Comment pense une personne autiste ? (Handicap) (French Edition) 2100707477, 9782100707478


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French Pages [155] Year 2012

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Table of contents :
Sommaire
Table des Matières
Préface
Notes de l’auteur
Remerciements
1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre
2. Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme
3. Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence artificielle
Humour et contexte
Intelligence artificielle et contexte
4. Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence autistique (1)
Réponses « Ravioli » et « Lavabo »
5. Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement social et l’identité
Un verre d’eau
Quand vous voyez une personne en uniforme, dites « bonjour »
Les situations « pull vert »
Quand la vie est une ligne en pointillé
Imiter (singer)
Hello, how are you ?
Puis-je vous « déchiffrer » ?
Il n’y a pas de panneaux de signalisation sociaux
6. Le chevalier des fléchettes : sur la communication
Les symboles font du monde un monde partiel
Erreurs de traduction
Elle aime le sa en pliant
Le « chevalier des fléchettes »
Les sous-entendus (ou ce qui n’est pas clairement exprimé)
Intentions secrètes
7. Les frites de pommes : sur la rigidité
Aut(omat)isme
Celui de Villeurbanne était tout au fond : l’essence des choses...
Des toilettes sont pourtant des toilettes ?
Frites de pommes
Le coup de feu du starter fait partie de la course
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution des problèmes
Effectivité et efficacité
Plutôt fonctionnaires que stratèges : les rituels
« Et fais exactement la même chose »
« Fais ceci ! »
Faire du café n’est pas 2 + 2 : décider est plus que calculer
L’embarras du choix
9. Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2)
Intelligence : peut-être, peut-être pas
Analyser (les arbres) ou intégrer (la forêt)
La pensée autistique en tant que stratégie de survie
Bon sens
Connaissance des faits contre bon sens
Entre les règles
10.Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre
Notes du chapitre 1 : sur ce livre
Notes du chapitre 2 : sur l’humour et l’autisme
Notes du chapitre 3 : sur l’humour et l’intelligence artificielle
Notes du chapitre 4 : sur l’intelligence autistique (1)
Notes du chapitre 5 : sur le comportement social et l’identité
Notes du chapitre 6 : sur la communication
Notes du chapitre 7 : sur la rigidité
Notes du chapitre 8 : sur les difficultés à résoudre des problèmes
Notes du chapitre 9 : sur l’intelligence autistique (2)
Bibliographie. Sur la littérature consultée
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Comment pense une personne autiste ? (Handicap) (French Edition)
 2100707477, 9782100707478

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Peter VERMEULEN

Comment pense une personne autiste ? Préface de Bernadette Rogé

L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en langue néerlandaise sous le titre Dit is de titel, Over autistisch denken, Vlaaamse Dienst Autisme, Uitgeverij EPO vzw, 1999. Une première édition en français a été publiée en 2002 par le Centre de Communication Concrète sous le titre : Ceci est le titre. ©Peter Vermeulen/Centre de Communication Concrète. L’éditeur remercie Madame Elaine Taveau, présidente de l’Association Asperger Aide, pour le concours qu’elle a apporté à cet ouvrage.

Illustration de couverture : © INFINITY - Fotolia.com

*MMVTUSBUJPOT EFGJOEFDIBQJUSF 1FUFS7FSNFVMFO Dessins originaux : Thijs Vander Meiren

Ce pictogramme mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de l’édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les

établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des GrandsAugustins, 75006 Paris).

© Dunod, Paris, 2005, pour la traduction française ISBN 978 2 10 070747 8

Toute reprŽsentation ou reproduction intŽgrale ou partielle faite sans le consentement de lÕauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de la propriŽtŽ intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une contrefaon rŽprimŽe par le Code pŽnal. ¥ Seules sont autorisŽes (Art L 122-5) les copies ou reproductions strictement rŽservŽes ˆ lÕusage privŽ du copiste et non destinŽes ˆ une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiŽes par le caractre critique, pŽdagogique ou dÕinformation de lÕÏuvre ˆ laquelle elles sont incorporŽes, sous rŽserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 ˆ L 122-12 du mme Code, relatives ˆ la reproduction par reprographie.

Sommaire PRÉFACE NOTES DE L’AUTEUR

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

REMERCIEMENTS

VII XI XIII

1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre

1

2. Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme

9

3. Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence artificielle

15

4. Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence autistique (1)

23

5. Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement social et l’identité

35

6. Le chevalier des fléchettes : sur la communication

53

7. Les frites de pommes : sur la rigidité

71

8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution des problèmes

83

9. Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2)

99

10. Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre

123

BIBLIOGRAPHIE. SUR LA LITTÉRATURE CONSULTÉE

135

TABLE DES MATIÈRES

141

Préface

personnes peu informées, l’énigme de l’autisme réside dans l’étrangeté d’enfants qui, n’ayant pas accès aux codes courants de la communication, affichent un visage impénétrable, présentent des réactions incompréhensibles pour l’entourage, ou s’isolent dans un refus d’échange avec leur entourage social. Pour les scientifiques, l’aspect énigmatique de l’autisme est lié au problème de l’étiologie. Les causes précises de cette affection et les mécanismes par lesquels le développement se trouve entravé restent en effet globalement inconnus, même si l’on est capable maintenant de situer le déficit initial au niveau biologique. Plus les avancées sont grandes dans la connaissance scientifique du syndrome autistique, et plus la complexité du processus qui est à l’origine de ce désordre du développement se fait jour. Il nous faut renoncer à la recherche d’une cause unique et nous orienter vers une compréhension en termes d’interactions entre différents facteurs susceptibles d’enrayer le processus de développement à une période précoce. Le foisonnement de travaux scientifiques a permis dans les dernières années de préciser la piste génétique. L’origine génétique, déjà envisagée à partir des études familiales et des études de jumeaux, se confirme maintenant au travers de la recherche de particularités sur les chromosomes chez toutes les personnes atteintes dans une même famille ou au travers de l’étude de gènes impliqués dans des maladies associées à l’autisme (gènes candidats). Mais il reste à préciser comment les gènes affectés affectent ensuite le développement du cerveau et l’adaptation de l’enfant. Les travaux en imagerie cérébrale viennent de confirmer récemment le déficit d’intégration du

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P

OUR LES

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Préface

langage qui représente probablement l’un des pivots de la difficulté de développement des comportements sociaux. Sur d’autres terrains, ce sont les fonctions de base, comme le traitement de l’information à des niveaux plus ou moins complexes, qui sont explorés. On a ainsi découvert que les autistes avaient du mal à traiter l’information liée au mouvement, ce qui permet de comprendre leur apparente indifférence aux signaux sociaux non verbaux (gestes, mimiques faciales). D’autres fonctions comme l’imitation sont aussi explorées, ces études ayant permis de confirmer le fait qu’il n’y a pas de déficit absolu dans ce domaine puisque même des personnes atteintes d’autisme sévère sont capables d’imitation lorsqu’elles sont placées dans un environnement propice à l’émergence du comportement attendu. Ces différentes recherches n’ont pas toutes les mêmes applications pratiques. Si les retombées concrètes des études génétiques au bénéfice des personnes sont encore lointaines, les progrès dans la compréhension des mécanismes qui sous-tendent les problèmes d’adaptation pourraient déboucher assez rapidement sur des informations utilisables dans les programmes éducatifs. En effet, pour le moment, la meilleure manière d’apporter de l’aide aux personnes atteintes d’autisme, c’est de comprendre leur fonctionnement particulier. Car elles obéissent à une logique qui n’est pas la nôtre, et éprouvent de ce fait des difficultés à comprendre le comportement des autres et à s’y adapter. C’est à la pensée autistique que Peter Vermeulen a décidé de consacrer ce livre en illustrant, par de nombreuses anecdotes, le type de logique à laquelle adhèrent les personnes avec autisme. L’auteur compare le fonctionnement de la personne avec autisme à celui d’un ordinateur. La logique implacable de l’ordinateur est en effet telle, qu’elle conduit à des réponses qui correspondent à la lettre à l’information qu’on leur a fournie. En ce sens, l’image de l’ordinateur est vraiment appropriée pour illustrer la manière dont la personne atteinte d’autisme est insensible aux multiples sens qui peuvent se cacher derrière des mots ou des situations. La traduction littérale des données aboutit, on le voit de manière explicite dans les exemples fournis, à des décalages terribles dans la compréhension de ce qui est dit ou fait et dans les réponses fournies aux consignes ou remarques formulées verbalement. Peter Vermeulen nous montre en toute simplicité comment le décalage crée des situations inattendues et donc amusantes.

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Préface

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Ordinateur et humour ne font a priori pas partie du même monde. Pourtant, dans cet ouvrage, Peter Vermeulen a pris le parti d’aborder un sujet éminemment sérieux par le biais de l’humour. Il s’agit là d’un véritable tour de force car il met ainsi en exergue le décalage des personnes autistes lorsqu’elles appliquent une logique informatique. Comprendre le sens littéral des mots et des situations et répondre en fonction de ce sens littéral crée des écarts inattendus pour nous entre ce qui a été formulé et le résultat qui en découle. Le langage et le monde social étant remplis de sous-entendus, il est évident que ce type de logique aboutit à des situations surréalistes et cocasses. Peter Vermeulen illustre son propos par de nombreux exemples qui ont une force pédagogique inouïe. Le lecteur est en effet confronté à ce que signifie pour la personne atteinte d’autisme un monde où tout doit se deviner et selon des règles qui sont fluctuantes. La pensée cohérente qui permet de faire des choix d’informations, de les regrouper intuitivement, de saisir les nuances, d’accepter les exceptions en fonction du contexte est inaccessible dans le cas de l’autisme. C’est ainsi que la personne dont la pensée reste au niveau du détail et de la règle inflexible se conduit comme le fonctionnaire qui applique le règlement à la lettre, fut-ce au prix d’une attitude absurde. Car la prise de décision et la résolution de problème demandent une sensibilité au contexte et à sa mouvance : ce qui est vrai et applicable dans une situation et avec certaines personnes ne l’est pas forcément en un autre lieu, dans un autre milieu humain. Vivre au milieu des autres suppose des capacités de tri de l’information, de sélection, de catégorisation et d’interprétation. Le monde morcelé des personnes avec autisme se limite à une succession d’informations juxtaposées, mises en mémoire avec parfois la capacité d’un ordinateur, mais pas organisées en fonction du bon sens. Le comportement des personnes atteintes d’autisme reflète ce fonctionnement : lenteur, difficulté à saisir les situations, surtout lorsqu’elles ont un sens caché, ritualisation, besoin de contrôler le déroulement complet d’une action, besoin de la reprendre pour l’exécuter intégralement lorsqu’une séquence a été interrompue. Les personnes atteintes d’autisme « comprennent la vie d’une autre manière » et cela est dû à ce style cognitif qui leur est propre. Mais elles peuvent aussi comprendre la vie « de moindre façon » car la déficience intellectuelle est souvent associée à l’autisme. Et même chez les personnes dont l’autisme n’entame pas une intelligence qui peut être normale ou supérieure, ce mode

X

Préface

d’appréhension de la réalité est source de décalage et d’inadaptation. C’est là que réside essentiellement le handicap de l’autisme. Les anecdotes rapportées illustrent à merveille ce style cognitif et ses répercussions au niveau de la compréhension et du comportement. Le lecteur sourit souvent mais il ne rit pas de la personne autiste qui est toujours traitée avec respect et tendresse. Le lecteur rit de lui-même : lui qui parle de manière obscure et allusive et ne va pas jusqu’au bout de sa logique, lui qui dit des choses qui ne reflètent pas ce qu’il pense, qui pense des choses qu’il ne dit pas, lui qui fait des remarques qui ne veulent rien dire... Somme toute, il vit la situation de l’arroseur arrosé car au fond, la véritable énigme, ce pourrait être le fonctionnement des « neuro-typiques » qui proposent un monde absurde aux personnes atteintes d’autisme. C’est vrai, le message de ce livre est entre les lignes, au sens propre et au sens figuré, comme pour lui donner encore plus de force. Nous qui sommes dotés d’empathie, nous pouvons comprendre ce qu’est la pensée autistique, nous en imprégner, avoir une double lecture du monde et tendre ainsi la main aux personnes atteintes d’autisme... Professeur Bernadette ROGÉ. Université de Toulouse-Le-Mirail, UFR de Psychologie et Centre d’Études et de Recherches en Psychopathologie (CERPP).

Notes de l’auteur

’ ÉDITION originale de ce livre a été publiée en néerlandais en 1996. La traduction en langue française s’est avérée ardue, tant en raison de différences culturelles que de différences linguistiques. Elle ne pourra probablement pas mettre en valeur toutes les subtilités et nuances avec lesquelles l’auteur a traité dans sa langue maternelle les domaines de la communication et du langage. La vraie valeur de ce livre réside, comme vous le lirez plus loin, « dans » les règles et « derrière » les mots. Si certaines expressions ou certains extraits peuvent sembler étranges ou même heurter le lecteur francophone, il faut considérer ce sentiment comme un avantage, celui de participer à l’expérience des personnes atteintes d’autisme qui ont, elles aussi, bien souvent ce même sentiment d’incompréhension de ce que nous disons ou écrivons dans notre langue maternelle... En utilisant le terme « autisme » nous renvoyons à tous les troubles du spectre autistique. Ce livre parle donc aussi bien de personnes atteintes du syndrome d’Asperger, de troubles envahissants du développement non spécifiés ou d’autisme atypique. Enfin, l’auteur fait don des revenus de ce livre à une initiative de collaboration qui a pour but de fournir des services à des personnes atteintes d’autisme et à leur entourage.

L

Remerciements

n’aurait pu voir le jour sans le support et la contribution précieuse de Det Dekeukeleire, Cis Schiltmans, Dr Prof. I. A. van Berckelaer-Onnes, ainsi que de nombreux parents et personnes atteintes de troubles du spectre autistique. L’auteur remercie tout particulièrement Bernadette Rogé, professeur de psychologie à l’université de Toulouse-le-Mirail, qui a accepté de rédiger la préface de la traduction française. Merci également à Effy Vanspranghe et Martine Foubert pour leur contribution à cette même traduction. Enfin, nous remercions Mme Elaine Taveau (Association Asperger Aide) qui nous a introduits chez Dunod.

C

E LIVRE

1 « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre

et l’autisme ont bien quelque chose en commun. C’est plus qu’un hasard si les personnes intelligentes souffrant d’autisme présentent un intérêt particulier pour les ordinateurs. Un certain nombre d’entre elles communique par Internet, le réseau international informatique. De plus, les ordinateurs semblent un moyen d’enseignement remarquable pour les enfants autistes. Leo Kanner, pionnier de la description de l’autisme avait déjà remarqué en 1943 que les enfants qu’il avait examinés avaient quelque chose du robot. Leur comportement lui semblait quelque peu mécanique, manquant de sentiment humain et remarquablement rigide1 . À l’époque de Kanner, les ordinateurs étaient encore du domaine de la science-fiction pour la majorité des gens. Aujourd’hui, au début du XXIe siècle, ces appareils font partie de la vie quotidienne. Tout un chacun commence à se débrouiller avec ces machines « intelligentes ». De plus en plus de personnes savent les faire fonctionner et même les enfants parlent de « télécharger », « formater », « surfer »

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L

ES ORDINATEURS

1. Les notes se trouvent en fin d’ouvrage, chapitre 10, « Notes finales : sur “les petits chiffres” de ce livre », p. 123.

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Comment pense une personne autiste ?

comme s’il s’agissait de beurrer une tartine. Les ordinateurs ne sont plus des instruments magiques, super-puissants et futuristes mais d’ordinaires objets utiles dans la vie quotidienne. Certaines personnes savent d’ailleurs mieux utiliser leur ordinateur que leur grille-pain... Des parents d’enfants autistes qui ont l’expérience de l’informatique comparent le comportement et la pensée de leur enfant avec ceux d’un ordinateur et précisent à leur propos : « Si nous ne le programmons pas, il n’y a rien à en tirer » ou « Si nous n’appuyons pas sur la bonne touche, elle ne nous comprend pas. » La façon qu’ont les ordinateurs de traiter les informations montre d’étranges similitudes avec la « pensée » des personnes autistes. La pensée autistique est le sujet de ce livre. D’une part, nous en savons toujours plus sur la pensée informatique et d’autre part, la connaissance scientifique de la pensée autistique a connu ces dernières années un essor extraordinaire. Dès le début, l’autisme a été considéré comme un trouble énigmatique, étrange et surprenant. Et ce n’est pas par hasard que le logo choisi par plusieurs associations pour personnes atteintes d’autisme est un morceau de puzzle. Après Leo Kanner et depuis plus de cinquante ans, les parents, les professionnels de l’autisme et les scientifiques s’évertuent à reconstituer le puzzle. Et bien que nous soyons encore loin du but, certains éléments commencent à se mettre en place surtout depuis que des scientifiques renommés ont entr’ouvert un coin du voile qui recouvre l’« étrange pensée » des personnes autistes. Nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais connaître la pensée des personnes autistes est indispensable pour compléter le puzzle, même si ce dernier ne sera peut-être jamais entièrement reconstitué. Ces cinquante dernières années, on a surtout observé le comportement des personnes atteintes d’autisme. Ce sont les manifestations comportementales qui constituent les critères de classification de l’autisme décrits dans les manuels. En effet, pour ce handicap qu’est l’autisme, il n’a pas encore été trouvé d’indication biologique qui permettrait aux médecins de situer ce trouble dans un cadre défini comme c’est le cas pour le syndrome de Down (trisomie-21) pour lequel il suffit de compter les chromosomes. Qui plus est, l’autisme ne pourra probablement pas être placé dans un cadre défini, car il résulterait de plusieurs causes. Or, aussi longtemps que l’autisme ne pourra être défini médicalement, nous serons obligés de faire ce que

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1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur »

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l’on appelle « un diagnostic de comportements ». Nous observons les comportements d’une personne et, sur cette base, nous établissons un diagnostic. Un tel diagnostic de comportements connaît ses limites. L’une d’elles provient du fait que beaucoup de « comportements autistiques » se retrouvent aussi chez des personnes ne souffrant pas d’autisme. Un comportement stéréotypé, par exemple, peut s’observer chez une personne mentalement handicapée. Ce n’est donc pas parce qu’une personne se comporte d’une manière stéréotypée qu’elle souffre d’autisme. De plus, certains « signes autistiques » peuvent être constatés lors d’une croissance normale2 . L’écholalie en est un exemple d’anthologie. Celle-ci consiste à répéter ce que l’on entend à la façon d’un perroquet. Une mère demande à son enfant : « Veux-tu un biscuit ? » et l’enfant répond : « Veux-tu un biscuit ? » L’écholalie est un phénomène habituel pendant l’apprentissage du langage. Beaucoup de petits enfants traversent une période d’écholalie. On peut citer une seconde limite au fait de ne tenir compte que des comportements. Les personnes atteintes d’autisme évoluent elles aussi : elles apprennent, elles font des expériences. Ainsi, l’image de leur comportement change. Nous devons donc bien connaître l’ensemble des « comportements autistiques » pour arriver à suivre le fil rouge de l’autisme. Ce n’est pas parce que le comportement autistique « s’estompe » que l’autisme disparaît. Mais la plus grande limite à l’élaboration d’un diagnostic de comportements est le fait que l’autisme se manifeste de nombreuses manières. Il n’y a pas de forme typique d’autisme. L’autisme est un handicap à plusieurs visages : l’image du comportement d’une personne autiste n’est jamais la même d’un individu à l’autre. Ceci a pour conséquence que certains parents ne reconnaissent pas assez leur enfant autiste au travers des livres ou des histoires qui circulent sur l’autisme. Le trouble sera souvent déclaré « apparenté » ; cette définition n’apportant que peu de soulagement aux parents s’ils se réfèrent essentiellement aux différences et non aux similitudes. Le nombre accru de diagnostics embarrassés, les situant comme des « troubles apparentés » ou des « tendances autistiques » est une conséquence des limites de l’observation de comportements extérieurs. Le problème avec l’autisme est également qu’il n’y a pas de signes de reconnaissance externes communs, comme il en existe dans le syndrome de Down. Les

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Comment pense une personne autiste ?

personnes souffrant de ce syndrome ont toutes plus ou moins la même physionomie, elles se ressemblent physiquement. Ce que les personnes atteintes d’autisme partagent, ce qui différencie l’autisme des autres handicaps se trouve à l’intérieur d’ellesmêmes : les personnes autistes pensent différemment des personnes sans autisme. L’essence de l’autisme ne réside pas dans les manifestations comportementales extérieures à l’individu, elle n’est pas directement apparente. Il s’agit d’un problème d’attribution de signification. Ce problème se retrouve chez toutes les personnes atteintes d’autisme et la façon dont ce problème se manifeste (dans le comportement) vers l’extérieur peut prendre des aspects très différents. Qui veut mieux comprendre le phénomène de l’autisme doit se concentrer sur son aspect interne. Nous devons nous déplacer dans le cerveau d’une personne autiste pour essayer de saisir sa façon de penser, de comprendre comment elle traite — d’une tout autre façon que nous — ce qu’elle voit, entend et ressent. C’est pourquoi la compréhension de la pensée autistique est l’élément de base pour comprendre et aider ceux qui souffrent d’autisme. Ce n’est que récemment, depuis les années quatre-vingt, que les scientifiques se sont mis à étudier de façon intensive la pensée autistique. Grâce à ces recherches, la connaissance de l’autisme est entrée dans une nouvelle ère. Les idées de ces scientifiques sont d’ailleurs confirmées par la base. Ces dernières années, des personnes autistes écrivent et racontent elles-mêmes leur handicap, leur façon de vivre (de se comporter dans la vie). Leurs témoignages confirment les résultats des recherches scientifiques. Le moment est venu de traduire ces découvertes scientifiques sur la pensée autistique en applications concrètes. Ce livre en est le premier pas. Je voudrais essayer dans ces pages de résumer à la fois les récents apports scientifiques et les témoignages de personnes atteintes d’autisme. Mais il est impossible de décrire tous les aspects de la pensée autistique. J’en retirerai donc — à mon sens — l’essentiel : le manque de « pensée cohérente3 ». Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à considérer le monde comme un ensemble cohérent, elles prennent les détails pour des données isolées. Pour elles, l’arbre cache la forêt. Actuellement, il n’est pas évident de mesurer au travers des déclarations des personnes autistes l’importance de la découverte du manque de pensée cohérente4 .

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1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur »

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Ces nouveaux apports n’arrivent pas à reconstituer le puzzle dans son intégralité, mais une grande partie en devient visible. Je ne présenterai donc pas, dans ce livre, une théorie générale sur l’autisme. Ce n’est pas mon objectif. Ce livre n’est ni un livre scientifique, ni un mode d’emploi, ni un livre d’études avec tableaux et statistiques, bien que les notes finales se réfèrent à la littérature spécialisée. Ce livre est plutôt un carnet de bord, une prise de contact avec cet autre monde, une sorte d’album qui décrit les méandres de la pensée particulière aux personnes autistes. Tout comme un carnet de bord, il est illustré d’anecdotes tirées du monde des personnes souffrant d’autisme. Le but de ce livre est de donner au lecteur un éclairage sur un aspect essentiel de l’autisme : la manière singulière de traiter les informations. Et ce, sous toutes les apparences que prend l’autisme : d’un autisme sévère avec handicap mental jusqu’aux troubles cohérents combinés à une bonne intelligence. Le paysage complet de l’autisme : terne et capricieux à la fois. Ce livre se démarque également d’un autre point de vue des livres classiques sur l’autisme. Au lieu de proposer des exposés traditionnels et théoriques, des descriptions de cas ou un résumé de la littérature, j’ai choisi un autre moyen de présenter l’autisme : l’analogie. Deux choses sont analogues lorsqu’elles ne sont pas entièrement identiques mais qu’elles se ressemblent. J’ai choisi deux analogies : l’ordinateur et les blagues. « Si tu me décris moi-même comme si j’étais un ordinateur, alors je comprendrai mieux. » C’est ce que disait un jeune autiste à son tuteur, un professeur spécialisé en autisme de l’université de Leiden aux Pays-Bas. Par cette expression, le jeune homme faisait comprendre que l’ordinateur offrait une meilleure compréhension face à ce handicap troublant. Cette anecdote n’est pas la seule motivation qui m’a fait choisir l’ordinateur comme modèle pour traiter la pensée autistique. Mon expérience personnelle m’a permis de découvrir que travailler avec un ordinateur ressemble étrangement à travailler avec des personnes autistes. Si un de mes collègues a un problème avec un ordinateur, je lui dis en souriant : « Tu dois l’approcher comme une personne atteinte d’autisme : donne-lui des instructions claires et concrètes, et ça marchera. » Mais il y a plus. Comme je m’intéresse depuis des années à tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle, les similitudes entre

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Comment pense une personne autiste ?

la logique informatique et la pensée autistique me sont apparues de plus en plus nombreuses et évidentes5 . Quand je parcours un livre parlant d’intelligence artificielle, j’ai souvent l’impression de tenir en mains un livre sur l’autisme. Au fil de mes lectures, je pense très souvent « Mais je connais ça ! » ou je me dis que : « Les ordinateurs ont des problèmes avec l’esprit des choses : ils préfèrent prendre tout à la lettre6 . » On dit de même pour les personnes atteintes d’autisme. Lorsque la chaire d’autisme a été offerte au Dr Prof. Ina van Berckelaer-Onnes, de l’université de Leiden — à laquelle le jeune autiste avait demandé de lui expliquer ses problèmes comme s’il était un ordinateur — elle a donné à son discours d’introduction le titre : « Autisme, vivre au pied de la lettre7 . » Deux fois la même idée : la littéralité. C’est cette littéralité qui est le point commun entre la logique informatique et la pensée autistique. La seconde analogie se situe plutôt aux antipodes de la première. Pas de comparaison avec la pensée mécanique, mais seulement avec ce qui constitue l’essence de l’intelligence humaine, quelque chose de « plaisant » : l’humour8 . Les ordinateurs n’arrivent pas à inventer de bonnes blagues et ne le sauront jamais. De même, les personnes autistes ne comprennent pas suffisamment les commentaires et les attitudes empreintes d’humour des personnes sans autisme. Mais, sans le savoir, leur propre comportement est parfois amusant. Beaucoup d’anecdotes circulant sur les personnes autistes sont de « comiques » histoires drôles. De plus, leur façon de se comporter est souvent à l’origine de la « chute » de ces blagues. Des anecdotes ou des plaisanteries peuvent éclairer l’autisme d’une autre manière et ainsi le rendre plus compréhensible. Le choix d’une analogie avec l’ordinateur et de l’humour n’est pas aussi évident. C’est un choix controversable et j’en suis conscient. Associer autisme à ordinateur pourrait être considéré comme dévalorisant pour la pensée autistique en particulier et pour les personnes autistes dans leur ensemble. Les individus, atteints d’autisme ou non, ont une tout autre valeur qu’un ordinateur. Pour moi les ordinateurs ne sont que de (stupides) machines, alors que les personnes atteintes d’autisme sont des êtres humains, avec un cœur et non un processeur Pentium. Elles ne sont pas moins humaines, même si leur pensée se rapproche de celle d’un ordinateur. Au contraire, la pensée autistique témoigne d’une certaine forme de créativité et de génie dont la plupart des personnes sans autisme pourraient rêver. Avec le temps,

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1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur »

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il a été avéré que divers artistes et génies célèbres comme Satie, Bartok, Bruckner et Kandinsky souffraient d’autisme9 . L’autisme n’a rien de dévalorisant, c’est une autre manière d’être. Et c’est un défi pour chacun de nous de construire une société dans laquelle cette forme d’esprit recevra une digne place. Expliquer l’autisme par la plaisanterie est encore plus discutable. L’autisme est un handicap très sérieux. Les personnes atteintes d’autisme et leur proche entourage, ont des difficultés à cohabiter dans notre société. Même les spécialistes et professionnels de l’autisme restent parfois si perplexes qu’ils ne peuvent leur venir en aide. N’est-ce pas alors déplacé de raconter des blagues sur un sujet aussi sérieux ? En choisissant un angle humoristique, mon objectif est double. Tout d’abord, un grand personnage a dit un jour : « Ce qui ne peut être exprimé de façon drôle n’est pas sérieux ». L’autisme, je suis d’accord, est un trouble très sérieux. Mais l’autisme est plus que cela et les personnes autistes sont plus que leur handicap. Les individus souffrant d’autisme sont avant tout « différents ». Ils sont des hommes à leur manière et comme tous les hommes, ils ont leurs limites et leurs possibilités. Et à condition d’être bien accompagnés, ils sont capables de beaucoup. Celui qui considère l’autisme trop sérieusement, qui n’en voit que les points négatifs et non les points positifs, doit être énormément frustré. Si nous ne pouvons pas en rire de temps en temps, c’est que nous ne prenons pas l’autisme au sérieux. De plus, l’autisme doit être relativisé d’une autre façon. Aussi difficile et surprenant que soit ce handicap, pour la personne autiste elle-même et pour son entourage, ce phénomène n’est pas si éloigné que certains le pensent. Chacun de nous a un peu d’autisme en soi. La comparaison avec l’ordinateur et l’humour devrait nous montrer que l’autisme n’est pas aussi étrange qu’il semble à première vue. Dans l’autisme, nous retrouvons des parcelles de nous-mêmes vues à travers une loupe. Les blagues contenues dans ce livre sont un peu à l’image des miroirs déformants de nos fêtes foraines. Elles montrent l’autisme qui est en nous mais grossi, un peu plus rond, un peu plus long. La référence à l’ordinateur et aux plaisanteries ne dégrade pas l’autisme. Il n’est pas question de réduire le sérieux de ce handicap. J’ai essayé d’illustrer de cette manière la pensée autistique pour la rendre accessible aux profanes. Le renvoi à l’ordinateur rend la pensée autistique plus concrète, l’humour en donne un visage plus

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Comment pense une personne autiste ?

humain. La référence aux ordinateurs rend la pensée autistique plus concrète, les plaisanteries humanisent le tout. De toute chose il faut savoir soit rire soit pleurer, écrivait déjà Sénèque, ministre du sinistre empereur romain Néron, au début de notre ère. Il ne faut pas que pleurer de l’autisme...

2 Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme

qui souffrent de troubles du spectre autistique manquent de sens de l’humour. J’entends et je lis souvent ce constat qui semble être une croyance commune. Déjà dans les premières publications sur l’autisme, nous pouvons lire que l’humour est bien loin des capacités d’un esprit autistique. Hans Asperger a noté que les personnes autistes « n’atteignent jamais cette sagesse particulière et la compréhension humaine, intuitive et profonde qui sous-tendent l’humour authentique1 ». En effet, il arrive fréquemment que les personnes autistes soient elles-mêmes déroutées et étonnées par l’utilisation que font de l’humour les personnes non autistes. Ceci est bien souvent une conséquence des problèmes de communication impliqués dans l’autisme. Un sens de l’humour dépend en effet de la capacité à comprendre le jeu complexe du langage, surtout de la capacité à « lire entre les lignes ». Dans l’humour il y a beaucoup de non-dits2 . Si vous écoutez seulement ce qui est dit, la plupart des plaisanteries n’ont pas de sens. Mais les difficultés que rencontrent les personnes autistes face à l’humour résident aussi dans l’altération des aspects sociaux de la communication, appelés « pragmatique de la communication ». La compréhension de l’humour exige une certaine sensibilité sociale.

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L

ES PERSONNES

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Comment pense une personne autiste ?

Sans cette sensibilité sociale, il est difficile notamment de comprendre l’ironie. Les remarques ironiques sont caractérisées par le fait que ce que la personne dit ne correspond pas à ce qu’elle veut dire. Le véritable sens d’une remarque ironique ne réside pas dans les mots utilisés mais dans les intentions de la personne qui l’exprime. Afin de comprendre l’ironie nous devons souvent entendre le contraire de ce que nous entendons réellement. Ceci est très difficile pour les personnes atteintes d’autisme. À leurs yeux, dire : « Il fait encore un temps agréable aujourd’hui ! », quand c’est le septième jour de pluie d’affilée... n’a pas de sens. À moins qu’elles n’aient appris que les gens utilisent cette remarque pour exprimer leur désappointement ou leur frustration, les personnes autistes ne comprennent pas pourquoi on peut dire de telles choses quand, en fait, le temps est épouvantable. Dans leur logique, cela n’a rien de drôle. C’est illogique et faux. De plus, notre humour « non autistique » exige beaucoup d’imagination et de souplesse, deux capacités qui leur causent bien du souci. Pourtant, il n’est de pas vrai que les personnes atteintes d’autisme manquent de sens de l’humour. N’importe quel familier des troubles du spectre autistique confirmera que les personnes autistes peuvent apprécier l’humour et qu’elles peuvent même le créer. Mais chez la plupart d’entre elles, l’humour a tendance à être une « banana-skin variety3 ». Beaucoup d’enfants et d’adultes autistes aiment la comédie burlesque et les plaisanteries simples, surtout si la déformation insolite est très concrète et visuelle. Les personnes autistes, contrairement à ce qui est généralement avancé, ont de l’imagination. Cependant, leur imagination est plus concrète que celle des individus non autistes et leur niveau d’imagination est souvent plus faible en raison du retard mental associé à l’autisme. Aussi longtemps que le manque d’harmonie entre une plaisanterie et la réalité reste très visuel et explicitement bizarre, beaucoup de personnes atteintes d’autisme peuvent comprendre et apprécier les plaisanteries. Je me souviens d’un garçon autiste qui s’est mis à rire de façon irrésistible quand il m’a vu avec un parapluie. Le parapluie, associé à mon prénom, lui a rappelé une scène du film La Panthère rose avec Peter Sellers. Depuis lors, il m’appelle Peter Sellers et quand il le fait, il ne peut s’empêcher de rire. L’humour le plus subtil comme les métaphores et l’ironie est par contre pour eux nettement plus difficile parce qu’il ne

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2. Originalité inattendue

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s’ajuste pas à leur style cognitif spécifique. Cependant, les individus autistes les plus compétents sont capables d’une compréhension plus subtile d’un humour verbal et abstrait. Quelques enfants autistes aiment les jeux de mots par exemple. En travaillant avec des adultes atteints d’autisme j’adopte parfois un style autistique et donc une vision littérale des choses. Beaucoup d’entre eux aiment quand je procède de cette façon, surtout lorsque j’exagère pour qu’il apparaisse clairement que je plaisante. Les personnes autistes, surtout les plus compétentes, sont également capables d’une gamme étendue de réponses amusantes4 . De plus, l’humour détient le pouvoir considérable d’enrichir la vie des personnes autistes. Il peut arrondir les angles de leur dure existence et de celles de leurs parents et soignants. Il peut même être utilisé dans l’éducation des enfants atteints d’autisme. Cultiver leur sens de l’humour peut être utile pour accroître leur flexibilité et leur empathie sociale5 . Asperger a noté aussi que les individus autistes ne comprennent pas les blagues, « surtout s’ils ont l’impression qu’on se moque d’eux6 ». Si ceci est vrai, les personnes autistes qui lisent ce livre se sentiront gênées et peut-être offensées car il est plein d’anecdotes amusantes les concernant. L’humour peut être en effet une façon astucieuse et « non autistique » de faire remarquer les défauts d’autres personnes et est donc, dans ce cas, cause d’embarras. Ceci n’est pas la façon dont l’humour est utilisé dans ce livre. Il est plutôt employé comme une espiègle confrontation des différences entre un « style autistique » et un « style non autistique » de compréhension et de réaction. L’humour commence quand le comportement d’un individu est perçu comme particulier. Nous qualifions souvent le comportement de personnes atteintes d’autisme de particulier ou de bizarre, alors qu’il nous en apprend autant sur « nos » propres normes que sur leur comportement. Ce que nous définissons comme particulier ou différent dépend, en effet, de notre cadre de référence. Nous pourrions facilement changer de perspective. En d’autres termes, si nous trouvons parfois le comportement autistique amusant, la même chose doit être vraie du point de vue des personnes autistes. Percevant et comprenant le monde différemment de nous, elles peuvent trouver notre comportement non seulement compliqué et incompréhensible mais parfois aussi bizarre et drôle. Ce pourrait être amusant si ce livre était réécrit par une personne autiste, expliquant la pensée

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« non autistique » illustrée par des anecdotes de réactions « non autistiques » bizarres7 . À vrai dire, plusieurs plaisanteries contenues dans ce livre pourraient être interprétées comme des histoires drôles du monde « non autistique ». Par exemple, il est avancé aujourd’hui que les personnes atteintes d’autisme souffrent de cécité mentale et manquent donc de théorie de l’esprit8 . Cette déficience est souvent à l’origine d’anecdotes amusantes, comme nous le verrons plus loin. Mais avoir (trop) de théorie de l’esprit peut l’être tout autant... Le fils. — Père, aujourd’hui j’ai demandé à Sarah de m’épouser. Savez-vous ce qu’elle a répondu ? Le père. — Non. Le fils. — Mais, comment le savez-vous ?

