Cinq Chantiers Pour Changer le Québec: Temps, Démocratie, Bien-être, Territoire, Transition 2897192992, 9782897192990


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French Pages [51] Year 2016

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Table of contents :
Cinq chantiers pour changer le Québec
Crédits
Introduction
Temps
Quand le travail prend toute la place
Mieux concilier les temps de la vie
Vers la semaine de travail de 32 heures
Augmentation du nombre de semaines de vacances par année
Congé universel pour projet personnel
Conclusion
Démocratie
Décider collectivement
Favoriser le développement des coopératives
Démocratiser l’économie: un point de départ
Démocratiser les services publics
Étendre les espaces démocratiques en éducation
Extension des CPE
Démocratiser les écoles
Démocratiser le système de santé
Le pouvoir des médecins
Le pouvoir des gestionnaires
Pour un renouveau des CLSC
Conclusion
Bien-être
Néolibéralisme, austérité et pauvreté
De l’impasse actuelle de la sécurité du revenu à une société du bien-vivre77
Les moyens d’assurer en 10 ans la couverture des besoins de base au Québec
De l’aide sociale au crédit d’impôt pour solidarité (CIS)
Une solidarité assurant un niveau de vie comparable à tous les types de ménages
Un salaire minimum viable
Conclusion
Territoire
La réappropriation du territoire
Localiser et décentraliser la gestion du territoire
Fonder le développement territorial sur l’usage plutôt que sur l’échange
Les organismes foncièrement utiles
Qu’est-ce qu’une fiducie foncière communautaire?
La création d’organismes foncièrement utiles au Québec
La commune: un nouveau lieu d’exercice du pouvoir
Vers un nouveau rapport au territoire
Transition
Définir un budget carbone et faire de la lutte au réchauffement climatique une priorité
Réinvestir dans le transport collectif urbain et interurbain
Reprendre le contrôle du transport interurbain
Introduire un tarif environnemental sur les importations
Miser sur les circuits économiques courts
Conclusion
Conclusion
Notes
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Cinq Chantiers Pour Changer le Québec: Temps, Démocratie, Bien-être, Territoire, Transition
 2897192992, 9782897192990

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CINQ CHANTIERS POUR CHANGER LE QUÉBEC Temps, démocratie, bien-être, territoire, transition IRIS (sous la direction de Gabrielle Brais Harvey)

1

Coordination éditoriale: Barbara Care a-Debays Maque e de la couverture: Catherine d’Amours, Nouvelle Administration Typographie et mise en pages: Yolande Martel Adaptation numérique: Studio C1C4 © Les Éditions Écosociété, 2016 ISBN ePub: 978-2-89719-301-0 Dépôt légal: 4e trimestre 2016 Les Éditions Écosociété reconnaissent l’appui financier du gouvernement du Canada et remercient la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et le Conseil des arts du Canada de leur soutien. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

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INTRODUCTION

L

E QUÉBEC EST PLONGÉ

dans un profond désarroi politique. Les seuls «projets» qui plaisent à nos élites se dé-

clinent comme suit: déficit zéro, extractivisme, baisses d’impôts, compression des dépenses, privatisations, etc. Chaque fois, tout un arsenal rhétorique est habilement utilisé pour convaincre les Québécois et les Québécoises qu’il n’y a pas de solutions alternatives aux décisions prises en leur nom. Aujourd’hui, c’est l’heure de sourire gentiment aux agences de notation. L’ambition collective de vivre dans une société qui avait à cœur la justice sociale n’aura été au final qu’un doux rêve entretenu par les nostalgiques de la Révolution tranquille. Le cul-de-sac actuel ne date pas d’hier. Il a été façonné par de nombreux choix politiques. Pensons au déficit zéro sous le gouvernement de Lucien Bouchard (1996-2001) et aux départs à la retraite forcés pour des milliers d’infirmières. Aux baisses d’impôts consenties par Bernard Landry (2001-2003), financées à même les compressions des années antérieures (avez-vous un sentiment de déjà-vu?). À la réingénierie de l’État de Jean Charest (20032012) et à son enthousiasme pour la sous-traitance et les partenariats public-privé – les fameux PPP. À la «révolution culturelle» du ministre des Finances Raymond Bachand, qui voulait faire de chaque utilisateur d’un service public un simple client tenu de payer sa «juste part». Toujours, c’est au modèle issu de notre volonté de faire du Québec une société égalitaire et démocratique qu’on s’en est pris. Nos amis lucides se sont décidément passés le mot: me ons fin à l’anomalie et faisons du Québec un territoire qui se soumet comme les autres aux entrepreneurs et aux banquiers. Un nouveau chapitre de ce e marche réactionnaire s’écrit avec l’élection de Philippe Couillard en 2014. Depuis son arrivée au pouvoir, les choses avancent vite et l’austérité s’est résolument installée à demeure dans les officines de l’État. Pendant que d’un côté on coupe dans les services, que l’on pense le plus sérieusement du monde à privatiser la Société des alcools du Québec (SAQ) ou que l’on jongle avec l’idée de baisser de 4,4 milliards de dollars les impôts des contribuables en échange d’une hausse équivalente de taxes et de tarifs; eh bien, de l’autre côté, ce même gouvernement trouve les fonds nécessaires pour investir 1,3 milliard de dollars dans Bombardier, pour injecter des centaines de millions supplémentaires dans le Plan Nord, pour alléger encore la contribution fiscale des entreprises et pour injecter 12,2 milliards de dollars en 5 ans dans le Fonds des générations. Qu’on se le dise: l’austérité n’est pas qu’un mauvais moment à passer. Il n’a jamais été question de simplement reme re la maison en ordre. Il s’agit d’une logique ayant pour but de détourner l’argent des contribuables vers les poches des dirigeants et de leurs amis. L’austérité n’est en ce sens rien d’autre que l’utilisation du pouvoir public à des fins privées au moyen d’une transformation de fond en comble de la manière dont l’État fonctionne. En instaurant des conditions de restriction permanente, le gouvernement veut mener à son terme le virage entrepris ces dernières décennies et rendre l’État québécois pleinement néolibéral. Ce qui compte, ce n’est pas le vivre-ensemble ou la justice sociale, mais le copinage et la satisfaction des marchés financiers. Exit le développement régional et l’occupation du territoire, les régions du Québec sont des bars ouverts et doivent plier l’échine devant les prescriptions des places boursières internationales. Ce que nous léguera Philippe Couillard ne sera rien d’autre qu’un Québec brisé, un lambeau de pays ouvert au commerce et qui se donne au premier prédateur économique venu. À l’IRIS, nous employons nos énergies à décrire ce vaste échec qu’est notre histoire politique et économique récente. Nos travaux détaillent le terrain perdu, les reculs et les impacts des trop nombreuses politiques néolibérales. Nous en sommes venus à la conclusion que, même si le travail de critique et d’analyse des a aques de la droite demeure pertinent, notre institut doit en faire plus. Car si nous savons très bien à quoi nous nous opposons, retour-

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ner la question semble moins évident. S’il est clair que hausser les impôts et rendre la fiscalité plus progressive est une bonne idée en soi, cela n’est pas un projet de société suffisant. En effet, ces mesures ne nous disent pas quel monde nous voulons bâtir en commun. C’est pourquoi nous avons décidé de prendre un peu de recul et de travailler sur des solutions de rechange à l’austérité. De passer de la réaction à la proposition. Si d’un côté les gouvernements néolibéraux organisent le saccage de notre société, de notre côté nous voulons travailler, par le biais de propositions audacieuses, à ouvrir des chemins plus constructifs que ceux tracés par nos élites. Nous savons que nous ne sommes pas les seuls à y réfléchir. C’est pourquoi les cinq chantiers que nous me ons de l’avant cherchent à participer au bouillonnement des idées qui, lentement mais sûrement, reprend ses droits sur la pensée unique. En un sens, ce que nous proposons dans ce livre se place dans le sillage des mobilisations étudiantes, syndicales et citoyennes des dernières années: au goût retrouvé pour la contestation, nous devons maintenant ajouter la capacité de penser de nouvelles manières d’améliorer notre vie en société. La question à laquelle nous tentons de répondre est la suivante: quelles sont les politiques qu’un gouvernement a aché au bien commun pourrait me re en branle dans un premier mandat? Nous consacrons nos énergies à réfléchir cinq chantiers prioritaires: la réduction du temps de travail, la démocratisation de l’économie, la solidarité sociale, l’occupation du territoire et la transition écologique. Pour chacun de ces chantiers, nous proposons une orientation à long terme ainsi que des propositions concrètes à me re en place assez rapidement. Soyons clairs cependant: notre objectif est de lancer des débats, et non de présenter un programme politique. C’est pourquoi nous n’avons pas systématiquement chiffré les coûts de ces chantiers et que nous avons laissé de côté la question de leur financement: avant de se demander combien coûte une mesure et comment la financer, il faut toujours bien s’entendre sur ce que nous voulons faire. Avec ce livre, notre désir est de me re de l’avant de nouvelles idées et d’inspirer un certain goût pour l’audace et pour l’ambition collective. En bref, nous voulons brasser la cage.

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TEMPS par Eve-Lyne Couturier, Minh Nguyen et Julia Posca

L

ES ACTIVITÉS QUI OCCUPENT

notre temps et le rythme auquel nous les réalisons influencent directement notre

qualité de vie, car la possibilité de nouer des relations enrichissantes, saines et valorisantes en dépend. Dans notre société, le travail salarié est l’occupation principale de nombre de gens, soit celle à laquelle le plus de temps est consacré, en plus de constituer pour plusieurs un lieu de socialisation et une source d’identification. Le travail est donc vecteur de cohésion, puisqu’il favorise l’intégration des individus à leur communauté sur les plans social et économique et qu’il leur procure un sentiment d’appartenance. Or, comme la plupart d’entre nous sommes à même de le ressentir, l’organisation présente du temps de travail pose problème. Par souci d’améliorer les conditions de vie individuelles et collectives, un important réaménagement de ce temps devrait être entrepris. Mais avant d’en arriver à ce e proposition, voyons plus en détail la place qu’occupe le travail dans nos vies. Rappelons-nous pour commencer que le travail salarié constitue pour la plupart d’entre nous une contrainte, car la rémunération provenant d’un emploi est la condition sur laquelle repose la satisfaction de nos besoins et de ceux de nos proches. Remarquons aussi que l’a ention qui est portée au travail salarié masque une dimension fondamentale de l’activité humaine, soit le travail domestique, qui renvoie à l’ensemble des tâches effectuées dans la sphère privée et qui touche aux soins apportés aux proches, à l’éducation des jeunes et à la prise en charge des personnes non autonomes ainsi qu’aux tâches d’entretien ménager. Bien que le travail domestique soit nécessaire à la réalisation du travail salarié, seul ce dernier est jugé producteur de richesse, telle que mesurée par le produit intérieur brut. Pourtant, que serait une comptable qui n’aurait pour se vêtir que des chemises tachées, ou encore un physiothérapeute qui traiterait ses patients sans avoir mangé le matin? Ce travail non rémunéré n’est que rarement reconnu, alors que de nombreuses heures lui sont consacrées, surtout par les femmes1, ces obligations s’additionnant ainsi pour une majorité de personnes à l’emploi salarié qu’elles ou ils occupent par ailleurs. L’économie publique et communautaire, qui renvoie pour sa part aux biens mis à la disposition d’une population et aux services dispensés par l’État ou par des organisations non gouvernementales, prend à bien des égards le relais de l’économie domestique et constitue en ce sens un autre support du travail salarié. Pour s’en rendre compte, on n’a qu’à imaginer, par exemple, ce qu’il adviendrait d’un couple possédant une petite entreprise et qui n’aurait aucune école où envoyer ses enfants durant la journée. À la différence de l’économie domestique, le travail dont il est question ici est réalisé la plupart du temps par une main-d’œuvre rémunérée. Cela étant dit, voyons maintenant ce qui fait défaut dans l’organisation actuelle du temps de travail. Nous proposerons par la suite trois mesures perme ant une meilleure appropriation personnelle du temps par les travailleuses et travailleurs, soit la réduction de la semaine de travail, une bonification des vacances payées et l’instauration d’un congé universel. Quand le travail prend toute la place Aujourd’hui, le travail constitue une source de préoccupation de deux manières opposées. Pour les travailleurs et les travailleuses qui ont un emploi stable, les exigences de flexibilité et de disponibilité constituent un important facteur de stress qui peut mener à l’épuisement professionnel. Pour ceux et celles qui sont au contraire temporairement ou périodiquement exclus du marché du travail, le manque de revenus et d’intégration alimente un sentiment d’insécurité et de désaffiliation qui est aussi source d’angoisse. À l’heure de la flexibilité et du précariat, le temps réservé aux loisirs et au repos en vient aussi à représenter pour plusieurs un luxe hors de portée.

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Ainsi, de nombreux troubles de santé mentale sont liés aux conditions d’exercice de l’emploi, telles que la surcharge de travail et les mauvaises relations avec les supérieurs. La Commission de la santé mentale du Canada estime que les troubles mentaux et les maladies mentales sont responsables du tiers des demandes d’indemnisation pour invalidité de courte et de longue durées et qu’ils ont occasionné environ 6,3 milliards de dollars en perte de productivité en 20112. La multiplication des cas de surmenage, de dépression ou d’anxiété chronique nous oblige à considérer la santé mentale autrement que comme une réalité strictement personnelle. La répartition inégale du travail au sein de la population active se répercute par ailleurs sur les autres sphères de la vie. Les tâches domestiques se transforment en un fardeau pour celles et ceux qui combinent ces obligations à un travail rémunéré. La difficulté de concilier travail rémunéré et non rémunéré, du moins pour les salariés qui ne peuvent s’offrir le luxe de sous-traiter à d’autres leurs obligations domestiques, fait aussi ressortir l’importance du soutien que représente l’économie publique pour l’harmonisation des temps de la vie. Or, ce e économie est mise à mal par les gouvernements ayant emprunté la voie de l’austérité budgétaire: les effectifs des services publics sont réduits et les tarifs imposés à leurs usagers et usagères se multiplient3. C’est sans compter les répercussions de l’austérité sur les services rendus par les travailleurs et les travailleuses des organismes communautaires dont la tâche augmente, bien que les moyens, eux, diminuent. Ce faisant, le fardeau financier de plusieurs ménages s’alourdit, tandis que la réduction du filet social rend toujours moins compatible le travail avec les autres exigences personnelles et familiales. Pensons aux parents qui doivent s’absenter durant de longues heures pour accompagner leur enfant dans une clinique médicale faute d’un accès plus rapide à un médecin, ou encore à celles et ceux dont le revenu stagne mais qui doivent assumer des frais de garde toujours plus coûteux pour leurs petits4. Plusieurs tâches qui étaient prises en charge collectivement par les services publics sont désormais ramenées dans la sphère privée, que ce soit temporairement (s’occuper d’un parent âgé le temps qu’une place se libère en CHSLD) ou à plus long terme (pallier le manque de soutien psychosocial dans les écoles primaires et secondaires). Bien que l’ensemble de la population soit affecté, la charge est plus lourde pour les femmes qui, encore aujourd’hui, prennent la majeure partie des congés de parentalité5, assument les tâches les plus lourdes lorsqu’elles agissent comme proches aidantes6 et consacrent plus d’heures chaque semaine au travail domestique7. Mieux concilier les temps de la vie De ces remarques se dégage le constat évoqué plus tôt: la répartition du temps consacré au travail rémunéré dans une semaine, une année et à l’échelle d’une vie doit être repensée. Dans l’état actuel des choses, il ne reste que peu de temps pour les obligations domestiques, la vie démocratique, les projets émancipateurs ou simplement pour se reposer et prendre soin de soi et des autres. En concevant autrement les horaires de travail, il serait au contraire possible de dégager du temps collectif et individuel au profit de l’ensemble de la société. En effet, que l’on songe aux bénéfices en termes de bien-être général et au travail, de santé mentale ou encore de productivité, tout le monde gagnerait à ce que le travail salarié accapare une place moins importante de la vie. En partant du principe que l’économie est formée de l’ensemble des activités socialement utiles et que leur articulation doit être pensée sur le plan collectif, nous devons réfléchir à une architecture du temps social et économique différente pour que chacun ait le temps de se consacrer à sa vie privée tout en participant à la vie publique et aux activités productives. Il faut rompre avec l’état actuel des choses qui met en contradiction la satisfaction de ses besoins et la responsabilité de devoir s’occuper de ses proches. La réorganisation du temps consacré au travail au sein de la société est un projet structurant qui répondrait à trois objectifs principaux. Tout d’abord, viser une meilleure répartition des différentes activités, rémunérées et non rémunérées, dans l’ensemble de la population adulte. Les disparités entre actifs et inactifs, entre hommes et femmes, entre jeunes et moins jeunes, entre parents et non-parents, doivent être a énuées. Il faut reconnaître que les activités socialement utiles ne sont pas uniquement celles qui sont rémunérées et s’assurer que tous et toutes puissent prendre part à chacune d’entre elles. Ensuite, a énuer la contrainte au travail salarié pour mieux faciliter la transition entre chaque phase de la vie. Il faut faire en sorte que le besoin de prendre soin d’un proche, le désir de poursuivre un projet personnel ou en-

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core la nécessité de se retirer de la vie active ne nuisent pas à la qualité de la vie et à la possibilité de s’impliquer dans la communauté. Enfin, faire de chacune des sphères de la vie un espace épanouissant. Les jeunes pourraient très tôt être initiés à la vie démocratique plutôt que formés seulement à devenir de futurs employés. Les adultes et les personnes âgées pourraient s’investir davantage auprès de leur communauté, notamment pour ce qui touche à l’éducation des enfants et aux soins à apporter aux personnes plus vulnérables. En revoyant l’ordre de priorité des différentes activités qui ponctuent la vie, et donc le temps accordé à chacune, nous pourrions définir un rythme de vie plus propice à l’équilibre psychique et au bien-être physique. On cesserait peut-être alors de perdre notre vie à la gagner. Bref, la révision de la conciliation des différents temps de la vie, loin d’être un enjeu d’ordre purement économique, touche au sens de ce que nous faisons et met en lumière ce à quoi nous accordons de l’importance collectivement. L’emploi rémunéré est certes soumis aux besoins d’accumulation des entreprises, mais nous pouvons déjà réduire ce e emprise en accordant du temps aux autres sphères d’activités. En réduisant le temps passé à effectuer un travail rémunéré, nous valorisons l’ensemble des activités socialement utiles, et pas seulement celles qui ont une valeur sur les marchés. Pour enclencher une transition dans notre rapport au temps de travail et aux temps de la vie, un gouvernement anti-austérité pourrait faire trois gestes de rupture: 1. diminuer progressivement la semaine normale de travail à 32 heures; 2. passer de deux à trois (puis à quatre) semaines de vacances obligatoires par année; 3. créer un congé universel pour projet personnel. Vers la semaine de travail de 32 heures L’économiste John Maynard Keynes prédisait il y a près de 90 ans que grâce aux gains de productivité engendrés par les développements technologiques et la création de richesse qui s’ensuivrait, on serait en mesure de réduire la semaine normale de travail à 15 heures tout en vivant dans une société d’abondance8. Bien que notre productivité générale ait en effet augmenté considérablement depuis9, les revenus des ménages ont pour leur part stagné10 et la semaine normale de travail se situe, quant à elle, entre 40 et 44 heures dans la plupart des pays industrialisés. La semaine normale de travail pour les Québécois et Québécoises est de 40 heures en vertu de la Loi sur les normes du travail (LNT)11, mais ils et elles occupent en moyenne un emploi rémunéré d’environ 36,3 heures par semaine12. Notons que les hommes ont tendance à travailler un peu plus (38,6 heures en 2015 au Québec) et les femmes un peu moins (33,8 heures)13. Lorsque vient le temps de décider qui passera le plus de temps à la maison pour s’occuper des tâches ménagères ou prendre soin des enfants, plusieurs couples choisissent de faire travailler l’homme davantage à l’extérieur et la femme à l’intérieur. Cela s’explique en partie par la persistance d’une conception traditionnelle des rôles féminins et masculins dans nos sociétés ainsi que par le maintien d’un écart salarial entre les femmes et les hommes. Nous croyons qu’une réduction graduelle de la semaine de travail à 32 heures sans perte de revenu serait une mesure salutaire pour les travailleurs et travailleuses. Une telle mesure impliquerait une modification de la LNT. Même à 40 heures par semaine, le travail est vécu comme une contrainte importante pour les travailleurs et travailleuses. En effectuant huit heures de travail rémunéré par jour, en plus du déplacement vers et depuis le lieu de travail, le travailleur n’a que peu de temps à consacrer à ses proches. Un.e Québécois.e passe en moyenne 9,1% de son temps à prendre soin de ses enfants, alors que 35% de sa journée est consacré au travail et qu’un autre 34,5% est dédié au sommeil14. Le travail salarié laisse donc peu de place aux autres sphères de la vie qui comptent pourtant pour la personne. L’inégalité entre les genres est souvent renforcée par la contrainte de temps qu’impose la semaine de 40 heures, puisqu’elle encourage la reproduction de la séparation des tâches associées aux rôles traditionnels féminins et masculins. En effet, les femmes passent plus de temps par jour (4 h 18 min.) que les hommes (3 h 12 min.) à ef-

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fectuer du travail non rémunéré, comme le ménage ou la cuisine. Cela contribue à la reproduction de la figure du père moins présent pour ses enfants que la mère (1 h 42 min. par jour en moyenne accordée aux enfants par les hommes, contre 2 h 36 min. pour les femmes)15. La réduction graduelle de la semaine de travail à 32 heures sans

perte de revenu perme rait ainsi aux travailleurs et travailleuses de passer plus de temps avec ceux et celles qu’ils aiment. De ce e manière, le temps dédié au soin des proches pourrait augmenter, en plus d’inciter les hommes et les femmes à revoir la répartition des tâches domestiques dans un esprit d’équité. Sur le plan économique, ce e mesure peut aider le marché du travail à tendre vers le plein emploi. Actuellement, si un salarié travaille plus de 40 heures sur une période de 7 jours, il ou elle sera rémunéré.e à temps et demi. Autrement dit, si un salarié est payé à un taux horaire de 15$ l’heure, il ou elle sera payé.e à ce taux pour les 40 premières heures de sa semaine de travail et recevra, pour les heures excédentaires, 22,50$ l’heure. Il est donc possible pour un employeur de demander au salarié de travailler plus de 40 heures par semaine, mais le coût supplémentaire d’une telle décision a un sérieux effet dissuasif. En réduisant davantage la semaine normale de travail, les employeurs auront logiquement tendance à embaucher du personnel parmi ceux et celles qui cherchent un emploi, afin d’éviter de payer du temps supplémentaire. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’un marché du travail qui se rapproche du plein emploi donne plus de possibilités aux travailleurs et travailleuses de négocier collectivement leurs salaires à la hausse. À l’opposé, un taux de chômage élevé exerce une pression à la baisse sur les salaires. Une réduction de la semaine de travail aura donc pour effet d’accroître le pouvoir de négociation des travailleurs et des travailleuses afin d’arriver à un partage plus équitable des gains de productivité. La crainte de la réduction du revenu est un argument souvent mis de l’avant par ceux qui redoutent les effets d’une réduction du temps de travail ou qui s’y opposent tout simplement. Or, il n’est pas question d’élaborer une politique qui diminuerait le revenu des travailleurs et des travailleuses ou qui causerait un choc trop dur à encaisser pour les entreprises. Nous envisageons plutôt une réduction progressive de deux heures par année, ce qui perme rait de maintenir le même revenu, indexé par ailleurs à l’inflation. Nous faisons l’hypothèse que l’indice des prix à la consommation (IPC) augmentera de 2% par année durant les années de réduction du temps de travail16. Pour maintenir le niveau de vie des travailleurs, on multiplie alors le salaire horaire par 40 la première année, puis on divise le montant obtenu (par exemple 600$) par 38, ce qui nous donne le salaire horaire pour la semaine de travail à temps plein à l’année 1, qui est ensuite indexé au taux de 2%. La seconde année, on multiplie par 38 le salaire horaire de l’année 1, on divise le résultat par 36 puis on l’indexe à 2%. On répète ce calcul jusqu’à arriver à 32 heures. Le tableau suivant permet de voir la mise en place de la mesure pour un salarié qui gagne 15$ l’heure. Réduction graduelle du temps de travail Semaine à temps plein (heures)

