967, p. 41. 45. More precisely, three strata with lmlk jar handles precede, coincide and follow the stratum with inscribed jar handles at Gibeon. 46. Rainey, A. F. 1967, op. cit. 47. Kaufman, I. T., « The Samaria Ostraca: An Early Witness to Hebrew Writing », Biblical Archaeologist 45, 1982, p. 229-39. 48. Lemaire, A., « Les ostraca paléo-hébreux des fouilles de l’Ophel », Levant 10, 1978, p. 156–61. For later treatments of this text see Renz, J., op. cit. 1995, p. 195f; Dobbs-Allsopp, F. W. et al., op. cit, 2005, p. 215f. 49. Translation after: Lemaire, A., op. cit. 1978. The authors of the volume « Hebrew Inscriptions » cast doubt on the reading ‘200’ expressed by hieratic numerals. But still they keep to the main

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line of Lemaire’s interpretation of this document, cf. Dobbs-Allsopp, F. W. et al., op. cit. 2005, p. 215. 50. Oden, R. A., op.cit., 1984; Lemaire, A., « Administration in Fourth-Century bce Judah in Light of Epigraphy and Numismatics », in Lipschits Oded, Knoppers Gary N., and Albertz Rainer (eds.), Judah and the Judeans in the Fourth Century BCE. Winona Lake, IN, 2007, p. 57. 51. The only other possible evidence is attested in a reconstructed text: hmʕ[śr] ‘tithe’ (Arad ostracon, No. 5:11-12, cf. Renz, J., op. cit., 1995, p. 365). 52. Renz, J., op. cit. 1995, p. 196; Lemaire, A., op. cit., 2007, p. 57. 53. Avigad, N., « Two Hebrew ‘Fiscal’ Bullae », Israel Exploration Journal 40, 1990, p. 262-266. 54. Barkay, G., op. cit. 2015, p. 20. 55. Barkay, G., op. cit. 2015. 56. Barkay, G., op. cit. 2015. 57. Avishur, Y. and Heltzer M., Studies on Royal Administration in Ancient Israel. Tel-Aviv – Jaffa, 2000, p. 132; Barkay, G., op. cit., 2015, p. 40-42. 58. Deutsch, R., Biblical Period Hebrew Bullae: The Josef Chaim Kaufman Collection, Tel Aviv, 2003, no. 2177a-e. 59. Most of the documents come from the excavations in the seasons 1962–1967 (Lawton, R. B. « Arad Ostraca », The Anchor Bible Dictionary. Vol. 1, New York, 1992, p. 336f.). 60. Manor, D. W. and Herion, G. A. , « Arad », The Anchor Bible Dictionary. Vol. 1, New York, 1992, p. 331-36. 61. Dobbs-Allsopp, F. W. et al., op. cit. 2005, p. 402-404. 62. Dobbs-Allsopp, F. W. et al., op. cit. 2005, p. 206-210. 63. Cross, F. M., op. cit., 1975; Master, D. M., « Economy and Exchange in the Iron Age Kingdoms of the Southern Levant », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 372, 2014, p. 84. 64. Barkay, G., op. cit., 2015, p. 31-33.

ABSTRACTS Several epigraphic corpora and some isolated inscriptions from Southern Levant may be considered as documents reflecting accounting procedures. This paper is a survey of such documents from the kingdoms of Israel and Judah in the period between ca. 931 and ca. 587 BCE. The emerging picture is fragmentary and uneven, which is related to two main reasons: apparently most of the documentation was kept on papyrus which usually does not survive in this region; the kingdom of Israel ceased to exist after ca. 720 BCE, the period when writing started to proliferate in Southern Levant. In the course of the research some of the corpora have been analyzed according to several, sometimes conflicting theories. On the other hand, there is a strong tendency to consider such corpora as lmlk jar handles, Samaria ostraca and “fiscal” bullae as documents reflecting taxation systems in the kingdoms of Israel and Judah. Plusieurs corpus épigraphiques et quelques inscriptions isolées provenant du sud du Levant peuvent être considérés comme des documents reflétant des procédures comptables. Cet article est une étude générale de tels documents provenant des royaumes d’Israël et de Judah dans la période entre 931 et 587 av. J.-C. Le tableau qui se dégage est fragmentaire et non homogène, pour deux raisons principales : apparemment, la majeure partie de la documentation était conservée sur du papyrus, qui habituellement ne résiste pas au temps dans cette région ; le

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royaume d’Israël a cessé d’exister après 720 av. J.-C., la période pendant laquelle l’écriture a commencé à proliférer dans le sud du Levant. Lors des différentes recherches sur ce sujet, plusieurs corpus ont été analysés selon des théories distinctes et parfois contradictoires. D’un autre côté, il y a une forte tendance à considérer des sources tels que les anses de jarres lmlk, les ostraca samariens et les boules « fiscales », comme des documents reflétant des systèmes de taxations dans les royaumes d’Israël et de Judah. Mehrere epigraphische Korpora und einige isolierte Inschriften, die aus dem südlichen Orient stammen, können als Dokumente betrachtet werden, die Rechnungsverfahren widerspiegeln. Dieser Aufsatz stellt eine allgemeine Studie zu solchen Dokumenten dar, die aus den Königreichen von Israel und Juda aus der Zeit zwischen 931 und 587 v. Chr. stammen. Das Bild, das sich so abzeichnet, ist vor allem aus zwei Gründen fragmentarisch und keineswegs homogen: Offensichtlich war der größte Teil der Dokumentation auf Papyrus niedergeschrieben, der gewöhnlich nicht dem in dieser Region üblichen Klima standhält; das Königreich Israel hat nach 720 v. Chr. aufgehört zu existieren, zu einer Zeit, in der die Verbreitung der Schrift im südlichen Orient ihren Anfang nahm. Im Laufe der verschiedenen Forschungen zu diesem Thema wurden mehrere Korpora nach unterschiedlichen und manchmal widersprüchlichen Theorien analysiert. Auf der anderen Seite gibt es eine starke Tendenz, Quellen wie die Vasenhenkel lmlk, samarische Ostraka und „Steuerkugeln“ als Dokumente zu betrachten, die Steuersysteme in den Königreichen von Israel und Juda widerspiegeln. Varios corpus epigráficos y algunas inscripciones aisladas procedentes del sur de Levante se pueden considerar como documentos que reflejan procedimientos contables. Este artículo es un estudio general de tales documentos procedentes de los reinos de Israel y Judah en los años que corren desde 931 a 587 a.C. Permiten recomponer un cuadro incompleto y heterogéneo, por dos razones principales: aparentemente, se conservaba la mayor parte de la documentación en papiro, una materia que no suele resistir al paso del tiempo en aquella región; el reino de Israel dejó de existir después de 720 a.C., periodo en que la escritura empezó a proliferar en el sur de Levante. En las sucesivas investigaciones sobre el tema, se analizaron varios corpus a partir de teorías distintas y a veces contradictorias. Por otra parte, existe una fuerte tendencia a considerar unas fuentes como las asas de tinajas lmlk, los ostraca samaritanos y las bolas “fiscales” como documentos que reflejan sistemas de exacción fiscal en los reinos de Israel y Judah.

INDEX Mots-clés: comptabilités, tenue des comptes, taxation, ancien Israël, épigraphie. Schlüsselwörter: rechnungswesen, Kontenführung, Besteuerung, Altes Israel, Epigraphik. Keywords: accounting, bookkeeping, taxation, Ancient Israel, epigraphy. Palabras claves: contabilidad, teneduría de cuentas, exacción fiscal, antiguo Israel, epigrafía

AUTHOR ALEXEY LYAVDANSKY Russian State University for the Humanities (Moscow), Institute for Oriental and Classical Studies, faculty member [email protected]

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

De la légitimité des normes comptables. Transcription de la table ronde du 16 octobre 2015 à Paris-Bercy, Ministère des Finances et des comptes publics Béatrice Touchelay and Rouba Chantiri

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/comptabilites/2050 ISSN: 1775-3554 Publisher IRHiS-UMR 8529 Electronic reference Béatrice Touchelay and Rouba Chantiri, « De la légitimité des normes comptables. Transcription de la table ronde du 16 octobre 2015 à Paris-Bercy, Ministère des Finances et des comptes publics », Comptabilités [Online], 8 | 2016, Online since 01 July 2016, connection on 02 May 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2050

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De la légitimité des normes comptables. Transcription de la table ronde du 16 octobre 2015 à Paris-Bercy, Ministère des Finances et des comptes publics Béatrice Touchelay and Rouba Chantiri

Interventions de : Danièle Fraboulet (université de Paris13), Christian Hoarau (CNAM, Paris) et Yuri Biondi ( ESCP Europe - Labex reFi) « Grands témoins » : Michel Prada, président du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) 1, président de la Fondation International Financial Reporting Standards (IFRS), ministère des Finances et des comptes publics2 et Patrick de Cambourg, président de l’Autorité des normes comptables (ANC)3. 1

Cette transcription4 vise à éclairer les débats actuels autour des normes comptables, à les rendre accessibles au plus grand nombre, en particulier aux historiens qui s’en pensent souvent très éloignés, et à en souligner les enjeux. Intitulée « De la légitimité des normes comptables : qui évalue, qui valide, avec qui et comment ? », cette journée a été organisée dans le cadre d’une convention d’étude entre l’ANC, l’IRHiS-Lille3 (Béatrice Touchelay) et l’université Paris Dauphine (Rouba Chantiri) portant sur les origines et les fondements de la légitimité des normes comptables. L’idée de la convention, celle de la journée et celle de cette publication, est de permettre aux non spécialistes de se réapproprier ces débats, malgré leurs aspects techniques et malgré l’avalanche de sigles et d’institutions auxquels ils renvoient souvent. Il s’agit aussi de permettre aux parties prenantes de ces débats et à ceux qui les observent de prendre un peu de recul et d’exercer un regard critique sur la situation. Au cours de cette journée, le recul historique a été fourni par deux communications de spécialistes

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des sciences de gestion qui ont consacrés leur thèse de doctorat à l’histoire de la consolidation des bilans pour le premier5 et à celle de la normalisation comptable en France pour le second6. L’approche historique a été consolidée par l’intervention de Danièle Fraboulet (université de Paris 13), spécialiste d’histoire contemporaine, et plus particulièrement de l’histoire des organisations patronales. A ses côtés se trouvaient Christian Hoarau, professeur de sciences de gestion au CNAM à Paris, qui a précisé les interventions des institutions françaises de la normalisation et Yuri Biondi, directeur de recherche à l’ESCP Europe (Labex reFi) qui a détaillé les débats entre le Parlement européen et la Commission européenne sur la normalisation.

Première question posée aux intervenants Pouvez-vous présenter rapidement les institutions ou l’institution sur lesquelles ou sur laquelle vous travaillez ? Pouvez-vous également préciser leurs positions à l’égard de la normalisation comptable ?

Danièle Fraboulet Le patronat et la légitimation des normes comptables : l’exemple de la métallurgie lors de la mise en place du Plan comptable général (PCG) L’étude d’une part de l’histoire des entreprises, plus précisément de quelques entreprises métallurgiques, d’autre part des organisations patronales, toujours dans la métallurgie durant la première partie du XXe siècle 7, m’a conduite à m’intéresser à la question des normes comptables et à la manière dont elles ont été abordées par les organisations patronales. À la fin du XIXe siècle, la multiplication de celles-ci est liée à l’essor de la métallurgie notamment dans la transformation des métaux, à des divergences avec le Comité des forges de France (CFF) et au contexte politique et social. C’est ainsi qu’est créée l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) en 19018 qui rassemble les principaux syndicats professionnels de la métallurgie, y compris le CFF, et des syndicats régionaux. Au lendemain de la Première Guerre mondiale (1919), le Conseil de direction de l’UIMM décide de séparer l’économique du social, l’économique étant facteur de division9. Elle ne s’occupe désormais que des questions sociales et fiscales. Compte tenu de l’importance de la métallurgie dans l’économie, l’UIMM joue un rôle essentiel comme partenaire de l’État et au sein du mouvement patronal. Mais avant 1939, quel rôle jouet-elle dans l’harmonisation de la comptabilité des entreprises ? 1- Les prémices de la normalisation comptable10 : la comptabilité au centre des préoccupations des patrons et de leurs organisations professionnelles ? Dans les conseils de directions de l’UIMM et les archives des entreprises étudiées, les thèmes développés sur la comptabilité concernent les commandes de la Défense nationale, le problème des bénéfices de guerre. La première question est fort importante pour les entreprises métallurgiques car il leur faut trouver des disponibilités financières pour accroître leurs stocks, moderniser leur outil de production afin de répondre aux demandes de l’armement notamment à partir des années 1930. La Caisse des marchés d’État créée en août 1936 doit faciliter le financement des commandes d’armement, mais son rôle demeure modeste jusqu’au