L’humour est souvent la conséquence de l’interprétation d’une situation dans une perspective nouvelle, différente et inattendue. Et tout dépend de la perspective dans laquelle on se place. Donc, le comportement autistique peut être aussi étonnant et drôle pour nous que notre comportement peut l’être pour les personnes autistes. L’humour peut être utilisé comme une arme, pour ridiculiser ou taquiner d’autres personnes. Dans ce livre, je poursuis le but opposé, à savoir : désarmer. En effet, en relatant des anecdotes amusantes, je veux désamorcer la vision trop souvent négative de l’autisme. Si l’humour résulte de l’inattendu, ceci ne signifie pas nécessairement que ce qui est différent et inattendu devrait être qualifié d’inférieur ou de déficient. L’humour est également utilisé dans ce livre pour souligner l’originalité de la pensée autistique qui rend souvent le comportement des personnes autistes si déconcertant pour les personnes dites normales. L’humour peut nous aider à acquérir une attitude plus positive envers l’autisme. Après tout, la résistance au changement de nos idées sur l’autisme est quelquefois plus forte que la résistance au changement constatée chez les personnes atteintes de ce trouble. Un jeune homme autiste l’a lui-même noté et la manière dont il le formule tend à démontrer deux faits : 1) les personnes autistes peuvent avoir un permis de conduire et 2) les personnes autistes ont le sens de l’humour : « En mai 1989 j’ai conduit 1 200 miles pour assister à la 10e conférence annuelle TEACCH, où j’ai appris que les personnes autistes ne peuvent pas conduire9 ... »

2. Originalité inattendue

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C’est ce genre d’originalité inattendue qui unit humour et autisme. Mais aussi humour et ordinateurs...

3 Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence artificielle

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H UMOUR ET CONTEXTE En 1900, le philosophe français, Henri Bergson, publiait un essai sur l’humour : Le Rire. Bergson est devenu célèbre grâce à cette œuvre qui développait une théorie simple : un comportement devient comique quand l’homme se conduit comme un automate. Le rire éclate quand le comportement mécanique prend la place du comportement humain. Quand Laurel et Hardy, dans La Légion étrangère, continuent à marcher tout droit — comme s’ils étaient programmés — alors que le reste du peloton tourne à gauche, nous nous mettons à rire. Il y a naturellement beaucoup d’autres matières comiques. Une bonne blague, un dessin animé amusant, un sketch comique. Ils doivent leur puissance humoristique au fait qu’ils ne répondent pas aux attentes humaines habituelles. Nous appelons cela la chute. Une bonne plaisanterie a une bonne chute. La chute d’une blague est comme un aiguillage. Au moment où notre esprit s’attend à une réponse logique, une autre voie apparaît soudain et de façon abrupte. Les bonnes blagues choquent notre attente normale. L’absurdité est

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Comment pense une personne autiste ?

essentielle à la plaisanterie1 . Là où nous attendons une réaction humaine prévisible survient une réaction inattendue. Le coiffeur. — Comment Monsieur voudrait-il que je coupe ses cheveux ? Le client. — En silence !

La réponse du client n’est pas celle que l’on attendait. La pensée humaine commune voudrait que le « comment » de la question se rapporte à la coupe. Or le client du salon de coiffure ne parle pas de la coupe (logique dans ce contexte) mais du bavardage du coiffeur. Beaucoup de plaisanteries reposent sur des significations multiples et sur l’ambiguïté. L’humour naît au moment où on prend la liberté de jouer avec le sens des choses. Soudain, la réaction « normale » est remplacée par un autre élément. L’image de la situation que nous avions construite ne correspond plus. Une autre voie a été choisie. Cette voie peut être une moquerie, une exagération, une relativisation, un non sens... Mais dans beaucoup de plaisanteries, il s’agit d’une voie qui témoigne d’une pensée mécanique ou d’un comportement automatisé. Une autre signification que celle attendue est introduite : la relation normale et logique avec le contexte est alors brisée. À la place surgit une association absurde. « L’absurdité d’une blague est engendrée par la tendance qu’a le cerveau à attribuer un sens aux choses observées2 . » Nous prêtons spontanément un sens à nos perceptions. Ces significations prennent forme parce que nous plaçons ce que nous percevons dans un ensemble : le contexte. Chaque élément perçu est intégré dans un ensemble cohérent. Nous sommes habitués à découvrir cette cohérence et nous nous attendons à la rencontrer. Les situations deviennent amusantes quand se brise la cohérence attendue et que se met en place un accord de sens inhabituel, « non humain » et mécanique. Les événements, les comportements, les mots sont interprétés de façon différente. Nous les détachons de la cohésion du contexte et ils prennent alors une tout autre signification. Le garçon. — Comment avez-vous trouvé votre steak ? Le client. — Oh ! Par hasard... sous une frite. L’agent. — Savez-vous ce que veut dire ce panneau ? Le chauffeur. — Non, mais vous pouvez toujours le demander à quelqu’un d’autre.

3. Mécanique amusante

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Le client. — Garçon, que fait cette mouche dans mon potage ? Le garçon. — Elle nage sur le dos, monsieur.

L’interprétation mécanique des choses est une source d’inspiration bienvenue pour les auteurs de blagues. À l’instar de Bergson, nous pourrions ajouter : nous rions quand la pensée mécanique prend la place de la pensée humaine. Lorsque des familiers de personnes atteintes d’autisme entendent une blague faisant appel à la pensée ou au comportement mécanique, ils se disent très souvent : « Tiens, une personne autiste ferait ou dirait la même chose ! » Ça fait déjà douze ans que je prends ce tram. Et dans quelle station êtes-vous monté il y a douze ans ?

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Le comportement des personnes autistes est parfois amusant parce qu’elles ont du mal à dissocier plusieurs significations. Elles interprètent très souvent les choses de façon mécanique, purement littérale. C’est pourquoi leur pensée est parfois si étrange et si absurde. L’autisme est un handicap sérieux, mais qui peut parfois être très drôle parce que les personnes atteintes d’autisme ne perçoivent pas le monde de la même façon que nous. Dans leur monde, il n’y a pas cette cohérence humaine attendue. Il s’agit plutôt d’un monde formé de détails particuliers ou de faits indépendants. Les individus autistes ne font pas preuve de sens commun dont ils ne comprennent pas la signification, mais plutôt de sens mécanique. Ceci se traduit en comportements automatiques amusants que nous retrouvons chez les automates, les robots ou les ordinateurs.

I NTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CONTEXTE « À en fait moins de mal à calculer la trajectoire d’un engin spatial qu’à mener une conversation normale, non structurée... » : un extrait d’un rapport concernant une personne atteinte d’autisme ? non. La citation n’a rien à voir avec l’autisme. Il s’agit d’un ordinateur3 ... Depuis des années, les chercheurs en informatique sont à la recherche d’un ordinateur qui soit aussi intelligent que l’homme, un ordinateur qui sache traduire, converser de façon naturelle, prendre des décisions, évaluer les situations, etc. Ces chercheurs essaient de créer, à côté de l’intelligence humaine, une « intelligence artificielle » : celle de l’ordinateur. Pour estimer si un logiciel est aussi intelligent que l’homme, on lui fait passer un test appelé test

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de Turing. Il s’agit de voir si l’ordinateur est capable de converser couramment avec une personne dans une langue commune. Il ne doit donc pas y avoir de différence entre le langage utilisé et le « raisonnement » de l’ordinateur et le langage et le raisonnement de la personne. L’ordinateur doit pouvoir répondre de telle sorte que la personne qui pose les questions (et se trouve dans une autre pièce) ne puisse se rendre compte si elle converse avec un ordinateur ou un autre individu. Jusqu’à présent, aucun ordinateur n’a réussi ce test. Des ordinateurs auxquels l’homme peut s’adresser dans une langue usuelle existent, mais avoir une véritable conversation réelle, normale avec un ordinateur relève encore du futur. Pour le moment, nous ne devons pas encore redouter d’être remplacés par des robots : le cerveau humain leur est encore bien supérieur. En effet, pour réussir le test de Turing, il ne suffit pas d’insérer un nombre impressionnant d’informations pratiques et quotidiennes dans un système formel (on ne met pas de moutarde sur une banane ou dans les chaussures, les chats ne se développent pas sur les arbres, les vêtements de pluie ne sont pas fabriqués avec de la pluie), il convient aussi de rédiger des règles afin de nuancer le sens des mots en fonction du contexte dans lequel ils sont utilisés. Et c’est là que le bât blesse. L’ordinateur ne connaît que des relations à sens unique. Chaque symbole, chaque mot, chaque instruction, chaque impulsion ne peut prendre qu’un seul sens. Chaque chose à sa place (et dans ce cas, à prendre de façon très littérale). C’est là que l’ordinateur diffère de l’homme : il ne peut manier plusieurs sens. Si diverses significations sont associées à une même réalité, il est déboussolé, il fait « tilt ». Notre monde, celui des êtres humains, est un monde rempli d’éléments à sens multiples. Un concept aussi simple que celui de « feuille » peut se rapporter à diverses réalités. Comment un robot ou un ordinateur pourrait-il interpréter correctement l’instruction « Donne-moi une feuille » sans connaître le contexte de la tâche à effectuer ? Le sens du mot « feuille » dépend en effet du contexte dans lequel il est utilisé. Si le contexte est le bureau, on parlera d’une feuille de papier. Mais se pose alors la question suivante : quelle sorte de feuille ? En langue flamande, la « feuille » peut aussi signifier un rouleau de cuisine et pendant la promenade, l’instituteur parlera de la feuille du châtaignier autour duquel les enfants sont réunis. Et cependant, nous ne parlons ici que de « mots ». Le comportement humain est bien plus complexe

3. Mécanique amusante

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encore ! Il nous est impossible de le comprendre si nous ne pouvons le placer dans le contexte approprié. Que signifie une main levée ? stop ? bonjour ? un salut ? je souhaiterais poser une question ? Le geste de la main levée ne devient clair que si nous pouvons le placer dans le contexte adéquat. En effet, si dans ce contexte apparaissent un uniforme, un regard sévère et une moustache de gendarme, nous savons qu’il ne s’agit ni d’un salut ni d’une simple question. Dans ce contexte, nous nous arrêtons. Aussi longtemps que l’ordinateur ne pourra comprendre ces nuances de sens, il restera plus bête que l’homme. Et cette bêtise générera parfois des situations amusantes pour l’homme à l’intelligence plus subtile. Un groupe d’ingénieurs informaticiens avait inventé un logiciel de traduction russe-anglais et anglais-russe. Ces ingénieurs ont demandé à l’ordinateur de traduire la phrase suivante : « The spirit is willing but the flesh is weak » (« L’esprit est docile mais la chair est faible ») d’abord en russe et puis de nouveau en anglais. Le résultat fut : « La vodka est bonne mais la viande est trop dure. » L’informaticien Gilbert Bohuslav avait développé un ordinateur DEC11/70 qu’il croyait capable d’écrire une histoire de cow-boys. Il s’agissait en effet de l’ordinateur le plus performant du collège Brazosport de Houston au Texas. L’ordinateur avait prouvé qu’il maîtrisait parfaitement le jeu d’échecs. Le jeune programmeur a donc introduit le vocabulaire le plus employé dans les films de cow-boys qu’il avait eu l’occasion de voir. DEC commença son travail et inventa l’histoire suivante : Tex Doe, le shérif de Harry City entra dans la ville. Assis sur sa selle, il avait faim et se tenait sur ses gardes. Il savait que son ennemi sexy, Alphonse le Kid, était là. Le kid était amoureux du cheval texan Marion. Tout à coup, le Kid sortit du bar Au lingot d’or. Dégaine, Tex, lui ordonna-t-il. Tex se précipita sur sa fille, mais avant qu’il ne puisse la sortir de sa voiture, le Kid tira et Tex fut touché à son éléphant et à la toundra. Pendant qu’il tombait, Tex sortit son propre échiquier et tira trente-cinq fois sur le roi du Kid. Le kid tomba dans une mare de whisky. « Aha, dit Tex, je ne voulais pas le faire mais il se tenait du mauvais côté de la reine. » Bohuslav abandonna son expérience et s’en tint au jeu d’échecs4 .

Ce genre d’activités, comme la traduction efficace d’un texte d’une langue dans une autre ou la création de romans, fait partie des performances qu’un ordinateur ne peut encore accomplir. Pour cela, il lui manque l’intelligence « réelle » que possèdent les hommes. Cette forme d’intelligence est appelée « intelligence intégrante5 ». Un individu possédant une telle intelligence est capable de former un ensemble cohérent à partir de nombreux détails dont il dispose. Il peut intégrer ces détails grâce à sa capacité de choisir leur signification correcte parmi les différents sens qui s’offrent à lui (comme

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le mot « feuille », une main levée, un feu rouge) en cohérence avec d’autres détails, dans un contexte précis. Robots et ordinateurs peuvent être très doués, mais leur intelligence intégrante est encore très pauvre. C’est pourquoi leur « comportement » est absurde. Après avoir payé sa note d’hôtel, un client sur le point de partir demande au robot : « Vite robot, va regarder dans la chambre 27 si je n’y ai pas laissé mon pyjama et mon rasoir. Mais dépêche-toi, s’il te plaît, car mon train part dans dix minutes. Quatre minutes plus tard, le robot revient et dit : « Oui monsieur, vous les y avez laissés, tous les deux. »

N’est-ce pas une situation semblable à celles que l’on peut rencontrer auprès de personnes autistes ? L’anecdote suivante est tirée d’un livre sur l’autisme :

Librement interprété de U. Frith (1996) 6 Dans les anecdotes concernant les personnes atteintes d’autisme, nous retrouvons souvent ce comportement absurde et amusant des robots et ordinateurs. Pouvons-nous donc dire qu’elles présentent des similitudes avec les robots ? Il arrive, après la visite d’une classe pour enfants autistes, que des gens peu informés des problèmes de l’autisme avancent cette remarque : « Mais ils en font des robots ! » Ils pensent que le comportement mécanique des enfants

3. Mécanique amusante

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est la conséquence de notre approche spécifique. N’est-ce pas plutôt le contraire ? Si les personnes atteintes d’autisme traitent les informations comme le font les robots et les ordinateurs, il est alors normal que l’approche, adaptée à leur façon de penser, soit perçue comme mécanique. Est-ce l’écriture Braille qui rend les gens aveugles ou existe-t-elle parce que certaines personnes sont aveugles ? D’où vient cette comparaison entre ordinateur et autisme ? La façon de penser des personnes atteintes d’autisme n’est évidemment pas identique à celle des ordinateurs. Mais le cerveau « autistique » a en commun avec le cerveau informatique le manque d’intelligence intégrante. À propos de l’autisme on ne parlera pas d’intelligence intégrante mais plutôt de cohérence centrale. Comme les ordinateurs, les personnes atteintes d’autisme ont beaucoup de mal à intégrer les détails et à leur prêter un sens à partir de la cohérence du contexte. Tout comme les ordinateurs, elles peuvent posséder beaucoup de connaissances et de capacités mais évaluer différentes significations reste pour elles extrêmement difficile. «... A, en fait, beaucoup moins de mal à effectuer, par exemple, des multiplications compliquées, à compter le nombre de cure-dents assemblés en un tas ou à retenir les cartes d’un jeu que de mener une simple conversation non structurée... » : non, il ne s’agit pas d’un ordinateur. C’est la description d’une personne souffrant d’autisme : Rainman.

4 Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence autistique (1)

traverse la rue. À mi-chemin du passage pour piétons, le feu vire au rouge. Sur le feu de signalisation est écrit « DON’T WALK » (« Stop »). L’homme, étonné, reste sur place. Il ne fait aucun pas même lorsque les voitures démarrent. Les conducteurs se mettent à klaxonner. L’homme est figé au milieu de la rue, à mi-chemin du passage pour piétons. Un chauffeur sort de sa voiture et se met à l’invectiver. L’homme s’embrouille... Cette scène est tirée du film Rain Man. L’homme qui s’arrête au milieu du passage pour piétons s’appelle Raymond Babbit (remarquablement interprété par Dustin Hoffman). Raymond Babbit est autiste. Il a beaucoup de mal à interpréter le sens approprié des choses, d’où son comportement bizarre et absurde, parfois spectaculaire, parfois émouvant, parfois drôle, parfois les trois à la fois. L’autisme est source d’émotions. La scène est amusante par le sens littéral avec lequel Rainman traite la perception des feux de signalisation pour piétons « DON’T WALK ». La pensée des personnes atteintes d’autisme, comme celle des ordinateurs, est « unirelationnelle ». Les nuances et la diversité de sens sont trop compliquées

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pour leur fonctionnement cérébral car elles manquent d’imagination. Pour Rainman, les choses sont ce qu’elles sont et rien d’autre. Et pourtant, dans notre monde, les choses sont loin d’être toujours ce qu’elles semblent être. La signification de ce que nous percevons change continuellement. Tout dépend du contexte dans lequel nous le percevons. Et comble de malheur pour la personne autiste, ces contextes changent eux aussi continuellement. Notre monde, comme le dit Théo Peeters1 , est pour les personnes atteintes d’autisme un monde surréaliste. L’expérience que nous avons vécue devient de l’art surréaliste. Une réflexion telle que : « Je vois tellement de choses, mais je n’y comprends rien ! Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? » est monnaie courante chez les personnes autistes. Nos cellules grises traitent nos impressions (perceptions) d’une manière qui va bien au-delà des apparences. Nous ne restons pas attachés à la perception de détails isolés. Nous sommes capables de nous détacher de la perception immédiate et concrète pour considérer le contexte à un niveau supérieur. Nous avons tendance à intégrer nos impressions pour en faire un ensemble cohérent. Nous allons même plus loin que l’intégration de perceptions concrètes. Nous faisons aussi appel à notre imagination et tenons compte de ce qui n’est pas directement perceptible2 . Nous intégrons donc ce que nous percevons et même ce que nous ne percevons pas et nous sommes ainsi capables d’assembler des significations à un niveau très élevé. Nous saisissons mieux les éléments isolés à partir du moment où nous comprenons l’ensemble dans sa cohérence. C’est alors seulement que les détails isolés, les perceptions concrètes prennent leur sens. Uta Frith3 , qui a introduit le thème de la cohérence centrale dans les théories sur l’autisme, donne une explication très claire de cette compétence. Quand on place un morceau de puzzle à côté d’un autre il devient un morceau du puzzle. Une fois que ce fragment a pris sa place dans un ensemble : le puzzle, il perd sa signification en tant que détail isolé et prend un tout autre sens. Un morceau « de couleur rose » devient subitement « l’oreille de Blanche-Neige ». La perception littérale et concrète (rose) a fait place à un sens « intelligible » dans un grand ensemble cohérent (une partie du corps de Blanche-Neige). Ci-après, vous pouvez évaluer votre propre capacité de cohérence centrale. Regardez bien :

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4. Il faut s’arrêter au feu rouge

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Ces signes, étranges au premier coup d’œil, prennent très vite un sens qui découle du contexte. Notre esprit essaie de faire de notre perception un ensemble cohérent ; c’est pourquoi nous lisons « LA HONTE ». Ces lignes bizarres reçoivent un sens sur base du contexte. Nous lisons les lettres A et H. Nous remarquons donc immédiatement comment, selon le contexte, un seul et même stimulus (il s’agit de deux signes identiques) peut prendre deux significations. Si au premier abord nous voyons un A, au second, le même signe devient un H. À partir du contexte, nous créons quelque chose de sensé. La cohérence centrale semble être une notion difficile mais, en pratique, nous utilisons tous très spontanément notre capacité à créer de la cohésion et ce, sans faire trop d’efforts. Et plus encore, notre tendance à prêter un sens sur base de la cohérence du contexte est si fortement ancrée en nous que nous devons faire un effort pour percevoir les détails de façon littérale. Une fois que nous aurons reconnu le mot « LA HONTE », il nous sera très difficile de voir dans ces signes étranges autre chose qu’un A et un H. Essayez de lire : « LH AONTE ». Difficile, n’est-ce pas ? Intégrer des éléments isolés dans un ensemble plus grand est la manière habituelle de traiter des impressions et des informations. Nous savons intuitivement qu’une perception peut avoir plusieurs sens et que nous devons procéder à partir de la cohérence du contexte pour vraiment comprendre ce que nous percevons. Reprenons l’exemple du feu de signalisation pour piétons : « DON’T WALK ». Que signifie « DON’T WALK » ? Et que signifie un feu rouge pour piétons ? C’est simple. Spontanément nous pensons : « Stop » et cela paraît évident. Mais un feu rouge pour piétons veut-il toujours dire « stop » ? Devons-nous toujours rester sur place quand le feu est rouge ? N’y a-t-il qu’un seul sens ? Non, car la signification d’un feu rouge pour piétons dépend du contexte. Plus précisément où nous nous trouvons et surtout à quelle étape de la traversée nous sommes. Si nous sommes encore sur le trottoir et que nous ne nous sommes pas encore engagés, le feu

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rouge signifie « stop », « restez sur place », « ne bougez pas ». Mais... si nous sommes à mi-chemin du passage et que le stimulus du feu rouge apparaît, nous nous trouvons dans un autre contexte et le feu rouge prend alors un autre sens. Ce signe ne veut plus dire « stop » ou « ne bougez plus ». Au contraire, dans ce contexte, le feu rouge nous incitera même à nous dépêcher d’avancer et prendra la signification suivante : « Dépêchez-vous, les voitures vont démarrer. » À ce moment-là, il n’y aura pas de cellule grise pour nous inciter à prendre en considération la première signification (stop) et donc à rester sur place. Un feu rouge signifie aussi bien « stop » que « avancez ». Tout est dans le contexte. Quand des individus non autistes voient un feu rouge, ils tiennent compte du contexte approprié et savent s’ils doivent s’arrêter ou se dépêcher de traverser. Et s’ils traversent malgré le feu rouge, ce n’est pas qu’ils ont mal compris le sens. Ils ont effectivement enregistré le message mais ils décident de l’ignorer. On peut très souvent observer ce comportement. Mais rester au milieu du passage pour piétons parce que le feu est au rouge est un comportement absurde, étrange et fou qui ne se rencontre que dans les films. Et parce que ce comportement semble si fou, nous en rions. C’est amusant. C’est aussi autistique... Les personnes atteintes d’autisme manquent de cohérence centrale. Le traitement des perceptions se fait différemment. Leur cerveau traite les informations d’une autre façon, il est « programmé » autrement. Cette autre façon de traiter les informations se caractérise par la prise en considération de perceptions isolées et non par la recherche d’une cohésion4 . Les personnes atteintes d’autisme manquent d’imagination pour regarder plus loin que le petit détail (le feu rouge). Elles prêtent donc une signification à ce seul élément, dans une relation unidirectionnelle. Chaque détail est séparé des autres et a son propre sens. Une impression a un seul sens. Elles ont appris que rouge est synonyme de « stop », donc, quand elles voient un feu rouge, elles s’arrêtent. Les individus autistes doivent trouver absurde que rouge signifie une fois « stop » et la fois suivante « avancez » et cela leur procure un sentiment d’insécurité. Car si l’on n’est pas ou peu capable d’intégrer un contexte dans un sens approprié, comment savoir à quel moment il faut s’arrêter et à quel moment il faut traverser ? La définition de règles devrait apporter une solution.

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Règle 1 : vous êtes encore sur le trottoir et le feu rouge apparaît, vous ne bougez pas. Règle 2 : vous êtes engagé sur le passage et le feu rouge apparaît, vous vous dépêchez et traversez. Mais... Ces règles suffisent-elles ? Êtes-vous en sécurité ? N’y at-il donc que deux situations possibles ? La réalité est beaucoup plus complexe. Il y a beaucoup plus de deux situations à envisager. Si vous n’avez fait que deux ou trois pas pour traverser, que devezvous faire ? continuer à traverser ? rester sur place ? La décision que vous prendrez dépendra d’autres éléments du contexte : quelle est la largeur de la rue ? quelle est la densité de la circulation ? pourrais-je traverser en toute sécurité ? à nouveau, nous devons voir plus loin que l’expérience actuelle, car dans une telle situation, un feu rouge peut vouloir dire autre chose que s’arrêter ou traverser. Dans une rue large et encombrée, il peut signifier : « Revenez ! » Et que se passe-t-il en cas de panne, lorsque les feux restent au rouge ? Devez-vous rester sur place ? C’est ce qui arriva à Simon un jeune autiste qui voulait visiter les églises de Gand. En quittant la gare, les feux restèrent au rouge et Simon ne traversa pas. Finalement il revint vers la gare en maugréant : « M..., aujourd’hui je ne verrai ni la cathédrale Saint-Bavon ni les tours de Saint-Michel. » Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à gérer les nombreuses nuances de sens que peut prendre chaque chose dans notre monde. Pour elles, un feu rouge n’a qu’une seule signification : s’arrêter. Point final. Tout le reste est déstabilisant. C’est pourquoi elles restent à mi-chemin du passage pour piétons ou qu’elles ne traversent pas, comme Simon, et retournent chez elles, déçues de ne pas avoir vu les trésors artistiques de Gand. Les règles ne sont pas d’une grande aide car il est impossible d’établir des règles pour toutes les situations que peut engendrer un feu rouge. Même si à chaque situation imaginée correspond une règle, il faudra considérer l’exception, la situation non prévue pour laquelle aucune règle n’aura été formulée. La règle indispensable sur laquelle on peut se baser pour découvrir la juste signification. Les individus ne souffrant pas d’autisme n’ont pas besoin de ces règles parce qu’ils peuvent facilement prêter différentes significations à une perception. Ils ne s’arrêtent pas au sens littéral de leurs impressions. Ils mettent très facilement de la cohérence dans leurs perceptions et, à partir de là, ils leur donnent un sens. C’est le contexte et non les règles qui donne un sens aux choses.

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Ils vivent dans un univers : en raison de la cohésion des choses, ils intègrent un élément dans un ensemble. Les personnes atteintes d’autisme vivent, au contraire, dans un « multivers5 » : un monde fait d’innombrables détails sans relation les uns avec les autres et n’ayant chacun qu’un seul sens : leur sens littéral. Le monde des personnes autistes est un monde effrité6 . Raphaël, qui est autiste, et sa femme ont fait construire une nouvelle maison. Comme cela coûte cher et demande du temps, ils ont décidé d’aménager le jardin en plusieurs étapes : la première année, la partie avant et le gazon autour de la maison, la deuxième année, la haie et le côté du garage et ainsi de suite. Un matin, alors qu’ils vivaient depuis cinq ans dans leur maison et que le jardin était complètement aménagé, Raphaël entra en coup de vent dans la cuisine et dit : « Ce n’est que maintenant que je réalise que le jardin forme un ensemble. » Pendant toute cette période, il n’avait vu que différents petits jardins isolés. Il n’avait pas réalisé que les différentes étapes étaient autant de phases d’aménagement d’un tout plus vaste.

R ÉPONSES « R AVIOLI » ET « L AVABO » Dans la mesure où ils pensent autrement, les individus atteints d’autisme se comportent aussi autrement. Parce qu’ils ne comprennent pas les choses de la même façon que les personnes sans autisme, ils réagissent de façon particulière : autres données, autres réactions. C’est pourquoi les personnes autistes semblent parfois étranges ou émettent de drôles de réponses :

Librement interprété de F. Happé (1994) 7

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Réponse étrange et absurde de ce jeune garçon ? Pour nous, êtres cohérents, en effet, mais pour qui pense hors contexte, ce n’est pas le cas. En effet, quand le détail est placé hors de son contexte, alors le sens « ravioli » ne semble plus ni étrange ni absurde. Essayez vous-même. Considérez ce détail de façon littérale et éliminez toute la cohérence due au contexte, celle du lit de poupée. Que constatezvous ? Nous allons vous aider en vous donnant le détail, cette fois sorti de son contexte :

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Vu ainsi, cela pourrait bien être un morceau de ravioli, mais dans le contexte du lit de poupée, la signification avancée est plutôt absurde (et donc amusante). Le test d’intelligence WISC-R comprend un sous-test qui consiste à « classer des images dans l’ordre ». L’enfant reçoit un certain nombre d’images qu’il doit placer dans un ordre cohérent pour en faire une histoire logique. Une de ces histoires concerne une jeune fille qui voyage en train. J’ai demandé à un jeune autiste d’assembler les images de cette histoire. Il plaça la deuxième image avant la première. Sur cette deuxième image, le père de la jeune fille achète un billet de train au guichet. Aux côtés de la fille et de son père se trouvent deux autres passagers. Le dessin ci-après montre un extrait de la deuxième image.

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Tiré du WISC-R8

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Quand j’ai demandé au jeune autiste de raconter l’histoire, il a commencé ainsi : « D’abord ils vont se laver, et puis... » De nouveau une phrase absurde ! se laver ? au guichet ? En fait, le garçon n’avait pas vu de guichet. Il avait considéré un seul détail de la deuxième image : un demi-cercle et la fenêtre du guichet et il leur avait donné le sens de lavabo (la forme ressemble en effet à celle d’un lavabo et les lignes de la fenêtre du guichet font penser à un miroir). Dans l’évaluation du sens, il n’avait pas suffisamment tenu compte du contexte : l’homme tient une valise, il y a deux autres voyageurs, l’individu derrière le guichet porte des lunettes. Cette manière de penser autistique nous est moins inconnue que nous ne le pensons à première vue. Des réponses « ravioli » et « lavabo » sont souvent le fait de petits enfants. La logique enfantine présente des ressemblances avec la pensée autistique :

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Petit Louis, quatre ans, va se promener avec sa mère. Il fait très froid. Dans le pré il y a une vache. Petit Louis : « Regarde maman, la vache fume un cigare ! »

Quelle est la différence entre les petits enfants et les personnes atteintes d’autisme ? Les petits enfants ont des expressions amusantes parce qu’ils ne possèdent pas encore assez d’expérience des nombreuses et diverses situations de la vie. Certaines se ressemblent et pourtant elles sont différentes. Et il y a différents mots pour les définir. Le souffle d’une vache dans le froid « ressemble » à la fumée d’un cigare. L’enfant qui découvre pour la première fois le souffle chaud d’une vache ne sait pas encore qu’il s’agit de quelque chose de tout différent. Cependant, si sa mère le lui enseigne, l’enfant ne fera pas deux fois la même erreur. La prochaine fois qu’il sera confronté à la même perception, il saura spontanément, par la prise en compte du contexte, s’il s’agit de fumée ou de souffle. Pour les personnes autistes, cela n’est pas aussi évident. Elles ont surtout du mal avec les situations dont la signification change continuellement. Les objets gardent généralement un sens clair et permanent. Une chaise reste une chaise, où qu’elle se trouve9 . Par contre, les êtres humains sont des esprits plutôt dynamiques et le sens du comportement humain dépend souvent du contexte. C’est pourquoi pour les personnes autistes, les individus sont plus surréalistes et plus difficiles à cerner que les objets. Le monde des objets est plus unilatéral, plus prévisible et plus concret. On a besoin de moins d’imagination pour le comprendre. Léo Kanner a d’ailleurs remarqué que ses jeunes

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patients autistes témoignaient de plus d’intérêt pour les objets que pour les personnes. Pour les personnes autistes, les gens sont trop incompréhensibles, trop imprévisibles et donc trop dangereux. C’est dans leurs relations avec autrui que les personnes autistes sont les plus handicapées. Les trois caractéristiques de base de l’autisme ont donc trait à la difficulté qu’elles ressentent à s’intégrer dans le monde des humains aux significations si changeantes et si nuancées. Quand on a tant de problèmes pour appréhender la cohérence du monde, il est bien naturel d’avoir des problèmes de relations humaines, de communication et de souplesse d’action. Dans les chapitres suivants, je décrirai comment la pensée autistique, la façon de détailler littéralement, sont sources d’absurdités et de difficultés dans ces trois domaines. À propos de chacun de ces aspects, les personnes autistes se comportent différemment et bizarrement parce qu’elles interprètent chaque situation à la lettre et comme une entité isolée. J’y ai inclus un autre domaine, non pas en tant que nouveau « critère » de l’autisme mais en tant que caractéristique coordonnant tous les autres éléments : la résolution de problèmes. Les personnes atteintes d’autisme ont de sérieuses difficultés à résoudre des problèmes, qu’il s’agisse de problèmes sociaux, de communication ou d’imagination. La résolution de problèmes est le domaine idéal du fonctionnement mental permettant de démontrer le cheminement de la pensée et puisque ce livre traite de la pensée, un chapitre sera consacré à la façon dont les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme appréhendent les problèmes. Dans le dernier chapitre, la pensée autistique sera une fois encore abordée, mais dans un cadre plus large. En ce qui concerne la cohérence centrale, il apparaîtra que les personnes atteintes d’autisme, tout comme d’autres personnes handicapées, cherchent à compenser leurs manques. Ces stratégies de compensation n’arrivent cependant pas à leur permettre de participer réellement à la vie de notre société, et ceci malgré le caractère créatif et original de la pensée autistique. C’est la raison pour laquelle l’autisme est un handicap.