Taux horaire régulier

Taux horaire en temps supplémentaire

Salaire brut hebdomadaire au taux horaire régulier

Année 0

40

15,00$

22,50$

600,00$

Année 1

38

16,11$

24,16$

612,00$

Année 2

36

17,34$

26,01$

624,24$

Année 3

34

18,73$

28,09$

636,72$

Année 4

32

20,30$

30,44$

649,46$

En somme, la réduction de la semaine de travail aurait pour effet de redistribuer les gains de productivité aux salariés en leur redonnant du temps dont ils pourraient disposer à leur guise. Augmentation du nombre de semaines de vacances par année

8

La Loi sur les normes du travail assure des normes minimales pour que les travailleuses et les travailleurs québécois qui sont employé.e.s à temps plein aient droit à 2 semaines de vacances annuelles après 12 mois de service continu pour la même entreprise, et à une semaine supplémentaire après 5 ans. À ces 10 jours de congé annuels s’ajoutent 8 jours de congés fériés, pour un total de 18 jours de congés annuels garantis par la LNT. Dans les faits, ces chiffres varient, notamment en fonction du secteur d’emploi, allant par exemple en 2010 de 16,4 jours pour les salarié.e.s non syndiqués du secteur privé à 23,9 jours pour les salarié.e.s des administrations municipales17. En moyenne, les heures que passent les Québécois et les Québécoises en vacances et en congés fériés ne représentent

que 6,3% de la durée habituelle du travail18. Ces données placent le Québec bien loin derrière la plupart des pays les plus riches. En 2013, l’Autriche offrait par exemple 38 journées de congé payées par année (vacances et fériés combinés), la France 31, l’Allemagne 30 et l’Australie 2819. Seuls le Japon (10) et les États-Unis (aucun) font plus piètre figure que nous en termes de congés chômés et payés. Le défunt Conseil de la famille et de l’enfance, qui a été ramené dans le giron du ministère québécois de la Famille en 2010 dans la foulée du retour à l’équilibre budgétaire, prônait l’ajout d’une semaine de vacances aux deux déjà prévues par les normes du travail20. Il s’agissait pour le Conseil d’une mesure qui contribuerait à mieux accorder les exigences du travail salarié avec celles de la vie de famille. C’est dans cet esprit que nous pensons nous aussi que la LNT devrait être modifiée afin de faire passer à 3 le nombre de semaines continues de vacances annuelles auxquelles une personne a droit après 12 mois à l’emploi de la même entreprise, et à 4 semaines continues après 5 années de service. Le montant de l’indemnité versée représenterait alors 6 puis 8% du salaire (plutôt que 4 puis 6% comme c’est le cas actuellement). Dans un contexte où se multiplient les maladies liées au travail, offrir plus de temps de repos aux travailleurs et travailleuses ne devrait pas être considéré comme un luxe. En effet, des études réalisées aux États-Unis ont montré que le fait de prendre des vacances est associé à une meilleure santé coronarienne, à un risque moins grand de dépression et à une diminution du stress21, mais aussi à de meilleures performances et une plus grande satisfaction

au travail22. Les vacances constituent une période favorable à la récupération, puisqu’elles perme ent de se détacher psychologiquement du travail, de relaxer en adoptant un rythme plus lent, de réaliser des activités stimu-

lantes et de contrôler son emploi du temps23. Ce faisant, elles contribuent à a énuer les symptômes découlant de troubles d’ordre psychique et émotionnel. Une autre étude étatsunienne a en outre montré que les vacances concourent à raffermir les liens entre les membres de la famille et à améliorer la communication entre eux, contribuant ainsi à leur bien-être général24. Les effets positifs des vacances sur la récupération s’estompant toutefois rapidement, on ne peut faire l’écono-

mie de la réduction de la semaine de travail simplement en augmentant le nombre de journées de congé. D’ailleurs, les bienfaits de pouvoir périodiquement faire une coupure par rapport au travail ont été démontrés. En ce sens, il est important de reconnaître la complémentarité de ces deux mesures. Enfin, l’augmentation du nombre de semaines de vacances pourrait contribuer à la vigueur de l’économie. La droite est plus souvent qu’autrement défavorable à l’augmentation des congés ou à la réduction du temps de travail, sous prétexte que ces mesures entraîneraient des coûts trop importants pour les entreprises et qu’elles nuiraient à la création de richesse. Pourtant, malgré l’adoption depuis 2009-2010 de mesures macroéconomiques pour stimuler la consommation, tel que le maintien des taux d’intérêt bas et la réalisation de travaux d’infrastructure, la reprise de l’économie canadienne à la suite de la crise financière de 2008 demeure fragile. Dans ce contexte, il apparaît opportun d’agir du côté de la main-d’œuvre en diminuant le temps travaillé par chacun, ce qui peut être réalisé en partie en augmentant le nombre de congés des salariés25. Avec des employés partis plus longtemps en vacances, les entreprises seraient obligées d’embaucher davantage de personnel. Ainsi, ce e mesure aurait certainement des effets bénéfiques sur l’ensemble de l’économie, car elle contribuerait par ricochet à fournir un revenu à plus de gens. Congé universel pour projet personnel

9

Réduire le travail hebdomadaire et annuel perme rait aux salariés de récupérer et de consacrer plus de temps aux activités non rémunérées qui comptent le plus pour eux, mais il serait également intéressant de réduire le travail sur la durée d’une vie. En effet, que se passe-t-il lorsqu’on veut essayer autre chose? Qu’une réorientation de carrière demande des études différentes ou l’acquisition de nouvelles connaissances? Lorsque des proches ont besoin de soutien pendant une période prolongée? Ou encore qu’on ressent la nécessité de s’extraire du marché du travail un certain temps pour prendre soin de soi-même? Dans ces cas-là, il existe ailleurs dans le monde des manières de faire qui peuvent nous inspirer, dont l’accumulation de temps dans un «compte personnel», comme en France avec le compte épargne-temps et en Belgique avec le crédit-temps. En France, certains contrats de travail perme ent d’épargner du temps en vue de vacances fu-

tures dans ce que l’on appelle un compte épargne-temps (CET)26. Basé sur le concept de capitalisation d’heures, on peut y placer le temps supplémentaire et les congés ou semaines de vacances non prises. Le CET appartient à chaque personne et est donc transférable d’un emploi à l’autre. Le principe est intéressant (accumuler du temps libre), mais hautement limité. Pour y avoir droit, il faut travailler plus dans une année que ce qui est normalement demandé (ne pas prendre de congé, ne pas aller en vacances, travailler au-delà de la semaine normale, etc.). De plus, il s’agit d’un programme qui est offert par un nombre restreint d’employeurs, surtout du secteur public, et il peut être très long d’accumuler assez de jours pour avoir droit à un congé substantiel. En Belgique, il existe un programme nommé crédit-temps27 qui permet de qui er temporairement son emploi ou de demander une réduction de son horaire de travail28. Il est possible de faire une demande avec ou sans mo-

tif29. Depuis 2015, seuls les congés «justifiés» donnent droit à des prestations. Pour les autres, c’est l’équivalent d’un congé sans solde, avec une garantie d’emploi au retour. On a droit à un maximum de 12 mois à temps complet lorsque le crédit est jugé «sans motif», et de 36 mois lorsque le crédit est «motivé». Si le modèle belge a l’avantage d’être offert plus largement qu’en France, il n’en demeure pas moins que les allocations sont relativement modestes (quand on y a droit) et que les motifs autorisés sont plutôt restrictifs. Au Québec, il existe déjà quelques manières d’interrompre sa carrière en conservant son lien d’emploi, mais ces congés sont généralement liés à des évènements particuliers. Si on est malade, une disposition de l’assurance emploi permet de recevoir des prestations, qui peuvent être bonifiées si l’employeur offre une assurance collective. L’assurance emploi peut également nous aider lorsqu’un proche est en fin de vie grâce au congé de compassion qui donne droit à un congé allant jusqu’à six mois. L’assurance parentale permet quant à elle d’accompagner l’arrivée d’un nouvel enfant dans la famille. Le père et la mère ont droit à leur propre congé ainsi qu’à un congé parental qu’ils peuvent partager entre eux. Dans tous les cas, le lien d’emploi est maintenu, et même s’il y a une diminution du salaire, les revenus sont conservés. Dans certains cas, toutefois, il est possible de demander un congé sabbatique à traitement différé (CSTD)30. Le fonctionnement en est relativement simple. Il suffit de réduire son salaire d’un certain pourcentage afin de le récupérer plus tard. Par exemple, en recevant 80% de son salaire pendant quatre ans, on peut prendre une année de congé la cinquième année tout en continuant à toucher 80% de son salaire. Bien entendu, la pause dans la carrière peut être plus courte, mais 12 mois est généralement le maximum accordé. Le mécanisme permet ainsi au salarié d’économiser de l’argent pour plus tard. Il s’agit aussi d’un modèle plus intéressant que le simple appel à l’épargne personnelle, puisque les programmes sociaux (assurance parentale, RRQ, etc.) continuent d’être calculés sur le plein salaire alors que l’impôt est payé sur ce qui est réellement reçu. Un tel programme demande une certaine stabilité d’emploi puisqu’il faut accumuler le temps avant de le prendre en congé (ou s’engager à le reprendre en revenant). De plus, on s’imagine bien qu’une personne qui gagne le salaire minimum n’a pas les moyens de vivre très longtemps avec un revenu moindre, même dans la perspective d’une année ou de quelques mois de pause. Bien souvent, ces problèmes ne se posent même pas puisque ces personnes n’y ont pas accès. En effet, le congé sabbatique ne fait pas partie des normes minimales exigées par la LNT. En s’inspirant des expériences belge et française ainsi que du CSTD québécois, nous pouvons esquisser une nouvelle façon de faire. Tout d’abord, il suffirait d’amender la LNT afin d’obliger les employeurs à offrir la possibilité de procéder à des retenues sur salaire en échange de congés éventuels. Cela perme rait également d’ouvrir des postes pour remplacer les personnes qui partiraient à court terme. Chaque employeur pourrait décider, avec ses

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employé.e.s, des pourcentages retenus et de la fréquence à laquelle il est possible de requérir une pause dans sa carrière, mais nous suggérons comme base un congé de 12 mois chaque 5 ans, fractionnable selon les besoins, avec une retenue maximale de 20% du salaire. Afin de ne pénaliser personne, il faudrait s’assurer que le crédit d’impôt pour solidarité tel que présenté dans le chapitre «Bien-être» compense adéquatement les travailleuses et travailleurs à faible revenu afin que leur rémunération horaire demeure plus élevée que le salaire minimum, même après la réduction de leurs revenus associée au congé universel. Ainsi, peu importe son salaire, une personne qui choisit de qui er temporairement son emploi serait certaine de continuer à vivre hors de la pauvreté. Finalement, tâchons de voir comment rejoindre les travailleurs et travailleuses mobiles, ceux qui changent d’emploi régulièrement par choix ou par contrainte économique. Une solution simple serait de perme re de déplacer les «comptes-congés» d’un employeur à l’autre. Bien sûr, la contrainte de délai minimal pour demander l’arrêt temporaire de son emploi demeurerait la même, mais il ne serait pas obligatoire d’accumuler quatre ans de salaire à un seul endroit, comme c’est le cas actuellement avec le CSTD, pour y avoir droit. Cela voudrait dire que le revenu pour une année sabbatique résulterait de la combinaison des revenus des années précédentes. Pour que cela soit possible à faible coût, une gestion collective serait optimale. La Régie des rentes du Québec (RRQ), qui s’occupe déjà de la partie publique des retraites, pourrait par exemple prendre en charge un tel programme. Conclusion Nous croyons que la diminution du temps travaillé par chacun.e et une répartition plus équitable du travail global au sein de la population active conduiront à réduire l’importance du travail salarié au bénéfice des autres activités socialement utiles, à commencer par le temps consacré au soin des autres. Le temps ainsi libéré pourra en effet servir à s’occuper de soi-même, de sa famille, de son foyer, de sa communauté. En dégageant du temps pour ces tâches non rémunérées, qui perme ent à chacun.e d’être libre de choisir ses activités, nous espérons d’ailleurs que leur partage actuel entre les hommes et les femmes sera remis en question puis rééquilibré. Pour ce faire, nous avons proposé d’agir à trois niveaux qui nous semblent tous aussi importants les uns que les autres. D’abord, il faut se dégager du temps au quotidien, un objectif qu’il sera possible d’a eindre en réduisant progressivement la semaine de travail à 32 heures. Non seulement une telle mesure perme rait de libérer du temps personnel, elle devrait également réduire la charge de travail de plusieurs professionnel.le.s et forcer l’ouverture de postes afin de partager tâches et responsabilités. Ensuite, il faut se diriger vers une réduction du temps de travail à l’année. Peu importe l’emploi occupé, il faut avoir accès à plus de semaines de vacances afin de décrocher et de se recharger. Finalement, nous croyons qu’il faut aller plus loin dans la diminution du temps de travail en rendant disponibles des congés de plus longue durée pour l’ensemble de la main-d’œuvre. Il ne s’agit pas simplement de perme re aux travailleuses et travailleurs d’avoir plus de temps libre, mais également de me re en place des mesures simples et facilement applicables pour les aider à être plus efficaces et en meilleure santé. Il est important de rappeler que les mesures proposées ici doivent être appliquées conjointement avec la prise en charge collective du soin des enfants, des personnes âgées, malades ou vulnérables par l’intermédiaire d’institutions publiques financées adéquatement et offrant des conditions de travail dignes à leur personnel. Avoir plus de temps pour soi et les autres ne devrait pas avoir comme corollaire des services publics anémiques et sous-financés. Le temps que l’on cherche à regagner ne doit pas être compensé par un désengagement de l’État et par un transfert sur les individus de responsabilités qui devraient être collectives. L’articulation entre l’économie privée, l’économie publique et le développement de l’économie sociale qui résultera nécessairement de la mise en place des mesures que nous me ons de l’avant constitue sans contredit un autre chantier auquel il faudra consacrer du temps à l’avenir.

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DÉMOCRATIE par François Desrochers et Philippe Hurteau

L

E QUÉBEC SE TARGUE

d’être une démocratie moderne dont le régime d’État de droit et les institutions publiques

seraient les garants. Pourtant, ce e foi envers le caractère démocratique de notre régime politique ne devrait pas aller de soi. Car si les décisions gouvernementales et le respect de la primauté du droit ont un effet sur nos vies, une part considérable de notre existence est déterminée par le rapport que nous entretenons avec nos employeurs dans le cadre du travail. Or, jamais nous n’entendons de critiques au sujet de l’autoritarisme qui prévaut dans les relations de travail ou, à l’inverse, de propositions qui iraient dans le sens d’un élargissement de la vie démocratique dans nos milieux de travail. Il convient dès lors de nous demander: si nous ne parvenons pas à nous organiser sur des bases démocratiques au travail, quel pouvoir pouvons-nous effectivement exercer sur nos vies? Jusqu’où s’étend réellement la démocratie dans notre société? L’adoption de politiques d’austérité, la réduction des instances de participation citoyenne dans les institutions publiques et dans la planification du développement régional ainsi que le durcissement des positions patronales dans les relations de travail participent du même mouvement de rétrécissement démocratique. Ce rétrécissement est concomitant d’une transformation globale du travail, marquée par une exigence de flexibilité et une plus grande précarité de l’emploi dans la plupart des secteurs d’activité. Pour certaines personnes, ces transformations ont pris les allures d’une plus grande autonomie dans le travail: création d’espaces de travail «ouverts», rapports informels avec la direction, «gestion par projets», rémunération au mérite, etc. Ces avancées sur le plan de l’autonomie ne sont toutefois qu’un mirage pour la majorité des travailleurs et des travailleuses, qui les vivent plutôt comme de nouvelles formes de pression, avec leur lot d’effets néfastes sur la santé physique et mentale: épuisement professionnel lié au culte de la performance, normalisation du temps supplémentaire non payé, perte de sens au travail, etc. Par l’action des différents gouvernements néolibéraux, ces pressions ont largement dépassé le cadre du secteur privé pour s’implanter également dans le secteur public. C’est ainsi que le lean management (gestion minceur), un modèle d’organisation de la production basé sur le principe de l’amélioration permanente élaboré chez Toyota, est maintenant appliqué dans notre système de soins de santé. Il nous apparaît donc essentiel de réfléchir à un plan de démocratisation du travail qui perme e d’affronter les problèmes posés par les transformations qu’a connues le Québec ces dernières décennies, dans les secteurs tant privé que public. Décider collectivement Pouvons-nous imaginer un mode d’organisation du travail qui ne serait plus source de profonde aliénation, mais plutôt une expérience humaine enrichissante? Pour cela, il faut non seulement enclencher une réduction du temps de travail, comme cela est suggéré dans le chapitre précédent, mais également faire de celui-ci une expérience démocratique à part entière, afin que les salarié.e.s puissent exercer un véritable contrôle sur leur travail et sur son organisation. De façon schématique, ce e démocratisation signifierait la généralisation de rapports horizontaux et égalitaires entre les employé.e.s d’une organisation, ce qui implique la possibilité, pour tous et toutes, de prendre part

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activement aux discussions et aux décisions relatives à l’organisation et à la finalité du travail, notamment grâce à une distribution efficace des informations et des responsabilités. Bien qu’elles soient partielles et imparfaites, les mesures sur lesquelles nous nous pencherons pourraient être mises en branle promptement par un gouvernement qui aurait à cœur d’entamer ce e démocratisation du travail. Elles auraient au moins le mérite de reme re le Québec sur le chemin de l’élargissement de la vie démocratique. Elles viseraient à: 1. favoriser l’expansion rapide du mouvement coopératif; 2. amorcer un renversement dans le secteur public en ce qui concerne la concentration du pouvoir entre les mains des hauts fonctionnaires et des ministres qui caractérise les politiques actuelles. Favoriser le développement des coopératives L’idée de promouvoir les coopératives pour que se rejoignent vie démocratique et vie économique n’est pas neuve. Elle remonte aux origines du mouvement socialiste qui, dès le XIXe siècle, misa sur l’essor de la puissance collective dans le domaine économique comme stratégie alternative face au développement du capitalisme. Ce pari, dès le départ, s’appuya non pas sur le développement tous azimuts de l’État31, mais bien sur celui du mouvement associatif. Le but recherché par les premiers théoriciens du socialisme, de Saint-Simon à Jaurès, était de perme re «l’extension de la démocratie dans le monde économique et professionnel [par] l’affirmation que la démocratie ne peut s’arrêter aux portes des ateliers, des usines et des fermes32». Le projet de l’association démocratique a toujours refusé le faux dilemme entre le tout-au-marché et le tout-à-l’État; il s’est constitué selon l’idée d’une réorganisation de la société «selon des principes de gestion et de législation qui donnent un pouvoir réel, une juste rétribution et une reconnaissance à tous ceux qui participent à l’œuvre commune33». Ramené à sa plus simple expression, l’idéal socialiste des premières années se donnait comme objectif d’organiser démocratiquement la coopération du travail. Pour ce faire, il fallait créer des espaces au sein desquels les travailleurs et les travailleuses seraient libres de présider à l’organisation de la production et des échanges sans devoir se soume re aux règles impersonnelles et aliénantes du marché ou de l’État. La forme privilégiée que devait prendre ce e coopération était, bien entendu, la coopérative de travail, qui seule peut à la fois inscrire les rapports sociaux démocratiques au cœur de l’activité productive et bloquer le dispositif privatif du capital qui rend «indisponible à ceux qui en sont les porteurs et les acteurs la dimension coopérative et donc la portée sociale de leur propre travail34». Œuvrer à démocratiser l’économie participe pleinement d’un projet de formulation d’alternatives à l’austérité. Rompant avec les dynamiques de restrictions et de resserrement du contrôle managérial et patronal, il s’agit pour nous de perme re le développement de réelles structures de coopération et de collaboration au sein même des milieux de travail. Pour ce faire, la meilleure option est de favoriser le développement des entreprises coopératives qui s’organisent en misant sur la participation collective et la création de rapports égalitaires entre les salarié.e.s. Tout n’est certes pas parfait au royaume des coops. Certaines coopératives en viennent à instaurer dans leur fonctionnement interne une coupure entre les tâches de direction et le reste de leurs activités tandis que d’autres s’intègrent pleinement aux mécanismes concurrentiels du marché au point de ne plus se différencier des entreprises privées classiques. Malgré cela, il demeure que les coopératives, comme type d’entreprise sous contrôle collectif, représentent un contre-modèle à développer. Sans garantir la réussite d’un élargissement démocratique, nous pouvons affirmer qu’ils la facilitent. Pendant que les entreprises privées, avec leur organisation hiérarchique et autoritaire, centralisent la prise de décision dans un nombre restreint de mains35, les coopératives visent à faire participer les gens concernés aux prises de décision ou, à tout le moins, à leur offrir la possibilité de ce e participation. Déjà, il existe des outils36 et des programmes37 qui pointent dans la direction du développement de l’économie démocratique. Il s’agit maintenant de voir quelles actions un gouvernement a aché au soutien d’une telle économie pourrait me re en branle.

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Démocratiser l’économie: un point de départ Prise dans son ensemble, l’économie sociale – qui englobe davantage que les seules coopératives – représente quelque 7 000 entreprises38 sur les 236 68839 que comptait le Québec en 2012; on comprend rapidement qu’il s’agit

là d’une réalité encore marginale. Quoi qu’il en soit, les entreprises démocratiques emploient tout de même 150 000

personnes (3,7% du total québécois40) et font un chiffre d’affaire de 33,4 milliards de dollars (en hausse de 96% depuis 2002)41. Lorsqu’on sait que, de toutes les entreprises, ce sont les coopératives qui survivent le mieux à

l’épreuve du temps (voir le tableau suivant), qu’elles perme ent une meilleure redistribution des profits et qu’elles ont même de meilleurs résultats au plan des gains de productivité42, on comprend qu’il est dans l’intérêt de la population de voir ce secteur se développer davantage. Taux de survie des coopératives en milieu de travail selon le nombre d’années d’activité (en%) Nombre d’années d’activité

3

5

10

Coopératives de travail

60,0

45,8

29,3

Coopératives de travailleurs actionnaires

68,9

48,0

24,6

Coopératives de solidarité

75,8

67,5

DND

Ensemble des entreprises du Québec

48,2

35,0

19,5

Source: Direction des coopératives, Taux de survie des coopératives au Québec, Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation du Québec, 2008.