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printemps 1938. Les acomptes sont plus facilement accordés même si la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre ne prévoyait pas la généralisation des avances sur marchés qu’après le début du conflit. La deuxième question concerne les bénéfices de guerre, les patrons estimant très pénalisant l’ensemble des mesures fiscales sur ceux-ci (loi du 31 mai 1933, réactivée par celle du 30 juin 1937 et par les décrets du 25 juin 1937). Le décret-loi d’août 1937 impose une comptabilité détaillée de tout déplacement de produits dans l’atelier : l’UIMM et la Confédération générale du patronat français (CGPF) s’opposent à cette ingérence de l’État. La contribution exigée sur les bénéfices de guerre explique le peu d’entrain d’un certain nombre de patrons à s’impliquer dans les programmes de réarmement. Le 16 janvier 1939, une circulaire administrative fixe les principes généraux de la comptabilité industrielle pour les entreprises passant des marchés avec l’État. Le 29 juillet, un décret-loi marque le premier stade de la généralisation de la normalisation des comptabilités pour les entreprises travaillant pour la Défense nationale. Ce décret établit les bases des calculs nécessaires à la limitation de leur bénéfice 11. Il définit les éléments et les règles de calcul des prix de revient et il prévoit la tenue de comptes généraux qui serviront à vérifier la bonne imputation des dépenses12. Le comité de direction de l’UIMM de septembre-octobre 1939 fait état d’une nouvelle discussion avec l’administration sur le régime fiscal des entreprises travaillant pour la Défense nationale. En novembre 1939, l’administration charge une commission, dite « commission d’études économiques et fiscales », d’élaborer un plan comptable. Ce plan est publié dans le Bulletin du syndicat national des contributions directes de février 1940. L’entrée en guerre le 3 septembre 1939, la défaite et l’armistice le 22 juin 1940 ralentissent les travaux13. À l’automne 1939 et au début 1940 dans les procès-verbaux des conseils d’administration des entreprises se trouvent des éléments sur l’évolution de leur comptabilité, toujours en lien avec les problèmes évoqués précédemment. En mars 1940, l’UIMM se fait l’écho des projets de l’administration : simplification des règles de comptabilité, admission de la règle proportionnelle, évaluation des stocks de manière à ne pas soumettre la plus-value à l’impôt et au partage. Elle signale le décret et le décretloi du 24 avril 1940 qui prévoit des mesures d’assouplissement sur le régime fiscal des établissements travaillant pour la Défense nationale. Pourquoi ce relatif désintérêt des organisations patronales face à cette question ? Si on trouve des « modernisateurs » dans leurs instances dirigeantes, leurs interventions éventuelles sur ces sujets ne sont pas évoquées dans les comptes rendus des différents conseils. Ainsi Auguste Detoeuf, directeur général (1924) puis président de Thomson, fondateur d’Alsthom (1928), président fondateur du syndicat général de la construction électrique (1928), membre des conseils d’administration du GIM (1937-1939) et de l’UIMM (1936-1939) ne semble pas intervenir. Alors qu’en tant que fondateur des Nouveaux Cahiers (1936) et membre d’X-Crise dirigé par Jean Coutrot, il est favorable à l’élaboration d’un plan comptable général14, ce qui n’est pas le cas de la quasi majorité des patrons. Comment expliquer cette attitude ? Durant l’entre-deux-guerres, la plupart des entreprises tiennent une comptabilité générale fondée sur des mécanismes relativement homogènes avec cependant des

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variations notamment sur l’évaluation des actifs, où la présentation des comptes de pertes et profits varie d’une entreprise à l’autre. Ce flou autorise toutes les manipulations. De plus, parmi les patrons, le nombre de modernisateurs est restreint. En fait, les réformes de la comptabilité n’intéressent les patrons que si elles leur permettent d’alléger les charges, et de faire en sorte que les frais du réarmement ne pèsent pas trop sur les entreprises. Ils seront obligés de se soumettre aux mesures imposées par le régime de Vichy. 2 - La mise en œuvre 1940-1944 : quels retentissements dans les archives patronales ? La mise en place du régime de Vichy a en partie désorganisé le patronat : le CFF, la CGPF, le CCH sont dissous (décret du 9 novembre 1940), exceptée l’UIMM. Les syndicats professionnels perdurent mais sont soumis aux Comités d’organisation (CO)15 dont ils dépendent. Le ministre des Finances impose progressivement la normalisation des comptabilités, ce qui permet le contrôle des professions, l’élimination de certaines entreprises et est conforme à l’intérêt de l’administration fiscale. L’Occupation profite donc à la comptabilité. L’amélioration des connaissances de l’activité économique est en effet nécessaire au régime, tant pour des raisons idéologiques (corporatisme) que pour gérer la pénurie. Ce n’est qu’en mai 1941 que le conseil de direction de l’UIMM évoque l’élaboration d’un cadre comptable général. Le 15 mai 1941 est créée une commission interministérielle chargée de cette tâche. L’UIMM en suit les travaux et répercute auprès de ses adhérents le décret du 22 avril 1941 instituant le plan comptable. Certains rapports des CO16 se font également l’écho des études et des discussions au sujet du Plan comptable général. Le rapport de la commission interministérielle, remis au ministre des Finances le 19 février 1942, est communiqué aux CO pour avis avant la diffusion du plan définitif sur la demande d’A. Detoeuf17. Nous pouvons noter les réserves des dirigeants du CO des métaux non ferreux (Jean Dupin représentant Louis Marlio) : les auteurs du Plan comptable semblent dominés par le souci de déterminer avec précision les prix de revient, cette préoccupation ne paraissant pas répondre à la condition actuelle du pays ; de plus ils cherchent à ne permettre l’extension des affaires que par voie d’appel à du capital nouveau ce qui augmenterait l’instabilité des entreprises et les rendrait plus sensible aux crises. Les dirigeants de ce CO craignent que cette réforme ne bouleverse l’organisation industrielle française. Ils se font l’écho de l’attachement des industriels français au respect du secret des affaires et de leurs difficultés à se plier à une discipline rigoureuse qui entrave la liberté du chef d’entreprise. Ces observations vont à l’encontre des idées d’A. Detoeuf pour qui l’absence de règle comptable condamne toute tentative de définition du prix de revient et de comparaison des coûts de production. Toutefois, compte tenu des réticences des chefs d’entreprise, la direction de l’Économie nationale préconise la prudence dans l’application de la loi sur la réforme fiscale du 24 octobre 1942. Elle recommande cependant d’obliger les entreprises à tenir une comptabilité générale conforme à un type de plan précisant les intitulés des comptes et la manière de passer les écritures. L’objectif n’est plus uniquement fiscal, semble-t-il, mais vise à favoriser la « transparence des comptes ». La diffusion du Plan comptable est également entravée par les difficultés économiques et la présence de l’Occupant18. Le Plan comptable général n’a donc pas été au centre des préoccupations patronales, comme le montrent les archives des organisations patronales et des CO consultées.

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L’essentiel des travaux de ces derniers concernait le recensement des entreprises, la sous-répartition des matières premières, la répartition des commandes allemandes et le plan d’aménagement de la production. Globalement, les résultats de leurs activités furent limités. Dans leur ensemble les patrons estimaient que le désir de réforme de la comptabilité des entreprises était au service de l’administration fiscale et de l’Occupant. Donc, ils n’y étaient pas favorables. L’intérêt des hommes politiques pour la comptabilité continue à la Libération, l’État ayant besoin d’une économie administrée et donc de cadres comptables rigoureux. L’objectif prioritaire est le contrôle étatique de la normalisation comptable en s’appuyant sur certains principes de la comptabilité générale introduits sous Vichy. La nationalisation d’un certain nombre d’entreprises et la position difficile du patronat durant cette période faciliteront l’application du nouveau Plan comptable général.

Christian Hoarau L’Autorité des normes comptables (ANC) et le Conseil national de la comptabilité (CNC) qui l’a précédée. Pour mémoire, l’ANC, créée en 2009, a succédé à la fois à l’Autorité des réglementations comptables et au CNC. Ce nouvel organisme de normalisation est en fait l’aboutissement de la plus importante réforme du dispositif de normalisation comptable entreprise en France depuis 1945. Elle a été préparée par une rénovation profonde du CNC réalisée en 2007. Comme vous le savez, il y a une longue tradition d’intervention de l’État dans la réglementation de la vie des affaires. Pour les sources, elles sont simples. Je m’appuie sur des contributions antérieures et sur celles que j’ai rédigées pour le Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises [NDLR D. Bensadon, N. Praquin, B. Touchelay (éds.) publié aux Presses universitaires du Septentrion, 2016] mais également sur mon expérience de membres à la fois du CNC, du collège du CNC rénové et de celui de l’ANC entre 1989 et 2014. Ma présentation analyse de façon résumée la normalisation française depuis 1945 dans une perspective sociohistorique. Elle permet de montrer que la place de l’État a diminué au profit de celle des grands cabinets d’audit et des entreprises, mais que son influence est restée importante. Après la Libération, en 1946, dans un contexte de reconstruction de l’économie nationale et de planification indicative, une commission de normalisation de la comptabilité est créée pour rendre effective la normalisation des données comptables des entreprises. À ce moment-là, le normalisateur fait le choix de s’appuyer sur ce qu’on appelle la comptabilité générale et non pas de reprendre le projet préparé sous l’Occupation qui visait à normaliser la comptabilité générale et la comptabilité analytique. Ce choix s’explique par les informations nécessaires pour étoffer la statistique macroéconomique et étayer les décisions de politique économique. Pour cela l’État pouvait s’appuyer sur la comptabilité générale (ou financière) des entreprises, plus répandue notamment pour des raisons fiscales que la comptabilité analytique. Entre 1946 et 2009, on peut relever trois grandes périodes dans l’évolution de la normalisation. D’abord à partir de 1946 se met en place un nouveau plan comptable général, – dit PCG 1947 –, qui va ouvrir l’ère de la normalisation comptable dite « à la française ». Quatre caractéristiques incitent à parler de « normalisation à la française » : la première est la très grande diversité de parties prenantes représentées au sein d’organismes de normalisation ; la seconde, l’existence d’un mode d’élaboration

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de la norme fondée sur une collégialité délibérative ; la troisième, le statut de l’organisme de normalisation uniquement consultatif et sous tutelle de l’État principalement du ministère de l’Économie et des Finances ; enfin, dernière caractéristique, une normalisation par la voie d’un plan comptable. En résumé, la première étape de la normalisation dite « à la française » commence en 1946 et s’achève en 1995. Elle est marquée par une large collégialité délibérative et par une forte tutelle de l’État qui va se réduire progressivement sous l’influence de l’harmonisation internationale, soutenue d’abord par l’Union européenne et par la suite par l’ International accounting standards committee (IASC) et l’International accounting standards board (IASB). La deuxième période, entre 1996 et 2006 est celle de l’emprise croissante de l’international. On y constate une montée en puissance des grands cabinets d’audit et des grandes entreprises et la recherche par l’État d’une plus grande cohérence du dispositif de normalisation. Et la troisième période ouverte par la réforme du CNC en 2007 et prolongée par la création de l’ANC au début de 2009 correspond à l’apogée de ces acteurs privés et à la recherche par les pouvoirs publics d’une réactivité accrue de l’organisme de régulation dans un environnement international de compétition intellectuelle pour tenter d’influencer ou faire influencer les International financial reporting standards (IFRS). J’ajoute également qu’il faut se rappeler que les normes sont à la fois des instruments de compétitivité et des instruments de la guerre économique. L’État et la puissance publique ne peuvent pas s’en désintéresser complètement, qu’il s’agisse des normes adoptées dans le cadre national ou au niveau international.

Yuri Biondi Le point de vue de l’Union européenne. Je vais articuler mon propos autour de deux points : d’une part, la production de la norme comptable et la gouvernance de cette production ; d’autre part, les contenus de la norme et les modèles comptables auxquels elle se réfère. Dans le cadre de la convergence comptable internationale, depuis les années soixantedix, nous avons assisté à un double mouvement. D’une part, la production des normes comptables et sa gouvernance ont glissé vers une délégation législative à des régulateurs indépendants de nature privée. C’est le cas en Europe comme aux ÉtatsUnis. Aux États-Unis, cette délégation passe par la constitution du Financial Accounting standards board (FASB) qui est soutenu par une Fondation installée dans le Delaware, une gouvernance comparable à celle de l’International accounting standards board (IASB). Le FASB a été constitué en 1973, à la même date que l’International accounting standards committee (IASC). Ce dernier est devenu par la suite l’IASB au moment de l’adoption de ses normes par l’Union Européenne. D’autre part, la délégation législative à ces organismes privés a coïncidé avec la promotion d’un nouveau modèle comptable dit de la juste valeur, que l’on peut dire - de manière très simple - centré sur les prix courants de marché. La vision marchande l’emporte ainsi que la vision actionnariale des entreprises sur une reddition des comptes relatant l’activité et le revenu généré par l’entreprise dans le temps et en situation. La double dimension marchande et actionnariale est d’importance en ce qu’elle est constitutive du modèle comptable promu par les institutions susnommées. Cette émergence est favorisée par la refonte de l’architecture financière internationale à la suite de l’abandon des accords de Bretton-Woods (1972). Pour diverses raisons et

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notamment idéologiques (portées par exemple par le colloque Lippmann), le choix de la nouvelle architecture s’est alors centré sur les marchés financiers dans une démarche favorisant leur intégration internationale. Cette idée correspond à la philosophie du nouveau modèle comptable qui à l’époque était en train de se constituer. Ce double mouvement de transformation a réduit l’importance de l’idée de reddition des comptes aux parties prenantes, ainsi que la place de l’intérêt général dans le modèle comptable. Cette transformation a détourné l’attention centrée jusqu’alors sur l’entreprise – le véritable centre du système comptable, auparavant – pour se concentrer sur les investisseurs et les marchés de référence. La comptabilité de l’entreprise est alors mise en prise directe avec les marchés (notamment financiers). C’est ainsi que le nouveau modèle de la juste valeur applique une logique financière centrée sur une évaluation marchande des éléments figurant au bilan d’entreprise. Au contraire, le modèle précédent dit du coût historique s’appliquait au déploiement de l’activité d’entreprise dans le temps, et centrait la représentation comptable sur la détermination du revenu d’entreprise par le compte du résultat. La place de l’intérêt général, incarné par la reddition des comptes aux parties prenantes dans leur diversité, a alors été réduite dans la production de la norme comptable. Il s’agit désormais d’une norme privée destinée aux investisseurs et à l’information pour les marchés financiers. Un symptôme de cette transformation du modèle comptable s’exprime donc dans le changement de destination de l’information comptable, désormais mêlée à d’autres formes de communication financière. Revenons sur la question de la gouvernance des organismes régulateurs. Il est remarquable de constater que si la source de la légitimité de la norme était politique et entendait le demeurer, elle n’a pas vraiment trouvé sa place dans la nouvelle gouvernance. Par exemple, bien que le FASB ait reçu son mandat institutionnel de la Security exchanges commission (SEC), la commission boursière américaine, qui le reçoit évidemment du Congrès américain, l’action du FASB élude progressivement l’intérêt général. Évidemment cet effacement du politique a réduit la cohérence d’ensemble de la régulation comptable au sein des autres régulations, comme Christian Hoarau l’a bien fait remarquer, puisque la norme comptable a été déconnectée des autres régulations qu’elles soient fiscales, financières ou prudentielles. Il faut rappeler que la cohérence institutionnelle d’ensemble était particulièrement importante dans la tradition continentale européenne avant l’adoption de la norme comptable internationale et la délégation législative à l’IASB. C’était le cas aussi bien en Allemagne, qu’en Italie ou en France. Finalement, cette tradition visait à gérer, administrer et réguler les entreprises comme des organisations économiques en s’appuyant notamment sur la norme comptable. La déconnexion préconisée par les nouveaux modèles comptables s’éloigne également de la tradition au Japon, puisque cette dernière cherchait aussi à mettre en cohérence le système et la norme comptables avec l’organisation économique et financière plus générale. De façon remarquable, l’Union européenne joue un rôle important dans cette déconnexion surtout dans les années 1990, au moment où la Commission européenne, en même temps que d’autres organisations internationales comme la Banque mondiale et la Fédération internationale des marchés financiers (IOSCO), incitent à l’adoption des IAS/IFRS. En 1995, la Commission européenne prend la tête du mouvement en faveur de l’adoption de la norme comptable internationale en plaidant pour son adoption pour l’Europe, au détriment des directives comptables qui avaient été actées par le processus