5 Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement social et l’identité

U N VERRE D ’ EAU Comprendre les situations sociales est une tâche difficile pour une personne autiste. Le sens des objets, et surtout celui des comportements humains en situation sociale, est très difficile à découvrir quand on manque de cohérence centrale. Prenons l’exemple d’un simple verre d’eau.

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Supposons que vous ayez soif. Vous voyez un verre rempli d’eau. Que faites-vous ? Vous le buvez ? Non, pas nécessairement. Tout dépend du contexte dans lequel ce verre d’eau apparaît. Le prendrezvous et le boirez-vous s’il se trouve dans le contexte suivant ?

Dans ce contexte, vous ne prendrez certainement pas le verre d’eau car il s’agit de celui du conférencier. C’est son verre d’eau (« son » n’étant pas pris dans le sens de propriété mais dans le sens objectif : ce verre est prévu pour lui — le verre d’eau appartient en fait au propriétaire de la salle de conférence). Ce n’est donc pas un simple verre d’eau. Il est destiné à quelqu’un. Qu’il soit réservé à une autre personne n’est pas visible sur le verre. La perception littérale et concrète du détail (le verre d’eau) n’en dit pas assez sur ce que l’on doit en faire. Pour cela, le détail doit être placé dans un contexte plus large (celui de la conférence). Un verre est toujours le verre de quelqu’un, pour quelqu’un, rempli de quelque chose et ainsi de suite. De, pour, avec... : ces mots expriment une relation —

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la relation entre le verre et le contexte. Ces relations sont invisibles et pourtant extrêmement importantes pour comprendre l’ensemble. Sans relation, il ne peut y avoir d’ensemble, de cohésion. Les personnes atteintes d’autisme ne connaissent que la perception concrète. Ce sont des individus concrets : ils prennent pour vrai ce qui est matériel, visible et tangible. Relations et cohésion par contre ne sont pas visibles. Elles sont abstraites. Pour les « voir », il faut de l’imagination ; ce qui est bien difficile pour une personne souffrant d’autisme. Celles-ci sont aveugles d’un point de vue relationnel1 . Imaginez que, tout comme une personne autiste, vous n’êtes pas capable de saisir cette cohérence. La relation invisible entre le verre et son « destinataire » n’existe donc pas pour vous. Un verre d’eau n’a qu’un seul sens, le plus direct et le plus littéral : « boire ». Et dans ce cas, vous vous dirigez tout naturellement vers ce verre, vous le prenez et vous le buvez. Vous ne « volez » pas le verre de quelqu’un d’autre puisque vous ne vous rendez pas compte que ce verre appartient à quelqu’un d’autre. Cette situation est probablement reconnaissable pour des parents d’enfant autiste. Assis avec lui sur une terrasse, ils attendent le verre de coca qu’ils ont commandé. Tout à coup, leur enfant se lève, va vers une autre table... et vide le verre d’un autre consommateur. Conséquence : une hilarité générale et des regards critiques de la part des spectateurs. Moyennant une approche appropriée, il est possible d’enseigner à une personne atteinte d’autisme que ce verre appartient à quelqu’un d’autre. Cette relation peut être expliquée ou explicitée. Mais le problème réside dans le fait que les contextes et les relations varient continuellement. Aujourd’hui, vous pouvez boire ce verre mais demain, vous ne le pourrez pas parce que ce verre sera destiné à quelqu’un d’autre. Et le jour suivant, ce verre sera de nouveau pour vous. Il y a de quoi être désorienté. Pour les personnes atteintes d’autisme, les situations sociales sont des devinettes indéchiffrables parce que : – le sens des stimuli sociaux est invisible et implicite ; – ce sens change continuellement selon les différents contextes. Il n’est écrit nulle part qu’un bras levé signifie « STOP ». Et même si vous avez fait votre possible pour apprendre la signification de ce geste, votre petit monde sera très vite bouleversé car dans un autre contexte il semble qu’un bras levé désigne soudain autre

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chose, par exemple : « HELLO ». Et de ce fait, vous vous rendez ridicule en restant sur place au lieu de saluer. Pour autrui, vous êtes drôle ou impoli. Pourtant, les personnes atteintes d’autisme font beaucoup d’efforts pour comprendre les faits sociaux et elles font de leur mieux pour avoir une attitude correcte en société. Elles essaient de découvrir les règles qui leur apprendront à se comporter comme il convient. Comme les ordinateurs, les personnes autistes aiment les règles formelles et les instructions précises. Les règles univoques sont en effet toujours prévisibles. Parfois, elles découvrent une règle ou on leur en offre une, mais il reste que la vie sociale et la fréquentation des autres gens ne connaissent pas de règles fixes et ne peuvent être cataloguées. Ou comme le disait lui-même un jeune homme autiste2 : « La vie sociale est difficile, parce qu’elle ne semble pas suivre de ligne fixe. Quand je pense que je commence à comprendre une certaine idée, cette dernière ne suit soudain plus la même direction si les circonstances varient légèrement. » Nous adaptons notre comportement social à partir de la perception que nous avons du contexte. Dans la mesure où les personnes atteintes d’autisme n’ont pas assez d’imagination pour penser en fonction du contexte, elles appliquent strictement et textuellement les règles de comportement au lieu de les adapter avec souplesse au contexte. La prise en compte littérale des règles peut prendre deux formes : – appliquer trop souvent et trop longtemps les règles, même dans des situations où cela n’est pas nécessaire ; il s’agit, en termes professionnels, de « surgénéralisation » ; – appliquer trop peu souvent les règles vues de manière trop sélectives, même dans des situations où cela semble nécessaire ; on parle d’« hypersélectivité ». L’hypersélectivité est très caractéristique des personnes autistes qui ne peuvent considérer l’ensemble d’une situation et restent accrochées à des détails. L’hypersélectivité et la surgénéralisation sont deux faces d’une même réalité : le manque de cohérence.

Q UAND VOUS VOYEZ UNE PERSONNE EN UNIFORME , DITES « BONJOUR » Quand on parle de surgénéralisation, on sous-entend que la personne ne peut s’arrêter, ne peut changer de règle à temps.

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Harold Senby, tailleur à la retraite, portait depuis plus de vingt ans un appareil acoustique bien qu’il ait l’impression que l’appareil ne servait à rien. Harold, âgé de 74 ans, découvrit pourquoi lors d’un examen de routine à l’hôpital. On lui apprit qu’il portait l’appareil à la mauvaise oreille. On avait fait une erreur en lui plaçant l’appareil. On l’avait placé dans l’oreille gauche au lieu de la droite. « J’ai toujours trouvé que ça ne servait pas à grand-chose », remarqua Harold3 ... Les responsables d’un camp d’été pour enfants autistes voulaient prendre une photo de groupe sous un arbre du jardin. Comme une telle initiative n’est pas facile à réaliser, toutes sortes d’astuces furent trouvées pour arriver à réunir pendant un court laps de temps les vingt-cinq enfants. Pour Christophe, la solution a vite été trouvée. Il fut placé dans la rangée du fond et pour lui faire comprendre qu’il devait rester là et le faire patienter, on lui donna la mission de tenir une branche de l’arbre. Christophe saisit la branche et fut récompensé : « Bien, Christophe ! » La photo fut prise avec succès. Tout le monde quitta le jardin et partit vers la salle de jeux. Les responsables étaient enthousiasmés par la réussite de leur entreprise. C’était le dernier jour du camp et tout le monde était occupé à ranger et à faire ses valises. Chacun allait et venait... mais où était Christophe ? Christophe était encore dans le jardin, désespérément seul... et tenait toujours la branche en main.

La surgénéralisation provient du fait que, pour les personnes atteintes d’autisme, le comportement est indépendant du contexte. Elles agissent d’une certaine façon parce que nous le leur demandons ou parce que nous le leur avons appris. Mais elles ne comprennent pas pourquoi nous leur demandons un certain comportement et quel en est l’objectif. Christophe mène sa mission parfaitement à bien, trop parfaitement. Il n’a pas la moindre idée du pourquoi il doit tenir une branche en mains. Et parce qu’il ne comprend pas le but du comportement (c’est pour la photo), il ne s’arrête pas quand ce but est atteint (la photo est prise). Le comportement se suffit à lui-même, c’est une donnée isolée. Christophe ne fait pas la relation avec le contexte. Vincent connut une aventure similaire. À leur arrivée, lors d’une réception, ses parents lui dirent de donner la main à chacun. Vincent fit ce qu’on lui demandait. Les gens étaient en cercle et il commença à serrer les mains. Arrivé devant la première personne qu’il avait saluée, il lui présenta à nouveau la main. Il entamait un deuxième tour. Vincent exécute mais ne comprend pas pourquoi on serre des mains. Nous le faisons pour saluer et donc une seule fois. Vincent ne saluait pas, il serrait des mains. À chaque fois que le facteur arrivait à la maison, Éric se postait devant lui sans rien dire ni faire. Sa mère lui dit : « Éric, quand tu

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vois le facteur, tu dois lui dire bonjour. » Éric regarda le facteur et lui dit : « Bonjour. » Le facteur lui sourit et sa mère le récompensa : « Très bien, Éric ! » Les semaines suivantes, sa mère lui rappela régulièrement cette instruction et Éric retint la règle. Mais aujourd’hui, un autre problème se pose. Faire une promenade en ville avec Éric est devenu un vrai chemin de croix pour ses parents. Ils sont toujours sur le qui-vive et craignent d’avoir honte du comportement d’Éric car... chaque fois qu’il voit une personne en uniforme, il se dirige résolument vers elle pour lui dire bonjour. Éric applique avec excès un comportement donné, il surgénéralise. Il a appris à dire bonjour à une personne en uniforme. Au lieu de situer ce comportement dans un contexte précis, il le relie à un détail concret et extérieur : l’uniforme. Donc, Éric pense qu’il doit dire bonjour à tous les gens en uniforme. Il ne comprend pas la raison sociale des salutations. On ne dit pas bonjour à un uniforme, mais à une personne. Éric a traité l’information sur ce comportement social au niveau du détail concret et non au niveau de la cohérence invisible. Il est aveugle face aux différences essentielles entre un uniforme dans un certain contexte (le facteur qui vient à la maison) et un uniforme dans un autre contexte (l’agent de police en train de verbaliser).

L ES SITUATIONS « PULL VERT » L’hypersélectivité signifie qu’on ne peut agir quand la situation le demande, c’est rester aveugle aux similitudes essentielles entre les situations. Or, bon nombre de situations peuvent se ressembler sans être exactement similaires sur le plan des détails. C’est pourquoi nous parlons d’« essentiellement égal ». Pas semblable mais égal en essence, cette équivalence se situant au niveau de la cohérence invisible. Par contre, le fait d’être exactement semblable au niveau des détails est concrètement perceptible. Celui qui s’attache aux détails au lieu de se concentrer sur les similitudes essentielles invisibles fait preuve d’hypersélectivité. Une autre situation (concrète) mène à un autre comportement : Pendant un enterrement, tout le monde pleurait sauf un homme. Quand on lui demanda pourquoi, il répondit : « Mais, je ne suis pas de cette paroisse. »

Caroline, une petite fille autiste, parlait à tort et à travers pendant la leçon. Répondre, poser des questions, faire des remarques. Elle

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faisait tout cela, mais elle ne savait pas quand elle était en droit de le faire. Elle intervenait naturellement et il était impossible de la freiner. Son institutrice avait trouvé la solution. Elle allait visualiser, rendre visibles les règles de prise de parole en classe. Elle prit une photo Polaroïd de Caroline en train de lever la main pour demander la parole et plaça la photo sur son banc, avec les explications appropriées. C’était clair : d’abord lever la main et ensuite parler. La réussite fut totale : Caroline regardait la photo puis levait la main pour demander la parole. L’institutrice était heureuse. Ça marchait ! Grande fut cependant sa déception quand le lendemain, Caroline se remit à intervenir sans fin. La photo était pourtant sur son banc ! Comment était-ce possible ? Après quelque temps, elle en comprit la raison. La veille, quand la photo avait été prise, Caroline portait un pull vert. Le lendemain, elle portait un pull rouge. Caroline interprétait la règle sociale au niveau du détail et à la lettre : elle pensait que la règle ne valait que pour une « situation en pull vert ». Autre apparence, autre comportement ; autre détail, autre comportement : c’est ainsi que les personnes atteintes d’autisme réagissent. Elles adaptent les règles sociales aux détails. À l’occasion de son sixième anniversaire, petit Jean reçut pour la première fois un pantalon long. Il s’admira longuement devant le miroir, puis demanda : « Dis, Maman, maintenant je peux t’appeler Cécile comme papa ? »

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Q UAND LA VIE EST UNE LIGNE EN POINTILLÉ Autre pantalon, autre règle. Autre pull, autre règle. Lorsqu’elle porte un pull vert, Caroline semble donc se considérer comme une autre personne que lorsqu’elle porte un pull rouge. Chez un individu qui ne perçoit pas la cohérence, quand un détail extérieur change, le monde entier semble changer. Il n’y a pas d’ensemble, pas de situation unique mais plusieurs entités : un grand nombre de situations différentes. Il n’y a donc pas non plus d’« unité — moi » mais un grand nombre de « moi ». Pour la personne attachée aux détails extérieurs sans la moindre cohérence, l’identité est une notion très complexe. Il en va ainsi pour les personnes atteintes d’autisme. Autre apparence, autre personne. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un homme arrive très tard dans une auberge. Comme il n’y a plus de chambre libre, il doit en partager une

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avec un officier allemand. Il demande alors à l’aubergiste de le réveiller très tôt pour qu’il ne rencontre pas cet officier. L’homme se déshabille et se couche. Au point du jour, l’aubergiste le réveille. L’homme s’habille rapidement dans le noir et sort. À sa grande surprise, il rencontre une unité de soldats allemands qui le saluent. Dans le train, en passant devant un miroir, il voit qu’il porte un uniforme allemand. « Que cet aubergiste est bête. Il a réveillé la mauvaise personne ! », s’écrie-t-il.

Nous développons une identité en nous considérant nous-même comme une entité sans tenir compte des détails extérieurs. Notre expérience ressemble à un fil rouge qui suit notre histoire. C’est un film dans lequel nous sommes l’acteur principal. Pour les personnes sans intelligence intégrante, il en va autrement. Celles-ci ne ressentent pas la vie comme un ensemble cohérent dont le moteur est leur propre personne. Les personnes atteintes d’autisme possèdent très souvent une mémoire exceptionnelle des faits objectifs, leur mémoire des faits personnels est par contre très faible. Si vous demandez à une personne atteinte d’autisme comment s’est passé son voyage, vous obtiendrez à peu près cette réponse : « Nous sommes partis à 8 heures 13 de Paris par le train Thalys à destination de Bruxelles. Une rame Thalys est composée de deux motrices encadrant huit remorques. Nous étions dans la voiture n◦ 6. Nous nous sommes arrêtés à Lille, Bruxelles Midi, Bruxelles Central et puis Bruxelles Nord. C’est là que nous sommes descendus et que nous avons pris le tram 52... » (et cela peut continuer ainsi un certain temps). Vous entendrez rarement un style personnel et coloré. Les personnes autistes enregistrent les différentes phases de leur vie en les photographiant dans leur mémoire. Elles les enregistrent comme une suite d’événements sans relations les uns avec les autres et ne les conçoivent que trop peu comme une entité cohérente : c’est comme si elles ne comprenaient pas qu’elles sont acteur de cette situation4 . Elles enregistrent des faits, des noms, des dates, des lieux mais sans qu’elles puissent suffisamment les assimiler à leur propre histoire. Lors d’un congrès du Vlaamse Vereniging Autisme (Association flamande pour l’autisme), il a été demandé à un jeune autiste de parler de son passé5 . Ce que Martin a raconté n’était pas une histoire mais plutôt une accumulation de faits, d’événements, de noms et de dates. Pour preuve, l’extrait suivant : « J’ai été à l’école de Marienhove pendant cinq ans, de 1972 à 1977. Il y avait cinq pavillons et une chapelle de l’église catholique à Marienhove. Au début, j’étais dans le pavillon 3 où le pasteur de Bie avait son bureau. Il faisait

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les sermons à l’église catholique. Je ne suis resté que +/– un an au pavillon 3 avant d’aller en première primaire (1972). Il y eut une fête au pavillon 3 le 19 mars 1972 (jour de son anniversaire)6 avec sept bougies sur le gâteau. Cette année-là, j’ai pu rentrer chaque week-end à la maison au lieu de toutes les trois semaines. » La vie des personnes atteintes d’autisme n’est pas un roman mais un journal de bord. Les faits l’emportent sur les expériences. Lola, une jeune fille autiste, corrigeait toujours les fautes d’un autre élève. L’institutrice lui fit remarquer qu’elle n’était pas toujours la meilleure et que son compagnon connaissait certaines choses qu’elle ne savait pas. Elle lui dit : « La semaine dernière, tu as aussi appris quelque chose grâce à lui ! » Lola répondit : « Ce n’était pas la semaine dernière, c’était cette semaine. » La connaissance d’autrui que possèdent les personnes autistes est plus encyclopédique que romantique. Cela ne concerne pas qu’elles-mêmes mais aussi leur connaissance des autres. Lorsqu’un jeune autiste raconta qu’il allait faire un voyage de groupe à Chypre, on lui demanda : « Un voyage de groupe ? Amusant ! As-tu déjà fait connaissance avec tes compagnons de voyage ? » Sa réponse fut : « Oui. Je sais avec quelle voiture ils roulent. » Les individus autistes enregistrent les faits, ils ne les traitent pas pour en faire un ensemble cohérent. On pourrait définir l’identité comme la cohérence centrale personnalisée. S’identifier soi-même comme source de cohérence dans sa propre histoire des événements. À première vue, les personnes souffrant d’autisme ont une personnalité moins affirmée que les individus non autistes7 . La conscience de soi est à la base de notre existence. Nous le savons depuis Descartes : « Je pense, donc je suis. » La conscience de soi en tant qu’élément d’un ensemble cohérent plus vaste construit la personnalité. C’est cette personnalité qui nous permet de déceler la cohérence dans le monde social. En nous identifiant en tant que personne, nous apportons une unité dans l’enchevêtrement de situations sociales en changement permanent, avec leurs règles invisibles. Cependant, si nous considérons les situations sociales comme des illustrations isolées, nous entrons dans un monde déconcertant et fragmenté. Notre ego est morcelé8 . Nous demanderons alors, comme cet enfant autiste à sa mère : « S’il te plaît, fais de moi un tout, parce que je suis en morceaux. » Les personnes atteintes d’autisme vivent plus que nous dans le présent. Leur manque de mémoire des événements personnels fait

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qu’elles ont du mal à saisir l’influence qu’elles ont sur leur propre histoire. Elles ne se rendent pas assez compte qu’elles sont acteur principal de leur passé. Mais elles ont aussi des problèmes avec leur avenir. Elles n’anticipent pas assez, choisissent un fait et n’en dévient pas. Ceci a des conséquences sur leur éducation car elles ne tirent pas assez de leçons de leurs expériences, même pour leur avenir. C’est pourquoi elles se heurtent plusieurs fois aux mêmes difficultés Les personnes atteintes d’autisme manquent de continuité dans leur vie. Trop peu d’histoires comportent des scènes où l’une est la suite logique de l’autre. Leur vie est une ligne beaucoup moins continue que la nôtre. C’est plutôt une ligne en pointillé dans laquelle chaque fait est un point isolé des autres. Quand un événement est achevé, il est vraiment achevé. Comme Gunilla, une jeune autiste suédoise. Au moment des vacances de Pâques, ses parents l’ont confiée à ses grands-parents. Gunilla a alors pensé qu’elle avait de nouveaux parents. Au retour des vacances, quand ses parents sont venus la rechercher, elle a à nouveau pensé qu’elle avait une nouvelle famille. Elle avait bien remarqué des ressemblances notoires avec ses anciens parents mais ne réalisait pas qu’il s’agissait des mêmes personnes. Chaque phase (parents, grands-parents, « nouveaux parents ») était une nouvelle phase indépendante dans sa vie, sans aucune continuité. Chaque situation était nouvelle, unique et sans relation avec le passé9 .

I MITER ( SINGER ) Bien que certains prétendent le contraire, les personnes autistes souhaitent participer au monde social. Beaucoup d’entre elles ont un réel intérêt pour autrui et font de leur mieux pour comprendre les relations sociales si difficiles. Pour cela, elles développent des stratégies de survie. Une des façons par lesquelles elles essaient de s’intégrer dans la société est l’imitation du comportement d’autrui. Si nous ne savons pas comment nous comporter mais que nous voulons être sociables, nous copions les autres. Les individus non autistes adoptent cette même stratégie de survie sociale quand ils sont confrontés à des situations qu’ils ne connaissent pas suite à des différences de culture, d’habitudes et de rites, notamment à l’étranger. Nous entendons alors l’époux dire à sa femme : « Observons d’abord comment font les autres puis faisons la même chose. » Plus

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la culture est méconnue, plus le comportement de ces personnes prend une allure autistique, bien qu’elles ne soient pas atteintes d’autisme. Le même comportement d’imitation est constaté chez des gens qui se retrouvent dans une autre classe sociale que la leur. Peu après son élection, le président américain Calvin Coolidge invita un couple d’amis de sa région à la Maison Blanche pour un dîner. Comme elles se sentaient mal à l’aise dans cet environnement surfait et qu’elles avaient peur de mal faire, ces personnes firent tout ce que faisait Coolidge. Quand le président versa un peu de café dans sa soucoupe, les invités firent de même. Puis il y ajouta un peu de crème et de sucre, les invités suivirent son exemple. À ce moment, le président déposa la soucoupe par terre à l’intention de son chat10 ...

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Ces simples paysans singent le président à la lettre sans savoir dans quel but il agit. Ils ne comprennent pas l’intention de son comportement. Or l’objectif de toute action a trait à la relation invisible entre un comportement et une intention : je peux lever mon bras dans l’intention de saluer quelqu’un, de le faire s’arrêter, de poser une question. Si vous ne comprenez pas mon intention — le sens de mon bras levé, le « pourquoi » de mon geste — mais que vous remarquez que j’obtiens une interaction avec autrui — ce que vous recherchez vous — aussi alors —, il y a de fortes chances pour que vous imitiez exactement mon comportement. Cette imitation à l’identique sans compréhension du sens est souvent le fait de personnes atteintes d’autisme11 . Elles copient, mais ne savent pas ce qu’elles copient. Jos, un jeune autiste, avait appris qu’on pouvait faire connaissance avec des gens en leur posant des questions. Il avait déjà observé bien des conversations et entendu bien des questions. Et il imita. Quand Jos rencontrait quelqu’un, il demandait : « Comment vous appelez-vous ? » « Fumez-vous ? » « Vous savez que fumer est mauvais pour la santé ? » (Question qu’il posait aussi aux non-fumeurs.) « Avez-vous une voiture ? » « De quelle marque ? » (Il s’intéressait beaucoup aux voitures et à la mécanique.) « Avez-vous une petite amie ? » « Avez-vous déjà eu des relations sexuelles ? » (Adolescent, il commençait à s’intéresser aux filles et le sujet l’intriguait.) Jos posait toujours les mêmes questions car adapter les phrases au contexte était pour lui trop difficile. Il copiait une formule sociale sans en comprendre l’essence.

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HELLO, HOW ARE YOU ? Le comportement de Jos est un exemple d’une autre stratégie utilisée par les personnes autistes pour avoir un comportement sociable : un comportement répétitif. Elles peuvent apprendre des routines ou en développer elles-mêmes. Elles répètent une routine qu’elles ont déjà appliquée avec succès dans une situation similaire. Utiliser des routines à succès est une très bonne stratégie que nous avons déjà tous utilisée. Mais parce que la plupart d’entre nous tiennent compte du contexte et pas seulement du comportement littéral, nous arrivons à les appliquer avec souplesse. Nous utilisons ces routines au moment adéquat. Quand nous répétons, nous le faisons dans le contexte approprié. Nous nous adaptons. Répéter littéralement n’a de sens que si le contexte est identique. Si le contexte est différent, la répétition n’aura que très peu de succès... Dans le cadre d’un examen de recrutement pour la gendarmerie, deux candidats attendent nerveusement la dernière épreuve : un entretien avec le commandant. Le premier candidat entre. Le commandant. — Je ne vous poserai qu’une question. Si vous y répondez bien, vous serez reçu. Qu’est-ce qui est en cuir et que nous portons aux pieds ? Le candidat 1 fronce les sourcils, soupire, se gratte les cheveux, réfléchit longuement et profondément. « Pas si évident, commandant... puis-je poser une question ? Le commandant. — D’accord, mais une seule et ensuite je veux entendre votre réponse ! Le candidat 1. — Y a-t-il des lacets, commandant ? Le commandant. — Oui. » Le candidat 1 réfléchit, se gratte une nouvelle fois le crâne mais trouve finalement la réponse et s’écrie, soulagé : « Des chaussures ! » Félicité par le commandant, il sort dans le couloir et raconte son histoire. Il rassure le deuxième candidat : « J’ai eu le droit de poser une question. Je lui ai demandé s’il y avait des lacets et quand il a dit oui, je connaissais la réponse... ». Sur ce, le candidat 2 entre dans le bureau. Le commandant. — C’est accroché au mur et on peut y lire l’heure. De quoi s’agit-il ? Le candidat 2 soupire, se gratte le crâne, réfléchit longuement et profondément. « Pas si évident, commandant... puis-je poser une question ? Le commandant. — D’accord, mais une seule et ensuite je veux votre réponse ! Le candidat 2. — Y a-t-il des lacets ? Le commandant. — Bien sûr que non ! Le candidat 2. — Ah, alors c’est facile : des pantoufles ! »

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Des étudiants étrangers apportaient leur aide au secrétariat du Vlaamse Vereniging Autisme au cours d’un « camp de construction ». Un jeune autiste, qui nous avait déjà rendu visite, était ravi de la compagnie exotique qui se trouvait au bureau. Lors de sa première visite, il avait remarqué qu’il avait du succès grâce à sa connaissance de la langue anglaise. Les étudiants s’étaient adressés à lui et il avait même pu, ici et là, avoir une petite conversation. Parler anglais était un comportement social réussi dans cette situation. Mais... lors de sa visite suivante, il interpella chacun en anglais. On entendait partout : « Hello, how are you ? », alors que le camp était fini et que les étudiants étrangers étaient rentrés chez eux.

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P UIS - JE VOUS « DÉCHIFFRER » ? Les personnes atteintes d’autisme ne ressentent pas la cohérence, aussi, certaines essaient de la calculer. Il en est de même des ordinateurs qui ne perçoivent pas le résultat des opérations qu’ils effectuent. Ils ne pensent pas (à la façon de Descartes), ils calculent. Il existe déjà des ordinateurs « intelligents » qui peuvent « apprendre » de leurs expériences. À chaque fois qu’ils se trouvent devant un problème, ils enregistrent toutes les données du problème et les solutions éventuellement trouvées. À chaque nouveau problème, ils recherchent sur leur disque dur les ressemblances avec des problèmes précédents et s’ils trouvent un problème ayant le même énoncé, ils appliquent la solution précédente. Cette façon de résoudre des problèmes demande beaucoup de temps : les faits enregistrés doivent être comparés les uns après les autres avec le problème actuel. L’ordinateur ne sélectionne pas au départ les comparaisons les plus logiques parce qu’il ne ressent pas les problèmes. C’est pourquoi, même les ordinateurs les plus « intelligents » ont besoin de beaucoup plus de temps qu’un être humain pour résoudre certains problèmes. Une personne sans autisme voit souvent « en un clin d’œil » ce dont il s’agit, mais les personnes autistes ne comprennent pas les situations sociales aussi rapidement, et comme les ordinateurs, elles doivent comparer et calculer. Roger, un jeune autiste, suit une formation aux aptitudes sociales12 . Un des objectifs de cette formation est de reconnaître les émotions et d’apprendre à vivre avec elles. Roger apprend à reconnaître la colère chez sa mère mais il a toujours du mal

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à comprendre les émotions. Ainsi, il ne voit pas pourquoi, dans une même situation, les gens ne réagissent pas toujours de la même façon : parfois sa mère est fâchée parce qu’il a cassé quelque chose et parfois pas. De même, les différences d’intensité dans les émotions restent une pierre d’achoppement pour lui. Entre « être un peu fâché » et « être très en colère », il y a une marge ! La différence est souvent subtile et, pire encore, invisible. On ne voit pas si quelqu’un est un peu fâché ou très fâché. Il faut le préciser à partir du contexte. Pour concrétiser la gradation des émotions, l’éducateur de Roger a introduit un accessoire : une règle graduée de 1 à 100 où 1 est un sentiment normal et 100, la fureur. Roger demande maintenant à ses parents quand ils sont fâchés : « Es-tu fâché à 30 ou 50 ? » Il ne ressent pas les situations ni les émotions qui s’y rattachent, il doit les calculer sur sa règle. Les personnes atteintes d’autisme doivent « déchiffrer » de façon littérale les situations sociales. C’est ainsi que Temple Grandin raconte qu’elle sauvegarde toutes sortes de situations dans sa tête comme autant de bandes vidéo13 . Chaque fois qu’elle se trouve confrontée à une situation face à laquelle elle ne sait pas comment se comporter, elle cherche dans sa tête la bande vidéo qui reproduit le mieux la situation dans laquelle elle se trouve14 . Elle recherche un synonyme de cette situation sociale dans sa collection de vidéocassettes. Elle procède comme nous le faisons avec un dictionnaire quand nous ne comprenons pas bien un mot. Et cela demande un certain temps. C’est pourquoi les personnes atteintes d’autisme réagissent souvent lentement et font preuve de réactions différées. Notre monde tourne trop vite pour elles. Nous ne leur donnons pas assez de temps pour le déchiffrer.

I L N ’ Y A PAS DE PANNEAUX DE SIGNALISATION SOCIAUX Parce que les personnes autistes ne s’identifient que trop peu à une unité, elles ont du mal à considérer d’autres personnes comme une unité. Elles n’ont pas trop de mal avec l’aspect extérieur d’autrui. Certains autistes peuvent très bien remarquer des comportements isolés, des expressions faciales particulières, mais la relation invisible entre ce qui est externe ou interne reste très souvent une énigme pour eux. C’est la face interne des gens (leurs sentiments, idées, désirs, aspirations) qui rend leur face externe (ce qu’ils disent et font) compréhensible. De la même façon que le sens d’un verre ne devient

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évident que par une relation invisible (à qui appartient-il ? à qui est-il destiné ?), le comportement d’une personne ne prend tout son sens que lorsque nous en percevons la cohérence avec la part interne invisible de la personne : son intention. Si nous ne comprenons pas cette intention, nous resterons « à côté de la plaque ». Un couple d’amoureux, sur un banc. Elle. — Si on se mariait ? Lui. — Qui voudrait de nous ? Une chaîne de télévision propose à un industriel multimillionnaire de participer à un débat télévisé. Après avoir donné tous les détails sur l’émission, le journaliste demande : « Qu’en pensez-vous ? Une participation de 150 euros serait-elle suffisante ? » « Mais bien sûr, répond l’industriel, un moment, je vais chercher mes chèques... » Un père fait les courses avec son fils autiste. Ils s’arrêtent devant un fleuriste. Le père. — Si on achetait des fleurs ? Thomas. — Pourquoi ? Le père. — Et bien, nous fêtons notre quinzième anniversaire de mariage.

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Thomas. — Et à qui vas-tu les offrir ?

Pour comprendre l’objectif du comportement d’un autre individu, il faut savoir se mettre à sa place. Nous nous transportons en lui parce que nous savons qu’il a, tout comme nous, une face interne personnelle, un monde intérieur fait d’idées et de sentiments. Nous avons acquis spontanément ce savoir qualifié par les professionnels de theory of mind (théorie de l’esprit)15 . Les personnes atteintes d’autisme ont beaucoup de mal à développer cette capacité. « Ce savoir implicite, que chaque homme normal acquiert et construit toute sa vie sur base de ses expériences et de ses contacts avec les autres, semble en grande partie absent chez Temple. En l’absence de ce savoir, elle doit “calculer” les buts et les états d’âme des autres, essayer de les rendre explicites, algorithmiques, ce qui est pour nous autres une seconde nature16 . »

Parce qu’elles ne peuvent attribuer une signification cohérente aux situations sociales, les personnes atteintes d’autisme ont des difficultés à entrer en contact avec les autres. Et ce sont principalement les règles et les aspects invisibles de l’interaction humaine qui constituent pour elles une énigme.