Ces résultats ont amené le gouvernement du Québec à annoncer un investissement de 100 millions de dollars sur 5 ans dans l’économie sociale, dans le but de créer ou de maintenir 30 000 emplois et de susciter des investissements totaux de 500 millions de dollars43. C’est mieux que rien, mais il ne s’agit en aucun cas d’un plan de démocratisation de l’économie de la part du gouvernement. La hauteur des investissements annoncés par Québec laissera les coopératives, et plus largement l’économie sociale, aux marges de l’économie québécoise. En nous basant sur les données gouvernementales44, un plan plus audacieux pourrait être mis de l’avant. Au lieu d’investir 100 millions de dollars sur 5 ans, le gouvernement devrait injecter, pour la même période, un milliard par année dédié exclusivement à la stimulation de coopératives de travail. Cela reviendrait à consacrer l’équivalent de 27,5% de l’ensemble des subventions gouvernementales à la démocratisation de l’économie45. Plus important encore, une telle politique enverrait un message clair: que le gouvernement s’investit dans un mode de développement qui rompt avec l’idéologie voulant que les entreprises privées soient la seule forme légitime d’organisation des rapports économiques. Trois modes d’a ribution de ces sommes mériteraient d’être plus amplement développés afin de concrétiser un tel changement de cap. Dans un premier temps, le gouvernement du Québec devrait prioriser les coopératives lorsque des demandes de financement lui sont soumises pour le démarrage de nouvelles entreprises. Cela permettrait, dès le lancement d’un projet, de le placer dans le giron de l’économie démocratique. Ensuite, lorsque surviennent des fermetures d’entreprises – surtout lorsque ces fermetures sont causées par des délocalisations – l’État devrait systématiquement offrir aux employé.e.s la possibilité d’en reprendre collectivement possession et de les accompagner dans ce processus. Ainsi, il serait possible d’éviter des mises à pied n’ayant comme motivation que la maximisation des profits, tout en maintenant au Québec la production de biens et services qui, autrement, devraient être importés. Finalement, l’État devrait avantager les entreprises sous contrôle démocratique lors des appels d’offre pour les contrats gouvernementaux46. En 2013-2014 seulement, la valeur des contrats octroyés par les ministères et les organismes du gouvernement québécois s’élevait à 11,1 milliards de dollars47. Organiser un réseau de coopératives capables de répondre ne serait-ce qu’à 10% des besoins gouvernementaux aurait un effet majeur sur la promotion de ce type d’entreprise. En jumelant ces trois initiatives et en leur allouant les sommes adéquates, il est alors concevable de contribuer véritablement à une démocratisation de notre économie. En démocratisant à la source les nouvelles entreprises et

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en empêchant les fermetures de certaines autres déjà en opération, il devient possible de transformer progressivement le tissu économique du Québec. Démocratiser les services publics Les services publics et l’appareil d’État forment, au Québec comme ailleurs en Occident, une partie importante de

la vie économique. Sur les 4 millions d’emplois que compte notre économie, 886 70048 sont liés au service public. Un peu moins d’une personne sur quatre travaille, directement ou indirectement, pour l’un de nos trois ordres de gouvernement (municipal, provincial ou fédéral) ou pour un organisme affilié. Le nombre d’emplois liés directe-

ment à l’État québécois, en équivalent temps plein, frôle le demi-million49. Un plan de démocratisation de l’économie doit donc s’intéresser au secteur public. À cause de son étendue, les transformations que l’on y apporterait serviraient de levier pour la démocratisation de l’ensemble de l’économie. Comme il s’agit d’un vaste chantier qui pourrait nous mener à revoir les modes d’organisation bureaucratique ayant cours dans différents ministères et sociétés d’État, nous nous concentrerons ici sur des propositions pouvant être développées dans le secteur de l’éducation et, de manière plus prospective, dans le monde de la santé. Étendre les espaces démocratiques en éducation

En éducation, les établissements d’enseignement postsecondaire sont des lieux où les pratiques démocratiques sont plus répandues qu’ailleurs: avec leur mode de gestion faisant place à la collégialité, les universités et les cégeps représentent déjà de bons modèles. Nous allons donc focaliser notre a ention sur deux autres secteurs du monde de l’éducation pour proposer des avenues qu’un gouvernement déterminé à démocratiser les lieux de travail pourrait emprunter. Extension des CPE

Les centres de la petite enfance (CPE) ne relèvent pas directement des services publics dans la mesure où leur gestion n’est pas sous le contrôle direct de l’État. Cependant, ils constituent un réseau d’organisations indispensables au développement des enfants en bas âge et à la réduction des disparités socioéconomiques qui peuvent les affecter dès les premières années de leur vie. Malheureusement, ces dernières années, le gouvernement du Québec, au lieu de compléter le réseau des CPE, a laissé se développer une offre de garderies privées qui dispensent des services de qualité inférieure ou carrément médiocre50. Selon nous, il faut renverser ce e tendance. Les CPE fonctionnent suivant un modèle d’organisation démocratique, leurs conseils d’administration n’étant pas composés de gens nommés par le gouvernement, mais bien par une majorité de parents, par des représentantes des employées et par des membres de la communauté51. La gestion de ces services de garde, qui couplent un service traditionnel de garderie avec un programme éducatif, relève donc directement des usagers (les parents) et des travailleuses et travailleurs qui s’occupent au quotidien des enfants qu’on leur confie. Malheureusement, la croissance du secteur privé, encouragée par la modulation des tarifs, les compressions dans les subventions et la bonification du crédit d’impôt versé aux parents me ent à mal ce gain démocratique. Pour renverser la tendance actuelle et réparer le mal qui a été fait, nous pensons que le réseau des CPE devrait être élargi au point d’englober l’ensemble de l’offre de services privés. Présentement, les CPE comptent pour 89 833 des 279 310 places disponibles dans les services de garde. Les garderies privées subventionnées et non subventionnées cumulent à elles deux quelque 97 813 places, ce qui laisse 91 664 places aux garderies en milieu familial52. Si nous postulons le maintien de ce dernier type de structures, cela veut dire que le réseau des CPE devrait absorber 97 813 places pour couvrir l’ensemble de l’offre de services actuellement comblée par les garderies privées. Une

telle politique aurait donc pour conséquence de faire augmenter le nombre de places en CPE de 109%, soit approximativement la hausse qui a eu lieu de 1998 à 2006. Ce faisant, on assisterait à un élargissement des lieux de travail démocratiques capables d’offrir des services éducatifs à la petite enfance de haut niveau. Pour y parvenir, le gouvernement devra veiller à financer la transformation des garderies privées en CPE ainsi que leur intégration progressive au réseau.

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Démocratiser les écoles

La démocratie scolaire est remise en question sur une base régulière. Certains souhaitent tout bonnement abolir l’élection des commissaires au suffrage universel en raison du faible taux de participation citoyenne, qui a eint des planchers historiques53, tandis que d’autres veulent remédier à la situation par des modifications purement techniques, comme de tenir en même temps les élections scolaires et les élections municipales. Bien que l’avenir des

commissions scolaires et leur mécanique électorale soient de vraies questions, il nous semble plus intéressant de discuter ici d’un plan de démocratisation des écoles elles-mêmes. Pour y arriver, nous pourrions nous appuyer sur une structure déjà existante: les conseils d’établissement. Chaque école (primaire et secondaire) est dotée d’un tel conseil qui se compose de quatre parents, de quatre membres du personnel, de deux élèves et d’un membre du personnel du service de garde54. S’ajoutent à ce e équipe, mais sans droit de vote, deux représentants de la communauté et la direction d’établissement. Les fonctions du conseil sont larges. Elles vont de l’adoption du budget à celle du plan de réussite scolaire. Le conseil a été créé en vue de favoriser la participation des employé.e.s et des parents, premiers responsables de la scolarisation des enfants. Cependant, le fonctionnement réel de ces conseils pose problème. La direction des écoles, bien qu’elle y siège sans droit de vote, détient tous les atouts pour en déterminer les orientations (informations budgétaires, gestion des ressources humaines, etc.) et n’est pas redevable devant le conseil, mais devant les commissions scolaires et le ministère. Il existe donc une instance démocratique au sein des écoles, mais qui ne parvient pas à s’imposer: au final, le réel pouvoir de direction des activités de l’école lui échappe. Il nous semble donc pertinent de revoir la hiérarchie des responsabilités et ne plus faire dépendre la direction des écoles des commissions scolaires et du ministère, mais directement des conseils d’établissement. Il n’est pas question pour nous de reme re en question l’importance d’un réseau éducatif pensé à l’échelon national ni même de questionner la pertinence de l’échelon régional que sont les commissions scolaires; il nous semble cependant évident qu’un approfondissement des lieux démocratiques dans notre société ne peut faire l’économie d’une prise en charge par les usagers et les employé.e.s de la gestion quotidienne des services publics. Donner la direction des écoles à un conseil qui est précisément formé par des parents d’élèves et des membres du personnel nous semble un bon pas dans ce e direction. Démocratiser le système de santé Il est évident que les chantiers anti-austérité que nous présentons dans cet ouvrage ne visent pas à reprendre les refrains du passé. La Révolution tranquille fut certes un projet politique porteur de grandes réformes modernisatrices, mais elle a très rapidement a eint ses limites, notamment dans la technocratisation des appareils gouvernementaux. Nous voulons dans cet ouvrage présenter des propositions novatrices, imaginer un futur délesté des réflexes idéologiques d’une autre époque et nous détacher de la défense du «modèle québécois» qui, de toute manière, a déjà largement été saboté. Il arrive cependant qu’il soit inutile de réinventer la roue. C’est pourquoi nous croyons qu’il serait nécessaire, dans le cas du système de soins de santé québécois, de faire un pas en arrière afin d’embrasser un projet qui n’a jamais eu la chance de voir le jour tel qu’il avait été imaginé à l’origine, soit les Centres locaux de services communautaires (CLSC). Le ministre de la Santé, Gaétan Barre e, a déjà signé leur arrêt de mort, les qualifiant d’échec et transférant leurs maigres ressources vers les Groupes de médecine de famille (GMF)55. Voyons en quoi prendre la direction opposée, en refondant un réseau multidisciplinaire de soins de première ligne et de prévention56, pourrait remédier aux problèmes observés dans le système de santé du point de vue de sa démocratisation. Le pouvoir des médecins

Dans le système de santé québécois, il est bien connu que le pouvoir décisionnel est concentré principalement entre les mains de deux groupes professionnels: les médecins et les gestionnaires57. En ce qui concerne les médecins, il faut rappeler que la première idée du gouvernement du Québec, après le dépôt du rapport de la commission Cas-

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tonguay-Nepveu58 en 1970, était de les intégrer complètement au réseau public de la santé nouvellement créé en en faisant de simples employés salariés, par le truchement de l’assurance maladie universelle. Les médecins, nouvellement rassemblés au sein d’associations professionnelles, se sont vivement opposés à ce e intégration au nom du maintien de leur autonomie professionnelle, présumée seule garante de la qualité des soins prodigués aux patients. Cela leur a permis entre autres de ne jamais véritablement investir les CLSC et de se constituer un système parallèle de cliniques privées de première et deuxième lignes, qui deviendraient pour la plupart des GMF à partir de l’an 2000. Le pouvoir acquis par les médecins au sein du réseau de la santé du Québec au fil de ces conflits est considérable. Tout d’abord, par leur monopole sur les actes protégés que sont le diagnostic et la prescription de médicaments et de soins, leurs décisions mobilisent tout un ensemble de professionnels de la santé et de personnel soignant. Les médecins sont donc au cœur du système. Ils se retrouvent pour ainsi dire aux commandes du «quoi faire». Non seulement les médecins sont indispensables par leur rôle lié aux actes protégés, ils agissent également à titre de patrons de plusieurs divisions d’hôpitaux publics de même que de l’ensemble des cliniques privées et des GMF. Ils occupent donc une position privilégiée dans la hiérarchie du système de santé. En exerçant leur pleine autonomie professionnelle dans un régime de rémunération à l’acte au sein du système public, tout en conservant la possibilité de travailler à leur compte59, les médecins ont réussi un tour de force qui leur permet d’avoir le beurre et l’argent du beurre60. Le pouvoir des gestionnaires

Si les médecins ont acquis un pouvoir considérable dans les hôpitaux à la suite de la Révolution tranquille sur le plan du «quoi faire», les gestionnaires ont acquis un pouvoir tout aussi grand, mais sur le plan organisationnel du «comment faire». La rationalisation du système de santé québécois des années 1960 à 1980 a signifié une augmen-

tation du personnel de gestion61 (principalement en comptabilité et en ressources humaines), donc de son administration bureaucratique. À partir de la commission Rochon, dont le rapport fut déposé en 1988, le système de santé québécois est entré dans une dynamique de transformation permanente de la gestion des ressources humaines et matérielles inspirée de la nouvelle gestion publique (NGP)62. La NGP est un mouvement néolibéral mondial de réformes des administrations publiques qui s’inspire des techniques de management mises au point dans le secteur privé dans la foulée du déclin du fordisme et du syndicalisme à partir des années 1980. Elle se veut une manière d’augmenter l’efficaci-

té et l’efficience des administrations publiques. Voilà pour la théorie63. Au plan structurel, la NGP se caractérise surtout par la mise en compétition de tous les établissements publics d’un même secteur à l’aide de «mécanismes de type marché64» et de mesures de «performance». Le financement des établissements est de plus en plus ajusté à ces mesures de performance comparées plutôt qu’aux besoins de la

population desservie. La gestion du personnel suit la même logique. Le personnel d’encadrement a ainsi vu l’apparition de bonis à la performance en même temps que la réduction de sa sécurité d’emploi. Quant aux employés et professionnels de première ligne, même ceux et celles qui prodiguent des soins psychosociaux font l’objet de plus en plus de mesures chiffrées de leurs activités. Le point culminant de ce mouvement de rationalisation et d’optimisation est certainement l’adoption de l’approche lean (gestion minceur) dans différents établissements de soins de santé du Québec depuis 2008. Sur papier, la méthode lean peut sembler une bonne manière d’améliorer les services à la population dans le respect du personnel. En effet, ce e approche de gestion est basée sur le principe de l’amélioration permanente guidée par l’expérience et les recommandations du personnel sur le terrain. Toutefois, la gestion minceur, comme son nom l’indique, implique également de réduire au minimum les temps morts et les gaspillages de ressources de toutes sortes dans la chaîne de production. Or nous assistons depuis 2008 à une application bête des principes lean qui ne garde que les mesures quantitatives de réduction des gaspillages sans donner véritablement aux employés de première ligne les moyens d’améliorer leur travail sous

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toutes ses face es. Le résultat net est évidemment la mise sous pression du personnel, qui connaît de plus en plus de problèmes de santé liés au travail65. Ce genre de réforme du travail de première ligne a été facilité par les refontes successives du système de santé québécois des deux dernières décennies. Nous avons d’abord eu le virage ambulatoire de Jean Rochon, dans la foulée de la loi sur le déficit zéro, qui a mené à la fermeture de 9 hôpitaux et à l’abolition de 18 000 postes en 199766. Par la suite, nous avons eu la réforme de Philippe Couillard en 2003, qui réunissait les centres hospitaliers, les CLSC et les Centres d’hébergement et de soins longue durée (CHSLD) pour créer les Centre de santé et de services

sociaux (CSSS)67. Enfin, avec la réforme Barre e de 2014, nous avons droit à une nouvelle restructuration majeure de l’ensemble du système. Chacune de ces réorganisations du réseau a pour conséquence une désorganisation des employés sur le terrain, notamment en ce qui concerne leur action syndicale, sans parler de la confusion de la population à l’égard des différentes structures et de leurs fonctions. Les salariés se retrouvent ainsi en réforme permanente, sous une pression et un stress constants qui leur font perdre une énergie folle à simplement tenter de retrouver leurs repères dans ce système instable. Il va sans dire que toutes les réformes lean du monde ne sauraient régler ce genre de problèmes. Pour un renouveau des CLSC

Nous nous retrouvons donc dans une situation où l’ensemble du personnel du secteur de la santé, à l’exception notable des médecins, est mis sous pression à cause de nouvelles méthodes de travail imposées par des gestionnaires déconnectés de leur réalité et qui les poussent à l’épuisement. Pour nous en sortir, il faudrait penser un modèle radicalement différent, qui me rait l’accent sur l’interdisciplinarité des équipes de soins, où les médecins n’auraient plus les a ributs d’une caste privilégiée et où l’ensemble du personnel aurait l’autonomie et les moyens nécessaires à la pleine réalisation des soins requis par la population en conformité avec leur éthique professionnelle. Ce modèle devrait également impliquer la communauté dans la gestion des établissements de soins santé de même que dans l’élaboration des programmes de prévention, lesquels prendraient nécessairement une place plus importante dans ce système moins hospitalo-centriste. Autrement dit, l’objectif est de s’assurer que tous les employés du secteur de la santé aient les moyens de participer activement à l’organisation des soins, et non seulement les médecins et les gestionnaires. Il s’agit donc de faire en sorte que les gestionnaires ne deviennent pas des technocrates mais restent des techniciens de la gestion et que les médecins deviennent des professionnels comme les autres. Les CLSC, à l’origine, avaient été pensés dans ce e optique interdisciplinaire et communautaire68. Les multiples réformes de la santé des 30 dernières années ont malheureusement fait se réduire comme peau de chagrin les avancées prome euses que laissaient entrevoir ces établissements de première ligne. Nous pouvons toutefois nous inspirer du projet initial des CLSC afin d’imaginer un réseau de la santé démocratisé sur les plans du travail et des soins. La clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, sur laquelle s’est basé le ministère de la Santé pour procéder à la création du réseau des CLSC au début des années 1970, peut toujours guider nos réflexions. Ce e clinique a la particularité d’avoir été capable, grâce à de nombreuses mobilisations citoyennes, de conserver son autonomie, c’est-à-dire son pouvoir de décider de son approche clinique et de ses priorités d’intervention. Comptant près de 140 employés de toutes les professions de la santé et des services sociaux, elle est toujours gérée de façon horizontale, du point de vue de l’organisation du travail, et de façon communautaire au niveau de son conseil d’administration. Un réseau de la santé véritablement démocratique, inspiré de ce genre d’expériences, aurait toute la latitude voulue pour laisser son personnel développer des projets innovants, gérés de façon démocratique entre ses différents professionnels (ergothérapeutes, nutritionnistes, psychologues, travailleurs sociaux, etc.). Nous pouvons également citer en exemple l’organisme sans but lucratif néerlandais de soins à domicile Buurt-

zorg69. Ce e organisation emploie plus de 8 000 infirmières et autres professionnels de la santé divisés en équipes de soins ra achées à un quartier. Ces équipes d’une quinzaine d’employés chacune gèrent à l’interne leurs activités en fonction des besoins de la population à desservir. Ces équipes peuvent faire preuve d’initiative et élaborer des

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projets pilotes qui peuvent ensuite être adoptés par les autres équipes de soins si elles le désirent. Ce modèle se rapprochant de l’autogestion permet d’allier l’universalité des soins avec la flexibilité du travail en petites équipes. C’est exactement le genre de modèle qu’un système de soins de santé démocratique, axé sur une première ligne interdisciplinaire ayant une vision sociale et communautaire de la santé, serait capable de me re en place, pour le bénéfice de ses employés et de la population. Conclusion Étendre le caractère démocratique de notre société relève donc, pour nous, d’une proposition d’alternative à l’austérité. Dans le secteur privé, une plus grande place laissée aux coopératives pourrait a énuer les pressions négatives exercées par les organisations patronales pour maintenir de bas salaires ou encore pour dégrader les conditions de travail (notamment par la flexibilisation du travail et par la diminution de la participation des employeurs au financement de la retraite de leurs employé.e.s). Dans les services publics, la résistance aux compressions, aux coupes et aux privatisations vient souvent des espaces démocratiques existants (ce qui explique certainement pourquoi ces lieux sont présentement systématiquement a aqués). Un élargissement de ceux-ci, en plus de faciliter la participation citoyenne, pourrait servir de rempart efficace contre de futurs cycles de restrictions budgétaires. Démocratiser le Québec n’est donc pas qu’un noble principe. Il s’agit d’un objectif indispensable si l’on veut se donner les moyens de construire une société qui vise à faire des principes de solidarité et de justice une réalité.

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BIEN-ÊTRE par Vivian Labrie et Simon Tremblay-Pepin

L

’EXPRESSION «BIEN-ÊTRE» résume bien les aspirations, les contradictions et les ambiguïtés mises en tension quand il est question de s’organiser pour survivre, vivre et bien vivre ensemble. On voudrait voir dans ce mot un synonyme d’«être bien», voire d’«être bien ensemble», voisin du bien-vivre

et du bonheur. Il comporterait une notion d’abondance partagée et une notion de réalisation de soi à laquelle on aurait accès dans un projet collectif assumé. Dans le langage courant au Québec, quand on parle de «bien-être», on renvoie souvent plutôt aux politiques sociales supposées assurer la sécurité du revenu des personnes et des ménages en l’absence d’autres sources de revenu suffisantes. Le terme devient alors synonyme de son contraire, comme dans les expressions «être sur le bienêtre social» et «vivre sur le bien-être», avec l’étique e infamante qui en découle: «BS». Le bien-être représente alors le minimum de solidarité auquel la société consent dans ses lois et règlements pour assurer une base de revenu aux personnes et aux ménages qui manquent du nécessaire. En se fiant à la mesure du panier de consommation (MPC), une mesure de faible revenu qui permet d’établir un niveau à partir duquel un ménage couvre ses besoins de base, on constate que les personnes seules et les ménages sans enfant vivant sur le «bien-être» avec le barème actuel le plus bas disposent de moins de la moitié du revenu nécessaire à la couverture du strict minimum. Leur mal-être économique s’accompagne d’un mal-être social en raison du déluge de préjugés qui entretient une réprobation souvent contagieuse à leur égard. Au lieu de porter a ention aux aspects systémiques qui conduisent à l’aide sociale, l’a ention publique est concentrée sur les comportements de ces prestataires. Dans un tel contexte, le «bien-être», c’est la misère et la galère. C’est pourquoi, alors que nous aurions pu aborder plusieurs sujets en parlant de bien-être, nous avons choisi de consacrer ce chapitre à la possibilité collective d’assurer à tous et toutes la capacité de couvrir leurs besoins de base. Nous jugeons que c’est le prochain pas à franchir au Québec vers une société plus solidaire et plus soucieuse du bien-être de tout son monde. Nous allons nous a acher ici au minimum de revenu qui est garanti dans les politiques de soutien du revenu qui prévalent au Québec. Cet ensemble de programmes assez complexe peut sembler rébarbatif, surtout quand on n’y a pas affaire directement. Malgré ce e difficulté, la rigueur nous imposera d’entrer un peu dans les détails. Notre objectif est de présenter ce qui pourrait être accompli au Québec sur un horizon de dix ans pour que les besoins de base de toutes et tous puissent être couverts au moins au niveau établi par la MPC. Pourquoi la MPC? Parce qu’elle sert de référence à cet égard au Québec depuis 200970. Notre approche sera pragmatique: nous allons montrer que les moyens sont là, mais qu’ils ont plutôt servi dans les dernières années à augmenter les écarts de revenu dans la société, et qu’avec de la volonté politique, il serait possible de partir de la réalité telle qu’elle est pour la transformer dans le sens voulu. Néolibéralisme, austérité et pauvreté La première loi sur l’aide sociale de 1969 a permis un saut qualitatif important au Québec en matière de sécurité du revenu, en affirmant le droit de toute personne à une aide financière de dernier recours pour combler le déficit entre ses besoins et les revenus dont elle dispose. Cet acquis de la Révolution tranquille a été périodiquement menacé par le retour en force de préjugés associés à quelques idées chères à la droite. Des exemples? Le postulat que si une personne n’arrive pas à s’en sortir, c’est de sa faute, ou l’idée qu’il est légitime de porter a einte à ses droits

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et libertés pour l’aider à s’en sortir, ou encore la conviction que les revenus que l’État lui consent sont une faveur à limiter au maximum. Dans ce courant de pensée, le recours à l’aide sociale porte une a einte doublement «coupable» aux finances de l’État. D’une part, on présume de la «culpabilité» de la personne exerçant ce recours; elle est en délit supposé par rapport à la société du fait de demander de l’aide, ce qui autorise à l’assuje ir à une série d’examens et de conditions. D’autre part, on envisage facilement que ce e aide puisse «être coupée» pour la contraindre à agir comme on souhaiterait qu’elle le fasse. Faute de reconnaître les causes systémiques qui produisent et reproduisent la pauvreté, les inégalités et l’exclusion, une confusion s’installe entre la lu e contre la pauvreté et l’incitation, voire la coercition à l’emploi. On en vient à stigmatiser les personnes jugées aptes au travail. On prétend qu’il faudrait les discipliner et forcer leur intégration au marché du travail pour leur propre bien et celui de la société. Deux dimensions implicites du système alimentent ces tentatives de conditionnement de la main-d’œuvre. D’abord, les critères qui fondent le niveau des prestations versées ne relèvent pas d’une délibération collective, ni même d’une justification gouvernementale claire71. Que devraient couvrir les montants versés? Quel serait un plancher de revenu décent à assurer au Québec? Ce sont des questions que l’on devrait sérieusement se poser. Ensuite, le processus d’accès à l’aide sociale semble paradoxalement pensé pour éviter le plus possible que les gens y aient accès. Chaque réforme (1974, 1978, 1988, 1998, 2005, 2013) a été l’occasion de coups de force de la part de gouvernements qui souhaitaient «serrer la vis» aux prestataires. À chaque fois, ces coups de force ont donné lieu à des mobilisations citoyennes importantes pour s’y opposer. Entre 1998 et 2002, la mobilisation est passée de la dénonciation d’une nouvelle réforme à la proposition d’une loi visant un Québec sans pauvreté. Elle a conduit en 2002 à la Loi visant à lu er contre la pauvreté et l’exclusion sociale, laquelle a reconnu que les personnes en situation de pauvreté étaient déjà «les premières à agir pour transformer leur situation et celle des leurs» et que ce e transformation était liée «au développement social, culturel et économique de toute la collectivité72». Ce e loi a également introduit le principe d’une prestation minimale d’aide sociale non suje e à des sanctions administratives. En 2016, malgré l’approche mise de l’avant par ce e loi et le chemin qu’elle a permis de parcourir73, une nouvelle réforme de l’aide sociale74 réactive au Québec les prétentions à «vouloir le bien des personnes à leur place75». Avec sa couleur néolibérale, ce projet vient porter a einte aux gains réalisés en matière de garantie de revenu en prévoyant des sanctions qui pourront réduire les prestations de ceux et celles qui refusent le plan d’intégration en emploi qu’on leur impose76. De l’impasse actuelle de la sécurité du revenu à une société du bien-vivre77 Alors, nous avons une question: dans un système comme celui-là, sur quoi faut-il agir en premier? Faut-il s’acharner sur les personnes pour qu’elles arrivent à monter l’escalier qui descend? Ou faut-il s’occuper des escaliers? — «Le droit de nos droits», déclaration de personnes en situation de pauvreté aux parlementaires de l’Assemblée nationale du Québec, 23 octobre 2003.