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européen d’harmonisation. C’est ainsi que la Commission joue un rôle majeur dans la légitimité de cette norme comptable internationale vis-à-vis des autres juridictions. C’est même la seule juridiction majeure ayant décidé de l’adopter, alors que d’autres juridictions – comme celles des États-Unis, du Japon, de la Chine, ou de l’Inde – ont maintenu leur propre autorité de régulation comptable et leur propre jeu de normes comptables nationales. Dans le cas de ces dernières, on peut parler d’un processus de convergence, sans pour autant passer à un mode de gouvernance déléguée comme ce qui a été promu par la Commission européenne depuis 1995. Le choix d’un règlement européen pour acter l’adoption des IAS/IFRS montre bien la volonté de la Commission de vouloir substituer la norme comptable internationale aux directives européennes et aux normes nationales, puisque les directives ne s’imposent pas et doivent être adoptées par les États membres. À l’époque (1995-2002), le Parlement européen joue un rôle assez décalé : il semble plutôt ignorer les transformations comptables en cours, et aucun réel débat n’est véritablement engagé et il en est de même jusqu’à la crise financière de 2007-2008. En revanche, la société civile européenne a réagi à plusieurs reprises après l’adoption de ces normes. L’importance de ces tensions montre à mon sens un défaut de légitimité au moins sociétale de ces normes vis-à-vis des parties prenantes. Je rappellerai quatre exemples : la contestation des normes concernant les instruments financiers (2003-2005) ; la contestation du changement de la norme sur l’information sectorielle (2006) ; la suspension de l’évaluation à la valeur marchande lors de la crise financière globale (octobre 2008) ; ainsi que la querelle sur l’évaluation de la dette grecque (août 2011). On peut évoquer ici la lettre du président Français au président de l’Union européenne venant soutenir la position critique des institutions financières de plusieurs pays européens concernant la nouvelle comptabilisation des instruments financiers. Ces institutions étaient inquiètes de l’application de la valeur marchande aux instruments financiers avant que la norme ne soit mise en vigueur, juste après son adoption, entre 2003 et 2005. En 2006, un débat important a été soulevé au moment du changement de la norme sur l’information sectorielle. Une large coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) a contesté ce changement qui permettait aux grands groupes internationaux de ne pas donner des informations sectorielles selon un modèle comparable et universel, en leur permettant d’utiliser un modèle subjectif. Évidemment, ce changement pouvait rendre opaque toute une série de situations locales, par pays et par secteurs, mais cette contestation n’a pas abouti. En 2008-2009, il y a eu la dénonciation du rôle de la juste valeur dans la crise financière, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, avec la suspension exceptionnelle de son application et le début d’une longue négociation pour la reformer.19 En 2011, une autre querelle importante a eu lieu au sujet de la comptabilisation de la dette grecque.20 Le président de l’IASB a pris une position publique assez forte en faveur de l’application des prix courants de marché, en se comportant de fait comme l’autorité comptable européenne, sans en avoir pour autant le mandat institutionnel. Tout cela souligne un problème de légitimité, tant de la gouvernance que du modèle comptable qui fait débat. Le Parlement européen a récemment repris ce débat et, depuis 2009, se montre plus réactif, ou au moins plus attentif à ces questions. Dans les travaux préparatoires concernant les nouveaux dispositifs législatifs européens, il

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insiste sur le fait que les financements de l’Union Européenne en faveur de l’IASB doivent être soumis au respect de certaines conditions de contenu et attentifs aux effets des normes sur l’économie et la société. Le Parlement continue de travailler sur ces sujets, notamment lors d’une conférence internationale de mai dernier.21

Seconde question Dans quelle mesure et dans quelles conditions ces institutions peuvent-elles contribuer à renforcer la légitimité des normes comptables ?

Danièle Fraboulet La CGPF intervenait dans le débat public entre les deux guerres, mais en octobre 1940 elle est dissoute. Une partie des patrons, qui dirigeaient les syndicats professionnels et étaient adhérents de l’UIMM et de la CGPF, se retrouvent à la tête des comités d’organisation. Ils jouent un rôle dans les nouvelles institutions mises en place par Vichy, doivent répondre aux demandes des Occupants tout en prenant en compte la pénurie, la gestion des matières premières posant alors un grave problème. À la direction des CO, cette gestion sous-entend modernisation de la branche et ainsi concentration avec élimination des entreprises jugées non rentables. Comme la direction des CO est généralement aux mains de grands patrons, cette concentration leur sera profitable. Dans cette optique, ils sont intéressés par la gestion et la comptabilité ainsi que par le recensement de toutes les entreprises d’un secteur. Ceci dit, comme exposé précédemment, les archives des CO consultées n’y font que peu allusion. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, l’UIMM s’est recentrée sur l’économique, le social étant en veilleuse. Elle coordonne l’action patronale, en centralisant toutes les données et en étant très active auprès du gouvernement. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas d’unanimité patronale sur la question de la comptabilité. Elle n’est donc pas leur préoccupation majeure. Le plan comptable ne sera pas véritablement appliqué, avant la Libération. 2

Public : Juste pour réagir, on recense quand même un certain nombre de comités d’organisation, pas forcément des grands, qui ont commencé à appliquer le plan comptable publié en 1943.

Christian Hoarau Cette deuxième question, je l’ai comprise comme un exercice non pas de style mais libre. D’abord, la notion de légitimité. Que signifie renforcer la légitimité de normes comptables ? Est-ce qu’on peut ne pas avoir une continuité entre la validité et l’efficacité d’une norme, par exemple ? Donc avant de développer, je voudrais délimiter cette notion de légitimité dont on a beaucoup parlé sur le plan international et sur le plan national. Je voudrais aborder le politique, versus techno-rationnel, et la démocratie, versus technocratie, etc. Deuxième liminaire, pour répondre à une question sur comment renforcer la légitimité d’une norme comptable, ne faut-il pas s’interroger sur le rôle des normes et des normalisateurs ? À cet égard, je pense qu’on

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ne peut pas dissocier les normes, notamment sur le plan international, avec les intérêts des pays concernés, même s’ils n’ont plus la main au niveau international. Ainsi on ne peut pas comprendre les interventions publiques ou politiques françaises sur la norme IAS39 si on ne prend pas en compte l’intérêt de la France et du secteur bancaire français. Et on ne peut pas comprendre non plus la loi a minima de la séparation des activités, qui normalement a été votée, mais qui est a minima, en tout cas en recul par rapport au projet européen. Il y a des intérêts qui ne peuvent pas être évacués. Sur le rôle des normes, je dirai, et je reviens sur ce plan là, au niveau de l’IASB, qu’on est dans l’efficacité du marché et les besoins d’information des investisseurs. Mais il y a une autre question qui a été posée et plus ou moins évacuée par l’IASB : dans quelle mesure les normes doivent-elles participer à la stabilité financière ? Je pense que cet objectif est assigné aux règles prudentielles et non aux normes comptables. Vous avez fait le lien entre juste valeur et crise financière, et si on ne veut pas justement que les normes aient des effets pro-cycliques, l’objectif de stabilité financière doit être également poursuivi par les normes comptables. Ensuite, s’agissant du fondement politique de l’information comptable, cela a déjà a été évoqué mais il faut rappeler l’ancrage avec le droit, autrement dit le substrat juridique de la comptabilité. C’est évident au niveau national mais totalement évacué au niveau des normes internationales qui ont un ancrage économique et plus précisément un ancrage d’ « économie financière » ou de « finance ». Après ces liminaires, j’en viens au processus de renforcement de la légitimité des normes comptables. D’abord il faut s’interroger sur la légitimité des instances de normalisation. Les acteurs ou les usagers de l’écosystème comptable sontils tous représentés ? Doit-on se limiter à la représentation des entreprises, des auditeurs et de l’État ? Ne devrait-on pas élargir la représentation dans les instances de normalisation à d’autres acteurs ou parties prenantes ? Les universitaires et les chercheurs doivent-ils être présents dans ces instances, comme aux États-Unis et comme c’est plus ou moins le cas au niveau de l’IASB ? Après la légitimité des instances de normalisation, il faut s’interroger sur les usages et l’acceptabilité de la norme par les publics concernés. Je prendrai simplement un exemple : l’IFRS-PME. On ne peut pas dire que l’IFRS-PME ait un grand succès auprès des PME françaises. Il y a peut-être un problème d’acceptabilité de certains projets qui ne respectent pas un équilibre les objectifs poursuivis et les moyens dont disposent les publics concernés, dans ce cas les PME. Pour renforcer la légitimité des normes, ne faudrait-il pas expliciter les choix des valeurs liées à la pratique sociale de la normalisation ? La normalisation n’est pas simplement un exercice technique, c’est une pratique sociale sous-tendue par des valeurs qui ne sont généralement pas explicitées. Renforcer l’utilité des normes reviendrait à expliciter le choix de ces valeurs et les raisons d’être de ces valeurs. Je prends simplement un exemple classique. En fait, on voit qu’il y a une multiplicité de valeurs poursuivies et qui sont, d’une certaine façon, en contradiction entre elles. Par exemple, je me place du côté des préparateurs. Comment concilier simplicité des normes et exigences de production et publication d’informations comptables ? Comment rendre compte d’opérations complexes avec des normes plus simples comme le demandent les préparateurs ? Autre exemple : pertinence d’un langage commun et satisfaction des besoins divers des multiples utilisateurs. Enfin dernier exemple : comment concilier rapidité et fiabilité de l’information ? Je ne suis pas sûr que ces différentes exigences aient toujours été nécessairement conciliables. En d’autres termes, comment s’établissent les accords et

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les désaccords sur les choix des normes ? Répondre à ces dernières questions suppose une certaine transparence des instances de normalisation. Je pense qu’on pourrait renforcer aussi la légitimité des normes comptables si on cherchait à comprendre les raisons des choix en fonction des problèmes rencontrés. De façon paradoxale l’IASB d’inspiration anglo-saxonne se distancie des pratiques pour élaborer des abstractions générales. De façon provocante, je dirai que d’une certaine façon, avec les IFRS, on est arrivé à une comptabilité hors-sol. On est dans un système compris uniquement par un nombre réduit d’initiés au niveau national et international. Donc la question de la simplicité des normes se pose. Justification des choix : il ne s’agit pas seulement d’expliciter des choses, il faut aussi les justifier. Et là, souvent les choix dépendent des contextes et des objectifs poursuivis, mais on se heurte dans ce cas à l’ambiguïté des objectifs. Par exemple, les normes comptables doivent-elles participer à la stabilité financière ? Par ailleurs, l’évaluation des normes ex ante et ex post est un des moyens de renforcer leur légitimité. L’évaluation des normes ex ante pose un problème de faisabilité et d’acceptabilité. Les normes comptables et les instances de normalisation doivent entrer dans le champ ou domaine de l’évaluation des politiques publiques, si l’on veut bien considérer que l’information comptable est un bien public. En conclusion, je voudrais insister d’abord sur l’existence des rapports de pouvoir et de luttes d’intérêt en matière de normalisation. Ensuite sur le lien entre légitimité technorationnelle ou technique et légitimité politique, ou comment les experts préparent la décision pour les normalisateurs mais, en réalité, ils la font la plupart du temps.

Youri Biondi Je reviens sur la question de la légitimité en la situant dans les rapports entre la Commission et le Parlement européens. D’abord, je vais aborder le débat concernant la gouvernance de la production de la norme ; ensuite, la discussion autour du contenu de la norme et du modèle comptable de référence. Je m’appuierai notamment sur le rapport Maystadt de 2013. La crise financière semble avoir changé l’attitude du milieu politique au niveau européen, en amenant plus de débats et plus d’attention, notamment à la suite des discussions internationales sur ces questions. C’est le rapport Maystadt qui a fait la synthèse de ces débats et qui a été mobilisé par le Parlement par la suite. Paru en 2013, ce rapport aborde aussi bien la question de la légitimité de la production des normes que celle des modèles comptables. Il commence à poser la question de l’intérêt général européen et de son implémentation dans la normalisation comptable. Pour ce qui est de la gouvernance de la production des normes, le rapport a suggéré trois solutions dont une a été adoptée : (i) Renforcer le rôle de l’European financial reporting advisory group (EFRAG) : c’est la solution qui a été adoptée, en lui donnant un rôle accru et des fonctions supplémentaires ; (ii) transférer la responsabilité de l’EFRAG à l’ESMA, qui n’aurait pas forcement la compétence technique et les moyens nécessaires, ce qui poserait problème et limiterait l’efficacité de son action ; (iii) établir une autorité comptable européenne comme l’on fait les États-Unis, le Japon, la Chine, ou l’Inde : dans tous ces pays, leur propre autorité comptable nationale établit et régit les normes comptables, et dialogue sur un pied d’égalité et sur une base d’indépendance avec l’IASB.

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Cette troisième solution soulève une question qui n’est pas tranchée aussi bien du côté européen qu’au niveau du régulateur comptable international (IASB), qui, quant à lui, se voit contraint de gérer sa liaison privilégiée avec l’Union Européenne. Cette solution permettrait de résoudre toute ambiguïté, en dotant l’Europe d’une autorité européenne pour l’adoption et l’application des normes comptables, capable d’exercer un droit de regard et d’influence dans les contextes européen et international. À ce moment, le régulateur comptable international serait libre de rester indépendant et de ne pas répondre à aucune juridiction spécifique, y compris européenne. Le débat n’est pas tranché à l’heure actuelle : l’Europe continue de s’interroger sur cette délégation législative qui induit des problèmes de gouvernance aussi bien à l’Union Européenne qu’au régulateur comptable international lui-même. D’autres éléments de discussion concernent le contenu de la norme comptable et le modèle de référence. Les débats européens ont montré des préoccupations importantes concernant l’adoption d’un référentiel conceptuel marchand et actionnarial, ainsi que l’impact de la juste valeur. Ces normes posent problème à la société civile européenne, ou au moins à certains de ses acteurs. Le rapport Maystadt est revenu sur la question : il discute de la gestion du financement en faveur de l’IASB et invite à vérifier que le cadre conceptuel comptable européen respecte l’intérêt général. Il clarifie que cet intérêt consiste notamment d’empêcher que les normes comptables menacent la stabilité financière et qu’elles limitent le développement économique de l’Europe. Plus généralement, le rapport insiste sur le principe de prudence qui était central dans les normes comptables des différents États membres, et qui a été évacué du cadre conceptuel et réécrit à sa manière par l’IASB. Dans ce contexte, nous savons que le modèle de la juste valeur ignore l’entreprise comme entité située dans l’espace et le temps : ne serait-il pas le moment de remettre l’entreprise au centre du modèle comptable ? C’est la question fondamentale qui n’a pas été posée dans le rapport Maystadt et que l’on peut espérer voir traitée dans un prochain rapport.