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Il en est ainsi des émotions que les personnes autistes peuvent apprendre à définir : « papa est fâché », « la dame est triste », « mon frère est content » et à relier à des signes extérieurs. Mais on est toujours au niveau de l’« unirelationnel ». Comprendre d’où vient ce sentiment est beaucoup plus difficile. Comprendre les émotions est d’un autre ordre que de les décrire17 . Pour comprendre les émotions, il faut être capable de « sentir » le contexte. Des larmes sont des larmes, elles ont le même aspect. Mais des larmes de tristesse ne sont pas des larmes de joie, et on peut verser des larmes en pelant des oignons... autre contexte. Et même si nous voyons la différence entre ces trois sortes de larmes, une tristesse ne ressemble jamais à une autre. Comprendre pourquoi quelqu’un est triste demande une grande sensibilité pour le contexte. C’est ce qu’on nomme la « prise de perspective ». Des détails extérieurs, concrets et visibles ne suffisent pas à acquérir une prise de perspective. Si nous voulons connaître la perspective de quelqu’un d’autre (ce qu’il ou elle voit, sent ou pense), nous devons prendre sa place. Au figuré, nous mettre dans sa peau (ou sa tête) et regarder le monde à travers lui. Car ce n’est pas le monde, ce ne sont pas les choses qui nous montrent comment quelqu’un voit ou ressent le monde. Deux hommes trouvent un miroir dans un bois. Le premier s’y regarde et dit : « Hé, mais, celui-là je le connais ! » Le second dit : « Montre-moi ! » Il prend le miroir et dit : « Mais évidemment, c’est moi ! »

Au début d’un week-end de formation pour jeunes adultes autistes était organisé un jeu de prise de connaissance entre les participants. Chacun devait indiquer sur une feuille un certain nombre de données le concernant : ses loisirs, son âge, son domicile mais pas son nom. Toutes les feuilles furent jetées pêle-mêle. Chacun à son tour devait prendre une feuille au hasard et devait deviner, à la lecture de ces informations de qui il s’agissait. La première question était : « À quoi peux-tu me reconnaître ? ». Deux participants, dont Steven, avaient écrit : « à mon visage ». Une réponse techniquement correcte, mais pas particulièrement efficace en matière de prise de perspective. Le pauvre participant qui avait tiré la feuille de Steven possédait bien peu d’informations concrètes. Quand il énonça un mauvais nom, Steven cria très fort : « Faux ! » Non seulement il ne réalisa pas tout de suite qu’il s’était ainsi trahi, mais de plus, tout à fait convaincu, il ajouta fièrement : « C’est vrai, c’est à mon visage que tu peux me reconnaître. »

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Au contraire de la circulation automobile, les règles de la circulation entre les hommes ne sont pas visibles. Il n’existe pas pour la « circulation sociale » de panneaux rendant les règles visibles. Il en est ainsi de la règle de réciprocité. Le comportement social est une sorte de jeu de ping-pong pendant lequel chacun joue à tour de rôle. Comprendre les règles de la réciprocité est une lourde tâche pour les personnes atteintes d’autisme. Le contact avec elles est très souvent à sens unique ; ou bien c’est toujours votre tour ou bien c’est toujours le leur. Et même si elles essaient de découvrir par des calculs pourquoi les gens se comportent de telle ou telle façon, elles restent des spectateurs à distance très souvent intéressés mais encore plus souvent étonnés. Comme un scientifique qui étudie une culture étrangère ou, comme l’exprime Temple Grandin elle-même : comme un anthropologue sur Mars.

6 Le chevalier des fléchettes : sur la communication

L ES SYMBOLES FONT DU MONDE UN MONDE PARTIEL La communication est le domaine par excellence de la signification appropriée. Elle permet la circulation inter-humaine des significations. Par la communication, les significations se déplacent d’une personne à l’autre. Si j’ai soif et que je souhaite que le garçon de café m’apporte un verre d’eau, je dois communiquer car il ne peut voir ni ma soif, ni ma volonté de commander. Les sentiments, les désirs et les idées prennent sens à l’intérieur de nous et sont donc invisibles. J’ai soif et j’imagine un verre d’eau. J’image un garçon m’apportant un verre d’eau fraîche. Sur le premier dessin page suivante, vous me voyez penser à un garçon m’apportant un verre d’eau :

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Voyez-vous le verre d’eau ? Voyez-vous le garçon ? Non, car ces deux images sont en moi. D’une façon ou d’une autre, je dois donc extérioriser mon désir et le rendre reconnaissable pour le garçon. Je dois donner une forme à mon désir. Je choisis la forme suivante :

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Ma soif et mon désir de commander sont maintenant devenus perceptibles. Je les ai « exprimés », extériorisés, je leur ai donné forme. Le garçon qui perçoit mon expression va l’intérioriser à l’aide d’autres mots : il lui donne un sens. Il traite l’information perçue : « Ha ! Monsieur désire un verre d’eau... » et il m’apporte mon rafraîchissement. C’est de la communication. Une communication très simple car ce n’est qu’une question « d’encodage » et de « décodage », de traduction et de re-traduction.

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La communication consiste donc à donner une forme à nos pensées et à découvrir ensuite la pensée d’autrui au travers de cette formulation que nous appelons « langage ». Le langage est le moyen par lequel nous émettons des indices significatifs et les recevons d’autres personnes. Le langage est un sens qui a pris forme. Ce que nous désirons signifier peut prendre différentes formes. Si nous voulons de l’eau, nous pouvons utiliser différentes formes de langage. Nous pouvons « habiller nos idées » de différentes façons : – le langage verbal (« de l’eau, water, agua, vatten... ») ; – la langue parlée est, dans notre monde, la forme la plus utilisée. C’est aussi la plus facile car nous portons toujours sur nous l’instrument qui permet la parole : notre corps, et plus particulièrement nos cordes vocales, notre bouche et nos lèvres ; – le langage écrit (eau, water, agua...) ; – le langage « illustré » (par des dessins ou photos) ; – le langage corporel ou gestuel (faire le geste de boire) ; – le langage des objets (lever un verre vide). Ces différentes formes de « langage » (par ce mot nous n’entendons donc pas le seul langage verbal !) sont des références et

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renvoient aux sens invisibles, cachés. Les références sont comme des symboles sans lesquels il ne peut y avoir de communication, d’interaction entre les hommes. Les symboles font de ce monde un monde « partiel ». Nous naissons avec un incroyable talent : la capacité à symboliser. Grâce à cela, nous pouvons « participer » au monde : nous avons le don de jongler avec agilité avec les procédés d’encodage et de décodage. Il en va autrement des personnes atteintes d’autisme qui ont beaucoup moins de talent à manier les symboles. La plupart des symboles humains les déconcertent. Ils sont trop abstraits. En raison de leur manque d’imagination, les personnes autistes se heurtent régulièrement aux procédés d’encodage et de décodage1 .

E RREURS DE TRADUCTION En plus de leurs problèmes d’imagination et d’abstraction, les personnes souffrant d’autisme ont du mal à saisir la cohérence entre les symboles et le contexte2 . Comme pour le comportement social, cette cohérence est invisible. Pour les individus non autistes, les « penseurs cohérents », ce n’est pas un problème car pour eux, cette cohérence est évidente : elle n’a pas besoin d’être exprimée. La communication va de soi. Pour ceux qui, au contraire, ne voient pas rapidement l’ensemble d’une situation, l’encodage et le décodage, la traduction inter-linguale, sont une réelle épreuve. C’est la raison pour laquelle les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme font beaucoup d’erreurs de traduction. Quand ils traduisent, ils le font littéralement. Et traduire de façon littérale, c’est traduire de manière « unirelationnelle » : ils donnent un seul sens à un symbole. Dans une traduction littérale, les symboles sont traités comme des détails isolés, sans lien avec leur cohérence réciproque. On pourrait comparer ceci à l’apprentissage d’une nouvelle langue, l’espagnol par exemple. Nous apprenons d’abord le sens de mots isolés : verre = vaso ; garçon = camarero ; eau = agua ; apporter = llevar ; pouvoir = poder ; me = me ; vous = usted ; un = un. C’est également de cette façon que l’ordinateur « symbolise » ; une touche = un sens ou une fonction : F1 = Imprimer ; F2 = Copier ; F3 = Fermer ; etc. Jusque-là, c’est simple. Cela se complique quand les détails seront assemblés pour former un ensemble significatif, une phrase. Si nous

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traduisons par exemple une phrase comme « Garçon, pouvez-vous m’apporter un verre d’eau ? » au niveau des détails (mot par mot), nous n’arriverons pas plus loin que :

À première vue, ce n’est pas si mal. Un garçon espagnol de bonne volonté nous comprendra et nous apportera un verre d’eau, mais il sourira parce que ce n’est pas une expression courante et correcte. La bonne question aurait été : « Camarero ! Podria traerme un vaso de agua ? » Tout à fait autre chose, n’est-ce pas ? Passer du niveau des mots isolés à celui de la construction correcte de phrases n’est pas si simple. Ce n’est plus seulement une question de vocabulaire. Les difficultés grammaticales interviennent aussi. Nous devons tenir compte des règles de déclinaison et de conjugaison, de l’utilisation de prépositions et d’articles. N’avons-nous pas sué sang et eau, autrefois, pendant les leçons de grammaire française ou allemande ? Faire des phrases et en comprendre le sens est tout un art. Est-il donc si étonnant que beaucoup de personnes atteintes d’autisme ne communiquent qu’avec des mots isolés et non sous une forme plus élaborée : par phrases ? À leurs yeux, nous « jonglons » avec les mots. Les programmes de traitement de textes les plus courants (il existe des programmes complexes plus performants) fonctionnent au niveau des mots isolés. Ainsi, ils remarqueront les mots mal orthographiés mais pas les fautes grammaticales ni les erreurs de sens. La combinaison de mots suivante, sans queue ni tête, semblera tout à fait correcte à un ordinateur familial car chaque mot isolé est parfaitement juste : « La femme aura hier posé son œuf et à des mètres des tuyaux tisser les chevaux. » Les personnes atteintes d’autisme, non plus, ne remarqueront pas tout de suite de telles constructions de phrases absurdes. En classe, quatre enfants autistes suivent une leçon dont le sujet est « le double » et « la moitié ». L’institutrice demande à Romain de lire la phrase : « Le double dans le contraire de la moitié. » Romain

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lit ce qui est écrit. Pour lui, tout est normal. Nous avons immédiatement compris qu’il s’agit d’une faute de frappe : le mot « est » doit remplacer le mot « dans » sans quoi la phrase n’a pas de sens. Sur demande de l’institutrice, Romain relit la phrase. Quand elle lui demande si la phrase est correcte, il la regarde tout étonné. Il ne comprend pas. Les autres enfants autistes ne réagissent pas non plus. Aucun de quatre ne remarque l’absurdité. Tous les mots existent en tant que détails isolés. « Dans » est un mot qui existe, mais placé dans cette phrase, il constitue une erreur. Les phrases sont plus qu’une addition de mots isolés. L’ensemble est plus que la somme des mots isolés. Pour les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme, ce n’est pas le cas.

E LLE AIME LE SA EN PLIANT J’avais rédigé un rapport sur un garçon qui s’appelait Jan. Quand j’ai dû faire un compte rendu semblable sur Louise, j’ai repris mon texte précédent en utilisant le traitement de texte. Pourquoi tout réécrire quand l’ordinateur nous offre tant de possibilités ? Celui-ci a notamment une fonction particulièrement intéressante qui est : « remplacer ». Je peux donc, en manipulant la souris et certaines touches, remplacer un mot d’un document par un autre. Je me suis mis au travail. L’ancien rapport concernait un garçon, le nouveau une fille. Je demandais donc à l’ordinateur non seulement de remplacer « Jan » par « Louise », mais également de changer les pronoms et adjectifs possessifs, « lui » et « il » par « elle » et « son » par « sa ». Le résultat fut surprenant. Après le travail effectué par l’ordinateur, on pouvait lire : « Fin Louisevier, Louise nous fut recommandée pour réévaluer sa aptitude fonctionnelle. Pendant l’examen de sa aptitude à se débrouiller seule, Louise montra plus d’intérêt que la fois précédente. Sa résultat au test est également meilleur. Elle était particulièrement intéressée par plier le linge, notamment les tissus soyeux, qu’elle trouve ellesants et dont elle aime le sa en pliant. À ce qu’elle semble, elle le fait aussi à la maison. Et les parents... elles sat très satisfaits ». L’ordinateur avait effectué deux changements incorrects. L’un était de ma propre faute car j’avais oublié de lui signaler que seuls les mots « complets » devaient être remplacés. À cause de cet oubli, il chercha toutes les combinaisons littérales des détails que j’avais

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introduits, qu’il s’agisse d’un mot complet ou non3 . Ainsi « janvier » devint « Louisevier », « luisants » devint « ellesants », et « sont » devint « sat ». Un cas évident de surgénéralisation : l’ordinateur avait remplacé à outrance même ce qui ne devait pas l’être. Mes instructions n’étaient pas assez détaillées et formelles. Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme ont besoin de consignes très claires. Mon ordinateur avait fait une autre faute qui n’a rien à voir avec des instructions imprécises mais bien avec un manque de pensée cohérente. Le mot « son » n’est pas toujours un adjectif possessif (c’est son verre d’eau) mais peut parfois être un substantif (le son de la radio). Dans les deux cas, ce mot s’écrit de façon identique. Mais s’il est logique de le remplacer par « sa » quand il s’agit d’un adjectif possessif, il ne doit pas être changé quand il s’agit d’un substantif. Pour savoir si « son » est un adjectif possessif ou un substantif, il faut tenir compte de la cohérence de l’ensemble, de la place du mot dans la phrase et de sa relation avec les autres mots. Pour un ordinateur, ce raisonnement est trop difficile. C’est pourquoi la phrase « dont elle aime le son en pliant » sera traduite par « dont elle aime le sa en pliant ». J’avais déjeuné en compagnie d’un jeune autiste. À la fin du repas, le téléphone s’est mis à sonner et avant de répondre, je lui ai demandé de tout ranger et de nettoyer. Cet appel fut suivi d’un autre puis d’un autre... une vingtaine en tout. Une heure et demie plus tard, je remarquais que le jeune garçon était toujours occupé en cuisine. Il était en train de vider toutes les armoires et de les nettoyer. Mon instruction n’était pas assez détaillée et concrète. Par tout ranger et nettoyer, je voulais dire ranger la table et laver la petite vaisselle de notre repas... Mais je ne l’avais pas dit « à la lettre ». Les personnes atteintes d’autisme font beaucoup d’erreurs de traduction parce qu’elles ne saisissent pas la cohérence d’un mot avec les autres mots de la phrase. Comme nous, quand nous apprenons une langue étrangère ou comme un ordinateur, elles font des associations fixes et singulières entre les mots et leur signification. Qu’un mot puisse avoir plusieurs sens et que ce sens change quand la cohérence change est incompréhensible pour elles. Chaque fois que Pierre et ses parents vont à la mer, ses parents lui disent : « Pierre, nous allons à la mer. » Pierre le comprend très bien. Un dimanche soir, alors qu’ils vont rendre visite à des personnes de la famille, la circulation est très dense sur l’autoroute à cause des

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retours de week-end à la mer. La mère de Pierre fait la réflexion suivante : « Il devait y avoir beaucoup de monde à la mer ». Pierre réagit, paniqué. Il est troublé : il a entendu sa mère prononcer le mot « mer » et pourtant la voiture ne roule pas en direction de la mer ! (Pierre connaît la route. En tant que « penseur en détails », il tire les informations qui lui sont utiles de détails visibles.) Le mot « mer » signifie pour lui « aller à la mer ». Ce mot peut prendre plusieurs sens dans une phrase. Tout dépend du lien qui l’unit aux autres mots de la phrase. Particulièrement les prépositions, qui en fait sont de simples mots sans signification intrinsèque mais qui ont la propriété de changer le sens d’une phrase : à la mer — sur mer — vers la mer — en mer — de la mer... Pour la plupart des personnes atteintes d’autisme, ces différences sont trop abstraites. Elles s’appuient principalement sur des détails visibles et concrets pour comprendre le sens d’une phrase. Les prépositions sont des sons vagues qui ne leur disent pas grand-chose. Avez-vous déjà rencontré « dans » ? Une voiture est plus concrète parce que vous la voyez, vous pouvez la toucher. Vous pouvez vous y asseoir. C’est une information plus solide pour une personne atteinte d’autisme que ces sons sans consistance matérielle. Essayez de vous placer dans le monde de la pensée concrète qui est le leur. Pierre a plusieurs fois fait l’expérience du mot « mer » quand il se trouvait dans la voiture. Et à chaque fois, sa famille se rendait à la mer. Alors, le cerveau de Pierre a fait l’association d’idées suivante :

Or ici, Pierre se trouve dans la voiture, entend le mot « mer » et pourtant la voiture prend une autre direction. N’est-ce pas troublant ? Celui qui — comme Pierre — vit dans un monde d’associations d’idées concrètes et isolées et rattache les mots à des expériences concrètes et perceptibles au lieu de percevoir la cohésion entre eux, se trouvera continuellement face à des expériences désagréables. Il ira de surprise en surprise. Car : auto + « mer » ne veut pas toujours dire « aller à la mer » !

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Mais les surprises ne sont pas toujours que pour les personnes autistes. Nous pensons généralement que les enfants autistes comprennent notre langue, et pourtant, ils réagissent parfois bien bizarrement. Benoît est en train de jouer dans la pièce de séjour. Le repas est prêt et, de la cuisine, sa mère crie : « Benoît, à table ! » et Benoît va s’installer à table. Il en est ainsi chaque jour. Apparemment, Benoît comprend ce que lui dit sa mère. Un jour, sa mère lui crie : « Benoît, ouvre la porte d’entrée », car quelqu’un a sonné et elle est occupée à tourner la sauce. Benoît se met à table... Benoît ne réagit donc pas aux sens des mots, mais tient compte d’autres informations. Qu’a-t-il appris ?

Benoît a appris que sa maman attend quelque chose de lui quand elle crie son nom. Donc, quand il entend son nom, voit la table dressée et sent l’odeur de la nourriture, cela veut dire pour lui : se mettre à table. Voir et sentir sont des informations beaucoup plus concrètes que les paroles de maman.

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L E « CHEVALIER DES FLÉCHETTES » Pourtant, beaucoup de personnes atteintes d’autisme comprennent et utilisent des phrases. Certaines sont même capables de lire et écrire. Au contraire de Pierre et Benoît pour qui les mots sont vides de sens, elles savent combiner les mots. La cohérence des mots ne leur pose pas problème parce qu’elle est explicite. Elle est exprimée, aussi les différences sont faciles à remarquer et intelligibles : « à la mer » et « de la mer » sonnent différemment. Ces expressions expriment donc quelque chose de différent. Et pourtant, ces personnes ont elles aussi des problèmes avec le langage car le sens de nombreux mots ne dépend pas seulement de la cohérence externe et perceptible avec les autres mots de la phrase mais aussi et surtout de la cohérence invisible avec le contexte4 . Pendant un dîner de gala à l’étranger, un haut fonctionnaire doit se rendre aux toilettes. Comme il ne sait pas où elles se trouvent, il le demande discrètement à son voisin en lui murmurant dans l’oreille gauche : « Les toilettes,

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s’il vous plaît ? » Le voisin : « De l’autre côté. » Sur ce, le fonctionnaire se lève et se dirige vers l’oreille droite de son voisin pour lui murmurer la même question. Elle. — Chéri, si un incendie se déclarait, qui mettrais-tu en sécurité en premier, toi ou moi ? Lui. — Moi.

La confusion « je-tu » que Léo Kanner avait déjà mis en évidence en 1943 et qui est particulière aux personnes atteintes d’autisme est un problème typique dû à la cohérence invisible des mots. Le mot « je » peut désigner n’importe qui. Quand vous parlez de vousmême, vous dites « je » mais quand je parle de moi, je dis également « je ». Soit votre photo, soit la mienne devrait accompagner ce mot. Parce que les enfants autistes créent des relations fixes entre les choses et les mots et parce que nous les abordons en disant « toi », certains pensent qu’ils sont « toi », que « toi » s’adresse toujours à eux. Ils accrochent leur propre photo au mot « toi », se nomment eux-mêmes « toi » et l’autre « je ». Que la photo de ce « je » puisse changer, c’est-à-dire l’image de toute autre personne parlant d’ellemême, est trop difficile à comprendre pour eux. Le phénomène « moi-je » peut laisser croire que les personnes atteintes d’autisme intervertissent ou confondent les personnes. Ce n’est pas le cas. Elles n’inversent pas « toi » et « je », elles leur donnent tout simplement un autre sens en associant chaque pronom à une personne bien précise. Elles ne comprennent pas que la personne concernée puisse changer pour une question de cohérence ou de contexte. Beaucoup de mots ont plusieurs sens. Ils sont souvent équivoques. Vous ne trouverez leur juste sens que si vous vous référez au contexte. La perception concrète, littérale ne vous est d’aucun secours, de même que la simple connaissance du dictionnaire. Essayez de traduire un livre en suédois avec simplement un dictionnaire et une grammaire. Vous n’y arriverez certainement pas. Pour une bonne traduction, vous aurez besoin d’une vision plus globale. Vous devrez disposer d’informations de fond sur le thème ou sur l’univers dont parle l’ouvrage. Des interprètes expérimentés, travaillant dans le monde politique, restent bouche bée quand ils doivent traduire un congrès sur l’autisme. Les ordinateurs sont en difficulté quand une image apparaît dans une phrase ou quand le sens d’un mot dépend du contexte. Ce que les

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ordinateurs sont capables de faire est parfois impressionnant, aussi longtemps que ces tâches sont formelles et que des règles fixes et immuables y sont appliquées (comme pour un traitement mathématique ou un jeu d’échecs)5 . Les ordinateurs traduisent de façon très rigide et très littérale. Le résultat est donc parfois absurde. En néerlandais « Mijn arm is lam » signifie : « Mon bras est paralysé », mais certains de ces mots ont plusieurs sens. L’ordinateur de traduction néerlandais-français traduira : « Mon pauvre est agneau. » Ce type de fautes se rencontre aussi chez les gens qui maîtrisent « un peu » une langue étrangère. Ils traduisent littéralement parce qu’ils ne saisissent pas les nuances des mots propres à cette langue. Un politicien dont le français n’était pas la langue maternelle entreprit de faire un discours sur sa carrière. Il débuta par ces mots : « Quand je regarde mon derrière, je le vois divisé en deux parties. » En fait, il voulait dire : « Quand je regarde mon passé, je le vois partagé en deux. »

Et cela ne doit pas nécessairement être une langue étrangère. Notre propre langue maternelle fourmille de termes dont le sens exact n’est compréhensible qu’à partir du contexte. Essayez de situer les mots suivants en faisant une image pour ces mots : œil-de-bœuf, monteen-l’air, cul-de-sac, poule mouillée, baise-en-ville, fruit sec, métier de chien, lune de miel. On peut trouver ces mots dans le dictionnaire. Et que pensez-vous du « chevalier des fléchettes », un mot existant en néerlandais. Quelle image avez-vous ?

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Un chevalier des fléchettes pourrait ressembler à cela... du moins, dans le contexte d’un conte de fées. Mais essayez d’adapter cette illustration dans le contexte suivant : « Ce chevalier des fléchettes m’a rendu nerveux. Il était si imprudent que je devais freiner sans arrêt. Il a même dépassé sur la bande d’arrêt d’urgence et à plus de 140 à l’heure. » N’avez-vous pas l’impression de voir des raviolis dans un lit de poupée ? un lavabo à un guichet de gare ? un chevalier des fléchettes est un conducteur qui utilise sans arrêt ses clignotants, zigzague entre les voitures et prend imprudemment la priorité. Les mots à double sens et imagés sont d’inépuisables sources de blagues. La compréhension littérale d’une langue amène des réactions et des répliques absurdes. Le médecin à un patient d’un certain âge : « Donc, monsieur, vous dépassez bien les 70 ans ? Le patient. — Oui docteur, mais pas si bien que ça ! — Que pensez-vous du sexe à la télé ? — Ça fait mal ! — Comment ça, mal ? — Ben oui, j’ai essayé une fois, mais j’en suis tombé...

Mais beaucoup d’anecdotes concernant les personnes atteintes d’autisme sont aussi engendrées par la compréhension littérale de la langue. À l’église, une maman voit s’approcher la personne qui fait la quête et dit à sa fille autiste « Tu lanceras ta pièce dans le panier. » La jeune fille se lève et dans un grand geste, elle lance sa pièce... Pendant la leçon de gymnastique, les garçons doivent se hisser à la barre fixe et faire des tours. Édouard se suspend mais reste ensuite immobile. Le professeur lui dit : « Allez, Édouard, fais des tours ! » Édouard se laisse tomber par terre et, en faisant des signes au professeur, se met à faire des tours de salle avec un grand sourire. Il y a cependant pour les personnes atteintes d’autisme une difficulté bien plus grande encore, causée par « les penseurs cohérents ».

L ES SOUS - ENTENDUS ( OU CE QUI N ’ EST PAS CLAIREMENT EXPRIMÉ ) Les individus sans autisme ont l’habitude que leurs interlocuteurs, tout comme eux, comprennent rapidement et spontanément le contexte dans lequel quelque chose est dit, car chacun a une « théorie

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de l’esprit », la conscience que les autres pensent différemment. Grâce à celle-ci les intentions d’une personne, même invisibles, deviennent évidentes. Il est tellement évident pour les « penseurs cohérents » que les autres tirent aussi leurs informations de cette cohérence, qu’ils vont économiser les mots pour exprimer une situation. C’est pourquoi beaucoup de choses ne sont pas dites pendant une communication simple. Revenons à la phrase : « Garçon, un verre d’eau ! » Que signifie cette expression ? C’est simple, me direz-vous. Faux ! Car si vous relisez attentivement, vous constaterez que cette phrase peut exprimer plusieurs situations. Observez ce qui suit. Les mots qui se trouvent entre parenthèses ne sont pas prononcés mais donnent pourtant sens à la phrase : « Garçon, (regardez) un verre d’eau ! » (Une simple remarque) « (Mais), garçon, (c’est) un verre d’eau ! » (alors que j’ai commandé une bière !) (Une remarque aussi, mais d’un autre type que la précédente) « Garçon, (tenez, SVP) un verre d’eau ! » (une proposition) « Garçon, (voulez-vous) un verre d’eau ? » (une question) « Garçon, (pourriez-vous m’apporter) un verre d’eau ? » (une autre question, mais différente de la précédente) La signification correcte ne deviendra claire que lorsque l’expression sera placée dans le contexte :

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– l’expression du visage de la personne (interrogative, indignée...) ; – les signes gestuels qui l’accompagnent (indiquer, lever les bras, la main...) ; – la situation elle-même (qui sert qui ? un verre vide est-il déjà sur la table ?). Les « penseurs cohérents » que sont les personnes sans autisme, n’ont en général aucun problème pour percevoir la signification correcte ou la traduction exacte de diverses expressions. À partir de la cohérence du contexte, ils peuvent facilement déduire la signification de la phrase. À ce niveau de communication, presque aucun ordinateur ne peut suivre. Pour la machine, il est par exemple impossible d’attribuer un sens au mot « il » dans la phrase suivante6 : « Les enfants ne veulent pas d’esquimau glacé parce qu’il fait froid. » Notre intelligence intégrante comprend sans problème une telle phrase. Pour nous, « il » se réfère spontanément au temps et cela en raison du contexte (nous sentons nous-mêmes qu’il fait froid). D’emblée, il nous paraît

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évident que le mot « il » se réfère au temps et non à l’esquimau glacé... Ou qu’une moustache n’est pas une marchandise : La femme. — Il y a, à la porte, un homme avec une moustache. L’homme. — Dis-lui que j’en ai déjà une.

Imaginez un ordinateur capable de créer des images à partir d’une phrase. Quelle image inventerait-il pour : « J’ai vu un chien avec mes jumelles. » Une mauvaise estimation du contexte génère des situations comiques et absurdes. Quand les « sous-entendus » évidents mais non formulés sont compris de façon peu évidente ou qu’ils apparaissent de façon inattendue, surviennent des absurdités et donc des blagues dont voici un petit échantillon. (Analyser des blagues est une occupation idiote car elles perdent ainsi leur effet. Mais essayez quand même de réfléchir à la façon avec laquelle les sous-entendus ont été construits. J’ai fait de même mais pour ne pas vous gâcher le plaisir, le résultat de ma réflexion se trouve dans les notes finales.) « Dumoulin, dit le juge, vous êtes ici pour débauche. Dumoulin. — Bien. Alors, faites entrer les dames7 . » Après avoir examiné un patient, le médecin lui dit : « Je ne peux pas encore établir le diagnostic avec certitude, mais je pense que la boisson en est la cause. Le patient. — Alors, je reviendrai quand vous serez à jeun8 . » Un homme entre dans un magasin où l’on vend des drapeaux. Après un certain temps, le vendeur vient lui demander ce qu’il désire. « Je cherche un drapeau français de couleur verte », dit l’homme. « Hélas, monsieur, répond le vendeur, le drapeau n’existe qu’en bleu, blanc, rouge. » Après un moment de réflexion, le client lui dit : « Alors, donnez-moi un bleu9 . » La maîtresse de maison à sa servante : « Marie, j’ai acheté une brosse pour les toilettes. Servez-vous en dorénavant ! » Après une petite heure, la servante revient et dit à sa maîtresse : « Madame, j’ai essayé la brosse pour les toilettes, mais elle est assez dure. Je préférerais utiliser le papier10 . »

C’est ce qui n’est pas dit qui pose aux personnes atteintes d’autisme le plus grand problème de communication. Car ce qui n’est pas dit est invisible, n’est pas concrètement perceptible. Il se trouve dans le contexte. C’est là que se situent les informations nécessaires pour comprendre pleinement ce qui a réellement été dit. Les personnes autistes manquent d’informations pour créer un ensemble cohérent parce qu’elles ne cernent pas (aussi vite que nous) la cohérence.

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Très souvent, elles ne réagissent qu’à une partie de l’ensemble. Elles réagissent de façon littérale. La grand-mère de Didier, un jeune autiste, apprend qu’un voyage scolaire est prévu quinze jours plus tard. En visite chez Didier, elle lui demande « Quand pars-tu en voyage ? » Et Didier répond : « À huit heures et quart ». À l’occasion d’une formation aux aptitudes sociales, de jeunes autistes faisaient une rédaction qui avait pour thème « Comment se faire un ami ? ». Michel, 12 ans, écrivit : « Atomes, cellules, yeux, nez, bouche, bras, jambes. P.-S. puis dire Bonjour11 . »

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I NTENTIONS SECRÈTES Ce qui n’est pas dit est très souvent l’intention du message. C’est dans le contexte et non dans les mots que nous découvrons cette intention. Elle est d’un autre ordre que les mots12 . Les spécialistes en communication parlent de « niveau de relation » et de « niveau de contenu ». Le contenu, ce sont les mots. Pourquoi et dans quel but nous prononçons ces mots, concerne le niveau de la relation entre nous et le destinataire du message13 . La plupart du temps, nous partons du fait que la relation entre nous et le récepteur du message est suffisamment claire ; c’est pourquoi nous n’explicitons pas verbalement cette relation. Le faire serait compliqué et peu sensé. Imaginez que vous soyez garçon de café et qu’un client, pour commander un verre d’eau, vous dise : « Garçon, un verre d’eau, s’il vous plaît ! Par cette phrase je veux dire que je suis assis ici et que j’ai soif. Je voudrais donc avoir un verre d’eau. Étant donné que vous êtes le garçon, je m’adresse à vous et je formule cette phrase avec l’intention de vous demander de m’apporter un verre d’eau, ici, à cette table. » La communication est une chose bien compliquée. Non seulement nous devons comprendre le sens des mots et leur cohérence commune (leur signification) mais nous devons aussi saisir la réalité sociale dissimulée derrière les mots. « Garçon, un verre ! » : est-ce une commande, un ordre ou une remarque ? Dans les exemples suivants, l’institutrice corrige-t-elle ou donne-t-elle une information ? L’employée donne-t-elle une réponse ou pose-t-elle une question ? L’enfant. — Madame, j’a dormi cette nuit chez papa. L’institutrice. — Non, on dit : j’ai dormi cette nuit chez papa. L’enfant. — Mais madame, je ne vous y a pas vue...

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Le client. — Madame, pouvez-vous me dire combien de temps dure le vol Paris-New York ? L’hôtesse. — Une seconde, Monsieur... Le client. — Merci, Madame.

Les personnes atteintes d’autisme commettent les mêmes fautes d’interprétation. Leur manque de compréhension au niveau de la cohérence en communication (les intentions) est fortement lié aux problèmes de cohérence sociale (contexte) qu’ils rencontrent. L’aspect social de la communication est la principale pierre d’achoppement pour une personne autiste. Aussi douée soit-elle, l’intention de la communication lui échappe souvent car cette part essentielle de la communication, l’intention, ne peut être perçue littéralement. Les intentions sont très rarement exprimées clairement, elles sont généralement sous-entendues. Pour les personnes souffrant d’autisme les intentions de la communication sont donc littéralement invisibles. Il fait un vrai temps d’hiver. Frédéric, un jeune homme autiste, est sur le point de partir au travail en vélo. L’éducatrice lui dit d’emporter son bonnet et ses gants. Frédéric acquiesce et sort en fermant la porte. Par la fenêtre, l’éducatrice le voit monter sur son vélo sans bonnet et sans gants. Elle ouvre la fenêtre et lui crie : « Mais, Frédéric, je t’avais dit de prendre ton bonnet et tes gants ! » Frédéric se retourne et dit : « Mais je les ai ! » et sort fièrement des poches de sa veste le bonnet et les gants. Il est bien connu que les enfants autistes ne réagissent pas à des instructions de groupe. L’institutrice d’une classe maternelle donne la consigne classique suivante : « Prenez votre livre. » Tout le monde réagit, sauf le jeune autiste. Il n’a pas compris que, l’ordre, l’instruction s’adressait aussi à lui. D’ailleurs, son nom n’a pas été littéralement mentionné, exprimé. Mais le contraire peut aussi arriver... La maman dit à son fils : « Prends ta veste. » Sa sœur autiste quitte précipitamment son fauteuil et prend sa veste. Elle n’est pas capable de déduire à partir du contexte que cet ordre ne s’adresse pas à elle mais à son frère. En conséquence de ce manque de compréhension des intentions « non exprimées », les personnes atteintes d’autisme, ne réagiront souvent qu’à ce qui a été dit et non à ce qui est vraiment mais implicitement signifié. Ce qui est aussi une forme de compréhension littérale. Le professeur : « Benjamin, va aux toilettes ! » Benjamin se rend aux toilettes et y reste sans rien faire. Il n’a pas compris que le professeur lui demandait d’aller faire pipi, parce que le professeur ne l’avait

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pas clairement précisé. Comme nous le faisons avec les ordinateurs, nous devons donner aux personnes atteintes d’autisme des consignes exactes pour qu’elles fassent ce qu’on leur demande et qu’elles le fassent correctement. Les problèmes qu’ont ces personnes pour comprendre le langage ne concernent pas seulement la langue parlée, les mots et les phrases. Dans les autres formes de communication aussi, un bon observateur doit avoir l’œil pour le contexte. Ceci vaut sûrement pour les gestes, les expressions du visage, les positions du corps et tous les autres canaux de communication « non verbaux ». Très souvent, ces formes de langage donnent encore plus de mal aux personnes autistes. Pour les mots, il existe en effet des dictionnaires qui en précisent le sens. Pour les gestes, il n’existe rien. On en dit encore moins avec les gestes qu’avec les mots. Montrer du doigt est l’un de ces gestes. À partir du contexte, nous devons déduire vers où une autre personne pointe le doigt pour trouver ce que cette personne veut nous indiquer. Nous devons nous mettre à la place de celui qui montre du doigt, « entrer » dans ses pensées, ses désirs et ses sentiments. Mais ce n’est pas toujours une réussite pour un être socialement naïf comme l’est une personne autiste ou comme M. Bean.