Alors que le Québec, comme d’autres sociétés occidentales, est parvenu à assurer dans ses protections sociales une garantie de revenu relativement suffisante et inconditionnelle pour l’enfance (moins de 18 ans) et la vieillesse (65 et plus), l’action collective n’aura pas suffi à y parvenir pour les personnes en période dite «active» (entre 18 et 65 ans), en particulier pour celles jugées aptes au travail. La résistance à le faire est particulièrement forte à l’égard des jeunes adultes. Ce e impasse est en partie liée au fait qu’on considère que pendant ce e période de la vie, toute personne en mesure de le faire devrait subvenir à ses besoins par ses propres moyens grâce à un revenu tiré de son travail. Or l’activité humaine constituée en «marché du travail» ne produit pas que de la richesse et de la qualité de vie. C’est aussi un système gagnant-perdant qui favorise la concentration de la richesse. Il génère des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion. Il priorise des façons de contribuer et en décourage d’autres.

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L’action syndicale et féministe a conduit à des gains substantiels pour corriger ces biais à l’intérieur du marché du travail tel qu’on le connaît: salaire minimum, normes du travail, assurance emploi, programmes d’équité et d’égalité salariale, progressivité de la fiscalité, garderies, assurance parentale, régimes de retraite. Ce e action de nivellement vers le haut dans le système productif – elle-même menacée par les contre-réformes néolibérales, comme l’a montré l’IRIS à plusieurs reprises depuis 15 ans – n’aura toutefois pas résolu l’impasse subsistant à sa marge. Que se passe-t-il quand le marché du travail s’avère inadéquat et que le revenu ne vient pas ou ne suffit pas? Inévitablement, une partie de la population peine à suivre, pour de courtes ou longues périodes, et se trouve alors en panne des moyens nécessaires à sa survie. Comment assurer alors à toutes et tous le droit à une existence digne, décente et contributive? Faut-il «plus du même», en s’acharnant à faire monter des personnes dans des escaliers roulants qui descendent, ou doit-on plutôt diversifier les stratégies, un peu comme les écologistes le proposent pour réduire notre dépendance envers les énergies fossiles? En matière de politiques sociales comme en matière de politiques environnementales, il y aurait moyen de faire plus de place à d’autres façons de voir la vie en société et à d’autres critères pour prendre nos décisions collectives. On peut reme re en question la place trop grande qu’occupe, dans son idéologie comme dans ses indicateurs, un système économique dominant qui carbure au PIB et à l’emploi, alors qu’il y a d’autres richesses et ressources que l’argent, et d’autres contributions à la vie collective que celles qui sont reconnues dans le marché du travail78. À cet égard, il se pourrait que l’impasse constatée de la sécurité du revenu actuelle indique justement la voie à ouvrir, brèche par brèche, pour avancer vers une meilleure garantie de revenu pour toutes et tous. Sans le rejeter pour autant, on pourrait faire moins de place au critère de l’incitation à l’emploi, devenu omniprésent dans les décisions publiques relatives aux protections sociales, et tenir compte davantage d’un critère souvent invisible et pourtant incontournable: ce qu’il en coûte pour vivre dans la société telle qu’elle est. Imaginons une société travaillante qui choisit de miser sur plus d’égalité79 et sur la satisfaction des besoins de base de toutes et tous, plutôt que d’encourager la croissance des inégalités. On y aurait développé des indicateurs pour la couverture de ces besoins de base et la sortie de la pauvreté. Ceux-ci perme raient de tenir compte des effets des politiques publiques sur l’ensemble de la distribution des revenus des ménages, des plus pauvres aux plus riches. On poserait autrement la question du bien-être, dans la perspective d’un bien-vivre interdépendant. On miserait, en somme, sur un nouveau pacte social et fiscal. Imaginons que ce pacte tienne compte des paramètres suivants: 1. Le dosage travail-fiscalité-protections sociales permet d’assurer la couverture des besoins de base de toutes et tous. 2. Le salaire minimum permet à une personne travaillant à temps plein de sortir de la pauvreté. 3. Après la sortie de la pauvreté, la contribution aux finances publiques augmente en importance à mesure que le revenu augmente. Un tel pacte supposerait qu’on reconnaisse les apports à la richesse commune qui se font en dehors du marché du travail comme une contribution collective plutôt qu’individualisée. L’entraide, la débrouillardise et la créativité au quotidien (s’occuper des enfants, aider un parent malade ou vieillissant, prendre soin d’un ami, s’impliquer dans les affaires collectives, réaliser une œuvre artistique ou scientifique) constituent déjà une contrepartie valable à une base de revenu décente pour tout le monde. Ce serait une façon d’honorer toutes les contributions sans nécessairement tout comptabiliser, et de reconnaître l’action première des personnes en situation de pauvreté qui est affirmée dans la Loi visant à lu er contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Ce pacte supposerait par ailleurs que la société décourage l’accaparement de la richesse par les un.e.s aux dépens du bien-être des autres. Une manière d’y arriver serait de prioriser l’amélioration des revenus les plus bas sur l’amélioration des revenus les plus élevés tant et aussi longtemps que des ménages se retrouveraient sous la barre de la sortie de la pauvreté et du revenu décent.

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On peut entrevoir les avantages d’un tel choix, qui perme rait un meilleur partage de la richesse produite à l’intérieur et à l’extérieur de la société monétaire et salariale. Il y aurait moyen de repenser le rapport au travail et à l’emploi dans une perspective d’interdépendance et de réalisation de soi, plutôt que de soumission à d’autres pour survivre. Certaines situations inacceptables en emploi pourraient alors cesser. À partir du moment où l’on a l’assurance d’un revenu dont on peut vivre en cas de besoin, on peut cesser d’endurer le harcèlement au travail, la pression d’un employeur pour faire plus d’heures ou les jobines sur appel qui grugent du temps et de l’énergie sans perme re de progresser vers une meilleure situation. On peut aussi choisir de combiner plusieurs activités rémunérées et non rémunérées d’une façon optimale pour soi et ses proches. Une telle transformation contribuerait à refonder la société sur des valeurs de coopération. Elle limiterait, au moins en partie, l’influence du postulat selon lequel l’essentiel de la vie se joue au sein de rapports égoïstes dans un espace de concurrence permanente. À partir du moment où on ne se bat plus pour le minimum, on peut valoriser la participation à l’amélioration de la vie commune. Les moyens d’assurer en 10 ans la couverture des besoins de base au Québec Un tel horizon pourrait sembler éloigné. Pourtant une recherche réalisée par l’IRIS80 montre que le pas à franchir n’est pas nécessairement très grand pour en venir à assurer la couverture des besoins de base au Québec pour tout le monde, y compris pour les personnes âgées de 18 à 64 ans. Il en ressort qu’il s’agit davantage d’une question de choix collectif et de volonté politique que de moyens financiers. Nous avons en effet calculé qu’alors que le revenu total des ménages après impôt était de 191 milliards de dollars en 2011 au Québec, il manquait en tout 3,6 milliards de dollars pour que l’ensemble de ces ménages puisse couvrir ses besoins de base au moins au niveau du panier de référence établi par la MPC. Ce panier tient compte de cinq catégories de besoins: la nourriture, les vêtements, le logement, le transport et un ensemble d’autres besoins réunis dans une même catégorie81. Un critère de couverture de base est établi pour chaque section, et on calcule le coût des biens et services correspondant à ce critère, ce qui donne un revenu de référence. On peut considérer que les personnes qui ne disposent pas de ce revenu ne sont pas en mesure de couvrir leurs besoins de base. Cela signifie qu’elles doivent choisir parmi des nécessités vitales, et cela, aux dépens de leur santé. Bref, les 3,6 milliards de dollars qui manquaient en 2011 pour que tout le monde dispose au moins du minimum représentaient moins de 2% de l’ensemble des revenus nets réalisés par la population du Québec. En tenant compte de l’inflation, le montant manquant à ce degré de couverture depuis 2002 était moins élevé que la seule croissance des revenus de ceux et celles qui étaient au-dessus du seuil de la MPC pendant la même période. Autrement dit, les choix de politiques publiques faits pendant ce e période avaient plutôt permis aux ménages qui couvraient déjà leurs besoins de base d’augmenter leur niveau de vie. Pourtant, si elles avaient été mieux réparties, ces sommes auraient été suffisantes pour couvrir les besoins de base des ménages qui n’y parvenaient pas. On voit ici que d’autres décisions de répartition de la richesse prises 10 ans plus tôt – en matière notamment de conditions de travail, de fiscalité, de protections sociales – auraient pu perme re de résoudre ce manque tout en préservant ou même en améliorant légèrement les standards de vie de la population disposant déjà de plus que le minimum pour vivre. Ce déficit de revenu, qui me ait des personnes en déficit de nécessités vitales, touchait en 2011 plus d’une personne sur 10. Nous avons constaté qu’entre 2002 et 2011 les ménages du décile le plus pauvre n’avaient jamais atteint, en moyenne, l’équivalent d’un demi-panier de consommation, ce qui hypothéquait sévèrement leur qualité de vie et leur santé, avec des coûts sociaux à l’avenant. Pourtant, notre recherche a également démontré que la capacité productive de la société aurait pu donner accès à l’équivalent de deux paniers de consommation pour tout le monde. De plus, la seule différence entre les revenus du dixième le plus riche de la population (le 10e décile de revenu) et ceux du dixième suivant (9e décile de revenu) aurait permis de couvrir 5 fois le montant nécessaire pour combler les besoins de base de ceux et celles qui se trouvaient en déficit. Autrement dit, des dollars vitaux man-

quaient alors que d’autres ménages disposaient d’une grande abondance, cela avec la complaisance des politiques sociales, fiscales et économiques82.

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Pour donner un autre ordre de grandeur, des décisions gouvernementales ont fait passer la rémunération globale des médecins du Québec de 4,45 milliards de dollars en 2009-2010 à 7,06 milliards de dollars en 2016-201783, un bond de près 2,6 milliards de dollars à l’avantage d’une fraction minime de la population déjà parmi les mieux rémunérées, et sans effet positif connu sur la santé collective ou sur l’efficacité du système de santé84. Si cela a été possible à même les fonds publics, il aurait été également possible de résoudre une part importante du déficit à la MPC entre 2002 et 2011 en déplaçant ou en investissant progressivement 3,6 milliards de dollars vers le bas de l’échelle afin de combler le manque pour couvrir les besoins de base au Québec. Tentons donc l’exercice d’opérationnaliser un processus qui conduirait à faire exister dorénavant dans le revenu disponible des plus pauvres l’équivalent de ces 3,6 milliards de dollars manquants en 2011. Ce serait sûrement un bon premier pas.

Selon Le régime québécois de soutien du revenu85, en 2015, 29,8 milliards de dollars ont été versés aux ménages québécois en soutien de leur revenu de base, soit environ 11,1 milliards provenant du Québec et 18,7 milliards du gouvernement fédéral. Ajusté à sa valeur de 2015, le montant de 3,6 milliards de dollars manquant en 2011 équivaudrait à un relèvement de 12,7% de l’ensemble du régime ou de 34% de sa partie québécoise, un ra rapage envisageable sur 10 ans, quelques points de pourcentage à la fois. Un tel investissement aurait des répercussions immédiates sur l’amélioration de la santé collective et des effets

de stimulation de l’économie rapidement visibles, notamment dans les communautés défavorisées86. Sans pour autant écarter un ensemble plus large de mesures pouvant contribuer à éliminer le déficit à la MPC au Québec, trois actions complémentaires pourraient être enclenchées assez rapidement dans ce e direction: 1. Étendre le rôle du crédit d’impôt pour solidarité (CIS), en complément des autres formes de revenu, en vue d’assurer à terme la couverture des besoins de base dans le revenu disponible des ménages. 2. Éliminer la discrimination systémique à l’égard des personnes seules et des ménages sans enfant afin de protéger de façon équivalente le niveau de vie minimal des divers types de ménages. 3. Augmenter en parallèle le salaire minimum jusqu’au niveau du salaire viable développé par l’IRIS pour que toute personne qui travaille à temps plein sorte de la pauvreté. Ces trois actions reconnaissent un ensemble plus large de fondements à la décision publique que la seule incitation à l’emploi, tout en tenant compte de ce e contrainte inhérente au système productif tel qu’il existe présentement. Ces idées ne sont pas neuves87. Si elles étaient mises en application, elles perme raient d’avancer sur un chemin maintes fois balisé par l’action citoyenne. La nouveauté serait de se dire que le Québec en a les moyens, que le temps est venu de le faire, avec un échéancier contraignant tout en étant progressif, et que de telles mesures sont même dans l’intérêt de l’ensemble de la population. Il serait également innovant, cohérent avec l’esprit de la Loi visant à lu er contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et prudent compte tenu de la variété des situations individuelles à prendre en compte, de faire appel à une démarche participative croisant une variété d’expertises, dont celle des premières personnes concernées, pour en établir la feuille de route et en suivre la mise en œuvre. Sans détailler d’avance ce e feuille de route, pour laquelle des simulations préalables détaillées sont requises, on peut en proposer les paramètres de départ. De l’aide sociale au crédit d’impôt pour solidarité (CIS) Au Québec, la protection du revenu de base des 18-64 ans passe principalement par trois mesures: l’aide sociale, le crédit d’impôt pour la solidarité (CIS) et le crédit fédéral pour la TPS. Alors que l’accès à l’aide de dernier recours est soumis à des contraintes importantes, le CIS québécois et le crédit pour la TPS ont des qualités intéressantes en matière d’équité et de gestion: ils sont intégrés à la fiscalité, ils s’adressent à une assez large fraction de la population à plus faible revenu, ils sont calculés et versés automatiquement sur la foi du rapport d’impôt et ils baissent progressivement jusqu’à zéro à partir d’un certain niveau (assez élevé) de revenu. Comme ce sont des crédits remboursables, ils peuvent concourir à faire du rapport d’impôt une opération de solidarité pan-citoyenne qui rejoint

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l’ensemble des particuliers remplissant une déclaration. Qu’on soit en situation de contribuer davantage qu’on reçoit, ou dans la situation inverse, ces crédits peuvent signaler que la société cherche ainsi un équilibre fondé sur le bien-vivre. De plus, le CIS a comme particularité d’avoir été créé pour combiner trois crédits d’impôt antérieurs (remboursement de TVQ, remboursement d’impôt foncier et compensation pour résidence nordique), avec la possibilité de l’utiliser pour d’autres compensations, et d’avoir été rodé pour perme re un versement mensuel. Il serait par ailleurs tout à fait possible de l’augmenter: il suffirait d’en modifier les paramètres. En principe, la commande budgétaire pourrait être d’en améliorer annuellement la configuration jusqu’à ce que, en complément des autres formes de revenu et de soutien existantes, il assure la couverture des besoins de base selon la MPC pour les ménages sans revenu d’emploi. On pourrait également viser à ce que ce véhicule fiscal prenne progressivement la place de l’aide sociale. Comme cela supposerait d’appliquer des règles similaires à l’ensemble des contribuables, une difficulté importante de ce e transition porterait sur la manière de se défaire des modalités discriminatoires du programme d’aide sociale actuel. La liste de ces modalités est connue. Elle comprend la prise en compte des avoirs, de la vie maritale, de la responsabilité parentale, des pensions alimentaires reçues pour les enfants et des contraintes à l’emploi. Il faudrait aussi traiter autrement les revenus de travail permis et s’assurer qu’ils accroissent le revenu de façon continue pour maintenir l’incitation à l’emploi. Ce e réévaluation devrait se faire sur une base annualisée, comme c’est le cas dans la fiscalité, et non mensualisée, comme c’est le cas présentement à l’aide sociale88. Avec un dispositif comme le CIS, qui relève d’une fiscalité annuelle, il faudrait toutefois prendre en considération le fait que la vie est soumise à un lot d’imprévus qui demandent des réponses rapides: comment traiter ce qui relève de l’urgence quand le revenu chute? Plus le crédit devient important, plus il faudrait perme re qu’on ait accès rapidement au montant qu’il prévoit. Il faudrait aussi éviter des situations de trop-perçus réclamés aux prestataires comme cela a pu se voir même dans la forme actuelle de ce crédit. Une façon de contrer cet effet indésirable pourrait être de le rendre imposable à la source à partir d’un certain niveau de revenu. Sur un autre registre, pour préserver la garantie de revenu, il faudrait également étendre au CIS les garanties d’insaisissabilité qui existent présentement à l’aide sociale. Ne minimisons pas, par ailleurs, le défi d’intégrer le critère de ce qu’il en coûte pour vivre à un régime de soutien du revenu où l’incitation au travail en est venue à prendre presque toute la place. C’est la matière des deux prochains points. Une solidarité assurant un niveau de vie comparable à tous les types de ménages L’asymétrie dans la manière actuelle de garantir le revenu de base des ménages sans revenu d’emploi est évidente89 quand on fait lecture du fascicule précédemment mentionné sur Le régime québécois de soutien du revenu. Comme l’indique le tableau suivant, on y apprend qu’en 201690 ce e garantie sera de 30 409$ pour une famille de deux adultes et deux enfants, soit autour de 80% du revenu nécessaire à une couverture au seuil de la MPC, qui

tournerait plutôt autour 37 878$ à Montréal91. Selon le facteur d’équivalence reconnu au Canada et à l’OCDE92, une garantie similaire pour une personne seule équivaudrait à la moitié de ce montant, soit 15 205$. Or elle n’est que de 9 192$. Ce tableau montre aussi une différence de couverture importante pour les couples, de même qu’une couverture légèrement inférieure à celle qu’on pourrait a endre pour les familles monoparentales. Protection de base et niveau de vie comparé des ménages sans emploi au Québec en 2016 (en dollars) Garantie de revenu assurée dans le Régime québécois de soutien du revenu

Niveau de vie qui serait équivalent à la famille de deux adultes deux enfants

Pourcentage du niveau de vie assuré par rapport à la famille de deux adultes deux enfants

Famille deux adultes deux enfants

30 409

30 409

100%

Famille monoparentale avec un enfant

21 084

21 438

98%

25

Couple

13 355

21 438

62%

Personne seule

9 192

15 205

60%

Sources: Ministère des Finances du Québec, Régime québécois de soutien du revenu, mise à jour de juin 2016, et Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE), Prendre la mesure de la pauvreté, Gouvernement du Québec, 2009. Calcul des auteur.e.s.

Si ce tableau illustre les gains pour les familles avec enfants réalisés avec l’amélioration du régime d’allocations familiales au cours des années 200093, il fait aussi voir les ra rapages à accomplir pour les autres types de ménages94. On remarque que non seulement les programmes de sécurité du revenu actuels sont insuffisants, mais qu’en plus ils sont discriminatoires à l’endroit de certains types de ménages, soit les personnes seules et les couples

sans enfants. Si on misait sur le crédit d’impôt pour la solidarité pour faire en sorte que les revenus couvrent les besoins de base, il faudrait corriger ces inégalités. À ce e fin, la mise à niveau vers une couverture complète selon la MPC pourrait se faire en deux temps: la progression de l’ensemble des ménages vers un même taux de couverture et la progression de ce taux vers une couverture complète. Pour assurer une base de revenu comparable à l’ensemble des ménages, il faudrait aussi considérer certains besoins particuliers, qui varient d’une situation à l’autre et qui affectent le revenu disponible pour les besoins de base. À cet égard, une caractéristique un peu compliquée de la MPC, qui la différencie de la définition du revenu après impôt, pourrait se révéler un avantage. En effet, trois types de dépenses sont exclus du calcul de la MPC95: les frais professionnels, les frais de garde et les soins de santé non assurés. Or ces trois types de dépenses ont justement à voir avec un ensemble assez large de besoins particuliers qui pourraient être traités comme tels dans la fiscalité. La fiscalité prévoit déjà des dispositifs distincts pour tenir compte des frais de garde: le Programme de services de garde à contribution réduite et le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants au Québec, auxquels s’ajoute la déduction pour frais de garde d’enfants du fédéral. Logiquement, il faudrait prévoir des dispositifs de compensation similaires pour les frais professionnels et les soins de santé non assurés, lesquels ne sont présentement que partiellement intégrés à la fiscalité. Une telle façon de faire aurait l’avantage de tenir compte des besoins supplémentaires relatifs à certaines situations particulières tout en facilitant l’intégration à l’emploi. À l’inverse, dans le régime d’aide sociale actuelle, la transition vers l’emploi est souvent gênée par la perte de certaines compensations qui sont certes peu élevées, mais significatives quand la condition des personnes l’exige. On peut penser ici aux soins dentaires de base ou à l’achat de certains appareils médicaux. Ce dernier point nous conduit au troisième terme des transformations à amorcer: le relèvement du salaire minimum à un niveau qui permet de sortir de la pauvreté. Un salaire minimum viable Loin de contribuer à faire sortir les gens de la pauvreté, l’actuel salaire minimum à temps plein permet à peine à une personne de couvrir ses besoins de base à la hauteur du seuil de la MPC. Selon le Régime québécois de soutien du revenu cité plus haut, en tenant compte des transferts et des impôts, une personne seule qui travaille 35 heures par semaine au salaire minimum obtient en 2016 un revenu après impôt de 18 761$, soit un peu moins que le revenu après impôt de 18 939$ qu’il faudrait à une personne seule à Montréal pour couvrir ses besoins de façon équiva-

lente au seuil 2011 de la MPC96. On voit ici qu’en étant aligné sur la MPC plutôt que sur un seuil de sortie de la pauvreté nécessairement plus élevé que ce qu’il en coûte pour couvrir les besoins de base, le salaire minimum à temps plein est loin de perme re d’en finir avec la pauvreté au travail. Or, un tel seuil nous semble un objectif minimal à viser pour une société qui voudrait à la fois valoriser l’emploi et tenir compte de ce qu’il en coûte réellement pour vivre. Comment, alors, établir ce que serait un montant perme ant de sortir de la pauvreté? Selon le CEPE, un tel in-

dicateur reste à déterminer97. On pourrait s’inspirer pour ce faire de l’indicateur de salaire viable développé par

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l’IRIS, en adaptant la mesure du living wage98 au Québec99. Le salaire viable «permet [à une personne] de gagner assez d’argent pour satisfaire ses besoins de base et ceux des personnes à sa charge, et de participer à la vie culturelle, politique et économique, en plus de lui laisser une certaine marge de manœuvre en vue de transformer sa situation socioéconomique100». Comme la MPC, ce e mesure tient compte des lieux de vie et des situations familiales. Selon l’étude de l’IRIS, le montant nécessaire pour vivre à Montréal en 2016 est évalué à 25 100$ pour une per-

sonne seule et à 52 928$ pour une famille de quatre101. Et si l’on tient compte des lieux de résidence et des situations familiales, un salaire viable à 37,5 heures de travail par semaine est estimé à 15,10$ de l’heure en moyenne. En ce moment au Québec, 26% des salarié.e.s touchent un taux horaire moindre102.