La parole aux « grands témoins » Michel Prada Merci beaucoup. Je vous demanderai de l’indulgence car je risque de tenir des propos un peu sévères. Je suis arrivé ce matin de Pékin où j’ai passé trois jours à parler des sujets que nous venons d’aborder et particulièrement de la fondation IFRS. Je ne veux pas être désagréable mais j’ai un peu un sentiment d’effroi, en constatant la distance qui existe sur un certain nombre de sujets entre ce que je vis et ce que j’ai entendu aujourd’hui. J’en conclus qu’il y a quelque chose à faire. Peut être que ma mémoire défaille, mais en dehors d’Yvonne Muller, je n’ai jamais rencontré d’académique pour parler au fond de ces choses là. J’ai été nommé en 2012 et je suis à votre disposition pour dire comment les choses fonctionnent et pour répondre à vos questions afin d’actualiser votre connaissance du sujet. C’est la première remarque. Deuxième remarque, plus en rapport avec le fond cette fois-ci, je note que votre débat n’a pas porté seulement sur la légitimité du normalisateur, qui était le sujet pour lequel vous m’avez invité, mais aussi sur la substance des normes comptables, et bien entendu

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je me sens interpellé sur un certain nombre de points techniques qu’il est très difficile d’aborder dans le temps qui m’est imparti, d’autant que comme Trustee, je ne suis pas supposé intervenir dans les débats techniques. Je vais donc vous dire ce que je pense de la problématique de la légitimité, sans essayer de répondre aux questions de fond. D’abord je constate que la normalisation comptable qui était un sujet longtemps réservé aux débats d’experts est presque devenue un must médiatique. On en parle beaucoup et je pense que c’est en raison de la visibilité des débats idéologiques et aussi des enjeux opérationnels très importants qui sont associés à la globalisation d’une économie de marché qui met même en question les fondamentaux de la gestion publique. Dans ce contexte-là, la problématique de la légitimité me paraît certes un enjeu légitime en soi, car on doit s’interroger sur les conditions d’élaboration et d’adoption de la norme. Mais elle me paraît aussi un instrument tactique utilisé parfois au service du débat de fond pour en quelque sorte déstabiliser l’objet que l’on souhaite déstabiliser… Je voudrais essayer de bien distinguer les deux choses et de me centrer sur la vraie problématique de la légitimité. Pour aborder le sujet, Christian Hoarau a donné des indications auxquelles je souscris : il y a au fond dans le concept de la légitimité, tel qu’appliqué à la normalisation comptable, deux composantes complémentaires et indissociables : il y a la problématique de la légitimité technique et celle de la légitimité politique. Nous ne faisons pas ici des réflexions de nature complètement abstraites : on parle d’une technique, comme on pourrait parler d’une technique médicale ou d’une technique chimique ou d’une technique mécanique. On parle d’une technique et cette légitimité technique doit être associée à une légitimité processuelle qui permet d’arriver à une décision dont on va considérer qu’elle a été prise par les meilleurs techniciens dans des conditions qui fondent cette légitimité. Si je regarde la situation objective de la normalisation comptable, je fais la distinction entre ce qui se passe en France et ce qui se passe à l’international et selon les secteurs concernés En France, il me semble que nous sommes parvenu aujourd’hui à un équilibre qui ne souffre pas de critiques fondamentales, c’est-à-dire qu’après les évolutions qui ont été excellemment rappelées dans les présentations précédentes, qu’il s’agisse de comptabilité privée ou de comptabilité publique dont on n’a pas beaucoup parlé, je crois qu’on est arrivé à un dispositif légitime. La compétence technique des membres de l’ANC ou des membres du CNOCP me paraît d’autant plus incontestable que leurs professionnels sont, à la fois, expérimentés et d’origines très variées. L’organisation de leur travail me paraît également appropriée, un travail technique de base, d’analyse des problèmes, de recherche des solutions, des groupes de travail très actifs qui vont au fond des choses, des processus de consultation élaborés, des décisions collégiales avec des collèges encore une fois pluridisciplinaires et finalement une légitimation politique par l’homologation ministérielle, le tout dans un cadre constitutionnel, législatif et règlementaire très précis qui place le normalisateur en relation périodique avec le Parlement et l’opinion publique (par la publicité des travaux et des conclusions). Donc je ne vois pas de raison majeure de contester la légitimité de la normalisation comptable française.

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On voit bien d’ailleurs que vos débats se sont principalement centrés sur la normalisation internationale qui donne lieu à plus de controverses. Il y a à cela des raisons assez évidentes. La plus importante, probablement, c’est la question de la relation entre le processus de normalisation internationale et l’exercice de la souveraineté nationale qui reste le principe d’organisation de la communauté internationale. Au demeurant, dans la manière même dont la problématique de la légitimité est appréciée, on voit bien qu’il y a des différences selon les régimes politiques, en particulier dans les démocraties où se pose la question du rôle du Parlement. Je vous invite à consulter le très intéressant travail conduit par Sylvie Goulard qui vient de rendre un rapport au Parlement européen sur la problématique de la légitimité et sur celle de la relation entre le Parlement et les institutions internationales, rapport qui ne porte pas seulement sur la fondation IFRS, mais qui traite de l’OCDE, du Forum de la stabilité financière, du Comité de Bâle, forum international sur le contrôle bancaire, etc. Sept institutions ont été analysées à partir desquelles Sylvie Goulard essaie de voir comment on pourrait resserrer le dispositif pour donner au Parlement européen, qui en a bien besoin, une prise un peu plus forte sur ces évolutions. Je voudrais pour ma part essayer très modestement de vous convaincre que, contrairement à beaucoup d’idées reçues et aussi à certaines des vues qui ont été présentées ici, la normalisation des normes comptables internationales pour le secteur privé bénéficie d’une assez forte légitimité, sans doute pas parfaite pour des raisons sur lesquelles je vais revenir. En revanche, il y a un vrai problème pour la normalisation dans le secteur public où la prise en compte de la légitimité est en évolution, en progrès, mais encore embryonnaire. Pour le secteur privé, vous me pardonnerez de faire un peu la louange de la Fondation IFRS. Sur le plan technique d’abord, je pense qu’il serait très difficile de contester le professionnalisme des membres de l’International accounting standards board (IASB) et celui des membres de l’organisme d’interprétation qui le seconde, l’International financial reporting interpretation committee (IFRIC). L’IASB compte aujourd’hui seize professionnels, physiquement quatorze au moment où nous parlons, peut être moins demain, d’origine géographique et fonctionnelle diversifiée. Ils travaillent avec un réseau très dense, composé de groupes de travail techniques de professionnels de toutes origines et de toutes régions, le tout servi par une équipe de collaborateurs techniques d’une très grande qualité. Il existe, en outre, une série d’organes qui permettent de « prendre la température », d’échanger des idées et des arguments et dont on enrichit le nombre et la qualité au fil du temps : J’ai évoqué l’IFRIC, je cite également l’Advisory council, la création récente de l’Accounting standards advisory forum (ASAF), le capital market Committee, etc. Il y a un ensemble absolument remarquable et assez impressionnant lorsqu’on en reconstitue la matrice, de gens qui sont impliqués dans la question technique proprement dite. Notre process d’élaboration des normes n’est peut être pas suffisamment connu, et d’ailleurs aucun d’entre vous ne l’a dit ce qui m’a beaucoup surpris, son architecture a évolué dans le temps, ce qui est assez originale. Lorsqu’on a créé la fondation IFRS il y a maintenant quinze ans, la réforme a été pilotée par les régulateurs de marché, par l’International organisation of securities commissions (IOSCO). J’étais à l’époque le président du Comité Technique et nous avions, lors de

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notre Congrès de mai 2000 recommandé l’utilisation de normes internationales pour les opérations transfrontières des sociétés cotées. Nous avons alors accompagné la réforme de ce qui était un comité sympathique et efficace qui travaillait depuis une quarantaine d’années, mais un peu autoproclamé et un peu hors sol, pour reprendre votre expression de tout à l’heure, l’International accounting standards committee (IASC). Nous avons construit le nouveau « standard setter » sur un modèle assez anglo-saxon, une fondation de droit privé, supervisée par des trustees réputés respectables et compétents, chargés de veiller au bon fonctionnement du système, au financement, au processus des nominations des techniciens, etc. Il faut bien reconnaître que cette structure était un peu bizarre, notamment pour un européen et par comparaison avec d’autres organismes internationaux, car elle ne comportait aucun dispositif de légitimation « publique ». En 2008, en pleine crise financière et à l’initiative de Michel Barnier, Commissaire européen en charge de la supervision des marchés financiers, on a créé ce qu’on a appelé le Monitoring board dont on ne parle pratiquement jamais. Je peux vous dire que j’ai travaillé avec eux de manière très étroite. C’est une institution importante qui n’a, à mon avis, pas encore trouvé toute sa maturité, mais qui joue un rôle diablement important sur un certain nombre de sujets. Ce Monitoring board est l’émanation des régulateurs de marché dans le monde. Il a été composé à l’origine de deux représentants de l’organisation internationale (l’IOSCO), un venu des marchés émergents et l’autre des marchés développés, (aujourd’hui président de l’organisation) et de représentants, respectivement, de la SEC américaine, de la FSA Japonaise, de la Commission européenne qui se considère autorité de marché (ce qui est à mon avis un peu discutable mais c’est l’état actuel du développement en Europe). Le Comité de Bâle siège en observateur. Le Comité a été récemment élargi aux autorités de marché du Brésil, de la Corée, et de l’Afrique du Sud. La Commission de marché Chinoise y siège en observateur et j’espère qu’elle en deviendra bientôt membre. Au fond, il y a une espère de réplique réduite du G20. Le Monitoring board réunit des autorités de marché, elles mêmes autorités publiques, et exerce sur la fondation un contrôle assez précis en ce qui concerne, en particulier, le choix des hommes et la mise en place de process appropriés. Précisément, s’agissant du process, je voudrais dire ici qu’après 20 ans de participation à des travaux internationaux dans le secteur financier je n’ai jamais rien vu d’aussi sophistiqué. Et contrairement à ce que certain d’entre vous pensez, ce n’est pas du vent, c’est un travail extrêmement sérieux conduit par un Due process oversight committee du Board de Trustees qui passe de longues heures à débattre sur les conditions dans lesquelles les consultations ont été faites, les réponses ont été données, les difficultés ont été traitées. Nous répondons à toutes les lettres : à Pékin cette semaine, à la fin du process, on nous a dit qu’on n’avait pas reçu de lettre individuelle nécessitant une réponse (ce qui contraste avec la situation d’il y a quelques années !). Ce travail de due process est encadré par un livre de procédures que nous appelons le due processus handbook et il y a une équipe au sein de l’organisation qui en surveille l’application de façon extrêmement rigoureuse. Alors tout ceci fait que le G20, qui est lui aussi une création un peu étrange, mais qui correspond à l’état actuel des relations internationales, et le Forum de la stabilité financière, nous considèrent aujourd’hui comme l’un des douze auteurs de normes internationales officiellement reconnus. Nous ne sommes donc pas complètement « hors sol » comme on n’a pu l’indiquer tout à l’heure.

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La dernière chose qu’il faut rappeler et qui n’est pas négligeable, - l’un de vous l’a souligné et j’ai trouvé sa remarque – assez amusante et un peu provocatrice – c’est que « voilà un organisme qui n’est pas légitime et qui n’a pas, en plus, de pouvoir de coercition ». Alors de deux choses l’une : ou bien nous n’avons pas besoin de pouvoir de coercition et nous n’avons pas besoin de légitimité, ou bien nous avons un pouvoir de coercition et à ce moment là il faut organiser la légitimité ! En réalité, la décision d’utiliser les normes de l’IASB passe toujours dans tous les pays, par ce que nous appelons l’endorsement, est un processus juridique de validation par le souverain qui varie en fonction du pays. En Europe ce processus est particulièrement sophistiqué, avec l’intervention de l’European financial reporting group (EFRAG), du Comité réglementaire de Conseil, du Parlement, etc. Dans d’autres pays, Israël par exemple, ils ont décidé de prendre les normes telles quelles et de les intégrer automatiquement dans le droit interne. Même chose en Corée. Mais en Australie et au Canada il y a un processus d’endorsement. La problématique de la légitimité politique pour le citoyen et pour les entreprises d’un point de vue juridique est donc formellement réglée par ce processus. Et d’ailleurs, et pas seulement en Europe, il y a eu des cas dans lesquels on n’a pas suivi intégralement les IFRS : il y a eu le fameux cas de l’IAS 39, mais je peux aussi vous citer le refus des canadiens d’appliquer certaines normes de l’IASB aux entreprises d’investissement canadiennes. Bien entendu, on peut encore améliorer le dispositif et faire des propositions opérationnelles et vous avez 45 jours pour le faire ! [rires] Nous avons, en effet, lancé au début de l’été dernier une consultation qui se termine dans 45 jours pour recueillir les propositions de nos parties prenantes, en particulier sur notre gouvernance. Sur le secteur public maintenant, j’irai beaucoup plus vite. Un travail de normalisation internationale a été engagé il y a près de 40 ans, un peu dans les mêmes conditions que pour l’IASC, par l’International public sector accounting standards board (IPSAS), qui est un comité autoproclamé de l’IFAC (organisation internationale des comptables) et qui très rapidement, est apparu lui-même poser un sérieux problème de légitimité. Philippe Adhémar en a été le Président. Les personnes qui travaillent sont des personnes respectables et compétentes, mais c’est vrai que l’IPSAS Board est une structure assez particulière, qui veut normer la gestion publique, la gestion comptable, et qui est un comité de l’IFAC, organisation professionnelle internationale des comptables sans lien avec la puissance publique. On s’est très vite demandé si cette structure avait un intérêt puisque les États ne la reconnaissent pas, ne mettent pas ses standards en application et si, par conséquent, il n’y a pas là des experts qui travaillent et qui font un travail intéressant mais qui ne s’ancre pas dans la réalité. Pourtant la crise financière, qui s’est propagée aux finances publiques a conduit à se demander s’il n’y avait pas en fait un besoin de normalisation comptable internationale. Je crois que c’est le cas personnellement, et qu’il faut construire un dispositif adapté à la spécificité du secteur public. On est au tout début de cette évolution, J’y ai été très étroitement associé au cours des trois dernières années et on a abouti au début d’un process un peu semblable à celui qui a prévalu à la fondation IFRS. Le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et l’INTOSAI (organisation internationale des organismes d’audit du secteur public, tels que la Cour des Comptes) se sont regroupés pour bâtir une sorte de monitoring board de l’IPSAS Board et on peut espérer qu’avec le temps, cette dialectique entre normalisation par un organe indépendant et contrôle par une entité publique se mettra à fonctionner. Il faut