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C’est la période de Noël, le temps des cadeaux de fin d’année. M. Bean se trouve devant la vitrine d’un bijoutier en compagnie de sa fiancée. Une superbe bague est placée sur un panneau publicitaire représentant un couple d’amoureux. La fiancée de M. Bean la lui montre du doigt et M. Bean hoche la tête amoureusement. Le soir de Noël, il lui offre son cadeau. Elle l’ouvre et... trouve le panneau publicitaire.

Bien que les personnes atteintes d’autisme connaissent beaucoup de mots, comment on communique, pourquoi, combien de temps et quand restent pour eux des points d’interrogation. Une étude récente a démontré que certaines aptitudes de communication qui sont déjà acquises par des enfants de deux ans ne sont pas suffisamment développées chez les personnes autistes. Ainsi, toute forme de communication supposant une attention partagée est un obstacle pour elles car ces personnes ne contrôlent pas si autrui prête attention à leur message14 . Notre façon d’adapter notre communication aux autres et au contexte reste, pour elles, un grand mystère. Et pourtant, les personnes autistes font de leur mieux. Mais comme pour le comportement social, elles ne réussissent souvent qu’une imitation maladroite.

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Un jeune garçon en vacances téléphone chez lui. C’est son frère qui décroche : « Comment va Oscar, notre chat ? — Le chat est mort. Décédé ce matin — Quelle catastrophe ! Tu sais pourtant combien je l’aimais ! Tu aurais pu m’annoncer la nouvelle avec un peu plus de délicatesse ! — Comment alors ? — Et bien, tu aurais pu dire qu’il est monté sur le toit, qu’il a glissé et que tu as essayé de le rattraper mais que malheureusement tu n’y es pas arrivé. C’est plus délicat que ce que tu m’as dit. — OK, j’ai compris. Excuse-moi — Allez, c’est oublié. Et comment va maman ? Elle est montée sur le toit15 . »

7 Les frites de pommes : sur la rigidité

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AUT ( OMAT ) ISME « Mes frères trouvaient que le mot autistique ressemblait à automatique1 . » L’humour apparaît quand l’être humain agit en quelque sorte à la façon d’un automate. Quand le comportement humain s’apparente à celui d’une machine, écrivait le philosophe français Henri Bergson il y a un siècle. Les machines ne sont pas souples dans leur fonctionnement, elles effectuent ce pourquoi elles ont été conçues. Ni plus, ni moins. Les machines n’ont pas de conscience et ne peuvent pas contrôler ni adapter leur « comportement ». Mettez une voiture en marche et elle roulera. Elle continuera à rouler même si un arbre ou un autre obstacle surgit. Une voiture sans chauffeur n’est pas capable d’adapter son « comportement » au nouveau contexte. Elle percutera simplement l’arbre. Donnez une tâche à un ordinateur et il l’effectuera. Demandez-lui d’imprimer et il imprimera, même si la page est blanche et que l’imprimer n’a aucun sens. L’ordinateur ne perçoit pas cette absurdité et il imprimera. Il ne vous dit pas qu’il serait préférable de faire autre chose, comme par exemple prendre une feuille vierge.

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Quand l’homme se comporte comme une voiture ou un ordinateur et n’adapte pas son comportement au contexte, il est à l’origine de situations comiques. Si un individu se promène tête en l’air et bute contre une pierre, nous rions. Ce n’est plus aussi drôle si nous savons que la chute est un choix délibéré de cette personne. Quand le globe-trotter, après des années de voyage, revint dans son pays, il se laissa tomber par terre et embrassa le sol : « N’est-ce pas émouvant ? » « Non, dit le voyageur, il y avait une peau de banane. »

C ELUI DE V ILLEURBANNE ÉTAIT TOUT AU FOND : L’ ESSENCE DES CHOSES ... La capacité de percevoir une cohérence ou la capacité de cohérence centrale nous permet d’adapter notre comportement avec souplesse aux situations changeantes. Les « penseurs cohérents » ne ressentent pas leur vie comme une suite de situations indépendantes les unes des autres, mais comme un processus continu. Non comme un album de photos isolées mais comme un film. Ils intègrent chaque événement, chaque expérience dans un ensemble plus vaste. Ainsi, ils créent une base d’expériences riches et nuancées dans laquelle ils pourront tirer des leçons pour le futur pour comprendre de nouvelles situations et y réagir intelligemment. Il en va tout autrement pour les personnes manquant de cohérence centrale. Les expériences sont reliées à des situations concrètes. Il n’y a pas de notion d’un grand ensemble mais les détails sont reliés entre eux et, à l’avenir, ce lien sera considéré comme absolu. Chaque fois qu’un détail se présentera, un autre surviendra de façon identique. Que les détails prennent tant d’importance est compréhensible quand on ne saisit pas la cohérence. Mais quand les détails deviennent plus importants que l’ensemble, on voit se développer un comportement semblable au fonctionnement des machines. Les activités sont réalisées de façon rigide, sans aucune souplesse. Par souplesse, nous entendons sensibilité pour le contexte, comme être attentif à un obstacle, même si nous sommes en train d’accélérer. La sensibilité pour le contexte signifie surtout être sensible à l’essence de la situation. Savoir faire la différence entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cette capacité n’est pas compatible avec l’observation des détails concrets. Les détails restent en effet très souvent de moindre importance.

7. Les frites de pommes

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Un peloton de soldats a pour mission de saboter une gare. Après une heure, ils sont de retour. Le sergent. — Mission accomplie, mon commandant ! Le commandant. — Mais je n’ai pas entendu d’explosion ! Le sergent. — C’est vrai, mais nous avons fait un bon sabotage. Nous avons confisqué tous les tickets de train.

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Deux habitants de Villeurbanne ont fait une virée à Lyon et ratent le dernier bus. Ils décident d’en « emprunter » un. Le premier monte la garde pendant que l’autre entre dans le dépôt. Cela dure longtemps et du dépôt proviennent d’étranges bruits. Finalement, le second sort au volant d’un bus tout cabossé et son compagnon lui de mande : « Dis, c’était quoi, tous ces bruits ? — Ben, c’était pas facile, le bus à destination de Villeurbanne était tout au fond. »

Celui qui est sensible au contexte peut situer chaque détail dans une situation donnée. Il peut faire un tri entre les nombreux éléments et les placer dans une certaine perspective (trier, relier ces éléments, c’est mettre de la cohérence !). Ce tri se fait spontanément chez les « penseurs cohérents » selon un principe établi, celui de l’importance attribuée aux détails. Pour différencier les détails importants des autres, nous regardons la signification ou le but de la situation. Nous devons le « découvrir » et pour cela, nous devons faire preuve d’imagination, plus particulièrement d’une imagination sociale parce que les objectifs sont posés par des personnes et non par des objets. Une fois l’objectif clairement précisé, certains détails deviennent moins importants que d’autres. Pour qu’un train puisse rouler, les tickets sont bien moins importants que les rails ou la locomotive... Si vous voulez absolument partir, ce qui est écrit sur le bus est peu important. Pourvu qu’il roule... Pierre est un jeune marié à la recherche d’un appartement. À l’agence immobilière, on lui fait comprendre qu’il n’y a pas de logement disponible. « Revenez dans un an », lui dit-on. « Très volontiers, le matin ou l’aprèsmidi ? »

Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à situer les événements dans leur perspective. Elles ne pressentent pas suffisamment le but des situations, elles sont peu orientées vers leur signification mais bien plus vers la perception littérale des détails. C’est pourquoi chaque détail a la même valeur, est aussi important qu’un autre. Ceci a des conséquences radicales sur le comportement des personnes autistes. Nous avons déjà évoqué ces conséquences sur le

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comportement social et la communication. Mais cela va beaucoup plus loin. L’apprentissage et l’exécution de la plupart des comportements et activités sont touchés par l’hypersélectivité et par le fait que les personnes atteintes d’autisme s’attachent au sens strict et littéral des perceptions. Beaucoup de leurs comportements sont régis par des détails, d’où une certaine rigidité dans leur façon de se comporter. Pour définir cette rigidité, différentes dénominations existent : rigidité, résistance aux changements, comportements stéréotypés, ritualisation. Ce sont différentes expressions d’un seul et même problème, celui de la souplesse de généralisation. En fait, il s’agit d’un double problème car il peut y avoir manque autant qu’excès de généralisation : – un manque de généralisation apparaît lorsque vous n’arrivez pas à adapter à une situation similaire un comportement ou une activité précédemment apprise, si pour exécuter une action, vous êtes fixés sur un détail et qu’en l’absence de ce détail vous n’entrez pas en action bien que la situation soit « réellement » ou essentiellement la même. Vous n’effectuez donc une certaine action que si le détail concerné est présent ; – si pour exécuter une action, vous vous fixez sur un détail et que ce détail étant présent vous entrez en action bien que la situation soit « réellement » ou essentiellement différente. Vous exécutez cette action même si elle n’est pas nécessaire. Ici aussi, nous parlons d’un problème de généralisation, mais d’un excès de généralisation.

D ES TOILETTES SONT POURTANT DES TOILETTES ? Si tous les détails ont la même importance, ils ne doivent plus changer. Car, si un détail change ou disparaît soudain, la situation n’est plus la même. Si vous portez un pull bleu au lieu d’un vert, ce n’est qu’une différence de détail pour les individus sans autisme. L’élément le plus important — la personne — reste le même. Vous avez une autre apparence, mais vous n’êtes pas différent. Pour ceux qui sont axés sur la perception littérale de détails concrets et externes, il n’en va pas de même. Deux menuisiers sont en train de travailler dans une scierie. Un accident survient et l’un d’eux perd une oreille. Son compagnon cherche et trouve

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l’oreille. Mais son collègue lui fait remarquer : « Non, ce n’est pas la mienne. Derrière la mienne, il y avait un crayon. »

Les personnes atteintes d’autisme ne comprennent pas l’essence des situations. Leur compréhension est plutôt analytique : chaque situation est la somme de tous les détails. Comme pour l’ordinateur, si je demande à un programme de traitement de textes de changer l’abréviation V.V.A. en Vlaamse Vereniging Autisme et que je tape VVA, le programme n’agira pas. La première fois que cela m’est arrivé, j’étais étonné : V.V.A. est pourtant la même chose que VVA ? Avec ou sans point, il n’y a que peu de différence. Au niveau du sens, c’est exact mais pas pour un ordinateur qui traite les informations de façon littérale et analytique, détail par détail. Pour lui, les points ont autant d’importance que les lettres. Et par conséquent, V.V.A. n’est pas la même chose que VVA. « L’aspect » est différent. Donc, il n’effectuera pas le changement demandé. Car pour lui, chaque détail doit être présent. VVA n’est pas la même chose que VVA, seksualité pas la même chose que sexualité et siège de WC pas la même chose que siège de toilettes. Lors d’un camp pour enfants autistes, un garçon refusait d’aller aux toilettes. Chaque fois que l’éducateur lui disait : « Marc, va aux toilettes ! », il était effrayé, se rebellait et refusait d’y entrer. Nous avions essayé toutes les toilettes du camp, sans résultat. On consulta alors les parents. Marc agissait-il ainsi à la maison ? Était-il malade ? Pourquoi refusait-il ? Nous ne trouvions pas directement de solution. Pour les éducateurs, « aller aux toilettes » était une situation tout à fait normale et reconnaissable : les toilettes sont des toilettes, n’estce pas ? Pour des « penseurs cohérents » en effet... mais pour des personnes comme Marc, qui ne savent pas faire la différence entre les détails importants et les autres, non ! Les éducateurs cherchèrent LE détail. Ils demandèrent alors aux parents : « À quoi ressemblent les toilettes chez vous ? Et à l’école de Marc ? ». Après un échange de coups de fil, pendant lesquels on discuta en détails de la couleur et de la forme des toilettes, le mystère fut enfin éclairci. Chez Marc comme à l’école, les sièges des toilettes sont tous blancs. Au camp, tous les WC avaient un siège noir. Marc ne reconnaissait pas ces toilettes comme étant des toilettes. Un siège noir ne peut être un siège de toilettes ! Et en plus, ils m’obligent à entrer dans cette pièce ! Pour nous, la couleur des sièges de toilettes est un détail sans importance. Si nous « devons » y aller, nous, peu importe la couleur !

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Comment pense une personne autiste ?

Pour nous, la propreté des toilettes est bien plus importante que la couleur. Pour Marc, la couleur est un détail tout aussi important. (Vous vous demandez sûrement comment ce problème a été résolu pratiquement. Nous avions de la chance : le papier de toilettes était blanc et non rose... Ainsi, nous avons bricolé un siège blanc en l’entourant de papier.) Pour le mystère des toilettes, il existe un nom dans la littérature sur l’autisme : la résistance aux changements. Élise est bouleversée quand, un jour, la table est mise dans la salle à manger avec les couverts aux manches bleus. Ces couverts n’avaient servi jusqu’à présent que pour les repas pris dans la cuisine. Quand on mangeait dans la salle à manger, on mettait toujours les couverts en argent. Élise retire les couverts aux manches bleus, les range dans la cuisine et les remplace par les couverts en argent. On demande à Maxime d’aller chercher la mayonnaise dans la cuisine. Désemparé, il reste debout, la porte du réfrigérateur ouverte. Il ne trouve pas la mayonnaise. Pourtant le pot est devant son nez. Mais... c’est une autre marque que celle habituellement achetée. Autre marque : autre article. Et donc pas reconnaissable en tant que mayonnaise, car la mayonnaise, est un pot sur lequel est écrit en lettres jaunes « Amora » et sur lequel on peut voir un œuf et un demi-citron.

Il arrive souvent qu’une personne atteinte d’autisme puisse se débrouiller dans une certaine situation mais pas dans une autre. C’est compréhensible quand nous savons que son comportement dépend de la présence ou de l’absence de détails. À la maison, Oscar joue bien avec ses petites voitures mais chez sa grand-mère, il ne le fait pas. Logique, puisque chez la grand-mère c’est différent de la maison : le tapis sur lequel il joue avec ses autos à la maison n’est pas identique à celui de grand-mère. Comme les enfants autistes sont attachés aux détails, ils cherchent leurs points de repère dans ces détails et non pas dans les significations (invisible). Ils reconnaissent les situations à partir de détails et le monde devient prévisible : un siège de toilettes blanc = faire pipi, les couverts en argent = manger dans la salle à manger, les couverts aux manches bleus = manger dans la cuisine. Le monde devient surréaliste, absurde et incompréhensible si les couverts de la cuisine sont utilisés dans la salle à manger. Si les points de repères d’une vie sont faits de détails, alors il est humain qu’une frustration apparaisse quand ces détails changent. Un jeune homme est sur le point de se marier. La veille du mariage, il est nerveux et a très peur. Son père essaye de le rassurer en lui disant : « Mon garçon, je suis marié moi aussi et je suis extrêmement heureux. » « Oui, je

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sais, lui répondit-il, Mais toi, tu es marié à maman et moi je dois épouser une étrangère ! »

Imaginez une bibliothèque sans système de classement : pas de classement thématique, alphabétique ni par auteur. Chaque nouveau livre acheté est placé au petit bonheur la chance. Dans une telle bibliothèque, il est frustrant de chercher un livre. Vous devez vous souvenir de la place d’un livre en retenant les détails. Ce livre de jardinage très intéressant se trouve dans la deuxième rangée de la quatrième étagère de gauche, entre le livre à couverture jaune et celui des modèles de bateaux. Imaginez que le livre à couverture jaune ait été déplacé ou prêté, ou que la quatrième étagère a changé de place. C’est une situation très frustrante. Chaque changement, si minime soit-il, transforme la bibliothèque en chaos. En tant que client de la bibliothèque, vous allez vous énerver sur les personnes qui ne mettent pas les livres à leur juste place. Et imaginez que vous en soyez le bibliothécaire... Le monde dans lequel vivent les personnes atteintes d’autisme ressemble à une bibliothèque sans classement. Les détails doivent rester inchangés parce qu’il n’y a pas assez de cohérence et d’ordre. La fixation sur les détails a aussi ses avantages : c’est comme un couteau à deux lames. Quand les détails extérieurs changent, une nouvelle situation apparaît pour les personnes atteintes d’autisme. Avec parfois pour conséquence qu’elles ne retombent pas dans des routines créées par l’assemblage de comportements et de détails concrets. Parfois, un comportement spontané qui ne s’était jamais présenté dans une telle situation apparaît. Ce qui donne aux parents et éducateurs l’occasion d’apprendre un nouveau comportement. Pour nous, les repas sont reconnaissables indépendamment des détails : couleur des couverts, forme et couleur de la table, type d’assiettes, lieu du repas. Un repas au restaurant n’est pas moins un repas qu’un repas à la maison. Mais pour les personnes atteintes d’autisme, parce que le restaurant a un autre aspect que la maison, un repas au restaurant peut être tout à fait autre chose qu’un repas à la maison. C’est ainsi qu’il arrive que des enfants mangent du potage au restaurant alors qu’à la maison, ils l’ont toujours refusé.

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F RITES DE POMMES Une autre conséquence de l’hypersélectivité est la surgénéralisation. Les personnes atteintes d’autisme associent souvent un certain comportement à un certain détail. Si elles perçoivent ce détail, elles exécutent l’action s’y rattachant, que cela soit indiqué ou non dans l’ensemble du contexte. Si elles entendent un signal de départ, elles courent, même si la course n’a pas débuté et que le commissaire de course essaie seulement son pistolet. Les « penseurs en détails », tout comme les personnes atteintes d’autisme, réagissent aux détails externes, pas au sens ou au but de la situation. Si le détail est identique, elles réagissent de manière identique, même si l’intention est différente. Elle. — Chaque fois que je te demande une nouvelle robe, tu me donnes toujours la même réponse. Lui. — Oui mais, tu poses toujours la même question.

Lorsque je prépare un cours sur les aptitudes sociales, j’établis un agenda pour les participants. Comme les personnes autistes trouvent leur compte dans la communication concrète et visuelle, j’utilise des illustrations qui sont des supports de la langue écrite. J’ai, dans mon ordinateur, un logiciel qui propose plus de cent illustrations, ce qui est une aide importante. Comme je ne connais pas la dénomination de chaque illustration, j’utilise l’outil de recherche qui est associé à la série d’illustrations. Celui-ci sélectionne des illustrations à partir de mots de code. Je tape le mot « HÔTEL » et les illustrations suivantes sont sélectionnées : hôtel, complexe hôtelier, visschotel, schotelantenne... Mon ordinateur a sélectionné trop d’illustrations : la fonction de recherche du programme a réagi à la perception littérale des détails et non à l’intention du mot de code. Ainsi, mon ordinateur a proposé toutes les illustrations dans lesquelles le mot HÔTEL apparaît, donc aussi visscHOTEL (plat de poisson) et scHOTELantenne (antenne parabolique). Sandrine, une jeune fille autiste, avait appris à la maison à peler des pommes de terre et à les couper en morceaux. À l’école, on fêtait l’anniversaire de l’un des enfants de la classe. Tous les enfants allaient aider l’institutrice à faire de la tarte aux pommes. L’institutrice savait que Sandrine était capable d’utiliser un couteau. Elle lui donna donc la tâche de peler et de couper les pommes. Sandrine prit sa première pomme, la pela et la coupa en morceaux comme

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elle le faisait avec les pommes de terre. L’institutrice le remarqua et montra à Sandrine comment elle devait couper les pommes pour la tarte : en fines tranches. Sandrine comprit et coupa les pommes en fines tranches. Le lendemain, la mère de Sandrine lui demanda, comme chaque jour, de peler les pommes de terre et de les couper en morceaux pour le dîner. À la grande surprise de sa mère, Sandrine coupa les pommes de terre... en fines tranches. Quand des personnes atteintes d’autisme se trouvent face à une nouvelle situation, elles prennent comme référence des routines connues ou des expériences bien ancrées. Associer un comportement à des détails est assez effectif dans certaines situations, c’est pourquoi les personnes autistes peuvent encore apprendre beaucoup de choses. Mais beaucoup de situations demandent une réaction souple et c’est cette souplesse qui manque aux personnes atteintes d’autisme. La souplesse provient de la perception des intentions et non des détails. La souplesse demande de la créativité. Apprendre des règles, donc associer un comportement à des détails (si tu vois... alors tu fais...) peut aider les personnes autistes à progresser mais ne peut pas les empêcher de parfois réagir avec excès.

L E COUP DE FEU DU STARTER

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FAIT PARTIE DE LA COURSE La fixation sur des détails n’a pas seulement des conséquences sur les réactions des personnes autistes aux situations, l’apprentissage des actions et des comportements en est aussi influencé. Quand elles apprennent une certaine action ou activité, elles ne l’apprennent pas comme un ensemble cohérent d’étapes mais comme une suite de détails aussi importants les uns que les autres. Comme elles n’ont pas de capacité d’organisation ni de vue d’ensemble, comme elles ne peuvent pas toujours faire la différence entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, il arrive régulièrement que les personnes atteintes d’autisme ne différencient pas une instruction ou une aide de l’exécution même d’une action. Quand un enfant non autiste apprend à s’habiller et que sa maman l’aide en lui disant ce qu’il doit faire et en lui donnant un coup de main dans le sens littéral du terme, l’enfant a compris que cette aide ne fait pas partie de l’habillage mais que celle-ci est un apport

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temporaire. L’enfant sait mettre son monde en ordre et fait clairement la différence entre « l’habillage en lui-même » et « l’aide pour s’habiller » : – maman passe mes jambes dans le pantalon (c’est de l’aide) ; – maman dit : « Tire le pantalon vers le haut » (c’est une instruction) ; – je tire mon pantalon (c’est une partie de l’habillage). Les personnes atteintes d’autisme n’arrivent pas toujours à faire cette différence. La conséquence en est qu’aussi bien les instructions que les étapes de l’activité sont toujours considérées comme autant de parties de même importance. S’habiller devient : – – – –

maman passe mes jambes dans le pantalon ; maman dit : « Je tire mon pantalon vers le haut » ; je tire mon pantalon vers le haut ; maman dit : « Bien ».

Et ainsi de suite... Si vous retirez un seul élément, il n’est plus question « d’habillage ». C’est ainsi que cela fonctionne chez les personnes atteintes d’autisme. Si maman ne dit plus rien après avoir passé les jambes dans le pantalon, l’enfant ne sait plus ce qu’il doit faire. La suite logique des étapes est interrompue. Il ne s’agit plus de « s’habiller », car quand on s’habille, maman dit de tirer le pantalon vers le haut. Tout comme les ordinateurs sont dépendants de chaque instruction détaillée pour effectuer des tâches en plusieurs étapes, les personnes atteintes d’autisme sont facilement dépendantes d’ordres et d’instructions. L’enfant attend l’ordre de sa maman pour tirer son pantalon vers le haut, car la phrase « tire ton pantalon vers le haut » est devenue une partie essentielle de l’habillage. Les personnes autistes n’entrent très souvent en action que lorsque le signal de départ est donné. Le coup de feu du starter fait partie de la course... Pour ce phénomène, il existe un concept difficile. On dit que les personnes atteintes d’autisme sont des individus « dépendants personnels » (quand ils ont besoin d’ordres verbaux) ou « dépendants structurels » (quand ils ont besoin de photos, d’images, de matériel). En fait, il s’agit de deux mêmes aspects, de deux formes de dépendance aux instructions2 . Comme les ordinateurs, il leur arrive souvent de ne pas entrer en action si les bonnes suggestions n’ont pas été faites, si on n’a pas appuyé sur la bonne touche, s’ils n’ont pas reçu un coup de main.

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On apprend à un jeune autiste à se brosser les dents. À l’aide d’illustrations, sa mère lui a montré les différentes étapes du brossage. Tout marchait bien, sauf pour cracher l’eau de rinçage. Après avoir mis de l’eau en bouche, il restait devant la glace sans bouger. Pour l’aider, sa mère lui donnait un petit coup sur la tête et disait « Crache, Martin ! » Et Martin crachait immédiatement. Et ça a marché un certain temps. Mais Martin n’arrivait pas à se brosser les dents tout seul. Il restait avec son eau de rinçage dans la bouche. Il attendait tout simplement le petit coup sur la tête. Cela faisait partie de l’activité. Pour Martin, se brosser les dents, c’était : – – – – – – –

... je dépose ma brosse à dents ; je prends mon gobelet ; j’avale une gorgée d’eau ; je reçois un petit coup sur la tête ; je crache l’eau ; etc.

Martin avait littéralement besoin de ce petit coup de main pour entrer en action. Il n’exécutait pas l’action aussi longtemps qu’il n’y avait pas d’ordre. Tout comme ce garçon à qui on avait donné un chewing-gum et qui se promenait depuis des heures en le mâchant, apparemment à contrecœur. On lui avait simplement dit : « Et surtout, ne l’avale pas. »

8 Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution des problèmes

une grande différence entre la connaissance théorique des faits et le « bon sens ». Pour la connaissance des faits, on n’a guère besoin de pensée cohérente, on peut aller très loin avec une bonne mémoire. Penser avec cohérence est surtout nécessaire pour résoudre des problèmes quotidiens. Ce n’est pas parce que vous connaissez les horaires de train par cœur que vous savez prendre le train tout seul. Ce n’est pas parce que vous pouvez donner un nom à vos ustensiles de cuisine que vous savez les utiliser. Les personnes atteintes d’autisme peuvent posséder une connaissance théorique très développée mais leur bon sens ne suffit parfois même pas à aborder les petits problèmes ménagers auxquels, sans en être vraiment conscients, nous trouvons des solutions souples et rapides. Les personnes atteintes d’autisme se cramponnent aux règles et aux tâches concrètes parce que d’elles-mêmes, elles ne peuvent donner suffisamment de sens au monde. Reconnaître si une certaine activité a du sens ou non, trouver une solution à un problème, sont des tâches pour des personnes possédant du « bon sens ». Pour cela,

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I

LYA

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il faut avoir un sens illimité du contexte. « Avoir du bon sens ou pas » n’a rien à voir avec des détails, des règles de logique. Par contre, les notions de vrai ou de faux, juste ou injuste dépendent de règles ou de la logique. Les personnes atteintes d’autisme peuvent souvent dire si quelque chose est vrai ou faux, juste ou injuste. La justesse et la vérité sont des notions très importantes pour elles. Mais savoir si quelque chose a un sens ou non est beaucoup plus difficile. Le bon et le mauvais sens résultent de la cohérence des choses et des événements. La cohérence découle de la découverte de l’intention. Et cette cohérence est insaisissable en termes de logique. C’est pourquoi l’autisme n’est pas seulement un problème lié à l’attribution de significations. C’est aussi un problème lié à l’attribution de sens. Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à donner du sens à une situation parce qu’elles ne perçoivent pas assez leur cohérence par rapport à leur sens1 ; parce qu’elles ne parviennent pas suffisamment à comprendre une intention. Ainsi, les personnes atteintes d’autisme ont du mal à résoudre les problèmes de façon effective et efficace : elles sont « à côté de la question ».

E FFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ Être effectif signifie agir de façon fonctionnelle. Comment peuton agir de façon fonctionnelle si on ne comprend pas ou si on ne voit même pas le but d’une action ? Les personnes atteintes d’autisme sont beaucoup moins directes. Celui qui travaille efficacement ne fait pas n’importe quoi. Il sélectionne en fonction du but à atteindre. Mais comment peut-on être efficace si on ne peut pas évaluer l’action quant à sa cohérence avec le but à atteindre ? Les personnes autistes sont beaucoup moins conscientes. Elles ont du mal à résoudre des problèmes, même les plus faciles, parce qu’elles sont moins directes et moins conscientes du but à atteindre. Mais il y a plus... Celui qui veut être effectif et efficace doit voir plus loin que les détails. Il doit voir l’ensemble d’un problème et savoir placer les détails avec souplesse dans un ensemble en perpétuel changement. Si le but est d’« atteindre Chambéry », chanter des chansons montagnardes n’a rien d’effectif. Prendre une voiture et rouler vers Chambéry est fonctionnel, mais en soi pas efficace. Vous pouvez vous rendre à Chambéry par différentes routes. Si votre point de départ est SaintÉtienne et que vous passez par Grenoble, c’est peut-être effectif (il

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est possible d’atteindre Chambéry en passant par Grenoble) mais pas efficace car vous faites un détour. Passer par Lyon est plus court donc plus efficace. Mais pas toujours... Si vous devez aller de Valence à Chambéry, c’est la route de Grenoble qui est la plus efficace et non celle de Lyon. Parfois, passer par Grenoble au lieu de Lyon en partant de Saint-Étienne peut être plus efficace. Par exemple, si le périphérique de Lyon est bouché pendant des heures à cause d’accidents de la circulation. Efficacité et effectivité sont une question de souplesse. Nous n’exécutons pas toujours nos actions et nos activités de façon stricte et formelle mais en fonction du contexte. Les règles et les tâches ne sont pas exécutées littéralement mais en fonction du bon sens. Élizabeth apprend qu’on doit se brosser les dents trois fois par jour. Le lendemain, elle se brosse les dents trois fois... après le petit-déjeuner, trois fois d’affilée. Les personnes atteintes d’autisme n’ont pas de souplesse de raisonnement. Si elles ont appris à effectuer une activité, elles l’exécutent ensuite de façon littérale et identique : chaque étape et chaque détail doivent être réalisés dans l’ordre dans lequel ils ont été enseignés. Aussi longtemps que la situation ne change pas, ceci est effectif. Mais hélas, les situations changent (parfois, le périphérique est saturé), alors il faut être capable d’adapter les actions apprises. Si on n’y arrive pas, cela peut créer des situations étranges. Un matin, du balcon de son appartement, une femme voit arriver dans la rue deux ouvriers des jardins publics. L’un commence à creuser un trou pendant que l’autre l’observe. Quand le premier a fini, l’autre comble le trou puis aplatit la terre. Et ainsi toute la matinée : l’un creuse un trou, l’autre le remplit et aplatit la terre. La femme est fascinée par ce spectacle et décide de leur demander ce qu’ils fabriquent. Les ouvriers répondent : « C’est à cause de Joseph ! Il est malade et c’est lui qui est chargé de placer les arbres. »

Un jeune homme autiste2 avait appris à l’institution comment laver soigneusement son linge : d’abord mettre tout le linge dans la machine puis dans le séchoir. Il faisait cela chaque semaine avant de rentrer chez lui. Un jour, il rentre chez lui la valise remplie de linge mouillé. Il avait exécuté la routine du linge à laver : mettre le linge dans la machine, appuyer sur le bouton, sortir le linge à l’arrêt de la machine et le mettre dans le séchoir, appuyer sur le bouton, attendre le signal de fin, sortir les vêtements, les plier et les mettre dans la valise. Hélas, cette semaine-là il y avait un problème avec le séchoir : il était en panne et seul le signal fonctionnait. Le jeune

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homme avait appris la routine, les différentes étapes, mais il n’avait pas compris le but de l’activité (sécher le linge). Le docteur rédige une ordonnance pour le patient : « Avec cela vous frotterez votre poitrine trois fois par jour ». Le patient revient après une semaine. Le docteur. — Alors, ça vous a aidé ? Le patient. — Pour sûr, docteur, mais pourriez-vous m’écrire une autre ordonnance ? De préférence un plus grand papier, parce que le précédent, je l’avais tellement frotté qu’au bout de deux jours, il était inutilisable. »

Les personnes atteintes d’autisme continuent souvent à effectuer certaines activités ou actions même si elles sont devenues inutiles ou superflues parce que le contexte ou le but a changé. En d’autres termes, quand elles ne sont plus effectives. Ceux qui pensent en détails n’adaptent pas assez souplement leur comportement aux contextes qui changent. Ils exécutent les actions et les routines comme s’il s’agissait d’événements isolés, sans but ni cohérence avec le contexte. Le président d’un petit pays est en visite officielle en France. Sur le chemin de l’aéroport à l’hôtel, il remarque qu’il y a des lignes blanches pointillées au milieu de la route. Il demande au Premier ministre français à quoi servent ces lignes. Le Premier ministre lui explique que la signalisation sur la route permet de bien régler la circulation. Le président considère cela comme une formidable découverte. Enfin, il a trouvé la solution au chaos routier qui sévit dans son pays ! Et, de plus, c’est beau ! À son retour, il appelle le ministre des Transports et lui donne mission de mettre son meilleur ouvrier à la tâche. La route menant de la résidence présidentielle à l’aéroport doit être réalisée en premier lieu. La peinture et les pinceaux sont prêts. Le lendemain, l’ouvrier se met au travail. Le président va voir et constate avec plaisir que deux kilomètres sont déjà peints. Le président en est satisfait. Le lendemain, il constate que seulement un kilomètre a été peint et que le jour suivant, seulement 500 mètres l’a été. Le président en demande la raison à l’ouvrier qui lui répond : « Mais, monsieur le Président, le chemin jusqu’au pot de peinture est de plus en plus long. »

Jonathan, un jeune homme autiste, doit faire son lit. Je l’aide parce qu’il ne sait pas encore le faire. Je lui montre comment placer le drap du dessous. Ensemble, nous plions les quatre coins du drap sous le matelas pour tendre le drap. Je sors alors de la pièce en demandant à Jonathan de finir de faire le lit. En revenant un peu plus tard, je constate que Jonathan a parfaitement fait le lit. Mais... il a aussi plié le drap du dessus et la couverture sous le matelas, aux quatre coins. Jonathan ne voit pas l’ensemble de l’action « faire le lit » et reste accroché à l’action qu’il a apprise. Il n’a pas compris que, plus tard,

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il devrait entrer « dans » le lit, entre les draps, alors que c’était là le but. Il est surpris quand je lui demande : « Et comment vas-tu entrer dans le lit ? ». C’est seulement à ce moment qu’il se rend compte qu’il a mal fait son lit et me fait la réflexion : « Eh bien, tu es futé, toi ! T’as sûrement été à l’université ? »

P LUTÔT FONCTIONNAIRES QUE STRATÈGES : LES RITUELS À cause du manque de souplesse dans la résolution des problèmes quotidiens, des rituels se créent chez les personnes atteintes d’autisme. Ce qui était à l’origine une solution fonctionnelle et efficace va vivre sa propre vie. L’action va être exécutée, même si elle n’a (plus) de sens.