Tout en étant pleinement justifiée en soi, une hausse progressive du salaire minimum pour qu’il rejoigne le salaire viable offrirait une synergie intéressante avec les deux actions précédentes. Elle perme rait de maintenir l’attrait pour le travail salarié, qui e à réajuster le régime fiscal pour conserver un écart optimal entre la garantie de revenu plancher et le salaire minimum à temps plein103. Pour assurer une transition qui ne pénaliserait pas les pe-

tites entreprises et les petits organismes, une aide gouvernementale temporaire pourrait leur être offerte pour soutenir leur capacité de payer les salaires. Conclusion La société pourra dire qu’elle valorise véritablement le «bien-vivre» à partir du moment où elle considérera le revenu qui est nécessaire pour couvrir ses besoins de base comme une responsabilité collective. Réduire peu à peu les écarts extrêmes de revenu – ni trop ni trop peu – peut devenir un facteur d’équilibre pour la société face aux défis du monde actuel. Parmi les autres vecteurs d’un tel rééquilibrage, il serait logique de concevoir une offre de mesures de formation et d’insertion perme ant de progresser de la couverture des besoins de base vers le salaire viable. Les changements que nous proposons ici supposent un recalibrage de l’aide financière aux études et des ajustements avec le programme fédéral d’assurance emploi. Qui dit salaire viable dit aussi retraite viable. Tout comme le salaire minimum actuel, le revenu plancher assuré par le gouvernement fédéral avec la pension de la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti reste pour le moment dans les parages du seuil de la MPC. Ne pas être pauvre à la retraite pourrait être une des contributions à négocier entre les ordres de gouvernement concernés dans un effort concerté en faveur du bienvivre. Une telle évolution est indissociable d’un examen sérieux de la contribution des services publics au bien-vivre et au bien-être. Il nous paraît évident qu’il ne faut en rien diminuer la portée de ces services, mais qu’il faudrait plutôt l’étendre à plusieurs égards. On imagine les débats qu’il faudra tenir dans la société pour trouver le chemin d’une formule de garantie de revenu qui fonctionne et qui a un impact transformateur sur les mentalités et sur les valeurs communes. Ils supposeront notamment d’apprendre à rendre visibles les coûts humains et sociaux de ne pas le faire, un peu comme on apprend à évaluer les coûts environnementaux. Comment me re en mouvement une telle volonté politique? Reconnaître les déficits qui existent pour atteindre le seuil de la MPC d’une part et un salaire viable d’autre part est déjà un ingrédient. Se doter d’outils pour calculer sur une base régulière le montant de ces déficits et rendre ces chiffres visibles dans les statistiques qui servent à la prise de décisions publiques en sont deux autres. La société québécoise a les moyens collectifs de l’équivalent de deux paniers de consommation par personne. Assurer le premier pour toutes et tous est à sa portée.

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TERRITOIRE par Louis Gaudreau, Guillaume Hébert et Jennie Laure Sully*

L

ES ENJEUX LIÉS AU TERRITOIRE

sont multiples. Il peut être question d’aménagement du territoire, de sa protection,

de son exploitation ou encore de son occupation. Les territoires urbains sont souvent définis en opposition aux territoires ruraux, et ces derniers se subdivisent en territoires agricoles, forestiers, fauniques, etc. En outre, des termes tels que territoire autochtone, municipal et national ont une forte dimension historique et renvoient à des questions d’échelle et de limites géopolitiques. En somme, la définition du territoire ne se résume pas à des considérations d’étendue et de superficie. Le territoire est un espace social, vécu et occupé par des groupes qui s’y donnent

un mode de vie et une représentation d’eux-mêmes104. Ainsi, lorsque nous agissons sur le territoire et son aménagement, nous agissons également sur les conditions et l’organisation de la vie en société. Au Québec, la domination de l’économie marchande sur le devenir des communautés locales est l’un des principaux enjeux auquel devra faire face un gouvernement anti-austérité. Ce e domination se manifeste dans plusieurs phénomènes en apparence dissociés. En tout premier lieu, elle soulève la question irrésolue des droits ancestraux des peuples autochtones auxquels se heurtent notamment les mesures visant à faciliter et accélérer l’exploitation des ressources naturelles. La stratégie économique extractiviste a également des impacts irréversibles sur la biodiversité et les milieux naturels, et ses effets pervers sur les communautés sont également bien connus: afflux de travailleurs temporaires, prostitution, effritement social, crise du logement, etc.105 Dans le domaine agricole, le développement de l’agriculture industrielle destinée aux exportations ainsi que le contrôle de plus en plus important exercé par les grands distributeurs sur l’ensemble des étapes de la production ont mis en péril la capacité des communautés à répondre à leurs propres besoins alimentaires, à décider de ce qu’elles produisent et comment106. Ce e perte de contrôle sur l’agriculture pourrait s’accélérer avec l’émergence au Québec du phénomène mondial de l’accaparement des terres agricoles. Dans les agglomérations urbaines, le développement immobilier lié en particulier à l’industrie du condominium et aux projets récréotouristiques de masse (festivals, événements sportifs, etc.) exerce une pression à la hausse sur la valeur du foncier et engendre l’embourgeoisement des quartiers centraux. En périphérie, l’étalement urbain est symptomatique d’une absence de planification et rend nécessaires l’utilisation accrue de l’automobile et la transformation excessive de terres agricoles en autoroutes, projets domiciliaires et centres commerciaux107. Ces dynamiques ont toutes en commun la soumission aux exigences du rendement et de la croissance sans égard au coût socioenvironnemental de ce qui est produit et de ce qu’on en fait. Selon les élites d’affaires, il s’agirait du seul moyen pour la population québécoise d’accroître son bien-être. Or, non seulement ce type de développement est la source de nombreux problèmes pour les collectivités locales, mais il est trop fréquemment soustrait au contrôle de ces dernières. Contraints de reme re leur destin entre les mains d’investisseurs privés et de firmes transnationales, les individus sont privés de la capacité de décider de la manière dont ils entendent habiter le territoire. Nous nommons ce processus «dépossession territoriale». Les politiques d’austérité imposées au Québec dans les dernières années ont eu pour effet d’accentuer ce phénomène. Le gouvernement du Québec a aboli le Fonds de soutien aux territoires en difficulté et forcé la fermeture de nombreux organismes de développement qui desservaient ou représentaient les régions et localités québécoises108. C’est ainsi qu’ont disparu les Conférences régionales des élu.e.s (CRE), de même que plusieurs Centres locaux de développement (CLD) et Corporations de développement économique et communautaire (CDEC). De façon similaire, le gouvernement a mis fin au financement public de Solidarité rurale, une instance-conseil qui depuis plus de 20 ans avait pour mission de promouvoir la revitalisation et le développement du monde rural, de ses

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villages et de ses communautés109. Ces décisions font écho au souhait du Conseil du patronat, qui recommandait au gouvernement de favoriser l’exode rural en incitant les citoyen.ne.s à qui er les régions dévitalisées pour s’établir «là où il y a de l’emploi110», c’est-à-dire là où se trouvent les besoins des entreprises.

Le réseau d’organisations grâce auxquelles les collectivités locales pouvaient se faire entendre a été sérieusement appauvri, ce qui aboutit à une centralisation accrue des pouvoirs – et donc à une perte de contrôle – en matière de développement de l’espace occupé par les communautés locales. Nous verrons à présent sur quels principes doit s’appuyer l’objectif de réappropriation du territoire, puis nous formulerons des propositions quant aux mécanismes qui rendraient possible l’a einte de cet objectif. La réappropriation du territoire Il faut inverser le processus de dépossession en donnant aux communautés locales les moyens de reprendre en main le devenir de leur territoire et d’exercer un plus grand contrôle sur celui-ci. Pour ce faire, il conviendrait d’aménager de nouveaux espaces au sein desquels chaque localité, qu’il s’agisse d’une petite ville, d’un village ou d’un quartier, aurait la possibilité d’imaginer et d’expérimenter une utilisation de l’espace à privilégier et des manières de l’habiter plus conformes à ses besoins. Plutôt que de subir un développement répondant à des objectifs de croissance, elle pourrait ainsi s’approprier le territoire au sens fort du terme, c’est-à-dire se donner la capacité d’agir sur les conditions de la vie collective. Deux principes généraux doivent guider une telle démarche de réappropriation collective du territoire: 1. Localiser et décentraliser la gestion du territoire. 2. Développer le territoire en fonction du mode de vie (l’usage) plutôt que de la valorisation marchande (l’échange). Localiser et décentraliser la gestion du territoire

Les décisions relatives au territoire et à son développement devraient être prises localement et, autant que faire se peut, de manière décentralisée. La localité (village, quartier, etc.) est l’échelle spatiale qui se prête le mieux à l’objectif de réappropriation du territoire. Elle est la plus accessible à la participation citoyenne et donc à la contribution du plus grand nombre aux discussions sur les conditions du développement local. Elle est plus favorable à une gestion communautaire et à une prise en charge démocratique du territoire. La réappropriation s’accompagne donc également de la décentralisation de certains pouvoirs de l’État central au profit des collectivités locales, et ce, dans le respect de leur autonomie et la reconnaissance des initiatives locales. Ce e nouvelle répartition des lieux décisionnels est d’autant plus importante à l’heure actuelle que la métamorphose néolibérale de l’appareil étatique québécois contribue à centraliser les pouvoirs111. Fonder le développement territorial sur l’usage plutôt que sur l’échange

La propriété privée et le marché foncier institutionnalisent la dépossession territoriale et sont, de ce fait, des obstacles à la réappropriation de l’espace. Il faut payer pour accéder au sol (généralement au prix d’un ende ement important) et son coût est en grande partie déterminé par le niveau de revenus que l’on estime pouvoir en tirer. Ces deux contraintes entraînent la nécessité de générer des revenus en adaptant notre utilisation du territoire aux besoins de l’économie marchande plutôt qu’aux besoins des gens. Les protagonistes du développement local en savent quelque chose. Disposant de peu de moyens financiers, ils sont souvent confrontés à des difficultés d’accès à l’espace et limités dans leurs projets par la spéculation foncière. Ce sont les initiatives les plus rentables économiquement qui ont préséance, bien souvent au détriment de projets axés sur la qualité de vie dans la localité. Or, en soustrayant du marché le sol qu’occupent les communautés, il devient possible de contrer les impératifs du rendement. C’est donc à l’échelon local que pourrait être lancé un vaste exercice de réflexion collective sur les solutions alternatives à opposer à l’actuel développement territorial. Il pourrait s’inspirer de la proposition de l’institut britan-

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nique New Economics Foundation qui, dans un manifeste publié à la suite de la dernière crise financière mondiale, a invité les communautés locales à se rassembler autour de projets visant à identifier ce qui a de la valeur à leurs

yeux et ce qu’elles estiment nécessaire pour vivre convenablement112. Un tel exercice perme rait d’établir de nouveaux principes et priorités auxquels pourrait être soumise la vie collective (la solidarité, la justice et le respect de l’environnement, par exemple). *** Il faut ensuite prendre les moyens de passer de la parole aux actes. Il ne suffit pas de s’entendre sur les grands principes d’un aménagement du territoire répondant davantage à nos besoins, il faut aussi être en mesure de les me re en pratique. Les moyens déployés pour a eindre cet idéal de réappropriation collective du territoire pourront évidemment varier en fonction des besoins et des particularités de chaque communauté. Dans ce qui suit, nous proposons une mesure concrète perme ant d’entreprendre un tel chantier, la création d’organismes foncièrement utiles, qui ont justement l’avantage d’être facilement adaptables à différents contextes. Leur développement pourrait être mis en œuvre à court ou moyen terme par un gouvernement anti-austérité. Nous verrons ensuite qu’une nouvelle instance populaire démocratique, la commune, pourrait encadrer ce développement. Les organismes foncièrement utiles L’idée de soustraire la propriété du sol à la dynamique de marché n’est pas nouvelle. Ici comme ailleurs, elle a donné naissance à différentes initiatives qui sont généralement peu connues. Le modèle étatsunien de la fiducie foncière communautaire (FFC) en offre un bon exemple. Les nouveaux organismes foncièrement utiles (OFU) que nous proposons s’en inspireront largement, tout en y apportant quelques aménagements et bonifications. Commençons par expliquer en quoi consiste une fiducie foncière communautaire avant de parler du modèle que nous proposons. Qu’est-ce qu’une fiducie foncière communautaire?

Comme une entreprise, une fiducie est une entité juridique. Elle est créée dans le but de prendre en charge les biens d’un tiers et de les gérer en remplissant une mission particulière. Dans le cas d’une FFC, le bien en question est formé d’un ou de plusieurs terrains qu’elle administre pour le bénéfice de la communauté qui habite ces lieux. Il existe des fiducies privées ou personnelles dont la mission principale est de faire du profit. Les FFC ont quant à elles pour vocation de détenir des terrains à perpétuité afin d’en empêcher la revente, d’en préserver l’accessibilité pour les générations actuelles et futures et de perme re à la communauté d’en déterminer les conditions d’utilisation. Une FFC est constituée en organisme sans but lucratif (OSBL) dont sont membres les utilisateurs des terrains dont elle a la responsabilité ou encore les résidant.e.s de la localité dans laquelle elle est située. Ceux-ci sont entièrement responsables de son administration. La fiducie est propriétaire du sol et le donne en location à long terme, parfois gratuitement, à des personnes qui s’engagent à l’occuper en respectant les conditions collectivement définies par ses membres. Les occupant.e.s sont donc locataires du terrain (lequel appartient à vie à la fiducie), mais ils peuvent être propriétaires des bâtiments ou des infrastructures qui s’y trouvent. Si le sol ne peut être vendu, rien n’empêche en principe que toute construction érigée sur celui-ci le soit. Par contre, les fiducies prévoient généralement des règles strictes encadrant les ventes d’immeubles. Celles-ci visent à limiter les bénéfices que l’on peut retirer de la transaction, à interdire tout changement d’affectation par le nouvel acquéreur et à veiller à ce que l’accès aux espaces mis en réserve pour la communauté demeure abordable113. Le modèle des FFC est plus développé aux États-Unis qu’au Québec, où il a jusqu’ici privilégié les domaines de l’agriculture et du logement. Par exemple, la Fiducie Protec-Terre de la ferme Cadet Roussel a été créée en 2010

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en Montérégie afin de conserver une partie du patrimoine agricole régional. Elle se consacre entre autres à la promotion de l’agriculture biologique et de la coopération entre les agriculteurs et la collectivité. Dans le domaine de l’habitation, les fiducies ont souvent pour mission de soutenir l’accès à la propriété pour les ménages à revenus modestes. Au Québec, la Société immobilière solidaire Vivacité est un organisme spécialisé dans ce type de projet. Elle s’inspire largement des pratiques du Champlain Housing Trust au Vermont. Il existe ailleurs des modèles de fiducies favorisant le développement d’autres formes d’habitation comme le logement locatif ou coopératif. C’est le cas notamment des organismes fonciers solidaires en France ou de la Community Housing Land Trust Foundation en Colombie-Britannique. La formule des fiducies foncières communautaires comporte plusieurs avantages. Tout d’abord, elle permet d’aménager localement des espaces où il devient possible de donner vie, concrètement, à des décisions collectives concernant l’usage qui devrait être fait du territoire pour satisfaire des besoins identifiés par la communauté. En principe, elle permet à celle-ci de prendre en charge le développement du territoire en fonction d’autres exigences que celle de la croissance économique, tout en laissant aux individus et aux groupes soumis aux conditions générales d’utilisation du sol fixées par la fiducie un certain degré d’autonomie. Le modèle des FFC présente aussi l’avantage d’être applicable en ville comme à la campagne. Puisque chaque fiducie a le pouvoir d’établir ses propres règles, il peut facilement être adapté aux différentes cultures, distinctions et priorités régionales. Ce modèle se prête assez bien aux initiatives de moyenne et grande envergures. Il n’est pas indispensable, par exemple, de me re sur pied une fiducie pour implanter une coopérative d’habitation. Par contre, ce e formule devient particulièrement intéressante lorsqu’on proje e de faire cohabiter plusieurs initiatives ou groupes sur un même site et que l’on souhaite s’assurer qu’ils poursuivent les mêmes objectifs généraux. Par-dessus tout, le principal a rait des fiducies foncières communautaires réside selon nous dans le fait qu’elles perme ent de retirer des terrains du marché. Certaines FFC appliquent ce e règle à l’ensemble de leur patrimoine (sol et bâtiments) alors que d’autres ne le font que partiellement, mais c’est uniquement parce que le sol n’est plus soumis à un impératif de rendement qu’il peut être affecté à des usages alternatifs et inclusifs qui ne sont pas strictement dictés par des considérations économiques. Il s’agit, répétons-le, de la principale exigence d’une véritable réappropriation collective du territoire. La création d’organismes foncièrement utiles au Québec

Les organismes foncièrement utiles que nous proposons de créer reproduiraient en grande partie la structure des fiducies foncières communautaires. Comme celles-ci, les OFU seraient propriétaires à vie des terrains retirés du marché et auraient pour mission de les employer à des fins déterminées par leurs membres, c’est-à-dire leurs utilisateurs/trices ou toute personne résidant dans la localité – une petite ville, un village, un quartier – désireuse de prendre part à une telle initiative. Cependant, les OFU québécois se distingueraient des FFC par le fait qu’ils participeraient d’un projet plus large de prise en charge démocratique de l’ensemble du territoire. Ils seraient soumis à des mécanismes de coordination et d’harmonisation que ne connaissent pas les fiducies actuelles. Nous reviendrons sur ce point, celui d’un nouvel espace démocratique de proximité (la commune), dans la prochaine section. L’objectif premier serait de favoriser la diffusion dans chaque région et localité du Québec d’un nouveau mode de propriété et de gestion du sol qui, pour l’instant, n’existe que sous la forme d’initiatives isolées. La multiplication des OFU à l’échelle de la province devrait donc faire l’objet d’une politique publique ambitieuse qui s’accompagnerait d’investissements de la part de l’État pour financer les acquisitions de terrains. Ces dépenses publiques, certes importantes, ne seraient toutefois pas récurrentes puisqu’une fois les organismes créés, le caractère abordable et la vocation communautaire des terrains sous la responsabilité des OFU seraient garantis à jamais. Par la suite, ces conditions n’auraient pas à être maintenues par d’autres formes d’aide gouvernementale. L’augmentation du nombre d’OFU sur un même territoire entraînera inévitablement un besoin de coordination afin d’assurer une cohérence d’ensemble à l’action de chacun, mais aussi d’éviter que ceux-ci ne deviennent

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des groupes repliés sur eux-mêmes. C’est pourquoi les OFU devraient également être soumis à certains principes généraux (la solidarité, la complémentarité ou l’accessibilité, par exemple). À ce e fin, il serait également souhaitable que les OFU diversifient leurs pratiques. En plus d’investir les domaines du logement et de l’agriculture selon les méthodes déjà expérimentées par les fiducies foncières communautaires, ils pourraient encourager la création de commerces (marchés alimentaires et vestimentaires) ou de services communautaires (cliniques, garderies, centres culturels, etc.) répondant à des besoins locaux. Ils pourraient aussi soutenir le développement d’entreprises – idéalement sous la forme de coopératives de travail – privilégiant la production de biens destinés à la communauté, par exemple dans les domaines de l’alimentation, de la construction et de l’artisanat. Dans la mesure où la superficie des terrains retirés du marché le perme rait, un même organisme pourrait chercher à ne pas restreindre l’utilisation du sol sous sa gouverne à une activité particulière (logement, commerce, entreprise, agriculture), mais plutôt à y favoriser une diversité d’usages et à y intégrer de façon plus harmonieuse tous les services et fonctions nécessaires à la vitalité d’un territoire. À Montréal, la Communauté Milton Parc nous offre un bon exemple de la manière dont une telle harmonisation des fonctions pourrait s’opérer. La Communauté Milton Parc est un syndicat de copropriété qui, au lieu de réunir des propriétaires individuels comme dans un condominium, regroupe des organismes qui sont propriétaires de logements communautaires (soit 15 coopératives d’habitation et 6 OSBL) ou d’espaces commerciaux. Tous les organismes membres sont soumis à des règles collectives qui sont inscrites dans la déclaration constitutive de l’organisme. Il leur est notamment interdit de vendre leurs immeubles, de les utiliser à des fins de production industrielle, et ils sont tenus, sous peine de sanction, de les maintenir dans un bon état. Les gestionnaires d’habitation doivent de leur côté respecter des critères particuliers dans l’a ribution des logements, de manière à favoriser

les personnes à faible revenu et à réserver les logements les plus grands aux ménages les plus nombreux114. L’organisme propriétaire des locaux commerciaux doit quant à lui choisir ses locataires en fonction des besoins en services des résidants des immeubles d’habitation. Il est également encouragé à verser ses surplus d’exploitation à la Communauté Milton Parc afin de l’aider à financer ses activités communautaires. Cet exemple montre bien qu’il est possible de concilier différents types d’activités en vue de la réalisation d’un projet social qui fait passer son utilité pour les gens impliqués avant les exigences du marché. Il suffirait alors de faire un pas de plus et d’amorcer une réflexion sur les règles que les résidant.e.s d’une localité pourraient se donner afin d’intégrer à une initiative de ce type d’autres aspects tout aussi importants de la vie communautaire, tels la production des biens d’usage, les services à la collectivité et la culture. Pour adopter les grandes orientations encadrant les activités des OFU et pour veiller à ce que chaque organisme travaille au bien-être de toute la collectivité, il faudrait me re en place de nouvelles instances démocratiques. C’est ce que nous avançons dans la prochaine section. La commune: un nouveau lieu d’exercice du pouvoir La réappropriation du territoire requiert une nouvelle répartition du pouvoir et des ressources qui rendra possible l’exercice de ce pouvoir. En d’autres termes, il faut rompre avec un modèle d’État extrêmement centralisé pour perme re la gestion collective des lieux sans reproduire l’écueil du morcellement caractéristique de l’appropriation privée. Les OFU formeraient le principal outil de réappropriation locale du territoire. Mais d’autres approches perme raient d’opérer un renversement de l’actuel processus de dépossession en faveur d’espaces plus démocratiques. Pour y parvenir, une nouvelle instance doit être pensée dans l’horizon politique québécois. Nous nommons commune ce nouveau lieu d’exercice du pouvoir au service des populations. La commune réunira des citoyennes et des citoyens élu.e.s ou désigné.e.s à l’échelle locale. Elle aura pour mission centrale de «fabriquer de l’autonomie collective115», c’est-à-dire de contribuer à des transferts de pouvoirs vers des communautés locales qui décideront, sans formule préalable ou modèle unique, de se doter d’instruments collectifs. Par conséquent, les communes