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signaler au passage que l’Europe commence à se rendre compte que ce n’est pas idiot d’avoir une certaine harmonisation comptable européenne dans le domaine du secteur public – la crise Grecque l’a montré – mais, comme toujours en Europe, ça prendra du temps, ça démarre difficilement, mais ça va évoluer. Je veux être optimiste, on finira pas y arriver : moi je ne le verrai pas, mais mes petits-enfants le verront, sans doute… Voilà, je termine en disant que je ne crois pas qu’il y ait un problème essentiel de légitimité aujourd’hui, sûrement pas au plan national, à mon avis pas vraiment au plan international, sauf à vouloir évidemment rêver d’une organisation mondiale différente. Mais je suis plutôt du côté des diplomates de la doctrine réaliste et je crois qu’aujourd’hui ce serait très difficile de faire mieux que ce qu’on a fait, et que des améliorations seront possibles dans le futur. L’exemple des grandes organisations internationales établies par traités n’incite nécessairement pas à conclure à la supériorité de ce système. Il y a des cas dans lesquels ça marche, généralement quand la sensibilité politique est faible, et il y a des cas dans lesquels ça ne marche pas, et ça se met à exploser : voyez ce qui est en train de se passer avec l’Organisation Mondiale du Commerce, avec la multiplication des traités interrégionaux voire bilatéraux. Donc il faut avoir en tête la problématique des organisations internationales pour émettre un jugement mesuré sur les progrès qui ont été faits, tout en reconnaissant qu’on pourrait faire mieux. Les bonnes idées sont toujours bienvenues dans ce domaine. Je veux bien répondre à vos questions.

Christian Hoarau Justement, je veux vous poser deux questions. D’une part, que pensez-vous des techniques des préparateurs des référentiels à l’IFRS ? Peut-être que je ne suis plus tout à fait à jour mais me semble qu’il y a quelques années, les préparateurs étaient assez statiques. On peut mettre de côté les banques, mais néanmoins elles sont quand même à la manœuvre, selon un certain angle ; et deuxièmement - et là on revient sur la théorie - il me semble que le cadre conceptuel pose un problème de cohérence d’ensemble.

Michel Prada Oui, ce sont deux grosses questions...

La première : les préparateurs font partie du dispositif. Dans le Board il y a des préparateurs, d'anciens responsables de comptabilité de très grandes entreprises, et bien entendu nous travaillons en permanence avec les préparateurs. Ce qui est vrai, et cela rejoint la problématique du cadre conceptuel, c'est que la philosophie - puisque nous avons repris ses fondamentaux - qui inspire cette normalisation (on peut la contester philosophiquement), est assez claire et pas toujours partagée par les dirigeants d’entreprise. Je la résumerai en des termes très légèrement différents du « wording » officiel – pour utiliser un mot britannique. Cette information que nous essayons de normaliser est destinée à ceux qui n'ont pas accès à l’information en interne. Ce sont essentiellement des investisseurs, dont je reconnais l’hétérogénéité mais est-ce que vous pouvez me citer un ensemble homogène dans des domaines aussi complexes que la comptabilité ou la fiscalité ? Ce sont les gens qui, directement ou indirectement, vont mettre de l’argent dans des entreprises pour en retirer un profit. Mais il n’y a pas qu’eux ! Il y a, par exemple, le fait que des contractants, des

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fournisseurs, des clients, ont besoin connaître la situation des entreprises avec lesquelles ils travaillent, et comme ils n'ont pas accès à l'information interne, ils ont besoin d’avoir une information financière élaborée. Donc nos usagers, ce sont principalement les pourvoyeurs de fonds, actionnaires ou prêteurs, et plus largement les personnes, les groupes, les entités, qui ont besoin d’accéder à l’information de l’extérieur de l’entreprise. Alors les préparateurs par rapport à cette problématique se sentent parfois frustrés, parce que l’autre thèse est de dire que la comptabilité est faite pour éclairer la gestion, pour les managers, pour eux-mêmes. Et on retombe effectivement sur la théorie du marché et sur la théorie économique à laquelle vous avez fait allusion tout à l’heure. On pourrait tout à fait avoir un système différent. Je ne veux pas rentrer dans ce débat, je suis personnellement tout à fait partisan d'une économie de marché régulée. Mais si les préparateurs veulent se construire pour euxmêmes des systèmes d’informations internes qui leurs permettent de mieux piloter leurs dispositifs, grand bien leur fasse ! Le problème c'est d’arriver à régler la tension permanente entre ce que les préparateurs sont prêts à dire, et ce que ceux qui les regardent voudraient voir ou entendre. Pourquoi est ce que la tension comptable a été si violente au cours des dernières années, particulièrement dans le secteur financier ? Parce qu’évidemment le métier financier est un métier de gestion d’incohérences : d’incohérence de temps, d’incohérence de monnaie, d’incohérence de taux, d’incohérence de tout ce que vous voulez, et on gère les risques y afférents ! Et on n’a pas envie que ceci se fasse coram populo ! Donc lorsqu'on dit aux banques « on veut connaître exactement votre position », elles ne sont pas forcément enthousiastes, pas plus que les compagnies d'assurance ! La tension a été particulièrement forte dans ce domaine là. A mon avis elle est en train de s’apaiser, mais elle restera sous-jacente. On voit bien que du point de vue des préparateurs, lorsque ça les sert, ils utilisent, et lorsque ça les gêne, ils critiquent. Et c’est humain ! Je serais à leur place, je ferais pareil ! Quand vous pouvez utiliser la valorisation de votre propre dette pour améliorer votre position vous le faites. Mais quand vous trouvez que la fair value vous gène, qu'elle montre des choses que vous ne voudriez pas montrer, vous la critiquez. Donc voilà, on est au cœur d’un système de tension, qui donne un équilibre instable dans lequel bienentendu on peut avoir des débats éternels. Dernière remarque parce que je ne veux pas être trop long, si le système était si dysfonctionnel que ça, et s’il y avait un tel désaccord par rapport à ces fondamentaux de l'économie de marché -dont je pense qu'elle doit être sérieusement régulée-, serions-nous passés entre 2001 - où on a créé la fondation IFRS – et 2015, de zéro pays appliquant les IFRS à 116 pays aujourd’hui ? Estce qu’on aurait connu le progrès fantastique réalisé dans un pays comme le Japon, où la tension doctrinale et opérationnelle a été aussi forte qu’en France, peut-être même plus forte ? Quand j’ai visité le Japon pour la première fois comme président de la Fondation IFRS en 2012 il y avait 7 sociétés appliquant les IFRS. Aujourd'hui on est à la centaine, plus de 20 % de la capitalisation boursière de la bourse japonaise, et on pense que pratiquement toutes les grandes sociétés japonaises internationales passeront aux IFRS dans les prochaines années. Cela montre bien la force de cette dynamique. Alors on peut ensuite avoir des débats... Il y a un point que je voudrais préciser également, qui est un point de fond -et je m’excuse, parce que j’avais dit que je ne parlerai pas des points de fond- plusieurs d’entre vous ont évoqué la « problématique de la stabilité financière » comme critère de la qualité des normes. Notre position doctrinale là dessus, vous la verrez dans un papier que j’ai co-signé avec Hans

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Hoogervorst, président de l’IASB il y a quelques semaines, et qui est un papier qui s'appelle « travailler pour l’intérêt public ». On a abordé tous les sujets qui fâchent. Et nous avons notamment rappelé que notre propos n'est pas de manipuler les comptes pour des questions de stabilité financière Notre mission est de contribuer à donner aux opérateurs qui ont les décisions en main une information qui leur permette de prendre ces décisions de manière éclairée. Je pense personnellement que la stabilité financière c’est beaucoup plus un problème de politique monétaire, de fonctionnement des marchés, de cohérence des politiques publiques, de gestion macro prudentielle et de confiance qu’un problème de représentation comptable... On nous parle du long terme. Qu’on commence par faire du long terme au niveau des politiques publiques ! On nous parle de volatilité et nous, nous le mesurons. Nous ne voulons pas vous le cacher. Bien entendu, quand vous décrivez un phénomène vous avez des effets secondaires. Si vous décrivez un phénomène, les gens le regardent et bien entendu ils prennent des décisions en fonction de ce phénomène. Est-ce que la réponse doit être que vous devez soit masquer le phénomène, soit travestir le phénomène ? Donc notre meilleure contribution à la stabilité financière c’est l’effort de présentation du réel éventuellement critiquable au plan technique- de manière efficace, honnête. C’est cela notre philosophie, et c’est cela la grande tension entre le prudentiel et le comptable. Quand j’étais membre de l’advisory group qui a été réuni pour conseiller l’IASB et le FASB (le normalisateur américain) sur la problématique de la juste valeur pendant la crise financière, j'ai vécu cette tension. Le Comité de Bâle voulait que nous fassions du provisionnement dynamique qui aurait conduit les banques à gérer le provisionnement avec des modèles macroéconomiques en fonction du cycle « Le ciel est bleu mais les gars, il y a un grain qui arrive : ramassez de la toile ». Je dis ça pour les marins. Mais ça c’est un job de banquier central, un job de régulateur ou un job de ministre des Finances, pas un job de comptable. Alors on a fait un compromis : vous parliez de politique... On est passé du provisionnement postérieur à un incident de paiement (« incurred loss model ») à un provisionnement plus prévisionnel (« expected loss model ») mais néanmoins ancré dans une analyse factuelle. Voilà un exemple où pour nous les choses sont relativement claires. J’ai cité l’exemple du secteur bancaire, mais je pourrais en citer un autre qui concerne l’ensemble des entreprises. Au demeurant, l’attention qui s’est manifestée pour les banques a bien diminué avec l’accalmie de la crise financière. Même je ne suis pas supposé parler technique, je peux évoquer un autre exemple, celui du leasing. Aujourd’hui, ce sont les entreprises industrielles et commerciales, du transport et du tourisme, qui sont furieuses que le normalisateur comptable leur dise que le leasing est une forme d’endettement qui doit figurer au bilan. Mais je ne me rappelle plus le nom de la grosse société commerciale anglaise qui a fait faillite l’année dernière avec un endettement facial zéro, et un endettement réel gigantesque correspondant à ses crédit-baux. Nous avons décidé, à juste titre de révéler la réalité économique et de mettre le leasing sur le bilan (dans des conditions que l’on peut certes discuter dans le détail). Autre débat : substance versus forme, débat éternel. Et qui évidemment est d’autant plus difficile à résoudre que vous êtes à l’international. Parce que s'il faut que la comptabilité soit conforme à tous les droits nationaux on n’y arrivera jamais ! Donc on est bien obligé d’avoir une vision qui est une vision de principe, plus économique que juridique, je le reconnais volontiers, et qui créée par conséquent certaine réactions.

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Mais, de manière générale et pour conclure, l’expérience montre que la normalisation comptable internationale est une success story car elle produit un ensemble de normes bien adapté à l’économie de marché mondialisée. Pardon d’avoir été trop long.

Patrick de Cambourg Bonjour à tous et merci de me donner l’occasion de témoigner. En préambule, prenez mes propos comme les propos de quelqu’un qui découvre un monde plus complexe qu’il ne le pensait ; même si je m’en doutais, je n’imaginais pas toutes ses complexités. Quand j’ai réfléchi au thème de ce colloque, je me suis dit qu’il fallait, pour commencer, mettre un coup de projecteur sur ce que j’appelle les deux systèmes de légitimité que l’on observe aujourd’hui dans le monde. D’un côté, un système basé sur une culture d’affaires, qu’on peut qualifier d’anglosaxon et de l’autre côté, un système de culture juridique, qui est celui du droit que je qualifierai de continental. Concernant le système anglo-saxon, il est vrai que les principes comptables sont issus à l’origine de professionnels britanniques et américains : l’IASC a été fondé en 1973, en pleine mondialisation. On s’est donc retrouvé avec un système qui s’apparente fortement à celui de la common law. La règle est bâtie pas à pas, de façon pragmatique sur des situations concrètes. Le processus commence par l'auto régulation, puis tend peut-être vers la régulation ou la régulation partagée. On faisait, par conséquent, soimême la règle qu’on appliquait, ensuite on la partageait avec les pouvoirs publics puis les pouvoirs publics se l’appropriaient ; c’est donc ainsi que la souveraineté apparaît. Dans un système de common law, on établit des règles adaptées au fur et à mesure que les problèmes se posent. Puis la doctrine, les universitaires, les professionnels qui les analysent, prennent de la distance, mettent en évidence des points communs et finissent par élaborer des principes. Ils expriment donc un inconscient exprimé préalablement dans un travail de normalisation norme à norme. Mais, ces principes généraux ne sont pas obligatoires, liants ; ils sont, comme on dit en anglais, aspirational et s’apparentent à un référentiel. Ils constituent donc un objectif, une référence, sans interdire cependant la possibilité de revirement, non du fait de la jurisprudence mais en raison des situations. Je caricature un peu ; mais, c’est quand même une démarche très pragmatique, très inspirée des pratiques anglo-saxonnes au sens large. Néanmoins, les américains, ayant peu confiance dans l’homme, ont divergé de cette normalisation très fondée sur des principes (principle based) vers un système très rules based de normes très détaillées. Donc, dans le système que j'appelle common law, la légitimité est naturellement issue d’abord d’un travail technique et d’un travail très pragmatique et pas nécessairement intellectuel. On a, et je trouve ça extrêmement intéressant, une confrontation de démarches. Par opposition, le système dit continental repose sur la hiérarchie de normes : par exemple en France ; la constitution (qui est notre chapeau, notre ombrelle), la loi (par un projet ou une proposition), le décret et le règlement de l’ANC. Il ne viendrait pas un instant à l’esprit d’un continental de dire que « la loi est une inspiration, que la constitution est « aspirationnelle ». Il est donc hors de question de faire une norme qui soit contraire aux principes généraux du droit.