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— Dites, patron, ces dossiers sont vraiment encombrants. On ne pourrait pas les brûler ? — En fait, oui. Mais avant, prends-en une photocopie par sécurité.

François a appris qu’il devait mettre ses pantoufles pour entrer dans la salle de bains. Un jour, la famille va à la piscine. François remarque qu’il a oublié sa brosse à cheveux. Pendant que la famille patiente dans la voiture, il court la chercher. Il enlève ses chaussures et met ses pantoufles, prend sa brosse, enlève de nouveau ses pantoufles et remet ses chaussures. Il lui a fallu cinq minutes pour aller chercher sa brosse et pendant ce temps, la famille attendait dans la voiture. Les personnes atteintes d’autisme s’en tiennent à des rituels ou automatismes (appelés stéréotypies), parce que cela leur procure stabilité et tranquillité. C’est la seule chose qui ne change pas, tout le reste est variable et imprévisible. Aux yeux des « penseurs cohérents », ces actions rituelles sont dénuées de sens. Elles n’ont aucune relation avec le but final et elles nous procurent une dose importante de frustration. Les éducateurs et les parents doivent souvent « attendre » une personne autiste parce qu’il ou elle « termine » un rituel qui est superflu et qui est une perte de temps pour les penseurs cohérents. Pourquoi doit-il encore se moucher, juste maintenant, alors que nous devons partir ? Il s’est mouché quand nous sommes arrivés... Pour les personnes atteintes d’autisme, ces rituels ou stéréotypies ne sont pas dénués de sens. Non seulement parce qu’ils offrent une certaine stabilité mais aussi parce que ces personnes utilisent

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d’autres références. Leurs actions n’entrent pas dans le cadre d’un but précis, dans le « sens » donné aux choses, dans un ensemble. Elles les exécutent plutôt comme une suite fixe d’actions, une suite d’étapes indépendantes devant être suivies, une procédure absolument indispensable : « C’est comme ça. Cela doit être fait comme ça. » Bernadette est très soigneuse et ordonnée. À chaque fois qu’elle sort un accessoire de sa trousse de toilettes, elle la referme immédiatement. Se brosser les dents et se laver les mains veut dire : ouvrir la trousse, en sortir la brosse à dents et le dentifrice, fermer la trousse, mettre le dentifrice sur la brosse, ouvrir la trousse, y remettre le dentifrice, refermer la trousse et ainsi de suite. Pour qui voit l’ensemble de l’activité, ouvrir et fermer la fermeture éclair de la trousse est une action superflue et donc insensée. Ce n’est pas le cas pour Bernadette. Elle ne voit pas l’ensemble. Pour elle, chaque étape (prendre le matériel pour se brosser les dents, mettre le dentifrice sur la brosse, se brosser les dents) est une activité indépendante. Et, après chaque activité, elle referme sa trousse. Parce qu’elles ne perçoivent pas l’ensemble, la cohérence, les personnes atteintes d’autisme ne supportent pas les interruptions dans une procédure. Les individus sans autisme voient le fil conducteur qui relie les différentes étapes d’une activité et, après une interruption, ils reprennent tout simplement le fil. Ce n’est pas le cas des personnes autistes qui ne distinguent pas l’ensemble et perdent le fil après une interruption. C’est pourquoi elles recommencent chaque fois tout à zéro. L’une d’elles l’exprime ainsi : « Maintenant que toute cette chaîne de décisions a été interrompue par un élément extérieur, il est très important de recommencer tout du début parce que tout a littéralement changé par suite de cette hypersélectivité3 . » Xavier, un jeune homme autiste, n’arrivait pas à sortir de son lit. Il se sentait un peu fatigué et engourdi. Pour l’aider, on lui expliqua qu’il devait étirer ses muscles avant de sortir du lit. Et Xavier étira ses muscles. La solution préconisée eut des résultats. Xavier adore en effet les exercices physiques et il aime bien paraître beau et fort. Maintenant, il met plus de deux heures pour sortir du lit. Il n’en sort pas avant d’avoir étiré tous ses muscles. Il doit le faire chaque jour, même s’il n’a pas le temps et même s’il n’est pas courbaturé. Il ne peut plus s’en passer et si on l’interrompt pendant ses exercices, il recommence depuis le début.

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Ceux qui pensent en détails résolvent les problèmes d’une façon absurde (à nos yeux) parce qu’ils ne comprennent pas assez la cohérence, l’ensemble. Leurs actions sont isolées. Bernadette, Xavier et François ne réussissent que difficilement à combiner des actions dans un ensemble doté de sens parce qu’ils ne comprennent pas assez les intentions qui se cachent derrière les situations, le contexte à partir duquel on peut combiner et grouper les actions. Et si les actes ne sont pas placés dans un contexte doté de sens (intentionnel), ils deviennent de vraies routines ou rituels. Les personnes atteintes d’autisme ne sont pas de bons stratèges4 . Nous disons de quelqu’un qu’il est bon stratège quand il s’adapte avec souplesse aux énoncés changeants des problèmes et qu’il y trouve des solutions « sur mesure », en fonction du but ou du sens de la situation. Au contraire, les procédures sont des règles établies. Étant « établies », elles offrent de la stabilité. Elles existent pour être appliquées. Les routines de Bernadette, Xavier et François nous font un peu penser à l’image stéréotypée du fonctionnaire qui, lui aussi suit des procédures sans tenir compte du contexte, au grand désarroi de la personne qui se trouve de l’autre côté du guichet : « Vous n’avez pas le droit d’entrer sans le formulaire B 20 bis » (même si ce n’est que pour demander au directeur de déplacer sa voiture...). Les personnes atteintes d’autisme ressemblent plus à des fonctionnaires qu’à des stratèges.

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« E T FAIS EXACTEMENT LA MÊME CHOSE » Quand nous sommes confrontés à un problème, nous non plus, « penseurs cohérents », ne trouvons pas toujours nous-mêmes la solution. Nous avons parfois besoin d’un plus intelligent que nous. Nous consultons ceux qui ont déjà trouvé une solution et nous faisons ce qu’ils font : nous les imitons. Mais même pour imiter, nous devons ressentir l’intention et discerner le contexte5 . Ce qui doit être imité est dégagé intuitivement du contexte. Ceux qui ne possèdent pas cette capacité intuitive n’imitent pas ou imitent mal. Un couple d’un certain âge veut voyager en train pour la première fois. « Comment est-ce que je dois demander un ticket ? » demande le mari. « Mets-toi simplement dans la file et écoute la personne devant toi », lui conseille son épouse, « et fais exactement la même chose. » C’est bientôt son tour. Le monsieur devant lui demande : « Un ticket pour Pierrelatte.

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Aller-retour. » Et le mari ensuite : « Un ticket pour Lucien Duchamp. Allerretour. »

Gilles doit remplir une carte de loto. Il ne comprend pas très bien ce qu’il doit faire. Il place les cartes les unes sur les autres. À l’aide de petites cartes, l’institutrice lui montre comment il doit placer les cartes. Elle invite Gilles à l’imiter. Au bout d’un certain temps, il a compris. Il place les petites cartes sur la grande. Comme il n’a pas encore compris qu’il doit placer non seulement les petites cartes sur la grande carte mais aussi sur le dessin identique, l’institutrice l’aide. Elle tape sur l’endroit précis de la grande carte où la petite carte doit être placée. Et Gilles... tape aussi sur la grande carte. De simples petits exercices d’imitations sont faciles pour nous parce que nous « sentons » ce qui doit être imité d’après le contexte. Mais ils ne sont pas aussi simples pour quelqu’un qui n’a pas cette capacité intuitive. En effet, que feriez-vous dans la situation suivante ?

Que devez-vous faire ? Cela semble simple et pourtant il y a plusieurs possibilités...

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« FAIS CECI ! » Si vous ne savez pas ce que la personne « veut dire » par « ceci », il y a de grandes chances pour que vous imitiez autre chose que ce qui est demandé. Ne pas comprendre les intentions peut avoir de graves conséquences. Cela engendre un comportement de résolution de problème étrange même si d’autres vous proposent une solution.

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L’homme rentre de chez le tailleur avec son nouveau costume. Sa femme lui dit : « Tu as bien fait ce que je t’ai dit ? Tu as pris deux autres pantalons en plus ? » Lui : « Oui, mais pour être honnête, cela me fait chaud aux jambes. »

Pendant la leçon de multiplication par deux (notion de « double »), l’institutrice explique l’une et l’autre chose au tableau. Elle inscrit un chiffre à gauche de la ligne et, à droite, elle inscrit le double de ce chiffre, puis elle trace une flèche d’un chiffre à l’autre et écrit « x 2 ». Elle donne à cette opération le nom de « doubler ». Après avoir fait plusieurs fois la démonstration, elle inscrit au tableau un 4 et un 8. Elle demande alors à Marie, une petite fille autiste : « Marie, que faut-il faire pour aller de 4 à 8 ? » Marie répond : « Dessiner une flèche. » Il arrive souvent que des personnes atteintes d’autisme exécutent des actions ou des tâches sans savoir vraiment à quoi servent ces actions, quel est leur sens. Il en est de même des ordinateurs. Sur demande de l’utilisateur, ils exécutent des calculs mais ne « savent » pas à quoi ces calculs peuvent servir. Les ordinateurs ne posent pas de questions sur le pourquoi de leurs actions et il leur manque la capacité de revenir sur leurs actions pour en comprendre le sens. Un certain nombre d’ordinateurs très intelligents peuvent déjà dire pourquoi ils effectuent certains calculs ou actions mais si vous insistez pour en connaître la « raison », vous recevez une réponse du style : « parce que vous m’avez donné cette mission » ou « parce que mon programme est élaboré ainsi ». C’est comme lors d’un dialogue entre une petite fille et un ordinateur tiré du best-seller : Le Monde de Sophie6 . Sophie tape sur le clavier : « Qui est Hilde Moller Knag ? — Hilde Moller Knag habite à Lillesand et a le même âge que Sophie Amundsen. — Comment savez-vous cela ? — Je ne sais pas comment je sais cela, c’est écrit sur mon disque dur. » Comme les ordinateurs, si les personnes atteintes d’autisme reçoivent des instructions précises, elles exécutent les tâches avec

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exactitude mais souvent sans en comprendre le sens ou l’intention. Elles effectuent ces tâches sans comprendre vraiment ce qu’elles font. Les personnes autistes sont un peu comme les premiers moines copistes. Ces moins étaient des calligraphes de première qualité — ils étaient capables de copier des lettres parfaites et de les orner — mais ils ne comprenaient pas ce qu’ils recopiaient car ils étaient analphabètes. Marianne barbouille tout pendant le dîner. Elle-même, sa chaise et la table sont barbouillées de chocolat. À un moment, son père n’en peut plus et lui dit : « Va manger tes tartines dans le couloir ». Quand la maman rentre un peu plus tard et est mise au courant de l’histoire, elle va dans le couloir et demande à Marianne : « Et pourquoi es-tu dans le couloir ? » Marianne : « Pour manger mes tartines. — Et pourquoi dois-tu manger tes tartines dans le couloir ? » Marianne : « Parce que papa me l’a dit... » Sans insister sur cette anecdote, elle montre bien à quel point les personnes autistes ont du mal à « tirer des leçons » de leurs expériences et combien les punitions ont peu d’effet sur des gens qui pensent en détails. Les personnes atteintes d’autisme n’apprennent pas assez de leurs expériences parce qu’elles ne comprennent pas suffisamment la cohérence de leurs comportements et les conséquences à en tirer. Les enfants autistes, très souvent, ne comprennent pas pourquoi ils sont punis. Ils ne voient pas la relation entre la punition et leur propre comportement. Pour les mêmes raisons, les personnes atteintes d’autisme supportent difficilement la critique. La critique est pour elles comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Et si elles comprennent le « pourquoi » d’une punition, elles restent aveugles à son intention. C’est pourquoi les punitions n’amènent que très rarement un changement de comportement.

FAIRE DU CAFÉ N ’ EST PAS 2 + 2 : DÉCIDER EST PLUS QUE CALCULER Les individus atteints d’autisme sont de parfaits exécutants mais ils exécutent automatiquement (un peu comme un ordinateur), strictement et formellement (un peu comme un fonctionnaire trop zélé) et avec peu de souplesse. Régler les problèmes avec souplesse demande un esprit de décision et cela n’est pas simple pour les personnes autistes. Comment doit-on couper : en tranches ou en

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morceaux ? S’agit-il de pommes de terre ou de pommes qui doivent être coupées ? Et si ce sont des pommes de terre, doivent-elles bien être coupées en morceaux ? Les « penseurs cohérents » ont compris depuis longtemps en observant le contexte : ils ont vu la friteuse et savent déjà que les pommes de terre devront être coupées non pas en morceaux mais en bâtonnets. Il n’est même plus nécessaire de donner une instruction littérale. De quelle grosseur doivent être ces bâtonnets ? Nous n’évaluons pas assez le nombre de décisions à prendre pour l’exécution d’actions journalières. Les « penseurs cohérents » prennent des décisions intuitivement parce qu’à partir de la cohérence du contexte, ce qui peut ou doit arriver devient clair. En d’autres termes, nous le « sentons ». Ainsi, dans la consigne suivante, la plupart des personnes savent quel verre doit être bu : « Cherchez un verre plus rempli que celui que vous avez en main et buvez-le. » Les personnes atteintes d’autisme ont des difficultés à prendre des décisions. Certaines d’entre elles d’une intelligence normale ou supérieure essaient de trouver des solutions en les calculant, comme un ordinateur, mais elles se trouvent confrontées au fait que beaucoup de problèmes humains n’ont pas de solution mathématique : les questions esthétiques, religieuses, émotionnelles ne peuvent faire l’objet de calculs. Un ordinateur peut parfaitement vous donner toutes les données effectives de toutes les œuvres d’art : où se trouve une œuvre d’art, quand elle a été créée, par qui, quelle est sa taille, etc. Un ordinateur peut sauvegarder ces données dans sa mémoire et même effectuer des calculs ou des traitements. Si vous voulez connaître l’emplacement exact de tous les bâtiments de Gaudi à Barcelone, si voulez savoir combien d’œuvres de primitifs flamands se trouvent au Louvre, il ne faudra à l’ordinateur que quelques misérables secondes pour afficher ces renseignements. Mais si vous voulez passer un week-end à Paris et que vous demandez à votre ordinateur quelles œuvres d’art sont les plus « belles », il ne pourra pas vous répondre. Dans le meilleur des cas, il vous donnera une liste de toutes les œuvres d’art contenant dans leur titre le mot « belle », ou une liste dans laquelle le mot « belle » est repris dans la description de l’œuvre, y compris comme : « Les touristes s’accordent à dire que cette œuvre est tout sauf belle. » Mais de plus, pour de petits travaux banals et quotidiens, il est souvent difficile de raisonner et de calculer.

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« Le raisonnement de déduction n’est pas applicable à la majeure partie des situations de la vie quotidienne. Il y a trop de choses dont on doit tenir compte en même temps pour que le raisonnement seul suffise à régler les problèmes7 . »

Pour résoudre les petits problèmes triviaux du ménage, il faut une autre sorte d’intelligence que celle demandée pour la résolution de problèmes mathématiques. Faire du café est autre chose qu’une addition 2 + 2. Ce n’est pas en multipliant ou en extrayant des racines carrées que vous saurez que faire quand le feu sera rouge. Pour résoudre des problèmes mathématiques, il suffit de connaître les procédures et les règles mathématiques et de les appliquer. Une fois que vous le savez, 2 + 2 fera toujours quatre. Où que vous soyez (en classe, à la maison ou au café), quelle que soit la forme de l’exercice (deux plus deux ou 2 + 2), quelle que soit la personne qui vous donne l’exercice (le professeur, tante Irma ou la voisine), vous n’avez qu’à adapter la règle de l’addition et le problème est résolu. Pour les problèmes mathématiques, les procédures sont simples, univoques. Ce sont des algorithmes qui disent : fais ceci, puis après cela, puis ainsi et enfin de cette façon. Si vous suivez la procédure, la solution viendra d’elle-même. Sans plus. Faire du café est un problème d’un tout autre ordre. Pour faire du café et toute autre activité quotidienne, il n’existe pas d’algorithmes. Il y a bien sûr un certain nombre de règles. Ainsi, vous savez qu’il faut d’abord placer un filtre avant de mettre le café, et qu’il est préférable que la prise soit branchée. Mais pour un certain nombre de manipulations dans la question de la préparation même du café, il n’y a pas de règle unique : ce n’est pas important si vous remplissez d’abord le réservoir d’eau et ensuite le filtre de café ou le contraire (et par là, nous n’entendons pas : café dans le réservoir et eau dans le filtre...). De plus, faire du café peut dépendre de la destination du café (l’un aime le café fort, l’autre non) ou du type de cafetière utilisée (avec un appareil muni d’un système anti-gouttes, le couvercle doit se trouver sur la cafetière, sinon ce n’est pas nécessaire). De plus, et c’est là la plus grande différence avec les problèmes mathématiques, pour les problèmes quotidiens et humains il faut tenir compte de la cohérence, des éléments extérieurs comme les petits enfants, les carafes de vin, le verre, l’aspirateur. Ces choses ne peuvent être calculées, elles sont ce que l’on appelle « incalculables ». Car pendant que vous faites couler le café, vous remarquez

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que la réserve de café est vide. Pour prendre le paquet de café, vous devez déplacer une carafe en verre. Elle vous tombe des mains et se brise par terre, ce qui est dangereux pour les petits enfants. Vous devez soigneusement ramasser le verre. Vous prenez les grands morceaux avec les mains mais pour les petits, presque invisibles, il est préférable d’utiliser l’aspirateur. Pour résoudre des problèmes quotidiens, nous constatons que les personnes atteintes d’autisme s’en tirent souvent bien aussi longtemps qu’il y a des règles et procédures claires et à condition que ces règles ou routines aient été apprises. Faire le café marche assez bien jusqu’au jour où la réserve de café est vide et que la carafe glisse des mains. Les personnes autistes savent très souvent décrire parfaitement les règles. C’est ainsi que nous remarquons souvent que dans une situation de test, des enfants autistes arrivent à donner parfaitement la solution au problème donné. Si vous leur demandez comment ils doivent faire un café, ils vous donneront une description détaillée des différentes étapes à effectuer, mais dans la vie de tous les jours, ce n’est pas toujours une réussite. Ce n’est pas parce qu’on sait dessiner le plan d’une ville que l’on connaît vraiment cette ville. Ceci est très embarrassant pour les parents mais devient plus incompréhensible quand on sait que dans une situation de test, on n’a pas besoin de tenir compte des petits enfants, du verre ni de l’aspirateur. Pour résoudre des problèmes, les personnes atteintes d’autisme dépendent beaucoup plus que nous de règles claires. Selon leur intelligence, elles sont capables d’apprendre, de connaître ou même de calculer elles-mêmes un grand nombre de règles. Des situations réglementées ne posent donc pas trop de problèmes. C’est à l’imprévisibilité des situations qu’elles se heurtent. Savoir manipuler avec souplesse ces éléments imprévisibles est difficile pour les personnes autistes. Claire, une jeune fille autiste qui aide à l’entretien d’une petite entreprise reçoit un jour l’ordre de nettoyer l’escalier. Pendant plusieurs minutes elle se parle à haute voix. Elle n’arrive pas à décider par quel bout elle doit commencer : le haut ou le bas de l’escalier ? Elle formule toutes sortes d’arguments, mais ne trouve pas d’argument définitif pour un point de départ idéal. On ne peut calculer une telle chose. Cela dépend de tant d’éléments incalculables... Finalement, quelqu’un d’autre devra prendre la décision à la place

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de Claire. Pour trouver la solution, les impressions et suppositions entrent plus en ligne de compte que le calcul. Les personnes atteintes d’autisme ont des difficultés à percevoir et à deviner les solutions. Elles préfèrent des règles claires, des procédures univoques et des critères clairs, externes et logiques aux critères vagues, internes et intuitifs. Lionel travaille dans un bureau comme assistant administratif. Il aide à l’expédition du courrier, fait du travail de copie et introduit même des données dans l’ordinateur. Il se trouve devant des décisions difficiles à prendre même pour une simple tâche de photocopie : – – – –

combien de copies de ce document dois-je faire ? les copies doivent-elles être triées ? des copies recto ou recto verso ? en quelle couleur ? (noir ou bleu car c’est une photocopieuse couleur ?) ; – les exemplaires photocopiés doivent-ils être assemblés ? avec un trombone ou une agrafe ? et où mettre cette agrafe ? en haut à gauche ? en haut à droite ? avec quelle sorte d’agrafes ? (les simples ou celles en cuivre ?) ; – où mettre les copies ? (dans les boîtes à lettres, au donneur d’ordre, dans une enveloppe, etc. ?). Ce sont pourtant des questions dont les réponses sont simples. Si le donneur d’ordre a été assez clair, Lionel n’aura pas de problème. Le travail de photocopie sera réalisé sans difficultés si le donneur d’ordre a déjà pris auparavant les décisions suivantes : « Lionel, ce document doit être photocopié cinq fois : en noir, recto verso, trié et assemblé par une simple agrafe en haut à gauche. Tu me remettras les copies et l’original. » Mais il reste encore bien d’autres décisions à prendre... De quelle clarté doivent être ces photocopies ? Si elles sont un peu grises, est-ce que cela sera suffisant ? Si ce n’est pas une page entière, où placer l’original : en haut de la plaque de verre, en bas, au milieu ? Si cinq pages doivent être copiées recto-verso, laquelle n’aura pas de verso imprimé : la première, la dernière ou une autre ? Et que faire si l’original s’est déplacé sur le verre et que la copie est de travers, dois-je faire une nouvelle copie ou n’est-ce pas nécessaire ? Est-ce que ce doit être une « belle » copie ? et une belle copie, jusqu’à quel point doit-elle être « belle » ? Il arrive que Lionel

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se trouve un long moment devant la photocopieuse à hésiter. Parfois, il prend vingt « épreuves » pour avoir un texte bien centré sur la page (clair, mesurable, selon des critères extérieurs) alors qu’il s’agit d’un document interne destiné à des collaborateurs qui ne s’intéressent qu’au contenu du document (une caractéristique interne) et non à sa forme.

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L’ EMBARRAS DU CHOIX 8 S’il doit prendre une décision pour la photocopie, Lionel a beaucoup de difficultés à faire à l’avance une présélection des nombreuses alternatives. Avant de prendre sa décision, il a besoin de beaucoup de temps. Il voit tous les arguments possibles se mettre en place et il n’est pas facile de les ordonner. Il prend en compte l’élément écologique (trop d’épreuves, c’est du gaspillage de papier donc mauvais pour l’environnement), comme le point de vue esthétique (si ce n’est pas bien centré, ce ne sera pas beau) et pratique (si ce n’est pas assez noir, ce sera illisible) si..., si... Les personnes atteintes d’autisme ont beaucoup plus de travail que d’autres pour prendre des décisions. Donc elles ont besoin de plus de temps. Décider c’est sélectionner, choisir ce qui est important, sensé ou utile et ce qui ne l’est pas. Choisir est souvent une mission effroyable pour les personnes atteintes d’autisme qui ne présélectionnent pas les alternatives parce qu’elles ne ressentent pas assez la cohérence. Si elles doivent décider ou choisir, elles se verront confrontées à toutes sortes d’options, et parmi elles, celles que les « penseurs cohérents » auront éliminées par avance parce qu’elles n’entraient pas dans le contexte. Il fait très froid dehors et il neige. Vous êtes devant votre armoire pour choisir quels vêtements vous allez mettre. Vu le contexte, les conditions climatiques, vous éliminez d’office certains vêtements : les shorts, les chemises légères, les chaussettes fines, les chaussures d’été et la veste légère. C’est un choix évident. Les alternatives parmi lesquelles vous devrez choisir portent sur les vêtements d’hiver. Pour une personne atteinte d’autisme, ce n’est pas le cas. Si vous lui demandez ce qu’elle va mettre aujourd’hui, elle regardera toute sa garde-robe. Et à condition qu’elle comprenne que par une rigoureuse journée d’hiver, on ne sort pas en short et en tee-shirt d’été, une nouvelle décision devra être prise pour chaque vêtement, même

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ceux d’été. Même une activité aussi quotidienne que le choix des vêtements pour la journée est difficile et demande beaucoup de temps aux personnes autistes. Et cette lenteur n’a rien à voir avec de la paresse. Le fait de ne pouvoir effectuer ces présélections amène des réponses du type « ravioli » ou des raisonnements « lavabo ». Les individus sans autisme suivent les indications à partir du contexte (il s’agit d’un lit de poupée) et vont donc éliminer un grand nombre de réponses de certaines catégories : de la nourriture (comme des raviolis) n’est pas à sa place dans ce contexte, tout comme des articles de bureau (comme des timbres.) Il faut chercher dans la catégorie des articles de literie. Sans cette présélection, toutes sortes de catégories sont prises en compte et il est tout à fait logique que la première ressemblance qui se présente apporte une réponse, même si celle-ci provient d’une mauvaise catégorie. Pour les êtres sans autisme, choisir et décider eux-mêmes est un droit qu’ils revendiquent, la pierre angulaire de la liberté. Pour les individus atteints d’autisme, choisir et décider sont des tâches devant lesquelles ils sont placés. Ils ressentent beaucoup moins la liberté comme un droit mais plutôt comme une corvée très lourde, parfois trop difficile à supporter. Leur vie est plus simple s’il y a des règles claires et que les autres effectuent les présélections à leur place afin qu’ils puissent prendre des décisions.

9 Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2)

I NTELLIGENCE : PEUT- ÊTRE , PEUT- ÊTRE PAS

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« Chaque événement semble s’imposer à eux de manière inévitable ; les personnes atteintes d’autisme ne savent pas bien orienter leur attention et c’est pourquoi elles « se noient » dans les stimuli1 . »

Les personnes autistes semblent livrées aux événements, à d’irrésistibles séries d’événements isolés, à un feu nourri de détails. Leur monde est un monde morcelé, un « multivers » dans lequel elles arrivent à grand-peine à mettre de la cohérence et de l’ordre. Ou comme le disait une personne autiste elle-même : « Je comparerais les yeux d’un autiste à ceux à facettes d’un insecte ; beaucoup de différents détails subtils mais qui ne sont pas intégrés dans un ensemble2 . » La cohérence centrale, la capacité de rendre les événements cohérents n’est pas quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. C’est une capacité que les gens peuvent détenir dans une plus ou moins grande mesure mais qui doit être développée. Il est faux de dire que les personnes atteintes d’autisme n’ont pas du tout de cohérence centrale. Elle n’est pas assez développée. D’ailleurs, le manque de cohérence

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centrale n’est pas le même chez chaque personne autiste. Les tous petits enfants n’ont pas encore, eux non plus, assez de cohérence pour le monde environnant. Ils ne savent pas encore bien faire la différence entre eux-mêmes et le monde extérieur. Ils ne ressentent pas encore leurs expériences comme étant les leurs. Comme pour les personnes atteintes d’autisme, les choses ne semblent pas « leur arriver ». Ils n’ont pas encore assez d’« ego », trop peu de personnalité et de conscience. Il y a donc peu de différence avec l’autisme. Mais la différence viendra car les enfants normaux naissent avec le talent naturel de créer de la cohérence. Dans leur cerveau, ils disposent d’une unité centrale de contrôle3 qui les rendra capables de se construire une personnalité : ils deviennent petit à petit partie intégrante d’un « individu ». Le mot individu vient du latin et veut dire « indivisible ». Les nombreuses expériences isolées feront place à un ensemble cohérent, à une personne capable d’intégrer les expériences de sa vie dans un ensemble significatif et indivisible : un « moi ». Chez les personnes atteintes d’autisme, la cohérence centrale ne se développe pas suffisamment. Elles traitent les informations reçues par leur cerveau comme le font les ordinateurs, comme des données « absolues » et non comme des données relatives. L’enregistrement ressemble trop à celui de détails isolés (« absolu » vient du latin absolutus qui signifie « isolé »), les informations ne sont pas suffisamment traitées de façon relative, c’est-à-dire en « relation » avec d’autres informations du contexte. Si vous tapez sur votre clavier le mot « hôtel », l’ordinateur traitera chaque signe séparément H-O-TE-L. L’ordinateur ne comprend pas que cette combinaison unique de lettres se réfère à un bâtiment où vous pouvez passer la nuit : l’ordinateur n’y voit pas du tout un hôtel. Les personnes atteintes d’autisme sont-elles donc aussi « stupides » que les ordinateurs ? Est-ce la raison pour laquelle elles sont souvent si drôles ? Les blagues ont souvent trait à la bêtise des hommes... Non, disent certains. Il n’y a qu’à voir comment certaines personnes autistes savent calculer, ou comment d’autres dessinent formidablement, ou encore combien ont une mémoire fabuleuse. Des êtres qui ont de telles compétences ne peuvent pas être idiots. Pendant longtemps, trop longtemps, on a cru que les personnes atteintes d’autisme étaient des êtres intelligents, emprisonnés dans

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un carcan autistique. On croyait que les enfants autistes se démarquaient du monde réel par manque d’amour. À cause du mur qu’ils s’étaient construit, ils étaient devenus inaccessibles et ne réagissaient qu’à peine aux défis de leur environnement. Ils avaient l’air bête mais ce n’était qu’une apparence, car l’un était un mathématicien extraordinaire et un autre savait jouer n’importe quel morceau de musique après l’avoir entendu une seule fois. On pensait alors que si nous avions la possibilité de briser le mur de l’autisme, nous découvririons un enfant intelligent, un enfant qui aurait toutes les chances de dévoiler ses possibilités. Depuis lors, nous en savons plus4 . Beaucoup de professionnels et de parents se sont heurtés au mur qu’ils essayaient de briser. Essayer de guérir l’autisme est un combat contre les moulins à vent. Et même si l’autisme se réduit, l’intelligence attendue n’est pas aussi brillante qu’on le pensait. L’autisme se rencontre à tous niveaux d’intelligence, mais la plupart des personnes atteintes d’autisme ont aussi un handicap intellectuel. Elles sont doublement handicapées. Non seulement elles comprennent la vie d’une autre manière (à cause de leur autisme) mais elles la comprennent aussi de moindre façon (à cause de leur handicap intellectuel). Leur monde est plus limité que celui de personnes atteintes d’autisme sans handicap intellectuel. À côté de ce grand groupe de personnes autistes moins talentueuses, il en existe évidemment qui sont intelligentes et même surdouées. Mais même ces personnes autistes surdouées connaissent des difficultés dans certains domaines. Beaucoup d’entre elles n’ont pas l’intelligence sociale d’un enfant d’école maternelle. Elles savent peut-être programmer un ordinateur mais sont incapables d’entamer une petite conversation. Ce malentendu concernant l’intelligence des personnes atteintes d’autisme est la conséquence d’une mauvaise compréhension de ce qu’est l’intelligence. L’intelligence est souvent considérée à tort comme un « monolithe » : quelque chose constitué d’une seule pièce, que l’on possède dans une plus ou moins grande mesure. Soit nous sommes intelligents, soit nous sommes bêtes. Ce point de vue est elle-même une idée « idiote ». Sur base de cette fausse opinion, les individus ne peuvent être catalogués que de deux façons : ceux qui sont intelligents et ceux qui ne le sont pas. Et si quelqu’un (autiste) sait faire des calculs spectaculaires, malgré toutes les autres déficiences possibles, il devra appartenir au groupe des gens intelligents. Cette notion restrictive de l’intelligence ouvre

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la porte à des discussions stériles sur oui ou non : intelligent, pas intelligent...

A NALYSER ( LES ARBRES ) OU INTÉGRER ( LA FORÊT ) « L’intelligence » en soi n’existe pas : « L’intelligence n’a pas de sens en elle-même ni par elle-même5 . » Vous pouvez être un as en langues et un nul en mathématiques. Certaines personnes savent parfaitement s’orienter dans une ville ou un bâtiment mais sont incapables de comprendre le mode d’emploi d’une caméra. Il existe donc beaucoup de formes d’intelligences différentes. En partant du point de vue qu’il y a plusieurs sortes d’intelligences, la question de savoir si les personnes atteintes d’autisme sont intelligentes ou bêtes est une fausse question. La bonne question à poser est : leur fonctionnement intellectuel diffère-t-il de celui des gens sans autisme6 ? Chez les personnes souffrant d’autisme, c’est surtout l’intelligence intégrante qui est déficitaire. Ceci ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas du tout assembler des détails dans un ensemble. Parfois elles arrivent à intégrer des aspects partiels de leur perception, mais si elles y parviennent, elles le font d’une tout autre façon que les personnes non autistes. Leur traitement de l’information se fait, ici aussi, comme celui d’un ordinateur. Les ordinateurs traitent les informations étape par étape : en série. Chaque partie à enregistrer est traitée en suivant, l’une après l’autre. Les ordinateurs ne peuvent pas traiter deux choses en même temps, ce que le cerveau humain peut par contre faire : il traite les informations en liaison parallèle. Les personnes atteintes d’autisme, tout comme les ordinateurs, traitent les informations d’une façon sérielle7 . Van Dalen, autiste, décrit cela clairement8 : quand il voit un marteau, il doit traiter chaque partie de sa perception séparément et ensuite tout ordonner. Il ne se rend pas compte, d’un seul coup d’œil, qu’il s’agit d’un marteau. Il voit d’abord un morceau de métal puis — tout proche — un morceau de bois qui ressemble à un bâton, ensuite il voit que les deux morceaux sont rattachés et finalement il en conclut qu’il s’agit d’un marteau. Pas à pas, il assemble des impressions au départ partielles, sans relation entre elles, pour en faire un ensemble. Les personnes autistes ont du mal à s’occuper de deux choses en même temps. Elles traitent les informations « morceau par morceau ». C’est pour cela qu’elles ont besoin de plus de temps pour comprendre quelque chose. En

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pratique, nous nous rendons souvent compte qu’elles réagissent avec retard. Elles ont du « retard à l’allumage ». Le manque d’intelligence des individus autistes se situe principalement au niveau du traitement rapide, parallèle et intégré des informations. Dans d’autres domaines, ils peuvent être aussi intelligents que les individus sans autisme. Comme les ordinateurs : ils doivent reconnaître la suprématie des hommes sur beaucoup de terrains, ce qui ne les empêche pas d’être plus performants pour certains calculs. Pour des tâches où la notion du détail est plus importante que celle de l’ensemble, les personnes atteintes d’autisme sont plus performantes que les autres. C’est ce qu’ont démontré par leurs expériences Beate Hermelin et Neil O’Connor, pionniers des recherches sur le cheminement de la pensée des personnes autistes. Ils présentèrent à des enfants, autistes et non autistes, des dessins du même genre que ceux représentés ci-après9 .