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pourraient notamment reprendre et étendre les responsabilités assumées par des instances de concertation socioéconomiques telles que les CLC ou CDEC. Les ensembles territoriaux liés à chaque commune auraient la taille qu’on associe traditionnellement au Québec à une paroisse. D’ailleurs, tant la «paroisse civile» que la «commune» sont des divisions administratives qui existent déjà dans certains pays occidentaux. Les communes auront par conséquent une portée plus restreinte que les municipalités, les municipalités régionales de comtés (MRC) ou les arrondissements des villes québécoises. Les communes devront être plus démocratiques que toute autre instance politique actuellement existante au Québec. Chacune devra déterminer quels mécanismes devraient être mis en œuvre dans sa localité pour accroître et maintenir la participation citoyenne aux décisions collectives. Elle devra s’assurer de la représentativité des élu.e.s de la commune – en fait de genre, d’âge, d’origine et de statut socioéconomique – au regard de sa population. Pour ce faire, elle pourra faire appel à des mécanismes décisionnels, d’élection ou de désignation peu utilisés actuellement au Québec, tels que le tirage au sort, le jury citoyen ou l’utilisation du budget participatif. La commune pourra également explorer les possibilités participatives offertes par les nouvelles technologies, y compris la diffusion en direct sur internet et les médias sociaux, de façon à accroître la transparence et le recours à des formes de démocratie directe. Sur son territoire, une commune pourra créer plusieurs OFU. Cet instrument lui perme ra de donner corps au projet de réappropriation du territoire et d’assigner des usages qui répondent davantage aux aspirations des communautés locales. La réappropriation du territoire passe par la planification, par les communes, du retrait progressif d’espaces de la sphère marchande. L’un des moyens d’y parvenir consisterait à former des réserves de terrains en procédant à des acquisitions importantes de parcelles du domaine foncier. Ce e réserve servirait à me re des espaces à l’abri de la spéculation ou encore du seul critère de la profitabilité pour leur mise en valeur. Elle servirait ensuite au développement des OFU. Les communes auront également pour mandat plus général de favoriser une réelle vitalité communautaire en favorisant la localisation de l’économie. En prenant en considération les caractéristiques de leurs communautés respectives, les communes devront identifier les secteurs économiques pouvant induire un développement local viable. En utilisant par exemple le concept des multiplicateurs locaux, soit la capacité d’une dépense à générer une démultiplication de l’activité économique localisée, les communes pourront déterminer les activités économiques générales ou particulières à privilégier de manière à garantir la viabilité du développement économique local. En identifiant la provenance des flux économiques entrants et des flux économiques sortants, il devient envisageable

de déterminer les «fuites» à colmater dans l’économie locale116. Comme on l’a observé dans des processus similaires à l’étranger, notamment en Angleterre, les communes pourront par exemple choisir de revitaliser certaines rues commerciales, développer de nouveaux marchés publics, encourager le commerce local, soutenir des initiatives culturelles, faciliter l’accès à des prêts avec la participation d’institutions financières locales (caisses populaires), lancer des campagnes de santé publique pour réduire les habitudes de vie nocives et coûteuses ou encore soutenir la transition énergétique. Les communes pourront également lancer des initiatives économiques non marchandes telles que la mise sur pied de systèmes d’échanges locaux de services sans utilisation de monnaie. Le réseau québécois des Accorderies, par exemple, réunit des personnes désireuses d’échanger des services qui non seulement sont retirés de la sphère

marchande, mais qui contribuent à des relations d’interdépendance entre les participant.e.s117. Ce e interdépendance va de pair avec la solidarité que requiert une communauté démocratique. Selon les priorités déterminées par les communautés locales, les communes pourraient également contribuer à d’autres initiatives favorisant des formes diverses de réappropriation: aménagement de ruelles vertes, création ou revitalisation d’espaces publics, développement de l’agriculture urbaine, etc. L’ensemble des projets économiques élaborés par les communes, y compris les OFU, sera soumis à des critères démocratiques et écologiques. L’État québécois pourra prendre part à ces initiatives en contribuant notamment à éviter les disparités entre les localités du système des communes. Cela pose la question des limites du principe de localisation sur lequel nous avons beaucoup insisté jusqu’ici. Malgré tout l’intérêt qu’il comporte, nous ne pensons pas que ce principe

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doive être appliqué en toutes circonstances. Dans certains domaines, comme l’éducation, la fiscalité, la sécurité du revenu et la protection de l’environnement, l’échelon national demeurera prépondérant. Les nouveaux pouvoirs confiés aux communes en matière de développement devraient eux aussi être soumis à des principes généraux (de justice sociale ou de solidarité) et à une certaine coordination sur l’ensemble du territoire québécois afin d’éviter les disparités régionales susceptibles de générer des inégalités entre les individus. En d’autres termes, il faudrait s’interroger sur les rapports que ces instances entretiendraient entre elles et avec les autres paliers de gouvernement, sans perdre de vue qu’elles ont pour principale raison d’être de donner plus d’autonomie aux collectivités locales. Vers un nouveau rapport au territoire Au début de ce chapitre, nous avons brossé le tableau d’une économie marchande ayant préséance sur la qualité de vie, de la dépossession que subissent les communautés locales et de la spoliation du territoire qui s’ensuit. Pour faire contrepoids à ce phénomène, nous avons posé la nécessité d’une réappropriation du territoire basée sur la localisation de l’économie, la décentralisation du pouvoir, la primauté du droit d’usage et le retrait du sol du marché. Nous avons montré comment l’a einte d’un tel idéal passe par la création de communes, nouvelles instances au service des populations locales. La mesure phare à laquelle chaque commune devra s’a eler dans un premier temps sera la mise sur pied d’organismes foncièrement utiles chargés de garantir aux collectivités un contrôle démocratique sur le sol et un accès perpétuel à celui-ci. Évidemment, la proposition consistant à créer des communes et des OFU partout au Québec ne règle pas à elle seule tous les problèmes et soulève à son tour d’importantes questions. Parmi celles-ci, il y a la place que l’on devrait laisser à la propriété privée du sol au sein des OFU. Devrait-on en maintenir la possibilité seulement pour le patrimoine bâti et sous certaines conditions, comme le font déjà certaines fiducies foncières communautaires? Ou, au contraire, ne devrait-on pas plutôt viser son remplacement par un système de baux à très long terme qui garantirait à chaque individu un droit d’usage sur le sol et un droit général au maintien dans les lieux semblables à celui que prévoit déjà la législation québécoise sur le logement locatif? Poursuivre ces réflexions perme ra de définir éventuellement les objectifs à long terme. À court et moyen termes, un gouvernement anti-austérité pourrait me re en place les nouveaux outils et établir une cible de réappropriation du territoire, par exemple en superficie, comme on le fait déjà avec les espaces protégés pour des motifs écologiques ou patrimoniaux. La pertinence et la légitimité de la démarche dépendront également de la place qu’elle accordera aux peuples autochtones. Non seulement leurs droits ancestraux doivent être reconnus, notamment pour faire le poids face aux incursions des firmes transnationales, mais les peuples autochtones doivent également participer à la définition même de ce nouveau rapport au territoire. Enfin, une fois l’obstacle de l’accès au sol surmonté, une autre condition doit être remplie pour qu’un tel projet puisse se réaliser: il nous faut plus de temps à consacrer à la vie communautaire et à la réflexion sur la manière la plus souhaitable d’habiter le territoire. Cela ne sera possible que si nous me ons en branle parallèlement, comme nous en discutons dans le chapitre «Temps», des politiques visant à réduire le temps de travail et à revoir notre rapport aux différents temps de la vie. *. Les auteur.e.s tiennent à remercier David Champagne pour ses suggestions.

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TRANSITION par Renaud Gignac et Bertrand Schepper

L

’OBJECTIF D’UNE ÉCONOMIE DURABLE est de coordonner la production et la consommation de biens et services de

manière à procurer à la population un niveau de vie décent tout en respectant les limites des écosystèmes. Depuis longtemps, le poids des activités économiques dépasse les seuils critiques de protection de la nature118. Les cycles naturels sont bouleversés et les équilibres biochimiques millénaires sont rompus, faisant entrer la Terre dans une nouvelle ère géologique: l’anthropocène, c’est-à-dire l’ère de l’influence prédominante des sociétés humaines sur le système terrestre. Si un changement de direction majeur ne survient pas rapidement, le monde pourrait se diriger vers une augmentation importante et permanente des événements météorologiques extrêmes, ce qui pourrait, à terme, paralyser les activités économiques, créer des millions de réfugiés climatiques et me re en péril notre avenir économique et social. Malgré les efforts colossaux nécessaires à sa réalisation, des groupes d’intérêt continuent de défendre des projets néfastes et de prôner des idées qui freinent la transition écologique de l’économie. Au Canada, l’expansion de l’exploitation des sables bitumineux grâce à des projets de pipelines est probablement l’exemple le plus frappant de l’action de ces groupes d’intérêt119. Au Québec, la situation n’est guère mieux, avec des prises de participation pu-

bliques dans l’exploitation des hydrocarbures sur l’île d’Anticosti ou les efforts consacrés au développement privé irréfléchi du secteur minier. Derrière ces propositions qui nous enfoncent encore davantage dans un scénario de dégradation environnementale se profile l’une des stratégies mises de l’avant par les élites politiques et économiques, soit l’«austérité expansive120». Selon les tenants de ce e stratégie, l’entreprise privée serait plus à même de gérer la sphère économique, en plus d’être moins suje e que l’État aux dépassements de coûts et à la corruption. Ainsi, toute politique d’austérité qui réduirait le rôle de l’État dans l’économie, perme ant à l’entreprise privée d’occuper un marché plus important, serait en elle-même bénéfique. Or, les études réalisées sur les États ayant adopté la stratégie de l’austérité expansive montrent que la diminution des dépenses de l’État et la concentration des profits peu ou pas redistribués121 ont tendance à engendrer une économie moribonde, qui n’élève pas le niveau de vie des personnes qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les personnes les moins nanties et la classe moyenne122. Ajoutons que la stratégie de l’austérité expansive passe sous silence le fait que les problèmes environnementaux, et au premier chef la lu e contre les changements climatiques, sont des défis collectifs qui nécessitent des réponses collectives. Toute limitation de la capacité des États à agir dans le sens du bien commun devient ainsi un obstacle supplémentaire dans la réponse à donner aux défis environnementaux de notre siècle. Bien que plusieurs grands joueurs industriels espèrent participer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES), le secteur privé ne parviendra pas à solutionner seul la crise. Comme l’explique Naomi Klein dans Tout peut changer, pour le secteur des transports seulement, des investissements publics considérables sont nécessaires pour me re à niveau le système de transport collectif et dépasser l’auto solo comme mode dominant123. Il est donc primordial de rompre avec la politique de l’austérité dans le développement économique industriel du Québec pour faire face au défi de la transition écologique qui s’amorce. Pour respecter les limites de la planète, freiner la crise environnementale et générer de la prospérité partagée, nous présentons dans ce chapitre cinq mesures: définir un budget carbone pour le Québec; réinvestir dans le transport collectif urbain et interurbain;

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reprendre le contrôle du transport interurbain; introduire un tarif environnemental sur les importations; miser sur les circuits économiques courts. Définir un budget carbone et faire de la lu e au réchauffement climatique une priorité Dans une société où la crise environnementale serait une préoccupation gouvernementale de premier ordre, l’ensemble des activités économiques devrait s’inscrire à l’intérieur des limites naturelles de la planète. Les émissions de GES devraient donc respecter la capacité de l’atmosphère et des écosystèmes à les absorber. Pour remplir ce e condition, nous proposons l’adoption d’un budget carbone. Qu’est-ce qu’un budget carbone, et comment l’établir? Pour éviter d’outrepasser le seuil limite de réchauffement climatique (estimé à 1,5 ou 2 °C au-dessus du niveau de l’ère préindustrielle), nous savons qu’une quantité précise de GES découlant de l’activité humaine peut encore être rejetée dans l’atmosphère; ce e quantité représente le budget carbone global. Pour avoir une chance raisonnable (environ 67%) de rester sous les 2 °C, l’humanité ne peut se perme re d’éme re plus de 1 150 gigatonnes (Gt) de dioxyde de carbone (CO2) à compter de 2016, et ce, pour toujours124. Dans le cas du Québec, si l’on tient compte de son poids démographique relatif, le budget carbone est de 1,4 Gt de CO2 pour une limite sécuritaire de 2 °C. Si l’on vise un seuil limite plus prudent, soit 1,5 °C, alors le budget carbone passe à seulement 0,4 Gt de CO2125. Cela représente sept années d’émissions au niveau actuel.

Cela veut dire que, pour respecter ces limites, il faut réduire nos émissions de GES d’au moins 53% d’ici 2030 et de 88% d’ici 2050 si l’on vise le seuil de 2 °C126. Pour celui de 1,5 °C, il faudrait a eindre la neutralité carbone (– 100%) dès 2030. Ces cibles de réduction contrastent assez fortement avec la cible du gouvernement du Québec (-37,5% en 2030) qui, de toute évidence, est davantage le résultat d’un jeu de comparaisons par rapport à nos voisins qu’une démarche fondée sur la science du climat127. Notons qu’entre 1990 et 2013 les émissions de GES au Québec ont diminué de 8,6%128. Ce e diminution est principalement due à l’évolution des pratiques dans certaines industries, telles les alumineries, et à l’abandon des systèmes de chauffage au mazout résidentiel, commerciaux et institutionnels. Bref, nous avons du pain sur la planche, mais nous savons qu’il est possible d’avancer dans la bonne direction. Nous pensons que, comme le Royaume-Uni et plus récemment la France129, le Québec devrait intégrer le budget carbone à sa législation. Une reddition de comptes et la vérification périodique des progrès accomplis pourraient être prévues afin d’assurer la cohérence des actions gouvernementales et le respect des limites fixées dans la loi. Réinvestir dans le transport collectif urbain et interurbain Pour respecter notre budget et a eindre nos objectifs, il est essentiel de diminuer la quantité de GES provenant de secteurs clés, notamment celui du transport. Entre 1990 et 2013, les émissions de GES provenant de ce secteur ont connu une hausse de 24,8% et elles représentent aujourd’hui 43% du total des émissions au Québec. Plus spécifiquement, celles du transport routier ont augmenté de 31,1% et constituent 33,6% de l’ensemble des émissions de GES au Québec130. Ce e hausse est due à deux facteurs: 1) l’augmentation constante des émissions de GES provenant de camions lourds, principalement voués au transport de marchandises131; 2) l’augmentation constante du nombre de camions légers personnels (VUS), qui ont fait bondir leurs émissions de GES de 98,9% en 13 ans. Bref, le transport de marchandises et l’explosion d’un certain type de transport individuel ont un impact majeur sur notre capacité à respecter notre budget carbone. Ce e tendance ne semble pas se résorber puisqu’en moyenne le Québec a connu, de 2006 à 2013, un taux de croissance annuel moyen des véhicules de promenade (autos et autres) de 1,9%, alors que la population en âge de conduire n’a augmenté que de 1,1%132. Pourtant, une diminution constante du nombre de véhicules routiers est nécessaire pour a eindre nos objectifs environnementaux. Pour inverser ce e tendance, le transport collectif offre des possibilités fort intéressantes et un rendement écologique plus qu’enviable. On estime que le passager d’une des 10 voitures les plus vendues au Québec produit en

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moyenne 35,2% plus de pollution que le passager d’un autobus aux heures de pointe133. Les métros électriques ne génèrent pas d’émission de GES directe. Par ailleurs, lorsque l’on favorise le transport en commun, on améliore l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la culture et aux soins de santé de milliers de personnes. Par conséquent, une politique de transport en commun permet d’améliorer non seulement le bilan environnemental, mais aussi la qualité de vie de la population134.

Du point de vue des finances publiques et des politiques industrielles, le coût d’entretien des infrastructures

vouées au transport des véhicules légers dépasse 8 milliards de dollars annuellement135, sans qu’on parvienne à résorber la congestion routière dans les grandes villes136. De plus, les coûts pour la santé publique de l’utilisation des voitures individuelles se chiffrent à près de 500 millions de dollars annuellement137: ils incluent notamment les coûts de traitement de l’asthme et autres problèmes respiratoires et cardiovasculaires. En ce qui a trait à son impact sur la balance commerciale (importations vs exportations), l’importation de pétrole et de véhicules représente un déficit commercial de 27 milliards de dollars annuellement138. Bref, le transport routier n’est pas uniquement polluant: il n’est pas viable économiquement pour le Québec. Or, que prévoit faire le gouvernement devant ce e situation? Dans sa nouvelle politique énergétique, Québec veut a eindre le cap de 100 000 véhicules légers hybrides et électriques d’ici 2030139. Si ce e stratégie peut sembler enthousiasmante, à bien des égards elle s’avère peu responsable. D’une part, continuer à soutenir l’utilisation de l’automobile individuelle ne règle en rien les problèmes de congestion et le poids financier des infrastructures qui s’y ra achent. D’autre part, puisque le Québec ne fabrique pas d’automobiles, les véhicules achetés continueront de représenter une fuite de capitaux plutôt que de stimuler notre économie dans une perspective de rééquilibrage du solde commercial et de stimulation des circuits locaux de production et de consommation. De plus, des indices suggèrent que le lithium nécessaire à la fabrication des ba eries pour les voitures électriques se raréfierait rapidement si ce marché venait à se développer au point de supplanter celui de la voiture à essence140. Ce e raréfaction exercerait une pression à la hausse sur le prix des ba eries et, par extension, sur le prix des véhicules. Tout semble indiquer que l’offre de voitures électriques individuelles ne pourra pas combler la demande mondiale. En ce sens, le développement du transport en commun dans les centres urbains apparaît comme une option plus intéressante. Outre les progrès environnementaux considérables que perme ent les investissements en transport collectif, une telle politique engendrerait des bénéfices économiques importants. Au Québec, chaque million de dollars investi dans le secteur de la production d’autobus génère environ 4,3 emplois141. Ce ratio monte à 5,14 pour la fabrication de trains et de wagons de métro142. Par la suite, quand les actifs liés à l’investissement initial sont mis en place, les effets à long terme sont beaucoup plus importants: une fois les réseaux de transport en commun créés, chaque million de dollars dépensé pour l’entretien et le fonctionnement par les différentes sociétés qui les gèrent crée 26,27 emplois dans le transport urbain et 13,87 emplois dans le transport interurbain143. Bref, la mise en place d’un réseau de transport en commun génère, contrairement à l’automobile, de l’emploi à deux moments: de manière modeste lors de la fabrication et de manière importante lorsque le réseau est fonctionnel. En supposant des investissements en transport collectif de 6 milliards de dollars sur 5 ans144, on peut estimer des retombées économiques importantes partout sur le territoire québécois. Ce e somme pourrait être répartie de la manière suivante: un milliard de dollars pour chacune des cinq plus grandes régions métropolitaines du Québec au cours des cinq prochaines années, ainsi que l’ajout d’un milliard de dollars de soutien au développement du transport interurbain dans les régions plus éloignées. Cela perme rait de ne pas consacrer, comme c’est le cas actuellement, les investissements en transport en commun uniquement à Montréal. Ces investissements de 6 milliards de dollars perme raient de créer près de 26 500 emplois 145 dans le secteur de la construction des transports en commun, tout en augmentant le PIB québécois de 2,75 milliards de dollars146. Il s’agirait donc d’une mesure structurante sur le long terme. Du point de vue des résultats sur la balance commerciale, cela aurait un effet positif de 27 milliards de dollars sur 5 ans, ce qui perme rait de réduire l’important déficit. Écologiquement parlant, ce e mesure perme rait d’a eindre plus de 5,5% des engagements actuels du Québec et plus de 3,6% du budget carbone en 5 ans147. Bien que cela puisse paraître de faible importance, ce résultat équi-

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vaut quasiment à la baisse des émissions des GES provenant de la production électrique au Québec en 13 ans, ce qui n’est pas négligeable148.

Reprendre le contrôle du transport interurbain Dans ce e nouvelle politique de transport en commun, nous devrons également donner une place au transport interurbain. Présentement, des entreprises privées, souvent des multinationales149, détiennent un monopole sur leurs circuits de transport et échouent à desservir correctement les habitants des villes et des régions. Pour éviter de perdre l’accès au transport en commun, les municipalités régionales de comté (MRC) et les gouvernements sont

contraints de subventionner fortement les transporteurs privés150. Pourtant, ce secteur industriel était hautement profitable il y a moins de 10 ans; il produit maintenant à perte. Cela s’explique par deux facteurs: d’une part, l’industrie se place dans un rapport de concurrence et non de complémentarité avec les autres modes de transport interurbain (comme le train); d’autre part, les entreprises d’autocars sont incapables de lu er contre la montée de l’autopartage sur de longues distances. Par conséquent, ces entreprises préfèrent se concentrer sur les lignes payantes telles que Montréal-Québec et délaisser le reste du territoire. Ce type de stratégie contribue, notamment, à isoler les habitants des régions québécoises tout en augmentant leur dépendance envers le transport automobile. C’est pourquoi il faut réussir à gérer l’offre de transport interurbain d’un point de vue global, ce qui implique de me re en place une stratégie intégrée entre les différentes offres de service en transport. Puisque le transport interurbain est un monopole naturel, c’est-à-dire un secteur où les coûts à l’entrée (achat de la flo e de véhicules) sont élevés et où les économies d’échelle (achat d’essence) sont importantes, ce qui explique qu’il y ait peu ou pas de compétition sur un même territoire, nous considérons que la prise en charge publique de l’ensemble des circuits d’autocars est la meilleure solution. Ainsi, plutôt que de subventionner le secteur privé, l’État et les MRC devraient s’organiser pour développer un réseau local de transport interurbain ou de coopératives responsables d’assurer le service sur le territoire. Pour que ce service soit bien géré en fonction des besoins régionaux, il serait souhaitable de créer une société d’État qui coordonnerait les activités du réseau ou de ces coopératives régionales. D’autre part, la société d’État devrait avoir des règles de gouvernance laissant une place aux usagers, aux municipalités et aux MRC. Une telle mesure, combinée à une stratégie d’investissement national en transport en commun, participerait d’une politique de transport interurbain viable tout en diminuant les tarifs d’utilisation et le recours à la voiture. En plus, l’État soutiendrait de la sorte une initiative d’économie coopérative, dont les bienfaits sont exposés dans le chapitre «Démocratie». Introduire un tarif environnemental sur les importations Alors que les émissions de GES enregistrées sur le territoire du Québec connaissent une certaine baisse, un autre type d’émission est en constante progression: celles intégrées dans la production des biens de consommation que nous importons. En effet, entre 1995 et 2011, les émissions de GES par habitant enregistrées sur le territoire du Canada ont diminué de 1%, tandis que celles associées aux échanges internationaux ont augmenté de 17%151. En d’autres termes, la délocalisation de la production, réalisée sous l’impulsion des traités de libre-échange, s’est accompagnée d’une délocalisation des émissions polluantes vers les pays en développement. Une autre conséquence de ce e délocalisation est que, dorénavant, la plupart des biens que nous consommons ont parcouru de très grandes distances avant de nous parvenir. Lorsqu’un téléphone intelligent qui e une usine d’assemblage chinoise, il empruntera d’abord un camion alimenté au diesel pour être ensuite transbordé par conteneur sur un navire-cargo fonctionnant le plus souvent au fioul lourd. Parvenu jusqu’à un port nord-américain, le téléphone empruntera de nouveau un camion alimenté au diesel pour arriver chez le grossiste, puis finalement chez le détaillant. Le même constat s’applique à presque tous les secteurs, incluant l’alimentation. Par exemple, l’importation d’une tonne de pommes du Chili par bateau et par camion est de 16 à 24 fois plus polluante que le transport d’une

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tonne de pommes récoltées à Rougemont152. Pourtant, le Québec importe plus de 24 500 tonnes de pommes de l’étranger153, dont 6 000 tonnes du Chili, et en exporte plus de 4 600 tonnes154. De plus, non seulement les longs circuits d’importation font appel à des moyens de transport polluants, mais la production de biens à l’étranger n’a pas le même impact environnemental que si on produisait nos biens de consommation au Québec. En effet, dans la plupart des pays du monde, l’électricité qui alimente la production manufacturière est principalement d’origine fossile, ce qui engendre plus de pollution que si la production avait lieu au Québec, en raison de la part de l’hydroélectricité dans notre offre énergétique. Devant les impératifs climatiques que nous connaissons, il est légitime de se demander si un tel volume d’échanges commerciaux est compatible avec le respect du budget carbone tant québécois que mondial. Cela est encore plus vrai si l’on considère qu’une part non négligeable des biens que nous consommons est gaspillée. Par exemple, uniquement dans le secteur de l’alimentation, on estime que la valeur économique du gaspillage au Canada frise les 27 milliards de dollars par année155. Relocaliser les activités économiques ne signifie pas renoncer aux échanges commerciaux ou encore s’opposer à ce que certains pays détiennent une spécialisation dans certains domaines d’activité; il s’agit simplement de reme re en question le dogme selon lequel toute transaction internationale est nécessairement bénéfique et ne doit souffrir d’aucune restriction. Pourquoi les spécialisations développées par des entreprises à l’étranger ne pourraient-elles pas être mises en œuvre localement, par le biais de centres de production de plus petite échelle et dans des conditions de travail respectant nos normes? Les contraintes environnementales que nous connaissons aujourd’hui nous forcent à définir un modèle de développement économique qui favoriserait une économie locale plus diversifiée, tout en perme ant aux communautés de satisfaire leurs besoins en diminuant leur vulnérabilité face aux soubresauts de l’économie mondiale.