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Nous sommes, par conséquent, confrontés à cette situation fondamentale de deux modèles qui ont leurs vertus mais qui ne sont pas miscibles spontanément. Néanmoins, je ne considère pas que parce qu'on est différent, on ne peut pas parler, et je ne considère pas, non plus, que parce qu’on est différent, il n’y a pas, au contraire, une capacité d’enrichissement mutuel. Selon moi, une partie des questions sur la légitimé relative aux IFRS vient de cette différence de perspective dans laquelle nous nous plaçons. Pour nous, qu’on aime ou qu’on n’aime pas la démocratie (qui est comme chacun sait « le meilleur des régimes à l’exception des autres »), lorsque le Parlement a tranché, le Parlement a tranché. L’intérêt général s’exprime donc par la voix des institutions démocratiques régulièrement élues. Quelles que soient les critiques, la technostructure doit fonctionner sous l’ombrelle de la démocratie. Dans le monde anglo-saxon, la situation est un peu plus complexe. Aux USA, il y a un lien avec la souveraineté très clair, alors que le modèle institutionnel de l’IASB interpelle, puisque c’est un modèle associatif fondé sur l’idée de fondation, sans lien de subordination direct entre les autorités publiques représentant la souveraineté et la fondation IFRS. Pour moi, c’est une première clé de lecture très importante. La question ensuite légitime à se poser est comment peut-on vivre au quotidien avec ces deux visions de la normalisation ? Parce que finalement, on ne va pas convaincre les anglo-saxons de changer de modèle, et je ne pense pas qu’ils convainquent l’Europe ou les Chinois de changer le leur. Or, néanmoins, il est utile pour tout le monde que nous travaillions ensemble. Sur ce sujet, je voudrai faire plusieurs remarques. Sur l’angle institutionnel, en essayant de dégager les grandes tendances, je vois clairement un panorama qui est en cours d’évolution. Le monde de la normalisation comptable n’est pas un monde stable ; c'est un monde en évolution, en réflexion qui connaît un nouveau cycle. On observe, me semble-t-il, au moins trois grands mouvements : Le premier, un changement d’attitude assez fort du côté américain. L’accord de convergence qui avait été signé au début des années 2000 et qui a fait l’objet d’efforts considérables de part et d’autre, n’est plus aujourd’hui un programme actif. Michel Prada le sait, et je le constate aux réunions de l’ASAF à l’IASB, nos homologues américains sont là en témoins, en contributeurs, très sympathiquement d’ailleurs, mais non en décideurs. Il est donc clair que l’IASB décide de son côté et que le FASB décidera du sien. Bien sûr, l’objectif d’unicité finale n’est pas remis en cause, en revanche le terme n’en est pas très clair. Le second concerne deux sous-objectifs qui sont me semble-t-il fondamentaux : le premier sous-objectif est d’éviter si possible par le dialogue une divergence sur les grands principes. Sur le détail, je crains qu’il n’y ait déjà quelques éléments de divergence (notamment sur IFRS 16). Le deuxième sous-objectif est, à mon avis, de ne pas remettre en cause la reconnaissance réciproque des normes ; c’est à dire que l’on puisse se coter aux États-Unis avec des normes IFRS quand on n’est pas américain, et qu’inversement on puisse se coter en Europe avec des normes américaines quand on est américain. Le cas spécifique des cotations croisées fait que les deux parties font attention ; c'est donc un élément d’équilibre structurant.

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En conséquence, cet arrêt de la convergence se traduit par une difficulté de financement de l'IASB qui aujourd'hui ne reçoit plus, à ma connaissance, de contribution des USA. La troisième tendance lourde est la réforme de l’EFRAG en Europe. L’Europe a vécu d’énormes changements avec la mise en œuvre des normes IFRS. L’Europe était fragmentée avec des statuts des normalisateurs nationaux très divers, soit très proches du public, soit très proches du privé. Les directives européennes sont des directives d’harmonisation a minima, et donc le choix a été fait, au début des années 2000, de déléguer la normalisation comptable à un organisme comme l’IASB dont la gouvernance a été revue régulièrement, même si elle pose encore des questions. Dans le contexte de l’époque ce n'était pas nécessairement une mauvaise décision. Il ne faut pas le regretter car cela a permis de doter l’Europe d’un langage comptable commun. L’euro n'est pas un langage commun puisque les anglais sont restés -et quelques autres- à leurs monnaies nationales, mais il y a un parallèle certain. Cette décision n’était pas nécessairement glorieuse, mais cela a été une décision bénéfique, une décision pragmatique. La réforme de l’EFRAG suite au rapport Maystadt est une nouvelle étape qui apporte, selon moi, un équilibre raisonnable. Aujourd’hui, le défi est de réussir la réforme de l’EFRAG avec la constitution d’un nouveau Board, chargé d’intégrer les points techniques issus du Technical expert group tout en prenant en compte l’intérêt général européen. Je sais bien que l’intérêt général européen est mal défini, mais il faut entamer une réflexion. Via ce nouveau Board, il y a la création d’un continuum entre la normalisation nationale et l’échelon européen de la normalisation ; c’est à ce titre que les principaux normalisateurs européens siègent au Board de l’EFRAG ; nous représentons donc la diversité européenne. Cette réforme n’est pas terminée tant que son président n’est pas nommé ; malheureusement, ce sujet est toujours en cours suite à un petit accident de parcours. Il y a donc une montée en puissance du rôle de l’EFRAG. Siégeant au Board de l’EFRAG depuis mars, je peux témoigner qu’il s’y fait un travail sérieux, sur un certain nombre de sujets, et ce, en collaboration avec l’IASB. Nous avons eu l’occasion d’échanger récemment avec Michel Prada. Le point faible reste, me semble-t-il, notre faible capacité à mesurer les conséquences des nouvelles normes via de solides études d’impact. En conclusion sur ce point, je dirai qu’on a une Commission européenne très désireuse que la construction de 2002-2005 se poursuive, même si elle est préoccupée par la gouvernance des instances de normalisation et par le retrait des américains du dispositif de l’IASB. Par ailleurs, le Parlement se structure aujourd'hui avec un petit groupe de parlementaires spécialistes dans le domaine financier. Le troisième élément, c’est que je crois que l'IASB -qui a fait sur les quelques 15 dernières années un parcours exceptionnel-, a construit, grâce aux financements collectés (nous en sommes pour partie les porteurs), un véritable normalisateur. Il faut appeler un chat un chat : avant, il n’y avait pas auparavant de normalisateur européen et les normalisateurs nationaux, en dehors des États-Unis, n’avaient pas la même force de frappe. Or, l’IASB a aujourd'hui une vraie force de frappe. Maintenant, se pose la question de la place de l’Europe : « sommes-nous le normalisateur global ou sommesnous le normalisateur d’une part de la globalité ? ». Si on est le normalisateur d’une part de la globalité, de quelle globalité s’agit-il ? Et quels sont les mécanismes d’homologation et de dialogues préalables ? Si l’homologation arrive en bout de chaîne,

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ce n’est pas tellement intéressant : il faut pouvoir être le plus possible en amont des processus. Pour illustrer ce point, c’est comme dans les usines, s’il s'agit de dire que la voiture ne passe pas le test à la fin de chaîne et qu'il faut la casser, ce n'est pas très productif. Donc, on a devant nous, tout un travail de discussion et de concertation avec l’IASB. Michel Prada a parfaitement raison de dire qu’il n’y a pas de caractère contraignant a priori. Nous sommes, en Europe, clairement dans un domaine où les juridictions doivent se prononcer après publication des normes. La légitimité institutionnelle européenne est en cours de repositionnement, les acteurs vont interagir et peut-être d’une façon à mon avis encore plus riche que ce qu’on a pu voir par le passé afin d’aboutir à des accords ou des désaccords -sans jeu de mot. A cela s’ajoute l’élément culturel, c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la consultation sur le cadre conceptuel. La légitimé ne s’atteint pas uniquement par le biais des process et procédures ; il y a aussi une question de culture. La question est alors de savoir si les peuples en général se sentent à l'aise avec la culture véhiculée, parce que je ne pense pas que les normes comptables soient neutres. Il faut donc se poser les trois ou quatre questions, qui font, à mon avis, les débats pour les dix ou quinze ans à venir dans le domaine des destinataires de l’information financière. Je crois fondamentalement que je fais écho à ce que disait Michel Prada : je ne suis pas sûr qu’il faille mettre les préparateurs et les utilisateurs dans deux camps. Je crois qu’il y a un fort intérêt venant de la pratique à essayer d’avoir un système unique d’information. Cela pourrait être un big data comptable qui permettrait à partir d’une plate-forme unique d’information de satisfaire les différents utilisateurs, pas seulement les utilisateurs externes mais tous les utilisateurs, à commencer par le management et la gouvernance. Quand on gère des sociétés, et je parle par expérience, il est vital d’être cohérent dans la présentation des résultats comptables et financiers. En matière de destinataire de l’information financière, une vraie réflexion est à mener. Le cadre conceptuel l’aborde un peu dans la consultation et nous invite à se poser la question de la notion de stewardship, le rôle d’intendant du management. Je crois que ça va un peu plus loin, mais c’est justement l’intérêt du débat. Après, conceptuellement, au-delà des destinataires de l’information financière, il y a les concepts mêmes de l’information financière. On soupçonnait l’IASB, en tout cas il y a quelques années, d’avoir un modèle full fair value ; le fait que Hans Hoogervorst, aux journées IFRS de Paris, dise qu’on a un modèle d’évaluation mixte est très important et mérite intérêt. C’est un premier pas ; l’enjeu consiste ensuite à décliner ce modèle mixte et chacune des méthodes de valorisation a son lot de critiques. Le mark to market n’est pas systématiquement une juste valeur franche et marchande dès lors qu’il existe un nombre limité de transactions relatives à l’objet évalué. Concernant le coût historique, cette méthode ne tient pas la route lorsqu’on se situe dans un environnement en hyperinflation comme au Venezuela, Brésil et Argentine, tout comme le modèle en juste valeur. Il reste donc encore beaucoup de travail. Le dernier sujet que je souhaiterai partager avec vous concerne le contenu de l’information financière : la définition aujourd’hui est trop bilancielle, ne prend pas assez compte des flux et des cash-flow. Même si le modèle conceptuel amorce une première proposition sur ce plan, je suis convaincu qu’il faut aller au-delà. Faut-il aller vers l’integrated reporting ? J'ai rencontré un ancien ministre des Finances il y a trois jours qui m’a dit : « cher Monsieur, cher Président, il n’y a de richesses que d’hommes.

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Alors donc, vous allez, je pense, me sortir des normes sur l’immatériel humain dans l’entreprise ». Alors, oui, monsieur le ministre, je dis oui bien sûr ! Sur cette anecdote, je termine.

Conclusion par Rouba Chantiri Nous arrivons au terme de cette journée qui je crois était assez riche en interventions, discussions, débats : nous remercions les intervenants qui sont venus débattre, discuter, être témoins. Nous remercions aussi l’ANC pour son soutien dans le cadre de cette convention, particulièrement aujourd’hui dans l’organisation de cette journée d’étude. Merci également à tous les participants. Le thème central de la journée était la légitimité. On l’a abordé en croisant plusieurs regards, celui des historiens, celui des sociologues, celui des économistes, celui des comptables, celui des juristes, ce qui donne des débats très enrichissants. On a écouté des présentations historiques qui permettent d’éclairer le contemporain ; nous avons discuté de la légitimité à partir des enjeux actuels, des institutions actuelles, comme l’IASB et les dispositifs internationaux, la légitimité au niveau européen et la légitimité de la décision européenne ; et nous avons eu une discussion plus large sur la légitimité du chiffre et de la quantification. A travers les différents discussions s’est posée la question des différents points de vue : finalement, quand on pose la question de la légitimité c’est toujours pour qui. Il m’a semblé identifier trois points de vue possibles : Tout d’abord la légitimité du point de vue de ceux dont les normes sont sensées servir les intérêts, et donc c’est vrai que là peut-être il peut y avoir un flou : est-ce que ce sont les fournisseurs de capitaux, est-ce que sont les parties prenantes ? La discussion autour de l'intérêt général renvoi à ça : qu’est-ce que l’intérêt général ? Il y a plusieurs contenus possibles. La légitimité peut être discutée de ce point de vue. Il y a aussi la légitimité du point de vue de ceux qui sont à l’origine de cette demande ; les autorités publiques, les autorités de régulations et là, il y a peut-être un débat : estce que les autorités de régulations sont aussi des autorités publiques ? Dans les pays anglo-saxons c’est clairement oui, mais en France, et même au niveau du monitoring board par exemple, il me semble que ce n’est pas l’ESMA mais la commission européenne, donc un niveau plus politique, qui siège au sein de cette institution. Est-ce que ceux qui normalisent, qui contrôlent la normalisation estiment que les normes qui sont produites sont légitimes ? Enfin, sans être exhaustive, la légitimité vue par ceux qui appliquent les normes : les préparateurs, que ce soit au sein des entreprises ou de la profession comptable. Donc voilà un autre axe de la légitimité que nous avons abordé. Ensuite nous avons discuté des fondements et des formes de la légitimité. On a évidemment parlé de la légitimité politique, la place des États, le contrôle démocratique. J’ai également abordé la question de la reconnaissance : quand effectivement les normes IFRS sont diffusées très largement dans le monde, ce qui suppose comme cela a été dit un processus d’endorsment, c’est-à-dire une reconnaissance par les États en terme d’application au niveau mondial, est-ce que cela ne confère par une certaine forme de légitimité avec la distinction entre pouvoir formel donné par les états et autorité réelle liée au fait qu’on y adhère ?

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On a également énormément parlé de la légitimité procédurale, donc des modalités d’élaboration de la norme, la gouvernance. On est revenu à travers plusieurs reprises sur la composition des comités, notamment en revenant sur des épisodes historiques. Celà renvoie finalement aux deux modèles que le président de Cambourg a évoqué : le modèle common law et le modèle plus continental. On a aussi évoqué la légitimité procédurale à travers notamment des procédures due process. Cela renvoie au style de normalisation qui évolue et se transforme. Cette journée n’a pas épuisé la question mais elle a permis de croiser des approches et des échelles d’analyse qui en général le sont peu. Cette publication permettra, nous le souhaitons, de prolonger les débats. Pourraient être abordés par exemple la légitimité qualifiée de substantielle qui renvoie à la philosophie, à la culture ; la légitimité par les résultats, par les effets de la mise en œuvre de la norme ; les normes comptables appréhendées au niveau micro économiques produisant des comptes qui ont du sens, ce qui pose la question du jugement professionnel.