Le but d’une telle tâche est de retrouver le triangle de droite dans le dessin de gauche. Pour ce genre d’exercices, les enfants autistes obtenaient de meilleurs résultats que les autres. Les personnes sans

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autisme ont besoin en effet de plus de temps pour retrouver le triangle dans le dessin parce que leur esprit est axé sur l’ensemble : ils voient une personne. Pour avoir une bonne note dans cet exercice, il faut se démarquer de l’ensemble et être sensible aux détails. Il faut, comme qui dirait, « se détacher » de la personne et considérer le dessin comme un mélange arbitraire de lignes et de formes. Les personnes autistes excellent dans ce genre d’exercices et dans d’autres où les détails, surtout visuels, sont importants. Un jeune homme autiste qui m’aidait à une certaine période dans mes tâches administratives, pouvait corriger parfaitement toutes mes fautes de frappe. J’étais moi-même si concentré par le contenu et le sens de mes lettres et de mes textes, par l’ensemble, que je ne remarquais pas mes erreurs. Lui, par contre, les voyait d’un seul coup d’œil. Un autre jeune homme nous a étonnés lors d’une soirée de jeux en reconnaissant les indicatifs de programmes de télévision après avoir entendu seulement les deux premières notes. Pour identifier des chansons et des indicatifs, nous nous basons sur de plus grands ensembles : le refrain, la mélodie. Pour lui, il n’était pas vraiment question de mélodie, un morceau de musique était une suite de « notes », un schéma de détails. Si vous avez enregistré un grand nombre de modèles dans votre mémoire, vous pourrez identifier ce modèle après deux ou trois notes et donc reconnaître la musique. Les personnes atteintes d’autisme peuvent être de très bons analystes. Leur intelligence analytique est plus développée en comparaison de leur intelligence intégrante. Le juge. — Pouvez-vous nous donner une description détaillée du coupable ? Le témoin. — Il sentait la bière. Le juge. — Ça ne suffit pas. Plus détaillée, s’il vous plaît. Le témoin. — Je pense que c’était de la Stella.

Jean-Baptiste, un autre jeune homme autiste qui avait souvent participé à nos formations aux aptitudes sociales, pouvait non seulement donner la date exacte des cours des huit précédentes années mais aussi le nom de tous les participants. Quand un participant n’était pas venu pendant un certain temps et réapparaissait soudain, Jean-Baptiste pouvait dire : « La dernière fois que tu étais présent, c’était pendant le week-end du 7 au 9 décembre 1992 et ça se passait à Anvers. » Certains de nos participants peuvent parfaitement

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décrire mon comportement lors d’activités passées : « Tu avais fait cela et puis tu avais dit ceci... » Mais décrire l’ambiance et l’atmosphère d’activités précédentes est beaucoup plus difficile. Les individus autistes sont de bons béhavioristes : ils peuvent décrire parfaitement le comportement extérieur de quelqu’un et le garder longtemps en mémoire. Les individus sans autisme ne savent pas décrire le comportement des autres d’une manière aussi claire et objective. Ils sont handicapés par leur sentimentalité, interprètent et donnent trop vite un sens à un comportement. Les personnes atteintes d’autisme comprennent bien moins les objectifs, le sens ou le motif d’un comportement. C’est pourquoi elles ne seront jamais de bons psychologues et encore moins de bons philosophes10 . À cause de leur (hyper-)réalisme, les personnes autistes ont, beaucoup plus que nous, les pieds sur terre. Il leur manque la joie mais aussi les inconvénients de nos illusions.

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Elle. — J’en ai assez. Je retourne chez ma mère. Sais-tu combien ça va te coûter ? Lui. — 6 euros pour le train ?

Un artiste autiste, Dan Esher, crée d’admirables œuvres vidéo. Il a un œil exceptionnel pour les effets visuels et son attention est attirée par des détails que des « penseurs cohérents » ne verraient même pas. Par exemple, il filme une fontaine dont l’eau coule par-dessus une boule en marbre. Vous y voyez se réfléchir tous les environs : les arbres, les maisons, les nuages. Dan Esher ne prend que des zooms sur l’eau et obtient ainsi un merveilleux jeu d’images. Il faut un certain temps à des penseurs cohérents, avant de comprendre que l’eau qu’ils voient sur les images du film provient d’une fontaine parce que l’artiste a délaissé l’environnement, le contexte. Comme Dan, beaucoup de personnes atteintes d’autisme sont devenues célèbres grâce à leurs talents graphiques. Leurs dessins et tableaux sont en général si bien détaillés qu’ils deviennent des chefs-d’œuvre techniques. Vous ne verrez que rarement (ou jamais) des représentations de personnes, presque toujours d’objets. Les machines, trains et bâtiments sont les sujets qu’on y remarque. C’est ainsi que Kees Momma, un jeune homme autiste néerlandais, fait de remarquables dessins et maquettes d’églises, exécutés jusqu’au moindre détail. Ce sont de parfaites illustrations. Kees est capable de rendre chaque détail architectural exactement et avec précision, mieux que n’importe quel spécialiste du bâtiment. De même, les

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dessins de ce livre ont été réalisés par une personne autiste. Il est remarquable — le garçon avait 9 ans quand il a fait ces dessins — de voir la précision particulière des détails dans les dessins d’animaux et de plantes. Comme pour les autres personnes atteintes d’autisme, dessinateurs de talent, ces dessins sont des bijoux sur le plan analytique. Mais en général, il manque une histoire derrière le dessin. Un dessin fait par une personne autiste est plus illustration qu’imagination. Leur style de pensée alternative fait que les personnes atteintes d’autisme excellent dans des domaines où les « penseurs cohérents » sont à peine valables. Elles sont plus performantes dans certains domaines. Elles obtiendront de meilleurs résultats dans des tâches qui privilégient surtout les détails visuels, des tâches pour lesquelles il est nécessaire de travailler avec exactitude, d’après certaines règles comme les tâches de copie, de tri et de routine. Nous exécutons moins bien ces dernières car il faut toujours répéter les mêmes gestes et cela devient ennuyeux. Et de l’ennui naît la négligence. L’autisme a donc aussi des points forts, positifs. Comme la pensée autistique est différente de la pensée normale, elle mène par moments à une forme particulière d’originalité. C’est pourquoi il n’est pas si étonnant que des personnes atteintes d’autisme puissent être des artistes. L’autisme se différencie par le développement inégal des différentes formes d’intelligence11 . Mis à part le handicap intellectuel de beaucoup d’entre eux, nous pouvons donc admettre que les individus autistes ne sont pas moins intelligents, mais qu’ils ont une autre forme d’intelligence. Ils ont un autre style de pensée. Les êtres sans autisme voient plutôt la forêt (l’ensemble). Les personnes souffrant d’autisme voient plutôt les arbres (les éléments qui constituent l’ensemble). Les personnes autistes ressentent donc la réalité autrement. Ceci leur occasionne beaucoup de stress et de désavantages mais dans certains domaines, elles excellent par rapport à leurs proches non autistes.

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Vous trouverez ci-dessous un aperçu des points forts des personnes autistes et non autistes.

Points forts des personnes autistes Compréhension littérale Pensée analytique Sensibilité aux détails Traitement sériel de l’information Éléments concrets Règles logiques, formelles Vivre selon les règles Les faits Les lois Les images Les calculs Les ressemblances Absolu Objectivité Direct, droit, honnête Perfectionnisme Monde extérieur Raisonnement déductif Réalisme « Ceci est le titre »

Points forts des personnes non autistes Compréhension symbolique Pensée intégrée Perception d’un grand ensemble Traitement parallèle de l’information Éléments abstraits Données irrationnelles Vivre entre les règles Les idées Les exceptions aux lois L’imagination La sensibilité intuitive Les analogies Relatif Subjectivité Détourné : humour, mensonge, tromperie Souplesse Monde intérieur Raisonnement inductif Surréalisme « Sur la pensée autistique »

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L A PENSÉE AUTISTIQUE EN TANT QUE STRATÉGIE DE SURVIE Les personnes atteintes d’autisme essaient de compenser leurs manques par leurs points forts, comme le font d’autres personnes atteintes d’un autre handicap. Les personnes non voyantes, par exemple, compensent avec l’ouïe ou l’odorat. Et les malentendantes sont souvent très attentives aux éléments visuels. Les personnes autistes font de même. Pour survivre, elles utilisent leurs points forts. Temple Grandin en témoigne. Pour mieux comprendre les situations sociales et les mots, elle enregistre dans sa tête toutes sortes d’images vidéo. Sa grande aptitude visuelle le lui permet. Elle dit elle-même qu’elle pense en images12 . Les images l’ont aidée à comprendre le sens des mots : pour chaque mot, elle a dans sa tête une illustration. Quand elle entend un mot, elle fait appel à l’illustration voulue et peut ainsi se rendre compte de ce qu’une autre personne veut dire. Comme Temple, beaucoup de personnes atteintes d’autisme utilisent leur grande aptitude visuelle pour survivre. Les personnes atteintes autistes compensent souvent aussi par leur bonne mémoire. Pensez à l’image de la bibliothèque sans principe de rangement. Dans une telle bibliothèque, vous ne vous y retrouverez qu’en mémorisant tous les détails. Si vous n’arrivez pas à relier les événements, les significations à leur cohérence (une fête d’anniversaire), alors vous dépendez des détails enregistrés (guirlandes jaunes, musique, tarte aux cerises avec des bougies, cadeaux, famille, amis, Jean, Michèle et Joseph). La formidable mémoire de certaines personnes atteintes d’autisme n’est pas seulement un talent, c’est aussi une compensation à leurs déficits, pour eux, c’est une stratégie de survie indispensable. Tout comme les personnes souffrant d’un autre handicap, les personnes autistes évitent les situations trop difficiles. Pendant la fête de famille, Sabine veut sans arrêt boire du Coca Cola. Elle en a déjà bu quelques verres. Son père lui dit qu’elle en a eu assez. Un peu plus tard, Sabine prend la bouteille de coca, ouvre la fenêtre et jette la bouteille par la fenêtre. En jetant la bouteille de coca par la fenêtre, elle ne la « voit » plus et ne doit donc plus résister à son envie de boire. Aussi longtemps que la bouteille est visible, le stimulus visuel, et donc la tentation de boire, est trop forte. En jetant la bouteille, elle évite cette frustration. Compenser au moyen d’images visuelles,

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de mémoire, de comportement d’évitement ou de n’importe quel autre moyen, dépend essentiellement du niveau général d’intelligence, c’est pourquoi les individus autistes avec une intelligence moyenne ou supérieure ont un peu plus de possibilités de compenser que ceux qui ont un handicap intellectuel. Dans le premier groupe, on reconnaît moins facilement l’autisme. En effet, dans certaines situations, ils se conduisent « normalement » ou savent comment se tenir parce qu’ils peuvent suffisamment compenser leurs manques13 . On surestime souvent les capacités des personnes atteintes d’autisme d’intelligence normale. Une stratégie de survie que j’ai plusieurs fois décrite dans ce livre est le calcul. Les personnes atteintes d’autisme essaient de saisir la situation par le raisonnement, le calcul, le classement, bref, de comprendre par des règles logiques et formelles.

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Le père et le fils sont au zoo, devant la cage aux lions. L’enfant est depuis un moment en train de murmurer. Tout à coup, il demande : « Dis, Papa, si un lion s’échappe de la cage et te mange, quel bus dois-je prendre pour rentrer ? »

Christian, un jeune homme autiste qui a déjà fait plusieurs séjours en psychiatrie et qui en garde de mauvais souvenirs essaie de classer les gens et les situations. Son plus mauvais souvenir date de son séjour à l’hôpital Saint-Nicolas. L’hôpital Saint-Nicolas est dans la zone téléphonique 03. Il a utilisé ce détail comme base de son classement. Tous les gens et les lieux de la zone 03 sont « mauvais », les autres bons (Cette façon de penser, en noir et blanc, est typique des personnes atteintes d’autisme. Par exemple maman = mauvais, papa = bon.) Si nous allons quelque part avec Christian, il demandera d’abord si c’est dans la zone 03. Quand un nouvel éducateur doit s’occuper de lui pendant un cours de formation aux aptitudes sociales, il lui demandera aussi s’il habite dans la zone téléphonique 03. Nouveaux lieux, nouvelles personnes... ce sont des choses imprévisibles. Sur base d’une formule (03 = mauvais), Christian essaie de mettre un peu d’ordre et de prévisibilité dans un monde imprévisible et incalculable. Les individus sans autisme peuvent vivre plus ouvertement de telles situations. Ils ont une position du style : « Attendons de voir. » Ils donnent une chance aux nouveaux éléments et peuvent vivre jusqu’à un certain point avec insécurité et imprécision car ils peuvent se rabattre sur leur intuition. Si vous n’avez pas cette intuition, vous devez trouver la sécurité d’une autre manière, donc

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vous devez poser des règles et des classements comme par exemple 03 = mauvais. Ceci apporte de la prévisibilité et donc des chances de survie. Nous nous rapprochons des personnes autistes quand nous n’édulcorons pas leurs valeurs profondes en les considérant comme des talents mais comme des stratégies de survie. Si nous voulons les aider, nous devons continuer à construire sur ces bases. De même, beaucoup de comportements autistiques (comme les comportements répétitifs ou difficiles) peuvent être de façon fonctionnelle considérés comme des réactions de stress : ce sont des réactions à un environnement trop complexe et incompréhensible.

B ON SENS Malgré toutes les stratégies de compensation citées, les personnes atteintes d’autisme sont et restent différentes. Une indépendance complète et une « réelle » intégration dans le monde des « penseurs cohérents » ne sont possibles que pour une petite minorité. Elles pensent autrement, elles traitent les informations d’une autre manière. Être différent ne veut pas obligatoirement dire que l’on peut moins et pourtant c’est le cas pour les personnes autistes. L’autisme n’est pas seulement un style de pensée alternatif, c’est un handicap. Beaucoup sont handicapées parce que, outre l’autisme, elles souffrent aussi d’un retard intellectuel généralisé. Mais les personnes atteintes d’autisme d’intelligence normale ont aussi du mal à survivre sans aide dans notre société. La manière de penser autistique est imparfaite quand il s’agit de survivre dans notre monde. D’où cela peut-il provenir ? Les personnes autistes (et ici, je ne parle pas de celles qui ont un handicap intellectuel) prêtent ou essaient obstinément de prêter du sens aux choses, mais d’une autre façon. Ce n’est pas le sens que la grande majorité des individus leur donne. Et de ce point de vue, le sens que leur prêtent les personnes atteintes d’autisme n’est pas le common sense14 . Ce terme anglais se traduit littéralement en français par le terme « sens commun ». Par common sense ou « sens commun », il est clairement défini qu’il s’agit de quelque chose de « communautaire » (un sens donné « communautairement »). Celui qui n’a pas de common sense est un canard boiteux, se fait remarquer, sort du cocon communautaire. Ceci se traduit ainsi pour les individus autistes : comme ils prêtent aux choses un sens de façon « particulière » (en opposition à « communautaire »), ils se font remarquer, ils ne peuvent pas vraiment faire

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partie du grand groupe. Le sens qu’ils donnent aux choses n’est pas partagé par la grande majorité des gens. C’est là leur handicap. En français, nous parlons de « bon sens ». Aussi intelligente qu’une personne autiste puisse être, nous devons à chaque fois constater qu’elle a très peu de bon sens. Mais qu’est-ce que le bon sens ? Et qu’est-ce qui manque aux personnes atteintes d’autisme pour pouvoir utiliser ce bon sens ? Et quel rôle joue la pensée cohérente dans ce bon sens ? Cela n’est pas facile à expliquer. Les connaissances scientifiques permettant de savoir comment les gens apprennent, comment ils résolvent des problèmes, comment ils pensent, sont encore très limitées en ce début de vingt et unième siècle. Mais il y a des progrès. Et l’inspiration vient du monde informatique, plus précisément du monde de l’intelligence artificielle. Si nous voulons que nos ordinateurs accomplissent des tâches humaines, il faut d’abord savoir comment les êtres humains résolvent les problèmes. Les difficultés que nous rencontrons pour développer des machines intelligentes nous apprennent beaucoup sur le cerveau humain. Ainsi, la boucle de ce livre est bouclée et nous nous retrouvons à notre point de départ. « Ce qui est le plus difficile pour l’intelligence artificielle, c’est de programmer le bon sens15 . » C’est ce qu’écrivait en 1992 une autorité dans le domaine de l’intelligence artificielle. Au grand dam de tous les programmeurs informatiques avec leurs essais spectaculaires, il n’existe pas encore d’ordinateur possédant du bon sens. Aussi intelligent que soit un ordinateur, il n’aura jamais le bon sens de décider à quel moment il est préférable de traverser la rue, même si le feu est rouge. L’autisme, comme dans le domaine de l’intelligence artificielle, n’est pas simplement un problème de connaissance ou de savoir. Les parents d’enfants autistes (toujours d’intelligence normale ou supérieure) le ressentent bien. Ils nous racontent régulièrement : « Il le sait et pourtant il ne le fait pas ». Ou encore : « Il sait très bien expliquer comment il faut se comporter dans un magasin mais quand nous y sommes, il ne le fait pas et cela finit toujours mal... » Cette absurdité apparente (comment peut-on savoir quelque chose et ne pas l’appliquer ?) est une source de frustration et surtout d’embarras pour tous ceux qui sont confrontés à l’autisme. Cela devient moins embarrassant, donc plus clair, quand nous faisons la différence entre deux sortes de connaissance16 : la connaissance des faits et le savoir-faire (ou bon sens).

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C ONNAISSANCE DES FAITS CONTRE BON SENS Les personnes atteintes d’autisme enregistrent surtout la connaissance des faits qui consiste en données fixes et délimitées : des définitions (un « chevalier des fléchettes » est un conducteur qui utilise continuellement ses clignotants pour doubler les autres voitures) et des règles (quand le feu est au rouge, il faut s’arrêter ; si vous voyez un uniforme, il faut saluer). Les ordinateurs sont aussi capables de sauvegarder cette sorte de savoir. En fonction de cette connaissance des faits, vous pouvez identifier certaines choses (ah ! je vois une voiture aux clignotants constamment allumés, c’est un « chevalier des fléchettes ») et même agir (je vois le feu rouge, donc je m’arrête). Un ordinateur sauvegarde toutes ces règles et définitions dans sa mémoire. Rien n’est perdu. Tout comme un certain nombre de personnes atteintes d’autisme ont une mémoire incroyable et se souviennent de détails qu’aucune autre personne n’a retenus. La connaissance de faits et de règles semblerait donc suffisante. Et elle l’est pour beaucoup de tâches et de problèmes comme la résolution de calculs, la traduction de mots, l’élaboration de graphiques et beaucoup d’autres choses encore. Mais les formules et les définitions ne suffisent pas pour survivre dans le monde normal. La vie est plus que des définitions. Deux gendarmes sont arrêtés devant un feu de signalisation. Le premier. — C’est vert. L’autre. — Une grenouille.

Un premier problème à propos de la connaissance des faits se situe au niveau de la mémoire17 . Les ordinateurs donnent à chaque information, à chaque définition, à chaque règle une place unique dans leur mémoire. En termes informatiques on appelle cela « une adresse ». Chaque adresse a un numéro (comme les maisons). On ne pourra retrouver cette information que par le biais de ce seul numéro, de cette adresse unique. Comme cela a été dit précédemment, les ordinateurs travaillent de façon uni-relationnelle. Un morceau d’information : une adresse. Un ordinateur ne peut donner l’information si le numéro de l’adresse où cette information se trouve n’est pas mentionné. « Les programmes d’intelligence artificielle n’ont pas de bon sens, peu de sensibilité aux analogies, répétitions ou modèles. Ils peuvent percevoir certains modèles à condition d’y avoir été préparés —

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et spécialement à condition d’y avoir été préparés à l’endroit où on peut les rencontrer — mais ils ne sont pas capables de repérer ces modèles si personne ne leur a dit de façon précise d’aller les rechercher18 . »

Souvent, on entend les personnes atteintes d’autisme dire qu’elles ne savent pas ce qu’elles doivent faire jusqu’à ce que quelqu’un ait appuyé sur « le bon bouton », leur ait donné la bonne instruction. Elles dépendent de la consigne qui leur dit où trouver la règle à appliquer dans une situation précise. Elles traversent simplement la rue jusqu’à ce que quelqu’un leur pose la question : « Avez-vous regardé de quelle couleur sont les feux de signalisation ? » Elles le savent mais ne le font pas. Si vous n’êtes pas dépendants de faits concrets et de règles mais que vous êtes capables de découvrir de la cohérence et de l’appliquer au monde qui vous entoure, votre mémoire fonctionnera différemment. Chaque fait de notre vie ne doit pas obligatoirement recevoir une adresse fixe et unique dans notre mémoire pour pouvoir la ressortir au moment opportun. Nous n’avons pas besoin de « numéros » pour nous rappeler des faits ou éléments de connaissance. Notre mémoire est plutôt organisée selon un système ouvert dans lequel nous pouvons retrouver les informations sur base de nombreuses (et non d’une seule) descriptions. Imaginez qu’hier soir vous êtes allé chez Stéphane pour regarder un match de football à la télévision et qu’ensuite vous avez mangé ensemble un morceau de pizza. Pour vous rappeler ce que vous avez mangé, il n’est pas nécessaire de poser une seule question précise. La pizza fait partie d’un ensemble beaucoup plus large de descriptions (hier, chez Stéphane, match de foot...) et vous arrivez à vous souvenir de votre repas quelle que soit la description. La question posée n’a pas tellement d’importance (« Qu’avez-vous mangé hier soir ? » ou « Qu’avez-vous mangé quand vous étiez chez Stéphane pour regarder le match de foot à la télévision ? »). L’ultime cohérence est naturellement celle de votre propre vie. Les personnes atteintes d’autisme dépendent de la mémoire de détails parce qu’elles ne perçoivent pas assez de cohérence. Si la bonne adresse n’est pas donnée, il n’en résultera hélas pas grand-chose... même si tout est enregistré dans la mémoire. C’est ici que réside une des limites fondamentales à la mise en place de programmes d’apprentissage pour les personnes atteintes d’autisme. Nous pouvons leur apprendre beaucoup de définitions (le

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coin des lèvres vers le bas et des larmes = tristesse) et de règles (si vous voulez dire quelque chose en classe, il faut lever le bras). Mais, il faudra souvent appuyer d’abord « sur la bonne touche », donner le bon « tuyau » avant qu’elles ne montrent la réaction adaptée19 . Ce qu’elles apprennent est beaucoup moins intégré dans une libre collection de définitions dans laquelle on peut puiser avec souplesse. L’autisme est plus qu’un problème de mémoire. C’est beaucoup plus qu’un problème de sauvegarde, d’enregistrement et de recherche de connaissance. Pour participer pleinement au monde humain, la connaissance des faits et la logique ne suffisent pas. Nous avons aussi besoin d’une bonne part de bon sens. Ce bon sens, la forme la plus humaine de l’intelligence, ne fonctionne pas d’après les règles de logique : il est « chaotique et saccadé20 ». Le bon sens, la forme d’intelligence la plus humaine est l’art de bien deviner21 . Par deviner, nous voulons dire : jongler souplement avec les concepts. Cette souplesse est incompatible avec les règles strictes de la logique. Les « penseurs cohérents » n’ont pas besoin de règles ni de définitions pour évaluer les choses. En un clin d’œil, ils se disent : « Ah ! c’est ainsi que cela se passe... » Ils reconnaissent les modèles et les situations sans savoir auparavant à quoi ils doivent faire attention. Estimer une situation du premier coup d’œil ne se fait pas sur base d’une connaissance de faits mais sur celle d’un « savoir-faire ». Cela ne demande pas une pensée consciente mais de l’intuition22 . C’est pourquoi le bon sens ne peut être ni enseigné ni programmé. Même les bébés possèdent déjà ce savoir-faire. Un bébé voit et sent un téton. Il « sait » qu’il est là pour être tété. Il le sait instinctivement, intuitivement. Il n’a pas besoin d’une règle préalable ou d’une définition pour le chercher. D’ailleurs, il s’agit d’une connaissance instinctive qu’ont également les animaux. Mais progressivement, ce même bébé fera les mêmes évaluations intuitives pour d’autres situations, plus sociales et plus complexes. Son savoir-faire ne fera que croître. Chez les personnes autistes, la connaissance des faits (la connaissance de règles et de définitions) augmentera au cours de la croissance, parfois même de façon spectaculaire, mais leur savoir-faire restera toujours faible en comparaison de celui des autres individus. Ceci vient du fait que la connaissance des faits et le savoirfaire se développent différemment. Quand la connaissance des faits augmente, c’est que de nouvelles informations, de nouvelles données

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ont été introduites. Le savoir-faire n’augmente pas seulement par l’introduction de nouvelles données mais aussi par le fait que des connaissances établies sont rendues exploitables pour de nouvelles situations. On n’ajoute pas de nouvelles connaissances mais les connaissances acquises sont généralisées. C’est par le biais d’analogies que cette généralisation s’effectue dans le cerveau humain. C’est là que l’intelligence humaine diffère de celle de l’ordinateur. L’homme est capable de découvrir des analogies et par suite, d’exploiter des concepts avec nuance. Les analogies sont des accords, vagues en surface mais forts en essence23 . Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme ont du mal à saisir les analogies. Elles généralisent sur base de ressemblances. Pensez aux extraits de ce livre sur la surgénéralisation et l’hypersélectivité... La littéralité des ordinateurs et des personnes atteintes d’autisme est la conséquence d’une organisation différente de leur connaissance, organisée sur base de ressemblances identiques, d’accords exacts et de détails. Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme ont besoin de longues descriptions détaillées. Il est nécessaire de leur décrire toutes les situations possibles, toutes les règles concernant par exemple les feux de signalisation. Si le feu est rouge et que vous n’êtes pas engagé, vous restez sur place. Si le feu est rouge et que vous êtes au milieu du passage pour piétons, vous continuez à traverser, et ainsi de suite... Si une situation identique à l’une des situations enregistrées ou apprises se présente, il n’y aura aucun problème. Hélas, dans la vie de tous les jours, nous ne rencontrons pas souvent de situations identiques. Au contraire, nous rencontrons régulièrement des situations qui se ressemblent. Aucune gare n’est identique à une autre, mais ce sont toutes des gares. Elles sont presque semblables mais pas tout à fait. Elles sont similaires, ce qui veut dire qu’elles appartiennent à la même catégorie bien qu’elles soient différentes extérieurement et au niveau des détails. Nous reconnaissons cette similitude parce que nous exploitons nos analogies. Un exemple suffit. Si je dis que la Rolls Royce est la reine des voitures, vous comprenez tout de suite ce que je veux dire. Une personne qui pense littéralement et qui suit la logique des règles, des définitions et des faits, trouvera ma remarque absurde, ridicule et illogique. Un moyen de locomotion ne peut pas être une reine... il n’y a aucune ressemblance (exacte) entre une voiture et une reine. Celui qui a besoin de définitions exactes, comme les ordinateurs, sera

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en pleine confusion face à une telle expression. Prêter attention à ce genre d’analogie vague est la particularité de l’intelligence souple et humaine24 . Le savoir-faire humain exploite de vagues ressemblances, des similitudes totalement différentes des critères formels et littéraux de la logique (les ressemblances exactes, les règles, les définitions) : ce sont simplement des « critères de ridicule 25 ». Une mère écrivait dans la revue Autisme un article dans lequel elle relativisait la distinction croissante entre les sous-groupes dans le spectre autistique26 . Elle constatait qu’on pouvait tellement insister sur les différences entre les enfants autistes que finalement il ne resterait plus qu’un seul enfant dans chaque sous-groupe. Et comme son propre fils s’appelait Thomas — dans un souci d’exemple et d’analogie — elle l’avait appelé le « syndrome de Thomas ». Quelque temps plus tard, je reçus une lettre d’une jeune femme, Élise, qui se débattait face à son propre diagnostic. Elle demandait des informations sur les types d’autisme, notamment sur le syndrome d’Asperger. Elle concluait sa lettre de cette façon : « Dans le même ordre d’idées, pouvez-vous aussi me dire quelque chose sur le syndrome de Thomas ? »

E NTRE LES RÈGLES Les personnes autistes aiment les règles et les définitions claires. Elles fonctionnent mieux dans un milieu où règnent la clarté et l’univocité. Un monde dans lequel les voitures peuvent aussi être des reines est trop surréaliste pour elles. Les personnes atteintes d’autisme peuvent apprendre beaucoup de faits, de règles et de définitions. Aussi longtemps que les situations auxquelles elles se trouvent confrontées ou les problèmes qui se présentent à elles ressemblent à la lettre aux règles et aux définitions, elles se débrouilleront. Si tous les sièges de toilettes étaient identiques (blanc par exemple), Marc n’aurait aucun problème. Mais le monde n’est pas identique, n’est pas en noir et blanc. Notre monde est un monde de « situations approximatives sans conclusion27 ». Aucune situation de la vie quotidienne ne peut être complètement traduite en définitions ou en règles. Un uniforme ne doit pas toujours entraîner un salut. Aucune situation n’est littéralement identique à une autre, beaucoup sont analogues. Un jour, Caroline porte un pull vert, le lendemain un rouge. Malgré le changement de

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pull, on attend d’elle qu’elle lève le bras pour demander la parole. La ressemblance, les analogies ne se situent jamais au niveau des détails mais toujours à un niveau abstrait, celui de la cohérence des choses (la Rolls Royce se rapporte aux autres marques de voiture comme la reine se rapporte aux autres citoyens d’un pays). Dans la plupart des cas, il est impossible de mettre en place des règles à sens unique. Et s’il existe déjà des règles, elles peuvent changer et sont invisibles. Les pommes de terre sont coupées une fois en bâtonnets, une autre fois en morceaux. La vie réelle ne peut être délimitée par des critères de pensée rigides, des règles et des définitions. Les personnes atteintes d’autisme sont handicapées parce que la vie ne se déroule pas de façon réglée. Elles sont en difficulté face au caractère vague de la vie : la vraie vie se déroule « entre les règles ». Pour vivre, il ne faut pas de connaissance encyclopédique des faits ni un raisonnement proprement intellectuel, ce pour quoi les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme sont si doués, mais plutôt un savoir-faire intuitif. C’est pourquoi les ordinateurs ne savent pas changer une couche. La connaissance du code de la route, la carte routière de France, et même les différentes marques d’ampoules des feux de signalisation sur les autoroutes, ne suffisent pas à savoir se déplacer en voiture. Conduire une voiture demande bien plus que des connaissances géographiques, une lecture technique et l’observation de certaines règles. Conduire demande du « feeling » et du savoirfaire : une appréciation des distances et de la vitesse, une évaluation du comportement de conduite des autres conducteurs, l’exécution rapide des manœuvres. Conduire une voiture, c’est comme danser sur la route (encore une analogie...). Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme seront toujours handicapés lors de l’exécution d’activités quotidiennes. Conduire une voiture, faire du café, mener une conversation avec le facteur, toutes ces activités demandent autant de connaissances banales et quelconques qu’elles ne pourront jamais les apprendre (les bananes ne poussent pas sur les chiens ; les carafes tombent toujours par terre et volent souvent en éclats ; en hiver, il faut porter des vêtements chauds ; on peut méchamment se brûler avec de l’eau chaude ; les vaches ne fument pas de cigares...). Pour son examen final, un étudiant en obstétrique pratiquait un accouchement en présence du professeur. Après l’accouchement, le professeur lui dit : « Dumoulin, c’était parfait ! Vous avez tout fait selon les règles de l’art.