Une manière d’y parvenir serait d’imposer un tarif environnemental sur les importations156. Nous demanderions aux entreprises étrangères qui désirent écouler leur production chez nous de fournir le contenu carbone de leurs produits en faisant une analyse de leur cycle de vie; cela consiste à calculer les émissions polluantes qui entrent dans la fabrication d’un bien, à toutes les étapes de la production, de même que les émissions liées au transport. Ainsi, on pourrait tenir compte des sources d’approvisionnement en électricité de chaque pays d’où proviennent les pièces composant un bien, les matières premières nécessaires à sa fabrication, etc. À titre d’exemple, prenons le cas de trois tomates récoltées à trois endroits différents: une tomate conventionnelle cultivée au Québec, une tomate biologique importée du Maine, où l’électricité provient de l’énergie renouvelable, et une tomate conventionnelle importée d’un pays d’Europe où l’électricité proviendrait du charbon. Dans le premier et le deuxième cas, aucun tarif environnemental n’est applicable, puisque l’électricité est produite à partir d’énergie renouvelable et que les distances parcourues sont courtes. Dans le troisième cas cependant, un tarif serait imposé à l’exportateur car, si l’on tient compte de la distance parcourue et de la source d’approvisionnement en électricité (le charbon), le contenu carbone de la tomate sera jugé élevé. Comme l’exportateur refilera aux consommateurs une partie du tarif sous forme d’augmentation du prix, il est probable que les tomates du Québec et du Maine soient plus abordables en épicerie que celles provenant d’Europe. Ainsi, en influençant les prix de vente, la production non polluante et locale peut être favorisée par rapport à une production polluante et délocalisée. Au niveau international, des discussions ont régulièrement cours sur la mise en œuvre d’un tarif environne-

mental à l’importation157. Cependant, dès qu’il est question de me re en œuvre une mesure qui s’appliquerait aux biens importés, il faut tenir compte de deux obstacles importants: la compétence législative et les accords de libreéchange. Premièrement, en vertu de la compétence fédérale de régir le commerce international et le transport interprovincial, il ne serait pas permis au Québec d’imposer unilatéralement un tarif environnemental aux biens qui entrent sur son territoire. Seul le Canada dispose de la compétence constitutionnelle pour le faire, et le Québec devrait faire pression en ce sens sur le gouvernement fédéral. Mais sans présumer de l’avenir de la situation constitutionnelle du Québec, nous pouvons dès maintenant identifier des propositions de politiques publiques que nous estimons porteuses.

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Deuxièmement, il est vrai que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et en particulier l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), sont hostiles aux entraves au commerce. Or, selon une analyse préliminaire de la question, un tarif environnemental pourrait être déclaré conforme aux accords de libre-échange, pour autant qu’il respecte certaines conditions, dont celle de ne pas pénaliser indûment un État en particulier158. En d’autres termes, le tarif ne devrait pas être calculé en fonction du pays de provenance, mais plutôt en fonction d’une norme objective comme le contenu carbone des biens importés. À noter qu’il n’est pas non plus exclu qu’à terme nous puissions revoir notre adhésion aux accords de libre-échange tels qu’ils existent à l’heure actuelle. Miser sur les circuits économiques courts Pénaliser les importations polluantes serait certes un pas dans la bonne direction sur le plan environnemental, mais pour éviter que cela ne se traduise en une hausse du prix du panier de consommation pour les Québécois et les Québécoises, il serait aussi important qu’en contrepartie des entreprises locales viennent prendre le relais avec des biens de consommation à faible empreinte écologique. À cet égard, le mouvement international des Villes en Transition est inspirant159. Regroupant aujourd’hui près de 500 localités à travers le monde, dont quelques villes et quartiers du Québec, les membres de ces groupes citoyens me ent de l’avant des initiatives concrètes, passant de la formation de groupes d’achats alimentaires à la création de monnaies locales, et ont pour point commun de s’orienter vers un «plan de descente énergétique» préparé par chaque communauté. Au Québec, il faudrait d’abord revoir l’ensemble des programmes de développement économique afin que soit priorisée l’aide aux entreprises, aux coopératives et aux OSBL qui peuvent démontrer un réel ancrage dans l’économie locale. D’ailleurs, dans certains secteurs économiques, la relocalisation apporte des résultats tangibles depuis plusieurs années. C’est notamment le cas du programme d’Agriculture soutenue par la communauté (ASC), coordonné par des groupes environnementaux québécois depuis 1995. La formule de l’ASC, mieux connue sous le nom de «paniers bio», permet aux citoyens et citoyennes de s’approvisionner directement auprès d’une ferme biologique en versant d’avance un montant à l’agriculteur qui produira leurs aliments. Ce type d’agriculture assure une certaine stabilité de revenus aux producteurs locaux et n’est pas orienté vers les marchés nationaux ou internationaux de masse160. L’objectif est de réduire le nombre d’intermédiaires et de rapprocher l’agriculteur des personnes qui consomment ses produits, ce qui rend la relation

d’échange moins impersonnelle et permet au public de savoir d’où provient le contenu de son assie e. C’est un moyen non seulement de promouvoir les circuits économiques courts, avec les bénéfices que l’on connaît au plan de la résilience économique et de la protection de l’environnement, mais aussi de renforcer les liens communautaires dans les quartiers, les villes et les villages. Plus généralement, une réelle politique d’agriculture de proximité devrait encourager la mise en place de marchés publics et d’autres formes d’approvisionnement alimentaire direct (marchés mobiles, dépanneurs fraîcheur, etc.) et réserver des places de choix aux aliments locaux dans les épiceries conventionnelles. Une telle politique devrait viser autant les ménages, via les détaillants, que les restaurateurs, par la création de réseaux de distribution locaux. Les institutions municipales devraient également adapter leur réglementation aux objectifs d’une agriculture de proximité: les règles de zonage devraient perme re en tout temps les potagers de façade et les toitures végétales et favoriser la plantation d’arbres fruitiers dans le domaine public. Quant aux jardins communautaires et collectifs, ils peuvent devenir non seulement une source d’approvisionnement en nourriture à bas prix pour des ménages à faible revenu, mais aussi des lieux intéressants de socialisation et d’intégration sociale161. L’ASC et l’agriculture de proximité ne sont que deux preuves qu’une nouvelle économie, plus localisée, plus respectueuse de l’environnement et plus centrée sur les communautés, est bel et bien possible. Sans empêcher que certaines régions et certains pays du monde détiennent une spécialisation particulière et sans tourner le dos aux échanges internationaux, la réflexion autour de la relocalisation progressive des activités économiques devrait s’effectuer dès maintenant, et ce, dans tous les secteurs de l’économie.

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Conclusion La crise environnementale que nous connaissons remet en question la manière de penser notre développement et notre consommation. Comme nous l’avons vu, si le Québec n’effectue pas un virage majeur, nous ne serons pas en mesure de respecter les seuils limites relatifs au réchauffement climatique. Devant ce constat, nous avons deux choix: nier la réalité ou profiter de l’occasion pour transformer notre économie afin d’améliorer notre bilan environnemental et la qualité de vie de l’ensemble des Québécois.es. Bien qu’une grande partie de la classe politique semble considérer que des politiques environnementales vigoureuses vont à l’encontre des intérêts économiques des États, rien n’est plus faux. En fait, une bonne politique de transition écologique perme rait d’améliorer la qualité de vie des individus d’un point de vue tant économique que social. Un projet de transition écologique perme rait de rompre avec les politiques d’austérité néolibérale, de favoriser la création d’emplois verts, d’enrayer l’hémorragie de fonds publics causée par les infrastructures routières et de reconnecter les régions, les villes et les quartiers par des réseaux de transport collectif accessibles et efficaces. Devant la crise environnementale, et considérant la piètre performance du modèle économique actuel, il apparaît primordial de sortir de notre vieille logique de développement et de se tourner vers un réel projet de société qui sera à la fois vert et émancipateur.

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CONCLUSION

C

ES DERNIÈRES ANNÉES,

un discours a servi de leitmotiv aux élites: «Si on veut partager la richesse, il faut d’abord

la créer.» Avec ce livre, l’IRIS défend la thèse inverse. Il n’y a de véritable richesse sociale que dans le partage. En fait, c’est le partage lui-même qui permet de créer de la richesse. Au contraire de ce que prétend le discours de l’austérité, nous ne croyons pas qu’il faille réduire les protections sociales et les services publics, mais au contraire les développer. La prise en charge collective de certaines activités nous rend plus libres, plus autonomes et plus riches (dans tous les sens que ce mot peut avoir). En nous assurant que tout le monde puisse combler ses besoins de base, nous sortirions des gens de la pauvreté, mais nous ferions aussi en sorte que l’argent investi circule ici, dans les réseaux de notre économie locale, créant d’autres revenus et d’autres emplois. De même, en réduisant la semaine de travail, nous libérerions du temps pour d’autres activités, rémunérées ou non, qui contribuent à dynamiser notre économie. Multiplier les lieux de travail démocratiques ferait aussi en sorte que les heures passées au boulot s’effectuent dans un cadre favorisant à la fois l’épanouissement des gens et un travail mieux fait. En se dotant de fiducies foncières communautaires, nous redonnerions aux gens leur autonomie sur un des éléments les plus importants de leur vie: leur habitat. Enfin, en enclenchant la transition écologique, nous créerions des milliers d’emplois utiles qui nous feraient gagner du temps au quotidien en améliorant nos façons de nous déplacer tout en étant bénéfiques pour la santé publique. Même en adoptant la conception la plus simpliste de la richesse – qui n’est pas la nôtre –, ces propositions nous rendraient plus riches. En brisant la logique inégalitaire propre à l’austérité, en favorisant davantage la circulation de l’argent que son accumulation, il est possible selon nous de perme re à tout le monde de vivre mieux. Pas seulement mieux selon la bête logique de la croissance du PIB, mais mieux au sens de mener une vie plus agréable, plus digne, moins soumise à des logiques de domination ou d’oppression. Bien sûr, les idées que nous soume ons ici ne sont que des pistes. Le format que nous avons adopté se veut bref et provocateur; il vise à susciter le débat et non à faire le tour des questions. S’il a soulevé en vous nombre d’interrogations auxquelles il faudrait répondre, son objectif est a eint. Ces quelques pages ne prétendent pas livrer toutes les solutions. Nous pointons plutôt vers des territoires à défricher, vers des chantiers où il faut maintenant construire si nous considérons qu’il serait fructueux de continuer dans ces directions. Nombre de recherches pourraient être produites pour aller plus en profondeur, pour étudier tous les détails des possibilités évoquées ici. Ce travail peut venir plus tard, notre but ici étant de changer la façon dont s’articule le débat public au Québec. Nous ne pouvons pas constamment critiquer l’élite au pouvoir avec pour seule réponse à ses a aques qu’il faut défendre les acquis du passé. La Révolution tranquille n’est pas un âge d’or auquel il nous faut revenir. C’est un moment charnière et, à certains égards, une inspiration, mais c’est aussi une vision de ce que nous pouvons être ensemble qu’il nous faut dépasser. C’est en allant plus loin que ce qu’elle a réalisé qu’on a eindra les objectifs d’émancipation que ce e époque a fait naître en nous. Voilà pourquoi nous proposons des mesures à la fois concrètes et audacieuses. Nous souhaitons que le débat se fasse désormais sur le terrain de ce qui nous fait grandir collectivement et non de ce qui nous diminue. Nous voulons que ceux qui aiment tant les limites et les restrictions cessent de clamer qu’ils sont porteurs du changement; qu’ils soient forcés de se prononcer sur de profondes transformations qui améliorent concrètement la vie des gens. Nous verrons alors qui défend le statu quo.

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Un livre ne peut pas tout changer, mais il peut donner des idées à des gens qui, une fois mobilisés et organisés, peuvent transformer la société. Discutez de ces idées avec vos ami.e.s, votre famille, vos collègues de travail, dans votre association étudiante, votre syndicat, votre groupe de femmes ou votre réseau d’écolos. Prenez-y ce qui vous enthousiasme et laissez tomber le reste. Trouvez des idées meilleures que les nôtres. Mais, surtout, réunissezvous et agissez ensemble. Proposez, vous aussi. Sortons de la seule critique, de la simple opposition. Nous avons tenté de le faire à notre manière, celle d’un institut de recherche qui désire aller au-delà des balises à l’intérieur desquelles il avance depuis des années. Nous vous tendons ce livre en espérant pouvoir faire un pas plus loin avec vous, ensemble. Il y a beaucoup à changer pour arriver à cet autre Québec possible. Nous vous avons soumis quelques idées. On fait quoi maintenant?

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NOTES

1. Eve-Lyne Couturier et Julia Posca, «Tâches domestiques: encore loin d’un partage équitable», note socioéconomique, IRIS, 9 octobre 2014, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/taches-domestiques. 2. Commission de la santé mentale du Canada, Pourquoi investir en santé mentale contribue à la prospérité économique du Canada et à la pérennité de notre système de soins de santé, O awa, s.d., www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/MHStrategy_Case ForInvestment_FRE_1.pdf. 3. Francis Fortier, Guillaume Hébert et Philippe Hurteau, La révolution tarifaire au Québec, étude, IRIS, 5 octobre 2010, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/la-revolution-tarifaire-au-quebec. 4. Eve-Lyne Couturier et Philippe Hurteau, Les services de garde au Québec: champ libre au privé, étude, IRIS, 14 avril 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/CPE. 5. Conseil du statut de la femme, «Avis: Pour un partage équitable du congé parental», Québec, avril 2015. 6. Maire Sinha, Portrait des aidants familiaux, 2012, O awa, Statistique Canada, Division de la statistique sociale et autochtone, 2013, www.statcan.gc.ca/pub/89-652-x/89-652-x2013001-fra.pdf. 7. Eve-Lyne Couturier et Julia Posca, «Tâches domestiques: encore loin d’un partage équitable», op. cit. 8. John Maynard Keynes, Economic Possibilities for Our Grandchildren, New Haven (Connecticut), Yale University Press, 1930, www.econ.yale.edu/smith/econ116a/keynes1.pdf . 9. Mathieu Dufour et Philippe Hurteau, Est-ce que les Québécois et Québécoises profitent de l’augmentation de la productivité?, note socioéconomique, IRIS, 27 août 2013, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/productivite. 10. Statistique Canada, «Tableau 202-0403: Revenu total moyen, selon le type de famille économique, dollars constants de 2011», www5.statcan.gc.ca/cansim/a05?lang=fra&id=2020403&paSer=&pa ern= 202-0403&stByVal=1&csid=. 11. Loi sur les normes du travail, Publications Québec, h p://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/N-1.1. 12. Statistique Canada, «Table 282-0028: Labour force survey estimates (LFS), by total and average usual and actual hours worked, main or all jobs, type of work, sex and age group», www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&id=2820028. 13. Ibid. 14. Statistique Canada, «Overview of the Time Use of Canadians», 2006, p. 15, h p://publications.gc.ca/Collection/Statcan/12F0080X/12F0080XIE2006001.pdf. 15. Ibid. 16. La moyenne observée de la croissance de l’IPC au Québec pour les 10 dernières années était de 1,6%. L’estimation de 2% que nous utilisons est donc légèrement plus élevée, ce qui nous donne un scénario prudent. Il va de soi que le salaire minimum devrait être indexé en suivant l’IPC réel, ce qui changera nécessairement les données du tableau. Statistique Canada, Indice des prix à la consommation, aperçu historique (1996-2015), www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/econ46a-fra.htm. 17. Nadia Castonguay, «La durée des vacances en 2010: résultats tirés de l’Enquête sur la rémunération globale au Québec», Flash-info, vol. 12, no 1, Institut de la Statistique du Québec, février 2011, p. 3-5. 18. Durée du travail réelle en heures par année selon le sexe, le groupe d’âge, le niveau d’études, le régime de travail et le statut de l’emploi pour l’ensemble des employés du Québec en 2015. Voir Institut de la statistique du Québec, Résultats de l’Enquête sur la population active, 2015, www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/travail-remuneration/resultats-epa.html. 19. Rebecca Ray, Milla Sanes et John Schmi , No-Vacation Nation Revisited, Center for Economic and Policy Research, mai 2013, p. 2, h p://cepr.net/publications/reports/no-vacation-nation-2013. 20. Caroline Rodgers, «Les Québécois ont-ils assez de vacances?», La Presse, 23 juin 2010. 21. Project: Time Off Coalition, «Numerous Health Studies Prove Time Off Is Good for Us», www.projec imeoff.com/research/numerous-health-studiesprove-time-good-us. 22. Project: Time Off Coalition, «Vacation’s Impact on the Workplace», 12 novembre 2013, www.projec imeoff.com/research/vacation’s-impact-workplace; Derek Thompson, «The Case for Vacation: Why Science Says Breaks Are Good for Productivity», The Atlantic, 6 août 2012. 23. David Emmanuel Hatier et Jean-Sébastien Boudrias, «Les vacances: panacée à la santé psychologique des travailleurs?», Psychologie Québec, vol. 32, no 4, juillet 2015, p. 21-23. 24. Xinran Y. Lehto, Soojin Choi, Yi-Chin Lin et Shelley M. MacDermid, «Vacation and Family Functioning», Annals of Tourism Research, vol. 36, no 3, juin 2009, p. 459-479. 25. Dean Baker, «Why the Cure for a Sluggish Economy Is Actually Longer Vacations», PBS Newshour, 9 novembre 2015, www.pbs.org/newshour/making-sense/column-can-cure-economic-woes-longer-vacations/. 26. Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social [France], «Le compte épargne-temps (CET)», h p://travailemploi.gouv.fr/droit-du-travail/temps-de-travail-et-conges/conges-et-absences/article/le-compte-epargne-temps-cet. 27. Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale [Belgique], «La réglementation du crédit-temps entre l’employeur et travailleur», www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=551. 28. Ce crédit-temps est offert dans le secteur privé; dans le secteur public, les fonctionnaires ont plutôt droit à l’interruption de carrière, qui fonctionne à peu près de la même manière.

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29. Avec motif: s’occuper d’un enfant de moins de cinq ans, assister un proche en fin de vie, retourner aux études ou, dans des cas particuliers, prendre une retraite progressive. 30. Retraite Québec, «Congé sabbatique à traitement différé», www.carra.gouv.qc.ca/fra/guide/administration/conges_05_ss05.htm. 31. Philippe Chanial, La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu et la République, Paris, Le bord de l’eau, 2009, p. 150. 32. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014, p. 91. 33. Ibid. 34. Franck Fischbach, Le sens du social. Les puissances de la coopération, Montréal, Lux, 2015, p. 160. 35. Lire entre autres une récente note de l’IRIS qui explicite les rapports très étroits qui existent entre les différents membres des conseils d’administration des entreprises québécoises: Audrey Laurin-Lamothe, Interconnexions. Étude du réseau social des entreprises québécoises, brochure, IRIS, 25 novembre 2015, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/interconnexions. 36. Comme le Chantier de l’économie sociale ou encore la Caisse d’économie solidaire. 37. Pensons au plan d’action gouvernemental en économie sociale pour les années 2015-2020. 38. Plan d’action gouvernemental en économie sociale 2015-2020, L’économie sociale. Des valeurs qui nous enrichissent, Gouvernement du Québec, 2015. 39. Statistique Canada, Registre des entreprises, décembre 2012; Comptes nationaux des revenus et dépenses, 2010; Enquête sur la population active, 2012. 40. Statistique Canada, Enquête sur la population active, 2015, adapté par l’Institut de la statistique du Québec. 41. Évidemment, la part que prend Desjardins dans ce portrait vient quelque peu travestir la réalité. 42. Véronique Pérotin, What Do We Really Know about Worker Co-Operatives?, Manchester (Angleterre), Co-Operatives UK, 2016, www.uk.coop/sites/default/files/uploads/a achments/worker_co-op_report.pdf. 43. Plan d’action gouvernemental en économie sociale 2015-2020, op. cit. 44. Ibid. 45. Voir Statistique Canada, Statistiques de finances publiques canadiennes (SFPC), situation des opérations et bilan pour les administrations publiques provinciales et territoriales, CANSIM 385-0034, www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?id=3850034&pa ern=&p2=31&stByVal=1&p1=1&tabMode=dataTable&csid=&retrLang=fra&lang=fra. 46. Voici un exemple de ce à quoi pourrait ressembler une telle orientation: «L’économie sociale, j’achète!», Conférence régionale des élus de Montréal, h p://credemontreal.qc.ca/cre_projets/leconomie-sociale-jachete/. 47. Gouvernement du Québec, Statistiques sur les contrats des organismes publics du réseau de l’administration gouvernementale: 2013-2014, 2015; Statistiques sur les contrats des organismes publics du réseau de l’éducation: 2013-2014, 2015; Statistiques sur les contrats des organismes publics du réseau de la santé et des services sociaux: 2013-2014, 2015. 48. Institut de la statistique, État du marché du travail au Québec. Bilan de l’année 2015, Québec, 2016, p. 40. 49. Secrétariat du Conseil du Trésor, Dénombrement des effectifs des organismes publics, Québec, 2015. 50. Eve-Lyne Couturier et Philippe Hurteau, Les services de garde au Québec: champ libre au privé, op. cit. 51. Actes du Forum sur la gouvernance en CPE, Gouvernement du Québec, 2015. 52. Étude des crédits 2015-2016. Renseignements particuliers volet famille, service de garde et intimidation, Gouvernement du Québec, 2015. 53. Directeur général des élections, Les modifications proposées à la loi sur les élections scolaires, Québec, 2010, p. 26. 54. Conseil supérieur de l’éducation, Agir pour renforcer la démocratie scolaire. Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation 2005-2006, Québec, 2006, p. 14. 55. Jessica Nadeau, «Québec atrophie les CLSC. Le ministère force le transfert des professionnels vers les groupes de médecine de famille», Le Devoir, 3 mars 2016. 56. Georges Desrosiers et Benoît Gaumer, «L’histoire des CLSC au Québec: reflet des contradictions et des lu es à l’intérieur du système», Ruptures. Revue transdisciplinaire en santé, vol. 10, n° 1, 2004, p. 52-70. 57. George Desrosiers et Benoît Gaumer, «Réformes et tentatives de réformes du réseau de la santé du Québec contemporain: une histoire tourmentée», Ruptures. Revue transdisciplinaire en santé, vol. 10, n° 1, 2004, p. 8-20. 58. Jean-Pierre Bélanger, «De la commission Castonguay à la commission Rochon… Vingt ans d’histoire de l’évolution des services de santé et des services sociaux au Québec», Service social, vol. 41, no 2, 1992, p. 49-70. 59. Pierre Thomas Léger et Erin Strumpf, Système de paiement des médecins: bref de politique, Rapport de projet, CIRANO, 2010. 60. Guillaume Hébert, La rémunération des médecins québécois, note socioéconomique, IRIS, 15 juin 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/remuneration-medecins. 61. François Bolduc, Impacts de la réforme du réseau québécois de la santé et des services sociaux (2003) sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail, thèse de doctorat (sociologie), Université de Montréal, 2013. 62. Mélanie Bourque et Gaëlle Leruste, «Intégrer les soins de santé et les services sociaux du Québec: la réforme Couillard de 2003», Observatoire des réformes de santé, vol. 2, 2014. 63. François-Xavier Merrien, «La nouvelle gestion publique: un concept mythique», Lien social et Politiques, no 41, printemps 1999, p. 95-103. 64. François Lacasse, «Les mécanismes de type marché comme instruments de modernisation: problématique et perspectives internationales», Politiques et management public, vol. 11, no 2, 1993, p. 117-141. 65. Danièle Guillemot, «Travail dans le public et le privé: une intensification parallèle», Travail et Emploi, vol. 4, 2011, p. 23-40. 66. Jaques Benoit, «La réforme Barre e: cap sur le privé en santé», Relations, no 781, novembre-décembre 2015, p. 35-37. 67. Mélanie Bourque et Amélie Quesnel-Vallée, «Intégrer les soins de santé et les services sociaux du Québec: la réforme Couillard de 2003», Observatoire des réformes de santé, vol. 2, no 2, mai 2014. 68. Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, «Historique de la clinique communautaire», h p://ccpsc.qc.ca/fr/historique. 69. Frederic Laloux, Reinventing Organizations. Vers des communautés de travail inspirées, traduction de Philippe Blanchard, Paris, Diateino, 2015. 70. Depuis 2009, la mesure du panier de consommation sert en effet d’indicateur pour «suivre les situations de pauvreté du point de vue la couverture des besoins de base» (Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion [CEPE], Prendre la mesure de la pauvreté, Gouvernement du Québec, 2009, www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_Avis.pdf). Ce e mesure a été retenue par le Comité consultatif de lu e contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES) comme cible de revenu à a eindre dans les protections sociales en application de la Loi visant à lu er contre la pauvreté et l’exclu-