APPENDIXES Table des sigles AMF—Autorité des marchés financiers ANC—Autorité des normes comptables ASAF—Accounting standards advisory forum CFF—Comité des forges de France CGPF—Confédération générale du patronat français CNC—Conseil national de la comptabilité CNOCP—Conseil de normalisation des comptes publics CO—Comité d’organisation CSIMR—Chambre syndicale et métallurgique du Rhône EFRAG—European financial reporting advisory group FASB—Financial accounting standards board IASB—International accounting standards board IASC—International accounting standards committee IFRIC—International financial reporting interpretation committee

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IFRS—International Financial Reporting Standards INTOSAI—Organisation internationale des organismes d’audit du secteur public IOSCO—Fédération internationale des marchés financiers IPSAS—International public sector accounting standards board PCG—Plan comptable général UIMM—Union des industries métallurgiques et minières

NOTES 1. Une table des sigles est proposée à la fin de ce texte. 2. NDLR, Michel Prada est donc un des 22 Trustees qui assurent la direction de l’International accounting standards board (IASB). 3. Les textes ont été relus par leurs auteurs. 4. Cette transcription a été réalisée par Rémy Pourquier : un grand merci. Quelques compléments d’informations ont été ajoutés par Michèle Saboly, merci également pour sa relecture attentive. 5. Didier Bensadon, université Paris Dauphine, « Processus de légitimation de la norme comptable au CNC à fin des années 1960 : les cas des comptes de groupes ». 6. Oussama Ouriemmi, professeur associé à ISG international business school, « De la « normation » à la « normalisation » : produire la norme comptable sous Vichy et après la Libération (1941-1946) ». 7. Sources : Archives privées de quelques entreprises de la région parisienne (Sulzer, Hotchkiss, etc. : conseils d’administration, bilans etc.) et des organisations patronales suivantes : UIMM GIM (Groupement des industries métallurgiques et mécaniques de la région parisienne) et la Chambre syndicale et métallurgique du Rhône (CSIMR) ; Archives publiques, économiques et financières : ministères (Archives nationales), Comité d’organisation (CO) de la métallurgie (Archives nationales du monde du travail – Roubaix), etc. 8. L’Union des industries métallurgiques et minières, appelée depuis 2001 l’Union des industries métallurgiques et des métiers de la métallurgie. 9. Réunir dans une même organisation la confédération des producteurs de métaux et des transformateurs de métaux, qui n’ont absolument pas les mêmes intérêts économiques, s’était révélé ingérable. L’UIMM laisse donc les questions économiques aux syndicats professionnels. 10. Normalisation qui passe en France par la définition d’un Plan comptable général. 11. Le décret du 29 juillet 1939 modifie la loi sur l’organisation de la Nation en temps de guerre du 11 juillet 1938 : seuls les bénéfices faits pendant la guerre sont concernés - donc les états comptables devraient être arrêtés fin août 1939. S’y ajoutent l’absence de la prise en compte des réserves dans l’évaluation des stocks, et un régime distinct d’imposition avec arrêté des comptes et inventaire, mesures comptables appropriées pour l’évaluation des stocks, remplacement de la comptabilité spéciale prévue par la généralisation de la règle proportionnelle et par la présentation au contrôleur par les entreprises d’un plan de comptabilité permettant une appréciation des divers éléments du bénéfice (16 novembre 1939). 12. Il ne sera pas appliqué en raison de l’entrée en guerre. 13. Ils serviront pourtant à établir en un temps record le premier plan comptable français pendant l’Occupation. 14. Ardent défenseur de la normalisation comptable et du Plan comptable général, il dirigera la commission interministérielle du plan comptable formée sous Vichy. Jean Coutrot sera le premier président de cette commission entre avril et mai 1941.

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15. Créés par la loi du 16 août 1940. 16. Par exemple celui des demi-produits en métaux et alliages non ferreux et bien sûr le CODELEC présidé par A. Detoeuf de mars 1941 à 1944. 17. Il a mis sa démission en balance. Les autorités allemandes souhaitaient profiter de la diffusion d’un PCG pour améliorer leurs informations sur les prix de revient et sur la production française. Elles s’intéressent aux travaux de la commission du plan comptable en octobre 1941 18. Ce projet est accepté par les autorités d’occupation en juin 1943. Elles cherchent ensuite à influencer ses modalités d’application. 19. Bignon, V., Biondi, Y. et X. Ragot (2009), « Une analyse économique de la « juste valeur » : la comptabilité comme vecteur de crise », PRISME N° 15, Centre Cournot pour la recherche en économie. http://www.centre-cournot.org/img/pdf/prisme_fr/Prisme%20N%C2%B015%20ao% C3%BBt%202009%20(427.7%20KiB).pdf 20. Y. Biondi et L. Fantacci (2012), « Les banques sont-elles solubles dans le marché ? A propos de la comptabilisation de la dette grecque à sa "juste valeur"», Economies et Sociétés, série K, 2 (3) 2012 : 571-84. 21. “European Parliament Workshop on 'Which Accounting Regulation for Europe's Economy and Society'”, European Parliament, Strasbourg, 20 May 2015. http://yuri.biondi.free.fr/downloads/ strasbourg2015.pdf

AUTHORS BÉATRICE TOUCHELAY IRHiS, Université de Lille–Sciences Humaines et Sociales ROUBA CHANTIRI Université Paris Dauphine

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradicciones Sánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748 Anne Dubet

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2041 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Anne Dubet, « Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradicciones Sánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748 », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2041

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Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el...

Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradicciones Sánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748 Anne Dubet

RÉFÉRENCE Sánchez Santiró, Ernest, Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755). Alcances y contradicciones. México, Instituto de Investigaciones D. José María Luis Mora, col. Historia Económica, 2013. Sánchez Santiró, Ernest, Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748. México, Instituto de Investigaciones D. José María Luis Mora, col. Historia Económica, 2014. 1

Les historiens des finances de l’Amérique espagnole cultivent assidûment, depuis trois décennies, l’étude des livres de comptes des caisses royales instituées dans ces territoires au fil de leur conquête. Ces documents permettent de répondre à des interrogations multiples. Outre l’évaluation du montant des recettes fiscales, l’examen de la nature des impôts et de son rapport avec le tissu économique et l’organisation sociale de chaque

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territoire, l’on peut étudier la politique de dépenses de la monarchie. L’analyse des transferts de fonds opérés d’une caisse à l’autre en Amérique et entre les caisses américaines et celles de la Péninsule ibérique ou des Philippines permet aussi de comprendre comment chaque territoire s’inscrit dans l’ensemble impérial, en mettant en évidence la densité des relations entre des espaces régionaux locaux et le degré variable de participation de ces espaces aux dépenses communes de leur vice-royauté ou de la monarchie. Les spécialistes du XVIIIe siècle y ont ainsi cherché des mesures de l’efficacité des réformes fiscales des Bourbons, en se demandant d’abord si le produit des impôts s’élevait. À la fin du XXe siècle, le renouvellement de l’histoire politique et sociale de l’époque moderne les a aussi conduits à examiner quelle part de leurs excédents les responsables locaux étaient disposés à céder à d’autres territoires, en analysant conjointement les dynamiques de négociation à l’œuvre. Ce questionnement a aussi conduit plusieurs chercheurs à se pencher de plus près sur la nature et la finalité des documents comptables qui avaient permis aux historiens, depuis la fin des années 1970, d’établir des « budgets » des principales caisses royales américaines. Depuis le milieu des années 1980, certains chercheurs ont étudié l’organisation des livres de comptes en recette, dépense et reprise (« cargo y data ») des caisses royales, critiquant les travaux qui s’appuyaient sur de simples résumés de ces livres, appelés « cartas cuenta » et assimilaient la recette à des entrées de fonds et la dépense à des paiements effectifs. La recherche sur ces documents comptables a donc été renouvelée, donnant lieu à de multiples analyses locales ou régionales, publiées le plus souvent en espagnol ou en anglais1. 2

Le travail d’Ernest Sánchez Santiró présenté dans les Relaciones de valores y distribución de la Real Hacienda de Nueva España, 1744-1748 (2014) et dans Corte de caja. La Real Hacienda de Nueva España y el primer reformismo fiscal de los Borbones (1720-1755) (2013) s’inscrit dans la veine de cette analyse fine des sources comptables, qui ne perd jamais de vue la dimension politique du travail des acteurs. Les deux ouvrages sont complémentaires. Relaciones est l’édition des relations des valeurs et de la distribution des fonds de la viceroyauté de Nouvelle Espagne durant les années 1744-1748, établies en octobre 1751 à la demande du marquis d’Ensenada, Ministre des Affaires d’Etat, des Finances, des Indes, de la Marine et de la Guerre du roi d’Espagne. Le document, reproduit dans un CD-Rom joint au livre, est précédé d’une minutieuse analyse de son élaboration, de la méthode mise en œuvre par ses auteurs et de ses finalités. Dans Corte de caja, les relations de 1751 sont la source principale – mais non unique – utilisée par le chercheur pour brosser un tableau nuancé des finances de la Nouvelle Espagne au milieu du XVIIIe siècle et amorcer une étude de la politique financière des gouvernants espagnols. Ce faisant, il met en évidence l’existence et la singularité de l’activité réformatrice des règnes des deux premiers Bourbons d’Espagne – Philippe V (1700-1746) et Ferdinand VI (1746-1759) – en Amérique. L’apport est appréciable car, hormis quelques rares travaux publiés depuis la fin du XXe siècle, la prédilection des chercheurs américanistes pour les réformes entreprises durant le règne de Charles III (1759-1788) les a souvent conduits à négliger l’intérêt des changements apportés pendant les deux règnes précédents ou à n’y voir que des prolégomènes de la suite. Les deux livres ont été publiés par l’Institut de Recherches Dr José María Mora, l’un des meilleurs centres de recherches en histoire et en sciences sociales du Mexique, dans lequel travaille l’auteur, et font l’objet d’une édition soignée.

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L’ensemble des documents reproduits dans le CD-Rom se compose des « Relations de valeurs et de la distribution des finances royales de Nouvelle Espagne de 1744 à 1748 »,

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des copies, jointes au manuscrit dans les archives mexicaines, des lettres et ordres qui les ont précédées ainsi que de la précieuse « Explication de la méthode suivie, ainsi que de l’ordre et des parties dont se composent ces relations » préparée par les contrôleurs, de leur comparaison entre les « valeurs » calculées et celles du lustre précédent et de quatre tableaux synthétiques (« mapas ») qu’ils ont tirés des relations. Ce petit corpus présente un intérêt évident pour les spécialistes de l’histoire de la comptabilité. En effet, les commentaires des auteurs des relations et ceux des gouvernants qui les leur ont réclamées permettent de reconstruire non seulement des techniques, mais aussi les finalités assignées à l’activité des contrôleurs. 4

L’analyse de Sánchez Santiró évite tout anachronisme. Il définit leurs représentations de la « clarté des comptes » et de la bonne administration des fonds maniés en s’appuyant sur leurs commentaires des relations de 1751, sur les choix qu’ils opèrent au moment de synthétiser la masse d’information accumulée dans des tableaux et plus généralement sur les jugements qu’eux et leurs contemporains portent sur les pratiques comptables de l’époque en Nouvelle Espagne. L’historien montre que les officiers invités à préparer la relation, deux contrôleurs de la Cour des Comptes (« Tribunal de Cuentas ») de Nouvelle Espagne, ont une conscience claire des différences entre les comptes en recette, dépense et reprise (« cargo y data ») sur lesquels ils s’appuient et la relation qu’ils doivent produire. Les comptes en recette, dépense et reprise sont préparés dans chacune des « caisses royales » de Nouvelle Espagne, le seul Hôtel des Monnaies du territoire, celui de Mexico, inclus. Consignés dans des « libros manuales » (journaux où les parties sont portées par simple ordre chronologique) et des « libros comunes » (des grands livres où les mêmes parties sont classées par type de revenu royal puis par ordre chronologique), ils sont généralement suivis de résumés appelés « cartas cuentas » portant l’ensemble de la recette et de la dépense annuelles. Mais pour les deux contrôleurs, les « valeurs », par lesquelles ils entendent le « fonds véritable et effectif » (« caudal verdadero y efectivo »), ne se confondent pas avec la recette des livres de comptes remis par les caisses royales, puisque celle-ci inclut des parties dont la seule finalité est la « formalité des comptes », que les auteurs décrivent comme des « contreparties » de la dépense. Les mêmes distinguos sont faits entre « distribution » et « dépense ». Les contrôleurs soulignent ainsi le caractère abstrait (« mental et écrit, et non pas physique et réel ») des comptes en recette, dépense et reprise, non pour le condamner, mais pour rappeler que sa finalité est de mesurer ce que doit un comptable à son roi et non point les quantités d’argent maniées chaque année. C’est l’occasion pour eux d’expliquer pourquoi des parties de recette ou de dépense doivent être dupliquées dans les redditions de comptes et de préciser comment fonctionne la reprise. L’élaboration d’une seule relation pour l’ensemble des « caisses royales » de Nouvelle Espagne oblige les contrôleurs à distinguer clairement les parties correspondant à des rentrées ou des sorties de fonds effectives des autres. En outre, la relation portant sur un ensemble de caisses formellement séparées les unes des autres, elle réclame d’autres précautions visant à éviter de confondre les transferts de fonds d’une caisse à l’autre avec des rentrées de fonds ou des paiements effectifs. À l’inverse, il faut enfin tenir compte des fonds bien réels qui, appartenant au roi, ne sont jamais entrés physiquement dans les caisses royales, les paiements ayant été effectués « en dehors des caisses » (« fuera de caja ») par fermiers et receveurs.