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Je n’ai qu’une remarque : c’est sur les fesses du bébé qu’il faut taper et non sur celles de la mère. »

Les situations humaines ne peuvent être calculées. Nous ne pouvons mesurer la colère de quelqu’un sur une échelle de 1 à 100 (voir l’exemple plus haut). Nous ne pouvons comprendre la plupart des situations qu’intuitivement, à partir d’analogies, car aucune situation ne ressemble exactement à une autre jusque dans les détails. Nous pouvons apprendre aux personnes atteintes d’autisme beaucoup de connaissances, de règles de comportement mais finalement, ce sera toujours « une attelle sur une jambe de bois ». L’autisme, autre façon de penser, compréhension non intuitive de la cohérence, conservera toujours son influence. Charles allait souvent jouer au squash. Pendant qu’il descendait les escaliers en direction des courts, il criait toujours de loin au barman : « Quel court ? » Son éducatrice lui dit que cela ne se faisait pas, qu’il était plus poli d’aller demander cela au comptoir. On ne pose pas une question de loin. La fois suivante, Charles se présenta au comptoir pour poser sa question. Mais... il n’y avait personne au comptoir. Un handicap est toujours une donnée sociale. Il est plus que le manque ou le trouble seul. C’est le trouble en combinaison avec l’environnement social. Un trouble moteur n’est pas nécessairement en lui-même un handicap. Il ne devient handicap que dans une société qui suppose de la mobilité. L’autre manière de penser, si caractéristique des personnes atteintes d’autisme, est un vrai handicap quand on sait que la cohabitation dans notre société demande tant de sagesse, de bon sens, de souplesse et de capacité de généralisation. Il y a toujours eu des personnes autistes mais ce n’est que maintenant qu’elles sont mises sur la touche. Autrefois, lorsque la vie était moins complexe et pressée, lorsqu’il y avait beaucoup plus de règles — dictées et indiscutables — et lorsque l’ordre social était plus simple (il y avait une hiérarchie évidente où chacun avait sa place), beaucoup d’entre elles pouvaient survivre. Elles semblaient bien un peu étranges mais elles arrivaient à survivre. Dans beaucoup de métiers, les individus autistes étaient même des travailleurs exceptionnels, les meilleurs possibles. Qui d’autre mieux qu’eux peut faire du travail de classement ? Pour ce genre de travail, une sensibilité aux détails et l’observation stricte des règles sont des conditions indispensables. La souplesse est un défaut pour une personne qui doit effectuer

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un classement. Imaginez qu’elle range selon ses impulsions... Dans beaucoup de métiers, la précision, la logique et la rigueur de la pensée informatique d’une personne autiste étaient autrefois un avantage. Aujourd’hui, ces personnes n’arrivent plus aussi bien à se placer sur le marché du travail parce que le traitement de ces informations peut être effectué par des ordinateurs qui travaillent mieux et plus rapidement. Notre société moderne n’a plus besoin de gens qui classent, comptent ou calculent. Penser rapidement et d’une façon analogique, être efficace et malléable sont des qualités qui sont beaucoup plus recherchées dans la société actuelle. Regardez les offres d’emploi dans les journaux. Des postes demandant cette façon de penser ne seront jamais occupés par des ordinateurs. Des emplois de nourrice, d’assistants sociaux, de barmans sont proposés en premier lieu. Ce sont justement ces postes qui ne conviennent pas aux personnes atteintes d’autisme. Le fait que notre société soit devenue plus complexe et suive moins de règles fixes fait que les personnes atteintes d’autisme ont un double handicap. Mais nous devons aussi relativiser tout cela. Parfois, l’intuition ne suffit pas et alors, penser aux détails et suivre formellement des règles et des définitions peuvent être des avantages. Imaginez que l’on construise des ponts et des avions sur la base d’intuition et non de calculs exacts. Imaginez que des médecins écrivent des ordonnances en se basant seulement sur leur diagnostic sans faire attention aux formules de dosage tenant compte du poids et de la taille d’un enfant. « Attention ! Il ne faut pas penser que la littéralité doit être évitée à tout prix. Si nous nous donnions toujours pour priorité de sauter d’abstraction en abstraction, nous ne ferions finalement plus la différence entre les situations. La description optimale de chaque situation serait alors : il se passe quelque chose28 . »

Par ces mots, un expert relativisait la supériorité du cerveau humain par rapport aux ordinateurs sur le plan de l’intelligence artificielle. Et il ajoutait : « Il existe beaucoup de formes de rigidité et une tendance rigide à l’abstraction est tout aussi stupide qu’un refus rigide de l’abstraction ». Au fond, les personnes atteintes d’autisme ne sont pas plus stupides que les autres. Elles ont une autre forme d’intelligence par laquelle elles traitent les stimuli d’une façon inhabituelle, ce qui fait leur handicap. Leur rigueur, leur sensibilité aux détails, leur

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confiance en des règles et définitions strictes et formelles, leur façon concrète de penser ne correspondent pas (plus) aux exigences de la société moderne. C’est pourquoi elles sont d’étranges spécimens : des Sherlock Holmes archaïques et étrangers au monde ou des robots avant la lettre. Leur façon de penser est excentrique. Mais leur excentricité cache une forme spéciale de créativité. Une créativité qui manque à l’homme de notre époque, mobile, capable de jugement et de nuance et pensant d’une façon abstraite. C’est un défi pour les « penseurs cohérents » que de donner une place dans notre société à ceux qui pensent littéralement. Les personnes autistes ont besoin de plus que de l’aide. Elles méritent d’être appréciées pour leur particularité et, si nous le voulons, elles peuvent apporter une contribution sensible à notre société grâce à leur spécificité. Nous ne devons pas leur donner une place dans la société malgré leur autisme mais avec leur autisme. Notre société tirerait profit d’un petit brin supplémentaire d’autisme. Comme Francesca Happé suggère29 , la cohérence centrale faible des personnes atteintes d’autisme n’est pas seulement un défaut ; il vaut mieux la caractériser comme un style cognitif. Leurs points forts (voir la liste plus haut) sont souvent nos points faibles. La littéralité n’est pas seulement naïve, parfois elle nous ramène à la réalité : — Pourquoi es-tu toute la journée devant ton ordinateur ? — J’écris un livre sur l’autisme. — D’où te vient cette idée ? Tu peux acheter ça pour 20 euros.

En conclusion : ce livre est avant tout destiné à des « penseurs cohérents ». À ceux qui peuvent saisir une idée à partir d’analogies, à ceux qui peuvent exploiter des « critères de ridicule ». Quand je compare la pensée des personnes autistes au traitement des informations par un ordinateur, c’est aussi une analogie, pas une identification. Celui qui pense de façon littérale va considérer à tort l’analogie comme une ressemblance. Mettre les personnes atteintes d’autisme sur le même plan que les ordinateurs est absurde et ridicule. Aussi ridicule que de penser qu’une Rolls Royce pourrait être une reine. C’est un livre pour ceux qui savent lire avec intuition, et non selon les règles formelles de la logique. Le message de ce livre n’est pas dans mais entre les lignes.

10 Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre

N OTES DU CHAPITRE 1 : SUR CE LIVRE 1

Kanner, 1943. Dans son étude (1996), Suzanne Leekam a mis en évidence des caractéristiques autistiques chez un tiers des enfants normaux. Celles-ci apparaissent de moins en moins fréquemment après l’âge de cinq ans. 3 Par « pensée cohérente », nous entendons ce qu’Uta Frith (1989) appelle cohérence centrale : la capacité de découvrir une cohésion parmi une multitude de stimuli. 4 Pour un aperçu des récentes théories cognitives concernant l’autisme et l’importance de l’hypothèse de la « pensée cohérente », nous vous conseillons de consulter les études d’Anthony Bailey et coll. (1996). 5 J’ai trouvé mon inspiration plus particulièrement dans les livres de Douglas R. Hofstadter (1979 et surtout 1985). Le lien entre l’autisme et les ordinateurs ou les robots n’est pas une étude spécialement nouvelle (voir aussi entre autres Frith, 1989).

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Hofstadter, 1985, p. 552 de la traduction flamande. Professeur Ina van Berckelaer-Onnes, 1992. 8 Les références des blagues citées dans ce livre sont beaucoup moins évidentes que celles qui ont trait aux ordinateurs. Les blagues font partie du domaine public et les auteurs de la plupart des plaisanteries reprises ici me sont inconnus. Je suis certain qu’aucune n’a été inventée par moi-même et que le plagiat est la règle en ce domaine. Les anecdotes amusantes proviennent par contre de mon expérience personnelle, mais surtout de l’expérience de parents. En tant qu’« experts », ils sont les mieux placés pour ce type d’illustrations. 9 Gillberg, 1990, et Vermeulen, 1998. 7

N OTES DU CHAPITRE 2 : SUR L’ HUMOUR ET L’ AUTISME 1

Hans Asperger, 1944, p. 82 de la traduction anglaise par Frith, 1991. 2 Nous reviendrons sur ceci dans le chapitre 4 où le lecteur trouvera quelques plaisanteries agréables basées sur ce principe. 3 Newson, 2000, p. 97. Traduction littérale : humour « type peau de banane ». 4 Ceci est la conclusion d’une étude de Mary Van Bourgondien et Gary Mesibov (1987). 5 Voir par exemple Elisabeth Newson (2000) et Carol Gray (1998) qui décrivent l’usage de l’humour et des bandes dessinée dans l’éducation d’enfants atteints d’un syndrome d’Asperger ou autistes de haut niveau. 6 Hans Asperger, 1944, p. 130 de la traduction française. 7 À vrai dire, il y a eu une telle proposition de la part d’une personne autiste qui a lu la version néerlandaise de ce livre. Il existe également un site web développé par les personnes atteintes d’autismes sur la personnalité non autistique. Ce site web décrit les personnes « normales » (appelées « neuro-typiques ») comme malades. La façon pompeuse avec laquelle ce site web décrit les gens normaux comme étant atteints d’un trouble est une parodie, et donc une preuve que les personnes atteintes d’autisme peuvent

10. Notes finales

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avoir de l’humour. Ce site peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.isnt.autistics.org 8 Ceci signifie que les personnes autistes ont des difficultés à considérer les autres personnes comme ayant un esprit indépendant et à comprendre le monde non seulement d’un point de vue comportemental et physique mais également d’un point de vue intellectuel. Voir entre autres Simon Baron-Cohen, 1995. 9 Sinclair, 1992, p. 294.

N OTES DU CHAPITRE 3 : SUR L’ HUMOUR ET L’ INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 1

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Une condition nécessaire mais pas suffisante. Les blagues doivent encore satisfaire à d’autres conditions. Elles ne peuvent pas, par exemple, être trop limpides ou trop simples sinon elles deviennent de « mauvaises » blagues. 2 Bergsma, 1994. 3 Cette citation est tirée d’un livre sur la philosophie : Johan Allen Paulos, 1985, p. 135 de la traduction néerlandaise de 1993. C’est aussi chez Paulos que j’ai trouvé l’anecdote de l’ordinateur traducteur russo-anglais, plus loin dans le texte. 4 De Blundell, 1983, p. 17-18 de la traduction néerlandaise. 5 Paulos, 1985, p. 138 de la traduction néerlandaise de 1993. 6 Repris de Frith (1989, p. 121) avec l’aimable autorisation d’Uta Frith. Le dessin original est d’Axel Scheffer.

N OTES DU CHAPITRE 4 : SUR L’ INTELLIGENCE AUTISTIQUE (1) 1

Gillberg, Peeters (1995), L’autisme, aspects éducatifs et médicaux, p. 12. 2 Car un ensemble est plus que la somme des parties. C’est le premier axiome de la théorie des systèmes. Dans le sens que nous prêtons aux choses, nous incluons aussi les relations (invisibles) entre les différentes parties. 3 Dans Frith, 1989. 4 On retrouve le terme de séparation (détachement) chez Frith (1989). Cet auteur décrit un certain nombre d’expériences d’où il

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ressort que les enfants autistes, comparés à des enfants handicapés mentaux ou des enfants normaux, réalisent de meilleures performances quand il s’agit d’exercices demandant d’isoler, de séparer des stimuli alors que leurs performances sont moins bonnes pour des tâches demandant de la cohérence, dans lesquelles les stimuli doivent être reliés. 5 Ce terme vient de William Jones (voir Sacks,1995, p. 269 de la traduction néerlandaise). 6 Frith, 1989. 7 Repris de Happé (1994, p. 118) avec son aimable autorisation. Le dessin original est d’Axel Scheffer. 8 Avec l’aimable autorisation des éditeurs Swets et Zeitlinger BV. 9 Toutefois, ce n’est pas toujours aussi simple. Les chaises peuvent être si différentes et pourtant nous appelons ces différents objets des chaises.

N OTES DU CHAPITRE 5 : SUR LE COMPORTEMENT SOCIAL ET L’ IDENTITÉ 1

Ceci vaut spécialement pour la grande majorité des personnes atteintes d’autisme et d’un handicap intellectuel. Les personnes autistes ayant une intelligence normale ou supérieure savent (ont appris ?) qu’il existe des relations invisibles. Leur problème est alors qu’elles perçoivent toutes les relations possibles mais qu’elles n’arrivent pas à faire une bonne présélection de celles qui, à partir du contexte, sont les plus à portée de main, donc les plus logiques. Les personnes autistes douées sont donc plutôt aveuglées par les relations. Elles tiennent compte de trop de relations. 2 Richard Lansdown dans Joliffe, Lansdown et Robinson, 1992, p. 16. 3 Blundell, 1983. 4 Voir la notion « personal episodic memory » et « sense of self » dans Jordan et Powell (1995). 5 Congrès : L’Autisme : préparation de l’âge adulte, 16 mai 1987. 6 Martin parle de son « propre » anniversaire. À remarquer qu’il a, dès le début de l’histoire, clairement expliqué qu’il est né un 19 mars. 7 Nous ne voulons pas dire par là que les personnes atteintes d’autisme seraient moins des personnes à part entière que d’autres.

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10. Notes finales

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Chacune d’elle est une personne unique avec son propre caractère, son propre tempérament etc. Par personnalité nous entendons : ressentir une unité personnelle. Les personnes atteintes d’autisme ne sont pas inférieures aux autres (voir dernier chapitre). 8 On a confondu et on confond encore souvent autisme et schizophrénie. La schizophrénie est un trouble de la personnalité, qui se caractérise plus précisément par une personnalité désintégrée, une personnalité dissociée. Dans sa forme extrême, on évoque plusieurs personnalités. Dans l’autisme comme dans la schizophrénie, on retrouve le manque d’intégration et d’unité de la personnalité. Ce n’est donc pas par hasard qu’il y a confusion : dans les deux cas, il n’y a pas d’unité, pas d’identité homogène. Le Journal of Autism and Developmental Disorders actuel s’appelait d’ailleurs autrefois le Journal of Autism and Childhood Schizophrenia. La différence entre l’autisme et la schizophrénie tient notamment au fait qu’à l’intérieur des différentes personnalités d’un schizophrène, il y a une certaine cohérence alors que chez la personne autiste il y en a très peu dans une seule et même personnalité. Les personnes atteintes d’autisme d’intelligence normale peuvent développer une image proche de la schizophrénie pendant ou après l’adolescence surtout si elles n’ont pas bénéficié d’un accompagnement et d’un encadrement adaptés. 9 Gerland, 1996, p. 47. 10 Blundell (1983, p. 21). 11 Pas seulement sur le plan social. Cette forme d’imitation sans compréhension du sens est très souvent employée par les personnes atteintes d’autisme dans l’utilisation de la langue. Cela s’appelle l’écholalie (voir entre autres Theo Peeters (1996). L’imitation à la lettre de comportements sociaux est appelée l’échopraxie). 12 Nous avons « emprunté » cet exemple très caractéristique à Mulders, Hansen et Roosen (1996, p. 139). 13 Dans Sacks, 1995. 14 Cette façon de chercher des explications dans les films vidéo est remarquablement mise en scène dans le film Being There. Ce film, précurseur de Rainman, raconte l’histoire d’un jardinier (autiste ?) qui se fait élire président des États-Unis. Il a vécu des années coupé du monde extérieur et tout à coup il est projeté dans la vraie vie. La seule chose à laquelle il peut se raccrocher pour donner une forme à son comportement sont des images de télévision qu’il a vues pendant

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toutes ces années. Le film est basé sur le livre du même titre de Konsinski (1971). 15 Il existe plusieurs articles et livres sur la notion de la « théorie de l’esprit » dans l’autisme. Pour une revue des études récentes nous référons à Baron-Cohen, Tager-Flusberg et Cohen (2000). Dans ce livre il y a un chapitre de Francesca Happé (2000), où elle présente une revue de la recherche sur la « cohérence centrale » et sa relation avec la « théorie de l’esprit ». 16 Oliver Sacks, 1995, p. 299. 17 Voir Peter Vermeulen, 1997.

N OTES DU CHAPITRE 6 : SUR LA COMMUNICATION 1

Nous n’approfondirons pas ici les difficultés d’abstraction par rapport à la langue. Theo Peeters, entre autres, les a déjà largement décrits dans ses deux derniers ouvrages : Gillberg et Peeters (1995) et Peeters (1996). 2 Nous nous référons ici aux deux niveaux les plus « élevés » d’une langue. Le niveau le plus bas est le niveau sémantique : le lien entre les mots et les choses (leurs « significations »). Le niveau syntaxique est celui du lien entre les mots : la cohérence entre les significations attribuées aux différents mots. Le niveau pragmatique, enfin, se réfère à la cohérence entre les mots (les séries) et le contexte. Les personnes atteintes d’autisme ont des problèmes aux trois niveaux mais leurs problèmes augmentent avec la complexité croissante des niveaux. C’est avec les aspects pragmatiques de la communication qu’elles ont le plus de difficultés. 3 Tout comme une phrase est plus qu’une addition de mots, un mot est plus que des lettres placées les unes à côté des autres. Pour un ordinateur qui ne sait pas attribuer un sens à partir de la cohérence, les mots ne sont rien de plus que des signes alignés les uns à côté des autres : le mot « ils » n’est rien de plus que i-l-s, trois lettres successives. Quand nous voyons (ou entendons) « ils », nous pensons intuitivement à un pronom de masculin, à des individus... 4 Nous parlons ici des mots « référentiels ». Les mots référentiels n’ont pas de sens fixes mais donnent un sens à ce à quoi ils se réfèrent : grand (une chose est toujours grande par rapport à une autre : une souris est grande quand on la compare à une aiguille

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mais elle est petite par rapport à un éléphant), hier (est aujourd’hui si on se réfère à demain et est demain par rapport à après-demain), en dessus et au-dessus (le deuxième étage est au-dessus du premier mais en dessous du troisième). Les études ont prouvé que les personnes atteintes d’autisme ont du mal à comprendre les mots référentiels. 5 Paulos, 1993, p. 135. 6 Cet exemple et le suivant (celui du chien) viennent du livre d’Arno Penzias (1990). 7 La différence entre « pour » dans le sens de « à cause de » (être jugé pour débauche) et dans le sens de « pour » (être ici pour la débauche). 8 « Je crois que (votre) boisson en est la cause » et non : « Je crois que (ma) boisson en est la cause. » 9 Le drapeau n’existe qu’en « bleu-blanc-rouge » (un drapeau à trois couleurs) et non « en bleu, blanc et rouge » (trois drapeaux de couleurs différentes). 10 Utiliser (pour nettoyer les toilettes) opposé à : Utiliser (pour nettoyer...) 11 Cette anecdote est tirée du livre de Twachtman (1995). 12 La structure grammaticale d’une phrase ou d’une expression est parfois appelée « structure de surface ». Par contre, le sens d’une phrase — pas directement visible — est sa « structure profonde ». (Hofstadter, 1985). 13 L’objectif n’est pas d’approfondir ce sujet bien qu’il s’agisse d’un domaine très intéressant. C’est ainsi que le « niveau de relation » prend souvent forme à partir de la communication non verbale, et ce sont surtout les contradictions entre ce qui est dit et la façon de le dire qui sont inaccessibles pour les personnes atteintes d’autisme. Au niveau de la relation, les personnes atteintes d’autisme sont particulièrement maladroites et naïves. 14 Phillips et coll., 1995. Dans leurs appels à l’aide, les enfants autistes développent beaucoup moins que d’autres des stratégies dans lesquelles les adultes présents sont utilisés comme des sujets réceptifs. 15 De Paulos, 1993.

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N OTES DU CHAPITRE 7 : SUR LA RIGIDITÉ 1

Momma, 1996, p. 101. La dépendance personnelle se rencontre fréquemment chez des personnes atteintes d’autisme qui ont une haute intelligence. Comme ils s’orientent beaucoup vers les autres, ils se tournent — contrairement aux personnes autistes qui possèdent peu de sociabilité ou qui ont une déficience intellectuelle — vers autrui quand ils ne savent pas trop bien ce qu’ils doivent faire : ils s’accrochent aux autres quand leur environnement n’est pas assez clair et qu’il ne « parle » pas de lui-même. La forme est différente mais, finalement, les personnes atteintes d’autisme et d’une déficience intellectuelle et celles qui ont par exemple le syndrome d’Asperger ne sont pas si différentes dans leur dépendance aux explications et instructions. Voir Vermeulen, 1999. 2

N OTES DU CHAPITRE 8 : SUR LES DIFFICULTÉS À RÉSOUDRE DES PROBLÈMES 1

Le mot « sens » a plusieurs acceptions. Tout d’abord celle de « signification », comme par exemple dans : « Quel est le sens de cette expression ? » ou celle d’« intention » (de « but ») : « Quel sens y a-t-il à aller pêcher pendant ses loisirs ? » Dans l’autisme, le problème se pose dans les deux acceptions du terme : les personnes atteintes d’autisme ont du mal à donner du sens aux choses mais elles ont aussi et surtout du mal à découvrir le but des choses et des événements. 2 L’exemple vient du livre de Charles Hart, 1989. 3 Van Dalen, 1995a, p. 14. 4 Les problèmes d’action stratégique (planifier, contrôler et évaluer les actions) que connaissent les personnes atteintes d’autisme ont donné naissance à une théorie cognitive explicative de l’autisme, dans laquelle il est admis que l’autisme est une conséquence d’un déficit des « fonctions exécutives ». Nous renvoyons ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette théorie entre autres aux travaux de Hughes, Russell et Robbins (1994) et de Ozonoff (1995).

10. Notes finales

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5

D’après une étude, il semble que le développement de l’imitation chez les enfants normaux soit associé à la compréhension des objectifs (Hay et coll., 1991). 6 Gaarder, 1994, p. 265. 7 Hofstadter, 1985, p. 649. En raisonnant de manière déductive, on extrait de la règle générale des règles particulières via un raisonnement logique. Le contraire est le raisonnement inductif. Par là, on conclut à une règle plus générale sur base de quelques situations similaires. Les personnes atteintes d’autisme seraient plus performantes en raisonnement déductif. De nouvelles études devraient le confirmer. 8 Cette expression fait allusion au fait qu’en ayant un trop grand nombre de choix, on n’arrive plus à décider.

N OTES DU CHAPITRE 9 : SUR L’ INTELLIGENCE AUTISTIQUE (2)

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1

Vroon, 1992, p. 223. 2 Van Dalen, 1994a, p. 14. 3 Voir aussi Piet Vroon (1992) : le terme de « l’unité centrale de contrôle » (UCC) vient de Gazzaniga (1985). La UCC n’est pas un lieu localisé dans le cerveau bien qu’il y ait des indications selon lesquelles la partie gauche du cortex jouerait un rôle dans la création de ce système de traitement et de décision central. La UCC est donc un concept hypothétique, un mécanisme, pas vraiment un endroit précis dans le cerveau. Il est reconnu que les personnes atteintes d’autisme traitent surtout les informations comme le fait la partie droite du cerveau : d’une façon holistique et non analytique. Cette théorie sur la UCC est une indication d’une possible fondation neurologique du problème de cohérence chez l’autiste. Vroon dit lui-même : « Beaucoup de chercheurs pensent (par conséquent) que les personnes atteintes d’autisme ont une UCC mal développée » (1992, p. 223). La remarque de Vroon concernant la mauvaise direction donnée à l’attention chez les enfants autistes (voir la citation au début de ce chapitre) est corroborée par les nombreuses études d’Éric Courchesne sur les problèmes d’« attention shifting ». Ces problèmes d’attention sont un important signal précoce de l’autisme.

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Comment pense une personne autiste ?

D’après Courchesne (1996), le cervelet est responsable de la sélection des stimuli qui lui parviennent et il est le coordinateur des autres zones du cerveau. 4 Toutefois, il y a encore et toujours des théories et des thérapies développant l’idée que les individus atteints d’autisme sont des intellectuels prisonniers de leur autisme. Cette idée est par exemple à la base de la méthode de la communication facilitée (Facilitated Communication), méthode partant du point de vue que les personnes atteintes d’autisme sont des très intelligentes et sensibles qui ne parviennent pas à communiquer parce qu’elles ne reçoivent pas la « poussée » ou le « soutien » dont elles auraient besoin. 5 Weizenbaum, 1984, p. 224. 6 Voir Vermeulen, 1995a, 1995b, 1996. 7 Il existe maintenant des ordinateurs, la nouvelle génération d’intelligence artificielle (le dénommé neural networks ou ordinateur PDP : Parallel Distributed Processing), qui peuvent traiter des informations de façon parallèle. Ce qui est remarquable chez ces ordinateurs, c’est qu’ils sont capables de travailler dans le contexte à la différence des ordinateurs à traitement sériel (Copeland, 1993). 8 Voir Van Dalen, 1995b. 9 Beate Hermelin et Neil O’Connor (1970) n’ont pas proposé cette illustration mais des dessins du test : Embedded Figures Test, le test des figures cachées pour enfants. 10 Voir aussi la notion du folk psychology (« psychologie populaire ») de Simon Baron-Cohen (2000). 11 L’intelligence intégrante joue un si grand rôle dans le développement et l’apprentissage que le développement d’autres terrains de connaissances et d’autres propriétés en dépend. C’est ainsi que les personnes atteintes d’autisme accumulent généralement du retard par rapport aux autres individus de leur âge dans différents domaines de développement. On parle à raison d’un trouble du développement insinuant et envahissant. 12 Grandin, 1996. 13 C’est ainsi qu’on a constaté qu’un assez grand nombre de personnes atteintes d’autisme à l’intelligence normale avaient réussi des tests, comme l’expérience de Sally-Ann en relation avec la théorie de l’esprit (theory of mind). Un examen plus poussé de ces résultats surprenants a fait découvrir que ces personnes parvenaient à trouver

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10. Notes finales

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la bonne réponse par une tout autre stratégie que les personnes sans autisme. 14 Voir Frith, 1996. Uta Frith n’est pas la première à soutenir cette idée. Hans Asperger (1944) avait déjà formulé l’idée que l’intelligence autistique avait des qualités bien nettes et qu’elle était le contraire de la sagesse. 15 Minsky, 1992, p. 356-358. 16 Pour les deux types de connaissances qui seront décrits plus loin, il existerait aussi des preuves neurologiques. La partie gauche du cerveau est celle de la logique, du raisonnement séquentiel ; la partie droite est plutôt « holistique ». C’est dans cet hémisphère du cerveau que se trouve la sagesse, le siège de l’intuition. C’est lui qui élabore les métaphores et les analogies (voir Weizenbaum, 1984, p. 234 et sqq.) 17 Pour plus de détails, voir Copeland (1993), chap. 9 : « Sommesnous des ordinateurs ? » 18 Hofstadter, 1988, p. 639. 19 Ici se situe l’affirmation d’une soi-disant « dépendance personnelle » ou d’une dépendance des personnes atteintes d’autisme aux instructions. 20 Les termes « chaotique » et « saccadé » sont de Vroon (1992, p. 196). 21 H.B. Barlow, The Oxford Companion to the Mind, in Penzias (1990). 22 Éric Courchesne (1996) situe l’intuition dans le cervelet. Le cervelet nous prépare inconsciemment à ce qui va arriver. Un cervelet endommagé entraîne des réactions lentes ou erronées et rend nécessaire une réflexion consciente avant de pouvoir réagir. D’après Douglas Hofstadter (1988), le bon sens est lié à la sub-cognition. Les ordinateurs savent effectuer des activités cognitives mais il leur manque cette sub-cognition qui est à la base du bon sens et de la souplesse humaine. 23 Comme nous l’avions fait remarquer, dans le chapitre sur la résolution des problèmes, on suppose fortement que les personnes atteintes d’autisme raisonnent beaucoup mieux d’une façon déductive qu’inductive. Or le raisonnement inductif est en relation avec la découverte des analogies. 24 Hofstadter, 1988, p. 559.

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Weizenbaum, 1984, p. 236. Declercq, 1993. 27 Jordan et Powell, 1995, p. 31. 28 Hofstadter, 1988, p. 584. 29 Happé, 1999. 26

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V ERMEULEN P. (1995b). « Autisme en intelligentie, deel 2 : Als we hen intensief stimuleren ? », Autisme (magazine du Vlaamse Dienst Autisme, Gand) (Autisme et intelligence, vol. 2 : Et si on les stimule ?)

ROGÉ B. (2003), Autisme, Comprendre et agir. Santé, éducation, insertion, Dunod, Paris. S ACKS O. (1995). Un anthropologue sur Mars. Sept histoires paradoxales, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées ». S ZATMARI P. (1998). « Differential Diagnosis of Asperger Disorder », in E. S CHOPLER, G.B. M ESIBOV et L.J. K UNCE (éd.) Asperger Syndrome or Highfunctioning Autism ?, New York/London, Plenum Press, p. 61-78. T WACHTMAN D.D. (1995). « Methods to enhance communication in verbal children », in K Q UILL (éd.) (1995). Teaching Children with Autism : Strategies to Enhance Communication and Socialization, New York/London, Delmar Publishers. VAN DALEN J.G.T. (1995a) « Autism From Within : Looking Through the Eyes of a Mildly Afflicted Autistic Person », Link 17, 11-16. VAN DALEN J.G.T. (1995b). « Autisme : weinig keus ? », Engagement 22, 4, 7-11. (« Autisme : peu de choix ? ») V ERMEULEN P. (1994). « Autisme en het gezin. Een verhaal van perplexiteit », Tijdschrift voor Welzijnswerk 18, 182, 81-89. (L’Autisme et la famille : une histoire de perplexité.)

V ERMEULEN P. (1997). Een gesloten boek : autisme en emoties, Gent, Vlaamse Dienst Autisme. (Un livre clos : l’autisme et les émotions.) V ERMEULEN P. (1998). « Some Impressions on Autism and Art : Being au/rtistic », Link 24, 3, 10-11. V ERMEULEN P. (1999). Brein bedriegt : als autisme niet op autisme lijkt, Berchem/Gent, EPO/Vlaamse Dienst Autisme. (Le cerveau trompe : quand l’autisme ne ressemble pas l’autisme.) V ROON P. (1992) Wolfsklem : de evolutie van het menselijk gedrag, Baarn, Ambo. (La trappe du loup : l’évolution du comportement humain.) W EIZENBAUM, J. (1977) Computer Power and Human Reason : From Judgment to Calculation, New York, Freeman. Traduction française en 1981 : Puissance de l’ordinateur et raison de l’homme, Boulognesur-Seine, ED d’informatique, coll. « L’homme face à l’ordinateur ». W ECHSLER D. (1992) Manual for the Wechsler Intelligence Scale for Children — Revised, Antonio, TX, Psychological Corporation. W INOGRAD T.A. et F LORES F. (1986). Understanding Computers and Cognition, Norwood N.J., Ablex.

Peter Vermeulen, pédagogue spécialisé dans le handicap et docteur en sciences sociales, travaille déjà depuis longtemps avec des enfants, des adolescents et des adultes souffrant d’autisme. Il travaille comme consultant au centre de communication concrète pour lequel il présente aussi des conférences et ateliers. Il est également rédacteur en chef du magazine bimensuel Autisme Centraal. Il travaille en freelance pour la faculté des sciences psychologiques et pédagogiques et la faculté de sociologie de l’université de Louvain. Il a déjà à son actif de nombreuses publications au sujet des troubles du spectre de l’autisme. Le Centre de Communication Concrète (CCC) fait partie en Flandre d’une association nommée Autisme Centraal. Le CCC a également une antenne en France. Ce centre de connaissance et de soutien s’active depuis plus de dix ans à rassembler et propager une expérience théorique et pratique au sujet de l’autisme, et ceci dans toute l’Europe et parfois même plus loin, par exemple au Canada. Durant cette période, nous avons réussi à traiter dans plus de dix publications l’information complexe sur l’autisme d’une manière compréhensible pour un public varié. Ces publications ont été traduites ou sont actuellement en cours de traduction (du néerlandais) en français et anglais. Le centre de communication concrète propose des formations dans une gamme étendue de thèmes dans le domaine des troubles du spectre de l’autisme. Une équipe multidisciplinaire d’experts travaille d’ailleurs dans une perspective européenne et intègre les nouvelles tendances et pratiques de différents pays. Le centre est spécialement connu pour traiter le thème de l’autisme d’une manière très « pratique ». Tous les ateliers et formations mettent l’accent sur la pratique des professionnels impliqués dans les cours. Nous avons de bons contacts avec le monde académique et formons des associations avec les universités de Gand, Louvain et Anvers. Des informations sur le centre sont aussi diffusées en français et anglais par le biais d’un journal d’information électronique.

Contactez-nous pour de plus amples informations : Centre de Communication Concrète France 6 rue de la Tuilerie F- 57 890 Porcelette (France) Tél./Fax : +33 (0) 3 87 04 26 33 E-mail : [email protected] Site Internet : www.cccfrance.com Centre de Communication Concrète Groot Begijnhof 85 B, 9040 Gent (Belgique). Tél. : +32 (0) 9 238 18 18 E-mail : [email protected] Site Internet : www.autisme.be

Table des matières

PRÉFACE NOTES DE L’AUTEUR REMERCIEMENTS

XI XIII

1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre

1

2. Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme

9

3. Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence artificielle

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

VII

15

Humour et contexte

15

Intelligence artificielle et contexte

17

4. Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence autistique (1) Réponses « Ravioli » et « Lavabo » 5. Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement social et l’identité

23 28 35

Un verre d’eau

35

Quand vous voyez une personne en uniforme, dites « bonjour »

38

Les situations « pull vert »

40

Quand la vie est une ligne en pointillé

41

Imiter (singer)

44

142

Table des matières

Hello, how are you ?

46

Puis-je vous « déchiffrer » ?

47

Il n’y a pas de panneaux de signalisation sociaux

48

6. Le chevalier des fléchettes : sur la communication

53

Les symboles font du monde un monde partiel

53

Erreurs de traduction

56

Elle aime le sa en pliant

58

Le « chevalier des fléchettes »

61

Les sous-entendus (ou ce qui n’est pas clairement exprimé)

64

Intentions secrètes

67

7. Les frites de pommes : sur la rigidité

71

Aut(omat)isme

71

Celui de Villeurbanne était tout au fond : l’essence des choses...

72

Des toilettes sont pourtant des toilettes ?

74

Frites de pommes

78

Le coup de feu du starter fait partie de la course

79

8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution des problèmes

83

Effectivité et efficacité

84

Plutôt fonctionnaires que stratèges : les rituels

87

« Et fais exactement la même chose »

89

« Fais ceci ! »

91

Faire du café n’est pas 2 + 2 : décider est plus que calculer

92

L’embarras du choix

97

9. Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2) Intelligence : peut-être, peut-être pas

99 99

Analyser (les arbres) ou intégrer (la forêt)

102

La pensée autistique en tant que stratégie de survie

108

Bon sens

110

Connaissance des faits contre bon sens

112

Entre les règles

116

Table des matières

143

10. Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre

123

Notes du chapitre 1 : sur ce livre

123

Notes du chapitre 2 : sur l’humour et l’autisme

124

Notes du chapitre 3 : sur l’humour et l’intelligence artificielle

125

Notes du chapitre 4 : sur l’intelligence autistique (1)

125

Notes du chapitre 5 : sur le comportement social et l’identité

126

Notes du chapitre 6 : sur la communication

128

Notes du chapitre 7 : sur la rigidité

130

Notes du chapitre 8 : sur les difficultés à résoudre des problèmes

130

Notes du chapitre 9 : sur l’intelligence autistique (2)

131

BIBLIOGRAPHIE. SUR LA LITTÉRATURE CONSULTÉE

135