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sion sociale. Sans constituer un seuil de sortie de la pauvreté, seuil qui reste à établir selon le CEPE (ibid., p. 31) et qui serait nécessairement plus élevé, elle offre un repère substantiel pour évaluer ce qui est nécessaire à une garantie de revenu minimale. 71. À l’exception peut-être de la Méthodologie de détermination des seuils de revenu minimum au Québec, de Denis Fugère et Pierre Lanctôt (Ministère de la Main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu, Québec, 1985), citée dans le livre vert qui a précédé la réforme de l’aide sociale de 1998. 72. Dans ce e loi, l’Assemblée nationale affirmait aussi que «la pauvreté et l’exclusion sociale peuvent constituer des contraintes pour la protection et le respect de [la] dignité humaine» et que la lu e contre la pauvreté est un «impératif national». Ce e loi me ait en place une stratégie pour «tendre vers un Québec sans pauvreté» et des dispositifs pour en surveiller l’évolution. 73. Vivian Labrie, Tendre vers un Québec sans pauvreté après 2013. Rapport synthèse, Québec, Comité consultatif de lu e contre la pauvreté et l’exclusion sociale, 2014, www.cclp.gouv.qc.ca/publications/pdf/rapport_Synthese.pdf. 74. Le projet de loi 70, intitulé Loi visant à perme re une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi, a été déposé à l’automne 2015 à l’Assemblée nationale et est toujours à l’étude au moment d’écrire ce texte. 75. Affirmation entendue un jour d’une personne en situation de pauvreté. 76. Vivian Labrie, «De 62$ à 399$: le plancher de revenu érodé de l’aide sociale coupable», billet, IRIS, 20 mai 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/blogue/de623-a-399-le-plancher-de-revenu-erode-de-l-aide-sociale-coupable. 77. L’expression réfère ici à l’aspiration au buen vivir des cosmovisions autochtones d’Amérique du Sud, qui privilégient une vie digne et interdépendante dans l’appartenance commune à la Terre Mère. 78. Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, La tour d’Aigues, L’aube, 2003. 79. Alain Noël et Miriam Fahmy (dir.), Miser sur l’égalité. L’argent, le pouvoir, le bien-être et la liberté, Montréal, Fides, 2014. 80. Vivian Labrie et Simon Tremblay-Pepin, Le déficit humain imposé aux plus pauvres, note socioéconomique, IRIS, 23 février 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/deficit-humain. 81. Ce panier ne tient toutefois pas compte des soins de santé non assurés, des frais de garde et des frais professionnels, qui doivent être ajoutés pour déterminer un revenu après impôt équivalent. Voir CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit., p. 27-28. 82. Pour saisir l’étendue de ce e disparité, voir Vivian Labrie et Simon Tremblay-Pepin, «Les niveaux de vie décile par décile: des différences énormes», billet, IRIS, 21 mars 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-niveaux-de-vie-decile-par-decile-des-differences-enormes. 83. Vérificateur général du Québec, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2015-2016, Québec, 2015, p. 12, www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2015-2016-VOR-Automne/fr_Rapport2015-2016-VOR.pdf. 84. Un montant supplémentaire de 2 milliards de dollars reste à venir d’ici 2020, pour une augmentation de plus de 100% sur 10 ans. Voir Guillaume Hébert, La rémunération des médecins québécois, op. cit. 85. Ministère des Finances, Régime québécois de soutien du revenu. Budget 2016-2017. Mise à jour consécutive à la mise en place de l’allocation canadienne pour enfants annoncée dans le budget fédéral 2016, Québec, juin 2016, www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2016-2017/fr/documents/Revenu_Juin2016.pdf. 86. Comme l’a démontré une étude publiée en 2014 par Aaron E. Cobet, économiste au Bureau of Labor Statistics, lié au département du Travail des États-Unis. Ce e étude sur les dépenses des ménages étatsuniens révèle que la concentration des gains au sommet de l’échelle de revenu a pour effet de générer de l’épargne et non de reme re cet argent en circulation par la consommation, comme ce serait le cas si c’étaient les plus pauvres qui avaient bénéficié d’une augmentation de revenu. On lira un résumé de ce e recherche dans Rob Garver, «How Income Inequality Can Hurt the Economy», The Fiscal Times, 22 avril 2014, www.thefiscaltimes.com/Articles/2014/04/22/How-Income-Inequality-Can-Hurt-Economy. 87. On les trouve notamment dans la proposition de loi citoyenne qui a précédé l’adoption de la Loi visant à lu er contre la pauvreté et l’exclusion sociale, dans des représentations politiques effectuées à la suite de l’adoption de ce e loi ainsi que dans des publications du Comité consultatif de lu e contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES), entre autres en ce qui concerne les cibles de revenu à a eindre et la manière d’y parvenir. 88. Si on veut conserver une bonne incitation à l’emploi, il faudrait soutenir ces revenus de travail au-delà du niveau de base. Il faudrait ébaucher des scénarios financiers pour établir un niveau de soutien adéquat et son coût. 89. Voir aussi le billet suivant sur le blogue de l’IRIS: Vivian Labrie, «Une discrimination flagrante dans le revenu garanti aux personnes seules», 31 mars 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/blogue/une-discrimination-flagrante-dans-le-revenu-garanti-aux-personnes-seules. 90. En incluant la mise en place de l’allocation canadienne pour enfants annoncée dans le budget fédéral 2016. 91. Estimé à partir de la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada sur la base du seuil MPC 2011, augmenté de 7% par le CEPE pour obtenir un revenu après impôt équivalent. Voir CEPE, La pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale au Québec: état de situation 2013, Gouvernement du Québec, 2014, p. 9, www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_Etat_Situation_2013.pdf. 92. Pour une analyse détaillée de ce e méthode dite de la racine carrée de la taille du ménage, on consultera Brian Murphy et al., «Révision de la mesure de faible revenu (MFR) de Statistique Canada», O awa, Statistique Canada, 2010, p. 14-18, www.statcan.gc.ca/pub/75f0002m/75f0002m2010004fra.pdf. 93. Il s’agit du Soutien aux enfants du Québec, de la Prestation fiscale canadienne pour enfants et de la Prestation universelle pour la garde d’enfants du fédéral. Le regroupement de ces mesures et de quelques autres, le 1er juillet 2016, au sein de l’Allocation canadienne pour enfants bonifie ce e couverture. 94. Si on compare les résultats de la mise à jour de juin 2016 avec les données du mois de mars précédent, on peut constater que la nouvelle Allocation canadienne pour enfants creuse les écarts de couverture d’un à deux points de pourcentage pour les trois types de ménages considérés par rapport à ce qui est consenti à une famille de deux adultes et deux enfants. 95. Voir CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit., p. 28. 96. Encore une fois estimé à partir de la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada sur la base du seuil MPC 2011 et augmenté de 7% par le CEPE pour obtenir un revenu après impôt équivalent. 97. Voir la note 1. 98. Notamment utilisée par le Canadian Centre for Policy Alternatives (CCPA). Voir «A Living Wage: Why It Ma ers», www.policyalternatives.ca/offices/ontario/livingwageON. 99. Philippe Hurteau et Minh Nguyen, Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016?, note socioéconomique, IRIS, 27 avril 2016, p. 4, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2016. 100. Ibid., p. 1. 101. Ce e évaluation respecte assez bien l’échelle d’équivalence en usage, qui multiplie par deux le revenu d’une personne pour obtenir celui d’une famille, ce qui perme rait d’éviter les discriminations citées plus haut pour les personnes seules et les couples sans enfant.

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102. Philippe Hurteau et Minh Nguyen, Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016?, op. cit., p. 6. Les auteurs utilisent un critère de 37,5 heures par semaine alors que le régime québécois de soutien du revenu fournit des données pour 35 heures par semaine, d’où l’emploi des deux chiffres dans le texte. 103. Dans le régime de 2016, selon les montants estimés pour Montréal, cet écart incitatif diminuerait de 9 569 à 6 161 dollars pour une personne seule, et augmenterait de 10 479 à 15 050 dollars pour une famille de deux adultes et deux enfants avec un salaire minimum. Encore faut-il savoir ce qui incite vraiment à l’emploi dans une société qui choisit de miser davantage sur l’égalité et qui en fait un objet de fierté. 104* Les auteur.e.s tiennent à remercier David Champagne pour ses suggestions. . Guy Di Méo, «Géographies tranquilles du quotidien. Une analyse de la contribution des sciences sociales et de la géographie à l’étude des pratiques spatiales», Cahiers de géographie du Québec, vol. 43, n° 118, avril 1999, p. 75-93. 105. Julie Lévesque, «Le Plan Nord: une violation des droits autochtones», Le Journal des alternatives, 8 mai 2012, h p://journal.alternatives.ca/spip.php?article6753. 106. David Dupont, Une brève histoire de l’agriculture au Québec. De la conquête du sol à la mondialisation, Montréal, Fides, 2009. 107. En 10 ans, les principaux centres urbains du Québec ont vu leur territoire bâti augmenter de 15% comparativement à 6% dans le reste du Canada. Voir Pierre-André Normandin, «Baisse de la densité au Québec», La Presse, 26 mars 2016. 108. Pour une liste exhaustive des conséquences de l’austérité sur les régions, consulter l’Observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec: h p://austerite.iris-recherche.qc.ca/developpement-local-et-regional#cdec-et-cld-de-montreal-remplaces-par-pme-mtl-10-2015. 109. Sébastien Lacroix, «L’austérité entrave le développement des régions», Le Courrier Sud, 27 avril 2015, www.lecourriersud.com/Actualites/Politique/2015-04-27/article-4126136/Lausterite-entrave-le-developpement-des-regions/1. 110. Charles Lecavalier, «Le Conseil du patronat veut favoriser l’exode rural», Le Journal de Montréal, 30 janvier 2015. 111. Pour une présentation du néolibéralisme comme transformation de l’État plutôt que comme son effacement devant le secteur privé, voir Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2010. 112. New Economics Foundation, The Great Transition, Londres, 2010, h p://b.3cdn.net/nefoundation/d28ebb6d4df943cdc9_oum6b1kwv.pdf. 113. Sur les fiducies foncières communautaires, leur origine et leurs principes fondateurs, voir John E. Davis (dir.), Manuel d’antispéculation immobilière. Une introduction aux fiducies foncières communautaires, Montréal, Écosociété, 2014. 114. Lucia Kowaluk et Carolle Piché-Burton, Communauté Milton-Parc. L’histoire d’hier et le fonctionnement d’aujourd’hui, Montréal, Communauté MiltonParc, 2012, h p://miltonparc.org/French.pdf. 115. L’expression nous vient du projet «Bâtiment 7», dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal. Ce projet vise la mise sur pied d’un centre autogéré réunissant «des citoyens, des organismes culturels, communautaires, libertaires ou issus de l’économie sociale». Voir Bâtiment 7, www.ateliers7 anous.org/fr/les-ateliers/le-batiment-7/; Le projet du Bâtiment 7, h p://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/MEM_COLLECTIF7_20111116.PDF; et La Pointe libertaire, Bâtiment 7. Victoire populaire à Pointe-Saint-Charles, Montréal, Écosociété, 2013. 116. Bernie Ward et Julie Lewis, Plugging the Leaks: Making the Most of Every Pound that Enters Your Local Economy, Londres, New Economics Foundation, 2002, www.pluggingtheleaks.org/downloads/ptl_handbook.pdf . 117. L’Accorderie, h p://accorderie.ca/quest-ce-quune-accorderie/. 118. Will Steffen et al., «Planet Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet», Science, vol. 347, no 6223, 13 février 2015, h p://science.sciencemag.org/content/347/6223/1259855; R. McLellan (dir.), Living Planet Report 2014: Species and Spaces, People and Places, Gland (Suisse), World Wide Fund, 2014, p. 12. 119. Joe Oliver et Youri Chassin, Comment stimuler l’économie le plus efficacement: oléoducs privés ou infrastructure publiques?, Les notes économiques, Institut économique de Montréal, 9 juin 2016, www.iedm.org/files/note0616_fr.pdf. 120. Valerie A. Ramey, «Government Spending and Private Activity», dans Alberto Alesina et Francesco Giavazzi (dir.), Fiscal Policy after the Financial Crisis, Chicago, University of Chicago Press, 2013, p. 19-55; voir aussi Éric Pineault et Bertrand Schepper, «La relance ne passe pas par l’austérité et les pipelines», billet, IRIS, 20 juin 2016, h p://iris-recherche.qc.ca/blogue/la-relance-ne-passe-pas-par-l-austerite-et-les-pipelines. 121. Éric Pineault, «Portrait de la surépargne des entreprises au Québec et au Canada», note socioéconomique, IRIS, 27 janvier 2015, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/surepargne. 122. Valerie A. Ramey, «Government Spending and Private Activity», op. cit.; voir aussi Éric Pineault et Bertrand Schepper, «La relance ne passe pas par l’austérité et les pipelines», op. cit. 123. Naomi Klein, Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, traduction de Geneviève Boulanger et Nicolas Calvé, Montréal, Lux, 2015. 124. D. Ma hews, «Effet de l’oléoduc Énergie Est sur les émissions globales de gaz à effet de serre», mémoire déposé dans le cadre des audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur Énergie Est, 2016. Peu d’études ont été réalisées à ce jour à propos du seuil limite de 1,5 °C, mais les estimations disponibles font état d’un budget restant d’environ 350 Gt de CO2, ce qui est bien peu en regard des émissions mondiales annuelles, qui sont d’environ 35 Gt. 125. Renaud Gignac et Bertrand Schepper, «Au-delà du jeu des comparaisons, une approche fondée sur la science et l’équité: le budget carbone du Québec», mémoire présenté à la Commission des transports et de l’environnement, IRIS, 6 octobre 2015, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/116. 126. Ibid. 127. Ibid. La cible annoncée pour 2050, soit une réduction de 80 à 95%, correspond mieux au budget carbone pour un seuil limite de 2 °C. Ce e cible n’est toutefois pas la cible officielle du gouvernement du Québec, mais plutôt un engagement politique informel prévu dans le Protocole d’accord sur le leadership climatique, le Under 2 Memorandum of Understanding (Under 2 MOU), signé par 18 gouvernements. 128. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lu e contre les changements climatiques [MDDELCC], Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre 2013 et leur évolution depuis 1990, Québec, 2016, p. 11. 129. Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer [France], décret no 2015-1491 du 18 novembre 2015 relatif aux budgets carbone nationaux et

à la stratégie nationale bas-carbone, Journal officiel de la République française, 19 novembre 2015. 130. Ibid. 131. Les émissions de GES des camions lourds sont en hausse de 91,1% depuis 1990. Notons que ce e catégorie intègre aussi les émissions de GES provenant des transports par autobus, bien que celles-ci soient marginales. Voir MDDECC, Inventaire québécois des émissions, op. cit., p. 15-16.

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132. Étude économique Desjardins, Les Québécois et leur automobile: des liens tissés serrés, volume 24, avril 2014, p. 2, www.desjardins.com/ressources/pdf/per0414f.pdf. 133. Ressources naturelles Canada, Guide de consommation de carburant 2015, O awa, 2015. Pour plus de détails, voir Bertrand Schepper, Le transport en commun comme solution à la relance économique et à la crise environnementale au Québec, note socioéconomique, IRIS, 2 février 2016, p. 4-5, h p://iris-recherche.qc.ca/publications/transport-collectif. 134. Social Exclusion Unit, Making Connections: Final Report on Transport and Social Exclusion, Office of the Prime Minister of England, février 2003, www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/@ed_emp/@emp_policy/ @invest/documents/publication/wcms_asist_8210.pdf. 135. Renaud Gignac et al., Vingt milliards de dollars de plus en six ans. Les retombées économiques d’une réduction de la consommation de pétrole au Québec, Montréal, Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec, p. 17, www.par-notre-propre-energie.com/pdf/RNCREQ_Corrections_Brochure_etude_economique_interieur_LR.pdf. 136. TomTom, L’Indice de congestion routière TomTom: Vancouver, Toronto et Montréal au rang des villes les plus congestionnées au Canada, CNW Telbec, 22 mars 2016. 137. Ibid., p. 18. 138. Banque de données des statistiques officielles du Québec, «Exportations et importations internationales annuelles par produit», dans Renaud Gignac et al., Vingt milliards de dollars, op. cit., p. 5. 139. Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Politique énergétique 2030, Québec, p. 41. 140. Selon certaines estimations, la demande mondiale devrait a eindre 800 000 tonnes métriques de lithium d’ici 2040, ce qui voudrait dire qu’à ce rythme il y aurait des réserves mondiales équivalentes à 17 ans d’extraction et de production. Voir Tam Hunt, «Is There Enough Lithium to Maintain the Growth of the Lithium-Ion Ba ery Market? Are We Nearing the Peak Lithium?», Greentech Media, 2 juin 2015, www.greentechmedia.com/articles/read/Is-There-Enough-Lithium-to-Maintain-the-Growth-of-the-Lithium-Ion-Ba ery-M. Voir aussi Hanna Vikström, Simon Davidson et Makael Höök, «Lithium Availability and Future Production Outlooks», Applied Energy, vol. 110, no 10, 2013, p. 252-266, www.diva-portal.org/smash/get/diva2:621281/FULLTEXT02.pdf. 141. Statistique Canada, Multiplicateurs d’entrées-sorties provinciaux, Québec, 2010, Division des comptes des industries, 2010. 142. Ibid. 143. Ibid. 144. En supposant un prix du pétrole au cours actuel, soit autour de 60$ le baril, une moyenne de 60 passagers aux heures de pointe, une utilisation du métro de 30% et des autobus au carburant conventionnel au prix du marché. Pour plus de détails sur la méthodologie, voir: Bertrand Schepper, Le transport en commun…, op. cit. 145. Statistique Canada, Multiplicateurs d’entrées-sorties…, op. cit.; calcul de l’auteur. 146. Ibid. 147. Calcul des auteurs basé sur Chaire de gestion du secteur de l’Énergie, L’état de l’énergie au Québec 2016, HEC Montréal; Transport Québec, Enquête Origine-Destination 2011. La mobilité des personnes dans la région de Québec. Volet Enquête-ménages – Faits saillants, décembre 2014, p. 17; et Transport Québec, Enquête Origine-Destination 2013. La mobilité des personnes dans la région de Montréal – Faits saillants, janvier 2015, p. 22. 148. MDDECC, Inventaire québécois…, op. cit., p. 11. 149. Pensons par exemple à Orléans Express, devenu filiale de Keolis, une entreprise multinationale dont le chiffre d’affaires dépasse les 5 milliards de dollars, ou à Limocar, qui fait partie du consortium français Veolia-Transdev, l’un des plus gros transporteurs privés au monde. Voir Keolis, Chiffres clés, www.keolis.com/fr/notre-groupe/le-groupe-keolis/chiffres-cles; Philippe Jacqué, «Transport: la renaissance de Transdev», Le Monde, 23 mars 2016. 150. «Entente de principe pour le retour d’Orléans Express», Le Pharillon, 5 mai 2016, www.lepharillon.ca/actualites/2016/5/5/entente-de-principe-pour-leretour-d-orleans-express.html. 151. Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), «Contenu en émissions de dioxyde de carbone dans les échanges internationaux», 2015, www.oecd.org/fr/sti/ind/contenuenemissionsdedioxidedecarbonedanslesechangesinternationaux.htm. 152. Basée sur la méthodologie du Canadien National (CN), Facteurs d’émission pour l’outil calculateur d’émissions de gaz à effet de serre du CN, www.cn.ca/fr/repository/popups/ghg/ghgcalculatoremissionfactors. 153. Institut de la statistique du Québec, Quantité et valeur mensuelles des importations internationales de pommes fraîches selon la provenance, Québec, 20072008 et août 2008 à juillet 2009, 29 mars 2010, www.stat.gouv.qc.ca/docs-hmi/statistiques/agriculture/pomiculture-pommes/AK150079.htm. 154. Ibid. 155. Martin Gooch, Abdel Felfel et Nicole Marenick, Food Waste in Canada: Opportunities to Increase the Competitiveness of Canada’s Agri-Food Sector, while Simultaneously Improving the Environment, Oakville (Ontario), Value Chain Management Center, novembre 2010, p. 15. 156. Pour une revue sommaire de la li érature sur les tarifs environnementaux, voir Thomas J. Courchene et John R. Allan, «Climate Change: The Case for a Carbon Tariff/Tax», Policy Options, mars 2008, p. 59-64; et Aaron Cosbey, «Border Carbon Adjustment», background paper pour le Trade and Climate Change Seminar (Copenhague, 2008), International Institute for Sustainable Development, août 2008. 157. Aux États-Unis, des dispositions en ce sens avaient été incluses dans la loi Warner-Lieberman de 2007 sur les changements climatiques, mais ce e loi a finalement été rejetée par le Sénat. Dans l’Union européenne, des mesures d’ajustement carbone à la frontière font l’objet de négociations dans le cadre du Système communautaire d’échange de quotas d’émission. Voir Aaron Cosbey, «Border Carbon Adjustment», op. cit., p. 2. 158. John Barre et al., GHG Emissions Embodied in Trade: Is Border Adjustment an Appropriate and Effective Response?, s.l. [Royaume-Uni], Centre for Low Carbon Futures, 2012. 159. Voir Rob Hopkins, Manuel de Transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, traduction de Michel Durand, Montréal, Écosociété, 2010. 160. Thomas A. Lyson, «Civic Agriculture and Community Development», dans Civic Agriculture: Reconnecting Farm, Food, and Community, Lebanon (New Hampshire), University Press of New England, 2004, p. 84-98. 161. Ibid.

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COLLECTION POLÉMOS Comba re, déba re

Polémos signifie combat, lu e, guerre, en grec ancien. Il vient du mot polemai, se remuer, et a donné le mot polémique, qui renvoie à la discorde. Pourquoi une collection Polémos chez Écosociété? Pour rappeler que des lu es naissent les avancées, des conflits jaillit le politique. Le conflit, père de toutes choses pour Héraclite, la politique, lieu de la mésentente pour Rancière; le vivre ensemble est fait de confrontations. Nourrir les combats, nourrir les débats, tel est l’esprit de la collection Polémos, qui accueille des textes aux paroles fortes.

Dans la même collection Alain Deneault, Une escroquerie légalisée. Précis sur les «paradis fiscaux». Éric Pineault (avec David Murray), Le piège Énergie Est. Sortir de l’impasse des sables bitumineux.

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