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De telles explications n’offrent pas seulement un avantage pratique – en prévenant les erreurs des chercheurs et en leur donnant des définitions précises des termes techniques de la documentation. Elles rappellent opportunément que l’usage de la tenue des livres en

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recette, dépense et reprise ne procède pas d’une incapacité des acteurs à concevoir d’autres types de comptabilité qui seraient plus difficiles ou plus « avancés ». Dans le cas étudié par Sánchez Santiró, les contrôleurs de la Cour des Comptes de Mexico en énoncent précisément les avantages et les limites, mais sont aussi en mesure d’en tirer les informations dont ils ont besoin pour répondre aux questions posées par le Ministre des Indes. Il s’agit de savoir quel a été le produit des contributions recueilli dans les différentes caisses, quel emploi en a été fait sur place, quelles sommes ont été transmises à d’autres caisses de Nouvelle Espagne et à celles des Caraïbes, de Manille et de Cadix, et quelle a été la destination des différents fonds. Les objectifs sont multiples. Par le biais de la comparaison avec les années passées, Ensenada et le vice-roi cherchent à évaluer la hausse du produit des impôts liée à de nouvelles créations fiscales et à la réforme du recouvrement de contributions existantes, une façon de mettre en valeur l’action du viceroi. De telles comparaisons sont faites en Espagne au même moment pour évaluer les bénéfices de la mise en régie directe d’impôts auparavant affermés. En outre, le Ministre veut mesurer le surcroît de dépenses militaires causé par la Guerre de l’Oreille de Jenkins (1739-1748), dont les Caraïbes ont été le principal théâtre, et il compte sur la signature de la paix pour les réduire et parvenir à envoyer davantage d’argent à Cadix, afin de solder les dettes du roi. Sánchez Santiró signale avec justesse que le statut donné aux chiffres tient à la conception que les acteurs ont de la bonne administration des deniers du roi. Ainsi, les emprunts ne sont pas considérés comme des fonds « véritables et effectifs » : les contrôleurs considèrent que la dette doit être extraordinaire et, partant, devrait être remboursée au plus tôt, une conception du crédit qui est partagée par la plupart des gouvernants espagnols jusqu’à la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis2. On peut ajouter que la relation ne cherche pas à évaluer une dette moins formelle, mais dont l’importance est connue de tous, composée de tous les effets assignés sur les caisses de Nouvelle Espagne et non encore payés3. Ici encore, ce silence ne saurait s’expliquer par une quelconque faiblesse des techniques comptables : l’évaluation aurait pu être faite à part – les Espagnols ont mis au point des instruments assez performants pour le faire depuis les années 1710 –, à moins qu’il n’ait pas paru urgent de la faire – parce que les gros créanciers pouvaient attendre ou parce que le trafic restait à un niveau tolérable. Le travail préparatoire des deux contrôleurs, analysé en détail par l’auteur, accrédite l’idée que rien ne s’est fait au hasard : ils ont réfléchi sur les contenus et les limites de la relation des valeurs et de la distribution des années 1739-1743 avant d’élaborer la leur. Pour les connaisseurs des finances de l’Espagne péninsulaire, la préparation des relations de 1751 appelle un dernier commentaire. Il est tentant de croire que l’établissement d’un bilan général passe nécessairement par la réunion de l’ensemble des agences chargées des dépenses dans une seule Trésorerie Générale, puisque c’est ainsi que les choses se sont passées en métropole au XVIIIe siècle. L’exemple de Nouvelle Espagne rappelle que, dans certaines conditions, la séparation entre les caisses défendue par certains acteurs était compatible avec ce que des contemporains appelaient un compte universel. Il existait donc diverses voies pour la réforme des comptes du roi et les raisons du choix des gouvernants, ici comme ailleurs, ne tenaient pas à la seule « clarté des comptes ». 6

Le livre Corte de caja montre comment les relations de 1751, intelligemment exploitées, permettent d’établir une radiographie des finances de Nouvelle Espagne au milieu du XVIIIe siècle. Elle se compose de quatre parties. Le premier chapitre étudie les paiements effectifs des caisses, le second les rentrées de fonds, le troisième croise les données des deux premiers pour rendre compte des différences entre chaque région, tandis que le

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quatrième expose les étapes des réformes du gouvernement des finances et de la fiscalité de Nouvelle Espagne de la fin de la Guerre de Succession au ministère d’Ensenada. Étant donné le volume de l’information maniée, on peut savoir gré à l’auteur d’avoir élaboré nombre de tableaux et de graphiques synthétisant les résultats obtenus en croisant les données ou en les agrégeant. Sánchez Santiró, bon connaisseur de la fiscalité du territoire étudié et des formes de négociation fiscale et financière, explicite le panorama dessiné par les relations des contrôleurs en exposant l’origine et le mode de recouvrement de chaque contribution. 7

Les trois premiers chapitres ne sont pas que descriptifs. Les deux premiers sont l’occasion d’une réflexion sur les priorités politiques de la dépense et sur le pluralisme juridictionnel qui caractérise le système fiscal de Nouvelle Espagne et les logiques, financières mais aussi politiques, du recouvrement – certaines contributions n’ont d’autre fin que de réaffirmer l’existence de la justice royale. Afin de mieux saisir ces logiques, l’auteur a repris les classifications des recettes fiscales des hommes du XVIIIe siècle. L’accès à des données année par année, sur cinq ans, lui permet de dessiner les changements conjoncturels. Ainsi, si la guerre de l’Oreille de Jenkins s’est traduite par une hausse considérable des dépenses et des transferts de fonds vers les Caraïbes, les dernières années du lustre étudié laissent espérer une réduction significative de la dépense. Le troisième chapitre introduit la dimension géographique. En classant les paiements faits dans chaque caisse par type de fonds utilisés et par destination des fonds, et en identifiant les fonds recouvrés par chacune, Sánchez Santiró distingue différents modèles de caisses royales remplissant des fonctions complémentaires dans l’édifice impérial. Il s’agit notamment de mesurer la capacité de la monarchie à mobiliser les fonds des territoires par le biais des transferts d’une caisse à l’autre, une facette qui n’a pas échappé aux deux contrôleurs auteurs des relations. Ces derniers observent en effet une centralisation croissante des dépenses dans la « caisse matrice » de Mexico, certaines caisses se bornant à payer leurs frais de fonctionnement et salaires avant d’adresser leurs excédents à la caisse de la capitale, tandis que d’autres, déficitaires, se spécialisent dans la dépense militaire.

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Le dernier chapitre du livre est moins tributaire que les autres des relations éditées par Sánchez Santiró, puisque l’auteur s’appuie ici sur les documents glanés par lui ou commentés par d’autres, dans des travaux récents, pour reconstruire l’ensemble des réformes de la fiscalité et du gouvernement des finances entreprises depuis la fin de la Guerre de Succession et jusqu’à la chute d’Ensenada, en 1754. L’ensemble est cohérent, même s’il n’est pas complet, puisque seules certaines facettes des réformes peuvent être abordées dans l’état actuel des connaissances : ainsi, Sánchez Santiró n’étudie pas les liens entre les solutions comptables décrites et les mesures de prévention de la fraude et il ne décrit pas la prise de décision en matière de dépense et de crédit ni les mécanismes de sa mise en œuvre. Ce qui ressort de son étude, c’est surtout le rôle joué par deux vicerois (le marquis de Casafuerte, 1722-1734, et le comte de Revillagigedo, client d’Ensenada, 1746-1755) et un Ministre (le marquis d’Ensenada, 1743-1754) dans l’initiative de réformes fiscales et institutionnelles. Les relations de 1751 éclairent l’entreprise de deux façons. D’une part, certaines de leurs données permettent au chercheur d’évaluer les bénéfices financiers tirés de réformes antérieures, telle la réincorporation dans le patrimoine royal des offices de l’hôtel des monnaies de Mexico4, la réduction d’effectifs militaires ou les politiques de baisse de certains droits sur le commerce ou l’activité minière, dont l’objectif était la réduction de la fraude et la hausse des recettes. Le gain modeste tiré de

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certaines créations fiscales des années 1710 aux années 1730, mesuré par les relations, pourrait expliquer pourquoi Joseph Campillo (Ministre des Indes en 1741-1743) et Ensenada prennent d’autres voies. L’autre intérêt des documents édités par Sánchez Santiró est de mettre en évidence (dans les deux livres présentés) l’intérêt de ce dernier Ministre pour la comptabilité et l’état des caisses de Nouvelle Espagne, alors que, pour ce qui concerne les finances, l’on connaît essentiellement son activité dans les domaines fiscal et économique. 9

Ceci confirme ainsi qu’Ensenada ou ses proches ont probablement eu une vision cohérente et globale du gouvernement des finances. Pour la comprendre, il reste à faire le lien entre ce souci de la « clarté des comptes » et ce que Sánchez Santiró décrit comme une réforme majeure instituée par Ensenada, l’attribution aux vice-rois du Mexique et du Pérou de la surintendance générale des finances, ainsi qu’à établir des ponts avec des mesures similaires adoptées en Espagne5. Le travail de Sánchez Santiró ouvre ainsi des perspectives de recherche fécondes pour une meilleure compréhension des finances de l’ensemble de la monarchie espagnole.

NOTES 1. Antonio Galarza vient d’en dresser un excellent bilan dans « La fiscalidad en el Río de la Plata tardocolonial: un posible balance historiográfico a partir de las cajas reales », Bibliographica Americana, 2015, n° 11, p. 9-30. Revue en ligne consultée sur http://www.bn.gov.ar/ revistabibliographicaamericana. 2. Cf. Rafael Torres Sánchez, El precio de la guerra. El Estado fiscal-militar de Carlos III (1779-1783), Madrid, Marcial Pons, 2013. 3. Michel Bertrand a relevé de nombreux indices d’une circulation, en Nouvelle Espagne et à Madrid, des assignations (« libranzas ») sur les caisses de Nouvelle Espagne et d’un trafic auxquels participent particuliers et officiers du roi. Cf. Grandeur et misère de l’office de NouvelleEspagne (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, chapitre 1. 4. L’importance de l’opération avait été démontrée par M. Bertrand, op. cit. 5. Cf. Rafael Torres Sánchez, La llave de todos los tesoros. La tesorería general de Carlos III, Madrid, Sílex, 2012.

AUTEURS ANNE DUBET Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand [email protected]

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Archéologie de la comptabilité. Culture matérielle des pratiques comptables au Proche-Orient ancien

Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016 Albert Broder

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2045 ISSN : 1775-3554 Éditeur IRHiS-UMR 8529 Référence électronique Albert Broder, « Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016 », Comptabilités [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 04 juillet 2016, consulté le 04 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/comptabilites/2045

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Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016 Albert Broder

RÉFÉRENCE Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (éds), Dictionnaire historique de la comptabilité des entreprises, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016 1

Le propos des auteurs est très clair. Il s’agit de rendre accessible la signification des notions tout en faisant ressortir l’importance de la place des techniques de définition, de mesure, de contrôle, en d’autres termes de « domination », de la comptabilité entrepreneuriale considérée comme un des éléments de la société.

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L’originalité de ce dictionnaire réside moins dans la singularité de la démarche de ses promoteurs que dans la variété de plus de 80 auteurs, rédacteurs de 470 rubriques, dont la diversité est garante d’une lecture non institutionnaliste de la dynamique historique de l’économie politique et de la comptabilité des entreprises en Occident.

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Elle s’inscrit dans une perspective qui dépasse la dimension légale, juridique et économique des approches dominantes du sujet. De l’étude des liens et des relations entre la comptabilité et ses parties prenantes : l’État, l’entreprise et les échanges, le chercheur averti, tout comme l’étudiant, rencontreront l’information qui dépasse les dimensions

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contractuelles propres à chaque système économique historique. Pour peu que l’utilisateur, sans se contenter de rechercher une rubrique particulière, relève les analyses successives concernant un aspect spécifique de l’évolution du concept d’entreprise, il lui apparaît qu’il est impossible de penser la firme, et partant, de faire son histoire individuelle ou générale, sans prendre en compte l’existence des institutions juridiques, techniques, religieuses et donc politiques. 4

Cette variété qu’ont recherché les auteurs a abouti à protéger le chercheur de la compréhension accommodante et à orienter sa réflexion sur l’entreprise dans deux directions fondamentales à propos des relations au sein de la vie économique et non seulement marchandes :

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1- L’inscription de ces phénomènes de transformation et expansion dans les différents espaces ouverts à l’activité humaine ;

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2- La prise en compte des dimensions politiques, financières contractuelles et spatiales de l’environnement de l’entreprise qu’elle contribue tout autant à modifier.

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Il y a près d’un demi-siècle, Sartre reprochait au marxisme d’être la dépositaire d’une méthode scientifique, le matérialisme historique, mais de ne jamais disposer des instruments permettant d’approfondir les connaissances sur le mouvement des transformations dans la société économique.

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Dans ce contexte, les protagonistes de ce « Dictionnaire Historique de la Comptabilité des Entreprises » ne manquent pas d’audace. Les périodes de grande instabilité économique comme celle que nous vivons depuis plus d’un quart de siècle, ne sont guère propices à l’analyse de la dynamique des mutations entrepreneuriales. L’irruption des méthodes nées de l’explosion des techniques informatiques incite souvent à considérer, à tort, que les structures passées sont obsolètes alors qu’elles sont l’armature du changement.

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Le propos est ici très clair au delà de l’aspect fonctionnel de cet ouvrage. Par la richesse des thèmes abordés il s’adresse en priorité aux chercheurs et aux étudiants. Il concerne aussi tous ceux que la complexité des transformations constantes de l’économie interroge. Les notices constituent de précieux outils analytiques permettant d’approfondir les réalités historiques telles qu’elles se sont amalgamées à la nature des économies humaines tout en participant au changement permanent des sociétés.

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Gageons que sa richesse comme son utilité en feront rapidement un de ces instruments que l’historien et l’économiste considèrent comme un outil indispensable.

RÉSUMÉS Si le vocabulaire des concepts de l’économie de l’entreprise vous rebute, on ne peut que vous conseiller de lire et surtout d’utiliser ce dictionnaire. L’ouvrage présente des caractéristiques qui, à notre sens, facilitent considérablement la saisie et surtout la compréhension de la dynamique spatiale et temporelle de l’évolution historique depuis le Moyen Âge dans un cadre didactique qui associe les apports des économistes à ceux des grands maîtres de l’Échange depuis Édouard Perroy, Fernand Braudel jusqu’aux tenants américains de l’histoire économique institutionnelle

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dans la direction suggérée par Douglas North. Ce dictionnaire, construit au cœur d’une population économique réelle et changeante en fonction des progrès des techniques et de la conquête du Monde par les échanges facilite au lecteur l’accès comme l’usage des concepts les plus mobiles.

AUTEURS ALBERT BRODER Professeur émérite, Université Paris Est

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